AD. VAN BEVER & PAUL LÉAUTAUD
■^oètes d'Aujourd'hui
Morceaux choisis
Accompagnés de Notices biogruiiliiqiies et d'un Essai de Bibliographie • •
CAMIM.E MAUCLAI». STUAUT MERIXILL. EPHRAIM MIKHAKI.
ALBERT MOCKEL. ROBEUT DE IIONTESQUIOU.
JEAN MORÉAS. COMTESSE MATHIEU DE NOAILLES.
IMKnRE QUILl.ARD. ERNEST RAYNAUD. HENRI DB RÉONIER.
ADOLPHE RETTÉ. J.-A. RIMBAUD. CiEORGES RODENBACH.
l*.-N. ROINARD. SAINT- POL-ROUX. ALBERT SA MAIN.
FERNAND SÉVERIN. EMMANUEL SIGNORET. PAUL SOUCHON.
HENRY SIIBSS. LAURENT TAILHADE. -- PAUL VALÉRY.
CHARLES VAN LERRERUHB. EMILE VKRHABHEN. PAUL VERLAINE.
FRANCIS VIELÉ-QRIFFIN.
PARIS .tERCVRE DE FRANCE
IXVI, RVE OB CONDÉ, XXVI
7ft' M 0 7 jf
POÈTES D'AUJOURD'HUI
à LA MÊME LIBRAIRIE
PoiTKS d'aujourd'hui, Tome /
Henri Barbusse. — Henry Bataille. — Tristan Corbière. — Lucie Delarue-Mardru». — Emile Despax. — JV^x Elskamp.
— 4n4ré Fontainas. — Paul Fort . — Reoé Ghil. — Remy de Gourmont. — Femand Gregh. — Charles Guérin. — A. -Ferdinand Herod. — Gérard d'Houville. — Francis Jammes. — Gustare Kahn. — Jules Laforgue. — Léo Lar" guier. — Raymond de LaTailhède. — Louis Le Cardonnel.
— Sébastien Charles Leconte. — Grégoire Le Roy. — Jean Lorrain. — Pierre Louys. — Maurice Maeterlinck. — Maurice Magre. — Stéphane Mallarmé»
AD. VAN BEVER & PAUL LÉAUTAUD
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Poètes d'Aujourd'hui
Morceaux choisis
Aeconipiiîcnés de Notices biograpliiquis et d'un ¥.im de Bibliographie • •
CAMILLE M\UCL.\I«. STUAHT MI01\H1LL. EPtlRAIM MIKHAEL.
ALBERT MOCKEL. ROBERT DK MONTESQUIOU.
JEAN MOnéAS. COMTESSK MATHIEU DE NOAILLES.
PIERRE yUILLARD. ERNEST RAYNVUD. HENRI DE RÉGNIER.
ADOLPHE RETTÉ. J.-A. RIMBAUD. GEORGES RODENBACH.
P.-N. ROINARD. SAlNT-POL-nOUX. ALBERT SA MAIN,
FERNAND SKVERIN. EMMANUEL SIGNORET. PAUL SOUCHON.
HENRY SPIESS. LAURENT TAILHADE. - PAUL VALERY.
CHARLES VAN LERBERGME. EMILE VKRHAKREN. PAUL VERLAINE.
FRANCIS VIBLÉ-GRIKFIN.
PARIS MEHCVRE DE FRANCE
XXVI. KVE OB CWIïnt. XXVI MCMXVIIlt
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Dralti àé trkdadlioa «1 At r«pn>t3ii()ll«ii rCaerrif fomt ImB f^U,
CAMILLE MAUGLAIR 187a
Parisien et fils de Parisiens, avec des origines lorraines et danoi- ses très lointainement, M. Camille Mauclair est né le 29 décembre 187a. Il fit ses études à Paris, montrant de très bonne heure des aptitudes littéraires très remarquables. Dans les groupes de jeuneis écrivains, aux environs du i8(j3, il étonnait jusqu'à ses amis, étions voyaient eu lui un écrivain dont la carrière devait être rapide autaot qu'éclatante. Il publia tout d'abord des vers, à La Plume, puis une étude sur le peintre Albert Besnard, dans La Revue Indépendante, puis d'autres poèmes, dans Le Mercure de France, La Conque, L Er- mitage ti La Revue blanche. Son premier livre fut un ouvrage de critique morale : Eleusis, causeries sur la Cité intérieure, paru en 1893, et suivi, en i8()4, d'un recueil de poèmes : Sonatines d'au- tomne. Depuis, M. Camille Mauclair n'a pas cessé de prouver, au moins par le nombre et la diversité de ses ouvrages, la précocité qu'on admirait en lui alors qu'il sortait à peine du collège. La poé- sie, le roman, le conte, la critique littéraire, la critique d'art et la critique sociale, la politique, le théâtre, les conférences et les études de métaphysique, il n'est rien à quoi, littérairement, il n'ait touché, ni d'idées et de beautés, de façons de sentir et de penser auxquelles il ne se soit prêté, signe au moins d'une extrême intelligence, d'une grande sensibilité littéraire, sinon de capacité créatrice et de vraie personnalité. « La grande puissance géniale, dirait- on presque, a dit Emerson dans son Essai sur Shakespeare, consiste à n'être pas original du tout, à être une parfaite réceptivité, à laisser les autres faire tout, et à souffrir que l'Esprit de l'heure passe sans obstruc- tion à travers la pensée. » Une parfaite réceptivité, voilà bien ce qu'a été, ce qu'est encore M. Camille Mauclair, et jamais L'Esprit de l'heure ne traversa pensée plus docile que la sienne. D'origine sémitique, M. Camille Mauclair a le génie de sa race, le don extrême de l'analyse, de l'aMimilatioo^ U faculté de toat dissocier, pour s'ap-
POÂTSS d'aUJOUHd'hUI
PRirAcBs. — Théophile Gantier : Le. Pavillon tur l'Eau, illustr. d« i. Carruchet. Paris, Forroud, 1899, in-4. — Bouf fiers : Aline, reine de Golconde, illustr. de Galoud. Paris, Ferroud, 1900, iu-4.
Ouvrages mis en musioue. — Trois lioder, poésie de C. Mauclair, musique de Ernest Chausson. Paris, Beaudoux, 1897, in-fol. D'autres poèmes de M.Camille Mauclair ont été mis en musique par MM. Charpentier, Gabriel Fabrc, A. Ma- riette, Gust. Samazeuilh, Florent Schmitt, etc.
A CONSULTER. — G.-Jcau Aubry: Camille Mauclair, biographie critique, illustr. d'un portr. et d'un autogr., suivie d'opinions et d'une bibliographie par Ad. v[an] B[ever"|. Paris, E. Sansot, 1905, in-18. — H. Bahr : Skizsen und Essaya. Berlin, Fischer, 1897, in-18. — Maurice Beaubourg : Camille Mauclair, noi\ca, Portraits du prochain siècle. Paris, Girard, 1894, in-18. — Georges Le Cardonnel et Ch. Vellay : La Littérature contemporaine. Opinions des écrivains de ce temps. Paris, Soc. du Mercure de France, 1905, in-18. — J. -Ernest-Charles : La Littérature d'aujourd'hui. Paris, Pcmn, 1902, in-18 ; Les Samedis littéraires, 3" série. Paris, E. Sansot, 1905, in-18. — Remy de Gourmont : Le II' Livre des Masques. Paris, Soc. du Mercure de France, 1898, in-18. — Marius-Ary Leblond, La Société française sous la troisième République, d'après les romanciers contempo- rains. Paris, Alcan, 1905, in-8. — Francis de Mioraandre : Visages. Bruges, Arth. Herbert, 1907, in-8.
André Foutalnas: Camille A?owc/otr. Mercure de France, avril 1894. — Maurice Maeterlinck : Couronne de Clarté. Mercure de France, juin 1895. — Georges Pellissier : Poésie*. Rerua Encyclopédique, 1" février 1895.
Iconographie :
Louis Augustin : Portrait d l'huile, 1895. — Jacques-Emile Blan-
che : Portrait d l'huile, 1903. ^- Albert Besnard : Profil au crayon, 1897. — Joseph Granlé : Portrait à l'huile, 1895. — François Gui- guet : Portrait d l'huile, 1893 (Exposition des Portraits du procliain siècle, 1893) reproduit dans la Revue Encyclopédique, 15 novembre 1893. — Henri Le Sidaner : Portrait au crayon, 1897 (Exposé à la Soc. nationale des Beaux-Arts, 1898, et à la Libre Esthétique de Bruxelles, 1899). — Camille Mauclair : Tête au crayon lithoyraphique, 1900 (appartient à M. Jean Aubry), reproduit dans Camille Mauclair, par G. -Jean Aubry, etc., 1905, m-18. — Georges Rochegrosse. Tête peinte dans Un déjeuner à Ilar~ bixon, 1893 ; Tête peinte dans L'Angoisse humaine, 1897.— Valère Bernard, Portrait à l'huile, 1899. — Félix Vallotton, Masque, dans Le II* Livre du Matquea, de Remy de Gourmont. Paris, Mercure de France, 1898, in-16.
LE SOLEIL GISANT...
Le soleil gisant dans l'après-midi fade Jaunit les vieux meubles de noyer ; Ah I comme nous allons nous ennuyer Avec celte lumière malade.
CAMILLE HA.UGLAIK
Nous ne les avons jamais aimées,
Ces amuselles du dehors ":
Nous nous faisons à nous-mêmes nos décors.
Et nos impudeurs y dansent en aimées.
Le ballet des incertitudes Voilà qu'il va se dérouler encor :. On n'aura donc jamais de quiétudes, On ne sera donc jamais d'accord?
Nous voudrions la raison des choses Pour nous conduire à peu près bien : Se plaindre qu'il n'arrive jamais rien. Est-ce que c'est cela les névroses ?
On n'a qu'à contempler, on s'ennuie. On ne tient à rien, tout est déjà fait : Et puis quand tout semble s'être défait, On a l'âme pleine de pluie.
Il faudrait pourtant sur ce front Mettre un peu d'ordre, ou bien alors de la folie : Car enfiii pensez-vous que c'est le vin et puis la lie Ou des attouchements qui nous consoleront ?
(Sonatinet d'automne. Perrin.)
JE NE SAIS POURQUOI..,
Je ne sais pourquoi Nous n'avons pas choisi notre vie : Il fallait qu'il y eût quelque envie Dans l'âme de quelque roi.
Qu'est-ce que cela importe, Une destinée ou bien une autre? Mon Dieu, comme c'est peu la nôtre. Ce vent d'automne qui nous em porte I
Qu'est-ce que cela pouvait faire
poÂTis d'au/odrd'hui
Que fut pour nous la moins lanientable? Il fallait bien qu'elle échût à la table De quelqu'un dans cette étrange affaire
Destinée éparse et morose.
Une flânerie, une querelle, et toujours ainsi :
Pourquoi nous avoir faits ceci?
Nous aurions bien pu être autre chose.
(Sonatines d'automne. Perrin.)
LES MAINS LENTES SOUS LA LAMPE...
Les mains lentes sous la lampe Jouant avec les reflets Tressent d'invisibles guirlandes De songeries et de regrets.
La dentelle des brodeuses Enlace leurs âmes aussi. Et dénoue une trame heureuse En fleurettes de souci.
Vers une fenêtre endormie Sous la lune du clair jardin Voltigent les câlines mains Sous la lampe épanouie.
Et leur fragile volonté Croise d'un jeu soudain tragique Le fil d'anciennes destinées Sur leurs ongles ironi(jues.
(Sonatines d^antomut. Perrin.)
UNE DOUCEUR.,.
Une douceur et puis une lenteur
Et puis un geste caressant qui desceod
Sur la moiteur
De mon front,
C'est votre main sur ma tristesse posée.
OAMILLB MiCuOLAin
Une musique fleurie,
Et puis une nostaIfj,ic inassouvie,
Une musique àc douleur inapaisée,
Sur les fibres do mon cœur triste
C'est votre voix comme une oiselle posée,
Une lueur de diamant
Au fond d'une caq froide et cJaîre,
Une anicUiyste qui s'éclaire
Au reflet de mes yeux mornes.
C'est votre prunelle sur la mienne. . .
Mais votre bouche de sang et de crépuscule Sur ma bouche de crépuscule et de sang Ah 1 c'est ton âme toute Sur la mienne comme un chrysanthème posée.
{Sonatines d'automne. Perrin.) JB SUIS ÉBAUCHÉ CE SOIR...
Je suis ébauché ce aoir Par des mains heureuses Qui prennent mon cœur Avec lenteur
Et le front si fréle et si puéril Que le désir des pleurs "Tremble au bord de mes cila.
Mais il y a tant de silence
Que je n'ose pas pleurer,
Mais il y a tant de somnolence
Que je n'ose pas rêver.
Seigneur ! il y a tant de magnificence
Que je n'ose pas exister 1
0 je suis comme une eau dormante,
0 je suis comme une feuille oubliée
A la brise où l'octobre aux cheveux d'or lamente,
Triste des cygnes et de toute la rosée.
(Sonatines d'automne. Perrin.)
POÂTES d'aujourd'hui
MINUTE
O ma fille, ouvre la porte, II y a quelqu'un qui heurte !
— Je ne peux pas aller ouvrir,
Je lisse mes cheveux devant mon miroir.
Oh 1 ouvre la porte, ma fille, Il y a quelqu'un qui défaille !
— Je ne peux pas aller voir qui c'est, Je mets des rubans à mon corset.
La porte, ô ma fille, ouvre !
Je suis vieux, j'ai les jambes lourdes. . ,
— Je ne peux pas aller regarder, Père, j'agrafe mes colliers.
Un homme peut-être est mort Derrière la porte, au vent du dehors I
— S'il était beau, je l'aurais senti : Mes seins n'ont pas tressailli.
{Sonatines d'automne. Perrin.)
PASTEL DE JEUNE FILLE
Elle doit être assise auprès d'une croisée A petits carreaux encadrés de bois peint. Dans une maison de briques roses, posée Commeun jouet au bord d'un canal immobile Allant de la ville vers la mer, bien loin, Entre ses rangées de peupliers. Elle doit être assise là le matin 'Parmi l'ombre des tilleuls et des espaliers, Regardant les femmes qui viennent de la campagne Avec des pots de cuivre et des g'erbes liées.
'On voit, à travers la vitre, sa tête fine
Blonde avec une dentelle au cou,
Une dentelle blanche sur la nuque blanche
CAMILLE MAUCLAin 9
Qui se penche, montrant des cheveux fous :
El ses yeux Meus, agrandis, lèvent leurs paupières toutà coup.
Sur ses genoux est son petit métier de brodeuse.
Ses ongles brillent dans le treillis des fils.
Elle a une petite bouche, elle a l'air peureuse,
Et sérieuse en sa robe grise.
On n'entend rien dans la rue, et derrière elle,
Dans l'encadrement de la fenêtre.
On voit des poteries, des ors de vieux portraits,
Un coin de place, et une porte en tr ouverte
Sur un jardin bleu de soleil qui dort derrière la nlaison.
Des enfants jouent sur le pavé de la place, dans l'herbe. Sous les ombres rondes des arbres taillés : il est midi. . La clarté vaporeuse de Flandre est belle en silence. Et le carillon des béguines tinte au loin dans la chaleur.
Je la vois encore, le soir,
Au seuil de la porte :
Elle a laissé tomber ses deux mains
Et s'appuie au mur, penchant la tête en arrière
Dans l'ombre montante.
Une fraîcheur vient de la plaine depuis la mer.
Les cheminées à croix de fer
Sont un peu roses tout en haut, puis c'est fini.
L'enfant blonde goûte la nuit
Et s'attarde avant de retourner vers la lampe.
L'eau du canal se plisse et fait un peu de bruit
A cause d'un chaland venu des îles du Nord
Qui avance lourdement jusqu'à l'écluse
Comme une bcte bizarre et percluse.
Les ombres des bateliers gesticulent sur le plat-bord
Et se déforment dans l'eau miroitante et moirée
Dont les remous font remuer les roseaux...
Elle, pas très grande, plutôt mignonne,
Les épaules jolies et étroites un peu,
Met un doigt sur sa bouche, comme retenant son âme.
Et regarde pensivement tout cela,
Penchaot la tête comme un petit bouquet fatigué...
1.
FOÈTES d'aujourd'hui
Ah I venir, au long du grand chemin de halage,
Vers ce visage à la fenêtre dans ce village.
Venir sur l'eau pesante, dans le bateau bariolé,
A l'heure où naît la première lumière,
Et toucher ces lèvres avec les lèvres miennes
En disant les choses les plus simples du monde.
Et regarder ces yeux-là, et vivre là,
Et dire : « Il pleut... il y aura des fruits cette année. . . »
Ou a Tu es douce, il fait très bon... j'aime être avec toi,.,
... J'ai eu du chagrin, il y a des années... »
Et ce serait le bonheur, mon Dieu oui, le bonheur, Ou du moins tout ce qu'on peut en savoir. Après tout, le bonheur des bonnes gens : Et j'ai envie de celui-là, tout simplement.
(Le Sang parle,)
PRÉSENCES
J'ai vu les femmes qui s'en vont Légères au crépuscule, Et leurs images se" défont Dans le soir vague et profond
Depuis longtemps leurs voix sont mortes, Depuis longtemps, au coin des seuils. Leurs mémoires, au coin des portes. Dorment fanées avec les feuilles.
Ainsi qu'un pauvre, pour dormir, Fera lit de ses feuilles d'or. Couche-toi, mon souvenir. Sur ces mémoires et t'endors.
Et prends-les aussi sur ton sein Pour avoir chaud encor sous elles, Afin, aussi, que leur parfum Te reste au cœur et dans les mains.
(Lt Sang parle.)
STUART MERRILL 1863-1915
Stuart Merrill est né, le i" août i863, à Hampstead, dans Tllc de Long Island, la patrie de Walt Whitman, — prci de New-York (Etats-Unis). Il est mort à Versailles, le i" déaembre 191B. Son en- fance passée k Paris, il fit ses études an lycée Condorcet, où l'on a vu, dans de précédentes notices, sa camaraderie avec Ephraïm Mik- haCl, Pierre Quillard, MM. René Ghil et Rodolphe Darzcns, avec les- quels il fonda un petit journal tutographiô, te Fan. Retourné après cela en Amérique, Stuart Merrill prépara son droit au Golumbia Collège do New- York, de i885 à 1889, mais sans aucun succès, à cause de ses préoccupations tout autres, c'est-à-dire exclusivement littéraires. Il en donna d'ailleurs une preuve en publiant pendant ce séjour en Amérique son premier ouvrage de poète : Les Gammes, paru à Paris chez Léon Vanier, et bientôt suivi, chez un éditeur de New- York, d« Patlels in Prose, un volume de traduction de Théo- dore (le Banville, Aloysius Bertrand, Baudelaire, Judith Gautier, Hennequin, Huysmans, Mallarmé, Paul Margueritte, Catulle Mendès, Ephraïm Mikhacl, Pierre Quillard, Henri de Régnier et Villiers de risle-Adam. Revenu définitivement en France en 1890, Stuart Mer- rill fut un des plus actifs parmi les écrivains qui travaillaient alors à une renaissance littéraire, collaborant avec des poèmes et avec des éludes de critique, à toutes les revues de l'époque. En même temps, il faisait paraître en Amérique, dans le Timet et l'Evening Post, de nombreux articles sur des écrivains français : Gérard de Nerval, Glatigny, Alphonse Daudet, etc.
Stuart Merrill n'a pas été seulement un très curieux poète, un ma- g-icien du verbe, faisant revivre dans ses vers pleins de scintillc- 7i)onls de pierreries et d'harmonies savantes les plus gracieuses des lci;;endes. Il a été un citoyen justement préoccupe du mouvement social de son époque, généreux aux déshérités, aux opprimés, dévoué k toute cause juste, payant partout de sa personne comme de sa for-
POÂTKS d'aujourd'hui
tune. Pendant que ses vers révélaient en France un artiste délicat quelquefois jusqu'à la préciosité, il org;anisait à New-York les grou- pes socialistes américains, et, revenu en France, on l'a vu s'intéres- ser à toutes les affaires où l'idée d'une justice meilleure était en cause. Par la suite, le poète s'est un peu retiré à l'écart. Sa vie intime traversée d'un grand chagrin, il semble que son art en ait reçu une heureuse influence. Que l'on compare les derniers poèmes que nous donnons de lui à ceux qui les précèdent. Il y a là toute la différence d'un homme qui pense et qui sent vraiment à celui qui n'était, — si brillant qu'il fût, — qu'un décorateur de sentiments un peu artificiels.
Stuart Merrill a collaboré à La Basoche (i884-i886), au Déca- dent (1886-1887), nnScapin (1886), aux Ecrits pour l'Art (1887), à LaWallonie ( 1887- i89a),au7l/ercarerfe France, 1896- 1908, àZ<'u4//wa- nach des Poètes (1896, 1897), au Livre des Légendes (1896^, à La Plume, à La Foyue (1899) et à L'Ermitage.
Bibliographie :
Les oeuvres. — Les Gammes, poèmes. Paris, Vanier, 1887, in-18. — Pastels in Prose [traductions de Banville, Aloysius Bertrand, Baudelaire, Judith Gautier, Mallarmé, E. Mikhael, Pierre Quillard, Henri de Régnier, Villiers de L'isle-Adam, etc.], New-York. Harper et Brothers, 1890, in-18. — Les Fastes, poèmes. Paris, Vanier, 1891, in-18. — Petits poèmes d'au- tomne. Paris, Vanier, 1895, in-18. — Poèmes, 1887-1897 (Zes Gammes. Les Fastes, Petits poèmes d'automne, Le Jeu des épées). Paris, Soc. du Mercure de France, 1897, in-18. — Les Quatre Saisons, poèmes. Paris, Soc. du Mercure de France, 1900, in-18.
On trouve, en outro.des poèmes de M. Stuart Merrill dans l'Almanach des poètes, années 1897 et 1898. (Paris, Edit. du Mercure de France, 1896 et 1898 2 vol. in-16).
Poèmes MIS en musique. — Quelques pièces extr.de Petits poèmes d'automne ont été mises en musique par M"» Irénée Berge.
A CONSULTER. — André Beaunler : La Poésie nouvelle. Paris, Soc. du Mercure de France, 1902, iu-18. — Remy de Gourmont : Le Livre des Masques. Paris, Soc. du Mercure de France, 1896. — Georges Le Car. donnel et Ch. Vellay : La Littérature contemporaine, 1905. Opinions
des écrivains de ce temps. Paris, Soc. du Mercure de France, 1906, in-18.
Adolphe Ketté : Le Symbolisme. Anecdotes et souvenirs, Paris, Messein 1903, in-18. — Ciiristian Rimestad : Fransk Poesi i det Nitlende Aarhun- drede. Kobenhavn, Schubotheske, 1903, in-8. — V. Thompson : French Portraits, elc. Boston, Richard G. Badger et G", 1900, in-8.
Henri Degron : Paysageries littéraires. La Plume, 1" mai 1900. — Jean de Gourmont : Littér. contempor. Stuart Merrill (illuslr.). Empo- rium (Bergame), juillet 1905. — Henri de Régnier : Stuart Merrill. Les Hommes d'aujourd'hui, Paris, Vanier, s d.— A. -P. Herold. Petits poè. mes d'automne. Mercure de France,, n)ai-s 1895. — Ch. Maurras : Hevue littéraire. Revue Encyclopédique, 22 janvier 1898. — Louis de Suiut-Jac- queB : Merrill. L* Plume, i" mars 1895.
ITUAHT MKnHILI. |8
Iconographie :
C. Castelucho : Portrait, d l'huile, 1902 (app. à M. Stiurt Merrill). — Alph. Germain: Portrait, tanguine, 1892 (app. à H. Stuart Merrill). — Albert-I;:. Steriier : Portrait d la plume, 1891 (app. à M. Sluarl Merrill), reproduit dans La Plumt, 1891 ; Portrait au fusain, 1892 (app. & M. Sluart Merrill), reproduit en couleur dan» Le» Homme* d'aujourd'hui. Paris, Vaiiicr. — F. Vallotton : Masques, dans Le Livre des Masques, de R. de Gour- men. Paris, Soc. du Mercure de France, 1890
IfOCTURNB
La bli^me lune allume en la mare qui luit, Miroir des gloires d'or, un émoi d'incendie. Tout dort. Seul, à mi-mort, un rossignol de nuit Module en mal d'amour sa molle mélodie.
Plus ne vibrent les vents en le mystère vert Des ramures. La lune a tu leurs voix nocturnes : Mais à travers le deuil du feuillage entr'ouvert Pleuvent les bleus baisers des astres taciturnes. -
La vieille volupté de rêver h la mort A l'entour de la mure endort l'âme des choses. A peine la forôt parfois fait-elle effort Sous le frisson furlif de ses métamorphoses.
Chaque feuille s'efface en des brouillards subtils. Du zénith de l'azur ruisselle la rosée Dont le cristal s'incruste en perles aux pistils Des nénufars flottant sur l'eau fleurdelysée.
Rien n'émane du noir, ni vol, ni vent, ni voix, Sauf lorsqu'au loin des bois, par soudaines saccades, Un ruisseau turbulent roule sur les gravois : L'écho s'émeut alors de l'éclat des cascades.
(Z^a Gamme»,
CHAMBRE D'AMOUR Dans la chambre qui fleure un peu la bergamote.
l4 POÈTES d'aujourd'hui
Ce soir, lasse, la voix de l'ancien clavecin Chevrote des refrains enfantins de gavotte.
Eteintes par sa main pour quelque doux dessein D'amour, voici qu'enfin les lampes vespérales Fument au bruit de l'eau tintant dans le bassin.
Au bruit de l'eau qui brille en des lueurs lustrales A travers les rideaux roidis de pourpre et d'or Dont le clair éclat croule aux fenêtres claustrales.
C'est, déroulant au mur un vaporeux décor, La pastorale peinte aux pimpantes images Où des Jeux et des Ris s'éparpille l'essor.
Sur les divans fanés en leurs riants ramages
Lès coussins semblent lourds de l'oubli des absents
Et du bleu baldaquin s'éplorent des plumages.
Seul un éventail chu de doigts jadis lassants
Présage le retour inespéré de Celle
Dont l'automne a pâli les charmes languissants.
Soudain c'est le rayon roux d'une rubacelle, Un chuchotis de voix disant de doux remords, Et le baiser de ceux que la Vie ensorcelle
Dans la chambre où, le soir, s'aimèrent tant de morts I
(Poèmes, 1887- iSgy : Les Fastes.)
CELLE QUI PRIE
A Jonathan Starges,
Ses doigts gemmés de rubacelle Et lourds du geste des clfrois Ont sacré d'un signe de croix Le samit de sa tunicelle.
Sous ses torsades où ruisselle
La rançon d'amour de maints rois,
8TUAI1T MERRILL l5
Sa prunelle vers les orfrois Darde une vîride étincelle.
Et c'est par l'oratoire d'or
Les alléluias en essor
De l'orgue et du violoncelle
Et, sur un missel à fcrmail Qu'empourpre le soir d'un vitrail, Ses doigts gemmés de rubacelle.
{Poèmes, iSSj-iSgy : Les Fastes.)
AU TEMPS DE LA MORT DES MARJOLAINES...
Au temps de la mort des marjolaines, Alors que bourdonne ton léger Rouet, tu me fais, les soirs, songer A ses aïeules les chûtelaines.
Tes doigts sont fluets comme les leurs Qui dévidaient les fuseaux fragiles. Que files-tu, sœur, en ces vigiles. Où tu chantes d'heurs et de malheurs
Seraient-ce des linceuls pour tes rêves D'amour, morts en la saison des pleurs D'avoir vu mourir toutes les fleurs ■Qui parfumèrent les heures brèves?
Oh ! le geste fatal de tes mains Pâles, quand je parle de ces choses, De tes mains qui bénirent les roses En nos jours d'amour sans lendemains
C'est le vent d'automne dans l'allée, Sœur, écoute, et la chute sur l'eau Des feuilles du saule et du bouleau. Et c'est le givre dans la vallée.
Dénoue — il est l'heure — tes cheveux
i8 voinn d'aujourd'hui
Plus blonds que le chanvre que tu files ; L'ombre où se tendent nos mains débiles Est propice au murmure des vœux.
Et viens, pareille à ces châtelaines Dolentes à qui tu fais song^er, Dans le silence où meurt ton lépfer Rouet, ô ma sœur des marjolaines !
{Poèmes, i88y-i8g^ : Petits poèmes d'automne.)
ROYAUTÉ
Je suis ce roi des anciens temps Dont la cité dort sous la mer, Aux chocs sourds des cloches de ter Qui sonnèrent trop de printemps.
Je crois savoir des noms de reines Défuntes depuis tant d'années, O mon âme ! et des fleurs fanées Semblent tomber des nuits sereines.
Les vaisseaux lourds de mon trésor Ont tous sombré je ne sais où, Et désormais je suis le fou Qui cherche sur les flots son or.
Pourquoi vouloir la vieille uloire Sous les noirs étendards des villes Où tant de barbares serviles Hurlaient aux astres ma victoire?
Avec la lune sur mes yeux Calmes, et l'épée à la main, J'attends luire le lendemain Qui tracera mon signe aux cieax.
Pourtant l'espoir de la conquête Me gonfle le cœur de ses rages :
STUART lOinniLL 17
Aï-je entendu, vainqueur des âges, Des trompettes d.'ins la tcmpûte? *
Ou sont-ce les cloches de fer Qui sonnèrent trop de printemps ? Je suis ce roi des anciens temps Dont la cité dort sous la mer. (Poèmes. 1887- tSgj : Petits poèmes d'automne.)
LA CHANTEUSE A LA BAGUE
A Madame Hélène Linder.
Dame aux cheveux nimbes de l'or de tout l'automne Qui pèse sur les fleurs el, les fruits du verger, Vous faisiez, ce soir, luire à votre doigt léger Une bague où i);itlait le cn-ur d'une anémone.
Triste un peu, vous chantiez, sur un air monotone, La chanson d'un poète au rêve mensonii^er Qui sous ce ciel eu feu m'a longlenips fait songer Aux rois fous qui sont morts sans glaive ni couronne.
Et lorsqu'au rythme uni des gestes et du son Le soleil transperçait la pierre de la bague. Goutte de sang perlant au coup vif d'une dague,
Mon âme abandonnée au cours de la chanson Mourait et renaissait sous le signe éphémère De votre main d'enfant qui charme la Chimère.
{Poèmes, i88j-j8gj : Le Jea des Epée$.)
SOLITUDE
On dit que des rois morts ont foulé ce sentier Qui mène au banc de pierre où nous aimons nous asseoir, Alors que sur la solitude tombe la paix du soir Et que nos cœurs sont pleins de chants muets, comme des
[psautiers.
l8 , POÈTES d'aujourd'hui
De ce rocher on vit, sous les fanfares de la conquête, La plaine se hérisser soudain d'épis de fer. Et des multitudes, revenues des étés et des hivers, Rouler comme uq fleuve rouge vers la graade ville en fête.
Mais ni la chevauchée ensoleillée sous les bannières, Ni le doux tonnerre des tambours dans le printemps, Ni le cri des clairons dressés en corolles d'or
Ne valent ce silence où notre fatigue s'endort, Et la caresse des ombres qu'enfremêlent les vents Et la minute éternelle de notre baiser, cette prière !
(Les Quatre Saisons.)
LA VISITATION DE L'AMOUR
Je veux que l'Amour entre comme un ami dans noire maison, Disais-tu, bien-aimée, ce soir rouge d'automne Où dans leur cage d'osier les tourterelles monotones Râlaient, palpitant en soudaine pâmoison.
L'Amour entrera toujours comme un ami dans notre maison, T'ai-je répondu, écoutant le bruit de feuilles qui tombent, Par delà le jardin des chrysanthèmes, sur les tombes Que la forêt étreint de ses jaunes frondaisons.
Et voici, l'Amour est venu frapper à la porte de notre maison, Nu comme la Pureté, doux comme la Sainteté; Ses flèches lancées vers le soleil mourant chantaient Comme son rire de jeune dieu qui chasse toute raison.
Amour, Amour, sois le bienvenu dans notre maison Où t'attendent la flamme de l'âtre et la coupe de bon vin. Amour, ô toi qui es trop beau pour ne pas être divin. Apaise en nos pRiivre? coeurs toute crainte de trahison J
Et l'Amour est entré en riant dans notre maison, Et nous ceignant le cou du double collier de ses bras, Il a forcé nos bouches closes et nos yeux ingrats A voir et à dire enfin ce que nous leur refusons.
BTUART UBRRILL IQ
Depuis, nous avons fermé la porte de notre maison Pour garder auprès de nous le dieu errant Amour Qui nous fit oublier la fuite furtive des jourg En nous chantant le secret éternel des saisons.
Mais nous l'ouvrirons un jour, la porte de notre maison, Pour que l'Amour, notre ami, aille baiser les hommes Sur leurs lèvres et leurs yeux — aveugles et muets que nous
[sommes l Comme il nous baisa sur les nôtres, ce soir plein d'oraisons I
Et se sera Pâques alors autour de notre maison, Et l'on entendra prier les morts au fond des tombes. Et l'on verra s'essorer comme des âmes de colombes Entre le soleil mort et la lune née à l'horizon.
(Les Quatre Saisons.)
ATTBNTB
Si c'est pour me faire croire à la vie Que tu viens à ce triste séjour. Prends la clef d'or, et, les marches gravies, Ouvre la porte aux pas de ton amour.
Si c'est pour me faire croire à la mort.
Prends parmi tes clefs celle de fer,
Et ferme les fenêtres à l'aurore
Dans la chambre pleine des ténèbres d'hier.
Qu'importe la vie à mon âme ou la mort. Pourvu que ce soil toi que j'accueille. Geôlière dont la clef de fer ou d'or Violera le secret silencieux de mon seuil?
Mais pourquoi ces paroles dans la solitude, 0 toi qui ne viendras peut-être jamais M'éveiller de la voix douce ou rude Selon que sonnera la cloche des destinées
POETES D AJOUURD UUI
La neige a suivi les oiseaux sur le toit. Et seul habitant de la triste masure. J'attends toujours la détresse ou la joie De tes clefs inconnues dans la serrure.
{Les Quatre Saisons.) ÉCRIT DANS LA TRISTESSE
Les heures passent sous la pluie Et dans le bruit du vent d'hiver. Ma joie est à jamais enfuie Sur les ailes des oiseaux d'hier.
L'été rouge et le jaune automne Ont donné leurs fleurs et leurs fruits. Sur mon toit la tempête tonne, Et mes beaux jardins sont détruits.
Amour, la trace est effacée
De tes derniers pas sur mon seuil^
Où naguère s'était dressée
La folle à qui je fis accueil.
O nuits futures, quel silence Envahira cette maison Si triste après la turbulence De la dante et de la chanson ?
Entendre mon pas solitaire Dans les charnbres et les couloirs^ Ouvrir les portes et me taire, Devant le vide des miroirs.
Quelle douleur ! Puis à chaque heure Que l'horloge ne sonne plus. Quelle ombre accrue en la demeure, Où mon deuil oiseux s^est reclus 1
aroAMT MuiniuL
Je ne vis plus qu'avec des rêves Qui craignent le jour et le bruit. Mon ûme, est-ce que tu t'achèves Dans la poussière de la nuit î
Qui viendra jeter la poignée De. bois dans l'âtre désempli Où frisonne au vent l'araignée, Grise tisseuse de l'oubli ?
Hélas 1 II ne viendra personne.
Je suis délaissé des humains.
Sans moi l'on sème et l'on moissonne.
Mort, inon cœur, et mortes mes maius 1
II
La tempête tonne. Qu'importe Son vacarme à ce moribond Qui, sans pitié, laisse à sa porte Frapper les poings du vagabond ?
J'écoute, le front dans mes paume» Et les coudes sur mes genoux. Le chuchotement des fantômes Qui vont rôdant autour des fous.
Femme, ne reviens pas épandre Ta chevelure sur mon seuil. Ni lancer au ciel de la cendre En murmurant des chants de deuil.
Ta voix, je l'ai bien oubliée. Comme la couleur de tes yeux. Après t'avoir tant suppliée Je t'abandonne au soin des dieux.
A toi, sous des cieux moins moroses, D'autres chansons par les chemins^ D'autres danses parmi les roses, Et d'autres lèvres sur les mains.
PORTES d'aujourd'hui
Ainsi soit-il ! Moi, je demande Aux ténèbres leur réconfort, Car les seuls baisers que j 'attende Sont ceux, maternels, de la Mort.
N'ayant plus espoir qu'en les songes Qui font oublier, sans retour, Tous les masques et les mensonges Dont se leurre le pauvre amour,
Je sentirai sur moi descendre L'ombre où nulle lampe ne luit. Sans crainte ni désir d'entendre, 0 toi, ton appel dans la nuit.
Car je sais que veille à ma porte L'ange qui n'aime ni ne hait. Celui dont la mémmre est morte Et qui, les yeux tidça, «e tait.
ÉPHIIAIM MIKIIAEL
1866-1890
Nô h Touloafce le ï6 juin 1866; Epliraïm MikhaGl (Gt;or£:ès-EphraTna- Mithél), mourut à Vtng-l-qualre art>;, le 5 mai 1890, laissaut des poèmes et des poèmes en prose dispersés dans diverses revues, et uh clfânie encore inédit : Briséis, écrit en collaboration avec M. Catulle Mendès. Licencié es lettres, élève de l'Ecole des Char- tes, Ephralm Mikhaël fut attaché à la BibliotLci)Uë Nêtlronal^. Ses premiers poèmes furent réunis par lui dans une plaquette d'ama- teur, 80US ce titre : L'Automne. Il publia également, en 1888, nat légende dramatiqae en trois actes : La Fiancée de Corinthc, écrite en collaboration avec Bernard Lazare, et fit représenter le lodéCedi- bre de la même année, du Théâtre Libre, une féerie en un acte : Le Cor Fleuri. Un de ses poèmes : Florimond, fut couroané en 1889, au concours de L'Echo de Paris,
Le premier acte de Briséit, mis en musique par Emmanuel Cha- brier, fut interprété pour la première fois, le 3i janvier 1897, aux concerts Lamoureux. Le niusicien, comme le poète, était mort, et M. Catulle Mendès fut seul à connaître le succès de l'oeuvre.
Ephraïm Mikhaël a collaboré à La Basoche (Bruxelles, i884- 1886), La Pléiade {\1!S&), La Jeune France (1886-1887), Les Chro- niques («887), La BeVAe Continentale (iSSg), La Gfande Revue dé Paris et de Saint-Pélersboarg, etc. Se« œuvres ont été tas'sembléèl» après sa mort, en une édition définitive, augmentée de fragments inédits, par les soins de ses amis MM. Camille tiloch^ Marcel Gol- lière, Bernard Lazare, Catulle Mendès et Pierre Quillard.
Bibliographie :
1« (KUVRÉ9. — L'Automne, poème» (sbds nom d'êditeUr). Paris, Alcaô Lévy, 18S6, in-18. — La Flaucèo de Cortnlho, I<5gende dramatique en troi«&cles (ou coHaboration avec Bernard Lazare). Paria, Dalou, 1888, in-8. — Le Cor Flearl, féerie en un a6te «t an Vvrt (repféientâ kor U aeHaé da
■4 foAtes o'aujouhd'hui
Théâtre Libre le 10 décembre 1888), Paris, Tresse et Stock, 1888, in-18 (1) — Œuvres de Ephraïm Mikhaël (Poésies, Poèmes en prose). Paris, Lemerre, 1890, petit in-I2. — Briséis, drame lyrique (en collaboration avec Catulle Mendès). Paris, Enoch, 1893, in-4-.
Traduction. — Quelques pages dans Pastels in Proêe, trânslated by Stuart Merrill, New-York, Harper et Brothers, 1890.
A CONSULTER. — Anonyme : Notice biographique et bibliogr. publiée en tête de l'édition des Œuvres, etc. Paris, Lemerre, 1890, petit in-12. — Ca- tulle Mendès: Rapport à M. le Ministre de l'Instr. publique, etc., sur le Mouvement poétique français de i867 à 1906. Paris, Imprimerie Natio- nale, 1902, et Fasquelle, 1903, in-8.- R. de Gourmont : Le II' Livre de» Masques, Paris, Soc. du Mercure de France, 1898. — Pierre Quillard : Notice, dans Portraits du prochain siècle. Paris, Girard (1894), in-18. — Christian Rimestad : Fransk Poesii de t Ni t tende a rhundrede. Ko- benhavn, Schubotheske, 1905, in-8. — Jules Tellier : Nos Poètes. Paris, Despret, 1888, in-18.
Jean Ajalbert : Opinions. Ephraïm Mikhaél. Eclair, 8 février 1897. — Aie. Bonneau : Poètes. Revue Encyclopédique, février 1891. — Catulle Mendès : Ephraïm Mikhaél. Echo de Paris, 15 octobre 1890. — Edm. Pilon : Ephraïm Mikhaël Ermitage, avril 1894. — Pierre Quillard : Ephraïm Mikhaél. La Wallonie (Liège), octobre 1890
Iconographie :
L. Métivet : Ephraïm Mikhaél sur son lit de mort, 6 mai 1890, dessin au crayon (app. à la famille). — Anonyme : Portrait d l'eau-forte, publié dans l'éd. des Œuvres (Paris, Lemerre, 1890 in-12). — Desmoulin : Por- trait d l'eau-forte, E^tion de Briséis. Paris, Enoch, 1893,in-4.— F. Val lot- ton : Masque, dans Le II' Livre des Masques, de R. de Gourmont. Paris, Soc. du Mercure de France, 1898, in-18.— Ch. Mathieu : Monument (Buste d'Ephraïm MikbaSl et figures allégoriques) élevé par souscription, pour l» cloître des Augustin», Musée de Toulouse, 1900.
EFFET DE SOIR
Cette nuit, au-dessus des quais silencieux, Plane un calme lugubre et glacial d'automne. Nui vent. Les becs de gaz en file monotone Luisent au fond de leur halo, comme des yeux.
Et dans l'air ouaté de brume, nos voix sourdes Ont le son des échos qui se meurent, tandis
(1) M. A.-F Herold a tiré de cette féerie le texte d'une œuvre lyrique qui a été jouée avec la musique de M. F. Halphen, à l'Opéra-Comique, eu mai 1904. (Voyez : Le Cor fleuri, féerie lyrique, poôme d'Ephraïm Mikhaol et A.-Ferdin. Herold, musique de Fernand Halphen. Paris, Dupont, 1904, iu-8, partition piano et cbaot. Paria, Dupont, 1904, in-4).
SPHRAIM MIKHABL sS
Que nous allons rêveusement, tout engourdis,
Dans l'horreur du soir froid plein de tristesses lourdes.
Comme un flux de métal épais, le fleuve noir Fait sous le ciel sans lune un clapotis de vagues. Et maintenant, empli de somnolences vagues. Je sombre dans un grand et morne nonchaloir.
Avec le souvenir des heures paresseuses Je sens en moi la peur des lendemains pareils, Et mon Ame voudrait boire les fongs sommeils Et l'oubli léthargique eu des eaux guérisseuses.
Mes yeux vont demi-clos des becs de gaz trembleurs Au fleuve où leur lueur raiitast!(]ue s'immerge. Et je soEig-e en voyant fuir le long de la berge Tous ces reflets tombés dans l'eau, comme des pleurs.
Que, dans un coin lointain des cieux mélancoliiiues, Peut-être quelque Dieu des temps anciens, hanté Par l'implacable ennui de son Éternité, Pleure ces larmes d'or dans les eaux métalliques.
TRISTESSE DE SEPTEMBRE
A il/">« Elisabeth Dayre.
Quant le vent automnal sonne le deuil des chênes.
Je sens eu moi, non le rogret du clair été.
Mais l'ineflable horreur des floraisons prochaines.
C'est par l'avril futur que je suis attristé ; Et je plains les forêts puissantes, condamnées A verdir tous les ans pendant l'éternité.
Car, depuis des milliers innombrables d'années. Ce sont des blés pareils et de pareilles fleurs. Invariablement écloses et fanées ;
Ce sont les mêmes vents susurrants ou hurleurs,
B I
a6 poéTEs d'aujourd'hui
La même odeur parmi les herbes reverdies. Et les mêmes baisers et les mêmes douleurs.
Maintenant les forêts vont s'endormir, raidies
Par les givres, pour leur sommeil de peu d'instants.
Puis, sur l'immensité des plaines engourdies,
Sur la rigidité blanche des grands étangs, Je verrai reparaître à l'heure convenue — Comme un fantôme impitoyable — le printemps ; '
O les soleils nouveaux 1 la saison inconnue 1
CRÉPUSCULE PLUVIEUX
A Rodolohe Dartens.
L'ennui descend sur moi comme un brouillard d'automne Que le soir épaissit de moment en moment, Un ennui lourd, accru mystérieusement, Qui m'opprime de nuit épaisse et monotone.
Pourtant nul glorieux amour ne m'a blessé, Et c'est sans regretter les heures envolées Que je revois au loin, vagues formes voilées^ Mes souvenirs errants au jardin du passé.
Et pourtant, maintenant, dans l'horreur languissante D'un soir de pluie et dans la lente obscurité. Je sens mon cœur que nul amour n'a déserté Mélancolique ainsi qu'uue chambre d'absente.
L'HIERODOULE
A Paul Roux»
Dans le triomphe bleu d'un soir oriental Elle s'accoude avec une lente souplesse Au rebord lumineux de la terrasse, et laisse Les cheveux étaler leur deuil sacerdotal.
