'-2' Mille .m : ^ : lO :o ;0 m o D»^ MAURICE BOIGEY MÉDECIN-MA.TOn DR 1" CLASSE DOCTEUR ES SCIENCES DE L'cNlVEnSITÉ SS râ^- 1^ £-9 ta = i- ox:^ - ECIN-CHEF DE l'ÉCOLK NOP.MALE D'ÉDlCATrON PHYSIQUE DE JOINVILLE O Physiologie générale de rÉducation physique Avec 14 Croquis PAYOT, PARIS 1920 J THE LIBRARY The Ontario Institute for Studies in Education Toronto, Canada Physiologie générale de rÉducatîon physique DU MÊME AUTEUR Influence du travail intellectuel sur la nutrition. {Épuisé.) Rôle du sucre dans l'alimentation. {Épuisé.) Traitement du diabète sucré par les sels de chaux. {Épuisé.) Ateliers de travaux publics et détenus. (Ouvrage couronné par l'Académie des Sciences morales et politiques.) 1911. In Bibliothèque de criminologie. Maloine, éditeur. . . 4 50 Introduction à la Médecine des Passions. In Bibliothèque de philosophie contemporaine. 1914. Alcan, éditeur. . 4 6Q L'Élevage humain. 2 volumes. 1916. Payol, éditeur. Tome I. — Formation du corps et Edtication physique. 4 50 Tome II. — Réforme intellecttielle et réforme morale. 2 » Les Confidences d'un Tréponème pâle (Chronique de la syphilis), i volume 1918. Payot, éditeur 4 60 Tous droits de traduction, de reproduction et d'adaptation réservés pour tous pays. Copyright 1919, by Payot et 0\ D^ MAURICE BOIGEY MÉDE.CIN-MAJOR DE I" CLASSE DOCTEUR ES SCIENCES DE L'UNIVERSITÉ MÉDECIN-CHEF DE L'ÉCOLE NORMALE D'ÉDUCATION PHYSIQUE DE JOINVILLE Physiologie générale de l'Éducation physique PAYOT & C'\ PARIS Io6, BOULEVARD SAINT-GERMAIN 1919 Tous droits réservés ^' AU LIEUTENANT-COLONEL SÉE COMMANDANT L'ÉCOLE DE JOINVILLE En un coinmun afostolat Pour la cause de l'éducation -physique M. B. TABLE DES MATIÈRES PREMIERE PARTIE Les grandes fonctions, dans leurs rapports avec l'éducation physique P»gec Chapitre premier. — Plan d'éducation -physique. — Néces- sité d'envisager successivement l'éducation physique aux différents âges de la vie. Simplicité et variété des procédés. Les grandes divisions : i° Education physique élémen- taire ou prépubertaire ; 2« Education physique secondaire ou pubertaire et post-pubertaire; 3° Education physique supérieure ou sportive et athlétique ; 4° Education phy- sique de l'âge mûr; 5» Les pratiques hygiéniques de la vieillesse. — Fautes qu'il faut se garder de commettre en remplissant ce programme. — Effets utiles et moralisa- teurs de l'éducation physique sur les adolescents .... 17 CÎhapitre II. — hifluence générale de V exercice sur les grandes fonctions. — Solidarité des fonctions organiques renforcée par l'exercice. — Influence de l'exercice sur la nutrition générale : augmentation du mouvement d'assi- milation, accélération du mouvement de désassimilation. — L'exercice est le régulateur de la nutrition. — In- fluence de l'exercice sur les poumons. — Proportionner le travail musculaire au pouvoir éliminateur des poumons. — Les exercices de force et de vitesse et la respiration. — Influence de l'exercice sur le cœur et la circulation. — L'aspiration du sang dans les muscles qui se contractent. — Travail du cœur dans l'exercice ordinaire et pendant le surmenage. — Effets produits par l'exercice sur les muscles et sur l'attitude générale du corps. — Influence de l'exercice sur le système nerveux 29 Chapitre III. — Respiration. — Essoufflement. — La respi- ration comporte un double conflit: dans les poumons entre l'air et le sang, dans les organes entre le sang 6 TABLE DES MATIERES chargé d'oxygène et les tissus vivants. — L'essoufflement ; ses causes: l'exercice musculaire qui élève le taux de la consommation d'oxygène et qui est suivi de la libération d'une plus grande quantité d'acide carbonique. — Effets expérimentaux de l'acide carbonique. — Les différents degrés de l'essoufflement. — La lutte contre l'essouffle- ment. — Ventilation pulmonaire. Coefficient de ventila- tion. — Rapports entre les mouvements inspiratoires et expiratoires. — Nécessité de la béance des voies respira- toires.— Innervation des poumons et réflexe respiratoire. La respiration se passe non seulement dans les poumons, mais dans l'intimité des tissus vivants. — Expériences de Tissot. — Evaluation de Chauveau. — Exhalation d'acide carbonique par la peau et par les poumons. — Exhala- tion d'acide carbonique par les muscles et leur ravitaille- ment en glycogène. — La respiration est une circulation d'oxygène puisé dans l'atmosphère et une circulation d'acide carbonique né dans les tissus et véhiculé aux poumons par le sang. — C'est un phénomène physiolo- gique unique se passant sur deux théâtres distincts ... 46 Chapitre IV. — Circulation du sang. — Tensions arté- rielles. — Travail du cœur. — La fonction de circulation du sang joue plusieurs rôles. — Tâche respective du cœur, des artères, du système nerveux. — Définition de la ten- sion artérielle. — Mesure des diverses tensions. — Rela- tions entre la fréquence du pouls et la tension artérielle. — Détermination du travail du cœur. — Influence du système nerveux sur le fonctionnement du cœur. — Con- ditions qui favorisent l'énergie du cœur. — Distribution du potentiel électrique dans le cœur '64 Chapitre V. — Alimentation. — Rations alimentaires. — Régime d^ entraînement. — Influence de l'alimentation au double point de vue physique et psychique. — Bilan des dépenses organiques. — Evaluation de la valeur énergé- tique des aliments en calories. — Classification, compo- sition et vaieur calorifique des aliments: hydrates de carbone; graisses; protéiques. — Le moteur humain comparé aux moteurs thermiques industriels. — Rations alimentaires. — Leur détermination. — Tableau de la composition chimique et de la valeur calorifique des ali- ments usuels. — Ration alimentaire de l'homme de sports et de l'athlète. — Régime d'un athlète soumis à un entraî- nement de deux mois. — Hygiène alimentaire générale ; à quelle heure doit-on manger? — Doit-on se reposer en sortant de table? — Régime carné et régime végétalien. — Aliments aromatiques et nervins. L'alcool 81 TABI.E DES MATIERES Chapitre VI. — • Sensibilité cutanée et sens musculaire. — Tout ce qui a trait au système nerveux doit intéresser l'homme de sports. Les phénomènes sensitifs et les phé- nomènes sensoriels. — Le seuil de la sensation. — Seuil différentiel. — Esthésiomètres. — Les diverses sensibi- lités : au toucher, au chaud, au froid, à la douleur. — Acuité tactile. — Seuil de l'acuité tactile. — Détermination de l'acuité tactile chez un aviateur. — Sens musculaire ou cinesthésie. — Les muscles sont des organes pourvus d'une sensibilité spéciale. — Epreuves par lesquelles on recherche l'état du sens musculaire. — Seuil du sens musculaire :ii Chapitre VIL — Mouvements réflexes ; équilibre ; coordi- nation ; automatisme. — Caractères et définition d'un mouvement réflexe. — Exemples de mouvements réflexes. — La coordination des mouvements par les centres ner- veux. — Le canard de Tarchanoff. — Synthèses coordina- trices opérées par le cerveau et par le cervelet. — L'équi- libre ; conditions de l'équilibre; rôle du cervelet et des canaux demi-circulaires. — Le choix entre plusieurs mouvements est à l'origine de l'acte conscient. — Le rôle delavolonté. — Le triage spontané des muscles au cours d'un entraînement aux exercices difficiles. — Accou- tumance et économie de forces. — Conditions que doit remplir un mouvement pour devenir automatic^ue. — L'automatisme diminue le travail cérébral i25 Chapitre VIII. — Bases -physiologiques de Vaffré dation de la valeur physique d^un sujet. — Mensurations. — La taille de l'homme ; moyennes de la taille et du poids aux différents âges de la vie, d'après Quételet. — Le coefficient thoracique. — Macroskèles et brachyskèles. — Le poids; le segment anthropométrique de Bouchard et le type de corpulence. — Tableaux de Bouchard. — Elasticité tho- racique ; les divers périmètres. — Ventilation pulmonaire ; air courant; air complémentaire; air de réserve; capacité vitale; capacité respiratoire. — Circonférence des mem- bres. — Force musculaire ; force de pression; force de traction ; force rénale chez l'homme et chez la femme. — Ergométrie. — Rythme respiratoire. — Rythme cardiaque. Evaluation de la pression sanguine. — Evaluation de la température interne du corps ; le coefficient thermique individuel ; température moyenne de l'homme aux diffé- rents âges ; lutte contre la chaleur ; vaso-dilatation péri- phérique ; évaporation de la sueur. — Examen des réflexes rotulien et achilléen, du degré de sensibilité, du sens musculaire. — Examen des réflexes pupillaires et TABI.E DES MATIERES d'accommodation. — Evaluation physiologique d'un sujet donné par le calcul de l'indice de Pignet. — Examen du sang. -^ Examen des urines ijg. DEUXIÈME PARTIE Notions fondamentales Chapitre IX. — L'Entraînement. — Définition. — Modi- fications de la nutrition et changements dans les rapports qui existent entre les différents tissus de nos organes, dus à l'entraînement. — Diminution de la masse des tissus mous. — Accroissement du tissu musculaire. — Spoliation de l'organisme de l'excès d'eau qu'il contient. — Action régulatrice des reins, de la peau, du foie; importance de leur intégrité chez l'homme de sports et l'athlète. — Toxicité de l'urine et de la sueur. — Diminution des réserves graisseuses sous l'influence de l'entraînement. — Diminution consécutive de la tendance à l'essoufflement. — L'alimentation pendant l'entraînement. — La stabili- sation delarespiration etdu pouls, sontles critères de l'en- traînement. — L'homme entraîné s'est fait momentané- ment un tempérament particulier. — L'entraînement per- fectionne les facultés intellectuelles et morales que l'exercice met en jeu ; en particulier la volonté. — Il affine la faculté de coordinationdes mouvements, — Le psychisme des athlètes et leur condition morale. — Portrait d'un sujet entraîné. — Epreuves propres à établir le degré d'entraînement général d'un sujet 167 Chapitre X. — La fatigue. — Production artificielle de la fatigue locale sur un muscle. — La sensatickn de fatigue s'étend à tous les organes quand un seul est fatigué. — Les sources de la fatigue. — Rôle de l'action toxique des déchets et de la déperdition d'énergie nerveuse. — L'hii- mobilisation du corps, source de repos ; l'immobilité, source de fatigue. — Nécessité d'interrompre un travail si on veut le poursuivre longtemps. — Les actes automa- tiques sont les moins fatigants. — Les mouvements auto- matiques peuvent seuls reposer de la fatigue intel- lectuelle. — Phénomènes dont le muscle fatigué est le théâtre. — Transformations chimiques qui accompagnent normalement la contraction musculaire. — Rôle du glyco- gène. — Faut-il absorber beaucoup de sucre? — La cour- bature douloureuse; sa double origine. — Le surmenage est l'exagération de la fatigue. — Retentissement du sur- menage sur le cœur. — Mécanisme des accidents de sur- TAB.I.E DES MATIERES 9 ménage aigu. — Le surmenage chronique. — La guérison des maladies nerveuses de surmenage par l'exercice et le mouvement bien dosés i86 Chapitre XL — La science du repos. — Le repos total par immobilisation, isolement et silence. — La nutrition pendant le repos. — Inconvénients du repos trop pro- longé chez l'homme sain. — Brièveté des répits et travail prolongé. — ■ Le repos permet à l'organisme, réservoir d'énergie, de refaire son plein. — La boxe avec pauses et sans pauses. — L'alternance du travail est une forme du repos. — Nécessité de. l'alternance destravauxintellectuels. — La dépense contemporaine d'énergie nerveuse. — Nécessité de la thésauriser. — Utilité de l'équilibre entre la force musculaire et la force nerveuse. — Le sommeil est le moyen le plus efficace de réparer les pertes que nous avons faites pendant les périodes d'activité ; le travail ne provoque pas d'accident ni même une grande usure; c'est le surmenage qui tue ; nécessité du repos volon- taire ; la sieste du docteur OUier. — La science du repos comporte l'emploi de l'eau, de la lumière, du froid, du chaud et du massage 204 Chapitre XIL — U Ensoleillement, — Etude physique de la lumière solaire; spectre; vibrations lumineuses et refran- gibilité ; propriétés calorifique, lumineuse et chimique des couleurs. — Etude biologique de l'ensoleillement. — Pigmentation des téguments; effets généraux; les petits de la Lycose; technique des bains de soleil; effets des radiations ultra-violettes 221 Chapitre XIIL — Le physique et le moral. — Impossibilité de séparer le physique du moral. — Nécessité pour les philosophes des études physiologiques. — Pour avoir une juste notion des besoins de l'homme, il faut avoir d'abord une idée de ses organes. — Se garder d'être dupe du lan- gage. — Influence des maladies sur l'être moral. — Nos tendances sont conditionnées par des dispositions anato- miques particulières et par un état physique déterminé. — Inversement, nos états psychiques divers retentissent sur nos organes. — La mort subite du colonel ; la maladie du commandant et du lieutenant. — Les états émotionnels se résolvent souvent par un phénomène biologicjue : les sueurs de la peur, les larmes de la douleur, les cris de là colère, etc. — Influence du moral des malades sur la durée et l'évolution des maladies. — Inégalité phy- siologique des organes. — Harmonie des fonctions ; elle est à la base d'une existence morale 23.4. 10 TABI.E DES MATIERES TROISIÈME PARTIE Education physique des enfants et des adolescents Chapitre XIV. — Quelques aferçus sur Veugennétique. — Définition de l'eugennétique. — Influences héréditaires; importance de l'étude des ascendants. — Transmissibilité des tares et des qualités morales. — Age d'élection du mariage. — Mesures de sélection à l'égard des parents, — Tentatives à l'étranger. — La question de la consangui- nité ; ses méfaits et ses avantages. — Relations de la mère et de l'enfant pendant la gestation ; propositions de loi tendant à la protection des mères avant l'accouchement ; idées du professeur Pinard sur le repos des femmes en état de grossesse ; celles qui se reposent ont seules des enfants qui sont à terme et vigoureux. — Sort malheureux des enfants nés prématurément 249 Chapitre XV. — Croissance de l'organisme humain pen- dant l'âge scolaire. — Af-plications éducatives. — La croissance de l'homme se fait par oscillations pério- diques. — Notion de la périodicité de tous les phéno- mènes biologiques. — Quelques exemples de périodicité: la révolution cardiaque, le mécanisme de la respiration chez les animaux supérieurs. — En conséquence, ne demander aux enfants que des efforts discontinus. — L'éducateur doit avoir des notions sur: le développement des os, le développement du cerveau, les phénomènes physiologiques qui marquent la puberté, les phénomènes de sécrétion interne. — Les os; leur malléabilité pendant les premières années de la vie ; ne pas hypertrophier les muscles de l'enfant par une gymnastique intempestive ; on risquerait de contrarier le développement du squelette en longueur et de diminuer la taille. — Développement formidable du cerveau pendant les deux premières années ; à quatorze ans, l'enfant a un cerveau qui a atteint gS p. roo de son développement ; avant la septième année, les facultés naissantes sont sous la dépendance absolue des sens. — Modifications dues à la puberté ; corrélation entre les fonctions sexuelles et les fonctions cérébrales ; le car- refour où se rencontrent les tendances héréditaires, les influences éducatives, l'épanouissement de l'instinct sexuel. — Influence considérable des sécrétions internes sur la nutrition ; notion des hormones ; exemples de l'acti- vité des hormones du testicule, des capsules surrénales, du corps tyroïde, de la glande pituitaire. — Nécessité TABLE DES MATIERES II pour les éducateurs de connaître ces faits ; leur impor- tance à l'égard des enfants arriérés 264 Chapitre XVI. — La sédentarité chez les écoliers et chez les adultes. Ses inconvénients. Moyens de la combattre. — Nécessité de lutter contre la sédentarité chez l'enfant et chez l'adolescent. — Emploi du temps dans les lycées. — Effets physiologiques de la sédentarité: l'irrigation de l'organisme par le sang est moins abondante; la respira- tion est superficielle et l'absorption d'oxygène diminuée. — L'assimilation et la désassimilation sont ralenties. — Intoxication lente de l'organisme par rétention de produits toxiques. — Arrêt prématuré de la croissance corporelle. — Prédisposition aux maladies. — Diminution générale de la force musculaire et atrophie des muscles. — La sédentarité vicie l'attitude et déforme la taille de beaucoup de personnes. — Pâleur et bouffissure du visage. — Accu- mulation des tissus de réserve. — Maladies de la nutri- tion chez les adultes sédentaires. — Les méfaits de la sédentarité sont plus grands chez les filles que chez les garçons. — Difficulté d'aboutir dans la lutte entreprise contre la sédentarité. — Les exercices physiques destinés aux enfants devront en même temps reposer le cerveau. — Nécessité des jeux amusants. — Utilité des exercices chez les personnes âgées. — Le manque de volonté des sédentaires. — Le corps et l'esprit ont droit à des soins égaux et la conservation de la santé est un devoir. — Toute . infraction aux lois de l'hygiène est une faute morale. . , 278 Chapitre XVII. — Education -physique de V adolescence en Grèce, — Les gymnases. — Les jeux. — La vie moderne dans les pays occidentaux et la vie dans l'ancienne Grèce. — Opposition entre deux conceptions de la vie. — Orchestrique et gymnastique. — Gymnase grec et ses par- ties constitutives. — Types divers de gymnases. — Les fonctionnaires préposés aux gymnases. — Les exercices et leurs effets sur la race 2g3 Chapitre XVIII. — Plan d'un collège moderne des sports. — La santé physique de la France dépend de la création de stades ou de collèges des sports, et d'un peu d'initiative et de bonne volonté. — Les pratiques sportivessontune école d'ordre et de raison. — Les tentatives d'avant-guerre : la ligue des collèges d'athlètes. — Toute méthode doit être éclectique. — Chaque canton, chaque sous-préfecture, chaque préfecture, devrait posséder son stade ou son collège des sports. — Imiter le Common anglais. — La piste. — Les sautoirs. — L'espace libre pour les jeux. — 12 TABI.E DES MATIERES Les appareils. — Les objets pesants. — Les arènes pour la lutte, la boxe, les exercices de défense. — Stand. — Escrime. — Tennis et longue paume. — Natation, aviron. — Jeux américains: basket bail, volley bail. — Locaux divers : douches, piscine, vestiaire. — Locaux accessoires : hangar, magasin, bureau, laboratoire, massage et service médical. — Buffet. — Emplacement des stades et collèges des sports. — Dimensions variées. — Plutôt un terrain de jeu sans école qu'une école sans terrain de jeu 3oS Conclusion. — Culture -physique et beauté plastique . — Il y a dans la beauté physique des différences qui corres- pondent aux qualités différentes des climats et des races. — Acquérir la beauté plastique par les sports est un moyen d'échapper à la tyrannie des sens. — Il faut que la culture physique se plie aux conditions de la vie moderne. — Goût général marqué pour la beauté physique. — Il faut créer en France un mouvement qui réveille l'amour des formes pour elles-mêmes, qui ramène le peuple à des sources de plaisir anciennes et oubliées. — La beauté physique est vraiment rédemptrice. — La culture phy- sique peut nous faire retrouver les vraies proportions de la vie. — Elle ouvre à la race française un nouveau royaume de sensibilité et de grâce corporelle qui n'est pas en opposition avec les religions, mais diffère de leur propre domaine et en est indépendant. — Plus d'antago- nisme entre la culture physique et les idées morales. — Les controverses entrelaculturedu corpshumain et la cul- ture de l'âme doivent cesser. Ne plus opposer la beauté corporelle à la beauté de l'âme. — La beauté corporelle doit être toute mêlée àla religion. — Du mélange de deux traditions, de deux sentiments, le sacré et le profane, doit sortir une conception nouvelle de la culture humaine. . 323 AVANT-PROPOS Cet ouvrage s'adresse au lecteur d'élite qui sait toute l'importance, au lendemain de la guerre, du grave pro- blème de la rénovation de la race par V éducation physique . Cette éducation est gouvernée par les principes de la physiologie. Sans eux, elle serait vaine et livrée aux pra- tiques d'un empirisme plein de dangers^- Je me suis donné pour objet d'exposer ces principes dans leur ensemble, tels qu'on peut les comprendre à notre époque, en tenant compte des acquisitions faites en bio- logie pendant les vingt ou trente dernières années. Rompant avec les anciens cadres, inais gardant cependant certaines parties de leur armature, je me suis appliqué à modeler la physiologie de V éducation physique sur le langage et les principes de la science générale contempo- raine. En respectant V exactitude des faits, j'espère leur avoir donné le plus d'unité possible. Les travaux des maîtres de la physiologie et de mes devanciers , Chauveau, Dastre, Ch. Richet, Morat et Doyon, Gley, Lapicque, Langlois, G. Weiss, J. Amar, Lagrange, Mosso,Ph. Tissié, Demeny, Philippe et Racine, Savornin, de Grandmaison, Ruffier, Belin du Coteau, Fr. Heckel, ont largement ouvert la voie,. Pour faciliter la lecture de ces pages, j'ai laissé à ■^4 AVANT-PROPOS dessein dans l'ombre des détails qui en auraient, à mon sens, diminué la clarté. Malgré mes efforts, des imperfections seront sans doute relevées. Je m'en excuse, ayant conscience de ^^ avoir pu les éviter toutes, dans une telle entreprise. Joinville-le-Pont, janvier-avril 1919. M. B. PREMIERE PARTIE LES GRANDES FONCTIONS DANS LEURS RAPPORTS AVEC L'ÉDUCATION PHYSIQUE CHAPITRE PREMIER PLAN PHYSIOLOGIQUE DE L'ÉDUCATION PHYSIQUE Jamais plus qu'à l'heure actuelle la nécessité ne s'est fait sentir, en France, de donner aux jeunes générations la vigueur corporelle. Au point où est arrivée la race française, si cruellement immolée sur les champs de ba- taille, il importe qu'un effort soit fait, d'une part, pour lutter contre toutes les causes de diminution et d'affai- blissement du capital humain qui nous reste, d'autre part, pour lui donner la plus grande valeur possible. Une méthode d'éducation physique vraiment digne de ce nom ne doit pas se borner à envisager une seule pé- riode de la vie, à l'exclusion des autres. Tout se tient dans le développement de l'organisme humain. L'ado- lescence et la jeunesse sont solidaires de l'enfance. L'âge mûr est tel que l'aura fait l'adolescent. Prendre des jeunes hommes de dix-huit à vingt-cinq ans et leur imposer à tous une gymnastique identique est une er- reur trop longtemps commise. L'enfance doit, la première, solliciter les préoccupa- tions des éducateurs. Quand ils connaîtront bien la phy- siologie de l'enfant, quand ils sauront ce qu'on peut et ce qu'on ne doit pas lui imposer, ils passeront à l'étude de l'adolescence. Après quoi, les jeunes hommes sollici- teront leur attention. Enfin, ils étudieront l'âge mûr et mêmeja vieillesse. Ils suivront, en un mot, le dévelop- pement complet de l'homme et feront découler des be- soins propres à chaque âge les règles d'une éducation physique rationnellement instituée. Car, qu'on le veuille l8 LES GRANDES FONCTIONS OU non, l'éducation physique est gouvernée par les principes de la physiologie humaine. Faute de quoi, elle obéit aux règles capricieuses d'un empirisme dangereux. Une méthode d'éducation physique doit être simple et accessible à tous. Elle variera ses procédés et ses moyens selon l'état du développement organique, le sexe et les conditions de vie de chaque sujet, elle s'adaptera enfin aux constitutions les plus différentes. Ainsi comprise, elle peut représenter un corps de doc- trine qui, suivi par la masse du peuple, ne tarderait pas à produire des transformations profondes dans la constitution générale des Français. Une telle méthode comprend plusieurs groupes d'exercices. Chacun d'eux correspond à une classe de sujets de valeur physiologique déterminée. On dis- tingue : i'^ L' éducation physique élémentaire (ou prépubertaire), destinée aux enfants de six à treize ans environ ; 2° L'éducation physique secondaire (pubertaire et post- pubertaire), s'adressant à des sujets de treize à dix-huit ans ; 3° L' éducation physique supérieure (sportive ou athlé- tique), s'adressant aux jeunes hommes; ils peuvent en suivre les pratiques jusqu'au déclin de leur force (vers trente-cinq ans) ; 4° L'éducation physique de l'âge mur (après trente- cinq ans) ; 5" Les pratiques hygiéniques de la vieillesse. Ces démarcations sont moins une règle absolue qu'une simple indication destinée à servir de guide aux instructeurs. Il faut moins tenir compte de Vâge-temps que de l'âge physiologique des sujets pour les classer dans le groupe qui leur convient. I. Éducation physique élémentaire (ou prépuber- taire), intéressant les enfants de six à treize ans environ. L'enfant, garçon ou fille, est, pendant cette période, en pleine croissance. Il a, avant tout, besoin d'une vigou- PLAN D EDUCATION. PHYSIQUE Tg reuse santé. Aucune adaptation urgente ne s'impose à"" lui. Il ne saurait être notamment question, à cette pé- riode de la vie, de développement musculaire. Le sque- lette, nous le savons, ne commence à acquérir son plein développement qu'à partir de la vingtième année. Avant cet âge, les soudures osseuses sont incomplètes. C'est ainsi que les vertèbres n'ont terminé leur ossification qu'entre vingt et vingt-cinq ans ; les pièces supérieures du sternum entre vingt-cinq et trente ans; Tangle infé- rieur et le bord spinal de l'omoplate entre vingt-deux et vingt-quatre ans ; l'extrémité supérieure de l'humérus entre vingt et vingt-cinq ans. Pendant toute la première partie de la vie, jusqu'à la vingtième année, les os sont relativement malléables» De plus, les muscles n'ont pas, pendant toute cette pé-^ riode, de points d'attache aussi solides qu'après la vingtième année. On évitera donc de soumettre les enfants et les ado^ lescents soit à des manœuvres de force, soit à des exef'- cices ayant pour effet de durcir les muscles. Ces derniers^ hypertrophiés par une gymnastique intempestive, peu- vent, dans une certaine mesure, en raison de leur déve- loppement prématuré en largeur et en épaisseur et par le jeu de leur tonicité propre, trop accrue, s'opposer à l'allongement de là taille. On n'a pas toujours tenu compte de ces règles physio- logiques. C'est ainsi qu'au Congrès de l'Education physique, en iQiS, on nous présenta des enfants qui avaient été prématurément entraînés aux pratiques de l'athlétisme. Leurs prouesses sont demeurées dans la mémoire de tous ceux qui en furent témoins. On les vit accomplir des performances remarquables et le public les applaudit avec enthousiasme. Il applaudissait une erreur physiologique. J'ai revu, à six années de dis- tance, quelques-uns de ces petits prodiges d'athlétisme dont les muscles étaient déjà hypertrophiés. L'allon- gement de leur taille s'est prématurément arrêté et ils n'ont jamais acquis le développement en hauteur qui permet au corps humain d'acquérir de belles proportions. 20 LES GRANDES FONCTIONS Ils sont devenus des « courtauds » taillés en largeur, sans grâce et sans sveltesse. Avant treize ans, l'éducation physique sera hygié- nique. Elle tendra à développer les grandes fonctions : respiratoire, circulatoire, articulaire, etc.. Elle visera à perfectionner la coordination nerveuse. Mais à aucun moment, je le répète, elle ne développera systématique- ment les muscles. De six à treize ans, l'éducation physique fera l'objet de la surveillance constante du médecin. Nos confrères ne vont pas assez fréquemment dans les écoles pour y surveiller l'hygiène d'abord, l'éducation physique en- suite. Le médecin devrait être le collaborateur de l'édu- cateur, au cours même des leçons. A cette période de la vie, aucune autre épreuve n'est possible que l'épreuve médicale. C'est le médecin qui catégorisera les enfants de façon que les mêmes le- çons ou les mêmes jeux réunissent autant que possible les élèves de même valeur physiologique. Voici comment on peut résumer le cycle de l'éducation physique élémentaire en ce qui concerne les procédés applicables aux diverses catégories d'enfants : 1° Pour les plus jeunes (six à neuf ans environ) : jeux d'imitation, petits jeux, attitudes éducatives et correc- tives, rondes, marches chantées. 2° Pour les moyens (de neuf à onze ans environ) : mouvements éducatifs simples, petits jeux d'imitation, marches chantées, natation. 3" Pour les plus grands (de onze à treize ans environ) : comme de neuf à onze, avec adjonction d'applications élémentaires (course, saut, grimper, porter, etc.). II. Éducation physique secondaire. — Elle s'étend à l'âge pubertaire et postpubertaire (de treize à dix-huit ans). On sait que l'âge moyen de la puberté, est, dans notre race, entre onze et treize ans pour les filles, entre douze et quatorze ans pour les garçons. La puberté met, en moyenne, deux ans à s'installer et ses effets se PLAN D EDUCATION PHYSIQUE 21 font encore sentir sur la nutrition pendant trois autres années. De l'éclosion de la puberté à la réalisation de la nubilité, s'écoule donc une période de cinq années, dé- licate entre toutes, car elle correspond à une transfor- mation organique intense. A treize et à quatorze ans les tissus encore inachevés continuent leur formation ; ils n'ont pas la fixité de constitution de ceux de l'adulte. Le double mouvement d'assimilation et de désassimilation est extrêmement actif. Les sujets de cet âge sont encore de véritables en- fants, au point de vue physiologique. Leur résistance est faible et leur force musculaire est inférieure à celle qu'on pourrait supposer qu'ils ont, en ne considérant que leur taille. La fonction respiratoire est sujette à de grandes variations ; le nombre des respirations est très instable. La fragilité des organes est grande et le contrôle médical de leur fonctionnement s'impose fréquemment aux éducateurs. Il faut noter que les enfants de cet âge, souvent débi- lités par la vie confinée qu'on leur fait mener, n'ont pas la notion exacte de leur force et des moyens phy- siques dont ils disposent réellement. Ils se croient géné- ralement plus résistants qu'ils ne le sont en réalité. Les maîtres d'éducation physique tiendront le plus grand compte de la fragilité de l'organisme à cette période de la vie et ne feront exécuter à leurs élèves aucun exer- cice de force et de fond. Ils suivront cependant une pro- gression régulière qui sera en rapport avec la capacité physiologique de chaque sujet. Vers quatorze ou quinze ans, les effets de la puberté apparaissent. La taille s'accroît rapidement, les mem- bres s'allongent, mais les masses musculaires demeurent encore grêles. Les extrémités des os sont le siège d'une vive congestion qui rend les articulations particulièrement fra- giles à l'égard des traumatismes. De la pesanteur, des douleurs vagues dans les genoux, les épaules et la ré- gion lombaire traduisent cette suractivité de la nutrition au niveau des principales articulations. Le fonctionne- ment du système nerveux peut être troublé ; le sommeil 32 LES GRANDES FONCTIONS *st parfois agité, de l'irritabilité et du nervosisme appa-f raissent. La fatigue survient promptement. L'intoxication de l'organisme par les déchets, à la suite d'un travail phy- sique un peu intense, s'accuse rapidement par de la fiè- vre. Il semble que l'adolescent soit, pendant cette pé- riode, en état de moindre résistance. Tout effort soutenu l'accable. Lorsqu'un sujet de cet âge cesse tout à coup, sans rai- son apparente, de se complaire à ses jeux ou à ses exer- cices préférés, il ne faut pas l'y contraindre trop vive- ment. Il obéit souvent, en agissant ainsi, à un instinct qui lui fait proportionner sa dépense physique à ses disponibilités organiques. Le maître, à cette époque de la vie, a un rôle particu- lièrement délicat. Ses exigences seront modérées. La collaboration du médecin devra lui être constamment assurée. Il agira sagement en choisissant surtout les exercices et les jeux qui ont les préférences des élèves. Il les dosera avec une attention particulière et inter- viendra pour empêcher toute exagération. Bien des jeunes gens et encore plus de parents sont devenus irré- médiablement hostiles à tout exercice physique, et sur- tout aux sports, parce que des accidents répétés ou graves ont interrompu les études de l'élève ou l'ont même rendu infirme. Plus tard, de la seizième à la dix-huitième année, les adolescents ont cessé d'être des enfants. Les os ont acquis de la résistance et les muscles se sont soudain développés. Leurs reliefs commencent à se dessiner. La résistance à la fatigue s'accroît. L'adolescent se sent plus vigoureux et recherche instinctivement l'occasion d'employer sa force. Le moment est venu pour l'éduca- teur de cultiver l'énergie musculaire des élèves et de les orienter peu à peu vers les exercices de fond et de force. Mais il ne faut pas aborder ceux-ci d'emblée et aban- donner l'adolescent à la fougue des premières tentatives, toujours passionnantes. L'organisme ne présente pas encore une résistance PLAN d'Éducation physique 33 parfaite et il faut se garder de compromettre l'équilibre physiologique des diverses fonctions. Elles doivent se développer parallèlement. Aucune d'elle ne saurait, à cet âge, prendre la prépondérance sans compromettre la santé générale du sujet. En graduant sagement les exercices, on favorisera le développement régulier du cœur et des poumons ; on agira de la manière la plus heureuse sur la coordination nerveuse et on suscitera l'esprit de décision. La réalisation du type complet : type de force, de fond et de vitesse, doit être celui de l'adolescent aux en- virons de la dix-huitième année. C'est entre la seizième et la dix-huitième année que les exercices éducatifs pro- duisent les effets correctifs les plus efficaces pour com- battre les déformations héréditaires ou celles causées par la sédentarité scolaire. A cette époque de la vie, le squelette incomplètement ossifié est encore relativement malléable et les muscles n'ont pas acquis tout leur dé- veloppement. Le danger des exagérations en éducation physique, à cette période de la vie, est grand. Ces exercices doivent tendre à un développement harmonieux de tous les or- ganes. Le médecin doit appuyer chaque fois que cela est nécessaire l'action de l'instructeur et, dans les cas déli- cats, la guider. J'ai vu des enfants de quatorze et quinze ans courir sur 5oo et 800 mètres. J'étais à l'arrivée : hélas! La plupart étaient exsangues, pâles, sur le point de tomber en syncope; l'un avait 200 pulsations au cœur, l'autre plus de 200. Je sais que le cœur des enfants a une élas- ticité admirable et qu'il s'adapte à toutes les tâches, mais je sais aussi qu'il ne faudrait pas beaucoup de perfor- mances de ce genre, pour amener des dilatations aiguës du cœur, suivies bientôt de troubles graves de la nutrition générale et de l'arrêt de la croissance. Est-ce là de l'éducation physique bien comprise? Non. Que les enfants courent, sans doute. Mais qu'ils courent seulement dans leurs jeux, toujours coupés de repos; 24 l'Es GRANDES FONCTIONS qu'ils ne courent jamais sur d'aussi longues distances et en compétition. La santé et la résistance organique sont les buts prin- cipaux que visera le maître d'éducation physique entre la treizième et la dix-septième années. La pratique des exercices physiques sera toujours rendue attrayante afin d'être un dérivatif heureux et le correctif nécessaire au dur labeur intellectuel imposé aux adolescents. Les séances d'éducation physique ne seront pas l'apanage exclusif des mauvais élèves dans les écoles ou les lycées. Elles réuniront tous 1^ adolescents sans exception, tous les jeunes ouvriers au sortir de l'atelier, dans une com- mune aspiration vers le perfectionnement physiologique. Elles seront peut-être la sauvegarde la plus efficace contre les tentations de toute sorte qui assaillent le jeune homme désœuvré et, à ce point de vue, leur rôle moralisateur pourra être immense. Pour couronner l'éducation physique secondaire et en sanctionner la pratique, un examen, une sorte de bacca- lauréat d'éducation physique devra être subi par les adolescents. Il témoignera que les sujets qui auront passé les épreuves avec succès ont atteint un développe- ment normal dans toutes les parties de leur organisme et qu'ils sont aptes à aborder sans danger les pratiques de l'éducation sportive et athlétique. Ce n'est qu'après avoir obtenu un bel épanouissement organique par les pratiques d'une éducation physique prudemment et rationnellement conduite jusqu'aux envi- rons de la dix-huitième année que l'adolescent pourra, par le fait de dispositions natives, se spécialiser avec succès dans les sports ou dans une branche de l'athlé- tisme. C'est une erreur de soumettre aux compétitions spor- tives et athlétiques des sujets qui n'ont jamais été exa- minés, des cages thoraciques resserrées, des cœurs défi- cients, des reins dont on ignore le fonctionnement, des systèmes nerveux dont les réactions sont inconnues. La fatigue ne doit pas être la même pour tous. L'éducation physique est une question démesure. Les PLAN d'Éducation physique 25 procédés doivent être exactement dosés. De plus, il ne faut pas seulement voir le geste, le style, le côté sportif. Il faut voiries effets. De même que, dans tous les arts, il faut considérer non seulement la technique et la science de l'artiste, mais les résultats de la production artis- tique, de même en éducation physique, il faut s'appli- quer à obtenir des exercices les effets que l'on recherche. III. Éducation sportive ou athlétique. — Elle est le couronnement et la conclusion logique des deux pé- riodes précédentes. Elle comprend : i" Des exercices éducatifs ; 2° Les grands jeux sportifs (rugby, association, tennis, etc.) ; 3° Les sports athlétiques (courses de tout genre, boxe, lutte, natation, aviron, lancers divers, lever de poids, exercices aux agrès, etc.). De même qu'à la fin de la période précédente, au dé- but de celle-ci, l'éducateur recherchera la réalisation dw type d'athlète complet, type fait à la fois de force, de fond et de vitesse. Puis, spontanément, par le fait de prédispositions naturelles ou de tendances individuelles, naîtra presque fatalement la spécialisation. A partir de ce moment, nous entrons dans le domaine du « sport-theâtre » et nous nous intéressons au succès des professionnels et aux triomphes des grands athlètes. Nous célébrons la supériorité de construction athlétique du recordman, mais non de telle ou telle méthode d'édu- cation physique. Toutefois, il existe une technique spor- tive basée, elle aussi, sur la physiologie et que certains athlètes — notamment les Américains — ont beaucoup perfectionnée depuis vingt ans. Parmi les sports, les uns sont, selon l'expression heureuse du docteur Voivenel, à technique minima (la course) et les autres à technique maxima (saut à la perche, lancer du disque). Pour les premiers, l'influence de la constitution de l'athlète joue le principal rôle; pour les seconds, les résultats sont surtout en rapport avec la perfection de la technique. 26 LES GRANDES FONCTIONS C'est ainsi que les meilleurs temps de course paraissent avoir été faits il y a quelques années, tandis que nous avons vu les records du saut en hauteur et du lancer du disque s'élever régulièrement. Quoi qu'il en soit, les meilleures performances ont toujours été accomplies par les hommes les mieux en- traînés. On ne fait plus de sport aujourd'hui, n'importe comment. Il faudrait que chacune de nos sociétés eût son maître d'entraînement, tel qu'il existe dans les uni- versités américaines. Trop souvent les membres des so- ciétés s'entraînent à leur guise et selon leur inspiration. On devrait ouvrir dans chaque club des cours de sport. Ce n'est pas à l'improvisade qu'un Norman Ross nage comme il nage, et gagne, en se jouant, le loo, le 200, le I 5oo mètres, dans le même après-midi. 11 faut tra- vailler, peiner, s'adapter et surtout se discipliner pour obtenir de grands résultats. Il importe que l'opinion comprenne le rôle immense que l'éducation physique couronnée par les sports et par l'athlétisme peut jouer dans la rénovation de la race française. Les compétitions sportives représentent peut- être le moyen le plus efficace que nous ayons de lutter, dans le milieu des adolescents, contre l'alcoolisme et la tuberculose. L'influence bienfaisante des grands sports est considérable. Ils ont, en un siècle, embelli et trans- formé la race anglaise. Quand on lit Mister Pickwick et quand on parcourt les estampes et les caricatures du temps, on y voit de bons bourgeois débonnaires et pansus fumant leur pipe et dévorant leur « beefsteack » et on a peine à croire que ce soient là les arrière-grands-pères des sveltes soldats de Douglas Haig. L'Anglais a com- plètement changé son état anatomique, le canon de son corps, par les sports. IV, Éducation physique de l'âge mur. — Après trente-cinq ou quarante ans, âge auquel les pratiques de l'athlétisme deviennent pénibles ou même dangereuses pour certaines constitutions, les exercices physiques de- meurent utiles. Ils le sont encore au seuil de la vieil- PLAN D EDUCATION PHYSIQUE 2^ lesse. Il n'est pas question de guérir par une gymnas- tique ou des sports appropriés les infirmités de la pleine sénilité, mais de reculer l'époque de la déchéance. Kn quelques mois, on peut, dans l'âge mûr, par des moyens physiques appropriés, obtenir un rajeunisse- ment remarquable, redresser la taille, supprimer son empâtement, donner au visage le coloris de la bonne santé, rendre aux muscles leur souplesse et à la démar- che son élasticité, faire renaître le sommeil, l'appétit et les forces. L'exercice modéré et certains sports, en régularisant la désassimilation et en excitant l'assimilation, reculent l'heure de l'appaiition de la vieillesse. A tout âge, on peut espérer une réforme heureuse d'un organisme en- combré de toxines et de poisons, en employant une série de moyens et de procédés dans le détail desquels je ne saurais entrer ici. D'une manière générale, les sujets qui auront précé- demment adopté un sport continueront à le pratiquer, mais à la condition qu'ils n'eu éprouvent ni grand essouf- flement, ni sensation d'angoisse, ni palpitations dura- bles, ni fatigue prolongée. Peu à peu, avec les progrès de l'âge, ils doivent se borner à des jeux calmes ne sollicitant que faiblement le cœur et les poumons. Ici, je donne la première place au vieux jeu français de longue paume, joué avec des balles de liège, admirable exercice pour les hommes et les femmes ayant dépassé la cinquantaine. Il nécessite la mise en jeu, par une succession de détentes brusques, de toute la muscula- ture. Mais il ne surmène jamais le cœur ni les poumons, car entre chacune de ces détentes est ménagé un temps de repos pendant lequel la balle vole vers le partenaire et revient à celui qui l'a d'abord lancée. L'aviron et le tennis pratiqués avec modération, ainsi que le golf, sont des sports de l'âge mûr. Enfin, la simple marche à pied est la sauvegarde des personnes âgées. Elle les prémunit contre lès accidents de la sédentarité si redoutables pour les vieillards. Mais il ne faut pas qu'elle soit faite à une allure trop vive. Elle ne doit amener ni essoufflement. 28 LES GRANDES FONCTIONS ni fatigue et, pendant cette période de la vie, elle doit avoir lieu, de préférence, trois quarts d'heure ou une heure après les principaux repas. En vérité, à cet âge avancé, les pratiques du bien- vivre ressortissent à l'hygiène bien plus qu'à l'éducation physique. En résumé, les mouvements que l'homme peut accom- plir sont relativement peu variés, mais il y a la ma- nière de les utiliser, l'ordre dans lequel ils doivent se succéder, leur étendue, leur dosage aux différents âges et par les différents exercices et sports : tel est le domaine de l'éducation physique. Si nous voulions formuler en quelques mots toute notre conception de l'éducation physique proportionnée au développement de l'organisme humain, nous dirions : l'éducation physique commencée dès le foyer, poursuivie à l'Ecole, doit s'épanouir dans les sports. Ainsi conçue, elle aiderait puissamment à la renaissance de la race française gravement anémiée par une formidable sai- gnée. Enfin, je le répète encore une fois, en détournant la jeunesse du cabaret et en l'exerçant au grand air, les compétitions sportives représentent peut-être le moyen le plus efficace que nous ayons de lutter contre l'alcoo- lisme et la tuberculose. Elles sont, par surcroît, une sauvegarde contre les tentations de toute sorte qui assaillent le jeune homme désœuvré. A ce point de vue, leur rôle moralisateur est immense. CHAPITRE II INFLUENCE GÉNÉRALE DE L'EXERCICE SUR LES GRANDES FONCTIONS Le cadre de cet ouvrage ne me permet pas d'étudier en détail les effets produits sur chacune des grandes fonctions organiques par les exercices habituellement usités. Ce thème suffirait à fournir la matière de plusieurs volumes. Je me propose d'esquisser à grands traits l'action générale des exercices sur la nutrition et sur les principaux viscères. Cet aperçu d'ensemble aura surtout pour but de rendre compréhensibles les modifications fondamentales que l'exercice peut produire sur la santé. On ne trouvera ici que les lignes maîtresses d'un tout. Mais, avec les indi- cations délibérément sommaires que j'apporte, il sera facile de compléter l'ensemble et d'en tirer les déductions pratiques qui, seules, comptent et demeurent comme la substantifique moelle de toute espèce d'enseignement. Le premier des effets de l'exercice physique est de faire apparaître et de renforcer l'état de solidarité et d'as- sociation dans lequel se trouvent placées toutes les parties du corps. Le moindre mouvement met en jeu un grand nombre de rouages. Considérons le geste qui consiste à saisir un objet sur une table. Les doigts sont mus par les muscles de l'avant-bras. Mais l'avant-bras prend point d'appui sur le bras qui doit nécessairement être fixé. Le bras lui-même s'immobilise sur l'épaule, et l'épaule sur la colonne vertébrale et le thorax. Or, la colonne vertébrale et le thorax sont supportés par les os du bassin et ceux-ci par les membres inférieurs, de sorte 30 IvES GRANDES FONCTIONS qu'en définitive, tous les muscles s'associent obligatoire- ment à un simple mouvement de la main. Le boxeur tire de ses jambes une part importante de la force qui paraît venir de ses bras. Son coup de poing doit être appuyé par tout le corps. Son effort commence dans le jarret qui se contracte et se met en extension ; il gagne la cuisse dont les muscles assurent solidement les os du bassin au contact des membres inférieurs ; les muscles du bassin prenant appui sur la ceinture pel- vienne ainsi immobilisée se tendent violemment entre elle et le thorax et donnent à celui-ci une rigidité extraor- dinaire ; alors seulement les muscles de l'épaule peuvent y prendre un solide appui pour lancer en avant la main fermée, La musculature tout entière contribue donc à donner un coup de poing. Ces exemples nous font comprendre qu'un mouvement déterminé a son retentissement loin du point où il semble localisé. Aussi, observons-nous fréquemment que certains exercices produisent parfois des effets mar- qués sur une région du corps où on ne songe pas à les constater. Il n'est pas de mouvements isolés ; un membre aide l'autre ; une partie du corps peut aider ou entraver le jeu des membres. C'est pourquoi tous les exercices demandent, pour être exécutés avec souplesse et facilité, un certain apprentissage. Un même mouvement ne comporte pas seulement l'association d'un grand nombre de muscles et d'os. 11 fait directement concourir au travail musculaire deux grandes fonctions de l'économie : Ja respiration et la cir- culation. Ceci est surtout évident toutes les fois qu'il y a effort. Alors, les voies aériennes se ferment et le cours du sang est momentanémeni troublé. Regardons un athlète qui se prépare à soulever de lourds haltères. On voit la contraction musculaire, partie de l'avant-bras, gagner le bras, puis l'épaule, s'étendre au cou, à la poitrine et à l'abdomen. Les côtes devenues momentanément immobiles offrent un point d'appui fixe à tous les muscles qui s'y attachent, et en particulier aux l'exercice et les grandes fonctions 3r grandes masses musculaires qui meuvent les bras, la colonne vertébrale et le bassin. La respiration est sus- pendue, la face se congestionne, les veines du front et du cou se gonflent et font saillie. Pendant ce temps, les muscles entrent énergiquement en jeu et les haltères sont soulevés. Aussitôt cet acte accompli, les petits muscles du larynx, clef de tout effort, se détendent ; l'air contenu sous pression dans la poitrine s'échappe, en produisant une sorte de soupir bruyant; le thorax s'affaisse; les points d'appui perdent leur fixité et l'effort cesse. Ainsi, l'acte de soulever des haltères n'est possible que si un grand volume d'air estretenu dans les poumons sur lesquels s'immobilisent les côtes, seul point d'appui fixe que puissent trouver les membres supérieurs. Dans le même temps, les gros vaisseaux (veines et artères) contenus dans la poitrine et dans l'abdomen subissent aussi l'influence de l'effort ; le calibre de l'aorte est momentanément diminué ou peut-être effacé, et les battements du cœur ont même pu être suspendus pendant un très court instant. L'effort associe les grandes fonc- tions de l'organisme aux actes musculaires les plus loca- lisés. On ne peut fixer un os des membres sans que tous les os composant le tronc soient préalablement immobilisés. On ne peut exécuter un acte musculaire énergique sans que les fonctions respiratoire et circula- toire n'en éprouvent le contre-coup. Retenons donc comme première conclusion, que les exercices physiques ont, entre autres résultats, celui de mettre en évidence et en action les liens qui unissent entre elles les grandes fonctions organiques. Recherchons maintenant les modifications apportées dans l'économie à la nutrition générale par la pratique des exercices physiques. On constate, dans les gymnases, que les tempéraments les plus divers et les constitutions jes plus opposées ont une tendance à être ramenés à un 32 LES GRANDES FONCTIONS même type. L'homme replet maigrit ; l'homme grêle engraisse ; le congestif perd peu à peu le teint violacé qui annonce la pléthore des vaisseaux et la gêne de la circu- lation sanguine ; le sujet pâle gagne, au contraire, des couleurs plus vives. Les exercices tendent à imprimer à ceux qui s' y adonnent un cachet identique parce qu'ils produisent sur l'organisme deux efîets inverses, mais concourant au même résultat. D'une part, ils augmentent le mouvement d'assimilation par lequel le corps acquiert des tissus nouveaux ; d'autre part, ils accélèrent le mou- vement de dés as similation^ qui a pour résultat de détruire certains matériaux. Le premier résultat de l'activité physique est, nous le verrons plus loin, d'activer considérablement la respi- ration. L'oxygène qui entre par les poumons remplace celui qui est employé aux combustions internes, de telle manière que le résultat final d'un exercice bien réglé ne se solde point par un déficit mais par un excédent d'oxy- gène que le sang est chargé de fixer. Au début de tout exercice violent, le sang est d'abord surchargé d'acide carbonique, mais par la suite, il se trouve saturé d'oxygène. En effet, un homme qui vient d'exécuter un travail musculaire assez important pour in- fluencer la respiration présente d'abord de l'essoufflement dû à la production en excès d'acide carbonique. Ce gaz, né de la combustion des matières de réserve particulière- ment active pendant l'exercice, excite, par l'intermé- diaire du sang, dans lequel il est dissous, le centre nerveux respiratoire, au niveau du bulbe rachidien. Celui-ci réagit à cette excitation eu accélérant les con- tractions des muscles inspirateurs et en provoquant l'essoufflement. Plus tard, après des semaines d'entraî- nement ou d'exercice, ce même sujet présentera au contraire un ralentissement remarquable des mouvements respiratoires. C'est qu'alors l'oxygène absorbé sera en quantité suffisante pour les besoins de féconomie, et que la commande du bulbe rachidien, qui ne provoque l'es- soufflement que par besoin d'oxygène, n'aura plus de raison d'être aussi impérieuse. l'exercice et les grandes fonctions 33 Un homme qui prend de l'exercice fait donc provision d'oxygène. Ce gaz s'emmagasine au sein des éléments anatomiques, il pénètre dans l'intimité même des tissus vivants. Il s'attache surtout aux globules du sang dont il rend la couleur plus rutilante. Que se passe-t-il dans un organisme irrigué par un sang très oxygéné ? Il y a longtemps que les physiolo- gistes nous ont informés sur ce point. Les expériences célèbres de Cl. Bernard et de Brown-Sequard répétées depuis, avec des résultats toujours concordants, ont démontré que le sang oxygéné, artificiellement injecté dans divers organes, activait les sécrétions des glandes, faisait reparaître la contractilité des libres musculaires fatiguées et ramenait même la vie dans les cellules céré- brales d'un animal décapité. Sous l'influence d'un sang oxygéné, toutes les glandes, notamment celles des organes de la digestion, sécrètent donc plus activement, et les sucs nécessaires à l'élabo- ration des aliments sont produits en abondance. La tunique musculaire de l'intestin accomplit avec plus d'énergie ses mouvements péristaltiques si nécessaires pour régler le cours du contenu intestinal et s'opposer aux inconvénients de la constipation. Les villosités absorbantes qui tapissent la muqueuse de l'intestin attirent à elles, par un mouvement d'endosmose plus puissant, les particules nutritives élaborées dans le tube digestif. Le foie sécrète d'une manière plus copieuse et remplit mieux son rôle antitoxique et digestif. Le pan- créas met en liberté des ferments plus actifs : ainsi l'acquisition d'une provision supplémentaire d'oxygène entraîne une plus grande perfection du mouvement général d'assimilation et provoque, par conséquent, l'ac- croissement du volume du corps. L'exercice produit donc des effets salutaires chez des sujets qui assùnilent trop peu, chez les personnes maigres et pâles dont aucun organe ne présente de lésion en état d'évolution. Il les fait augmenter de poids. Comment expliquer que l'exercice soit également favo- rable aux sujets qui ne désassimilent pas assez, aux 34 LES GRANDES FONCTIONS tempéraments pléthoriques, aux personnes grasses et obèses et qu'il les fasse diminuer de poids? Chez ces dernières, certains matériaux qui sont les tissus de réserve — la graisse notamment — s'accumulent au milieu des autres tissus vivants ; ils surchargent les organes et en gênent le fonctionnement. Il est nécessaire, pour l'équilibre parfait de la santé, que les matériaux de réserve soient utilisés et usés au fur et à mesure de leur formation. Certaines maladies n'ont pas d'autre cause que l'accumulation en excès des tissus de réserve. 