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PHYSIOLOGIE

DE L'HOMME.

CET OUVRAGE SE VEND AUSSI :

A MONTPELLIER, CHEZ SÉYALLE, LIBRAIRE.

IMPRIMERIE D'HIPPOLLYTE TILLURD

BDE DE LA BAEPEf Re 7§.

PHYSIOLOGIE

DE L'HOMME,

PAR

N.-P. ADELON, D. M. P.,

PROFESSEUR DE MÉDECINE LÉGALE A LA FACULTÉ DE MEDECINE DE PARIS , MEMBRE ADJOINT DU CONSEIL DE SALUBRITE DE LA VILLE DE PARIS , HEHBRB TITULAIRE DE l'aCADÉMIE KOTALE DE MEDECINB , DE LA SOCIÉTÉ PQILOMATnjUf DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES, ARTS ET BELLES-LETTRES DE DIJON , DES SOCIÉTÉS DE WÉrECINE D'ÉVKErX , LOCVAIK , elC.

ècCOttDC é&tttOH 9 REVUE, CORRIGÉE ET AUGMENTÉE.

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COMPÈRE JEUNE , LIBRAIRE-ÉDITEUR ,

RUE DE L'ÉCOLE DE MÉDECINE, N. 8,

1829.

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TROISIÈME CLASSE DES FONCTIONS.

FONCTIONS DE REPRODUCTION , OU DE LA GENERATION.

Tous les êtres organisés et vivants se reproduisent 3 c'est- à-dire donnent naissance à des individus semblables à eux, et à l'aide desquels ils perpétuent leur espèce. La nature les ayant condamnes à mourir, devait leur donner cette pré- cieuse faculté , sans laquelle l'univers n'aurait eu qu'une courte durée. C'est par la faculté de reproduction que le Créateur a assuré la conservation de notre monde; aussi semble-t-elle lui être plus chère que la faculté de nutrition elle-même : les individus ne semblent vivre que pour son accomplissement. Dans les derniers animaux, beaucoup ne paraissent exister que pour se reproduire ., et meurent aussi- tôt après. Dans les animaux supérieurs, les individus ne sont parfaits qu'à l'âge auquel la reproduction est possible; et ils cessent de l'être et commencent à mourir , si l'on peut parler ainsi , dès que cette faculté ne peut plus s'accomplir. Qui ne sent, d'ailleurs, que la faculté de nutrition n'a trait qu'à l'individu, lequel n'est qu'un infiniment petit dans le grand ensemble, et qu'au contraire, la reproduction a trait à la conservation des espèces ? La reproduction fonde donc un des plus importants phénomènes de la vie. Destinée à ré- parer les pertes continuelles que cause la mort, elle impose Tome IY. - L

2 FONCTION DE LA GÉNÉRATION,

à son tour l'inexorable nécessité de celle-ci; sans la mort , la reproduction, toujours agissante, aurait bientôt sur- chargé l'univers de trop d'êtres vivants.

Bien que les actes par lesquels s'accomplit la reproduc- tion soient souvent assez nombreux et assez divers , on n'en a pas fait, comme de ceux qui opèrent la nutrition, plu- sieurs fonctions distinctes ^ on les a tous réunis en une seule, qu'on appelle génération. La génération est une fonction exclusive aux êtres vivants. On ne peut pas, en effet, appeler de ce nom la manière dont les minéraux se forment les uns des autres : quand un minéral donne l'être à un autre, c'est en fournissant toutou partie des éléments qui le composent, et en cessant d'exister lui-même : l'être vivant, au contraire, se reproduit sans mourir , fournissant seulement une partie de lui-même, qui, à la suite de plusieurs développements, devient un individu nouveau semblable à lui.

Les procédés par lesquels s'accomplit , dans l'univer- salité des êtres vivants, la génération, sont très divers; et nous allons nous borner à les rappeler brièvement , les ayant indiqués déjà quand nous avons traité des animaux en général.

D'abord , peut-être existe-t-il quelques êtres vivants qui se forment, de toutes pièces en quelque sorte, par la réu- nion de leurs éléments constituants , à la manière d'un mi- néral, mais consécutivement à une force autre que l'attrac- tion moléculaire, puisqu'elle a pour résultat la formation d'un corps vivant: c'est ce qu'on appelle la génération spon- tanée. A la vérité, la plupart des physiologistes récusent ces générations équivoques , admettant que dans les cas on les suppose , ont été apportés par l'air ou par l'eau des œufs ou des graines que leur petitesse n'a pas permis d'apercé-' cevoir. Mais peut-être que leur assertion est trop absolue ; et quelques faits rendent, sinon démontrée, au moins très probable, une génération spontanée pour les derniers degrés de l'échelle végétale et animale. Par exemple , des animaux infusoires se sont montrés dans des liqueurs aux- quelles on avait fait subir auparavant une ébuliition pro- longée; peut-on croire , avec Spallanzani , que les œufs qui

FONCTION DE LA GENERATION. 3

leur ont donné l'être ont résisté à cette forte chaleur ? Plu- sieurs êtres vivants, comme des nostocs , des tremeïles,, dans le règne végétal; le rotifère, l'anguille des toits, dans le règne animal, après être restés des années entières immo- biles, et paraissant n'être que des cadavres desséchés, tout à coup ont été rendus à la vie par l'influence de l'humidité : cela a été fait plusieurs fois de suite; et, par exemple, Spallanzani a fait ainsi sécher et revivre onze fois le roti- fère. Dira-t-on que ces êtres avaient conservé en eux , lors de leur dessiccation , une vie latente ? et n'est-ce pas plutôt , qu'ayant toujours la structure matérielle qui les rend pro- pres à recevoir la cause excitatrice de la vie , quelle qu'elle soit , ils ont à chaque fois reçu une nouvelle animation ? Parmi les vers intestinaux, plusieurs sont placés en des lieux nui germe n'a pu pénétrer du dehors : les filai res , par exemple , qui sont situés le long de la colonne verté- brale; les gordyles, qu'on trouve dans les chairs des mus- cles ; les hydatides , qu'on observe dans les parenchymes des viscères : faut-il, avec Spallanzani , en faire provenir les germes des aliments , et faire arriver ces germes avec le sang? ou croire, avec Rudolplii , Brernsèr? qui sont d'im- posantes autorités sur ce sujet , que ces vers proviennent par génération spontanée? Dans de certains temps , lors de pluies soudaines, par exemple, on voit tout à coup apparaître des my- riades d'êtres vivants, et il serait souvent difficile d'indiquer d'où auraient pu provenir alors les nombreux germes qu'il nécessiteraient. Enfin , on dit avoir, dans des expériences, réussi à faire des êtres vivants de toutes pièces : Wiegmann a mis dans un vase un demi-gros de corail blanc ou rouge , avec six onces d'eau distillée ; il a exposé le vase aux rayons du soleil , ayant soin de l'agiter plusieurs fois par jour, et de décanter de temps en temps; et , après quinze jours, il a vu se •former, d'abord de la matière verte, puis des conferves , et enfin , après deux ou trois mois , des monocles du genre des cyprides detectœ. Ayant fait l'expérience dans un étroit et long cylindre, il a vu se former des espèces d'alves qui, après un certain temps, se sont converties en daphniœ longispinœ. M. Frej a fait en France de semblables essais :

i .

4 FONCTION DE LA GÉNÉRATION,

ayant fait macérer dans des vasesbien cîos , avec de l'eau dis- tillée , tantôt des matières végétales et animales , tantôt des gaz seuls, il dit avoir vu se former de même, par le con- cours de la lumière et de îa chaleur , des êtres vivants, vé*- gétaux et animaux. Sans doute nous ne voulons pas trop accorder à ces expériences, non plus qu'aux considérations précédentes; mais il nous semble que tous ces faits comman- dent au moins le doute , et justifient MM. Lamarck et Geof- froy de croire probables les générations spontanées aux der- niers degrés de l'échelle vivante.

Au-delà de ce premier mode de génération, le plus sim- ple de tous , la reproduction ne s'accomplit plus qu'à l'aide d'une partie , qui est toujours fournie par un corps vivant , et qui devient un individu nouveau semblable à celui qui la portait. Dès lors tout individu provient nécessairement d'un autre , et les êtres, dans leur succession , sont dépen- dants les uns des autres. Mais nous allons trouver encore beaucoup de modes divers, et de plus en plus compliqués. Ainsi , au-delà de la génération spontanée est d'abord la gé- nération Jissipare , ou par scission du corps mère , dont les animaux infusoires nous offrent un exemple : l'être, à une certaine époque de sa vie, se partage de lui-même en plu- sieurs fragments , qui forment autant d'individus nou- veaux. A un second degré déjà pins élevé, mais encore bien inférieur , est la génération gemmipare , qui consiste en ce que l'être pousse , à un certain endroit de son corps , de petits bourgeons, des gemmes , qui , à une époque détermi- née aussi, se détachent pour former autant d'individus nouveaux. Selon que c'est à la surface externe du corps , ou dans un lieu spécial et intérieur que se développent les bour- geons, cette génération gemmipare est dite externe ou in- terne. Dans ces divers modes, un individu peut se repro- duire seul. Enfin, apparaissent des organes spéciaux pour la génération , ce qu'on appelle les sexes ; organes qui sont de deux espèces, les femelles et les mâles , et qui fournis- sent , d'après l'opinion la plus universellement reçue, les premiers , un germe contenant les rudiments de l'indi- vidu nouveau, et les seconds, une semence, un fluide qui

FONCTION DE LA GENERATION. 5

avive le germe , et en détermine le développement et le dé- tachement.

Dans ce dernier mode , qui est celui de l'homme , tantôt les deux sexes sont réunis sur un seul individu, qui peut se reproduire seul , et qui est ce qu'on appelle hermaphro- dite, comme cela est dans presque toutes les plantes , beau- coup de mollusques ; tantôt ils sont réunis sur un seul être, mais qui ne peut plus se reproduire seul , et qui exige, pour sa reproduction, le concours d'un autre, chaque individu remplissant même à la fois le double office de mâle et de fe- melle ; quelquefois enfin , chaque sexe est porté par un in- dividu différent , et l'espèce animale est composée de deux individus , le mâle et \& femelle, dont le concours est abso- lument nécessaire pour la reproduction.

Mais, deux nouvelles différences se présentent dans le mode selon lequel se fait ce concours. Quelquefois le fluide du sexe mâle n'est appliqué à l'œuf du sexe femelle . que lorsque celui-ci a été excrété , pondu, comme dans les pois- sons ; et , dans ce cas, le mâle ne connaît pas la femelle qui concourt à sa reproduction. D'autres fois > au contraire, le fluide du sexe mâle est appliqué à l'œuf du sexe femelle , quand celui-ci est encore renfermé dans l'intérieur de la fe- melle , comme dans les oiseaux , les mammifères; l'œuf ne pourrait plus être fécondé après la ponte; et , dans ce der- nier cas, il y a nécessairement dans la génération ce qu'on appelle un rapprochement , une copulation.

Enfin , la génération diffère encore dans les animaux, re- lativement à ce que devient l'œuf immédiatement après l'accouplement et la fécondai ion. Dans les ovipares, l'œuf est pondu aussitôt, et ce n'est qu'après la ponte qu'il écîôt, et qu'apparaît l'individu nouveau. Dans les ovo-vivi- pares , il est aussi détaché aussitôt de l'ovaire, et en voie d'être pondu; mais parcourant avec lenteur les voies de son excrétion, il éciôt pendant la ponte, de sorte que l'individu nouveau sort du sein de sa mère avec sa forme propre. Enfin, dans les vivipares , l'œuf se détache aussi de l'o- vaire immédiatement après la copulation; mais, au lieu d'être pondu, il va se placer dans un réservoir, appelé ma

6 FONCTION DE LA GENERATION.

trice , utérus ; il y prend attache ? en tire des sucs utiles à son développement; et , croissant ainsi aux dépens de sa mère, il éclôtdansce réservoir, de manière que l'individu nouveau naît sous sa forme propre. De plus., cet individu, après sa naissance, doit à une sécrétion de sa mère son pre- mier aliment, le lait. Dans ce dernier cas, la génération comprend nécessairement, outre la copulation , ce qu'on appelle une gestation ou grossesse, et Y allaitement.

Tels sont les modes divers par lesquels s'accomplit la gé- nération dans l'ensemble des animaux. Quelques divers que soient ces modes, il y a des formes qui sont comme au- tant de passages des uns aux autres. Ainsi, la génération gemmipare interne évidemment conduit à la génération par sexes. Les animaux qui , bien que possédant les deux sexes, ont besoin du concours d'un autre pour leur reproduction, conduisent à ceux chez lesquels ces sexes sont séparés. Enfin, ces reptiles batraciens qui se cramponnent à leurs femelles , et qui vivifient de leur sperme les œufs au moment même ceux-ci sont pondus , forment évidemment le passage des animaux qui n'ont pas de copulation à ceux qui en ont une.

Au milieu de toutes ces différences, voici ce qui est de la génération de l'espèce humaine : elle se fait à l'aide de sexes; ces sexes sont séparés et portés chacun par un individu dis- tinct, l'homme et la femme; c'est lorsque l'œuf est encore intérieur que s'en fait la fécondation , de sorte qu'il faut un rapprochement , une copulation ; enfin la génération est vi- vipare , et comprend une grossesse et un allaitement. Nous allons commencer son étude par l'examen anatomique des organes qui l'accomplissent.

CHAPITRE PREMIER. Ànatomie de V appareil générateur.

Dans ce chapitre, nous allons traiter successivement : de l'appareil génital de l'homme , de celui de la femme , et des différences que présentent, sous tous les autres rapports et dans les autres points de leur économie , les deux sexes.

APPAREIL GENITAL DE L HOMME. 7

ARTICLE PREMIER. De l'appareil ge'nital de l'homme.

L'appareil génital de l'homme se compose de deux sorles de parties, celles qui forment le fluide destiné à féconder le germe , et qui fondent l'appareil de fécondation ; et celles qui portent profondément ce fluide dans les parties de la femme , pour qu'il aille au loin atteindre le germe , et qui constituent V appareil de copulation.

§ 1er. Appareil de fécondation.

H faut étudier, dans cet appareil , les parties qui le com- posent, le mécanisme par lequel ces parties préparent, fa- briquent et conservent le fluide fécondant; enfin ce fluide fécondant lui-même , le sperme.

L'appareil de fécondation chez l'homme est pair, et se compose de deux glandes, les testicules; de leur canal ex- créteur , les conduits déférents ; et de deux réservoirs , les vésicules séminales.

A. Testicules. Les testicules sont deux glandes situées dans une cavité placée au bas du pubis, et appelée scrotum ; le droit est un peu plus élevé que le gauche. Leur forme est celle d'un ovoïde comprimé de droite à gauche; leur vo- lume , celui d'un petit œuf de pigeon ; leur poids , de trente à trente-deux grammes. Puisque les testicules sont des glan- des , parmi leurs éléments sont deux systèmes vasculaires opposés l'un à l'autre par leurs ramifications dernières : l'un est Y artère spermatique, qui apporte le sang qui fournit à la sécrétion : née de l'aorte dans l'abdomen , sous un angle très aigu, cette artère, fort petite, fort flexueuse , gagne l'anneau inguinal ou sus -pubien, le traverse, atteint le testicule, et s'y divise en deux sortes de rameaux, les uns qui se distribuent à ce que nous verrons être appelé Vépi- diilyme, les autres qui pénètrent dans le testicule par son

8 FONCTION DE LA GENERATION,

bord supérieur, et concourent à former son tissu; l'autre est le système vasculaire sécréteur, dont les radicules,, pro- bablement continus aux dernières ramifications de l'artère spermatique , font le sperme , ou au moins excrètent ce fluide. Les vaisseaux de ce système constituent dans le tes- ticule ce qu'on appelle les vaisseaux séminifères, et abou- tissent à un cordon blanc situé au bord supérieur et interne de l'organe, auquel commence le canal excréteur, et qu'on appelle corps d'Hygmor, ou sinus des vaisseaux séminifères. A ces deux premiers ordres de vaisseaux , il faut ajouter^ comme éléments composants des testicules : des veines, dites spermatique s , qui rapportent de l'organe le superflu du sang qui a servi à sa nutrition et à la sécrétion. Nées, par des racines capillaires , dans le tissu du testicule , ces veines y forment d'abord un plexus appelé spermatique , dont les divisions se rassemblent en plusieurs branches qui passent par l'anneau inguinal , et se fondent en un seul tronc : ce tronc alors se divise de nouveau en un autre plexus appelé corps pampiniforme , que l'on dit être particulier à l'espèce humaine, et que l'on croit servir de diverticulum du sang, pour le testicule dont les fonctions sont presque intermittentes ; enfin, au-delà, ces veines vont s'ouvrir du côté droit dans la veine cave, et du côté gauche dans la veine rénale. Des vaisseaux lymphatiques en fort grand nombre, dont les troncs, après avoir traversé l'anneau, vont aboutir aux ganglions lombaires. Des nerfs fournis , en partie par les plexus rénaux, mésentériques , le grand sympathique; en partie par les nerfs lombaires, et qui sont si petits qu'on ne peut les poursuivre jusque dans le tissu du testicule. Enfin une membrane extérieure à tout l'or- gane, appelée albuginée, périteste. Cette membrane, d'un blanc opaque, évidemment fibreuse, d'un tissu serré, en- veloppe l'organe, dont elle détermine la forme; de plus, elle envoie dans son intérieur beaucoup de prolongements fili- formes, aplatis, qui constituent des espèces de cloisons in- complètes ; celles-ci séparent des espèces de loges triangu- laires, remplies par les vaisseaux séminifères, et se dirigent toutes, avec une espèce de symétrie, vers le bord supérieur,

APPAREIL GÉNITAL DE L'HOMME. 9

vers ce que nous avons appelé le corps d'Hygmor. De ces di- vers éléments résulte le tissu du testicule , qu'il est difficile de spécifier; la substance en est molle, d'un gris jaunâtre, et partagée , par les prolongements de la membrane capsu- laire, en un grand nombre de lobes et de lobules. Son pa- renchyme semble être formé d'une immense quantité de filaments très ténus, très flexueux, entrelacés et repliés en tous sens, lâchement unis les uns aux autres , et entre les- quels se voient les ramifications des artères et veines sper- matiques. Ces filaments sont les conduits séminifères , dont Monro a évalué le nombre à 625oo, la longueur à 5208 pieds, le calibre à un deux centième de pouce de diamètre , et qui sont si fins qu'on n'a pu encore les injecter, ni par le canal excréteur, ni par l'artère speimia tique. Disposés le long des cloisons que fait dans l'intérieur de l'organe la mem- brane albuginée , ils présentent , de distance en distance , de petits renflements que les uns ont pris pour des granulations glanduleuses , les autres pour des replis. Se dirigeant vers le bord supérieur de l'organe , ils se réunissent en douze à vingt troncs , alors assez considérables pour qu'on puisse les injec- ter par le canal excréteur: et traversant le corps d'Hygmor, ils s'abouchent pour former le conduit qui constituera l'épi- didyme. Nous avons déjà dit qu'on appelle corps d'Hygmor une saillie oblongue , blanche , située le long du bord supé- rieur du testicule, et qui, selon M. Chaussier, est un canal dans lequel se réunissent ces troncs communs des vaisseaux séminifères , lorsqu'ils vont former le canal excréteur.

Le testicule est soutenu dans la cavité du scrotum , par ce qu'on appelle le cordon des vaisseaux spermaliques , assem- blage des vaisseaux et des nerfs appartenants à cet organe , savoir : l'artère spermatique , les veines spermatiques, les vaisseaux lymphatiques, les nerfs de l'organe , et le conduit déférent, qui est son canal excréteur. Un tissu lamineux unit entre elles toutes ces parties. Extérieurement, une gaine membraneuse, de nature fibreuse , enveloppe ce cordon, et l'isole des parties circonvoisines , et spécialement du scro- tum. Du bord supérieur du testicule, lieu de son attache , ce cordon se porte verticalement vers l'anneau inguinal ; et,

10 FONCTION DE LA GÉNÉRATION.

après l'avoir traversé, ses divers éléments se séparent pour se rendre chacun à leur destination respective.

Quant au scrotum, c'est une cavité membraneuse, dé- pendante de l'abdomen, el formée par la superposition de quatre tuniques. 10 Extérieurement est la peau, qui ici est de couleur brune, ridée et parsemée de follicules et de poils : un raphé règne sur la ligne médiane , et annonce le partage du scrotum en deux moitiés. 2 ° Au-dessous, est une membrane cellulo-filamenteuse, rougeâtre, appelée dartos , et formant une cloison médiane qui sépare les deux testicules. Il y a eu beaucoup de débatssur la nature de ce dartos; tour-à-tour on l'a dit musculeux, vasculaire , celluleux : MM. Breschet et Lobstein ont trouvé qu'il n'existait pas dans le scrotum avant que les testicules y fussent descendus, et le croient formé par l'épanouissement du cordon qui y attache cet or- gane; Meckel le présente comme faisant le passage du tissu muqueux proprement dit au tissu musculaire. Au-dessous du dartos, est une couche musculeuse, appelée membrane érythroïde , formée par un muscle nommé crémaster , qui , du petit oblique de l'abdomen , près l'épine iliaque an- térieure et supérieure , traverse l'anneau , concourt à la formation du cordon , et va se terminer insensiblement à la surface interne du scrotum. Enfin tout-à-fait en dedans, est la membrane vaginale ou élytroïde , véritable membrane séreuse , enveloppant le testicule , ayant conséquemment deux portions , une scrotale, qui tapisse le scrotum , et une testiculaire, qui revêt le testicule. A sa surface externe , elle offre un feuillet fibreux , analogue à celui qui fortifie en dehors la membrane séreuse du péricarde : quelques anato- mistes en ont fait une cinquième tunique distincte , sous le nom de tunique fibreuse, ou vaginale commune. Cette tu- nique vaginale est évidemment une dépendance du péri- toine. Le testicule, en effet, jusqu'au septième mois de la vie fœtale, est placé dans l'abdomen, au-dessous du rein, sur la partie antérieure du muscle psoas; ce n'est qu'après cette époque que, par le jeu d'un ligament appelé guberna- culum testis , il est attiré dans le scrotum. Or, pour cela il Lraverse tout l'abdomen, et entraîne devant lui le péritoine :

APPAREIL GÉNITAL DE L'HOMME. il

avec le temps , la portion du péritoine qui a accompagné l'organe se sépare, et forme la tunique vaginale. Si cette séparation n'a pas lieu, que l'anneau reste très ouvert, des portions d'intestins peuvent passer dans le scrotum, et il en résulte ce qu'on appelle des hernies congéniales. Cette des- cente du testicule n'est pas , du reste , une chose nécessaire ; on a vu des hommes chez lesquels elle ne s'était pas faite, se reproduire de même : dans beaucoup d'animaux^ le testi- cule est toujours intérieur; et chez quelques-uns, il rentre et sort tour-à-tour; dans les rats, par exemple, il n'est dans le scrotum que lors de l'époque du rut.

B. Conduits déférents, canaux excréteurs. Le long du bord supérieur de chaque testicule, règne un petit corps oblong, de couleur grisâtre , qui est comme surajouté à l'organe, et qu'on appelle èpididyme. Ce corps est un conduit formé par la réunion des vaisseaux séminifères qui ont traversé le corps d'Hygmor. Roulé beaucoup de fois sur lui-même, des brides celluleuses unissent ses différents contours; et déplissé , il a , selon Monro , une longueur de trente-deux pieds. Son ca- libre augmente de sa partie supérieure, qu'on appelle sa tête, à sa partie inférieure, ou sa queue. Celle-ci se con- tinue par un canal blanc , très ferme , appelé conduit défé- rent , et qui est, à proprement parler, l'excréteur. Ce canal, après avoir quitté le testicule, se joint au cordon des vais- seaux spermatiques , traverse l'anneau, se sépare des vais- seaux sanguins à son entrée dans l'abdomen , et descend en arrière et en dedans, gagnant la partie postérieure et infé- rieure de la vessie, croisant en cet endroit l'uretère ; là, changeant de direction , il marche presque horizontalement d'arrière en avant , et de dehors en dedans , le long du côté interne des vésicules séminales. Parvenu à la base de la prostate , il reçoit un canal de ces vésicules , et se conti- nue sous le nom de canal èjaculateur. Traversant alors la prostate, placé près du canal du côté opposé, mais sans communiquer avec lui , l'un et l'autre vont s'ouvrir dans Turèthre, sur les côtés du vérumuntanum ; sa longueur, dans ce dernier trajet, est d'un pouce. Assez grêle à son ori-

12 FONCTION DE LA GENERATION,

gine , le conduit déférent devient plus gros du double au- delà de Fanneau , et près les vésicules ; mais il redevient capillaire à sa terminaison. Quoique ayant des parois fort épaisses, son calibre est presque capillaire. Il est formé de deux tuniques, une extérieure, très ferme, pour ainsi dire cartilagineuse, qui en forme presque toute l'épaisseur; et une intérieure, muqueuse , si mince, qu'on ne peut la dé- montrer.

C. Vésicules séminales. On appelle ainsi deux petites po- ches membraneuses , longues de deux pouces et demi, larges de six à sept lignes à leur fond, situées au-dessous de la vessie, et servant de réservoirs au sperme. Placées au-devant de l'insertion des uretères dans la vessie , derrière la pros- tate , et en dehors des conduits déférents , elles ne commu- niquent chacune qu'avec le testicule qui est de leur côté, et sont dirigées obliquement de derrière en avant , de de- hors en dedans , et un peu de haut en bas ; elle sont irré- gulièrement conoïdes, et ont une apparence bosselée en de- hors. Leur cavité estanfractueuse, présente des cellules sé- parées par des cloisons , et consiste dans un canal flexueux , terminé supérieurement en cul-de-sac, mais dans lequel s'ouvrent latéralement dix à douze appendices unis entre eux par des brides celluieuses; en détruisant celles-ci , on voit la vésicule s'agrandir de cinq ou six fois sa longueur. M. Amussat a contesté récemment, cette disposition , et dit avoir reconnu que ces vésicules séminales ne sont qu'un canal étroit d'une longueur considérable , replié plusieurs fois sur lui-même en divers sens, et dont les contours sont rendus fixes par des brides cellulaires, à la manière des vaisseaux spermifères. De leur partie antérieure, qu'on ap- pelle leur col, se détache un petit canal fort court, qui va s'unir sous un angle très aigu avec le canal déférent, pour former le canal èjaculateur. Ces vésicules sont formées par la superposition de deux membranes , une extérieure, dense, blanche, assez semblable à celle qui forme le canal défé- rent, et qui probablement n'est quecelluîeuse _, quoiqu'elle se contracte dans l'acte de l'éjaculation ; une intérieure,

APPAREIL GÉNITAL DE L'HOMME. i3

fine y blanche , un peu semblable à celle qui tapisse Tinté- rieur de la vésicule biliaire, et probablement muqueuse : ou n'a jamais pu démontrer de fibres musculaires dans ces organes. Un fluide opaque, épais, jaunâtre, différent par son aspect du sperme qui est éjaculé pendant la vie, remplit ces vésicules. Elles n'existent pas dans tous les animaux.

A îa description de ces parties , qui , chez l'homme , for- ment l'appareil de fécondation, nous ajouterons celle d'or- ganes qui ont quelque rapport avec leur fonction, la pros- tate et les glandes de Cowper. La première est un organe d'un blanc grisâtre, d'un tissu fort dense, ayant le volume d'une grosse châtaigne, la forme d'un cône tronqué, et qui par sa base embrasse le col de la vessie , et par son sommet se termine en s'amincissant sur le commencement de l'urè- thre. Jadis elle était considérée comme une glande, mais aujourd'hui on îa regarde comme une agglomération de beaucoup de petits follicules remplis d'un fluide visqueux et blanchâtre; de ces follicules naissent des conduits excré- teurs qui , au nombre de douze ou quinze , viennent s'ou- vrir dans l'urèthre, sur les côtés, et à la surface même du vérumontanum. Les glandes de Cowper sont deux petits corps oblongs , du volume d'un pois, d'une couleur rou- geâtre, d'un tissu assez ferme, et placés parallèlement au- devant de la prostate, sur les côtés du canal de l'urèthre : elles ont chacune un canal excréteur, long d'un demi- pouce , qui , rampant obliquement dans le tissu spongieux du bulbe de l'urèthre, va s'ouvrir aussi devant le véru- montanum. Leur volume est considérable en certains ani- maux , ce qui peut faire croire qu'elles sont plus importantes qu'on ne l'a dit.

20. Les parties que nous venons de décrire ont pour usages de fabriquer , préparer et conserver le fluide fécon- condant, le sperme. Ce sont les testicules qui sont les agents fabricateurs ; la preuve en est donnée par l'opération de la castration , et par les maladies de ces organes» Ils produisent le sperme par une action de sécrétion; le sang de l'artère spermatique , arrivé dans leur parenchyme , est changé par

j4 fonction de la génération.

une action vitale en ce liquide. Les Anciens croyaient que c'était le système nerveux qui fournissait les matériaux de la semence ; ils se fondaient sur le grand affaiblisse- ment , sur les douleurs lombaires qui s'observent à la suite des excès vénériens : mais le premier fait s'explique assez par la volupté vive qui accompagne l'accomplissement de la gé- nération ; et . , quant au second, il tient à ce que le testi- cule reçoit plusieurs nerfs du plexus lombaire; d'ailleurs, ces douleurs se font sentir dans toutes les maladies de cet organe. C'est certainement du sang de l'artère sperma tique que provient le sperme , bien qu'on ne puisse d'avance si- gnaler ce sperme, ni aucun de ses éléments , dans ce fluide, pas plus que ceux d'aucune autre humeur sécrétée.

Fait aux dernières extrémités de l'artère spermatique, au point les ramifications de cette artère se confondent avec les premiers radicules du système vasculaire sécréteur, le sperme chemine dans les conduits séminifères dont ces radicules sont les origines; il arrive à l'épididyme, au con- duit déférent, et enfin dans les vésicules séminales, il reste en dépôt jusqu'au moment il est projeté au dehors pour l'accomplissement de la génération. Ce cours est sans doute assez indiqué par la disposition des parties et les né- cessités de la fonction, mais, de plus, de GraafYa prouvé par une expérience : ayant lié sur un chien le canal dé- férent, ce savant a vu le testicule se gonfler, et à la fin le canal déféreut se rompre entre le testicule et la ligature. Les causes qui font cheminer le fluide, sont : la continuité de la sécrétion dans le testicule, une contraction tonique des conduits séminifères, et, de plus, selon quelques-uns, une influence mécanique due à la capillarité de toutes ces voies. A la vérité, c'est une question de savoir si la sécré- tion du sperme se fait d'une manière continue. Comme la fonction de la génération ne s'accomplit que d'intervalles en intervalles , quelques physiologistes ont pensé que la sé- crétion du sperme ne se faisait aussi que par intermittence. Peut-être est-ce vrai de ceux des animaux chez lesquels la génération n'est possible qu'à de certaines époques de Fan- née; mais il y a lieu d'en douter pour l'homme. Cet être,

APPAREIL GÉNITAL DE L'HOMME. l5

une fois parvenu à l'âge de la reproduction, est apte en tout temps à accomplir cette fonction; si le sperme n'était sécrété qu'au moment il se livre à l'exercice de cette ac- tion, ce fluide aurait un trop grand trajet à parcourir avant d'arriver à l'urèthre : à quoi d'ailleurs serviraient les vési- cules séminales ? pourquoi ces réservoirs, ainsi que la longue série des vaisseaux séminifères, contiennent-ils toujours du sperme ? n'observe-t-on pas que les émissions du sperme dans la génération sont d'autant plus abondantes qu'elles sont moins fréquentes? enfin, n'en survient-il pas d'involon taires , après une continence un peu prolongée ? Sans doute , la quantité de la sécrétion n'est pas la même dans le repos des organes, et lors de leur action; certainement dans ce dernier moment elle redouble; certainement aussi les testicules sont, parmi les organes du corps, de ceux qui sont le plus tributaires de l'babitude; sauf les cas d'une or- ganisation prononcée, on peut rendre leur service très ac- tif , ou le réduire presque à rien , selon qu'on se livre fré- quemment ou non-à l'exercice de la génération : peut-être enfin que l'existence des plexus sperma tique et pampini- forme a trait à cette espèce d'intermittence obligée, qui doit survenir dans les fonctions de cet organe; mais néan- moins, je crois qu'il n'y a ici que des différences d'ac- tivité, et qu'au fond la sécrétion se fait d'une manière continue.

Le sperme chemine avec lenteur dans les voies que nous venons de lui voir parcourir ; cela doit résulter , et du peu d'activité de sa sécrétion, et de la disposition des parties qu'il traverse. Voyez combien sont longs et flexueux les con- duits séminifères! quel retard doit résulter de l'abouche- ment de ces vaisseaux dans le corps d'Hygmor , des longs contours de l'épididyme, de la longueur et de l'étroitesse du conduit déférent., de la disposition anfractueûse des vésicules séminales! On peut considérer tous les Vaisseaux qui précèdent les vésicules comme un premier réservoir du sperme; et , en effet, chez beaucoup d'animaux, les vésicules séminales manquent. Ce manque des vésicules séminales en certains animaux suffit pour réfuter cette idée de War-

16 FONCTION DE LA GÉNÉRATION.

thon et de Hunter , que les vésicules séminales ne reçoivent pas le sperme, mais sécrètent un fluide particulier, qui se mêle à ce sperme , et qui serait la semence proprement dite. S'il se fait quelque sécrétion spéciale dans les vésicules sé- minales, certainement le produit de cette sécrétion n'est pas l'agent générateur; il ne sert qu'à élaborer le sperme qui vient se mêler à lui dans la vésicule. Ici on peut se de- mander pourquoi le sperme , arrivé à la hauteur des vési- cules séminales , va s'y mettre en dépôt en traversant le ca- nal rétrograde qui y conduit , plutôt que de suivre sa route directe par le canal éjaculateur. Il existe en effet ici une disposition semblable à celle que nous avons vue aux voies biliaires : de même que la bile , au lieu de continuer sa route par les canaux hépatique et cholédoque dans le duo- dénum , reflue par le canal cystique contre son propre poids dans la vésicule biliaire , de même le sperme reflue dans la vésicule séminale. On en donne pour raisons la pression qu'exerce la prostate sur le canal éjaculateur, et la petitesse de l'embouchure de ce canal dans l'urèthre : mais il y a ici quelques lumières à désirer. On ne sait si dans ce long tra- jet, le sperme contiuue de s'élaborer, et surtout s'il se ruo-^ difie dans la vésicule. On a dit qu'il était résorbé en partie dans ce réservoir , afin que, porté dans le sang, il puisse imprimera ce fluide un peu de la vitalité dont, en sa qua- lité de principe vivifiant, on le suppose essentiellement pé- nétré. On s'est fondé sur les grands changements qui sur- viennent dans l'économie à la puberté, lorsque sa sécrétion commence à se faire; sur l'affaiblissement qui résulte de ses émissions prématurées ou abusives ; sur les troubles , les ac- cidents qu'ont quelquefois entraîné une trop grande conti- nence. Mais ces changements ^ ces effets peuvent s'expliquer sans le concours de ce transport matériel du sperme dans le sang, et peuvent tenir aux connexions des différentes parties nerveuses du corps; du reste, nous reviendrons là- dessus à l'article des tempéraments. 11 est sûr au moins que dans les vésicules séminales l'absorption enlève au sperme sa partie la plus aqueuse, car ce fluide se montre d'autant plus épais que ses émissions sont moins fréquentes.

APPAREIL GÉNITAL DE L'HOMME. 17

Le sperme est un liquide d'une couleur blanche, d'une odeur fade, sui generis , d'une consistance visqueuse , d'une saveur généralement salée et irritante, et qui paraît composé de deux parties, une plus liquide, transparente; et une plus épaisse , grumeleuse , filamenteuse, dont la pro- portion, sur la première , est d'autant plus grande que l'in- dividu est plus fort, et ses émissions de sperme moins fré- quentes. En peu de temps, ces deux parties se mêlent, et il en résulte une matière plus fluide qui se détruit promptement. Examiné chimiquement, le sperme paraît avoir une nature alcalineetalbumineuse, car d'une part appliqué à l'œil, à la langue, il y cause une constriction; à une plaie, il l'enflamme; et d'autre part il se coagule par la chaleur, les acides. M. Kau- quelin en a fait l'analyse: sur 1000 parties, il y a trouvé : eau, 900; mucilage animal , 60 ; soude , 10 ; etphosphatecalcaire, 3o.M. Berzelius ditqu'il contientles mêmes sels que le sang, et une matière animale particulière. Il faut remarquer que tout ceci ne s'applique pas au sperme pur , car il n'est ja- mais excrété tel; il est toujours projeté, mêlé au suc de la prostate et à celui des glandes de Cowper. On croit que la partie grumeleuse est ce qui, principalement, le constitue, et que la partie liquide est formée par ces sucs accessoires qui en seraient les véhicules. Certains auteurs ont admis en lui une troisième partie, sous forme de gaz, qu'ils ont ap- pelé aura seminalis ; mais jamais on n'a pu recueillir ce gaz, et Spallanzani nie son existence, sur ce qu'il n'a jamais pu opère r de fécondation artificielle sans un contact. On l'a examiné au microscope, et chacun y a vu ce qui convenait à l'hypothèse qu'on s'était faite sur la génération. Leuwen- hoeck, par exemple, et Hartzoeclîer , y ayant remarqué beaucoup de petits corps en mouvement , ont fait de ces pe- tits corps autant d'animalcules, auxquels ils ont fait jouer, comme nous le dirons, un grand rôle dans la génération. Au contraire, Buffon , Needham , ne voulurent voir dans ces petits corps que des animaux infusoires du genre de ceux qu'on trouve dans tous les liquides; ou que ce qu'ils appelaient leurs molécules organiques. M. Virey conjecture que , de même que le pollen des végétaux est un assemblage Tome IV. 2

18 FONCTION DE LA GENERATION,

de petites capsules qui contiennent, dans leur intérieur , ïe véritable principe fécondant, qui est d'une subtilité ex- trême, xle même les prétendus animalcules spermatiques sont des tubes qui contiennent le véritable sperme , et que les mouvements qu'on a remarqués en eux sont dus à la rupture de ces tubes, à leur explosion; il invoque, à l'ap- pui de cette opinion , l'exemple des Sèches , chez lesquels le sperme paraît présenter une semblable disposition. Le sperme étant chargé de vivifier un germe , ou peut-être de concourir à sa formation , est sans contredit à ce double titre un des premiers fluides de l'économie ; et, à cause de cela, plusieurs physiologistes Fout dit formé des matériaux les plus animalisés du corps , de ceux-là même qui en forment le rouage suprême, le système nerveux.

Nous reviendrons sur toutes ces opinions , en traitant du mécanisme de la génération , et particulièrement nous di- rons que MM. Prévost et Dumas de Genève , dont l'habileté dans l'emploi du microscope est bien connue, ont retrouvé, avec cet instrument, les animalcules spermatiques dans le sperme de tous les mammifères , oiseaux et reptiles , sur les- quels ils ont expérimenté , lapin, cochon d'Inde, héris- son , chat, chien, putois, cheval, souris blanche , bélier, bouc, coq, canard, moineau, vipère, grenouille, sala- mandre, etc.

Quant à la quantité du sperme , elle n'est pas apprécia- ble. Probablement elle est peu considérable, à juger par la petitesse des testicules, par celle de l'artère sperma tique , la ténuité des conduits séminifères, l'intermittence de la fonc- tion de génération , la petite quantité de sperme qui est pro- jeté à chaque coït , la promptitude avec laquelle la source de ce fluide est tarie, quand on en renouvelle plusieurs fois de suite l'émission. Elle doit varier selon chaque tempéra- ment , chacun ayant sous ce rapport sa mesure, et. selon l'emploi qu'on fait de la fonction .

APPAREIL GENITAL DE L HOMME. 19

§ II. Appareil de Copulation.

I/appareil de copulation comprend le pénis , ou la verge , organe cylindroïde , alongé, érectile, formé de deux parties principales , le corps caverneux , et le canal de ïurèthre. Le corps caverneux est une partie essentiellement for- mée de tissu érectile , et qui détermine presque à elle seule le volume et la longueur du pénis. Il commence par deux racines alongées en pointe, longues de deux pouces, et at- tachées aux branches des ischions et pubis , au-dessus des tubérosités ischiatiques : ces deux racines bientôt se rap- prochent pour former une grosse masse qui se prolonge jus- qu'au gland, et au-dessous de laquelle est l'urèthre. Il est composé d'une membrane extérieure qui en détermine la forme, et d'un tissu spongieux intérieur. La première est d'un blanc opaque, évidemment fibreuse et fort épaisse; son épaisseur cependant n'est pas égale partout; elle est moindre aux racines , sous le gland , et à la gouttière infé- rieure dans laquelle est logée l'urèthre. Percée de trous , par lesquels passent les nerfs et vaisseaux qui vont au pa- renchyme intérieur , elle détache intérieurement des pro- longements qui servent d'appui à ce parenchyme : quelques- uns de ces prolongements forment comme une cloison mé- diane, qui semble partager en deux le corps caverneux, sur- tout en arrière. Le tissu intérieur a pour éléments , les ra- mifications d'une artère dite caverneuse provenant de la branche supérieure de la honteuse interne , celles d'une veine portant le même nom, et probablement des nerfs, bien que l'anatomie n'ait pu les poursuivre jusque ; le tout est soutenu par les brides qu'a détachées la membrane externe. Les anatomistes ne sont pas d'accord sur ce qu'il est réellement. Les uns le font consister en cellules, enspongio- sités, sur les lames desquelles se terminent les ramifications de l'artère et de la veine caverneuses , celles des nerfs , et dans lesquelles le sang est épanché, infiltré. Les autres, avec plus de raison, disent qu'il consiste en un lacis d'ar- térioles et de veinules , soutenues par les lames de la mem-

2.

20 FONCTION DE EA GENERATION.

brane externe, entrelacées entre elles à la manière des ré- seaux capillaires , mais avec ce trait de plus , que les vei- nules, au lieu d'être capillaires en ce lacis, y ont plus d'am- pleur, y forment des renflements très extensibles , et des plexus mille fois anastomosés entre eux. On verra, en effet, que ce n'est pas dans des cellules, mais dans les vaisseaux du corps caverneux, dans les veines surtout, qu'afflue le sang dans l'érection. Si on injecte l'artère caverneuse, la ma- tière remplit d'abord les ramifications de cette artère, puis le plexus veineux intérieur qui constitue le corps caver- neux, et enfin elle revient par la veine caverneuse, après avoir produit l'érection. Le même effet est obtenu plus facile- ment encore, en injectant la veine caverneuse. Enfin , si on insuffle de l'air dans ce qu'on supposait les cellules du corps caverneux, et que nous disons avec Bèclard n'être que des racines larges de veines formant un plexus com- pliqué, on voit cet air pénétrer dans la veine caverneuse.

Le canal de l'urèthre a déjcà été décrit à l'article de la sécrétion urinaire. Nous avons dit que, dans sa longueur, on lui distinguait trois parties : la portion prostatique, la portion membraneuse et la portion spongieuse. Dans la pre- mière, se voit en arrière, sur la ligne médiane, une saillie oblongue , apnelée vérumontanum , et qui offre à sa sur- face les orifices des canaux de la prostate, en avant ceux des glandes de Cowper^ et sur les cotés ceux des canaux éjaculateurs. La portion spongieuse de l'urètlire est , en quelque sorte , la seule qui fasse partie de la verge : située dans la gouttière que présente à sa partie inférieure le corps caverneux, elle se termine en avant par ce qu'on ap- pelle le gland. Le gland, en effet, ne dépend pas du corps caverneux , une portion de la membrane externe de celui-ci l'en sépare; aussi, les érections de ces deux parties se font souvent isolément, et les injections du corps caverneux de l'une ne pénètrent pas dans le corps caverneux de l'autre. Ce gland semble être la terminaison, sous forme de bourgeon, du tissu érectile qui enveloppe cette troi- sième partie de l'urèthre. L'urèthre étant dans l'espèce humaine le canal excréteur du sperme , aussi -bien que celui

APPAREIL GÉNITAL DE l'hOMME. 2 1

de l'urine, et ce sperme devant être porté profondément dans les parties de la femme , la nature a placer ce ca- nal excréteur au milieu du corps caverneux , parce que celui-ci est seul susceptible d'acquérir par l'érection toute la roideur que réclame un tel office. Cela est si vrai , qu'en quelques animaux ce corps caverneux contient dans son épaisseur un os. C'est pour la même raison que ceturèthre est dans sa partie spongieuse enveloppé d'une masse de tissu érectile, analogue à celai qui forme le corps caverneux, et limité de même par une membrane extérieure propre. C'est un prolongement de ce tissu érectile qui forme le gland , cependant avec quelques différences; le tissu spongieux in- térieur du gland est plus considérable , plus ténu , plus ferme, moins abreuvé de sang; sa membrane extérieure est plus fine, et offre à sa surface un épanouissement de papilles nerveuses, qui sont, lors de l'accomplissement de la fonc- tion , le siège d'une sensation tactile très voluptueuse. Nous avons indiqué la texture de l'urèlhre : ce canal est tapissé intérieurement par une membrane muqueuse, plissée sur elle-même dans le sens de sa longueur, et garnie de beau-v coup de petits trous , qui sont les orifices de conduits obli- ques, placés dans sou épaisseur, et qu'on appelle lacunes , ou sinus de Morgagni. Immédiatement avant de s'ouvrir au dehors , il présente une dilatation assez prononcée , appelée fosse nauiculaire.

Ces deux parties constituantes du pénis sont recouvertes- par la peau, qui forme vers le gland un repli particulier ap- pelé prépuce. Le tissu cellulaire qui sert de moyen d'union est lâche, et ne se laisse jamais pénétrer par de la graisse. Un faisceau fibreux , appelé ligament supérieur de la verge , étendu de la symphyse du pubis au corps caverneux, dans le vide que laissent les deux racines de celui-ci , soutient tout l'organe. Nous terminerons cette description de l'or- gane de copulation , en mentionnant quelques muscles déjà décrits, mais que nous verrons agir dans l'acte de la copula- tion , et lors de l'émission du sperme ; savoir : le releveur de l'anus, le sphincter de l'anus, le transverse du périnée, que nous avons décrits avec le rectum , et surtout les bulbo et

2 2 FONCTION DE LA GÉNÉRATION.

iskio-caverneux , dont il a été question à l'article de Pu- re thre.

ARTICLE II.

Fappareil génital de la femme.

La femme , dans l'acte de la reproduction , remplit un plus grand nombre d'offices que l'homme; elle fournit le germe ou l'œuf; en elle est le réservoir dans lequel ce germe subit ses premiers développements; enfin, elle allaite après sa naissance l'individu nouveau. Les parties qui composent son appareil génital sont donc plus nombreuses , et nous les rapportons à quatre groupes, savoir : V appareil de germiji- cation, celui de gestation ou grossesse, celui de copulation , et celui d'allaitement.

§ Ier. Appareil de Germification .

Cet appareil, qui produit le germe , l'œuf, en un mot ce que fournit la femme dans la génération , est pair, et se com- pose des ovaires, et de leurs canaux excréteurs, qu'on appelle les trompes.

10 Les ovaires sont deux corps ovoïdes , d'un rouge pale , rugueux et comme bosselés à leur surface , de la grosseur à peu près des testicules, ayant six à huit lignes de longueur sur trois de largeur et d'épaisseur, du poids d'un gros et demi à deux gros , et situés dans le petit bassin , dans la du- plicature d'un repli du péritoine, appelé ligament large de la matrice , de chaque côté de cet organe. Long-temps ils fu- rent considérés comme des glandes , et appelés les testicules de la femme; mais le nom d'ovaires leur a. été donné dans le dernier siècle , parce qu'on les regarda comme fournis- sant les œufs , desquels , dans ce temps , on fit provenir loule génération. Si leur structure ne donne pas une dé- nions ira lion absolue de cette dernière opinion , au moins est-il sûr quelle diffère de celle des testicules. Leurs élé- ments composants sont : i°Yartère spermatique , qui, ana- logue de celle qui se rend au testicule chez l'homme, se dis-

APPAREIL GÉNITAL DE LA FEMME. 2 S

tribue pour la plus grande partie à l'ovaire , et donne aussi quelques canaux à la trompe , et aux parues latérales de l'u- térus; 20 la veine spermatique , dont les ramifications for- ment aussi dans l'intérieur, et à la surface de l'ovaire , un plexus , dont plusieurs branches s'anastomosent avec des veines de l'utérus et de la trompe; des vaisseaux lym- phatiques ; des nerfs fournis par les plexus rénaux. Il faut y ajouter, outre le repli péritouéal dans lequel ces organes sont situés, une membrane qui leur est propre, qui les en- veloppe, et qui, blanche, compacte, adhère assez à leur parenchyme. Celui-ci, formé par ces divers éléments, est mou, spongieux, et paraît composé de lobules celluleux et vasculaires , grisâtres , gorgés de beaucoup de fluide , et entre lesquels sont de petites vésicules qu'on a supposées être les germes, les œufs. Ces vésicules transparentes sont formées d'une membrane très fine , dans laquelle est renfermé un fluide visqueux, jaunâtre ou rougeâtre, dans lequel on ne peut rien voir de solide : autour d'elles, les ramifications vasculaires sont plus nombreuses et plus déliées. Le nombre de ces vésicules est de quinze à vingt , dit Haller, dans cha- que ovaire; les plus superficielles sont grosses comme un grain de ehenevis ; celles qui sont situées plus profondément ont le volume d'un grain de millet.

Les ovaires sont un peu mobiles dans la cavité du bassin; cependant, outre le repli péritouéal dans lequel ils sont placés, ils sont encore fixés à leur extrémité interne , par ce qu'on appelle le ligament de l'ovaire , et, à leur extrémité externe, par une des languettes du pavillon de la trompe. Le ligament de l'ovaire est un petit cordon filamenteux, long d'un pouce et demi, qui, de l'ovaire, va s'attacher à l'utérus, derrière la trompe; les Anciens le croyaient creux, et destiné à excréter le sperme qu'ils supposaient fourni par l'ovaire; mais il est tout solide, et c'est la trompe qui est le canal excréteur de cet organe.

Nous verrons que les ovaires , quelle que soit la matière qu'ils fournissent dans la génération, sont certainement les parties de l'appareil génital de la femme desquelles provien- nent les éléments de l'individu nouveau.

2 4 FONCTION DE LA GÉNÉRATION.

20 Les trompes , dites de Fallope, sont deux conduits co- niques , tortueux , vermiformes , longs de quatre à cinq pou- ces , situés dans le même ligament large qui contient l'ovaire, et étendus depuis cet ovaire, auquel ils adhèrent par une des franges qui les terminent de ce côté, jusqu'à l'utérus, auquel ils sont continus, et dans la cavité duquel ils abou- tissent. Parce qu'ils s'abouchent dans l'utérus , on les a rap- portés à cet organe, et appelés trompes utérines ; mais c'est à tort, ils sont des dépendances de lovai re , ils en sont les véritables canaux excréteurs , à tel point qu'en beaucoup d'animaux ils lui sont continus. Du côté de l'utérus, leur calibre est fort étroit, et tel qu'à peine une soie y pénètre; mais vers leur milieu , ce calibre s'élargit pour se rétrécir de nouveau au-delà; et enfin, du côté de l'ovaire, ils se ter- minent par une surface évasée , qu'on appelle le pavillon de la trompe. Ce pavillon est découpé en plusieurs franges , dont une plus longue adhère à l'extrémité externe de l'o- vaire ; sa surface est dirigée en arrière. Ainsi , les trompes, d'un côté, communiquent avec la cavité de l'utérus, et de l'autre, présentent une ouverture béante dans la cavité de l'abdomen. Dans leur structure, on remarque, outre l'en- veloppe séreuse que leur forme le ligament large : inté- rieurement une membrane muqueuse qui les tapisse, qui est molle, villeuse , et offre plusieurs plis longitudinaux; extérieurement une couche de tissu spongieux, érectile, analogue à celui du corps caverneux du pénis. Quelques-uns veulent qu'il y ait quelques fibres musculaires , surtout dans les franges du pavillon. Santorini dit que , chez les femmes robustes , la membrane moyenne des trompes offre deux cou- ches musc ule uses , une externe , dont les fibres sont longi- tudinales , et une interne , dont les fibres sont circulaires.

§ II. Appareil de Gestation ou de Grossesse.

L'appareil de gestation comprend un seul organe , Mute- ras ou la matrice, viscère creux, destiné à recevoir le fœtus et à lui donner asile depuis le moment de la conception jus- qu à celui de la naissance. Cet organe , situé dans le bassin ,

APPAREIL GÉNITAL DE LA FEMME. 2 5

entre la vessie qui est en avant, le rectum qui est en arrière , au-dessous des circonvolutions inférieures de l'intestin grêlé; a la forme d'un conoïde aplati sur ses deux faces opposées , arrondi à sa base, qui est en haut, et tronqué à son sommet, qui est en bas. Son volume est fort petit; sa longueur n'est que de deux pouces et demi , sa largeur d'un pouce et demi à son fond , et de dix lignes à son col , son épaisseur d'un pouce. On lui distingue trois parties : son fond , son corps, et son col. Le fond est sa partie supérieure, celle qui est au-dessus de l'insertion des trompes. Le corps est celle qui, du point auquel s'insèrent les trompes , s'étend jusqu'au col. Enfin , le col en est la partie inférieure , celle qui , ré- trécie, fait saillie dans le vagin par une ouverture. L'or- gane, dans son ensemble, est pyriforme , a la figure d'un triangle aplati de devant en arrière, et dont la base est en liaut. A chacun des deux angles supérieurs se voient les em- bouchures des trompes, les attaches des ligaments de l'o- vaire , et d'un autre ligament appelé le ligament rond, dont nous parlerons ci-après. L'angle inférieur est formé par le col, qui fait dans le vagin une saillie de quatre à cinq li- gnes , et s'y termine par une fente située en travers , appelée museau de tanche , ou orifice vaginal de Vulèrus. Cette ou- verture est bornée par deux lèvres, qui sont lisses et arron- dies chez les femmes qui n'ont pas eu d'eufants , crevassées et rugueuses chez celles qui ont été mères, et dont l'anté- rieure est toujours un peu plus épaisse que la postérieure : longue de trois à cinq lignes , elle est généralement toujours béante , surtout chez les femmes qui ont fait des enfants.

La cavité intérieure de cet organe est fort petite, relati- vement à son volume et à l'épaisseur de ses parois; ceux-ci même se touchent presque. On la partage en celle du corps et celle du col. La première est triangulaire; à ses angles supérieurs aboutissent les embouchures des trompes; et en avant et en arrière, elle offre sur la ligne médiane une es- pèce de raphé qui accuse sa disposition symétrique. La se- conde est alongée, ressemble davantage à un canal; plus large dans son milieu, elle offre du côté du corps de l'utérus une ouverture qu'on appelle V orifice interne de V utérus, et

26 FOJNCTION DE LA GÉNÉRATION,

à son autre extrémité, Y orifice vaginal, que nous avons dé- crit : on voit aussi sur ses faces antérieure et postérieure la trace du raphé , et quelques rides transversales à peine sen- sibles. Toute cette surface est couverte de villosités très fines, et offre les orifices de quelques cryptes muqueuses.

L'organisation de l'utérus est surtout ce qu'il nous im- porte de connaître. La plupart des anatomistes le disent formé de deux parties, une membrane muqueuse à l'inté- rieur, et un tissu propre qui en constitue la substance prin- cipale. 1° La première est dite un prolongement de celle qui tapisse le vagin; elle est très mince, rouge dans la ca- vité du corps, blanche dans celle du col, et a la texture propre à ce genre de membrane. M. Cliaussier en nie l'exis- tence : ayant fait macérer l'utérus avec une partie du vagin dans de l'eau, du vinaigre, des liqueurs alkalines; ayant soumis ces parties à une ébuliition prolongée , il a toujours vu que la muqueuse du vagin s'arrêtait au bord de l'orifice de l'utérus, et ne se prolongeait pas au-delà. M. Ribes pense de même; et madame Boivïn3 auteur de dissections délicates sur la structure de l'utérus pendant la grossesse, dissections dont nous parlerons ci-après, dit aussi avoir vu nettement la muqueuse vaginale se terminer par de petits plis expansibles, et par une sorte de prépuce sous la lèvre anté- rieure du museau de tanche. Dès lors, la surface interne de l'utérus serait formée par le même tissu propre qui en constitue la substance principale. 20 Celui-ci, dense, com- pact, serré, difficile à couper, semble, par sa couleur, sa résistance, son élasticité, se rapprocher du cartilage : c'est une substance blanchâtre, homogène, parsemée de beau- coup de petits vaisseaux, dans laquelle il est difficile de signaler des fibres à direction distincte, et dont la nature organique n'est pas moins difficile à caractériser. Cependant, à juger par ce que devient ce tissu lors de la grossesse, par la puissante force de contraction qu'il exerce dans l'accou- chement, on peut croire qu'il est de nature musculeuse , ou du moins qu'il est apte à revêtir cet état. Nous renvoyons à l'histoire de la grossesse l'indication des différents faisceaux musculeux que les anatomistes ont spécifiés en lui , lors de

APPAREIL GÉNITAL DE LA FEMME- 27

ce grand changement. Toutefois, il forme à lui seul les pa- rois de l'organe, qui ont de six à quinze lignes d'épaisseur : il est moins dense et plus gris au corps qu'au col. Ses élé- ments sont des artères , des veines , des vaisseaux lymphati- ques , et des nerfs. Les artères proviennent de deux sources , des spermatiques , qui se distribuent surtout au fond de l'organe, et vers le lieu s'abouchent les trompes, et des hypogas triques, qui se distribuent surtout au corps et au col : leurs branches principales, faciles à apercevoir sous le péritoine qui recouvre l'organe, sont très flexueuses, fré- quemment anastomosées entre elles, et leurs ramifications se perdent profondément dans le tissu du viscère et jusqu'à sa surface interne. Les veines se rendent aussi , en partie dans les spermatiques, et en partie dans les hypogastriques ; leur disposition dans l'utérus est la même que celle des ar- tères, sinon qu'elles sont plus flexueuses encore, et que se dilatant beaucoup lors de la grossesse, elles forment alors ce qu'on a appelé les sinus utérins. Les nerfs enfin dérivent, les uns du grand sympathique, les autres des paires sacrées. Toute cette description ne s'applique qu'à l'utérus vide et hor^ l'état de grossesse ; nous renvoyons à cet article l'indi- cation des changements importants qui se font alors en ce viscère.

L'utérus est maintenu de champ dans le bassin par le ligament large de la matrice, et par d'autres faisceaux semblables situés en avant et en arrière de lui. Le liga- ment large de la matrice est une dépendance du péritoine , cette membrane séreuse qui tapisse l'abdomen, et se réflé- chit sur la plupart des viscères qui y sont contenus : recou- vrant les faces antérieure, postérieure et le fond de l'utérus, ce repli semble partager perpendiculairement le bassin en deux cavités, une antérieure est la vessie, et une posté- rieure où est le rectum ; dans sa duplicature se trouve l'o- vaire, la trompe et le fond de l'utérus ; il soutient tous ces organes. 20 Quatre autres replis du péritoine, étendus, deux en avant entre l'utérus et la vessie, deux en arrière entre le rectum et l'utérus, concourent aussi à fixer cet or- gane, et sont appelés ses ligaments antérieurs et postérieurs.

'2 8 FONCTION DE LA GÉNÉRATION.

Enfin, de la pari ie latérale, supérieure et antérieure de l'utérus, au-devant et au-dessous de l'insertion des trom- pes , part de chaque côté un cordon qui , se dirigeant vers J 'ami eau inguinal, le traverse et va se perdre dans ie tissu cellulaire des aines ; c'est ce qu'on appelle le ligament rond de la matrice, ou cordon sus-pubien. Ce cordon, blanchâtre, assez dense , est formé par un assemblage de vaisseaux flexueux tant sanguins que lymphatiques , de nerfs et de fibres longitudinales, que long-temps on crut musculeuses, mais qui ne paraissent être que du tissu cellulaire con- densé. On lui a attribué beaucoup d'usages évidemment hypothétiques , comme de fournir de l'air au fœtus, de li- vrer passage au sperme ; de transmettre , lors de la gros- sesse, aux vaisseaux fémoraux une partie du sang qui sur- charge la matrice; de rapprocher l'utérus des parties exté- rieures lors de l'accomplissement de la génération, etc. Il est probable qu'il sert seulement , ainsi que les autres liga- ments que nous venons de décrire, à assurer la situation de la matrice. Meckel admet que ces divers ligaments con- tiennent, entre les divers feuillets qui les constituent, des libres musculaires plus ou moins prononcées, qui partent du bord latéral de la matrice.

§ III. Appareil de Copulation.

L'appareil de copulation consiste en un canal , d'un côté communiquant au dehors par une ouverture appelée vulve, étendu d'autre part jusqu'à l'utérus dont il embrasse le col, et destiné à recevoir le pénis. Ce canal, vasculo- membraneux , appelé vagin ou vulvo-utérin, a une longueur de cinq à six pouces, un calibre d'un pouce. Situé dans le petit bassin entre la vessie en avant, et le rectum en ar- rière , il a une direction oblique de bas en haut et de devant en arrière. Il diffère en ceci de ce qu'il est chez les animaux, dans lesquels il se dirige dans l'axe même de l'abdomen , ce qui donne plus de facilité à l'accouchement. Son inté- rieur est garni de rides généralement transversales , peu nombreuses et irrégulières en haut, plus nombreuses et

APPAREIL GÉNITAL DE LA FEMME. 29

plus saillantes en bas. Ces rides ne sont pas passagères comme celle que-J'on voit à la surface des autres membranes muqueuses; mais elles ne s'effacent qu'avec l'âge , et consé- cutivement à de fréquentes approches et à de nombreux ac- couchements. Le vagin, dans son organisation, présente : 10 intérieurement une membrane muqueuse, rouge et vermeille en bas, plus grise en haut, plus épaisse exté- rieurement que profondément , revêtue évidemment d'un épiderme, offrant les rides dont nous avons parlé tout à l'heure, et parsemée de cryptes muqueux extrêmement nom- breux; 20 en dehors , une membrane celluîeuse assez dense; entre ces deux membranes, une couche de tissu éreetile. d'autant plus épaisse qu'on approche plus de la vulve, se prolongeant cependant jusqu'à l'utérus; enfin, en haut, une dépendance du péritoine. Sur les côtés est un muscle dit constricteur du vagin, anneau charnu formé de deux plans de fibres, qui, partant de la membrane fibreuse du clitoris, contournent le vagin, et vont se confondre avec celles du transverse du périnée et du sphincter de la vulve.

Près de l'ouverture externe du vagin ou de la vulve, se trouve une membrane appelée hymen, de forme semi- lunaire, parabolique ou circulaire, et qui semble destinée à empêcher l'entrée dans le vagin, mais sans clore tout-à- fait ce canal. Cette membrane, dont à tort l'existence a été long-temps contestée, mais dont l'intégrité ou l'absence sont des signes équivoques de virginité, se déchire dans les premières approches; et alors on trouve à sa place de petits tubercules rougeàtres, arrondis ou aplatis . dont le nombre varie de deux à six , et qu'on appelle caroncules myrli- formes ; on considère ces tubercules comme étant ses débris.

L'ouverture, dite vulve, est bordée de deux replis appe- lés grandes lèvres, dont l'organisation nous offre, de dedans en dehors, une couche muqueuse, prolongement de la muqueuse vaginale ; une couche musculeuse formée par un muscle qui circonscrit l'ouverture de la vulve, et appelé muscle sphincter de la vulve; une couche de tissu éreetile; et enfin une couche de peau garnie de follicules et de poils. À leur commissure supérieure , est un organe ressemblant

3o FONCTION DE LA GÉNÉRATION,

au pénis, appelé clitoris. Ce clitoris, en effet, est également formé par un corps caverneux, et terminé en avant par un gland que recouvre un prépuce formé aux dépens de la mu- queuse vaginale. Cependant, il y a quelques différences que voici : le clitoris est généralement beaucoup plus petit que le pénis; son corps caverneux est beaucoup plus dense et moins apte à se laisser pénétrer par le sang; le muscle iskio- caverneux qui entoure ses origines est beaucoup plus petit; enfin l'urèthre ne traverse pas cet organe ; mais a son orifice ex cerne au-dessous , à une distance à peu près égale des deux commissures de la vulve. Du prépuce de ce clitoris, qui quelquefois a un volume égal à celui de la verge, s'étendent à la face interne des grandes lèvres , et jusqu'à leur milieu , deux autres replis qu'on appelle les petites lèvres ou nym- phes , et dont l'organisation est la même que celle des

grandes lèvres.

§ IV. Appareil ds Lactation.

Enfin, l'appareil de lactation se compose des mamelles , glandes situées dans une masse de tissu cellulaire, à la par- tie antérieure et supérieure du thorax , dans ce qu'on ap- pelle les seins. Leur nombre, chez les animaux, est géné- ralement en raison de celui des petits. 11 doit nous suffire d'indiquer dans le sein les éléments qui le constituent. io TJne glande appelée mammaire , est au centre du sein , plongée dans la masse graisseuse qui forme celui-ci , repré- sentant une espèce de gâteau convexe à surface fort iné- gale, et appuyé sur le muscle grand pectoral. Le tissu de cette glande résulte de l'assemblage de plusieurs lobes, réunis entre eux par un tissu cellulaire assez dense, et formés de lobules plus petits, qu'on peut eux-mêmes ramener à des granulations arrondies, d'un blanc rosé, et du volume d'une semence de pavot. Ces grains glanduleux donnent naissance aux conduits sécréteurs , appelés ici lac tif ères ou galacto- phores , qui , flexueux , extensibles , transparents , grossissent en se réunissant les uns dans les autres , mais de manière cependant que ceux de chaque lobe restent isolés, et ne

APPAREIL GÉNITAL DE LA FEMME. 3l

communiquent pas avec ceux d'un autre lobe. Tous enfin se terminent à des sinus placés près de la base du mame- lon du sein , et qui. au nombre de quinze à dix-huit, viennent s'ouvrir à son pourtour et à son sommet sans com- muniquer ensemble. Des artères, des veines, des vaisseaux lymphatiques en grand nombre, et un système vasculaire sécréteur sont, avec des nerfs , les éléments de cette glande; mais Haller prétend que le système vasculaire sécréteur, non- seulement communique à son origine avec les dernières ramifications des artères, mais encore pénètre dans le tissu graisseux qui avoisine la glande. Une masse de tissu cellu- laire graisseux, dans lequel est plongée la glande, est surtout l'élément auquel le sein doit son volume et sa forme. Enfin, extérieurement est une couche de peau, qui est ici très fine, très douce, plus délicate et plus blanche qu'ailleurs, sans rides ni plis. Du milieu du sein s'élève un tubercule qu'on appelle le mamelon , qui n'est autre chose qu'une masse de tissu spongieux, érectile, autour de laquelle sont disposés les orifices des conduits excréteurs. A ce mamelon, la peau prend une autre couleur et un autre caractère ; elle forme à l'entour une auréole, de couleur rose dans la jeunesse , d'une couleur plus brune dans un âge plus avancé, etdont le système capillaire est si délicat qu'il rougit, de même que le visage, dans la pudeur et les passions. Des lymphatiques en grand nombre , et surtout des nerfs, entrent clans la structure de ce mamelon; la peau y a un aspect rugueux, à la présence d'un certain nombre de follicules sébacés , destinés à sécréter une mucosité propre à défendre le ma- melon de l'action de la salive de l'enfant qui le suce.

Il existe chez l'homme un rudiment de cet appareil; mais la glande mammaire, très petite, n'y est qu'en ves- tige; l'auréole du mamelon est d'une couleur moins vive, moins rugueuse , et couverte de poils. Cependant on voit cette glande se gonfler à la puberté; et , dans quelques cas rares, on l'a vu , par la pression , fournir un fluide. M. de Hwnboldt , dans son Voyage aux régions équinoxiales du nouveau continent, rapporte l'observation d'un homme de trente-deux ans, qui nourrit pendant cinq mois son enfant

32 FONCTION DE LA GENERATION.

avec un liquide sucré que fournissaient ses seins, et sans lui

donner aucun autre aliment.

Tels sont les organes génitaux de l'un et l'autre sexe dans l'espèce humaine. Dans cette espèce , pas plus que dans les animaux supérieurs, jamais ces sexes ne sont réunis sur un même individu. En vain les arts ont supposé des herma- phrodites humains; la nature n'en a jamais présenté , et les êtres qu'on a considérés comme tels n'étaient que des indi- vidus difformes, offrant quelque conformation vicieuse des organes génitaux , et qui , loin de pouvoir se reproduire seuls, le plus souvent ne pouvaient remplir la fonction d'aucun sexe. D'après la seule comparaison des organes, Galien , Avicenne , avaient dit que les deux sexes ne diffé- raient que par îa situation et le développement, les parties étant extérieures dans l'homme, et intérieures chez la femme; dans l'homme, l'utérus étant renversé en dehors, et contenant les ovaires ou testicules; dans la femme, ces parties étant rentrées en dedans. Les testicules et les ovai- res , comme fournissant la matière par laquelle chaque sexe concourt à la génération; les conduits déférents et les trom- pes de Fallope , comme conducteurs de cette matière; les vésicules séminales et l'utérus, comme étant les réservoirs elle est mise en dépôt; enfin, le pénis et le vagin , comme servant à son élimination , étaient des parties con- sidérées dans chaque sexe comme analogues. Mais lorsque plus tard le système des ovaristes fut adopté par presque tons les physiologiste, on rejeta cette comparaison; on re- garda le sexe femelle comme le principal , et le sexe mâle comme en étant une dégénération. Aujourd'hui , que les ef- forts des zoologistes tendent à ramener toutes les différences que présentent les animaux et les organes à l'unité d'orga- nisation , on est revenu à l'idée des Anciens , mais mieux conçue, et appuyée sur ce que M. Geoffroy Saint-Hilaire appelle le principe des connexions : non -seulement on trouve analogie d'organisation entre les deux sexes, mettant en regard dans chacun les testicules et les ovaires, les épi- didymeseties trompes de Fallope, les angles ou cornes de la

APPAREIL GÉNITAL DE LA FEMME. 33

matrice et les canaux déférents, les vésicules séminales et le corps de l'utérus , le pénis et le vagin ; mais encore on atteste cette même analogie dans les vivipares et les ovi- pares. En effet , d'abord M. Emmert a prouvé que les oi- seaux , chez lesquels on n'avait trouvé primitivement qu'un seul ovaire, en ont deux, et deux oviductus. Ensuite M. F. Tiédemann a distingué dans cet oviductus trois parties, qu'il a dit des analogues de la trompe de l'u- térus et du vagin des mammifères. Enfin, si M. Geoffroy Saint-Hilaire ne trouve dans ces oviductus que deux par- ties, l'une qui correspond à la trompe, l'autre à la corne de la matrice, cet anatomiste rapporte au corps de la ma- trice ce qu'on appelle dans les oiseaux la bourse de Fabri- cius , et au vagin , ce qu'on appelle la bourse de copulation. Il n'est pas de notre objet de discuter les motifs par les- quels ces savants démontrent la réalité de ces analogies : nous nous arrêterons à une seule, qui tient de plus près à notre sujet, c'est la possibilité de reconnaître dans l'utérus unique de la femme, des ressemblances avec l'utérus bi- corne des mammifères. Ce qu'on appelle les angles supé- rieurs de l'organe dans notre espèce, sont, en effet, les analogues des cornes de l'utérus dans les quadrupèdes; et , ce qui le prouve , c'est que ce sont les mêmes vaisseaux qui se distribuent aux unes et aux autres. M. Geoffroy Saint- Hilaire pense que les cornes et le corps de la matrice , que d'après l'anatomie humaine on considère comme des dépen- dances d'un même organe, en forment deux distincts : l'un, les cornes, étant alimenté par les artères sperniatiques ; l'autre, le corps, recevant les artères utérines. Tous deux peuvent être, dans les animaux, dans des rapports de dé- veloppement inverse; et , par exemple , l'espèce humaine et le lapin offrent, sous ce rapport, les deux extrêmes; dans la première, le corps de l'utérus est très volumineux, et les cornes à peine appréciables; et dans le lapin, au con- traire , le corps de l'utérus est rudimentaire , presque nul , et les cornes très considérables. M. Geoffroy propose même de donner aux cornes de l'utérus un nom particulier, celui à'aduterum.

Tome IV. 3

34 FONCTION DE LA GÉNÉRATION.

ARTICLE III.

Différences générales des Sexes.

L'homme et la femme ne diffèrent pas seulement par les organes génitaux proprement dits; toutes les autres parties de leur organisation , quoique analogues , portent l'em- preinte de la différence de leur sexe; il n'est aucun des or- ganes qui leur sont communs, aucune de leurs fonctions, qui ne présentent quelques spécialités. Dans l'exposition que nous avons faite des diverses fonctions qui accomplis- sent la vie , nous n'avons pas paru faire de distinction en- tre ces deux êtres; c'est ici le lieu de traiter de leurs diffé- rences.

Dans toute la nature vivante , généralement le sexe mâle se distingue par quelques parties exubérantes, qui man- quent, ou sont moindres dans le sexe femelle: on dirait que celui-ci est comme épuisé, parce qu'il a à créer le germe du nouvel individu, et à fournir à ses premiers développe- ments. Ainsi, dans plusieurs espèces animales, les mâles seuls offrent des cornes , des crêtes , une crinière , etc. ; ceux des oiseaux, par exemple , sont remarquables par un plus beau plumage, de plus brillantes couleurs. Or , cela est vrai aussi dans l'espèce humaine; la barbe est un caractère dis- tinctif de l'homme ; cette partie est à cet être ce que sont ces crêtes , ces panaches , que dans certaines espèces ani- males présentent exclusivement les mâles. Mais cette pre- mière différence est encore une dépendance en quelque sorte des organes génitaux proprement dits; elle ne se pro- nonce, en effet, qu'à l'âge auquel ces organes peuvent être mis en jeu ; ces parties distinctives des mâles manquent avant l'époque de la puberté; souvent, chez les animaux, elles se détruisent par la vieillesse , ou même chaque année, après la saison des amours ; souvent la castration les fait dis- paraître.

Arrivons donc à d'autres différences portant sur d'autres points de vue de l'organisation ; et comme dans tout ce que

DIFFÉRENCES GÉNÉRALES DES SEXES. 35

nous avons dit jusqu'ici de la physiologie humaine, nous avons eu en vue l'homme surtout, faisons ici particulière- ment l'histoire de la femme.

io La femme a généralement une stature moins élevée que l'homme , comme cela est presque de toutes les femelles des animaux; la différence est d'un douzième à peu près. Les parties principales de son corps n'ont pas entre elles les mêmes proportions. La tête est plus petite, plus arrondie* l&face plus courte : le tronc est plus long , et dans le tronc, les lombes et le col surtout; les extrémités inférieures, la cuisse particulièrement, sont au contraire plus courtes; et de cette disposition , il résulte que la moitié du corps ne correspond plus, comme chez l'homme, au pubis même, mais au-dessus. Le col, cette colonne qui est un caractère distinctif de l'espèce humaine, ayant chez la femme plus de longueur, a par suite chez elle plus de grâce. Le thorax a moins de hauteur; son diamètre s Lerno- vertébral répond en arrière , non à la neuvième vertèbre dorsale , mais à la septième, comme chez l'enfant; par compensation, ce tho- rax est un peu plus évasé; la clavicule est, sinon plus lon- gue, au moins moins courbée, afin de fournir un plus grand espace au sein. V abdomen est plus large , plus ample et plus saillant. La plus grande longueur de la région des lombes, jointe à la plus grande largeur des hanches, rend la taille plus svelte. Le bassin a plus de capacité, afin d'être apte aux fonctions de la grossesse et de l'accouchement ; il est plus évasé, plus circulaire , mais a moins de hauteur, et est plus incliné sur le rachis; le pubis est plus bas, le sacrum est plus relevé, et fait plus de saillie en avant; l'arcade du pubis est plus élevée; les hanches sont plus étendues, les cavités cotyloïdes moins profondes et plus écartées , les fesses plus saillantes et plus élevées. Aux membres inférieurs , les genoux sont plus gros et un peu tournés en dedans , les jam- bes plus courtes; les pieds sont petits, et ne forment plus la sixième partie et demie du corps, comme cela doit êtie chez l'homme. Aux membres supérieurs enfin , les épaules sont moins développées ; les bras sont moins longs, mais plus gros et plus arrondis ; il en est de même des avant-bras *

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L'homme et la femme ne diffèrent pas seulement par les organes génitaux proprement dits; toutes les autres parties de leur organisation, quoique analogues, portent l'em- preinte de la différence de leur sexe; il n'est aucun des or- ganes qui leur sont communs, aucune de leurs fonctions, qui ne présentent quelques spécialités. Dans l'exposition que nous avons faite des diverses fonctions qui accomplis- sent la vie , nous n'avons pas paru faire de distinction en- tre ces deux êtres; c'est ici le lieu de traiter de leurs diffé- rences.

Dans toute la nature vivante , généralement le sexe mâle se distingue par quelques parties exubérantes, qui man- quent, ou sont moindres dans le sexe femelle: on dirait que celui-ci est comme épuisé, parce qu'il a à créer le germe du nouvel individu, et à fournir à ses premiers développe- ments. Ainsi, dans plusieurs espèces animales, les mâles seuls offrent des cornes , des crêtes , une crinière , etc. ; ceux des oiseaux , par exemple , sont remarquables par un plus beau plumage , de plus brillantes couleurs. Or , cela est vrai aussi dans l'espèce humaine ; la barbe est un caractère dis- tinctif de l'homme; cette partie est à cet être ce que sont ces crêtes , ces panaches , que dans certaines espèces ani- males présentent exclusivement les mâles. Mais cette pre- mière différence est encore une dépendance en quelque sorte des organes génitaux proprement dits; elle ne se pro- nonce, en effet, qu'à l'âge auquel ces organes peuvent être mis en jeu; ces parties distinctives des mâles manquent avant l'époque de la puberté; souvent, chez les animaux, elles se détruisent par la vieillesse , ou même chaque année, après la saison des amours ; souvent la castration les fait dis- paraître.

Arrivons donc à d'autres différences portant sur d'autres points de vue de l'organisation ; et comme dans tout ce que

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DIFFÉRENCES GENERALES DES SEXES. 35

nous avons dit jusqu'ici de la physiologie humaine, nous avons eu en vue l'homme surtout, faisons ici particulière- ment l'histoire de la femme.

io La femme a généralement une stature moins élevée que l'homme, comme cela est presque de toutes les femelles des animaux; la ditférence est d'un douzième à peu près. Les parties principales de son corps n'ont pas entre elles les mêmes proportions. La tête est plus petite, plus arrondie* Isiface plus courte : le tronc est plus long , et dans le tronc , les lombes et Je col surtout; les extrémités inférieures, la cuisse particulièrement, sont au contraire plus courtes; et de cette disposition , il résulte que la moitié du corps ne correspond plus, comme chez l'homme, au pubis même, mais au-dessus. Le col , cette colonne qui est un caractère distinctif de l'espèce humaine, ayant chez la femme plus de longueur, a par suite chez elle plus de grâce. Le thorax a moins de hauteur; son diamètre s Lerno- vertébral répond en arrière , non à la neuvième vertèbre dorsale , mais à la septième, comme chez l'enfant; par compensation, ce tho- rax est un peu plus évasé; la clavicule est, sinon plus lon- gue, au moins moins courbée, afin de fournir un plus grand espace au sein. \? abdomen est plus large , plus ample et plus saillant. La plus grande longueur de la région des lombes, jointe à la plus grande largeur des hanches , rend la taille plus svelte. Le bassin a plus de capacité, afin d'être apte aux fonctions de la grossesse et de l'accouchement; il est plus évasé, plus circulaire , mais a moins de hauteur, et est plus incliné sur le rachis; le pubis est plus bas, le sacrum est plus relevé, et fait plus de saillie en avant; l'arcade du pubis est plus élevée; les hanches sont plus étendues, les cavités cotyloïdes moins profondes et plus écartées , les fesses plus saillantes et plus élevées. Aux membres inférieurs , les genoux sont plus gros et un peu tournés en dedans , les jam- bes plus courtes; les pieds sont petits, et ne forment plus la sixième partie et demie du corps, comme cela doit êtie chez l'homme. Aux membres supérieurs enfin, les épaules sont moins développées ; les bras sont moins longs, mais plus gros et plus arrondis ; il en est de même des avant-bras ;

3.

36 FONCTION DE Li GENERATION.

la main est plus petite, douce, blanche, plus potelée, les doigts sont plus grêles. Quand on étudie la pose générale de la femme, on voit que chez elle la tête, les épaules et le bassin sont placés plus en arrière ; les fémurs sont plus écar- tés en haut, et les genoux plus rapprochés; les courbures du rachis sont moins prononcées. Le torse ressemble à une pyramide , dont le bassin est la partie la plus large , et le thorax la partie la plus étroite , disposition inverse de celle qu'on observe dans l'homme; dans celui-ci, le développe- ment semble s'être fait davantage vers la partie supérieure du tronc , tandis que dans la femme il s'est fait plus gran- dement vers la partie inférieure, le bassin» Le corps de la femme est aussi plus mince : les os sont plus petits , d'un tissu moins compact; leurs aspérités extérieures font moins de saillies; les muscles sont moins forts, moins prononcés; aussi le poids total du corps est-il moindre d'un tiers. Le tissu cellulaire sous-cutané est plus abondant, il est rempli d'une graisse plus blanche et plus compacte; un semblable tissu cellulaire graisseux remplit les intervalles des muscles ; aussi la femme n'ofTre-t-elle pas les formes carrées, toreuses de l'homme ; chez elle, les contours des membres ne sont pas aussi fortement exprimés ; ils sont arrondis, coulants. La peau est plus fine , plus blanche , plus riche en vaisseaux capillaires, et moins couverte de poils; les cheveux, au contraire, sont plus longs, plus fins et plus flexibles : les ongles sont plus mous, ont une couleur plus rosée. Au vi- sage, les muscles sont moins distincts, et fondus dans plus de graisse, ce qui fait que la physionomie des femmes tient plus à l'expression de l'œil et au sourire qu'au jeu des autres traits. Enfin la texture générale de toutes les parties est plus lâche et plus molle.

Si, cle cette observation de l'habitude extérieure du corps de la femme, nous passons à l'examen de ses fonctions , et si nous comparons ces fonctions avec ce qu'elles sont dans l'homme nous trouverons des différences aussi importantes.

A. Sensibilité. Sans doute le système nerveux est, chez la femme , composé des mêmes parties que chez l'homme ; mais certainement ce système offre quelques différences ,

DIFFÉRENCES GENERALES DES SEXES. 3 7

puisque, comme on va le voir, la femme présente , dans ses diverses actions sensoriales, quelques particularités. Peut- être est-il, proportionnellement aux autres systèmes, un peu plus volumineux , ou a-t-il intrinsèquement une sensibilité plus exquise ? au moins, il a d'autres proportions entre ses diverses parties?

Chez la femme , les sens sont généralement plus délicats , soit que les extrémités nerveuses qui aboutissent à la peau, à la langue, à l'œil, etc., soient plus développées, soit qu'elles se terminent en papilles moins rigides, plus pulpeuses, plus afléctibles : tous repoussent des impressions un peu fortes. Voyez la peau; elle est évidemment plus nerveuse , recouverte d'un épidémie plus mince; aussi généralement les femmes sont plus sensibles au froid , recherchent des vêtements plus doux. Le goût, chez elles, répugne aussi à des saveurs trop fortes, comme le prouve leur gourmandise, qui est, en géné- ral, plus raffinée que celle de l'homme. Il en est de même des autres sens. Le goût pour les parfums et les fleurs n'est-il pas universel chez les femmes ? et le sens de l'odorat n'est-il pas plus pour elles que pour nous une source de jouissances ou de souffrances ? Leur vue n'est-elle pas promptement bles- sée d'une lumière trop vive, et leur oreille d'un son trop fort? Cependant les différences dans les sens sont bien moindres que celles que va nous présenter l'intellect et le moral.

Sous ce rapport > en effet, l'homme et la femme diffèrent beaucoup, et ce point de leur organisation est certaine- ment, après l'appareil génital, celui qui les différencie le plus. Malheureusement les dissidences des psychologistes sur les facultés vraiment primitives de notre moral , et l'im- possibilité dans laquelle sont encore les physiologistes d'in- diquer les rapports qui existent entre la structure du cerveau et le caractère des intelligences , des talents et des affections, ne permettent pas qu'on traite cette matière avec la ri- gueur et la précision que réclame la science. M. Gall seul, dans son système des organes cérébraux , explique organi- quement les différences que présente le moral chez la femme. En établissant que dans ce sexe les organes cérébraux ont

38 FONCTION DE LA GENERATION.

des degrés de développement et d'activité autres que chez l'homme, il se rend compte de sa supériorité sous certains rapports , de son infériorité sous d'autres, et en général de toutes les particularités de sa psychologie. Mais on a vu que tout en applaudissant aux efforts de M. Gall, nous avons cru devoir attendre que le temps ait donné sa sanction à sa théorie. Nous sommes donc réduits ici à ce que l'observa- tion seule du moral, dans l'un et l'autre sexe, a pu faire constater , et voici en peu de mots ce que nos moralistes ont signalé à cet égard. Généralement les facultés affectives prédominent chez la femme, et les facultés intellectuelles chez l'homme; c'est ce que prouvent l'observation de l'un et l'autre sexe dans toutes les circonstances de leur vie , leur rôle respectif dans nos sociétés , et ce qui convenait du reste à leur destination. Evidemment, les affections sont ce qui domine dans la vie morale des femmes; dès leur enfance, elles manifestent la prédominance des sentiments qui doi- vent successivement les rendre amantes, épouses et mères : aimer, sous quelque titre que ce soit, est la grande affaire de leur vie; les travaux d'esprit y occupent une bien moin- dre place; et, tandis que ces travaux sont chez l'homme l'objet principal , le plus souvent ils ne sont pour elles que des délassements. Nous l'avons déjà dit souvent : l'espèce humaine ne peut vivre sur la terre que par ses efforts; il faut qu'elle en fasse la conquête; mais c'est à l'homme surtout qu'est imposée cette noble tâche; c'est son esprit qui conçoit , son bras qui exécute : la femme, plus faible sous l'un et l'autre rapport, a une autre destination, celle de dispensera la famille les soins que celle-ci réclame. Com- bien n'étail-il pas nécessaire dès lors qu'il fût donné à l'un une plus grande force d'esprit , et à l'antre une plus grande délicatesse et vivacité de sentiments? Les observations ana- tomiques de M. Gall confirment la différence première que nous accusons ici; il a remarqué q\xe les femmes avaient généralement la lête plus grosse en arrière , et le front plus étroit; et l'on a vu que c'est aux parties postérieures du cerveau qu'il rapporte les facultés affectives , et aux parties antérieures les facultés intellectuelles. 2 » Le caractère de

DIFFERENCES GÉNÉRALES DES SEXES. 09

l'esprit des femmes et le genre de talents auquels elles se montrent propres, est en rapport avec ce premier trait que nous venons de signaler dans leur psychologie. Leur esprit est plus fin et gracieux que fort: leur imagination plus riante et vive que profonde; leurs pensées plus faciles et brillantes que justes et étendues; leur intellect plus natu- rellement s'applique aux objets de leurs affections, et ce n'est qu'alors qu'elles obtiennent quelques succès. Par exemple , dans ce genre de composition littéraire qui a pour objet la peinture des scènes habituelles de la vie, des mou- vements du cœur humain , dans la composition des ro- mans, elles ont souvent une supériorité que l'homme leur dispute en vain. Elles réussissent aussi, et pour la même raison, dans quelques arts d'agrément, la peinture, la mu- sique. Mais leur esprit n'est pas propre aux hautes concep- tions scientifiques. En général, il y a eu très peu de femmes savantes : celles qui se disent telles , le plus souvent ne sont que ridicules ; et quant à celles qui ont réellement mérité ce titre, elles avaient pour la plupart perdu, même au physique, les attributs qui font le charme de leur sexe, tant il est vrai qu'elles étaient sorties des voies que leur a tracées la nature. En vain dira -t -on que c'est à l'éduca- tion trop souvent futile que reçoivent les femmes , qu'on doit attribuer l'infériorité qu'elles nous présentent; sans doute cette éducation y contribue ; mais c'est surtout à leur nature propre qu'elle est due. La femme, pour parler le langage éloquent de Cabanis, n'est pas plus faite pour fi- gurer dans le lycée ou le portique , que dans le gymnase et l'hippodrome; et sa destination étant de fonder le charme et le lien de la famille, il n'était pas trop de sa vie entière pour les soins si délicats et si multipliés que celle-ci réclame. La femme savante voudrait-elle, dit Cabanis, descendre du haut de son génie, pour veiller à ses enfants , à son ménage? La sensibilité plus exquise que nous avons reconnue dans les sens de la femme se montre aussi dans les facultés de son esprit et de son cœur ; et de cette plus grande finesse, cette plus grande promptitude dans toutes ses idées, cette plus grande délicatesse dans tous ses sentiments; de aussi

4o FONCTION DE LA GENERATION,

sa susceptibilité à des impressions que l'homme aperçoit à peine; sa disposition à tout porter à l'extrême dans le mal comme dans le bien ; le caractère passionné qu'elle imprime à tout ce qu'elle dit , à tout ce qu'elle fait. Dans cette exces- sive impressionnabilité qui est propre aux femmes, et que ré- clamait aussi leur destination particulière dans la société humaine, git la source de leur active bienveillance, de cet élan sympathique qui en fait les êtres les plus accessibles à la pi lié , les plus capables d'un héroïque dévouement; la facilité qu'elles ont à partager les sentiments, les opinions, les manières des personnes avec lesquelles elles vivent; leur tendance à l'imitation , etc. Enfin , un dernier trait de la psychologie des femmes, et qui est encore une conséquence de cette plus grande impressionnabilité dont nous venons de parler, est leur mobilité; tout faisant impression sur elles, elles passent rapidement d'un objet à un autre; et une mé- ditation un peu prolongée leur est, sinon tout-à-fait im- possible, au moins plus difficile qu'à l'homme. De là, une nouvelle cause de leurs insuccès dans les hautes sciences ; de cette légèreté dont on leur fait un reproche. Parmi les impressions continuelles qui reten tissent sans cesse dans leur système nerveux, et qui amènent dans leurs déterminations des changements subits , il en est qui se succèdent si rapide- ment , que les femmes ne s'en rendent pas compte; et de ces caprices que nous ne pouvons concevoir, et que souvent elles ne peuvent s'exoliquer à elles-mêmes. Il n'est donc aucun des traits de leur caractère dont on ne puisse indiquer la cause. U instinct de la coquetterie 3 le besoin de plaire, devaient être innés à des êtres qui ne sentent la vie que par les affections qu'elles éprouvent et celles qu'elles inspirent. Si tous les moralistes ont signalé leur dissimulation natu- relle, la disposition qu'elles ont généralement à arriver à leur but par finesse et par des voies détournées, ces traits de caractère n'étaient- ils pas nécessaires à un être faible, et que la nature et les lois sociales ont également fait dépen- dant? Ce n'est pas que nous blâmions ces dernières; nous croyons qu'elles ont été sages, lorsque, dans nos sociétés, ellesoot exclu les femmes de toutes les hautes magistratures,

DIFFÉRENCES GÉNÉRALES DES SEXES.

et les ont subordonnées à l'homme. Mais, d'autre pari , on ne doit faire aux femmes aucun reproche des traits spéciaux que nous a offerts leur moral ; ces traits importaient à leur destination ; c'est par eux qu'elles nous charment et nous servent : voudrait-on qu'elles cessassent d'être de leur sexe? Mais bornons-nous à cette briéve indication , et renvoyons , sur cet article , aux nombreux écrivains qui ont si bien traité de cette partie de l'histoire morale de l'espèce humaine.

B. Locomotilité , expressions , sommeil. Les autres fonc- tions de relation nous offriront moins de différences. Rela- tivement à la locomolilité , nous avons déjà dit que les os de la femme sont généralement plus petits, ont des émi- nences moins prononcées , que ses muscles sont plus faibles. A tous ces titres , la force musculaire chez eile sera moindre. Le plus grand écartement des cavités cotyloïdes, la plus grande largeur du bassin , impriment à sa marche un carac- tère particulier. La femme est moins capable d'efforts que l'homme ; et sa faiblesse au physique n'est pas moins évi- dente que celle que nous avons signalée dans son moral. Les phénomènes d'expression sont chez elle en rapport avec le caractère des actes intellectuels et moraux. D'abord, i or- gane vocal offre quelques différences , auxquelles doivent être attribuées celles que présente physiquement la voix : la poi- trine et le poumon sont moins amples , la trachée a un moin- dre diamètre, le larynx est plus petit, la glotte est plus étroite , ce qu'on appelle la pomme d'Adam fait moins de saillie , les anfractuosités nasales sont moins profondes. Ces dispositions anatomiques font que la voix , chez les femmes , est moins forte, mais plus douce, plus tendre, et surtout plus aiguë. Les muscles de la glotte sont plus vifs et plus souples, d'où résulte plus de facilité de varier les tons, et plus de disposition pour le chant. Nous avons déjà dit qu'à la face , les muscles de la physionomie étant moins distincts et entourés de plus de graisse , l'expression du visage , chez les femmes , était due surtout au regard et à l'état de la bouche. Quant aux ohénomènes d'expression, considérés sous le point de vue de leur qualité expressive , ce que nous avons dit de la psychologie de la femme doit faire pressentir

42 FONCTION DE LA GENERATION,

ce qu'ils doivent être. La femme étant très sensible, et recevant de continuelles impressions , doit abonder en phénomènes expressifs : son langage affectif n'est jamais muet; son regard, son sourire parlent sans cesse; le rire, le pleurer éclatent chez elle à la moindre cause; ses mains, ses pieds sont dans des mouvements continuels; sa respiration fréquemment se modifie , et revêt les formes de soupir, de sanglot; enfin, quelle abondance de paroles! quelle loquacité ! Non-seulement les phénomènes expressifs répondent, par leur multiplicité, au nombre des senti- ments, mais ils en ont aussi le caractère; comme eux, ils sont mobiles , et se succèdent avec la plus incroyable rapi- dité; comme eux, ils sont délicats, et peignent toutes les grâces et tout le piquant de l'esprit des femmes , toutes les nuances si variées des mouvements de leur cœur. Enfin, il est impossible que la femme présente tant de différences dans l'exercice de ses facultés sensoriales , sans en offrir dans la fonction du sommeil; ce phénomène , destiné à réparer les pertes du système nerveux, fait chez elle sentir plus sou- vent son besoin , mais il a moins de profondeur et moins de durée; il est plus souvent troublé par des rêves, ou accom- pagné de somnambulisme : des influences extérieures peuvent plus facilement déterminer ce dernier, et Ton sait qu'en effet les femmes sont les sujets magnétiques par excellence. Ceci est encore une conséquence de la plus grande suscepti- bilité du système nerveux dans leur sexe.

C. Fonctions de nutrition. Chacune offre , dans la femme , quelques particularités. La digestion, généralement, exige moins d'aliments ; l'estomac est moins ample , le foie moins gros; fort souvent les deux dernières dents ne se dévelop- pent pas. La fairn est moins impérieuse, et porte plus sur des aliments légers et agréables que sur ceux qui nourrissent beaucoup; mais elle est plus mobile, plus fantasque, et re- vient plus souvent, parce que la digestion est assez rapide, et que tout l'appareil digestif montre aussi plus de sensibi- lité et d'irritabilité. Cependant cette fonction peut plus fa- cilement se suspendre pendant quelque temps; ce sont les femmes qui ont fourni les exemples de plus longue absti-

DIFFÉRENCES GÉNÉRALES DES SEXES. 43

neuce. Des différents systèmes vasculaires absorbants , le lymphatique prédomine , et de la plus grande disposition des femmes aux maladies de ce système, au cancer, aux scro- pliules. Le thorax étant moins ample, et le poumon un peu plus petit, la respiration fait une moindre quantité de sang : mais généralement les mouvements respirateurs sont plus rapprochés, abstraction faite des modifications fréquentes que leur impriment les passions; les inspirations sont plus effectuées par le jeu des côtes que par celui du diaphragme , et le poumon manifeste plus de susceptibilité relativement aux qualités de l'air : il est probable que l'hématose se fait aussi plus rapidement. Le cœur a un volume moindre que chez l'homme: et cependant la circulation est généralement plus vive; le pouls est moins ample, mais plus prompt et plus serré : chez la femme aussi , l'aorte descendante est plus grosse, et les artères du bassin plus considérables, afin de fournir au grand développement des organes génitaux dans ce sexe. Tous les parenchymes nutritifs sont en elle plus humides, la température du corps plus élevée. Parmi les sé- crétions récrémentitielles, celle de la graisse seule demande à être mentionnée : elle est généralement plus abondante, et son produit plus compact. Quant aux sécrétions excré- mentitielles , toutes offrent quelques différences; et de plus, la femme en offre une qui lui est propre , et dont nous de- vons une histoire détaillée, la menstruation. La transpira- tion cutanée est moins active , et sa matière a une odeur plus acidulé. L'urine est moins abondante, chargée de moins de sels, d'où résulte moins de disposition aux maladies calcu- leuses : ajoutons que l'urèthre est chez les femmes plus court, plus droit, a un plus gros calibre, de sorte qu'un calcul est plus souvent excrété dès les premiers moments de sa formation. Cependant, malgré cette activité moindre de ]a sécrétiou urinaire, le besoin d'uriner se fait sentir plus souvent, à raison de la susceptibilité plus grande de tout le système nerveux. En somme, les excrétions sont, comme les ingestions , moins abondantes chez la femme que chez l'homme, et leurs produits un peu moins animalisés.

Si on ajoute que la femme généralement parcourt plus ra~

44 FONCTION DE LA GÉNÉRATION,

pidement ses premiers âges que l'homme , et au contraire pousse plus loin le dernier; que les différences des tempéra- ments sont en général moins prononcées chez elle, et que toujours en elle le caractère du sexe domine; que son appa- reil génital réagit plus sur toute son économie que ne le fait celui de l'homme , ou qu'au moins cet appareil , chargé chez elle déplus de fonctions, devient, dans les temps plus pro- longés pendant lesquels il agit, la source d'un plus grand nombre de réactions sympathiques, on aura le tableau de toutes les différences physiques qui caractérisent cet être. Les anciens auteurs avaient même exagéré ce dernier trait, jusqu'au point de rapporter à la réaction de l'utérus toutes les particularités que nous présentent le physique et le moral des femmes en santé et en maladie: utérus est animal vivens m muliere ; propter soiuni uterum est rnulier id quod est, ont-ils dit. Mais nous croyons que cette réaction n'est réelle que lorsque cet organe est en fonction, lorsqu'il accomplit les actes de menstruation, de grossesse, d'accouchement; lorsque l'âge de la puberté et l'âge critique lui impriment ou lui retirent le degré d'activité qui rend possible son ser- vice ; hors de , son influence est moindre qu'on ne l'a dit. Mais nous reviendrons là-dessus à l'article des sympathies.

Terminons cette histoire de la femme par la descrip- tion de l'excrétion qui lui est exclusive , la menstrua- tion .

On appelle ainsi un écoulement de sang qui se fait par la vulve, et revient périodiquement trois, quatre , cinq ou six jours de chaque mois, pendant tout le temps de sa vie que la femme est apte à se reproduire , c'est-à-dire depuis l'épo- que de la puberté jusqu'à ce qu'on appelle son âge critique. 11 est exclusif à l'espèce humaine : on ne l'observe dans au- cune autre espèce animale; cependant M.. F. Cuvier dit en avoir reconnu quelque indice dans quelques femelles d'ani- maux. Chez quelques femmes , cet écoulement s'établit sou- dain , et sans aucuns symptômes précurseurs. Dans le plus grand nombre, au contraire, il est précédé et accompagné de quelques incommodités : la femme accuse quelques signes de pléthore ou d'orgasme général, comme rougeur de la

DIFFERENCES GÉNÉRALES DES SEXES. 4 5

peau, chaleur, pesanteur de tête, oppression, pouls élevé et fébrile; elle se plaint de douleurs dans les lombes , quel- quefois de coliques , phénomènes qui annoncent une con- gestion locale sur l'utérus, ou au moins une irritation de ce viscère. Alors l'écoulement s'établit; il ne se fait que goutte à goutte, mais d'une manière continue. Le premier jour, il est fort peu considérable, et même souvent il paraît et dis- paraît alternativement; le deuxième jour, il est déjà plus abondant; c'est le troisième qu'il est le plus considérable; et enfin les jours suivants il diminue graduellement, et se termine pour ne reparaître que dans vingt-cinq à vingt-six jours. A mesure que cet écoulement se fait , la femme semble éprouver un soulagement marqué, il lui reste seulement un air de langueur sur le visage. Pendant sa durée , elle a plus d'irritabilité au physique, plus de susceptibilité au moral, et est généralement plus disposée aux plaisirs de l'amour. Le plus souvent l'écoulementest, dans le commencement, moitié séreux, mais bientôt il devient exclusivement sanguin. Sou- vent, après qu'il a cessé, il est rem placé pendant quelques jours par un écoulement muqueux, blanchâtre. Sa quantité , pen- dant loutela durée de la période, est généralement de six à huit onces : Hippocrate disait deux bénîmes , ou vingt onces. Du reste, nous ne décrivons iciquecequi estle plus ordinaire, car de nombreuses variétés s'observent relativement à la durée, la quantité, les phénomènes précurseurs et concomitants de cet écoulement, ses retours, son invasion, sa disparition, etc. Chez certaines femmes, il ne dure que deux à trois jours; chez d'autres, il se prolonge pendant huit ou dix. Chez les unes , la quantité de sang qui est excrétée est à peine de deux à trois onces; chez d'autres , elle est considérable, constitue une véritable hémorrhagie , ce qu'on appelle une perle. Pour certaines femmes, la menstruation est facile, exempte de toutes incommodités ; chez d'autres , elle est précédée et ac- compagnée d'accidents , de coliques , qui en font presque une maladie. Le plus souvent cette excrétion revient après vingt-quatre, vingt-six jours d'interruption; mais il est des femmes qui sont réglées deux fois par mois. Toutes ces varia- tions tiennent au degré d'activité de la constitution en gé-

46 FONCTION DE LA. GÉNÉRATION.

uéral , et surtout de l'utérus eu particulier, car il est l'agent

de cette excrétion.

C'est en eiïet de la surface interne de la cavité de cet or- gane que provient le sang menstruel, et non du vagin, comme quelques-uns l'avaient dit. Jadis on croyait que, pendant l'intervalle des règles, le sang qui les constitue se ressemblait peu à peu dans quelques parties de l' utérus; et que celles-ci, arrivées enfin à un certain degré de plénitude, se crevaient et le laissaient couler. Tel était, par exemple, le rôle qu'on faisait jouer, ou à des cellules qu'on disait exis- ter dans le parenchyme de l'utérus , et être intermédiaires aux artères et aux veines utérines; ou aux veines elles-mêmes, qui, fort dilatées alors, avaient paru être des réservoirs parti- culiers, et qu'on avait appelées sinus utérins, ou, avec Astruc, appendices cœcales. On avait, en ce dernier point, été in- duit en erreur par l'état de grossesse , les veines de l'utérus offrant alors une très grande dilatation , comme nous le di- rons. Mais cette idée d'une accumulation graduelle dans l'utérus, dans l'intervalle des règles, du sang qui doit les constituer, et ceile qui attribue l'écoulement de ce fluide à la crevasse, à la rupture des cavités, des vaisseaux il se serait accumulé , sont également fausses. D'un côté , ce n'est qu'au moment delà menstruation que le sang qui doit ali- menter cette sécrétion afflue en plus grande abondance dans le viscère qui doit l'effectuer, et , d'autre par l, c'est par exha- lation que ce saug est rejeté. Qu'on examine la surface in- terne de l'utérus chez une femme morte à l'époque des règles , on n'y peut découvrir aucune trace d'érosion et de rupture; on n'en voit pas davantage après avoir lavé l'uté- rus, l'avoir fait macérer, et en l'examinant au microscope. Si l'écoulement tenait à ces prétendues crevasses, il ne cesserait que lorsque ces crevasses se seraient cicatrisées; alors on devrait trouver à la surface interne de l'utérus des traces de ces cicatrices; cet organe en devrait être criblé. Nous avons dit, d'ailleurs, que souvent dans une même journée, l'écoulement tour-à-tour s'interrompt et reparaît; et ce fait ne peut s'accorder avec la cause mécanique qu'on avait supposée. La menstruation est une sécrétion du

DIFFÉRENCES GÉNÉRALES DES SEXES. 4j

genre des exhalations , effectuée par ia surface interne de l'utérus, et qui n'est distincte des autres qu'en ce que son produit est dusangniême. On avait voulu faire provenir ce- lui-ci des veines; on arguait de l'analogie des hémorrhoïdes , de la couleur noire du sang menstruel, du gonflement des veines de Futérus dans le moment de la menstruation : mais toutes les sécrétions étant alimentées par le sang ar- tériel, et la menstruation étant évidemment une action de ce genre, c'est des artères qu'on fait provenir aujourd'hui le sang qu'elle excrète. D'ailleurs, une injection poussée dans les artères de l'utérus transsude avec facilité à la sur- face interne de cet organe. Nous admettons donc que les artères de l'utérus se terminent à la surface interne de cet organe par un appareil exhalant qui , à de certaines époques du mois, acquiert la propriété d'agir, et alors perspire , ou le sang lui-même , ou ce sang un peu modifié , mais conser- vant sa couleur rouge. Ne voit-on pas de semblables hé- morrhagies se faire souvent par les autres membranes mu- queuses du corps? On dira peut-être que M. Chaussier nie l'existence de la muqueuse utérine; mais il n'y a pas plus de difficulté à concevoir que c'est le parenchyme même de l'organe qui, à la surface interne de sa cavité, effectue l'exhalation : n'y a-t-il pas aussi des hémorrhagies dans les parenchymes? 11 est certain que la menstruation est un symbole parfait de toutes les hémorrhagies médicales; il y a de même, irritation préalable de l'organe qui en est le siège, tuméfaction, sensibilité de l'utérus , gonflement des vaisseaux utérins; l'écoulement semble être comme la crise de la congestion ; il procure du soulagement; l'unique dif- férence, c'est que la congestion entrait dans le plan de santé, et se renouvelle périodiquement chaque mois. Véri- table phénomène organique , cette menstruation se montre dépendante de toutes les irritations externes et internes; et sa susceptibilité à être modifiée, perturbée, par ces irri- tations , est extrême.

On a beaucoup cherché la cause de la périodicité de la menstruation. 10 Comme ses intervalles ont précisément la durée des révolutions de la lune autour de la terre, Mèad

48 FONCTION DE LA GÉNÉRATION,

et autres ont voulu la rapporter à l'influence de cette pla- nète; mais alors les règles devraient correspondre à une des phases du cours de la lune , et cela n'est pas. Van Hel- mont, Paracelse, ont accusé la présence d'un ferment dans l'utérus; mais d'où viendrait ce ferment , comment se re- nouvellerait-il? ne rongerait-il pas l'utérus dans les longues suppressions des menstrues ? qui l'a vu ? une cause aussi constante pourrait-elle ne produire qu'un phénomène aussi mobile ? cette hypothèse ne touche pas à la difficulté , car il faudrait expliquer pourquoi le ferment se renouvelle à chaque mois, oun'agitqu'à ces époques. Nous ne pouvons nous contenter de l'opinion de Stahl, qui en appelle à l'âme, et qui dit que cet être, universellement régulateur de notre économie, travaille aux tempsopportuns à faire débarrasser la femme d'un superflu qui la surcharge. On aaccuséunétat de pléthore générale, amenant à un certain degré , et à un degré qui est acquis à une époque régulière , une excrétion qui y remédie : on s'est fondé sur ce que souvent les mens- trues sont utilement , pour la santé , remplacées par un écoulement qui se fait par d'autres voies. Il est certain qu'on a vu des hémorrhagies par divers points de la peau , par l'angle de l'œil , par les narines , les lèvres, les oreilles , des vomissements de sang, etc. , remplacer les règles et se renouveler aux mêmes époques et avec la même régularité. Alors il faudrait admettre que , chez la femme, à cause du double office de mère et de nourrice qu'elle a à remplir , les mouvements vitaux sont réglés de manière à amener de mois en mois cette pléthore. Enfin, on a rapporté le re- tour des règles à une pléthore locale de l'utérus : les ar- tères du bassin sont^ a-t-on dit, plus lâches dans la femme que dans l'homme; les veines, au contraires, sont plus fermes; et de résulte que les premiers de ces vaisseaux apportent plus de sang que les seconds n'en remportent. On a dit encore que , taudis que chez l'homme il y avait prédo- minance des artères céphaliques, à cause de la plus grande prédisposition de cet être à une vie intellectuelie, il y avait chez la femme prédominance des artères pelviennes et uté- rines, à cause de sa destination plus spéciale à la reproduc-

DIFFÉRENCES GÉNÉRALES DES SEXES. 4 9

tion. Il est certain que c'est un état de phéthore , ou plu- tôt d'iritation de l'utérus , qui détermine le retour des rè- gles; mais il n'est pas plus possible de àVre pourquoi cette irritation se renouvelle tous les mois , que d'expliquer pour- quoi dans la révolution des âges la prédominance de tel organe succède à celle de tel autre. Cela tient , sans contre- dit, au caractère de vitalité de l'utérus, et à son office pour la reproduction, car l'écoulement menstruel généralement n'a plus lieu pendant la grossesse et l'allaitement: mais il n'est pas possible d'aller au-delà de cette généralité. Cepen- dant M. Gall croit qu'une cause générale et étrangère à l'individu, mais autre que la lune, a ici une influence; il dit avoir vérifié dans sa nombreuse pratique , et cela dans tous les pays , que c'est généralement aux mêmes époques que toutes les femmes sont réglées , et qu'il est des temps du mois où, par conséquent, aucunes ne le sont; il ajoute que toutes les femmes sont , à cet égard., partagées en deux sé- ries , une de celles qui sont réglées dans les huit premiers jours du mois, et une autre de celles qui le sont dans ceux de la seconde quinzaine; mais il ne peut indicruer quelle est cette cause.

Toutefois, la menstruation étant une action d'exhalation de l'utérus , on conçoit que la quantité et la qualité du sang rejeté doivent être en raison de la vitalité de ce vis- cère ; souvent des femmes pâles perdent plus que des femmes colorées et qui paraissent sanguines et fortes, parce que l'état de l'utérus a plus d'influence ici que l'état de la constitution générale. Il est difficile de dire si le sang rejeté est du sang artériel pur , ou du sang un peu. modifié par l'action exhalante qui en produit l'excrétion : ce qu'il y a de sûr , c'est qu'il n'a aucune des qualités vénéneuses que les Anciens lui avaient attribuées. Son excrétion s'accomolit mécaniquement, par le fait seul de la disposition des parties.

Il paraît évident que cette excrétion a trait à la généra- tion , car elle ne commence qu'à la puberté, elle disparaît à l'âge critique , et elle manque pendant la grossesse et l'al- laitement ; mais on ne sait en quoi elle y sert. On dit yul- Tome TV. 4

50 FONCTION DE LA GÉNÉRATION .

gairement qu'elle est destinée à entretenir l'équilibre , mal^ gré le surplus de sang qui est préparé pour nourrir le fœtus et alimenter la sécrétion du lait. On croit qu'elle est l'an- nonce de l'aptitude qu'ont les femmes à être fécondées en tout temps, à la différence des femelles des animaux, qui ne peuvent l'être qu'à une seule époque, celle du rut. On lui as- signe, en effet, pouranalogue dans les animaux, l'écoulement séreux, sanguinolent, odorant, qui se fait alors parla vulve des femelles. Ce qu'il y a de sûr, c'est que la menstruation n'est pas primitivement une excrétion de dépuralion; elle ne le devient que secondairement, comme il en est de toutes les autres excrétions. Quelques physiologistes ont ditqu'elle était une suite mécanique de la station bipède. Roussel voulait qu'elle n'eût pas taiMmirn esi*té . et que, produit artificiel d'un régime Jkt&|Xsi£ccuientV«g*Kse fût ensuite propagée de générati»iOeii gélôeraEîon : mafckles livres les plus anciens , ceux deproïjJJJ^/j^g>of^te, en «ont mention. Aubert, dans sa dissertation inauguraïe^^prAendu que, si les femmes satisfaisaiew^i^^rëmîe:rTlM^m^e l'amour dès leur première appaiùtionvJjgLSjûs^ggii^'fui en résulterait empêcherait à jamais l'établissement de la menstruation; mais on voit des femmes qui continuent d'être réglées pen- dant leur grossesse , d'autres qui ne le sont que pendant cet état. Tout porte à croire que la menstruation est un phéno- mène propre à la constitution de la femme.

CHAPITRE II.

Mécanisme de la Génération.

Les généralités que nous avons présentées sur la généra- tion tracent d'avance la subdivision à établir dans l'étude des actes nombreux qui constituent cette fonction. Dans l'espèce humaine, les sexes sont portés par deux individus distincts, et la génération est vivipare; de là, déjà, distinction de ce qu'on appelle une copulation, une grossesse et un allaite- ment. Déplus , on appelle du nom de conception ou de fécon- dation f l'action qui avive le germe et qui suit le rapproche-

DIFFÉRENCES GENERALES DES SEXES. 5i

ment; et de celui à? accouchement, l'acte par lequel l'individu nouveau est excrété , pour commencer sa vie indépendante. Nous rapporterons donc tous les actes qui constituent la gé- nération, à cinq groupes, qui sont la copulation ou le rap- prochement, la conception, la grossesse , Y accouchement et Y allaitement; et c'est dans cet ordre , qui est celui selon le- quel ils se succèdent, que nous allons en traiter. Seulement, faisons auparavant deux remarques.

Dans l'accomplissement de toutes ces actions , le rôle des deux sexes n'est , ni le même, ni également important. L'homme ne fait que fournir ou aviver le germe ; consé- quemment il n'a part qu'à la copulation et à la conception. La femme, au contraire, sert , en outre, à porter le nou- vel individu, à le mettre au jour, et à le nourrir dans les premiers mois de la vie; seule, elle effectue la grossesse, l'accouchement et l'allaitement.

La génération est une fonction qui exige un rapport avec l'extérieur, au moins dans les espèces dans lesquelles les sexes sont portés par deux individus distincts, et qui ont besoin de se rapprocher, comme chez l'homme. Or, ce rap- port, comme tout autre, est laissé à la volonté de l'être , et perçu par lui ; il n:y a d'irrésistibles et d'inaperçus , comme dans la nutrition, que les actes qui le suivent. Le rapprochement des sexes est en effet un acte tout-à-fait vo- lontaire; la naissance du nouvel individu, ou l'accouche- ment, est de même, sinon tout-à-fait dépendant de la vo- lonté, au moins aidé par elle, et également perçu : il n'y a d'irrésistibles et de non sentis que les actes intermédiaires à ceux-là, la conception et la grossesse. C'est absolument comme dans le mécanisme général de la nutrition. Dès lors, on ne sera pas étonné si la génération nous offre dans sa généralité , et des sensations pour nous exciter aux rapports qu'elle exige , et nous en donner la conscience , et des ac- tions musculaires volontaires pour établir ces rapports.

52 FONCTION DE LA GÉNÉRATION.

ARTICLE PREMIER. Du rapprochement des Sexes, ou de la Copulation , du Coït.

Dans l'espèce humaine , les deux sexes étant portés cha- cun par un individu séparé, et le germe ou l'œuf fourni par la femme ne pouvant être fécondé que lorsqu'il est encore intérieur; il faut absolument, pour la reproduction , un rapprochement à l'aide duquel le fluide fécondant de l'homme puisse aller au loin dans l'intérieur des organes de la femme , toucher le germe et l'aviver. C'est donc par l'é- tude de ce rapprochement qu'il faut commencer l'histoire de la génération. Nous allons étudier successivement la sensation qui y excite, et la part qu'y a chacun des deux sexes.

§ Ier. Du besoin , de P instinct de la Reproduction.

Nous avons dit souvent qu'une sensation interne était attachée à toutes celles de nos fonctions qui exigent pour leur accomplissement un rapport avec l'extérieur; nous avons présenté cette sensation comme une espèce de senti- nelle , destinée à nous exciter à l'établissement de ce rap- port. C'est ainsi que nous avons vu la faim nous solliciter aux temps opportuns à prendre les aliments qui nous sont nécessaires. Or, la nature n'a pas été, en ce qui concerne la conservation de l'espèce , moins précautionneuse , qu'en ce qui a trait à la conservation de l'individu; elle n'a pas voulu davantage , en ce qui regarde notre reproduction , s'en reposer sur notre raison ; et elle a placé en nous un instinct impérieux, une sensation interne, qui nous excite à remplir son vœu. C'est de cet instinct dont nous devons

parler ici.

Personne n'en peut contester la réalité. Nul dans l'en- fance, âge auquel l'homme ne peut se reproduire, il se mon- tre tout à coup à la puberté, éclate avec énergie pendant toute la jeunesse, se prolonge au loin dans l'âge adulte, et enfin disparaît dans la vieillesse, quand l'être n'est plus

DE LA COPULATION. 53

apte à se reproduire. Cet instinct est surtout évident dans les animaux chez lesquels la génération n'est possible qu'à des époques déterminées de Tannée, au temps du rut; alors il prédomine tellement dans leur système intellectuel ,, qu'il constitue presque une fureur, une manie, un pen- chant irrésistible qui les subjugue.

Mais les physiologistes ne sont pas d'accord sur sa nature et sur son siège. La plupart, voyant que son apparition coïncide avec l'âge auquel l'appareil génital entre en action, et que son énergie est généralement proportionnelle au degré d'activité de cet appareil , eu ont fait une sensation interne siégeant dans les organes génitaux, et qui est à ces organes ce qu'est la sensation interne de la faim à l'estomac. En effet, indépendamment de ce que dans la suite de la vie, cet instinct suit le sort des organes génitaux , c'est-à-dire se prononce quand ils entrent en action, disparaît quand ils ne peuvent plus agir, il est sûr qu'il ne se fait jamais sentir lorsque dans le premier âge on a pratiqué la castration. Dans cette manière devoir, il serait une véritable sensation interne, dont il faudrait spécifier le siège et la cause , mais sur la- quelle on serait dans la même ignorance que sur toutes les autres sensations internes. En effet, relativement au siège, le sentiment intime ne fait rien connaître; aucune partie ne paraît sentir plus qu'une autre; c'est comme une in- quiétude générale. Sans doute les organes génitaux sont un peu excités, mais ils ne le sont pas assez, pour qu'on les constitue avec certitude le siège de la sensation; et ce qu'ils éprouvent peut dépendre de la connexion existante entre eux et le siège, quel qu'il soit, delà sensation. Rela- tivement à la cause , elle n'est pas plus facilement appré- ciable que dans les autres sensations internes. On a présenté comme telle le séjour et la présence du sperme dans les vési- cules séminales; mais les eunuques ont souvent des désirs; il en est de même des libertins épuisés ; et au contraire ces désirs souvent sont nuls chez des hommes robustes, mais qui ont l'habitude delà chasteté; chez la femme, ce senti- ment existe, et cependant dans ce sexe il n'y a pas de sé- crétion sperma tique-. On a dit que ce sentiment annonçait

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le besoin qu'a l'appareil génital d'être employé, de même qu'un sentiment éclate dans l'appareil locomoteur pour nous exciter à nous mouvoir; mais, à supposer cette expli- cation bonne, on n'en sent pas moins combien cette cause est vague, comparativement à celle de toute sensation ex- terne quelconque.

Aussi, à cause de ces difficultés , et par plusieurs autres raisons que nous allons faire connaître, beaucoup de phy- siologistes considèrent le sentiment dont nous traitons ici comme un phénomène cérébral, une faculté affective, une dépendance delà psychologie de l'être. Tels sont, par exem- ple, Cabanis* M. Broussais, qui, seulement dans leur théorie des impressions internes, en font provenir les matériaux des organes génitaux. Tel est surtout M. Gall, qui ailecte une partie cérébrale, le cervelet, à sa production, et admet parmi les facultés primitives de l'ame un instinct de la re- production. Sans revenir ici sur les détails que nous avons donnés à cet égard, l'organe et l'instinct de la propagation étant ceux que nous avons pris pour exemple quand nous avons parlé de la manière de philosopher de M. Gall , nous rappellerons seulement comme preuves justificatives de l'idée qui fait du sentiment dont nous traitons un instinct cérébral, que ce sentiment a été observé en des individus chez lesquels, par Un vice de conformation originelle, les principaux des organes génitaux manquaient, et qu'il a persisté en des eunuques qui n'avaient été castrés qu'après l'âge de la puberté. Ce sentiment ne pouvant être qu'une sensation interne, ou un instinct cérébral, et les derniers faits que nous venons de citer le montrant existant en l'ab- sence des Organes génitaux, il faut bien qu'il siège dans le cerveau. Du reste , nous renvoyons à cet égard à ce que nous avons dit à l'article psychologie.

Quoi qu'il en soit de cette controverse, il n'est pas pos- sible non plus de peindre par des mots ce sentiment ; il faut en appeler à la conscience de chacun * mais il est bien dis- tinct de tout autre , et bien caractérisé d'ailleurs par son but. Comme toute sensation interne ou toute faculté affec- tive, il est plaisir quand on le satisfait, peine quand on

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lui résiste. Il est susceptible de mille degrés, et même apte à revêtir un caractère opposé , celui de dégoût , ce qui con- stitue ce qu'on appelle Yanaphrodisie. On ne peut préciser son énergie; cela varie selon les sexes, les tempéraments , les constilutions individuelles, l'état de santé, de maladie; ies circonstances extérieures d'aliments, de saisons, de cli- mats; la mesure dans laquelle on use des plaisirs de l'a- mour, etc. Chacun a, à cet égard, sa constitution propre; les hommes sont généralement plus ardents que les femmes; les tempéraments sanguins et bilieux plus que les lympha- tiques : certains aliments évidemment sont aphrodisiaques, tandis que d'autres sont, comme on le dit, réfrigérants : enfin, il faut surtout signaler ici la part des habitudes ; si c'est l'organisation qui d'abord les commande , les habitudes ensuite renforcent l'organisation.

§ II. Office de V homme dans la Copulation.

Dans l'acte du rapprochement, le rôle de l'homme est d'introduire dans les parties de la femme l'organe chargé de projeter le fluide de la fécondation , c'est-à-dire le pénis , et d'excréter pendant cette introduction ce fluide. Mais pour que ce double objet puisse être rempli, il faut que le pénis acquière, par un phénomène appelé érection, une roideur suffisante; et c'est ce phénomène de l'érection que nous avons à décrire d'abord.

Quand l'homme est sollicité par le désir de la généra^ tion , le pénis chauge d'élat; de mou, petit et pendant qu'il était, il devient roide, gros et relevé contre l'ab- domen; ses artères battent avec force, ses veines sont plus gonflées , la peau qui le rêvet est plus colorée , sa chaleur est augmentée; de rond qu'il était, il est devenu triangu- laire; par suite de son redressement, les courbures de l'u- rèthre sont effacées ; enfin, une légère sensation de plaisir marque le grand changement qui s'est fait en lui, et qu'on appelle érection.

Due à la dilatation active qu'a développée tout à coup le corps caverneux du pénis, et à un plus grand afflux de sang

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dans ce parenchyme, cette érection, tantôt se fait d'une manière soudaine, tantôt ne s'établit qu'avec lenteur et graduellement. Ses causes occasionelles sont : tantôt l'irri- tation qu'irradie sur le corps caverneux le désir ardent de la génération ; tantôt celle qu'éprouve ce corps caverneux, consécutivement à une stimulation directe du pénis , ou de quelques autres organes appartenant à l'appareil génital, ou enchaînés au pénis par quelques sympathies intimes. De ces causes, la première est la plus énergique; savoir : l'in- fluence de la partie cérébrale, qui est le siège de l'instinct de la propagation. La subordination du pénis à cette partie est telle que, lorsque celle-ci est irritée mécaniquement, et non par les idées de volupté , l'érection se manifeste égale- ment. Ainsi, l'érection est un symptôme constant des apo- plexies cérébelleuses; on l'observe fréquemment chez les pendus, à cause de la congestion de sang dont le cervelet est alors le siège; parla même raison, elle survient fré- quemment pendant le sommeil ; enfin , c'est encore parce que l'opium porte le sang à la tête , que cette substance a la propriété de provoquer. des érections ; on sait l'abus qu'en font les Turcs dans des vues de volupté.

Quoique indispensable pour l'accomplissement de la gé- nération , l'érection n'est pas un phénomène dépendant de noire volonté ; tantôt elle éclate contre notre vœu , et tantôt elle ne lui obéit pas. Plus qu'aucun autre phénomène , elle veut l'exclusion de tout autre acte , et ne souffre aucune distraction. Rien n'est plus remarquable que le peu de con- stance , le caprice en quelque sorte, avec lesquels le pénis répond aux irritations, soit directes, soit sympathiques, qui le provoquent. Quelquefois, c'est en vain qu'agissent toutes ces irritations, l'homme se trouve enchaîné au mi- lieu de ses plus vifs désirs. Ces mécomptes qui l'affligent et le piquent sont sans doute souvent la suite de la faiblesse ou de l'abus; mais souvent aussi ils proviennent de trop d'amour, ou d'un sentiment de réserve et de crainte. On sait que jadis on les rapportait à une influence magique, et qu'on dirigeait les foudres de l'Eglise contre ce qu'on appelait les noueurs d'aiguillette. Par la même raison ,

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l'érection est un phénomène très mobile; le même instant la voit tour-à-tour s'établir, cesser et revenir. Elle est en général peu durable; après quelques minutes elle cesse , et laisse l'organe revenir à sa flaccidité première. Elle est aussi susceptible de degrés divers, depuis l'érection extrême, dans laquelle le pénis a acquis une très grande roideur , jusqu'à cette érection comme passive, dans laquelle cet organe n'a fait qu'augmenter de volume sans devenir résistant, et ne peut, ni vaincre les obstacles qu'opposent à l'approche les parties extérieures de la génération de la femme, ni pro- jeter le sperme assez loin pour effectuer la fécondation. Dans le dernier âge, elle n'est plus possible, et s'est anéantie avec la faculté de reproduction, dont elle est l'acte préparatoire.

Qu'est-ce qu'est cette érection , et quelle en est la cause ? Evidemment elle consiste en une congestion du sang dans le tissu érectile du corps caverneux, de l'urèthre et du gland. Nous avons vu, en effet, que les artères du pénis battaient avec plus de force, que ses veines étaient plus grosses, que la peau était plus colorée. Swammcrdam et de Graaf ayant coupé la verge d'un chien, dans le temps de l'érection, non-seulement trouvèrent le tissu tout gorgé de sang, mais ils virent l'organe revenir à sa petitesse, à sa flaccidité, à mesure que le sang en coulait. On a fait la même observation chez l'homme , dans certains cas chez lesquels l'érection s'était conservée après la mort. Enfin, Pechlin, de Graaf, M. Chaussier, ont, par des injections, provoqué des érections artificielles dans des cadavres. Nul doute donc que le pénis ne soit devenu plus gros et plus roide, par suite de la plus grande quantité de sang qui a pénétré son tissu. Mais quelle cause à déterminé en lui cette congestion sanguiue ? Il y a eu ici plusieurs hypothèses.

Les Anciens accusaient une cause mécanique, la compres- sion de la veine honteuse interne contre la symphyse du pubis , lors du redressement de la verge vers l'abdomen : comme c'est à cette veine honteuse qu'aboutit la veine ca- verneuse, il devait résulter de sa compression stagnation du sang dans le corps caverneux, et par conséquent gonflement de son parenchyme. Les artères caverneuses étant plus so-

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lides , ne cédaient pasà la pression, et continuaient d'apporter du sang. C'étaient les muscles iskio -caverneux, qui en redres- sant la verge, produisaient cette compression, et ils étaient à cause de cela appelés les muscles èrecteurs. Cette première théorie de l'érection est inadmissible. D'abord, toutannonce que la congestion sanguine qui constitue l'érection estactive, et non l'effet passif d'une compression : celane résulte-t-il pas, et du battement des artères du pénis, et de la sensation de plaisirqui précède et accompagne l'érection, et de l'augmen- tation de chaleur de l'organe ? En second lieu, dans les autres parties du corps s'observent des érections, au mamelon du sein, par exemple, on ne voit aucune compression propre à produire le phénomène. Enfin , quel que soit le redresse- ment de la verge contre l'abdomen , jamais la veine honteuse interne n'est comprimée assez pour entraver la circulation veineuse dans le corps caverneux. On avait même nié qu'elle le fut le moindrement , et on avait dit que les muscles iskio- caverneux, loin d'élever la verge, la tiraient en bas et en arrière : mais on était en ceci tombé dans un extrême in- verse. Evidemment les muscles iskio et buibo- caverneux portent la verge en haut et en avant, surtout dans le pre- mier temps de l'érection , quand l'organe est encore pen- dant; car, lorsqu'il est redressé tout-à-fait, ils la tirent en bas; et lorsqu'il est dans une situation moyenne, ils n'en changent pas la direction. 11 est sûr aussi qu'ils contribuent, par leur contraction , à l'érection , en exerçant une compres- sion directe sur le corps caverneux dout ils embrassent les racines , et en pressant la veine honteuse contre le ligament périnéal. Mais il faut reconnaître, d'abord que leur con- traction est convulsive; ensuite, que la compression de la veine honteuse a la moindre part à la congestion de sang qui constitue l'érection.

Aujourd'hui, cette congestion est dite active, et est attri- buée à l'irritation que développe le tissu érectile du corps caverneux. Cette irritation est, en eflet, ce qui commence le phénomène, comme le prouve la sensation de volupté qui le précède et l'accompagne. La dilatation du tissu érectiie, et l'afflux du sang dans son intérieur, ne viennent qu'en-

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suite , et coïncidemment; et, par exemple, l'afflux du sang est si peu la cause de la dilatation, que celle-ci souvent le précède. D'ailleurs , toute irritation n'a-t-eîle pas pour effet d'appeler plus de sang dans l'organe qui en est le siège? et n'est-ce pas surtout un phénomène propre au tissu érectile ? ce tissu n'a-t~il pas une organisation telle qu'il peut, ou se dilater sous l'influence d'uue irritation , ou permettre l'accès d'une quantité plus grande de sang en son parenchyme? On peut presque considérer l'érection comme une sorte de phlegmasie, mais qui n'est que passagère, et qui permet au sang, dont l'afflux a produit la congestion , de retourner sans désordre dans le torrent circulatoire. Nous n'avons pas besoin de dire que la membrane fibreuse externe du corps caverneux est étrangère à l'action; remplissant un pur office de conten- tion , elle sert seulement à contenir l'érection en de justes bornes. C'est le tissu érectile du corps caverneux, et celui de la partie spongieuse de l'urèthre et du gland, qui seuls l'effectuent : peut-être cependant il y a aussi redressement spasmodique des lames que la membrane externe envoie dans l'intérieur du corps caverneux, pour soutenir les ramifications vasculaires. Jadis, on croyait que le sang qui a afflué était épanchédansdescelîuîes, etparconséquentétait hors des vais- seaux ; mais c'était dans le temps l'on n'avait pas saisi la véritable disposition du corps caverneux, lorsqu'onavait mé- connu que ce corps caverneux consiste spécialement en des plexusveineux. Aujourd'hui, on reconnaît que le sang est seu- lementaccumuiédans ces plexus veineux ; M . Cuvier, en injec- tant la verge de l'éléphant, MM. Chaussier, Béclard, par des injections sur l'homme, s'en sont assurés. Dans l'idée que le sang qui cause l'érection est dans des cellules et hors des vais- seaux, comment concevoir d'ailleurs la promptitude avec laquelle cette érection disparaît ? On s'est demandé si la con- gestion du sang tient, ou à un afflux plus grand de ce liquide par les artères, ou à un spasme et à une diminution d'action des veines, qui conséquemment en exportent moins, ou à ces deux causes à la fois. M. Cuvier professe cette dernière opi- nion , en ajoutant cependant que le spasme des veines doit y avoir la plus grande part; il se fonde sur ce que ce sont les

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veines qui prédominent dans la structure du corps caver- neux, et sur ce que c'est surtout aux veines que se terminent les nerfs qui sont les conducteurs de l'irritation mentale. Sans doute il faut bien une action spéciale de ces veines, puisque ce sont elles qui forment plus particulièrement le tissu érectile du corps caverneux, et que c'est ce tissu érec- tile qui, en vertu de l'irritation dont il est le siège, ap- pelle en lui le sang; mais cet appel prouve que le sang arté- riel doit affluer aussi en plus grande quantité, et tous les autres phénomènes qui accusent, dans cet acte d'érection, une exaltation de la vitalité , en sont aussi la preuve.

Toutefois , par cette érection , le pénis a acquis la solidité qui lui est nécessaire pour effectuer son introduction dans le canal vulvo - utérin , malgré les résistances physiques que peut présenter ce canal.

Mais pendant le séjour que cet organe fait dans les parties de la femme , il faut que soit excrété le sperme qui doit ef- fectuer la fécondation ; et voici le mécanisme de cette excré- tion. L'introduction du pénis étant forcément accompagnée de frottements, qui sont l'occasion d'une sensation tactile voluptueuse, l'état d'érection persiste. L'excitation évidente dans laquelle est cet organe se propage au reste de l'appa- reil. D'un côté, le testicule augmente sa sécrétion, comme le font les glandes salivaires , lorsque la présence d'un ali- ment dans la bouche les excite; dès lors le sperme arrive avec plus d'abondance aux vésicules. On croit d'ailleurs que ce testicule est alors soulevé, rapproché de l'anneau , comme secoué par les contractions convulsives sympathiques du dartos et du muscle crémaster, et que le sperme qui remplit ses vaisseaux intérieurs est alors poussé mécaniquement vers les vésicules. Au moins , par ce soulèvement du testicule, le canal déférent est devenu moins long et moins flexueux. D'autre part, l'excitation saisit la vésicule elle-même; ce réservoir se contracte , et projette, par le canal éjaculateur, le sperme dans l'urèthre. Est-ce une contraction brusque, énergique , qu'effectue la vésicule ? ou seulement une ré- traction lente , en vertu de laquelle le sperme serait amené doucement dans l'urèthre, le dardemeiit de ce fluide ne se

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faisant qu'au-delà ? On ne peut rien assurer; mais comme la vésicule n'a dans sa texture rien de musculeux, qu'on ne peut, déterminer en elle artificiellement aucune contraction forte , et qu'enfin une sensation de plaisir qui augmente progressivement semble marquer le passage graduel du sperme dans l'urèthre , le dernier fait paraît être le plus probable. Toutefois , le sperme arrivé dans l'urèthre porte , par sa présence, ce canal au plus haut degré d'orgasme ; cet urèthre se rétracte avec énergie ; les muscles iskio et bulbo- caverneux , transverse du périnée et releveur de l'anus, en- trent sympathiquement dans une contraction convulsive ; en même temps que les premiers maintiennent le pénis re- dressé et dans une direction qui est en rapport avec l'orifice de l'utérus au fond du vagin , ils concourent à exprimer l'urèthre le sperme qui y est parvenu; et, par le concours de toutes ces puissances , ce fluide est dardé, projeté au loin, avec une sensation de volupté qui est la plus vive de toutes celles que l'homme peut éprouver. Tout l'appareil est dans un état d'orgasme extrême; l'urèthre a revêtu une sensibi- lité qui lui est nouvelle; dans tout autre temps, l'excrétion du sperme ne procurerait pas la même sensation de plaisir; la volupté ressentie est telle, que l'homme est mis momen- tanément hors de lui-même, et comme jeté dans une con- vulsion générale. L'excrétion ne se fait pas d'une manière continue, mais par jets, par saccades. Remarquons encore en passant la bonté de la nature, qui, ici comme dans la nutrition , a attaché une vive sensation de plaisir à l'accom- plissement de l'acte qui était pour elle et pour nous d'un si grand intérêt. La quantité de sperme qui est projetée a été évaluée à deux gros ; mais nécessairement ceî a doit varier selon le degré d'exaltation avec lequel l'acte s'accomplit, selon la constitution individuelle, le temps qui s'est écoulé depuis le dernier coït. On s'est demandé si les vésicules séminales se vident en entier, ou si elles conservent encore un peu de sperme? on ne peut le savoir; ce qu'il y a de sûr, c'est qu'une seconde copulation peut suivre d'assez près une pre- mière. En même temps que le sperme est excrété, les sucs de la prostate et des glandes de Cowper le sont aussi : la

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projétion de ceux-ci s'observe même dès les premiers temps de l'érection, et précède l'éjaculation proprement dite. Toute cette scène s'accomplit assez rapidement , surtout l'excrétion spermatique. Cependant chez certains animaux, ceux sur- tout qui n'ont pas de vésicules séminales, elle comporte un temps assez long; et. par exemple, c'est pour que le sperme ait tout le temps d'être déposé dans les parties de la femelle , que chez le chien, qui n'a pas de vésicules séminales, le pénis, une fois introduit, se gonfle de manière à ne pouvoir plus être retiré que lorsque l'excrétion du sperme achevée en fera cesser l'érection.

L'éjaculation spermatique effectuée , l'éréthisme du pé- nis cesse, les parties reviennent lentement à leur état naturel, et le rôle de l'homme dans la génération est ac- compli : cet être éprouve un sentiment général de lan- gueur, d'abattement et souvent de tristesse, comme s'il sentait qu'il vient de donner l'être à ses dépens, et qu'il a diminué son fonds de vie.

§ III. Office de la femme dans la Copulation.

Chez la femme, les parties extérieures de la génération sont disposées de manière à permettre mécaniquement l'in- troduction du pénis; il n'y a pas besoin chez elle de ce phénomène de Férection , que nous venons de voir être un préalable indispensable pour l'homme ; la vulve laisse libre l'entrée du canal vuWo- utérin. Ce n'est pas cepen- dant qu'il n'y ait à l'introduction du pénis des difficultés physiques plus ou moins grandes. Ces difficultés tiennent , à la présence de la membrane hymen, à l'étroitesse naturelle du vagin, à la turgescence du tissu érectile qui garnit l'in- térieur de la vulve et du vagin , turgescence qui se fait alors par les mêmes influences voluptueuses que l'érection chez l'homme, à la contraction du muscle constricteur de la vulve : ces difficultés sont grandes surtout aux premières approches, et tellement que ces premières approches sont généralement douloureuses pour les. deux sexes, accompa- gnées de quelques déchirements et d'écoulement de sang,

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cruenta Venus. Mais c'est à l'homme à vaincre ces difficul- tés physiques ; elles ne sont pour la femnie qu'une occasion de douleurs. Du reste , elles entraient dans le plan de la nature; d'un côté, elles piquent moralement l'homme et augmentent son ardeur ; d'autre part , le pénis une fois in- troduit dans le vagin , est mieux embrassé par ce canal; les frottements qu'exercent sur lui les rides qui en hérissent la surface interne, entretiennent mieux son excitation. D'ail- leurs ^ ces résistances ne sont que légères; il y a rapports de grandeur, de calibre entre le pénis et le vagin; et les mu- cosités qui suintent de la surface interne de celui-ci, l'ex- pansibilité dont est susceptible ce canal , permettent tou- jours de les vaincre.

Mais si, à l'égard de cette introduction , la femme paraît être passive, elle ne l'est pas dans le reste de l'acte; elle participe de l'orgasme voluptueux de l'homme. Ainsi que nous l'avons dit , il y a turgescence érectile du clitoris et de tout le tissu spongieux qui tapisse l'intérieur de la vulve et du vagin; cette turgescence se fait par le même mécanisme quel'éreclionchez l'homme, et par les mêmescauses, savoir, l'influence mentale du désir , et la stimulation exercée par l'approche elle-même. Le spasme voluptueux se continue pendant tout le temps du rapprochement, et, augmentant graduellement, il arrive à un si haut degré, que la femme est jetée dans un état convulsif et extatique , semblable à celui qu'a présenté l'homme lors de l'émission du sperme. Il se fait probablement alors dans les ovaires et les trompes quelques mouvements que nous chercherons à caractériser a l'article de la conception, et qui sont les analogues de ceux qu'ont présentés chez l'homme les vésicules séminales et l'urèthre. Il est certain au moins, que la volupié vive qu'éprouve alors la femme ne tient pas au contact du sperme qui est projeté , mais au jeu même de ses organes; car il est possible que les moments auxquels les deux individus éprou- vent le plus grand spasme ne coïncident pas. Il est certain encore qu'il n'y a pas chez la femme d'éjaculation sperma- tique; et les fluides que quelques femmes excrètent alors ne sont que de simples mucosités vaginales.

64 FONCTION DE LA GÉNÉRATION.

On peut donc, à la rigueur, faire dans le rôle de" la femme pour la copulation, le même partage que dans les acles par lesquels l'homme l'a accomplie. Observons cepen- dant que les femmes présentent ici beaucoup de variétés; chez les unes, cet acte est accompagné de sensation déplai- sir; chez d'autres, il est sans jouissance aucune , ou même douloureux. Jadis une thèse fut soutenue sur cette ridi- cule question : Est ne f démina viro salacior? Généralement dans toutes les espèces animales le mâle est plus ar- dent que la femelle, et cela est vrai aussi de l'espèce hu- maine. On a demandé lequel des deux sexes éprouve dans le coït plus de volupté , comme si l'on pouvait comparer des sensations qu'autant qu'on les éprouve soi-même. Après le coït , la femme a le même sentiment de faiblesse, de lan- gueur et de tristesse que l'homme.

ARTICLE II.

De la Conception ou Fécondation.

La copulation , dont nous venons de traiter , est le seul acte génital qui, comme commençant la reproduction , soit laissé à notre volonté, Tous ceux qui vont le suivre se pro- duiront irrésistiblement , et sans que nous en ayons con- science. C'est de même que dans la fonction de digestion ; la préhension de l'aliment était le seul acte volontaire, tous ceux qui ont fait suite se sont accomplis d'eux-mêmes , indépendamment de toute volonté et sans aucune percep- tion. Cette copulation, en outre, n'est qu'un acte prépara- toire de la génération; elle ne sert qu'à produire la fusion , le rapprochement des matières , quelles qu'elles soient, que fournissent l'un et l'autre sexe pour la formation de l'individu nouveau; c'est cette formation , qu'on appelle^e- condation , conception , qui est vraiment la chose impor- tante. En effet, dans beaucoup d'animaux, dans tous ceux chez lesquels l'œuf n'est fécondé qu'après avoir été pondu , il n'y a pas de copulation ; et dans les animaux , pour les- quels un accouplement est nécessaire , souvent il y a con-

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ception, bien que cet accouplement n'ait pas eu lieu, ou n'ait été effectué que d'une manière incomplète. Il suffit que, d'une manière quelconque, y ait eu rapprochement des matières que fournissent l'un et l'autre sexe, pour qu'il en résulte formation de l'individu nouveau, ou du moins d'un corpsqui sera apte à ie constituer après un certain nombre d'évolutions, de métamorphoses déterminées. Or , c'est de cette formation, de la conception , de la fécondation , dont nous avons à nous occuper maintenant. Recherchons quelles sont les matières fournies par l'un et l'autre sexe , comment ces matières sont mises en contact, et comment de ce con- tact résulte l'individu nouveau.

D'abord, la substance que fournit l'homme, et par la- quelle il concourt à la génération , est évidemment le sperme; c'est en effet ce qu'il projette dans la copulation. Il excrète bien aussi les liqueurs de la prostate et des glan- des de Cowper , mais ces sucs n'existent pas dans tous les animaux, et probablement ils ne servent qu'à la lubréfac- tion des parties, ou à la dilution du sperme. Au moins, dans les fécondations artificielles que divers expérimenta- teurs ont faites, et dont nous devons parler ci-après, on a observé que le sperme, pour jouir de toute sa puissante fé- condante, avait besoin de dilution, d'être délayé , d'être étendu dans une liqueur. Au contraire , les testicules existent en tous les animaux, et leur ablation suffit pour produire la stérilité , bien que tout le reste de l'appareil génital sub- siste et puisse effectuer le coït. On peut d'ailleurs en appe- ler sur ceci aux animaux chez lesquels la fécondation s'ac- complit à l'extérieur; on voit en eux, qu'évidemment le sperme est projeté sur les œufs ; que , sans l'influence de ce sperme, il n'y a pas de fécondation , et que c'est par ce fluide seul qu'elle a lieu. Spallanzani examine comparati- vement, dans de l'eau très limpide et hors de l'eau, des grenouilles pendant qu'elles sont accouplées; il voit qu'au moment la femelle pond les œufs, le mâle lance, par une pointe gonflée qui sort de son anus , une liqueur trans- parente qui arrose ces œufs et les féconde. Pour avoir la certitude que c'est la liqueur projetée par le mâle sur les Tome IV. 5

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œufs , qui a effectué la fécondation , Spallanzani habille le mâle avec une culotte de taffetas ciré , et il observe alors, d'une part, que la fécondation n'a plus lieu, et , d'autre part, que la culotte est remplie d'assez de sperme pour qu'on puisse en recueillir. Enfin , Spallanzani imprègne un pin- ceau du sperme recueilli dans l'expérience précédente , et tous les œufs qu'il louche avec ce pinceau sont fécondés. Cette fécondation artificielle lui réussit, soit qu'il opère sur des œufs déjà pondus, soit qu'il agisse sur des œufs en- core renfermés dans l'oviductus, soit qu'il emploie le sperme pur ou mêlé à d'autres liquides , du sang, de l'urine , de la bile , du vinaigre , etc. Trois grains de ce sperme lui ont suffi pour spermatiser et rendre fécondante une livre d'eau; il suffisait pour la fécondation , d'un globule de cette eau, qui ne devait contenir qu'un 2,994,687,500e de grain. Ce- pendant , au-delà d'un certain degré d'extension du sperme, il vit diminuer la puissance fécondante , à mesure qu'il augmentait la quantité du véhicule. Déjà Jacobi avait fé- condé artificiellement des œufs de poissons, en exprimant sur eux la laite des mâles. Comme on pouvait objecter la grande différence qui existe entre les batraciens et l'homme, Spallanzani opéra sur un animal plus rapproché de notre espèce; il choisit une chienne de la variété des barbets , et qui avait déjà engendré plusieurs fois ; il l'enferma quel- ques temps avant l'époque du rut; il attendit qu'elle en présentât tout les signes , ce qui ne fut qu'après vingt-trois jours de réclusion ; et lui injectant alors dans le vagin et la matrice, à l'aide d'une seringue chaude à trente degrés, dix- neuf grains de sperme qu'il avait retiré d'un chien , il vit la ehienne au bout de deux jours cesser d'être en chaleur, et mettre bas , au terme ordinaire , trois petits , qui ressem- blaient à la fois et à elle et au chien qui avait fourni le sperme. Rossi de Pise , et Buffolini de Césène ont répété cette expé- rience avec le même succès. Enfin , MM. Damas et Pré- vost , dans une suite d'expériences nouvelles sur la généra- tion , ont aussi , avec du sperme , fécondé artificiellement des œufs de grenouille. Ayant délayé dans de l'eau le suc exprimé de plusieurs testicules, et y ayant ensuite plongé

DE LA CONCEPTION OU FECONDATION. 67

des œufs de grenouilles, ils ont vu ces œufs successive- ment se gonfler et se développer; d'autres œufs, plongés par comparaison dans de l'eau ordinaire, n'ont fait que se gonfler, et après quelques jours se sont pourris.. Dans leurs expériences, ces savants ont reconnu que le mucus dont les œufs de grenouilles se revêtent dans la seconde partie de Toviductus , sert à absorber le sperme , et à con- duire cefluide à la surface de l'œuf; que, pour réussir dans ces fécondations artificielles , il importe conséquemment que le sperme soit délayé ; s'il est trop concentré , son ac- tion est moindre. Ils se sont assurés enfin, que ce n'est pas seulement la partie aqueuse du sperme qui est absorbée, mais sa partie principale, puisqu'ils ont retrouvé des animalcules mouvants dans l'épaisseur du mucus, et jusqua la surface de l'œuf proprement dit: et nous verrons que ce sont ces animalcules qu'ils considèrent comme la partie agissante du sperme.

Il est donc certain déjà que le sperme est la matière four- nie par l'homme pour la génération. Ce oremierfait con- staté, recherchons jusqu'à quel point de l'appareil génital de la femme ce fluide est projeté, et en quel lieu il agit. L es physiologistes ont ici émis des assertions différentes , se- lon le système qu'ils ont adopté sur l'essence de la généra- tion. Selon les uns, le sperme ne parvient qu'à la partie supérieure du vagin, sans pénétrer dans l'intérieur de l'u- térus; et c'est parce que les vaisseaux du vagin l'absorbent et le portent par les voies de la circulation jusqu'à l'ovaire ou parce qu'il dégage une émanation spiritueuse qui se pro- page jusqu'à cet organe , qu'il accomplit la fécondation. Quel que soit , en effet , le trajet que parcourt le sperme , il faut qu'il agisse sur l'ovaire ; car nous allons prouver tout à l'heure que c'est à cet organe que se fait la fécondation. Selon d'autres , le sperme est dardé jusque dans l'utérus mais il ne va pas au-delà ; et c'est dans cet état que , se mêlant à la matière, quelle qu'elle soit, que fournit la femme, il accomplit la fécondation. Enfin, dans une troi- sième opinion , l'on dit que le sperme , porté par l'éjacu- lation jusque dans l'utérus , y est saisi par la trompe et

5.

68 FONCTION DE LA GÉNÉRATION.

est porté par cet organe, qui est alors en érection, jusqu'à l'ovaire, auquel sa portion frangée, son pavillon, sont alors appliqués.

De ces diverses opinions , la dernière est la plus vraisem- blable , pour ce qui est de l'espèce humaine au moins. Dans cette espèce, en effet , il est sûr, en premier lieu, que c'est à l'ovaire que se fait la conception ; les grossesses extra-uté- rines en sont la preuve. On a vu des fœtus se développer dans l'ovaire même; on en a vu le faire dans le ventre, les ovules ayant probablement échappé à la trompe au moment celle-ci, par son pavillon, les prend dans l'o- vaire pour les conduire à l'utérus ; on a vu enfin des gros- sesses de la trompe elle-même, les œufs s'y arrêtant et ne parvenant pas jusqu'à l'utérus. Nuck a une fois déterminé * cette dernière ; ayant appliqué sur une chienne , trois jours après son accouplement, une ligature à l'une des cornes de la matrice, il trouva deux fœtus arrêtés dans la trompe, entre la ligature et l'ovaire. Ces cas insolites prouvent que c'est à l'ovaire même que s'est formé l'individu nouveau ; s'il s'était formé à des parties moins profondes , il aurait être reporté à l'ovaire , et cela n'est pas probable , car , pour quel but le serait-il ? On sait , d'ailleurs , qu'il suffit qu'une poule soit cochée une fois pour pondre vingt œufs féconds; or ces œufs ne sont excrétés que l'un après l'autre ; ils n'ont pu conséquemment être fécondés qu'au lieu ils étaient réu- nis, c'est-à-dire à l'ovaire même. A la vérité , MM. Dumas et Prévost croient devoir conclure de leurs derniers tra- vaux , que le siège de la fécondation est l'utérus. Us se fon- dent sur les trois raisons suivantes ; 10 dans leurs expérien- ces 3 ils ont toujours trouvé le sperme remplissant les cornes de la matrice ; et n'est-il pas naturel dès lors de ne placer le siège de la fécondation , que le sperme est présent et a pu agir? dans les animaux dont les œufs ne sont fé- condés qu'après avoir été pondus, évidemment la féconda- tion se fait à un lieu autre que l'ovaire ; enfin , dans leurs expériences de fécondations artificielles, jamais ils n'ont pu féconder d'œufs pris à l'ovaire. Mais aucuns de ces argu- ments ne me semble une démonstration. Le premier n'est

DE LA CONCEPTION OU FECONDATION. 69

qu'un fait négatif; et dans une matière aussi délicate , est- on sûr de tout voir, de ne rien laisser échapper ? Haller dit avoir trouvé le sperme jusque sur l'ovaire; et c'est un fait positifà opposer aux observations négatives de MM. Dumas et Prévost. D'ailleurs, ces expérimentateurs disent que le pre- mier jour après la copulation , le sperme n'était qu'au mi- lieu des cornes utérines ; que ce n'était qu'après vingt-qua- tre heures qu'il était parvenu à leur sommet; ils disent l'avoir vu une fois jusque dans la trompe; or, ne sont-ce pas des indices du transport de ce fluide au-delà de l'u- térus? et, particulièrement, aurait-on jamais le trouver dans la trompe, si c'est à l'utérus que se fait la féconda- tion? Le second argument n'est qu'une analogie dont on peut contester l'application aux animaux supérieurs; d'a- près cette analogie , la fécondation ne se ferait pas même à l'utérus, mais en dehors de tous les organes. Quant au troisième argument , l'impossibilité de féconder des œufs pris à l'ovaire , d'abord MM. Dumas et Prévost conviennent n'avoir jamais pu détacher ces œufs sans les blesser , et cela a pu empêcher leur fécondation ; ensuite , Spallanzani a réussi à l'effectuer. Concluons donc que , dans les animaux supérieurs au moins , c'est à l'ovaire que se fait la féconda- tion; et dès lors se trouve ruinée déjà cette première opi- nion , qui plaçait le siège de cette opération dans l'utérus. En second lieu , il est également sûr que le sperme est projeté au-delà du vagin, et jusque dans l'utérus. En effet, dans le coït, l'extrémité du pénis est placée dans le fond du vagin, jusque contre l'ouverture de l'utérus; et que servi- rait le rapport entre ces deux organes , si ce n'était pour que le fluide projeté par l'un pénétrât dans la cavité de l'autre? On avait même ditquel'extrémitédupénis s'engageait lorsdu coït, dans l'orifice de l'utérus , mais cela est faux ; il est plus probable que l'orifice de l'utérus, alors à moitié ouvert, et dansun état de spasme, aspire le sperme. En second lieu, l'idée que le sperme est absorbé par les vaisseaux'du vagin, et va , par la voie de la circulation , influencer l'ovaire , est inadmissible. Enfin, on a des preuves directes de la pénétra- tion de ce fluide dans l'utérus; si Fabrice d'Jquapendente,

;o FONCTION DE LA GÉNÉRATION.

Harvej , disent ne l'y avoir pas trouvé, d'autres expéri- mentateurs ont été plus heureux; Ruisch l'a reconnu dans l'utérus d'une femme surprise en adultère par son mari, et tuée par lui; HallerYa. retrouvé dans la matrice d'une bre- bis tuée quarante - cinq minutes après l'accouplement; MM. Dumas et Prévost ont signalé ce même fait, et en avaient conclu , comme nous venons de le dire , que la fé- condation se faisait dans l'utérus.

Enfin, comme la conception a certainement lieu àl'ovaire, il faut, ou que le sperme soit, lors de la copulation, projeté, non-seulement jusque dans Tutérus, mais encore jusqu'à l'ovaire; ou que de l'utérus, ce fluide agisse sur l'ovaire , par un aura seminalis ; ou bien enfin que , par une action spéciale de la trompe, il soit conduit de Futérus à l'ovaire. La première de ces suppositions ne peut être admise ; cer- tainement, lors de l'éjaculation spermatique, le fluide ne va pas jusqu'à l'ovaire , ou du moins ce n'est pas par l'in- fluence du mâle ; les trompes ont trop d'étroitesse pour per- mettre d'une manière aussi mécanique la projétion du fluide. La supposition de Vaura seminalis n'est pas mieux fondée; car, dans les animaux chez lesquels la fécondation se fait à Fextérieur, on voit qu'il, y a contact direct du sperme; et Spallanzani et MM. Dumas et Prévost, dans leurs expériences de fécondations artificielles, ont reconnu que ce contact était nécessaire , et que ces fécondations n'é- taient jamais obtenues quand on soumettait seulement les œufs aux émanations du sperme. Voici l'expérience par la- quelle Spallanzani constata ce résultat : il prit deux verres de montre susceptibles de s'adapter l'un à l'autre; dans l'inférieur, il mit dix à douze grains de sperme, et dans l'autre une vingtaine d'oeufs; après quelques heures, la se- mence s'était évaporée au point que les œufs en étaient hu- mectés, et cependant ils ne furent pas fécondés ; ils le furent au contraire dès qu'on les eut touchés avec ce qui restait de la semenca. L'expérience de MM. Dumas et Prévost est en- core plus concluante. Ils préparèrent cinquante grammes d'une liqueur fécondante, avec le suc exprimé de douze testicules et d'autant de vésicules séminales ; avec dix gram-

DE LA CONCEPTION OU FÉCONDATION. 71

mes de cette liqueur ils fécondèrent plus de deux cents œufs. Les quarante grammes restants furent mis dans une petite cornue à laquelle on adapta une alonge ; on plaça dans celle-ci quarante œufs, dont dix occupaient la partie la plus creuse, tandis que les autres étaient placés près du bec delà cornue; l'appareil alors fut mis sous le récipient de la machine pneumatique , et on enleva assez d'air pour diminuer de moitié la pression atmosphérique; on dirigea ensuite sur la panse de la cornue les rayons solaires , la tem- pérature à l'intérieur s'éleva à 25 degrés; après quatre heures on arrêta l'expérience , et voici ce qu'on trouva : les œufs qui étaient au fond de l'alonge étaient baignés dans un liquide clair, qui était le produit de la distillation; ils s'étaient gonflés comme dans de l'eau pure; mais ils ne se développèrent pas; il fallut pour cela les plonger dans la liqueur qui était restée dans la cornue; les œufs qui étaient placés tout près du bec de la cornue n'éprouvèrent aucun changement. Ainsi, la partie de la semence qui avait été retirée par la distillation, n'était pas apte à féconder, tandis que celle qui restait avait conservé cette aptitude. Certes , ce fait est tout-à-fait opposé à la supposition d'un aura seminalis. Il faut donc que le sperme aille de l'utérus à l'ovaire , par la trompe. Or, voici ce qu'on croit : dans le spasme voluptueux qui existe lors de la copulation , la trompe s'érige , applique son pavillon à l'ovaire , et apporte le sperme à cet organe ; Haller dit qu'en injectant sur le cadavre les vaisseaux de la trompe , il a vu ce canal se com- porter ainsi; il dit avoir reconnu plusieurs fois, dans des lapines, le sperme dans les trompes et jusque sur l'ovaire* Qu'on réfléchisse d'ailleurs , combien il faut peu de sperme pour la fécondation , à juger par les expériences de Spallan- zani. Opposerait-on l'étroitesse des trompes ? mais dans les végétaux , ne faut-il pas que le pollen traverse les vaisseaux du style ? et ce «passage est-il moins étroit? On verra d'ail- leurs la trompe se dilater assez pour permettre plus tard le passage de l'ovule. Enfin , sans anticiper sur ce que nous avons à dire des animalcules sperma tiques , il n'est pas pro- bable , ai c'est un animalcule qui fait la fécondation, que

72 FONCTION DE LA GÉNÉRATION,

ce soit par une action de sa pain que cet animalcule gagne l'ovaire. Tout annoncedonc que c'est une action directede la trompe , qui conduit à l'ovaire la portion du sperme, quelle qu'elle soit, qui effectue la fécondation.

Maintenant il faudrait caractériser l'action qu'exerce ce sperme : mais auparavant, cherchons quelle malière fournit de son côté la femme. Ce n'est, ni de l'appareil de copula- tion, ni de celui de gestation , que provient cette matière , mais de l'appareil de gerniification. L'ovaire est en effet dans le sexe femelle l'analogue du testicule dans le sexe maie ; son ablation rend stérile aussi-bien que celle du tes- ticule; il en est de même de ses maladies; il est, de tous les organes génitaux, celui qui éprouve Jes plus grands changements à la puberté ; il prend alors tout à coup un tel accroissement, que son poids, qui égalait à peine dix grains, s élève jusqu'à deux gros; à sa surface apparaissent de petites vésicules , appelées vésicules de de Graaf, qu'on n y voyait pas auparavant , et que la plupart des physiolo- gistes considèrent comme devant fournir un œuf; il se flé- trit aussi , et disparaît presque à l'âge critique ; nous avons vu que c'était en lui que se passait la conception ; enfin ce sont les ovaires qui vont nous offrir les plus grands change- ments, immédiatement après un coït fécondant.