KPHHAIM MIKHAEL If
r,n ville sainte aux toits bni^cs de lueurs blanches list pleine de rumeurs d'épouvante, et là bas, Dans le Bois pollué par le sang des combats, Des feux semblent des yeux cruels entre les branches.
Les hommes durs venus de pays mnommcs Fouleront ce matin le sol du sanctuaire ; Près des murs, attendant l'aurore mortuaire. Veillent, silencieux, des cavaliers armés.
Et vers le ciel pareil aux cuirasses brunies Que hérissent des clous brillants, leur rude main Lève de longs buccins d'or qui seront demain Les annonciateurs sacrés des agonies.
Des femmes, leurs seins nus, caressés de clartés. Dans de grands parcs plantés d'hiératiques chênes S'attardent à rêver des souillures prochaines Et s'apprêtent pour les mauvaises voluptés.
Mais, dédaignant le songe humain des vils désastres, L'hiérodoule au cœur d'éternel diamant Dans la suprême nuit regarde éperdument L'hiver du ciel blanchi par le givre des astres.
IMPIÉTÉS
Dans la haute nef qui frissonne toute Au bruit triomphal de l'hymne chanté, Un étrange Evèque, au cœur plein de doute. Officie avec somptuosité.
Il chante — que Dieu soit ou non, qu'importe Qu'importe le ciel sévère ou clément ? — Impassible, il chante, et de sa main forte Lève l'ostensoir solennellement.
Mais — tandis qu'au loin sa narine avide Quête les parfums du saiqt encensoir —
a8 POÈTES d'aujourd'hui
Il songe, en son âme infidèle et vide. Qu'il est beau, tenant ainsi l'ostensoir ;
Que, sur son manteau de pourpre, rutile Une gloire large et de divers ors. Comme le soleil que le soir mutile Luit sur le charnier des nuages morts.
Il songe qu'un peuple obscur le contemple; Qu'au fond d'un brouillard lourd de senteurs, l'œil Voit uniquement dans la nuit du temple L'Evêque splendide en son rouge orgueil.
Et, les yeux emplis d'ivresse extatique, Le prêtre, usurpant au Christ défié L'hommage royal du dévot cantique» Sur l'autel qu'il sert s'est déifié.
Chère, je t'ai dit des messes hautaines, Sans y croire, ainsi qu'un prêtre mauvais, Pour que le regard des foules lointaines Me trouvât très beau lorsque je levais
— Evêque vêtu de fières étoffes — L'ostensoir des vers aux riches splendeurs. Et je n'agitais l'encensoir des strophes Que pour m'enivrer avec ses odeurs.
L'ETRANGERE
En son manteau d'argent tissé par les prêtresses, La vierge s'en allait vers les jeunes cités. Et la nuit l'effleurait de mystiques caresses, Et le vent lui parlait de longues voluptés.
Or, c'était en un siècle ou les rois faisaient taire Les joueurs de syrinx épars dans le printemp,-
iPHRAIM MIKHAU, SQ
Les sa^es ens^naient aux peuples de la terre L'horreur dm]^\ineR dieux et des lys éclatants.
Mais tandfe que lîi-bas se levait sur les villes La mau»*i8e lueur des temples embrasés, La vierge allait cherchant, parmi les races viles. Le fabuleux amant digne de ses baisers.
Elle apparut un soir, blanche et mystérieuse. Dans le mois où la faux couche les blés épais ; Et de très loin, vers la foule laborieuse. Tendit ses douces mains comme des fleurs de paix.
Elle e^ardait dans ses cheveux et dans ses voiles Un lonjsf parfum de gloire et de divinité, Et, pour avoir dormi sons de saintes étoiles, Son corps entier était pénétré de clarté.
Elle vient et déjà de merveilleux murmures Ont réveillé comme autrefois les bois ombreux : Appel de chèvrepieds gorgés de grappes mûres, Près des nymphes riant dans les fleuves heureux.
Des voix ont dit des noms oubliés de guerrières. D'ineffables syrinx soupirent dans les airs, Le vent porte des bruits antiques de prières. Une ombre olympienne emplit les cieux déserts.
Et la vierge, attendant de glorieux éphèbes, S'offre splendide et nue aux baisers triomphaux. Alors les chefs et les vieillards gardien des glèbes La repoussent avec des bâtons et des faux .
« Va-t'en 1 Nous avons peur de tes yeux pleins d'aurore^ Tu nous ramènerais les vieux songes pervers. Par toi nous rêverions et nous verrions encore Des ténèbres d'amour obscurcir l'univers. »
El les femmes, quittant les prés et la fontaine. Laissant les clairs fuseaux et les vases de miel,
3o poèTKs d'aujourd'hui
]*oursuivent en hurlant l'étrangère hautaine Qui souille le pays d'une senteur de ciel.
Des clameurs de combat sonnent dans les vallées, Les bois sont secoués de tragiques frissons, Et, comme aux rouges soirs des anciennes mêlées, Les filles aux bras forts courent dans les moissons.
Victoire ! maintenant une prostituée.
Qui regarde le ciel avec des yeux méchants,
Traîne le corps sacre de la vierge tuée ;
Le sang surnaturel trouble les lys des champs.
La nuit descend ; les cieux fleuris d'étoiles claires Resplendissent comme un jardin prodigieux. Les filles aux cœurs froids ont senti leurs colères Grandir sous le baiser du soir religieux.
Leur fureur se ravive à l'odeur des fleurs douces, A la bonne rumeur de la plaine et des flots. Farouches, dénouant leurs chevelures rousses. Elles poussent du pied l'étrangère aux yeux clos.
Joyeuses d'insulter des neiges lumineuses, Elles moi'dent sa gorge avec férocité ; On voit briller au fond des prunelles haineuses L'orgueil mystérieux de souiller la beauté.
Et toutes, emplissant de sables et d'ordures La bouche qui savait les mots mélodieux, Sur la divine morte, avec leurs mains impures, Se vengent de l'amour, des rêves et des di'îux.
(Œuvret de Eokraïm Milthaêl. Pans, iSgo.)
ALBERT MOGKEL 1866
M. Albart-Henri-Louis Mockcl est né à Ou^ëe-Ieï-Liège (Rflfi- qne) le 97 décembre 1860. Sa famille paternelle fat longtemps fixée dans l'ancien duché bilingue de Limbourg, spécialement dans la petite ville d'Eupcn, première agglomération allemande après la frontière actuelle. Sa famille maternelle est originaire de la Cour- lande, qu'elle quitta au xviu* siècle pour la Hollande et la Belgi- que. Sa bisaïeule muterncllc était d'ailleurs de famille françaiso réfugiée, et tous les ascendants de sa grand'mère, — une Namuroise — invoquaient une lointaine origine française. M. Albert Mockel fit ses classes primaires à Seraing, puis étudia la philosophie, la philoloj^ie et la musique à l'Université de Liège. En i884, il fonda dans ci'tle ville, avec ses camarades, un cercle d'étudiants : L'Elan littéraire, dont le bulletin mensuel, transformé et devenu sa pro- priét»^, devint bientôt la revue La Wallonie. On a pu se rendre compte dans de précédentes notices, et on en pourra juger encore dans d(5 suivantes, de l'importance de La Wallonie dans le mou- vement symboliste. M. Albert Mockel l'avait fondée pour défendre la nouvelle esthétique littéraire, en même temps que pour combat- tre en Belgiijne en faveur de la culture française. La Wallonie dura sept ans, groupant îa phipart des nouveaux écrivains. C'est dans ses numnros que publièrent leurs premières pages notamment Charles Van Lerberghe, Bernard Lazare, MM. Maurice Maeterlinck, Pierre Louys, Emile Verhaeren, Francis Viélo Oriffin, Grésïoire Le Roy, Stuart Merrill, René Ghil, Jean Moréas, Pierre Quillard, André Gide, A.-Ferdinand Herold, André Fontainas, Fernand Séve- rin, Albert Saint-Paul, Adolphe Retté, etc. José Maria de Heredia et Stéphane Mallarmé y collaborèrent à plusieurs reprises, et une seule fois Paul Verlaine. Après un séjour de quelques mois en Allemagne, RL Albert Mockel vint se fixer définitivement à Paris en i8yo. Il avait, à cette époque, déjà publié quelques plaquettes
Ss po*TB» »'au*ourd'hui
de \ern, livres d'essais, en quelque sorte, tout à fait négligeables aujourd'hui dans son œurre, et un petit livre satirique sur le mou. vement littéraire wallon : Les Fumistes Wallons. En 1890, il publia son premier ouvrage de critique : Quelques livres, édité à Liège, et suivi, en 1891, de Chantefable un peu naïve, poème, paru sans nom d'auteur ni d'éditeur. M. Albert Mockel s'est surtout distingué dans la critique de l'école symboliste, une critique un peu précieuse et spécieuse, plus attachée au détail et au moment qu'aux idées géné- rales et à une vue d'ensemble. L'ouvrage qui le signala dans ce sens fut ses Propos de littérature, publiés en 1894, et dans lesquels il étudiait l'esthétique poétique du mouvement symboliste à propos %des œuvres de ses deux plus notoires poètes : MM. Henri de Régnier et Francis Vielé-Griffin. D'autres éludes l'ont encore montré comme le critique méticuleux des nouveaux poètes, notamment celles qu'il a écrites sur Stéphane Mallarmé, Charles Van Lerberghe et M.Emile Ve-haeren. L'oeuvre poétique de M. Albert Mockel se compose au- jiourd'hui dedeux volumes : Chantefable unpeu naïve et Clarté*. Oa y trouve, avec la même préciosité que dans ses écrits en prose, une certaine recherche d'harmonie verbale, et, musicien autant que poète, il a joint k ces deux recueils des pages de musique destinées à en souligner l'esprit. Un autre volume est en préparation : La Flamme immortelle, dont des fragments ont paru dans diverses revues. M. Albert Mockel s'est aussi essayé dans l'art du conteur, avec un volume : Contes pour les Enfants d'hier, d'une note habi- lement puérile et vieillotte.
Une grande part des écrits de M. Albert Mockel se trouve encore dispersée dans des revues et journaux, notamment dans La Revue de Belgique (deux études : Réflexion sur la critique. Discussion sur la méthode dans la critique, — et toute une série d'articles sur les Peintres primitif s français) et dans La Réforme, de Bruxelles {Lettres d'Italie).
M. Albert Mockel acoUaboré à L'Elan littéraire (i885), Caprice Revue (1887-1890), Almanach de l'Université de Liège (188;), La Société nouvelle, L'Art Moderne, Les Ecrits pour l'Art, L'Indépen- dance belge. Floréal, La Revue, Le Réveil, La Revue Wallonne, La Réforme, Le Coq Rouge, Le Mercure de France, L' Almanach des Poètes (1896 et 1897), La Revue encyclopédique, La Revue de Belgi- que, Zeit (Vienne), La Vie nouvelle, La Vogue, L'Idée libre, L'Er- mitage, Durendal, Wallonia, Le Beffroi, L'Européen, L'Occident, Le Courrier européen. Les Arts de la Vie, Verset Prose, L'Express, Le Siècle, La Revue universelle. Art et Déooralion, Antée, La Bel- gique artistique et littéraire, Poésia, La Grande Revue, etc.
ILBBRT MOCKBL
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Bibliograpl
Poèmes ininiis^nles. Li*g:«, • n. d'éd., 1886, petit in-8 (hori commfirce). — L'Essor du Hé>e, rers et prose. IJège, ». n. d'M., 1887, petit in-8 'lion commerce). — Ix^s Fuinlsles Wallons. Histoire de quelques fous
(publié sous lo pseudonyme de L'IIemma). Li6(ïe, imprim. de 11. Vaillant-Car- mnnn, ». d. (1887), petit iu-8. — Quelques Livres, critique littéraire. Li6|?o, imprim. de H. Vaillniit-Carmanne, IS'.'O, petit in-8 (hors commerce). — Chan- lelablo nn peu naïve, poitme pri^ci^di- d'un prélude musical (publié sans nom d'auteur). Lièpe, imprimé pnr 11. Vaillnnt-Carmanne sur les presses de la Wallonie, 1891, in-8 (200 ex. sur Hollande). — Propos do littérature [esthétique du po^me, & propci des œuvres d'Henri de Réfinier et de Vielé- Griffin). Taris, Librairie de lArl Indépenlant, 1894, in-8. — Emile Verhae- rcn, avec une note hioL'raphiquo par f' rancis Viclé-Gi'iffin. Paris, éd. da Mercure de France, 1895, iii-18. — Sti^pliane Mallarmé. Un héros. Paris, éd. du Mercuie do France, 1899, iii-18. — Clartés, poèmes fsuiris d'une conclusion musicale]. Paris, éd. du Mercure de France, 1902, in-8. — (^.harlos Van Lerberohe, avec un portrait. Paris, Soc. du Mercure ds France, 1904. in- 18. — Vicier Ronsst>;iu, élude illustrée de 7 reproductioni d'(Puvrrs du Slalnairo. Paris, éd. <lo «La Plume », 1005, in-18. — Contes pour los enfants d'hier, illuitrés par Auguste Uonnay. Pari», Soc. du Mercure .lu France, 1908, in-8.
On trouve des poèmes de M. Albert Mockel dans les ouvrage» suivants : Almanaoh des poètes, années 1896, 1897 (Paris, éd. du Mercure de France, lS95ctl896. 2 vol. in-16). — Pol do Mont: Poète* belge* d'expression française. Almelo, W. Ililarius, 1899, in-18.
A PAnAîTRU. — La Flamme Immortelle, poèmcâ. — Banalités Indis- crètes, notes sur les mœurs.
A coNsiiLTKn. — Arthur Daxhelet : Une' Crise littéraire. St/mholisme et s!/mhofistes. BruTolles. Welssrnhi-uck, 1904, in-8. — Euqène (iilbert : Let Lettres françaises dansla fleliiique aujourd'hui. Paris, Sausot, 1906, in-18. — A.-F.Herold : Albert Mockel, notice publiée dans Les Portraits du prochain siVr/e. Paris. Girard, 1894, in-18. — (iustavo Kahn: .'symbolistes et décadent*, Paris, Messein, 1902, in-18. — Georges Le Cardonnel et Ch. Vellay : L.a Littérature contemporaine, 1905. Opinions des écrivains de ce temps. l'iiris, Soc. du Mercure de Franco, 1900, in-18. — Camille Lemonnier : Lu Vie belge. Paris, Fasquolle, 1905, in-18. — Catulle Mendès : linpport s'/r le mouvement poétique français de tS67 à 1900. Paris, Imprim. Natio- nale, 1902, et Fasquello. 1903, in-8. — Francis Nautet ' Histoire de* lettres belges rf'ej-prp»»ion/"r(inrai.Te. Bruxelles, Roscz, 1892, in-8. — Robert de Souza : Lm Poésie populaire et le lyri*me *entimental. Pari», Soc. du Menniie do France, 1899, iu-18.
<:. Castelyn : M. Albert Moekel, étude illustrée. La Libre Critique (Hruxelles), 11 et 18 juin 1906. — Charles Delchevalerie : Ai. Albert Mockel {Un livre ri'eent). Revue Blanche, mars 1892. — Anatole France : [Sur Albert Mockel]. Le Temps, 23 septembre 1891. — Hubert Krains : Les Lettres en llelgique. La Semaine littéraire (Genève), 16 et 23 mai 1903. — Stuart Merrill : Albert Mockel. Clartés. La Plume, mars 1903. — G. Kency : Propos de littérature : Un Décadent. M. Albert Mockel. L« Vie intellectuelle Bruxelles), 15 arril 1908. — Sainte-Claire : Af. Albert
36
POÈTES d'aUJOURD'htjI
Mockd, Gil-Blas, 7 juillet, 1902. - Charles Tardleu: -^'«ff-^ Indépen- dance belge. 3 août 1904. - Charles van Lerberghe En Italie, la Rou- loUe (Bruxelles), numéro spécial consacré a Ch. van LerWvghe, s. d. (1904). — Emile Verhaeren : La Renaissance actuelle des lettres en Belgique, Revue des Revues, juin 1896.
Iconographie :
Aiinuste Donnav : Portrait d'Albert Mockel et de son père, fusain. Saton^dfblanc et noir^Liège). 1889 (app à M. Mb. Mockel] -M^- MocUel^: Portrait d'Albert Mockel, peinture à l'huile ^"^'^hev^^'/.^V^^. î 1887 Mockel) - E Masui : Caricature, pastel. Salon fantaisiste (Lifege), 1887. _ Stuart Merrill : Caricature, au verso d'une carte de visite Florence, 1901. - Miller : Portrait-charge, 1906 (app. a M. Alb. Mofkel).- Louis Moreels : Eau-forte, portrait de face, 1889 (app. a M. Albert Mockel). - Armand Rassenlosse : Portrait, proOl, crayon, 1890.
CAR ELLES IGNORENT.
Loin dans les prés, à la fontaine, une voix chante à la verte fontaine.
a Ah vire et gire et vire le dé !
A fontaine profonde, arrivant de la plaine,^
à profonde fontaine un gueux j'ai rencontré,
et vire, et gire, et vire le dé !
Il avait haute allure, une dague à la gaîne
étrange, et ses façons de vous dire dondaine
lui donnaient de grands airs comme d'un capitaine
sur tous les brigands par lui commandés ;
et virent, et girent, et virent les dés 1
Un bleu mantel aux bords déchirés,
(que longue et triste ! que longue est la plaine I)
un bleu mantel aux bords déchirés,
en ses plis ondulants comme un songe d'aimer
montrait sa ficrc uudilé.
— « Ah triste et longue, triste est la plaine, dit-iU — et de mes yeux, des larmes vit couler.
ALBBRT HOCKBL S5
Je suis triste, ma mie, et je sens votre peine ; ah ! je suis triste comme !a plaine I Mon âme a des recels de maux à bien garder, mon cœur a des trésors inconnus à donner... Je suis triste, ma mie, venez me consoler. »
(Car longue et triste, longue est la plaine.)
— Je ne pourrais, lui dis-je. Un amant désiré, il s'en fut à la guerre il y a des années
et l'attends qui viendra du bout de cette plaine, —
oh longue et triste comme ma peine, —
et qui boira de ses baisers
tous mes pleurs esseulés coulant à la fontaine. »
(Mais vire et gire et vire le dé, il n'aurait pas dû s'en aller. . .)
— Morne et sombre est la triste et longue, longue plaine I L'amour d'antan, l'ami ne l'a-t-il oubliée?
Ah trop longue est la plaine, il vous a dédaignée. Ton amant, je le vis aux pieds d'une autre reine: il néglige le doux délice que tu mènes, et ses larmes d'amour pour toi n'ont plus coulé. Son baiser méprisa ta caresse lontaine ; selon que vire et gire et que vire le dé une autre belle, bien plus belle, a rencontré, et boit l'amour rivale à des lèvres germaines...
— S'il arrivait... Sa dague de haine d'un baiser rouge viendrait marquer mes bras fluets déseulacés
et ma bondissante chevelure dénouée,
inutilement dénouée
sous mes baisers désavoués
pour l'apaiser, prier, détourner sa haine...
— Vois comme longue et triste est la plaine ; viens ! je défaille sous ma peine,
viens dans nos yeux jumeaux nos âmes contempler.
36 poiris d'aumukd'uui
Vois : lonsrue^ vaste, inuuense est la plaine. S'il arrivait... — nous saurons nous garder.
— Je l'aime ! Je t'aime ! prends-moi toute, sois la carène qui tranche de 1 etrave une onde aux flots pàniës.
Oui, sans espoir et trop longue est la plaine :
Ah ! mirons notre mirage au cristal des fontaines,
et que vire et que jjire et que vire le dé !
Viens, je suis triste ; partage ma peine.
Viens mirer ton désir à mes lèvres d'aimer...
Ah ! >-erse ta langueur aux plis de mes baisers I »
(A la fontaine,
au bout de longue, tL triste, et longue plaine,
un'autre amant j'ai rencontré,
et vire et gire et vire le dé !)
Mais, se dronant sor la triste plaine :
— Femme infidèle, tu m'as oublié. C'est moi qui t'appris les baisers, et pour aruérir ta longue peiue j'avais quitté les nobles domaines où les ^-ents dorment apaisés ; j'avais passé, pour tes baisers,
la triste et longue, longue plaine I
— Ahl beftu sire? Mais vire le dél »
Soudain, sur mol, sa dague a levé;
preste, m'enfuis à pto'dre haleine
dans les grands prés, le long de la foataine.
Mais loi, de lourds sanglots le vis tout secoué
qui pleurait, maudissant la triste et longue plaise..
et je l'aimais, celui qui m'apprit les baisers.
Hélas ! il \-it, dans la fontaine, sous le trompeur lacis des «TèDce il vit au fond de la fou lai ne ■a jour qui txiait jours passés.
AliAMT HOCKfl.
Il rit son image adorée, il rit l'Image délestée, et, daçue en main, s*v est jeté poor tuer l'aoïaat préféré.
Ah ! me fiit kmçœ, lon^e la plaine, ^ revins, sans baisers. i dans la fontaine, «i que Tire, et <{ue gire, et qœ rire le dél
Pourq\ioi m'a-i-il tooIu tromper ? So ^s les longs vêtements de laine, aux jpiis du maatel déchiré, mes lèvres vov^ieat les baisai \xi'j mordilla leur amour vaine^.
aJi I que m'a-t-il voulu tromper
viT j'avais reconnu l'Aimé
et l'aurais vu du loin éc la ptos kiogos plaxoe :
J'avais reconnu mcâbaistfs.
{CÂmmiefabét « pra aoliie.)
LE LIED DB L'EAU œL^RANTE
U
-lisse sur moi. : >■ ue en ses :'.Ie est l'i;. el je sub l'ooLOre di.a^aaaa de ia
:i î .. oh le rêve en feu qui anf pénètre... eu héroïque et mon célesle émoi, vi-jL/. :... mais qnand sa flamme m'a toute envahie se retire lentement de moi, t j'écoute mourir un être en moa être.
« Avec ses branches - i^achêcs,
flio es^l belle, la haui je loasre;
et le veut la dénude pour i or «ks jouché<â.
38 "OÉTES d'aujourd'hui
et les feuilles, par mille et mille détachées vers le reflet où leur chute vacille, imitent, par jeu, le léger mensonge d'une aile mêlée à mes eaux.
« Brises, trilles d'oiseaux chanteurs qui s'égosillent, tout ce qui vit et fait bruire les rameaux redit la mélodie que je conte aux roseaux, et c'est une musique aérienne qui se mire.
« O forêt ! ô forêt douce, tu me convies
aux lents repos de l'ombre moussue et des prêles,
et ta ramure s'est étendue
comme une main qui me caresse et me retient...
« Mais je glisse, je vais, je passe sous elle, je glisse, et je vais mon oublieuse vie. L'âme qui te mirait, je l'ai déjà perdue, et mes yeux refermés ne se rappellent rien.
« Ils sont effacés, les reflets
dont je fus hier effleurée.
Vers d'autres lumières, vers d'autres forêts,
de chute en chute, en secouant ma che'^efnre,
je glisse, les mains dénouées, les yeux vides,
et les heures sans fin meuvent ma de«tînée.
« Ombre errante de rêve en rive,
et la sœur de tous ceux que mes onde» déçurent,
insaisissable comme une âme
et, comme une âme, inhabile à saisir,
j'emporte des bouquets épars de souvanirs
dont l'arôme se meurt en une sève amère.
« Et je ne sais pas où je suis, qui je suis...
Un seul être est vivant sous mes images fugitives, il ondule aux replis de mes lointains détours... O toi dont j'ai baig^nc les pieds las, le front lourd, et la Cdresse des mains avides.
ALBERT UOCREL Sq
— passant qui m'écoutes, mon frère l — n'as-tu pas vu, depuis le seuil des monts déserts, naître et renaître en moi, puissant comme l'amour, l'indomptable courant qui me porte 4 la mer ?
— n'as-lu pas vu, force sans On, rythme éternel, le désir qui me meut d'un élan immortel ? »
{Clartés.)
LE DOUX VISAGE
Doux visage, où les pleurs s'unissent au sourire 1 Un or fervent, un or mobile que les fées parfilent de leurs frêles mains pour ta parure, déroule de ton front la chute négligée des boucles, des suaves boucles qui s'étirent.
Lève tes yeux sous les longs cils purs, azur vivant et mer aux vagues léthéennes. Tout le ciel en ces eaux méditerranéennes môle un songe où la nuit épuise ses étoiles, et la voûte immortelle où midi se consume dénude ses clartés en leur flot virginal.
Oh dis ! n'est-ce le vol intangible d'une «île mirée au vague sous la fugitive écume qu'elle touche du bout d'une plume irréelle... — est-ce la courbe, en la brise alizée, que fait la toile errante et blanche des voîlicrs,
ou seraient-ce les jeux légers de ta pensée qui, sur cette onde où l'aube est idéalisée, sèment l'argent mobile à la nue allié et la candide transparence des glaciers ?...
{La Flammg immorUilt . f
ROBERT DE MONTESQUIOU i855
M. le Comte Robert de Monlesquiou-Fézensac est né à Paris le 19 mars 855. Il descend d'une illustre faniille française qui a pro- duit des hoinnnes de jîuerre et des hommes d'Etat, an nombre ■les- quels le Maréchal de Montluc, le Maréchal Gaston de Gassion, Ai ta- gnan, le héros des Trois Mousquetaires, Pierre de Mi.niesquiou.l'un des plus fameux maréchaux de Louis XIV, Anne-Pierre de Monles- quiou, conquérant de la Savoie, l'abbé de Montesquiou, ministre d*! Louis XVIII. La jeunesse de M. de Montes(juiou fut studieuse. « A quoi j'ai employé les années qui ont précédé la publication de mes livres? dit-il. Mais d'abord à former leur auteur, puis à les écrire. » M. de Montesquiou, comme poète, est, en effet, un résultat de la culture. L'ordonnance des poèmes, la recherche des rythmes, le choix des images et des rimes ne sont, dans son oeuvre, que l'expression d'une esthétique longiemps réfléchie et mûrie. La réputation de M. de Montesquiou comme chercheur de sensations rares et amateur d'un art compliqué et subtil était établie bien avant qu'il eût rion publié. On connaissait, chez les écrivains et les artistes, ses fantaisies de raffiné, f^cs vers d'une preciosiié étrani^e, et c'est ce renom qui donna à J.-K. Huysmans l'idée de son Duc Jean des Esseintes, le héros de il Rebours. En 1892, M. de Montesquiou fit ses débuts d'é- crivain avei^ Les Chauves-Souris, recueil de curieux poèmes, ayant pour sujet le noclurnt dans la nature et dans l'âme. Le succès en fut_ vif, comme furent vives les critiques que l'ouvrage inspira, certains persistant à ne vouloir voir en l'auteur qu'un poète de salons. La réputation de M. de Montesquiou s'affermit de toutes ces contraciic- lions. 11 publia ensuite Le Chef des Odeurs suaves, « poème dont Ica fleurs et les parfums jçroupés en symboles forment le sujet varié », Le Parcours du Rêve nu Souvenir, « multiples feuillets recueillis au lonfî de ses voyages r, Les Hortensias bleus, « qui représentent la vue eu bleu, ù savoir un peu plus mélancolique, de celle vie que d'autre»
ROBEnr DB MONTESQUIOU 4l
Toiont pn rose », Les Perles Rott<jes, rpcneil de qi]ntr<»-vir>«;t-lreize Koiuicts sur Versailles, Les l'nons, « poème»' Hotii les pierreries et Jeiirs correspopifiances forment le sujet » et Lex Prières de loua. Oa doit énalemenl à M. de Montcsqiiioii qtiaJre volumes «ie prose : Fio- seaucc /lansanls et Aulda priinléfiés, dans lesrpiels il s'est plu à, évoquer des physionomies d'artistes et d'écrivains oubliés oti mécon- nus, et Professionnelles Beautés et A liesses Sérénissiines, recueil» de divers essais. Dans l'un de ces volumes, M. de Monlesqiiiou a notamment réimprimé en partie le texte d'nn petit livre : Félicité, qti'il écrivit autrefois sur Af.irceline Deshordes-Valmore. Te «'rst pas un de ses moiiiart-s titres connue écrivain que d'avoir ainsi con- tribué par ses livres, par ses conu-rences et par sa parlicijiation aux fêtes de Douai, en 1896, à la résurrection littéraire de celte femme cliarmante.
M. de Montesquieu a collaboré à de nombreux périodiques, eplre autres Za Reinie Illustrée (i" juin 1894-1"' niai 189(1); Revue Franco-Américains (juin iSy;")); Revue des Deux-Mondes, lievue de /'«/•«s (1890-18(16) ; Nouvelle Revue (i" février 189G, i5 octobre
1898, i5 mai 18991; Gusette des Beniur-Arts (i" septembre 1894,
1899. I" février 1900}; Les Mndes ; Figaro illustré (ocUtbre 1899); Monde illustre; La Vogue (nouvelle série, juin 1899); Rf vue ency- clopédique ; Publications Lnfjitte, Revue félibréenne. Renaissance latine, Les Arts de la Vie, L'Art et les Artistes, Le Journal, etc. Il Collabore actuellement au Figaro, au Gaulois et «u Gil DIus, où il donne des articles inspirés par les sujets les plus divers d'esthétique et de sociologie, fournissant ainsi sa part de documents, pour l'ave- nir, sur les gens et les choses d'aujourd'hui.
Bibliographie :
Lk3 cKuvnE». — Les Chanves-Sonris, pofcmes. Paris, Richard, 1892, in- 18 (édition lirfe à 100 ex. sur liollainlc Van Goliier h lilisranc). (Réimpr. : Li'.s ('liatives-Souris, poèmes, prt^cédés <i'une lettre dp Locontc do Lisle. i'aris, Kicliard, 1893, in-t6 ; Les Chawes^ourt.i, fd. ovnio do trois croquis de (^hiiuvPS-Souris, par MM. Forain, Antonio de la Gandara cl Wliisller. Paris, Richard, 1893, in-*, à trois ceuts exenipl. ; Lr.i Chaiives-Soitri.i, éd. définitive, Paris, Ricliard, 1907, y:r. in-8. — FéllellA, i''ludc sur la Poôsie de Maroelino DosbordfiS-Valmore, suivie d'un essai de cla^sidcation de ses inoliTs d'inspira- tion. Paris, Leun-rro, 1894, in-18. — Le Chef des odeurs suaves, poOnics. Paria, Richard, 1894, in-18. (IWimpr. ; Le Chef n'es odeurs suaves, couverture ornée de lu reproduction d'un taldeau de fleurs par Breugiiel. Paris, Richard, 1894, iii-8). — Le Parcours du Hève au souvenir, potnies. Paris, Fas- qiiolle, 1895, in-18. — Les Hortensias hleus, po6mf?s. Paris, Fasqtipjle, 1896, in-18. (I.i-s exemplaires do luxe de celle édition ()ortcnl une couvorlure oruéo d'une eau-forte d'IIclleu.) Le même, M. définitive, avec un portrait de ^aut^ur, d'.iprfts une peinture de I^aszlô. Paris, Richard, 1906, gr. in-8. — Roseaux Pensants, prose. Paris, Fasqucllo, 1897, in-18, — Apollon nnx
4> POÈTES d'aujourd'hui
lanternes {Versailles). Paris, Aux bureaux de la « Nouvelle Revue », 1898, in-8. — Autels privilégiés, prose. Paris, Fasquelle, 1899, in-18. — Les Perles llouges, quatre-viugt- treize sonnets. Paris, Fasquelle,1899, in-18. ie même, illustré de quatre eaux-forles dcAlb. Besnard. Paris, Fasquelle, 1899, iu-8). — Pays des aromates, Commentaire descriptif d'une collect. d'ob- jets relatifs aux parfums, suivi d'une nomenclature des pièces qui la com- posent, ainsi que du cataloyue d'une bibliothèque attenante, orné d'un portrait. Paris, Floury, 1000, in-8. — Les Paons, pofcmes, couvert, de Lalique. Paris, Fasquelle, 1901, in-18. — Prières de tous, huit dizaines d'un chapelet rythmique, dessins de M™" Madeleine Lemaire. Paris, Maison du Livre, 1902, in-8. — Musée rétrospectil de la classe 90, parfumerie (Matières premières, matériel, procédés et produits) à l'Expos. univers, internat, de 190O, etc. Rapport de M. le comte Robert de Montesquieu. Saint-Cloud, Imprim. Belin fr., 1903, gr. in-8, fig. — Professionnelles beautés, prose. Paris, Juven, 1903, in-18. — Altesses Sérénissimes. prose. Paris, Juven, 1907, iu-18.
Prôface. — John VV. Harding : La Porte du baiser, trad. de l'anglais, par Frédéric Boutet. Paris, Carringtou, 1904, in-18.
En puÉpAiiATioN. — Chants de Cygnes, poèmes. — Les Turquoises Mortes, « un poème complémentaire des précédents et dans lequel sera de nouveau abordé chacun de leurs sujets ». — Les Quarante Bergères recueil de portraits satiriques, et*|Passiflora, un court poème qui retrace, poétiquement le « pathétique récit des derniers jours d'une jeune Dame Amie ». Nouveaux recueils d'Essais presque entièrement terminés : Assem* blée de Notables, Deux Triptyques, Tiares et Diadèmes.
M. de Monfesquiou fait imprimer un Livre sur l'Amitié, qui lui est in»- piré par la perte du compagnon de ses travaux et de sa vie.
Il rédige aussi des Mémoires, qui paraîtront sous le titre de Mnémo- syne.
Enfin, en cours de publication, la réimpression transformée des sept poèmes déjà édités. Les deux premiers volumes de cette réimpression ont paru Paris chez Richard, l'un en 1906 et l'autre en 1907. (Voyez Les Hortensias bleus et Les Chauves-Souris).
Poèmes mis en musique. — Les Chauves-touris, six mélodies de M. Léon Dclafosse sur des poésies de M. R. de Montesquieu. Paris, llougel, 1895, gr. in-8 ; Quintette de fleurs, poésie de M. R. de Montesquieu, musique de M. Léon Delafossc. Paris, Heugel, 1897, Tn-fol., etc.
A coNsui-TEn. — Paul Acker : Petites confessions. Visites et portraiêt Paris, Fontemoing, 1903, in-8. — Adolphe Brisson : La Comédie lit- téraire. Paris, A. Colin, 1895, in-18. — Remy de Gourmont : Le Livre des Masques. Paris, Soc. du Mercure de France, 1896, in-18. — V. Thom- pson : French Portraits (Seing appréciations of the toriters of Youny France), Boston, Richard, G. Badge et C", 1900, iu-8.
Henry Rataille : Jiobert de Montesquiou. La Vogue (nouvelle série), 15 juillet 1899.— F. Coppée : Poètes. Journal, 4 juiu 1896.— Gaston Des- champs : Jeux Floraux. Le Temps, 21 janvier 1894. — Anatole France : Le comte Robert de Montesquiou. Le Temps, 13 novembre 1892. — Louis Ganderax : Un Poète. Gaulois, 17 août 1892. — Pierre Loti : Le Chemin de Damas d'un Poète. Figaro, 13 février 1907. — Oct. Mirbcan : Le$ Chauves-Souris. Figaro, 16 octobre 1891. — Georyes Uodenbach :
HOBERT DE MONTESQUIOU 43
Un Gentilhomme de Lattrci. Fifraro, 6 juillet 1802. —Paul Verlaine : A
propos (le Dcsbordcs- Valvwre . Fif;aio, 8 août 1894; Le Parcours du Itêve au Souvenir. Gil Blas, 21 juillet 1805.
Iconographie :
Basticn-Lcpa{]o : Dessin (Coroln Voiury). — Buldini : Portrait d l'huile (Expos, do la Soc. nntioimlo dos Hcaïu-Arls, 1898). — Lucien Donect : Portrait yrandeur nalurc, à l'huile, t.ST'J (.-^aloii dos Artistes Fiauçais, 1879, puis Exposition Univcrsoilc, 1889). — A. tlo la liaiitlara : Dessin (Exposi- tion de la SocitHû nationale des Beaux-arts, 1894). — Laszlô : Portrait d l'huile, liWG, rcprod. en lùte do l'éd. des Hortensias bleus, publiée en 1906. — F. Vallottoii : Masque, 1896, dans Le Livre des Masques, do R. do Gourmont. Taris. Soc. du Mercure de France, 1890. — Whistlcr : Portrait en pied, d t'huile (Kxposiliou de la Sociétù nationale des licaux-Arts, 1894), rcproducl. dans La Jtevue Illustrée, du i" août 1894.— Autre» portraits pri- T.l's : Anlouio do la Gandara : Dessin (1894) ; Claudius l'opelin : Email. Albert Bnsnard : Eau- forte, 1899 (dcslinôe à la 1" édition des Perles Bouges); Holleu : Pointe sèche, eCc. — Albums do Henry Bataille, de Sera, de Cap- piello, de Rouveyre et de Cir.
xMONSTRANCES
. . . puis elle cria : abricots, pêches, pavis, brugnons, cerises, prunes, poires, bigarreaux, melons, muscats, pommes, oranges, citrons, groseilles, fraises, framboises, accoures à ma voix...
AULNOY.
Les étoiles sont peu visibles dans les villes, AlJcbaraa clignote, Arcture est partiel ; Les falots rougeoyants de nos lanternes viles Eclipsent la splendeur maternelle du ciel.
L'endroit de contempler est la campagne sainte. Custode du regard solitaire et sans bruits. Où, dans le cadre obscur de la rurale enceinte, Les vergers constellés tendent leurs brûlants fruits.
Leurs grappes de clartés, leurs pulpes de lumière. Raisins mystérieux, pêches du verger pur, Dont la vendange prête et la cueillette altière Tirent la soif du cœur vers l'ivresse d'azur.
44 POÈTES d'aujourd'hui
Sûr lieu de savourer les récoltes profondes,
De moisson éternelle, et de goûter les sucs
Du berceau radieux de la treille des mondes
Dont les pampres flambants ne sont jamais caducs.
Vrai seuil du rendez-vous des astres et des âmes. Quand l'œillade s'échange entre l'homme et les cieux, Où l'espalier divin à des treilles de flammes Dont les feux sont des pleurs et les grains sont des yeux.
{Les Cliauves-Sourii.)
LE COUCHER DE LA MORTE
// n';/ avait point de jour oà elle ne reçut à sa coar sept nu huit mille sonnets, autant d'élé- gies, de madrigaux et de chan- sons, qui étaient envoyés par tous les poètes de l'univers. Toute Belle était l'objet de la prose et de la poésie des auteurs de son temps...
LE NAIN JAUNE.
Un jour qu'elle sentit que son cœur était las. Voyant qu'il lui faudrait mourir à cette peine, Elle fit travailler une bière d'ébène. Et disposer au fond de riches matelas.
Pour qu'ils fussent moelleux, elle les fît emplir De tous les billets doux dont on l'avait lassée ; Dans la chambre on les fait apporter par brassée, Et bientôt le tapis s'en voit ensevelir.
Longtemps on en bourra les coussins de linon ; Sans trêve on les tassa dans les grands sacs d'étoffe ; Parfois on voyait luire, au passage^ des strophes, Parfois, à la volée, on démêlait un nom.
Mais quand elle se fut de ce geste acquittée,
La Belle fut plus calme, en songeant, que, ce jour.
nOBSnT DR MONTBSQUIOU 4^
Elle mirait, pour dormir sa dernière nuitée, Uu lil, iiarmonieux de murmures d'amour.
Or, qiiand elle fut morte, et, sous la planche sombre,
Lorsqu'on l'eut mise au lit de son cercueil soyeux.
Elle entendit vibrer un cliquetis joyeux,
Comme un bruit de rameaux dans un sentier plein d'ombre.
On eût dit un baiser de brise très lé|afer Sur les iVuilles du tremble aux ramures peureuses ; Un lonsç chuchotement de choses langoureuses Que parfois des sanglots paraissaient arpéger,
Modulant des aveux, des larmes, des prières, Des adi)rations, des imprécations. Qui passaionl sur le champ lointain des passions. Tels qu'un soupir du vent sur les roses bruyères.
Et c'étaient les espoirs et les désirs d'un jour Qui reprenaient de loin leur tendresse finie Pour tramer à la morte un lil de symphonie, Un glas délicieux, De Profanais d'amour l
Et quand les ërudits et les archéologues Ouvrirent le tombeau de cefte Tahoser, Ce qu'ils virent fut propre à leur faire poser L'air expérimenté de leurs allures rogues :
La Morte, par mille ans de ténèbre arrosée, Dormait sans une atteinte et sans une doulr^iir ; En sa couche d'amour on eût dit une fleur Que de loin vivifie une ancienne rosée.
D'un effluve d'extase éternelle embaumée. Sur un lapis de mousse, immarcessible lys, Elle était, sur le bord de ses rêves pâlis. Celle qui ne meurt point, tant elle fut aimée I
46 POÈTES d'aujourd'hui
Mais quand du divin socle ils la firent descendre.
Pour chercher du secret l'invisible filon,
Ce qui reste du vol saisi d'un papillon
Leur filtra dans la main, en lumineuse cendre.
at août... 83 (Les Chaaves- Souris.)
LUCIFERS
Les étoiles des lys ont éclairé la plaine... Les pétales de l'astre ont éclos dans la nuit ; De constellations de fleurs la route est pleine, Et de moissons de feux la voûte brille et luit.
Les anges ont baissé leurs yeux sur les prairies, Les hommes ont levé leurs yeux vers les azurs ; Et l'échange s'est vu des blanches confréries De l'étoile éthérée et du pétale pur.
Les pétales se sont envolés vers les voûtes... Les étoiles se sont éprises des humains... Et des anges aux cieux se sont trompés de routes. Et des hommes en bas ont trouvé leurs chemins.
(Le Chef des Odeurs tuavet.)
MORTUIS IGNOTIS
Le jour des morts, chacun apporte une couronne A des parents partis, à des amis défunts ; La grille du tombeau de roses s'environne Ce ne sont que lauriers, guirlandes et parfums.
Vers des seuils définis tous les pas se dirigent, Des prénoms sont tracés dans les bandeaux fleuris ; Et les stèles qui dans les frais enclos s'érigent. Pour celui-ci, pour celle-là, s'ornent d'iris.
Les regrets sont touchants de ces douleurs nomméeei Mais se sentir vraiment pleurer sur les os froid;;
ROBERT DS II0NTS8QUI0O 4?
De ceux qu'on a chéris, rend presque parfumées Les larmes qu'on prodigue à leurs cercueils étroits.
Les vrais désespérés sont ceux qui s'acheminent Sans but et sans savoir où poser leurs cyprès ; Ceux dont les morts perdus sous terre récriminent Contre l'anonymat des pleurs et des regrets.
Pour ceux-là le champ noir a réservé son cippe Qui se dresse à son centre énîgmatique et beau, Le plus mystérieux de tout ce municipe, La tombe de tous ceux qui n'ont pas de tombeau 1
Le lieu de ralliement des malheurs sans boussole ; Le phare des chagrins où le deuil atterrit De ceux dont le veuvage au hasard se désole Et qui n'ont point de dalle où célébrer leur rît.
J'y vois se rassembler de modernes Electres, Dont les libations s'adressent aux lointains ; Et j'y sens affluer des reserves de spectres Dont, en des pays morts, les yeux se sont éteints.
Et rien ne me saisit à l'égal de ces vagues De fleurs qu'on jette là, sans nom, aux morts sans noms ; De ces rubans unis où s'attachent des bagues. Chagrins dépareillés, mystérieux chaînons
Reliant à travers les mers et par l'espace, Le survivant fidèle, aux restes exiles Des absents dont l'amour se rapatrie et passe. Ce jour-là, dans les cœurs qui les ont rappelés.'
Et tout me semble étroit des concessions vaines, Des perpétuités orgueilleuses, des mots Et des litres gravés dans les marbres aux veines S'entrecroîsant avec des ors et des énAux,
Lorsque je songe à ceux dont les géantes tombes Sont les glaciers, les océnns, l-"* înfînis
poèTBs d'aujourd'hui
Où viennent sanjçloter les désespoirs des trombes Sous la rose des vents pour rosaires bénits !
(F^es Hortensias Bleus. Fasquelle.)
SOUS LES VILLOSITÉS VIOLETTES...
Sous les villosités violettes des tartres Les blancs Olympiens ont pris des tons caducs. Et, des arbres sans sève, et des plantes sans sucs L'automne qui descend les vêt comme de martres.
L'ombre et la vétusté les rouillent de leurs dartres, Ces dieux à qui les rois voulaient des airs de ducs; Et le soleil mourant qui fuse sur, les stucs, Y verse les joyaux des verrières de Chartres.
Le Ciel est tout en fleurs, l'occident tout en fruits; On dirait des éclairs forjçés avec des bruits, Des bouches de clairons et des rayons d'épées.
L'horizon est vraiment historique ce soir...
Car dans le panier d'or du couchant on croit voir
Tomber des grains saignants faits de têtes coupées !
(Lts Perles Rouges. Fasquelle.)
SRRVANTE-MAITRESSE
Cette veuve de l'Astre a l'aspect de la Lune : De Phébus, fait ermite, elle est épouse et sœur ; C'est par l'apothicaire, et par le confesseur. Qu'elle assoit son crédit, et fonde sa fortune.
Elle mène de front l'extase et la rancune ; Nul pot-aux-roses n'a pour elle de rancœur : Elle est religieuse, et psalmodie au chœur; Elle est aussi caillette, et baisotte à la brune.
Ceinte de lis bâtards et de prude oranger,
ROBERT DR MONTR^IQTnOO 49
Elle atteint de sa grifTe et garde sous sa patte Les ciels du garde-meuble et du garde-mauger.
Klle ne sait plus rien de l'ancien cul-de-jatte; ICile elcoute lea vers (pie Hacino lui lit... El le Soleil Couchant se couche dans son lit.
