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EMMANUEL DES ESSARTS

POÈMES

DE

LA RÉVOLUTION

1789-1796

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G. CHARPENTIER, ÉDITEUR

13, ROR DE GRENELLE-SAINT-GERHAIN, 13

1879

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cinqurmte exemplaires numérotés s^^ papier de Hollande Prix : 7 francs

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Pans. ~ Imp. E. Capiomont et V. Renault, rue des Poitevins, 6.

EMMANUEL DES ESSARTS

POÈMES

DE

LA RÉVOLUTION

1789-1796

PARIS G. CHARPENTIER, ÉDITEUR

13, RUE DE GRE.NELLE-SAI.NT-GERMAl.X, 13

1879

Tous droits réservés.

BIBLIOTHECA

^ ^faviensis

LES PREMIERS TEMPS

89-90-01

A M. LEON GAMBETTA

Nous nous levons alors ! P. Corneille.

Trois ans, limpide Avril de notre liberté, Printemps de rose et d'or avant le rouge été,

Quand la France pleine de sèves, Gomme un enfant ouvrant ses yeux au clair soleil, Gardait l'étonnement joyeux de son réveil

Et les promesses de ses rêves ;

Trois ans tout fut bon, fraternel et clément, En pleine lutte ardente un cri de rallîment

Dans notre cœur tressaille encore, La guerre aux seuls abus que Ton voulait briser, L'espoir indéfini d'un immense baiser.

Un orage dans une aurore !

4 89-90-91.

Quel vol d'événements à travers l'horizon ! Peuple alors échappé d'une antique prison,

Tes pas lancent des étincelles ; Pour suivre ton essor libre enfin du réseau L'Histoire est bondissante, et, comme un jeune oiseau,

Elle a des chansons et des ailes !

C'est la séance auguste où, lutteurs du Devoir, Les Députés du Tiers, héros en habit noir,

Debout contre tout un royaume. Ont prêté ce serment dont tremblent les palais Dans la salle où, parmi l'essaim de ses valets,

D'Artois s'égaie au Jeu de Paume !

C'est le jour éclatant de lumière Paris Menant ses citoyens endimanchés, fleuris.

Ainsi qu'aux fêtes de famille, Alla d'un pied joyeux, en allègre marcheur. Droit vers son but avec l'arme du bon faucheur

Retrancher du sol la Bastille ;

C'est l'hél^oïque nuit des saints renoncements. Cette nuit du quatre Août quand des preux bien-aimants. Dans un élan trop éphémère,

89-90-91.

Ont la première fois pour de nouveaux venus Laissé battre leur cœur et nous ont reconnus Sur ton sein, ô France ma mère !

C'est la semaine heureuse par tous les chemins Les citoyens rianls et les mains dans les mains

Saluaient leur indépendance. 0 Fédérations, souvenir immortel! Tous frères apportant la terre au même autel

Et partout un long chœur de danse...

Semaine impérissable vieillards rajeunis, Vierges, adolescents par leurs mères bénis

Ou par leur aïeule attendrie Sentaient dans un éclair électrique et divin Du mont le plus altier au plus humble ravin

Courir Tàme de la Patrie.

Et vous, oh non ! jamais ne soyez oubliés,

Couvent des Jacobins, cloître des Cordeliers,

Qui sous des voûtes centenaires

Avez pour les combats sans trêve ni merci,

Recelé la parole impétueuse, ainsi

Qu'un double arsenal de tonnerres ;

1.

() 89-90-91.

.Ni vous, joiunaiix profonds, véhéments ou malins, Feuille de Loustalot, pamphlet de Desmoulins,

Flèches traversant les broussailles, Qui rejoigniez si bien de yos brusques élans Derrière un mur épais de Suisses, de hulans,

La Rovauté dans son Versailles ;

Ni vous, brillants tribuns, athlètes radieux, Restez toujours la joie épique de nos yeux.

Le lyrique orgueil de notre âme. Soyez notre invincible honneur et notre amour, Toi, Barnave, si noble et si pur jusqu'au jour

t'ont fléchi des pleurs de femme ;

Toi, Mirabeau, pareil aux vastes ouragans Prompts à jeter k bas les sapim arrogants,

Prodigieuse créature Si puissante qu'en toi notre regard béant Voit bien moins un génie et bien moins un géant

Qu'une force de la nature ;

Toi surtout, La Fayette, ô notre chevalier, Modeste contempteur du superbe laurier. Jugeant tes destins assez amples

89-90-01.

D'être resté, semblable au roc tranquille et lier Que n'ébranleront point les assauts de la mer, L'immuable donneur d'exemples.

Oh ! ces trois ans, ce fut une riche saison, Toute une sympathique et chaude floraison

s'épanouit l'àme humaine : La Révolution tendre chez les vainqueurs, Pacifique et prenant pour conquêtes les cœurs,

L'univers ému pour domaine.

Ivre de l'avenir, l'Europe renaissait :

Dans la rue à Florence, à Vienne, on s'embrassait

Après nos grands jours olympiques ; Tant les peuples savaient que nos bras généreux, Épris de délivrance et combattant pour eux,

Aux rois seuls destinaient leurs piques.

Le genre humain en fleur n'avait plus que vingt an; On eût dit l'âge d'or conquis par des Titans :

Tout était jeunesse, amour, gloire. Triomphe, et l'on croyait au bonheur éternel. Sans prévoir un obstacle au rêve fraternel.

Un lendemain à la victoire.

II

LA PREMIÈRE COCARDE

Que la liberté soit !

Alfred Fouillée.

Dans ce Palais-Royal orageux qui recèle Le tourbillonnement des plaisirs défendus, Frémissante parmi les groupes éperdus, Court l'épouYante universelle.

Necker par son exil tient les cœurs consternés; L'on imagine, au gré d'un prince aristocrate. Le Roy al- Allemand ou le Royal-Cravate Sur Paris tremblant déchaînés ;

De lourds galops, des chocs, des chutes dans les fleuves, Sur des amas de corps le noir soldat campé; Puis un silence morne et sourd, entrecoupé Par les pleurs étouffés des veuves.

LA PREMIERE COCARDE.

Et nul ne se dira : « Qui meurt libre a vécu ! » La rivière indomptable emporte son barrage ; Mais Paris désarmé, Paris se décourage, Et sans lutter il est vaincu :

Quand soudain, à travers la foule qui fourmille. Un jeune homme aux yeux vifs, enhardi par son cœur. S'ouvre un passage et vient s'offrir pour harangueur... Trente ans ; il s'appelle Camille !

Camille Desmoulins, un fds du Vermandois : Il a toute la vieille Athènes sur ses lèvres, Un esprit qui sautille avec des bonds de chèvres^ Et peu d'argent entre ses doigts.

Une table lui sert de tribune... ô merveille! Il groupe autour de lui six mille spectateurs. Il montre en traits sanglants dans les palais menteurs La Saint-Barthélémy qui veille.

Il gronde, il pleure, il rit, il se démène... il est Multiple comme l'onde, et son geste accentue Sa parole... il s'écrie : « Opprimé, je me tue! » Et Ton voit luire un pistolet.

10 LA PREMIÈRE COCARDE.

(( A nous la liberté ! Je la prends sous ma garde, La vierge antique en proie aux despotes jaloux ; Mes frères, des fusils! les dieux sont avec nous : Voici déjtà votre cocarde ! »

11 dit, et le premier, un ruban vert au front. Il s'élance, entraînant Paris, le bon Camille : Tous s'arment sur ses pas, et demain, ô Bastille,

Tes murs orgueilleux tomberont.

III

LES PRÉCURSEURS

A M. E. SPULLER

L'idée seule fait croître les aile? de l'Ame. Platon.

Avant les Jacobins, trop crédules aux rois, Cinq êtres isolés dans la France asservie Franchirent d'un seul bond l'ornière des effrois Droit à la République se fixa leur vie.

Cinq, et pas un de plus, mais de ces précurseurs Sûrs dans leur marche et tels qu'on les revoit encore, Partant dès l'aube ainsi que les hâtifs chasseurs. Pieds nus dans la rosée, avant-coureurs d'aurore :

Brissot un Thémistocle achevé par Franklin, Penseur vaillant qu'aurait élu Philadelphie, Qui des Bourbons caducs vient hâter le déclin. Et lutte, et jusqu'au bout simple se sacrifie.

12 LES PRÉCURSEURS.

Camille une ironie, un terrible rieur, Esprit incendiaire à l'égal de la flamme, Mais bon dans sa furie, et pour être meilleur Ayant sur son épaule un front penché de femme.

Condorcet âme prête à tout sublime effort. Confiant possesseur d'un idéal robuste, Plein d'amour pour le faible en sachant qu'il est fort, De pitié pour l'ingrat en sentant qu'il est juste.

Fougueux comme le vent, Cloots Français adoptif,

Qui voyait, à travers sa brusque rêverie,

Les hommes rapprochés dans un élan tardif

Disant à lous : « mon frère » et partout : « ma patrie ! »

Et toi dont le destin fut pareil au ruisseau Qui devient fleuve et va mourir dans la mer sombre, Pupille que Plutarque a transmise à Rousseau, Aux œuvres de grandeur te préparant dans l'ombre;

Courage audacieux, sourire triomphant, Pudeur de la bourgeoise, essor de l'héroïne. Compagne d'un vieillard au cœur vierge d'enfant, Qui bientôt donneras le signal de ruine.

LES PRECURSEURS. 13

0 madame Roland, salut I autour de toi Se groupent des lutteurs que ta parole entraîne : Tu couves leur ardeur, tu ravives leur foi, Jusqu'au jour ta main les lance dans Tarène.

Donc, mes cinq précurseurs, soyez aimés, bénis, Vénérés, pour avoir en un siècle frivole Les premiers aspiré vers des dieux rajeunis Et brisé dans vos cœurs l'héréditaire idole ;

Les premiers embrassé l'immortel Idéal Que la vertu proclame et que Famour désigne, La République, espoir du bien, effroi du mal, Forte comme un lion et pure comme un cygne î

IV

L'ARGENT

Obscena j)ecimia.

JUVÉNAL.

Telle dans une mer Egée Vient s'abattre sur un écueil La grande aile découragée Qui cède aux tempêtes en deuil, Telle du vol de sa pensée, De sa course aux cieux élancée, La Constituante lassée Ployait son âme et son orgueil.

L'Assemblée inquiète plie, Pareille aux frissonnants oiseaux. Elle dont la sainte folie Rompant les chaînes, les réseaux.

L'ARGENT. 15

Les sceptres, le passé, Ihistoire, Avait, dans son élan de gloire. Courbé sur leur trône illusoire Des Bourbons comme des roseaux ;

Elle que n'a pas étonnée L'auréole de saint Louis Dont une race illuminée Tenait les peuples éblouis. Ni cette splendeur familière A la noblesse chevalière Planant comme Tàme guerrière Des paladins évanouis.

Irrésistible iconoclaste

Qui, dans son essor exigeant.

Brisait les foudres d'une caste

Et broyait l'obstacle outrageant.

Sœur de Briarée et d'Hercule,

Elle fléchit, elle recule

Devant un monstre ridicule.

Le plus vil des monstres, Tx^rgent!

C'est devant ce grotesque maître, Lâche buveur de sang humain.

16 L'ARGENT.

Que ces héros, vainqueurs peut-être, Succombent à moitié chemin, 0 grande Assemblée avilie ! 0 géante qui s'humilie ! A Turcaret Lameth s'allie ; Barnave à Mondor tend la main.

La Liberté se fait dévote Au Plulus stupide et brutal ; Les droits, les milices, le vote, Tout pour un monceau de métal ! Gomme dans Carthage ou Venise, Près de Brutus qu'on divinise Grésus adoré s'intronise Sur un cynique piédestal.

Grésus règne, le Gens gouverne. Se taillant la part du lion; G'est pour retomber dans l'Averne Que les forts ont pris Ilion. Adieu le rêve égalitaire Du poète ou du prolétaire ! Le nouveau tyran de la terre G'est Monseigneur le Million !

L'ARGENT. 17

Sois riche, ami, tu seras libre. Paie, et la patrie est à toi. Malheur au cœur du pauvre vibre Le cri navrant d'un mâle émoi. Fi pour l'indigence bannie! Vertu, travail, gloire, génie. Arrière, ô grandeurs qu'on renie ! L'or est dieu quand l'argent est roi !

Seuls, armés contre le scandale De ces cultes de parvenus, A la richesse féodale Opposant les droits ingénus. Seuls quelques penseurs tutélaires. Patriotiques vexillaires. Agitaient les saintes colères Au nom des pauvres méconnus !

« 0 Pauvreté, sois mon amante, »

S'écriait Maximilien,

« Yierge austère, vierge charmante

Je t'offre un cœur de citoyen,

Je te voùrai des sacrifices.

Et, libre des trésors factices,

2.

L'ARGENT.

Je proclamerai tes délices, Compagne du Stoïcien ! »

Et sa parole vengeresse Glorifiait en purs accents Cette impérissable maîtresse Des courages adolescents, Cette Pauvreté nourricière Qui de notre humaine poussière Tire à jamais la race fière Des libérateurs renaissants.

Parle sans crainte, âpre jeune homme, Défends, fidèle à ton drapeau, Celle qui lit Sparte avant Rome, Mère du Bien, Muse du Beau. La déesse reconnaissante Gardera ta mémoire absente Sans que jamais elle consente A te refuser son flambeau.

Elle te ménage un refuge, Futur vaincu de Thermidor. Quand la postérité te juge La Pauvreté proteste encor

L'ARGENT. 19

Et d'une voix qui s'éternise Répète à la foule surprise : « Ce tribun égalait Moïse Quand sa main brisa le Veau d'or. »

CAMILLE DESMOULINS

A JULES CLARETIE

Encore maintenant les barbares disent que rien n'est plus redoutable que la guêpe attiqne.

Aristophane.

Effroi des Feuillants à l'œil terne Qu'il joue et qu'il déjoue, et qu'il bat et qu'il berne, C'est l'Horace de la Lanterne ;

Mieux encor, c'est Camille, un accord singulier

De poète et de Cordelier, Pour aimer sans égal, sans égal pour railler;

Riant d'un rire qui m'effare, Jetant sur l'avenir les lueurs d'un grand phare, Tour à tour sifflet ou fanfare ;

CAMILLE DESMOULIN?. 21

Parfois en fer de lance aiguisant ses chansons,

Trempant de venin ses soupçons, Il enfonce les mots comme autant de poinçons.

Il lue alors tous ceux qu'il blesse, L<? Maury, le veto, la cour et la noblesse, La force et même la faiblesse.

Sa fougue meurtrière est toujours à l'assaut.

Gare au méchant et gare au sot, A rhonnête homme aussi... gare à toi, cher Brissot,

Tel un dieu d'Orient, funeste Et bon, fait alterner l'abondance et la peste. Fécondant ou broyant d'un geste.

Tour à tour c'est Ménippe aboyant au passant,

Aristophane éblouissant, Diogène parfois éclaboussé de sang.

Mais bientôt par une éclaircie La Liberté visible à sa verve associe L'àpre accent de la Boétie.

22 CAMILLE DESMOULINS.

Il lance un fiât lux impérieux et fier,

Rêvant sur les débris d'hier Une Lutèce aux pieds caressés par la mer ;

Une Grèce parisienne, Dans nos brumes du Nord lumineuse et païenne La République athénienne ;

Et tous heureux, et tous ravis, et tous chantants,

La pompe des Arts éclatants Et les Muses faisant abdiquer les Titans.

Voilà notre Camille, une âme Enfantine, vaillante et folle, oiseau de flamme, Esprit de faune et cœur de femme !

VI

A Lk jMÉMOIRE de LOUSTALOT

A M. E. Y U N G

Virtulis verœ cuslos rigichtsque satellcs.

HOHACB.

Je t'aime, ô Loustalot, journaliste idéal, Hérault incorruptible et devancier féal

De la République espérée, Pour vivre longuement trop sincère et trop fort. Tête de citoyen par les mains de la mort

Avant l'heure transfigurée.

Loustalot qui laissas la France à l'abandon ; Car tu mêlais l'espoir et le vœu du pardon

A la victoire caressée, Saintement désireux d'un triomphe innocent. Entre nos fiers lutteurs le seul vierge de sang,

Vierge de sang même en pensée !

•M A LA MÉMOIRE DE LOUSTALOT.

De tous les plus obscurs n'es-tu pas le plus grand, Toi qui ne voulais pas pour l'hostile émigrant

De supplices irréparables, Qui rêvais un pays libre du joug royal, Offrant à tous ses fils l'ombrage impartial

Des grands chênes et des érables.

0 conscience égale au plus chaste glacier, Vertu de diamant et courage d'acier.

Type de raison enflammée, Sans langueur Girondin, Montagnard sans fureur, Contre le Royalisme et contre la Terreur

Ame pareillement armée !

Fraternité vivante, hélas! tu disparus;

Trop tôt pour la Patrie en larmes tu mourus,

Perdant la gloire sans mélange D'être juste plus d'un ne sera que vengeur, Tu tombas, Loustalot, comme le vendangeur

Qui n'a pu goûter sa vendange.

VIT

L'ARRIVÉE DES GIROxXDINS

A M. HENRI MARTIN

Une France nouvelle en cheveux noirs

illCUELET.

Nouveaux venus, ils sont les bienvenus... jamais La France de plus beaux enfants ne fut plus fière : On auiait dit des dieux quittant les bleus sommets

Pour daigner, tendre élite et cependant guerrière. Apparaître aux humains et leur ouvrir des cœurs Formés d'azur clément et d'ardente lumière...

Des dieux jeunes I ni durs, ni tristes, ni moqueurs !

En eux la grâce antique est la sœur de la force

Et ce sont des amants autant que des vainqueurs.

3

•2 6 L'ARRIVÉE DES GIRONDINS.

Indulgents à graver sur la flexible écorce

Le nom d'une amoureuse, ils sauront aussi bien

Des peuples et des rois hâter le lent divorce.

Jusqu'ici spectateurs, d'un choc diluvien.

Ils forgeaient l'armement de la foudre éloquente

Contre les trahisons du roi capétien.

Leurs lèvres vont vibrer, et la cour provocante Verra luire en tremblant des rayons belliqueux Autour de ces fronts purs sied la molle acanthe.

Rien de plus doux et rien de plus terrible qu'eux ! Fraternels à la femme, au serf, au prolétaire. Implacables aux rois, aux nobles orgueilleux.

Ils jetteront et rois et nobles contre terre, Par le seul roulement de leur parole, ainsi Qu'après l'éruption sonore d'un cratère.

Ils viennent résolus : ni retard, ni merci. Ni trêve 1 car la guerre habite leur pensée Qui du péril certain ignore le souci.

L'ARRIVEE DES GIRONDINS. 27

Eux mourir ! mais il faut que leur brève odyssée S'achève et que pour vous, ô France, ô Liberté, Leur prodigue existence ait été dépensée.

En deux ans ils vivront deux siècles... leur été Pour nous se perpétue et par la pâle automne Et par l'hiver sénile à jamais respecté.

Qui donc vécut plus qu'eux? nul rhéteur monotone

Parmi ces Girondins ; ils sont beaux et fleuris

Et dans leur chœur plus d'un chante avant qu'il ne tonne.

Les voici, tous ensemble en route vers Paris, Nos sveltes députés de la brune Gironde, Pour la foule charmée entraînants favoris.

Dans leur tête fertile ils portent tout un monde. Ondoyants, expansifs, multiples, orageux, Avec leur causerie ailée et vagabonde.

Tantôt donnant l'essor aux chansons comme aux jeux. Ils sont fous de jeunesse et tantôt leurs idées Montent plus près du ciel que les grands pics neigeux.

28 L'ARRIVÉE DES GIRONDINS.

Ces Titans de demain aux sublimes coudées N'ont pas honte de rire, admettant la gaîté Gomme un éclair de plus aux têtes décidées.

Ils vont légers, fervents, fêtant l'Égalité

Comme on fête l'amour, le printemps et les roses,

Et tout sur le chemin leur sourit enchanté.

C'est qu'ils diffèrent tant des Jacobins moroses, C'est qu'ils sont si français et si grecs à la fois, Esprits si captivants, tribuns si grandioses.

Que, dans celte voiture s'enflammait leur voix. roulait avec eux vers la ville énergique L'irrévocable sort qui vient frapper les rois,

Près d'eux, un voyageur, pèlerin nostalgique.

Sentit à ses chaleurs se fondre son ennui

Et son être s'emplir d'un long charme magique;

Car devant ces héros qui se montraient à lui Purs comme la vertu, beaux comme l'espérance, L'àme d'une Patrie à ses yeux avait lui

Et depuis l'étranger ne quitta plus la France ! "

VIII

L'AMAZONE DU VINGT JUIN

ExuUal Amazoyi,

Virgile.

(juand rémeute aux bras nus bondit échevelée

Hors des faubourgs tempestueux, Et submerge Paris ainsi qu'une vallée

De ses torrents tumultueux, Alors, dans le puissant roulis de l'onde humaine

Qui bat le palais oppresseur, Dans ces vagues Saint-Huruge se démène

Avec Santerre le brasseur, le prince de Hesse, Merlin, cœur prodigue,

soldats, bourgeois, ouvriers, Donnent l'assaut suprême à la suprême digue

De ces rois qui seront noyés.

Une femme soudain au premier rang éclate

Ainsi qu'un feu sur les hauteurs,

3.

30 L'AMAZONE DU VINGT JUIN.

Comme sur une tour un signal écarlate,

Une femme aux grands yeux dompteurs. Car dans ce peuple en marche elle est reconnaissable

Au bruit qui précède ses pas, Bruit terrible et joyeux ! tel qu'aux déserts de sable

Le bruit de trombe et de trépas, Tel aussi que ce bruit de sonores ivresses

Et de baisers rabelaisiens Et de chansons parmi les flamandes kermesses

Loin des brouillards parisiens. Cette femme est la guerre, et le rire de flamme

Autour d'elle Yoltige et court. Vengeance en belle humeur, elle \a, cette femme : . C'est Théroigne de Méricourt !

II

C'est Théroigne, la blonde amazone liégeoise,

Le libre et vivant carillon, De la vieille cité populaire et bourgeoise

Bondissante incarnation, La fille aux bras d'acier des mines et des forges

Et des houillères sans azur, Mais ainsi qu'une fleur de pourpre dans les orges

Ayant grandi sous le ciel pur.

L'AMAZONE DU VINGT JUIN. 31

Son costume a des airs de bataille et de fête.

Tragique autant que singulier : Tantôt un bonnet fauve encadre cette tète,

Tantôt un chapeau cavalier. La gaze du bonnet qu'un vert pompon décore

Captive à peine ses cheveux ; Sur son cou se prolonge un fichu tricolore ;

Sur son corps solide et nerveux Soit une redingote à la rougeur vermeille,

Soit une veste de basin Tombe et du sein hardi couvre l'ampleur, pareille

A deux grappes d'un bon raisin.

III

Elle n'a pas toujours pris pour joyaux les piques

Ni pour cavaliers les héros. Avant d'être la sœur des guerrières épiques,

Ellefutlafdled'Eros; Avant de se ruer aux batailles géantes.

Humant la poudre à pleins poumons. Elle vous écouta, brises insinuantes

Qui murmurez au cœur : « Aimons ! ». Hle vous entendit sous les nuits langoureuses,

Au son des arpèges lointains.

32 L'AMAZONE DU VINGT JUIN.

Mots d'amour odorants comme des tubéreuses

Sur les lèvres des plus hautains ; Elle vit obéir l'orgueil de ses lignes

Ainsi qu'à l'attrait de ses yeux, Dans les grands parcs peuplés de marbres et de cygnes,

Même un empereur soucieux. Idole d'un César maintenant elle est libre

Des caprices qu'elle inspira. Pour le drame viril son cœur agrandi vibre

Après le galant opéra.

IV

Tel un ciel rafraîchi par l'abondant orage,

Elle renaît pour nos combats Et fait sonner avec un menaçant courage

Son beau rire de branle-bas. En avant ! elle marche en tête, et la colonne

Qu'elle guide en son fier chemin Semble suivre ardemment l'antique Mimalone,

Le lierre au front, le thyrse en main, La Mimalone antique à toute heure effrénée,

Sanglante de vin et de feu, Mais sublime d'extase et tout illuminée

Par l'enthousiasme d'un dieu.

IX

LA GUERRE

A ANDRÉ MOINIER

a La guerre, » dit Brissot, d'une voix ferme : « allons Surprendre dans Coblentz les émigrés félons Qui nous guettent tout prêts à fondre de leur aire. Montrons à leurs manoirs le drapeau suburbain ; Plantons aux murs viennois un bonnet jacobin. L'heure est venue ! amis, la guerre!

Et tous applaudissaient, et les chapeaux volaient, Et partout les baisers fraternels circulaient. Et les pieds s'emportaient déjà vers la frontière, Et les cœurs pressentaient l'agile Liberté Victorieuse au bout de l'Europe, excepté Un homme... c'était Robespierre !

34 LA GUERRE.

Perspicace, au delà des beaux enrôlements, Des fiers départs, des pas de course véhéments, De la charge invincible à travers la mêlée, Au delà du triomphe héroïque et fatal. Il voyait tôt ou tard l'étranglement brutal, La République violée.

Quand Louvet secouait ses hardis carillons. Quand Brissot déployait au loin nos pavillons Sur une Europe aux fers rompus, libre et ravie, Robespierre attristé voyait trop clairement Les victoires couver le noir ressentiment Et la vindicative envie ;

Nos bienfaits échouer sur un tardif écueil. Les peuples s'insurger dans leur rebelle orgueil Contre une égalité fille de la conquête Et lancer la levée en masse contre nous Pour nous, jeter usés et brisés aux genoux De l'aristocratie en fête ;

Le courage d'abord austère et virginal Descendant aux laideurs que flétrit Juvénal, S'abaissant jour par jour aux banales pratiques. Devenant brute après avoir été géant,

LA GUERRE. 35

Extorquant la pudeur et l'or, substituant Le moyen âge aux temps antiques ;

Et tout ce sang, rosée immense, et ces vertus Des généraux, pareils aux sévères Brutus, Ces chocs Intelligents luttait la pensée. Tous ces prodiges, ces miracles, tout cela Pour qu'un César piétine en pourpre de gala Sur la tribune renversée.

X

LA PETITE COMTESSE

C'est vous qui vous levez et qui vous indignez, Femmes...

Victor Hugo.

La petite comtesse Etta Palm Aëlder, Rose avec les blancheurs natives de l'eider, Façonnant aux courroux une lèvre enfantine, Yole la Liberté virile la destine. Des prêches de Fauchet jusqu'au club jacobin Ses petits pieds qu'en rêve eût baisés Chérubin Se hâtent ; elle vient, comme des sérénades, Ouïr le bruit flatteur des lentes canonnades Et bondit amoureuse aux éclats du tocsin. 0 si mignonne et si terrible ! son doux sein Sous les brises en feu des batailles halète, Et cette main moulée aux jeux de la houlette Du fusil flamboyant saisit l'épouvantait Mieux que l'écran docile ou le frêle éventail.

LA PETITE COMTESSE. 37

Au soleil du Vingt Juin comme elle se découpe, Elégante à travers la féminine troupe, Et que sous l'uniforme aux longs parements bleus Elle va d'un grand air tragique et fabuleux !

XI

L'ABBÉ FAUCHET

A GEORGES MOREL

Il y a deux sortes de foi dans le monde ; l'une naît du découragement, l'autre de l'espérance.

Edgar Qu;net.

Ce prêtre qu'on voue à l'Enfer,

Hiératique Lucifer,

Bouche d'or et bouche de fer.

C'est Fauchet, grande âme exaltée. Très aimante et très irritée, Bridaine croisé de Tyrtée.

Être de fièvre et d'onction, Pour sa brebis d'adoption 11 prend la Révolution

I/ABBÉ FAUCHET. 39

Et veut dans sa pensée agile, A cette enfant encor fragile Donner pour parrain l'Evangile.

Aux Arcis, au faubourg Marceau, Il chante le Christ au roseau, La jeune Église en son berceau.

Devant Tindigent qui grelotte, Le haillonneux et morne ilote. Il prêche un Jésus sans culotte :

Jésus d'étable et d'atelier, A d'obscurs pêcheurs familier. Très pauvre et lui-même ouvrier,

Et dont l'éloquente jeunesse Tonne sur la gent larronnesse, Les dîmes et le droit d'aînesse ;

Jésus de la Montagne, en pleurs Pour toutes ces humbles douleurs Qu'on écrase comme des fleurs.

40 L'ABBÉ FAUCHET.

Mais plein d'ires et d'anathèmes Contre les Pharisiens blêmes Et les porteurs de diadèmes ;

Jésus du Temple au fouet sacré, Sur le trafiquant effaré Lançant un bras exaspéré ;

Mais sur un cœur égalitaire Appelant tous ceux qu'on atterre, Publicain ou femme adultère ;

Jésus des Oliviers, meurtri. Par tous les faux docteurs flétri, Trahi déjà par les Maury ;

Jésus du Calvaire qu'on raille, Que l'on renie et l'on fouaille. Qu'on tue ainsi que la canaille.

Mais qui, trois jours après le deuil. Brise l'édifice d'orgueil, La Bastille de son cercueil,

L'ABBE FAUCHET. l I

Et transfiguré sur les cimes Convoque ses frères infimes Aux fédérations sublimes

l'immortel sacrifié, Glorieux et crucifié, Semble un peuple déifié ! . . .

Tel, pour ce grand Paris qui lave Son antique opprobre d'esclave, En flots de lait, en flots de lave,

Se déchaînait et s'épanchait Cette douceur qui se fâchait, L'Évangile selon Fauchet!

4.

XII

MARIE-ANTOINETTE

Fatale elle siège, fatale à qui elle parle, Erynnis attachée aux Priamides. Eschyle.

Oui! femme, le mauvais génie est encor toi,

Toi seule! tu perdis et ton peuple et ton roi.

Pour tous tu fus néfaste et pour tous meurtrière,

0 fleur fatale! Encor si t'énonçant guerrière

On t'avait vue, ainsi que ta mère au grand cœur,

Armer contre le sort ta vivace rancœur

Et lancer aux Chouans dans la lande bretonne

Ces appels du passé dont l'avenir s'étonne.

Puis si, panache au front, à cheval, plume auvent,

Tu te fusses jetée en plein péril devant

Les Bleus pensifs, poitrine offerte à nos mitrailles.

Ton nom viendrait à nous, sacré par les batailles,

Eclatant, vénérable entre les noms haïs.

Car tu pouvais combattre, ô reine, et tu trahis!

MARIE-ANTOINETTE. 43

Visant obliquement la cause plébéienne, Tu trahis, et tu fus deux fois l'Autrichienne. Le mal que tu nous fis dans l'ombre vaut ce nom. Lointaine, ta main blanche alluma le canon D'où le premier boulet partit contre la France.

Ame des ennemis, sombre persévérance, Émigrée au milieu de nos Français, tu fus Et l'hostilité sourde et l'occulte refus Qui rua sur nos champs l'Europe féodale. Muette, sans éclat et sans public scandale, D'un opprobre anonyme abjurant le souci, Tu nous faisais la guerre à mort et sans merci. Général féminin de Goblentz et le pire. Pour conserver le sceptre et ton fragile empire Que t'importait de faire égorger tout Paris? Car elle disait vrai dans ses rauques décris La chanson à la bouche en feu, la Carmagnole.

Oh! que de fois, à l'heure le soir rossignole.

Tu dus songer avec des regrets instructifs

Aux matins de printemps, lorsque par ses motifs

Riait et gazouillait le « Devin du village, »

Que les jeux de salon au galant parfilage

Te charmaient, quand l'idylle en robe de linon

T"improvisaît bergère au parc de Trianon,

44 MARIE -ANTOINETTE.

Quand l'Opéra discret t'engageait dans ses rondes,

Que Léonard poudrait tes belles boucles blondes

Pour quelque dialogue élégant et courtois

ta verve donnait la réplique à d'Artois,

Cependant qu'à l'abri de la noble cabale

Tes secrets s'épanchaient dans le cœur de Lamballe.

Sa trahison, amis, savez-vous ce que fut Sa trahison? vingt rois contre nous à l'affût, Des torrents d'étrangers sur toutes nos frontières Débordant, et nos bourgs changés en cimetières. Et nos villes en proie aux longs bombardements Et loin du sol français les milliers d'ossements, Ossements de nos morts qui sont tous morts par elle.

Que de Français a seule immolés ta querelle,

Antoinette! l'on peut te plaindre, car j'admets

L'équitable pitié, mais t'absoudre, jamais !

De ta captivité je plains l'horreur suprême

Et tes cheveux blanchis, imposant diadème,

Et la honte qu'un lâche Hébert te fit souffrir.

Mais je plains plus encor tous ceux qu'ont fait mourir

Les combats déchaînés pour tes droits éphémères,

0 reine, et contre toi je fais appel aux mères !