Fabrice d' ' Aquap en dente ayant tué des poules, peu de temps après qu'elles avaient été cochées, examina leurs ovaires, et vit que parmi les petits grains jaunes, ronds, qui, disposés comme une grappe de raisin, constituent ces organes, il y en avait un qui offrait une petite tache, dans lequel se développaient des vaisseaux, qui prenait du vo- lume, puis se détachait, était reçu par l'oviductus, se re- vêtait en traversant ce canal tortueux et le cloaque de di- verses couches etparticulièrement d'une enveloppe crétacée, et était pondu sous la forme d'œuf. Harvey expérimen- tant sur des biches, sur des femelles de daims , fit les mêmes observations , et dit positivement que l'ovaire fournit un œuf, et qu'il n'y a d'autres différences entre les animaux sous ce rapport, sinon que chez les uns cet œuf éclôt en de- hors après avoir été pondu, et que chez les autres il éclôt

DE LA CONCEPTION OU FECONDATION. 7 3

dans un réservoir de dépôt, dans une matrice. A l'appui de cette opinion , militait l'analogie des animaux chez lesquels la fécondation a lieu à l'extérieur, et dans lesquels ce que fournissent les femelles paraît être des œufs qu'avivent les mâles en les arrosant de leur sperme.

De Graaf, Malpighi , Valisnieri , H aller et beaucoup d'au 1res , multiplièrent alors les expériences de ce genre , soit pour vérifier cette assertion de la fourniture d'un œuf, soit pour découvrir en entier la série des changements qu'of- frent les organes, depuis le moment même de la conception jusqu'à la ponte de l'œuf ou la naissance de l'individu nou- veau. De Graaf expérimenta sur des lapines : une demi- heure après l'accouplement il n'aperçut rien encore , sinon que les cornes de la matrice lui parurent un peu plus rou- ges ; après six heures, les enveloppes des vésicules des ovaires lui semblèrent rougeâtres ; après un jour, évidemment trois vésicules à l'un des ovaires , et cinq à l'autre, se montrèrent altérées , étaient devenues opaques , rougeâtres ; après vingt- sept, quarante, cinquante heures , les cornes de la matrice et leurs conduits avaient acquis beaucoup de rougeur, et l'un des conduits embrassait l'ovaire ; après trois jours , l'extrémité supérieure du conduit embrassait l'ovaire, une vésicule était dans ce conduit, et deux dans la corne droite de la matrice ; ces vésicules étaient grosses comme des grains de moutarde, dix fois plus petites que lorsqu'elles étaient attachées à l'ovaire; elles étaient formées de deux mem- branes , et remplies intérieurement d'une liqueur limpide. Au quatrième jour, l'ovaire n'offrait plus qu'une espèce d'enveloppe , que de Graaf appelle follicule , et qui semblait être la capsule dans laquelle était l'œuf; celui-ci était alors dans la matrice, y avait déjà grossi , et ses deux enveloppes étaient bien distinctes. Y flottant jusqu'au septième jour, ce n'était qu'alors qu'il contractait avec cet organe une ad- hérence. Au neuvième jour, dans un point de la liqueur claire qui remplissait l'œuf, de Graaf commença à aperce- voir un petit point opaque , une espèce de nuage. Au dixième jour, ce point avait la figure d'un petit ver. Au onzième , on distingua en lui nettement l'embryon; et, à partir de cette

74 FONCTION LA. GÉNÉRATION.

époque, cet embryon alla croissant jusqu'au trente-unième

jour, qu'arriva le part.

Les travaux de Malpighi , de Valisnieri font reconnaître de même , qu'à la suite d'un coït fécondant , un corps se dé- veloppe, grossit à la surface de l'ovaire, puis se rompt pour laisser échapper un corps plus petit que saisit la trompe, et que ce canal conduit dans l'utérus. Il y a seulement dé- bats pour caractériser rigoureusement, ce qu'est le corps qui se rompt , et celui qui s'en échappe. Ce dernier est , selon les uns , un sperme analogue à celui du mâle ; selon les autres , un œuf; enfin, selon Valisnieri, Haigton , Baller , une substance amorphe , mais qui , par des développements suc- cessifs , deviendra l'individu nouveau.

Entre ces expérimentateurs se distingue surtout H aller y qui , faisant couvrir le même jour un certain nombre de brebis, de femelles d'animaux, les tue ensuite à des inter- valles de plus en plus éloignés du moment de la copulation , afin d'embrasser toute la série des changements par lesquels la vésicule est détachée de l'ovaire et conduite dans l'utérus. Une demi-heure après le coït , une des vésicules de l'ovaire lui paraît faire saillie , offrir sur sa convexité une tache rouge, sanglante, et être prête à se rompre. Après une heure et plus, la vésicule est rompue, et son intérieur est comme saignant, enflammé. Graduellement, ce qui reste de la vé- sicule à l'ovaire, et qui semble être son enveloppe, s'épais- sit , et se change en un corps de couleur jaunâtre , que Haller appelle, à cause de cela , corpus luteum. La fente par laquelle la vésicule s'est vidée , se voit encore quelque temps dans ce corpus luteum; mais vers le huitième jour, on ne l'y voit plus. Au douzième jour, ce corps pâlit, commence à diminuer; dès lors il continue de le faire jusqu'au terme de la gestation ; et il se réduit à la fin à un petit corps dur, jaunâtre, noirâtre, qui se laisse toujours distinguer dans l'ovaire , ou au moins laisse en cet organe l'empreinte d'une cicatrice. Quelquefois il persiste jusqu'après l'accouchement. Son volume est d'autant plus gros, qu'on est plus près de l'instant de îa conception. Dans la chienne, par exemple , au dixième jour, il a plus de grosseur que la moitié de l'ovaire;.

DE LA CONCEPTION OU FÉCONDATION. 7 5

cependant il ne provient que d'une seule vésicule. Dans les animaux multipares, il y a autant de corps jaunes que de fœtus.

Des physiologistes de notre temps, MM. Magendie, Du- mas et Prévost ont aussi reconnu les mêmes faits. M. Ma- gendie , opérant sur des chiennes , vit que trente heures après l'accouplement, les vésicules les plus grosses de l'ovaire avaient beaucoup augmenté; le tissu de l'ovaire qui les en- vironnait était devenu plus consistant, avait changé de couleur, était d'un gris jaunâtre. Cette partie était le cor- pus luteum; elle grossit les trois et quatre jours suivants , ainsi que les vésicules; elle semblait contenir dans ses aréo- les un liquide blanc, opaque, analogue à du lait. Alors les vésicules rompirent successivement la tunique externe de l'ovaire, et se portèrent à la surface de cet organe, lui ad- hérant cependant encore par un de leurs côtés ; leur volume était quelquefois celui d'une noisette ordinaire; rien en elles n'annonçait un germe. Leur surface était lisse , et leur intérieur rempli d'un liquide, mais qui ne se prenait plus en masse comme avant la fécondation. Pendant qu'elles étaient conduites dans l'utérus , le corps jaune restait à l'ovaire, et s'y comportait ainsi que l'avait dit Hallcr.

Selon MM. Dumas et Prévost, rien n'apparaît encore dans les ovaires le premier jour qui suit la fécondation ; mais dès le deuxième jour, on voit plusieurs de leurs vésicules aug- menter en dimension , et elles continuent de le faire pen- dant les quatre ou cinq jours suivants , de telle manière que de deux à trois millimètres de diamètre qu'elles avaient, elles arrivent à en avoir huit. Du sixième au huitième jour, les vésicules se rompent, et laissent échapper un ovule, qui le plus souvent a été inaperçu , parce qu'il n'a qu'un demi-millimètre de diamètre , mais que le microscope a fait voir nettement aux expérimentateurs dont nous rapportons les travaux. Jls appellent cette partie ovule, par opposition à la partie qui s'est développée dans l'ovaire , et qu'ils nom- ment vésicule. Celle-ci offre alors à sa surface externe une fente sanglante, dans laquelle on peut glisser un stylet; et par ce moyen l'on constate que cette vésicule offre alors une

7 6 FONCTION DE LA GENERATION,

cavité intérieure, qui est le vide qu'a laissé l'ovule en pas- sant dans la trompe et la matrice. C'est au huitième jour, dans la chienne , que se fait le passage de l'ovule dans l'uté- rus ; tous les ovules ne passent pas en même temps , chacun ne traverse la trompe que successivement, et cela comporte un intervalle de trois à quatre jours. Arrivés dans la ma- trice, ils y sont d'ahord libres et flottants; examinés à un microscope qui grossissait douze fois les objets , ils ont paru être une petite vésicule remplie d'un liquide albumineux transparent. Observés dans l'eau , ils présentaient à leur sur- face supérieure une apparence mamelonnée , avec une tache blanche sur le côté; cette tache blanche est la cicatricule. Bientôt ces ovules ont grossi , et au douzième jour on a pu reconnaître en eux les fœtus.

De tous ces travaux, on a généralement conclu , que le sperme , porté par la trompe à l'ovaire , a touché une ou plusieurs des vésicules de cet organe ; que par suite ces vési- cules d'abord se sont gonflées, puis ont brisé leur enveloppe; qu'alors elles ont laissé échapper un corps quelconque, qu'on a généralement considéré comme un œuf, et qui aété conduit à l'utérus, pour y être le rudiment de l'individu nouveau. À l'ovaire est resté le débris de la vésicule, ce qui était la cupule, le péricarpe de l'ovule. Puisqu'en effet c'est à l'o- vaire que se fait la conception, et dans l'utérus qu'a lieu la grossesse, et puis qu'il n'y a que la trompe qui puisse conduire d'un de ces organes à l'autre, il faut bien admettre que ce canal , dans un premier temps , a porté le sperme à l'ovaire , et, dans un second, a transporté le corps quelconque que fournit l'ovaire dans l'utérus. On en a d'ailleurs des preuves multipliées : dans le spasme de la génération , toujours le pavillon de la trompe s'applique à l'ovaire; de Qraaf, dans ses expériences, l'a trouvé y adhérant encore vingt-sept heu- res après l'accouplement ; pourquoi cette application, si ce n'est pour porter et prendre tour-à-tour quelque chose à cet ovaire ? M. Magendie a vu l'extrémité de la trompe appli- quée à une vésicule. Les grossesses abdominales et tubaires sont surtout un fort argument; si le pavillon de la trompe laisse échapper la vésicule qu'il a saisie, il y a grossesse ab-

DE LA CONCEPTION OU FECONDATION. 77

dominale; si la vésicule s'arrête dans la trompe, il y a grossesse tubaire. Nous avons déjà cité cette expérience de Nuck , qui, ayant lié la trompe à une chienne, détermina chez cet animal une grossesse tubaire. Haiglon ayant coupé une des trompes à des lapines , et ayant fait ensuite couvrir ces animaux, vit qu'elles n'eurent de gestation qne du côté sain ; ayant fait cette section après Faccouplement , il vit que, s'il opérait dans les deux premiers jours, il prévenait la descente des ovules , mais que s'il n'opérait qu'après soixante heures , les vésicules avaient déjà traversé la trompe, et la gestation avait lieu. Enfin , on a une observation cu- rieuse d'un chirurgien appelé Bussières , qui a vu un sac ovoïde, gros comme une noisette , et contenant un embryon, qui était à moitié déjà engagé dans la trompe , et à moitié encore adhérent à l'ovaire. En vain opposera-t-on l'étroitesse de la trompe ; M. Magendie a vu une fois ce canal ayant ac- quis, dans ce cas , jusqu'à un demi-pouce de diamètre. Ce n'est pasdansle moment même de la copulation que sefaitce pas- sage; tout au plus alors la trompe conduit le sperme; cen'est que plus tard que ce canal conduit l'ovule. L'époque , dit-on , diffère selon les espèces d'animaux; c'est au troisième jour après la copulation, dans les lapines; au cinquième jour , dans ^bs chiennes ; plus tard encore dans les femmes, M. Maygrier dit avoir observé un avortement de douze jours, et dont le produit consistait en une vésicule tomenteuse à sa surface , et pleine d'un liquide transparent. Il y a cependant, dans la thèse de M. Lallemand 3 une observation qui pourrait faire croire que la vésicule de l'ovaire est saisie lors du spasme qui accompagne l'acte de la copulation ; une femme succombaau septième mois d'unegrossesse extra -utérine; elle avait raconté qu'ayant été surprise, à l'instant du coït, par un indiscret, elle avait éprouvé tout à coup une douleur à l'ab- domen, à l'endroit même se trouva par la suite le fœtus : d'où il semblerait que l'impression morale qu'éprouva la femme fit cesser tout à coup l'érectilité en vertu de laquelle la trompe saisissait la vésicule, et que celle-ci dès lors tomba dans le ventre. Mais ce récit n'a peut-être été fait par cette femme qu'après l'événement, et il ne suffit pas pour contre-

78 PONCTION DE LA GÉNÉRATION.

balancer tous les faits qui portent à croire que ce n'est que

tard que la vésicule quitte l'ovaire.

Plusieurs questions se présentent ici. D'abord , par quel mécanisme agit la trompe , soit pour conduire le sperme de l'utérus à l'ovaire, soit pour transmettre lavésicule de l'ovaire àl'utérus?On a dit que ce canal était de texture musculeuse, et contractile à volonté : ces deux assertions sont également fausses; il est plus probable que cet organe opère par une action d'érectilité provoquée par l'orgasme, dans lequel sont alors toutes les parties génitales.

Eu second lieu, est-ce le hasard qui décide celle des vési- cules de l'ovaire qui est fécondée? ou en est-il une qui , par une sorte de maturité, se prépare à la fécondation? Ce dernier fait paraît certain des ovipares. MM. Dumas et Prévost ont reconnu, non-seulement que les vésicules des ovaires des gre- nouilles étaient de diverses grosseurs; mais que les plus grosses étaient celles qui étaient pondues immédiatement , tandis que les plus petites ne l'étaient que dans les années subsé- quentes. Dans tous les animaux chez lesquels les œufs ne sont fécondés qu'à l'extérieur, et après avoir été pondus, ces œufs sont évidemment préparés pour la ponte. "Enfin , si dans les oiseaux, jamais les œufs ne peuvent être fécondée après la ponte, au moins celle-ci peut se faire d'elle-même, indépendamment de toutes approches; beaucoup d'oiseaux, quoique vierges , pondent. Mais se passe-t-il quelque chose d'analogue dans les vivipares ? Plusieurs physiologistes le croient. Déjà Buffon avait avancé que le corps jaune deHal~ 1er, au lieu d'être le débris de l'ovule, en était le rudi- ment; il disait que ce corps jaune était préexistant à la fécon- dation , et qu'il l'avait trouvé dans des filles vierges. Depuis , Cruiksanck a dit avoir signalé sur des ovaires de lapines vierges tous les changements relatifs à ce corps jaune; et Valisnieri, Santorini, Bertrandi , M. Home surtout , l'ont dit aussi de l'espèce humaine. Voici ce que professe ce dernier sur cette question. A la puberté, apparaissent tout à coup à la sur- face des ovaires, des vésicules qu'on n'y avait pas aperçues d'abord. Dans les femelles des animaux, au temps du rut, et dans les femmes, à des époques indéterminées, on voit

DE LA CONCEPTION OU FÉCONDATION. 79

tout à coup l'ovaire devenir vasculaire , et développer un corps jaunâtre , glandiforme , arrondi , très vasculeux , lobuleux,ouformé de circonvolutions mollasses qui saillent à sa surface comme un mamelon. Dans la femme etles animaux unipares, ce corps est unique et gros comme la quatrième ou cinquième partie de l'ovaire; dans les animaux multipares, il est multiple et petit à proportion. A un certain degré de grosseur, il se crève , et laisse échapper une substance qu'on ne connaît pas; la crevasse se remplit d'un sang qui se coa- gule; le tout ensuite est succesivement résorbé , et à la fin il ne reste sur l'ovaire qu'une cicatrice. Ces phénomènes se répètent à toutes les époques du rut chez les animaux , et dans tous les temps chez la femme jusqu'à l'âge critique. Pendant que des vésicules, par une sorte de maturité , se développent ainsi dans les ovaires , les trompes sont en tur- gescence , en érection ; leurs franges sont, appliquées à l'o- vaire , probablement pour recueillir ce qui échappera de l'intérieur de la vésicule; leur attache à l'ovaire est telle, qu'on les déchirerait plutôt que de les en séparer. Ainsi , les femelles des vivipares rejetteraient continuellement des œufs inféconds , comme celles des ovipares; et la fécondité dépendrait de la coïncidence de vésicules mûres avec la co- pulation. Ainsi , ce qu'on avait pris jadis pour des effets de la fécondation pourrait bien n'en être que les conditions. M. Home assure avoir trouvé dans des ovaires de femmes grosses, avec le corps jaune provenant de la fécondation qui avait donné lieu à la grossesse, plusieurs autres corps jaunes qui semblaient préparés pour les fécondations à ve- nir ; ceux-ci seulement différaient du premier en ce qu'ils n'offraient aucune déchirure , l'œuf étant encore dans leur intérieur. Haigton, dans son expérience de la section d'une des trompes pour empêcher toute gestation de ce côté, trouva cependant des corps jaunes sans déchirure dans l'o- vaire isolé.

Enfin , on s'est demandé si la vésicule , en traver- sant la trompe, ne s'est pas modifiée, n'a pas acquis quel- ques parties nouvelles * à l'instar de ce qui est des œufs des ovipares. Celui des batraciens se revêt. , dans Ja seconde par-

8o FONCTION DE LA GÉNÉRATION,

lie de la trompe, d'une couche de mucus épaisse d'un mil- limètre; ceux des oiseaux ne sont à l'ovaire composés que du jaune et de la cicatricuîe ou embryon; et c'est dans l'o- viductus et le cloaque qu'ils se revêtent des blancs et de l'enveloppe crétacée. Mais il est difficile de répondre à ce . fait pour ce qui regarde l'espèce humaine ; et d'ailleurs nous reviendrons là-dessus, en faisant l'histoire delà vési- cule elle-même et de ses développements.

Tel est l'état de nos connaissances actuelles sur ce que la femme fournit dans l'acte de la génération. Maintenant , il faudrait caractériser quelle espèce d'action exerce le sperme sur les vésicules de l'ovaire, et comment de cette action résulte l'individu nouveau. On sent que c'est dans cette double connaissance que réside le mystère de la con- ception. Or, on est en ceci dans une ignorance absolue : on ne sait rien, sinon que le contact du sperme est une con- dition nécessaire pour cette étonnante action. D'abord l'ac- tion est toute moléculaire, conséquemment échappe aux sens, et son résultat est ce qui seul annonce qu'elle a eu lieu. Ensuite l'essence de cette action n'est pas plus péné- trable que celle de toute autre; et tout ce qu'on peut en dire , c'est qu'à l'instar de toutes les autres actions de l'éco- nomie humaine , elle exige l'intégrité , la vie des parties qui l'accomplissent; et qu'opposée à toute action physique et chimique de la nature , elle doit être dite organique et vitale y et, partant, être déclarée inconnue. D'une part, il faut intégrité et du sperme et des vésicules de l'ovaire , pour que la fécondation ait lieu. D'autre part , il n'y a ici aucune application physique possible; soit qu'on admette la théorie dite de Y épigénèse 3 dans laquelle on croit que l'individu nouveau se forme de toutes pièces par le mélange de ce que fournit l'un et l'autre sexe; soit qu'on admette celle dite de Y évolution , dans laquelle l'un des sexes est dit fournir un germe , lequel, à la suite de divers développe- ments , constituera l'individu nouveau. Dans le premier cas, quelle force chimique peut-on invoquer? est-ce une précipitation, une cristallisation? Dans le second cas, est- il davantage possible de concevoir physiquement ou chimi-

DE LA CONCEPTION OU FÉCONDATION. 8l

quement, et ce qu'est un germe, et ce qu'est l'avive-* ment qui serait imprimé à ce germe? Il s'agit ici du passage de ce qui n'est pas vie à ce qui est vie; et ne con- naissant de la vie que son opposition avec la nature géné- rale, iguorant ]a modification qu'ont subie les forces gé- nérales pour produire les phénomènes vitaux , on doit ignorer ce qu'est le phénomène de la fécondation. C'est une action tout aussi inconnue , et encore plus incompréhen- sible que toutes les actions vitales que nous avons exami- nées jusqu'ici. Quelques efforts qu'aient fait les hommes pour la pénétrer, ils ne sont arrivés qu'à des conjectures plus ou moins spécieuses. Nous devons néanmoins rappeler brièvement les hypothèses qui ont été faites à cet égard; elles ont occupé trop de place dans la science pour que nous les passions sous silence ; et, d'ailleurs , elles nous serviront à approfondir davantage quelques faits.

Comme on le conçoit, les théories diverses sur la génération ont dépendre des idées qu'on a adoptées sur la nature du spermeet de l'opinion qu'on s'est, faite de la matière fournie par l'ovaire. Relativement au sperme, les uns Font dit un fluide formé des éléments de chacune des parties du corps hu- main, et destiné conséquemment à reformer chacune de ces parties; les autres l'ont considéré comme le véhicule d'ani- malcules destinés à devenir, à la suite de plusieurs métamor- phoses, l'individu nouveau, ou à en constituer l'élément principal, le système nerveux ; la plupart enfin l'ont dit un fluide, dont l'office unique était d'aviver un germe, d'imprimer à ce germe le mouvement de vie et de dévelop- pement. Relativement à la matière fournie par l'ovaire , mêmes dissidences : c'est une vésicule pleine d'un sperme , formé , comme celui du mâle, des éléments de chacune des parties du corps , disent les uns ; c'est une vésicule desti- née à servir de nid à l'animalcule spermatique, ou à lui fournir de la matière nutritive, disent les autres; ceux-ci en font une substance amorphe , mais ayant cette nature gélatineuse qui la rend apte à recevoir la cause de la vie, à développer le mouvement vital ; ceux-là en font un germe, un œuf préexistant dans la femelle, ayant l'aptitude à for-. Tome IV. 6

8a FONCTION DE LA GENERATION.

mer, sous l'influence fécondante du sperme , un individu semblable à celui qui l'a fourni. De , tant de systèmes divers sur la génération; on en compte plus de 200; mais tous peuvent être ramenés à deux, le système de Y épigénèse , et celui de {'évolution.

10 Système de l'éplgénèse. Dans ce système , on admet que l'individu nouveau est formé de toutes pièces , par le rapprochement de molécules qui avaient d'avance la dispo- sition propre à le constituer, ou qui soudain l'ont reçue. Une force, inconnue en elle-même, mais différente des forces géné- rales de la matière, puisqu'elle a pour résultat la création d'un être vivant, appelée tonr-à-tour force cosmique , plas- tique, essentielle, nisus formativus , force de formation , a présidé à ce rapprochement , et même a donné aussitôt à l'être nouveau toutes ses parties avec leur coordination et leurs propriétés. Du reste, les auteurs ont beaucoup varié dans la manière dont ils ont conçu l'épigénèse; d'autant plus qu'ils ont voulu faire l'application de ce système , non- seulement à la reproduction journalière des êtres vivants actuels, mais encore à leur origine première.

Ainsi, pour commencer par ce qui est de ce dernier ob- jet, rappellerons-nous cette théorie des philosophes grecs, Leucippe et Empédocle , qui disaient que l'univers avait été primitivement un composé d'atomes errants dans un vide infini, et que tous les corps qui y existent aujourd'hui ont été formés par la réunion fortuite de ces atomes? A raison du nombre infini de ces atomes, et des combinaisons également infinies qu'ils ont former, furent produits, il est vrai, beaucoup d'êtres incapables de prolonger leur existence ; mais il s'en forma aussi quelques-uns capables de pouvoir continuer de vivre , et ce sont ceux-ci que nous voyons aujourd'hui. Malgré l'absurdité de cette hypothèse, desmodernes l'ont accueillie: par exemple, Bourguet, qui dit que les cristaux décèlent un commencement d'organisation, et que les premiers êtres organisés ont été formés de même que ces cristaux, par une sorte de cristallisation et de pré- cipitation chimique. Tout ce que l'on sait de la différence des corps inorganiques et organiques, sous les rapports de

DE LA CONCEPTION OU FÉCONDATION. 83

îa structure et des actions , ne permet pas qu'on accueille ce rapprochement. Parlerons-nous de ces savants qui , par la supposition d'une force occulte, croient avoir surpris le secret du Créateur, et avoir franchi l'abîme qui arrête ici notre raison ? de Needham , qui admet, sous le nom de force végétative e , une puissance chargée de la formation et du gouvernement du monde organique ? de TVolf, de B lumen- bach , qui admettent de semblables forces , sous les noms de force essentielle , de nisus formatwus ? Il est trop évident que ces savants ne font qu'exprimer le fait , et que, res- tant sur la connaissance de la chose dans la même igno- rance, ils se sont payés d'un mot. Dans ces derniers lemos, M. Lamarck a abordé aussi cette question , et voici ses idées à cet égard. Les premiers êtres organisés furent formés de toutes pièces par une véritable génération spontanée ; ils durent l'existence à l'influence d'une cause excitatrice de la vie, probablement fournie par le milieu ambiant, et con- sistant dans la lumière et le fluide électrique. Dès que cette cause rencontra une matière de consistance gélatineuse., assez dense pour pouvoir retenir des fluides, elle l'organisa en tissu cellulaire, et un être vivant fut fait. C'est ce qui arrive encore tous les jours , dit le savant d'après lequel nous parlons, à l'estrémilé de chacun des règnes végétal et animal. Cet être dès lors manifesta les trois facultés de la vie, nutrition, accroissement et reproduction ; mais il ne les manifesta que dans les modes les plus simples. Bientôt il se compliqua, car le propre du mouvement vital est de tendre toujours à composer davantage l'organisation, à créer des organes particuliers, à diviser et multiplier les divers centres d'activité; et la reproduction ensuite conser- vant constamment tout ce qui avait été acquis, de cette manière se formèrent successivement des espèces nombreuses et diverses, jouissant de facultés de plus en plus étendues. Ainsi, dans ce système, la nature n'a créé directement que les premières ébauches de la vie ; ce n'est qu'indirec- ment qu'elle participe à l'existence des corps vivants plus composés; ceux-ci proviennent des premiers à la suite d'un temps énorme } de changements infinis, et d'une composi-

6.

84 FONCTION DE LA GÉNÉRATION,

tion toujours croissante dans l'organisatiou . la reproduc- tion conservant toutes les modifications acquises, tous les perfectionnements obtenus. Ainsi, un seul et même acte au- rait suffi au Créateur pour produire la série si variée des êtres vivants , et pour y ajouter encore. Mais il n'est pas de notre sujet de nous égarer davantage dans ces profondeurs; arrivons aux applications faites de l'épigénèse à la repro- duction des êtres vivants actuels.

Hippocrate admettait que chacun des deux sexes possé- dait deux semences, qui étaient l'une et l'autre le superflu de leur nourriture, et des fluides constitués par des maté- riaux provenant de toutes les parties de leur corps , et sur- tout des plus essentielles, des parties nerveuses : de ces deux semences , la plus forte engendrait les mâles , et la plus faible les femelles. Dans l'acte de la génération, ces semen- ces se mélangeaient dans l'utérus, et par l'influence de la chaleur de cet organe, formaient, par une sorte de cristal- lisation animale, le nouvel individu : celui-ci était un garçon ou une fille, selon que c'étaient les semences fortes ou faibles qui prédominaient. Hippocrate ne dit pas ce qui arrivait quand il y avait prédominance de la semence forte de l'un des sexes, et de la semence faible de l'autre. Cette hypothèse se réfute d'elle-même ; l'existence des deux se- mences dans l'homme est un fait faux; celle d'une semence dans la femme est justement ce qui est en question; cer- tainement au moins , la scène ne se passe pas dans l'utérus , mais à l'ovaire : que dire de cette idée qui fait provenir les semences de toutes les parties du corps? Tout, dans cette théorie, montre l'imagination faisant des suppositions, sans même s'inquiéter si ce qu'elle suppose est en rapport avec ce qu'on a pénétré des phénomènes.

Aristote est aussi peu positif. Ce n'est pas par une semence que la femme sert matériellement à la génération, mais par le sang de la menstruation ; ce sang est ce qui forme la base de l'individu nouveau , et c'est le principe de l'individu mâle qui lui imprime le mouvement vital et le façonne. Dans un style métaphorique , Aristote dit que le sang mens- truel est le marbre, le sperme le sculpteur, et le fœtus la

DE LA CONCEPTION OU FÉCONDATION. 85

statue. Si ces deux grands homme, Hippocrate et Àristote, n'avaient jamais procédé que de cette manière dans les sciences , ils n'auraient pas acquis les droits éternels qu'ils ont à notre reconnaissance et à notre admiration.

Beaucoup de modernes ont adopté la théorie à! Hippo- crate 3 en la modifiant seulement selon les idées scientifi- ques de leur temps. Ainsi, Descartes dit que c'est consécu- tivement à un mouvement de fermentation qui s'établit dans les semences de l'un et de l'autre sexe, que se forme l'individu nouveau. Paschal, admettant que la semence du mâle est acide , et celle de la femelle alkaline, dit que ces deux semences se combinent en raison de cette diversité de nature, pour constituer l'être nouveau. Mauperluis avance que dans chaque semence existent des parties propres à former chacun des organes du corps , et que , lors du mé- lange de ces semences dans la génération, chacune de ces parties s'attire et s'agrège par une sorte de cristallisation. Buffon lui-même, par son fameux système des molécules or- ganiques, ne fit que ressusciter les idées d: Hippocrate. Selon cet éloquent naturaliste , il existe dans la nature deux sortes de matières , une vivante et une morte. La première, à ja- mais permanente dans son état de vie, consiste en une infi- nité de petites particules incorruptibles, qu'il appelle mo- lécules organiques. Ces molécules, en se combinant en plus ou moins grande quantité avec la matière morte, forment tous les corps organisés; et sans jamais se détruire, elles passent sans cesse des végétaux aux animaux par la nutri- tion de ceux-ci, et retournent des animaux aux végétaux, par la mort et la putréfaction des premiers. Leur quantité dans l'univers est à jamais déterminée. D'un autre côté, les divers végétaux et animaux forment comme autant démoules divers dans lesquels se rassemblent les molécules organi- ques. D'abord, ces êtres ne font servir celles-ci qu'à se nourrir et se développer; mais quand ils ont acquis tout leur développement, ils renvoient en dépôt, dans leurs organes génitaux, les molécules organiques superflues, ce- pendant après que ces molécules ont, dans chaque partie du corps, revêtu la forme de cette partie. C'est ainsi que se

86 FONCTION DE LA GÊNÉ NATION,

forment les semences de l'un et l'autre sexe , et que ces semences sont des extraits de toutes les parties du corps. Enfin , comme ces semences ne peuvent à elles seules en- gendrer un individu nouveau, elles se mêlent dans la gé- nération; et alors, la même force qui assimilait ces molé- cules organiques aux parties du corps pour nourrir et faire croître celles-ci , les fait s'agréger pour constituer un être nouveau. Selon que dans le mélange prédominent les molécules du mâle ou celles de la femelle, le fœtus est un garçon ou une fille. Dans ce système, se nourrir, se déve- lopper et se reproduire , sont des effets d'une seule et même cause ; on s'explique pourquoi la génération n'est possible qu'après l'âge de développement: pourquoi son abus mai- grit et épuise; pourquoi, au contraire, les eunuques, les animaux mutilés sont plus gras. Si les foetus ressemblent tantôt à leur père, et tantôt à leur mère, c'est que tour-à- tour chacun de ces deux individus fournit plus de molé- cules organiques ; et si généralement dans l'espèce liumaine il naît plus de garçons que de filles, c'est que les femmes , généralement plus faibles, fournissent une semence plus faible aussi, ou en fournissent une moins grande quantité. Selon Buffbn , enfin, les animalcules sperma tiques ne sont que les molécules organiques, et la vésicule de l'ovaire, la capsule portative de la semence de la femme. Malgré tout le talent que ce grand écrivain mit dans l'exposition de ce système, il est trop contraire aux faits pour être adopté. Les molécules organiques sont une supposition gratuite; il n'y a pas deux matières dans la nature; la matière orga- nisée n'est que la matière générale que la vie a modifiée; et sans cesse on voit cette matière organisée se détruire, et au contraire la matière générale s'organiser. D'autre part , quelle idée vague que celle des moules formés par les divers végétaux et animaux! Est-il sûr que la vésicule de l'ovaire contienne une semence? Ces semences, surtout, sont-elles formées d'autant de molécules diverses qu'il y a d'organes particuliers dans le corps humain ? est la preuve d'une pareille assertion? Si cela est, pourquoi des individus qui ont éprouvé une mutilation quelconque engendrent-ils des

DB LA CONCEPTION OU FÉCONBATION* 87

enfants bien conformés ? D'où viennent dans ce cas les mo- lécules des parties nouvelles dont étaient privés les parents? D'où viennent celles qui forment les parties annexes des fœtus ?

20 Système de l'évolution. Dans cette autre théorie, il est dit que l'individu nouveau préexiste sous une forme quelconque dans l'un des sexes , et , qu'avivé par l'autre dans l'acte de la génération, il commence dès lors à éprou- ver la série des développements qui doivent l'amener à for- mer un individu indépendant. Les physiologistes n'ont pas moins varié dans l'exposition qu'ils ont faite de ce système; et l'on peut à son égard les partager en deux sectes, les ovaristes et les animalculistes .

Les ovaristes professent que ce que fournit l'ovaire est un œuf; et ils définissent l'œuf, une partie organisée, formée d'un embryon et d'organes particuliers destinés à servir à la nutrition et aux premiers développements de cet embryon, et apte à devenir, après une série de développements, un in- dividu semblable à celui dont elle provient. Tandis que les partisans de l'épigénèse faisaient remplir aux deux sexes un rôle également important dans l'acte de la génération, les ovaristes attribuent le premier rôle au sexe femelle , et disent que c'est plus particulièrement lui qui constitue les espèces. Il est certain qu'en beaucoup d'espèces animales, la reproduction n'exige qu'un seul individu, et alors il est plus naturel de croire cet individu femelle, que de le dire mâle. Ce système des œufs aduêtre inspiré par l'observation des nombreux animaux ovipares : chez ces animaux, ce que fournit la femelle pour lagénération est évidemment un œuf; et chez beaucoup d'entre eux, cet œuf est pondu avant le- rapprochement des deux sexes , <et est fécondé à l'extérieur. Il était dès lors naturel d'étendre par analogie cette dispo- sition aux autres animaux ; et c'est ce que Harvey fit le pre- mier quand il posa cet axiome : omne vivum ab ow. Plus tard, Stenon3 adoptant cette analogie, donna le nom d'o- vaires aux testicules des femelles; et ensuite les travaux suc- cessifs de de Graaf3 de Malpighi, de Falisnieri , de Bonnet. de Spallanzani , etc. , sur la vésicule fournie par l'ovairev

83 FONCTION DE LA GÉNÉRATION,

et sur la marche de cette vésicule à travers la trompe, et sur son arrivée dans l'utérus, parurent donner de ce sys^ tème une démonstration directe.

On invoquait d'ailleurs à son appui les considérations suivantes : i°\& préexistence du germe a la fécondation dans beaucoup d'êtres vivants. Dans les plantes , par exemple, la graine existe en rudiments dans la fleur , bien avant que le pollen , destiné à effectuer la fécondation , soit arrivé à sa maturité. L'œuf préexiste de même dans les oiseaux , à tel point que des oiseaux vierges pondent. Cela est encore plus évident dans beaucoup de poissons , dans les reptiles batra- ciens, chez lesquels l'œuf n'est fécondé qu'après avoir été excrété. Spallanzani , d'ailleurs, a signalé la présence de têtards dans des œufs de grenouilles non fécondés, elHaller a fait la même remarque dans l'œuf, à l'égard du poulet; du moins Hal/erdi vu que les œufs de poule non fécondés conte- naient un jaune , et comme le jaune, selon lui, n'était qu'une dépendance de l'intestin du fœtus, il en résultait que si le jaune préexiste, le poulet préexiste aussi. La partie nia* rite qu'offrent quelques espèces animales de voir une seule copulation féconder chez elles plusieurs générations succès-? sives. Ce fait extraordinaire est réel en certaines espèces. Par exemple, l'effet d'une fécondation s'étend chez les pu> cerons, jusqu'à neuf générations, et chez les monocles, jus- qu'à la quinzième. Or, pour que ces diverses générations aient pu ainsi être fécondées , il fallait bien, disait-on, que les germes dont elles proviennent préexistassent dans la première. Les emboîtements naturels et accidentels . L'oi- gnon de jacinthe offre déjà les rudiments de la fleur qu'il doit fournir; dans les bourgeons des arbres on signale, mais repliées sur elles-mêmes et beaucoup plus petites, les branches , les feuilles et les fleurs : dans les mâchoires de certains animaux, se voient les germes de plusieurs séries de dents; le volvoce, animal transparent, laisse voir dans son intérieur plusieurs petits emboîtés les uns dans les au- tres : qui n'a vu un œuf contenu dans un autre? enfin , on a trouvé déjà plusieurs fois des fœtus htrflpains dans des corps d'hommes; et nul fait de ce genre n'est plus remar-

DE LA CONCEPTION OU FÉCONDATION. 89

quabîe, et mieux constaté que celui de ce garçon de Ver- neuil , en Normandie , appelé Bissieu , qui vécut jusqu'à Vàge de quatorze ans, et dont M. Dupujtren a consigné l'histoire dans les bulletins de la Faculté pour l'année 1804. Les métamorphoses. Dans les insectes et les batraciens, qui sont les animaux qui nous offrent les métamorphoses les plus saillantes, on voit que les formes qu'ils nous pré-, sentent successivement sont évidemment emboîtées les unes dans les autres; par exemple, dans la chrysalide, se distinguent déjà les linéaments de la forme future du pa- pillon ; et dans la chenille se voyaient déjà ceux de la chrysalide : la grenouille aussi se laisse déjà voir sous la peaudu têtard. 5°Siles deux considérations précédentes ne fondaient que des analogies plus ou moins spécieuses, il n'en est pas de même des expériences de fécondations arti- ficielles, faites d'abord par Swammerdam sur clés grenouilles, par Ro'êsel sur d'autres reptiles , et que Spallanzani répéta ensuite avec tant de succès, comme nous l'avons vu; elles semblaient constituer une démonstration directe, d'autant plus que la quantité de sperme employée clans ces expé- riences paraissait trop petite pour former l'individu nou- veau, et pour être autre chose qu'un fluide d'avivement. Enfin, les ovaristes s'appuyaient sur les reproductions par- tielles qu'offrent plus ou moins tous les êtres vivants. Il est certain que tous les animaux peuvent plus ou moins repro- duire les par ties de leur corps qu'ilsont perdues ; ils le peuven t d'autant moins qu'ils sont plus élevés dans l'échelle. Ainsi, les mammifères et les oiseaux ne régénèrent guère que les pièces cornées de leurs enveloppes tégumentaires, les poils, les ongles, les plumes: déjà certains reptiles, les lézards, par exemple , reproduisent leur queue ; Les crustacés repoussent leurs pattes; le limaçon, sa tête; le ver de terre reproduit sa tète et sa queue; les étoiles de mer, les oursinset autres radiaires , régénèrent les filaments qui leur ont été arra- chés; enfin, dans le polype, cette puissance de reproduc- tion est portée au point, que cet être étant coupé en plu- sieurs morceaux, chacun de ces morceaux régénère ce qui lui manque , et devient un individu parfait. Pour expliquer

90 FONCTION DE LA GÉNÉRATION.

ces faits, les ovaristcs disaient que chaque partie avait en elle-même des germes destinés à la reproduire, et n'atten- dant pour cela que des circonstances favorables; et ils ap- puyaient cette singulière idée sur ce que Ton voit quelque- fois les parties perdues se reproduire doubles. Mais cet ar- gument est bien loin d'avoir la force des précédents, et même il peut, à meilleur droit, être invoqué par les secta- teurs de l'épigénèse.

Cependant on faisait aussi quelques objections à es sys- tème. 10 On objecta la ressemblance des fœtus avec les pères. Les ovaristes , à la vérité , expliquaient cette ressem- blance par l'influence qu'exerce le sperme fécondateur : ils disaient que, hors d'état de spécifier en quoi consiste cette influence, il leur était impossible surtout de la limiter et de fixer le terme auquel elle s'étend ; ils ajoutaient que la ressemblance avec les mères est encore plus fréquente et plus étendue. Mais il est quelques ressemblances qui sem- blent contredire l'idée d'un germe préexistant : par exem- ple , celles qui portent sur quelques monstruosités. On a vu des hommes sex-digitaires donner le jour constamment à des enfants également sex-digitaires. Faudra-t-il admettre, avec les ovaristes , des germes originairement monstrueux ? Certaines grossesses composées , doubles ou triples, ont paru l'être par la seule influence paternelle. On objecta le mélange possible des diverses espèces vivantes. Dans le rè- gne végétal , le mélange entre des espèces différentes est fré- quemment observé , et donne lieu à ce qu'on appelle des plantes hybrides. 11 en est de même dans le règne animal, quoique avec moins de fréquence et de généralité : on con- naît, dans notre économie rurale, le mulet et le bardot, qui sont des produits de l'âne et de la jument , du cheval et de l'anesse; des métis sont fréquemment obtenus chez les oiseaux, entre le serin et le chardonneret, par exemple. Enfin, si on marie une femme blanche avec un nègre , l'enfant est déjà un peu nègre; et si les générations successives de cette femme sont unies continuellement à des individus de la race nègre, leurs produits s'éloignent de plus en plus de leur souche primitive, et finissent par être des nègres parfaits.

DE LA CONCEPTION OU FÉCONDATION. 91

Or, ces faits , qui montrent tous la grande influence qu'ont les pères sur les qualités des fœtus, ne sont-ils pas autant de contradictions au système des œufs préexistants? Les ovaristes répondaient , d'abord, que ces accouplements ir- réguliers ne sont guère possibles qu'entre des espèces et des variétés fort rapprochées , et qu'on ne les a jamais observés entre des espèces un peu distantes, par exemple, entre l'homme et tout autre animal ; en second lieu , qu'ils ne sont pas dans le vœu de la nature, et exigent toujours, pour être obtenus, les efforts de l'homme; on ne voit pas, en effet , dans nos bois le lièvre et le lapin s'accoupler, mal- gré le rapprochement qui existe entre ces deux espèces; enfin, que si ces métis sont laissés à eux-mêmes, dans les générations successives , ils reviennent tous à la tige mater- nelle. Kolkreulher ayant fait des hybrides avec des espèces de nicotiane , des œillets, des jusquiames, a vu que, pour les empêcher de revenir à la tige maternelle, il fallait à chaque production nouvelle recourir à une aspersion nou- velle de pollen. Cette objection , d'ailleurs, rentrait dans la précédente, étant relative aussi à la grande influence exercée sur les produits par les pères; et cette influence, les ovaristes , loin de la nier, l'expliquaient par l'influence du sperme fé- condateur. 3° Enfin, à ce système des œufs préexistants, on a opposé, et on oppose encore aujourd'hui les changements, que la suite des siècles apporte sans cesse dans les espèces végé- tales et animales qui vivent à la surface de notre globe. Déjà Litmœus avait émis l'idée hardie, que de son temps il existait plus d'espèces de végétaux que dans les temps anciens, el qu'ainsi il s'était formé de nouvelles espèces végétales. Wilde- now a adopté cette idée de Linnœus. Bonnet, quoique sectateur zélé du système des œufs, a penséaussi que les espaces vivantes se modifiaient avec le temps. Enfin, aujourd'hui, M. La- marck professe que les végétaux et les animaux changent con- tinuellement par les influences des climats, des aliments, par les effets de la domesticité, parle croisement des races. Si les espèces actuelles nous paraissent constantes , c'est, dit-il, que les climats, et toutes les circonstances qui modifient ces espèces, n'agissent sur elles qu'après un temps énorme; et

92 FONCTION- DE LA GENERATION,

qu'ainsi il faudrait beaucoup de vies d'hommes pour assister à ces modifications et les constater. Selon lui , les effets bien- avérés des climats, des aliments, etc., sur les végétaux et animaux, ne permettent pas de nier théoriquement ces mu- tations; et ce qu'on appelle en histoire naturelle les espèces perdues, ne sont peut-être que nos espèces actuelles avant qu'elles n'eussent été modifiées. Cette opinion de M. La- marck est d'ailleurs en harmonie avec celle qu'il a émise relativement à l'origine des êtres organisés : le mouvement vital ayant , selon lui , pour attribut, de compliquer tou- jours de plus en plus l'organisation, il y a nécessité que les espèces aillent aussi en changeant sans cesse. Or , ce fait, s'il est vrai , est encore contradictoire à l'idée d'un œuf pré- existant. Mais les ovaristcs répondent que ce fait de la mu- tabilité des espèces est loin d'être rigoureusement démontré; qu'évidemment on peut reprocher à M. Laniarck quelque exagération , comme quand on le voit faire provenir de l'exercice presque toutes les parties de l'organisation des ani- maux; et qu'enfin, en admettant cette mutabilité des es- pèces , on peut concevoir que l'œuf préexistant est modifié aussi avec le reste du corps.

Du reste , les auteurs de ce système , les ovaristes , offri- rent entre eux trois principales dissidences. Les uns pro- fessèrent que les œufs ou germes étaient disséminés dans tout l'espace , et ne se développaient que quand ils rencon- traient des corps capables de les retenir et de les faire croître , c'est-à-dire qui fussent semblables à eux. L'univers actuel n'était que le développement de beaucoup de germes primitifs , formant dans leur ensemble un univers en petit. C'est ce qui fonda le système de la dissémination des germes, ou de la panspcrmie , que son absurdité a fait universelle- ment rejeter. Les autres établirent que les germes sont ren- fermés les uns dans les autres, et successivement tirés de leur torpeur, et appelés à la vie par l'influence de la li- queur séminale : de telle sorte que , non-seulement l'ovaire de îa première femme contenait les œufs de tous les enfants qu'elle a faiîs , mais encore qu'un seul de ces œufs contenait la race humaine tout entière. C'est ce qui constitue le

DE LA CONCEPTION OU FÉCONDATION. 9 3

système de V emboîtement des germes , dont Bonnet a été le plus ardent défenseur. Mais l'esprit, avec raison 3 s'effraie de cet emboîtement prétendu; en sera le terme? il sup- pose la matière divisible à l'infini; et si , pour échapper à cette dernière objection, on dit que les êtres vivants actuels doivent finir un jour, et qu'ainsi on doit à la fin arriver à des œufs qui n'en contiendront plus d'autres, ii reste tou- jours à dire comment la première reproduction s'est faite. Enfin, les plus judicieux des ovarisîes établirent que chaque individu fait ses œufs par une sorte d'action sécrétoire : le fait des générations gemmipares , dans lesquelles on voit la surface externe du corps pousser des bourgeons reproduc- tifs; celui des nombreuses reproductions de parties dans les divers êtres vivants, leur parurent confirma tifs de cette idée.

En 1 674, Ham eiLeeuwenhoeck, d'une part , et Hartsœker de l'autre, ayant découvert dans le sperme des animaux une quantité prodigieuse de petits corps mouvants, et qui leur paraissaient animés , cette découverte donna naissance à un nouveau système sur la génération, celui des animalcules spermaliqu.es. On admit que ces animalcules, à la suite de plusieurs métamorphoses , formaient l'individu nouveau. Tandis que dans le système de l'emboîtement, la première femme avait été dite contenir tout le genre humain, ici c était le premier homme qui contenait toutes les générations futures, l'animalcule spermatiqueé tant le germe préexistant , un petit homoncule organisé , dans lequel étaient renfermés tous les autres. À l'appui de ce système, on invoquait les raisons suivantes : 10 li existe des animalcules dans le sperme de tous les animaux, et, au contraire, on n'en trouve dans aucune des autres humeurs du corps; 20 ces animalcules diffèrent d'espèce à espèce , et, au contraire, sont toujours semblables dans le sperme d'un même animal et dans celui des individus d'une même espèce; ils ne se montrent dans le sperme de tout animal qu'à lage la génération est possible, et au contraire ils manquent dans le premier âge comme dans le dernier; 40 leur nombre est si considé- rable , que dans une goutte de sperme de coq, égalant à peine

94 FONCTION DE LA GÉNÉRATION.

en volume un grain de sable , il était de cinquante mille : et ce nombre prodigieux, qui est en rapport avec la prodigalité que déploie généralement la nature pour la reproduction de toutes les espèces vivantes, permet d'expliquer pourquoi Spallanzani , avec des atomes de sperme , a pu effectuer des fécondations artificielles ; enfin s on ne pouvait faire une objection de la petitesse de ces animalcules, car il n'y a pas plus de disproportion entre eux et l'animal qui en provient, qu'entre une graine et un grand arbre. Ainsi , L'animalcule spermatique fut présenté comme le rudiment de l'individu nouveau. Il ne s'agissait plus alors que de décrire les phé- nomènes , et, à défaut de l'observation , qui n'avait rien ap- pris sur eux, on imagina. Leeuwenhoeck dit que les animal- cules projetés dans l'utérus, y attiraient les œufs, et les y convertissaient en de véritables embryons. An dry professa qu'ils rampaient par la trompe jusqu'à l'ovaire ; qu'alors l'un d'eux pénétrait dans une des vésicules de cet organe, s'y enfermait, soit de lui-même, soit par l'action d'une soupape qui l'obligeait d'y rester, puis revenait avec elle dans l'utérus , pour y commencer ses développements au moyen de la substance nutritive que renferme cette vésicule. Mauperluis établit que les animalcules font prendre aux molécules de la semence leur place propre, voulant concilier ainsi ce système avec celui des séministes. Mais ces explica- tions étaient trop évidemment hypothétiques pour réussir. Spallanzani ne vit dans les animalcules spermatiques que des animaux infusoires ordinaires, et objecta avoir effectué des fécondations artificielles avec des guttules de sperme si petites , qu'elles n'en contenaient évidemment aucun ; Baf- fon les regarda comme ses molécules organiques; et un mé- decin de Montpellier, Plantade, dans une brochure qu'il publia sous le faux nom de Dalempatius , acheva de jeter tout discrédit sur ce système , en disant avoir vu ces ani- malcules se métamorphoser, et montrer déjà sous leur enveloppe les formes humaines.

Cependant MM. Dumas et Prévost viennent de ramener l'attention des savants sur les animalcules spermatiques. Non- seule ment ils en affirment Fexistence, mais encore ils

DE LA CONCEPTION OU FÉCONDATION. 9 5

les considèrent comme étant, dans le sperme , les agents di- rects de la fécondation. D'abord , à l'aide du microscope y ils les ont reconnus dans tous les animaux dont ils ont exa- miné le sperme, et nous en avons cité un assez grand nom- bre. Soit qu'ils examinassent ce fluide après son excrétion par un animal vivant , soit qu'ils fissent l'examen du sperme pris après la mort dans le canal déférent ou dans le paren- chyme du testicule, ces animalcules y étaient également fa- cilement apercevables. Ils les considèrent comme formant le caractère spécifique du sperme, parce qu'ils n'existent que dans cette humeur , et qu'ils manquent dans tous les autres liquides du corps, même dans ceux versés avec le sperme dans l'appareil génital, comme les sucs de la prostate , des glan- des de Cowper, etc. Semblables pour la forme, la grandeur, le mode de locomotion dans les divers individus d'une même espèce, ils ont au contraire , dans chaque espèce , des formes et des dimensions différentes. Ils n'éprouvent aucuns change- ments dans la série des organes génitaux , et sont aussi par- faits dans le testicule qu'au moment de leur excrétion; c'est à tort que Leeuwenhoeck avait dit en avoir trouvé qui lui paraissaient avoir des âges différents. Us étaient doués de mouvements spontanés, qui ne s'arrêtaient que graduelle- ment; après deux à trois heures, dans le sperme obtenu pendant la vie par éjaculation; après quinze à vingt minu- tes, dans celui pris après la mort, dans les vaisseaux; et après dix-huit à vingt heures, dans celui laissé après la mort dans ses propres vaisseaux. Pour les croire utiles à la géné- ration, il suffisait sans doute d'observer qu'ils n'existent que dans le sperme; mais combien le soupçon devient plus fondé, s'il est vrai qu'ils n'y existent qu'aux temps la fonction est possible ? Or, dans l'espèce humaine, le sperme n'en offre aucuns dans le premier ni le dernier s.ges; et, dans la plupart des oiseaux, ils ne se montrent dans cette humeur qu'aux époques fixées par la nature pour l'accouple- ment de ces animaux. Ces mêmes faits prouvent aussi que ces animalcules ne sont pas des infusoires , d'autant plus que ceux-ci manquent généralement dans les humeurs des êtres vivants. Il était remarquable d'ailleurs qu'ils étaient

96 FONCTION DE LA GENERATION,

liés à l'état physiologique de l'être qui les fournissait ; leurs mouvements étaient rapides ou languissants, selon que l'a- nimal qui avait fourni le sperme dans lequel on les obser- vait était jeune ou vieux, en état de santé ou malade. Enfin , outre ces diverses raisons , voici quelques faits et expériences qui portent MM. Dumas et Prévost à considérer ces animalcules comme les agents exclusifs de toute fécon- dation : Dans leurs recherches sur l'œuf des mammifè- res, ces savants ont vu les animalcules remplir les cornes de la matrice, et y rester vivants et mouvants, jusqu'à la des- cente des ovules dans cet organe; ce n'était qu'alors que ces animalcules graduellement se détruisaient et disparaissaient. Certainement les animalcules sont ce qu'il y a de plus notable dans la partie épaisse du sperme; et il a été prouvé plus haut que le sperme ne féconde que par celle-là, et non par aucune portion volatile, ni par un aura seminalis. Le sperme , après vingt heures , perd sa faculté fécondante ; et, dans ce même intervalle de temps, on voit les animalcules qui y existent cesser graduellement leurs mouvements et périr. De même que la liqueur recueillie du sperme dis- tillé ne féconde plus, tandis que ce qui est resté dans la cornue a conservé la propriété fécondante, de même la se- mence évaporée à siccité , puis délayée dans de l'eau , n'a plus fécondé. Enfin, daus deux expériences, MM. Dumas et Prévost n'ayant détruit dans le sperme que les animal- cules, ont par suite enlevé à cette humeur sa faculté fécon- dante. L'une de ces expériences a consisté à tuer, par l'ex-^ plosion suffisamment répétée d'une bouteille de Leyde , tous les animaux qui étaient dans une liqueur spermatisée, et dont on avait constaté auparavant la puissance fécondante. Dans l'autre expérience, on a versé, à plusieurs reprises, sur un filtre quintuple , de la liqueur spermatisée , jusqu'à ce que tous les animalcules fussent retenus sur le filtre ; et on a vu que, tandis que la liqueur filtrée ne pouvait plus effectuer de fécondation, la portion retenue par le filtre avait cette faculté. Déjà. Spallanzani avait fait cette dernière expérience, et en avait obtenu ce résultat; seulement ce savant ajoute qu'il effectua des fécondations avec l'eau dans

DE LA CONCEPTION OU FÉCONDATION. 97

laquelle furent lavés les papiers qui avaient servi de filtres. Enfin, MM. Dumas et Prévost, d'après ce qu'ils ont pu découvrir des premiers linéaments du fœtus , conjecturent que l'animalcule spermatique forme le système nerveux du nouvel être, et que l'ovule ne fournit que la gangue cel- luleuse dans laquelle se formeront les organes. Pour prévenir l'objection tirée des très petites quantités de sperme avec lesquelles Spallanzani et eux-mêmes ont fait des féconda- tions artificielles, ils ont, par une expérience positive, constaté la petitesse extrême des animalcules spermatiques : il ont délayé les vésicules séminales d'un mâle de grenouille dans dix grammes d'eau, et mettant ensuite une goutte de la liqueur sur un micromètre divisé en fractions de milli- mètres, ils se sont assurés qu'un cube d'un cinquième de millimètre de côté, contenait de cinq à six animalcules; et qu'ainsi il existait de trois à quatre cents animalcules dans un seul millimètre cubique de la liqueur.

Tout en applaudissant à ces travaux de MM. Dumas et Prévost, ils ne nous paraissent encore prouver que deux choses, savoir, l'existence des animalcules dans îe sperme, et la part active que ces animalcules ont dans la génération i mais ils laissent aussi ignorer comment celle-ci se fait, ce qui était le problème à résoudre. Nous nous taisons sur cette idée que l'animalcule forme le système nerveux du fœtus; MM. Dumas et Prévost ne la donnent eux-mêmes que pour une conjecture.

De ces nombreuses hypothèses créées pour expliquer la. génération , évidemment aucune ne satisfait un esprit sé- vère. D'un coté , comment appliquer l'épigénèse à la for- mation primitive de l'embryon humain ? On conçoit la for- mation de toutes pièces d'un corps composé de molécules toutes semblables, et ayant partout la même figure, la même nature; d'un cristal, par exemple. Mais dans un être vivant les molécules primitives ne sont pas identiques; chacune doit avoir dans l'ensemble de l'être une place dé- terminée ; l'être ne peut exister que consécutivement à leur coordination , et non par parties séparées ; est-il possible d'accorder de pareilles nécessités, soit avec un simple mé- TOME IV. * 7

rç8 FONCTION DE LA GÉNÉRATION.

lange des semences, soit avec un envoi fait par chaque partie du corps de molécules spéciales et aptes à former ces par- ties ? D'un autre côté, que d'objections contre le système de révolution ? Si la première femme ou le premier homme contenait tout le genre humain, chaque œuf de l'une, ou chaque homoncule de l'autre , devrait contenir à la fois deux espèces d'œufs ou d'animalcules spermatiques , les uns mâles et les autres femelles; les uns ne devant se déve- lopper qu'une fois, et les autres au contraire devant ren- fermer dans leur intérieur une suite indéfinie de généra- tions. Or, y a-t-il , dit Buffon , auteur de cette objection, la moindre probabilité dans une semblable supposition ? Dans le système de l'évolution , qu'on admette un œuf ou un animalcule, ce rudiment du nouvel être est dit contenir en raccourci, non-seulement toutes les parties de l'individu arrivé à son développement complet , mais encore tous les individus oui doivent eo provenir dans la suite des temps. Or, cette dernière idée, observe judicieusement M. La- marck , ne peut s'appliquer à ce genre d'êtres vivants qu'on appelle êtres composés ; et quant à la première , elle est contredite par les faits : quand on suit les phases diverses par lesquelles passent les organes dans la suite des âges, on se convainc que ces organes sont évidemment formés de toutes pièces , en vertu de lois , inconnues sans doute , mais qui les renferment en certains types déterminés. Enfin, dans ce système de la préexistence des germes, on ne fait, dit avec raison M. Geoffroi Saint-Hilaire , que reculer la difficulté; ou mieux, c'est déclarer , à l'aide d'une propo- sition contradictoire en elle-même, qu'elle n'existe pas. En effet, le problème à résoudre est le mode de formation d'un nouvel être vivant. Or, d'une part, supposer cet être préexistant, c'est déjà déclarer le problème nul; c'est sup- poser la chose faite de toute éternité, pour échapper à l'em- barras de dire comment elle se fait : c'est au moins ne faire que reculer la difficulté, ^ car dans cette hypothèse d'un germe préexistant, il reste toujours à dire ce qu'est l'in- fluence qui arrache soudain ce germe à sa torpeur et l'ap- pelle à la vie. D'autre part, que veulent dire rigoureuse-

DE LA CONCEPTION OU FÉCONDATION. 99

ment ces mots, préexistence du germe? D'un côté, préexis- tence exprime l'idée d'une existence qui est avant d'être , et il y a contradiction. D'un autre côté, le mot germe n'est pas bien précisé ; en vain dira-t-on que la vue d'une graine, d'un œuf, en donne l'idée; en vain définira-t-on le germe, la réunion d'une quantité quelconque d'éléments, qui avec d'autres qui sont puisés au dehors, forment par un travail intestin un corps organisé ; ce qui prouve qu'à ce mot on n'attache qu'une idée vague, c'est qu'on a successi- vement réduit ce qui est proprement le germe , à une partie de plus en plus petite de la graine, de l'œuf, à une partie tellement petite qu'elle n'a plus été vue, et n'a plus été presqu'une conception abstraite de l'esprit.

Ces objections au système de l'évolution ont paru tel- lement fortes que, malgré tout l'éclat dont a joui ce système dans le siècle dernier, la plupart des physiologistes de nos jours reviennent à celui de l'épigénèse, se bornant à expri- mer par ce mot que l'individu nouveau à son origine est formé de toutes pièces, mais avouant leur ignorance sur le mécanisme de cette formation. En effet, nous avons vu, d'une part, que plusieurs naturalistes croyaient, avec assez de vraisemblance, à l'existence de générations spontanées aux derniers degrés de l'échelle végétale et animale. Nous verrons, d'autre part, que le fœtus humain présente, dans la série de ses développements , les principales formes d'or- ganisation qu'offre la généralité du règne vivant. Or, n'est- ce pas un premier argument propre à appuyer, qu'à sa première origine il se fait par une génération spontanée, par conséquent de toutes pièces ? Un second argument est tiré du mode de développement des organes, qui évidem- ment consiste, non en une évolution, mais en une véri- table formation par l'aggrégation successive des molécules matérielles qui les composent? Mais les physiologistes de nos jours se bornent à cette généralité, et avouent leur ignorance sur le reste. Et en effet, s'ils avaient découvert le mystère de la génération, ils auraient pénétré le secret de la vie; et nous avons vu que jusqu'à présent toutes les ac- tions vitales nous sont inconnues, et que nous ne savons

7-

100 FONCTION DE LA GENERATION,

d'elles que leur opposition , ou au moins leur dissemblance avec les actions physiques et chimiques générales. Parmi les conjectures qui ont été faites, nous citerons les suivantes : M. Lamarck, croyant que la cause de la vie est matérielle et puisée dans l'élément ambiant, et qu'il se forme des êtres vivants toutes les fois que cette cause de vie, quelle qu'elle soit , rencontre uue matière gélatineuse demi-fluide, pense que c'est aussi de cette manière que se fait, à sa pre- mière origine , l'embryon humain: il ajoute que, de même que dans la suite des temps , les premiers êtres vivants s'é- taient compliqués graduellement de manière à former les êtres vivants actuels, de même aussi l'embryon humain , de ce premier degré d'organisation si simple, s'élève successi- vement à celui qui constitue son espèce. M. Rolando, sem- blablement à MM. Dumas et Prévost, exprime que l'indi- vidu nouveau résulte de la réunion du système cellulo- vasculaire fourni par la mère, et du système nerveux fourni par le mâle , considérant la substance amorphe qui provient de l'ovaire comme étant les rudiments des systèmes vascu- laire et cellulaire qui sont les premiers fondements de l'é- conomie, et l'animalcule spermatique comme étant celui du système nerveux. Mais c'est assez nous arrêter à toutes ces hypothèses; achevons l'exposition de ce que nous savons de positif sur l'acte de la conception.

La conception est un acte qui s'accomplit sourdement et sans être perçu. On a prétendu que quelques femmes recon- naissaient par un frisson, une douleur à l'ombilic, un trouble quelconque dans l'abdomen , qu'elles venaient tout à coup de devenir mères : mais outre que ces signes préten- dus sont des plus vagues , le plus souvent la conception se fait sans qu'on sente rien, et c'est un acte dont on a aussi peu conscience que de celui de la chimification.

C'est aussi un acte lout-à-fait indépendant de la volonté : on ne peut ni faire qu'elle ait lieu , ni influer sur ses pro- duits. La première de ces propositions est universellement avouée; telle femme qui désire des enfants ne peut en avoir; et telle autre devient enceinte à chaque rapprochement. Il y a cependant à cet égard une différence entre l'espèce hu-

DE JLA CONCEPTION OU FÉCONDATION. iOi

maine et les animaux. Chez ceux-ci la génération n'est pos- sible qu'à une époque déterminée de l'année; mais aussi presque toujours un premier accouplement est suivi de fé- condation , probablement parce que les organes génitaux de l'un et l'autre sexe, mais surtout ceux de la femelle, sont dans un état d'excitation convenable. Dans l'espèce humaine au contraire, la génération peut s'accomplir toute l'année ; les organes génitaux ont en tout temps le degré d'excitation convenable à l'accomplissement de la fonction, ou au moins peuvent momentanément l'acquérir; mais il arrive bien plus souvent qu'un rapprochement n'est pas suivi de fécon- dation, probablement parce que l'excitation des organes est moins grande. Du reste, les causes de la stérilité sont dif- ficiles à pénétrer, toutes les fois qu'elles ne résident pas en des obstacles physiques qui empêchent l'application du sperme à l'ovaire : on parle de mauvaises qualités dans ce sperme et dans les vésicules de l'ovaire, mais sans préciser ces mauvaises qualités : on dit qu'il faut un rapport entre ces deux matières , mais sans spécifier en quoi consiste ce rapport. Hippocrate disait que la fécondation était d'autant plus sûre, que les deux époux différaient plus l'un de l'au- tre par le tempérament; mais l'état particulier de l'appa- reil génital doit avoir plus d'influence ici que l'état général du corps. Ce qui paraît plus certain , c'est qu'il y a d'au- tant plus de probabilité pour la fécondation, que les deux individus éprouvent dans le rapprochement le même spasme, et que le pénis est plus en face de l'ouverture de l'utérus. Elle arrive aussi plus facilement quand l'approche a lieu après les règles, soit parce que l'utérus reste alors un peu plus ouvert , soit parce que tout l'appareil a conservé un reste d'excitation. Deux thèses ont été faites sur les ques- tions de savoir si les femmes les plus ardentes et les plus belles sont les plus fécondes : An quo salacior mulier, eo Jœcundior? Anformosœfecundiores? Les auteurs de l'une et de l'autre ont conclu négativement : on conçoit que la première de ces circonstances peut avoir une influence sur la fécondation; mais à coup sûr la seconde, c'est-à-dire la beauté, ne peut en avoir aucune.

102 FONCTION DE LA GENERATION.

Non-seulement c'est irrésistiblement que la conception a lieu ou n'a pas lieu, mais encore c'est indépendamment de toute volonté, que la grossesse est simple ou composée. Sans doute, la nature a réglé par avance le sort de chaque espèce animale à cet égard; elle a fait les unes multipares , et les autres unipares : mais les lois qu'elle a posées sous ce rapport sont susceptibles de quelques variations , et la vo- lonté ne peut rien sur ces variations. Les animaux multi- pares, par exemple, ne font pas toujours le même nombre de petits; et la femme, qui ordinairement n'accouche que d'un enfant, fait quelquefois des jumeaux. Tout en avouant notre ignorance sur la cause de ces variations , voici quel- ques observations faites à leur égard. Les jumeaux survien- nent une fois à peu près sur quatre-vingts grossesses. Les exemples de trois enfants sont plus rares : sur trente-six mille accouchements qui ont été faits dans une espace de temps donné à l'hospice de la Maternité, il n'y a eu que quatre grossesses triples. La femme d'un paysan moscovite , dont je vais parler tout à l'heure, a accouché plusieurs fois de quatre enfants; mais, sur cent huit mille accouchements qui ont été faits, dans un espace de soixante ans, tant à l'Hôtel-Dieu de Paris qu'à l'hospice de la Maternité, ce fait ne s'est pas présenté. On a parlé de grossesses de cinq en- fants et plus; mais tous les cas cités sont évidemment apo- cryphes. Auquel des deux individus doit-on rapporter les grossesses composées ? Les sectateurs de l'évolution croient que c'est à la femme; ils supposent que dans le coït plu- sieurs vésicules de l'ovaire ont été fécondées. Les fauteurs du système des animalcules les rapportent au contraire au père. On a des faits en faveur de l'une et l'autre opinion : certaines femmes ^ mariées successivement à plusieurs hommes , ont toujours eu des grossesses composées; et certains hommes ont présenté le phénomène inverse. À ce dernier propos, nous citerons les faits suivants : Ménage parle d'un homme appelé Brunet, dont la femme, en sept couches, fit vingt-un enfants, et qui , ayant abusé de sa ser- vante, la rendit enceinte de trois enfants. En **j'5>5., on présenta à l'impératrice de Russie un paysan appelé Jacques

DE LA CONCEPTION OU FÉCONDATION. io3

Kirnhof , marié en secondes noces , et âgé de soixante-dix ans; sa première femme avait fait cinquante-sept enfants en vingt-une couches, elle avait eu quatre couches de quatre enfants, sept de trois, et dix de deux; sa seconde femme avait eu déjà sept couches de trois enfants, et six de deux. Enfin , de même que nous ne pouvons pas faire que la conception ait lieu ou n'ait pas lieu, nous ne pouvons pas influer sur ses produits : par exemple, influer sur le sexe de l'enfant, non plus que sur ses qualités physiques et morales futures. A la vérité, quelques philosophes et médecins an- ciens, Anaxagore , Aristote, Hippocrate , croyaient que le testicule et l'ovaire droits fournissaient les rudiments des garçons, et que ces parties du côté gauche fournissaient ceux des filles; Démocrite, Pline, Columelle, disent même l'avoir expérimenté sur un bélier. C'est sur cette assertion que fut fondé l'art prétendu de procréer Les sexes àvolontè, art qui a de nouveau été préconisé de nos jours par le docteur Millot. Mais d'abord, en supposant vrai le fait sur lequel repose ce système, il faudrait pouvoir influencer ou faire agir de pré- férence ou tel ovaire ou tel testicule , et cela ne serait pas toujours possible dans le spasme de la génération. Ensuite , il est faux que de l'ovaire et du testicule droits proviennent les garçons, et de l'ovaire et du testicule gauche les filles : des hommes auxquels on avait enlevé un des testicules ont engendré également des filles et des garçons ; il en a été de même de femmes qui avaient un des ovaires détruit par une maladie. Sur des lapines, on a fait l'ablation de l'un des ovaires, et ces animaux, couverts ensuite, n'en ont pas moins engendré des fœtus mâles et femelles. Quand on ouvre une lapine pleine, dans la même corne de la matrice, on trouve à la fois des fœtus mâles et femelles , bien que tous ces fœtus proviennent certainement d'un même ovaire , de l'ovaire correspondant. Celte particularité de la conception est donc, comme toute autre , soustraite à l'influence de la volonté ; et heureusement pour nous , car les vues privées , et par conséquent rétrécies de l'homme, auraient bientôt fait cesser l'équilibre que le Créateur fait plus ou moins, selon les climats, régner entre les deux sexes. D'ailleurs, à

Jo4 FONCTION DE LA GÉNÉRATION.

l'occasion de cette question , nous devons dire que quelques physiologistes pensent que le sexe de l'individu nouveau n'est pas fixé au moment même de la conception , et qu'il ne se détermine que plus tard, lors des développements sub- séquents : nous reviendrons là-dessus à l'article du fœtus.

Nous ne pouvons pas davantage sur les qualités physiques et morales futures de l'enfant : c'est irrésistiblement qu'il a tel tempérament, telle constitution, qu'il est bien fait ou difforme , etc. , tant la nature a voulu se réserver exclusi- vement la direction d'un acte par lequel elle conserve la perpétuité de tous les êtres animés. Cependant nous avons ici plus de pouvoir que sur les circonstances précédentes ; et si nous ne pouvons exercer une influence instantanée , ail moins nous pouvons déterminer à la longue quelques modifications. D'abord, il est possible que l'état moral des deux individus au moment de l'union, que le degré d'acti- vité avec lequel ils accomplissent la fonction, aient une influence sur son résultat, et , par conséquent, sur les qua- lisés de l'individu nouveau. Il est possible que celui-ci soit plus ou moins vivace, selon que sa création originelle aura été effectuée avec plus ou moins d'énergie ou de faiblesse. On dit généralement que la conception est d'autant meilleure que l'abandon des deux époux est plus absolu. Sans doute Aristote a exagéré , quand il a attribué la plus grande fré- quence des difformités dans l'espèce humaine à la négli- gence avec laquelle s'accomplit la génération ; mais on croit avoir remarqué que les enfants de l'amour sont générale- ment plus riches de vie et plus précoces. La nature , lors de l'accomplissement de l'acte génital , ôte l'individu à lui- même , comme s'il fallait que toute sa vie fût employée à l'importante fonction à laquelle il se livre; et cela prouve assez qu'il faut ici l'exclusion absolue de tout autre acte. En- suite, en rejetant comme non suffisammentdémontrée cette première influence, il en est une autre incontestable, tenant aux qualités des pères et mères; on voit les pères et mères transmettre à leurs enfants, et leur constitution , et leurs qualité morales, et leurs maladies, et jusqu'à leurs formes extérieures, puisqu'on observe souvent entre eux les plus

DE LA CONCEPTION OU FÉCONDATION. lo5

fortes ressemblances. Or, n'est-il pas possible d'influer sous ce rapport sur les qualités des enfants, en réglant les con- ditions de rapprochement , en présidant aux choix des in- dividus qui s'associent ?

Aussi , si nous avons relégué parmi les chimères l'art de procréer les sexes à volonté , nous jugerons moins sévère- ment celui de la mégalanthropogénésie , c'est-à-dire de faire des enfants beaux et des enfants d'esprit. Ayant une fois admis la possibilité d'une influence exercée par l'état moral des époux au moment du coït , et surtout celle d'une trans- mission héréditaire des parents aux enfants, on conçoit qu'on peut soigner plus ou moins tout ce qui a trait à ces deux choses. Nul doute que l'abus des plaisirs de l'amour n'imprime aux fœtus engendrés une faiblesse originelle , et qu'au contraire , un exercice convenable ne fasse engendrer des enfants robustes. Pour perpétuer les animaux domes- tiques et les améliorer sans cesse, nous faisons un choix des mâles et des femelles que nous accouplons; nous les pre- nons dans l'âge de la force , et nous en croisons diversement les races , selon le genre de qualité que nous voulons impri- mer aux produits. Qui oserait dire que tout ceci ne soit de même applicable à l'homme ? Loin de nous sans doute la pensée de méconnaître ce que la haute dignité de notre es- pèce réclame de liberté pour les individus unis en état social; mais la législation n'enfreint-elle pas les lois de la physiologie, et par conséquent de la nature, quand elle per- met, par exemple, les mariages entre des personnes d'un âge extrêmement disproportionné , entre des personnes saines et des personnes affectées de maladies héréditaires ? Loin de chercher à améliorer, on ne travaille même pas à prévenir les détériorations.

Nous avons dit que, le plus souvent, dans l'espèce hu- maine, il n'y a qu'un seul enfant de produit; cependant il y a deux ovaires : est-il possible de dire lequel fournit la vésicule qui est le rudiment de l'être nouveau ? On ne peut pas plus répondre à cette question , qu'à celle de savoir si c'est le hasard qui décide quelle vésicule se détache, ou si, au contraire , il en est une qui a mûri et s'est préparée à la

106 FONCTION DE LA GÉNÉRATION,

fécondation. Ce que l'on sait seulement, c'est qu'un seul ovaire suffit pour engendrer.

La conception effectuée , et la vésicule de l'ovaire portée dans l'utérus, est-il possible à une autre conception de se faire, et à un autre ovule de descendre dans la matrice, et d'y suivre de même la série de ses développements? Ce fait, qu'on appelle superfètation :-, est certain pour les ani- maux qui ont l'utérus bicorne ; on conçoit que chez eux une seule des cornes de la matrice peut se remplir lors d'une conception, et l'autre rester apte à le faire plus tard. Mais, dans l'espèce humaine, la chose paraît moins possible; car, d'un côté l'utérus est unique, et de l'autre , son orifice va- ginal et l'entrée des trompes sont bouchés dans la grossesse; de sorte qu'il paraît impossible que de nouveau sperme puisse y pénétrer et aller atteindre les ovaires, ni qu'un nouvel ovule puisse y descendre. Aussi, beaucoup de phy- siologistes n'admettent de superfètation dans la femme, que lorsque, par une monstruosité ou par une anomalie , l'uté- rus est double ou bicorne , ou partagé en deux par une cloi- son médiane. Cependant, quelques-uns croient àdessuper- fétations sans cette circonstance , en s'appuyant sur les faits suivants. Buffon parle d'une créole qui accoucha de deux jumeaux, un blanc et un noir, et qui avoua que le matin d'une nuit son mari avait approché d'elle , elle avait eu à supporter la violence d'un de ses domestiques noirs; il est évident qu'en elle il y avait eu deux conceptions, et à deux époques différentes. Eisennemann rapporte que la femme d'un infirmier de l'hôpital de Strasbourg accoucha, à quatre mois et demi d'intervalle , le 3o avril et le 16 sep- tembre, de deux enfants également à terme, et qui vécurent, le premierdeux mois et demi,etle second un an. Le docteur Desgranges , de Lyon , a vu une femme de ce pays , qui ac- coucha de même à cinq mois et demi d'intervalle , de deux enfants également à terme, et qui vivaient encore deux ans après, lorsqu'on les présenta aux notaires qui ont attesté le fait. Sans doute ces faits sont imposants; mais ne peut-on pas leur opnoser les considérations suivantes? Dans le cas de Biiffon, les époques des deux conceptions ont été assez

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rapprochées, pour qu'on puisse concevoir la descente du second ovule après la fécondation du premier , la clôture de l'orifice de l'utérus et celle des orifices des trompes n'ayant pas encore eu le temps de se faire. Dans les deux autres cas, il pouvait y avoir utérus double ou bicorne, et on n'a pas vérifié ce fait chez la femme observée par le doc- teur Desgranges. A la vérité, la femme dont parle Eisen- neman a été ouverte après sa mort, et a présenté un utérus simple; mais son ouverture n'a été faite que sept ans après la superfétation : et qui assure qu'une cloison médiane, qui aurait alors partagé en deux l'utérus et aurait permis la double grossesse, ne se serait pas détruite depuis? Cette supposition est aussi raisonnable que celle qui nous présente le sperme pénétrant jusqu'à l'ovaire , malgré la clôture des orifices de l'utérus et des trompes. Cependant, comme on ne peut affirmer qu'il n'y ait pas des grossesses dans les- quelles l'orifice de l'utérus reste ouvert, et les trompes ac- cessibles, peut-être est-il sage de ne pas nier absolument la possibilité des superférations ? On avait voulu regarder ces superfétations comme des grossesses doubles, dans lesquelles un des fœtus aurait vu se suspendre la série de ses dévelop- pements pendant tout le temps de l'évolution du premier, et ne lesauraitrepris qu'après l'excrétion de celui-ci ; mais ceci est trop évidemment hypothétique pour pouvoir être admis.

ARTICLE ni. De la Grossesse.

Nous avons vu la vésicule de l'ovaire saisie parla trompe et conduite dans l'utérus. Arrivée dans cet organe, bientôt elle y prend attache, s'y développe, et force l'utérus à se développer lui-même , pour lui fournir à la fois un asile et les sucs nutritifs nécessaires. C'est cet ensemble de nouveaux phénomènes qui constitue la grossesse, acte qui s'entend du séjour que fait l'individu nouveau dans l'utérus, des ser- vices que lui rend cet organe, et qui comprend tout le temps qui s'écoule depuis l'instant de la conception jusqu'à l'accouchement.

»o8 FONCTION DE LA GENERATION.

Immédiatement après la conception , bien que les phé- nomènes principaux de cette action se passent à l'ovaire, déjà, avant l'arrivée de l'ovule, surviennent quelques chan- gements dans l'utérus. Selon les uns, cet organe se dilate pour se préparer à recevoir l'ovule; du moins Bertrandi l'a trouvé ainsi dans des grossesses extra-utérines, et chez des femmes qu'il avait ouvertes à des époques si rapprochées de la conception, que l'ovuleétait encore flottant dans l'utérus. Enmême temps sa substance rougit, s'amollit, devient moins compacte, plus vasculeuse; elle est évidemment le siéged'une congestion de sang, et Harvey compare ce qu'elle éprouve au gonflement qui survient à la lèvre d'un enfant piquée par une abeille. Enfin il se produit à sa surface interne une membrane molle, floconneuse, appelée par Hunier, qui le premier l'a décrite , membrane caduque, et par M. Chaus- sier , èpichorion. Il y a eu beaucoup de débats sur la dispo- sition et le mode de formation de cette membrane. Selon Hunter, elle est d'autant plus épaisse qu'on est plus près de l'instant de la conception , et s'amincit au contraire à mesure que la grossesse se prolonge; elle existe cependant encore à l'é- poque de raccouchement, et même est alors plus épaisse que la première membrane de l'œuf, le chorion. Elle est de cou- leur grise , molle , pulpeuse , et assez semblable à la couenne du sang. Trois trous existent dans sa cavité , deux qui cor- respondent aux trompes, et un troisième à l'orifice vaginal de l'utérus. Hunter l'appela decidua, parce qu'elle tombe à chaque grossesse. Selon lui , elle est produite, ou par une exfoliation de la membrane muqueuse de l'utérus , ou par une dégénérescence du sperme projeté lors du coït dans cet organe ; ou plutôt enfin, par la coagulation d'une lymphe plastique , que , consécutivement à l'irritation spéciale dans laquelle est alors l'utérus , sécrète la surface interne de ce viscère. Dans son origine , cette membrane n'avait qu'un seul feuillet qui adhérait à l'utérus; mais dans la suite il s'en forme un second, qui adhère à l'œuf lui-même, et Hunter appela celui-ci caduque réfléchie. Aujourd'hui les anatomistes professent, sur le mode de production de la membrane caduque, l'une ou l'autre des deux opinions

DE LA GROSSESSE. 109

suivantes. Dans l'une, on établit que le premier effet de la conception estde faire sécréter, par la surface interne de l'utérus, une masse considérable d'une substance séro-al- bumineuse ; i'utérus en est d'abord tout plein ; l'ovule, en arrivant, se plonge tout entier dans cette substance; peu à peu il en absorbe une partie par sa surface externe pour sa nutrition, et le reste s'organise en double membrane, une qui correspond à l'utérus, et l'autre qui adhère à l'œuf. On assimile cette matière séro-albumineuse , soit au blanc dont se revêt, en traversant l'oviductus, l'œuf des oi- seaux, soit à la substance visqueuse qui enveloppe les œufs membraneux de certains reptiles. On donne comme preuves, que , dans le premier mois de grossesse , l'œuf paraît plongé dans la substance même de la caduque ; et que , lorsque plus tard le placenta apparaît, les vaisseaux qui de cet organe vont à la matrice , paraissent plutôt percer la cadu- que qu'en écarter les lames. Haller cependant croyait que la caduque se dédoublait pour entourer le placenta. Loin qu'il reste à cette caduque des trous correspondants aux trompes et à 1 orifice de l'utérus , comme l'avait dit Hunter, la même substance séro-albumineuse qui a formé cette mem- brane remplit et obstrue ces ouvertures; et, en effet, Krummacher et M. Dutrochet disent avoir vu la caduque se prolonger jusque dans les trompes; et l'on a reconnu sur le sommet d'œufs abortifs, sous la forme d'un mamelon , le reste de cette substance, qui remplissait le col de l'uté- rus, et en bouchait l'orifice. Dans l'autre opinion , on admet que la caduque est déjà un peu organisée avant quel'ovule ar- rive, et que quand celui-ci débouche par la trompe dans l'u- térus, il ne fait que la pousser devant lui. Alors il s'en revêti- rait comme tout viscère intérieur l'est parla séreuse de la ca- vité splanchnique dans laquelle il est situé; il lui devrait d'être maintenu en contact avec la portion de l'utérus dans la- quelle il doit pousser ses racines; la caduque se réfléchissant sur l'œuf, à partir du lieu qui doit former leplacenta, il n'y aurait que cette partie de l'œuf qui ne serait pas recouverte par elle. En unmot, au lieu d'être, comme dans la première opinion, une sorte de kiste , la caduque serait une véritable membrane

iiO FONCTION DE LA GÉNÉRATION.

séreuse accidentelle, qui fixerait l'œuf dans la cavité de l'utérus; qui aurait deux portions, une utérine et une fœ- tale, ce qui expliquerait les deux caduques de Hunier; et qui , enfin, libre et contiguë à elle-même, à sa face interne, serait de ce côté le siège d'une perspiration séreuse. M. Mo- reaudij le premier, soutenu celte opinion dans sa disserta- tion inaugurale, et l'on ne peut disconvenir que l'analogie ne la rende spécieuse : puisque l'œuf est contenu dans l'u- térus, ne fallait-il pas une séreuse pour l'y attacher ? De- puis, dans un Mémoire présenté à l'Académie royale de mé- decine, M. Velpeau Fa développée et appuyée sur l'observa- tion et la dissection d'une douzaine d'œufs humains; et M. Breschet m'a assuré avoir vu de la sérosité dans la cavité de la membrane, entre les feuillets appelés par Hunier ca- duque propre et caduque réfléchie. Quoi qu'il en soit , cette membrane, d'abord fort épaisse, et semblable à un caillot de sang incolore, s'amincit à mesure qu'on avance dans la grossesse, restant néanmoins toujours bifoliée; lors de l'ac- couchement elle est d'un blanc jaunâtre, épaisse d'une demi-ligne , molle, pulpeuse, peu tenace, et évidemment du genre des concrétions couenneuses membraniformes. Quoiqu'elle paraisse inorganique , elle contient des vais- seaux qui sont d'autant moins nombreux, qu'on approche plus de l'époque de l'accouchement , et parmi lesquels il y a plus de veines que d'artères. Cette membrane, enfin, est évidemment étrangère à l'œuf. On ne peut admettre , avec M. Dutrochct, qu'elle soit une dépendance de l'alîantoïde ou de la poche ovo-urinaire , et qu'elle soit nourrie par les vaisseaux ombilicaux du fœtus; car, non-seulement elle précède, comme on vient de le voir, la descente de l'œuf dans l'utérus , mais encore elle se forme de même dans les grossesses extra-utérines. M. Chaussier l'a vue dans plu- sieurs cas de grossesses tubaires ; elle existait dans le cas de grossesse abdominale cité par M. Lallemant ; M. Evrat va même jusqu'à dire qu'il s'en forme une à la suite de chaque

approche.

Bientôt, à une époque qu'on ne peut fixer, mais qui ne paraît postérieure que de quelques jours à l'instant de la

DE LA GROSSESSE. 1 i 1

conception, l'ovule arrive dans l'utérus; et, se fixant dans cet organe par l'intermédiaire d'une partie appelée placenta, il va y faire un séjour de neuf mois, y croître et y prendre de grands développements. Pour cela, il faut nécessairement que l'utérus se développe aussi 5 pour lui fournir et les sucs que réclame sa nutrition et l'espace dont a besoin son gros- sissement graduel. C'est de ces faits dont nous devons nous occuper maintenant. Dans les détails que nous allons donner, nous nous bornerons à ce qui est de l'utérus, abandonnant l'ovule sur lequel nous reviendrons à l'histoire des âges.

La dilatation de la cavité de l'utérus et le développement de cet organe commencent dès les premiers instants de la conception , et surtout se continuent dès que l'ovule est ar- rivé dans son intérieur : mais les effets , dans les deux pre- miers mois , n en sont pas visibles à l'extérieur. Le corps seul de la matrice a augmenté ; devenu gros comme un œuf d'oie, il s'est arrondi et enfoncé dans le petit bassin. Cependant si le doigt est alors introduit dans le vagin , on peut déjà observer quelques changements : le col de l'utérus est plus bas, et plus près de la vulve ; l'orifice utérin , de triangu- laire qu'il était, est devenu circulaire, acuminé; et tandis que , dans l'état de non grossesse , c'est la lèvre antérieure de cet orifice qui dépassait la postérieure, alors c'est cette der- nière qui fait saillie. Cependant tous ces signes ne sont ni assez sûrs, ni assez constants pour que, d'après eux, l'on puisse dès cette époque annoncer une grossesse. L'orifice de l'utérus est alors fermé par une substance glutineuse fort dense. Le développement de l'organe continuant de se faire, au troisième mois l'utérus est déjà devenu assez gros pour remplir toute la cavité du petit bassin; refoulant en haut les viscères abdominaux , il fait déjà faire une légère saillie en avant à la région hypogastrique; son axe fait avec la per- pendiculaire un angle de quarante -cinq degrés. Au qua- trième mois, il dépasse le détroit supérieur du bassin, et l'on peut le sentir au-dessus du pubis , à travers l'épaisseur des parois abdominales; alors son orifice dans le vagin est un peu plus élevé , et le ventre commence à faire saillie. Au cinquième mois, il est parvenu à deux travers de doigt de

112 FONCTION DE LA GENERATION,

l'ombilic, et déjà les viscères abdominaux sont gênés par son voisinage. A. six mois , il a dépassé de deux pouces l'ombilic. Jusque son corps seul à peu près a éprouvé Fampliation ; mais à partir de cette époque , son col lui-même évidemment grossit, se ramollit et se dilate. Au septième mois, le fond de l'utérus occupe toute la région épigastrique , l'ombilic saille en avant, et l'abdomen se montre très volumineux; c'est surtout le col de l'organe qui prête alors à la dilata- tion ; ce col , à cette époque , est si relevé et si porté en ar- rière , que le doigt peut à peine l'atteindre par le vagin. Au huitième mois, le volume de l'organe a encore augmenté, à tel point qu'il touche presque au bord antérieur et inférieur du thorax. Au neuvième mois enfin, quoique le volume de l'utérus augmente encore, son fond est moins haut, et le ventre baisse un peu; cela tient à ce que le développement s'est fait plus en travers et de devant en arrière , que dans le sens de la longueur : le col a achevé de se dilater, il est de- venu souple, mince, et souvent assez ouvert pour qu'on puisse , au travers de son orifice , toucher l'œuf : dans le mois précédent, ce col était à la hauteur des symphises sacro- iliaques, et du côté gauche; dans celui-ci, il est un peu re- descendu dans le petit bassin.

Ainsi l'utérus a augmenté de capacité dans la même pro- portion que l'œuf a pris de l'accroissement, et il peut ainsi fournir l'espace nécessaire pour contenir celui-ci. A l'époque de l'accouchement, il a, selon Haller et Levret , un volume onze fois et demi plus considérable qu'avant la grossesse ; sa longueur est d'un pied , ses diamètres transverse et latéraux de neuf pouces; sa circonférence est, au niveau des trompes, de vingt-six pouces, et à la hauteur de la portion utérine du col, de treize pouces. Dans les premiers temps, il s'est accru dans toutes les dimensions ; du troisième au sixième mois , il s'est agrandi , surtout dans sa longueur ; et dans les der- niers mois , dans les autres dimensions. De pyriforme et aplati qu'il était, il est devenu ovoïde. Son poids, qui avant la grossesse était de quatorze à dix-huit gros , est alors d/une livre et demie à deux livres. Dans les deux premiers mois , l'organe était un peu descendu dans le bassin , et le col

DE LA GROSSESSE. ] l 3

s'était rapproché de la vulve; mais dans les mois suivants, il s'est élevé, et a repris la direction de l'axe du détroit su- périeur. Le foud est en avant, immédiatement derrière la paroi antérieure de l'abdomen, et refoule l'intestin grêle de côté et en arrière; le col est en arrière. Souvent, cependant, le fond est un peu incliné sur le côté, le plus ordinairement à droite, parce que le cordon sus-pubien droit est plus gros et plus court, et que le mésentère est disposé de manière à retenir davantage les intestins du côté gauche.

Ces changements considérables dans l'utérus en amènent de fort importants dans les parties annexes de ce viscère et dans les organes circonvoîsins. Les ligaments larges se dé- doublent; les ovaires et les trompes s'élèvent un peu, et finissent par s'appliquer sur les côtés de la matrice : les liga- ments ronds prêtent à l'extension , et surtout éprouvent le même changement de tissu que l'utérus lui-même; cessant à la fin de s'étendre , ils tirent en devant l'utérus , e.t parais- sent empêcher que cet organe ne pèse trop sur les gros vais- seaux de l'abdomen ; le vagin est tiré dans le sens de sa lon- gueur; sur la fin de la grossesse, les sécrétions muqueuses de ce canal augmentent beaucoup , comme pour ramollir d'avance son tissu, le lubréfier, et le préparer à fournir un passage plus facile au produit de la conception. Les organes circonvoisins, savoir, le rectum, la vessie, les vaisseaux et les nerfs des membres inférieurs, éprouvent une pression mécanique qui est la cause de plusieurs phénomènes secon- daires, dont nous parlerons ci-après. Enfin les parois abdo- minales sont tellement distendues, que la peau du ventre en éprouve des gerçures , qui désormais ne s'effaceront plus. Souvent aussi les muscles abdominaux présentent des érail- kments par lesquels peuvent se faire des hernies. Ces érail- lements s'observent surtout entre les muscles droits et à la région ombilicale.

Ce grand développement de l'utérus n'est pas le produit passif de l'accroissement de l'œuf, car il commence avant l'arrivée de l'ovule dans la matrice; 20 l'utérus ne s'est pas borné à se dilater, sont issu a changé et a revêtu une autre nature; enfin les parois de cet organe, loin de s'amin-

Tome I?. 8

n4 FONCTION DE LA GÉNÉRATION.

cir, ce qui aurait être, s'il ne s'était agi que d'une disten- sion mécanique, sont devenues plus épaisses. En effet, les parois de l'utérus, qui, dans l'état de vacuité de cet organe, ont quatre lignes d'épaisseur, dans les trois premiers mois de la grossesse en ont cinq. Si , sur la fin de la grossesse et après l'accouchement surtout , elles diminuent un peu, à cause de la rétraction de l'utérus , leur épaisseur est encore d'un pouce. Ce développement est à un nouveau mode de nutrition qui se fait dans ce viscère : évidemment cet organe devient un centre de fluxion, appelle en lui plus de sang, et par suite voit changer et la nature de son tissu et ses dimen- sions; ses artères deviennent plus grosses; il en est de même de ses veines, qui, à sa surface interne, présentent d'énor- mes dilatations, auxquelles on a donné le nom de sinus uté- rins. Ses nerfs sont aussi triplés de volume , ainsi que ses vaisseaux lymphatiques. Enfin son tissu propre , de dur, blanchâtre et non contractile qu'il était, est devenu rouge, mou, spongieux, et apte à une énergique contractilité. Ses parois n'ont pas la même épaisseur partout; plus épaisses au lieu d'attache du placenta, elles n'ont souvent au col, à la fin de la grossesse , que la minceur d'une feuille de papier. On observe ici quelques variétés, et, par exemple, Hunier a vu un cas dans lequel la paroi antérieure de l'uté- rus était très épaisse, et la postérieure fort mince. En vain , pour expliquer ce développement, on avait supposé une espèce d'antagonisme entre les fibres du fond de l'organe et celles du col; les unes et les autres n'existent pas d'abord, et ne sont que le produit de la dilatation active qu'éprouve l'organe. Le tissu de celui-ci commence par se ramollir; il paraît s'infiltrer d'une lymphe, d'une sérosité qui diminue sa densité; à cet infarctus lymphatique succède la conges- tion sanguine; puis survient la conversion du tissu primi- tivement compact et grisâtre, en un tissu mou, rougeâlre et contractile. Ces phénomènes s'observent d'abord dans le fond de l'utérus , puis ils s'établissent dans le corps et dans le col. Les auteurs n'ont pas été d'accord sur le caractère du tissu nouveau que présente l'utérus ; Lobstein l'assimile à celui qui forme la tunique moyenne des artères; d'autres le

DE LA GROSSESSE. u5

disent en partie celluleux et en partie charnu ; îa plupart le croient musculeux. Il est certain que , comme ce dernier, il est très contractile, et qu'on peut le ramener à un certain nombre de faisceaux de fibres , ayant chacun des directions diverses; mais il s'en distingue un peu par la couleur et en ce qu'il ne se paralyse pas de même par une forte distension non plus que par une inaction trop prolongée. Presque tous les anatomistes, dans la vue de jeter du jour sur le méca- nisme de l'accouchement, ont tâché de reconnaître la di- rection des différents faisceaux de fibres qu'on distingue en ce tissu : la plupart se sont bornés à dire que les fibres les plus extérieures étaient dirigées longitudinalement du fond et du corps de l'organe vers son col; que les fibres situées au-dessous de celles-là avaient une direction transversale et s'entre-croisaient en réseau avec les précédentes; et qu'enfin les plus profondes étaient obliques, et même circulaires, surtout du côté des trompes; ils ajoutaient que, dans le fond de l'utérus, ces fibres formaient un tissu tout-à-fait inextri- cable. Quelques-uns cependant ont spécifié davantage. Ainsi Ruisch a signalé au fond de l'utérus un-plan de fibres con- centriques, dont il a fait un muscle particulier, auquel il a donné son nom. Weitbrecht a appelé muscles orbiculaires deux plans de fibres circulaires qui circonscrivent l'orifice de chaque trompe. /. Sue dit avoir remarqué sur chaque côté de l'utérus , en avant et en arrière , quatre points les fibres étaient entrelacées de manière à figurer les nœuds qu'on observe dans le bois; et considérant ces points comme des centres de contraction pour l'utérus, il las a appelés muscles quadrijumeaux. Une sage -femme fort instruite, madame Boivin, a présenté récemment sur ce sujet deux Mémoires à l'Académie royale de médecine. Elle y expose qu'ayant examiné l'utérus sur onze femmes mortes à des époques avancées de la grossesse, et après l'accouchement, elle a reconnu en cet organe les faisceaux musculaires sui- vants : 10 à l'extérieur, immédiatement sous le péritoine une première couche musculeuse membraniforme , recou- vrant comme une espèce de sac tout l'organe , à partir de son fond jusqu'à son orifice externe dans le vagin, et qu'elle

8.

ii6 FONCTION DE LA GENERATION,

propose d'appeler muscle utèro-sous-péritonéal ; sous cette couche , au fond de l'utérus et de chaque côté de la ligne médiane , des fibres transversales en grand nombre , formant trois faisceaux plats en avant, deux en arrière, situés suc- cessivement les uns au-dessus des autres , et qui , après avoir contourné transversalement les angles arrondis de l'utérus , et fourni des fibres aux parois antérieure et latérales de l'or- gane, vont au-delà, en s'isolant, constituer, les supérieurs, les cordons sus-pubiens, les moyens , les trompes , et les in- férieurs , les cordons des ovaires; toujours sous cette couche, mais dans le corps de l'utérus, un plan musculaire longitudinal, prenant naissance en bas à l'orifice interne, remontant verticalement en haut sous forme de gerbe , et allant s'entre-croiser avec celui du côté opposé, et les fibres transversales du fond de l'organe ; à la face interne , sur la ligne médiane , en avant et en arrière, des plans de fibres verticales, étendues aussi de l'orifice interne jusqu'à son fond, et se recourbant en dehors pour s'entre-croiser entre elles , et former autour des orifices des trompes , ces plans de fibres concentriques , appelés par TVeitbrecht muscles or- biculaires; enfin, dans la cavité du col, sur chacune des faces antérieure et postérieure , est un raphé médian , de chaque côté duquel naissent de nombreux replis disposés d'une manière régulière, et simulant les rameaux d'un ar- buste : parmi ces replis, plusieurs remontent jusqu'au tiers inférieur de la face interne de l'utérus, et s'y effacent in- sensiblement. Cette disposition, selon madame Boivin , fait comprendre le mécanisme du développement du col , et prouve que ce développement commence bien plus tôt qu'on ne le dit généralement. Ainsi l'utérus serait formé de cou- ches musculaires multiples superposées; et, eu effet, madame Boivin dit en avoir séparé et compté jusqu'à sept dans le corps et le fond de l'organe. Ch. Bell, en Angleterre, a donné des divers plans musculeux de l'utérus une description à peu près semblable. Au contraire, MM. Chaussier et Ribes , en France , disent qu'ils ont trouvé les fibres du col, circu- laires en dehors, et séparées de ce côté par une ligne de dé- marcation distincte des fibres longitudinales du corps, Ion-

DE LA GROSSESSE. 117

gitudinales en dedans, et se continuant sans interruption jusqu'au fond de l'organe; ils ajoutent que jamais ils n'ont pu, par la dissection, suivre loin dans la substance de l'or- gane , les faisceaux qui leur paraissaient d'abord distincts et isolés , ces faisceaux bientôt se confondant et formant un entrelacement inextricable. Ceci se rapporte aux difficultés qu'on trouve à spécifier la disposition des divers faisceaux qui forment les organes entièrement musculeux, comme le cœur, la langue , etc.

Quoi qu'il en soit, l'utérus est ainsi devenu capable de fournir à l'œuf l'espace nécessaire à ses développements , ainsi que les sucs que sa nutrition réclame. C'est la fécon- dation elle-même qui a imprimé les premiers efforts de ce grand travail; l'ovule ensuite, par sa présence, les a en- tretenus, et a maintenu l'utérus dans le nouveau mode de sensibilité y de vitalité qu'il a revêtu. Cet ovule d'abord a adhéré à l'utérus par l'intermédiaire de vaisseaux prove- nant de sa surface externe , et qui traversent la caduque., Mais bientôt, au lieu celle-ci ne le revêt pas d'après le système de M. Moreau , et il touche immédiatement l'utérus , il se développe un organe appelé placenta, qui , d'un côté, est attaché à la face interne de l'utérus et en reçoit des vaisseaux, qui, de l'autre, détache un cordon vasculaire qui va pénétrer l'ombilic de l'enfant ; et c'est alors, par le moyen de cet appareil, que les sucs nutritifs de la mère arrivent au fœtus. Mais nous reviendrons là-des- sus à l'article du fœtus. Est-ce constamment à un même lieu de l'utérus , à un point déterminé , que se fait cette insertion du placenta? Hanter croyait qu'elle se faisait tombait l'œuf; dans celte manière toute mécanique de concevoir le phénomène , l'insertion aurait se faire pres- que toujours sur le col? et heureusement que cela est rare. Le plus souvent cette implantation est au fond de la ma- trice, ou, selon Fallope et Monro , proche de l'ouverture de la trompe , tellement, que le centre du placenta recou- vre l'orifice utérin de ce canal, ce qui est eu rapport avec l'opinion de M. Moreau sur la caduque. Quelques variétés qu'on observe dans le lieu est attaché le placenta, il est

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ll8 FONCTION DE LA GÉNÉRATION.

probable que le mode de disposition de la caduque dans son origine a sur ce fait la plus grande influence.

Comme on le conçoit, tout ce travail ne peut se faire sans que les fonctions de l'utérus ne soient modifiées. Ordinaire- ment, il y a, pendant la grossesse, suspension de l'excrétion menstruelle, moins à cause de la présence du fœtus, que par suite des modifications survenues dans la constitution de l'organe. La matrice est plus chaude , et est assez sensi- ble pour faire percevoir les mouvements du fœtus. Des changements se manifestent aussi dans les autres parties de l'appareil génital; les ovaires sont plus gros et plus spon- gieux ; les cordons sus-pubiens ont éprouvé le même chan- gement de texture que l'utérus ; les mamelles se déve- loppent, et la sécrétion laiteuse se prépare et même sou- vent commence; seulement son produit n'est encore qu'une humeur séreuse. Nous avons dit que le vagin, aux approches de l'accouchement , se dilatait, et était le siège de sécrétions muqueuses plus abondan tes , qui l'assouplissaient par avance et le préparaient à être extensible et plus glissant. Le travail s'étend au bassin lui-même, qui doit livrer passage à l'indi- vidu nouveau ; les symphyses qui unissent les os qui forment ce canal se relâchent , la symphyse du pubis surtout; les lames cartilagineuses qui existent dans ces symphyses se ra- mollissent, deviennent plus épaisses; d'où plus d'ampleur au bassin , et mobilité des os qui le constituent. Sans doute cette mobilité n'est pas portée au point de permettre aux os coxaux et sacrum de s'écarter beaucoup, comme l'ont dit d'anciens accoucheurs ; mais elle n'en est pas moins une prédisposition à l'accouchement s et M. Chaussier a re- connu qu'elle ne manquait jamais.

Enfin, l'appareil génital n'est pas le seul qui soit ainsi modifié dans la grossesse; toute l'économie se ressent »pl us ou moins de cet état, en partie à cause des influences sym- pathiques qu'exerce sur tous les autres organes l'utérus ainsi surexcité . et eu partie à cause de la pression mécanique que cet organe, devenu gros, exerce sur les organes circonvoi- sins. Ainsi, d'une part, éclatent dans l'appareil digestif beaucoup de troubles divers; ou un défaut absolu de faim,

DE LA. GROSSESSE. 119

des nausées fréquentes, des vomissements, de la salivation; ou des appétits bizarres , ce qu'on appelle le pica. Survien- nent de même des modifications sympathiques dans le mo- ral ; les femmes ont alors généralement une susceptibilité plus grande, et qui demande à être ménagée; plusieurs, qui étaient avant d'un caractère doux, se montrent impa- tientes , irascibles ; on a vu quelquefois en elles des anoma- lies encore plus singulières; elles sont entraînées par des désirs bizarres. Les appareils digestifs et cérébral sont ceux qui sont les plus modifiés; mais les troubles qu'ils présen tent, le plus souvent disparaissent vers le quatrième mois, comme si l'économie s'était habituée à l'état nouveau dans lequel est l'utérus. Il y a aussi un grand changement dans l'état général des humeurs ; le plus souvent il survient une exubérance lymphatique, la plupart des femmes engrais- sent pendant leur grossesse : ceci cependant est sujet à de nombreuses exceptions. D'autre part, à la fin de la grossesse, la pression de l'utérus sur les nerfs et les vaisseaux qui vont aux membres inférieurs, sur le rectum et la vessie, occa- sionent diverses incommodités, comme des crampes, des douleurs dans les jambes , de l'enflure des pieds , de fré- quentes envies d'aller à la garde-robe et d'uriner. La gêne qu'éprouvent les organes digestifs, l'obstacle qu'oppose l'u- térus au libre abaissement du diaphragme , apportent aussi quelques troubles mécaniques dans la digestion, et delà difficulté dans la respiration.

Parmi ces nombreux phénomènes concomitants et con- sécutifs de la grossesse, quels sont ceux qui peuvent avec certitude annoncer cet état? D'abord, ce ne sont pas les phénomènes sympathiques que nous venons de relater en dernier lieu ; ils peuvent éclater lors d'une irritation de l'utérus développée par toute autre cause. Ce ne sont pas non plus les effets résultants de la pression exercée par l'u- térus sur les parties circonvoisines ; on les observe de même lorsque , par une maladie , l'utérus a acquis un développe- ment insolite. La suppression des règles n'est pas un signe plus sûr, puisqu'elle arrive souvent par des causes autres que la grossesse. Nous en dirons autant du développement

120 FONCTION DE LA GENERATION.

du ventre, qui s'observe de même lors d'une tumeur quel- conque des organes abdominaux. Les changement que le loucher fait reconnaître dans le col de l'utérus ne sont ni assez considérables ni assez constants dans les premiers mois, pour que, par eux, on puisse affirmer cet état; ils peuvent survenir d'ailleurs à l'occasion d'une tumeur de l'utérus. Les mouvements de l'enfant, qui d'ordinaire se font sentir de trois mois et demi à quatre mois, sont les seuls signes qui permettent d'assurer la grossesse; avec tous les autres phénomènes, on n'a que des présomptions. Ceci cependant ne doit s'entendre que des quatre premiers mois: plus tard , il n'y a plus possibilité de douter. D'un côté, les mouvements de l'enfant sont chaque jour sentis par la mère. De l'autre, le toucher fait reconnaître distinctement un fœtus dans l'utérus, en déterminant ce qu'on appelle le mouvement de balottement ; si on le pratique à la fin de la grossesse, le col déjà aminci et ouvert laisse sentir au travers de lui l'œuf , et même permet de reconnaître quelle est la partie du corps de l'enfant qui se présente. Enfin, M. de Kergaradec a récemment découvert qu'en appliquant le stésthoscope à l'abdomen d'uae femme enceinte, on pouvait distinguer et les battements artériels du placenta, et ceux du cœur de l'enfant, les premiers, dès le cinquième mois de la grossesse, et les seconds, un peu plus tard. Ou n'a aucun moyen de deviner le sexe de l'enfant que contient l'utérus : on a dit que si l'utérus était incliné à droite , que si les mou- vements de Fenfantse faisaient sentir plus particulièrement de ce côté, et que si le sein droit se gonfloit le premier, l'enfant ta naître était un garçon ; mais ces signes sont aussi peu réels que tous ceux que pour le même objet on est allé chercher dans la lune. On ne peut non plus savoir si îa grossesse est composée; cependant le ventre est alors plus gros ; quelquefois, à l'extérieur, il semble partagé en deux moitiés; la mère sent remuer en plusieurs endroits à îa fois, et en des endroits fort distants; si enûn on use du stésthos- cope , d'après îa méthode de M . de Kergaradec , et qu'on sente en même temps, et en deux endroits, les mouvements du cœur du fœtus; on aura la certitude qu'il existe deux jumeaux.

DE L'ACCOUCHEMENT. m

La srrossesse a une durée qui varie en chaque espèce ani- male : dans l'espèce humaine, elle comporte un intervalle de neuf mois, et finit à la trente-neuvième semaine, du deux cent soixante-quinzième au deux cent quatre-vingtième jour. H y a cependant ici probablement quelques variétés; mais ceci a trait à la question des naissances prématuréeset tardives, qui nous occuperai l'article des âges.

ARTICLE IV. De FAcouchcmeiit.

L'individu nouveau, parvenu pendant le cours de la grossesse à un certain degré de développement, doit enfin être rejeté hors de l'utérus, et naître. C'est ce qui se fait par Y accouchement , qu'on peut définir l'excrétion du fœtus et de ses annexes hors de l'utérus et du corps de sa mère. Appelé; avortement ou fausse -couche , s'il se fait avant que le fœtus soit assez développé pour pouvoir vivre isolé; ac- couchement prématuré , s'il survient avant terme , mais le fœtus étant viable, c'est-à-dire apte à vivre par lui-même; il est dit naturel, quand il se fait à terme , et par les seules forces de la nature; et, au contraire, artificiel, quand il réclame les secours de l'art. Celui-ci se subdivise en accou- chement contre nature , et accouchement laborieux , selon qu'il faut pour son accomplissement employer la main seule ou quelques instruments. On conçoit que dans notre ou- vrage, exclusivement consacré à l'étude des phénomènes de la vie dans l'état de santé , nous ne devons parler que de l'accouchement naturel.

L'accouchement est une action du genre des excrétions, mais qui se distingue de toutes les autres excrétions , en ce qu'il est accompagné de vives douleurs, et nécessite des ef- forts tels, qu'on lui a donné à juste titre le nom de travail. Ce n'est pas cependant une maladie , mais une fonction de ïasanté, dont seulement l'accomplissement est très doulou- reux et fatigaut. Comme dans les autres excrétions, nous pourrions y étudier trois choses : la sensation , qui annonce

Ï22 FONCTION DE LA GÉNÉRATION,

que cette excrétion a besoin de se faire et s'effectue ; Y action expultrice du réservoir qui contient la matière à rejeter; et Y action musculaire auxiliaire que la volonté ajoute à la pré- cédente. Mais l'importance dont est l'accouchement nous commande plus de détails; et, adoptant l'ordre suivi par M. Chaussier , dans sa Table synoptique de l 'accouchement , nous allons successivement en indiquer les causes, les con- ditions , le mécanisme et les suites.

Causes de l'accouchement. L'accoucbement s'accom- plit à une époque déterminée, et la première question qu'ont du se faire les physiologistes , a été de savoir quelles causes l'occasionent. Ces causes ont été tour-à-tour recherchées dans le fœtus et dans l'utérus. Ainsi , les uns ont dit qu'à la fin de la grossesse, le fœtus avait acquis un volume et un poids tels que, par sa présence , il provoquait irrésistiblement les con- tractions de l'utérus. D'autres , avec moins de raison , ont supposé des efforts directs de l'enfant , des mouvements par lesquels le fœtus chercherait à sortir de son asile, afin de satisfaire aux divers besoins qui le pressent, comme de man- ger, de respirer, d'évacuer son urine, ses fèces, etc. On a accusé la distension de l'utérus par l'eau de l'amnios, son irritation par le contact de cette eau qui, à la fin de la grossesse, aurait acquis une acrimonie extrême. Buffon a dit que la cause de l'accouchement était le décollement du placenta, qui, au degré convenable de développement du fœtus, se sépare de l'utérus comme le fruit mûr se détache de la branche qui le porte. Enfin, on a accusé un état de pléthore générale , suite de l'absence des menstrues que nous avons dit être supprimées pendant toute la grossesse. Mais parmi ces causes prétendues , plusieurs sont évidemment fausses , comme les efforts de l'enfant, par exemple, cet être étant passif dans l'accouchement; et aucune des autres n'est absolue. L'accouchement est dû, d'un côté, à la disposition et aux propriétés de l'utérus; et de l'autre, aux change- ments qui surviennent dans l'organe d'attache du fœtus, le placenta. D'une part, l'utérus , agent pi-incipal de la gros- sesse et de l'accouchement , a revêtu dans ces cas une orga- nisation qui le dispose, d'abord à recevoir l'embryon , en-

DE L'ACCOUCHEMENT. 123

suite à le conserver un certain nombre de mois pendant qu'il se développe , et enfin à l'expulser quand il sera apte à vivre d'une vie isolée. D*abord il a pris graduellement le développement nécessaire pour pouvoir fournir un asile au fœtus et à ses annexes pendant un certain temps. Ensuite, il a acquis une force de contractiiité à laquelle il devra de pouvoir, par la suite, expulser ce fœtus. Enfin, sa suscep- tibilité à se contracter est allée graduellement en augmen- tant, de manière qu'à la fin il suffira de la moindre irri- tation , de la moindre stimulation , pour mettre en jeu cette faculté contractile ; et nous verrons tout à l'heure , dans les changements qu'a éprouvés le placenta, des causes suffisantes d'irritation. Le mode selon lequel se développe l'utérus doit même nécessairement amener l'accouchement. En effet, le fond et le corps ont seuls d'abord pris de l'amplialion ; ce n'est qu'à la fin que le col à son tour s'est dilaté; mais sa dilatation a été telle qu'en même temps il est devenu mince comme une feuille de papier : dès lors , tout équilibre entre le fond et Je col de l'organe a été rompu: et la rétraction continue de l'utérus a irrésistiblement avoir pour effet de pousser l'œuf contre le col , d'en ouvrir l'orifice , et d'y engager l'enfant. Cette idée à^Jnt. Petit est universellement admise aujourd'hui. D'autre part, le placenta, ce moyen d'attache du fœtus à l'utérus, éprouve, par la suite de la grossesse, des changements qui, à la fin, troubleront assez la circulation de la matrice, pour que celle-ci soit stimulée à se livrer aux contractions qui doivent la débarrasser, et dont elle est d'ailleurs si susceptible. Ce placenta reçoit d'abord avec toute facilité, et le sang que les artères ombilicales du fœtus lui apportent, et celui que les artères utérines lui fournissent ; mais à mesure que la grossesse approche de son terme , à l'instar de ce qui arrive à un fruit mûr, une partie de ses vaisseaux s'oblitère, il devient moins accessible au sang qui lui arrive; il survient un changement dans sa cir- culation , et partant dans celle du fœtus et de la mère dont il est l'intermédiaire; une congestion de sang a lieu parti- culièrement dans l'utérus , et de pour cet organe une sti- mulation qui le provoque à se contracter. Cet embarras n'est

124 FONCTION DE LA GENERATION,

d'abord que léger, et la première contraction utérine qu'il provoque suffit pour le dissiper, en poussant dans les vais- seaux collatéraux le sang qui est en surcharge ; mais cet em- barras revenant sans cesse et allant en augmentant par le fait de la maturation graduelle du placenta , sans cesse aussi se renouvellent les contractions de l'utérus; et à la fin ces contractions se multiplient au point que le travail s'établit. L'influence qu'exerce sur les contractions de l'utérus une surcharge de sang dans cet organe , est si certaine , que sou- vent il suffit de petites saignées pour prévenir des fausses- couches chez les femmes qui y sont sujettes; que de grandes hémorrhagies rendent toujours les contractions utérines fai- bles et rares; et qu'après l'accouchement, les contractions de l'utérus continuent jusqu'à ce que cet organe soit dégorgé du sang qui le remplit. Du reste , il semble que par cela seul que ces contractions ont eu lieu une première fois, elles, tendent à se renouveler ; du moins c'est ce que porte à croire la facilité avec laquelle surviennent les avortements et les accouchements prématurés à toute époque quelconque de la grossesse. Mais on conçoit que cela doit encore bien plutôt arriver quand le col de l'utérus est tout-à-fait aminci , et ne fait plus équilibre au fond et au corps de l'organe, comme cela est à la fin de la grossesse. C'est par le concours de ces causes que survient l'accouchement.

La nature a fait sagement coïncider l'instant le déve- loppement de l'utérus est à son terme, et cet organe va se livrer à son action cxpultrice, avec celui le fœtus est assez développé pour pouvoir vivre de la vie extérieure , et n'a pas plus de volume que n'en comporte l'étroitesse des parties qu'il doit traverser. L'époque de l'accouchement est- elle fixe ? ou peut-elle être retardée ou avancée un peu ? Cela rentre dans la question des naissances précoces ou tardives, dont nous avons promis de nous occuper à l'article des âges. Disons seulement que la périodicité menstruelle a sur cette époque quelque influence; la plupart des ac- couchements se font au retour de la neuvième ou dixième menstruation : l'utérus étant alors dans une exaltation de vitalité, a plus de susceptibilité, à la moindre irritation,

DE l'aCOUCHEMENT. iSî5

à se livrer aux contractations qui doivent effectuer Faccou-

chement.

Dans les autres excrétions, une sensation éclatait dans les réservoirs excrémentitieîs avant même que ces réservoirs en- trassent en contraction, et dès qu'il y avait pour eux vel- léité de se vider. Ici il y a quelques différences : d'abord, il n'est éprouvé de sensation que lorsque l'utérus se contracte; et ensuite cette sensation a le caractère de la douleur, lors même que l'excrétion s'accomplit. Cette douleur cependant n'en est pas moins une sensation organique , comme le sont les sensations des besoins de la défécation , de l'excrétion de l'urine; elle n'est pas due au contact de l'œuf sur l'uté- rus , mais reconnaît pour cause la contraction de cet organe; et Ton peut l'assimiler à la sensation qui éclate dans les autres excrétions, quand le besoin de les accomplir se fait sentir.

2<> Conditions de l'accouchement. Dans l'expulsion du fœtus liors de l'utérus et du corps de sa mère, ce fœtus a à traverser le bassin, le vagin , et les parties extérieures de la génération. Pour que cette expulsion se fasse le plus aisé- ment possible, il faut donc un rapport entre le volume de son corps et le diamètre du canal d'excrétion que forment ces diverses parties; et ce rapport n'existe qu'autant qu'il y a bonne conformation de ces parties, bonne conformation du fœtus , et surtout qu'autant que ce fœtus se présente au passage en une situation convenable. De là, la nécessité de certaines conditions pour l'accouchement, dont les unes sont relatives à la mère et les autres au fœtus.

Du côté de la mère, ce qui importe surtout est une bonne conformation du bassin ; il faut que ce canal osseux, que doit traverser le fœtus, ne soit ni trop large ni trop étroit. Dans le premier cas, l'accoucbement serait retardé, la tête de l'enfant s'engageant dans sa cavité avant que l'o- rifice de l'utérus soit ouvert; dans le second, il serait plus retardé encore, et pourrait même être tout-à-fait impossi- ble. Du reste, pour faciliter l'intelligence du mécanisme de l'accouchement , rappelons brièvement quelques-unes des dispositions anatomiques du bassin. Les accoucheurs

126 FONCTION DE LA GÉNÉRATION.

ont distingué en lui le grand et le petit bassin; le premier consiste dans ces ailerons, ces appendices évasés qui for- ment les hanches et la partie supérieure du bassin : il est étranger à l'accouchement, et a une étendue de huit à neuf pouces. Le second forme le canal osseux que le fœtus doit traverser, et on a distingué en lui son ouverture supérieure, son ouverture inférieure et sa cavité. La première, appelée détroit supérieur ou. abdominal) a, dans son diamètre an- téro-postérieur ou sacro-pubien , une étendue de quatre pouces, ou cent dix millimètres; dans son diamètre iliaque ou transverse, une étendue de cinq pouces ou cent trente- cinq millimètres; enfin, dans ses diamètres obliques et d'une symphyse sacro-iliaque à la cavité cotyîoïde du côté opposé, une étendue de quatre pouces et demi, ou cent vingt millimètres. La seconde, appelée détroit inférieur ou périnéal 3 a ses diamètres antéro-postérieur , transverse et obliques, à peu près égaux, longs de quatre pouces, ou cent dix millimètres; cependant le coccix , qui termine en arrière le diamètre antéro-postérieur ou cocci-pubien , pou- vant un peu être repoussé en arrière, ce diamètre s'agran- dit de six lignes ou douze millimètres à peu près lors de l'accouchement, et devient le plus grand. Enfin, l'excava- tion du bassin , à cause de la concavité du sacrum, a un peu plus d'étendue que les détroits. Nous devons noter encore que , le bassin formant avec le rachis un angle de quarante, degrés à peu près, l'axe de cette cavité n'est pas le même que celui du corps , et même que les axes de chacun des dé- troits diffèrent : l'axe du détroit supérieur est représenté par une ligne qui, de l'ombilic de la femme, irait se ter- miner au tiers inférieur de la concavité du sacrum ; celui du détroit inférieur est représenté par une autre, qui, de l'angle sacro-vertébral , irait passer au centre de ce dé- troit : ces deux axes se rencontrent ainsi à peu près au mi- lieu de la cavité pelvienne, et forment un angle obtus en avant. Tl importe de connaître cette disposition , parce que le fœtus, dans sa sortie, devra suivre successivement ces deux axes, et conséquemment changer de direction. Les au- tres conditions que doit présenter la mère pour l'accomplis-

DE L'ACCOUCHEMENT. 127

sèment de l'accouchement naturel sont; un état de souplesse et d'humidité convenable dans les parties extérieures de la génération; une situation de l'utérus telle que cet organe soit dans l'axe du détroit abdominal ou à peu près; l'amin- cissement de son col , rendu ainsi apte à s'ouvrir et se dila- ter; enfin, l'accomplissement des changements qu'amène en ce viscère la grossesse ^ et qui développent en lui la faculté de contractilité qui lui est nécessaire. Nous ne pouvons nous refuser à faire remarquer la situation heureuse du va- gin , par rapport à l'utérus; véritable canal d'excrétion prolongeant l'utérus, il est impossible que celui-ci exprime de son intérieur le fœtus qui y est contenu , sans que le va- gin ne livre aussitôt passage à cet être.

Du côté du fœtus, les conditions consistent dans sa bonne conformation, et surtout dans une situation telle qu'il puisse suivre facilement la direction des axes du bassin et en traverser les détroits. Il faut pour cela qu'il présente une des extrémités de l'ovule qu'il forme dans sa totalité, ou la tête , ou les pieds, ou les genoux , ou les fesses. Ces posi- tions sont les seules dans lesquelles l'accouchement puisse se faire naturellement ; et de toutes , la plus fréquente et la plus favorable, c'est celle l'enfant présente le sommet de la tête, dans une direction oblique, l'occiput derrière la cavité cotyloïde gauche, et le front au-devant de la sym- physe sacro-iliaque droite : dans cette position , en effet, la tête de l'enfant présente ses plus petits diamètres aux plus grands diamètres du bassin, et par conséquent doit pouvoir traverser ce canal osseux avec plus de facilité. Cette position n'est pas l'effet du hasard, mais est due à la disposition des parties. D'abord la tête du fœtus, comme partie la plus promptement développée et la plus lourde, est de bonne heure dans la grossesse située en en bas, et appuyée sur le col de l'utérus. Ensuite, la saillie du rachis déjetant un peu décote l'utérus, et ordinairement à droite, parce que le cordon sus-pubien de ce côté est plus court , la tète de l'enfant partage cette obliquité de l'organe qui le ren- ferme. En troisième lieu, les muscles psoas, qui sont situés sur le côté du bassin, et qui agissent sans cesse pour la sta-

128 FONCTION DE LA GENERATION,

tion et la progression de îa femme , influent aussi sur cette situation oblique. En quatrième lieu, si l'occiput se trouve le plus souvent placé derrière l'une ou l'autre paroi antéro- latérale du bassin , c'est que le dos de l'enfanl a mieux s'accommoder des parois molles, souples et élastiques de l'abdomen , que de la colonne rachidienne , sur laquelle il ne devait pouvoir se fixer, à cause de sa convexité. Enfin , si c'est plus souvent à la cavité cotyloïde gauche que correspond l'occiput, c'est parce que , le plus souvent, le fond de l'utérus est incliné à droite. La nature a donc heu- reusement disposé les parties de manière à amener pres- que toujours cette position du fœtus, qui est la plus favo- rable à cet être et à la mère , pendant la grossesse et lors de l'accouchement. Tour ce qui est de la grossesse, le fœtus ayant ainsi sa face dorsale en rapport avec l'abdomen de sa mère , a moins à redouter les effets d'un coup, d'une chute, que s'il présentait de ce côté sa face sternale ; le contour du colon et le rectum, qui sont à gauche, sont moins compri- més et partant moins gênés dans leurs fonctions. Pour ce qui est de l'accouchement, nous avons déjà dit qu'ainsi le fœtus présentait ses plus petits diamètres aux plus grands diamèlres du bassin; l'occiput se trouve très près de l'ar- cade du pubis qu'il doit franchir ; il lui faut peu de temps pour parcourir un trajet de deux pouces sur les plans inclinés, lisses, que lui présentent les parois iskia- tiques et sous-pubiennes; le dos du fœtus présente une large surface aux muscles abdominaux, lorsque ceux-ci se- ront appelés à seconder l'action contractile de l'utérus; Ja paroi postérieure et latérale gauche de îa cavité du bassin est presque libre , et le rectum n'est que peu ou point com- primé; il ne l'est que dans le dernier temps du travail, lorsque le front se place dans îa courbure du sacrum , et ce n'est que pour peu de temps, la tête étant alors près de franchir le détroit périnéal , etc. Tous les avantages de cette position seront sentis quand nous parlerons du mécanisme de l'accouchement; car c'est d'après elle que nous décrirons celui-ci. Du reste, voici quelques généralités sur ce qui est de la position du fœtus relativement à l'accouchement.

DE L'ACCOUCHEMENT. 129

Les accoucheurs ont signalé quatre-vingt-seize positions possibles de l'enfant; vingt-quatre pour la tête, quatre pour les pieds, quatre pour les genoux, quatre pour les fesses, et soixante pour les quatre faces du tronc. Nous ne parlerons pas de ces dernières , parce qu'elles rendent tou- jours l'accouchement contre nature ou laborieux. Sur vingt mille cinq cent dix-sept accouchements faits à l'hospice de la Maternité , les positions des pieds se sont présentées deux cent trente-quatre fois ; celles des genoux quatre, et celles des fesses trois cent soixante-treize. Des vingt-quatre posi- tions de la tête, huit seulement permettent l'accouchement naturel; ce sont celles le sommet se présente, et elles se sont offertes dix-neuf mille sept cent trente fois sur le nom- bre total que nous avons cité. Les accoucheurs leur ont donné des noms qui suffisent pour les faire connaître; sa- voir : position occipito-cotyloïdienne gauche ou droite, occipito-pubienne, fronto-cotyloïdienne gauche ou droite, fronto-pubienne, et occipito-iliaque gauche ou droite. Sur le nombre d'accouchements précité, la première, qui est la plus fréquente , s'est présentée quinze mille six cent quatre- vingt-deux fois; la seconde trois mille six cent quatre-vingt- deux; la troisième, six; la quatrième, cent neuf; la cin- quième, quatre-vingt-douze, et la sixième, deux. Ainsi, sur les quatre-vingt-seize positions dans lesquelles peut se présenter l'enfant, il n'en est que vingt qui permettent l'accouchement naturel.

Mécanisme de l accouchement. L'accouchement a pour phénomènes principaux une série de contractions effectuées par l'utérus, contractions qui sont intermittentes, mais qui deviennent par degrés de plus en plus longues, fré- quentes et énergiques 3 et qui appelant bientôt à leur aide le concours des muscles abdominaux, parviennent à ouvrir l'orifice de l'utérus, à expulser de cet organe le fœtus, et à faire traverser à ce fœtus le bassin, le vagin, et les parties extérieures de la génération. Comme dans le travail de l'ac- couchement, il faut que successivement l'orifice de l'utérus s'ouvre assez pour laisser passer la tête de l'enfant, et que cet être traverse le détroit abdominal, l'excavation du bas- Tome IV. 9

i3o FONCTION DE LA GÉNÉRATION,

sin, le détroit, périnéal , et enfin les parties extérieures; comme dans cette succession d'actes, les phénomènes exté- rieurs, la fatigue, les douleurs, par exemple, ne sont pas les mêmes , les accoucheurs ont généralement partagé l'ac- couchement en plusieurs temps : mais chacun en a admis plus ou moins. Ant. Petit en reconnaissait trois. M. Désor- meaux établit ce même nombre , le premier, pour la dila- tation entière de l'orifice de l'utérus; le second, pour l'ex- pulsion entière du fœtus; et le troisième, pour ladélivrance. Nous suivrons le plan de M. Chaussier, qui en admet cinq.

A. Premier temps. Préparation à V accouchement. Ce pre- mier temps, qui pourrait être rapporté à la grossesse, est caractérisé par les divers phénomènes qui , dans les der- niers jours de cette époque, annoncent un prochain accou- chement. La tête du fœtus, enveloppée du col de l'utérus, est placée dans le détroit abdomiual, quelquefois même dans l'excavation du bassin; le ventre est abaissé; par suite, la respiration est plus libre, la circulation plus fa- cile, la femme se sent plus légère; mais comme l'utérus est plus bas., il y a de fréquentes envies d'uriner ; les symphyses du bassin sont évidemment relâchées ; le vagin s'humecte, s'assouplit, se dilate, et est le siège d'un écoulement glai- reux, mêlé quelquefois de quelques gouttes de saûg : le col de l'utérus, tout-à-fait aminci, effacé, commence à s'ouvrir; enfin , de temps en temps surviennent quelques contrac- tions de l'utérus, mais fort éloignées les unes des autres, et si légères, qu'elles sont sans douleurs, ou marquées seule- ment par un sentiment d'engourdissement dans cet organe.

B. Second temps. Dilatation de l'orifice de l'utérus. Dans le second temps, les contractions de l'utérus dilatent l'ori- fice de cet organe , et l'amènent au point de pouvoir donner passage au fœtus. Ces contractions, qui d'abord n'avaient eu lieu que de loin en loin , et qui étaient si faibles qu'elles n'étaient pas senties, graduellement deviennent plus fortes et surtout douloureuses. Bientôt leur rapprochement de- vient tel, et le caractère de douleur qu'elles ont revêtu si marqué , qu'on ne peut plus méconnaître que le travail de l'enfantement a commencé. On est assuré d'ailleurs, aux

DE L'ACCOUCHEMENT. i3l

caractères suivants , que les douleurs sont celles de l'accou- chement : d'un côlé, elles sont intermittentes, et séparées les unes des autres par des intervalles de repos absolu ; d'un autre côté, si l'on touche la femme pendant qu'elles ont lieu, on sent que le col de l'utérus est tendu, dur, par- tant en contraction, et même que l'œuf est poussé contre son orifice, ou saille au travers si celui-ci est déjà un peu dilaté. Ces douleurs sont en efièt les annonces inséparables des contractions de l'utérus, et c'est désormais par elles que l'on compte celles-ci ; se faisant sentir dès qu'elles ont lieu, quand même l'orifice de l'utérus serait dilaté et ou- vert, ou le fœtus expulsé, elles cessent quand l'utérus se relâche. Au dire de plusieurs accoucheurs , elles ne siègent que dans le col de l'organe; son fond et son corps ne font éprouver qu'un sentiment de pression et d'engourdisse- ment ; au moins est-il sûr que la distension qu'éprouve le col, surtout dans les premiers temps, ajoute à leur inten- sité naturelle ?

Le but de ces contractions utérines ou douleurs est de dilater et d'ouvrir l'orifice de la matrice, et voici par quel mécanisme. D'abord, les contractions se faisant du fond de l'organe à son col , c'est sur celui-ci que porte toute l'im- pulsion ; et comme ce col est alors très aminci par suite des développements de la grossesse, cela doit tendre à l'ouvrir et à le dilater. En second lieu, ces contractions détachent graduellement de la surface interne de la matrice ïes mem- branes de l'œuf, depuis l'ouverture du col jusqu'au pour- tour du placenta ; et dès lors, ces membranes, ainsi que l'eau qui les remplit, sont aussi poussées en en bas sur l'orifice , qu'elles doivent tendre également à dilater et à ouvrir. Enfin, dès que l'orifice utérin est un peu ouvert, les mem- branes de l'œuf s'y engagent sous forme de poche; et se ten- dant à chaque douleur, elles deviennent un excellent moyen pour amener l'orifice au degré d'ouverture et de dilatation convenable.

Pendant tout le temps que comporte ce travail, les mu- cosités glaireuses qui coulaient par le vagin sortent avec plus d'abondance; bientôt elles sont mêlées de sang, à cause

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l32 FONCTION DE LA GENERATION,

du détachement de quelques parties du placenta , de la rupture des vaisseaux qui établissaient les adhérences des membranes avec l'utérus , ou de celle de quelques fibres du col de cet organe. Les contractions utérines se succédant continuellement, graduellement l'orifice se dilate de plus en plus; à une certaine époque de sa dilatation, les mem- branes de l'œuf se crèvent; une partie de son liquide inté- rieur, ce qu'on appelle ses eaux, s'écoule au dehors; la tête de l'enfant se place immédiatement sur le col, et pressée sur lui avec énergie à chaque contraction utérine, elle en achève enfin la dilatation. C'est par ce mécanisme, qu'en plus ou moins de temps, le col de l'utérus s'ouvre au point de pouvoir donner passage à la tête de l'enfant, et de ne plus faire qu'un canal non interrompu avec le vagin.

C. Troisième temps. Trajet de la tête à travers l'orifice utérin. Les contractions et douleurs utérines devenant de plus en plus fortes, longues et rapprochées, et l'orifice utérin étant assez dilaté pour laisser passer la tête de l'en- fant, celle-ci paraît quelque temps prête à le franchir, et est ce qu'on appelle au couronnement. Elle le traverse enfin, étant poussée dans l'axe du détroit abdominal , et étant placée obliquement, Tocciput correspondant à la paroi co- tyloïdienne du côté gauche , et le front à la symphyse sacro- iliaque droite : dans ce moment, quelques fibres du col se déchirent., ordinairement au côté gauche. C'est de ce mo- ment aussi qu'aux contractions de l'utérus vont s'associer irrésistiblement les contractions des muscles abdominaux, et que les douleurs deviennent, comme on le dit, eocpul- sives. Dans cette période, la souffrance de la femme est déjà extrême; il y a trouble dans sa respiration, sa circula- tion; le pouls bat avec force, la face est colorée. Le fœtus, pressé immédiatement par l'utérus, est dans un état de tor- peur, et même d'asphyxie ou d'apoplexie ; la partie de la tête qui a supporté la pression de l'orifice utérin , en a con- servé souvent une tuméfaction , un thrombus, qui peut la faire reconnaître après la naissance.

D. Quatrième temps. Sortie du fœtus. La tête du fœtus ayant franchi l'orifice de l'utérus, est dans le vagin, rem-

de l'accouchement. i33

plissant l'excavation du bassin , et placée obliquement , l'occiput en bas contre la paroi cotyloïdienne gauche, et la face en haut dans la cavité du sacrum ; le menton est ap- puyé sur le sternum. De nouvelles contractions la font avancer; mais à mesure qu'elle cliemine dans le bassin, elle exécute une semi-rotation ; Focciput se porte sous l'arcade du pubis , et le front se place tout-à-fait dans la cavité du sacrum. Cela est nécessaire pour que la tête se place toujours dans les diamètres les plus grands du bassin; et nous avons dit que tandis que le diamètre le plus grand du détroit ab- dominal était le diamètre oblique, celui du détroit périnéal était le cocci -pubien. Les contractions se pressant de plus en plus , l'occiput s'engage sous l'arcade du pubis; le coccix en arrière est déprimé , et la tête s'avance vers l'orifice ex- terne du vagin. Alors les parties molles éprouvent une grande distension ; le périnée est tendu; le vagin s'accourcit et s'élargit; les caroncules et les nymphes s'effacent; les lè- vres de la vulve s'écartent. La tête de l'enfant est si forte- teraent comprimée, que le cuir chevelu se fronce pendant la douleur; elle exécute alors un mouvement d'extension, le menton s'éloignant de la poitrine sur laquelle elle ap- puyait auparavant. C'est alors aussi qu'irrésistiblement la femme ajoute à l'action expultrice de la matrice la contrac- tion des muscles abdominaux, et même de ceux de tout le corps. Les muscles des extrémités inférieures agissent pour maintenir le bassin dans la situation la plus favorable à l'expulsion de l'enfant ; ceux des membres supérieurs et du col se contractent pour donner toute fixité au thorax, sur lesquels les muscles abdominaux prennent leur point d'ap- pui ; on voit se produire tous les phénomènes qui s'obser- vent dans les plus violents efforts. À chaque douleur îa tête paraît prête à sortir; mais quand la douleur cesse, elle se renfonce de nouveau, repoussée par la résistance physique de la vulve et des parties. Enfin , dans un de ces douloureux efforts } la tête franchit la vulve, présentant successivement à l'extérieur la fontanelle antérieure, le front, le nez, la bouche, le menton, et se relevant ainsi sur le pubis de la mère ; les épaules traversent l'orifice de l'utérus ; bientôt

1 34 FONCTION DE LA GENERATION.

le reste du corps est expulsé de même , et presque saris peine; l'enfant sorti en enlier du flanc qui l'a porté res- pire, crie; et la circulation cessant dans le cordon qui l'attache à sa mère , on peut couper ce cordon et le séparer tout-à-fait.

E. Cinquième temps. Délivrance. À la fatigue extrême et aux douleurs excessives qui marquaient le temps précé- dent, succède d'abord un moment de repos délicieux; mais il faut que soient expulsés aussi le placenta et les autres parties annexes du fœtus. L'utérus, libre d'une portion de ce qu'il contenait, s'est resserré d'autant, et restant contracté, il forme une tumeur ronde, dure et égale par- tout , que l'on sent à travers les parois de l'abdomen. Bien- tôt de nouvelles douleurs surviennent. Le placenta pressé se fronce, et se détache des parois de l'utérus; les contrac- tions qui ont précédé ont d'ailleurs préparé ce détachement, en troublant la circulation de cet orgaue avec la matrice, en rendant graduellement moindre la quantité de sang qu'il en reçoit. Si le détachement ne se fait que successivement , le sang qui coule à l'occasion de la première partie décolée, s'accumule entre le reste de la masse et l'utérus, et concourt aussi à en amener le décollement complet. Alors, devenu corps étranger et libre, le placenta est poussé par les con- tractions utérines à travers l'orifice de l'utérus, le vagin et la vulve , et il entraîne avec lui les membranes propres de l'ovule. Il ne reste qu'une partie de l'épichorion ou mem- brane caduque, qui sortira avec les lochies. L'écoulement d'une petite quantité de sang vermeil marque ce dernier temps de l'accouchement.

Tout ce travail comporte un temps plus ou moins long , selon les conditions dans lesquelles sont et la femme et le fœtus. Le premier accouchement est toujours plus long que les suivants. Il est facile de distinguer dans cet acte ce qui est de l'action expuitrice du réservoir excrémentitiel , et ce qui est de l'action annexe des muscles circonvoisins : la pre- mière est telleriient la principale, qu'on a vu souvent des accouchements se faire après la mort , ou pendant des éva- nouissements, des léthargies, ou lorsque l'utérus était en

de l'accouchement. i35

prolapsus , et tout-à-fait en dehors de la cavité abdominale. De toute certitude , le fœtus y est passif. En vain Hippocj*ate attribuait une part quelconque à ses efforts; en vain on a dit, qu'appuyant fortement ses pieds contre le fond de l'u- térus, il poussait, avec sa tête contre l'orifice de l'organe : dans l'accouchement prématuré, évidemment le fœtus se- rait trop faible pour dilater le col de l'utérus, qui en ce cas est très résistant; n'accoucbe-t-on pas d'un œuf entier, d'une môle, d'un fœtus mort? le fœtus n'est-t-il pas trop serré pour pouvoir effectuer les mouvements qu'on lui sup- pose? ne sort-il pas quelquefois enveloppé encore de ses membranes ? Onaccoucbe, dira-t-on, moins vite d'un fœtus mort; mais c'est qu'alors ce fœtus ne faisant aucun mou- vement, ne réveille plus sans cesse les contractions utéri- nes, et qu'ainsi il y a souvent de grands intervalles entre chaque douleur, La contraction de l'utérus est la puissance principale , et son effet est tel que la main de l'accoucheur, laissée dans l'organe pendant qu'elle a lieu, en éprouve un engourdissement sensible. On s'est demandé pourquoi ces contractions ou douleurs sont intermittentes : Buffon en accusait la séparation partielle du placenta; mais quelque- fois le placenta est sorti le premier, et les douleurs, dans le reste du travail, se sont succédé comme à l'ordinaire. On a dit que l'application forte de l'utérus au fœtus amenait une pression des nerfs de cet organe , et par suite sa para- lysie momentanée ; mais alors, pourquoi les douleurs vont- elles en se rapprochant ? Cette intermittence des douleurs est un fait incontestable , mais dont la cause ne peut être assignée. Dans les premiers temps, elles se font sentir dans la direction d'une ligne qui se rendrait de l'ombilic à la se- conde pièce du sacrum; et dans les derniers, elles se por- tent au contraire de ce point du sacrum au coccix : on voit que ces deux directions sont celles des deux axes des détroits abdominal et périnéal , que dans son éduction doit suivre le fœtus.

Suites de l'accouchement. Dans les premiers moments qui suivent Faceouchenient, la femme conserve un senti- ment de faiblesse , de fatigue, qui bientôt amène un som-

1 36 FONCTION DE LA GÉNÉRATION,

me il paisible ; toute sa personne offre des traces de la grande secousse qu'elle a éprouvée , son œil est moins vif, sa face est pâle. Cependant les fonctions se remettent bientôt du grand trouble elles étaient; la respiration devient aisée, parce que l'abdomen vidé permet mieux le jeu libre du dia- phragme ; le pouls perd sa fréquence , devient ample, grand, et souple; ïa peau est molle, avec chaleur douce et hali- tueuse ; une légère moiteur s'établit, et cette moiteur per- sistera pendant toute la durée de la couche. L'utérus se resserre de plus en plus ; ses vaisseaux redeviennent flexueux, petits, et leurs orifices se bouchent : dans les premiers temps , il coule un peu de sang de sa surface interne; mais «à mesure que son resserrement s'effectue , cet écoulement di- minue et disparaît tout-à-fait pour faire place à celui qu'on appelle lochies. Quand il s'est amassé quelques caillots dans sa cavité, surviennent quelques contractions et douleurs qui en amènent l'expulsion. A mesure que l'utérus se ré- tracte, les divers viscèros de l'abdomen reviennent à leur position première , les muscles abdominaux se rapprochent, la ligne blanche se resserre, les ovaires, les trompes, les cordons sus-pubiens, le péritoine, reprennent aussi leur situation accoutumée; les parties extérieures génitales, qui souvent ont été conluses, graduellement deviennent de moins en moins douloureuses et se resserrent aussi. Tous ces changements commencent à se faire immédiatement après îa délivrance; niais les effets de plusieurs ne sont sen- sibles qu'après plusieurs jours , et il faudra un mois et plus pour qu'il ne reste plus de traces de l'accouchement. Pen- dant les deux premiers jours, du sang coule par la vulve ; ce sang provient des vaisseaux qui étaient étendus de l'utérus à ]a surface du placenta ; mais sa quantité diminue à mesure que l'utérus se resserre. Au troisième jour, il fait place à un écoulement sanguinolent, roussâtre. Le quatrième et le cinquième, la matière de cet écoulement devient épaisse, blanchàlre, puriforme, a une odeur fétide, et se compose évidemment des débris de Pépichorion qui s'exfolie et de la sérosité que fournissent les orifices des vaisseaux de l'utérus. À mesure, que l'épichorion est expulsé, et que l'u-

DE L'ACCOUCHEMENT. 187

térus, consécutivement à son resserrement qui continue de se faire, est dégorgé , l'écoulement perd de son odeur fétide, et redevient une sérosité muqueuse et blanchâUe. Enfin diminuant par degrés, cet écoulement, qui constitue ce qu'on appelle les lochies , disparaît tout-à-fait après vingt à trente jours. L'utérus emploie deux mois à revenir à son premier volume; cependant il reste toujours un peu plus gros, et un peu moins dense; ses lèvres sont plus épaisses, plus longues, plus écartées, surtout la postérieure; et on observe une ou deux fissures au côté gauche de son orifice vaginal. Les symphyses du bassin se raffermissent aussi, ce- pendant le bassin reste toujours un peu plus ample, et la taille est moins svelte. Quoique la peau de l'abdomen se soit resserrée, elle conserve des éraillures blanchâtres, dés- ormais indélébiles, et sensibles surtout vers l'hypogastre et l'ombilic. Nous ne parlons pas de la sécrétion laiteuse qui s'établit vers le troisième jour de la couche; nous allons en traiter tout à l'heure en particulier. Enfin, pendant que l'écoulement des lochies subvient aux changements locaux qui se font dans l'utérus, celui de la transpiration cutanée, qui est sensiblement augmentée , remédie à la pléthore lympbatique que l'état de grossesse avait amené , et est l'an- nonce du retour de l'état général des humeurs à ce que ces humeurs doivent être hors l'état d'exercice de l'appareil génital : cependant quelquefois l'allaitement prolonge cette constitution humorale particulière; et souvent les femmes conservent tout le temps qu'elles nourrissent 3a surabon- dance de sucs blancs et de graisse, la mollesse et la blan- cheur de la peau, qui s'étaient développées en elles à l'oc- casion de la grossesse.

Tel est l'accouchement, fonction plus laborieuse dans l'espèce humaine que dans les autres animaux , parce que le fœtus humain a une tête beaucoup plus grosse, et que le bassin , au lieu d'être dans l'axe même du corps, est oblique sur le racbis.

i38 1- ONCTION DE LA GENERATION.

ARTICLE V.

De la Sécrétion du lait et de la Lactalion.

Bien qu'après l'accouchement, l'enfant soit tout-à-fait séparé de sa mère et ait sa vie isolée , le rôle de la femme pour la reproduction n'est pas encore terminé : il faut en- core qu'elle fournisse l'aliment dont l'enfant va user dans les premiers mois de son existence, le lait. Celui-ci est le produit de l'action sécrétoire des mamelles; il est créé par le mécanisme ordinaire des sécrétions; mais il y a débats sur les matériaux dont il émane , et sa sécrétion diffère de toutes les autres par les circonstances particulières qui la mettent en jeu.

Sans doute plusieurs sécrétions présentent dans leur exer- cice des alternatives de grande activité et de diminution; ]a sécrétion de la salive , par exemple , est presque tarie iiors le temps des repas. Mais il n'en est aucune qui soit aussi évidemment intermittente que la sécrétion du lait. C'est en vain que son appareil , la glande mammaire , reçoit le sang qui doit fournir à son travail ; il faut , pour que la sécréiion ait lieu, que cette glande ait acquis, par l'in- fluence de la grossesse et de l'accouchement, un état d'exci- tation particulier. En effet . non -seulement les glandes mammaires sont étroitement unies à toutes les autres parties de l'appareil génital; elles n'apparaissent comme elles, ou du moins ne prennent un grand développement qu'à la pu- berté ; elles disparaissent ou se flétrissent à l'âge critique; les seins grossissent , se gonflent à chaque période men- struelle; ils s'érigent un peu dans le coït : mais, de plus, les mamelles n'exercent d'ordinaire leur travail sécrétoire que consécutivement à la grossesse et à l'accouchement. On a bien quelques exemples de filles vierges , d'hommes même dont la mamelle , irritée par des efforts de succion , a fourni du lait : nous avons cité , d'après M. de Humholdt , un homme de trente-deux ans qui a, pendant cinq mois, al- laité son enfant; Baudeloque a vu une petite fille d'Aiençon,

DE LA SÉCRÉTION DU LAIT ET DE LA. LACTATION. 1 3g âgée de Luit ans, qui allaita son frère pendant un mois : l'histoire a conservé le trait de cette jeune Romaine qui nourrit aussi de son lait son vieux père en prison ; ce phé- nomène a même été observé chez des femmes septuagénaires. Mais ce ne sont que des exceptions; le plus ordinaire- ment c'est l'impulsion que les autres parties génitales reçoi- vent de la conception , de la grossesse et de l'accouchement , qui , en retentissant dans les glandes mammaires, détermine la sécrétion du lait ; et cette sécrétion est aussi évidemment intermittente que la grande fonction dont elle fait partie. Dès lors, puisqu'elle n'est pas continue, comme le sont presque toutes les autres sécrétions, il importe d'abord de détailler comment elle entre en jeu.

Nous avons dit que , dès les premiers temps de la concep- tion, les seins se gonflaient : cette augmentation de volume marque le commencement de la sécrétion du lait; souvent dès le milieu de la grossesse, ce fluide coule de lui-même des mamelles; mais c'est moins un lait proprement dit, qu'un fluide séreux. Il en est de même le premier et le deuxième jour qui suivent l'accouchement; déjà l'enfant puise dans les mamelles du lait; mais ce lait est loin d'offrir la con- sistance qu'il aura par la suite , il est très séreux, on l'ap- pelle coloslrum; et l'on croit qu'il est un peu purgatif, et a Futilité de faire évacuer à l'enfant son méconium : il est sûr au moins qu'il est proportionné à la délicatesse de l'estomac de l'enfant. Mais, au troisième jour de la couche, tout à coup les mamelles se gonflent, durcissent, deviennent dou- loureuses; elles sont évidemment un centre de fluxion; de la fièvre sympa thiquement accompagne leur travail; et leur sécrétion s'établit alors avec la forme qu'elle aura désormais pendant toute la durée de l'allaitement. L'organe a tout à coup revêtu une activité qui a, dans le premier instant, la forme d'une maladie , et c'est une nouvelle différence de la sécrétion du lait avec les autres sécrétions. Quelle cause détermine ainsi cette fluxion soudaine sur les mamelles ?On a parlé de la rétraction del'utérus qui revient sans cessedeplus en plus sur lui-même, et qui, surtout , n'ayant plus à nour- rir le fœtus, cesse d'être un centre de fluxion. On a invoqué

l4o FONCTION DE LA GENERATION,

ia loi du balancement des organes , et surtout une harmonie préétablie, en vertu de laquelle les diverses parties d'un même appareil deviendraient tour à tour un point fluxion- naire. dans l'ordre selon lequel leurs fonctions doivent se succéder. Quelques-uns ont accusé l'irritation résultant de la succion exercée par l'enfant; mais cette dernière cause n'est certainement qu'accessoire, puisque sans elle les ma- melles ne se gonflent pas moins. Toutefois, la sécrétion une fois commencée, la succion exercée par l'enfant en consomme successivement leproduit ; et en même temps, par l'irritation qu'elle cause dans la mamelle , cette succion en entretient l'activité sécrétoire. Ce n'est en effet que le premier jour, que la fluxion a le caractère d'excitation qui simule une maladie; bientôt l'appareil fébrile cesse, et désormais la sécrétion s'effectue d'une manière aussi calme que toutes les autres. Le lait, dans les premiers jours, est séreux encore; ensuite il devient de plus en plus épais et consistant, à me- sure que la sécrétion se prolonge.

De quels matériaux provient le lait? les physiologistes sont ici dissidents. M. Richerand le dérive de la lymphe, et se fonde , sur ce qu'il y a dans les mamelles huit fois plus de vaisseaux lymphatiques que de vaisseaux sanguins ; sur ce que ces vaisseaux lymphatiques évidemment gros- sissent dans les temps de lactation; sur ce que Haller a vu, par des injections, les conduits excréteurs du lait communiquer évidemment dans le tissu graisseux des seins; sur ce qu'enfin ia glande mammaire n'a pas une structure aussi évidemment granulée que celles des autres glandes, et ressemble davantage , par sa texture , aux ganglions lymphatiques. Mais aucune de ces raisons ne constitue une démonstration rigoureuse. Le volume du sein, et la masse considérable de tissu cellulaire graisseux qui entre dans sa structure, expliquent pourquoi les vaisseaux lymphatiques y sont si abondants. M. Sallion , auteur d'un Mémoire cou- ronné, sur la sécrétion laiteuse, pense d'ailleurs que M. Ri- cherand a pris pour des vaisseaux lymphatiques plusieurs des vaisseaux excréteurs du lait. Si les vaisseaux lymphali- ques des seins grossissent dans les temps de lactation, il en

DE LA SÉCRÉTION DU LAIT ET DE LA LACTATION. l4l

est de même de leurs vaisseaux sanguins, et particulière- ment de leurs artères. Si les conduits excréteurs du lait ont des communications dans le tissu graisseux du sein, ils en ont de plus évidentes encore et de plus faciles avec les vais- seaux sanguins de cette partie; voit-on d'ailleurs la graisse du sein diminuer en proportion de la quantité du lait qui est sécrétée ? voit-on cette graisse influer, par sa quantité, sur l'abondance de la sécrétion? Si la glande mammaire a une texture moins granulée que toute autre glande, elle n'en est pas moins bien différente des ganglions lymphati- ques. Enfin , si c'est la lymphe- qui alimente la sécrétion laiteuse, pourquoi les lymphatiques qui de l'abdomen vont aux seins, sont-ils plus gros en sortant de ces organes qu'en y entrant? Nous n'admettons donc pas l'idée de M. Riche- rand. D'autres ont fait dériver le lait du chyle, se fondant sur ce que la sécrétion de ce fluide s'active sensiblement après les repas, et sur ce que le lait partage très prompte- ment les qualités des aliments que l'on a pris. Mais ce que nous avons dit dans le temps de la circulation du chyle et de son transport dans le sang, réfute suffisamment cette assertion. Ce ne serait que par le sang que ce chyle arriverait à la glande mammaire, et encore il n'y arriverait qu'en très petite quantité , le reste étant envoyé aux autres parties du corps. Si le lait des nourrices monte, comme on dit, après les repas, cela tient à l'excitation que les mamelles reçoivent sympathiquement du travail de l'estomac; et si ce fluide accuse promptement quelques-unes des qualités des aliments qui ont été pris, on a vu qu'il en était de même de toutes les autres humeurs sécrétées. Cependant il faut convenir que la filière mammaire est plus accessible qu'aucune autre fi- lière sécrétoire, à la pénétration des parties hétérogènes des aliments; voyez avec quelle facilité le lait de nos bestiaux accuse les qualités des pâturages dont ils sont nourris. Sur cette facilité repose , dans notre espèce , la possibilité de faire prendre aux nourrices les médicaments que réclament les maladies des enfants à la mamelle. M. Girard de Lyon, a émis, sur la sécrétion lactée, une opinion moins fondée encore que les précédentes; selon lui, il existe clans l'ab-

i42 FONCTION DE LA GENERATION,

domen un appareil de vaisseaux intermédiaires à L'utérus et à la mamelle, restant inactifs hors les temps de grossesse et d'accouchement , entrant tout à coup en jeu à ces époques, et conduisant, de l'un de ces organes à l'autre , les matériaux de la sécrétion. Mais est ce prétendu appareil vasculaire ? l'auteur de l'hypothèse avoue lui-même n'avoir pu le dé- couvrir. Au milieu de toutes ces dissidences , il nous semble évident que la sécrétion du lait, ainsi que toutes les autres sécrétions du corps, est alimentée par le sang artériel. D'a- bord , nous venons de le prouver en quelque sorte par voie d'exclusion , puisqu'il nous a été impossible d'en trouver la source en aucun autre fluide. En second lieu, c'est ce que porte à croire l'analogie des autres sécrétions ? Enfin , n'en a-t-on pas une preuve directe, lorsqu'on voit, en de certains cas, les efforts de la succion finir par faire sortir des seins le sang lui-même ?

Ces diverses questions discutées, l'histoire de la sécrétion laiteuse se réduit aux considérations générales à toutes les sécrétions. Le sang artériel, apporté par les artères mam^ maires dans le parenchyme de la glande , est saisi par les radicules sécréteurs, et changé en lait. Celui-ci circule dans les vaisseaux sécréteurs. Les causes qui l'y fout cheminer, sont , d'une part, la continuité de la sécrétion aux origines du système sécréteur, et de l'autre, une action contractile de ces vaisseaux. Sa progression y est lente, à raison de la faiblesse de cette dernière cause, et parce que les vaisseaux lactifères font de longs replis. Si la sécrétion est continue, l'excrétion ne Test pas, et n'a lieu que d'intervalles en in- tervalles. Il semblerait dès lors qu'il devrait y avoir dans l'appareil lacté un réservoir pour le lait, comme il en est un pour la bile, le sperme, dans les appareils biliaire et sperma tique : mais ce sont les vaisseaux excréteurs du lait qui eux-mêmes en tiennent lieu; la nature les a faits dans cette vue très longs et très repliés : cela est si vrai , que lors- que les nourrices tardent quelque temps à donner à téter à leurs enfants, leurs seins se gonflent et deviennent doulou- reux. La petitesse des vaisseaux sécréteurs facilite le séjour du lait dans leur intérieur; et d'ailleurs leurs orifices exté-

DE LA SÉCRÉTION DU LAIT ET DE LA LACTATION. l4& rieurs sont bridés au mamelon du sein , qui est le point auquel ils aboutissent. Le lait , pendant son cours dans ces vaisseaux, est-il modifié? il est probable qu'il ne fait que s'épaissir un peu par l'absorption de sa partie la plus aqueuse.

Quant à l'excrétion, elle n'a lieu que d'intervalles en in- tervalles; et à cause de cela on peut la distinguer de la sé- crétion qui est continue. Quand les vaisseaux lactifères de la mamelle sont suffisamment pleins, un sentiment de pe- santeur, de gonflement , de douleur à ce! te partie , accuse le besoin qu'elle a d'être vidée; quelquefois alors l'excrétion se fait spontanément, mais le plus souvent elle ne se fait que consécutivement à l'action de succion. Cette succion a le double effet, d'un côté, d'irriter les canaux galactopho- res, et d'en provoquer la contraction; d'un autre côté, de déterminer l'érection du mamelon du sein, et de relâcher par les brides qui ferment les orifices des excréteurs. Il est d'autant moins possible de douter de ce dernier fait, qu'une sensation de plaisir est éprouvée alors par la nour- rice, et qu'un orgasme voluptueux s'étend à tout le sein, même au tissu graisseux qui le compose. Les petites mains de l'enfant, qui d'ordinaire se promènent sur l'organe, et le pressent, concourent aussi à exciter son travail sécrétoire. On voulait que le vide fait dans la bouche par l'acte de succion ait aussi une influence physique sur la projection du lait dans la bouche de l'enfant; mais cela n'est guère probable , et la contraction des vaisseaux excréteurs est la seule cause du jet qu'offre souvent ce fluide au moment de son expulsion. Il n'y a pas ici d'appareil musculaire volon- taire annexé à l'organe d'excrétion , comme cela est dans la plupart des autres excrétions.

11 nous reste à faire l'étude du lait lui-même. C'est un liquide blanc, opaque, d'une saveur douce et sucrée, d'une odeur particulière, et d'une pesanteur spécifique supérieure à celle de l'eau distillée. C'est une liqueur très azotée, com- posée d'eau , de matière caséeuse , de sucre de lait , de quel- ques sels (muriate de potasse , phosphate de potasse , acétate de potasse avec un vestige de lactate de fer, phosphate ter-

l44 FONCTION DE LA GENERATION,

reux), et d'un peu d'acide lactique. M. Berzèlius distingue en lui ia crème et le lait , et assigne à chacune de ces deux matières la composition suivante : crème, beurre, 4>5 ; fromage, 3,5; petit-lait, 92,0; et dans ce petit-lait, il y a 4>4 de sucre de lait et de sel : lait , eau, 928,75; fromage avec une trace de sucre, 28,01; sucre de lait, 3 5, 00 ; muriate de potasse, 1,70; phosphate de potasse, o,25; acide lacti- que, acétate de potasse et lactate de fer, 6,00; phosphate de chaux, o,3o. Il y a dans le lait de la femme plus de sucre de lait et moins de matière caséeuse , que dans celui de nos animaux domestiques , d'où résulte que ce lait est plus doux, plus liquide, moins coagulable, et que jamais on n'a pu fabriquer de beurre avec sa crème. Du reste, la nature chi- mique du lait varie un peu selon les aliments dont use la femme; il est plus abondant, plus épais et moins acide, quand ces aliments sont tirés du règne animal. Quant à la quantité du lait, cela varie encore selon la constitution de la femme , le degré de vitalité de la mamelle, la nature plus ou moins bonne du régime alimentaire de la nourrice, sur- tout selonl'époque de lalactation. A mesure que l'allaitement se prolonge , non-seulement le lait devient de plus en plus épais et consistant, mais il est plus ou moins abondant; dans les premiers mois de la nourriture, sa quantité paraît augmenter; mais dans les derniers elle diminue graduelle- ment, et à la fin la sécrétion se tarit. La quantité du lait est généralement évaluée au tiers de l'alimentation.