{Les Perles liouget. Fasqoelle.)
LIS ROSE
Antoinette est an h's qne l'on fauche debout. Perles dont les rubis inlenornpenl la lisfue, La blancheur est son lot, la rougeur la désigne ; Une rose de France orne son marabout.
Le lait de Trianon s'empourpre à l'autre bout. La Reine voit la Mort — 'a iJergère se signe ; Et la femme au calice en fiel lé se résigne... Le lait se caille, le pleur coule, le sang bout.
Saint Denys, devançant ton martyre, y supplée: 11 porte dans ses mains sa tt^te décollée. Et, dans sa basilique, aurait pu l'accueillir,
O Toi qui, dans tes mains, portes aussi ta ti*te, Rose et lis iransfoi-nii-s en un bouquet de fête. Et que sur l'ëchafaud un Ange vient cueillir !
{Les Perles Rouges. Fasijnclle.)
LOUIS DIX-SEPT
Le plus pur des Bourbons est un orphelin hlôme. Tendre Dauphin biovi", l'Enfant Louis bix-Sept Humanise en ses traits l'Enfant de Nazareth, Fils de dieux et de rois qu'adopte Dieu lui-môme I
Des épines, au front, lui font un diadème;
Le miracle embaumé de S.iinle Elisabeth
En ses bras torturés a rt'jailli plus net ;
Les lis de son manteau lui servent seuls de chrême.
5o poèxES d'aujourd'hui
Il porte un sceptre en fleurs, d'un air de Séraphin ;
Son décès discuté le Fait vivre sans fin ;
Son sort, qui semblait dur, un mystère l'élide.
Son trépas, à jamais, demeure partiel.
C'est comme un Papillon qui fuit sa chrysalide.
Et dont le doux vol bleu se fond avec le Ciel.
{Les Perles Rouffes. Fasquelle.)
MON CŒUR
Mon Cœur est un Lieu sûr, tutélaire et profond ; Pas un seul souvenir ne s'y fane, ou confond ; J'en ai de plus anciens que ma mémoire même, Car, avant de penser, on sent très bien qu'on aime.
Mon Cœur est un Jardin, plein de rosiers meurtris.
Comme, éternellement, ils paraissent fleuris,
On vient pour respirer leurs parfums qui s'imprègnent...
— C'est alors, seulement, qu'on s'aperçoit qu'ils saignent.
Mon Cœur est un Calice, où l'effort des douleurs Longuement exprima l'amertume des pleurs ; Et quiconque appuierait sa lèvre à ce ciboire Se sentirait brûler, rien que d'oser y boire.
Mon Cœur est un Asile, où Ce qui n'a plus rien Rencontre une richesse ; où retrouvent leur bien Ceux qui l'avaient laissé se déperdre, et répandre...
— C'est pour ceux-là, surtout, qu'il sait se montrer tendre.
Mon Cœur est un Palais superbe et désolé Où le pas du regret qu'on n'a point consolé S'éloigne lentement en mêlant sur les dalles. Le rythme des sanglots, et le bruit des sandales.
Mon Cœur est un Parvis, où sont agenouillés Et, les regards ardents, au bord des yeux mouillés, Dans une face, ensemble, et brûlante, et pAlie, Le bienfait qu'on déçoit, le pardon qu'on oublie, .
ROBERT DK MONTESQUIOU
Mon Cœur est un Sommet solitaire et pareil A ces fidèles monts, qui g'ardent du soleil, Môme après qu'il a fui, laissant le Ciel sans ûrae; Et, jusque dans la Mort, il portera ma flammeJ
Mon Cœur est un Abîme, où le Passé voilé. Quand il veut y mirer son visage étoile, Trouve toujours un peu d'eau limpide et cachée^ Afin d'y reilâlersa figure penchtie.
JEAN MORÉAS i856-if)io
J<!an Aforéas clail né à Athènes le i5 avril i856. Il descendait de deux grandes familles de la Grèce. Son aïeul paternel, Papadiaman- toponlos ion sait qrie Mors'as était un pseudonyme), mourut hé- roïquement au siège de Missolonghi. Son aïeul maternel, Tombazis, s'illustra on brûlant, comme Canaris, les flottes turques. La liio- graphie. Didnl donne sur les Tombazis des articles très circonstan- ciés. Le -père de Jean Moréas, qui vivait encore en 1908, fort âgé, était un jurisconsulte renommé à Alhènes. Il fit longtemps auto- rité à la Cour de Cassation, comme Procureur général. Plusienr* parents du poète brillèrent ou brillent encore aujourd'hui au pre- mier rang dans l'armée et dans le parlement helléniques. L'éduca- tion de Jean Moréas, qui fit ses études à Athènes, fut toute fran- çaise. Il l'a expliqué lui-même à un rédacteur du Temps : « J'ai eu pour gourernante une femme de goût, très instruite, la tante de M. Dumény, l'acteur connu. C'est avec vos poètes que j'ai passé l'-s moments les plus agréables de ma première jeunesse, je les lisais sans trêve, je n'avais pas encore atteint ma dixième année que je m'étais déjà promis de chanter comme eux sur une lyre française. Les dieux ont exaucé mes vœux. Lorsque, au lendemain de la, guerre, je quittai mon pays pour venir en France, je laissai à Athènes une bibliothèque de deux mille volumes, œuvres de pres- que tous les poètes de la Renaissance et de nos meilleurs classi- ques. A Paris, je suivis vaguement les cours de l'Ecole de droit ; mon père, élève de Savigny, me destinait à la magistrature. Mais je m'abandonnai au démon de la poésie et fréquentai les cercles artistiques et littéraires du quartier Latin, entre autres les fameux Hydropathes. 11 faut que jeunesse se passe. Les bords de la Seine m'avaient conquis au point que je ne pus vivre à Athènes, à mon retour chez les miens, après trois ans de séjour ici. Je revins à la hâte me fixer à Paris, et de vingt ans je n'ai plus revu la Grèce. Mon dernier voyage remonte à 1897, au mom'ent de la guerre con-
JIAN MOKÀAH 53
Uc la Turquie. ^ Auparavant, Jean Moréas avait visité Francfort, Hci(i(';ll)crg, Sliiltpiir.i. Gi nèvc, le Rliin et l'Ilalie, Jean Moréas débuta en i88a à /.a Noui'tille fiive Unurhi-, petit journal qui «prit dans la suite le nom de Lulèce (fi avril i883) el il publia sa première CBUvre : Let St/rlc», en décembre 188/4. I/influence de Baudelaire et de Verlaine se retrouvait dans ces poèmes, mais quelque chose aussi de très personnel dans la nouveauté des rythmes cl des nota- tions. Les Si/rifs lurent suivies en 1886 d'un nouveau recueil : f^s Canlilènes. On était alors au début du mouvement symboliste, et Jean Moréas, qui en éiail l'un des chefs, publia dans le Supplé- ment du Fi y aro i 18 septembre 188G) un manifeste assez retentis- fant, dans letjuel il fornuilail l'eslbélique de la nouvelle école poéti- que et prenait sa défense, y montrant, au dire de M. Anatole France, « plus de curiosité d'art et de forme que d'esprit ciitique et de philosophie ». En 1891, Jean Moréas publia Le Pèlerin pas- sionné, l'ouvrage qui établit solidement sa réputation de poète A cette époque, il venait Me fonder Tlicole Romane, ayant pour dis- ciples MM. Maurice du Plessys, M. Raymond de La Tailhède, ftl. Ernest Raynaud el M. Charles Maurras, et les poèmes du Pèle- rin passionné étaient précédés d'un nouveau manifeste dans lequel Jean Moréas tentait une justification des audaces de son groupe. Poèmes el manifeste furent loin de passer inaperçus de la critique. « Il (Jean Moréas) est nourri de nos vieux romans de chevalerie, écrivit à ce sujet M. Anatole France, alors critique littéraire au Ttmps, et il semble ne vouloir connaître les dieux de la Grèce an- tique que sous les formes alfinées qu'ils prirent sur les bords de la Seine et de la Loire, au temps où brillait la Pléiade. Il fut élevé à Marseille et, sans doute, il ranime, en les transformant, les premiers souvenirs de son enfance quand il nous peint, dans le poème initial du Pèlerin passionné, un port du Levant, tout à fait dans le goût -• marines de Vernet et où l'on voit « de grands vieillards qui tra- .lent aux felouques, le long des môles et des quais. Mais jviarseille, colonie grecque et port du Levant, ce n'était pas encore pour .M.Jean Moréas la patrie adoplive, la terre d'élection. Son vrai ■pays d'esprit est plus au nord; il commence là où l'on voit des ar- doises bleues sous un ciel d'un gris tendre et où s'élèvent ces joyaux de pierreries sur lesquels la Renaissance a mis des figures symboli- ques et des devises subtiles. M. Jean Moréas est une des sept étoi- les de la nouvelle Pléiade. Je tiens pour le Ronsard du symbo- lisme... M. Jean Moréas, qui est philologue el curieux de langage n'invente pas un grand nombre de termes; mais il en restaure ucoup, en sorte que ses vers, pleins de vocables pris dans les I ux auteurs, ressemblent à la maison gallo-romaine de Garnicr, i l'on voyait des fûts de colonnes antiques el des débris d'archilra-
54 POÈTES o'AUJOURb'HUI
ves. Il en résulte un ensemble amusant, mais bizarre et confus. Paul Verlaine l'a appelé :
Routier de l'époque insigne, Violant des villanelles.
« Et il est vrai qu'il est de l'époque insigne et qu'il semble tou- jours habillé d'un pourpoint de velours. Je lui ferai une autre que- relle. Il est obscur. Et l'on sent bien qu'il n'est pas obscur natu- rellement. Tout de suite, au contraire, il met la main sur le terme exact, sur l'image nette, sur la forme précise. Et pourtant il est obscur. Il l'est parce qu'il veut l'clre ; et, s'il le veut, c'est que son esthétique le veut. Au reste, tout est relatif; pour un symboliste, il est limpide...
« En définitive, M. Jean Moréas, est plutôt un auteur difficile. Du moins il n'est point banal, cet Athénien mignard, épris d'archaïsmes et de nouvtautés, qui combine étrangement dans ses vers le pédan- tisme élégant de la Renaissance, le joli mauvais goût du style rocaille et le vague inquiétant de la poésie décadente. » C'était aussi l'épo- que où M. Charles Maurras, le critique de l'Ecole Romane, dépei- gnait ainsi son fondateur : « On rencontre communément M. Jean Moréas sur le boulevard Saint-Michel, l'hiver dans les cafés hospi- taliers au retentissement des poètes, l'été sur les terrasses, bonne- ment exposé à la curiosité du passant, A quelque heure du jour que vous l'abordiez, il travaille : je veux dire qu'il fait des vers ou qu'il en récite. D'une belle voix de gorge, où les muettes s'accen- tuent de sorte bizarre, il aggrave les strophes de Ronsard et de la Fontaine, de Thibaut de Champagne et d'Alfred de Vigny; et, au frémissement paisible de sa lèvre, tout le monde comprend que M. Moréas se sent parfaitement heureux. Il a trouve le souverain bien. » Dans Le Pèlerin passionné, Jean Moréas usait du vers libre, un vers libre très modéré, qui gardait par son ordonnance et sa cadence tout le rythme de l'alexandrin, mais auquel il n'avait , pas moins renoncé depuis. « J'ai abandonné le vers libre, disait-il un jour, m'étant aperçu que ses effets étaient uniquement matériels et ses libertés illusoires. La versification traditionnelle a plus de noblesse, plus de sûreté, tout en permettant de varier à l'infini le rythme de la pensée et du sentiment; mais il faut être bon ou- vrier. »
Toutes ces choses, d'ailleurs, l'Ecole romane, Le Pèlerin pas- sionné, le Vers libre, ses Lettres et ses Manifestes, étaient pour Jean Moréas du passé, un passé dont il souriait, dépris des témé- rités et des innovations de sa jeunesse. « Ces choses ne me regardent plus, disait-il dans une récente enquête littéraire. Ce- pendant, je ne renie point l'Ecole romane. Le mot a pu très bien
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prôler à quelque confusion, mais l'idée était substanliellc. Mon instinct n'av;iit pas tardé à ni'avcrtir qn'il fallait revenir au vrai classicisme et à la vraie auliquilé, ainsi qu'à la versification Iradi- tionnclle la i)lus sévère. Et en plein triomphe symboliste, je me séparai courageusement de mes nmis, qui m'en gardèrent longtemps rancune. Aujourd'hui, j'ai le plaisir de constater que tout le monde revient au classicpic cl à ranli(iue. » C'est de ce retour à la tradi- tion, et de la solitude et du recueillement où Jean Moréas se relira après la publication de ([uclques autres recueils de poèmes : Autant en emporte te vent et Eriplujle, que sont nées Les Stances, son chef-d'œuvre et peut-être un chef-d'œuvre, et dont on a pu dire avec raison qu'il s'y o élève à une austérité stoïcienne qui rappelle Vigny », — et que ces vers, « par l'ampleur de leur harmonie, la sévérité du style, l'élévation du sentiment philosophique, sont égaux à ceux des plus grands maîtres ». — « La forme est admirable, a écrit no- tamment M. Emile Faguet, d'une pureté absolument classique, avec le goût des images justes et le don de les trouver toujours sans effort. C'est une des manifestations « d'âme poétique » les plus extraordinaires que nous ayons vues depuis des années et des an- nées. » Ainsi Jean .Moréas nous aura montré que la maturité peut être le plus bel âge du poète. Jean Moréas a également public de petits livres de voyages, de souvenirs, d'impressions littéraires : Le Voyage en Grèce, Feuillets, Paysages et Sentiments, réunis au- jourd'hui en un seul volume : Esquisses et Souvenirs, et un recueil de contes : Contes de la Vieille France, récits tirés de notre vieille littérature et traduits par lui dans leur simplicité originale. Il n'est personne également qui ne connaisse Ylphigénie qu'il a écrite d'après Eiiri[)ide. Représentée pour la première fois au Théâtre d'Orange en igo^, et reprise à l'Odéon en 1906, Iphigénie a été jouée depuis sur plusieurs théâlies de France et d'étranger, notam- ment à Athènes, au Théâtre royal et au Stade, et la Comédie Fran- 7aise doit, à son tour, la donner prochainement.
Jean Moréas, qui était officier de la Légion d'honneur, et avait obtenu récemment la naturalisation française, est mort le 3o mars igio, à Saint-Mandé. Il a collaboré à La Nouvelle Rive gauche, à Lutèce (i883-i885), h La Vogue (1886, et nouvelle série 1899), à La lirvue Indépendante (1887, 1888, 1895), à La Wallonie (1890), à L'Evénement, au Figaro, à L'Echo de Paris, à La Pluma (i8g8- 1899), à Cosmopolis (i8ç)-]), L'Hémicycle, La Volonté, Le Mercure de France, Le Temps, La Renaissance latine, L'Ermitage, à La Gazette de France, à Vers et Prose et à Paris- Journal.
Bibliographie :
Lks cf.uvrks. — Los Syrtes, poâsies. Paris, [Iinprini. Léo Trézenik], 1884, in-18. (Réimpressions : La Syrie». tS83-t884. Paris, L. Vauier, lS9i, ia-l8.
56 POÈTES d'aujourd'hui
Premières poâxies, fSSfl-fSS6. Lfn Syrfes. Les Cantilànes. Paris, Soc. du Mercure de France, 1ÏMI7, in-i8). — I^es Cantilènes, poésies. Paris L. Vanier, 1886, in-18. (Réimiiressious : Les Cantilènrs, l8S3-t8S6. Paris, l!iliIiolli6que Artistique cl littéraire, 1897, in-18. Il existe des exeinplaires avec une couv.t. turc en couleurs de f^ofici ; Premières poésies. IS83-!!!S6. L^es Si/rles. Les Coritilènes. Paris, Soc. du Mwcurc de France, 1907, in-18). — Le Thé chez Miraiida, roman [en collaboration avec Paul Adam]. Paris, Tresse et Stock, 1S8C, in-18. — Les Demoiselles Goubert, roman [on collaboration avec Paul Adam]. Paris, Tres-e et Stock. 1887, in-18. — Les Premières arines du Synibolismc fL<ittrrs et Manifeste]. Paris, L. Varier, 1880, in-18. — Le l'èlcrin passiomié, poésies. Paris, L. Vanier, 1891. (Réimpressions : Le Pèlerin passionn/i, éd. refondue et augmentée. Paris, L. Vanier, 1893, 111-18; Poésie, 1886 1896. Le Pèlerin passionné, etc. Paris, Ribliolhc((ue Artistique et littéraire, 1898. in-18; Poèmes et Sylves, <S86-I8!)6. Le Pèlerin pa.isionné, etc. Paris, Poe. du Mercure de France, 1907, in-18). — Aillant en emporte le vent. Paris, 1^. Vanier, 1893, in-18. — Eripliyle, poème suivi de Quatre Sylves. Paris, Bibliothèque Artistique et littéraire, 1894' in-8. (Réimpressions : Poésies, 1886-1896, etc. Paris, Bibliothèque arlislique et littéraire, 1898, in-18; Poèmes eL-Srftves;--^lc., Paris, Soc. du Mercure de France, 1907, in-18).— Poésies, 188(5-1806 [Ze Pèlerin passionné. linone au clair visage et Sylves. Eriphyle et Sylves nouvelles]. Paris, Bibliothèque artistique et littéraire, 1898. in-18. — Jean de Paris (texte rajeuni), l'aiis. Bibliothèque artistique et littéraire, 1898, in-18. — Les Stances, poésies (1" et 11' livres), fac-similé du manuscrit. Paris, Bibliothèque artistique et littéraire, 1899, in-folio (tirage sur Chine, précédé du portrait du Poète par Antonio de la Gandara). — Les t tances (IIP, IV», V" et VP livres). Paris, éd. de La Plume, 1901, iu-16. — Feuillets. Paris, éd. de I.a Plume, 1902, iu-8.— Le Voyage de Grèce, Paris, éd. de La Plume, 1902, in-8. — Iphi((énie, tras-édie en cinq actes [représentée pour la première fois à Orange, sur le Théâtre Antique, le 24 août 1903, et à Paris, sur la scène de l'Odéou, le 10 dé- cembre 1903, par les artistes de la Comédie Française et de l'Odéon]. Paris, Soc. du Mercure de France, 1904, in-18. — Contes de la Vieille France. Paris, Soc. du Mercure de France, 1904, in-)8. — Les Stances (les VI livres complots). Paris, éd. de La Plume, 1905, in-16. (Réimrression : Les Stances, les VI livres complets) portr. de l'auteur, enhéliogr. d'ajirès le crayon d'A. de la Gandara. Paris, Soc. du Mercure de France, 1906, iii-18). — Paysarjes et Sentiments. Paris, E.Sansot, 190C, petit iu-12. — Premières Poésies, 1833-1880 (Les Syrtes.Les Cantilènes). Paris, Soc. du Mercure de France, 1907, in-18. — Poèmes et Sylves, 1886-1896 (Le Pèlerin passionné, Enone au clair visaije. Eriphyle. Syli'es). Paris, Soc. du Mercure de France. 1907, in-18. — Esquisses et souvenirs {l'aysages et sentiments. Feuil- lets. Le Voyage de Grèce). Paris, Soc. du Mr-rcure de France, 1908, iii-18.
On trouve, de plus, des vers de M. Jeau Moréas (Sylves, etc.) dans Le Pr<'niier Livre Pastoral, de Maurice du Plessys (Paris, Léon Vanier, IS'.tS, in-18), dans les Ftudes Lyriques suivies <Ih Premier Livre Pastoral, du même auteur (Paris, Bibliothèque artisti((ue et littéraire, 1896, in- 16), ans Le Bocage, d'Emesl Kaynaud (Bibliothèque artistiiiu» et littéraire, 1895, in-18).
PotMM MIS fin MUSIQUE. — Dcj poésies de M. Jean Moréas ont été mises ta
JIàN MORÉAS 57
musique par MM. Pierre de Br<^ville, Gaston Dubreuilb, Bmeat Chauaaon, Galiriol Kabro, Reynalilii llahu. Ho.nri Quitlard, Ix)uis do Serres, élc.
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58 roètEs d'aujourd'hui
Iconographie :
F.-A- Cazals : l'aid Verlaine et Jean Moréas. Dessin-cliarge. Messager français, 1801, et La Plume (nviméro consacré à Paul Verlaine), 1"' févrior 1896 ; Composition à l'aquarelle (original app. à l'artiste), couverture de La Plume (numéro consacré à Paul Verlaine), l»' février 1896 ; Verlaine et Moréas. Affiche de la 7' Exposition des Cent. Collection de La Plume. Paris, septembre 1894) ; Du même : Suite de Croquis inédits, 1891 (app. à l'artiste). — E. Cohl : Document photographique, tiré pour Les Têtes de Pipes de G. Mostrailles. Paris, L. Vanier, 1895, in-8 ; Portrait-charge (Les Hommes d'aujourd'hui). Paris, L. Vanier, s. d., reproduit dans VEmporium, novembre 1904. — D. Esloppey : Pastel et dessin d la plume, reproduir dans La Vogue, 13 mai 1886. — A. de la Gandara : Portrait, 1883, pein- ture à l'huile (non signée); Portrait au crayon (app. à M. Jean Moréas). Exposition de la Société Nationale des Beaux-Arts, 1899, reproduit en frontis- pice dans l'édition de luxe des Stances. Paris, 1899, dans L'Art du Théâtre, octobre 1903 et dans l'édition des VI livres des Stances publiée en 1906. — Paul Gauguin : Portrait au crayon, 1891, reproduit dans le numéro do La Plume consacré au Symbolisme de Jean Moréas. — André Kou- veyre . 150 Caricatures théâtrales (texte de Nozière et E. Lajeunesso). Paris, Albin Michel, 1904, in-18; Carcasses divines, portr. et monographies dessinés, Paris, J. Bosc, 1907, in-4. — Félix Val lotion : Masque, dans L» Livre des Masques, de R. de Gourmout. Pans, Soc. du Mercure de France, 1896
ACCALMIE
I
Lorsque sous la rafale et dans la brume dense, Autour d'uQ frêle esquif sans voile et sans rameurs, On a senti monter les flots pleins de rumeurs, Et subi des ressacs l'étourdissante danse,
Il fait bon sur le sable et le varech amer S'endormir doucement au pied des roches creuses. Bercé par les chansons plaintives des macreuses, A l'heure où le soleil se couche dans la mer,
II
Que l'on jette ces lys, ces roses éclatantes, Que l'on fasse cesser les flûtes et les chants Qui viennent raviver les luxures flottantes A. l'horizon vermeil de mes désirs couchants.
JBAN MOREAS * Sg
Oh ! no me soufflez plus le musc de votre haleine, Oh 1 ne me tîxez pas de vos yeux fulti^iirants, Car je me sens brûler, ainsi (pi'unc phalène, A l'azur étoile de ces flambeaux erraqls.
Oh I ne me tente plus de ta caresse avide,
Oh ! ne me verse plus l'enivrante liqueur
Qui coule de ta bouche — amphore jamais vide —
Laisse dormir mon cœur, laisse mourir mon cœur.
Mon cœur repose, ainsi qu'en un cercueil d'érable, Dans la sérénité de sa conversion ; Avec les regrets vains d'un bonheur misérable, Ne trouble pas la paix de l'absolution.
[Les Srjrtes.)
PARMI LES MARRONNIERS
Parmi les marronniers, parmi les Lilas blancs, les lilas violets, La villa, de houblon s'enguirlande. De houblon et de lierre rampant, La glycine, des vases bleus, pend; Des glaïeuls, des tilleuls de hollande.
Chère main aux longs doigts délicats. Nous versant l'or du sang des muscats, Dans la bonne fraîcheur des tonnelles. Dans la bonne senteur des moissons. Dans le soir, où languissent les sons Des violons et des ritournelles.
Aux plaintifs tintements des bassins, Sur les nattes et sur les coussins : Les paresses en les flols des tresses, Dnns la bonne senteur des lilas Les soucis adoucis, les cœurs las Dans la lente langueur des caresses .
(L«$ Syrlet,)
POÈTES d'aujourd'hui
REMEMBRANCES
D'où vient cette aubade câline Chantée — on eût dit — en bateau, Où se mêle un pizzicato De guitare et de mandoline ?
Pourquoi cette chaleur de plomb Où passent des senteurs d'orange, Et pourquoi la séquelle étrange De ces pèlerins à froc blond ?
Et cette Dame, quelle est-elle, Cette Dame que l'on dirait Peinte par le vieux Tintoret Dans sa robe de brocatelle ?
Je me souviens, je me souviens : Ce sont des défuntes années. Ce sont des guirlandes fanées, Et ce sont des rêves anciens !
VOIX QUI REVENEZ.
(les Syrtes.)
Voix qui revenez, bercez-nous, berceuses voix :
Refrains exténués de choses en allées,
Et sonnailles de mule au détour des allées,
— Voix qui revenez, bercez-nous, berceuses voix.
Flacons, et vous, grisez-nous, flacons d'autrefois : Senteurs en des moissons de toisons recelées, Chairs d'ambre, chairs de musc, bouches de giroflées.
— Flacons, ô vous, grisez-nous, flacons d'autrefois-
En ce matin d'hiver et d'ombre, l'alouette. En ce matin d'hiver, l'alouette est muette.
— Voix qui revenez, bercez-nous, berceuses voix.
Lcé lys bout coupés duus le jardin, et les roses.
JEAN MOnÂAS 6l
Et les iris au bord des eaux, des eaux moroses.
Flacons, ô vous, grisez-nous, flacons d'autrefois .
{Les Cantilènea.)
LE RUFFIAN
Je ne sais pas laide et je suis ricltn; je saurai vous aimer et me montrer reconnaissante.
I
Dans le splendide écrin de sa bouche écarlate "
De ses trente-deux dents l'émail luisant éclate.
Ses cheveux, pour lesquels une Abhesse l'aima
Jadis très follement, calamistrés en boucles,
Tombent juscju'à ses yeux — féeriques escarboucles —
El ses cils recourbés semblent peints de çurma.
II
Sa main de noir gantée à la hanche campée,
Avec sa toque à plume, avec sa lonfçue épée.
Il passe sous les hauts balcons indolemment.
Son pourpoint est de soie, et ses poignards superbes
Portent sur leurs pommeaux, parmi l'argent en gerbes,
La viride émeraude et le clair diamant.
III
Dans son alcôve où l'on respire les haleines Des bouquets effeuillés, les fières châtelaines, Sous leur voile le front do volupté chargé. Entassent les joyaux, les doublons et les piastres Pour baiser ses yeux noirs vivants conmie des astres Et sa lèvre pareille au bétail égorgé.
IV
Ainsi, beau comme un dieu, brave comme sa dague, Ayant en duel occis le comte de Montague, Quatre neveux du pape et vingt condottieri.
6a poixKS d'aujourd'hui
Calme et la tête haute il marche par les villes, Traînant à ses talons des amantes servîtes Dont l'âme s'est blessée à son regard fleuri .
{Leg Cantilèntt.)
L'INVESTITURE
Nous longerons la grille du parc, A l'heure où la Grande Ourse décline; Et tu porteras — car je le veux — Parmi les bandeaux de tes cheveux La fleur nommée asphodèle .
Tes yeux regarderont mes yeux;
A l'heure où la Grande Ourse décline. —
Et mes yeux auront la couleur
De la fleur nommée asphodèle.
Tes yeux regarderont mes yeux, Et vacillera tout ton être. Comme le mythique rocher Vacillait, dit-on, au toucher De la fleur nommée asphodèle.
(Poésies, 1 886-1896: Le Pèlerin Passiimné.)
UNE JEUNE FILLE PARLE
Les fenouils m'ont dit : I! t'aime si Follement qu'il est à ta merci ; Pour son revenir va t'apprêter.
— Les fenouils ne savent que flatter 1 Dieu ait pitié de mon âme.
Les pâquerettes m'ont dit : Pourquoi
Avoir remis ta foi dans sa foi ?
Son cœur est tanné comme un soudard.
— Pâquerettes, vous parlez trop tard I Dieu ait pitié de mon âme.
JEAN MOnéAS 63
Les sauges m'ont dît : Ne l'attends pas, Il s'est endormi dans d'autres bras. — O sauges, tristes saujçes, je veux Vous tresser toutes dans mes cheveux... Dieu ait pitié de mon Ame.
{Poésies, 1886- i8q6: Le Pèlerin Passionné.)
CONTRE JULIETTE
Pour vous garder de mal empire, Peunon d'Amour et gonfalon, Je vous donnai ma chevelure Couleurs des flots sous i'A(piilon.
Boucliers aux tendres devises, Ecus de pleine loyauté, Je vous donnai mes fiers yeux contre Votre propre vulgarité.
Coupe de mélodie et baume, Afin de vous extasier Je vous donnai ma bouche vive. Telles les roses au rosier.
Dames d'atour et chambrières Attentives à votre arroi, Je vous donnai mes mains plus nobles Que la couronne au front d'un roi.
Et je vous donnai — ho ! prodigue - Et je vous donnai par monceaux, Tous les trésors de ma pensée Comme des perles aux pourceaux.
(Le Pèlerin Passionné.)
ÉGLOGUE A PAUL VERLAINE
Pour avoir tant essoufflé des cornemuses Criardes, au fredon têtu.
64 poèTKS d'aujourd'hui
D'une mauve g'uide cent brebis camuses Ménalqu'de superbe vêtu.
Maint bélier, et la profitable génisse Qui nourrit ses deux nouveau-nés,
Ornent l'étable de Mopse, si très niée A dire les chants alternés.
Thyrsis se rengorge d'une coupe ouvrée Des mains du noble Alcirnédon ;
Batte, opprobre de la montagne sacrée, D'un laurier de brigue eut guerdon.
A toi, l'honneur des Lybéthrides agrestes.
Abreuvé des parlantes eaux, Il ne sied prix que du son de tes doigts prestes
Sus les disparates roseaux,
Divin Tityre, âme légère ! comm'houppe
De mimalloniques tymbons ; Divin Tityre, âme légère ! comm'troupe
De satyreaux ballant par bonds.
(Le Pèlerin Passionné.)
QUE FAUDRA-T-IL A CE CŒUR...
Que faudra-t-il à ce cœur qui s'obstine ;
Cœur sans souci, ah, qui le ferait battre I
Il lui faudrait la reine Cléopâtre,
Il lui faudrait Hélie et Mélusine,
Et celle-là nommée Aglaure, et celle
Que le Soudan emporte en sa nacelle.
Puisque Suzon s'en vient, allons Sous la feuillée où s'aiment les coulombs.
Que faudra-t-il à ce cœur qui se joue ; Ce bcUiqucur, ah I qui ferait qu'il plie 1 II lui faudrait la princesse Aurélie,
JBAN MOREAS 65
II lui faudrait Ismène dont la joue Passe la neÀ<j;e et la couleur rosine Que le matin laisse sur la colline.
Puisque Alison s'en vient, allons Sous la feuillée où s'aiment les coulombs.
(Le Pèlerin Passinnué.)
SOEUR DE PHÉBUS CHARMANTE
Sœur de Phcbus charmante, Qui veille sur les flots, je pleure et je lamente. Et je me suis meurtri avec mes propres traits. Qu'avais-je à m'enquérir d'Eros, fils de la terre I l'>os, fils de Vénus, me possède à jamais.
Guidant ta course solitaire, Lune, tu compatis à mon triste souci. O Lune, je le sais, non, tu n'as pas, vénale, A Pan barbu livré ta couche virginale,
Mais les feux doux-amers te renflammant aussi Par les yeux d'un berger dans sa jeunesse tendre, Sur le mont carien tu as voulu descendre. De ta douce lueur, ô Phébé, favorise
Ma plaintive chanson qu'emporte au loin la brise. Et fais que mes soupirs, de l'écho repétés, l'Ilonnent la frayeur des antres redoutés.
{Poèmes, i886-i8q6: Enone au clair oimge.)
I
L'AUTOMNE ET LES SATYRES
Hier j'ai rencontré dans un sentier du bois Où j'aime de ma peine à rêver quelquefois, Trois satyres amis : l'un une outre portait Et pourtant sautelait, le second secouait Un bâton d'olivier, contrefaisant Hercule.
66 poÂTBS d'aujourd'hui
Sur les arbres dénus, car automne leur chef
A terre a répandu, tombait le crépuscule.
Le troisième satyre, assis sur un coupeau,
De sa bouche approcha son rustique pipeau,
Fit tant jouer ses doigts qu'il en sortit un son
Et menu et enflé, frénétique et plaisant ;
Lors ses deux compagnons, délivres se faisant,
De l'outre le premier et l'autre du bâton,
Dansèrent, et j'ai vu leurs pieds aux jambes tortes,
Qui, alternés, faisaient voler les feuilles mortes.
{Poèmes, 1886-1 8g6 : Sylues.)
LA PLAINTE D'HYAGNIS
Substance de Cybèle, ô branches, ô feuillages, Aérien berceaux des rossignols sauvages, L'ombre est déjà menue à vos faîtes rompus, Languissants vous pendez et votre vert n'est plus. Et moi je te ressemble, automnale nature, Mélancolique bois où viendra la froidure.
Je me souviens des jours que mon jeune printemps Ses brillantes couleurs remirait aux étangs, Que par le doux métier que je faisais paraître
Dessus les chalumeaux. Je contentais le coeur du laboureur champêtre
Courbé sur ses travaux.
Mais la Naïade amie, à ses bords que j'évite, Hélas ! ne trouve plus l'empreinte de mes pieds. Car c'est le pâle buis que mon visage imite. Et cette triste fleur des jaunes violiers. Chère flûte, roseaux où je gonflais ma joue, Délices de mes doigts, ma force et ma gaîtc, Maintenant tu te plains : au vent qui le secoue Inutile rameau que la sève a quitté .
{Poèmes. i886-i8g6 : Sylvet noaoelles. )
JEAN MOREAS 67
STANCES
I
Les roses que j'aimais s'efFeuillent chaque jour, Toute saison n'est pas aux l)loncIes pousses neuves ; Le zcphir a soufflé trop longtemps ; c'est le tour Du cruel Aquilon qui condense les fleuves.
Vous faut-il, Allégresse, enfler ainsi la voix Et ne savez-vous point que c'est grande folie, Quand vous venez sans cause agacer sous mes doigts ' Une corde vouée à la Mélancolie ?
Ne dites pas : la vie est un joyeux festin ; Ou c'est d'un esprit sot ou c'est d'une âme basse. Surtout ne dites point : elle est mallieur sans fin. C'est d'un mauvais courage et qui trop tôt se lasse.
Riez comme au printemps s'agitent les rameaux. Pleurez comme la bise ou le flot sur la grève, Goûtez tous les plaisirs et souffrez tous les maux Et dites : c'est beaucoup et c'est l'ombre d'un rêve.
Les morts m'écoutent seuls, j'habite les tombeaux. Jusqu'au bout je serai l'ennemi de moi-même. Ma gloire est aux ingrats, mon grain est aux corbeaux. Sans récolter jamais je laboure et je sème.
Je ne me plaindrai pas. Qu'importe l'Aquilon, L'opprobre et le mépris, la face de l'injure ! Puisque quand je te touche, ô lyre d'Apollon, Tu sonnes chaque fois plus savante et plus pure ?
ompant soudain le deuil de ces jours pluvieux,
ur les grands marronniers qui perdent leur couronne.
68 POÈTES D'AUJOUno'HUI
Sur l'eau, sur le tardif parterre et dans mes yeux Tu verses ta douceur, pâle soleil d'Automne.
Soleil, que nous veux-tu ? Laisse tomber la fleur, Que la feuille pourrisse et que le vent l'emporte! Laisse l'eau s'assombrir, laisse-moi ma douleur Qui nourrit ma pensée et me fait l'âme forte.
Je songe aux ciels marins, à leurs couchants si doux, A l'ëcunianle horreur d'une mer démontée, Au pêcheur dans sa barque, aux crabes dans leurs trous, A Néere aux yeux bleus, à Glaucus, à Protée.
Je sonofe au vagabond supputant son chemin, Au vieillard sur le seuil de la cabane ancienne, Au bûcheron courbé, sa cognée à la main, A la ville, à ses bruits, à mon âme, à sa peine.
Quand pourrai-je, quittant tous les soins inutiles Et le vulgaire ennui de l'affreuse cité. Me reconnaître enfin, dans les bois, frais asiles, Et sur les calmes bords d'un lac plein de clarté '
Mais plutôt, je voudrais songer sur tes rivages, Mer, de mes premiers jours berceau délicieux : J'écoulerai gémir tes mouettes sauvages, L'écume de tes flots rafraîchira mes yeux.
Ah, le précoce hiver a-t-il rien qui m'étonne ? Tous les présents d'avril, je les ai dissipés. Et je n'ai pas cueilli la grappe de l'automne. Et mes riches épis, d'autres les oui coupés.
Nuages qu'un beau jour à présent environne. Au-dessus de ces champs de jeune blé couverts.
JBAN MOniAS 69
Vous qui m'apparaissez sur l'azur monotone Scnih!;il)I(;s aux voiliers sur le calme des mers;
Vous qui devez bientôt ayant la sombre face
De l'orage prochain, passer sous le ciel bas,
Mon cœur vous accompagne, ô coureurs de l'espace !
Mon cœur qui vous ressemble et qu'on ne connaît pas.
Eté, tous les plaisirs que ta saison m'apporte Comme ceux du printemps ont perdu leur attrait. Adieu, le tendre automne ! A présent, qu'à ma porte Vienne heurter l'hiver, j'ouvrirai sans regret.
Dans l'antique forêt, le vent et la cognée Sèment de l'arbre fort les rameaux à ses pieds, Et parmi les humains la juste destinée Abat à chaque coup gloire, amour, amitiés.
Moins doucement la feuille à la brise soupire, Que la branche frappée en tombant ne se plaint, Et lorsque le malheur s'exhale de la lyre, Tout autre chant n'est plus qu'un écho qui s'éteint.
Vie exécrable, ô jours, que corrompt l'amertume. Je vous surmonte encor, mais mon cœur est brisé ; El s'il a plus d'éclat, peut-être, il se consume Ce feu sombre et divin qui m'avait embrasé.
Grands bois, je vous verrai brillants sous un ciel d'ambre.
Ou de molles vapeurs noyés ; Je vous verrai si fiers quand le triste novembre
Vous aura meurtris et rouilles.
Poiir moi, l'amour n'est plus celte source de larmes
Où je buvais avidement, Une fausse amitié me cause trop d alarmes, Et je sais que la gloire ment.
70 POÈTES d'aujourd'hui
Enveloppez mon cœur dans les plis de vos ombres ;
Ma muse, fille des cités, O bois, a su garder au fond de ses yeux sombres
Le souvenir de vos beautés.
Sur la plaine sans fin, dans la brise et le vent. Se dresse l'arbre solitaire,
Pensif, et chaque jour son feuillage mouvant Jette son ombre sur la terre.
Les oiseaux dans leur vol viennent poser sur lui : Sont-ils corbeaux, ramiers timides î
L'affreux lichen le ronge ; il est le sûr appui
Du faible lierre aux nœuds perfides.
Plus d'une fois la foudre et l'autan furieux Ont fracassé sa haute cime ;
Même il reçoit les coups de l'homme industrieux Sans s'étonner, triste et sublime.
Tu souffres tous les maux et tu ne fais que rire
De ton lâche destin; Tu ne sais pas pourquoi tu chantes sur ta lyre
Du soir jusqu'au matin.
Poète, un grave auteur dira que tu t'amuses
Sans trop d'utilité ; Va, ne l'écoute point : Apollon et les Muses
Ont bien quelque beauté.
Laisse les uns mourir et vois les autres naître, Les bons ou les méchants,
Puisque tout ici-bas ne survient que pour être . Un prétexte à tes chants .
JBAN MORéAS 71
Quand je viendrai m'asscoir dans le veot, dans la nuit. Au bout du rocher solitaire,
Que je n'entendrai plus, en l'écoutant, le bruit
Que lait mon cœur sur celte terre.
Ne te contente pas, Océan, de jeter
Sur mon visage un peu d'écume :
D'un coup de lame alors il te faut m'cmporter
Pour dormir dans ton amertume.
Quand reviendra l'automne avec les feuilles mortes Qui couvriront l'étang' du moulin ruiné, Quand le vent remplira le trou béant des portes Et l'inutile espace où la meule a tourné.
Je veux aller encor m'asseoir sur cette borne, Contre le mur tissé d'un vieux lierre vermeil, Et regarder longtemps dans l'eau glacée et morne S'éteindre mon image et le p&le soleil.
(Les Stances.)
Dépouille de l'allée où j'ai marché souvent, Feuilles mortes, tendres feuillages.
Que suivait mon regard quand, portés sur le vent. Vous mêliez do l'or aux nuages ;
L'Automne et sa douceur vont s'alanguir là-bas, Dans les sous-bois, le long des grèves.
Et l'ancien souvenir ramènera mes pas
Aux lieux où se plaisaient mes rêves.
0 feuilles, que me Aiit, non plus que le carmin Des fleurs, votre pAle sourire ?
Mon âme et la douleur sur le sombre chemin Passent et u'out rien p '^'' 'H'"
•J2 POÈTES d'aujourd'hui
La rose du jardin que j'avais méprisée A cause de son simple et modeste contour. Sans se baigner d'azur, sans humer la rosée, Dans le vase, captive, a vécu plus d'un jour.
Puis lasse, abandonnée à tes pâleurs fatales. Ayant fini d'éclore et de s'épanouir. Elle laissa tomber lentement ses pétales, Indifférente au soin de vivre ou de mourir.
Lorsque l'obscur destin passe, sachons nous faire, Pourquoi ce souvenir que j'emporte aujourd'liui ? Mon cœur est trop chargé d'ombres 'et de mjslère; Le spectre d'une fleur est un fardeau pour lui.
Lorsque se lamentant comme auprès d'une tombe,
Dans le creux du vallon Passait, tout vêtu d'or par la feuille qui tombe,
Le tragique Aquilon,
Qu'a-t-il dit au rameau qui balançait encore
Un beau fruit, une fleur, Au soleil de novembre, à la tardive aurore,
A mon âme, à mon cœur ?,
J'allais dans la campagne avec le vent d'orage. Sous le pâle matin, sous les nuages bas ; Un corbeau ténébreux escortait mon voyage, Et dans les flaques d'eau retentissaient mes pas.
La foudre à l'horizon faisait courir sa flamme Et l'Aquilon doublait ses longs gémissements; Mais la tcmpôle était trop faible pour mon àme, ^ ui couvrait le tonnerre avec ses battements.
J«AN MORÉAS
De la dépouille d'or du frône et de l'érable L'Aulomru; '.'omposait son éclatant biilin, Et le corbeau toujours d'un vol inexorable M'accompagnait sans rien chauger \ iiioo destin.
Ouaod de la trat^ifjue vie Se condense l'épaisseur, L'ànie se sent assouvie De tendresse et de douceur.
Mais soudain la tlamnie brève D'un mystérieux trésor Illumine, et dans un rêve La bouche sourit encor;
Et d'espérance s'égaie Notre Ancienne douleur. Comme se pare une baie Apre d'une jeune tieur.
Aujourd'hui ma pensée erre sur le Céphise
Et je soupire après Les pâles oliviers et la cime indécise
Qu'élance le cyprès.
Main que me font mes yeux, qu'ai-je à marquer la traco
De mes pas terriens? 0 mon âme, ô torrent, c'est l'absence et l'espace
Qui forment vos liens.
Mon cœur n'est plus le rameau tendre Qui reverdit sous le ciel bleu ; Il nest plus môme cette cendre Qui couve encore uu sombre Icu,
74 POÈTES d'aujourd'hui
Mais ma blessure est si profonde, Virgile, ô Dante, "ïnes aïeux ! Que j'envelopperai le monde Dans un amour plus oi'gueilleux.
Par ce soir pluvieux, es-tu quelque présage.
Un secret avertissement, 0 feuille, qui me viens effleurer le visage
Avec ce doux frémissement?
L'Automne t'a flétrie et voici que tu tombes.
Trop lourde d'une goutte d'eau ; Tu tombes sur mon front que courbent vers les tombes
Les jours amassés en fardeau.
Ah î passe avec le vent, mélancolique feuille
Qui donnais ton ombre au jardin ! Le songe où maintenant mon âme se recueille
Ouvre les portes du ddstin.
Ces dernières Stances n'ont paru jus- qu'ici que dans le Figaro {àèccïnhTC. iyo3) et dans la broohiire de M. Jcati de Gour» mont : Jean Moréas, Collectioa des Gelé» brités d'aujourd'hui, Paris, Sansol, iyu5.