XIII

LA MARSEILLAISE DANS L'ORAGE

A AUGUSTE VACQUERIE

Le flot des hymne?.

PiNDABE.

La nuit est taciturne et sinistre L'orage

Flagelle Paris endormi Qui semble succomber aux ténèbres, parmi

L'horreur d'un silence sauvage.

L'orage est maître, il court en éclairs vagabonds Comme en torrents de pluie aiguë

Du ciel au sol, des toits sonores à la rue.

Par jets, par flots, par sauts, par bonds.

Nul passant à travers les places inondées

Qui, sortant de la section, Jetterait aux échos : (f La mort ou Pétion ! »

Point de patrouilles attardées.

46 LA MARSEILLAISE DANS L'ORAGE,

Le désert. C'est à peine au coin d un carrefour

Si des chiens aux voix de crécelles Hurlent. Tout dort jusqu'aux voleurs et jusqu'à celles

Qui vendent leur stupide amour.

Seul le long des quais noirs d'ombre enveloppés veille,

Veille un modique bataillon, Suivant pour son chemin la foudre au bref sillon ^ C'est le bataillon de Marseille.

Les jeunes fédérés, tête au soleil, pieds nus, Quand Barbaroux leur a fait signe.

Des lointains climats d'or l'azur est insigne, Les braves gens, ils sont venus.

Ils sont venus, comme une élite citoyenne, Par l'été lourd, sans peur d'user

Leur corps vivace, pour nous aider à briser Le Bourbon et l'Autrichienne.

Insensible à l'orage et bien plus véhément Que les trombes et les bourrasques.

Cet essaim de héros, fds des mistrals fantasques, S'avançait impatiemment,

LA MARSEILLAISE DANS L'ORAGE. 17

Ainsi, près de la Seine aux eaux troubles qui s'ouvre

Au long ruissellement des deux, Ils marchèrent, le pied ferme et le cœur joyeux

Jusqu'à leur but fatal, le Louvre !

Trempés de pluie hostile, ils ne frémissaient pas

Sous ces humides avalanches. Veste ouverte, ils allaient tels qu'en leurs gais dimanches

Avec un chant rhythmant leurs pas.

Ce cliant les emportait comme auraient fait leurs danses

Bondissantes près de la mer, Gomme la farandole ou l'àpre bacchuber :

Telles éclataient leurs cadences.

Tels, contre les éclairs qui se réverbéraient

Sur les murs du palais visibles. Non moins brusques , non moins hardis , non moins terribles ,

Eux aussi les sons fulguraient.

De cent lèvres en feu comme d'une fournaise

Les sons s'échappaient enflammés Incendiant les fronts des rhapsodes armés.

C'est qu'ils chantaient la Marseillaise.

48 LA MARSEILLAISE DAMS L'ORAGE.

La Marseillaise dans l'orage ! étrange accord,

Le ciel mariant son tonnerre A ce chant qui recèle en ses refrains la guerre

Formidable aux tyrans du Nord ;

Et ces couplets ardents, pleins de fièvre et de poudre.

Traversés d'un mortel frisson, L'un sur l'autre éclataient dans l'ombre, à l'unisson,

A l'unisson des coups de foudre.

La Marseillaise dans la nuit ! au seuil des rois

Le cri des nocturnes colères Que sous de grands soleils les tocsins populaires

Feront retentir tant de fois.

L'orage errait toujours haletant, électrique.

Tandis que l'hymne adolescent Heurtait la porte, ô Louvre effaré, grandissant

Gomme une tempête lyrique !

XIV

LES ENROLEMENTS YOLONTAIRES

A M. ALFRED MÉZIÈRES

C'est avec quatre mol? qu'on chasse l'élranger, Et ces quatre mots sont : la Patrie en danger !

L. LiUHENT PiCHAT.

Ainsi qu'un bravache bouffi BrunsAvick a lancé son défi Dont la Ville éternelle vibre ; Sous l'arrogant soufflet bondit Paris qui proteste et qui dit : « Je veux et je sais rester libre ! »

Tout retard est complicité :

Sur chaque point de la cité

Qui dans l'univers semble un monde

Le grand peuple qui vient s'offrir

5

50 LES ENROLEMENTS VOLONTAIRES.

Heureux pour soufïVir et mourir Et vaincre, s'il se peut, abonde.

Et de tout âge et de tout rang, Faisant fraterniser leur sang Dans l'égalité des batailles Ces citoyens bientôt vainqueurs Ont le même amour dans leurs cœurs Et la même haine aux entrailles.

Beaux lions mangeurs de Prussiens Tous ces petits Parisiens Que le cartel met en furie, Bourgeois, faubouriens, ci-devant, Vont aussi vite que le vent Au rendez-vous de la Patrie.

Partout le tocsin sérieux.

Ralentissant les curieux.

Presse le pas des patriotes ;

Les tambours aux sourds roulements

Scandent les fiers emportements

De nos belliqueux sans-culottes.

Aux coins des carrefours bavards, Sur les spacieux boulevards

LES ENROLEMENTS VOLONTAIRES. 51

Partout une table se dresse, Humble et patriotique autel Qui reçoit le gage immortel De la plus naïve tendresse,

Cependant les dignes parents Ne s'en vont pas indifférents A cette audace prin tanière : Les vieux papas et les mamans Rehaussent ces enrôlements De leur toilette la plus fière.

Le père est plus beau qu'un émir! Frac bleu, gilet de Casimir, Boucles d'argent sur bas de soie, Large cravate aux plis bouffants. Tricorne aux revers triomphants, Canne à pomme d'or qui tournoie !

La sœur met son plus frais jupon; Une rose, hardi pompon. Sied crânement à son oreille ; Sur son bonnet, parmi des fleurs, La cocarde aux airs querelleurs Semble une mutine merveille.

52 LES ENROLEMENTS VOLONTA^IRE^.

L'amoureuse Lise ou Toinon

Avec son fichu ,de linon

Et sa robe de mousseline

Est un peu triste, mais pourtant,

Devant son amoureux partant.

Se fait brave en restant câline.

Le jeune homme, grave et charmant, S'avance martialement Sous son habit de volontaire; Plein d'espoir il se doute un peu Que ce très modeste habit bleu Fera parler de lui sur terre.

Il se sent de tous estimé, Fêté de tous et mieux aimé Par sa mère et sa fiancée. Et s'enivre de concourir Au sanglant labeur pour guérir Notre chère France blessée.

Tandis qu'au vieux faubourg, Danton, Droit sur une borne et du ton Qu'aimait Luther, le fougueux moine. Avec ses yeux de bon Titan

LES ENROLEMENTS VOLONTAIRES. 5.'3

Et sa voix terrible d'autan

Dit : « Filles du quartier Antoine,

Pucelles au cœur bien nourri Ne prenez pour votre mari Que le brave ayant fait sa tâche Et loin de votre cotillon, Avec le fouet et l'aiguillon, Chassez, chassez, chassez le lâche ! »

5.

II

LES FRÈRES ENNEMIS

XI MARAT, M ROLAND

France, guéris des individus !

ÂNACHARSIS ClOOTS.

Un jour, dans ses accès de bon sens pétulant, L'ami Cloots s'écria : « ni Marat, ni Roland! »

L'ami Cloots était sage. 0 peuple du dix Août, peuple libre, à quoi bon Te créer de la main dont tu brisas Bourbon

Ces deux rois de passage ?

(Juelie est cette manie étrange de tes sens? Déjà tes vœux banals vont chercher des encens,

Des pompes, des fanfares. L'appareil fastueux qu'excite un dieu mortel. Pourquoi donc rallumer ces vieux flambeaux d'autel

Lorsque l'on a des phares,

58 NI MARAT , NI ROLAND.

Des phares vigilants aux fraternels travaux ! Mais non ! foule insensée, il te faut des rivaux

Et des antagonistes, Image contre image ! oh ! si vite à genoux. Si tôt dans la poussière ! ah ! Français, serez-vous

Toujours des royalistes

Et toujours des dévots? ton désir le plus cher, Paris, c'est de susprendre à des êtres de chair

Ta folle idolâtrie , D'ouvrir des panthéons à ceux qu'attend l'égout. Et de tout adorer, crime, erreur, vertu, tout.

Excepté la patrie !

Il

LA LUTTE

A M. C H A L L E M E L- L A C O U R

Nous nous sommes égorges dans les lénèbres Camdon.

Hier la République est née Et déjà ses fils les plus forts Dans une guerre déchaînée Consument de tristes efforts

Et perdent en luttes stériles L'heure, le jour, le mois, le temps, L'histoire, et leurs flammes viriles Avec leurs rêves de printemps.

Le fouet des Discordes néfastes L'un contre l'autre va pousser Ces compagnons enthousiastes Dont les noms semblaient s'enlacer.

(50 I^A LUTTE.

Les frères d'armes de la veille Ne songent plus que trahison : La défiance les réveille Pour leur faire boire un poison.

La Convention est usée Par ce duel quotidien ! Deux partis, la France épuisée, Là-bas l'Anglais, l'Autrichien,

L'Europe ! et la France est meurtrie Des coups de ses fils les plus beaux. 0 voir le corps de la Patrie Se déchirer en deux lambeaux I

Le voir et crier qu'on s'accorde. Et crier toujours vainement, Gomme ce hurleur de concorde, Danton, cœur terrible et clément.

Pauvre tribun, nul ne t'écoute : Tous à ta voix indifférents Vont s'entreheurtant sur la route Par reviennent les tyrans.

LA LUTTE. 61

Dans l'étroite et tragique enceinte Se font face sur les gradins La double élite à jamais sainte, Les Montagnards, les Girondins.

Entre eux, le Soupçon, TErynuie Qui fera de tous ces héros De leur vertu, de leur génie, Quoi?... de la pâture à bourreaux.

Le Soupçon hagard perpétue Ces chocs aveugles de géants. Ils se lancent un mot qui tue, Brunswick, Dumouriez, Orléans,

Tous affamés de république. Tous ivres du même idéal. Voulant le grand bonheur civique. Rêvant Téternel Floréal !

A leur élan s'ouvrait l'espace Et l'impossible était permis ! Espoir qui s'éteint et qui passe ! Drame des frères ennemis !

02

LA LUTTE.

Unis, leur audace féconde

Eut recréé le genre humain.

Ils auraient soulevé le monde,

Le monde... en se donnant la main.

II

LAx\JUL\AIS

Vous êles peu nombreux pour la rébellion

Et pour l'encombrement du chemin quand je passe,

Victor Hugo.

Pareil à ces men-hir qu'aiment les clairs de lune,

Lanjuinais est un dur combattant : la triijune

Tressaille sous son poids impérieuse ; Danton

Estime les assauts de ce rude Breton

Et les coups de bélier que lance cette tête.

La mêlée effrayante est sa vie et sa fête.

Autour de lui, combat des Trente , tu renais

Par les grands jours d'orage parle Lanjuinais !

Sa parole a bondi: jacobin, royaliste,

Malheur à qui subit cette forte baliste.

Sans doute la Montagne est faite d'un granit

Robuste et qu'un ciment surhumain réunit,

Et pourtant la Montagne indomptable est troublée

De ces ébranlements dont tremble une assemblée

61 LANJUINAIS.

Et se lève parfois dans un élan soudain Contre cet immuable et solide dédain. Demandez à l'écueil s'il a peur de la houle? La crête se détache impétueuse et roule Vers la tribune hostile, et veut en arracher Le Celte qui tient bon comme tient un rocher Et par moments secoue et rejette éperdue La grappe d'assaillants à son corps suspendue, Seul Legendre parfois fait bouger ce Titan Par un prodigieux et douloureux ahan. Tel qu'en peut élancer dans ses franches furies Le héros turbulent des rouges boucheries ; Mais l'autre s'affermit tranquille et souverain... Car Legendre est de chair et Lanjuinais d'airain.

IV

APPARITION DE SAINT-JUST

A LOUIS CHALMETON

Saxea ut effigies.

Catulle.

C'est encor un enfant et c'est presque un grand homme. D'où vient-il? on eut dit, quand il parla soudain, Sparte qui s'incarnait ou dans son fier dédain Une apparition funéraire de Rome.

l\ a surgi, comme un Agis ressuscité,

Gomme un des revenants surhumains de Plutarque,

Évoquant avec lui pour juger le monarque

Les Lois au front d'airain de l'antique Cité.

A ceux que la pitié fléchit ou bien qu'opprime

Le doute ou que prosterne un complaisant effroi,

Impassible, il répond : « Louis fut-il un roi !

(( Pourquoi délibérer? Frappons. Voici son crime !

6.

66 APPARITION DE SAINT-JUST.

« Il régna ; c'est assez pour mourir ! ennemis

« Tous ceux qu'enorgueillit un trône héréditaire !

(( Tout sceptre est criminel, toute pourpre adultère :

« Sur les tyrans déchus tout supplice est permis.

« La justice à l'œil clair sur la royale engeance

« Qui dans ces Yains débat use nos harangueurs

« Exerce froidement d'équitables rigueurs :

(( Leur mort est une dette et non une vengeance.

« Leur mort est un hommage offert à la vertu,

« Aux mœurs, à l'Amitié qu'un mâle exemple éveille,

« A la Nature dont l'âme calme appareille

« Au tigre renversé le despote abattu. »

Tel il se révélait dans sa rigueur antique Décorant de festons la hache des bourreaux pour la vie ardente et dure des héros Et pour le fier trépas du Romain dans Utique,

Cet être apparaissant, inexorable et beau. Beau comme Némésis, implacable comme elle. Et comme elle indocile au repos, et rebelle A tout sommeil, avant le dormir du tombeau.

LE CAPUCIN CHABOT

Ung moyne, j'enlends de ces ociciix moyncî. Uabelais.

Moinillon papelard entre les moins novices

Ce Chabot tient auberge à l'enseigne des \ices.

Quatre-vingt-neuf, il s'est jeté dans ton danger

Sans flamme, sans courroux, sans haine, pour manger.

Pour boire et soupeser de l'or dans ses mains sales.

S'il crie à pleins poumons dans les rumeurs des halles,

Dans les clubs au tumulte ondoyant, il n'est pas

A son poste aux grands jours de lutte et de trépas.

Elude du dix Août la belliqueuse épreuve

Et manque au rendez-vous sanglant de Grangeneuve.

Frocard poltron ! et sans combattre il est vainqueur. Nos vaillants fusillés, nos martyrs au fier cœur

G8 LE CATUCIN CHABOT.

Pour ce lâche ont mordu leur suprême cartouche. La Révolution s'est faite pour sa bouche Et le trente et un Mai se fera pour son lit.

Donc la bataille étant bien gagnée, il remplit Un rôle infâme et sûr d'assassin... Il épie, Il surveille, il dénonce, avec un zèle impie, Aboyant sur la piste le lance Marat ; Menteur imperturbable, effronté scélérat, Il combine, il agence, il ourdit, il enfante. Passé maître dans l'art affreux du sycophante, Des pièges meurtriers vont choir les héros. Anytus de cuisine, il signale aux bourreaux Gondorcet que sa rage apparente à Socrate, Et toi, son seul ami, crédule démocrate, Bazire, sans rougeur il te dénoncera. Et, vivant délateur, délateur il mourra. Car il est jusqu'au bout de cette tourbe antique Qui, lorsqu'elle a tué les Thraséas, pratique Le vote officiel en l'honneur du turbot...

Il manquait aux Césars un capucin Chabot.

VI

LE SEPTEMBRISEUR

A PAUL LAFFITTE

L'Argonne se dressait profonde, sombre el haute. André Theuriet.

Septembre, qui verra la République éclore, Convoquant sous les plis du drapeau tricolore Nos Français délivrés dont le cœur a frémi, Les a lancés pour vaincre ou mourir à Valmy ; Et vaincus les Prussiens sont morts ou bien en fuite. Car nos boulets leur font une rude conduite A tous ces généraux de Brunswick, à ces altiers Margraves qui traitaient nos gens de savetiers, De tailleurs, de manants détachés de la glèbe, Gomme ils ont lâché pied devant le peuple éphèbe Qui les eût repoussés, non moins qu'à Marathon, Faute de poudre, avec la fourche et le bâton I

70 LE SEPTEMBRISEUR.

Peuple héroïque! ainsi fuyez, comtes, heiduques, Champions effarés des royautés caduques, Gar^ malgré votre nombre et malgré vos canons Et l'orgueil déployé de vos noirs gonfanons, Et vos habits qu'illustre un somptueux ramage, Yous avez vu là-bas surgir la grande image D'une France nouvelle, ardente à se venger Qui renverra la mort au cœur de l'étranger Et ne lui laissera jusques à la fr-ontière Rien sur le sol natal, pas même un cimetière. Fuyez donc, ô Prussiens, légions en lambeaux, Car vos morts resteront pour nourrir nos corbeaux.

Pendant que cette armée Goethe ébloui songe,

Sur la route en tronçons dispersés se prolonge.

Nos soldats en repos vont et disent joyeux

Que leur victoire est jeune et chantante comme eux.

L'honnête enivrement de leur triomphe crée

Une gaîté vaillante, une gaîté sacrée.

Le rire sur la lèvre et la lumière au front,

Les uns vibrent en chœur, d'autres dansent en rond.

Et tous ravis, pensant que la gloire est leur proie.

Ont dans leurs yeux d'enfant le soleil de la joie.

Soudain au camp français plein de fête et d'éclat

Arrivent de récents volontaires : Gharlat,

Tel se nomme le plus âgé de la cohorte.

LE SEPTEMBRISEUR. 71

Raille Tenthousiasme bravement s'emporte L'armée, et d'mi ton sec, arrogant et moqueur, Pendant qu'il se dandine et fait le joli cœur, Dit :

« Voilà bien du bruit pour votre canonnade. « Vous avez seulement fait une promenade, ' « Fainéants, rien de plus? Les tristes travailleurs! « Naguères j'ai pris part à des combats meilleurs, (( J'ai mieux fait mon office ; à moi seul je me flatte « D'avoir plus que vous tous dompté l'aristocrate, (( De l'avoir écrasé sous mon pied glorieux. (( Camarades, voyez ce bras laborieux. « Il a plus abattu de nobles et de prêtres « Qu'il ne pousse en avril de feuilles à ces hêtres : « Quatre jours sans compter, j'en ai tant massacré, « Buveur inassouvi de leur sang abhorré ; « Mes mains ont rougir dans la chaude tùrie. « Voyez, admirez-les. J'ai sauvé la Patrie ! »

Et, parmi ces héros qu'opprime la stupeur.

Il évoque, oubliant Paris saisi de peur

Et l'abandon fatal des tribuns en déroute,

Toute l'horreur des jours de crime et de sang, toule

La honte de la mort et de regorgement

Promenés dans Paris, sans qu'un cri véhément

Dît à la Mort : « Assez! » dît au Massacre : « Arrière! »

72 LE SEPTEMBRISEUR.

Il leur dépeint avec une fierté guerrière Le meurtre aux yeux hagards forçant chaque prison, Les quatre cents tueurs frénétiques, Grisou, Laforêt, derrière eux la Commune complice Décrétant sans appel l'angoisse et le supplice Et fixant un î^alaire à ces assassinats ; Le couteau recevant sa paie en assignats Et, pour mieux contenter la Commune obéie. Se ruant sur la Force ou bien sur l'Abbaye, Et partout après soi laissant des deuils affreux ; Le tribunal sanglant siège ténébreux L'huissier Maillard, vêtu de noir, qui ne tressaille Jamais, qu'on avait vu dans l'effroi de Yersaille Et qu'on ne verra plus qu'au deux juin...

Puis il dit Encor lâcheté de Paris interdit ! Étrange aveuglement de l'assemblée épique !), Les prisonniers meurtris, poussés de pique en pique Et tombant au milieu des lazzi d'égorgeurs Qu'un Hébert ose en face appeler des vengeurs ; Non content de tuer, un ramas cannibale Dévoilant les blancheurs de ton corps, ô Lamballe, Et le dernier exploit de ces gueux triomphants Allant en plein Bicêtre éventrer des enfants. Des pauvres et des fous, et couronnant leur tâche Par le viol infâme après le meurtre lâche.

LE SEPTEMBRISEUR. 73

Charlat se tait, cherchant des suffrages flatteurs. Aussitôt, interprète ému des auditeurs. Un sergent, ouvrier d'hier, et presque imberbe, Futur rival de Hoche et général en herbe, Mais de ceux qui diront à Bonaparte : « Non ! » S'écrie :

« 0 Citoyens, voilà le compagnon « Qu'on nous en\;oie! et lui, venimeuse couleuvre, « Se glisse et vient ici glorifier son œuvre. « Il ose devant nous, ô frères, marier « Un cyprès impudique à notre pur laurier. (( 0 le vil insensé ! comment donc peut-il croire « Que le massacre soit parent de la victoire, <( Que le septembriseur un seul jour soit admis « Par ceux qui n'ont versé que le sang d'ennemis « Et ne se sont pas fait d'infâmes renonuiiées (( Dans la destruction des foules désarmées. (( Ceux que l'on égorgea valaient bien l'étranger, « Hélas ! mais le courage était de les juger (( Et non d'exterminer, sans procès, sans défense « L'impuissante vieillesse et l'innocente enfance. « Paris que je connais, moi, natif du faubourg, « Veut, les armes en main, anéantir Gobourg, « Habsbourg et Brandebourg et toute cette engeance, « Mais il veut la justice et non pas la vengeance. « Qu'il détrône un tyran, proscrive un émigré

->

74 LE SEPTEMBRISEUR.

« Et que légalement il menace à son gré,

« Soit ! mais qu'il extermine ou qu'au hasard il tue,

(( Je veux bien à l'instant me changer en statue

« Si Paris patriote et père de héros

« De lui-même accomplit cette œuvre de bourreaux.

« Prêt à lancer ses fds sur le Rhin ou la Sambre,

« Il a fait le dix Août et non le deux Septembre.

« Et son cœur indigné ne s'est cru raffermi

« Que par votre triomphe, ô soldats de Valmy !

« Donc que cet assassin qui chez nous se hasarde

« Soit par nous accueilli sur l'heure à la housarde,

« A coups de plat de sabre et qu'ainsi reconduit,

(( Il se perde à jamais dans l'ombre et dans la nuit, »

Tous alors d'applaudir aux paroles sacrées.

Et l'on chassa du camp l'homme aux mains empourprées.

VIII

YERGNIAUD

A M. A. BARDOUX

La vie est complète quand on a aimé une foi = .

Chables Nodieb.

La chambre est amoureuse et, comme un reposoir,

Calme, mystérieuse à voir, Pleine de fleurs, de bruits légers, d'odeurs du soir.

C'est ici qu'il fait bon entendre La harpe à la beauté svelte, la harpe tendre En soupirs langoureux s'épandre.

Le son vient d'expirer au bord du clavecin ;

La flûte dort sur un coussin ; La harpe semble attendre et frémit comme un sein.

76 VERGNIAUD.

0 la pénétrante soirée ! Ils sont là, deux amants à l'haleine enivrée, L'adoré près de l'adorée !

Elle si bonne et lui si fidèle, et s'aimant

A n'avoir en un tel moment Qu'une harpe pour sœur de leur enchantement.

Elle qui d'un rien s'émerveille, C'est la touchante, c'est la naïve Gandeille Aux types de Greuze pareille.

Lui s'appelle Vergniaud, être orageux et bon.

Lèvre ardente comme un charbon, Main qui respecte un lis et qui brise un Bourbon 1

Le jeune homme amoureux d'Athènes, Dont la parole en feu, fdle de Démosthènes, Fait surgir les grands capitaines.

Fait jaillir les soldats trempés d'un triple airain

Qui s'en vont là-bas vers le Rhin Créer des Marathon au peuple souverain.

VERGNIAUD. 77

Vergniaud, le rêveur magnanime, Oui veut la République ineffable, et l'estime Pure de sang, vierge de crime ;

Et qui contre Brunswick n'excite le tambour

Que pour mieux convier un jour Les vaincus à la fête auguste de l'amour,

A la grande Sans-Gulottide, Dans un monde affranchi plus pur et plus splendide Que la fabuleuse Atlantide !

Prophète harmonieux du lointain avenir,

Laisse, laisse-toi retenir. Car celle qui sans peur ne voit jamais venir

. L'amant que menace la horde Par l'étranger vomie et que la haine accorde, Gens de pillage et gens de corde ;

Un Fournier, un Varie t par Cobourg soudoyés.

Au sang de Septembre noyés. Que la Montagne austère et sombre a reniés.

78 VERGNIAUD.

Loin de ces lâches cannibales, Des maillets, des merlins, des piques et des balles. Et des tricoteuses brutales ;

Garde ton mieux aimé bien longtemps sur ton cœur,

0 Gandeille, ô maîtresse, ô sœur! Verse à ses sens ravis la nocturne douceur.

Le jour \enu, ne le renvoie Qu'inondé d'allégresse enfantine et de joie A ceux dont il sera la proie.

Fais-lui des souvenirs délicieux, fais-lui

Une mémoire d'aujourd'hui Pour demain, pour le temps d'amertume et d'ennui.

0 belle et bonne, tu t'inspires, De baisers généreuse et si riche en sourires, Cherchant d'harmonieux délires.

La harpe t'a comprise impatiente ; elle est

Gomme une vierge de Milet Mollement enlacée à tes beaux bras de lait,

VERGNIAUD. 79

Sous ton toucher elle remue Toute l'extase en pleurs d'une langue inconnue, Amie et confidente émue.

Écoutez ces accents romantiques, ces sons

D'ariettes et de chansons, Airs songeurs, frais motifs, mélodiques frissons,

s'épanche dans la musique, Gandeille, ton amour simple et mélancolique, Ton frais amour de bucolique.

Et la harpe aux accords pensifs vibrait encor

Que Vergniaud déploya l'essor Lyrique et radieux de ses paroles d'or.

II

VERGNIAUD

0 réve ! elles sont deux que ma jeunesse adore. Charmes de mes regards, fêtes de mon cerveau. Deux êtres ingénus et purs comme l'aurore. Et faits pour resplendir sur un monde nouveau.

80 VERGNIAUD,

La République et toi! mes vivantes délices, Double et sacré génie! ô mes muses, mes dieux, Pour qui j'affronterais l'acier des froids supplices Et la morne descente à l'Érèbe oublieux.

Car superbe j'irais redire aux asphodèles Et redire aux grands morts leurs divines faveurs, La gloire des baisers que mon front reçut d'elles, Et les morts m'envîraient, attentifs et rêveurs.

JULIE CANDEILLE

0 rêve ! il est un doux asile. Abrité des méchants hivers, Paisible refuge d'idylle, La maison blanche aux volets verts.

nous irons, un clair dimanche. Cueillir aux marges du ruisseau La sentimentale pervenche, La pervenche du bon Rousseau.

La fleur de la mélancolie

Aux regards d'azur amoureux...

VERGNIAUD. 81

On dira de moi : « C'est Julie, » Et Ton t'appellera Saint-Preux.

VERGNIAUD

L'une si vénérable et l'autre si charmante ! Toutes deux sont ma force et toutes deux mon bien, L'enfant républicaine aux caresses d'amante Et l'amoureuse épique au bonnet phrygien.

0 monde hélas! captif, je veux que tu les aimes ! Je serai leur épée et leur verbe indompté, Et je veux à leurs pieds prosterner les rois blêmes Et briser l'échafaud, lils de la royauté.

Que le trône s'écroule et que l'échafaud tombe ! Puissé-je, des tyrans foudroyant le complot, Ravir, comme Héraclès, aux pièges de la tombe L'humanité plaintive, Alceste au long sanglot.

JULIE CANDEILLE

Je serais ta belle fermière,

Le printemps a de doux conseils :

0 dans une agreste chaumière

Les bons sommeils, les gais réveils !

8-2 VERGNIAUD.

Ne vivre que pour un seul être , Le voir, l'entendre, chaque jour , Le respirer, n'avoir pour maître Que ton amour, que ton amour.

Reconnaissante et langoureuse, Parmi les rossignols, parmi Les roses, je vivrais heureuse Entre ma harpe et mon ami.

VERGNIAUD

Des myrtes dans mes mains, des lauriers sur nos têtes! Le Triomphe vêtu de pourpre, aux blancs chevaux. Nous guide, et dans la joie innocente des fêtes La Guerre véhémente abdique ses travaux.

Plus de frontière hostile et de pacte rebelle ! Les Haines, vol sinistre, émigrent dans les airs; Sur sa gorge paisible et large de Gybèle La Fédération embrasse l'univers.

Les peuples attendris échangent à la ronde Un immense baiser dans un immense choeur. 0 Gironde, ô Patrie, il n'est plus dans le monde Qu'un souverain, l'Amour, et qu'un dieu, le Bonheur!

VERGNIAUD. 83

III

Sublime illusion ! magnifique chimère ! Jeune héros qu'attend un précoce trépas, Demain n'est plus à toi ! non ! tu ne verras pas La Révolution ta mère

Confondre dans ses bras les peuples fraternels, Jour ineffable après une furtive aurore I Mais ton rêve, ô Vergniaud, peut refleurir encore; Car les grands cœurs sont éternels.

Quand le monde affranchi retrouvera son Ame, Par les siècles futurs tu seras acclamé. Toi si noble et si fier pour avoir tant aimé La République et cette femme.

LA PREMIÈRE FEMME DE MNTON

0 rafraîchissement du cœur, Flot \ierge, flot divin que verse la douceur !

Onde ineffable et salutaire Qu'épanchait sur le front du grand Egalitaire,

Sur le front du grand Cordelier Une femme, pudique orgueil de son foyer.

Avez-vous vu ces fleurs discrètes Heureuses d'embaumer les plus humbles retraites?

Telle fut cette femme aux aveux Sincères ; sa maison enfermait tous ses vœux ;

Elle y passa mélancolique Ses jours cachés en paix dans une ombre mystique,

LA PREMIERE FEMME DE DANTON. 85

Et sans soupçonner de meilleur Séjour que son paisible et doux intérieur.

Elle y fit fleurir autour d'elle Les bouquets ingénus de son amour fidèle;

Elle y méditait l'art clément De plaire à ce mari plus aimé qu'un amant

Et trouvait sans peine et sans cesse Quelques secrets nouveaux d'indulgente tendresse.

Jamais son regard attristé Ne retint ce Centaure au hasard emporté.

Trop pure pour être jalouse, Elle était la vertu qui pardonne, l'épouse;

Et pour cet être au corps de feu, Son idole, toujours elle priait son Dieu.

Ame angélique, crois et prie. Tandis que ton absent se voue à la Patrie,

Et qu'au-devant de l'ennemi Il darde comme un trait tout un peuple affermi,

8G LA PREMIERE FEMME DE DANTON.

Ou que sa parole hardie Promène dans les clubs un vivant incendie.

Il rentre... ô le frémissement Adorable et profond de leur embrassement

La vraiment amoureuse étreinte Qui jette ce géant aux bras de cette sainte !

L'un pour l'autre, ils vivent. Pour eux L'absence n'est déjà qu'un cauchemar fiévreux.

Lui, dans ses naïves ivresses, La couvre, la revêt, la sème de caresses,

Tandis qu'elle dans ses langueurs, Rattachant sa pensée aux prochaines rigueurs.

Toujours bonne et toujours sereine. Lui dit tout bas : « Ami, si tu sauvais la Reine! »

IX

LUCILE DESMOULINS

Amoureuse à l'amour docile, Petit enfant, petit oiseau, Cœur de mère et corps de roseau, Voilà Lucile !

Yoilà Lucile Desmoulins, Cette femme de tous les charmes Dont les jours furent pleins de larmes, De rires pleins.

Dans le doux nid de la famille Elle était bien gaie autrefois ! Le Dimanche elle allait au bois Avec Camille,

88 LUCILE DESMOULINS.

Avec son Camille étourdi Chercher la fleur qui se dérobe, Sans crainte de froisser sa robe En organdi.

Ils s'envolaient, leurs mains unies, Par les vallons et les halliers, Sans plus songer aux Gordeliers... Heures bénies !

Mais, quand l'ardent Palais-Royal Réclamait son tribun attique, Tu le ramenais, sympathique A ce signal ;

Et d'une caresse enflammée Tu mettais en son cœur discret " L'enthousiasme qui vaincrait Toute une armée !

Elle aimait... L'amour est plus fort Que les fusils et que les piques, Plus fort que les cachots tragiques Et que la mort...

LUCILE DESMOULINS. 89

Pour suivre Camille plus vite En sa printanière saison, Elle alla dans une prison... Chère petite !

Pour suivre le jeune adoré, Elle alla, victime enfantine, Sous le fer d'une guillotine... J'en ai pleuré...

J'en pleure encor, mais plus stoïque. Devant ce passé regretté, Je dis : « Que ton nom soit fêté, 0 République; »

République qui fis fleurir Sous ton souffle dont je m'enivre Ces beaux êtres charmants pour vivre. Fiers pour mourir;

Maîtresse héroïque des âmes.