Telle est la sécrétion laiteuse : comme toute autre sécré- tion excrémentitielle , elle est modifiée par les deux usages spéciaux des excrétions, la dépuration du sang et la décom- position du corps. D'un côté, le lait trahit promptement la présence des diverses substances hétérogènes portées du dehors ou du dedans dans le sang. D'autre part , chez la femme nourrice, les autres excrétions du corps sont dimi- nuées, ou au moins le besoin de l'alimentation est plus prononcé pour remédier aux déperditions plus grandes qui sont faites. Sous ce double rapport, la sécrétion du lait entre aussi en solidarité avec toutes les autres. Du reste , elle est un des actes de l'économie les plus susceptibles d'être

DE LA SÉCRÉTION DU LAIT ET DE LA LACTATION. l45 modifiés par toute influence, soit externe, soit organique - qui ne sait quelle atteinte prompte elle reçoit d'une affec- tion morale vive ?

Généralement, pendant tout le temps qu'elle a lieu l'ex- crétion menstruelle ne se fait pas; si celle-ci survient le plus souvent la sécrétion du lait s'arrête, ou son produit est de mauvaise qualité. Ce dernier effet est encore plus constant, s'il survient une nouvelle grossesse. Le retour des règles annonce généralement, que l'appareil génital est tout-à-fait revenu à son type primitif d'activité, et que la sécrétion du lait va prochainement cesser. La nature a heu- reusement proportionné la durée de cette sécrétion au dé- veloppement de l'enfant; à mesure que celui-ci croît son estomac devient apte à digérer un aliment plus substantiel bientôt le lait, quoiqu'il devienne de plus en plus épais est insuffisant; il faut recourir à quelques aliments artifi- ciels ; la pousse des dents est l'annonce de ce progrès* alors l'enfant demande moins souvent à tetter, et la mamelle moins irritée sécrète moins. Ainsi, la quantité du lait di- minue à mesure que le besoin de ce liquide devient moin- dre; vers dix mois, un an, l'enfant ne tetle plus que deux à trois fois dans le jour; à la fin, il refuse le sein, et l'al- laitement est terminé. D'un côté, l'appareil utérin repre- nant ses fonctions accoutumées , le sein a tendance à revenir à son inaction première; il ne faut guère moins qu'une irritation renouvelée plusieurs fois le jour pour entretenir son action de sécrétion. D'un autre côté, l'enfant a moins d'avidité à tetter, et à la fin se refuse à ce mode d'alimen- tation. La sécrétion doit donc se tarir, et c'est en effet ce qui arrive vers un an ou deux au plus, si on ne change pas de nourrisson. L'allaitement fini, la grande fonction delà génération est accomplie.

Telle est la génération , par laquelle se reproduisent , se conservent, et peut-être se perfectionnent les espèces vi-. vantes. Action exclusive aux êtres vivants, elle diffère de toutes les autres fonctions, en ce que son accomplissement Tome IV. 10

i 46 FONCTION DE LA GÉNÉRATION.

n'est pas possible pendant tout îe cours de la vie : n'entrant en exercice que lorsque la croissance du corps est achevée , par conséquent bien plus tard que toutes les autres fonc- tions, elle cesse aussi bien plus tôt, dès les premiers temps de la vieillesse. A l'article des âges, nous indiquerons ce qui est d'elle en chacun d'eux. Dans les animaux, elle n'est même possible qu'à des époques déterminées de l'année; mais l'homme peut à peu près l'accomplir en tout temps, pendant toute l'époque de sa vie dans laquelle il en a l'apti- tude. Bien que l'appareil génital ait des influences fort remar- quables sur tout le reste de l'économie, comme nous le ver- rons ci-après, on peut cependant s'abstenir toujours de l'acte de génération, et même extirper l'organe principal de cette fonction, ie testicule ou l'ovaire, comme le prouve l'exemple des eunuques. Du reste, sous le rapport philoso- phique, on peut considérer la génération comme une mo- dification de la propriété générale d'expansion de la matière, et dire avec les physiologistes que son but est opposé à celui de la nutrition, puisqu'elle détruit l'individu afin d'assurer l'existence de l'espèce.

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APPENDICE

AUX DEUX DERNIÈRES CLASSES DE FONCTIONS.

De V innervation.

Nous avons établi que dans les animaux supérieurs, et par conséquent dans l'homme, le système nerveux, non- seulement régissait toutes les actions sensoriales , la classe entière des fonctions de relation; mais encore , qu'il se sub- ordonnait toutes les fonctions organiques, toutes les ac- tions qui se produisent dans l'économie irrésistiblement et sans que nous en ayons conscience. Nous avons dit qu'on avait localisé dans une des portions de ce système , le grand

DE L INNERVATION. i £j

sympathique , cette influence exercée par le système ner- veux sur toutes les parties et sur toutes les actions de l'éco- nomie des animaux supérieurs. Pour compléter l'histoire des fonctions , il faut donc traiter de cette action spéciale du système nerveux , qu'on appelle innervation , et de l'of- fice du grand sympathique; soit qu'on considère cette par- tie nerveuse comme servant tour-à-tour de moyen d'union ou de moyen d'isolement entre les organes des fonctions in- térieures et ceux des fonctions extérieures; soit qu'on la regarde comme le moteur principal , le dispensateur pri- mitif de l'impulsion vitale, et l'agent de cette influence nécessaire à toute vie, et appelée innervation. Nous allons d'abord rappeler brièvement quelle est sa disposition ana- tomique, ainsi que celle d'un autre nerf, qui, comme lui semble être jusqu'à un certain point affecté au jeu des or- ganes intérieurs, le nerf vague ou moyen sympathique.

CHAPITRE PREMIER.

Anatomie du grand Sympathique.

Le grand sympathique, appelé encore nerf trisplanchnU que. système nerveux ganglionnaire , système nerveux de la vie organique , est, chez l'homme, un long cordon ner- veux, étendu de la tête au bassin, sur les côtés et le long du rachis , et offrant dans ce trajet une série de renflements appelés ganglions, desquels partent deux sortes de nerfs; les uns, originels ou. anastomotiques , qui aboutissent à plusieurs des nerfs encéphaliques età tous les nerfs spinaux; les autres, qui sont les nerfs propres de ce système, qui s'attachent aux artères, et vont avec elles se distribuer aux divers organes des fonctions intérieures , partout se pro- duisent quelques actes indépendants de la volonté.

Des divers ganglions qui forment le nerf, le premier ou le supérieur, est appelé ophtlialmique, et situé dans le crâne au côté externe du nerf optique , près du lieu ce nerf entre dans l'orbite. De ce ganglion, le grand sympathique se continue sons la forme d'un filet nerveux très fin, qu'a

10.

i48 de l'innervation.

récemment découvert Bock, jusqu'à un second ganglion renfermé dans le canal carotidien et le sinus caverneux. Arrivé à la hase du crâne , il descend le long du col , offrant dans ce trajet trois autres ganglions; le ganglion cervical supérieur, situé au-devant des apophyses des trois premières vertèbres cervicales; le ganglion cervical moyen, situé entre les cinquième et sixième vertèbres cervicales; et le ganglion cervical inférieur, situé entre la septième vertèbre cervicale et la première dorsale. Plongeant alors dans le thorax, et se prolongeant jusqu'au coccix , dans cette longueur, il offre de nouveaux ganglions, savoir : douze thoraciques , situés à côté du corps des vertèbres dorsales sur l'extrémité articu- laire des côtes; cinq lombaires , au niveau du corps de cha- cune des vertèbres lombaires; et quatre sacrés sur la partie antérieure du sacrum. A son extrémité inférieure , le grand sympathique, ou s'unit en arcade avec le nerf du côté op- posé, ou se termine par un dernier ganglion , le coccigien.

Outre les cordons nerveux que de haut en bas s'envoient les divers ganglions, et qui font de tout le grand sympa- thique un système continu, chaque ganglion, avons-nous dit, fournit deux espèces de nerfs; les uns, qui font com- muniquer le grand sympathique à plusieurs paires encé- phaliques, et à toutes les paires spinales; et les autres, qui s'attachent aux artères, forment autour d'elles des réseaux, les suivent dans toutes leurs divisions, et se distribuent avec elles aux organes des fonctions involontaires.

Les premiers sont appelés des racines , ou des rameaux anastomotiques , selon qu'on considère le grand sympathique comme un nerf dérivé de l'encéphale ou de la moelle spi- nale, ou comme un système nerveux à part, mais mis en communication avec ces deux centres. Chaque ganglion en fournit qui se rendent aux nerfs encéphaliques et spinaux qui sont à leur hauteur. Ainsi le ganglion ophthalmique en détache qui vont s'unir à la troisième paire encéphalique, et à une des divisions delà cinquième, la branche frontale de l'ophthalmique de Willis. Du plexus gangliforme situé dans le canal carotidien , il en naît deux qui vont à la sixième paire encéphalique , et un qui va au nerf vidien de

ANATOMIE DU GRAND SYMPATHIQUE. i49

la cinquième. Les ganglions cervicaux communiquent avec les paires cervicales; le supérieur, avec les trois premières paires et souvent la quatrième ; le moyen, avec la cinquième et la sixième ; et l'inférieur, avec la septième et la huitième, et avec la première paire dorsale. Chaque ganglion thora- cique envoie un ou deux filets anaslomotiques à la paire dorsale qui lui correspond. Enfin il en est de même des gan- glions lombaires et sacrés, par rapport aux nerfs lombaires et sacrés.

Les seconds sont au contraire appelés les nerfs propres du grand sympathique, parce que ce sont eux qui se dis- tribuent aux organes , et qui probablement leur apportent l'influence nerveuse , quelle qu'elle soit : nous allons les indiquer selon qu'ils proviennent des ganglions de la tête, du col , du thorax, et des lombes.

A la tête; du ganglion ophthalmique partent dix à douze filets qui s'accolent aux artères ciliaires , et vont avec elles se distribuer dans l'œil à la membrane iris. Le plexus qui est dans le canal carotidien fournit plusieurs nerfs qui s'attachent à la carotide interne , forment sur elle des plexus secondaires, et la suivent dans ses divisions.

Au col, le ganglion cervical supérieur donne naissance à de nombreux filets, dont voici rénumération : les uns, internes, se portent au pharynx et au larynx, s'anastomo- sant dans la première de ces parties avec le glosso-pharyn- gien, et dans la seconde avec les nerfs laryngés , divisions de la huitième paire encéphalique : les autres, antérieurs , d'un côté suivent l'artère carotide primitive, jusqu'à son origine à l'aorte ou à la sous-clavière ; de l'autre côté, ac- compagnent la carotide externe et se subdivisent en nom- breux plexus, pour chacune des branches de cette artère, savoir, la linguale , la labiale, l'occipitale , la pharyngienne inférieure, la temporale. De nombreux filets des nerfs fa- cial, vague, glosso-pharyngien, et grand hypoglosse, con- courent aussi à la formation de ces plexus. Enfin, quelques- uns naissant de la partie inférieure du ganglion, se réunissent bientôt en un seul cordon pour former un des nerfs du cœur, le cardiaque superficiel ou supérieur. Des nerfs du

l5o de l'innervation.

ganglion cervical moyen , les uns forment un plexus à l'ar- tère thyroïdienne inférieure , la suivent dans ses divisions , et se distribuent à la thyroïde, à l'œsophage, à la trachée; les autres forment un autre des nerfs du cœur, le plus gros, celui qu'on appelle le nerf cardiaque principal ou moyen : cependant ceci n'est vrai que du côté droit; au côté gauche, le plus souvent ce nerf cardiaque manque. Enfin le gan- glion cervical inférieur fournit; d'abord, de nombreux fi- lets qui suivent, et l'artère vertébrale dans le canal des ver- tèbres, et l'artère sous-davière dans ses divisions à l'épaule et au bras ; ensuite, quelques nerfs qui vont aux poumons , à la courbure de l'aorte , s'unissant dans leur trajet au ré- current et audiaphragmatique ; enfin, à sa partie inférieure, le dernier nerf du cœur, le cardiaque inférieur. Remar- quons que ces trois nerfs dits cardiaques ne vont pas di- rectement au cœur; ceux du côté droit et ceux du côté gauche se réunissent en un plexus unique, situé à la partie postérieure de la crosse de l'aorte; et c'est de ce plexus, appelé par Scarpa, ganglion cardiaque , à la composition duquel concourent plusieurs filets du nerf vague , et dans lequel on ne peut plus distinguer ce qui est des nerfs car- diaques droits, et ce qui est des nerfs cardiaques gauches, que naissent les nerfs du cœur, qui, suivant les artères co- ronaires antérieure et postérieure , se distribuent avec elles au tissu de cet organe et à l'origine des gros vaisseaux.

De tous les ganglions thoraciques , naissent d'abord de nombreux filets destinés à l'intérieur du thorax et aux par- ties circonvoisines , accompagnant, par exemple, les artères intercostales jusqu'à leur origine, et se prolongeant sur le tronc de l'aorte pectorale. En outre, des sept derniers de ces ganglions , proviennent deux gros nerfs , le grand splan- chnique et le petit splanchnique , qui pénètrent dans Fab- domen par un écartement ménagé entre les fibres du dia- phragme. Le grand splanchnique se partage en plusieurs rameaux assez gros, qui aboutissent à un gros ganglion, placé sur les piliers du diaphragme , entre l'aorte et les cap- sules surrénales, et appelé semi-lunaire. Ce ganglion est uni à celui du côté opposé par beaucoup de rameaux adhé-

ANATOMIE DU GRAND SYMPATHIQUE. l5l

rcDts à l'aorte abdominale, el au tronc cœîiaque; et de leur réunion , ainsi que de plusieurs filets venant du nerf vague, résulte un vaste plexus, appelé solaire, situé au- dessous de l'estomac et au-dessus du rachis, et dont quel- ques physiologistes ont voulu faire un second centre ner- veux général , qu'ils ont appelé cerveau abdominal. Alors de ce plexus solaire , ainsi que des ganglions semi-lunaires , naissent de nombreux filets accompagnant toutes les divi- sions de l'aorte abdominale , et formant autant de plexus secondaires qu'il y a de branches à cette artère. Ainsi, les uns, sous le nom de -plexus diapliragmatique , accompa- gnent l'artère diapliragmatique inférieure, et dans le tissu du diaphragme s'anastomosent avec le nerf diaphragmati- que. Les autres , sous les noms de plexus coronaire, stoma- chique , hépatique, splénique , mésentérique supérieur, mésentérique inférieur, rénal, surrénal, spermatique, hy- pogastrique , suivent chacune des artères de ce nom, et se distribuent aux organes auxquels elles aboutissent, l'esto- mac, le foie, la rate, l'intestin grêle, le gros intestin, les reins, les capsules surrénales, les testicules, les ovaires, l'utérus , le vagin , l'anus , etc. A l'estomac et au foie, ils s'a- nastomosent avec des filets du nerf vague. Selon M. Chaus- sier, dans le fœtus, quelques-uns des filets du plexus hé- patique s'accolent à la veine ombilicale, et la suivent jusque dans le placenta. Le petit splanchnique arrive aussi dans l'abdomen, et s'y partage en deux rameaux, dont l'un s'unit au grand splanchnique, et dont l'autre se divise entre le plexus solaire et le plexus rénal. Souvent des onze et douzième ganglions thoraciques naît un troisième nerf splanchnique , appelé, par Walter, nerf rénal postérieur, parce qu'il se rend aussi au plexus rénal. Du reste, les ganglions semi-lunaires sont moins deux ganglions seule- ment , qu'un groupe formé par la réunion d'un très grand nombre ; et le plexus solaire est plus formé par les nom- breux filets qu'il reçoit de ces ganglions que par les nerfs splanchniques, qui ne sont probablement que des moyens de communication entre ces ganglions semi-lunaires et les thoraciques.

l52 de l'inwervation.

Les ganglions lombaires fournissent des filets fort nom- breux et fort ténus, qui presque aussitôt s'entrelacent en- semble, forment un plexus à l'aorte abdominale , et vont concourir à la formation des plexus splénique , hépatique , rénaux et mésentérique inférieur surtout. Enfin, ceux qui proviennent des ganglions sacrés , en partie s'anastomosent avec ceux du côté opposé , et en partie se portent dans le plexus hypogastrique , ils s'unissent à plusieurs filets des nerfs vésicaux, utérins, vaginaux et hémorroïdaux du plexus sciatîque. Nous avons parlé de la terminaison du nerf ; de la convexité de l'arcade qui résulte de son union avec le nerf du côté opposé, ou du ganglion coccigien , nais- sent quelques filets très déliée qui se portent au rectum et au tissu cellulaire environnant.

Tel est le nerf grand sympathique dans l'homme. Selon beaucoup de physiologistes , c'est lui qui, dans les derniers animaux, forme à lui seul tout le système nerveux; il se- rait l'analogue de ces ganglions divers qui constituent en ces êtres le système nerveux. Ce n'est en effet que dans les premiers des animaux i «Vertébrés , les mollusques céphalo- podes, qu'on commence à voir un centre nerveux propre aux organes des sens et du mouvement ; dans tous les autres, ce sont les mêmes nerfs qui président à toutes les fonctions. Selon d'autres, le grand sympathique est au contraire une partie nei'veuse surajoutée et qui n'existe que dans les ani- maux élevés, dans les animaux vertébrés. Chez ceux-ci, en effet, il est de plus en plus compliqué; par exemple, il y est d'autant plus développé que l'appareil circulatoire au- quel il appartient en grande partie Test lui-même davan- tage, et que l'encéphale a plus d'importance; à ce titre, il va en diminuant de l'homme au dernier des poissons. Son développement est aussi dans un rapport inverse avec celui du nerf vague qui, dans les animaux, est d'autant plus gros que le grand sympathique est plus petit, et qui finit par être le seul nerf viscéral, quand celui-ci, sous sa forme spéciale, disparaît.

Les ganglions qui le forment sont, comme tous les autres ganglions nerveux, composés de deux substances; une blan-

ANATOMIE DU GRAIVD SYMPATHIQUE. l33

che, médullaire, qui, évidemment, est la continuation des nerfs qui arrivent au ganglion ou qui en proviennent; une rougeâtre., pulpeuse, consistant eu un tissu cellulaire par- ticulier, dont les interstices sont remplis d'une pulpe mu- ciîagineuse d'un gris rougeâtre. C'est cette dernière qui distingue le ganglion, qui en est formé en grande partie, du plexus elle n'existe pas. Wutzer d'ailleurs a prouvé que la nature chimique des ganglions n'était pas la même que celle des nerfs et de l'encéphale , et qu'il y avait en eux une plus grande proportion de gélatine. Quant auxnerfs qui émanent de ces ganglions, les rameaux propres sont distincts des rameaux anastomostiques qui unissent les ganglions entre eux et avec les paires encéphaliques et spinales. Ces rameaux restent grêles, ou au moins ne diminuent pas de volume à mesure qu'ils s'éloignent de leur point d'origine; ils sont plus mous, et formés des deux mêmes substances qui composent les ganglions; on ne peut pas les réduire de même en filets ; cependant Scarpa et Lobstein disent l'avoir fait. Ils paraissent spécialement destinés aux vaisseaux; Sœmmering et Behrens croyaient même qu'ils se perdaient daus les parois des artères; mais Scarpa en a poursuivi des filets jusque dans les fibres musculeuses du cœur, et Lobslem ena trouvé de mêmedanslamembranemuqueuseducanal di- gestif, dans des os. Les veines et les vaisseaux lymphatiques en paraissent dépourvus. Une chose bien digne d'être re- marquée, c'est que la texture de ces nerfs, ainsi que celle des ganglions, varie dans la longueur du grand sympathi- que. Au contraire, les rameaux auaslomostiques paraissent partout semblables, et en outre plus analogues à ce que sont les nerfs spinaux; ils sont, en effet, plus blancs, plus fer- mes , et ont une composition fibrillaire évidente.

Nous avons, à l'article du système nerveux en général, parlé des débats relatifs à Forigine du grand sympathique, et à la question de son unité ou de sa pluralité. Les Anciens le disaient un nerf encéphalique, et le dérivaient de la cinquième ou sixième paire encéphalique. Avec plus de rai- son ensuite, on le fit provenir de la moelle spinale. Enfin Reil et Bichat le considérèrent, non-seulement comme un

l54 DE L 'INNERVATION.

système nerveux indépendant , mais encore comme formé d'autant de parties distinctes qu'il y a en lui de ganglions; les branches qui s'étendent des uns aux autres de ces gan- glions, et qui semblent faire de tous un système continu, n étaient que des rameaux anastomotiques, du même genre que ceux qui font communiquer ces ganglions aux nerfs spinaux. Nous ne reviendrons pas sur les raisons qui ont fait adopter presque généralement cette dernière opinion ; non plus que sur celte idée de Meckel , que le grand sym- pathique est un nerf à la fois encéphalique et spinal , et qui ne diffère des autres nerfs que par le nombre plus grand des paires de nerfs qui lui donnent naissance , et par celui des plexus qu'il forme en son trajet, et des ganglions qu'il tra- verse. (Voyez le icr vol. , pag. 2o3 et suiv. )

CHAPITRE II.

Ànatomie du nerf vague, ou pneumo-gastrique.

Ce nerf, appelé eucore la huitième paire encéphalique , moyen symplialique , a son origine aux parties supérieures de la moelle, à la portion qui est renfermée dans le crâne, dans la rainure qui sépare les éminences olivaires qui sont en avant ., et les corps restiformes qui sont en arrière. Il naît par une rangée de filets qui , bientôt, se réunissent en un cordon large et aplati , cependant ils ne communiquent pas ensemble. Ce cordon sort du crâne par le trou déchiré postérieur, et alors les filets qui le forment s'anastomosent les uns avec les autres, de manière à simuler un plexus fort serré. De ce point, il est intimement uni aux nerfs hy- poglosse, spinal, glosso-pharyngien . et à des filets du gan- glion cervical supérieur, par un tissu cellulaire serré, le nerf vague descend le long du col, appuyé sur les muscles grand droit antérieur de la tête, et long du col. Entrant ensuite dans le thorax, il passe, celui du côté droit devant l'artère sous-clavière , celui du côté gauche devant la crosse de l'aorte; et l'un et l'autre se dirigent en arrière, derrière les bronches, en augmentant de volume. Après, ils se por-

ANATOMIE DU NERF VAGUE, OU PNEUMOGASTRIQUE. l55 tent vers l'œsophage , le gauche étant plus en avant et le droit plus en arrière; et parvenus à la partie inférieure de ce canal, ils passent avec lui par l'orifice du diaphragme , et vont se terminer à l'estomac et à quelques parties cir- convoisines.

Dans ce long trajet, ce nerf fournit des filets à un très grand nombre de parties, d'où le nom de vague qui lui a été donné. Dans le trou déchiré postérieur, il envoie un ou deux filets anastomotiques au nerf spinal; et en en sor- tant, il communique aussi avec le glosso-pharyngien , l'hy- poglosse, et quelques filets du ganglion cervical supérieur. Un peu plus bas, il envoie au pharynx un rameau assez considérable, appelé pharyngien , dont les filets , anastomo- sés avec beaucoup d'autres venant du glosso-pharyngien , du laryngé supérieur et du ganglion cervical supérieur , constituent un plexus destiné à cette partie première du canal digestif, et appelé plexus pharyngien. Plus bas encore, il fournit un autre rameau plus gros, appelé la- ryngé supérieur, et qui bientôt se subdivise en deux nerfs; l'un, le laryngé externe , destiné aux parties extérieures du larynx; l'autre, le laryngé interne , affecté aux parties in- térieures de ce même organe , et surtout à sa membrane muqueuse , aux muscles crico-tbyroïdien et arythénoïdien. aussi , il envoie des filets anastomotiques à la branche cervicale du nerf hypoglosse, à la première paire cervicale, et quelques filaments qui accompagnent l'artère carotide interne. Au-dessous du rameau précédent, mais encore pendant son trajet au col, le nerf vague détache plusieurs rameaux dits cardiaques , trois ou quatre du côté droit, et un seul du côté gauche : mais aucun de ces rameaux n'abou- tit directement au cœur; ils se mêlent auparavant dans le ganglion cardiaque , avec les nerfs cardiaques provenant des ganglions cervicaux. Aussitôt après son entrée dans le thorax , le nerf vague fournit les rameaux dits récurrents ou laryngés inférieurs. Celui du côté droit naît plus haut que celui du côté gauche. Se recourbant aussitôt en haut, il embrasse en forme d'anse l'artère sous-cïavière, s'applique sur le côté de la trachée, et remonte jusqu'au larynx. De la

*56 DE L'iNKEPtVATIOîS*.

convexité de son anse, il détache deux on trois filets cardia- ques, qui s'unissent à ceux que le nerf a fournis plus haut, ou qui viennent des ganglions cervicaux; ces divers filets forment un entrelacement remarquable entre l'artère sous- clavièreet la trachée-artère. Plus haut, ce nerf fournit des filets pulmonaires, qui descendent sur le devant de la tra- chée-artère, et accconipagnent les artères pulmonaires droi- tes. Le long de la trachée-artère il envoie des filets , et dans les parois de l'œsophage, et à la partie inférieure de la thy- roïde , et dans les parois et à la surface interne de la trachée- artère. Ces filets s'anastomosent , et avec ceux du côté op- posé, et avec des filets des ganglions cervicaux. Enfin, parvenu à la partie inférieure du larynx, le nerf pénètre cet organe, s'y anastomose avec le laryngé interne , mais surtout se distribue exclusivement aux muscles crieo-ary thénoïdiens postérieur et latéral , et thyro-arylhénoïdien. Le nerf ré- current du côté gauche naît plus bas, se contourne autour de la crosse de l'aorte, et envoie des filets à la partie posté- rieure de l'artère pulmonaire et du cœur. 60 Après avoir fourni les nerfs récurrents, le nerf vague, d'abord envoie quelques filets à la trachée-artère; les uns se portant sur la face antérieure de ce canal , s'y ramifiant et s'y anastomosant avec des filets du récurrent et du ganglion cervical infé- rieur; les autres se portant à sa face postérieure, et se dis- tribuant à sa membraue muqueuse et à ses follicules mu- queux. Ensuite, au niveau de la bifurcation des bronches, le nerf augmente beaucoup de volume, ses filets s'écartent les uns des autres , et forment une espèce de trame mêlée de tissu cellulaire et de beaucoup de vaisseaux; il constitue derrière chaque poumon un plexus fort compliqué, appelé plexus pulmonaire. C'est de ce plexus , à la composition du- quel concourent des filets du ganglion cervical inférieur, et des premiers ganglions thoraciques , dans îe réseau duquel sont renfermés beaucoup de ganglions bronchiques, que se détachent les nerfs qui vont aux poumons , lesquels suivent la distribution des bronches, et se distribuent à leur mem- brane muqueuse, sans paraître pénétrer jusqu'au paren- chyme de l'organe et jusqu'à ses vaisseaux sanguins. 70 Au-

ANATOMIE DU NERF VAGUE , OU PNEUMOGASTRIQUE, i 5/ delà des plexus pulmonaires, les filets des nerfs vagues se réunissent en deux cordons qui descendent le long de l'œso- phage, et qu'on appelle œsophagiens ; le cordon provenant du nerf vague du côté droit, est situé sur la partie posté- rieure de l'œsophage; et celui du nerf vague gauche, descend sur la face antérieure de ce canal. Ils communiquent sou- vent ensemble par des filets transversaux en avant et en arrière, et envoient quelques filaments aux parois mêmes de l'œsophage et à l'artère aorte; parvenus au bas de l'œso- phage, ils pénètrent avec lui par l'ouverture œsophagienne du diaphragme dans l'abdomen. La manière dont ces cor- dons œsophagiens sont formés par les rameaux qui provien- nent des plexus pulmonaires, ressemble assez à celle selon laquelle le nerf grand spîanchuique provient des ganglions thoraciques. Enfin, les nerfs vagues, arrivés dans l'abdo- men, se distribuent à l'estomac et à quelques-uns des or- ganes voisins. Celui du côté droit, qui est le plus gros, et collé à la partie droite et postérieure de l'œsophage, se di- vise d'abord de manière à former autour du cardia un plexus très marqué. Ensuite de ce plexus naissent deux sortes de filets; les uns, destinés à l'estomac, se portent à la face postérieure de ce viscère , de la petite courbure à la grande , et pénètrent ses parois de l'extérieur à l'intérieur; les au- tres se jettent dans les plexus hépatique, splénique, cœlia- que, gastro-épiploïque droit, et s'y entrelacent avec les nombreuses irradiations du plexus solaire; plusieurs par- viennent au pancréas , au duodénum , à la vésicule biliaire, s'épanouissent sur la veine-porte, etc. Le nerf vague du côté gauche est sur la face antérieure de l'œsophage; il suit d'abord la petite courbure de l'estomac, du cardia au py- lore, envoyant de nombreuses ramifications à toute la face antérieure de ce viscère : parvenu au pylore, il s'y anasto- mose avec le nerf vague droit; puis, il suit l'artère pylori- que, et va se jeter dans le plexus hépatique.

Tel est le nerf pneumo -gastrique, dont la description devait d'autant plus être jointe à celle du nerf trisplanchni- que , que , dans tout son trajet , comme on vient de le voir, ce nerf a les communications les plus intimes et les plus

i58 de l'innervation.

multipliées avec lui; d'ailleurs, dans la série ci esanimaux ver- tébrés, comme nous l'avons déjà dit, son développement est en raison inverse de celni du système nerveux ganglionnaire.

CHAPITRE III.

De l'influence nerveuse organique , ou de l'innervation.

Jusqu'ici nous n'avons étudié du système nerveux que les actions par lesquelles il sert aux fonctions sensoriales ou de relation , savoir : celles par lesquelles les expansions de ce système , dans les organes sensibles , effectuent les im- pressions sensitives tant externes qu'internes ; celles par lesquelles le cerveau perçoit ces impressions, accomplit les facultés intellectuelles et affectives, et ordonne les mouve- ments volontaires; celles enfin par lesquelles les nerfs, fai- sant l'ofEce de conducteurs, transmettent, des parties au cerveau, les impressions sensitives, et du cerveau aux mus- cles, les volitions. Mais le système nerveux sert aussi aux fonctions organiques; il exerce sur les organes de ces fonc- tions une influence sans laquelle ceux-ci ne peuvent, ni les accomplir, ni même continuer de vivre. Au moins, c'est ce qui est évident dans les animaux supérieurs, et pour les premières des fonctions organiques. Dans l'étude que nous avons faite de ces fonctions pour l'homme, n'avons-nous pas vu la section, la ligature des nerfs qui se distribuent à l'es- tomac, au poumon, au cœur, non-seulement anéantir la production de toutes sensations , de tous mouvements vo- lontaires dans ces organes, mais encore paralyser tout-à-fait ceux-ci plus ou moins promptement, et amener la cessation de la digestion , de la respiration , de îa circulation ? De ce dernier fait, ne résulte-t-il pas que les nerfs dispensent à ces organes une influence à laquelle ceux-ci doivent de pou- voir agir?

Cette influence, qu'on appelle innervation , qui fonde une des conditions premières de la vie, et dans la connaissance de laquelle en réside peut-être tout le secret , est un des faits les moins connus en physiologie. Les auteurs ne sont

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d'accord, ni sur les limites réelles dans lesquelles elle doit être renfermée, ni sur les nerfs qui la dispensent, ni sur la' source dont elle émane : encore moins peuventâls dire en quoi elle consiste , étant à cet égard dans la même ignorance que pour toutes les autres actions nerveuses.

§ Ier. Limites de l Innervation.

Les auteurs à cet égard se partagent en deux sectes. Les uns prétendent que l'influence nerveuse ne s'étend pas à toutes les fonctions organiques, et n'est réelle que des pre- mières de ces fonctions. Ils disent, qu'étant d'autant pins grande sur ces fonctions , qu'elles sont plus élevées en ani- malité, elle va en s'affaiblissant dans les fonctions inférieu- res , et finit par être nulle relativement aux derniers actes , à ceux qui accomplissent immédiatement la nutrition et la reproduction. Leurs arguments sont: que ces derniers actes existent dans l'universalité des êtres vivants, dans les végétaux comme dans les animaux, et que cependant il n'existe pas de système nerveux dans les végétaux non plus que dans les derniers animaux; 2" que dans les animaux su- périeurs, et même dans l'homme, pour ne pas sortir de notre sujet, il y a beaucoup de parties qui ne paraissent pas contenir de nerfs; qLie le nombre des nerfs va en dimi- nuant, à mesure qu'on pénètre dans le parenchyme des organes, dans la trame profonde des parties, à moins qu'il ne s'agisse d'organes chargés de fonctions sensoriales. Us disent que si l'on voit les orages des passions, les grands troubles nerveux, porter leurs effets sur les fonctions nu- tritives les plus profondes, ce n'est pas directement, mais par l'intermédiaire des fonctions organiques premières» Enfin, considérant le système nerveux comme un système qui a été surajouté aux êtres vivants, quand ceux-ci ont du, non-seulement vivre, se nourrir, se reproduire, mais encore sentir, se mouvoir, être animés; ils pensent que des exten- sions de ce système ont alors être envoyées aux organes des fonctions intérieures ou nutritives, pour les lier aux organes des fonctions extérieures ou sensoriales ; et que c'est

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en ces liaisons seules que consiste l'innervation. Ainsi l'in- fluence nerveuse ne serait qu'un produit de la nécessité de lier les organes, et elle ne serait condition de la vie qu'in- directement, et dans les animaux supérieurs seulement. Les sectatenrs de cette première opinion posent en effet à son égard les deux lois suivantes : que cette influence nerveuse, d'autant plus grande sur les fonctions organiques que ces fonctions sont plus élevées en animalité, finit par être nulle pour les dernières, si ce n'est dans les animaux supérieurs, à cause de la seconde loi qu'on va émettre ; que l'empire de cette influence est d'autant plus grand, et surtout s'é- tend sur un nombre de fonctions d'autantplus considérable, que la vie extérieure a plus de prédominance , et par consé- quent que le système nerveux a plus de développement. Ainsi, d'après la première de ces lois, l'innervation serait très puissante sur les fonctions de digestion , de respiration et de circulation, qui sont, parmi les fonctions organiques, les plus élevées en animalité , puisqu'elles sont exclusives aux animaux, et même aux animaux supérieurs; et elle s'affaiblirait graduellement à mesure qu'on descendrait dans le mécanisme de la nutrition et de la reproduction aux actes les plus pi'ofonds. D'après la seconde de ces lois, cette innervation s'étendrait chez l'homme, qui est le premier des animaux sous le rapport des fonctions sensoriales et qui a le système nerveux le plus développé , sur le plus grand nombre de fonctions possible, et peut-être jusqu'aux fonc- tions organiques les plus reculées, les sécrétions, la calori- fication, la nutrition proprement dite.

D'autres physiologistes, au contraire, veulent que cette innervation régisse toutes les fonctions organiques sans exception , fonde la condition vitale par excellence ; ajou- tant seulement que ses agents ou conducteurs dans les di- verses parties , sont d'autant moins dépendants des centres nerveux, quand il en existe, qu'il s'agit de fonctions moins élevées en animalité, et d'animaux plus inférieurs. Ils la disent donc commune à tous les êtres vivants, et à toutes les parties du corps humain, et voici leurs raisons. A supposer qu'il existe des êtres vivants sans système nerveux

LIMITES DE L'iNJNERVATJOl^. 161

ou sans un analogue de ce système , n'est-il pas possible que, dans ces êtres simples et chez lesquels la vie se réduit à deux actes, absorption composante et exhalation décom- posante, le tissu même du corps soit apte à puiser dans le milieu ambiant ou dans le fluide nutritif le principe mo- teur de vie dont le système nerveux serait seul , dans les êtres vivants plus compliqués, l'agent producteur ou con- ducteur? 2° On dit les végétaux sans système nerveux ; mais cela est-il bien sûr? il y a dans ces êtres un système qui paraît exercer sur toutes leurs parties une influence nécessaire à leur vie», et qui, par conséquent, serait l'ana- logue du système nerveux des animaux; c'est celui de la moelle. Du moins c'est ce que professent un certain nombre de botanistes. De la moelJe des végétaux partent des ap- pendices médullaires qui se répandent dans toutes les parties végétales, et qui sont surtout abondants dans celles qui sont chargées de fonctions très actives, comme dans la fleur. Linnœus et Haller, sans assimiler la moelle des végé- taux au système nerveux des animaux, avaient proclamé la grande importance de cet organe dans l'économie des plantes; et, dernièrement, un physiologiste , M. Brachet, a nettement émis l'idée de cette analogie, sur ce que les nouures de la moelle ressemblent aux ganglions du système nerveux, et sur ce que la destruction de la moelle, et sur- tout de ces nouures , entraîne la mort des parties qui en reçoivent leurs filets. Dans un ouvrage sur la structure in- time des végétaux et des animaux, qu'a récemment publié M. Dutrochet, ce savant consacre aussi l'existence, dans la moelle des végétaux, de corpuscules nerveux , constituant les éléments d'un système nerveux; seulement dans ces êtres ce système serait dilfusau lieu d'être réuni en masse. Est-il bien vrai que quelques parties du corps animal soient abso- lument dépourvues de nerfs? Les filets du grand sympa- thique qui accompagnent les artères , paraissent au moins être aussi universellement répandus que ces vaisseaux, et probablement concourent avec eux à la composition des plus profonds parenchymes. Si l'on réfléchit qu'il n'est au- cune partie du corps animal qui ne puisse devenir doulou- Tome IV. ii

l6% DE L'INNERVATION.

reuse , on sera disposé à croire que des nerfs existent par- tout ; car sans nerfs , aboutissants à un organe de percep- tion, à un cerveau , pas de sensation. Si , dans certains cas, on voit des passions étendre leurs effets perturbateurs jusque sur les fonctions qui se passent dans les paren- chymes les plus profonds , n'est-ce pas une preuve que le système nerveux a des expansions jusque dans ces paren- chymes? 4° Enfin, n'est-on pas autorisé à considérer le système nerveux comme le rouage principal de l'économie, le dispensateur réel du moteur vital , comme, quand on remarque que c'est lui qui apparaît le premier dans les embryons des animaux ? S'il n'avait pas à exercer alors une influence primitivement nécessaire à la vie , pourquoi exis- terait-il à cet âge auquel aucune fonction sensoriaîe n'est en exercice? Combien cet argument en faveur de l'univer- salité de l'innervation prend de force, si les derniers tra- vaux de M. Dumas sur la génération sont fondés, et si les animalcules spermatiques, qui, selon lui, sont les agents de la fécondation, ne sont autre chose que les rudiments du système nerveux de l'individu nouveau ! Ainsi , dans cette autre opinion, l'innervation serait générale à toutes les fonctions , fonderait la condition première de la vie ; et dès qu'un système nerveux entrerait dans le plan d'organisation d'un être vivant, ce système deviendrait l'agent producteur ou conducteur du principe, quel qu'il soit, qui fait pro- duire à la matière les phénomènes vitaux. Seulement, selon que la centralisation de la vie dans les animaux serait plus ou moins grande, les diverses parties du système nerveux seraient plus ou moins rattachées à une partie centrale, et l'innervation dans chaque partie serait plus ou moins dé- pendante de cette partie centrale. Cette dépendance serait en raison des deux mêmes lois indiquées plus haut, l'ani- malité de la fonction , et le degré de prédominance du sys- tème nerveux, d'où résulte le rang de l'animal dans l'échelle des êtres.

Quelle que soit celle de ces opinions qu'on adopte, le résultat est à peu près le même pour ce qui est de l'homme. Dans la premièi'e comme dans la seconde , on admet en elTet

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que chez cet être, vu son rang élevé dans l'échelle animée ^ et la prédominance de son système nerveux , l'empire de l'innervation s'étend à toutes les fonctions organiques, mais est d'autant plus grand sur ces fonctions qu'elles sont plus élevées en animalité, et d'autant moindre qu'elles sont plus inférieures. D'abord, on ne peut mettre en doute cet em- pire pour ce qui est de la digestion et de la respiration. La destruction des nerfs qui se distribuent à l'estomac et au poumon, des pneuroo-gastriques , fait cesser ces fonctions: on a vu que la section de ces nerfs , non-seulement paralyse le poumon el l'estomac sous le rapport des sensations que ces organes peuvent développer, mais encore les prive de la faculté d'effectuer leurs fonctions propres, l'hématose et la chymification, etleurôte le pouvoir de se contracter etd'exé- cuter les mouvements involontaires et non perçus par les- quels ils remplissent leurs offices. Il en est de même de la circulation. Hallerk la vérité le niait, et disait le coeur indé- pendant en ses mouvements de toute influence nerveuse; il arguait de ce que la section des nerfs vagues et grands sym- pathiques au col n'avait aucune influence sur les contractions de cet organe. Mais cette expérience n'était pas concluante. D'un côté, les nerfs lésés ne vont pas directement au cœur : ils concourent seulement à former le plexus qui fournit les nerfs cardiaques, et ce sont ceux-ci qu'il aurait fallu couper. D'un autre côté, il n'est pas étonnant que la section des nerfs vagues et grands sympathiques au col soit sans in- fluence sur les mouvements du cœur; les premiers ne four- nissent que la plus petite partie des nerfs cardiaques ; et quant aux grands sympathiques, on ne peut les couper que très haut, d'où il résulte que la partie qui est au-dessous de la section peut encore, par le moyen de ses anastomoses avec la moelle spinale, continuer ses offices. Nous convenons qu'on ne peut avoir, pour la fonction de la circulation, des preuves aussi directes que pour les fonctions précédentes : les nerfs cardiaques sont situés trop profondément, pour qu'on puisse les couper et voir quel effet cette section a sur les mouvements du cœur. Mais à défaut de cette preuve directe , on en a d'autres aussi convaincantes. Si une in-

1 1.

164 de l'innervation.

Aiience nerveuse ne présidait pas à l'action du cœur, à quoi serviraient les nerfs si nombreux et si gros qui se distribuent à cet organe? On ne peut pas dire qu'ils y servent à la pro- duction de sensations et de mouvements volontaires, car le cœur est un organe dont on ne perçoit pas les actions, et sur le jeu duquel la volonté n'a aucun empire. Les nerfs du cœur d'ailleurs sont, comme ceux de l'estomac et du pou- mon, un mélange de filets venant de la huitième paire et du grand sympathique; et si ceux-ci président aux actions de digestion et de respiration , n'est-il pas probable que les autres régissent les contractions du cœur ? Les effets qu'a- mènent dans ces contractions les passions et les affections de l'ame, ne sont-ils pas une preuve qu'une influence ner- veuse, qui alors est troublée , d'ordinaire les dirige ? Enfin, voici une expérience de Legallois , tout-à-fait convaincante : si, sur un animal vivant, on détruit la moelle spinale jusqu'à une certaine hauteur, le cerveau étant laissé entier, le cœur cesse ses contractions; ce ne peut être par défaut de respi- ration, car la huitième paire restée intacte peut commander de même la continuation de cette fonction; il faut donc bien que ce soit par la cessation d'une influence nerveuse , que la destruction de la moelle spinale a rendue impossible. Ainsi déjà ces trois fonctions premières, digestion, respiration et circulation, sont, chez l'homme, soumises à l'innervation. Si de ces fonctions nous passons à celles qui ont lieu dans les parenchymes mêmes, nous ne pourrons pas constater directement leur dépendance de l'innervation ; les nerfs de ces parenchymes ne sont pas isolés, et l'on ne peut, dans une expérience, les couper, pour voir si leur paralysie en résulte; mais on prouve cette dépendance indirectement, parle trouble, parles modifications qu'apportent dans ces fonctions les passions, les affections de i'ame. En effet , ces irradiations perturbatrices ne peuvent être propagées, du cer- veau aux parenchymes des organes, que par des nerfs; et si des nerfs existent dans ces parties , dont les actions ne sont ni senties, ni dépendantes de la volonté, ce ne peut être que pour présider à leurs fonctions propres. Or, c'est ce qui est plus ou moins de toutes les fonctions organiques. Evi-

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demnient Fétat des centres nerveux modifie la circulation capillaire ; on voit la peau rougir ou pâlir dans les passions. 11 en est de même de la calorification ; que de variations dans la chaleur animale , selon les divers états de l'ame ! La dépendance est cette fonction d'une influence nerveuse , est si évidente , que certains physiologistes n'ont pas craint de faire de cette fonction une des actions propres du système nerveux : nous avons rapporté les opinions de Brodie et de Chossal à cet égard. L'influence de l'innervation sur les sécrétions est aussi incontestable. D'abord . on peut la prou- ver directement à l'égard de certaines sécrétions glandu- laires; en coupant les nerfs d'une glande, on en suspend la sécrétion (Béclard). Ensuite, que de faits nous montrent les sécrétions modifiées par l'état des centres nerveux! et, encore une fois, ces irradiations ne peuvent être apportées que par des nerfs, et si des nerfs existent en ces parties, ce ne peut être que pour exercer sur leur jeu une influence quel- conque. La sécrétion des larmes s'augmente dans les affec- tions de l'ame. Toutes les sécrétions de l'appareil digestif se tarissent ou s'exaltent, selon que l'imagination se repré- sente le tableau d'aliments qui dégoûtent ou qu'on appète. Celle du sperme est aussi modifiée par les idées qui ont trait à la génération. Quelles variations continuelles de la sécré- tion urinaire, de la perspiration cutanée, dans les orages des passions! Enfin, en vovant l'état des centres nerveux influer sur des fonctions aussi moléculaires , aussi profondes que celles de la circulation capillaire, de la calorification , des sécrétions, peut-on croire qu'il ne modifie pas aussi les absorptions et les nutritions proprement dites? West-il pas d'observation , que les contagions morbifiques sont plus ou moins facilement propagées , selon le degré de crainte ou de sérénité que manifestent les personnes qui s'y exposent? et , dans l'amaigrissement qu'amène le chagrin , n'est-il pas pro- bable, qu'il y a une influence de la passion exercée directe- ment sur la nutrition proprement dite? Peut-on en douter, quand on voit ses effets s'étendre jusqu'aux cheveux , et ces organes blanchir soudain, par suite d'une affection morale? Enfin, les mêmes considérations peuvent s'appliquer aux

166 DE L'iN NERVATION.

fonctions delà reproduction. Quelle influence directe exer- cée par l'imagination , sur le phénomène de l'érection qui en ouvre la scène ! Nous citions tout à l'heure la stimula- tion qu'impriment à la sécrétion spermatique les idées qui ont trait à la génération. Bien qu'on ne connaisse rien de l'acte de la conception, son résultat n'est jamais plus par- fait que lorsque toute l'activité de rètre semble concentrée dans l'accomplissement de cet acte; et, si alors une distrac- tion nuit aux qualités du produit, n'est-ce pas une preuve que cet acte est lui-même modifié par l'influence de ce sys- tème , universel dispensateur de la vie ? Enfin , la grossesse, l'accouchement pourraient -ils être affranchis d'une in- fluence nerveuse ? Ne sont-ce pas des actes assez élevés dans l'animalité , et qui sont à l'acte de la reproduction, ce que les fonctions de digestion , de respiration et de circulation sont a celui de la nutrition ? pourquoi les nerfs si gros et si nom- breux qui se distribuent à l'utérus ? A coup sûr, une in- fluence nerveuse préside à la puissance contractile de la vessie et du rectum, pour l'excrétion de l'urine et pour la défécation ; la section des nerfs qui se rendent à ces organes , ou la destruction de la partie inférieure de la moelle spi- nale dont ces nerfs proviennent en partie , paralysent ces organes. Pourrait-il n'en pas être de même de la puissance contractile de l'utérus ? M. B racket rapporte l'observation d'une femme paraplégique, qu'il fallut accoucher avec le forceps , parce que la matrice ne se contracta pas , et qu'il n'y eut pas de douleurs expulsives : cependant cette femme , avan t sa paraplégie , avait été enceinte trois fois, et avait accouché naturellement. Le même M. B racket a coupé, chez des la- pines, la moelle épinière, tantôt immédiatement après l'ac- couplement, tantôt au moment même de la parturition : dans le premier cas , les lapines chez lesquelles la gestation eut lieu, moururent sans pouvoir mettre bas; dans le se- cond cas, les contractions utérines se ralentirent et même s'arrêtèrent : quelles preuves plus fortes peut-on donner de la dépendance dans laquelle sont d'une influence nerveuse les contractions de l'utérus, et par conséquent l'accouche- ment ? Enfin, la question à l'égard de la lactation rentre dans

LIMITES DE L'iHWERVATIOtf. 167

ce que nous avons dit des sécrétions : qui ne sait avec quelle facilité la sécrétion du lait est modifiée par les passions?

On objectera peut-être que tous ces faits que nous venons de citer en dernier lieu, prouvent bien que des liens exis- tent entre les parenchymes les plus profonds et le cerveau et les centres nerveux , mais non qu'une influence nerveuse soit exercée constamment sur ces parenchymes , et en régisse les fonctions. Mais , puisque les modifications survenues dans les centres nerveux , ne peuvent être propagées que dans des divisions de ce système, de ces faits ne résulte-t-il pas déjà que le système nerveux a des expansions jusque dans les parenchymes ? Et dès lors , à quoi peuvent servir, si ce n'est pour l'innervation a ces expansions dans des organes dont les opérations ne sont ni senties ni volontaires ? Répon- drait-on que c'est pour unir ces organes aux centres nerveux? On conçoit la nécessité de ces connexions entre le cerveau et les organes chargés d'une fonction de relation quelconque; mais de quelle utilité seraient-elles ici, le travail des organes se fait irrésistiblement, et sans qu'on en ait con- science? 11 est plus rationnel de croire que, si les passions portent leurs effets jusque dans les parenchymes les plus profonds , c'est parce que le système nerveux a des expan- sions partout, pour l'accomplissement de l'innervation; que de penser que , s'il existe des expansions nerveuses par- tout, c'est pour établir des liaisons dont on ne peut com- prendre l'utilité. Enfin , n'a-t-on pas l'analogie des autres fonctions organiques ? Evidemment les nerfs des organes di- gestifs, respiratoires et circulatoires, ne servent pas seule- ment à unir ces organes aux centres nerveux; certainement ils en régissent les actions; pourquoi n'en serait-il pas de même des nerfs propres aux parenchymes ? Les actes de la chymification , de l'hématose, les contractions du cœur, sont-ils des phénomènes plus sentis et plus dépendants de la volonté, que ceux des sécrétions, des nutritions ? et si cependant une influence nerveuse régit ceux-ci , quelle pré- somption pour croire qu'une influence semblable régit aussi ceux-là? Ces dernières considérations rendent, ce me semble, plus probable, l'opinion de ceux qui font de Tin-

j68 de l'irnervation.

nervation une condition de vie primordiale, et commune à

tous les êtres vivants comme à toutes les fonctions.

§ II. Des nerfs qui dispensent V Innervation.

Nous venons d'exposer les débats des physiologistes sur les limites dans lesquelles doit être renfermée l'influence ner- veuse organique. Ces physiologistes ne sont pas plus d'ac- cord, quand il s'agit de spécifier quels nerfs dispensent cette influence et en sont les conducteurs ou les producteurs. Presque tous croient que, dans les derniers animaux , les mêmes nerfs qui servent aux sensations et aux mouvements , président à l'innervation. On ne peut en effet, dans ces animaux , faire aucune distinction entre les divers ganglions qui composent le système nerveux; la texture de ces gan- glions, ainsi que celle des nerfs qui en naissent, paraît semblable; et l'on voit les mêmes nerfs se distribuer égale- ment, et à la peau externe pour y présider aux sensations, et à la cavité digestive pour y régir les fonctions intérieures. Mais les opinions sont divisées en ce qui regarde les ani- maux supérieurs et l'homme. Les uns veulent que tous les nerfs sans exception , en même temps qu'ils servent aux sen- sations et aux mouvements volontaires, dispensent l'inner- vation aux parties qu'ils pénètrent, Les autres, et ce sont les plus nombreux , veulent qu'il y ait un système de nerfs spéciaux pour régir les fonctions organiques, et ils considè- rent comme tels les grands sympathiques et les nerfs vagues. Il était en effet impossible aux physiologistes d'observer la disposition anatomique de ces deux nerfs, sans préjuger qu'ils fondent une condition nécessaire pour l'accomplisse- ment des fonctions organiques. D'une part , le nerf vague fournit le plus grand nombre de ses filets au poumon , au cœur, à l'estomac , et à quelques-uns des organes annexes de ce viscère principal de la digestion : par conséquent ce nerf doit être utile au jeu de ces viscères, chargés des premières fonctions nutritives. D'autre part, le grand sympathique, dans son trajet de la tête au bassin , distribue successive- ment ses rameaux à toutes les parties, depuis l'œil en haut,

DÉS NERFS QUI DISPENSENT L'iNNERVATION. 169 jusqu'au rectum et au vagin en bas; s'accolant à toutes les artères ^ il va, avec ces vaisseaux, concourir à la composition du parenchyme de tous les viscères , de tous les organes ; et il n'est guère possible de croire que ce soit sans motifs que la nature ait établi une semblable disposition.

Aussi, tous les physiologistes ont regardé ces deux nerfs comme ceux qui dispensent l'innervation aux viscères. Mais ces nerfs sont-ils les dispensateurs uniques de toute innerva- tion , et fondent-ils les systèmes nerveux organiques , comme on les nomme ? ou bien , ne fournissent-ils l'influence ner- veuse que ils se répandent y pendant que les autres nerfs la fournissent de même aux autres partiesqu'ils pénè- trent ? Cette dernière opinion était celle des Anciens; ils la fondaient : sur l'analogie des derniers animaux, chez lesquels tout nerf dispense également l'influence nerveuse; sur ce que les nerfs vagues et grands sympathiques sont bornés aux cavités splanchniques, et ne fournissent pas ou peu de filets aux membres dans les organes desquels cepen- dant se produisent aussi des fonctions organiques , la nutri- tion, par exemple; sur ce que les artères des membres reçoivent du système cérébro-spinal , comme on le nomme, presque autant de filets nerveux que les artères des viscères en reçoivent du grand sympathique; 40 enfin, sur ce que les nerfs vague et grand sympathique, qu'on met ici sur la même ligne, sont, en parlant des idées professées par ceux qui veulent un système nerveux organique spécial , fort dif- férents l'un de l'autre; le premier étant évidemment du même genre que les autres nerfs encéphaliques et spinaux. Ce n'est pas qu'ils ne considérassent le grand sympathique comme un nerf spécial et fort important : nous dirons ci- après les usages qu'ils lui attribuaient , comme d'établir 1 union entre toutes les parties du corps, comme d'isoler du cerveau, par les ganglions qui sont dans sa longueur, les Viscères intérieurs dont les opérations doivent être involon- taires et non senties , etc. : mais ils n'en faisaient pas le dis- pensateur propre de l'influence nerveuse organique.

Au contraire, la plupart des physiologistes modernes at- tribuent cette influence nerveuse organique à un système

*7° DE L'INNERVATION,

nerveux spécial; et voici la suite de raisonnements et de faits qui les conduit à considérer comme tel le grand sym- pathique. 10 D'abord, tout prouve que ce nerf forme un système nerveux indépendant, distinct du syslème cérébYO- spinal , et ses prétendues origines, et sa texture, et ses pro- priétés. En premier lieu, il est évident que les filets par lesquels le grand sympathique en haut s'unit aux cinquième et sixième paires encéphaliques, comme ceux par lesquels chacun de ses gauglions s'unit aux paires spinales , ne sont pas les origines de ce nerf, comme on le disait jadis, mais seulement des rameaux anastomotiques par lesquels ce nerf est mis en communication avec les autres parties du sy- stème nerveux. En second lieu, il n'est pas moins certain que ce nerf diffère anatomiquement de tous les autres; ses filets sont plus grêles, plus mous, d'une couleur grise; la substance particulière qui existe dans ses ganglions , et que les analyses chimiques de Bichat, Wulzer, Lassaigne , ont montré être différente de la substance cérébrale , se pro- longe en eux. Enfin , ce nerf a des propriétés opposées à celles des autres : ceux-ci, irrités d'une manière quelconque sur un animal vivant , accusent une vive douleur; leur ir- ritation entraîne des contractions convulsives dans les mus- cles auxquels ils se distribuent : au contraire, Bichat et beaucoup d'autres, ont vu les animaux ne manifester au- cune douleur, quand on irritait chez eux les plexus de l'ab- domen , les ganglions du col du grand sympathique, ou quelques-uns des filets de ce nerf. Ce même expérimenta- teur n'a pu , par le galvanisme appliqué aux nerfs du cœur, précipiter les contractions de cet organe. A la vérité , Haller dit qu'en irritant le plexus hépatique sur un chien, l'a- nimal parut ressentir de la douleur, visum est animai do- luisse ; et M. de Humboldt dit avoir, par le galvanisme appliqué aux nerfs du cœur, augmenté les mouvements de cet organe. Mais, en admettant ces derniers faits , il n'en resterait pas moins certain que le nerf grand sympathique est beaucoup moins sensible et moins moteur que les autres nerfs, et que la différence de ses propriétés à cet égard confirme ce que celle de sa texture et la nullité de ses origines por-

DES NERFS QUI DISPENSENT L'iNNERVATION. 17 1

tent à admettre sur l'indépendance de ce nerf. Le grand sympathique est donc, dans l'ensemble du système nerveux, un système nerveux spécial. Il n'est pas moins certain que ce système nerveux spécial , quelle que soit sa fonction, est destiné aux fonctions organiques; sa distribution prouve cette attribution spéciale , car c'est presque exclusivement aux organes de ces fonctions qu'il envoie tous ses filets. Certainement encore , ce n'est pas pour présider à des sensations et à des mouvements volontaires qu'il est envoyé à ces organes ; car nous venons de voir que ce nerf ne se montrait pas sensible comme les autres, et l'on sait que les opérations de ces organes ne sont ni senties, ni régies par la volonté. Non cependant que, dans certains cas, les im- pressions éprouvées par les viscères ne soient senties , et par conséquent ne soient transmises par le grand sympathique au centre de perception ; cela s'observe souvent dans les maladies, et même on remarque que îa douleur éprouvée a alors un caractère particulier, celui d'abattre bien davan- tage, de terrasser tout-à-fait l'homme; mais il est certain que dans l'état normal cela n'a pas lieu , et que les actions de nos viscères s'accomplissent sourdement et sans que nous les percevions. Or, puisque le grand sympathique, ce sys- tème nerveux spécial , évidemment destiné aux fonctions or- ganiques, n'y sert pas à la production de sensations ni de mouvements volontaires, on peut déjà conclure, par voie d'exclusion, qu'il doit y être l'agent de l'innervation. Il a d'ailleurs pour cet effet toute l'étendue, toute la dissémi- nation nécessaires ; accolé aux artères , il suit ces vaisseaux dans toutes leurs ramifications; ses filets s'étendent jusque dans le cerveau avec l'artère carotide interne, et jusque dans le placenta chez le fœtus; de sorte qu'il n'est aucune partie du corps qu'on ne puisse concevoir comme contenant quelques dépendances de ce nerf. Enfin , pour dernier argument, les sectateurs de l'opinion que nous exposons avancent, que le grand sympathique est dans la généralité des animaux, comme dans l'évolution du fœtus humain, la première partie nerveuse qui existe. D'un côté, M.'Gall et autres, disent que, dans la complication successive que

172 DE L INNERVATION,

présente le système nerveux dans la série des animaux , le grand sympathique est la partie qui existe la première; qu'il compose quelquefois à lui seul le système nerveux de l'être; et que ce n'est que lorsque les animaux doivent déve- lopper les fonctions sensoriales, qu'apparaissent la moelle, les nerfs des sens et le cerveau. Or, en ces derniers êtres, c'est évidemment lui qui a accompli l'innervation, puis- qu'il existe seul; et l'analogie dit d'autant plus, que c'est encoi^e lui qui l'accomplit dans les animaux supérieurs, que certainement il est, de toutes les parties de leur système ner- veux, celle qui ressemble le plus à ces ganglions épars , mais unis par des branches communicantes, qui forment le sy- stème nerveux des derniers animaux. M. Brachet l'assimile tout-à-fait à la moelle des végétaux, qu'il considère comme le système nerveux de ces êtres. D'un autre côté, selon Ackermann , le grand sympathique est dans le fœtus humain la première partie formée; on l'a trouvé entier et bien dé- veloppé dans des fœtus acéphales, chez lesquels n'existaient ni encéphale, ni moelle épinière; et, outre que ce fait prouve que son existence est indépendante de celle de ces centres , comme ces fœtus étaient arrivés à terme et n'avaient aucunes fonctions sensoriales, il est certain que chez eux c'était lui seul qui avait présidé à l'innervation, et qu'il n'avait pu y servir qu'à cet office.

D'après cet ensemble de raisonnements et de faits, Reil, Bichat, Gall, M. Broussais , et beaucoup d'autres, font le grand sympathique l'agent spécial de l'influence nerveuse organique. Quelque imposante que soit l'autorité de ces grands noms , nous avouerons que leur assertion ne nous pa- raît pas rigoureusement démontrée. Nous convenons bien avec eux que le grand sympathique constitue un système nerveux à part; de plus, qu'il est spécialement affecté aux fonctions organiques; nous reconnaissons même qu'il est le principal nerf qui dispense, aux organes de ces fonctions, l'innervation. Mais, de ces faits, s'ensuit-il rigoureusement qu'il soit l'agent exclusif de cette innervation? pour que cela soit, existe-t-il partout? ne manque-t-il pas au con- traire aux artères des membres ? et, à ces artères, ses filets ne

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sont-ils pas remplacés par beaucoup de nerfs du système cérébro-spinal ? dans les viscères auxquels il se distribue , ne peut-ii pas être relatif à quelque autre but; comme de les isoler du cerveau et d'empêcher, d'un côté, que les im- pressions éprouvées par ces organes soient portées au cer- veaux, et par conséquent senties, et, de l'autre, que les volitions cérébrales arrivent à ces organes , et par conséquent ne subordonnent leurs mouvements à la volonté ? À ce titre, on concevrait, et sa distribution presque exclusive aux or- ganes des fonctions nutritives, et sa structure différente de celle des autres nerfs, et son insensibilité dans les expé- riences et dans Fétat normal. Reste donc cet unique argu- ment, que le grand sympathique est la première portion nerveuse qui existe, soit dans l'échelle des animaux, soit dans l'évolution du fœtus humain. Mais ces faits sont- ils bien sûrs ? D'une part, si les zoologistes, dans leurs considé- rations philosophiques, disent que le grand sympathique des animaux supérieurs, de l'homme, est l'analogue du système nerveux ganglionaire des derniers animaux , ils se contredisent dans leurs descriptions anatomiques; ils avancent dans ces dernières que le grand sympathique n'existe pas au-delà des animaux vertébrés, et même que son développement, le plus grand possible chez l'homme, va en diminuant de cet être au dernier des poissons. Or, ceci peut-il s'accorder avec l'idée que le grand sympathique est l'agent unique de l'innervation, idée qui nécessite son existence dans tous les animaux, et même dans les végétaux? Et au contraire, ce fait anatomique ne trouve-t-il pas son explication dans d'autres conjectures faites sur ce grand sympathique ; par exemple , celle qu'il lie tous les organes entre eux; ou qu'il isole du cerveau , qui perçoit et ordonne tous les mouvements volontaires,. les organes dont les opé- rations ne doivent être ni senties ni voulues ? D'autre part, Béclard dit que les ganglions spinaux sont avec leurs nerfs les premières parties visibles du système nerveux; et, dans les cas d'acéphalie qui ont offert l'existence du grand sym- pathique, malgré l'absence de l'encéphale et de la moelle spinale, les nerfs du système cérébro-spinal existaient aussi.

174 de l'innervation.

L'association que presque tous les physiologistes ont faite., du nerf vague au grand sympathique pour présider aux fonctions organiques , prouve même contre l'idée générale qu'ils ont voulu donner de ce dernier nerf, et le rôle exclu- sif qu'ils ont voulu lui faire jouer dans 4'influence nerveuse organique. Les faits contraignaient à admettre cette associa- tion; le nerf vague se distribue, comme le grand sympa- thique, aux organes des premières fonctions organiques; ses filets se mêlent partout à ceux du grand sympathique; et c'est du mélange de ces deux nerfs que sont formés ceux qui vont immédiatement vivifier le cœur, le poumon, l'estomac ; son influence sur les actions de ces viscères est telle, que sa section au col les paralyse et amène la mort. Les zoologistes disent même avoir remarqué; que ce nerf vague va en aug- mentant de volume et d'importance dans les animaux, à partir de l'homme, à mesure que par contre le grand sympa- thique décroît; et qu'au-delà des vertébrés, il finit par être le seul nerf viscéral et le seul nerf dispensateur de l'influence nerveuse organique. Or, ce nerf ne ressemble pas au grand sympathique ; c'est à tort que Reîl le disait formé de même d'une série linéaire de ganglions; il a évidemment la même structure, les mêmes propriétés que les autres nerfs spinaux et encéphaliques; comme eux il est sensible ; son irritation, comme la leur, excite des contractions dans les muscles auxquels il se distribue; et cependant le voilà reconnu dis- pensateur de l'influence nerveuse organique ! quelle néces- sité, dès lors, d'admettre un système nerveux spécial pour cet effet ? et au moins , n'y a-t-il pas ici contradiction dans les auteurs dont nous discutons les idées?

A la vérité , plusieurs ont cherché à échapper à cette con- tradiction, MM. Qall et Brachet, par exemple. Le premier veut qu'on restreigne le nerf vague à ceux de ses rameaux qui vont au larynx, et l'appelle à cause de cela le nerf vocal; il croit que ceux de ses filets qui vont au poumon , au cœur et à l'estomac, lui sont mal à propos rapportés, et appar- tiennent au grand sympathique. Mais, si cela était, la section des nerfs vagues au col ne devrait pas avoir d'autres effets que celle des grands sympathiques au même lieu; et cepen-

DES NERFS QUI DISPENSENT L'INNERVATION. 175

dant , tandis que celle-ci n'a que peu d'influence , au moins laisse survivre long-temps les animaux , l'autre les fait périr promptement, après quelques jours au plus. M. Brachet veut ; que les nerfs vagues ne président, dans les organes in- térieurs , qu'aux sensations dont ces organes sont le siège , comme le besoin d'inspirer, d'expirer, ceux de la faim , de la soif, etc.: et que ce soit le grand sympathique qui y ré- gisse les actions organiques proprement dites. Selon lui, la nature a fourni , à tous les organes intérieurs qui ont à dé- velopper des sensations, des nerfs du système cérébro-spi- nal , en même temps que des nerfs du trisplanchnique; et c'est ainsi, qu'outre les rameaux que reçoivent de ce nerf la vessie , le rectum, l'utérus , ces organes en reçoivent de la portion inférieure de la moeîle spinale, pour présider en eux aux besoins d'uriner, de la défécation, et aux douleurs de l'accouchement. Sans doute les nerfs vagues président aux sensations normales de l'estomac et du poumon , comme les nerfs de la partie inférieure de la moelle spinale à celles du rectum , de la vessie et de l'utérus. Les animaux auxquels on a coupé les nerfs vagues, ne sentent plus la faim ni la saliété, car ils refusent de manger; ou s'ils mangent, ils le font avec indifférence, et tellement machinalement, qu'ils continuent de le faire quoique l'estomac soit plein. Us ne sentent pas plus le besoin de vomir, puisqu'on leur donne en vain des émétiques. Chez eux, les sensations d'inspirer et d'expirer sont également anéanties; car si Tou submerge à la fois deux chiens, dit M. Brachet, mais après avoir fait à l'un la section des nerfs vagues , on voit que le premier s'agitera, se débattra jusqu'à ce qu'il soit asphyxié, tandis que l'autre se laissera périr sans lutte , parce qu'il ne sent pas le besoin de l'inspiration. Enfin il est sûr qu'une lésion de la partie inférieure de la moelle spinale , rend la vessie et le rectum inaptes à produire les sensations qui se rapportent à leurs fonctions excrémentitielîes. Mais si ces faits prouvent qu'effectivement les nerfs vagues et autres nerfs spinaux président aux sensations des organes auxquels ils se distri- buent, n'est-il pas d'autres faits qui prouvent que ces nerfs font encore plus dans ces organes? D'abord, à quoi servi-

176 DE L'INNERVATION.

raient les nerfs vagues dans le cœur, organe qui , dans l'état normal , n'est jamais le siège d'aucunes sensations ? Ensuite , par la section des nerfs vagues, sont anéanties, non-seule- ment les sensations de l'estomac et du poumon , mais encore leurs fonctions de chymification et d'hématose; Brodie a vu la sécrétion des sucs intérieurs de l'estomac cesser de se faire lors de cette section, et les aliments rester dans l'intérieur de ce viscère sans yêtrechymifiés; M. Dupuy dit que c'est impuné- ment qu'on administre alors aux animaux les poisons qui agis- sent par absorption, la noix vomique, par exemple. Ce que nous disons des actions de chymification, d'hématose de ces or- ganes intérieurs, nous le disons aussi de leurs mouvements. Certainement ces mouvements sont indépendants de la vo- lonté; à ce titre, ils sembleraient devoir être régis par le grand sympathique seul; et cependant ceux de l'estomac, de l'intestin, sont sous la subordination des nerfs vagues; et ceux du rectum, de la vessie , et même de l'utérus, sont dépendants de la moelle spinale. Si , sur un animal vivant, on irrite les filets du nerf vague qui entourent l'œsophage, on provoque le mouvement de péristole de l'estomac, et le mou- vement péristaltique de l'intestin. Si les nerfs vagues sont coupés, plus de péristole à l'estomac, et l'animal ne vomit plus que par régurgitation. Une lésion de la moelle spinale à sa partie inférieure, paralyse le rectum à tel point, que c'est vainement qu'on porte des lavements irritants dans cet intestin. Il en est de même de la vessie. Enfin, nous avons cité, d'après M. Brochet, l'observation d'une femme chez laquelle une paraplégie empêcha l'utérus de se contracter dans l'accouchement. Ainsi, nul doute que les nerfs vagues ne président, comme les grands sympathiques , à des phéno- mènes exclusivement organiques , et même que d'autres neifs spinaux ne président à des mouvements involontaires. Concluons donc; que, puisque le nerf grand sympathique n'existe pas partout; que, puisque sur certaines artères, celles des membres et de la face , par exemple , des filets nerveux du système cérébro-spinal remplacent ceux dont il entoure les autres artères; et qu'enfin, puisque les nerfs vagues sont indis- pensables à certaines fonctions organiques; concluons , dis-je,

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que ce nerf grand sympa Inique n'est pas le dispensateur uni- que de l'innervation , mais seulement est le nerf qui princi- palement la fournit aux viscères intérieurs. À ce titre seul , il mérite le nom de système nerveux organique qui lui a été donné. Mais quand on remarque, en outre, que son insensibi- lité contraste avec la sensibilité des autres nerfs , que proba- blement c'est lui qui empêche que les mouvements des par-r lies auxquelles il se distribue soient sentis et régis par la volonté; que de nouvelles raisons pour en faire un système nerveux distinct du système cérébro-spinal ! Evidemment ce nerf est destiné aux fonctions organiques, sa distribution le prouve; certainement aussi il leur sert par l'innervation mais probablement il a encore quelque autre usage qu'on ignore; la science a besoin ici de nouvelles lumières. Tout ce que l'on a dit ne peut être regardé que comme autant de conjectures plus ou moins vraisemblables. Prouvons-le en rappelant toutes les dissidences des auteurs sur la structure et les fonctions de ce nerf.

Sous le rapport anatomique , d'abord , on le dit un nerf encéphalique ayant, par l'intermédiaire des cinquième et sixième paires encéphaliques, son origine en ce centre ner- veux. Ensuite on le présenta comme un nerf spinal, consi- dérant comme ses racines les divers rameaux qui l'unissent dans sa longueur aux paires spinales. Après, TVinslow jugea que tous les rameaux prétendus originels, n'étaient que des rameaux anastomotîques, et il commença à regarder les ganglions de ce nerf commue autant décentres d'origine comme autant de petits cerveaux. Meckel 3 Zinn , Scarpace- pendant, continuèrent de voir dans ces ganglions une simple disposition anatomique, servant à séparer, unir et mêler les différents filets nerveux; et le grand sympathique ne fut encore pour eux qu'un nerf unique , mais formé par le concours des cinquième et sixième paires encéphaliques , et de toutes les paires spinales. Bichal , au contraire, accueillit et étendit l'idée de W inslow ; il cessa de considérer le grand sympathique comme un nerf unique , et le dit un groupe de plusieurs systèmes nerveux spéciaux, ou de ganglions , ayant chacun leurs fondions propres, et unis entre eux par Tome IV. , 2

1^8 DE L INNERVATION.

des brandies de communication. M. Gall adopta tout-à-fait cette manière de voir de Bichat. Il en fut de même de Reil, qui, déplus, établissant que le plexus solaire était aux divers ganglions du grand sympathique, comme un centre, un cerveau qui présenta les deux nerfs grands sympathiques comme embrassant" dans une espèce d'ellipse, tous les or- ganes intérieurs, et comme les tenant isolés dans cette ellipse, dans laquelleneplongeaitaucunautrenerf encéphalique que le nerf vague. M. Lobstein , au contraire, reproche à Bichat d'avoir accordé trop d'importance aux ganglions considérés isolément, et d'avoir trop méconnu celle qu'a le nerf dans son ensemble : les ganglions , dit-il , ne sont-ils pas souvent trop petits, relativement à la quantité des nerfs dont ils sont supposés l'origine? on suit d'ailleurs un même cordon à travers plusieurs ganglions. M. de Blainville , admettant pour les fonctions organiques des ganglions spéciaux, autres que ceux qui président aux fonctions sensoriaies, savoir, le ganglion cardiaque, le semi-lunaire , etc. , présente le grand sympathique comme un grand appareil nerveux, n'existant que dans les animaux supérieurs, et destiné à unir les gan- glions des fonctions organiques qui sont en dedans, avec ceux des fonctions sensoriaies qui sont plus en dehors : nous avons dit, dans le temps, comment il trouvait la connexion de ce nerf avec chacun des ganglions encéphaliques, excepté l'olfactif, aussi évidente que celle avec les ganglions spi- naux. Enfin, M. Magendie , dégoûté sans doute par la di- vergence de toutes ces opinioms, va jusqu'à demander si le grand sympathique est bien un nerf, et doit être rapporté au système nerveux.

Sous le rapport physiologique , les dissidences ne sont pas moindres. On dit d'abord îe grand sympathique destiné à unir les diverses parties du corps, d'où ce nom de grand sympathique qui lui a été donné. En effet, son union avec plusieurs des nerfs encéphaliques dans la tête; avec îe nerf vague , dans les organes des premières fonctions organiques; et avec toutes les paires spinales , dans la longueur du corps, autorisait assez cette conjecture. Comme le nombre des or- ganes augmente à mesure que l'animal est supérieur, on

DES NERFS QUI DISPENSENT l/lNNERVÀTION. 179

concevait, dans cette hypothèse, pourquoi le grand sym- pathique n'existe que chez les vertébrés, et va en augmen- tant des animaux à l'homme. Tous les anatomisles qui, avec Scarpa, Zinn , Meckel , n'ont vu dans les ganglions qu'un artifice anatomique , servant à unir, séparer, mêler les filets nerveux , et à influer mécaniquement sur leur dis- tribution, n'ont regardé le grand sympathique que comme un moyen d'union, d'association des organes. D'autres, remarquant que tous les organes auxquels se distribue le grand sympathique, sont ceux dont le jeu est involontaire et non senti, regardèrent les ganglions de ce nerf comme destinés à isoler du cerveau les organes intérieurs , et tout le nerf, comme un appareil d'isolement. Les ganglions, en arrêtant les impressions éprouvées par les organes inté- rieurs, et en les empêchant d'arriver au cerveau, faisaient que ces impressions n'étaient pas senties; et de même, en arrêtant les volitions cérébrales , et les empêchant d'arriver jusqu'aux organes intérieurs , ils rendaient le jeu de ceux-ci indépendant de la volonté. Si le grand sympathique , outre les nombreux ganglions dont il est parsemé, avait encore une texture différente de celle des autres nerfs, c'est qu'en restant apte à produire l'innervation , il devait cesser d'être conducteur des impressions sensitives et des volitions céré- brales. Cependant cet office d'isolement n'était réel que dans l'état normal : dans certains cas d'exaltation , soit des organes intérieurs, soit du cerveau, le grand sympathique ne s'opposait plus à la communication; d'un côté, les im- pressions éprouvées par les viscères étaient propagées jus- qu'au cerveau qui en avait la perception, ou qui au moins était troublé par elles dans son travail propre; et, d'un autre côté , les irradiations cérébrales arrivaient jusque dans les viscères, comme dans les passions. Ainsi s'expliquait; pourquoi, dans les cas ordinaires, le jeu des organes inté- rieurs n'est ni senti, ni dépendant de la volonté; et pour- quoi , clans d'autres cas , il y a des irradiations continuelles des organes intérieurs sur le cerveau, et du cerveau sur les organes intérieurs. C'est dans ces dernières circonstances qu'on faisait jouer un rôle au plexus solaire, appelé centre

1 2.

180 DE L'INNERVATION.

épigastriq ue , cerveau abdominal , soit comme point de dé- part des irradiations qui allaient perturber le cerveau , soit comme terme de celles par lesquelles le cerveau perturbait les organes intérieurs. Dans cette hypothèse, on concevait encore pourquoi le grand sympathique était plus développé dans les animaux supérieurs; à mesure que le cerveau avait acquis plus d'importance, la nature avait rendre plus complet l'appareil d'isolement destiné à arrêter les irradia- tions de ce centre sur les organes intérieurs. Dans une troisième hypothèse , on considère les ganglions du grand sympathique; ou comme des centres nerveux spéciaux , des- tinés à développer par eux-mêmes l'action nerveuse néces- saire à chaque fonction ; ou comme des appareils destinés à coercer, rassembler celle qui dérive de la moelle spinale ou de l'encéphale, et à influer sur sa distribution. C'est ainsi que BicJiat, M. Gall ont fait de chaque ganglion un centre d'action affecté chacun à une fonction organique spéciale; s'appuyant de l'analogie des derniers animaux, dans lesquels chaque ganglion est si bien indépendant , que ces animaux , coupés en autant de morceaux qu'il y a de ganglions, de- viennent autant d'êtres distincts. C'est ainsi que d'autres, sans admettre dans les ganglions une indépendance aussi absolue, ont considéré ces corps comme servant à accumuler en eux l'influx nerveux , et à influer sur sa distribution. Enfin , beaucoup de physiologistes ont fait jouer à la fois aux grands sympathiques ces divers usages. M. Bée lard r, par exemple, dit que les ganglions ont le double usage; d'un côté , d'arrêter l'influence du centre nerveux sur les organes intérieurs , et d'empêcher la transmission des impressions au centre, pour que les fonctions intérieures soient isolées des extérieures; et d'un autre côté, de rassembler la force ner- veuse qu'ils puisent dans la moelle ou développent eux- mêmes, pour la communiquer convenablement aux nerfs et aux organes auxquels ceux-ci se distribuent. De même, MM. Broussais, Lobstein font du grand sympathique, non- seulement le moteur de toutes les fonctions organiques, mais encore l'intermédiaire entre le cerveau et les viscères, je moyen par lequel ceux-ci expriment au centre de percep-

DES NERFS QUI DISPENSENT L'INNERVATION. 181

lion tous leurs besoins , et enfin le grand agent de toutes les sympathies. Certainement, il n'est aucun de ces usages at- tribués aux grands sympathiques , qui ne paraisse plus ou moins vraisemblable , qu'on ne puisse appuyer sur quelques faits, sur quelques analogies; mais certainement aussi, il n'en est aucun qu'on puisse dire complètement démontré.

C'est en vain qu'on a cherché à s'éclairer ici par des ex- périences sur des animaux vivants. Bichat dit, qu'ayant coupé au col, sur des chiens, les deux nerfs grands sympa- thiques, ces animaux, non-seulement survécurent indéfini- ment , mais même ne présentèrent aucuns troubles sensibles dans leurs fonctions. M, Magendie dit avoir impunément enlevé tous les ganglions du col, et les premiers ganglions thoraciques. M. Dupuy, professeur à Alfort, a, de concert avec MM. Dupuytren et Breschet, extirpé , sur des chevaux, les ganglions gutturaux des grands symphatiques de l'un et de l'autre côté du col ; un resserrement de la pupille, une rougeur de la conjonctive , furent les phénomènes qui se présentèrent d'abord; ensuite les animaux maigrirent sen- siblement; il survint une infiltration générale des membres, une éruption de gale sur toute la peau ; et enfin , après un , deux et souvent trois mois , les animaux périrent. Sans doute la mort ne put ici être attribuée qu'à la section des nerfs , et elle prouve par conséquent l'influence de ces nerfs sur les fonctions nutritives; cependant elle fut bien plus tar- dive que celle qui suit la section des nerfs vagues, et consé- quemment l'expérience est moins décisive. Du reste, il est facile d'en donner les raisons. Les grands sympathiques ne peuvent être coupés qu'au col; partout ailleurs, ils sont situés trop profondément. Or, leur section au col ne les lèse que légèrement , et ne doit avoir que des résultats faibles ou éloignés. Dit -on, en effet, avec Bichat, que ces nerfs sont une suite de ganglions indépendants? on conçoit que ceux de ces ganglions qui sont situés au-dessous de la section , et qui sont les plus importants, ont continuer leurs offices. Dil-on, au contraire, qu'ils font un seul système? après leur section au col, il leur reste assez de liaison ; et avec l'encéphale, par îa huitième paire; et avec la moelle spi-

182 - de l'innervation.

nale, par le dernier ganglion cervical et les ganglions tho- raciques, pour qu'ils puissent exercer leur influence sur les organes centraux de la vie , le poumon et le cœur.

Toutefois, bien qu'on ne puisse faire un choix absolu en- tre toutes ces hypothèses, il eu résulte toujours que le grand sympathique est un système nerveux spécial, affecté aux fonctions organiques, indispensable à leur accomplissement, et dont l'étude devait se rattacher à celle de ces fonctions organiques. Arrivons à une troisième question relative à l'innervation, celle de la source dont elle émane.

§ III. Sources de l'Innervation.

Presque tous les physiologistes placent la source de l'in- nervation dans les grands centres nerveux , l'encéphale et la moelle spinale, et ne considèrent les nerfs que comme de simples conducteurs. L'analogie et des faits directs viennent en effet à l'appui de cette opinion. D'un côté , les nerfs dans les autres actions nerveuses ne sont évidemment que con- ducteurs, soit des impressions sensitives, soit des volitions. D un autre côté, que les centres nerveux soient lésés, ou seulement que la communication avec eux soit détruite par la section ou la ligature du nerf qui l'établit, il n'y a plus d'influence nerveuse produite, et les organes meurent, quand bien même la lésion ne serait pas de nature à arrêter les mouvements du cœur. Cependant Reil, Prochaska ont conjecturé, qu'outre l'influx nerveux évidemment fourni par les centres nerveux, chaque nerf avait le pouvoir de sé- créter lui-même le fluide, quel qu'il soit, qui consti tue cet in- flux. Ils arguaient, i<>decequiest dans les derniers animaux, chez lesquels chaque partie nerveuse est si bien apte à pro- duire l'innervation, que chaque fragment détaché du corps peut continuer de vivre ; de ce qui est dans les embryons des animaux supérieurs eux-mêmes , chez lesquels les expan- sions nerveuses sont développées avant les centres ; 3o de ce qu'un nerf coupé et conséquemment séparé des centres, continue de provoquer, quand on l'irrite, des contractions de muscles jusque dans ses ramifications dernières; enfin,

SOURCES DE L'INNERVATION. l83

de la persistance qu'on observe encore dans les fonctions organiques dans 3es movts subites, après la destruction des centres nerveux. C'est afin de fournir à cette sécrétion ner- veuse, disent-ils, que ies nerfs reçoivent tant de vaisseaux artériels, et en sont partout pénétrés. Plusieurs modernes ont adopté cette manière de voir de Reil et Prochaska. Nous citerons M. Broussais , qui dit que les nerfs jouissent en tout lieu de leur force et de leurs propriétés, qu'ils ne les empruntent point au cerveau , et qu'ils ne communi- quent avec ce centre que pour la correspondance des or- ganes. Legallois penchait aussi pour cette opinion, bien qu'il eût vainement cherché à la démontrer par l'expérience suivante : il mit à nu dans un jeune chat les nerfs vagues au col , et détruisit dans une étendue aussi grande qu'il lui fut possible tous les vaisseaux qui s'y rendent; il espérait que, si ces nerfs sécrètent eux-mêmes le fluide nerveux par lequel ils agissent, ces nerfs ne recevant plus le sang du- quel ils le retirent, l'animal manifesterait les mêmes effets que ceux qui résultent de la section de ces nerfs ; cela n'ar- riva pas, et la respiration resta facile. Il est certainement possible que les nerfs soient, non-seulement conducteurs, mais encore un peu producteurs de l'influx nerveux, quel qu'il soit : ne voit-on pas l'irritation artificielle d'un nerf amener des contractions musculaires, quand l'irritation du centre nerveux auquel aboutit ce nerf ne suffit plus pour amener ce résultat ? Mais certainement dans les animaux supérieurs chez lesquels la vie est centralisée, la principale source de Pinfluence nerveuse est dans les centres ; et si 1 on veut que chaque nerf sécrète le fluide nerveux qu'il em- ploie, comme il faut reconnaître qu'il est , dans cette action de sécrétion, subordonné à l'état des centres, c'est comme si l'on disait qu'il reçoit de ces centres l'influx nerveux. Il est certain, en effet, que, dans les animaux supérieurs, la centralisation de la vie n'est pas établie seulement, par le concours des fonctions organiques supérieures qui servent à faire le sang , ce stimulus indispensable de toute vie ; mais qu'elle résulte encore de la liaison qui est établie entre toutes les parties nerveuses, et de la dépendance dans la-

i84 de l'innervation.

quelle sont toutes les parties nerveuses d'une partie centrale qui fonde tout-à-fait l'individualité de l'être. A. l'article des connexions des divers organes entre eux, nous recher- cherons quelle est la partie nerveuse centrale , et dans quel degré lui sont subordonnées toutes les autres; nous verrons que cela variera selon l'espèce animale, et selon l'âge.

§ IV. Essence de V Innervation.

Enfin, en quoi consiste cette innervation, que nous ve- nons de présenter comme une condition non moins néces- saire à la vie des organes que celle du sang qui les nourrit, et qui peut-être est la première et l'unique, si le sang ne sert qu'à fournir au système nerveux les matériaux avec lesquels il la produit? On est ici dans la plus complète ignorance. L'action n'esl-elle pas moléculaire, et conséquemment hors la portée d'aucun sens ? Avons-nous pu pénétrer toute autre action nerveuse? et pouvons-nous en savoir plus sur celle- ci, dans laquelle réside peut-être tout le secret de la vie ? La science ne peut jusqu'à présent offrir, sur ce fait premier de physiologie, que des conjectures plus ou moins fondées. On avait pu appliquer quelques hypothèses mécaniques au jeu des nerfs , pour la transmission des impressions sensi- tives et des voîitions cérébrales; par exemple, supposer des vibrations dans leurs fibrilles élémentaires, dans les globules qui les composent. Mais ici on a plutôt supposé un fluide, du genre des fluides impondérables de la nature, et étant à la production des phénomènes vitaux, ce que le calori- que, le fluide électrique sont, dans la physique générale, aux divers phénomènes qu'on leur rapporte. N'est-ce pas en effet aux fluides impondérables que , dans la nature gé- nérale , sont dus les plus importants phénomènes ? et quelle présomption pour qu'il en soit de même dans la nature or- ganisée ?

Cette hypothèse, qui fut admise dès les premiers temps de la science, est encore celle à laquelle on s'arrête aujourd'hui; et depuis Arislote jusqu'à M. Cuvier, on voit presque tous les savants rapporter à l'influence d'un fluide

ESSENCE DE i/lNNERVATlON. l85

nerveux, tour-à-tour appelé pneuma, èther, orne sensitive, esprits animaux , fluide électrique, galvanique , etc. , tous les phénomènes de la vie. 3Mais les opinions sur ce qu'est ce fluide sont très diverses. Nul doute que le système nerveux n'en soit l'agent sécréteur, ou du moins l'unique conducteur dans l'économie. Mais est-ce un fluide impondérable spécial aux êtres vivants? ou est-ce un de ceux admis dans la phy- sique générale, le fluide électrique , par exemple, ou le ca- lorique, mais modifié par une action particulière du système nerveux, et, par conséquent, produisant cet ordre de phé- nomènes nouveaux dont l'ensemble constitue la vie? C'est ce qu'on ignore, et ce que chacun a conjecturé tour-à-tour. M. Lamarck admet que la cause excitatrice de la vie est ré- pandue dans les milieux divers dans lesquels sont plongés les êtres vivants; que, pour les plus simples de ces êtres, cette cause, qui est probablement un mélange de lumière et de fluide électrique, pénètre sans cesse du milieu ambiant dans le corps de ces êtres, pour y entretenir la vie, et même pour la commencer; mais, qu'indépendamment de ce qui leur en est fourni par le milieu ambiant, les ani- maux supérieurs ont en eux un moyen de la développer toujours. M. Cuvier fait sécréter du sang ce principe, par l'action du système nerveux; et, des modifications qu'a- mènent dans sa composition chimique les différents agents extérieurs, résultent tous les phénomènes de la vie : bien qu'émané du sang, c'est son influence qui fait agir les vais- seaux qui sont les conducteurs de ce fluide; de sorte que du rapport réciproque des vaisseaux et des nerfs, dépend le degré d'intensité des actes vitaux.

Quant à la question de savoir si le fluide nerveux, au lieu d'être un fluide spécial, n'est pas seulement un des fluides impondérables connus, mais modifié par des condi- tions qui sont encore à découvrir, la plupart des physiolo- gistes out penché pour cette opinion , tant à cause de l'u- ni té de plan qu'il est raisonnable d'admettre dans l'ordon- nance de tout l'univers , qu'à cause des faits nombreux qui semblent montrer, entre les fluides nerveux et galvanique, sinon une identité complète, au moins beaucoup d'analo-

J86 DE i/'lN NERVATION.

gîe. D'un côté, bien que dans Fétat actuel de la science tous les phénomènes vitaux ne soient aucunement explica- bles par les lois physiques et chimiques générales, il est probable cependant que ces phénomènes ont pour moteurs les mêmes agents que les phénomènes physiques; avec cette addition seulement que ces agents, ou sont plus nombreux, ou ont subi quelques modifications; en un mot , se trouvent dans quelques conditions nouvelles , dont la découverte se- rait celle de la vie. Beaucoup de physiologistes de l'époque actuelle présument, que les lois de la vie ne sont que les lois physiques générales modifiées ; et dès lors , ils s'effor- cent, par une investigation et une comparaison continuelles ae la nature morte et de la nature vivante, de pénétrer en quoi consistent ces modifications. D'un autre côté, beau- coup de faits que nous allons rapporter montrent de l'ana- logie entre les fluides nerveux et galvanique.

Il est remarquable que le système nerveux, qui est évidemment l'agent sécréteur, l'unique conducteur du fluide de ce nom, est aussi le seul qui se montre sensible au gal- vanisme , quand ce galvanisme est appliqué au corps des ani- maux, soit vivants, soit morts. On a même , par ce fait seul , soupçonné d'abord, ensuite découvert, dans des animaux, des nerfs qu'on n'y supposait pas auparavant. 20 Le fluide galvanique, appliqué après la mort à des nerfs, a déter- miné, dans les muscles auxquels se distribuent ces nerfs, aes contractions analogues à celles qu'y provoquent la vo- lonté ou leurs excitants propres. Depuis le jour le hasard présenta, pour la première fois, ce phénomène à Galvarri, il a été constaté par un grand nombre d'expérimentateurs, Bichat, Aldini, M. de Humboldt, etc. ; et les faits que nous pourrions citer ici se présentent en foule. Il en est peu qui soient aussi remarquables que ceux qu'a communiqués , àla société littéraire de Glascow, le docteur U/e .-sur le cadavre d'un meurtrier âgé de trente ans, et mort du supplice de la potence , ce médecin a fait contracter violemment tous les muscles du corps, en appliquant les deux conducteurs d'une pile voitaïque composée de deux cent soixante-dix paires de plaques, î'unàla moelle épinière au col , et l'autre au nerf

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sciatique à la hanche ; en opérant sur le nerf phrénique , il détermina une véritable respiration; et, en agissant sur le nerf sus-orbitaire au front, il fit produire aux muscles de îa face les expressions les plus diverses. En remplaçant, lors de la section d'un nerf, l'influx nerveux par un courant galvanique, on a prévenu la paralysie des organes auxquels le nerf coupé se distribuait, et on a vu leurs fonctions con- tinuer. Ainsi JVilson Philip a vu3 comme nous l'avons dit dans le temps , que , s'il faisait passer, lors de la section des nerfs vagues , un courant galvanique par ces nerfs , la chymi- fication n'était pas suspendue , et la respiration ne manifes- tait pas la gêne qui suit d'ordinaire cette section. MM. Ed- wards et Levasseur ont vérifié ce fait à Paris. Ce même JVilson a constaté la même puissance d'un courant galva- nique à l'égard des sécrétions, de la calorification. Ainsi, de même que le fluide galvanique produit sur les muscles , pendant la vie et après la mort, la même influence que l'in- flux nerveux , de même il paraît pouvoir remplacer cet influx nerveux pour d'autres actes organiques, la cliymification , l'hématose, etc. rappliqué aux nerfs des sens, par eux il excite la production des sensations qui leur sont propres; et dès long-temps, Sulzer avait annoncé qu'ayant placé deux mé- taux différents, l'un au-dessus et l'autre au-dessous de la langue, et les ayant ensuite fait communiquer, l'individu soumis à l'expérience avait éprouvé une sensation de saveur. Non-seulement le fluide galvanique a remplacé le fluide nerveux, et entretenu les mouvements vitaux, mais le sy- stème nerveux seul a développé, en de certains cas, le gal- vanisme, et avec lui tous ses effets. Aldini , au lieu de faire, dans ses expériences , communiquer le nerf et le muscle par un arc métallique, les a mis dans un contact immédiat, et il a vu les contractions survenir; il fallait seulement que les parties eussent plus de vitalité; le phénomène a eu lieu sui- des animaux à sang chaud, chien, chat, comme sur des animaux à sang froid. Des animaux développent de véri- tables phénomènes électriques; îa torpille, par exemple, et surtout Y anguille tremblante de Surinam, gymnolus elec- tricus. Or, l'organe qui en eux est l'instrument de leur

*88 de l'innervation.

action électrique, non -seulement a une structure qui est assez analogue à une pile de Volta , puisqu'il est formé d'un double étage de cellules ou tubes aponévro tiques, remplis d'une humeur gélatineuse et afbumineuse , et contigus su- périeurement et inférieurement à la peau de Tune et l'autre surface du poisson ; mais encore cet organe est très ricbe en nerfs qui se distribuent à chacun des tubes , et la section de ces nerfs le paralyse, comme si ces nerfs étaient ici ce qui produit le dégagement du fluide. Selon certains physio- logistes, plusieurs phénomènes vitaux peuvent être dits des phénomènes électriques; et, par exemple, MM. Dumas et Prévost viennent de présenter, comme tels, la contractilité musculaire. Etablissant que la fibre musculaire , au moment de sa contraction , se fléchit en zigzag , et que les angles de flexion sont toujours situés aux mêmes points, et les filets nerveux coupent les fibres à angles droits ; ces physio- logistes conjecturent que cette contraction est due au passage d'un courant électrique dans ces filets nerveux et à leurrap- prochement, consécutivement aux lois connues des actions électro-dynamiques. 70 Enfin, il est entre les fluides nerveux et électrique des analogies qui justifient le rapprochement que les faits précédents ont fait établir entre eux. Ainsi , le fluide électrique agit à distance , il s'élance de ses conduc- teurs sur les corps, avant que ceux-ci soient au contact. Or il en est de même du fluide nerveux. Dans les expériences dans lesquelles on a coupé les nerfs pour arrêter l'influx nerveux, on a vu celui-ci continuer d'être propagé, si les deux bouts du nerf coupé restaient en contact, ou même n'étaient que peu éloignés; le courant nerveux était au con- traire arrêté , si l'on avait retourné les deux extrémités du nerf coupé. M. Desmoulins vient d'avancer que les nerfs en- céphaliques et spinaux, sauf l'olfactif et l'optique, ne sont pas continus à l'axe cérébro-spinal, mais seulement sont juxta-posés à cet axe , de sorte que , pour l'exécution de leurs fonctions, il faut bien admettre une transmission à di- stance : cette disposition anatomique est surtout, dit ce na- turaliste , évidente dans les poissons. Une autre analogie est que le fluide électrique forme comme une atmosphère au-

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tour de ses conducteurs; et plusieurs physiologistes, Reîl , M. de Humboldl disent que cela est aussi du fluide nerveux. Reil avait supposé cette atmosphère, pour expliquer la sen- sibilité des parties dans lesquelles les extrémités nerveuses n'avaient pas paru pénétrer; et M. de Humboldt l'a admise sur ce que, dans les expériences galvaniques, il n'était pas absolument nécessaire , pour déterminer la contraction , que l'arc métallique touchât le muscle , mais qu'il suffisait qu'il en fût rapproché de la distance d'une ligne. Enfin , l'inten- sité des phénomènes électriques est en raison de l'étendue des surfaces desquelles le fluide est dégagé; et de même les phénomènes nerveux sont, pour leur énergie, en raison de Tétendue des épanouissements nerveux auxquels ils se pro- duisent. M. Desmoulins a fait voir que la vision était d'au- tant plus étendue, que la rétine offrait plus de plis inté- rieurs; que l'intelligence était en raison , non du volume et de la masse du cerveau , mais de l'étendue des surfaces ex- terne et interne de cet organe , c'est-à-dire de celle des circonvolutions en dehors , et des ventricules en dedans; et c'est d'après ces faits et plusieurs autres que ce natura- liste a admis cette loi, que l'énergie de l'action nerveuse est toujours proportionnelle à l'étendue des surfaces ner- veuses.

Sans doute., ces divers faits sont propres à justifier jusqu'à un certain point, un rapprochement entre les fluides ner- veux et électrique; et en faisant ce rapprochement, les physiologistes imitent les physiciens, qui, s'efforçant de ra- mener tous les phénomènes à un moteur unique, viennent de rattacher le magnétisme à l'électricité, comme ils l'a- vaient fait déjà du galvanisme. Mais, cependant, loin d'i- miter ceux qui font de l'encéphale et de la moelle spinale de purs électro-moteurs, nous ne présentons tout ceci que comme conjecture. Si un courant galvanique a, lors de la section des nerfs, entretenu les fonctions, ce n'a été que pendant un temps fort court; et le fluide galvanique a pu n'agir ici que comme stimulus , et en déterminant le déve- loppement de la portion d'influence nerveuse qui n'était pas encore éteinte. JNous bornant donc ici à rappeler ce qui

190 DE L m NERVATION.

a été présumé, et les faits d'après lesquels on a établi de pre- mières suppositions, nous attendons, pour prononcer, que le temps ait apporté de nouvelles lumières, reconnaissant toute la difficulté du problème, mais ne désespérant pas de la possibilitédelevoir résoudre. Nous terminons sur cet arti- cle , en exposant les deux dernières tentatives qui on t été fai tes en ce genre; l'une par M. Dutrochet, dans un ouvrage qu'il a publié l'an dernier sous ce titre : Y Agent immédiat du mouvement vital dévoilé dans sa nature et dans son mode d'action chez les végétaux et chez les animaux ; l'autre par M. Bachoué de Vialer, dans un mémoire qu'il a présenté à l'Académie royale de médecine, et intitulé; Essai sur une nouvelle théorie des fonctions du système nerveux dans les animaux.

M. Duirochet professe que le tissu qui constitue le corps des végétaux et des animaux, est composé de vésicules qui contiennent des liquides et qui en sont entourées; et que tous les phénomènes de la vie des végétaux et des animaux, tiennent à des courants électriques qui s'établissent à tra- vers les parois de ces vésicules, entre les liquides qui sont dans leur intérieur, et ceux qui sont à leur extérieur, con- sécutivement à la différence de densité et de nature chi- mique des uns et des autres. Un jour qu'il observait au mi- croscope et sous l'eau , une moisissure aquatique qui s'était développée sur une plaie faite à un petit poisson dont il avait coupé la queue, il vit que l'eau extérieure à la moi- sissure était introduite avec force dans les cellules qui la composaient, et chassait la substance qui y était précédem- ment contenue. Ayant observé de la même manière le four- reau plein de sperme que laissent les limaces dans les par- ties de l'individu avec lequel elles s'accouplent, il vit de même l'eau extérieure pénétrer dans ce fourreau et en ex- pulser le sperme, quoique celui-ci formât une pâte assez liquide. Il présuma donc, d'après ces deux faits, que tout organe creux, quand il est plongé dans l'eau, jouit de la propriété d'introduire avec violence dans son intérieur l'eau dans laquelle il est plongé, et de chasser de sa cavité les substances qui auparavant y étaient contenues. Il appela

ESSENCE DE L'iNNERVATION. 191

cette action physico-organique endosmose, et chercha à la reproduire artificiellement avec des cœcums de poulet qu'il remplissait de lait , et qu'il plongeait dans de l'eau de pluie. Toujours il vit l'eau extérieure pénétrer à travers les parois du cœcum dans l'intérieur de cet intestin. Le phénomène ne cessa que lorsque le lait fut pourri. Il éiait d'autant plus pro- noncé, que le liquide placé dans l'intérieur du cœcum était plus dense relativement à celui qui était extérieur. Si celui-ci était au contraire supérieur en densité, le cœcum se vidait par une action inverse de la précédente, et qu'à cause de cela M. Datrocliet. appela exosmose; de sorte que le cou- rant s'établissait toujours du fluide le moins dense vers celui qui l'était le plus, Tl expérimenta que la nature chimique des liquides influait autant que leur densité, sur la direc- tion qui était imprimée au courant; par exemple, la pré- sence d'un liquide alkalin dans l'organe creux, amenait constamment l'endosmose, tandis que celle d'un liquide acide déterminaitl'exosmose; desorteque le courant s'établis- sait toujours du fluide acide vers le fluide alkalin. II constata que, si on adapte un tube à un organe creux qui est dans les conditions de l'endosmose, la force qui fait pénétrer l'eau extérieure dans l 'organe creux, élevé en même temps cette eau à une assez grande bailleur dans le tube. Il reproduisit ce fait, qui le portait à penser que l'endosmose a une grande part à la circulation des fluides dans les êtres vivants, avec des organes végétaux et animaux divers. Il construisit un instrument , véritable endosmomètre , avec lequel il put expérimenter la puissance des divers liquides sur le phéno- mène, en raison de leur différence de densité et de nature chimique. Enfin , il reconnut , qu'en même temps que l'en- dosmose fait pénétrer le liquide extérieur dans l'organe creux, une partie du liquide intérieur à celui-ci suinte en dehors à travers ses parois; que de même, lorsque l'exosmose vide l'organe creux, une partie du liquide extérieur pé- nètre dans sa cavité ; de sorte qu'il y a toujours à la fois en- dosmose et exosmose, c'est-à-dire production de deux cou- rants qui sont opposés, mais qui sont inégaux en intensité, le courant.de dehors en dedans dominant dans l'endos-

192 DE L'INNERVATION.

mose, et, au contraire, celui de dedans en dehors étant plus fort dans l'exosmose.

Ces deux actions, endosmose et exosmose, étant ainsi bien constatées, et bien distinguées par M. Dutrochet de tout phénomène physique, chimique et organique quel- conque , ce savant prétend; d'une part , que ces actions sont des phénomènes électriques; et de l'autre, qu'elles sont l'ame de tous les phénomènes de la vie des végétaux et des animaux.

Pour preuve que c'est l'électricité qui fait ainsi passer à travers une membrane organique, un liquide moins dense pour le diriger vers un autre qui Test plus, M. Dutrochet se fonde sur les considérations suivantes : i<> sur ce que le contact de corps qui ont des densités différentes est toujours une cause d'électricité; sur ce que le fluide électrique accélère l'écoulement et la vaporisation des liquides, et par conséquent donne de l'impulsion à ces liquides; sur une expérience de Porett , qui semble, selon lui, répéter l'en- dosmose et que voici : Porett sépara un vase en deux com- partiments, à l'aide d'une membrane mince; il remplit d'eau un des compartiments , et ne mit que quelques goutles de liquide dans l'autre; alors faisant communiquer le pôle positif d'une pile avec le compartiment plein d'eau, et le pôle négatif avec le compartiment vide , il vit l'eau passer à travers la membrane, du compartiment plein dans le com- partiment vide. Enfin , sur ce qu'il a développé tour-à- tour les phénomènes de l'endosmose et de l'exosmose, en faisant communiquer; dans le premier cas, le pôle négatif d'une pile avec le liquide qui remplit l'organe creux, et le pôle positif avec le liquide extérieur; et dans le deuxième cas, au contraire, le pôle positif avec le liquide intérieur, et le pôle négatif avec le liquide extérieur. Telles sont les considérations d'après lesquelles M. Dutrochet assimile les organes creux qui présentent les phénomènes de l'endosmose et de l'exosmose , à des bouteilles de Leyde , dont les parois seraient perméables; l'intérieur et l'extérieur de ces organes creux sont dans des états électriques opposés; un courant électrique s'établit de la surface qui est en électricité posi-

ESSENCE DE i/lïN NERVATION. 193

tive vers celle qui est en électricité négative ; et conséquem- ment il y a endosmose , si la surface interne de l'organe creux est à l'état d'électricité négative , l'extérieure étant en électricité positive; et au contraire, il y a exosmose, si la surface externe, étant en électricité négative, la surface in- terne est en électricité positive. Pour appuyer toute cette théorie, M. Dutrochet remarque que, si une augmentation de température donne plus d'intensité au phénomène de l'endosmose , on sait aussi qu'une augmentation de tempé- rature accroît l'intensité du courant électrique qui résulte du contact de deux métaux.

Quant à la manière dont M. Dutrochet assimile les phé- nomènes de la vie végétale et de la vie animale aux actions d'endosmose et d'exosmose, voici les idées de ce savant à cet égard. On sait que, dans les végétaux, la sève monte des racines à la tige; i<> par l'action des spongioles, bour- geons terminaux des racines, qui évidemment sont les organes de l'absorption et de l'impulsion de la sève lym- phatique; 20 par l'action des feuilles qui, provoquant au sommet du végétal une action de transpiration et d'évapo- ration d'autant plus grande, que l'air ambiant est plus chaud et plus sec , exercent comme une sorte d'aspiration sur la sève introduite par les spongioles. Or, les spongioles , dit M. Dutrochet , sont des organes celluleux qui contien- nent dans leur intérieur des fluides organiques; et consé- quemment elles ne peuvent être plongées dans de l'eau sans que , par endosmose , elles ne fassent pénétrer cette eau , non-seulement dans leur intérieur, mais encore jusqu'au sommet de la tige. C'est ainsi que l'endosmose est, selon M. Dutrochet , ce qui constitue l'action d'absorption des spongioles , et la cause de la circulation de la sève. C'est elUî aussi qui préside au développement et k la nutrition des plantes, à leur mouvement de composition et de décompo- sition; car, consistant en deux courants électriques opposés, non-seulement elle porte sans cesse de nouvelles substances dans l'intérieur des parenchymes, et retire une partie de celles qui y existaient, mais encore ell« entraîne des modi- fications chimiques continuelles dans ies éléments organi- Tome IV. ,3

ig4 DE L'INNERVATION.

ques des parties , toute action électrique modifiant la nature chimique de la matière, de même que toute action chimi- que entraîne après soi un développement d'électricité. Enfin, c'est elle aussi qui opère les sécrétions ainsi que l'exhalation , laquelle, du reste, n'est qu'un mode de sécrétion. Selon M. Dulrochet, l'exhalation des végétaux n'est pas plus une simple évapora tion physique , que leur absorption n'est un acte de capillarité; elle est aussi un phénomène d'endosmose. Ce savant ne conteste pas sans doute que la capillarité, la pesanteur, l'agitation par les vents, n'exercent une influence sur les fonctions des végétaux; mais il ne considère cette in- fluence que comme accidentelle, et le véritable moteur de la vie de ces êtres est, selon lui, l'agent électrique. Il re- garde la moelle végétale comme étant à l'organisation des vé- gétaux, ce que le système nerveux est à l'organisation des animaux, et comme destinée à dispenser partout l'activité vitale , c'est-à-dire l'électricité.

Enfin, les conditions de l'endosmose, savoir, une struc- ture vésiculaire, et la présence de fluides organiques plus denses que l'eau dans les vésicules, existant dans les ani- maux comme dans les végétaux , M. Dutrochet fait jouer à cette endosmose le même rôle dans les premiers que dans les seconds. Ainsi , de même qu'elle était l'a me de la progres- sion de la sève dans les végétaux , elle préside à la circulation capillaire dans les animaux , et surtout à la progression du sang dans les veines. Au même titre, elle constitue Y ab- sorption , les sécrétions , la nutrition, etc. Seulement , toutes ces actions se produisent par filtration à travers des mem- branes organiques perméables; tout ce qu'on a dit des radi- cules veineuses pour l'absorption, et des extrémités artérielles pour l'exhalation et la nutrition , sont, selon M. Dutrochet, des fables physiologiques. Le système sanguin est une cavité sans issue, et c'est par une filtration à travers les parois des vaisseaux qui le forment, qu'il reçoit et fournit des élé- ments. En somme , l'endosmose est encore l'essence de toute la vie des animaux; et , puisque cette endosmose est un phé- nomène électrique, l'électricité est îe moteur de la vie des animaux, comme elle était déjà l'agent de celle des végétaux.

ESSENCE DE L'INNERVATION . 1^5

M. Dutrochet étend même sa théorie à la pathologie: puis- que l'endosmose est l'acte vital par excellence , et puisqu'elle est un phénomène d'électricité, on conçoit que les maladies consisteront dans un vice de l'endosmose ou d'électricité et que c'est à modifier cette endosmose que devront tendre les agents thérapeutiques : l'inflammation , par exemple , n'est , selon M. Dutrochet, qu'une hypérendosmose. Mais c'en est assez sur la théorie électrique de ce savant, venons à celle de M. Bachoué.

Le système de M. Bachoué de Violer, sur l'innervation n'est qu'une application de cette loi électro-chimique de M. Becquerel : que lorsque deux substances, mises en com- munication l'une avec l'autre, par un fil conducteur, exer- cent simultanément une action chimique avec une troisième* il se développe un courant galvanique 3 qui se dirige tou- jours de la substance cette action est lapins forte, vers celle elle l'est le moins. D'une part, dit M. Bachoué du fluide électrique est toujours mis en évidence , toutes les fois qu'une action chimique quelconque se produit. D'autre part, il s'exerce continuellement dans tous les organes une action chimique simultanée, par suite de l'abord du sang ar- tériel et de la transformation de ce liquide en sang veineux. Enfin, les centres nerveux communiquent par des conduc- teurs , lesnerfs , avec toutes les parties de l'organisme. Consé- quemment il doit s'établir , dans chaque cordon nerveux un courant galvanique continuel , allant de son extrémité cen- trale à son extrémité périphérique, et vice versa, suivant que l'action chimique dont ce courant émane prédomine à l'une ou à l'autre extrémité. Or, ce courant est , selon M. Ba- choué, ce qui détermine le jeu de chaque organe; et voici comment ce médecin explique, par ce courant, la produc- tion de toutes les actions de l'économie, de la circulation, des fonctions sensoriales, l'état de sommeil , celui de veille, etc. La circulation étant continue dans les animaux , il y a nécessité de reconnaître pour cause à cette fonction, un agent qui se développe, d'une manière continue, dans l'intérieur de ces êtres. Cet agent est le fluide électrique qui se dégage à l'occasion de l'action chimique que le sang exerce à la fois et

i3.

196 Diz l'ikjnervation.

sur les centres nerveux, et sur les tissus organiques à la pé- riphérie. Mais comme cette action prédomine dans les cen- tres, le courant galvanique qui en résulte est établi de ces centres vers les organes circulatoires , et conséquemment le jeu de ceux-ci est suscité. Pour déterminer le courant dans cette direction , la nature fait prédominer l'afflux sanguin dans les ganglions du grand sympathique, centres nerveux qui président à la circulation; il en résulte dans ces gan- glions une action chimique plus considérable, et par suite , un courant galvanique centrifuge plus prononcé. Cette dis- position a encore cet avantage de diminuer le pouvoir con- ducteur de ces nerfs , d'après ce principe de physique qu'un corps est d'autant moins bon conducteur du fluide électrique, qu'il a par lui-même une action électro-motrice plus forte; d'où il résulte que la circulation est affranchie le plus possible des perturbations que produiraient en elle les courants qui traversent sans cesse les autres parties du système nerveux, c'est-à-dire les nerfs cérébraux et vertébraux avec lesquels ceux du grand sympathique communiquent. Ainsi, d'une part , le jeu des organes circulatoires est continuellement provoqué par le courant galvanique centrifuge qui résulte de l'action chimique exercée simultanément par le sang, dans les centres nerveux et dans les organes à la périphérie du corps; et d'autre part, l'arrivée non interrompue du sang dans les organes y détermine, sans interruption aussi , l'ac- tion chimique nécessaire au développement de l'électricité, d'où dépend la continuité de la circulation. M. Bachoué explique de même le mécanisme des fonctions sensoriales ; le contact des agents extérieurs sur les extrémités nerveuses sensitives , y rend prédominante l'action chimique qui s'y produit continuellement par l'abord du sang artériel ; de là, production d'un courant galvanique qui se dirige de la pé- riphérie au centre ; ce courant va déterminer le jeu du cerveau pour l'accomplissement des sensations; et cet or- gane, excité par ce travail, devient le siège d'une action chimique plus prononcée , qui irradie un autre courant gal- vanique centrifuge dans les muscles qui doivent exécuter les mouvements. Quant au sommeil, il aura lieu toutes les

ESSENCE DE L'iNNERVATION. 197

fois que les actions chimiques prédomineront aux extrémités centrales des nerfs, et que conséquemmeiit tous les courants galvaniques se dirigeront vers leurs extrémités périphéri- ques ; et, en effet, on peut remarquer que cet état s'accom- pagne d'une fluxion manifeste du sang sur le cerveau. La veille est, au contraire, provoquée par la nécessité d'ac- complir certains besoins, certaines excrétions, et par l'in- fluence des excitants externes; toutes circonstances qui font prédominer les actions chimiques de la périphérie , et qui conséquemment dirigent vers les centres les courants galva- niques. Ainsi donc, M. Bachoué dérive tous les phénomènes de vie d'une action chimique donnant lieu à un dévelop- pement d'électricité. Il étend aussi son système à l'état pa- thologique ; si l'action chimique est renfermée dans de justes proportions, tous les phénomènes de vie sont selon l'ordre de la santé; dans le cas contraire, ces phénomènes sont morbides; toutes les maladies reconnaissent pour causes des actions chimiques contre nature , donnant naissance à des courants galvaniques irréguliers.

Nous avons déjà dit que nous ne présentions toutes ces théories, que comme des tentatives auxquelles il fallait applaudir sans doute, mais qu'il ne fallait accueillir qu'a- vec réserve. Nous opposerons même à M. Bachoué , des ex- périences qu'a faites M. P oui II et à l'hôpital Saint-Louis, à l'occasion de l'acupuncture, et qui contredisent "cette idée de courants galvaniques centrifuges ou centripètes, déve- loppés dans les organes lors de la production des phéno- mènes vitaux. Sans doute la théorie doit faire admettre que les diverses eauses capables de développer de l'électricité, sont sans cesse en jeu dans les corps organisés, savoir; les frottements, les pressions et tensions des parties élastiques, les contacts de substances hétérogènes, leurs changements de température, enfin les combinaisons chimiques qui se font à chaque instant dans tous les points du corps. Mais il n'en faut pas moins que l'expérience confirme ce que fait préjuger la théorie, et c'est ce qui n'a pas été jusqu'à présent. M. Pouillet a placé, dans l'artère carotide d'un lapin une aiguille de platine adaptée à l'une des extrémités du mal-

198 DE L'INNERVATION.

tiplicateur de Shweiger, et dans la veine jugulaire du même animal, une autre aiguille correspondant à l'autre extré- mité du multiplicateur; bien que la première aiguille fût alternativement retirée du sang et enfoncée dans ce li- quide, bien qu'on variât autant que possible les contacts, le multiplicateur est resté immobile, preuve qu'il n'y avait aucun courant de l'artère à la veine. Cependant on pou- vait croire que la respiration , qui transforme dans un temps très court un poids de matière considérable, devait entraî- ner une décomposition des deux électricités dans le pou- mon ; une des électricités aurait passer dans le sang qui arrive, l'autre dans le sang qui sort; et par conséquent il aurait y avoir un courant électrique entre le sang arté- riel et le sang veineux. Cela n'a pas été. Le multiplicateur n'a pas plus accusé de courant, quand M. Pouillel a placé l'une des aiguilles de platine dans la partie supérieure de 3a moelle épinière d'un lapin , et l'autre à l'extrémité infé- rieure de cette même moelle ; de sorte qu'il n'y aurait pas plus de courant galvanique dans le système nerveux qu'entre les deux sangs. On conçoit tout ce qu'ont de force contre le système de M. Backouè de pareilles expériences , puis- qu'elles mettent en doute le fait même sur lequel ce sy- stème repose.

TROISIEME PARTIE

POUR avoir une notion complète du mécanisme de la vie de l'homme, il ne suffit pas d'avoir étudié isolément chacune des fonctions propres à cet être; il faut encore rechercher l'enchaînement, les connexions de ces fonctions, savoir; d'après quel ordre elles concourent à constituer son indi- vidualité, dans quel degré elles se subordonnent ou se com- mandent les unes les autres. Il faut aussi étudier les rap- ports obligés de l'homme avec toute la nature, rapports dont plusieurs sont des conditions absolument nécessaires à la vie, et dont tous ont une part à la production des phé- nomènes vitaux, les corps qui les fondent étant, ou la ma- tière avec laquelle se produisent ces phénomènes vitaux, ou la cause qui les excite à se produire. À la vérité, plusieurs des faits relatifs à ces deux objets , ou ont été indiqués dans l'étude particulière que nous avons faite des fonc- tions, ou se déduisent naturellement de la connaissance qu'on en a acquise. Mais plusieurs aussi ont été omis, par exemple, tout ce qui est relatif aux sympathies; les autres n'ont été indiqués qu'en passant; tous enfin réclament une étude spéciale. Cette étude d'ailleurs sera, comme le résumé, la généralisation de tont ce que nous avons dit jusqu'ici.

2 00 DES CONNEXIONS DES FONCTIONS.

SECTION PREMIERE.

DES CONNEXIONS DES FONCTIONS.

Nous avons dit que le propre de tout corps organisé était d'offrir un consensus entre ses diverses parties constituan- tes; que, tandis que les parties qui composent un minéral peuvent exister par elles-mêmes , et n'ont pas un lien obligé entre elles , celles qui composent un être vivant sont dans une dépendance mutuelle les unes des autres : nous avons fait de ce trait un caractère distinctif de l'organisation et de la vie. Il est certain, en outre, que ce consensus entre toutes les parties est dans les êtres vivants d'autant plus grand , que la vie et l'organisation y sont plus compliquées. À ce double titre, il doit être extrême chez l'homme; et, en effet, les liens les plus multipliés unissent entre elles toutes les parties du corps de cet être; une modification imprimée à une de ces parties nécessairement se propage à toutes les autres.

Il s'agit d'énumérer tous ces liens, d'assigner la condi- tion matérielle qui les établit , de rechercher par quel mé- canisme elle le fait, de faire sentir toute leur importance, et de montrer comment ils constituent l'individualité de l'être. Nous les rangeons en trois classes; les rapports mé- caniques, tenant aux influences physiques aue les divers organes du corps exercent les uns sur les autres; ceux que nous appelons liens ou rapports fonctionnels , parce qu'ils dépendent de l'enchaînement des fonctions; et ceux que nous appelons liens ou rapports sympathiques , qui ne sont dus ni à cet enchaînement, ni aux connexions mécaniques des parties, et qui tiennent à une loi particulière du sy- stème nerveux, la loi d'irradiation.

DES RAPPORTS MÉCANIQUES DES ORGANES. 201

CHAPITRE PREMIER.

Des Rapports mécaniques des Organes.

Les divers organes du corps humain , par cela seul qu'ils sont, ou continus, ou contigus et situés très près les uns des autres, ou réunis sous une même enveloppe commune, ne peuvent agir sans s'influencer respectivement d'une ma- nière mécanique, sans que l'exercice des uns n'imprime quelques modifications physiques aux autres ; par exemple, ne change leur situation, n'exerce sur eux quelque pres- sion , quelque traction , ou ne devienne pour eux l'occasion de quelque choc , de quelque secousse , etc. Cela fonde pour eux uu premier genre de rapports que nous appelons méca- niques; qui, sans doute, sont moins importants que les rapports fonctionnels et sympathiques qui nous occuperont ci-après; mais qui cependant sont assez considérables en certaines fonctions, et, à cause de cela, méritent d'être mentionnés. Tout organe susceptible d'exécuter un mouve- ment appréciable , influe d'une manière mécanique sur les organes voisins; et, sous ce rapport, doivent être mis au premier rang les organes de la locomotion, de la respira- tion, de la circulation , de la digestion, et ceux chargés de conserver en dépôt et d'excréter quelques matières solides ou liquides.

D'abord , la locomotion ne peut s'accomplir sans que les muscles qui agissent ne modifient mécaniquement la situa- tion de beaucoup de parties, n'exercent quelque traction sur les unes, quelque pression sur les autres, n'impriment une secousse à presque toutes. N'avons-nous pas vu des ap- pareils musculaires faire varier la situation des organes des sens, selon que nous voulions soumettre ou dérober ces or- ganes aucontactde leurs excitants propres ? Les divers réser- voirs excrémentitiels ne sont-ils pas environnés de muscles, qui , en exerçant une pression sur eux , favorisent leur ac- tion d'excrétion? Lors de la contraction des muscles, la circulation des fluides ne s'aecélère-t-elle pas dans tous les

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vaisseaux qui sont dans le voisinage, et sur les parois des- quels les muscles en action peuvent exercer une pression ? De semblables influences mécaniques ne sont-elles pas exer- cées sur tous les viscères intérieurs par les parois des cavités splanchniques , quand ces parois sont musculaires ? Enfin, le déplacement seul du corps dans la locomotion générale n'imprirae-t-il pas nécessairement à toutes les parties une succussion mécanique qui doit exciter en elles l'activité vi- tale, et entrer pour quelque chose dans les effets de l'exercice? Il en est de même, et au même titre, de la respiration, ne voulant parler ici que des influences mécaniques qu'exerce cette fonction par les mouvements d'inspiration et d'expi- ration. Sans rappeler la nécessité dont est sous le rapport physique cette fonction, pour la formation de la voix d'a- bord, elle exerce une grande influence sur le cours du sang : quand il y a inspiration , le poumon dilaté est plus acces- sible au sang veineux, et toute la circulation du sang noir est, de proche en proche, accélérée mécaniquement : quand il y a expiration, le poumon comprimé n'est pas aussi ac- cessible au sang veineux, et la circulation de ce fluide, de proche en proche , se ralentit dans tout le cours du système vasculaire à sang noir. Sous ce rapport, rinfluence de la respiration s'étend jusqu'aux extrémités du système circu- latoire, et cette fonction se trouve intimement liée à celle de lacirculation. Ainsi s'explique pourquoi l'on rougi tdans tous les cas d'expiration prolongée, lors des efforts, des excré- tions difficiles , etc. En second lieu , de même que les muscles respirateurs influent, par le degré de pression auquel ils soumettent le cœur et les gros vaisseaux, sur lacirculation; de même, leur influence mécanique s'étend aux organes de l'abdomen ; par exemple , ils soumettent l'estomac à une oscillation mécanique favorable à ses fonctions; ils aident aux excrétions du vomissement, de la défécation , à celle de l'urine, en associant leur action à celle des parois de l'ab- domen , et en formant avec ces parois une cavité musculeuse qui enveloppe de toutes parts les réservoirs de ces excrétions, et les comprime. Par le même mécanisme , ils expulsent quelquefois, par quelques-unes des ouvertures naturelles de

DES RAPPORTS MÉCANIQUES DES ORGANES. 2o3

l'abdomen, plusieurs des organes qui y sont contenus, et produisent des hernies. Enfin , ces mouvements respirateurs servent aussi, lors de tout effort quelconque, à fixer le thorax, et à donner à cette partie du tronc toute l'immo- bilité dont elle a besoin pour former un point d'appui aux muscles nombreux qui doivent agir. Nous avons dit dans le temps comment la coïncidence de contraction , des muscles de la glotte d'une part , pour retenir l'air dans le poumon p et de tous les muscles expirateurs, et particulièrement des muscles abdominaux de l'autre, pour expulser cet air, ame- nait cette fixité du thorax.

De son côté, la circulation nous offre un certain nombre de rapports mécaniques. D'abord, le cœur, par la force avec laquelle il projette le sang dans les artères, imprime à toutes les parties que pénètrent des artères un peu grosses, ou qui sont en contact avec ces vaisseaux, une succussion qui est pour elles une stimulation vitale. Nous avons vu un exemple sensible de cette succussion , dans les mouve- ments d'élévation que les artères qui sont à la base de l'en- céphale impriment à cet organe. En second lieu, dans l'u- nion obligée qui existe entre la circulation générale ou des gros vaisseaux, et la circulation capillaire, s'il se fait une déplétion soudaine et abondante dans les vaisseaux de l'une, il en résulte une déplétion mécanique dans les vaisseaux de l'autre. Ainsi , l'ouverture d'une grosse artère ou d'une veine amène-t-elîe une hémorrhagie abondante ? de proche en proche les parenchymes des organes se vident de sang. Et de même, une irritation appelle- t~elle dans un des dépar- tements du système capillaire une grande quantité de sang ? mécaniquement les parties voisines, de proche en proche jusqu'aux gros vaisseaux, se vident aussi. Ainsi l'on ex- plique pourquoi l'on pâlit, , pourquoi l'on tombe en syncope à 1 occasion d'une saignée, d'une application de sangsues.

Enfin, avons-nous besoin de dire , que les organes des in- gestions et. des excrétions ne peuvent se remplir ni se vider, sans exercer des influences mécaniques sur les organes cir- convoisins? Lorsque l'estomac est plein d'aliments, les vis- cères abdominaux sont plus comprimés, l'abdomen saille

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plus en dehors ; le diaphragme peut moins s'abaisser dans cette cavité ; les mouvements respirateurs ne peuvent être aussi étendus, et toutes les fonctions qui en dérivent, comme la voix, la parole, le chant, sont moins faciles. Lorsque l'utérus est distendu par le produit de la concep- tion , ces effets mécaniques sont encore plus évidents ; la pression que cet organe exerce alors sur les organes voisins , la vessie, le rectum, les nerfs et les gros vaisseaux des mem- bres, etc. ^ est telle, qu'il en résulte souvent des troubles dans les fonctions de ces organes; il y a de continuelles envies d'uriner et d'aller à la garde-robe , enflure des membres in- férieurs, difficulté de marcher, des crampes , etc. Mais c'en est assez sur ces rapports mécaniques, qui se conçoivent ai- sément, et que nous devions seulement indiquer.

CHAPITRE IL

Des rapports fonctionnels des Organes*

Il suffit de se rappeler que, dans le corps humain, c'est le concours de beaucoup d'actes qui édifie les conditions de la vie, et qui accomplit les diverses facultés, pour conce- voir qu'il doit y avoir sous ce double rapport des liens forcés entre les parties. Dans un être vivant dont l'organi- sation est simple, autant homogène que possible, chaque partie contient en elle les éléments de sa vitalité , de sa fa- culté, les renouvelle par elle seule, et par conséquent est indépendante de toutes autres ; la vie n'est aucunement centralisée, et chaque fragment détaché de l'être peut vivre isolément. Mais il n'en est pas de même dans celui dont l'organisation est complexe, et le mécanisme de la vie com- pliqué ; c'est par le concours d'organes divers , et souvent fort distants les uns des autres, que la vitalité de chaque partie est entretenue, que s'accomplit chaque faculté; la vie est centralisée, se montre dépendante de l'intégrité de quelques centres, et des liens intimes existent entre toutes les parties. Ce sont ces liens que nous appelons rapports fonctionnels ; et chez l'homme , qui de tous les êtres vivants

DES RAPPORTS FONCTIONNELS DES ORGANES, 2 05

est le plus compliqué, ils sont d'un haut intérêt. Dans l'é- tude que nous allons en faire , nous les partagerons en deux ordres, selon qu'ils sont relatifs à l'entretien de la vie en général, ou à l'accomplissement de chaque faculté en par- ticulier.

ARTICLE PREMIER.

Rapports fonctionnels relatifs à l'entretien de. la vie en général.

Toute partie du corps humain , pour continuer de vivre et d'être apte à exécuter sa fonction, a besoin de deux in- fluences ou conditions, la présence du sang artériel et une influence nerveuse. Or, dans l'homme, chaque partie ne peut à elle seule établir ces conditions ; elle ne les doit qu'au concours de plusieurs organes, et qui sont assez distants; et delà un premier ordre de rapports fonctionnels, de liens entre les organes, et une première cause de la dépendance dans laquelle quelques-uns tiennent tous les autres.

§ Ier. Rapports fonctionnels relatifs à la première condition w'tale , la présence du sang artériel dans les organes.

Tout organe , sans exception , cesse d'exercer son office , et meurt , quand le sang artériel ne lui arrive plus. C'est ce qu'a montré l'histoire que nous avons faite des fonctions , et ce que vont prouver les détails dans lesquels nous allons entrer ci-après, sur l'asphyxie et la syncope. Qui ne sait d'ailleurs que toute partie meurt, quand on a lié ou coupé toutes les artères qui lui apportent le sang? Or, ce n'est que par le concert de plusieurs fonctions, que le sang arté- riel est fait et distribué sans interruption dans toutes les parties du corps; et de là, une importance plus ou moins grande des diverses fonctions, selon la part plus ou moins prochaine qu'elles ont à l'établissement de cette première condition vitale. A cet égard , nous en distinguerons de trois sortes : les unes qui y concourront d'une manière si pro- chaine, que leur interruption pendant quelques instants suffira pour amener la mort: les autres, dont la suspension

206 DES CONNEXIONS DES FONCTIONS,

n'entraînera ce résultat funeste qu'après quelques jours; les troisièmes enfin , qui , ne faisant qu'influer sur la crâse du sang , auront des effets moi as malheureux, ou du moins plus éloignés.

Il existe chez l'homme deux fonctions, la respira- tion et la circulation , qui influent si prochainement sur la condition vitale dont nous nous occupons ici, qu'elles ne peuvent se suspendre quelques instants sans entraîner la mort.

A. La respiration 3 comme on l'a vu, est la fonction qui fait le sang artériel. Si, par une cause quelconque, elle est sus- pendue, le sang veineux qu'elle devait changer en sang ar- tériel, n'éprouve pas ce changement; c'est à l'état de sang veineux qu'il est rapporté aux cavités gauches du cœur, et de projeté à toutes les parties; et une mort prompte en est la suite. C'est ce que montre l'histoire de L'asphyxie, dont c'est ici le lieu de donner la théorie physiologique.

Cette asphyxie peut arriver de beaucoup de manières. Ou l'air, aliment de la respiration , manque; comme quand on est dans îe vide, ou plongé dans l'eau. Ou l'air fourni à la respiration n'est pas respirabie, est de mauvaise qualité. Ou un obstacle quelconque s'oppose à l'introduction de l'air dans le poumon , comme dans la strangulation. Ou enfin , le poumon, quoique recevant de l'air, et un air de bonne qualité, ne l'élabore pas; comme quand, par la section de la huitième paire , on a paralysé son tissu. Chacun de ces modes d'asphyxie offre sans doute des traits qui lui sont propres, parce qu'à la cause principale de mort, que nous verrons être la non-formation de sang artériel, souvent s'en ajoutent d'autres, comme l'état apoplectique , la congestion du sang dans le cerveau, quelquefois la luxation d'une des vertèbres du col, etc., dans l'asphyxie par strangulation. Cela est évident surtout dans l'asphyxie par les gaz non respirables, pour ceux de cesgazqui; non-seulement nuisent négativement, parce qu'ils ne contiennent pas l'élément respirable , l'oxygène; mais qui encore asphyxient positive- ment, parce qu'à l'instar des substances vénéneuses, ils exercent une action délétère directe sur le système nerveux.

DES RAPPORTS FONCTIONNELS DES ORGANES. 2 07

Mais, en outre, tous offrent des traits qui leur sont com- muns, qui sont dus à la suspension de la respiration, et ce sont ceux-ci qu'il nous importe de faire connaître.

Dans toute asphyxie, un sentiment d'angoisse marque d'abord l'impossibilité de satisfaire un des besoins les plus impérieux de la vie , celui de respirer. Ce sentiment est bientôt porté à l'extrême , et s'accompagne de soupirs, de bâillements, d'efforts inspirateurs qui tendent évidemment à appeler dans le poumon l'élément aérien nécessaire à la respiration. Alors sont éprouvés des vertiges 3 des lourdeurs de tête; surtout si la respiration a continué de se faire un peu, et que l'asphyxie ne soit que graduelle. La face, les lèvres, les origines de toutes les membranes muqueuses, souvent toute la surface de la peau , deviennent violettes , et bleues. Après deux à trois minutes , toutes les fonctions sen- soriales se suspendent; il y a perte de tout sentiment; l'in- dividu ne pouvant plus se soutenir, tombe; il est dans un état de mort apparente; la circulation et les fonctions nu- tritives qui en dérivent, sont tout ce qui reste de la vie. Enfin, ces fonctions elles-mêmes s'arrêtent aussi; la circu- lation d'abord, puis les nutritions, sécrétions et calorifica- tions. Le cadavre offre les traits suivants : les téguments sont livides; la face surtout, dont le système capillaire est plus accessible et plus abondant, est toute bleue et gorgée de sang. Il en est de même des lèvres , des membranes muqueu- ses, qui souvent de plus sont tuméfiées, du parenchyme de tous les organes, le foie, la rate, le poumon surtout, tout ce qu'on appelle le système capillaire général. Toutes les parties semblent regorger de sang, et d'un sang noir, fluide, jamais coagulé. Ce sang est surtout rassemblé dans le système vasculaire à sang noir, c'est-à-dire dans les veines du corps , les cavités droites du cœur, l'artère pulmonaire et le paren- chyme du poumon : tout le système vasculaire à sang rouge, c'est-à-dire les veines pulmonaires, les cavités gauches du cœur, et le système artériel ^ est au contraire vide, ou n'en contient qu'une petite quantité. Tout ce tableau de l'as- phyxie , avant et après la mort, est d'autant plus prononcé , que la respiration a été moins promptement et moins corn-

208 DES CONNEXIONS DES FONCTIONS.

plétement suspendue; si elle l'a été tout à coup et entière- ment, la mort est plus prompte; on éprouve moins d'an- goisses avant qu'elle arrive; dans le cadavre, la face, la peau, les divers organes sont moins gorgés de sang, et ce sang est moins exclusivement concentré dans le système vas- culaire à sang rouge. Sous ce triple rapport, de la prompti- tude avec laquelle la mort arrive , des souffrances qu'endure l'asphyxié, et de l'état du cadavre , il y a mille degrés, selon que la respiration a été plus ou moins promptement et com- plètement arrêtée , c'est-à-dire que l'asphyxie a été subite ou graduelle.

Quelle est la cause de ces phénomènes ? c'est évidemment qu'au lieu de sang artériel , il n'est plus envoyé aux parties que du sang veineux. Celles-ci dès lors meurent, soit par une action stupéfiante directe qu'exerce sur elles le sang veineux, soit au moins parce qu'elles sont privées de sang artériel. A la vérité , dans le temps l'on croyait que la re- spiration ne servait qu'à dilater, épanouir le poumon , pour que le sang pût traverser son tissu , et circuler des cavités droites du cœur aux cavités gauches de ce même organe , on attribua la mort de l'asphyxie à l'arrêt soudain de la circu- lation. De le nom d'asphyxie donné à ce genre de mort subite , nom qui veut dire sans pouls. Plus tard, même , lorsque l'office réel de la respiration eut été reconnu , on persista dans cette explication : Gooclwin, par exemple, pré- tendaitque le sang veineux était incapable de provoquer les contractions des cavités gauches du cœur, et disait que dans l'asphyxie, le sang arrivant tel à ces cavités, celles-ci ne se contractaient pas, dèslors n'envoyaient pas de sang aux orga- nes, etque c'était faute de sang que ceux-ci mouraient. Maisle fait de la cessation de la circulation dans l'asphyxie est faux. Qu'on ouvre sur un animal qu'on asphyxie , un vaisseau san- guin quelconque, artère ou veine, on voit le sang en jaillir, et cela pendant quelque temps encore, jusqu'à ce que la mort soit arrivée. Qu'où touche dans cet animal la région du cœur, ou une artère , on reconnaîtra les battements de l'un, le r)Ouls de l'autre. Dans les expériences de Bichat sur la respiration, le sang jaillissait delà carotide, tout aussi-

DES RAPPORTS FONCTIONNELS DES ORGANES. 2 09 bien quand le robinet de la trachée-artère était fermé , que quand il était ouvert. Si l'arrêt de la circulation était la cause de la mort dans l'asphyxie , les fonctions devraient s'interrompre toutes en même temps , comme dans la syncope; au contraire on a vu qu'elles ne se suspendent que graduellement , et dans un ordre qui est toujours le même : les sensoriales d'abord, puis la circulation , et enfin celles qui font suite à la circulation. Si la circulation s'ar- rêtait dans l'asphyxie dès le premier instant, verrait-on la face , la peau , toutes les membranes muqueuses remplies de sang, tous les organes gorgés de ce fluide? verrait-on ce sang presque exclusivement concentré dans le système capil- laire général ? au lieu de laisser vides le système artériel et les cavités gauches du cœur , ne devrait-il pas être accumulé entre le poumon et les cavités gauches, et remplir ces cavi- tés gauches elles-mêmes ? Cet état de vacuité dans lequel on trouve , dans les cadavres des asphyxiés , les cavités gauches du cœur, contredit même tout-à-fait cette assertion de Goodwin , que le sang veineux n'est pas apte à provoquer les contractions de ces cavités; il prouve que celles-ci ont continué de se contracter ; et en effet, les systèmes divers qui en sont les aboutissants, sont tous pleins du sang qu'elles ont projeté. La circulation continue donc dans l'asphyxie ; et si celle-ci cause la mort , c'est parce qu'il est alors envoyé dans les organes du sang veineux au lieu de sang artériel.

Tout ce que nous avons dit des symptômes des asphyxies, des altérations que présente le cadavre , est en effet d'accord avec cette théorie. Ainsi, les fonctions ne se sont suspendues qu'à mesure que le sang veineux a été envoyé à leurs or- ganes, et ceux-ci n'ont manifesté l'impression fatale que dans l'ordre de leur susceptibilité : si les fonctions senso- riales se sont interrompues les premières , si le cerveau a accusé le premier malaise , si cet organe est celui qui , après l'axphyxie, conserve le plus long- temps l'impres- sion du mal, c'est qu'évidemment il est de tous le plus délicat. Ainsi, c'est évidemment du sang veineux qui rem- plit toutes les parties , car ce sang est noir, fluide, jamais coagulé. Si le sang est plus abondant dans le cadavre des

Tome IV. 14

2 10 DES CONNEXIONS DES FONCTIONS,

asphyxiés qu'en aucun autre, c'est qu'aucune partie n'en a été employée aux nutritions et sécrétions. Si le parenchyme du poumon surtout en est gorgé , c'est que l'embarras circula- toire a commencé en cet organe qui est alors doublement paralysé; d'un côté par le défaut d'air qui est pour lui un stimulant, sinon nécessaire, au moins important, de l'autre par l'afflux du sang veineux que lui apportent les artères bronchiques. Si enfin ce sang est plus particulièrement con- centré dans le sytème vasculaire à sang noir, et manque dans le système vasculaire à sangrouge , c'est que , projeté dans les parties, ce fluide y est resté , et surtout n'a pu franchir le poumon pour parvenir au système vasculaire à sang rouge.

De même s'expliquent toutes les différences que présentent les symptômes et l'état du cadavre , selon que l'asphyxie est soudaine, ou graduelle. Sila respiration a été suspendue tout d'un coup et complètement , c'est du sang entièrement vei- neux qui est aussitôt envoyé aux organes; ceux-ci dès-lors meurent presque à l'instant; plus de sentiment; le cœur cesse ses contractions; la mort est plus prompte, moins pé- nible ; la peau est moins livide , la face moins violette, tous les organes moins gorgés de sang, le cœur ayant été tué promptement, et n'ayant pas eu le temps de projeter par- tout beaucoup de sang veineux. Si au contraire la respira- tion a continué de se faire un peu, il aura été fait un peu aussi de sang artériel; ce sang envoyé aux organes aura été un peu vivifiant encore; toutes les fonctions n'auront par été aussi promptement abolies; les fonctions cérébrales, par exemple, auront persisté assez pour que l'asphyxié appré- cie la pénible lutte qui est engagée; le cœur aura continué ses. contractions assez de temps pour gorger de sang tous les organes ; et c'est alors que la peau , les systèmes capillaires et les veines . seront remplis de sang , et que le système artériel sera vide. Comme il peut y avoir mille degrés de rapidité de l'asphyxie , il y aura beaucoup d'intermédiaires entre ces deux extrêmes , et mille variétés dans la promptitude de la mort , les phénomènes qui la marquent et l'état du cadavre.

Ce n'est pas qu'à la lin de l'asphyxie le cœur ne cesse ses contractions , et n'ajoute ainsi une cause nouvelle de mort.

DES RAPPORTS FONCTIONNELS DES ORGANES. 211

l'absence de tout sang, à celle qui a agi la première , l'envoi d'un sang veineux au lieu d'un sang artériel. Cet organe meurt comme les autres, à mesure que son tissu se pénètre de sang veineux. Il en est de même du cerveau ; cet organe recevant des premiers l'atteinte fatale , et par conséquent suspendant son service , vient ajouter de nouvelles causes de mort à la première; d'un côté, il arrête les mouvements respirateurs auxquels il préside; de l'autre, il fait cesser l'autre condition vitale que nous avons annoncée, l'inner- vation. Mais ceci rentre dans les liens qui unissent entre eux les organes auxquels sont dues les deux conditions qui éta- blissent la vitalité; et il n'en reste pas moins certain que, dans l'asphyxie , ce n'est pas du cœur ni du cerveau aux parties que procède la mort, mais que celte mort frappe toutes les parties à la fois , consécutivement à leur pénétra- tion par le sang veineux : le cerveau et le cœur ne meurent qu'avec les autres organes , et par la même cause. Loin que le cœur s'arrête dès le principe, on peut même dire qu'il hâte la mort, en ce que, trop fidèle à son devoir, si l'on peut parler ainsi , il distribue partout le sang fatal.

Ici, on s'est demandé comment agit le sang veineux; si c'est par une qualité stupéfiante directe qu'il frappe de mort , ou s'il ne nuit que négativement , parce qu'il n'a pas les qualités vivifiantes ? Bickat penchait pour la première opinion, arguant de l'opposition qu'on remarque entre la rougeur de l'inflammation., et la lividité de la gangrène et les taches scorbutiques; entre le teint coloré de l'individu, qui a l'appareil respiratoire ample et énergique, et le teint pâle de celui qui a la poitrine étroite et faible; faisant re- marquer le rapport qui existe dans les animaux entre le développement de leur appareil respiratoire et le degré de leur force musculaire , ainsi que la prédominance du système artériel dans la jeunesse , et du système veineux dans la vieillesse, etc. Il s'appuyait surtout d'une expérience dans laquelle il avait asphyxié un animal, en lui injectant dou- cement du sang veineux dans le cerveau , tandis qu'il n'avait pu le faire par une injection de sang artériel , toutes choses ayant été égales d'ailleurs dans les circonstances mécaniaues

i4. *

2 i 2 DES CONNEXIONS DES FONCTIONS,

de l'injection, et toutes précautions ayant été prises pour que rien , dans les phénomènes mécaniques de la circulation cérébrale , ne fût changé. Mais, indépendamment de ce que plusieurs des raisons invoquées par BicSiat ne sont que spé- cieuses, et qu'aucune n'est rigoureusement démonstrative, il est une expérience de M. Edwards , qui rend probable que le sang veineux ne nuit que négativement. Ce savant a asphyxié comparativement, en les tenant plongées dans de l'eau non aérée , des grenouilles, à quelques-unes desquelles il avait extirpé le cœur ; et il a vu que , taudis que celles-ci mouraient très prompternent , les autres, chez lesquelles la circulation continuait, ne périssaient que vingt heures plus tard. N'est-ce pas une preuve que, chez ces dernières, le sang projeté par le cœur était , quoique veineux , non-seu- lement sans influence-délétère directe, mais même , a entre- tenu un peu la vie? D'ailleurs, ne meurt-on pas plus vite dans la syncope que dans l'asphyxie ?

Toutefois, il résulte déjà de cette histoire de l'asphyxie: que la présence non interrompue du sang artériel dans les organes, est une condition absolument essentielle à la vie , quelle que soit l'idée qu'on se fasse de cette condition ; et que ce sang est pour eux, non-seulement la matière qui les nourrit , mais un stimulus obligé \ que la respiration , comme étant la fonction qui fait le sang, est dans l'homme, chez lequel la circulation est double, une fonction immé- diatement nécessaire à la vie.

B.ïl en est de même de la circulation, fonction qui envoie le sang artériel à toutes les parties. Comme ce sang est changé en sang veineux aussitôt qu'il a pénétré les organes, il faut que la circulation en renouvelle sans cesse l'envoi , et par conséquent, ne s'interrompe jamais. Si cette fonction est suspendue , il n'est plus envoyé de sang artériel aux diverses parties, et une mort prompte en est la suite, comme va le montrer l'histoire de la syncope.

La syncope, ou la cessation de la circulation, peut aussi arriver de diverses manières : ou par des causes mécaniques, comme quand il y a rupture, plaie du cœur, ligature des gros vaisseaux, etc. ; ou par des causes organiques directes ,

DES RAPPORTS FONCTIONNELS DES ORGANES. 21 3

comme quand une vive affection de i'ame ou une lésion de la moelle spinale, privant le cœur de l'influence nerveuse qui préside à ses contractions , arrêtent tout à coup le jeu de cet organe; ou enfin par des causes organiques sympathi- ques, comme quand une impression sensitive quelconque, une odeur, par exemple, la vue de certains objets , un mou- vement de tournoiement, l'affection de quelques organes intérieurs, la grossesse, etc., arrêtent aussi les contractions du cœur. Chacun de ces genres a aussi ses traits particuliers ; d'autant plus que, dans plusieurs des cas que nous avons cités, le mal commence peut-être par le cerveau, et est moins primitivement une syncope proprement dite, que la cessation de l'innervation. Mais tous ont des traits communs tenant à la cessation de la circulation , et que voici.

Si la circulation cesse tout à coup, subitement aussi on perd tout sentiment, , tout mouvement; ïa respiration s'ar- rête, et presque instantanément l'on tombe privé de vie. A l'ouverture du cadavre , on trouve , à la différence de ce qui était dans la mort par asphyxie, les poumons et les divers organes du corps privés de sang. Si, au contraire, la syn- cope n'est que graduelle , on éprouve d'abord un sentiment d'anxiété, de malaise à l'épigastre; puis les idées se trou- blent, la vue s'obscurcit; surviennent des tintements d'o- reille , des vertiges ; la respiration s'embarrasse , le visage pâlit, les extrémités deviennent froides; la tête, le col et une grande partie du corps , se couvrent d'une sueur gla- cée; enfin arrive la perte de tout sentiment et de tout mou- vement.

Il est évident que les organes ne cessent ici d'agir que parce qu'il ne leur arrive plus de sang. Ils s'arrêtent dans l'ordre de leur susceptibilité. Ge sont encore les fonctions cérébrales qui manifestent les premières la langueur et la suspension , comme cela était déjà dans l'asphyxie. Vient ensuite la respiration , qui s'embarrasse et se suspend ; tant parce que le poumon ne reçoit plus, par l'artère pulmo- naire, le sang veineux sur lequel il doit opérer, et par les artères bronchiques , le sang artériel qui doit vivifier son tissu; que parce que la suspension de l'action cérébrale

2i4 DES CONNEXIOiNS DES FONCTIONS,

anéantit les mouvements respirateurs. Enfin, toutes les ac- tions qui se passent dans les parenchymes, comme les nutri- tions, absorptions, sécrétions, calorifications, ne s'arrêtent qu'en dernier lieu. La susceptibilité du cerveau est telle, qu'il suffît souvent que cet organe reçoive moins de sang qu'à l'ordinaire , parce que ce fluide est dérivé vers d'autres parties, ou que la quantité en a diminué tout à coup, pour qu'il en résulte une défaillance qui est due alors à la sus- pension d'action du cerveau. Telles sont, par exemple, les syncopes qui surviennent quelquefois à Foccasion d'une sai- gnée , d'un bain de pied, d'une émission de sang par les sangsues, de toute dérivation brusque du sang vers les par- ties inférieures. C'est ce que Cullen appelait syncopes nerveuses , vouîanl dire qu'un trouble de la circulation avait d'abord suspendu l'action cérébrale, et qu'ensuite la sus- pension de l'action cérébrale avait amené l'arrêt du cœur. Il est certain qu'ainsi sont produites plusieurs des syncopes provoquées par des causes sympathiques. Toutefois la mort qui succède à la syncope prolongée , prouve : que la pré- sence du sang artériel dans les organes est, comme cela était résulté déjà de l'asphyxie , une condition nécessaire à la vie ; que la circulation, comme étant la fonction qui distribue le sang artériel, est, ainsi que la respiration, une fonction qui ne peut être un seul instant interrompue.

Mais, de il résulte que les organes principaux de ces fonctions, le poumon et le cœur, sont constitués dans le corps humain , des centres de vie. Ces deux organes , comme influant prochainement sur la formation et l'envoi du sang artériel dans toutes les parties , tiennent toute l'économie sous leur dépendance. Un troisième, l'encéphale, a seul avec eux cette suprématie. Cet encéphale aura , nous le ver- rons, une part prochaine à la seconde condition vitale que nous avons annoncée, l'innervation, et à ce titre se mon- trera un centre de vie; mais il Test aussi relativement à celle dont nous nous occupons ici , par la subordination dans laquelle il tient la respiration. En effet , sans parler du pouvoir de l'encéphale sur la respiration , comme centre de l'innervation; sans rappeler que cet organe régit, par la

DES RAPPORTS FONCTIONNELS DES ORGANES. 2l5 huitième paire de nerfs, Faction profonde par laquelle le poumon fait le sang; c'est lui qui préside à l'action muscu- laire volontaire par laquelle est pris l'air de la respiration , et, à ce titre seul, son action continue est absolument né- cessaire à la vie. Comme l'a si bien exposé M. Broussais , l'encéphale, d'abord, par la huitième paire de nerfs, per- çoit dans le poumon la sensation interne qui accuse le besoin de respirer; et ensuite , consécutivement à cette perception , il ordonne, par les nerfs diaphragmatiques et ceux de la moelle spinale, le jeu des muscles respirateurs. Ainsi s'expli- que; pourquoi la respiration continue de se faire, tantqu'une lésion de l'encéphale est supérieure au point auquel aboutis- sent les nerfs de la huitième paire; et pourquoi, au contraire, cette fonction se suspend dès qu'une lésion est inférieure à ce point, quand bien même la partie de la moelle spinale, qui fournit les nerfs diaphragmatiques et autres nerfs respi- rateurs, serait intègre, comme cela est dans la décapitation. Le poumon, le cœur et l'encéphale sont donc trois or- ganes qui, relativement à la première condition vitale, tiennent tous les autres dans leur dépendance , dont le jeu ne peut être un seul instant suspendu, et qui fondent ce que les anciens appelaient le trépied de la vie. Mais à ce titre, ils doivent s'être réciproquement nécessaires. Le pou- mon, qui fait le sang, a besoin; i«que le cerveau ordonne les mouvements respirateurs qui introduisent l'air nécessaire à la sanguification; 20 que le cœur lui envoie, et le sang arté- riel qui le fait vivre, et le sang veineux sur lequel il doit agir. De son côté, le cœur ne peut se contracter et projeter partout le sang, qu'autant que le poumon a fait du sang artériel qui puisse vivifier son tissu. Enfin, l'encéphale, qui ordonne les mouvements respirateurs , et qui , sous le rapport de la seconde condition vitale, l'innervation, est aussi un des centres de la vie, a besoin que le poumon fasse sans cesse du sang artériel, et que sans cesse aussi le cœur lui en envoie. Aussi, dès que l'un ou l'autre de ces trois or- ganes centraux cesse d'agir, à la cause de mort qui résulte de sa suspension d'action, s'ajoutent bientôt celles qui ré- sultent de l'arrêt des deux autres organes. Dans l'asphyxie,

2l6 DES GONINEXTOINS DES FONCTIONS.

par exemple, à la non formation de sang artériel, suite de la suspension de la respiration , s'ajoutent bientôt ; la suspension d'action de l'encéphale, d'où résulte une nou- velle cause d'asphyxie, et l'anéantissement de la seconde condition vitale, l'innervation ; 20 la suspension d'ac- tion du cœur, d'où résultent; la paralysie du poumon, nouvelle cause d'asphyxie; celle du cerveau, nouvelle cause de la perte de toute innervation ; et enfin celle de tous les organes. De même, dans la syncope, le cer- veau ne recevant plus de sang, cesse de dispenser l'inner- vation , et surtout d'ordonner les mouvements respirateurs ; de l'asphyxie , survenant d'ailleurs d'autre part , parce qu'il n'arrive plus au poumon de sang artériel pour vivi- fier son tissu , et de sang veineux sur lequel il puisse opé- rer. Enfin , est-ce l'encéphale, dont le service est suspendu? Les mouvements respirateurs devenant impossibles aussitôt, plus de respiration, et dès lors toutes les suites qu'entraîne l'asphyxie, etc. Il y a donc ici un véritable enchevêtre- ment. Bien que l'encéphale ait une grande part à la seconde condition vitale, l'innervation, le premier phénomène qui s'observe lors de sa suspension d'action , est la cessation de la respiration ; d'où il résulte que les effets successifs qui amènent alors la mort, et les désordres qu'on trouve après dans le cadavre , sont à peu près ceux que nous avons indi- qués à l'occasion de l'asphyxie, soit prompte, soit graduelle. 20 Après ces fonctions, qui sont d'une absolue nécessité pour la vie, celle qui est la plus importante relativement à la condition vitale que nous examinons ici, est la diges^- tion. La digestion, en effet, est la fonction qui prend au dehors et élabore la matière avec laquelle est continuelle- ment renouvelée la masse du sang. Si elle ne se fait pas, la mort arrive; non, à la vérité, aussi promptement, aussi in- stantanément que dans l'asphyxie et la syncope, mais ce- pendant après un temps assez court, après un intervalle de quelques jours. Il est aisé d'en indiquer la cause. Quand il n'y a pas de digestion, il n'est plus fait de chyle; le sang n'est plus renouvelé qu'avec les produits des absorptions internes; et ces produits bientôt ne suffisant plus, le sang

DES P, APPORTS FONCTIONNELS DES ORGANES. 217 n'est plus réparé; ce fluide diminue de quantité , se dété- riore, s'appauvrit, et finit par n'avoir plus la qualité vivi- fiante et nutritive. A l'article de la faim, nous avons décrit la série des phénomènes de la mort par abstinence, et quelles altérations présentent alors les cadavres. Peut-être voudra-t-on attribuer la mort qui survient alors, à la phleg- masie que suscite dans Festomac la continuité du sentiment douloureux de la faim ? Cette phlegmasie peut sans doute y concourir, soit par elle-même, soit en déterminant sym- pathiquernent d'autres phlegmasies dans d'autres organes , par exemple , dans l'encéphale. Mais , indépendamment de ce que la gastrite ne s'observe pas toujours dans les personnes qui meurent de faim, il doit y avoir certaine- ment aussi détérioration du sang. Évidemment le produit des aliments sert à renouveler la masse du sang; évidem- ment l'alimentation n'a pas d'autre but que de réparer les pertes de ce fluide : est-il possible dès lors que ce fluide ne souffre pas du défaut absolu de toute alimentation ? Du reste, si l'on veut que la mort, lors de l'abstinence complète, soit trop prompte pour arriver par la détériora- tion du sang , et qu'elle soit due à l'influence de la gastrite ou des autres phlegmasies que cette gastrite détermine; au moins l'influence qu'a sur toute l'économie la digestion , comme fonction qui renouvelle la masse du sang, devient manifeste, quand, au lieu d'une abstinence absolue, on s'est soumis à une alimentation trop pauvre ou de mauvaise qualité : alors il n'est point fait assez de chyle; par suite le sang n'est pas suffisamment réparé; l'individu maigrit, est mal nourri; il développe moins d'activité dans toutes ses fonctions, et est moins capable de résister aux influences délétères ; en un mot , le chyle étant en trop faible quan- tité, ou mauvais, il en résulte un mauvais sang. On objec- tera peut-être qu'on ne peut saisir aucunes différences de chyle à chyle, de sang à sang; et qu'on ne connaît pas quelles sont les qualités du bon chyle, du bon sang, par rapport à celles du mauvais chyle, du mauvais sang. Mais d'abord le premier fait est faux ; souvent ces fluides diffè- rent en consistance, plasticité, odeur, couleur, pesanteur

3i8 DES COHNEXIOJNS DES FONCTIONS.

spécifique ; et si on en faisait un examen chimique attentif, certainement on trouverait en eux, selon les différentes circonstances de la vie , des différences dans la nature et les proportions de leurs éléments composants. Ensuite, à supposer qu'on ne pût signaler en eux aucunes différences, celles-ci pour cela devraient -elles être niées? Ainsi que nous l'avons déjà dit plusieurs fois, dans notre science peut-on tout voir? et doit-on nier tout ce qu'on ne voit pas? quel médecin pourrait contester les effets d'une bonne et d'une mauvaise alimentation sur l'état du sang? que de maladies reconnaissent pour causes la nature des aliments dont ont usé les malades ! et que de fois, le choix des aliments four- nit un des plus puissants moyens de guérison ! Or, c'est en partie en altérant le sang, que dans le premier cas les ali- ments ont nui , et c'est en influant sur sa composition que dans le second ils ont été utiles. On dira peut-être que tous ces effets doivent être attribués à l'inliuence locale des ali- ments sur l'estomac, et aux irradiations sympathiques de ce viscère sur toute l'économie : sans doute cette influence locale peut concourir aussi à leur production: mais il y a une part tenant à la composition du sang : et qui pourrait la nier, quand on voit le scorbut cesser chez les marins, par cela seul qu'ils recouren t pour aliments à des végétaux frais ? En somme, la digestion fournissant et préparant la matière qui renouvelle le sang, doit, à ce titre, non-seulement être nécessaire, mais encore influer sur toute l'économie en raison de la quantité et de la nature des matières qu'elle fournit à ce fluide. Sous le premier rapport, celui de la quantité, l'alimentation est-elle trop abondante, ou com- posée de substances trop nutritives, de felle manière ce- pendant que l'excès ne dépasse pas la mesure des forces di- gestives ? il y aura un chyle abondant, un chyle riche; par suite, même état du sang, et conséquemment grand déve- loppement de vie. L'alimentation est-elle trop pauvre, ou composée de substances peu nutritives? les résultats seront opposés. Sous le second rapport, celui de la qualité, il y a deux influences à signaler. D'un côté, selon que la diges- tion sera plus ou moins parfaite, le chyle sera plus ou moins

DES RAPPORTS FONCTIONNELS DES ORGANES. 219 bon et fournira au sang des matériaux réparateurs plus ou moins bien confectionnés. D'un autre côté, il est toujours quelques parties des aliments qui résistent à l'action diges- tive , et qui cependant, pendant le travail de la digestion, sont absorbées sous leur forme étrangère; alors, mêlées au sang, elles altèrent ce fluide et font varier l'impression sti- mulante qu'il exerce sur tous les organes. Si l'on ajoute à cela la grande puissance de " l'estomac, en ce qui concerne ses rapports sympathiques, comme nous le verrons ci-après à l'article de ces rapports, on s'expliquera toute l'impor- tance de la digestion dans notre économie.