COîSITESSE MATHIEU DE NOAILLES
M"» la Comtesse Mathieu de Noaillcs est née & Paris. Une r«?cente brochure de la Collection des Célébrité* d'aujourd'hai(i) donne sur elle les renseignements biographiques suivants : o La comtesse Mathieu de Noaillcs descend par son père de la puissante maison valaque des Bibesco, devenus Brancovan par adoption au milieu du XIX» siècle. Son grand père Georges Bibesco, hospodar de Valachie de 1843 à 1848, avait ('-pousé une princesse moldave de race grecque, Zoé Mavrocordatû, fille adoptive du dernier des princes Bassaraba de Brancovan. Celui-ci vécut assez pour adopter également le fils aîné de Georges Bibesco et de Zoé Mavrocordalo, Grégoire, à qui furent transférés tous les titres, privilèges et dignités de l'antique famille des Brancovan. La princesse actuelle de Brancovan, sa veuve, mère de Constantin de Brancovan, qui fut directeur de La Henais- tance latine, et de M""' la comtesse de Noailles et la princesse de Chimay, appartient à la famille grecque orientale des Musiirus, — (originaire de l'Ile de Crète) — oii la haute culture est traditioa* nelle. Un cardinal Musurus fut l'ami et le collaborateur d'Krasme, et l'auteur d'une recension de Platon. Le père de M™' de Branco- Tan, Musurus Pacha, ambassadeur de Turquie à Londres, a laissé une traductiou de Dante en grec ancien... La vocation de M™» de Noailles s'affirma de très bonne heure. Vers sa dixième année elle vit venir en visite à Amphion, à quelque jours d'intervalle, ua prince régnant et Frédéric Mistral. KUe vénéra, adora Mistral et négligea le prince. Dès lors son choix était fait : déjà elle s'essayait à versifier... Après avoir de 11 à 16 ans couvert de prose de volu- mineux cahiers, elle revint à la poésie. C'est seulcmeut en igoi, ■près son mariage, qu'elle publia son premier livre, LeCœar innom- brable, depuis assez longtemps déjà achevé (couronné par l'Aca- démie française). Puis parurent L'Om&ro de» ^oar* (igoa), La Nouvelle Espérance (igoS), Le Visage EmerveilU (lyoli), La Domi-
(1) L«i ComttMt JiattMu de Noaillee, par Keaé "-^hni'i
•jt poàTKS d'aujourd'hui
nation [igob), Les Ebloaissementt(i^'j) : trois romans, trois recueils de poèmes. » C'est de ces trois recueils de poèmes que sont extraits les poèmes qu'on va lire. On a appelé M»» de Noailles la « Muse des Jardins ». Elle a, en effet, assez bien mérité ce titre. Tout ce qui compose un jardin, du plus riche, du plus paré au plus agreste, lui a fourni bien souvent tout le principe de ses émotions, tout 1« décor de ses poèmes, et il n'est pas jusqu'aux plus humbles léguâmes, aux plus modestes herbes qui n'aient mérité son amour et ue soient pour elle de « douces personnes », comme elle a dit quelque part. Toute la nature, d'ailleurs, lai est un thème inépuisable et préféré :
Les forêts, les étangs et les plaines fécondes
Ont plus touché mes yeux que les regards humains,
a-t-elle dit ailleurs. « L'essence de sa poésie, a noté M. André Chau- meix, est une émotion toute personnelle devant le monde sensible. La nature est l'ample et multiple matière sur laquelle l'imagination toujours prête du poète travaille passionnément. Tous les phéno- mènes sont pour son cœur retentissant un sujet d'émoi éternelle- ment neuf et qu'elle ne se lasse pas de traduire avec une mer- veilleuse abondance. Ses vers sont pleins, comme elle l'a dit, de l'odeur de l'aube et de la nuit, « des fleurs de mai dont chaque brin se pàrae », des fruits, du vent, des douze mois, « et des trente jar- dins de lis et de verveines ■ ; ils reflètent le ciel à tous ses moments. » Par une rencontre des plus heureuses, on retrouve chez M"* de Noailles beaucoup de choses de M. Francis Jammes. Ce sont souvent les mêmes motifs d'inspiration, les mêmes tableaux, qu'elle sait exprimer, rendre avec plus de rhétorique, dans des vers plus soignés. En grande dame, elle a mis des rubans à la flûte du pâtre et joué académiquement des airs analogues. Est-ce cela qui a amené M. Jean de Gourmont à formuler cette appréciation : « Vrai- ment, la poésie de Jammes est tout entière dans la poésie de M*"* de Noailles. 11 ne s'agit pas ici d'imitation, mais d'une sorte de trans- position inconsciente ef merveilleuse, d'un résultat admirable. Instinctivement, l'auteur du Cœur innombrable a su éliminer ce qui dans Jammes était encore trop nouveau pour s'adapter à la sensibilité du public. Cependant, sous une forme plus traditionnelle, c'est la même sensibilité. Elle est d'ailleurs sincère, mais sans Jammes, se serait-elle éveillée, aurait-elle su s'exprimer ? ». Ce qui revient à dire que M** de Noailles a tout bonnement vulgarisé la poésie de M. Fran- cis Jammes. A le prendre ainsi, M. Francis Jammes n'aurait pas été le seul initiateur de M" de Noailles. Il y a aussi chez elle beau- toup de Vtrlaioe, par endroit*.
Le soir tombait, on soir li peochaat «t «i triai*
C0NTS8SB MATHIKTT DIT NOAILLIS 77
ce vers de L'Omhr« deê Jour» ne r«ppeUe-t-il ^»K ja«qiie par la modulaiion, celui de Verlaine daus Les Inginas ;
Le «oir tombait, un aoir équivoque d'automnr...
Mais ce «ont là des détails, et une critique peut-^tre bien méticu- leuse. Un écrivain procède toujours d'un autre, et l'action dm nos ancêtres se fait sentir «^g^alemcnt en littérature. M"« de Noaillno.qui doit, par«tl-il, beaucoup à M. Maurice Btrrès, ne drmentirn pas cette throrie chère, à l'auteur bien chaneé du Jardin de Bérénice, La personnalité de M"* de Noailles c'est d'être un vrai poète, sen- sible, ému, ayant le don du rythme et des imag'es, — n'est-ce point l'essentiel? — sans cesser pour cela d'être une femme, c'est-à-dire d'avoir quelquefois plus de force dans ce qu'elle sent et veut expri- mer que dans ce qu'elle exprime. Pour être exact, on l'a ausni un peu «ppsrentpe aux romantiques, — et il y a du vrai, — pour son exubérance, ses dons de description, son alliance du rêve et de la réalité, « sa prédominance du sentiment sur la raison ». « Pour la quatrième fois, a écrit a son sujet M. Charles Maurras, nous avons à saluer l'infîuence persistante des romantiques sur un brillant esprit féminin, (^'rsi bien d'eux que M"" de Noailles a mémoire quand elle vit, quaod elle soDpe, quand elle écrit". La face épanouie de la lune l'éinfut à peu près des mêmes pensées qui auraient visité l'imaçina- lion d'un poète du Cénacle. IJIle l'interpelle et l'invoque sur le même ton qu'employait Alfred de Musset pour Phœbé la blonde. A propos d'animaux, des « sobres animaux », quand elle les admire et les salue un k un, en suppliant une divinité champêtre de la rendre elle- même pareille à ces doux bestiaux,
Rendez-nous l'innocence ancestrale des bétea,
le souvenir de Baudelaire s'entre-croise à celui de Vigny, qui roulait que les animaux fussent nos < sublimes » modèles. Entin, elle s'est exercée à fusionner, sur les savants exemples de Victor Hugo, le matériel et le mystique, le pittoresque et le rêvé, le coeur et la chair ». Et M. Léon Blum : «... Le retour au Romantisme fut, il y a dix ans, le caractère du mouvement poétique. Ce qu'on a nommé l'humanisme ne fut qu'un romantisme rajeuni. Mais chez les plus distingués des humanistes l'inQueuce verlainienne restait sensible, et M"« de Noailles en est restée, à ce que je crois, totalement exf-mpte. Ylle n'est guère qu'nne romantique, et c'est de iMusset ({ne je la rerrais proche, un Musset sans sa grâce allante et sa plaisanterie iésinvolte, sans son penchant oratoire, sans toute sa facilité fran- |aise, un Musset plus âpre, plus chargé, plus fiévreux, pins com- ^•ic, au sang plus lourd, je voudrais pouvoir dire un I^iusset bar-
jB poAtbs d'aujourd'hui *
bare, I! faut cependant marquer dès à présent qoelques dîff(?renceg essentielles. Sans doute le lyrisme de Lamartine, de Musset ou même de Hugo est on lyrisme purement personnel. Mais si le poète se chante lui-même, il ne chante pas lui seul. Le poème, sorti d'un homme, vaut pour tous les hommes. .. Le rêve romantique, le chant romantique, même en ce qu'ils eurent de plus spécial ou de plus neuf, furent le rêve et le chant communs d'un moment de l'huma- nité... Rien de pareil cher M"" de Noailleg. Sa poésie sort d'elle- même et retombe en elle, comme l'élan du jet d'eau dans le bassin. Son éternel sujet, c'est sa personne, mais dans ce qu'elle a de parti- culier, d'unique, non dans ce qu'elle a de commua et de général... » Et il y a aussi, souvent, chez M"« de Noailles, une tendresse à laquelle on ne résiste pas. Afais ce dont il faut peut-être la louer le plus, c'est de ne jamais rien montrer, à aucun endroit de son œuvre, de ce fade et vague christianisme si fréquent chez les femmes poètes,
— nous voulons parler de celles passées, car pour celles d'aujour- d'hui, la ci'lébritc de M"»» de Noailles les a si fort touchées qu'elles 8e sont toutes mises à être païennes.
M"' de Noailles a collaboré à La Revue félibréenne, à La Revue de Paris, h La Revue des Deux-Mondes, à La Renaissance latine, m\x Essais, au Beffroi, au i^«u, au Mouvement, etc.
Bibliographie :
Lis OEUVRES. — I^e Cœur Innombrable, poèmes. Paris, Calraann-Lévy, 1901, in-18. ~ I^ombre des Jours, poèmes. Paris, Calmann-Lévy, 1902, in-18. — La Nouvelle Espérance, roman. Paris, Calmann-Lévy, 1903, in-i8. — Le Visage émerveillé, roman. Paris, Culmaïui-Léry, 1904, in-iS.
— La Domination, roman. Paris, Calmann-Lévy, 1905, in-8. — Les Eblouisseuieats, poèmes. Paris, Calmann-Lévy, 1907, in-18.
Voir en outre la préface d'une édition d'Œuvres choisies éCAlfred de Musset. Paris, Gittler, 1907, in-12.
A coNBOLTiR. — Paul Ackor : Petites Confessions, visites et portraits. Pari*, Fontemoing, 1903, in-8-. — Léon Blum : En lisant réflexions criti- ques. Soc. d'éilit. littér. et art., 1906, in-18 ; L'Œuvre poétique de M"' de Noailles. Revue de Paris, 15 janv. 1908. — Hippolyte Bùffeuolr : Grandes Dames contemporaines. La comtesse de Noailles et ses poésie*. Avec un portrait. Paris, M. Leclerc, 1903, in-8. — Georges Caselln et Ernest Gaubert : La Nouvelle littérature, 1895-1905. Paris, Sansot, 1006, m- 18. — J. Ernest-Charles : Samedis littéraires, I" et !' séries. Paiis, Perrin, 1903 et 1904, iu-18. — Paul Fl&l : Nos femmes de lettres. Paris Perrin, 1908, jn-18. — Euoène Gilbert : France et Belgique. Etude» littéraires. Pari», Pion, 1905, in-18. — Remy de Gourmont : Prome- nades littéraires, IL Paris, Soc. du Mercure de France, 1906, in-18. — (i.PelHssler : Etudes di: littérature et de morale contemporaines. Pari», Coniely, 1905, in-18. — (iasion Ungeot : Le Succ(^s. Auteurs et publie* Estai de eritiaue tociologique. Paris. Aln»n igoe, gr. in->*.
OOVnMSK MATHIEU QB NOAIIXJtS 79
I
I.Aon Rlum : L'Œuvrn poétique de il/"' de Noaille». Rerae de Paris, 15 jaiiT. 1908. — André f;hanmelx : Le» Eblouhxements, Jourual des Débat», Î9 »ept. 1907. — Jeun «le Guunnout : Les Nietzschéennes. Mer- cure deFrance, juillet 1603; Letterati conlemporanci. Madame de Noaille»» arec trois portraits «t un fac-similé d'aiitogr. Ëoiporiura (ISergamoV janvier 1908. — CtiHi'les iMa\irras: Le lioviantisme féminin. Minerva, l'^mai 1903. — Péladan : De la Poésie individualiste. La Comtesse M. de Noailles et Paul Marié ton. Revue Kélibréenne, jaiiv.-gfept. 1903. — Henri de Ré- gnier: Un premier livre. Gauloiâ, 13 mai 1901.
Iconographie :
Forain : Portrait, pcinturo à l'huile (appartient à M"« de Noailles). — Ilelleu : Pointe lèche (on trouve une reproduoliun de ce portrait dans un fascicule A'Emporium (Bi i-;;amc), janvier 1908). — Antonio de la Gan- dura : Portrait, pcinturo à l'iiuilo. Exposition Universelle de 1900 (a])parlicnt & M"' do Noailles). — Rodin : Buste (inaclievé). — André llouveyro : Caricature, puhlii^e dans Carcasses divine*. Portrait» et monographies des- tinés, i'aris, 1. Bosc, 1907, iu 4".
LE VERGER
Dans le jardin sucré d'oeillets et d'aromates, Lor.sque l'aube a mouillé le serpolet touffu Et que les lourds frelons, suspendus aux tomates, Chancellent de rosée et de sève pourvus.
Je viendrai sous l'azur et la brunie flottante, Ivre du temps vivace el du jour retrouvé. Mon cœur se dressera comme le coq qui chante Insaliablement vers le soleil levé.
L'air chaud sera laiteux sur toute la verdure. Sur l'effort généreux et prudent des semis. Sur la salade vive et le b»iis des bordures, Sur la C03SC qui gonfle et qui s'ouvre à demi.
La terre labourée où mûrissent les graines Ondulera, joyeu.se et douce, A petits flots. Heureuse de sentir dans sa chair souterraine Le destin de la vigne et du froment enclos.
Des brugnons roussiront sur leurs feuilles, collées Au mur où le soleil s'écrase chaudement,
8o poètES d'aujourd'hui
La lumière emplira les étroites allées
Sur qui l'ombre des fleurs est comme un vêtement,
Un goût d'éclosion et de choses juteuses Montera de la courge humide et du melon. Midi fera flamber l'herbe silencieuse, Le jour sera tranquille, inépuisable et long.
St la maison, avec sa toiture d'ardoises, Laissant sa porte sombre et ses volets ouverts. Respirera l'odeur des coings et des framboises Kparse lourdement autour des buissons verts ;
Mon cœur, indifférent et doux, aura la pente Du feuillage flexible et plat des haricots Sur qui l'eau de la nuit se dépose et serpente Et coule sans troubler son rêve et son repos.
Je serai libre enfin de crainte et d'amertume, Lasse comme un jardin sur lequel il a plu, Calme comme l'étang qui luit dans l'aube et fume, Je ne souffrirai plus, je ne penserai plus,
Je ne saurai plus rien des choses de ce monde, Des peines de ma vie et de ma nation. J'écouterai chanter dans mon âme profonde L'harmonieuse paix des germinations.
Je n'aurai pas d'orgueil, et je serai pareille, Datas ma candeur nouvelle et ma simplicité, A mon frère le pampre et ma sœur la groseille, ^ui sont la jouissance aimable de l'été,
Je serai si sensible et si jointe à la terre
fue je pourrai penser avoir connu la mort, t me mêler, vivante, au reposant mystère ^ui nourrit et fleurit les plantes par les corps.
Et ce sera très bon et très juste de croire Que mes yeux ondoyants sont à ce lin pareils.
GOHTKHSK MATRIBD DB NOAILLBS 8l
I
Et que mon coeur, ardent et lourd, est cette poire Qui mûrit doucement sa pelure au soleil.. .
{L» Ccear innombrable. Calmaaa-LéTy.)
LIMAGE
Pauvre faune qui va mourir. Reflète-moi dans tes prunelles Et fais danser mon souvenir Entre les ombres éternelles.
Va, et dis à ces morts pensifs A qui mes jeux auraient su plaire. Que je rêve d'eux sous les ifs Oiï. je passe petite et claire.
Tu leur diras l'air de mon front
Et ses bandelettes de laine,
Ma bouche étroite et mes doigts ronds
Qui sentent l'herbe et le troène,
Tu diras mes gestes légers Qui se déplacent comme l'ombre Que balanceat dans les vergers Les feuilles vives et sans nombre.
Tu leurs diras que j'ai souvent Les paupières lasses et lentes, Quau soir je danse et que le vent Dérange ma robe traînante.
Tu leurs diras que je m'endors. Mes bras nus pli»^s sous ma tète, Que ma chair est comme de l'or Autour des veines violettes ;
— Dis-leur comme ils sont doux à voir Mes cheveux bleus comme des prunes. Mes pieds pareils à des miroirs Bt mes deux jreuz couleurs de lune,
p« poiTBS d'aujourd'hui
Et dis-leur que dans les soirs lourds. Couchée au bord frais des fontaines, J'eus le désir de leurs amours Et j'ai pressé leurs ombres vaines...
(Le Gœar innombrable. Calmann-Lévy.)
LE TEMPS DE VIVRE
Déjà la vie ardente incline vers le soir.
Respire ta jeunesse. Le temps est court qui va de la vigne au pressoir.
De l'aube au jour qui baisse,
Garde ton âme ouverte aux parfums d'alentour,
Aux mouvements de l'onde, Aime l'effort, l'espoir, l'orgueil, aime l'amour,
C'est la chose profonde ; .
Combien s'en sont allés de tous les coeurs vivants
Au séjour solitaire Sans avoir bu le miel ni respiré le vent
Des matins de la terre.
Combien s'en sont allés, qui, ce soir, sont pareils
Aux racines des ronces, Et qui n'ont pas goûté la vie où le soleil
Se déploie et s'enfonce,
Ils n'ont pas répandu les essences et l'or
Dont leurs mains étaient pleines, Les voici maintenant dans cette oo^bre où l'on dort
Sans rêve et sans haleine ;
— Toi, vis, sois innombrable à force de désirs.
De frissons et d'extase. Penche sur les chemins où l'homme doit servir
Ton âme comme un vase,
Mêlée aux jeux des jours, presse contre Wn sein L« vie âpre at £Brouche i
GOHTISSI HATHIBU DB NOAIIXIS 88
Que la joie et Tamonr ebantcnt comme un essaim D'abeilles sur ta bouche.
Et puis regarde fuir, sans regret ni tourment,
Les rives infidèles, Ayant donné ton cœur et ton consentement
A la nuit éternelle...
(Le Cœur innombrable. Calmann-LéTy.)
LES OMBRES
Quand ayant beaucoup travaillé J'aurai, le cœur de pleurs mouillé.
Cessé de vivre. J'irai voir le pays où sont Tous les bons Faiseurs de chansona
Avec leur livre.
Chère ombre de François Villon Qui, comme un grillon au sillon,
Te fis entendre. Que n*ai-je pu presser tés mains, Quand on voulait sur les chemins
Te faire pendre.
Verlaine qui vas titubant, Chantant et semblable au dieu Pan
Aux pieds de laine, Es-tu toujours simple et divin. Ivre de ferveur et de vin.
Bon saint Verlaine ?
Et vous dont le destin fut tel Qu'il n'en est pas de plus cruel,
PauTre Henri Heine, Ni de plus beau chez les humains. Mettez votre front dans mes mains.
Pensons à peine.
Moi, par la vie et ses douleurs,
84 p«*TBS d'aujourd'hui
J'ai goûté l'ardeur et les pleurs
Plus qu'on ne l'ose. .. Laissez que, lasse, près de vous, O mes dieux si sag'es et fous,
Je me repose...
{L'Ombre de» Jours. Calmann-Léry.)
J'ÉCRIS POUR QUE LE JOUR OU JE NE SERAI PLUS...
J*ëcrÎ8 pour que, le jour où je ne serai plus. On sache comme l'air et le plaisir m'ont plu, Et que mon livre porte à la foule future Gomme j'aimais la vie et l'heureuse nature.
Attentive aux travaux des champs et des maisons. J'ai marqué chaque jour la forme des saisons, Parce que l'eau, la terre et la montante flamme En nul endroit ne sont si belles qu'en mon âme.
J'ai dit ce que j'ai vu et ce que j'ai senti, D'un cœur pour qui le vrai ne fut point trop hardi, Et j'ai eu cette ardeur, par l'amour intimée, Pour être après la mort parfois encore aimée,
Et qu'un jeune homme alors, lisant ce que j'écris, Sentant par moi son cœur, ému, troublé, suipris, Ayant tout oublié des épouses réelles, M'accueille dans son Ame et me préfère à elles.
{L'Ombre des Jours. Calmann-L^vy.)
CONSTANTINOPLE
J'ai TU Constantinople, étant petite fille.
Je m'en souviens un peu, Je me souviens d'un vase où la myrrhe grésille
Et d'un minaret bleu.
Je me souviens d'un soir aux Eaux-Douces d'Asie : Soir si traînant, si mou.
COMTKSSE MATHIFU DR ?(f)AIUIJI.'
Que déjà, comme un chaud serpent, la Poésie S'enroulait A mon cou.
Une barque passa, pleine de friandises,
O parfums balancés I Des marchands nous tendaient des pâtes de cerises
I<:t des cédrats glacés.
Une vieille faisait cuire des aubergines
Sur l'herbe, sous un toit; Le ciel du soir était plus beau qu'on n'imagine.
J'avais pitié de moi.
Et puis j'ai vu, cerné d'arbres et de fontaines.
Un palais rond et frais, Des salons où luisait une étoile d'ébène
Au milieu des parquets.
Un lustre clair tintait au plafond de la salle Quand on marchait trop fort ;
J'étais ivre d'ardeur, de pourpre orientale. Mais j'attendais encor.
J'attendais le bonheur que les petites filles
Rêvent si fortement. Quand l'odeur du benjoin et des vertes vanilles
Evoque un jeune amant ;
Je cherchais quelle aimable et soudaine aventure.
Quel enfantin vizir, Dans ce palais plus tendre et frais que la Nature,
Allait me retenir.
Ah 1 si, tiède d'azur, la terre occidentale
Est paisible en été, Les langoureux trésors que l'Orient étale
Brûlent de volupté I
Ooolliers de coraux, 6 nacres en losanges,
0 senteurs des bazars ; Tergers sur le Bosphore, où des raisins étranges
Sont roses comme un fard t
85
g6 poAtks d'aujourd'hui
Vie indolente et chaude, amoureuse et farouche,
Où tout le jour l'on dort, Où la nuit les désirs sont des chiens, dont la bouche Se provoque et se mord.
Figuiers d'Arnaout-keuï, azur qui luit et tremble,
Monotone langueur De contempler sans trêve un horizon qui semble
Consacré au bonheur L
Hélas I pourquoi faut-il que les beaux paysages
De rayons embrasés, Penchent si fortement les mains et les visages
Vers les mortels baisers ?
Tombes où des turbans coiffent les blanches pierres,
O morts qui sommeillez. Ce n'est pas le repos, la douceur, les prières
Que vous nous coo8«illez !
Vous nous dites : a Vivez, ce que contient le monde
De sucs délicieux, On le boit à la coupe émouvante et profonde
Des lèvres et des yeux.
« La beauté du ciel turc, des cyprès, des murailles.
Nul ne peut l'enfermer, Mais le bel univers se répand et tressaille
Dans des regards pâmés.
« L'immense odeur du musc, du cèdre et de la rose,
Glisse comme le vent ; Mais l'Amour, de ses doigts divins, la recompose
Au creux d'un chaud divan.
c Sainte>Sophie, avec ses forêts de lumière
Et ses bosquets d'encens, Se laisse contempler et toucher tout entière
Sur on corps languissant... »
OOMTtSBB MATHIIU DB NO AILLÉS 87
Hélas ! je vous entends, morts de la terre chaude,
Vous me brûlez les os I Depuis mes premiers ans, toute mon âme rôde
Auprès de vos tombe&ux ;
J'étais faite pour vivre au bord de l'eau profane,
Sous le soleil pressant, Consacrant chaque soir à la jeune Diane
La Ville du Croissant.
J'étais faite pour vivre en mangeant des pignolles.
Sous le frêle prunier Ofi Xanthé préparait, enfant joueuse et-moUe,
Le cœur d'André Chénier.
.''étais faite pour vivre en ces voiles de soie.
Et sous ces colliers verts. Qui serrent faiblement, qui couvrent et qui noient
Des bras toujours ouverts.
La douce perfidie et la ruse subtile
Auraient conduit mes jeux Dans les jardins secrets où l'ardeur juvénile
Jette un soupir joyeux.
On n'aurait jamais su ma peine ou mon délire^
Je n'aurais pas chanté. J'aurais tenu sur moi comme une grande Ijn
Les soleils de l'été ;
Peut-être que ma long'ue et profonde tristesse,
Qui va priant, criant, N'est que ce dur besoin, qui m'afSig^ et m'oppresse,
De vivre en Orient 1...
{Le$ Ebloattsement*. Galmann-Lévy.)
OFFRANDE
Mes livres je les fis pour vous, ô jeunes hommes, Et j'ai laissé dedans.
88 ro*TB8 d'aujourd'hui
Gomme font les enfants qui mordent dans des pommes, La marque de mes dents.
J'ai laissé mes deux mains sur la page étalées,
Et la tête en avant J'ai pleuré comme pleure au milieu de l'allée
Un orage crevant.
Je vous laisse, dans l'ombre amère de ce livre,
Mon regard et mon front, Et mon âme toujours ardente et toujours ivre
Où vos mains traîneront.
Je vous laisse le clair soleil de mon visage,
Ses millions do rais, Et mon cœur faible et doux, qui eut tant de courage
Pour ce qu'il désirait.
Je vous laisse mon cœur et toute son histoire,
Et sa douceur de lin, Et l'aube de ma joue, et la nuit bleue et noire
Dont mes cheveux sont pleins.
Voyez comme vers vous, en robe misérable,
Mon Destin esft venu. Les plus humbles errants, sur les plus tristes sables.
N'ont pas les pieds si nos.
— Et je vous laisse, avec son feuillage et sa rose.
Le chaud jardin verni Dont je parlais toujours ; — et mon chagrin sans cause
Qui n'est jamais fini...
{Les Ebloaisaement». Calmaon-Lévy.)
LA VILLE DE STENDHAL
Un soir d'argent, si benu, si noble, Enveloppe et berce Grenoble. Tout l'espace est sentimental. Voici la ville de Stendhal...
COMTKdSH MATOTUt! DR NOAIF.MtS R9
Ppiulant crlte jouriic' criticre, Coin 1110 un orap^e de. lumière Le soleil frappait la cité ; Maintenant c'est le frais été.
La lune mince, rose, nette, l'^cIaire la place Gt'enelte, Que Tair est doux ! Dans le lointam On entend des Napolitains.
Musique brûlante, insensée. Toute notre Ame est renversée. Et, désespéré de désir. Le cœur veut jouir et mourir.
Sur les ruelles populeuses Des içlobes de lueurs laiteuses Sont des phalènes nébuleux Qui font les paTés mous et bleus.
Des bruits troublent l'ombre émouvante. On entend parier des servantes. Sous les platanes de l'hôtel Je penso à tous, Julien Sorel...
Les maisons ferment une à une, L'Isère tremi)le sous la lune. Etiez-vous beau, rude ou charmant? On vous aimait si fortement !
Vous saviez ce qu'il faut d'offense. D'ardeur, dé défi, de souffrance, D'orjçueil, de pleurs, d'humilité Aux plaisirs de la volupté.
Venez, j'attends votre visite Dans cette rue aux Vieux Jésuites Où Beyle, étant petit ivarçon, S'ébattait devant sa maison.
90 FOÂTBS d'àUJ0URD*H(7I
Gomme l'espace est calme et sage I La nuntagne de Sasseuajçe Laisse couler dans le soir frais L'odeur du ciel et des forêts.
Pourquoi n'est-on jamais heureuse? Hier, dans la froide Chartreuse Qui dort au fond des vallons verts, Je pleurais sur tout l'univers.
C'était cette fureur profonde De vouloir posséder le monde ; Quand on est comme vous et moi, On est hors du temps et des lois.
Vous aimiea comme je les aime Le trésor qu'on porte en soi-même, Le destin qui n'a pas d'égal Et le beau plaisir cérébral.
Derrière toutes ces fenêtres,
Des êtres vont s'aimer, vont naître ;
0 mouvement universel I
Nous serons morts, Julien Sorel.
Tout votre amer orgueil éclate Dans mon cœur d'ombre et d'écarlate. Je vous ai bien aimé ce soir O Julien du Rouge et du Noir...
(Les Eblouissements . Calmann-Léry.l
PIERRE QUILLARD
Pierre Qaillanl est né à Paris h i^ juillet i864' H fit ses étndes an lycée Condorcet, condisciple, comme on l'a va précédemment, d'Ephralm Mikbaël, de MM. Stuart Merrill, André Fontainas et René Ghil. Il suivit ensuite les cours de la Faculté des lettres, entra à l'Ecole des Chartes et à l'Ecole des Hautes*Etude8, et fut chargé par cette dernière, en i88g, d'une mission paléograpbique à Lisbonne. A cette ôpoque.sa carrière littéraire était déjà commencée. Depuis i884, il collaborait k La Basoche de Bruxelles, et en 1886 il avait fondé, avec Ephralm Mikhaël et Paul Roux (plus tard Saint-Pol-Roux) La Pléiade, la petite revue dont il a déjà été parlé, et où collaborèrent «'gaiement Charles Van Lerberghe, MM. Maurice Maeterlinck, Gré- f^oire le Hoy, Rodolphe Darzens et Camille Bloch. C'est dans La Pléiade que Pierre Quillard publia tout d'abord, outre des poèmes, La Fille aacc mains coupées, mystère en deux tableaux et en vers, réim- primé en 1891 dans son volume : Aa OUire du Verbe, et repré- senté la même année au Théâtre d'Art de M. Paul Fort. Dès i8gi, Pierre Quillard collabora assidûment au Mercure de France, où il a donné des poèmes, des pages de prose, des études de littératurt tx de critique, non encore rassemblées en volume, sur Stéphane Mallarmé, Bernard Lazare, José Maria de Heredia, Albert Samain, Leconte de Lisie, Emile Zola, Madame Rachilde, MM. Henri de Ré- gnier, Anatole France, Paul Adam, Remy de Gourmont, Georges Cli-mcnceau, Laurent Tailhade, Teodor de Wyzewa, Gustave Gctlroy, Henri Barbusse, André Fontainas, etc. En 189,3, Pierre 4)uillard partit pour Constantinople,où il vécut jusqu'en 1896, profes- f-n\ir au Collège arménien catholique Saint-Grégoire l'Ulaminalcur 9t A l'Ecole centrale de Galata. C'est pendant ce séjour eu Orient ou il devait renouveler en 1894, pour suivre, pour le compte de L'H- lusirution, les opérations de la guerre gréco-turque, qu'iiéorivit L'Sr- rante, poème dialogué, représoÈUé «a Théâtre de rOfannrv ea 189O, «i
ga foib«« d'aujocrd'hui
la plupart 4e cm poème* ai purs, ri harmonienx, d'âne inspiration à la fois orgueilleuse et désabusée, qu'on trouvera dans notre choix. Vaines images, les intitulait-il. Ce qui prend l'aspect d'une modes tie un peu excessive, quand, après avoir lu ces poèmes, les vers, malgré soi, vous en reviennent tout seuls k la mémoire. Revenu à Paris vers la fin de 1896, il réunit toute son œuvre en un volume : La Lyre héroïque et dolente, qui est resté à ce jour sa seule publi- cation poétique. <« M. Pierre Quillard, écrivit à ce propos M. Henri de Régnier, est fortement nourri des belles-lettres antiques ; aussi a-t-il droit plus que tout antre d'intituler ainsi son livre.. . Il a pris i la fréquentation des Muses helléniques et latines une gravité har- monieuse et hautaine, un reflet lumineux et cnlme. Lisez ses belles Elégies héroïques : /je Dieu mort, Ruines, I^es Vaines images, qui sont Psyché, Hymnis et Chrysarion, Le Jardin de Cnssiopée, La Chambre d'amour, et goûtez-en la beauté amère et sereine, l'acre et doux parfum, la cadence sonore. Klles disent l'Amour, la Mort et le Temps ; elles exhalent une mélancolie stoïque et païenne ; elles sentent la rose et le cyprès ; il y rôde une odeur de Bois sacré... M. Pierre Quillard écrit dnr8h!i'... »
On doit également k Pierre Quillard plusieurs otirrages Bavants, traduction d'oeuvres de Sophocle, de Porphyre, d'Hérondas.dc Clau- dius Aeliénus Prénestin, une étude sur la langue de Thoocrile dans Le» Syracusaines, ainsi que d'autres travaux se rattachant i ses préoccupations sociales et politiques. Pierre Quillard, en effet, s'est souvent mêlé aux événements de notre époque. Il a notam- ment pris le parti, en France, du peuple arménien opprimé par le gouvernement turc, et il a fondé dans ce but un petit journal de propagande ; pro Armenia. Il a également pris une part très active et très courageuse, aux côtés d'Emile Zola, dans une grande affaire qui passionna la France, il y a quelque» années . On doit admirer en lui un vrai poète, à qui l'art ne faisait pas oublier et négliger la vie.
Pierre Quillard, qui rédigea au Mercure de France la critique des Poèmes, a collaboré à La Pléiade, i" série, 1886, et v.« série, 1889, — à Wallonie, 1888-189», — aux Entretiens politiques et Littéraires. 1890, — à Floréal, 1892, — k Lm Révolte, aux Temps nouveaux, aux Droit de l'homme, k La Revue de Paris à La Revue blanche, à L'Aurore, à Pro Armenia et à Vers et Prose. Il est mort soudainement le i^févricr tgia.
Bibliographie :
Les oeuvres — L.n FJIIe aux mains coupées, poème dramatique, Paria,
édition tic La Pléiaile, 1S86, in-18. Réiinpr. : La Fille aux mains coupérg^ nprod. «ulograpliique du Ma. de l'aiileur. Paris, Soc. du Mercure de
PlKnni QUILLAIU»
t
France. 1893, in-8 (50 ex. sur papiiT do liixo). - l'iiule phon6ll(iue cl inor|)hulo()lciufl sur la lanoun «leThéocrltu dans les Syrucusaliie»^ en collaboralioii avec M. Marcel Collièrc. Paris, Crovillo, Moi'aiil et F'oucar^ 1888, iu-12. — La Gloire du Verbe, poème, 188J-18U0. Pari», Librairie de l'Art ludi^peiulant, 1890, iu-16. — L'Autre des Nymphes, de Porphyre, traduit par Pierre Quillard. Paris, Librairie de l'Art ludépendant, 1802, iu-16. — Les Lotlres rustiques de Caludius ifîliaims rréncstlu, traduite, du grec eu fraiiçaii, illustri''os d'uu Avant-propos et d'un Conmieiilaire latin. Paris, Soc. du Mercure de France, 18'Jb, petit in-12. — Le Livre ue Jam- Ml([ue sur les Mystères, traduit par Pierre Quillard. Paris, Librairie de
il Indi^pcndaut, 1895, in-16.— PhlloUtétés, de Sopiiocle. Paris, Fasquelle,
i', in- 18. — La Question d'Orient et la politique personnelle de .»i. Hauotuux (en collaboration avec le docteur L. Margcry). Paris, Stock, 1897, in-18. — L'Assassinat du Père Salvatore (en collaboration avec le chef A),'ba>si, de Zcitouu). Paris, Soc. du Mercure de Franco, 1897, in-18. — La Lyro héroïque et dolente (De Sable et d'Or. La Gloire du Verbe. L'Errante. La Fille aux mains coupées), poèiuea. Paris, Soc. du Mercure de ■"lauce, 1897, in-18. — Le .Monument Henry. Listes des Souscripteurs
^sés luc'tliodiguemeut et selon l'ordre alphabétique. Pans, Stock, 1899«
18. — l^es Mimes d'Ilérondas, trad. littérale aecompugnéa de uolea.
lis. Soc. du .Mercure de France, 1900, in-18.
Voy en outre une prél'aco aux Poèmes d'Arobag Tchoboui&n . Paris, Soo du Mercure do France, 1908, iu-18.
En puÉPARATion. — Loys, drame en vers, •
Thadui:tio.n. — Pastels in Prose, translated by Stuart Merrill, New- York, llarper et Brothers, 1890.
A CONSULTER. — K. do Gourmoiit : Le Livre des Masques. Paris, Soc. du Mercure de France, 1896, ia-18. — A.-F. Herold : Pierre Quillard, notice publiée dans Les Portraits du prochain siècle, Paris, Girard, 1894, in-18. — 4. Iluret : Enquéle sur l'Evolution littéraire. Paria, ChArpcniier, 1891, in-18.— E. Vlgi^Lecouq : La l'oi'.sie contemporaine. Paris, Soc. du Mercure do Franco. n>'J7, iu-18. — Ch. Maiirras : Hevue UtO'raire. Revue Kucyclo- pédique, Il janvier 18U8. — L. Mulhleld : Chronique de lu littérature. *<ievue blanche, 1" juin 1895. — Saiut-Pol-Roux : La Uloira du Verbe,
r Pierre Quillard. Mercure de France, Uwnu 1881.
Iconographie :
G. Dnrbour : Aquarelle, 1893 (Kxi)Osition des Portraits du prochaèa ticcie, 1893), reproduite dans la lieuue Encyclopédique, 15 novembre 1893).
LK DIEU MORT
A André Fontainoi.
Une étoile, une seule étoile. O funérailles
Royales! solitude où la gloire mourait
Sur un hùclier perdu derrière la forêt,
A l'ticart des drapeaux, du glaive et des ijatailles.
9d poÈTxs d'aujourd'hui
Le héros s'en allait sans pourpre, enseveli Dans une soie éleinte et dans les tresses rousses Des captives et des amantes: lèvres douces Et voraces, vous qui buviez le sang pâli,
Vers quels baisers souriez- vous ? Vers (|uelles fête» Sonne déjà l'appel de vos chants oublieux? Ah, mensongères! pour des larmes en vos yeux, Il fallait l'apparat de célèbres défaites
Et l'horreur des clairons déchirant le ciel noir. Pour tordre avec des cris de pleureuses louées Vos corps, mimes en deuil sous le vol des nuées, Parmi la rouge odeur des torches dans le soir.
Mais nul regard viril n'a, du haut des murailles. Avidement cueilli la fleur de vos bras nus : Vous avez fui. Le roi ne s'éveillera plus. Une étoile, une seule étoile. O funérailles. • {La Lyre héroïque ei dolente.),
RUINES
A Maarice Nicolit,
L'illustre ville meurt à l'ombre de ses murs ; L'herbe victorieuse a reconquis la plaine ; Les chapiteaux brisés saignent de raisins mûrs.
Le barbare enroulé dans sa cape de laine
Qui paît de l'aube au soir ses chevreaux outrageux
Foufe sans frissonner l'orgueil du sol hellène.
Ni le soleil oblique au flanc des monts neigeux, Ni l'aurore dorant les cimes embrumées Ne réveillent en lui la mémoire des dieux.
Ils dorment à jamais dans leurs urnes fermées
Et quand le buffle vil insulte insolc-uiment La porte triomphale où passaient des armées,
Piinn* QuiLLARD g5
Nul ;,Haive de héros apparu ne défend Le porche dévasté par l'hiver et l'aulomne Dans l« tragi(iuc deuil de son écroulement.
Le sombre lierre a clos la gueule de Gorgone.
{Ln Lyre héroïque et doltnlt.)
I/AUTOMNK A DENUDE...
L'automne a dénudé les glèbes et le soir, Un soir d'exil ot de mains di'sunics. S'approche à l'horizon des plaines infinies, Roi dévolu de pourpre et spolié d'espoir.
O marcheur aux pieds nus et las qui viens t'asscoir Sans compagnon, parmi les laudes défleuries. Près des eaux morues, quelles mêmes agonies Alourdissent ton front vers ce triste miroir ?
.le le sais, tout se meurt dans ton âme d'automne. Laisse la nuit prendre les fleurs qu'elle moisoune Et l'amour défaillant d'un cœur ensanglanté,
Pour (ju'après le sommeil et les ombres fidèles Les clairons triomphaux de l'aube et de l'été Fassent surgir enfin les roses inmior telles.
(La Lyre héroïque et dolent».)
PSYCHÉ
'etite âmi, Psyché mélancolique, dors. /s d'aurore surgi des heures ténébreuses, •^s bras souples et frais et tes lèvres heureuses it rajeuni mon cœur et réjoui mon corps.
Kt tu m'ds cru, petite âme blanche et fiarouche, Tel que ton désir vierge encore me voulait Pendant tes longs baisers de miel pur et de lait, Tant que l'ombre a menti comme mentait ma boucht.
gd POfiTEs d'aujourd'hui
Nulle parole et nulle étreinte et nul baiser, N'ont trahi la douleur secrète du cilice ; Mais éveillée avec l'aube révélatrice Tu frémissais. Psyché fragile, à te briser,
Si le jour dessillant ta paupière sereine Au lieu du doux vainqueur que rêvait ton émoi Te décelait mes poings crispés même vers toi Et mes yeux éperdus de colère et de haine ;
Car je te hais de tout ton amour, ô Psyché, Pour les jours à venir et les futures heures Et les perfides flots de larmes et de leurres Qui jailliront un jour de ton "être caché.
Mais avant que la nuit divine m'abandonne. Avec le dur métal des gouffres sidéraux Je forgerai le masque amoureux d'un héros, Rieur comme l'Avril, grave comme l'Automne ;
Mort vivant sur les lèvres mortes d'un vivant. Le masque couvrira ma face convulsée ; Et maintenant que l'aube éclate ! O fiancée Chez qui la femme, hélas ! va survivre à l'enfani.
Eveille-toi, rouvre ta bouche qui s'est tue, Tu n'entendras de moi que paroles d'orgueil Et je me dresse sous les morsures du deuil Lauré d'or et pareil à ma propre statue.
(La Lyre héroïque et dolenU,
CHRYSARION
Sur cette mer toujours déserte, où nos yeux vains S'égaraient dans l'ennui des solitudes mornes. Le navire, aux clameurs des conques et des cornes. Fleurit avec l'aurore éclatante ; et tu vins.
Apportant le parfum des terres étrangères. Le rellet des soleils morts parmi tes cheveux
I pour les cœurs lassés, graves et dédaii^ncux i enchantement de quelques heures plus Icgcres.
Trop de désirs déçus et d'espoirs abusés Hantent notre mémoire et sao^lolcut eu elle : Nous n'avons pas tendu Vers t;i chair fraternelle Nos lèvrcB dès longtemps déprises des baisers .
Mais les heures passaient douces comme la soie Eu vêtements tramés de soleil et de nuit, Danseuse au collier d'or qui fulgure et s'enfuit, Amante triste et grave ea marche vers la joie.
Et vous qui regardiez des astres abolis.
Visages inquiets ivres du vieux mensonge
O faces de stu[)eur, d'extases et de songe
Sur qui l'ombre clémente est tombée à longs plis;
Puis la dernière ; et ce fut toi-même, inclinée A la poupe et semant des roses dans le soir AHn que la i^-^aiôre et le sillage noir S'illustrassent encor d'une pourpre fanée
Et que la sombre mer sourît à nos yeux vams.
{La Lyre héroïque «t dolente.)
L'ERRANTE
rHAOMKMT
DE GUEULES
Dans la mélancolique demeure où les murs s'émerveillaient de sa beauté, saluée par les figures amies des lices, irradiant l'eau ternie des miroirs, I'ërhante est entrée blanche et nue.
Elle n'a point refusé ses lèvres et les rouges floraisons de la joie ont lleuri iuipérieuseiiient, par la vibrante offrande de son corps à I'Hommb éveillé d'un Inn:::;^ rêve.
11 a plongé dans les coffrets de bronze ses mains fiévreuses
g8 POÈTES d'aujourd'hui
et prodigues, et l'armure d'or et les brocarts et les gemmes et le glaive ont échappé aux chaînes noires des ténèbres.
Sur les seins et sur les épaules de I'Eurante, tous les tré- sors enfouis dans le sépulcre du silence depuis des siècles, des ans et des jours, resplendissent avec l'aurore.
Au seuil matinal de la porle, elle se dresse en sa rol)e de pourpre qui recèle sous le sang figé de la soie, avec la cotte de mailles, l'irréprochable acier du glaive.
Pensive, elle s'est retournée vers I'Hommb qui fait un geste d'adieu, et, comme hésitante et retenue par la puissance d'une main invisible, elle tarde à franchir le seuil.
L'ERRANTE
Je* le sais : mo« destin m'entraîne et tu le veux. J'irai. Je dois offrir aux chocs tumultueux, Dès le premier appel de l'aube avant-cotrrrière. Ma poitrine héroïque et libre de guerrière ; Et mon poing brandira le glaive désormais. Je le sais : mais l'exil sombre où tu t'enfermais S'illumine pour toi de ma chair apparue, Et radieuse encor, même absente, j'olj-itrue Les portes de la nuit que tu heurtais déjà. Ami, dont ma venue importune outragea Le manoir de silence et d'ombre inviolée. Pardonne, pour ton deuil de solitude emblée, A l'Errante qui part, chaude de tes baisers.
L'HOMME
Va : le soleil bondit dans les cieux embrasés ;
C'est l'heure, il faut franchir le seuil et vers les villes
Te ruer en clamant aux oreilles serviles
Tout ce que les toiùbeaux t'oût livré de secrets.
Viens et regarde : là de houleuses forêts Où les pasteurs de porcs se vautrent dans les bauges; Puis des plaines, rumeurs des blés, parfum des sauges^ Et les paysaas nus courbes sous les siUoua
viuma QuiLLAno 99
A jamais ; et plus loin des foules ea haillonB,
Troupeaux lâches que tu mueras en fauves liardes.
Tournent vers le palais des prunelles hagardes
Et des poings décharnés par l'immuable faim
Sans que la torche encor s'enflamme dans leur maio.
Ce qui fut moi naguère et richesse stérile Et dépouille des temps silencieux rutile Autour de ton front jeune et de (es seins altierg : Voici venir un vol de cygnes cployés. Le vol tardif et sûr des prophétiques ailes Qui m'invite au sommeil des ondes éternelles.