'C'est le défaut de désassimilation delà graisse qui, dans beaucoup de cas, — pas dans tous — car les organes â sécrétion interne jouent aussi un grand rôle dans la nutrition — produit l'obésité. C'est l'insuffisance de combustion des tissus azotés qui contribue à produire la goutte. La vie, au sens phj'siologique de ce mot, se réduit à des combustions incessantes et à des combinaisons chi- miques pour lesquelles, la présence de l'oxygène est indispensable. Cette chimie de la matière vivante a lieu non point dans les seuls poumons, comme le croyait Lavoisier, mais dans l'intimité des tissus et de tous les organes où l'oxygène est apporté par le sang. La source de presque tout le travail musculaire mis en œuvre par l'exercice est la combustion des matières hydrocarbonées telles que les graisses et les sucres, et aussi, mais pour une faible part, des substances azotées contenues dans les muscles. L'ox3'-gène introduit dans l'organisme par la respiration préside à toutes les com- binaisons chimiques, notamment aux oxydations que nécessitent les diverses manifestations de la vie. L'acide carbonique est l'aboutissant de i'ox3'dation complète des tissus hj^drocarbonés (sucres et graisses). L'urée est le dernier terme des oxj-dations des substances azotées (albumine, chair musculaire, etc.) Tout exercice physique accélère les combustions par l'introduction dans l'économie d'une plus grande quantité d'oxygène. Ces combustions font peu à peu disparaître les tissus qui les alimentent, c'est-à-dire les graisses, les l'exercice et les grandes fonctions 35 su'jres et quelque peu du tissu musculaire lui-même. Elles les transforment et les dénaturent comme fait là flamme d'un foyer du charbon et du bois qu'elle con- sume. Le bois et le charbon, en brûlant, donnent naissance à des produits de décomposition, à des cendres, à des goudrons qu'on peut retrouver dans le foyer éteint ou dans la suie de la cheminée. De même l'organisme, att cours de l'exercice, élimine par les reins, par la peau, par l'intestin, par les poumons, des produits de désassi- milation qui sont les résidus d 2 la combustion des tissus de réserve. Ainsi, l'exercice apparaît comme le véritable régula- teur de la nutrition. Il agit de deux manières : par l'ac- croissement des acquisitions et par l'accroissement de» dépenses. Un exercice physique bien compris, est celui qui, chez un sujet^.. bien portant, équilibre ces deux résultats opposés ; c'est aussi celui qui provoque soit l'augmentation,^ soit la diminution du poids du corps, selon le but qu'on se propose d'atteindre. Car le travail peut aboutir suivant les modes de son application à des résultats diamétralement opposés. C'est ainsi que le même exercice exécuté avec des vitesses différentes peut faire augmenter ou diminuer le poids d'un athlète. Effec- tuez chaque jour , pendant un mois, une marche de i a kilo- mètres , vous aurez beaucoup de chances de voir augmenter votre poids. Parcourez quotidiennement cette même dis- tance à un train de course : au bout d'un mois, vous aurez; maigri. La vitesse de l'allure aura changé complètement les résultats du travail musculaire. Étudions maintenant les effets produits par l'exer- cice sur certains organes considérés isolément et com- mençons par les poumons. Le travail musculaire modifie toujours lé rythme et l'ampleur des mouvements respi- toires en deliors de toute participation directe des muscles thoraciques ou du diaphragme au travail produit. C'est 56 LES GRANDES FONCTIONS par effet réflexe qu'est indirectement ressentie l'action de l'exercice sur les poumons. L'acide carbonique libéré par les combustions pro- fondes, suractivées pendant le travail musculaire, excite électivement le centre respiratoire du bulbe. Plus l'exer- cice est vif, plus il y a d'acide carbonique dans le sang et plus les mouvements de la respiration se précipitent. L'essoufflement ainsi produit a pour premier effet d'éli- miner activement par les poumons l'acide carbonique formé et pour second effet d'assurer un ravitaillement plus abondant de l'organisme en oxygène. L'excitation produite par l'acide carbonique du sang sur le bulbe rachidien n'est pas consciente, mais elle se traduit par un besoin impérieux, le besoin de respirer, et par la mise en mouvement réflexe de tous les muscles respiratoires. Les contractions de ces derniers sont auto- matiques. Toutefois, la volonté peut, dans une certaine- mesure, intervenir pour en modifier le rythme. En principe, l'accélération de la respiration se proportionne à la violence de l'excitation reçue par le bulbe, par con- séquent à la quantité d'acide carbonique libéré et à l'in- tensité de l'exercice. Que celui-ci soit modéré, les mou- vements du thorax deviennent plus amples et plus fré- quents ; ils introduisent plus d'air dans les poumons et en éliminent plus d'acide carbonique. Mais que l'exer- cice soit très violent, que le besoin de respirer s'exagère, que les mouvements respiratoires se précipitent au delà d'une certaine limite, l'acide carbonique n'a plus le temps de traverser les alvéoles pulmonaires, l'oxygène n'a plus le temps d'être fixé par les globules rouges, le mouvement d'expiration rejette de la poitrine un air presque semblable à celui qui y est entré et la syncope respiratoire peut survenir. Les athlètes arrivent, par l'habitude et par l'éducation, à exercer volontairement une certaine domination sur l'acte réflexe de la respiration. Ils refrènent la commande nerveuse qui pousse les muscles respiratoires à accélérer outre mesure leurs contractions. C'est là le secret de la résistance à l'essoufflement qu'acquièrent notamment l'exercice et les grandes fonctions 37 les coureurs bien entraînés. Ils règlent le jeu de leurs poumons et les empêchent de céder à cette sorte d'affole- ment sous l'empire duquel la poitrine haletante ne fait plus qu'ébaucher l'acte respiratoire. Mais, quelle que soit la puissance respiratoire d'un sujet, un exercice qui utilise immédiatement et sans ménagement toute la force des muscles du corps peut jeter dans le sang en quelques secondes plus d'acide carbonique que les poumons n'en peuvent éliminer, et provoquer avec une rapidité surprenante un essouffle- ment extrême. Au contraire, lorsque dans un exercice de durée, tel que la course de fond, on veut éviter de s'essouffler, il faut se ménager au départ, ne pas donner du premier coup tout l'effort dont on est capable, proportionne^- le travail musculaire au pouvoir éliminateur des poumons, adopter en un mot le train dont on ne peut sortir sous peine d'être obligé d'abandonner. Un exercice modéré a pour effet d'accroître la capacité pulmonaire. Les mensurations au spiromètre en font foi. Ce ne sont pas, comme on pourrait le croire, les exercices exécutes par les membres supérieurs, qui sont les plus aptes à produire ce résultat. Il est obtenu, soit en augmentant volontairement par les mouvements de la gymnastique respiratoire tous les diamètres du thorax, soit plus efficacement encore, en faisant fonctionner si- multanément un grand nombre de muscles. Les exercices qui s'accompagnent d'un travail musculaire considérable sont les plus propres à augmenter le volume du thorax, en provoquant un fonctionnement suractif des muscles respiratoires (inspirateurs et expirateurs). Nous savons que cette accumulation de travail se rencontre surtout dans les exercices de force et de vitesse. Ceux-ci seront donc les exercices de choix chaque fois qu'on voudra déve- lopper la poitrine. Peu importe le procédé par lequel la force musculaire sera dépensée, pourvu qu'il s'en dépense beaucoup en peu de temps. Comme les exercices qui se pratiquent avec les jambes représentent une plus grande somme de travail que ceux qui se pratiquent avec les '38 LES GRANDES FONCTIONS bras, on donnera la préférence aux premiers. En fait, aucun exercice ne développe aussi rapidement la poitrine que la course, si ce n'est la lutte. La gymnastique res- piratoire en chambre peut également amener une certaine ampliation thoracique, mais elle est incomparablement moins efficace que les deux moyens précédents. On a demandé longtemps aux engins de suspension ou de soutien le développement de la poitrine. Mais le trapèze, les anneaux, les barres parallèles activent moins la res- piration que la course. Ils font grossir les muscles, mais n'augmentent que faiblement les diamètres antéropos- térieur et transversal de la poitrine. Les jambes, trois fois plus musclées que les bras, fournissent un travail triple de ceux-ci. Elles sont donc plus capables que les bras d'éveiller le besoin de respirer qui est proportionnel à la quantité de force dépensée et d'acide carbonique libéré. Le docteur F. Lagrange écri- vait : « Quand un jeune sujet a la poitrine étroite et les côtes rentrées, recommandez l'exercice de la course si c'est un garçon, ou le saut à la corde si c'est une fille. » * * Passons à l'influence de l'exercice sur le cœur et sur la circulation. L'accélération du cours du sang pendant l' exercice est un fait constant. Si l'on adapte à l'artère nourricière du muscle masseter d'un cheval un appareil compteur du débit et de la vitesse du sang, on observe une accélé- ration manifeste du courant et un accroissement du débit lorsque l'animal provoque des contractions de ce muscle, pour mâcher l'avoine par exemple. Le sang afflue vers l'organe en travail ; il y circule en plus grande abondance. Mais la région vasculaire qui fournit le sang au mas- seter n'est pas seule le siège des modifications constatées. Bientôt, de proche en proche, l'accélération du cours du sang se manifeste dans les gros vaisseaux du cou, dans l'exercice et les grandes fonctions 39 le cœur, puis dans tout Tarbre circulatoire. De sorte que les mouvemeuts cependant limités de la mastication provoquent, en fin de compte, une accélération du pouls. Supposons, qu'au lieu d'un simple muscle, ce soit un groupe musculaire qui se contracte et travaille, nous com- prendrons sans peine que le retentissement exercé sur le cours du sang par un travail intense soit encore plus effectif et se traduise par des effets plus apparents. Une sorte d'aspiration du sang a lieu vers les muscles qui se contractent. Pendant les périodes d'activité, ils attirent à eux une plus grande quantité de liquide nour- ricier qu'à l'état de repos. Il s'agit bien d'une véritable aspiration, car le manomètre, mis en communication avec l'artère d'un muscle en travail accuse, ainsi que l'a démontré Chauveau, une diminution de la tension san- guine. En outre, les muscles gonflés par la contraction exercent une pression sur les veines et les vaisseaux capil- laires et tendent à en expulser le contenu. C'est là un autre facteur, en vérité accessoire, de l'accélération du courant sanguin pendant le travail. Les exercices physiques ont ainsi pour effet d'activer la circulation dans tous les organes et tous les tissus du corps. Mais nous savons que la nutrition d'un organe est en proportion de la quantité de sang et d'oxygène qui s'y porte. L'utilité des exercices et du mouvement trouve donc une nouvelle confirmation dans les faits qui pré- cèdent. L'impulsion plus active donnée au cours du sang par les muscles en travail se fait sentir jusqu'au cœur, de même que la pression exercée sur un tube en caoutchouc plein d'eau se transmet jusqu'au réservoir avec lequel ce tube communique. Le cœur réagit toujours à l'action de l'exercice. Celui-ci est-il modéré, il augmente la force de l'organe dont la substance contractile s'accroît à la longue. L'exercice est-il violent, les battements du cœur commandés par un appareil nerveux complexe, sensible, lui aussi, à l'excitation de l'acide carbonique, se pré- -cipitent. Tant que le travail est modéré, le cœur donne 40 LES GRANDES FONCTIONS au sang une impulsion plus énergique qi^'à l'état de repos. Mais si l'exercice se prolonge et dépasse les forces du sujet, s'il est poussé jusqu'au surmenage, la tension artérielle baisse rapidement. Elle peut même s'effondrer tout à coup et cet affaissement coïncide géné- ralement avec une syncope. La fréquence des battements est accrue par l'exercice ; elle est doublée et même tri- plée dans certains cas ; la répétition des systoles car- diaques accroît considérablement la tâche de l'organe dont les temps de repos sont réduits de moitié ou des deux tiers. (Voir le travail du cœur au chapitre de la Circulation.) Lorsque le travail est violent, le sang surchargé d'acide carbonique agit sur le muscle cardiaque de la même manière que sur les autres muscles, en diminuant sa contractilité. On sait que si on injecte de l'acide carbo- nique dans un muscle, on le paralyse. Si le sang qui. baigne les cavités du cœur ou circule dans ses parois arrive à renfermer une quantité excessive d'acide carbo- nique, l'inertie du myocarde peut survenir. Elle s'ajoute à l'essoufflement intense qui, nous le savons maintenant, reconnaît la même cause. C'est ainsi que se prépare la syncope soit par arrêt du cœur, soit par arrêt de la res- piration, soit par la suspension simultanée des deux fonc- tions. L'exercice ne doit jamais provoquer le surmenage cardiaque, mais seulement une accélération moyenne du pouls sans sensation d'angoisse. Quand le pouls atteint 140 pulsations, au cours d'un exercice un peu prolongé, il faut le suspendre. En se maintenant dans les limites de 80 à 140 pulsations par minute, on provoque une accélération qui témoigne d'une congestion active des organes et qui correspond à la phase réellement utile des exercices physiques. Abordons maintenant les effets produits par l'exercice sur les muscles et sur l'attitude générale du corps. On sait que, sous l'influence du travail, le tissu musculaire aug- L EXERCICE ET LES GRANDES FONCTIONS 41 mente de volume et, en même temps, change de struc- ture. Il perd la graisse qui infiltre ses fibres, tandis que ses éléments propres, dont la densité est plus grande que celle des autres tissus, donnent à toute la région qui tra- vaille une fermeté -caractéristique. La graisse sous-cuta- née est brûlée au cours des oxydations que l'exercice suractive, en même temps que celle qui infiltrait le musclelui-même. La peau et letissu cellulaire s'appliquent alors directement sur les masses musculaires dont les formes et les- saillies apparaissent en relief . Les muscles utilisent d'abord pour leur combustion les matériaux placés à leur portée. C'est pour cette rai- son que les graisses qui les entourent disparaissent les premières. L'accroissement de leur volume s'explique, d'autre part, aisément. La contraction y attire une plus grande quantité de sang. Cet afflux est cause d'une nutrition plus intense par suite de l'abondance des matériaux qui baignent la fibre musculaire et mettent à sa portée plus d'éléments nutritifs. Ainsi l'exercice, outre qu'il produit sur la nutrition générale les effets utiles que nous connaissons, commence par modifier localement la structure de la région qui est plus particulièrement exercée. De là l'importance, au point de vue esthétique, de faire travailler également toutes les parties du corps, si l'on veut éviter de pro- duire dans l'aspect extérieur des inégalités choquantes. La fibre musculaire acquiert par l'exercice une aug- mentation de sa propriété contractile et répond plus vigoureusement aux ordres de la volonté, aussi bien qu'aux excitations du courant électrique. A volume égal, un muscle habitué à se contracter est plus fort qu'un muscle demeuré longtemps inactif. L'augmentation de la force générale est l'un des changements matériels les plus tangibles survenus dans le corps humain à la suite d'un travail assidu. Enfin, l'exercice, en éduquant les muscles, produit une économie de force dans tous les mouvements. Toute contraction musculaire, chez un homme bien exercé, a 42 LES GRANDES FONCTIONS "UH effet utile. Chez l'homme inhabile, beaucoup de muscles sont paralysés par l'intervention maladroite des muscles antagonistes. Un tel sujet tâtonne souvent pour effectuer le geste voulu. L'exercice perfectionne le mou- vement en en confiant l'exécution aux groupes muscu- laires les plus aptes à l'exécuter. L'exercice physique perfectionne aussi l'attitude géné- rale du corps. De tout temps, les médecins l'ont utilisé, au point de vue orthopédique, pour redresser les dévia- tions de la taille. La plupart des cures de la gymnas- tique « suédoise » furent dues à une méthode qui con- sistait à suspendre le malade par les poignets où à le soutenir sous les bras, le corps restant passivement abandonné à la pesanteur qui ramenait peu à peu à la direction rectiligne la colonne vertébrale déviée. Il faut prendre garde que les exercices ne provoquent aucune déformation du corps. Ceux qui déterminent le fonctionnement prédominant des muscles d'un seul côté, l'escrime, par exemple, engendrent fréquemment des scolioses, car les vertèbres sont peu à peu attirées du côté où les muscles ont acquis un développement pré- pondérant. Si les muscles fléchisseurs du tronc agissent plus que les extenseurs, ils tendent à se raccourcir, et la colonne vertébrale s'infléchit en avant, provoquant une "voussure disgracieuse du dos. Les déformations de la colonne vertébrale sont l'écueil de la gymnastique. Au- tant les exercices du corps sont utiles pour redresser les déviations de la taille quand ils sont utilisés avec discer- nement, autant ils sont capables de les créer quand on les applique sans méthode. Les exercices qui exigent l'action parfaitement har- monique des muscles extenseurs et fléchisseurs des ver- tèbres donnent toujours à la taille une rectitude parfaite. Ceux qui demandent de l'équilibre et tendent sans cesse à mettre la colonne vertébrale dans une position de rec- titude donnent au plus haut point la grâce de la tournure. Les danseurs de corde, les jongleurs équilibristes, les hommes caoutchouc ont généralement une taille har- monieuse. l'exercice et les grandes fonctions 43 Il n'est pas de meilleur exercice orthopédique pour rectifier l'attitude vicieuse d'un enfant, que le port en équilibre, sur la tête, de fardeaux légers, lorsque, bien entendu, la déviation est imputable à une inégalité ou à une insuffisance de développement des muscles dorsaux. * J'arrive enfin à l'influence de l'exercice sur le système nerveux. Cerveau, moelle épinière et nerfs participent aux changements du corps humain quand celui-ci est transformé par l'exercice. Les modifications des cellules motrices de l'écorce cérébrale, sous l'influence du travail musculaire sont certaines quoique encore mal connues. Il est aujourd'hui démontré que certaines fonctions du cerveau qui président au mouvement volontaire se déve- loppent par l'exercice musculaire, comme certaines autres parties de cet organe, chargées d'exécuter les opérations de l'esprit, se développent par le travail intellectuel. Inver- sement, chez les sujets privés depuis longtemps du membre supérieur, par exemple, à la suite de la désar- ticulation de l'épaule, on constate une atrophie localisée aux parties du cerveau qui répondent au centre moteur du membre supérieur. Ainsi, la suppression du bras est suivie de l'atrophie de la région cétébrale d'où partent d'habitude les ordres qui parviennent à ce membre. La fameuse loi toujours vérifiée : la fonction fait l'or- gane est aussi vraie pour les éléments nerveux que pour les autres tissus de l'économie. Les modifications maté- rielles subies par le cerveau, sous l'influence des exer- cices physiques, s'étendent à la moelle épinière et aux nerfs. La moelle épinière garde la mémoire des mouvements souvent répétés. Chez un animal privé de cerveau, des actes musculaires compliqués, tels que la marche, dans lesquel-s la conscience n'intervient pas d'ordinaire, s'exécutent automatiquement. La mémoire de la moelle épinière permet seule l'exécution de certains mouvements demandant une coordination rapide. L'automatisme ner- 44 LES GRANDES FONCTIONS veux s'acquiert par l'exercice quotidien. Que de parades, en escrime, par exemple, sont automatiques et se font avec une vitesse telle que le cerveau n'aurait pas le temps d'en coordonner à temps tous les mouvements. L'exé- cution répétée d'un exercice paraît donc imprimer dans les tissus nerveux des modifications persistantes. Le nerf moteur est l'organe qui conduit aux muscles les ordres de la volonté. Les excitations qu'il reçoit s'amplifient en suivant ses fibres à la manière d'une avalanche, ainsi que l'a établi le physiologiste Pfliiger. Le nerf est un appareil de renforcement en même temps qu'un organe conducteur. La vitesse de l'influx nerveux est constante pour un nerf donné, le professeur Lapicque l'a démontré ; mais son pouvoir amplifiant augmente par l'exercice, de sorte qu'une commande modérée fréquem- ment répétée fait, à la longue, contracter le muscle cor- respondant avec une énergie plus grande. Le dynamo- mètre en témoigne chaque fois qu'un homme à l'entraî- nement est l'objet d'un examen physiologique attentif. Un exercice physique modéré favorise le travail du cerveau par la congestion active qu'il provoque à son niveau comme dans les autres organes. Les péripatéti- ciens discutaient en marchant et semblaient trouver plus facilement leurs arguments quand le corps était échauffé par la promenade. Un exercice violent peut porter à un très haut degré l'excitation du cerveau qui se traduit dans ce cas par des actes analogues à ceux de l'ivresse et même de la folie. C'est ainsi que les danses prolongées des sauvages et les contorsions des derviches tourneurs amènent, sans le secours d'aucun excitant, une surexcitation violente. Chez tout le monde, l'exercice produit, au début, une excita- tion légère, une sorte d'entrain et d'euphorie qui tra- duisent la suractivité fonctionnelle de toute l'économie. Certains exercices, tels que le jeu de l'épée, du bâton, de la boxe, qui exigent, quand ils sont noblement prati- qués, un travail énorme de coordination latente, entraînent une dépense nerveuse extraordinaire. Les bons tireurs cherchent avant tout « V à-propos » du coup; l'exercice et les grandes fonctions 45 ils ne font pas de mouvements violents ; leur jeu est sobre ; ils observent plus qu'ils n'agissent. Et pourtant, la fatigue qu'ils ressentent par suite de leur immobilité attentive est énorme ; elle semble hors de proportion avec le travail musculaire ejEïectué. C'est qu'en escrime, la dépense est surtout nerveuse, car cet exercice consiste moins dans l'exécution des actes musculaires que dans leur préparation. En résumé, la pratique des exercices, d'une manière générale, perfectionne la faculté de coordination que possèdent les centres nerveux. Il en résulte une économie dans la dépense de force et une meilleure réglementation du travail des muscles auxquels il n'est demandé que la part exacte qui doit revenir à chacun d'eux dans l'exer- cice. Les contractions inutiles sont supprimées. Ceci s'applique au mouvement musculaire. Dans l'ordre des phénomènes psychiques, la volonté, faculté qui ordonne aux muscles d'agir et leur fournit l'excita- tion indispensable à leur entrée en jeu, se développe aussi et se perfectionne par l'exercice. Un homme qui, chaque jour, sans tenir compte de la fatigue, soutient des efforts musculaires énergiques, acquiert une aptitude plus grande à vouloir et ses dispositions morales s'en ressentent généralement en bien. CHAPITRE m RESPIRATION ET ESSOUFFLEMENT L'oxygène, comburant nécessaire à toutes les réactions chimiques qui traduisent l'activité des tissus vivants, pénètre dans l'organisme humain par les poumons. Nous le captons dans Tatmosphère, mélange de corps nom- breux dont la liste va s'allongeant tous les jours, et réserve inépuisable d'oxygène. Notre vie dépend à tout instant d'un double conflit : l'un se passe dans les pou- • raons, entre l'air et le sang, l'autre dans l'intimité des organes, entre le sang chargé d'oxygène et les tissus qu'il baigne. Me plaçant au point de vue de la culture physique, je n'envisagerai, du phénomène delà respiration, que ce que l'homme de sport et l'athlète en désirent connaître. Je m'astreindrai donc délibérément à n'étudier avec détails que certains actes de la fonction respiratoire. Qu'on n'attende pas que je fasse ici une nouvelle com- pilation abrégée de la physiologie des poumons. Cette étude est partout et sans doute mieux faite que je ne l'aurais su faire moi-même, après tant d'autres qui s'y sont essayés. Vous êtes peut-être de ceux qui se servent de leurs jambes pour la promenade et de voitures quand ils sont pressés. Vous vous essoufflez s'il vous faut courir quelques centaines de mètres, et vous ne vous êtes point demandé comment il se pouvait faire que votre respira- tion devînt haletante, alors que vos jambes paraissaient seules travailler. Cet essoufflement n'est sans doute qu'un malaise pas- sager que certains exercices ou certains mouvements RESPIRATION ET ESSOUFFLEMENT 47 ont le privilège de provoquer, plus que d'autres. Tandis que des actes musculaires limites, comme le grimper, ou l'exercice des haltères, fatiguent les muscles qui tra- vaillent, bien avant de provoquer l'essoufflement, au contraire, des actes musculaires généraux, comme la course à pied, essoufflent bien avant que la moindre fatigue n'apparaisse dans les muscles. L'essoufflement survient chaque fois qu'une grande dépense d' énergie a lieu en un tenips donné. Les raisons de ce phénomène physiologique sont les suivantes : parmi tous les tissus, celui qui est le plus avide d'oxygène et qui occupe la plus grande place au milieu des autres est le tissu musculaire. Si nous mettons à la fois en mouve- ment de nombreux muscles par un exercice tel que la course qui mobilise la presque totalité delà musculature, nous verrons s'élever considérablement la consommation d'oxygène. Il en découlera la nécessité de multiplier les mouvements respiratoires pour fournir à cette consom- mation. Lavoisier avait déjà observé que, chez un homme qui absorbe par heure 24 litres d'ox3^gène à l'état de repos, cette consommation s'élevait à 63 litres et demi pendant un travail de quinze minutes seulement. Le besoin d'oxy- gène se trouve décuplé par le travail musculaire. Ce n'est pas tout; en se contractant, le muscle libère une quantité d'acide carbonique d'autant plus grande qu'il travaille davantage. Ce fait est général chez tous les animaux, même chez les insectes. Une ruche d'abeilles renferme vingt-sept fois plus d'acide carbo- nique quand l'essaim travaille que lorsqu'il se repose. Chez l'homme, ce gaz se forme dans l'organisme même. C'est un des résidus de la combustion du muscle et aussi des matières grasses pendant le travail. Sa pré- sence en plus grande abondance dans le sang produit une vive excitation du centre nerveux respiratoire, situé, comme nous le savons, dans le bulbe racliidien. Par action réflexe, les muscles inspirateurs sont auto- matiquement mis enjeu d'une manière plus rapide. La respiration est ainsi suractivée sous une double 48 LES GRANDES FONCTIONS influence: i° un plus grand besoin d'oxygène; 2° la présence dans le sang d'une quantité anormale d'acide carbonique. « Pour que l'essoufflement se produise, a écrit Lagrange, il faut que beaucoup de travail soit fait eu peu de temps, que l'exercice soit pris à dose massive, parce qu'il faut que l'augmentation de l'acide carbonique soit assez rapide pour amener l'accumulation excessive de ce gaz et la saturation du sang. » Inversement, chaque fois que la proportion d'acide carbonique contenu dans le sang est plus faible qu'à l'état normal, le besoin de respirer diminue. C'est le cas pendant le sommeil naturel. Si l'acide carbonique tend à s'accumuler à haute dose, le besoin de respirer prend les caractères de la dyspnée intense et provoque des mouvements respiratoires d'une énergie et d'une fré- quence de plus en plus grandes. Iv'essoufflement apparaîtra avec une extrême rapidité chez les sujets obèses. Ils libèrent, en effet, des quantités très élevées d'acide carbonique au moindre mouvement un peu vif, qui provoque la combustion de leurs réserves graisseuses, source importante de production de .l'acide carbonique. De plus, chez eux le cœur est surchargé de graisse et assure avec une énergie insuffisante la propul- sion du sang dans le réseau des capillaires pulmonaires. Conséquemment, l'acide carbonique dissous dans le sang n'est pas échangé contre l'oxygène de l'air avec l'activité nécessaire, au niveau des poumons. Les signes d'intoxi- cation se montrent donc, dans ce cas, avec une extrême promptitude. L'action toxique de l'acide carbonique est aujourd'hui bien connue. Lorsqu'on en injecte dans les veines d'un chien, la respiration de l'animal s'accélère d'abord, devient oppressée, anxieuse; le chien manifeste une gêne respiratoire de plus en plus accusée. Si on poursuit l'injection, la mort survient lorsque le sang renferme de io5 à 120 volumes d'acide carbonique pour 100, au lieu de 3o volumes que contient environ, à l'état nor- mal, le sang artériel. Le cœur de l'animal en expérience REvSPIRATION ET ESSOUFFLEMENT 49 va se ralentissant d'une façon graduelle, et continue à battre encore après que la respiration a cessé. Assez longtemps avant la mort, l'animal ne réagit plus ; il se trouve dans un état d'anesthésie très prononcé. L'acide carbonique n'est nullement un poison convulsivani, mais un anesthésiqne. Comme tel, il diminue l'excitabilité de tout le système nerveux. Ceci nous explique la prostration extrême et l'insen- sibilité relative des coureurs qui ont fourni un grand effort et arrivent au but profondément épuisés. Ils sont sous l'influence d'une intoxication générale rapide dans laquelle l'acide carbonique joue le principal rôle. * * Selon son intensité, l'essoufflement peut apparaître sous trois aspects. Sous le premier, le nombre et l'amplitude des mou- vements respiratoires sont accrus, la production d'acide carbonique est augmentée, mais il y a équilibre entre l'élimination plus active de ce gaz et le fonctionnement des poumons. Le sujet ne ressent pas de malaise ; il éprouve seulement une sensation générale de chaleur, quelques battements artériels aux tempes et aux extré- mités et présente un teint rose, un aspect général d'épa- nouissement dû à l'activité plus grande des fonctions. « C'est là, a écrit Lagrange, la dose réellement salu- taire de l'exercice, la limite dans laquelle il faut se tenir pour que le travail ne puisse avoir aucun inconvénient. Mais rien n'est plus variable chez les différents individus que la durée de cette période inoffensive qui est, en quelque sorte, la préface de l'essoufflement. Pour les uns, elle se prolonge pendant une heure » (c'est le cas des sujets entraînés par l'éducation ph3^sique) ; «chez d'autres, de courts instants suffisent pour arriver à la période où le malaise commence. » Dans cette période dont parle Lagrange, l'équilibre est rompu entre la production de l'acide carbonique qui devient de plus en plus abondant, et le pouvoir 50 LES GRANDES FONCTIONS éliminateur des poumons qui diminue d'instant en instant. C'est alors qu'un malaise général survient. Une sensation de poids oppresse la poitrine ; il semble au sujet que l'air lui manque. Sa vue cesse d'être nette ; des brouillards l'obscurcissent ou des étincelles appa- raissent dans le champ visuel ; des bourdonnements d'oreilles surviennent ; les idées cessent d'être claires et les impressions deviennent confuses. Nous assistons au début d'une intoxication générale par l'acide carbonique et par les toxines mises en liberté dans les muscles qui travaillent. Le visage a cessé d'être rose, il est blafard et pâle, à l'exception des pommettes et des lèvres qui sont vio- lacées. En ces derniers endroits, les capillaires de la peau sont dilatés au maximum. Le sang, surchargé d'acide carbonique, y stagne. Il n'est plus vermeil, mais noirâtre, comme l'est le sang veineux. En d'autres endroits, les vaisseaux artériels de petit calibre sont, au contraire, en état de véritable contracture et la peau sus-jacente est blême et décolorée. Les zones violacées et décolorées voisinent et donnent à l'ensemble du visage un teint caractéristique. Si le travail musculaire continue, on voit survenir une période de graves accidents causés par une asphyxie générale des tissus. Le sentiment d'angoisse est extrême. Les sensations n'ont plus aucune netteté ; après une période très brève d'excitation assez semblable à celle de l'ivresse alcoolique, période pendant laquelle les muscles ne fonctionnent plus qu'automatiquement, des vertiges surviennent ; ils sont promptement suivis de l'évanouissement du sujet. L'insensibilité de ce der- nier est alors complète. Les mouvements respiratoires sont très courts,saccadéset entrecoupés d'arrêts. Parfois, on observe du hoquet qui traduit des contractions spas- modiques du diaphragme. Le cœur a depuis longtemps fléchi et le pouls est petit et irrégulier. C'est le tableau de l'asphj^xie par l'acide carbonique qui imprègne, les muscles. L'arrêt complet du tra- vail musculaire, en interrompant la surproduction de RESPIRATION ET EvSSOUFFLEMENT 5l l'acide carbonique et des toxines, la position horizon- tale, les mouvements de respiration artificielle combinés à la flagellation de la poitrine et des tempes avec un linge mouillé suffisent généralement à ramener la con- naissance, tandis que le cœur régularise spontanément ses battements. * La lutte contre l'essoufflement est assurée de deux manières différentes : 1° Par un ravitaillement plus abondant de l'orga- nisme en oxygène ; 2" Par l'expulsion d'une plus grande quantité d'acide carbonique. Ceci nous amène à étudier le mécanisme de la venti- lation pulmonaire. Le nombredes mouvements respiratoires (l'inspiration, l'expiration et la pause post-expiratoire constituant un mouvement complet de respiration), varie suivant les individus. On le fixe en moyenne à dix-huit par minute, chez l'adulti. Quételet, d''après une statistique portant sur trois cents individus, a donné les nombres suivants pour les différents âges : Respirations Age. par minute. 0 à I an 44 5 ans 26 i5 à 20 ans ., 20 20 à 25 ans 18,7 25 à 3o ans 16 3o à 5o ans 18,1 A chaque inspiration, l'air pur qui entre dans les poumons s'y mélange avec celui qui a déjà été modifié par les échanges respiratoires. Gréhant a calculé que les deux tiers seulement de l'air inspiré restent dans les poumons;' un tiers ressort tel quel, en même temps que l'air vicié par l'hématose. ■'^^^^, Dans la respiration ordinaire, c'est-à-dire conduite j6^ 53 LES GRANDES FONCTIONS sans effort, chaque inspiration fait pénétrer dans la poi- trine environ un demi-litre d'air. Le nombre des res- pirations par minute est de dix-huit. Nous introduisons donc par la respiration, dans nos poumons, 9 litres d'air en une minute, 540 litres en une heure, 12 à i3 mètres cubes en vingt-quatre heures. Pendant le même temps, il entre dans le sang, à chaque respiration, 20 à 25 centimètres cubes d'oxygène environ, 400 centimètres cubes en une minute, 24 litres en une heure, 570 litres en vingt-quatre heures. Cette quantité équivaut, en poids, à environ 800 grammes d'oxygène qui reparaît en partie combiné à du carbone et à de l'hydrogène, sous forme d'acide carbonique et de vapeur d'eau. On appelle, en physiologie, coefficient de ventilation pulmonaire, le rapport de la quantité d'air nouveau qui reste dans les poumons à la capacité vitale de ces organes. A la suite d'une inspiration et d'une expira- tion ordinaires qui mettent en mouvement 5 00 centi- mètres cubes d'air, la quantité d'air neuf conservée par les poumons représente les deux tiers, soit environ 33o centimètres cubes. Ce chiffre est le numérateur de la fraction par laquelle nous exprimerons le coefficient de ventilation pulmonaire. La capacité vitale moyenne de l'adulte est d'environ 3 litres; ce chiffre représentera le dénominateur. Le rapport est donc =0,1 10. C'est 3 000 le coefficient de ventilation. Il indique qu'a- chaque res- piration ordinaire, les poumons ne renouvellent qu'un onzième de l'air qu'ils contiennent. Ils ne le renouvellent donc entièrement qu'après onze mouvements respiratoires quand le sujet est à l'état de repos et que sa respiration est normale. C'est là unemoyenue qu'il est utile de connaître. Une inspiration profonde, faisant, par exemple, entrer d'un coup dans les poumons un litre d'air neuf, renou- velle l'air dans ces organes, à peu près comme deux inspirations superficielles de 5oo centimètres cubes. Mais deux inspirations superficielles de 25o centimètres RESPIRATION ET ESSOUFFLEMENT 53 cubes chacune le renouvellent moins bien qu'une seule expiration de 5oo centimètres cubes. Voici un tableau emprunté à Morat {Traité de phy- siologie, p. io6, t. IV) qui indique que les inspira- tions profondes assurent plus efficacement que les inspi- rations superficielles le renouvellement de l'air dans la poitrine. Ce tableau nous montre que le coefficient de venti- lation pulmonaire s'élève, ou, ce qui revient au même, que le renouvellement de l'air est plus actif dans les poumons, quand le volume de l'air introduit à chaque inspiration augmente. L'ampliation de la poitrine se fait inégalement dans les différentes régions de celle-ci. On a distingué trois types respiratoires différents : le type diaphragniatique qu'on observe chez le cheval et chez l'homme ; le type costo-inférieur toujours associé au précédent et prédomi- nant chez le chien ; et le type costo-supérieur qui est commun chez la femme et seul usité par elle lorsqu'elle se trouve en état de gestation. Normalement, à l'état de repos, l'inspiration a une durée trois fois moindre que l'expiration. On le constate aisément chaque fois qu'on inscrit les mouvements de la poitrine à l'aide d'un pneumographe. Cet instrument mis en contact avec les parois thoraciques subit, du fait de ce contact, une déformation proportionnelle à celle de 54 I.ES GRANDES FONCTIONS la poitrine. Conjugué avec un tambour auquel est adapté un levier inscripteur, il lui communique cette déforma- tion qui est, dès lors, inscrite automatiquement sur une surface animée d'un mouvement uniforme. Chez un homrùe qui court ou se livre à tout autre exercice essoufflant, les rapports normaux entre l'inspi- ration et l'expiration changent. L'inspiration devient plus prolongée et le temps consacré à l'expiration se rac- courcit. Si l'essoufflement grandit encore, la durée de l'inspiration finit par dépasser celle de l'expiration. Les rapports entre les deux temps principaux de l'acte res- piratoire sont inversés : c'est l'inspiration qui dure deux ou même trois fois plus que l'expiration. Tandis que la première est libre, facile, profonde et se fait aisément, la seconde, au contraire, est brève, insuffisante et donne au coureur l'impression d'un besoin non satisfait. L'athlète n'éprouve aucune difficulté à faire entrer l'air dans sa poitrine; c'est, au contraire, la sortie de l'air qui est pénible, incomplète. Le coureur Bouin connaissait bien ces faits. Dans une course de longue durée, il pratiquait toujours ce qu'il appelait : « L'égalité des deux temps. » Il s'astreignait à donner à l'inspiration la même durée qu'à l'expiration et il maintenait volontairement ce rythme. Je crois qu'il faut expliquer l'allongement de la période inspiratoire, au cours d'un grand essoufflement, par l'irritation très vive du centre respiratoire bulbaire, sous l'influence de l'acide carbonique surabondant dis- sous dans le sang. Dans l'état normal, le réflexe qui part du bulbe met exclusivement en jeu les muscles inspirateurs. Au cours d'un exercice violent provoquant l'essoufflement, l'intensité du phénomène nerveux esttel que les mouvements d'inspiration qu'il provoque prennent nettement la prédominance sur les mouvements d'expi- ration. Ces derniers sont d'ailleurs passifs et dus au jeu de l'élasticité pulmonaire. Les muscles expirateurs n'in- terviennent que dans les mouvements d'expiration forcée. Dans une respiration normal^^, ils n'entrent pasen action. Les poumons, violentés par les muscles inspirateurs, RESPIRATION ET ESSOUFFLEMENT 55 suivent d'abord les mouvements de la dilatation thora- cique. Ils reviennent ensuite spontanément sur eux- mêmes par le jeu de leur élasticité propre et entraînent à leur tour toute la cage thoracique dans leur mouve- ment de retrait. Plus l'exercice est violent, plus la production d'acide carbonique est abondante, plus l'excitation du bulbe est vive et plus la réaction inspiratoire que le bulbe pro- voque automatiquement est prolongée. Les causes et les phénomènes physiologiques s'enchaînent et se succèdent pour produire en fin de compte la prédominance du mouvement inspiratoire, acte vraiment actif, sur le mou- vement expiratoire qui demeure, normalement, une réac- tion passive. Celle-ci ne devient à son tour active que lorsque, volontairement, dans des circonstances tout à fait exceptionnelles, le sujet met en jeu ses muscles expirateurs. * L'air qui est appelé dans les poumons doit traverser, avant d'y pénétrer, plusieurs orifices relativement étroits dont les dimensions varient sous l'action de certains muscles. Ce sont :les orifices des narines dont les ailes se relèvent légèrement à chaque inspiration sous l'action de muscles spéciaux, les releveurs de l'aile du nez, com- mandés par le nerf facial ; le pharynx rétréci par le voile du palais et, latéralement, par la saillie des amygdales; -enfin, au niveau du larynx, la glott»,qu.e régit un double système de muscles et de nerfs à fonctions antagonistes : les uns l'élargissent et servent à la respiration ; les autres la resserrent et servent à la phonation. Il importe que ces défilés soient libres. Les végéta- tions nasales, les amygdalites, les inflammations chro- niques du larynx, en rétrécissant les voies respiratoires, entravent le libre et large accès -de l'air dans la poitrine et rendent impossible la pratique assidue de l'athlétisme. Un homme vigoureux peut respirer pendant quelques instants à travers une colonne de mercure, de 8, lo, et même i5 centimètres de hauteur, mais sa puissance 56 LES GRANDES FONCTIONS. inspiratoire s'épuise rapidement. Langlois et Richet ont démontré que l'interposition, entre la bouche et l'air extérieur d'une résistance de 2 centimètres de mercure, devenait, à la longue, insupportable. Le moindre obstacle placé sur les voies respiratoires devra donc être enlevé, chaque fois que ce sera possible, chez un sujet se des- tinant à la carrière sportive. Dans le reste de l'arbre respiratoire, la béance des voies est assurée par une charpente rigide, osseuse dans les narines et le pharynx, cartilagineuse dans la trachée et les bronches. Au sein même des poumons, organes essentiellement élastiques, la béance est assurée par les forces de l'aspiration thoracique. Livrés à eux-mêmes, ces organes expulseraient tout î'air qu'ils contiennent. Mais renfermés dans la cavité close du thorax, enve- loppés dans le sac pleural ou règne le vide, ils restent appliqués et étalés contre îa paroi thoracique qu'ils suivent exactement dans ses mouvements de va-et-vient. A chaque inspiration, «l'élasticité pulmonaire cède aux puissances musculaires qui agrandissent le thorax (Morat) ». A chaque expiration, c'est, au contraire, le thorax qui cède à la force élastique des poumons revenant sur eux-mêmes, mais cette force élastique n'est jamais complètement satisfaite. Il règne donc sans cesse dans V arbre respiratoire une béance des voies et des cavités. Elle est abolie quand cesse le vide pleural, par exemple après l'ouverture accidentelle du thorax, à la suite d'une blessure. L'élasticité pulmonaire joue, à l'égard du sang, le même rôle qu'à l'égard de l'air. Le même mécanisme qui maintient béantes les voies aériennes, ou modifie leur capa- cité, maintient également ouvertes les voies circulatoires et accroît le calibre des vaisseaux. Dans ces conditions, la résistance au cours du sang est diminuée et la circu- lation facilitée. On comprend que, dans ces conditions, la pression du sang soit moindre dans l'artère pulmonaire que dans l'aorte, par exemple, et que l'effort que doit fournir le cœur droit qui commande la circulation pul- monaire, soit moindre que celui du cœur gauche. Celui-ci RESPIRATION ET ESSOUFFLEMENT Sy est, on le sait, doté de parois plus épaisses que celui-là. Pendant l'inspiration, l'expansion du thorax, en entraînant celle des poumons, accroît la béance de toutes les voies — respiratoires et circulatoires, — appelle du même coup l'air dans les alvéoles et le sang dans les vaisseaux, et favorise ainsi au maximum leur conflit, nécessaire à l'entretien de la vie. Inversement, pendant l'expiration qu'accompagne le retrait des poumons, l'excès du sang appelé par l'inspiration est chassé des vaisseaux pulmonaires, en même temps qu'une partie de l'air vicié est expulsée. Tous ces actes sont subordonnés au système nerveux. C'est lui qui ordonne le soulèvement et l'abaissement rythmiques de la poitrine dix-huit fois par minute. Toutes les commandes nerveuses nécessaires à l'entre- tien de la respiration sont situées dans un tronçon très court de l'axe nerveux comprenant le bulbe rachidien et quelques centimètres de la portion de moelle épinière qui lui fait suite immédiatement. Ce segment de l'axe nerveux est relié au diaphragme, muscle inspirateur par excellence, par un nerf moteur (le phrénique), et aux. poumons par un nerf sensitif (le pneumogastrique). Chaque mouvement respiratoire est un acte réflexe : les excitations partent des poumons ; elles sont produites par le retrait de ces organes sur eux-mêmes, lorsqu'ils se trouvent en position d'expiration. Le pneumogas- trique recueille ces excitations, les conduit jusqu'au bulbe qui les réfléchit sur le diaphragme par le nerf phrénique ainsi que sur les autres muscles inspirateurs par d'autres nerfs émanés de la portion la plus élevée de la moelle. Alors survient l'expansion de la poitrine produite par la contraction du diaphragme et des muscles inspirateurs. Après quoi, les poumons, obéissant à leur élasticité propre, reviennent sur eux-mêmes pendant le temps de l'expiration. A peine sont-ils arrivés à u^ certain degré de reploiement qu'une nouvelle excitation repart pour le bulbe par la voie du pneumogastrique. .58 LES GRANDES FONCTIONS s'y réfléchit et revient par le nerf phrénique, sous forme d'influx moteur qui provoquera la contraction du dia- phragme et un nouveau mouvement d'inspiration. Ces mouvements se succèdent pendant toutela vie. ( Voir fig. i .) Ce mécanisme est celui de l'acte respiratoire schématique. Dans la réalité, de nombreuses excitations, émanées du cerveau, peuvent contribuer à précipiter ou à suspendre la respiration. Des impressions douloureuses, le chaud, le froid, des émotions de toute sorte modifient le rythme respiratoire. En un mot, toute sensation physique ou morale violente, quel que soit son siège, retentit sur les poumons. La joie, le chagrin, la crainte sont l'ori- gine de mouvements respira- toires réflexes qui s'appellent le rire, le sanglot, le soupir ou le cri. Les impressions morales elles- mêmes ajoutent leur influence à jcelle du travail pour produire l'essoufflement. La peur est dépressive. C'est elle qui explique que le cerf se laisse forcer par des chiens cependant moins rapides que lui. La frayeur diminue son aptitude respiratoire par des effets réflexes qui troublent le jeu régulier de ses poumons. Sous l'influence de la peur, il sort de ses allures ; les mouvements de sa poitrine sont troublés et se succèdent à intervalles inégaux. La production de l'acide carbonique est formidable et son élimination régu- lière est partiellement entravée ; l'animal s'essouffle, perd une grande partie de ses moyens et finit par être forcé. , Ce que je viens de dire du retentissemetit des influences morales sur la respiration chez un animal chassé s'ap- plique de tous points à l'homme. La maîtrise de soi, dans Fig. I. — Schéma du réflexe respiratoire. B. Bulbe rachidien. — P. Pneumogastrique. — N. Nerf phrénique. M. Poumon. — D. Diaphragme. RESPIRATION ET ESSOUFFLEMENT Sg les exercices du corps, assure aux personnes calmes une grande supériorité sur les sujets impressionnables. Au début de ce chapitre, j'ai dit que notre vie dépen- dait d'un double conflit : l'un qui se passait dans les poumons entre Tair et le sang, et que je viens d'étudier ; l'autre qui avait lieu dans l'intimité des organes entre le sang chargé d'oxygène et les tissus qu'il baigne. Ce second acte qui repiésente une véritable respiration des tissus a une importance capitale et mérite qu'on s'y arrête quelque temps. « Le sang est un transporteur d'oxygène ; il reçoit ce gaz dans le pouinon et le cède aux autres tissus : il est aussi un transporteur d'acide carbonique ; il reçoit ce second gaz des tissus et l'exhale dans le poumon. » (Morat, Traité de pliysiologie, t. IV, p. i55.) Cette phrase contient l'indication des deux conflits dont je viens de parler. Que font les tissus de l'oxygène que leur apporte le sang ? Tissot a démontré que si l'on place un muscle isolé, détaché du corps d'un animal, dans une atmosphère d'oxygène, il s'établit une véritable respiration sponta- née du muscle qui absorbe de l'oxygène et exhale de l'acide carbonique . Si le muscle ainsi détaché et placé dans une atmosphère d'oxygène est mis en état de tra- vail par l'excitation électrique, la quantité d'oxygène absorbé par le muscle et d'acide carbonique exhalé par lui est plus grande qu'à l'état de repos. Si le muscle est soumis électriquement à une longu;', série de contractions, au point de le fatiguer — ce dont on s'aperçoit quand sou raccourcissement diminued'étendue à chaque contraction, — on constate que le muscle ainsi fatigué .fixe une moindre quantité d'oxygène. Enfin, si l'on échauffe le muscle jusqu'aux environs de 41°, on voit qu'il perd la propriété d'absorber l'oxy- gène. 6o LES GRANDES FONCTIONS Ces expériences nous montrent, d'une part, que le muscle est le siège d'une véritable respiration ; d'autre part, que la fatigue et une certaine chaleur diminuent l'activité respiratoire — donc la vitalité — du muscle. Cet acte respiratoire ne se passe pas seulement dans le muscle, mais aussi dans toutes les cellules de l'orga- nisme. L'oxygène n'emploie qu'une route pour parvenir jusqu'à elles : celle du sang. L'acide carbonique en utilise plusieurs pour s'échapper : le sang veineux qui représente la plus importante et les liquides de sécré- tion ou d'excrétion issus des glandes (urines, sueur, lait, bile, salive) , qui ne sont que des voies d'évacuation acces- soires. La peau, chez l'homme et les mammifères, n'a, au point de vue respiratoire, qu'un rôle insignifiant. Lavoisier et Séguin ont tenté de déterminer son rôle. Ils envelop- paient et maintenaient pendant un certain temps des sujets dans un espace clos en ménageant une communi- cation entre leurs poumons et le dehors. Ils analysaient ensuite les gaz contenus dans cet espace clos. Plus tard, Regnault et Reiset reprirent ces recherches. Ils pla- cèrent des animaux (chien, lapin, poule) dans un sac imperméable contenant de l'air, dont l'analyse faisait connaître l'altération, au bout d'un temps donné. Schar- ling a renouvelé les observations de Lavoisier sur l'homme et est arrivé aux nombres suivants pendant vingt-quatre heures : QUANTITÉS d'acide CARBONIQUE EXHALÉ PAR LA PEAU ET PAR LES POUMONS Garçon de dix ans . . . Fille de onze ans. . . . Homme de seize ans . . Homme de vingt-huit ans Poids. kil. 22,0 23, G 57,7 82,0 co« Je la peau 4,34 2,97 4,34 8,95 co- des poumons. pr. 488,16 459,84 812,72 878,88 RESPIRATION ET ESSOUFFLEMENT 6l La lumière, la digestion, le régime carné augmente- raient légèrement l'activité de la respiration cutanée. Mais le travail musculaire, l'élévation de la tempéra- ture qui en est la conséquence et surtout l'activité circulatoire qui l'accompagne, accroissent notablement l'exhalation d'acide carbonique par la peau. Les expériences de Tissot sont saisissantes dans leur simplicité. En réalité, elles s'éloignent assez sensiblement des conditions véritables de la respiration des tissus. Ceux-ci ne puisent pas l'oxygène dans une atmosphère formée de ce gaz, mais dans un milieu liquide oxygéné qui est le sang. C'est donc sur des tissus baignés par le sang qu'il faut, pour être exact, étudier l'échange respi- ratoire dont l'intimité de nos organes est constamment le théâtre. Chauveau a fait ces recherches, lia déterminé : 1° La quantité d'oxygène cédée par le sang au muscle ; 2^ La quantité d'acide carbonique cédée par le muscle au sang, pendant un temps déterminé, et cela, à l'état de repos et à l'état de travail. Pour parler le langage phy- siologique, il a établi le coefficient d'absorption d'oxygène et d' exhalation de l'acide carbonique du tissu muscu- laire. Je n'entrerai pas dans le détail de la méthode. Elle consiste à analyser comparativement k sang à son entrée et à sa sortie du muscle, d'une part pendant le travail, d'autre part pendant le repos. C'est en comparant les sangs artériel et veineux d'un muscle que l'on peut juger de son activité respiratoire. Voici un tableau, emprunté aux expériences de Chau- veau et Kaufmann, qui indique le bilan des échanges respiratoires entre le sang et le muscle. 62 LES GRANDES FONCTIONS Coefficient d'irrigation sanguine du muscle. Oxygène absorbé par le muscle. Acide carbonique cédé par le muscle. Sucre du sang absorbé par le muscle '. Pendant le repos. . . . Pendant le travail . . . gr- 0,174 o,85o g"-- 0,00688 0,14079 g-- 0,00684 0,24577 o,o3644 0,14027 Maintenant que nous connaissons dans leurs traits essentiels les échanges respiratoires dont nos tissus sont le théâtre, revenons un instant au:: poumons et considé- rons l'échange gazeux qui s'y passe. Nous serons frappés de l'analogie qui existe entre les deux phénomènes. Le sang s'}'' charge de l'oxygène qu'il destine aux tissus ; il s'y débarrasse de l'acide carbonique que ces mêmes tis- sus ont déversé en lui. Ici, comme là, il y afixation d'oxy- gène et élimination d'acide carbonique. La respiration apparaît donc en définitive comme une circulation d'ox3'gène puisé dans l'atmosphère et une circulation d'acide carbonique né dans l'intimité des tis- sus et véhiculé par le sang jusqu'aux poumons où il est mis en liberté en traversant, par osmose, les minces I. Le sucre ou glycose dont il est question dans ce tableau est celui qui se trouve dissous normalement dans le sang. Ce liquide en contient environ i gr. 5 par litre. Ce taux est constant chez les personnes bien portantes, aussi bien pendant le repos que pendant le travail. C'est dans le foie, véritable grenier d'abon- dance de la matière sucrée, que le sang se ravitaille en glycose j c'est dans le sang que le muscle se ravitaille en matière sucrée. Il s'empare d'elle, l'élabore et la transforme en glycogène ou sucre musculaire qui sera la source principale de son énergie. Cette transformation du glycose du sang en glycogène se fait dans le muscle lui-même par perte d'une molécule d'eau, selon la réaction suivante : C«H'2 0« (glycose) H^O =C« H'« 0-> (eau) (glycogène) L'acide carbonique, mis en liberté pendant la respiration du muscle, provient de la combinaison du glycogène contenu^dans le muscle avec l'oxygène, apporté par le sang, selon la réaction suivante : C6 H 10 05 -I- 602 =6 C O^ 4- 5 H « O (glycogène). (oxygène) (acid. carbonique) (eau) RESPIRATION ET ESSOUFFI.EMENT 65 parois des alvéoles pulmonaires. loo volumes d'air ins- piré se composent de 79 volumes d'azote, 21 volumes d'oxygène et o, ooo3 d'acide carbonique. Mais l'acte res- piratoire accompli, nous retrouvons à l'expiration 99 vol. 5 d'air rejeté, se composant de 79 volumes d'azote, 16 volumes d'oxygène et 4 vol. 5 de gaz carbonique. La respiration ne comprend pas seulement les échanges qui se font dans les poumons, elle comprend au même titre ceux qui ont lieu dans les différents tissus. La res- piration est un phénomène physiologique unique qui se passe sur deux théâtres distincts. Respiration : Resfiration fulmonaire Captation de l'air au niveau des poumons. Fixation de l'o- xygène par le sang. Rejet par l'air expiré de l'acide carbo- nique contenu dans le sang veineux, et véhiculé par lui. Resfiration des tissus Captation de l'oxygène du sang par les tissus vivants. Pas- sage dans le sang de l'acide car- bonique formé dans les tissus. CHAPITRE IV CmbULATION DU SANG. — TENSIONS ARTÉRIELLES. — TRAVAIL DU CCEUR La vie ne peut exister que par un échange incessant entre l'être vivant et le milieu dans lequel il se trouve placé. Dans les organismes les plus élevés, le sang est l'intermédiaire qui préside obligatoirement à cet échange. En circulant dans toute l'économie, ce liquide nourricier, d'une part, cède aux cellules vivantes l'oxj^gène qu'il a capté dans les poumons et les aliments élaborés que lui a livrés la muqueuse intestinale ; d'autre part, il se débarrasse au niveau des reins, du foie, etc.. des déchets provenant de l'usure des tissus. La circulation du sang entretient donc la vie cellu- laire, en apportant aux organes les substances néces- saires à leur entretien et en entraînant les produits usés. Mais là ne se borne pas son rôle. C'est encore par la circulation que se répartit la chaleur dans toute l'écono- mie. C'est en grande partie par le jeu du rayonnement calorique, subordonné lui-même à l'activité circulatoire dans certains organes superficiellement placés, que le corpshumain conserve une température interne constante, quelles que soient les variations de la température exté- rieure. Pour remplir son triple rôle de nourricier, de puri- fiant, et de calorivecteur, le sang doit circuler un grand nombre de fois et rapidement à travers tout l'organisme. Sa marche continue et sa distribution sont assurées par un ensemble d'organes : le cœur, les artères, les veines et un réseau de canaux très fins, les capillaires. Ceux-ci servent de trait d'union entre les artères et les veines. Ils CIRCULATION DU SANG 65 sont formés de tubes à parois extrêmement minces, per- méables, à travers lesquelles s'effectueront pendant toute la vie, par des phénomènes d'osmose et de diffusion, les échanges entre le sang et les cellules des tissus vivants. Ces échanges, ne l'oublions pas, représentent la raison d'être de la circulation. On peut synthétiser la circulation du sang en disant que le ventricule droit du cœur lance le sang dans les poumons. En cet endroit, le sang se charge d'oxygène, s' « artérialise » et revient au cœur par l'oreillette gauche. Celle-ci le transmet au ventricule gauche qui l'envoie dans tous les organes. Le sang y perd son 0x3''- gène, ses matériaux nutritifs et cède, en même temps,' aux émonctoires (reins, foie), les déchets dont il a été chargé chemin faisant. Après quoi, il revient à l'oreil- lette droite sous forme de sang veineux. Cette oreillette le transmet au ventricule correspondant qui le renvoie dans les poumons et le cycle recommence. Le cœur est un muscle creux. Il joue le rôle de pompe aspirante et foulante, grâce au mécanisme des valvules qui commandent ses orifices. Il est animé de mouve- meuts rythmiques. Lorsqu'il se contracte, on dit qu'il est en systole ; lorsqu'il se relâche, on dit qu'il est en diastole. Chez l'homme, le nombre de ses contractions ou battements varie avec l'âge : F'ar m imite. De o à I an i35 battements. De I à 2 ans. iio — De 2 à 5 ans. io5 — De 5 à 8 ans gS — De 8 à 20 ans 85 — De 20 à 80 ans. . . 70 — La contraction affecte d'abord les deux oreillettes, et aussitôt après les deux ventricules. Elle a, dans son ensemble, une durée égale à celle du relâchement de l'organe. Au cours d'une révolution cardiaque (systole et diastole réunies) le cœur ne travaille donc que pen- dant la moitié du temps et se repose pendant l'autre moitié. 5 66 LES GRANDES FONCTIONS La quantité de sang lancée dans l'aorte à chaque systole est variable, car le cœur ne se vide jamais com- plètement, mais suivant les circonstances. On l'évalue en moyenne à une quantité comprise entre 5o et 100 grammes. Les artères sont des canaux élastiques et contractiles. Elles ont pour rôle de transformer le cours du sang, inter- mittent à son origine, en un cours continu. Par ce mécanisme, elles augmentent le débit de l'écoulement et économisent le travail du cœur. Elles règlent toujours l'afflux du sang chez un sujet normal, proportionnelle- ment aux besoins de chaque organe particulier. La contractilité des artères est sous la dépendance du système nerveux. Lorsque les artères d'une région se contractent, il y arrive moins de sang ; par contre, d'autres régions voisines en reçoivent davantage. La contractilité des artères assure la régularisation des cir- culations locales. La cause essentielle de la circulation dans les veines est la force propulsive du cœur qui se transmet jusqu'à elles par les artères, à travers le réseau capillaire. Des valvules 'situées sur leur paroi interne contribuent à empêcher le retour du sang vers les capillaires ; de sorte que sous l'influence d'une pression extérieure le sang veineux est toujours poussé vers le cœur. C'est en partie par ce mécanisme que les masses musculaires, en compri- mant les veines, pendant l'exercice, activent la circula- tion. Enfin, chaque mouvement d'inspiration qui dilate la poitrine provoque un appel de sang de la périphérie vers le centre et favorise la circulation veineuse. Nous savons déjà que c'est à travers les minces parois des capillaires que le sang abandonne les matières nutritives utiles aux tissus vivants et se charge de déchets prove- nant de la vie cellulaire. Ces échanges sont facilités par la faible vitesse du courant sanguin, qui n'est plus dans les capillaires que de huit millièmes de millimètre par seconde, au lieu de 5o centimètres dans les gros troncs artériels. Suivant la comparaison de Claude Ber- nard, les artères et les veines sont les rues qui nous per- CIRCULATION DU SANG Ô/' mettent de parcourir la ville ; les capillaires nous font pénétrer dans les maisons, nous montrent la vie, les occupations et les mœurs des habitants, c'est-à-dire 'des cellules vivantes. Enfin le système nerveux exerce sur le cœur et sur les vaisseaux une influence considérable. Il en règle les mouvements. Le cœur possède en propre un appareil d'innervation doué d'une autonomie suffisante pour provoquer sa contraction. C'est sous l'influence de cet appareil nerveux que le cœur continue à se mouvoir, alors qu'il se trouve artificiellement isolé, au cours de certaines expériences de physiologie, par exemple. Mais le cœur est, en outre, étroitement uni au s^^stème nerveux général, par des nerfs qui ont deux origines différentes.- Les uns sont modérateurs àe ses mouveiûents et viennent du bulbe rachidien, les autres sont accélérateurs de ses battements et viennent des ganglions nerveux sympa- thiques du cou. Que l'on excite les premiers: le cœur se ralentit et finit par s'arrêter ; que l'on provoque sur: les autres la même excitation, et le cœur s'accélère. Normalement, ce double mécanisme entre en jeu pour rj^thmer, selon le besoin du moment, les mouvements de l'organe. Les artères et les veines reçoivent, elles aussi, des filets nerveux. Ils proviennent du S3^stème sympathique. Ces nerfs agissent sur les vaisseaux en les faisant, selon les circonstances et les besoins, se contracter ou se dila- ter. Leur rôle est important, puisqu'ils règlent le degré d'abondance du sang circulant dans les organes, et, par suite, régissent la nutrition générale dans l'éco- nomie. Cette vue d'ensemble rapide nous permet de situer, physiologiqueuient parlant, chacun des appareils qui concourent à la fonction circulatoire. Leur rôle respectif est tracé. Il nous sera désormais facile de revenir en arrière et d'examiner en détail quelques points de phy- siologie circulatoire appliquée aux exercices physiques et à l'hygiène sportive. 