Ce que nous venons de dire en dernier lieu de la diges- tion, pourrait être dit aussi de la respiration, au moins en ce qui concerne la dernière de ces trois influences. Si on a tout lieu de présumer, en effet, que cette fonction peut consumer plus ou moins d'oxygène et effectuer plus ou moins parfaitement l'hématose artérielle, cependant cela n'est que probable; et, au contraire, il est certain que la respiration peut puiser dans l'air quelques principes étrangers, les porter dans le sang? et par altérer plus ou moins ce fluide. N'est- ce pasainsiqu'agissent les gaz qui asphyxient positivement, de même que c'est ainsi qu'ont agi dans l'appareil digestif les poisons qui ont donné la mort par absorption ?

Enfin, non-seulement des rapports fonctionnels fort importants unissent à toutes les autres parties de l'économie les organes de la respiration, de la circulation et de la di- gestion , à raison de la part qu'ont ces fonctions à la forma- tion , au renouvellement et à la distribution du sang arté- riel ; mais encore de semblables rapports s'observent dans les organes de toutes les autres fonctions, qui influent d'une manière quelconque sur la crâse, la constitution de ce fluide, par exemple, dans les organes des absorptions, des sécrétions, des nutritions, etc.

A. Les absorptions doivent avoir une influence assez pro- chaine sur l'état du sang, car c'est à ce fluide qu'aboutissent les matières qu'elles recueillent, et qui sont les produits de leur travail. D'abord , tout ce que nous avons dit de la di- gestion, s'applique à l'absorption chyleuse qui n'en est

2 20 DES CONNEXIONS DES FONCTIONS,

qu'une dépendance ; cette absorption influera sur le sang , en raison de la quantité et de la bonté du chyle qu'elle fournira, et par les diverses matières étrangères qu'elle pourra y faire pénétrer en même temps. N'avons-nous pas dit que la ligature du canal thoracique , en empêchant le transport du chyle dans le sang, avait amené la mort, tout aussi bien que le défaut d'alimentation ? C'est même une objection à opposer à ceux qui veulent que la détérioration du sang n'ait aucune part à la mort par l'abstinence, et que celle-ci ne soit due qu'àlaphlegmasie gastrique; clans les cas de mort paria ligature du canal thoracique, celle-ci n a pas eulieu, car l'estomac a agi. Secondement, toute autre absorp- tion externe, soit par la peau, soit par la surface respiratoire, n'aura d'influence que par les matières étrangères qu'elle pourra faire pénétrer dans le sang; la matière nutritive, à l'exception de l'eau pour la soif, n'ayant d'autre voie d'in- troduction chez l'homme que la cavité digestive. Quant aux absorptions internes , sans parler de leurs services pour la décomposition des parties , pour l'équilibre des sécrétions récrémentitieiies; s'il est vrai que leurs produits servent, comme le chyle, à faire le sang, elles devront influer sur ce fluide en raison de la quantité et de la qualité de ces pro- duits. Or, la lymphe et le sang veineux qui sont, pour une partie au moins , aux absorptions internés , ce que le chyle est à l'absorption alimentaire, vont comme le chyle tra- verser le poumon ; au-delà de cet organe , ces fluides parais- sent n'exister plus, et y avoir été changés de même en sang artériel ; et à ces titres, on peut les dire, comme le chyle, des matériaux préparés pour la formation du sang. Bien plus, c'est à ces produits des absorptions internes que l'é- conomie doit de pouvoir vivre encore quelque temps, malgré le défaut absolu de toute alimentation; le sang est alors réparé avec ce que le corps prend en lui-même ; et ce qui autorise à le penser, c'est que, lors de la faim, on voit les absorptions redoubler d'activité, recueillir dans toute l'économie les sucs qui y sont épars, la graisse, par exem- ple. Ainsi donc, les influences qu'exerce sur le sang le chyle en raison de sa quantité et de sa qualité, sont exercées

DES RAPPORTS FONCTIONNELS DES ORGANES. 2 2 l

Je même par les fluides des absorptions internes : selon que ces fluides sont plus ou moins abondants et d'une na- ture plus ou moins bonne , ils fournissent au sang plus ou moins de matériaux réparateurs , et des matériaux plus ou moins parfaits. Peut-être est-ce à ce genre d'in- fluence que le système lymphatique doit de constituer par sa prédominance ou son infériorité le fondement orga- nique d'un tempérament ? Mais , à supposer qu'on rejette comme douteux l'emploi que nous assignons ici aux pro- duits des absorptions internes, de servir à composer ie sang, ils ont au moins sur ce fluide deux influences qu'on ne peut contester : d'un côté, ils apportent dans le sang, des maté- riaux, des principes dont ce fluide devra ensuite se dépurer, les éléments de la décomposition des organes , par exemple ; d'un autre côté, ils peuvent introduire dans ce fluide di- vers principes étrangers , venant soit du dehors , soit de l'économie elle-même, et dont le sang recevra des qualités stimulantes diverses. Que d'empoisonnements produits par l'application de la substance vénéneuse dans l'intérieur d'une membrane séreuse, du parenchyme d'un organe! Et com- bien de fois l'urine, la bile et autres fluides de l'économie , ont été par l'absorption portés en nature dans le sang !

B. Nous devons en dire autant des sécrétions. N'est-ce pas en effet dans le sang artériel qu'elles puisent les maté- riaux de leur travail ? Et ces actions, parce qu'elles enlèvent au sang quelques éléments, ne doivent-elles pas influer sur la crâse de ce fluide , quoique par une raison inverse, aussi- bien que les absorptions qui lui fournissaient sans cesse de nouveaux principes ? D'abord, l'influence est évidente , pour celles de ces sécrétions qui sont chargées de dépurer le sang , savoir, la sécrétion urinaire , la perspiration cutanée 3 et peut-être la sécrétion biliaire ; et, à ce titre , nous aurions placer ces sécrétions , sous le rapport de leur importance , dans la même catégorie que la digestion. Non-seulement le sang demande à être renouvelé sans cesse, et dans la pro- portion des pertes qu'il fait continuellement , par le service de la digestion et des absorptions ; mais encore il a besoin d'être dépuré d'éléments nuisibles qui affluent en lui sans

222 DES CONNEXIONS DES FONCTIONS.

interruption. D'un côté, beaucoup de matières étrangères pénètrent jusqu'à lui par les voies de la respiration, de la digestion , et par l'action des nombreux vaisseaux absorbants qui , ouverts sur toutes les surfaces externes et internes du corps, mêlent continuellement à ses globules les mille sub- stances diverses avec lesquelles ils sont en contact. D'un autre côté, c'est en lui que les absorptions interstitielles reportent les produits de la décomposition des organes. Sous ce double rapport, le sang réclame une dépuration continuelle. Or, c'est à quoi sont destinées certaines sécrétions, et particuliè- rement la sécrétion urinaire. Voyez avec quelle promptitude se montrent dans le produit de cette sécrétion, l'urine , soit les matières étrangères qui ont pénétré du dehors dans le sang, soit les humeurs qui y ont été portées de l'économie elle- même ? D'ailleurs , quel autre office attribuer à cette sécré- tion? Pourquoi est-elle si différente selon les âges, si ce n'est pour être en corrélation avec le mouvement nutritif, et parce qu'elle est destinée à éliminer les éléments usés des organes? Delà sa grande importance dans l'économie. Est- elle supprimée, comme quand on a extirpé les reins , ou lié les artères rénales dans dec expériences sur des animaux vi- vants ? la mort arrive après deux ou trois jours. Elle est aussi prochainement nécessaire à la vie que la digestion, et son interruption fait périr aussi promptement. Avons-nous besoin de dire dès lors qu'il n'est pas indifférent qu'elle ac- complisse, pleinement ou d'une manière incomplète, par- faitement ou imparfaitement, la dépuration dont elle est chargée ? dans ces cas , le sang plus ou moins bien dépuré aura nécessairement des qualités diverses : MM. Damas et Prévost oui trouvé que , clans les animaux auxquels ils avaient extirpé les reins, ce fluide contenait de l'urée.

Il faut en dire autant de la perspiradon cutanée , s'il est vrai qu'elle concoure aussi à dépurer le sang. On le croit gé- néralement : dans beaucoup d'animaux, en effet, la transpi- ration cutanée est la seule sécrétion décomposante du corps,- et dans l'homme, cette transpiration accuse aussi prompte- ment que l'urine la présence des matières hétérogènes qui ont été portées dans le sang. Cependant on ne peut pas en

DES RAPPORTS FONCTIONNELS DES ORGANES. 223

avoir une preuve aussi directe que pour la sécrétion uri- naire; on ne peut pas supprimer tout-à-fait la transpiration cutanée, et voir si la mort résulterait de cette suppression. On a tenté d'y parvenir en couvrant la peau d'un vernis; mais comme l'expérience n'était faite que dans la vue de porter la chaleur du corps humain à un degré supérieur à celui qui lui est propre, elle n'a pas été prolongée assez long-temps pour mettre à même de vérifier si quelque alté- ration était par suite survenue dans le sang. Il est probable que l'importance de cette sécrétion, sous ce rapport, est moindre que celle de la sécrétion urinaire; car son produit a une composition chimique bien simple comparativement à celle de l'urine. Néanmoins, comme le danger attaché à sa suppression , à sa diminution, est un fait universellement reconnu, on peut admettre une influence de cette sécré- tion sur la dépuration du sang. Et, en effet , n'est-il pas probable qu'une détérioration de ce fluide a quelque part au déveîoppemeut de ces constitutions scrophuleuses , ob- servées dans les individus qui habitent des lieux bas , hu- mides et froids? Quant à la sécrétion biliaire , nous avons dit que quelques physiologistes soupçonnaient qu'elle était aussi destinée primitivement à influer sur la constitution du sang. Ils se fondent; sur ce que le foie paraît être, dans le fœtus , un organe qui a part à la sanguification; 20 sur ce que c'est à lui qu'aboutit la remarquable exception qui constitue la veine-porte; sur ce qu'enfin l'appareil biliaire est le seul appareil sécréteur qui soit assez influent pour fonder un tempérament. Si cette conjecture est fondée, la sécrétion de la bile aurait, indépendamment de son service dans la digestion, une assez grande importance dans l'éco- nomie , comme modifiant le sang en raison de la quantité et de la qualité de l'humeur qu'elle fabrique avec lui.

Mais ce ne sont pas seulement les sécrétions qui" ont pour office spécial de dépurer le sang, qui influent sur la crâse de ce fluide, et par suite sur toute l'économie; ce sont, quoique à un degré moindre, toutes sécrétions quelconques, par cela seul qu'elles puisent dans le sang les matériaux des humeurs qu'elles produisent. D'abord , nous avons dit que toutes nos

2 24 DES CONNEXIONS DES FONCTIONS,

sécrétions excrémentitielles , même morbides, quand leur ancienneté les avait rendues habituelles, concouraient à la décomposition du corps; conséquemment elles ont sur la dépuration du sang la même influence que les sécrétions primitivement dépuratives , celle de l'urine, par exemple. Ensuite toute sécrétion, comme émanée du sang, doit in- fluer sur ce liquide , au moins par la dépense qu'elle lui fait faire. Qui ne sait que tout flux abondant, hydropisie , dia- bètes, etc., altère le sang? Et même c'est à cause de cela qu'éclate alors la soif, qui marque le besoin qu'a cette hu- meur de réparer les pertes qu'elle a faites en sa partie li- quide? La femme chez laquelle la sécrétion laiteuse est en pleine activité , accuse de même , par une faim plus vive et plus fréquente, le besoin qu'a le sang de réparer le surcroît de dépenses auquel il fournit alors. Il n'est pas possible de douter que les sécrétions n'aient sur le sang qui les alimente, en raison de la quantité des humeurs qu'elles en retirent et de la qualité qu'elles donnent à ces humeurs, des influences égales à celles qu'exercent sur ce fluide les absorptions ; si celles-ci réparent , les autres dépensent , épuisent; et la constitution du sang doit être également modifiée dans les deux cas.

C. Enfin , par une raison semblable, les nutritions et les calorifîcations ont une égale influence sur l'état du sang, et par suite sur toute l'économie en général. N'est-ce pas aux dépens de ce fluide que s'accomplissent les unes et les autres de ces actions ? et ne doivent-elles pas conséquemment influer sur sa quantité et sa qualité , en raison de leur degré et de leur mode d'activité ? Cependant nous conviendrons qu'ici les faits sont difficiles à constater, et que c'est moins directement qu'on arrive à la proposition que nous émet- tons , que par une suite de raisonnements.

D'abord , pour commencer par les calorifîcations , nous avons vu quels] rapports existaient entre ces actions et la respiration, |et tous les auteurs les ont universellement re- connus. Nous avons dit que de toutes les fonctions qui se passaientfdans les parenchymes , c'étaient probablement les calorifîcations qui avaient le plus de part au changement du

DES RAPPORTS FONCTIONNELS DES ORGANES. 22 5

sang artériel en sang veineux. En effet , la respiration est la fonction qui fait le sang; et s'il y a tant de rap- ports entre elle et les caiorifications, n'est-ce pas une pré- somption qu'elle est destinée à réparer ce que celles-ci ont consumé, et conséquemment que les caiorifications font subir au sang une grande dépense ? Dès lors , ces fonctions doivent exercer une influence sur la crâse du sang. D'après cela, comme l'activité des caiorifications est en raison de la température extérieure à laquelle on est soumis , il ne doit pas être indifférent, pour l'état du sang, qu'on soit soumis à des influences de chaud e.t de froid. Peut-être est-ce aux modifications déterminées dans le sang, qu'on doit rapporter partie des effets produits par les influences prolongées des saisons et des régions chaudes , des saisons et des régions froides ï Peut-être que, dans les morts amenées par l'excès du chaud et du froid, il y a une altération profonde du sang ? Mais nous avouerons qu'on a besoin ici de faits di- rects pour justifier ce que le raisonnement suggère. On a bien, à la vérité, présenté dès la plus haute antiquité les fortes chaleurs comme amenant un état putride du sang; on a rapporté à une altération de ce fluide les fièvres de mauvais caractère , typhus , fièvres jaunes, pestes, etc., qui surviennent plus particulièrement dans les pays chauds; mais il y a encore trop d'obscurités, et trop de points eu litige dans ce qui a été dit sur l'étiologie et la nature de ces maladies, pour que nous nous en servions comme de faits positifs dans la question que nous agitons ici.

On a plus de preuves directes en ce qui concerne les nu- tritions. Si ce que le sang doit fournir aux nutritions est diminué tout à coup, comme quand un membre est am- puté , souvent il en résulte un état pléthorique, une trop grande abondance de sang ; l'effet qu'on observe est le même que si l'on avait supprimé une hémorrhagie habituelle, ou suivi pendant quelque temps un régime trop succulent. C'est pour cela que souvent une personne primitivement débile et valétudinaire , soudain, après une amputation , se fortifie et acquiert une bonne constitution. ïl en est de même, si à une vie active, occupée, succède tout k coup Tome IV. i5

526 DES CONNEXIONS DES FONCTIONS,

une vie oiseuse, sédentaire; l'exercice, en effet, hâte les mouvements nutritifs, et par conséquent influe sur les dé- penses que fait le sang ; s'il est tout à coup remplacé par le repos, la nutrition diminue partout, et la pléthore sur- vient. Si de ces cas , dans lesquels les nutritions sont dimi- nuées , on passe à ceux dans lesquels elles sont au contraire trop actives , les effets seront aussi sensibles , mais inverses : alors le sang fait trop de pertes; et si l'on ne prend pas des aliments en proportion , ou que les forces digestives ne puis- sent suffire à élaborer la quantité d'aliments qui serait nécessaire, le sang, non-seulement diminue de quantité, mais il s'appauvrit, se détériore; et l'on observe les mêmes phénomènes que ceux que nous avons dit succéder à une alimentation trop pauvre. On peut attribuer à cette cause partie des effets de l'exercice abusif de toute fonction quel- conque, les suites des travaux d'esprit exagérés, des affec- tions del'ame fortes et continuel les. Toutes ces circonstances à la longue amaigrissent, et très probablement amènent une détérioration du sang. Le sang, en effet, non-seule- ment nourrit les organes, mais encore est pour eux un sti- mulus nécessaire à leur jeu ; ceux-ci puisent en lui un prin- cipe, auquel ils doivent de pouvoir agir ; dès lors, la dépense que , sous ce rapport , ils feront faire au sang , sera en raison de leur degré d'activité; s'ils agissent beaucoup, elle sera plus grande , et vice versa. Ces effets sont surtout sensibles en ce qui concerne les fonctions nerveuses; ces fonctions étant les plus élevées dans l'animalité, doivent occasioner la plus grande dépense au sang , et influer davantage par leur abus en plus ou en moins sur l'état de ce fluide. De là, les dangers attachés aux excès du sommeil et de la veille : trop de sommeil amène la pléthore, ou au moins l'obésité , parce que la portion de sang qui surabonde est employée à faire de la graisse : trop de veille, au contraire, amaigrit et épuise le sang. De là, les suites funestes des chagrins, des passions, des travaux intellectuels abusifs. Les gens du monde désignent la détérioration que nous disons être survenue alors dans le sang, par les mots de sang brûlé, sang calciné ; on peut leur contester la propriété de ces

DES RAPPORTS FONCTIONNELS DES ORGANES. 227 dénominations; mais le fait d'une détérioration du sang, quelle qu'elle soit, me paraît indubitable; tout trahit dans l'économie l'altération de ce fluide; tantôt il paraît être appauvri ; tantôt il semble avoir un excès d'ani- malisation ; tous les produits des sécrétions sont altérés ; souvent surviennent alors quelques excrétions insolites; les fonctions accusent tour-à-tour ou de la langueur, ou une excitabilité importune; la composition chimique des par- lies est changée; et, si on faisait alors du sang un examen chimique attentif, nul doute qu'on ne découvrît en ce li- quide quelques différences, soit dans la nature, soit dans les proportions de ses éléments composants. Souvent alors l'économie développe tout à coup ces phlegmasies de nature gangreneuse, septique, charbons, pustules malignes , etc., dans lesquelles le sang est si évidemment le siège du mal, que les médecins vétérinaires ont transmis des maladies pu- trides et gangreneuses de ce genre , en injectant dans les veines d'animaux sains le sang pris à des animaux qui en étaient atteints, ou qui y avaient succombé. Quelques phy- siologistes objecteront peut-être que tous ces désordres, que j'attribue à une altération du sang , sont dus à une irrita- bilité extrême, à des phlegmasies chroniques que l'exercice abusif aura fait naître dans les organes exercés, et qui, sympathiquementj se seront propagées à d'autres parties. Sans doute cette cause peuteoncourir aussi à leur production; il y a peu d'effets simples dans la machine humaine, et presque toujours un phénomène reconnaît le concours de plu- sieurs causes; mais je crois que l'état du sang a la plus grande part à ces maladies. Sans vouloir ressusciter les idées évidem- ment erronnées des acres , des humeurs peccantes des an- ciens médecins, il nous paraît impossible de nier la possibi- lité de détériorations dans le sang, en raison de la mesure dans laquelle se font, et les fonctions qui alimentent ce fluide, et celles qui puisent en lui les matériaux de leur travail. Tels sont les liens que la première des conditions vitales, la présence d'un sang artériel dans les organes, nécessite entre toutes les parties de l'économie; et telle est déjà l'im- portance relative des diverses fonctions ; en raison de la

i5.

510.8 DES CONNEXIONS DES FONCTIONS.

part qu'elles ont à l'établissement de cette première condi- tion. Le sang artériel est évidemment l'excitant fonctionnel, Vital de toute partie. Consécutivement au jeu des divers or- ganes qui font ce fluide, le distribuent et influent sur sa constitution, il manque, ou est plus on moins parfait ; par conséauent, il exerce plus ou moins complètement l'influence indispensable qui lui est propre ; et, par son intermédiaire, peuvent éclater partout et au loin dans le corps humain de nombreuses modifications. En vain le solidisme exclusif de l'époque actuelle voudrait nier le rôle que je fais jouer ici au sang. N'est-ce pas, parce que ce fluide n'est pas artériel, qu'on meurt dans l'asphyxie ? N'est-ce pas parce que les or- ganes n'en reçoivent pas, qu'on meurt dans la syncope? C'est évidemment , à lui qu'aboutissent les produits de la digestion et des absorptions , -et de lui qu'émanent ceux des sécrétions, des nutritions ; peut-il dès lors ne pas se res- sentir des modifications qui surviennent en ces fonctions, et par conséquent, ne pas être la cause, le conducteur des changements que ces modifications entraînent consécutive- ment dans toute l'économie ?

Il resterait à spécifier le mode d'action du sang artériel, abstraction faite de son office pour la nutrition proprement dite. Il est sûr que ce fluide, en même temps qu'il renou- velle la substance des organes, est aussi pour eux un sti- mulus vital nécessaire : si cela n'était pas , pourquoi ceux-ci périraient-ils aussitôt qu'ils en sont privés? Mais en quoi consiste celte stimulation? on l'ignore; à ce degré de pro- fondeur, tout est inconnu, et l'on ne peut faire que des conjectures. Comme dans la nature générale, les phéno- mènes sont tous produits par l'action de quelques fluides impondérables, lumière, calorique, fluide électrique, etc. ; on a d'abord conjecturé qu'il en était de même des phé- nomènes de la vie. En second lieu, comme les phénomènes vitaux sont différents des phénomènes physiques et chimi- ques , on n'a pu les rapporter à l'influence des fluides de la nature morte, et l'on a supposé pour eux; ou un fluide spécial, vital; ou mieux un des fluides généraux, mais qui aurait subi quelques modifications., quelques combinaisons

DES RAPPORTS FONCTIONNELS DES ORGANES. 229 auxquelles il devrait de donner naissance à des phénomènes tout nouveaux. Alors on a recherché si ce fluide vital, ou le fluide général modifié, était répandu dans toute la na- ture, d'où il serait ahsorhé par le corps vivant qui ainsi recevrait de lui la vie; ou si le corps vivant le produisait en lui-même par le travail de ses organes ; et, dans l'une et l'autre hypothèse , on a dit que le sang artériel chez l'homme, et le fluide nutritif en tout être vivant, en était le véhicule. Enfin , on a mis en question , si le sang arté- riel agissait par lui-même, ou s'il alimentait seulement le système nerveux, qui , rouage suprême du corps, était seul conducteur, seul cohibant du fluide vital, et déterminait tous les phénomènes de la vie. Dans l'état actuel de la science, toutes ces opinions ne sont que des vues hypothé- tiques de l'esprit. Sachons nous arrêter les phénomènes ne peuvent plus être saisis. Peut-être un jour ira-t-on plus loin. Mais aujourd'hui on sait seulement que le sang arté- riel est un stimulus vital , et conséquemment que toutes les fois qu'il différera de l'état normal , il modifiera les ac- tions. Or, sa présence dans les organes nécessite le concours de beaucoup d'actions; ces actions sont susceptibles de se produire avec beaucoup de variétés ; on devra donc obser- ver dans le cours de la vie beaucoup d'états divers en lui , et de différences en ses effets.

§ II.. Rapports fonctionnels relatifs à la seconde condition vitale , l'influence

nerveuse.

Non-seulement les diverses parties du corps humain sont plus ou moins dépendantes les unes des autres, ont des rapports fonctionnels entre elles , parce que le sang artériel dont elles ont besoin n'est fait et distribué que par le concours de beaucoup d'organes ; mais encore elles le sont forcément aussi par l'autre condition vitale qu'elles néces- sitent, l'influence nerveuse.

Cette influence nerveuse , en effet , régit toute fonc- tion ; et, quelle que soit son essence et la partie ner- veuse qui y préside, elle est dépendante, dans les ani-

50O DES CONNEXIONS DES FONCTIOLNS.

maux supérieurs , et par conséquent dans l'homme , des centres nerveux , encéphale et moelle spinale. Pour que tout nerf quelconque exerce sur l'organe auquel il se dis- tribue l'irradiation nerveuse nécessaire , il faut qu'il com- munique librement avec ces centres , et que ces centres soient en état d'intégrité. Si l'une ou l'autre de ces condi- tions manque , l'influence nerveuse dont ils sont les con- ducteurs ou les producteurs immédiats, est anéantie. De une nouvelle source de rapports fonctionnels entre nos parties; de une nouvelle cause de la centralisation de la vie. Cependant cette dépendance est dans une mesure qui diffère selon les espèces d'animaux, selon leur âge, et selon l'animalité des fonctions; triple loi que nous avons souvent mentionnée dans le cours de cet ouvrage , et que c'est ici le lieu de détailler.

Si , sur un animal vivant , on lie ou l'on coupe les nerfs qui se rendent à une partie , on tue cette partie d'autant plus promptement que l'animal sur lequel on fait l'expé- rience est plus élevé dans l'échelle des animaux, est plus âgé, et que les nerfs dont il s'agit président à une fonction plus élevée en animalité. L'effet est le même si, au lieu d'interrompre la communication avec les centres , en liant ou coupant le nerf qui l'établit, on lèse les centres eux- mêmes, l'encéphale et la moelle spinale.

10 Influence du degré de supériorité ou d'infériorité de V animal. Dans les plus simples des animaux, il n'y a pas dans le système nerveux de ganglion central, et, par suite, la vie n'est nullement centralisée ; chaque partie détachée de l'individu peut vivre par elle-même, comme on le voit dans les animaux amorphes et beaucoup de radiaires. Mais, dans les animaux articulés , et, à plus forte raison , dans les animaux vertébrés, il existe au système nerveux, une partie centrale située dans l'encéphale , ou la partie supérieure de la moelle spinale; et la vie générale de l'être est liée à l'in- tégrité de cette partie centrale, et à son influence sur le reste du corps. Seulement la suprématie de cette partie cen- trale est d'autant moins prochaine , que les animaux sont moins élevés dans l'échelle. Voici les preuves de cette asser-

DES RAPPORTS FONCTIONNELS DES ORGANES. 2 3 1

tien. Dans les animaux les plus simples, non-seulement l'ablation des centres nerveux n'entraîne pas la mort des individus, mais ces centres repoussent ; voyez l'hélix, si on coupe la tête à cet animal, elle se reproduit. Déjà, dans les reptiles, il n'en est plus de même; les centres nerveux en- levés ne repoussent plus; cela n'est plus possible que pour quelques parties moins importantes, la queue, par exemple : mais au moins ces animaux privés de ces centres, de l'encé- phale , ne meurent qu'après quelques jours, et même quel- ques mois; Redi et Fontana ont constaté ce fait sur des tor- tues. Dans les oiseaux, l'indépendance est encore moindre; non-seulement toute reproduction de parties ne s'observe plus, mais la décapitation entraîne une mort très prompte, après quelques minutes ; seulement , avant qu'elle arrive , quelques mouvements sont encore possibles; qui n'a vu sauter et courir encore des canards décollés ? Au rapport à'Hérodien , des autruches que Ton faisait courir dans le Cirque devant l'empereur Commode, et auxquelles celui-ci abattait la tête , continuaient de courir quelques pas après cette décapitation. Kaaw-Boërhaave dit avoir vu un coq, ainsi décollé, courir encore l'espace de vingt-trois pieds, etc. Enfin, dans les mammifères et dans l'homme, la dépen- dance est aussi grande que possible; non-seulement la déca- pitation entraîne une mort encore plus prompte, une mort soudaine ; mais aussitôt toutes les fonctions cessent , et par- ticulièrement les mouvements. On a bien cité quelques faits contradictoires , comme celui d'une femme qui , au rapport de Ehadskinshi, marcha encore, après la décapitation, l'es- pace d'une aune; celui de cet homme qui, après la même mutilation, remua son sabre, ou se frappa la poitrine, etc. Mais tous ces faits sont apocryphes; et certainement, après la décapitation , toutes fonctions sensoriales et tous mou- vements sont anéantis dans notre espèce. Ce qu'on dit ici de la décapitation ou de l'ablation de l'encéphale entier, est vrai de l'ablation partielle de cet organe; il est d'autant plus possible de pousser loin clans des expériences sur des animaux vivants les mutilations partielles du cerveau, que les animaux sont plus inférieurs; les derniers travaux de

2 3a DES CONNEXIONS DES FONCTIONS.

MM. Rolando, Flourens , Fodera, pour spécifier l'usage de chaque partie encéphalique, ont mis ce fait hors de doute; l'homme , à coup sûr, ne pourrait pas supporter des lésions aussi fortes que des reptiles ; et il est sûr que les maladies cérébrales de cet être sont bien plus promptement mortelles que celles des autres espèces.

Influence de L'âge. La dépendance dans laquelle sont des centres nerveux toutes les parties nerveuses inférieures , est d'autant plus grande en toute espèce animale, que l'in- dividu est plus jeune. D'abord, s'il est vrai qu'un animal quelconque , dans la série de ses développements , parcoure Ja suite des formes que présente le règne animal dans la portion qui est inférieure au type auquel cet animal appar- tient, on conçoit que plus il sera jeune , plus il sera animal inférieur, et par conséquent moins sera grande en lui la suprématie des centres nerveux , d'après la loi première que nous venons de démontrer. Ensuite,, il est des faits directs en faveur de la seconde loi que nous posons ici. Les hélix repoussent d'autant mieux leur tête, qu'ils sont plus jeunes. Redi, dans ses expériences sur les tortues et les vipères, a remarqué que ces animaux survivaient d'autant plus à l'a- blation de l'encéphale , à la décapitation , qu'ils étaient plus jeunes. MM. Rolande* et Flourens , etc. , ont vu de même que les animaux supportaient d'autant mieux les mutilations cérébrales, qu'ils étaient moins âgés. Dans des expériences de Legallois , que j'ai déjà citées à l'occasion de la circulation, sur lesquelles je vais revenir encore ci-après, et qui consistaient à faire survivre des animaux mammifères à la décapitation , en remplaçant la respiration par une in- sufflation artificielle d'air dans le poumon , ce physiologiste réussissait d'autant mieux qu'il opérait sur des animaux plus jeunes. À la vérité, ces expériences ne sont pas prati- cables sur l'homme; mais les monstruosités et les maladies fétales en tiennent lieu. Dans l'acéphalie, la vie continue et le fœtus arrive à terme. Dans l'anencéphalie incomplète, le phénomène est encore plus sensible; non-seulement le fœtus a continué de vivre, a pris de l'accroissement, est venu à terme; mais il naît vivant, survit quelques jours après sa

DES RAPPORTS FONCTIONNELS DES ORGANES. 2 33 naissance, et ne meurt que lorsqu'il est un peu plus avancé dans la vie. Il semble que lorsqu'il ne manque au fœtus que les hémisphères cérébraux, l'enfant ne devrait qu'être idiot, mais devrait pouvoir vivre; et cepen- dant il meurt, seulement d'autant plus tard qu'il est plus jeune; n'est-ce pas une preuve prise dans l'espèce hu- maine elle-même, de la seconde loi que nous posons ici? D'après cette loi, on peut avancer qu'un homme adulte ne supporterait pas le quart des maladies cérébrales que peut supporter le fœtus.

Influence du degré d'animalité de la fonction. Enfin, dans la subordination sont des centres nerveux , toutes les fonctions du corps, ce sont les fonctions sensoriaîes qui sont dans la dépendance la plus prochaine; et cette dépen- dance devient de moins en moins grande pour toutes les autres, à mesure qu'elles sont plus inférieures eu animalité. Par exemple, les fonctions des sens, des mouvements, sont dans une subordination absolue; déjà les fonctions organi- ques premières, la digestion , la respiration , la circulation, le sont moins; et enfin , les dernières fonctions organiques, celles qui se passent dans la profondeur des parenchymes , le sont aussi peu que posssible. Qu'on coupe ou qu'on lie le nerf qui avive un sens, un muscle volontaire, aussitôt le sens , le muscle sont paralysés. Si , par comparaison , on fait subir la même lésion aux nerfs qui vivifient les organes de la digestion, de la respiration , de la circulation, la para- lysie n'est pas aussi soudaine : nous avons vu la digestion , la respiration et la circulation, continuer encore quelque temps après la section des nerfs vagues et grands sympa- thiques. La même différence se remarque lors de l'ablation, de la lésion des centres nerveux eux-mêmes, comme nous allons le faire voir. Dans la décapitation , par exemple , il y a beaucoup de causes de mort, i'héniorrbagie,la cessation de 1 innervation sur le cœur, la cessation des mouvements respirateurs, etc. Or, si on remplace les mouvements respi- rateurs artificiellement, et qu'en liant les vaisseaux du col , on arrête l'hémorrhagie , il n'y a plus que la perte de l'influence exercée par l'encéphale sur l'innervation ; et

2 34 DES CONNEXIONS DES FONCTIONS.

Ton voit que, tandis que sont anéanties aussitôt toutes les fonctions sensoriales, continuent pendant quelques heures encore les fonctions organiques. C'est ce qu'a prouvé Le- gallois dans d'ingénieuses expériences : liant les vaisseaux, du col à un animal aussitôt après l'avoir décapité, puis remplaçant la respiration par une insufflation artificielle d'air dans le poumon , ce physiologiste a vu la circulation se continuer, et la vie se prolonger dans le tronc cinq heures encore, presque autant de temps, à une demi-heure près, que si l'on n'avait fait que lier les nerfs de la huitième paire. La mort n'arrivait que par la perte de l'influence nerveuse encéphalique sur le tissu du poumon lui-même, sur la moelle spinale et sur le grand sympathique qui avivent les autres parties; et, comme cette mort n'était pas sou- daine, cela prouve que les effets de cette perte sont ici plus tardifs. Aussi , Legallois concluait-il de ces expériences que, dans la décapitation , la première cause de mort est l'a- sphyxie; et Ton sent que s'il avait pu porter dans le tronçon de la tête, du sang artériel, comme dans celui du corps il pouvait exécuter une respiration artificielle, il aurait de même, et plus facilement encore, prolongé la vie dans la tête, ce qui eût été bien plus étonnant, à cause de l'émi- nence des fonctions qu'exécutent les organes dont cette partie est le siège. Du reste, ce que ces expériences nous apprennent est en rapport avec ce qui est observé dans les maladies cérébrales , et dans les cadavres des personnes qu'une mort subite a frappées accidentellement. Quand les maladies cérébrales ne tuent pas soudain, c'est dans l'ordre de leur animalité qu'on voit successivement toutes les fonc- tions s'arrêter; d'abord, les sens, les mouvements volon- taires, puis les fonctions dites organiques. Voyez l'apoplec- tique : d'abord il tombe sans sentiment, n'appréciant plus rien de l'univers extérieur, ni de sa propre existence, ne pouvant ni se mouvoir , ni parler , ni effectuer sa station ; bientôt les mouvements respirateurs sont embarrassés; ils deviennent de t>1 us en plus difficiles, et souvent la mort arrive par asphyxie, par engorgement du poumon, avant que la perte de l'influence encéphalique n'ait arrêté les

DES RAPPORTS FONCTIONNELS DES ORGANES. 2 35 autres fonctions. Voyez la même gradation dans les hydro- céphales chroniques; successivement, les enfants atteints de cette maladie perdent leurs facultés intellectuelles, leurs sens, leur faculté de se mouvoir; et c'est long- temps après la cessation des fonctions animales , que la mort arrive. Comme dans les morts accidentelles (et nous verrons que c'est accidentellement que périssent les quatre-vingt-dix- neuf centièmes de l'espèce humaine), il y a d'abord arrêt des organes centraux , ou du cerveau , ou du cœur , ou du poumon ; on s'explique pourquoi les fonctions animales s'arrêtent ordinairement les premières , tandis que les fonc- tions organiques se prolongent plus long-temps , et même que quelques-unes d'elles se continuent encore quelque temps après la mort. Souvent on a vu après la mort l'ex- crétion des fèces, de l'urine, l'accouchement s'accomplir, des absorptions s'effectuer; et les restes de vie sont d'autant plus manifestes que la lutte qui a amené la mort a été plus courte, plus douce , et a moins épuisé le système nerveux.

Ainsi, sont certaines les trois lois que nous avons posées , relativement à l'influence des centres nerveux sur les por- tions nerveuses inférieures.

11 s'agit alors de spécifier quelles sont dans le système nerveux ces parties centrales, auxquelles sont subordonnées toutes les autres. Pour ce qui est des animaux vertébrés, et par conséquent de l'homme , on ne peut être en doute que sur l'encéphale et la moelle spinale. La plupart des physiologistes considèrent comme centre l'encéphale, et ne font de la moelle spinale que le conducteur des irradiations encéphaliques , le moyen par lequel ces irradiations arrivent aux parties nerveuses inférieures et surtout aux grands sym- pathiques. Ils se fondent sur la mort prompte qui suit la décapitation , sur les désordres généraux qu'amènent pro- chainement les maladies graves de cet organe. Mais l'encé- phale est une partie fort complexe , et certainement ce n'est pas sa totalité qui exerce l'influence absolue dont nous nous occupons ici : dans les expériences récentes faites par MM. Rolando, Flourens , on a souvent enlevé des quantités considérables des hémisphères cérébraux ou du cervelet ,

2 3G DES CONNEXIONS DES FONCTIONS,

on a mutilé les corps striés, les couches optiques, etc., sans qu'il en soit résulté une mort prompte. M. Floure?is a vu survivre jusqu'à six, Luit, dix mois, des animaux auxquels il avait enlevé la totalité des hémisphères cérébraux. On peut couper successivement de haut en bas des tranches de l'encéphale; on voit graduellement l'animal perdre la sen- sibilité, le mouvement; mais il ne meurt que quand on arrive à ce qu'on appelle la moelle alongée , cette partie par laquelle la moelle spinale se prolonge dans le crâne. Encore , il est probable que la mort ne survient alors que par la cessation de la respiration, et non par celle de Tin- nervation ; c'est en effet en ce lieu qu'aboutissent les nerfs vagues, c'est qu'est senti le besoin de respirer ; et dès lors 3a respiration doit s'interrompre. Ce qui le prouve, c'est qu'en remplaçant la respiration par une insufflation d'air dans le poumon , on a prolongé la vie dans les animaux aux- quels on avait enlevé cette partie encéphalique, dans les animaux décapités, par exemple, comme nous venons de dire que l'a fait Legallois.

Dans cette impossibilité de trouver dans l'encéphale un point précis qui exerce sur tout le système une influence prochaine et immédiate, d'autres physiologistes, MM. de Blainville , Baiïly , présentent comme centre la moelle spi- nale, disant qu'en avant, à la portion par laquelle elle se prolonge dans le crâne , et sur ses côtés dans toute sa longueur, sont situés les divers ganglions qui composent le système nerveux. [Ils s'appuyent de faits anatomiques et d'expérien- ces. D'un côté , il est certain que dans la portion supérieure de la moelle spinale, celle qui est dans le crâne, qui con- séquemment fait partie de la masse encéphalique, et qu'on appelle moelle alongée, sont les faisceaux originels, les ra- cines des diverses parties qui composent l'encéphale : cette moelle alongée, évidemment une suite non interrompue de la moelle spinale , se partage en haut en six faisceaux qui vont former; les deux inférieurs , les hémisphères cérébraux, les deux latéraux, les tubercules quadri jumeaux , et les deux supérieurs le cervelet ; et de cette manière l'encéphale ne paraît être qu'un amas de ganglions divers, développés et

DES RAPPORTS FONCTIONNELS DES ORGANES. lZ~j entés sur elle. D'autre part , les expériences de Legallois montrent l'intégrité de la moeîïe spinale, plus prochaine- ment nécessaire à la vie générale, que celle de Fencéphale. Tandis que ce physiologiste avait pu, à l'aide de l'insuffla- tion pulmonaire , prolonger la vie pendant cinq heures dans le tronc d'un animal décapité, il n'a pu, par ce moyen, retarder la mort que de trois à quatre minutes dans un ani- mal chez lequel il avait détruit îa moelle épinière, bien que cet animal ne fût pas décapité, et eût l'encéphale in- tact; bientôt les contractions du cœur ont cessé, et la mort est arrivée par défaut de circulation. Ainsi le jeu du cœur est plus dépendant de la moelle spinale que de l'encéphale. D'autres expériences analogues prouvent même, que ce n'est pas seulement la moelle tout entière qui se subordonne les mouvements du cœur, mais toute portion quelconque de cette moelle : dans les expériences de Legallois , la destruc- tion de la portion lombaire seule entraînait la mort après quatre minutes; celle de la portion dorsale après deux mi- nutes et demie, et celle de la portion cervicale plus promp- tement encore. Chaque destruction partielle avait pour effet d'affaiblir considérablement les mouvements du cœur, qui dès lors ne suffisait plus pour envoyer le sang dans tout le corps; et c'était si bien par cette cause qu'arrivait la mort, que si on limitait en même temps, et en égale proportion, le champ circulatoire, par des ligatures, on en retardait l'instant. Par exemple, si , avant de détruire la moelle lom- baire, Legallois liait l'aorte au-dessous de la cœiiaque, et ainsi retranchait du champ circulatoire tout le train de der- rière de l'animal , alors le cœur, quoiqu'affoibii , suffisait pour entretenir la circulation dans ce qui restait du corps , et la vie y persistait davantage. Il en était de même si , avant de détruire la moelle cervicale, il liait les vaisseaux du col , et retranchait la tête tout entière du champ circulatoire. Ainsi , on arrivait à cette proposition bizarre que , pour pro- longer, dans ce cas, la vie de ranimai, il fallait lui couper la tète. Legallois a fait vivre ainsi , pendant trois quarts d'heure, le tronçon thoracique d'un lapin; et même il y a encore rétréci l'empire de la vie, en détruisant une petite

2 38 DES CONNEXIONS DES FONCTIONS,

portion de la nioelle dorsale. On sent qu'il aurait pu con- server de même tout autre tronçon , s'il n'eût été nécessaire que le poumon et le cœur y fussent contenus, pour que soit fait et distribué le sang artériel que nous avons vu être nécessaire à toute vie. Toutefois, Legallois avait conclu de ces expériences que le principe des mouvements du cœur est dans la moelle spinale , et que cette partie est en même temps le centre du système nerveux.

Mais d'abord, on peut remarquer que ce n'est qu'indi- rectement que la moelle spinale préside aux mouvements du cœur; c'est par l'intermédiaire des grands sympathiques; ce sont ces nerfs qui immédiatement les régissent : et la moelle ne leur est si prochainement nécessaire, qu'en ce que c'est elle qui dispense aux grands sympathiques l'irradiation des organes nerveux supérieurs. Ce qui le prouve , c'est qu'en quelques acéphales chez lesquels la moelle épinière manquait, le cœur agissait néanmoins. TVilson, d'ailleurs, a vu que, si les expériences de Legallois étaient faites sur des animaux très jeunes, les battements du cœur conti- nuaient après la destruction de la moelle ; et Clift a vu qu'il en était de même, si on les pratiquait sur des animaux d'un rang inférieur. Voilà autant de faits dont les lois que nous avons posées donnent l'explication. En second lieu, de même qu'on avait pu enlever impunément quelques tranches de l'encéphale de haut en bas ; de même on peut détruire de bas en haut quelques tranches de la moelle spinale, sans qu'il en survienne davantage une mort soudaine , surtout si on procède avec lenteur, et qu'on limite en même temps, et en égale proportion , le champ circulatoire, par des liga- tures, comme l'a fait Legallois. Ce physiologiste a même pu en détruire impunément la portion supérieure, mais en rem- plaçant alors, par l'insufflation de l'air, la respiration , qui ne pouvait plus se faire. D'où il résulte que, si la moelle spinale est la partie centrale du système nerveux , elle ne l'est pas plus que l'encéphale dans sa totalité. Enfin , il est probable que la destruction de la moelle spinale ne tue aussi promptement que par la cessation de la circulation , et non par celle de l'innervation ; la moelle spinale étant la

DES RAPPORTS FONCTIONNELS DES ORGANES. 2%g

partie qui dispense principalement aux grands sympathi- ques l'influence nerveuse, en vertu de laquelle ces nerfs régissent les mouvements du cceur : de sorte qu'on ne trouve pas plus danslamoelle spinalequedansl'encéphale, un point précis , duquel émane rigoureusement l'influence nerveuse.

Il faut reconnaître que ces deux parties , l'encéphale dans sa partie inférieure , dans ce qu'on appelle la moelle alon- gée, et la moelle épinière dans sa partie supérieure, sont également le centre du système nerveux, en ce qui regarde l'homme et les animaux supérieurs. Il n'y a, en effet, au- cune distinction entre ces deux parties, et leur continuité en fait réellement un seul et même organe. Mais il faut con- sidérer la centralisation de cette partie sous deux points de vue, relativement à son influence sur les fonctions qui as- surent la première condition vitale, l'existence du sang ar- tériel , et relativement à l'innervation.

Sous le premier rapport, cette partie est un centre de vie, comme présidant à la respiration et à la circulation. L'encéphale, en effet, par la partie dite moelle alongée , tient sous sa dépendance la respiration; et la moelle spinale, parce qu'elle fournit aux grands sympathiques leurs prin- cipales racines, ou leurs principaux moyens de communica- tion avec le centre , tient sous la sienne la circulation. Par cela seul donc que celte partie nerveuse se subordonne les deux fonctions desquelles dépendent la formation et la dis- tribution du sang artériel dans le corps , elle est prochaine- ment et absolument nécessaire à la vie. Ainsi même, éclate la nécessité qui lie mutuellement les deux conditions que réclame la vie : pour que le système nerveux, ce rouage su- prême qui commande toutes les actions , agisse , il faut qu'il reçoive un sang artériel que la respiration seule peut faire y et que le cœur seul peut envoyer : et d'autre part , pour que la respiration accomplisse la sanguification , et que la cir- culation en distribue partout les produits, il faut que le système nerveux commande le jeu des organes qui effectuent ces actions. C'est ce concours réciproque dont parlait Hippocrate , ce cercle dans lequel il ne pouvait indiquer le commencement ni la fin.

24o DES CONNEXIONS DES FONCTIONS.

D'autre part, indépendamment de cette influence exercée par le centre nerveux sur toutes les parties, par l'intermé- diaire de la respiration et de la circulation qu'il régit, il en est une autre , mais moins prochaine , par laquelle il modifie toutes les parties nerveuses qui dérivent de lui ou viennent aboutir à lui -, et c'est celle-ci dont nous venons de poser les lois. La nature, à mesure qu'elle a voulu donner plus d'u- nité à un être, a rendu ses parties nerveuses plus dépen- dantes d'un centre ; et c'est ce qui est dans tous les animaux supérieurs, et surtout dans l'homme. Sans doute le système nerveux n'est pas homogène ; il est formé de parties qui ont chacune leur action propre; mais cependant il constitue un tout unique, dont toutes les parties conspirent à un même but, et sont unies entre elles pour former une individua- lité. Nous avons été des premiers à applaudir aux idées qui ont été émises, de nos jours, sur la pluralité des systèmes nerveux ; mais il. ne faut pas que ces idées judicieuses fassent tomber dans le vice opposé, et fassent méconnaître que les différents systèmes nerveux sont, dans l'homme, réunis en nn tout , fondus en une unité. Chaque système nerveux in- flue de haut en bas, en raison de la supériorité de sa fonc- tion , sur l'énergie des autres ; le cerveau , sur le cervelet; le cervelet, sur la moelle épinière; et la moelle épinière, sur les nerfs. On n'a pas besoin de dire que l'influence de ces parties nerveuses est en raison de leur degré de développe- ment; à cause de cela même, chez aucun animal, le cerveau proprement dit, n'influe sur le reste du système nerveux autant que chez l'homme : cela rentre dans la première loi que nous avons posée, celle qui est relative au rang qu'oc- cupe l'animal dans l'échelle, ou plutôt cela en donne l'exr plication. Non-seulement la suspension complète d'action du cerveau doit amener à la longue la suspension d'action de toutes les autres parties nerveuses, et conséquemment la mort; mais encore ce qui arrive alors en plus, a lieu dans d'autres cas en moins; il suffit que l'activité cérébrale soit modifiée seulement, pour que l'innervation générale le soit aussi partout et au loin. Or, comme le cerveau est l'agent des facultés intellectuelles et morales, un des organes les

DES RAPPORTS FONCTIONNELS DES ORGANES. 2^\

plus fréquemment mis en jeu dans notre vie sociale, on conçoit combien il doit fréquemment modifier l'économie , sous le rapport de l'innervation : par l'influence de cet or- gane , cette condition vitale est presque aussi variable que celle du sang artériel.

Tels sont les rapports fonctionnels tenant aux deux con- ditions qui, dans les animaux supérieurs, président à la vie, et pour l'établissement desquelles toute partie offre , parmi ses éléments constituants, des ramifications artérielles et nerveuses. Il resterait à indiquer laquelle de ces deux conditions a la suprématie, et laquelle est la subordon- née. Cela est impossible à dire, car elles se sont mutuel- lement et absolument nécessaires : la vie est essentiellement liée à l'action réciproque du sang sur la substance nervese , et de la substance nerveuse sur le sang (Bée lard) . Cependant on regarde le système nerveux comme ce qui forme prin- cipalement l'être; le reste du corps est regardé comme ne servant qu'à nourrir et entretenir ce système nerveux, et le mettre à même d'accomplir ses fonctions. Aussi dit-on que, dans toute asphyxie , c'est moins parce que le sang veineux imprègne immédiatement les organes que ceux-ci meurent, que parce que ce fluide pénètre le système nerveux, qui dès lors ne peut plus commander leur action. Cette proposition est peut-être un peu trop absolue, si l'on embrasse la géné- ralité des êtres vivants; mais elle est vraie , quand il s'agit des animaux supérieurs , et surtout de Tliomme.

ARTICLE II.

Rapports fonctionnels relatifs à l'accomplissement des diverses facultés de

l'Homme.

L'homme se nourrit, se reproduit, sent, connaît, veut,

agit, exprime ce qu'il sent , etc. ; et presque toujours, pour

l'accomplissement de ces diverses facultés, il lui faut le

concours de plusieurs organes, de plusieurs fonctions. De

Tome IV. XQ

242 DES CONNEXIONS DES FONCTIONS,

une nouvelle cause de liens entre les parties , et de rap- ports, qu'on doit encore appeler fonctionnels, puisqu'ils résultent de l'enchaînement connu des fonctions.

§ Ier. Nutrition.

L'histoire que nous avons faite des diverses fonctions , l'ordre que nous avons suivi dans leur étude, ont faire ressortir par quel concours d'actes s'accomplit la nutrition de l'homme. D'abord, les sensations internes, dites besoins, ont fait un premier appel , et ont sollicité à l'établissement des rapports extérieurs que nécessite la vie. Les sens externes ensuite ont fait apercevoir dans l'univers extérieur les corps qui pouvaient satisfaire aux besoins. Alors, des actions mus- culaires volontaires ont effectué la préhension de ces corps ; et enfin s'en est suivie la série d'actes que nous avons vu faire le sang artériel , distribuer ce fluide , et l'assimiler aux organes. La disposition mécanique des parties est telle, qu'il est impossible qu'il en soit autrement; Je chyle, pro- duit de la digestion, afflue dans la lymphe; la lymphe, produit des absorptions internes , se verse dans le sang vei- neux; ces trois humeurs vont dans le poumon se changer en sang artériel ; celui-ci est conduit au cœur, et distribué à toutes les parties, pour qu'elles se l'assimilent et pour qu'elles s'en nourrissent. Pendant que la composition s'accomplit par cette série d'actes successifs et jamais interrompus , l'ab- sorption interstitielle reprend dans les organes les éléments usés dont ils doivent être débarrassés ; elle les j-eporte dans le sang; et celui-ci enfin en est dépuré, ainsi que de tontes les autres matières étrangères qui ont pu lui arriver du de- hors, par le travail des sécrétions dépura trices. Ainsi, beau- coup d/organes concourent à la nutrition du corps. Or, de ce concours résultent entre nos parties beaucoup de rap- ports fonctionnels , dont voici les principaux.

io D'abord, il existe un rapport entre les ingestions qui font le sang, et les actions diverses qui mettent en œuvre ce liquide. Selon que les premières sont augmentées ou dimi- nuées, les secondes se montrent plus ou moins énergiques.

DES RAPPORTS FONCTIONNELS DES ORGANES. 2 43

L'homme qui use d'une alimentation abondante et de bonne qualité, développe bien plus d'activité dans toutes ses fonc- tions , est capable de plus d'efforts physiques et moraux , que celui qui est mal nourri. Selon que les fonctions qui réparent, ne le font pas en même proportion que celles qui dépensent, selon qu'elles sont au-dessus ou au-dessous de celles-ci, il en résulte un sang trop abondaut et trop riche, et ce qu'on appelle la pléthore, ou un sang appauvri et V épuisement. Dans le premier cas, le superflu du sang se change en graisse, et amène Y obésité, l'embonpoint; dans le se- cond, au contraire, cette graisse est résorbée pour suppléer à ce qui manque du côté de l'alimentation, et l'individu maigrit. La qualité des matières ingérées influe tout aussi bien que leur quantité; les aliments, par certaines affinités électives, peuvent porter leur influence excitante sur tel appareil plutôt que sur tel autre; ou sur le cerveau, comme le café , ou sur l'appareil génital, etc. ; et ce sont alors les fonctions intellectuelles ou génitales qui manifestent le plus d'activité. C'est certainement le sang qui est la cause matérielle de ces rapports. A ce genre de rapports se rat- tache celui qui existe entre la sécrétion urinaire et les bois- sons; qui ne sait que la quantité de l'une est en raison de l'abondance des autres ? Enfin ce que nous avons dit dans le temps, de la dépuration du sang, fait concevoir aussi pour- quoi les matières excrétées se ressentent souvent des qualités des matières ingérées.

20 La chose inverse, c est-à-dire des rapports entre les pertes que l'on fait et les ingestions qui sont destinées à ré- parer ces pertes, doivent avoir lieu aussi. Si les premières augmentent ou diminuent, il en est de même des secondes. L'homme qui mène une vie active et laborieuse a besoin de plus d'aliments, d'être mieux nourri, que celui qui vit dans l'inaction et le repos. Toute circonstance qui aug- mente les dépenses que fait le sang, savoir,. l'exercice pro- longé d'une fonction physique ou morale, l'écoulement abondant d'une excrétion, etc. , nécessite l'augmentation des fonctions qui réparente les pertes qu'a faites ce fluide. La femme qui allaite, l'homme qui s'est livré aux plaisirs

16.

2 44 DES CONNEXIONS DES FONCTIONS,

de l'amour, n'ont-ils pas, après l'accomplissement de ces actes, un besoin plus grand d'aliments? Non-seulemeut se montre ici un rapport de quantité, si l'on peut parler ainsi, mais il existe aussi un rapport de qualité. Selon le genre de pertes qu'a faites le sang, c'est la faim ou la soif qui se prononce : si l 'hydropique est dévoré de soif, c'est que son sang est surtout épuisé de ses principes aqueux. La cause du rapport dont nous parlons ici , est encore en partie dans l'état du sang, ce fluide duquel dérivent tous les matériaux de la décomposition, et auquel aboutissent tous ceux de la composition; selon l'état dans lequel l'ont mis les actions qui le consomment , il influence plus ou moins les organes destinés à appeler les matériaux qui doivent servir à le ré- parer. M. Gaspard, auteur de plusieurs expériences sur les modifications que peut subir le sang, va même jusqu'à dire que la stimulation spéciale que ce fluide exerce alors , a quelque part au développement des sensations de la faim et de la soif; selon lui, l'estomac est organisé de manière à accuser par ces sensations, l'état dans lequel est alors le sang, consécutivement au genre d'impressions que ce liquide lui fait éprouver. Mais cette étiologie delà faim et de la soif ne peut être admise, si l'on réfléchit que ces sensations s'apai- sent, par cela seul que des aliments et des boissons sont in- troduits dans l'estomac, et bien avant queles produits de ces aliments et de ces boissons soient portés dans le sang et aient modifié ce fluide.

30 Non-seulement des rapports s'observent entre les ac- tions qui réparent le sang et celles qui le mettent en œuvre, mais il en existe aussi entre chacune de celles-ci entre elles. Par exemple, il y a entre les diverses absorptions qui por- tent au sang les matériaux réparateurs, faculté de se sup- pléer, de s'équilibrer. Si l'alimentation manque ou n'est pas suffisante, que par suite l'absorption digestive chyleuse soit nulle, l'absorption interne s'efforce d'y suppléer; eile re- prend clans toutes les parties du corps les divers sucs qui y sontépars, la graisse surtout, -que nous avons vue être sé- crétée en abondance lors d'une alimentation trop riche. Nous avons déjà dit qu'à raison de la particularité qu'oiire

DES RAPPORTS FONCTIONNELS DES ORGANES. 245

la graisse d'être tour-à-tour formée et reprise, selon que le sang est trop ou pas assez réparé, on pouvait, entre autres usages, assignera cette humeur celui d'être une provision que la nature met en réserve pour servir en certains cas à l'hématose. Le sang accusant le besoin de la réparation, excite partout les agents absorbants, et ceux-ci alors pui- sent partout aussi, mais surtout des matériaux leur sont offerts.

Ce balancement, que nous signalons entre les actions qui a]3portent de nouveaux principes au sang, s'observe de même entre celles qui dépensent ce fluide. Les sécrétions, par exemple, se montrent solidaires les unes des autres, se suppléent, s'équilibrent; si l'une fait plus, l'autre fait moins., et vice versa. Nous avons dit qu'en hiver, saison pendant laquelle le froid diminue la perspiration cutanée, la sécrétion urinaire augmentait., et que le contraire était observé pendant l'été. Qui ne sait que toute sécrétion trop abondante , ou supprime , ou diminue les autres sécrétions ? L'hydropique, le diarrhéique ont la peau sèche, l'urine rare; et au contraire, l'individu qui sue toujours, le plus souvent a de la constipation. Probablement c'est encore le sang qui, trahissant plus ou moins , par son mode d'impres- sion sur les organes sécréteurs, le besoin qu'il a d'excrétions, est la cause de ces rapports. Si une sécrétion habituelle manque tout à coup, ou diminue, il y a rétention, dans ce fluide, de matériaux dont il avait besoin d'être dépouillé; et par la présence de ces matériaux il stimule davantage les organes qui ont pour office d'effectuer ce dépouillement. Si au contraire une sécrétion nouvelle s'établit, ou qu'une habituelle augmente , il ne reste plus dans le sang autant des matériaux dont ce fluide demande à être débarrassé , et les organes dépurateurs moins stimulés agissent moins. On dira peut-être que cet effet est dû, à ce que quand un or- gane agit plus, un autre agit moins, d'après la loi de ba- lancement que nous devons exposer ci-après : sans doute cela y concourt en partie , mais l'état du sang y a part aussi. Ces considérations ne s'appliquent pas seulement aux sécré- tions excrémentitielîes, elles sont vraies aussi des sécrétions

2 46 DES CONNEXIONS DES FONCTIONS.

récrémentitielles, car leurs oroduits sont également des dé- penses pour le sang : cela est surtout évident de celles de ces humeurs récrémentitielles qui s'accumulent accidentelle- ment dans leurs réservoirs et y séjournent; on peut en effet les considérer alors comme de véritables excrétions. Dans ces rapports des sécrétions entre elles, quelques-unes parais- sent être constamment en quantité inverse Tune de l'autre, les sécrétions de la graisse et du sperme, par exemple; quand l'une surabonde, l'autre est moindre : on sait que généralement la castration engraisse, que les individus chargés d'embonpoint son t d'ordinaire peu portés aux plai- sirs de l'amour, et que l'exercice fréquent de ces plaisirs amaigrit. La nature de ces deux humeurs donne la raison de cette opposition : la sécrétion spermatique est évidem- ment une de celles qui coûtent le plus au sang , son produit étant destiné à donner la vie à un nouvel individu, et de- vant à ce titre être composé des principes les plus anima- lisés : la sécrétion de la graisse, au contraire, paraît n'être formée que de ce que le sang a de superflu. Si donc la pre- mière surabonde, il ne restera rien au sang pour faire de la graisse; et si au contraire l'appareil génital, peu actif, ne fait pas faire au sang, sous le rapport de la sécrétion spermatique , les dépenses que ce fluide peut supporter, la graisse sera sécrétée avec plus d'abondance.

Ces rapports entre les sécrétions, s'observent aussi jus- qu'à un certain point entre tous les organes du corps , sous le rapport de leur nutrition et de leur degré d'exercice. Si un appareil, par une cause quelconque , a une nutrition plus active , souvent la nutrition des autres parties se montre moindre; si un organe est plus exercé, les autres décèlent une activité moindre : le sang fournissant plus d'un côté , nécessairement aura moins à donner de l'autre. Du reste, la diminution d'action qu'on observe dans des organes éloignés , à raison du surcroît d'activité d'un seul organe, est un effet complexe , dont c'est ici le lieu d'ana- lyser les diverses causes. La recherche que nous allons faire a cet égard, aura même cet avantage, qu'elle nous servira à poser im certain nombre de lois premières, à l'aide des-

DES RAPPORTS FONCTIONNELS DES ORGANES. 2 47 quelles nous pourrons distinguer, classer les nombreux phé- nomènes de rapports qu'on observe dans notre économie.

D'abord, on sait qu'il est dispensé à tout organe une in- fluence nerveuse à laquelle il doit de pouvoir agir, et qu'il dépense par son travail. Selon que chaque organe agit avec plus ou moins d'énergie , il a besoin de plus ou moins de cette influence nerveuse , et conséquemment il en appelle à lui et en consume des quantités diverses. Ainsi que tout point d'irritation fait affluer dans l'organe irrité plus de sang; ainsi un semblable effet a lieu, et même avant, en ce qui regarde l'influence nerveuse; et l'axiome ubi stimulus , ibi Jïuxus , est vrai de l'innervation, comme de la circula- tion. Pour l'accomplissement de tout acte quelconque, ce double effet a lieu : aucun organe n'entre en jeu sans qu'il ne se fasse aussitôt sur lui fluxion, d'abord du principe nerveux ou moteur, puis du sang. C'est ce que M. Broussais appelle érection vitale, et ce que je propose de rattacher à une loi première de la vie, qu'on appellerait la loi de fluxion ou à'appel. Certainement, quand la mesure d'activité d'un organe dépasse l'état normal, est ce qu'on appelle une irri- tation , la fluxion nerveuse ou sanguine , dont nous parlons ici , est évidente ; c'est ce que prouve l'augmentation de tous les phénomènes de la vie dans la partie irritée, et la chaleur, et la circulation capillaire, et la sensibilité; la partie d'ailleurs est injectée de plus de sang , a rougi , est gonflée. Or, ce qui a lieu alors en plus, se passe de même, mais en moins, lors du jeu normal de tout organe; et c'est ainsi qu'appliquant le mot d'irritation à la santé comme à la maladie , distinguant des irritations physiologiques comme des irritations pathologiques, on peut dire que l'ir- ritation est le phénomène le plus général de la vie.

Cette première loi posée, il en est une autre non moins certaine qui lui fait suite : le système nerveux forme un tout continu, et il y a, sous le rapport de l'innervation, un balancement entre ses diverses parties : si une partie consume plus de principe moteur, il en reste moins pour toutes les autres. C'est un deuxième fait aussi constaté que le précédent , dont je propose de faire une seconde loi

2 48 DES CONNEXIONS DES FONCTIONS.

de l'économie, sous le nom de loi de balancement ; et pour revenir à l'objet premier de cette discussion, celle loi sera une première cause, pour qu'il ne puisse arriver augmen- tation d'action dans un point , sans qu'il survienne dimi- nution d'aclion dans d'autres.

Enfin, on sait que ce sont les systèmes capillaires qui, par une sorte d'aspiration, règlent la quantité de sang qui les pénètre, et que pour leurs besoins ils détournent du torrent circulatoire ; on sait que leur action d'aspiration est , à cet égard , en raison de l'influx nerveux qui préside à leur vie, et qui varie selon leur degré d'activité; consé- qùemment elle augmentera ou diminuera dans la même proportion que celui-ci. Or, une partie ne peut recevoir plus de sang, sans que la quantité de ce fluide ne diminue de proche en proche dans toutes les autres ; et voilà une seconde cause, qui est celle que nous avions indiquée d'a- bord , pour que le surcroît d'action que présente une partie s'accompagne de la diminution d'action de toutes les autres: l'activité de celles-ci doit être moindre, parce que le sang, qui tout à la fois les stimule et sert matériellement à leur travail , est en elles en moindre quantité.

À l'aide de ces lois premières, s'expliquent aisément les rapports de la circulation générale avec la circulation capil- laire, et réciproquement ceux des différents départements de la circulation capillaire entre eux. Sur elles aussi reposent la doctrine de l'irritation , et celles de la dérivation , de la révulsion , et des congestions ; abstraction faite des rapports sympathiques qui viennent compliquer les effets , et dont nous devons parler ci-après. Selon que la circulation géné- rale apporte aux systèmes capillaires plus ou moins de sang , ceux-ci plus ou moins excités , physioîogiquemenl par le contact de ce sang, et mécaniquement par le choc qu'ils en reçoivent, exercent avec plus ou moins d'acti- vité leurs actions diverses, et dépensent plus ou moins de ce fluide. Selon qu'une portion quelconque des systèmes capillaires appelle en elle plus ou moins de sang, de proche en proche toutes les autres parties du corps s'en vident plus ou moins, et l'effet se fait sentir plus ou moins jusque dans

DES RAPPORTS FONCTIONNELS DES ORGANES. 2 /[$ la circulation générale. Une partie aura d'autant plus d'in- fluence sous ce rapport , qu'elle sera plus nerveuse et plus vasculaire, c'est-à-dire qu'elle sera plus apte à appeler en elle beaucoup d'influence nerveuse, et par suite beaucoup de sang. Une partie passe-t-elle de l'état- de repos à l'état d'activité, il se fait afflux en elle de fluide nerveux et de fang; elle est en état d'érection vitale, d'irritation phy- siologique. Par une cause quelconque, cette partie est-elle stimulée au point que sa mesure d'activité dépasse l'état normal ?elle sera en état d'irritation pathologique, et, selon îe degré de cette irritation, surviendront ou des conges- tions, ou des inflammations. Enfin, quand, dans une vue thérapeutique, on détermine artificiellement une irritation dans une partie quelconque du corps, afin de croiser, d'af- faiblir une autre irritation qui siège en une autre partie, on opère ce qu'on appelle une révulsion : et lorsque par une saignée générale ou locale , ou par la congestion de sang que détermine toute irritation dans la partie qui en est le siège , on amène une déplétion , soit des gros vaisseaux , soit des vaisseaux capillaires dans un des départements du système capillaire, ou qu'on imprime un autre cours à la circulation , on a effectué ce qu'on appelle une dérivation. Voilà autant de phénomènes de rapports, dont les deux lois d'appel et de balancement des influences nerveuses dans les diverses parties du corps , et par suite de la circulation capillaire, donnent l'explication.

Enfin , ce qui est des sécrétions entre elles, des nutritions entre elles , est aussi , et par les mêmes raisons , de ces deux sortes d'action les unes par rapport aux autres. S'il existe un flux excessif quelconque, non-seulement les autres sé- crétions sont supprimées, mais les nutritions languissent, l'individu maigrit, dépérit.

§ II. Reproduction.

La reproduction n'est pas plus que la nutrition un acte simple, et il faut conséquemment des liens entre les organes qui par leur concours l'accomplissent. Ces liens ressortenl

2 5o DES CONNEXIONS DES FONCTIONS,

d'eux-mêmes dans l'histoire que nous avons faite de la géné- ralion. L'instinct, le besoin de la reproduction, en même temps qu il sollicite au rapprochement des sexes , amène dans le pénis l'état d'érection sans lequel ce rapprochement ne pourrait se faire. Pendant ce rapprochement, l'éjacu- lation spermatique a lieu , et à sa suite la conception. Dès lors se succèdent irrésistiblement les phénomènes de la grossesse , de l'accouchement et de l'allaitement. Tandis que dans la nutrition on avait vu une matière alimentaire éprouver une suite de mutations, en fin desquelles cette matière avait été assimilée aux organes; ici c'est un être nouveau tout à coup formé, et parvenant à constituer après une série de développements, un individu semblable à ceux qui, parleur réunion, l'ont engendré. Du reste, c'est le même enchaînement irrésistible entre les actes qui , par leur concours, amènent ce merveilleux résultat : la con- ception une fois effectuée, il est impossible que ne s'ensui- vent pas, et le développement du fœtus, et sa naissance, etc. Mais nous avons exposé assez longuement le mécanisme de la reproduction, pour être dispensés d'en dire davantage sur les rapports fonctionnels relatifs à l'accomplissement de cette faculté.

Seulement, nous ferons remarquer que plusieurs de ces rapports, soit qu'ils aient lieu entre les divers organes géni- taux, soit qu'on les observe entre cet appareil et les autres appareils de l'économie , sont explicables par les mêmes lois que nous avons posées à l'occasion de la nutrition; ils dé- pendent, ou de l'état du sang, ou du balancement des in- fluences nerveuses et des circulations capillaires, etc. Le phénomène de l'érection, par exemple, qui ouvre la série des actes générateurs, est évidemment le symbole parfait de ce que nous avons appelé irritation; il résulte en effet d'un afflux plus grand de fluide nerveux dans le tissu du pénis, et par suite , d'un appel de plus de sang dans le parenchyme de cet organe. L'état extatique, convulsif, dans lequel est momentanément l'individu, lors de l'éjection spermatique, se rattache aux rapports relatifs à la sensibilité , et que nous devon s exposer ci-après . Nul doute qu'il n'y ai t , entre les qua-

DES RAPPORTS FONCTIONNELS DES ORGAJNES. 25 I

litésde l'individu nouveau, et la mesure d'activité, de perfec- tion avec laquelle aura été accomplie la fonction, un rapport semblable à celui qui , dans la nutrition , s'observe entre l'ex- cellence des fonctions nutritives et l'état du sang : mais l'igno- rance dans laqueïle on est sur l'essence de la reproduction, empêche qu'on ne conçoive ce rapport aussi nettement qu'est conçu le premier. Nul doute aussi qu'il n'y ait un semblable rapport entre les qualités de l'individu nouveau , et celles de ses père et mère: les ressemblances , les transmissions hérédi- taires en sont la preuve. Mais à raison de cette même ignorance sur la génération, et de l'incertitude l'on est sur le mode de celte fonction par épigénèseou par évolution, nous nepouvons non plus l'expliquer, aussi bien que nous expliquons les rap- ports analogues, que dans la nutrition nous avons signalés entre les actions qui font le sang, et celles qui le mettent en œuvre. Si, dès que la conception a eu lieu, l'utérus déve- loppe tous les phénomènes de la grossesse, c'est que l'acte du rapprochement d'abord , puis la présence de l'ovule fé- condé, ont exercé sur cet organe une irritation, ont exalté sa vitalité, appelé en lui plus d'influence nerveuse, plus de sang; d'où le changement de sa texture, son développement graduel, sa dilatation, de manière à pouvoir servir d'asile au fœtus; d'où enfin, à un certain degré de distension, l'établissement de ses contractions pour accomplir l'accou- chement. Si, pendant toute la grossesse et l'allaitement, la menstruation n'a plus lieu, c'est que l'utérus, comme nous venons de le dire, est changé dans sa texture, ses disposi- tions, et que le fœtus consomme alors, soit directement, soit sous forme de lait, la portion de sang que dépensait la menstruation. Par la même raison, la grossesse et l'allaite- ment sont deux états qui , le plus souvent , ne coïncident pas; dès qu'une femme nourrice devient enceinte , la sécré- tion laiteuse se supprime , ou ne produit qu'un lait de mau- vaise qualité. Enfin , la grossesse et l'allaitement, constituant deux fonctions à ajouter à celles qui font faire des pertes au sang, on conçoit qu'elles auront , sur l'état de ce fluide , la même influence que les actions nutritives et sécrétoires; dès lors elles entreront en rapport , en solidarité avec toutes

252 DES CONNEXIONS DES FONCTIONS.

les autres fonctions qui influent sur l'état de ce fluide : souvent les ingestions auront besoin d'être plus copieuses , pour subvenir au surcroît de dépenses; ou bien les sécré- tions seront moindres , et les nutritions et la mesure d'ac- tivité des autres organes seront diminuées. Si , à cet égard, on observe beaucoup de variétés, c'est qu'outre les rapports fonclionnels dont nous traitons exclusivement ici, éclatent beaucoup de rapports sympathiques sur lesquels nous nous taisons, parce qu'ils doivent nous occuper ci-après. En gé- néral , ce mélange de rapports fonctionnels et de rapports sympathiques, a lieu dans presque tous les cas une des parties du corps en modifie au loin plusieurs autres; et il n'est pas toujours facile de faire nettement la distinction des uns et des autres.

§ III. Sensibilité'.

L'bomme , pour l'accomplissement de ses fonctions sen- soriales et de relation, emploie encore plus d'organes que pour sa nutrition et sa reproduction ; et conséquemment les parties qui lui servent à ce but, doivent encore être unies par de nombreux rapports fonctionnels. D'abord, c'est à l'organe qui est le siège du moi, de la volonté , à l'encé- phale , qu'aboutissent toutes les sensations , c'est-à-dire tou- tes les impressions senties que font sur nous, soit les corps extérieurs, soit nos propres organes à l'occasion de leur service. Nous avons vu que toute sensation quelconque, bien que reconnaissant pour base une impression sensitive produite par la partie du corps à laquelle elle est rapportée , nécessitait l'intervention de l'encéphale; et, sous ce rap- port, l'encéphale tient sous sa dépendance toutes les parties sensibles du corps. Dès que cet encéphale est lésé, ou qu'on a lié ou coupé le nerf par lequel une partie communique avec lui, cette partie cesse d'être sensible, c'est-à-dire de donner à l'ame la conscience des impressions, tant externes qu'internes , qu'elle était auparavant apte à lui transmettre. En second lieu, c'est clans ce même encéphale, centre de toutes les sensations , que se produisent toutes les facultés intellectuelles et affectives . ces autres actes sensoriaux aux-

DES RAPPORTS FONCTIONNELS DES ORGANES. 2 53 quels nous devons, d'un côté, toutes les idées qui fondent nos connaissances , et de l'autre , les sentiments qui sont les mobiles de notre vie sociale et morale. Sous ce second rap- port, il n'était pas moins nécessaire que Fencéphaîe tînt sous sa dépendance tous les organes destinés aux fonctions animales, puisque ses opérations spéciales ont toujours trait à des objets du dehors, dérivent des impressions des sens, ou leur font suite, ou consistent en des déterminations qui s'y rapportent. En troisième lieu, c'est encore de l'encé- pbale qu'émanent toutes les volontés; et, sous cet autre point de vue, cet organe se subordonne, non-seulement les muscles par lesquels nous exécutons tout mouvement volon- taire quelconque, maisencore les sens externes, instruments à l'aide desquels nous nous livrons à notre gré ta l'explora- tion de l'univers. Enfin, les opérations intellectuelles, à l'aide desquelles nous idéalisons ou systématisons ce qui n'était auparavant que sensation, sont elles-mêmes suscep- tibles d'être mises en jeu à notre gré, et s'influencent réci- proquement,* les parties cérébrales, qui président à cha- cune, sont unies entre elles, de manière que celle qui actuellement agit, appelle à son aide celles dont elle peut avoir besoin , et les associe à son action. L'encéphale est donc un véritable centre pour toute la vie de relation; et c'est par le système nerveux que sont établis les rapports fonc- tionnels qui l'unissent à toutes les parties qui lui sont sub- ordonnées. L'histoire que nous avons faite dans le temps, des sensations tant externes qu'internes, des actes de la psychologie et des mouvements volontaires, nous dispense d'entrer dans de grands détails. Le moi qui, pour les 'ani- maux supérieurs et pour l'homme, siège dans l'encéphale, d'abord reçoit , par les sens externes , toutes les impressions qui sont relatives aux corps extérieurs, et par les sensations internes . celles qui se développent par des causes inhérentes à l'économie, et qui servent généralement à accuser tous les besoins physiques; il est de même averti par les facultés affectives de tous les besoins sociaux et moraux : alors, pa les facultés intellectuelles , il se fait la notion des causes de tout ce qu'il a senti; il prend à leur égard des détermina-

a54 DES CONNEXIONS DES FONCTIONS,

tions , des volontés, basées sur l'utilité dont elles lui peu- vent être, ou le plaisir qu'elles peuvent lui procurer : enfin il ordonne et fait produire les mouvements par lesquels doi- vent s'accomplir ces volontés. Dans toute cette série d'actes, il y a un enchaînenient aussi irrésistible que dans la série des actes qui effectuent la nutrition ou la reproduction. A la vérité, nous ne pouvons pénétrer le mécanisme de cet enchaînement; mais au moins il est évident que c'est le système nerveux qui en est l'agent, et nous avons toujours accusé notre ignorance sur toutes les actions nerveuses. Celte succession d'actes fait d'ailleurs partie intégrante de l'histoire de la sensibilité et de la locomolilité; et à ces arti- cles, nous avons dit par quelles hypothèses on avait cherché à l'expliquer.

Mais de cet enchaînement forcé entre les fonctions de re- lation , résultent plusieurs rapports fonctionnels relatifs à ces fonctions , qu'il importe de faire connaître. D'abord , on sait qu'à leur égard la vie de l'homme se partage en deux temps ; celui de la veille , pendant lequel elles peuvent être mises en jeu à notre gré; et celui du sommeil , pendant le- quel se réparent les pertes qui ont été faites pendant l'état de veille. Or, de même que dans les fonctions nutritives, il y avait des rapports entre les actes qui faisaient le sang, et ceux qui l'employaient; de même il y en a ici , entre la veille qui cause les pertes, et le sommeil qui les répare. La pre- mière influe, comme nous l'avons dit, sur les époques de retour du sommeil, sur sa fréquence, sa durée, son degré de profondeur ; et , selon que le sommeil a plus ou moins effectué la réparation qu'il a pour objet , la veille qui lui succède est marquée par plus ou moins d'énergie ou de langueur.

En second lieu , il existe un rapport entre les sensations , les sentiments et les idées d'une part, et les mouvements et les expressions de l'autre; comme il en existait un entre les ingestions et les excrétions. Généralement, plus un être est sensible, plus il se meut et plus il exprime. Cela est vrai, non-seulement des diverses espèces animales, mais des di- vers individus d'une même espèce; l'homme, de tous les

DES RAPPORTS FONCTIONNELS DES ORGANES. 2 55

êtres le plus sensible, est évidemment celui qui a le plus de phénomènes expressifs; et certainement aussi, plus la sen- sibilité a en lui d'extension, plus ses phénomènes locomo- teurs et expi'essifs sont multipliés.

Enfin , le balancement que nous ayons signalé entre les diverses sécrétions et nutritions , est encore plus mani- feste entre les fonctions de relation; l'une ne peut pas être exercée avec plus d'activité , sans qu'il ne survienne de la langueur, de la diminution dans toutes les autres. C'est surtout à l'égard de ces fonctions , qui occasionent toutes une certaine dépense nerveuse, qu'on peut dire, que si cette dépense augmente d'un côté , elle diminuera irré- sistiblement de l'autre; comme si le système nerveux n'a- vait qu'une certaine dose de fluide nerveux à consumer , ou qu'une certaine somme de faculté à déployer. Voyez l'athlète; cet être capable des plus grands efforts muscu- laires, a une sensibilité obtuse; quel contraste entre lui et la femme nerveuse , chez laquelle la sensibilité est exaltée à ce point que la plus légère impression amène une syncope, et qui, maigre, desséchée, comme privée de muscles, ne peut supporter la moindre fatigue physique ! dans l'un et dans l'autre , il y a une disproportion dans les fonctions de relation , et les unes n'ont acquis de la prédominance qu'aux dépens des autres. Par la même raison, si une sen- sation quelconque sévit , elle fait taire toutes les autres; et, par exemple, si le cerveau est livré tout entier à ses opéra- tions propres, à des méditations intellectuelles, à des affec- tions , les sensations tant externes qu'internes paraissent moins fortes, et souvent cessent d'être perçues : c'est ainsi qu? Archimède , tout entier à ses travaux, reçoit la mort, sans avoir entendu les pas des soldats qui vont le frapper. Dans quelques cas, cette concentration d'action dans le cer- veau est portée au point de se prolonger quelques heures, un jour, de constituer une maladie; et telle est probable- ment la cause de ces états d'extase, dans lesquels des indi- vidus ont paru quelque temps être sourds à toutes les sen- sations. Au contraire , l'homme accessible à toutes les causes de sensations, peut moins se livrera une méditation

2 56 DES CONNEXIONS DES FONCTIONS,

prolongée; et prompte nient distrait^ la moindre impression l'arrache aux pensées, aux sentiments qui le remplissaient. Cette loi de balancement , qui s'applique à tous les or- ea nés , à toutes les actions organiques , n'avait pas échappé à Hippocrale , en ce qui regarde les sensations : atnbo partes non possunt dolere simul ; ducbus doloribus simul oborlis vehementior obscurcit alterum , a dit ce grand homme; et, sur ce principe , repose l'utilité des applications vésicantes, rubéfiantes , de l'emploi de la douceur comme médicament, dans la pratique de la médecine. Dans ce dernier cas, il y a même un rapport de plus; l'organe qui est le siège de l'ac- tion sensoriaie , de la douleur, devient le siège d'une fluxion nerveuse et sanguine; son système capillaire appelle en lui plus d'influx nerveux et plus de sang ; il devient un centre de fluxion, d'où résulte un effet révulsif et dérivatif; ubi dolor , ibi affluil humor , a dit encore Hippocrate; de sorte que la loi de balancement porte alors à la fois , et sur les phénomènes sensoriaux , et sur les phénomènes purement organiques.

Ainsi peuvent s'expliquer partie des effets qu'une vie toute morale et intellectuelle , ou toute physique , exerce sur la santé générale. Quand on fait prédominer les fonc- tions sensoriaies sur les actes purement physiques , ou les actes physiques sur les opérations morales, il y a oppo- sition dans le degré d'énergie de ces facultés. Toutes choses égales d'ailleurs dans les conditions d'alimentation , de cli- mats, etc., l'homme qui se consume dans de continuels tra- vaux d'esprit, a généralement toutes les fonctions organiques plus languissantes ; la faim est chez lui moins impérieuse , la digestion plus lente et souvent moins parfaite; le corps est moins musclé , moins capable d'efforts musculaires , et accuse moins le besoin de mouvements; la fonction génitale est aussi moins énergique. Mais tandis que les besoins et les fonctions physiques chez lui sont diminués , les fonctions sensoriaies ont la plus grande puissance; l'esprit tente et accomplit les plus grands travaux; son besoin d'agir est tel que le repos lui est impossible ; ses jeux même sont sérieux, et seraient pour d'autres une étude. Au contraire, l'homme

DES RAPPORTS FONCTIONNELS DES ORGANES. ^5? dont la vie est toute physique est bien loin d'avoir la même puissance d'esprit; mais en revanche, il est rarement va- létudinaire; l'habitude extérieure de son corps annonce plus la santé , parce que les fonctions organiques qui en- tretiennent le bon état des organes, se font chez lui avec perfection. Tant il est vrai que les actions sensoriales sont, de tous les actes de la vie , ceux qui coûtent le plus d'ef- forts et causent le plus de dépenses; tant il est vrai qu'on n'acquiert de la supériorité sur un point que par de l'infé- riorité sur d'autres, et qu'au physique comme au moral, l'universalité de puissance est impossible.

Du reste, la double particularité qu'offre le cerveau; d'un côté , d'influer sur l'innervation générale , comme système nerveux supérieur; de l'autre, d'être Je centre au- quel aboutissent toutes les sensations 9 explique plusieurs des rapports qui éclatent entre les fonctions intérieures et extérieures , à l'occasion de sensations vives. Ainsi, quand une forte douleur amène une syncope, c'est que cette dou- leur, retentissant au cerveau, a tout à coup saisi tellement cet organe , qu'il a suspendu tout influx nerveux dans les viscères intérieurs, et particulièrement dans le cœur; c'est le même mécanisme que lorsqu'une affection morale a pro- duit cet effet. Ainsi , quand une forte sensation , celle du coït, ou du chatouillement, jette toute Féconomie dans un état convulsif général, c'est que cette sensation a tellement ébranlé le cerveau , auquel elle aboutit , que celui-ci a pro- pagé l'impression qu'il a reçue, dans toutes les dépendances du système. Ceci nous mène à une troisième loi que nous devons poser ci-après, la loi d'irradiation nerveuse. Enfin, si une sensation forte jette le cerveau dans un état exta- tique prolongé, comme cataleptique, ainsi que le fait la copulation chez certains animaux qu'alors on mutile en vain , et qui paraissent insensibles à toutes les douleurs , c'est que la sensation première se continuant, entretient la concentration nerveuse cérébrale qu'elle avait déterminée d'abord, ou que le cerveau en a reçu un état d'irritation durable qui la prolonge. C'est ainsi que, dans l'explication des différents phénomènes de rapports, il faut avoir égard Tome IV, 17

2 58 DES CONNEXIONS DES FONCTIONS,

à toutes les causes qui les établissent , et les combiner entre elles; car, ainsi que nous l'avons déjà dit, il est peu d'effets simples dans notre économie.

| IV. Expressions.

Enfin , dans cette étude des rapports fonctionnels, rela- tifs à l'accomplissement des diverses facultés de l'homme , il ne reste plus à traiter que des phénomènes d'expression. D'abord , tous ceux qui dans leur production sont dépen- dants de la volonté , se rattachent aux mouvements muscu- laires volontaires ; le mécanisme par lequel les facultés de langage artificiel et de musique les produisent, est le même que celui par lequel la volonté fait produire tout mouve- ment quelconque. Quant à ceux qui éclatent irrésistible- ment, et qui fondent ce que nous avons appelé le langage affectif, ils ont leur cause dans Je système nerveux; ils tiennent à l'union des diverses parties de ce système avec un centre, et à l'aptitude qu'ont, d'un côté , ces parties de transmettre au centre les impressions qu'elles reçoivent , et de l'autre , ce centre de réfléchir ces impressions jusque dans les dernières ramifications. En effet, le système ner- veux forme un tout continu; et quand une forte action se passe dans un de ses points , cette action retentit plus ou moins, d'abord dans le centre cérébral, ensuite, par l'in- termédiaire de ce centre , dans tout le reste du système; et conséquemment elle va modifier les parties auxquelles sont les diverses terminaisons des nerfs. L'ignorance dans la- quelle on est sur l'essence de toutes les actions nerveuses , ne permet pas qu'on sache davantage comment se fait cette irradiation; mais il est certain qu'elle a lieu. Bien plus, chaque partie cérébrale correspond sous ce rapport à cer- taines parties déterminées, leur imprime des modifications diverses selon l'affection qu'elle éprouve; et il y a quelque chose d'absolu dans la manière dont chaque partie répond à l'impression qui lui arrive du centre; c'est de que résulte la spécialité des mimiques. On peut établir, comme règle générale, que toute sensation modifie le système entier, mais

DES RAPPORTS SYMPATHIQUES , OU DES SYMPATHIES. 25g d'autant plus qu'elle est plus forte. Voyez l'impression sen- sitive la plus faible, elle s'accompagne irrésistiblement de quelques phénomènes expressifs éloignés : les phénomènes sont déjà plus marqués à la suite de l'exercice, même mo- déré, des facultés intellectuelles et affectives; enfin , quand ces dernières facultés .sont à un haut degré d'activité et constituent des passions, alors l'économie entière est au loin toute troublée. 11 en est de même, lorsqu'il existe des douleurs physiques fortes et prolongées. Ainsi , toujours des modifications générales surviennent irrésistiblement à la suite de tout phénomène sensitif , et sont proportionnelles au degré d'intensité de ce phénomène. Ainsi , toute impres- sion va , du point elle éclate d'abord, retentir au cer- veau, centre de réunion de toutes les impressions sensi- tives, puis, du cerveau, parcourir toutes les ramifications du système, et à ses extrémités modifier irrésistiblement tous les organes. A la vérité, quelques-uns de ceux-ci sont plus disposés que d'autres à être modifiés par ces irradia- tions ; tels sont , les muscles de la locomotion , de la respiration, de la voix, de la physionomie; certains organes sécréteurs, ceux des larmes, par exemple; le cœur; en général tous les organes que nous avons vus produire des phénomènes expressifs; mais l'impression va de même re- tentir jusqu'aux points les plus reculés de l'organisation.

Or, cette transmission des impressions d'un point quel- conque du système nerveux aux autres points de ce système, et qui explique la production de tous les phénomènes ex- pressifs affectifs, fonde une autre loi du système nerveux, non moins évidente que celle du balancement que nous avons déjà posée , qui concourt avec elle à la production des divers phénomènes de rapport, et qu'on peut appeler la loi d'irradiation. Par elle s'expliqueront les effets funestes des passions. Les désordres que les passions amènent dans les organes intérieurs les plus étrangers à la vie animale , tiennent en effet à la même irradiation nerveuse, qui fait produire les phénomènes expressifs irrésistibles dont ces passions s'accompagnent; seulement les effets de cette irra- diation sont alors plus intenses, et portés au point de con-

260 DES CONNEXIONS DES FONCTIONS,

stituer un état morbide. Non-seulement cette irradiation a lieu lors de la production de phénomènes sensoriaux; non-seulement, comme dans le cas des passions, elle va du système cérébro-spinal au grand sympathique, et con- sécutivement à une impression cérébrale, trouble la vie organique; mais elle a lieu aussi lors de la production de phénomènes purement organiques, et peut procéder dans un ordre inverse, du grand sympathique au cerveau. De même qu'une affection de l'ame , du centre cérébral elle a son siège, avait irradié dans tout le système, et perturbé les fonctions intérieures ; de même une irritation , même non perçue, des organes intérieurs, une impression locale du grand sympathique, irradie au cerveau , et amène la perversion d'action de cet organe. C'est ainsi, que consécu- tivement à l'existence de vers dans les intestins, et à Firri- "tation qui en résulte, surviennent des convulsions chez les enfants. Cette troisième loi fonde une nouvelle source de rapports entre les divers organes du corps , et surtout entre ceux chargés des fonctions sensoriales, et ceux qui accom- plissent les fonctions nutritives : à cette loi doivent être rap- portés plusieurs des effets qui résultent de l'exercice abusif et disproportionné des organes, et les influences du physique sur le moral et du moral sur le physique : à elle, enfin, doivent être rattachés les rapports sympathiques auxquels sa détermination nous conduit , et dont nous allons traiter maintenant.

CHAPITRE III.

Des Rapports sympathiques , ou des Sympathies,

Outre les rapports mécaniques et fonctionnels que nous venons d'exposer, il existe encore entre les diverses parties du corps humain des liens d'un troisième ordre, qui ne sont ni moins nombreux ni moins importants que les pré- cédents, sur la cause organique desquels on est encore dans l'ignorance, mais qui évidemment au moins sont autres £|ue ceux dont nous venons de traiter. Ce sont ceux qu'on

DES RAPPORTS SYMPATHIQUES, OU DES SYMPATHIES. 2B1 appelle sympathiques. On nomme sympathie , rapport sym- pathique, la modification qui survient dans un ou dans plusieurs organes éloignés , à l'occasion de l'impression reçue par un autre, sans que cette modification soit par- tagée par les organes intermédiaires, et puisse être rapportée aux connexions mécaniques des parties, ni à l'enchaîne- ment naturel des fonctions. Une titillation de la luette, par exemple, excite la nausée, l'envie de vomir; évidem- ment la modification que cette irritation de la luette dé-* termine dans l'estomac, ne frappe pas les organes intermé- diaires à ces deux parties, et n'est explicable par aucuns rapports mécaniques ni fonctionnels; c'est une sympathie. Il éclate dans l'état de santé , encore plus dans l'état de ma- ladie , beaucoup de rapports de ce genre , entre les diverses parties du corps humain ; et c'est de ces rapports dont nous allons traiter maintenant.

L'histoire des sympathies est un des points les plus obscurs de la physiologie ; et l'on peut donner de cette ob- scurité les trois raisons suivantes : Les auteurs ont sou- vent compris sous ce nom toutes les connexions quelconques qui existent entre les organes, sans en séparer les rapports mécaniques et fonctionnels. C'est ainsi que Barthez , tom- bant en contradiction avec la définition judicieuse qu'il avait donnée lui-même des sympathies , et que nous allons citer ci-après, rattache à ce genre de rapports, jusqu'à la gangrène qui survient dans la partie dont on a lié tous les vaisseaux; c'était évidemment confondre avec les sympathies un phénomène de rapport fonctionnel. 20 Pendant long- temps on admit , pour expliquer les phénomènes de la vie, des forces occultes, indépendantes de l'organisation; et, attribuant tous les rapports qui éclatent entre les organes à l'influence de ces forces dites vitales , à leur transport d'une partie à une autre 3 à leur concentration sur une partie pendant qu'elles abandonnaient les autres , on négligea la recherche des conditions matérielles de tous ces rapports* Mais , de même qu'il n'y a point d'effets sans cause , de même il n'y a rien dans l'économie animale qui ne soit dé- pendant de l'organisation; cette organisation particulière-

262 DES CONNEXIONS DES FONCTIONS,

ment contient en elle la raison des sympathies; et c'est un tort de dire, avec TVhitt , avec M. Roux, que ce genre de lien est complètement indépendant de toute disposition or- ganique. 3° Enfin , la cause organique des sympathies n'est pas encore bien approfondie, et il faut avouer que nos con- naissances sur ces sympathies se bornent, jusqu'à présent, à savoir moins ce qu'elles sont que ce qu'elles ne sont pas.

De ces trois causes auxquelles nous attribuons l'obscurité qui règne sur ce point de la science, la dernière tient à l'es- sence même de la chose, et ne peut être levée à notre gré. Il n'en est pas de même des deux autres ; elles consistent en un mode vicieux d'étude, et par conséquent, on peut s'en affranchir. Pour cela, il faut séparer soigneusement des sympathies tous les rapports mécaniques et fonctionnels dont nous avons traité dans les deux chapitres précédents , et n'appeler de ce nom que les rapports qui évidemment ne sont ni mécaniques , ni fonctionnels. Dans l'impossibilité l'on est dans l'état actuel de la science, de dire sûre- ment en quoi consistent les sympathies , il faut se borner à dire ce qu'elles ne sont pas, et signaler par voie d'exclusion les phénomènes de consensus qui doivent leur être rap- portés. C'est pour n'avoir pas fait cette distinction, et pour avoir confondu, sous le nom de sympathie, tous les rapports que présentent les organes, que les auteurs sont tant dissi- dents sur la cause organique qu'ils assignent à ces sympa- thies; les uns les attribuant à telle cause , les autres à telle autre, chacun pouvant citer quelques faits à l'appui de son système , chacun aussi étant arrêté par quelques objections, et aucun ne pouvant appliquer son hypothèse à tous les phénomènes. Par exemple, Haller assignait six causes aux sympathies; la communication des vaisseaux; celle des nerfs; la continuité des membranes; celle du tissu cellu- laire; l'intervention de la partie centrale du système ner- veux, c'est-à-dire du cerveau; et enfin une analogie de structure et de fonctions dans les parties qui présentent des rapports. Qui ne voit, que cette doctrine de Haller n'est fondée qu'autant que l'on comprend sous le nom de sym- pathie tous les rapports quelconques qu'on observe entre

DES RAPPORTS SYMPATHIQUES , OU DES SYMPATHIES. a63 les organes; mais qu'elle cesse de l'être, quand on n'a plus égard qu'aux rapports purement sympathiques ? Ceux-ci , eu effet, ne peuvent reconnaître qu'un même système or- ganique, probablement le système nerveux, et qu'un même mécanisme , probablement la loi d'irradiation nerveuse , comme nous le dirons ci-après.

Du reste , plusieurs physiologistes avaient senti la néces- sité de la distinction que nous recommandons, et avaient déjà considéré les sympathies comme nous venons de le faire. Nous citerons entre autres Barthez, qui les définit : L'affec- tion d'un organe éloigné, à l'occasion d'une impression reçue par un autre organe, sans que cette succession puisse être attribuée au hasard, au mécanisme des organes, ni à leur concours d'action dans une forme générique de fonc- tion ou d'affection du corps vivant. C'était, comme on voit, suivre une méthode d'exclusion; et certes, on a lieu d'être surpris, quand on voit Barthez , après une définition aussi précise , comprendre parmi les sympathies des faits qui évi- demment tiennent à des rapports mécaniques et fonction- nels, et au contraire rejeter du rang des sympathies des faits évidemment svmpathiques, sous le prétexte que ces faits concourent à l'accomplissement d'une même fonction. Nous avons cité plus haut un exemple du premier de ces torts; et, quant au second, il tient à la distinction inutile que faisait Barthez de la synergie et de la sympathie. Il appelait synergie le concours , le concert d'actions simulta- nées ou successives de divers organes, pour l'accomplisse- ment d'une même fonction , et constituant par leur concert cette fonction; et il appelait sympathie , la modification survenant, soit en santé, soit en maladie, dans une partie, consécutivement à l'impression reçue par une autre, mais sans qu'il y ait dans l'action de ces parties unité de but. Ainsi, la puissance qu'a le rectum de déterminer, lors du besoin de la défécation , la contraction du diaphragme, était une synergie et non une sympathie, ces deux actes concou- rant à constituer la forme propre d'une même fonction, la défécation; et au contraire, les envies de vomir, les nau- sées qui surviennent dans les premiers mois de la grossesse ,

2 64 DES CONNEXIONS DES FONCTIONS,

comme ne concourant pas à la formation générique de cette dernière fonction, étaient des pliénomènes sympa thiques. Nous croyons Cette distinction sans importance ; dans les deux cas , le rapport est d'un même genre , a la même nature, tient à l'irradiation nerveuse qui se fait d'une partie sur une autre, soit directement, soit par l'intermé- diaire du cerveau; il n'y a que des différences du plus au moins; et tout ce qu'oïl peut en conclure, c'est que sou- vent les rapports sympa tliiques sont établis nécessairement et pour l'exercice régulier des fonctions.

Cette dernière proposition est en effet de toute évidence; souvent c'est en vertu de rapports sympathiques, que des organes divers et assez distants les uns des autres, associent leur action pour l'accomplissement de la fonction commune à laquelle ils sont destinés ; la cause qui provoque à l'action ne porte que sur un de ces organes, et aussitôt les autres agissent, sans que la corrélation puisse se concevoir méca- niquement et par l'enchaînement des fonctions. C'est ainsi qu'une impression reçue par la rétine détermine l'action de la membrane iris; que selon que la luette reçoit de l'a- liment une impression favorable ou défavorable , l'estomac se dispose à bien recevoir ou rejeter cet aliment , etc. On ne peut dès lors avec Bichat définir les sympathies une aber- ration, un développement irrégulier des propriétés vitales '. outre que cette définition rappelle la philosophie des causes occultes, que nous avons dit nuire à la science en détour- nant par des abstractions de la rechercbe des faits positifs, elle pèche en méconnaissant que les sympathies sont con- stantes, et entrent dans le plan de l'économie. Ceci est Vrai , même de celles qui n'éclatent que dans l'état de ma- ladie; les sympathies morbides sont elles-mêmes des résul- tats des connexions primitivement établies entre les diverses parties du corps humain ; il n'y a pas plus de phénomènes irréguliers dans Féconomie animale, que dans la nature gé- nérale; tous accusent un enchaînement rigoureux de causes et d'effets.

Toutefois, le sens que nous attachons au mot sympathie tétant fixé, et ce genre de rapport étant ainsi nettement sé^

DES RAPPORTS SYMPATHIQUES, OIT DES SYMPATHIES. 2 65 paré de ceux que nous avons étudiés, il s'agit d'énumérer tous les rapports sympathiques que présente l'économie ani- male, de rechercher quel système organique en est l'agent, et par quel mécanisme ce système les établit. Sans doute, nous ne devons encore envisager dans cette recherche que l'état de santé; cependant nous interrogerons davantage ici l'état de maladie, parce que les phénomènes sympathiques y sont, ou plus manifestes, ou plus nombreux.

Les rapports sympathiques sont fort nombreux dans le corps humain ; et tantôt ils ont pour but évident d'associer le jeu de plusieurs organes pour l'accomplissement d'une même fonction; tantôt ils n'ont pas cette unité de but, et sont de véritables perturbations et modifications de fonc- tions, survenues consécutivement à l'action de quelques or- ganes éloignés.

Souvent on observe des liens sympathiques entre des parties d'un même organe, afin que l'action de ces parties s'associe pour l'accomplissement de la fonction à laquelle l'organe entier préside. Ainsi , un rapport sympathique unit l'iris à la rétine, de sorte que, selon l'impression que la lumière fait sur celle-ci , l'iris règle la dimension de la pu- pille , et, par suite, la quantité de lumière qui pénètre dans l'œil. Ce rapport est si évidemment sympathique, que le contact direct de la lumière sur l'iris, n'a pas, sur le jeu de cette membrane, une influence égale à celle que déter- mine l'impression reçue par la rétine. De l'usage en mé- decine pratique, de juger par la mobilité de la pupille, du degré de sensibilité de la rétine. Un semblable rapport existe probablement dans l'organe de louie, entre le nerf acousti- que et l'appareil qui fait mouvoir les osselets et varier la tension des membranes du tympan et de la fenêtre ovale; mais la profondeur de ces parties, qui sont toujours sous- traites à nos regards, ne permet pas qu'on soit aussi sûr de ce rapport sympathique que du précédent.

Des rapports sympathiques s'observent entre des par- ties diverses de membranes continues : par exemple, l'im- pression que l'aliment, lors de la déglutition, fait sur la luette, retentit jusque dans l'estomac; et celui-ci, d'après

26G DES CONNEXIONS DES FONCTIONS,

le caractère de cette impression , accuse , par un sentiment de bien-être ou par celui de la nausée, qu'il se dispose à bien recevoir l'aliment ou à le rejeter. Ce que fait ici la luette r toute partie d'inteslin le fait également, si accidentellement elle est le siège d'une irritation quelconque; et, par exem- ple, le pincement d'une portion intestinale dans une hernie étranglée, détermine aussi le hoquet , des envies de vomir, des vomissements, etc. Il y a plus : ce genre de rapport s'é- tend peut-être plus loin encore; peut-être que, par cela seul que le coUtact des aliments dans la bouche active, les sécrétions de cette cavité, sont augmentées aussi les sécré- tions des autres parties du canal intestinal. On n'en a pas une preuve directe, mais quelques sympathies pathologiques portent à le croire : par exemple, l'irritation des gencives occasione souvent une diarrhée: et vice versa, une irrita- tion de l'intestin, par la présence des vers, détermine des douleurs de gencives, le prurit du nez. Dans ces cas, évi- demment l'impression reçue par une partie de la membrane, a été portée dans le reste de son étendue, et a surtout re- tenti dans un point de sa surface. Or, pourquoi ce qui s'est fait alors en plus ne se ferait pas de même , mais en moins, dans l'état normal? Hunter appelait ces sympathies, sym- pathies de continuité. La membrane muqueuse digestive n'est pas la seule il en existe; on en voit aussi dans les autres muqueuses; on sait, par exemple, que l'irritation de la muqueuse de la vessie, parla présence d'un calcul ou par toute autre cause, détermine une douleur et un sentiment de prurit au gland. Cette sympathie pathologique prouve- rait-elle qu'il existe dans l'appareil urinaire , entre la vessie et le gland , un rapport sympathique du genre de celui qui unit dans l'appareil digestif la luette et l'estomac, mais à un degré moins prononcé ?

A ces sympathies de continuité rapporterons-nous le lien qui s'observe entre les orifices excréteurs et leurs glandes ? Bichat a fait voir que l'irritation, appliquée aux orifices d'un canal sécréteur, excite l'action sécrétoire de la glande dont ce canal émane : la présence des aliments dans la bou- che, par exemple, en irritant les orifices des conduits de

DES RAPPORTS SYMPATHIQUES , OU DES SYMPATHIES. 267 Stenon, de Warthon et de Rivinus , active la sécrétion sali- vaire ; celle du chyme dans le duodénum agit de même sur les sécrétions biliaire et pancréatique , etc. Ces faits doivent- ils être considérés comme des sympathies ? Je ne le crois pas ; on peut les concevoir, en admettant que l'irritation éprou- vée, par l'orifice excréteur s'est propagée, par l'intermédiaire des nerfs etsans interruption, jusqu'aux origines du système sécréteur, par conséquent jusque dans le parenchyme de la glande , et dès lors en a excité le travail ; ceci rentre dans les rapports fonctionnels : c'est comme si l'on appelait sympathi- ques, les contractions qui surviennent dans les muscles qui re- çoivent les rameaux d'un même tronc nerveux que l'on irrite»

Outre ces sympathies de continuité dont nous venons de parler, Hunier appelait sympathies de contiguïté, les rapports sympathiques qu'on observe entre des parties qui sont immédiatement contiguës; par exemple , entre la mem- brane interne du cœur et le tissu musculeux de cet organe , entre les membranes muqueuses et la couche muscnleuse a laquelle ces membranes sont unies , entre la peau et le panni- cule charnu quand celui-ci existe On sait qu'à peine le sang a touché ]a membrane internedu cœur, que le tissu musculeux de cet organe se contracte. Peut-être ne voudra-t-onvoirence fait qu'un rapport fonctionnel? Peut-être dira-t-on que les nerfs qui pénètrent la membrane interne et le tissu muscu- leux, sont les mêmes, ou du moins si unis que 1 impres- sion , dès l'instant qu'elle a été reçue par la membrane, doit aussitôt être propagée au tissu musculeux. Mais ce qui prouve que le rapport est sympathique , c'est que Bichat et Nysten ont expérimenté qu'une irritation directe du tissu musculeux du cœur, n'a jamais autant d'influence que celle de la membrane qui le tapisse. Il y a un semblable lien entre les membranes muqueuses et les membranes muscu- leuses qui leur sont susjacentes; selon l'impression que les premières ont reçu , les secondes se contractent plus ou moins : dans l'estomac, selon l'impression que la muqueuse reçoit de l'aliment , la muscnleuse se dispose à conserver cet aliment ou à le rejeter par le vomissement; à mesure que cet aliment arrive, elle lui applique doucement les parois

26$ DES CONNEXIONS DES FONCTIONS,

de l'organe , de sorte que la distension du. viscère n'est point passive; enfin elle décide quel caractère aura le mouvement depéristole, et si ce mouvement fera séjourner encore l'ali- ment dans l'estomac, ou travaillera à l'en expulser. Le py- lore, comme on l'a vu, joue ici un grand rôle; et par une influence sympathique spéciale , il est à la musculeuse de l'estomac , ce que la luette est aux muscles de la déglutition. De même, l'impression reçue par la membrane muqueuse du rectum , par celle de la vessie , détermine la contraction des fibres musculeuses de ces organes. En vain , pour expliquer fonctionnellement ces rapports, on arguera de l'union in- time qui existe dans ces organes , entre les couclies muqueuse et musculeuse; en vain, dira-t-on que ce sont les mêmes nerfs qui passent de l'une à l'autre, et que dès lors l'impres- sion stimulante est reçue par les deux couches à la fois , ou au moins promptement propagée de l'une à l'autre : encore une fois , ce qui prouve que ces rapports sont sympathiques , c est que jamais ces couches musculeuses ne se contractent aussi fortement par une stimulation directe que par la sti- mulation de la couche muqueuse qui les tapisse.

Des liens sympathiques aussi incontestables s'obser- vent entre les organes divers , et souvent fort éloignés , d'un même appareil , pour faire coopérer tous ces organes à l'ac- complissement d'une même fonction. Plusieurs des sympa- thies déjà citées rentrent dans la catégorie de celles que nous indiquons ici , ce que nous avons présenté comme étant des parties d'un même organe, étant bien plutôt des organes divers, mais appartenant à un même appareil. Ainsi, nous avons parlé du lien existant entre la luette et l'estomac. Dans l'appareil génital , quelle évidente counexion sympathique entre l'utérus et les mamelles! C'e-ot à l'âge auquel l'utérus se développe et commence sa fonction menstruelle , que les seins se développent aussi : quand la vieillesse flétrit l'uté- rus, elle frappe de la même flétrissure les mamelles; lors- que, pour l'excrétion menstruelle, la vitalité de l'utérus s'exalte , les seins se gonflent , deviennent plus sensibles ; ces mêmes organes enfin se ressentent des fonctions génitales utérines, car ils s'érigent clans le coït , et c'est le travail de

DES RAPPORTS SYMPATHIQUES, OU DES SYMPATHIES. 269 la grossesse et de l'accouchement qui , sympa thiquement , leur imprime l'excitation dont ils ont besoin pour accomplir leur action secrétaire. À la différence de ce qui est dans plu- sieurs autres phénomènes sympathiques , le rapport ici est réciproque, et une impression irradie des mamelles à l'uté- rus , comme de l'utérus aux mamelles.

C'est encore une sympathie, que le lien qui unit la membrane muqueuse des organes d'ingestion ou d'excrétion, et les muscles qui forment les parois des cavités splanehni- ques dans lesquelles ces organes sont contenus : dès que ces organes sont touchés par la matière à ingérer, ou accusent le besoin d'excrétion, sympathiquement se contractent les muscles qui peuvent exercer sur eux une pression favorable , et aider la fonction; ces muscles, fussent-ils primitivement volontaires, sont souvent alors mis en jeu, indépendam- ment de toute volonté. Voyez le bol alimentaire; à peine a-t-il touché la luette et l'entrée du pharynx, que sympa- thiquement agissent tous les muscles qui doivent exécuter la déglutition. Quand le rectum développe la sensation de la défécation, et se contracte pour effectuer cette excrétion, sympathiquement se contractent les muscles de l'abdomen , et tous ceux que nous avons vu agir pour les expulsions. On dira peut-être que la coïncidence que nous remarquons ici n'est pas due à un lien sympathique , mais à l'influence de la volonté ; qu'instruits par l'instinct du secours dont peut être à l'excrétion l'action de ces muscles, alors nous les mettons en jeu. Cela est vrai , quand la défécation n'est pas difficultueuse , et que la sensation qui en mai^que le besoin, est peu vive; mais quand les conditions contraires se ren- contrent, la contraction musculaire est si bien irrésistible, et partant sympathique, qu'on ne peut s'empêcher de l'ef- fectuer. D'ailleurs, pour admettre le caractère sympathique de la contraction, on a l'analogie des autres excrétions : dans le vomissement , n'est-ce pas involontairement et sympathi- quement, qu'à la swite de l'impression développée par la muqueuse de l'estomac , le diaphragme et les muscles abdo- minaux se contractent? et peut-on nier un lien sympathi- que entre l'estomac et ces muscles sous ce rapport ? Dans

270 DES CONNEXIONS DES FONCTIONS,

l'appareil respiratoire , les liens sympathiques entre la mem- brane muqueuse de l'appareil , et les muscles respirateurs , sont encore plus évidents. Souvent , à la vérité , c'est la vo- lonté qui , consécutivement à l'impression reçue , ordonne les mouvements respirateurs; mais souvent aussi ces mouve- ments sont involontaires, et partant sympathiques , comme lorsqu'une irritation de la muqueuse nasale détermine Y été mue ment ; lors qu'une irritation de la muqueuse pul- monaire provoque la toux, le bâillement , etc. Enfin, le rapport sympathique que nous mentionnons ici éclate avec toute évidence dans l'accouchement, lorsque l'utérus ap- pelle irrésistiblement à son aide le secours de tous les mus- cles qui servent aux expulsions.

Est-ce à un rapport sympathique que doivent être at- tribués, l'harmonie qu'on observe dans les mouvements des yeux , le balancement en sens inverse l'un de l'autre que présentent les membres supérieurs lors de la progression? et faut-il établir en règle générale une connexion sympathi- que, entre ceux de nos organes qui sont pairs? L'exemple pris des yeux est insuffisant : il y a nécessité, pour la net- teté de la vision , que les rayons lumineux aboutissent à des points correspondants des deux rétines, et soient, autant que possible , dans la direction de l'axe optique; les muscles oculaires dès lors doivent placer convenablement les yeux pour ce résultat; et, ces muscles ayant une fois pris l'habi- tude de se mouvoir en harmonie , les yeux offriront désormais une correspondance constante dans tous leurs mouvements, L'exemple pris des membres supérieurs ne prouve pas da- vantage ; leur balancement est l'effet, ou de l'impulsion mécanique que chacun reçoit du membre inférieur qui est de son côté, ou de la tendance qu'ils ont à se mouvoir in- stinctivement, en guise de balancier, pour maintenir la ligne de gravité dans la base de sustentation. Quelques faits pathologiques sont plus favorables au rapport sympathique que nous mentionnons ici. Une dent est-elle cariée ? souvent la dent analogue de l'autre côté se carie aussi. Y a-t-il en- gorgement d'une parotide à droite ? souvent la parotide gauche s'engorge aussi. Il est assez fréquent de voir, dans les

DES RAPPORTS SYMPATHIQUES, OU DES SYMPATHIES. 271 organes pairs , la maladie qui a affecté celui d'un des côtés du corps, envahir de même celui de l'autre côté. Mais cette sympathie peut tenir à l'analogie de texture et de fonction des deux organes, et par conséquent rentre peut-être dans la suivante.

70 Une sympathie, en effet, qui est signalée par tous les auteurs , est celle qui unit les organes dont la structure et les fonctions sont analogues. Une dartre survient à une région de la peau, et d'autres régions de cette membrane ont tendance à en développer aussi. Une phlegmasie rhu- matismale ou goutteuse saisit une partie du système muscu- laire ou fibreux , et par suite elle se répète successivement dans toutes les autres parties de ces systèmes. Un ganglion lymphatique s'engorge, et tous les autres ganglions ont ten- dance à le faire. Un des faits sympathiques de ce genre le plus curieux, est celui rapporté par Barthez , d'après The- den ; un malade avait le bras droit paralysé, on appliqua sur ce bras un vésicatoire qui n'agit que sur le lieu corres- pondant de l'autre bras : le bras gauche s'étant à son tour paralysé , on y appliqua aussi un vésicatoire , mais qui n'agit encore que sur le point correspondant du premier bras. Voyez avec quelle facilité les phlegmasies des membranes muqueuses se propagent d'une de ces membranes à une au- tre ! C'est sur ce genre de sympathie que M. Broussais a fondé cette loi pathologique, que lorsqu'une irritation existe depuis long- temps dans un organe, les tissus analogues à celui qui souffre sont disposés à contracter les mêmes affec- tions. Remarquons, à cet égard, que cette condition d'ana- logie, dans la structure et les fonctions, est susceptible d'une assez grande latitude. Des organes peuvent être ana- logues sous quelques rapports, et différents sous d'autres; et alors ils pourront sympathiser à certains égards, et ne pas le faire à d'autres. La peau et les reins, par exemple, n'ont d'analogie que comme organes sécréteurs, et sympa- thiseront sous ce rapport; tandis que la peau et la mem- brane muqueuse gastro-intestinale, ayant des analogies bien plus nombreuses, toutes deux étant des surfaces de rapport, des organes sécrétoires , le siège de sensations, présenteront

272 DES CONNEXIONS DES FONCTIONS.

des sympa thies plus nombreuses et plus constantes. Avec quelle facilité les phlegmasies cutanées sont répétées par la membrane muqueuse intestinale!

De même que des liens sympathiques avaient associé les parties d'un même organe, les divers organes d'un même appareil, lorsque ces parties, ces organes devaient concourir à l'accomplissement d'une même fonction ; de même , de sem- blables liens unissent les divers appareils qui peuvent s'aider dans l'exercice de leur fonction , par exemple , remplir les uns par rapport aux autres des offices explorateurs. Ainsi , le goût, l'odorat, sont-ils frappés par l'impression agréable ou désagréable d'un mets ? aussitôt sont influencés sympa inique- ment tous les organes de la digestion ; la sécrétion salivaire s'active ou se tarit; le pbarynx se dispose à effectuer ou em- pêcher la déglutition ; l'estomac développe la sensation du désir de manger , ou celle de la nausée , etc. Il en est de même delà vue, et même du seul souvenir : si l'on voit, ou si l'on se représente , par la mémoire ou l'imagination, un aliment agréable , aussitôt la salive afflue dans la bouche, et l'appétit est excité. Le rapport inverse a lieu également; et, dès que l'estomac est suffisamment plein , les sens du goût , de l'odo- rat , de la vue , cessent de trouver aux aliments le caractère d'agrément qu'ils leur avaient trouvé d'abord. Ce que nous disons ici de la digestion, est applicable aux autres fonctions qui exigent un rapport avec l'extérieur, et par conséquent l'emploi des sens , à la génération , par exemple : les sens externes sont-ils impressionnés par des objets qui ont trait à l'exercice de cette fonction ? l'imagination s'arrête-t-elle sur les idées qui s'y rattachent? aussitôt le désir est éveillé, et les organes génitaux éprouvent l'orgasme qui annonce la disposition à l'accomplissement de la fonction : au contraire , la fonction a-t-eîle été accomplie ? les sens externes et l'es- prit cessent de trouver du charme aux objets qui avaient d'abord séduit.

Dans tous les rapports sympathiques précédents 3 Ja connexion a paru faire partie de l'ordonnance même des fonctions; elle associait les diverses parties d'un même or- gane, les divers organes d'un même appareil, les divers ap-

DES RAPPORTS SYMPATHIQUES , OU DES SYMPATHIES. 273

s

pareils, pour les faire coopérer à l'accomplissement d'une même action; elle fondait ce que Barihez appelait des syn- ergies. Il est enfin des sympathies d'un dernier ordre, qui n'offrent plus cette unité de but, mais dans lesquelles des organes, consécutivement à l'impression qu'ils reçoivent , à l'action à laquelle ils se livrent, modifient plus ou moins des organes éloignés , irradiant sur eux une stimulation ou favorable ou perturbatrice. L'estomac, par exemple, en offre de ce genre; cet organe ne peut souffrir ou agir, sans être un point de départ d'irradiations diverses sur presque toute l'économie : souffre-t-il la faim ? toutes les fonctions sont languissantes : au contraire , des aliments lui sont-ils four- nis, ou même seulement un pur cordial, un tonique, un verre devin? aussitôt tous les organes décèlent une éner- gie nouvelle. Dans les deux cas, les effets ne peuvent être attribués à l'état du sang, et par conséquent à des rap- ports fonctionnels. En effet , lorsqu'on ne mange pas , et qu'en même temps la faim ne sévit pas , la faiblesse des organes est bien moindre que si, lors de l'abstinence., la faim se fait sentir; et, d'autre part, la vigueur nouvelle qu'on éprouve après avoir mangé , est ressentie immédiate- ment après la préhension des aliments, long- temps avant que ces aliments soient changés en sang, lors même que ces aliments sont insuffisants pour effectuer cette réparation, et ne constituent qu'un stimulant gastrique. Il est donc cer- tain que., lorsque l'estomac agit, ce viscère envoie dans tous les organes du corps, plus ou moins loin, des irradiations qui diffèrent selon le caractère et la mesure de son action.

Plusieurs organes, autres que l'estomac, sont évidemment dans le même cas , et ne peuvent agir sans modifier par irra- diation un nombre plus ou moins grand de parties éloi- gnées; l'utérus, par exemple. On a même dit que cela était de tous les organes du corps, mais dans une mesure propor- tionnelle à la prédominance , à l'importance de la fonction à laquelle ils se livrent : d'où il résulterait que le degré d'ac- tivité de toute fonction tiendrait, d'abord à la vitalité in- trinsèque de l'organe propre de cette fonction, ensuite à la stimulation que produiraient en cet organe les irradiations Tome IV. ,8

3 74 DES CONNEXIONS DES FONCTIONS,

qu'il recevrait de toutes les autres parties du corps, à l'oc- casion de leur travail. On convenait bien que , pour beau- coup d'organes , ces irradiations ne sont pas manifestes : mais on disait que c'était parce qu'elles étaient peu intenses; ou parce qu'émanant d'organes dont les fonctions sont conti- nues, elles sont elles-mêmes continues, et par conséquent inaperçues ; et parce qu'enfin , dans les deux cas , leurs effets se confondent avec ce qui tient à la vitalité propre des or- ganes. On arguait de l'état de maladie, dans lequel ces ir- radiations sympathiques deviennent évidentes; et l'on éta- blissait que ce qui se fait en plus dans cet état , a lieu aussi 3 mais en moins , dans l'état de santé. Peut-être cette dernière proposition est-elle un peu hasardée; mais au moins il est certain que beaucoup d'organes en santé , et tous en certains cas de maladie, exercent des influences sympathiques du genre de celles dont nous parlons ici. Or, pour signaler ces sympathies, il suffit d'avoir égard aux considérations suivan- tes : l'examen comparatif des âges; la comparaison de l'état d'action avec l'état d'inaction des organes dont les fonctions sont intermittentes; celle des divers degrés d'activité des fondions; celle des tempéraments; et l'examen de l'état de maladie. En interrogeant chacune de ces circonstances, nous mettrons en évidence tous les rapports sympathiques de ce dernier ordre.

A. Souvent, dans la succession des âges, des organes jus- qu'alors peu développés et inactifs, tout à coup crois- sent et entrent en action. Or, si ces organes sont le point de départ d'irradiations sympathiques générales ou spé- ciales , les parties qui sont le terme de ces irradiations prennent plus de développement elles-mêmes, ou décèlent plus d'activité; et, comme alors un état nouveau succède à celui qui précédait, les rapports sympathiques sont mani- festés. C'est ainsi qu'à l'âge de la puberté , le développement soudain de l'appareil génital retentit plus ou moins dans toute l'économie , imprime à toutes les parties plus de vi- gueur, fait croître sympathiquement le larynx surtout, et certaines dépendances du système pileux. Il est vrai qu'on peut attribuer une partie des changements qui surviennent

DES RAPPORTS SYMPATHIQUES, OU DES SYMPATHIES. 275

à cet âge, à l'état nouveau dans lequel est le sang , par suite de la sécrétion nouvelle qu'alimente alors ce fluide , la sécré- tion du sperme dans le sexe mâle, et celle des ovules dans le sexe femelle. Mais, sans nier que l'état nouveau dans lequel est alors le sang, n'ait aussi sa part d'influence dans les changements survenus dans toute l'économie , lors du déve- loppement soudain de l'appareil génital, il est certain que cet appareil a concouru aussi à les produire par irradiation sympathicfue. Que de fois, en effet, les organes génitaux agissent ainsi ! cela n'est-il pas évident , par exemple, pour l'utérus, quand il exerce ses fonctions de menstruation , de grossesse ou d'accouchement? et de ces cas, l'irradiation sympathique est évidente , ne peut-on pas conclure au cas de la puberté, le développement brusque qu'éprouvent alors les organes génitaux équivalant à leur mise en jeu ? Aussi bien que l'âge de puberté, nous pouvons citer Ykge dit cri- tique, cet âge auquel les organes génitaux se flétrissent et tombent pour jamais dans l'inaction; alors aussi surviens nent des modifications générales dans toute l'économie, mo- difications qui sont inverses de celles que nous exposions tout à l'heure, mais qui tiennent au même principe. Il y a plus : non-seulement les organes génitaux sont, aux deux temps de la vie que nous venons de citer, le siège d'irradia- tions sympathiques, qu'on peut d'autant moins contester qu'elles sont alors manifestes; mais ils le sont de même pen- dant toute la période de la vie dans laquelle ils sont actifs; seulement les effets de ces irradiations se confondent alors avec ce qui tient à la vitalité propre de chaque organe , et ils auraient été méconnus, sans ce qu'ont appris, sur la puis- sance sympathique de ces organes , les deux âges que nous venons d'interroger. Encore est-il une expérience, celle de la castration , qui les fait reconnaître. Si l'homme est fait eunuque dans sa première enfance, il n'éprouve pas à la puberté les changements que cet âge doit amener. Si c'est postérieurement à l'âge de puberté qu'il a été castré, il a subi dans le temps les mutations qui caractérisent cet âge ; mais souvent alors il perd graduellement quelques-uns des traits physiques et moraux qu'il avait acquis. Cela lui arrive

276 DES CONNEXIONS DES PONCTIONS,

d'autant plus promptement et plus complètement, qu'il souffre la mutilation à un âge plus rapproché de celui de la puberté, à une époque de la vie l'appareil génital est plus actif, et qu'il a une organisation plus impérieuse sous ce rapport. Il faut donc une continuité d'irradiations sym- pathiques provenant de l'appareil génital, pour entretenir les formes et l'activité que le premier travail de cet appareil avait imprimées à toutes les parties; et ces faits , non-seule- ment prouvent la continuité d'irradiations synfpathiques génitales, mais encore peuvent être invoqués comme propres à appuyer l'idée que tous les organes du corps sont points de départ d'irradiations sympathiques semblables.

Les organes génitaux sont les seuls qui, relativement à ce premier point de vue si propre à déceler les sympathies , se trouvent dans une condition aussi heureuse. Tous les autres en effet ont, dès avant la naissance, commencé la série de leurs développements, et ]a continuent désormais jusqu'à la mort. Ce n'est pas que dans la vie ils ne changent sans cesse, croissant d'abord, puis restant à peu près station- nantes, et enfin se flétrissant , s'atrophiant dans la vieillesse; dans cette succession de changements, il y a même des épo- ques où leur accroissement et leur décroissement deviennent plus rapides; dès lors, s'ils sont le point de départ d'irra- diations sympathiques, les effets de celles-ci doivent changer dans tout le cours de la vie, comme les organes changent eux-mêmes ; et, pour le dire en passant, cette considération est une de celles auxquelles il faut avoir égard dans une théorie physiologique des âges. Mais jamais les différences ne sont aussi tranchées que pour l'appareil génital ; et comme les organes, qui sont le terme de l'irradiation sym- pathique et qui en développent les effets, changent eux- mêmes, on est toujours incertain de savoir si l'on doit rap- porter ces effets à l'évolution propre de ces organes , ou à l'irradiation sympathique qui leur arrive d autre part.

B. Une seconde circonstance qui rend manifestes les rap- ports sympathiques, est la particularité qu'offrent certaines fonctions de n'être jamais exercées que d'intervalles en inter- valles, et de présenter forcément des alternatives d'activité

DES RAPPORTS SYMPATHIQUES, OU DES SYMPATHIES. 277

et de repos. En effet , si lors de l'exercice de ces fonctions , apparaissent tout à coup dans des organes éloignés, et sans aucuns changements directs survenus dans ces organes , des modifications qui n'existaient pas lors de l'intermittence de ces fonctions, il sera évident que ces modifications seront survenues sympathiquement à leur occasion. Or, plusieurs fonctions de l'économie sont évidemment intermittentes, les actions sensoriales , la digestion , la génération ; et l'exa- men comparatif de leurs temps d'activité et de repos fournit un moyen de reconnaître la puissance sympathique de leurs organes. D'abord, nous ne ferons que mentionner les sens externes : ce n'est pas que leur exercice soit continu ; il est au moins interrompu par le sommeil ; mais cet exercice est si inséparable de l'état de veille , qu'il est presque continu , et qu'il est partant peu facile de saisir les irradiations sym- pathiques qui en résultent, s'il y en a; ces irradiations étant habituelles, et leurs effets se confondant avec ce qui tient à la vitalité propre de chaque organe, doivent être méconnues. Nous avons d'ailleurs parlé déjà dès sympathies que les sens, comme organes chargés de recueillir les im- pressions des corps externes, exercent sur les parties dont la fonction réclame un rapport avec l'extérieur. Il y a plus à dire, touchant les facultés intellectuelles : l'exercice de l'intelligeDce est moins obligé, plus évidemment volon- taire, intermittent; et certainement, selon que l'esprit est en travail ou en repos, l'économie générale présente un état différent. Tantôt l'irradiation sympathique qui alors émane du cerveau, est une stimulation favorable à la vie, à l'exercice des fonctions; comme dans tous les cas l'ac- tivité de l'esprit n'est qu'une agréable et utile distraction : tantôt au contraire elle est perturbatrice des fonctions, qu'elle rend languissantes , ou aux organes desquelles elle imprime un érétisme particulier. Les phénomènes sont encore plus manifestes en ce qui concerne les facultés affec- tives : en effet , toutes les expressions qui accompagnent ir- résistiblement les passions, les affections de Famé, ne sont que les suites de l'irradiation sympathique qui émane alors du cerveau ; et si la considération de la puberté a prouvé la

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grande puissance sympathique de l'appareil génital, celle des troubles qui suivent les passions, prouve celle non moins grande qu'a sous ce rapport le cerveau. L'exercice muscu- laire , qui est aussi forcément intermittent, n'a pas une aussi grande influence; cependant la stimulation que par irradiation sympathique il peut produire sur tous les or- ganes, doit peut-être compter entre les causes des bons ef- fets qu'il a la santé. Enfin, s'il est vrai que le corps, pen- dant le sommeil, soit plus susceptible de se refroidir sous l'influence du milieu ambiant, s'il résiste moins à toutes les influences délétères , par exemple , et est plus facilement at- teint par les contagions; ne sont-ce pas des preuves que lors de la veille, les divers organes sensoriaux, et surtout le cerveau, sont, à l'occasion de leur exercice, le point de départ de nombreuses irradiations favorables à la vie de tous les organes ?

Le caractère évidemment intermittent des fonctions de la digestion et delà génération, fait nettement aussi éclater la puissance sympathique des organes principaux de ces fonctions. Nous avons déjà parlé de celle de l'estomac; ce viscère est évidemment au premier rang à cet égard ; point de départ, dans l'état de santé, d'irradiations sympathiques continuelles, puisque l'économie paraît comme accablée dès qu'il souffre la faim , et au contraire paraît avoir re- couvré toute sa force dès qu'il travaille, on peut dire qu'il est comme le point d'appui de tous les organes : par lui se soutiennent ou faiblissent les forces physiques, s'exalte ou manque le courage moral, selon que la stimulation qu'il reçoit et qui va promptement retentir au loin, est dans la mesure normale , ou maladive. En parlant de la puissance sympathique de l'estomac, pourrions-nous taire le nom de M. B rous s ais , qui l'a si bien mise en lumière , tant en santé qu'en maladie ? Celle des organes génitaux est également incontestable; celle de l'utérus, par exemple, avait été re- connue dès long-temps, comme le prouvent ces axiomes an- ciens , utérus est animal vivens in muliere ; ici quod est mulier, propter uterum. Voyez quelles modifications géné- rales amènent dans toute l'économie, la menstruation, la

DES RAPPORTS SYMPATHIQUES, OU DES SYMPATHIES. 279

grossesse et l'accouchement ! A chaque époque menstruelle, souvent il survient un petit état fébrile; l'économie entière des femmes est troublée, leur moral accuse plus de suscep- tibilité, etc. Lors de la grossesse, les changements sont plus grands, il y a souvent des troubles de la digestion, de la pensée, nausées, vomissements, dégoût pour les aliments, ou appétits bizarres, dépravés, etc. Il en est de même enfin dans l'accouchement : qui n'a remarqué combien, dans leurs couches , la sensibilité morale des femmes est plus vive et demande à être ménagée? La puissance sympathique de l'utérus est dans ces cas si évidente, elle a paru si grande, que beaucoup de médecins anciens croyaient qu'elle se con- servait de même dans les temps de repos, dans les inter- valles des menstruations et des grossesses ; mais ceci est une erreur : si l'on excepte les cas une constitution éminem- ment erotique entretient dans l'utérus une irritation con- tinuelle, la puissance sympathique de cet organe n'est énergique que lors de l'exercice de ses fonctions propres; dans l'intervalle de ces fonctions il est aussi passif que tout autre.

C. Ce que nous venons de dire des alternatives d'exercice et d'inaction des organes dont la fonction est forcément intermittente, est applicable aussi à l'augmentation ou à la diminution d'activité de toute fonction quelconque» 11 est évident que si des organes qui exercent naturel- lement des influences sympathiques voient augmenter ou diminuer leur action, leurs phénomènes sympathi- ques augmenteront ou diminueront aussi, souvent même seront autres, et dès lors deviendront manifestes. Mais nous ne nous arrêterons pas à cette considération. D'un côté, les fonctions dont nous pouvons à notre gré aug- menter ou diminuer l'activité, sont celles sur lesquelles notre volonté a empire, que nous avons présentées tout à l'heure comme forcément intermittentes; et la consi- dération de leur intermittence a suffi pour faire res- sortir toutes les sympathies qui leur appartiennent. D'un autre côté, les fonctions sur lesquelles notre volonté n'a pas prise, ne sont augmentées ou diminuées que par des

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causes organiques; et leurs irradiations sympathiques, si l'on veut qu'elles en exercent, ne diffèrent pas assez de ce qu'elles sont dans la mesure habituelle d'activité, pour être sensibles, sauf l'état de maladie.

D. La considération des tempéraments peut aussi être pré- sentée comme propre à déceler les sympathies. Les tempé- raments en effet consistent dans la prédominance ou l'infé- riorité respective de quelques-uns des organes , des systèmes du corps ; et si l'organe ou le système qui a un excès ou un moindre degré de développement et d'activité , est de ceux qui exercent des influences sympathiques évidentes, on conçoit que celles-ci devront être aussi plus ou moins pro- noncées. La considération de ces rapports sympathiques est certainement un des principaux éléments de la théorie physiologique des tempéraments. C'est ainsi que, dans le tempérament erotique, caractérisé par l'excès de dévelop- pement et d'activité de l'appareil génital , les effets de la réaction sympathique de l'appareil génital sur l'économie sont bien plus marqués, et que se trouve confirmé ce que l'observation de l'âge de la puberté a appris sur la puissance sympathique de cet appareil.

E. Mais ce qui sans contredit met le plus en évidence les sympathies 3 c'est l'état de maladie. Tout organe malade est dans une condition de structure et d'action , autre que celle qui lui est ordinaire; et souvent alors, ou il a acquis une puissance sympathique qu'il ne manifestait pas dans l'état de santé , ou il détermine des effets sympathiques plus forts ou autres que ceux qu'il produisait dans Fétat normal ; de sorte que, dans les deux cas, les phénomènes sont mani- festes. Voyez la maladie d'un des solides, d'un des organes du corps; pour peu que cette maladie soit intense, qu'elle consiste surtout en une augmentation morbide de l'action vitale normale, elle entraîne sympa thiquement des souffran- ces dans beaucoup d'organes éloignés : cessant d'être bornée à la partie malade, cette maladie se généralise; l'appareil gas- trique reçoit des premiers les effets de l'irritation sympathi- quement transmise , l'appétit cesse et est remplacé par la soif, il y a nausée ou douleur à Pépigastre; l'encéphale estât-

DES RAPPORTS SYMPATHIQUES, OU DES SYMPATHIES. 28 J teint aussi, d'où la céphalalgie, le trouble, la langueur des fonctions intellectuelles ; il en est de même des autres fonc- tions, la circulation est activée, la respiration se presse; il y a des douleurs dans les membres , chaleur à la peau , en un mot, ce qu'on appelle^èwe. C'est ainsi qu'on voit la fièvre survenir à l'occasion d'une simple plaie à la peau : nous choisissons cet exemple d'une affection la plus locale possible, pour faire entendre comment, par les rapports sympathiques, une maladie se généralise. C'est en effet par les sympathies que les maladies des solides deviennent géné- rales; une maladie primitivement générale, ne peut avoir son siège que dans les fluides; mais une maladie des solides est toujours primitivement locale , elle a toujours son point de départ dans un seul organe, et elle ne devient générale que lorsque cet organe lésé irradie au loin l'affection dont il est atteint , et détermine sympathiquement les désordres généraux dont l'ensemble est appelé^zèwe. Ce n'est pas que nous croyions que toute fièvre est toujours sympathique, et qu'ainsi nous rejetions tout -à-fait i'essentialité des fièvres. Cette importante question médicale, sur laquelle le débat est aujourd'hui ouvert, n'appartient pas à mon sujet, et je n'ai pas à m'expliquer sur elle; je dirai seulement que la fièvre, considérée comme une maladie des solides, n'est jamais selon moi qu'un effet de rapports sympathiques , et que si la fièvre est quelquefois une maladie essentielle et générale, ce n'est qu'autant qu'elle consiste dans quelque altération des fluides, du sang. Toutefois, dans l'état de maladie, les phénomènes sympathiques sont manifestes; et c'est à cause de cela que c'est plus cet état que celui de santé qu'il faut consulter pour connaître les liens sympa- thiques. Ce n'est pas que les sympathies pathologiques soient absolument un symbole des sympathies physiologi- ques; tel organe qui, en santé, n'exerce aucune irradia- tion sensible, produit beaucoup de phénomènes sympathi- ques, lorsqu'il est malade. Mais, sans parier de la nécessité de l'étude des sympathies pathologiques pour la médecine pratique, cette étude est utile à la physiologie. D'un côté, toute sympathie pathologique prouve une connexion entre

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les organes qui sympathisent; et, comme cette connexion n'a pas été établie parla maladie, mais existait primitive- ment, c'est toujours une notion utile à acquérir pour ap- profondir complètement le système de notre économie. D'un autre côté, la considération de ces sympathies pathologi- ques peut servir à faire pénétrer quel tissu du corps établit les liens sympathiques, et par quel mécanisme. Présentons donc quelques généralités sur elles.

De même qu'en santé, certains organes paraissent agir, sans que leur travail détermine aucunes modifications sym- pathiques dans les parties éloignées, de même aussi certaines maladies restent locales. Mais le plus souvent cela n'est pas , et l'organe qui est malade produit au loin des troubles sympathiques , qui généralisent plus ou moins la maladie. Deux circonstances influent sur ce dernier effet, la structure et la vitalité de l'organe qui est le siège du mal, et la nature de la maladie.

Pour apprécier ce qui est des organes, il faut les con- sidérer selon qu'ils sont le point de départ, ou le terme des irradiations sympathiques. C'est ce que Tissot et Bichat distinguent sous les noms de sympathies actives el passives. Un organe est en sympathie active, quand l'acte organique auquel il se livre actuellement détermine en d'autres or- ganes des modifications sympathiques ; et au contraire un organe est en sympathie passive, quand, recevant l'irra- diation sympathique, il développe le phénomène qui con- stitue la sympathie. Tous les organes peuvent plus ou moins être points de départ de sympathies pathologiques; voyez l'inflammation des os eux-mêmes déterminer la fièvre. Mais, sans contredit , ceux qui sont au premier rang sous ce rap- port, sont ceux qui développent en santé la plus grande puissance sympathique, comme les membranes muqueuses, la peau, l'estomac, le cerveau, etc.; ce qui porte à croire que les sympathies pathologiques ne sont qu'une exagé- ration des sympathies physiologiques. Qu'une membrane muqueuse soit irritée, enflammée, non-seulement survient la fièvre , que nous avons dit n'être que l'ensemble des souffrances sympathiques de tous les organes; mais il y a

DES RAPPORTS SYMPATHIQUES, OU DES SYMPATHIES. 283

tendance à ce que l'irradiation sympathique fasse déve- lopper en plusieurs organes éloignés une irritation, une inflammation semblable à celle que présente la membrane qui est le point de départ de la sympathie. Ce que nous disons ici des muqueuses, doit s'entendre aussi de la peau , du cerveau , etc. De même que dans la santé, chaque organe avait ses sympathies spéciales, correspondait plus particu- lièrement avec tel autre; de même ces spécialités se mon- trent aussi en maladie; et, par exemple , l'inflammation qui siège en un organe pair, a tendance à se répéter sympathi- quement dans l'organe pair de l'autre côté du corps; celle qui a envahi une muqueuse , une séreuse , tend à se déve- lopper en une autre muqueuse , une autre séreuse ; la peau correspond avec les membranes muqueuses , et vice versa les membranes muqueuses avec la peau , etc. Si l'on voulait faire une échelle des différents tissus et organes du corps , sous le rapport de leur puissance sympathique , et consi- dérés comme points de départ d'irradiations sympathiques , il suffirait d'observer l'inflammation aiguë en chacun d'eux, et de noter les phénomènes généraux et fébriles , que leur inflammation développe : on verrait que cette puissance est en raison de la structure vasculaire et nerveuse des organes , et de leur degré de sensibilité. Beaucoup d'organes ne com- mencent à exercer d'influence sympathique , que lorsque la maladie y a développé la douleur. Considérés comme termes des irradiations sympathiques , comme étant en sympathies passives, le nombre des organes qui appellent notre atten- tion est moins grand : beaucoup de parties en effet restent calmes au milieu du trouble des autres , et paraissent étran- gères à leurs souffrances. Celles qui reçoivent le plus fré- quemment et le plus facilement les irradiations sympathi- ques, sont encore celles qui ont le plus de pouvoir pour en envoyer; savoir, l'estomac, le cerveau, les membranes muqueuses , la peau , etc. Voyez la maladie d'un solide quelconque éclater; aussitôt l'appétit cesse, et est remplacé par le dégoût des aliments; la langue rougit un peu, signe de la souffrance sympathique de l'estomac ; la tête devient lourde, pesante, ou même il y a céphalalgie; il y a des

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alternatives de frisson et de chaleur, douleurs contusives des membres, modifications dans les excrétions , etc. C'est à raison de cette plus grande susceptibilité , qu'offrent géné- ralement les organes que nous venons de citer, à répondre aux irradiations sympathiques , que toutes les maladies , abstraction faite de leurs phénomènes locaux , et considérées seulement dans leurs phénomènes généraux, se présentent à peu près avec les mêmes traits , pour les gens du monde au moins , car le médecin exercé saisit bien vite les spécialités , dans ce tableau en apparence semblable. Ainsi que nous l'avons dit, l'organe qui reçoit l'irradiation sympathique a tendance à répéter l'acte morbide qui a causé cette irra- diation; et c'est ainsi que l'existence d'une inflammation, par exemple , devient la cause occasionelle de plusieurs autres. La chirurgie nous éclaire ici sur ce qui arrive en beaucoup de cas de pathologie interne : une inflammation existe à une partie extérieure du corps , consécutivement à une opération faite; et sympathiquement surviennent des inflammations d'organes intérieurs, des gastrites , des pneu- monies, des pleurésies, des hépatites, selon que l'estomac, le poumon, la plèvre, le foie, auront eu une susceptibilité originelle ou acquise , qui les aura rendus plus sensibles à l'irradiation sympathique. Il y a plus : l'organe qui s'est enflammé sympathiquement, peut à son tour devenir point de départ d'irradiations sympathiques , qui vont agir sur d'autres ou même sur celui qui avai t été le premier malade ; de sorte que la connexion que la nature a établie en Ire nos organes , sans doute pour la plus grande perfection de notre corps , devient aussi une cause de l'entretien et de la propagation des maladies. Souvent l'impression qui déter- mine l'irradiation sympathique , n'est pas capable de pro- duire une maladie dans l'organe qui reçoit cette impression; et c'est au contraire la partie dans laquelle va retentir l'ir- radiation sympathique, qui développe la maladie : c'est ce qui arrive , par exemple , quand une impression de froid à la peau détermine une pleurésie. Pour tout ce qui concerne cette analyse des relations sympathiques des organes dans l'état de maladie, la science doit beaucoup à M. Broussais.

DES RAPPORTS SYMPATHIQUES, OU DES SYMPATHIES. s85 Seulement ce professeur a posé à leur égard deux proposi- tions qui peuvent être contestées : l'une est que toute fièvre n'est jamais que l'ensemble des phénomènes sympathiques produits par l'irritation, l'inflammation d'un solide quel- conque, d'où il résulte qu'il ne faut plus admettre de fièvres essentielles; l'autre, que toute fièvre n'est jamais que l'effet sympathique d'une irritation , d'une inflammation de la membrane muqueuse gastro- intestinale , et que, si une maladie de tout autre solide du corps amène la fièvre , ce n'est qu'après avoir produit préalablement , par sympathie , l'inflammation de cette membrane. Relativement à la pre- mière de ces propositions, nous avons déjà dit que nous pensions comme M. Broussais , si l'on ne considère la fièvre que comme une maladie des solides ; mais que si quelquefois elle est un effet d'une altération des fluides , on pourra continuer de la dire une maladie essentielle. Ouant à la seconde , tout en convenant que la muqueuse gastro-intesti- nale est, de toutes les parties du corps, une des plus promptes à répondre aux irradiations sympathiques , il ne nous paraît pas certain que ce soit son affection seule qui détermine la fièvre; il nous semble que cet état succède à toute irritation un peu vive : la fièvre ne survient-elle pas à l'occasion d'une plaie, d'un panaris? et dans tous les cas il y a fièvre, y a-t-il toujours gastrite? Si l'irradiation sympa- thique doit aller retentir d'abord dans un premier organe , pour que ses effets soient ensuite propagés à toute l'écono- mie , et pour qu'elle détermine la fièvre , loin de présenter l'estomac comme étant cet organe important , je croirais plutôt, avec M. Georget , que c'est le cerveau. Mais ceci touche à la question du mode de transmission des sympa- thies, et nous y reviendrons ci-après.

Ce n'est pas seulement la structure et la vitalité des organes qui décident si ces organes seront en maladie le point de départ d'irradiations sympathiques; c'est encore la na- ture de la maladie. En général, toutes les maladies qui con- sistent en une augmentation vive et survenue rapidement du mouvement vital normal , s'accompagnent de phéno- mènes sympathiques; et, comme on le conçoit, l'intensité

286 DES CONNEXIONS DES FONCTIONS,

des phénomènes sympathiques sera en raison du degré d'aug- mentation. Si, au contraire, îes maladies consistent dans une diminution du. mouvement vital , il n'y a pas , ou moins de phénomènes sympathiques. Il en est de même pour les maladies dans lesquelles l'altération a commencé avec peu d'activité , et s'est continuée avec une extrême lenteur. Quelles différences entre les maladies chroniques et les ma- ladies aiguës ! Vovez de même ce qu'on appelle les maladies organiques ? l'absence de tous phénomènes locaux et géné- raux les fait méconnaître dans leur principe ; et ce n'est que lorsqu'elles ont fait assez de progrès pour produire la dou- leur, que les effets sympathiques commencent à se montrer. Ce que nous disons ici de l'influence exercée par la nature de la maladie est si vrai, que les organes qui , en santé, et dans les maladies les plus aiguës , décèlent le plus de puis- sance sympathique , paraissent alors muets : que d'altéra- tions organiques de l'estomac , par exemple, qui ne sont pas soupçonnées dans leur principe , et que rien n'avait annon- cées dans tout le cours de la vie !

Nous bornerons à ces considérations ce que nous avons à dire sur les sympathies pathologiques , et, ayant énuméré tous les rapports sympathiques que présente le corps hu- main, nous allons rechercher à quelle condition organique ils sont dus , quel est le système du corps qui en est l'agent. Il est certain que les sympathies ont leur cause dans l'orga- nisation ; ce n'est pas à l'époque actuelle qu'il est besoin de prouver que tout phénomène de vie doit être rattaché à la structure. Dire des sympathies, avec TVhylt , qu'elles sont un résultat de l'arae , et avec M. Roux, qu'elles sont indépendantes de toute connexion organique; c'est, dans le premier cas , se payer d'un mot , et dans le second, donner à la force vitale que nous montrerons n'être qu'une abstrac- tion , une existence indépendante de l'organisation. Certai- nement un des systèmes du corps est l'agent des rapports im- portants dont nous traitons ici; mais quel est ce système?

On a tour à tour présenté comme tel les membranes , le tissu cellulaire,, les vaisseaux sanguins, et les nerfs; parce que ces parties sont les plus généralement répandues dans

DES RAPPORTS SYMPATHIQUES, OU DES SYMPATHIES- 287 toute l'économie, et celles qui paraissent davantage former des systèmes continus. Plusieurs physiologistes, confondant sous le nom de sympathies tous les genres de rapports, ont même invoqué à la fois, pour leur explication, le concours de ces quatre parties. Mais nous croyons que le système ner- veux en est seul l'agent. D'abord, est-îl possible aujourd'hui d'admettre que les sympathies soient établies par le moyen des membranes ? Ces membranes sont des organes très divers par la structure, la vitalité; elles forment autant d'organes isolés, distincts; et l'on ne peut leur rapporter l'accom- plissement d'un usage aussi spécial qu'est celui qu'on leur attribue ici. Cette idée est évidemment une suite de l'opi- nion erronée que Baglivi s'était faite de leur distribution anatomique, de leur dérivation de la dure- mère; et elle a être abandonnée dès que cette opiniou a été démontrée fausse. En vain arguera-t-on des sympathies que nous avons signalées entre certaines parties d'une même membrane, ou entre des membranes diverses ? le premier fait combat la théorie à l'appui de laquelle on le cite; et, quant au se- cond, il ne prouve rien, sinon que les membranes, comme tous les autres organes du corps , peuvent être points de départ ou termes d'irradiations sympathiques.

Nous rejetterons de même la théorie qui attribuait les sympathies au tissu cellulaire, qui faisait de ces sympathies des séries de mouvements oscillatoires propagés par le tissu cellulaire. Cette théorie, due à Bordeu, repose encore sur les idées hypothétiques que ce médecin s'était faites de ce tissu , et conséquemment doit être abandonnée avec ces idées. On ne croit plus aujourd'hui que le tissu cellulaire soit un organe mobile et sensible , continuellement en proie à des dilatations et resserrements, et imprimant aux hu- meurs qui remplissent ses cellules des courants divers. Sans doute le tissu cellulaire forme un tout continu, comme constituant un des éléments des organes, et comme étant jeté dans leurs intervalles en guise de spongiosité pour en remplir les vides; sans doute il peut se faire des transports mécaniques d'humeurs à travers ses cellules , qui toutes communiquent entre elles. Mais ce n'est pas par son inter-

288 DES CONNEXIONS DES FONCTIONS,

médiaire que sont établis les rapports sympathiques ; ceux-ci éclatent très rapidement, ils laissent insensibles et muets les organes intermédiaires à ceux qui sympathisent ; et ces traits ne peuvent convenir à l'action du tissu cellu- laire, qu'on faisait agir mécaniquement, lentement et par voie de continuité.

Le système vasculaire devait paraître propre à établir les liens svmpathiques ; il se répand en effet dans toutes les par- ties du corps, et les unit toutes. Cependant je suis sûr que la seule énumération que nous avons donnée des sympa- thies, suffit pour faire voir que ce système n'en peut être l'agent. On peut le concevoir comme présidant à des rap- ports fonctionnels, mais non à des connexions dont les effets sont aussi rapides que ceux des sympathies, et qui ne por- tent pas sur des parties intermédiaires à celles qui sont as- sociées. En vain on a voulu expliquer la liaison de l'utérus avec les mamelles , par le moyen de l'artère épigastrique , unie d'un côté aux artères utérines, et de l'autre aux ar- tères mammaires : certainement ce n'est pas par cette voie que se fait sur le sein la fluxion sanguine qui alimente la sécrétion laiteuse; et, à supposer que cela fut, cela n'expli- querait pas la sympathie, caria stimulation sympathique a précédé, et la fluxion sanguine n'en est que le produit.

Ainsi , des quatre systèmes organiques que les auteurs ont présentés comme agents présumables des sympathies, en voilà trois auxquels on ne peut attribuer cet office; et cela seul déjà est une raison à faire valoir en faveur de l'idée qui en présente le quatrième, le système nerveux, comme l'instrument. Mais, de plus, que de considérations viennent appuyer cette idée! Le système nerveux forme réellement un tout qui est continu, et dont toutes les parties sont liées. Indépendamment des nombreuses anastomoses qu'of- frent les nerfs entre eux , toutes les parties de ce système sont au moins associées par l'intermédiaire de sa partie centrale, le cerveau, partie à laquelle tout va aboutir, et qui d'autre part irradie une influence jusqu'aux dernières extrémités du système. Toutes les actions propres à ce système s'accomplissent avec la rapidité de l'éclair; et dans

DES RAPPOPiTS SYMPATHIQUES, OU DES SYMPATHIES. 289 toutes il a semblé être parcouru par des courants, dont la vélocité avait de quoi étonner l'imagination. C'est ainsi que la conduite des impressions sensi rives des extrémités des nerfs au cerveau, pour la production des sensations , et celle des volitions du cerveau aux muscles pour la produc- tion des mouvements volontaires , ont montré ce système communiquant avec rapidité d'un de ses points à un autre. C'est ainsi que la loi de fluxion a appelé en un instant incommensurable plus de fluide nerveux ou moteur sur une partie irritée , qu'il n'en était envoyé lors de l'inaction de cette partie; et que par la loi de balancement la mesure de dépense nerveuse faite par un organe a influé presque instantanément sur celle faite par d'autres organes. Il nous semble que ces faits ont une assez grande analogie avec ceux qui fondent les sympathies, et doivent rendre très probable que c'est le système nerveux qui en est l'agent. Aussi est-ce une opinion presque universellement admise aujourd'hui; et si, jadis 'on fit à cette opinion diverses objections , on verra que ces objections portaient plus sur le mécanisme selon lequel le système nerveux établit les sympathies, que sur l'idée qui présente ce système comme en étant l'instrument. En procédant par la méthode d'exclusion , on ne voit pas dans l'économie d'autre agent possible des sympathies. Il reste à rechercher le mécanisme par lequel il établit des rapports aussi merveilleux.

Le système nerveux ne paraît pouvoir établir les liens sympathiques que de deux manières : ou parce que les par- ties qui sympathisent reçoivent des ramifications des mêmes troncs nerveux, ou sont unies par des anastomoses ner- veuses; ou parce que l'irradiation nerveuse, qui émane de l'une des parties, va aboutir au centre cérébral , d'où elle est ensuite réfléchie dans toutes les dépendances du système, de telle manière cependant que certains orga- nes sont plus que d'autres modifiés par cette réflexion. Il est même probable que les divers phénomènes sympathi- ques sont produits , les uns par le premier de ces modes , les autres par le second ; d'où la distinction faite de deux espèces de sympathies , les sympathies directes, et les sym-

TOME IV. 19

290 DES CONNEXIONS DES FONCTIONS.

pathies cérébrales. Certainement il y a des phénomènes sympathiques qui sont dus à ce que les parties qui sym- pathisent reçoivent leurs nerfs d'un même tronc, ou ont leurs nerfs unis par des anastomoses. C'est à cette cause, par exemple, que les membranes muqueuses doivent d'irra- dier à la membrane musculeuse qui leur est susjacente , l'impression qu'elles ont reçue. C'est également ainsi qu'une douleur d'oreille détermine une odontalgie , et, vice versa, que des douleurs de dents se propagent à l'oreille; ce fait est à l'anastomose qui existe entre le nerf facial et le nerf lingual, et qui est connue sous le nom de corde du tympan. TNous pourrions citer plusieurs autres sympathies analogues ; et probablement que le nombre des sympathies explicables par ce mode^ augmentera à mesure que l'on con- naîtra mieux la distribution des nerfs. Il est intéressant pour cela de rechercher, dans l'étude de ce système, la destination des plus petits filets. Croit-on , par exemple , que ce soit sans nécessité que la nature ait affecté les trois divisions d'un même nerf, la cinquième paire, aux sens de la vue, de l'odorat et du goût ? et n'est-il pas probable que cette disposition a influence sur les rapports sympathiques de ces trois sens ? Peut-on croire aussi que ce soit sans importance pour les connexions des parties, que les nerfs vagues et grands sym- pathiques se distribuent à presque toutes à la fois ? et n'était- elle pas fondée la conjecture que l'inspection seule de ces nerfs avait inspirée aux anciens , et en suite de laquelle ils les nommèrent nerfs grand et petit sympathiques . Il est diffi- cile d'observer la distribution du nerf vague au larynx, au poumon , au cœur et à l'estomac, sans soupçonner que cette distribution ne tende à établir des connexions entre ces di- verses parties ; et à plus forte raison , doit-on penser de même à l'égard du grand sympathique ? La grande difficulté est de tracer la route des irradiations sympathiques, au travers de ces entrelacements vraiment inextricables.

Cependant il ne faut pas admettre, avec Vieussens , Meckel, Boërhaave , que c'est exclusivement de cette ma- nière que sont établies toutes les sympathies ; et probable- ment le nombre de celles qui sont établies par Finterven-

DES RAPPORTS SYMPATHIQUES, OU DES SYMPATHIES. 291

tion cérébrale est bien plus grand. En effet, beaucoup de phénomènes sympathiques ne peuvent se concevoir dans ce système d'une communication directe des nerfs ; et ce sy- stème, en outre, présente en plusieurs points de grandes difficultés. Par exemple, beaucoup départies qui reçoivent des nerfs d'un même tronc, ne sympathisent pas; et au contraire, beaucoup de parties qui ne reçoivent aucuns nerfs communs, sympathisent. La pluralité des systèmes nerveux est un fait presque généralement admis; on dis- tingue au moins , depuis Bichat , les systèmes nerveux ani- mal j et organique : or, beaucoup de parties qui sympathi- sent, reçoivent chacune des nerfs de l'un et l'autre système, et sont séparées par des parties qui sont dans le môme cas ; de sorte qu'il faudrait admettre que l'irradiation se transmet avec une égale facilité , et cela , à plusieurs reprises , à tra- vers des systèmes différents. Si ce sont les ramifications nerveuses, et les communications anastomotiques, qui pro- duisent les sympathies, pourquoi toutes les parties que vi- vifient les ramifications d'un même nerf, ne sympathisent- elles pas ? pourquoi la sympathie n'est-elle pas réciproque ? Souvent en effet , l'organe qui reçoit une irradiation symna- thique spéciale, n'est pas apte à en exercer une réciproque sur celui qui l'influence; par exemple, îe rectum appelle symna» Iniquement à son aide le diaphragme, et une stimulation du diaphragme est sans influence sur le rectum. D'ailleurs la naissance des nerfs d'un même tronc, ou leur union par des anastomoses , est une chose illusoire; car les plus petits filets ne se communiquent pas ^ il n'y a que rapprochement entre eux; et si ce rapprochement suffit pour produire des sympathies, comment concevoir pourquoi il n'en existe pas davantage, et pourquoi il ne survient pas pour la moindre cause des troubles plus nombreux ? Ajoutons que toute sym- pathie exige quelque chose de spécial dans l'irradiation qui la détermine. C'est à raison de toutes ces difficultés, que quelques physiologistes, non-seulement avaient rejeté la théorie qui explique les sympathies par les communications directes des nerfs , mais encore , ainsi que nous l'avons dit , avaient nié que le système nerveux eût part en rien à leur

392 DES CONNEXIONS DES FONCTIONS,

production. Mais il est évident que ces difficultés ne détrui- sent aucune des raisons qui nous ont fait admettre le système nerveux comme la cause matérielle des sympa thies, et qu'elles ne sont puissantes que contre le dogme qui ne reconnaissait que des sympathies directes , et qui niait les sympathies cérébrales.

Je crois, avec TVillis, Perrault, Astruc, H aller , parmi les anciens, MM. Broussaiset Georget, parmi nos contemporains, que la plupart des sympathies se font par rintermédiaire du cerveau. L'impression qu'éprouve l'organe qui est le point de départ de la sympathie , va d'abord retentir au cerveau ; de elle est l'éfléehie dans tout le système ; et chaque par- tie en est plus ou moins modifiée selon sa mesure de sensibi- lité, de susceptibilité. Évidemment le besoin de respirer ar- rive au cerveau, puisqu'il y est perçu; et évidemment encore, c'est consécutivement à cette perception, que le cerveau ordonne les mouvements respirateurs. Or, les phénomènes ne s'enchaînent-ils pas de la même manière, quand une ir- radiation de la membrane muqueuse pulmonaire ou nasale, détermine la toux, ou l'éternuement? Quand il y a syn- cope , suspension momentanée des contractions du cœur, et qu'en aspergeant de l'eau froide au visage, ou irritant la pituitaire par la vapeur de l'ammoniaque , on fait cesser la syncope ; n'est-ce pas que l'impression irritante qu'on a dé- terminée, a d'abord retenti au cerveau, puis a été réfléchie dans tout le système, et par conséquent dans les nerfs du cœur, qui aura ainsi été provoqué à reprendre son service ? Quand une affection se propage sympathiquement de l'or- gane pair d'un des côtés du corps, à Forgane pair de l'autre côté, peut-il y avoir un intermédiaire autre que le cerveau ? N'est-on pas en droit de conjecturer le même intermédiaire, pour toutes les relations sympathiques entre organes de structure et de fonctions analogues? En ce cas, l'irradia- tion arrivée au cerveau, et réfléchie par cet organe dans tout le système , porte surtout sur les parties qui , à raison de leur texture et de leur vitalité, ont plus de rapport avec celie dont elle émane. Enfin, quand les sympathies sont générales, portent à la fois sur plusieurs organes y il faut :

DES RAPPORTS SYMPATHIUQEES, OU DES SYMPATHIES. 2g3 ou que la partie qui est ïe poiut de départ de l'irradiation , influence directement chacune des autres ; ou que l'irradia- tion aille retentir d'abord dans le centre du système , pour être réfléchie ensuite dans ces diverses dépendances. Or, certainement, cette dernière chose est la plus probable: d'un côté, le cerveau est l'aboutissant de toutes les sensa- tions; de l'autre, dans les passions, il est évidemment la source d'irradiations qui s'étendent au loin dans tout le système; et il nous semble qu'on ne peut méconnaître une analogie entre ces deux faits, et le rôle que nous faisons jouer à cet organe pour la production des sympathies. Celles de ces sympathies qui sont spéciales, c'est-à-dire qui ne portent que sur tels ou tels organes, sans modifier les autres , ne contredisent même pas l'explication que nous donnons ici ; c'est que ces organes ont été orga- nisés de manière à répondre exclusivement à l'irritation que leur reflète le cerveau. Si l'on conçoit pourquoi des parties de structure et de vitalité analogues sympathisent, ne peut-on pas concevoir aussi des parties tellement organi- sées relativement à d'autres, qu'elles répondront toujours aux irritations qu'elles en recevront par l'intermédiaire du cerveau? C'est cette grande part que nous attribuons au cerveau pour la production des sympathies, qui nous a fait dire plus haut , relativement à l'organe par lequel se géné- ralisent les maladies, que cet organe est moins la mem- brane muqueuse gastro-intestinale, comme le dit M. Brous- sais, que le cerveau , comme l'a avancé M. Georget.