Qui, sous le glaive des bourreaux.

Fis plus grandes que nos héros

Les jeunes femmes !

8.

LA CRISE

A GABRIEL CHARMES

Fatale division ! les murs en pleurent. Eschyle.

Nuit des âmes ! partout l'injustice et la haine ! Les bons sont divisés entre eux, et les méchants Cherchent à leur fureur la pâture prochaine.

Comme un duel de taureaux dans l'arène des champs. Girondins, Montagnards se heurtent en tumulte. Et les rauques clameurs ont remplacé les chants.

0 République en fleur, qu'ont-ils fait de ton culte? donc est ton aurore, tes premiers rayons? Celle qui te succède aujourd'hui, c'est l'Insulte;

LA CRISE. 91

C'est l'Insulte, activant de mortels aiguillons Les deux partis rivaux, et qui leur insinue Le souffle des rancœurs et des proscriptions.

La France soufl're! elle est triste, indigente et nue, Sans soldats, sans argent, sans pain, et l'ennemi Pourrait improviser sa sinistre venue.

Des pilotes au bras faible et mal affermi Ont fait de la Patrie un vaisseau qui chavire Et qui déjà s'affaisse et s'engouffre à demi.

0 tourmente, il est temps que ce pauvre navire Se redresse sur l'onde et, regonflant d'espoir Ses voiles, vers les ports de délivrance vire.

Mais de peur que soudain le vaisseau n'aille choir,

faut qu'au gouvernail s'installe l'Énergie, Et qu'elle le saisisse avec un dur vouloir.

En bas sont des complots, séditieuse orgie; En haut les Girondins aux débiles douceurs ! Sait-on le salut douteux se réfusfie?

92 LA CRISE.

Le groupe montagnard est hostile aux noirceurs De ceux qui vont rêvant l'émeute et la tûrie Et refuse un triomphe aux conseils oppresseurs.

La Commune elle-même hésite... La Patrie Pourrait être arrachée ta tous ces bras haineux Qui l'étouffent dans leur fratricide furie.

Que la Convention s'échappant de ces nœuds Fasse taire les chefs et que sur tous flamboie Le signe impartial de l'oubli lumineux.

0 grands jours d'union et de robuste joie ! Robespierre et Guadet isolés, tous suivront Le drapeau fraternel qui sur eux se déploie.

Un vote, et tout est dit, tout est fait, et ton front Se relève superbe, héroïque assemblée. Sans que la violence y marque son affront.

Mais non! la Passion, mégère échevelée.

Est la plus forte, hélas ! et ne veut plus souffrir

Que la Convention demeure inviolée.

LA CRISE. 93

Car le grand nombre oscille et ne sait pas guérir Par le plus pacifique et le plus doux remède Le mal de ces partis obstinés à mourir.

Jacobins que l'envie irritable possède, Girondins fascinés par d'odieux soupçons, Veulent qu'à leur chimère implacable tout cède.

En vain Danton, avec de généreux frissons, Conjure l'avenir gros de longue souffrance Et d'une voix tonnante édicté des leçons.

En vain Yergniaud, navré par la désespérance.

Dans un suprême élan de cygne harmonieux.

Dit : « Jetez-nous au gouffre et qu'on sauve la France ! »

Les deux camps acharnés redoublent sous nos yeux :

Le péril chaque jour s'agrandit et s'aggrave ;

Le vaisseau penche au gré des vents plus furieux, x

Puis en bas on entend gronder le vieil esclave, De victoire encor plus affamé que de pain, Le peuple impatient que la discorde entrave.

94 LA CRISE.

Ce mâle contempteur du froid et de la faim Se résigne et longtemps fuit l'appel à la lutte Et proteste, indocile aux gens de coup de main.

Cinq sections à peine ont décrété la chute

Des Girondins : il faut de multiples défis

Pour qu'un ordre illégal brusquement s'exécute.

Imprudents Girondins ! leurs arguments bouffis Couvrent les muscadins rebelles à l'armée Et leur molle pitié s'étend sur ces beaux fils.

Sous prétexte d'aider la faiblesse opprimée, Ils n'exigeront pas le blé, jamais l'argent. 0 France de Yalmy, tu serais désarmée !

Agir ! au lieu d'agir en ce péril urgent

Ils ne font que parler... La prompte calomnie

Puise dans leurs discours un venin diligent.

Beaucoup sont des héros. Le peuple irrité nie Leur courage. Ils sont tous d'excellents citoyens On les croit pactisant avec la tyrannie.

LA CRISE. 95

Allant au but, ils ont erré sur les moyens; Avec la République il eût mieux valu vivre Que d'imiter les morts des purs stoïciens.

Si le salut commun déconseillait de suivre

Ces faibles conducteurs d'un grand peuple en danger

Que son péril ainsi qu'un vin trop fort enivre.

Si pour vaincre l'Europe et briser l'étranger, Leur main en cette crise était trop paternelle : S'il fallait à la France un plus rude berger,

Qu'ils emportent au moins cette gloire éternelle Dans leur renversement peut-être mérité, D'être morts obstinés à ta foi solennelle.

Déesse de Caton, chaste Légalité !

XI

L'ABBÉ GRÉGOIRE

A ALCIDE DUSOLIER

Restitit. Hi mores, hccc duri immola Catonis Secta.

LUCAIN.

La Révolution pour laquelle il milite

L'a surpris fier et seul et droit comme un stylite

Sur les graves débris de Port-Royal! Il vient,

Tel qu'un ressuscité qui songe et se souvient,

Contre les destructeurs venger son abbaye

Et, calme justicier d'une race haïe,

Prendre pour en frapper le suprême tyran

Le glaive janséniste aux mains de Saint-Cyran.

On le voit, assuré dans sa double promesse.

Servir la République et célébrer la messe.

Front haut devant l'émeute, à genoux devant Dieu,

Et, lorsque l'Hébertisme armé d'un dur épieu

L"ABBE GREGOIRE. 97

Arrache la croyance à plus d'un cœur débile, Sous le coup suspendu demeurer immobile. Gardant toujours la mitre et l'anneau du pasteur Il siège à la Montagne et parle en novateur Qui renversera tout, hormis Jésus, et vote, Gomme une àme à la fois Jacobine et dévote. Se dénonçant évéque et restant jusqu'au bout Isolé, menacé, mais sans peur et debout.

XII

31 MAI 2 JUIN

A ARMAND RENAUD

Bo7io Vinci satius est qvam malo more imyerium vincere.

Salluste.

Pauvre Gironde ! Isnard, prophète de malheur, A brandi sur Paris des phrases meurtrières Et Paris a trop cru ce sinistre parleur.

Déserts sont les marchés, closes sont les barrières. Les sauvages clameurs et les murmures sourds Alternent : les bourgeois ont peur ! les ouvrières

Vont criant la révolte en battant des tambours Et, sans dessein conçu, crédule et soupçonneuse, La vague violence envahit les faubourgs.

81 MAI 2 JUIN. 99

Dans l'ombre cependant une bande hargneuse

Exulte en admirant le discord agrandi

Et voit avec bonheur le gouffre qui se creuse.

Cette bande le gueux se mêle à l'étourdi Est depuis trop longtemps dans l'Évêché postée Et guette un jour propice au forfait enhardi.

Hâtant des Girondins la chute convoitée, Elle a déjà deux fois échoué ; mais le sol Parisien lui rend une force d'Antée.

Car, malgré la Montagne hésitante en son vol, Malgré les Jacobins prudents elle persiste A destiner aux lois un funèbre viol.

Bande étrange ! Marat lui-même perd la piste De ces nouveaux venus, sans-culottes bravi, Dont plus d'un en secret sans doute est royaliste;

Presque tous étrangers! cet être inassouvi,

C'est Guzman l'Espagnol; c'est Fournier le créole,

Un planteur par des cris de nègre poursuivi ;

100 31 MAI 2 JUIN.

Puis c'est Maillard sanglant que le meurtre auréole

Varlet, un vil gamin irrité de désirs;

Ces mains vont déchaîner les tourmentes d'Éole.

Le peuple doute ! il sent déjà les repentirs Qui s'attachent fatals à toute œuvre mauvaise Et craint obscurément de faire des martyrs.

En ce fiévreux moment Marat lui-même apaise ; Robespierre rebrousse effrayé... mais Isnard Vient jeter un brandon dans la grande fournaise :

La fournaise bouillonne et saute... il est trop tard. Paris déborde! avec Paris, hélas! en tête S'élancent les nouveaux Chevaliers du poignard.

Les gens de l'Évêché qui courent à leur fête, Pareils aux naufrageurs dont le bras inhumain Harponnait les débris lancés par la tempête.

La foule ondule errante, en son douteux chemin Indécise, mais eux, parmi la populace. Jettent les assignats et l'or à pleine main.

31 MAI 2 JUIN. 101

Une horde vénale aboyant sur la place Assiège l'Assemblée et braque des canons Vers la Convention que le péril enlace.

Si la garde civique au loin tient ses pennons

Fidèles, si Paris devant la Loi recule,

Le Carrousel est plein de sombres compagnons

Que guide un général aux allures d'Hercule, Fameux par ses exploits chez tous les taverniers, Un Hanriot ignoble autant que ridicule.

Car si nos députés par lui seul prisonniers Se montrent, cet ivrogne en épaulettes crie : « A vos pièces, amis! aux mèches^ canonniers. »

La bataille est livrée. 0 deuil de la Patrie ! Honte ! morne torpeur des Montagnards confus Qui sentent l'Assemblée à tout jamais meurtrie.

Danton s'offre en otage et malgré les refus

5'offre encor! il comprend, le géant pacifique,

Qu'avec la Loi qui meurt la Liberté n'est plus !

9.

102 31 MAI 2 JUIN.

Voici la guerre hélas ! juste mais incivique la province perd ses tribuns épargnés Et que le Royalisme insidieux complique ;

Voici les échafauds du plus pur sang baignés Et, par ce coup d'État qu'achève un victimaire, Nos espoirs d'être égaux et libres ruinés.

Car toujours les Deux Juin font les Dix-huit Brumaire I

III

RUE

ANACHARSIS CLOOTS

A ANDRÉ LEFtVRE

Le livre dure; il rélallit le dialogue des siècles entre eux.

CllAHLES LeNIENT.

Anacharsis allait devant lui, dans l'extase De ces pieux songeurs que leur idole écrase ; Tendant à la nature une lèvre d'amour, Il humait largement Tété, l'azur, le jour Et le puissant soleil dont notre corps est ivre.

Cependant Prairial flambait, heureux de vivre, Et des parents chantaient la Carmagnole, avec Ce grand rire effréné qu'aimait le peuple grec ; D'agiles trains de bois fendaient gaîment la Seine, Et, plein de cabarets jaseurs, le Cours la Reine Regorgeait de chansons, de rondes et de jeux.

106 ANACHARSIS CLOOTS.

Anacharsis errait ra\i ; cet orageux Apôtre, cette ardente et nerveuse Pythie Se baignait dans un beau fleuve de sympathie Et librement flottait au gré de ce courant Gomme un de ces nageurs familiers au torrent.

Il rêvait : tous ces pas lestes vers la barrière, Ces bons yeux d'ouvrier tendres à l'ouvrière. Ces jeunes qui partout cédaient la place aux vieux, Et la franche gaîté planant dans l'air joyeux Lui présageaient, plus loin que les Champs-Elysées, Des jours futurs, éclos sous d'aimantes rosées, Plus bleus que dans Féther du vague Séraphin, Oli, le monde n'étant qu'une patrie, enfin Les hommes ne seraient qu'une famille...

0 rêve! Quand soudain ce songeur fait de flamme et de sève. Aperçut isolés dans les groupes joueurs Et le front inondé de vaillantes sueurs Deux enfants en haillons qui s'enseignaient à lire. Anacharsis ému frémit comme une lyre Et secoué vibra tel qu'un psaltérion. Tout son être chantait : <( 0 Révolution ! « 0 Révolution ! sois adorée, ô mère « De ces bambins pareils à ces héros d'Homère « Qui, nés pour être un jour les hommes du péril

ANACHARSIS CLOOTS. 107

Et du travail, se font eux-mêmes leur outil

Et forgent de leurs mains l'indestructible armure.

0 petits plébéiens! courage! L'heure est mure,

Lisez, lisez encor! car vous avez compris

Que plus forts sont les bras forts sont les esprits

Et que le seul vainqueur qui pour jamais délivre

Ce n'est pas Westermann ou Kléber, c'est le Livre. »

Et Cloots, pour s'alléger de pensers étouffants Alla, simple et superbe, embrasser ces enfants.

II

REGRETS D'UN CI-DEYANT

Le monde est à son déclin ! Quitter pour cette gueusaille Mon pauvre habit zinzolin !

Lorsque vint monsieur Franklin, Je le portais à Yersaille ; Le monde est à son déclin.

Cher au petit dieu malin, Il allait en maraudaille. Mon pauvre habit zinzolin !

Adieu ! car Paris est plein De rumeurs dont je tressaille ; Le monde est à son déclin.

REGRETS D'UN CI-DEVANT. 109

Au club règne Merlin, Contre nos modes on braille ; Mon pauvre habit zinzolin !

Or je ne suis pas enclin A livrer seul la bataille ; Le monde est à son déclin.

J'arbore le gris de lin Et la couleur de muraille. Mon pauvre habit zinzolin !

ENVOI

C'en est fait, drelin, drelin, La toilette s'encanaille, Le monde est à son déclin : Mon pauvre habit zinzolin !

10

III

LA CEINTURE

A FRANÇOIS FERTIAULT

Foin des ci-devant mijaurées, Foin des femmes de chancelier ! Avec ces pimbêches sucrées Jamais un digne Cordelier Ne devrait se mésallier : Une ceinture que j'adore Ailleurs a mieux su me lier... Chère ceinture liicolore !

Aux Porcherons, dans ces soirées l'amour se fait oiselier, Entre deux fdles bien cambrées, Je l'entrevis «ans l'oublier.

LA CEINTURE. 111

Comme une fleur dans un hallier; Mais elle n'avait pas encore Son attrait le plus cavalier. Chère ceinture tricolore !

C'est que, dans nos luttes sacrées, Je la vis se multiplier, Parmi les braves fédérées, Donnant un bon coup de collier Comme dans un jeu familier ; Et ce ruban qui la décore Semblait sur elle flamboyer. Chère ceinture tricolore !

ENVOI

C'est fait, il faut s'humilier Devant le signe qu'elle arbore ! Je l'aime comme un écolier. Chère ceinture tricolore !

IV

RENCONTRE DE LA CONVENTION

ET DU BOURREAU (21 janvier 1794.)

Par un jour du froid Pluviôse, Quand le soleil prématuré Sur Paris qui s'étonne pose Un rayon d'or mal assuré,

Le long des vertes Tuileries se pressent, ouvrant les yeux, Sous les ombreuses galeries Les Sans-Culottes soucieux, "

Et devers ces Champs-Elysées paraderont en tout temps Les voitures fleurdelysées Des impures et des Iraitants

LA CONVENTION ET LE BOURREAU. 113

Délile, pompe inattendue, Imposante procession, La Convention épandue Hors de son antre de lion.

C'est ce grand cortège sincère Qui vient, le bonnet rouge au front, Proclamer un anniversaire Dont tous les rois tressailleront.

Ce rude sénat solennise Dans sa formidable àpreté. Ainsi qu'en ses fastes Venise, La fête du Décapité ;

Et, drapant la mort de sa toge, Vient contempler ce lieu d'effroi la hache fatale au doge Fut implacable au dernier roi.

Sur la place sert de vigie

Ce mortuaire souvenir,

Sur la place de sang rougie

Tous sont jaloux de revenir

10.

114 LA CONVENTION ET LE BOURREAU.

Pour que leur serment unanime, A tous les échos dénoncé, Consacre, tomba la victime, L'immolation du passé.

Ils s'en vont ainsi, l'âme emplie Des fiers pensers du citoyen : Le commun devoir concilie La RéYeillère et Tallien,

Et l'on voit sur la même ligne, Rapprochés par leur passion, Merlin que Mayence désigne Et Collot que note Lyon.

Mais à la troupe enthousiaste Voici qu'au sortir du jardin, Ainsi qu'un augure néfaste, Eclate un spectacle soudain.

La charrette était à demeure Près du triste et sanglant tréteau ; La guillotine attendait l'heure De désaltérer son couteau.

LA CONVENTION ET LE BOURREAU. 115

Tous alors, sauf Carrier de Nantes, Tous sentirent à cet abord Des émotions frissonnantes Percer leur cœur qu'ils croyaient fort ;

Car, tel qu'un héros que désarme Une main d'enfant à moitié, Le cœur se rompait sous le charme De l'attendrissante pitié.

Ces indomptables se troublèrent Et, malgré leur rigide orgueil, Spontanément ils reculèrent Devant cette approche du deuil,

Et, brusquant la cérémonie. Sous les marbres, par les massifs. Comme hantés d'une agonie, Ils se dispersèrent pensifs.

V

L'HIVER

Le peuple a faim !

Géant morne que rien n'abat, Il lutte ! à la disette il livre un dur combat Et pied à pied résiste à Thostile famine ; Mais le fléau tenace et le mal qui le mine Ce n'est pas le besoin dévorant, c'est l'horreur De suspecter partout l'atroce accapareur Mystérieux, rapide et froid comme un reptile, Ourdissant les réseaux de sa trame subtile Et laissant sur ses pas hurler le désespoir, Tandis que le moulin, allié du manoir, Chôme pour Westermann et pour Stofflet travaille; Que le vieux paysan dérobe sous la paille Les grains, et d'un seul geste éloigne les batteurs, Et qu'au secret appel des curés tentateurs

L'HIVER. 117

Les femmes que l'enfer affole, les aïeules Fanatiques aux rats livrent l'espoir des meules Tout en disant au bon Jésus leur chapelet.

Les riches sont toujours les rois... plus d'un valet

Qu'un nom grec ou romain d'officieux déguise

Chaque soir au marché fait pleuvoir à sa guise

Les assignats ; devant la foule à l'œil ardent,

Famélique, plus d'un émissaire impudent

Sort, chargeant un quartier de bœuf sur son épaule

Et parfois écartant les gens à coups de gaule.

Trop souvent les soldats complices du larcin

Secondent à prix d'or ce trafic assassin,

Et, lançant leurs chevaux au galop, des gendarmes,

Parmi les chocs, les cris, les chutes et les larmes,

Protègent dans sa fuite un lâche ravisseur.

Que de crimes la nuit voile en son épaisseur.

Quand tout un peuple à jeun sous les ombres nocturnes

Attend, par flots pressés, en files taciturnes,

La maigre nourriture enviée à son corps.

Ce n'est d'abord qu'un bruit épars ; des cris discords

Éclatent tout à coup, quand la foule se rue

Dans la salle aux étroits couloirs

Ah ! cette rue Qu'elle est lugubre avec tous ces êtres rangés.

118 L'HIVER.

Pensifs, guettant leur tour au seuil des boulangers, Fronts blêmes sur lesquels luira la rose aurore. Hier ils attendaient, ils attendront encore Demain, à cette place inquiets et béants, Mêlant tantôt leur voix au rhythme des ahans, Tantôt silencieux, retenant leurs pensées Par tous les maux soufferts longuement angoissées. Que de femmes en noir, un enfant à la main ! Combien, se rencontrant par le même chemin, D'une caste rivale, et que la destinée Rapproche et réunit d'une étreinte acharnée Dans la communauté soudaine du malheur. Bientôt tout se confond, plainte, accent querelleur. Et la prière avec le juron fraternise. Jusqu'à l'heure tardive la nuit agonise.

Alors pour pénétrer quel véhément effort !

Parfois le faible hélas ! est écrasé du fort

Et la vague lueur des pâles réverbères

Eclaire le visage en pleurs des jeunes mères.

Gomme ils souffrent! mais comme ils sont fiers et vainqueurs,

Ces affamés ! Le froid n'endurcit pas leurs cœurs :

La faim n'a fait jamais taire leur conscience.

Héros de la misère, ils sont dans leur vaillance

La race inaccessible aux conseils des suppôts

De pillage, et, le soir tombant, près des dépôts

L'HIVER. 119

partout rabondance est emmagasinée, Ils passent, le front haut et l'âme résignée. Honnêtes et contents de leur morceau de pain, Et cependant le peuple a froid, le peuple a faim!

VI

DANTON AU CIMETIÈRE

A M. AUGUSTE BARBIER

La femme de Danton, douce même à la mort,

Paisible elle s'est endormie Gomme un lac par un soir sans brise ou dans un port

Une voile en pleine accalmie.

Quoi ! cette âme^ la joie aimante du foyer.

Sous une pierre glaciale ! Le matin ne vient plus allègre l'éveiller

En son alcôve nuptiale.

Et souvent le tribun, sanglotant et hurlant

Dans sa demeure solitaire Pense à cet être jeune et doux et consolant,

A ce grand bonheur sous la terre.

DANTON AU CIMETIERF. 1-21

Or l'amour de Danton, tel qu'un de ces flambeaux Qui veillent sur les mers profondes,

N'est pas fait pour s'éteindre au souffle des tombeaux Avec les chères moribondes.

Mais, comme le grand phare, œil vigilant des flots,

Il garde ses lueurs croissantes. Inviolable aux froids oublis, aux noirs complots

Des ténèbres envahissantes.

Sept jours ont disparu depuis que cette enfant

Qui fut la moitié d'un génie Brisa par son départ ce pauvre cœur que fend

La blessure d'une agonie ;

Sept jours depuis que loin de ces baisers puissants

toute une nature altière Pêle-mêle fondait son âme avec ses sens,

Elle appartient au cimetière.

Mais Danton est jaloux du cimetière ! Ainsi

Qu'un rival dans sa haine forte

Il voudrait un moment vaincre et mettre à merci

Ce triste gardien de la morte.

11

122 DANTON AU CIMETIERE.

Attendre! il ne peut plus attendre. Le voilà

A bas de ce lit se roule Son désespoir, courant sans craindre le holà,

A travers les flots de la foule.

Oui ! courant comme un fou, comme un fou se parlant

Avec des phrases saccadées. L'oreille close au bruit des masses ondulant

Gomme à la rumeur des idées ;

Laissant sa place vide à la Convention,

Oublieux des luttes mouvantes. Insoucieux de Cloots, d'Hébert, de Pétion,

Et mort pour les choses vivantes ;

Mais vivant pour la morte et fébrile et nerveux

Lorsque de son geste sincère Près de la tombe aimée, il s'écria : « Je veux,

0 fossoyeurs, qu'on la déterre !

Elle ! je veux la voir telle qu'un jour de deuil

L'enferma dans la bière infâme ; Car c'est mon bien à moi que cache ce cercueil,

Car ce cadavre, c'est ma femme ! »

DANTON AU CIMETIERE. 123

Et la poussière vole, et les bêches d'aller,

Tandis que, la gorge oppressée. L'œil en feu, le tribun se plaît à stimuler

Le délire de sa pensée.

Un cri! le cercueil s'ouvre et la voici! Soudain, Maître de son bonheur suprême.

Ainsi qu'un exilé rentrant dans un Eden, Il la voit, il la touche, il l'aime!

Sous ses voiles sacrés, anxieux, haletant, Il cherche ce corps qui fut Elle,

Cette chau' qui lui fut si familière, autant Que l'est une chose jumelle.

Tout est à lui ! Ce corps, il le serre, il l'étreint

Sur sa poitrine bondissante Avec ces long baisers qu'un être faible craint,

Car il faut bien qu'EUe le sente !

Si la caresse en feu pouvait ressusciter. Comme une plante que ranime

Le soleil, et qu'on voit lentement palpiter, Tu renaîtrais, douce victime.

1-2 4 DANTON AU CIMETIERE.

La lèvre est impuissante hélas! et, dans ces bras

Tendres et vigoureux, pressée. Tu ne vibreras point et ne sentiras pas

L'existence recommencée.

Mais lui, buvant son rêve à flots, et tout le jour

A genoux devant Elle nue, 11 inonda son cœur de ce stérile amour

Et s'enivra de cette vue ;

Puis de nouveau le soir il lui fallut songer

A rendre au sépulcre sa proie, A revoir ce cher corps dans l'ombre se plonger..

Oui ! mais il emporte une joie.

Il retient avec lui ce bonheur douloureux Sans qui le cœur s'aff'aisse et tombe.

Et dans la solitude il se retrouve heureux De ce rendez-vous sur la tombe.

VII

COQUETTERIES DE GERMINAL

A HENRI DE BORNIER

0 guipures, ô fanfreluches, Ganses et pompons, ô toquets, Aristocratiques embûches, Gloire des frêles afliquets !

Ainsi votre empire persiste, Riens légers au charme coquin. La mode reste royaliste. Quand l'État est républicain ;

Car les irrésistibles belles Arborent sous des airs mignards Des toilettes vraiment rebelles A la Sparte des Montagnards.

11,

126 LES COQUETTERIES DE GERMINAL.

Une coquette manigance Les multiplie, essaims flottants, Volontaires de l'élégance, Levée en masse du printemps.

Pas une qui ne se promène, Insigne par l'attrait païen D'une parure à la romaine Qui couvre mal et qui sied bien.

Dans sa calèche provocante Lise a la vague nudité D'une insoucieuse bacchante. Orgueil dansant des soirs d'été ;

Et la Louison, embellie Par des atours grecs, vient poser Pour une erotique Délie Qu'a ressuscitée un baiser.

Tant leurs épaules engageantes S'épanouissent au ciel clair. Tant sous leurs robes indulgentes Se modèle leur blanche chair.

LES COQUETTERIES DE GERMINAL. 127

La guirlande civique honore

La tête aux cheveux contenus

De Sophie ou d'Éléonore;

Leurs bras d'Hébé, leurs bras sont nus.

Telles, le thyrse en main, ces jeunes Ménades du frais Germinal, Gomme pour rompre de longs jeûnes, Vont en costume original ;

Et le plaisir, fils de la vogue. Les mène ouïr quelque ténor Ou quelque attendrissante églogue Ou les pots pourris de Fodor ;

Ou cet air amoureux et triste Qu'avec un manège accompli Lamente un grêle guitariste, Dominique Lamparelli !

VIII

L'IDYLLE JACOBINE

A AUGUSTIN CHALLAMEL

Dans la poudre du soir et dans l'or du couchant Le Cours la Reine rit aux lentes promenades : A la Seine dont l'eau bruit comme un doux chant Mille oiseaux familiers mêlent leurs sérénades Dans la poudre du soir et dans l'or du couchant.

De paisibles buveurs s'attardent sous les treilles Et des joueurs de boule échangent des propos Malins ; de bons vieillards s'en vont avec leurs vieilles En devisant le pied faible et le cœur dispos. De paisibles buveurs s'attardent sous les treilles.

L'IDYLLE JACOBINE. 129

Parmi cette placide églogue de l'été Cheminent, enivrés et les regards humides Et bercés par Fair tiède et l'errante gaieté, Deux amoureux toujours graves, parfois timides. Parmi cette placide églogue de l'été.

Bénissant cet espoir de leur plus franc sourire. Des parents vénérés suivent à quelques pas Les jeunes gens qui l'àme en fleur semblent se dire Ces mots sacrés du cœur qu'on achève tout bas, 0 bénédiction de l'honnête sourire !

Sous le soleil mourant ils vont les fiancés Et par moments leur sein agité se soulève : C'est que, dans le furtif éclair de leurs pensers, Vaguement ils ont vu glisser l'aile d'un rêve. Sous le soleil mourant ils vont les fiancés.

L'avenir leur déroule en longues perspectives Le roman conjugal que suggère Rousseau, DEmile et de Sophie effusions naïves, Vie et travail à deux auprès d'un blanc berceau. L'avenir se déroule en longues perspectives.

130 L'IDYLLE JACOBINE.

C'est qu'on croit à la vie, au mois de Messidor, Tout est lumière, tout est parfum, tout est flamme. Gomme l'être élargi prend un lointain essor ! Que l'avenir est grand dans les yeux d'une femme ! Car l'on croit à la vie au mois de Messidor.

IX

ANAXAGORAS CHAUMETTE

Grêle dominateur d'un vivant tourbillon, Il y jetait, comme un semeur dans le sillon, Un mélange imprévu d'homélie et d'églogue ; Ses lyriques accès contre les noirs tyrans S'achevaient d'ordinaire en hymne aux bons parents Et ses fureurs étaient d'un Berquin démagogue.

Suspect aux tape-dur, raillé des ci-devant, Chéri du menu peuple, il semblait bien souvent Celui qui se courrouce et celui qui s'indigne ; Le vol du dithyrambe emportait son sermon, Quand, tel qu'un prédicant sur les fds du Démon, Il tonnait sur l'engeance adonnée à la vigne.

132 ANAXAGORAS CHAUMETTE.

Et comme il foudroyait les brelans et le jeu !

Homme terrible ! allons l'entendre aux Filles-Dieu

Prêchant, catéchisant et confessant la foule.

Il y traîne Paris ouvrier chaque soir

Et seul, de groupe en groupe, et sans jamais s'asseoir,

Il va, tel qu'un charmeur écouté d'une houle.

C'est qu'il faut l'ouïr, tançant les muscadins, Intentant sans relâche aux fleurs de nos jardins Un procès qu'on tolère en ces jours de famine. Plaidant pour l'indigent, le vieillard, l'écolier, Et salué de tous oracle familier, Malgré ses cheveux plats et sa chétive mine.

LES ENRAGÉS

Fiévreux et turbulents, ils sont nés de l'orage :

L'âme de ce parti convulsif c'est la rage ;

Un taon cruel les pique et semble harceler

Leur envie incessante et folle de brûler,

De briser, de piller, d'incarcérer, de pendre.

Leur bande est implacable à l'opulence, et tendre

Pour les hâves douleurs du peuple besacier.

Si Grésus leur paraît bon à supplicier.

Leur haine n'est au fond que l'amour de Lazare.

Ils s'en vont par les clubs en costume bizarre

Grier sur tous les toits! « Mort à l'agioteur! »

Ils comptent maint séide et plus d'un orat eur,

Tous gens de coups de mains : cardans leurs philippiques

On entend résonner au loin le bruit des piques.

Le tocsin de Septembre et le choc des sabots

Et le sourd grondement d'un faubourg en lambeaux.

12

134 LES ENRAGÉS.

Êtres à double face ils sont, des philantropes

Et des tueurs. Leurs yeux hagards sur les échoppes

Malsaines, sur les froids greniers et les taudis

Se posent en rêvant de vagues paradis,

Et ces mêmes rêveurs par des cris frénétiques

Consternent les bourgeois blêmes dans leurs boutiques.

Gare à vous, muscadins, belles en falbalas!

Donc à la Grenouillère, au port Saint-Nicolas, Ils donnent le signal de l'émeute affamée ; Imposant aux marchands une contrainte armée, Ils décrètent avant la loi le Maximum. Toujours les Gravilliers leur servent de Forum Et parfois, complaisants à leur fauve furie, Les fougueux Gordeliers ouvrent une curie. C'est qu'il fait bon voir nos chefs des Enragés, Sincères la plupart, quelques-uns étrangers Et très douteux, hurler pour qu'enfin l'on égorge La Gironde, et soudain d'un ton de rouge-gorge Soupirer la douceur des longs banquets légaux tous en s'embrassant se connaîtront égaux. Puis il demanderont que la France extermine La Misère et sa sœur atroce, la Famine. Ils sont alors la voix d'un peuple...

Le courroux De Paris à jeun vit au cœur de Jacques Roux

LES ENRAGÉS. 135

Et vibre hautement sur sa lèvre irritée. Oh ! la Convention recule épouvantée Le jour de Prairial ce prêtre-tribun Hautain, sinistre et tel que l'on rêve le Hun Vainqueur, sembla dicter à l'assemblée auguste Comme un verbe inconnu l'injonction du juste Et commander en face à tous ces fiers lions D'abaisser leurs regards sur la foule en haillons Et de les détourner un moment de l'Autriche Pour en fixer l'éclair terrible sur le riche. Le riche ! pour Lacombe et Roux c'est l'ennemi Et la Convention équitable a frémi. Car elle a reconnu dans ces plaintes aigries L'accent avant-coureur des rauques Jacqueries Et ne voudra jamais pour le monde nouveau De cette égalité sous un sanglant niveau. L'universelle horreur dans un long cri s'atteste ; Mais Jacques Roux, le front chargé de dédain, reste Impassible, et le soir dans le club atterré Se déchaîne, comme un lutteur exaspéré : Libre, il ne se taira qu'au jour sur sa liste Le bourreau marquera l'indomptable anarchiste. Sans étouffer au cœur du peuple mécontent . Ces clameurs de la faim que la colère entend !

XI LE PALAIS-ROYAL

A THÉODORE DE BANVILLE

Délires et furies ! Les longues galeries Sont le séjour vivant D'un ci-devant.