68 LES GRANDES FONCTIONS Tensions artérielles, — Pouls. — Travail du cœur a) DÉFINITION Le sang se trouve dans les artères sous une certaine tension. Il s'en échappe, en effet, en donnant un jet assez fort lorsqu'une ouverture est pratiquée à l'un de ces vais- seaux. La tension du sang résulte de deux facteurs : L'impulsion du eœur, La résistance élastique opposée par les artères, au moment de l'arrivée de chaque ondée nouvelle envoyée par le cœur. Cette tension n'est pas uniforme ; elle oscille sans cesse entre deux points : l'un, le plus élevé, représente la tension maxima; il est atteint pendant la systole du cœur ; l'autre, le plus bas, correspond à la tension rninima ; on l'observe pendant la diastole. La ten- sion qui sépare les tensions maxima et minima est appelée tension variable. La connaissance de l'une ne renseigne pas sur la valeur des deux autres, car les variations de ces diverses tensions ne suivent pas une marche paral- lèle. On devra donc les connaître toutes trois,, chaque fois qu'on voudra apprécier le fonctionnement du cœur et des artères. La connaissance des tensions artérielles apparaît aujourd'hui comme ayant une importance de premier ordre, parce qu'elle nous permet d'évaluer d'unemanière •approchante l'état du cœur et de la circulation, non seu- lement pendant le repos, mais encore au cours du travail musculaire et de l'entraînement physique. h) Mesures des tensions artérielles On a pu, chez des blessés auxquels on devait prati- quer l'amputation d'un membre, mesurer la tension dans une grosse artère du membre condamné, à l'aide des appareils usuels en physiologie. C'est ainsi que Faivre et Albert ont trouvé que, dans un cas, la tension était de 120 mm. d'Hg dans l'artère fémorale et que, dans un CIRCULATION DU vSAXG 69 autre, elle oscillait de 120 a I25 mm. d'Hg dans l'artère humérale. Mais pratiquement, le problème est de mesurer de l'extérieur, sans mutilation, la tension du sang dans les artères de l'homme. Je ne décrirai ici ni les appareils, ni les méthodes, qui sont du domaine de la clinique et de la physiologie. Je ne ferai qu'énumérer : Le sphygmomanomètre de Potain qui ne permet la notation que de la seale tension maxima. Le sphygmomètre, de Riva-Rocci, composé d'un manchon de caoutchouc d'une soufflerie, d'un mano- mètre à mercure, et auquel Vaquez a adjoint son sphyg- mosignal, index très sensible, qui permet de mesurer la pression maxima avec la rigueur désirable. La méthode vihro-palpatoire (méthode deEhret), basée sur l'emploi d'un appareil de même principe que celui de Riva-Rocci, avec le concours d'un doigt explorateur placé sur l'artère humérale, au-dessous du bord inférieur du manchon de caoutchouc. La -méthode auscultatoire (méthode de Korotkow), basée elle aussi sur l'emploi du manchon de Riva-Rocci, mais avec adjonction d'un appareil auditif {sphygmo- phone de Laubry) qui permet d'étudier les modifications des bruits qu'engendre le passage de l'ondée artérielle dans l'humérale, au cours de la compression effectuée par le manchon. Le sphygynométroscope d'Amblard, basé sur la méthode des oscillations, et qui permet la mesure des trois tensions. L'oscillomètre sphygniamétrique de Pachon, d'un usage aujourd'hui courant, et qui fournit les mêmes indications que le précédent. Ces appareils et ces méthodes ne peuvent prétendre exprimer la valeur absolue des tensions artérielles. Ils donnent toutefois une idée assez approchée des variations de ces tensions. Si les observateurs agissaient sur une artère nue, les résultats seraient à peu près justes. Mais les appareils qu'ils emploient agissent à travers des 70 LES GRANDES FONCTIONS tissus qui, selon leur nature et leur état, se comportent différemment dans chaque cas. De plus, ces appareils et ces méthodes donnent des valeurs de tension maxima et minima un peu différentes les unes des autres. Mais comme la tension variable demeure identique, chez un même sujet, quels que soient les appareils employés, on peut pratiquement admettre ces résultats. Voici les valeurs généralement attribuées aux tensions artérielles normales, mesurées avec les principaux appa- reils en usage : Tension 7naxima Cm Hg. Appareil Potain 17 — Riva-Rocci 11 à 12 Méthode de Korotkow 12 à i3 Appareil Amblard 12 à 14 — Pachon i5 à 17 Tension minima Cm. Hg. Méthode de Ehret 9 — de Korotkow 9 Appareil Amblard 7 1/2 à 8 1/2 — Pachon 9 On voit, à la lecture de ces chiffres, qu'une tension minima de 8 cm. Hg s'accompagne d'ordinaire d'une tension maxima de 14 cm. Hg et que dans ce cas, la tension variable est de 6 cm. Hg. Ces valeurs sont celles qu'on enregistre communément chez un sujet de vingt-cinq à trente ans bien portant et au repos. Nombre des pulsations. — Pour évaluer le travail du cœur et des artères, les éléments précédents ne suf- fisent pas. Il faut faire intervenir un autre facteur : la fréquence du pouls, que l'on doit toujours étudier con- jointement avec les tensions artérielles. Les valeurs des tensions moyennes que nous venons ■d'indiquer vont de pair avec un pouls battant de soixante- CmCUIvATION DU SANG 71 dix à soixante-quinze fois par minute. Mais si, au lieu de considérer un sujet au repos, nous évaluons ses ten- sions après lui avoir fait accomplir un travail musculaire qui porte son pouls à 90 pulsations par minute, nous constatons que ses tensions auront acquis les valeurs suivantes : Cm. Hg. Tension minima 12 Tension maxima 20 Tension variable 8 Poursuivons l'observation. Faisons accomplir à ce sujet bien constitué un travail qui porte son pouls à 100, ses tensions vont être exprimées par : Cm. H g. Tension minima i3 Tension maxima 23 Tension variable 10 Augmentons encore le travail, de manière que le pouls atteigne 120 pulsations par minute, l'oscillomètre enregistrera les tensions suivantes : Cm. Hg. Tension minima i5 Tension maxima 3o Tension variable i5 Poussons l'expérience à ses dernières limites, de telle manière que le pouls atteigne 180 ou 200 pulsations à la minute, nous verrons alors un événement considérable se produire : l'effondrement de la tension maxima et de la tension variable, la tension minima demeurant élevée. Les tensions, à la fin de l'expérience, auront acquis les valeurs suivantes : Cm. Hg. Tension minima 20 Tension maxima 2S Tension variable 5 Ces constatations indiquent que le sujet est à bout de forces. Son cœur à fléchi. Ce fléchissement a pu se faire 72 LES GRANDES FONCTIONS brusquement (le fait est observé après un exercice, extrê- mement violent, tel qu'une course de 400 mètres faite de bout en bout en vitesse), ou bien il s'est produit lente- ment (c'est le cas lorsque l'observation porte sur des sujets robustes et bien entraînés). Les signes auxquels on reconnaît que le muscle car- diaque s'épuise sont donc : U accélération considérable du pouls ; he rapprochement des tensions maxima et minima ; ha diminution de la tension variable . Tant que le cœur lutte par la violence accrue de ses systoles, il maintient la valeur de la tension maxima éloignée de celle de la tension minima et la tension variable ne s'effondre pas. Lorsque le moteur cardiaque accroît beaucoup la fréquence de ses contractions, c'est en vue de compenser l'insuffisance imminente de son énergie. (Voir le graphique exprimant la courbe des ten- sions et du pouls.) En consultant ce graphique qui est purement expéri- mental et où se trouvent inscrites les valeurs de tension ainsi que la fréquence du pouls, enregistrées au cours de quarante-neuf performances accomplies par des sujets nor- maux, on verra immédiatement si, à l'hypertension accusée par un athlète, à un moment donné, corres- pondent les chiffres moyens de tension et la fréquencedu pouls que l'on note habituellement en pareil' cas. Par exemple, un coureur ayant, après deux minutes de course de vitesse, une tension minima de 1 5 à 16 cm. Hg, un pouls battant à 120 pulsations par minute et une tension maxima de 3o cm. Hg, peut être considéré comme ayant une circulation suffisante. Il en sera tout autrement, si, pour ce même nombre de pulsations, la tension maxima se trouve aux environs de 22, 23 cm. Hg, tandis que la tension minima atteint 16 ou 18 cm. Hg ; ou encore, si le pouls s'élève à 1 5o pulsations par exemple, alors que les tensions maxima et minima sont respecti- vement aux environs de 23 cm. Hg et 18 cm. Hg. En CIRCULATION DU SANG 73 un mot, chaque fois qu'on observera une dissociation des rapports expérimentalement établis entre la tension maxima, la tension minima et la fréquence du pouls, il y aura lieu de considérer le sujet présentant ces signes. 30& 250, 20 0.. 150 100 70 O'I 1.80 Pulsations ■^j j jfin -de i effort.! ■'"""Tb Pulsations! départ] ^ 4- .}. 4. .,. Tmn - Te .1 s Ion mi ni m a ouïs FiG. 2. — Graphique indiquant les valeurs des tensions maxima, minima et variable, ainsi que leschangements du pouls survenus pendant une performance poussée à ses dernières limites par un sujet non entraîné. La tension maxima s'est élevée à 29 cm. Hg puis a fléchi brusquement. La tension minima s'est élevée progressivement de S cm. Hgrà i3 cm. Hg. La tension variable s'est effondrée brusquement après avoir atteint une valeur de i5 cm. Hg. — Le pouls qui, au départ, était à 75 pul-ations par minute, s'esi élevé, au moment de l'efFon- Grv.mu.'nt delà tension artérielle, à 180 pulsations. ou bien comme atteint d'une lésion cardio-vasoulaire latente, ou bien comme insufiisamment entraîné. Il sera prudent de ne lui faire poursuivre que modérément le genre d'exercice auquel il se livre et qui se traduit par un trouble si grave de la coordination des mouvements car- dio-vasculaires. à) DÉTERMINATION DU TRAVAIL DU CŒUR. — Tout l'intérêt que présente l'étude de la tension artérielle réside 74 Is, se propagent à tout l'organisme. Cette solidarité fonction- nelle, dans ce que les anciens ph3''siologistes n'eussent pas manqué d'appeler le magnétisme organique, mérite d'être notée. Le courant électrique qui se produit dans le cœur comme dans tout muscle qui se contracte, est contempo- rain de la contraction elle-même. Bien plus, il la précède immédiatement, de sorte que l'énergie que nous appelons électrique paraît s'intercaler entre l'énergie chimique libérée par le glycogène et l'énergie mécanique déployée pendant la contraction. L'électricité joue ici le rôle d'intermédiaire entre l'éner- gie chimique et l'énergie mécanique. Son rôle apparaît de plus en plus important dans certains phénomènes biologiques, tels que la contraction musculaire, oii, jadis, on ne songeait même pas à soupçonner sa présence. CHAPITRE V ALIMENTATION ET RATIONS ALIMENTAIRES La question de ralimentation de l'homme de sports et de l'athlète est très importante. L'influence des ali- ments sur l'économie humaine se fait sentir tous les jours par des impressions qui se renouvellent lors de chaque repas et se prolongent pendant le temps de la digestion. Le mode d'alimentation détermine, dans une certaine mesure, les dispositions physiques et psychiques de tous les sujets, souvent à leur insu, et joue un rôle considérable. Les aliments nous fournissent de la chaleur et de l'énergie mécanique. Par eux, nous récupérons journel- lement ce que nous perdons en travaillant. La vie n'est qu'un balancement perpétuel entre deux mouvements opposés, l'un de destruction et l'autre de réparation. Chez l'adulte bien portant, les deux mouvements s'équi- librent. La possibilité de faire prévaloir, par une alimentation spéciale, telles ou telles aptitudes, de modifier le tempé- rament d'un athlète, d'accroître sa vigueur, de soutenir les forces d'un homme qui s'entraîne, justifie la pra- tique des régimes alimentaires. Il est donc nécessaire d'avoir des points de repère et de fixer la ration idéale par des chiffres absolus. Mais on verra dans la suite pour quelles raisons il convient de considérer ces données comme de simples indications. * Bilan des dépenses organiques. — A. Gautier a 82 LES GRANDES FONCTIONS établi un bilan type des dépenses organiques chez un homme produisant un travail modéré. Malgré l'aridité des chiffres, je le consignerai dans les termes de l'auteur, car ce bilan pourra utilement servir de base dans l'éta- blissement d'un régime alimentaire. « Un^homme adulte, dit-il, en plein fonctionnement normal, détruit chaque jour, calculés à l'état frais, environ 5oo grammes de sa chair ou des autres composés albumineux qui forment son sang et ses tissus. Il brûle une partie de ses graisses et fournit, par leur combustion et par celle de ses sucres et autres matières que mettent à sa disposition les ali- ments ou que lui fournissent ses organes, une quantité d'énergie qui, évaluée en chaleur, s'élève chez l'adulte à 2 3oo calories environ par vingt-quatre heures. Il perd, en outre, tous les jours 2 3oo à 2600 grammes d'eau (i 3oo à i 35o grammes par les urines, 600 à 800 grammes par la peau, 460 grammes par les pou- mons). Il exhale une quantité d'acide carbonique (470 litres) contenant 610 à 690 grammes d'oxygène et 23o à 260 grammes de carbone. Il rejette à peu près 25o à 270 grammes de ce dernier élément par l'ensemble de ses excrétions (ce qui fait un total do 480 à 53o grammes de carbone). Il perd 22 à 23 grammes de sels minéraux divers formés par plus de moitié de sel marin. L'alimentation journalière doit fournir à toutes ces dépenses. » Tel est, dans ses grandes lignes, le bilan de l'usure organique en vingt-quatre heures. L'idéal, pour nourrir un individu sain, serait de lui donner une quantité d'aliments telle qu'il y eût substi- tution exacte de matériaux nouveaux à ceux que la vie a détruits. On y parvient en déterminant préalablement, pour un sujet donné, placé dans des conditions définies, la mesure de ses besoins. Ces besoins ont été évalués par les phj^siologistes en calories qui expriment la quan- tité de chaleur développée par les aliments au cours de leur absorption dans l'organisme La calorie représente la quantité de chaleur nécessaire pour élever de i degré centigrade la température de i litre d'eau distillée. ALIMENTATION ET RATIONS ALIMENTAIRES 83 Paul Le Gendre et Alfred Martinet ont déterminé comme suit la dépense journalière en calories d'un homme de corpulence moyenne, pesant 60 kilogrammes: Calories par kilogramme. Repos au lit: i 800 calories, soit 3o Repos relatif : 2000 calories, soit 35 Travail modéré : 3 000 calories, soit 5o Travail fatigant : 4 000 calories, soit 66 .=- Travail intense: 6000 calories, soit 100 Ces évaluations sont théoriques, La connaissance de la valeur calorifique d'un aliment ne nous renseigne qu'approximativement sur sa véritable valeur nutritive. Il a un coefficient de digestihilité qui lui est propre et dont les évaluarions précédentes ne tiennent pas compte. Selon l'expression heureuse de Dastre, on ne vit pas de ce qu'on ingère, mais de ce qu'on digère. Un autre mode de détermination de la ration alimen- taire de l'homme consiste à évaluer, en poids, les quan- tités de chaque espèce d'aliments susceptibles d'entrer dans cette ration. Voici un tableau emprunté aux deux auteurs précédents conçu d'après ces données : Repos absolu. . Repos relatif. , Travail modéré. Travail fatigant. Travail intense. Protéiques 60 75 90 120 180 Graisse. 40 45 56 80 Hydr tes de carbone gr. 3oo 320 490 700 I o5o Calories. 1 800 2 000 3 000 4 000 6 000 Ce tableau ne comprend pas les substances minérales qui sont cependant indispensables à l'économie humaine, car elles entrent dans la composition de tous les organes. Nous avons vu, d'après A. Gautier, qu'un adulte per- dait chaque jour 22 à 23 grammes de ces substances dont la moitié est constituée par du sel marin ; le reste est 84 I.ES GRANDES FONCTIONS formé de phosphate de chaux, de sels de potassium, de calcium, d'arsenic, de magnésium, de silicium et de soufre. Classification, composition et valeur calorifique des aliments. — Nos aliments ont une composition très complexe. Au point de vue chimique, on les groupe en trois catégories : 1° Ceux qui, comme les sucres et l'amidon, sont consti- tués en dernière analyse par trois corps simples : du carbone associé à de l'oxygène et à de l'hydrogène dans la proportion de l'eau ; ce sont des aliments ternaires ; 2° Ceux qui sont formés des trois corps précédents, mais avec prédominance de l'hydrogène ; ce sont égale- ment des aliments ternaires, les graisses appartiennent à cette catégorie ; 3° Ceux qui renferment de l'azote en plus du carbone, de l'hydrogène et de l'oxygène : ce sont les aliments quaternaires ; ils comprennent notamment l'albumine. On les appelle couramment les protéiques, les azotés, les alhuminoïdes. On a déterminé la valeur calorifique des divers ali- ments en brûlant un poids connu de chacun d'eux, avec de l'oxygène dans un appareil spécial : la bombe calori- métrique de Berthelot ou de Féry. Dans l'enceinte de cette bombe, la substance est brûlée au contact de l'oxy- gène comprimé à vingt-cinq atmosphères ; la chaleur développée se mesure grâce à des procédés corrects et éprouvés pour lesquels il conviendra de se référer aux traités spéciaux. En vérité, la connaissance du pou- voir calorifique des aliments ne saurait nous donner qu'une idée approchante du dégagement de chaleur qu'ils produisent au sein des moteurs animés. Nous savons, en effet, que, dans l'organisme, les choses ne se passent pas comme dans la bombe calorimétrique où la combus- tion des matières qu'on y brûle est totale : une partie seulement des matières ingérées par nous est utilisée. De sorte que le pouvoir calorifique des aliments ingérés ALIMENTATION ET RATIONS ALIMENTAIRES 85 est inférieur à leur chaleur de combustion réelle. Il faut tenir compte de ce fait et majorer le nombre théorique des calories qui doivent entrer dans une ration déter- minée pour être certain que cette ration est suffisante. N'oublions pas, en effet, que notre système digestif n'est pas une simple bombe calorimétrique et que le rapport entre la quantité d'aliments digérée et la quantité ingérée varie selon de nombreuses contingences : perfection de la préparation culinaire, état de l'estomac du sujet, mastication, heure de la journée, début ou fin du repas, etc. Rubner entreprit, dès i885, la détermination du pou- voir calorifique des divers aliments. En 1896, le Dépar- tement de l'Agriculture de Washington chargea Atwater de recherches physiologiques sur l'alimentation dans ses rapports avec le travail de l'homme. Ces travaux ont été publiés dans les Proceedings of the american agricul- tiiral Collèges and Experimcnt Stations. Après la mort d' Atwater (1908), Bénédict prit la direction scientifique de ces recherches, hts déterminations de pouvoirs calo- rifiques que nous reproduisons ici ont été tirés des bulle- tins américains. Hydrates DE carbone. — Ils comprennent les sucres, la cellulose, l'amidon, la dextrine, les gommes et les mucilages. Ils représentent la partie essentielle des féculents, des farineux, des aliments sucrés (céréales, pommes de terre, miel, sucre, etc.). Leur coefficient de digestihilité, c'est-à-dire le rapport qui existe entre la quantité utilisée réellement par l'organisme, à la suite de la digestion, et la quantité ingérée, est voisin de l'unité. Il oscille entre 0,90 et i. Le travail cellulaire aboutit donc à leur assimilation presque complète. Leur pouvoir calorifique est de 4 calories 10 par gramme d'aliment, ce qui signifie que i gramme d'hydrate de carbone, en= brûlant, dégage 4 calories 10 en mo3^enne. Graisses. — Tous les corps gras tirés du règne ani- mal et du règne végétal sont compris sous cette rubrique. Leur coefficient de digestihilité est un peu moindre que 86 LES GRANDEvS FONCTIONS celui des hydrates de carbone ; il varie entre 0,90 et 0,97. Par contre, leur pouvoir calorifique tst àQheancoxip le plus élevé ; il atteint 9 calories 10. Pour résister au refroidissement, l'homme recherche d'instinct les ali- ments gras. L'huile de poisson est copieusement con- sommée par les Esquimaux et les Groënlandais, Par contre, dans les régions tropicales, les graisses, ces grandes productrices de chaleur, n'entrent que pour une part minime dans la ration journalière. Protéiques. — Ce sont les substances azotées ou quaternaires. Elles proviennent soit du règne animal (lait, viande, blanc d'œuf, caséine), soit du règne végé- tal (haricots, pois, lentilles, légumineuses, etc.). Leur coefficient de digestihilité est très variable suivant l'ali- ment considéré. Il oscille entre o,65 et 0,98. Les pro- téiques d'origine végétale laissent plus de résidus que ceux qui nous sont fournis par le règne animal. Leur pouvoir calorifique moyen est de 4 calories 10. Le moteur humain. — L'organisme vivant peut être comparé à un moteur thermique dans lequel l'énergie dépensée est de nature calorifique. Cette énergie naît pendant la combustion d'une substance carbonée. Dans les moteurs industriels, c'est la houille, le pétrole, le benzol ou l'alcool. Cette combustion produit de la cha- leur ; elle est exothermique. C'est ainsi que i gramme de houille, en brûlant à l'air libre, fournit 7 calories 5o. Mais, pour qu'il se produise une combustion, il faut qu'il y ait conflit entre le combustible et un gaz com- burant, l'oxygène. Dans les moteurs industriels, l'action de l'oxygène ou oxydation, se fait vivement avec déga- gement de flamme et les températures produites sont très élevées. Dans un organisme vivant, l'aliment joue le rôle de combustible. Il brûle à l'intérieur de nos cellules, au contact desquelles l'a apporté le sang, comme le charbon brûle sur la grille d'un foyer. Mais auparavant, il doit AIJMENTATION ET RATIONS ALIMENTAIRES 87 avoir subi de profondes transformations dans le tube digestif. De même que toutes les autres combustions, les combustions intra-organiques sont des oxydations. Mais ces dernières ont certaines caractéristiques : 1° Elles sont lentes ; 2° Elles s'effectuent à basse température (37°) ; 3° Elles n'utilisent comme combustible que la partie de l'aliment que les cellules peuvent assimiler. 4° Elles s'accompagnent de la mise en réserve de ceux des aliments assimilés qui ne sont pas immédiatement employés à la combustion. Grâce à cette épargne du combustible non utilisé, le fonctionnement du moteur vivant a lieu sans à-coups et sans arrêts. C'est ce qui faisait dire à Chauveau : « Ce n'est pas ce que l'on mange actuellement qui fournit l'énergie employée aux travaux physiologiques de l'orga- nisme, mais bien le potentiel fabriqué avec ce que l'on a mangé antérieurement. » L'oxygène est véhiculé par le sang qui va le capter au niveau des poumons. Il se rencontre, dans l'intimité des tissus, avec les aliments élaborés. Le foyer où se passent les combustions intra-organiques est la cellule vivante elle-même. C'est là que l'hémoglobine du sang abandonne son oxygène à l'état naissant. Ce dernier réa- git sur la molécule alimentaire au sein de la cellule vivante et la brûle surplace. * * * Rations alimentaires. Leur détermination. —On désigne sous ce nom les quantités d'aliments variés nécessaires à l'entretien de la vie. Une ration bien com- prise est celle qui, se pliant aux nécessités du travail accompli, ou à accomplir, assure à un sujet donné, dans toutes les circonstances, le remplacement de ses pertes. La constance du poids du sujet est le signe auquel on reconnaît que le taux de sa ration est convenablement déterminé. L'organisme tend toujours à s'adapter à la ration qui 88 LES GRANDES FONCTIONS lui est offerte. S: le régime alimentaire est trop riche, le poids du corps ne varie pas tout d'abord ; il ne se fait pas de réserves; il semble que l'excès d'aliments soit rejeté sans être utilisé par l'organisme. Cet état de choses dure pendant quelque temps. Puis, brusquement, le poids aug- mente ; il s'élève jusqu'à un certain chiffre constant, autour duquel oscilleront désormais ses variations quoti- diennes. Les sujets sains peuvent supporter longtemps une ration surabondante sans changer de poids, mais les pléthoriques, prédisposés à l'obésité, ne peuvent tolérer ce régime trop riche sans en bénéficier aussitôt. Leur poids augmente. Inversement, quand on donne à un homme sain une ration insuffisante, la diminution de son poids ne sur- vient pas immédiatement. Klle ne se produit souvent qu'après un temps assez prolongé. Ensuite, l'organisme semble s'adapter peu à peu à ce régime réduit et se met de nouveau en équilibre ; son poids cesse de décroître, au moins momentanément. Selon qu'on enrichit ou qu'on appauvrit un régime alimentaire, on voit, dans tous les cas, se produire les variations précédentes. Cette -pluralité des équilibres alimentaires demeure inexpliquée. Chacun de nous établit à sa manière les actes de sa nutrition. Il n'est pas encore possible d'énoncer les lois qui président à ces variations physiologiques. Deux personnes n'ont ni la même assimilation, ni la même désassimilation. Leur chimisme intérieur leur est propre. Avec la même nourriture, deux hommes de même poids se comportent différemment. L'un maigrit et l'autre engraisse ou ne change pas de poids. Il est des maigres qui sont de gros mangeurs et des obèses qui consomment très peu. Quoiqu'il en soit, la ration doit fournir aux dépenses du moteur humain. Elle doit potentiellement contenir la quantité d'énergie que nécessite un travail donné dont l'évaluation mécanique n'est pas toujours possible dans les conditions ordinaires de la vie. Les rations sont évaluées en calories. Nous savons AI.IMENTATION ET RATIONS ALIMENTAIRES 89 qu'en ramenant la valeur calorifique des différents prin- cipes alimentaires à i gramme, on a établi que : Calories. I gramme de protéiques dégageait en brûlant. 4jio I — de graisses — — .9,10 I — d'hydrate de carbone — — .4,10 On admet que, pour vingt-quatre heures, les besoins d'un organisme sédentaire par kilogramme de son poids sont les suivants, exprimés en poids : Grammes. Quantité de protéiques nécessaires par kilogramme, i Quantité d'hydrates de carbone — — • 4,8 Quantité de graisses — — • 0,9 Supposons un homme dont le poids soit de 60 kilo- grammes, sa ration de sédentaritésera, pour vingt-quatre heures : Grammes. Protéiques : i X 60 60 Hydrates de carbone : 4,8 >< 60 288 Graisses : 0,9 X 60 . 54 ce qui donnera en calories : Calories- Protéiques : 60 X 4, 10 246 Hydrates de carbone : 28S X 4iio i 180 Graisses : 54 X Qjio 49i 1,917 Ce sont là des indications moyennes qui n'ont qu'une valeur démonstrative. Pratiquement, on détermine une ration de deux manières différentes : 1° En établissant, par tâtonnements, la quantité et la qualité des aliments qui assurent la constance du poids chez le sujet considéré. Cette méthode revient , en somme, à déterminer empiriquement la quantité et la qualité du comhustihle nécessaire au moteur humain, 2° En déterminant le volume du comburant, c'est-à- 90 LES GRANDES FONCTIONS dire de l'oxygène employé par l'organisme pour brûler les aliments. On y parvient de la manière suivante : on fait passer les gaz qui sortent des poumons à chaque expiration à travers un spiromètre (compteur) ;on connaît de la sorte le volume d'air traversant la poitrine dans un temps donné, une heure par exemple. L'analyse de cet air indique sa teneur en oxygène qui est moindre que celle de l'air normal, puisqu'une certaine quantité de l'oxygène de l'air inspiré, a été fixé par les globules du sang. Comme l'air du dehors contient normalement 21 p. 100 d'oxygène en volume, la différence indiquera l'appauvrissement de l'air en oxygène pendant sa tra- versée des poumons. Le volume total de l'oxygène con- sommé sera déduit après lecture du spiromètre. Si l'on emploie la première méthode, il sera aisé de se reporter à une table donnant la composition chimique des aliments et leur pouvoir calorifique pour calculer la valeur énergétique d'un régime. Ainsi, une ration com- prenant 100 grammes de pain, loo grammes de beurre, 100 grammes de lait donnera 1112 calories yS. Hydrates de carbone Graisses Protéiques graoïmes. 4,83' 4,12 3,23 Pain. gramme». 5 8, 04 0,40 7,25 Beurre. grammei. 0,00 83,58 2,52 I I 12 calories 78 Si l'on emploie la méthode indirecte de la recherche de l'oxygène, la quantité d'énergie ou de calories utilisées est proportionnelle à la masse de l'oxygène absorbé. Cette masse varie suivant la nature des aliments ingérés : graisses, hydrates de carbone ou protéiques. L'expérience a démontré que la consommation de i litre d'oxygène correspond à 4 calories 90 dans le cas d'un sujet soumis à une alimentation mixte qui comprend à la fois les trois ALIMENTATION ET RATIONS ALIMENTAIRES 91 catégories d'aliments. Pour déterminer la quantité de calories à laquelle doit satisfaire l'alimentation d'un sujet donné, on multipliera par 4,90 le nombre de litres d'oxygène qu'il aura consommés eu vingt-quatre heures. Eu vue de permettre le calcul de la valeur énergétique d'une ration, voici un tableau tiré de l'ouvrage de Bal- land {les Aliments, 1907), qui donne la composition chimique des aliments et leur pouvoir calorifique. TABLEAU DES ALIMENTS USUELS 100 grammes d'aliments. Abricots frais . . . . Amandes sèches . . . Artichauts de Paris (fond) Asperges Bananes de Paris . . Beurre d'Isigny. . . . iCœur . . Rognons. Graisse . Cacao du Congo. . . Cacao de New-York . Carottes Carpe n ■ ^ { douces . Cerises . .] ■, ( acides. . Champignons de couche Châtaigne Cheval (filet de) . . . Chicorée (scarole) . . r^u \ ^ \ ordinaire. Chocolat .] 1., / Menier. . Chou-fieur Chou de Bruxelles. . Crème de St-Julien. . Dattes Epinards Fèves décortiquées et sèches Figues sèches . . . . Hydrates de carbone. Giammes. 8,10 18,00 i3,o7 4,72 21,90 0,00 2,20 2,54 0,00 3o,25 37,70 9,5o 0,52 14,12 ii>97 3,68 33,16 1,44 4,02 62,65 68, go 4,89 9,62 1,60 67,10 5,58 54,41 53,67 Graisses. Grammes. 0,12 54,20 0,21 0,41 0,09 83,58 4,84 1,82 90.94 42,40 28,90 G, 19 3.56 0,09 0,40 0,32 0,89 2,95 o, 10 25, 5o 21 o,38 o,58 26,52 0,06 0,33 1,35 ï,I0 Protéiques. Grammes. 0,48 18,10 3,68 3,38 1,44 2,52 i5,25 16, 3o 0,76 11,35 21,60 1,19 i5,34 I,02 1,26 4,5o 2,47 21,95 1,04 8,35 8,75 3,5i 3,80 2,58 1,96 4,06 27,32 2,26 Pouvoir calorifique Calories. 36,o6 641,23 70 36,94 96,51 770,91 ii5,59 93,81 830,67 556,4o 5o6, 12 45,56 97,42 62,89 57,88 36,45 i54,i8 122,74 21,65 523, 10 5i4,83 37,90 60, 3o 258,47 283,69 42,53 347,38 248,42 92 LES GRANDES FONCTIONS 100 grammes d'aliments. Fromages.' Harengs Haricots Foie de veau. . . . Fraises des bois , . Brie. . c am em bert . gruyère Roque fort. frais. fumés verts. secs(So ( sons) Huîtres Jambon (pâté de). Lait de vache. . . Laitue (romaine). T or^^^ \ cuisse ^^P^°- • -l filet. Lentilles sèches . Lièvre (cuisse) . . Macjuereau. . . . Marrons Melon (cantaloup) Merlan Mouton (gigot). . Navet Noisettes sèches . Noix Nouilles Œuf de poule . . Oie grasse .... Oseille. ..... en flûte de ferme Pain . . .< de muni tiens . viennois Pois Pêches. Poires frais secs Pommes (fruits) Pomme de terre (ordi- naire) Hydrates de carbone. "1,83 8,85 4,85 5,95 I;79 3,oj 0,46 0,71 4,17 53,68 y,33 0,73 4,83 1,74 0,47 1,90 56,07 2.55 0,28 32,17 3,72 1,25 2,36 5,57 l3,22 17,57 75,21 1,43 o,58 3,57 61,59 58,04 53,58 57,29 10, 36 9.93 14,02 57,76 14,41 17,58 Graisses. Grammes. 7,i3 0,99 22,45 21,65 26,95 38, 3o 4,80 14,97 0,28 1,44 1,43 33,83 4,12 o, i5 3,14 1,97 1,45 3,34 i5,o4 1,08 o,r I 0,46 6,53 0,06 61,16 41,98 0,60 11,04 18, 85 0,40 0,24 0,40 0,10 0,1 1 0,48 0,04 0,24 1.40 0,06 0,04 Piotéiques. 19,12 1,36 19,94 18,72 36, 06 25, 16 17,23 5i,62 1,99 20.18 8,70 18,60 3,23 0,92 23,49 18,66 23,04 20.88 15,67 3,i5 0,60 16,1 5 17,86 0,47 i5,58 II, o5 11,58 1 1,59 14,24 2,74 5,99 7,2D 8,o5 7,o3 0,86 0,24 4,47 20, 56 1,44 1,71 Pouvoir calorifique. Calories. i5o,78 50,87 3o5,93 298,16 400,43 464 I 16,21 35o,74 27,86 3i5,93 78,74 387,10 70,54 12,27 126,81 102,22 337,55 i63,36 202,26 i5j.,64 18,71 75,53 142,32 25, 3i 674,64 499,36 36i,3o i53,85 232, 3o 29, 5i 279,26 271,33 254,14 264,71 50,37 42,06 7? 335,85 65,53 7945 ALIMENTATION ET RATIONS ALIMENTAIRES 93 100 grammes d'aliments. Porc (cuisse). . Poulet (cuisse). Pruneaux (pulpe Raie [ frais(chas Raisins . .< selas). ( secs Riz blanc . . . Rouget Sardines fraîches Saumon . . . . Sole Tomate rouge . Tripes de Caen ( carré ) cerve Veau le é chaudée épaule Hydrates " de carbone. Grammes. 1,58 1,16 71^44 0,17 17,69 76,70 75,22 2,29 0,57 0,08 i,ii 2,92 4,7J 0,92 0,12 1,22 Graisses. J,IO 10,95 0,40 0,45 o,38 o,56 o,3o 0,98 2,33 20 0,81 0,10 16,79 2,28 16,33 4,08 Protéiqucs, Grammes. 20, 3o 17-19 2,37 22,08 0,49 0,45 8,89 22,85 22,12 17,65 17,26 0,89 19,06 20,40 i3,26 22,27 Pouvoir calorifique 117,92 174,58 306,26 95,32 78 3i3,4i 347,58 1 12 I 14,23 254,69 82,69 16,53 25o, 33 108,16 203,46 i33,43 Ration alimentaire de l'homme de sports et de l'athlète. — Notre ration alimentaire est toujours mixte. Elle comprend en proportion variée les trois catégories d'aliments. Aucune de ces catégories ne pourrait servir de source exclusive d'énergie. C'est ainsi qu'un sujet qui serait totalement sevré de protéiques, par exemple, devrait emprunter à sa propre substance les 65 grammes de protéiques qui sont, chaque jour, nécessaires à un homme du poids moyen de 65 kilogrammes pour subsister. (i gramme de protéiques par kilogramme de matière vivante est nécessaire à l'état de repos.) J'ai indiqué plus haut, d'après Le Gendre et Martinet, la composition des rations dans les diverses circonstances de la vie. Je n'y reviendrai pas. Mais il convient que l'on sache que le comhustihle préféré des moteurs animés est représenté par les hydrates de carbone. Leur coefficient de digestibilité est, nous l'avons vu, le plus élevé. lisse transforment en sucre interverti dans l'intestin, puis en 94 LES GRANDES FONCTIONS glycose dans le sang, enfin, dans le muscle, en glyco- gène qui est la source unique et directe de l'énergie mé- canique de ce dernier, (Voir les chapitres de la Respira- tion et de la Fatigue.) C'est dans les hydrates de carbone que l'athlète puise ses réserves de force musculaire. On sait que l'énergie d'une réaction chimique comprend deux termes : l'un, appelé énergie libre, est utilisable mécaniquement, pour le travail ; l'autre, énergie liée, se dissipe en chaleur. Or : loo calories d'hydrates fournissent loo calories d'énergie libre. , . , . . . l 87 calories d'énergie libre, loocaloriesdegraissesrournissent ' , . ,,, . ... ( i3 calories d'énergie liée. 100 calories de protéiques fournis- ) 69 calories d'énergie libre, sent ' i3 calories d'énergie liée. La conclusion s'impose : ce n'est ni dans la viande ni dans la graisse que l'homme de sport et l'athlète chercheront l'aliment dynamogène, mais dans la longue série des substances alimentaires hydrocarbonées. Quand on établira une ration, il conviendra de tenir compte de l'âge et du sexe. Dans ce but, on devra faire usage des coefficients d'âge suivants d'Atwater : La consommation d'un homme adulte étant. . 1,00 Celle d'une femme sera 0,80 Garçon de 14 à 16 ans 0,80 Fille de 14 à 16 ans 0,70 Enfant de 10 à i3 ans 0,60 Enfant de 6 à 9 ans * o,5o Enfant de 2 à 5 ans 0,40 Au-dessous de 2 ans o,3o Dans une famille composée du mari, de la femme et d'un enfant de quinze ans, la ration sera donc de : I + 0,80 + 0,75 z= 2,55 fois celle de l'homme seul. Jules Amar qui a étudié le moteur humain dans ses rapports avec le travail professionnel, estime qu'en régime libre, l'homme n'étant pas troublé dans ses habitudes ALIMENTATION ET RATIONS ALIMENTAIRES gS de vie, la ration d'entretien de l'adulte au repos est de I calorie 57 par kilogramme de son poids et par heure. A. Gautier avait trouvé i,6o;Hirn, i,53; les Améri- cains, en particulier Chittenden et Lusk i, 3 2 seulement. Ch. Richet estime la ration moj'enne des Parisiens adultes à 3 262 calories en vingt-quatre heures ; elle se décomposerait de la manière suivante : p. 100. Protéiques i7)5o Graisses 11, 5o Hydrates de carbon° • . . . 71,00 Le nombre de calories dépensées par kilogramme et par heure augmente sensiblement avec le travail. C'est ainsi que, pour un travail journalier mo3'en de yooookilo- grammètres, Atwatcr et Amar estiment la dépense calo- rifique à I calorie 90 par kilogramme de poids et par heure. Le chiffre moyen de i calorie 5 y répond à un petit travail quotidien de 10400 kilogrammètres. Certains exercices physiques entraînent une dépense d'énergie considérable. C'est ainsi qu'on a effectué des mesures dynamométriques assez précises sur un canot monté par cinq rameurs; on a trouvé, qu'à la vitesse de 5 mètres à la seconde, le travail de chaque rameur s'éle- vait à 22 kilogrammètres par seconde, i320 kilogram- mètres par minute, 79 200 kilogrammètres par heure, et 237600 kilogrammètres en trois heures, en supposant que le travail ait été poursuivi sans arrêt pendant ce laps de temps. Pour fournir à une semblable dépense d'éner- gie quotidiennement répétée, la ration journalière devrait être d'environ 5 000 calories, dont 5oo seraient consacrées au seul travail producteur des 237600 kilogrammètres effectués par chaque rameur; les 4450 calories restantes sont utilisées au sein même de l'organisme pour l'entre- tien de la chaleur animale, des grandes fonctions orga- niques e± de tous les autres actes de la vie. Toutes ces évaluations sont tliéoriques. Mais elles ont l'avantage de donner une représentation approchée de la vérité. 96 LES GRANDES FONCTIONS En vue de synthétiser d'une manière pratique les notions précédentes, je répartirai, en trois classes, les diverses rations des hommes de sport et des athlètes, au point de vue de leur valeur énergétique. Hydrates de carbone. Graisses. Protéiques. 1° Rations de 3 5oo à 4 5oo calories ^r. yr. gr. (escrimeurs, sports de vitesse et d'adresse, phase moyenne d'une période d'entraînement) .... 600 95 120 2° Rations de 4 5oo à 5 5oo calories (période d'entraînement intense, sports nautiques) 720 120 140 3° Rations de 5 5oo calories et au delà (boxeurs, lutteurs, coureurs de fond,cyclistes;tous les cas de dépense physique prolongée). Les rations de cette classe necon- cernent que les sujets de grande taille et de forte corpulence. . . goo i5o I/O Régime d'un athlète soumis à un entraînement de deux mois. — S'il me fallait régler l'alimentation d'un coureur à pied du poids de 65 kilogs s'adonnant à l'entraînement, je tiendrais compte des notions précé- dentes et les transcrirais de la manière suivante, afin de les rendre compréhensibles à son manager. Je ne me bor- nerais pas, d'ailleurs, à la question alimentaire — bien qu'elle tienne le premier rang ; — je tracerais toutes les caractéristiques d'un régime adapté au but à atteindre. Ce but se résume dans les propositions suivantes : 1° Développer toute la puissance musculaire du cou- reur, surtout celle de ses membres inférieurs ; 2° Augmenter jusqu'aux dernières limites possibles sa résistance à la fatigue ; 3° Alléger son poids pour, qu'à chaque foulée, la masse AÎ24 1,1 o3 16,01 I,I03 19,10 1,146 I7;H 1,162 20,76 1,181 19,08 1,219 22,65 1,193 21,36 1,273 24,52 1,248 23,52 i,33o 27,10 1,299 25,65 1,385 29,82 1,353 29,82 1,439 34,38 i,4g3 32,94 1,493 38,76 1,453 36,70 1,546 43,62 1.499 40,39 1,594 49-67 1,535 43,57 1,634 52,85 1,555 47;3i 1,658 57,85 i,S6j^ 5 1,83 1 ,674 60,06 1,572 52,28 1,680 62,93 ^=^77 53,28 1,684 63,65 ij579 54,33 1,684 63,67 1^579 55,23 i;674 63,46 1,536 56,i6 1,639 62,94 i,5i6 54,3o 1,623 59,52 i,5i4 5i,5i 142 LES GRANDES FONCTIONS On voit, qu'à partir de la cinquantaine, la taille subit une véritable réduction qui atteint, en moyenne, 3 centi- mètres pour l'homme et 3 cm. 5 pour la femme. Les personnes de grande taille présentent une diminution sensible de la taille particulièrement accusée. On appelle coefficient thoracique, le rapport qui existe entre la hauteur du tronc et la hauteur de la taille. En examinant, assises, des personnes ayant une même taille, on constate que la grandeur du tronc diffère de Tune à l'autre. Les dimensions du tronc sont à considérer, en raison de l'importance des organes qu'il renferme. Est-il peu développé, il indique la faiblesse générale de consti- tution ; est-il, au contraire, massif, disproportionné, énorme, il est le signe d'un état pléthorique qui n'est pas sans inconvénient. J'ai remarqué que dans ces deux cas, les sujets n'atteignaient que rarement un âge avancé. Ils étaient fréquemment emportés soit par une affection pulmonaire, soit par une maladie de cœur. La longévité m'a paru être, au contraire, l'apanage des hommes dont le tronc est bien proportionné. Lorsque le tronc est développé normalement, lorsque les proportions du corps sont harmonieuses, le coefficient thoracique oscille aux environs de o,53 ; (0,5378 pour les petites tailles et o,5285 pour les grandes). Tronc .. fïïiire = °^"- On admet que, dans les mêmes conditions de dévelop- pement harmonieux, l'envergure de l'adulte dépasse la taille totale de 4 centimètres. Le développement du tronc est tout à fait indépendant de celui des membres. Manouvrier a dénommé macros- kèles (littéralement, jambes longues) les sujets qui ont un buste court et des membres inférieurs relativement longs, et brachyskèles) (jambes courtes, « courtauds ») ceux dont les membres inférieurs sont trop courts. On a l'habitude de classer dans l'armée les hommes par rang de taille, afin d'homogénéiser les unités en vue de la marche à pied. Dans l'ensemble, ce classement est APPRÉCIATION DE LA VALEUR PHYSIQUE 143 utile. Mais ce que nous venons de dire des rapports du tronc avec les membres inférieurs démontre que les sujets d'une même taille n'ont pas, forcément, des jambes de même longueur. Dans la pratique, on ne tient pas compte de ces différences, qui sont souvent minimes. Mais, au point de vue sportif, ce n'est pas tant la taille qu'il fau- drait mesurer que la longueur respective des membres inférieurs, notamment chez les coureurs. Cette évalua- tion doit être faite, l'homme étant debout, et comprendre la distance qui sépare le sol de la partie la plus saillante du grand trochanter. II. Poids. — Pendant les six premiers mois d'une période d'éducation physique bien conduite, le poids doit diminuer chez les pléthoriques et les obèses, aug- menter chez les malingres et ne pas varier chez des su- jets qui sont en équilibre nutritif. J'en ai donné la rai- son au chapitre de V Influence générale des exercices phy- siques. Le tableau de Quételet nous indique les poids moyens dans les deux sexes aux différents âges. L'homme adulte pèse en moyenne 65 kilogrammes et la femme 55. On observe une diminution de poids aux environs delà cin- quantaine. Le type normal, au point de vue de la corpu- lence, a été défini par Bouchard au moyen du segment anthropométrique . On nomme ainsi le quotient du poids du corps (exprimé en kilogrammes) par la taille (exprimée en décimètres) . Q Poids P Poids en kilogrammes. Taille H Hauteur en décimètres. « ,,. , ^ ^ 3,Q pour la femme. A l'état normal, Q = '^ ^ ,,, ' ^ ( 4,o pour l'homme. A l'état de maigreur Q = ^>^ A l'état d'obésité Q = 5,4 A l'état de marasme Q = 2,9 A l'état de marasme extrême (inanition) . Q = 2,0 Un adulte qui pèse 62 kg. i5 et dont la taille est de I m. 59 a pour segment anthropométrique : 62, i5 Q = -TT = 3,91 144 LES GRANDES FONCTIONS Voici un tableau indiquant, d'après Bouchard, la taille, le poids, les segments anthropométriques moyens, la graisse du segment et la graisse de tout le corps dans l'état normal. Le poids est incontestablement le meilleur index de l'état de la nutrition, sous l'influence des exercices. Sa connaissance est indispensable, surtout chez les nourris- sons et les enfants. Chez l'adulte qui fait de la culture physique, des sports, de l'entraînement, sa constance est la seule garantie de la réparation suffisante des tissus par les apports alimentaires pendant l'entraînement. Taille, poids, segments anthropométriques moyens, graisse bu segment, graisse de tout le corps (d'après m. bou- CHARD). Taille Poids en Poids du segment Graisse Graisse de tout en décimètres. kilogrammes. P en granimcs le corps. H. P. H du segment. )4,o 45,81 3,27. 425 5,955 14,1 46,66 ~ 3,3i 400 6,066 14,2- 47, 5o 3,35 435 6,175 U,3 48,36 3,38 440 6,292 14,4 49,18 3,42 444 6,394 >4,5 5o,o5 3,45 449 6,5o6 14,6 5o,88 3,49 453 6,614 147 51,73 3,52 462 6,725 14,8 52,58 3,55 462 6,835 14,9 53,45 3,59 466 6,948 i5,o 54.32 3,62 471 7,062 i5,i 55,21 3,66 475 7.-173 j5,2 56,09 3,69 480 7,292 i5,3 56,93 3,72 483 7,401 i5,4 57>78 3,75 488 7,5ii i5,5' 58,64 3,78 492 7,623 i5,6 59, 5o 3,81 496 7,735 i^ = 7 6o,38 3,85 5oo 7,849 j5,8 61,26 3,88 5o4 7^964 i5,9 62,1 5 3,91 5o8 8,080 16,0 62,91 3,93 5ii 8,178 j6,i 63,76 3,96 5i5 8,291 l6,2 64,61 3,99 5i8 8,392 16,3 65,46 4,02 522 8.509 APPRÉCIATION DE LA VALEUR PHYSIQUE 145 Taille Poids en • Poids fiu segment. Graisse Graisse de tou, en décimètres. kilograir.mes. P en grammes le corps. H. P. H du segment. 16,4 66,26 4,04 525 8,610 16,5 67,06 4,06 528 8,712 16,6 67,79 4,08 53 1 8,8l5 16,7 68,55 4,11 534 8,912 16,8 69,30 4,1 3 536 9, 00 5 16,9 69,98 4,14 538 9,092 17,0 70,69 4,16 541 9,197 175I 71,38 4,17 543 9,285 17,2 72,07 4,19 545 9,374 17,3 72,78 4,21 ^7 9,463 17,4 73,48 4,22 49 9,552 17,5 74," 4,24 55i 9,642 17,6 74,77 4,25 552 9,7i5 ^1^1 75,40 4,26 554 9,806 17,8 76,04 4,27 555 9,879 i7>9 7^,77 4,29 558 9,988 18,0 77A^ 4,3o 559 10,062 18,1 78,08 4,3i 56i io,i5o 18,2 78,73 4,33 562 10,228 18,3 79,40 4,34 564 10, 321 18,4 80,06 4,35 566 10,414 18,5 80,73 4,36 567 10,489 18,6 81,39 4,38 569 io,583 18,7 82,07 4,39 571 10,678 18,8 82,76 4,40 572 10,759 18,9 83,43 4,41 574 10,849 19,0 84,11 4,43 576 10,944 19,1 84,79 4,44 577 11,021 19,2 85,48 4,45 579 11,117 19,3 86,17 4,47 58i II,2l3 i9>4 86,85 4,48 582 11,291 19,5 87,48 4,49 583 11,372 19,6 88,08 4,49 584 11,446 i9>7 88.81 4,5i 586 11,544 19,8 89;32 4,5i 586 1 1 ,6o3 i9>9 89,87 4,52 587 11,681 20,0 90,40 4,52 588 11,752 Il n'est pas aussi facile qu'on le croit de peser un homme. Le sujet doit être nu et à jeun. On opérera, de préférence, le matin au réveil, avant toute alimentation. La balance-bascule devra être sensible à 5 grammes par 100 kilogrammes. Pendant la pesée, le sujet se tiendra 146 LES GRANDES FONCTIONS sur le plateau de la balance, le dos tourné à la gradua- tion et gardera une immobilité complète. III. Élasticité thoraciquE. — La commission in- ternationale,* réunie, en septembre igio, à l'occasion du quinzième Congrès d'anthropologie, a décidé, très judi- cieusement, que la circonférence thoracique serait désor- mais mesurée selon un plan horizontal passant par la base de l'appendice xyphoïde et que l'on prendrait la moyenne des mesures notées à l'inspiration et à l'expi- ration. L'élasticité thoracique (et non l'amplitude respiratoire comme on dit presque partout) augmente sous l'in- fluence des exercices. Elle est exprimée en centimètres par la différence qui existe entre le périmètre maximum mesuré à la fin d'un mouvement d'inspiration profonde et le périmètre minimum mesuré à la fin d'un mouvement d'expiration forcée. Voici, d'après nos propres observations, la valeur moyenne de l'élasticité thoracique : A six ans : i cent. 20 à 2 centimètres; A dix ans : 3 à 4 centimètres ; A quinze ans : 4 à 6 centimètres ; A dix-huit ans : 4 à y centimètres ; A vingt ans : 6 à 10 centimètres; A vingt-quatre ans : 6 à 12 centimètres. Il ne faut pas chercher une relation constante entre la capacité des poumons et l'élasticité thoracique. Les deux valeurs ne suivent pas toujours une progression parallèle. L'élasticité thoracique est, de plus, indépendante de la valeur absolue du périmètre. J'ai connu des coureurs qui avaient un périmètre thoracique moyen plutôt infé- rieur à la moyenne; mais, chez eux, la différence attestée par le ruban métrique entre le périmètre inspiratoire et le périmètre expiratoire était considérable et allait jus- qu'à i5 et même 17 centimètres. L'élasticité thoracique est fonction de la mobilité des articulations des côtes et de la puissance des muscles de APPRÉCIATION DE LA VALEUR PHYSIQUE 147 la respiration. Des hommes qui ont un thorax de grandes dimensions ne sont pas forcément ceux qui présentent la plus grande élasticité thoracique ; un thorax de grandes dimensions, mais dont la mobilité est faible, est doué de peu d'élasticité; au contraire, un thorax de petites di- mensions, mais très mobile, se dilate beaucoup et la va- leur de son élasticité est importante. Elle peut atteindre un chiffre assez élevé (entre 9 et i5 centimètres) chez les sujets entraînés. IV. ^/£..TiLATiON PULMONAIRE. — Dans l'état de repos, on évalue à o lit. 5oo la quantité d'air mobilisée par chaque mouvement respiratoire ordinaire. C'est ce que les physiologistes appellent Vair courant. Si, à la fin d'une inspiration ordinaire, nous poursuivons ce mou- vement jusqu'à ses extrêmes limites, nous faisons entrer dans notre poitrine une quantité d'air supplémentaire évaluéeà i lit. 670 :c'cst l'air complémentaire. Si, d'autrs: part, nous prolongeons une expiration ordinaire aussi loin qu'il nous est possible, nous expulsons une quantité j d'air évai>iée à i lit. 600 : c'est l'air de réservé. A la suite d'une expiration forcée, on estime, depuis Gréhant, qu'il reste encore dans les poumons une quan- tité d'air évaluée à i lit. 880 ; c'est l'air résiduaî qu'aucun effort, si violent soit-il, ne nous permet d'expulser. Air courant. . . . . ) = capacité vitale. Air de réserve. . . . r (qui exprime la ventilation Air complémentaire. ' maxima). On dit souvent que le spiromètre nous donne la capacité respiratoire. C'est une erreur. Ici les mots ont une signifi- cation précise et il faut la connaître. Le spiromètre nous renseigne sur la capacité vitale, c'est-à-dire sur la ven- tilation maxima. La capacité respiratoire, telle qu'elle a été définie par Gréhant, est autre chose. Elle comprend l'air résiduaî et 1 air de réserve. Autrement dit, c'est la capacité de l'appareil respiratoire à la fin d'une expi- ration ordinaire. 148 I.ES GRANDES FONCTIONS Le spiromètre, introduit en physiologie et en médecine par Hutchinson, est un gazomètre formé d'une cloche graduée, équilibrée par un poids et plongeant dans un vase contenant de l'eau. Un tube qui aboutit au-dessus du niveau de l'eau, au centre de la cloche, établit la com- munication avec l'appareil respiratoire. Le sujet pro- cède à une grande inspiration. Ce faisant, il emmaga- sine l'air complémentaire, après quoi, il saisit entre ses lèvres l'embout qui termine le tube du spiromètre, expulse de ses poumons tout l'air qu'il peut et le fait passer dans la cloche, qui reçoit ainsi : L'air complémentaire ; L'air courant ; L'air de réserve. On obtient, par lecture directe de la graduation tracée sur les parois de la cloche de verre, l'indication en litres et fractions de litre de la capacité vitale moyenne qui est de i lit. 600 (air de réserve) -h i lit. 670 (air complémentaire) + dit, 5oo (air courant) = 3 lit. 770. Le spiromètre exprime la ventilation maxima des pou- mons. Pour évaluer la capacité respiratoire (air résidual -f- air de réserve) , il faut recourir obligatoirement à une mé- thode d'évaluation indirecte, employée en physiologie, celle des mélanges. La capacité respiratoire, chez un adulte bien constitué, oscille entre 3 lit. 200 et 3 lit. 400. L'exercice accroît beaucoup la capacité vitale. Je l'ai fréquemment vue s'élever après six mois, de 3 lit. 600 à 4 lit. 5oo et plus. A l'âge de trois ans, la capacité vitale est seulement de o lit. 400. Elle subit un accroissement annuel de G lit, 120 à o lit. i5o. Arnold a admis que la capacité vitale suivait le développement de la taille à raison de o lit. o5 ou de o lit. 04 par centimètre, suivant qu'il s'agit de l'homme ou de la femme, et à partir de la quatrième année. Je n'ai jamais pu vérifier ces données dont l'allure mathématique cadre mal avec celle des phénomènes biologiques. APPRÉCIATION DE LA VALEUR PHYSIQUE 149 Ce ne sont pas les plus grandes tailles, mais les tailles moyennes qui fournissent la capacité vitale la plus grande. Il semble, ainsi que Manouvrier l'a avancé, que les tailles moyennes scient les plus robustes, les plus musclées et qu'une évolution se produise qui tende à ré- duire la taille au profit de la résistance et de la robus- tesse. V. Circonférence des membres. — Jusqu'à treize ou quatorze ans, les muscles restent grêles chez l'enfant et des mensurations portant sur les membres, avant cet âge, ne-donnent aucune indication importante. Chez un enfant de douze ans, normalement développé, la circonférence du mollet égale celle du cou. Vers le même âge, le péri- mètre thoracique xypho-sternal égale deux fois et demie, au moment de l'inspiration pulmonaire, la circonférence du cou. Je n'insiste pas sur ces données sujettes à des varia- tions individuelles très grandes qui diminuent beaucoup leur valeur. Il n'en est pas de même chez l'adulte. Après six mois d'exercices, j'ai vu la circonférence des bras augmenter 89 fois sur 100, la circonférence des avant-bras 74 fois sur 100, la circonférence de la cuisse yy fois. Le périmètre soléaire avait gagné de 2 à 4 centimètres chez tous les s v. jets. VI. Force musculaire. — On mesure couramment la force des sujets à l'aide des dynamomètres. Ce sont, pour la plupart, des ressorts dont les déformations sont proportionnelles aux forces qui les produisent. Le sthénomètre de Bloch est le plus usité. Dans cet appareil les déformations d'un ressort elliptique sont transmises par un pignon à des aiguilles ; la graduation esc double, l'une mesure la traction et l'autre la pres- sion. Les mesures de la force musculaire manquent géné- ralement de rigueur. Tantôt il s'agit de pressions et i5o I,ES GRANDES FONCTIONS tantôt de tractions. Les dynamomètres sont de con- struction différente, de sorte que la prise des mains n'est pas identique pour tous les modèles. La force moyenne de traction des deux mains, évaluée par Gréhant, est aux environs de 45 kilogrammes. Les muscles du cou ne fléchissent que sous un poids moyen de 100 à 120 kilogrammes. La « force rénale », qu'il conviendrait d'appeler plus exactement « force lombaire », exprime la puissance des muscles extenseurs du tronc (masses des muscles sacro lombaires et dorsaux). On la mesure au moyen du dyna- momètre de Régnier fixé au sol à l'une de ses extrémités, tandis qu'on tire sur l'autre en se penchant d'abord, puis en se redressant. Bile a été évaluée par Quételet, suivant l'âge et le sexe. Voici les résultats rapportés par cet auteur : AGE. Homme. Femme. 6 ans Kg. 20 46 88 102 i3o i38 i55 i54 122 lOI 93 Kg. » 3i 53 59 67 68 77 77 62 59 54 10 ans tS ans 16 ans 18 ans 20 ans 25 ans 3o ans 40 ans 5o ans 60 a n s . . L'écart relatif au sexe est presque du simple au double. On constate un rapport du même ordre, —d'après ManoLivrier, dans l'effort de serrement de la main enre- gistré par les dynamomètres de pression. La masse des muscles est plus grande dans le corps de l'homme que dans celui de la femme, mais surtout, l'adaptation fonc- tionnelle est meilleure chez le premier. L'exercice phy- APPRÉCIATION DE LA VALEUR PHYSIQUE l5l sique augmente considérablement la force musculaire. Après six mois d'exercices suivis, la force de traction des deux mains s'était accrue du tiers et la force rénale 3 de - chez 72 p. 100 des sujets observés. 