Enfin, pour connaître l'important phénomène des sym- pathies, il ne suffit pas de savoir que le système nerveux en est l'agent, et que la communication entre les parties qui sympathisent, se fait tantôt directement par les anastomoses des nerfs, et tantôt par l'intermédiaire du cerveau : il faut encore savoir en quoi consiste l'irradiation sympathique. Or nous sommes , sur ce point-ci, dans la même ignorance que pour toutes les autres actions nerveuses. Ne sachant pas ce qu'est l'influx nerveux qui constitue l'innervation; ignorant par quoi les nerfs effectuent la transmission des impressions sensitives et des voUtions ; pouvons-nous ne pas

2 q4 DES CONNEXIONS DES FONCTIONS,

ignorer aussi ce qu'est l'irradiation sympathique? Proba- blement, lors de toute action organique, il se fait quelque changement dans le fluide nerveux de la partie qui est le siège de cette action : pour concevoir les sympathies , ne peut- on pas dès lors supposer que ce changement, cette modi- fication , s'est , par la loi d'irradiation que nous avons indi- quée, propagé au centre du système, et de ce centre a été réfléchi dans toutes ses dépendances? S'il n'y a que quel- ques parties qui paraissent recevoir l'influence de cette ré- flexion , c'est qu'elles sont organisées de manière à y être plus sensibles ; absolument , comme lors de la manifesta- tion des passions, des affections de l'ame, certaines parties sont plus facilement et plus promptement perturbées que d'autres, et à cause de cela, sont le siège des phénomènes expressifs. C'est ainsi que la loi d'irradiation, par l'expres- sion de laquelle nous avons terminé l'étude des rapports fonctionnels, nous semble propre aussi, non à expliquer, car elle laisse toujours leur essence inconnue, mais à systé- matiser les rapports sympathiques. Du reste, le secret des sympathies est probablement le même que celui de l'action nerveuse ; la découverte de l'un dépend de celle de l'autre ; et en attendant qu'on les ait faites, on doit se borner à si- gnaler par une observation attentive de notre économie , tant en santé qu'en maladie, quels sont les rapports sym- pathiques de nos divers organes.

Tels sont les trois genres de rapports qui unissent les nombreuses parties du corps humain. L'histoire que nous venons d'en faire , a fait ressortir l'utilité respective des so- lides et des fluides. D'un côté, nous avons vu le système nerveux présider à toutes les actions des solides , régler toutes les particularités du cours des fluides; et par la prééminence des solides a été consacrée. De l'autre côté, nous avons présenté le sang comme le stimulus obligé du système nerveux, comme l'élément nutritif de toutes les parties; et, sous cet autre point de vue /l'importance des fluides a été démontrée. Enfin, leur utilité réciproque a été

DES RAPPORTS DE L'HOMME AVEC LA NATUJRE. 290

signalée, car c'est de Faction réciproque du sang et du sy- stème nerveux que nous avons vu résulter la vie. Nous avons montré que ces deux conditions vitales étaient égale- ment susceptibles d'être altérées, étaient conséquemment tour-à-tour le point de départ des maladies, et surtout exer- çaient l'une sur l'autre une influence si prochaine, que l'une ne pouvait pas être altérée un peu gravement, et pen- dant un temps un peu long, sans que l'autre s'altérât con- sécutivement. Or, toutes ces propositions sont en opposition avec toute théorie exclusive de solidisrne et d'humorisnie. Arrivons maintenant aux rapports de l'homme avec les corps extérieurs.

SECTION 11.

DES RAPPORTS DE LHOMME AVEC LA NATURE.

Il n'y a pas de vide dans la nature, et par conséquent aucun corps n'est isolé; tout corps est toujours en contact avec quelques autres qu'il influence, ou par lesquels il est influencé, et avec lesquels conséquemment il a des rap- ports.

Ces propositions, qui sont vraies de tous les corps, le sont surtout des êtres vivants. En effet, si aucun corps inorganique n'est isolé, au moins il n'a pas besoin des au- tres corps pour exister; le plus souvent les corps divers avec lesquels il est en contact ne tendent qu'à le détruire; et si on le suppose dans un isolement complet, sa conservation n'en sera que plus assurée, sa destruction n'étant plus ame- née désormais que par la réaction chimique de ses propres éléments. Au contraire, un être organisé, quelque simple qu'on le suppose , ne pourrait continuer de vivre dans l'iso- lement; il faut au moins qu'il se nourrisse, c'est-à-dire qu'il renouvelle sans cesse la matière qui forme ses organes; et il ne peut puiser cette matière nouvelle qu'il doit s'appro- prier, que dans des corps autres que lui , et avec lesquels

a 96 DES RAPPORTS DE L'HOMME AVEC LA NATURE, conséquernment il doit avoir des rapports . Les corps vivants sont toujours dépendants , comme l'a dit M. Bourdon, qui fait de cette particularité le caractère distinctif delà vie.

Aussi , les êtres organisés ont-ils avec la nature générale , des rapports plus multipliés que les corps inorganiques. Ceux-ci n'en ont que d'une seule espèce, des rapports mé- caniques, physiques et chimiques , en un mot, dépendants des lois générales de la matière. Les êtres vivants au con- traire, outre les rapports de ce premier ordre , en ont d'au- tres qui leur sont spéciaux, qui tiennent aux forces propres qui les animent , et qu'à ces titres on peut appeler organi- ques. Nous allons étudier successivement ces divers rap- ports dans l'homme; nous serons courts, parce que l'expo- sition que nous avons faite de la vie de cet être, en a déjà en grande partie donné la connaissance.

§ Ier. Rapports mécaniques, physiques et chimiques de t Homme avec les

corps extérieurs.

Nous appelons ainsi les influences mécaniques, physiques et chimiques que l'homme reçoit inévitablement des corps extérieurs, par suite de son contact obligé avec ces corps. En eflet , quoique cet être, par son activité vitale et spé- ciale, plie jusqu'à un certain point ces corps à ses besoins, et comme tout être vivant, constitue à lui seul un petit monde dans le grand monde; cependant il est soumis en plusieurs points aux lois générales de celui-ci; et ce sont les phénomènes de cet ordre que nous voulons énumérer ici, nous renfermant dans l'état normal ou de santé.

L'homme est attaché à la planète qui lui a été assignée pour demeure; les lois de la gravitation Py enchaînent, et font de la terre son point d'appui. Animal aérien, il est plongé continuellement dans l'atmosphère qui enveloppe le globe terrestre, et ce milieu exerce sans cesse sur lui di- verses influences physiques et chimiques qu'il faut d'abord indiquer.

En premier lieu, l'atmosphère exerce sur la surface du corps de l'homme une pression qui est en raison de sa hau-

DES RAPPORTS PHYSIQUES ET CHIMIQUES. 297

leur, et qui par conséquent est fort considérable ; les physi- ciens la disent égale à un poids de 33, 600 livres. C'est à la réaction des fluides élastiques contenus dans les cavités in- térieures de notre corps, que nous devons de pouvoir sup- porter une charge aussi forte; charge qui, pour certains animaux, par exemple, pour ceux des poissons qui vivent à une profondeur de 2000 à 3ooo pieds dans la mer, est bien plus grande encore. Nul doute que nous ne soyons organisés de manière à avoir besoin d'une pression aussi énorme ; si elle manquait tout à coup ou était de beaucoup diminuée, les gaz qui sont dans l'intérieur des parties, les liquides eux-mêmes , ne seraient plus bornés dans leur expansibilité ; ils se dilateraient, déchireraient les solides qui les contien- nent, et l'individu périrait. Placez un animal 'sous le réci- pient de la machine pneumatique, il se gonfle à mesure qu'on fait le vide. Laissez à l'air le poisson destiné à vivre au fond des eaux , sa vessie natatoire se crève. Le malaise qu'éprouve l'homme sur le sommet d'une haute montagne , ou dans un aérostat, tient sans doute en partie à ce que l'air est moins dense et ne fournit plus assez d'oxygène pour la respiration ; mais il est dû. aussi un peu à la diminution de la pression atmosphérique; et c'est à cette cause , par exem- ple, qu'il faut attribuer les hémorrhagies par les yeux, les oreilles , les voies respiratoires , qui surviennent alors. C'est par suite de cette même cause, que la peau se gonfle et rougit sous une ventouse. Heureusement que les variations qui, hors ces cas insolites, peuvent survenir dans ce rapport , et que le baromètre fait connaître, sont légères et sans influence notable sur l'économie.

En second lieu, l'atmosphère, appliquée de toutes parts au corps humain, doit agir physiquement sur lui en raison de sa température. Selon qu'elle a une température supé- rieure ou inférieure, elle doit lui fournir ou lui soutirer du calorique, et tendre à l'amener à son niveau. Cette seconde influence physique est aussi constante et aussi incontestable que la première ; et voici en peu de mots ce qui la concerne. A l'exception de quelques pays équatoriaux, et encore pen- dant la saison chaude et au milieu du jour, l'atmosphère a

298 DES RAPPORTS DE L'HOMME AVEC LA NATURE, toujours une température qui est inférieure à celle de l'homme; le degré varie selon les climats et les saisons; con- séquemment l'atmosphère nous soutire sans cesse du calo- rique. Si nous conservons néanmoins notre température in- dépendante , c'est que notre puissance vitale renouvelle notre chaleur à mesure qu'elle nous est enlevée. Nous som- mes encore organisés de manière à avoir besoin de cette soustraction continuelle de chaleur; si elle cessait tout à coup d'avoir lieu , ou diminuait beaucoup , notre tempéra- ture s'élèverait graduellement , et quand elle serait haussée de sept à huit degrés, on périrait. D'autre part, si cette soustraction devenait extrême , et telle que la vie ne puisse pas renouveler le calorique aussi promptement qu'il est en- levé , notre température baisserait, nos humeurs se congé» leraient , et quand la température serait baissée à vingt-six degrés f on périrait encore. Entre ces deux extrêmes, il y a de nombreux intermédiaires signalés par les sensations de chaud et de froid. Nous n'avons pas besoin de revenir sur ce que nous avons dit des cas dans lesquels ces sensations écla- tent, et des moyens par lesquels nous résistons au chaud et au froid. Rappelons seulement que notre rapport forcé avec l'atmosphère a, »ous le rapport de la température, nécessité chez nous l'emploi de vêtements; à l'aide de ces vêtements , nous maintenons l'air immobile à la surface de notre corps ; nous faisons, qu'une fois échauffé, cet air ne nous enlève plus de chaleur; et, par cet artifice, nous diminuons beau- coup la dépense que nous ferions sans cela.

En troisième lieu, l'air jouit de la faculté de dissoudre l'eau; et par suite, tous les corps liquides, tous ceux qui sont imprégnés d'eau, éprouvent par son contact une cer- taine évaporation. L'air exerce-t-il sur le corps humain , qui est composé de solides et de liquides, une semblable in- fluence? Beaucoup de physiciens le croient, et professent que cette évaporation physique concourt en partie à la pro- duction de la transpiration insensible. Ils s'appuient sur ce qui arrive aux poissons qui, par leur séjour prolongé à l'air, perdent par cette évaporation une quantité considérable de leur poids. M. Edwards dit qu'ayant cherché à empêcher

DES RAPPORTS PHYSIQUES ET CHIMIQUES. 299

celte évaporation , en plaçant un animal à sang froid dans une atmosphère humide et d'une température égale à celle de cet auimal , et qu'ayant réduit ainsi la transpiration à ce qu'il y a en elle d'organique , il a trouvé que l'évaporation physique concourait pour cinq sixièmes à la perte de la transpiration. Je pense qu'on a ici assimilé à tort les ani- maux aériens et l'homme, aux animaux aquatiques : ceux- ci ^ destinés à séjourner dans l'eau , sont tout imprégnés de ce liquide, et lors de leur exposition à l'air, ils le laissent transsuder. Mais il n'en est pas de même de l'homme ; pour que les liquides de son corps puissent se vaporiser un peu à sa surface , il faudrait que , par traussudation physique, ils y fussent portés , et celte perméabilité physique n'a pas lieu pendant la vie. Je crois qu'il ne se fait d'évaporalion que celle de la sueur, que celle des liquides qu'une sécrétion or- ganique a préalablement portés à la surface de la peau. Comme l'air ne touche pas seulement la surface de la peau, mais encore pénètre par la respiration dans le poumon , on peut se demander si ce que nous venons de dire des effets physi- ques de sa pesanteur, de sa température et de son action dissolvante , a lieu aussi dans cet organe ; cela est probable. Toutefois, en admettant la réalité d'une évaporation phy- sique des fluides du corps humain par le contact de l'air., le degré de pression de ce gaz et son degré de chaleur devien- nent de nouveau intéressants à considérer sous ce rapport; l'évaporation sera d'autant plus grande , que la chaleur de l'air sera plus élevée, et sa pression moindre. M. Edwards pense que l'augmentation de l'évaporation pulmonaire, par suite de la diminution de la pression atmosphérique, a la plus grande part au malaise que l'on éprouve sur le sommet des hautes montagnes.

L'air, selon qu'il est sec ou humide , exerce avec plus ou moins d'énergie sur notre corps les trois influences physi- ques précédentes. D'abord, plus il est sec, plus la pression atmosphérique est considérable , comme le prouve l'ascen- sion du mercure dans le baromètre. En second lieu, les im- pressions de chaud et de froid que nous recevons de l'air, sont d'autant plus grandes que ce gaz est plus humide , car

3 00 DES RAPPORTS DE L'HOMME AVEC LA NATURE.

l'air par lui-même est mauvais conducteur du calorique ; mais la présence de l'eau entre ses molécules , ajoute à sa puissance conductrice. Enfin, la faculté dissolvante de l'air augmentant en raison de sa sécheresse, comme en raison de sa température , si l'on admet que cette faculté agit sur les liquides du corps humain , son énergie devra être moindre dans l'air humide que dans l'air sec.

L'air dépose à la surface de la peau les diverses matières pulvérulentes qui sont en suspension dans son sein , et à la longue cette membrane en est salie. Il lui applique de même divers miasmes qu'il contient, et offre ainsi de continuels aliments à l'action d'absorption de cette membrane. Pénè- tre-t-il , en totalité ou en partie, la peau et la surface in- terne du poumon , par uue sorte d'imbibition physique ? Cela ne peut guère être admis que pour l'eau, et pour les autres matières liquides qu'il tient en suspension , au mo- ment où ces matières se précipitent et s'appliquent à la sur- face du corps. Encore cette imbibition physique est moins facile qu'on ne croit : la nature y a mis des obstacles ; d'un côté , par la sécrétion sébacée qui , en raison de sa nature huileuse , empêche l'eau de s'appliquer à la surface de la peau; de l'autre, par l'épiderme. Des faits nombreux prou- vent que les imbibitions physiques sont bien plus faciles aux surfaces intérieures du corps , qu'à celles qui en forment la périphérie.

L'air exeree-t-il sur la peau quelque action chimique ? A le considérer dans son état de composition ordinaire, et en faisant abstraction de son action respiratoire , qui est un rapport organique, cela n'est pas probable. Mais, si tout à coup il était mêlé à une grande quantité d'un gaz actif, à du chlore, par exemple, peut-être en serait-il autrement? D'ailleurs , si l'atmosphère n'exerce pas sur la peau de l'homme une action chimique par l'air lui-même, elle en exerce incontestablement une par la lumière qui , en venant du soleil , la traverse. On ne peut méconnaître que les par- ties de la peau que frappe la lumière solaire , n'aient une couleur plus foncée que celles que nos vêtements dérobent à son contact; et, bien que la couleur des diverses races d'hom-

DES KAPPOUTS PHYSIQUES ET CHIMIQUES. 3oi

mes ait une cause organique , l'influence chimique de la lu- mière solaire a peut-être aussi quelque part aux différences que, sous ce rapport, présentent les hommes dans les divers climats.

Enfin , l'atmosphère ne peut manquer d'exercer quelques influences physiques sur l'homme, en raison des divers phé- nomènes météorologiques qui se passent en elle. On conçoit quels effets physiques doivent résulter des brouillards, de la pluie, de la neige, de la grêle. Quand de grands vents agitent l'air , l'homme peut en recevoir une percussion telle qu'il soit renversé; mais ce sont des phénomènes rares; le plus souvent la mobilité de l'air n'a d'autre résultat que d'augmenter les effets dépendants de la température et de la faculté dissolvante de l'atmosphère. Quant aux nombreux phénomènes électriques dont l'atmosphère est le théâtre 5 voici leurs influences physiques sur l'homme. L'air est-il très sec , et par conséquent complètement isolant, en même temps que les nuages sont très élevés, et à une très grande distance du globe? toute communication électrique est in- terceptée , et nul phénomène électrique ne se manifeste. L'air, au contraire , est-il très humide ? est-il devenu par conducteur de l'électricité? il y a dès lors communication entre le globe et les nuages. La communication est -elle immédiate ou fort étendue? l'équilibre électrique s'établit insensiblement et sans phénomènes apparents, et l'homme , comme tous les autres corps terrestres, a sa part dans la transmission. La communication n'est-elle pas assez com- plète , ou est-elle trop peu étendue proportionnellement à la charge électrique des nuages? l'équilibre ne se rétablit que par de violentes explosions qui donnent lieu aux éclairs et au tonnerre; et si 1* homme se trouve sur le passage du fluide, au moment de la décharge foudroyante, il reçoit une commotion qui peut le tuer. Enfin, comme il est prouvé que la sphère de l'électricité atmosphérique s'étend à une certaine distance, l'homme doit la recevoir comme les autres corps; et, en effet, cette influence est manifestée en cer- taines personnes par le sentiment de malaise qu'elles éprou- vent à l'approche des orages.

3û2 DES RAPPORTS DE l'hOMME AVEC LA NATURE.

Tels sont les phénomènes physiques et chimiques qui résultent pour nous de notre rapport obligé avec l'atmo- sphère; et c'est à eux que nous bornons ce que nous avons à dire sur nos rapports mécaniques 3 physiques et chimiques avec les corps extérieurs. En effet, si l'on excepte nos vête- ments, tout autre corps n'est jamais qu'éventuellement en contact avec nous ; et nous ne devons pas conséquemment traiter de leur action physique et chimique sur nous , puis- que nous n'avons à parler ici que des rapports qui sont pour nous, ou nécessaires, ou inévitables. Quant à nos vêtements, indépendamment du service qu'ils nous rendent sous le rapport de leur température et dont nous avons déjà parlé , leurs autres offices physiques sont d'absorber la matière de notre transpiration , de nous défendre de l'influence chi- mique de la lumière , de celle de l'humidité , et de nous protéger contre tous les contacts qui pourraient altérer le tissu de nos organes.

§ II. Piavporls organiques de V Homme avec les corps extérieurs.

Non-seulement l'homme , à cause de son contact obligé avec les autres corps de la nature, a avec eux les rapports physiques dont nous venons de parler; mais encore il en- tretient avec ces corps d'autres relations sans lesquelles il ne pourrait ni vivre , ni accomplir certaines de ses facul tés ; i! reçoit d'eux certaines influences qui sollicitent à l'action sa puissance vitale , et en modifient les effets. Ce sont les relations de cet ordre, tenant à sa nature d'être vivant , que nous appelons rapports organiques. Ces rapports sont d'autant plus nombreux en tout être vivant, que cet être a une organisation plus compliquée , et un pouvoir sur la nature plus grand. Deux facultés de la vie, en effet, les entraînent forcément à leur suite, celle de se nourrir, et celle de sentir; et ils seront d'autant plus multipliés que la première de ces facultés exigera pour s'accomplir un con- cours plus grand d'actions , et que la seconde aura une plus grande extension. À ces titres divers, ils doivent être, et sont en effet considérables chez l'homme. Du reste, ils sont

DES RAPPORTS ORGANIQUES. 3o3

déjà connus; en faisant l'histoire des fonctions de relation , de nutrition et de reproduction , irrésistiblement nous avons du les signaler. Nous allons nous borner à les rappeler en peu de mots , en nous renfermant encore dans ce qui est de l'état normal ou de santé.

D'abord , nous retrouvons encore ici au premier rang cette même atmosphère que nous venons de voir exercer sur l'homme tant d'influences physiques. Nous puisons con- tinuellement en elle l'élément nécessaire à la formation de notre sang, l'oxygène; et , à ce titre, un rapport avec elle nous est d'une nécessité absolue. Aussi y sommes-nous plongés de toutes parts! Aussi la concordance la plus heu- reuse existe-t-elle entre la composition de l'atmosphère, et ce premier de nos besoins! Le poumon est-il la seule voie, par laquelle nous prenons dans l'atmosphère l'oxygène utile à notre vie ? ou , la peau , qui est dans un contact continuel avec l'air, n'y puise- t-elle pas aussi un peu de ce principe? Comme une respiration cutanée exis te enbeaucoup d'animaux, on l'a admise par analogie dans l'homme; mais nous avons vu que relativement à cet être, cela est au moins douteux. Toutefois, à ne considérer l'atmosphère que sous ce premier point de vue, qv.e comme aliment de la respiration, de quel intérêt est pour nous le rapport]que uous avons avec elle ? Le principe oxygène existe- t-il dans l'air en trop petite quantité, comme sur le sommet des hautes montagnes, ou sous le récipient de la machine pneumatique quand on y a fait le vide , ou dans un espace étroit beaucoup d'hommes sont rassemblés? la respiration se presse, pour suppléer, par la précipitation de ses mouvements, à ce qui manque à la richesse de l'air. L'air est-il remplacé par un gaz qui ne contient pas d'oxygène ? il y a asphyxie. Le gaz asphyxiant nuit-il, non-seulement parce qu'il ne fournit pas d oxy- gène , mais encore par une influence délétère directe sur quelques-uns des organes ? l'asphyxie qui survient n'est pas seulement négative, mais elle est positive , un véritable empoisonnement.

Puisons-nous dans l'atmosphère quelques-uns des autres principes qui y existent, et particulièrement quelques-uns

3o4 DES RAPPORTS DE L'HOMME AVEC LA NATURE, de ces fluides impondérables qui ont généralement part à la production de tous les phénomènes naturels, savoir, calo- rique , lumière , électricité, etc. ? La chose n'est pas aussi démontrée que la préhension de l'oxygène ; mais les considé- rations suivantes portent à le croire. Ces matières existent dans tous les corps vivants ; elles sont certainement trop subtiles, pour croire qu'elles y ont été faites de toutes pièces ; s'il existe des corps véritablement simples , élémentaires , ce doit être ceux-là; et par conséquent les corps vivants ont puiser dans la nature générale ce qu'ils en contiennent. On sait que les sectateurs des générations spontanées at- tribuent à l'action de ces agents la plus grande part dans la production des êtres vivants, qui selon eux, sont for- més de toutes pièces. Beaucoup de physiologistes recon- naissent la plus grande analogie entre le fluide nerveux , moteur principal de la vie, et le fluide électrique; et c'est une présomption plus fortement établie aujourd'hui que jamais, que l'électricité a une grande part à la production des phénomènes vitaux , et constitue l'essence de la vie. Enfin , on peut arguer de l'heureuse influence exercée par ces agents sur la vie , et du besoin que paraissent en avoir tous les êtres vivants quelconques. Yoyez les plantes lan- guir, s'étioler par la privation de la lumière, et revêtir en quelque sorte une puissance motrice, pour se diriger du côté duquel elles peuvent recevoir ce bienfaisant élément. Des polypes renfermés dans un vase qui ne reçoit la lumière que d'un côté, se dirigent vers le point par lequel leur arrive ce principe. Les animaux supérieurs ne sont pas plus indépen- dants de cet élément vivifiant, du moins à juger par la force qu'imprime, à ceux d'entre eux qui sont faibles, l'in- solation. M. Edwards a expérimenté que les œufs de batra- ciens fécondés, ne se développent pas s'ils sont tenus dans l'obscurité, et que la transformation des têtards de gre- nouille s'y fait beaucoup plus tard : or, si la lumière est ainsi un élément nécessaire à ces premiers âges de la vie , pourrait-elle être sans influence dans les âges suivants ? Ce que nous disons de la lumière s'applique au calorique. Voyez les plantes ralentir et même suspendre leur mouvement vital

DES RAPPORTS ORGANIQUES. 3o5

pendant la saison froide, pour repousser leurs feuilles et leurs fleurs au retour de la saison chaude. Voyez la même alternative de suspension et d'activité se montrer dans les animaux hybernants. La chaleur est si bien la cause de ces grands changements, qu'on peut, par le chaud artificiel, forcer les végétaux à intervertir l'ordre des saisons. Les cli- mats, enfin, démontrent de même l'influence vivifiante du calorique : combien sont détériorées, dans les régions gla- cées des pôles , toutes les productions végétais et animales ! et combien ces mêmes productions sont exubérantes et gi- gantesques dans les régions équatoriales ! Cependant, nous le répétons, l'absorption de ces matières, lumière, calori- que, par le corps vivant, n'est pas une chose aussi démon- trée que celle de l'oxygène; et il est possible que ces matières ne servent ici que comme excitateurs, comme stimulants du mouvement vital. Du reste, en envisageant de cette manière l'influence de ces corps, ils n'en fondent pas moins nn 1-apport organique nécessaire à notre vie, et que nous devions noter.

Outre ces matières premières que nous puisons dans l'at- mosphère, nous pouvons y prendre les diverses substances étrangères, tant minérales que végétales et animales, qui sont en suspension dans son sein. L'air n'est jamais pur; toujours sont interposés entre ses molécules divers produits de l'évaporation des substances solides et liquides du globe ; et une imbibition , les absorptions cutanée et pulmonaire, souvent font pénétrer dans l'économie ces diverses substan- ces. C'est ainsi que des vapeurs cuivreuses, arsenicales, ré- pandues dans l'air, ont occasioné des empoisonnements,* que l'air, chargé de miasmes putrides , fait naître des ty- phus, etc. INous avons dit que l'absorption pulmonaire était encecibien plusaetivequei'absorptioncutanée. Maisvoujant nous renfermer dans ce qui est de l'état normal, il doit nous suffire de signaler ce rapport , comme devant fixer l'attention , quand il s'agit de déterminer les causes des maladies , et de faire servir l'hygiène à les prévenir et à les guérir.

Enfin l'atmosphère a encore, sur le corps humain, des Tome IV, 20

3o6 DES RAPPORTS DE i/HOMME AVEC LA NATURE, influences organiques bien dignes d'être notées , en raison de sa température , de son état de sécheresse et d'humidité , de son état électrique. Sous le premier point de vue, elle est pour nous une occasion continuelle de sensation ; et les effets organiques de son action diffèrent, selon que ces sen- sations sont de chaud ou de froid, et sont plus ou moins intenses. La chaleur, quand elle est modérée, est favorable à l'exercice des fonctions; mais si elle est trop forte, elle relâche les solides, amène l'expansion des fluides, augmente la transpiration cutanée , élève cette sécrétion à l'état de sueur, et frappe de débilité toutes les fonctions; l'appétit est peu vif; on est peu disposé à se mouvoir, et porté au sommeil , etc. Si l'influence de la chaleur est combinée avec celle de la lumière, son impression débilitante est moindre , et même est remplacée par une action tonique mai-quée. Le froid au contraire , resserre les solides , condense les flui- des diminue la transpiration cutanée , et généralement donne plus d'activité à toutes les fonctions. Bien entendu que ceci n'est vrai que du froid modéré ; car le froid extrême amène bientôt la rigidité des membres, leur engourdisse- ment, leur insensibilité; le sang s'arrêtant dans les vais- seaux de la peau, cette membrane devient crispée, dure, pâle, violette; l'immobilité gagne de la circonférence au centre, et l'homme enfin tombe dans un sommeil qui le conduit doucement à la mort. Si l'air est humide , l'action transpiratoire est diminuée , et les impressions de chaud et de froid sont plus fortes; l'air chaud et humide, par exem- ple , abat bien plus les forces que l'air chaud et sec ; et l'air humide et froid nous cause un froid bien plus pénétrant que tout autre. L'air sec , au contraire, est favorable à la transpi- ration cutanée, et presque toujours salubre ; il est moins ac- cablant quand il est chaud que l'air humide , et moins péné- trant quand il est froid. Du reste , dans nos climats, les températures de l'air ne sont jamais extrêmes, ces tempéra- tures ne nuisent guère que par leurs vicissitudes. La plus nuisible est celle du chaud au froid, et surtout au froid hu- mide ; la peau eu reçoit un sentiment de constriction dou- loureux , l'action de transpiration de,cette membrane est ar-

DES RAPPORTS ORGANIQUES. 3o?

rêtée; et sympa iniquement éclatent au loin diverses phleg*- masies séreuses, muqueuses, articulaires, dans les organes qui sont primitivement plus faibles ou déjà souffrants. Dans la vicissitude opposée du froid au chaud , le principal phé- nomène est une expansion marquée dans les fluides , surtout dans le sang; les vaisseaux sont distendus, et il y a menace de suffocation, d'apoplexie. Enfin, quand l'atmosphère est le siège de divers phénomènes électriques, l'économie s'en ressent ; le malaise qu'éprouvent alors certaines personnes nerveuses en est la preuve; mais il est difficile de caracté- riser la modification que subit alors le corps. Nous sommes courts sur toutes ces considérations qui appartiennent plus à la physiologie appliquée, c'est-à-dire à l'hygiène, qu'à la physiologie spéculative.

Après le rapport avec l'air, celui qui est le plus prochai- nement nécessaire à notre vie est celui de l'alimentation ; le sang, qui nourrit nos organes et vivifie le système ner- veux, n'est pas fait seulement à l'aide de l'oxygène que nous puisons dans l'atmosphère , il est continuellement entretenu avec les produits convenablement élaborés des aliments et des boissons; les aliments en renouvellent la partie globu- laire, et les boissons la partie liquide. Nous avons dit, dans le temps, dans quelle limite est renfermé pour nous le be- soin de l'alimentation , dans quels règnes de la nature nous puisions nos aliments et nos boissons. Les diverses substan- ces naturelles se partagent à cet égard en trois classes; celles qui, déposées dans l'appareil digestif y subissent l'élabo- ration nutritive; celles qui résistent au contraire à l'action de cet appareil, mais sans le perturber, et sans exercer au- cune influence sur nous; et enfin celles qui ne se digèrent pas dans l'appareil , et produisent en nous une modification morbide. Les premières de ces substances seules méritent le nom à' aliments ; les dernières, au contraire, sont des mé- dicaments ; et parmi ces substances médicamenteuses, celles qui exercent une action promptement mortelle ou très éner- giquement délétère , ?ont appelées poisons. Une harmonie , primitivement établie par l'Auteur des choses, décide quel rang occupe dans cette catégorie , relativement à telle espèce

20.

3o8 DES RAPPORTS DE i/HOMME AVEC LA NATURE, animale , toute substance naturelle quelconque. Un rapport existe entre la structure de l'appareil digestif et l'économie générale de l'être, et la substance que doit élaborer l'appa- reil, et dont les produits doivent être appropriés aux orga- nes. Ce rapport est quelquefois appréciable dans ses traits principaux; on saisit, par exemple, les motifs de la diffé- rence que présentent, dans leur appareil digestif, les ani- maux herbivores et carnivores ; mais le plus souvent ce rap- port échappe, surtout en ce qui concerne les plus petites spécialités. Chaque animal est ici renfermé dans de certaines limites qui sont posées par la nature elle-même; et ces li- mites ont plus de latitude chez l'homme, qui était destiné à parcourir en tout sens la surface de la terre , et à se fixer en tous climats. L'habitude d'ailleurs les étend encore. Ce- pendant, se montrent ici souvent des sympathies et des an- tipathies spéciales. Ainsi que les divers organes du corps étaient unis entre eux pour faire concourir leur action à un même résultat , de même l'homme a certains rapports sym- pathiques ou de convenance , et antipathiques ou d'opposi- tion, avec les corps extérieurs; et plusieurs rapports de ce genre se montrent dans l'alimentation. Sans doute la pré- sence des aliments dans l'appareil digestif est une circon- stance qui stimule cet appareil et l'excite à agir; mais il en manifeste le besoin sans leur contact, comme le prouve le sentiment de la faim. Du reste, de même que l'atmosphère , ce milieu dans lequel nous puisions notre autre élément de vie , était susceptible de varier sans cesse dans sa compo- sition , sa chaleur, son degré de sécheresse , et par suite im- primait de continuelles modifications à notre économie; de même les aliments et les boissons présentent inévitablement de semblables mutations, et sans cesse aussi ils modifient le corps en raison de leurs qualités , de la quantité dans la- quelle on les prend , des circonstances de leur ingestion , etc. Mais nous ne pouvons encore nous permettre ici aucuns dé- tails, sans empiéter sur ce qui est de la physiologie appli- quée , ou de l'hygiène.

Ces raonorts avec l'air d'une part, et les aliments et les boissons de l'autre, sont les seuls que réclame notre nutri-

DES RAPPORTS ORGANIQUES. 3o0

tion ; car nous n'avons pas besoin de dire, qu'en même temps que l'univers extérieur nous fournit la matière nou- velle que nous nous approprions , il reçoit celle dont nos excrétions nous dépouillent. Passons donc aux rapports qui ont trait à notre faculté de sensibilité.

Nous trouvons ici au premier rang ceux qui sont dus à l'action de nos sens. Il y a un rapport entre la lumière et notre œil, entre le son et l'oreille, les odeurs et l'organe de l'odorat, les saveurs et la langue , enfin entre la tempé- rature des divers corps et la peau. C'est au moyen de ces rapports que nous avons une notion sentie de l'univers, et que nous apprécions les diverses qualités des corps qui le composent. La nature a édifié en nous certains organes , avec l'aptitude de recevoir de ces corps diverses impressions, au moyen desquelles nous en avons la connaissance. Ici encore éclatent des sympathies et des antipathies. Non-seulement telle substance qui est inodore, insipide pour telle espèce animale, a au contraire une odeur et une saveur marquées pour telle autre espèce; mais encore telle odeur ou saveur qui déplaît à Fun, plaît à l'autre. Nul doute que la cause de ces sympathies ou antipathies ne réside dans la structure des nerfs des sens , et dans le rapport que la nature a établi entre ces nerfs et les corps qui doivent les impressionner; mais la condition matérielle de ce rapport nous échappe. Il est évident qu'ici les corps extérieurs sont les excitants obli- gés des organes, et que , sans eux, le jeu de ceux-ci n'aurait pas lieu. Mais nous avons parlé avec assez de détails des actions des sens, pour être dispensé de nous arrêter plus long-temps aux rapports qui les concernent. L'état de veille est toujours accompagné de quelques-uns de ces rapports ; e t ils varient sans cesse, comme l'univers qui leur donne naissance. Nous ne ferons que mentionner ici les rapports organi- ques dus aux sensations internes qui président à nos inges- tions et à nos excrétions, comme la faim, la soif, le senti- ment de la défécation , etc. Sans doute ces sensations ont trait à des rapports avec l'extérieur; mais ces rapports ren- trent dans ceux que nous avons appelés nutritifs, et dont nous avons parlé en premier lieu.

3 10 DES RAPPORTS DE l'hOMME AVEC LA WATURE.

Enfin, parmi les rapports dus à notre faculté de sensibi- lité, aucuns ne sont plus importants que ceux qui dépen- dent de nos facultés intellectuelles et affectives, et qu'on peut appeler moraux, lis sont aussi multipliés chez l'homme que les facultés dont ils dérivent. Par eux , non- seulement l'homme est uni à ses semblables , et entretient avec eux des liens de famille et de société ; mais encore il est mis en rela- tion avec Dieu lui-même. Ayant en lui-même le sentiment instinctif de l'existence d'un Créateur , porté par le même instinct à en appeler à lui dans toutes les circonstances de sa vie, il se rend ainsi participant de sa Puissance et de son Eternité. Mais il n'est pas de notre objet encore de détailler tout ce qui tient à nos rapports intellectuels et affectifs. Nous aurions aussi à signaler ici des sympathies et des an- tipathies; à nous étonner de la rapidité avec laquelle les impressions se communiquent d'homme à homme , et des profonds bouleversements que quelquefois ces impressions produisent. Il faudrait tracer les diverses circonstances ex- térieures à Voccasion desquelles éclatent toutes nos passions ; et ceci rentre dans la science appelée morale. Terminons donc cette énumération rapide de nos divers rapports orga- niques avec la nature , rapports que nous pourrions ranger en quatre classes , nutritifs , reproductifs , sensitifs et wo- raux , en faisant remarquer que le sommeil interrompt tous ceux des trois derniers ordres, et encore une partie de ceux du premier, ceux de l'alimentation, par exemple.

QUATRIÈME PARTIE.

DES AGES DE L'HOMME.

Ainsi que tout corps organisé, l'homme éprouve, pen- dant la durée de sa vie, des mutations constantes, qui constituent ce qu'où appelle ses âges. Il n'a pas, dès son origine, ni sa stature, ni la plénitude des diverses facultés que nous avons vu être ses attributs; mais d'abord embryon débile, à peine apercevable, il emploie des années à par- venir par gradation à son développement parfait; ensuite il paraît y rester un certain temps; et après il décline, avec gradation aussi , pour être enfin frappé de mort. Dans l'intervalle qui s'étend de la conception à la mort, et qui comprend sa vie, des changements considérables et succes- sifs surviennent dans l'état de ses organes, dans leurs rap- ports entre eux, et par conséquent dans l'accomplissement de ses fonctions. L'étude de l'homme, sous ce rapport, ap- partient évidemment à la physiologie hygiénique, à l'his- toire de cet être considéré dans l'état normal , et c'est elle qui va faire l'objet de la quatrième partie de cet ouvrage. Nous allons remonter au moment la vésicule ovarienne, avivée par la conception, commence ses développements; nous montrerons cette vésicule arrivant dans l'utérus, et nous dé- crirons les diverses phases qu'elle y subit; puis, faisant naître l'homme, nous indiquerons les changements qui survien- nent en lui, à mesure qu'il devient enfant, adolescent, adulte , vieillard ; et nous suivrons ainsi le cours de sa vie , jusqu'à la mort qui en est le terme. Les changements qu'é- prouve l'homme dans cette durée sont immenses, et ont servi à partager sa vie en plusieurs époques. Nous en recon- naîtrons deux principales; celle il est encore dans le ssin maternel , qu'on appelle la vie intra-utérine ; et celle il

3i2 - VIE INTRA-UTÉRINE.

en est séparé et jouit d'une vie indépendante , qu'on appelle

vie extra-utérine } ou les âges proprement dits.

SECTION PREMIERE

VTE INTRA-UTERINE.

Cette époque de la vie humaine embrasse tout le temps l'homme, successivement ovule, embryon, fœtus, est renfermé dans le sein de sa mère , c'est-à-dire les neuf mois qui s'écoulent de la conception à la naissance» Quoique cet intervalle soit court relativement à la durée du reste de la vie, il est marqué par beaucoup plus de changements que l'homme n'en éprouvera par la suite. Dans l'histoire que nous allons en faire, il est plus utile que jamais de suivre notre ordre accoutumé, c'est-à-dire de commencer par la description des parties, avant d'en exposer le jeu.

CHAPITRE PREMIER.

Anatomie du Foetus.

Pendant ïa vie intra-utérine, l'homme passe par beau-' coup d'états, dont plusieurs, les premiers surtout, sont couverts encore des plus épaisses ténèbres.

D'abord, qu est-il avant la conception ? Nous ne revien- drons pas sur ce qui a été dit à cet égard à l'article de la gé- nération. Pour les sectateurs de Tépigénèse , il n'existe pas encore; chaque sexe seulement prépare les matières qui, par leur association, doivent le former, le sperme d'une part, et ia vésicule ovarienne de l'autre. Pour ceux de l'évolution , il existe, soit sous forme d'animalcule spermatique dans le fluide séminal , soit sous forme de germe dans ia vésicule ovarienne. Celle-ci , comme nous l'avons dit en parlant des

ANATOMIE DU FŒTUS. SiS

ovaires , est transparente, du volume d'un grain de millet ,. et formée d'une membrane fine que remplit un liquide jau- nâtre ou rougéâtre f dans lequel on ne distingue rien de solide.

En second lieu j la vésicule ovarienne, qu'elle soit un germe contenant les rudiments de l'individu nouveau, et n'ayant besoin que d'être avivé, ou qu'elle soit seulement un des élé- ments destinés à former cet individu nouveau, subit-elle une sorte dematuration indispensable, avant d'éprouver la fécon- dation ? Nous avons dit que cela était sûr pour les animaux chez lesquels la fécondation a lieu à l'extérieur; que l'analogie portait à croire qu'il en était de même cbez les autresovipares, qui en effet pondent des œufs sans avoir souffert aucunes ap- proches; qu'enfin quelques physiologistes le croyaient même des vivipares; mais qu'à l'égard de ces derniers, cependant, la chose était plus douteuse. Ceux c^R admettent cette ma- turation, la font consister en ce que la vésicule première a beaucoup grossi, s'est crevée, et a laissé échapper de son intérieur une autre vésicule beaucoup plus petite, et qu on a appelée ovule pour la distinguer de la première. Cet ovule a paru être aussi une petite vessie, pleine d'un liquide trans- parent et albumineux, ayant à l'extérieur une apparence mamelonnée , et offrant en un de ses points une petite tache blanche, qu'on appelle cicatricule. Cette petite tache est très importante, car elle est le rudiment de l'individu nouveau ; le reste de l'ovule ne paraît être que de la matière nulrive , préparée pour ses développements.

En troisième lieu, quel changement imprime, soit a la vésicule ovarienne primitive, soit à cette vésicule mûrie et dévenue ovule , la fécondation ? Ce changement ne peut encore être caractérisé , et nous sommes ramenés aux aveux d'ignorance que nous avons faits à l'article de la conception. Selon les uns, l'ovule n'a été qu'avivé; selon d'autres , une partie du sperme, l'animalcule spermatique, par exemple, s'est joint à lui pour former le rudiment de l'individu nou- veau. On se rappelle que MM. Damas, Prévost et Rolando > ont professé cette dernière opinion, disant que l'animalcule spermatique s'appliquait à la cicatricule pour former le

3l4 VIE INTRA-UTÉRINE.

système nerveux du nouvel être, et que celle-ci et le reste de Fovule n'étaient que la gangue gélatineuse avec laquelle, sous l'influence du système nerveux, étaient formés les or- ganes. C'est toujours le même débat de l'épigénèse et de l'évolution. Quoi qu'il en soit, à partir de ce moment, la vésicule ovarienne représente l'individu nouveau, car elle est destinée à le devenir, et voici en quoi elle diffère de ce qu'elle était dans le temps précédent : la cicatricule est plus brillante; formée primitivement d'une lame membraneuse blanche, fort épaisse, criblée de petits trous à travers les- quels on voyait le reste de l'ovule , cette cicatricule est devenue plus mince , transparente ; elle est partagée en deux zones , une extérieure plus épaisse , appelée champ opaque, et une intérieure plus diaphane, appelée champ transparent : au centre de celle-ci, qui est régulièrement circulaire , on voit urarpetit trait d'une demi-ligne de lon- gueur , qui est le rudiment du fœtus , la première trace de son système nerveux.

L'ovule fécondé, et tel qu'on vient de le décrire, quitte alors l'ovaire. Les uns disent que c'est au moment même de la conception, et nous avons cité une observation de gros- sesse extra-utérine , qui semble devoir le faire croire. Les autres, et c'est le plus grand nombre, disent que ce n'est qu'après quelques jours , qu'après un temps qui varie dans chaque espèce animale. Cruiskanck, expérimentant sur des lapines, vit les ovules dès le troisième jour dans la trompe, et dès le quatrième, dans l'utérus. Haigton, détermina des gestations tubaires dans ces mêmes animaux, en coupant les trompes dans les deux premiers jours ; mais s'il ne faisait la section qu'après soixante heures, la gestation utérine avait lieu, preuve que les ovules à cette époque avaient déjà passé. Nous avons cité une expérience analogue de Nuck , de la- quelle on pouvait déduire la même conséquence. MM. Dumas et Prévost disent, que ce passage se fait chez la chienne, du huitième au onzième jour. Dans l'espèce humaine, on a dit le douzième jour; mais il se fait plus tôt. Home, exami- nant le cadavre d'une femme morte huit jours après une approche, trouva déjà dans l'utérus l'ovule qui était mern-

AJSATOMIE DU FOETUS. 3i5

braneux , et qui avait une ligne de longueur sur une demi- ligne d'épaisseur.

Dans son trajet à travers la trompe, F ovule a-t-il changé? Cela est certain dans les ovipares. Dans les oiseaux, par exemple , l'ovule n'est composé à l'ovaire que du jaune , substance nutritive destinée à nourrir l'individu nouveau, et de la cicatricule qui est le rudiment de celui-ci : c'est en traversant l'oviductus qu'il a acquis le blanc qui est extérieur au jaune, et en traversant le cloaque , qu'il a revêtu l'enve- loppe crétacée, la coquille. Mais cela est douteux, en ce qui concerne les vivipares et l'homme. Cruishanck dit que dans le trajet à travers la trompe, l'ovule s'est gonflé comme un pois chiche. D'autres ont pensé que la substance séro-albu- inineuse , qui , immédiatement après un coït fécondant , est sécrétée dans l'utérus pour la formation de la membrane caduque, est dans les vivipares l'analogue des blancs de l'œuf des ovipares. Récemment, M. Geoffroy St.-Hilaire a soutenu que dans la trompe, l'ovule ne faisait que grossir, et que, sans éprouver aucuns changements importants, il arrivait à l'utérus tel qu'il était à l'ovaire. Quel est en effet, dit ce naturaliste , le but des changements qu'éprouve dans la trompe l'ovule des ovipares? c'est d'affranchir cet ovule du besoin de s'implanter à la mère, pour subvenir à ses développements; c'est de lui donner les formes qui per^ mettront ses développements sans le secours d'une commu- nication directe avec la mère : or , ajoute-t-il , ces formes n'étaient pas nécessaires à l'ovule des vivipares , et par conséquent , cet ovule a pu parvenir à l'utérus sans les acquérir.

L'ovule arrivant dans l'utérus ; ou se plonge en entier dans la substance séro-albumineuse qui remplit alors cet organe , et voit s'organiser autour de lui le double feuillet membraneux qui constitue la caduque; ou trouvant déjà cette membrane organisée et tapissant l'utérus , il la pousse devant lui à mesure qu'il pénètre le viscère, et s'en entoure dans la plus grande partie de son étendue. On admet l'une ou l'autre de ces deux manières de voir , selon qu'on a admis l'une ou l'autre des deux opinions coïncidentes sur le mode

3l6 VIE INTRA-UTÉRINÈ.

de formation de la caduque. Continuant de grossir dans l'utérus, en cinq jours chez les chiens, il atteint le dia- mètre d'un pois r devient pyriforme , et bientôt par des filaments qui naissent de sa surface externe , il contracte des adhérences avec la caduque , et cesse d'être flottant. Examiné à cette époque, il ne paraît être encore que ce qu'il était à l'ovaire après la fécondation, sauf qu'il est plus gros.

L'époque à laquelle on commence à voir nettement dans l'ovule un rudiment d'embryon , est peu précise , même dans les ovipares, chez lesquels cependant les observations sont plus faciles. Hallerd.it que sur des brebis, animaux qui portent sept mois, il ne vit jusqu'au dix-septième jour, qu'un mucus uniforme ; qu'alors des membranes parurent former l'enveloppe de l'ovule, et en déterminer la forme; et qu'au vingt-cinquième jour, un point opaque annonça le fœtus. Haigton , observant sur des lapines , dont la gesta- tion est de trente jours, ne vit rien avant le sixième jour, et le fœtus ne s'annonça qu'au dixième. Dans l'observation de Home, que nous avons citée, et qui a le mérite d'être relative à l'espèce humaine, l'ovule qui avait huit jours, offrait déjà deux petits points opaques; il avait la forme d'un flocon grisâtre , semi-transparent; il était prompt à se liquéfier, et son poids pouvait, par approximation, être évalué à un grain.

Les développements premiers que subit l'ovule, pour arri- ver au point l'on peut y distinguer nettement i<> le nouvel être sous forme d'embryon ou de fœtus, 2 ° les parties annexes qui sontuniesà cet embryon pour lefaire vivre et croître, sont inconnus dans l'homme. Chez cet être, ces développements se font à une époque trop rapprochée de la conception ; ils se succèdent avec trop de rapidité, et souvent une heure ou deux suffisent pour le passage d'une phase à une autre; l'observa- tion en est délicate et difficile, parce que les objets sont alors si petits, qu'ils sont à peine saisissables par le microscope; enfin, les occasions de faire ces observations sont rares. Ce n'est que par les recherches qu'on a faites sur les animaux, et surtout sur les animaux ovipares, qu'on a pu s'en faire

ANATOMIE DU FOETUS. 3 J 7

quelque idée. Chez les ovipares , tous ees développements se faisant comme à l'extérieur, il était plus facile de remonter à leur origine, et d'en suivre les progrès. Aussi, telle a été la marche suivie par tous les physiologistes, depuis Aristote, jus- qu'à nos jours. Fabrice d' Jq uapendente, Malphigi, Haller, Spallanzani y TVolJ > MM. Cuvier , Dutrochet, Pander et Rolando, etc. , se sont efforcés de suivre les phases du déve- loppement, soit du poulet dans l'œuf de la poule, soit du têtard et de la grenouille dans l'œuf des batraciens; et ré- cemment, de semblables travaux ont encore été entrepris par MM. Dumas et Prévost. Malheureusement tous ces ex- périmentateurs sont dissidents ; il est difficile d'entendre , même avec le secours des figures, les descriptions forcément minutieuses qu'ils ont tracées ; souvent ils ont donné aux mêmes parties des noms différents, ajoutant ainsi aux diffi- cultés de la chose elle-même , les embarras d'une nomencla- ture peu fixe; enfin, ils n'ont fait que fournir des arguments à l'analogie. Or, peut-être ici l'analogie n'est pas applicable, car l'œuf d'un ovipare, qui doit contenir en lui tous les éléments de ses développements futurs, doit être différem- ment édifié que celui d'un vivipare destiné à s'implanter dans le sein maternel , et à y puiser; et dès lors, les déve- loppements de l'un et de l'autre peuvent se faire d'après des lois diverses. Toutefois, voici quelques détails rapides sur les travaux de ce genre.

Un œuf d'oiseau , de poule , par exemple, est composé de deux sortes de parties ; les unes qui ne prennent presque aucune part au développement du nouvel être, et qui après son éclosion restent comme des résidus morts; les autres, dont les métamorphoses sont en rapport avec celles de l'embryon, et qui coopèrent à sa formation. Les premières sont la coquille , et la membrane qui la tapisse; les secondes sont le blanc de l'œuf, le jaune et la cicatricule. La coquille est poreuse, pour permettre l'absorption de l'air extérieur, et l'évapora lion d'une partie du blanc de l'œuf: encore membra- neuse à l'ovaire , c'est dans le cloaque qu'elle est devenue terreuse. La membrane qui tapisse la coquille est blanche, bifoîiée; les deux lames qui la forment, se séparent au gros

3i8 VIE INTRA-UTERINE.

bout de l'œuf, et y laissent un espace rempli d'air, provenant de l'éyaporation de l'albumine intérieure; cet espace est d'au- tant plus grand que l'œuf est plus vieux. Le blanc n'existait pas dans l'œuf attaché encore à l'ovaire; il ne s'est interposé entre le jaune et la coque , que lorsque l'œuf a traversé l'oviductus; il y en a deux, un en deliors, mince , fluide , qui s'évapore en partie, et qui est d'autant moins abondant que l'œuf est plus vieux; un autre plus intérieur , beaucoup plus dense , enveloppé par le premier , et qui ne touche à la coque qu'à la pointe de l'œuf par un prolongement de sa substance, appelée par Tredem le ligament du blanc. On pourrait croire que le jaune ou viiellus n'est qu'une masse demi - fluide sans organisation; mais deux membra- nes, dites épidermiques , l'enveloppent en commun avec la cicatricule, et deux prolougements de ces membranes, appelés chalazes , s'attachent aux deux bouts de l'œuf, et l'y suspendent comme à deux pôles; 20 il est encore renfermé dans une membrane propre ; enfin, sous les tuniques épidermiques du jaune, et sur sa tunique propre, est la cicatricule.

Tous les expérimentateurs disent que c'est de cette der- nière partie de l'œuf que provient le nouvel être , et que le blanc et le jaune ne sont que des matières nutritives pré- parées pour subvenir à ses développements. Haller a même prouvé que le jaune avait une communication directe avec l'intestin du fœtus, et paraissait en être une dépendance. Du reste , sans remonter aux expériences de ce physiologiste et à celles des auteurs anciens sur l'évolution du poulet dans l'œuf, arrêtous-nous à celles plus récentes faites par MM. Cuvier et Dutrocket, Pander et Rolando ; elles suffi- ront à notre objet.

Selon MM. Cmder et Dutrochet, rien ne paraît changé encore dans l'œuf dans les premières heures de l'incuba- tion ; mais, vers ïa septième à peu près, la cicatricule a grossi, et représente, à la partie supérieure du jaune, et sous ses tuniques épidermiques, un petit sac contenant quelque chose de fluide; ce sac est l'embryon, contenu dans une membrane qui lui est propre et qu'on appelle amnios. En

ANÀTOMIE DU FOETUS. 3 19

même temps la chalaze du gros bout de l'œuf s'est détachée, et a permis au jaune de se porter de ce côté, pour que l'em- bryon ou cicatricule se mette en rapport avec l'air qui rem- plit l'espace vide qui y existe; le blanc est porté au contraire en en bas, et d'ailleurs est absorbé successivement par le jaune, qui ainsi se fluidifie et augmente de masse. Vers la trentième heure , ce petit sac de l'embryon , successivement agrandi , offre dans son milieu un petit cercle de couleur blanchâtre, dans le centre duquel est un point semblable à un ver ; ce point est le rudiment du poulet; et le cercle est le premier vestige des vaisseaux qui puisent dans le jaune , ce que Haller appelle \& figure veineuse. Le sang n'y pénètre pas d'abord; mais bientôt cela arrive; un point saillant et battant apparaît dans le poulet, c'est le cœur; on voit l'aorte en naître, et ses branches se rendre dans la fi- gure veineuse. Le poulet s'offre alors sous l'apparence d'une ligne courbe, dont la partie antérieure renflée est la tête. Dans les deux jours suivants, le jaune continuant d'absorber le blanc et de grossir, ses membranes épidermiques se bri- sent et laissent le sac de l'amnios à nu : sur celui-ci, la fi- gure veineuse a continué de s'agrandir. Il paraît que, dans ces premiers temps, c'est le jaune qui a nourri l'embryon , et que l'air renfermé dans l'espace qui est au gros bout de l'œuf a servi à sa respiration. Dans le cours du quatrième jour, sort, entre les rudiments des pieds du poulet, une petite vessie, grosse comme une tête d'épingle , ayant quel- ques vaisseaux qui lui sont propres , et communiquant avec le cloaque. Cette vessie qu'on a appelée allantoïcle , grossit rapidement; tellement qu'à la cent huitième heure, elle sera assez grande pour envelopper tout le sac du jaune et îe sac du poulet, bien que celui-ci ait continué de grandir. Au cinquième jour, on distingue donc dans l'œuf trois sacs, celui du jaune, celui de l'amnios ou du poulet, et celui de l'allantoïde ; et voici comment chacun se comporte. Le sac du jaune va en diminuant graduellement , et celui du fœ- tus en augmentant; le premier, qui, d'abord était presque tout l'œuf 5 arrive à n'être plus qu'un point; et le second qui n'était primitivement qu'un point, la cicatricule, par-

320 ^IE INTRA-UTÉRINE,

vient à constituer presque tout l'œuf; à mesure que l'un augmente, l'autre diminue, se creuse davantage; et lors- que , vers la cent vingtième heure , le fœtus est assez formé pour qu'on distingue en lui l'intestin, on voit clairement que le jaune y tient par un pédicule , et que les vaisseaux qui se rendent à la membrane de ce jaune sont des vaisseaux qui proviennent des troncs mésentériques du fœtus , qui sont sortis par son ombilic , et qu'on a appelés à cause de cela omphalo-mésentériques . À mesure que le développement avance, le jaune se montre de plus en plus une dépendance de l'intestin du poulet; à tel point qu'aux approches de l'éclosion , ce qui en reste rentre dans l'abdomen du poulet , et que le sac du jaune se remplit du même méconium vert que contient l'intestin. Quant à l'allantoïde, cette mem- brane, continuant de croître avec rapidité, bientôt enveloppe tout l'œuf; et dès le huitième jour, ses extrémités venant à se joindre vers le petit bout , se col lent entre elles, et entou- rent l'œuf d'une double tunique , une extérieure , qu'on appelle chorion , et une intérieure, qu'on appelle la mem- brane moyenne , parce qu'elle est ainsi entre le chorion en dehors, et l'amnios en dedans. Du moment de cette union, la figure veineuse perd de son éclat, et il est évident qu'une partie du sang qu'elle recevait va à l'allantoïde. Les vais- seaux de celle-ci viennent aussi du fœtus ; ce sont ceux qu'on appelle ombilicaux . Ils consistent; en une veine dite ombilicale , qui , venant de la veine-cave , a traversé la scis- sure du foie et est sortie par l'ombilic; et en deux artères, por- tant le même nom, et qui sont des continuations des iliaques primitives. Jusqu'au dixième jour, la membrane moyenne de cette allantoïde, communique avec le cloaque par un canal particulier, appelle ouraque , et contient un fluide, qu'à cause de cette communication , on croit être de l'urine : mais plus tard ce canal de communication se casse et dispa- rait, et le fluide est résorbé et réduit à une matière glaireuse et crayeuse.

Dans les autres ovipares , les phénomènes, disent MM. Cu- vier et Dutrochet, sont à peu près les mêmes; si ce n'est que dans ceux qui inspirent l'air, l'œuf ne contient pas de

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blanc, et que dans ceux qui respirent l'eau, non-seulement il n'y a pas de blanc, niais encore que rien de ce qui ap- partient à l'appareil de Fallantoïde ne se développe. L'œuf réduit au jaune et à la cicatricule , se gonfle par suite de son séjour dans Feau ; bientôt le fœtus apparaît attaché à la boule du jaune; et celle-ci est si évidemment un appen^- dice de l'intestin du fœtus, que la peau de cet être, son péritoine, son intestin lui-même, en forment les parois. Enfin, dans les mammifères et dans l'homme , ce sont en- core, disent MM. Cuvier et Dutrochet, les mêmes disposi- tions i le fœtus est aussi renfermé dans une membrane propre, appelée amnios ; une vésicule dite ombilicale , terr nant à son intestin, et recevant les mêmes vaisseaux, dits omphaio-mésentèriques , que la membrane du jaune, rem- plit à son égard les mêmes offices que ce jaune; enfin, Yal- lanlo'ide , en se développant, forme aussi autour de tout l'œuf une double membrane, savoir un chorion , et une membrane moyenne, La seule différence est , que les vais^ seaux ombilicaux qui, dans l'œuf de l'ovipare, ont fini aux deux membranes dites chorion et membrane moyenne 3 dans l'œuf du vivipare percent ces membranes, et vont aur delà former un organe spongieux, vascujaire, destiné à s'implanter dans l'utérus, et appelé placenta.

Ces travaux de MM. Cuvier et Dutrochet nous donnent de premières lumières sur les parties annexes de l'individu nouveau ; ceux de Pander et de Rolando sont plus relatifs à cet être lui-même, et tendent à spécifier l'ordre dans le- quel apparaissent ses diverses parties. Pander dit, que la cicatricule est située sous la membrane même du jaune, qui est plus claire, plus mince à l'endroit qui lui correspond. Elle se présente sous l'apparence d'une tache circulaire , -de deux lignes de diamètre, dont le bord externe est plus clair et plus blanc, et dans le milieu de laquelle est un point blanc, se faisant remarquer par sa clarté. Elle est composée de deux parties, une qui est plongée dans le jauue, et Fau-? tre qui est disposée comme une couche sur sa surface. Celle- ci est, selon lui, la partie de laquelle et dans laquelle se forme le poulet, et il l'appelle à cause de cela la membrane Tome IV. 21

32 2 VIE INTRA-UTÉRINE.

du germe y le blastoderme; il appelle l'autre, noyau de la cicatricule. Le blastoderme est composé primitivement d'une couche simple de granulations ; mais par l'incubation il s'agrandit; de nouvelles granulations plus homogènes se développent à sa surface; il paraît partagé en deux zones, une intérieure, dite le champ transparent, et une exté- rieure, dite le champ opaque; à son centre est un point brillant; et dès la douzième heure, il paraît composé de deux couches , une plus épaisse , granuleuse , opaque , que Pander appelle le feuillet muqueux, et une autre, exté- rieure, plus mince, transparente, qu'il appelle le feuillet séreux. C'est sur lui que vont se développer les germes im- portants des systèmes nerveux et sanguins. En effet, bien- tôt les granulations du feuillet muqueux se retirent du mi- lieu du blastoderme vers son bord externe, et il reste ainsi au centre une place ronde , plus claire , ce feuille test très aminci, et qui est. le siège futur de l'embryon ; c'est ce que Pander appelle Y aire du germe. Cette aire, d'abord petite et circulaire, augmente rapidement avec le blastoderme; successivement elle devient ovale, pyriforme; et vers la seizième heure , se montrent en elle deux petites raies paral- lèles et longitudinales, qui sont les premiers rudiments de l'embryon , et que Pander appelle les plis primitifs : d'un côté , ces deux raies se réunissent en arc pour former la tête du poulet; de l'autre 9 elles restent écartées, et entre elles naît un petit filament, qui est la moelle épinière. Bientôt les deux plis se rapprochent pour entourer la moelle , mais cela ne se fait que graduellement, et ces deux plis laissent en haut des vésicules dans lesquelles plus tard se montrera le cerveau. De chaque côté , apparaissent des taches quadrila- tères , rudiments des vertèbres. Alors , entre les deux feuillets du blastoderme, se forme une troisième membrane , dans laquelle se développent les vaisseaux, et que Pander appelle la membrane vasculaire. Enfin , tandis que le développe- ment de cette troisième membrane va donner naissance uc- cessivement à la figure veineuse , aux vaisseaux , au cœur du poulet , de seconds et de troisièmes plis, disposés en sens contraire des plis primitifs , vont former; les uns, les ca-

ANATOMIE DU FOETUS. 32 3

viles thoracique et abdominale et les viscères qui y sotrt contenus ; et les autres . les enveloppes du fœtus.

Selon Rolando, la cicatricule est composée de trois par- ties : d'une très petite vésicule qui, par ses développe- ments, donnera naissance à la membrane amnîos et aux téguments du nouvel être; 2" d'un disque de substance spongieuse, dont les développements produiront successi- vement la figure veineuse de Halle?*, le cœur et tout le sy- stème vasculaire; enfin, d'un petit corps de substance blanche, qui est ce que Pander a appelé le noyau de la cicatricule , et Haller le sacculus vitellarius , et qui est destiné à former le canal alimentaire. A ces trois parties constituantes de la cicatricule , la fécondation en ajoute une quatrième, qui apparaît à son centre sous la forme d'une demi-ligne de long, et qui est le rudiment du système nerveux. Il est aisé de reconnaître, dans ces trois parties admises par Rolando dans la cicatricule, les trois feuillets, séreux, muqueux et membrane vasculaire , que Pander a signalés dans ce qu'il a appelé le blastoderme. Selon Ro- lando, c'est le rudiment nerveux qui imprime le mouve- ment de développement; alors le disque de substance spon- gieuse s'agrandit; dès la sixième heure de l'incubation, il s'est accru de manière à faire voir nettement en lui beau- coup de vaisseaux entrecroisés de mille manières, et rem- plis d'une liqueur îougeâtre. A la douzième heure, il forme une aire pyriforme, partagée en deux zones , une intérieure, qui est le champ transparent de Pander, et une extérieure, qui est sou champ opaque. Entre les vingtième et tren- tième heures , se montrent les deux artères de la figure vei- neuse , et, à la trente-sixième, le cœur, qui provient d'un des vaisseaux du champ transparent. Ce cœur occupe d'a- bord tout le tiers supérieur du fœtus; mais à la quaran- tième heure, on y distingue trois dilatations, qui sont l'o- reillette gauche , le ventricule gauche et le bulbe de l'aorte. A la cinquante- huitième heure, part de l'oreillette, au côté opposé à celui par lequel lui arrivent les veines caves , un petit vaisseau qui s'applique à droite du ventricule gau- che, pour former le ventricule droit. À la quatre-vingtième,

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324 VIE INTHA-UTÊRINE»

une cloison partage l'oreillette en deux. Ainsi le cœur est primitivement vascuîaire, et il ne cesse de l'être qu'à me- sure que des fibres musculaires se déposent sur le vaisseau qui le formait primitivement. En un mot, du réseau vas- culaire délié qui forme la figure veineuse , et surtout de son centre, de ce qu'on a appelé le champ transparent, provien- nent le cœur, et toutes les artères et veines du corps. En même temps, à mesure que le rudiment nerveux se déve- loppe pour former la moelle spinale , le sacculus vitellarius se prolonge en avant sous lui, et s'unit par des vaisseaux avec la lame spongioso-vasculaire ; sa figure est d'abord py- ri forme j mais comme il s'alonge toujours, il arrive à for- mer un canal, étendu du bord antérieur de la tête au cœur, et assez large; ce canal sera la bouclie et l'œsophage. Ce canal ensuite se prolongeant en bas, dans la même pro- portion que la moelle, le sacculus vitellarius paraît ne plus exister, et est remplacé par un tube étendu de la bouche à l'anus x qui reste ouvert quelque temps à son bord antérieur, et qui est l'intestin. Enfin, ce canal continuant de s'alonger, se replie en avant pour former en dehors de l'être une longue vessie, qui lui est continue sans inter- ruption, et qu'on appelle allanloide. Dans les animaux simples, dépourvus de viscères et d'organes sécréteurs, ce canal reste ainsi sans appendices; mais dans les autres, sa tunique ceîluleuse se prolonge pour constituer ceux-ci. Aux points ces organes annexes doivent être situés, s'é- lèvent de petits tubercules , qui s'unissent avec des vaisseaux capillaires sanguins, pour former les vaisseaux sécréteurs; ceux-ci ensuite s'associent avec d'autres vaisseaux sanguins pour composer les organes. Cela s'étend comme les branches d'un arbre. C'est de haut en bas que se forment ces diverses parties ; c'est-à-dire les salivaires d'abord, puis les trompes d'Eustachi , les conduits aérifères, cholédoque, hépatique, cystique, etc. Quelques-unes cependant paraissent provenir de la membrane tégumentaire , de l'amnios, les mamelles, par exemple. Quant aux téguments extérieurs, d'abord ils recouvrent sans interruption tout l'animal; mais aux lieux il doit exister des ouvertures, ces téguments sont en con-

ÀNÀTOHIU DU FOETUS. 3a 5

tact immédiat avec le sacculus viteîlarius, ou ie canal qu'on vient de décrire, et les vaisseaux , à une certaine époque, venant à leur manquer, ils se percent; si par une cause quelconque ces vaisseaux continuent de les pénétrer, ils conservent toute leur densité, et il en résulte ce qu'on ap- pelle des imperforations .

Nous ne dissimulerons pas que ces diverses descriptions laissent beaucoup à désirer; lues dans les expérimentateurs eux-mêmes, elles m'ont semblé insuffisantes; à plus forte raison doivent-elles le paraître , étant réduites à un si court exposé. Cependant on verra que celle de MM. Cuvier et Du- trochct nous servira lors de l'étude des parties annexes du fœtus humain , et que celle de M. Roiando éclairera aussi l'évolution du fœtus lui-même. Du reste, ces descriptions sont en quelque sorte hors de notre sujet; nous avons déjà dit qu'il fallait être très circonspect dans les analogies à éta- blir entre les ovipares et les vivipares. Il est une famille d'animaux qui aurait pu fournir plus de lumières, celle des marsupiaux; chez ces animaux l'ovule arrive, dès les premiers jours de ses développements, dans la bourse extér rieure; par conséquent on pourrait voir en quel état il est alors, et quelles métamorphoses successives il éprouve, car c'est presque comme une gestation qui se ferait à l'exté- rieur : mais ce sont autant d'observations à faire.

Abandonnant donc ce qui est des premiers développements de l'ovule humain, parce qu'ils n'ont jamais été reconnus, et parce que ce qu'on en a observé dans les autres animaux est peu de chose encore et peut-être ne lui est pas ap- plicable; nous arrivons tout de suite au moment l'on peut distinguer en lui l'être nouveau, et les parties qui lui sont annexées pour le nourrir et le faire croître. Cette dis- tinction peut se faire dès le quinzième jour de la conception ; elle devient ensuite de plus en plus prononcée, et dans la description à donner de l'ovule, on peut alors séparer, comme nous allons le faire, ce qui est des parties annexes du fœtus, de ce qui est du fœtus lui-même. L'ovule n'en reste pas moins, pendant tout le cours de la vie intra-uté- rine, une vessie globuleuse ; mais cette vessie, remplie d'un

3 2 6 VIE IJNTIi A-UTÉRINE.

liquide dans lequel est plongé le fœtus, va en grossissant continuellement; et l'augmentation de son volume peut se mesurer par le degré de dilatation qu'éprouve l'utérus pen- dant la grossesse, car celui-ci est en proportion de celle-là.

ARTICLE PREMIER.

Des parties annexes du Fœtus.

On appelle ainsi les parties de l'ovule qui en constituent les parois, qui l'attachent à l'utérus, l'unissent au fœtus, et servent à la nutrition et à l'accroissement de cet être. Elles consistent : en deux membranes qui font les paroisde 1 ovule; concentriques Tune à l'autre, Tune est en dehors, et s'appelle le chorion , l'autre est intérieure , remplie d'un fluide dans lequel est plongé le fœtus, et s'appelle Yam- nios ; en une masse spongieuse, vasculaire , circulaire, située en dehors du chorion dans le quart de l'étendue de l'ovule, et qui, moyen d'implantation de l'ovule dans l'utérus . est ce qu'on appelle le placenta; en un cordon de vaisseaux , étendu de ce placenta au fœtus par l'ombilic duquel il pénètre, qui est le grand moyen d'union de la mère à l'enfant, et qu'on appelle cordon ombilical ; en une vésicule pleine d'un liquide supposé nutritif, communi- quant avec l'intestin du fœtus, qu'on assimile au jaune de l'œuf des ovipares, et qui est nommée vésicule ombilicale ; enfin, en une autre vésicule qu'on n'admet dans l'œuf humain que parce qu'on la trouve dans celui des autres mammifères, et qu'on appelle allantoïde. Dans la descrip- tion que nous allons donner de ces diverses parties , on verra qu'elles n'existent pas toutes en même temps, et qu'à me- sure que quelques-unes se détruisent, d'autres se forment. D'autant plus amples, épaisses et pesantes, relativement au fœtus, que celui-ci est plus jeune, elles pèsent plus que lui jusqu'à trois mois : à cette époque de la grossesse, le fœtus pèse autant qu'elles; plus tard, le fœtus les surpasse en poids ; et lors de l'accouchement, elles ne forment plus que la huitième partie de sa pesanteur.

AJNATOMIE DU FOETUS. 32 7

Chorion. Le chorion , appelé membrane moyenne par Haller, endochorion par M. Dutrochet, esl la plus exté- rieure des membranes qui forment l'enveloppe de l'ovule. Distincte, dit M. Velpcau , dès le douzième jour après la conception, elle est alors fort épaisse, opaque, résistante, plus large que l'amnios qui est dans son intérieur, velue et tomenteuse à ses deux faces. En dehors elle correspond à la membrane caduque , dont nous avons fait l'histoire à l'article de la grossesse. Si on admet le mode de formation de cette membrane indiqué par M. C haussier , elle en est complètement entourée; si, au contraire, on admet celui indiqué par MM. Morceau et F'elpeau, elle ne lui correspond que dans les trois quarts de son étendue; et dans l'autre quart , qui est celui se développera le placenta , elle est en contact avec l'utérus lui-même. Selon ces derniers, le cercle que trace sur l'ovule, sur le chorion , la caduque réfléchie, marque dès l'origine le lieu se formera le pla- centa, et l'étendue qu'aura cet organe. A cette surface ex- terne, le chorion est hérissé de villosités vasculaires , de granulations , sur lesquelles nous reviendrons à l'occasion du placenta. Ces villosités , dans toute la portion de l'ovule qui correspond à la caduque, servent à le faire adhérer à cette membrane ; mais clans la portion qui correspond à l'utérus , elles se développeront pour constituer le placenta. A sa face interne , le chorion correspond à l'amnios; dans les premiers temps de la vie , un liquide séreux sépare ces deux membranes; mais, vers trois mois, ce liquide a dis- paru , et elles sont alors en contact immédiat. Hewson , Bo- janus, M. Dutrochet , disent que le chorion est, dans son origine, bifolié; et nous verrons que plusieurs feront pro- venir le placenta du dédoublement de ses lames , et du développement des vaisseaux qui rampent entre elles. M. Velpeau, au contraire, prétend qu'il est toujours uni- folié, et que , sur des ovules de quinze jours comme sur des ovules à terme, il n'a jamais pu le séparer en lames, même après l'avoir fait macérer préalablement. Ce qui, selon lui, a induit en erreur les anatomistes qui ont dit le contraire, c'est qu'il se forme , entre le chorion et le placenta , lorsque

028 VIE INTRA-UTÉRINE,

celui-ci est développé , une concrétion menibraniforme assez épaisse, et qu'on peut séparer en plusieurs feuillets. Comme c'est en dehors du chorion que le placenta se développe j ainsi que nous le verrons , cette membrane revêt la face fœtale de cet organe; elle se réfléchit même sur le cordon ombilical , et va avec ce cordon jusqu'à l'ombilic du fœtus, elle se confond avec le derme de la peau de cet être , dont elle paraît être ainsi une dépendance. Du moins, c'est ce qu'assure Ms Velpeau; non qu'il ait pu par la dissection isoler le chorion et le poursuivre jusqu'à ce point d'union ; mais il a pu faire cette dissection à l'égard de l'amnios; et au-dessous, il a vu nettement le chorion se continuer jusqu'à la peau de l'abdomen. À mesure que la grossesse avance, le chorion perd de son épaisseur -, de sa ténacité, de sa densité. A terme , il n'est plus qu'une membrane mince , transparente, incolore, beaucoup plus fine que l'amnios. Selon Haller et Blumenbacli , il est entièrement sans vais- seaux; selon JVrisberg, il en reçoit des troncs ombilicaux du fœtus; et selon Sandifort, de la membrane caduque. M. Dutrochel en fait une extension de la vessie du fœtus.

Amnios. Cette membrane, concentrique à la précédente, est remplie d'un liquide séreux , et contient immédiatement le fœtus. Dans les premiers jours de la vie intra-utérine > elle est mince, transparente, facile à déchirer, et assez sem-* blable à la rétine. N'adhérant d'abord au chorion que pat- Un point e(ûi répond à l'abdomen du fœtus, elle en est, jusqu'à trois mois, séparée dans le reste de son étendue par un fluide que nous avons déjà mentionné, et qu'on appelle fausse eau de l'amnios; mais à cette époque, les deux mem- branes se mettent en contact, et adhèrent par des filaments celluleux très déliés; cette adhérence est faible, sinon au placenta et au cordon. Avec le temps, l'amnios prend de l'épaisseur, de la résistance; et à terme cette membrane est plus épaisse, plus tenace que le chorion, élastique, demi- transparente, d'une couleur blanche, comme laiteuse. Ayant la même étendue que le chorion, elle s'étend, ainsi que lui, sur le placenta , sur le cordon ; et à l'ombilic du fœtus , elle se confond avec 1'épiderme de la peau de cet être. M. V'-eU

AKATO&IE DU FOETUS. 3âf|

peau assure être parvenu à la détacher du placenta, du cordon ; et s'être convaincu de sa dérivation de l'épiderme. Cette membrane a-t-elle des vaisseaux? Huiler le croyait, pour avoir vu ramper en elle une branche de l'artère ombi- licale, avant son arrivée au placenta. D'autres l'ont pensé aussi , à cause du liquide qu'elle contient, et qu'on a dit sécrété par elle. Mais alors, ces vaisseaux viennent- ils de la mère ou du fœtus? Selon les uns, des vaisseaux de la mère passent de l'utérus à la caduque, de celle-ci au cho~ rion, et enfin du chorion à l'aninios mais en examinant les villosités, les filaments qui Unissent l'utérus à la caduque, la caduque au chorion , et le chorion à l'aninios, leur vas- cularité devient de plus en plus douteuse, à mesure qu'on arrive à un point plus intérieur*. Il est plus probable que les vaisseaux viennent du fœtus. Cependant on ne peut faire à cet égard que des conjectures. A la vérité, Monro dit qu'ayant injecté de l'eau tiède dans les artères ombilicales du fœtus, cette eau suinta en gouttelettes à la surface de l'amnios; mais PVrisberg a vu l'injection s'arrêter entre le chorion et l'amnios; et M. Ckaussier a obtenu le même ré^- sultat que Monro , en injectant les vaisseaux de la mère.

L'amnios contient un liquide séreux, dont la quantité relative est d'autant plus grande que le fœtus est plus jeune* son poids, par exemple, est déjà de plusieurs gros, quand celui du fœtus n'est encore que d'un à deux grains. Dans l'origine , cette humeur est claire , transparente mais , à terme , elle a une couleur laiteuse, qu'elle doit à des flocons d'une matière caséeuse qu'elle tient en suspension. Elle a alors une saveur salée , une odeur de sperme , un toucher visqueux et gluant. Elle n'est plus au fœtus que dans la pro-* portion d'un tiers , et sa quantité absolue est d'une livre et demie à deux livres. Ruisch , Harvey , H aller , Osiander , disent qu'elle contient plus de matière animale au comment cernent qu'à la fin de la grossesse. On ignore quelle influence a, sur la quantité de cette humeur, la constitution , soit de la mère, soit de l'enfant. M. Vauquelin y a trouvé pour éléments : de l'eau, 98,8; de l'albumine, de l'hydrochlorate de soude , de la soude , du phosphate de chaux et de la

33o VIE INTRA-UTÉRINE,

chaux, 1,2. M. Berzelius y a signalé aussi de l'acide hydro- phtorique ou fluorique. Suivant Scheel , elle contiendrait de l'oxygène à l'état libre. M. Lassaigne crut d'abord y avoir trouvé les 4/i3i en volume, d'un gaz composé à peu près comme l'air atmosphérique ; mais l'expérience, refaite avec soin par ce chimiste et par M. Chevreul, n'a plus démontré que la présence d'un gaz composé d'acide carbonique et d'azote ; et il faut de nouveaux travaux , pour affirmer l'existence de l'oxygène dans l'eau de l'amnios.

D'où vient cette humeur ? Les auteurs sont divisés ; les uns la font provenir de la mère, les autres du fœtus. Haller l'attribuait à la mère, la faisant sourdre de l'utérus à travers les membranes, par des voies inconnues. Scheel, Lobstein , lui assignent la même origine , mais la disent sécrétée par la membrane amnios , sa sécrétion dans cette membrane étant alimentée par les vaisseaux qui arrivent de l'utérus : les vaisseaux qui, de cet organe vont à la caduque, leur pa- raissent trop abondants, pour ne servir qu'à la nutrition de cette membrane, et ils présument qu'ils vont au-delà fournir dans l'amnios, à la sécrétion dont il s'agit. V ancien- Bosch , au contraire , fait provenir des vaisseaux ombilicaux, et par conséquent du fœtus, le sang qui alimenterait cette sécré- tion. Le doute dans lequel on est ici, tient à celui dans lequel on est relativement à la source réelle des vaisseaux qui vivifient la membrane , car il est très probable que c'est elle qui est l'agent sécréteur : nous avons déjà dit que des injections faites dans les artères ombilicales et utérines , parvenaient également dans la cavité de l'amnios. Pour prouver que la liqueur de l'amnios provient de la mère, on a dit que cette liqueur participait de l'état des humeurs de la mère ; que , par exemple , on y avait trouvé du mercure dans une femme soumise à un traitement anti-vénérien : mais ce fait s'accorde aussi avec l'opinion qui en place la source dans le fœtus, à moins que ce fœtus ne soit mort. Considèrerait-t-on cette liqueur, ainsi qu'on Fa fait, comme le produit de la transpiration du fœtus, comme son urine ? mais sa quantité est d'autant plus grande , que le fœtus est plus petit. M. Meckel croit qu'elle provient principalement

ANATOMIE DU FOETUS. 33 1

de la mère; mais qu'au terme de la grossesse, elle est eut partie fournie par le fœtus.

Placenta. On nomme ainsi une masse molle, spongieuse, vasculaire, développée dans un point de la surfaee du cho- rion , adhérant d'une part à l'utérus , et communiquant de l'autre par le cordon vasculaire, dit ombilical, au fœtus. Aux premiers jours de la vie intra-utérine , ce placenta n'existe pas; ou ne voit sur toute la surface externe de l'ovule et du chorion , que ces villosités, ce tomentum, ces granulations qui doivent, dans la portion de l'ovule qui correspond à la caduque , établir l'adhérence avec cette membrane, et dans celle qui correspond à l'utérus, former l'organe dont il s'agit ici. Du reste, à raison de la dissidence des opinions sur le mode de formation de la membrane ca- duque, les auteurs sont aussi dissidents sur celui du pla- centa. j° Selon les uns, les villosités, qui d'abord sont ré- pandues uniformément sur toute la surface externe du chorion, se rassemblent graduellement de tous les points de cette surface en un seul, pour y former, conjointement avec d'autres vaisseaux qui viennent de l'utérus , et qui tra- versent la caduque, le placenta. Ce corps , par conséquent, a une étendue d'autant plus grande , qu'on est plus près du commencement de la vie ; occupant d'abord les trois quarts , puis les deux tiers, la moitié de la surface du chorion, il arrive à n'en occuper plus que le tiers : mais , en compen- sation , de très mince qu'il était d'abord , il devient de plus en plus épais et dense. Les vaisseaux qui le forment ont évidem- ment deux origines; les uns proviennent des villosités du chorion , et s'offrent d'abord sous l'apparence de divisions vasculaires, semblables à des branches de corail; les autres proviennent de l'utérus. La double dérivation de ces vais- seaux , de la mère d'une part, et de l'enfant de l'autre, sera encore bien plus certaine, quand on examinera le placenta, lors de son développement complet, à l'époque de l'accou- chement. Vers le milieu de la grossesse , la caduque disparaît derrière le placenta; de ce côté la surfaee de cet organe de- vient lisse, et serait en contact immédiat avec l'utérus, sans l'intervention d'une nouvelle membrane mince, qui se forme

33 2 VIE INTllA-tîTÉRiiïÈ".

entre l'un et l'autre. 20 Selon d'aulres , le placenta se forme par le dédoublement des lames du chorion, et par le déve- loppement des divers vaisseaux qui rampent entre ces lames. Enfin, selon M. Velpeau, le placenta ne se forme qu'au point de l'ovule que ne revêt pas la caduque, et qui est aussitôt en contact immédiat avec l'utérus; il résulte du développement des granulations qui recouvrent ce point du chorion. Le cliorion , en effet, adhérant bientôt à la portion de la caduque qui lui Correspond, on ne peut concevoir* dit M. Velpeauy cette concentration successive de toutes ses villosités extérieures en un seul point, pour constituer le placenta, comme le Veulent les fauteurs de la première théorie; et on ne peut pas davantage admettre la seconde, puisque le chorion n'est évidemment formé que d'une seule lame. Selon lui , le placenta ne se forme qu'au point la caduque ne recouvre pas l'ovule; et le disque que fait cette membrane en se réfléchissant sur l'ovule, marque, dès les premiers temps de la conception, la place qu'occupera ce corps , et quelle sera son étendue. Il résulte du développe- ment des granulations qui recouvrent en ce point la surface du chorion, granulations que les auteurs qualifient de vil- losités vasculaires, mais qui sont, selon M. Velpean, des organes gangliformes , contenant les rudiments des vaisseaux placentaires. Existant sur le chorion, dès l'instant l'ovule était encore attaché à l'ovaire , ces granulations lui sont étrangères en quelque sorte, mais s'implantent en lui par des pédicules d'une demi-ligne de longueur. Toutes celles qui recouvrent la portion du chorion qui correspond à la caduque,, ne se développent pas; mais, avortant, en quelque sorte, elles se bornent à faire adhérer entre elles ces deux membranes. Toutes celles, au contraire, qui existent à la portion du chorion que la caduque réfléchie a laissée libre et en contact immédiat avec l'utérus, se développent, devien- nent vasculaires et forment le placenta. M. Velpeau , pour justifier ce mode de formation, dit qu'ayant détaché la cadu- que réfléchie du chorion, il a vu lesgranulalions être d'autant moins grosses, d'autant plus longues et d'autant plus écartées, qu'elles étaient plus loin du disque de la caduque réfléchie.

A.NATOMIE DU FOETUS. 333

Quoi qu'il en soit du mode selon lequel se forme origw nellement le placenta, il est déjà apparent et reconnaissable dans le cours du second mois. Il va ensuite en s'accroissant successivement; de telle manière cependant qu'à la fin de la grossesse ii est moins pesant , plus dense , moins vascuîaire, parce que plusieurs des vaisseaux qui le forment, et que nous allons décrire , se sont oblitérés, et se sont changés en filaments fibreux, durs, et même en filaments calcaires. Ce changement , qui est un signe de maturité du fœtus , et un prélude à la naissance de celui-ci , apparaît même quelque- fois hors des vaisseaux, et surtout à la face utérine du pla- centa, qui est toujours plus dense et plus unie.

Voici quelles sont à terme sa conformation et sa texture. Son étendue est le quart de la surface de l'ovule; son dia- mètre, de six à huit pouces; sa circonférence, de vingt- quatre pouces; son épaisseur, de douze à quinze lignes au centre , et de quelques lignes à la circonférence; son poids , avec le cordon et les membranes , de dix-huit à vingt onces. Sa forme est orbiculaire , et le cordon est implanté à son centre. Cependant, en tout ceci, on observe de nombreuses variétés; on a trouvé le placenta , mince comme une mem- brane, ovalaire , bilobé , multilobé, réniforme; on l'a vu ayant le cordon attaché à son bord , ou les vaisseaux de ce cor- don déjà séparés avant de l'atteindre, et le pénétrant en des points divers, d'où les noms de placenta en raquette, en parasol , qui lui ont été donnés en ces deux derniers cas. Il peut être situé à tous les points de la matrice, même à son col; mais il l'est le plus souvent à la région, qui correspond à l'ouverture des trompes. De ses deux faces, celle qui cor- respond à l'utérus est divisée en lobes ou cotylédons irré- gulièrement arrondis ; une membrane cellulo-vasculaire . molle et peu tenace, la recouvre. Cette membrane, selon Chaus s 1er , cii'est que la caduque, qui, dans son système > enveloppe l'œuf entier : selon Wrisberg , MM. Lobstein , Désormeaax , la caduque a disparu derrière le placenta , vers quatre à cinq mois , et y a été remplacée par cette menw brane nouvelle : selon M. Velpeau, jamais la caduque n'a existé , et la membrane dont il s'agit ici ne peut être con-

334 VIE INTRÀ-UTÉRIKE.

fondue avec elle. Quelques-uns y admettent des vaisseaux intermédiaires à ceux de l'utérus et du placenta. L'autre face du placenta, d'île foetale, est lisse, polie, recouverte par le chorion et l'amnios , et présente l'implantation du cordon, dont les principaux troncs et rameaux se dessinent à sa surface.

Le placenta a pour éléments constituants : Des vais- seaux sanguins qui proviennent de deux sources , de la mère et du fœtus. Les premiers viennent de l'utérus : connus par Albinus , injectés , il y a plus de trente années, par notre célèbre professeur Dubois , ils consistent en ar- tères, et en veines. Les artères fort tortueuses ont sou- vent jusqu'à une ligne de diamètre. Les veines plus grosses encore, se distinguent par des renflements ou cellules qui les font différer des autres radicules veineuses; elles sont comme les premiers rudiments d'un développement vas- culaire , et ressemblent beaucoup aux vaisseaux qu'on voit se former dans les concrétions qui s'organisent. Les vaisseaux sanguins qui proviennent du fœtus, sont ceux que nous verrons former le cordon ombilical : savoir, une veine appelée ombilicale , venant de la veine cave inférieure du fœtus; et deux artères dites aussi ombilicales, qui sont des divisions des deux iliaques primitives de cet être. Ces vaisseaux, après avoir pénétré la face fœtale du placenta, se ramifient dans la substance de cet organe , de telle ma- nière qu'il y a pour chaque lobe un rameau artériel et un rameau veineux , qui s'y divisent à l'infini , mais sans s'a- nastomoser avec les vaisseaux des autres lobes. En exami- nant au microscope les dernières ramifications, on voit que toujours une artériole et une veinule marchent de concert, étant enfermées dans une même gaîne celluleuse , et présen- tant de distance en distance des nodosités, comme nous en verrons dans le cordon. 20 Des expansions du chorion , qui se divisent, dit-on, en gaines celluleuses pour accompagner les vaisseaux jusqu'à leurs dernières ramifications : M. Vel- peau nie ce fait anatomique. Des filaments blancs , qui sont d'autant plus nombreux, que la vie intra-utérine est plus avancée , et qui paraissent n'être que des vaisseaux obli-

ANATOMIE DU FOETUS. 335

térés. Une substance intermédiaire, sorte de tissu cellu- laire, servant à unir les vaisseaux entr'eux, et qu'on a dit être un prolongement de la caduque qui a suivi ces vais- seaux. 5o Enfin, une certaine quantité de sang infiltré dans ce tissu cellullaire intermédiaire aux vaisseaux, et qu'on en retire par le lavage. Littre admettait aussi dans le placenta, mais à tort , des glandes : Schrêger , des vaisseaux lymphati- ques , surtout à la face utérine ; et MM. Chaussierel Ribes , des nerfs provenant du trisplanchiquedu fœtus. Tous cesélé- ments, par leur association, forment un organe spongieux, mollasse, facile à déchirer, dont la couleur rouge dispa- raît par le lavage, dont les lobes enfin sont réunis en une seule masse, à la différence de ce qui est en beaucoup de mammifères chez lesquels ce placenta est composé de cotylé- dons séparés. Du reste, cette différence est plus apparente que réelle; car chaque lobe du placenta humain a ses vais- seaux propres , qui ne communiquent pas avec ceux des au- tres lobes. On peut même dire qu'il y a deux placentas, un utérin et un fœtal , le premier formé par les ramifications des vaisseaux utérins , et le second formé par celles des vais- seaux ombilicaux : distincts dans les deux premiers mois de la vie, ils se confondent ensuite en une seule masse. Néan- moins leurs vaisseaux respectifs restent toujours séparés : dans le placenta utéi'in , les artères et veines utérines com- muniquent directement entr'elles, comme dans le placenta fœtal communiquent directement les artères et veines ombi- licales; mais il n'y a pas communication directe des vais- seaux utérins aux vaisseaux ombilicaux, et des vaisseaux om- bilicaux aux vaisseaux utérins.

Quant à l'attache du placenta à l'utérus, tour-à-tour on l'a assimilée à une'greffe,à l'enracinement des plantes para- sites, à l'enchâssement du noyau avec la pulpe dans un fruit drupacé , etc. Elle est due aux vaisseaux utéro-placen- taux de M. Dubois , lesquels pénétrent, soit la caduque et le chorion , soit les granulations qui sont à l'extérieur de ce chorion, selon la théorie que l'on admet sur la formation de la caduque et du placenta.

Cordon ombilical. De la face interne du placenta , part un

336 VIE INTRA-UTÉRINE.

cordon vascuîaire qui va pénétrer l'ombilic du fœtus, et par conséquent faire communiquer le placenta avec cet être. Jusqu'à îa fin du premier mois , ce cordon n'existe pas; et l'embryon est, par la face antérieure de son corps, immé- diatement appliqué à Tamnios, aux enveloppes de l'œuf. Béclard , sur un embryon d'un mois, n'a vu que des vaisseaux qui rampaient pendant un certain espace entre les membra- nes de l'œuf, depuis l'abdomen du fœtus jusqu'à l'endroit du cliorion se voyaient les rudiments du placenta futur. C'esuvers la cinquième semaine qu'apparaît la première trace du cordon. Selon tous les auteurs, il est alors tout droit, très court, mais très gros, parce qu'il contient une partie du canal intestinal; il semble même n'être qu'un prolon- gement de l'abdomen , et est situé tout-à-fait au bas de cette cavité. Selon M. P'elpeau , il consiste d'abord en quatre renflements, séparés par autant de rétrécissements ou col- lets; l'un, plus alongé, adhérant au placenta; l'autre for- mant l'anneau ombilical ; les deux autres, si tués dans l'inter- valle. Ensuite, ces renflements disparaissent; en premier lieu, celui qui adhère au placenta; en second lieu, celui qui est à l'anneau ombilical ; en troisième lieu, celui qui fait suite au premier qui a disparu; enfin , en dernier lieu celui dans lequel était l'intestin. Ce n'est qu'alors que le cor- don se présente avec l'aspect d'une corde. M. Ollivier, sur un embryon d'un mois, a reconnu ces quatre renflements décrits par M. Velpeau. Successivement le cordon s'alonge, devient plus grêle ; son attache à l'abdomen devient moins large, et correspond à un point de cette cavité de moins en moins élevé ; enfin il se contourne , ordinairement de gauche à droite, et finit par présenter des nœuds souvent assez compliqués.

A terme, sa longueur est généralement celle du fœtus; elle varie de quelques pouces à quelques pieds : sa grosseur égale celle du petit doigt. 11 est composé de trois vaisseaux, îa veine ombilicale et les deux artères du même nom, et d'une substance gélatiniforme particulière. La veine onibi* licale est aussi grosse à elle seule que les deux artères om- bilicales; elle vient de la veine cave inférieure du fœtus.

AJNATOMIE DU FOETUS. 33*

Après avoir communiqué clans l'abdomen de cet être , avec la veine-porte et les veines sous-hépatiques , elle sort par 1 ombilic, suit le cordon , et va se ramifier dans le placenta fœtal; elle est sans valvule, et doit être considérée comme une expansion radiculaire du fœtus. La suppose-t-on , au contraire, provenir du placenta? à peine a-t-eîle pénétré dans l'abdomen du fœtus, qu'elle s'y partage en deux bran- ches; une gauche, qui va au côté gauche du foie et paraît être la division gauche de la veine-porte ; et une autre qui , sous le nom de canal veineux , va s'ouvrir dans la veine- cave inférieure. Une valvule existe au point de la bifur- cation, comme au lieu de la jonction avec la veine-cave inférieure. Les deux artères ombilicales sont des continua- tions des iliaques primitives du fœtus; la veine tourne eu spirale autour d'elles; après leur sortie par l'ombilic, elles viennent se ramifier aussi au placenta fœla!. Nous avons dit que Chaussier et M. Ribes avaient suivi le long de ces vaisseaux, jusque dans le placenta, des filets du nerf tri- splanchnique. Un tissu cellulaire , infiltré d'une humeur albumineuse épaisse, attache ces vaisseaux entre eux, et constitue cette substance gèlatinij orme que nous avons an- noncée comme le troisième élément du cordon. Sa quantité est variable, et détermine ce qu'on appelle les cordons gras et les cordons maigres. On parvient difficilement à pousser de l'air ou une injection mercurielle dans les cellules de ce tissu; cependant elles sont perméables; car si on plonge le cordon dans l'eau par un de ses bouts, on voit le liquide monter jusqu'à l'autre bout. Sur ce fait, on avait avancé qu'il se faisait dans ce tissu une circulation de l'humeur gélatineuse dont il est infiltré. Du coté du fœtus , ce tissu se continue avec le tissu cellulaire sous-péritonéal , et, du côté du placenta, il accompagne les vaisseaux dans leurs divisions. Le cordon , enfin , est revêtu extérieurement par le chorion et l'amnios, comme nous l'avons dit.

Dans le cordon ombilical , se trouvent encore : 10 uu canal dont nous devons parler ci-après, dit ouraque , étendu du sommet de la vessie à l'ombilic , et se prolongeant par cette ouverture dans ie cordon; 20 des vaisseaux très grêles Tome IV. 22

338 VIE INTRA-UTÉRINE,

dits omphalo-mésentériques , sortant aussi par l'ombilic , pour se rendre à la vésicule ombilicale qui va nous occuper. Vésicule ombilicale. On appelle ainsi un petit sac rempli d'une liqueur jaunâtre, situé d'abord à la partie inférieure de la face antérieure de l'embryon, mais qui s'en écartant à mesure que le cordon se forme , arrive successivement à la face fœtale du placenta, et enfin disparaît vers le troisième mois de la vie intra-utérine. Cette vésicule a donné lieu à de nombreux débats, relativement à son origine, ses rap- ports avec le fœtus et ses usages. Osiander voulait qu'elle ne fût qu'une difformité; mais il est sûr qu'elle appartient à Fétat normal. On ignore à quelle époque précise de la grossesse elle apparaît ; mais, s'il est vrai qu'elle soit, comme on va le dire , l'analogue du jaune de l'œuf des ovipares, elle doit exister la première; et peut-être que la vésicule pleine de liquide, qui constitue primitivement l'ovule., n'est que cette vésicule ombilicale à laquelle est annexée la cicatri- cule , alors si petite qu'on ne peut la voir. Quand on peut la distinguer du fœtus, elle a pour paroi une membrane granuleuse, solide, très résistante; et elle est remplie d'un liquide primitivement limpide, mais qui, par les progrès de l'évolution , devient blanc, s'épaissit, s'endurcit, et di- minue de quantité. D'autant plus grosse proportionnelle- ment que l'embryon est plus jeune, elle reçoit des vaisseaux, provenant des vaisseaux mésentériques de cet être, appelés omphalo-mésentériques, et consistant en une artère et une veine. L'artère vient de la mésentérique supérieure, et est à gauche ; la veine vient de la veine-porte ventrale , et est à droite. C'est parce que ces vaisseaux sont les mêmes qu*e ceux qui se distribuent dans l'œuf des ovipares à la mem- brane du jaune, qu'on a fait généralement de la vésicule om- bilicale, l'analogue du jaune. Ces vaisseaux ordinairement disparaissent avec la vésicule; M. Ribes , qui en a donné une bonne description, ne les a jamais trouvés dans les embryons âgés de plus de deux mois et demi. Cependant quelquefois ils ont encore été trouvés dans le cordon à l'in- stant de la naissance , et M. Béclard dit en avoir aperçu une fois les restes à l'ombilic, sur un enfant de douze ans.

AKATOM1E DU FOETUS. 339

Cette vésicule est généralement considérée comme l'ana- logue du sac vitellaire , du jaune de l'œuf des oiseaux. On se fonde sur la transparence de ses parois, sur l'existence du liquide limpide qui est dans son intérieur, sur sa situation en dehors ou dans l'intervalle des autres membranes, sur les vais- seaux qui lui arrivent et qui sont les mêmes que ceux qui sont au sac du jaune, enfin , sur sa communication avec la cavité de l'intestin. A la vérité, ce dernier fait est encore un point contesté. Cependant si quelques physiologistes, Emmert , M. Cuvier, disent que cette communication n'est pas prouvée, la plupart des auteurs , au contraire , l'admettent d'après les raisons suivantes : l'analogie des oiseaux, des reptiles et des poissons. J-Volf a fait voir qu'évidemment , dans les oi- seaux, le canal intestinal procède de la membrane du jaune; d'abord, ces parties paraissent n'en former qu'une ; ensuite, à mesure que l'intestin se forme, il reste, à la partie inférieure de l'intestin grêle , une ouverture qui donne passage à un conduit qui va au jaune; enfin ce conduit s'oblitère , et laisse comme un appendice en cul-de- sac suspendu à l'intestin. Dans les détails que nous avons donnés sur le développement du poulet dans l'œuf, on a vu que le jaune communiquait avec l'intestin, et finissait par en être une dépendance. Dans l'origine du fœtus, le canal intestinal est placé dans la base du cordon , hors l'abdomen , conséquemment le plus près possible de la vésicule ombili- cale. 3° M. Meckel a trouvé une fois, sur un embryon long de cinq lignes , un filament de connexion entre la vésicule ombilicale et l'intestin, et il est très probable que ce fila- ment avait été creux dans son origine. En effet , il contenait une artère et une veine, qui évidemment étaient les vais- seaux omphalo-mésentériques; ensuite un semblable fila- ment a été trouvé creux par Oken , Bojanus , sur des embryons de mammifères ; enfin , Hunter l'a trouvé tel une fois sur un embryon humain ; il put pousser par lui , dans l'abdomen , tout le fluide qui remplissait la vésicule ombilicale.

Alors , dans quelle région de l'intestin est la communica- tion supposée? Oken dit que la vésicule envoie haut et bas

22,

34o VIE INTRA-UTÉRINE,

deux prolongements qui se rendent, l'un à l'intestin supé- rieur ou stomacal, et l'autre à l'intestin inférieur ou anal ; et que, lorsqu'elle se détruit, elle laisse à l'intestin un reste, qui est le cœcum ou son appendice. M. Meckel9 au con- traire , veut que la communication soit à la partie inférieure de l'intestin grêle , à l'iléon ; objectant que , d'après l'idée à?Oken , il devrait y avoir un cœcum dans tous les animaux qui ont une vésicule ombilicale; arguant de l'analogie des oiseaux chez lesquels la communication a lieu au point qu'il indique, tellement que l'intestin en conserve toute la vie la marque, par une petite bosselure; établissant enfin que les diverticules qu'on trouve quelquefois à la partie inférieure de l'iléon en sont les restes.

M. ydpeau ne croit pas non plus que l'appendice ccecal soit le reste de la vésicule ombilicale ; il se fonde sur ce qu'il a trouvé cet appendice dans des embryons si jeunes , que l'intestin était encore renfermé dans le cordon. La vésicule ombilicale est, selon lui, un ou plusieurs des renflements, qu'il dit composer primitivement le cordon ; il a vu , en effet, ces renflements communiquer ensemble, et contenir un fluide séreux, limpide; le second était même rempli d'une matière jaune. Au lieu d'être située entre le chorion et l'amnios , comme le disent tous les auteurs , elle serait en dehors du chorion , qui lui fournirait une gaîne sur le cordon.

Allantoïde. Enfin , dans les œufs des quadrupèdes , on trouve, entre le chorion et Tamnios, disent la plupart des auteurs , et en dehors du chorion , dit M. F~elpeau , un réservoir membraneux qui, par un canal appelé ouraque , va communiquer avec la vessie. Ce réservoir a une forme alongée , et a reçu son nom de sa ressemblance avec un boudin, une saucisse. Rempli d'un liquide que les uns di- sent être l'urine du fœtus, que les autres considèrent comme une substance nutritive mise en réserve pour lui, il se con- tinue avec le canal appelé ouraque. Celui-ci se place dans le cordon ombilical, pénètre par l'ombilic dans l'abdomen , et vient s'ouvrir dans la vessie.

Dans l'œuf humain , on n'a encore trouvé de cet appareil ,

AINATOMIE DU FŒTUS. 34 l

que l'ouraque. Mais, néanmoins, on en admet l'existence : à cause de l'analogie des autres mammifères; à cause de la présence de l'ouraque, qui doit faire supposer l'allan- toïde; 3° parce qu'on a trouvé quelquefois l'intervalle entre le chorion et l'amnios pleins d'eau ; certains physiologistes disent même que le chorion est tapissé intérieurement d'une membrane très fine, qui s'est collée à lui au point de lien êterè plus séparable , et qui serait l'allantoïde; enfin, parce que M. Meckel dit avoir trouvé, sur un embryon de quatre semaines , une vésicule plus grande que l'ombili- cale, qui évidemment n'était pas elle , et qui probablement éiait l'allantoïde. MM. de Blainville et Lobsiein croient qu'on fait, dans l'espèce humaine, un double emploi , et que ce qu'on y appelle la vésicule ombilicale, n'est que l'allantoïde.

Pour ce qui est de l'ouraque, les uns le disent un simple ligament étendu du sommet de la vessie à l'ombilic, et se prolongeant dans le cordon; les autres le disent un canal. Il est creux, en effet, dans son origine; il ne s'oblitère qu'à trois mois; avant cette époque, on a pu l'injecter avec du mercure, assez loin dans le cordon. Haller, Sabotier , disent môme l'avoir vu plusieurs fois, creux encore du coté de la vessie dans des enfants nouveaux-nés; et l'on cite des cas il est resté ouvert toute la vie, et l'urine était excrétée par l'ombilic. Du reste, il est d'autant plus considérable, d'autant olus large, relativement à la vessie, et d'autant plus prolongé dans le cordon , que l'embryon est plus jeune.

Telles sont les parties annexes du fœtus. En ces derniers temps , M. Pockels a signalé encore une nouvelle partie sous le nom àe vésicule eiythroïde. Jusqu'au quatorzième jour, dit-ii,, l'œuf est de la grosseur d'une aveline ; il est dans la caduque , sans qu'il y ait de communication entre cette membrane et le chorion. Celui-ci est rempli d'un fluide rouge, transparent, de la consistance du blanc d'œuf , tra- versé en plusieurs sens par une membrane incolore très ténue, et qui est disposée, à l'égard de ce fluide, comme

342 VIE TNTRA.-UTÉRINE.

l'est la membrane hyaloïde à regard du corps vitré. En de- dans du chorion est l'amnios, qui ressemble alors à une petite vessie oblongue ou globuleuse, ayant le volume d'un haricot ou d'un pois. L'embryon est d'abord en dehors de cet amnios, lui adhérant par sa partie postérieure, tandis que, par sa partie antérieure , il correspond au chorion; mais vers le seizième jour, il s'y enfonce, et alors appa- raissent en dehors de lui , et réunies à lui , deux parties im- portantes, la vésicule êrythroïde et la vésicule ombilicale. Celle-ci est globuleuse, d'une couleur blanche- jaunâtre, remplie d'un fluide diaphane comme de l'eau, et située un peu au-dessus du sommet de Fembryon , qu'elle surpasse d'abord en volume; elle ne croît que jusqu'au moment le cordon apparaît, n'a jamais plus de deux lignes de dia- mètre, se sépare ensuite du lieu elle était d'abord atta- chée et de l'insertion du cordon , et envoie dans l'intestin de l'embryon un canal. La vésicule êrythroïde est py ri- forme; par sa grosse extrémité, elle repose sur l'amnios , du côté de la partie la plus basse de l'embryon ; et par la petite , elle va s'ouvrir dans l'abdomen de cet être. Transparente, d'une couleur blanche laiteuse dans les œufs de huit à douze jours, elle a trois fois la grosseur de l'embryon, et vers la quatrième semaine, elle a déjà disparu. Au moment l'embryon s'enfonce dans l'amnios et s'enveloppe de cette membrane, on la voit manifestement donner naissance au cordon ombilical, et engendrer l'intestin dans sa cavité. M. Pockels considère ces deux organes comme essentielle- ment nécessaires au développement de l'embryon; il assigne surtout cet usage au fluide que contient la vésicule ombi- licale, jusqu'au moment de la formation des vaisseaux om- bilicaux, lesvaisseaux omphalo-mésentériquess'ouvrant alors dans la vésicule êrythroïde, et celle-ci . plus tard, donnant naissance aux vaisseaux ombilicaux. M. Pockels nie l'exi- stence de l'allantoïde.

Il nous reste à dire ce qui est de ces parties annexes du fœtus , quand la grossesse est composée. Alors le plus sou- vent les œufs ne sont que contigus. Quelquefois cependant cela n'est pas; dans quelques cas, on a trouvé les placentas

ANATOMIE DU FOETUS. 343

confondus en un seul, ayant entre eux les communications vasculaires les plus intimes. Dans d'autres, il n'y avait évi- demment qu'un seul placenta , donnant naissance à deux cordons, ou même à un seul, mais qui se bifurquait pour chacun des deux fœtus. On conçoit que, dans ce dernier cas , il faut lier le cordon après la sortie du premier enfant, si l'on ne veut pas que le second meure d'hémorragie.

ARTICLE II.

Du Fœtus lui-même.

Nous avons déjà dit qu'il n'y avait rien de fixe relative- ment à l'époque à laquelle on commence à voir, dans la vessie pleine d'un liquide transparent qui constitue l'ovule , un petit point nuageux, solide, opaque, annonçant l'in- dividu nouveau. On ne le voit que postérieurement à l'ovule proprement dit, car il en provient, du moins à juger d'a- près les ovipares chez lesquels l'embryon naît de la cicatri- cule qui se développe sur le jaune et à ses dépens. Si la vésicule ombilicale est dans l'espèce humaine l'analogue du jaune, c'est à sa surface qu'il doit apparaître. Selon les uns, il est, dès son origine , lié à ses enveloppes; selon d'autres, il naît libre au milieu du liquide de l'œuf. Bien distinct vers la troisième semaine , il est alors oblong , vermiforme , renflé à son milieu , obtus à l'une de ses extrémités , terminé en pointe mousse à l'autre, droit ou faiblement courbé en avant. Il n'est alors qu'un petit corps gélatineux, d'un blanc grisâtre, demi -opaque, sans consistance, long de deux à trois lignes, et du poids de deux à trois grains. Il est réduit au torse; il n'y a pas encore en lui trace de la tête; on voit seulement en avant une petite saillie séparée du reste par une entaille. 11 n'y a pas davantage trace des membres, ni vestige d'aucune proéminence , d'aucune ouverture à la sur- face du corps. Le ventre apparaît sous forme d'une saillie conique; et à sa partie tout-à-fait inférieure et antérieure, au point naîtra le cordon , il appuie immédiatement sur l'enveloppe intérieure de l'œuf. Celui-ci , dans son entier, a

344 VIE I3NTR A-UTÉRINE.

Je volume d'une grosse noisette, ou d'une petite noix; au- cun organe ne peut y être distingué, même au microscope. L'embryon humain a alors la texture homogène du plus simple des êtres organisés.

De la cinquième à la sixième semaine , il est devenu plus consistant, et ses parties sont plus distinctes : sa longueur est de cinq à six lignes , son poids d'environ dix-neuf grains; sa forme a été comparée par Aristote , à une fourmi; par Burton, à un grain d'orge; à l'os du marteau , par Baude- locqiie. La tête a grossi considérablement à proportion du reste, et, à cette époque, fait à elle seule la moitié du corps; la face y est beaucoup plus petite que le crâne, et généra- lement le sera d'autant plus que l'embryon sera plus jeune. On y distingue déjà supérieurement deux points noirs tour- nés de côté , qui sont les rudiments des yeux , et une petite fente transversale pour la bouche. Sur les côtés du tronc, deux petits mamelons obtus annoncent le prochain déve- loppement des membres thoraciques. Il n'y a pas encore trace de col. Le thorax est ouvert par devant , et laisse voir le cœur, dont ]es battements sont déjà appréciables. Mais le sang qui circule dans les vaisseaux est encore blanc. L'ab- domen saille en avant, et , dans sa partie inférieure , adhère encore aux membranes de l'œuf, ou offre déjà un premier rudiment du cordon. Sur ses côtés, deux mamelons obtus marquent l'emplacement des membres abdominaux. L'ex- trémité inférieure du rachis fait une saillie , fléchie en avant et en haut, et qui constitue une queue. L'œuf, dans son entier, a de quinze à dix-huit lignes de long, sur douze à quinze de large.

De la septième à la huitième semaine, l'embryon acquiert une longueur de douze à quinze lignes, un poids de deux à quatre gros. La tête n'est déjà plus que le tiers de tout le corps. Aux rudiments des yeux et de la bouche, se sont ajoutés ceux des narines, qui cependant sont encore con- fondus avec la bouche, et deux petites fossettes pour les emplacements des oreilles. Dans les membres supérieurs dont le développement est commencé, on peut déjà distin* çuer l'avant-bras et la main: mais îe bras manque, et la

AWATOMIE DU FOETUS, 345

main est plus grande que l'avant-bras, et n'est pas encore digitée. Le cordon ombilical apparaît; long de quatre à cinq lignes, il a la forme d'un entonnoir, paraît se continuer immédiatement avec l'abdomen , et est très gros , parce qu'il contient alors une grande portion de l'intestin : il est situé tout-à-fait au bas de l'abdomen. Entre le point de son im- plantation et la fin duracliis, se montre un petit tubercule garni d'une ou plusieurs ouvertures étroites, qui sont les rudiments de l'anus et des organes sexuels.

Aux neuvième et dixième semaines , l'embryon est long de deux pouces , et pèse d'une once à une once et demie. À la face, le nez commence à se montrer, et à son sommet se voient les deux narines , qui sont dirigées en avant. On com- mence aussi à voir les paupières et les lèvres : auparavant les paupières n'existaient pas , ou étaient transparentes , car le pigmentum noir des yeux était apparent : dès lors l'œil est caché. Les ouvertures auriculaires apparaissent sous la forme de fentes oblongues , bordées en avant et en arrière de tubercules destinés a former le pavillon de IWeille. Il y a enfin trace du col. Les téguments et les parois du thorax sont formés, les côtes au moins; et par conséquent, le cœur n'est plus à découvert. Les membres tboraciques plus développés, présentent distinctement les trois brisures qui les composent, bras, avant-bras et main ; mais la main est comme palmée , les doigts sont réunis par une substance molle. Le cordon , dont la longueur surpasse celle de l'em- bryon, commence à se tordre; quoique contenant encore une portion de l'intestin, il n'est plus autant en enton- noir, et paraît déjà implanté à une partie moins inférieure de l'abdomen. Les membres abdominaux ont suivi le déve- loppement des tboraciques ; cependant ils restent un peu au-dessous ; les pieds sont encore sans orteils > et ont la plante tournée en dedans , et le dos en debors ; la cuisse est encore plus courte que la jambe , comme aux membres tbo- raciques il en était du bras par rapport à l'avant-bras. La partie inférieure du racbis qui faisait une queue, diminue graduellement et disparaît. Le sexe n'est pas encore dis- tinct; on voit seulement saillir un tubercule qu'on croit

346 VIE INTRA-UTERINE,

être le clitoris; les ouvertures anus et génitales sont réunies. C'est à cette époque que disparaît la vésicule ombilicale ; il reste seulement un vestige du pédicule qui l'unit à l'intes- tin. L'œuf entier a le volume d'un œuf de poule.

Pendant le cours de la onzième et de la douzième semaines, l'embryon acquiert une longueur de cinq à six pouces , un poids de trois onces. La tête, quoique grosse encore pro- portionnellement au reste du corps, est déjà moins dispro- portionnée. Les paupières bien distinctes sont fermées et collées l'une à l'autre. Le nez proémine. Le front et la bouche sont bien dessinés; celle-ci est close. Les éminences du pavillon de l'oreille sont formées, mais non encore réu- nies. Le col est distinct. Le thorax est tout-à-fait fermé ; le sternum, que TVolf appelle la eicatrice du thorax, est formé. Le cordon ne contient plus dans son intérieur au- cune portion intestinale , et l'intestin est dès lors en entier dans l'abdomen. Aux membres supérieurs, le bras s'est alongé, et est plus en proportion avec l'avant-bras; les doigts sont séparés , et une ébauche des ongles apparaît sous la forme de petites# plaques membraneuses et minces; ces membres sont abaissés sur les côtés du corps. La région du bassin est distincte , et les membres inférieurs présentent des progrès analogues ; ces membres sont relevés contre l'ab- domen. Le tubercule saillant qu'on croit être le clitoris, est fort long ; au-dessous de lui , est une fente longitudinale, dont les rebords paraissent être les grandes lèvres de la vulve; une lame transversale sépare cette fente en deux parties, et annonce la séparation qui commence à se faire de l'anus et des voies génitales. La peau qui, dans les deux premiers mois était un enduit visqueux , mou, dans le troi- sième commence à se former; mais elle est mince, trans- parente, facile à déchirer, et encore sans apparence fi- breuse.

Au quatrième mois, quoique l'accroissement soit moins rapide que dans les temps précédents , les formes devien- nent déplus en plus prononcées; l'être nouveau n'est plus un embryon , mais un fœtus , parce qu'alors toutes les par- ties de son corps sont distinctes. Sa longueur est de six à

ANATOMIE DU FOETUS. 34/

sept pouces, son poids de six à sept onces. La tête devient de moins en moins disproportionnée ; quoique Fossifî cation, qui dès la neuvième semaine a commencé dans les os du crâne, continue, cependant les fontanelles sont encore très amples, et les commissures du crâne très larges. La face est encore peu développée. Les yeux sont fermés ^ le nez et les oreilles bien distincts, les lèvres formées; la langue se voit dans la bouche. A l'abdomen , le cordon paraît implanté plus haut que dans les temps précédents, et la moitié du corps du fœtus répond à plusieurs centimètres au-dessus de l'ombilic. Dans les membres, la proportion s'établit davan- tage entre les supérieurs et les inférieurs, et dans chacun entre les bras et les avant-bras , les avant-bras et les mains , entre les cuisses et les jambes, les jambes et les pieds. Le sexe alors est distinct ; on voit le scrotum et son raphé , mais il ne contient pas encore les testicules; le pénis est grand, et a le gland dénudé : ces deux dispositions sont d'autant plus prononcées que l'embryon est plus jeune. Si c'est une fe- melle , le clitoris paraît moins grand que dans les mois pré- cédents. La peau a une couleur rosée , ressemble à un satin mince, et déjà est recouverte d'un léger duvet; quelques cheveux fort courts, rares, blancs et argentins, paraissent à la tête. Une graisse rougeâtre existe dans les aréoles du tissu cellulaire , et déjà les muscles peuvent exécuter des mouvements notables.

À cinq mois , le fœtus est long de huit à onze pouces , et pèse de huit à dix onces. La tête n'est déjà plus que le quart de tout le corps ; et devenant la partie la plus pesante , elle commence à se placer en bas. De meilleures proportions s'observent entre toutes les parties : les membres abdomi- naux, qui jusque avaient été plus petits que les thoraci- ques, commencent à avoir plus de longueur. La peau offre de petits poils soyeux blancs. Les mouvements du fœtus sont alors nettement sentis par la mère, parce que, d'une part, ses muscles sont plus énergiques; et d'autre part, parce qu'ayant plus de volume, cet être remplit davantage Lœuf. Si le fœtus naissait alors, il pourrait vivre quelques minutes.

A six mois, le fœtus a une longeur de onze à quatorze

348 VIE INTRA-UTÉRINE.

pouces, un poids de douze à seize onces. La tête, encore assez grosse relativement au reste du corps , est couverte de petits cheveux blancs argentés. Les paupières sont collées; et à leurs bords, ainsi qu'aux sourcils, apparaissent de petits poils déliés. Le sternum est tout-à-fait ossifié, et l'union de ses deux moitiés s'est faite de haut en bas. A la peau , on commence à pouvoir distinguer le derme et l'épidémie. Cette membrane est fine, mince, lisse, et a une couleur pourprée, surtout à la face, aux lèvres, aux oreilles, à la mamelle, à la paume des mains, à la plante des pieds. Elle paraît plissée , parce qu'il n'y a pas encore de graisse dans le tissu cellulaire sous-cutané. Le scrotum est petit, d'un rouge vif; la vulve est saillante , et ses lèvres écartées par la saillie du clitoris. Les ongles sont déjà assez solides. Si le fœtus naissait alors, son développement est assez grand pour qu'il puisse respirer, crier, commencer la vie exté- rieure, mais il mourrait après quelques heures.

Pendant le cours du septième mois, toutes les parties ac- quièrent plus de consistance, grossissent, s'arrondissent, se proportionnent mieux. La longueur totale du fœtus est de treize à seize pouces; son poids, de deux livres et demie. La tête s'est dirigée vers l'orifice de l'utérus, et l'on peut l'y sentir avec le doigt introduit dans le vagin; mais elle est encore bien mobile. Les paupières commencent à s'en- tr 'ouvrir , et alors disparaît la membrane qui clôt le trou pupillaire. La graisse plus abondante donne plus de rondeur aux formes. La peau est plus rosée; ses follicules sébacés sont formés, et sécrètent à sa surface un enduit blanc, graisseux. Les cheveux sont plus longs, et d'une couleur déjà plus foncée. Les testicules descendent dans le scrotum.

Dans le huitième mois, le fœtus croît plus en grosseur qu'en lougueur ; sa longueur est de seize à dix-huit pouces, son poids de quatre à cinq livres. Toutes ses parlies sont de plus en plus fermes et formées. A la tète les fontanelles sont moins évasées que dans les mois précédents; les paupières sont ouvertes. Le testicule gauche au moins, est descendu dans le scrotum.

Dans le neuvième mois, le fœtus estlongde dix-huit à vingt

AWATOMIE DU FOETUS. 34$

pouces , il pèse de six à sept livres. Le duvet des paupières et des sourcils est remplacé par de véritables poils.

A terme, c'est-à-dire au moment de la naissance, voici, d'après une table qu'a établie M. Chaussier sur l'examen de plus de quiuze mille enfants naissants , les proportions les plus ordinaires. La longueur totale du fœtus est de quatre cent quatre-vingt-neuf millimètres , ou dix-huit pouces : du sommet de la tête à l'ombilic, il a deux cent quatre-vingts millimètres, ou dix pouces quatre lignes; et de l'ombilic aux pieds, deux cent neuf millimètres , ou sept pouces huit lignes : du sommet de la tête au pubis, deux cent quatre-vingt-dix millimètres , ou onze pouces, neuf lignes ; et, du pubis aux pieds, cent soixante-dix millimètres ou six pouces trois lignes : de laclavicuîeaubasdu sternum, la longueur est de cinquante-cinq millimètres , ou deux pouces trois lignes, et du bas du sternum au pubis de cent soixante millimètres, ou six pouces. L'étendue transversale du fœtus est; du sommet d'une épaule à l'autre, de cen! vingt millimètres, ou quatre pouces six lignes; du sternum au raehis, de quatre-vingt-treize millimètres , ou trois pou- ces six lignes; d'un os des îles à l'autre, de soixante-quinze millimètres , ou trois pouces; d'une tubérosité fémorale à l'autre, de quatre-vingt-quatre millimètres, ou trois pou- ces trois lignes. La tête a : à son diamètre transversal, trois pouces, quatre lignes; à son grand diamètre , quatre pouces, trois lignes; à son diamètre diagonal ou occipito-mentonnier, cinq pouces; à son diamètre sphœno-bregmatique, trois pou- ces, quatre lignes. Sa circonférence est de treize à quinze pouces. Les os du crâne, quoique mobiles encore, sont ar- rivés à se toucher par leurs bords : cependant la grande fontanelle est encore large d'un pouce. Les cheveux sont assez épais, blonds, et longs d'un pouce. La face n'a plus autant l'aspect de la vieillesse. Le thorax est court et aplati. L'abdomen est ample, fort étendu, arrondi , et fait saillie au niveau de l'ombilic, qui se trouve juste au milieu de la longueur du corps. Le bassin est étroit et peu développé. Le scrotum est moins rouge et ridé. Les ongles sont prolongés jusqu'à l'extrémité des floigî s et souvent

35 O VIE INTRA-UTÉRINE.

les dépassent. Dès cette époque, on peut, dit Sœmmering ,

saisir les différences générales des deux sexes.

Comme on le conçoit, nous ne disons que ce qui est le plus général; il y a dans tout ceci beaucoup de variétés, surtout en ce qui concerne les premiers mois. Tous les au- teurs diffèrent dan s les évaluations qu'ils ont données à leur égard, et sont plus d'accord en ce qui regarde la dernière moitié de la grossesse : M. Chaussier dit qu'à partir du cinquième mois, le fœtus croît d'un pouce tous les quinze jours. Le trait le plus important à noter est la diminution progressive delà moitié supérieure du corps , le cordon, qui d'abord était au bas du torse, arrivant à être au milieu du corps : non que ce soit ce cordon qui se déplace, mais parce que les parties du corps qui sont au-dessous de son point d'insertion, et qui n'existaient pas d'abord ou à peine, se développent.

Quant à la situation du fœtus : dans les premiers temps , cet être est suspendu parle cordon, dans l'eau de l'amnios dont la poche est alors fort étendue ; sa. tête plus pesante se porte en bas : ses premiers mouvements ne sont peut-être qu'un pivotement sur ce cordon; et c'est peut-être à cela qu'est due la torsion qu'offre celui-ci. Quand le cordon a pris plus de longueur, le fœtus peut se livrer à des mouve- ments plus étendus , et il est possible que quelquefois les fesses soient en bas. Jusqu'au milieu de la grossesse, il n'a pas déposition fixe ; mais, après cette époque, l'espace qui lui est offert devenant chaque jour moindre, et son volume au contraire augmentant toujours, il est obligé de rester dans une même attitude , et voici celle qui est la plus ordinaire. Il est courbé en avant, le menton appuyé sur le thorax, l'oc- ciput incliné vers l'ouverture supérieure du bassin , les bras rapprochés en devantet les mains portées vers la face ; les cuis- ses fléchies sur l'abdomen, les genoux écartés , et les jambes croisées, de manière que le talon gauche est sur la fesse droite, et, vice versa, enfin les pieds fléchis sur la face antérieure de la jambe. Il représente dans son ensemble un ovoïde long de dix pouces; et sa position est telle, que sa tête à la nais- sance repose sur le col de l'utérus, et répond à l'entrée du

ANATOMIE DU FOETUS. 35 I

bassin, tandis que ses fesses répondent au fond de l'organe. Jadis on croyait,, mais à tort, que cette position, qui est la plus favorable à raccoucbement, était due à une culbute que faisait spontanément le fœtus dans les deux derniers mois de la grossesse.

Mais ce n'est pas assez d'avoir décrit semaine par semaine , mois par mois , les développements successifs de l'embryon et fœtus bumain , considéré dans ses formes extérieures et dans ce qui est apparent à la surface de son corps : il faut pénétrer dans son intérieur , et indiquer les cbangements graduels de ses principaux organes et appareils. Dans son origine, l'embryon, avons-nous dit, est une masse gélati- neuse sans consistance , aucun organe n'est distinct ; tout semble être tissu celluleux ou muqueux, comme dans le plus simple des animaux. Les auteurs sont partagés sur celui des systèmes généraux , nerfs ou vaisseaux , qui apparaît le pre- mier dans cette masse homogène. Les uns, d'après les obser- vations sur l'œuf des oiseaux, croient que les vaisseaux sont les premiers formés, et par conséquent que ces vaisseaux sont l'élément organisateur. D'autres, Rolando, par exemple, di- sent que ce sont les nerfs. Quelques-uns enfin, comme Meckel, n'admettent pas d'élément organisateur primitif , et croient que le premier rudiment du fœtus contient la base de toutes les parties, comme dans les animaux inférieurs toute l'organisa- tion est représentée par la substance bomogène qui forme le corps. Notre ignorance sur l'essence de la génération et sur les premiers développements de l'embryon bumain, rend peut- être ce problème insoluble. Cependant les derniers travaux de M. Serres , sur le mode de développement du système nerveux, nous portent à croire que ce sont les vaisseaux qui apparaissent les premiers. En effet, les diverses parties ner- veuses ne se montrent que postérieurement aux artères qui leur sont destinées; elles apparaissent dans le même ordre que sont créées leurs artères; leur développement se fait dans la même direction que ces vaisseaux ; leur volume enfin, et les degrés divers d'activité de leur accroissement, sont en raison du nombre et du calibre de ces artères. Voici les faits confirma tifs de ces diverses propositions : i" La

352 VIE 1MTRA-TJTÉRJNE.

moelle épinière apparaît avant le cerveau , et le cerveau avant le cervelet ; or, les artères de la moelle épinière de- vancent celles du cerveau , et celles-ci celles du cervelet. Dans l'encéphale proprement dit, les tubercules quadriju- meaux sont plus précoces que le cerveau , et le cerveau que le cervelet; or, les artères des tubercules quadrijumeaux apparaissent avant les carotides internes qui fournissent au cerveau , et les carotides internes avant les vertébrales qui se distribuent au cervelet. Les vertébrales qui fournissent au cervelet sont dirigées d'arrière en avant , et c'est aussi dans cette direction que se fait le développement de cette partie nerveuse : au contraire , les carotides internes qui alimentent ie cerveau sont dirigées d'avant en arrière , et c'est en ce sens que se développe le cerveau. Toute partie nerveuse ne se développe que consécutivement à l'appa- rition des artères qui leur apportent du sang; par exemple, les couches optiques, les corps striés, le corps calleux, avec les artères choroïdienne, striée, cérébrale postérieure; le lobe médian du cervelet avec la cérébelleuse antérieure 3 et les hémisphères de cet organe avec la cérébelleuse posté- rieure. 4« Toujours il y a un rapport entre les diverses parties encéphaliques et les artères qui les alimentent , non-seulement aux diverses phases des développements de l'embryon humain , mais encore dans les diverses classes d'animaux. Ainsi, dans l'embryon humain, ce sont d'abord les tubercules quadrijumeaux qui prédominent , et ce n'est qu'à la fin que l'emportent les hémisphères du cerveau et du cervelet : or, les arlères des tubercules quadrijumeaux sont d'abord les plus grosses, et elles diminuent de calibre a mesure que se développent les cérébrales et les cérébelleuses. Le poisson a les tubercules quadrijumeaux énormes, et les hémisphères du cerveauetdu cervelet très petits; or, coïn- cidemment , sont très grosses en lui les artères des lobes optiques, et très grêles celles du cerveau et du cervelet. Dans le reptile , les lobes optiques ont déjà diminué au profit des hémisphères cérébraux : dans les oiseaux , le cer- velet , presque rudimentaire dans la classe précédente, a pris un grand accroissement : enfin, dans les mammifères,

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les lobes optiques sont tout-à-fait dominés par les hémi- sphères du cerveau et du cervelet. Or les mêmes proportions s'observent dans les artères de ces diverses parties. Nous ne parlons ici que des trois parties fondamentales de l'encé- phale; savoir, tubercules quadrijumeaux, cerveau, et cer- velet ; mais le rapport que nous signalons s'observe aussi dans chacune des dépendances de ces trois parties. Enfin, ce qui achève de faire croire , avec M. Serres , que les con- ditions d'existence du système nerveux et de l'encéphale sont subordonnées aux dispositions du système sanguin , c'est que si une artère manque ou est double, la partie nerveuse manque ou est double aussi , comme le prou- vent les monstres. Voyez les monstres par défaut; des ar- tères manquent ou sont oblitérées; dans les anencéphaîes , pas de carotides primitives; dans les fœtus sans membres thoraciques ou pelviens , pas d'artères axillaires ou fémo- rales , etc. C'est le contraire dans les monstres par excès; les bicéphales , les tricéphales , ont les carotides primitives doubles, triples; ceux qui ont deux cervelets , deux troncs, ontdoubles les artères vertébrales, l'aorte descendante, etc. Si tous ces faits sont vrais , il est évident qu'ils fondent une forte présomption pour l'opinion à l'appui de laquelle nous les présentons, Toutefois , sans nous arrêter davantage à ce point de la science , nous allons nous borner à passer succes- sivement en revue, sous le rapport de leurs développements progressifs, chacun des principaux appareils et organes du corps , en prenant pour point de départ ce que nous savons de l'âge adulte.

Système vascuiaire sanguin» Nous allons dire d'abord ce qu'il est chez l'oiseau. Dès la douzième heure de l'incu- bation, on voit se former, entre les membranes du jaune, des globules ou vésicules éparses , qui sont des rudiments de veines; peu à peu ces vésicules se réunissent entre elles, et il en résulte un réseau évidemment vascuiaire. Ce ne sont pas d'abord des veines proprement dites, car elles sont sans parois; ce sont de simples trajets que le liquide s'est creusés danslasubstancequile renferme ; mais bientôt les paroisse forment , et la texture vascuiaire est manifeste, Après la Tome IV. 23

354 VIE I'HTRA -UTERINE.

trentième heure, un des vaisseaux de ce réseau prend un grand développement, et devient 3e cœur. Au troisième jour, ce cœur présente des renflements distincts; bientôt les ar- tères apparaissent , un sang rouge y circule , l'allantoïde et les vaisseaux ombilicaux se montrent; et enfin le système circulatoire va en se développant successivement. Ainsi, ce sont les veines qui se montrent d'abord, puis le cœur, et en dernier lieu, les artères. Cependant Rolando, comme on a pu le voir dans la description que nous avons donnée d'après lui du développement du disque de substance spongieuse de la cicatricule , fait développer les artères en premier lieu. Dans les mammifères et dans l'homme , on ne peut saisir, dès le premier instant de leur formation , les vaisseaux de la vésicule ombilicale ; on ne peut donc assurer s'ils sont des veines ou des artères; mais les vaisseaux qu'on distingue les premiers dans les villosités du chorion , sont des veines. L'analogie porte à croire que ces vaisseaux, quels qu'ils soient , se forment de la même manière que dans l'oiseau; c'est-à-dire qu'ils sont d'abord de simples vésicules isolées , puis des canaux creusés dans la substance gélatineuse qui forme l'embryon , et enfin des vaisseaux à parois distinctes. C'est, en effet, en passant par ces trois degrés, que l'on voit se former les vaisseaux qui apparaissent dans les membranes accidentelles qui s'organisent; et les premiers vaisseaux qui sont visibles dans le placenta, ne laissent voir ni couches, ni fibres distinctes dans leurs parois.

Toutefois , la veine-porte , dont la veine omphalo-mésen- térique, qui va à la membrane du jaune dans l'oiseau, et à celle de la vésicule ombilicale dans les mammifères , est une branche , est le premier tronc qui se montre. Cela devait être , puisque l'embryon est d'abord réduit au torse , à l'abdomen. Ensuite apparaît la veine ombilicale. Les deux veines-caves sont plus tardives; elles ne se montrent qu'a- vec les parties desquelles elles rapporteront le sang , et lorsque se forment les deux artères qui leur correspondent. La supérieure reste distincte ; mais l'inférieure est unie avec la veine ombilicale par un rameau assez gros , dit canal veineux.

ÀNATOMIE DU FŒTUS. 355

La veine-porte existe seule encore, quand le cœur com- mence à être visible. Cet organe n'est d'abord qu'un renfle- ment irrégulier de cette veine; mais bientôt il se courbe en demi-cercle, et offre trois dilatations, et deux rétrécisse- ments manifestes. Les dilatations sont l'oreillette , le ven- tricule gauche, et le bulbe de l'aorte; le ventricule paraît avant l'oreillette. A mesure que ces dilatations se rappro- chent, les rétrécissements qu'on voyait entre elles dispa- raissent. Le cœur est d'autant plus gros que l'embryon est plus jeune; à la septième semaine, qui est l'époque à la- quelle paraît le diaphragme, il remplit tout le thorax et l'abdomen , et est dirigé tout droit en avant et en bas. Bien- tôt l'oreillette se partage en deux par une cloison incom- plète qui se développe dans son intérieur, mais qui cependant laisse entre les deux une grande ouverture de communica- tion , dite trou de Botal. Du deuxième au troisième mois? apparaît sur cette cloison mitoyenne des oreillettes, une valvule qui, en croissant de haut en bas, diminue chaque jour de plus en plus l'ouverture interauricuîaire : l'occlu- sion ne sera complète qu'à la naissance, par l'application définitive de cette valvule contre la paroi inférieure de la cloison. En même temps que l'oreillette devient double, il part de la base du ventricule gauche un petit prolongement qui va constituer un second ventricule, le ventricule droit» Le cœur alors a les quatre cavités que nous lui avons re- connues. Les oreillettes sont d'abord plus grandes que les ventricules , et la droite plus que la gauche. Le ventricule gauche est d'abord le plus grand , mais à partir du sixième mois, c'est le droit. Les parois du cœur, des ventricules surtout, sont d'abord fort épaisses. A l'embouchure de la veine-cave inférieure dans l'oreillette droite, est une valvule dite à' Eustachi } que nous verrons influer d'une manière remarquable sur le mode de circulation du fœtus.

Quant aux artères, l'aorte est la seule qui existe jusqu'à la septième semaine. A cette époque apparaît l'artère pulmo- naire, qui d'abord est sans rameaux, et va à l'aorte, dont elle semble être une racine. Vers la huitième semaine, cette artère pulmonaire détache de petites branches pour le poumon.

23.

356 VIE I1NTRA-UÏUNAIRE.

Ces petites branches, d'autant plus grêles que l'embryon est plus jeune , grossissent graduellement ; vers le cinquième mois, elles égalent en volume le troue primitif de la pul- monaire , qui est toujours continu à l'aorte , et qu'on appelle canal artériel; à la naissance, chacune d'elles enfin l'égale et même le surpasse. De même, le canal veineux , ou la communication de la veine ombilicale avec la veine-cave in- férieure, se rétrécit à mesure qu'on approche de la fin de la vie intra-utérine.

A la description de l'artère pulmonaire , nous rattache- rons celle des poumons ; les rudiments en apparaissent vers la sixième ou septième semaine. Ces organes sont alors petits, blancs, très rapprochés l'un de l'autre, tout lisses, et situés tout en bas de la poitrine, au-dessous du cœur qui les dépasse beaucoup. Bientôt apparaissent sur leur côté externe des échancrures qui annoncent leur séparation en lobes. Après, ils paraissent lobuleux, granuleux, mais solides et pleins. Vers quatre mois, leur couleur, de blanche qu'elle était, devient rose. Quelque développement qu'ils prennent, ils restent denses. En eux, les artères bronchiques se forment avant les branches de l'artère pulmonaire. A terme, la tra- chée-artère est étroite, remplie d'un liquide transparent; les pièces du larynx qui, dans l'origine étaient membra- neuses, sont devenues cartilagineuses, mais non encore osseuses.

Nous ne nous astreignons pas à indiquer les développe- ments semaine par semaine, mois par mois , car nous serions entraînés à des détails infinis. Il doit nous suffire d'indiquer la série des formes principales , et celles qui influent sur le mécanisme des fonctions. Chaque artère se forme avec la partie qu'elle doit alimenter. Une différence que présente le système artériel du fœtus , consiste dans les artères ombili- cales, qui sont la continuation des iliaques primitives.

Il est quelques organes que leur développement précoce , l'abondance des vaisseaux qui les pénètrent, et leur voisi- nage de la veine -cave, font présumer influer, soit sur la formation du sang, soit sur sa circulation, et dont nous pouvons, à ce litre, rattacher la description à celle de l'ap-

ANATOMIE DU FOETUS. 35;

pareil circula toîre sanguin. Tels sont la thyroïde et les cap- sules surrénales que nous avons décrits dans l'âge adulte , et le thymus , qui est un organe exclusif à la vie fœtale. La thyroïde est en effet de bonne heure apparente ; et, pendant toute la vie intra-utérine , elle est proportionnellement plus volumineuse, plus mollo, plus pénétrée de sang, que dans les âges suivants. Il en est de même des capsules surrénales; distinctes déjà dans l'embryon de deux mois, et plus grosses que les reins , elles sont sans doute , par la suite , surpassées en volume par ces organes; mais elles restent toujours fort grosses, comparativement à ce qu'elles sont dans les autres âges; car à la naissance, leur poids est à celui des reins comme un à trois, tandis que dans l'âge adulte elles sont aux reins comme un à vingt-huit. Quant au thymus, c'est un organe de structure vésiculeuse , qui ne se prolonge guère au-delà de la vie fœtale, et qui est situé clans le thorax, à sa partie antérieure et supérieure , derrière le sternum : non visible avant le troisième mois,, il croît rapidement , car au septième, il a dix-huit lignes de long, et à terme, sa lon- gueur est de deux pouces et demi, et son poids de quatre à cinq gros. C'est un assemblage de cinq à six lobes qui, bien qu'unis par une enveloppe commune assez dense, sont dis- tincts , et peuvent être considérés comme autant de thymus séparés , car chacun a ses vaisseaux propres : chaque lobe est divisé en lobules, et ceux-ci en grains. Dans chaque lobule est une petite cavité cou tenant un suc blanchâtre, visqueux, coagulable par l'alcool , semblable à du lait, ou mieux à du pus. On avait supposé à ce thymus un conduit excréteur aboutissant dans l'œsophage, ou le péricarde; mais cela n'est pas. Il croît encore pendant les deux années qui sui- vent la naissance.

20 Système nerveuoo. Rien n'en apparaît encore dans le premier mois , à cause de l'état fluide dans lequel est d'abord ce système ; la tête et la carène paraissent transparentes et rem- plies d'un fluide diaphane. Danslesecond mois, on distingue, dans la carène un canal qui en parcourt la longueur , et à la tête une vésicule arrondie, distendue par un fluide blanc et transparent. Bientôt le microscope fait reconnaître dans ce ca-

358 VIE INTRA-UTÉRINE,

nal et cette vésicule les méninges, et la masse nerveuse qui res- semble alors à du blanc d'oeuf. Sionsouruetcelle-ci à l'action de l'alcool, comme Ta fait Tiedemann> auteur d'un beau travail sur ce sujet, et auquel j'emprunte tous les détails que je vais donner, on voit nettement le rudiment du système nerveux cérébro-spinal , sous la forme d'un cordon aplati , à peine plus large à l'extrémité céplialique qu'ailleurs, et divisé en arrière sur toute sa longueur. Au troisième mois, l'extré- mité céphalique a crû assez pour être bien distincte de la moelle. Celle-ci, à sa partie supérieure, à ce qu'on appelle la queue de la moelle alongée, forme une saillie intermé- diaire au cerveau et au cervelet , et qui , pour le volume , tient le milieu entre ces deux parties. Elle offre distincte- ment les trois faisceaux dits pyramides antérieures , cordons olivaires , et pyramides postérieures, qui vont former le cerveau et le cervelet. Comme le pont de Varole manque alors, on voit nettement les deux premiers de ces faisceaux d'abord se porter dans les pédoncules du cerveau , ensuite les pyramides antérieures dans les corps striés, les cordons olivaires dans les couches optiques, et enfin les uns et ]es autres rayonner au-delà de ces parties en éventail , et former la membrane future des hémisphères. De même, les pyra- mides postérieures vont former le cervelet. I/eneépbaJe est alors fendu en arrière dans toute sa longueur ; la membrane des bémisplières , que nous venons de voir se former par les radiations des pyramides antérieures et des cordons olivai- res , commence bien à se recourber par ses bords en dedans et en arrière; mais elle laisse encore à découvert les pédon- cules du cerveau, les corps striés , les couches optiques, les tubercules quadrijumeaux, toutes parties qui sont déjà ap- parentes. Les éminences mamilîaires , la glande pituitaire , les nerfs optiques, olfactifs , sont aussi visibles déjà. Les lobes antérieurs sont déjà assez gros; les lobes moyens et posté- rieurs ne sont que naissants. Quant à la moelle spinale , elle s'offre sous la forme d'une lame dont les bords se renversent en dedans et en arrière, et se réunissent pour constituer dans son intérieur un canal : ce canal se continue dans l'en- céphale avec le quatrième ventricule , qui lui-même est con-

ANATOMIE DU FOETUS. 35 9

fcinu avec la troisième par 1 aqueduc de Sylvius; celui-ci est alors une assez grande cavité.

Au quatrième mois, les cordons olivaires sont plus gros; le corps calleux commence à se montrer, mais il est situé verticalement; le pont de Varole apparaît; les lobes posté- rieurs du cerveau ne dépassent pas encore les tubercules quadrijumeaux, mais latéralement ils ont atteint le cer- velet. Celui-ci a une cavité dans chacun de ses côtés. La voûte à trois piliers apparaît formée de deux rubans dis- tincts , ses piliers antérieurs se recourbent sur les couches optiques, et ses piliers postérieurs se continuent avec les cornes d'Ammon : ces dernières parties sont apparentes, ainsi que la glande pinéale et ses pédoncules : les ventricules latéraux existent, et les bords recourbés de la membrane des hémisphères étant alors réunis, ces hémisphères ressem- blent à deux vésicules membraneuses. La moelle spinale s'é- tend en queue de cheval jusque dans le sacrum; elle con- serve encore son canal intérieur dans lequel se dépose de la substance nerveuse grise.

A cinq mois, le cerveau couvre déjà en arrière les tuber- cules quadrijumeaux; la réunion des bords recourbés de la membrane des hémisphères ne permet plus de voir aucune de ses parties intérieures. Le corps calleux est plus étendu , et la commissure antérieure est visible; les premiers rudi- ments des circonvolutions se montrent. Le cervelet offre dessillons qui le divisent en cinq lobes, et sa cavité inté- rieure a beaucoup diminué.

A six mois, les lobes postérieurs sont arrivés à couvrir une partie du cervelet : le corps calleux n'est pas encore assez étendu pour couvrir toute la couche optique ; mais il la cache déjà en partie. On voit distinctement les fibres des pédoncules du cerveau aller, en divergeant, se répandre sur tout l'intérieur des ventricules latéraux. Le septum luci- tum est très apparent. Dans le cervelet , on distingue l'é- minence vermicuîaire supérieure, l'arbre de vie.

A sept mois, les lobes postérieurs du cerveau dépassent le cervelet; les circonvolutions sont distinctes; on peut déjà retrouver tous les traits de Tàge adulte , comme les il-

36o VIE INTRA-UTÉRINE.

bres transversales de la protubérance annulaire, et les fibres longitudinales des pédoncules du cerveau. Alors apparaissent les lobes et lobules foliés du cervelet. L'origine de tous les nerfs est facile à démontrer; ces nerfs sont plus mous, plus gros, plus rouges que dans les âges suivants; les points de l 'encéphale ils aboutissent, sont les premiers qui se montrent consistants. La moelle spinale voit son canal in- térieur s'oblitérer, et graduellement elle descend moins bas, de manière à finir aux vertèbres lombaires.

Enfin , dans les huitième et neuvième mois, c'est surtout la périphérie de l'encéphale qui croît en volume et en con- sistance; les circonvolutions deviennent plus saillantes; les lamelles du cervelet se multiplient. On voit distinctement l'entrecroisement des fibres des pyramides antérieures, le passage de ces fibres au-dessous du pont de Varole dans les pédoncules du cerveau , et leur divergence au-delà des corps striés dans les hémisphères.

Cette recherche du mode de développement de l'encé- phale est utile pour éclairer la question des rapports qu'ont entre elles les diverses parties cérébrales; elle a justifié en beaucoup de points les idées de M. Gall sur l'ana- tomie du cerveau , par exemple , en tout ce qui concerne les fibres divergentes. En d'autres, au contraire, elle les a contredites; par exemple, la substance blanche apparaît avant la grise, et conséquemment ne peut en provenir, etc. C'est la surface interne de la pie-mère tant interne qu'ex- terne, qui sécrète la substance nerveuse, et celle-ci est dé- posée successivement de dehors en dedans. Il est difficile de savoir lesquels sont les plus précoces des systèmes nerveux animal et organique : Ackermann prétend que c'est ce dernier; il n'a en effet manqué jamais dans les acéphales. M. Serves dit que tous les nerfs sans exception , se dévelop- pent avant les centres; leur développement paraît être in- dépendant de celui des parties auxquelles il se distribuent. Tiêdemann, dans le beau travail auquel nous avons em- prunté ces détails, dit qu'il résulte de ses recherches , que l'encéphale du fœtus humain est d'abord, celui de l'animal vertébré le plus simple; et qu'ensuite, tant par l'addition

ÀNATOMIE DU FOETUS. 3fîf

<îe nouvelles parties , que par le développement de celles qu'il avait d'abord, il passe successivement par chacune des formes qui appartiennent à chacune des quatre classes d'a- nimaux vertébrés , à commencer par les poissons.

M. Serres, dans un ouvrage qu'il vient de publier sur l'anatomie comparée du cerveau dans les quatre classes d'a- nimaux vertébrés, et qui a été couronné par l'Institut, a mieux encore mis hors de doute ce fait important, en même temps qu'il a donné de nouveaux détails sur le mode de dé- veloppement de l'encéphale. D'après ce savant , le système nerveux, comme tout le corps en général, se développe, non du centre à la circonférence, ainsi qu'on l'avait dit, mais de la circonférence au centre. Ainsi les nerfs latéraux de la tête, du tronc, du bassin, sont déjà formés, que l'axe cérébro-spinal est encore liquide ; conséquemment ces nerfs n'y ont pas leur origine, comme on l'avait dit, mais seu- lement y aboutissent; et en effet, il est un temps ils ne communiquent même pas avec cet axe. Ensuite apparaît la moelle épinière ; en troisième lieu l'encéphale"; et dans l'en- céphale, ce sont les tubercules quadrijumeaux qui se mon- trent les premiers, puis le cerveau, et enfin le cervelet. Cela est subordonné à l'ordre selon lequel paraissent les artères. Toutes ces parties sont primitivement doubles, composées de deux moitiés, qui, en se développant., mar- chent l'une vers l'autre pour se réunir sur la ligne médiane. Par exemple , la moelle épinière est d'abord composée de deux cordons séparés; bientôt les cordons se réunissent en avant, et font de cet organe une véritable gouttière; plus tard, ils se réunissent de même en arrière, et laissent dans son intérieur un canal; ce canal enfin disparaît, à mesure que, de dehors en dedans, de la matière nerveuse y est dé- posée. La même disposition s'observe dans toutes les autres parties encéphaliques, tubercules quadrijumeaux, pédun- cuîes du cerveau, cervelet; et la réunion des deux moitiés primitives sur la ligne médiane, est ce qui donne naissance dans l'encéphale à ces parties appelées commissures , et à ces trous, ces cavités connues sous le nom de ventricules ; ces ventricules sont les analogues du canal primitif de la

36* VIE INTR A- UTÉRINE.

moelle épinière. Quant au fait, que l'encéphale du fœtus humain offre successivement les formes de l'encéphale de chacune des quatre classes d'animaux vertébrés, M. Serres en a donné la démonstration la plus directe , en détermi- nant le premier avec rigueur les éléments de l'encéphale dans les quatre classes d'animaux ^ et en fournissant ainsi des principes fixes à l'anatomie comparée. Ou sait que le système nerveux de ces êtres se compose de la moelle épi- nière et de l'encéphale ; et que, dans la masse dite encéphale, on doit distinguer les tubercules quadrijumeaux, les lobes olfactifs, le cervelet et les hémisphères cérébraux. Or, M. Serres a vu que chacune de ces parties fondamentales du système étaient dans les quatre classes d'animaux verté- brés, tour-à-tour dominantes et dominées , et que les pre- mières formes que présentaient les embryons des classes su- périeures étaient les formes permanentes des animaux inférieurs. Ainsi, dans les poissons , il y a grand développe- ment des lobes optiques et olfactifs, du lobe médian du cervelet, et de la moelle épinière; et au contraire, les hé- misphères du cerveau et du cervelet sont réduits à zéro; la moelle épinière, les tubercules quadri jumeaux sont creux, ainsi que l'est toute partie de l'encéphale très développée. Dans les reptiles, déjà les lobes optiques sont moindres, parce que les hémisphères cérébraux sont un peu dévelop- pés ; mais le cervelet est plus petit encore que dans les pois- sons; les tubercules quadrijumeaux sont creux encore, et les hémisphères cérébraux , qui étaient tout solides dans les poissons, ont déjà aussi une cavité intérieure. Dans les oi- seaux, c'est le cervelet qui est l'élément dominateur, et qui a pris la place des tubercules quadrijumeaux; aussi a-t- il une cavité dans son lobe médian. Enfin, dans les mam- mifères , les hémisphères cérébraux sont à leur summum de développement, et les lobes optiques tout-à-fait étouffes. Or, ces formes sont celles que présente successivement l'en- céphale de l'embryon humain. N'avons-nous pas dit que les tubercules quadrijumeaux étaient les parties encéphali- ques qui paraissaient d'abord? Ajoutons que dans leur ori- gine , ces tubercules sont , comme dans les poissons , creux

ANATOMIE DU FOETUS. 363

et doubles ; ce n'est que plus tard que leur cavité s'oblitère, et qu'ils se divisent en quatre par un sillon transversal. .Nous avons vu aussi la moelle offrir primitivement un canal dans son intérieur. Les hémisphères cérébraux ont été d a- bord deux petites vésicules isolées l'une de l'autre, comme dans les poissons : et le cervelet , une petile languette sans hémisphères, comme dans les reptiles. En somme, dit M. Serres , en remontant dans la vie utérine d'un mammi- fère , on voit les parties de l'encéphale disparaître , de ma- nière que cet organe présente successivement les formes de l'oiseau, du reptile et du poisson; comme en remontant l'échelle des animaux, du poisson au mammifère , on voit l'encéphale se compliquer d'après les mêmes lois; de telle sorte que les premières formes des embryons supérieurs re- présentent les formes permanentes des animaux inférieurs. Appareil digestif. Puisque l'embryon est primitive- ment réduit au torse, que le ventre est en lui la première partie formée, le premier organe digestif qui apparaît est le canal intestinal : mais les auteurs sont très dissidents sur le mode de développement de ce canal. TVolf, d après ses observations sur l'œuf des oiseaux , le fait provenir de la membrane vitellaire : celle-ci est d'abord appliquée sur la colonne vertébrale de l'embryon; mais tout le long du rachis se développe bientôt un demi -canal, qui se réunit par les côtés depuis le haut jusqu'en bas avec la membrane du jaune, et qui finit par former un canal entier qui reste appliqué au rachis dans toute sa longueur. Ce canal ne communique plus à sa partie inférieure avec le vitellus que par un conduit étroit qui se rétrécit chaque jour de plus en plus; et quand le reste du vitellus rentre dans l'abdomen, on ne voit plus à la partie inférieure de l'intestin , qu un petit appendice en cul-de-sac, vestige de la communication avec le jaune. Oken dérive l'intestin de la vésicule ombili- cale : celle-ci lui donne naissance par deux prolongements, un inférieur pour l'intestin anal , et un supérieur pour l'in- testin stomacal ; la portion intestinale inférieure se forme avant la supérieure , comme le prouvent les monstres acé- phalo-gastres. Le cœcum, qui est situé entre les deux parties

364 VIE INTRA-UTÉRINE.

intestinales , est considéré par Oken comme le reste de la vésicule ombilicale. Selon Meckel , l'intestin est d'abord un canal droit et court, placé au-devant du racbis; ce canal ensuite se recourbe en avant , s'engage dans la base du cordon , qui alors est si ample qu'on peut le considérer comme un prolongement de l'abdomen; là, il s'unit à la vésicule ombilicale, mais à la fin de l'iléon, et non pas au ccecum , comme le dit Oken; après , il s'en sépare pour rentrer dans le veutre. Nous avons dit comment Rolando faisait provenir l'intestin du sacculus vitellarius, sous l'in- fluence du système nerveux; il forme d'abord un canal étendu de la bouche à l'anus; puisse il replie en avant pour constituer la vessie ; et enfin il va, au dehors de l'être , former l'allan- loiàe.Tièdemanri, arguant des occlusions etdesdiverticulums qu'on trouve quelquefois dans la longueur de l'intestin, pré- tend que cet intestin se forme de plusieurs pièces qui se réu- nissent ensuite les unes aux autres. Enfin, M. Velpeau. nie toutes ces origines, et dit que l'intestin est primitivement renfermé dans l'un des quatre renflements qu'il a signalés dans le cordon ; qu'il y est enveloppé d'un fluide séreux limpide , dans lequel on voit une petite quantité de matière jaune, ressemblant à du jaune d'œuf cuit; et que dès ce lieu il a déjà ses circonvolutions.

Sans prétendre indiquer quelle est parmi ces descriptions celle qui est conforme à la nature , nous allons nous borner à spécifier les différences que présente pendant la vie fœtale l'intestin , sous les rapports de sa longueur, de son calibre, de sa situation, etc. Plus le fœtus est jeune, plus l'intestin est court; mais aussi plus il est ample. Il a d'abord partout le même calibre; puis il se partage en grêle et en gros, à mesure que le méconium se fait. L'intestin grêle est d'abord beaucoup plus court que le gros; à six semaines,, époque à laquelle le cœcum apparaît , il est de moitié moins long : mais ensuite ces deux proportions diminuent , de sorte qu'à six mois, le gros intestin est le plus court, a avec le grêle le rapport qu'il aura toute la vie, et qu'à la maturité l'un et l'autre sont, dans leurs rapports avec la longueur du corps, ce qu'ils sont dans l'âge adulte : il y a même un

ANATOMIE DU FOETUS. 365

moment l'intestin grêle , d'abord si court , est propor- tionnellement au corps plus long qu'il ne sera jamais. Toutes ces dispositions successives sont celles des animaux des classes inférieures , et sont importantes à noter, parce qu'elles sont en rapport avec le besoin de l'alimentation , et le degré d'activité qu'aura la fonction. À la fin de la grossesse , l'intestin d'abord si large , est proportionnelle- ment plus étroit qu'il ne sera par la suite , et le gros intestin est tout-à-fait devenu le plus gros, ce qui n'était pas d'a- bord. L'estomac est d'abord situé verticalement ; par degrés, il se place horizontalement; il est d'abord alongé; ensuite il s'arrondit , parce que son cul-de-sac , qui n'existait pas d'abord, se forme, et même est beaucoup plus grand pro- portionnellement , qu'il n'est dans 1 âge adulte : vers le troisième mois, cet excès de grandeur commence à dimi- nuer. C'est à cette époque que, dans l'intérieur de l'intestin, commencent à être visibles les vilîosités : ces villosités sont d'abord uniformément répandues dans toute sa longueur; mais à partir du moment de leur formation , elles vont en diminuant, surtout dans le gros intestin , et au septième mois, celui-ci n'en offre plus. C'est à sept mois qu'appa- raissent les valvules conniventes , sous forme de légères élévations qui s'effacent quand on distend le canal ; ces valvules sont encore peu formées à terme. La valvule iléo- cœcale est déjà très visible à trois mois, et est complète au moment de la naissance. Le pylore ne commence à se former qu'à quatre mois et demi, et son développement n'est pas encore complet à terme. A la fin du cinquième mois appa- raissent les bosselures du colon; c'est la portion transversale qui en offre le plus; la portion iliaque n'en a pas encore à la naissance. Le grand épiploon apparaît dès l'âge de deux mois au bord de l'estomac ; au troisième mois , apparaît la portion colique vers le pancréas , et à quatre mois , ces deux portions se réunissent. A mi-terme, apparaissent les appendices épi- ploïques ; mais toutes ces parties n'offrent pas encore de graisse, même à la naissance. Quant à la situation de l'in- testin, M. Velpeau , qui fixe dans le cordon le lieu de sa première formation, dit qu'il y est d'abord renfermé. La

366 VIE ESTRA-UTÈRINÈ.

plupart des autres anatornistes disent au contraire, qu'il est d'abord situé tout droit le long du rachis , et que ce n'est que lorsque le cordon s'est formé, qu'il s'y est introduit. Il est certain qu'il y est contenu en partie jusque vers le deuxième mois. Alors, à mesure que la vésicule ombilicale s'éloigne de l'abdomen , que le cordon se resserre . l'intestin rentre dans le ventre , le gros d'abord , puis le grêle. A deux mois , le cœcum est placé derrière l'ombilic; à trois, il est déjà au-dessus; à quatre, il est près l'extrémité supérieure du rein droit; à cinq, près l'extrémité inférieure de cet organe; à sept, dans la fosse iliaque droite, il doit toujours rester; de sorte que le colon est d'abord tout entier descendant, puis transverse, puis ascendant, et enfin à la fois ascendant, transverse et descendant. Le mésocolon est d'autant plus large que le fœtus est plus jeune. En somme, le canal alimentaire présente aussi dans ses développements successifs les formes propres à chaque division du règne ani- mal, comme cela avait été des systèmes nerveux et circula- toire, du cerveau et du cœur.

Quant à la portion supérieure de l'appareil digestif, nous avons dit que la bouche avait paru à la face, sous la forme d'une fente , dans le premier mois. Dès le quarantième jour, il y a déjà commencement d'ossification dans les mâchoires : les os maxillaires sont, après les clavicules, ceux l'ossi- cation est la plus précoce. A deux mois et demi, les lèvres sont formées, et la bouche clo.se; la lèvre inférieure offre, sur la ligne médiale , une échancrure ; et la supérieure , un lobe moyen et deux échancrures latérales. Dès le commen- cement du deuxième mois, sont visibles, dans les mâchoires, les germes des dents. Ce sont, d'abord, de petites vésicules membraneuses, miliaires, suspendues aux nerfs et aux vais- seaux; ensuite ce sont des follicules membraneux, formés de deux lames, enveloppant un bulbe nerveux et vasculaire, te- nant par une extrémité à la gencive et par l'autre, au pédicule vasculaire et nerveux qui le pénètre. A trois mois, l'ossifi- cation de ces germes commence successivement à la pre- mière, deuxième incisive, première molaire, à la canine, et à la deuxième molaire : le travail est toujours un peu plus

ANATOMIE DU FOETUS, 36 7

liâtif à la mâchoire inférieure. A la naissance, ces cinq dents ne sont pas encore achevées, et elles sont encore cachées sous la gencive. La langue paraît dès le deuxième mois ; d'abord elle pend hors de la bouche , mais bientôt elle y rentre, et dès le quatrième mois, on peut distinguer à sa surface les papilles.