Roi qui jamais n'abdique, Le Plaisir impudique Au palais brillante D'Égalité

Superbement flamboie, Promenant sur la proie

LE PALAIS-ROYAL. 137

De ses mille sujets Ses yeux de jais,

Ici tout est tumulte ; La chanson et Tinsulte, Les baisers et les jeux Sont orageux.

Comme en une tourmente La foule véhémente Choque et brise en tout sens Ses flots puissants.

II

Etrange pêle-mêle ; Le Jacobin grommelé, Heurtant les plus badins Des muscadins.

On complote, ou conspire ;

La Terreur même expire

Impuissante devant

Ce décevant,

12

138 LE PALAIS-ROYAL.

Ce vague labyrinthe pullule sans crainte Un peuple d'émigrés Très rassurés.

Réfractaires du culte, Chouans d'allure occulte, Agents des étrangers Vont protégés

Par l'infini dédale Qui s'est fait du scandale. Du crime et du malheur Le receleur.

Et que d'abris ! tavernes. Couloirs, sombres cavernes, Près des cafés voisins. Des magasins.

Mansardes par centaines, Et maisons incertaines Gardant les Adonis Des fleurs de lis.

LE PALAIS-ROYAL. 139

Les bassins les cygnes Nagent en longues lignes

Sont frôlés des menteurs Agioteurs.

Patients ils attendent Quelque naïf et tendent En bonnets de renard Leur traquenard;

Tandis que maint clubiste Pour pérorer insiste Dans le cirque prêchait L'abbé Fauchet.

III

Provinciaux novices, Garde à vous ! tous les vices Dont l'essaim fol s'ébat Tiennent sabbat.

Le Jeu, le Jeu vous hêle; Sa voix perçante et grêle

IJO LE PALAIS-ROYAL.

Parmi le bacchanal Jette un signal.

Chez la Saint-Amarante La ruine atterrante Entre les falbalas Et les galas,

Au brelan comme à l'hombre, Sur des joueurs sans nombre Aveuglés du combat Fond et s'abat.

IV

Sous ces chaudes arcades Voyez par cavalcades Galoper nuit et jour Filles d'amour,

Ces filles harnachées, Pompeuses, panachées. Parmi des ondoiments D'ajustements,

LE PALAIS-ROYAL. 141

Faisant tout autour d'elles Tourbillonner dentelles Et gazes et linons, Lutins mignons,

Odorantes poupées Ou géantes drapées A d'exigeants larcins Offrant leurs seins.

Sous l'ample toison blonde, Si l'œil se dévergonde. Leur pas est solennel D'orgueil charnel.

Car la débauche attire Tout un peuple satyre Qui sait par cœur les noms De ces Manons.

C'est Saint-Foix, c'est Lolotte, Huberti qu'on dorlote Et le rire enjoué De Dénoué.

U2 LE FALAIS-ROYAL.

C'est Boston qui se dore, Fanchon et Théodore, Et, tendre à Gupido, La Rolando.

0 Vénus Pandémie, Maîtresse d'infamie, Tes troupeaux de Phrynés Sont déchaînés,

Et leur fureur se rue Sur l'errante cohue Et déclare aux passants L'assaut des sens.

Dans ce Yaste repaire le Jeu s'exaspère, l'Impudeur bondit. Trois fois maudit.

Parfois vers le ciel trouble S'élance et se redouble

LE PALAIS-ROYAL. 143

En un rapide essor Le son du cor,

Fanfare fugitive Qui pour l'âme captive Évoque en un moment L'enchantement

D'une verte clairière, Diane chaste et fière Et les plus frais matins Des bois lointains.

IV

LA CHUTE DES GIRONDINS

13

LA FUITE

A EUGENE MANUEL

Vous avez chassé les meilleurs. Satire Ménippée,

Ils s'en vont, les proscrits antiqnes, Par les champs pleins de trahisons, Sous rinclémence des saisons, Chantant des airs patriotiques.

Le hasard douteux les conduit Et la mort s'attache à leur piste. Dénoncés par le soleil triste, Ils sont épiés par la nuit.

Le ciel brumeux, le sol acerbe, Tout conspire et s'arme contre eux ; Et pourtant qu'ils seraient heureux Pour un peu d'eau, pour un peu d'herbe!

148 LA FUITE.

Heureux si, dans un champ de blé, Par les méridiennes lourdes Ou sous la fraîcheur des nuits sourdes Leur sommeil n'était point troublé ;

Et si les arbres pacifiques Épaississaient hospitaliers Sur leurs fronts aimés des lauriers De larges feuillages civiques !

Heureux si quelque toit béni Offrait à leur fortune amère Le hasard d'un charme éphémère Et la chaude douceur d'un nid.

Mais toujours l'exil recommence, Encor plus âpre qu'au début, Sans espoir, sans fm et sans but, A travers l'étendue immense !

II

LA BARQUE

A ALBERT MERAT

Ils sont partis neuf de Qiiimper; Ainsi qu'un enfant libre et fier

Leur barque glisse. Laissez-vous bercer par la mer : La mer sera bonne nourrice. Ils sont partis neuf de Quimper.

L'azur sourit à l'accalmie;

La vague a fait comme une amie

Taire ses cris :

La grande mer s'est endormie

Pour être douce aux neuf proscrits.

L'azur sourit à l'accalmie.

13.

150 LA BARQUE.

Ils s'estiment victorieux; L'espérance au vol glorieux

Les fait revivre; C'est la joie immense des dieux Qui les emplit et les enivre. Ils s'estiment victorieux.

L'attente du combat les sèvre ; Leur cœur tumultueux s'enfièvre ;

Leur chant grandit ; La Marseillaise sur leur lèvre Gomme un oiseau géant bondit. L'attente du combat les sèvre.

Le péril cède à leur dédain. Qu'ils touchent le sol girondin,

Terre féconde, Et ces proscrits croiront soudain Avoir conquis la paix du monde. Le péril cède à leur dédain.

Voici leur rêve de lumière, Bordeaux, la cité familière... Salut au port !

LA BARQUE. 151

Couronnez-vous d'ache et de lierre, Pauvres héros qu'attend la mort. Voici leur rêve de lumière.

Ils sont partis neuf de Quimper. Ainsi qu'un enfant libre et fier,

Leur barque glisse. Laissez-vous bercer par la mer ; La mer sera bonne nourrice. Ils sont partis neuf de Quimper.

m

IMPAYIDOS

A ANDRE THEURIET

Ils sont calmes les exilés, Quoique leur pauvre âme flétrie Porte en ses replis désolés Le deuil récent de la Patrie,

Que leurs regards soient attristés Par l'image de cette Mère Pleurant ses brèves libertés Gomme un vol hâtif de Chimère ;

Et que leurs cerveaux dévorants Roulent la revanche rêvée, La revanche sur les tyrans Que Tavenir s'est réservée.

IMPAVIDOS. 153

Cependant d'un geste grossier Un municipal les coudoie ; Un maire aux besicles d'acier Flaire et lâche à peine sa proie.

Un aubergiste délateur Que le prix du sang émerveille Les suit d'un sourcil scrutateur Et, s'ils chuchotent, tend l'oreille.

Des amis ont foulé leur cœur Comme les grappes d'une vigne : La panique évite ce chœur Et la lâcheté le désigne.

Eux restent superbes et beaux. Dédaigneux de la mort qu'ils bravent. Presque joyeux quand leurs tombeaux Vont se creusant et qu'ils le savent.

Ironique et fier, Barbaroux Rit à Yalady qu'il console Et fredonne à Salle en courroux Le refrain de la Carmagnole.

154 IMPAVIDOS.

Pétion tout autour de lui Contemple, comme ces vieux sages Qui noyaient le doute et l'ennui Dans la clarté des paysages.

Buzot rêve à Celle qu'il sent Bien loin, à la Conciergerie, Tête haute, cœur frémissant, Répondre à cette rêverie.

Vaincus, on eût dit des vainqueurs, Tant leurs yeux projetaient de flammes ! 0 mâle beauté des grands cœurs ! 0 triomphe éternel de l'âme !

IV

ADAM LUX

A M. C U V I L L I E R - F L E U R Y

Crimcn erit superis et me fecisse nocentem.

LUCAIN.

La guillotine était debout, parmi les piques, Debout comme un Moloch sur les brasiers rougis, Par un soir de juillet l'ardeur des Tropiques Gourait dans les sens élargis.

L'orage, ainsi qu'un aigle à l'envergure immense. Planait; des traits de flamme éclairaient l'échafaud. On eût dit un défi de sonore démence : La foule en bas, la foudre en haut!

Moins calme hélas ! la foule assiège une victime. Proie illustre immolée avec grand apparat. Celle qui va mourir pour expier le crime D'avoir tué Jean-Paul Marat.

156 ADAM LUX.

Sois heureuse, ombre étrange... 0 plèbe menaçante, Enivre-toi, voici le fatal tombereau : Charlotte va s'offrir, tragique adolescente, Aux fiançailles du bourreau.

Fière beauté, candeur héroïque et charmante. Du pâle Harmodios mystérieuse sœur, Tes yeux d'astre courbaient le peuple qui fermente Sous leur magnétique douceur.

Tu parus, et les fds ensanglantés du bouge Eux-mêmes tressaillaient d'un ineffable émoi : Sur le long flamboiment de ta chemise rouge L'air s'empourprait autour de toi.

Quand tu livras enfin, transfigurée et calme. Ton cou de cygne au fer des faucheurs inhumains, Gomme un ange qui tend aux martyrs une palme, Un homme te tendit les mains ;

Un apôtre, un poète au cœur simple et biblique, Volontaire exilé du vieux sol allemand, Blond chercheur d'idéal et d'une république Divine infructueux amant.

ADAM LUX. 157

La République! elle est devant toi, triste éphèbe, Belle à faire pâlir, forte à faire trembler, Chaste et vaillante, ainsi qu'on Tadorait dans Thèbe. Vois et sens ton cœur se troubler.

0 jeune Adam Lux, sois l'amoureux de la morte! Que ton hymne à son front attache un pur baiser , Jusqu'à rheure viendra la meurtrière escorte. Chante pour la diviniser.

Chante sous le couteau, frère. Elle te contemple, Elle t'attend auprès de Brutus et de Tell ; Aime et meurs ! pour vous deux la prison fut un temple, La guillotine est un autel !

14

LE COUTEAU

A FELIX FRANK

0 glaive de Caton, couteau de Yalazé !

Quand, aux regards d'un peuple inconstant exposé,, Le groupe des Vingt-Deux entendit la sentence Qui tranchait les fils d'or de sa belle existence, L'arrêt vindicatif d'un inepte jury, Fauchet leva les mains vers le ciel ; Sillery Prit une contenance exquise et dédaigneuse ; Brissot se détom^na; sur la foule hargneuse Gensonné promena des regards assurés ; Carra perça soudain de- ses yeux acérés Des juges meurtriers la bande criminelle, L'ex-marquis Montflabert et l'ex-noble Antonelle ; Duprat rêveur revit les soleils d'Avignon ; Vergniaud qui murmurait tout bas un jeune nom

LE COUTEAU. 159

Sourit extasié comme un beau citharède Et Ducos se jeta dans les bras de Fonfrède, Cependant que, pareil au lutteur indompté Par qui César vainqueur frémit ensanglanté, Valazé tomba mort, d'un coup sûr et stoïque Plantant dans sa poitrine un poignard héroïque, Libre et par cet exploit païen divinisé... 0 glaive de Caton, couteau de Valazé I

VI

MADAME ROLAND A LA CONCIERGERIE

A M. EDOUARD CHARTON

LV-iilhousiasine de la République, ce seniiineiit le plus élevé que riiomine piii'îc concevoir.

Mme DE Staël.

Un cachot : pleine encor de jeunesse et de sève, Grande âme inaccessible au mal extérieur, Madame Roland près de la fenêtre rêve A travers le lointain à son passé meilleur ; Au dehors la rumeur éparse que soulève Le long glapissement d'un cynique aboyeur.

MADAME ROLAND A LA CONCIERGERIE. 161

II

L ABOYI'^UR, lisant le Journal du Père Duchêne en pleine rue.

Le père Duchesne est en joie, Grande fête pour ce matin : 11 ne lâchera pas sa proie Notre brave et rude mâtin.

C'est pour vous qu'à tous les viédases Sans cesse il va montrant les crocs, Mordant ferme avec les escrocs Les Brissotins faiseurs de phrases.

III

MADAME ROLAND, dans îa prison.

0 ma limpide enfance, âge calme et rêveur, D'un orageux été printemps trop éphémère, Lorsque, nom familier aux lèvres de ma mère. Je n'étais que Manon, la fdle du graveur.

Quels dimanches rieurs après les grands jours sages!

Simples et francs bonheurs trop tôt évanouis :

11.

162 MADAME ROLAND A LA CONCIERGERIE.

Voir les soleils couchants dans l'île Saint-Louis! S'envoler \ers Meudon par les frais paysages !

donc es-tu, pareille à l'onde encor sans pli, Adolescence, sont tes jeux et tes mystères? Et toi qui \iens verser les sommeils salutaires, Pacifique douceur du devoir accompli?

LABOYEUR

Ecoutez ce qu'aujourd'hui note Votre vieux marchand de fourneaux : Ils vont tous siffler la linote Sous les rasoirs nationaux.

Oui ! ce jour présent les destine Ces ci-devant, ces muscadins. Tous ces brigands de Girondins A la très sainte guillotine.

MADAME ROLAND

Grave hyménée après des songes contempteurs De ce qui n'était pas la jeunesse héroïque. Mais, dans ce mariage obscur et prosaïque. Mon âme, tu montas à d'austères hauteurs.

MADAME ROLAND A LA CONCIERGERIE. 163

Le devoir eut encor sa grâce incomparable, Et, loin du périlleux abord des jeunes gens. Je connus le bonheur des hivers diligents Et l'orgueil d'admirer un époux vénérable.

Cher Roland, homme antique et vrai stoïcien. Du labeur partagé je t'ai les délices, Le charme du repos, et devant les supplices Je dirai que nul cœur n'est plus fort que le tien.

l'aboyeur

Allons ! mettons-nous en ribottes : Tous y passeront à la fin, Les généraux aux grandes bottes, La grosse Babet, le Dauphin.

Mais aujourd'hui, sans qu'on recule. L'engeance qui nous attrapait, Avec la cravate à Capet Les vingt-deux feront la bascule.

MADAME ROLAND

«

Et toi, tendre héros dont l'élan vertueux, Malgré ma raison chaste et sa ferme sentence,

1(31 MADAME ROLAND A LA CONCIERGERIE.

Souleva fortement pour plus qu'une existence Dans mon sein captivé des bonds tumultueux ;

Héros aimé, tribun que j'adorai sublime, De mes jours ténébreux unique et pur flambeau, Je puis bien t'avouer au seuil de mon tombeau La triste volupté de notre amour sans crime;

Car l'amour est sacré qui, vierge de remord. S'est soumis au Devoir comme à son meilleur maître. L'ivresse d'être aimée inonde encor mon être; Mais j'ofl-re un front pudique au baiser de la mort.

L ABOYE UR

Ils vont jouer à la main chaude. Vingt-deux, c'est assez pour un jour; Mais b... à poils, pas de fraude! Il faut aussi qu'elle ait son tour.

La vieille guenon édentée. Coco Roland, pour sa leçon, Jusqu'au vasistas de Sanson, Il faut qu'elle soit charretée.

MADAME ROLAND A LA CONCIERGERIE. 16;

IV

Et Madame Roland entendit... Le dédain L'effleura. Ce fut tout. Tu savais, noble femme, Que, malgré le présent aux mains de cet infâme. L'avenir serait Girondin.

Que te faisait Hébert et son journal de boue? Mais, songeant qu'un tel drôle a remplacé les rois. Tu murmuras pensive une première fois : « 0 Liberté, comme on te joue! »

VII

LA FÉE

A MADAME JULES MICHELET

Ils l'appelaient leur fée ; elle fut une mère

Pour ces héros promis au fer du victimaire,

Mais déjà plus meurtris et plus suppliciés

Par les froids renîments des lâches amitiés

Que par la haine prête et là-bas immobile.

Sur ces fronts douloureux posant sa main débile,

Sa main de femme, elle eut de ces divins touchers

Qui savent adoucir les déplaisirs cachés

Et refouler le flot envahisseur des larmes.

Elle inventa des jeux, des ris, des chants, des charmes

Et toutes les gaîtés limpides d'un matin

Pour fêter ces vaincus terrassés du Destin

Et leur versa l'oubli dans des coupes de Sèvres.

Les bons rires étaient les hôtes de ses lèvres

LA FÉE. 16*7

Et la douceur des mots découlait de son cœur : Telle une savoureuse et limpide liqueur! Si bien qu'aux purs accents de la magicienne Ces proscrits échappaient à leur douleur ancienne.

Gomme Alcyon que berce un rhythme de rameur, Ravis ils l'écoutaient; mais lorsqu'une rumeur Menaçante au dehors se soulevait, pour Elle Pâles, pour Elle émus, ils lui disaient : « Fidèle « Amie, oh I laissez-nous partir, et n'allez pas « Désigner plus longtemps aux pièges du trépas « Cette tète adorable fleurissent des roses. « Les dieux vous ont promise à de charmantes choses. »

Mais elle répondait d'un accent fier et doux : (( Si je n'étais pas là, que devriendriez-vous? »

VITI

AUX GROTTES DE SAINT -ÉMIL ION

A VICTOR DE LAPRADE

Altendez ce loyer de la fiJélitc.

D'AUQIGNÉ.

0 vous, graves témoins des antiques mystères,

Pleins d'ailes, de souffles, de voix. Vieux antres qui vivez, sacrés et solitaires,

Dans le silence ami des bois. Et vous, grottes sans lin, ténébreuses retraites

Qui gardez toujours dans vos flancs Le retentissement énorme des Curetés

Et des noirs Telchines soufflants ; Frissonnantes encore des premières tùries

des géants se sont heurtés, Grottes, vous aviez vu toutes les barbaries,

Jamais toutes les lâchetés. Non ! jamais, profondeurs béantes des Avernes,

Champs de bataille des Titans,

AUX GROTTES DE SAINT- ÉMILION. 169

Vous n'aviez pressenti, vieille horreur des cavernes,

Que plus tard il viendrait un temps Où, pour oser reprendre à vos dômes de mousse.

Au cours sinueux de vos eaux, A vos rocs la dent des siècles durs s'émousse,

A votre rempart de rameaux, A votre nuit, à votre hospitalité sombre.

Quelques généreux exilés Gardés par la tutelle auguste de votre ombre

Dans vos replis inviolés, Pour reprendre un Guadet les proconsuls infâmes,

A bout de sinistres moyens, Avec un calme étrange à la piste des âmes

Lanceraient des meutes de chiens !

15

IX

LE SECOND ROMAN DE LOUYET

A ANATOLE FRANCE

I

OU IL NE s'agit plus DE FAUBLAS

Dans les derniers mois de Quatre-Yingt-treize L'auteur de « Faublas », livre d'œgipan l'amour badin se prélasse à l'aise, Fut forcé de faire un second roman,

Un second roman aux étranges charmes Sans poudre et sans fard, sans ris et sans jeux, troublés d'un bruit de chaînes et d'armes Plus tendres les cœurs sont plus orageux.

L'intrigue est tragique et le dialogue S'interrompt souvent par des cris de mort ;

LE SECOND ROMAN DE LOUVET. 171

Le drame s'y mêle à la chaude églogue Et la haine est forte et l'amour plus fort.

Comme un vif rayon perce des ténèbres

Un regard de femme y met sa clarté.

Tel qu'un chant d'oiseau près des lits funèbres

Y glisse un soupir de la volupté.

En un labyrinthe aux pièges sans nombre L'inventif destin traîne les héros Mais le dévoûment de l'idylle sombre Montre les baisers vainqueurs des bourreaux.

Ce roman bizarre aux scènes réelles dans l'Hadès même Eros se risqua, Plein d'amers bonheurs, de douceurs cruelles, Louvet l'a vécu pour Lodoïska ;

Pour Lodoïska qui fut la compagne Sure, l'invincible et ferme amitié. Près du fier proscrit que hait la Montagne, Plus qu'amante et plus qu'épouse, moitié !

Ce n'est plus ici quelque Lindamire Lasse du carlin, du petit abbé.

17-2 LE SECOND ROMAN DE LOUVET.

Qui \'a, vient, s'attife, et boude, et se mire, Aiguisant ses dents au fruit dérobé ;

Ni sous le linon des filles de chambre Un adolescent, jamais étonné, Qui rêve dans un boudoir chargé d'ambre Un bonheur discret et capitonné.

Elle est fière et pure aujourd'hui l'ivresse

De ces cœurs unis par le dévoûmeat.

L'un peut sans remords dire : « 0 ma maîtresse ! »

L'autre sans rougeur dire : « 0 mon amant ! »

Telle du vautour pouvant fuir la serre La colombe attend auprès du ramier ! Tel fut sans fléchir ce couple sincère... Le second roman vaut bien le premier !

II

LES FIANÇAILLES DANS l'eXIL

Pendant qu'un rossignol attendri regardait

L'espérance exaucée, Louvet, devant Buzot, Barbaroux et Guadet,

La prit pour fiancée.

LE SECOND ROMAN DE LOUVET. 173

Leurs serments s'échangeaient sous le couchant en feu

Aux pieds calmes d'un hêtre, Et, la nature étant leur seule église, Dieu,

Dieu seul était le prêtre.

L'encens chaud et subtil ondoyait sur les fleurs

Pour l'adorable office. Un orgue soupirait dans les saules en pleurs ;

Gloire du sacrifice,

Grâce du dévoûment, c'était vous que fêtait

Dans ce couple sincère Cet hymne que la terre au ciel ravi chantait

Et le ciel à la terre.

C'était toi, noble hymen, célébré sans espoir

Des saisons langoureuses dans un monotone et tiède nonchaloir

Les âmes sont heureuses,

Sans espoir des baisers libres au grand soleil

Ou, par les clairs de lune.

Du sommeil confiant et du joyeux réveil

Dans la chambre commune.

15.

174 LE SECOND ROMAN DE LOUVET.

Hymen sublime les époux s'étaient promis

Pour unique espérance La fuite, pour présents des glaives ennemis,

Et pour dot la souffrance ;

Pendant qu'un rossignol attendri regardait

Cette fête de l'âme, Devant Buzot, devant Barbaroux et Guadet,

Louvet l'élut pour femme !

III

LE RETOUR A PARIS

Pour la revoir, pour dormir sur son cœur,

Pour goûter sur ses lèvres Le pur nectar qui charme la rancœur

Et le thé des fièvres,

Navré d'amour, à toute heure blessé

De lointains sortilèges. Pour la revoir il avait traversé

Une forêt de pièges.

LE SECOND ROMAN DE LOUVET. 175

Cette foret Dante eût proclamé :

(( Quittez toute espérance », Ce noir séjour d'épouvantes semé

Hélas! c'était la France.

La France liélas ! muette immensité, Sourde aux cris, meurtrière,

Pour les tribuns que proscrit la cité Plus inhospitalière

Que ces écueils le \aisseau léger Parfois s'obstine et passe

Et qu'un désert terrible à l'étranger les lions font gnke.

L'àme brisée et les membres meurtris, Louvet, dompteur d'épreuves.

Tête baissée entra dans ce Paris pleuraient tant de veuves.

Puis il alla tout droit à la maison

Et tout droit à la porte A demi mort par le vague soupçon

De la retrouver morte.

176 LE SECOND ROMAN DE LOUVET.

Il la trouva vivante, et pour tous deux Après ces longs supplices

L'humble réduit fut l'Éden hasardeux Des divines délices.

Ah! quand la mort devant le seuil attend, Une chambre l'on aime

Se transfigure et devient à l'instant Le paradis suprême ;

Le paradis terrestre les baisers

Etonnent comme un rêve. Trop confondus pour être divisés

Par le tranchant du glaive.

les époux, dans le ravissement

De la nuit qui rassemble, Disent avec un fier pressentiment :

« Quand mourrons-nous ensemble? »

X.E SECOND ROMAN DE LOUVET. 177

l'a M 0 U R TRIOMPHE

Longtemps, comme un oiseau tendrement réchauffé, Gomme un enfant que l'on dorlote.

Dans un de ces abris peut dormir l'ilote, Lodoïska l'avait caché.

Et la cachette était Fœuvre de ses mains frêles,

L'œuvre vaillante de ses mains. Pour lui, pour s'affranchir des douteux lendemains,

Elle eut voulu créer des ailes.

Un jour il fallut fuir... ô jour désespéré!

Fuir sans elle, sans elle vivre Sur les cimes des monts oii l'air limpide enivre,

L'air à pleins poumons respiré !

Libre dans le Jura, lui se sentit esclave

De la morne fatalité : L'absence est pour Louvet un mal plus détesté

Que la guillotine qu'il brave.

178 LE SECOND ROMAN DE LOUVET.

Ni le rhododendron, ni l'essor du myrtil,

Ni la belle bruyère rose, Ni la nature en fleur qui sur ses pas dispose

La pompe innocente d'avril ;

Ni le secret des bois, ni cette confidence

Des chênes, vieux témoins jaloux, Ni tous ces verts trépieds, antiques rendez-vous

Pour des nymphes ivres de danse.

N'ont distrait ces regards d'amant, indifférents

Au svelte orgueil des sapinières, A la sublimité des montagnes premières,

A l'horreur vaste des torrents.

Qu'elle vienne, et l'éclat charmant de son visage

Et ses gestes délicieux Feront mieux resplendir la cime auguste, et mieux

Fleurir le hardi paysage.

Qu'elle vienne... soudain aux pieds du roc glissant, Prompte comme un oiseau de flamme,

S'arrête une voiture en feu ! c'est une femme. C'est une femme qui descend,

LE SECOND ROMAN DE LOUVET. 179

C'est elle,... ô le baiser ineffable! ces gorges

Clémentes les ont réunis A jamais enlacés tout comme dans leurs nids

Sont les couples de rouge-gorges.

Ils ont tout oublié, le passé n'est qu'un jour

Qui s'efface et va disparaître. Ils sont heureux! ont-ils jamais cessé de l'être?

Tu le sais, ô divin Amour!

X

LES LOUPS

A M. ERNEST LEGOUVE

Non ! jamais la Liberté n'a fait plus cruellement expier aux siens la gloire d"avoir embrassé son cullo.

Louis Blanc.

Des loups dans le lointain, ime forêt déserte,

Deux hommes, denx proscrits, double victime offerte

A la fatalité de l'immolation ;

L'un s'appelle Buzot et l'autre Pétion ;

La neige flagellait ces deux pauvres visages;

Ils allaient devant eux, ces héros et ces sages,

Sans espoir qu'à leurs maux il pût être une fin.

Pensifs, ils avaient froids; mornes, ils avaient faim,

Les loups aussi...

Là-bas de farouches murmures Que le vent prolongeait au milieu des ramures

LES LOUPS. 181

Grondent, et l'on pourrait entendre par moments Un fauve et famélique appel de hurlements A travers le silence et l'ombre épouvantables. Les troupeaux sont reclus et closes les étables ; Plus de combat avec les chiens et le berger : Rien... plus une pâture à terre.... Il faut manger!

Et les beaux Girondins que la Commune exile

Marchaient toujours, pareils aux Anciens du Pœcile,

Évoquant un passé resplendissant et fier.

Un passé si loin d'eux et qui date d'hier :

Le duel corps à corps contre une cour servile,

La jeune ovation du vieil Hôtel-de-Ville,

Les clubs comme une houle ondulant à leur voix.

Le soufflet de la guerre à la face des rois,

Le Dix Août renversant l'altière tyrannie

Et l'amour d'un grand peuple attestant leur génie.

0 sainte illusion ! Ces têtes de proscrits S'illuminent. Parmi les bravos et les cris Pétion se revoit au retour de Varennes Triomphant, et Buzot rêve aux heures sereines voltigeait ton doux sourire étincelant, Ton sourire de femme, ô madame Roland!

Les loups ne sont pas loin... Ils vont franchir la marge

16

182 LES LOUPS.

De la forêt... leur voix plus distincte et plus large Emplit l'air. La nuit tombe et s'épaissit. L'horreur Guide les loups hideux comme un avant-coureur Et prête aux pas pesants dont tremble la clairière Plus de sonorité sinistre et meurtrière.

« Entends-tu, » dit Buzot tressaillant, <( vers le nord « Ces clameurs ! »

Pétion répondit : « C'est la Mort! « Qu'elle vienne ! Salut à la Libératrice. « Ami, c'est une mère et c'est une nourrice (( Qui, pour l'échange obscur d'un corps persécuté, « Nous fait les nouveaux-nés de l'immortalité. « Aux Ghamps-Élyséens mon espoir est fidèle : « Viens m'y rejoindre avec nos amis, avec Elle!.!... » Buzot serra la main de Pétion... Les pas Réguliers et pareils au rhythme du trépas S'approchaient... les héros se regardèrent, l'âme Indomptable... déjà des prunelles de flamme Perçaient la profondeur des halliers envahis. Eux se disaient, songeant à leurs frères trahis, Que ce gouffre implacable le sort les destine Valait mieux qu'une ingrate et froide guillotine Et que leurs compagnons, de cette mort jaloux En place des bourreaux eussent choisi des loups.

LES LOUPS. 183

Près d'eux soudain brilla comme une gerbe oblique D'éclairs... Buzot redit encor : « 0 République! » Pétion répondit encor : « 0 Liberté ! »

Les loups firent leur œuvre avec tranquillité.

XI

L'APOTHÉOSE DES GIRONDINS

A M. ALFRED FOUILLEE

Rêve du doux Virgile, il est un Elysée Enveloppé dans une éternelle blancheur, s'épanche invisible un fleuve de fraîcheur Étincelant d'aurore et jeune de rosée.

Le, chaste source au chant limpide y coule en paix, Et la pudicité farouche de Diane Se plairait dans ces bois sacrés dont le profane N'a jamais violé l'enlacement épais.

Sur les cimes ondule un infini sourire ; La clairière est facile à des chœurs ingénus.

L'APOTHEOSE DES GIRONDINS. 185

Et les bondissements des Nymphes y sont nus Sans redouter rembùche inique du satyre.

Tout est libre, tout est heureux ; les animaux Passent inoffensifs avec des poses graves : Le corps a rejeté la lourdeur des entraves Et l'âme a désappris la pesanteur des maux.

Les couples recueillis en lentes promenades Aspirent le nectar des calmes voluptés, Reconnaissants témoins de ces riches étés Qui jettent à leurs pieds la pourpre des grenades.

Le lisse et blanc platane et de Socrate ami Prête toujours son ombre hospitalière aux sages ; Et les sages toujours sous ces doctes feuillages Plongent sur l'idéal un regard affermi.

En un grand trône d'or la Justice préside Au mâle et fier bonheur de ces stoïciens Qui savourent l'honneur de leurs périls anciens Et leur gloire égalée à la gloire d'Alcide.

16.

186 L'APOTHÉOSE DES GIRONDINS.

II

C'est parmi ces héros, c'est parmi ces géants, Embellis de sagesse et dorés de lumière. C'est dans cette retraite aux grands cœurs coutumière sur les nids chanteurs éclatent des péans ;

Dans ce suprême exil de la Liberté sainte, Qu'admis par les détours de ces heureux jardins Apparurent un jour les martyrs girondins Plus jeunes et plus beaux que la souple hyacinthe.

Par un murmure aimant accueillis et fêtés, Glorifiés par l'âme illustre de la Grèce, Ils furent salués d'une immense alégresse Ces élégants dompteurs des vieilles royautés.

Caton que la victoire insolente exaspère Montre à Buzot son .cœur aux civiques défis. Démosthène content, dit à Vergniaud : « Mon fils 1 » Agis enorgueilli dit à Guadet : « Mon frère ! »

Thraséas, frissonnant d'un austère courroux. Ecoute le cruel récit de leur épreuve ;

L'APOTHEOSE DES GIRONDINS. 187

Graccluis à ses côtés invite Grangeneuve Et Gléomène tend la main à Barbaroux ;

Et Bru tus, couronnant cette élite héroïque, Brutus leur mieux aimé se confond avec eux Dans l'ineffable élan d'un cantique amoureux A la très sainte, à la très belle République;

Tandis que, dominé par un charme excellent, Périclès, délaissant l'entretien d'Aspasie, Boit la délicieuse et suprême ambroisie Qu'épanche le parler de madame Roland.

-^

FOUDRES ET FLAMMES

LA FONTE DES CLOCHES

A L. LAURENT - PICHAT

Que dans l'atelier du fondeur L'ordre impérieux les dispose Souple à leur métamorphose En cette rouge profondeur.

Cloches, séparez-vous sans honte; Heureuses de vous transformer, Livrez à ceux qui vont s'armer Le bronze, l'airain et la fonte.