Va : la chair que la mort heureuse requérait S'évanouit parmi les choses, sans regret, Maintenant que tu m'as affranchi de moi-même Et que tu peux, maîtresse enfin du double emblème, Descendre vers les serfs de la glèbe et des murs Et, selon le vouloir des trois monstres obscurs. Tendre le rameau d'or ou férir de l'épée.
L'Homme disparaît $ous Us eaux immobiles, sous les «aux ip* ifi- ses où ue palpite aucune lueur. L'EnnANiK contcujpie louj^uement le lac d'ombre monolone, puis marche, «uréolée par la gloire tl.j malin, vers les plaines et vers \m villes orientales, taudis (]ue ea voix dans la solitude chante les batailles futures.
l'errantb
Homme, revis en moi. Dans ma dextre crispée Je serre puissamment le pommeau froid du glaive Et si le monstre ancien se rebelle et se lève, Je rougirai le sol de sa tête coupée,
Moi, celle qui connaît les suprêmes paroles Et toute la douleur avec toute la joie ; ^^ Je chasserai le loup et l'hyène de proie
Que les dragons jaloux gardaient des mains humaines Afin que le parfum des roses inconnues.
foAtks d'aujourd'hui
Epars farouchement sous la voûte des nues. Suscite dans les cœurs les désirs et les haines,
Je viens à vous, frères penchés sur les emblaves. Attelés à la meule au fond de l'erg'astulc ; Mon verbe lacérant l'antique crépuscule Souffle une âme de pourpre à vos âmes d'esclave»
Redressez- vous ; sarclez les herbes parasites : Lancez contre le ciel les pierres de vos (jcùles, Et que les murs vaincus, par vos fortes épaules. Vous ouvrent le jardin des terres interdites
Où, plus belles, des fleurs de r^ve vont éclore En butin triomphal pour les races vénérées, Tandis que le sang vil des bêtes ég'orgées Se mêle par mon glaive au san£^ pur de l'aurore.
(IjQ Lyre héroïque et dolent»»)
LE CHÈVRE-PIEDS
Sous cette roche en pleurs où dort la femme nue. Nuage d'aube éparse en la menteuse nuit. Le chèvre-pieds regarde à travers l'eau qui flue Les lointaines maisons de labeur et de bruit.
Les tristes paysans se penchent vers la glèbe Pour un baiser de serfs et de jaloux amants Dont la bouche haineuse évoque de l'Erèbe L'or f«tur des çpis et des riches froments.
Avares de moissons qui fatiguent les grange».
Ils méprisent l'aurore et les soleils couchants
Et leur oreille est close aux paroles étranges
Qui montent des taillis, des sources et des champs;
Et la charrue, avec les jours et les années. Impitoyable au deuil des bois mystérieux, Offense la beauté des forets profanées Dû rôdaient librement les fauves et les dieux.
rilRKK QUILLARD fOf
Mîiis le Sylvain Riirvil h la sylve nbattiifi;
îhtns l'Hiitrc <Ticor voilé de feiiillntrc, sn cliair
Immortelle, k travers les sitcles, perpétue
Le grand frisson d'amour qui fait tressaillir l'air;
Kl dans les flancs d'une passante solitaire
H sème au chant des eaux et des rameaux flottAnts
Des fils aventureux Affranchis de la terre
En qui bout la jeunesse héroïque des temps.
{La Lyre héroïque et dolente.)
FLAMMES
Parmi les Acres fleurs des lauriers, cette voix Evoratrice en nous de gloire révolue Emanait de la mer, du soir et d'autrefois :
c Enfants tristes penchés vers l'ombre, l'ombre afflue Et monte jusqu'à vos lèvres avec les Hots Dont vous enivriez votre âme irrésolue.
La séculaire nuit opprime vos yeux clos, Enfants tristes, et vos poitrines lacérées Se gonflent lâchement de stériles sanççlots.
Si votre bouche a soif des aubes emprouprëes
Et du sang lumineux qui sacre le malin.
Quel sortilège encor vous attrait aux vesprées?
D'un geste, dans la nuit, décisif et hautain.
Reniez le poison des ondes léthéennes
Et marchez sans retour vers un autre destin. »
Frënétiques, hors des ténèbres anciennes.
Nous avons fait jaillir, dans le ciel morne et noir,
Une farouche aurore à la cime des chênes.
Et, dociles au cri de désir et d'espoir, Nous respirons les roses roue^es de la joie. Depuis que, déjouant les embûches du soir.
POÈTES d'aujourd'hui
La torche avec l'épée à notre poing flamboie.
{La Lyre héroïque et dolente ■]
JOUVENCE
Tu parles tristement des campagnos lointaines D'une voix si dolente et lourde de régirais Que je deviens jaloux des fleurs et des forêts Et des saules d'argent penchés vers les fontaines.
Souvenirs ! jours anciens ! comme vous enserrez Notre âme prisonnière en d'invincibles chaînes : Tu veux, comme aatrefois, baigner les sombres chênes Au clair de lune blond de tes cheveux cendrés.
Soit ! l'été revenu parmi les hautes herbes. Nous marcherons, frôlés parvles ailes de l'air, Au murmure divin des choses et ta chair Mêle4>a des parfums de Chypre aujç foins en gerbes.
Et peut-être qu'un soir entre de rudes draps Embaumés de lavande et dans un lit d'auberge. Tu me rendras ta chair et tes lèvres de vierge Pour quelque amour d'enfant dont tu te souviendras.
(La Lyre héroïque et dolente.)
UEP
Quand sur l'eau changeante De rose et d'ar^ient Treml^lait l'ombre bleue Des peupliers blancs,
Dans le soir perfide J'ai cueilli des fleurs. Et sous les épines Je saigne et je pleure.
Et mon cœur frissonne, En se souvenant.
PIXRRI QUILLARO 103
Comme l'eau chnngeante De rose et d'argent.
LA ROUTE DE THÈSES
Œdipa» toçuitar.
Arbres amis, la paix tombe de vos ramures.
Ailleurs, le vent Fatal éveille les murmures Des chAnes ; l'eau sinistre a le goût de la mort : Ici le jour sourit sur les foqtaines pures Et mon cœur se détend du meurtre et de l'effort.
Le dieu mentait par la bouche de la prêtresse.
Voix funèbres, chœur d'épouvante et de détresse; 0 stupides corbeaux qu'offusque le malin, Vos cris n'ont pu tromper ni vaincre ma jeunesse; Je me suis évadé de mon mauvais destin.
Cependant des chevaux se cabraient vers les ombref ,
Leur galop, dirigé par des étoiles sombres. Me repoussait déjà du côté de la nuit ; Parmi récrouleaient des roches en décombres Leurs naseaux me brûlaient le front : je n'ai pas fbL
Mon bras n'a pas failli ; la lumière m'éooute ,
Le sang p&Ie de l'homme a coulé goutte à goutte; Au carrefour des rocs et du triple ravin, J'ai tué l'inconnu qui me barrait la route, Complice contre moi du mensonge divin.
Joyeusement, je marche aux rencontres Aiturea.
Arbres, adieu ; adieu, chant des fontaines pareaj Je ne redoute rien des hommes ni du sort, Et si le dieu jamais redevient le plus fort. Sur mon front las et sur mes prunelles obscures Puisse la même paix s'épaudre des ramures.
ERNEST RAYNAUD 4864
M. Ernest-Gàbriel-Nicoltii Raynand est né à Parisle aa février i8fi4, lar'giiedocien par son prre et ardennais par sa mère. Il fil ses t^tudes au lycée Gharlemapiie. Tourné de très bonne heure vers les lettres, il était encore lycéen qu'il écrivait déjà des vers. Il avait élu comme maître Paul Verlaine, preuve d'un tfoût sûr autant que libre, si l'on songe qu'un jeune homme se tourne d'ordinaire plutôt ver» les talents consacrés et célèbres. Un jour il lui adressa des vers, que l'auteur de Sagesse remit à Lutèce, où ils furent publiés et bientôt suivis d'autres. Ce furent les débuts de M. Ernest Raynaud et sa pre- mière collaboration aux revues littéraires. Dans Lutèce, M. Ernest Raynaud publia, en même temps que des vers, des études et des fantaisies, une petite série de poèmes en ])rose : L6 Carnet d'an Décadent, où s« montrait déjà très sûrement sa personnalité, faite d'émotion et d'ironie. Le Décadent, fondé par M. Anatole Baju M. Ernest Raynaud y collabora ensuite de façon assidue, le rédi- geant presque entier à lui seul, sous les pseudonymes les plus divers, notamment celui du Général Boulanger, du nom duquel il signa des sonnets dont toute la presse de l'époque s'occupa, et celui d'Arthur Rimbaud, pour des pastiches qui trompèrent les meilleurs connais- seurs de l'auteur du Bateaa ivre. M. Ernest Raynaud s'est fait ainsi une petit place parmi les mystiScateiirs littéraires, rôle où il faut autant de talent que d'ingéniosité. En 1887, M.Ernest Raynaud fit paraître son prenaier recueil : Le Signe, où J.-K. Hiiysmans admirait « des pièces Traiment belles, celle de la pauvreté, surtout, où la tristesse des dimanches embêtés, sans le sou, sans le désir de lire, se déployait avec une belle âcreté, et, dans un ^enre autre, Les Trianons, dont la grâce fardée était tout exquise. » Le Signe fut suivi en 1889 de Chairs Profanes, el en 1890 des Cornes da Fanne, dont toute la critique fut unanime à louer le profond sentiment poéti- que et la subtilité d'es[>rit. A la fin de 1889, M. Ernest Raynaud prit part, avec MM. Albert Aurier, Jean Court, Louis Denise, Edouard
IMflflT IlATIfAtm io5
Dnhnn, Louînnnmnr.Jalipn LeHerrq,JnIe9 Renard, Albrrt Samaïn et Alfred \ allrtte, - «nxqiifl^ devait ▼»'iiir «e joindra hirnlAt M. Kcniy deGonrmonl, — aux réunions pn'paratoircsA la {on(l»i\nn da Mercar-i de France, dont le premier numéro parut dnns les derniers jours do décembre, portant la d.Te de janvier 1890. An cours de sa collaho- ralion à cette revue, M. Ernest Rnynaud y a publié de nombreux poèmes, qu'on retrouve pour I.1 plupart dans ses livres, des pa^ex de critique dramatique et lilt''raire, et des notices et <les porir;iit>; littéraires. L'Ecole Romane fond''e, cette m"'*me année iHgr», par M. Jean Morc.'is, M. F>iiest Kaynaud fut é;çalemetit de ce t^roupe, avec MM. Maurice du Plessys, Raymond de I^a Tailhéde et Chnrli s Mauri'us, comme on l'a dnjà vu pn-cédemmcnt. Il pulilia pour sa contribution au mouvement roman Le Rncaffi, paru en iHyS, et qui contenait, au dire d'un critique, le meilleur de l'inspiration du trroupe, faite d'archaïsme et de rhétorique plutôt que de vraie Ren>;i- bilité. Deux autres volumes parus depuis, La Tour d'Ivoire, en \^\)'j, ci La Conrimne des Joars,tn igo5, d'une inspiration plus humaine et plus diverse, où des tableaux parisiens voisinent avec des impres- sions de voyatres et de pures notations de rêveries avec des exalta- tions philo'ioiihiques, complètent aujourd'hui l'oeuvre portique de M.Ernest Raynand. Entre temps, M. KrnestRaynaud fonda, en if)00, chez l'éditeur Clerget, une petite revue : /,« Sagittaire, qui dura un peu plus d'une année. Il y publia des articles de critique, des comptes- rendus de Salons, et notamment /^es Joi/eusetés d'Aimé Passereau, une trentaine de pièces malicieuses et satiriques.
M. Krnest Raynaud est l'un des administrateurs de La Société des Poètes français, dont il a été, au début, le vice-président. Il a collaboré A Lalèce,atn Décadent, ru Mercure de France, h. f.a Plume, au Sagittaire, au Penseur, k La Revue da Bien,k La Jeune Cham^ pagne, k L'Occident, k Verset Prose.
M. Ernest Raynaud a mené de front la carrière administrative et
I carrière des lettres. D'abord secrétaire du commissariat de La bapelle, puis officier de paix, il fut iu)mmc commissaire de police 1 quartier Saint-Lambert, d'où il passa, en 1899, à celai de Nec- jr, et, en 1907, à celui de Plaisance. Bibliographie :
Lks OKDTiuts.— Le Signe, poésies. Paris.aAaDXeddmit »,1887, in-IS (Réitn- prcMJon : l.e Signe, nnuoellr édition r^nte et auijmi'alée de ptv^intru po^- me nouveaux. Paris, lîibliothèquo artistique et littéraire, 18'.'7, in-lR). — Chairs profane», |)0.''sies. Pari», Snnier, 1889, in-l8. ~ Les «ornes An Fnuno, pni^-iios. Paris, Bibliol!ii''(pi»! artist. ri littéraire, 1890, pptit in-18 (kvcc un porir. de l'aulour d'aprf's iiu docum. pIiotoirrapliiqiK». Tiniï'i de lum
roft ppiTFB d'aujouiid'hui
& polit nombre). — Noce bourfieolse, un acte en prose [en collaboratkm avec l/'on Riotor] reprfsonlé au « Théâtre Electritpie » (salle de la Bodi- ni.'^re), le 19 novembre 1892. Paris, IJibl. artisl. et litlc^r., 1892, in-16. — L.e Bocage, poésies. Paris, Bibliolliêque artist. el litltSr., 189b, in-18. — La 'Jour divoire, poésies. Paris, Biblioth. artist. et littér., 1899, in-18. — La Couronne des Jours, poésies. Paris, Soc. du Mercure de France, 1905, in-18.
En préparation : Germania,t impressions rapportées d'une excursion k tra- vers le pays et la littérature allemande ».
A CONSULTER. — W.- G.-C. Byvanck : Un Bollandais d Paris. Paris, Perrin, 1892, iii-18.— Fernand Clerget : Littérateur! et artitles. Ernctt Maynaud. Pari';, Bibliotbèqvie de l'Association, 1905, in-18. (Portr. de l'au- teur d'aprts le tableau de Schûtz-Robert).
Anatole Baju : [Ernest Ilaynaud]. La Plume, 1890. — Louis De»- flrauges : Ernest Raynaud. Le Sagittaire, juin 1900.— Edouard Dubus ; Les Cornes du Faune. Mercure de France, fév. 1891. — Ernest Raynaud : L'Ecole romane française, Mercure de France, mai 1895. — Laurent TaiUiade : [Ernest Raynaud]. L'Aurore, 16 avril 1903. — P;iul Ver- laine : [Ernest Raynaud], Courrier français, 25 août 1894.
Iconographid :
Brenner : Médaillon, bronze (Munich, Sécession, 1906). — F. -A. Ga- zais : Croquis à la plume, reprod. dans La Plume du 15 sept. 1890. — Aristide CuUet : Buste, bronze (Salon de» Artistes Français, 1900). -.tt Edg. Fiild» : Portrait, peinture à l'huile, 1900.— Schiitz liobert : Portrait aufuiatn (Expos, de • la Ruche », 1904), repr. au tôle do l'ouvrage de Fernand Clerget : Ernest Raynaud, etc., 1905. — Jules Valadon : Portrait, peinture à l'huile, 1899. — James Vlbert : Ruste (gi*s flammé de Massier), 1901. (Toutes ces œuvres appartiennent au poète.)
Voir en outre un portrait en héliogravure en I6(e d'une étude dn Taiissera, (Reims, Malot-Braine, 1896) et diverses reproductions photographiques dans La Revue Phocéenne (Mare^eille, 1900). Le Sagittaire (jvàu 1900) ol La Revue littéraire, etc. (janvier 1905).
VERSAILLES
I
Le soir, où traîne éparse au vent l'âme des roses, Baiîçue d'or le feuillage et les lointains flottants ; Le Faîte du palais s'éclaire de feux i-oses, Un vitre frappée en a frémi longtemps.
La Gloire fatiguée du marbré se repose, Mais troublant le silence, il semble par instants, ' Qu'à travers les massifs où pleure quelque chose, Un long sanglot d'adieu s'élève des étangs.
M
■KNWOT BATMAfln IO7
Tant de pompe étalée à l'oiubrc dtî la feuille, Par ce lent crépuscule, humblement se recueille. La dernière lueur.agonise aux vitraux.
Et l'importune nuit, hâtant l'œuvre du lierre, Des eaux venue, efface, en montant sur la pierre> L'image de la Grâce et le nom des héros.
II
Au premier carrefour où finit la charmille, S'atlrisle infiniment le marbre du bassin, Et l'onde s'en est toute échappée à dessein, Laissant à nu le fond rose de la coquille.
L'herbe y pousse, suivant un fantasque dessin. Aux pierres, lentement disjointes, la morille. Se gonfle succulente à la façon d'un sein, Et la reine des prés s'y mêle à la jonquille.
A distendre sa gueule, eu vain, le mascaron S'essouffle, il n'en peut rien tirer que le siknce Et de là vient l'ennui qui lui ride le front.
Mais Zéphyre imitant, pour lui plaire, la voix Des eaux dont il s'efforce à réparer l'absence, Eveille un bruit de boule en l'épaisseur des bois*
m
L'air est tiède. Un soleil joyeux joue à travers Les vieux ormes touffus, et, la tête inclinée, La déesse regarde à ses seins découverts, Une dentelle d'or et d'ombre promenée.
Sur son épaule nue ont pleuré tant d'hivers, Que, par endroits, sa pierre en est tout écornée. Sa cuisse lutte en vain contre une herbe obstinés^ Sa guirlande effondrée emplit les gazons verts.
Mais les fleurs, que le vent mêle à sa chevelurt^
io8 POÈTES d'aujouivo'bui
I4& bruit des nids, le Irais pariuni de la ramure, Le soleil, la chausou de l'eau sur les graviers,
Tout s'emploie à lui faire oublier son doinniage
Et, coinnie pour loi rendre un plus sensible hommage.
Deux pigeons amoureux se baisent à ses pieds.
IV
Avec les panneaux blancs qui portent sur leur face
Les armes de l'Amour et les jeux d'Apollon, Ce qui reste aujourd'hui de l'antique salon Tressaille au bruit d'un pas désert sur la terrasse.
Une forme indécise a bougé dans la glace, Une ombre a remué à l'angle du plafond, Et la dauphine assise a relevé le front Vers la haute fenêtre où le £aune grimace.
Dans le grand lustre une étincelle a pétillé.
L'cpinctte a gémi, le plancher a crié,
Un coup de vent venu de la porte entr'ouverte
A dispersé la cendre éparse d'autrefois,
Et pj-ès des longs rideaux que baigne une ombre verte.
Ou dirait que quelqu'un s'est plaint à demi voix.
(Le Signe.)
LE RETOUR
Je t'ai rerue, ô douce ville, après dix ans D'absence, et j'ai revu tes bruissants ombrages, Où j'ébattais ma vie avec ceux de mon âge. Libre du noir souci que je porte à présent.
IjCS amis que n'a pas dispersés quelque orage N'oiïrent à mon retour que des soins ucgligenls, Mais du moins je retrouve agréable visage Aux choses qui n'ont pas la cruauté des gens.
L'allée où l'Orne s'enfle et soudain diminue
BRNKST RAYNAUD IO9
Au gré de la marée, emmêlant sous les nues
Ses branches, toujours m'offre un paisible chemin.
La feuillce y palpite encore sous la brise, Et, parfois, se levant de la nuit indécise. Un vieux rêve oublié me vient prendre la main.
(L* Signe.)
ÉLÉGIE
Ce morceau de jardin qui rit sous mes volets
S'attendrit au printemps: de lilas violets,
Et l'ombre d'un platane, où l'aise m'est donnée
D'aller cueillir le frais au plus chaud des journées.
Le marbre n'y court point en rampe aux escaliers,
Nul fruit d'abeilles d'or n'y tonne aux espaliers.
L'image des héros au bronze ne s'y fixe.
Non plus n'y luit de vase où l'émail à l'onyx
Se marie, et chez qui toute une flore abonde,
Rassemblée à grands frais des quatre coins du monde.
C'est assez que ma main entremêle aux œillets
Des roses, comme Horace à Pœstum en cueillait.
Si le lys n'y balance une tige hautaine,
La capucine y croît, dont j'ai semé la graine.
Et l'humble violette, apportée autrefois
Par l'enfant qui voulait que je la mène au bois.
Si, comme ailleurs, 'au long de droites promenades,
On n'y est point suivi du lourd bruit des cascades,
Du moins, ce petit coin de verdure me plaît
Mieux que les somptueux domaines des palais.
Car son ombre du Docte Apollon est bénie
Et les Muses chez lui tiennent leur compagnie.
Quand dévale, la nuit, la pluie ample aux graviers.
On dirait d'un galop soudain de chèvre-pieds ;
L'herbe, au matin foulée, atteste le passage
De l'espiègle Sylvain, du Silène peu sage,
La fleur cueillie indique un nocturne larcin
De Napée attentive à s'embellir le sein.
Les Dieux n'out-ils toujours cent façons imprévue*
tïÔ POÈtK» d'aujourd'hui
De faire que letir gloire éclate à notre vue I 3'sA souvent éprouvé que, sous mes arbrisseaux, Calliope, empruntant la forme des oiseaux. Pour moi seul saisissable à sa douce nmsique. Chantait, mêlée à mes colombes domesliques.
{Le Bocage.)
LA. MATINÉE CHAMPÊTRE
J'ai fait claquer les deux volets contre le mur ; Aussitôt le jardin, tout bourdonnant de fleurs. Est entré dans ma chambre avec un frais murmure D'eau vive, et ce qu'il a de lumière et de fleurs.
L'herbe, sous la poussière, étincelle de pleurs. Pas un nuage, au ciel, n'en interrompt l'azur ; Les coteaux, sur qui tiaîuc une molle vapeur, Frémissent au soleil d'un bel or déjà mûr.
La servante, au milieu des verts carrés de buis. Se remue en sabots et fait grincer le puits. Tout le poulailler piaille et le chaume roucoule,
La bêche matinale est active aux penchants. L'arbre remue, un oiseau passe, une eau s'écoule, Et j'aspire la bonne odeur qui vient des champs.
{La Tour d'Ivoire.)
LE FAUNK
Je fus longtemps un Faune assis sous le feuillage. Parmi des fleurs, au fond d'un parc abandonné, Où j'épiais, de mon œil de marbre étonné. Le vol d'un écureuil espiègle ou d'un nuage ;
Un Musée à présent me lient lieu de bocage,
Et j'ai, pour tout rappel des champs où je suis né,
Le peu de ciel que la fenêtre me ménage
Et dpny brins dr liîfis dont rOOix socle est oraé.
■RNKST nXYNAUO
L'Exil rend plus vivace en moi TOtre mémoire. Oiseaux ! qui dans le creux de ma main veniez boire Ce (|u'uae aube imbrifère y délaissait de pleurs 1
Ici, j'ai les saluls d'un peuple qui m'adore Et les soins de valets dont tout l'habit se dore. Mais mon cœur est resté là-bas parmi les fleurs 1
(Les Cornes du Faune.)
BRUGES
Chose espagnole abandonnée en pleine Flandre, Kstuaire inutile oublié par la mer, D'un dieu supplicié obstinée à t'cprcndre. Ta voix depuis mille ans répète le même air.
Les blasons de Bourgogne et d'Autriche, à travers Les siècles, de lem* gloire ont composé ta cendre ; Et c'est d'un écu fier qu'un jour on vit descendre Le cygne consacré sur tes canaux déserts.
Je sais ton béguinage et tes quais familière. Et ta rue endormie où, tout mélancolique, Parfois passe un bonnet à poils de grenadier.
A l'ombre du beffroi qui le marque les heures.
Tu languis, oubliée ainsi qu'une relique.
Dans ta châsse d'eau morte et de saules en fleurs...
(La Couronne des Jours.)
il
MUSES 1 JE CROIS EN VOUS.
l Je crois en vous, recevez mes cantiques! Depuis que je suis né, je cultive le vœu De conquérir la Fleur qui |)are vos cheveux, Et de rompre le nœud qui ferme vos tuniques;
C'est de votre seul feu que. je suis consumé. Docile à vos leçons, je fais sonner récaille ;
POÈTES d'aujourd'hui
J'en atteste Minerve au beau casque emplumé,
Et Phœbus qui se cabre aux plafonds de Versailles I
Je vous atteste aussi, Pan, l'honneur des jardins. Naïades, jeunes dieux couronnés de guirlandes! Qu'un autre vous rejette à la nuit des légendes. Vous vivez I Je l'éprouve à mille émois soudains 1
Lorsqu'on flots bouillonnants l'orchestre se déchaîne, Votre Image s'y dresse à la crête, et je sens Que vous me visitez si, dans l'ombre incertaine, La lumière dessine une torse adolescent,
(La Couronne de» Jours.)
POÈTES OUBLIÉS 1...
Poètes oubliés ! poètes inconnus ! Noire foule innombrable où n'atteint pas la gloire. Ma main vous cherche au long des quais tristes et nus, Et vous réclame, avide, aux verrous des armoires .
J'en suis récompensé lorsqu'un beau vers soudain Rencontré me salue en sonnant sa fanfare, Et jf sens tout l'orgueil de celui qui répare, A la face des Dieux, l'injure du Destin.
O roses que l'Ennui triste a décolorées, O lauriers languissants résignés à mourir. Que de fois, sous ma lampe, au déclin des soirées. Une larme de moi vous a fait refleurir !
(La Couronne des Jours.)
IlLNni DE RÉGNIER
Le premier et le plus célèbre des* poètei d'aujourd'hui », M. Henri- François dp HcÉÇiiier est né à Hontlciir ((Calvados), le a8 décembre 1864. l'u côli' paternel, sa famille est originaire de la Thiérache, petit pays dépendant auircfois de la Province de Picardie, et qui forme aujourd'hui une partie du département de l'Aisne. Kn ifiSS, un Cres- piii de Héifiiicr était seit^iieur de Viçueux en Thiérache. Capitaine d'une Couipa^nie de cinquante hommes d'artnes, il servit sous le duc de Munillon et le maréchal de Balaj^ciy, durant les guerres de la Ligne, et é|ioiiKa, en i58g, Yolaine de Fay d'Aliiies, fille de Charles de Fay d'Athics, l'un des (]ent Gentilshommes de la Maison du Hoi. S<in pflit-fils. Charleî de Régnier, également seigneur de Vigneux (itiaS-iCBO), fut maintenu en sa no'olesse en 1667 et en sa qualité d't'iuyer. On trouve encore : François de Régnier (iGyS 1763), Lieu- tonaiit-coloiicl du Régiment de Touraine, Brigadier des armées du Roi, Chevalier de Saiul-Louis. lUn rotiian de M. de Régnier, Ld Bon Plaisir, qui se passe au temps oii il vécut, lui est dédié, ainsi qu'à SCS deux femmes, Anne de Hi'zecque» et Marie de Pastoureau.) Gabriel-François de Mégnier (1708-1701), Brigadier des Chevau- légcrs de la Garde ordinaire du Roi, Chevalier de Saint-Louis. II fut le père de François de Régnier (i745-i8a5). Capitaine au Régi- ment de Royal-dragons, Chevalier d<! Sainl-Lo.iis, qui émigra et servit à l'armée des Princes. Son fils, Menri-Charles-François de Régnier (1789-1875) — le grand'pere de M. de Régnier — rentra eu France en 1 80a et fut fait, en i8a6. Chevalier de 1h Légior. d'honneur. Enfin, Henri-Charles de Régnier (1820 i><f)3) le père du poète.
Le blason des Régnier, tel que le décrit l'Armoriai général de d'Hozier de i6!)7. Province de Picardie, généralité de Soissons, est : d'or au sautoir de gueules cantonné de quatre merlettes de sable.
Du côté uiaternti, l.i famille de M. de Régnier est originaire de la Bourgogne, et remonte à Yves du Bard, qui vécut à la lin du XTi* siècle. II fut le pèrede Phihppe du Dard, qui eut pour fils Frau-
1 14 POÈTES d'aujoukd'hui
çois du Bard. Le fils de cp dernier, Antoioe du Rard, épousa, en iGGa, Marie de Sauinaisede Chasans, arrière-pelite-nièce du célèbre érudit Claude de Sauinaise et de Charlolle de Sauinaise, comtesse de Brégy, dame d'honnenr de la Reine Anne d'Autriche, qui a laissé des Lettres et des Poésies et fut une « précieuse » de marque. Ce mariaisçe apporta à Antoine du Bard les terres de Chasans, Ter- nant et Curlcy, dont ses descendants portèrent les noms. Il en na- quit Marc-Antoine du Bard de (Chasans, dont le fils, Bénigne du Bnrd de Chasans, conseiller au Parlement de Dijon, fut le père d'Alexandre-Anne du Bard de Curley (17O5-1849). On arrive alors à Alexandre du Bard de Curley (i8o5!874/>gi'and'père maternel de M. de Régnier, et qui épousa, en i83a, Mademoiselle de Guiller- min (i).
M. Henri de Régnier passa à Honfleur une partie de son enfance. Dans un petit volume qui a pour titre Le Trèjle blanc, au chapitre intitulé: La Côte Verte, il a noté quelques-unes des impressions qui lui sont restées de ses premières années. En 1871, sa famille vint à Paris, et en 1874 il entra au Coilèj;e Stanislas. Bachelier en i883, il fit ensuite son droit, pour satisfaire aux désirs de sa fa- mille, qui voulaitqu'il eût un métier, puis passa l'examen des Affai- res étrangères. An collège, il avait déjà commencé à écrire des vers, sans aucun dessein, comme une chose naturelle. Les premiers qu'il eut d'imprimés le furent dans Lutèce, où il débuta en i885, et il y a des vers de collège dans son premier recueil, Les Lendemains, publié la même année à la librairie Vanier, En 1886, il publia à la même librairie un deuxième recueil : Apaisement.
M. de Régnier vivait alors très retiré. Le seul écrivain qu'il con- nût était Sully Prudhomme. Il avait lu et lisait beaucoup Hujço. Il lisait aussi Baudelaire, Vigny, Mallarmé, et les sonnets de José Maria de Hercdia, épars dans les revues et que les lettrés collec- tionnaient. Son ai deur poéti(]tie ne l'occupait pas tout entier. Un autre côté de son esprit le portait vers les livres d'analyse, les ro- mans, les mémoires, tout ce qui peint la vie et les hommes. « J'ét.iis double, en quelque sorte, explique-t-il à ce sujet; symboliste et réa- liste, aimant à la fois les symboles et les anecdotes, un vers de Mallarmé et une pensée de Ghamfort, » Seulement, le besoin poé- tique fat longtemps le plus fort en lui. Il comprenait aussi qu'on n'écrit guère de romans valables à vingt ans, qu'il est nécessaire d'avoir un peu vécu, et il attendait. Son œuvre poétique avancée, il songea davantage au roman. 11 écrivit alors ses contes; Contes à soi-même, La Canne de Jaspe, qui lui furent une transition, oa
(1) Extrait de //('liri de Régnier. Collection des Célébrités d'aujourd'hui. Paris, Sansut. 1904.
Hirmi Di hAgnibr ii5
apprentisMçe. On peut d'aillfurs se rendra compte du trarail de son esprit comme romancier. L>«n« La Double Maîtresse, le poète des Poèinrs anciens et romanesques se sent encore à chaque pag;c. On le retrouve moins dans Le finn plaisir. On ne le retrouve pre8(iuc plus dans Le Mariage de Minait. Dans Les Vacances d'an jeane homme sage, il n'y a déjà plus que le romancier.
La réputation de M. Ilenri de Rc^jçnier s'établit de bonne heure chez les lettrés. Un de» promoteurs les plus en Tue du mouvement littéraire appelé symboliste, il n'est pour ainsi dire pss une dea revues, tant françHises que belges, suscitées par ce mouvement, où il n'ait écrit. Bientôt connu des mattres, il fréquenta chez Leconte de Lisle, et fut aussi, selon les justes expressions de M. Francis Vieil' tJrirfm, qu'il faut égniement compter parmi eux, de « ces jeunfs hommes qui, guidés par leur seule foi dans l'Art, s'en furent chercher Verlaine au fond dp la (-onr Saint-François, blottie sous le chemin de fer de Vinreniies, pour l'escorter de leurs acclama- tions vers la gloire haute que donne l'élite; qui montèrent, chaque semaine, la rue de Uome, porter l'hommage de leur respect et de leur dévouement à Stéphane Mallarmé haïUainemçnt isole dan» son rêve ; qui entourèrent Léon Dierx d'une déférence sans défaillance et firent à Villiers de l'isle Adam, courbé par la vie, une couronne de leurs enthousiasmes ».
Après Les Lendemains et Apaisement, M. de Régnier publia Sites, en 1887, et Episodes, en 1888, deux recueils où sa personnalité commençait à apparaître C'est toutefois dans les Poèmes anciens et romanesques, publiés en 1890, qu'elle se ma îifesta vraiment pour la première fois, et ce n'est pas trop dire que lui seul pouvait écrire le» vers de ce recueil, comme presque tous les poèmes qu'il a écrits depuis. C'est dans les Poèmes anciens et romanesques que M. de Régnier commença à se servir du vers libre, soit pour le mêler à des alexandrins, soit pour écrire des pièces entières. On en a dit, de ce vers libre employé par lui, qu'il n'est qu'un alexan- drin morcelé, et il Test souvent, en effet. M. de Régnier n'en a pas moins écrit, avec ce vers libre, des poèmes remarquables au plus haut point par leur harmonie mystérieuse, pleine de nuances, de langueur et de fluidité.
Tel qu'en songe suivit les Poèmes anciens et romanesques, en 1893. C'est dans ce recueil (jue se trouve le poème La Gardienne représenté au Théâtre de l'Œuvre en 1894. Il est écrit en vers libres et en alexandrins. C'est un drame à personnages emblématiques plein de morceaux sonores, dune longue coulée, et dans lequel M. de Régnier à fait revivre la grande période à rimes plates, délaissée depuis Hugo et Leconte de Lisle.
Ed 18^3, parut la première oeuvre en prose de M. de Régnier,
, ,6 POÈTES d'aujourd'hui
Conte* à soi-même. Le style de ces contes est fort lofn du style aisé et rapide que M. de Régnier montre aujourd'hui dans ses romans. C'est au contraire une prose savante, solennelle, guindée même, et même aussi un peu difficile, et dans laquelle on retrouve tout le poète, avec ses mots préférés. Un nouveau recueil de contes : Le Trèfle noir, suivit, en 1895. C'est dans ce livre que commence, tant par le style que par le choix des sujets, le changement dont nous avons parlé plus haut, surtout dans le conte intitulé Hermocrate ou le récit qu'on m'a fait de ses funérailles. Le style est plus net, il y a moins de recherche dans les mots, et plus de vie dans le sujet. Quelques années plus tard, en 1897, M. de Régnier joindra les contes du Trèfle noir k huit contes nouveaux et. les publiera ensemble sous le titre : La Canne de Jaspe. Il sera alors tout pré- paré pour écrire ses romans. M. d'Amercœur, Le Voyage à l'Ile de Cordic, Le Siffle de la Clef et de la Croix, La Maison magni- fique (ce sont quelques-uns des huit nouveaux contes joints à ceux du Trèfle noir) pourraient, à peu de chose près, par le style et par le sujet, être des chapitres de La Double Mattres^se.
En i8g5, M. de Régnier publia .une nouvelle série. de poèmes, Aréthuse, d'une aussi grande importance dans son œuvre que les Poèmes anciens et romanesques, publiés avant, et que Les Jeux rustiques et divins, publiés ensuite. Aréthuse est divisée en trois parties : Flûtes d'Avril et de Septembre, L'Homme et La Sirène, F lûtes d'Avril et de Septembre, \si première et la troisième écrites en alexandrins, la deuxième en vers libres. On ne saurait vraiment choisir dans ce volume. Toutes les pièces en sont également belles par la pensée, parla rêverie, par les paysages tendres, tristes et profonds qu'elles suggèrent. Les mots, les constructions poétiques qu'affectionne M. de Régnier, les mélancoliques contrastes entre l'été et l'automne, la nymphe et le faune, la tristesse et la joie, le regret et le désir, s'y trouvenjt assemblés dans une harmonie sans cesse plus pénétrante, et des vers qu'on ne peut oublier.
On retrouve Aréthuse dans Les Jeux rustiques et divins, publiés en 1897, et qui contenaient quatre séries de nouveaux poèmes. C'est dans Les Jeux rustiques et divins que se trouve Le Vase, qui est peut-être le chef-d'œuvre de M. Henri de Régnier, et sûrement l'un des plus beaux poèmes de la poésie actuelle. Il s'y trouve aussi une série de petits poèmes, sous le titre d'Odelettes, — nous avons donné deux exemples dans notre choix, — d'une souplesse de rythme et d'une douceur incomparables.
C'est après Les Jeux rustiques et divins que se place le premier roman de M. de Régnier, La Double Maîtresse, paru en 1900. 11 fut suivi la même année d'un nouveau livre de poèmes. Les Médail- lés d'Argile. Les Médailles d'Argile sont dédiées à la mémoire
RRNIM DE l\Anr4III\ II7
J'Andr^ Chénier, qui fut un igr&nA nrufin' pour M. de Rfgnirr. On Irouvfi dans ce volume iincsi'rie de sonnets, Leg l'axsanls du Pansé, un peu dans le itcoitt des sonuets de José Maria de Hcrcdia, et r>ù il semble que M. de lAi'tçiiier ail voulu se di'iasser, s'amuser. On en prit mf'me prélexle pour avancer qu'il commençait à revenir aux formes pocUi()ues tradiliunncllfs, les uns entendant lui faire ainsi un coinplimonl, les autrra un reproche. C'était tenir peu compte de certains autres poèmes des Médailles A'Argil*, où se retrouve bien, avec toute sa personnalité, le poète d'Aréthuse et du V'ate.
La Cité dfs Eau.c, publiée en igos, lire son titre d'une série de lonnels sur Versailles,
O Versailles, Cité des Eaux, Jardin des Hois l que M. de irtf'pnier écrivit pour servir de commentaires à des dessins de RI. Helleu. Ils sont suivis d'autres poème» où M. de Répuli-r a montré un nouvel aspect de son talent. Par exemple, la pièce intiluli'e La Lune Jaune, qu'on trouvera dans noire choix, d'une couleur et d'une émotion tout à fait sing^ulièrrs. Les sonnets de Ln Cité des Eaux sont dédiés k José Maria de Ileredia, et un des poèmes «jui suivent, Marsyns, écrit en vers libres, à la mémoire de Stéphane Mallarmé. José Maria deHeredia el Stéphane Mallarmé sont certainement les deux poètes qui ont eu le plus d'influence sur M. de Répnier, le premier avec Les Trophées, le second avec L'Après-midi d'un Faune. On trouve aussi dans ce volume cer- tains poèmes qu'on ne peut lire sans s'y arrêter, à cause de la pensée dont ils sont pleins. Le poète a accomfili une grande partie de son œuvre. 11 s'arrête un moment, et se retourne vers sa jeunesse, pr< sque dans un Reste d'adifu. Il y a' lA une songerie, une émotion auxquelles on ne peut résister.
La Sandale ailée, publiée en 1907, est i ce jour le dernier volume de vers de .^L de llégnier. Le chanifement marf[ué dans les poèmes dont nous venons de p.'ïrler, — l'abandon du décor pour l'expres- sion directe des sentiments, — y est encore plus sensible. Les piè- ces que nous en avons extraites rcaseigueront d'ailleurs mieux qu'aucune appréciation. Ce n'est pas trop dire que La Voix. Le Reproche el L'A cca«i7, parmi plusieurs autres poèmes d'égale valeur, peuvent Cire mis au rang des plus beaux de leur auteur.
Les romans de M. de Régnier sont aujourd'hui au nombre de sept. La Double Maîtresse, Le Bon Plaisir, L'-s Rencontres de M. de Bréot, se passent auxvii" et au xvui* siècle. Le Mariage de Minuit, Les Vacances d'un jeune homme sage. Le Passé Vivant t\. La Peur de l'Amour sont des romans modernes. La première im- pression qu'on retire de ce» livres est celle d'un écrivain pour qui écrire doit être un véritable plaisir. Tout y est clair, f.i; ils el orné,
Il8 poixRS d'aujouud'hui
avec un grand pittoresque, un ton indulgent et amusé, même dans les traits satiriques, qui y abondent. Les personnai^f-s, divers au possible, sont des gens aimables, curieux d'aspect, de mœurs et de manières, qui intéressent tout de suite, et qu'on aime à revoir (]c sont les romans d'un observateur, pleins de traits pris à des gens d'aujourd'hui, et il n'estpas jusqu'au libertinage souvent très vit' que l'fluleur y répand qui n'ajoute à leur agrément.
On a également de M. de Régnier un recueil de nouvelles : Les Amants singuliers, deux voluines d'éuules liuéraires et d'articles : Figures et Caractères et Sujets et Paysages, une comédie en prose : Les Scrupules de Sganarelle, où l'on retrouve dans leur caractère traditionnel quelques-uns des personnasres de notre vieux thp/5tre, et un reru'^il d»; ron'-s : Conlrnr rf'i trmns.
M. de Régnier a épousé en 1896 Mademoîselle Marie de Heredîa, deuxième fille de l'auteur des Trophées, il est Ol'ticier de la Légion d'honneur et membre de l'Académie française (élu en 191 1, récept. 18 janvier igia). 11 a fait en tgoo des conférences en Amérique sur le mouvement poétique français. Il a collaboré aux revues et jour- naux suivants: Luièce (i 885- 1886); Le Scapin, La Wallonie (1882- 1892), poèmes et note* critiques ; c'est dans le numéro de janvier 189a de celte revue que parut pour la permière fois le poème : La Gardienne; La Jeune Belgique; La Revue Indépendante, 3« série (1886), 4« série (1889); Les Écrits pour l'Art (1886); La Pléiade, a« série (i88g) ; La Vogue, a» série ( 1889) ; Les Entretiens politiques et littéraires (1890-1898); La Conque (1891); l/Ermitage (1891- 1890 et 1898); La Revue Blanche (1891 1897); Floréal {i^gi); L'Idée moderne (1894/; L'Art littéraire {i8g!i) \ Mercure de France (1894 à i8g8, igoi, igoa, 1907); Le Livre des Légendes (1895); Le Centaure {1896); L'Aube (1896) ; Écho de Paris (18961898); L'Image (i^gS); Le Gaulois (1898-1908); Revue des Deux Mondes, Revue de Paris (1897-1908); La Foyutf, nouvelle série (1899;; Joo-''' nal (igoo-igoa); La Renaissance latine (igoo-igoSj; Figaro illui- tré (février igo4); Vers et Prose, etc., etc.