A la description de l'appareil digestif, nous rattacherons celles des glandes, qui , dans l'adulte, en sout des annexes; les salivaires , le pancréas et le foie. Les salivaires et le pan- créas ne paraissent qu'à quatre mois , et restent peu déve- loppés pendant toute la vie fœtale. Il n'en est pas de même du foie , un des plus gros et des plus précoces organes du fœtus. Il est en effet visible dès la troisième semaine, dit TVallher ; à la quatrième , il occupe presque tout l'abdo- men , dont il soulève la paroi antérieure ; il pèse alors ? à lui seul j presque autant que le corps entier. Sa face convexe est tournée en avant , sa face concave en arrière , et son bord antérieur descend jusqu'au bassin , au lieu le cordon est implanté. Il est alors composé de deux lobes égaux en vo- lume, et symétriques. Ce volume énorme et disproportionné du foie commence à diminuer à partir du quatrième mois; à mesure que les intestins se forment, il se place aussi plus horizontalement. A la naissance , il occupe encore la moitié de l'abdomen , descend jusqu'à l'ombilic, et le lobe gauche a commencé à avoir un volume moindre que le droit. A la quatrième semaine, sa substance était presque diffluente; à trois mois et demi, sa texture molle et pulpeuse ressem- blait, pour la couleur et la consistance, à celle du cerveau; à cinq mois et demi, il est déjà ferme, granuleux, d'un rouge foncé. Quant à la vésicule biliaire, elle apparaît, au quatrième mois , sous la forme d'un fil dans lequel on distingue à peine une cavité ; elle commence à contenir du mucus , au cinquième mois ; puis , de la bile jaune , au sixième et septième; à terme , elle en est remplie; mais cette bile est muqueuse et insipide. La rate ne se montre qu'au deuxième mois, et reste petite relativement au gros volume du foie.

Appareil sécréteur. Nous avons déjà parlé de plusieurs

368 VIE INTRA-UTÉRINE,

organes sécréteurs. En général , les glandes se forment après le système vasculaire , et par l'agglomération de granu- lations , de lobes primitivement isolés. Les reins , par exemple , sont d'abord formés de beaucoup de lobules , qui ensuite se rapprochent et se confondent. Ces lobules , d'abord , ne se réunissent que par leur sommet , qui aboutit à un bassinet commun ; mais graduellement ils se confon- dent dans toute leur longueur. Les reins ont d'abord une forme irréguîière , assez mal déterminée : primitivement ils sont plus volumineux que dans l'âge adulte, et d'autant plus que le fœtus est plus jeune. Ce n'est qu'à six mois qu'on distingue, dans leur parenchyme , la substance corticale; à la naissance , leur disposition lobuleuse est encore si marquée , qu'on compte quinze à seize lobes dans chacun d'eux. La vessie est apparente dès la quatrième semaine; elle est longue , cylindrique , et confondue en un seul canal avec l'ouraque, dont elle paraît être un renflement. Ce canal peut alors être suivi jusqu'au milieu du cordon ombilical. A cause de l'étroitesse du bassin, la vessie ne peut se loger en cette cavité , et pendant toute la grossesse elle est dans l'abdomen.

La graisse n'existe pas pendant la première moitié de la grossesse; à cinq mois, elle commence à s'amasser en pelo- tons sous la peau, et à la naissance, il n'y en a encore qu'à ce lieu.

Appareils des sens. Ils nous ont déjà occupé, lorsque nous avons décrit le fœtus , sous le rapport de ses apparences extérieures.

Jusqu'à deux mois , la peau est moins une membrane qu'un enduit visqueux, tenace. Elle reste mince, incolore, transparente, jusqu'à mi-terme. Alors, elle devient plus solide , et prend une couleur rosée. A cinq mois , les ongles apparaissent, et à six mois ils ont déjà de la consistance. A cette même époque, l'épiderme est apparent, et les folli- cules sébacés sont formés. A sept, toute la peau est recou- verte d'un enduit graisseux d'un blanc jaunâtre , que les chimistes disaient être un dépôt des eaux de l'amnios, mais qui est évidemment un produit de la sécrétion des folli-

AWATOMIE DU FOETUS. 36*9

cules, puisqu'il n'existe que sur le fœtus, et non sur le plaeenta et le cordon.

Les yeux , visibles dès la fin du premier mois, comme nous l'avons dit, ont un accroissement rapide, et toujours un volume considérable, proportionnellement à celui de la tête; à quatre mois, ils en forment le tiers. Les paupières apparaissent à trois mois, ferment l'œil à cette époque, et le tiennent clos jusqu'à huit mois. La sclérotique est pri- mitivement si mince et si transparente, qu'on voit au tra- vers d'elle la choroïde et son pigmentum. La cornée, dont le développement est précoce, est d'abord molle, épaisse et opaque; elle touche immédiatement la face antérieure du cristallin ; à six mois, elle s'amincit, et devient ferme et transparente. La membrane iris se forme à six semaines, est achevée à trois mois; son trou central est fermé par une membrane , dite pupilîaire , qui se déchire au huitième mois, par la rétraction des vaisseaux qui la forment. L'hu- meur vitrée est rougeàtre jusqu'à sept mois. Le cristallin, d'abord fluide, acquiert consécutivement de la consistance ; sphérique à mi-terme , il devient par degrés lenticulaire. L'humeur aqueuse n'existe pas d'abord ; ensuite elle appa- raît entre l'iris et le cristallin; et enfin, lorsque la pupille s'est ouverte , elle passe dans la chambre antérieure, dont la formation tient à l'amincissement de la cornée transparente.

Les oreilles se développent de bonne heure, surtout dans leur partie intérieure. A deux mois et demi, les parties du labyrinthe sont distinctes, mais leurs parois sont membra- neuses et cartilagineuses. A trois mois, elles commencent à s'ossifier, le promontoire d'abord, puis les contours des fenêtres ovale et ronde, les canaux demi-circulaires, le li- maçon, etc. La caisse du tympan, d'abord petite, s'élargit à mesure que la base du rocher s'ossifie; la membrane du tympan d'abord est ronde. A la naissance, le conduit auri- culaire est encore cartilagineux.

Les rudiments du nez apparaissent à sept semaines; les

ailes et le dos du nez, à trois mois. Les masses latérales de

l'ethmoïde commencent à s'ossifier au milieu- de la grossesse ;

la partie médiane ne l'est pas encore à la naissance. Dans

Tome IV. 24

3;0 VIE I3NTIIA-UTÉIUKE.

l'enfant naissant , le nez est court , petit , peu formé ; il n'y a pas de sinus.

Nous avons parlé de la langue , à l'occasion de l'appareil digestif.

Appareil locomoteur. Dès la cinquième semaine, selon Bée lard auquel on doit un beau travail sur le dévelop- pement des os, commence, dans l'embryon, l'ossifica- tion; elle apparaît d'abord dans la clavicule, puis dans les mâchoires, l'humérus, le fémur, le tibia, le péroné, les os de l'avant-bras , etc. Tous ces os sont d'abord un tissu carti- lagineux, mou, tellement abreuvé de fluide qu'il est à peine distinct du tissu muqueux; mais peu à peu ce tissu, demi-transparent et homogène en apparence , devient plus consistant ; d'albumineux qu'il était, il devient gélatineux; des vaisseaux successivement blancs, jaunes et rouges, se développent en lui ; enfin il s'ossifie. Dans chaque os il y a plusieurs points primitifs d'ossification , qui se réunissent successivement.

Au rachis , chaque vertèbre offre trois points d'ossifica- tion , un pour le corps , et un pour chaque masse apophy- saire. A quarante-cinq jours, l'ossification commence dans celles-ci, à partir des vertèbres supérieures jusqu'aux infé- rieures; vers le milieu du quatrième mois, elle commence dans les vertèbres du sacrum, et à huit mois elle a atteint la dernière ; à terme , l'anneau est déjà formé dans les six premières dorsales. Au corps, l'ossification commence quel- ques jours plus tard , et à la douzième dorsale d'abord ; de , elle s'étend successivement vers le haut et le bas du ra- chis ; à mi-terme , le corps des deux premières cervicales et de la dernière sacrée est encore cartilagineux ; c'est à six mois que l'ossification du corps et des vertèbres commence ; et à terme, elle est commencée dans l'arc antérieur de l'at- las. Ainsi j le rachis ne s'ossifie pas semblablement dans sa portion tubulée et dans sa partie solide : dans la première, qui sert à soutenir la moelle, son ossification se fait de haut en bas; dans la seconde, qui sert à soutenir le corps, elle procède du milieu aux extrémités : les deux masses apophy- eaires se réunissent entre elles ayant de se réunir au Qprps»

ANATOMIE DU FOETUS. 3;î

Le thorax s'ossifie promptement sur les côtés , et plus tard en devant. Dès le commencement du troisième mois, la septième vertèbre cervicale présente un point d'ossification costiforme devant le pédicule de son apophyse transverse ; c'est un rudiment des côtes cervicales de certains animaux. Il en est de même , de six à sept mois , aux trois premières vertèbres sacrées. Quant aux côtes dorsales, leur ossification commence une semaine après la clavicule , et une avant les vertèbres. Le sternum, au contraire, est encore cartilagi- neux à mi-terme ; des cinq pièces qui le composent alors, les trois supérieures ne s'ossifient qu'à six mois, la quatrième à sept, et la cinquième à l'époque de la naissance.

Au crâne, l'ossification commence à l'occipital. Cet os, qui s'ossifie quelques jours avant le racliis, est alors formé de qualre parties ; l'occipital, proprement dit, qui apparaît vers le quarante-deuxième jour; le proral; les condyliens; et le basiîaire : à la naissance , ces quatre parties sont encoi'e distinctes. L'occipital est une véritable vertèbre crânienne le basiîaire en est le corps , les condyliens les masses apo- physaires; le proral cependant est étranger à cette com- paraison ; ce proral est supérieurement un os du cer- veau , et inférieurement un os du cervelet. Après l'oc- cipital, l'os du crâne le plus précoce est le sphénoïde : il est alors formé de deux parties , le sphénoïde postérieur et le sphénoïde antérieur : la grande aile du premier commence en même temps que le rachis; dix jours après, apparaît le corps, dont l'ossification se fait par deux germes latéraux qui ne se réunissent qu'au bout de six semaines; à trois ou quatre mois, on distingue l'apophyse ptérygoïde interne, qui, après deux autres mois, se soude avec Faiîe externe : à la naissance, le corps de ce sphénoïde postérieur, et ses grandes ailes, ne sont pas encore réunis. Cet os constitue une seconde vertèbre céphalique, dont les masses apophysai- res ne sont réunies en arrière que par le moyen des os parié- taux; ceux-ci sont des os affectés au cerveau, et sont à cette se- conde vertèbre céphalique, ce que le proral était à la première ou à l'occipital. Quant au sphénoïde antérieur, son aile or- bitaire commence à s'ossifier vers le quarante ou cinquan-

24.

372 VIE INTRA-UTÉRINE,

tième jour ; et son corps, ou résulte de la réunion des deux ailes, ou se développe par un point particulier vers le sep- tième mois : à huit, les diverses parties de cette troisième ver- tèbre céphalique s'unissent, et entre elles, et avec le corps du sphénoïde postérieur : c'est à l'aide des os frontaux que s'en réuuissent en arrière les masses apophysaires. A l'article de l'odorat, nous avons parlé de l'ethmoïde, qui finit la série des os du crâne, analogues à ceux du racliis. A quarante- cinq jours , commence l'ossification des pariétaux, à ce qu'on appelle la bosse pariétale ; et à cinquante jours , commence celle du frontal à l'arcade orbitaire.Le temporal est primi- tivement composé de diverses portious qu'on peut appeler zygoma tique , écailleuse , tympanale, labyrinthique , mastoï- dienne , styloïdienne. La portion zygomatique apparaît du quarante au cinquantième jour; l'écailleuse, qui est un os du cerveau , est visible au quarante-cinquième jour ; la por- tion tympanale l'est à soixante, etc.Quantaux os wormiens et épactaux, leur présence indique un développement plus rapide du cerveau au lieu auquel ils correspondent, et ils ne s'ossifient qu'après la naissance.

A la. face, les os nasaux, jugaux, lacrymaux, palatins, apparaissent tous du quarantième au soixantième jour, et par un seul point d'ossification. Il en est de même du vomer. Les cornets sous-ethmoïdaux , au contraire, ne se forment que vers quatre mois et demi. Quant aux maxillaires, nous avons déjà dit que leur ossification était très précoce. Le maxillaire supérieur apparaît; du trenteautrente-cinquième jour, à l'arcade alvéolaire ; à quarante-cinq jours , à la voûte palatine et à sa région nasale et faciale ; à cinquante jours, à sa surface orbi taire et à son apophyse jugale : à deux mois, ces divers germes sont encore distincts , mais à trois , ils sont réunis. Il est difficile de distinguer jamais l'os incisif, tant il est petit et promptement réuni au maxillaire supérieur. Le maxillaire inférieur a un développement encore plus précoce et plus rapide : il se montre du trente au trente - cinquième jour, à la même époque que la clavicule , sous la forme d'une lamine osseuse , qui constitue le bord inférieur de l'os : à quarante-cinq jours, l'apophyse coronaire, l'angle de l'os , le condyle , et le côté interne des alvéoles, forment

AHATOMIE DU FOETUS. 3 y 3

autant de pièces distinctes : à deux mois, ces germes sont réunis , et l'os n'est plus composé que de deux pièces, qui ne se réunissent au menton qu'après la naissance.

Quant aux membres, nous avons déjà dit que la clavicule était le premier os du corps qui apparût ; elle se montre à trente jours. Le scapulum n'est visible qu'au quarantième jour, à un point qui correspond à la racine de l'acromion; l'apophyse coracoïde ne s'ossifie qu'après la naissance. L'os coxal, qui est son analogue au membre inférieur, offre, à quarante-cinq jours, la base de l'iléum; à trois mois, l'is- chion; et à quatre et demi, le pubis. Dès le trentième jour, l'humérus commence à s'ossifier dans le milieu de sa lon- gueur; le point ossifié s'étend par degrés, tellement que, long d'une ligne et demie seulement à trente jours , il a vingt-sept lignes de longueur à la naissance; cependant à cette époque les extrémités de cet os sont encore cartilagi- neuses. Il en est de même du fémur, si ce n'est que, seul entre les os longs, il offre à la naissance un noyau osseux pisiforme dans le cartilage de son extrémité inférieure. Les os de l'avant-bras apparaissent avec l'humérus , comme ceux de la jambe avec le fémur; seulement le cubitus et le péroné sont un peu plus tardifs que le radius et le tibia. Tous les os du carpe sont encore cartilagineux à la naissance. Au tarse, au contraire, le calcanéum offre un point osseux dès le quatrième mois, l'astragale dès le ciuquième, et le cu- boïde à la naissance. Les os métacarpiens et métatarsiens apparaissent dès le quarante-cinquième jour; mais dans cet ordre , le deuxième , le troisième , le quatrième , le cin- quième, et le premier; celui-ci , à la naissance, est encore le plus court. Quant aux phalanges , phalangines et phalanget- tes, les premières et les dernières apparaissent à quarante jours à la main, et à cinquante jours au pied ; les phalangines, plus tardives, ne se montrent qu'à deux mois à la main, et à quatre mois et demi au pied.

Voilà pour l'appareil osseux : quelque multipliés que puissent paraître tous ces détails , nous en avons omis un grand nombre; nous renvoyons sur ce sujet au travail ex professa de Béclard , auquel no is les avons empruntés.

3;4 VIE OTRA-UTÉ.RIJIT.

Les os du fetus sont d'un gris rouge . plus élastiques , moins fragiles que dans les âges suivants; leur périoste est plus épais , moins adhérent; dans leur canal intérieur est, au lieu de moelle, une simple humeur gélatineuse; enfin, les car- tilages qui revêtent leurs extrémités sont minces, mous, plus pénétrés de vaisseaux, et de plus en plus rouges.

Quant aux muscles, ils ne sont d'abord que des masses jaunâtres de globules, réunis par du tissu cellulaire qui lui-même n'est d'abord qu'un fluide visqueux. C'est à trois mois, que leur forme se dessine, et ils sont alors mous et blanchâtres; à quatre mois et demi, leur structure fibreuse se manifeste; à cinq mois, on commence à voir les tendons qui les terminent; et dès lors ils deviennent par degrés de plus en plus consistants et rouges.

Appareil génital. Dans les premiers temps , rien n'en est apercevable. A la fin de la cinquième semaine, appa- raît une petite éminence fendue, qui est le rudiment du scrotum ou de la vulve, selon le sexe. A la sixième, se mon- tre une ouverture qui est commune à l'anus et aux parties génitales , et au-devant de laquelle est un tubercule qui fait saillie. Aux septième et huitième semaines, ce tubercule paraît surmonté d'un gland , et creusé en dessous d'une fente qui s'étend jusqu'à l'anus. Aux onzième et douzième semaines , le périnée en se formant sépare l'anus des voies génitales. A la quatorzième, le sexe se prononce; il reste encore quelque temps une gouttière tout le long du clitoris ou du pénis pour l'urètre , mais bientôt cette gouttière se change en canal. M. Tièdemami prétend que le sexe femelle n'est que le sexe mâle arrêté à un degré inférieur d'organi- sation : selon lui, tout embryon a été primitivement fe- melle ; la fente qu'on a vu d'abord était la vulve, le tubercule saillant, le clitoris : pour constituer le sexe mâle, la fente de la vulve s'est réunie pour faire un raphé, les grandes lèvres se sont jointes pour former le scrotum, les petites pour for- mer l'urèthre, et le clitoris s'est changé en pénis. M. Riede- mann invoque à appui de son idée, que les dernières espèces animales sont toutes des femelles , et que tous les jeunes acéphales et avortons qu'on a examinés l'étaient aussi.

ANAT.OMIB DU FOETUS. 3j5

Un Ackermann et Auteur ielh 3 au contraire , disent que les sexes sont primitivement neutres. Enfin selon M. Geoffroy St,-Hîlazre, la différence des sexes tient à la distribution des deux branches de l'artère spermatique ; si ces deux branches restent rapprochées et marchent de concert, Tune au tes- ticule, l'autre à i'épididyme, l'individu est mâle; si au contraire, elles s'écartent, l'une va à l'ovaire, l'autre aux cornes de la matrice, et l'individu est femelle. Le degré de prédominance du système cérébro-spinal est ce qui déter- mine le rapprochement ou l'écartement de ces deux bran- ches artérielles : plus fort dans les mâles , il laisse les artères sperrna tiques plus faibles, et par conséquent rapprochées, et vice versa.

Quoique les organes génitaux intérieurs paraissent plus tôt que les extérieurs, leur développement est moins connu. Oken les fait dériver, ainsi que la vessie, de l'allantoïde. Alb. Meckel croit que, communiquant dans leur origine avec l'intestin, ils sont d'abord, comme cet intestin, ou- verts en devant; mais que se fermant ensuite, ils consti- tuent un canal qui se continue par l'ouraque avec l'allan- toïde. Puisqu'on n'a jamais vu l'allantoïde dans l'homme, et qu'on ne fait que supposer son existence d'après l'ana- logie des animaux, on conçoit qu'on ne peut rien assurer de cette origine. Toutefois, à une époque fort rapprochée de la conception, on distingue le long de la région lombaire deux corps alongés , vermiformes , qui sont ; les reins, selon Wolf; les rudiments des capsules surrénales et. des organes génitaux, selon Meckel ; enfin ceux des cornes de l'utérus et des conduits déférents , selon Oken. Un peu plus tard appa- raissent nettement les testicules et les ovaires; ils sont situés au-dessus du rein, à l'extrémité de ces corps vermiformes dont on vient de parlr. Aux huitième, neuvième et dixième se-. maines, l'utérus et les vésicules séminales se montrent, et semblent résulter d'un renflement de ces deux corps ver- miformes. C'est cette confusion des organes génitaux de l'un et l'autre sexe, dans une même masse vermiforme, qui a fait croire à quelques physiologistes, que l'embryon était d'abord neutre avant d'avoir un sexe déterminé. À

376 VIE INTRÀUTÉiUHE.

partir de l'époque la distinction en est possible , les phé- nomènes de développement diffèrent dans le mâle et dans la femelle.

Dans le mâle, les testicules sont d'abord placées dans l'ab- domen, au - dessous du rein, devant le psoas, sous le pé- ritoine qui les recouvre en devant et leur adhère. A trois mois , longs de cinq quarts de ligue , ils ont la forme d'un pois : les vaisseaux spermatiques, et le canal déférent, sont à leur face postérieure. De l'anneau inguinal , s'élève vers la partie inférieure du testicule une gaine du péritoine, qui renferme un ligament appelé gubernaculum testis. Ce ligament estformé: d'un tissu cellulaire élastique, prove- nant de la partie supérieure du scrotum, et de la partie de l'aponévrose générale de la cuisse qui avoisine l'anneau; 20 de quelques fibres musculaires venant des muscles oblique interne, et transverse de l'abdomen. Il s'étend de l'anneau jusqu'à la partie postérieure et inférieure du testicule au- quel il est attaché. Par l'action de ce ligament, le testicule, vers le troisième mois , commence à s'engager dans la gaine du péritoine; descendant dès lors peu à peu, entre le sixième et le septième mois, il franchit l'anneau, et d'ordinaire il est dans le scrotum à la naissance. Le pli du péritoine qui en- toure le gubernaculum est entraîné avec lui dans le scro- tum , et y forme la tunique vaginale ; tandis que le tissu cellulaire élastique du gubernaculum lui-même, donne naissance au dartos, selon MM. Lobslein et Breschet; et que ses fibres musculaires forment le crémaster, selon M. 3. Cloquet. On a attribué , à la vérité, la descente du testicule à des causes autres que l'action du gubernaculum, par exemple, à l'effet de la pesanteur , à la pression exercée sur le gubernaculum par la vessie urinaire; mais ces explica- tions sont trop mécaniques. Après que le testicule a franchi l'anneau, cet anneau se resserre, et le prolongement de la tunique vaginale s'oblitère; cependant souvent cette oblité- ration n'est pas complète encore à la naissance.

Dans le sexe femelle, on observe des changements analo- gues dans les ovaires, l'utérus et ses annexes. A neuf semai- nes, les ovaires sont aussi gros que les reins, au-dessous et

AWATOMIE DU FŒTUS. ^77

eu dedans desquels ils sont situés ; le péritoine les recouvre et le fixe : plus gros que l'utérus et la vessie urinaire , ils tiennent par leurs deux bouts, au moyen de deux liga- ments, à l'une des cornes de la matrice. A quatorze semai- nes, l'utérus ayant grandi dans son fond, a atteint le côté interne de l'ovaire; le côté externe de cet organe répond à la trompe qui lui est unie par son extrémité ; les ovaires pa- raissent alors divisés en trois lobes. A terme, les ovaires ont leur extrémité externe au-dessus du détroit supérieur, l'in- terne plongée dans le bassin ; la trompe les entoure et leur est unie par un ligament. Entre les ovaires et la trompe, est un corps conique, formé d'une vingtaine de canaux tor- tueux qui se réunissent en un seul point à l'ovaire , que Rosenmuller compare à l'épididyme. A deux mois, l'utérus est réduit au col , et présente deux cornes auxquelles abou- tissent le ligament de l'ovaire et le ligament rond. A trois mois et demi, le corps commence à se montrer, et les cornes sont moins prononcées : alors aussi apparaissent les trompes. A terme, le corps est plus mince que îe col, mais il a sa forme; les cornes n'existent plus; les trompes sont longues, tortueuses, et les franges de leur pavillon sont visibles. La descente des ovaires, des cornes de l'utérus et des trompes utérines, de la région des lombes dans le bassin, s'effectue par la contraction du ligament rond , ou sus-pubien : la structure, les connexions de ce ligament, sont en effet les mêmes que celles du gubernaculum; il est de même entouré par un repli du péritoine qui lui adhère : quand il se con- tracte , il entraîne avec lui à travers l'anneau un prolonge- ment péritonéal, et il en résulte un canal dit de Nuck, qui existe encore à la naissance.

Telle est, autant que possible, l'indication des dévelop- pements successifs qu'éprouve pendant la vie intra-utérine chacun des organes et appareils du fœtus. Sans doute nous avons omis beaucoup de détails, mais nous avons signalé les plus importants. La science a ici beaucoup à découvrir encore, surtout en ce qui concerne les temps les plus rap- prochés de la conception. Cependant elle a fait d'assez grands progrès en ces dernières années; et déjà quelques au-

378 VIE INTRA-UTÉRINE.

leurs, MM. Serres et Mechel, par exemple, ont cherché à rattacher tous les faits d'embryogénie, à quelques lois. Voici d'abord celles qu'a proposées M. Serres.

Long- temps on a cru, d'après les observations de Uarvey et de Malpighi, sur le développement ducœuret de la moelle épinière du poulet dans l'œuf couvé, que les animaux se dé- veloppaient du centre à la circonférence. M. Serres établit que c'est au contraire de la circonférence au centre , que se développe tout organe. Toute partie, dit-il, est primitive- ment double, composée de deux moitiés semblables, mais séparées; et ce n'est que par les progrès du développement, que marchant à la rencontre l'une de l'autre, ces deux moi- tiés finissent par se réunir : à l'occasion de cette réunion se forment les divers trous, les cavités que présente le corps. Déjà l'on a vu, à l'article du système nerveux, l'application de ces principes à ce système ; les parties latérales se sont formées avant les centres; ceux-ci , la moelle épinière, l'en- céphale, ont été primitivement composés de deux moitiés qui, avec le temps, se sont réunies sur la ligne médiane; et à l'occasion de cette réunion se sont formés les ventricules du cerveau. Or, il en est de même, dit M. Serres, de tous les autres systèmes et organes du corps. Yoyez, dans le système osseux, l'ossification suivre une marche excentrique; au tronc, par exemple, les côtes se forment avant les vertè- bres ; au bassin , l'ilion avant le pubis ; à la tête , l'apo- physe zygomatique du temporal , les grandes ailes du sphé- noïde, les masses latérales de l'ethmoïde, avant le rocher, le corps du sphénoïde, la lame centrale de l'ethmoïde, etc. Il y a primitivement deux demi-rachis, deux sacrums, deux sternums, etc. ; et la réunion de ces parties doubles , est ce qui donne naissance à toutes les cavités articulaires , à tous les trous, à tous les canaux que présentent les os. Même disposition dans le système musculaire ; à la tête, au thorax, à l'abdomen, tous les muscles latéraux se développent avant les muscles médians ; la ligne blanche est un indice de la réunion de ceux-ci, et le trou ombilical y a été fait par le même mécanisme qu'un trou osseux quelconque. En un mot, généralisant ces deux idées, savoir: la particularité

AKATOMIE DU FOETHS. 3 7 g

que présente tout organe, d'être dans son origine composé de deux moitiés séparées ; et la tendance qu'oat ces deux moitiés à se réunir l'une à l'autre ; M. Serres en a fait deux lois auxquelles il rattache tous les faits d'embryogénie, et qu'il appelle , l'une la loi de symétrie, et l'autre la loi do conjugaison .

M. Mechel, embrassant toute l'époque de la vie humaine pendant laquelle le corps croît , et ne se bornant pas à la vie fœtale , a posé un plus grand nombre de ces lois, sous le titre de lois de formation. i<> Tout est fluide d'abord, et ce n'est que progressivement que se développent dans les parties la solidité et la dureté. 20 Dans aucune oartie , la texture n'est primitivement déterminée; et, par exemple , on ne distingue d'abord, dans les fluides aucuns globules, et dans les solides aucunes libres. La forme dans les so- lides se développe avant la texture et la composition, et, par exemple, le cerveau, quoiqu'encore demi-fluide, a déjà sa configuration, et les os, quoiqu'encore cartilagineux , ont déjà leur forme propre. Dans l'origine, tous les organes sont blancs , et ce n'est que graduellement qu'ils acquièrent la couleur qui leur est propre. Les organes se forment par parties isolées, qui ensuite se réunissent; ainsi nous avons vu les reins , la rate, le foie , toutes les glandes , résulter de l'agglomération de grains, de lobules primitivement séparés; ainsi, les os se forment par des points d'ossification multi- ples. 6° Tous les organes ne se développent pas à la fois , non-seulement dans différents systèmes, mais encore dans un même système. Ainsi , les poumons se développent plus tardivement que le cœur, et plus tôt que les organes géni- taux ; et , dans le cœur , les cavités gauches sont formées plus tôt que les cavités droites. 70 Chaque organe a ses dif- férents stades, sa durée propre, et a une grandeur variable aux différentes époques de la vie. N'avons -nous pas vu le cœur 5 le cerveau, l'intestin, passer chacun par des états divers, et qui, le plus souvent, n'étaient pas coïncidents? Pourrait-on nier que chaque organe a sa durée propre? Nous verrons par exemple le thymus disparaître dans les deux années qui suivent la naissance. Enfin , quels changements

38o VIE INTRA-UTÉRINE,

continuels dans le volume des organes! Le cœur? par exem- ple, qui est d'autant plus gros proportionnellement que l'em- bryon est plus jeune, diminue graduellement; et au contraire, le poumon primitivement très petit , n'est jamais plus gros que lorsqu'il est parvenu à son développement complet. La symétrie dans les organes est d'autant plus marquée, que leur formation est plus récenle , que l'embryon est plus jeune. Nous venons de dire que , selon M. Serres , toutes nos parties sont primitivement formées de deux parties sembla- bles qui se réunissent; d'où la fondation de ses deux lois de symétrie et de conjugaison. Il est certain , ajoute M. Meckel, que même ceux de nos organes qui ne doivent pas être symé- triques, le sont dans l'origine; par exemple, le cœur, le foie, l'estomac. De même, les membres supérieurs et infé- rieurs , sont d'abord tout-à-fait semblables. Nous avons vu que l'encéphale et l'intestin forment chacun, dans leur principe , une gouttière dont les côtés se rappro- chent. Sur la ligne médiane du corps, de la réunion qui s'y est faite ; des deux moitiés qui composaient préalable- ment l'embryon. Voyez les sutures des deux pariétaux, des deux moitiés du frontal , des os susmaxillaires et nasaux ! Voyez les becs de lièvre à l'une et l'autre mâchoire , le man- que du sternum dans les trois premiers mois de la grossesse,, et le modede développement de cet os! Voyez, dans quelques cas de monstruosités, la non-réunion des os pubis, d'où le défaut de la partie antérieure de la vessie, et le vice de conformation appelé eocslrophie! Voyez enfin le canal qui existe primitivement dans toute la longueur de la moelle spinale, canal qui fait suite dans l'encéphale aux quatrième et troisième ventricules , et qui est la cause des spina-bifida. La peau elle-même offre quelques différences à la ligne mé- diane; son derme est plus épais, il adhère plus aux parties subjacentes. 90 Toutes les phases par lesquelles passe le corps, répondent à des divisions de l'échelle animale; et ceci doit s'entendre non-seulement du corps en général, mais encore de chacun des organes en particulier. Ainsi , le corps a primitivement l'organisation homogène des animaux les plus simples; réduit au torse, l'embryon humain est

PHYSIOLOGIE DU FOETUS. 38 ï

d'abord un être globulaire , vésiculaire , comme le sont les derniers animaux; successivement il acquiert une tête, des membres : dans l'origine, il a une queue qu'il perd ensuite. Nous avons dit que MM. Tiédemann et Serres avaient re- connu que le système nerveux de l'embryon bumain passait successivement par chacune des formes que présentent les quatre classes des animaux vertébrés. On a fait la même remarque à l'égard des appareils circulatoire et digestif; le cœur n'est-il pas primitivement un vaisseau, comme dans les insectes? n'est-il pas ensuite à un seul ventricule et une seule oreillette, comme dans les reptiles ? Les preuves de cette neu- vième loi sont éparses dans la description que nous avons donnée de chaque organe, de chaque appareil; il aura été facile de reconnaître, dans cette description, que toutes les formes qui apparaissent d'abord, étaient celles qui apparte- naient aux animaux les plus simples. Ainsi, primitivement les ouvertures de l'anus et des voies génitales ont été réunies, comme cela est encore dans le cloaquedes oiseaux; ainsi l'u- térus a étébicorne jusqu'à trois mois, etc. Ce dogme prouve qu'il nefaut pas prendre à la lettre le terme d'évolution , de développement , selon lequel on dit que se forme le fœtus : sans doute, cet être a dès le principe le germe de tous ses développements futurs ; mais son organisation est d'abord très simple,, et, se compliquant ensuite successivement > elle passe par chacun des états que présente l'échelle zoolo- gique. io° Enfin , l'homme se distingue par la rapidité avec laquelle il parcourt ses premiers développements; d'où une cause de notre ignorance sur ce que sont ces premiers développements.

CHAPITRE IL

Physiologie du Fœtus,

Si l'anatomie du fœtus avait laissé beaucoup de points douteux et tout-à-fait inconnus, nous aurons à signaler plus d'obscurités encore, à avouer une plus grande ignorance en ce qui concerne la physiologie de cet être. Tout presque ne

382 VIE INTRA-UTÉRINE»

sera que conjecture , surtout en ce qui aura trait aux pre- miers temps. De même que nous avons vu varier d'un jour à l'autre le nombre et les formes des parties qui composaient le corps; de même varieront sans cesse le mécanisme de la vie , le caractère des fonctions. Dans l'adulte , nous avions partagé ces fonctions en trois classes; celles de relation, de nutrition et de reproduction. Dans l'étude que nous allons faire de la vie du fœtus , nous suivrons le même ordre ; bien qu'il paraisse n'exister en cet être que les fonctions de nutri- tion , tous les actes de la vie ne tendant à cette époque qu'à nourrir et faire croître l'individu , et la nutrition s'effec- tuant alors comme dans le végétal, sans conscience > et indé- pendamment de toute volonté.

ARTICLE PREMIER.

î)cs Fonctions de nutrition du Fœtus.

Toute nutrition exige : i" que l'être qui se nourrit , prenne au dehors de lui des matériaux; qu'il élabore ces matériaux, et les convertisse en un fluide propre à lui être assimilé, et qui dans les animaux est appelé sang; qu'il s'approprie ce fluide et en eompose la substance de ses or- ganes ; enfin , que tandis que par cette première série d'actions il se compose , il rejette par des excrétions une partie de la matière qui le formait, et ainsi se décompose dans la même proportion. Nous avons vu que dans l'homme adulte, la nutrition nécessite, outre les sensations et les mouvements volontaires qui servent à la préhension des matériaux composants , le concours de sept fonctions , sa- voir : la digestion, les absorptions, la respiration, la cir- culation, les nutritions proprement dites, les calorifications et les sécrétions. Dans le fœtus, le travail nutritif réclame un nombre moindre de fonctions; ce nombre d'ailleurs varie aux diverses époques de la vie intra-utérine; mais il n'en faut pas moins accomplissement de ces quatre objets, pré- hension des matériaux alibiies , conversion de ces matériaux en fluide nutritif, c'est-à-dire en sang, assimilation de ce sang à la substance du corps, et excrétions. Nous allons re-

PHYSIOLOGIE DU FOETUS. 383

chercher ce qui est de chacun de ces objets aux diverses épo- ques de la vie fœtale.

g 1er. Préhension des matériaux nutritifs et composants du Fœtus.

Dans l'adulte, il y a toute évidence sur les sources d'où proviennent les matériaux nutritifs de l'être, ainsi que sur leur mode de préhension; ces matériaux sont les aliments, les boissons, et l'air; et la préhension en est effectuée avec volonté et conscience.il n'en est pas de même dans le fœtus; d'une part, c'est irrésistiblement et d'une manière aussi peu sentie que dans le végétal , que sont saisis les matériaux nutritifs quels qu'ils soient; et d'autre part, il y a doute sur les sources d'où proviennent ces matériaux, et doute d'autant plus grand qu'on remonte aux temps les plus rapprochés de la formation primitive.

10 On a d'abord indiqué comme substance nutritive de l'embryon, et comme lui servant sous ce rapport dès les premiers jours de sa formation, la matière séro-albumi- neuse , qui a été sécrétée en abondance dans l'utérus pour la formation de la caduque. Chaussier pense que l'ovule en se plongeant tout entier en cette matière , en absorbe une grande partie par sa surface externe, et s'en nourrit; à l'instar des êtres vivants les plus simples qui se nourrissent par une absorption qu'effectue la périphérie de leur corps. S'il est vrai en effet que cette matière séro-albumineuse soit à l'œuf des vivipares , ce que les blancs sont à celui des ovipares , comme il est sûr que ceux-ci se mêlent au jaune pour nourrir l'embryon, on peut attribuer à celle-là le même office. Mais cette analogie ne peut être admise que comme une conjecture. Rien ne prouve que le mucus dont se re- vêtent les œufs des batraciens, par exemple, serve à la nu- trition de l'embryon. Que penser d'ailleurs de l'idée de Chaussier , si, comme le veulent MM. Morcau et Welpeauy la caduque est déjà organisée , quand l'œuf débouche par la trompe dans l'utérus ? Enfin , comment concevoir ici le phé- nomène ? Dira-t-on que la matière est assimilée au corps de l'embryon, au même moment qu'elle est saisie; comme

384 VIE INTRA-UTÉRINE.

cela est dans les derniers animaux, chez lesquels tou6 les actes du mécanisme nutritif se passent à la fois, et se rédui- sent à un seul, une absorption externe ? Mais la particularité qu'offre l'ovule d'être primitivement rempli d'un liquide transparent dans lequel ou ne voit rien de solide, et le par- tage qui se fait bientôt en cet ovule de l'embryon et de ses annexes, ne permettent pas qu'on adopte cette explication. S'appuyant de l'analogie des oiseaux, on a présenté la vésicule ombilicale, comme fournissant à l'embryon la matière nutritive qui lui est nécessaire , depuis 3e premier instant de sa vie, jusqu'au moment du développement du placenta. Il est certain, en effet, que c'est sur le jaune de l'œuf qu'apparaît le pouîet, et que ce poulet a paru croître à ses dépens , puisqu'à mesure que l'un a grossi, l'autre a diminué. On a d'ailleurs toutes raisons de regarder le jaune, comme une provision qui a été préparée pour subvenir aux développements de l'embryon ; car celui-ci, étant renfermé dans un œuf clos de toutes parts , n'a aucune communication avec le monde extérieur , ne peut rien y puiser , et par con- séquent il devait avoir dans l'œuf sa matière nutritive toute préparée. Enfin , on considère généralement le jaune comme l'analogue des deux lobes de matière féculente , qui dans une graine enveloppent l'embryon végétal, et sont destinés à le nourrir jusqu'au moment cet embryon aura poussé sa plantule et sa plumule , et pourra , à l'aide de ces parties, puiser dans la terre et dans l'air les sucs qui lui sont néces- saires. Or, nous avons vu que tous les physiologistes assi- milaient la vésicule ombilicale des mammifères au jaune de l'œuf des oiseaux. En effet : les vaisseaux de cette vési- cule, les vaisseaux omphalo-mésentériques , sont les mêmes que ceux qui, dans l'oiseau, se rendent à la membrane du jaune; cette vésicule, ainsi que celle du jaune, commu- nique avec la cavité de l'intestin ; et c'est d'elle que cet organe provient; d'ailleurs, lorsque l'œuf humain est encore flottant dans l'utérus , ou du moins n'a pas encore développé l'organe par lequel il puisera dans ce viscère , cet œuf n'a-t-il pas autant besoin que celui des ovipares de contenir au-dedans de lui sa substance nutritive? et quelle

PHYSIOLOGIE DU FOETUS. 385

autre de ses parties serait plus propre à fournir cette sub- stance que la vésicule ombilicale? enfin, nous ayons vu que daDS l'origine la vésicule ombilicale était si grosse , que comme le jaune elle formait tout l'œuf; que diminuant ensuite, elle disparaissait lorsque le placenta était formé. On peut donc admettre avec tous les auteurs , que l'humeur de la vésicule ombilicale est ce qui nourrit l'embryon dans les premiers temps de sa vie.

Mais commentse faitcette nutrition ?C'est ce qu'on ignore. La matière de la vésicule ombilicale, saisie et probablement en même temps un peu élaborée par les vaisseaux omphalo* mésentériques , est-elle aussitôt portée dans les vaisseaux de l'embryon, et de aux organes? ou bien aucontraire, est^eïle'poriée à l'estomac de l'embryon, pour y être digérée ? De ces deux modes de nutrition, le dernier n'est guère pro- bable; on l'a conjecturé, d'après l'analogie du jaune des oi- seaux; mais il ne pourrait exister tout au plus qu'à la fin de l'existence de la vésicule ombilicale. Le premier mode est au contraire beaucoup plus vraisemblable, surtout pour les premiers temps. En effet, d'après le principeque l'embryon, dans la suite de ses développements, doit offrir les formes d'organisation les plus simples avant les plus compliquées, Un système de racines absorbantes doit précéder dans son appareil nutritif un système digestif; et dès lors l'on peut considérer les vaisseaux ompbalo - mésentériques , comme puisant dans la vésicule , par une absorption radiculaire analogue à celle qui fait vivre les végétaux.

MM. Lobstein , 0ken3 ont voulu attribuer à la liqueur de l'allantoïde le même office qu'à la matière de la vésicule ombilicale. Ils se sont fondés : sur ce que la vésicule al* lantoïde et sa liqueur ont été trouvées dans des œufs chez lesquels le fœtus manquait, ce qui semble prouver sa pré- existence au fœtus; sur ce que cette vésicule est d'autant plus grande, et son humeur d'autant plus abondante, que l'embryon est plus jeune ; enfin , sur ce que cette liqueur, si elle n'est pas nutritive, ne peut être que de l'urine, et que beaucoup de raisons militent contre cette dernière idée. Peut-on croire, en effet, disent MM. Lobstein et Oken y à Tome IV. 2 5

386 VIE ISTflA-UTÉRINË.

l'existence de l'urine, à une époque les reins existent à peine, et peuvent à peine agir? La sécrétion urinaire serait donc d'autant plus active, qu'on serait moins avancé dans la vie intra-utérine? elle fonderait donc une fonction de première nécessité ? Si l'humeur de l'allantoïde était de l'urine , il devrait y avoir toujours une communication facile entre l'allantoïde et la vessie urinaire; et cependant il est fort difficile de faire passer, même de l'air, de l'une de ces poches dans l'autre. Le liquide de l'allantoïde, enfin , ne ressemble en rien à de l'urine.

Quelque puissants que soient tous ces arguments, ils ne peu- vent établir, en faveur de la fonction nutritive de l'allan- toïde, une vraisemblance égale à celle qui existe pourlavési- cule ombilicale. D'abord, est-il bien vrai qu'on ait trouvé des allantoïdes dans des œufs sans fœtus ? Tous les anatomistes de nos jours récusent les observations qu'on en a rapportées; ou les vésicules n'étaient pas des allantoïdes; ou les fœtus avaient disparu depuis peu, mais avaient existé. En second lieu, le grand volume de l'allantoïde, dans les premiers temps de la vie intra-utérine, peut se concevoir dans l'hy- pothèse qui fait de cette poche un réservoir de l'urine. En- fin, des raisons non moins fortes que celles qu'opposent MM. Lobstein et Oken , portent à faire regarder l'humeur de l'allantoïde, comme une humeur d'excrétion, comme l'u- rine. L'allantoïde, en efTet, semble êti'e une continuation de la vessie urinaire ; elle communique avec cette poche par l'ouraque; les reins et la vessie existent de très bonne heure, d'où l'on peut conclure que la sécrétion urinaire est, dès les premiers temps, en activité. Si l'allantoïde, d'abord très grande, diminue bientôt, et cesse de communiquer avec la vessie; c'est que la sécrétion urinaire est d'abord propor- tionnellement plus active, quand le fœtus n'a encore au- cune autre excrétion, et qu'elle diminue ensuite, quand s'établissent d'autres excrétions, celle de l'humeur sébacée de la peau, par exemple. Une pareille hypothèse fait, il est vrai , de la sécrétion urinaire une fonction de première né- cessité dans la vie du fœtus: mais cette sécrétion n'a-t-elle pas la même importance dans la vie de l'adulte ? Enfin, si on

PHYSIOLOGIE DU FOETUS. S87

a objecté que la liqueur de l'allantoïde ne ressemblait en rien à de Furine , on a voulu parler de l'urine de l'adulle ; et qui oserait dire qu'il ne doit exister aucune différencedans cette même humeur, prise à deux époques si distantes de la vie? D'ailleurs, Daubanton,en évaporant au feu, la liqueur de l'allantoïde lui a trouvé une odeur urineuse. Concluons donc que, s'il est douteux que l'humeur de l'allantoïde soit une humeur d'excrétion, comme le veulent presque tous les physiologistes de nos jours , il est encore moins prouvé qu'elle soit une matière nutritive; et il nous est d'autant plus prescrit de conserver du doute à cet égard, qu'on n'a jamais trouvé l'allantoïde dans l'œuf humain, et qu'on ne l'y admet que d'après l'analogie des mammifères. Du reste, si l'on veut qu'elle soit un réservoir de matière nutritive, elle ne servirait que dans les premiers jours de la vie el par un mécanisme aussi peu connu que celui de la vésicule ombilicale.

4f> Beaucoup de physiologistes ont présenté le liquide de Pamnios, dans lequel le fœtus est plongé pendant tout le cours de la grossesse , comme une source de matière nutritive pour cet être, tout en différant sur la voie par laquelle serait introduit ce liquide. Il ont allégué comme preuves : la qualité nutritive de cette humeur; on a nourri avec elle seule , pendant plusieurs semaines, de jeunes animaux 20 la particularité qu'elle a d'être d'autant plus abondante et plus riche en matière animale, que l'embryon est plus jeune; son contact continuel avec le fœtus> dont les sur- faces, tant externe qu'interne, sont dites jouir d'une faculté d'absorption d'autant plus prononcée que cet être est moins âgé; enfin, quelques exemples de fœtus privés de cordon, et qui, sans le secours du placenta, se sont développés. De ces diverses preuves, nous rejetterons d'abord la dernière ; on n'a aucune observation authen tique de fœtus privé de cordon om- bilical et de placenta, et cependant venu à terme; etati con- traire , on a des exemples multipliés de fœtus qui sont morts aussitôt, dès que le cordon ombilical a été rompu. Quant aux autres raisons, elles ne fondent que des vraisemblances : on peut, à aussi bon droit, attribuer à l'eau de Pamnios plu-

23,

388 VIE ÎNTRA-UTÉIIIÎŒ.

sieurs autres offices; comme de garantir le fœtus des chocs extérieurs; de former autour de lui une atmosphère qui le défende de la pression de l'utérus, permette son déve- loppement et ses mouvements , et serve à l'entretien de sa température; comme de servir à dilater régulièrement l'utérus pendant la grossesse, et à ouvrir son orifice lors de l'accouchement. On peut croire surtout qu'elle est utile à maintenir isolées les parties extérieures du fœtus, et à pré- venir les adhérences vicieuses qu'elles pourraient contrac- ter. Il est sûr au moins , que tandis qu'on a vu des fœtus survivre long- temps à l'écoulement de cette eau; on a une observation de M. Morlanne , d'un fœtus de cinq mois qui, trente jours après cet écoulement, offrit les bras et avant-bras collés avec la poitrine, et les cuisses avec l'abdomen.

Toutefois , les physiologistes qui ont admis cette source de matière nutritive ont différé sur la voie par laquelle ils l'ont fait pénétrer; tour-à-tour ils ont indiqué la peau, l'appareil digestif, l'appareil respiratoire, les voies géni- tales, les mamelles. Buffion , Osiander , Vandenhosh , ont fait absorber la liqueur de Tamnios par la peau du fœtus. Cette membrane , disent-ils , est essentiellement absorbante, et doit l'être d'autant plus que l'embryon est plus jeune, parce qu'alors elle est sans épiderme. Ils ont argué des cas de fœtus dont le développement a continué, bien qu'ils man- quassent de bouche et de cordon ombilical. Ils ont enfin invoqué les expériences suivantes de Vandenhosh : ce savant, dit, qu'ayant retiré du ventre de sa mère un fœtus mammi- fère, et en ayant aussitôt séparé la peau, il vit les vaisseaux lymphatiques de cette membrane évidemment remplis d'un fluide séreux : qu'après avoir ouvert l'œuf d'un mammifère, et appliqué des ligatures aux membres du fœtus , il vit les vaisseaux lymphatiques de cet être se distendre : ayant enfin qu'après avoir plongé les membres de ce fœtns dans l'eau de l'amnios, il vit les vaisseaux se remplir et se distendre bien davantage. De toutes ces raisons, aucune n'est démonstra- tive la plus puissante serait celle des fœtus développés sans cordon, mais nous avons dit qu'aucun des exemples qu'on

PHYSIOLOGIE DU FOETUS. 3$9

en a eilés n'était authentique : on ne doit regarder l'absor- ption de l'eau de l'amnios par la peau , que comme une des mille et mille conjectures qui, dansl'état actuel de la science, composent presque exclusivement l'histoire de la physiologie du fœtus.

Boërhaave, Haller, au contraire, font pénétrer l'eau de l'amnios par la bouche et le canal intestinal. Il est certain , disent- ils, que souvent cette humeur a été trouvée en ces cavités; on l'a reconnue distinctement, avec ses qualités physiques, dans le pharynx et l'estomac; Heisler, ouvrant une vache pleine, qui était morte de froid, vit que l'eau de l'amnios, gelée , formait un glaçon qui s'étendait jusque dans l'estomac du fœtus. Alors, deux hypothèses peuvent être faites; ou l'eau de l'amnios serait en ce lieu simplement absorbée, ou elle y subirait préalablement une digestion. Les fauteurs de la première hypothèse partent de ce principe déjà cité , que le fœtus doit présenter les formes de nutrition les plus simples avant les plus compliquées, et par consé- quent doit se nourrir par absorption avant de se nourrir par digestion; ils trouvent, dans la membrane muqueuse intes- tinale, la puissance d'absorption qui leur est nécessaire; ils disent enfin, qu'au moins, dans les premiers temps, il ne doit y avoir qu'absorption , et que , s'il y a digestion , ce ne peut être que dans les derniers mois. Boerhaave , au con- traire, admet une déglutition ou succion des eaux de l'am- nios, et leur digestion dans l'estomac. Ne voit-on pas, dit-il, de très bonne heure , du méconium dans le canal intestinal ? et la présence de cette matière excrémentitielle ne prouve-t- elle pas que le canal digestif a agi ? D'ailleurs, que d'autres preuves encore qu'il se fait des digestions chez le fœtus ! en examinant les vaisseaux du mésentère , dans un enfant qui venait de naître avec l'abdomen ouvert, on a trouvé ces vaisseaux pleins de chyle. Or, si l'appareil digestif agit, il lui faut des aliments; et quels autres peut-on indiquer que les eaux de l'amnios? Ce qui semble autoriser cette idée, c'est qu'on a trouvé dans le méconium quelques-uns des poils soyeux qui sont à la peau du fœtus, et ces poils n'a- vaient pu pénétrer dans l'intestin qu'avec la liqueur de

3 VIE INTRA-UTÉRINE.

l'amuios. Quelque spécieuses que paraissent toutes ces con- sidérations , elles ne suffisent pas pour faire admettre irrévo- cablement ce point de doctrine. D'abord, il est sûr que le fœtus n'exécute aucun mouvement de déglutition, ni de succion ; et si l'eau de l'amnios pénètre dans l'appareil di- gestif, c'est mécaniquement. En second lieu, il est possible que cotte pénétration n'ait été qu'accidentelle dans les cas elle a été observée, car le fœtus a ordiuairement la bou- che fermée. Troisièmement, il est certain que l'eau de l'am- nios, si elle nourrit par la voie que nous discutons, n'est pas d'une indispensable nécessité pour la vie du fœtus, car on a vu beaucoup de fœtus naître, bien développés, avec une imperforation de la bouche : n'a-l-on pas d'ailleurs l'exemple des acépbaîes ? Enfin , la présence du méconium dans l'intestin du fœtus, cel!e du chyle dans les vaisseaux du mésentère, prouvent bien qu'il se fait , clans les derniers temps au moins, digestion; mais non que ce soit sur les eaux de l'amnios que celte fonction opère. En effet, il est possible que les sucs de l'appareil digestif servent eux-mêmes à alimenter la digestion; il est d'autant plus permis de le croire, que ces sucs sont alors très abondants; et nous di- rons ci-après quelle idée l'abondance et la nature de ces sucs a inspirée à M. Geoffroy Saint-Hilaire , sur la nutrition du fœtus. Est-il possible de croire que le méconium provient de l'eau de l'amnios, quand on voit ce méconium exister dans l'intestin des acéphales , et dans celui des fœtus qui ont une imperforation de la bouche. On arguera des poils soyeux qu'on a trouvés dans ce méconium; maisces poils ne peuvent -ils pas s'être formés dans l'intestin? Cependant, on dit n'en avoir trouvé jamais dans le méconium des fœtus sans bouche. Enfin, la matière visqueuse considérable , que nous verrons être contenue dans l'estomac et l'intestin , et dont M. Geoffroy fait un mucus préparé pour la nutrition du fœtus, ne ressemble en rien au liquide amniotique , car elle est acide et gélatiniforme.

Rœderer, TV inslow , Scheeî , font saisir l'eau de l'amnios par les voies respiratoires, arguant de ce que dans certains cas on a en effet trouvé ce liquide dans la trachée et dans les

PHYSIOLOGIE DU FOETUS. 391

bronches. Selon les uns , elle y pénètre mécaniquement, par suite de l'accès toujours facile qu'offrent les ouvertures des narines, et à cause de la communication de ces narines avec la trachée et les bronches : selon Scheel, elle y est introduite par les mouvements de respiration qu'exécute le fœtus; enfin , selon Rœderer, elle y serait engagée par la pression qu'exercerait sur elle l'utérus. Cette introduction une fois admise, deux possibilités se présentent, comme dans le cas précédent; ou l'eau de l'amnios n'est qu'absorbée dans les voies respiratoires, ou elle y sert à une respiration. D'un côlé, la surface interne des bronches jouit de la même fa- culté d'absorption que toutes les membranes muqueuses, et l'on peut croire qu'elle saisit le liquide avec lequel elle est en contact. D'un autre coté, d'après la nécessité dont est l'air pour tout être vivant, ne peut-on pas soupçonner que le fœtus a lui-même besoin d'une respiration ? et à cette première époque de sa vie, la respiration de cet être serait une respiration d'eau: nous avons parlé des efforts qui ont été faits pour démontrer la présence de l'air atmosphérique ou de l'oxygène dansl'eaude l'amnios. Sans entrer dans une longue discussion, il est évident que ces deux idées sont également de simples suppositions, de pures conjectures. D'abord, le fœtus n'exerce pas plus de mouvements de respiration que de mouvements de déglutition; et si l'eau de l'amnios pé- nètre dans les voies respiratoires, ce n'est que mécani- quement. Ensuite, il ne paraît pas que cette pénétration soit ordinaire , car la glotte est fermée; et quand elle a eu lieu, il est probable qu'elle n'avait été qu'accidentelle. Enfin, cette idée d'une respiration aquatique est une hy- pothèse tout-à-fait inadmissible; le poumon du fœtus est un organe de respiration aérienne, et non un organe de respiration aquatique, une branchie; il est douteux que l'eau de l'amnios contienne de l'air; et enfin dans le fœtus, la circulation ne traverse pas le poumon , comme cela de- vrait être, si la respiration avait déjà commencé en cet or- gane. Ou peut d'ailleurs opposer à l'idée de la nécessité dp l'introduction de l'eau de l'amnios par cette voie, quel que soit le service ultérieur qu'elle y remplisse , le fait desacé-

3<}2 VIB INTRA-UTÉRINE.

phaJes : la nutrition s'est faite dans ces fœtus mutilés, bien que le liquide de l'amnios ne pût pénétrer, ni dans l'appa- reil digestif, ni dans l'appareil respiratoire.

Enfin , nous indiquerons encore, mais comme simples con- jectures, les voies d'introduclion supposées par MM, LohsLein et Oken. Le premier fait absorber l'eau de l'amnios par les parties génitales. Le second dit que ce liquide est saisi par les mamelles , élaboré par ces glandes , et conduit de dans le thymus, le canal tboracique et le système sanguin du fœtus. Il suffit de citer de pareilles opinions , pour prouver qu'elles ne sont que des suppositions.

Les incertitudes des auteurs sur la voie par laquelle péné- trerait l'eau de l'amnios , ue font donc que confirmer les doutes que nous avions sur l'office de nutrition qu'on veut faire remplir à cette humeur.

5o On sait que, de très bonne heure , des villosités déve^ loppées à la surface externe du chorion , unissent l'œuf à la caduque, et que de semblables villosités unissent celle-ci à l'utérus. Or, plusieurs physiologistes considèrent ces villo- sités comme vasculaires, et comme un moyen par lequel une matière nutritive arriverait de la mère à l'enfant. Nous avons même dit que plusieurs avaient fait provenir de cette source l'eau de l'amnios. Il est possible que dans les pre^ miers jours de l'évolution, ces villosités soient un moyen par lequel l'embryon prend dans la mère de la matière nu- tritive; mais on ne peut en être sûr, et il est certain au moins que cela n'est plus dans les derniers temps. La nature vasculaire de ces villosités devient en effet de plus en plus douteuse, et à la fin, ces villosités ne paraissent plus être qu'un moyen de faire adhérer la caduque à l'utérus , et le chorion et l'œuf à la caduque.

Une source de matière nutritive qui ne peut être con^ testée , est celle qui est due au placenta. Cet organe est vé^ ritablement un moyen par lequel l'enfant puise dans le sein de sa mère : ce que nous avons dit de sa structure en est la preuve. Il reçoit, en effet, d'un côté les artères et les veines utérines de la mère, et de l'autre, les artères et veines ombilicales du fœtus; et que servirait cette fusion dans le

%

PHYSIOLOGIE DU FOETUS. 3g3;

parenchyme du placenta de vaisseaux provenants de ces deux, êtres, si ce n'était pour que l'un fournît de la matière nutri- tive à l'autre ? Il est certain, d'ailleurs, que le placenta en- tretient une circulation sanguine , et avec le fœtus, et avec la mère. Nous parlerons ci-après de la première, et nous verrons à son égard que le placenta fait réellement partie de l'appareil circulatoire du fœtus. Quant à la seconde , en décrivant le placenta, n'avons-nous pas parlé d'un pla* centa utérin, c'est-à-dire presque exclusivement formé par les vaisseaux utérins? N'avons-nous pas mentionné des vais- seaux allant de l'utérus au placenta, et auxquels M. Dubois, qui lésa injectés, a donné le nom d'utéro-placentaux ? Pour- quoi ces vaisseaux, si ce n'est pour que des sucs de la mère parviennent au placenta, et du placenta au fœtus par le cordon ? Lorsque, dans la grossesse, le placenta se décolle en totalité ou en partie , ne survient-il pas une hémorrhagie qui peut être aussi dangereuse à la mère qu'à l'enfant ? Une semblable hémorrhagie ne s'observe- t-el le pas lors de l'ac- couchement, dans les premiers instants qui suivent la dé- livrance, jusqu'à ce que l'utérus , revenu sur lui-même, ait affaissé les vaisseaux qui établissaient sa communication avec le placenta? Si , après cet accouchement, le placenta reste adhérent à la matrice , souvent il se fait par le cordon une hémorrhagie qui peut être dangereuse à la mère. Quelque- fois même en ce cas, ou lorsque le fœtus était resté mort dans le sein de sa mère, on a vu le placenta continuer de croître, ce qui ne pouvait être que par les sucs qu'il tirait de la mère. Récemment M. Ribes a vu un fait de ce genre : le cordon ombilical s'était rompu ; par suite le fœtus avait péri; mais le cordon s'était cicatrisé, et le placenta avait continué de croître à l'aide de ses adhérences avec l'utérus. Enfin, en faisant prendre à la mère des aliments teints de garance , ou en injectant dans ses vaisseaux du camphre , comme l'a fait M. Magendie, on a vu la matière colorante teindre les os du fœtus , et l'odeur du camphre imprégner son sang : or, quel organe autre que le placenta peut avoir servi ici d'intermédiaire ? Le placenta est donc en commu- nication avec l'utérus ; il en reçoit nue matière nutritive ,

394 VIE INTRA-UTÉRIJNE.

qu'ensuite il envoie au fœtus ; il est le moyen de communi- cation de la mère à l'enfant. Seulement la communication qu'il établit est plus facile de la mère à l'enfant, que de l'enfant à la mère, ce qui devait être; M. Magendie , qui faisait passer aisément , de la mère à l'enfant, du camphre, comme nous venons de le dire, n'a pu, au contraire, faire passer des poisons de l'enfant à la mère , en injectant ces poisons dans le cordon.

Mais il se présente ici deux questions : de quelle nature est la communication de l'utérus avec le placenta ? et quelle matière nutritive le premier de ces organes fournit-il au second ?

Relativement à la première de ces questions , plusieurs physiologistes anciens ont cru à une communication di- recte entre les vaisseaux de l'utérus et ceux du placenta, et par conséquent ont dit que la circulation du fœtus était une continuation de celle de la mère. Leurs arguments étaient : qu'après l'accouchement, il se fait toujours un écoule- ment de sang plus ou moins abondant par la vulve; que souvent alors, le sang continue de couler indéfiniment par le cordon ; que dans des femmes enceintes, mortes d'hé* morrhagie, on a trouvé le fœtus lout-à-fait exsangue; qu'on a injecté également les vaisseaux du fœtus par ceux de l'utérus, et les vaisseaux de l'utérus par ceux du fœtus ; enfin , qu'on a vu vivre et se développer des fœtus qui n'avaient pas de cœur, et chez lesquels conséquemment la circulation, n'avait pu se faire que par l'influence du cœur de la mère. Outre qu'il n'est aucun de ces arguments qu'on ne puisse réfuter, il en est d'autres plus puissants qui prouvent invinciblement que la communication entre le placenta et l'utérus n'est pas directe. L'hémorrhagie, qui se fait par l'utérus et le cordon après l'accouchement, prouve bien la communication des vaisseaux de la mère avec le pla- centa, mais non que cette communication soit directe. Il est faux que quand la mère meurt d'hémorrhagie, on trouve le fœtus exsangue; le plus souvent le contraire a lieu, et T'Vrisbers: Fa constaté par des expériences directes. Les injections dont on arguë, répétées par les anato-

PHYSIOLOGIE DU FOETUS. 395

mistes de nos jours, ont présenté des résultats opposés, et par conséquent ont conduit à une conclusion contraire. Si, par exemple , on injecte les artères utérines ? la matière pé- nètre dans les veines du même nom, après s'être épancnée dans les lobes du placenta , mais sans jamais parvenir dans les vaisseaux ombilicaux du placenta. Il en est de même, si on injecte les veines utérines; et, en ce cas, l'épanchement dans le parenchyme du placenta utérin est plus abondant. Si , au contraire, on injecte les artères ou la veine ombili- cales , la matière passe des uns de ces vaisseaux dans les au- tres, s'épanche dans le parenchyme du placenta, mais ne pénètre pas dans les vaisseaux utérins. A la vérité, une ou deux fois, Chaussier avec du mercure, Bêclard avec de la matière grasse, ont injecté par la veine ombilicale, non-seulement toute la masse du nlacenta, mais encore le tissu de l'utérus et les veines utérines : mais ces anatomistes opéraient sur des femmes mortes pendant leur grossesse; on sait qu'alors les orifices des veines utérines à la surface de cet organe sont béants et fort gros; et il est possible de concevoir comment la matière injectée, en venant sourdre à la surface du placenta, a pu pénétrer dans ces vaisseaux. En décrivant le placenta, nous avons annoncé la non-com- munication directe de ses vaisseaux utérins et ombilicaux. La persistance de la vie, et la continuation du dévelop- pement dans les fœtus sans cœur, ne prouvent rien; caria contraction des vaisseaux aura suffi pour la circulation. Enfin , voici des faits positifs qui prouvent que la com- munication n'est pas directe. Il n'y a nul isochronisme entre le pouls du fœtus et celui de la mère; M. de Kergaradec , en appliquant le stéthoscope à l'abdomen d'une femme en- ceinte , est parvenu à distinguer les battements du cœur du fœtus, et ces battements étaient plus nombreux du double que ceux du cœur de la mère. On a des exemples de fœtus qui sont nés, l'œuf étant resté intact, ses membranes ex- ternes n'ayant pas été déchirées; et bien que le fœtus fut alors privé de respiration, cependant sa circulation a continué pendant neuf minutes, dit TVrisherg, pendant un quart- d'heure, dit Osiander. Enfin, dans des cas un enfant

O^Ci VIE INTRA-UTÉRINE.

naissant avait peine à respirer et était en danger de périr , on a entretenu la vie du placenta, en le tenant dans de l'eau chaude à trente-deux degrés, et par suite on a fait continuer la circulation du sang. Il est donc certain que l'utérus et le placenta, quoique en communication à leur point de contact, forment deux organismes séparés; il se fait une double perspiration et une double absorption; c est-à-dire que l'utérus perspire, à sa surface ou dans le parenchyme du placenta utérin, une matière que les vais- seaux ombilicaux du placenta fœtal absorbent; et que sem- blablement les artères ombilicales du placenta fœtal perspi- rent une matière qu'absorbent les veines utérines du placenta utérin.

Maintenant, quelle est la matière fournie par l'utérus au placenta? les uns disent du sang, les autres un fluide sé- reux. La plupart des physiologistes admettent, que les ar- tères utérines apportent dans le placenta utérin le propre sang de la mère ; ils se fondent sur ce qu'un écoulement de sang accompagne toujours le décollement du placenta à toute époque de la grossesse, et lors de l'accouchement. Schreger, au contraire , prétend que ce qui est puisé dans la mère par le placenta est un fluide séreux , qui porté d'abord dans le canal thoracique du fœtus et dans les veines sous-clavières , est ensuite reporté par les artères ombilicales dans le pla- centa pour y commencer la circulation sanguine. Ses argu- ments sont; io que les lymphatiques existent en grand nombre dans l'utérus, lors du développement que la gros- sesse a imprimé à cet organe; 20 qu'il y a lieu de croire le sang de la mère trop fort pour la nutrition d'un être aussi délicat que l'est d'abord l'embryon. Mais ceci rentre dans la question de savoir quelles élaborations éprouve la ma- tière nutritive , pour devenir le fluide sanguin propre à nourrir et à faire croître l'embryon.

70 Enfin, MM. Lohstein et Meckel ont encore mis au rang des substances nutritives du fœtus la substance gélatineuse du cordon . Ils on t don pour preuves, la na ture albumineuse et partant nutritive de cette substance; la grosseur considé- rable que cette substance donne au cordon dans le comaien-

PMYSIOLOGTÈ DU T7ŒTUS. 3$ ?

cernent fie la vie intra-utérine; la perméabilité du tissu cel-- Juleux dans lequel elle est contenuej;la continuité de ce tissu avec celui qui est au-dessous du péritoine dans l'abdomen du fœtus; enfin le grand développement que présente dans le fœtus le système absorbant, à partir de l'ombilic, jusque vers le médiastin antérieur. Il est trop évident qu'aucune de ces raisons n'est démonstrative, et qu'il ne s'agit encore ici que d'une conjecture semblable à plusieurs de celles que nous venons de rapporter.

Telles sont les sept sources assignées à la matière nutritive que doit recevoir l'embryon; et de ces sept sources , deux seules me paraissent devoir être admises; la vésicule ombi- licale, qui fournit depuis le premier instant de la vie intra- utérine , jusqu'à deux mois à peu près ; et le placenta.

Du reste, les controverses que nous venons d'exposer ne sont pas les seules que nous présentent les auteurs. Selon les uns , la matière nutritive ne pénètre jamais que par une seule voie ; mais les diverses sources que nous venons d'indiquer se succèdent les unes aux autres. Selon d'autres , plusieurs de ces sources peuvent fournir en même temps. Ainsi, selon M. Lobstein, les radicules veineuses du placenta ne puisent dans le mère des sucs nourriciers que dans les premiers jours, jusqu'aux temps les artères seront for- mées; mais après, toute circulation cesse entre l'utérus et le placenta, et la vésicule ombilicale, l'eau de l'amnios et la gélatine du cordon, sont les seules matières qui alimentent la nutrition. Selon M. Meckel , le placenta n'est jamais source de matière nutritive ; il n'est qu'un organe de revirf vification du sang du fœtus , l'analogue de l'organe de la respiration de l'adulte; et la nutrition n'est jamais eifec- tuée que par la matière de la vésicule ombilicale dans le commencement, par l'eau de l'amnios jusqu'à mi-terme, et par la gélatine du cordon à la fin. Selon Béclard enfin , la nutrition est effectuée; dans les premières semaines, par l'humeur de la vésicule ombilicale ; ensuite, par l'eau de l'amnios, la gélatine du cordon; et enfin, à partir du moment ou l'œuf devient villeux et développe le placenta, par cet organe. Ce placenta de plus, outre cet office d'être une

398 vie intra-utérine.

source de matériaux nutritifs, devient un organe de revi- viiîcalion du sang du fœtus , un analogue d'organe respi- ratoire. Mais ceci nous conduit au second objet que nous avons à rechercher , la conversion des matériaux nutritifs en sang.

§ II. Conversion des matériaux nutritifs du Fœtus en sang.

Aucun être vivant ne s'assimile la matière qu'il prend âu-dehors de lui pour sa nutrition , telle qu'il la saisit ; toujours il lui imprime auparavant une autre nature ; mais le mécanisme par lequel il l'élabore est plus ou moins com- pliqué. Dans les êtres vivants les plus simples, qui se nour- rissent par une absorption qu'effectue la surface externe de leur corps, on ne distingue pas quelle forme nouvelle a reçu la matière nutritive ; cette matière est assimilée au même instant qu'elle est saisie ; et ces actes successifs de la préhension , de l'élaboration et de l'assimilation des matériaux nutritifs, se réduisent à un seul, ou s'accom- plissent en même temps. Mais il n'en est pas de même dans les animaux supérieurs ; et , par exemple , dans l'homme adulte, nous avons vu quatre fonctions succéder à la pré- hension des matériaux nutritifs, et avoir pour objet l'éla- boration de ces matériaux, leur conversion en sang, et la conduite de ce sang dans les organes qu'il doit nourrir. Ces quatre fonctions étaient la digestion, les absorptions, la respiration et lacirculation.

Le fœtus élabore-t-il de même la matière nutritive, quelle qu'elle soitj qu'il retire, soit d'un réservoir qui lui avait été préparé à l'avance, soit de sa mère? et si l'analogie de ce qui est dans tous les êtres vivants fait répondre affirmativement à cette première question , en quoi consiste cette élabora- tion? Il n'existe pas moins d'obscurités sur cette seconde partie de l'histoire du fœtus, et nous n'aurons guère encore à exposer que des conjectures, des probabilités.

D'abord , si dans les premiers temps de la vie fœtale , l'embryon se nourrit de la matière, séro-albumineuse qui l'entoure et doit former la caduque, c'est en l'absorbant

PHYSIOLOGIE DU FOETUS. 899

par la surface externe de l'ovule; et bienqu'onne voiepasl'é- laboration que fait subir à cette matière l'absorption , puis- qu'elle est assimilée en même temps que saisie., on a les mêmes raisons d'admettre cette élaboration que dans les derniers animaux. CetteélaborationestencoreplusévidenteenefTeten ce qui concerne la matière de la vésicule ombilicale. Nul doute que dans les oiseaux, ce ne soit le fœlus lui-même qui fasse son sang : à la vérité, à l'aide d'un appareil vasculaire qu'il développe, il va en puiser la matière dans le vitelius; mais, en même temps qu'il prend la substance de celui-ci , il l'éla- bore et la change en sang; car dans cet être , qui n'a jamais de communication avec sa mère, d'où ce fluide lui vien- drait-il ? Or , si la vésicule ombilicale est l'analogue du jaune, l'embryon humain doit aussi en absorber l'humeur par les vaisseaux omphalo-mésentériques, et l'élaborer de manière à en faire son fluide nutritif spécial, du sang. Nous avons dit qu'on pouvait supposer deux voies d'introduction à Fhumeur de la vésicule ombilicale; ou la faire absorber simplement par un système de racines vasculaires , ou la faire arriver dans l'estomac pour y être digérée : de ces deux voies , la dernière est plus que douteuse; mais dans l'une et dans Fautre, le fait dont il est question ici, la sanguiiics- tion de la matière de la vésicule ombilicale, est également présumable. Enfin, le placenta ne fait-il que puiser dans Futérus une matière nutritive quelconque? ou plutôt n'im- prime-t-il pas en même temps à cette matière une élabo- ration première ! Si cette élaboration s'observe lors de l'ab- sorption la plus simple , à plus forte raison doit-elle être présumée ici, l'organe a une structure plus complexe? l'interruption qui existe dans la circulation des deux or- ganes, à leur point de contact, n'en est-elle pas une preuve ? Du reste, les conjectures des auteurs ont varié ici, selon l'espèce de substance qu'ils ont fait puiser dans la mère par le placenta, ou du sang, ou un fluide séreux, etc.

Il semblerait que ceux qui ont dit que la matière nutri- tive puisée par le placenta était du sang , n'avaient pas besoin d'admettre Faction d'élaboration dont nous nous occupons ici; et cependant tous Font cru également néces-

4 oo Vie ïtitra-utérôë.

saire. Lès vins ont dit que le sang de la mère ne pouvait convenir à un être aussi délicat que l'embryon , et avait besoin d'être affaibli , désoxygéné , modifié d'une manière quelconque. Les autres ont nié que le sang puisé dans la mère effectuât immédiatement la nutrition; mai'sils l'ont fait seu- lement parvenir à quelques organes du fœtus, ensuite était extrait de lui la matière vraiment nourricière. De la théo- rie qui fait du placenta et du foie des organes d'hématose ; de aussi la théorie et celle de M. Geoffroy SainfrlJilaire, sur l'utilité du mucus abondant sécrété dans l'estomac et l'in- testin du fœtus. Dans la première, il est dit que le sang de la mère éprouve, avant de parvenir aux organes du fœtus qu'il doit nourrir, deux élaborations successives, l'une au placenta et l'autre au foie, sans qu'on puisse spécifier quel caractère nouveau ces organes ont imprimé à ce fluide. L'action placenta se présume , de ce que c'est cet organe qui effectue immédiatement la préhension du fluide , et de ce que tout organe d'absorption est en même temps agent d'élaboration î d'ailleurs , il est sûr que le sang que rapporte de cet or- gane la veine ombilicale, diffère , au moins par la couleur, du sang que lui ont apporté les artères utérines. On a pré- sumé une action du foie, de ce que c'est dans cet organe que se rend d'abord en grande partie le sang au sortir du placenta, et de ce que ce n'est qu'après avoir traversé son lissu que ce fluide arrive au cœur du fœtus. On a aussi argué du grand volume qu'a alors le foie, volume qui est d'autant plus considérable que l'embryon est plus jeune, et qu'on ne peut expliquer qu'en faisant de ce viscère un organe d'hématose. Il est sûr , en effet , que ce volume énorme n'a pas trait à la sécrétion de la bile, qui alors est nulle ou peu abondante; et l'on ne peut pas non plus dire avec Hallev , que ce passage du sang par le foie a pour but de modérer l'impression avec laquelle la mère projette ce fluide, puisque nous avons prouvé qu'il n'y avait pas au placenta communication directe entre la circulation de la mère et celle de l'enfant. On ne peut donc refuser une cer- taine vraisemblance à cette idée; que le sang de la mère ne traverse pas impunément le placenta et le foie, avant de

PHYSIOLOGIE DU FOETUS. loi

parvenir au cœur du fœtus, mais est, par le travail successif de ces organes, mis en rapport avec le degré de délicatesse de cet être.

D'un autre côté , M. Geoffroy Saint-Hilaire pense que le sang de la mère ne nourrit pas immédiatement le fœtus, mais doit auparavant subir diverses transformations. Selon ce savant, le sang va du placenta, en partie au foie, et en partie au cœur. Au foie, il alimente la sécrétion biliaire, ou du moins celle d'un fluide qui ; versé dans l'intestin , irrite cet organe , et lui fait sécréter une quantité de mucus très abondante. C'est pour subvenir à cette sécrétion , que le foie est alors si gros, et d'autant plus gros que le fœtus est plus jeune. La portion de sang qui va au cœur est distri- buée de à toutes les parties, mais surtout à l'intestin l'irritation l'appelle, et y sert à sécrétion abondante du mucus qui s'y fait. La présence de ce mucus dans l'estomac et l'intestin du fœtus est, selon M. Geoffroy Saint-Hilaire, un fait constant; et comme d'autre part l'existence du mé- conium et de véritables matières exerémenlitielles dans le canal intestinal, prouve qu'il y a eu digestion , M. Geoffroy regarde le mucus qui est sécrété dans l'estomac comme l'ali- ment sur lequel doit agir la digestion. La quantité de ce mucus , dit-il , est trop abondante , pour qu'il ne soit qu'un fluide lubréfaction. D'ailleurs, le mucus est le premier degré de tous les composés organiques ; il prédomine dans tous les êtres jeunes ; il est le fond de toutes les parties, et la substance assimilable par excellence; tout être, quel- que jeune qu'il soit, fait du mucus et en absorbe pour s'en nourrir ; la sève des végétaux n'est presque que du mucus, etc. Que de raisons pour faire présumer que celui qui remplit l'intestin est un aliment préparé pour la nutri- tion du fœtus! Elaboré par l'appareil digestif, et saisi par les voies chylifères, ce mucus serait la source d'un fluide nutritif qui affluerait sans cesse dans l'appareil circulatoire, et qui, à chaque passage, éprouverait une annualisation graduelle. Ainsi, la nutrition du fœtus se rapprocherait plus de celle de l'adulte qu'on ne l'avait cru d'abord; dans l'une et dans l'autre, un fluide nutritif serait puisé dans Tome IV, 26

402 VIE INTRA-UTÉRINE,

l'intestin; mais dans Tune, ce fluide proviendrait du mucus sécrété par l'intestin lui-même , et dans l'autre il provien- drait d'aliments. Nous ne dissimulons pas que cette idée de M. Geoffroy ne doit être inscrite que comme une conjecture; mais elle avait autant de titres à être mentionnée qu'au- cune de celles que nous avons déjà exposées.

Nous avons dit que Sckreger faisait puiser par le pla- centa, non du sang , mais un fluide séreux. Dans cette hypo- thèse , il est encore plus nécessaire que dans la précédente d'admettre une action d'élaboration qui change ce fluide séreux en sang. Celle-ci est rapportée, en partie au système lymphatique du foetus , qui reçoit de prime-abord le fluide séreux puisé dans la mère, et en partie au placenta, auquel retourne ce fluide, avant de commencer la circulation pro- prement dite. Pour appuyer une pareille conjecture , on fait valoir le grand développement qu'offrent certaines parties de l'appareil lymphatique, et particulièrement la thyroïde, les capsules surrénales, le thymus, que Chaussier rapporte à cet appareil sous le nom de ganglions glandif ormes . On présente ces dernières parties comme faisant subir à la lymphe la même élaboration que lui impriment dans l'adulte les ganglions lymphatiques. Mais il faut avouer que cet usage est aussi peu démontré que beaucoup d'autres qui sont attribués à ces mêmes organes, par exemple , d'être des diver ticulums du sang pour des viscères qui ne doivent entrer en exercice que dans les âges subséquents. En effet, tandis que Chaussier fait de la thyroïde des capsules surrénales, et du thymus, des organes de lymphose , M. Broussais fait du premier de ces organes un diver ticule du larynx; du second, un diverticule des reins ; et du troisième, un diverticuîe du noumon. D'autre part, Galîen disait que le thymus ne servait qu'à donner de la solidité et de la fixité à la veine-cave supé- rieure. Il est difficile de croire qu'un organe dont l'existence est si constante , et en même temps bornée à la vie fœtale, n'ait que cet office mécanique; il est probable qu'il en rem- plit un plus important, mais qui nous est inconnu.

Tout étant incertain sur la source qui fournit la matière nutritive du fœtus, sauf ce qui concerne la vésicule om-

PHYSIOLOGIE FOETUS. 4o3

bilicale et le placenta; la même incertitude existant rela- tivement à l'espèce de matière que puise dans la mère ce dernier organe; on conçoit qu'on doit être dans les mêmes embarras , relativement aux actions d'élaboration qu'é- prouve la matière nutritive pour devenir sang. D'ailleurs , probablement ces élaborations ne sont pas les mêmes aux diverses époques. Bornant donc ici cette indication stérile d'hypothèses que, pour la plupart, notre esprit repousse; admettant seulement ce fait , qu'à l'instar de l'adulte le fœtus fait son sang, nous allons terminer cette discussion en disant ce qui est dans le fœtus des fonctions de diges- tion, de respiration et de circulation, qui sont celles par lesquelles l'adulte accomplit l'objet dont il s'agit dans ce paragraphe.

On a vu que presque tous les auteurs ont admis la réa- lité d'une digestion dans le fœtus ; tour-à-tour on a présenté comme aliments de cette fonction, l'humeur de la vésicule ombilicale , l'eau de l'amnios, un mucus sécrété exprès dans la cavité de l'estomac et de l'intestin, enfin les sucs folli- culaires propres à l'appareil digestif. Le lecteur a pu juger le degré de vraisemblance de chacune de ces hypothèses. Ce qui est certain , c'est que, de très bonne heure, le canal intestinal contient un liquide qui change de qualités aux diverses époques de la vie fœtale : blanchâtre et muqueux dans la première moitié de la grossesse , graduellement ce liquide s'épaissit, devient poisseux, d'un jaune vert, et est appelé méconium. Dès le troisième mois de la vie du fœtus, ce méconium est distinct dans l'estomac; à quatre mois, il a gagné le duodénum; à sept, il remplit l'intestin grêle; et dans les deux derniers mois, il a envahi tout le gros intestin jusqu'au rectum ; il est évacué par l'anus dans les premières heures qui suivent la naissance. Ce méconium est-il un excrément fécal , et par conséquent est-il l'annonce d'une digestion? c'est ce qu'on ne peut assurer, mais ce qui est assez probable. Seulement cette digestion du fœtus devrais être peu de chose , puisqu'après un temps aussi \long , elle laisserait si peu de fèces ; et dès lors, malgré ce rudiment de la fonction, on peut continuer de dire avec beaucoup

26.

4o4 VIE INTRA-UTÉRINE.

d'auteurs, que la digestion est une fonction qui ne doit

commencer qu'après la naissance.

Il en est de même de la respiration, si on considère cette fonction telle qu'elle s'accomplit dans l'adulte, ayant pour agent le poumon, et opérant sur l'air lui-même : il est sûr que rien de cela n'a lieu chez le fœtus. Nous avons, à la vérité, parlé d'opinions dans lesquelles on a voulu faire respirer à cet être l'eau de l'amnios, soit à la surface de sa peau, soit dans l'intérieur du poumon. Mais probablement le lecteur a jugé inadmissible cette hypothèse qui faisait du fœtus un animal aquatique ; s'il est plongé dans un liquide, e'est plus probablement dans des vues relatives à l'entretien de sa température. Cependant, ilest un autre rapport d'après lequel on peut dire que le fœtus respire, ou du moins a l'analo- gue d'une respiration. Presque tous les physiologistes croient que le sang du fœtus va , à chaque cercle circulatoire , se revivifier dans le placenta , comme va le faire dans le pou- mon celui de l'adulte; et qu'ainsi le placenta est, pour le fœtus, «n organe de respiration. Ils se fondent : sur l'in- dispensable nécessité d'une respiration, ou d'une préhen- sion d'air, dans tous les êtres vivants; sur la nécessité non moins prochaine dont est, pour la vie du fœtus, la libre circulation du sang de cet être avec le placenta par le cordon; sur l'analogie des oiseaux, chez lesquels les vaisseaux ombilicaux servent à la respiration; l'allantoïde, à laquelle .se rendent ces vaisseaux, aspirant l'air extérieur à travers les pores de la coquille ; enfin , sur l'analogie qui existe entre la circulation pulmonaire de l'adulte , et la circulation placentale du fœtus. On verra , en effet , que si , dans l'adulte, c'est le sang qui a servi aux nutritions qui estenvoyé au poumon , c'est aussi ce même sang qui , dans le fœtus, estenvoyé au placenta ; la seule différence est que , dans l'adulte, c'est tout le sang qui a servi qui va au pou- mon, tandis que, dans le fœtus, ce n'est qu'une partie de ce sang qui va au placenta. Pour ne conserver aucun doute sur cette assertion des auteurs, il faudrait qu'il existât une différence sensible entre le sang qui revient du placenta par la veine ombilicale , et celui qui est porté à cet organe par

PHYSIOEQ&ÎË FOETUS. 4 0-5

les artères du même nom ; comme dans l'adulte,- il J a une différence tranchée entre le sang artériel et le sang veineux. Malheureusement cette différence n'est pas apparente; les deux sangs ont une couleur semblable, également foncée dans ces deux ordres de vaisseaux, et aussi foncée que le sang veineux de la mère» Cependant , tout ce point de doctrine a pour lui de grandes probabilités \ d'autant plus que , dans les oiseaux, le sang de la veine ombilicale se distingue évi- demment par sa couleur vermeille ,- de celui de la veme- porte. Dès lors , on doit croire que la revivifîcation du sang du fœtus dans le placenta se fait, comme celle du sang de l'adulte dans le poumon , par l'absorption de quelques élé- ments seulement, ou de plus par la perspiration de quel- ques autres. Mais, il est impossible de pénétrer le phéno- mène, et chacun a fait diverses conjectures. Nous avons déjà dit que M. Meckel n'attribuait d'autre officeau placenta- que de servir à une respiration;, le sang du foetus vient s'y oxygéner, à l'aide du sang de la mère, qui tient lieu ici div^ milieu environnant. Selon M. Lobstein , le placenta n'a- aussi, dans le dernier temps de la grossesse, que cet office 'r mais dans le commencement , il est en outre chargé de puiser directement dans l'utérus, une matière nutritive. Selon Bédard, cet organe est, pendant toute la vie intra- utérine , chargé de puiser dans la mère des matériaux nu- tritifs; mais de plus , à la fin de la grossesse il accomplit l'action de respiration dont il s'agit ici. Selon d'autres7 enfin , non-seulement le placenta revivifie le sang du fœtus , à l'instar du poumon de l'adulte; mais encore il exerce une action d'hématose primitive sur la matière nutritive, quelle qu'elle soit, qu'il puise directement dans l'utérus. Ainsi, autant de doctrines sur le phénomène, que l'esprit a en- trevu de modes d'exécution possibles. Schreger dit que, dans cette espèce de respiration par le placenta , le sang des artères ombilicales se dépouille de quelques parties hétéro- gènes , par une perspiration qui est l'analogue de la perspi- ration pulmonaire^ et que celui de la veine ombilicale, au contraire , s'est enrichi d'un principe quelconque , par une absorption qui est l'analogue de celle de l'oxygène dans lâ>

4o6 VIE lJNTilA-UTÉRILYE.

respiration de l'adulte. Entre toutes ces conjectures nous ferons remarquer, comme la moins admissible, celle de Schweighaeuser, qui veut que le placenta ne serve qu'à con- vertir en sang veineux le sang apporté par les artères ombi- licales, pour rendre ce sang propre à la formation de la bile, et à celle des parties solides du fœtus et notamment du système nerveux. D'abord , il est douteux que la bile provienne d'un sang veineux; et, en supposant que cela soit, n'y a-t-il pas le sang de la veine-porte , pour alimenter cette sécrétion ? Quant au système nerveux et aux parties solides du corps, toutes réclament, pour leur nutrition , un sang artériel.

Il reste à parler de la circulation du sang dans le fœtus. Elle varie aux diverses époques de la vie intra-utérine. On l'a d'abord étudiée dans le poulet. Nous avons vu, en par- lant du développement du poulet dans l'œuf, que le sang apparaît d'abord dans les veines de la membrane vitellaire ; que ces veines sont la première origine de la veine-porte ; que successivement celle-ci offre un triple renflement qui est le rudiment du cœur , et le commencement de l'aorte ; et qu'enfin l'aorte se prolonge pour former l'artère de la membrane vitellaire. Dans les premiers temps, la circula- tion est très simple, et forme un cercle unique; le sang est apporté de la membrane vitellaire par des veines au cœur du fœtus, et renvoyé du cœur, par des artères, aux parties de cet être et à la membrane vitellaire. Plus lard, vers le quatrième jour, se développent d'un côté, la veine allan- toïdienne ou ombilicale, qui se joint à la veine-porte; et de l'autre, les artères allantoïdiennes ou ombilicales, qui sont des continuations de l'aorte. Alors la circulation est déjà plus compliquée; elle présente deux cercles en debors, le vitellaire et l'allantoïdien ; mais ces deux cercles sont encore dans le fœtus confondus en un seul, car les deux veines aboutissent à un seul tronc , la veine-porte ; les deux artères proviennent d'une seule artère , l'aorte ; et il n'y a qu'un seul cœur, une seule oreillette , un seul ventricule. Enfin, la circulation devient double comme dans l'adulte , lorsque l'aorte pousse ses branches ascendantes, que l'oreillette se divise, que le ventricule se double, et que se développent

PHYSIOLOGIE DU FOETUS. £07

les branches de l'artère pulmonaire. Jl est probable que la même gradation a lieu dans l'embryon, humain; mais le premier degré, la circulation isolée des vaisseaux de la vési- cule ombilicale , n'a jamais été vu; et on ne commence à voir la circulation qu'à partir du second, quand les vaisseaux ombilicaux se sont développés. Il y a deux opinions sur ce qu'elle est alors, celle de TVolf el Sabatier, et celle de Bi- chat et M. Magendie. On se rappelle ce que nous avons dit de la disposition des parties de l'appareil circulatoire; l'o- reillette , d'abord unique , s'est partagée en deux par une cloison percée d'un trou , dit de Botal ; une valvule diminue graduellement la communication que ce trou laisse entre les deux oreillettes, et la fait cesser tout-à-fait à la naissance; près l'orifice de la veine-cave inférieure, dans l'oreillette droite, est une valvule dite à'Eustachi , qui est disposée de manière à diriger le sang apporté par cette veine dans le trou de Botal; l'artère pulmonaire, dont les divisions au poumon augmentent graduellement, se rejoint à l'aorte par un canal dit artériel; les deux artères ombilicales, prove- nant des iliaques primitives , vont au placenta ; et enfin r la veine ombilicale aboutit, en partie dans la veine-porte, en partie, par une anastomose dite canal veineux , dans la veine-cave inférieure. Voici maintenant quel est, selon TVolf et Sabatier y le cours du sang. i°Le sang absorbé dans le placenta par les radicules de la veine ombilicale est porté par cette veine , en partie par la veine-porte dans le foie , en partie par le canal veineux dans la veine-cave inférieure et mêlé, en ce dernier lieu, au sang que les veines rapportent des parties inférieures du fœtus, il va, par ces deux voies, aboutir à l'oreillette droite du cœur. 20 En raison de la val- vule d'Eustachi , le sang versé par cette veine-cave infé- rieure dans l'oreillette droite passe aussitôt par le trou de Botal dans l'oreillette gauche, sans se mêler au sang qu'ap- porte, des parties supérieures du fœtus dans cette même oreillette droite, la veine-cave supérieure : par cet artifice, l'oreillette gauche est aussi développée que la droite , ce qui ne devrait pas être, si elle ne recevait de sang que du pou- mon. 3° De l'oreillette gauche , le sang passe dans le ventri-

4oê VIE INTRA-UTÉRINE.

cule gauche, et du ventricule gauche, dans l'aorte ascen- dante, et les parties supérieures du corps du fœtus, Il en est rapporté* par la veine-cave supérieure, dans l'oreillette droite. De cette oreillette, il passe dans le ventricule droit et dans l'artère pulmonaire. L'artère pulmonaire le dirige en petite partie au poumon , et en partie bien plus grande , par le canal artériel , dans l'aorte descendante. Enfin, l'aorte descendante le pousse en partie à la moitié inférieure du fœtus, d'où il est rapporté à la veine-cave in- férieure, et en partie par les artères ombilicales au pla- centa , nous avions fait commencer la circulation. Ainsi, il résulte de ce mode de circulation : i<> que tout le sang n'est pas revivifié en entier dans le placenta, comme l'est tout le sang veineux dans le poumon chez l'adulte, mais qu'il n'y en a qu'une partie , comme chez les reptiles; qu'à cause de cela, les deux systèmes circulatoires ne sont pas isolés, comme ils le sont cliez l'adulte, puisqu'il y a com- munication entre les deux oreillettes, entre les artères pul- monaire et aorte; que le lieu d'abouchement des deux sangs n'est pas l'oreillette , comme chez les reptiles , mais la veine -cave inférieure; que cependant les parties ne re-r çoivent pas un sang également bon , puisque les supérieures reçoivent celui qui vient immédiatement du placenta, et qu'on peut supposer le meilleur, tandis que les inférieures ne reçoivent ce sang qu'après qui! a parcouru la moitié sut périeure du fœtus; qu'enfin il y a, en quelque sorte, oppo- sition entre les systèmes circulatoires supérieur et inférieur, ces systèmes se croisant en 8 de chiffre au cœur, la veine-^cave inférieure alimentant, par le trou de Botal , l'oreillette gauche et l'aorte ascendante, et la veine-cave supérieure alimentant l'oreillette droite, et, par le canal artériel, l'aorte descendante.

Au contraire, Biçkai et M. Magendie nient cet isolement du sans: des deux veines-caves dans l'oreillette droite. Pour qu'il fût possible, disent-ils, il faudrait que les deux oreil- lettes et les deux ventricules du cœur se contractassent sé- parément, ce qui n'est pas. Selon eux, les sangs des deux Veines-caves se mêlent dans l'oreillette droite; mais à raison.

PHYSIOLOGIE DU FOETUS. 4og

du trou de Botal et de Ja valvule d'Eustachi, l'oreillette gauche en est remplie en même temps que la droite. Dès lors, si les deux sangs se mêlent à ce lieu, c'est un même sang qui est projeté dans les aortes ascendante et descen- dante, et l'on ne peut, par la différence de ce sang, expli- quer la différence de développement des moitiés supérieure et inférieure du fœtus, et admettre que, si les parties su- périeures ont un développement plus hâtif que les inférieu- res, c'est qu'elles reçoivent un sang meilleur. Ils expliquent l'existence du trou de Botal par la nécessité de faire parve- nir du sang à l'oreiilette gauche; celle du canal artériel , par le hesoin de dériver vers l'aorte un sang qui ne peut alors aller au poumon ; et si enfin les deux ventricules reunissent alors leur action pour projeter tout le sang dans l'aorte , c'est, disent-ils, qu'il n'y a pas trop de leur puissance réu- nie pour faire parvenir ce fluide jusqu'au placenta. Les différences d'avec l'adulte sont toujours : qu'il n'y a qu'une partie du sang, et non sa totalité , qui va se revivifier dans le placenta; que c'est au système veineux inférieur, et non au supérieur, qu'arrivent les substances réparatrices; que c'est à l'oreillette droite, et non à la gauche, qu'arrive le sang nouveau ; et qu'enfin c'est au placenta , et non au pou- mon, qu'est opposé le système capillaire géuéral.

Outre la controverse relative au mélange ou à l'iso- lement des sangs des deux veines -caves dans l'oreillette droite , controverse dans laquelle nous penchons pour l'avis de Bichal et de M. Magendie, il en en est une autre bien plus difficile à résoudre. Le sang versé par les artères ombili- cales dans le placenta revient-il en entier, ou en partie seu- lement, par la veine ombilicale ? ou est-il reporté en totalité ou en partie dans la mère par les veines utérines ? La réponse à cette question dépend de l'opinion qu'on se fait des fbnc^ tions du placenta. Ceux des physiologistes qui font de cet organe un agent de respiration, admettent que le sang des ai> tères ombilicales est presque en entier rapporté par la veine, après avoir été revivifié, soit par quelques nouveaux prin* cipes qu'il a aequis, soit par quelques éléments dont il a, été dépouillé. Mais il est quelques auteurs qui font aussi du

4»0 VIE INTRA-UTÉRINE,

placenta un organe d'excrétion , analogue au rein , comme nous le dirons ci-après; et, dans cette hypothèse, le sang des artères ombilicales se perdrait tout-à-fait dans le pla- centa, et par conséquent dans la mère, sans plus retourner au fœtus.

Toutefois , à mesure qu'on approche de la naissance , la circulation se rapproche du mode qu'elle présente dans l'a- dulte. Une valvule rétrécit graduellement le troudeBotal, et finit par l'oblitérer; la valvule d'Eustachi diminue; les Vaisseaux artériels du poumon augmentent, et plus le sang arrive à cet organe, plus le canal artériel se rétrécit. La quan- tité de sang de la veine-cave inférieure qui se mêle à celui de la veine-cave supérieure pour aller au ventricule droit et non à l'oreillette gauche par le trou de Botal , va en aug- mentant sans cesse jusqu'à la naissance. Enfin, il en est de même et coïncidemment , de la quantité de sang qui, du ventricule droit, va au poumon et revient à l'oreillette gauche; et de celle qui, du ventricule gauche, va à l'aorte descendante.

§ III. appropriation du sang du Fœtus aux parties de cet être pour la nutrition proprement dite.

Nous venons de chercher successivement quels maté- riaux nutritifs servent à la formation du sang du fœtus, comment se fait ce fluide, et comment il est conduit dans les organes. Il faut voir maintenant ce qu'est ce sang, et comment il nourrit les parties et leur est approprié. Sous le premier rapport, le sang du fœtus ressemble beaucoup à celui de l'adulte; il est rouge; par le repos il se coagule et se partage en sérum et en caillot; seulement il est plus riche en sérum, plus pauvre en globules, et sans aucune trace d'acide ni de sels phosphoriques. Sous le second rap- port , il doit servir à alimenter les nutritions, les calorifi- calionsetîes sécrétions du fœtus.

io Les nutritions proprement dites du fœtus se font sans doute par le même mécanisme que celles de l'adulte; elles consistent aussi dans la conversion de son sang dans la sub- stance de ses organes. En effet , il est certain que les diverses

PHYSIOLOGIE DU FOETUS. 4 » ï

parties du corps ne se montrent que postérieurement à leurs artères , qu'elles apparaissent dans le même ordre que sont créés leurs vaisseaux sanguins , que leur développement se fait dans la direction que suivent leurs vaisseaux , et qu'en- fin leur volume et les divers degrés d'activité de leur ac- croissement sont en raison du nombre et du calibre de leurs artères. Nous avons déjà reconnu la vérité de ces assertions à l'égard du système nerveux, et elles ne sont pas moins vraies en ce qui concerne tous les autres systèmes du corps. Il est sûr que les diverses parties du corps ne se succèdent les unes aux autres dans leur développement qu'à mesure que leurs artères se succèdent elles-mêmes et acquièrent tour-à-tour un plus grand volume. Si l'artère d'une partie diminue de calibre ou s'oblitère tout-à-fait , cette partie ne se développe pas, reste rudimentaire , ou même manque en entier ; et c'est ainsi , pour le dire en passant , que la plupart des monstruosités reconnaissent pour causes des vices dans le système vascuiaire artériel. Or, pourquoi tous ces rapports entre les artères et la nutrition des par- ties, si ce n'est que celles-ci sont formées aux dépens du sang qu'apportent celles-là? Quelles plus fortes preuves peut-on donner que les divers organes sont comme sécrétés par le travail des artères sur le trajet de ces vaisseaux; et par conséquent que les nutritions du fœtus consistent, comme celles de l'adulte, dans la solidification du sang?

Mais ici se présente un phénomène que nous verrons se prolonger pendant une bonne partie de la vie extra-utérine, et dont nous n'avons pas parlé en traitant de la nutrition dans l'âge adulte, c'est celui de V accroissement. Non-seule- ment chaque partie se nourrit, mais encore elle croît. En quoi consiste ce phénomène d'accroissement ? D'abord, dans l'origine de la vie , l'accroissement ne consiste pas simple- ment dans une augmentation du volume et des dimensions des organes ; mais il entraine des changements entiers de texture, de véritables métamorphoses, et par conséquent une véritable formation de parties nouvelles aux dépens du sang. En effet, dans les premiers temps, le fœtus n'est qu'une masse homogène, dans laquelle on ne peut distin-

4i2 VIE INTRA-UTÉRINE,

guer aucuns des systèmes et appareils qu'il offrira par la suite : il n'est guère possible de croire que , dès cette épo- que, il contient déjà en lui, mais en miniature et roulés sur eux-mêmes, tous ses organes, comme l'ont dit ceux qui ont pris le mot d'évolution dans toute sa rigueur. Il est bien plus probable d'admettre , comme on le fait aujourd'hui, que son organisation, très simple d'abord, s'est métamor- phosée successivement, mais sans qu'on sache comment, en d'autres organisations plus compliquées; et Ton peut en donner comme preuve la remarquable particularité que nous a offert le fœtus humain , de présenter successivement, dans ses systèmes nerveux , osseux, vasculaire, digestif, etc., les formes qui appartiennent à chacune des quatre classes d'animaux vertébrés. En second lieu, lorsque plus tard , le fœtus a acquis toutes les parties que nous avons vu consti- tuer l'homme adulte , l'accroissement ne consiste plus que dans une augmentation du volume et des dimensions de ces parties; mais il est probable que cette augmentation n'est due encore, comme dans le cas précédent, qu'à la formation de molécules nouvelles qui sont comme sécrétées des artères, et surajoutées aux anciennes. C'est ce qu'on voit, en effet avec évidence , dans les os par exemple ; l'accrois- sement, des os longs tient à la formation et à l'ossification successive d'une couche mince de cartilage qui apparaît entre leur corps.et leurs épiphyses ; celui des os plats, et l'accrois- sement en épaisseur de tout os quelconque résultent aussi de la formation et ossification d'une semblable couche créée par les vaisseaux sanguins entre l'os et le périoste. Biekat , em- brassant le phénomène de l'accroissement dans les deux de- grés, supposait un parenchyme dénutrition, partout le même dans l'origine, mais dans lequel ensuite s'isolaient tous Jes organes, à mesure que chacune des régions de ce paren- chyme s'incrustait d'une substance nutritive diverse. Mais peut-on se contenter aujourd'hui d'une notion aussi vague, et qui d'ailleurs laisse la difficulté tout entière? Comment a été fait dans son origine ce prétendu parenchyme de nu- trition ? Pourquoi chacune de ses régions s'incruste-t-elle d'une substance nutritive diverse , et devient-elle ainsi un

PHYSIOLOGIE DU FOETUS. 4 l"$

système, un tissu distinct? Comment les dimensions de ce parenchyme augmentent-elles ? Dira-t-on qu'en vertu d'une force d'expansion, il s'est alongé en tout sens, de manière à pouvoir admettre entre ses interstices pins écartées un plus grand nombre de molécules constituantes ? Mais c'est une supposition gratuite que même les faits récusent; car dans leur accroissement, les organes, non-seulement s'alongent, mais acquièrent plus d'épaisseur. Tout annonce que si, dans l'origine, les organes ont été formés par le dépôt de molécules provenant du sang des artères ; de même leur accroissement en tontes dimensions, résulte du dépôt de semblables molécules apportées parle sang et placées à la suite des premières. C'est ce que démontrent Tostéogénie, et le mode de foi*mation des parties nerveuses, et surtout celui de la moelle spinale et de l'encéphale, qui sont évidemment, sécrétés par la pie-mère. C'est ce que prouve l'examen des parties qui se reproduisent ; soit que ces parties doivent tomber et se renouveler chaque année, comme les bois des eerfs; soit que la chute de ces parties, et par conséquent leur renouvellement, aient été accidentelles, comme cela est des pattes, de la queue des crustacés, etc. Le seul fait à faire valoir en faveur de l'idée d'un canevas primitif, est la limite dans laquelle est, dans toute espèce animale, ren- fermé l'accroissement, non-seulement du corps entier, mais de tout organe en particulier; et encore ce fait peut-il s'ex- pliquer par les rapports établis entre les organes qui font le sang, la quantité de sang que ces organes peuvent faire, le volume que peuvent acquérir les artères, et le balancement qui s'établit entre ces vaisseaux. Mais ce n'est pas ici le lieu de rechercher ce qui limite l'accroissement; etbornântl'étude de ce phénomèneàce qu'il est dans le fœtus, nous renvoyons à ce que nous avons dit du développement de chacun des sys- tèmes et appareils de cet être. Nous ferons remarquer seule- ment que l'accroissement estdans le fœtus très actif, et d'au- tant plus que cet être est plus jeune. Sœmmering a même prétendu que l'activité de cet accroissement était alternative- mentpius grandeetplus petite; par exemple, qu'extrême dans le premier mois, elle diminuait dans le second, redoublait

4 1 4 VIE INTRA-UTÉRINE,

dans le troisième, diminuait encore dans le quatrième, s'accé- lérait de nouveau jusqu'au sixième, et enfin allait alors en di- minuant jusqu'à la naissance. Mais ces derniers faits sont diffi- ciles à constater^ cause des nombreuses variétés individuelles, et de l'impossibilité de connaître l'âge précis des fœtus abortifs. Cependant M. Meckela. cru qu'il était possible d'en donner l'explication , en ayant égard aux changements qui se font dans la vésicule ombilicale et Je placenta, le pre- mier de ces organes se détruisant dans le deuxième mois , et le second voyant ses vaisseaux s'oblitérer en nombre d'au- tant plus grand qu'on approche plus de l'instant de l'accou- chement.

Il est difficile d'avoir des notions un peu précises sur

la température du fœtus : on ne sait pas si elle varie dans les

diverses parties de son corps ; il paraît seulement que dans

sa totalité, elle est inférieure de trois à quatre degrés à

celle de la mère. Cela est en rapport avec les expériences de

M. Edwards, qui ont montré que beaucoup de mammifères

naissent animaux à sang-froid , et que, même chez ceux qui

naissent à sang chaud , la faculté de produire de la chaleur

est toujours à la naissance à son minimum. Or, si à cette

époque de la vie , bien que la respiration pulmonaire ait

commencé , la calorification est peu puissante , elle doit

l'être moins encore pendant la vie fœtale , dans laquelle la

respiration aérienne ne se fait pas. Nous avons dit que la

respiration paraissait avoir pour but de rendre au sang ce

que les calorifications avaient fait dépenser à ce fluide : or,

cette respiration chez le fœtus, si elle se fait, a lieu dans

le placenta ; elle est peu de chose ; et par conséquent, on

peut croire que la faculté de produire de la chaleur est ,

chez cet être , assez faible. Sa situation dans le sein de sa mère

rendait cette faculté peu nécessaire; il avait plutôt besoin

de se défendre du calorique surabondant que dégage celle-ci,

et qui doit tendre à le pénétrer; et c'est, dit-on, un des

offices de l'eau de l'amnios. On assure au moins que le fœtus

mort a une température plus élevée que le fœtus vivant ;

ce qui prouve que cet être a en lui un moyen quelconque

de refroidissement. Toutefois, comme tout être vivant, le

PHYSIOLOGIE DU FOETUS. 4l5

fœtus doi t produire le calorique duquel dépend sachaleur; si sa chaleur lui venait de sa mère par communication, il devrait avoir la température de celle-ci; et, admettant en lui des ac- tions de calorifieation, ces actions doivent se faire aux dépens du sang et d'après le même mécanisme que dans l'adulte.

Il en est de même enfin des sécrétions : si le fœtus a déjà quelques sécrétions en activité, c'est son sang qui sans aucun doute les alimente, et qui, par l'action des organes sécréteurs , est transformé dans l'humeur sécrétée. La ques- tion se réduit donc à indiquer les sécrétions qui se font chez le fœtus. Dans un article à part, nous allons parler des excrémentitielles. Quant aux récrémentitielles , la des- cription anatomique que nous avons donnée des parties r indique celles qui existent; à mesure que sont formées les membranes séreuses , synoviales , médullaires , apparaissent les humeurs dont ces membranes sont les organes sécré- teurs, mais avec un caractère mucilagineux plus marqué que dans les âges suivants : les humeurs de Fœil , de l'oreille se montrent avec les organes dont elles font partie consti- tuante ; la graisse a paru dès le cinquième mois sous peau, etc.

§ IV. Des excrétions du Fœtus.

Toute nutrition suppose décomposition, en même temps que composition; le fœtus, par conséquent , doit , non-seu- lement s'approprier sans cesse de nouveaux matériaux , mais encore rejeter quelques-uns de ceux qui le formaient , et avoir des excrétions. Il est possible cependant que cela n'ait pas lieu dans les premiers temps de la grossesse, et qu'il n'y ait alors dans le fœtus que composition. On conçoit, en effet, que les éléments ont besoin de faire quelque temps partie des organes, et de se livrer quelque temps à l'exercice de la vie, pour être altérés et demander à être remplacés. Mais cela doit bientôt arriver, ces éléments étant très géla- tineux, et ayant reçu une nature bien plus délicate , bien moins résistante que par la suite ; et il est sûr qu'à la fin de la grossesse au moins, le fœtus a des excrétions. Quelles ont-elles? On en a admis quatre principales. La sécrétion

4 i 6 VIE INTRA-UTÉRINE.

urinaire. Les uns ont dit que cette sécrétion dépuratrice, en activité dès les premiers temps de la vie utérine , don- nait naissance à l'humeur de l'allantoïde. Les autres en ont fait couler le produit par l'urètre dans la cavité de l'amnios. Nous avons déjà discuté la première de ces opinions, et nous devons avouer que la seconde n'est qu'une conjecture de Meckel. Ce qu'il y a de sûr , c'est que les reins sont formés de bonne heure , que la vessie existe dès la quatrième semaine, et qu'à terme ce réservoir contient de l'urine, qui est évacuée dans les premières heures après la naissance. Cette urine est moins chargée d'urée et de sels phosphori- ques que dans les âges suivants. 20 Le méconium. Nous avons déjà parlé de cette matière visqueuse, poisseuse, qui arrive graduellement à remplir le petit et le gros intestin , et qui est évacuée dans les premières heures qui suivent la naissance. S'il est possible de considérer , avec M. Geoffroy Saint-Hiîaire , cette matière comme une substance nutritive préparée pour le fœtus, ce ne peut être que dans l'origine; à la fin, il n'est plus permis de douter de sa nature excré- mentitielle. Il reste seulement à savoir si elle n'est qu'une excrétion digestive. M. Vauquelin ayant analysé du méco- nium évacué après la naissance , la trouvé composé de deux tiers d'eau , d'un tiers d'une substance sui generis de nature végétale , de quelques centièmes de mucus, et d'un peu de bile. C'est donc une excrétion qui diffère de celle de l'adulte par sa nature peu azotée. Les excrétions cuta- nées. Probablement qu'à la fin de la grossesse, et lorsque la peau est développée , la transpiration dite insensible a lieu , et qu£ son produit se mêle à l'eau de l'amnios : mais il est sûr au moins qu'à cette époque, le fœtus a une excrétion nou- velle , celle de cet enduit gras, caséeux, gluant, qui alors recouvre sa peau. En vain, M. Vauqueliii, Buniva, ont dit cette matière un dépôt de l'albumen des eaux de l'amnios; elle est l'humeur sébacée du fœtus, car elle ne se montre que sur les parties de cet être, manque au placenta , au cordon , et abonde aux régions de la peau les follicules sont plus abondants. Enfin, quelques physiologistes ont conjecturé que le placenta était un organe, non-seulement

PHYSIOLOGIE DU FOETUS. /\ 1 7

de préhension de matière nutritive, d'hématose, de respi- ration , mais encore de dépuration excrémentitielle ; les artères ombilicales étaient dîtes lui apporter une quantité considérable de sang pour qu'il en effectuât la dépuration, absolument comme le font les artères rénales dans l'adulte. N'est-ce pas un sang artériel, ont-ils dit, qui, dans l'adulte, alimente la sécrétion urinaire ? et les artères ombilicales ne proviennent-elles pas de l'aorte abdominale comme les rénales? Mais ces dernières considérations ne sont certaine- ment pas de nature à constituer une démonstration; et nous ne rapportons cette idée que comme une hypothèse de quel- ques auteurs.

Tel est l'état, peu satisfaisant encore, de nos connais- sances sur la nutrition du fœtus. Ce que nous venons d'en dire su|fit néanmoins pour faire concevoir pourquoi cet être peut hériter des maladies de sa mère. Sans parler de l'in- fluence que peuvent exercer sur lui ses parents sous le rap- port de la génération , c'est dans le sang de sa mère qu'il puise ses matériaux nutritifs; et il peut, par conséquent, se ressentir des vices de ce sang, de l'état plus ou moins bon de ce fluide. Que d'enfants, par exemple, qui naissent avec la syphilis. D'ailleurs, la connexion du fœtus avec sa mère est telle, qu'il est exposéà souffrir de toutes les perturbations que celle-ci éprouve pendant sa grossesse. Cependant cela n'est pas absolu ; comme il a son organisme séparé, il peut triom- pher des influences mauvaises qu'il reçoit de sa mère , et ne pas partager son état de santé. Que de femmes qui , fort souffrantes pendant leur grosssesse , mettent au jour des enfants bien portants! De son côté, le fœtus peut avoir ses maladies propres. Les monstruosités qu'il est susceptible de présenter proviennent, ou de ce que deux germes, deux œufs se sont accollés, fondus l'un dans l'autre; ou de ce que des maladies ont altéré ses organes, amené la destruc- tion , la perversion de quelques-unes de ses parties; ou enfin de ce qu'il a été arrêté à quelques-uns de ses premiers déve- loppements. Tl est certain que le plus grand nombre des Tome IV. 27

4 18 VIE INTRA-UTÉRINE,

monstruosités représente quelques-unes des formes pre- mières qu'a eues le fœtus ; et que l'étude de ces monstruo- sités est utile sous ce rapport , comme éclairant la série des métamorphoses que doit éprouver cet être. Nous avons parlé de l'influence qu'a sur leur production l'état du système vasculaire sanguin, les monstruosités étant par défaut ou par excès, selon que les artères manquent ou sont dou- bles, etc.

ARTICLE II.

Des fonctions de relation et de reproduction du Fœtus.

Nous réunissons dans un même article ces deux ordres de fonctions, parce que nous avons peu de choses à en dire. D'abord les fonctions de reproduction sont nulles, et n'en- treront en exercice que plusieurs années après la naissance. Il en est de même des fonctions de relation ; ou , s'il y a du doute, ce n'est que pour quelques-unes d'entre elles seule* ment, et à la fin de la grossesse, cardans les premiers mois, il est sûr que le foetus n'en manifeste aucune. Nous avons dit qu'il n'avait aucune conscience des actes qui accom- plissent sa nutrition , et que ces actes n'étaient nullement dépendants de sa volonté. Du reste, interrogeons chacune des fonctions de relation dans cet être, d'après l'ordre selon lequel nous les avons disposées dans l'adulte.

Parmi les sens externes, évidemment celui de la vue ne peut être en exercice , quelque précoce que soit le dévelop- pement de son organe; car son excitant obligé , la lumière, ne peut pénétrer la poche close dans laquelle est renfermé le fœtus. Il est probable qu'il en est de même du sens de Y ouïe; cependant on peut moins l'assurer, car les corps solides sont conducteurs du son comme les gaz, et par con- séquent quelques sons pourraient parvenir aux oreilles du fœtus. Si les eaux de l'amnios sont avalées ou respirées , comme quelques physiologistes l'ont pensé , ces eaux pour- raient, en passant, impressionner les sens àugoiît et delWo rat; niais nous avons dit que la digestion et la respiration de ces eaux étaient des points douteux, et par conséquent ii

PHYSIOLOGIE DU FOETUS. ^9

doit en être de même des services des sens du goût et de l'odorat. Quant au tact, il n'est guère possible de douter qu'il n'agisse déjà dès la fin de la grossesse. Peut-il être indif- férent pour le fœtus que ses parties soient eu contact, ou avec les eaux de l'amnios seules, ou avec les membranes de l'œuf et l'utérus , ou avec ses propres parties? et cet être ne doit-il pas recevoir, en ces divers cas, des impressions tactiles différentes ? Les mouvements qu'il exécute si vivement à la fin de la grossesse , ne doîvent-iîs pas en partie être attribués au besoin qu'il a de faire cesser quelques pressions, quel- ques attitudes gênantes? Ne doit-il pas au moins avoir la sensation de ses propres mouvements? Peut-être aussi reçoit- il quelques sensations de température, par suite de ses rap- ports avec sa mère. D'après ces considérations , tous les auteurs croient que le sens du tact est en exercice à la fin de la vie fœtale ; et , en effet, la peau d'une part , et le centre de perception de l'autre, ont alors tout je développement nécessaire.

Si des sens externes nous passons aux sensations internes ou besoins, elles nous paraîtront encore plus devoir man- quer dans le fœtus. Et, en effet, lorsque les fonctions de respiration, de digestion ne sont pas en activité, de quelle nécessité seraient les besoins d'inspirer et dexpirer, ceux de la faim , de la soif? Lorsqu'il n'y a pas possibilité d'éva- cuer aucunes matières excrémentitielles, et que ces matières s'accumulent seulement dans leurs réservoirs qui suffisent à les contenir, est-il besoin de ressentir les sensations qui invitent à les expulser, les besoins de la défécation, de V excrétion de V urine? Chez l'adulte, ces diverses sensations existent, parce qu'elles guident dans l'accomplissement des ingestions et des excrétions, qui sont plus ou moins dépen- dantes de sa volonté ; mais dans le fœtus, tous ces actes sont aussi irrésistibles que dans un végétal, et par conséquent cet être n'avait pas besoin d'y être provoqué par aucune sensation intérieure. Peut-être cependant se inanifeste-t-il en lui, à la fin de la grossesse, celles de ces sensations qui excitent à mettre en jeu ceux des organes qui sont assez développés pour entrer eu exercice; et peut-être est-ce à

27.

420 VIE INTRA-UTÉRINE.

cette cause qu'il faut attribuer quelques-uns des mouve- ments qu'il exécute alors.

Il est possible aussi , mais à la fin de la grossesse , qu'à l'occasion de quelques maladies , le fœtus éprouve quelques douleurs. Cet être, en effet , sera apte à en éprouver dès les premiers instants de sa naissance ; et certainement dans les derniers temps de la vie utérine , ie centre de perception est assez développé pour percevoir une impression dolori- fique , si d'autre part la cause de celle-ci se rencontre en quelque organe.

Quant aux facultés intellectuelles et affectives , destinées à nous guider dans nos relations avec le monde extérieur et nos semblables, elles semblent devoir être inutiles au fœtus, dont la vie est purement végétative : aussi sommes-nous disposés à dire, avec Bicliat , qu'elles ne sont pas encore en exercice. Cependant Cabanis se demande si déjà ces pré- cieuses facultés ne s'annoncent pas par quelques essais im- puissants, par suite de ce même instinct qui pousse tous les animaux à exercer leurs organes, bien avant le temps ils peuvent réellement en obtenir du service. Si l'on voit l'oi- seau agiter ses ailes avant que les plumes les recouvrent, et lorsqu'évidemment ces organes ne peuvent le porter ', pour- quoi le cerveau ne s'essaierait-il pas de même à la production des actes sublimes qui lui sont départis ? M. Gall émet le même doute que Cabanis.

Voilà pour la fonction de la sensibilité. Celle de la loco- motilité est aussi restreinte ; ce n'est que vers le milieu de la grossesse que le fœtus exécute des mouvements percepti- bles pour la mère,, et encore ces mouvements sont-ils d'abord assez faibles. Il est possible cependant qu'il en ait produit beaucoup plus tôt, et que la faiblesse de ces mouvements, la petitesse du fœtus , et la grande quantité de l'eau de l'amnios , aient empêché de les sentir. A partir du cin- quième mois jusqu'à terme , ces mouvements deviennent de plus en plus fréquents et forts, et ils sont appréciables au tact et à la vue à travers les parois de l'abdomen. La ques- tion importante est de savoir quelle cause les provoque, et s'ils sont volontaires ou involontaires. Bichat les dit invo-

PHYSIOLOGIE DU FOETUS. 4a r

iontaires, quoique ordonnés par le cerveau ; selon lui , ce viscère les détermine , consécutivement aux irritations qu'il reçoit des différents viscères intérieurs qui sont alors en grande activité. Cabanis veut qu'ils soient les premiers essais d'un système qui manifeste déjà le besoin d'agir, et qui se prépare ainsi à Faccomplissement de son service ultérieur. D'autres disent qu'en certains cas , ils tendent à faire cesser quelque attitude gênante et douloureuse pour le fœtus, cas auquel une volonté, confuse au moins, en serait le prin- cipe. Il est probable que ces mouvements reconnaissent tour- à-tour l'une ou l'autre de ces causes. On a remarqué que lorsque le fœtus vient à périr par une cause soudaine dans les derniers temps de la grossesse, sa mort est précédée de mouvements désordonnés : cet être éprouverait-il alors des convulsions semblables à celles qu'éprouvent les animaux auxquels un accident subit, une hémorrhagie surtout, ravit la vie?

La sphère de la sensibilité étant réduite chez le fœtus à quelques sensations tactiles , et cet être n'éprouvant encore aucuns besoins physiques ni moraux , on conçoit que chez lui les actions d'expressions doivent être nulles. Quant au sommeil, on a l'habitude de dire que le fœtus est plongé dans cet état pendant tout le cours de la vie fœtale; c'est, selon nous, s'exprimer mal, ou avancer un fait faux. Le sommeil suppose la veille, et l'exercice de celle-ci étant nulle, comme nous venons de le voir, l'état dans lequel est le fœtus ne peut être comparé au sommeil. C'est comme si l'on disait que le végétal est dans un état continuel de som- meil. Le fœtus est dans un état d'insensibilité et d'immo- bilité , non parce qu'il dort, non parce que son syslème nerveux répare les pertes qu'il a faites dans les temps précédents, mais parce que ce système n'a pas encore le développement qui lui est nécessaire pour commencer son service de veille , ou parce que les conditions extérieures qui doivent l'y provoquer manquent.

42 2 VIE INTRA-UTÉRIWE.

Telle est l'histoire de la vie fœtale. Sa durée est générale- ment de deux cent soixante-quinze à deux cent quatre-vingts jours, de neuf mois de trente jours. On a jadis beaucoup agité la question de savoir si son terme ne pouvait pas être avancé ou reculé. Cette question des naissances précoces et des naissances tardives, est difficile à résoudre dans l'espèce humaine par des faits directs : quel moyen, en effet, de constater chez elle l'instant précis de la conception l et peut- on ajouter toute foi à ce que les femmes peuvent assurer à cet égard ? Mais par l'exemple des animaux chez lesquels il est plus facile de reconnaître le jour la conception a eu lieu , et d'après l'analogie des autres âges qui sont suscepti- bles de s'écouler plus promptement ou plus lentement, on a toutes raisons de croire que la durée de la vie fœtale est susceptible aussi de quelques variations. D'un côté, M. Tes- siéra observé des variations assez grandes et assez fréquen- tes dans des portées de vaches, de juments, de brebis, de chiennes, après avoir pris toutes les précautions nécessaires pour bien fixer le jour de l'imprégnation dans ces animaux ; et pourquoi ce qui arrive en ces espèces ne pourrait-il pas arriver de même chez nous ? D'autre part, les autres âges ne sont-ils pas susceptibles de s'écouler, tantôt plus tardive- ment, tantôt plus rapidement ? Ne voit-on pas la dentition, par exemple, la puberté, être plus hâtives chez les uns, plus retardées cbez les autres? Certains individus, abstrac- tion faite de leur manière de vivre, n'arrivent-ils pas plus tôt ou plus tard que d'autres à la caducité ? Or, pourquoi la variation qu'on observe dans ces derniers âges de la vie , ne se rencontrerait-elle pas de même dans le premier? Il n'est pas difficile d'ailleurs de donner l'explication de ces nais- sances précoces ou tardives. Selon que le germe a une vitalité intrinsèque plus ou moins énergique, il doit acquérir plus ou moins promptement le degré de développement qui lui permet de commencer sa vie indépendante : selon que l'uté- rus parvient plus ou moins rapidement au degré d'amplia- tion qu'il ne peut dépasser, Faccouehernent se fera à une époque plus ou moins rapprochée. Nous n'avons pas besoin de dire que, pour qu'une naissance soit dite précoce, il faut

AGES PROPP.EMEiNT DITS. 4^3

que l'enfant naissant, non -seulement puisse continuer de vivre, mais encore ait, au jour de sa naissance, toutes les qualités de l'enfant à terme. On sait , en effet, que l'accou- chement est souvent prématuré , et que beaucoup d'enfants nés avant terme sont viables. Toutefois, la loi a résolu af- firmativement cette question des naissances précoces et tar~ dives, car elle a déclaré enfant légitime tout enfant qui naît entre le cent quatre-vingtième et le trois centième jour après la cohabitation des époux.

SECTION II.

VIE EXTRA-UTÉRINE.

On appelle ainsi tout le temps de la vie de l'homme -qui-- s'écoule depuis la naissance jusqu'à la mort. Pendant cet intervalle, l'homme n'éprouve pas moins de changements que pendant qu'il était renfermé dans le sein de sa mère; et ces changements fondent ce qu'on appelle proprement ses dges. Pour le vulgaire, les âges de l'homme ne se mesurent que par les divisions du temps , c'est-à-dire par le nombre des jours, des mois, des années qui se sont écoulés : mais, pour le physiologiste, ces âges ont leur base dans l'organi- sation elle-même; dans chacun d'eux, l'état des organes et des fonctions diffère; ils seraient reconnus sans calendrier ; et, en effet , le médecin est souvent appelé à les spécifier, sans connaître le point du départ, c'est-à-dire le jour de la naissance; il trouve la date de celle-ci empreinte en quelque sorte sur chacun des organes.

Les âges , considérés dans leur rapport avec le temps varient comme la vie , qui n'est que leur ensemble, dans chaque espèce animale; telle espèce n'a qu'une vie d'un jour, telle autre a une vie d'un siècle. Mais , dans la même espèce, certains individus peuvent parcourir ou plus lente- ment , ou plus rapidement que d'autres , les phases de leur vie, et par conséquent parvenir dans le même temps à des

4^4 VIE EXTRA.-UTÉRIWE.

âges différents; par exemple , Bébé , nain du roi de Pologne , était, à vingt-trois années de vie, arrivé à l'âge de dé- crépitude. INous avons dit, en effet , que, bien que la vie ait une durée limitée , et généralement fixe pour chaque espèce , cependant cette fixité comportait une certaine la- titude : or, pourrait-il en être autrement des âges, de l'en- semble desquels se compose la vie ? Bien que chacun d'eux ait une durée à peu près fixe, cependant cette fixité est aussi renfermée en une certaine latitude : chez les uns, ils ont une marche plus rapide ; chez d'autres , une marche plus lente; des influences extérieures peuvent même amener l'un qu Fautre de ces deux résultats, comme nous le ferons voir en parlant des différences individuelles de l'homme.

Les physiologistes ont différemment divisé les âges. Les uns, ayant égard à l'ensemble de l'organisation et des facultés, ont proposé d'en admettre trois, savoir : Y âge de l'accroissement , comprenant tout le temps que l'homme emploie à parvenir au complément de sa stature , et à l'exer- cice libre et entier de toutes ses facultés ; ils y rapportaient toute la vie intra-utérine : Y âge stationnaire , embrassant tout le temps que l'homme reste parfait, sans éprouver de décroissance : enfin , Y âge de décroissance , dans lequel l'homme voit ses organes se détériorer graduellement 3 et ses diverses facultés se perdre. Nous ne ferons qu'une remarque sur cette première division des âges, c'est qu'il n'y a pas d'âge stationnaire proprement dit; ou l'homme acquiert en- core, ou il perd déjà; mais les progrès, dans les derniers temps de l'âge d'accroissement , comme les pertes dans les pi'emiers temps de l'âge de décroissement, sont si peu con- sidérables, que les unes et les autres sont méconnues , et que l'homme paraît rester le même. 20 D'autres ont divisé les âges, d'après le caractère qu'a en chacun d'eux la fonction de la génération , qu'ils considèrent à juste titre , sinon dans l'homme , au moins dans les animaux, comme le pre- mier but de la nature. D'après cette base, ils ont admis aussi trois âges : celui la faculté de reproduction n'est pas encore possédée par l'être; celui cette faculté peut être accomplie; et enfin , celui cette faculté n'existe plus.

DE LA PREMIÈRE ENFANCE. 4 25

Nous nommons tous ces âges dans l'ordre selon lequel ils se succèdent. Dans le monde, on admet généralement qua- tre âges : Y enfance, la jeunesse, Vâge adulte , et la vieil- lesse. 4° Enfin , le savant Halle a cru devoir partager en deux époques le premier âge , c'est-à-dire l'enfance ; d'où l'admission, dans la vie de l'homme, de cinq âges princi- paux, qui se subdiviseront eux-mêmes en différents stades, savoir : la -première enfance, la seconde enfance, l'adoles- cence , la virilité et la vieillesse. Nous allons faire l'histoire de chacun d'eux en autant de chapitres ; et dans un sixième , nous traiterons du phénomène auquel tous conduisent, et qui est le terme de la vie terrestre, c'est-à-dire de la mort. On verra que tous les âges sont enchaînés les uns aux autres par de douces transitions, de sorte qu'ils ne sont véritable- ment distincts que dans leur milieu. On reconnaîtra que, dans chacun d'eux, l'homme a sa physionomie physique et morale spéciale, sa santé propre, ses maladies. On verra, enfin, que l'accroissement et le décroissement ne sont pas des phénomènes uniformes dans tous les appareils et tous les systèmes; mais qu'au contraire chaque appareil , chaque système ont, sous ces rapports communs, leurs âges pro- pres, et tour-à-tour sont et cessent d'être dans l'économie des centres d'action.

CHAPITRE PREMIER.

De la première enfance.

M. Halle appelle de ce nom l'époque de la vie humaine qui s'étend depuis l'instant de la naissance jusqu'à celui la seconde dentition succède à la première, c'est-à-dire jusr que vers la septième année à peu près. D'après les phénomè- nes de développement fort importants qui caractérisent ce premier âge, ce savant l'a subdiyisé en trois époques : une qui s'étend du moment de la naissance jusqu'au travail de la première dentition, et qui a généralement une durée de sept mois; une seconde, qui comprend tout le temps qui s'écoule pendant que se fait cette première dentition , et

42 6 VIE EXTRA-UTÉRINE.

qui dure jusqu'à deux ans; enfin, une troisième qui em- brasse tout l'intervalle qui sépare la première dentition de la seconde. Dans l'histoire que nous allons faire de chacune, sous le double point de vue de l'état des organes et de celui des fonctions , nous nous bornerons à l'indication des cho- ses capitales et les plus générales; car, si nous voulions mentionuer tous les changements , comme il n'est aucune partie , aucune fonction qui n'en présente d'un jour à autre , il n'y aurait en quelque sorte pas de terme à notre description.

ARTICLE PREMIER.

Première époque de la première enfance..

Cette première période de l'enfance commence à la nais- sance, et débute par une révolution qu'il faut d'abord in- diquer. De même que dans le cours de la vie fœtale , souvent un mode nouveau de nutrition avait été substitué à un pre- mier, comme, par exemple, quand le service du placenta avait succédé à celui de la vésicule ombilicale; de même il se fait à la naissance un grand changement, celui qui con- siste dans l'établissement de la respiration. A peine l'enfant est-il né, qu'une inspiration s'effectue, fait pénétrer l'air dans le poumon , et la respiration commence pour ne plus cesser désormais qu'à la mort. Quelles sont les causes de ce grand changement , et surtout quels en sont les effets ?

D'abord, il est probable qiv? la série des développements qui se sont faits pendant le cours de la grossesse , y prédis- posait. Nous avons vu que, dans les derniers mois , graduel- lement le poumon avait grossi , que les artères qui éma- naient de la pulmonaire pour se distribuer à cet organe , avaient augmenté de calibre, et que,, par contre-coup, le canal artériel avait diminué. Ainsi, le poumon, dont le service devait commencer à la naissance , dès que l'enfant séparé de sa mère ne pourrait plus aller en elle revivifier son sang, était préparé à l'avance à entrer en exercice. En second lieu, le travail de l'accouchement a peut-être aussi prédisposé à ce changement. En effet, par les contractions de l'utérus,

DE LA PREMIÈRE ENFANCE. 427

îa circulation du sang a être modifiée dans le placenta , et par suite dans le fœtus : il est probable que, dès ce mo- ment , d'un côlé le sang de la mère a cessé d'arriver au pla- centa, ou n'y est plus parvenu qu'en petite quantité; de l'autre, que le fœtus n'a plus reçu par la veine ombilicale que du sang, qui venait déjà de lui-même et qu'avaient ap- porté au placenta les artères ombilicales. Or, un trouble survenant dans la circulation du fœtus, n'est-il pas proba- ble que la nature a tendre à commencer dès-lors le mode nouveau de circulation qui devait succéder, c'est-à-dire à faire passer, comme chez l'adulte, beaucoup de sang par le. poumon? Enfin, à la naissance, l'enfant est soumis à des impressions nouvelles pour lui , probablement doulou- reuses, et qui sont regardées par tous les auteurs comme les causes déterminantes de la première inspiration. Par exem- ple , l'air extérieur doit, par sa froideur, son poids, faire une impression pénible sur la peau de l'enfant naissant ; il doit agir de même sur l'origine de toutes les membranes muqueuses; peut-être que les organes des sens, qui sont alors soumis soudain au contact de leurs excitants propres, en reçoivent aussi des impressions douloureuses. Or, ces di- verses impressions sont transmises au cerveau; celui-ci les reflète dans les diverses dépendances du système nerveux ,. par conséquent, dans les nerfs des puissances inspiratrices; et ces puiscances , excitées, doivent entrer en action, de la même manière que le cœur est stimulé à recommencer ses contractions quand , à l'occasion d'une syncope, on fait res- pirer une vapeur stimulante.

La respiration ainsi commencée y surviennent de grands changements dans la nature du sang, et dans son mode de circulation. D'abord, l'air entrant dans le poumon, artéria- lise le sang , et de ce moment on peut faire nettement dans ce fluide la distinction des deux espèces de sang, du sang artériel et du sang veineux, comme dans l'adulte. En se- cond lieu, le sang qui est envoyé aux organes étant artériel, est bien plus excitant, et par conséquent leur imprime comme une vie nouvelle. Enfin, la circulation cesse de se faire comme dans le fœtus, et désormais s'accomplit dans

4*8 VIE EXTRA-UTÉRINE,

le mode que nous avons décrit , en parlant de cette fonc- tion : le sang de la veine-cave inférieure ne passe plus par le trou de Botal dans l'oreillette gauche, mais avec celui de la veine-cave supérieure il est porté dans le ventricule droit et dans l'artère pulmonaire ; celui projeté par l'artère pul- monaire va en entier, ou au moins dans sa plus grande partie, au poumon, et il n'est plus dérivé par le canal ar- tériel dans l'aorte descendante : enfin , le sang de cette aorte descendante ne s'engage plus dans les artères ombilicales, et le placenta , quand même il ne serait pas détaché artifi- ciellement du fœtus, cesserait d'en recevoir du sang. Il est aisé de vérifier que, dès que la respiration est établie, la circulation s'arrête dans le cordon ombilical ; et ce change- ment dans ce point de l'appareil circulatoire , est un garant de ceux que nous disons se faire dans les autres. Quelles sont les causes de ces notables changements ? D'abord , d'un côté, la valvule inter-auriculaire a crû, de manière qu'à la fin de la grossesse elle est arrivée à fermer à peu près le trou de Botal. D'autre part , la valvule d'Eustachi , qui est à l'embouchure de la veine-cave inférieure dans l'oreillette droite, a, au contraire, diminué progressivement, de ma- nière qu'elle ne dirige plus aussi exclusivement le sang ap- porté par cette veine contre ce trou. En troisième lieu, tandis que les branches que l'artère pulmonaire envoie au poumon ont beaucoup augmenté , le canal artériel a beaucoup di- minué; et , si ce canal, bien que conservant à la naissance assez de volume pour donner passage au sang, cependant ne le fait pas, c'est que sa sensibilité, dit Bichat, n'était en rapport qu'avec du sang veineux, et que maintenant le sang est artériel; ou qu'un grand appel étant fait au sang dans le poumon, par suite de la dilatation qu'a éprouvée ce viscère, il ne reste plus assez de ce fluide pour passer par le canal. Peut-être cependant passe- t-il encore un peu de sang par cette voie, dans les premiers temps qui suivent la naissance. Enfin, pour expliquer pourquoi le sang cesse de s'engager dans les artères ombilicales, on dit que ce fluide cessant d'arriver par le canal artériel à l'aorte descendante, cette artère n'en a plus que la quantité nécessaire : on

DE LA PREMIÈRE EKFATNCE. 429

avance que la sensibilité des artères ombilicales n'étant en rapport qu'avec du sang noir, ces vaisseaux doivent se re- fuser à se laisser pénétrer par du sang rouge; on ajoute enfin que le sang de l'aorte descendante étant en entier ap- pelé par les viscères de la digestion et de la dépuration uri- naire, dont les fonctions vont commencer, il n'en reste plus pour pénétrer daus les artères ombilicales. Peut-être plusieurs de ces raisons sont-elles de pures conjectures, mais quelque jugement qu'on en porte, il est sûr que la circulation éprouve le changement que nous venons d'in- diquer. On pourrait dès lors se dispenser de lier le cor- don ombilical après la naissance : en effet cbez les ani- maux, qui se contentent de le déchirer avec leurs dents, on ne voit pas survenir d'hémorrhagies ; et si l'usage de lier ce cordon est universellement suivi pour l'espèce hu- maine , c'est qu'une précaution est toujours bonne à prendre, et que dans le cas la nature hésiterait à sui- vre la nouvelle voie, et tendrait à revenir à l'ancienne, on prévient par une hémorrhagie mortelle.

Nous n'avons pas besoin de dire que la respiration ne peut pas ainsi s'établir sans qu'il ne survienne aussi des changements importants dans les organes de cette fonction. Les poumons , qui étaient d'un rouge-brun et denses , de- viennent rosés, mous et crépitants. Jetés dans leau, aupa- ravant ils se précipitaient au fond de ce liquide ; mainte- nant, à cause de l'air qui a pénétré leur tissu, ils surnagent. Ils ont beaucoup augmenté de volume et de poids; aupara- vant, ils pesaient de douze à quinze gros, et leur poids était au poids total du corps, comme 70 à 1 ; maintenant, à cause du sang qui leur a été envoyé , ils pèsent de vingt à vingt-quatre gros, et leur poids est à celui du corps entier dans le rapport de 35 à 1.

Indépendamment de ce grand changement relatif à la respiration , il s'en fait d'autres dans les fonctions de rela- tion et dans l'innervation. À la naissance, la vie de relation commence ; tout en naissant , l'enfant pousse des cris , agite ses membres , son corps ; et ces cris , ces mouvements sont les indices des impressions douloureuses qu'il reçoit

43o VIE EXTRA -UTÈRÏ1NE.

du monde nouveau auquel il arrive. De premières sensa- tions sont éprouvées, et à leur suite des phénomènes ex- pressifs sont produits. Les cris, en même temps qu'ils an- noncent le commencement de la vie de relation, sont utiles comme mettant en jeu la respiration; et les mouvements généraux du corps , en même temps qu'ils sont phénomènes expressifs, servent à faire revenir l'être de la stupeur qu'a pu produire la pression à laquelle il vient d'être soumis , et font cesser la douleur qu'a pu laisser l'attitude gê- nante à laquelle il était contraint. Quant à l'innervation, elle est désormais nécessaire, comme présidant à la respira- tion , et parce que Fêtre a fait un pas de plus dans la vie.

Telle est la révolution qui se fait à la naissance , et voilà ce qu'on appelle la vie extérieure commencée. Cette vie, que l'on doit distinguer de la vie fœtale, parce que seule elle donne des droits civils , est décélée exclusivement par la respiration ; et ce n'est que d'après les signes fournis par cette fonction , qu'il faut prononcer quand on est consulté par les magistrats. Ce qui, au moment de la naissance, ap- paraît de la vie de relation, est trop peu de chose de plus que ce qu'on peut supposer en exister dans la vie fœtale; et quant aux battements du cordon, aux mouvements du fœtus, ils prouvent Lien que le fœtus en naissant vivait de la vie intra-utérine, mais non qu'il a commencé la vie ex- térieure ou civile. Souvent le passage d'une de ces vies à l'autre est orageuse : ainsi, la respiration peut hésiter à s'établir, et l'enfant être menacé de périr d'asphyxie : ainsi , le sang peut, pendant le travail de l'accouchement, avoir été accumulé dans le cerveau, ou prendre cette direction consécutivement à la ligature du cordon, et l'enfant courir le risque de périr d'apoplexie. Dans le premier cas , il ne faut pas couper le cordon, qu'on n'ait ranimé l'enfant et excité ses cris. Dans le second cas, au contraire, on peut le couper aussitôt , parce que l'écoulement de sang qui en ré- sultera dégorgera le cerveau, et rendra l'établissement de la respiration plus facile.

Toutefois , cette révolution par laquelle commence îa première enfance étant effectuée, la vie va comprendre

DE LA PREMIÈRE ENFANCE. 43 1

toutes les fonctions que nous avons décrites; et il s'agit de décrire les changements qui vont se succéder pendant la première époque de cette première enfance , c'est-à-dire pendant les sept premiers mois de l'existence.

Voici d'abord quels sont ces changements sous le rapport anatomique. Le corps croît, mais son accroisse- ment est Lien loin de s'achever 9 et les diverses parties sont loin de parvenir aux dimensions qu'elles auront par la suite. Ces parties mêmes conservent encore beaucoup des proportions qu'elles offraient dans le fœtus. Ainsi, la tête est grosse relativement au reste du corps; et il en est de même de la moitié supérieure du tronc relativement à l'inférieure, et des membres supérieurs relativement aux inférieurs. Le crâne a encore la plus grande part à ce vo- lume de la tête , et la face est petite. Le ventre proémine, à cause de la persistance du gros volume du foie et de l'é- troitesse du bassin. Toutes les parties extérieures sont ma- nifestes, savoir: les membres, les traits delà face, les organes des sens, ceux des sexes. Ce qui reste du cordon ombilical se flétrit, puis se détache au septième au huitième jour après la naissance, en laissant une cicatrice indélébile, celle de l'ombilic. Quant aux divers appareils et organes, un de ceux qui croît le plus, est le système nerveux. Le cerveau, qui , à la fin de la vie fœtale, était déjà fort déve- loppé, comme devant prochainement entrer en exercice, voit se prononcer davantage ses diverses parties, surtout ses circonvolutions antérieures et inférieures; cependant il conserve encore une très grande mollesse. La même acti- vité d'accroissement s'observe dans la moelle spinale et les nerfs, et dans la plupart des organes des sens. La peau, par exemple, acquiert dans cette période, et de bonne heure, son développement parfait; elle reste seulement plus fine, plus nerveuse, plus vasculaire , plus blanche, qu'elle ne sera dans les âges suivants. Les cheveux ont grandi , mais sont encore moins longs , moins épais, et d'une couleur moins foncée qu'ils ne le seront par la suite; les ongles sont encore tendres et rosés; au lieu de poils, il n'y a encore qu'un léger duvet. La peau est alors sujette à

432 Vie EXTftA-UTÉfUKE.

présenter diverses efflorescences, surtout à la tête. La langue est aussi bientôt parfaite, et ne diffère de cequ'elle sera plus tard , que par les dimensions. L'œil et l'oreille sont égale- ment très développés dès ce premier âge. L'organe de l'odorat, au contraire , est resté en arrière ; à l'extérieur, le nez n'a pas changé, et intérieurement les sinus ne se développent pas encore. Du côté de l'appareil locomoteur, les extrémités des os longs commencent à développer des points d'ossifica- tion; les os larges s'étendent, se touchent, forment les sutures, s'épaississent et se parlagent en deux tables qui circonscri- vent un diploé : mais ce travail d'ossification n'est pas aussi considérable qu'il le sera par la suite ; il ne fait en quelque sorte que commencer , et se prolongera au loin dans les âges suivants. Les muscles commencent à se diviser en faisceaux. Les articulations sont bourrées, comme elles le seront en- core pendant plusieurs années. Le larynx, fort petit, ne fait pas encore de saillie au col , et toutes ses pièces solides sont encore cartilagineuses. A l'appareil digestif, les lèvres sont proportionnellement fort grandes relativement aux mâchoires ; les mâchoires sont petites, dépourvues de dents; l'inférieure a son angle beaucoup plus obtus que dans les âges suivants ; les muscles masticateurs sont peu dévelop- pés, ainsi que les glandes salivaires et le pancréas. Le vo- lume du foie a diminué dans son lobe gauche; et, au con- traire , se sont développées les dépendances de cet organe qui ont trait à la sécrétion biliaire, comme la vésicule bi- liaire, la rate. Ainsi que le système nerveux, l'appareil lymphatique prédomine; les vaisseaux lymphatiques et leurs ganglions, le tissu cellulaire et tous les vaisseaux blancs, sont très développés à cet âge de la vie. Les artères enfin précèdent dans leur développement celui des parties auxquelles elles se distribuent. Nous ne pouvons mentionner tous les organes., il sera mieux de dire ce qui est de chacun d'eux à l'article des fonctions, au de la physiologie.

Ici , nous n'avons à étudier que ce qui est des fonctions de relation et de nutrition , car celles de reproduction restent inactives, comme chez le fœtus.

Les fonctions de relation, que nous avons vu commencer

DE LA PREMIÈRE ENFANCE. 433

à la naissance , font dans cette période d'assez grands pro- grès; cependant elles sont loin d'y parvenir à leur complé- ment. i° Sensations. Le tact , dans les premiers jours de la vie, est encore peu marqué; cependant il est déjà en exer- cice, car l'enfant est sensible au froid de l'air extérieur. A mesure que la peau se développe, et nous avons dit que le développement de cette membrane était précoce, ce sens devient plus actif; et à la fin de la période que nous décri- vons, l'enfant commence à exercer le toucher. Le goût pro- bablement entre dès le premier jour en exercice, pour ex- plorer les liqueurs que l'enfant tette ou boit; mais il est sûr au moins que bientôt ce sens est très actif. Il en est de même de Y odorat , qui cependant est toujours moins délicat, parce que le développement de son organe est toujours plus tardif. Les sens de Y ouïe et de la vue, au contraire, n'entrent en jeu que vers la cinquième ou sixième semaine ; mais bientôt ils sont aussi puissants qu'ils le seront dans les âges suivants. Les sensations internes se montrent dès les premiers jours; d'abord celles qui guident dans les rapports à établir avec les corps extérieurs, ensuite celles qui sollicitent à mettre en jeu les organes soumis à la volonté. Ainsi , d'une part , la faim , la soif, les besoins d'inspirer, d'expirer, se manifes- tent, et avec les mêmes caractères que ces sensations orga- niques auront toujours : peut-être en est- il de même des sensations attachées aux excrétions, bien que l'enfant ne les exprime pas , et qu'il paraisse accomplir ses excrétions involontairement. D'autre part , de bonne heure , l'enfant éprouve des besoins de se mouvoir, et peut-être est-ce à ces besoins que doivent être attribués les premiers mouvements qu'il exécute. Quant à des sensations morbides, à des dou- leurs, nul doute qu'il n'en ressente de fréquentes , des coli- ques s par exemple ; ses cris répétés en sont la preuve. Psy- chologie. Dans les premiers jours , l'enfant ne manifeste encore aucunes facultés intellectuelles et affectives; satis- faire la faim, le sommeil, ne pas souffrir, paraît être toute son existence sensoriaïe. Mais bien avant la fin de cette pé- riode , entrent en jeu les facultés de l'esprit et du cœur. De bonne heure , l'enfant, sollicité par les impressions des sens î Tome IV. t 2$

434 VIE EXTRA- UTÉRINE,

commence à connaître les corps extérieurs , à apprendre des mots; il reconnaît sa mère, sa nourrice, les personnes qui le soignent, avec lesquelles il vit; il manifeste des désirs, des volontés; déjà il paraît éprouver des affections, des pas- sions, des joies, des douleurs. Sans doute , c'est bien faible encore , cependant on y reconnaît déjà les traits futurs de l'homme. Locomotilité. A cette période de la vie, la sta- tion ni la progression ne sont pas encore possibles; cepen- dant, à sa fin, déjà l'enfant s'essaie à se tenir debout. Mais heaucoup de mouvements partiels sont produits ; dans le même ordre que se développe l'intelligence de l'enfant, on voit ce petit être mouvoir ses sens, ses mains, sa tête, ses membres , etc.; la fréquence de ces mouvements trahit toute l'activité qu'a déjà son cerveau. Expressions. Dans le principe , les phénomènes d'expression sont aussi bornés que l'est la sensibilité : ils consistent en de simples vagissements, des cris , par lesquels l'enfant accuse les douleurs qui mar- quent son entrée dans la vie. Mais peu à peu, et à mesure que la sensibilité de l'enfant se développe , on voit sa figure prendre de la mobilité, son œil de l'expression; il devient susceptible de rire, de véritables pleurs ; et à la fin de cette période , déjà il fait des premiers essais de langage conven- tionnel, de parole. Quant au sommeil, d'abord il paraît, avec l'action de tetter, se partager toute la vie; l'enfant ne se réveille que pour prendre l'aliment qui lui est nécessaire, puis il se rendort aussitôt, à moins qu'il ne souffre. Peu à peu les temps de veille deviennent plus longs : cependant le besoin de sommeil se fait toujours sentir très souvent , parce que le système nerveux , très frêle encore , est bientôt épuisé par une veille , quelque courte qu'elle soit.

L'établissement soudain de la respiration , au moment de la naissance , fonde déjà , sans doute , une grande différence en ce qui concerne les fonctions de nutrition; mais la né- cessité dont est désormais la digestion, en constitue une autre qui n'est pas moins importante. Désormais les maté- riaux nutritifs n'arrivent plus tout sanguines; et, à l'ab- sorption vasculaire, qui jusque-là avait suffi pour accomplir la nutrition, doit forcément s'ajouter une digestion; l'en-

DE LA PREMIÈRE ENFANCE. 435

fant a besoin d'aliments. Ceux-ci sont, le lait que lui pré- pare une sécrétion de sa mère, ou une boissou analogue. La nature a coordonné la délicatesse de cet aliment au peu de puissance qu'a d'abord l'appareil digestif; le lait, très sé- reux les premiers jours, devient de plus en plus consistant , à mesure que l'estomac se développe et acquiert plus de force; il est pris par succion; l'instinct fait exécuter aussi- tôt à l'enfant ce mouvement , quelque compliqué qu'il soit ; et îa bouche, comme nous l'avons dit dans le temps , a alors l'organisation la plus favorable pour l'exécution de cet acte. Ce genre d'aliment, et le mode selon lequel il est pris, font concevoir pourquoi, à cette époque , les appareils mastica- teur et salivaire sont encore si peu développés ; alors ils eus- sent été, non-seulement inutiles, mais nuisibles. Cependant, à la fin de cette période, souvent déjà les enfants réclament et peuvent digérer des aliments un peu plus substantiels. Du reste, les enfants accusent un fréquent besoin de tetter; soit parce que, leur accroissement étant encore très rapide, ils ont vraiment besoin de prendre beaucoup de matériaux nutritifs; soit parce que l'action de tetter, étant pou:* eux une occasion de sensations agréables, déjà ils recherchent ces sensations, à l'instar des hommes adultes qui ne comptent la vie que par leurs jouissances , et qui sont toujours en tra- vail pour s'en procurer. Les digestions à cet âge sont assez promptes ; les selles sont fréquentes, la matière en est jaune et en consistance de purée.

Les autres fonctions de nutrition exigent à peine qu'on les mentionne. La respiration une fois établie se continue sans interruption, comme chez l'adulte; seulement les in- spirations sont plus nombreuses dans un même temps donné, et s'accomplissent plus par 1 action des intercostaux que par celle du diaphragme, à cause du gros volume que conserve l'abdomen. Explorée au stéthoscope, elle est plus bruyante que dans les âges suivants; comme si les ramifica- tions des bronches éprouvaient une plus grande dilatation , et recevaient proportionnellement une quantité plus grande d'air. La circulation s'accomplit désormais comme chez l'a- dulte , car le canal artériel, le canal veineux, et les artères

28.

436 VIE EXTRA-UTÉRINE.

ombilicales se sont oblitérés peu à peu : seulement les pul- sations du pouls sont plus précipitées, et leur nombre s'é- lève à cent par minute. Les absorptions sont en raison du grand développement du système lymphatique à cette épo- que. Les nutritions sont très actives, puisque tous les organes croissent; mais elles portent plus sur le système nerveux que sur les autres parties. Les calorijications deviennent graduel- lement plus énergiques, puisque l'enfant, à mesure qu'il avance dans la vie, développe une chaleur spécifique plus grande. Les sécrétions excrémentitielles participent de la grande activité qu'a le mouvement nutritif; mais leurs produits offrent un moindre degré d'animalisation , comme il en est, du reste , à cet âge, de tous les fluides de compo- sition; l'urine, par exemple, est moins chargée d'urée, et contient, en place, de l'acide benzoïque ; la transpiration cutanée est acidulé, etc. Souvent ces excrétions ne suffisent pas à la dépuration, et la nature en crée d'insolites, de morbides , comme ces emorescences cutanées dont nous avons parlé.

Telle est cette première période de l'enfance. Abstraction faite de la révolution qui tient à l'établissement de la respi- ration, les appareils qui s'y montrent les plus actifs , et qui subissent les plus grands développements , sont les appareils nerveux et digestif; et partant, ces appareils doivent être les plus exposés aux maladies. Aussi cet âge est-il celui des convulsions, des maladies céphaliques, du carreau , etc. La fréquence des emorescences cutanées prouve aussi que la nature fait alors de la peau un de ses principaux organes de dépuration; et c'est un avertissement qui nous est donné d'épargner aux enfants l'influence du froid, de l'humidité, de tout ce qui pourrait contrarier la direction vers cette membrane.

ARTICLE II.

Seconde e'poque de la première enfance. Première dentition.

Il serait fastidieux de décrire un à un pour chaque âge chaque appareil e ^chaque organe; pour abréger, désormais

DE LA PREMIÈRE ENFANCE. 4^7

nous rattacherons la description anatomique des parties à l'exposition des fonctions ; par même , nous serons mieux compris.

Dans cette seconde époque de l'enfance , tous les traits de la vie, et surtout de la vie extérieure, vont se dessiner da- vantage. Les sens externes sont désormais en toute activité, et l'intelligence , que nous allons voir prendre un grand essor , les emploie sans cesse à la connaissance des corps exté- rieurs. Parmi les sensations internes, celles de la faim, de la soif, continuent d'être impérieuses, et d'être en rapport avec le grand besoin qu'a l'individu d'une abondante ali- mentation ; celles qui sont attachées aux excrétions guident désormais dans l'accomplissement de ces fonctions ; et enfin, l'enfant accuse sans cesse les besoins d'exercer son esprit, ses sens, ses muscles, ses facultés. La psychologie, dans cette période, fait les plus grands progrès. D'un côté Y intellect est tout entier appliqué à connaître l'univers, et à ap- prendre à agir sur lui : pour ce double but, l'enfant mani- feste une grande puissance d'observation et d'imitation. Tout à l'heure nous montrions ses sens continuellement en action : or, l'activité de ses sens, à cette époque de sa vie, est un garant de celle de son esprit. Toute faculté intellec- tuelle a, dès cet instant, ses attributs actifs; mais dans chacune, la perception et la mémoire sont supérieures au jugement et à l'imagination. La faculté du langage artificiel est surtout alors très agissante ; à cette époque l'enfant apprend, non-seulement les choses elles-mêmes, mais encore les mots par lesquels les hommes sont convenus arbitrai- rement de les exprimer. Quiconque voudra réfléchir à la somme de connaissances qu'acquiert un enfant dans les deux premières années de sa vie, sera convaincu que jamais, à aucune autre époque de l'existence, l'esprit n'est plus actif et ne développe plus de puissance. Plus tard , il pourra saisir des rapports plus délicats; mais jamais il n'acquerra, en si peu de temps, autant de connaissances, et ne sera sus- ceptible d'une aussi forte observation. Cependant, ce sont surtout les sens qui agissent alors ; et comme des impressions nouvelles leur parviennent sans cesse , l'enfant est sans cesse

438 VIE EXTRA-TJTÊPJîŒ.

disirait, et décèle une extrême mobilité. Les facultés affec- tives , d'un autre côté, éprouvent le même développement; l'enfant , de bonne heure , manifeste toutes les qualités morales principales, si ce n'est l'instinct de la reproduc- tion; l'envie, la jalousie, l'orgueil, l'égoïsme , l'attache- ment, la haine, la colère, etc., tour-à-tour se peignent sur sa figure et dans ses traits avec des degrés divers d'intensité. En un mot , dès cette époque de la vie , l'homme intellectuel et moral se découvre tout entier. Mais toutes les détermi- nations sont encore peu tenaces ; l'homme n'est pas encore moulé aux impressions extérieures, ni plié par un exercice répété au pouvoir des habitudes; à ce double titre, il est très susceptible d'être modifié, et c'est dès cet instant que doit être appliquée l'éducation , surtout en ce qui concerne les qualités morales. L'enfant étant alors très accessible aux diverses impressions, très disposé à l'imitalion , les organes ayant alors toute flexibilité, il importe beaucoup d'ordon- ner la vie de manière à prévenir toutes les habitudes mo- rales vicieuses, et à n'en laisser établir au contraire que de favorables. On sent bien que nous ne pouvons ici nous per- mettre que cette expression générale , et que plus de détails sur ce sujet intéressant nous sont interdits. Nous n'avons pas besoin de dire que le cerveau continue de croître , et surtout encore dans les parties antérieures et inférieures. C'est dans cette période aussi que la station et la progres- sion deviennent possibles. Jusque-là , le squelette et tout le corps présentaient des obstacles invincibles à l'accomplisse- ment de ces actions; la tête, très grosse, contrastait avec la petitesse des membres abdominaux; le rachis, plus gros à sa partie supérieure qu'à sa partie inférieure, n'offrait qu'une seule courbure dans sa longueur; il était sans apo- physes épineuses, d'où un espace moindre à l'insertion des muscles des gouttières vertébrales, et une moindre lon- gueur dans le bras de la puissance : les corps des vertèbres, au lieu d'être aplatis, étaient arrondis; les muscles verté- braux avaient peu de volume; le bassin, beaucoup plus oblique en bas sur le rachis, permettait davantage au ventre de peser en avant, et d'entraîner en ce sens tout le corps;

DE LA PREMIERE EffEAKCE.

les cavités cotyloïdes , encore toutes cartilagineuses , ne pré- sentaient pas assez de résistance aux fémurs : ceux-ci étaient moins convexes en avant; leur col, plus court et plus à angle droit sur le corps de l'os , était encore cartilagineux ; les rotules existaient à peine ; les caîcanéums ne présentaient pas en arrière l'avance qui agrandit en ce sens la base de sus- tentation ; les pièces du tarse étaient toutes cartilagineuses ; les pieds étaient trop petits, etc.Enunmot,iln'existaitencore aucune des conditions de structure que nous avons vu être nécessaires pour que la station sur les deux pieds puisse être effectuée. Mais dans le cours de la période que uous décri- vons, tous ces développements se sont faits peu à peu ; et peu à peu aussi on voit l'enfant soutenir l'attitude qui est caractéristique de son espèce, et accomplir la marche, la course y le saut, les divers modes de progression qui sont propres à l'homme. Seulement, sa solidité, lors de l'ac- complissement de ces divers actes, n'est pas aussi grande qu'elle le sera par la suite, et des chutes fréquentes signa- lent les progrès qu'il fait en ce genre. En général, dans toute cette période, l'être se livre à de fréquents mouve- ments , qui tout à la fois sont l'annonce de la grande acti- vité de l'esprit, et un moyen par lequel la nature travaille au développement du corps. Les expressions suivent la marche des facultés intellectuelles et affectives, dont elles sont une conséquence forcée. D'un côté , le langage affectif participe de l'état actif de l'esprit et du cœur; des gestes continuels, des cris fréquents , une extrême mobilité de la ligure , trahissent sans cesse la succession des idées qui sont formées, des sentiments qui sont éprouvés. D'un autre côté, la faculté du langage artificiel en plein exercice dirige les organes vocaux et de l'articulation des sons; et soit que cette faculté recueille une langue toute faite due aux hommes qui ont précédé, soit qu'elle en invente une elle- même, sons ses inspirations Fenfant apprend à parler : jusque-là, il avait eu la voix:, le cri; maintenant il a la parole et devrait perdre ce nom à? enfant (qui ne peut par- ler), que jusque-là il avait mérité. Enfin, il est impossible que le sommeil ne soit pas en raison d'une veille si occupée

44o VIE EXTRA -UTÉRIJNE.

et si remplie; aussi est-il, à cette époque, impérieux, pro- fond , prolongé , et d'autant plus que le système nerveux n'a pas encore toute la force qu'il aura par la suite.