Que ces métaux et que vos noms, Ce poids du passé qui vous pèse, S'engloutissent dans la fournaise : Cloches, mourez; naissez, canons!

192 LA FONTE DES CLOCHES.

Ressuscitez, nobles chanteuses, Des plages de Calais à Luz, Non pour sonner des angélus Ou quelques matines douteuses;

Ressuscitez pour entonner L'hymne guerrier de l'homme libre, Pour être le courroux qui vibre, La vengeance prête à tonner.

Que. votre grande voix proclame L'essor du peuple souverain : Aux bouches de bronze et d'airain Donnez le cœur, prêtez la flamme.

Bien mieux qu'à l'heure vos battants Fêtaient un dévot sacrifice, Vous raconterez la justice Aux volontaires combattants.

Ce n'est plus vêpres ou compiles Que vous proclamerez, ô sœurs : )

C'est la chute des oppresseurs. Les délivrances accomplies ;

LA FONTE DES CLOCHES. 193

C'est la Libre Pensée au vent, Jeune fleur joyeuse de croître ; C'est l'homme s'arrachant au cloître, La femme arrachée au couvent ;

Ce sont les aigrefins, les filles, Les laquais, les ruffians, la cour, Évaporés au feu du jour Avec la poudre des Bastilles ;

C'est le nègre brisant ses fers Et le vassal rompant ses chaînes ; Ce sont les revanches prochaines Sur les faux dieux et les enfers ;

Contre le vieux rempart de fraude C'est l'universel branle-bas'; C'est le traitant qui fuit là-bas Comme un renard pris en maraude ;

Et c'est le juge et c'est le roi

Secoués jusque sous la terre

Par l'aiguillon égalitaire

Du rude et tout-puissant effroi !

17

194 LA FONTE DES CLOCHES.

Voilà les colères vivantes, Le flux mouvant des passions, Les vols d'aigles et d'alcyons, Les ivresses, les épouvantes !

Ces poèmes, vous les direz Dans vos nouvelles destinées, 0 consciences incarnées. Voix des grands canons inspirés,

0 voix qui parlerez à l'homme Mieux que jadis dans vos clochers Lorsque d'humbles sonneurs penchés Vous façonnaient aux chants de Rome ;

Car plus lyrique est votre honneur, Plus sublime votre partage Avec le monde entier pour cage Et Kléber pour carillonneur.

II

COUTHON

A CAMILLE PELLETAN

Il se soulève, il est chélif comme l'hysope,

Pénible à voir et plus disgracié qu'Esope.

C'est la moitié d'un être à peine, et dans Lyon

Naguères il domptait une rébellion :

Car cette ébauche d'homme enferme un grand courage.

Dans l'assemblée vibre un éternel orage

Sa présence commande un silence anxieux.

Le plus faible est souvent le plus audacieux.

Tel Gouthon, toujours calme et téméraire...

Il parle : « Ainsi donc, citoyens, si Louis et si Charte, « Si le duc de Bourbon tenace, et que Condé « Assiste, par Enghien lui-même secondé, « Et Chartres qui s'est mis au rang de leurs complices « Tombent entre nos mains sévères, les supplijces.

196 COUTHON.

« De tant de trahisons équitables loyers,

« Dus pour une telle œuvre à de tels ouvriers,

(( Seront-ils, ravalant l'orgueil qui les surmène,

« Un tribut suffisant pour la vengeance humaine ?

(( Croyez-vous que la mort de cinq à six coquins,

« Bien que délicieuse aux vrais républicains

« Et très conforme au vœu de la Nature, expie

« L'héréditaire horreur du despotisme impie?

« Non ! tant de nobles cœurs par les tyrans usés,

« Et sous leurs pieds de plomb tant d'espoirs écrasés,

« Tant d'amours par leurs mains de satyre flétries

« Et ce débordement de lubriques furies

« Méritent un multiple et vaste châtiment.

« Quoi? sur les seuls Capets punir en un moment

« Le passé monstrueux des royales lignées !

« Il faut plus au courroux des haines indignées

(( Qui suivent la Justice et rejoindront les rois.

« Qu'une Terreur immense à de si longs effrois

<( Du pauvre, du vieillard, de l'enfant, de la femme,

« Réponde, et qu'en sentant sa conscience infâme

« Tous les soirs chaque prince ou comte souverain

(( Attende en pâlissant la Némésis d'airain.

« Nous leur devons à tous la même, tragédie.

« Sur le même échafaud voyageur, je dédie

« Tous les rois de l'Europe au fer impartial,

« Tous, depuis le brûleur du morne Escurial

COUTHON. 197

« Jusqu'à la Messaline au Kremlin adorée,

« Tous, Tours de la Baltique et l'ogre de la Sprée,

« Le Léopold non moins scélérat que sa sœur

(( Et l'Anglais dont un Pitt enhardit la noirceur.

(( A ces vils héritiers d'un forfait séculaire

« Intentez, citoyens, le procès populaire;

« Dans un réquisitoire universel, mêlez

« Tous ces fronts de tyrans encore inviolés,

« Et que votre sentence austère leur destine

« Un dernier rendez-vous devant la guillotine.

« Ce jour-là seulement l'Europe aux fers brisés

« Sera libre, et le monde heureux, et les baisers

« Chastes, et la Vertu sous ses voiles sacrée,

« Et les cieux nous rendront la fugitive Astrée.

(( Pour que d'un âge d'or nous soyons les témoins,

« Que faut-il? presque rien, amis, les rois de moins! »

17.

III

LE COMITÉ DE SALUT PUBLIC

^lia in secundam alia in adversam tempestatem usui siint.

TiTE-LiVE.

Indomptable ouvrier d'une tâche nocturne, Le Comité géant que l'Épouvante élut Forge en son atelier terrible et taciturne Les foudres de notre salut.

La besogne est pressante aux volcans populaires. Quels marteaux fallait-il et quel métal en feu !

A

Etie les forgerons dont s'armaient les colères Du peuple... et peut-être de Dieu.

Dans ces durs manîments de la flamme et du bronze Aucun d'eux ne sentit ses bras républicains Faiblir et succomber à l'œuvre... Ils étaient onze Qui furent de rudes Vulcains.

LE COMITÉ DE SALUT PUBLIC. 199

Frissons, épuisements, sueurs de mort, qu'importe! Ils se faisaient un jeu dans ce groupe indompté De dépenser leur vie irrésistible et forte, Plume en main ou sabre au coté.

Jamais ils n'ont fléchi... tout était à leur taille, Le labeur surhumain ou l'épique danger ; Des tables du conseil aux durs champs de bataille Ils passaient sans croire changer.

Toujours prêts î que l'on doive, ainsi qu'aux jours prospères ,

Multiplier Foutil vainqueur, le million.

Ou qu'il faille écraser au fond de ses repaires

L'hydre rebelle de Lyon.

«

L'emphatique Barre re enflamme la tribune : Aidé de Saint- André, de Lindet, de Prieur, Carnot fait d'un seul geste obéir la fortune Docile à l'âpre travailleur.

Gollot d'Herbois aux clubs oscillants communique Sa tragique furie et ses fougues d'acteur. Sur les complots tapis dans un sol volcanique Billaud fixe un œil scrutateur.

200 LE COMITE DE SALUT PUBLIC.

Robespierre, comme un fascinateur tenace, Magnétise les rois sur leur trône d'airain. A nos soldats le. Rhin oppose sa menace Salnt-Just est déjà sur le Rhin !

Et ces onze lutteurs, autocrates sincères, Quand ils avaient tenu les tyrans mêmes sous Leurs talons et broyé l'Europe dans leurs serres, Allaient dîner à vingt-neuf sous !

IV

NANTES

A ABEL HOVELACQUE

Nantes souffre, cité liévreuse et famélique ; Comme une mendiante ouvrant ses maigres bras, Elle appelle à grands cris ton aide, ô République.

Dans l'air qui vient d'ouest aspirant le trépas,

Elle recèle encor mainte plaie intestine :

Les complots venimeux rampent à chaque pas ;

L'or rebelle se cache et dans l'ombre s'obstine A cheminer aux mains d'occultes ennemis Qui passent en riant près de la guillotine.

Les ci-devant épars ont tout tenté, hormis

La révolte, tandis qu'onctueux et tenaces

Les prêtres font en paix leur travail de fourmis.

202 NANTES.

De loin, comme un pêcheur qui dispose des nasses, L'i'Cnglais guette la ville et médite un effort Décisif, et les murs sont cernés de menaces.

Tout autour les Chouans, espérant du renfort. De cris tumultueux consternent les courages : On ne voit, en n'entend, on ne sent que la mort !

Toujours elle ! planant sur ces mornes parages. Sous l'aile du typhus, ou bien dans le combat Dévalant sur les Bleus avec d'étranges rages.

Ah ! malheur au captif, au blessé qui s'abat ; Les Vendéens, avec une alégresse infâme, Préludent devant eux à leur sanglant sabbat.

Ils font comme œuvre pie et salutaire à l'âme Savourer la souffrance aux corps républicains. Et le plus acharné tourmenteur c'est la femme.

Ils sont ingénieux en supplices taquins

Qui n'arrachent la vie hélais ! que goutte à goutte,

La roue et le gibet leur sembleraient mesquins.

NANTES. 203

Ce qu'il faut à ces Blancs, héros de grande route. C'est l'artifice affreux de tourments ignorés Qui consument la chair patiemment dissoute,

Leur plaisir c'est de voir leurs prisonniers murés. L'un sur l'autre empilés dans les puils, ô misère'. Ou dans le sol profond jusqu'au col enterrés,

Tandis que les recteurs vont disant leur rosaire Et regardent charmés leurs paysans pieux, Ceux-ci placidement visant leur adversaire,

Pour jouer à la boule avec des cris joyeux, Prennent Je mur vivant de ces têtes rangées Qui voient la mort venir et qui ferment les yeux,

Leurs pauvres yeux ! mais vous, victimes égorgées. Vous que l'on met en croix comme jadis Jésus, Ames de nos martyrs, quand serez-vous vengées !

Nantes s'use I bientôt elle ne pourrait plus Résister, et la Loire aux ondes frissonnantes S'apprête à lui lancer les Chouans comme un flux.

C'est alors que Carrier fit son entrée à Nantes !

MARGAROT

A JULIEN GIRARD DE RIALLE

Les révolutions commencent par d'illustres malheureux vengés par la iortune. Que la Pro- vidence accompagne Margarot à BolanyBay.

Discours de Sainl-Just d la Convention .naao)ia/e, le 20 février 179V.

Ils nous aiment. Ils sont Anglais, mais citoyens, Libres, loin du ramas de ces Pharisiens, De ces Lords dont le pied est pesant sur la foule. Qui, pour se rassurer en nous donnant Bourbon, Subiraient un Stuart, et pour qui tout est bon Pourvu que la France s'écroule.

Ils nous aiment, ces fils peu nombreux des Saxons, Mariant nos couleurs même à leurs écussons, Mêlant les droits de l'Homme aux chartes féodales, Convoitant de Sidney l'exemplaire trépas. Epris de République, et partout sur leurs pas Semant de généreux scandales.

MARGAROT. 205

Cinq à six tout au plus que Pitt vainqueur poursuit ! Les haines, comme un \ol de lourds oiseaux de nuit, Tournent sinistrement sur leur têle intrépide. Le Parlement les craint à l'égal de la cour Et, quant au peuple, objet de leur stérile amour, Le peuple, hélas ! il les lapide.

Ah ! ces noms de héros, ces grands noms fraternels, Que dans nos souvenirs ils vivent éternels Rappelant à jamais ces jours de délivrance Où, chez nos ennemis et par delà les mers Quelques hommes bravaient les injures, les fers, La mort pour mieux aimer la France.

C'était Fox, éloquence ailée et cœur vibrant, Sheridan, souple esprit et lord Stanhope ouvrant Son âme à la justice autour de lui bannie, Et toi surtout, et toi, plébéien révolté Qui voulus avant l'heure armer la liberté. Que désarma la tyrannie,

0 Margarot ! ainsi pour châtier en toi

Le crime de vouloir être libre, le roi

Stupide et vénéré des bibliques familles,

18

20Q MARGAROT.

Le roi fou t'enverra dans un exil lointain Traîner liévreusement un lent et froid destin Entre des voleurs et des fdles.

Pars pour Botany-Bay, cher Français d'Albion, 0 martyr, mais de loin la Révolution Veillera sur ta gloire et même sur ta vie. Le belliqueux tribun, d'héroïsme enivré, Saint-Just, te chantera comme un frère inspiré Chante le frère qu'il envie.

Va ! pour te délivrer le Comité titan. Sur le gouffre douteux de l'hostile Océan, Lance par un décret, résolue à te suivre. Une escadre... Qu'elle ait le ciel calme, lèvent Facile et l'abordage aisé... puis en avant ! Que cette escadre te délivre !

Cher Margarot, ami du pauvre et de tous ceux Qui, tandis que les grands, les riches, les heureux Dînent de l'Irlandais, soupent des colonies. Et digèrent, bercés par l'ivresse et le spleen, Demandent à la mort qui coule dans le gin La fm des longues agonies.

VI

BARÈRE A LA TRIBUNE

A ERNEST D'HERVILLY

Je ne demande point qu'on encense cet homme, Qu'on le porte chargé de fleurs au Panthéon : Sans être un des Gracchus que nous enviait Rome, Il fut mieux qu'un caméléon.

Il n'est pas seulement ce bel esprit trop sage, Trop fin pour engager sa parole et son sort, Qui toujours se réserve un facile passage Et se glisse auprès du plus fort ;

«

Ce rhéteur qui toujours veut qu'un public l'admire, Gélimène oratoire, et qui n'a tant changé Que pour fixer sans cesse au même point de mire L'applaudissement exigé.

208 BARERE A LA TRIBUNE.

Non ! Barère est souvent une éloquence acerbe, Un prodige de verve et de soudaineté, . Un poète hardi, subtil, charmant, superbe. Une voix de la Liberté.

Sa phrase large roule un flot métaphorique. C'est lui qui définit la Révolution L'épanouissement sous un soleil d'Afrique De l'ample végétation.

On l'écoute... son chant est l'hymne des victoires. C'est le débordement des mots enorgueillis. Le tourbillonnement impétueux des gloires Passant dans l'image aux longs plis ;

L'esprit gascon orné d'emphases espagnoles, L'accent de l'héroïsme aux pénétrants frissons Et dans ces fiers discours qu'on nomme « Carmagnoles » Le rire narquois des chansons ;

t

Pêle-mêle du sel at tique et de la poudre, L'élan du dithyrambe et le bond du pamphlet. Sur Pitt et sur Cobourg de grands fracas de foudre Prolongés au bruit des sifflets.

BARERE A LA TRIBUNE. 209

Tel que nos bataillons, il n'admet point de halte. Après chaque triomphe éclatant, il est ; Il persuade, il flatte, il amuse, il exalte Gomme un Voltaire au Walhalla.

Car, non content de voir sa fougue béarnaise Attacher l'ode ardente aux flancs des rois du nord. Il met le carillon de la gaîté française Dans la victoire et dans la mort ;

Si bien que nos soldats que tout prix importune. Hormis la renommée adorable aux grands cœurs, Vont au combat criant : « Barère à la tribune, » Et que ses discours sont vainqueurs !

18.

VII

JEAN GUEIT

A SULLY PRUDHOMME

Il était charpentier comme Jésus ! Cet homme

Naquit pauvre parmi ceux que souvent on nomme

La canaille ; il mêlait en guise de blason

La douceur féminine à la mâle raison ;

Il avait tout son or dans le cœur ; la noblesse

Le méprisait...

N'élait-il pas de ceux que blesse Le fardeau sur le front du faible appesanti? Quatre-vingt-neuf éclos, Jean Gueit fut du parti Des hommes de travail, des penseurs et des sages. Or, comme il achevait d'humbles apprentissages, Le matin il partait à l'heure de l'éveil Pour aspirer le don immense du soleil Et voir se prodiguer au moindre coin de terre Le large épanchement de l'astre égalitaire. Et les libres oiseaux dans le grand bois vivant Charmaient ce promeneur qui s'en allait rêvant

JEAN GUEIT. 211

A la fraternité primitive des choses.

Un jour qu'il revenait, en respirant des roses,

Le pied ferme, toujours le dernier au devoir,

Un marin Farréta pour lui dire : a Ce soir

« Nos jeunes fédérés que Barbaroux conseille,

« Tes frères, se mettront en route pour Marseille

« Et de vers Paris court la trahison. »

Gueit dit : « Je quitterai dès ce jour la maison,

« Je partirai. . . mais toi, Paul, prends soin de ma mère ! »

Il ne revint qu'après les frissons de Brumaire, Modeste et réclamant sa tâche d'ouvrier. Mais la gloire, donneuse antique de laurier. Le poursuit dans son ombre et pour tous le découvre Comme un des assiégeants indomptables du Louvre, Un héros du Dix Août, un vaillant, un vainqueur! Gueit se tut et garda longuement dans son cœur Le pudique chagrin de cette renommée. 11 travaillait.

Soudain sur la France alarmée Le tonnerre évoqué par de hâtifs éclairs Tomba I Puis aux lueurs distinctes des cieux clairs* On vit dans les débris de la prompte tempête Un trône à terre, et près de ce trône une tête. Puis béante sur tous les points l'Invasion,

212 JEAN GUEIT.

Et Paris lui lançant comme l'éruption

A\'euglante des plus formidables cratères,

La lave aux flots brûlants des hardis volontaires.

Gueit admirait Paris en songeant à Toulon Inquiet...

Un jour vint Fémigrant félon, le richard peureux que l'avarice hébète, Les fleurs au front, orné de parures de fête. Et poudrés, et musqués, en frac, en escarpins, Avec l'obséquieux sourire des Grispins, S'en allèrent livrer sur un plat d'or servile A l'ennemi les clefs gardiennes de leur ville, Les clefs, dépôt sacré, symbole accusateur.

De ce hideux cortège impuissant spectateur, Gueit bondit.

Quoi? Toulon aux Anglais? Dans le cadre De ce port lumineux la britannique escadre Insolente, éployant aux airs son pavillon, Et même l'étendard de la rébellion, Le drapeau blanc soumis à ce chiffon d'étofTe ! Quoi? l'orgueil royaliste aisément philosophe^ Aux pieds de l'amiral Hood, ne haïssant pas D'adorer la poussière auguste de ses pas Et livrant à ses mains rapaces notre flotte!

JEAN GUEIT. 213

L'artisan qu'on fuyait partout comme un ilote

Ne voulut point d'un lâche et sûr isolement.

Un poids trop lourd pesait sur lui... Tranquillement

Il alla sur la plage manœuvraient les troupes

Aux habits rouges... se jetant dans les groupes

11 fit parler son ame et, naïf harangueur,

Aux accents qu'animait une intime vigueur,

Il frappa sur ces cœurs que la traîtrise enchaîne

De rudes coups comme un bûcheron sur un chêne,

Et sa parole ainsi qu'une hache tombait

Sur tous ces fronts pensifs que le remords courbait.

Seuls les grands criminels demeuraient impassibles. Les officiers anglais s'exerçant à leurs cibles Saluaient d'un regard sympathique et * urpris Celui que ne pouvait effleurer leur mépris, La conscience unique au milieu des parjures Plus forte que le sort et domptant ses injures, Le seul homme parmi ce troupeau...

Cependant D'une voix plus vibrante et d'un cœur plus ardent, Jean Gueit durant trois jours reprit son œuvre, et, comme Un tribun familier sur les places de Rome, Ou tel qu'un prédicant qui transporte avec soi L'Evangile, il errait glorifiant sa foi, Si bien que les méchants sentirent tout leur être

214 JEAN GUEIT.

Traversé d'un frisson sinistre ; et plus d'un traître Dit : « A quoi bon laisser ce Jean Gueit discourir? « Il est temps, mes amis, de le faire mourir, « A lutter contre tous ce seul homme est de taille ; « Contre une ville entière il se range en bataille ; « Ses gestes, ses propos, ses yeux sont insultants ; « Devant l'Anglais il ose être libre. Il est temps « De le faire mourir. »

Telle fut la sentence Rendue au nom du roi Louis... Une potence Se dressa, destinée au supplice infamant : Gueit stoïque attendait la mort comme un amant. Il marcha le front haut vers cette fiancée. L'âme au ciel, n'ayant plus qu'une double pensée : La République absente et sa mère I Affermi Il confia la vieille en pleurs à son ami Qui sanglotait, tandis que lui demeurait calme. Puis, comme s'il voyait à l'horizon la palme De la Victoire entrant comme un âpre aquilon Dans les murs reconquis de la triste Toulon, Il sourit à l'espoir du triomphe sévère Et le pauvre ouvrier monta sur son calvaire !

VIII

EULOGE SCHNEIDER

A EMILE GEBHART

Les folie? hranniques de ces homme? rendent vraisemblable loutce que l'on raconte de Caligula et d'Béliogabal'i.

RoDESPiERRE, Discoios d la Convention du 5 février 1794.

Roi de l'Alsace, avec le bourreau pour ministre,

Il enroulait sa hache au myrte ionien

Et le satyre en lui se couronnait d'un cuistre.

11 fit souffrir la honte à des femmes de bien. Il fit subir la mort à de mâles courages, Le tout en style exact et cicéronien.

Collot, j'admets encor tes fièvres et tes rages, Tes spasmes, ô Carrier, mais le lâche assassin Qu'un sanglant magister régentant les orages !

216 EULOGE SCHNEIDER.

Sus aux traîtres! Le fer, la flamme, le tocsin, La mort sans beau langage et sans phrase subtile, Soit! mais il fallait mieux au docte Capucin.

Car souvent il lui plaît d'enlacer le dactyle Au spondée, en signant des arrêts : il poursuit En décrétant la mort des strophes à Bathylle.

Tigre anacréontique, il commente, il traduit. Il annote, il compulse, il cite, il guillotine. Il égorge le jour, il viole la nuit.

Comme pour marier Priape à Libitine, Il se rue à l'alcôve en quittant l'échafaud Et cherche une pâture à sa faim clandestine.

Ainsi qu'une hécatombe alternée, il lui faut Une offrande de chair, et toujours sur la ville Palpitante il tournoie ainsi qu'un noir gerfaut.

Puis il s'abat au gré de sa luxure vile Sur sa proie éblouie et se délecte à voir Venir à lui la peur fascinée et servile.

EULOGE SCHNEIDER. 21'

Que de fois ses baisers forçant le désespoir

Ont vendu le salut d'un époux ou d'un père

A la femme au grand cœur qui s'immole au devoir !

Chaste prostituée ! et ce monstre prospère Peut vieillir en dimant la vie et la beauté Dans les loisirs pédants de son hideux repaire.

Silence ! entendez-vous par la brise apporté Ainsi qu'un chant de coq, gai signal de l'aurore, Un air qui dit : « Espoir » et sonne : « Lil)erté I »

Il flotte entre les plis du drapeau tricolore

Et dans Strasbourg qu'émeut un trouble intérieur

Il entre avec l'accent d'une voix qu'on implore.

Cet air, aucun tyran ne l'ouït sans frayeur : C'est toi, vieille chanson, ô chère Marseillaise. Ton refrain nous annonce un rude travailleur,

Un des grands forgerons de la grande fournaise,

Saint-Just en mission qui promène avec lui

L'errante Némésis que nul tribut n'apaise.

19

218 EULOGE SCHNEIDER.

Il s'ayance, et soudain son regard d'aigle a lui Calme sur les hideurs du capucin Euloge, Et son cœur est blessé d'un héroïque ennui.

Ce Romain ne veut point de souillure à la toge Et ne peut pardonner au chef républicain Qui, lorsqu'il se transforme en satrape, déroge.

Il guette froidement l'hypocrite Tarquin ; Puis, quand le châtiment tardif le revendique, Le fait saisir ainsi qu'un ténébreux coquin ;

Et les claires lueurs du matin véridique

Montrent au pilori le moine souverain

Et planant d'un balcon sur le monstre impudique

Saint-Just qui le regarde impassible et serein !

VI

LE PEUPLE FRANÇAIS

DEBOUT CONTRE LES TYRANS

AUX SOLDATS DE LA RÉPUBLIQUE

A ANTOINE LAGARDE

Fils de l'an deux, soldat», courages ingénus, Vous passez, vous courez en brûlant les élape> Et je sens le désir de baiser vos pieds nus.

Joseph Authan.

Aînés d'une race stoïqiie, Salut, vous les premiers venus A rappel de la République, Ghers ignorés, grands inconnus.

Le rouge soleil de la gloire Qui pourpre encor vos généraux Vous a laissés dans la nuit noire, Peuple anonyme de héros.

19.

122 AUX SOLDATS DE LA REPUBLIQUE.

Pourtant yous aviez dès l'aurore, Par un élan illimité, Suivi celle que l'on adore L'infatigable liberté.

Au pas de cette voyageuse Vous alliez fougueux et dispos, Gomme l'avalanche orageuse, Presque sans halte et sans repos ;

Et vos triomphantes étapes, 0 mes chers marcheurs disparus, S'appelaient Dunkerque et Jemmapes, Se nommaient Zurich et Fleurus.

Humbles sauveurs de notre France Qu'exaltait le Chant du Départ, Dans cette auguste délivrance Vous eûtes la meilleure part.

Vous restiez doux aux faibles, comme Des libérateurs radieux Tenant toujours les Droits de l'Homme Immuables devant leurs yeijx.

AUX SOLDATS DE LA REPUBLIQUE. 223

Combattants, vous rompiez des chaînes; Vainqueurs, vous brisiez des tyrans ; Vous mettiez en fuite les haines, 0 populaires conquérants.

Tandis que les haines fatales Éteignaient leurs brandons ardents, Vous entriez aux capitales Comme des fleuves fécondants ;

Des fleuves au flot magnifique, Nourriciers, roulant avec eux La fraternité pacifique Dans un grand courant belliqueux.

Oui! partout les foules joyeuses, L'histoire s'en souvient encor ! Fêtaient vos mains victorieuses Pleines de lauriers, vierges d'or.

Soldats sans rage et sans furie, Purs de vaines ambitions, Vous avez rendu la Patrie Chère et charmante aux nations.

2-24. AUX SOLDATS DE LA RÉPUBLIQUE.

Moment sublime et trop rapide ! Rêve envié des jours présents ! Salut donc jeunesse intrépide, Bourgeois, ouvriers, paysans;

Car vous fûtes la grande Armée, Splendide, sans ombre au tableau, Sans province ou ville opprimée. Sans Leipsick et sans Waterloo !

II

L'ARMÉE DE MAYENCE

A M. PAUL GLAIZE PARENT DE MERLIN DE THION VILLE

Considérez que vous êtes Fiançai? desquels la nature est de faire et souf- frir grandes choses.

Brantôme.

LE DIABLE DE FEU

Gomme un épais cordon de chasseurs cerne un bois, Pour prendre sûrement les fauves à son piège, Ainsi toute la Prusse, acharnée à ce siège, Investit Mayence aux abois.

La Prusse avec son roi qui lui-même dragonne, Gomme un soldat devant nos redoutes, épris De la ville, et jaloux d'effacer à ce prix Le récent affront de l'Argonne.

226 L'ARMÉE DE MAYENCE.

Or Mayence résiste, elle veut s'obstiner A retarder la chute le sort la destine, Et parfois elle écoute au loin si de Gustine Le clairon ne va pas sonner.

Mais Gustine s'abstient, et la cité s'entête, Magnanime, à subir l'épreuve des assauts. Gomme un de ces rochers s'usent les vaisseaux, Impassible dans la tempête.

Gar Mayence recèle un peuple de héros Invincible à la mort qui sur leurs têtes tonne ; Là, semblables aux vents belliqueux de l'automne. Se déchaînent six généraux.

Tels que les ehevaliers du drapeau tricolore. Quelques-uns retrempant un blason féodal ; G'est Marigny qui semble avoir pris Durandal Au paladin dompteur du More ;

G'est Dubayet, Beaupuy, l'athlète au noble front, Meunier, penseur promis au deuil de la patrie ; G'est ta fièvre, c'est ton courroux, c'est ta furie, 0 Kléber que les sphynx craindront !

L'ARMEE DE MAYENCE. 227

Mais, plus que ces héros et que ces preux, éclate, Imaginez Achille au secours d'Ilion, Un être formidable aux cheveux de lion flotte un panache écarlate ;

Un jeune homme, un tribun, soldat improvisé, Chef imprévu plongeant au loin son regard d'aigle. Inspiré de la guerre et docile à la règle. Calme et sans cesse électrisé.

Ce lutteur sans orgueil comme sans défaillance, Simple et sublime, c'est Merlin, l'homme au cœur fort. Soutien d'une cité dans un suprême effort. Incarnation de Mayence.

C'est lui le proconsul fier de sa mission, Tantôt prudent, tantôt fougueux, toujours terrible, Qui multiplie aux y^x de l'ennemi, visible. L'esprit de la Convention.

#

Merlin de Thionville, un descendant d'Hercule, Inventant le remède surgit le besoin, Criant à l'Épouvante: « Arrière! », au Mal : « Plus loin! » Et qui dit à la Faim : « Recule. »

228 L'ARMÉE DE MAYENCE.

Puis, tel qu'un épervier se précipite, il part ; Dans les rangs ennemis, tête baissée, il plonge, Cueille ses prisonniers, agile comme un songe. Et retourne sur le rempart.

Là, pour se reposer d'escarmouches épiques Ou de combats pareils aux chocs des \ieux géants, Il aime à manier les lourds canons béants, Gomme des ces tes olympiques ;

Et poussant devant lui ces cratères d'airain. Que de fois accoudé sur leur masse robuste ! 11 fixe entin ce bronze et le pointe et l'ajuste Avec un geste souverain ;

Et là, l'éclair aux yeux et la pourpre à la joue. Visant des ennemis la vivante foret. Il dispose à loisir ses pièces... on 'dirait Qu'avec ses chers canons il joue;

Si bien qu'en le voyant incomparable au jeu Des batailles, présent partout, partout superbe. Les Allemands qu'il fauche à loisir comme l'herbe Murmurent : « Le Diabla de feu ! »

L'ARMÉE DE MAYENCE. 22ï»

II

MEEUN DE THIO.N VILLE

Le retentissemenl de ta chute, ô Mayence, Se prolonge à travers Paris... la Défiance Plane comme un oiseau de nuit à l'horizon ; . Les passants effarés se disent : « Trahison ! » Ici court la fureur et l'inquiétude, Paris attend dans une effrayante attitude Crédule au vol de bruits sinistres ; le faubourg Antoine a cru surprendre un piège de Cobourg Prêt à poser sa main calleuse sur les traîtres.

Garde à vous, Mayençais ! des émigrés, des êtres

Tortueux sont mêlés à la foule, et dans Fair,

Vont dispersant les noms de Rewbell, de Kléber,

De Merlin, comme on sème une graine funeste,

Cependant qu'au dehors le murmure proteste,

Le murmure pareil aux vagues en émoi.

Les Conventionnels débattent une loi.

Mais d'un souci lointain leur raison est troublée

Et Mayence a ra\i l'àme de l'Assemblée.

20

230 L'ARMÉE DE MAYENCp.

Tous les fronts sont en feu, tous les cœurs sont en deuil . Soudain une rumeur s'émeut auprès du seuil ; La porte cède, et dans la salle solennelle. Malgré l'effort qu'oppose en vain la sentinelle, Un homme au pied hardi fait une éruption Étrange, et se présente à la Convention Déguenillé, poudreux, presque méconnaissable, Submergé par la boue, envahi par le sable, Traînant en vils lambeaux, ainsi qu'un prisonnier, Le drap flétri d'un pauvre habit de canonnier. Son grand chapeau troué par la balle hagarde. Son gilet rouge, ses bottes à la hussarde, Lui-même hérissé de ses cheveux touffus, Tout noyé dans sa barbe épaisse en flots confus, Semblable aux fugitifs qu'un sort jaloux délabre, Et pourtant appuyé fièrement sur son sabre. Grave et simple comme un vainqueur capitolin.

Un long cri s'éleva : « Merlin ! voici Merlin ! » Dans les tribunes, sur tous les bancs, dans la salle, Une joie éclata, sincère et colossale. Et de tous les côtés, à la fois véhément S'épandait le roulis de l'applaudissement, 0 République ! plus de partis, plus de haine ! La Crète se confond unie avec la Plaine

L'ARMÉE DE MAYENCE. 231

Dans un embrassement soudain et généreux.

Tous sont frères, tous sont aimants, tous sont heureux,

Grâce au tribun-soldat en qui s'est exprimée

La vivante vertu de notre jeune armée.

III

LA JEUNE FEMME

A HENRI CAZALIS

Tels que des vents du Nord, durs habitants des cimes, Soufflant le froid, soufflant le deuil, soufflant la mort, Dans Saint-Mihiel conquis après un long efl'ort, Les Prussiens déchaînés fondent sur leurs victimes.