Bibliographie :
Les ceuvres. — Leudemains, poésies. Paris, Vanier, 1885, in-18. (Réimprimé dans le recueil : Premiers Poèmes. Paris, Soc. du Mercure de France, 1899, iu-i8). — Apaisement, poésies. Paris, Vanier, 1886, in-18. (Réinipr. : Premiers Poèmes. Paris, Soc. du Mercure de France, 1899, in-18). — Sites, iioèmes. Paris, Vanier, 1887, in-18. (Réimpr. : Premiers Poèmes. Paris, Soc. du Mercure de France, 1899, in-18). — Episodes, poèmes. Paris, Vanier, 1888, in-18. (Kéirapv. : Premiers Poèmes. Paris, Soc. du Mercure de France, 1809, in-18). — Poèmes anciena et romanes- ques, 1887-1898. Paris, Librairie de l'Art Indépendant, tSOO, petit in-t,
rbnui ok nioifiin iiQ
(Réimprimé dan» le recueil : Poèmes, li81-IS9i. Pari» Soc. du Mercure de Franco, 18'J5, iu-l8). — EpisodOR, KU<?8 ot Sonnets, poAmpfi. Pnri», Vanior, 1891, in-18. (Réiropr. : Premiers Poi^mcs. Pari», Soc. du Mercure du France, 1805, in-lR.) — Tel qu'en Songe, poftme. Paris, Librairie de l'Art Inili5pondant, 1892, polil in-8. (Ri'impr. : Poi'mcs, IB81-IS9i. J'aris, Soc. du Mercure do Franco, 1898, in-18). — Contes h sol-inêine, prose. Paris, I.ilirairie de l'Art Imli''pendant, 189*, petit in-8. (Réimpr, : La Canne de Jaspe. P.iris, Soc, du Mercure de France, 1897, in-18 ; Trois Contes d soi-même. Miniatures do Maurice Ray, gravides par A. Bertrand. Paris, pour le» Cent Bibliopliiles, 1907, in-8).— Le Bosquet (le Psyché, prose. Bruxel- les, Lacomblci, 1894, petit in-8. [220 ex. nuraôroti^s). (Réimprimé dans l'ou- vrago suivant: Figures et caractères. Paris, Soc. du Mercure de France, 1901, in-18). — Le Trèfle noir, prose. Paris, Soc. du Mercure do France, 1895, petit in-18. (Rôimpr. dans La Canne de Jaspe, ibid., 1897, in-18), — Aréthuse, poèmes. Paris, Librairie do l'Art Indépendant, 1895, petit in-8. (Réimpr. dans le recueil, f^cs Jeux rustiques, elc. Paris, Soc. du Mercure do France, 1897, in-18). — Poômes, 1887-18»2 {Poèmes anciens et romanesques. Tel qu'en songe). Paris, Soc. du Mercure de France, 1895, in-18. — Les Jeux rustiques et divins (Aréthuse. Les Hameaux de la flûte. Inscriptions pour les Treize Portes de la Ville. La Corbeille des Heures. Poèmes divers). Paris, Soc. de Mercure do France, 1897, in-18. — La Canne de Jaspe [M. d'Amercœur. Le Trèfle noir. Contes à soi-même), contes. Paris, Soc. du Mercure de France, 1897, in-18. — Premiers Poème» (Les Lendemains, Apaisement. Sites. Episodes. Sonnets. Poésies diverses). Paris, Soc. du Mercure de France, 1899, in-18. — Le Trèfle blanc, prose. Paris, Soc. du Mercure do France, 1899, petit in-18. (Réimpr. dans Couleur du Temps. Paris, Soc. du Mercure de France, 1908, in-18). — La Double Maîtresse, roman. Paris, Soc. du Mercure de France, 1900, in-18. — Les Médailles d'Arfllle, poèmes. Paris, Soc. du Mercure do France, 1900, in-8. — Flflures et Caractères {Michelet. Alfred de Vigny. Hugo. Stéphane Mallarmé. Le liosquet de Psyché, etc., etc.). Paris, Soc. du Mercure deFrance, 1901, iu-18. — Les Amants singuliers, nouvelle» (La Femme de marbre. Le Rival. La courte vie de Ba'thasar Aldramin «(?ni7ien). Paris, Soc. du Mercure do France, 1901. in-18. — Le Bon Plaisir, roman [suivi d'un ingénieux pastiche qui termine le roman : Eclaircisse- ments tirés des Mémoires de M, de Collarceaux]. Paris, Soc. du Mercure de France, 1902, in-18. (Réimpr. : Le Bon /'laisir, 55 illustr. de Georges (Con- rad. Paris, Fayard, 1908, in-8). — La Cité des Eaux, poèmcf. Pari», Soc. du Mercure de France, 1902, in-18. — Le Mariage do Minuit, roman contemporain. Paris, Soc. du Mercure de France, 1903, in-18. — Les Vacan- ces d'un |eune homme sage, roman. Paris, Soc. du Mercure de France, 1903, in-18. (Réimpr. : Les Vacances d'un jeune homme sage, ill. de M. Lecoultre. Paris, Fayard, 1908, in 8). — Les Rencontres de M. do Bréot, roman. Pari», Soc. du Mercure do France, 1904, in-18. — Le Passt vivant, romixn moderne. Paris, Soc. du Mercure do France, 1905, in-18. — La Sandale allée (1903-1905). Paris, Soc. du Mercure de France, 1906, in-18. — Sujets et Paysage» [critiquel. Paris, Soc. du Mercure d« France, 1906, in-18. — Esquiosos vAnilInnnes, ill. de Maxime Dothomas. Paris, Collection de» l'Art di'-poratif» 1906, in-4. — L'Amour et le Plal- flr, histoire galante. P»ri», Barné»'**» *V)6, iii-8 (Réimpr. dans Couleur du
PORTES d'aujourd'hui
Temps. Paris, Soc. du Mercuro de France, 1908, iii-18), ~ La Peur de l'Amour, roman. Paris, Soc. du Mercure de France, 1907, in-18. — Trois contes à soi-même. [Le sixième mariage de /larhe-Bleue ; Ze Récit de la Dame des sept Miroirs. Le Heurtoir vivant."] Miniatures de Maurice Ray. gravées par A. Bertrand. Paris, pour les Cent Bibliophiles (130 ex. num. publiés par )es soins d'Eug. Rodrigues), 1907, in-8. — Les Scrupules de Snanarolle [comédie en 3 actes et en prose]. Paris, Soc. du Mercure de France, 1908, in-18. — Couleur du Temps [Ze Trèfle blanc. L'Amour et le Plaisir. Tiburce et ses amis. Conte* pour les Treize}. Paris, Soc. du Mercure de France, 1908, in-18.
Voir en outre l'album : Les Péchés capitaux, eaux-fortes par Henri Detouche. Paris, Boudet, 1900,iii-8. — L'Almanach des l'oètes, années, 1896 et 1897, pet, in-8.
Préfaces. — I^ Jeune fille de la mer, roman par René de Saint- Chéron. Paris, Stock, 1908, in-18, et La Commertia, sertlcl sonettl In linguafranceso del Slgnor Giovanni- Luigl Vaudoyer {con un proemio del Signor Enrico de Régnier, In Venezia, Neila Stamp. Emiliana, 1908, gr. in-4.
Poèmes mis en musique: — Des poésies de : M. Henri de Régnier ont été mises en musique par MM. Barbirolli, Bardac, H. Busser, l.éon Delafosse, Th. Dubois, Gabriel Fauré, G. Fleury, R. Hahn, Mailiot, Miquol. Ravel, Albert Roussel, etc.
A CONSULTER, — André Beaunler : La Poétie nouvelle. Paris, Soc. du Mercure de France, 1902, in-18. — Léon Blum : En lisant. Réflexions Kritiques. Paris, Soc. d'éd, littér., 1906, in-18.— Gaston Boissier : Rap- port du Secrétaire perpétuel de V Académie française sur les concours de l'année IS99- Académie française. Séance publique annuelle du jeudi 23 nov. 1879. — Adolphe Urisson : Pointes sèches. Paris, A. Colin, 1898, in-18.— Gaston Deschamps : La Vie et le» Livres, 3* série. Paris, A. Colin, 1806, in-18.— René Doumic : Les Jeunes. Paris, Perrin, 1896, in-18. — Pierre Fons : L'Ame iMtine. Nos Maître». Toulouse [L'Ame LaliueJ, 1903, in-8 : Le Réveil de Pallas. Paris, Sausot, 1906, in-18. — Remy de Gourmoat ; Le Livre des Masques. I^aris, ^oc. du Mercuro de France, 1806, in-18 ; Pro- menade» littéraires . I. Paris, Soc. da Mercure de»Franco. 1901, in-18. — Fernand Gregli : Jm Fenêtre ouverte. Paris, Fas(|uelle, 1901, in-18. — Jean de Gourmoot : /Jenri de Régnier et toncsuvre, avec un poit. cl. un autogr.(Biyiogr. par Ad. van Eever). Paris, Soc. du Mercure de France, 1908, in-18. — Juleslluret: Enquête sur l'Evolution littéraire. Paris, Char- pentier, 1901, in-18.— Bernard Lazare : Figures contemporaines. Paris, Perrin, 1895, in-18. — Paul Léautaud : Henri de Régnier, biogr. précé- dée d'un portr. illustr. et aulogr., suivie d'opinions et d'une bibliographie par Ad. [van] B[ever]. Paris, Sansol, 1904, in-18. — Georges Lo Cardouuel el Ch. Vellay : La Littérature contemporaine (1905|. Opinion des écrivains de ce temps. Paris, Soc. du Mercure de France, 1906, in-18. — Camille Mauclatr : Henri -de Régnier, Portraits du prochain siècle. Paris, Girard, 1894, in-18. — Albert Mockol : Propos de littérature. Paris, Librairie de l'Art Indépendant, 1894, in-8. — Georges l'elllssier : Etude de littéra- ture contemporaine. Paris, Perrin, 1898, in-18 ; Etudes de littérature et de morale contethporaine. Paris, Perrin, 1903, iii-18. — Robert de Souza : La Poésie populaire et le Lyrisme tentimental. Paris, Soc. du Mercure de
HENRI DR nAamin tu
Pranee, 4609, tn-18. — V. Thompson : French Portrait», «le., Boston, Ri- chanl, G. BadRcr et C», 1000, in-8. — K. VIolé-Lecocq : La Poi'sie eon- temyiirainc, 18S4-1890. Paris, Soc. du Mor<!iir« di; Friiiicn, 1897, in-18. — ThAoaorde Wyzewa : Nos Maîtres. Paris, Perriii, 1805, in-18. — Emll Killiacua : Den Nyare franska Poetin oeh anliken. Helsingfors, Aklie- bolai^i-t llandoUtryckoriet, 1005, iii-8.
PhuI Ailain : A<! Génie latin. Rntreticns politiques et litt6r., 10 d£n., 1893. — tleurl Chaiitavolno : J/. ffiuiri de iléi/uier ; Le Trèfle noir. An' thune, Jouriiat dos Dif^biits, 2t> avril 1803; M. Henri de ftéijnier. Les Mé- dailles d'Arijile. Journal des Dc'bats, Î8 février 1900. — Uastou I»e«- cliHinps : Le poète Henri de liéijnier, Le Temps, 14 mars 1807 ; Le Culte d'André Chénier. Lo Temps, 11 ^vrier 1900. — Comte Harry do Kess- 1er : Beriri de Régnier. Berlin, « Pan » 1, *, 1806. — MsrliiB-Ary Leblond : Henri de Régnier et la Critique décorative. Mercure de France, mars 1902. — Jules Lemaltre : La Semaine drinnatii/ue. Thédti'e de l'Œu- vre. La Gardienne de M. Henri de Régnier, Journal des l)<''bats, 24 juin 1804. — <;harle8 Maurrna : Littérature. Revue encyclopàdiipie, 7 août 1807; Revue littéraire, Revue encyclopédique, 17 mars 1000. — Fr. Von 0|)pelii Broiilkowskl : Zur Dichlkunat Henri's de Ref/nicr. Rorlin, Die (ii-scllscliaft, n" lu, 1808 (avec un portrait et des tradurlions). — Pierre et l'aul : Henri de Régnier. Les Hommes d'aujourd'hui, n» 342. Paris, Vanier, s. d. — Pierre Quillard : Henri de Régnier. Mercure do France, juin 1902. — A. Sorel : Le Poète et le romnacier chez H. de Régnier, La Renaissance lAtino, 15 juin 1004. — E. Vlglô-Lecocft : T^'Amour dans la Poésie contemporaine. Mercure de France, janv. 1807. — Tancrède de Visan : Sur l'Œuvre d'Henri de Régnier. Vers et Prose, juin-août 1905.
Iconographie :
Henry Bataille: Lithographie (Têtes et Pensées. Paris, OUendorfT, 1901, in-4). — J.-E. Blancbe : Peinture 1888, (nppart. à M. H. do Képiier); Peinture, ISOO (appart. à M. H. do Rf^gnicr) ; Porti-ait à l'aquarelle, »vlt un CT^omplaire du Trèfle noir, 1805 (Bibliotlifcijue d'Kdnioud do Concourt). — 'l'héo VanKysselberghe ■ Lithographie, WJl, reproduite dans Pan. Ber- lin, 1808. — Ltiqiio : Portrait-charge, Les Hommes d'aujourd'hui, n» 342. Paris, Vanier. — F. Vallotton : Masque, dans Le Livre des Masques, de R. do Oourniont. Paris, Soc. du Mercure de Franco, 1806, et dans French Portrait», deV. Thompson. Boston, Richard, G. Badger et C», 1900
SCÈNE AU CRÉPUSCULE La Nuit monte trop vite et ton espoir eut vain,
JOSÉ- MARIA DK KEnSDIA.
En allant vers la Ville où l'on chante aux terrasses Sous les arbres en Heurs comme des bouquets de fiancées, En allant vers la Ville où le pavé des places
12* poèrxfl d'aujourd'hui
Vibre au soir rose et bleu d'un silence de danses lassées, Nous avons rencontre les filles de la plaine Qui s'en venaient à la fontaine, Qui s'en venaient à perdre haleine. Et nous avons passé.
La douceur des ciels clairs vivait en leurs yeux tristes,
Le.î oiseaux du matin chantaient en leurs voix douces.
Oh si douces avec leurs yeux de bonne route
Et si tendres avec leurs voix de colonibes indicatrices !
Elles s'assirent pour nous voir, tristes et sages.
Leurs mains jointes semblaient garder leurs cœurs en cage.
Les ballerines ont croisé nos chemins
Et nous avons suivi leurs fards, leurs rires, leurs tambourin»
Pour les perdre un soir d'ombre au détour du chemin...
Nous allons vers la Ville où l'on chante aux terrasses Sous les arbres en fleurs chercher les Fiancées, O cloiîhes d'allégresse au silence des places. Les clochers tremblent comme des fleurs balancées I
Nos espoirs entreront par les portes ouvertes
En vols de papillons légers aux vastes ailes,
Avec les hirondelles
Qui s'en viennent inertes.
Lasses d'avoir passé et repassé les mers.
Et vers les angles noirs et sur les pavés clairs
Nos espoirs voletteront en ombres joyeuses
Comme des pétales de fleurs merveilleuses
Que pleut le soir d'avril aux tresses des fileuses.
{Poèmes, i88j-i8ga : Poèmes anciens et romanesques.^
EXERGUE
Au carrefour des routes de la foret, un soir, Parmi le vent, avec mon ombre, un soir, Las de la cendre des ûtres et des années.
HBNRI DB niONIEn is3
rnccrlaln des heures prédestinées, Je vins m'asscoir.
Les routes s'en allaient vers les jours
Et j'aurais pu aller avec elles eiicor,
Et toujours,
Vers des terres, des eaux et des songes, toujours
Jusques au jour
Où, de ses mains magiques et patientes, la Mort
Aurait fermé mes yeux du sceau de sa fleur de paix et d'or.
Route des chênes hauts et de la solitude.
Ta pierre âpre est mauvaise aux lassitudes,
Tes cailloux durs aux pieds lassés,
Et j'y verrais saigner le sang de mon passé,
A chaque pas.
Et tes chênes hautains grondent dans le vent rude
Et je suis las.
Roule des bouleaux clairs qui s'effeuillent et tremblent
Paies comme la honte de tes passants pâles
Qui s'égarent en tes fanges tenaces.
Et vont ensemble.
Et se détournent pour ne pas se voir face à face;
Route de boue et d'eau qui suinte,
Le vent à tes feuilles chuchote sa plainte.
Les grands marais d'argent, de lunes et de givre
Stagnent au crépuscule au bout de tes chemins
Et l'Ennui à qui veut te suivre
Lui prend la main.
Roule des frênes doux et des sables légers
Où le vent efface les pas et veut qu'on oublie
Et qu'on s'en aille ainsi qu'il s'en va d'arbre en arbre.
Tes fleurs de miel ont la couleur de l'or des sables.
Ta courbe est telle qu'on voit à peine où l'on dévie;
La ville où lu conduis est bonne aux étrangers
Et mes pas seraient doux sur le seuil de ses portes
S'ils n'étaient pas restés le long d'une autre vie
Où mes Espoirs en pleurs veilleijt (les Ombres mort«»,
ii4 PoiTEs d'aujourd'hui
Je n'irai pas vers vos chênes
Ni le long de vos bouleaux et de vos frênes
Et ni vers vos soleils, vos villes et vos eaux,
0 routes !
J'entends venir les pas de mon passé qui saigne.
Les pas que j'ai crus morts, hélas! et qui reviennent,
Et qui semblent me précéder en vos échos,
O routes,
Toi la facile, toi la honteuse, toi la hautaine,
Et j'écoute
Le vent, compagnon de mes courses vaines,
Qui marche et pleure sous les chênes.
O mon âme, le soir est triste sur hier, O mon âme, le soir est morne sur demain, O mon âme, le soir est grave sur toi-même !
{Poèmes, iSSj-iSga : Tel quen Songe.)
DISCOURS EN FACE DE LA NUIT
Parce que c'est le soir et que mes pieds sont nus D'avoir marché longtemps et d'être revenus, Je parlerai, debout et du fond de mon songe, Comme quelqu'un qui n'est plus là et se resonge En soi-même, non point ce qu'il n'a pas été Au fantôme de chair que sa vie a hanté, Mais ainsi qu'il fut tel en soi devant soi seul, Je parlerai, dans l'attitude du linceul Que tisse le passé autour de la stature Du passant funéraire et hautain sous sa bure Où se mêlent les fils du Temps et de la Nuit, Je parlerai étant à cette heure celui Devant qui le silence a haussé son miroir Et que la solitude orne du manteau noir.
0 magnifique et sépulcral, voici le seuil Dominateur ot les trois marches de l'orgueil Qui sont de bronze, de basalte et de porphyre.
HBNRI DB niONIKA 125
hh, taciturne avec le geste de se dire.
Mon Destin se retourne en face du passé
Vers l'ombre où, dans IVcho, mon pas s'est efïncé
Comme aux herbes des prés, comme au sable des plaines,
Avec l'aube qui rit aux larmes des fontaines,
Avec le soir qui pleure au rire des ruisseaux.
Je suis celui qui jette une pierre dans l'eau,
Je suis celui qui parle au bout de l'avenue,
Je peux cueillir enfin, digne de mes mains nues,
La fleur d'or qui disjoint les dalles du silence.
Et n'ayant plus l'épée et n'ayant plus la lance,
Ni l'arc courbe ou la flèche droite, ni le cri
Qui, dans la forêt sombre et le bois où fleurit
A côté de la ronce, hélas ! la rose en sanjç,
Suscitent, sous les pas danjçereux du passant,
Le froncement du mufle ou le croc de la face,
N'ayant plus que la voix mélancolique et basse
De quelqu'un qui n'est plus là-bas, mais se souvient
Du pays monstrueux et morne d'où il vient.
Je parlerai, debout en face du passé,
Et, dans son ombre grave et lourde où s'est tassé
L'aspect entin des lieux par où s'en vint mon Ame,
J'éveillerai les yeux de cendres ou de flammes
Qui luisent tout au fond de sa tragique nuit
Et dont le reflet mort sur mes songes a lui,
Jusqu'à ce que la pluie eût lavé ma mémoire
A travers qui courut le vent expiatoire.
Et je verrai peut-ôtre encor, dans la forêt
Qui, faite de ténèbre et de rêve, apparaît
En chacun au déclin de chaque crépuscule,
Le Centaure cabré qui hennit et recule
Devant l'Hydre irascible au flair de ses naseaux
Parmi la boue obèse et les sveltes roseaux
Que cassent, pour les joindre en flûtes maléfiques
Où s'échange, répond, alterne et se réplique
Une voix (]ui ricane à la voix qui glapit.
Le Satyre équivoque et le Faune accroupi.
126 POÈTES d'aujourd'hui
Mais non ! de ma hautaine et solitaire emphase Pourquoi troubler encor la honte de la vase Que ma tristesse sèche en ses ternes marais, Pourquoi provoquer l'ombre et l'antique forêt A faire .vers mes pieds ramper la basse ordure Du bestiaire où mon passé se configure En emblèmes, hcias ! qui, par la griffe et l'aile, Montrent obscurément que ma vie était telle. Et par l'ongle et le croc, le sabot et la dent. Attestent mon désir avoir été, pendant Des jours, hélas! des nuits, hélas! avoir été Leur semblable de ruse et de stupidité.
Vous viendriez du fond des antres à mon seuil. Que vous vous buteriez aux marches de l'orgueil Où je songe du haut de moi-même, ce soir. Je ne sais même pas si je pourrais vous voir Mordre ou lécher, écumes, larves, ô décombres. Le pan de mon manteau ou le bout de mon ombre, Car voici qu'une étoile à l'Occident a lui Et vous tous n'êtes déjà plus que de la Nuit,
La porte va rouler sur les doubles gonds d'or Et fermer son sommeil de bronze qui s'endort Sur celui qui voulait parler et qui s'est tu A jamais parce que son songe l'a vêtu D'un manteau de silence et de la robe noire De l'oubli, dont le pli fatidique se moire D'un reflet d'au delà du Styx et du Léthé, Parce qu'il n'est plus rien de ce qu'il a été.
Accueille donc, ô Mort, la palme que j'apporte,
Et puisses-tu sculpter au fronton de la porto
Un masque bestial qui ne sourira pas
Ni de ses lèvres mornes ni de ses yeux las,
Et où viendront hennir longuement, face à face.
Un A un, anxieux du masque qui s'efface,
Du masque fraternel qui les trouble aujourd'hui,
Les Centaures cabrés en fuite dans la Nuit.
{Poèmes, 1 887-1 8qa : Tel qu'en Songre.)
RtHKI DE néONfBR l*^
LA SAGESSE DE L'AMOUR
Avanf. d'être de ceux qui marchent vers la Nuit,
O toi qui fus l'enfant que sa jeunesse a fui
Et qui, grave, t'assieds déjà, debout hier,
Ecoute encore, avant les fifres de l'Hiver,
Les flûtes de l'Eté qui chantent dans rAulomne ;
L'heure tendre là bas enil)rasse l'heure bonne,
Et, quand le chant se lait, au loin, tu peux entendre
Ce (jue le bel Août dit au calme Septembre
Et ce que dit la joie à ta mélancolie.
Le fruit qui va mûrir avec sa branche plie ;
C'est de la brise, hélas! que sort lèvent farouche.
Mais la brise et le vent s'endorment bouche à bouche
Aujourd'hui et le bois est vert et le soir tombe.
Et les flûtes dans l'ombre appellent les colombes,
Et 1 Eté chante encore aux lèvres de l'Automne;
Le jour sera meilleur si l'aurore fut bonne ;
Le soir est plus charmant lorsque l'Ame est plus douce.
Le sourire fait une rose de la bouche;
La tresse dénouée est une chevelure ;
D'avoir été fontaine une eau reste plus pure.
Aime et que sur tes pas les étoiles aient lui
Quand tu seras de ceux qui marchent vers la Nuit.
{Les Jeux rustiqius et divins : Aréthuse.)
LE VASE
Mon marteau lourd sonnait dans l'air léger,
Je voyais la rivière et le verger,
La prairie et jusques au bois
Sous le ciel plus bleu d'heiire en heure.
Puis rose et mauve au crépuscule ;
Alors je me levais tout droit
Et m'étirais, heureux de la tâche des heures,
Gourd de m'être accroupi de l'aube au crépuscule
Devant le bloc de marbre où je taillais les pans
Du vase fruste encor que mon marteau pesant,
is8 poèTES d'aujourd'hui
Rythmant le matin clair et la bonne journée, Heurtait, joyeux d'être sonore en l'air léger 1
Le vase naissait dans la pierre façonnée.
Svelte et pur il avait grandi
Informe encore en sa sveltesse.
Et j'attendis.
Les mains oisives et inquiètes, ■
Pondant des jours, tournant la tête
A gauche, à droite, au moindre bruit,
Sans plus polir la panse ou lever le marteao»
L'eau
Coulait de la fontaine comme haletante.
Dans le silence
J'entendais, un à un, aux arbres du verci;'er,
Les fruits tomber de branche en branche ;
Je respirais un parfum messager
De fleurs lointaines sur le vent ;
Souvent,
Je croyais qu'on avait parlé bas,
Et, un jour que je rêvais — ne dormant pas —
J'entendis par delà les prés et la rivière
Chanter des flûtes...
Un jour, encor,
Entre les feuilles d'ocre et d'or
Du bois, je vis, avec ses jambes de poil jaune.
Danser un faune ;
Je l'aperçus aussi, une autre fois.
Sortir du bois
Le long de la route et s'asseoir sur une borne
Pour prendre un papillon à l'une de ses cornes.
Une autre fois.
Un centaure passa la rivière à la nage ;
L'eau ruisselait sur sa peau d'homme et son pelage ;
Il s'avança de quelques pas dans les roseaux,
Flaira le vent, hennit, repassa l'eau ;
Le lendemain, j'ai vu l'ongle de ses sabots
Maraué dans l'herbe...
HBNHI UB ivÉUMKli OQ
Des femmes nues
Passèrent en portant des paniers et des gerbes,
Très loin, tout au bout de la plaine.
Un matin, j'en trouvai trois à la fontaine
Dont l'une me parla. KUe était nue.
Elle me dit : Sculpte la pierre
Selon la forme de mon corps eu tes pensées.
Et fais sourire au bloc ma face claire ;
Kcoule autour de toi les heures dansées
Par mes sœurs dont la ronde se renoue.
Entrelacée,
Et tourne et chante et se dénoue.
Et je sentis sa bouche tiède sur ma joue.
Alors le vere:er vaste et le bois et la plaine
Tressaillirent d'un bruit étrange, et la fontaine
Coula plus vive avec un rire dans ses eaux ;
Les trois Nymphes debout auprès des trois roseaux
Se prirent par la main et dansèrent ; du bois
Les faunes roux sortaient par troupes, et dos voix
Chantèrent par delà les arbres du verger
Avec des fltUes en éveil dans l'air léger.
La terre retentit du galop des centaures ;
Il en venait du fond de l'horizon sonore.
Et l'on voyait, assis sur la croupe qui rue,
Tenant des ihyrses tors vi des outres ventrues.
Des satyres boiteux piqués par des abeilles.
Et les bouches de crin et les lèvres vermeilles
Se baisaient, et la ronde immense et frénétique.
Sabots lourds, pieds légers, toisons, croupes, tuniques.
Tournait éperdumcnt autour de moi qui, grave.
Au passage, sculptais aux flancs gonflés du vase
Le tourbillonnement des forces de la vie.
Du parfum exhalé de la terre mûrie
Une ivresse montait à travers mes pensées,
Et dans l'odeur des fruits et des grappes pressées,
Dans le choc des sabots et le heurt des talons.
En de fauves odeurs de boucs et d'étalons.
lâo POÂTBS d'aUJOUHD^HUI
Sous le vent de la ronde et la grêle des rires. Au marbre je taillais ce que j'entendais bruire; lit parmi la chair chaude et les effluves tièdes, Hennissement du mutle ou murmure des lèvres. Je sentais sur mes mains, amoureux ou farouches. Des souffles de naseaux ou des baisers de bouches.
Le crépuscule vint et je tournai la tête .
Mon ivresse était morte avec la tâche faite ;
Et sur son socle enfin, du pied jusques aux anses,
Le grand Vase se dressait nu dans le silence,
Et, sculptée en spirale à son marbre vivant,
La ronde dispersée et dont un faible vent
Apportait dans l'écho la rumeur disparue.
Tournait avec ses boucs, ses dieux, ses- femmes nues,
Ses centaures cabrés et ses faunes adroits,
Silencieusement autour delà paroi,
Tandis que, seul, parmi, à jamais, la nuit sombre,
Je maudissais l'aurore et je pleurais vers l'ombre.
{Les Jeux rustiques et divins .)
LE VISITEUR
La maison calme avec la clef à la serrure,
La table où les fruits doux et la coupe d'eau pure
Se miraient, côte à côte, en l'ébène profond ;
Les deux chemins qui vont tous deux vers l'horizon
Des collines derrière qui l'on sait la Mer,
Et tout ce qui m'a fait le rire simple et clair
De ceux qui n'ont jamais désiré d'autres choses
Qu'une fontaine bleue entre de hautes roses,
Qu'une grappe à leur vigue et qu'un soir à leur vie
Avec un peu de joie et de mélancolie
Et des jours ressemblant, heure à heure, à leurs jours,
J'ai compris tout cela quand je t'ai vu, Amour,
Entrer dans ma maison où t'attendait mon âme,
Et mordre les fruits mûrs de ta bouche de fenmie,
HKNHI OS RiGNIEIl l3l
Et boire l'eau limpide, etl'asscoir, et ployer Ta graude aile diviue aux picrrcH du foyer.
(Les Jeux rutliques ei diuins.
ELEGIE DOUBLE
Ami, le hibou pleure où venait la colombe,
Et ton sanpf souterrain a fleuri sur ta tomba,
Et mes yeux qui t'ont vu sont las d'avoir pleuré
L'inexorable absence où tu t'es retiré
Loin de mes bras pieux et de ma bouche triste.
Reviens I le doux jardin mystérieux l'invite
Et Ion pas sera doux à sa mélancolie;
Tu viendras, les pieds nus et la lace vieillie,
Peut-être, car la roule est longue qui ramène
De la rive du Styx à notre humble foîilaine
Qui pleure goutte à goutte et rit d'avoir pleuré.
Ta maison te regarde, ami 1 j'ai préparé
Sur le plateau d'argent, sur le plat(;au d'ébène,
La coupe de cristal et la coupe de frêne,
Les figues et le vin, le lait et les olives.
Et j'ai huilé les gonds de la porte d'une huile
Qui la fera s'ouvi-ir ainsi que pour une ombre ;
Mais je prendrai la lampe et par l'escalier sombre
Nous monterons tous deux en nous tenant la main ;
Puis, dans la chambre vaste où le songe divin
T'a ramené des bords du royaume oublieux.
Nous nous tiendrons debout, face à face, joyeux
De l'étrange douceur de rejoindre nos lèvres,
0 voyageur venu des roseaux de la grève
Que ne réveille pas l'aurore ni le vent I
Je t'ai tant aimé mort que tu seras vivant
Et j'aurai soin, n'ayant plus d'espoir ni d'attente,
De vider la clepsydre et d'éteindre la lampe.
— Laisse brûler la lampe et pleurer la clepsydre, Car le jardin autour de notre maison vide
iSs POÈTES d'aujourd'hui
Se fleurira de jeunes fleurs sans que reviennent
Mes lèvres pour reboire encore à la fontaine ;
Les baisers pour jamais meurent avec les bouches.
Laisse la Rgue mûre et les olives rousses ;
Hélas I les fruits sont bous aux lèvres qui sont chair.
Mais j'habite un royaume au delà de la Mer
Ténébreuse, et mon corps est cendre sous le marbre.
Je suis une Ombre, et si mon pas lent se hasarde
Au jardin d'autrefois et dans la maison noire
Où tu m'attends du fond de toute ta mémoire,
Tes chers bras ne pourront étreindre mon fantôme ;
Tu pleurerais le souvenir de ma chair d'homme,
A moins que, dans ton âme anxieuse et fidèle.
Tu m'attendes en rêve à la porte éternelle,
Me regardant venir à travers la nuit sombre,
Et que ton pur amour soit digne de mon ombre.
(Les Jevuc rustiques et divins.)
ODELETTE
Un petit roseau m'a suffi
Pour faire frémir l'herbe haute
Et tout le pré
Et les doux saules
Et le ruisseau qui chante aussi ;
Un petit roseau m'a suffi
A faire chanter la forêt.
Ceux qui passent l'ont entendu Au fond du soir, en leurs pensées Dans le silence et dans le vent. Clair ou perdu, Proche ou lointain. . . Ceux qui passent en leurs pensées Eli écoutant, au fond d'eux-mêmes L'entendront encore et l'entendent Toujours qui chante.
BKNRI DB niONIKM >33
n m'a suffi
De ce petit roseau cueilli,
A la fontaine où vint l'Amour
Mirer, un jour,
Sa face grave ^
Et qui pleurait.
Pour faire pleurer ceux qui pasnenl
Et trembler l'herbe et frémir l'eau ;
Et j'ai, du souffle d'un roseau.
Fait chanter toute la forât,
(Lta JeuiC rustiques tt divins.)
ODELETTE
Si j'ai parle
De mon amour, c'est à l'eau lente
Qui m'écoute quand je me penche
Sur elle; si j'ai parlé
De mon amour, c'est au vent
Qui rit el chuchote entre les branches ;
Si j'ai parlé de mon amour, c'est à l'oiseau
Qui passe et chante
Avec le vent;
Si j'ai parlé
C'est à l'écho.
Si j'ai aimé de grand amour,
Triste ou joyeux,
Ce sont tes yeux ; ■■»
Si j'ai aimé de grand amour.
Ce fut ta bouche grave et douce.
Ce fut ta bouche ;
Si j'ai aimé de grand amour.
Ce furent ta chair tiède et tes mains fraîches.
Et c'est ton ombre que je cherche.
(Les Jeux rustiques et divins.)
lJ4 POÈTE* d'aujourd'hui
LA COURONNE
Lasses du long chemin, et la tête baissée. Silencieusement, dans l'ombre, mes Pensées, Une à une, vers moi reviennent de la vie Où toutes, à l'aurore, elles étaient parties. Les voici, elles sont debout, au crépuscule. Devant moi, et chacune eu tressaillant recule Lorsque je la regarde au visage, et ses yeux Se détournent pour fuir mon regard anxieux Qui retrouve, debout et la tcte baissée. Celles qui furent familières, mes Pensées. Ce sont elles ; j'entends encor leurs pas lointains Qui jadis m'ont quitté pour suivre le chemin Qui descend, à travers les heures, vers la vie... Qu'avez-vous fait ? Ta coupe est-elle entin remplie, O Toi qui voulais boire aux fontaines vivantes ? Mais non, sa main est vide et sa lèvre est brûlante Et, du geste, elle montre à ses pieds devant elle. Ironique risée à sa soif éternelle, Des débris de cristal et des morceaux d'argile ; Et Toi, jadis si belle et svellement agile, A quel mauvais festin as-tu donc pris ta part Que, la chair alourdie et les cheveux épars. Tu chancelles d'ivresse en ta robe vineuse ? Va-t'en ! Et Toi, dis-moi la douleur qui te creuse La joue ainsi? pourquoi crispes-tu tes deux mains Mystérieusement dans l'ombre sur ton sein. Pour cacher le serpent par qui, de veine en veine. Coule en ton acre sang le venin de la haine ? Et Toi qui visitas l'Orgueil, qu'apportes-tu ? Cette pourpre en lambeaux et ce sceptre tordu. Et Toi encor qui ris et, dj sueur couverte D'être allée au Désir avec tes mains ouvertes. Reviens de son étreinte enivrante et farouche Lacérée à la face et mordue à la bouche ? Hélas! qu'avez-vous fait de moi, ô mes Pensées? Hélas l qu'avez-vous fait de vous, ô mes Pensées ?
HENRI DE RftONIEH l35
Mais Toi qui partais chaste, ô Toi qui partais nue Et seule de les sœurs ne m'es pas revenue, C'est vers toi, à travers n»oi-mènie, que j'irai. Tu es restée au fond de quelque bois sacré. Assise solitaire aux pieds nus de l'Amour, Et, taciturne, vous échantçez, tour à tour. Toi te haussant vers lui et lui penché vers Toi, Une à une, les Heurs divines dont vos doifçts. Qui d'un geste alterné les prennent et les donnent, Tressent pour vos deux fronts une seule couronne. (Les Médaille* et Argile.)
CHRYSILLA
Lorsque l'heure viendra de la coupe remplie, Déesse, épargne-moi de voir à mon chevet Le Temps tardif couper, sans pleurs et sans regret. Le long til importun d'une trop longue vie- Arme plutôt l'Amour ; hélas ! il m'a haïe Toujours et je sais trop que le cruel voudrait Déjà que de mon cœur, à son suprême trait. Coulât mon sang mortel sur la terre rougie,
Mais non ! que vers le soir en riant m'apparaisse, Silencieuse, nue et belle, ma Jeunesse ! Qu'elle tienne une rose et reffcuiile dans l'eau;
J'écouterai l'adieu pleuré par la fontaine
Et, sans (ju'il soit besoin de flèches ni de faulx.
Je fermerai les yeux pour la nuit souterraine.
(Les Médailles d'Argile.
SONNET POUR BILITIS
Mes Sœurs, notre jeunesse a mûri lentement Sa grappe savoureuse à nos treilles rivales Et nos jours que le Temps presse de ses sandales Ont coulé comme uu vin dont l'ivresse nous ment
I "^ ■ poAtks d'aujourd'hui
L'âge est venu sournois, furtif, fourbe et gourmand, Mordre et flétrir, hélas ! nos gorges inégales ; Notre vendange est faite et j'entends sur les dalles Marcher le vigneron dans le cellier dormant.
Vous, ô mes Sœurs, je vois vos mémoires perdues Vieillir poudreusement comme les outres bues, Et moi, que visita la Muse aux ailes d'or,
Je resterai pareille à l'amphore embaumée Où, captif aux parois qu'elle respire encor. Vibre et rôde le vol d'une abeille enfermée.
(Les Médailles d'Argile.)
L'ONDE NE CHANTE PLUS...
L'onde ne chante plus en tes mille fontaines, O Versailles, Cité des Eaux, Jardin des Rois I Ta couronne ne porte plus, ô souveraine, Les clairs lys de cristal qui l'ornaient autrefois I
La nymphe qui parlait par ta bouche s'est tue Et le temps a terni sous le souffle des jours Les fluides miroirs où tu t'es jadis vue Royale et souriante en tes jeunes atours.
Tes bassins, endormis à l'ombre des grands arbres, Verdissent en silence au milieu de l'oubli. Et leur tain, qui s'encadre aux bordures de marbre, Ne reconnaîtrait plus ta face d'aujourd'hui.
Qu'importe ! ce n'est pas ta splendeur et ta gloire Que visitent mes pas et que veulent mes yeux ; Et je ne monte pas les marches de l'histoire Au-devantdu Héros qui survit en tes Dieux.
II suffit que tes eaux égales et sans fête Reposent dans leur ordre et leur tranquillité. Sans que demeure rien en leur noble défaite De ce qui fut jadis un spectacle enchanté.
BKNM DK niamin 187
Que m'importent le jet, la gerbe et la cascade lit que Nepluuc à sec ail brisé sou trident, Ni qu'eu son bronze aride un faroucbe Encelado Se soulève, une feuille morte entre les dents,
Pourvu que faible, basse, et dans l'ombre incertaine. Du fond d'un vert bosquet qu'elle a pris pour tombeau, J'enleude longuement ta dernière fontaine, O Versailles, pleurer sur toi, Cité des Eaux !
(La au des Eaax.
LE SANG DE MARSYAS
{A la Mémoire de Stéphane Mallarmé.}
DÉDICACE
184^-1898
Ceux-ci, las dès l'aurore et que tenta la vie. S'arrêtent pour jamais sous l'arbre qui leur tend Sa fleur délicieuse et son fruit éclatant Et cueillent leur destin à la branche mûrie.
Ceux-là, dans l'onyx dur et que la veine strie. Après s'être penchés sur l'eau la reflétant Dans la pierre vivante et qui déjà l'attend Gravent le profil vu de leur propre eftigie.
D'autres n'ont rien cueilli et ricanent dans l'ombre En arrachant la ronce aux pentes du décombre, El la haine est le fruit de leur obscurité.
Mais vous. Maître, certain que toute gloire est nue. Vous marchiez dans la vie et dans la vérité Vers l'invisible étoile en vous-même apparue.
{La Cité des Eaax.)
LA LUNE JAUNE
Ce long jour a fini par une lune jaune Qui monte mollement entre les peupliers, Tamlis que se rép.Tiid parmi l'air qu'elle embaume L'odeur de l'eau qui dort entre les joncs mouillés.
|38 POÈTES d'aUJOURD HUI
Savions-nous, quand, tous deux, sous le soleil torride Foulions la terre rouge et le chaume blessant, Savions-nous, quand nos pieds sur les sables arides Laissaient leurs pas empreints comme des pas de sang,
Savions-nous, quand l'amour brûlait sa haute flamme En nos coeurs déchirés d'un tourment sans espoir, Savions-nous, quand mourait le feu dont nous brûlâmes Qu8 sa cendre serait si douce à notre soir,
Et que cet âpre jour qui s'achève et qu'embaume Une odeur d'eau qui songe entre les joncs mouillés Finirait mollement par cette lune jaune Qui monte et s'arrondit entre les peupliers?
[La Cité des Eaux.)
ÉPILOGUE
Une dernière fois reviens en mes pensées,
0 jeunesse aux yeux clairs. Et, dans mes mains cncor, pose tes mains glacées.
Le soir parfume l'air.
Souviens-toi des matins où tous deux, côte à côte.
Notre ombre nous suivant. Sur le sable fragile et parmi l'herbe haute
Nous allions dans le vent.
Ce que je veux de toi, ce n'est pas, ô jeunesse,
,De me rendre les lieux Où nous avons erré ensemble. Je te laisse
Tes courses et tes jeux.
Je ne veux point de toi ces rires dont tu charmes
Mon souvenir encor : Je te laisse tes pas, tes détours et tes larmes,
Ton âge d'aube et d'or,
Ton âme tour à tour voluptueuse ou sombre Et ton cœur incertain,
HINMI DR nicNiKh i3g
Va ce geste charmant dont tu joignais dans l'ombre La couple de tes mains.
Ce que je veux de toi, c'est ta jeune colère
Qui le montait au front. C'est le sang qui roulait en toi sa pourpre claire,
Lorsque, d'un vain talon,
Tu frappais à durs coups, frénétique et penchée,
Le sol sec et ardent, ('omme pour qu'en jaillit quelque source cachée
Que tu savais dedans;
C'est cela que je veux de toi, car je veux boire
A pleine bouche, un jour. L'eau souterraine encore à la fontaine, ô gloire.
Quand ce sera mon tour 1
Et, si le temps ingrat m'accorde pour salaire
L'opprobre meurtrier, Je veux m'asseoir du moins à l'ombre que peut faire
La branche du laurier.
(La Cité des Eaux.)
LA VOIX
Je ne veux de personne auprès de ma tristesse Ni même ton cher pas et ton visage aimé. Ni ta main indolente et qui d'un doigt caresse Le ruban paresseux et le livre fermé.
Laissez-moi. Que ma porte aujourd'hui reste close; N'ouvrez pas ma fenêtre au vent frais du matin; Mon cœur est aujourd'hui misérable et morose Et tout me paraît sombre et tout me semble vain.
Ma tristesse me vient de plus loin que moi-même, Elle m'est étrangère et ne m'appartient pas. Et tout homme, qu'il ch.inte ou (]u'il rie ou qu'il aime A son heure l'entend qui lui parle Jout bas,
lAo poAtbs d'aujourd'hui
Et quelque chose alors se remue et s'éveille, S'agite, se répand et se lamente en lui, i cette sourde voix qui lui dit à l'oreille, ^ue la fleur de la vie est coudre dans sou fruit.
[La Sandale ailée.)
LE REPROCHE
Quoi ! vous avfrz ma vie avec tout mon visage
Et mon corps qui est nu. Et qui frissonne tout du don et de l'usage
Que vous en avez eus I
Quoi ! votre bouche avide a respiré ma bouche
Et je fus en vos mains Celle qui vit et qui soupire et dont on touche
Le doux ventre et les seins !
Et vous avez senti, sous ma poitrine lisse,
Mon cœur battre à grands coups, Et toute cette angoisse, hélas ! avec délice Que j'éprouvais de vous !
Vous avezvu ma peur, ma peine et ma faiblesse.
Que dis-je? et mon désir Et sa rou<^t'ur et sa folie et sa bassesse
En face du plaisir.
Vous avez eu mon corps, mon cœur et mon visage;
Vous savez, orgueilleux, Que c'est sur voire chère et redoutable image
Que se ferment mes yeux ;
Vous m'avez contemplée anéantie et nue
De la nuque à l'orteil, Et suppliant ainsi l'aurore revenue
D'arrêter son soleil.
Et vous pourriez parler aux hommes d'autre chose Que du goût de ma peau,
OBNHi OB nAamBR i4i
Vous pourriez en riant respirer une rose Sans me nommer tout hnut ;
Vous pourriez écouler le» propos et les rires,
Les paroles, les voix. Vous pourriez vivre encor comme un autre et sans dire :
Sachez qu'elle est à moi.
Mais non I Si vous m'aviez ainsi, nue et farouche.
Etreinte entre vos brns Sans que tout votre atnour criât par votre bouche.
Vous ne m'aimeriez pas 1
{La Sandale ailée.)
L'ACCUEIL
Tous deux étaient beaux de corps et de visages.
L'air franc et sage
Av^ un clair sourire dans les yeux.
Et, dav^ant eux.
Debout en leur jeunesse svelte et prompte,
Je me sentais courbé et j'avais presque honte
DV'tre si vieux.
Les ans
Sont lourds aux épaules et pèsent
Aux plus fortes
De tout le poids des heures mortes,
Les ans
Sont durs, et brève
La vie et l'on a vite des cheveux blancs ;
Et j'ai déjà vécu beaucoup de jours.
Les ans sont lourds...
El tous deux me regardaient, surpris de voir Celui <pi'ils croyaient autre en leur pensée S<' lever pour les recevoir
tu de bure et le front nu- : t non pas, comme en leur pensée, biapé de pourpre et lauré d'or.
l4l POÈTES d'aujourd'hui
Et je leur dis : « Soyez tous deux les bienvenus, p
Ce fut alors
Que je leur dis:
a Mes fils, quoi, vous avez monté la côte
Sous ce soleil cuisant d'août
Jusqu'à ma maison haute,
D vous
Qu'attend là- bas peut-être, au terme du chemin,
Le saint amoureux de quelque blanche main !
Si vous avez pour moi allongé votre route
Peut-être, au moins mes chants vous auront-ils aidés.
De leurs rythmes présents en vos mémoires,
A marcher d'un jeune pas scandé?
Je n'ai jamais désiré d'autre gloire
Sinon que les vers du poète
Plussent à la voix qui les répète.
Si les miens vous ont plu : merci.
Car c'est pour cela que, chantant
Mon rêve, après l'avoir conçu en mon esprit,
Depuis vingt ans,
J'habite ici. »
Et, d'un geste, je leur montrai la chambre vide
Avec son mur de pierre et sa lampe d'argile
Et le lit où je dors et le sol où du pied.
Je frappe pour apprendre au vers estropié
A marcher droit, et le calame de roseau
Dont la pointe subtile aide à fixer le mot
Sur la tablette lisse et couverte de cire
Dont la divine odeur le retient et l'attire
Et le fait, dans la strophe en fleurs qu'il ensoleille,
Mystérieusement vibrer comme une abeille.
Et je repris :
« Mes fils,
Les ans
Sont lourds aux épaules et pèsent
Aux plus fortes
De tout le poids des heures mortes.
IIENni DK UÛCiMEH l4à
Les ans
Sont durs, la vie est brôve
Et l'on a vite des clicvcux blancs...