Tel est l'état des fonctions de relation. On voit que le développement du svstème nerveux cérébral a continué d'être prédominant ; et cela explique pourquoi les maladies convulsives, céphaliques, continuent d'être fréquentes. Dans les fonctions de nutrition, le plus grand changement se remarquera dans la digestion, car c'est à un développe- ment propre à l'appareil de cette fonction qu'est pris le trait le plus saillant de la période que nous décrivons, celui auquel elle doit son nom. Graduellement le lait de la mère, ou la boisson ténue qui le remplace, ne suffit plus comme aliment; il faut une matière plus substantielle, et qui exigera, pour être prise, une mastication préalable. Par un heureux accord , avant que ce besoin s'annonce , la na- ture fait développer l'appareil masticateur; les mâchoires s'arment de dents, d'où le nom de dentition donné à cette période de la vie. Nous avons dit que dès le deuxième mois de la grossesse, les germes des dents se montraient dans l'épaisseur des os des mâchoires sous forme de follicules membraneux , d'une figure ovoïde , tenant par leur extré- mité profonde à un pédicule vasculaire et nerveux, et par leur extrémité superficielle à la gencive. D'abord, la cavité de ces follicules est remplie d'un liquide incolore, limpide; mais bientôt il s'y développe une espèce de papille vascu- laire et nerveuse, qui, partant de l'extrémité profonde du follicule, gagne sa partie supérieure et finit par le remplir : le liquide intérieur alors diminue dans la même propor- tion. Cette papille, en se développant, a soulevé l'une des deux membranes qui circonscrivent le follicule, la mem- brane interne qui est vasculaire, et s'en est recouverte. Ces deux parties, le follicule et sa papille, grossissent jusqu'au moment de l'ossification, qui commence à la fin du troi- sième mois de la vie fœtale, et un peu plus tôt à la mâ- choire inférieure qu'à la supérieure. Cette ossification con- siste d'abord dans une exsudation de la matière éburnée à la surface de la pulpe; elle commence au sommet de la

DE LA PHEMIÈRE ENFANCE. 44 *

papille dentaire : là, apparaît sous forme d'une petite ca- lotte une lame d'ivoire, qui est unique pour les incisives et canines, multiple pour les molaires, et qui, augmentant successivement de largeur, finit par recouvrir le sommet de la papille. Cette lame augmente aussi d'épaisseur, mais du côté de la papille, de sorte que le volume de celle-ci diminue proportionnellement, Ensuite, à la surface de cet ivoire , se forme l'émail , qui consiste d'abord en une couche mince résultant de petites parcelles semblables à des gout- telettes figées et très dures, mais qui devient uni et s'é- paissit successivement. Selon les uns, il est exsudé comme l'ivoire par la pulpe dentaire; selon les autres, il est un dépôt de la liqueur dans laquelle baigne la couronne de la dent ; selon quelques uns , il est exhalé par le feuillet interne de la capsule. A la naissance , les incisives ont leurs couronnes formées ; celles des canines ne sont pas achevées; les molaires n'ont encore que leurs tubercules. Enfin , la racine se forme en dernier lieu , et quand la couronne est achevée; pour cela, le pédicule vasculaire et nerveux intérieur s'alonge , et le follicule paraît comme étranglé à la jonction des deux parties ; l'ivoire qui la constitue diffère, dit M. Lemaire , de celui de la cou- ronne. C'est lorsque la formation de la racine des dents est assez avancée , que l'éruption se fait , et cela arrive généralement vers le septième mois après la naissance , au commencement de la période que nous décrivons. D a- bord apparaissent les incisives moyennes de la mâchoire in- férieure , puis celles de la mâchoire supérieure ; après les incisives latérales inférieures et les incisives latérales supé- rieures; en troisième ordre, se montrent les premières mo- laires inférieures 3 puis les supérieures; en quatrième lieu, les canines inférieures et supérieures ; et enfin les deuxièmes molaires. Toujours le travail commence à la mâchoire infé- rieure avant la supérieure; les incisives sortent du huitième au douzième mois; les premières molaires, entre dix-huit mois et deux ans; et les canines et deuxièmes molaires , vers deux ans et demi. Le tissu des gencives est peu soulevé , peu distendu; mais il s'amincit -et s'entr'ouvre en autant de

442 VIE EX TUA-UTÉRINE,

points, probablement préexistants, que la dent a de cus- pides; alors la couronne apparaît, et sort jusqu'au collet : la cause de sa sortie est probablement l'accroissement de la dent. Ce n'est qu'après cette éruption, que la racine de la dent achève de se former. J'ai emprunté à Bêclard cette description anatomique du développement des premières dénis. Cette première dentition, sans doute, n'est pas plus une maladie que tout autre âge, et certainement on exagère en lui attribuant la plupart des maladies de l'enfance : ce- pendant son accomplissement est souvent orageux , difficile* comme celui de tout autre développement; et, tout au moins, il prédispose à des maladies. Le grand travail qui se fait alors à la bouche , augmente la tendance qu'a déjà le sang à se porter à la tête ; et la douleur qui souvent accompagne ce travail, ajoute à la susceptibilité nerveuse qui est déjà pro- pre aux enfants. Bien que le percement de la gencive ne soit pas une chose mécanique ; que, dans l'ordre le plus naturel, cette gencive ne doive pas être soulevée , distendue ; cepen- dant souvent elle se gonfle, s'enflamme et excite la fièvre, et diverses maladies sympathiques, comme convulsions, diverses inflammations des membranes muqueuses , parti- culièrement de la conjonctive, du larynx, de la trachée- artère, de l'estomac, des intestins, diverses éruptions cu- tanées , etc.

En même temps qu'apparaissent les dents, les muscles masticateurs prennent de la force, et les organes salivaires et le pancréas se développent. La formation de ces diverses parties indique assez le changement qui doit être fait dans l'alimentation de l'enfant; dès les premiers mois, le lait de sa mère n'a plus suffi à cet être , et il a falluy ajouter quelque bouillie ; mais à l'époque à laquelle nous sommes parvenus , il réclame une nourriture plus substantielle , et il commence à user des mêmes aliments que l'adulte : il accuse fréquem- ment le besoin de manger, parce que l'alimentation doit encore fournir, non-seulement à la nutrition, mais à l'ac- croissement qui est toujours considérable. Nous n'avonsrien de particulier à dire sur les autres fonctions nutritives , si- non que le tissu cellulaire prédomine encore , ce qui annonce

DE LA PREMIÈRE EKFAKCE. ^3

une assez grande activité dans les absorptions; et que les efforts nutritifs portent plus particulièrement sur les systè- mes osseux et nerveux, d'où la fréquence du rachitisme à cet âge, si la constitution est un peu faible. Du reste, il y a persistance des traits énoncés dans l'époque précédente, comme état acidulé de la transpiration, défaut d'urée dans l'urine, etc.

Ainsi , dans cette seconde époque de l'enfance , l'accrois- sement continue , mais est bien loin d'être terminé ; les fonc- tions de relation sont toutes en plein exercice ; la pousse des dents a conduit au sevrage; les plus grands efforts de la nutrition portent sur les systèmes nerveux et osseux, d'où la persistance de la prédisposition aux convulsions, aux ma- ladies cépbaliques , et l'apparition du racliitis; la dentition expose à de nombreux dangers, non d'une manière mécani- que , mais par une loi organique commune à tous les autres développements. La digestion manifeste une grande acti- vité, et il imperte beaucoup d'en éviter les écarts, tant pour prévenir les maladies des organes digestifs eux-mêmes , que pour qu'il soit fourni à l'économie , dont les fondements se posent alors , d'excellents matériaux. L'appareil absor- bant cbylifère a alors une assez grande susceptibilité; et s'il est trop irrité, survient promptement la maladie appelée le carreau. L'équilibre entre les moitiés supérieure et infé- rieure du corps tend à s'établir, mais il n'y parvient pas en- core tout-à-fait. Les articulations sont encore bourrées, et la graisse surabonde encore sous la peau. Cette membrane conserve toute sa susceptibilité morbide, et cet âge est celui des maladies éruptives. Les membranes muqueuses ont la même susceptibilité, comme le prouve la fréquence du croup* de la coqueluche, des catarrhes, à cette période de la vie.

ARTICLE III.

Troisième époque de la première enfance.

Nous avons peu de détails à offrir, et ces détails sont la conti- nuation du tableau précédent. De la deuxième à la septième année, le développement intellectuel et moral continue à se

444 VIE EXTRA-UTÉRINE,

faire , et nous répétons que c'est vraiment dans cet intervalle que l'homme acquiert le plus de connaissances. La locomo- tion est en plein exercice; les os s'ossifient de plus en plus; les muscles se dessine ut. La plus grande activité se décèle dans la double fonction des sensations et des mouvements, dans celle des expressions ; l'enfant a alors une loquacité intarissable. Le sommeil est en raison d'une veille si exercée et si fatigante : cependant, comme le système nerveux plus développé a plus de force, ce phénomène ne s'établit plus qu'une fois dans les vingt-quatre heures; mais il est pro- fond, et se prolonge dix à douze heures. Quant à la vie or- ganique , toutes ses fonctions sont désormais en activité, et avec les mêmes traits que dans l'âge adulte ; seulement elles prennent chaque jour plus de force et de consistance. Cette époque se termine par l'apparition d'une troisième dent mo- laire, qui achève ce qu'on appelle la première dentition, et qui peut-êti*e serait mieux rapportée à la seconde, puisqu'elle ne tombera pas comme les premières dents. L'accroissement secontinue, et nesera pas encore terminé. Ainsi, grandeac- tivité sensoriale, intellectuelle, morale, musculaire, grand appétit, tels sont les traits principaux de cette époque; d'où il est aisé de déduire les maladies auxquelles cet âge doit être prédisposé; ce sont encore celles des deux époques précédentes, les maladies céphaliques, cutanées, le rachi- tis, le croup, etc.

CHAPITRE IL

De la deuxième enfance .

Ce second âge de la vie s'étend, selon M. Halle, de la septième à la quinzième année, et est marqué par la seconde dentition , et par le premier éveil des organes génitaux. Vers la septième année à peu près, les dents que nous avons vu apparaître dans l'âge précédent , paraissent s'écarter les unes des autres, puis s'ébranlent et tombent. Leur écartement tient à ce que l'arcade alvéolaire qui les contient, continue de croître, tandis qu'elles ne changent pas de volume. Leur

DE LA DEUXIÈME ENFANCE. 445

cliute est due à l'usure de leurs racines , et surtout à ce que leurs alvéoles sont envahies par de nouvelles dents. Les ger- mes de celles-ci, au nombre de trente -deux, sont visibles dès le fœtus. Consistant de même en follicules membraneux, ovoïdes , ils sont situés dans un rang d'alvéoles placées dans les mâchoires en arrière de celles qui contiennent les dents enfantines. Leur ossification se fait de même , et commence , du troisième au sixième mois après la naissance pour les incisives et la première molaire, au neuvième mois pour la canine, à trois ans pour la deuxième molaire, à trois ans et demi pour la quatrième , et à dix ans pour la cinquième. L'éruption se fait quand la couronne est achevée , et que la racine est en grande partie formée; elle est précédée de la chute des dents infantiles, dont la racine est en grande partie ou en totalité résorbée. Les incisives sortent les pre- mières , de sept à dix ans; puis les bicuspidées; en troisième lieu, la canine; ensuite, vers onze à douze ans , la seconde grosse molaire; enfin , vers vingt ans la cinquième molaire. Nous avons dit que la première grosse molaire apparaissait dans le cours de la première dentition. Ces dents ne sont pas achevées quand elles paraissent; il faut deux ou trois ans pour que se complètent leurs racines qui ne sont qu'ébauchées; elles augmentent aussi en épaisseur à l'intérieur. Les arcades dentaires s'agrandissent continuellement jusqu'à vingt ans , tant pour faire place aux deux nouvelles grosses molaires qui surviennent , que parce que les dents de remplacement sont plus larges que les dents dites de lait. La face, par suite, prend plus de hauteur et de largeur, et revêt une autre physionomie. Cette seconde dentition est généralement moins orageuse que la première; cependant l'éruption de la dent de sagesse est souvent douloureuse.

En même temps que se fait cette révolution, toutes les autres parties du corps continuent de marcher à leur per- fection. L'accroissement en hauteur continue, sans s'ache- ver encore; les parties supérieures, quoique devenant bien moins considérables, proportionnellement aux inférieures, conservent cependant encore un peu de leur prédominance; et il en est de même des systèmes nerveux et cellulaire. Les

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sens sont tout-à-fait en activité; l'organe de l'odorat, dont le développement avait été plus tardif que celui des autres sens , a désormais toute sa perfection ; ses sinus intérieurs se sont creusés ; le nez extérieur a pris du volume. Les facultés intellectuelles et morales manifestent de plus en plus de l'activité et de l'étendue, et c'est à juste titre que, dans nos sociétés , cette époque de la vie est consacrée aux travaux qu'exige une éducation libérale : non-seulement l'intelli- gence a pris plus de force , mais le sentiment si précieux de la moralité s'est développé; jusque-là , l'enfant avait pu être guidé par des affections; maintenant il peut apprécier ce qui est juste , et connaître ses devoirs. Les mouvements sont désormais assurés, mais ils se répètent sans cesse, et l'être accuse un besoin fréquent d'exercice. Les expressions sont en raison de la sensibilité, et la grande loquacité de cet âge trahit la grande activité dont jouit alors l'esprit. On conçoit ce que doit être le sommeil d'après une veille aussi remplie. En un mot, la vie animale marche rapidement à son déve- loppement, conservant cependant encore beaucoup de la mobilité du premier âge.

Il en est de même de la vie organique. La digestion alors supporte toute espèce d'aliments, en réclame une quantité assez grande , et à des intervalles assez rapprochés. La nu- trition conserve toute son activité première, puisqu'elle a encore à faire croître l'individu. Le système osseux devient de nouveau l'objet particulier de ses efforts; et c'est pour cela que, s'il y a quelques causes originelles ou acquises de faiblesse, souvent survient alors un nouveau rachitis, dit rachitis du deuxième âge , et qui porte plus sur le tronc que sur les membres, à la différence du premier. Les articula- tions sont désormais débourrées. Les muscles , quoique grê- les , dessinent leurs reliefs , parce que la graisse sous-cutanée qui arrondissait les formes a beaucoup diminué. Toutes les parties conservent encore un peu de la mollesse, de la na- ture gélatineuse du premier âge ; mais ces caractères spéci- fiques de l'enfance, sur la fin de cette période, ont déjà beaucoup diminué. Enfin , souvent dès la fin de cet âge, les organes génitaux commencent la série de leurs développe-

ADOLESCENCE. 447

ments, et accusent un premier besoin d'être mis en jeu; mais ce n'est que le prélude de la révolution qui va marquer l'âge suivant , et il faut bien se garder de les écouter.

CHAPITRE III.

Adolescence. Puberté.

Ce troisième âge de la vie est marqué par l'achèvement entier de l'accroissement en hauteur, par le développement complet des organes génitaux, et la possibilité d'exercer la génération. Sa durée s'étend de quinze à vingt-cinq ans chez l'homme , et de quinze à vingt-un ans chez la femme. Dans les premières années de la vie, les deux sexes avaient paru semblables dans leurs traits généraux; ils étaient confondus sous la dénomination commune d'enfants. Déjà, dans le cours de l'âge précédent, chacun d'eux avait commencé à revêtir ses traits propres, à signaler ses inclinations particu- lières. Mais dans celui-ci leur distinction va s'établir tout- à-fait; et, clans la description que nous avons à donner, il faut séparer ce qui est de 1 homme et de la femme.

L'homme, dans cette période de sa vie, arrive à sa sta- ture; son corps est svelte et élancé; sa peau a perdu de sa finesse et de sa blancheur ; ses cheveux ont bruni ; son tissu cellulaire s'est condensé : ses muscles, devenus plus volu- mineux , se dessinent en relief à l'extérieur; les traits de son visage , bien prononcés , transmettent désormais les for- mes héréditaires. La barbe apparaît, en même temps que des poils épais poussent aux parties génitales. De semblables poils , mais plus courts , remplacent plus ou moins çà et le duvet soyeux que , dans les premiers temps de la vie , of- frait la peau , et se montrent surtout à la partie antérieure du thorax. La tête a perdu toul-à-fait sa prédominance, et le thorax et l'abdomen , suffisamment développés, on t amené l'équilibre entre les cavités splanchniques. Le milieu du corps correspond au pubis. La prédominance lymphatique a disparu, et le système vascuîaire sanguin est parvenu à équilibrer les vaisseaux blancs. Le cerveau a grossi beau-

448 VIE EXTRA-UTÉRINE,

coup, mais surtout dans sa partie postérieure et inférieure , clans le cervelet ; il a acquis aussi de Ja consistance, et exhale désormais une odeur spermatique. Tout le système nerveux, dans le cours de la vie , devient successivement moins volu- mineux et plus consistant. Les os ont achevé leur ossification en hauteur. Les muscles sont devenus rouges et très fihri- neux. Le larynx a pris tout-à-coup un grand accroissement, et la glotte tout à la fois s'est élargie et alongée. Les mâ- choires ont achevé leur développement par la pousse des dents de sagesse. Toutes les parties destinées aux fonctions organiques sont arrivées à l'état dans lequel nous en avons fait la description. Les organes génitaux, enfin, ont pris le volume et l'activité qui sont nécessaires à l'accomplissement de leurs fonctions; les testicules ont grossi du double, et effectuent leur sécrétion; le pénis a grossi, s'est alongé , et est devenu susceptible d'érection; le scrotum a pris une couleur plus brune; les seins eux-mêmes ont accusé l'excitation qui a été imprimée tout à coup à tout l'appareil, car souvent, chez le jeune homme qui devient pubère, ils se gonflent et laissent suinter une humeur lactescente.

Chez la femme, le corps arrive aussi à sa hauteur, et de même présente les proportions qui lui sont propres; mais la consti- tution générale reste bien plus ce qu'elleétait dans la première et la seconde enfance. La peau conserve sa blancheur pre- mière , et souvent même en acquiert une plus grande. Loin que la graisse disparaisse, comme dans le jeune homme pubère, et laisse les muscles dessiner leurs saillies ; cette hu- meur devient plus abondante, et donne plus de rondeur en- core à toutes les formes. Le tempérament général, au lieu de devenir sanguin comme celui du jeune homme , reste lymphatique et nerveux ; et les fluides blancs continuent de prédominer. Il ne pousse de poils qu'aux parties génitales et aux aisselles , et la chevelure seule paraît se ressentir de la crue subite, qui, dans l'autre sexe, est imprimée à tout le système pileux. Du reste, même développement dans les organes génitaux proprement dits; les ovaires deviennent plus gros du double; l'utérus développé devient chaque mois un centre de fluxion pour le sang , et la sécrétion mens-

ADOLESCENCE. 449

truelle s établit; le pénis se couvre de poils; les lèvres du pudendum s'alongent ; le bassin preud l'ampliation qui permettra l'accouchement; les seins enfin,, semblables jus- que là à ceux de l'homme, acquièrent le volume qui en fait un des attributs physiques et dislinctifs de îa femme.

Sous le rapport des fonctions, la révolution de la puberté n'est pas moins saillante. Les sens externes sont désormais animés par le nouvel instinct qui se fait sentir. Une grande activité intellectuelle et morale se manifeste, tant parce que de nouvelles facultés apparaissent, que parce que les facul- tés anciennes, qui dès long-temps étaient en exercice ^ re- çoivent tout à coup un nouvel élan. D'abord, éclate dans lame de l'individu un besoin qui lui était inconnu jusqu'a- lors, et qui se montre bien plus impérieux qu'aucun de ceux qu'il a jusque éprouvés. Ce besoin est celui de l'a- mour, passion la plus universelle de toutes , et à l'empire de laquelle peu d'êtres se soustraient. Sa physionomie diffère dans chaque sexe ; dans l'homme , il s'annonce par l'audace , la violence, l'emportement; dans la femme, il est précédé de la pudeur, voile des désirs, et d'un instinct irréfléchi de plaire, de coquetterie. C'est alors que les jeunes gens des deux sexes prennent le goût de la parure, de même qu'on voit les oiseaux revêtir , au temps de leurs amours , de plus belles couleurs. Dans l'origine de son développement, sou- vent le but de ce nouvel instinct n'est pas bien annoncé; une sollicitude vague entraîne l'être vers un bien qu'il ignore; mais bientôt son objet est clairement décelé, et l'être connaît la nouvelle faculté qui lui est donnée. En- suite, les autres facultés intellectuelles et affectives , par l'addition de ce nouvel instinct, prennent un plus grand essor ; l'esprit accuse plus de puissance et d'activité , le cœur plus de chaleur et d'entraînement. L'être est alors , sous le rapport moral, dans le plus bel âge de sa vie; il sent toutes ses forces; il y a confiance, et espère le bonheur. D'une part, en effet, si cette époque de la vie est celle de l'amour des plaisirs , elle est aussi celle des nobles travaux; à quels beaux résultats intellectuels peut parvenir alors une jeu- nesse qui a été bien préparée et qui est bien dirigée! D'au- Tome IV, 29

45g vie extra-utérine.

Ire part , quelle richesse dans les sentiments du cœur ! On est sans doute imprudent, léger, présomptueux, indiscret; mais le cœur est plein de générosité , de noblesse , et af- franchi de tout égoïsme. La réaction exercée par le nouvel instinct qui est acquis , se fait sentir aussi sur les mouve- ments ; le jeune homme, ayant désormais toute son énergie physique, éprouve le besoin de l'employer; et les exercices violents de la chasse , de la guerre , des voyages , sont autant de moyens par lesquels il consume l'excès de ses forces. Ses expressions surtout trahissent l'état nouveau de son ame; son œil brille d'un plus vif éclat, sa physionomie est plus animée. La voix a changé; dans l'homme, elle a pris un caractère plus grave , indice de la force nouvelle que l'être a revêtu ; dans la femme , elle a pris un timbre plus doux. De même que les sens, le langage parlé prend un caractère passionné; alors la parole devient facile, et presque tout homme est éloquent. C'est alors aussi que les arts de la mu- sique, de la poésie, de la danse, sont cultivés avec le plus de succès , et qu'irrésistiblement presque le goût en naît. Le sommeil lui-même n'est pas étranger à cette remarquable révolution; sans doute il est moins long que dans les âges précédents; déjà il reçoit le joug de l'habitude, joug qui s'appesantit d'autant plus sur tous les actes de l'économie, qu'on avance plus dans la vie; mais il est souvent troublé par des rêves relatifs aux nouveaux sentiments qui ont éclaté dans l'ame , et souvent l'adolescent goûte dans ces rêves les plaisirs nouveaux auxquel il est appelé et auxquels il n'a pas osé encore se livrer.

Les changements sont moindres dans les fonctions de nutrition. La digestion réclame encore une alimentation très abondante, puisqu'alors le corps achève son accrois- sement en hauteur, et que tous les organes, en pleine ac- tivité, font plus de dépenses que jamais. Cependant, on est distrait par l'instinct nouveau qui a éclaté, du plai- sir attaché à l'exercice de cette fonction , et l'habitude commence à en régler tous les actes. Comme dans tous ces premiers âges de la vie, le corps croît, et que son accroisse- ment se fait aux dépens du sang, on conçoit que la nature

ADOLESCFJSCE. 45 1

a faire croître aussi les appareils qui font ce fluide , et particulièrement les organes digestifs et respirateurs. C'est ce qui est en effet. Successivement , l'estomac a pris plus d'ampleur, et a pu digérer uue quantité plus grande d'ali- ments. Le poumon de même s'est graduellement agrandi; et, à l'époque que nous décrivons ici, son ^développement surtout devient manifeste. Il se fait réellement alors une quantité de sang plus considérable; aussi le tempérament devient-il sanguin. Les nutritions enfin impriment à la ma- tière des organes une nature plus animalisée , comme le prouvent la composition chimique de ces organes, et la na- ture des excrétions. Non-seulement les muscles contien- nent alors plus de fibrine, non-seulement le sang est moins séreux et plus riche en globules , le tissu nerveux plus dense, etc. , mais les excrétions accusent une animalisation plus grande ; dans l'urine , l'urée a pris la place de l'acide benzoïque ; la transpiration cutanée , au lieu d'être acidulé , a une odeur musquée, etc. Ainsi, de même que les fonc- tions sensoriales sont désormais en plein exercice, de même les fonctions organiques ont toute leur puissance , et impri- ment à la matière qu'elles travaillent les qualités d'orga- nisation et de vie dans toute leur plénitude.

Enfin , c'est alors qu'entrent en exercice les fonctions se- nitales : l'établissement des menstrues cbez la femme , celui delà sécrétion sperma tique et la fréquence des érections chez rhomme,annoncent que l'être peut désormais accomplir l'œu- vre de sa reproduction. Non-seulement le développement sur- venu dans les organes génitaux, a pour résultat de permettre l'accomplissement de cette faculté , mais encore ce dévelop- pement est marqué par une réaction sur tous les organes du corps, de laquelle résulte un surcroît marqué de vie. En effet, si lors de la puberté, toutes les fonctions accusent une activité nouvelle, ce n'est pas seulement parce que, par une coïncidence heureuse, les appareils de ces fonctions ont éprouvé un redoublement d'accroissement, en même temps que se développaient les organes génitaux; mais c'est que ceux-ci évidemment ont réagi sur les premiers , soit par le changement que la sécrétion spermatique imprime au san

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452 VIE EXTRA-UTÉRINE.

soit sympaltiiquement. Ce qui le prouve, c'est que si les organes génitaux ne se développent pas., ou sont enlevés avant l'âge de leur développement, la constitution générale reste avec la plupart des traits de l'enfance , comme cela se voit chez les eunuques. Ce qui le dénote encore , c'est que les changements généraux de la puberté sont toujours un peu en raison du degré de développement et d'activité des organes génitaux; c'est que ces changements réclament la continuité de l'influence de ces organes pour se maintenir, et disparaissent en partie quand, par accident, les organes génitaux sont enlevés, ou qu'on est arrivé à l'âge leur exercice doit naturellement cesser.

L'âge de la puberté, du reste , comme tout autre, ne se prononce que par gradation. Il ne faut pas croire que l'ac- complissement d'une première excrétion spermatique chez l'homme , ou une première irruption menstruelle chez la femme, en marque l'achèvement complet; il n'arrive que trop souvent que les organes génitaux ont un développe- ment hâtif, qui n'est pas en rapport avec le degré d'accrois- sement du resle du corps; et, pour juger s'il faut céder à l'entraînement qu'ils inspirent, c'est moins leur état qu'il faut consulter que celui de l'économie entière; car le vœu de la nature est que l'individu soit parfait avant qu'il pense à la reproduction. Si l'époque de la dentition est souvent orageuse , il en est de même de la puberté , surtout chez la femme ; combien de jeunes filles éprouvent alors d'accidents variés ! D'autre part , la révolution que cet âge amène dans toute la constitution, fait souvent cesser toutes les mala- dies de l'enfance, mais pour prédisposer l'être à de nou- velles affections , qui sont particulièrement les congestions sanguines sur les organes de la voix et de la respiration.

CHAPITRE IV.

De la Kirilité.

Dans l'âge précédent, l'accroissement du corps en hau- teur s'était terminé. Dans celui-ci , s'achève l'accroissement

DE LA VIRILITÉ. 453

en épaisseur, d'où résulte enfin îe développement entier de toute l'organisation, la possession de toutes les facultés. Tels sont, en effet, les traits distinctifs de ce quatrième âge de la vie , qu'on appelle virilité , âge qui est celui dans lequel nous avons supposé l'homme quand nous avons fait l'histoire de ses fonctions, et qui s'étend pour lui de la vingt-cinquième à la soixante-troisième année de la vie, et pour la femme, de la vingt-unième à la cinquantième. M. Halle l'a subdivisé en trois époques : la virilité crois- sante y la virilité confirmée 3 et la virilité décroissante.

Dans la première , s'achève tout-à-fait l'accroissement en hauteur * l'individu arrive à sa stature propre, qui est ordinairement de cinq pieds à cinq pieds et demi pour riiomme , et de quatre pieds huit ou dix pouces à cinq pieds pour la femme. Mais, en même temps, l'accroissement en grosseur continue, et la taille devient par degrés moins svelte que dans l'âge précédent. Toutes les parties plus grosses, partant plus fortes, ont déjà un port moins élé- gant. La barbe devient plus épaisse, plus dure; tout le système pileux, les cheveux, par exemple, prennent une teinte plus foncée. Il en est de même du teint du visage 3 de la couleur des yeux. La peau s'épaissit et brunit. La physio- nomie a désormais son caractère propre; et tout le corps a revêtu son tempérament spécial, tempérament qui s'appro- chera d'autant plus du bilieux qu'on sera plus près du milieu delà vie. Alors les divers appareils sont telsquenous les avons décrits, quand nous avons fait l'histoire des fonctions. Les systèmes lymphatique et cellulaire ont tout-à-fait perdu leur prédominance, et la balance est en faveur du système vascuîaire sanguin. Le thorax de plus en plus s'élargit, pour prêter au grand développement des organes situés dans son intérieur; el la direction plus spéciale des efforts de la nu- trition sur cette partie du corps , explique la plus grande fréquence des maladies thoraciqueset pulmonaires, à cet âge. La prédominance nerveuse en général, et celle du cerveau en particulier, ont cessé; le cerveau, dans son rapport avec le corps, n'estplus comme 1 à 12 , ainsi que cela était à la naissance, ni comme 1 à 25, ainsi que cela était dans

454 VIE EXTRA-UTÉRINE,

l'enfant, mais comme 1 à 35. La face désormais équilibre avec le crâne, à cause du développement des diverses ca- vités qui se sont formées en elle, comme sinus frontaux, ethmoïdaux , maxillaires; 2" parce que le nez est formé, et que les mâchoires sont désormais garnies de toutes leurs dents. En un mot, toutes les parties sont parvenues au complément de leur développement. Les os ont toutes leurs apophyses bien prononcées, toutes leurs cavités intérieures formées et remplies de moelle, leurs points primitifs d'os- sification réunis et soudés. Les muscles sont épais, forts, robustes, rouges, très fibrineux. Dans le parenchyme de toutes les parties, le tissu cellulaire se condense, et les pa- rois des vaisseaux deviennent plus épaisses. Tous les organes ont revêtu une consistance et une fermeté qui contrastent avec la mollesse qu'ils avaient dans l'enfance. Quant aux fonctions , il est aisé de pressentir ce qu'elles doivent être d'après cet état des organes : ceux-ci, étant parvenus à leur summum de puissance , doivent accomplir avec toute plé- nitude leurs offices divers; et, en effet, l'homme a alors la possession complète de toutes ses facultés. Toutes les fonc- tions sensoriales , depuis long-temps en exercice , ont acquis plus de force, sans rien perdre encore de leur délicatesse; l'esprit a plus de vigueur, le cœur plus de chaleur; et, si l'un, moins susceptible de fatigue, peut alors entrepren- dre les plus forts travaux , l'autre goûte , dans les liens de la famille et dans les rapports de la société, toutes les affections. La puissance musculaire physique n'est pas moins grande : et, quant à la génération , c'est alors que l'homme y est le plus propre, soit qu'on ait égard à la fréquence avec laquelle il peut impunément se. livrer aux fatigues de cette fonc- tion , soit qu'on considère le degré de force qu'il imprime aux enfants qui naissent de lui ; plus tôt il sera plus enclin à l'acte génital, mais procréera des enfants moins robustes; plus tard, il sera moins ardent, et produira une progéniture plus débile. Le sommeil est <;e qui convient pour entretenir actif et puissant le système nerveux; et les fonctions orga- niques ont de même toute l'activité nécessaire pour sub- venir aux dépenses que fait une organisation parvenue à la

DE LA VIRILITÉ. 455

période de sa plus grande puissance. M. Halle fait durer de vingt-cinq à trente-cinq ans cette première période de viri- lité , qu'il appelle virilité croissante.

Dans la virilité confirmée, l'accroissement en épaisseur est fini , et désormais sont terminés ces progrès qui jusque- avaient marqué le cours de la vie. La période dite d'ac- croissement est achevée; et l'homme semble être dans un état stationnaire , dans lequel il ne gagne plus, mais dans lequel il ne perd pas encore, conservant la possession de toutes ses facultés physiques et morales. Ainsi , même puis- sance de ses sens externes , même activité dans l'esprit, même entraînement de cœur. L'homme, se possédant encore tout entier, réunit à l'activité, à la générosité de la jeu- nesse, toute la solidité de l'âge mûr. Eclairé par l'expé- rience du passé , qui est déjà pour lui une moitié de la vie ; susceptible de méditations plus soutenues ; doué d'une raison plus forte , d'autant plus que son cerveau, dans ses parties antérieures et supérieures a continué de croître jusqu'à ces derniers temps; c'est alors qu'il développe la plus grande puissance intellectuelle, et qu'il arrive en ce genre aux plus beaux résultats. Moins distrait par la passion de l'amour, qui commence à s'affaiblir, son cœur se livre à d'autres passions non moins utiles à l'état social , comme celles de la renommée , de la célébrité , le désir d'assurer à sa famille de la fortune et un nom honoré. Sous le point de vue physique et anatomique, nous remarquerons que déjà la respiration est moins complète en son résultat, parce que le système capillaire du poumon diminue, et que les cel- lules pulmonaires, si elles augmentent en capacité, dimi- nuent en nombre. La circulation se fait avec énergie , mais avec plus de lenteur. Le sang veineux commence à prédo- miner sur le sang artériel , et à la congestion pectorale suc- cède la congestion abdominale. De la graisse surcharge l'é- piploon , les parois abdominales; le ventre fait une saillie non observée jusqu'alors, et la sécrétion biliaire accuse une activité toute particulière. Cette période s'étend jusqu'à la cinquantième année chez l'homme, et la quarantième chez la femme.

456 VIE EXTRA.-UTÉKINE.

Enfin, dans la virilité décroissante , l'individu présente déjà quelques indices d'un déclin , précurseur de la vieil- lesse et de la mort. La peau commence à se flétrir à se rider; les cheveux grisonnent , blanchissent et tombent en partie. Les dents, usées plus ou moins dans leur couronne , s'alongent, se déchaussent et s'ébranlent. Les sens externes perdent un peu de leur délicatesse, parce que leurs organes se détériorent un peu : nous venons de dire que la peau se dessèche; les humeurs de l'œil perdent un peu de leur diaphanéité; dans tous ces organes,, la partie nerveuse, un peu durcie, est devenue moins affectible. Même changement dans la psychologie : le cerveau commence à s'atrophier, à se durcir, et déjà les facultés intellectuelles montrent moins de puissance, et les facultés affectives se refroidissent. Il n'y a plus le même besoin de se mouvoir; les puissances musculaires , un peu affaiblies , peuvent moins tenir droites les diverses parties du corps, et celui-ci commence à se cour- ber. Les expressions, quenousavons vu être constamment en raison des actions sensoriales, accusent également un pre- mier affaiblissement. Le système nerveux, qui se montre moins capable d'une veille active, manifeste aussi moins de puissance en ce qui concerne son action de réparation, et déjà la fonction du sommeil est moins prolongée. Quant aux fonctions organiques ; l'appétit est moindre, il faut une moindre quantité d'aliments , des aliments d'une digestion plus facile, et l'élaboration en est plus lente, paraît coûter plus aux organes digestifs. Le système capillaire du poumon ayant déjà éprouvé une diminution assez sensible, il se fait une quantité de sang moindre, et ce sang n'a pas la même perfection que dans les âges précédents. La circula- tion s'accomplit avec plus de lenteur. La pléthore veineuse devient plus manifeste; la congestion abdominale continue. Les sécrétions excrémentitielles enfin, tant par leur plus grande abondance, que par la nature plus animaiisée de leurs produits, annoncent que le mouvement de décompo- sition commence à surpasser celui de composition. Souvent même les excrétions naturelles ne suffisent plus, et la na- ture en établit d'insolites ^ de morbides; d'où l'origine de

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beaucoup de maladies dépuratrices , comme dartres, goutte, rhumatisme, maladies calculeuses, etc. Cependant, tous ces changements sont encore peu marqués, et relativement à ces diverses fonctions, l'individu peut encore se faire il- lusion. Mais il n'en est pas de même à l'égard de la généra- tion ; le décroissement ici est manifeste; l'homme, à cette époque de sa vie, qui s'étend de la cinquantième à la soixan- tième année, n'a plus la puissance génitale des âges précé- dents ; et chez la femme la perte est complète ; la cessation du flux menstruel , annonce que désormais il n'y a plus de fécondité possible pour elle. Aussi , tous les attributs de son sexe disparaissent alors: les ovaires s'atrophient, l'utérus diminue de volume, les seins se flétrissent; la réaction exercée par le système génital sur toute l'économie n'a plus lieu; la femme perd ces formes extérieures si agréables, qui nous séduisaient ; sa peau s'épaissit, brunit; souvent des poils y poussent çà et ; si elle conserve de l'embonpoint, les parties sont flasques et n'ont plus la fermeté qu'elles avaient jadis. Tout ce surcroît de vie que l'appareil génital avait paru répandre dans toute l'économie, ce caractère passionné qu'il avait imprimé aux sens externes, à la phy- sionomie , au cœur, à l'esprit, tout cela a disparu. Non- seulement les pertes que font alors les femmes sont plus grandes que celles de l'homme, puisque celui-ci n'est pas absolument dépouillé, mais elles arrivent plus tôt, vers la cinquantième année, et trop souvent ce triste passage est accompagné d'orages : souvent cette période de leur vie est marquée par de nombreux accidents , qui la rendent mor- telle pour beaucoup d'entre elles, et qui l'ont fait appeler V âge critique. Mais, en compensation, la vieillesse propre- ment dite, sera pour les femmes plus tardive , et marchera beaucoup moins vite.

458 VIE EXTRA-UTÉRINE.

CHAPITRE V. De la Vieillesse,

Enfin , la vieillesse est ce dernier âge de la vie , dans le- quel la détérioration graduelle des organes, et par consé- quent l'imperfection et même la destruction successive des fonctions, conduisent plus ou moins promptement l'homme vers le terme de son existence. Halle la subdivise encore en trois époques : la vieillesse commençante , la vieillesse confirmée, et la décrépitude.

La vieillesse commençante s'étend , chez l'homme , de la soixantième à la soixante-dixième année, et chez la femme, de 3a cinquantième à la soixante-dixième. Dans la dernière époque de l'âge précédent, il y avait doute encore que Fin- dividu commençât à décliner; mais, dans celle-ci, le déclin est évident, et chacune des détériorations que nous avons signalées se prononce. D'abord, les fonctions génitales ces- sent tout-à-fait d'être possibles ; et s'il est des individus chez lesquels elles se prolongent plus loin, ce sont des ex- ceptions fort rares. Tous les sens s'affaiblissent, ainsi que les facultés intellectuelles et affectives; désormais l'esprit se refuse aux grands travaux , et le cœur se ferme aux passions; la crainte , l'égoïsme commencent à dominer l'ame du vieil- lard. Les puissances musculaires affaiblies n'accomplissent plus avec autant d'aisance la station et la progression; elles laissent le corps se courber, et exigent le secours d'un appui mécanique. Les muscles du larynx accusent la même fai- blesse, et la voix se casse, devient tremblante. La digestion exige un choix d'aliments d'une nature plus digestible , parce que l'estomac est affaibli , que les sécrétions salivaires commencent à tarir , et que la chute des dents empêche la mastication d'être aussi complète. Ces organes tombent , parce que de nouvelles couches éburnées, continuant d'être déposées à la surface de la papille intérieure, celle-ci finit par être étouffée , les vaisseaux qui la nourrissent et la font vivre étant oblitérés. La respiration accomplit de moins

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en moins parfaitement la sanguification , parce que de plus en plus le système capillaire du poumon diminue. La cir- culation languit, parce que le cœur a perdu de ses forces, et que des ossifications accidentelles envahissent ses valvules et beaucoup de vaisseaux. Mais passons rapidement sur cette vieillesse commençante , parce que ce sont les mêmes traits, mais plus prononcés, que ceux que nous avons dé- crits pour la virilité décroissante , et que d'ailleurs nous allons les présenter plus marqués encore dans la période suivante. Dans tous les organes, la proportion des solides sur les fluides augmente; toutes les parties se dessèchent. La dilatation des cellules pulmonaires amène l'asthme ; celui-ci entraîne souvent la dilatation , l'hypertrophie des cavités droites du cœur; et cette double détérioration, en entravant la circulation veineuse, a peut-être part à la fré- quence des apoplexies qui surviennent à cet âge. C'est alors, en effet , que ces diverses maladies sévissent; et elles rendent cette époque de la vie plus orageuse pour l'homme que pour la femme.

Dans la vieillesse confirmée , il n'y a plus d'hésitation sur le mouvement de décroissement ; toutes les forces s'amoin- drissent , les organes cessent d'être réparés, toutes les fonc- tions languissent , et chaque jour est marqué par la perte de quelques facultés. L'homme se courbe, se rapetisse, s'é- macie ; sa peau se ride, se sèche, devient aride; son visage se décolore, devient brunâtre, terreux ; ses joues sont creu- ses, sa bouche enfoncée, son front chauve; le nez et le menton, à cause de la chute des dents, paraissent se tou- cher; les yeux sont enfoncés, chassieux; la barbe est rare et blanche; il en est de même des cheveux. La face paraît de nouveau petite, relativement au crâne. Toutes traces du tempérament précédent ont disparu. Tout organe, sans ex- ception, va offrir une détérioration graduellement crois- sante. L'œil est aplati, et n'est plus aussi réfringent, parce que ses humeurs sont moins denses, et que le cristallin a moins de convexité; ce cristallin, d'ailleurs, prend de l'opa- cité; l'iris et la choroïde pâlissent, et l'enduit de cette der- nière membrane se détruit; le nerf optique s'atrophie, se

46o VIE EXTRA-UTÉIIINE.

dessèche. Il en est de niême des nerfs de l'ouïe et de Fodo- rat. En outre, dans l'oreille, les cavités labyriuthiques , le plus souvent, sont privées de la lymphe de Cotunni; et dans le nez, la pituitaire est moins fongueuse et plus pâle. La peau est sèche, écailleuse; et la roideur et le défaut d'humectation des articulations des doigts et de la main , rendent le toucher moins facile. Le cerveau, non-seulement se dessèche, diminue de volume, devient de plus en plus ferme, mais son système veineux particulier est gorgé de sang. Le crâne, dans lequel il est contenu , paraît désormais formé d'un seul os; les sutures ont disparu : les méninges, la dure-mère surtout, présentent souvent çà et quelques points ossifiés ou devenus cartilagineux. Tous les nerfs sont atrophiés, durcis. Les muscles sont pâles, mous, flasques; et souvent leurs tendons d'origine et de terminaison sont ossifiés; les coulisses dans lesquelles jouent ces tendons , sont privées de synovie. Les os ont acquis une extrême densité; et cependant ils sont plus cassants , parce que l'élément ter- reux l'emporte en eux sur leur parenchyme organisé : leurs cavités intérieures sont devenues très grandes, d'où il ré- sulte qu'à l'instar des autres organes, ils ont diminué sen- siblement de poids; la moelle qui remplit ces cavités est beaucoup plus liquide, et comme huileuse; les liens arti- culaires ont perdu leur souplesse et leur élasticité primi- tives. Les cartilages de prolongement s'ossifient, ceux des côtes, par exemple; et, de même qu'au crâne les sutures avaient été envahies par l'ossification , de même le sont aussi les fibro-cartilages intermédiaires aux corps des vertèbres et les symphyses du bassin. Par la même raison, beaucoup d'articulations primitivement mobiles, cessent de l'être , les costo-vertébrales et costo-transversaires, par exemple, celles des os du carpe, du tarse, le larynx tout entier, le cerceau de l'hyoïde, etc. Cette ossification envahit jusqu'à des par- ties qui sembleraient devoir en être affranchies , des artères , par exemple , les cartilages de la trachée-artère et des bron- ches, les plèvres, etc. Du côté des organes des fonctions nutritives, les détériorations ne sont pas moins considéra- bles. Les dents tombent, et la mastication ne peut plus être

DE LA VIEILLESSE. 4^1

effectuée que parles gencives qui se sont durcies; les glandes salivaires diminuent de volume et agissent moins ; l'estomac et les intestins sont amples, mais flasques et affaiblis; tout le système veineux abdominal est distendu, gorgé de sang, et souvent l'anus offre des varices ou des tumeurs hémor- roïdales. Tous les ganglions mésentériques sont atrophiés , ainsi que tous les autres ganglions lymphatiques; et l'ap- pareil des absorptions , conséquemment , n est pas moins vicié que celui de la digestion. Les poumons , ayant vu leur système capillaire sanguin diminuer, à mesure que leurs cellules s'élargissaient davantage , sont devenus grisâtres, et contrastent, par leur légèreté et leur peu de densité, avec la pesanteur et la consistance qu'ils avaient dans les pre- miers âges. Le cœur est pâle, mou, rapetissé, surtout dans ses ventricules; les artères sont souvent cartilagineuses, ossifiées, au moins roides , cassantes, et d'un plus petit ca- libre : les veines sont, au contraire, variqueuses, disten- dues. Le sang est plus séreux, moins riche en globules et remarquable par son défaut de plasticité. Tous les organes sont moins celluleux et vasculaires que dans les premiers âges , et par conséquent dégradés. Souvent même, ceux de la génération ont été résorbés, et ont disparu; c'est du moins ce qui est souvent des seins chez la femme, et quelquefois de l'utérus et des ovaires.

Ce tableau des détériorations graduelles de tous les or- ganes chez le vieillard , explique l'imperfection avec laquelle s'accomplissent désormais toutes les fonctions. À raison de l'aplatissement de l'œil , la vue devient presbyte ou longue ; et souvent une cécité complète est la suite de l'opacité du cristallin ou cataracte, ou de la paralysie du nerf optique ou amaurose. L'ouïe, graduellement perd de sa finesse, et souvent le vieillard finit par être sourd. Les sens du goût et de l'odorat seuls persistent un peu, à cause de leur utilité pour les fonctions nutritives. Les facultés de l'esprit et du cœur disparaissent de même graduellement; et, en effet, leur organe, le cerveau, a éprouvé la même atrophie, le même dessèchement. L'esprit n'est plus apte à aucuns tra- vaux nouveaux; les impressions lui arrivent sans y laisser

40>2 VIE EXTRA-UTÉRINE,

de traces , et la puissance de la mémoire s'étend à peine , pour les objets nouveaux, du matin au soir : au contraire, le vieillard conserve souvent le souvenir fidèle et précis de ce qu'il a appris dans les temps passés. Les qualités du cœur participent du même affaiblissement; plus de chaleur, d'en- traînement; l'apathie, l'indifférence, ont remplacé les dou- ces affections ; la pusillanimité , l'avarice , la défiance , l'égoïsme, se disputent désormais l'ame du vieillard. Les mouvements sont lents et glacés; car, d'un côté, peu d'in- fluence nerveuse les excite, et de l'autre, affaiblissement dans les muscles qui les produisent. La voix est cassée , et d'ailleurs le vieillard est taciturne et peu disposé à parler : sentant peu et faiblement , il a peu à exprimer; la brièveté de sa respiration fait même de la voix une fatigue pour lui , et la perte de ses dents rend l'articulation des sons difficile. Sa physionomie est tout à la fois sérieuse et monotone. Son système nerveux enfin, non-seulement ne peut plus accom- plir le service de la veille, mais il ne peut plus effectuer l'œuvre réparatrice du sommeil; le vieillard est souvent as- soupi, mais au fond il dort peu et mal. Si des fonctions de relation nous passons à celles de nutrition , nous y reconnaî- trons le même affaiblissement. L'appétit n'a plus le caractère impérieux des premiers âges , et souvent manque tout-à-fait; l'aliment n'est plus mâché qu'incomplètement; une quan- tité insuffisante de salive l'imprègne; et, arrivant ainsi mal préparé à un estomac qui d'autre part est affaibli , la diges- tion en est toujours lente et imparfaite. Cependant, comme les plaisirs attachés à cette fonction sont à peu près les seuls qui restent au vieillard, il y attache une grande importance; souvent il se laisse aller à son égard à des abus : l'excrétion qui la termine est toujours chez lui difficile. La sanguifi- cation est de moins en moins parfaite, tant à cause de la détérioration que subit le poumon dans son système capil- laire sanguin, qu'à cause de la difficulté qu'entraîne, dans les mouvements de la respiration, l'ossification des articu- lations costales. La circulation n'est pas moins affaiblie, car le pouls ne bat plus que quarante à cinquante fois par mi- nute, et offre souvent des intermittences. Les nutritions,

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n'agissant que sur un sang moins abondant et d'une nature moins parfaite, ne paraissent plus se faire que dans la me- sure propre à ménager la chute : aussi tous les organes arri- vent-ils à cette atrophie, qu'on appelle sénile. La transpi- ration cutanée et les excrétions qui se font par la peau , sont moindres que dans les âges précédents; mais le produit de la sécrétion urinaire est plus azoté que jamais ; et beaucoup de sécrétions muqueuses, catarrhales, s'établissent çà et dans l'économie du vieillard , pour remplacer la transpira- tion cutanée. Les calorifîcations sont aussi languissantes que les nutritions; et le veillard, toujours glacé, a besoin sans cesse de recourir à des moyens artificiels pour se défendre du froid extérieur. Quant à la génération , dès l'époque pré- cédente, l'exercice de cette fonction est devenu impossible.

Enfin, à cette seconde époque de la vieillesse, que M. Halle fait durer jusqu'à quatre-vingt-cinq ans , et qui , pour beau- coup de vieillards, n'est pas aussi prononcée que nous ve- nons de le dire, succède la décrépitude , ou l'âge des cente- naires, dans lequel tous les traits que nous venons de décrire se renforcent, et dans lequel le mouvement vital va en s'af- faiblissant de plus en plus jusqu'à ce qu'il s'arrête tout-à- fait. Les sens externes finissent par se perdre , si ce n'est le goût, qui agit encore un peu lors de la préhension des ali- ments. Les facultés intellectuelles, complètement anéan- ties , laissent l'être dans un état d'imbécillité complète. Sou- vent les mouvements ne sont plus possibles , et une paralysie générale attache le vieillard à son fauteuil ou à son lit. Toutes les fonctions de relation ont cessé ; et c'est ainsi que , par un bienfait de la Providence, s'anéantit d'abord en nous cette puissance de sensibilité qui fait l'unique charme de notre vie. Le vieillard est réduit à une existence végétative qui devient de plus en plus languissante; il faut qu'on le sollicite à prendre la petite quantité d'aliments qu'il peut digérer; désormais ni l'instinct de la faim, ni sa raison ne lui en donneraient l'avertissement. Sesexcrétionss'accomplissent de même, sans qu'il le sente et qu'il le veuille; et il arrive ainsi, sansle sentir, au moment il va enfin cesser d'exister.

464 "VIE EXTRA-UTÉRINE.

Telle est la succession des âges de l'homme. Le tableau que nous venons d'en tracer prouve que notre vie, considé- rée de son commencement à sa fin , n'a pas un cours uni- forme , mais se compose d'une série d'époques de durée inégale, et dans chacune desquelles les mouvements orga- niques ont une diverse direction. Non-seulement le mouve- ment général n'est pas égal ; mais encore sont plus ou moins rapides chacun des mouvements particuliers qu'on peut y distinguer. Ainsi, pendant le temps de l'accroissement, toujours un surcroît d'activité se manifeste quand on passe d'une phase à une autre, quand il se fait une révolution organique, et que le développement d'un nouvel appareil va, par des rapports fonctionnels ou sympathiques , exciter l'activité des autres; par exemple, aux première et seconde dentition, à la puberté , etc. Ainsi , bien que toutes les par- ties continuent de croître pendant toutes les premières épo- ques de la vie , l'activité de l'accroissement diffère en cha- cune d'elles; puisque les parties supérieures, d'abord bien plus volumineuses que les inférieures, finissent par être équilibrées par elles ; puisque tour-à-tour divers systèmes et appareils d'organes deviennent prédominants. De même que dans le fœtus, l'accroissement s'était tour-à-tour montré plus lent ou plus accéléré; que des variations continuelles, touchant le volume et l'activité des organes, étaient surve- nues; que même il s'était fait de véritables métamorphoses , comme quand le placenta avait été substitué à la vésicule ombilicale : de même, de semblables variations se montrent dans le cours de la vie extérieure. Peut-on méconnaître que les diverses fonctions ne commencent pas en même temps, ne croissent pas, ni ne décroissent pas également? N'est-il pas certain que tour-à-tour plusieurs deviennent prédomi- nantes, et par conséquent que les influences qu'elles exer- cent respectivement les unes sur les autres, doivent varier sans cesse? Si, dans le fœtus, certains systèmes, le nerveux, le cellulaire, avaient prédominé les autres; de même , dans les âges proprement dits, l'équilibre se montre successivement rompu en faveur des systèmes osseux, mus- culaire, de l'appareil génital, etc.; des congestions sanguines

DE LA VIEILLESSE. 4 6 5

à la tête, à la peau, au système lymphatique , à la poi- trine, à F abdomen , au foie, aux veines hémorrhoïdaires , aux veines eéphaliques , etc., surviennent tour-à-tour. La vie ne doit donc pas être comparée à un fleuve, dont le cours est égal, mais à une série de nœuds d'inégale grosseur. Le passage de l'un de ces nœuds au suivant est souvent difficile; et les Anciens appelaient années climatêriques celles qui correspondent au moment auquel ce passage s'accomplit. Cette doctrine des années climatêriques est fondée : il est évident que lors de certaines révolutions des âges, on est plus exposé à des maladies, et à être arrêté dans le cours de sa carrière : cela est vrai , non-seulement de l'homme , mais encore de toutes les espèces vivantes., végétales et auimales. Le seul tort qu'aient eu les anciens, avait été de fixer ces années d'aprèsla puissance mystérieuse qu'ils attribuaient aux nom- bres 3, 7 et 9; selon eux, les années 7, 21, 49? 63 et 81, qui correspondent à ces nombres ou en sont les multiples, étaient celles l'homme courait le plus de dangers. Il est évident qu'une telle base est chimérique, et qu'il faut lui substituer celle des révolutions organiques elles-mêmes. Quant au temps qui s'écoule pendant que ces périodes de la vie s'accomplissent, il est généralement de quatre-viogts à cent années; mais cela est sujet à beaucoup de variétés qui dépendent de la constitution qu'on a reçue originellement de ses parents, et de la manière dont on a dirigé sa vie : tel naît débile et incapable de fournir une longue carrière, et tel naît dans des conditions inverses; celui-ci, soumis sans cesse à des influences extérieures délétères , et abusant con- tinuellement de lui-même, hâte sa mort; celui-là, fidèle aux règles de l'hygiène , usant de la vie avec économie , en prolonge aussi loin que possible la durée. En général, la complication de l'organisation est ici un désavantage; plus elle est grande, plus il y a de chances de maladie , et par con- séquent d'une mort accidentelle. Aussi la mort séniîe est-elle plus rare dans le règne animal que dans le règne végétal , et plus rare dans l'homme que dans tous les autres animaux. Mais arrivons à 1 étude de la mort.

Tome IV

DO

4Gtî DE LA MOUT.

CHAPITRE VI.

De la mort.

Ou appelle ainsi la fin de tout être organisé, la cessation absolue et définitive du mouvement organique qui consti- tuait sa vie; cessation qui, laissant les forces physiques et chimiques , dont cet être était auparavant jusqu'à un cer- tain point indépendant , reprendre tout leur empire sur la matière qui compose son corps, est suivie conséquemnient de la dissolution de celui-ci.

Tous les êtres vivanls , par cela seul qu'ils ont eu la vie, doivent mourir : nous l'avons dit dans le temps. Mais il y a beaucoup de variétés dans l'époque de leur existence à laquelle survient leur mort, et dans la manière dont celle-ci arrive. On distingue, sous ce double rapport, deux espèces de morts; la mort sénile ou naturelle , qui survient à l'époque assignée par la nature elle-même pour terme à l'existence, et par suite des détériorations que la durée de celle-ci a amenées dans le corps; et la mort accidentelle, qui tranche plus ou moins prématurément le cours de la vie.

i<> La mort sénile est celle à laquelle conduit inévitable- ment le cours de l'existence, et qui, survenant lorsque le mécanisme vital a parcouru toutes ses périodes, reconnaît pour cause la détérioration que l'exercice de la vie amène en ce mécanisme : cette détérioration augmentant de jour en jour, arrive à un point le jeu des organes est tout- à-fait impossible. Ce genre de mort est sans contredit , pour les êtres vivants, la chance la plus heureuse , car il les laisse jouir de la vie le plus long-temps possible , et il ne les frappe , comme on va le voir , qu'au moment la perte de l'existence est pour eux à peine sensible. Mais l'époque à laquelle il arrive, varie dans chaque espèce vivante , et tient à l'organisation de chacune. La durée naturelle de la vie n'est pas en effet la même dans les diverses espèces végétales et animales : bornée, pour les uns, à quelques heures, à quel- ques jours, cette durée comprend, pour d'autres, des années

DE LA MORT, fâj

et même des siècles. La cause de cette différence nous est encore inconnue; la physiologie n'est pas encore assez avancée pour dire pourquoi telle espèce est destinée à une vie longue , et telle autre à une vie courte. Mais ce fait est la preuve la plus forte que la cause de la mort des êtres vivants est en eux-mêmes, et tient à leur organisme. Pour- quoi, en effet, tant de différence dans les époques de la mort, malgré des influences extérieures semblables? A côté du chêne séculaire vit la plante annuelle; et le même pays réunit l'animal qui vit un siècle, et celui qui meurt au bout de quelques jours. Souvent même ces différences se montrent dans des êtres en apparence assez semblables : c'est ainsi que la plante vivace ressemble à celle qui ne vit qu'un an; et que le corbeau centenaire diffère peu de tel autre oiseau dont la vie est bornée à quelques années.

Dans l'espèce humaine, la mort .sénile arrive généraler- ment avant la centième année, souvent plus tôt, rarement plus tard. L'époque n'est pas précise , et varie pour chacun selon la constitution originelle, les influences extérieures au milieu desquelles on a vécu, le mode selon lequel on a usé de la vie. A la vérité, ces diverses circonstances ont une grande part à la production de la mort acciden- telle, et, sous ce rapport, concourent beaucoup à abréger ou prolonger la vie ; mais nous ne les envisageons ici que dans l'influence qu'elles exercent sur la mort sénile, et c'est cette influence qui fait varier les époques auxquelles celle- ci arrive. Nous sommes encore ici forcés de nous en tenir à cette expression générale, la physiologie ne pouvant pas plus décider ce qui, dans l'organisation des incjivijdus d'une même espèce, donne droit à une vie plus longue ou plus courte, qu'elle ne l'a pu relativement aux diverses espèces. Mais nous allons revenir sur cette question , lorsqu'après avoir fait la description de la mort sénile chez l'homme, nous en rechercherons la cause.

La description de la mort sénile chez l'homme a été faite, lorsqu'on a tracé les progrès successifs de la vieillesse. Les rayages de celle-ci s'étendent chaque jour de plus en plus l'homme, au moment s'exhale son dernier soupir nré-

3o.

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4^8 DE LA MORT.

sente au plus haut degré les traits anatomiques et physiologi- ques que nous avons vu caractériser le dernier âge de la vie , la décrépitude. D'un côté, son corps est, autant que possible, amaigri, émacié; si la locomotion est possible encore, le tronc est considérablement courbé; la peau est tout-à-faii aride , sèche , et déjà froide et glacée; les yeux sont éteints, aplatis, enfoncés; les joues creuses, la tête tout-à-fait chauve; les mâchoires sont dégarnies de dents; le nez et le menton semblent se toucher. Dans l'intérieur, presque tous les organes sont détériorés ; le système capillaire du poumon est considérablement diminué , le système absorbant est presque en entier atrophié ; le cœur est mou , pâle , rape- tissé dans ses ventricules; l'ossification a envahi plusieurs de ses valvules intérieures, ainsi que beaucoup d'artères. Un grand nombre d'articulations , surtout celles des côtes avec les vertèbres et le sternum, se sont aussi ossifiées. Le sang a diminué de quantité, est moins riche en globules, et a perdu une grande partie de sa force plastique. Enfin, tous les organes nerveux sont diminués de volume, sont endur- cis, atrophiés. D'un autre côté, plusieurs fonctions ont déjà disparu; et celles qui restent décèlent une langueur, une imperfection qui est en raison de détériorations orga- niques si considérables. Dès long- temps devenu inapte à la génération, frappé graduellement de cécité, de surdité, l'homme voit les facultés de son esprit se perdre comme celles de ses sens ; il est mort déjà dans la plus belle partie de son être , bien qu'il soit destiné à respirer long-temps encore. Chaque jour , le cercle de sa vie se rétrécit par la perte d'une faculté : les digestions , de plus en plus impar- faites , ne fournissent plus qu'un mauvais chyle et en petite quantité ; les respirations, de plus en plus rares, et de moins en moins amples , n'exécutent plus l'hématose que d'une manière incomplète; la circulation ne projette plus qu'avec difficulté, et comme en hésitant, un sang qui pèche en quantité et en qualité; îe pouls est de plus en plus rare, et présente souvent des intermittences; les nutritions se font à peine , tant par un vice des parenchymes eux-mêmes , que parce qu'elles n'ont à employer qu'un sang appauvri. Il en

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est de même des ealoritieations, d'où résulte l'état glacé des parties : le froid de celles-ci est d'autant plus grand, qu'elles sont plus éloignées des centres ; ceux-ci seuls agissent encore., et souvent comme en hésitant. Enfin, tout à coup l'un de ces centres s'arrête; ou le cœur, ou le poumon , ou le cer- veau , probablement ce dernier : le fil de la vie est désormais coupé, l'homme expire comme une lampe qui s'éteint; il ne reste de ce qu'il y a de matériel en lui qu'un cadavre , qui devra lui-même disparaître.

Quelquefois cependant la mort sénile se présente avec d'autres traits; l'individu conserve davantage ses facultés sensoriales; il peut encore voir, sentir, penser, marcher; et c'est pendant un sommeil qu'il passe de la vie à la mort. Dans d'autres cas, celle-ci est précédée, durant quelques heures, quelques jours, d'une petite fièvre erratique, qui est comme l'appareil morbifique, l'agonie de ce genre de mort.

Toutefois , ce qui toujours caractérise îa mort sénile , c'est qu'elle se fait graduellement, et qu'elle procède de la cir- conférence aux centres. D'une part, le vieillard, perdant chaque jour quelques-unes de ses facultés , meurt comme par degrés ; et comme ce sou t les facultés par lesquelles il se sentait vivre, et qui conséquemment lui faisaient aimer la vie, qui finissent les premières, il s'ensuit qu'il est conduit au tom- beau sans s'en apercevoir , et que le sentiment de sa fin lui est caché. Remarquons en passant que notre déclin se fait dans un ordre inverse de notre développement : ce sont les facultés que nous n'avons acquises qu'eu dernier lieu, les facultés sensoriales , qui nous sont ravies les premières, comme si elles avaient plus coûté à la nature , et que celle-ci ne pût pas les faire produire aussi long-temps. D'autre part, à îa différence de ce que nous verrons être dans la mort acci- dentelle, ce sont les organes des fonctions centrales qui s'ar- rêtent les derniers : tout est déjà mort aux extrémités, que les organes centraux agissent encore. Mais à la fin, arrive un instant le cerveau s'arrête; alors la respiration cesse, puis l'action du cœur, et l'homme a tout-à-fait cessé d'exister. C'est dans cet ordre que les trois organes qui président sans

4;° LA MOUT.

interruption à la vie de l'homme , cessent leur service : une expiration est le dernier acte apparent de la vie ; et peut-être encore que cette expiration est l'effet physique retour élastique des parois thoraciques sur elles-mêmes.

Tel est le lahleau de la mort sénile. Maintenant, quelle est sa cause ? Nul doute que cette cause ne consiste dans les détériorations qu'a éprouvées l'organisation ; mais il est dif- ficile de préciser ces détériorations, et surtout d'expliquer comment elles sont survenues. Beaucoup physiologistes ont présenté comme telles : l'ossification des artères, d'où résulte Un obstacle à la libre circulation du sang dans les parties; l'ossification des cartilages costaux, la diminu- tion du système capillaire du poumon , d'où résulte un em- pêchement à la sanguification ; la flétrissure, l'indura- tion graduelle du système nerveux, qui doivent finir par rendre ce système impropre à l'accomplissement de l'inner- vation, etc. Il est certain que ces détériorations doivent avoir une influence , surtout celles qui portent sur les orga- nes qui président aux deux conditions suprêmes de vie> la formation et la distribution du sang artériel , et l'inner- va tion. La vie, consistant dans l'action réciproque du sang artériel et de l'influence nerveuse, ainsi qu'il a été prouvé plus haut, on conçoit que la mort, en général, doit tenir à la cessation de l'une ou de l'autre de ces actions, et que la mort sénile, particulièrement, doit dépendre de Ce qUe ces deux actions, affaiblies graduellementpar le cours des ans, à la fin cessen l toul-à-fait. Ainsi, d'une part, les al rations succès* sives qu'éprouve le poumon , et par suite desquelles cet or- gane n'exécute plusqu'imparfaitement l'hématose; et d'autre part, la flétrissure, l'induration graduelle dusystème nerveux, qui devient de moins en moins propre à l'action nerveuse^ peu- ventêtre considérées comme deux causesde mort qui sévissent chaque jour avec plus de force, et qui s'activent réciproque- ment. Mais cependant ce ne sont , s'il nous est permis de parler ainsi , que les apparences de la chose. Pourquoi le système capillaire du poumon diminue- 1- il ? Pourquoi le système nerveux se durcit-il ? Comment la Continuité de la vie amène-t-elle nécessairement ce double résultat? C'est

DE LA MOftT.. &J*

le véritable problème à résoudre, et la solution est impossi- ble dans l'état aetuel de la science. La mort est un fait pre- mier, qui sera inconnu tant qu'on n'aura pas découvert l'essence de la vie : n'étant que la cessation de la vie, pour- rait-elle n'être pas ignorée, tant que l'origine et la nature de celle-ci le seront elles-mêmes? Dans son étude, comme dans celle des autres phénomènes de la nature, nous n'a- vons encore saisi que les surfaces; le fond nous est égale- ment inconnu. Remarquons, en effet, que ces diverses dé- tériorations qu'amène dans les organes le cours des ans, se sont établies sous l'influence du mouvement vital; et dès lors, il reste toujours à rechercher comment, dans le premier âge de la vie, ce mouvement vital fait acquérir aux organes tout leur développement, et leur donne toute l'énergie pos- sible; et comment , dans le dernier, il les altère et les amène graduellement à l'état ils ne pourront plus agir. Quelle est, dans l'organisation de l'homme, la partie qui est là, condition matérielle de l'accomplissement de ce mouve- ment? Cette condition réside-t-elle dans l'ensemble de tou- tes les parties, ou plus spécialement dans une seule, qui alors donnerait l'impulsion à toutes les autres? Ce sont autant de points, bien obscurs encore , et sur lesquels on ne peut présenter que des conjectures. Une des plus vraisem- blables est celle qui fait résider l'essence de la vie dans le système nerveux, et qui conséquemment rattache à des changements survenus dans ce système toutes les phases de la vie , sa durée, sa fin. Dès lors, la manière d'être de ce système dans chaque espèce, dans chaque individu, déci- derait de l'époque à laquelle devrait arriver naturellement la mort sénile ; et comme tout est mystère encore , soit dans la structure de ce système , soit dans son mode d'action , on n'aurait pas lieu d'être étonné de l'ignorance dans laquelle nous sommes encore , et sur le commencement de la vie , et sur les phénomèues qui proprement la caractérisent et l'en- tretiennent, et sur sa fin ou la mort. Mais, outre que l'ad- mission de cette théorie repose sur une conjecture qui , toute vraisemblable qu'elle soit, ne peut être présentée que comme telle, cette théorie n'apprend rien par elle-même, puisque

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tout en elle est encore à découvrir. Dès lors nous nous bornerons à poser les deux propositions suivantes : qu'il est de l'essence de tout organisme vital de ne durer qu'un certain temps , et de s'arrêter après une certaine durée , qui est réglée par sa propre nature ; 20 que c'est dans la connaissance de la vie elle-même qu'est renfermée celle de la mort ; et que , puisque l'essence de l'une est encore igno- rée , celle de l'autre ne peut être connue.

Aux yeux du philosophe spéculateur, il semblerait que la mort sénile , comme plus conforme à l'ordre de la nature, devrait être la plus commune; et cependant, dans toutes les espèces vivantes, ce n'est que le plus petit nombre des individus qui y succombe. Le plus grand nombre, ou pé- rissent lorsqu'ils ne sont encore que germes , ou sont mois- sonnés prématurément par une mort accidentelle , dans le cours de leur carrière. Cela est surtout vrai des espèces vi- vantes supérieures , et par conséquent de l'espèce humaine ; plus l'organisation est compliquée, plus les nécessités de la vie sont nombreuses , plus les chances de maladie sont gran- des , et plus il y a risque de mort accidentelle. Aussi , rien de plus rare que la mort sénile dans l'homme ; les vieillards eux-mêmes sont le plus souvent emportés par une maladie. Ce que nous allons dire ci -après de la mort accidentelle , donnera la raison de ce fait. Nous ferons seulement, à son égard, cette réflexion philosophique , c'est qu'il est trop gé- néral pour être fortuit ; il entrait certainement dans les vues de la nature et dans l'harmonie générale de ce monde , que la plus grande partie des êtres organisés pérît avant le terme naturel de leur existence ; et c'est pour cela que les chances de mort sont pour eux aussi multipliées que sont fécondes les sources de leur reproduction.

20 La mort accidentelle est celle qui , faisant périr les êtres organisés dans le cours de leur carrière , mais avant son terme naturel , reconnaît pour cause une détérioration sur- venue accidentellement dans les organes, et qui arrête Je mouvement de vie avant l'époque à laquelle celui-ci se se- rait arrêté de lui-même. Ce genre de mort, non-seulement a l'inconvénient de rendre la vie plus courte, mais encore

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il rend la perte de l'existence plus amère , en venant saisir sa victime au milieu de toutes les jouissances et des espé- rances de la vie, et en la frappant tout à coup de manière à ce qu'elle assiste tout entière à ses progrès. Cependant nous venons de dire qu'il est le plus commun , surtout dans les espèces vivantes compliquées, et par conséquent dans l'homme. Que de causes diverses en effet peuvent produire chez nous la mort accidentelle ! Des accidents , coups, chutes, écrasements , blessures , qui produisent mécanique- ment ou chimiquement la désorganisation des appareils qui entretiennent la vie. La privation des matières que nous devons irrésistiblement puiser dans l'univers pour notre conservation , comme celle de l'air de la respiration , celle des aliments, etc. L'application au corps humain, par quelque voie que ce soit, des substances dites poisons, et qui tuent : ou parce qu'elles corrodent ou enflamment lo- calement les organes ; ou parce que , absorbées et portées dans le sang, elles vont altérer ce fluide , ou enrayer l'action nerveuse , et anéantir ces conditions fondamentales de la vie. L'application au corps humain d'un froid intense et prolongé qui, soutirant tout le calorique que peut produire le mouvement vital, par suite étouffe celui-ci. Enfin, le développement spontané, d'actions morbides diverses; actions qui , plus ou moins promplement, détrui- sent la texture des organes ou arrêtent leurs fonctions. Ainsi, des irritations, des inflammations surviennent fréquemment, pendant le cours de la vie, dans les organes du corps ; d'où résultent : altération de la texture de ces organes, au moins suspension ou perversion momentanée dans leurs fonctions, trouble général plus ou moins grand dans toute l'éco- nomie, en raison de leurs rapports fonctionnels et sympa- thiques, et enfin mort. On conçoit que la gravité de ces actions morbides, et par conséquent l'imminence de la mort accidentelle, seront d'autant plus grandes que ces affections siégeront en un organe plus nécessaire à la vie , et qui exer- cera sur toute l'économie une influence plus étendue. Les causes qui les font naître ou consistent dans des influences extérieures, comme les impressions du chaud ou du froid ;

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ou tiennent à l'emploi même des organes , comme quanti l'exercice abusif d'une partie y fait développer une inflam- mation funeste, ou qu'un régime vicieux a altéré l'état général des humeurs ; ou bien enfin résident dans des perturbations organiques , amenées par la révolution des âges, par l'accomplissement de quelques fonctions qui sont naturellement orageuses, comme la grossesse et l'accouche- ment chez la femme, les violentes passions dans les deux, sexes, etc. Du reste, nous n'avons pas à développer ici l'é- tiologie des maladies; il suffit que ces maladies surviennent fréquemment, pour que nous les mettions au rang des causes de mort accidentelle. Seulement nous remarquerons que la constitution originelle influe sur leur production , autant que les influences extérieures e*t le mode d'emploi de la vie : tel est avec une organisation moins maladive que tel autre, et vice versa; et ceci est vrai , non-seulement de tel système du corps en général , mais encore de tel organe en particulier. Nous ajouterons qu'il n'est pas plus facile de préciser ce qui donne à une organisation une grande force de résistance et assure la stabilité de la santé , qu'il n'a été facile de démêler ce qui donne droit à une longue vie. Il est vraisemblable que cela réside encore dans une manière d'être du système nerveux; car, si l'on excepte les maladies qui consistent daus une affection primitive des fluides , c'est toujours par une modification du jeu de ce système que commencent celles des maladies des solides qui sont dues à des causes organiques.

Toutefois, il suffit de réfléchir combien sont nombreuses, et combien agissent fréquemment sur l'homme ces causes de mort accidentelle, pour s'expliquer pourquoi cet être en est si souvent la victime^ La variété et la multiplicité de ces causes expliquent aussi pourquoi cette mort arrive à des époques si diverses de notre carrière > et se montre sous des traits si variés. Tantôt elle frappe l'homme subitement, en quelques secondes , quelques minutes ; tantôt , elle sur- vient après quelques jours, quelques semaines de maladies; quelquefois enfin elle est, comme on le dit, chronique, et s'annonce de loin%

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Quand la mort est subite, sa cause réside nécessairement dans les organes centraux qui président aux deux conditions fondamentales de la vie, dans le cœur, le poumon, ou le cerveau. Si une détérioration survient tout à coup dans ces organes, ils cessent de dispenser le sang artériel etl'in-^ nervation nécessaires à toute vie; et toutes les autres parties privées tout à coup, au milieu de l'exercice de leurs fonc- tions, de ces deux influences, s'arrêtent immédiatement. Telles sont les morts par asphyxie, par la rupture d'un anévrisme du tcEur, par une apoplexie foudroyante, etc. Jadis ces morts étaient toutes confondues sous le nom uni-* que de morts subites ; mais la physiologie est parvenue à les distinguer entre elles, selon qu'elles arrivent par une altération, ou du cœur, ou du poumon, ou du cerveau. ioLa mort subi te pardéfaut d'action du poumon, ou par arrêt de la respiration, s'appelle asphyxie : l'individu éprouve d'abord un sentiment pénible d'angoisse, à l'impossibi- biîité de respirer ; il cherche, par des efforts inspirateurs , soupirs, bâillements, à appeler dans le poumon l'air dont il a besoin ; bientôt la face, les lèvres deviennent bleues, violettes ; la tête devient lourde , fait éprouver des vertiges , et tout à coup, toutes les fonctions sensoriales se suspendant, l'individu tombe sans sentiment et sans mouvement ; enfin, le cœur, qui a continué de battre , ne tarde pas à s'arrê- ter; et dès lors la mort est accomplie. Tout cela se fait plus ou moins promptement, selon que la respiration a été plus ou moins complètement suspendue. Les téguments du ca- davre, la face surtout, sont livides; toutes les parties re- gorgent de sang , et ce sang , qui est noir, fluide , non coa- gulé, est surtout rassemblé dans le système vasculaire à sang noir ; le système vasculaire à sang rouge est au contraire vide, ou n'en contient qu'une petite quantité. La mort ici est évidemment due , à ce que l'hématose artérielle ne s'est pas faite ; toutes les parties du corps ne recevant plus alors que du sang veineux, ont du s'arrêter. La mort subite par défaut d'action du cœur, ou par arrêt de la cir- culation , s'appelle syncope. Dans ce genre de mort , la ces- sation des fonctions est plus prompte ; on perd soudain tout

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gentiment, tout mouvement; la respiration s'arrête, et, presque instantanément, l'on tombe privé de vie. La face , loin de devenir violette, a pâli; les extrémités sont deve- nues roides; le corps s est couvert d'une sueur glacée. A la différence de ce qui était dans le cadavre de l'asphyxié , les poumons et les divers organes du corps sont vides de sang. La mort est due , non à ce qu'il ne se fait plus de sang artériel, mais à ce qu'il n'en est plus envoyé dans les or- ganes. 3° Enfin, dans la mort par défaut d'action du cer- veau, ou par arrêt de l'innervation, mort dont une apo-r plexie foudroyante offre un exemple, d'abord s'arrêtent toutes les fonctions sensoriales, l'individu tombe sans sen- timent ni mouvement; bientôt la respiration participe du trouble; cette fonction devient difficile, imparfaite, puis cesse; enfin le cœur s'arrête en dernier lieu. Selon que l'action cérébrale a été plus ou moins promptemenî. et complètement anéantie, ces divers phénomènes se sont succédés avec plus ou moins de rapidité; si la lutte a été un peu longue, le poumon est devenu le siège d'un engor- gement sanguin, il a éprouvé comme une asphyxie gra- duelle; le cadavre présente les mêmes apparences que dans la mort par asphyxie. La cause de la mort est ici la cessa- tion de l'innervation, cessation qui entraîne l'arrêt de toutes les fonctions, mais d'autant plus promptement que ces fonctions sont plus élevées en animalité.

Dans toutes ces morts subites, il est facile de s'expliquer pourquoi la mort arrive , ainsi que les traits divers avec lesquels elle se présente , et les différences qu'offre dans chacune d'elles le cadavre. Il n'en est pas toujours de même dans le second genre de morts accidentelles, c'est-à-dire dans celles qui surviennent après quelques jours ou quel- ques semaines de maladie. Ici , la cause de la mort est la lésion grave de quelque organe noble ou étendu. D'abord ont éclaté des symptômes locaux , relatifs à l'organe qui est 3e siège du mal , et qui conséquemment sont variables comme lui. Ensuite sont survenus des symptômes géné- raux \ dus à la réaction de cet organe sur toute l'économie, soit par rapports fonctionnels, soit par rapports sympa thi-

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ques. Enfin la mort arrive au milieu de tout cet appareil , plus ou moins promptement, et avec des phénomènes très divers. Oiv, quelquefois la physiologie peut encore indiquer pourquoi la mort est survenue : par exemple , quand l'or- gane malade est un de ceux chargés d'une fonction vitale , et a éprouvé une altération matérielle qui l'empêche d'agir , comme quand, dans une pneumonie, le poumon s'est hépa- tisé. Mais le plus souvent elle ne le peut pas. Par exemple , pourquoi meurt-on si promptement dans une péritonite? Le péritoine n'est pas chargé de l'accomplissement d'une fonc- tion vitale; il n'est que le lien qui unit à Fabdomen les viscères situés dans cette cavité : il semble qu'à ce titre une maladie de cet organe ne devrait jamais être mortelle. Ce- pendant le contraire existe , comment cela se fait-il? il faut bien qu'il y ait eu une influence exercée sur l'une ou l'autre des deux conditions de la vie: ou épuisement de l'innerva- tion parla douleur, ou altération du sang artériel par suite de l'épanchement que cause la maladie? Mais laquelle de ces influences est réelle? en quoi consiste-t-elle ? C'est ce qu'on ne peut préciser. Toutefois , dans ce second genre de mort accidentelle, les phénomènes de la mort sont encore plus variables que dans la mort subite. Tantôt, c'est au milieu même des symptômes les plus orageux , et lorsqu'il y avait encore des indices d'une assez grande énergie vitale » que le dernier soupir est rendu : tantôt, au contraire, c'est après la disparition graduelle de ces symptômes , et à la suite d'un affaiblissement qui d'heure en heure a fait des progrès. Quelquefois, le malade conserve jusqu'à la fin ses facultés sensoriales , et sent sa mort approcher. D'autres fois , il n'a pas la connaissance de sa fin , soit parce qu'il est dans le délire , soit parce que le cerveau éprouve le premier les atteintes de l'affaissement qui pèse sur tous les organes. Rien n'est plus variable que le genre de mort dont nous traitons ici, et tout médecin. a lieu d'être frappé chaque jour de la différence des tableaux qui lui sont offerts sous ce rapport. Tel malade expire sans angoisses et en parlant; \eï autre lutte long-temps, et ne meurt qu'après une doulou- reuse et longue agonie. Ces différences tiennent à l'organe

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qui est le siège du mal , et à la nature de la réaction que cet organe suscite dans le reste de l'économie , et surtout dans les centres de la vie. Le cerveau est-il primitivement ou secondairement affecté? le malade perd ses facultés sen- soriales, et, conséquemment, n'a la connaissance, ni de ses souffrances, ni de sa mort. Au contraire, cet organe est-il intact? la fin sera d'autant plus anxieuse, que la partie qui est le siège du mal sera, par la nature de celui-ci, plus apte à développer de la douleur. Remarquons cependant que clans tous ces cas, quelque divers qu'ils soient, il faut bien, pour que la mort arrive , que les organes centraux de la vie aient été d'une manière ou d'une autre affectés; et à cet égard il est vrai de dire que ce second genre de mort acciden- telle se rapproche toujours un peu du premier , c'est-à-dire de l'une ou de l'autre des trois espèces de mort subite. Ou bien le mal siège primitivement dans le poumon, Je cœur , ou le cerveau , et la mort , étant due à l'arrêt de ces organes, arrive comme dans les morts subites, seulement avec plus de lenteur ; ou le mal siège en une autre partie, et alors il n'est mortel qu'en entraînant fonGtionnellement ou sympatliiquement une altération de l'un ou de l'autre des trois centres. Il est rare que ce soit le cœur ; presque toujours c'est le cerveau : sous l'influence de celui-ci , se perturbe ensuite la respiration ; le poumon s'engorge , la respiration devient difficile, se fait avec râle, comme dans la plupart des agonies; et, sauf les cas la mort arrive par affaissement, le plus souvent on meurt comme dans une asphyxie graduelle. Les physiologistes expérimentateurs ont beaucoup étudié le mécanisme de la mort accidentelle su- bite : c'est aux physiologistes praticiens et cliniques qu'il appartient d'analyser celui de la mort accidentelle à la suite des maladies aiguës.

Enfin , dans un troisième cas , la mort accidentelle ne survient qu'après des mois et des années , et a été annoncée et prévue de loin. Sa cause alors , ou réside encore dans un organe central , mais dont l'affection , trop faible dans le principe pour arrêter son action, est de nature à ne faire que des progrès lents; ou siège dans un organe moins iru-

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portant, mais dont Fàffection cependant anéantit à la longue, mais graduellement, soit la formation et distribu- tion du sang artériel, soit l'innervation. Tel est le cas des morts; ou par une phthisie pulmonaire qui peu à peu détruit l'organe qui fait le sang; ou par un squirre au pylore, qui détruit le viscère qui fournit au sang ses matériaux répara- teurs ; ou par une affection chronique de l'encéphale qui , à la lin, anéantit toute innervation. Dans ces cas, surtout dans les deux premiers , on voit chaque jour l'individu mai- grir, s'affaiblir; et la mort arrive par des progrès aussi gradués que dans la vieillesse , si ce n'est que , sauf le cas il y a lésion organique du cerveau, la vie animale persiste , et Findividu assiste à sa destruction.

Telle est la mort accidentelle, mort susceptible de pré- senter de nombreuses variétés, et qui en présentera d'au- tant plus dans les êtres vivants, que ces êtres seront plus compliqués. Que d'oppositions sous ce rapport entre le vé^ gétal et l'animal? Chez le premier, les causes de mort sont moins multipliées ; elles se réduisentà des lésions physiques, aux influences des constitutions atmosphériques, et à un petit nombre de lésions organiques provoquées par le travail de la vie. Dès lors la mort offre toujours à peu près les mêmes traits, et ne diffère que par le temps qu'elle a mis à s'accomplir, et le degré de dessèchement dans lequel elle a laissé le cadavre, Dans l'animal, les causes de mort sont bien plus nombreuses; une organisation plus compliquée expose surtout à un plus grand nombre de lésions organi- ques, et nous avons vu que c'était ces dernières qui impri- maient particulièrement à la mort des physionomies diffé- rentes. D'ailleurs , n'esb-il pas reconnu dans les arts méca- niques, que plus une machine est compliquée, plus elle est exposée à se déranger, à se détruire ? et peut-on s'éton- ner dès lors que la complication de l'organisation multiplie les causes de maladies et de mort ?

Toutefois, ce qui généralement caractérise la mort acci- dentelle au milieu de toutes les variétés qu'elle est suscep- tible d'offrir, c'est qu'à la différence de la mort séniie souvent elle survient vite, et toujours procède du centre

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à la circonférence. Ce sont les fonctions centrales qui se sus- pendent les premières, et ce n'est que consécutivement que s'arrêtent dans la généralité du corps les fonctions intimes pour lesquelles ces fonctions centrales sont un échafaudage obligé. De là, la possibilité qu'on a eu quelquefois dans la mort accidentelle, et qui n'existe jamais dans la mort sé- nile , de rappeler l'individu à la vie , comme cela se voit en beaucoup de morts subites, chez les noyés, par exemple. De surtout , la persistance pendant quelque temps encore, pendant des heures, des jours, de quelques actions vitales dans la profondeur des organes, et le retard de la putré- faction du cadavre. Mais ceci nous conduit à traiter du cadavre lui-même , et à exposer ce qui lui arrive jusqu'à sa complète destruction.

D'abord, ce qui distingue physiquement le cadavre du corps vivant, c'est son état d'insensibilité, d'immobilité, son état glacé ; la mollesse , la flaccidité que présentent bien- tôt les chairs; la disposition qu'ont à se coaguler, à se vapo- riser, à s'altérer les fluides , qui ne se meuvent plus que par les forces physiques; en un mot, sa putrescibilité, d'où résulte sa destruction plus ou moins prompte. En second lieu, ce cadavre diffère, et sous le rapport de ses apparences., et relativement au caractère que présente sa putréfaction , selon que la mort a été sénile ou accidentelle.

Dans la mort sénile, le cadavre est dans un état d'éma- ciation générale ; il n'y a presque plus de sang, non plus que d'autres fluides; le cœur est mou et pale, le poumon presque desséché; toutes les parties sont dans l'état d5amai- grissement, de dessèchement que nous avons décrit. De plus, toutes les forces de la vie ayant été épuisées , il ne reste aucuns vestiges d'actions vitales ; et , non-seulement les fonctions centrales, dont l'arrêt constitue la mort, ont cessé d'agir, mais encore toutes celles qui se passent dans la pro- fondeur des tissus, comme nutritions, calorifications, ab- sorptions, etc. Aussi , à peine le dernier soupir est-il exhalé que déjà le cadavre est froid; on ne peut, par aucun sti- mulus, réveiller des contractions dans les muscles; ce que nous allons décrire ci-après , sous le nom de roideur cadavc-

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rique , et qui paraît être un dernier effort de la contractai musculaire, ne s'établit pas , ou est peu intense , ou de peu de durée; aucun reste de vie ne s'oppose à l'établissement soudain de la putréfaction; et si celle-ci est cependant plus tardive que lorsque la mort est accidentelle, c'est que le cadavre est desséché, et que l'humidité qui, avec la chaleur et le contact de l'air, est une condition nécessaire à son éta- blissement, manque.

Dans la mort accidentelle, au contraire, le cadavre sera d'autant moins émacié, et présentera une proportion de fluides d'autant plus grande , que la mort aura été plus subite, plus prompte , et aura frappé l'individu à un âge moins avancé. Mille variétés pouvant exister sous ces deux points de vue, les cadavres aussi pourront présenter des traits extrêmement différents. Quelle opposition entre le cadavre du jeune homme frappé par un accident subit , dans la force de l'âge, et celui de l'homme déjà âgé, et qui suc- combe à une maladie chronique qui a longuement usé toutes les forces de la vie ! De même que l'examen d'un cadavre peut faire préjuger l'âge qu'avait, lors de la mort, la personne dont il est le reste, de même cet examen peut faire préjuger à quel genre de mort elle a succombé. De plus, dans la mort accidentelle, toutes les forces de la vie n'ont pas été complètement épuisées; et toujours persistent quelques actions vitales, avant l'extinction desquelles la putréfaction ne peut s'établir. Ces actions sont celles qui sont les moins élevées dans l'animalité , qui se passent dans les paren- chymes; et il en reste d'autant plus, et d'autant plus long- temps, que la mort a été plus imprévue , a surpris à un âge plus fort et au milieu d'une santé meilleure, et a été pré- cédée d'une lutte moins longue. Ainsi, en même temps que se sont arrêtées les fonctions centrales de la respiration, de la circulation , ont été anéaiitis aussi toutes les actions sen- soriales, tous les mouvements musculaires volontaires, parce que ces actes sont les plus élevés de la vie; mais, au con- traire, beaucoup de fonctions organiques persistent. Voyez , par exemple, la chaleur animale; souvent il faut plusieurs heures , un jour et plus , après l'exhalation du dernier Tome IV. 3i

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soupir, pour que le cadavre arrive à l'état glacé qui lui est propre; cela est eu raison de l'âge auquel a été frappé le malade, de la promptitude avec laquelle a agi la cause qui l'a tué, de la lutte qui a précédé la mort. De même, per- sistent quelques-unes des autres fonctions qui se passent dans les parenchymes; on a vu, par exemple, des absor- ptions s'effectuer; certaines parties, comme la barbe, les cheveux, etc., croître. Et, en effet, si les calorifications mettent quelque temps à s'éteindre, pourquoi cela ne serait- il pas de même des nutritions? Cela sera encore en raison des mêmes circonstances indiquées plus haut ; et ces diverses actions ne s'arrêteront que lorsque sera consommé tout le reste de l'influence nerveuse. Ce reste de vie enfin, peut même s'observer en des fondions plus relevées? Qui oserait assurer qu'il ne se fait pas encore quelques sécrétions; que si des aliments sont dans l'estomac, ils n'y sont pas encore un peu digérés? On dit avoir prolongé artificiellement dans des cadavres l'activité de ces fonctions par le moyen du gal- vanisme, de même que par ce stimulus on a excité la con- traction des muscles. Quant à la possibilité de la persistance de celle-ci , elle est incontestable. On a vu le rectum , la vessie se contracter dans des cadavres , et accomplir leurs actions d'excrétions : il en est de même de l'utérus, et les cas de femmes qui sont accouchées spontanément après la mort, ne sont pas rares. On peut, en appliquant aux muscles divers stimulants mécaniques ou chimiques, en exciter les contractions, et cela plusieurs heures après l'exhalation du dernier soupir. Faut-il rappeler toutes les expériences de ce genre dans lesquelles on a , parle galvanisme, fait con- tracter le coeur, l'estomac, l'intestin, la vessie , l'utérus, les muscles de la physionomie , de la respiration , des membres , etc. ? Ce n'était que lorsqu'on avait épuisé le reste de l'influence nerveuse, que le muscle se montrait muet à l'excitation; et voici, selon Njsten , dans quel ordre les parties cessaient de se contracter : d'abord le ventricule aortique; puis, le gros intestin , le petit , l'esto- mac , la vessie, le ventricule pulmonaire; en troisième lieu, l'œsophage, l'iris, les divers muscles de la vie animale;

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en dernier lieu , les oreillettes, et particulièrement l'oreil- lette pulmonaire. Enfin , il est un phénomène qui décèle le reste de puissance contractile que conservent et développent encore les muscles après la mort, c'est celui de la roideur cadavérique. Quand le cadavre a perdu sa chaleur, il de- vient roide, et cette roideur est le dernier effort de la ccn- tractilité musculaire, et par conséquent un dernier phéno- mène de vie. En voici les preuves : La roideur survient plus ou moins promptement ou tardivement, selon que la mort a frappé l'individu dans un état plus ou moins grand d'épuisement ; et c'est pour cela qu'elle manque souvent dans le cadavre de la personne qui a succombé à la mort sénile, ou à une maladie chronique. 20 Sa durée et son énergie sont en raison du degré d'épuisement de la force nerveuse; et c'est pour cela que faible et passagère dans la mort sénile, dans la mort accidentelle chronique, elle est, au contraire , fort intense , et dure quelquefois plusieurs jours dans le cadavre de l'individu frappé de mort subite, dans la fleur de l'âge et la force de la santé. Elle persiste d'autant plus qu'elle a commencé plus tard; car étant le dernier effort de la vie, et n'apparaissant que lorsque tous les phénomènes vitaux ont cessé , son apparition tardive annonce que le cadavre conservait encore beaucoup de puis- sance vitale, et par conséquent elle devra durer plus long- temps pour en effectuer l'entier épuisement. Enfin , Tordre dans lequel elle s'établit est toujours le même; ce sont d'abord les muscles du tronc qu'elle saisit, puis ceux du cou; en troisième lieu, ceux des membres thoraciques; enfin, ceux des membres inférieurs, et c'est aussi dans cet ordre qu'elle cesse. Or, si, comme le démontrent ces faits di- vers , la roideur cadavérique est le dernier effort que fait la vie, on conçoit que le cadavre doit différer beaucoup sous le rapport de ce phénomène, selon que la mort a été sénile ou accidentelle. Tandis que dans la mort sénile il n'offre aucunes traces de cette roideur, dans la mort accidentelle il la présente pendant un temps d'autant plus long, et avec une énergie d'autant plus grande, que celle mort accidentelle a été plus subite, et est arrivée à un âge

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plus rapproché de celui de la consistance. Cette roideur , comme la persistance de quelques autres fonctions , tient à l'influence nerveuse qui ne s'éteint que par degrés, quand Je système , qui dispense cette influence , était plein de force quand la mort est survenue ; et elle est un nouveau fait qui appuie la conjecture que nous avons émise, que c'est la détérioration du système nerveux qui amène la mort sénile , et que c'est dans l'action de ce système que réside Je secret de la vie et de la mort. En somme , dans la mort accidentelle, la persistance de quelques phénomènes de vie .retarde l'instant de la putréfaction; celle-ci ne commence qu'après qu'ils ont cessé; et si cependant elle paraît plus prompte que dans la mort sénile , c'est que le cadavre est plus riche en fluides , et offre les conditions physiques de la putréfaction à un degré plus prononcé. La mala- die, d'ailleurs, a pu y prédisposer davantage les organes. Du reste , l'état du cadavre pouvant être très divers dans la mort accidentelle, les phénomènes de la putréfaction et sa rapidité doivent l'être aussi. Voici d'une manière générale quelle est sa marche.

D'abord le cadavre se refroidit , et cela graduellement par les surfaces et les extrémités, et d'autant plus vite, que l'épuisement nerveux par l'âge ou la makdie a été plus grand , que l'individu est plus maigre , plus privé de sang, et que l'atmosphère est plus froide. Pendant tout le temps que le corps emploie à se refroidir, le sang reste fluide. D'un côté, les artères, conservant leur élasticité, se vident de celui qu'elles contiennent , et ce fluide généralement s'ac- cumule dans les veines-caves, les oreillettes du cœur, et les vaisseaux du poumon. D'un autre côté, ce sang, obéissant à la pesanteur, s'amasse dans les parties qui sont déclives, et y forme des lividités : le reste du corps est alors pâle et jaune. H y a quelques variétés dans cette situation du sang , selon celui des trois organes centraux qui s'est arrêté Je premier lors de la mort; si c'est le cœur, le poumon est tout vide; si c'est le poumon ou le cerveau, le poumon et tout le système vasculaire à sang noir en sont surchargés, et le système vasculaire à sang rouge est tout vide. Ce der-

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nier élat est le plus fréquemment observé, parce que, dans les morts accidentelles , c'est ordinairement le poumon qui s'engorge le premier. Pendant cette période de refroidisse- ment, le corps est flexible et mou, les yeux sont enîr'ou- verts, la lèvre et la mâchoire inférieures sont pendantes, pupille est dilatée , etc. Quand le cadavre est refroidi ; d'un coté le sang se coagule, et forme des concrétions blanches oucitrines, qui se moulent dans les vaisseaux; de l'autre, s'établit la roideur cadavérique. Enfin , quand celle-ci cesse , putréfaction commence; c'est-à-dire un mouvement in- testin, inverse de l'action organique, qui détruit toutes lès combinaisons que l'action vitale avait formées, et qui rend' la matière quicomposait le corps à la masse générale des corps inertes. Les parties molles perdent leur roideur. acquièrent une mollesse qui augmente graduellement,, et s'affaissent sur elles-mêmes. Les humeurs reprennent leur fluidité; transudant à travers leurs réservoirs, elles vont imprégner de leur odeur et de leur couleur les parties environnantes ; celles de l'œil, par exemple, passent à travers la cornée, d'où l'affaissement de cet organe; et, se mêlant aux corpus- cules qui voltigent à sa surface , elles y forment un enduit ténu. Le cadavre exhale une vapeur, d'abord' fade, plus tard, infecte , qui , étant le produit de la volatilisation de quelques-unes de ses parties, diminue son poids. La putré- faction commence généralement, et par l'abdomen, à cause des matières excrémentitielles accumulées dans cette cavité, et par les organes les plus mous, les plus imprégnés de li- quides , ou ceux qu'a engorgés , altérés la maladie. Peu à peu cette putréfaction devient générale : l'épiderme est souleva par des amas de sanie brunâtre ; les chairs , imbibées de liquides, deviennent gluantes, verdâtres, pulpeuses, am- moniacales; leur texture disparait; confondues avec les li- quides, elles se réduisent en un putrilage demi-fluide , mêlé de bulles de gaz, et de l'odeur la plus infecte* Après un certain temps, il ne reste plus que les os, lesquels eux-mêmes deviennent à la fin friables, pulvérulents, et ne laissent qu'un faible résidu terreux. Les éléments divers qui formaient le corps, arrachés ainsi aux combinaisons dans lesquelles la

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vie les avait entraînés, sont rendus à l'empire des lois phy- siques et chimiques, et vont concourir à la formation d'au- tres corps. Tout ce qu'il y avait de matériel dans l'homme est détruit ; et c'est ainsi que , sous le rapport corpo- rel , se trouve fondée l'idée de la transmutation , de la métempsycose de Pythagore. Ce travail destructeur est plus ou moins prompt, selon l'état plus ou moins desséché dans lequel était le cadavre , et selon que se trouvent plus ou moins complètement réunies les conditions physiques qu'il exige, savoir : le contact de l'air, la chaleur, l'humidité. Il est susceptible d'offrir beaucoup de variétés, dans l'expo- sition desquelles il nous est impossible d'entrer. Quelque- fois, par exemple, dès son début, il se fait un dégagement considérable de gaz, ou dans le canal intestinal, ou dans les membranes séreuses , ou dans le tissu cellulaire , les vais- seaux; et il en résulte divers phénomènes cadavériques re- marquables, comme reflux par la bouche et les narines du mucus et des matières contenues dans l'estomac, grande tuméfaction du ventre, refoulement du sang dans la tête , le col , les organes génitaux; sortie de ce fluide par des plaies, ce qui constitue ce qu'on appelle la cruentation cadavéri- que; excrétion de gaz , emphysème, etc. Mais les généralités que nous avons présentées suffisent pour expliquer toutes les différences qui peuvent être observées.

CINQUIÈME PARTIE.

DES DIFFÉRENCES INDIVIDUELLES DE L'HOMME.

L'homme ne diffère pas seulement par ses âges , mais encore par les proportions de volume et d'activité de ses diverses parties constituantes; chacun offre à cet égard une mesure qui fonde ce qu'on appelle sa constitution. Sans doute il faut, pour qu'il y ait sanlé, c'est-à-dire accom- plissement facile et complet de toutes- les facultés de la vie, que les parties qui composent le corps humain soient dans de certains rapports de volume, de densité , de nature, elc. Mais ces rapports comportent une certaine latitude; certains organes peuvent être , sans obstacles pour la santé , plus ou moins que d'autres développés, actifs; il en résulte seule- ment des différences dans les apparences extérieures des hommes , dans le caractère de leurs fonctions , de leurs fa- cultés , dans l'ensemble de leur vie.

Ces différences ne sont pas exclusives à l'homme; on en observe d'analogues dans tous les autres êtres organisés, tant végétaux qu'animaux. Si toute espèce vivante est organisée sur un même plan , jamais divers individus d'une même espèce ne sont tout-à-fait semblables; toujours chacun offre quelques différences de proportion, de développement, d'é- nergie, dans quelques-unes de ses parties; il n'y a rien de complètement uniforme dans la nature. Que de va- riétés dans les diverses feuilles et fruits d'un même arbre, dans la stature des divers animaux d'une même espèce ! Mais dans aucun animal ces différences ne sont aussi nombreuses que dans l'homme ; car cet être est de tous celui qui a l'or- ganisation la plus compliquée , et il n'est aucune des parties de son corps qui ne soit susceptible de présenter quelques particularités individuelles remarquables.

488 DES DIFFÉRENCES INDIVIDUELLES DE L'HOMME.

C'est de ces différences , en tant qu'elles sont compatibles avec l'étal de santé, que nous avons à traiter ici. D'abord, il est plusieurs d'entre elles qui frappent aussitôt les yeux : ne voyons-nous pas les hommes différer les uns des autres par la stature, l'embonpoint, la couleur de la peau et des cheveux, la disposition des traits de la figure, par le degré d'activité des sens, le caractère des facultés de l'esprit et du cœur, par la force musculaire, le degré de stabilité de la santé ou la susceptibilité aux maladies, la longévité, etc. ? En second lieu, ces différences, considérées sous le rapport de leurs causes, sont natives ou acquises; c'est-à-dire que les unes tiennent à l'organisation qu'on a reçue en naissant de ses parents , et que les autres sont dues aux modifications que le cours de la vie a amenées dans les organes, en raison de la mesure dans laquelle ou a exercé ceux-ci, et des in- fluences extérieures auxquelles on a été soumis. En troisième lieu, ces différences sont innombrables; d'une part, en effet, chaque partie solide du corps, chaque humeur, peut offrir quelques particularités; et de l'autre , il peut y avoir mille variétés dans les proportions des unes et des autres. Aussi , ces différences sont-elles aussi multipliées que le sont les individus eux-mêmes; il n'est aucun homme qui, dans son organisation , et par conséquent dans le caractère de sa vie, n'offre quelques spécialités; ainsi que nous l'avons annoncé, chacun a sa constitution ; il y a long-temps qu'on a dit qu'il n'existe dans la nature que des individualités. Enfin , ces différences n'ont pas un égal degré d'importance. Les unes ne portent que sur des organes qui n'exercent aucune influence générale sur l'économie , et sont d'ailleurs si légères, qu'elles n'impriment aucun caractère nouveau à la fonction dont ces organes sont les agents; cette fonction seulement se montre un peu plus ou un peu moins énergi- que. Ainsi y on peut avoir l'organe d'un sens plus ou moins délicat, la vue, par exemple, myope ou presbyte. D'au- tres, bien que portant encore sur un seul organe, et sur un organe qui reste isolé . sont cependant assez considérables pour imprimer à la fonction de cet organe un caractère in- solite, irrégulier, qui fait contraste avec celui qu'elle pré-

DES DIFFÉRENCES INDIVIDUELLES DE L'HOMME. 489 sente ordinairement; et ce sont celles-ci qu'on appelle idio- syncrasies. Ainsi, le goût peut rechercher telle saveur, l'estomac appeler comme aliment telle substance, qui gé- néralement répugnent à tous les autres hommes. D'autres résident en des organes qui exercent sur toute l'économie une grande influence, et qui ne peuvent par conséquent offrir quelques spécialités, quelques disproportions de dé- veloppement et d'énergie , sans modifier plus ou moins tout le corps, sans imprimer à l'homme une physionomie physi- que et morale particulière; et ce sont celles-là qu'on appelle tempéraments . Ainsi , il est impossible que les divers appa- reils qui font le sang soient prédominants sans qu'il n'en résulte une modification générale dans l'économie, sans , que tous les organes ne se ressentent dans leur nutrition et dans leur degré d'activité, de la plus grande abondance et de la plus grande richesse de ce fluide qui les nourrit et les excite à l'action. Enfin, il est de ces différences qui semblent tenirà l'organisation primitive de l'homme, et qui semblent contredire l'idée de l'unité de son espèce : ce sont celles qui fondent ce qu'on appelle les races humaines . Ainsi, l'homme nègre est distinct de l'homme blanc ou caucasique, etc.

Comme on le conçoit , nous ne pouvons traiter de toutes ces différences. D'abord , il nous serait impossible de si- gnaler toutes les constitutions, puisque nous avons dit qu'elles étaient en même nombre que les individus. En- suite, il serait oiseux de décrire celles de ces différences qui sont bornées à un organe local et sans importance : de quel intérêt peut-il être, par exemple , de discuter la diffé- rence organique à laquelle on doit d'être myope ou presbyte, et qui d'ailleurs a été exposée en un autre lieu ? Nous nous bornerons donc à l'étude des différences individuelles qui fondent les idiosyncrasies , les tempéraments , et les races humaines. Nous serons courts sur ces dernières, qui sont plus du ressort de l'histoire naturelle proprement dite que de la physiologie et, quant aux constitutions , nous ne les considérerons que sous le rapport de leur force , c'est-à-dire de leur stabilité dans la santé , du degré de résistance qu'elles opposent aux causes de maladies.

490 DES DIFFÉRENCES INDIVIDUELLES DE L'HOMME.

CHAPITRE PREMIER. Des Tempéraments»

Nous appelons ainsi celles des différences individuelles de Fhomme, qui consistent en des disproportions de vo- lume et d'activité dans des parties capables de modifier con- sécutivement d'une manière sensible tout l'organisme, sans empêcher néanmoins la santé. Ces deux dernières condi- tions sont de rigueur : si la disproportion porte sur des organes qui ne sont pas assez influents pour entraîner une modification générale de l'économie, la différence indivi- duelle n'est que locale, et n'est pas un tempérament : si la disproportion est telle, que la santé ne puisse plus persister, ce n'est pas encore un tempérament, mais un état morbide. M. Halle appelait tempéraments, des différences entre les hommes, constantes, compatibles avec la conservation de la santé et de la vie , dues à une diversité de proportions et d'activité entre diverses parties du corps humain, et assez importantes pour modifier toute l'économie.

De cette définition des tempéraments, il résulte que ce genre de différences individuelles doit connaître pour causes la prédominance ou l'infériorité des systèmes et organes qui sont les plus influents dans l'économie, savoir : ceux qui font prochainement le sang, ce fluide qui est le stimulus obligé de toutes les parties, comme les appareils digestif et pulmonaire ; 20 ceux qui influeront sur la crâse de ce fluide, comme les sécrétions urinaire, biliaire, spermati- que; ceux qui président à l'innervation, cette autre condition première de vie; ceux qui, par leurs rap- ports sympathiques, réagissent aisément, promptement et fortement sur toute l'économie; ceux enfin qui , formant une grande masse dans le matériel de l'homme, ou qui, occasionant une grande dépense lors de leur service, ne peuvent agir plus ou moins sans modifier l'équilibre gé- néral de tout le corps. La base de la doctrine des tempéra- ments doit en effet être prise dans les principes que nous

DES TEMPÉRAMENTS. 4o«

avons posés aux chapitres des connexions des organes et des fonctions.

La meilleure organisation, sans contredit, serait celle chaque système, chaque organe ne seraient, avec tous les autres, que dans les proportious les plus convenables au libre et complet exercice de la vie : elle ferait jouir de la santé la plus parfaite au physique et au moral, ferait es- pérer la plus grande longévité, et mériterait rigoureuse- ment d'être appelée tempérament. Ce mot, en effet, veut dire mélange, et nous vient des Anciens , qui , supposant les corps organisés formés d'éléments divers dans des pro- portions telles qu'ils se tempéraient les uns les autres. Mais cette organisation, parfaitement équilibrée, ne se rencontre jamais dans la nature ; elle est un type aussi idéal que l'est la beauté physique parfaite; le plus souvent on naît avec des disproportions entre ses divers organes; et y en supposant que cela ne fût pas , il en surviendrait bientôt par le fait seul du cours de la vie. Il y a donc des tempéraments.

Cela élant, quels sont-ils? et combien y en a-t-il? La réponse à ces deux questions est difficile. D'une part, comme il y a dans le corps humain beaucoup d'organes; qu'il faut , pour l'appréciation des tempéraments, tenir compte de cha- cun de ces organes; et que leurs combinaisons entre eux, sous le rapport des proportions, peuvent être très multipliées , les variétés de ces tempéraments sont infinies. D'autre part, pour apprécier complètement les tempéraments , il faut avoir la connaissance exacte de toutes les réactions qu'exer- cent respectivement les uns sur les autres les divers organes du corps, et c'est ce qui manque en partie encore dans 1 état actuel de la science. Sous le premier point de vue , on est jeté dans une infinité de faits individuels, qu'il est diffi- cile de ramener à un certain nombre de genres et d'espèces ; sous le second, on manque des données propres à servir de base à l'établissement de ces genres et de ces espèces, et l'on ne peut porter le flambeau de l'analyse dans ces faits individuels si multipliés et si complexes.

Toutefois, outre que la nature a mis elle-même des bornes

4r)2 DES DIFFÉRENCES INDIVIDUELLES DE L'HOMME. à ces variétés , attendu que toutes les combinaisons ne sont pas possibles , la prédominance de certains systèmes ne pou- vant jamais coïncider avec celles de certains autres, on s'est attacbé à celles de ces combinaisons qui sont les plus sail- lantes; et tour-à-tour on a admis quatre ou six tempéra- ments principaux, qu'on a diversement dénommés, selon la physiologie du temps.

Ainsi les Anciens, disions-nous tout à l'heure, considé- raient les corps organisés comme formés par l'association d'éléments divers , se tempérant les uns les autres. Si ces éléments étaient dans de justes proportions, il en résultait le tempérament tempéré ou parfait. Si, au contraire, il existait entre eux des disproportions , mais compatibles avec la santé , cela constituait les tempéraments proprement dits ou mixtes. Si la disproportion était excessive, et prédispo- sait à une maladie , cela constituait une intempérie ; et enfin, on appelait constitutionnelle la maladie à laquelle donnait lieu cette disproportion. Les éléments constituants du corps étaient au nombre de quatre. D'après leurs qualités, ils étaient appelés le chaud, \e froid, ]esec et Yhumi de. Ils for- maient entre eux quatre combinaisons : le chaud avec le sec, le chaud avec l'humide , le froid avec le sec , et le froid avec l'humide. A chacune de ces combinaisons correspondait la prédominance d'une des humeurs du corps , savoir : celle de la bile , à la combinaison du chaud avec l'humide; celle de l'atrabile, à la combinaison du chaud avec le sec; celle du sang, à la combinaison du froid avec le sec; et celle de la pituite, à la combinaison du froid avec l'humide. Enfin, de résultaient quatre tempéraments, savoir : le bilieux ou colérique, le sanguin, le mélancolique ou atrabilaire , et le pituiteux ou phlegmatique. Chacun de ces tempéra- ments était caractérisé par une habitude extérieure parti- culière, un état spécial des fonctions physiques et morales,, un genre propre de maladies. Ainsi, Fhomme bilieux avait le teint jaune, les cheveux d'un noir de jais, quelquefois crépus; le visage sec, la physionomie hardie et prononcée, les yeux étincelants; la charpente forte , mais sans embon- point; les muscles vigoureux , quoique grêles; le corps mai-

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gre, les os saillants ; le pouls fort , brusque , dur ; toutes ses fonctions accusaient uoe grande activité; au moral surtout, il se distinguait par la violence, l'impétuosité de ses pas- sions. Le sanguin avait la peau rosée, souple et molle, les cheveux châtains, le visage riant et fleuri, les yeux vifs, la taille et l'embonpoint médiocres, les membres bien propor- tionnés , toutes les fibres souples , le pouls ondoyant et facile; ses fonctions physiques, moins énergiques intrinsè- quement que dans le bilieux, s'accomplissaient avec plus d'aisance; il en était de même de ses facultés morales; elles étaient moins impétueuses, mais plus faciles; très suscep- tibles d'être mises en jeu, et partant très mobiles. Le mé- lancolique ou atrabilaire , avait la physionomie triste, le visage pâle, les yeux enfoncés et pleins d'un feu sombre; les cheveux noirs et plats, la taille haute et grêle, le corps maigre et presque décharné; les extrémités longues, le pouls tardif et dur, les mouvements lents et circonspects. Une grande force , une grande patience, une extrême opiniâtreté, des sensations vives et profondes, des passions éternelles, s'il est permis de parler ainsi , un sentiment continuel d'in- quiétude, une imagination soucieuse, un naturel défiant, jaloux, timide; tels étaient les traits physiques et moraux de ces hommes dans lesquels la vie était forte, mais pa- raissait ne s'exercer qu'avec embarras et hésitation. Enfin, le pituiteux ou phiegmatique , avait une complexion lâche et molle, une physionomie tranquille et presque insigni- fiante, des cheveux plats et sans couleur, les yeux ternes; les muscles faibles, quoique volumineux; le corps chargé d'embonpoint, les mouvements tardifs et mesurés, le pouls îeiït, petit, incertain, la circulation lente, la chaleur fai- ble; toutes ses fonctions accusaient au physique une médio- cre activité, et au moral, la monotonie, le caîme rempla- çaient les passions violentes du bilieux, les affections gaies et mobiles du sanguin, et les inquiétudes continuelles de l'atrabilaire. On peut voir dans Cabanis, que nous avons copié ici en plusieurs points, un portrait éloquemment tracé de ces quatre tempéraments des Anciens, à chacun desquels étaient encore rattachés un des âges de la vie une

4 g4 DES DÉFÉRENCES INDIVIDUELLES DE L'HOMME*

des saisons de l'année, et l'un des climats du globe. Ainsi , le tempérament bilieux correspondait à l'âge adulte, et était développé par l'été et les climats chauds : le tempérament sanguin était celui de la jeunesse, du printemps et des pays tempérés : le tempérament atrabilaire était propre à l'âge mûr, et développé par l'automne et les pays équato- riaux : enfin , le tempérament pituiteux était celui des vieillards , et celui auquel prédisposaient l'hiver et les pays humides et froids.

Telle était la doctrine des Anciens sur les tempéraments. Mais quelque grand que soit le crédit dont ait joui long- temps cette doctrine , les objections s'élèvent en foule, et contre les principes sur lesquels elle repose, et contre quel- ques-uns des faits qu'elle consacre. D'une part, que sont ces quatre éléments , chaud , froid , sec et humide , que l'on dit former les diverses parties constituantes du corps hu- main ? et quels rapports peut-il exister entre ces prétendus éléments et les humeurs qu'ils sont supposés rendre prédo- minantes ? Aujourd'hui qu'on a distingué les différents soli- des et fluides qui composent le corps humain /analysé le service spécial des uns , le mode de formation des autres , le concours de tous à l'accomplissement de la vie , peut-on voir ailleurs que dans les proportions respectives de ces so- lides et de ces fluides les bases d'une théorie des tempéra- ments ? et peut-on conserver la doctrine toute métaphysi- que des éléments ? D'autre part, les caractères assignés à chacun des quatre tempéraments admis , ne sont pas tous exacts ; plusieurs peuvent être contestés; et, à leur égard, nous ferons surtout deux remarques critiques. L'une a trait à ce que l'on dit de l'état de la peau et des cheveux dans chacun des tempéraments; rien n'est moins constant; et il est assez fréquent de trouver des bilieux avec des cheveux blonds , des sanguins avec la peau jaune , etc. Oui ne sent que ces parties du corps ne peuvent tout au plus, par leur manière d'être, qu'annoncer la disposition des appareils in- térieurs influents, si toutefois il y a coïncidence constante entre l'état des uns et des autres ? Notre autre remarque portera sur la fonction intellectuelle et morale. Sans contre-

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dit, cette fonction est une de celles par lesquelles les hommes diffèrent le plus les uns des autres; et, comme cette fonc- tion est celle qui domine dans la vie de l'homme, les diffé- rences qu'elle présente ont aussitôt frapper tous les yeux.. Mais ces différences ont été à tort rapportées parles Anciens aux tempéraments ; eUe sont dues en entier aux modifica- tions, aux spécialités de l'organe cérébral ; les tempéraments, qui consistent exclusivement en influences organiques ne peuvent y avoir part qu'en influant sur la mesure d'ac- tivité du cerveau ; et il faut bien se garder de confondre les tempéraments et les caractères. Ainsi que nous l'avons dit, en traitant de la psychologie , il n'y a pas dépendance ab- solue entre l'organisation générale qui constitue le tempé- rament , et le caractère des actes intellectuels et moraux ; et tous les portraits qu'on a tracés de ceux-ci dans chaque tem- pérament, sont démentis par l'observation. Toutefois, bien qu'il soit impossible d'admettre aujourd'hui la théorie des Anciens sur les tempéraments , il est juste de dire qu'il y a quelque chose de vrai dans la distinction des quatre tempéra- ments qu'ils ont consacrés; et ce qui le prouve, c'est que depuis on n'a fait que les reproduire, en en changeant seu- lement l'explication.

Cela est évident , par exemple, des humoristes, qui , rap- portant les tempéraments aux disproportions des humeurs , en ont] admis quatre aussi , auxquels ils ont assigné à peu près les mêmes traits; le sanguin , à la prédominance du sang ; le bilieux, à celle de la bile ; le mélancolique , à celle de l'atrabile ; enfin , le pituiteuoc à celle de la pituite. On voit que c'est la même chose, et en beaucoup de points , la théorie n'en est pas meilleure; car, qu'est-ce que l'atra- bile ? qu'est-ce que la pituite ?

Il en a été de même des solidistes : selon que prédomi- naient dans l'homme les appareils circulatoire, hépatique, lymphatique , etc. , ils admirent aussi des tempéraments sanguin, bilieux, phlegmatique , etc. Seulement aux quatre tempéraments primitivement admis, ils. en ajoutèrent deux autres, le nerveux et le musculaire. Le premier était à la prédominance du système nerveux, et voici quels étaient

4g6 DES DIFFÉRENCES INDIVIDUELLES DE l'hOMMË. ses traits anatomiques et physiologiques: comme le système nerveux ne décèle jamais une grande activité qu'au détri- ment du système musculaire, l'habitude extérieure des in- dividus de ce tempérament est très grêle , leurs muscles sont petits , toutes leurs parties desséchées; dans l'état ordinaire, et sauf les instants d'exaltation , le moindre acte physique est une fatigue, et souvent un effort impossible; mais en revanche les sensations sont très délicates, et la plus légère impression peut provoquer une syncope ou des convulsions. Le tempérament musculaire ou athlétique , reconnaît pour base la prédominance du système musculaire , et a des traits anatomiques et physiologiques tout opposés. L'habitude extérieure se ressent du grand développement des masses musculeuses; la tête paraît petite , sans l'être en effet, mais parce que les autres parties , beaucoup plus musculaires, sont plus grosses; le col est fort, large, surtout en arrière ; les épaules sont volumineuses, le thorax très évasé; tous les muscles font partout de fortes saillies, surtout au dos, aux lombes , aux moignons des épaules ; leurs attaches sont partout sensibles; toutes les articulations sont bien expri- mées. Tout le corps en général est volumineux , et son vo- lume tient à celui des muscles et non au tissu cellulaire; celui-ci est peu épais , ferme et tenace. Tandis qu'un si grand développement du système musculaire rend les hommes de ce tempérament capables de déployer les plus grandes forces physiques, leur système nerveux, peu délicat, ne les fait jouir que d'une sensibilité obtuse ; ils sont peu sensibles , peu spirituels, et même ont une santé moins résistante, moins solide que celle des autres hommes.

Ainsi, six tempéraments furent établis comme repré- sentant les différences principales que peuvent offrir les hommes dans les proportions d'activité et de dévelop- pement de leurs parties constituantes. Du reste, on con- venait que si le tempérament tempéré des Anciens était une chimèi'e , chacun des six tempéraments décrits ne se rencontrait pur que très rarement; presque toujours les éléments de l'un étaient mêlés , compliqués, avec ceux de 1 autre , et cela en des proportions infinies ; de sorte qu'il

DES TEMPÉRAMENTS. 4q7

y avait des tempéraments bilioso- sanguins , neivoso-san~ gains, etc. Seulement quelques-unes des combinaisons étaient incompatibles; par exemple, celle du tempérament athlétique ou musculaire, avec le nerveux ou le lympha- tique*

Cependant quelques médecins ont nié la distinction de ces six tempéraments; les tableaux, ont-ils dit, en ont été tracés d'après le dogme et non d'après la nature; celle-ci n'offre jamais qu'une combinaison dr'S uns et des autres ; et il y a toute impossibilité, quand on veut juger la constitu- tion d'un individu, d'évaluer la part qu'y a chacun des nombreuxsystèmes qui le composent. Tel était Zimmermann, qui se fondait sur ce que dans la pratique de la médecine on trouve plus d'exceptions à la doctrine des tempé- raments que de cas qui la confirment. Tel était Clerc , qui trouvait cette doctrine trop vague , et inutile dans le traite- ment des maladies aiguës et chroniques , comme ne pouvant imprimer à la thérapeutique que des modifications aussi peu déterminées qu'elle l'est elie-même. Telle est encore aujourd'hui l'opinion de M. Georget , qui considère tout ce point de doctrine comme une superstition que nous a lé- guée l'humorisme , et qui croit que le cerveau seul ] parmi les organes, a le pouvoir , par sa prédominance ou son infé- riorité , de modifier toute l'économie. Nous avouerons que les tempéraments des auteurs sont rarement purs, et que jamais, dans la pratique, celui d'un individu n'est tout-à- fait semblable à celui d'un autre. Nous avouerons aussi qu'on a exagéré les secours que le médecin peut tirer de la connaissance du tempérament de ses malades. Mais , d'autre part, il ne peut exister prédominance ou infériorité d'un des systèmes influents du corps, sans qu'il n'en résulte une mo- dification générale déterminée , c'est-à-dire un tempéra- ment ; et la consécration des six tempéraments indiqués est trop générale , pour qu'il n'y ait pas quelque chose de vrai dans l'observation qui les a fait signaler dans tous les siècles. C'est parce que la théorie des tempéraments était mauvaise qu'on a été porté à les nier; mais l'analyse physiologique plus judicieuse qu'ont donnée, dans ces derniers temps, Tome IV. * 32

498 DES DIFFÉRENCES INDIVIDUELLES DE L'HOMME.

de leurs bases organiques , MM. Halle et Rostan , ne permet pas de douter de leur réalité.

M. Halle , auquel la science de l'hygiène doit de si beaux travaux , place les fondements anatomiques des tempéra- ments; i° dans les systèmes généraux qui sont répandus dans toutes les parties, savoir, les systèmes vasculaire , ner- veux et musculaire ; dans les principales régions du corps ; enfin, dans les principaux organes. Aux disposi- tions des premiers sont dus ce qu'il appelle des tempéra- ments généraux ; et à celles des régions et des organes , ce qu'il appelle des tempéraments -partiels . Ainsi , les vaisseaux sont de deux sortes, sanguins et lymphatiques; et, dans les proportions de ces vaisseaux entre eux , il peut exister l'une ou l'autre des trois choses suivantes : excès du système lymphatique sur le sanguin ; excès du système sanguin sur le lymphatique; et enfin état moyen de l'un et de l'autre. La première disposition correspond au tempé- rament pituiteux des anciens ; l'habitude extérieure du corps est molle , lâche , faiblement colorée ; les formes sont arrondies , les chairs humides , peu contractiles ; le sang est peu coloré , séreux. La seconde , au contraire, cor- respond au tempérament bilieux ; aussi l'habitude exté- rieure est-elle sèche , maigre, sombrement colorée; les for- mes sont saillantes, dures; le sang dense, peu séreux , coloré , elc. Enfin , la troisième constitue le tempérament ' sanguin; le corps , à l'extérieur , offre une coloration fleurie, un embonpoint médiocre ; les muscles saillent en dehors, mais sans dureté ; la peau est souple, la chaleur douce ; le sang d'une couleur brillante, ni trop séreux, ni trop dense , etc. M. Halle fait ici la même remarque que nous avons déjà faite relativement aux caractères tirés des cheveux , des ex- crétions muqueuses et de la sécrétion biliaire ; les traits pris dans ces parties de l'organisme ne sont que des coïncidences, assez fréquentes sans doute, mais qui cependant souffrent trop d'exceptions pour qu'on les considère comme signes cer- tains des tempéraments. Ainsi, bien que les lymphatiques aient généralement les cheveux blonds, et les bilieux les che- veux noirs; bien que les premiers aient souvent toutes les se-

DES TEMPÉRAMENTS. 4gc)

crétions muqueuses actives s tandis que dans les bilieux la sécrétion biliaire prédomine ; souvent aussi on observe des dispositions contraires. Sans doute, puisqu'on voit les cheveux changer selon les âges, il n'est guère possible de méconnaître que ces parties ne se ressentent assez prochai- nement de l'état des systèmes généraux , et ne puissent par conséquent faire préjuger l'état de ces derniers. Mais il ne faut pas oublier qu'ici mille variétés sont possibles , et que ce n'est point par ces dispositions secondaires qu'il faut établir les tempéraments. Relativement au système ner- veux , M. Halle considère le degré de susceptibilité de ce système , la durée des impressions qu'il reçoit , la prompti- tude avec laquelle ces impressions s'associent et se succè- dent. La susceptibilité peut-être extrême , faible ou modé- rée; et bien que chacune de ces dispositions puisse coïn- cider avec les dispositions diverses dépendantes de l'état des vaisseaux, d'où beaucoup de tempéraments divers, cepen- dant l'observation montre que la susceptibilité extrême est ordinairement compagne des tempéraments bilieux , îa susceptibilité faible celle du tempérament lymphatique , et la susceptibilité modérée celle du tempérament san- guin. Néanmoins on observe ici beaucoup d'exceptions ; et , par exemple , souvent il y a susceptibilité nerveuse avec prédominance lymphatique, comme dans les femmes et les enfants. La durée des impressions, toutes choses égaies d'ailleurs dans la vivacité de ces impressions et l'intérêt qui leur est attaché, peut-être aussi extrême , faible ou modérée ; et l'observation montre encore que la première est plus particulièrement propre au bilieux , la seconde au lymphatique, et la troisième au sanguin. Quant à la succes- sibilité; ou bien elle est extrême, d'où résulte une conti- nuelle mobilité , comme dans les enfants , les peuples méri- dionaux; ou elle est très lente , soit par une faiblesse origi- nelle de l'esprit , soit par l'habitude d'une forte attention, d'où résulte ce qu'on appelle Y abstraction. Enfin , le troi- sième système général auquel M. Halle rapporte les tempé- raments généraux est le système musculaire, et ce savant y considère ; la masse; 20 l'influx nerveux qui le régit. La

J6: 3.2.

5oo DES DIFFÉRENCES INDIVIDUELLES DE L'HOMME.

masse s'apprécie par le volume et la densité des fibres mus- culaires, et est forte, faible ou moyenne. L'influx nerveux est ce qu'on appelle Y excitabilité, et est aussi fort , faible ou moyen. Il y a de nombreuses variétés dans la mesure dans laquelle se combinent ces deux dispositions; et entre toules les combinaisons qui sont possibles , deux surtout sont assez tranchées pour constituer des tempéraments , savoir : l'as- sociation de peu d'excitabilité avec une masse musculaire énorme, d'où résulte le tempérament athlétique des An- ciens; et, au contraire, l'association d'une grande excita- bilité avec une masse musculaire faible , d'où résulte le tempérament nerveux convidsif. Il est aisé de voir , dans cette analyse des tempéraments généraux de M. Halle, qu'au fond ces tempéraments sont ceux des Anciens, dont seule- ment les bases anatomiques sont mieux indiquées.

11 en sera de même de ce qu'il appelle îes tempéraments partiels. Ceux-ci sont dus à l'état qu'affectent les systèmes généraux vascuîaires et nerveux dans les diverses régions du corps , ou à des dispositions particulières de certains vis- cères : ils sont décèles par certains phénomènes pertur- bateurs , des bémorrhagies , par exemple , et par les ma- ladies dites constitutionnelles. Ainsi, les diverses ten- dances hémorrhagiques annoncent autant de tempéraments partiels, puisqu'il ne peut être indifférent ni semblable qu'il survienne habituellement un épistaxis, une hémo- ptysie, des hémorrhoïdes : chacune de ces hémorrhagies accuse une disposition différente des systèmes vascuîaires et nerveux dans chacune des trois cavités splanchniques; et il est d'autant plus important de noter ces dispositions, qu'elles présagent les maladies qui peuvent survenir, et que souvent elles sont en opposition avec ce que les apparences extérieures feraient préjuger de l'état général de tout le système circulatoire. De même, si Ton voit des ma- ladies constitutionnelles, celles du système lymphatique, par exemple , attaquer successivement dans la suite des âges, la tête, le coi, le thorax, l'abdomen; n'est-ce pas que successivement ces diverses cavités se sont trouvées dans autant de dispositions d'organisation diverses, et for-

DES TEMPÉRAMENTS. 5oi

ment alors comme autant de tempéraments partiels ? Qui pourrait nier que chaque organe n'a un degré de susceptibi- lité spécial, qui le prédispose plus ou moins à devenir un point de fluxion, le lieu se fixera une maladie constitu- tionnelle? et les maladies constitutionnelles ne sont-elles pas ce qui accuse le mieux les dispositions spéciales qu'a le système nerveux dans chaque région du corps, dans chaque organe ? Quant aux tempéraments partiels tenant à des dis- positions particulières de quelques viscères, il en est en quelque sorte autant qu'il y a dans le corps d'organes im- portants ; chaque homme n'a-t-il pas sa mesure spéciale dans sa température , son action de transpiration , le carac- tère de ses déjections alvines ? Mais M. Halle en signale sur- tout trois principaux: le pituiteux , tempérament caractérisé par la surabondance des excrétions muqueuses, des glaires, qui s'observe souvent dans la vieillesse, et qui a pour con- traire le tempérament sec : le bilieux proprement dit, caractérisé par la surabondance de la bile, et que décèlent la couleur jaune du visage , du blanc des yeux, et la fré- quence des embarras gastriques : enfin le mélancolique , à un état particulier des viscères hypocondriaques, et à un mode spécial de sensibilité du centre nerveux épigas- trique. Ce dernier correspond au tempérament atrabilaire des anciens; et nous avouerons que ses fondements anato- miques sont aussi vaguement spécifiés dans la théorie de M. Halle, que dans celle des éléments ou celle des humoristes. M. Rostan, prenant pour base des tempéraments le degré de prédominance ou d'infériorité des divers appareils de l'économie, de ces appareils que nous avons vu accomplir les fonctions, me semble plus près encore delà nature , et partant de la vérité. Rejetant comme impropre le mot de tempérament, il le remplace par celui de constitution, et il en distingue six priucipales. L'une est marquée par la prédominance de l'appareil digestif, dans lequel il faut comprendre, non-seulement l'estomac et l'intestin, mais les diverses humeurs sécrétées qui sont versées dans ces or- ganes pour la digestion, et surtout le foie. Dans cette con- stitution, l'appétit est impérieux, la digestion prompte;

502 DES DIFFÉRENCES INDIVIDUELLES DE l'hOMME. uu chyle abondant et nutritif est fourni au sang et à tous les organes; et par suite toutes les parties sont dans un bon état de nutrition et de développement. La bile étant sé- crétée en grande quantité, une partie en est résorbée,, et va teindre la peau et stimuler diversement les organes in- térieurs. 2» Une autre constitution est due au grand déve- loppement des organes respiratoires et circulatoires , or- ganes qui ont le même but, et qui par conséquent sont toujours dans les mêmes conditions. Une poitrine large, des poumons vastes, un cœur volumineux, des mouve- ments respirateurs grands et faciles, un pouls développé et fort, un sang abondant et riche; tels sont les traits locaux de cette constitution, qui, fournissant aux organes un sang excellent, doit imprimer partout l'activité. Aussi l'habi- tude extérieure est-elle bien nourrie, la peau est colorée; il y a développement complet et facile de tous les phéno- mènes de la vie. Comme la bile ici n'abonde pas, et n'est pas autant résorbée, cette constitution n'offre pas l'éréthisme que décèle souvent la précédente. Dans une troisième constitution, l'encéphale prédomine, et par contre il y a diminution d'activité et de développement de tous les systèmes de l'économie. Ses traits locaux sont un grand crâne, un grand cerveau, un grand besoin de sensations, de travaux intellectuels, d'affections et de passions. Ses influences générales s'expliquent par les deux lois de balan- cement et d'irradiation nerveuse que nous avons posées : à raison de la première, tous les autres organes languissent; l'habitude extérieure est amaigrie, desséchée; toutes les parties sont moins bien nourries et développées; à raison de la seconde, toutes les fonctions organiques sont, non- seulement plus faibles, mais facilement troublées. Comme souvent le cervelet participe du grand développement de l'encéphale, souvent aussi l'appareil génital est fort actif. Au lieu des maladies gastriques et inflammatoires, auxquelles étaient prédisposées les deux premières espèces de constitu- tions, dans celle-ci ce sont les maladies nerveuses. Une constitution inverse est celle domine l'appareil locomo- teur ; caractérisée physiquement par le grand développemen t

DES TEMPÉRAMENTS. 5o3

des systèmes osseux et musculaire , ses traits physiologi- ques sont une grande force musculaire et une grande dimi- nution des fonctions sensoriales et génitales. Comme elle suppose une assez grande dépense , elle exige toujours coïnci- demment un assez grand développement des appareils diges- tif, respiratoire et circulatoire. Nos lecteurs auront cer- tainement reconnu dans ces quatre premières constitutions les tempéraments bilieux , sanguin, nerveux et musculaire que nous avons vu figurer dans les théories précédentes; voici une constitution qui ne leur avait pas encore été si- gnalée, celle qui est marquée par la prédominance de l'ap- pareil génital. Le grand changement qui se fait à la puberté, prouve assez la grande influence exercée par l'appareil gé- nital sur toute l'économie; soit qu'on explique cette in- fluence par la modification qu'imprime au sang la sécrétion spermatique; soit qu'on l'attribue aux réactions sympathi- ques qui émanent alors de cet appareil. En vain voudrait- on rapporter à un développement coïncident des autres organes, les changements généraux qui caractérisent cette époque de la vie ; ce qui prouve que l'appareil génital y a la plus grande part, et par conséquent mérite de constituer un tempérament, c'est ce qu'on observe chez les eunuques. Castre-t-on l'homme avant la puberté ? il traverse cet âge sans éprouver les changements généraux qui décèlent sa vi- rilité : Est-il castré après la puberté, mais jeune encore ? il perd en partie les traits que cet âge lui avait imprimés, et d'autant plus qu'il est plus jeune, et qu'il avait l'appareil génital plus actif. Il y a donc un tempérament génital, et le nom de tempérament donné exclusivement dans le monde à la prédominance de cet appareil, est même une preuve de l'observation instinctive qui en avait été faite. Ses traits sont un grand développement des organes génitaux, la grande activité de leurs fonctions , l'exagération des formes nouvelles qu'on revêt à la puberté , l'épaisseur de la barbe , l'abondance des poiîs sur tout le corps, la gravité de la voix , etc. Voyez, sous tous ces rapports, quel contraste entre l'homme libidineux et l'eunuque, ou même l'homme que son organisation primitive a fait continent î Comme ici, il y

5o4 DES DIFFÉRENCES INDIVIDUELLES DE L'HOMME, a assez grande dépense, il y a souvent coïncidence, des ap- pareils qui font le sang qui fournit à cette dépense, et de l'appareil hépatique auquel est un stimulus intérieur. 60 Enfin , M. Roslan signale une constitution caractérisée par l'atonie de tous les appareils, et qui correspond au tempérament lymphatique des Anciens. La plupart des modernes font consister ce tempérament dans l'inertie du système lymphatique; M. Broussais , au contraire, l'at- tribue à sa prédominance; M. Rastan croit que les premiers ont pris l'effet pour la cause, et que si, dans cette constitu- tion, les sucs blancs, l'embonpoint, la graisse prédominent, c'est consécutivement à l'inertie de tous les appareils et de toutes les fonctions : l'habitude extérieure est pâle, bouffie, non colorée, les chairs molles, etc.

Telle a été la succession des idées des médecins sur les tempéraments; et l'on voit que, tout en différant sur les noms et sur les explications qu'ils ont donnés de ces diffé- rences de l'homme , ils ont toujours signalé à peu près les mêmes nuances, 11 ne pouvait en être autrement : comme les tempéraments consistent dans des disproportions des systèmes influents du corps, et comme il n'y a qu'un petit nombre de ceux-ci, il ne pouvait y avoir aussi qu'un nom- bre restreint de tempéraments, et ces tempéraments ne pouvaient être que les mêmes. Ainsi que nous l'avons dit en commençant ce chapitre , c'est sur les principes que nous avons posés en traitant des connexions des organes et des fonctions, qu'il faut baser la doctrine des tempéraments : aucun organe , par sa disproportion avec les autres, ne peut en constituer, qu'autant qu'il est influent; et nous avons en quelque sorte indiqué le degré d'importance des uns et des autres, en traitant de leurs rapports fonctionnels et sympathiques. Pourrait-il être sans influence pour Fécono- rnie , ique les appareils digestif, respiratoire et circulatoire , qui font et distribuent le sang à tous les organes, soient plus ou moins prédominants? et ne doit-il pas en résulter une modification dans la nutrition et le degré d'activité de tous les organes ? La mesure dans laquelle agissent les sé- crétions qui influent sur la crâse de ce fluide, comme les

DES TEMPÉRAMENTS. 5o5

sécrétions urinaire, spermalique, biliaire , ne doit-elle pas avoir la même importance? Le degré d'intensité de l'autre condition vitale, l'innervation , est aussi d'un égal intérêt. Il ne peut être indifférent non plus, que les organes qui ont une très grande puissance sympathique, soient plus ou moins développés, plus ou moins actifs, puisqu'ils sont la source d'irradiations continuelles dans toute l'économie : ainsi , le tempérament gastrique influera , non-seulement comme fournissant plus de chyle au sang , mais encore comme faisant de l'estomac un foyer continuel d'irradia- tions. Enfin, comme, en vertu des lois de balancement et d'irradiation , aucun organe ne peut agir sans diminuer la mesure d'activité des autres, ou la perturber ," on conçoit qu'aucun organe ne peut être impunément plus actif ou prédominant. Ainsi peuvent s'expliquer toutes les diffé- rences individuelles des hommes. Nous ne ferons pas, d'a- près ce plan, une exposition des tempéraments; ce serait nous condamner à des répétitions; d'ailleurs le tableau de M. Rostan y correspond assez. Nous voudrions seulement que, dans toute description des tempéraments, on séparât avec soin les traits locaux qui les constituent , c'est-à-dire qui tien- nentaux organes et appareils qui sont prédominants ou infé- rieurs , des traits généraux qui sont les effets fonctionnels ou sympathiques des premiers. Ainsi l'attention serait d'abord portée sur ce qui constitue la différence individuelle, et tous les autres traits seraient rattachés à celle-ci comme à sa cause. Ainsi, ne seraient plus réunis pèle-mèîe des carac- tères, qui n'échappent à l'esprit que parce qu'ils ne sont pas disposés dans l'ordre de leur dépendance , et qui souvent même- se eontre-indiquent, et ne doivent pas se rencontrer ensemble. Par enfin, serait évitée la confusion blâmable qu'on peut reprocher anx auteurs les plus modernes 3 des tempéraments et des caractères ; puisqu'on verrait bien que la prédominance ou l'infériorité d'un appareil organique ne peut influer sur le moral que par l'intermédiaire du cer- veau, en augmentant, diminuant, modifiant la mesurer d'activité de cet organe.

5o6 DES DIFFÉRENCES INDIVIDUELLES DE L'HOMME.

CHAPITRE II.

Des Constitutions.

Les divers hommes n'étant jamais tout-à-fait semblables entre eux dans le degré d'activité et de développement de leurs organes , et la mesure que chacun offre sous ce rapport étant ce qu'on appelle sa constitution, on conçoit que les constitutions sont aussi multipliées que le sont les individus eux-mêmes, et qu'il est par conséquent impossible d'en spécifier aucune. Aussi avons -nous annoncé que nous ne parlerions ici que de leur jforce ou faiblesse.

Par ce mot force nous n'entendons pas le degré de puis- sance musculaire , mais la stabilité dans la santé , la mesure de résistance qu'on oppose aux influences propres à amener des maladies. On ne peut disconvenir que les hommes ne soient différents à cet égard : tel a une constitution forte, qui , s'il n'en abuse pas, poussera plus loin sa carrière, et, pendant son cours, résistera mieux aux causes morbifiques qui pourront l'assiéger : tel autre , au contraire, ayant une constitution faible , un moins riche fonds de vie , si l'on peut parler ainsi , sera plus tôt vieux et plus accessible à des maladies. Cette différence qu'on peut devoir à sa naissance , aux qualités de ses parents, on peut aussi l'acquérir dans le cours de sa vie , par le régime que l'on suit , le mode dans lequel on use de ses organes. Par des soins bien entendus, on fortifie une constitution primitivement faible; comme par des abus et des influences délétères, on affaiblit une constitution primitivement forte. Il s'agit de spécifier les causes organiques auxquelles est due la force de la constitu- tion , et à quels signes on la reconnaît.

D'abord , il ne faut pas faire de la force de la constitution un Être particulier ; elle n'est que la résultante de toutes les actions qui se développent et s'exercent dans le corps , en vertu de l'organisation ; et voici les conditions organiques nécessaires pour que la constitution soit forte. Il faut un développement convenable des appareils qui président à l'éta-

DES CONSTITUTIONS. 507

blissement des conditions fondamentales de la vie, sang artériel et innervation: s'il y a, par exemple, développement imparfait, monstruosité quelconque des appareils digestif, respiratoire et circulatoire, il en résultera un vice quelconque dans la sanguification ; et, par suite, nutrition et stimulation moindre des organes, faiblesse de tout le corps, et risque plus grand d'une fin prématurée, d'une mort accidentelle. 20 II faut que tous les organes soient, autant que possible, dans une juste proportion entre eux : s'il y a prédomi- nance , plus grande activité de quelques-uns; d'un côté, en raison de la loi de balancement , quelques autres auront alors une énergie moindre; de l'autre, les or- ganes prédominants souvent auront, par cela même, une susceptibilité morbide plus grande. Plus il y aura entre tous les organes l'équilibre nécessaire pour l'accomplisse- ment le plus facile et le plus complet de toutes les facul- tés , pour la succession la plus douce et la plus mesurée des phases de la vie, plus la constitution sera forte. Enfin, indépendamment de ce rapport entre la bonne organisation et le juste équilibre des systèmes principaux du corps , et la force et la faiblesse de la constitution, la cause de celle-ci réside encore dans la mesure de l'innervation , élément aussi inconnu dans son essence qu'incalculable dans ses propor- tions. N'avons-nous pas vu, en effet, que le système ner- veux dispense à tous les organes l'influx qui les fait agir? et qui pourrait nier que ce système n'agisse dans les divers hommes , et même dans chaque homme dans les diverses circonstances de sa vie , avec un degré divers de puissance , qui fixe ce qu'on appelle leur force ? Si la force de la consti- tution change selon les âges , va en augmentant dans le pre- mier, en diminuant dans le dernier , n'est-ce pas en raison du degré d'énergie que possède le système nerveux? Si l'exer- cice prolongé d'une action vitale quelconque , soit de santé, soit morbide, jette toute l'économie dans la faiblesse, n'est- ce pas consécutivement aux pertes qu'a faites le système nerveux ? et la restauration qu'amène alors le sommeil, n'en est-elle pas une preuve ? H est certain enfin que des hommes, dont l'organisation , sous le rapport des appareils digestif ,

5o8 DES DIFFÉRENCES INDIVIDUELLES DE L'HOMME, respiratoire et circulatoire, paraît assez faible, ont cepen- dant une force de constitution remarquable; et probable- ment ils la doivent à une plus grande énergie intrinsèque de leur système nerveux.

Ainsi, développement convenable des principaux orga- nes du corps, proportions heureuses entre ces organes, et énergie du système nerveux, telles sont les trois conditions organiques auxquelles la constitution doit d'être forte. Sa faiblesse sera due aux conditions inverses. Il y a, relative- ment à chacune d'elles, mille différences possibles entre les hommes; de sorte que les constitutions ne diffèrent pas moins sous le rapport de la force que sous tous les autres : nous sommes encore ramenés ici à des individualités. Les disproportions de nos organes sont surtout ce qu'il y a de plus fréquent; nous naissons presque toujours avec des iné- galités de force dans nos diverses parties; et cela ne serait pas, que le cours de la vie amènerait bientôt de ces inéga- lités. Non-seulement chaque organe peut être seul fort, ou seul faible; mais encore, dans un même individu, un organe peut être fort, tandis qu'un autre sera faible; de sorte que la constitution sera tout à la fois forte sous un rapport, et faible sous un autre. Par exemple, tandis que chez le savant et l'homme de lettres, le cerveau a une grande force ; que cet organe accomplit avec facilité, perfection , ses opérations , et peut même se permettre impunément quelques excès ; l'es- tomac, au contraire, est faible , et les digestions sont diffi- ciles, laborieuses. La loi de balancement donne l'explica- tion de ces faits , qui prouvent d'ailleurs qu'il ne faut pas considérer exclusivement d'une manière générale les idées de force et de faiblesse, mais qu'il faut les appliquer aussi à chacun des organes du corps en particulier. Du reste, dans ces disproportions inévitables de force que présentent les organes , les chances de maladie et les risques de mort accidentelle seront d'autant plus grands, que l'organe qui est plus faible est un des plus importants, un des plus em- ployés, et un de ceux qui doit naturellement, ou à cause de notre situation sociale particulière, supporter delà part de l'univers extérieur le plus d'influences contraires.

DES IDIOSYKCRASIES. 609

Maintenant faut -il tracer les signes extérieurs auxquels on reconnaîtra le degré de force ou de faiblesse de la consti- tution ? Ces signes sont anatomiques et physiologiques, c'est- à-dire pris dans le degré de développement de tous les or- ganes, et dans le mode selon lequel ils accomplissent leurs fonctions. Lorsque, examinant l'habitude extérieure, les proportions des diverses parties , le volume des os, des chairs, l'état des articulations, de chacune des cavités splan- chniques, de chacun des systèmes, des appareils, etc., on trouve toutes ces parties bien conformées, convenablement développées , on a lieu d'en conclure une assez grande force dans la constitution. Il en est de même si , observant atten- tivement chacune des fonctions, on voit l'accomplissement s'en faire avec régularité, aisance et énergie. On juge d'or- dinaire par les caiorifications, parce que ces fonctions ont pour but d'annihiler une influence physique contraire : mais toutes les fonctions ne sont-elles pas dans le môme cas? et toutes n'ont-elles pas pour résultat la production d'un phénomène oppposé aux lois physiques et chimiques générales? On peut aussi prononcer, d'après la résistance qu'oppose l'économie aux influences perturbatrices aux- quelles on la soumet, ainsi que d'après la promptitude avec laquelle elle se rétablit, quand une maladie la dérange. Il faut enfin consulter, et l'âge de l'individu, puisque le fonds de vie n'est pas le même en chacun; et la manière dont il a vécu, puisqu'il a pu entretenir, ménager, éco- nomiser ses forces, comme les épuiser.

CHAPITRE III.

Des Idiosyncrasies .

En prenant le mot idiosyncrasie dans le sens rigoureux de son étymologie, il devrait être synonyme de celui de constitution, et exprimer la manière d'être de chacun. Plusieurs physiologistes en effet le prennent en cette accep- tion; mais le plus généralement il désigne une différence individuelle, généralement locale, c'est-à-dire bornée à un

5 10 DES DIFFÉRENCES INDIVIDUELLES DE L'HOMME, seul organe, mais qui est telle qu'elle imprime à la fonc- tion de cet organe, ou à d'autres fonctions par influence sympathique de celui-ci, un caractère insolite qui frappe aussitôt par sa singularité. Ainsi, c'est une idiosyncrasie que cette disposition individuelle , dans laquelle certains aliments, qui généralement plaisent et conviennent à tous les hommes, comme du sucre, des fraises, ne peuvent être avalés sans déterminer le vomissement ^ ou une syncopé, ou des convulsions, etc.

Nul doute que toute idiosyncrasie n'ait pour cause une organisation spéciale de la partie qui la signale; nous avons trop exclusivement, dans tout le cours de cet ouvrage, pro- fessé le principe que tout phénomène de vie dérive de l'or- ganisation, pour n'en pas faire encore ici l'application. Nul doute aussi que ce ne soit dans l'élément nerveux de la partie, que ne réside surtout cette spécialité organique de laquelle dépend l'idiosyncrasie. Mais il faut avouer que nous ne pouvons dire en quoi elle consiste , de sorte qu'elle ne nous est annoncée que par ses effets , c'est-à-dire par l'i- diosyncrasie elle-même. Combien d'autres cas dans les- quels nous avons été dans la même position !

De là, il résulte que dans l'histoire des idiosyncrasies on est réduit à affirmer leur réalité, et à énumérer celles qui jusqu'à présent ont été observées : or, le nombre en est des plus considérables, car il n'est aucune des fonctions qui n'en aient présentées; mais il devra nous suffire d'en citer quelques exemples pour chacune. Ainsi , pour com- mencer par la digestion, un ami de Tissot ne pouvait man- der un peu de sucre sans vomir : le célèbre Hachn ne pou- vait prendre plus de six à dix fraises sans être saisi de convulsions: quel médecin n'a vu des personnes atteintes d'érysipèle , de fièvre ortiée , pour avoir mangé des moules ! Par une idiosyncrasie inverse, certaines personnes recher- chent avec avidité pour aliments des substances repous- santes, comme de la viande crue, du poisson cru, de la craie , du charbon , etc. A ces individualités relatives aux aliments , nous joindrons celles qui portent sur les médica- ments. Que de différences à cet égard parmi les hommes!

DES IDIOSYNCRASIES. 5il

Certains ne peuvent prendre, sans qu'il survienne une li- pothymie, la moindre quantité d'opium. La circulation offre aussi des anomalies de ce genre : on trouve des indi- vidus qui ont naturellement le pouls inégal , intermittent, ou plus fréquent, ou plus lent du double que ne le com- porte leur âge ; celui de Napoléon , par exemple , ne battait que quarante-quatre fois par minute. Aux fonctions des sens, ces idiosyncrasies sont encore plus frappantes, et donnent lieu à ce qu'on appelle leurs sympathies et leurs antipathies. Que de variétés entre les hommes, sous le rap- port des odeurs et des saveurs! celles qui plaisent aux uns, déplaisent aux autres: certains individus ne recherchent que les odeurs qui sont le plus ordinairement repoussées, et entre autres exemples, nous avons cité celui deLouisXIV. Ces idiosyncrasies des sens portent surtout sur les effets qu'exercent leurs impressions sur toute l'économie. On cite des exemples de plusieurs personnes que l'odeur des chats, des rats, faisaient tomber en syncope. Gaubius cite celui d'un homme sur lequel l'émanation des femmes produisait le même effet. Quant au sens de la vue , sans parler de cer- tains animaux qui ne peuvent voir du rouge sans entrer en fureur , il est certains individus qui sont organisés de ma- nière à ne voir que certaines couleurs , ou à n'en voir au- cunes , de sorte que les objets leur paraissent comme une gravure. Relativement à Fouie, Ev. Home et Heidmann ont vu des individus qui percevaient les sons pi us tard , et à un ton plus bas, par une oreille que par l'autre. J.-J. Rousseau cite le cas d'un homme auquel le son d'une cornemuse don- nait immédiatement une incontinence d'urine. Le bruit de l'eau qui sortait d'une pipe fit tomber Bayle en convul- sion. Enfin, on a vu le même effet, ou la syncope, résulter en certains individus de la sensation tactile faite sur leur peau par du velours ou le duvet d'une pêche.

Il est souvent utile au médecin praticien de connaître ces idiosvncrasies ; soit parce qu'il pourrait prendre pour un état de maladie, cequi,par une anomalie, est propre à l'état normal; soit parce qu'en employant comme agents théra- peutiques des substances qu'une idiosyncrasie repousse , il

5 1 2 DES DIFFÉRENCES INDIVIDUELLES DE L'HOMME. n'en obtiendrait pas l'effet désiré, ou même provoquerait des accidents. Aussi, est-il bon d'ajouter quelque foi au dire des malades à cet égard, jusqu'à un certain point ce- pendant; car beaucoup de ces prétendues idiosyncrasies sont souvent aussi de leur part des idées préconçues , oit des produits d'une direction vicieuse de leur imagination. Du reste, comme les tempéraments, comme les constitu- tions, et toutes les différences individuelles en général , les idiosyncrasies sont con géniales ou acquises ; et ces dernières sont les produits ou des maladies, ou des habitudes. D'une part , un état morbide peut modifier les organes au point de leur faire développer des idiosyncrasies; ce sont, par exemple , des idiosyncrasies de l'estomac provoquées sym- pathiquement par l'utérus, que ces appétits bizarres, sin- guliers, que manifestent les femmes dans leur grossesse : il en est de même de ceux que décèlent les hystériques , les hypocondriaques , etc. D'autre part, souvent l'habitude im- prime aux fonctions un caractère opposé à celui qui leur est naturel, et crée de véritables idiosyncrasies; c'est ainsi, par exemple, que Mithridate s'était habitué à manger im- punément des poisons. Mais ceci nous conduit à l'étude des différences individuelles qui sont acquises, et particulière- ment à celles qui constituent ce qu'on appelle les habitudes.

CHAPITRE IV,

Des différences individuelles acquises, et de celles qui constituent des habitudes*

Toutes les différences individuelles que nous venons d'examiner, tempéraments, constitutions, idiosyncrasies, reconnaissent pour causes : tantôt l'organisation primitive, originelle, qu'on a apportée en naissant; tantôt les modifi- cations qu'ont imprimées à cette organisation primitive les influences extérieures et l'emploi même qu'on a fait de la vie. De , le partage qu'on a fait de ces différences indivi- duelles en natives et en acquises.

io Différences individuelles innées ou natives. Il est im-

DES DIFFÉRENCES INDIVIDUELLES ACQUISES. 5i3

possible de méconnaître que dans les nombreuses différences que nous venons de reconnaître entre les hommes , il n'y ait quelque chose d'originel. En effet , plusieurs enfants de même âge , soumis aux mêmes influences extérieures, au même genre de vie, déjà trahissent chacun leurs qualités propres , et à mesure qu'ils grandissent, deviennent de plus en plus différents. Souvent aussi des individus manifestent des crualités contraires à celles qu'ils devraient recevoir du monde extérieur auquel ils sont soumis, tant a été forte en eux l'empreinte de leur organisation première. Il existe donc en nous une trame primitive , que nous avons reçue de nos parents lors de la génération , qui décide généralement du fonds de nos dispositions, mais sur laquelle nous brodons ensuite diversement notre existence, comme dit M. Ha lié , par la manière dont nous nous gouvernons. Il est d'ailleurs démontré que , par la génération , se transmettent, des pères aux enfants, des ressemblances physiques et morales, des maladies; pourquoi dès lors ne se transmettraient pas de même ces disproportions d'organes influents qui font les tempéraments , ces dispositions spéciales qui font les idio- syncrasies'? Il est d'autant, moins permis de contester la part que nous assignons ici à l'organisation originelle, pour la production des différences individuelles des hommes, que souvent celles-ci se décèlent avant que les influences exté- rieures et l'exercice de la vie aient pu imprimer quelques modifications profondes à l'être, et que c'est cette or- ganisation originelle qui décide la direction qui sera sui- vie» D'une part , eu effet, si les tempéraments natifs ne sont lout-à-fait prononcés que dans l'âge moyen de la vie, ce- pendant leurs traits s'annoncent dès la première enfance, et vont chaque jour en se marquant de plus en plus. D'au- tre part, qui oserait nier que, vu la nullité de l'éducation pour le plus grand nombre des hommes, et même malgré l'éducation , la plupart ne sont que ce que les font leurs dispositions originelles ?

Il s'agirait dès lors de spécifier pourquoi cette organisa- tion originelle est si variable dans les divers hommes. Mais ceci nous reporte aux mystères de îa génération et de Ja vie Tome IV. 33

5 1 4 DES DIFFÉRENCES INDIVIDUELLES DE L'HOMME.

intra-ulérine qui nous ont occupé dans le temps. D'une part, les faits obligent d'admettre que les matières fournies par l'un et l'autre sexe pour la production de l'individu nouveau, non-seulement constitueront un être de l'espèce de ses parents, mais encore que cet être aura des spécialités qui dépendront de celles de ses père et mère , et des cir- constances dans lesquelles a eu lieu sa formation. Or, mille variétés doivent exister sous ce double rapport. D'autre part, indépendamment de cette influence due à la généra- tion elle-même , peut-être en est-il une autre exercée lors de la grossesse ; par le genre de nourriture que l'enfant a reçu de sa mère; par l'union qui existait alors entre lui et elle et qui a le rendre plus ou moins participant des pertur- bations qu'elle pouvait éprouver; enfin , en raison du degré de perfection avec lequel s'est accompli la vie utérine. Mais dans l'appréciation de l'une et l'autre cause, le raisonne- ment seul nous conduit, l'observation nous manque, et nous ne pouvons conséquemment aller au-delà de cette gé- néralité.

Différences individuelles acquises. Si l'homme apporte en naissant une organisation qui, le plus souvent, décide de son tempérament, de sa constitution ; cet être, d'autre part, est susceptible de recevoir de nombreuses modifications, par l'action des corps extérieurs avec lesquels il a des rapports nécessaires et inévitables, par la mesure dans laquelle il exerce ses organes; et de cette sorte, sont un peu altérées ses dispositions primitives , et souvent même lui sont imprimées des dispositions nouvelles, qu'on a raison dès lors d'appeler acquises , et parmi lesquelles figurent au premier rang celles qu'on appelle des habitudes.

D'abord, est-il possible de nier les modifications que l'homme peut recevoir de l'univers extérieur ? Les diffé- rences qu'il offre selon les climats, les lieux, les influences atmosphériques , le régime, en sont la preuve. Quelle oppo- sition entre l'homme rabougri des contrées hyperboréennes ; et l'homme de nos régions tempérées , qui , sous l'influence d'un beureux climat, a accompli tous ses développements! Depuis TJippccrate, qui a établi ce fait dans son immortel Traité

DES DIFFÉRENCES INDIVIDUELLES ACQUISES. 5l5

de l'air, des eaux et des lieux, jusqu'à nos jours , on a reconnu les différences que présentent les hommes selon les lieux qu'ils habitent; l'homme des continents diffère de l'insulaire; l'habitant de la plaine diffère de celui des montagnes. Les différences ici sont presque aussi multipliées que le sont les localités; et les influences spéciales de celles-ci sont quel- quefois assez prononcées pour occasion er des maladies qui leur sont propres et qu'on appelle endémiques , et pour dé- terminer, dans les hommes qui viennent tout à coup s'y fixer, une révolution qui est souvent orageuse, et qu'on appelle acclimatement. La température atmosphérique est surtout une circonstance qui, quand elle est extrême, mo- difie les hommes; et, sans parler de la coloration plus grande qu'imprime à la peau la chaleur solaire, les opposi- tions les plus frappantes s'observent entre l'homme des tro- piques et l'homme des régions polaires, l'homme du midi et l'homme du nord. Enfiu , il ne peut être indifférent pour constitution, qu'on soit soumis à une alimentation trop pauvre ou trop riche : à la longue , il doit en résulter , dans le premier cas, une constitution faible, cachectique; et dans le second cas, une disposition pléthorique, inflamma- toire. Ce que nous avons dit, dans le temps, des rapports, tant physiques et chimiques , qu'organiques , de l'homme avec le monde extérieur, explique assez le mode selon lequel celui-ci lui imprime tant de modifications; nous y avons fait voir que, bien que l'homme doive, tant qu'il vit, se soumettre, se subordonner tous les corps extérieurs, cepen- dant toujours il se moule , il se proportionne en partie à eux. En second lieu, la mesure dans laquelle l'homme use de •à vie, el exerce ses divers organes , amène en lui des diffé- rences qui ne sont pas moins considérables. En effet , nous avons déjà indiqué bien des fois dans cet ouvrage , les chan- gements divers qu'entraîne , dans les organes et les fonc- tions, l'exercice selon son degré. Une partie est-elle laissée trop inactive? non-seulement cette partie n'a qu'un déve- loppement imparfait , mais elle n'acquiert qu'une médiocre prestesse pour l'accomplissement de sa fonction , et n'a que peu de susceptibilité à entrer en jeu. Une partie, au con-

33.