Gomme en un tourbillon qui jonchera le sol Tremblent confusément les fragiles feuillages. Tout ploie à la brutale approche des pillages, Tout vacille à la chaude haleine du viol.

Seule, dans sa boutique entr'ouverte, une femme Ménageant à l'orage un indomptable accueil, Garde, avec un front haut et l'azur dans son œil, La pureté du corps par la vigueur de l'àme.

LA JEUNE FEMME. 23 3

Et tous ces ravageurs qui passent triomphants A franchir Thumble seuil ne se peuvent résoudre : Car elle les attend, sur un baril de poudre, Les pistolets au poing, entre ses deux enfants !

20.

IV

LES REPRÉSENTANTS AUX ARMÉES

A DESIRE NOLEN

Il portait avec lui une idée et une épée. Edgar Qoinet.

Trente au moins ! je les vis souvent Passer à travers les fumées Sous les mitrailles enflammées, Fronts pensifs et cheveux au vent.

L'éclair de leur sabre mourant Disait aux races opprimées : « Nous sommes l'âme des armées « Et voici le Devoir vivant. »

LES REPRÉSENTANTS AUX ARMEES. 23 5

Ni joug pesant, ni piège oblique ! Champions d'une République Et chevaliers d'un Idéal,

Ils portent le fer qui délivre. Contents de vaincre, surs de vivre, Les boulets ne leur font point mal !

WÀTTIGNIES

A M. SADI CARNOT

Victoire de la liberté sur la domination, de la franchise sur la convoitise.

La Boétie.

Le boulet court mobile ainsi qu'un serpenteau.

Wattignies imprenable habite un fort plateau

Aux abords menaçants par mille artilleries

Sinistre et promettant de prochaines tueries.

Qu'importe ! Les Français y vont comme au gala

Libres, insouciants, légers... Garnot est là,

Garnot dans tous ces cœurs a soufflé sa grande âme.

L'Autriche a beau s'armer et de bronze et de flamme.

Chacun de nos petits enrôlés est enclin

A prendre le tonnerre au vol comme Franklin

Et leur vive chanson dit bonjour à la foudre.

Ils chantent, alléchés par l'odeur de la poudre.

Et montent au devant du canon, par d'étroits

Sentiers l'on ne peut marcher que trois à trois.

WATTIGNIE?.

Toute rarmée au pas de course s'échelonne, L'œil fixé sur Carnot qui guide la colonne. S'ils hésitent parfois, Carnot gravit toujours Aux balles des hulans, aux sabres des pandours Insensible et songeant bien moins à la mitraille Qu'à l'héroïque amour qui dans son sein tressaille. L'amour de la patrie en danger. Son cheval S'abat! Lui va toujours, et le soldat rival Du tribun qui le mène à la gloire en silence D'un pas jeune et joyeux à sa suite s'élance. Nos chétifs fantassins au fond des chemins creux Brisent le choc puissant des cavaliers poudreux Et sur ces corps géants que la mort amoncelé, A travers un orage enflammé qui ruisselle, Hâtent le dur travail de leur ascension. 0 race de vaillants! ô Révolution ! Déjà sur le coteau, déjà les batteries Se taisent, et soudain nos bandes aguerries Dispersent les ramas des blancs Autrichiens, Comme un veneur qui chasse une meute de chiens. Wattignies est à nous et l'Autriche est en .fuite. Or, tandis que Jourdan active la poursuite, Carnot, posant enfin son fusil, dans un coin Se recueille, immobile et sérieux témoin, Heureux d'avoir franchi ce périlleux passage. Brave comme un héros, modeste comme un sage.

VI

PIEDS NUS

A ARMAND SILVESTRE

Toutes ces âmes relevées Que d'un conseil ambitieux La faim de gloire persuade D'aller, sur les pas d'Encelade, Porter des échelles aux cieux.

Malherbe.

Pieds nus, tous ces bourgeois, pieds nus, ces prolétaires. Tête en avant, ainsi que des bœufs indomptés, Pour briser à jamais les jougs héréditaires, Se ruèrent au front des vieilles royautés.

La sainte République envahissait leurs rêves Seule. Ils ne sentaient point leur capote en lambeaux. Qu'importe? à la victoire ils arrachaient des glaives, Des fusils, et laissaient le butin aux corbeaux.

PIEDS NUS. 239

Ainsi sur les étangs glacés, parmi les sables, Pauvres contre l'Europe opulente, et toujours Pieds nus, ils nous ont fait des jours impérissables Dont le nom \ibre au cœur comme un choc de tambours.

Jour d'espoir et d'orgueil la libre Hollande. Pressant contre son sein ses fds glorifiés Dédiait à leurs fronts sa civique guirlande Et donnait son amour à nos grands va-nu-pieds.

VH

SAINT-JUST EN MISSION

LES REVES DE SAINT-JUST

A VALERY VERNIER

Pensif et l'œil fixé sur l'idéale amante, La Justice, il suivait son rêve dans les camps, Comme un songeur cherchant des fleurs sur les volcans Ou lisant dans les cieux au fort de la tourmente.

Tout en plongeant parmi les bataillons épais, Enthousiaste avec une grave furie. Il rêvait, au sortir de la noire tuerie, La rose et rougissante aurore de la paix ;

SAlîsT-JUST EN MISSION. 2 il

Sous cette heureuse aurore une vertu secrète Pénétrant dans le cœur du vieux peuple gaulois, Un désir infini de s'aimer sous des lois Fraternelles, ainsi qu'aux saisons de la Crète ;

Tout homme à soi sévère, aux autres indulgent. Sur le front des vieillards la sagesse honorée ; Plus de corps affamé, d'àme désespérée. Et le riche disant : « Mon frère » à Tindigent.

Il rêvait le bonheur du monde, églogue austère Et tendre, tous passaient, femmes, adolescents, Mères dans la beauté des travaux innocents, La mort sanglante ayant disparu de la terre ;

Le supplice, ce monstre épouvantable à voir. Ayant fui pour jamais tous les climats serviles Et seul, se hasardant sur la nuit dans les villes, Le meurtrier flétri par un long voile noir.

Il rêvait la cité se découvrant une âme

Maternelle soudain pour l'enfant pauvre et nu.

Pour l'orphelin, pour toi, bâtard, triste inconnu.

Et pour la vierge en proie au séducteur infâme.

21

242 SAINT-JUST EN MISSION.

Victimes, il rêvait pour vous le jour tardif, L'équitable chaleur réchauffant vos natures, Un pacifique Avril offert aux créatures, L'Avril immaculé de l'amour primitif ;

Et, sans perdre de l'œil sa mission auguste,

Il marchait au devant de la Réalité,

Armant pour l'action sa mâle volonté.

Le sabre en main, terrible aux lutteurs de l'Injuste,

Tout en voyant au loin s'avancer affermis, Entre les citoyens que l'amour seul enchaîne. S'avancer plus unis que le lierre et le chêne Les jumeaux que le cœur a créés, les amis !

II

LE PASSAGE DE LA SAMBRE

Il faut passer la Sambre, et la Sambre farouche Se cabre au froissement du Français qui la touche Et nous rejette avec un fracas insultant Loin du rivage hostile la mort nous attend i

SAINT-JUST EN MISSION, 213

Railleuse et de canons allemands hérissée. Or notre armée hésite et faiblit, repoiissée Trois fois, ayant Saint-Just avec elle, et songeant Que ce tribun, ainsi qu'un dompteur exigeant. D'un seul regard courbait à ses pieds la victoire. Chassée avec Saint-Just, elle ne peut plus croire A l'accès d'un passage fléchit ce héros. La stupeur des soldats abat les généraux : Saint-Just est calme ; il va confiant ! ce jeune homme Sait porter son esprit vers ces grands jours de Rome le consul vaincu, d'un geste souverain. Ramenant la victoire à son vieux char d'airain, Souffletait Tinfidèle et la battait de verges. Si la mort est là-bas, tonnante sur ces berges, Qu'importe au fier Saint-Just contempteur de la mort? Il parle, il fait un geste, et l'unanime effort Sur le fleuve indocile emporte nos milices. Et bientôt, comme un cerf aiguillonné de lices, Fuit l'ennemi. Saint-Just a marché le premier, Formidable, agitant dans son regard guerrier Une arme qui foudroie elle aussi, la Pensée....

La quatrième fois la Sambre fut passée.

VIII

LE MARQUIS

Il avait tout donné, tout à la République, L'héréditaire orgueil du manoir héraldique Et l'éclat féodal du blason et du rang, Donné son roi, donné sa fortune, son sang. Son cœur! il combattit pour la Mère meurtrie. Hélas! foulée aux pieds des traîtres, la Patrie. Or son père servait dans le camp de Bourbon, Et ce père était tendre, et ce fds était bon ! Car, malgré le divorce altier de leurs épées Et l'hi flexible choix de vertus bien trempées. Ils s'aimaient à travers l'espace, fiers tous deux D'un dévouement égal à des camps hasardeux, Enorgueillis de leur tendresse immaculée. Et leurs cœurs se cherchaient dans l'obscure mêlée. Ne plus se voir I Destin aux mortelles rigueurs ! L'automne lente et lourde infdtrait ses langueurs-

LE MARQUIS. 2-15

Dans l'intrépidité de ces mâles courages.

Gomme deux forts sapins domptés par les orages,

Ils fléchissaient courbés, exténués, brisés

Par une nostalgie immense de baisers ;

Le fils dépérissait chaque jour, et le père

Se mourait, comme un vieux lion dans son repaire,

Un lion tout sanglant qu'isolent les chasseurs.

0 pensers décevants ! ô songes obsesseurs ! Gris stériles ! appels impuissants ! agonie 1

Saint-Just parut au camp, mystérieux génie...

Les grands chênes tremblaient qui virent Irmensul !

Et le Marquis alla trouver le proconsul .

Alors il demanda pour tant de sacrifices.

Pour tous ses jours usés dans les grandes milices

La faveur de presser son père dans ses bras.

Saint-Just hocha la tête et ne répondit pas.

Le Marquis s'en alla, navré jusqu'aux entrailles.

Bientôt se déchaîna Fàpre horreur des batailles, El les Républicains plongèrent au milieu Des chevaux, des obus, et du fer et du feu, Et, traversant d'un bond cette vaste tourmente, Reparurent guidés par la Victoire aimante.

21.

216 LE MARQUIS.

Plus avant que nul autre et d'un cœur transporté Hardiment le Marquis s'était précipité, Cherchant la mort avec une inquiète envie. Le boulet respecta la fleur de cette vie. Il conquit des canons, enleva des drapeaux, Et, comme il revenait, ses habits en lambeaux. Traînant des prisonniers de son bras énergique. Triste, il passa devant le proconsul tragique. Saint-Just fixa sur lui son œil olympien, L'arrêta tout à coup et lui dit : « Citoyen, « En ta jeune vertu la République espère : « Courage, et dès demain, ami, va voir ton père! »

IX

HOCHE ET MARCEAU

A M. ALBERT JOLY

Génération admirable qui vit dans un même rayon la liberté et la gloire.

MiCHELET.

Espoirs trop tôt ravis du siècle à son berceau, Cher couple immaculé, passagères merveilles, 0 jumeaux dans la gloire et dans la mort pareilles, Rayonnez à jamais sur nous, Hoche et Marceau!

Aux limpides lueurs de votre double exemple. Éclairez-nous. Hélas! notre chemin est noir : Pour nos yeux blessés d'ombre il est bon de vous voir, Ainsi que deux flambeaux à la voûte d'un temple.

Et pourtant qu'étiez-vous, fils chaleureux, au jour vous vous êtes dit : « En avant pour la France ! » Des enfants... mais déjà majeurs par la soufi'rance. Grands par l'enthousiasme et très grands par l'amour.

248 ilOCHE ET MARCEAU.

Le saint amour transforme en géants les pygmées : L'enfant qui veut mourir est plus qu'un homme... tels A vingt ans vous alliez, prêts aux labeurs mortels, Imberbes entraîneurs de nos mâles armées.

Lorsque vous dispersiez les pâles combattants, On eût dit, à voir fuir des maréchaux séniles. L'hiver qui se hâtait vers des plages stériles. Vaincu par les archers lumineux du printemps.

Même, ô jeunes vaillants, dans votre tombe encore Yous semblez retenir de l'âge adolescent Je ne sais quoi de doux, d'aimable et d'innocent, Et vous portez au front les grâces de l'aurore.

Espoirs trop tôt ravis du siècle à son berceau, Cher couple immaculé, passagères merveilles, 0 jumeaux dans la gloire et dans la mort pareilles, Rayonnez à jamais sur nous. Hoche et Marceau !

VII

LES HÉCATOMBES

LE VIEUX CORDELIER

A M. LOUIS ULBACH

Il mourut poursuivant une haute avenlurt?. Philippe Despohtes.

Le Camille railleur et guerrier dont le rire, Plus tranchant que le fer, décapite à moitié, Un soir qu'il se penchait sur Lucile, vit luire L'étoile des beaux yeux féminins, la pitié ;

Et se laissant guider par cet astre sincère, Cet astre sûr, il vit à son rayonnement Le poids renouvelé de la vieille misère Retomber sur la France impérieusement,

Les lourds âges d'airain, les durs âges de bronze Au siècle rajeuni, renouer leurs chaînons. En des corps de tribuns l'âme de Louis Onze Et des rois plébéiens ayant changé de noms ;

:252 LE VIEUX CORDELIER,

Sur la place funèbre au couchant empourprée La monotone horreur d'un sanglant tombereau, Et dans l'ombre, sinistre engeance de Gaprée, Les délateurs taillant la besogne au bourreau ;

Partout des citoyens traqués comme des proies, La France en noir, les longs troupeaux des orphelins, Immobile au-dessus des baisers et des joies Une hache, Yoilà ce que vit Desmoulins.

Tout le bouillonnement des antiques colères En amertume immense afflua dans son sein, Tant ses yeux retrouvaient les monstres sédentaires, Eprius dans Héljert et Lénas dans Ronsin.

Cet Hébert, ce Ronsin, des chiens de guillotine Léchant le sang français à la face du ciel. Avec le fer brûlant des \engeances latines Camille les marqua d'un stigmate éternel.

Sainte Ironie ! ainsi le jeune homme superbe. Incarnant à la fois Tacite et Juyénal, Sans crainte des serpents qui frémissaient sous l'herbe. Se dressa fièrement seul, armé d'un journal,

LE VIEUX CORDELIER. 253

Ecœuré d'échafauds, saturé de victimes, Et lassé du supplice atroce et familier, Il sentit la Terreur qui creusait des abîmes, Lui le \ieux Jacobin, lui le vieux Gordelier;

Et comme pour son rêve ingénument classique La République aii front sublime n'était pas L'idole aux dents de fer dont trembla le Mexique, Sur des tas d'ossements déesse du trépas.

Mais une mère aimante à ses enfants facile, Une Gybèle ouvrant ses bras compatissants. Ayant même pour ceux que sa rigueur exile Les faiblesses du cœur et la bonté des sens ;

Desmoulins, assumant une noble démence. Le premier fit vibrer l'écho terriiié. L'écho retentissant du mot divin : « Clémence ! » La France tressaillit de ce mot oublié.

Aux Girondins martyrs hommage expiatoire !

Frère de ces héros, tu partageas leur sort,

Camille, et tu tombas comme eux avec la gloire

De mourir pour avoir voulu tuer la Mort.

22

II

DANTON A CAPOUE

A FRANCIS. CHARMES,

Vous ne serez jamais vaincu par la vertu de vos ennemis. Usez de la vôtre.

D'AUBIGNÉ.

Près de ta jeune femme étourdiment heureux, Tout émerveillé comme un enfant amoureux,

Ivre de la brise qui joue. Charmé d'un rien qui chante ou qui vole, indécis, 0 grand cœur de Danton, sous les saules d'Arcis,

Aurais-tu trouvé ta Capoue?

Aurais-tu donc, ô toi le fds d'élection Qu'en naissant adopta la Révolution,

Toi l'indomptable et l'énergique. Senti, comme une lente et mortelle torpeur. S'étendre sur tes sens bercés par la stupeur

L'allanguissement léthargique ?

DANTON A CAPOUE. 255

11 fait si bon daller au loin, comme à vingt ans, De refaii'e à sa vie un asçreste printemps,

D'errer à travers la rosée ; Près la meule odorante il est doux de s'asseoir, Plus doux de contempler les blancs troupeaux le soir

Près d'une nouvelle épousée.

C'est bien, Danton, poursuis ton rêve idalien; Donne cette saison d'amour virgilien

A tes tendresses frissonnantes ; Tandis que tu te perds en ce roucoulement, La mitraillade en feu sévit impunément ;

La noyade dépeuple Nantes.

Sous les hideux couteaux qu'ils ont. rendus sacrés. Les Girondins sont morts et tu les as pleures ;

Puis dans le regret tu t'obstines ; De la France assiégée ainsi que Jéricho Partout se prolongeant jusqu'à toi vient l'écho

Sinistre et sourd des guillotines,

Et tu dors, ô Danton ! sont tes grands projets I Ces jours récents, ces jours meilleurs, tu songeais A l'œuvre d'un amour immense ?

256 DANTON A CAPOUE.

le sublime espoir des Français déliés Du joug de la Terreur et réconciliés ? le Comité de Clémence?

Les Révolutions sont un terrain mouvant ; On n'y va d'un pied sûr et ferme qu'en avant :

En avant donc, tribun farouche Et tendre ! Tu te tais, tu ne trouves donc pas L'héroïque signal du vaste branlebas,

Le cri que mugissait ta bouche.

Ta poitrine n'a plus de ces clameurs, lion, Comme Achille pensif sous les murs d'Uion

Qui pressentait sa fin prochaine. Pendant que les Français te disent: « Nous mourons! », Tu laisses résigné venir les bûcherons

Qui n'épargnent pas le grand chêne.

III

LE BAISER DE JUDAS

Danton eût sauvé tout le monde, même Robespierre. ^

Garât. {Mémoires-)

Quand Robespierre, las des stériles furies Et du déchaînement sans fin des barbaries, Non moins exaspéré d'horreur et de dégoût Par l'Hébertisme aussi fétide qu'un égoiit. Comprit que le Duchêne avec ses turpitudes Pourrissait chaque jour le cœur des multitudes. Inquiet et cherchant avec qui s'allier, Il tourna ses regards vers le vieux Gordelier Et désigna dans l'ombre aux flèches de Camille Cette hydre aux cent replis qui pullule et fourmille. Camille fit son œuvre et les tyrans grossiers Qui ramenaient la plèbe aux instincts carnassiers A jamais transpercés par cette plume artiste, Succombèrent noyés dans leur fange hébertiste.

22.

058 LE BAISER DE JUDAS.

Mais lorsque Robespierre à peu de frais vainqueur, Grâce à ce vieil ami Desmoulins dont le cœur Battait pour lui depuis les heures du collège, Put de sang froid laisser se prendre dans un piège Cet être confiant qui l'avait tant aimé, Le jeter en pâture au cachot affamé Et livrer, oublieux des saisons enfantines, La tête fraternelle au fer des guillotines, Robespierre fut lâche et traître et meurtrier, Et rien, même la mer, ne saurait essuyer Aux lèvres de ce morne et fatal patriote La trace d'un nouveau baiser d'Iscariote.

IV

FABRICIUS PARIS

A AUGUSTE ROBERT

Nous nous embrassions par nos noms Montaigne.

Cruauté des GoUot, faiblesse des Barère !

Ce Saint-Just est de marbre et l'autre vend son frère ;

Des vieilles amitiés il tranche le lien

Et Camille est livré par Maximilien !

Ils l'ont osé. La nuit honteuse est leur complice,

Et, pour que leur décret inique s'accomplisse.

Des soudards d'Henriot et des gens à bâton

Se glissent ténébreux jusqu'au seuil de Danton

Et fondent vingt contre un sur cette immense proie.

Dans son nid de baisers et d'amoureuse joie

Desmoulins est saisi par les noirs racoleurs '

De la mort qui riront de sa Lucile en pleurs.

260 FABRICIUS PARIS.

Lâches ! dans un seul coup de leur filet infâme, Ils ont tout pris, Hérault qui meurt pour une femme Et Philippeaux qui meurt pour la justice, et toi, Grand \eneur du dix Août donnant la chasse au Roi, Des chouans foudroyés superbe antagoniste. Terrible épée et cœur tendre, vrai Dantoniste, Westermann ! et tes mains triomphantes, tes mains Qui naguères chassaient à travers les chemins Les Vendéens sanglants, criant miséricorde. Pour leur ravir la foudre il suffit d'une corde !

Piège ignoble ! et demain la ville à son éveil Saura que les cachots haïs par le soleil Dévorent ses tribuns, ses lutteurs, ses génies, Sans répondre au défi des sourdes tyrannies Par le cri qui s'insurge et la vaste rumeur D'un grand flot populaire indocile au rameur.

0 captifs, expiez votre sainte démence ; Car tous vous renîront, martyrs de la clémence. Hormis un seul, héros ignoré; c'est Paris, Fabricius Paris le greffier qui, tandis Que les fiers accusés défendus par l'histoire Défdent isolés vers le prétoire Et lisent leur arrêt dans l'œil de Gofhnhal, Seul, au devant des beaux vaincus de Prairial,

FABRICIUS PARIS. 261

Sans que son calme front sourcillât d'une ligne, S'avança, puis d'un air simple et d'un geste digue Dans les bras de Danton se jeta ! quel baiser Héroïque et quel cœur fallut-il pour oser S'offrir, quand la pitié comptait parmi les crimes, A la contagieuse approche des victimes. Et, résigné d'avance aux vengeances du sort. Embrasser le malheur, le péril et la mort !

ET LA PATRIE?

A JOSEPH LAIR

Tant est difficile au sang français de cacher l'affection que nature lui donne envers la France.

DUPLESSIS-MORNAY.

Tels que d'ignobles rets ou qu'une cage infâme Emprisonnent le vol d'un aigle ou d'un condor,

Des geôliers comprimaient l'essor,

0 Danton, l'essor de ton âme.

Génie ailé, Centaure aux bonds soudains et sûrs, Et fait pour dévorer l'infini des espaces. Des tortureurs aux mains rapaces, T'étouffaient entre quatre murs.

Tout affamé d'air libre et de large lumière, Parfois tu rugissais, comme un taureau captif. Et parfois tu restais pensif - Songeant tout bas à Robespierre.

ET LA PATRIE? ^63

Mais un jour des amis soucieux d'un héros Vinrent soudain t'offrir la prompte délivrance,

Loin de Paris, hors de la France,

L'asile interdit aux bourreaux.

Et toi, tournant vers eux ta prunelle attendrie. Tu répondais : « Amis, laissez-moi mes geôliers,

« Aux semelles de ses souliers

« On n'emporte point la patrie I »

VI

LE CRI SUPRÊME

A M. CHARLES SEIGNOBOS

Les Titans sont tombés.

Armand Silvesthe.

Devant ce tribunal Tinville assassine Ces Cordeliers en qui la pitié prit racine, Les Yoilà tous !

Hermann interroge d'un ton Cruel et faux celui qu'on appelle Danton. Georges Danton répond à l'interrogatoire :

« J'ai trente ans. Une tombe attend mon corps. L'histoire « A des Panthéons d'or pour y loger mon nom. « Je suis la voix d'airain d'un peuple, le canon « Qui proclame aux échos sa joie ou sa colère, « Le dur métal sonnant le tocsin populaire.

LE CRI SUPRÊME. 265

« La voix! J'ai prononcé l'universel holà ;

« La Révolution par mon verbe parla,

« Et, tour à tour ardente, effarée ou farouche,

<( Surprit les battements de son cœur sur ma bouche,

« Au dix août, auvingt juin, au Champ de Mars, et quand

« La Patrie en danger devint un vaste camp,

« Acclamant d'un seul bond mes accents militaires

« Par le multiple écho des armes volontaires.

« Oui! je fus cette voix de la France, et c'est moi

(( s'usa la Gironde et qui brisai le Roi,

« Qui d'un geste à vos pieds mis soudain la Belgique,

« Moi de toute œuvre énorme ouvrier énergique,

({ Qui fis la République et qui fis la Terreur,

<( Non pour rassasier une lâche fureur

« Et vouer l'innocent au destin du coupable,

« Mais pour que mon pays menacé fût capable

(( De vaincre et d'exercer la suprême vertu

« De faire grâce après avoir bien combattu.

« J'ai flétri les bourreaux en plaignant les victimes,

« J'ai voulu le bonheur de tous Voilà mes crimes I

« Et maintenant, venez, vil ramas de menteurs,

« Vous mes accusateurs, mes calomniateurs,

« Monsieur le chevalier de Saint-Just ! un Barère,

« Suppôt de monarchie et des Feuillants confrère,

« Un Vouland, un Vadier, un Amar, tous Feuillants.

u Les voyez-vous là-bas ces dogues aboyants,

23

266 LE CRI SUPRÊME.

« Leurs museaux en arrêts à l'étroite lucarne ?

« Les yeux fixes, leur meute à notre mort s'acharna.

« Qu'elle approche pour mieux contempler le lion

« En face J'en appelle à la Convention !

« Nous sommes désarmés, enchaînés d impuissance : « Qu'ils viennent nos témoins vengeurs, notre innocence « Rayonnera limpide au ciel de Prairial (( Et vous-mêmes, jurés, par un arrêt loyal, « Vous nous rendrez au peuple, à l'amour, à la vie. « Quand la grande Assemblée un moment asservie « Nous aura tous absous d'un applaudissement, « Jusqu'à son pur sommet la Montagne ardemment « Nous ravira dans une ivresse auguste et fière, <( Et je pardonnerai sans doute à Robespierre! »

La foule l'écoutait émue, et les jurés

Levaient sur le tribun des yeux mal assurés.

Il parla longuement, et quand la violence

Ou la ruse voulait le contraindre au silence, -

A l'Hermann, au Fouquier, il lançait des mépris

Superbes, et ses cris d'aigle irrité, ses cris

Emplissaient les parois tremblantes de la salle

D'une sonorité terrible et colossale,

D'un bruit prodigieux de trombe et d'ouragan.

On eût dit un orage aux lèvres d'un Titan,

Tant sa voix ébranlant les vitres, dans la rue

LE CRI SUPREME. 267

l*ar le vent rejetée à la foule éperdue,

Sur Paris qui livrait ses tribuns à la mort,

Tonnait en renversant les cœurs dans le remord .

Tant les longs roulements de l'éloquente foudre

Grondaient et par moments prosternaient dans la poudre

Les; fronts anéantis des juges écrasés

Qui devant un Danton semblaient des accusés.

VTI

DERNIÈRE LETTRE DE CAMILLE A LUCILE

Lucile, ô ma femme-enfant,

Réchauffant Sourire de ma jeunesse, Faut-il, loin de ton amour,

Que le jour Pour moi tristement renaisse ?

Faut-il, loin de tes baisers

Refusés A ma lèvre juvénile. Qu'on m'ait plongé sans espoir

Dans le noir D'une prison, ma Lucile?

Pauvre chercheur innocent,

Ne pensant Au peuple affranchi de maîtres

DERNIERE LETTRE DE CAMILLE A LUCILE. 269

Que pour faire sans danger

Partager Mon ivresse à tous les êtres,

Je révais des jeux, des chants,

Les méchants Envieux d'une alégresse Qui fit courir dans les sens

Des passants Les grands souffles de la Grèce.

Hélas ! en nos jours mauvais

Je rêvais La France enfin rassurée. Enfin, apprenant aux cœurs

Ses douceurs, La République adorée !

Rêve d'or et de soleil !

Le réveil Me jette à trente ans dans l'ombre Des cachots mornes et durs,

Dont les murs

Ont compté des morts sans nombre.

•23.

27 DERNIERE LETTRE DE CAMILLE A LUCILE

0 traîtres, ô mes bourreaux,

Les barreaux Laissent avec ironie Entrevoir là-bas soudain

Le jardin De notre enfance bénie.

Que de fois sous ces lilas,

Jamais las D'ineffables causeries, . Nous restâmes jusqu'au soir

Croyant voir L'avenir plein de féeries.

L'avenir ! c'est le présent

Écrasant Qui répond à notre songe : Jeunesse, gloire, gaîté.

Liberté, Tout fut néant et mensonge.

Sous ces fleurs, sous ces massifs '

pensifs Nous buvions la joie insigne,

DERNIÈRE LETTRE DE CAMILLE A LUCILE. 2 7 1

Je ne vois, triste témoin,

Que de loin Ta mère qui me fait signe.

Et toi, tu ne peux venir.

Cher désir. Rose des enchanteresses. Ame douce à respirer,

M'enivrer De fugitives caresses ;

Mais au moins, dans les ennuis

De ces nuits Froides et mélancoliques. Tu peux, ô cœur familier,

M 'envoyer Quelques suprêmes reliques ;

Quelques boucles de cheveux ,

Je les veux ; Un portrait, belle des belles. Et ce grand verre rêveur

Le graveur A mis nos deux noms fidèles.

VIII KÂRAMSIN

A ALBERT COLLIGNON

Calme et sinistrement joyeux comme un corbeau, Un homme au front kalmouck ricanait dans la rue Quand, dédaigneux parmi la foule qui se rue, Danton et ses amis marchèrent au tombeau.

0 bonheur d'avoir vu s'éteindre un tel flambeau ! L'étranger s'éloigna, sur sa face bourrue Gardant la vision à peine disparue D'une France arrachant à son cœur un lambeau.

Extasié, ravi, transfiguré, ce Russe

Que le Gzar déléguait afin que son astuce

De la Pologne aux fers détournât nos combats,

Fêtait ce Comité sur qui n'avait pu mordre L'esprit de propagande et célébrait tout bas Robespierre, inventeur « du grand parti de l'ordre. »

IX

LE CUISINIER MÉOT

A ALPHONSE DAUDET

C'était Cornus à Rome et c'est encore un dieu. On rhonore, on l'admire, et dans Paris en feu Il existe à foison des Brutus sybarites Qui du divin traiteur ont scruté tous les rites Et rendent à sa table un culte délicat. Gourmet comme un chanoine en son canonicat Plus d'un vers ces festins se glisse à la sourdine Et chez l'inoffensif Méot la Terreur dîne. C'est le gai rendez-vous des proscripteurs badins Qui le jour sur Camille ou sur les Girondins Ont à point aiguisé leur appétit nocturne. Quant la boule de mort a bien roulé dans l'urne, Au pâté d'ortolans on trouve des saveurs Suprêmes, et les yeux poursuivent plus rêveurs.

274 . LE CUISINIER MEOT.

Parmi les souvenirs de ces têtes coupées, Un prochain horizon de blanches priapées. Ils sont tous plus galants que monsieur de Bertin. C'est Sénar, c'est Vadier, Géronte libertin, Amar reconnaissable à ses manchettes neuves Et qui baise les mains à celles qu'il fait veuves, Barère est de la fête et ce subtil Scapin Gasconne en persiflant l'amphitryon Dupin Qui combine un dessert égrillard et médite La mort de Lavoisier dans les yeux d'Aphrodite.

Le vin jaseur circule et bientôt le Chablis, Verse aux sanglants buveurs l'ivresse et les oublis, Et le désir s'allume à leur joue empourprée; Leur corps est à Paris et leur âme à Caprée !

LE TESTAMENT DE CONDORCET

A M. ADRIEN HEBRARD

Sage Républicain que la haine diflame,

Sans jamais pouvoir le ternir, Gondorcet proscrit, seul, caché par une femme,

Porte en soi l'immense avenir. Que lui font le passé, le présent, la tempête

Sifflante dans l'air haletant, La hache à tout moment pendante sur sa tête

Insatiable et qui l'attend? Il méconnaît la mort qui passe et qui repasse

Incessamment dans le chemin Et qui semble aujourd'hui ne lui faire encor grâce

Que pour le reprendre demain.

276 LE TESTAMENT DE CONDORCET.

L'Ame de Gondorcet stoïque, inébranlée,

Plane au-dessus de ces périls, Toujours plus haut et va par l'espace, envolée

A travers de lointains exils. Il voit l'Humanité dans son cours séculaire,

Suit en ses bonds étincelants La grande voyageuse et note sans colère

Ses chutes comme ses élans. Malgré les rois, malgré les bonzes, les satrapes.

Les myrmidons ou les titans Qui retardent sa marche, il compte neuf étapes

Sur la route large des temps. Neuf âges lumineux d'où notre race humaine

Prend un sûr et nouvel essor. Et part, obéissant à la loi qui la mène.

Gomme à la quête d'un trésor. L'argonaute éternel qu'appellent sans relâche

La science et la liberté. Le genre humain d'un pied ferme accomplit sa tâche.

L'itinéraire illimité, Et, devant le penseur, témoin de chaque halte,

De chaque oasis rajeuni. Suit la marche en avant que Gondorcet exalte.

Le grand Progrès indéfini !