8 On a construit de nombreux dynamomètres enregis- treurs ou dyuamographes pour observer les variations de la force. Parmi les divers modèles, je citerai ceux de Marey, d'Héséhous {Journal de physique, 1889), de Gréhant(C. R. Soc. BioL, 1891, 1892, 1897), de Charles Henry, de Hùlss {Zeit.f. BioL, t. XXXIII, p. i35, 1896), de-Verdin (C. R. Soc. Biol, 1896), de Waller. Mais ces appareils, malgré leur ingéniosité, ne suffisent nulle- ment à enregistrer toutes les forces et composantes des forces qui se manifestent au cours du travail sportif, et dans les exercices ph3'siques divers. Depuis quelques années, on a enregistré les efforts musculaires dans les diverses professions. Imbert, de Montpellier, a montré, le premier, tout le parti qu'il était possible de tirer de la méthode graphique pour mesurer le travail manuel des ouvriers. {Bulletin Insp. Travail, n°* I et 2, 1909.) La chaussure exploratrice imaginée jadis par Marey, la semelle à soufflet de Tatin mesurent l'effort exercé par le pied sur le sol dans les exercices sportifs. Imbert appliqua le système d'enregistrement de Marey à des outils communs : le sécateur, la lime. L'ergométrie est l'ensemble des procédés mis en usage pour mesurer le travail musculaire, et l'ergographie est l'ensemble des procédés propres à l'enregistrer. Parmi les appareils ergométriques, je citerai le frein à poids de Laulaniéjie bicycle ergomêtriqne ,iin.aginé-paT les savants américains Atwater et Bénédicc ; celui, plus simple et plus correct, décrit par Amar {Joitrn. Physiol., 191 2, p. 3o3). De tous les ergographes, le plus classique est celui de Mosso, à l'aide duquel on mesure le travail et la fa- tigue du faisceau musculaire qui fléchit le doigt médian. Beaucoup d'ergographes sont basés sur le même prin- l52 LEvS GRANDES FONCTION.S cipe que celui de Mosso. La plupart utilisent le travail du doigt médian ; Storey, remarquant une certaine gêne de cedoigt quand les autres sont immobilisés, fait travail- ler l'index. Trêves a imaginé un ergographe brachial ; enfin, Capiobianco a construit un ergographe de jambes. VI. Rythme respiratoire. — Marey a étudié, à l'aide du pneumographe, les effets des exercices sur le rythme respiratoire. Ces recherches ont été faites à l'Ecole de gymnastique de Joinville. Il a choisi cinq jeunes gens qui arrivaient à l'école et qui n'avaient pas encore pris part aux exercices. Il inscrivit la respiration de chacun d'eux au repos, puis immédiatement après une course de 600 mètres au pas de gymnastique. Les tracés ont été pris de nouveau tous les mois. La comparaison des tracés a montré que, dans les premiers temps, la respi- ration était notablement accélérée par la course ; il y avait une grande tendance à l'essoufflement ; après quatre ou cinq mois d'exercices, il était devenu impossible de con- stater un changement de la respiration sur les hommes qui avaient couru ; l'allure était devenue cependant un peu plus rapide. On observait, de plus, que les changements constatés dans le rythme respiratoire étaient permanents, on le con- statait même au repos ; le nombre des respirations était passé, en moyenne, de 20 à 12 par minute, mais leur amplitude avait plus que doublé. Le ralentissement du rythme respiratoire à l'état per- manent, mais surtout sa stabilité pendant les exercices, sont les principaux critères de l'entraînement local des poumons et, devrais-je dire, deux des signes cardinaux auxquels on reconnaît que l'entraînement général d'un athlète est un fait accompli. VII. Rythme cardiaque. — Ce que je viens de dire du rythme respiratoire s'applique au rythme cardiaque. Le nombre des pulsations s'élève beaucoup pendant les exercices pratiqués par des sujets non entraînés, il se stabilise au fur et à mesure que V entraînement se poursuit. APPRÉCIATION DE LA VALEUR PHYSIQUE l53 La numération du pouls radial, si facile à l'aide d'une simple montre pourvue d'un cadran gradué en secondes, est un moyen excellent et rapide de s'assurer de l'état d'entraînement du cœur. On comptera le pouls à l'état de repos, puis après un exercice qui devra toujours être le même, par exemple une course de 600 mètres au pas de gymnastique. Cette opération sera répétée chaque mois et, peu à peu, on verra, si l'entraînement est bien con- duit, le nombre des pulsations, après l'exercice, se rap- procher de celui des pulsations au repos. On assistera à l'adaptation progressive du cœur au travail qu'on ré- clame de lui. Cette adaptation se fera d'autant plus régu- lièrement que les exercices choisis seront mieux appro- priés à la constitution des sujets à exercer. Car le même exercice ne convient pas à tous et la méthode d'éducation physique idéale est celle dont les moyens sont assez variés et qui présente des ressources assez nombreuses pour offrir aux organismes les plus dissemblables le genre d' exercices qui leur convient. Le pouls de l'adulte bat, en moyenne, 70 fois par minute. Il peut s'accélérer beaucoup et j'ai vu, à l'arrivée d'une course de fond que les concurrents, exci- tés par une compétition très vive, avaient menée de bout en bout en suivant le train d'une course de vitesse, le pouls de deux d'entre eux battre 210 fois par minute. Ces deux coureurs étaient presque en état de syncope. Ces chiffres témoignent d'un effort très violent et auquel on ne saurait engager personne à se livrer. Il est dangereux, car il peut créer un état de dilatation aiguë du cœur qui met, désormais, celui qui en est atteint, dans l'impossibilité, non seulement de renouveler pareille per- formance, mais de poursuivre le cours de sa carrière sportive. Bouin,quifut le plus grand coureur de ce temps, par sa science et par le contrôle énergique qu'il exerçait volontairement sur sa respiration, avait un pouls dont le nombre ^de pulsations ne dépassa jamais le chiffre de 178 par minute, même dans les épreuves les plus dures. VIII. Évaluation de la preSvSion sanguine. — J'ai l54 LES GRANDES FONCTIONS fait, au chapitre delà Circulation du sang, un exposé sans doute succinct, mais suffisant, de cette question, et je ne saurais y revenir ici sans m' exposer à des redites inu- tiles. IX. Évaluation de la température interne du CORPS. — On ne se sert pas assez du thermomètre dans les établissenlents d'éducation physique. C'est un moyen excellent, à la portée de tous, de contrôler de quelle ma- nière un organisme se comporte pendant le travail mus- culaire. Nous savons qu'un muscle qui travaille s'échauffe. Dans l'être vivant, la relation entre le travail mécanique et la chaleur se retrouve, mais ne suit que d'une manière approchante les mêmes lois que dans les moteurs inanimés . « Le muscle, écrit Doyon, procède de cette façon : L'ex- citation nerveuse qui l'atteint joue en lui le rôle de l'étincelle qui enflamme le mélange explosif de la machine à gaz; elle provoque la combustion d'un corps hydro- carboné : le glycogène. Chaque excitation nerveuse, au commencement de chaque secousse musculaire, met en liberté une certaine quantité d'énergie dont une part notable contribue d'emblée à réchauffement du muscle et dont une part moindre, un tiers, pour fixer les idées, est absorbée par le travail positif de la montée (première phase), puis cette énergie est restituée sous forme de chaleur par le travail négatif de la descente (deuxième phase). «... En somme, dans le cas d'une secousse musculaire qui soulève un poids pour le laisser redescendre, toute l'énergie libérée apparaît bien sous forme de chaleur dans la durée de la secousse totale, mais elle est répartie en deux lots, l'un à la montée, qui en représente les deux tiers, et l'autre à la descente, un tiers seulement. Le muscle dégage plus de chaleur à la montée qu'à la descente. » {Traité de physiologie, Caloriiication,p. 379 et 38o.) Sous l'influence de l'exercice, les muscles, le foie, les reins, les glandes en général, le cerveau et surtout le APPRÉCIATION DE LA VALEUR PHYSIQUE 1 55 sang s'échauffent. Des mesures pratiquées directement dans ces organes l'attestent. Davy, Jiirgensen, Wun- derlich, Forel et d'autres physiologues ont constaté après l'exercice musculaire, la marche, la course, des élévations de la température rectale ou axillaire variant entre 1/2 et 2 degrés. Mosso a fait les mêmes observations sur lui- même au cours d'une marche forcée de deux jours. Nous savons aussi que les émotions agissent directe- ment sur la température du corps humain. Martin a vu la température monter de 35°5 à 3y°5 au cours d'un vio- lent accès de colère et redescendre à 33''7 sous l'empire de la frayeur, pour se relever bientôt à 36°2. Mosso a fait des constatations du même genre. La température de l'homme est une des moins élevées parmi celles enregistrées chez les mammifères. Elle oscille, perpétuellement, autour d'un chiffre moyen, qui, pour chaque individu, a une certaine constance. Il s'agit d'une sorte de coefficient thermique propre à chacun de nous. Pour Jiirgensen, la température moyenne de l'homme serait de 3y°y. Pour Wunderlich 37035 Pour Jâger 37°i3 Pour Redard 37"65 Pour Richet Sy^S Le maximum de la température est observé vers quatre heures du soir et répond à l'instant de la jour- née on les excitations des systèmes musculaires et ner- veux ont leur plus grande activité. Le minimum est vers quatre heures du matin, moment où la sédation de ces systèmes est profonde à la suite du sommeil. Les actes de la digestion jouent aussi un rôle dans les oscil- lations quotidiennes de la température. Dans les climats chauds, la température interne s'élève souvent de i degré et même davantage (Davy). Dans les pays tempérés, Forel, opérant sur lui même, a constaté que les chiffres qu'il relevait pendant l'été excédaient légèrement ceux qu'il recueillait en hiver. l56 LES GRANDES FONCTIONS Enfin, Richet a remarqué que les moyennes géné- rales de la température aux différents âges étaient les suivantes : Naissance 38°8 Demi-heure après Sô^ô £)ix jours suivants 37°6 Enfance et adolescence Sy^ô à 3-]" Age adulte 3/° Vieillesse 37°i Le chien, le lapin, le cobaye, le mouton, le veau, le bœuf et le porc ont des températures moyennes oscillant entre 39°i et 39°7. Le cheval a une température de 37°7, mais elle est sujette a de très grandes variations (de 35° à 39°). Le singe a une température assez con- stante aux environs de 38°i. Chez l'homme, les limites extrêmes de température compatible avec la vie, sont entre 44° et 24°; soit un écart de 20° (Doyon) ; mais il faut savoir que la gravité de l'élévation ou de l'abaissement thermique tient moins au degré enregistré par le thermomètre qu'à la prolon- gation de cet état anormal. On a observé 44° au cours d'accès palustres courts chez des sujets qui ont survécu. L'homme lutte contre la chaleur en augmentant sa déperdition de calorique. Il le fait de deux manières : 1° Par le mécanisme de la vaso-dilatation périphé- rique à la faveur de laquelle le sang pénètre largement dans le réseau veineux sous-cutané et perd par rayonne- ment une partie de sa chaleur; 2° Par Vévaporation de la sueiir, à la surface de la peau, sous l'influence des nerfs sudoripares, qui pro- voquent une sécrétion abondante de sueur. L'action réfrigérante due à ce dernier procédé est importante. En effet, i gramme d'eau absorbe, pour se vaporiser, environ 58o micro-calories. Ce qui revient à dire que la température de 58o grammes de nos tissus est abaissée de i degré par cette vaporisation. L'évapo- ration de i25 grammes d'eau abaissera donc deundegré la température du corps d'un adulte pesant 72 ks. 5oo. APPRÉCIATION DE LA VALEUR PHYSIQUE 15/ Le premier procédé est de beaucoup le moins efficace, surtout lorsque la température extérieure s'élève. Ce qui précède nous donne l'une des raisons pour lesquelles les sports demandant une grande dépense musculaire, déga- geant, par conséquent, beaucoup de chaleur (foot-ball, cross), sont des sports d'hiver. L'évaporation se fait d'autant plus activement que l'atmosphère est plus sèche, d'autant plus lentement que l'air est plus rapproché de son point de saturation par la vapeur d'eau. L'évaporation n'a pas seulement lieu sur la peau, elle se produit aussi sur la surface pulmonaire. Chaque mouvement d'expiration rejette de l'air saturé de vapeur d'eau. A chaque inspiration, l'air non saturé, venu du dehors se sature à son tour dans les voies respiratoires et soustrait au sang des poumons un certain nombre de calories. Un adulte d'un poids de 65 kilogrammes perd, en vingt-quatre heures environ, 600 grammes d'eau de cette manière. Cette quantité d'eau absorbe, pour se vaporiser, 6ooXo,58o =.348 grandes calories. Pendant un exercice assez vif, cette quantité augmente beaucoup et peut être décuplée. Chez les animaux, comme le chien, à peu près com- plètement privés de glandes sudoripares, la réfrigération du sang se fait presque exclusivement par les poumons. Aussi voit-on de tels animaux dont le rythme respira- toire, au repos, est de 18 ou 20 mouvements par minute, avoir 3oo et 35o respirations dans le même laps de temps, lorsqu'ils sont exposés au soleil ou soumis à une course vive. Leur langue pend hors de la gueule et offre le maximum de surface à la vaporisation. La quantité d'eau ainsi évaporée est énorme. Elle peut atteindre, chez un chien de forte taille plus de 10 grammes par heure et par kilogramme. D'après les calculs de Richet, cet animal peut, dans ces conditions, faire deux fois plus de froid, qu'il ne produit de chaleur. Au cours des exercices physiques, la température centrale du corps humain ne doit pas sensiblement s'éle- ver chez un sujet sain, sauf lorsqu'il s'agit d'exercices l58 LES GRANDES FONCTIONS violents et prolongés. Mais à la suite des leçons ordi- naires de culture ph3'^sique, une élévation de tempéra- ture de plus de 1/2 degré, ou i degré au maximum, doit immédiatement faire soupçonner une lésion organique cachée (insuffisance rénale ou hépatique, souvent), ou la présence jusqu'alors méconnue d'un germe pathogène latent. Dans ce dernier cas, il s'agit 80 fois sur 100 du bacille de la tuberculose localisé en un point de l'orga- nisme, presque toujours dans les poum-ons. Suractivé par la perturbation organique qui accompagne l'exercice physique, il met brusquement en liberté ses toxines. Ces dernières sont essentiellement thermogènes et pro- voquent l'apparition de la fièvre. Ces faits doivent être connus de tous ceux qui se consacrent à l'éducation physique. Daremberg imposait à ceux de ses malades qu'il sup- posait atteints de tuberculose ce qu'il appelait l'épreuve de la marche. Il leur faisait parcourir quelques kilo- mètres à pied et à l'allure de 4 kilomètres 5oo à l'heure. Il notait leur température avant et après la performance et considérait comme suspects de tuberculose les sujets chez lesquels la température centrale s'était élevée de plus de i^S dans la demi-heure qui suivait l'épreuve. X. Examen des réflexes rotulien et achilléen. Mesure du degré de sensibilité. Examen du sens MUSCULAIRE. — J'ai exposé dans une autre partie de ce livre ces diverses questions. Il suffira de s'y reporter pour en avoir une idée sommaire. L'exploration du sens musculaire a une grande importance pratique. Elle per- met de déceler, avant toute espèce d'exercice physique, des imperfections neuro-musculaires souvent très accu- sées chez quelques sujets. Elle donne à l'éducateur les moj^ens de suivre, au jour le jour, les progrès accomplis par les élèves dans cet ordre d'idées. XI. Examen des réflexes pupîllaires et d'accom- modation. Les mouvements de la pupille sont très faciles à apprécier. Lorsqu'on approche une bougie de l'oeil APPRÉCIATION DE LA VALEUR PHYSIQUE iSq ouvert, on voit la pupille se rétrécir par contraction de l'iris; elle se dilate à nouveau quand on éloigne la lumière. C'est le réflexe rétinô-pupillaire. Lorsqu'on fait fixer un objet tenu éloigné de l'œil, un doigt, par exemple, la pupille apparaît relative- ment dilatée. Si l'on rapproche peu à peu le doigt de l'œil observé, ce dernier continuant à fixer le doigt qui se rapproche, on ^oit la pupille se rétrécir. Dans la vision des objets éloignés, la pupille se dilate ; dans la vision des objets rapprochés, elle se contracte. C'est le réflexe d'accommodation. Dans certaines maladies (tabès, paral3'^sie générale), le réflexe rétino-pupillairepeut avoir disparu. La consta- tation de réflexes normaux pupillaires et d'accommoda- tion est généralement l'indice d'une intégrité sensitivo- sensorielle. XII. Evaluation physiologique d'un sujet donné PAR le calcul de l'indice de Pignet. — La taille, le poids et le périmètre thoracique, considérés isolément, ne peuvent fournir que des éléments d'appréciation incom- plets. Pignet a tenté de faire entrerieur valeur respective dans une formule unique qui deviendrait ainsi l'expres- sion de la valeur physiologique de l'individu. Il a pri- mitivement dénommé cette formule « valeur numérique de l'homm.. ». Aujourd'hui, on la désigne plus commu- nément sous le nom « d'indice » ou de « coefficient de robusticité ». Le calcul de l'indice se fait de la manière suivante : La taille, le poids et le périmètre thoracique sont mesurés séparément. On additionne alors le poids et le périmètre et on soustrait ce total de la taille exprimée eu centi- mètres : i Taille i m. 70 Exemple ) Poids 60 kg. ( Périmètre o m. go Indice = 170 — (60 + 90) = 20 Il se produit des cas (rares) dans lesquels l'addition l6o LES GRANDES FONCTIONS du poids et du périmètre donnent un total supérieur au chiffre de la taille : ( Taille i m. 73 Exemple < Poids 78 kg. ( Périmètre o m. qS Dans cet exemple, la somme du poids et du périmètre =: 176. Elle est supérieure de trois unités au chiffre de la taille 173. Dans ce cas, on soustrait la taille du total du poids et du périmètre, et l'on fait précéder l'indice obtenu du signe -f- : Exemple (78 + 98) — 173 = + 3 Dans les cas les plus nombreux, ou la taille est supé- rieure à la somme du poids et du périmètre, l'indice est précédé du signe -. — : Exemple : 170 — (60 -j- 90) = — 20 Ce mode de notation a été critiqué, M. Besson le défend en disant : « La taille est prise comme terme de compa- raison ; si la somme du poids et du périmètre lui est inférieure, c'est bien un écart en moins, vis-à-vis d'elle, ^ que note la soustraction ; il faut donc employer le signe — ; si, au contraire, cette somme lui est supérieure, c'est bien un écart en plus, vis-à-vis d'elle, que notera la soustraction : donc, cette fois, il sera justifié d'utiliser le signe +. » {Archives de médecine et de pharmacie militaire, 1918, p. 436.) Il est un second moyeu plus expéditif de calculer l'indice de Pignet. Il ne s'acquiert qu'avec quelque entraînement, mais une fois acquis, le calcul est, pour ainsi dire, instantané. Il consiste à noter les deux écarts : 1° entre le nombre de centimètres de la taille au-dessus du mètre et le chiffre du poids ; 2° entre le chiffre du périmètre et le chiffre 100; on additionne ces deux écarts : le total est l'indice. ( Taille i m. 70 Exemple j Poids 60 kg. ( Périmètre o m. 90 APPRÉCIATION DE LA VALEUR PHYSIQUE l6l Écart : entre les centimètres ) de la taille au dessus du mètre [ écart (soit 70 et le poids (soit 60). . . ) Écart : entre le périmètre (soit 90), et le chiffre 100. . . . Total des écarts = 20. écart =- 10 L'indice de Pignet n'est, malgré son utilité, qu'une aide et un contrôle. 11 ne saurait servir de base unique pour déterminer l'aptitude ph3'^sique. De plus, il n'a de valeur que chez les adolescents et les jeunes hommes. Après trente-cinq ou quarante ans, la taille étant désor- mais fixée, l'augmentation fréquente de poids fausse notablement la signification de l'indice. Celui-ci ne saurait se substituer à l'examen médical. Le sens cli- nique et la science du médecin expert appliqués à l'examen des grands viscères (cœur, poumons, foie, reins) demeurent les éléments fondamentaux de l'appréciation de la valeur physiologique d'un sujet. Le chiffre du coefficient de robusticité est d'autant plus élevé que la constitution du sujet apparaît plus faible. Un sujet mesurant i m. 70, pesant 65 kilogrammes, ayant un périmètre de o m. 90, a un indice de — - i5, qui laisse supposer une robuste constitution. Au con- traire, un sujet, mesurant i m. 70, pesant 5o kilo- grammes, ayant un périmètre de o m. 80, a un indice de — 40 et doit être classé parmi les sujets très faibles. Lorsque les sujets sont particulièrement robustes, on trouve alors des indices -f-, la somme du poids et du périmètre dépassant la taille. Ils se rencontrent aussi chez les obèses qui sont d'une valeur physique très médiocre. Voici une échelle de valeur numérique de l'aptitude physique normale, proposée par Besson, et qui peut être utilement consultée. On suppose que les sujets exami- nés ne sont atteints d'aucune affection organique et qu'ils ne sont pas âgés de plus de trente ans. Au-dessus de + 10 = surcharge graisseuse; De -)- 10 à — 10 = constitution très vigoureuse; De — II à — 20 :::; constitution forte ; De — 21 à — 25 =: constitution moyenne ; l"62 I.ES GRANDES FONCTIONS De — 26 à — 3o := zone limite (discutable) ; De — 3i à — 35 = médiocre; Au-delà de — 35 nettement mauvais. Dans tous les cas où il n'y a pas une lésion organique latente (bronchite et pleurésie chroniques, affection du cœur, du foie, des reins, etc...)j l'indice est abaissé par les exercices physiques, ce qui indique, comme nous l'avons vu, une évolution favorable dans le sens de l'accroissement de la robusticité. XIII. Examen du sang. — Cet examen est loin d'avoir la place qu'il mérite. Son importance est capitale pour permettre ou faciliter le contrôle de l'action bienfaisante des exercices physiques. Il n'est pas douteux qu'il offre au physiologue des renseignements aussi précieux que l'examen de la taille, du poids, du périmètre thoracique, etc. Cependant, ces renseignements ne sont jamais ou presque jamais recherchés. La première cause en est, que les principales notions hématologiques, quoique très simples, ne sont pas suffisamment vulgarisées, et que l'importance pratique de cet examen est ignorée. La deuxième raison, c'est que l'on ne connaît généralement pas la technique de l'examen des éléments figurés du sang et surtout sa très grande simplicité. Chaque école d'éducation physique devrait être dotée d'un laboratoire pourvu d'un microscope et des réactifs colorants nécessaires. On devra étudier à la fois pendant le repos et au cours du travail musculaire : a) Les conditions dans lesquelles se fait la coagulation du sang (mesure de la rapidité de la coagulation, étude du mode de coagulation, degré de rétractilité du caillot) ; h) La viscosité sanguine ; c) L'état des globules (numération des globules rouges et des globules blancs) ; d) La quantité d'hémoglobine (dosage simple à l'aide des hémoglobinimètres) ; APPRÉCIATION DE LA VALEUR PHYSIQUE l65 é) La résistance globulaire ; /) Le reticulurn fihrineux ; g) Le dosage de Vurée, dans le sang, avant, pendant et après les exercices. Ces recherches comportent une instrumentation des plus restreintes et qui devrait faire partie de toute école moderne d'éducation physique digne de ce nom. Des recherches prudemment conduites dans le sens que j'in- dique seraient fécondes en déductions pratiques de toute espèce. Les élèves ordinaires et les athlètes seraient les premiers à en bénéficier. La physiologie générale y ferait aussi vraisemblablement une ample moisson de notions nouvelles et originales. XIV. Examen des urines. — Il y aurait le plus grand intérêt à ce que l'examen des urines fût pratiqué plus fréquemment. En prenant l'habitude d'examiner systématiquement les urines de tous les élèves, on aura souvent l'occasion de dépister des albuminuries et. des glycosuries latentes et de rapporter à leur véritable cause les troubles divers provoqués chez certains sujets par l'exercice, et dont l'origine était demeurée jusqu'alors insoupçonnée. On recherchera d'abord la présence des éléments anormaux (albumine, sucre, acétone, pigments biliaires, pus, sang et hémoglobine). Quelques éprouvettes, quelques réactifs chimiques et un outillage très modeste peuvent suffire à ces recherches primordiales. Après quoi, on appréciera les fonctions rénales par l'élimina- tion provoquée, ce qui est fort simple et à la portée de toute personne attentive. Enfin, l'étude microscopique des sédiments urinaires donnera souvent des indications importantes, surtout à la suite d'un exercice un peu vif. J'en ai terminé avec le contrôle des résultats obtenus par la pratique des exercices physiques. L'exposé suc- 164 LES GRANDES FONCTIONS cinct que j'ai fait des investigations auxquelles doit se livrer tout éducateur soucieux d'entourer ce contrôle des garanties scientifiques indispensables, n'est presque, dans sa brièveté, qu'un programme. Il sera réalisé le jour où l'éducation physique aura acquis droit de cité dans les divers milieux sociaux. C'est aux personnes éclairées qu'il appartient de prêcher cette croisade nouvelle et de convaincre les incrédules. Il faut qu'elles se fassent entendre partout, au seuil de tous les logis, du château à la ferme, du luxueux appartement au taudis du fau- bourg. Le nombre des adeptes déjà faits dans les milieux autrefois les plus récalcitrants, nous donne l'espoir que la cause de l'éducation physique a fait de grands pro- grès. DEUXIEME PARTIE NOTIONS FONDAMENTALES CHAPITRE IX L'ENTRAINEMENT Dans le langage sportif, le mot entraînement a la signification de développement d'une énergie déterminée. Elle assure à celui qui l'a acquise une supériorité dans l'exécution des mouvements spéciaux d'un exercice. Dans le langage physiologique, le mot entraînement a un sens plus large. Il signifie la propriété générale d'un organisme de résister à la fatigue. Un sujet entraîné est celui qui : i'' Résiste mieux aux intoxications dues à la fatigue par une neutralisation plus parfaite et une élimination plus complète des toxines produites par l'exercice ; 2° Sa nutrition générale bien équilibrée, son hématose et sa circulation plus actives assurent un entretien par- fait du muscle considéré comme transformateur d'éner- gie ; 3° Sa masse musculaire est accrue ; 4° Il possède une coordination fonctionnelle, c'est-à- dire une synergie plus grande, grâce à la perfection des ordres émanés de ses centres nerveux. Ainsi compris, l'entraînement exprime le complet épanouissement de l'organisme dans l'ordre physiolo- gique et anatomique. Cet état de perfection et d'harmonie, chez un sujet entraîné, est la forme. Comme on le verra dans les pages qui suivent, la mise en forme physiologique s'acquiert péniblement et est conservée difficilement. Au contraire, l'entraînement musculaire est rapidement obtenu. En un mois d'exer- l68 NOTIONS FONDAMENTALES cice quotidien, Aducco doubla sa puissance. Schefïer augmenta sa force de 60 p. 100 en deux mois d'entraî- nement musculaire et Manca, avec deux haltères, passa, en neuf semaines, de vingt-huit à quatre-vingt-quinze soulèvements rythmés. L'étude de l'entraînement musculaire ou dynamomé- trique a été faite par Warren Lombard {Journal of phy- sioL, 1893), Mosso [la Fatigue intellectuelle et physique, Paris, 1894 ; les Lois de la fatigue étudiées dans les muscles de l'homme, Arch. ital. de biol., 1890) et par Charles Henry (Recherche expérimentale sur l'entraî- nement musculaire, Comptes rendus de l'Acad. des Sciences, 1891). Avec des haltères de 5 kilogrammes, auxquels on pouvait ajouter successivement vingt-quatre petites masses additionnelles, Ch, Henry a obtenu une loi mathématique de l'entraînement musculaire le plus rapide. L'entraînement provoque toujours : i" des modifica- tions de la nutrition générale ; 2° des changements dans les rapports qui existent entre les différents tissus de nos organes. Il ne se produit pas, comme on l'a écrit, des modifications de structure qui se gagneraient très vite et se perdraient de même, mais seulement des chan- gements dans la quantité et dans la qualité des tissus existants. La nature de ces tissus ne varie pas ; ce qui est modifié, ce sont les proportions entre leurs parties constitutives. Voici un boxeur qui pesait 85 kilogrammes avant l'en- traînement. Après l'entraînement, son poids est de 88 kilogrammes ; ce sujet paraît être, cependant, devenu plus anguleux et comme desséché. En vérité, le régime auquel il a été soumis a eu pour conséquence de faire disparaître presque entièrement sa graisse qui a été rem- placée par des muscles, et, malgré son apparence, l'athlète pèse un peu plus après qu'avant l'entraînement. Ce que recherche l'homme qui s'entraîne, ce sont: d'une part, V accroisseinent du volume et de la force des muscles par le travail ; d'autre part, la diminution de la masse des tissus mous (graisse, tissu cellulaire, eau l'entraînement 169 interposée), à l'aide d'évacuations de toute espèce. Un entraînement rationnellement conduit comporte la provocation artificielle de sueurs profuses, un accroisse- ment concomitant de la diurèse et quelques évacuations intestinales causées par des purgatifs salins. Cet ensemble de procédés spolie l'organisme d'une partie de son eau d'infiltration. Le besoin de réparer ces pertes aqueuses se traduit, du moins au début de l'entraînement, par une soif assez vive. Nos tissus se livrent alors à un travail osmotique considérable. Toute l'eau qui se trouve à leur portée (liquides épanchés dans les cavités naturelles ou infiltrés dans le tissu cellulaire et non encore élimi- nés) est résorbée par les cellules vivantes constitutives de ces tissus. Les articulations perdent leurs formes arrondies ; elles deviennent «sèches» par disparition du surplus du liquide synovial qui baigne les surfaces arti- culaires. Celles-ci sont lubrifiées avec le minimum de synovie. S'il existe quelque part un liquide pathologique, dans la plèvre, par exemple, il tend à disparaître, ré- sorbé lui aussi par l'aspiration osmotique qui se fait de toutes parts vers les cellules vivantes avides d'eau. Ce travail de résorption ne se limite pas aux liquides. Il intéresse également certains tissus mous peu stables, tels que la graisse. Les transpirations paraissent débar- rasser les sujets mis à l'entraînement, non seulement de l'eau qui infiltre le tissu cellulaire, mais aussi d'une partie des matières grasses. Ces dernières, en brûlant, donnent naissance à de l'acide carbonique que les pou- mons éliminent et à de l'eau que les tissus résorbent. Le premier effet de l'entraînement est donc la dimi- nution de poids par perte d'eau et d'une très faible par- tie de la graisse. Tous les moyens sont employés pour le produire: bains chauds alternantavec la douche d'eau froide, frictions sèches et massages vigoureux allant jusqu'au pétrissage, enveloppements ouatés à l'aide de coton doublé de lames caoutchoutées, bains de vapeur, étuves sèches, vêtements de laine. Ces procédés divers ont pour autre résultat de beau- coup alléger le travail du cœur en raréfiant les liquides 170 NOTIONS FONDAMENTAI^ES interstitiels et, conséquemment, en diminuant les résis- tances que doit vaincre la circulation dans les territoires des vaisseaux capillaires. Cette déshydratation énergique ne doit pas dépasser cependant une certaine limite, variable suivant les per- sonnes. Poussée trop loin, elle s'accompagne de troubles qui traduisent l'intoxication générale du sujet soumis à l'entraînement. Il dort mal, il perd l'appétit, ses urines se raréfient et sont plus foncées ; quelquefois même elles contiennent des traces d'albumine. L'organisme n'a plus à sa disposition la quantité d'eau nécessaire pour solubiliser les déchets qui doivent être entraînés à l'ex- térieur. Ils ne sont plus éliminés en totalité. Une partie est retenue dans le foie, dans les reins, dans le sang. Il faut donc ne spolier l'organisme que de l'excès, du seul excès d'eau qu'il contient. L'urine de l'athlète entraîné devra être l'objet d'un examen quotidien, qui révélera si les différents corps chimiques qui entrent dans sa composition s'y trouvent en proportion conve- nable. Il faudra juger, non d'après la quantité d'urine émise, mais d'après la quantité de déchets qui doivent être quotidiennement éliminés par un homme normal, compte tenu du poids du sujet soumis à l'entraînement et du travail qu'il fournit chaque jour. Cet ensemble de pratiques suppose que l'on s'est préalablement assuré que les organes chargés d'éliminer les résidus du travail musculaire et du fonctionnement normal de l'économie, sont, chez un tel sujet, parfaite- ment indemnes de toute espèce de tare pathologique ancienne ou actuelle. Le foie, les reins, la peau et l'in- testin auront donc été l'objet d'un examen préalable et l'athlète ne sera mis à l'entraînement que s'il est avéré que ces quatre émunctoires fonctionnent normalement. La peau doit être l'objet d'une attention particulière parce qu'elle élimine, par la sueur, des produits émi- nemment toxiques, notamment ceux qui proviennent de l'usure des muscles. Nous savons combien l'intoxication du sang par les 1,'entrainement 171 déchets de cette catégorie conduit vite à la fatigue. Pour retarder l'apparition de celle-ci, l'un des moyens les plus efficaces consistera à entretenir les téguments dans un parfait état de propreté. Avant d'aller plus avant dans l'étude de l'entraîne- ment, il convient que je m'arrête quelques instants à l'action régulatrice des reins, de la peau et du foie. Ces organes maintiennent l'équilibre physique et chimique du milieu organique. Les sécrétions rénale, hépatique \ et sudorale varient en effet considérablement, selon les circonstances, et assurent à la constitution du sang une remarquable fixité. Elles se chargent des substances étrangères et nocives qui doivent être éliminées. J'ai connu un coureur qui, quoique convalescent d'une scarlatine, d'ailleurs guérie depuis quatre mois, tenta d'établir un record, malgré ma défense. Ses reins avaient été touchés par la scarlatine, fait très commun pendant le décours de cette maladie. Cette complication ne pa- raissait pas avoir laissé de traces. Ce coureur n'en res- sentait aucune espèce d'inconvénient dans la vie ordinaire. Il courut donc. Le soir, je fus appelé à son chevet. Je le trouvai haletant ; ses pupilles étaient dilatées au maxi- mum et des vomissements survenaient à chaque instant, signant en quelque sorte le diagnostic d'urémie suraiguë. L'infortuné était victime d'un véritable empoisonnement causé par la fermeture des reins. Les matières vomies avait une odeur ammoniacale caractéristique. L'urée s'éliminait chez lui par la salive, l'estomac et l'intestin où elle était transformée en carbonate d'ammoniaque. Peu à peu, sous l'influence du repos absolu, et d'un traitement approprié, le calme se rétablit, mais ce sujet fut mis définitivement dans l'impossibilité de se livrer à son sport favori. La toxicité de l'urine a été étudiée par Feltz et Ritter {1881), Bocci (1882), Schiffer (i883), mais surtout par Bouchard et ses nombreux élèves. Les substances 172 NOTIONS FONDAMENTALES toxiques qu'elle contient sont : des sels minéraux et surtout de la potasse, des éléments organiques provenant de la désassimilation des tissus, tels que alcaloïdes, corps ami- dés, pigments, etc. Les uns dérivent des aliments (sub- stances minérales) ; les autres, des fermentations dont le tube digestif est le siège ; la plupart, de la désassimi- lation des tissus. On a recherché les modifications que le travail et l'entraînement peuvent apporter dans la composition des urines. Les observations aboutissent à des résultats différents et parfois contradictoires. Les divergences s'ex- pliquent par les conditions alimentaires qui varient d'un athlète à l'autre, par la forme et la durée du travail accompli, par des conditions physiologiques indivi- duelles, par un état antérieur, etc. A titre documentaire, voici les résultats d'une analyse d'urines pratiquée par Sabrazès et Denigès sur le coureur cycliste Stéphane pendant son record de vingt-quatre heures sur piste : Urée Acide urique . Azote total Acide phosphorique total . . Sulfates Chlorures Pendant la performance, Stéphane s'était exclusive- ment alimenté avec du lait. La lecture de ces résultats nous montre que, dans tout travail intense et prolongé, l'athlète se met en état d'auto-intoxication qui deviendra effective si les émunc- toires (foie, reins, peau, intestin) fonctionnent mal. La sueur est un autre produit toxique ; elle n'est pas seulement un simple moyen de réfrigération pour l'orga- nisme. Arloing, Charrin et Mavrojannis l'ont démontré en expérimentant sur des animaux. Dix à quinze centi- mètres cubes de sueur tuent i kilogramme de substance vivante. D'après Arloing, si la sueur était retenue dans Premier Deuxième Kour. )our. grammes. grammes. 3i,5o 58, 5o o,65 I 17,07 38,85 3,64 7 6,i5 7/' 2 i3,5o 3,12 l'entraînement 173 l'organisme, la quantité sécrétée en vingt-quatre heures serait capable d'empoisonner un homme du poids moyen de 65 kilogrammes. La sueur provoquée par le travail musculaire est plus toxique que celle que font apparaître artificiellement les bains de vapeur ou les douches d'air chaud. De plus, la toxicité de la sueur augmente avec l'intensité du travail. Arloing a rencontré une personne dont la sueur sécrétée pendant le repos permettait la survie du chien à la dose de 22 centimètres cubes par kilogramme de poids vif, tandis qu'elle tuait un animal de la même espèce à la dose de 12 centimètres cubes seulement, lorsqu'elle était sécrétée pen-dant une longue course à bicyclette. Une autre cause de variation de la toxicité de la sueur, au point de vue expérimental, réside dans les conditions qui président à sa récolte. La sueur prélevée directement à la surface de la peau et comprenant la partie adhérente au tégument est plus toxique que la partie vaporisée et condensée sur d'autres surfaces où on la recueille. La bile, elle-même, produit d'excrétion du foie et dont la présence est si nécessaire dans l'intérieur du tube digestif, devient toxique lorsqu'elle est déversée dans les vaisseaux sanguins. Ce phénomène se produit chaque fois que le foie se congestionne ou qu'un obstacle méca- nique (calcul) ferme les voies biliaires. La bile sécrétée par les cellules hépatiques est alors résorbée, elle passe dans le sang, les téguments jaunissent et les signes d'intoxication apparaissent. La bile est surtout toxique par sa matière colorante, la bilirubine. Décolorée, elle perd une partie de sa toxi- cité. Les acides et les sels biliaires provoquent, en outre, le ralentissement du cœur par paralysie du sys- tème accélérateur cardiaque. J'ajoute que, dans un foie qui fonctionne mal, la ré- sorption de la bile n'est pas le seul danger. La glande hépatique a un rôle protecteur de première importance. Elle neutralise, en particulier, les produits de putréfac- tion qui prennent naissance dans l'intestin, les pto- 174 NOTIONS FONDAMENTAIvES maïnes formées en grande abondance au sein des muscles qui travaillent, les poisons microbiens nés dans l'organisme, enfin les alcaloïdes végétaux (nicotine). On comprendra sans peine qu'une lésion de cet organe an- nulera plus ou moins son rôle protecteur. Mais j'en ai assez dit pour montrer la nécessité pour V athlète de n'aborder les pratiques de l'entraînement qu'après avoir acquis l'assurance qu'il n'est atteint d'au- cune tare hépatique ou rénale et que sa peau fonctionne parfaitement. La diminution de la masse des tissus mous n'est que la partie la moins importante des effets produits par l'en- traînement. U accroissement du volume et de la force des muscles en est l'aboutissant essentiel. Ce résultat est obtenu par le travail qui provoque par surcroît la dimi- nution des réserves graisseuses. Pendant les périodes de vie ordinaire, le glycogène est fourni aux muscles par les hydrates de carbone qui suffisent à son approvisionnement. En période d'entraî- nement, la réserve adipeuse est, à son tour, mise à con- tribution ; elle se transforme en glycogène ; cela n'est pas douteux. Mais nous ne connaissons point de réaction chimique qui nous fasse assister à la naissance du gly- cose d'abord, du glycogène ensuite, aux dépens d'une graisse. Une telle transformation nécessite préalable- ment la fixation d'une quantité donnée d'oxygène sur le corps gras pour en faire d'abord un hydrate de carbone. Ceci étant posé, il n'est pas justifié d'écrire, comme on l'a fait, que le muscle « brûle directement les graisses en les utilisant pour alimenter la contraction musculaire ». Le muscle ne brûle pas de la graisse, mais du glyco- gène. Les graisses se transforment en glycogène quand les hydrates de carbone deviennent insuffisants, mais nous ne connaissons pas, je le répète, la série des états intermédiaires par lesquels elles passent pour aboutir au sucre musculaire, aliment primordial de la contrac- tion. l'entraînement 175. Quoi qu'il en soit, elles y aboutissent dans le cas d'un travail intense. Sous l'influence de l'entraînement se produiront donc simultanément : l'augmentation de volume et de force des muscles et la diminution des réserves graisseuses. C'est la. répétition fréquente et pro- longée de la contraction musculaire qui produira ces deux résultats. La diminution des tissus graisseux, sous l'influence du travail, nous explique pourquoi l'entraînement di- minue la tendance de Vhomme à s' essouffler. L'homme entraîné n'a plus à sa disposition les graisses capables de produire une surabondance d'acide carbonique, cause principale de l'essoufflement. Nous savons, en effet, que l'aboutissant normal de la combustion intra-organique des graisses est l'acide carbonique et l'eau. Le travail modifie directement le muscle à deux points de vue : 1° Il en fait grossir et en fortifie les fibres ; 2° Il en élimine les éléments azotés capables de donner naissance à des déchets de combustion surabondants qui engendrent l'auto-intoxication générale et la fatigue. Ces éléments azotés jouent dans la production de la courba- ture musculaire et de la fatigue le rôle dévolu aux graisses dans la production de l'essoufflement. Tandis que les graisses engendrent de l'acide carbonique, de l'eau et quelques autres produits riches en carbone et en hydrogène, le tissu musculaire produit, en fonctionnant énergiquement, une série de composés riches en azote, dont l'acide urique et les diverses substances extrac- tives sont les types. L'exercice journalier fait peu à peu disparaître ces composés azotés. Un sujet qui s'entraîne régulièrement acquiert donc une véritable immunité, aussi bien à l'égard de la courbature musculaire que de la fatigue générale. En résumé, pendant un entraînement bien conduit : 1° D'une part le travail et le mouvement, en usant les réserves azotées du muscle et les graisses, immunisent contre la fatigue et l'essoufflement ; 2^ D'autre part, les suées et les déperditions artifi- 176 NOTIONS FONDAMENTALES cielles d'eau abaissent le poids, allègent le travail du cœur et contribuent aussi, partiellement, à diminuer la tendance à l'essoufflement. Le travail et le mouvement pourraient suffire, à eux seuls, à produire tous les effets de l'entraînement. Mais, pour provoquer la déperdition aqueuse qu'on réalise si facilement par la sudation et par quelques autres moyens, il faudrait en utilisant le travail seul, dépenser une activité musculaire considérable. Chez des sujets qui ne seraient pas d'une constitution exceptionnellement robuste, une telle pratique ne tarderait pas à altérer la santé par le mécanisme du surmenage. D'ailleurs, le but serait beaucoup moins rapidement atteint. On a donc avantage à recourir, dans l'entraînement, à la fois au travail musculaire et aux moyens artificiels de déper- dition. Quelques notions importantes concernent l'alimenta- tion pendant l'entraînement. Je ne rapporterai ici que trois d'entre elles : 1° On écartera de la consommation ce qui peut favo- riser la reproduction de l'eau interstitielle. Les boissons aqueuses seront donc réduites au strict nécessaire. La ration en est variable chez chaque sujet. Elle ne doit pas, au début tout au moins, dépasser i5oo grammes. En remplaçant trop vite les pertes faites par la sueur, on diminuerait la tendance à la résorption des liquides interstitiels avides d'eau. L'abaissement du poids ne se produirait pas et le travail du cœur ne serait pas facilité par l'assèchement des tissus infiltrés ; 2° On évitera également dans l'alimentation tout ce qui peut reproduire promptement la graisse perdue. Cependant, il ne faut pas aller trop loin dans cet ordre d'idées. Nous avons vu que la graisse est capable de suppléer aux hydrates de carbone lorsqu'ils deviennent insuffisants et de donner au muscle le glycogène qui lui est nécessaire. Une certaine quantité de graisse sera ly'ENTRAINEMENT 177 donc permise. Pour en apprécier la quantité on se repor- tera au tableau de la ration alimentaire de travail ; 3° Il ne faudra jamais perdre de vue que les caracté- ristiques de l'homme entraîné sont : a) L'augmentation des muscles ; &) La diminution et parfois la disparition complète des tissus de réserve, qui ont pour rôle d'alimenter les combustions. A V issue d'une période d' entraînement, l'homme est comparable à une machine dont les rouages sont très consolidés, mais qui ne porte avec elle qu'une provision de combustible insuffisante. C'est donc aux aliments presque seuls que l'athlète et l'homme de sport devront alors demander les matériaux nécessaires à l'entretien du travail. S'il est vrai qu'un sujet entraîné soit devenu très résistant à -la fatigue, par contre il est dans l'impossi- bilité de supporter longtemps la privation d'aliments. Il est apte à fournir un travail intense et prolongé, mais il supporte mal le manque de nourriture. N'ayant plus, ou presque plus de réserves, il s'épuisera promptement si les aliments lui font défaut ou lui sont parcimonieuse- ment mesurés. Les athlètes entraînés sont de grands mangeurs parce qu'ils vivent et travaillent presque exclusivement à l'aide de leur ration alimentaire. Je suis d'avis que, pendant une épreuve de fond, les sujets doivent absorber des h5^drates de carbone (sirop de sucre, féculents pulvérisés) et des aliments azotés promptement assimilables (lait, œufs) qui se trans- forment rapidement, les premiers surtout, en glycogène. Mon avis n'est pas partagé par beaucoup d'entraîneurs, mais il est étayé sur des raisons physiologiques. L'absorption de 5 00 centimètres cubes d'eau dans laquelle sont dissous 100 grammes de sucre, provoque, au bout de dix minutes, un accroissement de la force dynamométrique. Cet accroissement cesse, en moyenne, au bout de' quarante minutes. Vanghan Harley a démontré que l'addition de sucre au régime ordinaire d'un athlète augmentait de 9 à 178 NOTIONS FONDAMENTALES 21 p. 100 son pouvoir musculaire et retardait très nota- blement l'apparition de la fatigue. Absorbé tard dans la soirée, vers minuit, le sucre peut faire disparaître la chute diurne du pouvoir musculaire qui est enregistrée aux environs de huit ou neuf heures du matin. Il accroît toujours le maximum delà force musculaire qui se mani- feste habituellement vers trois ou quatre heures de l'après-midi. On trouvera au chapitre de V Alimentation des déve- loppements, qu'il est inutile de reproduire ici, à propos des diverses rations alimentaires, de la répartition et de la composition des repas. * * La durée d'une période d'entraînement, en vue d'un exercice déterminé, est variable. On ne peut établir de règle absolue. En général, six semaines sont nécessaires pour acquérir la « condition corporelle », qu'il ne faut pas confondre avec la science sportive, laquelle ne s'ac- quiert qu'après de bien plus longs délais. Au bout de six semaines, les urines ont changé de caractère, les liquides interstitiels peuvent avoir complètement dis- paru ; les muscles ont visiblement accru leurs dimen- sions, et leur force, mesurée au dynamomètre, peut être augmentée du quart ou du tiers. L'immunité contre la fatigue et la courbature est acquise. Ce dernier résultat est obtenu parce que les combustions, n'ayant plus pour aliments des tissus d'une désassimilation facile, pro- duisent moins de déchets. Nous savons qu'abondance des déchets, intoxication du corps par ceux-ci et fatigue sont toujours associées. La mesure de l'acide carbonique expiré nous montre qu'à travail égal les poumons d'un homme entraîné rejettent moins d'acide carbonique que ceux d'un sujet sans entraînement. La peau n'exhale plus les acides gras volatils dont l'odeur est souvent pénible et caracté- rise la vie sédentaire. D'ailleurs, on a observé depuis longtemps que les exhalaisons du corps humain ont une L ENTRAINEMENT 179 odeur différente suivant qu'elles émanent d'un homme qui pratique habituellement l'exercice ou d'un sujet con- finé dans la stabulation. La stabilisation de la respiration et du pouls sont, nous avons eu l'occasion d'en parler à plusieurs reprises, les deux critères de l'entraînement. Pour un même nombre de kilogrammètres effectués, en un temps donné, on comptera, par exemple, chez l'homme entraîné : 20 respi- rations et 80 pulsations à la minute, tandis que le sujet sans entraînement présentera dans le même laps de temps 35 ou 40 respirations et 120 pulsations. La graisse et l'eau interstitielle, chez ce dernier, aug- mentent son poids inutile, son poids mort. Sa graisse sous-tégumentaire, plus spécialement, s'oppose, dans une certaine mesure, au rayonnement du calorique et, conséquemment, à la réfrigération de son corps pendant le travail ; elle augmente enfin, par la combustion de ses éléments carbonés, la production de l'acide carbonique et cause l'essoufflement. Chez l'homme entraîné, et chez le sédentaire, les tissus de remplissage et les muscles se trouvent dans des rapports bien différents. La masse musculaire est proportionnellement plus développée chez le premier. Les tissus mous ont presque disparu. Il en résulte que, pour un exercice donné, son travail réparti sur un système moteur aux rouages plus puissants, sera accompli avec un moindre effort. De plus, étant dépourvu d'un excès de graisse, il n'éprou- vera pas les souffrances et la gêne dues à réchauffement excessif du corps et s'essoufflera peu. Un homme entraîné s'est donc fait momentanément un tempérament particulier. Sans changer sa nature, il a acquis des aptitudes spéciales et modifié quelque peu son chimisme inlérieur. Mais s'il retombe dans le genre de vie d'où l'entraînement l'avait fait sortir, il perd assez rapidement les avantages qu'il avait acquis. On ne se iSo NOTIONS FONDAMENTAI.es conserve en condition qu'en persistant dans les pra-^ tiques qui ont provoqué la fonte des tissus de remplis- sage et le développement musculaire. Les pratiques de l'entraînement sportif sont super- flues chez les sujets qui exercent des professions ma- nuelles exigeant une grande dépense de force. L'accou- tumance au travail suffit à mettre un organisme en con- dition parfaite. Dans ce cas, la résistance à la fatigue est un état habituel. La comparaison entre les animaux sauvages et ceux que nous avons domestiqués fait bien apparaître la diffé- rence qui existe entre des constitutions habituées au travail et d'autres confinées dans la vie sédentaire. Il y a loin de la musculature du loup, de ses poumons résis- tants, de son cœur solide, à la musculature, aux pou- mons et au cœur du chien de chasse, même le mieux en- traînés Ce qui est remarquable, c'est que les hommes et les animaux, soumis depuis des années à une vie conti- nuelle de travail musculaire, ne perdent que très lente- ment la conformation que leur ont donnée de telles habi- tudes. S'il a-dvient que ces sujets soient tout à coup mis en régime de repos et de sédentarité, leurs muscles gar- dent longtemps leur fermeté et leur force. Au contraire, les individus qui ont suivi une méthode d'entraînement rapide et qui ont promptement acquis les qualités phy- siques recherchées en vue d'un certain exercice, perdent avec la plus grande facilité ces qualités acquises. Elles n'ont aucun caractère de stabilité. L'entraînement ne permet pas seulement au sujet qui s'y soumet de faire un effort musculaire plus grand, d'être moins essoufflé par l'exercice et d'accroître la capacité fonctionnelle de son cœur. Celles de ses facultés intel- l'entraînement i8r lectuelles et morales que l'exercice met en jeu, la volonté et le don de coordination, sont développées et perfection- nées par l'entraînement corporel. « Tout effort muscu- laire se doublant d'un effort de volonté, a écrit de Grand- maison, celle-ci subit, par cela même, un entraînement parallèle à celui du muscle. » Elle se fortifie chaque fois que l'entraînement lui donne l'occasion d'ordonner des mouvements énergiques. Dans la vie ordinaire, l'homme ne met que bien rare- ment en jeu l'excitation volontaire maxima. Il ne va jusqu'à l'extrême limite de ses forces que si une émotion, une excitation de colère ou de peur agissent sur lui comme le coup de fouet sur le cheval. Alors, ce sentiment violent galvanise ses muscles ; le pouvoir excito-moteur de sa volonté est soudain décuplé. Tel homme s'était arrêté; il s'était déclaré incapable de marcher, se consi- dérant à bout de forces ; mais, subitement, sous l'in- fluence d'une cause imprévue : terreur, émotion, joie, etc. , il a retrouvé toutes celles que ses muscles avaient encore en réserve. Un sujet entraîné n'a pas besoin de ces excitants for- tuits pour imposer à ses membres l'accomplissement de tout l'effort dont ils sont capables. Sa volonté suffit. Elle est devenue plus vigoureuse en même temps que sa sen- sibilité s'est émoussée par l'accoutumance. Il résulte de ce double mécanisme que la sensation de fatigue a presque complètement perdu son empire sur lui. L'entraînement ne fortifie pas seulement la volonté, il perfectionne la faculté de coordination des mouvements et, par là, fait rendreaux muscles une plus grande somme de travail sans leur demander plus d'efforts. Il n'est pas un de nos gestes qui ne suppose un travail de coordina- tion. C'est par lui que nos mouvements sont précis et que le rendement de la machine humaine est aussi parfait. L'homme entraîné a le sentiment de l'augmentation de ses forces. Il y puise une confiance en soit qui excite. Par une autosuggestion constamment renouvelée, les résultats matériels obtenus par l'entraînement sont sans cesse renforcés. C'est ce qui explique qu'il suffit à un Io2 NOTIONS FONDAMENTALES athlète d'établir une seule fois un record pour que le sou- venir de cet effort, couronné de succès, lui fasse accom- plir, dans la suite une performance semblable. Mais il faut se garder d'épuiser les forces d'un tel sujet, par la répétition fréquente de l'effort maximum. Il suffit qu'il se soit prouvé à lui-même qu'il peut faire telle prouesse pour qu'il acquière le pouvoir de la renouveler à l'occa- sion. Chez l'homme bien portant, cette confiance en soi-même donne la hardiesse et favorise l'expansion de la force musculaire jusqu'à ses dernières limites. Chez l'homme souffrant, le sentiment du retour des forces, basé sur un exercice modéré et bien réglé, peut avoir une portée incalculable et devenir le point de départ d'une guérison que les remèdes sont impuissants à pro- duire. Les malades chez lesquels un entraînement, con- duit avec toute la prudence et les précautions voulues, a créé l'autosuggestion optimiste et le réconfort général qui en dérive, sont de plus en plus nombreux. Enfin, les effets de l'entraînement peuvent se faire sentir d'une façon heureuse sur les enfants arriérés. L'exercice physique, pourvu qu'il soit attra3^ant et bien réglé, agit sur eux comme une sorte d'entrée en matières. L'apprentissage des mouvements éducatifs est très sou- vent, pour eux, une sorte de préambule qui les prépare aux matières des études classiques. Quant aux enfants intelligents, mais de caractère faible, ils trouveront, « dans l'accoutumance à faire effort, dans l'habitude de supporter la fatigue, un moyen de dévelop- per la volonté, tout en atténuant la sensibilité qui vient si souvent lui faire échec ». (Lagrange et de Grandmai- son.) * Le succès de l'entraînement ne tient pas seulement à l'excellence de la méthode employée et au bon état orga- nique d'un sujet, il est également subordonné au psy- chisme de ce dernier. J'ai connu des sujets vigoureux, charpentés en athlètes, que l'entraîneur ne pouvait amener l'entraînement i83 à la. condition voulue. J'en ai rencontré d'autres, infiniment moins bien doués, musculairement et organiquement, qui, très promptement, dépassaient les espérances qu'on pouvait concevoir sur eux. De telles différences dans les résultats de l'entraînement s'expliquent par le psychisme différent des individus. Beaucoup d'hommes sont passifs et le demeurent toute leur vie. Il leur faut toujours obéir, sans s'en douter, à la suggestion de quelqu'un. Quand ils s'adonnent aux sports, l'entraîneur ou le moniteur doit les commander pour les faire agir. Ils n'obéissent volontiers qu'aux suggestions impératives. Dès qu'elles cessent, ils retombent dans leur état ordinaire et ne travaillent plus. D'autres sujets sont dubitatifs. Ils doutent de l'effica- cité de l'entraînement, de la méthode employée, de leur 'puissance, de leurs progrès, mais ilsse laissentconvaincre par le professeur et s'adonnent avec ardeur à l'exercice. Enfin, certains sont volontaires et abordent avec con- fiance les pratiques de l'entraînement. Ils s'y livrent avec passion. On est obligé de modérer leur ardeur ; leur volonté s'accroît en raison des difficultés. Ils se fatiguent et se surmènent. Lesvéritables champions se recrutent dans la troisième catégorie. Elle comprend les hommes sûrs d'eux-mêmes, endurants et -courageux. Ils sont doués du plus puissant des agents dynamogènes : la volonté. Me plaçant à un autre point de vue, je dirai que cer- taines conditions psychologiques indépendantes des pré- cédentes sont nécessaires. C'est ainsi que les entraîneurs attachent une très grande importance à la tranquillité d'esprit d'un sujet. Lorsqu'un champion est en condition, il est important de le tenir à l'écart de toute préoccupa- tion et de toute émotion dépressive. Les soucis et les peines morales déterminent un état psychique peu favo- rable aux progrès de l'entraînement. Les sensations trop vives sont interdites à l'athlète. La culture physique et l'entraînement doivent être une école de continence et de chasteté. Le mariage a toujours été le signal de la déca- dence des champions, et, plus encore, la vie désordonnée. 