Si qiielijue jour,
En reviMiant d'où vous allez,
Vous rencontriez sur cette môme routei'
Entre les orges et les blés,
Des i^ens en troupe
MonUint ici avec des palmes à la main,
Dites-vous bien
Que si vous les suiviez vous ne me verriez pas
Comme aujourd'hui debout en ma robe de laine
Qui se troue à l'épaule et se déchire au bras,
Mais (irapé de pourpre hautaine
Peut-être — et mort
Et lauré d'or 1 »
.fc leur ai dit cela, pour qu'ils le sachent,
r ils sont beaux tous deux de corps cl de visages^ air francs et sages Avec un clair sourire aux yeux, Parce qu'en eux
Peut-4tre vit quehjue désir de gloire, , Je leur ai parlé ainsi pour qu'ils sachent Ce qu'est la gloire, Ce qu'elle donne, Ce qu'il faut croire De son vain jeu,
Et que son dur laurierne pose sa couronne Que sur le front inerte et qui n'est plus qu'un peu Déjà d'argile humaine où vient de vivre un Dieu.
{La Sandale aitie.)
ADOLPHE RETTÈ 1863
M. Adolphe Retti^ est né à Paris le a5 juillet i863. Son père était précepteur des enfants du grand-duc Constantin de Russie. Sa mère, — de famille ardennaise, — musicienne consommée et lauréate du Conservatoire, était la fille de l'historien Adolphe Borgnet, cité par Michelet (i). Cet aïeul maternel de M. Adolphe Retté, d'abord pré- cepteur du prince héritier de Belgique, devenu le roi Léopold II, fut congédié pour son libéralisme et mourut en 1873, recteur de l'Uni- versité de Liège. Ses obsèques, qu'il avait voulues civiles, firent scandale.
L'eufance de M. Adolphe Retté se passa pour une grande partie en pro-ince, et il fit ses études dans un lycée franc-comtois. 11 vint ensuite habiter Paris, puis, à dix-huit ans, s'ençagea dans un reRi- ment de cuirassiers. Revenu à Paris en 1886, il débuta l'année sui- vante par un article où, à propos d'un nouveau livre de Léon Cladel, il attaquait violemment le naturalisme. Deux ans plus tard, il fon- dait, avec M. Gustave Kahn, la deuxième Vogae, et, en 1893, joi- gnant ses efforts à ceux de M. Henri Mazel, se consacrait à la di- rection d'une autre revue : L'Ermitage.
M. Adolphe Retté, que le goût d'une vie nomade a mené un peu partout, en Belgique, en Hollande et en Angleterre, n'en a pas moins pris une part très active au mouvement poétique de son épo- que. Très combatif, semblant aimer d'instinct la polémique et met- tent à soutenir ses idées quelquefois plus d'enthousiasme que de goût, il s'est fait à plusieurs reprises, dans de nombreuses revues, le défenseur et le propagandiste des écrivains de sa génération, en même temps qu'il se plaisait à étudier pour la railler, sans s'épar- gner lui-même, la vie littéraire contemporaine. On peut retrouver quelque chose de ce passé dans un volume de souvenirs et d'anec- dotes qu'il a publié en iqoS, Le Symbolisme.
(1) Hittoire de la Jlivolulion française
ADOLPHE RBTti li^i
On pourrait diviser l'œuvre de M. Adolphç Retlé en deux parties bien distinctes ; celle de l'art pur, de l'art pour l'art, en quelque sorte, celle ({ui va de Une belle dame passa jusqu'à Archipel en Fleurs, — et celle d'une inspiration plus large, oîi il s'est montré le chantre de la Nature. Cette évolution, qui a fait analhëmatiser à M. Adolphe Hetté des matlres qu'il avait encensés, fut produite chez lui par un séjour de plusieurs années qu'il fit à Guermantes (Seine et- Marne), en pleine forêt de Fontainebleau. Ce fut là, loin de Paris, dans ses promenades à travers la forêt, dont il connut bientôt tous les arbres, qu'il puisa les motifs de ses nouvelles oeu- vres : Dans la Forêt, Campagne Première, Lumières tranquilles. Poèmes de la Forêt et Contes de la Forêt de Fontainebleau.
Après avoir été, dans sa jeunesse, d'un anarcbisme aigu et ua peu bruyant, M. Adolphe Hetté a paru récemment se convertir au catholicisme. Cela nous a valu deux ouvrages d'un nouveau genre : Du Diable à Dieu, et Le Règne de la Bête, qu'on voit en bonne place aux vitrines des libraires de la rue SaintSulpice, à côté de manuels de pieté.
M. Adolphe lUMé a collaboré à La Cravache, k La Wallonie, à La Plume, au Mercure de Finance, à L'Ermitage, et b presque toutes les revues de ce temps.
Bibliographie :
Las OEUVRES. — Cloches dans la Nuit, poèmes. Paris, Vanicr, 1889, in-18 (Réimprimés dans : Œuvres complètes, Poésie, 1887-1893, /.Paris, Bibl. art. et lilt., 1898, in-16). — Thulé des Brumes, léi^'endc moderne en prose. Eau-forlo de E.-H. Meyer. Paris, BiblioUièque artistique et littéraire, ix'Jl,iu-18. — Paradoxe sur l'Anaour, prose. Paris, Uibiiotli(!(|ue artistique ■.iltéraire, 18'.>2, in-18 (Réimp. : Œuvre» complètes. Prose, I. Ibid., 1898,
. \b. — Une belle Dame passa, poèmes. Paris, Yanier, 1803, ia-18 (Réimpr : Œuvres complètes. Poésie, I. Ibid., 1898, in-16). — IlénexiODB sur l'Auarcble, Paris, Initiative du groupe : a l'Idée nouvelle », 1894, in-lG. — Balades dans Paris {Aumoulin de la Galette. AVIIùIel Drouot. Sur les quais. Au Luxembourg), prose (en collaboration avec M.M. E.-R., P. Eudel et B.-II. Gausseron. Paris, Bibliophiles contemporains, 1894, petit in-4*.
— L'Archipel eu Heurs, poèmes, portrait de l'auteur par Léon Gausson. Paris, Bibliothèque artistique et littéraire, 1895, in-16. — Similitudes, drame en prose. Paris, Bibliothèque artistique et littéraire, 189S, in-16. — Trois Dialogues nooturues, prose. Paris, Vanier, 1895, in-16. (Réimpr. : Œuvres compl. Prose, 1. Paris, Bibl. art. ellitt., 1898, iu-16). — La Forêt bruissante, poèmes. Paris, Bibliothèque artistique et littéraire, 1896, in-18.
— Promenades subversives, prose. Paris, Bibliothèque artistique et lit- téraire, 1897, in- 18. — Aspects, Critique littéraire et sociale. Paris, Bibli»- tbèque artistique et littéraire, 1897, iu-t6. — Cumpague première, poè- mes. Paris, Bibliothèque artistique et littéraire, 1897, in-18. (ftéinip, : Poé- •tM, tin-t906. Paris, Metseia, 1»0«, ia-18). — XIII Idylles diabolique»,
l40 poiTBs d'aujourd'hui
prose, CQUTerture en couleurs, de Léon Gausson. Paris, Bibliotlièque arlisli'iue. «t littéraire, 1898, in-18. — Œuvres complètes. Poésies. 1887-1 a«2. I. {Cloches dans la nuit. Une belle Dame passa). Froiitispi< r de Léo Gaus- •on Paris, Bibliothèque artistique et littéraire. 1898, in-16. — Oîuvres com- plète!!. Prose. I. {Rapports sexuel». Passantes. Paradoxe sur l'amour. Une lettre de Théodore. Trois Dialogues nocturnes. Un Assassin). Fron- tispice à l'eau-forte de Valère Bernard. Paris, Bibliothèque artistique et lit- téraire, 1898, in 11. — Arabesques, critique littéraire et sociale. Paris, Bibliothèque artistique et littéraire, 1899, in-16. — La seule Nuit, roman. Pari?, Bibliothèque artistique et littéraire, 1899, in-18. — Lumières traii- quillAS, poème. Paris, Ed. de « la Plume », 1901, in-18. (Réimpr. -.Poésies 1897-1906 Paris, Messein, 1906, in-18). — Fontainebleau {La Ville. Le Patais. La Forêt). Paris, Ed. de « La Plume », 11)02, in-16. — Mémoires de Dlogène, roman. Paris, Fasquelle, 1903, in-18. — Dans la Forêt, Wf et prose. Paris, Messein, 1903, in-12. — Les Poètes à Fontainebleau. Bruxelles, p. Weisseubruch (Extrait de la Revue de Belgique), 1903, in-8. — I«9 Symbolisme. Anecdotea et Souvenirs. Paris, Messein, 1903, in-8.
— Virgile puni par l'Amour {Contes de la Forit de Fontainebleau). paris, Messein, 1905, in-18. — Poésies. 1897-1906. {Campagne première. Lumières tranquilles . Poèmes de la Forêt). Paris. Messein, 1908, in-18. — Du Diable à Dieu. Paris, Messein,1907, in-18. — L* Règne de la Bête, roman catholique. Paris, Messein, 1908.
On trouTe, en outre, un poème de M. Adolphe Retté dans l'Almanaeh des Poètes, 1896. (Ed. du Mercure de France, 1895, in-16.)
PiutFACE. — Nouveau guide illustré de Fontainebleau, par Guy de Bonnefïlle. Paris, Messein, 1905, petit in-8.
A coNSOLTEK. — Kemy de Gourmont; Le Livre dos Masques, Paris, Soc. du Mercure de France, 1896, in-18. — Koi.nnd de Mares : Notice dans les Portraits du Prochain siècle. Paris, Girard, 1894, in-18. — Adolphe Retté : Le Symbolisme. Anecdotes et Souveni}-s. Paris, Messein, 1903,iii-18.
— V. Thompson : French Portraits (Being appréciations of the writers of Young France), Boston, Richard G. Badger et C», 1900, in-8. — E. Vlglé- Lecocq : La Poésie contemporaine, iSS4-t896. Paris, Soc. du Mercure de France, 1897, in-18.
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Iconographie :
Peruaitd Fnu : Portrait-Charge (Le.t Hommes d'aujourd'hui), lac ViBMr. — L. Gauasoa > Portrait en lithographie, édition de L'Archif
ADOLPH* Hsrri |47
en Fleur», 1895 ; Portrait, pastel. Exposilioi^ dos Artistes indépendants, 1895 (appartient à M. Acliille Se^anl). — Alpimosu Germain : Portrait à la santjuine. S;iloii ilc» Cent. — H. E. Moyer : Portrait d l'eau-forte, repro- duit dans l'cditiou de Thult'-dr.s/irumcs, 1801, et La Plume, 1" octobre 1801- — F. Vatlollon : Alast/urs, dans f.e Livre def A/as/jues,àe R. de Gourmont, Paris, Soc. «lu Meroure de France, 1808. — NVhidupI : Portrait-Ch*ry$< La Plume, 1898.
LUMINEUSE, ELLE VINT...
Lumineuse, qlle vint : c'était toujourà la uu'iiut Offrant avec sa bouche un bouquet "de sermeQts — Me délaisseras-tu, princesse de Bohême î Je suis un roi banni dont la tristesse ment.
En vain le bouquet fréle et frais et de printemps Qui fleurit sur ta bouche à ma bouche vouée Se refuse du leurre d'un rire irritant, Tu restes la princesse et la seule priée.
Rêve où mon rêve succombe. Tu ris, raillant mon destin — Tes mains mièvres et tes seins Ont des tiédeurs de colombes.
Tu mens si tu me prédis Que tes lèvres sont menteuses Puisque tes yeux m'ont promis Leur douceur de nuit peureuse. [Œuvrtt complétée. iSSj-iSga : Une belle Dame passa.)
CHANSON D'HIVER
A Henri Degron,
Les gais rouets s'affairent dans la salle,
Notre Dame et ses sœurs filent pour les absenta — -
Chàleau d'hiver et paix claustrale.
Les Hainnies du foyer dansent ailèji^reineat.
Trilles priutaaiers raillant lu neige Les ga' rouets chantent à la ronde :
i48 roiru d'aujourd'hui
« Nos doux seigneurs guerroient de par le monde: Qui pourrait mal à ceux qu'Amour protège ? »
O Dames, la folle bravade :
Des oiseaux de malheur s'abattent sur les toits...
Passent les jours, passent les mois —
Les chevaliers sont morts à la Croisade.
Notre Dame file toute seule en la salle, Ses sœurs sont au cimetière, Ses cheveux lui font un blanc suaire — Notre Dame s'endort toute seule en la salle...
Ecoute, écoute, ô fileuse assoupie :
Le vent s'éplore sous les porches,
Le vent de cette nuit a soufflé sur les torches,
On dirait du sang aux panoplies...
Ah ! le vent geint tout bas comme un enfant malade — Les chevaliers sont morts à la Croisade.
{L'Archipel enjleurt.)
ANADYOMÈNE
Mes goélands altiers envolés sur la mer Trempaient leur aile pâle en l'écume des vagues. Et vers toi mon rêve, à travers le vent amer. Sanglotait pour avoir adoré tes yeux vagues.
L'aurore en fleurs et les printemps de la floride Ont parfumé les flots qui te sacrent divine, Anadyomène, radieuse Océanide Dont les yeux dorment, lourds d'une ivresse divinr
La mer était harmonieuse et toi, sa fille, Tu vins tressant des lys mollement inclinés; Le soleil s'exilait tel un roi détrôné — Mais la mer souriait comme une jeune fille.
Or tes yeux — songes d'or,, d'ombre et de volupté — Reflétèrent U mer et le soleil saignant :
ADOLPn RBTTÉ l49
Farouche, tu régnais sur mes soirs frémissants, Vénus Anadyomène, immense Volupté I
(L'Archipel en Jleara.)
SÉRËNADB
Belle la lune est si calme : Pris aux lèvres des naïades. Le soir dort dans les roseaux Et pas même un oiseau Ne se lève. —
Vois languir au long des grèires L'eau qui rêve. ^
Les noirs marronniers soupirent
Où palpite L'or des étoiles limpides. Les cascades murmurantes. Les vagules chuchoteuses
Sous les yeuses Vers la lune se lamentent. -^
Entends cette voix charmante :
L'eau qui chante. Viens, je sais le val des fraises.
Je te tresse Un lien de marjolaines... Tu te détournes, tu muses Aux bouquets blancs des sureaux? Je détache ta ceinture Et je cueille ton sanglot. —
L'eau lascive au loin s'argente. L'eau qui rêve, l'eau qui chante, L'eau qui fuit sous les roseaux.
{La Forél braîetantê.)
i5o poiTtk b'AùJobnb'Hui
GRAND VENt
Mon àme, tu reviens des vieilles aventures Pour saluer l'hiver en son château de givre ; Ecoute : les grands vents hurlent comme des cuivres Et troublent le sommeil de la mère Nature — Arréte-toi, mon àme, ils ont peine à te suivre.
Attends-les : accourus de la plaine et des monts. Ils sont les voyageurs mystérieux, ils sont, Ceux qui savent le sens de toutes les histoires; Ils te raconteront les combats et leur gloire Epandant sur ta vie une morne lumière — Et tu respireras l'odeur des cimetières. Ils te rappelleront, pour que tu sois dolente, Aux flancs des noirs coteaux les villes éclatantes Où bouillonnent la foule et les >'in8 répandus ; Puis, très tard, quand la nuit semble un filet tendu Qui retient le silence en ses mailles d'étoiles, Tu verras les terriens blottis autour des poêles S'assoupir en rêvant de moissons merveilleuses ; Et les souffles seront pareils à des pleureuses. Mais tu pourras ouïr, du haut des cheminées. Le rire du grillon monter dans la fumée ; Les granges te plairont que parfument les foins... Puis alors les grands vents t'emporteront plus loin.
Très loin, au fond d'un val où les arbres tordus
Se lamentent ainsi que des entants perdus.
Souverain taciturne à la barbe gelée.
L'hiver t'apparaitra qu'adulent des nuées
Nuptiales menant, en un blême cortège,
La reine de Candeur : Notre-Dame la Neige.
Devant le blanc vieillard immobile et jaloux De garder pour lui seul sa couronne de houx, Tu te tiendras durant les heures que la nuit Compte dans les clochers pour leurrer son ennui Et frappe tour à tour d'un marteau d'argent clair.
ADOLPHB Kirré l5l
Les souffles, cependant, se révolteront, l'air
Si filant dispersera des flèches acérées
Oui feront sangloter les branches fracassées...
Mais le Vieux jettera, comme on jette des plumes,
A la rébellion quelques loques de brume,
Tu verras dans ses yeux flamboyer la Polaire
Et tu t'tîbahiras de l'orgueil séculaire
Qui lu rend impassible au* souffles acbarnés :
Car l'hiver est un roi très rude à détrôner.
Ëatin l'aube viendra, frêle et toute frileuse, Revêtir d'or léger les collines dormeuses ; Puis le Vieux la prendra pour en parer sa tête, Et les souffles vaincus pleureront leur défaite — Tandis qu'emmitouflant la plaine abandonnée. Où sommeillent les blés de la prochaine année, La Neige bienfaisante ornera son corsage Des glaçons suspendus aux tuiles des villages...
Même si cet hiver ne devait pas finir,
Ame errante ravie au vent qui se désole
Et s'épuise à crier de sinistres paroles.
Tu t'en iras, parmi la plaine, recueillir
Des flocons doux et froids comme des souvenirs.
{CtuHpagne première. )
HYMNB AUX AllBRBS
Loaons les arbres d'être beaux et de bruire Si doucement dans les vergers et dans les bois : Rameaux éoliens où le raiilier soupire, Branches frôlant les tuiles brunes des vieux toits. Célébrons-les tous à la fois.
Il est des pommiers retombants Dont le feuillage fait comme un feu d'artifice». Il est des peupliers inquiets qui frémissent
Au plus léger souiHe du veut.
i5a poiTEs d'aujourd'hui
Parmi les rocs, les pins sévères Epandeiit un grave murmure, Les saules gracieux trempent dans les rivières Leur ondoyante chevelure.
Les acacias des jardins Balancent au soleil leurs grappes embaumées, Les ormes bienveillants qui bordent les chemins Tendent leurs bras vêtus de mousse veloutée.
Les bouleaux ont des robes d'argent où l'aurore A laissé le reflet de sa face rieuse. Les tilleuls chuchoteurs tremblent, les sycomores Sont pleins d'ombres mystérieuses.
Les hêtres tressaillants s'entrelacent, les frênes
Semblent flamber au crépuscule. Quant la nuit monte, un grand rêve circule Dans la frondaison pensive des chênes.
Aimons les arbres qui nous aiment. Unissons notre voix à leur voix fraternelle, Répétons avec eux les strophes d'un poème
Où chantera la vie universelle.
Que le rythme profond des forêts nous enlève.
Que toute essence nous accueille, Que notre cœur batte selon les sèves, Que notre âme se fonde en l'océan des feuilles
{Poésies, i8gy-tQo6.)
ÉLOGE DU VENT
Qui dira les mérites du vent ? Souffle brusque, il rebrousse les seigles. Souffle large, il dépasse les aigles, Souffle jeune, il s'éveille en chantant, Souffle vieux, il s'endort en grondant — Qui dira les mérites du vent ?
ADOLPHs K»rrà i53
En octobre, le vent se soûle de raisins :
Tout barbouillé du jus des fçrappes purpurines.
Il valse follement aux ailes des moulins
Et son rire, en échos, bondit par les collines.
En décembre, le vent siffle aux trous des serrures.
Il fait pirouetter les girouettes Et claquer les volets comme des castagnettes ; Pour voir dans les greniers il disjoint les toitures. Puis, s'avivant au fil des rivières gelées, Il poudre de verglas, de neige et de nuées, La plaine étincelante et la nuit étoilée.
En avril, le vent joue avec les aubépines, On l'entend fredonner, sous les lilas en fleurs. Un air si doux qu'il vous ravit le creur ; Il caresse en passant les muguets, il butioo Dans les jardins remplis de giroflées; Les peupliers vibrent selon ses danses Et les ruisseaux murmurent en cadence Pour célébrer son haleine embaumée.
En juillet, le vent traîne, alourdi, sur les blés. Il a le goût de la poussière et de l'orage. Lorsque le paysan rentre les foins coupés. Il sèche la sueur aux flancs des attelages...
Lo vent sait des secrets profonds, il purifia
Les charniers et les cimetières : Il est le rythme, il est la joie, il est la vie,
U est le rêve de la terre. '
{Poéties, iSgj-igoS.)
ARTHUR RIMBAUD 1854 1891
Jean-Nicolas-Arthur Rimbaud, l'un des poète» les plus significa- tifs du mouvement symboliste, — son nom a sa place égale à côté de ceux de Paul Verlaine et Stéphane Mallarmé. — naquit le ao oc- tobre i854à Charleville (Ardennes;, dans la maison de son grand- père maternel Nicolas Guif, chez lequel il passa ses quinze preaiiè- res années. Son père était capitaine au 87* régiment de ligne, et sa jeunesse s'écoula dans l'intimité de la famille, un frère, trois sœurs dont l'une mourut jeune, et surtout « une mère bourgeoise et pay- sanne, de devoir autoritaire, religieuse, économe, rigoureuse dans ses principes d'honnêteté propriétaire et impitoyable sur le chapitre de la discipline ».
Le caractère extraTagant d'Arthur Rimbaud et son goût jamais lassé des aventures — en dépit et peut-être même à cause de ce milieu rigoureux dans lequel il avait grandi, — se révélèrent de bonne heure. Il sortait à peine du collège, qu'un soir, en septembre 1870, il désertait soudainement la maison familiale pour venir à Paris. Ramené de force, il s'enfuit une seconde fois, et, par la vallée delà Meuse, gagna Gharleroi. partant de là pour vagabonder dans les environs, puis revenant se fixer à Gharleroi, d'octobre 1870 à fé- vrier 1871. Cependant, Paris continuait à l'attirer, et ne pouvant plus résister, il s'y rendit de nouveau, se présentant à Timproviste chez le dessinateur André Gill qui, devinant l'escapade et peu dési- reux de s'y associer, s'empressa de Je congédier. « Il dut alors, — raconte M. Pateruc-Berrichon, qui a écrit une Vie d'Arthur Rim- baud indispensable pour conuattre le poète, — par cette fin d'hiver et huit jours durant à travers les rues, errer, sans pain, ni feu, ni lieu, jusqu'à ce que mourant littéralement de misère, il se risquât à sacri- tier sa liberté en faveur de sa vie, et à reprendre à pied le chemin de Cliarleville. >> Ce n'était toutefois là qu'un sacrifice provisoire, et désertant de nouveau sa famille, Arthur Rimbaud ne tarda pas A revenir à Paris, qu'il trouva en pleine Communs et oii il s'enrôla
AJlTHUn RIMBAUD l55
dan* les Tirailleum àt la RftrolutioQ, obligé bientôt, qunnd surrint la défaite, de regagner une troisième fois Charleville, ail milieu de tontes les difticullés causées par l'invasion.
A cette époqne, Arthur Kimband avait dix-sept ans et déjà son talent était complet, ce talent qui semble avoir été fait de beaucoup d'inconsoienoe, uniquement applique aux notations hâtives, sur le moment même, et qui a toutes les qualités de cette manière sponta- née : la force et ta couleur. Il avait écrit notamment Le Buffet, Le Dormeur du Val, Ma Bohème, Les Effarés, Les Poètes de sept ans, Les Pauvres à L'Eglise, Les Premières communions. Accroupisse- ments, tous poèmes qu'on devait lire plus tard dans ses oeuvres, et surtout l'extraordinaire et unique Bateau ivre, la pièce type de son talent, d'un lyrisme et d'une couleur qui n'appartiennent qu'à lui. De tels poèmes, chez un écrivain si jeune «t doht la période de pro- duction fut si courte, il y a vraiment là un cas unique et double- ment curieux, au point de vue littéraire et au point de vue psycho- logique.
Arthur Rimbaud rentré pour la troisième fois k Charleville^ c'est alors que commencèrent ses relations avec Paul Verlainci à qui il écrivit et envoya des vers. Intéressé par cet envoi, Paul Verlaine lui répondit, et, après quelques lettres éehanf^ées, l'invita à venir à l'aris. Arthur Rimbaud y arriva en octobre 1871, pour y séjourner jusqu'en juillet 187a, logé d'abord dans le ménage de Paul Ver- laine, puis chez Théodore de Banville, puis à l'hôtel, rue Racine^ et enfin, grAce aux libéralités de Paul Verlaine, dans ses meubles, rue Campagne-Première. Les deux poètes voyagèrent ensuite de ctimpa gnie en Angleterre, eu Belgique, jusqu'en 1873, époque à laquelle se produisit leur rupture. Tous les deux se trouvaient alors à Bruxel- les. Arthur Rimbaud, désireux de reprendre sa liberté, annonça son prochain départ à Paul Verlaine, qui, dans un accès de désespoir, à l'idée de perdre son compagnon, tira sur lui deux coups de revol- ver. Cet incident, qui conduisit Paul Verlaine en prison potir deux années, mena tout d'abord Arthur Rimbaud à l'hôpital Saint-Jean, k Bruxelles, pour y Hre soigné de ses blessures. Bxpulsé ensuite de Belgique, il fit une nouvelle apparition à Charleville, où il publia, pour la détruire aussitôt, une édition de Une Saison en Enfer ^ sorts d'autobiographie psychologii|ue. Après quoi, revenu un moment à Paris, il partit pour Londres comme professeur d'anglais/ avec 1« projet d'un long voyage en Orient. Bn attendant, il voyagea en Allemagne, en 1875, pui^ en Italie. Kaccolé alors comme volontair* pour l'armée espagnole carliste et alléché par la prime,il 8'engage«< n'ayant d'autre soin, la somme touchée, que de s'esquiver, pour revenir encore uue fois à Paris. Ce fat alors une suite d'aventures
i56 roirig d'aujourd'hui
sans nombre, l'existence la plus diverse et les métiers les plni diffé- rents. « Rester toujours dans le même lieu, a-t-il dcrit lui-même, me semblerait un sort très malheureux. Je voudrais parcourir le monde entier, qui, en somme, n'est pas si grand », Engagé dans les trou- pes néerlandaises, Arthur Rimbaud partit pour l'archipel de la Sonde, où, dès l'arrivée, il déserta, errant dans les ties de Java, déjouant les recherches des autorités, pour finir par s'embarquer en qualité d'interprète sur un bateau anglais chargeant pour Liverpool. De retour en Europe, il s'affilia comme contrôleur à la troupe du cirque Loisset, et parcourut avec elle l'Anglelerre, la Belgique, la Hol- lande et la Suède. Puis des subsides de sa famille lui permirent enfin de réaliser son rêve. Il partit pour Alexandrie, passa le canal de Snez, pénétra en Abyssinie^ jusqu'au golfe d'Aden. Semblant avoir oublié jusqu'au souvenir de son œuvre littéraire, ce fut là désormais qu'Arthur Rimbaud fixa sa vie, tout ensemble explora- teur et trafiquant, tentant les premières relations avec les peuplades sauvages de l'Afrique, adressant des mémoires à la Société de géographie, formant des caravanes pour les négoces les plus divers, et se faisant le fournisseur du Négus pour les armes qui devaient servir aux Abyssins à combattre contre l'Italie. Ce fut là aussi qus vint le surprendre le mal qui devait l'emporter, juste au moment où il projetait de venir en France revoir sa famille, avec laquelle il n'a- vait pas cessé de correspondre. En mars i8gi, une tumeur dans le genou droit l'obligea à abandonner Harrar, centre de ses opérations. On le transporta à Aden, puis à Marseille, où il entra à l'Hôpital de la Conception. C'est là qu'après des des souffrances stoïquement supportées, il mourut 1* lo novembre i8gi, des suites de l'amputa- tion de la jambe. Sa sœur, M"* Isabelle Rimbaud, dans quelques lignes qu'on lira avec intérêt, a raconté ses derniers moments, alors que, trop fatigué de soufFrir, il avait demandé qu'on lui pro- cur&t un peu de répit. « Il voulut absolument recouvrer le som- meil. L'effet des potions ordonnées étant presque nul, un simple remède de bonne femme fut essayé qui ne réussit, relativement, que trop bien : il but des tisanes de pavots et vécut plusieurs jours dans unréve réel très étrange. La sensibilité cérébrale ou nerveuse étant surexcitée en l'état de veille les effets opiacés du pavot se continuèrent, procurant au malade des sensations atténuées presque agréables, extralucidant sa mémoire, provoquant chez lui l'impérieux besoin de confidence. Portes et volets hermétiquement clos, toutes lumières, lampes et cierges allumés, au son doux et entretenu d'un très petit orgue de Barbarie, il repassait sa vie, évoquait ses souvenirs d'en- fance, développait ses pensées intimes, exposait plans d'avenir et projets. Ainsi l'on sut que là-bas, au Harrar, il avait appris la possibilité de réussir en Fraoce dans la littérature ; mais qu'il m
AnrauR niMBAUBL 167
félicitait (le n'aroir paa continué l'cBOTre de jeaneste, parc« que « c'était mal »,
Bibliographie :
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i58 points p' aujourd'hui
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Iconographie :
Paterne Berrichon : Rimbaud en ftti, tS14 et itSS, sept destins
)appart. à MM. Ernest Delahaye, Deman, Edmond Picard et h l'auteur)) ces dessins furent reproduits dans la Via de Jean-Arihur Rimbaud, 1898, La Bevuc Blanche, l" septembre 1897, et la Revue d'Arderwe et d'Aryonne, 1897. — Dii même : Buste, en brome érigé par souscription publique dans le Square de Charleville, le 21 juillet 1901. — Blanchet : Portrait de Itimbaud, d'après une photographie de Carjat (octobre 1871), Lutèce, 1883, et Les Poètes maudits, édition de 1884. — KIrnest Delahays : Croquis, publit- dans la Bévue Blanche, 15 août 1896. — Fantin-Latour : Coin de table, 1872, pointure à l'huile (appartient à M. Emile Blûniont). Reproduction à l'eau-forte par Rajou et en photogravure, retouchée par l'artiste (portrait de Rimbaud seul), dans l'édition des Œuvres de Jean-Arthur Rimbaud, 1898. — Forain ■ Plusieurs croquis d'après nature, 1872 (l'un d'eux appartient à M. Kuoul Gineste). — Luque : /)es«in en couleurs {Les Hommes d'aujourd'hui). Paris, Vanier.— Isabelle niinbaud : Arthur Rimbaud mourant (novembre 1891), dessin reproduit dans la Revue Blanche, i" septembre 1897. — Paul Ver- laine : Deux croquis reproduits dans l'édition des Poésies complètes. Paris, Vanier, 1895. — F. Vallolton : Dessin, reproduit dans The Chap-Book. Chi- cago, mai 1896 ; Masque d'après la photographie de Carjat, dans Lé Livre des Masques, de Remy de Gourniout, Soc. du Mercure de France, 1896. — Deux photographies, de Carjat, 1871; Quatre photographies fait* p«t Rim- baud au Harrar, en 1883 (appart. à M. Paterne Berrichoa).
LE CHATIMENT DE TAKTUFE
Tisonnant, tisonnant son cœur amoureux soas Sa chaste robe noire, lieureux, la main gantée, Un jour qu'il s'en allait eft'royableuient doux. Jaune, bavant la foi de sa bouche édentée.
Un jour qu'il s'en allait — a Orémus » — un méchant
Le prit rudement par son oreille benoîte
Et lui jeta des mots affreux, en arrachant
Sa chaste robe noire autour de sa peau moite :
Châtiment!... Ses habits étaient déboutonnés Et, le long chapelet des péchés pardonnes S'égrenant dans son cœur, saiot Tartufe était pâle.
AJinnm niMBAVD 1S9
Donc, il se confessait, priait, avec un râle. L'homme se contenta d'emporter ses rabats — Peub 1 Tartufe était nu du haut jusque» en baa.
LE DORMKUR DU VAL
C'est un trou de veraut-e, où chante une rivière Accrochant follement aux herbes ries haillons D'argent, où le soleil, de la montaj^^ne fière. Luit. C'est un petit val qui mousse de rayons.
Un soldat j<^une, bouche ouverte, tête nue Et la nuque baifçnant dans le frais cresson bleu, Dort ; il est étendu dans l'herbe, sous la nue, Pùlc dans son lit vert où la lumière pleut.
Les pieds dans les §!;Iaïeul8, il dort. Souriant comme Sourirait un enfant malade, il fait un somme. Nature, berce-le chaudement : il • froid I
Les parfums ne font pas frissonner sa narine ; Il dort dans le soleil, la main sur sa poitrine, Tranquille, Il a deux trous rouges au côté droit.
BATEAU IVRE
Comme je descendais des Fleuves impassibles,
Je ne me sentis plus (^udé par les haleurs :
Des Peaux-l\oii}çes criards les avaient pris pour cibles,
Les ayant cloues nus aux poteaux de couleurs.
J'étais insoucieux de tous les équipasses, Porteur de blés flamands ou de cotons anglais. Quand avec mes haleurs ont fini ces tapages, Les Fleuves m'ont laissé descendre où je voulais.
Dans les clapotements furieux des marées,
Moi, l'autre hiver, plus sourd que les cerveaux d'enfanta.
Je courus I et les Péninsules démarrées
N'ont x>a8 subi tohu-bohus plus triomphants.
i9o roiTBS d'aujourd'hui
La tempête a béni mes éveils maritimes. Plus léger qu'un bouchon j'ai dansé sur les flots Qu'on appelle rouleurs éternels de victimes. Dix nuits, sans regretter l'œil niais des falots.
Plus douce qu'aux enfants la chair des pommes si^res
L'eau verte pénétra ma coque de sapin
Et des taches de vins bleus et des vomissures
Me lava, dispersant gouvernail et grappin.
Et, dès lors, je me suis baigné dans le poème De la mer infusé d'astres et latescent, Dévorant les azurs verts où, flottaison blême Et ravie, un noyé pensif parfois descend,
Où, teignant tout à coup les bleuités, délires Et rythmes lents sous les rutilements du jour, Plus fortes que l'alcool, plus vastes que vos lyres, Fermentent les rousseurs amères de l'amour 1
Je sais les cieux crevant en éclairs, et les trombes. Et les ressacs, et les courants ;je sais le soir. L'aube exaltée ainsi qu'un peuple de colombes. Et j'ai vu quelquefois ce que l'homme a cru voir.
J'ai vu le soleil bas taché d'horreurg mystiques, Illuminant de longs figements violets ; Pareils à des acteurs de drames très antiques. Les flots roulant au loin leurs frissons de volets.
J'ai rêvé la nuit verte aux neiges éblouies. Baisers montant aux yeux des mers avec lenteur : La circulation des sèves inouïes. Et l'éveil jaune et bleu des phosphores chanteurs
J'ai suivi des mois pleins, pareille açT vacheries Hystériques, la houle à l'assaut des récifs, Sans songer que les pieds lumineux des Maries Pussent forcer le mufle aux Océans poussifs.
J'ai heurté, savez-vousl d'incroyables Florides Mêlant aux fleurs des yeux de panthères, aux peaux
ARTHUn RIMBAUD l6l
D'hommes des «rcs-cn-ciel tendus comme des brides, Sous l'horizon des mers, à de glauques troupeaux.
J'ai vu fermenter les marais, énormes nasses Où pourrit dans les joncs tout un Lévialhan ; Des écroulements d'eaux au milieu des bonaces, Et les lointains vers les gouffres cataractant,
Glaciers, soleils d'argent, flots nacreux, cieux de braises, Echouages hideux au fond des golfes bruns Où les serpents géants dévorés des punaises Choient des arbres tordus avec de noirs parfums.
J'aurais voulu montrer aux enfants ces dorades
Du flot bleu, ces poissons d'or, ces poissons chantants.
Des écumes de fleurs ont béni mes dérades.
Et d'ineffables vents m'ont ailé par instants.
Parfois, martyr lassé des pôles et des zones, La mer, dont le sanglot faisait mon roulis doux, Montait vers moi ses fleurs d'ombre aux ventouses jaunes; Et je restais ainsi qu'une femme à genoux.
Presqu'île ballottant sur mes bords les querelles Et les fientes d'oiseaux clabaudeurs aux yeux blonds ; ^t je voguais, lorsqu'à travers mes liens frêles \)es noyés descendaient dormir à reculons.
Or moi, bateau perdu sous les cheveux des anses. Jeté par l'ouragan dans l'élher sans oiseau, Mni dont les Monitors et les voiliers des Hanses N'auraient pas repéché la carcasse ivre d'eau,
tJbre, fumant, monté de brumes violettes, Moi qui trouais le ciel rougeoyant comme un mur Qtii porte, confiture exquise aux bons poètes. Des lichens de soleil et des morves d'azur,
Qui courais taché de lunules électriques, Pla.ïche folle, escorté des hippocampes noirs, Quand les Juillets faisaient crouler à coups de triques Les cieux ultramarins aux ardents entonnoirs.
i6ji roÉTBB d'aujouhd'hui
Moi qui tremblais, sentant geindre à cinquante lieues Le rut des Béhémols et des Maelstroms épais» Fileur éternel des immobilités bleues. Je regrette l'Europe aux anciens parapets.
J'ai vu des archipels sidéraux, et des îles Dont les cieux délirants sont ouverts au vogueur : -Est-ce en ces nuits sans fond que tu dors et t'exiles, Million d'oiseaux d'or, ô future Vigueur f
Mais, vrai, j'ai trop pleuré. Les aubes sont navrantes, Toute lune est atroce et tout soleil amer. L'acre amour m'a gonflé de torpeurs enivrantes. Oh, que ma quille éclate ! oh, que j'aille à la mer I
Si je désire une eau d'Europe, c'est la flache Noire et froide où, vers le crépuscule embaumé Un enfant acccroupi, plein de tristesse, lâche Un bateau frêle comme un papillon de mai.
Je ne puis plus, baigné de vos langueurà, ô lames. Enlever leur sillage aux porteurs de cotons. Ni traverser l'orgueil des drapeaux et des flammes, Ni nager sous les yeux horribles des pontons I
LES CHERCHEUSES DE POUX
Quand le front de l'enfant plein de routes tourmentes, Implore l'essaim blanc des rêves indistincts, Il vient près de son lit deux grandes sœurs charmantes Avec de frêles doigts aux ongles ai^entins .
Elles asseoi«nt l'enfant auprès d'une croisée Grande ouverte où l'air bleu baigne un fouillis de fleurs, Et, dans ses lourds cheveux où tombe la rosée, Promènent leurs doigts fins, terribles et charmeurs.
Il écoute chanter leurs haleines craintives Qui fleurent de longs miels végétaux et rolés
ARTHUR RIMBAUD l03
Et qu'interrompt piiruiis un sntlement, salives Reprises sur la lèvre ou désirs de baisers.
Il entend leurs cils noirs battant sous les silences Parfumés ; et leurs doigts électriques et doux Font crépiter, parmi ses grises indolences, Sous leurs ongles royaux la mort des petits poux.
Voilà que monte en lui le vin de la Paresse, Soupir d'harmonica qui pourrait délirer ; L'en Tant se sent, selon la lenteur des caresses, Sourdre et mourir sans cesse un désir de pleurer.
VOYELLES
A noir, E blanc, I rouge, U vert, O bleu, voyelles. Je dirai quelque jour vos naissances latentes. A, noir corset velu des mouches éclatantes Qui bombillent autour des puanteurs cruelles.
Golfes d'ombre ; E, candeur des vapeurs et des tentes» Lance des glaciers fiers, rois blancs, frissons d'ombelles ; I, pourpres, sang craché, rire des lèvres belles Dans la colère ou les ivresses pénitentes ;
U, cycles, vibrements divin» des mers virides. Paix des pâtis semés d'animaux, paix des rides Que l'alchimie imprime aux grands fronts studieux ;
O, suprême Clairon plein de strideurs étranges, Siieuces traversés des Mondes et des Anges : — 0 rOBftéga, rayon violet de Ses Yeux !
{Œavret dt Jeait-Arthitr Rimbaud, éditioB dt 1908.)
GEORGES RODENBAGH 4855-4898
Georges Rodenbach naquit à Tournai (Belgique), le i6 juillet i855, tonrnaisien seulement sur les registres de l'état civil. Toute sa fa- mille était, en effet, d'origine flamande. Son grand-père, Constantin Rodenbach, fut successÎTement membre du Conseil national, repré- sentant, consul en Suisse, et ambassadeur de Belgique à Athènes. II était, en 1828, professeur de médecine à Bruges, où il publia, chez Félix de Pachtere,une remarquable consultation médico-légale, mentionnée par M. Edmond Picard dans sa Bibliographie du droit Belge. Les Rodenbach sont d'ailleurs une famille d'écrivains. Un oncle de Georges Rodenbach, Alexandre Rodenbach, nommé « l'a- Tcugle de Roulers », qui avait été l'élève, à Paris, de Valentin Haûy, et qui fut pendant plus de trente ans représentant de sa ville, est l'auteur d'un ouvrage fort connu : Les Aveugles et les sourds- muets, publié à Tournai en i855. Le père de Georges Rodenbach écrivait également, et a publié des travaux historiques sur les poids et mesures, et un excellent guide : Dinani pittoresque. Mais deux Rodenbach sont surtout à retenir comme écrivains : Albert Roden- bach, poète flamand, né à Roulers en i855, et mort en 1880, auteur d'un ouvrage : Gûdrun, qui est classé par la critique flamande parmi les chefs-d'œuvre, — et Georges Rodenbach. « Ses parents étant venus se fixer à Gand, trois mois après sa naissance, il y vécut toute sa jeunesse. Son enfance s'écoula ainsi, non loin des canaux étroits, parmi le paysage dont il devait plus tard exprimer si bien la sommeillante et vaporeuse mélancolie. A sept ans on l'envoya an colIègeSainte-Barbe, de sa ville.pour faire ses études.» Sorti de Sainte- Barbe en 1875, il entra à l'Université de Gand, obtint ses diplômes, et, devenu docteur en droit, revint à Paris, vers 1876, pour écouter les professeurs et les avocats célèbres. C'est alors qu'il fit partie du cercle des Hydropalhes, fondé par Emile Goudeau, et qu'il publia SCS premiers livres : Les Foyers et les Champs, puis Les Tristesses, où son talent particulier se montrait déjà et qui commencèrent à
•■OnatS RODBNBAGB l65
établir sa réputation. Vers i885, il s'établit à Bruxelles, où il se fit inscrire au barreau. Les journaux lui prédisaient une clientèle cer- taine, et il plaida avec succès plusieurs causes dont une ou deux ont laissé quelque souvenir. Il abandonna ensuite le barreau pouTi se consacrer exclusivement à la littérature. Il contribua à fonderi La Jeune Belgique et se &t remarquer notamment par ses polémi- ques avec un collaborateur de la Chronique, qu'il provoqua même,, inutilement, en duel. En 1887, il quitta déRnitiveinent la Belgique,, et vint se fixer à Paris, où il mourut le aS décembre 1898, laissant nne veuve et un jeune Gis. Son talent, qui n'empruntait rien à per- sonne, qui apportait au contraire une nuance nouvejla autant que pénétrante dans la poésie, et sa vie d'écrivain lui avaient conquis une belle place dans notre littérature et mérité l'estime de tous.» S'il fallait assigner une place à Georges Rodenbach dans la littérature belge, a écrit M. Emile Verhaercn, elle serait facile à déterminer. Il prendrait rang parmi ceux dont la tristesse, la douceur, le senti- ment subtil et le talent nourri de souvenirs, de tendresse et de si- lence, tressent une couronne de violettes pâles au front de la Flan- dre : Maeterlinck, Van Lerberghe, Grégoire Le Roy, Elskamp.Mais il parait plus juste de ne point l'isoler dans un groupe, de ne point le détacher de la grande littérature française. Les groupements par pays ou par provinces rétrécissent les jugements esthétiques. L'art n'est point d'une région; il est du monde. Il n'est point ceinturé de frontières. Il prend pour tremplin la personnalité pour bondir vers l'universel. Peu importe de quelle patrie il vient. S'il s'élève à une certaine hauteur, il ne faut point s'inquiéter de quel sol il a jailli. Or, dans l'universelle littérature française, Georges Rodenbach se classe parmi les poètes du rêve, parmi les raffinés de la phrase, parmi les évocateurs, spécieux parfois, rares toujours, dans le voi- sinage de ces deux amis et maîtres, qui l'aimèrent autant qu'il les aima : Edmond de Goncourt et Stéphane Mallarmé. Il est de ceux qui suggèrent à l'encontre de ceux qui constatent ; il est de ceux qui se renferment à l'encontre de ceux qui se déploient. Il a mis des sourdines à ses vers et à ses pensées ; il déteste les tapages de l'orchestre : c'est un recueilli. II apporta dans l'art contemporain un encens pris aux ocrcmonies d'un mysticisme nouveau, que ne connurent ni Baudelaire ni Verlaine. Il le recueillit non point en des chapelles espagnoles, ni en des cathédrales françaises, mais en des béguinages flamands. Mysticisme précis, propret, dominical, mys- ticisme de confessionnal, de triduums et de neuvaines; mysticisme de banc de communion qui, les mains jointes, s'en va vers l'hostie, non pas nu-pieds, en marchant sur des jonchées de ronces et d'épines, mais eu foulant des dalles bien nettes, avec des sandales biaachu «t pieusemeat feutrées. »
l60 poftTXS d'aujourd'hui
On * également de Georges Rodenbach, outre ses recueils de poèmes, parmi ses ouvrages en prose, un volume d'études littérai- res : L'Elite, portraits d'écrivains, d'orateurs et d'artisfefî, d'un grand charme de lecture et d'une intelligence très vive. On a publié depuis sa mort Le liouet des Brames, recueil de contes, et Le ML rage, drame en 4 actes, qu'il avait tiré de son roman Brages la Morte. Un monument, qui est l'œuvre du sculpteur Georges Minne, lui a été élevé à Gand.