LE TESTAMENT DE CONDORCET. 277

II

De cette vision le condamné s'enivre

Et, toujours extatique et fort, Il la déroule au pur courant d'un noble livre

Sans trahir nul pénible effort. Il est lui-même ardent et froid ; il nous révèle

Dans ce limpide testament Sa foi sans défaillir en la race nouvelle

Et son sublime entêtement. Il croit au Bien , il croit au Mieux , il croit au Juste :

Le Mal, cet accident grossier, Ne peut même entamer l'enveloppe robuste

De ses convictions d'acier. La Révolution le proscrit et le tue :

Résigné tel qu'un fds pieux Il lui garde en son cœur une blanche statue

Sur l'autel le plus glorieux. Il l'absout et la voit pareille à la Nature

Dont le soleil chauffe les airs. Morbide et meurtrier pour mainte ciéature,

Vivifiant pour l'univers.

24

278 LE TESTAMENT DE CONDORCET.

III

Ainsi dans sa retraite obscure et clandestine,

Accessible à la trahison, Sous le couteau, non loin du champ de guillotine,

Et constamment prêt au poison. Le sage, dédaigneux des bourreaux, pur de haine.

Embrasse de ses yeux pensifs Les siècles à venir et l'époque prochaine

Où, libre des maux primitifs, A jamais affranchis des fourbes et des maîtres.

Purifiés et réjouis, Dans leur fraternité paisible tous les êtres

Iront sous les cieux éblouis. Chantant ce songe d'or comme le chant du cygne,

Condorcet mourut consolé De l'horreur transitoire et du présent indigne

Par l'avenir immaculé. 11 mourut en pressant dans ses bras l'Espérance

Prête encor à le secourir. Et son dernier regard vit triompher la France

Et la République fleurir !

XL

LES MERES

A JULES UEVAL.LOIS

Ainsi les heures éphémères, Les mois, les rapides saisons Retrouveront toujours les mères Assises au seuil des prisons ;■

Insensibles à la cohue,

Aux cris sauvages ou moqueurs.

Saintes Niobés de la eue,

Elles restent sont leurs cœurs.

Rien ne peut émouvoir ces' femmes ; Leur corps chétif est soulevé Par leurs pensers : ce sont des âmes Immobiles sur le pavé.

•iSO LES MERES.

Leur chair devient, indifférente Au soleil comme au froid qui mord. Leur oreille n'est plus vibrante Que pour les bulletins de mort.

Pauvres vieillesses consternées ! Combien songent, les doigts tremblants, A ces têtes emprisonnées, A ces têtes sans cheveux blancs.

Combien, rejetant la folie D'un espoir que tout leur défend, Portent le deuil d'êtres en vie, Veuves déjà de leur enfant.

Toutes par des sanglots fidèles Attestent de prochains trépas. Toutes, excepté l'une d'elles Qui se tait et ne pleure pas.

Elle observe dans ses alarmes Un désespoir silencieux : La douleur a tari ses larmes ; Les pleurs sont usés dans ses yeux !

XII

LE FAUBOURG ANTOINE

A M. CHARLES LENIENT

A\ez-vous entendu frémir dans les ramures

Le vent d'automne? Tels de véhéments murmures

Traversent le faubourg'Antoine soucieux.

Or le faubourg Antoine, ô frères, c'est le vieux

Patriote, le dur preneur de la Bastille,

L'escaladeur du Louvre, et celui dont la fdle,

Éclose au soleil d'Août sur les pavés en feu.

Belle comme le rêve immuable d'un dieu,

S'appelle République et lance le tonnerre.

Donc, lorsque cette enfant, invincible en son aire. Triomphe, le faubourg au cœur large est content Et va, d'un pas joyeux, jusqu'à Ménilmontant

24.

282 LE FAUBOURG ANTOINE.

Ou parmi les coteaux familiers de Gharoiine,

Fêter la France au front de laquelle fleuronne

La victoire, et chanter l'impétueux refrain

Qui là-bas vole avec les balles sur le Rhin :

La grande Marseillaise emplit l'humble guinguette.

Ce rude travailleur en honnête goguette

Danse naïvement, sans se faire prier,

Des rigodons rhythmés par un ménétrier.

Et, lutteur fauve, admet la folâtre cadence

Des menuets galants et de la contredanse.

0 joie exubérante et candide !

Aujourd'hui Un atterrant chagrin semble peser sur lui Et, de ses décadis n'observant point la fête. Il va, triste et muet, le bonnet rouge en tête, Plus grave qu'en ces jours de labeur obstiné Où, brisé de fatigue, au moins il se sent Pour vivre libre dans une fière patrie. Non ! sa démarche est morne et sa face assombrie Et sa voix irritée et rauque par moments Traîne aux noirs carrefours de longs mugissements. C'en est fait ! le faubourg Antoine est en colère ! Pourquoi?

C'est qu'il a cru recevoir le salaire Des périls acceptés et des tourments soufferts.

LE FAUBOURG ANTOINE, i>83

Et de cette rupture immense de ses fers,

Par la plus belle et la plus pure des conquêtes,

La République ! Mais cette dîme de têtes

Que chaque jour sanglant vient jeter sur ses pas.

Cette quotidienne offrande, il n'en veut pas.

Son âpre aversion du Royalisme tombe

Devant la monotone horreur d'une hécatombe,

Et généreux il souffre à voir tous immolés

Les innocents avec les coupables mêlés.

Les vierges de seize ans, en proie aux victimaires.

Ravissent la pitié sanglotante des mères.

Et les vieillards font mal aux jeunes ouvriers

Qui regagnent d'un pas troublé leurs ateliers

Quand ils ont vu passer toutes ces têtes blanches.

Ainsi cet échafaud immobile, ces planches

Funèbres, le panier, le couperet, le son

Et l'assiduité du régulier Sanson,

Et toute cette pompe atroce du supplice.

Le faubourg n'en veut plus , lassé d'être complice.

Même par ses regards, et se refuse à voir

Le cortège qu'on mène en foule à l'abattoir

Gomme pour assouvir de sinistres frairies.

n te faut des combats et non pas des tueries,

Brave faubourg, soldat de Santerre, et témoin

De ces hideurs, tu veux les reléguer plus loin,

284 LE FAUBOURG ANTOINE.

Et, chaque jour, comme un orageux interprète. Ton murmure vient dire : « Arrière à la charrette. La charrette recule interdite, et demain La marche de la mort changera de chemin !

VIII

LE TALION

CATHERI^'E TIIÉOT

A FRANÇOIS COPPEE

N^ous n'avions point encor de mères de l'Église . Marie-Joseph Chénieh.

A la vague lueur des furtives veilleuses Des êtres singuliers, aux yeux hagards, tout bas Chuchotent des récits de choses merveilleuses, Des confidences de sabbats ;

Cependant qu'au dehors sous Féclat des tonnerres S'ouvrent de libres cœurs à la raison éclos, Ge^ mesquins héritiers des convulsionnai res Font du mysticisme à huis clos,

Des miracles en chambre! on. prêche, on magnétise, On confesse, on flagelle, on exorcise, on a Un mélange inouï d'horreur et de sottise, La Foire jouant le Sina.

'288 CATHERINE THÉOT.

Tout cela vaticine en famille. Copistes Vulgaires des effrois d'Erythrée et d'Endor, Des fous, de \ils fripons, de peureux royalistes Vont prophétisant l'âge d'or,

Sur une mer de sang des cieux d'azur sans tache, Des glaives abaissés sur tous les rois fuyards, La messe noire dite à l'aide de la hache Par des vicaires savoyards ;

Tout un surnaturel prosaïque et débile. Mais que d'initiés se pressent dans ce lieu la caduque hôtesse, idiote sibylle. Se proclame Mère de Dieu.

Tandis qu'elle marmonne en syllabes confuses Les mots d'Être suprême et d'Enfer et d'Elus, Deux filles de vingt ans captivent par leurs ruses Les visiteurs irrésolus.

Catherine Théot est cette vieille étrange Sur un fauteuil juchée avec un air rêveur. Don Gerle le chartreux fait près d'elle l'archange ; Pien n'est absent que le Sauveur;

CATHERINE THEOT. 280

Ce Messie invoqué qu'attend un trône vide, L'homme d'Apocalypse, unique espoir des bons, Des justes et des purs qui guettent, l'œil avide. Un Christ successeur des Bourbons,

Un Christ ayant Marat pour précurseur, un maître Mêlant dans un hommage égal, un même honneur, Le voyant, le bourreau, la sorcière et le prêtre, Un doux Jésus guillotineur !

Et c'est toi, Robespierre, élève de Jean-Jacques, Philosophe, c'est toi dont la faiblesse admet Que ces illuminés, te dédiant leurs Pâques, T'exaltent comme un Mahomet ;

Jésus de la Théot, Christ du moine Don Gerle, C'est donc toi, Robespierre! et tous tes envieux, De te jeter au front comme un flot qui déferle Ces sobriquets injurieux.

Perfide apothéose ton renom succombe ! Ecoute, Robespierre, écoute ce Vadier. Sa parole effleurant Catherine retombe Sur toi comme un lourd bélier.

25

290 CATHERINE THÉOT.

Le ridicule autant que le fer décapite. Écoute encor Vadier! il parle, expert aux jeux Meurtriers, et branlant sa tête décrépite Il émeut un rire orageux;

Un rire qui bondit et qui court et qui roule, Trombe, foudre, incendie, ouragan, tourbillon, Vaste soulèvement assez fort dans sa houle Pour tordre la Convention.

Ils l'avaient bien prédit, infortuné déiste. Les Rabaud, les Guadet, ces fiers guillotinés, Que tu serais toujours le bonze qui persiste A croire ses rivaux damnés.

Te voilà plus qu'un bonze, un rival des Messies Que dans l'espoir flottant des prochains paradis Montrent de creux vendeurs d'obscures prophéties A des badauds dans un taudis.

Ah ! qu'une fois au moins ton grave orgueil se cabre Et qu'il repousse avec des mépris menaçants Tes mages de hasard et ta sainte Ghalabre, Toutes tes porteuses d'encens ;

CATHERINE THEOT. 291

Car ce culte secret, honteux, calqué sur Rome, Réclame de ta part un hautain désaveu. Lorsque, tribun puissant, on se croit un grand homme, L'on n'a pas besoin d'être un dieu !

II

DERNIÈRES PENSÉES DE SAINT -JUST

A EMILE BLEMONT

Il faut que tout s'éloigne.

SÉNANCOURT.

Toujours triste, toujours harcelé de funèbres Visions et toujours hanté par les ténèbres, Saint-Just n'espérait plus et répétait souvent : « Mieux vaut le héros mort que le lâche vivant ! » Et, comme pressentant l'infaillible défaite, Il disait : « Ceux par qui l'œuvre est à moitié faite N'ont su que se creuser ici-bas leur tombeau. Le vent souffle. Eteins-toi, dérisoire flambeau, Dont la flamme impuissante et déjà moribonde N'aura pas assez lui pour éclairer le monde. Eteins-toi! »

Puis, songeant combien pour ses lutteurs Le peuple a des oublis cruels et contempteurs.

DERNIERES PENSÉES DE SAINT-JUST. 293

Sentant profondément Tingratitude aiguë,

11 jugeait que l'unique amie est la ciguë,

La seule qui jamais n'ait trompé notre espoir.

Ainsi, comme un soleil au déclin vers le soir, Comme un soleil pâli par la teinte automnale, Penchait celui qui prit sa course matinale D'an pied si bondissant, comme un soleil d'été Se lance dans l'espace et dans l'immensité Et, se précipitant sur la terre, l'inonde Du grand baiser de feu qui dévore et féconde.

Gomme l'astre au couchant, tel Saint-Just s'affaissait. Mais parfois, redressant son front pâle, il pensait Que la gloire survit au héros qui succombe Gomme un marbre immortel sculpté sur une tombe. Un marbre impérissable ombragé de lauriers ; Et que, pieux vengeurs des oublis meurtriers. Les siècles tour à tour vont porter leur prière A cette tombe dort la stoïque poussière.

0 toi déjà blessé par le prochain trépas, Proscrit du lendemain, tu ne te trompais pas. Sur ton récent tombeau se dresse encore ta gloire. Elle est de marbre ainsi que fut ton cœur. L'histoire

25.

294 DERNIERES PENSEES DE SAINT-JUST.

A planté tout autour, vivace et renaissant, Un laurier nonpareil, s'il n'était teint de sang, L'histoire qui se dit, ô jeune homme de Sparte, Que toi seul aurais fait reculer Bonaparte !

III

8 ET 9 THERMIDOR

A M. ERNEST HAVET

Les morts se vengent,

Eschyle.

I

l' 0 R \ G E

La séance est ouverte et Saint-Just a parlé

En insidieux coryphée, Et tous se laissaient prendre à ce sophisme ailé

Quand cette voix fut étouffée.

Un seul cri. Tallien le poussera, ce cri,

Ce cri de révolte et de haine. Tel qu'en saurait lancer, dressant son bras meurtri,

Un esclave qui rompt sa chaîne.

296 8 ET 9 THERMIDOR.

Et Billaiid lui répond, mieux qu'un écho vibrant,

Dardant ses phrases avec rage Gomme les jets tordus de l'éclair fulgurant

Qui se fait suivre de l'orage.

La Montagne frémit belliqueuse. Merlin ,

Croise les bras, noble adversaire; Lecointre montre avec un geste sibyllin

L'arsenal que sa poche enserre,

A droite il est plus d'un royaliste masqué

Avec une secrète joie Qui guette le moment de s'abattre, embusqué.

Sur une formidable proie.

D'autres, purs Girondins, fidèles aux cyprès

De mainte adorable victime. Savourent en heureux convives les apprêts

De la vengeance légitime.

D'autres enfin, plus froids qu'au profond des jardins

La statue en pleine charmille, Songent, vindicatifs comme ces Girondins,

A leur Danton, à leur Camille.

8 ET 9 THERMIDOR.

La Montagne frémit fiévreuse, mais son cœur

Est dur à l'égal de la pierre. Car tous ont résolu, dans leur mâle rancœur,

Ta lourde chute, ô Robespierre!

Fanatique imprudent qui vise au dictateur, Robespierre s'est fait connaître,

Et la Convention de toute sa hauteur Se dresse contre ce grand prêtre.

Elle n'a pas brisé l'orgueil bourbonien

En son audace triomphante Pour retomber au joug de Maximilien ,

Fade et lugubre sycophante.

Or Robespierre est sans pouvoir s'emparer

De la tribune refusée. Il veut parler : dùt-il rugir, diit-il pleurer.

Tout provoquerait la risée.

Il veut parler. Mais tel que l'impuissant rameur

Qu'étreint la trombe colossale. Il retombe opprimé par l'énorme clameur

Qui bondit à travers la salle

298 8 ET 9 THERMIDOR.

« Mort au tyran ! à bas le tyran ! » Cette voix

Prodigieuse et sépulcrale Sur tous les bancs éclate et fulmine à la fois :

Le vaincu balbutie et râle.

Il prie en vain la Droite et se suspend aux seins

De l'espérance malévole. Il s'écrie éperdu : « Président d'assassins,

Je te demande la parole ! »

La sonnette inflexible étouffe encor tes sons,

0 Rhétorique à l'agonie, Et Robespierre écoute avec d'affreux frissons

Ce long glas de sa tyrannie.

II

ou CA.MBON INTERVIENT

Quand Maximilien, en habit bleu de ciel, Débita sa harangue interminable et fausse Qui vaguement poussait des hommes vers la fosse. Avec un ton poli, doucereux et cruel,

8 ET 9 THERMIDOR. 299

Il eut beau prodiguer tout son sucre et son miel, Et rajuster sa phrase ainsi qu'un haut de chausse Pour désarmer Gamhon que le Devoir rehausse, Mais qu'il avait rapide éclaboussé de fiel.

Le rude citoyen d'un seul bond électrique Surgit, et sa parole, à l'instar d'une trique, Tomba sur Robespierre et lui cassa les os,

Et le fit repentir de sa lâche escapade. En infligeant sur place au tueur de héros Le supplice qui sied aux fourbes, l'estrapade !

III

LE SANG DE DA.NTOX

Robespierre isolé, convulsif, aux abois, Se débattait les yeux hagards, presque sans voix, Lorsque, tel qu'un serpent tapi sous une toufl'e, Un Montagnard soudain s'élançant lui dit : « Vois Le sang de Danton qui t'étouffe. »

300 8 ET 9 THERMIDOR.

L'homme d'Arras eut beau rebondir, il eut beau, Gomme un guerrier mourant sous le bec d'un corbeau, Protester par l'accent d'une ironie altière. Ce fut tout! Il se tut, comme au seuil du tombeau. Ce sang étouffait Robespierre.

Il se lut : aux regards du lutteur haletant Toujours ce sang fatal s'élargissait, montant Jusqu'à ses pieds, comme une implacable marée, Plus haut, puis tout autour de son corps pâle, autant Qu'une grande mer empourprée.

IV

PARIS

A qui sera Paris ? problème Qui sollicite en même temps Le tribun d'Arras au front blême Et les comités haletants. A qui sera Paris? l'histoire Jusqu'ici donne la victoire, Ville énigmatique, ô Paris, Non pas aux plus braves athlètes, Mais, fussent-ils des femmelettes, A tes fortunés favoris.

8 ET 9 THERMIDOR. SOI

C'est toi, Sphynx oublié d'OEdipe, Qui vas dispensant le succès, Sans loi, sans règle, sans principe, Mouvant à loisir les Français, Tantôt arrachant la Bastille, Tantôt plus lâche qu'une fille Et si variable en tes jeux, Qu'Antium t'eut voué son temple. Grand corps que ma stupeur contemple, Sublime hier, demain fangeux.

Es-tu dans tes jours d'indolence? Quel sera ton élu ce soir? Pour qui donc penche ta balance Et pour qui fléchit ton vouloir? Es-tu facile à Robespierre? Ce dictateur de cimetière A-t-il pris ton cœur décevant, Ou pour ta vaillante assemblée Te jettes-tu dans la mêlée, Cocarde et république au vent ?

Non! Paris incertain oscille,

Et Robespierre est délivré,

Et la Commune mal docile

Décrète et proscrit à son gré ;

26

302 8 ET 9 THERMIDOR.

Et ses émissaires nocturnes Dans les sections taciturnes Vont portant je ne sais quel mot. On dirait les temps de Tibère : La Convention délibère Sous les canons d'un Henriot.

Les messagers passent, repassent, Croisant dans la nuit leurs mandats. Mornes, les deux partis se lassent, Sans combattants et sans soldats. Voyons donc, ville au bras d'Alcide, Arme-toi, discute, décide; Songe qu'il te faudra marcher Pour l'Assemblée ou la Commune. Non ! muet sous le clair de lune, Paris ne veut pas découcher I

C'est que la Terreur familière Et l'échafaud quotidien Ont énervé ton âme fière, Pauvre peuple parisien ! C'est le prix de ton inconstance. Une aussi dure pénitence T'attend plus d'une fois encor. 0 patriotisme éphémère !

8 ET 9 THERMIDOR. 303

Tel sera servile en Brumaire Qui reste neutre en Thermidor !

L' HOTEL DE VILLE

Nul ne vient! nul n'accourt au mot de ralliement.

Devant les tribunes désertes La Révolte isolée, attentive aux alertes

Persiste convulsivement.

Ni les pesants faubourgs armés de bonnes piques,

Ni les Jacobins leurs rivaux Ne sont venus aider en ces derniers travaux

Nos proscripteurs philanthropiques.

C'est assez du deux Juin; et cette fois, du moins.

On ne verra pas une bande Foulant aux pieds les lois danser la sarabande

Auprès des Girondins témoins.

Non! l'angoisse les prend, comme la solitude Etend sur eux ses froides mains :

Seuls les plus convaincus ou les plus inhumains S'obstinent en leur attitude.

304 8 ET 9 THERMIDOR.

Quelques-uns ont gardé l'espoir dans leur œil dur,

C'est Payan lancé par Vaucluse, L'Auvergnat Coffinhal que plus d'un mort accuse

Et l'homme au cœur de tigre, Arthur.

Séide timoré que l'amitié décide,

Gouthon est venu pour mourir Et, si nul allié ne veut les secourir.

Il accepte le suicide.

Les plus jeunes parfois guettent le moindre bruit

Qu'espèrent-ils voir apparaître? On ne voit, à travers la blafarde fenêtre.

Que la lune large et la nuit.

Et cependant, offrant leurs poitrines pour cibles,

Prêts à vaincre comme à finir, Robespierre et Saint-Just embrassent l'avenir,

Solennellement impassibles.

Mais Saint-Just se réveille et veut agir. Il faut

Arracher des cris et des larmes Au peuple, centupler un vaste appel aux armes,

Et combattre avant l'échafaud.

8 ET 9 THERMIDOR. 305

« Signons tous ! » Robespierre hésite ! Ce rebelle

Laisse son bras comme allangui Retomber, et tout bas demande : « Au nom de qui? »

Grande parole et vraiment belle !

Ali ! que ce mot lui compte à son dernier moment !...

Il signait pourtant, mais la porte S'ouvrit! quel est ce flot que l'escalier apporte,

Le salut ou le châtiment ?

Les quais se sont emplis d'une troupe serrée :

Paris n'est donc plus indécis ; Voici les Gravilliers, la Cité, les Arcis,

Et la baïonnette acérée,

Et les fusils sonnant sur le pavé des quais.

Et les lourdes artilleries, Et, solides au choc parmi les batteries.

De bleus gendarmes convoqués.

Pour qui vient ce renfort? pour vous, Syllas d'églogue?

Ah ! connaissez votre abandon ;

C'est ton armée, ô Loi, c'est Léonard Bourdon,

Le patriote pédagogue.

26.

306 8 ET 9 THERMIDOR.

Marchez ! la République est devant vos rangs.

Un dictateur vaut un monarque. Que la même Furie et que la même Parque

S'acharnent sur tous les tyrans.

Bravo ! Parisiens tardifs ! la Marseillaise

Est contente et fière de vous ! La Liberté vous nombre à votre rendez-vous.

Ah! merci, légion française!

Bien, Gravilliers! vengez Ghaumette, et vous Danton,

Patriotes qu'hier encore Opprimait ce sophiste égorgeur que décore

Le fanatisme d'un santon.

On entre. Un coup de feu retentit : le tumulte

S'épand ; et, parmi les fuyards. On voit, quand la fumée éclaircit ses brouillards.

L'idole, sans prêtre et sans culte,

Robespierre gisant aux pieds du meurtrier,

Du blond Merda, de ce gendarme, Qui grave, indifférent et la main sur son arme,

Se croyait un bon ouvrier.

8 ET 9 THERMIDOR. 307

Oui I gendarme, ta main fit tragique besogne,

Mais, cependant qu'à ton signal On ramasse Couthon, Dumas et Coffinlial

Et cet Henriot sans vergogne ;

Que Lebas s'est tué, martyre fraternel, *

Qu'Augustin Bon par la fenêtre Se jette et que Saint-Just, bien moins captif que maître,

Observe son calme éternel,

Gendarme insoucieux, toi qui, la tête fière,

Tomberas à la Mosko\Ya, Ton coup de pistolet n'est point ce que rêva

La conscience justicière.

Pour celui qui s'est fait presque l'égal d'un roi,

La seule et suprême blessure Appartient à ta hache inexorable et sure

Dans ta main de déesse, ô Loi!

308 8 ET 9 THERMIDOR.

VI

LE SUPPLICE

Juste ou pervefs, celui qui menace un Sénat, Qui veut plier le Droit sous le joug de la Force, Commet plus qu'un viol et qu'un assassinat. Qu'il soit Français ou qu'il soit Corse !

Le pire usurpateur n'est point le général ; L'homme de Thermidor vaut l'homme de Brumaire Tous deux ont pratiqué l'attentat immoral Sur la République leur mère.

Le premier est tombé pesamment. Sois puni Pour ton rêve odieux d'immense dictature. Pour ta complicité dans le meurtre infini, 0 captieuse créature.

Robespierre ! les morts se vengent aujourd'hui ; Aux fosses de Monceaux tes victimes tressaillent ; L'image de Danton dans un éclair a lui ; Camille et Lucile t'assaillent.

8 ET 9 THERMIDOR. 309

Invisibles ils vont dans Tair mystérieux Et sentent le supplice et flairent l'agonie, Et jusqu'au dernier souffle ils poursuivront les yeux, Double et redoutable Ervnnie.

Les morts sont ! marchez au supplice banal, Députés, tape-durs, jacobins, côte à côte, Hardi Payan, Dumas tueur de tribunal. Et toi Saint-Just la tête haute !

Mourez 1 les cris vengeurs souvent vous poursuivront Sans fléchir votre calme et votre quiétude. Soit ! ne regardez pas ceux qui dansent en rond ; Car ce n'est que la multitude.

Mais, bien plus que la foule au ramas menaçant, C'est l'Histoire elle-même à la ferme paupière, Qui jette ainsi l'affront de ces gouttes de sang Sur ta maison, ô Robespierre.

Meurs donc ensanglanté. Souviens-toi : tes vertus Pèseront toujours moins que tes hontes célèbres. Ton nom, ô trahisseur des amis abattus. N'est point sorti des noms funèbres.

310 ' 8 ET 9 THERMIDOR.

»

Et, crime encor plus grand qu'ont ressenti nos fils, Soufflant un fanatisme à la Gaule affranchie, Par ton jaloux orgueil de sectaire, tu fis Renaître en toi la Monarchie !

IX

APRÈS THERMIDOR

LA MAISON DES DUPLAY

APRÈS LE 9 THERMIDOR

A PAUL BOURGET

C'est toi qui dors dans l'ombre, ô sacré souvenir !•

ViCTOB IlDGO.

0 maison dans la nuit et toi, fenêtre veuve,

Fenêtre des Duplay, d'où se pencha souvent

Le vieux père épargné par la sanglante épreuve,

Pieux à ses lointains souvenirs et rêvant

A de grands morts tombés là-bas au bord du fleuve,

Et plus vite emportés que les feuilles au vent !

Maison du menuisier où, dans une ombre austère,

Fière du nom mart^T de madame Lebas,

Une veuve fidèle au rêve égalUaire

Berçait le nouveau-né qui lui tendait les bras.

Et, parfois abaissant son front farouche à terre,

Enviait cet enfant qui ne comprenait pas ;

314 LA MAISON DES DUPLAY.

Maison ouverte au deuil, à tout autre fermée, Où, loin de cet Avril de l'âme qui bruit. Immolant sa jeunesse en larmes consumée. Vécut dans la pudeur d'un idéal détruit Une vierge au grand cœur de Robespierre aimée... 0 toi, fenêtre veuve ! ô maison dans la nuit !

II

MADAME TALLIEN

A ARSÈNE HOUSSAYE

C'est bien, et maintenant qu'Alcibiade vienne.

F. PONSARD.

Hérodiade au chœur dansant de Thermidor, Dans sa voluptueuse et folle apothéose, Elle vole, elle va, blanche en son wiski rose, Partout la promène un inconstant essor.

Demi-nue et cerclant ses pieds de carlins d'or. Elle est la Fantaisie et le Caprice. Elle ose : Robes à la Diane et chapeaux Primerose Illustrent sa toilette à l'égal d'un décor.

316 MADAME TALLIEN.

Tout ce qu'elle revêt et tout ce qu'elle touche Fascine : sur sa gorge, en guise de cartouche, Serpentent d'onduleux diamants de houri.

On dirait à la voir dans un nuage d'ambre

Cléopàtre : non loin Antoine, son mari,

Porte un jabot taché par le sang de Septembre.

m

A QUELQUES THERMIDORIENS

j4usi omnes inimane nefas auso que potiti. Virgile.

Je suis homme et n'ai point le souci d'être un ange.

Dans mon cœur chaud hat un sang prompt. Ainsi qu'aux temps hébreux je conçois qu'on se venge !

Œil pour œil, affront pour affront, Dent pour dent, mort pour mort ! rage des représailles.

Acharnement du talion. Je vous comprends et sens parfois dans mes entrailles.

Bondir la fureur d'un lion." Ce que je n'admets point, ce que j'estime infâme,

Même aux yeux des galériens, Ce sont les cruautés, que nul courroux n'enflamme,

De quelques Thermidoriens. Soyez honnis, vautours dissimulant vos serres,

0 vous qui vous croyiez permis,

27.

318 A QUELQUES THERMIDORIENS.

Pour capter le pardon de -vos vieux adversaires,

De fondre sur vos vieux amis. Vos amis ! trop souvent, ô traîtres, vos complices,

Vos camarades proscripteurs, D écrétant avec vous la foudre des supplices

Sur les formidables hauteurs ; Vos compagnons d'horreur, de péril et de gloire,

Avec lesquels vous partagez Et des mêmes excès la honte expiatoire,

Et l'honneur des mêmes dangers. C'est vous qui, les couchant un par un sur les listes

les proscrits sont entassés. Donnez à dévorer aux dents des royalistes

La Montagne dont vous naissez. La faim aristocrate étant inassouvie,

A votre souper de Gain, Vous tenez toujours prêt au gré de son envie

Un aliment républicain. Digne immolation ! courageux sacrifices !

0 Terroristes ap'ostats, Vous convoitez aux prix de ces lâches offices

L'oubli de vos longs attentats. Sur un passé cruel votre effroi vous conseille

De tendre de sanglants rideaux. Tu crois donc, ô Fréron, faire oublier Marseille,

Tallien, effacer Bordeaux ;

A QUELQUES THERMIDORIENS. 319

Tous enfin, vous soldez la rançon de vos crimes

Par des renîments inhumains, Et payez votre écot pour le bal des victimes

Avec des têles dans les mains. C'est ainsi que l'on plaît aux Muscadins en joie.

Aux Collets noirs qui font chorus, A Coblentz vous guette un frôlement de soie.

Au boudoir de la Cabarrus. Mais c'est ainsi qu'après votre règne, agonie

Dont la République a péri, Un souvenir constant de votre ignominie

A marqué votre nom flétri, 0 Thermidoriens que l'histoire équital)le

A pris dans son mâle dégoût, Comme Yitellius au sortir de la table.

Pour vous jeter dans un égout.

IV

GAITÉS LYONNAISES

A ALFRED RAMBAUD

Ce deux septembre renouvelé lous les jours par des jeunes gens qui sortaient d'un bal et se faisaient attendre dans lin boudoir.

Charles Nodier.

Ce sont des modérés, de dignes jeunes gens; Il flattent de la main leurs jabots engageants

Et font valoir leurs bas de soie ; Tout est merveille, tout est délices, tout. Leurs habits en droguet tourterelle, et surtout

Leur art de se tenir en joie.

Lyon entier honore et fête leurs plaisirs Ingénieux, l'aimable emploi de leurs loisirs.

Et des bourgeoises accomplies, Avec ce long soupir précurseur du baiser, Disent : « ces jeunes gens, qu'il savent s'amuser

Et comme ils font bien les folies ! »

GAITÉS LYONNAISES. 3 21

C'est le soir, au sortir des cafés, que vraiment Ils ont des jeux mêlés de verve et d'enjouement,

Quant ils se mettent en campagne, Chemin faisant couchant sur les pavés rougis Quelque Jacobin mort, jusqu'au discret logis

pétillera le Champagne.

Parfois, quittant un bal en pleine pâmoison, C'est leuf caprice encor d'envahir la prison.

Et, pour varier les quadrilles, D'aller, les violons en tête, massacrer Tous ces républicains sans armes, éventrer

Ces gueux, même aux yeux de leurs filles.

Si les filles en pleurs sur les corps expirants Se jettent, réclamant aux tueurs leurs parents,

Tout beau, petites insolentes ! Nos braves muscadins, fouettant à tour de bras Votre deuil filial, feront sur vos appas

Maintes gorges-chaudes galantes.

Puis de retour, parmi les femmes et les fleurs, Ils se pavaneront, pimpants et persifleurs ; Ils plairont aux dames âgées,

322 GAITÉS LYONNAISES.

Ils raviront le cœur d'Eglé par leurs récits Et leurs propos badins sur ces yieillards occis Et sur ces vierges fustigées.

Qu'ils sont gais ! leur famille est bien heureuse. Ainsi Lyon n'a jamais vu de pareils sans-souci,

Au balcon doré des théâtres, Braquant sur le parterre un fusil clairvoyant, Poignardant leur voisin d'un air doux et riant ;

Que ces jeunes gens sont folâtres !

Momus a chacun d'eux pour élève et rival : Aussi, pour mieux payer leur sanglant carnaval,

De bravos, de vivats, d'éloges. On escorte à l'envi nos égorgeurs coquets, Et la pluie odorante et molle des bouquets

Sur leur front ruisselle des loges.

Il faut que le lion sommeille en vérité. Pour laisser s'ébaudir la féroce gaîté

De ces échappés de ténèbres Cachés hier encor dans les lâches exils, Singes qui vont jouant aux panthères, et vils

Histrions de farces funèbres.