184 NOTIONS FONDAMENTALES A ce point de vue, les pouvoirs publics seraient bien inspirés .s'ils s'efforçaient de donner à la jeunesse le goût de l'entraînement au plein air. Une légère fatigue quo- tidienne, due aux exercices physiques, détournerait les adolescents au tempérament nerveux, toujours en quête d'excitations, de rechercher ces dernières. Il y aurait déplacement d'activité dans les jeunes organismes, au bénéfice de la musculature et de la santé générale. On reconnaît, à première vue, un sujet entraîné. Son regard est clair; son visage respire le bien-être phy- sique ; son teint a une couleur uniforme ; ses joues sont un peu creuses et rosées ; sa tête est droite, bien en équi- libre sur les épaules. Il plaît par sa bonne humeur et sa gaieté, témoins d'une discipline librement acceptée; il ne récrimine, ni ne critique. Au repos, ses formes sont arrondies ; la peau adhère directement, sans interposition de graisse, aux muscles qui se dessinent_â chaque mouvement. Dans l'effort, leurs reliefs peuvent être considérables. L'abdomen est effacé et légèrement rentré. Les muscles des membres sont apparents; le couturier et le biceps, notamment, dessinent avec précision leur contours. S'il me fallait juger le degré d'entraînement d'un sujet, je m'arrêterais aux épreuves suivantes : Une course de vitesse de 100 mètres ; Une course de fond de 3 kilomètres ; Trois sauts en hauteur ; Trois sauts en longueur ; Le lancer du poids (pratiquée trois reprises) ; Le grimper à l'aide des membres supérieurs ; Le lever de la gueuse ; La natation sur 100 mètres. Un exercice d'audace (par exemple, un saut en profon- deur) . Je jugerais d'après un barème établi, en tenant compte des meilleures performances que l'homme aurait four- l'entraînement i85 nies. Et je ne manquerais pas de tenir compte du temps mis par lui pour effectuer toute la série des épreuves. Les barèmes m'ont paru quelquefois défectueux. C'est ainsi qu'à un moment donné j'ai vu les distances du saut en longueur être comptées par fractions de 5 centi- mètres. De même les distances du lancer étaient appré- ciées par fractions de o m. 20, etc. Puisqu'on mesure les distances en centimètres dans le saut en hauteur, pourquoi ne point adopter ce mode de mensuratiori pour le saut en longueur et le lancer ? On devrait s'entendre, une fois pour toutes, sur la manière de mesurer les per-. formances athlétiques, comme on s'est déjà entendu sur la manière de mesurer un périmètre thoracique.: CHAPITRE X LA FATIGUE Lorsque, sur l'animal endormi par un anesthésique, on procède à l'excitation électrique d'un muscle, isolé et mis à nu, on en provoque la contraction. Si l'on adapte un poids à l'une des extrémités tendineuses de cet organe, pendant qu'il est ainsi actionné, on fait produire au muscle un travail mécanique déterminé : il soulève le poids au moment où chaque excitation qui lui est com- muniquée provoque sa contraction et son raccourcisse- ment. Cependant, peu à peu, il répond moins énergiquement à l'excitation qui lui est donnée et un moment arrive où il cesse de se contracter et de soulever le poids. Cette expérience de laboratoire réalise un phénomène de fatigue locale. Elle représente assez exactement l'image des mouvements normaux déterminés par l'excitation motrice volontaire, lorsqu'ils sont répétés jusqu'à épui- sement. Sous cet aspect, la fatigue a pu être définie : la perte passagère de l'excitabilité du muscle. Mais ce n'est là qu'un aspect du phénomène de fatigue. Lorsque, agissant sur des muscles fatigués qui ne répondent plus aux excitations électriques ordinaires, à la suite d'une longue série de contractions répétées, nous augmentons l'intensité du courant électrique, c'est- à-dire de l'excitant, nous vo3'ons ces muscles fatigués se contracter à nouveau et se remettre au travail. Il faut, pour obtenir ce résultat, provoquer des excitations beau- I.A FATIGUE 187 coup plus vives, employer une énergie électrique double, triple, quadruple même, pour obtenir des effets compa- rables à ceux qui s'étaient montrés au début de l'expé- rience. Le phénomène de fatigue n'est pas aussi simple que pourrait le laisser supposer l'expérience à laquelle je viens de faire allusion. Il ne saurait être isolé et réduit aux proportions d'un accident physiologique local. Tous les organes, toutes les fonctions et toutes les facultés de l'esprit sont atteintes à des degrés divers lorsque la fatigue se produit avec quelque intensité en un point donné de l'organisme. Des sensations subjectives sont perçues par le sujet fatigué. Il a conscience de la diminution générale de ses forces; il a, en un mot, la sensation de fatigue. Dès ce moment, il éprouve une souffrance vraie, un malaise très spécial qui retentit sur toutes les fonctions de son économie, même sur des fonctions éloignées de celles qui ont été directement associées à l'effort. Nous savons qu'à la suite d'une marche forcée, les bras qui n'ont cependant participé en rien au travail des jambes ont leur force diminuée. On peut le constater au dynamomètre. La puissance de pression des fléchis- seurs des doigts a décru. Tous les organes sont solidaires ; tous subissent à des degrés divers la fatigue directement et profondément res- sentie par un seul. Il s'agit, dans ce cas, d'une sorte de fatigue indirecte qui apparaît, non seulement dans les muscles et les organes physiologiquement associés à ceux qui ont été atteints de fatigue locale, mais encore dans des organes profonds qui paraissent n'avoir été intéres- sés au travail à aucun titre. C'est ainsi que l'estomac, l'intestin, le cerveau peuvent présenter des troubles fonctionnels, parfois assez graves, à la suite d'une grande dépense de fatigue musculaire ou d'un exercice violent. Que de fois j'ai vu l'appétit des soldats disparaître quand ils étaient soumis à une trop grande fatigue ! Qui n'a fait cette observation pendant les tragiques journées l88 NOTIONS FONDAMENTALEvS de la retraite qui précéda la première bataille de la Marne? •Tous les organes peuvent se fatiguer isolément, mais leur fatigue retentit toujours sur l'ensemble de l'orga- nisme. Il existe trois sources de fatigue : 1° ie travail volontaire, sous toutes ses formes, phy- siques et ps3^chiques ; 2° Le travail passif, comprenant tous les mouve- ments communiqués, tels que l'équitation, la voiture, l'automobile, le chemin de fer; 3° Les excitations sensiiives, sensorielles, et les émo- tions viviiS. Les conditions de vitesse, d'intensité et de durée, aussi bien dans l'exercice corporel que dans le travail intellec- tuel, entrent en ligne de compte pour accélérer l'appari- tion de la fatigue et même l'aggraver. Sont-elles réunies, elles déterminent, en un temps très court, l'accumula- tion d'une grande quantité de résidus organiques dans le sang. Un exercice musculaire exécuté avec une grande vitesse, une grande dépense de force et qui dure long- temps, provoque la fatigue intense et rapide. La hâte dans l'effort cérébral produit des résultats identiques. Enfin, nous savons jusqu'à quel point les douleurs mo- rales dépriment les forces physiques et diminuent la vigueur intellectuelle. Lorsque l'une des causes de fatigue précédemment énoncées est mise en jeu violemment, tous les organes, je le répète, en éprouvent le contre coup. Comment expliquer que toute l'économie ressente la fatigue alors que le travail reste localisé le plus souvent à un seul organe ? De la manière suivante : un organe qui travaille est le théâtre d'une usure qui se traduit par la mise en liberté de déchets. Ce sont, pour le muscle, par exemple, l'acide lactique, les ptomaïnes et les leuco- maïues, l'acide carbonique, autant de substances fati- gantes et nocives, autant de poisons que le sang qui tra- LA FATIGUE 189 verse le muscle en travail entraîne dans la circulation et porte à tous les autres organes. Cette interprétation est basée sur des expériences probantes. C'est ainsi qu'en injectant par les artères, dans un muscle frais, les résidus extraits d'un muscle fatigué, on y détermine la même fatigue et la même impuissance que s'il avait travaillé avec excès. Ce que je viens de dire de la fatigue musculaire s'ap- plique de tous points à la fatigue cérébrale. Le cer- veau, comme le muscle, produit, en travaillant, des résidus toxiques qui le fatiguent d'abord et, après lui, tout l'organisme. Ces résidus se retrouvent dans les urines, par les- quelles ils sont normalement éliminés. La toxicité des urines vient précisément des déchets qu'elles contiennent et qu'elles sont chargées de drainer hors de l'organisme. Ceci nous fait comprendre la nécessité, pour un homme de sport, d'être doté d'un système urinaire indemne de toute altération pathologique. De bons reins, une vessie complaisante, des voies urinaires largement perméables, lui sont aussi nécessaires que de bons poumons et un cœur vigoureux. A côté de l'action toxique des déchets produits par les organes soumis à un effort, il faut, pour expliquer la fatigue, faire également une place importante à la déper- dition d'énergie nerveuse, causée par le travail. L'organisme peut être considéré comme un réservoir d'énergie nerveuse de quantité définie. Lorsque, très rapidement, au cours d'un effort intense, cette énergie est dépensée au delà de la dose prévue, un grand déficit se produit. Nous avons alors conscience de la diminution de nos disponibilités en force nerveuse et la sensation de fatigue apparaît. Je me résumerai en disant que, dans les cas habituels, V action toxique des déchets et la déper- dition d'énergie nerveuse se complètent pour produire la fatigue. Au cours d'une épreuve sportive, à mesure que la fatigue augmente, la dépense de force nerveuse mise en jeu, pour produire le même travail qu'au début de l'exer-^ IÇO NOTIONS FONDAMENTALES cice, peut devenir énorme. Il survient ce que nous avons constaté dans l'expérience rapportée plus haut : il faut doubler, tripler l'énergie de l'excitant pour produire un même travail. Dans ces conditions, la dépense réelle de force, chez l'homme fatigué qui poursuit un effort, peut être immense. « J'ai vu un minime supplément de travail, a écrit Lagrange, un effort de vitesse d'une minute, en arrivant au but, réduire à un état neurasthénique des plus graves un jeune athlète très vigoureux. Il a payé de plusieurs années de maladie ce terrible effort de volonté qui lui fit gagner une course à pied. » La dépense d'énergie nerveuse provoquée par l'effort de volonté qui actionne un muscle fatigué est donc très supérieure à celle qui suffisait avant la fatigue, pour obtenir de ce muscle le même rendement. L'athlète fatigué qui continue la course, la lutte, le match, se livre à une véritable prodigalité de force nerveuse. * * L'association obligatoire de tous les organes à la fatigue éprouvée par un seul d'entre eux nous fait comprendre qu'il est impossible d'obtenir le repos d'un organe, si l'on ne diminue, en même temps, le fonctionnement de tous les autres. L'immobilisation de tout le corps s'im- posera donc chaque fois qu'il y aura eu production de travail intense. Il s'agit de Vimmohilisation du corps dans la position étendue et toutes ses parties étant soutenues. Il ne saurait être question de V immohilité . Celle-ci est, au contraire, une cause aggravante de fatigue parce qu'elle oblige les muscles à un effort permanent et continu. Je note ici, en passant, l'erreur fondamentale que l'on commettrait en faisant une confusion de mots. On sait bien qu'un commis de magasin, immobile ou presque, derrière son comptoir, et obligé de demeurer debout, est, à la fin de la journée, plus fatigué que le facteur rural, après sa tournée. La marche est composée d'une succession de mouvements LA FATIGUE 19I qui sont la conséquence de contractions et de relâche- ments musculaires se succédant alternativement ; les muscles, ainsi mobilisés, se relayent pour agir et pour se reposer. L'immobilité implique une contraction statique de tous les muscles, infiniment plus fatigante que la contraction dynamique qui provoque le déplacement des membres et du corps. Le fait de garder la position verticale entraîne l'activité d'un grand nombre de masses musculaires. Elles doivent résister à la pesanteur qui tend à détermi- ner la chute et, de plus, maintenir l'équilibre du corps. Des temps de repos très courts permettent de pour- suivre un travail presque indéfiniment. Pendant toute la vie le cœur bat et le diaphragme assure la succession régulière des mouvements respiratoires. Mais l'activité du cœur et des poumons comporte un rythme, c'est-à- dire, l'interposition entre deux contractions d'un temps d'arrêt très court. La nature a réglé toutes les grandes fonctions selon un mode d'activité périodique. Elle leur a imposé à toutes des temps de repos. Le travail intellectuel lui-même doit être discontinu si l'on veut le prolonger pendant longtemps. Il n'est pas jusqu'à l'écriture et à la lecture qui ne soient, en quelque sorte, rythmées par la ponctuation. Le flux des idées ne s'écoule pas d'une manière continue, A chaque instant, il est interrompu par une fin d'idée. Les phrases se suc- cèdent, coupées par la césure des virgules, des points et virgules et des points. Les livres nous présentent un arrangement par alinéas, paragraphes et chapitres. Rien n'est plus pénible que la lecture d'une prose compacte qui, sans répit, conduit le lecteur tout le long de nom- breuses pages. Les reports à la ligne et la succession des paragraphes répétés donnent à un livre de la clarté. Mais lorsque cette division est poussée à l'extrême, elle fatigue, au contraire, en interrompant sans cesse le fil de l'idée et en obligeant le lecteur à un grand effort d'attention. Dans le- domaine sensitif, la continuité de la douleur provoque rapidement une immense fatigue. Par contre, chaque fois que la douleur est coupée d'accalmies et de 192 NOTIONS FONDAMENTALES répits, elle est mieux supportée par celui qui l'éprouve. J'ai vu des malades éprouver pendant des années les souf- frances atroces du tabès et ses douleurs fulgurantes. Mais, pendant d'assez longs espaces de temps, les infor- tunés ne souffraient pas. Au contraire, ils sortaient de chaque crise avec l'apparence degens surmenés et épuisés; leur influx nerveux s'était alors dépensé à doses énormes; ils succombaient, suivant l'expression de Dupuytren, à de véritables « hémorragies » de la « sensibilité ». Rien n'est plus variable que la quantité de travail musculaire ou de douleur physique ou morale ressentie, capable de produire la fatigue. L'état physiologique de chaque sujet, les circonstances dans lesquelles il se trouve placé hâtent ou retardent beaucoup l'apparition de cet état particulier. L'observateur le plus sagace qui ne connaît ni le tempérament, ni l'état de santé, ni le degré d'entraînement d'un sujet et qui limite son examen aux seules apparences, peut se tromper complètement sur le degré d'énergie ou sur la durée de l'exercice que ce dernier peut supporter sans faiblir. Les différences indi- viduelles que l'on constate, même chez des hommes bien portants, de conformation sensiblement identique et d'égale accoutumance au travail, sont quelquefois très grandes. Les observateurs les plus pénétrants s'y trompent. Les erreurs d'appréciation sont surtout faciles à commettre chez les personnes convalescentes ou mala- dives. Nous ue pouvons pas appliquer à l'homme vivant les moyens rigoureux du contrôle expérimental. Quand, chez l'animal, nous dénudons un muscle pour l'actionner électriquement jusqu'à épuisement, nous voyons se dérouler sous nos yeux le phénomène de la fatigue. Mais, en présence d'un homme, nous devons nous baser sur les sensations subjectives qu'il éprouve, sur sa faculté spéciale de sentir, sur l'énergie de sa volonté. Rien n'est plus variable que ces qualités ; rien n'est plus propre à LA FATIGUE IçS nous tromper. Là, pourtant, est une grande partie du problème des indications de l'exercice : savoir distinguer les sujets qu'il faut exciter au travail de ceux qu'il faut retenir, les premiers malgré la sensation de fatigue, les seconds, bien qu'ils ne l'éprouvent pas. J'ai dit ailleurs que, dans la vie habituelle, les actes coordonnés , exigeant le concours de la volonté, entraî- naient la plus grande dépense de fatigue. I^es actes purement réflexes ne nous donnent jamais la sensation de fatigue; les actes automatiques, qui sont des actes coordonnés sur lesquels l'attention a cessé d'exercer son contrôle, peuvent nous fatiguer, mais après un temps incomparablement plus long que les actes coordonnés effectués avec effort de volonté ou, ce qui revient au même, avec effort d'attention. Ces faits nous font comprendre qu'il faut se garder de commettre l'erreur qui consiste à vouloir se reposer de la fatigue cérébrale due au travail intellectuel par des exercices coordonnés exigeant la surveillance de l'at- tention. Kn agissant ainsi, on ne fait qu'ajouter à la fatigue nerveuse : on soumet le cerveau à un travail sup- plémentaire. Les mouvements musculaires automatiques auront, en pareil cas, les préférences des éducateurs, car ils ne mettent en jeu que des séries d'actions réflexes. Elles s'accomplissent en dehors de l'activité cérébrale, n'exi- gent pas le concours de l'attention et, non seulement ne produisent aucune fatigue nerveuse, mais reposent du travail intellectuel. L'attention est, d'une façon générale, le principal fac- teur psychologique de la fatigue. De même qu'une grande douleur physique entraîne après elle une immense lassitude, un grand ébranlement psychique ou une émotion violente produit une sidéra- tion générale des forces, analogue à celle qui suit une commotion matérielle ou un choc traumatique ; alors la fatigue apparaît. Les pertes d'argent, de situation, de position sociale, la mort d'un être cher, ou simplement l'ennui qu'engendrent le désœuvrement et le manque 194 NOTIONS FONDAMENTALES . d'intérêt dans la vie, amènent rapidement l'épuisement nerveux' qui peut se prolonger pendant des semaines et des mois. La neurasthénien'est qu'une variété de fatigue. Elle doit être traitée et guérie par les mêmes moyens que la fatigue musculaire et organique. Que se passe-t-il dans le muscle fatigué qui ne se con- tracte plus ? Comment expliquer sou arrêt puisque l'excitant électrique continue à l'atteindre ? Les conditions que réalise l'expérience à laquelle j'ai fait allusion, au début de ce chapitre, sont les suivantes: le muscle est disséqué et isolé du membre auquel il appartient. La circulation du sang dans sa masse .jst, en fait, supprimée. 7/ cesse de se contracter lorsque sa pro- vision en combustible, c'est-à-dire en glycogcne, est épui- sée. Sur le vivant, la contraction des muscles régulière- ment ravitaillés en glycogène se poursuit, même au cours du travail musculaire le plus violent. Mais ce ravitaillement est promptement insuffisant et la sensa- tion de fatigue survient, ., Nous connaissons la série des transformations chi- miques dont les muscles sont le théâtre, aussi bien à l'état de repos, que pendant l'exercice. Ils incorporent l'oxygène et le glycose que leur apporte le sang qui baigne leurs fibres. « L'oxygène et le glycose qui quittent le sang pour le muscle n'3^ entrent point directement et immédiatement en conflit, mais forment l'un et l'autre deux provisions séparées du corps comburant (oxygène) et du corps combustible (glycose), qui réagissent seule- ment au moment voulu et sous la sollicitation du sys- tème nerveux. Le glycose du sang perd dans le muscle unemoléculed'eaupourdevenirdu glycogène. » (Morat.) C6H1206 — H-0 = C^H'OO» (glycose) (eau) (gh-C'-igènc) Quant à l'oxygène, il quitte les globules rouges du sang, se fixe sur le pigment "musculaire et oxyde sur LA FATIGUE IQS place le glycogène, en donnant naissance à de l'acide carbonique et à de l'eau. P'inalement, la réaction chi- mique intramusculaire qui libère l'énergie et permet au muscle de se contracter aussi longtemps qu'elle se produit est la suivante : C«H'»0^ 4- 60^ = 6C0'- 4- SH^O fL;lyccgène) (oxyg.) (ac. carb.) (eau) Le muscle, séparé d'un membre et que le sang n'irri- gue plus, se contractera tant que sa. provision inirinsèqxte de glycogène ne sera pas épuisée. Lorsqu'il ne renfer- mera plus de glycogène, les excitations normales reste- ront sur lui sans effet. // aura atteint un état d'iyiexcita- bilité qui répond à la fatigue absolue. Le muscle en place sur le vivant et irrigué par le sang se contractera de même tant que sa provision de glycogène pourra fournir au travail demandé, mais si ce travail dépasse une certaine limite, le taux du glyco- gène intramusculaire baissera et la fatigue apparaîtra. Dans ce cas, elle joue le rôle d'avertisseur, que la nature nous a donné pour nous signaler qu'un temps de repos est devenu nécessaire en vue du ravitaillement du mus- cle en combustible, c'est-à-dire en glycogène, source de son énergie contractile. Sur le vivant, on n'observe jamais la fatigue absolue. Le muscle s'arrête bien avant d'être totalement spolié de son glj'-cogène. Mais, pour qu'il se contracte à nouveau, il faut qu'il ait recomplété son approvisionnement en combustible. Cette recharge n'est possible que si la subtance même du muscle n'est pas altérée par la mise en liberté de ses propres toxines ou déchets, — ce qui arrive dans des cas exceptionnels — chez l'animal forcé à la course, par exemple. Ces conditions doivent-elles nous inciter à absorber beaucoup de sucre pour obtenir une plus grande éner- gie musculaire ? On serait tenté de le faire en songeant qu'ainsi le sang en serait mieux approvisionné par les voies dige'stives et mettrait plus de glycose (ou sucre du sang) à la disposition de nos muscles. 11 n'en est rien. Le taux du glycose dans le sang est constant, il oscille jg6 NOTIONS FONDAMENTALES aux environs de i gr. 5 par litre ; notre sang est compa- rable à un sirop, un peu clair, en vérité, mais dont la teneur en matière sucrée est immuable chez un sujet normal dont la régulation hépatique se fait bien, quel que soit le genre de son alimentation, pourvu toutefois qu'elle soit suffisante. Cependant, lors d'une grande dépense d'énergie pro- chaine, il est bon de mettre à la disposition des athlètes des sirops de sucres, chauds autant que possible, parce qu'ils s'assimilent bien plus vite que ceux qui sont absorbés froids. Mais en dehors de ce cas spécial, dans les conditions ordinaires de la vie, un excès de sucre alimentaire ne doit pas être conseillé aux personnes suffisamment nour- ries, surtout si elles mènent une vie sédentaire. L'absorp- tion de cet aliment, pris en quantité trop grande, peut aboutir à un surmenage du foie et à la dyspepsie. Son emploi doit être extrêmement réservé chez les sujets tuberculeux ou en imminence de tuberculose. Guinard a constaté que les animaux inoculés à l'aide du virus tuberculeux et nourris avec du sucre, succom- baient plus vite que les animaux témoins, même mal nour- ris. Ce résultat cadre bien avec la remarque intéressante faite par Tourtalis-Bey qui attribue, en partie, l'extension effrayante de la tuberculose et sa gravité particulière chez les Egyptiens, à la grande quantité de sucre con- sommée par eux. Les deux seules indications d'une alimentation sucrée intensive sont le cas de maladie et de fièvre et le cas d'un effort musculaire longtemps prolongé et violent. Ragot a montré que loo grammes de sucre, régulière- ment administrés à un fébricitant, abrègent la durée de sa maladie. D'autre part, Drouineau, Steinitzer et Grandeau ont apporté des démonstrations diverses et concordantes de l'utilité du sucre pour les hommes de sport et les soldats. La ration quotidienne d'entraînement doit être de 5o à lOo grammes de sucre supplémentaire^ pas davantage. LA FATIGUE 197 * A la suite d'un exercice intense ou même d'un exer- cice modéré, mais exécuté par un sujet non entraîné, il n'est pas rare de voir survenir une courbature doulou- reuse siégeant dans les membres, dans la région lom- baire, dans les épaules. La soif est vive, la langue sale, l'appétit nul, le sommeil agité et coupé de rêves ou de réveils brusques. On note même parfois une élévation de température qui peut atteindre 1° ou 2° et persister pendant trois ou quatre jours. Les muscles sont le siège de raideurs que les mouvements rendent particulièrement pénibles. On admet que, sous l'influence des combustions orga- niques qui accompagnent le travail musculaire, il se pro- duit, au sein même du muscle, divers déchets et notam- ment de l'acide lactique en excès. Ce produit, en imprégnant la fibre musculaire, lui fait perdre momen- tanément une partie de sa propriété contractile. Chez un sujet bien entraîné, le sang qui est légèrement alcalin irrigue abondamment les muscles en passant incessam- ment dans leur substance; il neutralise l'acide lactique formé. On comprendra sans peine que la raideur n'appa- raisse souvent que pendant le repos qui suit l'exercice. Le sang ne lave plus aussi activement la fibre muscu- laire lorsque le muscle est inactif et ne neutralise qu'in- complètement l'acide lactique qui s'y est formé. Les douleurs ressenties dans un muscle qui a travaillé sont également imputables, en partie, à de petites lésions inter- stitielles semblables à celles que produit une contusion. Elles disparaissent très promptement. Lorsque la courbature s'accompagne de fièvre et de malaises généraux, il faut incriminer : I** L'auto intoxication de l'organisme par les déchets provenant directement de l'usure musculaire (acide lac- tique, acide carbonique, ptomaïnes, leucomaïnes, urée, créatine, hypoxanthine, acide inosique). 2* L'action intoxicante des bactéries pathogènes qui;, 198 NOTIONS FONDAMENTALES vivant en commensaux habituels dans noîre organisme, ne provoquent habituellement aucun accident. Mais elles acquièrent très rapidement de la virulence dans un orga- nisme fatigué qui se défend mal contre leur invasion. Un sujet, sjirmené d'une manière aiguë, se trouve en état de 0 moindre résistance » ; en quelques heures il offre aux germes morbides un terrain d'ensemencement bien préparé. Ceux-ci s'y développent et provoquent l'appa- rition de la fièvre. Chez les personnes grasses ou non entraînées, qui ont une grande abondance de tissus de réserves dispo- nibles, le mouvement de désassiii:ilation qui accom- pagne l'exercice libère de grandes quantités de déchets uratiques. Ces derniers troublent la limpidité des urines et les sujets qui les émettent ressentent souvent, après l'exercice, de violents malaises et une courbature dou- loureuse. Chez les personnes entraînées, au contraire, les maté- riaux de réserve sont peu abondants. Les déchets ura- tiques sont rares. Les urines ne se tronblent pas à la suite de l'exercice et la courbature est inconnue. La supériorité des sujets adonnés à la pratique des exercices physiques réside, en grande partie, dans la stabilité remarquable de leur nutrition. Leur mouve- ment d'assimilation n'est plus troublé par un exercice, même violent. Les déchets, étant peu abondants, sont éliminés au fur et à mesure de leur formation. On ne voit pas survenir chez de tels sujets de formidables décharges d'acide urique, de phosphates ou d'autres produits qui témoignent d'une perturbation profonde dans le chimisme normal des différents tissus. Grâce à cet équilibre nutritif que le jeu normal des organes suffit à maintenir, même pendant les périodes de suractivité, les personnes entraînées peuvent, sans dommages pour leur santé, et sans éprouver de malaises, accomplir des performances interdites à celles qui sont surchargées de tissus de réserve et qui s'abandonnent à la sédentarité. LA FATIGUE * I99 Le surmenage est l'exagération de la fatigue. Le ta- bleau d'un organisme surmené nous est offert par une bête chassée à courre. L'acide carbonique produit en grande abondance dans les tissus est, pendant long- temps, éliminé par les poumons. Mais les déchets, qui ne peuvent sortir de son corps que par l'urine, ne sont expulsés qu'avec une lenteur relative. Ceux-ci, peu à peu, encombrent les muscles et empoisonnent le sang. L'or- ganisme est bientôt le siège d'une infection massive. Les mouvements de l'animal chassé deviennent diffi- ciles. Sa course se ralentit ; une certaine raideur appa- raît dans ses muscles ; les sucs musculaires se coagulent sous l'action de l'acide sarcolatique, terme des combus- tions qui se passent au sein de la fibre musculaire ; celle-ci est le théâtre d'un commencement de décomposi- tion-chimique. D'autre part, l'animal effrayé est, depuis longtemps, sorti de ses allures; son essoufflement est extrême parce que la puissance éliminatrice de ses pou- mons, à l'égard de l'acide carbonique, est devenue insuf- fisante. Un moment arrive oii il s'arrête, incapable d'avancer et de prolonger sa fuite. 11 est encore vivant, mais déjà insensible aux morsures, quand les chiens l'atteignent. S'il leur échappe, après avoir été ainsi chassé, il peut succomber après quelques heures, mourir de fatigue à l'abri d'un fourré oii on le retrouvera quelque jour. Dès l'instant de la more, survenant pendant la chasse, le corps de l'animal forcé présente une rigidité cadavé- rique immédiate. De plus, sa chair se putréfie avec une grande rapidité. Chez l'homme, le surmenage aigu ne s'observe pas. Toutefois, pendant la guerre, on a vu, en maints en- droits, des combattants morts en pleine lutte et en plein effort, dont les corps figés par une raideur cadavérique instantanée avaient conservé leur dernière attitude. Les muscles du visage eux-mêmes, fixés dans une contrac- 200 NOTIONS FONDAMENTALES tion suprême, exprimaient les dernières sensations que les soldats avaient éprouvées avant de mourir. Le surmenage aigu prend généralement chez l'homme l'apparence, d'accidents cardiaques à développement rapide, et qui surviennent parfois instantanément. Potain avait constaté chez les élèves de l'Ecole de Joinville que, sous l'influence des exercices, la zone de matité du cœur augmentait un peu. La surface du cœur, qui était, en moyenne, chez les sujets examinés par Potain, de 91 centimètres carrés, atteignait chez eux, après quelques mois d'exercices, 99 centimètres carrés. Cet auteur admettait que la dilatation passagère du cœur qui se produit à la suite d'exercices violents pou- vait aboutir, si ces exercices étaient répétés sans mesure, à une dilatation permanente. Il n'est pas douteux qu'à la suite d'une longue course, par exemple, le cœur se dilate ; mais il s'agit presque toujours d'un trouble passager qui disparaît rapidement par le repos. La dilatation permanente du cœur est extrê- mement rare chez les sujets adultes qui ne présentent aucune tare du côté du cœur ni du côté des gros vais- seaux. Mais chez les enfants et chez les sujets qui ont une lésion, si minime soit-elle, les exercices violents peuvent déterminer rapidement des accidents graves. Bien des jeunes gens ont des affections du cœur latentes qui ne donnent lieu à aucune gêne, pendant des exercices modérés, mais elles sont mises en évidence dès que l'en- traînement devient un peu intensif. Ces sujets ne tardent pas à se plaindre de palpitations et, à l'examen du cœur, on trouve tantôt un peu d'hypertrophie, tantôt un bruit de souffle, tantôt des irrégularités dans les pulsations de l'organe qui s'accélère au moindre effort. L'accident type du surmenage aigu survenant chez l'homme est la syncope. Deux cas se présentent. Tantôt celui qui en est victime interrompt; brusquement son travail, s'arrête et tombe sans connaissance. La respira- tion est généralement superficielle, mais régulière. Le cœur bat faiblement. La position étendue, les affusions froides sur la poitrine et le visage suffisent d'habitude IvA FATIGUE 20r à ranimer le syncopé. Plus souvent, le sujet qui se trouve en état de surmenage aigu transpire abondam- ment. Il ressent une douleur de tête plus ou moins vive, de l'oppression et une grande lassitude. La respi- ration est rapide, les battements du cœur très accélérés. Le sujet vacille sur ses jambes comme un homme ivre, la face est tantôt pâle et tantôt rouge et injectée. Lorsque, dans cet état, il poursuit son effort, il ne tarde pas à perdre connaissance. 11 s'affaisse et, s'il n'est pas secouru, la respiration se ralentit, le pouls devient faible et irré- gulier et la mort peut survenir. Les physiologistes ne sont pas d'accord sur le méca- nisme intime des accidents du surmenage aigu chez l'homme. Pour les uns, il faut incriminer la chaleur développée par le travail ; elle déterminerait la syncope et la mort en agissant sur les muscles, en coagulant les fibres musculaires, celles du cœur, en particulier, lors- qu'elle atteindrait les environs de 46°. Pour d'autres, la S3mcope proviendrait d'une inexcitabilité générale du système nerveux, sous l'influence de la chaleur. Certains metteflt en cause la rétention des principes toxiques élaborés dans les tissus et les muscles. Il est indubitable que l'exercice violent ou prolongé peut élever considérablement la température du corps humain. Il faut que les champions soient, au moins pen- dant l'é^é, aussi légèrement vêtus que possible et, de préférence, de toile, qui rayonne beaucoup plus active- ment le calorique que la laine. La privation de boissons est une cause adjuvante de surmenage aigu. Beaucoup croient qu'il est dangereux de boire quand on a chaud. Lorsque le corps est en sueur, il faut se garder, il est vrai,, d'absorber une grande quantité d'eau glacée, sur- tout si on interrompt l'exercice ou le match commencé ; on a vu des accidents graves se produire dans ces con- ditions. Mais les boissons chaudes, surtout si elles sont sucrées et prises en quantité modérée, loin d'être nuisibles pendant les épreuves athlétiques et sportives, sont d'une grande utilité. Il importe que l'organisme paisse répa- rer les pertes en eau qu'il fait par la transpiration cuta- 202 NOTIONS FONDAMENTALES née et par l'exhalation pulmonaire, car c'est là son moyen principal de défense contre la chaleur. Les excès alcooliques favorisent puissamment la pro- duction de la syncope et, en général, de tous les accidents observés dans le surmenage aigu. he^ surmenage chronique se traduit par la prédominance des actes de désassimilation. Le poids du corps diminue, un amaigrissement progressif survient. Il ne s'agit plus ici, comme dans la fatigue aiguë, d'une intoxication par des produits nuisibles ou d'une infection par les toxines microbiennes lancées dans l'organismeà la faveur du sur- menage. Il s'agit d'un abandon continu par l'organisme de matériaux utiles et de réserves nécessaires à la vie. Une alimentation défectueuse ou insuffisante, jointe au travail, est pour beaucoup dans l'apparition du sur- menage chronique. Il se produit un défaut d'équilibre entre les recettes et les dépenses, celles-ci étant supé- rieures à celles-là. Il faut aussi, dans beaucoup de cas, joindre à ces causes l'insuffisance du sommeil et les préoccupations d'ordre moral. Lorsque les aliments absorbés en trop faible quantité ou mal assimilés par suite de maladies du système digestif ne réparent plus les pertes d'un organisme qui travaille, ce sont les tissus de réserve qui fournissent à cette réparation. Si ces réserves sont elles-mêmes épui- sées, ce sont les organes essentiels à la vie qui font ks frais des combustions contemporaines du travail. Soumis à un tel régime de nutrition, l'organisme se consume peu à peu, et la soustraction continue des maté- riaux qui en font partie intégrante amène un état général de faiblesse relative et prédispose aux maladies. Nous savons que la permanence du poid» est le signe d'une bonne nutrition. Toutes les fois qu'un homme est dans des conditions normales de structure, l'amaigrisse- ment témoigne d'un surmsnage chronique ou d'une maladie en évolution. LA FATIGUE 2o3 « Il faut à l'organisme, a dit Lagrange, pour être réellement fort et résistant, une certaine masse d'élé- ments ; si on les lui prend d'un côté, il faut les lui rendre de l'autre, et ce qu'on ôte de graisse à un homme ou à un cheval à l'entraînement, il faut le lui restituer sous forme de muscles, sous peine de le jeter dans un état d'affaiblissement qui diminue sa résistance. » L'épuisement peut se localiser sur un organe, le cœur, le cerveau, par exemple, ou sur un système organique tout entier : le système musculaire, la fonction digestive. Beaucoup de névropathes ne sont que des épuisés. Le changement de milieu, du repos et de bons aliments les guérissent. Mais on leur donne de l'eau, on les met au régime triste des nouilles et on les isole ! Dans le surmenage chronique, la fatigue ne se traduit ni par un empoisonnement de l'organisme, ni par de la fièvre, ni par de la courbature, mais par un état de dépression dont l'intensité et les formes peuvent varier beaucoup et dans lequel les manifestations nerveuses, entre autres la neurasthénie, tiennent toujours une grande place. Les névropathes sont légion. Ces malades sont précisément ceux que l'éducation physique bien conduite, associée à l'hygiène, peut radicalement guérir. Le nombre des hommes et des femmes qui mènent, aussi bien à la ville qu'à la campagne, une vie d'épui- sement continuel est immense. Les maladies nerveuses qui en résultent sont d'observation courante. Cependant, ces malades se plaignent peu. Leur entou- rage ne paraît pas s'apercevoir de leurs souffrances et ne les plaint pas. Aujourd'hui, les névralgies, les gas- tralgies et les névroses, à tous les degrés, représentent le fonds de la pathologie moderne. L'exercice physique etlemouvement bien administrés, bien dosés, pourraient, si nous le voulions, nous délivrer promptement de ces maladies qui traduisent les effets de l'épuisement nerveux, aboutissant ordinaire du sur- menage physique aussi bien que du surmenage intel- lectuel et des préoccupations morales. CHAPITRE XI LA SCIENCE DU REPOS Les pages qui vont suivre ne sont pas écrites pour les seuls hommes de sport. Elles s'adressent à tous. Car, dans ce temps de surmenage, l'important est de savoir s'arrêter un instant pour tirer du repos tout le réconfort possible. Il serait désirable de voir inscrire, dans nos universités, au milieu de l'enseignement rebattu emprunté aux vieux programmes, un cours original sur cette science inconnue : la science du repos. Ce sujet ne comporte pas seulement l'étude du repos phj'sique chez l'homme de sport. Il doit aussi comprendre les préceptes généraux propres à guider le travailleur, l'homme d'affaires absorbé par les soucis d'une existence trop rapidement conduite, l'homme du monde surmené par la foule d'obligations que sa vie artificielle lui crée. Le repos total n'est obtenu qu'en immobilisant le corps dans la position horizontale qui permet le relâchement de tous les muscles. Dans cet état, la respiration, la circulation, la calorification et celles des fonctions nerveuses qui président à la motricité volontaire sont ralenties du même coup. Sans doute, les facultés intellec- tuelles et affectives ne sont pas arrêtées dans leur activité par l'inertie musculaire, mais lorsqu'à l'immobilisation s'ajoute l'isolement et le silence, les impressions exté- rieures, capables d'ébranler la cellule nerveuse, sont réduites au minimum et le sujet immobilisé et isolé, dans ces conditions, est bien près de goûter le repos absolu. LA SCIENCE DU REPOS 205 Les dépenses organiques sont alors réduites au mini- mum. Mais, comme les actes de la nutrition se pour- suivent, notamment l'assimilation, chaque période de repos correspond à la mise en réserve d'une certaine quantité d'énergie ; elle permet de reprendre un travail interrompu par la fatigue. Le repos physique de l'homme de sport et de l'athlète ne doit jamaisêtretrès prolongé. L'immobilisation diminue en effet la valeur physiologique du tissu musculaire, organe du mouvement. Bien plus, dans un muscle longtemps inactif, le mouvement de désassimilation finit par l'emporter sur le mouvement d'assimilation : le muscle s'atrophie. Ce sont les réserves graisseuses et aqueuses qui augmentent. L'homme, réduit à l'immo- bilité, consomme cinq fois moins d'oxygène que l'homme en marche ; sa réserve de combustible organique, sa graisse s'accumule, car la combustion à laquelle elle pourvoit est moins active. Un repos de très longue durée chez un homme sain a d'autres inconvénients, notamment sur les poumons et sur la fonction digestive. Ceux-là, étant moins irrigués par le sang, sont mal défendus contre les causes de maladie et d'infection. La nutrition du tissu pulmonaire est compromise et l'implantation du bacille de la tuber- culose trouve dans le repos forcé des poumons une con- dition favorisante. Au point de vue digestif, le repos prive l'intestin de toute une série d'actes mécaniques (pressions des muscles de la paroi abdominale, dépla- cements généraux du corps, flexion et extension du tronc), qui sont les auxiliaires efficaces des mouvements péristaltiques de l'intestin. Les uns aidés des autres poussent le bol alimentaire et le font cheminer dans la direction voulue, à travers toutes les sinuosités de l'intestin grêle. Dans les cures de repos imposées à certains malades, on est obligé de remplacer les mouve- ments de la paroi et ceux de l'intestin par le massage abdominal. Ces considérations nous révèlent l'importance dé l'appareil locomoteur auquel tous les autres systèmes 206 NOTIONS FONDAMENTALES organiques sont unis par les liens fonctionnels les plus étroits. Les muscles agissent-ils : tous les organes se solidarisent avec eux et activent leur propre fonctionne- ment. Sont-ils au contraire immobilisés : toute l'économie s'assoupit et la nutrition générale languit. Le repos des muscles apparaît donc comme la condition principale du repos quand on cherche à l'imposer à tout l'organisme. ^^•■ Dans les conditions ordinaires, chez un homme bien portant, chez un athlète en belle condition, point n'est besoin de longues périodes d'immobilisation pour effacer une impression de fatigue. Des répits très courts suffisent pour rendre aux muscles leur aptitude au travail, sinon leur vigueur première. L'ouvrier qui entrecoupe son travail de temps d'arrêt, le soldat qui interrompt 1 étape par des pauses bien calculées et de plus en plus fré- quentes, à mesure que croît la fatigue, fournissent un travail qui les eût infailliblement épuisés^ s'ils l'avaient effectué sans interruption. Un organisme qui accomplit une tâche ainsi coupée de repos peut être comparé à un réservoir dont le débit serait intermittent, mais dont l'alimentation serait permanente. La canalisation de départ est plus importante que.la canalisation d'amenée. En quelques instants, le réservoir peut être mis à sec si l'on n'a soin d'interrompre de temps en temps le départ de son contenu. Grâce à cette précaution, la canalisation d'amenée, quoique ayant un débit inférieur à celui de la canalisation de départ, suffit à maintenir un certain niveau dans le réservoir. Ainsi se passent les choses dans l'organisme vivant. Quand la dépense musculaire est grande, la provision d'énergie nerveuse s'épuise rapidement. Une brève inter- ruption du mouvement, un repos, sont nécessaires pour permettre l'accumulation d'une nouvelle provision de force dans le réservoir organique. Car les puissances réparatrices agissent d'une manière incessante, mais leur production est limitée et se montre rapidement insuffisante lorsque nous dépensons notre énergie en prodigues. LA SCIEN'CE DU REPOS 20/ Des répits, même très courts, mais suffisamment rapprochés, permettent à un athlète de soutenir longtemps l'exercice le plus dur. Dans un combat de boxe anglaise, les rounds se succèdent, coupés de temps d'arrêts fré- quents. Ce n'est point là un adoucissement à la lutte, car la brièveté des reprises permet aux adversaires de conserverleur force intacte etd'asséner des coups violents jusqu'à la fin du combat. Si la rencontre avait lieu sans interruption, on verrait, aux environs delà huitième ou de la dixième minute, la lassitude des boxeurs se mani- fester par des coups moins assurés et par un incroyable essoufflement. A force égale, ils cesseraient de com- battre, exténués. On verrait la victoire se décider moins souvent par un coup heureux que par la supériorité athlé- tique de celui des deux champions qui serait le plus résistant à la fatigue et demeurerait le plus longtemps maître de sa respiration. * * Le repos n'intéresse pas seulement l'appareil muscu- laire. 11 fait aussi sentir ses effets bienfaisants sur tous les autres appareils. Le cerveau, qui ne débite plus son énergie spéciale aux muscles, la garde en réserve pour d'autres besognes. Le travail intellectuel n'est jamais plus facile qu'après le repos corporel ; au contraire, il s'accommode mal de la fatigue musculaire. Le calme, la sérénité, l'équilibre moral suivent les phases de détente et de repos physiques. Le cœur d'un homme étendu et de qui tous les muscles sont dans le relâchement voit décroître la fré- quence de ses contractions et se repose. Les mêmes effets se produisent pendant les moments consacrés au sommeil. L'absence d'efforts musculaires ralentit la fonction respiratoire d'un sujet endormi. Dans l'état de repos, l'homme mange moins et, restreignant son alimen- tation, impose un travail modéré à ses organes digestifs ; il diminue la quantité de boissons ingérées et allège ainsi 208 NOTIONS FONDAMENTAIvES la tâche imposée à son filtre rénal. En un mot, lorsque son appareil locomoteur cesse d'agir, tous ses organes se reposent, d'une manière sans doute moins complète que les muscles, mais d'une façon non moins profitable. Il est une forme de repos relatif bien connue des hommes de sport et des travailleurs de la pensée. Elle est acquise par l'alternance du travail. En vérité, le fonctionnement des organes n'est pas suspendu. Il n'y a qu'un changement dans la forme sous laquelle l'énergie est dépensée. Le philosophe et le mathématicien, l'homme de lettres et l'économiste se délassent en pas- sant d'un sujet d'étude à un autre, comme un manœuvre qui change de bras, en portant un fardeau. La diversité dans le travail physique aussi bien que dans le travail intellectuel est une condition, sinon de repos, du moins de diminution et de retard de la fatigue. Le système musculaire, comme le cerveau, est assez semblable à un clavier dont l'artiste habile sait jouer. Il utilise cer- taines notes et néglige volontairement les autres. Celles-ci à leur tour seront mises en jeu au moment opportun. L'alternance des forces employées au travail a unetrès grande portée pour le cerveau humain. On pourrait édifier solidement sur elle une théorie du travail intellectuel et de son mécanisme. Varier les sujets d'étude est une des con- ditions du délassement cérébral, de même qu'employer alternativement certains groupes de muscles est une méthode de délassement corporel. Le changement de direction des idées et la substitution d'un travail repo- sant à un travail ardu sont les procédés de choix de ceux qui n'ont pas la possibilité d'interrompre complète- ment leur labeur intellectuel. Grâce à ce subterfuge, ils connaissent rarement la fatigue cérébrale. Rien n'est plus 'pénible que l'espèce d'obsession, plus forte que la volonté, qui assaille et persécute les grands travailleurs violemment attachés à une œuvre. L'effort d'attention se poursuit dans leur pensée, même en dehors des heures d'étude proprement <3ites; il est un obstacle an repos du cerveau, trouble le LA SCIENCE DU REPOS 209 sommeil et aboutit aux plus pénibles manifestations du surmenage cérébral. Dans ce cas, le remède le plus efficace demeure la diversion à l'idée dominante par le déplacement de l'at- tention à tout prix, c'est-à-dire par la distraction. Ce remède, pourtant, n'est pas toujours couronné de succès. Il arrive que le sujet d'étude qui a surmené le cerveau persécute encore l'écrivain ou le philosophe longtemps après que ce dernier a abandonné les feuilles inachevées. A l'apogée de la fatigue, il ri'est pas toujours au pouvoir de l'homme d'écarter l'idée tixe. Changer le cours des idées devient parfois un problème des plus compliqués. Assez souvent le hasard se charge de la guérison en mettant en jeu quelques touches du clavier demeurées jusque-là silencieuses. Un événement fortuit les fait vibrer, cependant que celles qui, jusqu'alors, s'étaient seules fait entendre bruyamment, semblent peu à peu se taire. Au groupe des cellules cérébrales mises enjeu se sub- stitue un autre groupe réagissant à une excitation for- tuite. L'attention est déplacée; elle cesse de se concen- trer sur l'idée iixe et la zone d'idéation jusqu'alors surmenée entre enfin en repos, Hippocrate disait jadis dans un aphorisme célèbre ; « Quand deux douleurs sont contemporaines, la plus forte atténue l'autre. » La vérité est qu'une idée obsédante peut disparaître au contact inattendu d'une autre idée simplement diffé- rente, se présentant soudain dans le champ de la con- science. La force musculaire est notre moj^en d'action ; mais ce qui nous fait agir est une autre force qui se dissimule derrière elle, et que nous appelons énergie nerveuse. Lorsque cette énergie s'épuise, l'activité organique se ralentit sôus toutes ses formes. Il ne faut donc pas s'étonner que, pour se remettre d'une attaque sérieuse de ce qu'on appelle l'épuisement nerveux, la nature i4 2IO NOTIONS FONDAMENTALES frustrée réclame un temps qui paraît toujours au sur-* mené ridiculement long, voire interminable. Mais le surmené est coupable de n'avoir pas tenu ses comptes avec le soin minutieux que la nature apporte toujours au règlement des siens. Il espérait peut-être qu'elle serait aussi négligente que lui, et qu'il pourrait passer l'éponge sur nombre de peccadilles. La nature a d'autres façons d'agir, comme il l'apprend bientôt à ses dépens. Elle n'adopte point les voies sinueuses et douces de l'indulgence ; tout au contraire, elle ne veut suivre que les voies franches et rigides de la vérité comme de la justice. Et somme toute, mieux vaut que le châti- ment, pour les infractions réitérées à ses ordres, soit quelquefois terriblement brusque, que de voir violer sa loi indéfiniment, selon le gré de chacun. Je m'occupe ici de ceux qui ont offensé la nature dans la folle poursuite du plaisir ou dans la lutte âpre pour conquérir la place qu'ils ambitionnent au sein de la société. Il faut les laisser régler leurs comptes comme ils peuvent. Pour la plupart des hommes, le temps marche vite et sans répit; il s'accélère davantage de jour en jour. La science et l'invention vont presque à trop grands pas pour nos facultés héritées d'ancêtres qui vivaient à des époques plus lentes. Malgré tous les avantages que la vaptur et l'électricité lui offrent pour opérer avec plus de rapidité, l'homme d'affaires se trouve contraint, par la coimexité de toutes les branches du négoce, de possé- der infiniment plus dénotions qu'on n'en avait autrefois. S'il essaye de poursuivre ses affaires comme on les pour- suivait jadis, paisiblement, il s'aperçoit bientôt que ses voisins lui enlèvent sa clientèle, et il se sent obligé de se plonger dans des études qui eussent semblé, il y a trente ans, absolument étrangères aux tenants et aux aboutissants de son commerce. Les hommes de ce temps doivent apprendre à chan- ger l'amure de leurs voiles avec une habileté et une sou- daineté qui auraient fait mourir à la peine leurs respec- tables pères;.et qui contribuent, pour une bonne part, à LA SCIENCE DU REPOS 2ir les exténuer. L'esprit doit changer avec une prestesse jusqu à ce jour inconnue. Dans le tourbillon des affaires auxquelles s'ajoutent de tous côtés des exigences crois- santes, chacun de nous risque d'épuiser l'énergie ner- veuse mise à sa disposition ; car il ne faut pas oublier que nous n'en possédons pas un stock infini, mais une part strictement dosée dont la nature tient un compte très exact, tandis que nous la dissipons sans scrupule. Nous essayons de duper la nature à force d'élixirs et de toniques, d'alcool et de café; ce ne sont là que des ce ^^ d'éperons dans les flancs d'un cheval fourbu. Ils n'ajoutent et n'ajouteront jamais rien à la quantité de force dont nous disposons. Il nous faut thésauriser notre énergie nerveuse et nous mettre à l'école du vieil avare. Nous nous rendons {..-ornent débiteurs de la nature, et il nous faui sans cesse solder de l'arriéré. Certes, ce créancier ne se re- fuse pas de recevoir son payement par acomptes, mais il exige tout son dû, jusqu'au dernier centime. Hélas, il arrive parfois que, modernes ilotes, nous sommes obligés de travailler encore lorsque nous avons épuisé notre crédit à la banque des forces nerveuses. Nous avons beau supprimer, alors, toutes les dépenses inutiles et reconstituer nos réserves, avec le pins d'économie possible, nous avons beau ne plus gaspiller notre force, soii'^ dcun prétexte, le déficit est trop grand, nous ne le como.crons jamais. Regardons autour de nous. Les vraies tragédies delà vie se prod nisent souvent là où on les attendait le moins. Elles '=' jouent sous nos j'^eux, dans l'existence de bien des épouses et des mères, au sein de nos grandes villes. Les pauvres femmes, tiraillées par leurs devoirs envers leurs m^ri.^, leurs enfants, leur religion, leurs obligations mondaines, qui souvent ne sont pas minimes en raison de la situation présente ou éventuelle du mari, se tuent petit à petit devant nous, torturées en même temps par l'insaffisance du service domestique qui rend la tenue d'une maison ou d'un intérieur confortable très difficile. Combien en avons-nous vu, de ces malheureuses, suc- 212 NOTIONS FONDAMENTAI lO i5 20 25 3o Abdomen et avant-bras. . . „ » )) 5 lO i5 20 25 3o 35 Cuisses et mains. » )) 5 lO l5 20 2r5 3o 35 40 Jambes » 5 lO rS 20 25 ■ 3o 35 40 45 Pieds ...... 5 ; lO i5 20 25 3c 35 40 45 5o Du dixième au quinzième jour, la durée respective des séances quotidiennes pourra être augmentée de cinq minutes chaque jour, le sujet se découvrant en deux temps.Cen'estqu'à partirdu quinzième jour que l'insola- tion sera complète dès. le début du bain de soleil . Dans une même journée, ladur^e totale des séances variera, suivant les cas, de trois à six heures. Un ensoleillement total de trois heures par jour constituera une moyenne qui ne sera dépassée que par les hommes jeunes et dont la peau se pigmente bien. * L'intolérance des téguments exposés sans ménagement aux rayons du soleil est d'observation courante. Elle se traduit par des lésions qui vont de la simple rougeur à des phénomènes inflammatoires plus sérieux s'accompa- gnantmême de malaise général, de fatigue, d'abattement, d'insomnie, de céphalée et de fièvre. On dosera l'appli- cation de la lumière comme on dose un remède, car tout est nuance, tout est mesure dans l'administration du bain de soleil. La peau est un piège à radiations et, en même temps, un organe de protection pour les organes sous- jacents. Les rayons chimiques ultra-violets sont fortement abiotiques ; ils peuvent léser les tissus profonds et les détruire si la peau n'a pas le temps d'organiser la dé- fense et s'ils tombent sur elle en quantité excessive. L'écran pigmentaire qui brunit la peau exposée au soleil 232 NOTIONS FONDAMENTALES arrête les rayons ultra-violets de courte longueur d'onde. Il les transforme en radiations de longueur d'onde plus grandes (orangées ou jaunes) non nocives et plus péné- trantes. Si l'on ne procède pas judicieusement et avec mesure, si l'on soumet sans précaution la peau à une lumière très riche en rayons ultra-violets, si on ne lui donne pas le tempsde s'organiser pour se défendre, on pro- voque la destruction du filtre cutané et la production de vésicules, de phlyctènes et d'escarres d'autant plus pro- fondes que l'ensoleillement a été plus prolongé. Le soleil est un excitant général de grande puissance. Mais il est aussi dangereux à trop fortes doses que salu- taire à doses réduites. Toutefois, ses méfaits sont moindres que ses bienfaits. Il semble que les radiations solaires nuisibles pro- duisent des accidents de plus en plus graves lorsque les ondes qui les caractérisent sont de plus en plus courtes. Nous sommes entourés d'une foule de ra3'^onnements d'ondes et de vibrations d'origine solaire qui nous pénètrent à notre insu. L'effet des rayons ultra- violets s'exerce aussi sur les tissus végétaux qui sont frappés de mort par une irradia- tion un peu longue ; la chlorophylle des feuilles perd sa couleur vert clair pour prendre la teinte feuille morte. Sur l'œil des animaux, l'action des rayons ultra-violets est très pernicieuse. De violentes conjonctivites succèdent à une fixation, pendant quelques secondes, de lampes en quartz à vapeur de mercure ou de lampes à arc dont la lumière est très riche en rayons ultra- violets. Par contre, à dose modérée, ces mêmes rayons sont des promoteurs de vie et d'énergie incomparables. Finsen Ta démontré par des expériences restées célèbres. Il a vu les rayons bleus, violets et ultra-violets provoquer, chez des larves de grenouilles, chez des têtards, une vive agitation. Des œufs de poisson placés dans un bocal éclairé par de la lumière violette éclosent plus vite que dans des bocaux éclairés par de la lumière verte. De même, des têtards deviennent plus promptement gre- nouilles dans des bocaux bleus et violets. l'ensoleillement 233 L'ensoleillement doit être pratiqué suivant certaines règles avec lesquelles les éducateurs ne manqueront pas d'être familiarisés. En cette matière surtout, le manque de mesure est un mal. Il n'est pas rare de voir des sujets, qui ont quitté les villes pour les littoraux ensoleillés, bénéficier d'abord pendant trois ou quatre semaines de ce changement de résidence, puis dépérir progressivement et devenir nerveux, comme après une excitation trop vive. Il ne faut pas que la pratique du bain desoleil,si bien- faisante quand elle est mesurée et convenablement nuan- cée, provoque la rupture de l'équilibre vital et la maladie. CHAPITRE XIII LE PHYSIQUE ET LE MORAL Vieux sujet cent fois traité par les philosophes et que je voudrais ramener à des données positives et simples. Le bon sens et la raison commandent au penseur d'aller du connu à l'inconnu, de l'homme tel qu'il paraît être à l'homme tel qu'il est au fond, des organes aux fonc- tions, de la physiologie à la psychologie, du physique au moral. Rien n'est arbitraire dans l'organisation de l'homme ; rien ne Test dans ses fonctions. Il porte en lui, dans sa constitution même, la loi morale de sa vie. On abandonne volontiers l'étude des besoins maté- riels aux médecins et aux hygiénistes, et ce sont les phi- losophes qui font, des besoins spirituels, le thème de leurs entretiens : voilà le mal. Il n'est pas un besoin moral qui pourrait se passer de l'organisation matérielle. Il n'est pas une faculté dont le jeu régulier ne suppose l'intégrité du cerveau. Ceux qui veulent diriger la conduite de l'homme sont bien forcés de tenir compte de son organisation matérielle. Nos besoins moraux et intellectuels sont liés étroitement à cette organisation. Ils se développent avec elle, par- tagent son sort, sont frappés des menées imperfections, se dérangent quand elle souffre et périssent avec elle. Il est impossible de séparer le physique du moral ; il ne faut pas songer à régulariser l'un sans l'autre. Ne pas rendre solidaires les règles de direction, pour la vie animale, des règles de l'éducation morale, est une «rreur qu'il faut se décider à ne plus commettre. Que LE PHYSIQUE ET LE MORAL 235 sont les principes moraux qui ne tiennent pas compte des conditions corporelles de l'homme? Ils ne pro- duisent qu'une morale abstraite, bonne pour les médi- tations du cabinet et non pour la pratique. C'est en partant de l'organisation humaine, c'est en déterminant les besoins et les facultés qui en découlent, que le moraliste peut justifier toutes les règles qu'il trace. Il lui sera toujours facile de prouver jusqu'à l'évidence que les devoirs les plus sévères, que les actes du plus généreux dévouement, sont liés étroitement, quand la raison les impose, à l'intérêt direct et au bonheur de celui qui les pratique. La philosophie a, plus que jamais, besoin d'apprendre la physiologie pour en introduire dans ses études l'esprit méthodique. Les travaux de la pensée qui prétendraient se soustraire, désormais, à cette alliance, sont voués à la stérilité. La physiologie étend son influence jusque sur l'édu- cation, jusque sur les sciences morales au sein desquelles elle pénétrera de plus en plus profondément. Depuis des siècles, des philosophes plaident pour l'esprit ou pour la matière. Entre ces deux doctrines de guerre, n'est-il point de place pour une doctrine de paix? A quoi leur sert de se poser des questions si propres à diviser les opinions? Que n'étudient-ils plutôt les phénomènes ap- parents de la vie de l'homme pour en déduire les lois de son existence. Quand ils connaîtront l'être humain tel qu'il est dans ses organes et dans ses fonctions, ils pourront s'aviser de disserter sur lui avec exactitude. * * * La nature crie sans cesse à l'homme : « Observe-moi ! Devine mes secrets ! Apprends à me connaître et tu seras meilleur! » La nature nous a donné une certaine orga- nisation, certains besoins et l'activité nécessaire pour les satisfaire. Nous avons des organes doués de vie, impa- tients d'action, -et nous ne chercherions pas à connaître quels ils sont, comment ils se lient et se soutiennent 236 NOTIONS FONDAMENTALES mutuellement, l'action qui leur convient et celle qui leur est nuisible! Ou bien, commettant une erreur grave, nous prétendrions connaître nos besoins, sans avoir une idée de nos organes, déterminer l'effet sans rechercher les causes! L'être humain a des besoins résultant du fonctionne- ment harmonique de ses organes. Il veut les satisfaire et, dans ce but, il parle et il agit. Dès qu'il sait ce qu'il fait, il encourt la responsabilité de sa parole et de son action. En langage ordinaire, on dit qu'il se décide pour le bien ou le mal, qu'il devient vertueux ou cri- minel. En réalité, il accomplit ou il viole sciemment la loi de son organisme. Déterminer l'activité normale de nos facultés, c'est assigner ses limites à la loi morale. La première obligation est donc de vivre dans un équi- libre aussi parfait que possible. Le sage est celui qui respecte son corps, en connaît tous les besoins, en com- prend l'harmonie et se soumet à ses lois. L'insensé est celui qui méconnaît le véritable but de ses besoins, se laisse entraîner à dépasser ce but, s'expose par là à dé- truire l'harmonie de ses fonctions, à troubler l'ordre de son économie, à bouleverser les conditions de son exis- tence en sacrifiant tous ses besoins à l'un d'eux. Une loi d'équilibre préside à nos actions. Aucune fa- culté, quelque supérieure qu'elle soit, n'a le droit de se substituer à une autre. Tous les besoins existent au même titre. Ceux d'intelligence ne sont pas supérieurs aux autres, ils ne doivent pas les dominer à leur profit, les étouffer ou les anéantir. Cette conception sacrilège conduit à des désobéissances forcées. La loi morale n'a pas besoin d'être imposée. On la trouve inscrite dans l'admirable organisation physique de l'homme. Pourquoi dire : « Tout n'est que matière ; au delà de ce que nous voyons, de ce que nous sentons, il y a l'in- connaissable, et la matière explique tout. » Pourquoi dire : « Au delà de la matière est l'esprit qui anime la matière inerte par constitution, qui pense, qui sent, qui veut. » LE PHYSIQUE ET LE MORAL 23/ Dans le premier cas, on pose le principe, l'idée abstraite de la matière; dans le second, on part de l'idée négative d'immatériel et d'infini. De part et d'autre, on s'abuse sur les mots, on est dupe du langage. Il est préférable de partir du fait positif de l'existence des corps vivants. L'étude de leurs caractères, l'obser- vation des changements qu'ils subissent, leurs mouve- ments, leurs actes, les circonstances qui accompagnent leurs modifications, permettent de constituer iine science positive antérieure à la science de l'être en général et de déduire les lois qui régissent ces corps vivants. Les besoins de l'homme sont autant de puissances ac- tives tendant à un but qui peut n'être jamais atteint ou, au contraire, êtredépassé. La seule recherche vraiment digne d'intérêt est de démêler les règles qui dirigent ces puis- sances et d'assigner à chacune d'elles sa place dans la hiérarchie fonctionnelle. Il existe des besoins primitifs. L'homme est porté à agir pour les satisfaire. Sa conduite sera morale, s'il maintient son activité dans les limites physiologiques. Au surplus, les grands réformateurs dont les ensei- gnements soulevèrent les peuples, Confucius, Jésus, Mahomet, ne tracèrent jamais à leurs disciples d'autre ligne de conduite que celle qui s'inspirait des véritables besoins de la nature humaine. Si les morales chrétienne et musulmane nous semblent être aujourd'hui en con- tradiction, sur quelques points, avec la morale naturelle, c'est parce qu'au cours des siècles, des disciples, aveuglés par un zèle intempestif, ont déformé les ensei- gnements du Maître disparu. Journellement, les anatomistes ont l'occasion de con- stater, au cours de leurs études sur les cadavres, cer- taines malformations organiques tout à fait indépen- dantes des lésions qui ont entraîné le décès. Ces ano- malies paraissent, dans beaucoup de cas, inexplicables. Qui pourrait affirmer avec certitude qu'elles n'ont ja- 238 NOTIONS FONDAMENTALES mais influé sur les réactions organiques et, par un contre-coup bien explicable, sur le psychisme des sujets qui les présentaient? Depuis quelque temps, les phj'-siologistes ont attribué à certains organes, aux fonctions mystérieuses (corps thyroïde, capsules surrénales, corps pituitaire, glande pinéale), un rôle des plus importants. Une petite partie seulement de leur énigmatique histoire est connue. Le peu que nous savons de leur signification laisse à penser que ces organes sont les régulateurs de nos grandes fonctions. Sans eux, pas d'harmonie. Sont-ils lésés? Il survient un désordre croissant qui fait que le cœur cesse d'être solidaire des poumons, des reins, du cerveau, de l'appareil digestif. L'élimination des poisons ne se fait plus ; l'élaboration des aliments devient désordonnée ; le foie, grenier d'abondance de la matière sucrée, ne la retient plus ; la coordination générale qui groupe toutes les énergies cellulaires, en vue d'un but déterminé, est suspendue et la mort ne tarde pas à mettre un terme à ce désarroi universel. Que devient, pendant ce temps, l'être moral? Quel trouble un corps thyroïde malade va-t-il jeter dans les facultés de mémoire, d'attention, de jugement, dans la volonté, dans les tendances et jusque dans les sentiments affectifs ? Nous l'ignorons, mais il est bien permis de penser, sans s'aventurer dans des hypothèses hasardées, qu'un organe, capable, par son abstention fonctionnelle, de troubler si profondément le physique, jette une per- turbation au moins aussi grande dans le moral. Descartes plaçait le siège des passions dans la glande pinéale. Depuis lors, les philosophes niaient avec un sourire le bien-fondé d'une pareille localisation. Aujourd'hui, ce sont les physiologistes qui ont l'air de nous ramener tout doucement à la manière de voir du grand penseur. En résumé, il y a des conditions morales et des dispo- sitions anatomiques héréditaires que nous apportons en naissant. Il en est que nous créons nous-mêmes par suite de nos réactions individuelles à l'éducation reçue, par notre genre de vie, par notre alimentation, par LE PHYSIQUE ET EE MORAE 239 l'alcoolisme, le surmenage, les intoxications répétées, le manque d'exercice physique, l'habitation dans des lo- caux malsains, ou dans un milieu pernicieux au double point de vue hygiénique et moral. 