5i6 DES DIFFÉRENCES INDIVIDUELLES DE L'HOMME.

traire, est-elle exercée convenablement ? cette partie se dé- veloppe tout-à-fait , acquiert un grand volume, accomplit sa fonction avec la plus grande dextérité , et a la plus grande susceptibilité à entrer en action. Enfin , une partie trop employée s'altère , s'épuise , et bientôt se refuse à son ser- vice. Or, comme il est beaucoup des organes de l'homme qui sont soumis à sa volonté, qu'il peut conséquemment faire agir trop ou trop peu, quelle source féconde de diffé- rences individuelles ! Ces effets du degré d'exercice ne sont même pas bornés à la partie qui agit : toute la constitution est plus ou moins modifiée; soit parce que l'appareil qui est laissé inactif, ou qu'on a rendu prédominant, est un des appareils influents du corps; soit parce qu'en vertu de la loi de balancement, il est impossible que l'action diminue ou augmente d'un côté , sans qu'elle augmente ou diminue de l'autre. C'est ainsi que l'homme qui mange beaucoup, non-seulement rend actif son appareil digestif, mais encore amène à la longue un état pléthorique général. C'est ainsi que l'excès des exercices musculaires amène l'obtusion des actions sensoriales; et, qu'au contraire, l'excès des actions sensoriales entraîne la débilité musculaire. Il n'est presque aucune des différences individuelles, tempéraments, idiosyn- crasies, dont nous avons donné la description , qui ne puisse être développée par la mesure d'action des organes, parle régime de vie, et par conséquent être acquise. Par exemple, l'individu qui, par l'exercice, a développé le plus pos- sible l'appareil digestif, ou l'appareil génital , revêt la même manière d'être que ceux qui avaient originellement ces ap- pareils prédominants. Cependant, avouons que ceci n'est vrai que jusqu'à un certain point; il faut toujours quelques dispositions originelles favorables, car on ne peut forcer sa nature. N'exagérons rien; et nous gardant également de ces deuxécueils , de rapporter l'état de l'homme exclusivement, ou à son organisation native , ou aux influences du monde extérieur et de l'éducation, sachons, dans l'appréciation des différences que présentent les hommes, faire la part de ces deux puissances. Celle du mode de vie est surtout évidente , en ce qui concerne les tempéraments nerveux et muscu-

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laire ; ces tempéraments sont plus fréquemment acquis que natifs. Supposez deux individus , l'un livré exclusivement aux travaux d'esprit , aux agitations morales , et ne faisant aucun exercice physique; l'autre n'employant que ses mus- cles, et adonné à des travaux rudes et continuels; chacun de ces deux hommes ne vous présentera- fc-iî pas , le premier., un exemple du tempérament nerveux , le second , un exem- ple du tempérament musculaire ? C'est au degré d'exercice des organes , que se rapportent toutes les différences qu'im- prime aux hommes V éducation; les uns, n'ayant reçu au- cune de ses influences , et étant les produits bruts de leur nature primitive ; les autres ayant été façonnés par elle , mais diversement , et de manière à présenter des milliers d'aptitudes, d'inclinations diverses. C'est de l'exercice que dérivent aussi toutes celles qui proviennent des institutions publiques, des gouvernements , qu'on peut considérer comme n'étant qu'une éducation prolongée. Enfin, c'est encore à lui qu'il faut rapporter toutes les différences qu'entraînent les diverses professions, puisque toujours ces professions suppo- sent l'exercice exclusif, ou au moins prédominant, de quelque faculté. Cependant ces derniers agents modificateurs, gouver- nements , professions , doivent aussi une partie de leur puissance sur l'homme à l'influence qu'exercent sur celui-ci les diverscorps extérieurs; car, en même temps qu'ils règlent le mode dont l'homme use de lui-même, ils font varier les rapports que cet être établit avec toute la nature.

Enfin , c'est aux différences individuelles acquises, sus- citées par l'action des corps extérieurs et par l'exercice de la vie , que se rapportent les habitudes» On appelle ainsi des dispositions nouvelles acquises par les êtres vivants, et devenues permanentes et aussi impérieuses que l'étaient leurs dispositions primitives. Tout être vivant doit à son organisation originelle , à ce qu'on appelle sa na- ture « une certaine somme de besoins , de dispositions , de facultés; mais cette organisation n'est ni nécessairement, ni absolument immuable ; elle est au contraire susceptible d'être modifiée sans cesse, et par les impressions des corps extérieurs, et par îa mesure d'exercice des organes; alors,

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des dispositions nouvelles sont substituées à celles qu'on avait primitivement; et quand ces dispositions sont deve- nues permanentes, et exercent le même empire que les dis- positions primitives, on les appelle des habitudes.

La théorie de ces habitudes doit se déduire de ce que nous avons dit des causes qui modifient l'homme après sa naissance , savoir, les impressions des corps extérieurs, et la mesure d'exercice des organes. En premier lieu , pour que ces causes puissent en faire naître , il faut qu'elles soient capables de rendre permanente la modification qu'elles im- priment à l'économie. Or, déjà cela n'arrive , pour les im- pressions des corps extérieurs , que quand les impressions ont été continuées un certain temps; et pour l'exercice des organes , que quand cet exercice a été souvent répété. Ce n'est en effetque quand une impression est prolongée, qu'elle peut produire dans l'économie une modification assez profonde et assez durable , pour qu'il en résulte une disposition nou- velle saillante; et ce n'est aussi que quand l'exercice des organes est très répété , que ces organes acquerront à l'accomplissement de cet acte, une aptitude telle que cet acte , fût-il de ceux qui ne sont produits primitivement que par une volonté expresse et avec efforts , souvent alors se ma- nifestera comme de lui-même, sans qu'on paraisse le vouloir, et sans être aperçu. Aussi , définissons-nous les habitudes; des modifications permanentes et compatibles avec la santé, imprimées à l'économie par la répétition des mêmes actes, la continuité des mêmes impressions, d'où résultent des dispositions ditférentes de celles qui étaient primitives, mais exerçant désormais le même empire.

En second lieu, comme les deux causes des habitudes, la répétition des mêmes actes, la continuité des mêmes im- pressions, sont succeptibles d'agir dans des degrés divers, les habitudes devront être diverses aussi; leurs effets varie- ront, selon qu'aura été plus ou moins répété l'acte dont la répétition les produit, selon qu'aura été forte ou faible l'im- pression à la continuité de laquelle elles doivent naissance. En effet, nous allons voir que tour-à-tour leurs résultats sont de rendre , ou plus ou moins propres et enclins à l'acte

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qui a été répété , ou plus ou moins sensibles à l'impression quia été reçue. Ainsi : 1 ° Suppose-t-on d'abord qu'un acte ait été répété , autant que le permet la portée de force et de durée d'activité dont est susceptible l'organe qui en est l'agent? alors, d'un côté, cet acte devient de plus en plus facile , est de jour en jour accompli avec plus de perfection ; de l'autre côté, l'organe qui en est l'agent devient de plus en plus susceptible de le produire, à tel point que cette production peut devenir pour lui une nécessité, un besoin. C'est ce qu'explique ce que nous avons dit des effets de l'exercice , qui dans une mesure convenable fait acquérir aux organes plus de prestesse, et les rend plus disposés à agir. C'est ainsi que parle seul fait de leur répétition, des mouvements très compliqués , comme ceux de la. parole, du chant, etc. , se produisent comme d'eux-mêmes et sans qu'on paraisse y penser. Suppose-t-on, au contraire, que la répétition d'un acte soit de beaucoup au-dessous de la portée de force et de durée d'activité de l'organe qui en est l'agent? alors cet organe perd une partie de l'aptitude qu'il avait originellement à la production de cet acte , et par l'habitude y devient moins propre , moins enclin. C'est ainsi qu'on s'habitue à ne manger qu'une très petite quan- tité d'aliments, et qu'il devient ensuite impossible d'en digérer une quantité plus forte. Voilà donc l'habitude qui, sous ce premier rapport, amène, tantôt l'extension des facul- tés, tantôtleur affaiblissement, leur anéantissement, selon la mesure dans laquelle a eu lieu la répétition, selon que celle-ci a été un exercice convenable ou de l'inaction , ou un exercice abusif. Nous n'avons pas besoin de dire que cha- cun de ces trois degrés est lui-même susceptible de nom- breuses gradations, et que l'extension , l'affaiblissement qui sont survenus dans la faculté sont aussi plus ou moins grands. Si maintenant nous considérons la seconde cause occasionelle des habitudes, la continuité des impressions, les effets ne seront pas moins divers , selon le caractère de ces impressions. Suppose-t-on l'impression faible, mais nécessaire à l'accomplissement de quelque fonction de l'état normal ? avec le temps, les organes arriveront à se contenter

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d'une impression aussi faible, et même ne pourront plus en supporter de plus intenses. C'est ainsi qu'en restant long-temps dans l'obscurité, on s'habitue à y voir, mais en perdant la faculté de voir au grand jour : les efforts qu'a faits alors l'organe pour être sensible à une impression fai- ble , ont étendu sa sensibilité; il a recueilli les bienfaits de l'exercice , mais avec ce trait de plus, que sa sensibilité a été exaltée au point qu'une impression qui, dans l'état normal eût été convenable , lui est alors devenue importune. 20 Suppose-t-on , au contraire, l'impression forte, sans néanmoins altérer le tissu des organes, ni y provoquer une irritation morbide? le résultat sera différent, selon que cette impression aura été forte dès le principe , ou, au contraire, aura eu une intensité graduellement croissante ou décrois- sante. Dans le premier cas, îa modification qu'elle a déter- minée , a pu être si profonde , que les organes sont devenus plus susceptibles de ia recevoir, et désormais en manifes- teront les effecs à un degré beaucoup plus faible, à un degré qui eût été sans influence à l'étal normal. C'est ainsi qu'une personne qui a pris une première fois une forte dose d'émé- tique, vomit ensuite par l'administration delà plus petite quantité de ce médicament, par une dose que prendrait impunément toute autre personne. Dans le second cas, ce- lui où l'impression aune intensité graduellement croissante, c'est graduellement aussi que les organes revêtent la modi- fication qu'elle leur imprime, et ses effets dès lors devien- nent de moins en moins sensibles. C'est ainsi que l'esto- mac arrive à recevoir impunément des poisons, et que nos sens sont conduits à supporter des impressions très fortes. Lorsque l'impression avait été faible, on avait été amené à ne pouvoir plus supporter d'impressions fortes : ici l'effet est inverse; les organes ne sont plus accessibles qu'à des im- pressions fortes; et des impressions faibles, qui, dans le principe , avaient été perçues , ne le sont plus ; il semble que par îa continuité de ces impressions graduellement croissantes , la sensibilité se soit émoussée et ait perdu de sa délicatesse. De le danger ou le tort dans ia pratique de la vie, d'augmenter sans nécessité l'inlensité des impies-

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sions, puisqu'une fois engagé clans cette voie , il faut aug- menter sans cesse. Non-seulement, une impression, quand elle est graduellement croissante , arrive à être supportée , mais souvent elle est réclamée avec exigence et devient un besoin; c'est ainsi que l'habitude nous crée mille besoins factices, comme ceux du tabac, du café, etc. Dans le troi- sième cas enfin , celui l'impression a une intensité gra- duellement décroissante, la modification qu'elle avait imprimée d'abord s'efface insensiblement , l'organisation primitive réparaît; et tandis que par le mode précédent, des habitudes s'étaient établies, par celui-ci elles se détrui- sent. Ainsi , selon le caractère de l'impression , dont la con- tinuité a amené une habitude, cette habitude a rendu plus ou moins sensible à cette impression. Cette analyse des effets des habitudes, fait sentir d'avance combien ont erré les au- teurs qui ont voulu constamment leur attribuer les mêmes conséquences.

Toutefois, en prenant le mot habitude pour désigner l'organisation modifiée , comme celui de nature désigne l'or- ganisation primitive; on voit combien est juste l'expression de ceux qui appellent l'habitude une seconde nature ; elle est en effet comme une nouvelle nature qui a été substituée à la première. Tout être vivant en est passible, et d'autant plus qu'il a une organisation plus compliquée : dans ce dernier cas , en effet , il a des rapports plus multipliés, et une sensibilité plus délicate, et tandis que la première de ces conditions l'expose à plus de causes de modifications, la seconde l'y rend plus flexible. À ce premier titre , l'homme en est des plus susceptibles. Mais d'autres causes l'y sou- mettent encore. D'une part , il est accessible aux modifica- tions que commandent les climats; et comme seul à peu près entre les animaux il peut les habiter tous, ses habi- tudes sous ce rapport doivent être plus nombreuses et plus variées. D'autre part , seul encore à peu près entre les ani- maux ., il est oblige de faire la conquête de la terre qu'il ha- bite, d'y travailler, de s'y procurer avec efforts tout ce que réclament ses besoins : or , de cette nécessité sont résultées pour lui la vie sociale, l'invention des diverses professions; et

5 22 DES DIFFÉRENCES INDIVIDUELLES DE L'HOMME.

la pratique de celles-ci entraîne irrésistiblement en lui des habitudes.

Aussi l'influence de l'habitude se mêle-t-elle à presque tous les actes de notre vie. C'est à elle que nous devons la facilité que nous développons dans la production de cer- tains actes qui nous sont journaliers, mais que nous n'avons exécutés primitivement qu'avec efforts , dans la parole, par exemple, le chant, la station, la progression, etc. L'exercice de la vie, en nous obligeant de répéter sans cesse les contractions musculaires dont dépendent ces dernières actions, a fini par rendre ces contractions si faciles, que nous ne nous apercevons plus de la volonté qui les ordonne et en règle la précision. Sur l'habitude reposent nos pro- grès dans la pratique des diverses professions mécaniques et industrielles, dans la culture des arts. Base de l'éduca- tion , elle a la plus grande part à l'extension que celle-ci donne à nos facultés, Qu'on passe en revue tous les organes du corps humain, et par conséquent toutes ses fonctions, on n'en verra point qui n'aient subi ou ne soient suscep- tibles de subir des modifications capables de constituer des habitudes. En vain Bichat avait dit que l'habitude ne por- tait que sur les fonctions dites animales , et était sans prise sur les fonctions dites organiques. Voici des considérations qui prouvent que sa proposition est fausse. Tous les êtres vivants sans exception, les végétaux eux-mêmes, peuvent contracter des habitudes; et dans les Yégétaux, tous les actes de la vie sont de ceux que Bichat appelait organiques. Parmi les fonctions organiques, plusieurs réclament l'intervention de corps ex térieurs , la digestion, la respira- tion, par exemple; et par conséquent, ces fonctions peu- vent recevoir de ces corps extérieurs une modification per- manente. Ainsi, l'on s'habitue à manger telle quantité d'aliments, à en supporter d'une nature mauvaise et délé- tère, à respirer un air vicié, etc. On connaît l'histoire de ce prisonnier, qui , rendu à la liberté après une longue captivité, ne put supporter la respiration de l'air pur, et eut besoin d'être replongé dans l'air infect de son cachot. Parmi les fonctions organiques, toutes celles qui réel a-

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ment la préhension de corps extérieurs, sont, relativement à cette préhension, dépendantes de la volonté, et par con- séquent sont passibles d'habitudes en raison de la mesure dans laquelle on les exerce. Ainsi, l'habitude a prise sur les époques auxquelles se fait sentir la faim, sur la quantité d'aliments nécessaires pour faire cesser cette sensation. Ceci à la vérité n'est applicable qu'aux fonctions organiques supérieures , la respiration , la digestion ; mais les rapports de ces fonctions avec les fonctions organiques plus profondes sont si intimes, que bientôt celles-ci participent des modi- fications qu'ont reçues celles-là, et manifestent aussi sensi- blement des habitudes. Pour qu'un mouvement vital quelconque devienne habituel, c'est-à-dire soit plus facile- ment produit et plus susceptible de l'être, il suffit qu'il soit répété : or les actes organiques, quoique non volon- taires, peuvent l'être aussi, et par conséquent devenir ha- bituels. C'est à ce titre que des mouvements morbides mêmes se perpétuent par habitude. Enfin, à défaut de ces raisonnements , on a les faits directs. Qu'on passe en revue les fonctions organiques , on y reconnaîtra les effets de l'habitude : nous avons cité des exemples pour la diges- tion, la respiration; on peut en citer de même pour les calorifîcations, les sécrétions, etc. Ne contracte-t-on pas l'habitude du chaud ou du froid ? Nos excrétions ne décè- lent-elles pas l'empreinte de l'habitude par leur périodi- cité ? Si quelques excrétions artificielles ont duré quelque temps, elles deviennent nécessaires, et souvent leur sup- pression serait aussi difficile et aussi dangereuse que celle de nos excrétions naturelles. Il est donc certain que tous les organes du corps sont tributaires de l'habitude , et c'est faute d'en avoir analysé les causes, que Bichat a pu dire le contraire.

Le même oubli lui en avait fait juger mal les effets: il a dit, et ou a répété après lui, Y habitude émousse le senti- ment, et. perfectionne le jugement. Cette proposition, par cela seul qu'elle est absolue, est fausse; il est impossible, d'après ce que nous avons dit, que l'habitude ait un effet constant ; mais tour-à-tour, selon la fréquence avec laquelle

5^4 DES DIFFÉRENCES INDIVIDUELLES DE L'HOMME, l'acte a été répété, selon le caractère de l'impression qui a été continue , elle donnera de l'extension à une faculté, ou l'annihilera. Ainsi , uue impression graduellement crois- sante deviendra chaque jour moindre, et finira par n'être plus sentie; mais cela n'aura lieu qu'à la fin , et dans l'ori- gine elle aura paru plus forte à chaque fois qu'elle aura été répétée. L'exercice convenable donne aux sensations plus d'étendue , comme aux autres facultés de la vie ; et par con- séquent il est faux, en thèse générale, que l'habitude émousse le sentiment. Il n'est pas plus vrai qu'elle per- fectionne le jugement. Sans doute par un degré d'exercice convenable, les facultés de l'esprit acquièrent la même promptitude et la même sûreté d'action que celles de nos autres facultés qui sont convenablement cultivées; mais, à un degré d'exercice exagéré , qui surpasse la portée des forces intrinsèques de nos organes, ces facultés se perdent comme toutes les autres. De cette idée que l'habitude émousse tout sentiment, ramène toute sensation à l'indifférence, Bichat avait conclu que la constance est impossible à notre nature, et que le changement, la variété, contre lesquels les moralistes déclament , nous sont ordonnés par notre organisation. Mais l'idée première n'étant pas vraie de tous les cas , la conséquence ne peut pas l'être non plus. Sans doute les impressions devenant dans de certains cas de moins en moins senties, il faut en varier les causes pGur nous en procurer de plus vives ou de nouvelles; et comme avoir des sensations est notre premier besoin, l'habitude semble sous ce rapport nous faire une loidela diversité. Mais il est un autre point de vue sous lequel elle nous impose irrésistiblement la constance. L'habitude a deux principaux effets : d'un côté les actes habituels sont plus facilement pro- duits; de l'autre ils ont plus de susceptibilité à se produire, ils sont devenus un besoin. Par lepremier de cesefFels, souvent ces actes ne sont plus sentis; et comme, ainsi que nous le di- sions tont-à-1'heure, nous voulons à tout prix des sensations, et. que nous ne croyons vivre que par elles, il est certain que l'habitude qui les rend nulles, nous pousse sous un rapport au changement qui seul peut nous en procurer. Mais, parle

DES DIFFÉRENCES INDIVIDUELLES ACQUISES. 525

second de ces effets, l'habitude nous pousse intérieurement à exécuter Pactequi a été répété, à rechercher 3'irapression qui par sa continuité nous est devenue un besoin; elle nous fait trouver un plaisir à la répétition de l'un , à la présence de l'autre; le besoin factice qu'elle a fait naître parle en nous comme nos besoins naturels; il y a plaisir à le satis- faire, comme souffrance à lui résister; et par conséquent, contre ce que disait Bichat, l'habitude mène à la jouissance et non à l'indifférence, et commande la constance au lieu du changement. C'est ainsi qu'elle fonde un lien si puis- sant, qu'elle va jusqu'à faire trouver bonne et nécessaire une chose qui est mauvaise en soi , mais qui est clans l'habitude. Quand nous recevons une impression , deux effets en résultent, dit Buisson; d'un côté, nous percevons une sensation qui est d'autant plus vive que l'impression est plus nouvelle; de l'autre, l'organe qui reçoit l'impres- sion se moule à sa cause et s'unit à elle dans un rapport qui est d'autant plus complet , que l'impression est plus an- cienne. Ces deux effets sont inverses ; c'est quand l'impres- sion est devenue inaperçue, que le rapport de l'organe avec sa cause est mieux établi; et vice versa. Or, deux sortes de plaisir sont attachés à chacun de ces deux effets ; au premier, un plaisir qui est vif d'abord, mais qui diminue avec le temps , et finit même par disparaître ; au second , un plaisir plus modéré, mais qui augmente avec les années : le premier tient à la sensation , est celui de l'enfance, de la jeunesse , et no us commande le changement ; le second tient au rapport établi entre les organes et les causes d'impression, est celui de la dernière moitié de la vie, de l'habitude, etnous com- mande la constance. L'assertion de Bichat, n'eût-elle pas été en contradiction avec les faits, était contraire à la morale , et cela seul devait la rendre suspecte; car jamais les principes physiologiques et moraux ne peuvent être en opposition.

Telle est la théorie de l'habitude. Il reste à dire s'il est avantageux de contracter ou non des habitudes, dans quelles circonstances de la vie on en est plus susceptible , etc. ; mais les réponses à ces questions ressortent des principes que nous avons posés. L'utilité ou le danger des habitudes ne peut pas

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être établi d'une manière générale; il est bien d'en contrac- ter de bonnes; il est mal d'en contracter de mauvaises; il est prudent de n'en pas contracter d'inutiles ; prétendre s en affranchir tout-à-fait, c'est aspirer à l'impossible. La succession des jours el des nuits, l'intermittence obligée que réclament toutes nos fonctions volontaires , nos occu- pations sociales qui nous imposent la répétition de certains actes à l'exclusion de plusieurs autres, etc.; tout nous pousse irrésistiblement sous l'empire des habitudes. Cette irrésisti- bilité est, du reste, sous beaucoup de points de vue, un avantage. Ainsi , nous acquérons à la production de certains actes une habileté dont nous ne jouissions pas d'abord; nos devoirs deviennent pour nous des besoins , et une impulsion intérieure nous pousse irrésistiblement à les accomplir. Les habitudes nous font vivre avec régularité, avec moins d'ef- forts ; elles nous font distribuer nos heures , nos jours , avec économie : pour leur résister, d'ailleurs, il faut combattre sans cesse, et quel homme en a le courage ? Tous les repro- ches faits aux habitudes ne sont vrais que des mauvaises ou des inutiles; mais les bonnes sont, pour la conduite du coi'ps et pour celle de l'ame , de puissants appuis. Nous n'a- vons pas besoin de dire que c'est dans le premier âge de la vie qu'on est le plus susceptible d'en acquérir; alors toutes les impressions sont nouvelles , et l'organisation a toute sa flexibilité. Dans le dernier âge, au contraire, le corps a reçu toutes les modifications dont il est susceptible, et les em- preintes qu'il a revêtues sont indélébiles.

CHAPITRE V.

Des Races humaines.

L'espèce humaiue est-elle une ? ou , à l'instar de ce qui est en beaucoup d'animaux , y a-t-il plusieurs espèces d'hom- mes? D'un côté, les hommes qui sont disséminés sur les divers points du globe , diffèrent souvent par la stature , la couleur de leur peau et de leurs cheveux , les proportions de plusieurs de leurs systèmes et appareils. D'un autre côté ,

DES RACES HUMAINES. 527

il paraît évident que tous les hommes sont construits sur un même plan ; et il est possible que les différences légères et superficielles qu'ils présentent soient l'effet des climats di- vers qu'ils habitent. Les climats, qui modifient tous les végé- taux , tous les animaux, pourraient-ils en effet être sans influence sur l'homme, de toutes les espèces vivantes, celle qui est attaquable par le plus de voies , qui est le plus susceptible d'être modifiée?

Les naturalistes sont divisés sur cette question. Buffon n'admettait qu'une espèce humaine , se fondant sur ce que, d'un climat à un autre, toutes les races d'hommes s'enchaî- nent; sur ce que tout homme s'empreint à la longue des qualités du climat; et sur ce qu'une même latitude, quand elle présente des climats divers, présente aussi des races diverses. Il ne reconnaissait que des variétés, et spécifiait comme telles, la lapone , la tartare , la chinoise , la malaise , Y éthiopienne y Yhottenloie, Y européenne et Y américaine. Il appuyait encore ce dogme de l'unité du genre humain, sur ce que les diverses races d'hommes connues peuvent s'asso- cier entre elles et produire des individus féconds. D'autres naturalistes ont émis une opinion inverse, et d'abord ont fait remarquer l'insuffisance de ce dernier caractère; il est certain, en effet, que plusieurs animaux d'espèce évidem- ment différente, peuvent s'accoupler et engendrer des in- dividus féconds. Ils ont ensuite argué de l'impossibilité de dériver des influences du climat les différences que présen- tent les diverses races humaines. En histoire naturelle , disent-ils, les espèces sont établies sur des différences im- portantes , dues à l'organisation primitive, et qui , résistant à toutes les influences du dehors , se transmettent immua- bles par la génération : or, telles paraissent être celles qui distinguent les races humaines. Est-il possible, par exem- ple, de rapporter à l'influence du climat la couleur de la peau, qui est noire dans les unes, et blanche dans les au- tres? A cet égard, on a dit que les peuples étaient d'autant plus noirs qu'ils étaient plus éloignés des pôles : mais il existe de nombreuses exceptions à cette règle; on trouve des hommes noirs aux pôles, et des hommes blancs sous les tro-

528 DES DIFFERENCES INDIVIDUELLES DE L'HOMME.

piques ; les uns et les autres restent tels dans les climats qui leur s mt opposés, s'ils ne s'unissent pas aux autres races; les blancs , par exemple, restent blancs sous les tropiques, et les nègres restent nègres à la terre de Diérnen, et dans l'Amérique septentrionale. Que de nations qui conservent leur type primitif à travers les siècles et les climats , si elles ne contractent pas d'alliances étrangères; nous citerons la nation juive. D'ailleurs, la peau n'est pas la seule partie du nègre qui soit noire; son sang, ses organes intérieurs le sont aussi ; et si l'on veut que la chaleur du climat ait noirci l'une > dira-t-on quelle a noirci de même les autres? Comment d'ail- leurs expliquer les autres différences que présente le nègre , et particulièrement celles qui portent sur son système os- seux , sur sa face? Peut -on admettre avec Volney , que l'espèce de moue qu'a lui faire faire l'impression conti- nuelle des rayons solaires, est ce qui a alongé ses mâchoi- res , et les a davantage rapprochées de la forme d'un museau ? On peut arguer encore de ce que le nègre a un pou qui lui est spécial , et qui diffère de celui qui est le parasite de la race blanche. Enfin, si Ton veut que les différences que présentent les races humaines soient, non natives, mais le produit des climats, quelle antiquité, plus reculée que celle que lui assignent nos livres saints , ne faut-il pas supposer au monde ?

La plupart des naturalistes de nos jours admettent une opinion mitoyenne aux deux que nous venons de rapporter; ils admettent entre les hommes, non des espèces aussi tran- chées que celles qu'on observe dans certains animaux, mais ce qu'ils appellent des races. Voici, par exemple., l'opinion de M. Cuvier , sur cette question. Ce naturaliste, si dîgne de faire en ceci autorité , reconnaît trois races distinctes, la blanche ou caucasiqve , la nègj^e ou éthioplque , et la jaune ou mongolique. La race blanche ou caucasique est la plus parfaite , et celle à laquelle nous appartenons. Elle habite l'Europe , l'Asie mineure , la Syrie , la Perse , la presqu'île en-deçà du Gange , l'Afrique septentrionale 3 l'Arabie, le nord du mont Atlas, etc.; il serait donc im- propre de l'appeler la race européenne. Le nom de race

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blanche ne lui convient pas davantage , car clans l'Indostan sa couleur est presque noire. On doit l'appeler race cauca- sique, parce que c'est qu'est son plus beau type , et de ^ à eu juger par les traditions et les diverses langues , qu'elle s'est répandue sur les contrées du globe qu'elle habite au- jourd'hui. C'est d'après elle que nous avons fait la descrip- tion anatomique et physiologique de l'homme ; elle est distincte par la beauté de l'ovale de sa tête. 20 La race nègre occupe une surface de la terre moins étendue , toute la partie de l'Afrique qui s'étend du midi du mont Atlas au cap de Bonne-Espérance. Evidemment elle est un peu infé- rieure à la précédente, et offre quelques traits qui la rap- prochent davantage des premiers des animaux , des singes. Par exemple , son front est aplati , reculé en arrière ; son crâne plus petit , moins capace , contient de quatre à neuf onces d'eau de moins que celui d'un Européen; les condyles de l'occipital sont un peu plus reculés en arrière. Tandis que le crâne et le cerveau sont ainsi un peu moins déve- loppés que dans la race précédente, la face et les organes du goût, de l'odorat, de la mastication, le sont au con- traire davantage ; les mâchoires sont avancées et saillent presque en guise de museau ; les lèvres sont grosses , les pommettes saillantes; la fosse temporale est plus creuse, l'arcade zygomatique plus bombée, la ligne courbe temporale plus marquée 3 les muscles masticateurs sont plus forts. L'angle facial est moins ouvert, et la tête du nègre, sous ce rapport, tient le milieu entre celle de l'homme de la race caucasique , et celle du premier des singes, l'orang-outang. L'os inter-maxillaire , qu'on n'a jamais pu découvrir dans l'embryon du blanc , se trouve au contraire dans celui du nègre. A l'œil , le vestige de la troisième paupière est plus fort. Le nez est écrasé, ses cornets sont plus forts ^ lapitui- taire a plus d'étendue, d'où plus de finesse au sens de l'odo- rat. Le palais a également plus de surface. Enfin, les autres parties offrent aussi quelques dégradations ; le pied , par exemple, est plus plat, sa plante est moins concave; le tibia est plus arqué , le mollet moins fort et situé plus en avant, etc.; de sorte que les conditions anatomiques de la Tome IV. 34

53o DES DIFFÉRENCES INDIVIDUELLES DE l'hOMME. station bipède sont moins complètes. Aussi l'assiette du nègre est en général moins parfaite , et son allure paraît éreintée. Les cheveux sont laineux , courts , très fins , très noirs, frisés; la peau est noire. Le sang, et diverses parties intérieures , la partie corticale du cerveau , par exemple , sont noires aussi. Cependant cette couleur n'est pas ce qui caractérise cette race , car les Hottentots , les CafFres , sont jaunes; ce que nous venons de dire de l'état du sque- lette est bien plus spécifique. Il est impossible de ne pas voir dans tous ces traits , les preuves d'une infériorité rela- tivement à la race précédente ; et cette infériorité explique pourquoi les peuples de la race nègre sont plus tardifs et moins puissants en civilisation. Enfin la race mongole ou tartare occupe toute la portion du globe qui s'étend de l'orient de la mer Caspienne à la mer du Sud , la Chine , la ïartarie chinoise , 5a Sibérie, le Japon. Son teint est oli- vâtre ; ses cheveux sont noirs , ras et peu épais ; il en est de même de sa barbe; sa tête est plus large proportionnelle- ment à sa longueur; ses pommettes sont très saillantes; son visage est plat; ses yeux sont obliques, et ont leur angle externe relevé. C'est la race la plus ancienne , et celle qui occupe le plus d'étendue sur la terre. Outre ces trois races > il est dans l'archipel de l'Inde une variété d'hommes , dite les Malais , dont M. Duméril a fait une race particulière , parce qu'il est difficile de les rapporter tout-à-fait à leurs voisins des deux côtés , savoir les Indiens caucasiques et les Chinois mongoliques , n>ais qui peut-être ne sont, dit M. Oli- vier, qu'un mélange des mongols d'Asie et des nègres d'Afri- que. Enfin , dans quelques-unes des îles de cet archipel , on trouve aussi des hommes appelés Papous , qui ressemblent beaucoup à des nègres, et qui ne sont peut-être que des produits d'individus de cette race qui se sont anciennement égarés sur la mer des Indes.

De Lacèpède , outre ces trois races, en admettait encore deux autres : La race américaine qui habite l'Amérique du nord , et dont la couleur est cuivrée ; 20 la race hyper- borée y qui est reléguée au nord des deux continents , aux cercles polaires, et qui constitue les Lapons, les Ostiaques ,

DES RACES HUMAINES. 53 1

les Samoïèdes, les Groënîandais , etc. Mais probablement la première provient des Tartares mongols d'Asie , qui de l'ancien continent ont passé dans le nouveau; on peut lire dans Buffon les raisons sur lesquelles se fondait ce grand naturaliste pour croire que rétablissement des hommes en Amérique n'était pas très ancien. Quant à la race hyper- borée , il est évident qu'elle n'est qu'une des autres races ou caucasique , ou mongol ique, abâtardie par un climat funeste.

Enfin , dans ces dernières années, MM. Virey, Desmou- lins et Bory-dc-Saint-Vincent , s'appuyant sur les décou- vertes récentes , et les observations plus exactes d'anthro- pologie faites par les voyageurs modernes , ont cru devoir multiplier davantage le nombre des familles primitives du genre humain. M. Virey admet deux espèces d'hommes qu'il établit d'après le degré d'ouverture de l'angle facial. A la première , chez laquelle cet angle présente de 85 à 90 de- grés, il rapporte trois races, Ja blanche, la basanée et la cuivreuse. Il rattache , comme sous-divisions ; à îa première Y arabe indienne, la celtique et la caucasienne; à la se- conde, la chinoise, îa kalmouk mongole, et la laponc ' osliaque ; et à la troisième, Vamèricaine ou caraïbe. A la seconde espèce, chez laquelle l'angle facial n'est que de 75 à 82 degrés seulement, se rapportent la race brune foncée, la race noire , et la race noirâtre, qui renferment; l'une, les variétés malaie ou indienne; la deuxième, les Caffres et les Nègres; la troisième , les HoUentols et les Papous. M. Desmoulins , jugeant d'après l'état des cheveux , les dis- positions des traits de la ligure et des dents, la couleur de la peau, et le degré d'ouverture de l'angle facial, reconnaît onze espèces d'hommes, qu'il dénomme d'après le lieu de la terre qu'ils habitent, savoir; les Ce Ito -Scythe- Arabes les Mongoles y les Ethiopiens , les Euro- Africains , les Aus- tro Africains , les Mcdais ou Océaniques , les Papous, les Nègres océaniens, les Âustralasiens , les Colombiens et les Américains. De même que les sept premières de ces es- pèces ne sont que des subdivisions des trois races caucasique, mongol ique, et nègre de M. Cuvier ; de même M. Desmou-

. 34.

532 DES DIFFÉRENCES INDIVIDUELLES DE L'HOMME. Uns croit que quelque jour on pourra établir des subdivi- sions dans les races colombienne et américaine qu'il a déjà séparées. Enfin, M. Bory -de -Saint -Vincent adopte les mêmes principes que M. Desmoulins, et porte jusqu'à quinze le nombre des espèces d'hommes^, savoir ; V espèce Japhétique,

Y Arabique 3 Y Hindoue, la Scythique , la Sinique 3 YHyper- boréenne, la Neptunienne, Y Australasienne, la Colombienne,

Y Américaine, la Patagone , Y Ethiopienne , la Cafre , la Me- lanienne, et la Hotte n tôt e. Nous ne faisons ici qu'une énu- mération ; il est hors du plan de notre ouvrage , d'exposer les considérations anatomiques , historiques , et géographi- ques sur lesquelles MM. Virey , Desmoulins et Bory -de- Saint-Vincent appuient leur manière de voir.

Quant aux albinos d'Afrique , aux cagots des Pyrénées , et aux crétins du Valais, ce ne sont que des êtres infirmes ? et non des produits d'une race primitive et naturelle.

SIXIEME PARTIE.

PHILOSOPHIE DE LA SCIENCE , ou HISTOIRE DE LA FORCE ET DES PROPRIÉTÉS VITALES.

Notre tâche semblerait devoir être finie; nous avons en effet exposé tous les phénomènes de la vie de l'homme, indiqué leur ordre de succession et d'enchaînement , re- monté aux conditions matérielles de leur production. Mais on a vu que tous les phénomènes de vie sont en opposition avec les phénomènes physiques et chimiques, et qu'ils dé- cèlent, dans la matière organisée, un mode de motion spé- ciale, qu'on a appelé vitalité. Nous avons dit qu'en consé- quence, ces phénomènes ont été rapportés à des forces autres que les forces physiques et chimiques générales, à des forces dites vitales , qu'on a considérées comme en étant les causes , et qui du moins eu sont les généralisations. Il nous reste donc à traiter de ces forces; et c'est leur histoire, qui fonde ce que nous appelons la Philosophie de la science , qui va faire l'objet de cette sixième et dernière partie de notre ouvrage.

CHAPITRE PREMIER.

Considérations générales sur les forces premières admises dans toutes les sciences naturelles.

Dans l'étude de tous les corps naturels , on a supposé que des forces animaient la matière qui les forme, et détermi- naient les phénomènes qu'ils produisent; Y attraction, les affinités» pour les corps inorganiques; la force de vie, pour les corps organisés. Il importe d'abord de recher-

-■

534 PHILOSOPHIE DE LA SCIEJNCE.

cher, comment l'esprit, a été conduit à faire cette supposition, et de spécifier quelle idée l'on doit se faire de ces forces.

Dans tout corps quelconque, il n'y a que deux objets à étudier; sa structure 3 c'est-à-dire la disposition de la ma- tière qui le forme; et ses actions, c'est-à-dire les phéno- mènes qu'il produit, tant entre les parties qui le compo- sent, que dans ses relations avec le reste de l'univers. Quand on sait sur un corps tout ce qui concerne ces deux objets , on sait de ce corps non-seulement tout ce qu'il est néces- saire , mais encore tout ce qu'il est possible d'en connaître. Nos moyeus, pour parvenir à cette connaissance , sont aussi au nombre de deux : Y observation , qui est l'application de l'exercice des sens à l'étude de la structure et des actions des corps; et le raisonnement , qui s'entend des opérations subséquentes de l'esprit sur les impressions apportées par les sens. On commence, en effet, par observer, c'est-à-dire par employer ses sens à recueillir les faits; ensuite on rai- sonne, c'est-à-dire qu'on cherche à saisir les rapports des phénomènes entre eux , à remonter de ces phénomènes à leurs eauses , aux conditions de leur production. Sans doute , ces deux moyens d'étude sont puissants, mais il est des limites qu'ils ne peuvent franchir. Relative- ment à la structure; nous ne pouvons, dans la re- cherche de la composition matérielle des corps, aller que jusque nous conduisent les sens ; au-delà nous sommes arrêtés; que cette structure des corps tombe ou non sous les sens , nous ne pouvons saisir l'essence de la matière qui en est la base; nous ne connaissons cette matière que par les propriétés qu'elle manifeste. Relativement aux actions, les limites sont absolument les mêmes. D'un côté, nous ne pouvons décrire les actions des corps, qu'autant qu'elles sont appréciables par les sens; si elles ne le sont pas , leurs résultats seuls nous font juger qu'elles ont eu lieu. D'un autre coté, que ces actions tombent ou non sous les sens, nous ne pouvons saisir leurs causes , et l'essence de l'acti- vité nous est aussi inconnue que celle de la matière. Il est certain, en effet, que nous ignorons et ignorerons toujours toutes causes; ce que oous appelons ainsi dans les sciences

COIS STDÉRATIOISS GÉNÉRALES SUR LES FORCES. 635

n'en est pas; un phénomène est dit la cause d'un autre, lorsque constamment il l'entraîne à sa suite; mais ce n'est que saisir un rapport de succession , et la cause propre- ment dite, ce qui fait que le premier phénomène entraîne la production du second , la causabiliiê , comme disait Bar- liiez , reste toujours inconnue. Au moins cela est vrai des causes dites premières, c'est-à-dire de celles auxquelles on arrive en dernier lieu dans l'analyse des phénomènes na- turels ; celles-ci , par cela seul qu'elles sont premières, ne peuvent qu'être ignorées et impénétrables.

Mais, si dans tout corps on n'a à étudier que ces deux objets, sa structure et ses actions, et si les causes de celles- ci sont à jamais cachées , que sont toutes ces forces dont on dit les corps animés, et qu'on considère comme les causes de leurs phénomènes? Que sont : et la force d'attraction, à laquelle l'astronome attribue les mouvements des corps célestes; celles de gravitation, à' affinités ,. auxquelles en appellent sans cesse le physicien et le chimiste , pour ex- pliquer les mouvements de masse et moléculaires des corps inorganiques; et enfin la force de vie, qui, selon le physio- logiste, produit tous les phénomènes de vie? Ces forces sont-elles des êtres réels, essentiellement actifs, ajoutés dans tous les corps à la matière qui les compose , et faisant produire à celle-ci toutes les actions qu'ils manifestent?

Long- temps on Fa cru, d'après cette idée fondée sur une observation superficielle de la nature inorganique , que la matière est incapable de se mouvoir par elle-même, et ne le fait que par l'influence d'une puissance placée hors d'elle et étrangère à sa substance. Telle, en effet, paraît être au premier coup d'œil une masse minérale , qui reste pesam- ment attachée au sol sur lequel elle repose, qui offre entre ses diverses molécules une complète immobilité, et qui ne se meut que consécutivement à une impulsion mécanique, Partant de cette observation, évidemment trop superficielle, on déclara toute matière essentiellement inerte; et, une fois imbu de cette idée , on crut que lorsque cette ma- tière paraît se mouvoir spontanément et sans choc mécanique venant du dehors, comme dans les corps vivants, c'est

536 PHILOSOPHIE DE LA SCIEJXCE.

qu'alors existait au dedans d'elle la puissance motrice spé- ciale qui la faisait mouvoir. Ces corps à activité spontanée furent dits composés d'une matière inerte, et d'un agent moteur; et bientôt cela fut dit de tout corps quelconque, car il n'en est aucun qui ne présente des mouvements indé- pendants d'un choc mécanique. Il restait dès lors à spécifier l'agent moteur. D'abord on le dit matériel , ce qui était, dès le premier pas, se mettre en contradiction avec le principe de l'inactivité de la matière; et, comme les corps gazeux contrastent par leur mobilité avec l'inertie apparente des corps solides minéraux, ce fut d'abord dans des gaz qu'on chercha cette puissance motrice des corps; on indiqua comme telle, tantôt l'air, tantôt la matière de la chaleur. Mais il était impossible souvent de rapporter à l'influence de gaz les mouvements qui étaient observés ; alors on en cherchait des corps encore plus subtils; car, d'après le prin- cipe de l'inactivité de la matière, plus une matière était déliée , plus on devait la croire active et puissante : à dé- faut d'en trouver, on en imaginait; ainsi, on supposa des éthers , âespneuma, êtres tout-à- fait chimériques pour la chimie positive de notre siècle. Enfin, à force de chercher des corps de plus en plus déliés , qui fussent de moins en moins corps, si l'on peut parler ainsi, on vint à en supposer qui ne l'étaient plus du tout, des êtres immatériels , des esprits ; et ces esprits furent dits animer partout la matière, et lui faire produire ses mouvements. C'est ainsi que Thaïes plaça des âmes dans chaque astre, dans chaque végétal, dans chaque animal, pour l'explication des différents phé- nomènes de l'univers.

Mais les savants d'aujourd'hui , analysant mieux les faits, et mettant plus de sévérité dans les inductions qu'ils en tirent 3 ont reconnu la fausseté du principe qui servait de base à toute cette doctrine, et par conséquent celle de la doctrine elle-même. D'un côté, il est faux que la matière soit inactive ; tout au contraire , l'activité lui est essentiel- lement inhérente, en est inséparable; en quelque système de corps qu'on l'observe, dans les règnes minéral, végétal et animal, on la voit exécuter des actions; le mouvement

CONSIDÉRATIONS GÉNÉRALES SUR LES FORCES. 53? est partout dans la nature, et le repos nulle part. Les faits même qui avaient fait admettre l'inertie de la matière dé^ montrent son activité ; cette pesante fixité des minéraux au sbl , par exemple , n'est que l'effet de l'action qui les en- traîne continuellement vers le centre de la terre ; l'immo- bilité de leurs molécules n'est que le résultat des actions continues qui pressent ces molécules les unes contre les au- tres. D'un autre côté, quelles preuves peut-on donner de l'existence de ces prétendues puissances actives immatériel- les ? Dans le monde physique, il n'apparaît réellement qu'une seule chose, de la matière qui se meut, des corps qui exécutent des actions ; et dans les sciences , l'on ne doit admettre que ce qui est positif, que ce qui tombe sous les sens, c'est violer toutes les règles que de supposer l'exis- tence d êtres que rien ne décèle ^ et dont il est même impos- sible de se faire aucune idée.

Ainsi , les forces premières , que l'on dit animer les divers corps naturels, ne sont pas des êtres réels, existants par eux-mêmes, comme on le croyait dans l'ancienne philoso- phie. Que sont-elles donc enfin? Elles ne sont réellement que des expressions abstraites, désignant; soit une hypo- thèse que l'on a imaginée pour représenter la cause des faits que nous avons dit nous être à jamais cachée; soit la puis- sance active de la matière, le mode de motion et d'action des corps, que, par abstraction, l'on a considéré comme en étant distincts; soit enfin les plus hautes généralisations aux- quelles on arrive dans l'analyse des phénomènes de la na- ture. Qu'est-ce en effet que Y attraction , sinon une hypothèse qui représente la cause inconnue des phénomènes astrono- miques ? Que sont les forces & affinité* de 'vie, sinon des abstractions représentant : Fune , le mode d'action propre aux molécules de la matière inorganique ; l'autre , le mode de motion propre à la matière organisée? D'un côté, une disposition particulière de notre esprit nous pousse toujours à rattacher à tout phénomène la cause qui le produit; et dans l'impossibilité de trouver celle-ci , nous inventons une hypothèse qui puisse cadrer avec les faits, et qui désormais représente cette cause ignorée, comme Vx des algébristes

5 38 PHILOSOPHIE DE LA SC1EJNGE.

désigne l'inconnue d'un problème. Or, qui ne voit déjà que cette hypothèse, par cela seul qu'elle représente les mouve- ments des corps, pourra, par illusion, nous en paraître la force motrice? D'un autre côté, voyant partout la faculté ■de se mouvoir inhérente à la matière, et ne pouvant péné- trer l'essence de cette faculté , nous la représentons par des abstractions, qui sont en même nombre que les modes divers de motion dont elle est susceptible, Telles sont par exemple ; Y affinité , pour le mode d'action propre aux mo- lécules des corps inorganiques ; la fores de vie , pour le mode d'action propre à la matière organisée. Or , l'on sent encore que ces abstractions , par cela seul qu'elles représentent les modes de motion des corps , ont faci- lement aussi en paraître les forces motrices. Enfin , une autre disposition de notre esprit est de généraliser sans cesse , c'est - à - dire de nous élever continuellement des faits à des principes qui en expriment l'origine , la nature, l'enchaînement ; d'arriver des faits individuels à un fait général , dans lequel les premiers soient tous plus ou moins renfermés. C'est même ce procédé seul qui con- stitue les sciences; car nous ne faisons dans leur étude que nous élever de faits en faits, à mesure qu'ils se produisent et se succèdent les uns les autres; acquérant ainsi la con- naissance de tous les faits secondaires , mais parvenant enfin à un fait premier, à un fait principe, qui par cela seul qu'il est premier, nous est et nous sera toujours inconnu. Or, ce fait général, premier, principe, nous créons aussi pour le représenter une abstraction , que nous avons encore d'autant plus de disposition à considérer comme une force active, que renfermant l'universalité des faits, il paraît en être la cause.

Ainsi, c'est en des abstractions, des généralisations que consistent toutes les forces que nous voyons figurer dans les sciences; et ces forces, dont le langage seul fait des êtres réels, ne sont par conséquent que des créations de notre esprit. En vain dira-t-on qu'elles emportent avec elles l'idée d'une activité propre? Nous venons d'en donner les rai- sons ; c'est que représentant les causes des actions des corps,

CONSIDÉRATIONS GÉNÉRALES SUR LES FORCES. 53y

désignant les modes divers de motion de la matière, on a pu les prendre pour les agents moteurs. Ajoutons la ten- dance qu'a généralement l'homme à personnifier toutes ses abstractions; tendance à laquelle il a d'autant plus fa- cilement céder ici, qu'il s'agissait d'actes dont la produc- tion paraissait impossible à une matière qu'on déclarait inerte. Mais, d'une part, cette dernière opinion est fausse; de l'autre nous venons d'indiquer la chaîne d'idées par la- quelle l'esprit humain a été conduit à la création de ces forces abstraites; en troisième lieu, il est sûr que dans la nature physique il n'y a qu'une seule chose , de la matière agissante, et que les dispositions substantielles de cette ma- tière sont ce qui règle les spécialités de ses actions : il ne faut donc voir dans les forces que des expressions abstraites, qui expriment les modes divers de structure et d'activité des corps.

Cela posé , on voit combien c'est errer que de personnifier les forces , que de leur assigner une nature , que de les con- sidérer séparément des corps naturels dont elles ne font qu'exprimer d'une manière abstraite la structure et les ac- tions. Inspirées principalement'par le besoin que nous avons de découvrir les causes des phénomènes, elles ne nous font pas cependant franchir les limites qui nous sont imposées à cet égard; par elles seulement nous masquons notre igno- rance. Que nous sert en effet, par exemple , de dire, lors- qu'un corps tombe , que c'est la force de gravitation qui l'entraîne vers le centre de la terre? fait-on autre chose qu'exprimer le fait, et relativement à la cause de ce fait, que se payer d'un mot? Néanmoins, la consécration de ces forces dans les sciences, est une chose utile. D'un côté, en paraissant spécifier les causes, elles flattent cette tendance irrésistible qu'a notre esprit à les poursuivre et à les dési- gner toujours ; en paraissant leur donner, quelque impéné- trables qu'elles soient, une existence matérielle, elles font que les faits se coordonnent mieux, et se prêtent plus faci- lement aux opérations subséquentes de l'esprit sur eux. D'un autre côté , comme produits des généralisations les plus hautes, comme désignant les choses les plus générales, et

54© philosophie de la science.

par conséquent comme renfermant l'universalité des faits, elles sont tout à la fois un langage abréviatif dans les scien- ces , et le dernier terme auquel on arrive dans leur étude ; elles en sont comme les résultats. Leur notion est d'ailleurs irrésistiblement attachée au mode de procéder de notre esprit. Il faut donc les conserver, mais seulement comme moyen de classer, de coordonner les faits; sans oublier ja- mais qu'elles ne sont que des hypothèses ou des généralisa- tions abstraites, et que, contre l'idée qu'inspire leur déno- mination, elles ne font qu'exprimer les faits, au lieu d'en être les causes. Il faut seulement avoir soin de n'en pas multiplier le nombre sans nécessité, et de n'en admettre de différentes, qu'en raison de la diversité qu'on observe dans les actions des corps dont elles sont toujours l'expression.

A cet égard on sait que, dans la nature, la matière se montre sous deux formes principales , à l'état inorganique et à l'état organique; et que , dans chacun de ces deux états, les mouvements qu'elle manifeste sont très divers. Or, puis- que les forces ne sont jamais que l'expression abstraite des mouvements divers des corps, on conçoit qu'on doit déjà en distinguer de deux genres; les inorganiques , ou physiques et chimiques , comme l'attraction, les affinités, auxquelles sont rapportés tous les phénomènes de la nature inorgani- que; et les organiques ou vitales , qui président aux phé- nomènes de la vie : nous nous permettrons quelquefois ce langage, bien qu'impropre, parce qu'il est usité, plus com- mode, et désormais sans danger, d'après le soin que nous avons pris de prouver que les forces ne sont que des abstrac- tions. De ces deux genres de forces, les premières sont en- core appelées générales , parce que les phénomènes qu'elles représentent se manifestent dans tous les corps, et parais- sent être inséparables de toute matière. Les secondes, au contraire, sont appelées spéciales et vitales , parce que les phénomènes, dont elles sont l'expression abstraite, ne sont produits qu'en quelques corps, dans les êtres vivants exclu- sivement, et sont différents des actions physiques et chi- miques générales. Nous ne devons nous occuper que de ces dernières.

DE LA FORCE VITALE. 54 1

CHAPITRE II. De la Force vitale.

Parmi les phénomènes qui sont produits dans l'économie de l'homme , il en est plusieurs qui sont du même genre que ceux que manifeste la matière inorganique , et qui consé- quemment peuvent être rapportés aux forces physiques et chimiques générales : telle est, par exemple, la réfraction que subissent les rayons lumineux en traversant les parties constituantes de Fœil. Nous venons de dire , d'ailleurs, que les forces physiques et chimiques sont encore appelées gé- nérales, parce que les phénomènes qu'elles représentent se manifestent plus ou moins dans tous les corps ; et c'est assez faire entendre qu'il existe encore des actions physiques et chimiques dans le corps humain. En effet, l'influence de la pesanteur, de la gravitation , ne se fait-elle pas sentir en lui? La loi physique, dite d'équilibre du calorique, n'agit-elle pas sans cesse sur lui pour le soumettre à sa puissance, etc. ? Mais, comme l'homme est un être vivant, organisé, il y a en lui beaucoup d'actes qui sont différents des actes physi- ques et chimiques , qui même leur sont opposés ; et ce sont ceux-là qu'on a rapportés à une force propre, qu'on a appelée vitale. Puisque les forces sont des expressions abstraites, représentant les modes divers de motion des corps, elles doivent différer autant que ceux-ci; et, comme rien n'est plus distinct du mode d'action de la matière in- organique que celui de la matière vivante , rien aussi n'est plus logique que de rapporter celui-ci à une force spéciale.

Aussi, est-ce ce qui a été fait dès la plus haute antiquité, et particulièrement dans la phvsiologie de l'homme. Hip- pocrate , imbu, d'une part, de la philosophie qui rattache toutes les actions des corps à des forces actives; frappé, d'autre part, de la différence et même de l'opposition qui existe entre les actes de la vie humaine et ceux des corps inor- ganiques, est le premier qui ait dit l'homme animé d'une force particulière à lui, et qui ait présenté cette force comme

542 PHILOSOPHIE DE LA SCIENCE.

le mobile de toutes ses actions. Il appela cette force <pt»ç«ç, mot qu'on a traduit par nature, ou svopfxov , qui veut dire qui fait effort. Il établit que, par elle, l'homme est, pendant la durée de sa vie , affranchi en partie des forces générales de la matière , lutte avec succès contre ces forces , combat par sa nature individuelle la nature universelle , et paraît ainsi former à lui seul un petit monde dans le grand monde.

11 est certain, en effet, que tous les actes de la vie en général ( car tout ceci n'est pas exclusif à l'homme , mais est commun à tous les êtres organisés), et ceux de la vie de l'homme en particulier, sont différents des actes physiques et chimiques proprement dits, et, à ce titre, demandent à être rapportés à une force abstraite spéciale. D'un côté, tou les phénomènes de nutrition, de reproduction, de sensa- tion , de mouvement , que nous avons vu être produits dans le corps humain , sont autres que des actes physiques ou chimiques ; l'étude que nous en avons faite nous l'a prouvé , car notre conclusion a toujours été que ces différents phé- nomènes étaient vitaux. D'un autre côté, l'homme n'est-il pas , pendant sa vie , évidemment affranchi , jusqu'à un certain point, des forces physiques et chimiques générales? Ne se meut-il pas en masse, et ses fluides ne circulent-ils pas en lui contre l'ordre de la gravitation? La matière qui forme ses organes n'offre-t-elle pas des combinaisons autres que celles que déterminent les affinités? N'a -t- il pas sa température spéciale, autre que celle du milieu ambiant? et, par conséquent , ne triomphe- t-il pas de la force expan- sive du calorique? Tout décèle donc dans l'homme et les êtres vivants, un mode d'activité spéciale; et c'est ce mode d'activité spéciale qui est représenté par l'abstraction de la force vitale.

Aussi , presque tous les médecins depuis Hippocrate , ont- ils admis la force vitale sous des noms divers : principe moteur et générateur ( Arislote ) , arckée ( Van - Helmont ) , anima (Sthal), principe vital (Barthez), sensibilité (De- sèze) , vis insita , vis vitœ, actuosum, force innée, etc. Dis- sidents seulement dans l'opinion qu'ils s'en sont faite , on peut , à cet égard, les partager en deux sectes.

DE LA FORCE VITALE. 543

Les uns, entraînés par les errements de la philosophie ancienne, conduits par la tendance qu'a généralement l'es- prit à personnifier ses propres abstractions; séduits, enfin, par la merveilleuse coordination que l'on observe dans tous les actes de l'économie vivante, tant en santé qu'en mala- die , coordination qui est telle que les organes semblent vraiment être régis par un être supérieur; ont cru la force vitale un être existant par lui-même , et Font personnifiée. Seulement , tandis que les uns la dirent de nature maté- rielle , les autres la dirent spirituelle , et tour-à-tour la confondirent avec l'ame proprement dite , ou l'en distin-

guèrent.

Les premiers qui croyaient la force vitale un être maté- riel , cherchèrent de préférence cette force dans des corps gazeux, à cause de ia plus grande mobilité que ces corps ma- nifestent. Tour-à-tour ils la firent consister ; ou dans Y air qui est si nécessaire à la vie , et qui paraît s'exhaler avec le dernier soupir ; ou dans la matière de la chaleur, dont la présence accompagne toujours ia vie , et dont l'abandon au contraire suit toujours la mort. De même, cette mé- taphore des poètes du souffle de vie , et la fable du feu de Prométhée.

Les seconds , ayant passé vainement en revue tous lesêtres matériels les plus subtils, sans en trouver aucun qui pût vraiment être dit le moteur vital ; et par cette recherche de corps de plus en plus déliés , ayant été conduits à la con- ception d'êtres spirituels, dirent la force vitale un être im- matériel : mais, tantôt avec Van-Belmont ils en firent, sous le nom d'ame sensitwe ou à'archêe , un être distinct de l'ame, et par conséquent un troisième élément clans l'homme ; tantôt avec Stahl , ils la confondirent avec l'ame elle-même. Ainsi, V an-Helmont , sous le nom à'arcliée f admettait dans l'homme, outre l'ame et le corps, un prin- cipe immatériel , et cependant périssable, mais intelligent comme l'ame , et régissant tous les organes de manière à leur faire produire tous les phénomènes de la vie en santé et en maladie. Non-seulement il y avait autant d'archées que d'êtres vivants dans la nature; mais encore chacun des or-

544 PHILOSOPHIE DELA SCIENCE,

ganes d'un même individu avait son archée particulier : ceux-ci seulement étaient d'un ordre inférieur , et subor- donnés à un archée suprême , qui siégeait à l'orifice cardia de l'estomac , et qui gouvernait tout l'ensemble ; Van-Hel- mont douait celui-ci de sentiment et d'intelligence , le disait susceptible de s'irriter , d'errer , et en peignait d'une manière poétique les opérations. Sans doute une pareille doctrine doit aujourd'hui être réprouvée; et cependant il est juste de dire que, sous ces formes fabuleuses et allé- goriques, Van-Helmont, d'un côté , avait bien séparé les phénomènes vitaux des phénomènes physiques et chimiques avec lesquels les mécaniciens et chimistes de son temps affectaient de les confondre , et de l'autre avait bien décrit les différents degrés et efforts de la puissauce vitale. Son archée suprême n'est que l'svopixovd'Hippocrate, l'aine sen- sitive d'autres anciens, la force vitale des modernes, mais personnifiée ; et ses archées inférieurs ne sont que les nom- breuses modifications que manifeste cette puissance dans chacun des organes du corps en raison de leur structure diverse. Sous ces rapports, la doctrine de T^an-Helmont est supérieure à celle de Sthal.

Celui-ci rapportait à l'ame , non-seulement les facultés intellectuelles et morales qui sont ses attributs propres , mais encore tous les actes organiques et vitaux , et considé- rait conséquemment ce principe divin comme étant la force vitale. En vain lui objectait-on que le propre de l'ame est d'avoir la perception de toutes les opérations qu'elle, dirige , d'avoir tout empire sur les mouvements auxquels elle pré- side; et que cependant tous les phénomènes organiques proprement dits, sont, non-seulement indépendants de notre volonté, se manifestent irrésistiblement en nous, mais encore sont produits sans qu'on les sente. Il répondait que ce double résultat tenait, ou bien à l'habitude et à la fré- quence avec laquelle les divers phénomènes avaient été ré- pétés depuis le commencement de la vie , ou à la dégrada- tion dans laquelle l'ame avait été jetée par le péché à? Adam , ce principe ayant perdu alors une partie de sa puissance. Vainement lui opposait-on que, dans l'état de maladie, il y

DE LA FORCE VITALE. 5^5

a beau-coup de mouvements organiques qui tendent à la destruction de l'être, et que l'ame, essentiellement intelli- gente et raisonnable , devrait ne pas vouloir. Il répondait encore que, dégradée par le pécbé originel, Famé était de- puis lors, devenue susceptible de se tromper. Nous ne croyons pas utile de réfuter ce système : il est trop reconnu aujourd'hui que toutes les opérations corporelles propre- ment dites, sont hors la dépendance du principe divin qui régit notre intelligence et notre raison, et que ce prin- cipe ne peut conséquemment constituer force vitale.

2'° Il est , au contraire, une autre secte de physiologistes, et ce sont presque tous ceux de l'époque actuelle, qui ne voient dans la force vitale , ou qu'une hypothèse propre à représenter la cause inconnue des phénomènes de la vie* ou qu'une abstraction exprimant le mode d'action caracté- ristique des corps vivants. D'un côté , la cause des mouve- ments vitaux n'est pas plus pénétrable que celle de tous les autres phénomènes naturels, et la force vitale est l'hypothèse que nous avons faite pour la représenter ; le nom cette force vitale est, pour désigner cette cause dans nos discussions phy- siologiques , ce qu'est Vas des algébristes pour la désigna- tion de l'inconnue d'un problème. D'un autre côté nous avons vu, que dans l'impossibilité de pénétrer l'essence de la faculté d'activité que manifeste partout la matière, nous représentons cette faculté par des forces abstraites, qui sont aussi diverses que le sont les actions elles-mêmes. Or en vertu de ce procédé , les actions vitales doivent être rappor- tées à une force quelconque; et ces actions étant différentes des actions physiques et chimiques générales, doivent être rapportées à une force abstraite spéciale , qui est la force vitale. D'après ce que nous avons dit dans le chapitre pré- cédent, on conçoit que cette dernière opinion est la nôtre et' que la force vitale est pour nous, non un être réel, mais Vx algébrique par lequel nous représentons la cause inconnue des phénomènes vitaux, un mot par lequel nous désignons le mode d'action qui est propre aux corps vi- vants.

Il n'est, en effet, qu'une seule manière raisonnable de Tome IV. "35

546 PHILOSOPHIE DE LA SCIENCE,

donner à la force vitale un corps, une existence maté- rielle: ce ne serait qu'autant quril y aurait dans tout être vivant un agent moteur, du genre des fluides impondéra- bles de la nature , et auquel on donnerait le nom de force vitale. En traitant de l'innervation , nous avons parlé du rôle que certains physiologistes veulent faire jouer ta un fluide sécrété et conduit par le système nerveux , et qui se- rait le mobile de tous les phénomènes vitaux : nous avons indiqué les analogies qu'on a voulu établir entre ce fluide , qui rappelle les esprits animaux , vitaux des anciens , et le fluide électrique. Or, si l'existence de ce fluide est réelle, et si l'influence de ce fluide sur la production des phénomènes de vie est aussi absolue que quelques physiologistes le disent , oa conçoitqu'on peut, à juste titre, l'appeler principe vital, et le considérer comme ayant par lni-mème une existence, et comme étant autre que l'ame et le corps. Ce n'est qu'en ce sens qu'on peut justifier Barlkez d'avoir voulu le person- nifier. Ce médecin , pour appuyer cette idée de l'indé- pendance du principe vital , citait les faits suivants : que lorsque la vie s'exalte dans un organe , elle diminue dans tous les autres; que certains poisons causent la mort dune manière soudaine , et sans léser sensiblement aucun organe; que certains animaux , après être restés long-temps plongés dans un état de mort, ont été rappelés à la vie par leur exposition au soleil, à la chaleur , à l'humidité, etc. Or, on peut expliquer tous ces faits dans l'hypothèse d'un fluide nerveux , moteur de la vie. Dans le premier cas , ce fluide , par cela seul qu'il a éié porté en plus grande quantité dans l'organe dont la vie est exaltée, a diminué dans les autree organes : dans le cas de la mort soudaine par le poison , la pro- duction , la distribution du fluide nerveux aura été empê- chée par Faction de la substance vénéneuse sur le système nerveux: dans le troisième cas enfin, ou l'être, en appa- rence mort , avait conservé en lui un reste du fluide moteur qui tout à coup aura été suscité à manifester de nouveau ses effets, ou ce fluide aura tout à coup été formé , comme dans les générations spontanées, et trouvant une masse ma- térielle dont l'organisation n'était pas détruite , il l'aura

DE LA FORCE VITALE. 54y

vraiment ressuscitée, etc. Mais, comme on l'a vu, ce n'est pas ainsi qu'a été conçue la force vilale par les médecins qui l'ont personnifiée; et, partant de l'idée commune qu'on y attache, il ne faut voir en elle qu'une abstraction.

Cela étant, l'histoire de la force vitale aurait du se borner à l'indication des différences et des oppositions qui existent entre les phénomènes de vie doat elle est l'expression ' abstraite , et ceux des corps inorganiques ; mais son histoire s'est agrandie du récit des erreurs auxquelles a conduit ie tort de la personnifier. En général , toute cette dernière partie contiendra beaucoup de controverses, parce qu'étant relative, moins aux faits eux-mêmes qu'aux créations de l'esprit sur eux, qu'aux principes dogmatiques qu'on en a déduits et par lesquels on les lie, chacun a pu varier dans les généralisations auxquelles il a été conduit.

CHAPITRE III.

Des Propriétés vitales.

Par la comparaison des actes physiques et chimiques d'une part , et des phénomènes de la vie de l'autre ; en raison de la différence et même de l'opposition qui existe entre les uns et les autres , les physiologistes avaient été conduits , pour représenter ces derniers, à l'abstrac- tion de la force vitale. Par la comparaison des phéno- mènes de la vie entre eux, et en raison de leurs différences , ils ont été conduits à de nouvelles abstractions, qui repré- sentent chacune chacun des actes de la vie en particulier, et qui sont ce qu'on appelle les propriétés vitales. Les actes de la vie , en effet , bien que semblables en ce sens qu'ils sont différents des actes physiques et chimiques, ne sont pas tous d'un même genre , d'un même ordre; et par conséquent on a pu les rattacher à autant de forces vitales particulières , qu'on a pu distinguer en eux de différences bien marquées, Les forces physiques et chimiques sont multiples ; on compte parmi elles la gravitation , les affinités , etc.; les forces vi- tales le sont de même ; et ce sont les subdivisions de îa

35.

548 PHILOSOPHIE DE LA SCIENCE,

force vitale, en quelque sorte, qu'on a appelées les pro- priétés vitales. Cette dénomination est peut-être impropre, comme multipliant les abstractions sans nécessité; et peut- être eût-il mieux valu dire les forces vitales. C'était l'opi- nion de Halle , qui voulait qu'on n'appelât propriétés que les qualités passives de la matière, comme l'étendue, la porosité, et qu'on donnât le nom de forces à ses qualités actives, comme la gravitation, l'élasticité. Mais cette dis- tinction de la force et des propriétés vitales est venue de ce qu'ona considéré la première comme un principe réel qui, in- coercible et par conséquent inconnu en lui-même , avait pour propriétés les facultés dont nous allons parler ence chapitre.

Toutefois, la création de ces propriétés vitales, faite au même titre que celle de la force vilale, est encore plus utile. Celle-ci n'indiquait qu'une notion générale; savoir, que le mode de motion de la matière organisée est au lie, et en quelques points contraire de celui de la matière inor- ganique, et constitue une exception temporaire aux lois générales de la matière; mais elle ne faisait rien apprendre de ce que sont les mouvements vitaux en eux-mêmes. Les abstractions des propriétés vitales au contraire tendent, comme on va le voir, à caractériser ces mouvements vitaux : elles en indiquent, ou les traits extérieurs, ou les résul- tats : elles conduisent jusqu'aux derniers actes observables dans l'économie des êtres vivants, non-seulement jusqu'à ceux au-delà desquels nos sens ne peuvent plus rien saisir, mais encore jusqu'à ceux au-delà desquels notre esprit ne peut plus rien concevoir : elles nous font remonter enfin jusqu'aux phénomènes élémentaires de la vie, à ceux des- quels résulte l'accomplissement des diverses facultés que nous avons vu la caractériser.

Les premiers documents en remontent à Sthal et à Haller. Le premier, ayant signalé dans quelques-unes de nos par- ties des mouvements obscurs d'oscillation, des alternatives de contraction et d'expansion , soit lors de l'accomplisse- ment de leurs fonctions, soit lors de l'application d'un corps extérieur quelconque, conçut que toutes les parties du corps étaient plus ou moins susceptibles en tout temps

DES PROPRIÉTÉS VITALES. 549

de semblables- mouvements : il appela ces mouvements ioni- ques, leur assigna pour résultat de constituer dans les or- ganes ce qu'on en appelle le ton , et les rapporta à une propriété spéciale de la matière vivante, qu'il appela toni- cité. Déjà les anciens avaient remarqué cette disposition du parenchyme de nos parties, à être ferme et vibra tile, ou flasque et mou; et ils en avaient désigné les différents de- grés dans les maladies, sous les noms de strictum et de laxum. Cette propriété vitale de tonicité influait sur la pro- gression des fluides , la circulation des humeurs, et du reste n'avait aucun rapport avec les forces physiques de cohésion, d'affinité, d'agrégation, qui, dans la matière inorganique , déterminent le degré de densité, de consistance des corps.

Haller groupa , sous deux autres propriétés vitales, deux phénomènes de vie non moins distincts, et qui lui paru- rent également élémentaires; l'un qui est celui par lequel une partie vivante se montre sensible, transmet à l'ame la conscience , le sentiment de l'impression , soit externe , soit organique, qui lui est appliquée : l'autre qui est celui par lequel une partie se contracte d'une manière appréciable par les sens, soit sous l'empire de la volonté, soit sous l'in- fluence d'un stimulus externe ou interne quelconque. Il rapporta le premier fait à une propriété vitale spéciale, qu'il appela sensibilité, du nom qui, depuis long-temps, était donné aux actes qu'elle était destinée à représenter; et il rapporta le second à une autre propriété , qu'il appela irri- tabilité. Ce dernier nom avait été inventé par Glisson. Ce médecin avait signalé ce trait spécial qu'offre la matière vivante , de réagir sur les corps extérieurs qui sont mis en contact avec elle, de se mouvoir consécutivement à toute stimulation, dans un mode qui n'a aucun rapport avec les motions physiques et chimiques : il avait fait de ce trait l'acte le plus universel de la vie , celui auquel sont dus tous les autres; et il l'avait rapporté à une propriété vitale pre- mière, qu'il avait appelée irritabilité. Gorter ensuite avait étendu à la vie des végétaux 3a notion de cette irritabilité, qui ainsi devait être dite la propriété vitale universelle. Haller s'empara de ce mot déjà usité dans la science, mais

55o PHILOSOPHIE DE LA SCIENCE,

pour lui donner une acception plus restreinte; il n'y ratta- cha que ceux fies mouvements de nos parties qui tombent sous les sens, commeîes conlractions des muscles volontaires, celles du cœur, etc. Bien que ces deux ordres de mouve- ments soient bien distincts , puisque les uns sont volontai- res , et les autres involontaires, cependant il les rangea dans la même catégorie, parce que l'essence de l'irritabilité est qu'une stimulation précède et provoque la contraction qui îa constitue, et qu'il considéra l'ordre de la volonté comme étant aux muscles volontaires, ce qu'est le contact du sang au cœur. Proclamant ainsi deux propriétés vitales premières, la sensibilité et Y irritabilité , Haller chercha d'abord , par des expériences sur des animaux vivants, à spécifier quelles parties constituantes du corps possèdent ou non ces proprié- tés; et ses conclusions furent que îa sensibilité réside ex- clusivement dans le système nerveux, et l'irritabilité dans le système musculaire. Partageant ensuite tous les phéno- mènes de la vie , selon qu'ils se rapportent à l'une ou à l'autre de ces deux propriétés , il parut réellement en avoir pénétré le mystère .. et en donner l'explication, tant est grande la tendance qu'a l'homme à se payer de mots, et à les prendre pour les choses.

Aussi l'apparition de cette doctrine fit-elle révolution en physiologie. Elle donna lieu surtout à trois grandes controverses. On ne s'accorda pas sur celles de nos par- ties qui sont sensibles et insensibles , irritables et non irri- tables. 2° On mit en doute que le système nerveux fût l'agent exclusif de la sensibilité, et le système musculaire celui de l'irritabilité. Enfin, tandis que Haller faisait de lasensibilitéetde l'irritabilité deux propriétés distinctes, quelques-uns voulurent rattacher l'irritabilité à la sensibi- lité , et la considérer comme en étant une dépendance.

Nous ne nous arrêterons pas aux deux premières de ces controverses, dont nous avons parlé ailleurs. Nous avons dit, en effet , que si des parties qui avaient paru insensibles aux uns, s'étaient montrées sensibles à d'autres, c'est que ceux-ci avaient employé d'autres excitants , chaque partie ayant sa sensibilité spéciale; de sorte que la diversité des

DES PROPRIÉTÉS VITALES. 55 1

résultais s'explique par la diversité des excitants employés dans les expériences. Nous avons ajouté que toute partie étant susceptible de développer de la douleur par l'état de maladie, Haller avait eu tort de dire, d'une manière ab- solue , que certaines parties étaient insensibles. Enfin, nous avons dit que 5 dans l'impossibilité nous sommes souvent de prouver l'existence de nerfs dans des parties nous voyons de la sensibilité , nous aimons mieux croire que ces organes y existent , que de supposer possible sans eux la manifestation de cette faculté ; de sorte que nous pensions , avec Haller, que la sensibilité réside exclusivement dans le système nerveux.

Nous devons, au contraire , nous arrêter un peu à la troi- sième controverse , ne fût-ce que pour avoir l'occasion de faire connaître les faits qui y ont donné lieu. Nous avons dit que l'irritabilité supposait toujours une stimulation préalable : or, comme cette stimulation, lorsqu'il s'agit des mouvements volontaires, consiste en un influx ner- veux; comme lors des mouvements involontaires eux-mêmes, cette stimulation , pour être reçue , et pour provoquer à sa suite l'irritabilité, réclame aussi une influence nerveuse , quelques physiologistes ont voulu subordonner l'irritabilité à l'influence nerveuse ou à la sensibilité, et n'admettre ainsi que celle-ci pour propriété vitale unique. Voici les faits sur lesquels ils se fondent. Il est évident , en ce qui regarde les mouvements volontaires, que c'est une influence nerveuse qui commande et régit l'irritabilité à laquelle ils sont dus , et que les muscles cessent de répondre aux ordres de la volonté, lorsqu'on a coupé, lié les nerfs qu'ils reçoivent. La cbose est aussi certaine, en ce qui regarde les mou- vements involontaires; car les muscles qui les exécutent re- çoivent des nerfs, et cessent de répondre à leurs stimulants accoutumés, si on a lié ou coupé ces nerfs. Les expériences dans lesquelles on a amené la paralysie de l'estomac , de la vessie, par la section des nerfs qui vont à ces organes, en sont la preuve. À la vérité, Haller, pour démontrer l'indé- pendance dans laquelle est l'irritabilité de toute influence nerveuse, disait que l'on pouvait couper les nerfs du cœur

55a PHILOSOPHIE DE LA SCIEJNCE.

sans arrêter les mouvements de cet organe; mais c'est qu'on ne coupait ces nerfs qu'au col ; et les expériences de Legallois sur la moelle spinale, ont assez prouvé que les mouvements de ce viscère sont aussi soumis à la nécessité d'une influence nerveuse. Si on irrite le nerf qui se rend , soit à un mus- cle volontaire , soit à un muscle organique, on détermine dans ces muscles une contraction, même plus vive, que lorsqu'on les irrite directement. La même chose s'observe, si on fait l'expérience après la mort. C'est à l'influence de l'irritabilité que Haller rapportait le phénomène de l'an- tagonisme des muscles : or, une influence nerveuse a part à cet antagonisme ; il suffit que les nerfsd'un côté soient coupés ou paralysés, pour que les muscles auxquels ils se distribuent ne puissent plus contrebalancer leurs antagonistes , et cela même sans l'intervention de la volonté. C'est à elle aussi que Haller rapportait la roideur cadavérique; or, les détails dans lesquels nous sommes en très sur ce phénomène, annon- cent aussi qu'une influence nerveuse y préside ; nous avons vu quelapromptitudeaveclaquelleilsurvient, le temps pendant lequel il persiste, sont en raison du degré d'épuisement qu'a déterminé le genre de la mort. 70 Enfin, on sait que l'exercice de l'irritabilité peut encore être déterminé après la mort , par l'application aux muscles de divers stimulants, comme électricité, galvanisme, etc. Or, la permanence et l'intensité de cette irritabilité après la mort, se montrent très variables selon diverses circonstances qui n'ont pu agir que sur le système nerveux. Par exemple, Fontana a re- maraué que cette irritabilité était moindre et bien plus promptement éteinte dans le cadavre des personnes tuées par la foudre, dans celui des animaux morts par le venin de la vipère. Il y a aussi beaucoup de différences sous ce rap- port dans les cadavres des criminels, selon que ces criminels ont subi leur supplice, avec courage ou avec pusillanimité et abattement. Ainsi, soit pendant la vie, soit après la mort, toujours une influence nerveuse précède la manifestation de l'irritabilité; et par conséquent cette dernière propriété peut être considérée comme une dépendance de la première. Comme on le conçoit, //a//er et ses sectateurs ne laissaient

DES PROPRIÉTÉS VITALES. 553

pas ces diverses objections sans réponses, Tons les faits qui prouvent qu'un influx nerveux met en jeu l'irritabilité, soit pendant la vie , soit après la mort, ou est nécessaire à sa manifestation, prouvent bien que cet influx nerveux peut être le stimulus que l'on a dit être nécessaire à son dévelop- pement; mais ils ne prouvent pas que l'irritabilité n'existe pas par elle-même. 2°Les deux propriétés apppartiennent à deux systèmes d'organes distincts; l'un qui est sensible et non irritable, le système nerveux; et l'autre qui est irritable et non sensible, le système musculaire. Les excluants de ces deux propriétés sont divers et même opposés; ainsi, Bihher, avec de la vapeur de soufre, n ote que le sentiment aux muscles, et avec des vapeurs caustiques, il ne les prive que de leur irritabilité. Beaucoup de faits contredisentla dé- pendance de l'irritabilité delà sensibilité; par exemple, la permanence de l'irritabilité et son énergie après la mort , sont en raison inverse de l'énergie musculaire et de l'activité cérébrale : l'irritabilité est extrême dans les derniers ani- maux , chez lesquels la sensibilité est obtuse , ou même n'existe pas; elle est plus grande dans les reptiles que dans les oiseaux, etc. Nysten , cherchant à la développer dans des cadavres de paralytiques, l'y a trouvée aussi énergique. L'irritabilité existe dans les végétaux, qui, évidemment, n'ont ni système nerveux , ni sensibilité. Enfin, on la développe pendant la vie et après la mort, par l'irritation directe d'un muscle , lors même que ce muscle est isolé du cerveau et de tous ses nerfs, et lorsque l'irritation de ceux-ci ne peut plus l'exciter en lui. On ne peut pas dissi- muler la faiblesse de ces arguments des Hallériens; et, par exemple, si le muscle irrité directement se contracte, c'est à raison du reste d'influence nerveuse qu'il possède. En effet, dans ces expériences, ne faut-il pas varier successivement les excitants, à mesure que la sensibilité s'y accoutume? Quand on applique l'excitant au nerf, ne faut-il pas irriter /successivement un point plus rapproché du muscle, et suivre enquelque sortele progrès de l'extinction de la puissancener- veuse, comme le faisait Bellini, dans sa fameuse expérience du nerf phrénique ? Ne faut-il pas faire de nouvelles incisions au

554 PHILOSOPHIE DE LA SCIENCE.

muscle , comme le conseillait Fontana , afin de mettre sans cesse à nu de nouvelles fibrilles nerveuses non encore in- fluencées ? Enfin, si la stimulation directe du muscle pro- voque encore l'irritabilité, lorsque celle du nerf déjà ne le peut plus , n'est-ce pas parce que la puissance nerveuse éparpillée daus les filets nerveux du muscle, est plus lon- gue à s'y dissiper que dans le tronc nerveux lui-même ?

Cette controverse, qui dure encore, me paraît être une pure dispute de mots, et l'on peut faire de justes reproches à chacun des deux partis. D'un côté, les antagonistes de l'irritabilité halîérienne avaient tort de confondre deux choses aussi distinctes que la sensibilité, et Finfluence ner- veuse ou l'innervation; et, s'il est vrai que l'irritabilité soit subordonnée à cette dernière, il est évident qu'elle ne peut être confondue avec la sensibilité. D'un autre côté , les Hai- lériens erraient en niant que l'irritabilité fût , dans les animaux supérieurs au moins , comme tout autre acte vital , subordonnée à une influence nerveuse.

Toutefois, telles furent les premières propriétés vitales, qui furent désignées comme animant la matière vivante. Mais ces propriétés étaient bornées à certaines de nos parties seulement; la sensibilité, au système nerveux; l'irritabi- lité, au système musculaire. Bientôt on les généralisa, on les dit communes à tous les organes; et dès lors fut fondée la doctrine qui règne de nos jours. D'un côté, eu cherchant à pénétrer jusqu'aux derniers mouvements observables de nos organes, on vit que partout ces mouvements étaient précédés d'une impression à laquelle nos organes parais- saient sensibles, et qui semblait provoquer leurs actions. Cette propriété générale et commune à toute partie vi- vante, de recevoir une impression, on l'appela sensibilité; gé- néralisant ainsi la propriété que Haller avait bornée à la seule perceptibilité par l'ame. Ainsi, toute partie fut dite sensible au sang dont elle va se nourrir; le cœur le fut à ce fluide , lorsqu'il va se contracter pour le lancer au loin , etc. D'un autre côté, on vit qu'à la suite de l'impression qu'elle a. reçue, toute partie se meut; tantôt d'une manière appa- rente, comme îe fait le cœur; tantôt trop petitement pour

DES PROPRIÉTÉS VITALES. 555

que ses mouvements soient reconnus autrement que par leurs résultats, comme le fait une glande qui sécrète; mais toujours d'une manière spéciale à la matière organisée, et qui ne peut être dite ni physique, ni chimique. Or, cette motion fut rapportée à une autre force , qu'on appela moti- lité , et qui n'est aussi que l'irritabilité généralisée. On appela cette force molilité , et non mobilité, pour faire enten- dre qu'elle représente la faculté de se mouvoir spontané- ment, et non celle d'être mu; eten exprimant que les mou- vements qui dépendent d'elle et qui suivent l'impression sont, tantôt perceptibles pa** les sens , et tantôt moléculaires etrecounus seulement par leurs résultats, on confondit les notions d'irritabilité et de tonicité.

Ainsi, d'une part, action première par laquelle la matière vivante reçoit une impression, ou sensibilité ; d'autre part, autre action qui fait suite à la précédente, par laquelle la matière vivante se meut, consécutivement à l'impression qu'elle a reçue, et dans un mode qui lui est propre, ou motilité : telles sont les deux propriétés vitales élémentaires admises par les modernes , les derniers termes auxquels ils sont arrivés dans l'analyse des phénomènes. Tout organe est dit sentir et se mouvoir à sa manière pour sa fonction, l'estomac pour digérer, l'appareil circulatoire pour chasser le sang, le muscle pour se contracter, le nerf pour trans- mettre les impressions sensitives à Famé, etc.

Cependant, tout en admettant la sensibilité et la motilité, presque tous les physiologistes modernes ont spécifié un plus grand nombre de propriétés vitales ; et l'on peut at- tribuer leurs dissidences , sous ce rapport, aux deux causes suivantes : 10 A ce que, remarquant que chaque partie a son mode de sensibilité et de motilité, souvent ils ont fait de quelques-uns de ces modes, quand ils sont très diffé- rents, autant de propriétés vitales spéciales. A ce que souvent ils ont considéré comme un acte vital élémentaire, et digne à ce titre d'être rapporté à une propriété première, des phénomènes qui ne sont que les résultats d'une ou plu- sieurs fonctions. C'est ce que va prouver l'examen rapide que nous allons faire des principales théories modernes sur les

556 PHILOSOPHIE DE LA SCIENCE.

propriétés vitales, des théories de Barthez , Blumenbach ,

Chaussier, Dumas et Biehat.

Barthez admettait cinq propriétés vitales, qu'il disait être des lois, des qualités primordiales du principe vital que nous avons vu qu'il reconnaissait dans tous les êtres vivants. Ces propriétés étaient la sensibilité , la force de contraction , celle à' expansion ou de dilatation active , celle de situation fixe, et celle de tonicité. La sensibilité était prise par Barthez dans le sens circonscrit de Haller; ce n'était que la faculté de transmettre à lame une impression quelconque ; la seule différence est qu'il n'en faisait pas la propriété exclusive du système nerveux , pro- nonçant contre Haller dans la seconde des controverses auxquelles la doctrine de celui-ci avait donné lieu. La

force de contraction comprenait tous les mouvements mus- culaires , tant volontaires qu'involontaires , et , par con- séquent , n'était aussi que l'irritabilité hallérienne. La

force de tonicité n'était aussi que ce que Sthal avait appelé de ce nom; seulement Barthez avait commis la faute d'y rattacher plusieurs phénomènes qui tiennent, ou à la sim- ple élasticité physique, ou à ce que Haller appelait force morte, et que Biehat a depuis appelé contractilitè de tissu. Restent donc les forces d'expansion, et de situation fixe , et voici en quoi elle consistent. La première est la propriété à laquelle certaines parties doivent de se mouvoir, nou en se contractant, c'est-à-dire en rapprochant leurs extrémités de leur centre, mais en se dilatant. Il est certain que quel- ques-unes de nos parties paraissent se mouvoir en se dila- tant, le cœur, par exemple, la pupille, tous les organes érectiles , etc.; et l'on peut, dès lors, admettre une force d'expansion ou de dilatation , au même titre qu'une force de contraction. C'est ce qu'a fait Barthez, et il a été imité en cela par plusieurs physiologistes mes contemporains , MM. Boux , Rallier , etc. Mais, en ce qui concerne le cœur, la dilatation de cet organe n'est que le résultat de la cessa- tion de son action de contraction; et quant aux organes érectiles , il est possible que leur turgescence tienne à une disposition particulière de leur système vasculaire , et spé-

DES PROPRIÉTÉS VITALES. 55;

cialement de leur système veineux. Dans tous îes cas , cette force d'expansion n'est , comme on voit, qu'un mode de motilité. Quant à \& force de situation fioc e , une des créations des plus chéries de Barthez, ce physiologiste appelait ainsi une faculté qu'auraient les muscles et toute partie quelconque, de maintenir leurs moléculescomposantes dans une position fixe déterminée, telle , que desefforts supérieurs à ceux qui rom- praient le muscle dans son relâchement et même dans sa con- traction , ne pourraient augmenter ni diminuer-la distance de ces molécules, ni en changer les rapports. Pour mieux faire comprendre son idée , Barthez citait le tour de la grenade , que l'athlète Milon retenait dans sa main, assez fortement pour que personne ne pût la lui ravir, et cependant sans l'écraser. Or, il nous semble qu'ici ce physiologiste ratta- chait à une force spéciale un phénomène qui tient à l'exer- cice de la contractilité musculaire volontaire , et , par con- séquent, faisait un abus du mode de philosopher, dont nous passons en revue en ce moment les produits.

Blumenbach reconnaît aussi cinq propriétés vitales , la sensibilité , Y irritabilité , la contractilité , la force de vie propre et là. force, de formation. Les trois premières ne sont encore que la sensibilité et l'irritabilité de B 'aller , et la tonicité de StahL Celle-ci, seulement, est désignée sous le nom de contractilité ou force cellulaire, parce que son mode de motion est la contraction, et parce qu'elle est dite résider particulièrement dans le tissu cellulaire, cet élément primor- dial de tout organe. Quant aux forces dévie propre , et de formation , la première est cette faculté en vertu de laquelle chaque organe accomplit ce qu'il y a de spécial , de propre en sa fonction ; et la seconde est cette autre faculté qui préside, non-seulement à l'animation, à la fécondation du germe, mais encore à la nutrition, au développement de tout organe. D'une part , certains organes exécutent des actions qu'il est difficile de rapporter aux forces sensitives et motrices ; et , pour ces actions, Blumenbach suppose des forces de vie propre , qui ne sont presque que les archées particulières de Van-Relmont. D'autre part, Blumenbach suppose que l'acte vital de l'avivement d'un germe est l'eifet

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d'une force spéciale qu'il appelle force déformation; et faisant de cette force la cause efficiente de toute action ré- paratrice et conservatrice , il dit que c'est par elle que se nourrit et se développe tout organe. Nos lecteurs pressen- tent d'avance ce que nous pouvons dire de ces deux forces prétendues. D'un côté, c'est, sans doute, une philosophie commode que celle qui consiste à supposer une force pour l'explication de tout phénomène naturel; mais aussi c'est une philosophie qui n'aboutit à rien , et Ton peut faire à la force de vie propre de Blumenbach le même reproche de stérilité qu'aux causes occultes des anciens. D'un autre côté , si l'on peut conserver la force de formation , comme abstraction représentant le phénomène vital si important delà fécondation , il ne paraît pas au moins qu'on doive y rattacher la nutrition des parties.

Dans les théories de Barthez et de Blumenbach , il n'était encore question, sous le nom de sensibilité 3 que de la fa- culté qu'a le système nerveux de donner à l'âme la con- science et le sentiment d'une impression , et sous celui & irritabilité , que de la contractilité musculaire. Mais, dans la théorie de Chaussier , ces propriétés sont désormais géné- ralisées. Ce célèbre professeur, qu?on peut regarder comme le fondateur de la doctrine du vitalisrae dans la Faculté de Paris , et dont l'enseignement a pendant trente années fourni le germe de tous les travaux qui ont été faits à cette Faculté sur les propriétés vitales, en admet trois, la sensi- bilité , îa motilité et la caloricitè. Il définit la sensibilité , la faculté qu'a toute fibre vivante de changer par une im- pression , un contact, son rythme habituel et naturel ; ce n'est donc plus la perceptibilité par l'aine , comme l'avait dit Haller y mais une faculté commune à toutes les parties, comme à tous les étires vivants. Dans le corps humain, en effet, elle existe dans les os comme dans les nerfs; et dans la nature vivante , ies végétaux la possèdent aussi-bien que les animaux. Quelque idée que puisse inspirer le nom qui lui a été donné, il ne faut voir en elle, dit formellement Chaus- sier, qu'un mode de motion , celui qui est propre à îa ma- tière vivante. La motilité est cette autre faculté qu'a toute

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fibre vivante , non-seulement de se contracter sous l'impres- sion d'un stimulant, mais même de tendre à le faire conti- nuellement. Susceptible de deux modes d'exercice, tantôt les mouvements dont elle est la cause sont occultes, invo- lontaires , continus; tantôt, au contraire, ils sont appa- rents , et exclusifs aux muscles tant involontaires que volon- taires. Les premiers sont rapportés au mode de motilité qu'on appelle tonicité, tension vitale , contractilité fibrillaire 9 force tonique . Les seconds constituent la myotilité ou \acon- tractilité musculaire , c'est-à-dire l'irritabilité halîérienne. Enfin , sous 3e nom de caloricité , Chaussier désigne cette faculté qu'a tout être vivant de développer assez de calo- rique , pour être indépendant dans sa température de celle du milieu ambiant : mais en parlant de la cbaleur animale , nous avons prouvé que ce phénomène de vie n'était pas élémentaire, mais un résultat d'autres actions vitales , et qu'à ce titre il fallait le considérer comme une fonction , et non comme une propriété vitale première.

Selon Dumas , professeur à Montpellier , tous les phéno- mènes de la vie pouvaient être rapportés à quatre propriétés vitales, la sensibilité, la motilité } la force d'assimilation 9 et la. force de résistance vitale , comme tous ceux de la ma- tière inorganique peuvent être attribués aux forces d'impul- sion , à' attraction , à' affinité et d'inertie. Nous ne dirons rien de la sensibilité et de la motilité, parce que Dumas atta- chait à ces mots à peu près les mêmes idées que Chaussier. Nous nous arrêterons seulement aux forces d'assimilations et de résistance vitale , qui sont les deux créations nouvelles de sa théorie. Parla première, Dumas désigne une facul en vertu de laquelle chaque partie revêt de la vie les sucs qui lui sont apportés pour sa réparation, et les rend propres à faire partie d'un corps vivant, et à exécuter des actes vitaux. On sait que la matière qui forme nos organes se renou- velle sans cesse , et que les matériaux que nous prenons pour cela au dehors de nous, nous sont assimilés après une série d'élabora lions , qui sont sans le moindre rapport avec aucune action chimique connue. Or, c'est ce fait qui est rapporté à une force vitale première, que Dumas appelle force d'as-

56o PHILOSOPHIE DE LA SCIENCE.

similation /M . Rul lier , force a1' affinité vitale ; M. Broussais , chimie vivante. Celle force présiderait aux combinaisons matérielles spécifiques que présentent les corps vivants, et devrait animer tous les organes , et même préexister aux forces sensitives et motrices, puisqu'elle forme primitive- ment les parties. Nous dirons ci-après, qu'il y a quelques motifs pour justifier cette création. Il ne nous paraît pas en être de même de la force de résistance vitale, force à la- quelle , selon .Damas, les corps vivants et leurs organes de- vraient de se maintenir dans leur état propre, quoique cet état soit opposé aux forces générales de la matière. Ce serait, par exemple, à cette force, que les solideset les fluides du corps devraient de persister dans les combinaisons qui les constituent , quoiqueces combinaisons soient sanscesse atta- quées par les affinités chimiques. Ce serait parce que cette force se concentrerait dans les muscles 3 qu'on verrait ces organes résister lors de leurs contractions les plus violentes, et fracturer de préférence les os auxquels ils sont atta- chés, etc. Qui ne voit que, sous le premier rapport, la force de résistance vitale rentre dans celle d'assimilation? Et n'est-il pas possible de dire de ces deux forces , que les faits qu'on leur rapporte sont moins des actes vitaux élémentaires,, que des résultats produits par le concours de toutes les fonctions ?

De toutes les théories modernes sur les propriétés vitales , celle qui sans contredit a obtenu et obtenir le plus de succès , est celle de Bichat; les phénomènes élémentaires de la vie y sont nettement distingués; et tout ce qu'avaient laissé d'obscur ou de confus les théories précédentes, y a enfin disparu. Dans celles-ci , on confondait encore la sensibilité percevante avec la sensibilité générale, la contractilité mus- culaire volontaire avec l'involontaire. Bichat a fait ces- ser cette confusion. Il admet cinq propriétés vitales : la sen- sibilitéorganique , la contractilité organique insensible , la contractilité organique sensible , la sensibilité animale , et la contractilité animale. La sensibilité organique , est la faculté qu'a toute fibre vivante de recevoir une impression, d'être modifiée par un contact, de manière que la modifi-

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cation reste bornée à la partie qui l'éprouve, et n'est pas transmise à Famé. Ainsi, chaque partie reçoit du sang une impression en rapport avec sa nutrition ; l'estomac en reçoit une des aliments , le poumon de l'air, etc. C'est îa sensibi- lité tout-à-fait généralisée. Bickat l'appelle sensibilité orga~ nique ; sensibilité , parce que c'était la dénomination déjà établie; organique, pour faire entendre qu'elle est l'attri- but exclusif de tout être organisé , et qu'elle est commune à tous. Non-seulement cette propriété a un mode particulier dans chaque organe, comme le prouve la diversité de leur nutrition , de leur fonction; mais encore elle met chaque organe en rapport avec des stimulants extérieurs divers : c'est ainsi que les glandes salivaires sont spécialement in- fluencées par le mercure , les reins par les cantharides. Con- nue par ses résultats seulement , son exercice est continu , involontaire; et elle est d'autant plus prononcée dans les êtres vivants , qu'ils sont plus inférieurs. On verra que l'au- tre espèce de sensibilité, c'est-à-dire la sensibilité animale, aura des caractères inverses. La contractililê organique insensible , est la faculté qu'a toute partie vivante de se mouvoir par elle-même , d'une manière inaperçue , par suite de l'impression qu'elle à reçue immédiatement, sans que l'ame ait la conscience de cette motion , que la volonté y ait part, et qu'elle soit aucunement commandée par le cerveau. Ainsi, chaque partie réagit sourdement sur le sang, pour s'en nourrir; ainsi, l'estomac digère les aliments, etc. Bichat l'a appelée conlraciililé organique insensible ; contractilitè parce que la contraction est le mode de motion qui la con- stitue ; organique , pour faire entendre qu'elle est exclusive et commune à tous les êtres vivants; insensible, pour expri- mer que l'ame n'a pas la conscience des mouvements qui la constituent, et que ces mouvements, trop moléculaires pour tomber sous les sens , ne sont reconnus que par leurs résul- tats. Comme la sensibilité organique, elle a un mode parti- culier en chaque organe; son exercice est de même continu involontaire; et elle se montre aussi d'autant plus intense qu'on descend plus dans l'échelle des êtres. Etablie sur les mêmes faits que la sensibilité organique, présentant les Tome IV. 36

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mêmes caractères , inspirant les mêmes considérations t elle coexiste toujours avec elle , et n'en est séparable qu'aux yeux de l'esprit. La contractilitè organique sensible, est la même faculté motrice que la précédente , avec cette seule différence , que les mouvements qui lui sont dus tombent sous les sens , et sont reconnus indépendamment de leurs résultats. Ainsi, le cœur se contracte sans que la volonté régisse ses contractions, et par le fait seul de l'impression locale que fait sur lui le sang ; mais ses mouvements ne sont pas occultes, comme l'étaient ceux de la contractilitè orga- nique insensible. Nous n'avons pas besoin de répéter les motifs de l'emploi de ces trois mots : contractilitè, organi- que , sensible. Cette propriété a aussi un mode particulier en cbaque organe; son exercice est également involontaire; et elle ne diffère réellement de la précédente que par le degré , le mouvement qui la constitue étant apparent au lieu d'être moléculaire. Dans la comparaison que Bicliat en fait, il oppose l'une à l'affinité, l'autre à l'attraction; et Barthez, avec plus de bonbeur encore, dit que la première est à la seconde , ce que , dans une montre, l'aiguille des heures est à celle des minutes ou des secondes. Par sensibilité ani- male Bicliat désigne la propriété qu'ont certains organes de transmettre à Pâme , par l'intermédiaire du cerveau, la conscience du sentiment , des impressions qu'ils ont reçus. C'est la sensibilité , dans le sens restreint de Haller, et dans l'acception vulgaire des gens du monde. Bichat l'appelle sensibilité , parce que c'était l'expression reçue , et animale , pour faire entendre , qu'à la différence de l'autre espèce de sensibilité qui appartenait à toute la nature organique, celle-ci est exclusive aux animaux. À la fonction des sensa- tions nous avons traité de tous les faits dont elle est l'ex- pression abstraite. Nécessitant dans son exercice le concours de trois organes, l'un qui reçoit une impression, un autre qui conduit cette impression , et un troisième qui la per- çoit elie réside essentiellement dans le système nerveux. Elle a des caractères tout inverses de la sensibilité organi- que , c'est-à-dire qu elle est toujours perçue , qu elle n'a pas an exercice continu, et qu'elle diminue d'intensité à mesure

DES PROPRIÉTÉS VITALES. 563

qu'on descend dans l'échelle des êtres. Il est d'ailleurs d'au- tant moins permis de confondre ces deux propriétés , que la sensibilité animale peut être suspendue , comme dans le sommeil, les paralysies, tandis que la sensibilité organique continue d'agir. Cependant Bichat est tombé ici un peu en contradiction avec lui-même, en ajoutant que, de même que les deux contractilités organiques étaient de même nature et ne différaient que par le degré, il en était de même des deux sensibilités. Il se fondait en ceci sur deux raisons. L'une est, qu'en certaines de nos parties, les deux sensibilités s'enchaînent; comme aux membranes muqueu- ses, qui , à leur origine, ont la sensibilité animale , et qui , dans leur profondeur, n'ont plus que la sensibilité organi- que, l'autre est, qu'un changement dans les excitants., ou l'état maladif, transforment en sensibilité animale la sen- sibilité organique, tandis que l'habitude, au contraire, transforme en sensibilité organique la sensibilité animale. Enfin, Bichat faisait une cinquième propriété vitale, sous le nom de contraclilhê animale , de la contraction muscu- laire volontaire et cérébrale, dont nous avons traité à l'ar- ticle de la locomotion. Exclusive aussi aux animaux, comme l'indique son nom, elle se distingue des contractilités dites organiques^ en ce que sa cause excitatrice ne siège pas dans l'organe même qui la développe, c'est-à-dire le muscle, mais dans le cerveau. En outre, tandis que les deux autres contractilités étaient irrésistiblement liées et proportion- nelles au mode de sensibilité qui leur correspond , celle-ci ne l'est pas de même à la sensibilité animale, et son exercice* n'est jamais continu.

A ces propriétés vitales, ainsi nommées, parce qu'elles produisent la vie et n'existent qu'avec elle , Bichat ajoutait ce qu'il appelait des propriétés de tissu, c est-à*dire qui te- naient à la texlure, à l'organisation des parties, et qui, par conséquent, persistant plus ou moins après la mort , ne disparaissaient que lorsque la putréfaction avait détruit toute organisation. Ces propriétés étaient au nombre de trois : Y extensibilité de tissu , ou la propriété qu'ont les tissus vivants , de céder à une cause extensive; la contrac*

36.

564 PHILOSOPHIE DE LA SCIENCE.

tilitè de tissu, qui est la faculté inverse, que Haller avait déjà signalée sous le nom de force morte; et enfin, la con- tractilité par racornissement , ou la propriété qu'ont les tissus organisés de se crisper sous l'influence du feu , des acides et de divers autres agents. Le racornissement était de deux espèces; ou subit, et développant dans les organes qui l'éprouvent une grande élasticité; ou graduel, s'opérant d'une manière lente, ne rendant pas de même élastiques les tissus qui l'éprouvent, et permettant encore, après lui, le racornissement subit.

Ainsi que nous l'avons annoncé d'abord, cette théorie de Bichat a de grands avantages sur toutes les autres. La distinction des sensibilités organique et animale empêche "d'y confondre la sensibilité généralisée avec la sensibilité percevante, et fait cesser les équivoques auxquelles ce mot de sensibilité avait donné lieu. La distinction des contrac- tilités organique et animale sépare aussi l'irritabilité pro- prement dite de la contractilité musculaire volontaire, et par conséquent met un terme à la controverse dans laquelle on voulait que la première de ces propriétés fût une dé- pendance de la sensibilité. Cependant on y reconnaît la trace des deux causes qui ont fait multiplier le nombre des propriétés vitales. D'un côté, les deux contractilités organiques ne sont que des degrés divers d'une même force motrice : de l'autre, la sensibilité et la contractilité ani- males sont de véritables fonctions. Tl nous semble en effet qu'on ne doit considérer comme propriétés vitales que les actes de vie qui sont communs à tous les êtres vivants, et à toutes les parties d'un corps animé ; et qu'au contraire , tout acte qui est le produit d'un appareil particulier doit être considéré comme une fonction. Or, la sensibilité per- cevante, et la locomobilité volontaire, ne manquent-elles pas dans les végétaux, dans plusieurs parties du corps hu- main? la première de ces facultés n'a-t-elle pas pour organe exclusif le système nerveux? et ne peut-on pas la dire la fonc- tion de ce système, au même titre qu'on dit la digestion, la respiration , les fonctions des appareils digestif et respira- toire.

DES PROPRIÉTÉS VITALES. 565

Ainsi , en faisant abstraction des fonctions que, par abus on a élevé au rang de propriétés vitales , on voit que chez tous les physiologistes , celles-si se réduisent à la sensibilité et à la motilité. Mais il y a plus ; ces deux propriétés peuvent même se réduire à une seule. Qu'expriment-elles en effet? le pouvoir qu'a toute partie vivante d'exécuter , pour l'ac- complissement de sa fonction , consécutivement à une im- pression, à une stimulation, des mouvements, tantôt visibles et apparents , tantôt trop moléculaires pour tomber sous les sens et constatés seulement par leurs résultats, qui enfin n'étant ni physiques, ni chimiques, mais autres que ceux de la matière inorganisée, sont à ce titre appelés vitaux. Jusqu'ici les physiologistes ont séparé la susceptibilité de re- cevoir l'impression qui provoque au mouvement , de la faculté de le produire, et en ont fait deux propriétés sous les noms de sensibilité et de motilité. Supposant un instant, rapide comme l'éclair, entre le moment de l'impression, et celui du mouvement qui la suit, ils ont considéré comme distinctes, l'action de recevoir l'impression, et celle de se mouvoir consécutivement. Mais ces deux actions n'en font réellement qu'une seule : ce sont les mouvements qu'exécute une partie à l'occasion d'une impression , qui prouvent que cette partie a été sensible à cette impression. Sentir n'est, comme l'ont dît Chaussier, Bichat , que changer de manière d'être par suite d'une impression : ce n'est que se mouvoir dans un mode qui n'est ni physique chimique. Cela est évident pour les cas dans lesquels les mouvements sont oc- cultes; sans les résultats qu'ont amenés ces mouvements, la sensibilité n'eût pas été manifeste; ce sont vraiment eux qui la constituent. Pourrait-il en être autrement, quand ces mouvements sont apparents? ceux-ci ne sont- ils pas de même nature que les premiers ? et en diffèrent-ils autremen t que par le degré? Les deux propriétés , sensibilité et moti- lité, sont donc vraiment réductibles à une seule, qu'on appellera sensibilité, si l'on veut, mais qui emportera avec elle l'idée de mouvement, et sera la faculté active, motrice de la matière vivante.

Nous pouvons trouver dans celle des théories modernes

566 PHILOSOPHIE DE LA SCIENCE.

qui jouit de plus de crédit , dans la théorie de Bichat, la justification de ces idées, et ramener à une seule les cinq propriétés vitales dont elle se compose, en invoquant l'au- torité deBicliat lui-même. En effet, nous avons déjà dit que la sensibilité et la contractilité animale étaient des fonc- tions ; et quant aux trois propriétés organiques , Bichat lui- même a exprimé tacitement qu'elles se réduisaient à une seule. D'une part, en effet, il a avoué que la sensibilité organique n'était que la contractilité organique insensible , que l'esprit seul en avait séparée : d'autre part, il a reconnu que les deux contractilités organiques étaient la même pro- priété, et ne différaient que par le degré: n'était-ce pas convenir que ces trois propriétés n'en font qu'une ?

Ainsi donc , on est conduit à consacrer en physiologie une seule propriété vitale , la sensibilité , qui est dite animer tous les êtres vivants, les végétaux comme les animaux , toutes les parties du corps humain, les os comme les nerfs, et qui est présentée comme l'ame de tous les phénomènes de la vie. Ayant dans chaque partie un mode spécial , c'est elle qui préside à leur jeu , qui fait que le cœur se contracte , que l'estomac digère , que le nerf sent, etc. Généralisation la plus élevée à laquelle on j3uisse parvenir dans la science de la vie, elle est dans cette science, ce que V attraction est dans la science des corps inorganiques. Il est malheureux seulement qu'on lui ait donné le nom de sensibilité , qui, dans l'acception habituelle emporte avec soi l'idée d'une perception par l'ame. De là, ont résulté de continuelles équi- voques, à cause desquelles tour-à-tour on a nié ou concédé que les végétaux eussent la sensibilité, que dans les animaux les os en fussent doués , etc. Pour les faire cesser, plusieurs physiologistes modernes ont proposé d'appeler cette propriété, ou excitabilité 9 pour faire entendre qu'une stimulation est nécessaire pour la mettre en jeu; ou irritabilité , comme dès le principe l'avait fait Glisson. Ainsi, on laisserait au mot sensibilité la signification qu'il a chez les gens du monde. Met- tant cette propriété en opposition avec les forces physiques , on lui a assigné pour attributs , d'avoir une instabilité qui contraste avec la fixité des forces générales , et de n'avoir

DES PROPRIÉTÉS VITALES. 56 J

qu'une durée limitée. Mais , indépendamment de ce que chercher des caractères aux forces , c'est tacitement les per- sonnifier,, on a mal exprimé ceux qu'on attribue à la sensi- bilité. Il est bien vrai, d'une part, que les phénomènes de vie sont plus divers que les phénomènes physiques et chimi- ques , sont plus mobiles , et qu'à ce titre ils ne sont pas cal- culables : mais il ne faut pas dire pour cela, que la sensibi- lité qui y préside soit une force variable; elle a de même ses lois constantes et immuables ; seulement ces lois sont plus complexes , et embrassent un nombre plus grand de conditions , dont plusieurs sont encore inconnues; rien dans la nature n'est affranchi de règles. D'autre part , s'il est dans la nature de la sensibilité de s épuiser , de n'animer qu'un certain temps la matière ; n'en est-il pas de même un peu des lois physiques ? la matière ne s'en dépouille- t'elle pas en partie , quand elle entre dans la composition des corps vivants ? et n'y a-t-il pas dans la nature mutation continuelle de corps , d'un côté arrivant à la vie , et de l'autre la perdant? Mais, encore une fois, assigner des caractères aux forces, c'est paraître oublier qu'elles ne sont que des abstractions, et les traiter comme des êtres réels.

Telle est donc la propriété vitale unique, admise aujour- d'hui en physiologie. Cependant, comme elle est une abs- traction représentant le mode de motion de la matière orga- nisée, on conçoit qu'on peut la subdiviser en autant de forces diverses qu'on peut signaler de phénomènes distincts dans l'économie vivante. Nous en avons vu des exemples dans plusieurs des théories que nous avons analysées ; et plu- sieurs des physiologistes actuels croient encore ces distinc- tions utiles. C'est ainsi que M. Rullier reconnaît trois pro- priétés vitales, sous les noms de motilité, à'impressionabilité , et de force à' affinité vitale , rattachant à cette dernière la faculté qu'a la matière vivante de maintenir dans des com- binaisons contraires aux lois chimiques, les éléments qui la forment. Nous croyons qu'il suffit, pour concevoir tous les phénomènes , d'admettre que la propriété de la sensibilité se modifie dans toute partie en raison de l'organisation de cette partie, ou coïncidemment avec elle. Mais, si Ion te-

568 PHILOSOPHIE DE LA SCIENCE.

nait à ces distinctions , il faudrait, évitant de ressusciter les archées particulières de Van-Helmont, se garder des abus des Anciens qui créaient une force propre pour chaque phéno- mène de vie, une force digestwe pour la digestion, une force auctrice , pour l'accroissement , etc. , et n'admettre que celles que nécessiterait la spécialité des actions. Or, tous les phé- nomènes de la vie se réduisent à quatre : production de sen- sations , production d'un mouvement apparent , constitu- tion d'une matière organisée, c'est-à-dire d'une matière dont la nature est contraire aux affinités chimiques, et créa- tion ou avivement d'un germe. On pourrait donc admettre quatre proprié lés vitales spéciales pour chacun de ces phé- nomènes , la sensibilité animale pour le premier , la contrac- lilité pour le second, la force dJ assimilation de Damas ou à? affinité vitale de M. Rullier pour le troisième , et la force de formation de Blumenbach pour le quatrième. Mais, en- core une fois, nous croyons ces distinctions sans importance. Nous terminerons cette discussion , en faisant remarquer, que la force de sensibilité étant la force motrice de la ma- tière organisée, et ce mot étant synonyme de celui de vitalité, tout ramener en physiologie à cette force , c'est professer pleinement la doctrine du viialisme. C'est qu'en effet cette doctrine nous paraît être la seule qui , dans l'état actuel de la science, puisse y être adoptée. N'avons-nous pas, dans l'étude des divers actes vitaux, constaté l'impossibilité d'en rattacher aucun aux lois physiques et chimiques générales ? En vain nous dira-t»on que cette philosophie est stérile ? que se borner à dire en physiologie qu'un phénomène est vital, c'est simplement avouer qu'il est inconnu? qu'il vaut mieux, en recherchant les conditions de production des phénomènes vitaux, s'efforcer de les rallier aux lois gé- nérales? Yoici quelles seront nos réponses. En disant qu'un acte est vital, nous savons bien que nous ne donnons de cet acte qu'une notion négative , puisque c'est dire seu- lement qu'il n'est ni physique ni chimique. Mais toute né- gative que soit celte notion, elle exprime un fait réel ; et il est d'autant plus utile de la poser, qu'elle prévient toutes les fausses notions qu'on pourrait se faire des phénomènes.

DES PROPRIÉTÉS VITALES. 5 G 9

20 Par cette même locution, qu'un acte est vital, nous n'interdisons aucuns des efforts tendants à faire pénétrer son essence, et à le rattacher aux lois générales; nous ex- primons seulement que dans l'état actuel de la science on n'y est pas encore parvenu. INous sommes si loin de condamner les travaux qui tendent à confondre les phénomènes physi- ques et vitaux, que ce n'est qu'après avoir vainement tenté d'expliquer un phénomène par les lois communes de la ma- tière, que nous le déclarons vital. Nous sommes très dispo- sés à croire que les phénomènes de la vie sont dus aux lois générales, mais après que celles-ci ont subi une importante modification par le concours de quelque élément qui reste à découvrir, et nous applaudissons aux recherches qui ont pour but de faire trouver en quoi consiste cette modifica- tion. 3° Enfin, non-seulement la doctrine du vitalisme est la seule raisonnable, tant que la découverte de cette mo- dification des lois générales, de laquelle résulte la vie, reste à faire ; mais encore elle devra être conservée , lors que cette découverte aura été faite, à supposer qu'elle le soit jamais. En effet, supposons qu'on trouve par le concours de quel élément nouveau, par quelle modification les lois générales de la matière produisent les phénomènes vitaux : ce sera, sans doute, une admirable découverte, puisqu'on aura pénétré le secret de la vie : mais celle-ci en constituera-t-elle moins une exception bien distincte à la nature générale? Et, par conséquent, la partie de la phy- sique générale qui en traitera, en sera-t-elle moins une science à part , et ayant sa philosophie propre ? Pour avoir découvert le mécanisme de la production des phénomènes vitaux, ces phénomènes en seront-ils moins différents de ceux que nous appelons aujourd'hui physiques et chimi- ques ? et la modification des lois générales à laquelle il se- ront dus, devra- t-elle moins être distinguée sous le nom de vitalité? Les différences étant dans le fonds des choses, il ne peut pas ne pas y en avoir dans les doctrines.

FIN DU QUATRIÈME ET DERNIER VOLUME.

TABLE DES MATIERES

DU QUATRIÈME ET DERNIER VOLUME.

Pages

Troisième Classe de Fonctions. i

Fonction de la reproduction , ou de la génération. ib.

Chap. Ier. Anatomie de l'appareil générateur. 6

Art. 1er. De l'Appareil génital de l'homme. 7

§ Ie'. Appareil de fécondation. ib.

§ II. Appareil de copulation. 19

Art. 11 . De l'appareil génital de la femme. 22

§ Ier. Appareil de germification. ib.

§ 11. Appareil de gestation ou de grossesse. 24

5 111. Appareil de copulation. 28

§ IV. Appareil de lactation. 3o

Art. 111. Différences générales des sexes. 34

Chap. II. Mécanisme de la génération. 5o

Art. 1er. Du rapprochement des sexes , ou de la

copulation, du coït. 52 § 1er. Du besoin, de l'instinct delà reproduction, ib. § II. Office de l'homme dans la copulation. 55 § III. Office de la femme dans la copulation. 62 Art. II. De la conception ou fécondation. 64 Art. III. De la grossesse. 107 Art. IV. De l'accouchement. 121 Art. V. De la sécrétion du lait et de la lacta- tion. i38 APPENDICE aux deux dernières Classes de fonctions. 146 De l'innervation. ib. Chap. Ier. Anatomie du grand sympathique. 147 Chap. 11. Anatomie du nerf vague ou pneunno-gas»

trique, ï54

572 TABLE DES MATIÈRES.

Pag. Chap. 111. De l'influence nerveuse organique , ou

de l'innervation. i58

§ Ier. Limites de l'innervation i5g

§ II. Des nerfs qui dispensent l'innervation. 168 § III. Sources de l'innervation. 182

§ IV. Essence de l'innervation. 184

TROISIÈME PARTIE. 199

SECTION Ire. Des connexions des fonctions. 200

Chap. Ier. Des rapports mécaniques des organes. 201 Chap. II. Des rapports fonctionnels des organes. 204 Art. Ier. Des rapports fonctionnels relatifs à l'en- tretien de la vie en général. 2o5 § 1er. Rapports fonctionnels relatifs à la pre- mière condition vitale , la présence du sang artériel dans les organes. ib. § II. Rapports fonctionnels relatifs à la seconde

condition vitale, l'influence nerveuse. 229 Art. II. Rapports fonctionnels relatifs à l'accom- plissement des diverses facultés de l'homme. 24.1

§ Ier. Nutrition. 242

§ II. Reproduction. 249

§ III. Sensibilité. 2Ô2

§ IV. Expressions. 288

Chap. III. Des rapports sympathiques, ou des

sympathies. 260

SECTION IL Des rapports de l'homme avec la na- ture. 290 § Ier. Des rapports mécaniques, physiques et chimiques de l'homme avec les corps ex- térieurs. 296 § IL Rapports organiques de l'homme avec les

corps extérieurs. 3o2

QUATRIÈME PARTIE. Des âges de l'homme. 3i 1

SECTION I™. Vie intra-uiérine. 3ï2

TABLE DES MATIÈRES. 573

Pag. Chap. Ier. Anatomie du fœtus. 3I2

Art. Ier. Des parties annexes du fœtus. 326

Art. II. Du fœtus lui-même. 343

Chap. II. Physiologie du fœtus. 38i

Art. Ier. Des fonctions de nutrition du fœtus. 38?

§ Ier. Préhension des matériaux nutritifs et

composants du fœtus. 383

§ II. Conversion des matériaux nutritifs du fœtus

en sang. 3g8

§ III. Appropriation du sang du fœtus aux parties de cet être pour la nutrition proprement dite. 4IO

§ IV. Des excrétions du fœtus. ^5

Art. II. Des fonctions de relation et de reproduc- tion du fœtus. 4,8

SECTION II. Vie extra-utérine. 423

Chap. Ter. De la première enfance. 425

Art. Ier. Première époque de la première en- fance. 426 Art. II. Deuxième époque de la première en- fance. 436

Art. III. Troisième époque de la première en- fance. 443 Chap. II. De la seconde enfance. 444 Chap. III. De l'adolescence. Puberté. 447 Chap. IV. De la virilité. 45 2 Chap. V. De la vieillesse. 458 Chap. VI. De la mort. 466

CINQUIÈME PARTIE. Des différences individuelles

de l'homme. 487

Chap. Ier. Des tempéraments. 4q0

Chap. II. Des constitutions. 4q7

Chap. III. Des idiosyncrasies. 4q8

Chap. IV. Des différences individuelles acquises

et de celles qui constituent des habitudes. 5oo

574 TABLE DES MATIÈRES.

Pag. Chap. V. Des races humaines. 5o3

SIXIÈME PARTIE. Philosopihe de la science , ou His- toire de la force et des propriétés vi- tales. 534

Chap. Ier. Considérations générales sur les forces premières admises dans toutes les sciences naturelles. 5?.o

Chap. II. De la force vitale. 534

Chap. III. Des propriétés yitales. 543

FIN DE LA TABLE DES MATIERES DU QUATRIEME fcT DLRÎsiRR

VOLUME.

TABLE ANALYTIQUE

DES MATIERES

CONTENUES DANS LE QUATRIÈME VOLUME,

TROISIÈME CLASSE DES FONCTIONS.

Fonctions de reproduction , ou de la génération,

La génération est une fonction exclusive aux êtres vivants Ses modes , dans la généralité des êtres vivants, sont très divers ; génération équivoque ou spontanée ,fissip are , gemmipare externe , gemmipare interne, par sexes , avec ou sans hermaphrodisme , avec copulation , grossesse , al- laitejnent; distinction des ovipares , ovovivipares et vivipares; son mode dans l'homme i à 6

CHAPITRE 1er. Anatomie de l'appareil générateur 6

Art 1er. Appareil génital de l'homme. Il comprend Y appareil de féconda- tion et celui de copulation 7

§ 1er. De l'appareil de fécondation. Il faut y étudier les parties qui le con- stituent , le mécanisme par lequel ces parties préparent et conservent le fluide fécondant, et ce fluide fécondant ou le sperme. Les testicules^ leur forme , leur situation, leur texture. Le cordon des vaisseaux sper- matiques. Le scrotum. L'épididyme. Les conduits déférents. Ljs vésicules séminales. Les glandes de Cowper. Ce sont les tes- ticules qui font le fluide fécondant , et ils le font par une action de sécré- tion. — Cette sécrétion est-elle continue? Mode selon lequel le sperme vient s'accumuler dans les vésicules séminales , et ce qu'il éprouve dans ces réservoirs. Propriétés physiques, nature chimique du sperme; aura séminalis ; animalcules spermatiques 7 à 18

§11. Appareil de copulation. Se compose du pénis; celui-ci est formé du corps caverneux et du canal de Turèthre; description anatomique de ces parties 19 a 22

Art. II. De l'appareil génital de la femme. Il comprend les appareils de germification , de gestation ou grossesse, de copulation et d'allaitement. 22

§ 1er. Appareil de germification. Celui qui produit legerme, l'œuf; il se com- pose des ovaires et des trompes; description anatomique de-ces parties,

22 à 24

§ II. Appareil de gestation ou grossesse. Utérus, sa situation , sa texture; replis péritonéaux qui le fixent dans le bassin ; ligament rond ou cordon sus-pubien 24 à 28

576 TABLE ANALYTIQUE

§111. Appareil de copulation. Vagin, vulve . * . . . . 28 à 3o

§ IV. Appareil de lactation. Les mamelles 3oà3i

Point d'hermaphrodisme dans l'espèce humaine. Analogie des organes sexuels mâles et femelles. Analogie de ces o-ganes dans les ovipares et vivipares * * ..è 3a à 33

Art. III. Différences générales des sexes. Toujours quelques parties exubé- rantes dans les mâles. Différences dans la stature , dans les propor- tions du corps. Différences morales.— Parallèle de toutes les fonctions. Excrétion spéciale aux femmes, la menstruation; ses phénomènes extérieurs, sa nature; causes de sa périodicité 34 à 5o

CHAPITRE II. Mécanisme de la génération. La génération résulte d'une série d'actes qu'on peut rapporter à cinq groupes, savoir : copulation , conception , grossesse , accouchement et allaitement ; le rôle des deux sexes n'y est ni le même, ni également important . . . 5o à 5r

Art. 1er. du rapprochement des sexes , ou de la copulation. Il faut étudier la sensation qui y excite , et la part qu'y a chacun des deux sexes. . 5a

§ Ier. Du besoin ou instinct de la reproduction. Sa différence selon les âges. Cabanis et M. Broussais en font une sensation interne développée par les organes génitaux; Ga/Z en fait une dépendance de la psychologie. Ses variations selon les constitutions, le régime et les habitudes. 52 à 55

§ II. Office de l'homme dans la copulation. Phénomène de l'érection; sa cause; il n'est pas à une compression de la veine honteuse interne contre la symphyse du pubis , mais à une congestion active. Le sang qui consti- tue l'érection n'est pas épanché dans des cellules , mais seulement accu- mulé dans des plexus veineux. Excrétion du sperme, mécanisme de l'éjaculation 55 à 62

§ III. Office de la femme dans la copulation « 62 à 64

Art. II. De la conception ou fécondation. Il faut rechercher quelles matières fournissent dans la génération l'un et l'autre sexe, commentées matières sont mises eu contact, et comment se forme d'elles l'individu nouveau* La matière que fournit l'homme est le sperme \ preuves tirées de la physiologie comparée, de la castration; expériences de Spallanzani, de MM. Dumas et Prévost , dans lesquelles on fait avec du sperme des fécondations artificielles. Le sperme pénètre; jusqu'au fond du vagin , selon les uns; jusques dans l'utérus, selon d'autres; et enfin, jusqu'à l'ovaire , selon la plupart. C'est en effet à l'ovaire que se fait certainement la fécondation ; preuves tirées des grossesses extra-utérines : la notion d'un aura sèminalis inadmissible; expériences de MM. Dumas et Prévost qui eu démontrent la nullité. 20 La matière que fournit la femme provient de l'ovaire ; selon Fabrice à' Aquapendente et Harvey , cette matière est un œuf. Expériences de Degraaf de Malpighi, Valis- nieri^ de H aller , pour signaler la série des changements qu'éprouve l'ovaire par un coït fécondant ; ce qu'est le corpus luteum ; semblables expériences de MM. Magcndie, Dumas et Prévost. De toutes ces recher- ches, on a généralement conclu que le sperme porlé à l'ovaire avivait une des vésicules de cet organe; que cette vésicule se gonflait, puis se

DES MATIERES. 5 yj

brisait et laissait échapper un ovule que la trompe conduisait dans l'u- térus. — Comment a agi la trompe pour conduire, dans le premier temps le sperme, et dans le second l'ovule? La vésicule avivée s'était-elle préparée d'avance à cet avivement par une sorte de maturité ? L'ovule éprouve-t-il quelques modifications dans son trajet à travers la trompe? Comment de ces deux matières fournies par l'un et l'autre sexe, se forme l'individu nouveau ? on l'ignore ; on a fait sur cette question de nombreuses conjectures, qu'on peut rapporter à deux systèmes, celui de l'épigènèse, et celui de l'évolution. A. L'épigènèse est un système dans lequel on admet que l'individu est formé de toutes pièces parle rapproche- ment des deux matières fournies par l'un et l'autre sexe. Application de Ce système à l'origine première des êtres ; théorie de Leucippe et d'Em- pedocle , Jorce végétative de Needham , nisus jormativus de Blumenback conjecture de M. Lamarck. Application de ce système à la reproduc- tion des êtres vivants actuels; opinion à? Hippocrate , tf Aristole ; théorie des molécules organiques de Buffbn. B. Dans le système de l'évolu- tion, on admet que l'individu nouveau préexiste sous une forme quel- conque dans l'un des sexes 5 et les fauteurs de ce système se subdivisent en deux sectes , celle des ovaristes et celle des animale ulistes , selon que l'individu nouveau préexiste dans la femelle sous la forme d'oeuf ou dans le mâle sous celle d'animalcule. Exposition des considérations et faits qui appuient et infirment le système des œufs. Semblable exposition pour le système des animalcules spermatiques ; dernières recherches de MM. Dumas et Prévost sur ces animalcules. Réflexions critiques sur tous ces systèmes 5 aveu de notre ignorance sur l'acte de la fécondation ou conception ; on revient de nos jours à l'idée de i'épigénése. La con- ception est un acte indépendant de la volonté; on ne peut, ni faire qu'elle ait lieu , ni influer sur ses produits. Art de procréer tel ou tel sexe à volonté. Art delamégalanthropogènésie,ou de faire des enfants beaux et des enfants d'esprits. Y a-t-il des superfétations ?. . . 6a à 107

Art. III. De la grossesse. Premiers changements qu'éprouve l'utérus après la conception. Histoire de la membrane caduque ; travaux successifs de Hunter, Haller, M. Velpeuu, etc. Changements qu'éprouve succes- sivement l'utérus dans sa situation, sa forme, son volume, sa texture changements coïncidents dans les parties annexes de l'utérus; causes de tous ces changements; spécification des faisceaux musculaires qui appa- raissent alors dans l'utérus. Implantation de l'ovule à l'utérus d'abord par la membrane caduque, ensuite par le placenta. Changements dans les fonctions de l'utérus. Changements dans l'ensemble entier du corps. Signes caractéristiques de la grossesse ; durée de cet état.

107 à 121

Art. IV. De l'accouchement. Distinction des divers accouchements ou avortement, accouchement prématuré, naturel et artificiel. L'accou- chement étant une excrétion, il fauty étudier, comme en toute excrétion quelconque, la sensation qui annonce le besoin de l'excrétion, l'action expultrice du réservoir qui contient la matière à excréter , et l'action musculaire auxiliaire que la volonté ajoute à la précédente ; ou recher-

Tome IV. 37

5;8 TABLE ANALYTIQUE cher les causes , les conditions , le mécanisme et les suites de l'accouche- ment.— Les causes de l'accouchement cherchées tour-à-tour dans le fœtus et dans la mère : elles résident dans la disposition de l'utérus, et dans les changements qu'éprouve l'organe d'attache du fœtus , c'est-à- dire le placenta; d'une part, la continuité de la grossesse rompt tout équilibre entre le fond et le col de l'utérus ; d'autre part, le placenta de- vient de moins en moins vasculaire, ses vaisseaux s'oblitèrent. Les conditions pour l'accouchement sont; du côté de la mère, une bonne conformation du bassin et des autres parties génitales ; du côté de l'en- fant, sa bonne conformation et sa bonne situation. Distinction de plusieurs temps dans l'accouchement; préparation à l'accouchement; dilatation de l'orifice de l'utérus; trajet de la têle à travers l'orifice de l'utérus; sortie complète du fœtus du sein de sa mère; délivrance. Enfin , suites de l'accouchement, lochies, etc 121 à i37

Art. V. De la sécrétion du lait et de la lactation. La sécrétion laiteuse n'est pas continue; elle s'établit à l'occasion de la grossesse et de l'accouche- ment -, fièvre dite de lait qui marque son établissement le deuxième ou le troisième jour de la couche. Dissidences sur le fluide quialimente la sé- crétion laiteuse; M. Riclierand dit la lymphe; d'autres , le chyle; nous croyons que c'est le sang artériel. Mécanisme de la sécrétion, de l'excré- tion. — Histoire du lait ; les propriétés physiques de ce liquide , sa nature chimique, sa quantité. Phénomènes qui marquent la cessation de îa sécrétion laiteuse i38 à \[\5

APPENDICE aux dernières classes de fonctions .

Innervation. On appelle ainsi l'influence nécessaire qu'exerce le système nerveux sur le jeu des organes des fonctions organiques , la subordina- tion dans laquelle sont de ce système les actions de l'économie qui se produisent irrésistiblement et sans que nous en ayons conscience. On a voulu localiser cette influence dans les nerfs grand sympathique et pneumo-gastrique; il faut donc faire d'abord l'exposition de l'anatomie

de ces nerfs. i46

CHAPITRE Ier. Anatomie du grand sympathique. Enumération des gan- glions qui, de hauten bas, constituent ce nerf; nerfs qui unissentcesgan- glions entre eux et paraissent en faire un système continu^ Nerfs qui joignent les ganglions du grand sympathique aux nerfs encéphaliques et spinaux , et qu'on appelle racines ou anastomoses du grand sympathique. Nerfs propres du grand sympathique, c'est-à-dire ceux qui vont aux organes et leur transmettent l'influence nerveuse nécessaire à leur vie; enumération de ces nerfs, selon qu'ils proviennent des ganglions du grand sympathique situés à la têle, au col, au thorax, à l'abdomen.

i4; à i54

CHAPITRE II. Anatomie du nerf vague , ou pneumo-gastrique. Son ori- gine, son trajet, sa terminaison ; les nombreux rameaux que dans son long trajet il fournit au laryux, au poumon, au cœur, à l'estomac. 1 54 à i58

CHAPITRE III. De l'influence nerveuse organique , ou innervation. Cette in- fluence est une des conditions premières de la vie.— Les auteurs disputent

DES MATIÈRES. 5jg

sur les limites de cette influence, sur les nerfs qui la dispensent, sur la source dont elle émane, et sur l'essence de cette action. . i58 à i5g

§. II. Limites de V innervation. Selon quelques physiologistes, l'innervation nJest vraie que des fonctio organiques supérieures; ces physiologistes posent, à son égard, ces deux lois : qu'elle n'existe que pour les fonc- tions organiques supérieures , et est nulle pour les dernières; qu'elle a un empire d'autant plus grand, et s'étend sur un nombre de fonctions d'autant plus considérable, que l'animal est plus supérieur, a une vie de relation plus prédominante , et un système nerveux plus développé. Selon;d'autres, l'innervation régit toutes les fonctions organiques sans ex- ception ; mais ses conducteurs dans les parties sont d'autant moins dépen- dants des centres nerveux,'qu'il s'agit de fonctions moins élevées en anima- lité, et d'animaux plus inférieurs. Dans les deux opinions , le résultat pour l'homme est le même. Preuves que , dans cet être , la digestion, Ja respiration, la circulation, les nutritions, les calorifications , les sé- crétions, les acles reproducteurs, sont dépendants d'une influence ner- veuse i5g à 168

§ II. Des nerfs qui dispensent l'innervation. Dans les derniers animaux , les nerfs de l'innervation sont les mêmes que ceux qni président aux fonctions sensoriales; mais dans les animaux supérieurs et dans l'homme , il y a, selon la plupart des physiologistes, des nerfs spéciaux pour les fonctions organiques, savoir, les grands sympathiques et les nerfs vagues; ces nerfs diffèrent en effet de tous les autres par leur disposition anatomique, Les anciens, cependant, ne regardaient pas ces nerfs comme les dispensa- teurs uniques de l'innervation; ce sont des modernes , Reil , Bichat , Gall, M. Broussais, qui ont fait du grands ympathique l'agent exclusif de l'in- fluence nerveuse organique. Nous croyons l'opinion des anciens plus fondée; du reste, motifs des uns et des autres. Exposition des dissi- dences des auteurs sur le grand sympathique, sous le rapport anatomique et sous le rapport physiologique ; section ou ligature de ces nerfs , par Bichat, M. Dupuy et autres 108 à 182

§ III. Sources de l'innervation. La plupart placent cette source dans les grands centres nerveux, et ne considèrent les nerfs que comme descendue* teurs. Reil , Prochaska , M. Broussais.au contraire, pensent que chaque nerf a le pouvoir de sécréter le fluide qui constitue l'infhix ner- veux; mais si cela est, il faut reconnaître que dans les animaux supé- rieurs, cette action locale de chaque nerf est subordonnée aux grands centres nerveux; ce qui revient au même 182 à 184

§ IV . Essence de l'innervation. Elle est ignorée ; supposition d'un fluide du genre des fluides impondérables de la nature; conjecture des esprits ani- maux, du fluide nerveux; système de M. Lamark , de M. Cuvier. Faits divers qui appuient l'idée d'une analogie entre le fluide nerveux et le fluide électrique. Théorie toute récente de M. Dutrochet sur l'endo- smose et l'exosmose. Système de M. Bachouè, de Violer, qui subor- donne toutes les actions de la vie à une action nerveuse , et qui les rattache toutes à des courants galvaniques produits par les actions

58o TABLE ANALYTIQUE

chimiques continuelles qui se font dans les organes; expériences de M. Pouillet contraires à ce système 184 à 198

TROISIÈME PARTIE.

Etude des connexions des fonctions entre elles , et des rapports de l'homme avec l'univers extérieur *99

SECTION PREMIÈRE. Des connexions des fonctions .

Trois espèces de rapports entre les organes , des rapports mécaniques , des rapports fonctionnels , et des rapports sympathiques

CHAPITRE PREMIER. Rapports mécaniques des organes. Ce sont ceux qu'exercent mécaniquement les uns sur les autres les organes , par le fait seul de leur continuité ou contiguité. Tout organe susceptible d'exécu- ter un mouvement appréciable , influe d'une manière mécanique sur les autres ; par exemple , les organes de la locomotion, de la respiration, de la circulation, de la digestion ; ceux chargés de conserver en dépôt et d'excréter quelques matières solides ou liquides. ..... 201 à 204

CHAPITRE II. Rapports fonctionnels des organes. Ce sont ceux qui tiennent au concours obligé des fonctions; d'autant plus nombreux que l'or- ganisation est plus compliquée, et on les partage en ceux qui ont trait à l'entretien de la vie en général , et ceux qui concernent l'accomplisse- ment d'une faculté en particulier 204 à 2o5

Art. 1er. Rapports fonctionnels relatifs à l'entretien de la vie. Deux condi- tions primordiales pour la vie , présence du sang artériel, et influx ner- veux. — De deux espèces de rapports fonctionnels vitaux. .... 205

§ I. Rapports fonctionnnels relatifs à la première condition vitale ^ la pré- sence du sang artériel dans les organes. Nul organe ne vit qu'autant que du sang lui arrive; mais ce sang ne lui est fourni que parle concours de plusieurs fonctions , et ces fonctions influent sur cel envoi d'une ma- nière plus ou moins prochaine. Deux fonctions, la respiration et la circulation , ont en ceci une influence si prochaine , qu'elles ne peuvent se suspendre un seul instant. La cessation de la respiration constitue V asphyxie ; modes divers d'asphyxie ; symptômes de l'asphixie, état du cadavre ; les symptômes et les lésions cadavériques différent selon que l'asphyxie a été prompte ou graduelle ; la cause de la mort dans l'asphyxie est que toutes les parties sont pénétrées par un sang veineux ; ce fluide cependant n'a d'influence délétère que négativement. La cessation de la circulation constitue la syncope; modes divers de syncope; ses symp- tômes ; ses lésions de tissu ; sa cause. Le poumon et le cœur sont ainsi constitués des centres de vie; il faut y ajouter l'encéphale; ces trois organes sont nécessaires à tous, et se sont réciproquement nécessaires. 20 Influence de la digestion sur l'état du sang ; c'est la digestion qui fournit les matériaux destinés à renouveler ce fluide ; la suppression de cette fonction fait mourir en quelques jours; le sang est appauvri, a diminué de quantité. Enfin , influences qu'exercent sur l'état du sang,

DES MATIÈRES. 58 1

ce fluide nécessaire à la vie de tout organe , les absorptions qui concou- rent aussi à en renouveler la masse ; les sécrétions qui le dépurent ou le dépensent ; les calorifications qui paraissent avoir la plus grande part à la conversion du sang artériel en sang veineux, les nutritions pour le service desquelles il est fait. Il faut donc conclure que le sang est sans cesse dépensé et refait, et conséquemraent change sans cesse dans l'éco- nomie; la considération de ce qu'est ce fluide est d'un premier intérêt pour le physiologiste et le médecin. Quant à son mode d'action dans les organes , il est inconnu; il est un stimulus vital. . . . 2o5 à 229

§ II. Rapports fonctionnels relatifs à la seconde condition vitale , l'influence nerveuse. L'influence nerveuse organique est toujours dépendante des centres nerveux, encéphale et moelle spinale, mais dans un degré qni varie , selon l'animal, selon l'âge, et selon l'animalité de la fonction dans laquelle on la considère. De ces lois : que l'influence nerveuse organique est d'autant plus dépendante des centres nerveux, que l'animal est plus supérieur; 20 que l'animal est plus âgé; qu'elle s'applique à une fonction plus élevée en animalité. Quant à la partie nerveuse centrale qui régit l'innervation , les uns disent lJencéphale , les autres la moelle spinale; il nous paraît que c'est la partie intermédiaire à ces deux , la moelle alongée 229 à 241

Art. II. Rapports Jonction ne Is relatifs à V accomplissement des diverses fa- cultés. Nous les distinguons seloa qu'ils ont trait à la nutrition , à la reproduction , à la faculté de sentir , et à celle d'exprimer 241

§ I. Rapports fonctionnels relatifs à la faculté de se nourrir. Tableau des fonc- tions dont le concours effectue la nutrition, Rapports entre les inges- tions qui font le sang , et, les fonctions qui mettent en œuvre ce liquide. Rapports inverses entre les pertes que fait le corps , et les ingestions destinées^ réparer ces pertes Balancement entre les fonctions qui répa- rent , comme entre celles qui dépensent , entre les absorptions et la di- gestion d'une part , entre les nutritions et sécrétions de l'autre. Pour expliquer ces divers rapports , institution des lois d'appel ou de fluxion et de balancement : application de ces lois aux phénomènes de l'irrita- tion , de la dérivation , de la révulsion , des congestions . . 24.2 à 249

§ H. Rapports fonctionnels relatifs à la faculté de se reproduire. Tableau des fonctions dont Je concours effectue la reproduction, Indication des conxions que manifeste l'acte de la génération , . . . « . 249 à. a5.2

§ III. Rapports fonctionnels relatifs à la faculté de sentir. L'encéphale est le centre de la sensibilité , comme organe aboutissent toutes les sen- sations , d'où partent les ordres de la volonté , comme agent des facultés intellectuelles et morales, et siège du moi. Rapports entre la veille et le sommeil, entre les sensations et les mouvements , entre la vie ani- male et la vie organique 2$2 à 258

fi IV. Rapports fonctionnels relatifs, à la faculté d'exprimer. Ces rapporls nécessitent l'institution d'une troisième loi, la loi d irradiation^ 258 à 260

CHAPITRE III. Des rapports sympataues. Ce sont ceux dans lesquels l'impression éprouvée par un organe en modifie un autre éloigné du pie-

582 TABLE ANALYTIQUE mier,mais sans que des organes intermédiaires partagent cette modification, et sans que cette modification puisse être rapportée aux connexions méca- niques des parties, ni à l'enchaînement naturel des fonctions. Ils reposent sur la loi d'irradiation nerveuse. Distinction de la synergie et de la sympathie de Barthez , inutile. Enumération de divers genres de sym- pathies , entre parties d'un même organe, entre diverses parties de mem- branes continues , entre paities immédiatement contiguës , entre divers organes d'un même appareil , entre la membrane muqueuse d'un organe d'ing: stion ou d'excrétion et les muscles de la cavité splanchnique cet organe est contenu , entre les organes pairs congénères, entre les or- ganes dont la structure et les fonctions sont analogues , entre les divers appareils qui concourent à un même but, enfin, entre un organe et tous les autres consécutivement à une irradiation qui émane du premier. C'est une question de savoir si tous les organes présentent des sympa- thies de ce dernier ordre , ou s'il n'y a que les plus vasculaires et les plus nerveux. Pour apprécier les rapports sympathiques de ce genre , il faut avoir égard à certaines circonstances qui les font se déceler , savoir: la comparaison des âges, celle de l'état d'action avec l'état d'inaction pour celles des fonctions qui sont intermittentes , celle des divers degrés d'activité des fonctions , celle des tempéraments , et l'état de maladie. Sous ce dernier rapport , c'est par les sympathies qu'une maladie se géné- ralise ; elle a ]été primitivement locale ; il faut excepter cependant les maladies dont la cause est une altération du sang. Distinction des sympathies en actives et passives. Les sympathies morbides sont en raison de la structure et de la vitalité de l'organe qui est malade, et en raison de la nature de la maladie. Quant à l'a cause organique des sym- pathies, tour-à-tour on l'a placée dans les membranes, dans le tissu cellu- laire, dans le système vasculaire , et dans le système nerveux ; cette der- nière opinion est la plus vraisemblable. Pour produire les sympathies, le système nerveux ne peut agir que de deux manières: ou directement par des rameaux anastomotiques , ou par l'intermédiaire du cerveau j il est probable qu'il y a des sympathies de l'un et l'autre mode , mais les sympathies cérébrales sont en bien plus grand nombre : l'organe qui est le point de départ de la sympathie irradie l'impression qu'il a reçue au cer- veau , et celui-ci la reflète dans la généralité du système ^ d'où la modifi- cation de tous les organes, ou seulement de quelques-uns. Quant à l'es- sence de cette irradiation sympathique, elle est aussi peu connue que celle de toute autre action nerveuse 260 à 295

SECTION DEUXIÈME. Des rapports de l'homme avec l'univers.

Ils sont mécaniques, physiques , chimiques , organiques. . . 20,5 à 296 § 1. Rapports mécaniques , physiques et chimiques de l'homme avec les corps extérieurs. L'homme est, par la gravitation, attaché à la terre, qui lui sert de point d'appui ; il est plongé dans l'atmosphère. Celle-ci agit sur lui par sa pesanteur, sa température, son action dissolvante, sa sé- cheresse ou son humidité; par les matières qu'elle tient en suspension et

DES MATIÈRES. 583

qu'elle dépose à la surface de la peau ; peut-être agit-elle encore chimi- quement, et parles phénomènes météorologiques qui se produisent en

elle. Action de nos vêtements 296 à 3o2

§ 2. Rapports organiques de l'homme avec les coiys extérieurs. Us sont nécessités par les besoins de se nourrir et de sentir. Rapports avec l'at- mosphère pour la respiration ; cette fonction y puise de l'oxygène. In- fluences du calorique, delà lumière, de l'électricité qui existe dans l'at- mosphère; influence des corps étrangers qu'elle peut tenir en suspension ; enfin influence dépendante de sa température, de son état de sécheresse ou d'humidiléjde son état électrique. Nécessité des aliments et des bois- sons. — Rapports des organes et des sens avec leurs excitants spéciaux. Enfin rapports moraux , c'est-à-dire de l'homme avec ses semblables et avec Dieu * 3oa à 3io

QUATRIÈME PARTIE.

DES AGES DE 1,'nOMJVlE.

Il faut distinguer ici la vie intra-utérine , et les âges proprement dits. .

3n à 3ïo

SECTION PREMIÈRE. Vie intra-utérine.

C'est l'époque de la vie qui s'écoule pendant que l'homme est encore ren- fermé dans le sein de sa mère 3i2

CHAPITRE Ier. Anatomie du fœtus. Qu'est l'homme avant la conception ? La vésicule ovarienne , avant d'être fécondée , a-t-elle éprouvé une sorte de maturation î Quel changement la fécondation a-t-elle fait subir à cette vésicule? Quand l'ovule fécondé quitte-t-il l'ovaire ? S'il éprouve quelques changements eu traversant la trompe ? Comment il se dispose avec la membrane caduque en arrivant dans l'utérus ? Enfin, quels sont les pre- miers développements du fœtus , jusqu'au moment l'on peut distin- guer nettement ses parties? Toutes ces questions sont difficiles à résou- dre, et constituent autant de points fort litigieux; on en a appelé aux ovi- pares, chez lesquels tous les développements se font à l'extérieur; tra- vaux successifs de Fabrice d' ' Jquapendente , Malpighi, Huiler, Spallan- zani, JVolf MM. Cuvier, Dulrochet, Pander, Rolando, etc., sur l'œuf du poulet 3 anatomie de Fœuf de la poule 5 série des développements qu'y éprouve le petit poulet pendant la durée de l'incubation , d'après MM. Cuvier et Dutrochet; développements analogues dans les œufs des autres ovipares; travail de Pander sur le même sujet; travail de Ro- lando ; tous ces faits nécessitent de nouvelles recherches. Vers le quin- zième jour de la grossesse , on peut distinguer nettement dans l'ovule le fœtus et ses parties annexes. » 3i2 à 326

Art. l°r. Parties annexes du fœtus. Etude anatomique du chorion , de l'am- nios et du liquide que contient cette membrane , du placenta , du cordon ombilical , de la vésicule ombilicale et de la membrane allantoïde. In- dication par M. Pockels , d'une nouvelle partie sous le nom de membrane ci-ythroïde 326 à 343

58 4 TABLE ANALYTIQUE

Art. II. Du fœtus lui -même. Indication des formes sous lesquelles il se présente , et des parties extérieures qu'on distingue en lui, à partir de la troisième semaine jusqu'à la fin de la grossesse. Recherche des systèmes et appareils qui se développent les premiers eu lui ; idées diverses de MM. Meckel , Rolando et Serres à cet égard. Suite des évolutions qu'é- prouvent successivement, du commencement à la fin de la grossesse, le sys" tème vasculaire sanguin , le système nerveux, l'appareil digestif, l'appa- reil sécréteur, les appareils des sens, l'appareil locomoteur, l'appareil gé- nital. — Idées de M. Serres sur l'embryogénie , ses lois de symétrie et de conjugaison. Autres idées de M. Meckel, et ses douze lois de formation.

433à48i

CHAPITRE II. Physiologie du fœtus. Y étudier successivement toutes les

fonctions de nutrition, de relation et de reproduction. ... 38 i à 382

Ai\t. 1er. Des fonc lions de nutrition du fœtus. Quatre questions seprésentent:

et comment le fœtus prend ses matériaux de nutrition ?commentil les

change en sang f comment il assimile ce fluide à ses organes? et par

quelles excrétions il effectue sa décomposition 382 à 383

§ 1er. Préïiension des matériaux nutritifs et composants du fœtus. Il y a doute sur la source d'où proviennent ces matériaux ; on a indiqué tour-à-tour: la matière séro-albumineuse sécrétée dans l'utérus pour la formation de la membrane caduque; la matière de la vésicule ombilicale; la liqueur de l'allantoïde ; Ie liquide de l'amnios, qu'on a fait pénétrer ou par la peau , ou par les voies respiratoires, ou par les voies digestives, ou par les voies génitales , ou par les mamelles; des sucs qui seraient puisés dans la mère par les villosités qui sont à la surface externe du chorion ; 6o une matière fournie par le placenta, qui, selon les uns, est du sang , selon les autres un fluide séreux; 70 enfin la substance gélati- neuse du cordon.— De ces sept sources, deux seules doivent être admises , la vésicule ombilicale et le placenta: sur tout ceci, nombreuses dissiden- ces des auteurs 383 à 3g8

S II. Conversion des matériaux nutritifs en sang. Le fœtus fait son sang ; ac- tion du placenta et du foie pour la sanguification du fœtus. Conjec- ture de M. Geoffroy Saint-Hilaire , sur les usages du mucus très abondant qui est sécrété dans l'estomac et l'intestin du fœtus. Idée de Schreger que le placenta fournit , non du sang , mais un fluide séreux. Etat de la digestion, de la respiration et de la circulation dans le fœtus, 3p,8 à 4 10 S III. Appropriation du sang du fœtus aux parties de cet être pour la nutrition proprement dite. Les nutritions du fœtus consistent, comme celles de l'adulte , dans la solidification du sang. Théorie des phénémes de l'ac- cioissement.— 20 Calorifications du fœtus, Sécrétions du fœtus. .

4io à4i5 g IV. Des excrétions du fœtus. Sécrétion urinaire. Méconium. Excré- tions cutanées. Excrétion par le placenta, selon quelques-uns. 4*5 à 417 Art. II. Des Jonctions de relation et de reproduction du fœtus. Les fonc- tions de reproduction sout nulles dans le fœtus. Des sens, il n'existe que le tact. Pas de sensations internes, sauf des douleurs Selon Caba- nis , il y a déjà quelques essais des facultés intellectuelles et morales.

DES MATIÈRES. 585

Il y a déjà des mouvements de produits. Nuls phénomènes dVx pres- sion» — Enfin pas de sommeil ; on ne peut assimiler à ce phénomène l'état d'insensibilité et d'immobilité du fœtus 4r7 à /jat

SECTION SECONDE. Vie extra-utérine.

Distinction des âges en quatre ou en cinq 42^ * 42^

CHAPITRE 1er. De la première enfance. Elle s'étend de la naissance à la deuxième dentition , à sept ans : Halle l'a subdivisée en trois époques

425 à ^26

Art. Ier. Première époque de la première enfance. —Elle dure sept mois , de 13 naissance à la première dentition. Révolution qu'éprouve l'être à la naissance : la respiration s'établit ; il y a dès lors deux espèces de sang 5 la circulation se fait selon un autre mode ; la vie de relation commence ; l'innervation devient bien plus nécessaire. Progrès de l'homme pendant cette période de la vie, sous les rapports anatomique et physiologique. .

429 à 436

Art. II. Seconde époque de la première enfance. M. Halle la fait durer de sept mois à deux ans et demi ; la première dentition en est le trait princi- pal.— Progrès des fonctions de relation et des fonctions de nutrition pen- dant sa durée 436 à 443

Art. III. Troisième époque de la première enfance. Elle s'étend de deux ans et demi à sept ans. Progrès pendant cet âge 44^ à 444

CHAPITRE II. De la deuxième enfance. Cet âge dure de sept à quinze ans ; son commencement est marqué par la deuxième dentition , et sa fin par le premier éveil des organes génitaux 444 ^ 44 7

CHAPITRE III. Adolescence, puberté. Dans cet âge, Paecroissement en hauteur s'achève, la fonction de la génération entre en exercice. Révolution de la puberté 447 à 45>2

CHAPITRE IV. De la virilité. Halle a subdivisé cet âge en trois époques : virilité croissante , virilité confirmée , et virilité décroissante Etat ana- tomique et physiologique de l'homme dans chacune de ces époques

452 à 4^7

CHAPITRE, V. De la vieillesse. Subdivisée aussi en vieillesse commençante , vieillesse confirmée, et décrépitude. Décaissement successif dans cha- cune de ces époques 45; à 465

CHAPITRE VI. De la mort La mort est, ou se ni le , ou accidentelle:

10 Description de la mort sénile ; elle se fait graduellement , et pro- cède de la circonférence aux centres. Sa cause réside dans les dété- riorations qu'ont éprouvées les organes, par suite du cours de la vie , et particulièrement dans celles quJa éprouver le système nerveux. La mort sénile es! fort rare. 20 La mort accidentelle reconnaît pour cause une dét érioratiou survenue accidentellement dans les organes , avant le terme naturel de la vie. Ses causes sont très multipliées. Tantôt elle est subite , et diffère dans les traits sous lesquels elle se pré- sente, selon qu'elle est une asphyxie, une syncope ou une apoplexie. Tantôt elle survient après quelques jours ou semaines de maladie; et ici elle est encore susceptible de nombreuses variétés. Enfin, en certains cas,

586 TABLE ANALYTIQUE

elle ne vient qu'après des mois, des années, et est prévue de loin. A la différence de la mort sénile, elle procède des centres à la circonférence.— L'état du cadavre, dans la mort sénile , diffère beaucoup de ce qu'est ie cadavre dans la mort accidentelle ; dans celle-ci, persistance de plusieurs fonctions après la mort; histoire de ce qu'on appelle froideur cadavé- rique. — Enfin, tableau de la putréfaction, mouvement intestin qui détruit le corps « 4^6 à fêG

CINQUIÈME PARTIE.

CES DIFFÉRENCES ÎHDIVIDCELLES DE l'hOMME.

Nous ne traiterons que de celles qui fondent les tempéraments, les constitutions , les idiosyncrasies , les habitudes et les races humaines.

437 à 489 CHANTEE Ier. Des tempéraments. Différences de l'homme, qui consis- tent en des disproportions de volume et d'activité des organes et appa- reils importants. La doctrine des tempéraments doit être basée sur la physiologie. Tempéraments des anciens , d'après la proportion des élé- ments. — Tempéraments selon les humoristes, les solidistes. Tort de quelques modernes , qui contestent l'existence des tempéraments. Manière dont Halle en expose les bases organiques ; distinction faite par ce professeur, de tempéraments généraux et de tempéraments partiels. Exposition des tempéraments , par M. Rostan. Réflexions critiques sur

ce point de doctrine 49° à 5o5

CHAPITRE II. Des constitutions. Elles sont en même nombre que les indi- vidus ; chacun a la sienne ; on ne peut donc les étudier que sous le point de vue de leur^brce, c'est-à-dire du degré de résistance qu'elles opposent aux causes morbifiques. La constitution doit sa force à un développe- ment convenable, à une juste proportion des organes, et à une énergie intrinsèque spéciale du système nerveux. On peut être fort par un

organe et faible par un autre 5o6 à 5og

CHAPITRE III. Des idiosyncrasies. Différence individuelle locale, bornée à un seul organe , mais imprimant à la fonction de cet organe un carac- tère insolite. Exemples divers d'idiosyncrasies 5o9a5i2

CHAPITRE IV. Des différences individuelles acquises et des habitudes. Les différences individuelles innées , natives, sont incontestables ; elles ont leur cause dans l'acte reproducteur, et dans les circonstances de la vie intra-utérine. 20 D'autre part; l'homme offre des différences dépendantes des impressions qu'il a reçues de l'univers extérieur, et de la mesure dans laquelle il a usé de la vie, et ce sont ces différences que nous appelons acquises. Aces dernières se rattachent les habitudes; théorie des ha- bitudes , leurs causes, leurs effets; Bichat avait mal analysé les unes et

les autres 5i2 à 5iQ

CHAPITRE V. Des races humaines. Y a-t-il plasieurs espèces d'hommes ? ou toutes les différences que présentent les hommes sur les divers

DES MATIÈRES. 5 87

points du globe, tiennent- elles à l'action qu'ont exercés sur eux les climats ? il n'est guère possible de contester des différences originelles.

Aujourd'hui on admet, sinon plusieurs espèces d'hommes , au moins plusieurs races. Opinions de M. Cuvier, qui admet trois races; de Lacépède qui en admet cinq; systèmes de MM* Virey , Desmoulins, et Bory- de-Saint- Vincent, . . é . .. * 526 à 532

SIXIEME PARTIE.

Histoire de la force et des propriétés vitales, .......... 533

CHAPITRE PREMIER. Considérations générales sur les Jorces premières admises dans toutes les sciences naturelles. Dans tout corps, il n'y a que deux choses à étudier, sa structure et ses actions ; il n'y a que deux moyens d'étude, l'observation et le raisonnement 3 et on ne peut aller, dans cette étude, au-delà de ce que démontrent les sens; on ignorera à jamais l'essence de la matière et la cause qui la fait se mouvoir et agir.

Les forces que Ton dit exister dans les corps ne sont pas des êtres réels ajoutés à la matière qui forme ces corps ; elles ne sont que des créations de l'esprit qui représentent la cause inconnue qui les anime, la puissance motrice que possède la matière qui les forme. Cela étant, elles doivent différer autant que les corps eux mêmes; et comme ceux-ci sont inorga- niques et organiques, on admet deux genres de forces, les forces physi- ques et chimiques générales, et les Jorces vitales 533 a 5^6

CHAPITRE II. Delajorce vitale. Création d'Hippocrate sous le nom de qvsis , ou d'ivop^ov; conservée parles modernes sous des noms divers. Physiologistes qui, la personnifiant, en font un être réel; tantôt lui assi- gnant une nature matérielle ; tantôt en faisant un être immatériel ; doc- trine des arohées de Van Helmont , de l'ame de Sthal, du principe vital de Bardiez. Les physiologistes de nos jours la considèrent comme une expression abstraite désignant le mode de motion propre à la matière or- ganisée et vivante 5jj.i à 547

CHAPITRE III. Des propriétés vitales. De même qu'on admet plusieurs forces physiques et chimiques, de même on a admis plusieurs forces vitales ; selon que les phénomènes vitaux sont distincts , on les a rappor- tés à autant de forces ou propriétés vitales particulières. Les propriétés vitales sont une création des modernes , par laquelle ceux-ci ont cherché à remonter jusqu'aux phénomènes élémentaires de la vie. Les premiers documents s'en rapportent à Stahl; propriété de tonicité de ce médecin. 1 Ensuite , doctrine de Hallersur la sensibilité et Y irritabilité: controverse sur la question de savoir si l'irritabilité ne doit p**s être considérée comme une dépendance de la sensibilité. Généralisation plus com- plète de ces deux propriétés par Chaussier. Théorie de Bardiez qui admet cinq propriétés vitales : sensibilité , force de contraction , force d'expansion, force de situation fixe, et tonicité. Théorie de Blumenbach , qui en admet cinq aussi, sensibilité, irritabilité, tontractilitè ou tonicité.

588 TABLE ANALYTIQUE DES MATIÈRES.

force de vie propre , etjbrce de formation. Chaussier en admet trois, sensibilité , mobilité et caloricité. Dumas , quatre, sensibilité, mobilité^ force d'assimilation et force de résistance vitale. Bichat, cinq, sensibi- lité organique ; contractillté organique insensible ; contractilité organique sensible , sensibilité animale , et contractillté animale. Appréciation de toutes ces théories. La doctrine du vitalisme est la seule qui, dans l'état actuel de la science, convienne à la physiologie 547^5^4

FIN DE LA TABLE ANALYTIQUE DU QUATRIEME ET DERNIER VOLUME,

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