GAIïES LYONNAISES. 323

Qu'il se réveille un jour, le lion montagnard, Et nos facétieux chevaliers du poignard,

Reconnaissant Tliôte des jungles, Tomberont écrasés la face à terre, avant Qu'il ait daigné sur eux, à peine se mouvant,

Abaisser ses terribles ongles.

V

LA MAISON DE SANTERRE

A VICTOR LENOIR

Qu'osez-vous faire, chélifs et misérables mortels?

Aristophane.

Tous ces messieurs poudrés que Thermidor ramène, Par Frèron enrôlés et guidés par Kilmaine, Cernent le grand faubourg Antoine de canons. Trois héros dont le cœur du peuple sait les noms, Trois montagnards y sont cachés.

A les poursuivre Tenace, la jeunesse exige qu'on les livre Et prétend arracher au plébéien dompté Ce triple et fier dépôt de l'âpre liberté. Même dans un accès de rage militaire Ils parlent de brûler la maison de Santerre.

LA MAISON DE SANTERRE. 325

La maison de Santerre !

ô risibles héros, Fanfarons effarés, guerriers godelureaux, La maison de Santerre, est-ce qu'on l'incendie Avec vos impuissants brandons de comédie ? Vous avez beau rouler des yeux extravagants. Halte-là ! savez-vous, porteurs de catogans, Que de cette maison à vos torches promise S'est élancé, dressant une pique insoumise. Le dix Août, qui s'armait d'un belliqueux soleil. Orageux sous le ciel sans nuage, et pareil A ces dieux flamboyants dont l'ardeur coutumière Lançait la mort avec des flèches de lumière. Arrêtez-vous devant ce redoutable seuil Muscadins, et craignez que pour vous faire accueil Il ne soit encore là, derrière la porte. Lui, le dix Août, prêt à sortir et qu'il ne sorte!

28

VI

AUX MORTS DE PRAIRIAL

A LEON LEMOINE

0 morls qui ressemblez à des apothéoses!

LOUISA SlEFERT.

0 Romme, Soiibrany, Goujon ! hier encor A la tribune, aux camps, leur \aillance affermie, Des soldats citoyens précipitait l'essor Ou bravait la Terreur même avant Thermidor, Après Thermidor l'infamie !

Hier ils étonnaient des êtres inhumains Par leur courage austère et leur fierté modeste : A leur vue on eut dit les derniers des Romains. Aujourd'hui la prison aux mornes lendemains Les engloutit... on sait le reste.

AUX MORTS DE PRAIRIAL. 327

Mais il n'attendra pas ce groupe montagnard Sur l'échafaud banal la hache inassouvie Ni la foule insensible au vague et long regard, Ils ont su se transmettre avec un seul poignard L'affranchissement de la vie.

Heureux ces morts ! leurs yeux libres n'ont plus à voir Rovère qui trahit, Tallien qui pactise, Du peuple consterné l'infini désespoir, Et, plus cruel encore aux martyrs du Devoir, Le triomphe de la Sottise.

Et vous qui les tuez, par l'Histoire flétris, Vous envirez un jour la mort qui les délivre. Que vous restera-t-il, quand vainement surpris Vous subirez le joug d'un maître et son mépris. Rien que le lâche ennui de vivre !

VII

LA TERREUR BLANCHE

A LECONTE DE LISLE

Terre du Midi imbibée d'un déluge de sang.

MEaciER>

I

LES DÉMONS DU MIDI

Les pourpres du couchant sont charmantes ce soir : La campagne sourit au ciel qui la féconde, Ciel du Midi tendu tel qu'un clair reposoir.

La lumière en mourant s'écoule ainsi qu'une onde

Délaissant à regret les lignes et le pur

Contour des monts sculptés l'air limpide abonde.

Le crépuscule pose un pied incertain sur Le bleu parvis nage encor la transparence Et dans les plis de son manteau retient l'azur,

LA TERREUR BLANCHE. 329

Gomme une vierge dans sa rieuse ignorance, Cette terre est joyeuse et promise au bonheur ; Des souffles confiants flottent sur la Durance.

0 Fond Segugne ! ô Fond Glarète ! ô doux honneur Des frais vallons oi!i court une errante alégresse. Qui ne se sentirait heureux, pâtre ou faneur,

Noyé dans ses parfums et bercé dans l'ivresse D'une nature aimable et bonne, et d'un élher Qui baise en la Provence une sœur de la Grèce ?

D'invisibles péans voltigent sur la mer Et d'un enivrement païen l'âme est saisie : Le moment n'est-il point de fêter Jupiter !

C'est comme un renouveau d'antique fantaisie ; Dans ces champs apaisés tout se prête à bénir L'indulgente beauté des buveurs d'ambroisie.

Est-ce à l'antique appel de ce grand souvenir Qu'un essaim turbulent au détour de la route

Le thyrse en main, l'acanthe au front, semble venir?

28.

330 LA TERREUR BLANCHE.

Le thiase au saint bruit se déchaîne, et sans doute Ce sont de bruns pasteurs, Evans improvisés, Qui traînent brusquement la Bacchanale...

Ecoute

Ecoute la rumeur sonore des baisers

Et sur le sol poudreux rebondir les cadences

Et le chant qui se heurte aux échos reposés ;

Car le rauque refrain alterne avec les danses Et la femme est mêlée au cœur tumultueux Gomme la Mimalone aux belles impudences.

Ces filles en désordre et ces impétueux Jeunes gens, vont-ils plus vite que la vague ? L'Orgie aux longs transports renaît-elle pour eux !

Les bois sont embaumés de Maillane et d'Eyrague Et dans tes blés vivants, ô Barbantane, dort Une brise d'amour adorablement vague ;

Mais hélas ! le délire orageux qui les tord

Ces étranges danseurs n'est pas la noble extase ;

Le rhythme de leur chant est un rhythme de mort.

LA TERREUR BLANCHE. 331

Leur pas \a par saccade et frénétique écrase Les pauvres fleurs; ce sont les enfants de Jésus Qu'exaspère d'Isnard la meurtrière emphase.

Tournoyants, comulsifs, fauves, et n'étant plus Que les vils instruments d'une Némésis lâche. Ils vont, les yeux hagards et les bras résolus,

Maniaques bourreaux, sans stupeur, sans relâche, Avec leurs mains, leurs dents, leurs ongles furieux, Accomplissant l'horreur aveugle de leur tâche.

Tuant sous la douceur de l'azur radieux. Tuant sous la sj)lendeur clémente de la vie, Sous la sérénité pacifique des cieux ;

Tuant toujours dans leur démence inassouvie Et sautant, et menant au branle du poignard Toute une farandole homicide et ravie.

La ronde est douce aux prés rit Ghâteau-Henard, Devant une victime en lambeaux qui pantèle, Et le sang a l'odeur ineffable du nard.

332 LA TERREUR BLANCHE.

Il n'est pas de musique aux sons enchanteurs, telle Qu'une obscène chanson hurlée en chœur, autour D'un \ieux républicain que la foule écartèle ;

Et c'est l'ardent signal des baisers au grand jour Et des enlacements parmi les hautes herbes Quand vingt républicains sont tombés à leur tour

Sous le tranchant des faux comme en été les gerbes. Tels qu'après la bataille un vol noir de corbeaux, Les meurtriers en plein pillage sont superbes.

Et leurs femmes, les yeux ardents, les trouvent beaux, Rougissantes d'orgueil et nullement surprises, Heureuses, et l'on fait l'amour sur les tombeaux.

Courage, ruffians et vous filles éprises. Vive le roi ! buvez, mangez parmi les morts Et partagez l'argent ensanglanté des prises.

Puis, las de ce repos sur des monceaux de corps, 0 bande royaliste, ô troupeau frénétique, lleprends ta course folle interdite au remords,

LA TERREUR BLANCHE. 333

El va toujours, stupide, atroce, ivre, lubrique, Sans faire sur l'amas des fiers cadavres choir L'impérissable effroi du mal, la République !

Les pourpres du couchant sont funèbres ce soir.

II

LES COMPAGNONS DU SOLEIL

Les voilà tous, ceux de Gadagne, Ceux d'Eygalière et ceux d'Aubagne Dans la fraternité formidable du bagne ;

Tous, au signal de Job Aymé, Fondant comme la grêle en Mai Sur le républicain stoïque et désarmé,

Et partout d'une main hardie , Exécutant leur tragédie Avec le vol, avec le fer et l'incendie.

334 LA TERREUR BLANCHE.

Qu'ils passent, légers sur le sol, D'un air insoucieux et fol, Ces chevaliers errants du meurtre et du viol;

Que ces paladins avec joie, Pêcheurs ou tireuses de soie, Convoitent la dépouille opime de leur proie,

Et que, sous les peupliers blancs. Frissonnant d'horreur et tremblants, Ils supportent leur or dans leurs doigts ruisselants ;

Que ces bruns héros en guenilles Saccagent les chastes familles, Et qu'au butin les plus rapaces soient les filles.

Oh ! les belles, contemplez-les Jouant avec les pistolets, Egrenant sur les tas de morts leurs chapelets ;

Jetant la boue à ceux qu'on hue. Battant des mains à ceux qu'on tue. Cœurs d'hyènes dans des poitrines de statue.

LA TERREUR BLANCHE. 335

Donnez ! et que votre appareil Meurtrier surgisse au réveil, Mais ne vous nommez pas Compagnons du Soleil.

Ames pour les ténèbres nées, Si vos prouesses effrénées Sous les feux du Midi vivent illuminées,

Pour vous que le crime conduit, C'est à regret qu'un soleil luit ; Vous êtes faits pour l'ombre et voués à la nuit.

N'est-ce pas, grand astre sincère?

Tout oiseau sombre dont la serre

Est sanglante te fuit ainsi qu'un adversaire.

Mais les assassins sans détour

Affrontent ton rayon d'amour,

Conscience éclatante et sévère du jour!

336 LA TERREUR BLANCHE.

III

LE FORT JEAN

On pille, on égorge, on viole ! Le satyre partout vient en aide aux bourreaux ; A Vacqueiras vibre un doux son de viole Passent lugubrement de sanglants tombereaux.

Beau troubadour et beau trouvère. sont-ils ces doux nids de la bonne chaleur, Salon que la verdure égaie, et Roquevaire, Et cette Barthelasse heureuse d'être en fleur ;

Et Noves qu'illumina Laure De ses regards pareils aux cristaux transparents? Ces paradis d'azur qu'un feu vivant colore N'éclairent que l'horreur confuse des mourants.

Lestang, général des tueries, Sonne le chant de mort sur un hideux clairon. Livrant comme un gibier aux crocs de ses furies Le vieux Brayssand, honneur chenu de Sisleron.

LA TERREUR BLANCHE. 337

0 les victimes de Beaucaire ! A tous ces innocents, navrés dans les cachots, Des cruels, sans pitié pour leur destin précaire, Lancent des flots de soufre et des torrents de chaux.

Mais dans Marseille ! oh ! dans Marseille surtout le sinistre efl'roi de ces forfaits Que la rage soudoie et l'astuce conseille Se déchaîne parmi les rudes portefaix.

En vain la Méditerranée Invite au loisir tiède un peuple phocéen, De grâce féminine et d'amour couronnée. Langoureuse sirène au corps marmoréen.

Telle la plèbe débordante Se ruait à la chute immense de Séjan, La populace, avec une rumeur grondante. Roule jusques au seuil mal gardé du fort Jean.

Pour charmer le roi de Vérone, Pour flatter la lignée absente des Tarquins, Tous ces coupe-jarrets, quémandeurs de couronne, Sont pour vous massacrer, captifs républicains.

29

338 LA TERREUR BLANCHE.

Succombez ! la porte qui cède Admet répouvan table houle des tueurs, Moins rapide la yague à la vague succède : Les obscurs souterrains traversés de lueurs,

Les corridors, les ténébreuses Cellules, tout s'emplit, d'assassins inondé ; Leur silence consterne et leurs faces terreuses Marquent regorgement dans l'ombre décidé.

Un cri part ; l'écume à la bouche Tous s'élancent, la hache au poing ou le couteau ! La mêlée est obscure et l'abord est farouche ; La mort sur tous les fronts s'abat comme un niveau,

Troupe infâme! vile canaille ! Non contents de sabrer, les traîtres ont recours Aux canons ; formidable aux fuyards, leur mitraille Et mugit, et bondit sur le pavé des cours.

Et leur haine ardente à sa proie Étale insolemment un spectacle inoui, La lâcheté qui tonne et la peur qui foudroie : donc es-tu, Danton, vengeur évanoui?

LA TERREUR BLANCHE. 339

IV

L IS LE

C'est le chemin qui mène aux douceurs de Vaucluse

Beau comme l'amour et la muse, Chemin charmant que l'eau fête de son babil,

Site d'un éternel Avril, Abri du peuplier et de l'aulne et des frênes

Et des fleurs, ces petites reines. Les mésanges y Yont jasant, les cochevis

Y passent lestes et ravis. Aux franges de la route est un hameau d'idylle.

Le calme village de l'Isle ! Une corbeille, un nid si paisible, si frais,

Voyageur, que tu chérirais D'y couler languissant tes jours, aux douces plaintes

Des brises dans les térébinthes. Vers ce village ami dont le cœur se souvient

Un jeune homme à grands pas revient. Il se nomme Rhédon ; il vient de la grande ville ;

Il a jugé Fouquier Tinville Et, patriote pur par ses vertus élu,

Condamné d'un cœur résolu.

340 LA TERREUR BLANCHE.

L'accusateur, \ivante et morne ignominie.

Bien, Rhédon, ta tâche est finie; Tu peux, bon justicier de cet homme fatal,

Regagner ton Eden natal. Tout est sourire autour de toi : dans l'ambroisie

De l'air voltige la sésie, Et les tourdres contents, et joyeux le bouvreuil

Chantent l'aubade de l'accueil. Va, brave homme ! l'été d'or sur tes pas résonne,

La vie enivrante foisonne : Heureux de ressaisir toutes ces voluptés

Molles des climats enchantés. Tu crois ouïr déjà les voisines querelles

Des mignonnes olivarelles ; Tu crois voir le hameau qui se rapproche et puis

La margelle de ton vieux puits, Et la fumée heureuse et libre de l'auberge

D'où se penche la vigne vierge. De ton honnête auberge plus d'un a chanté

Le franc soleil et la gaîté. Tandis que les vieillards d'une allure inégale

Attrapaient parfois la cigale. C'est que, dans le frais du jardin attiédi,

La sieste est bonne au décadi ; Que l'antique tonnelle en ce petit coin sombre

Sourit propice aux buveurs d'ombre;

LA TERREUR BLANCHE. 341

C'est là, vers ce séjour de joie et d'abandon,

Que ton pas se presse, ô Rhédon. Peut-être rêves-tu, dans son humble toilette.

Une Gathoune, une Lélette? Peut-être... mais hélas ! pauvre, ce qui t'attend,

N'est pas le chœur d'amis chantant, Les mains et les baisers hâtifs à ta venue.

Les vieux parents dans l'avenue. Les filles agitant leurs mouchoirs, et la voix

Des chiens aux alègres abois. C'est l'embûche guettant ton retour, c'est l'émeute

Hostile te lâchant sa meute ; Et mille furieux et de sanglants coquins

Criant : « Haine aux Républicains ! » Et ta mort sur le seuil paternel conjurée

Et ta pauvre chair déchirée ! . . .

T A U A s C 0 N

La tour est haute ; au pied de la tour sont rangées

En cercle harmonieux des chaises étagées

des femmes dans leurs plus jeunes falbalas

Échangent en jasant et croquant des dragées

L'adorable et cruel rire des Dalilas.

29.

34:2 LA TERREUR BLANCHE.

Le fleuve au cours rapace étrangement grommelé. Des captifs dans la lour sont jetés pêle-mêle, Patriotes promis aux couteaux assassins. 0 toilettes en fleur ! sous le linon pommelé Victorieusement la blancheur des beaux seins.

Le Rhône impatient mugit... ces chères belles, Frémissantes comme un doux vol de colombelles, Ont bonne grâce au jeu mignon de l'éventail. Amours, petits amours, venez en ribambelles... Des hommes sont montés là-haut pour un travail,

Pour un travail sanglant, sinistres camarades. Fronts de brigands hâlés par le soleil des rades. La causerie agile en bas prend son essor. On rime des quatrains, on scrute des charades revient par moment le nom de Thermidor.

0 de Bièvre, ô Boufflersl on écoute, on admire Des madrigaux non moins suaves que la myrrhe. Un émigré propose un hymne au dieu malin. L'abbé toujours galant escorte Lindamire Et porte sa perruche et vante son carlin.

LA TERREUR BLANCHE. 313

Les ouvriers de mort se dressent sur le faîte, Traînant des prisonniers à la mine défaite. Un murmure engageant court parmi ces marquis Et ces duchesses comme une rumeur de fête. Le spectacle annoncé doit sans doute être exquis.

On eût dit ton cortège, ô bizarre tarasque : Un ci-devant fredonne une chanson fantasque, Un magistrat badin hasarde des glouglous, Tandis que Dorimène aux barbes de son masque Laisse flotter l'aimable espoir d'un rendez-vous.

Un signal est soudain lancé. Tout ce beau monde Regarde avec des yeux de complaisance. L'onde A gémi sous le poids mystérieux d'un corps. Les applaudissements circulent à la ronde, La musique alentour s'ébat en gais accords.

Le fleuve l'accompagne avec un grand bruit d'âmes Qui tombent des créneaux dans l'inconnu... Les dames Savourent cette vue en humant des sorbets : Ces chutes sont vraiment risibles ! Des vidâmes Regrettent cependant les classiques gibets.

344 LA TERREUR BLANCHE.

L'intermittente horreur de ces mornes supplices, La victime pendante, ô frêles spectatrices, 0 nerveuses beautés, ne yous rebute pas. Les hécatombes sont vos plus piquants caprices; Vous êtes à la mode horrible du trépas.

Courage, et, dès ce soir, parmi les virtuoses. Calmes dans la langueur indolente des poses, Ouvrez le bal du crime, et, vierges de remord. Tressez pour les bourreaux des guirlandes de roses. Car le Rhône est profond et Barbaroux est morti

LES DERNIERS JOURS

LES INCROYABLES

A CHARLES MONSELET

Fantoches à la mode, automates mondains. Submergés dans des flots de cravate, lunettes En arrêt, et pareils à des marionnettes. Les étranges galants que tous ces muscadins !

Engeance hermaphrodite, à travers les jardins, Ils vont en zézayant d'enfantines sornettes. Portent chignons de femme et molles cadenettes Et brandissent avec fracas d'affreux gourdins.

8 4X LES INCROYABLES.

C'est en habit vert-pomme, en chapeau qui gondole, En pantalon nankin qu'aux pieds de leur idole. Copistes des marquis, ils vont faire leur cour.

Mais cet accoutrement dont le seul ministère Semble d'effaroucher les oiseaux de l'Amour Leur prête l'air vainqueur de Jocrisse à Cythère.

n

MADAME DE CONDORCET

A MADAME EDGAR QUINET

Longtemps après l'effroi des tourmentes publiques, Dans la langueur des beaux jardins mélancoliques Et blanche au \oile noir sous les ombres d'Auteuil, La veuve du héros pensif traîna son deuil Parmi les entretiens choisis des philosophes. Le frôlement discret de ses tristes étoffes Vibrait délicieux pour Garât et Tracy, Et Cabanis sentait son front tout éclairci Par la limpidité de ce sourire humide. Cependant qu'au dehors des femmes à chlamyde Passaient avec Féclat strident d'une chanson, Elle n'était que rêve, ondulement, frisson,

30

350 MADAME DE CONDORCET.

Et songeuse élégie, et dolente musique : Grand ange harmonieux de la Métaphysique, Portant dans ses longs yeux d'azur tendre baignés L'ineffable douceur des êtres résignés.

ITI

PARIS EN 96

A ANDRE LEMOYNE

Des heures pesantes succèdent main- tenant à la vie ailée.

Mme Edgar Quinet.

« Le Français malin créa le \aude\ille. » Paris s'amuse.

Las de sa fièvre civile, Pour la couper il a pris beaucoup de Léthé, Breuvage d'hébétude et de frivolité. Il danse, et puis il danse et toujours il oublie. A-t-il pas le Yauxhall, l'Elysée, Idalie, Bagatelle? A-t-il pas Monceaux hanté de morts? Qu'importe? deuils sanglants, espoirs hautains, remords. Tout est bien mort aussi, bien morte est la mémoire.

Pareils à des sorciers marmottant un grimoire,

352 PARIS EN 96.

Rôdent en murmurant quelques Yieux Jacobins,

Gens à tête tondue et nullement urbains :

On les siffle, on les hue, on les roule, on les rosse.

On fouaille au besoin leurs femmes. Un féroce

Girondin, dans sa foi sottement entêté,

LouYCt en sa boutique est sans cesse insulté :

Le chef des insulteurs a nom, je crois, de Sade.

Comme la guerre est chose importune et maussade, A Frascati Ton boit à l'espoir d'une paix Autrichienne ayant en croupe les Gapets. On boude la victoire aux habits bleus, manante Qui fait la nique aux rois et devient fort gênante. Ce Marceau s'assimile aux derniers polissons. Fi ! l'on se venge avec des refrains de chansons Et l'épigramme ailé au corselet de guêpe. Plus d'une ose arborer un éventail de crêpe, Plus d'un les fleurs de lis, et les moins retenus Souvent hélas! ce sont les riches parvenus. Fils de Quatre-Yingt-Neuf répudiant leur père.

Bah ! nunc est bibendum : aussi Méot prospère Et Garchy fait merveille et Léda fait florès. Des glaces ! des soupers ! des primeurs ! du xérès 1 Qu'aux fiers guillotinés la terre soit légère... Paris mange, il dévore, et, quand Paris digère,

PARIS EN 96. 353

Ce Paris réacteur « aux oreilles de chien )>, Se sent les aiguillons d'un aimable vaurien. Il se plaît aux jardins, près des chastes statues, A calquer les contours des femmes peu vêtues Sous les tissus collants strictement arrondis Et voit de Mahomet s'ouvrir le Paradis ; Ou bien, rassasié de blanches muscadines. Il court ouïr Garât dans les « Visitandines », Ou mieux, avec Brunet et le gai Tiercelin Le vaudeville cher au Français malin Gomme un produit facile et purgé de chimère, Ge Paris est gâté, pourri, bon pour Brumaire!

30.

IV

GRAGCHUS BABEUF

A VICTOR HUGO

La vraie République, la République des intelligences !

Lamartine, Discours deMâcon.

A l'heure où, consumant un reste d'énergie, La République aux bras défaillants se lassait, chaque jour la France aux refrains de l'orgie Vers l'abîme ondoyant des Sirènes glissait;

A l'heure triomphante et gonflant sa narine, Reine sur un essaim de femmes en péplum. Blanche dans son boudoir rose, Thermidorine Installait Sybaris au débris du Forum;

GRACCHUS BABEUF. 355

Un homme pauvre et seul dans une étroite chambre, Gomme dans sa ceUule un Franciscain songeur, Rêvait un âge d'or éclos d'un deux Septembre, Utopiste candide et furieux vengeur.

Il rêvait, au sortir des suprêmes tueries, L'azur indéfini d'un bonheur innocent. L'épanouissement soudain des bergeries Et des fleuves de lait sur un sol teint de sang.

Il voyait, à travers l'universelle idylle. Parmi des citoyens rustiques et frugaux. Heureux sous la houlette aimable d'un édile, Surgir de toutes parts la cité des Égaux,

La cité des Égaux, une ville du Rêve, les hommes marqués pour un destin commun Recommençaient l'histoire à la mamelle d'Eve, La terre étant à tous et l'outil à chacun ;

La cité des Égaux, une Sparte agricole, Presque un couvent avec un tribun pour abbé. Au champ, à l'atelier, au temple, dans l'école. Tenant sur le niveau tout un peuple courbé ;

356 GRACCHUS BABEUF.

Et par une stupide et sauvage exigence, Gomme l'on proscrirait l'abus ou le hasard, Suspectant dans ses murs la libre Intelligence Et décrétant d'exil le fils des Muses, l'Art I

L'art qui fut la vertu des vieilles Républiques, Inspirant les héros par un suprême don, Aux yeux d'Harmodios livrant les Pentéliques, Aux regards de Brutus déroulant le Phédon.

Oh ! qui méconnaît l'Art est à jamais impie! Qu'elle aille donc rouler dans un gouffre fatal, 0 Babeuf, ta cité despotique, utopie D'un bonheur trop grossier pour n'être pas brutal.

Mais la mort purifie, ô chercheur d'impossible, Et tu peux contempler d'un piédestal bien haut Ces trembleurs qui s'en vont prenant ton nom pour cible. Quel sublime dédain tombe d'un échafaud !

Les moyens réprouvés, ton but était superbe ;

Et nous, par un soleil nouveau de Floréal,

Sans coucher les palais de marbre blanc dans l'herbe,

Nous saurons accomplir mieux que ton idéal.

GRACCHUS BABEUF. 357

Sans reléguer le chœur des Muses avilies, Sans vouer tous les bras aux champêtres boyaux, Sans ravir aux blancheurs des femmes embellies Les gazes, les satins, les moires, les joyaux,

Sans arracher le Luxe et l'Art, fleurs de la vie, Sans frapper la Beauté d'un ostracisme en deuil. Vainqueurs, nous éteindrons, ô pauvre, ton envie; Nous verrons disparaître, ô riche, ton orgueil;

Que tout le genre humain soit aristocratie I Que chaque paysan naisse patricien ! C'est notre espérance et notre prophétie Dans les écroulements futurs du monde ancien ;

Car donnant à tout être ici-bas la lumière, L'art, l'amour, le travail, un monde jeune et neuf. Nous saurons mieux construire immaculée et fière La cité des Égaux du vieux Graechus Babeuf!

RÉCONCILIATION

A M. VICTOR SCHŒLCHE

Dans l'asile inconnu que Socrate espérait,

Que tout bas pressentit Gaton, quand il mourait,

Que Scipion vit luire. Prévu par Thraséas, par Sénèque promis, Ils se sont rencontrés ces frères ennemis

Egaux dans le martyre.

Familiers de l'orage accueillis dans le port, Ils ont enfin connu le calme de la mort

Qui met trêve au mensonge, Des yeux de notre esprit vient rompre la cloison, Les ouvre, et, par delà le terrestre horizon. Dans l'infini les plonge.

RECONCILIATION. 359

Ils sont les possesseurs de l'espace et du temps ; Ils marchent dans l'histoire, et les âges distants

Font leur immense proie ; Car leur savoir leur donne, étant illimité. Le grave enchantement de la sérénité

Et la solide joie.

Non ! rien n'est plus obscur et rien n'est plus faussé ; L'intelligence a bu les secrets du passé :

Plus d'erreur acharnée. Plus d'ombre ! nos grands morts dans une vision Distincte ont reconnu la Révolution

Chez eux tous incarnée.

Tous ils sont épris et du Juste et du Beau ; Donc point de factions, plus loin que le tombeau !

Point de pactes contraires. Ils se sont dit avec de doux apaisements : « Astres, révélez-nous vos longs enchaînements ;

Car nous sommes vos frères ! »

Et les baisers de paix s'échangent, et les mains S'enlacent ; ces géants, l'un pour l'autre inhumains, Entre leurs cœurs relient

3 60 RECONCILIATION.

Un pacte indéfini de sagesse et d'amour Et là, sous le pourpris du lumineux séjour, Ils se réconcilient.

Enseignement des morts et leçon des vivants ! Pour mieux nous épargner les discords décevants,

Songeons que dans un temple Ces immortels aïeux nous regardent, croyant Que le tardif accord de leur chœur souriant

Sert de rhythme et d'exemple.

VI

1993

A SEVERIANO DE HEREDIA

La liberté dans la lumière !

Victor Hur.o.

Deux cents ans auront fait leur œuvre ; abondamment, Fleuve aux nappes d'azur, le vaste enseignement

Sur les hommes et sur les femmes Aura coulé, partout le plus intelligent, Le plus pur, Fêtre aux mœurs limpides dirigeant

Cette inondation des âmes.

La République en fleur sera T Ordre idéal, Pour l'homme rajeuni créant le Droit natal,

Mais dressant cette hiérarchie Permanente des Arts, des Vertus, des Talents, Et vous montrant d'en haut, degrés étincelants,

A l'ascension affranchie ;

31

362 19D3.

Mais surtout, au-dessus de ces droits absolus, Des dons que le génie assure à ses élus

Et des fiertés dignes de Rome, Sur la plus blanche cime et les plus bleus sommets, République sereine et sublime, tu mets

Les éternels Devoirs de l'Homme.

Le Droit primant la Force obéit au Devoir

Son maître, et c'est ainsi que les cieux pourront voir

En un merveilleux équilibre Le grand rêve accompli du platonicien, Fidèle aux mœurs, soumise aux lois, docile au Bien,

La race humaine vraiment libre.

République des bons, ouvre tes larges bras ! Ces miracles tardifs c'est toi qui les feras

Dans l'avenir tout s'apaise, Fort comme un Montagnard, beau comme un Girondin, An désiré, prochaine éclosion d'Éden,

0 dix-neuf cent Quatre-Yingt-Treize.

TABLE DES MATIEHES

I. LES PREMIERS TEMPS

1.89-90-91 3

II . La première Cocarde 8

III . Les Précurseurs 11

IV. L'Argent 14

V. Camille Desmoulias 20

VI . A la mémoire de Loustalot 23

VII . L'arrivée des Girondins 25

VIII . L'amazone du Vingt Juin 29

IX. La Guerre 33

X. La petite Comtesse 36

XI . L'abbé Fauchet 38

XII. Marie-Antoinette 42

XIII . La Marseillaise dans l'orage 45

XIV. Les enrôlements volontaires 49

II. LES FRERES ENNEMIS.

I . Ni Marat, ni Roland 57

II. La Lutte 59

III. Lanjuinais 63

IV. Apparition de Saint-Just 63

364 TABLE DES MATIERES.

V . Le capucin Chabot 67

VI. Le Septembriseur 69

VII. Vergniaud 75

VIII . La première femme de Danton 84

IX . Lucile Desmoulins 87

X . La crise 90

XI . L'abbé Grégoire 96

XII. 31 Mai 2 Juin 98

III. LA RUE.

I. Auacharsis Cloots 105

II. Eegrets d'un Ci-devant 108

m. La ceinture 110

IV, Rencontre de la Convention 112

V. L'hiver 116

VI. Danton au cimetière. 120

VII. Coquetteries de Germinal 125

VIII. L'Idylle Jacobine 128

IX. Anaxagoras Chaumette 131

X. Les Enragés _ 133

XI . Le Palais-Royal 136

IV." LA CHUTE DES GIRONDINS

I. La fuite 147

II. La barque 149

III. Impavidos 152

IV. Adam Lux 155

V. Le couteau 158

VI. Madame Roland à la Conciergerie 160

VII. Lafée 166

vui . Aux grottes de Saint-Émilion 168

IX. Le second roman de Louvet 170

X. Les loups 180

XI. L'apothéose des Girondins 184

TABLE DES MATIERES. 365

V. FOUDRES ET FLAMMES

I . La foute des cloches 191

II. Couthon 195

III. Le comité de Salut public 198

IV. Nantes 201

V . Margfarot 204

VI . Barère à la tribune iî07

VII. Jean Gueit 210

VIII. Euloge Schneider 215

VI. LE PEUPLE FIL\XÇAIS DEBOUT CONTRE LES TYRANS

I. Aui soldats de la République 221

II . L'armée de Mayence 225

III. La jeune femme 232

IV. Les représentants aux armées 234

V. Wattignies 236

VI. Pieds nus 238

VII. Saint-Just en mission 240

VIII. Le Marquis 244

IX . Hoche et Marceau 247

VH. LES HÉCATOMBES

I. Le vieux Cordelier 251

ïl. Danton à Capoue 254

III. Le baiser de Judas 257

IV . Fabricius Paris 259

V. Et la Patrie? 262

VI . Le cri suprême , 264

VII . Dernière lettre de Camille à Lucile 268

Vili . Karamsin 272

IX. Le cuisinier Méot 273

X . Le testament de Condorcet 275

XI . Les mères 279

XII, Le faubourg Antoine 281

366 TABLE DES MATIERES.

VIII. LE TALION

I . Catherine Théot 287

II. Dernières pensées de Saint-Just 292

III. 8 et 9 Thermidor 295

IX. APRES THERMIDOR

I. La maison des Duplay 313

II, Madame Tallien 315

III, A quelques Thermidoriens 317

IV. Gaités lyonnaises . , . . 320

V . La maison de Santerre 324

VI . Aux morts de Prairial 326

VII . La Terreur blanche 328

X. LES DERNIERS JOURS

I. Les Incroyables 347

II. Madame de Condorcet 349

m, Paris en 96 351

IV . Gracchus Babeuf 354

V. Réconciliation 358

VI. 1993 361

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