11 en est que les cir- constances font éclore : les grandes secousses morales, les excès de toutes sortes, l'action déprimante de cer- taines maladies générales, comme le diabète,, le rhuma- tisme, l'insuffisance surrénale, thyroïdienne, etc.. Les unes et les autres sont solidaires. Toutes nos tendances morales sont liées à un état physique et à des disposi- tions anatomiques particulières : à chaque dispositif organique correspond un état d'âme spécial. Nos con- naissances sur l'âme humaine ne nous permettent pas encore d'assigner aux conditions physiques et aux con- ditions morales le rôle qui doit leur être respectivement dévolu dans la genèse de nos passions. Mais un jour viendra oii, grâce à une connaissance approfondie de ces conditions, l'homme traitera et guérira ses passions comme il traite et guérit les autres maladies. S'il est exact que l'état physique chez l'homme déter- mine souvent l'état moral, le contraire est également vrai. Nos passions, nos états psychiques divers, reten- tissent sans cesse sur nos organes avec une intensité parfois extraordinaire. Un cycle ininterrompu d'actions et de réactions lie le moral au physique. Voici un exemple, pris entre beaucoup d'autres, qui illustre les lois suivant lesquelles peut se communiquer à nos organes l'ébranlement causé par un état psychique violent. Le même jour, pendant une manœuvre à laquelle prend part un régiment de cavalerie, le colonel, homme d'une constitution pléthorique et d'un caractère emporté, entre dans une violente colère en constatant l'imperfection des mouvements exécutés par les troupes. Dans l'un des escadrons, un commandant, récemment revenu du Sénégal, où il avait contracté un paludisme grave, avec congestion chronique du foie, s'irrite éga- 240 NOTIONS FONDAMENTALES lement de l'inattention de quelques cavaliers qui n'ont pas aperçu un fil de fer tendu dans la campagne. Plu- sieurs chevaux, ayant heurté l'obstacle, étaient tombés et, dans leur chute, avaient entraîné leurs cavaliers. En- fin, un jeune sous-lieutenant, récemment sorti de Saint- Cyr, est l'objet de vives réprimandes de la part du colonel qui lui impute tout l'insuccès de la manœuvre. Qu'advient-il? Une heure après être rentré chez lui, le colonel meurt, en quelques instants, d'une hémorragie cérébrale provoquée sans nul doute par l'état congestif intense dans lequel l'avait mis son violent accès de co- lère. Le, même jour, le sous-lieutenant me fait mander, car il souffre, depuis quelques heures, d'un tremblement généralisé et de mouvements convulsifs qu'il lui est impossible de maîtriser. Enfin, le lendemain, le com- mandant me prie de l'aller voir et je le trouve terrassé, jaune, souffrant d'un véritable flux bilieux. 11 rattache nettement son état à son irritation de la veille. « D'ail- leurs, me dit-il, chaque fois que je suis très ennuyé, j'en ai littéralement la jaunisse! » J'ai connu un homme politique que chaque scrutin, même favorable à sa candidature, obligeajt à garder le lit. Maint phénomène physiologique atteste la réalité d'un retentissement des états psychiques sur les organes. Les sueurs froides, causées par la terreur, la pâleur du vi- sage, les palpitations, les syncopes qui accompagnent ou qui suivent les grandes émotions, démontrent l'existence des liens fonctionnels étroits qui unissent le moral au physique. Les anciens médecins s'aban- donnaient à la plus outrancière fantaisie quand ils pré- tendaient que la joie venait de la rate; la colère, de la vésicule biliaire ; l'amour, du foie ; la sagesse et le cou- rage, du cœur; l'intrépidité, des poumons, etc. Par contre, il est parfaitement démontré que chacun de ces viscères devient véritablement malade sous l'influence d'une vive excitation morale. La circulation du sang est localement modifiée; la nutrition laisse à désirer; des lésions anatomiques, d'abord légères et plus tard ag- gravées, décèlent bientôt leur existence. On cherche M LE PHYSIQUE ET LE MORAL 241 alors la cause du mal partout, sauf là où elle réside, c'est-à-dire dans le moral du patient. Il m'est arrivé plus d'une fois de déduire, à un mo- ment donné, la passion de mes malades, des altérations survenues dans leur santé, pour peu que leur caractère me fût précédemment connu. Ces déductions m'aidèrent souvent à porter un pronostic dont le temps confirmait presque toujours la justesse. Les maladies, dont les causes premières sont des états psychiques anormaux, constituent l'immense majorité de celles qui régnent sur l'espèce humaine. Ce sont sou- vent les passions qui modifient l'économie, qui pré- parent le terrain et qui rendent possible l'ensemence- ment, le développement et la floraison des germes infec- tieux dans l'intimité de nos tissus. Sans cette prépara- tion du milieu, les bactéries pathogènes ne se dévelop- peraient point. L'alcool fait le lit de la tuberculose; l'in- tempérance et la gourmandise sont les avant-coureurs de la goutte et des maladies intestinales. L'ambition, la jalousie, l'envie, mènent à toutes les dyspepsies. Beau- coup de tristesses et de profonds chagrins, en perturbant profondément la nutrition de nos viscères, acheminent bien des gens aux maladies de cœur. Un violent accès de colère révèle une épilepsie latente, ou se trouve au début d'une danse de Saint-Guy qu'on aura ensuite la plus grande peine à guérir. La passion de l'étude entraîne la gastralgie et l'insomnie chez les personnes qui s'y abandannent et une susceptibilité nerveuse qui les rend souvent insupportables à leur entourage. Les passions, à leur apogée, exercent, sur le cerveau, une action perturbatrice parfois intense. Un amour vio- lent pousse beaucoup d'hommes à tout sacrifier pour la femme adorée. Quelque circonstance vient-elle éteindre l'ardeur insensée qui les dévore, ils ressemblent à des êtres sortant d'un songe et se rendent compte, alors seu- lement, que leur raison avait été momentanément obnu- bilée. De sorte qu'on a pu dire, sans paradoxe, que la passion aiguë ne diffère de la folie que par la durée. Il n'est pas de passion qui ne comporte une crise et 16 242 NOTIONS FONDAMENTALEvS un dénouement. Ce dernier se traduit généralement par un phénomène biologique. C'est ainsi que les désirs erotiques ne disparaissent qu'après le spasme qui apaise et détend ; qu'une grande frayeur se résout par une sueur générale ; que de longs bâillements aident le pa- resseux à sortir de son engourdissement; qu'après une grande douleur, celui qui peut librement pleurer est sou- lagé ; que la médisance, l'épigramme, la perfidie, vengent l'homme du monde; que les cris, les injures et les coups vengent l'homme du peuple; l'un suit l'impulsion de la nature, et l'autre l'usage de la société, mais de part et d'autre le résultat est identique. De même que les poisons se convertissent journelle- ment en remèdes efficaces entre les mains des médecins habiles, de même certains sentiments peuvent exercer les effets curatifs les plus heureux sur des organismes souffrants. Ainsi les passions que, tout à l'heure, je montrais à l'origine de nombre de nos maladies, peuvent contribuer à les guérir. La joie, par exemple et la gaieté, sont les meilleurs soutiens de l'état de santé. Beaucoup de médecins ont remarqué que le convalescent à humeur joviale se rétablissait plus rapidement que les autres. Une joie vive peut accomplir de véritables cures, surtout dans la neurasthénie et dans les maladies du système nerveux. Le rire accélère la circulation; il est utile de le provoquer, surtout chez les enfants ma- lades. Il y a quelques années, des artistes des théâtres de Paris eurent l'idée d'aller amuser les pauvres petits dans les salles mêmes des hôpitaux, où ceux-ci se trouvaient en traitement. Je ne sais ce qu'est devenue cette initia- tive, mais, à l'époque, je me suis intéressé aux résultats obtenus. Ils ont été considérables. Par ce moyen très simple, que le cœur de nos comédiens avait découvert, des améliorations inespérées s'étaient produites. Les mains étaient moins blafardes, les visages plus colorés, les physionomies plus gaies et plus animées. Il sem- blait que le rire infusait un surcroît de vie aux enfants. Savoir éveiller des désirs dans l'esprit de ses malades est une grande habileté pour un médecin. Un désir sti- LE PHYSIQUE ET LE MORAL , 248 mule immédiatement l'organe plus spécialement chargé de le satisfaire. Les idées de plaisir qui s'attachent à son accomplissement, les images agréables qu'il procure, contribuent beaucoup à dissiper le mortel ennui, à rendre supportable la douleur et à abréger la durée des maladies. Une vive curiosité est très capable de ranimer l'acti- vité nerveuse suspendue par la stabulation prolongée dans un lit. J'ai vu des paralytiques se lever et gagner, à l'étonnement général, une fenêtre devant laquelle il se passait quelque chose. L'attente d'un événement désiré peut ranimer une vie qui s'éteint et faire reculer la mort. J'ai donné mes soins à bien des soldats malades et blessés. Quelques-uns étaient mortellement atteints. Tous les secours de l'art ne procuraient même plus le moindre soulagement et leur fin paraissait prochaine. Plusieurs fois, il arriva que ces moribonds, rassemblant toutes leurs forces, me demandèrent, en me regardant fixement, s'ils vivraient assez pour revoir leur pays et leurs parents. A cette demande imprévue, je répondais toujours avec assurance : « Ne vous inquiétez point, vous guérirez, vous vivrez encore de longs jours et vous reverrez tous les vôtres. » Et mes camarades présents faisaient aussitôt des signes approbateurs, ajoutant que la guérison était indubitable. « Alors, c'est bien, repre- naient ces hommes ; les douleurs que nous éprouvons nous faisaient craindre de ne pas revoir le pays ; main- tenant nous sommes rassurés. » Des améliorations extraordinaires suivaient souvent des consultations de ce genre, et j'étais bien forcé de les attribuer, au moins en partie, à l'effet moral d'un retour prochain au pays natal. L'espérance de guérir est d'ailleurs un premier pas vers la santé, mais cette espérance ne dépend point des malades. Ceux-ci ne l'éprouvent qu'autant que le méde- cin qui les soigne leur inspire plus de confiance et que lui-même paraît plus rassuré et plus satisfait. Faire naître l'espoir est un grand talent. Bacon recommandait de traiter certaines maladies \ Z44 NOTIONS FONDAMENTALES chroniques par la colère. Je n'ai aucune raison dépenser que cette méthode préconisée par l'illustre philosophe soit dangereuse. Cesontsurtout les nerveux chez lesquels les preuves de l'étroite liaison des phénomènes moraux et physiques éclatent à chaque instant. Une vive frayeur peut les guérir radicalement s'ils sont malades et les paralyser s'ils sont indemnes. Jadis, à l'hôpital de Har- lem, sévissait d'une manière épidémique l'hystérie con- YUÎsive parmi les jeunes malades de l'établissement. Le célèbre Boerhave avait épuisé sans succès tout l'arsenal ies drogues. De guerre lasse, il fit installer au milieu ^es saîîes un brasier où chauffait continuellement un fer rouge destiné à brûler au bras jusqu'à l'os la pre- mière malade qui présenterait une crise convulsive. L'impression de frayeur que causa un remède aussi violent fut telle que, dès ce moment, les manifestations de l'hystérie cessèrent d'une manière absolue. C'est encore la frayeur qui a rendu la parole à des muets, le libre usage de leurs membres à des paralytiques dont la guérison n'avait pu être obtenue par les ressources habituelles de la médecine. L'amour est un sentiment passionnel si violent qu'il triomphe des penchants les plus opiniâtres. J'ai connu des mélancoliques incités au suicide par leur néirrose qui n'ont trouvé la guérison que dans l'affection d'une femme et les caresses de leurs enfants. Quelques-uns de ces infortunés, poursuivis sans relâche par un incurable ennui, avaient cherché dans l'agitation tout artificielle d'une vie désordonnée l'introuvable remède. Mais très vite le plaisir avait perdu pour eux son attrait. Fermement résolus à mourir, ils ruminaient sans cesse l'idée de leur suicide et méditaient sur ce sujet avec une sorte d'ivresse. Ce que les remèdes n'avaient pu faire, ce que la réédu- cation de la volonté avait été impuissante à réaliser, l'amour l'avait opéré en un instant. Lorsqu'une passion domine une personne, il est tou- jours possible d'obtenir une réaction, quel que soit l'état physique ou l'état raoral de cette personne. Il suffit pour cela de mettre en jeu sa passion dominante. L'avare, LE PHYSIQUE ET LE MORAL 245 indifîérent à tout, deviendra le plus attentif des hommes si on l'entretient de lucratifs placements. Le collec- tionneur d'insectes, que n'émeuvent ni les grèves, ni les guerres,» ni les révolutions, s'intéressera vivement aux quelques coléoptères dont l'absence laisse des vides affreux dans ses vitrines. Le constructeur de locomotives, qui demeure insensible aux sciences naturelles, se passionnera pour la forme d'un cylindre ou l'accou- plement des roues motrices de la dernière machine. * * * Rien n'est plus digne de solliciter nos méditations que la culture physique et morale de l'homme dont toutes les fonctions, partant toutes les facultés, ont un droit égal à se développer. L'harmonie phj'sique et la perfection morale doivent résulter de ce développement. Si l'organisation de l'homme était parfaite, c'est-à-dire si toutes ses facultés étaient bien proportionnées, la direction de cette activité serait facile, et la loi physiolo- gique ou morale découlerait de la constitution même de chaque individu. Mais il n'en est pas ainsi. Dans chaque homme, les différentes parties de l'organisation sont inégalement développées. Les facultés se ressentent toujours de cette inégalité. Les caractères varient à l'infini, comme les talents, les penchants, les qualités et les défauts. Le grand principe qui doit dominer la culture de l'homme est celui de l'harmonie des fonctions. Satisfaire ses besoins, développer ses facultés, mais n'en sacrifier aucune ; limiter enfin le développement de chacune d'elles par celui des autres : voilà le programme. C'est avec raison que le biologiste nous dit : « Déve- loppez toutes vos facultés, toutes, et non pas une ou plusieurs, afin que chacune ait la part qui lui revient ; afin que les instincts ne se substituent pas aux senti- ments et ceux-ci à l'intelligence, ni cette dernière aux sentiments et aux instincts. » Voilà un principe positif, simple, intelligible et fécond. 246 xNOTIONS FONDAMENTALES En d'autres termes, le moyen le plus direct d'améliorer l'espèce humaine est de montrer à chaque individu le véritable but de ses besoins, de ses alïections et de ses sentiments, le mal qui résuHe de leur direction vicieuse, le bien qui suit infailliblement leurdéveloppement harmo- nique. Alors seulement on pourra s'efforcer d'élever l'être humain jusqu'aux plus hautes conceptions de l'intelligence. Mais on ne fera pas entendre ces préceptes à la foule. Les masses sentent mieux qu'elles ne com- prennent. De bonnes habitudes sont de plus sûrs garants de moralité chez elles que les plus sublimes principes. Par une conséquence inévitable de notre organisation, nous sommes entraînés à l'action, beaucoup plus par ce qu'il y a en nous d'instinctif et d'aveugle, que par ce qui s'y trouve d'intellectuel et d'éclairé. Notre intelligence entre pour beaucoup moins qu'on ne pense dans nos bonnes comme dans nos mauvaises actions. Lorsque nous commettons un acte répréhensible, c'est géné- ralement beaucoup plus par emportement que de propos délibéré. Nous sommes victimes d'une mauvaise tendance ou d'influences fâcheuses. Et nous ne nous en doutons pas, car ce que nous ignorons le plus, ce sont nos pen- chants, nos qualités, et nos défauts, nos vertus et nos vices, c'est-à-dire notre organisation. Nous appliquer à la connaissance de cette organisation et ^des fonctions qui s'y rattachent, les développer, rechercher les causes qui nous poussent à l'action ; tels sont les moyens les plus certains d'obtenir une amclio- ration morale de l'espèce humaine et de faire de l'homme un être vraiment libre qui accomplisse le bien par une volonté ferme et éclairée. Quelque plan de détail qu'on adopte pour améliorer l'espèce humaine, il faudra commencer par étudier la structure et les fonctions des parties vivantes. Il faudra connaître l'homme physique pour étudier, avec fruit, l'homme moral. Plus on avancera dans cette voie d'amélio- ration qui n'a pas de terme, plus on sentira combien l'étude de la phj'siologie est importante. TROISIEME PARTIE EDUCATION PHYSIQUE DES ENFANTS ET DES ADOLESCENTS CHAPITRE XIV QUELQUES APERÇUS SUR L'EUGENNÉTIQUE^ L'eugennétique (eu, bien, yevvaw, j'engendre) est la science nouvelle qui s'attache à établir les règles que doivent suivre les hommes pour assurer une heureuse continuité de l'espèce. Le jour où cette science pénétrera les lois mystérieuses de la génération et déterminera exactement le mécanisme de transmission des caractères acquis et innés, elle provoquera sur notre globe la plus formidable des révolutions. L'eugennétique n'est aujourd'hui qu'à ses débuts. Après de très longues années seulement, le labeur de ses apôtres pourra lui faire dépasser l'âge des balbutie- ments. Mais il est permis d'espérer que lorsque sera franchie cette ère difficile, les hommes qui s'occuperont sérieusement de l'amélioration de leur propre race iront plus vite dans cette voie qu'ils n'y ont fait mar- cher les espèces animales et végétales. Le devenir de l'enfant dépend en grande partie de trois conditions : l'hérédité, la santé des parents au moment de la conception, la santé de la mère pendant la gestation. L'enfant est l'aboutissant de toute une lignée. Il tient de tel ancêtre, la taille ; de tel autre, la chevelure; de celui-ci, les yeux; de celui-là, l'esprit; d'un troisième, le caractère ; d'un quatrième, une tendance passionnelle déterminée. Ces donateurs disparus ne sont pas tous également généreux et l'on voit quelquefois un ancêtre éloigné faire revivre dans l'arrière-petit-fils — nul ne sait par quelle mystérieuse et magnifique puissance — 25o ÉDUCATION DES ENFANTS ET DES ADOLESCENTS une partie de lui-même, plus importante que celle à laquelle son éloignement lui donnait légitimement droit. HÉRÉDITÉ. — Au Congrès international d'eugennétique qui se tint, en 1912, à l'Impérial Institute de l'Université de Londres, sous la présidence de Sir Léonard Darwin, les causes susceptibles de modifier les qualités de race des générations futures furent recherchées. La question primordiale, dans cette science, est celle de la trans- mission héréditaire des qualités physiques et morales. Les promoteurs de la science nouvelle ont orienté leurs observations de ce côté. C'est presque uniquement à recueillir de nombreuses généalogies familiales qu'ont été consacrés jusqu'à ce jour les efforts du laboratoire fondé par Sir Galton, le Sir Galion' s Eugénie' s Labora- tory. Les magnifiques publications sorties de ce labora- toire, le Treasury of Hunian Inheritance, et les ouvrages analogues, donnent une idée de l'immensité du labeur accompli. L'aptitude aux diverses professions, les parti- cularités physiques, physiologiques, mentales, patholo- giques, la tendance au vol, ou, au contraire, les facultés mathématiques, artistiques, philosophiques, pédago- giques, ont été suivies dans d'innombrables familles, et les pedigrees ainsi recueillis portent sur de nombreuses générations. Mais un tel labeur n'a pas encore fourni des documents suffisants pour permettre de formuler les lois de l'hérédité chez l'homme, ou, tout au moins, pour voir dans quelle mesure les lois expérimentales, éta- blies dans de nombreuses espèces animales et végétales, sont susceptibles de s'appliquer à l'espèce humaine. Il est élémentaire que les jeunes gens étudient avec soin leur ascendance et celle de leur fiancée. Bertillon avait proposé que chaque famille tînt un registre où seraient inscrits les principaux traits de santé et les maladies des ancêtres. C'était déjà de l'eugennétique. C'était, en tout cas, un excellent moyen indiqué à l'homme pour se rendre de plus en plus maître de ses destinées. Depuis longtemps, ou a remarqué l'influence néfaste APERÇUS SUR I. EUGENNÉÏIQUE 25l que la tuberculose des parents exerçait sur le dévelop- pement des enfants. Les médecins observent tous les jours la coïncidence de cette maladie chez les parents avec l'infantilisme chez les rejetons. Ils voient dispa- raître par la phtisie pulmonaire des êtres avortés et stériles, héréditairement imprégnés de tuberculose, sté- riles... pas toujours, car on rencontre assez souvent des tuberculeux prolifiques. Ils ressemblent à ces arbres qu'une blessure mortelle a meurtris et qui, pour la der- nière année de leur vie, multiplient les fleurs et les fruits. Ce que je viens de dire de la tuberculose des parents s'applique de tous points à la syphilis. Le retard du développement physique et intellectuel des enfants de syphilitiques gravement atteints est indéniable. « Ils ont fait leurs dents trop tard, a écrit le docteur Fournier; ils ont marché tard ; ils n'ont grandi que lentement ; ils ont été en retard pour parler ; ils n'ont appris à lire et à écrire — mais à lire, plus spécialement encore — qu'avec une difficulté singulière. Toujours leur mémoire s'est montrée défectueuse, débile, paresseuse, infidèle. Ils deviennent de mauvais écoliers, inintelligents, mal doués, rebelles à la culture et au développement, bornés en un mot, constituant le type de ce qu'on appelle par euphémisme, des « enfants arriérés. Inutile d'ajouter que tels ils restent plus tard, avec des aptitudes intellec- tuelles très inférieures au niveau moyen ^» La tuberculose et la syphilis sont les maladies qu'il faut le plus redouter dans le mariage, mais elles ne sont pas les seules. Dans les pays où le paludisme est endémique, le sang des nouveau-nés, issus de mères paludéennes, contient l'hématozoaire découvert par Laveran et considéré comme l'agent causal du paludisme. De tels enfants demeurent chétifs ; leur développement est tardif et par- fois incomplet. La Sologne autrefois, la Campagne romaine aujourd'hui, ont illustré d'exemples innombra- bles cette dégénérescence de la race, en pays palustre. Il est superflu d'ajouter l'alcoolisme aux maladies 252 ÉDUCATION DES ENFANTS ET DES' ADOLESCENTS parécédentes et d'évoquer le triste tableau de la descen- dance des buveurs : enfants frêles à poitrine étroite et plate, sans muscles, de petite taille, et qui portent le sceau de l'infantilisme. Nous savons aujourd'hui que la lignée des alcooliques est, par surcroît, vouée à l'im- puissance et à la stérilité et qu'elle ne tarde pas à dis- paraître. Les ouvriers et ouvrières de nos manufactures qui manipulent les produits toxiques n'ont plus d'enfants, ou ceux qu'ils ont sont des dégénérés et des chétifs. Une alimentation défectueuse ou insuffisante, l'abus des mets toxiques, une mauvaise hygiène générale, des souf- frances physiques et morales du père ou de la mère, à l'époque de la conception, et de la mère pendant la ges- tation, ont également pour conséquence la déchéance de l'individu et de la race. A côté des causes de débilité de l'enfant, que je viens de signaler, une place à part doit être réservée à la néfaste coutume du voyage de noces. Elle impose généralement des fatigues aux jeunes époux, alors qu'ils devraient plutôt se recueillir dans une existence paisible, exempte de surmenage. Bile explique que des gens sains aient parfois un enfant débile, dont la constitution contraste singulièrement avec la leur. Le nombre des maladies causées aux parents par les voyages de noces est élevé. Si les médecins se préoccu- paient de la santé publique, il y a longtemps qu'ils au- raient prévenu les familles du danger que cette mode funeste fait courir aux jeunes couples et à leur descen- dance. Rien n'est plus pernicieux. On meurt fort bien de cette petite fête-là. Quel statisticien nous dira le chiffre des infortunés ainsi enlevés au lendemain du mariage, ou, pour le moins, rendus infirmes à jamais ? On ne dénoncera jamais assez les inconvénients qui relèvent du voyage de noces quand celui-ci est accompli par des gens que dépriment déjà des sacrifices incessants à Vénus. Les jeunes époux seraient fort tranquilles dans leur demeure en robe de chambre et en bon paletot ouaté. Mais non, il faut aller coucher à Lyon, déjeuner à APERÇUS SUR l'EUGENNÉTIQUE 2 53 Nice, souper à Monte-Carlo, visiter Florence, revenir par Milan, remplacer le vêtement douillet par un habit incommode, le home intime et tiède par la chambre anonyme du palace cosmopolite, s'exposer tour à tour au soleil et à l'air glacé. Tous et toutes en rapportent quel- que chose : celui-ci une mauvaise grippe, celle-là une bronchite, cet autre la mort. Mais il vient rarement à l'idée des jeunes gens de rester chez eux le soir du mariage et d'envoyer promener la coutume en renonçant au voyage, parce que cela est passé dans les mœurs. Fort heureusem'ent, il n'y a pas que les tares phy- siques et morales qui soient transmissibles. Le -^ourage, la délicatesse d'âme, la bonté, toutes les vertus le sont aussi. Les lois de l'hérédité et de l'atavisme ont leurs tristesses, sans doute, mais elles comportent aussi des faits consolants. Annulons dans la mesure du possible la fatalité de l'ancêtre en faisant acquérir à l'enfant, quand il est né, par une longue éducation, des vertus et des habitudes qui, bien qu'acquises, n'en sont pas moins transmis- sibles. Domptons nous-mêmes le destin par notre appli- cation à nous élever sans cesse vers le bien, comme vers le beau. Mais surtout, sachons que le devenir de l'enfant est déterminé par l'état organique des parents au moment de la conception ; sachons que les produits de nos embrassemencs portent, suivant le cas, l'empreinte de notre dignité ou de notre bassesse, et que les époux se décident enfin à mettre toutes les heureuses chances de leur côté. Age du mariage. — C'est vers vingt-cinq ans que l'homme atteint son développement physique complet. C'est à cet âge qu'il doit se marier. La loi permet le mariage beaucoup plus tôt. Mais les statistiques sont là qui nous apprennent que les jeunes hommes, mariés avant vingt ou vingt et un ans, sont décimés par une mor- talité considérable, qui égale presque le lourd tribut funèbre de la sénilité. « L'usage prématuré des organes génitaux est le plus sûr moyen de s'inoculer la vieil- 254 ÉDUCATION DES ENFANTS ET DES ADOLESCENTS lesse », disait Hufeland. Le plaisir génésiqiie trop pré- cocement goûté diminue, en un temps très court, la résistance vitale que, seul, devrait user le long effort des années. Nos jeunes maris de vingt ans succombent comme des hommes de soixante-cinq à soixante-dix ans, parce que les voluptés hâtives dont ils se sont rassasiés les ont débilités et qu'ils n'offrent à l'attaque vive des maladies graves que les résistances infimes de l'âge sénile. Quant aux jeunes filles, il faut admettre que bien peu d'entre elles peuvent être sainement mariées avant dix-sept ans révolus et que la dix-neuvième ou la vingtième année est, pour elles, l'âge d'élection. Les femmes jeunes possèdent au plus haut degré cette aimable et gracieuse souplesse de caractère et d'idées qui rend singulièrement facile, pour peu que le veuille l'époux, non seulement la communauté de chair, mais aussi l'unité de vues et de pensées. Mesures de sélection a l'égard des parents. — Certains Etats de l'Amérique du Nord, qui nous a donné de si retentissants exemples de ses tendances nova- trices, ont déjà tenté de porter dans le domaine pratique la sélection des parents. Le clergé américain paraît favoriser l'eugennétique. A Chicago, l'évêque Anderson et le doyen Summer ont refusé de laisser célébrer des mariages dans les cathédrales de Saint-Pierre et de Saint-Paul, parce que les couples s'avançaient à l'autel sans s'être préalablement munis de l'indispensable cer- tificat attestant qu'ils jouissaient d'une parfaite santé. Les deux prélats ont eu des imitateurs. Le Rev. Mabel R. Witham, pasteur de l'église de l'Immorta- lisme, à Boston, incitait tous ses confrères à refuser d'unir les couples qui ne produiraient pas un certificat médical. Les autorités ont suivi le mouvement. Dès le i®*" janvier 1914, l'Etat de Wisconsin promulguait une loi stipulant que la licence de mariage ne serait accor- dée qu'aux individus qui joindraient aux pièces ordi- naires de l'état civil un certificat de bonne santé. APERÇUS SUR l'EUGENNÉTIQUE 255 Le législateur avait même songé à limiter à 3 dol- lars le prix du certificat. Les médecins se récrièrent, alléguant que telle réaction — celle de Wassermann — indispensable pour éliminer l'hypothèse de la syphilis chez les futurs conjoints, était couramment payée 20 dollars. Comme l'Etat persistait dans ses exi- gences, les médecins se mirent en grève, et, pendant plusieurs semaines, les fiancés de TEtat de Wisconsin furent les victimes de cette abstention d'un genre si nouveau, puisque, faute de certificats, ils ne purent convoler. Sôus d'autres cieux, le conseil mixte du patriarcat arménien, au cours d'une séance mémorable tenue à la veille de la guerre, avait pris la résolution suivante : « Il conviendra de préparer, dès maintenant, un règle- ment spécial d'après lequel les Arméniens des deux sexes, devant contracter mariage, seront tenus désormais de présenter au patriarcat, en vue de l'obtention du per- mis de mariage, un certificat médical établissant leur parfaite santé. Le projet de ce règlement sera présenté à l'approbation de l'assemblée générale arménienne. » En iQiS, la fédération allemande des Monistes avait adressé une pétition au Reichstag pour modifier, dans la loi d'empire du 6 février 1875, la condition à rem- plir par les personnes en instance de mariage. Une de ces modifications se rapporte à l'obligation pour les futurs conjoints de produire un certificat délivré par un médecin en exercice et datant de six mois au plus. Ce cer- tificat devra attester qu'il n'existe aucun motif de craindre que l'union projetée puisse nuire à la santé de l'un des conjoints ou à sa descendance. En France, avant la guerre, le conseil général du Doubs a émis, sur la proposition du docteur Collard, le vœu suivant : « Dans un but patriotique, et pour conser- ver la vigueur et la solidité de notre race, pour com- battre le trio effroyable de l'avarie, de la tuberculose et de l'alcoolisme, le conseil général émet le vœu que le Parlement élabore une loi exigeant, au moment du mariage légal, la production d'un certificat de santé de la 256 ÉDUCATION DES ExVFANTS ET DES ADOLESCENTS part des deux époux, le mariage ne pouvant être célébré que si les certificats sont formels au point de vue de la santé des deux fiancés. » C'est en s'appuyant sur les idées eugennétiques que les législateurs de plusieurs Etats de l'Amérique du Nord ont préconisé et fait adopter par les Parlements locaux le principe de rendre chirurgicalement stériles les criminels invétérés, les aliénés incurables, les épilep- tiques et les rachitiques. Les promoteurs de l'eugennétiqne obligatoire auraient vraisemblablement moins de succès en France. Combien de parents, d'amis, et même de fiancés déclareraient la loi inconstitutionnelle et déraisonnable et se passe- raient du certificat exigé par elle ! Au demeurant, la méthode pourrait avoir des conséquences imprévues. Je n'en veux pour preuve que l'incident soulevé récemment par Mrs. Jenny Moore qui attaquait les docteurs chargés -de l'examen médical des fiancés, sous prétexte qu'ils avaient déclaré son mari sain de corps et d'esprit, et qu'en trois ans d'union, celui-ci n'avait pas été capable de la féconder. Elle réclamait to ooo dollars de dommages et inté- rêts, sans compter le divorce. Les juges de Washington, après mûre réflexion, firent droit à sa requête. La QUESTION DE LA CONSANGUINITÉ. — Les physiolo- gistes qui se sont occupés de la consanguinité sont divi- sés en deux camps professant des opinions opposées et produisant à l'appui de leur thèse, il faut le reconnaître, des faits aussi nombreux que probants. Il est indiscu- table que la consanguinité la plus étroite a présidé à la naissance de l'humanité. Dans l'antiquité, le mariage était permis et fréquent entre frère et soeur. A Athènes, on épousait couram- ment sa demi-sœur paternelle et, à Sparte, sa demi-sœur maternelle. L'Eglise et le Code proscrivent aujourd'hui l'union entre oncle et nièce, tante et neveu. Mais la loi .civile autorise les mariages collatéraux entre cousins APERÇUS SUR Iv'EUGENNÉTIQUE 2 5/ germains ou issus de germains et l'Eglise aussi, mo3^en« nant rétribution. A notre époque, la masse des unions consanguines est constituée, précisément, par les mariages entre cousins germains et issus de germains. Les uns soutiennent que ces sortes de mariages sont néfastes, et les autres qu'ils sont innocents. Ce qu'il y a de singulier, c'est que chez les animaux où règne l'inceste et où il semble que l'ex- périmentation doive être facile, la solution du problème n'est pas plus avancée qu'en ce qui concerne la race humaine. Les observations des éleveurs sont contradic- toires. Tandis que quelques médecins ont cité des exemples de mariages consanguins qui furent d'une nocuité extrême, on observe couramment le contraire chez les animaux dont la consanguinité a été cependant infini- ment plus rapprochée. Dans le monde des bêtes, il n'y a aucun souci de la consanguinité. Les frères et les sœurs sont, au contraire, les époux naturels et ordinaires. Dans un milieu où les instincts sont si sûrs, il semble que l'habitude des amours incestueuses ne se serait ni développée, ni même conservée, si elle avait été une cause de dégénérescence. En vérité, l'accord très général des peuples civilisés, pour apporter des empêchements législatifs plus ou moins formels aux mariages entre parents, n'a pas été inspiré aux législateurs par le souci de se conformer à une loi physiologique. C'est la pureté du foyer qu'ils avaient en vue quand ils décrétaient ces empêchements. Il importait à tout prix d'éviter une communauté sexuelle déréglée des personnes vivant sous un même toit. Ce qui le prouve, c'est que le législateur ne distingue pas toujours entre les parents vraiment consanguins et les parents par alliance. C'est ainsi que Moïse formule treize interdictions dont cinq seulement ont trait à des unions véritablement consanguines. L'homme ne doit épouser ni sa mère, ni sa fille, ni sa sœur, ni sa tante paternelle ou maternelle. Mais il lui est également inter- dit de s'unir aux femmes qui, par le fait des alliances, 17 258 ÉDUCATION DES ENFANTS ET DES ADOLESCENTS peuvent habiter sous le même toit que lui : belle-mère, belle-sœur (soit sœur de l'épouse, soit veuve du frère), belle-fille (fille de l'épouse d'un autre lit), tante par alliance et bru. Mahomet a ajouté à ces interdictions le mariage avec la nourrice, avec la sœur de lait et la pupille. En réalité, pour les dernières de ces défenses, il s'agit moins de la véritable communauté de sang que de la communauté de domicile. D'ailleurs, le législateur dérogeait sans hésiter à sa loi quand un intérêt de fortune l'exigeait : c'est ainsi qu'afin d'éviter l'évasion de la dot des filles hors des familles, on épousait fort bien, à Athènes, sa sœur de père, et à Sparte sa sœur de mère. L'intérêt de santé fléchissait devant un intérêt de fortune. On le voit, le point de vue hautement moral de la législation antique est fort différent de celui auquel se placent aujourd'hui ceux qui accusent les mariages con- sanguins d'être redoutables pour la descendance. A vrai dire, lorsque l'observation contemporaine eut découvert des faits de consanguinité morbide, certains philosophes en tirèrent argument en faveur de la sagesse de la législation religieuse du passé. Mais il apparaît clairement que ces conclusions faites a posteriori sont abusives et en désaccord évident avec les véritables mobiles des défenses formulées par Moïse et ses imita- teurs. Tenons-nous donc aux seuls faits de l'observation, quelque inattendus qu'ils soient. Notons, en passant, que les Juifs, obligés pendant des centaines d'années à vivre par petits groupes et à se marier entre eux, sortis en quelque sorte de la consanguinité, sont en pleine prospé- rité démographique. La même constatation pourrait être faite à propos de nombreuses populations insulaires. Voilà des exemples favorables. Dans le milieu familial, se présentent des faits trou- blants. Telles familles, dont les membres, à plusieurs degrés, sont sortis de la consanguinité la plus rappro- chée, légalement possible, non seulement ne présentent pas de dégénérés, mais encore sont composées de APERÇUS SUR L'EUGENNÉTIQUE 269 membres dont la santé est excellente et la fécondité remarquable. Telles autres ont, au contraire, une des- cendance composée de véritables infirmes et aboutissent promptement à l'extinction. Quoi qu'il en soit, il faut reconnaître que les adversaires de la consanguinité ont réuni un faisceau de faits terribles et nombreux qui s'imposent à un examen impartial. Pour ma part, j'ai observé plusieurs fois que deux cou- sins germains, issus de parents indemnes, engendraient des enfants parfaitement beaux et bien constitués. Par contre, j'ai constaté que, de même que l'hérédité saine se transmet, Vhérédité morbide se transmet également dans les unions consanguines , d'une manière peut-être plus certaine et plus énergique. Les qualités, comme les ten- dances morbides, s'additionnent plus sûrement dans les mariages consanguins que dans les autres. Mais les premiers n'ontpas, comme on l'a dit, leprivilège exclusif de donner naissance à des produits imparfaits ou mons- trueux. Tandis qae la consanguinité provoque la prompte disparition de quelques familles, elle infuse, au contraire, aux autres, une énergie nouvelle. Il y a des familles bien ou mal douées pour la mettre en pratique. Elle est la pierre de touche redoutable qui signale de suite la pureté ou l'impureté du sang. C'est la seule connaissance de l'hérédité de ses membres qui nous dira quelle probabilité une famille saine qui affronte la consanguinité a de s'anéantir ou d'y prospérer. Relations entre la mère et l'enfant pendant la GESTATION. — Le moment de la conception décide, en partie, des qualités de l'enfant. L'influence funeste de Tivresse sur la conception est bien connue. Les enfants conçus par des parents en état d'ébriété sont frappés de déchéance physique et intellectuelle. De plus, pendant la gestation, la santé physique et morale de la mère exerce sur l'enfant une influence considérable. L'apôtre de l'eugennétique, en France, le docteur Pi- nard, a éloquemment montré le rôle immense dévolu à la 200 ÉDUCATION DES ENFANTS ET DES ADOLESCENTS mère entre l'époque de la conception et celle de la nais- sance. Sans cesse il a demandé des lois pour protéger les mères. Sa voix ne peut pas, dans ce pays, rester plus longtemps sans écho. Au Parlement, les docteurs Doizy, A. Peyroux, Bachi- mont, F. Merlin, etc., ont déjà transformé en propo- sitions de lois les idées défendues par Pinard. Mais nous n'en sommes qu'à la période de tâtonnements. 11 y a une œuvre supérieure à toutes les tâches d'assistance, c'est de faire en sorte que les infirmes ne soient plus procréés. « C'est seulement, a écrit Pinard, quand la vie sera donnée hygiéniquement à tous les enfants, quand tous les enfants accompliront hygiéniquement leur première vie dans le sein maternel, quand, après leur naissance à la lumière, tous les enfants vivront hygiéniquement, que les plus grands progrès de la civilisation seront réalisés. » La vie intra-utérine conditionne la vie à la lumière •du jour. Depuis le moment où il se forme dans le sein maternel, jusqu'à la naissance, l'être humain vit de la même existence que sa mère. Il n'est pas une cause de maladie, pas une intoxication qui n'atteigne cette dernière sans retentir directement sur le précieux fardeau qu'elle porte. Chaque fois que la femme enceinte travaille, chaque fois qu'elle se fatigue, l'évolution de l'enfant est troublée et la naissance survient prématurément. Chaque fois qu'après la naissance le nouveau-né, pour une raison quelconque, est séparé de sa mère, il est mis en danger de mort. Je m'excuse de recourir encore aux statistiques de Pinard, mais toute la question est dans ses travaux. Chez 5oo femmes ayant travaillé jusqu'au moment de leur accouchement, le poids moyen des enfants a été de 3 010 grammes. Chez 5oo femmes s'étant reposées, le poids moyen des enfants a été de 3 366 grammes. Chez I ooo femmes ayant travaillé jusqu'au moment de l'accouchement, la durée de la gestation a été en moyenne de 247 jours. Chez 1000 femmes qui se sont reposées (dans des dortoirs ou des refuges), pendant le APERÇUS SUR l'EUGENNÉTIQUE 261: temps de leur gestation, la durée mo3^enne de celle-ci a été de 269 jours. Sous l'influence du repos, la durée de la grossesse est plus longue ; le poids de l'enfant est plus considérable et son développement plus complet. L'enfant né avant terme est un prématuré. 11 réclame de plus grands soins, sa croissance est plus lente ; il demeure à tout jamais un faible, un chétif, quand il n'est pas un infirme. Les projets de loi auxquels je faisais allusion tout à l'heure ont pour objet principal: 1° La protection de la femme enceinte ; 2° La sauvegarde de l'enfant pendant sa vie intra- utérine et pendant les mois de la première enfance. La proportion des naissances prématurées est très élevée. Sur 188284 enfants nés à la Maternité depuis 182a — année où on a commencé à peser les enfants au moment de leur naissance — et à la clinique Baudelocque;, depuis sa fondation jusqu'en 1899, Pinard a relevé 29071 prématurés pesant moins de 255o grammes. Le sort réservé aux enfants nés prématurément est lamentable. On a créé pour eux les fameuses couveuses et l'emploi du gavage a été préconisé. Sur 2961 enfants admis, du 20 juillet 1893 au 3i décembre 1899, dans le service des prématurés débiles, il en est mort 1 795 et la durée moyenne de séjour, par enfant, n'a pas dépassé un mois. Sauf exceptions très rares, ceux qui ne meu- rent pas restent, pendant toute la durée de leur vie, des débiles et des infirmes. Pendantlapremièreannée de la guerre, à Paris, Pinard a organisé la protection des mères et de l'enfance etj malgré les conditions défavorables dues aux circon- stances, la durée moyenne de la gestation a été prolongée et le poids moyen des enfants, au moment de la nais- sance, a augmenté. Ces deux quantités ontété supérieures à ce qu'elles étaient pendant l'année 191 3. Pendant la seconde et la troisième années de guerre,, l'entrée des femmes dans les usines a annulé ces beaux 202 ÉDUCATION DES ENFANTS ET DES ADOLESCENTS résultats. Le travail des mères a été une chose désastreuse pour l'enfant en voie de développement. Nous savons aujourd'hui scientifiquement ce qu'il faut faire pour diminuer le nombre des enfants prématurés et assurer à nos descendants des conditions de dévelop- pement favorables avant leur naissance, et aussitôt après. En généralisant les mesures nécessaires, nous diminue- rons les déchets sociaux qui traînent une vie malheu- reuse et constituent pour la société une lourde charge. Le rôle de la femme, est de perpétuer la race. Je ne crois pas me faire l'avocat de l'utopie en déclarant que c'est un d'avoir pour l'Etat de la protéger contre les privations et la misère. Les sentiments éveillés par la présence d'une femme mère étaient, dans les sociétés anciennes, empreints d'une déférence spéciale. On ne peut affirmer qu'il en soit de même aujourd'hui. Les duretés de la vie moderne ont peut-être rendu les coeurs moins aptes à saisir la grandeur et la sainteté de la maternité. Il est juste que la mère soit placée dans des con- ditions favorables à la maturation de son fruit. N'est-il pas regrettable, qu'au sein d'une société civilisée, elle puisse être, quel que soit son âge, quelle que soit sa beauté ou sa laideur, réduite à l'indigence ? Il faut lui épargner le souci du pain quotidien et la mettre en état de bien former son enfant. Elle devrait être, surtout dans «in pays qui se dépeuple comme le nôtre, de tous les êtres vivants, le plus protégé, le plus estimé, le plus aimé. La mentalité de l'homme a besoin de se rénover en s'inspirant de l'esprit sublime de la nature. Dans notre société égoïste la femme, étant la plus faible, a besoin d'être entourée pendant qu'elle est mère. Or, elle se voit chaque jour fermer plus complètement par l'homme, abusant de sa force et de ses droits, les professions lucratives et faciles, c'est-à-dire celles, préci- sément, qu'elle peut le mieux exercer. Chaque fois que la femme lutte avec l'homme pour la bouchée de pain, elle est vaincue. La nécessité et la faim suppriment le sentiment de galanterie qui est une production due au APERÇUS SUR I^'EUGENNÉTIQUE 203 bien-être et au loisir. Tantque l'homme aura le privilège de convertir en loi sa manière de voir, de faire triompher sa volonté, il cotera toujours ses travaux plus haut que ceux de la femme. Dans le peuple, le travail de celle-ci ne suffit pas à la nourrir elle-même ; à plus forte raison ne peut-elle pourvoir à l'entretien de ses enfants. Avant la guerre, 4i5oooo femmes mères vivaient en France de leur salaire. Sur ce nombre, 537000 usaient à petit feu leurs jours à l'usine. Combien s'étaient reposées pendant la gestation ? Combien, après la naissance, avaient désiré protéger et garder auprès d'elles leurs enfants, qui n'avaient pu se donner ce bonheur? Combien d'enfants sont morts d'avoir été séparés de leur mère pendant les premières semaines ou les premiers mois de leur vie ? CHAPITRE XV CROISSANCE DE L'ORGANISME HUMAIN PENDANT L'AGE SCOLAIRE (APPLICATIONS ÉDUCATIVES) Le développement physique des enfants, pendant la période deleur vie où ils subissent l'influence de l'école, doit arrêter l'attention de ceux qu'intéresse la rénovation plastique de la race française. La croissance de l'homme ne se fait pas d'une manière uniforme et régulière, mais par oscillations périodiques. Pour une année donnée, l'accroissement peut être double, triple, quadruple même de ce qu'il était dans les années précédentes. D'une manière générale, il est rapide pendant les deux premières années de la vie. A cette phase, succède une période de ralentissement jusqu'au moment de la pu- berté. Alors, la croissance reprend une nouvelle activité pour s'atténuer encore à partir de la quinzième année. Elle diminue, enfin, et finit par cesser complètement entre vingt et vingt-cinq ans. (Fig. 4). L'alternance des périodes de croissance intense et des périodes de ralentissement ne représente qu'une moda- lité de la périodicité de tous les phénomènes biologiques. Cette périodicité est une loi universelle. Dans la nature, les périodes de renforcement alternent avec les périodes d'affaiblissement ; et cela, qu'il s'agisse de la vitesse du mouvement des astres ou de la circulation du sang dans l'organisme humain, de l'alternance des périodes CROISSANCE ET EDUCATION 265 saisonnières ou annuelles à la surface de notre planète, de la mort et de la vie dans tout être organisé. En conformité de cette loi générale, tous les phéno- mènes sociaux subissent eux-mêmes des pulsations. Les PiG. 4. — Courbe indiquant la marche de la croissance de l'or- ganisme humain (taille et poids) dans les deux sexes, entre la première et la vingt-cinquième année. Garçons . Filles périodes d'activité aiguë ont sans cesse alterné avec les périodes de calme. Laissant de côté tous les autres phénomènes de la na- ture, je m'arrêterai à la périodicité des fonctions de l'or- ganisme humain. Observons le cœur. Par ses battements réguliers, ses contractions et ses relâchements, il nous 266 ÉDUCATION DES ENFANTS ET DES ADOLESCENTS offre le tableau d'une périodicité très régulière sans laquelle son activité de pompe serait impossible. La pé- riode de la pause cardiaque (diastole), comprise entre deux battements successifs (systole), correspond au repos du muscle. Ce répit permet à ce dernier, d'un côté, de se débarrasser du produit de la fatigue, et, de l'autre, d'ac- cumuler une nouvelle provision d'énergie pour le travail. Plus ces pauses sont courtes, plus le cœur se fatigue, et il peut être amené à la paralysie, si la durée de ces pauses est inférieure à un temps minimum au-dessous duquel l'organe cesse de fonctionner. Ce phénomène apparaît chez un animal forcé. Les pulsations de son cœur se sont précipitées à l'extrême avant que ne soit survenue la syncope terminale. Parallèlement aux battements du cœur, se produisent des contractions et des dilatations périodiques des vais- seaux qui favorisent puissamment la circulation du sang. Le mécanisme de la respiration chez les animaux su- périeurs et chez l'homme représente un autre exemple d'activité périodique. L'alternance régulière de l'inspira- tion, de l'expiration et de la pause post-expiratoire, ces phases se répétant dans cet ordre pendant toute la vie, témoigne d'une périodicité surprenante. Elle dépend des décharges qui partent périodiquement du centre ner- veux respiratoire, sous l'influence de l'excitation de ce centre par le sang chargé d'acide carbonique. La pério- dicité de ces décharges trouve sa cause dans la résistance qu'oppose le centre nerveux respiratoire à son excitation continue par le sang. Ce n'est que lorsque cette excita- tion s'est accumulée et a atteint une certaine intensité que la résistance opposée par le centre respiratoire est vaincue. Alors seulement se produit la décharge nerveuse qui va commander l'inspiration. Enfin, il n'est pas jusqu'aux impulsions nerveuses envoyées par le cerveau et la moelle épinière aux organes moteurs qui ne soient sujettes, elles aussi, à la loi de la périodicité. L'influx nerveux se compose, en effet, d'une série ininterrompue de vibrations ou d'ondes nerveuses dont le nombre varie suivant les différents nerfs consi- CROISSANCE ET ÉDUCATION 267 dérés. Cette notion de périodicité qui domine le fonction- nement de l'organisme humain doit inciter les maîtres de la jeunesse à suivre les indications de la nature. Ils ne demanderont aux enfants que des efforts discontinus, d'autant plus courts que les enfants seront plus jeunes. Cette précaution élémentaire évitera de provoquer chez eux la lassitude et le dégoût des tâches qui leur sont impo- sées. La croissance a sa place parmi les matières qui doivent être enseignées aux maîtres de la jeunesse, car l'âge scolaire s'étend à la plus grande partie de la période de développement que l'enfant ait à parcourir pour deve- nir un adulte. Scolarité et croissance marchent parallè- lement. Ks'L-ce à dire que les maîtres doivent connaître en détail l'évolution de l'organisme humain, assister à l'apparition des organes, à leurs transformations, sup- puter les variations de dimensions des diverses parties du corps et apprécier leurs rapports réciproques ?. . . Nul- lement. Cela est l'œuvre des physiologistes. Les maîtres se borneront à retenir, parmi les faits si complexes du processus de l'évolution organique, quelques notions fondamentales et vraiment directrices. Ils en tireront des déductions simples qui les guideront pour orienter convenablement leur action à l'égard des enfants dont ils ont la charge. Parmi ces notions, je n'en veux retenir que quatre ; elles ont trait : au développement des os ; au développement du cerveau ; à l'apparition de la puberté ; à l'action des sécrétions internes. Les os, au début de leur développement, se composent d'une masse de cartilage hyalin entourée par une enve- loppe conjonctive ou périchondre (irepl autour, xov^poç cartilage). Cette masse cartilagineuse s'ossifie à la fois 268 ÉDUCATION DES ENFANTS ET DES ADOLESCENTS aux dépens de son périchondre et aux dépens de son car- tilage, autrement dit par ossification périostique et par ossification enchondrale. Prenons comme type d'étude un os long, le tibia par exemple et observons la marche de l'édification de cet os (Fig. 5) : FiG. 5. — Développement d'un os long (tibia). I. Ebauche cartilagineuse. — 2. Apparition d'an anneau d'ossification périos- tique (a). — 'i . En plein cartilage apparaît en b un point d'ossification, • bainhe de l'os encliondral. — ). Dcveioppement respectif de l'os eiichondral et de l'o^ périos- tique. — b. Apparition des points d'ossification épipliysaires (m) et ébauclie de raréfaction médullaire. — G. Les cartilages de conjugaison app raissent entre la diaphyse et les épiphyses (c). — 7. L'édification osseuse est terminée. L'ossification a envabi toute la masse de l'os qui ne peut plus s'accroître en longueur, les carti- lages de conjugaison ayant disparu. Sur l'ébauche cartilagineuse (i) apparaît tout autour de la partie moyenne de la diaphyse une lamelle osseuse disposée en anneau et provenant de l'ossification du périoste (2). Ensuite, on voit au centre de l'os, en plein cartilage embryonnaire, apparaître un point d'ossifi- cation primitif, ébauche de l'osenchondral (3). Plustard^ CROISSANCE ET ÉDUCATION 269 l'os périostique et l'os enchondral se sont développés de façon à occuper toute la hauteur de la diaphyse (4). Aux deux extrémités de l'os apparaissent deux points d'ossification secondaires ou épiphysaires, tandis qu'au centre même de la diaphyse, un travail de résorption aboutit à un rudiment de canal médullaire (5). Peu à peu, les deux points d'ossification épiphysaires s'agrandissent dans tous les sens et atteignent la surface extérieure de l'os. Du cartilage primitif, il ne reste plus que les cartilages articulaires et deux lamelles minces qui, à chaque extrémité de la pièce, unissent l'os épi- physaire à l'os diaphysaire. C'est le cartilage de conju- gaison, partie essentiellement vivante aux dépens de laquelle se fera l'accroissement de l'os en longueur pen- dant l'enfance et pendant l'adolescence (6). C'est à cette notion de l'activité du cartilage de con- jugaison dans l'accroissement des os en longueur que je voulais en venir. Tant que ce cartilage existe, la crois- sance du corps humain n'est pas terminée. La charpente osseuse n'est complètement édifiée que plus tard, quand le cartilage de conjugaison a disparu (7). Retenons en outre que les points d'ossification des côtes ne se soudent entre eux qu'entre la seizième et la vingtième année ; la poignée du sternum ne se soude au corps de l'os que de vingt à vingt-cinq ans, la soudure définitive des épiphyses de l'humérus à la diaphyse de cet os s'effectue, pour l'extrémité inférieure, entre seize et dix-huit ans et pour l'extrémité supérieure cinq ou six ans plus tari ; le radius n'est ossifié qu'à vingt ans ; la soudure des différents points d'ossification du fémur se produit de la façon sui- vante : le petit et le grand trochanter se soudent à la diaphyse de seize à dix-huit ans, la tête fémorale, un an après. Quant à l'extrémité inférieure, elle n'est complè- tement unie à la diaphyse qu'à vingt ou vingt-deux ans. Pendant longtemps, les os demeurent donc relative- ment malléables. Aussi devrons-nous éviter de soumettre l'enfant, soit à des manœuvres de force, soit à des exer- cices ayant pour effet de durcir les muscles. Ces derniers, hypertrophiés dès l'enfance par une gymnastique intem- 270 ÉDUCATION DES ENFANTS ET DES ADOLESCENTS pestive, peuvent, dans une certaine mesure, en raison de leur développement prématuré en largeur et en épais- seur et par le jeu de leur tonicité propre, s'opposer à l'allongement normal des os. C'est ainsi qu'on a remarqué que les jeunes sujets, qui ont imprudemment fait beaucoup de gymnastique aux agrès pendant l'enfance, ont les membres supérieurs relativement courts. Ils le constatent eux-mêmes lors- qu'ils tentent plus tard de se vêtir d'habits tout faits. Les manches de ces vêtements, confectionnés d'après un gabarit moyen, sont toujours trop longues pour leurs bras. Chez la majorité des enfants, il faut attendre au moins la quinzième année pour les sonmettre aux exer- cices qui ont pour résultat d'hypertrophier les muscles. Si l'on ne prend cette précaution, on risque de contrarier le développement du squelette en longueur et de dimi- nuer la taille. La croissance du corps humain n'est complètement achevée qu'aux environs de la vingt-cinquième année. C'est à cette époque que l'homme présente son maximum de force. Retenons ces faits et ne demandons aux enfants et aux adolescents que des efforts musculaires rationnels et proportionnés au degré de leur développement phy- sique. * Rechercher les règles et les lois qui président à la croissance de l'homme, c'est s'acheminer par une voie sûre aux déductions pédagogiques les plus fructueuses. Je sortirais du cadre que je me suis tracé si j'entre- prenais d'exposer ici la physiologie du cerveau, pour en déduire une doctrine d'éducation rationnelle. Cette étude démontrerait que le développement progressif de l'intelligence est le principe essentiel de toute pédagogie. La croissance absolue du cerveau est considérable pendant les premières années. Topinard et Manouvrier ont tracé des tableaux du « rythme de la croissance cérébrale ». Ils ont montré que, par rapport à son maxi- CROISSANCE ET EDUCATION 271 mum atteint à l'âge adulte, le cerveau a déjà acquis, à sept ans, 83 p. 100 de son développement et, à quatorze ans, 95 p. 100. Si l'on représente par 1000 le maximum de dévelop- pement physiologique de l'encéphale, maximum obtenu dans la période de trente à quarante ans chez l'homme, de vingt à trente ans chez la femme, et qui peut être tono CO •* UO 0 l£> 0 750 500 250 0 J / 1 - -« / / 7 /. / ^. ^ ^ -- ... -- __ ... FiG. 6. — Courbe indiquant la croissance moyenne du cerveau humain, depuis la naissance, jusqu'à la vingt-cinquième année. représenté chez le premier par le poids moyen de 1 366 grammes et chez la seconde par celui de I 238 grammes, il résulterait, d'après le calcul de Topi- nard, que l'encéphale augmenterait de 326 p. 1000 dans la première année, de 59 p. 1000 par an de un à quatre ans, de 4 seulement p. 1000 par an de quatorze à trente ans. D'après certains auteurs, ces évaluations seraient un peu trop élevées. L'accroissement de la première année devrait être ramené à 290 p. 1000 et celui des quatre années suivantes à 5i p. 1000. (Voir fig. 6.) Dans ces évaluations auxquelles leur précision numé- 272 EDUCATION DES ENFANTS ET DES ADOIvESCENTS rique donne une haute valeur, on trouve tracée presque schématiquement la division physiologique du travail intellectuel des enfants. Dans une période qui répond à l'accroissement formidable du cerveau, période pendant laquelle tout le mouvement organique semble tendre à la construction de cet organe primordial, en prévision de la multiplicité des fonctions auxquelles il est destiné, l'éducation doit être, selon l'expression de Cl. Bernard, négative. « En général, dit-il, il faut remarquer que la pre- mière éducation doit être négative, c'est-à-dire qu'on ne doit rien ajouter aux précautions qu'a prises la nature, et se borner à ne pas détriiire son œuvre... Il est bon d'employer d'abord peu d'instruments et de laisser les enfants apprendre par eux-mêmes. » , , De quatre à sept ans, le mouvement de croissance du cerveau, quoique encore important, se ralentit. Après sept ou huit ans, son accroissement n'est plus que relatif. L'organe est prêt à recevoir les premières impulsions éducatives. Mais n'oublions pas que les facultés nais- santes sont sous la dépendance absolue des sens. Il s'agit plutôt, pour le cerveau de l'enfant, d'emmagasiner, que d'élaborer les impressions reçues. C'est à cette période de la vie que l'éducation, telle que la concevait Montaigne, doit triompher. L'illustre moraliste réclamait un ensei- gnement naturel et non livresque ; il préconisait l'instruc- tion par les choses qui tombent sous le sens, « celles au milieu desquelles nous nous trouvons placés ». a Des choses, des choses! trop de mots », s'est plus tard écrié J.-J. Rousseau. Autre conséquence des faits précédents : c'est pendant l'enfance qu'il faudra donner de bonnes habitudes éduca- tives, avant que le cerveau n'ait ter7niné son développe- ment. Ces habitudes s'inscriront automatiquement dans la mémoire ; elles feront partie du psychisme élémentaire qui servira de fonds commun à toute la pensée avant que celle-ci ne reçoive la culture artificielle que nous réser- vons aux adolescents. Gardons-nous d'imposer aux enfants un travail abstrait. Il faut n'admettre celui-ci qu'à partir du jour CROISSANCE ET ÉDUCATION 278 OÙ l'intelligence, développée par l'exercice préalable des sens, et par l'habitude de penser, est assez forte pour être capable de concevoir les abstractions. Redoutons par- dessus tout la surcharge des programmes pendant l'en- fance. Elle conduit au surmenage cérébral et use préma- turément l'organe de la pensée. * * Abordons maintenant la question de la puberté. Cet •état apparaît lorsque les produits sexuels (ovules et sper- matozoïdes) mûrissent et commencent à être expulsés. L'aspect général des individus est modifié; les traits secondaires qui caractérisent les sexes s'accusent. Aux signes physiques correspond un ps3''chisme différent : toutes les tendances héréditaires apparaissent alors avec un relief extraordinaire. Enfin, l'instinct sexuel s'éveille. L'âge moyen de la puberté est, dans notre race, entre onze et treize ans pour les filles, entre douze et quatorze ans pour les garçons. Un très grand nombre d'enfants sont précocement ou tardivement formés. Il s'agit, dans l'immense majorité des cas, lorsque le retard ou l'avance de la formation sont considérables, de sujets dont l'héré- dité pathologique est chargée. Ces enfants sont des amoindris jusqu'à ce qu'apparaissent chez eux les signes de la puberté. Alors seulement, ils peuvent montrer des qualités intellectuelles et physiques brillantes. Il y a une corrélation évidente entre les fonctions sexuelles, d'une part, et les fonctions cérébrales, de l'autre. Un très grand nombre d'enfants dont l'atrophie testiculaire est notable sont diminués au point de vue cérébral. Ce n'est qu'après l'échéance pubertaire qu'il faut définitivement juger un enfant et qu'on est fondé à prendre des décisions relatives à son avenir : « La puberté peut changer un débile en homme à tous les points de vue. » (Godin.) La puberté met en mo3'enne deux ans à s'installer. Mais ses effets se font encore très vivement sentir peu- 2 74 EDUCATION DES ENFANTS ET DES ADOLESCENTS dant trois années. C'est donc cinq ans, à partir du mo- ment de l'apparition de la puberté, qu'il faut au jeune garçon pour devenir un homme nubile, un adulte, doué de la plénitude de son aptitude à reproduire. Ces notions s'appliquent aux jeunes filles. Cinq ans après l'apparition des premières menstrues, elles sont nubiles, elles sont femmes. Sur les cinq années, étendues de l'éclosion de la pu- berté â la réalisation de la nubilité, les trois dernières surtout répondent à la phase à laquelle convient plus qu'à toute autre le nom de jeunesse. Cette phase de jeunesse doit marquer le triomphe de l'éducation; elle peut en être la faillite. Elle est le carrefour où se ren- contrent les tendances héréditaires , qu'on appellQ commu- nément le tempérament, les influences éducatives et l'épa- nouissement de l'instinct sexuel. Il dépend en grande partie des maîtres delà jeunesse qu'à partir de ce moment décisif la vie soit heurtée et pénible ou faite d'harmonie et d'aisance. Les enfants dont l'éclosion pubertaire se fait mal, ceux qui, à cette époque de leur vie, présentent des symptômes de susceptibilité nerveuse, des tendances bizarres, coupables et inexplicables, ne sont souvent que des malades qu'il faut remettre au médecin. Au point de vue de l'éducation physique, j'ai déjà eu l'occasion (chap. i) de dire ce que doivent être les pra- tiques de cette éducation pendant l'âge pubertaire et pen- dant l'adolescence. J'estime inutile d'y revenir ici. C'est à cette époque de la vie, surtout, que l'éducateur sera mesuré et prudent. Les corrélations qui existent entre la fonction sexuelle et la fonction cérébrale m'amènent à aborder la grave question de l'influence des organes à sécrétion interne sur le développement général de l'organisme. Il ne faut pas juger qu'un enfant n'est pas malade parce qu'il ne se plaint de rien. On se tromperait grave- CROISSANCE ET ÉDUCATION 275 ment. Une maladie latente se traduira chez lui par du relâchement dans le travail, par la diminution de l'at- tention et de la mémoire, par de mauvaises notes conti- nuelles. Un écolier médiocre peut être moins souvent un paresseux volontaire qu'un malade. C'est pourcjuoi il importe que les maîtres soient éclairés sur l'activité encore mystérieuse par beaucoup de côtés de certains organes, tels que le testicule, la glande thyroïde, les capsules surrénales, la glande pi- tuitaîre ou hypophyse, qui agissent sur l'organisme par l'intermédiaire de certains produits de sécrétion qu'ils élaborent et déversent directement dans le sang. Ces produits sont désignés sous le nom générique d'hormones (de op[j!.ato, j'excite). Le sens exact du mot hormone est loin d'être précis. Est hormone toute sub- stance qui, circulant dans le sang ou les humeurs, est ejicitatrice des actes généraux de la nutrition. C'est une notion physiologique capitale. Le testicule ne fabrique pas seulement le liquide spermatique qui représente sa sécrétion externe, il donne aussi naissance à des pro- duits encore peu connus, à une sécrétion interne direc- tement déversée dans le sang et dont l'importance est considérable, puisqu'elle paraît tenir sous sa dépen- dance et régulariser, au moment de la puberté, le déve- loppement général de l'organisme humain, La même remarque s'applique aux capsules surrénales dont le produit de sécrétion interne, l'adrénaline, exerce une action directe sur la circulation du sang. Nous connais- sons enfin les altérations de l'intelligence que provoque la dégénérescence du corps thyroïde. Le crétinisme et le goitre vont de pair. Dans ce cas, la sécrétion interne du corps thyroïde, altéré dans sa constitution , est suspendue ; les hormones qu elle contient ne remplissent plus leur office d'excitatrices et de régu- latrices de la ionction cérébrale et le crétinisme sur- vient. Une altération de la glande pituitaire ou hypophyse, organe minuscule dont les dimensions sont celles d'une petite noisette appendue à la base du cerveau, trouble la 276 édlcation des enfants et des adolescents croissance. L'ossification et la dentition sont ralenties. Les individus restent petits. Les caractères secondaires qui s'accusent après la puberté ne se développent pas. Une obésité précoce apparaît. Il s'agit d'enfants bouffis et anémiques ; les fillettes qui présentent cet aspect ne sont pas réglées ou ont des règles douloureuses ; les garçons ont des organes génitaux qui restent infantiles. Dans d'autres cas, au contraire, les traits se déforment par l'exubérance des parties molles et des os du visage; les mains et les pieds deviennent plus grands, plus larges, massifs : ce sont les lésions de l'acromégalie. Enfin, le gigantisme est, lui-même, en rapport avec les altérations de l'hypophyse. Chez les géants, les car- tilages de conjugaison persistent, surtout aux membres inférieurs ; les organes génitaux sont atrophiés ; la femme n'est pas réglée et reste inféconde. Des relations étroites unissent donc tous les organes entre eux. La vie ne serait pas possible, si les diverses fonctions, dont la réunion constitue l'individu, n'étaient pas en rapport les unes avec les autres. Ces relations sont assurées, d'une part, par le système nerveux, d'autre part, par les hormones qui, véhiculées par le sang, portent, ici ou là, les excitations néces- saires. Ces substances, nées de certains organes glan- dulaires, ont des propriétés chimiques telles, qu'elles réagissent sur les éléments anatomiques des autres or- ganes, de façon à incit&r ces derniers à fonctionner. Ayons ces faits présents à l'esprit, en face d'enfants paresseux, maladifs, dépourvus d'activité. Songeons que, par le fait d'une hérédité pathologique, leur glande thyroïde, leurs capsules surrénales, leur glande pitui- taire, fonctionnent peut-être mal, alors qu'aucun signe extérieur de maladie n'apparaît. Car, l'influence de l'état physique de l'écolier et de ses imperfections physiologiques, sur son état intellec- tuel et sur son travail, est considérable. Le physique et le moral sont intimement unis chez l'enfant, plus encore que chez l'homme fait. Chez celui-ci, une volonté éner- gique peut contraindre au travail un corps mal servi CROISSANCE ET EDUCATION 277 par des organes débiles; chez celui-là, le fait est absolu- ment exceptionnel. Dans l'enfance, un état maladif, même léger, entrave le fonctionnement cérébral et em- pêche le principe spirituel d'exercer sa maîtrise sur les organes. Le surmenage intellectuel, surtout dans nos lycées, joiat aux influences héréditaires, à une époque où la lutte pour l'existence provoquée tant de troubles nerveux chez les parents, amène, chez un tiers de la population enfantine, un état de susceptibilité nerveuse anormal. On peut remédier à cet état de choses en réservant, dans l'emploi du temps, une part plus importante à l'éducation physique. Tout le monde reconnaît l'urgence des mesures à prendre; malheureusement, le surmenage intellectuel a des auxiliaires puissants, qui sont : l'habitude, les tra- ditions universitaires, le zèle des professeurs, l'émula- tion des écoliers et l'amour-propre des parents. Au point où est arrivée la race française, si cruelle- ment immolée sur les champs de bataille, il appartient désormais, aux maîtres de la jeunesse, de procurer aux enfants la vigueur et la santé qui leur manquaient jus- qu'à ce jour. Dans un pays qui veut vivre, il faut que les citoyens soient résistants à la fatigue, préparés aux luttes et aux privations et doués d'un cœur solide et tranquille. Il est temps d'aviser si nous voulons que les générations de l'avenir soient à la hauteur des devoirs qui leur seront imposés par le destin. CHAPITRE XVI LA SÉDENTARITÉ CHEZ LES ÉCOLIERS EX CHEZ LES ADULTES. — SES INCONVÉ- NIENTS. — MOYENS DE LA COMBATTRE La vie et la mort de nos enfants, leur valeur ou leur ruine, au moral et au physique, dépendent, en partie, de leur hérédité et en partie de la manière dont nous les élevons. Il ne faut pas que le sort des jeunes générations soit abandonné à la routine, aux caprices du moment et à la fantaisie des parents. Nous avons oublié que le régime qui est imposé aux enfants exercera sur eux une influence bonne ou détestable à chaque moment de leur existence. Quand une mère décide, certain matin, que son laissera vêtu d'un costume léger et ira jouer en plein air par un froid glacial, elle prend une décision qui peut peser sur toute la vie de cet enfant. Il côtoie la maladie, sa santé est compromise, ses forces diminuées, ses chances de bonheur et de succès affaiblies. Quand certains maîtres défendent les jeux bruyants à leurs élèves et les tiennent enfermés dans des chambres où il fait une chaleur de serre, ils empêchent ces élèves d'acquérir la santé et la vigueur qui leur étaient dues. Il y a vingt manières de se tromper, et une seule d'avoir raison. Que faire pour avoir raison en matière de croissance et d'éducation physique? La conduite à tenir se résume en une phrase : lutter contre la sédentarité. En présence de ce qui oe passe dans certaines de nos écoles, je m'étonne, non que la sédentarité fasse tant de LA SEDENTARITE 2 79 mal, mais plutôt qu'elle 'soit si bien supportée. Voici l'emploi résumé des vingt-quatre heures quotidiennes dans onze lycées pris au hasard. Il s'agit de l'emploi du temps des internes : Au dortoir : neuf heures ; En classe ou en étude : huit heures ; Lever et coucher : une heure et demie ; Temps consacré aux trois repas : deux heures ; Divers (arts d'agréments, visites, démarches) : une heure. Ainsi, il reste deux heures et demie pour la récréa- tion proprement dite et pour les exercices physiques qui sont facultatifs et dont on se dispense souvent. Je ne parle pas de certaines classes, où l'on, prépare les élèves aux grands concours. Dans ce cas, non seule- ment l'on consacre aux livres le temps réservé aux - exercices physiques, mais des élèves devancent l'heure du lever ou veillent pour étudier leurs leçons et sont même encouragés par leurs maîtres à le faire. Les matières sont si étendues, la compétition est si vive et les professeurs dont l'autorité dépend de la façon dont les élèves auront réussi à l'examen, sont si pressants, qu'il n'est pas rare que ces jeunes gens soient amenés à consacrer douze ou treize heures au travail intellectuel. Ajoutez à ce temps celui du sommeil et celui des repas et vous arriverez à un total de vingt-deux ou vingt-trois heures d'immobilité relative sur vingt-quatre. Le dommage causé au corps par ces pratiques est immense. Que se passe-t-il dans un organisme condamné ou réduit à la sédentarité ? A l'état de veille, pendant les phases de repos et d'immobilité prolongée, les mouvements du cœur ne se ralentissent point, comme on l'a dit et répété à tort. Le nombre des pulsations reste invariable. Mais à chaque systole cardiaque, l'ondée sanguine, comparée à ce qu'elle était dans les périodes d'activité physique, est 28o ÉDUCATION DES ENFANTS ET DES ADOLESCENTS moins ample. La masse de sang, lancée dans les vais- seaux par chaque coup de pompe donné par le cœur, est moins grande et, conséquemment, l'irrigation géné- rale de V organisme par le sang artériel chargé de répar- tir l'oxygène et les matières nutritives dans les tissus, moins copieuse. ;, ;* La diminution d'amplitude de l'ondée sanguine à chaque systole se double de la diminution d'amplitude des mouvements respiratoires. L'enfant et l'adulte séden- taires respirent superficiellement. Le volume d'air, con- séquemment d'oxygène, introduit dans la poitrine à chaque respiration est faible. Le sang ne s'artérialise qu'imparfaitement dans les poumons. La quantité d'oxygène retenu par les globules rouges est inférieure à la normale et demeure au-dessous du taux moyen de fixation du sang en oxygène. Longueur de l'irrigation sanguine et insuffisance de la quantité d'oxygène véhiculé par le torrent circulatoire traduisent les deux premiers effets d'une sédentarité habituelle. Mais le sang ne borne point son rôle à l'apport aux divers organes de l'oxygène qui entretient les combustions profondes et dont la présence est indispensable à tous les actes de la nutrition. Il s'empare, au passage, des matières usées. Il en est débarrassé, chemin faisant, par les reins, par le foie, par la peau, par les muqueuses qui fonctionnent comme émonctoires et lui assurent une composition sensiblement constante. Pendant les périodes de repos et d'immobilité, les actes de l'assimilation et de la désassimilation sont ralentis dans leur ensemble. Les matières de réserve n'étant pas utilisées tendent à s'accumuler dans les tis- sus sous forme de graisse. Quant aux matières usées, elles sont retenues en partie dans le sang. On les trouve en quantités moindres dans les urines, ou bien elles s'y montrent sous des formes inachevées, leur oxydation paraissant n'avoir pu être complètement élaborée, faute d'une quantité suffisante d'oxygène. Cet état de choses a, comme résultat immédiat, une I,A SEDENTARITE 281 intoxication lente de l'organisme tout entier par réten- tion de produits toxiques. A vrai dire, la maladie n'ap- paraît pas sous une forme déclarée et tumultueuse. Elle n'en existe pas moins avec des caractères parfaitement définis et qui n'échappent point à un œil exercé ou sim- plement prévenu. Le mal est, au début., à peine décelable. Il s'accroît lentement. Les esprits mal renseignés attri- buent le dérangement des fonctions à telle ou telle cause spéciale ou à une faiblesse de constitution. La vérité est tout autre et nous connaissons désormais la nature réelle du mal. Le premier et le plus apparent des symptômes de l'état morbide créé par la sédentarité est le ralentisse- ment ou l'arrêt prématuré de la croissance corporelle. Le ralentissement de la nutrition se manifeste visiblement au niveau des endroits où, dans l'état normal, se montrent davantage les effets de l'activité vitale. Les cartilages de conjugaison par lesquels se fait l'allon- gement des os représentent une de ces zones. La taille des écoliers devrait être mesurée périodiquement dans les écoles, tous les deux mois par exemple. Un arrêt ou un ralentissement anormal de l'allongement du squelette, chez l'enfant, est l'indice d'un trouble profond de la nutrition. La sédentarité doit être incriminée chaque fois que l'hérédité, la misère, ou encore une maladie aiguë intercurrente ne sont pas en cause. Un autreeffet du ralentissement de la nutrition pendant l'enfance et pendant l'adolescence, sous l'influence de la sédentarité, est l'irrégularité de l'accroissement du poids du corps. Le poids d'un enfant en bonne santé augmente d'une manière sensiblement continue et progressive. On n'observe niarrêts, ni phasesd'accroissement brusque, ni régressions. Ce que j'ai dit de la taille s'applique au poids. On devrait procéder dans toutes les écoles à des pesées périodiques. Ce serait une méthode simple et sûre de connaître l'état de nutrition des écoliers. Un autre inconvénient de la sédentarité est la 282 ÉDUCATION DES ENFANTS ET DES ADOLESCENTS prédisposition aux maladies. J'ai pu examiner le tableau des malades dans quatre institutions et trois lycées. Ce tableau m'a paru être très chargé :17 p. 100 des élèves sont malades pendant les mois d'hiver et 7 p. 100 pendant la belle saison. Ces chiffres sont la preuve que nous avons recours à un système éducatif qui n'est peut-être pas aussi hygiénique qu'il devrait l'être. Je signale en passant qu'il y a une mesure et un équi- libre parfaits dans les dispositions prises par la nature pour régler le développement de l'organisme humain. Elle est un comptable rigoureux. Demandez-lui, dans une direction, plus qu'elle n'est préparée à produire, elle vous l'accordera, non sans protester, mais elle rétablira la balance par un emprunt fait ailleurs. La nature est bonne fille. Elle consent généralement au travail extra- ordinaire qu'on lui demande, mais elle laisse inachevé quelque autre travail qui l'occupait. Tel brillant élève, s'essouffle au moindre effort. Pour lui, une promenade de deux heures est une cause de fatigue et de courbature. Si, un jour, par hasard, il participe à un exercice un peu vif, il se met au lit le lendemain avec de la fièvre. [Tel autre respire mal et présente déjà les signes avant-coureurs de la tuberculose. Un organisme peut être comparé à un réservoir d'énergie dequantitédéfinie;chaque fois que l'ondétourne un excès de cette énergie en faveur d'un organe déter- miné, on l'enlève nécessairement aux autres. Laisser la nature suivre son cours, en prenant soin de lui fournir en quantité raisonnable et en qualité les matériaux que réclame chaque âge pour le développe- ment intellectuel et corporel : telle est la règle pour produire spontanément des individus harmonieusement développés. Que sert d'acquérir la richesse intellectuelle si elle est accompagnéed'un affaiblissement delà vigueur et de la santé ? La sédentarité a pour autre résultat la diminution générale de la force musctilaire et l'atrophie des muscles. Ces derniers, trop longtemps inactifs, finissent par s'in- filtrer de graisse. Tant que l'homme fait agir ses muscles, I,A SÉDENTARITÉ 283 il conserve la liberté de ses membres. Nous connaissons l'état extraordinaire d'atrophie des membres fracturés que le chirurgien a dû immobiliser pendant quelques semainesdans des appareils de contention. Sans atteindre à ce point d'atrophie, les muscles de nos écoliers et de nos adolescents n'acquièrent pas toujours des dimensions suffisantes. L'état d'inaction, qui produit des changements si tranchés sur la fibre musculaire, intéresse au même titre tous les appareils, car toutes les parties du corps sont solidaires. Le cerveau, organe indispensable à l'exécution des mouvements volontaires, à la nutrition des tissus vivants et à la mise en œuvre de l'intellectualité, est directement influencé par la sédentarité. Il souffre silencieusement d'abord. Plus tard, il manifeste son malaise par des maux de tête, des vertiges, de l'insomnie. La migraine des écoliers n'est pas une rareté. Les médecins des collèges et des lycées l'observent souvent. Mais ce symptôme est encore bien plus fréquent dans la classe aisée oii la sédentarité estun état presque habituel. Le sommeil est irrégulier, coupé de rêves et de cauche- mars. Les impulsions nerveuses sont hésitantes et faibles. Les commandes des mouvements réflexes nés dans la moelle épinière se font sans précision, sans vitesse. La timidité et l'hésitation de l'attitude générale en résultent. La gaucherie des mouvements est une conséquence toute naturelle de Vahsence d' exercices physiques. Dans les gestes de l'homme sédentaire, beaucoup de muscles sont paralysés ou limités dans leur action par l'inter- vention inopportune des muscles antagonistes. Une partie de la force qu'il dépense est employée à vaincre la résistance que ses propres muscles opposent à ses mouvements. Il serait cruel d'insister sur les anomalies des formes imprimées au corps humain par la sédentarité avec laquelle se combineîit, il est vrai, les influences conjuguées de l'hérédité, de l'alimentation et du mode de vie habituel. Tel a du ventre, tel autre présente une atrophie de la 284 ÉDUCATION DES ENFANTS ET DES ADOLESCENTS poitrineque souligne encore le décollement des omoplates. A cause des idées reçues, nous ne nous apercevons plus qu'une personne dotée d'une saillie abdominale est aussi disgracieuse et difforme que celle qui est atteinte d'une gibbosité dorsale. Beaucoup d'hommes et de femmes civilisés ont perdu toute espèce de reliefs musculaires des membres. « On peut dire, a écrit le docteur Francis Heckel, que les plus beaux bras et les plus belles épaules féminines, chez les citadines, ne sont que des sacs informes, fourrés de graisse autour des articulations, et dans lesquels il est impossible de retrouver les lignes primitives qui en feraient la beauté. Sur ce point, comme sur tant d'autres, le goût moyen est complètement altéré. » La sêdentarité vicie V attitude et déforme la taille de beaucoup de personnes. La colonne vertébrale est l'axe du corps. Quand sa direction est normale, le corps est droit et l'attitude élégante. L'absence de tout exercice coïncide trop souvent avec ses déviations : une mauvaise attitude est habituelle chez la plupart des sédentaires. L'écolier enfermé dans une classe du matin au soir, l'ouvrière qui passe toutes ses journées dans un atelier, présentent souvent des incurvations anormales de la colonne vertébrale. Le défaut d'exercice et l'excès d'immobilité ont pour corollaire, nous le savons, la faiblesse extrême des muscles. Les vertèbres étant très mobiles les unes sur les autres, ne peuvent former un tout et acquérir la résistance d'une tige homogène et rigide qu'à la condition d'être fortement pressées les unes contre les autres et maintenues en contact intime par la contraction des muscles qui les entourent. Si ces muscles sont trop faibles, le poids de la tête et des épaules fait glisser les uns sur les autres les os vertébraux et les entraîne dans la direction où la pesanteur tend à porter le corps, c'est- à-dire tantôt en avant, tantôt latéralement. L'attitude penchée, le dos voûté sont dus à l'affaiblissement des muscles vertébraux. Ces attitudes s'accompagnent tou- jours du retrait de la poitrine pour deux raisons : la LA SÉDENTARITÉ 285 première est que l'inaction musculaire entraîne la dimi- nution de l'ampleur du thorax ; la seconde est que, dans le profil du corps, la convexité du dos, lorsqu'elle est très prononcée, tend, par comparaison, à faire paraître plate et même concave la ligne du sternum. Ce vice de l'attitude est caractéristique dans tous les cas où de jeunes sujets, soumis à un régime de vie tropsédentaire, sont privés d'air et de mouvement. Aux symptômes précédents, il faut ajouter la pâleur et parfois la bouffissure du visage. Elles attestent un état d'anémie qu'explique l'insuffisance des oxydations. Le sang, pauvre en oxygène, est moins vivifiant. Son contact ne donne plus aux organes cette précieuse excitation, ce coup de fouet salutaire qui active leur jeu et met en action toute leur énergie. L'appétit faij, défaut, par manque d'excitation des organes digestifs, par paresse de l'esto- mac et des intestins qui sont dilatés. Enfin, avec les habitudes de la vie sédentaire, les tissus de réserve n'étant pas régulièrement brûlés s'accu- mulent peu à peu et leur présence en excès dans l'éco- nomie finit par occasionner des troubles profonds de la santé. Le défaut de désassimilation de la graisse produit l'obésité; l'insuffisance de combustion des tissus azotés produit la goutte. Chez les adultes sédentaires, les cœurs défaillant à la moindre fatigue, les estomacs dilatés et atones, les foies et les reins déficients sont légion. Un quart des décès parisiens peut être imputé aux maladies de cœur et des vaisseaux sanguins. L'angine de poitrine, l'urémie, l'hé- morragie cérébrale, les varices, les phlébites sont partout. Pourquoi ? Parce que, pour beaucoup d'hommes, la vie se passe dans l'immobilité, dans la position assise, dans la sédentarité. Le luxe, le confort, tous les perfectionne- ments techniques tendent à la suppression de l'effort phy- sique qui est cependant indispensable à la bonne santé. Le citadin est debout deux ou trois heures sur vingt- quatre. Le reste du temps, il est assis ou couché. Cette existence le pousse fatalement à l' artériosclérose et, pour peu qu'il y soit enclin, à la tristesse et au pessimisme. 286 ÉDUCATION DES ENFANTS ET DES ADOI.ESCENTS La sédentarité, dans la population scolaire, exerce ses méfaits plus encore sur les filles que sur les garçons. J'ai, chaque jour, l'occasion de le constater. Deux écoles sont voisines ; l'une reçoit des garçons et l'autre des filles. Chaque jour, les passants font la comparaison entre elles, et le contraste qu'elles présentent est remarquable. Quand les garçons sont en récréation, le voisinage est plein de leurs cris et de leurs rires. Le tableau, du côté des filles, est tout autre : peu de jeux, peu de bruit, jamais de tumulte. Ou les voit trop souvent se prome- ner lentement en se donnant le bras ; il est rare qu'elles jouent à quelque chose qui ressemble à un véritable exercice ph3''sique . Est-ce que la constitution d'une fille n'a nul besoin d'activité musculaire ? N'est-ce donc point un avantage pour elle d'avoir une bonne santé et une grande vigueur ? En sommes-nous encore à trouver, comme il y a deux siècles, qu'une certaine délicatesse, des forces juste suffisantes pour une promenade d'une heure, un appétit dédaigneux et promptement satisfait, joint à cette timi- dité qui accompagne ordinairement la faiblesse, soient au nombre des bienfaits qu'une femme doive retirer de son éducation ? Supposer que tel est l'idéal de l'autre sexe est se méprendre grandement. Que les hommes ne se sentent pas attirés vers les femmes au type masculin, j'en conviens. Qu'une certaine faiblesse relative, qui semble demander la protection d'une force supérieure, soit un élément d'attraction, je le reconnais. Mais que cette faiblesse devienne maladive, elle représente aussitôt un élément de répulsion. Si l'activité surabon- dante permise aux garçons ne les empêche pas de deve- nir pltfs tard de parfaits gentlemen, pourquoi une acti- vité pareille empêcherait-elle les filles de devenir des femmes accomplies ? L'âge aidant, le sentiment de la dignjté masculine chez l'homme fait met un terme et une limite aux jeux de l'enfance. De même, le sentiment de LA SÊDENTARITÉ 287 la réserve féminine, graduellement fortifié par l'ap- proche de la maturité, mettra une limite aux jeux de nos filles. Les instincts de la femme peuvent parfaite- ment s'affirmer eux-mêmes sans la discipline rigou- reuse de certaines écoles. Je vais plus loin et j'ajoute : sur les femmes, les effets de la sédentarité ont encore des conséquences pires, si c'est possible, que sur les hommes. Car la fin suprême de la femme est le mieux être. delà postérité. Pour une femme, une intelligence cultivée, accompagnée d'une mauvaise constitution physique, est de peu de valeur, puisque sa descendance est destinée à s'éteindre dès la première ou la seconde génération. Au contraire, une bonne constitution physique, si pauvres que soient les dons intellectuels qui l'accompagnent, mérite de sur- vivre, car les avantages intellectuels peuvent être indéfi- niment développés dans les générations futures. Elevons l'éducation de nos filles aussi haut que possible, le plus haut sera le meilleur; donnons-leur la noblesse du carac- tère et des idées, mais faisons en sorte qu'il ne s'en suive aucun préjudice pour le corps. Je me permets de signaler, en passant, que nous pourrions peut-être mieux faire en cultivant moins chez elles la mémoire, faculté propre au perroquet, et davantage la faculté humaine : la raison. D'une manière géiîérale, la dégénérescence ou la dis- grâce physiques nuisent davantage au bien-être des femmes que leurs talents intellectuels n'y contribuent. Sacrifier le corps à l'esprit est un moyen détestable pour rendre une fille agréable. Les hommes se soucient moins de l'érudition chez les femmes que de la beauté, du caractère et du bous sens. La perfection corporelle fait tous les jours naître des passions irrésistibles, mais on a rarement vu l'instruction, sans les qualités physiques, exciter de pareils sentiments. Que faire pour remédiera la sédentarité ? Dès 18S7, 288 ÉDUCATION DES ENFANTS ET DES ADOI.ESCENTS dans la séance du i5 juillet, l'Académie de médecine, officiellement invitée à donner son avis sur la sédenta- rité dans les écoles, avait formulé, après une discus- sion animée, une sorte de consultation dont les conclu- sions tendaient à « soumettre tous les élèves à des exercices quotidiens d'entraînement physique propor- tionnés à leur âge ». Ce vœu demeura platonique. Car si rien n'est plus simple, apparemment, que d'imposer aux enfants des exercices quotidiens d'entraînement, rien ne semble plus difficile que de diminuer le travail scolaire. Or, on ne peut augmenter le temps consacré à la culture physique sans diminuer celui que Ton con- sacre aux études. La concurrence intellectuelle est aujourd'hui la forme la plus commune de la lutte pour la viett, si l'élève ne travaille pas cérébralement, il risque d'être dépassé dans la carrière par des rivaux plus sou- cieux du succès d'un concours que des lois de rh3^giène. Les remèdes sont connus : diminuer les heures d'étude ; augmenter les heures de récréation et, pendant celles-ci, soumettre les élèves à des exercices physiques et à des jeux attrayants. On ne peut diminuer les heures d'étude sans diminuer les programmes. C'est là un rema- niement difficile, mais qui n'est pas au-dessus des pos- sibilités. Les auteurs responsables des programmes sont des spécialistes éminents qui seront les premiers à com- prendre la nécessité de diminuer quelque peu l'étendue des matières afin de consacrer plus de temps à l'éduca- tion physique. 11 importera nécessairement que cette éducation physique soit elle-même l'objet d'une organi- sation, et que les maîtres, aidés de professeurs de cul- ture physique compétents, surveillent eux-mêmes les jeux pour les animer au besoin et en faire rebondir sans cesse l'intérêt. Je sais, qu'à l'école, les exercices du corps sont obli- gatoires. Mais une prescription ministérielle de cette nature restera sans effet tant que les exercices phy- siques n'entreront pas, comme éléments, dans les exa- mens et dans les concours, et tant qu'on ne leur attri- buera pas un coefficient assez élevé pour que les élèves LA SÉDENTARITÉ 289 aient intérêt à s'y rendre habiles. On a cru, et beaucoup le pensent encore, que l'exercice du corps était un déri- vatif pour la fatigue de l'esprit. L'exercice physique peut, assurément, remédier à la sédentarité excessive de l'enfant, mais il ne constitue pas sous toutes ses formes un remède applicable au surmenage intellectuel. Il y a même, entre les mesures à prendre pour lutter contre la sédentarité d'une part, et le surmenage intellectuel de l'autre, une sorte d'antagonisme et de contradiction qui rend délicate la solution de ce double problème. Ce qu'il faut, c'est faire travailler les muscles inactifs des écoliers et, dans le même temps, procurer le repos à leur cerveau. On choisira donc, comme exercices physiques des- tinés aux enfants, ceux qui n'obligent pas les facultés intellectuelles à entrer en jeu. On évitera tous ceux dans lesquels le cerveau doit travailler autant que les muscles. Parmi les diverses manières d'exercer le corps, celles qui associent le moins possible l'attention au mouvement auront toutes les préférences des maîtres. Conséquemment, après une brève série de mouvements éducatifs, destinés à détendre les muscles et à mobiliser les articulations, on aura recours aux jeux divers. On complétera la leçon d'éducation physique par quelques applications telles que : le grimper, les sauts, le lever de petits fardeaux, le lancer. Une condition essentielle, pour que cette leçon soit salutaire à l'enfant, c'est qu'elle l'amuse. Le manque relatif de plaisir a un incon- vénient. Il fait abandonner de bonne heure les exercices physiques. Il importe que l'action corporelle soit agréable pour exercer une influence fortifiante. La joie et le plaisir sont, ne l'oublions pas, les plus puissants des toniques. Surtout pour les enfants, les jeux ont une supé- riorité intrinsèque sur la plupart des mouvements arti- ficiels. L'intérêt que les écoliers, et même les grandes personnes, prennent à l'issue d'une partie engagée, a une grande importance comme stimulant mental de l'activité ph3'sique. Chez les adultes, les exercices physiques sont utiles 19 290 ÉDUCATION DES ENFANTS ET DES ADOEESCENTS à tous les âges, même au seuil de la vieillesse. Les goutteux, les asthmatiques, les emphysémateux, les obèses, les diabétiques qui, aux envirojis de la soixan- taine, guérissent radicalement par simple usage d'une gymnastique appropriée, sont de plus en plus nom- breux. Les résultats de l'exercice sont remarquables chez les vieilles gens. Il n'est pas question de guérir les infirmités de la pleine sénilité, mais, de reculer l'époque de la déchéance phj^siologique. En quelques mois, on peut obtenir un rajeunissement remarquable, redresser la taille, supprimer son empâtement, donner au visage le coloris de la bonne santé, rendre aux membres leur souplesse et à la démarche son élasticité, faire renaître le sommeil, l'appétit et les forces. Les hommes qui ont sagement pratiqué, pendant leur vie, la culture physique, conservent longtemps l'endu- rance, la verdeur et l'aspect de la maturité. C'est la sédentarité qui achève les vieillards. L'exercice modéré et lent, adapté à leurs faibles forces, en régularisant la désassimilation et en excitant l'assimilation, recule les limites de leur existence. A tout âge, on peut espérer une réforme heureuse d'un organismes encombré de toxines et de poisons. Le principal obstacle que l'hygiéniste rencontre, quand il conseille la pratique des sports ou du mouve- ment, pour lutter contre la sédentarité, c'est le manque de volonté. Une inaction prolongée finit par entraîner la disparition du besoin d'exercice. Un moment arrive où l'être qui a vécu trop longtemps inactif a une ten- dance marquée à rechercher de plus en plus l'inaction. Dans cet état, la fatigue, sous toutes ses formes, est l'aboutissant du travail. Les organes ne peuvent être tirés de leur torpeur qu'au prix d'un effort pénible de la volonté, les muscles sont engourdis, le cœur, d'habitude inerte, offre une impressionnabilité très .grande aux moindres secousses de l'exercice; le poumon, accoutumé à réduire au minimum ses mouvements, s'essouffle à la course la plus brève. Un obèse, encombré de graisse, libère, au cours du travail musculaire, une quantité tA SÉdENTARITE 2g j énorme diacide carbonique et, chez lui, l'essoufflement se produit avec une intensité exagérée. Ainsi, chez tous les sédentaires, inactifs depuis long- temps, l'exercice, au lieu d'être accompagné d'un senti- ment de satisfaction, devient une pénible corvée. L'homme qui s'est déshabitué du travail prévoit qu'une impression désagréable l'attend au sortir de son inertie : il craint la fatigue; dès lors, il se trouve em- prisonné dans ce dilemme : ne pas agir, parce que ses organes, gênés par l'accumulation des réserves, lui rendent le travail douloureux, ou accroître encore ses réserves parce qu'il n'agit pas. S'il n'a pas la volonté de vaincre l'inévitable douleur qui accompagne, au début, tout exercice physique, son état ira s'aggravant»- Certains, ayant obtenu, après quelques" semaines ou après quelques mois, le résultat désiré, reviennent à leur inactivité. Les effets généraux du travail sont seuls capables de modifier et d'entretenir tous les tempéra- ments dans un sens favorable au jeu régulier des fonô- tions et d'assurer la santé. Le mens sana in corpore sano était la- formule de Juvenal et aussi celle des Ro- mains intelligents de son époque. Sa mise en pratique nous procurera toujours cet heureux équilibre physique et moral, hors duquel il n'est, dans la vie, ni joie véri- table, ni bonheur durable. * Jadis, lorsque attaquer et se défendre étaient les prin- cipaux actes sociaux, on ne cherchait à acquérir que la vigueur corporelle et le courage. Aujourd'hui que le succès, dans la société, sous presque toutes ses formes^ dépend beaucoup plus du pouvoir intellectuel, l'éduca- tion est devenue presque exclusivement intellectuelle. Autrefois, on cultivait le corps au détriment de l'esprit, aujourd'hui nous cultivons l'esprit au détriment du corps. Cependant, la vérité est à égale distance de ces deux extrêmes, car le physique et le moral sont solidaires- 292 EDUCATION DES ENFANTS ET DES ADOLESCENTS Le temps est venu de combiner les conceptions anciennes et les conceptions modernes. Le corps et l'esprit ont droit à des soins égaux et la conservation de la santé est vraiment un devoir. On a pris l'habitude de regarder, comme de purs accidents, les maux occasionnés par la désobéissance aux ordres de la nature et non comme les effets d'une conduite plus ou moins répréhensible. Les inconvénients qui en résultent, soit pour les coupables eux-mêmes, soit pour leur descendance, sont quelquefois aussi graves que ceux que pourrait entraîner un crime, mais on ne se croit cependant criminel à aucun titre. La vérité est que toute infraction aux lois de l'hygiène est une faute mo- rale. Quand on aura admis ce principe, l'éducation phy- sique aura fait un grand pas et la race française ne tar- dera pas à connaître la noblesse des formes et la grâce des attitudes qu'engendre toujours un mode de vie en rapport avec le développement naturel de l'organisme humain. CHAPITRE XVII ÉDUCATION PHYSIQUE DE L'ADOLESCENCE EN GRÈCE. — LES GYMNASES. — LES JEUX A quoi tiennent les difficultés formidables auxquelles l'éducation physique des peuples modernes se heurte presque partout? Comment expliquer que ce qui était d'un usage si général dans l'antiquité soit devenu d'une réalisation si délicate à notre époque ? C'est qu'aujourd'hui la civilisation, en se déplaçant vers le nord, a dû pourvoir à toutes sortes de besoins nouveaux qui ont compliqué la vie à l'extrême. Un cli- mat comme celui de la Gaule, de la Germanie, de l'An- gleterre, de l'Amérique du Nord, réclame des mets plus abondants, des maisons plus solides et mieux closes, des habits plus chauds, plus de feu, plus de lumière, plus d'industries, qu'un climat comme celui de la Grèce ou de l'Italie. Tout l'effort des hommes est peu à peu absorbé par l'acquisition du bien-être. Les commodités modernes sont autant d'assujettissements dans lesquels l'homme contemporain s'embarrasse. L'artifice de son confort le tient captif. Il n'a plus le temps de s'occuper de la cul- ture physique. Dans la Grèce ancienne, les gens réduisaient et pro- portionnaient leur habillement aux petites exigences de leur climat. De même à Rome. Comparez les frêles mu- railles d'une maison de Pompéiavecsesdixou douze petits cabinets rangés autour d'unecour où bruit un filet d'eau, à nos grandes bâtisses de pierre de taille àcinq étages, fe- nêtres vitrées, papiers, tentures, doubles et triples rideaux, 294 ÉDUCATION DES ENFANTS ET DES ADOI^ESCENT* calorifères, cheminées, meubles de toute espèce, tapis, ustensiles de ménage et de luxe. Dans la cité antique on vivait dehors, en plein air, sous les portiques, dans l'Agora, au Forum, dans les gymnases. Les bâtiments publics étaient aussi peu gar- nis que la maison privée. A Athènes, une place vide, le Pnyx, et quelques degrés de pierre faisaient une tribune à l'orateur. Nous sommes loin des palais où se réunissent les Parlements modernes, avec tous leurs compartiments et tous leurs services. Nous avons des théâtres de deux mille places qui reviennent à 40 millions, comme l'Opéra de Paris. En Grèce, un théâtre contenait de trente à cinquante mille personnes. La nature en faisait presque tous les frais ; un flanc de colline où l'on taillait des gradins circulaires, un autel au bas, et, au centre, un grand mur sculpté pour répercuter la voix des acteurs el le soleil pour lampe. Aujourd'hui, pour remplir un emploi dans l'Etat, il faut être un homme spécial, juriste, prêtre, officier, employé. Dans la cité grecque, l'homme ordinaire était au niveau de toutes les fonctions publiques. Il était jug« dans les décastéries, au civil, au criminel, au religieux, avocat et obligé de plaider sa cause. I^eslois n'étaient pas encore enchevêtrées en un Code. La civilisation, dans la vieille Grèce, était simple et les âmes simples aussi. En elles, nul groupe d'attitudes et de penchants n'était développé au détriment des autres. Onn'avaitpas alors autant d'espèces d'hommes distinctes qu'il y avait de classes, de professions, de métiers. L'individu n'était pas, comme aujourd'hui, parqué dans le compartiment qu'il s'est fait et assiégé par une multi- tude de besoins. L'encombrement de la tête, la multipli- cité et la contradiction des doctrines, l'excès de la vie cérébrale, les habitudes sédentaires, l'excitation fiévreuse des capitales l'ont changé. Il n'est plus ce qu'il était, et ce que, peut-être, il aurait bien fait de rester toujours : un animal de haute espèce, heureux d'agir et de penser sur la terre qui le nourrit et sous le soleil qui l'éclairé. 11 est devenu « un prodigieux cerveau, une âme infinie pour ÉDUCATION PHYSIQUE EN GRÈCE açS qui ses membres ne sont que des appendices et pour qui ses sens ne sont que des serviteurs ; insatiable dans ses curiosités et ses ambitions, toujours en quête et en con- quête, avec des frémissements et des éclats qui décon- certent sa structure animale et ruinent son support cor- porel, promené en tous sens jusqu'aux confins du monde réel et dans les profondeurs du monde imaginaire, tantôt enivré, tantôt accablé par l'immensité de ses acquisi- tions et de son -œuvre, acharné après l'impossible ou rabattu dans le métier, lancé dans le rêve douloureux intense et grandiose comme Beethoven, Heine et le Faust de Goethe, ou resserré par la compression de sa case sociale et déjeté tout d'un côté par une spécialité et une monomanie'. » Dans cette forme de la culture humaine, on ne s'in- téresse plus au corps; l'âme l'a subordonné, rejeté au dernier plan. Il ne vaut rien par lui-même. Nos philo- sophes ne comparent plus les jeunes gens, comme le fai- sait Platon, à « de beaux coursiers consacrés aux dieux et qu'on laisse errer à leur fantaisie dans les pâturages pour voir si, d'instinct, ils trouveront la sagesse et la vertu ». Il s'est fait dans l'homme moderne une sorte de divorce entre l'animal et l'esprit. Nos contem.porains ont besoin d'études pour contempler avec intelligence et plaisir un corps comme le Thésée du Parthénon ou l'Achille du Louvre. Ils ne le comprennent ni ne l'admirent plus avec spontanéité. Il est nécessaire et urgent de tenter un effort pour rendre à notre race française des corps sains et floris- sants, capables de toutes les actions viriles et gymna- istiques, des femmes et des hommes de belle pousse et de noble race, des figures sereines en pleine lumière, des harmonies naturelles de lignes heureusement nouées et dénouées. Il nous faut recréer des hommes proportionnés à leurs organes et à leur condition, doués de toute laper- i.Taine, Philosophie de l'art en G>èce,]p. iio-iii. (Geriaer Baillière, 1869.) 296 ÉDUCATION DES ENFANTS^ET DES ADOLESCENTS fection qu'ils peuvent avoir.' Hors de là, nous ne trou- vons qu'excès, difformité, maladie ou dégénérescence. En Grèce, deux institutions nsitionales :\V orchestrique et, plus encore, la gymnastique représentaient le fond de l'éducation. Le plus agréable spectacle que l'on pût don- ner aux dieux était celui que présentent de beaux corps florissants, développés dans toutes les attitudes de la force et de la santé. Les fêtes les plus saintes étaient des défilés et des chœurs. Un de ces ballets sacrés, le dithy- rambe, devint plus tard la tragédie grecque. Les poé- sies les plus populaires étaient celles qui célébraient les vainqueurs des quatre grands jeux. L'athlète victorieux avait le plaisir le plus profond et le plus noble qu'il soit donné à l'homme d'éprouver, celui de se sentir beau et glorieux, élevé au-dessus de la vie vulgaire, porté jusque dans les hauteurs et le rayonnement de l'Olympe par le souvenir des héros nationaux, par la commémoration des ancêtres et par l'éloge de la patrie. La victoire de l'athlète était un triomphe public, le poète y associait la cité et ses divins protecteurs. L'orchestrique formait l'homme parle chœur. Elle lui enseignait les attitudes par les gestes. Elle faisait de lui un acteur spontané qui portait la fierté, le sérieux, la dignité simple du citoyen dans les évolutions du figurant et dans la mimique du danseur. Jusqu'à l'âge de seize ans, à Athènes, l'orchestrique faisait toute l'éducation. «En ce temps-là, dit Aristophane, les jeunes gens d'un même quartier, lorsqu'ils allaient chez le maître de cithare, marchaient ensemble dans les rues, pieds nus et en bon ordre. Là, ils s'asseyaient sans serrer les jambes, et on leur enseignait Pallas redoutable, dévastatrice des cités ou Un cri qui s'élève au loin et ils tendaient leurs voix avec l'âpre et mâle harmonie transmise par leurs pères. » Dans les banquets des phiiities (sociétés d'amis), après le repas, on faisait des libations et l'on chantait le ÉDUCATION PHYSIQUE EN GRÈCE 297 psean en l'honneur d'Apollon, puis venait la fête propre- ment dite, la déclamation mimée, la récitation lyrique au son de la cithare et de la flûte, un solo suivi d'un refrain comme la chanson d'Harmodius et d'Aristogiton, un duo chanté et dansé : la Rencontre de Bacchus et d'Ariane. L'orchestrique intervenait dans toutes les circon- stances, dans les fêtes privées et dans les solennités publiques. C'est elle qui a donné à la sculpture ses poses, ses mouvements, ses draperies, ses groupes; la frise du Parthénon a pour motif le défilé des Panathénées. Quant à la gymnastique, elle formait l'homme par les jeux et par les exercices. En Grèce, les corps admirables n'étaient point des raretés, des produits de luxe et, comme aujourd'hui, des fleurs inutiles dans un champ de blé ; ils n'étaient que les épis plus hauts dans une large moisson. Un citoyen d'Athènes ou de Sparte gardait toute sa vie les traces de l'éducation gymnastique. Pas un homme libre ne s'abstenait de fréquenter le gymnase. A cette condition seulement, il était un homme bien élevé (x.a'Xov.aYaôoç) . Platon, Chrysippe et le poète Timo- créon avaient été athlètes. Pythagore avait eu le prixdu pugilat; Euripide fut couronné aux jeux éleusiniens. La gymnastique (yu^-voç, nu) fut pratiquée en Grèce longtemps avant d'avoir reçu son nom. Homère ne la nomme jamais. Le nom de gymnastique, comme appella- tion générale des exercices corporels, remonte aux jeux olympiques de l'an 721 avant Jésus-Christ (i5® olym- piade) où la nudité complète des concurrents fut officiel- lement admise. La gymnastique ne fut érigée en art méthodique qu'à une date plus récente, antérieure de peu à Platon. Sa codification en art coïncide avec l'institution des athlètes qui se consacraient exclusivement aux exercices corpo- rels pour se rendre aptes à concourir dans les jeux publics, et avec celles des gymnastes et des pédotribes qui faisaient métier de professeurs. Cet art savant et compliqué continua à jouir d'une grande faveur partout 298 ÉDUCATION DES ENFANTS ET DES ADOI.ESCENTS OÙ les mœurs grecques prévalurent. Avec elles, il ne tarda pas à être introduit à Rome. La gymnastique grecque jouit d'une immense faveur surtout dans les provinces d'Orient. Dans certaines villes d'Asie, comme Aphrodisias, la vie publique se concen- trait tout entière dans le gymnase. Jusqu'aux derniers temps de l'Empire, les jeux agonistiques restent la con- solation des Romains demeurés fidèles aux vieilles tradi- tions. L'abolition des jeux olympiques, décrétée sous l'in- fluence du christianisme par Tliéodose, en 394, porta un coup très grave à la gymnastique. Toutefois, si on em croit la chronique de Jean Malelas', les jeux publics d'Antioche, en Syrie, ne furent supprimés qu'en 52i par Justin. Mais l'abolition officielle des jeux publics ne suffit pas à effacer toute trace de l'ancienne gymnastique grecque, car il en était encore question, au temps de Justinien. On donnait, en Grèce, le nom de gymnase à l'en- semble des locaux spécialement affectés à l'éducation physique de la jeunesse^, aux exercices corporels que les bons citoyens s'imposaient comme un devoir envers eux- mêmes et envers la patrie', à l'entraînement méthodique des athlètes de profession, bref, à toutes les variétés de gymnastique, telle que les Grecs de toute race la com- prenaient et la pratiquaient. Il n'était pas une ville digne de ce nom qui ne possédât au moins un gymnase avec un stade, un hippodrome et un théâtre. Parce que Panopée, de Phocide, ne possédait aucun de ces édi- fices, Pausanias hésitait à lui donner le nom de ville*. Au début, les gymnases primitifs consistaient en de simples pistes ou ^pofxoi pour la course à pied, le disque, le javelot, le ballon ou en aires sablées pour la lutte, le 1. Corsini, Dissert, agonisticae I, 11: IV, 11. — Krause, Olym- fia, p. 210. 2. Xenophon, Hell, IV, 4, 4. 3. Platon, République, V, p. 452, Xenophon, Banq., i, ;; 2, 18. 4. Pausanias, X, 4, i. EDUCATION PHYSIQUE EN GRECE 299 pugilat et le pancrace. On recherchait le voisinage d'une rivière pour permettre aux lutteurs de se rafraîchir. Des allées d'arbres couvraient de leur ombre athlètes et spectateurs. Plus tard, on éleva sur le Dromos des édifices divers. A Athènes les trois gymnases les plus anciens, le Lycée, l'Acadéniie, et le Kynosargès étaient situés hors de la ville, dans un berceau de verdure sur des terrains con- sacrés à des divinités. Primitivement, l'Académie, n'était qu'un bois sacré, voisin du Céphise, orné de pelouses et planté d'oliviers sacrés et de platanes. Hipparque la fit entourer d'un mur ou péribole ; Cimon la dota d'un aqueduc dériré du Céphise et y fit tracer des avenues et des pistes ombra- gées. Au temps d'Hypéride, une palestre y avait été construite. L'emplacement du Lycée, ancien Téménos d'Apollon Lykios, était situé à l'est d'Athènes, hors de la porte Diocharès et près du confluent de l'Eridanos et de l'Hissus. Le Kynosargès, situé un peu plus loin que le Lycée, possédait un bois sacré attenant à un sanctuaire d'Hercule. Le type architectural et définitif du gymnase formant un organisme complet, s'est constitué peu à peu, morceau par morceau. En concentrant dans un même enclos, à l'intérieur d'un péribole, les manifestations de l'athlé- tisme, on assurait mieux l'unité de direction, on évitait la dispersion des efforts et on facilitait le contrôle des magistrats chargés de la surveillance du gymnase. Car cet établissement était la propriété de l'Etat ou de la cité. On le munissait de l'outillage auxiliaire le plus favorable à l'enseignement des maîtres, au travail et à la santé des élèves. Certains exercices exigeaient des installations spé- ciales. C'est à ces besoins qu'on donna d'abord satisfac- tion. La lutte à main plate, le pugilat et le pancrace demandaient des locaux fermés et de dimensions res- treintes où les athlètes pussent se frotter d'huile, de sable, lutter deux à deux et se laver après leurs exer- :ices. De fait, un premier groupe se constitua sous le 300 ÉDUCATION DES ENFANTS ET DES ADOLESCENTS nom caractéristique de palestre, c'est-à-dire de local des lutteurs. La palestre n'était donc qu'une partie du gymnase, mais les anciens prenant la partie pour le tout, ont souvent désigné des gymnases complets par le terme de palestre. Dans le langage courant, les deux mots, semble-t-il, étaient synonymes. A côté des gymnases officiels, il y avait les palestres privées, appartenant à des particuliers désireux d'évi- ter dans leurs exercices la promiscuité du public ou de s'y entraîner à leur guise, sans être astreints aux règle- ments qui régissaient les établissements de l'Etat. On montrait, aux environs de Mantinée, sous le nom de stade de Ladas, la piste où ce coureur légendaire s'en- traînait à son exercice favoris Dans tous les gymnases, on se préoccupait beaucoup de l'entretien des plantations qui en étaient le principal luxe. La nature était mise à contribution, encore plus que l'architecte. Peu après Périclès, se répandit le goût des vastes constructions et partout où l'on disposait des ressources nécessaires, on prit l'habitude de bâtir en pierres, même les immenses portiques des pistes cou- vertes où les coureurs pouvaient s'exercer par tous les temps. Vitruve nous a laissé dans le chapitre xi de son cin- quième livre la description du gymnase type tel que les architectes le concevaient à l'époque alexandrine. Il comprenait d'abord une palestre carrée de 96 mètres de côté, ce qui donnait à l'ensemble un périmètre de 384 mètres ou deux stades olympiques {^ictu'koq) . Le stade était de 192 m. 27. (Voir fig. 7.) Des portiques à simple ou double colonnade bor- daient les côtés et protégeaient l'intérieur contre les averses. Sous les portiques étaient réparties des exèdres, salles spacieuses garnies de sièges, pour permettre aux philosophes, aux rhéteurs, et à leurs auditeurs de con- verser commodément, puis un certain nombre de pièces I. Pausanias, VII, 23, 5 ; VIIT, 12, 3. EDUCATION PHYSIQUE EN GRECE 3oi destinées à abriter les athlètes. C'étaient : la salle des éphèhes, encore appelée apodytère où l'on combattait déshabillé ; les vêtements des lutteurs, enfermés dans des filets ou dans des sacs, étaient suspendus aux murs, aux colonnes ou aux arbres, comme on le voit sur les vases FiG. 7. — Plan d'un gymnase, d'après la description de Vitruve. A. Ephebeum, vaste exèdre munie de bancs, encore appelée apodytère. — B. Co- ryceum. — C. Conisterium. — D. Le bain froid ou Xou-pôv. — E. Elœotliesium. — F. Frigidarium. —G. ' ouloir conduisant à l'entrée. — H. I. Bains cliauds et ëtuve. — J. Exèdres. — K. Paradiomies on xystes. — P. Portique double. — L. Bosquets. ^ S. Stade. — V. Double piste couverte avec margines. peints ; le coryceum où l'on venait se restaurer et man- ger et où se trouvaient déposés les sacs de provisions des lutteurs ; le conisterium, magasin où le sable était conservé dans des corbeilles et où l'on se frottait de sable fin; le loutron ou bain froid que possédaient tous les gymnases et qui consistait en une piscine alimentée en eau courante; Vélœothésium ou dépôt d'huile, où s'allaient oindre ceux qui s'exerçaient, avant la lutte pour rendre leurs membres souples et glissants, après la lutte pour adoucir la douleur des membres froissés ; Valiptaire, où l'on procédait aux onctions spéciales, enfin Vêtuve et le hain chaud. Toutes ces parties constituaient la palestre propre- ment dite, au centre de laquelle était une vaste cour (aùV/i) où l'on se livrait à divers exercices, notamment 002 EDUCATION DEvS ENFANTS ET DES ADOLESCENTS au jeu de paume, au pugilat, au pancrace, à la lutte. Le gymnase était de forme rectangulaire et avait au moins la longueur d'un stade. Sur les deux grands côtés, le long du mur d'enceinte et sous une triple colonnade, couraient parallèlement deux ou trois trottoirs ou plates-bandes latérales (margines) larges de 3 à 4 mètres. Entre elles étaient ménagées des chaus- sées creuses de même largeur et dont le niveau était de deux ou trois pieds en contre-bas des margines. On appelait xystes ces pistes couvertes sur lesquelles les coureurs s'exerçaient pendant la mauvaise saison. D'autres pistes, découvertes celles-là, étaient situées le long des précédentes et fréquentées pendant la belle saison. Le xyste double permettait de courir, sous les galeries, la course double. Plus tard, xyste devint synonyme de gymnase; un des gymnases d'Elis s'appe- lait le Xyste. La cour intérieure du gymnase était un véritable parc aux allées ombragées de peupliers, d'ormes, d'oliviers, et surtout de platanes. Des fontaines, des vasques et des statues de héros ou de divinités ornaient les ronds- points. (Fig. 8.) Des autels consacrés à Apollon, à Hermès, l'idéal éplièbe, s'élevaient dans les bosquets : outre les statues des dieux, celles des athlètes vainqueurs ou de certains protecteurs complétaient la décoration du gymnase. La sépulture, dans le gymnase^ était un grand honneur réservé aux gymnasiarques généreux et aux athlètes célèbres. Une dérivation du Céphise irriguait l'Académie; un aqueduc alimentait le Lycée ; à Corinthe, la source Lerne jaillissait dans l'enceinte du gymnase et la source Kephissa près de celui d'Apollonie Epidamnienne. L'eau courante était aussi nécessaire à l'entretien des planta- tions qu'au bien-être du public. Des sièges, des bancs placés sous les arbres, offraient un asile aux prome- neurs et aux philosophes. Enfin, à la palestre et au gymnase, s'ajoutait le stade gcMéralement perpendiculaire aux deux xystes et appuyé ÉDUCATION PHYSIQUE EN GRECE 3o3 sur eux. Il servait aux représentations athlétiques don- nées à l'occasion de certaines fêtes. Dans beaucoup de villes, le stade se trouvait séparé du gymnase. Hors des allées fréquentées du parc, étaient ménagés TJT'fTlTri'A \A\t,\ A.\ a] Â \A Ia \ FiG. 8. — Gymnase d'Olympie (iii"= siècle avant J.-C). A, A, A. Logements d'athlètes exposés au soleil coucliant. — X. Xyste simple. — K. Digue qui retenait les eaux de la rivière Kladéos. — P. Palestre — V. Xyste double couvert et borde d'un portique double. .Sa longueur est exactement celle du stade olympique: 192 m. 27. — J. Krépis. Soubassement de pierre qui portait un trophée rappelant la défaite des Arcadiens. — 3. Promenoir de la palestre. — 4. 5, 6, 7, 8. Elœotlie > lu MèttLts {•• rt FiG. 9. — Gymnase de Messène {3jo avant J.-C), L. Cour de la oalestre, en forme de terrasse échancrée par l'extrémiié en hémi- cycle du stade (S). Là étaient les places d'honneur. Les autres côtés du stade étaient de simples talus de terre dont le faîte était couronné par les colonnades des xystes. — X, X, X. Xystes simples. Celui du nord s'infléchit à angle droit. Celui du sud est droit. — O, G. Murs de la ville de Messène. — S. Stade dont l'arène se trouve à 8 mètres en contre-bas de la palestre. — ^ F. Petit temple à l'extrémité du stade. — R. Ruisseau émergeant de la source Clepsydre ei qui servait à alimenter le loutron de la palestre. Il traverse aujourd'hui la palestre et la piste dans toute sa longueur. — P. Portiques limitant la palestre. — I . Cour destinée au.x exercices divers. Messène occupait un versant très abrupt de l'Ithome, ei pour asseoir des édifices d'aussi vastes dimensionsqu'un gymnase et qu'un stade, S'='s architectes ne disposaient aue d'un fond de ravin étroitement encaissé. Le stade était inséré entre les parois ae ce ravin. La cour de la palestre se trouvait sur un terre-plein naturel dominant ce ravin. positif d'un gymnase -étaient souvent imposées aux architectes par des nécessités pratiques. L'exemple de celui de Messène est, à cet égard^ très probant. Cette ville occupait un versant très abrupt et très accidenté de l'Ithome. Pour asseoir des édifices d'aussi vastes dimen- ÉDUCATION PHYSIQUE EN GRECE 3o5. •sions qu'un gymnase et qu'un stade, on ne disposait que d'un fond de ravin étroitement encaisséi. On a tiré un excellent parti de ce site en établissant le péristyle et la cour de la palestre sur un terre-plein mi-naturel, mi-artificiel. L'économie de place réalisée par l'insertion du stade dans l'intérieur du gymnase; trouvait sa compensation dans le fait que l'arène élargie pouvait servir aux exer- cices ordinaires ainsi que la cour latérale. Les plantations étaient sans doute reléguées sur les pentes supérieures du ravin et dans cette cour. Un ruis- seau, alimenté par la source Clepsydre, traverse actuelle- ment l'emplacement de la palestre et de la piste dans toute sa longueur. Il alimentait sans doute la piscine. Sous la Rome impériale, les gymnases se réduisirent d'étendue, se transformèrent par l'adjonction de thermes et devinrent plus luxueux. A l'époque d'Hadrien et des Antonins, les bâtiments occupaient le centre de la cour ; les péristyles de la palestre étaient remplacés par des galeries voûtées. Les salles intérieures couvertes de coupoles avaient des parois plaquées de marbre et de stuc, des bibliothèques étaient même installées à l'intérieur du gymnase. Mais, dès cette époque, l'importance des jeux le cédait beaucoup à celle des bains. (Fig. lo.) On a discuté la question de l'âge du public admis dans les palestres et dans les gymnases. De douze à dix-huit ans, les enfants et les adolescents y recevaient l'éducation physique et intellectuelle. Enfin, les hommes faits ayant dépassé l'âge de l'éphé- bie et les athlètes professionnels avaient le droit de disposer du gymnase, en dehors des heures réservées aux exercices des éphèbes. Dans certaines villes impor- tantes, des gymnases spéciaux étaient réservés à la jeu- nesse ; ce fut le cas d'Athènes oii le Ptolemaion et le Diogeneion préservaient l'enfance de la promiscuité des anciens gymnases publics : Académie, Lycée, Kyno- sargès. I. Voir le rapport sur l'expédition scientifique de Morée. Architecture, I, pi . XXIII, XXIV et XXV. 3o6 ÉDUCATION DES ENFANTS ET DES ADOLESCENTS L'administration des gymnases était confiée à des magistrats spéciaux, les gymnasiarques et les cosmètes. Ils étaient assistés par des hypogymnasiarques et des hypocosmètes. Un personnel subalterne d'entrepreneurs, de gardiens, de portiers et de garçons assurait les divers U BB,.,.». A,M^.lllillHrii ^oVi|Ta.ti FiG. lo. — Gymnase de Pergame I. Apo- 5. Frit:i- ue 1 Acropole au pita ue lauueue ciau uoiimiuu le j;^'iiiiia»e, — j. ocin parle Vitruve à propos des thermes. Salle de conférences en hémicycle. — dyterium. — 2. Fourneau. — 3. Sudatorium. —4. Autre sudatorium. — darium. — 6. Caldarium. ^ •■; le gymnase de Pergame représente un type de transition entre le système hellé- nique et le système romain. C'est un gymnase urbain. Les locaux destinés aux bzins sont groupés en dehors et à l'est du péristyle. C'est, en somme, une palestre hellénique avec adjonction de bains romains. services de la palestre, des cuisines, des bains, et du culte. Les professeurs qui dirigeaient les exercices de gym- nastique d'une façon méthodique étaient les gymnastes et les pédotribes. Les premiers, supérieurs aux seconds, déterminaient le genre d'exercice auquel chacun devait se livrer selon sa constitution ; les seconds enseignaient les manœuvres, faisaient exécuter les exercices prescrits, sans s'occuper des effets qu'ils devaient produire sur la ÉDUCATION PHYSIQUE EN GRÈCE 30/ santé. Les gymnastes accompagnaient les athlètes ou les adolescents aux jeux publics ; ils les guidaient dai^s les exercices préparatoires et, pendant le concours lui- même, ils tâchaient de leur être utiles, en les excitant, en les réprimandant. A certains signes extérieurs, ils étaient habiles à reconnaître les écarts de régime dont les athlètes se rendaient coupables, et indiquaient le moyen de remédier aux conséquences de ces irrégu- larités. * * Telle fut l'institution des gymnases dans l'ancienne Grèce. Les exercices se réduisirent d'abord à la course du stade simple ; on y ajouta successivement la course du double stade, la lutte, le pentathle, le pugilat, la course en chars, le pancrace, la course à cheval; puis pour les enfants, la course, la lutte, le pancrace, le pugilat, d'autres jeux encore, en tout vingt-quatre exercices. Toutes les fêtes des dieux, toutes les grandes cérémonies amenaient un concours de beauté. A Athènes, les plus beaux hommes portaient les offrandes à la déesse. La race grecque était belle, mais elle s'était embellie par système ; la volonté des législateurs avait perfectionné la nature. Pour y arriver, ils s'y prenaient dès avant la naissance, et préparaient non seulement l'homme, mais la femme, afin que l'enfant, héritier des deux sangs, reçût de sa mère aussi bien xpie' de son père la beauté, le courage et la vigueur. Les jeunes filles avaient des gymnases où elles s'exerçaient, comme les garçons, nues ou en courte tunique, à courir, à sauter, à lancer le disque. Elles formaient des chœurs et figuraient dans les cortèges avec les hommes. La loi fixait même l'âge des mariages et choisissait le moment et les circonstances les plus favorables pour bien engendrer. On réunissait le maximum de chances pour que les enfants fussent beaux et forts. C'était le système des haras et, à Sparte, on le suivait jusqu'au bout, puisqu'on faisait périr les enfants difformes. Ainsi, on put toucher à la p^jrfection corporelle qui était alors le principal but donné à la vie humaine. CHAPITRE XV m PLAN D'UN COLLÈGE MODERNE DES SPORTS 5ot (ies^or^er est une vieillelocution du quinzièinesiècle* Elle était synonyme de jaire des sports tt nous est venue d'outre-Manche après y être allée de chez nous. Dans l'éducation de Gargantua, Rabelais fait une part impor- tante aux exercices physiques. Tandis que Ponocratès instruit son élève es lettres grecques et latines, sciences mathématiques et autres, « un jeune gentilhomme de Tourraine, nommé l'escuyer Gymnaste, lui montrait l'art de la chevalerie, et cet art, c'est à la fois l'équita- tion, la chasse, la natation, le tir et la gymnastique proprement dite » . Les jeunes gens entraînés aux différents sports sont manifestement préparés à la vivacité et à l'initiative.: Nous n'avons pas en vue la formation de sujets d'une puissance physique exceptionnelle, mais d'individualités équilibrées. Si la pensée grecque et la pensée latine sont demeurées si longtemps vivantes et ont survécu pendant vingt siècles à travers des bouleversements inouïs, c'est parce que la vigueur de la production intellectuelle de l'antiquité était exceptionnellement puissante. Elle trou- vait son support naturel dans un équilibre organique parfait. Parmi les professionnels de l'athlétisme, on rencontre beaucoup d'hommes aux muscles hypertrophiés qui n'ont d'athlètes que le nom et sont de véritables déséqui- librés fonctionnels. Ce n'est pas là un état physique désirable ; il résulte d'un entraînement excessif dans un PLAN d'un collège des SPORTS 3og sens déterminé. Le but auquel il nous faut parvenir est d'élever nos enfants dans une énergique éducation cor- porelle. Ce qu'il faut aux jeunes Français, ce n'est pas l'hypertrophie des muscles, c'est l'adresse, la souplesse, l'agilité, l'audace, la grâce et l'élégance, qui sont les éléments d'un équilibre parfait. Tout le monde ne peut pas être beau comme les jeunes hommes de marbre du Parthénon, mais tout" le monde peut acquérir, s'il le veut, cette plénitude d'un épanouissement naturel que donne l'exercice d'une vie physique bien ordonnée. Dans l'état présent de notre race, je suis de ceux qui croient que la santé physique de la France dépend de la création de stades ou de collèges des sports, et d'un, peu d'initiative et de bonne volonté. Les exercices, jeux et sports de plein air sont indispensables, non seulement à la croissance normale des adolescents, mais à leur formation intellectuelle et morale. La pratique des sports comporte des résultats hygiéniques et moraux ; elle détourne la jeunesse des dangers de la vie inoccupée,, elle est, pour elle, un dérivatif précieux par quoi se dépense l'excès de sa vitalité ; elle la prépare à la vie pratique, faite d'efforts. Par les expériences répétées, par les leçons de choses journalières qui se dégagent des pratiques sportives, celles-ci deviennent une école d'ordre et de raison. Une forte éducation physique doublée d'une forte culture intellectuelle , voilà la formule. L'initiative et l'activité dans les jeux sont des symptômes d'indépendance et d'intelligence. Sous le matérialisme apparent des fêtes du muscle, se cache la recherche du prestige éclatant du beau. Le sport m^arque le retour à une nature embellie par la pureté de la forme. Il aboutit au modelage de la matière évoluant vers la perfection, organique. « La première condition, la condition indispensable pour réussir dans la vie est d'être un bon animal », disait brutalement Emerson, et sa pensée peut être complétée par celle-ci d'Herbert Spencer : « ... et la première condition de la prospérité nationale, c'est que la nation soit formée de bons animaux. » 3lO '- ÉDUCATION DES ENFANTS ET DES ADOLESCENTS Notre reconnaissance doit être acquise aux diverses sociétés sportives, pour l'impulsion générale qu'elles ont toujours donnée à l'éducation physique, pour les championnats qu'elles ont créés et qu'elles subvention- nent, enfin pour la participation qu'elles prennent aux frais de déplacement des joueurs. Le concours de l'Etat doit les aider dans une très large mesure. Il est fort heureux que pendant la guerre, les adoles- cents des classes 1916, 1917, 1918 et 1919 aient pu être méthodiquement entraînés dans les centres régionaux d'éducation physique. Ils ont fourni un appoint impor- tant aux phalanges héroïques et glorieuses de nos soldats. Il faut aujourd'hui reprendre en grand le programme que s'était primitivement tracé la Ligue des collèges d'athlètes (le mot d'athlètes est mal choisi, je préfère : de sports) et des stades municipaux, fondée par le mar- quisdePolignac. Cette ligue avait pour but de généraliser dans le pays une méthode d'éducation physique — celle de Georges Hébert — qui avait fait ses preuves à Lorient. A ce propos, je déclare ici sans détours, qu'en éducation physique, le principe fondamental doit être l'éclectisme. En cette matière, surtout, l'exclusivisme est en opposition avec les lois, les nécessités et les tendances de la vie. J'ai cité Georges Hébert, je devrais citer tous ceux qui ont créé une méthode et ont eu foi dans son efficacité. Celle d'Hébert connut en son temps une grande vogue parce qu'elle est précisément très éclectique. J'ai vu autrefois les fusiliers marins pratiquer, les jambes et le tronc nus, des exercices de gymnastique qui n'avaient plus rien de commun avec ceux de la méthode faussement dite : suédoise. Ils marchaient, couraient, sautaient, luttaient, grimpaient à la corde lisse, franchissaient des portiques, soulevaient des gueuses de fonte, lançaient le poids, tout cela avec entrain et pendant cinquante minutes environ, passant sans inter- ruption, sans repos, d'un exercice à l'autre, et, en quelque sorte, se reposant de Tun par l'autre. Je n'ai rien vu alors qui ressemblât aux mouvements ■■<* PLAN d'un COI.LÈGE DES SPORTS 3ll lents et aux attitudes de la suédoise. A peine quelques mouvements «correctifs » et «scientifiques», d'ailleurs toujours accompagnés d'un exercice actif, marche ou course. Point de surveillance tatillonne des « positions fondamentales » ; nul souci « d'immobiliser un segment du corps pendant que « les autres travaillent ». Les moniteurs, suivant leurs hommes, tantôt les sur- veillant, tantôt courant avec eux, se bornaient à corriger les mouvements trop maladroits. Ce qu'on demandait à ces hommes, ce n'était pas d'exécuter des mouvements rationnels, mais d'agir le plus énergiquement et de la façon la plus variée possible. Cette méthode a contribué, avec des hommes d'une constitution moyenne et parfois médiocre, à faire des milliers d'athlètes. Klle nous a donné les immortels fusiliers d'Ypres. Le programme de l'entraînement imposé dans les centres régionaux d'éducation physique aux adolescents des jeunes classes, pendant la guerre, et que le centre de Joinville avait élaboré en tenant compte des acquisi- tions antérieures, mettait en jeu, lui aussi, tous les moyens physiques de l'organisme. On n'améliore pas le corps humain pièce par pièce, membre par membre, à la manière d'une mécanique. Il s'agit d'un ensemble vivant, dont les parties sont solidaires. Elles doivent toutes être mises en jeu TvC sort de notre race ne tient pas, comme on l'a dit, dans une méthode d'éducation rigide, qu'on applique- rait indistinctement à tous les Français. 11 tient, je le répète, dans une méthode d'éducation éclectique assez variée et assez riche dans ses ressources pour se prêter aux besoins divers de chaque organisme et de chaque âge. Où l'appliquer ? Au grand air, dans des espaces libres pourvus des appareils nécessaires. Dans une installation complète, les habitués et les élèves doivent pouvoir bénéficier du 3l2 ÉDUCATION DES ENFANÏvS ET DES ADOLESCENTS quadruple bienfait de l'exercice sous toutes ses formes, de l'aération, de la balnéation et de l'ensoleillement. Le collège d'athlètes de Reims était un modèle du genre. Mais pendant longtemps encore, de semblables installa- tions demeureront exceptionnelles, car, pour être réalisées,, elles réclament, à défaut de l'intervention de l'Etat, celle de Mécènes intelligents et bienfaisants. Il serait souhaitable : i** Que chaque école possédât un matériel minimum indispensable pour les exercices corporels; car on ne peut faire quelque chose avec rien. 2° Que chaque canton eût son terrain de jeu. Les Anglais ont le Common (communal), grande pelouse entourée d'arbres. 3" Que chaque sous-préfecture disposât d'un stade. 4" Que chaque préfecture eût un collège des sports. Du chef-lieu de canton à la préfecture, l'organisation irait se complétant et se perfectionnant, les grandes in- stallations étant réservées aux villes importantes. L'argent nécessaire à ces organisations affluera lors- que les apôtres de l'éducation physique voudront bien se donner la peine de montrer au peuple que les enfants de France ont besoin de grand air et d'exercice. Les parents seront prêts à apporter leur obole à l'œuvre commune et à soutenir les municipalités, lorsqu'ils sauront que leurs enfants se fortifieront, seront plus beaux, deviendront, en un mot, meilleurs. Le terrain doit être plat. La forme importe peu, pourvu que les dimensions n'en soient pas trop res- treintes. Cependant, si on a le choix, on adoptera la forme carrée ou rectangulaire. (Fig. 11.) Le sol peut être celui d'une prairie sans aspérités. Les régions humides, peu perméables, seront évitées. Il faut rechercher les endroits où les eaux filtrent rapide- ment. La piste de course sera, autant que possible, constituée par de la terre battue recouverte d'une couche mince de sable, de mâchefer ou de gravier très fin. Sau- poudrée de sable de mer, elle aura l'avantage de sécher très rapidement après la pluie. PLAN d'un COLIvÈGE des SPORTS 3i3 Les dimensions à donner au terrain varieront depuis celles d'une cour d'école jusqu'à celles d'un grand stade couvrant plusieurs hectares. Beaucoup de cours de casernes, de champs de manœuvres, de places publiques sont utilisables et peuvent être transformés, à très peu de frais, en terrains d'exercices physiques. 'mr (5 Û C^^ .1.. ES3 r ©■•■© 9 g 8g /^'W/W^ m J . âoo Ihdc-bV, Fl6. II, ' — Plan schématique d'un terrain d'éducation physique et de sports. I, 1; t. Sautoirs. — 2, 2, 2. Arènes pour la lutte, la boxe, le lever de poids. — 3. Emplacement pour l'escrime, — 4. Tennis. — 5. Potences pour les agrès (anneaux, trapèze, corde lisse). — 6. Mât pour le grimper. — 7. Emplacements pour le lancer du boulet, du disque et du javelot. — 8. Barres fa'''Ilèles. — 9. Barre fixe. — 10. Volley bail. —11. Basket bail. — i3. Jeu de boules et jeu de touilles. — 14. Hangar. — i5. Buffet-restaurant. — 16. Magasin aux agrès et aux jeux. — 12 Piomenoir. — 17. Service médical, massage. — 18, 18, 18. Douche, piscine et vestiaire. — 19. Logis du concierge-gardien. — F. Terrain de foot bail. — P. Piste. — S. Stand. Un collège des sports complet, doit comprendre (i^'ig. 12): 1° Une piste qui pourra être de forme rectangulaire, à angles arrondis, circulaire ou ovalaire. Si la piste est rectangulaire, le rayon de la courbe décrite par ses angles arrondis, ne doit pas être inférieur à 3o mètres. Si l'on ne tient pas compte de cette donnée, les coureurs ne pourront pas aborder franchement ces angles sans risquer des glissades et des chutes. Il est difficile 3 14 "ÉDUCATION DES ENFANTS ET DES ADOLESCENTS d'établir une véritable piste pour les courses de fond qui ait moins de 400 mètres. La piste de 5oo mètres est la ^^ L'^L^ J L^JII^ZJD FiG, 12. — Plan d'un stade de 200 )< i5o mètres, établi par le capitaine de Bellefon, instructeui à l'Ecole de Joinville, A. Arrivée. — Ad. Axe du lancer de disque. — B6. Basket-ball. — BJ. Barres doubles. — Bf. Havre fixe. — B;. Bibliothèque. — Bo Boxe. — Bp. B.irres paral- lèles. — B«. Bureau. — Ca. Cabinets. — Ce. Combai biïoiinette. — C.'î. Chambre de sudation. — Cic. Cuisine. — D6o. Départ du 60 mètres. — Dioo. Départ du 100 mètres. — Dt ro. Départ du i to mètres, haies. — D2 o Dé art du 2 o mètres. — D400. Départ du4oo mètres. — DSoo. Déport du 800 mètrt-s. — Diooo. Départ du 1000 mètres. — D'5oo. Départ du i 5oo mètres. — ]^c. Douches ch:!udes. — Eh. Echelle horizontale. — Ej. Entrée des joueurs. — Ep. Entrée du public. — Fb. Foot-ball. — Hp. Hangar contre la plui-. — Lb. Ligne de ballon mort. — L(i. Lancer du disque. — Lid. Limites du lancer du disque. — l.J. [.ancer du javelot. — l.p. Lancer du poids. — Lh. Lutte. — Ma. Matérifl. — Me. Mur esca- lade. — Mg". Maison de garde. — M)'. Mât vertical. — Pioo. Fisie de 100 mètres. — Pi 10. Piste de iio mètres haut. — P4oo. Piste de 400 mètres (deux lignes droites de 70 mètres, deux lignes droites de 85 mètres, quatre quarts de cercle de 3o mètres de rayon). — Pc. Piscine chauffée. — Pf. Portique français. — P^î. Poids haltère-. — Ps Piste de sautoir. — Pu. Public. — P^. Poutre horizontale. — Rè. Kingde boxe. — Rt?. Restaurant. — Sj. Sautoir. — Se. Salle de chauffe. — Sm. Salle de massage. — Sp. Spirobole. — St. Stand. — SiJ*. Salle de pansement. — l'e. Tennis. — To. Tribune officielle. — Tp . Tribune du public. — Vb. Volley-ball. — Ve. Ves- tiaire. plus commune. On peut en établir de plus longues, si l'on dispose de la place nécessaire. 2° Une piste droite -pour les courses de vitesse. Elle PI.AN d'un COI.LÈGE DES SPORTS 3l5 se confondra avec la piste précédente si celle-ci se déve- loppe en ligne droite au moins sur loo mètres en l'une de ses portions. Le tracé des pistes peut être très simplement déterminé par un jalonnement de piquets reliés ou non par des cordes. Les distances y seront indiquées de 5o en 5 G mètres. 3" Des sautoirs qui seront représentés par une aire de 10 mètres de long sur 5 mètres de large, garnie sur une épaisseur d'au moins 20 centimètres de sable, de tan, de sciure de bois ou de liège pulvérisé. Le sable est préférable. La sciure de bois, très hygrométrique, s'imprègne d'eau rapidement, se durcit et nécessite un brassage fréquent. Deux piquets gradués en centimètres sont dressés de chaque côté de l'entrée du sautoir. Une corde élastique est tendue entre eux. Elle représente l'obstacle à franchir et la lecture de la graduation des piquets indique la hauteur de la corde. Pour les sauts en profondeur, on peut utiliser, comme départ, une échelle, un escabeau, un mur à gradins laté- raux construit sur un des grands côtés du sautoir. 4° Un espace libre pour les grands jeux et les exer- cices d'ensemble. 11 peut être encadré dans la piste et ne demande qu'une délimitation. Si l'on veut jouer au foot- ball, il aura une longueur minima de 90 mètres et une largeur minimi de 45 mètres. Si l'on dispose d'assez de place, on lui donnera une longueur maxima de 120 mè- tres et une largeur de 90 mètres. 5° Des appareils de suspension tels que : barre fixe, anneaux, trapèze, barres parallèles. Il importe, qu'au- dessous d'eux, existe une aire sablée de o m. 20 d'épais- seur. 6° Des appareils à grimper, représentés par des cordes lisses d'un diamètre de 0 m. 04 à cm. o5, les unes ver- ticales, les autres obliques, des planches inclinées, des échelles, des mâts, des perches verticales, etc. (Fig. i3.) 7° Des objets pesants divers, tels que pierres, poids, gueuses de fonte de 5 à 20 kilogrammes dont les extré- mités sont munies de poignées pour en faciliter la pré- 3lé ÉDUCATION DES ENFANTS ET DES ADOLESCENTS tension, haltères, sacs de sable lestés à volonté, barres à sphères pour les exercices du « lever et du « porter ». 8° Deux aires circulaires en terre battue, de 2 mètres de diamètre pour le « lancer » du boulet et du disque. Fis. i3. — Terrain d'éducation physique pour de nombreux sujets travaillant ensemble. (D'après un plan du Guide p7atique d'éducation fhysiqtite, de G. Hébert.) I, I, I. Sautoirs. — 2, 2. Escabeaux pour les sauts en profondeur. — 3. Portiques de 8 wiètres supportant douze cordes lisses. — /[ . Pavillon d'escalade composé de cinq plates-formes superposées. — 5. Muraille d'escalade de 6 mètres de liauleiir. — 6. Barres fixes. - 7. Appareils pour escalade, portiques, mâiure. —8. Piste droite pour les courses de vitesse. — 9. Arènes pour les luttes. — ro. Han}.'arset ve-^tiairesr cordes le long de la muraille. — 11. Plateforme de surveillance et de commande- mc it, — 12. Marres de suspension et sautoirs. — i3, i3. Piste d'obstacles variés. — 14. Emplacement pour les exercices du lever. — i5. Emplacement pour les exer- cices du lancer. — 16. Emplacement avec cibles pour le lancer des objets légers. — 17. Piste pour les courses de fond. et une autre, rectangulaire, de 6 mètres sur 3 mètres pour le lancer du javelot. Le poids ordinaire du boulet est de 7kg.25o, celui du disque est de 1800 grammes, mais il va sans dire que l'on disposera pour les adoles- cents de sphères de fonte moins lourdes dont le poids commencera à i kg. 5oo et de disques plus petits et plus, légers pesant 460 grammes et au delà. PI.AN d'un coi,i,ègh; des sports 3 17 9' Des arènes pour la lutte, la boxe, les exercices de défense. — On les installe en recouvrant le sol d'une épaisse couche de tan, de sciure de bois ou de sable que maintient une bordure de mottes de gazon. Des obstacles mobiles (barrières, poutre horizontale, haies artificielles), que l'on disposera à volonté sur les pistes, permettront la pratique des courses d'obstacles. (Fig. 14.) Des aires de terre battue seront, en outre, aménagées dans des endroits convenables pour le tennis et la longue paume. Un stand et une butte de tir seront établis le long d'un des grands côtés du stade. Enfin, on pourra fort utilement réserver quelque part dans l'espace libre un emplacement pour l'escrime, un autre, rectangulaire, de i5 à 22 mètres de longueur sur 9 à 10 m. 5 o de lar- geur pour le Volley Bail et un troisième de 20 à 27 mè- tres de longueur sur 10 à i5 mètres de largeur pour le Basket Bail, deux jeux de ballon d'importation améri- caine, très efficaces pour redresser la taille de nos ado- lescents et leur donner du coup d'œil et de la promptitude. Ils sont absolument sans danger pour les joueurs. Si l'on dispose d'un espace suffisant, une zone sera réservée aux exercices de terrassement qui sont parmi les meilleurs qu'un homme puisse accomplir, passé la quarantaine. Chaque fois que le stade pourra être installé en bor- dure d'une rivière, on l'y placera. Cette disposition per- mettra les exercices de natation pendant l'été et aussi le sport de l'aviron. La rive du cours d'eau sera munie d'échelles et son fond dragué et débarrassé des objets qui pourraient s'y trouver : objets tranchants, etc. Un jalonnement, réalisé à l'aide de piquets et de cordes, déli- mitera l'espace dans lequel devront se maintenir les élèves ne sachant pas nager. Si l'eau fait défaut dans le voisinage, il conviendra de prévoir une canalisation alimentant largement une salle de douches comprenant des lavabos, une douche en 3l8 ÉDUCATION DES ENFANTS ET DES ADOLESCENTS jet chaude et froide, et une douche en pluie également chaude et froide. Enfin, une piscine, close de toutes parts et alimentée, hiver comme été, en eau chaude, complétera l'installation. Un vestiaire sera adossé au local des douches ou à celui de la piscine. Des locaux annexes comprendront : Un hangar de lo mètres sur 3o pour abriter les élèves lorsqu'il fait mauvais temps. Un magasin pour le matériel ; Un logis situé à l'entrée du stade pour le gardien qui sera en même temps chargé de gérer le buffet ; Un bureaUf également voisin de l'entrée ; Une salle de massage et de secours médicaux pour les cas d'urgence ; U71 petit laboratoire contenant des appareils de mensu- ration (toise, bascule, spiromètre, oscillomètre, dynamo- mètres), des appareils enregistreurs du pouls, de la res- piration, de la contraction musculaire, etc., enfin le matériel d'analyses chimiques nécessaire pour procéder aux examens élémentaires de sang et d'urine ; Un lieu de réunion pour les élèves auquel sera annexé un buffet ; Des urinoirs et des water-closets. Un stade de ce genre représente une installation à peu près complète, permettant de soumettre de nombreux élèves à toutes les formes de la culture physique. Si l'espace est restreint, ou irrégulier, on utilisera le mieux possible les ressources que présentent le terrain et les constructions avoisinantes, pour installer les barres de suspension, les cordes et, en général, tous les appareils du «grimper ». Un organisateur ingénieux installera toujours son terrain d'une manière commode et écono- mique, rendant possible l'exécution d'une séance de travail complète. Quelles que soient la forme et les dimen- sions du terrain dont il dispose et si minimes que puissent être ses ressources, il commencera par procéder aux installations les plus nécessaires et que l'on peut consi- dérer comme indispensables : PLAN d'un collège DES SPORTS 3i9 1 i a. 3 i i i 3 l u ij ; u iv ■«C — i_i — 3^' 5" flô: J] ; Jl — T:'"';""' ./a H; : M :9Îi'5;r'4':: 15- 3 ; 3 : i /^ ; £/ : iv HII^IIIÏ /iTvi^nVi/TTvi.^lV ! I O —-iOOiV.tïiiô' FiG. 14. — Terrain d'éducation physique pour de nombr-eux sujets travaillant ensemble. (D'après un plan du Guide pratique d'éducation physique, de G. Hébert.) I, I, I. Sautoirs gradués pour sauts en hauteur et longueur; escabeaux ou talus pour sauts en profondeur. — 3, 2. Espaces libres pour les sauts avec élan. — 3. emplacements pour les exercices du lancer. — 5, 5. Appareils divers servant aux exercices d'escalade et à vaincre le vertige (mâts, portiques, échafaudages, mu- milles, échelle^, plate -formes supijrposées, etc.). — 6. Poutres horizontales pour les exercices d'équilibre, les sauts avec appui des mains. — 7. Barres fixes. — 8. Cordes lisses verticales, cordes inclinées et cordes en chaînettes. - 9, 9, 9. Arènes pour les luttes et les as-auts de boxe. — 10. Espace libre pour lé travail collectif. — II. Vestiaire et douches. — 12. Abris, hangars, bureaux, salle de réunion, etc. -- i3. Piste d'obstacles. — 14. Piste pour les courses de fond. — i5. Piste droite pour les courses de vitesse. 320 ÉDUCATION DES ENFANTS ET DES ADOI.ESCENTS Une piste pour les courses ; Des sautoirs ; Des appareils pour se suspendre et grimper ; Des fardeaux pour le lever. Il faut tirer parti du premier espace libre venu, quand cela est nécessaire, pour faire travailler les élèves. Avec de l'ingéniosité, un champ, une prairie, une cour d'école peuvent être immédiatement changés en terrains d'exercice. Les arbres seront utilisés pour le « grimper ». On fixera les cordes aux branches ; des pierres de grosseur et de poids convenables serviront pour le a lever » et pour le « lancer » ; les fossés et les talus seront enfin les obstacles mis à profit pour le saut. iTous les jeux pourront y être pratiqués. Les stades et collèges des sports situés à l'intérieur des centres habités sont mal placés. Ils doivent être organisés autant que possible à la périphérie des villes, de manière à réunir à la fois les avantages de la ville et ceux de la campagne. On a agi de la sorte pour les hôpitaux, les maisons d'aliénés, les asiles de vieillards; il faut agir de même pour la jeunesse. Le terrain pourra être avantageusement bordé d'arbres ou situé à la lisière d'un bois qui donnera de l'ombre et de la fraîcheur l'été. La dépense de premier établis- sement est variable. Elle oscille de 5oo à 25o ooo francs etdavantage si l'on veut réaliser une installation luxueuse. Dans beaucoup de cas, on utilisera une portion de champ de courses, à la condition que ce dernier ne soit pas, comme en beaucoup de villes, riverain d'un fleuve, inondé en hiver. L'étendue d'un terrain fixe aménagé en stade variera de 2 à 10 hectares. Son entretien n'exige que des dépenses insignifiantes : faucher l'herbe de temps à autre, apporter quelques tombereaux de sable aux appa- reils de gymnase, réparer les obstacles, tailler les haies, réparer et entretenir les appareils en bon état. i PLAN d'î'xV collège des SPORTS 321 En esquissant l'ordonnance générale d'un collège des sports, on évitera de tomber dans une imitation servile des gymnases grecs ou des thermes romains. Nous ne sommes pas sous le ciel d'Athènes ou de Rome. Il faut tenir compte des progrès accomplis, des mœurs et des conditions climatériques spéciales à notre pays. Les péristyles de marbre deviendront un hangar couvert ; le stade et les xystes se transformeront en piste plate et en piste d'obstacles. On peut réaliser le nécessaire en restant dans une stricte économie. Les Américains ont eu la précaution de ménager au milieu de leurs villes quelques espaces plantés d'arbres où s'ébattent les enfants. A Boston, à Chicago, à Balti- more, à Philadelphie, à Pittsburg, etc., les terrains de jeux se sont multipliés, organisés. Une association, la Playgronnd Association, guidée par des hommes éminents et surtout agissants, rend des services inappré- ciables au monde des écoliers et des écolières. Dans la séance de clôture du second Congrès des Associations américaines pour la création de terrains de jeux, M. Woods Hutchinson s'exprimait ainsi, en présence des autorités de la ville de New-York : « Plutôt un terrain de jeu sans école qu'une école sans terrain de jeu ! » Cette phrase n'est pas une boutade. Elle est l'expression même de la vérité. Frappé de l'absence complète de terrains de jeux scolaires dans nos grandes villes, le Bureau des Enfants de la Croix-Rouge américaine a organisé pendant la guerre une section de terrains de jeux sous la direction de mistress Emma K. Pierce. Ses efforts ont abouti à l'installation de terrains de jeux à Lyon, à Toulouse, à Rouen, à Marseille. A l'heure où j'écris ces lignes, aux portes de Paris, en plein bois de Vincennes, les Amé- ricains ont édifié, en vue des Olympiades de l'avenir, un stade entouré de tribunes disposées en hémicycle et pouvant contenir 3oooo spectateurs. Nous qui avons montré la voie de l'héroïsme à l'univers, ne pourrions- nous donc faire en sorte de ne plus recevoir de leçons de nos alliés ? CONCLUSION CULTURE PHYSIQUE ET BEAUTÉ PLASTIQUE' La matière sensible et vivante de chaque famille hu- maine comporte une qualité de beauté qui lui est propre. Chaque pays produit tout un ordre d'impressions qu'au- cun autre pays ne peut donner. Il y a dans la beauté physique des différences qui correspondent aux qualités différentes des climats. Chaque peuple a son charme spé- cial et incommunicable, des moyens propres de toucher l'imagination, une responsabilité esthétique spéciale à l'égard d'un type particulier de beauté. Ces distinctions n'échappent à personne. Un dieu de l'Hellade, dans sa nudité, remplit les conditions impo- sées par la matière propre à l'Hellade. Tout le s3'-stème des jugements artistiques doit tenir compte de l'influence du milieu. L'enchantement que provoque la beauté physique est bien au delà de la poésie et de la science. Ce n'est pas par un jeu accidentel d'ombre et de lumière qu'un beau corps nous plaît, c'est par l'introduction même de la poésie au dedans de lui. La beauté du corps humain procède, dans chaque peuple, d'un ordre d'impressions spécifiques et d'un charme intraduisible. Il est vrai que les t3'pes de beauté humaine empiètent en partie sur les limites réciproques I. Extrait du Mercure de France., numéro du i6 septembre 1919. 324 CONCLUSION des continents et se prêtent mutuellement des forces nouvelles. La beauté des formes humaines est une nn. Elle anime les moindres parcelles de la matière vivante. Elle est toute pénétrée d'une intime solennité. Un type idéal de beauté physique est celui où la distinction entre la forme et la matière est réduite au minimum. Il est des corps vivants qui ont par eux-mêmes peu de caractère, mais la culture sportive leur prête très aisément une expression nouvelle et les élève. De là est née la supériorité aristocratique du type anglais. La plus haute poésie est celle que nous présente un beau corps d'homme accomplissant un geste animé et significatif, rapide et concret, illuminé d'un regard, d'un sourire oii se condensent tous les motifs, tous les intérêts, tous les effets d'une longue activité, et qui résume le passé et l'avenir en une seule minute intense et consciente. Dans ce geste, la nature, avec un tact admirable, a dosé toutes les heures fiévreuses, tumultueuses et colorées de la vie. Elle nous a permis de contempler toute la plé- nitude de l'existence. Le corps d'un bel adolescent est un poème qui n'a pas besoin de mots pour s'exprfmer. Quand on voit un bel athlète, on s'étonne de la béatitude inattendue dont le sport a orné ce qui peut paraître la partie la plus vaine de son être : son corps. Au surplus, un bel athlète possède un inépuisabi-: pouvoir de suggestion. L'art y retourne incessamment comme à une source, toujours renouvelée, de fraîcheur. La beauté crée autour d'elle une atmosphère d'amour, noue des amitiés ferventes et illumine toutes les pensées des hommes. Dans les beaux corps résident des âmes créées pour la noblesse et douées du sens delà beauté, et ces corps-là sont vraiment plus près-de la nature que les autres. CULTURE PHYSIQUE ET BEAUTÉ PLASTIQUE 325 En leur présence, l'intelligence se sent pleinement satisfaite par l'image visible dont elle perçoit toute la valeur spirituelle. Cette valeur spirituelle remplit la forme toute entière et s'identifie avec elle. Trop d'expressions de la plastique, dans le cours ordinaire de la vie, pendant le dernier siècle, doivent être rangées dans la catégorie des grotesques. L'idéal français ne doit plus avoir rien de commun avec les gro- tesques. Une haute culture doit rendre à la plastique française sa suprématie. Allons à la pureté de la ligne corporelle où se mêlent et se pénètrent des éléments physiques et des éléments spirituels confondus ensemble ; tendons à cette ligne, pleine de possibilités de tout un monde renfermé en elle, et qui est la plus haute expression de la vie. On saisit le fii de toute une suite de lois dans le modelé dun beau bras, dans la ligne harmonieuse d'une belle nuque. La culture ph3'sique est une science oubliée, cachée depuis longtemps. Retombés dans un nouveau cycle de la vie, il nous faut recommencer notre éducation, tout en gardant un certain pouvoir d'en anticiper les résultats. Acquérir la beauté plastique par les sports est un moyen d'échapper à la « tyrannie des sens ». Par la beauté, l'immersion dans le monde des sens reste indif- férente. La sensualité d'un splendide corps d'athlète n'enfièvre pas le sang et ne produit pas les morsures du désir. Celui qui donne à son corps le développement qu'il comporte trouve son harmonie avec lui-même, avec sa nature physique, avec le monde environnant. Mais cette beauté plastique, pouvons-nous la faire apparaître dans le tumulte de notre vie moderne? Sans doute le problème de l'harmonie de l'homme avec soi- même dans la beauté corporelle est bien plus ardu 320 CONCLUSION aujourd'hui qu'il ne l'était pour les Grecs avec les données si simples de la vie antique. Mais précisément les esprits et les corps n'ont jamais réclamé avec plus d'insistance la plénitude et l'harmonie. Notre monde moderne, aux tendances contradictoires, aux intérêts embrouillés, si fertile en douleurs et en préoccupations de toute espèce, veut enfermer dans les contours les plus clairs le problème de la culture physique. L'homme de ce temps sent le besoin de ressusciter l'équilibre, l'har- monie avec soi-même, le modelé parfait du corps qui va de pair avec celui de l'âme. La beauté plastique se pliera aux conditions de la vie moderne. L'exercice d'un sport approprié réalise la perfection de la forme corporelle et représente une jo3^euse union avec le monde extérieur. Tout homme qui aspire à la beauté physique cultivée peut employer l'une des nom- breuses formes de culture qui proviennent chacune du développement intense, laborieux et unique d'une apti- tude spéciale. Ce que veut la beauté, c'est de se sentir vivante. Le temps n'est pas éloigné où les Français de ce temps se réjouiront s'ils consentent à devenir sportifs. Car le charme de la beauté réside dansla façon qu'elle a de suggérer toujours et profondément la vie. En sa pré- sence, on entend rouler le flot même de la vie, et il semble que tout un été soit près d'éclore soudain. L'homme ne peut, en aucune manière, modifier les lois naturelles. Mais ce qui lui reste, c'est la beauté et la noblesse de son attitude quand il contemple leurs com- binaisons fatales. Ce qui importe, dans cette brève exis- tence, c'est d'\^ faire tenir le plus de choses possible. La culture corporelle et la plénitude du développement physique qui en résulte peuvent, seules, nous donner une impression de vie intense et multipliée. Ce senti- ment de la beauté plastique réalisée embellit naturelle- ment nos heures à mesure qu'elles passent. Après la guerre mondiale, un grand mouvement de l'esprit humain se marque déjà vers le goût de la beauté physique. Au cours de ce solennel vingtième siècle où tendent à se fondre toutes les forces, jadis divisées en CULTURE PHYSIQUE ET BEAUTÉ PLASTIQUE 327 groupes solitaires, l'art, la poésie, la philosophie, la vie religieuse et cette autre vie de plaisirs raffinés et d'action dans la pleine lumière des hautes situa- tions mondaines, toutes ces choses différentes, au lieu de rester confinées chacune dans son cercle de préoccu- pations, vont tendre à la réalisation de plus en plus nécessaire d'un idéal de beauté plastiqiie. Une ère plus favorable est née où les pensées des hommes se rapprochent plus qu'autrefois, où les mille intérêts du monde intellectuel et ph3'sique s'unissent pour former une civilisation plus complète. Les hommes communient déjà en grand nombre dans un même esprit d'élévation et cle perfection physiques. Il ne s'agit pas de revenir à l'Antiquité. Il s'agit de créer en France un mouvement vaste et harmonieux qui réveille l'amour des formes pour elles-mêmes, qui fasse naître une aspiration générale vers une vie plus libre et plus gracieuse, qui pousse les esprits à rechercher les jouissances intellectuelles et Imaginatives par tous les moyens possibles et qui les conduise, par la beauté cor- porelle retrouvée, à des sources de plaisir anciennes et oubliées. Il faut que s'adoucisse la rudesse des terribles années qui viennent de finir. Il doit naître dans notre pays un goût général pour la grâce qui poussera sans cesse les esprits vers les sources de la beauté plastique. Venant après une trop longue période où le culte corporel avait été aboli, au terme d'un âge sombre où tant de fontaines de joie intellectuelle et physique avaient tari, ce mou- vement marquera bien la renaissance plastique de la race française, son retour à la beauté. Efforçons-nous d'ajouter à notre esprit national d'in- dépendance, à ses qualités bien définies, à son intimité, à sa grâce languide, à sa subtile adresse à démêler les éléments des passions, le goût qu'il n'avait plus pour la beauté physique, et le culte du corps humain qu'il avait renié. 328 CONCLUSION Rien ne devrait plus entrer dans la vie française qui ne fût comme pénétré d'un enthousiasme pour la beauté physique vraiment rédemptrice. Nous pouvons, au milieu d'un monde glacé, faire jail- lir tout à coup de dessous la terre française le feu ense- veli de la beauté antique. Nous pouvons faire revivre le Lysis de Platon où nous voyons un groupe brillant de jeunes gens encore indemnes de toute maladie intellectuelle, trouver la fin de toutes choses, dans les aspects du corps humain. Revenons à l'équilibre des sens et de l'intelligence, que nous avons cherché si loin et si longtemps et qui était si près de nous. Grâce à la culture physique, retrou- vons les vraies proportions de la vie. Quittons les abs- tractions, revenons à l'usage de la vue et du toucher et tâchons de ressusciter en France la suprême tradition de beauté. Jamais ne se sont présentées sous un jour plus favo- rable les conditions nécessaires à la culture physique du peuple. Cette terre est sacrée ; elle a le sentiment aigu et joyeux de la vie renaissante. Les hommes ont hâte de sortir d'un passé encore attristé de ténèbres. Ils s'en- thousiasment pour un avenir qu'ils ne connaissent pas et qui dépend, eu une grande mesure, du tempérament physique de chacun d'eux. Il faut qu'on parle désormais de la parfaite nature animale des Français ainsi qu'on a parlé de la parfaite nature animale des Hellèr.es. Les influences qui portent à sa perfection la nature animale sont en partie les mêmes qui président à la formation de la pensée. Sous le ciel de France, un heureux concours de conditions ph3'siques doit faire naître, par le jeu des lois naturelles, un type rare de beauté plastique et d'intellectualité. Un air léger qui plaît aux sens les excite sans les fatiguer, des aspects de la nature plus beaux qu'ailleurs, une argile plus fine pour la formation des corps, un modelé plus déli- CULTUUE rHYSigi'E ET BEAUTÉ PLASTIQUE 329 cat de l'apparence humaine, voilà les dons de la fortune au Français qui entre dans l'existence. Mettons-les donc en œuvre. Modelons parfaitement notre corps par la culture phy- sique et par le sport. Que dans un siècle, les hommes reconnaissent que les Français qui agissent, aussi bien que ceux qui créent et pensent, ont enfin acquis un caractère de beauté plastique inimitable. Si cela arrive, les Français apparaîtront grands et libres ; ils se seront élevés du fond même de leur individualité, se seront comme tirés eux-mêmes hors d'eux-mêmes, se seront for- més sur le moule qui leur convenait et qu'ils avaient dédaigné. Que la beauté des jeux olympiques de l'ave- nir soit la beauté française. La culture physique ouvre à la race française un nou- veau royaume de sensibilité et de grâce corporelles, qui n'est pas en opposition avec les religions, mais diffère de leur propre domaine et en est indépendant. Les ministres officiels des religions, animés pour elle d'un zèle intelli- gent et se montrant les véritables enfants de la Lumière, doués de cœur, d'esprit et de sens vivants, autoriseront désormais un mode de vivre au delà des limites anciennes entre lesquelles subsistaient à l'étroit des millions d'êtres. Ils ne montreront plus aucune antipathie pour les adeptes de la culture physique. Ils ne refuseront plus d'admettre qu'on ne peut subvenir aux besoins supérieurs d'une race qui veut accéder à de plus belles formes, par les seuls moyens mystiques. Toute chose doit être mise à l'épreuve de l'expérience humaine. L'on ne peut nier lé débordement d'énergie physique qu'il faut canaliser, orienter vers la grande et magnifique beauté physique en laquelle sont encloses toutes les ressources de l'humanité. Il ne s'agit point d'un esprit de rébellion et de révolte contre les idées morales et religieuses de ce temps. Le souci de la beauté, le culte du corps humain 33o CONCLUSION ne pousseront pas nécessairement les Français au delà des limites prescrites par l'idéal chrétien. Leur amour pour la pureté des formes ne deviendra pas une étrange idolâtrie, une étrange religion rivale de la vraie- Non ! ce n'est point le retour de l'antique Vénus que nous vou- lons. D'ailleurs, V4n us n'est jamais partie; elle vit parmi nous, cachée seulement et, avec elle, les vieilles divi- nités païennes qui n'ont pas cessé de parcourir le monde sous divers travestissements. L'ascension de l'humanité vers les sommets se pour- suit. Il ne faut plus que ceux qui ont reçu mission de perfectionner la race française soient arrêtés à chaque tournant par les rigueurs des controverses qui fatiguent l'intelligence, limitent les sympathies et étouffent les enthousiasmes. L'antagonisme entre les ministres des religions et ceux qui demandent un jeu plus libre des facultés physiques de l'homme doit cesser. Il n'y a pas d'incom- patibilité essentielle entre les divers ordres de beauté. Dans les régions enchantées de la beauté physique, est- il donc nécessaire d'être toujours sur ses gardes ? Il n'y a pas deux partis définis ; il ne saurait y avoir d'exclu- sions absolues. La culture française moderne doit récon- cilier les belles choses entre elles pour l'embellissement et l'édification du monde. Il faut que, dans la noble France, toute controverse entre la culture du corps humain et la culture de l'âme soit inconnue. L'opposition des deux systèmes s'est trop souvent marquée avec brutalité. Le temps est venu où l'harmonie des intérêts physiques et moraux de la France doit se montrer intacte. Le vingtième siècle va devenir uu âge si passionné, si ardent, et si grave dans sa poursuite de la beauté physique, que tout être humain plastiquement beau deviendra respectable. Des formes de pensée qui, hier, semblaient incompatibles, seront conciliées. Le généreux désir de cet âge sera de donner en pâture au cœur et aux sens des hommes une nourriture également belle et CULTURE PHYvSIQUE ET BEAUTÉ PIvASTIOUE 33l proûtable. La réconciliation de la beauté physique avec la mystique chrétienne sera un fait accompli. Les maîtres de demain feront prononcer à Homère et à Platon des paroles qui eussent été agréables à Moïse. Pour le leur permettre, les philosophes et les exégètes ramèneront au jour des sens cachés ou des significations de mots divines gardées quelque part en réserve et qui se dissimulaient dans un passage quelconque de Chrysos- tome ou dans une figure d'un livre mosaïque. « C'est un lieucommun d'école, disait Bacon, d'affirmer que l'homme est un petit monde dans lequel nous dis- tinguons un corps mêlé d'éléments terrestres et de souffles divins, la vie végétale des plantes, les sens des animaux, l'intelligence des anges et la ressemblance même de Dieu. » Nous comprendrons bientôt que cette haute dignité de l'homme qui met ainsi la poussière qu'il foule aux pieds en communion sensible avec l'âme des anges, l'homme la possède, non pas renouvelée par un mystère religieux, mais de droit naturel. La proclama- tion de cette dignité sera un contrepoids à cette tendance, jusqu'à ce jour soigneusement entretenue, de dénigrer la nature humaine, d'en sacrifier tel ou tel élément, de la faire rougir d'elle-même, d'en mettre sans cesse. en évidence les nécessités douloureuses ou dégradantes. Une force invincible pousse l'homme sur le chemin d'une nouvelle assurance en soi-même, d'une réhabilita- tion de sa nature, de son corps, de ses sens, et d'un élargissement de son cœur et de son esprit. On n'opposera plus la beauté charnelle à la beauté de l'âme ; on se contentera de définir les différents états de l'âme dans son passage de la beauté terrestre à la beauté divine. Sans revenir à la sensualité grecque, nous sentirons grandir notre tendresse pour la vie d'autrefois et nous serons plus désireux d'unir les âges disparus au temps présent par une piété naturelle à l'égard de la beauté. * Comprenons donc que cette beauté doit être toute 332 CONCLUSION mêlée à la religion. Elle est toujours soumise à des conditions de temps et de lieu. Ses apparences sont influencées par les divers aspects de la nature, des types humains, des façons d'être et de vivre. Ainsi s'introduit dans la beauté une cause de changement. De même les religions sont modifiées par tout ce qui modifie la vie de l'homme, suivant des lois naturelles. Elles s'éclairent sous un ciel brillant ; elles s'élargissent quand s'ouvrent les horizons sociaux. Sous la beauté, comme derrière les religions, nous découvrons des forces naturelles et irrésistibles, tantôt ennemies et tantôt amies de l'homme, qui sont le secret de ses joies ou de ses douleurs et savent rendre pour lui la terre dorée et la grappe pleine de feu. C'est pourquoi l'homme sculpte les dieux à son image et les fait aussi beaux qu'il le peut. Que notre monothéisme devienne joyeux et gracieux ainsi qu'il est naturel dans un âge civilisé. Le culte de la beauté, si raisonnable, si chaste, si débonnaire, si continuellement lumineux, a été l'élément purifiant qui permit à la religion de l'Helladede s'élever au sublime. Ce fut le privilège de cette religion de pouvoir se transformer en un idéal artistique. La beauté corporelle reconnaît la « souveraineté de l'âme» ; c'est cette souveraineté qui magnifie et divinise le corps humain. Hélas ! par la puissance de l'abstrac- tion, l'esprit s'est proclamé libre de la chair ; il a pré- tendu tout absorber dans ses propres émotions ; il est entré dans un chemin qui devait le mener à se défier de la forme, de tout ce qui est extérieur et à exagérer son idéalisme. Que nos pasteurs fassent un peu plus de cas de la beauté. Sans verser dans un paganisme qui n'a aucune chance de ressusciter de ces cendres, qu'ils se rappellent que les prêtres qui dirigeaient les processions étaient souvent des jeunes gens à qui le prix de beauté avait été accordé. Philippe de Croton eut son monument à Egeste, en Sicile, simplement parce qu'il était beau. La beauté donnait droit à la gloire. Demetrius Phalereus CULTURE PHYSIQUE ET BEAUTÉ PLASTIQUE 333 n'était célèbre que pour un trait de sa beauté : à cause de ses beaux sourcils, on le surnommait charito-blepha- ros. Dans les temps anciens, Cypsèle, roi d'Arcadie, institua des concours de beauté, sur les bords de l'Alphée. A la fête de l'Apollon de Philé, un prix était offert aux jeunes gens pour le baiser le plus adroit. Les femmes de Lacédémone plaçaient dans leur chambre des images de Nérée, de Narcisse et d'Hyacinthe pour con- cevoir de beaux enfants. L'âge du monde où nous sommes verra éclore une vie supérieure dont la beauté physique sera le terme. Car les hommes comprennent déjà que les harmonies, les orages et les victoires du monde invisible et spirituel s'expriment le mieux dans les formes du corps, et donnent à celles-ci un intérêt et une signification dont elles seules sont capables. Dans un torse nu, le sculpteur peut traduire, jusque dans le plus léger détail, toutes les délicatesses de pensée ou de sentiments dont est capable une conscience s'attardant avec délices à méditer sur elle-même. La forme extérieure exprime ce qui est le plus intérieur en fait de passion et de sentiment. Le corps humain est l'interprète de la spiritualité. Du mélange de deux traditions, de deux sentiments, le sacré et le profane, doit sortir une conception nou- velle de la culture humaine. Cette culture doit, si nous le voulons bien, réunir un jour en France ce que l'igno- rance humaine a divisé, et rajeunir ce que le temps a flétri. Ce qui a intéressé une fois des hommes vivants, comme la beauté physique, ne peut jamais cesser tout à fait de vivre. Aucun langage qui fut parlé, aucun oracle qui fit taire la voix des foules, aucun rêve bercé par des esprits humains, rien de ce qui a pu susciter des passions ou fait dépenser du zèle et de l'amour, comme la splendeur d'un corps nu, la perfection d'un visage, la profondeur d'un regard, la noblesse d'une attitude, non rien de tout cela ne peut mourir. 334 CONCLUvSION Tout cela doit renaître. La lumière de ce jour est froide. C'est une aube brumeuse après une nuit pleine de ténèbres et de sang. Mais dans la tranquillité de l'air matinal, on voit mieux les lignes de l'horizon vers lequel s'avancent les hommes. Toute tristesse est maintenant bannie de leurs visages, car ils songent moins à la longue étape qu'ils doivent faire qu'au but splendide qu'ils atteindront le soir. Les destinées humaines sont puissamment influencées par la beauté qui possède une profondeur d'expression, et une marque intime par où se révèle une âme cachée, qui lui donnent un réel pou- voir de fascination. Quand le monde entra dans l'E/glise, la sensualité fut partout refoulée par le goût de l'ascétisme. Les nou- velles conceptions condamnaient sans réserve le monde des sens, mais elles ne condamnèrent jamais la beauté. La philosophie chrétienne restait trop dépendante du passé pour ne point perpétuer la beauté antique. La beauté chrétienne avait enseveli en elle-même des restes de beauté païenne tout prêts à opérer des miracles quand leur jour serait venu. Ce jour est venu. Comprenez-le, ô vous qui veillez sur les destinées de l'Eglise de France et qui voulez demeurer les éducateurs d'une partie de la jeunesse française. La culture physique et l'ascétisme chrétien sont sou- vent opposés violemment l'un à l'autre. C'est là un aperçu superficiel. En réalité, la beauté païenne et la beauté chrétienne se sont continuées. L'Eglise a con- servé pendant des siècles, sans le rompre, le fil des tra- ditions de l'antiquité. En feignant de ne plus s'intéresser à la beauté physique, elle a permis à l'esprit humain de se reposer pour que ses regards pussent s'éveiller avec une nouvelle fraîcheur à cette beauté antique retrouvée. Ah! n'opposons plus la culture physique à l'ortho- doxie des religions. Spiritualisons plutôt la beauté cor- porelle. Accordons les rêves de Platon avec les paroles du Christ. Le temps paraît venu de tels accommode- ments. Après les jours sombres, revenons à cet idéal de beauté corporelle qui, au-dessus des credos passagers. CULTURE PHYSIQUE ET BEAUTÉ PLASTIQUE 335 s'est prolongé peu à peu à travers les âges pour servir de patrie aux nobles âmes. Au milieu de cette société moderne, théâtrale dans sa vie et jusque dans sa dévo- tion, tournons-nous vers l'aurore d'un monde nouveau tout illuminé par la perfection plastique du corps humain. Dans un bel athlète, il n'y a pas seulement la force, il y a le charme grave et doux. Sa vue force l'ad- miration et donne aux hommes une hautaine indifférence pour les formes vulgaires. La beauté corporelle éclaire la vie journalière comme du reflet de quelque lointaine splendeur. Elle est bien autrement chargée de significa- tions que les autres représentations esthétiques. Imprimerie de J. Dumoulin, à Paris. — S56. lo. 19 C/) Boiqey # Physiologie enerale de l'éducation 3 0005 02025431 7 Boigey Physiologie g^ne-'rale de l'éducation physique PAVOTS: 0\ 106, Boulevard Saint-Germain, PARIS G. Clemenceau, — La Fraiice devant l'Allemagne 7 !iO Anton Nvstuo.m. — Avant 1914, Pendant et Après .... 7 50 Victor Caxiîon. — Notre avenir . 4 50 — Où allons-nous ? 450 EoouARD Heskiût. — Créer, 2 vol 6 fr. et 5 » Louis de Launay. — Qualités à acquérir 4 50 ***. — Lùltres d'un vieil Américain à un ï'ranvals, tra- duit par J.-L. DupLAN 4 60 E. 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