Georges Rodenbach a collaboré à La Nouvelle Revae, à La Re- vue des Revues, au Mercare de France, k La Revue de Paris, à La Revue Blanche, k La Revue Encyclopédique, k La Rnuve Bleue, k. L'Image, k L'Almanach de» Poètes (1898), à L'Aube, au Livre des Légendes, au Figaro tt Supplément du Figaro (1888-1898), au Gaulois (1888-1899), au Journal (1897-1898), etc., etc.
Bibliographie :
LiB 0EUVRK8. — Le Foyer et les champs, po<?sies. Paris, Palmé, et Bruxelles, Lebrocquy, 1877, in-i8. — Les Tristesses, poésies. Paris, Le- roerre, 1879, in-i2. — Ode à la Belgique, Bruxelles, Office de Publicité, 18^0, in-lî. — La Mer élégante, poésies, Paris, Lemerre, 1881, in-18. — L'Hiver mondain, poésies, ill. de Van Beers. Bruxelles, KJsteniaeckers, 1884, in-18 (Georges Rodenbach avait supprimé ces cinq volumes de la lifte de •es ouvrages). — La Petite Veuve, saynète en 1 acte, en prose (en colla- boration avec Max Waller). Bruxelles, J. Finit, ». d., in-12 de 23 p., tirée à lOOexempl. — La Jeunesse Blanche, poésies. Paris, Lemerre, 1886, in-18. — Du Silence, poésie», plaquette. Paris, lemerre, 1888, in-18. — L'Art en exil, roman. Pan», QuaiiUn, 1889, in-18. — Le Règne du Silence, poésies, Paris, Charpentier, 1801, in-18 (La plaquette Du Silence a été réim- primée dans ce volume). — Bruges-la-Morle, roman, frontispice de Fer- nand Khnopff, illustr. de Ch, Petit. Paris, Flammarion, 1892 (Réimp. : Bru- ges-la-Morte, nouvelle édition, avec portrait sur la couverture, Paris, Flam- marion, 1904, in-18 ; Bruge*-la- Morte, uouv. édition, avec 43 compositions originales d'après nature, dessinées et gravées sur bois par Henri Paillard. Paris, E. Carteret et C'«, 1908, in-8). — Le Voyage dans les yeux. Paris, OUendortf. 1893, in-18. (Réimprimé à la suite du recueil : Le* Vie» encloses. Paris, Charpentier, 1896, in-18). — Le Voile, un acte en vers, représenté pour la première fois sur la scène du Théâtre Français, le 24 mai 1894. Paris, OUendorff, 1894, in-18. — Musées de béguines, poésies et nouvelles. Paris, Charpentier, 1894, in-18. — La Vocation, roman illustr. de Cassiors. Paris, OUendorff, 1895, in-18. — Les Vierges, ill. de J. Rippl-Ronaï. Paris, Cha- merot et Renouard, 1895, gr. in-8. —Les Torabe.iux, ill. do J. Pitcarn Knowles. Pari», Chamerot, et Renouard, 1896, gr. in-8. — Les Vies enclo- ses, poésies. Paris, Charpentier, 1896, ia-18 (La plaquette Le Voyage dan* le* yeux a été réimprimée dans ce volume). — Le CArillonueur, roman. Paris, Charpentier, 1897, in-18. — Villes mortes, quatre petits poéim-s. S. 1 n. d., petit ia-4 de 3 Cf., non paginés (Exemp. d'épreuve iuiprimé & Apver» k 50 «xempi , pour Le Spectateur catholique, par J.-B. Bucbioana •B IMft. RAiisprimés daas U Miroir dm Met luUtU, Paria, Cauvp«aUar, laOI,
•BOKOBI nODBNBACH 167
|o-l«). — L'Ai'lH'e, roniun, iU. de Pinehon. Parin. OUemlorfr, IS'J»; in-lS. Le Miroir (lu ciel natal, poi^sie». Paris, Cliarpenlier, 1898, in-18. — L'Elite, ôliuie» litlérairM. Paris. Charpriilior, 180». ni-18.— Le Uouol d«>s bfiiineH, conte» powlIiuraM. Paris, Olleniloi-ff, i900, iii-18. — Le Aliragu. dlraïuo eu 4 acte», lire par 6. RoJ«ubach de llmgit-la-Morle. Paris, Olleu- dortr, 1901. in-18.
PHWAca». — Frédéric Salwi«t : Au Fil du réott, Pari», Ollendorlf, 1897. tB-18. — Charles Gitérln tJoie$ Gri$e*, Paris, Ollondorff, 1894, in-18.
Ou trouve, eu outre, des extrait» (i)ros« cl Ter») de George» Rodenbach dans les ouTragps suiTant» : Aluianach «les poèt«fl. 18U8. Paris. Soc. du Mercure do Ki;iiice. 1898. in-8.— Poètes bcloes d'expression Inii»ca'»e, par Pol do Mont. Aluiolo, W. Hilariiis, 1899, in-18. — Anlholooie des Ecrivains Belges de langue Iraocalse. Georges Rodenbach. biuxel- le», Declieone et C'*, 1903, iu-lB, etc.
PoÈHis Mia KM Mu»i«Tii. — Dix poésie* de Georges Jiodenàaeh mitet en mutiqMe pv B. Strohl . Pari», Toledo, 1901, in-folio.
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lêl roiTKS d*au«oukd'hui
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Iconographie :
Van den Eeden. — Peinture, 1881. — AU. Stevens : Peinture,
1892, sur un exemplaire do Bruges-la-Morte, appartenant à Edmond de Gon- court et acheté depuis par M. de Montesquiou-Fezensac. — Kalaëlll : Dessin, 1892, repr. dans Le Nouvel Echo, l" mai 1898 (appartient à M°" Georges Rodenbacii). — Baronne Alex. d'Anethan : Pastel, 1892 (appartient à M"* Georges Rodenbach). — Lévy-Dhurmer : Pastel, 1894 (au Musée du Luxembourg). — Alb. lîesnard : Dessin, 1898 (appartient à M™« Georges Rodenbach). — Mad. Alb. Besuard : Bronze, 1898: pour le monument de Georges Rodenbach, au Père-Lachaise. — Henry Bataille ; Lithographie (Tètes et Pensées. Paris, Ollendorff, 1905, in-4). — Georges Mlnue : Monument de George» Rodenbach, inauguré à Gaud, le 19 juillet 1903. — Et des reproductions de portraits et de photographies dans des journaux et périodiques, entre autres : L'Echo de la Semaine, août 1892, la Revue de» Revue», la Revue Encyclopédique et L'Illustr»tion, ^riw-tévnet 1899.
BÉGUINAGE FLAMAND
I
Au loin, le béguinage avec ses clochers noirs, Avec son rouge enclos, ses toits d'ardoises bleues Reflétant tout le ciel comme de grands miroirs, S'étend dans la verdure et la paix des banlieues.
Les pignons dentelés étagent leurs gradins Par où montent le Rêve aux lointains qui brunissent, Et des branches parfois, sur les murs des jardii^s, Ont le geste très doux des prêtres qui bénissent.
En fines lettres d'or chaque nom des coiivenls Sur les portes s'enroule autour des banderoles, Noms charmants chuchotes par la lèvre des vents : La maison de l'Amour, la maison des Corolles
Les fenêtres surtout sont comme des autels Où fleurissent toujours des géraniums roses, Qui mettent, combinant leurs couleurs de pastels, Comme un rêve de fleurs dans les fenêtres closes.
Fenêtre des couvents ! attirantes le soir Avec leurs rideaux blancs, voiles de mariées. Qu'on voudrait soulever dans un bruit d'encensoir Pour goûter vos baisers, lèvres appariées 1
Mais ces femmes sont là, le cœur pacifié,
La chair morte, cousant datis l'exil de leurs chambres ;
Elles n'aiment que toi, pâle crucifié,
Et regardent le Ciel par les trous de tes membres !
Ohl le silence heureux de l'ouvroir aux grands murs. Où l'on entend à peine un bruit de banc qui bouge, Tandis qu'elles sont là, suivant de leurs yeux purs Le sable en ruisseaux blonds sur le pavement rouge.
Oh l le bonheur muet des vierges s'assemblant. Et comme si leurs mains étaient de candeur telle Qu'elles ne peuvent plus manier que du blanc. Elles brodent du linge ou font de la dentelle.
C'est un charme imprévu de leur dire a ma sœur » Et de voir la pâleur de leur teint diaphane Avec un pointillé de tâche de rousseur Comme un camélia d'un blanc mat qui se fane.
I lien d'impur n'a flétri leurs flancs immaculés. Car la source de vie est enfermée en elles Comme un vin rare et doux dans des vases scellé» Qui veulent, pour s'ouvrir, des lèvres éternelles I
■ Il
170 POÈTKrt u'AVJOVUO'llfft
II
Cependant quand le soir douloureux est défunt, La cloche lentement les appelle à compiles Comme si leur prière était le seul parfum Qui pût consoler Dieu dans ses mélancolies !
Tout est doux, tout est calme au milieu de l'enclos ; Aux offices du soir la cloche les exhotte. Et chacune s'y rend, mains jointes, les yeux clos, Avec des glissements de cygne dans l'eau morte.
Elles mettent un voile à longs plis ; le secret
De leur âme s'épanche à la lueur des cierges,
Et, quand passe un vieux prêtre en étole, on croirait
Voir le Seigneur marcher dans un Jardin de Vierges l
m
Et l'élan de l'extase est si contagieux. Et le cœur à prier si bien se tranquillise, Que plus d'une, pendant les soirs religieux. L'été répète encor les Ave de l'Eglise ;
Debout à sa fenêtre ouverte au vent joyeux. Plus d'une, sans ôter sa cornette et ses voiles. Bien avant dans la nuit, égrène avec ses yeux Le rosaire aux grains d'or des priantes étoiles !
{La Jeunesse Blanche.)
DOUCEUR DU SOIR!...
Douceur du soir I Douceur de la chambre sans lampe I Le crépuscule est doux comme une bonne mort Et l'ombre lentement qui s'insinue et rampe Se déroule en pensée au plafond. Tout s'endort
Comme une bonne mort sourit le crépuscule, Et dans le miroir terne, en un geste d'adieu,
OKOnOKS RODINBACai I7I
Il semble doucement que soi-méine on recule, Qu'on n'en aille plus pAIe et qu'on y meure up peu.
Stir les tableaux pendus aux murs, dans la mémoire ' )ù sont les souvenirs en leurs cadres déteints, I*aysages de l'âme et paysages peints, On croit sentir tomber comme une neige noire.
Douceur du soir I Douceur qui fait qu'on s'habitue A la sourdine, aux sons de viole assoupis ; I/amant entend songer l'amante qui s'est tue Et leurs yeux sont ensemble aux dessins du tapis.
fît langoureusement la clarté se retire ; Douceur! ne plusse voir distincts! N'être plus qu'un i Siloiicel deux senteurs en un même parfum ; Penser la même chose et ne pas se le dire.
{Le Règne du Silence :Da Silence. Fasquelle.)
AH! VOUS ÊTES MES SŒURS...
Ah ! vous êtes mes sœurs, les Ames qui vivez
Dans ce doux nonchaloir des rêves mi-rêvcs
F^irmi l'isolement léthargique des villes
Qui somnolent au long des rivières débiles ;
Ames dont le silence est une piété.
Ames à qui le bruit fait mal ; dont l'amour n'aime
'ne ce qui pouvait être et n'aura pas été ;
Ivstiques réfectés d'hostie et de saiqt-çhrème ; «li ta ires de qui la jeunesse rêva -^
Un départ fabuleux vers quelque ville immense, Dont le songe à présent sur l'eau pâle s'en va. L'eau pâle qui s'allonge en chemins de silence... Et vous êtes mes sœurs, âmes des bons reclus Et novices du ciel chez les Visitandines, Ames comme des fleurs et comme des sourdines Autour de qui vont s'enroulant les angélus Comme autour des rouets la douceur de la laine I
lys poiTBS d'aujourd'hui
Et vous aussi, mes sœurs, vous qui n'êtes en peine
Que d'un long chapelet bénit à dépêcher
En un doux béguinage à l'ombre d'un clocher,
Oh ! vous, mes Sœurs, — car c'est ce cher nom que l'Eglise
M'enseigne à vous donner, sœurs pleines de douceurs,
Dans ce halo de linge où le front s'angélise.
Oh ! vous qui m'êtes plus que pour d'autres des sœurs
Chastes dans votre robe à plis qui se balance,
G vous mes sœurs en Notre Mère, le Silence !
{Le Règne du Silence : Du, Silence. Fasquelle.)
EN PROVINCE...
En province, dans la langueur matutinalo.
Tinte le carillon, tinte dans la douceur
De l'aube qui regarde avec des yeux de sœur.
Tinte le carillon, — et sa musique pâle
S'effeuille fleur à fleur sur les toits d'alentour.
Et sur les escaliers des pignons noirs s'elTeuille
Comme un bouquet de sons mouillés que le vent cueille
Musique du matin qui tombe de la tour,
Qui tombe de très loin en guirlandes fanées,
Qui tombe de Naguère en invisibles lis,
En pétales si lents, si froids et si pâlis,
Qu'ils semblent s'effeuiller du front mort des Années I
[Le Règne du Silence : Du Silence. Fasqnelle.)
O VILLE, TOI MA SŒUR..:
0 ville, toi ma sœur à qui je suis pareil, Ville déchue, en proie aux cloches, tous les deux Nous ne connaissons plus les vaisseaux hasardeux Pendant comme des seins leurs voiles au soleil, Comme des seins gonflés par l'amour de la mer. Nous sommes tous les deux la ville en deuil qui dort Et n'a plus de vaisseaux parmi son port amer, Les vaisseaux qui jadis y miraient leurs flancs d'or ;
aiORais noDiNBAca 17'
Plus de bruits, de reflets... Les glaives des roseaux
Ont un air de tenir prisonnières les eaux,
Les eaux vides, les eaux veuves, où le vent seul
Circule comme pour les étendre en linceul...
Nous sommes tous les deux la tristesse d'un port
Toi, ville ! toi ma sœur douloureuse qui n'as
Que du silence et le regret des anciens mâts :
Moi, dont la vie aussi n'est qu'un grand canal mort I
Qu'importe ! dans l'eau vide on voit mieux tout le ciel,
Tout le ciel qui descend dans l'eau clarifiée,
Qui descend dans ma vie aussi pacifiée.
Or, ceci n'est-ce pas l'honneur essentiel
— Au lieu des vaissaux vains qui s'agitaient en elles, —
De refléter les grands nuages voyageant,
De redire en miroir les choses éternelles,
D'angeliser d'azur leur nonchaloir changeant,
Et de répercuter en mirage sonore
La mort du jour pleuré par les cuivres du soir l
Or c'est pour être ainsi souples à son vouloir
Que le ciel lointain, l'une et l'autre, nous colore
Et décalque dans nous ses jardins de douceur
0 toi, mon Ame, et toi. Ville Morte, ma sœurl
I
Et c'est pour être ainsi que l'une et l'autre est digne De la toute-présence en elle d'un doux cygne, Le cygne d'un beau rêve acquis à ce silence Qui s'effaroucherait d'un peu de violence Va qui n'arrive là flotter comme une palme Qu'à cause du repos, à cause du grand calmft. Cygne blanc dont la queue ouverte se déploie, — Barque de clair de lune et gondole de soie — Cygne blanc, argentant l'ennui des mornes vilKiy Oui hérisse parfois dans les canaux tranquilles Sou candide duvet tout impressionnable;
10.
«74 *POiTIS D AUJOURD HUI
Puis, quand tombe le soir, carjçué comme les voiles, — Dédaignant le voyage et la mer navigable — Sommeille, l'aile close, en couvant des étoiles I
{Le Règne du Silence. FAsquélIc.)
ÈPILOGUB
C'est l'automne, la pluie et la mort de l'année! La mort de la jeunesse et du seul noble effort Auquel nous songerons à l'heure de la mort : L'effort de se survivre en l'Œuvre terminée.
Mais c'est la fin de cet espoir, du grand espoir, Et c'est la fin d'un rêve aussi vain que les autres : Le nom du Dieu s'efface aux lèvres des apôtres Et le plus vigilant trahit avant le soir.
Guirlandes de la gloire, ah! vaines, toujours vaines! Mais c'est triste pourtant quand oti avait rêvé De ne pas trop périr et d'être uù peu sauvé Et de laisser de soi dans les barques humaines.
Las! le rose de moi je le sens défleurir, Je le sens qui se fane et je sens qu'on le cueille 1 Mon sang ne coule pas; on dirait qu'il s'effeuille... Et puisque la nuit vient, — j'ai sommeil de mourir !
{Le Règne du Silence. Fasquelle)
C'EST OCTOBRE QUI S'EN REVIENT...
C'est Octobre qui s'en revient avec le Soir ; Frères pensifs, ils reviennent de compagnie S'installer dans la chambre et devant le miroir Dont la clarté prolonge un éclat qui les nie ; Frères lointains, envers lesquels on eut des torts Qui rapportent un peu de fleurs des jardins morts Pour les intercaler dans les fleurs des tentures. Les tentures de demi-deuil de la Toussaint. C'est le soir, c'est Octobre ; une cloche se plaiot
•lOnaSS KODKNBACH lyS
SoDgeant confusément à des cloches futiirr^
Dont la tristesse en pleurs dans notre âme est déjà!
Le Soir s'installe et rien de précis ne subsiste;
Octobre aussi s'installe et nous revient plus triste
Depuis tous ces lung« mois où seul il voyagea
Durant l'année, à la recherche de notre Amel
Il la retrouve enfin, et doucement la blâme
De l'avoir attendu pour faire accueil au soir,
Et qu'elle soit encor si profane aux approches
De la Toussaint qui vient par un chemin de cloches...
Alors Octobre, auprès du soir, songe à s'asseoir ;
Et notre âme s'éplore en voyant, face à face,
Ces deux hôtes causer de sa mort à voix basse !
{Les Viei encloses. Fasquelie.
LB MALADE SOUVENT...
Le malade souvent examine ses mains, Si pâles, n'ayant plus que des gestes bénins De sacerdoce et d'offices, à peine humaines; Il consulte ses mains, ses doigts trop délicats Qui, plus que le visage, élucident son cas Avec leur maigre ivoire et leurs débiles veines.
Surtout le soir, il les considère en songeant Parmi le crépuscule, automne des journées. Et dans elles, qui sont longues d'être affinées. Voit son mal comme hors de lui se prolonijcant, Mains pâles d'autant plus que l'obscurité tombe I Elles semblent s'aimer et semblent s'appeler ; Elles ont des blancheurs frileuses de colombe Et, bveltes, on dirait qu'elles vont s'envoler. Elles font sur l'air des taches surnaturelles Comme si du nouveau clair de lune en chemin Entrait par la fenêtre et se posait sur elles. Or la pâleur est la même sur chaque main. Et le malade songe à ses mains anciennes;
176 poAtu d'aujourd'hui
Il ne reconnaît plus ces mains pâles pour siennes ; Tel un petit enfant qui voit ses mains dans l'eau.
Puis le malade mire au miroir sans mémoire
— Le miroir qui concentre un moment son eau noire —
Ses mains qu'il voit sombrer comme un couple jumeau ;
O vorace fontaine, obstinée et maigrie.
Où le malade suit ses mains, dans quel recul 1
Couple blanc qui s'enfonce et de plus en plus nul
Jusqu'à ce que l'eau du miroir se soit tarie.
n songe alors qu'il va bientôt ne plus pouvoir
Les suivre, quand sera total l'afflux du soir
Dans cette eau du profond miroir toute réduite ;
Et n'est-ce pas les voir mourir, que cette fuite?
{Les Vies encloses, FasqiielleJ^
LES YEUX DES FEMMES...
Les yeux des femmes sont des Méditerranée»
Faites d'azur et de l'écume des années
Où l'âme s'aventure en sa jeune saison.
Quelles mers sont là-bas, derrière l'horizon,
Qui déferlent autour de ces îles jumelles ?
En quel golfe atterrir au fond bleu des prunelles ?
L'infini s'y recule en un roulis berceur ; Et l'âme part, dérive, en proie aux vents rebelles, S'extasiant parmi les yeux des femmes belles. Mais parfois l'ouragan convulsé leur douceur Et l'âme va toucher les récifs des traîtrises ; Elle se heurte à des banquises de froideur : Climats gelés, glaçons, brouillards, régions grises ; Où navigue soudain sous un rouge équateur : Flammes d'orgueil, corail sanguin de la luxure. Feux convergeant de fleuves chauds qu'on ne voit pas. Que d'embûches cachait ce piège qui s'azure 1
L'âme est désemparée en de muets combats Et bientôt se mutile, abandonnant ses voiles.
OBOnOBS RODBNBACB I77
Vidant ses filets noirs de sa pêche d'étoiles, SacriKant ses mAts pour se sauver un peu, Jetant cargaison, or, tout, dans l'abîme bleu 1
Enfin, un soir que c'est la fin de sa jeunesse, L'ôme s'amarre ; elle est édifiée et cesse D'appareiller parmi les beaux yeux spacieux...
Ah I ce leurre d'aller royager dans les yeux I
(Les Vies tnclotet : L$ Voyage dans le» yeux. Fasquelle.)
PAUI^NAPOLÉON ROINARD
M. Paul-NapoWon Roinard est né à Nenfchâtel-en-Bray (Seine- Inférieure), le 4 février i856. Jl est l'un des derniers types de l'écri- vain bohème, irréguliw, afPranchi des contingences, sauva^re et dédaigneux. Après avoir passé son enfance jusqu'à douze ans à Neufchâtel-en-Bray, il fit ses études au lycée de Rouen, mauTais élève au possible, il s'en fait un peu gloire. A vingt ans, après une lutte opiniâtre avec sa famille, il vint à Paris, où il arriva au milieu d'un ora^^c épouvantable, après un tamponnement sous le tunnel des BatignoUes, circonstances où il voit encore un présage à tous ses malheurs. Elève à la fois à l'Ecole des Beaux- Arts et à l'Ecole de médecine, il se mit en même temps à écrire des millieni de vers qu'il a détruits depuis, au nombre desquels un drame : Savonarole, et un proverbe : En tout il faut considérer la fin, qu'il offrit alors inutilement au Théâtre-Français. Brouillé avec sa famille, après un an de service militaire au ii* régiment de ligne, il mena alors pendant sept années une vie de misère, manquant de tout, même de gtte. Grâce à sa santé robuste, il s'en sortit, et finit par vivre tant bien que mal en utilisant ses talents de peintredans de la peinture pour l'exportation, ses talents de poète à rimer des devises pour papillotes de confiseurs, ettoute sa bonne volonté dans diverses besognes, comme un emploi à la Société générale, d'où le firent congédier dès le pre- mier mois de formidables erreurs dans ses comptes. La peinture pour l'exportation allait si bien qu'il put bientôt se remettre à la poésie, — la vraie — , et publier, en 1886, son premier recueil de vers: No$ Plaies, livre de révolte intellectuelle et sociale, satire ■mère et dure. Ce livre l'introduisit dans les milieux littéraires. Il fréquenta le Chat Noir, fonda avec quelques amis la Société La Butte, d'où devait sortir le mouvement libertaire et qui donna son f.r,nrf^-y— h la première représentation du Théâtre Libre ; il dirige»
xjtt Revue Sep^ ■ , ■ , „ i ■ j- .j- .
. _ . ..rtJrntr tonale, collabora a divers quotidiens et revues,
notamment k L Ec, ' ^ , . , ,
^o d« Franc*. Ce fut quelque chose comme sa
belle époque. On vint même un jour le solliciter d'écrire un ouvra- ge «D vers, — il ne nous a pas dit à quelle occasion ni sur quel sujet, — pour lequel on s'ensfagt'ail à le faire décorer. Mais la croix, le moindre rûbau, c'était pour lui l'enré^imentemcnt dans le buiail- lon commun. 11 refusa, Dublement, et l'ou dut chercher ailleurs un poète plus serviable, sinon aussi bien doué. Retiré à l'écart de 1889 à iSgi, M. Koioard s'appliqua à retirer de la circulation tous les exemplaires de Nos Plaies qu'il put rencontrer, et conçut l'idée de son livre : La Mort da Rèut,dont les premiers fragments parurent dans la seconde Pléiade. Il reparut dans le monde littéraire en mai i8gi, pour fonder avec M. Zo d'Axa le journal anarchiste L'En Dehors:. 11 donna au Théâtre d'Art une adaptation du Cantique de* Cantiques, dont il avait lui-m*^me composé la décoration. Cette ten- tative n'eut pas un résultat absulunieut heureux. M. Roinard avait voulu faire intervenir les parfums comme moyens d'évocation scéni- que. Cela parut si nouvran qu'on le traita de fou. M. Roinard prit ensuite la Direction des f'ssa/.s- d'Art libre, où ilorganisa, en i8g4, L Exposition des Portraits du prochain siècle, qui eut lieu chez le Barc de Bouteville. Les Portraits du prochain siècle, c'étaient lea portraits des jeunes écrivains et artistes qui devaient être un jour de grands artistes et de i^^rands écrivains. M. Roinard compléta même le sens de cette exposition en publiant un volume de biogra- phies de tous ces futurs grands hommes, au nombre desquels lui- même figurait. Cette nouvelle tentative ne fut pas moins bien accueillie que l'introduction des parfums sur la scène. On se moqua, on ridiculisa, et M. Roinard dut garder en carton deux autres volumes consacrés aux musiciens et aux savants de l'avenir. Un moment, il pensa revenir définitivement à la peinture pour l'expor- tation. Il persévéra néanmoins quelque temps, fréquenta Le Club d'Art Social, puisénfin se retira de nouveau à l'écart, pourtcrire un grand drame de synthèse révolutionnaire: La Légende roufe, dont l'idée le hantait. Au moment où il allait le commencer, les catas- trophes recommencèrent. Saisi, expulsé, il se vit jeter à la rue, dépossédé de tout, et obligé de chercher un autre asile. Il est vrai qu'il eut dans ces ennuis une belle consolation comme poète. Un brocanteur acheta en bloc à la vente tous les exemplaires de No$ Plaies que M. Roinard avait si patiemment soustraits à la curiosité du public et eo garnit toutes les boîtes des quais, au point qu'il n'était pas m> bouquiniste qui n'en eût sa part. Puis vint le Procès des Trente, intenté parle gouvernementaux anarchistes. M. Romard se sentit compromis par sa participation à la Société La Batte, sa fréquentation au Club d'Art Social, sa collaboration à l.'En Dehors et sou xèle à répandre les listes de piotfstations contre l'cKpulsioa éa M. Alexandre Cohen et l'arresiatioa d« M. Jmu»
i8o poiTBs d'aujouhd'hui
Grave. Il pensa que le premier de voir d'un homme passionné pour la liberté était de la conserver, et la nuit même du verdict, sans céder à la curiosité de le connaître, il partit pour Bruxelles, exilé volontaire, comme autrefois Victor Hugo. Il n'y avait d'ailleurs à ce départ aucune raison sérieuse. M. Roinard n'était nullement compromis. Jamais on n'avait pensé à lui. Sou nom n'avait même pas été prononcé. Son imagination de poète avait seule tout fait. Arrivé à Bruxelles avec cent sous en poche, M. Roinard vécut là au moyen de dessins au Pelit Bleu, d'articles dans des revues, faisant de l'aréostation, de la littérature et de la peinture, jusqu'à des affiches qu'on lui commandait et qu'on lui laissait pour compte, manquant une fois d'être expulsé comme anarchiste, une autre- fois jouant Joad dans une représentation à'Athalie avec le comédien Raymond, trouvant encore le temps, au milieu de cette vie active, de flâner, de rêver, de bavarder arec des artistes et des écrivains, et même de travailler à sa grande oeuvre Les Miroirs, pièce en cinq actes et en vers. Au bout de deux ans, jour pour jour, il revint A Paris. L'exil ne l'avait changé en rien. Sa tortunc s'était seulement un peu augmentée. Parti avec cinq francs, il revenait avec cinq francs dix. Aussitôt rentré à Paris, M. Roinard songea à faire représenter Les lUiroirs. Il ouvrit dans ce but une souscrip- tion. Mais là encore le poète avait compté sans sa chance. Tout était prêt et on allait jouer, quand, sous l'eAFet de l'affaire Dreyfus, les souscripteurs s'éclipsèrent, laissant le rideau baissé sur l'œuvre et ses interprètes. Cette réussite dramatique à tous égards, — huit cents francs y avaient été dépensés en pure perte, — fit presque regretter à M. Roinard sa bonne vie pittoresque sur la terre de Belgique. Il s« décida à revenir exclusivement à ses poèmes et se remit à travailler à son livre : La Mort du Rêve, qu'il publia en 190a, et à l'occasion duquel un banquet lui fut offert, le aS juin de la même année, par des artistes et des écrivains, sous la présidence de M. Rodin. Naturellement, nous fait remarquer M. Roinard, la presse fit le plus unanime silence sur cet important événement. Depuis cette époque. M. Roinard ne travaille plus guère — a décou- ragé, malade, retiré, blotti à Bclleville dans un coin de grand air et
sous un nid de feuilles, rendant à Paris silence pour silence ».
/eut-être aurons-nous cependant un jour un nouveau livre de lui, avec son drame, Les Miroirs, pour la publication duquel la revue La Phalange a ouvert une souscription.
M. Roinard a collaboré à L'Avenir de Rouen, à La Hève, à La Revue septentrionale, k L'Alcesie,na Parisien, k L'Echo de France, i L'En dehors, aux Essais d'art libre, au Mercure de France, à La Plume, au Petit Bleu et au Public de Bruxelles, i La Revue tncyclopédiga*, à L'Humanité, «u Journal d» Parié, à La R$vu$
rAUL-MAPOLiON IIOINAIID l8l
des Beaux-Art» et de» Lettre», «a Réveil, «u Beffroi, k La Pha- lange, à La Revu» de Pari» et de Champagne, etc.
Bibliographie :
Les isuviiKs. — Nos plaies, poésies, courertore dessinée par l'auteur. Pans, Soc. Typograpliiqno, 1886, iu-18. — ChauBOn d'Ainour, poésie, iuu6i({ue (lo Louis liesse. Paris, Durdilly. s. d., eu fouille. — Six étages, récit en vers, i'aris, Ed. Girard, s. d., en feuille. — Berceuse, i>oésie, s. 1. n. d [Paris, Kd. Girard], 2 ff., la courerture sert- de litre (50 exenipl.). — A Dieu, s'il existe. Paris, chez l'auteur, 7, rue Pixérécourt, s. d., eu feuille, — La Mort du itève, poèmes. Pari«, Soc. du Mercure de France, 190i, iu-8. — Sur l'Avenue sans llu, poème. ParU et Reimi, Revue de Paris et de Cliampagne (et chei l'auteur), 1906, in-8.
Pour pahaitrs. — Les Miroir», moralité lyrique en cinq phase* et en vers (Ed. de« la Phalange .).
Préfacks et notices. — Portraits du prochain siècle. Paris, Girard, 1894, iu-18.— Q'iuvros posthumes de Paul Audrlcuurt. Paris, Mouillot, 1902, iu-18. — Soirée d'Art social. Programme illustré par Deluermox.
On trouve, en outre, des poc^'nies de P.-N. Koiuard dans les ouvrages sui- vants : l*uètes du Muni, 1880-1002, morceaux choisis publiés par A.-M.Gossez. Paris, OllcnJoifl', 1U02, in-18; Authologle des Poètes nor- inauds coutenipuraius, pa^'^l.-C. Poinsol. Paris, Flour)|||s. d., in-i8
EiiHu, ou doit au même auteur une traduction du Cantique des CauUquett représentée, avec la musirjiio de M"* Flameu de Labrély, au Théâtre d'Art en décembre 1891 (non publiée).
A CONSULTER. — LéoD Uloy : Léon Rloy devant les cochons. Paris, Gw- Qiuel, 1894, in-18; Zc Mendiant ingrat. Bruxelles, Ueman, 1898, in-18. — Georoes I)oc(|uois : Le Congrès des Poètes. Paris, Bibliothèque artistique et littéraire, 1894, ia-16. — A.-M. Gossez : Poètes du Nord. I8S0-I903, morceaux choisis, accompagnés d'un essai bio-bibliographique, etc. Paris, Ollen- dorCf, 1902, in-18. — Julien Lecleroq : Boinard, notice dans Les Portrait» du prochain siècle. Paris, Giiaid, 1894, iu-18. — M.-C. Poinsot : Anthologie de» poètes normand» contemporain» (Portraits de P.-N. Roinard). Paris, Floury, s. d., in-16.
Anonyme : Banquet d Boinard. La Plume, 15 juin 1902. — Anonyme : Echus Les Fêles Cornéliennes de Boutn. Mercure de France, juillet 1004. I.éou Bocquet : P.-N. Boinard. Le Beffroi (Lille), octobre 1902. — m Court : Le Cantique de» Cantiques au Tliédlre d'Art. Mercure de I rauce, janvier 1892. — Féltcien Fagus : P.-N. Boinard. La Revue des Beaux-Arts et des Lettres, 1" mai 1899; Sur le même. Revue Blanche, 1" novembre 1002.
Iconographie :
Louis Auquetln : Portrait d rkuile, 188S (appartient à M. Roioard) ; Portrait d r/iui7e[ Exposition des Portraits du prochain siècle, chei Le Barc de Boulcville, iS93J (appartient h M. Roinard), reprod. dans la Revue Eucyclo- pédiiiue, 15 novembre 1803.— A. Brlère : Croquis. La Plume, 15 juin 1892. — F. CourohA : D«»»m dlaplune, reprod. dsiu le Mesiager Pamieu, 18M.—
■ 11
i8a p<%
POSTES D AUVOURD HUI
Frédéric Front : Portrait, publié dans la Re<nM des Beaux-Arts et de» Lettres, 1" mai 1899.— Alfred Ko Petit : Caricature, 1884. — P.-N. Hol- nard : PortmiU à l'huile, 1901 et 19G7 («ppMi. à VMitattt)< — CroduU, dans le Petit Bleu, 30 juin 1902, etc...
FIDE^B SOUVENANGB
I
J'ai dans ma vie un lieii joli,
Un joli lieu d'intime amour et de fiMe
Secrète :
Ua pan de ciel, avec up pli.
Des feuilles vertes sur la tête,
D(is feuilles mortes sous les pieds, un joli
Lieu (i'.\mour grand comme un lit
De fillette.
Au loin sur la mer ime voile parUit.
n
J'ai rians ma vie un joli lieu
Dtî r.H-e doux et de retraite sainte.
Lieu parfumé par les baumes ; un peu de bien
Vera l'Orient, c'est la forêt et son étreinte
Aux uJUe bras ; un peu
De vent vers l'Occident, c'est la mer et sa plainte.
Au loin sur la terre une vieille chantait.
H)
J'ai dans ma vie un joli
Liçu d'amour dont mon Ame est toute plein*.
Refuge cher, tout au loin du vulgaire oubli,
Margelle en fleurs tout au bout d'une plaine.
Puits de fraîcheur où se réfléchit
Le rare éclat d'un regard d'inlîni
Qui doucement sommeille enseveli
Sous les frissons velus de la Verveine
wwL-tfAyçiÂott noiNAaD i83
HIeue et de la blérae Marjolaine. ' I loin sur la mer une voile partait.
IV
ai daDs ma vie une minute d'or yui tinta si longtemps, qu'elle retinte encor En ce lieu si tendre, où je ui'enfuis quand je pleure. Et c'est là, qu'en beryant l'heure D'autrefois dans un ineffable leurre Je songe comme on dort, Et c'est là qu'en dormant. Dieu veuille que je meure !
Au loin sur la terre une vieille chantait.
LA voix DBS CBOSK8
i'^Iu ! qui pour jamais peut en soi maintenir L'Idéale grandeur d'un pieux Souvenir.
• {La Mort du Rêve.)
BERCEUSE
Do 1 gente Yvonne, do I
Dormez sous l'ombre du rideau Où la vieillesse inassouvie Et pourtant lasse vous envie. Do ! do !
Certes, vous serez belle
Et bien des gens vous flatteront.
Qui ne vous aimeront
Que si vous leur êtes rebelle.
Do ! gente Yvonne, do \
La vie est lourde, et son fardeau Sous qui parfois le cœur dévi. Rend âpre lu pente gravie. DoUoI
l84 POÂTBS D'AUJfOUKo'HUI
Vous serez bonne et sage Et de faux sourires mordants Vous montreront les dents En saluant votre passage.
Do 1 gente Yvonne, do !
Trois voix hurlant en crescendo Tentent notre âme poursuivie : L'orgueil, le désir, et l'envie. Do 1 do !
Votre jeunesse avide
De voir ce qu'on lui cachera
Hélas ! ne trouvera
Partout que le faux et le videl
Do ! gente Yvonne, do !
Le sommeil est un doux bandeau Mis entre la mort et la vie : Dormir, c'est exister ravie 1 Do ! do 1
Craignez trop de science Et gardez vos beaux rêves d'or. Heureux le cœur qui dort Dans l'illusoire insouciance 1
ENVOI :
Do l gente Yyonne, do !
Dormez sous l'ombre du rideau. Candide, ignorante et ravie. Dormez, dormez toute la vie 1 Dol do!
(La Mort du Rêve.)
LA CHANSON DE L'OSERAIE
I
Des longs pleurs dorés de blés qu'on vanne Pieu vent du crible noir de la nuit,
rACL-MArOtiOM 1101NA.KD |85
Et, barré par la croix d'une vanne. Le linceul de la rivière luit Au travers de spectres qu'il profile Et dont semblent les têtes vers lui Prosterner leurs sanglots à la file.
Le Râle du vent sourd Lonre et reloure une houle d'amour.
n
De l'aube rose et de la rosée
Monte un vol, gazouilleur, comme un ch mnr
De baisers, d'un chevet d'épousée.
Couleur du soleil, couleur de cœur.
Flambe l'osier jaune et violâtre l
Il pétillera de l'or vainqueur,
Cet hiver, dans la bourse et dans l'Âtre I
Le Râle du vent sourd Loore et reloure une houle d'amonr.
m
Tel qa'nn vaste cliquetis d'épées. Midi vibre en les osiers trembleurs. Les amants, des cheveux des cépées, Tresseront, sous leurs doigts cajoleurs, La Ruche d'usage pour l'abeille. Ruche offerte au miel des vierges fleurs. Et pour les noces une corbeille.
Le Râle du vent sourd Loure et reloure une houle d'amour.
rv
A ftri l'abeille vers l'oseraie,
Fui la corbeille sans orangers :
Les vieux troncs morts dont le soir s'eiîraie
iW roÉTBS d'aujtouiid'hiji
Sifflent un bruit de crânes ronj^és... Pour baiser, la gouine eut l'élrivière. Pour collier, trois brins d'osier chargés îyvum pierre, et, pour ]it, la rivière !..
Le Râle du vent sourd LcNire et reloure une houle d'amour.
{La Mort du Rêve,)
RBQRBTS DB L'AUULB
FUes l'or soyeux de voa baisers tressé»,
Filez ses linons, ses linons éphémères,
Car vos fuseaux bUncs, sous vos doigts de grand'mères,
Pileroat le lin, le lin des trépassés.
Te rappelles-ta mou roile d'épousée
Où, vierges, tremblaient d'altiers fleurons de mai ?
Qu'alors tu m'aimas et qu'Slôrs je t'aimai !
Que ce temps est loin dàii* ina toédioire Usée 1
D'abord tu ne sus qu'effeuiller les verdeur* Des ehastes amours qu'à peine l'on e£Fane, N'osant égrener le rosaire profane Que te défendaient mes dévotes pudeurs.
Tes baisers subis m'outrèrent de leurs dîmes^ Toi, par tes égards, et moi, par mes refus> Niaise que j'étais et faible que tu fus^ Quels jeunes instants précieux nous perdtmes!
Pourtant, mal gardés d'enclos très anodins, Voisins plus voisins par l'attrait des caresiie», Nos corps curieux de leurs beautés pairesses Entraient l'un chez l'autre ainsi que deux jardins.
Puis lasse, bientôt, d'insaveurs trop pareilles Et rêvant de fruits que tu disais meilleurs. Je cueillis l'ivresse au fond des gazouilleura Eucbcvâtrements dont frissonnent les treilles.
VAOL-HArOLiON HOmARD iS'J
Soudain s'éclaira des charmes irs puis cners Noire intimité lentement détrrafée, El beau comme un dieu, belle comme une fée. Nous flme« le tour de nos Ëdens de chairSt
Dès Ion tes désirs butinant au passage La pulpe imprérue aux a^(^m«s si bons, Pàmèreiil mes sens bouleversés de bonds A Caire jaillir seins et cœur du corsage.
Ob ! la fine orgie exquise d'Apreté Quand la folle Mvre ardente désaltère Sa soif d'inconnu dans le feuillu mystère Oi^ point le plaisir dmi encore goûte !
H -las I... maintenant que d'ingrates années Brouillent nos yeux creux, ligotent nos frnnta lai, El ceignent nos flancs de hideux entrelacs, Pourquoi eet orgueil de nos vigueurs llanécsf
Nos baiserii sont morts de notis avoir vieillie I Noos avons, ehacub, l'isolement d'une île, A quoi bon fleurir notre laideur .sénile Deé primes-azur^ à juuiaiu dcbleuis.
Puisque a ftii Je temps veroal et fAstnnire I)i\s formes «'offrant sans honte de leur no, Linceulous d'oubli notre passé charnu De squelettes mûr(< pour un autre suaire.
Filez l'or soyeux de vos baisov trea«ës>
Filez ses linons, ses linons éphémè^iss.
Car vos fuseaux blanes, sous tm i^gts de grand 'mères,
FileroBt le lin, le lin des trépassée.
LA VOIX DkS dOfilS
Je voudrais que. esins pleur, sans fttùgtté e( sans trêve, On s'aiiviAt d'un aroOur toujours reaoutielé. Si j'avais orée le IU««.
{La Mort du RéiM.)
SAINT-POL-ROUX 1861
M. PanI Ronx, qui signe en littérature Saint-Pol-Roux, est né à Saint-Henri, dans la banlieue de Marseille, le i5 janvier 1861. Il fit partie, comme on l'a tu dans des notices précédentes, du cercle d'écrivains de La Pléiade, oii il débuta en 1 886. Ce fut cette même année qu'il publia sa première plaquette : Lazare, poème, suivie en 1889 d'une autre plaquette : Le Bouc émissaire, poème. Il collabora ensuite à tontes les revues de l'époque, au premier rang des poètet du mouvement symboliste. C'était le temps où on l'appelait Saint- Pol-Roux-le-Magnifîque. «Et il paraît qu'il méritait bien ce surnom, tant à cause de la splendeur de ses costumes que par la beauté tru- culente de ses discours (i). » En 1896, M. Saint-Pol-Roux alla passer deux ans dans la forêt des Ârdennes, en Luxembourg, où il écrivit un drame, La Dame à la Faalx, tragédie, qu'il fit paraître en 1899, et qu'il fut un moment question de représenter à la Co- médie Française. II se retira ensuite en Bretagne, à Roscanvel, dans une chaumière. Il vécut là sept années. Deux nouveaux dra- mes, encore inédits aujourd'hui, naquirent de cette retraite : La Dame en or et Les Péchears de Sardines. Depuis, M. Saint-Pol- Roux s'est fixé sur les dunes de Camaret (Finistère) où il s'est fait construire un manoir et où il vit avec sa femme et ses enfants, « au milieu d'une natnre qu'il adore, parmi des paysans et des pécheurs dont il aime et comprend l'Ame juste et simple >. La briè- veté de ces renseignements est un témoignage de la modestie de M. Saint-PoI-Roux et de l'effacement dans lequel il se comptait. A l'entendre ce serait même déjà trop « autour de son zéro », sur sa « petite personne •. Cet écrivain • cependant su se créer un domaine littéraire bien à lui et dans lequel il se montre souvent
(1) Frmnoif de Miomandre : Saint-Pol-Rouz. L'Art moderne, 8 septcmbn 1007.
■Aiirr-POL-Houz
189
■orprenant de tronvaille et d'inrention. Peut-être même trop sur- prenant, quelquefoii. Il derient alors obscur ou puéril, et si on l'admire, pour l'adresse du tour, c'est arec moins de plaisir. « M. Saint-Pol-Roux est l'un des plus féconds et des plus éton- nants inventeurs d'imafçes et de métaphores, a écrit M. Remy de Gourmont(i). On en dresserait un catalogue on nn dictionnaire:
Sage- femme de la lumière tfeal dire : le coq.
Lendemain de chenille en
tenue de bal — papilloo.
Péché-qui-tette — enfant naturel.
Quenouille rivante — mouton.
La nageoire des charrues — le soc.
Guêpe au dard de fouet...... — la diligence.
Mamelle de cristal — une carafe.
Le crabe des mains — main ouverte.
Lettre faire de part — une pie.
Cimetière qui a des ailes. ... — un vol de corbeaux.
Romance pour narine ^ le parfum des fleurs.
Le ver à soie des cheminées. . — ?
Apprivoiser la mâchoire ca- riée de bémols d'une taras*
que moderne — joaer du piano.
Hargneuse breloque du por- tail — chien de garde.
Limousine blasphémante — roulier.
Psalmodier l'alexandrin de
bronze — sonner minuit.
Cognac du père Adam — le grand air pur.
L'imagerie qui ne b« voit...
que les yeux clos — les rêves.
L'oméga — en grec iu»"pi
Feuilles de salade vivante — les grenouilles.
Les bavardes vertes — lesgrenouilles.
Coquelicot sonore — chant du coq (a).
... Si totUes ces imas^es. dont quelques-unes sont irgr'nieuses, se suivaient à la file vers I.es Rrposoirs de la Procession où les mène le poète, la lecture d'une telle œuvre serait difficile et le sourire Tiendrait trop souvent tempérer l'émotion esthétique; mais semées
(1) n a étâ aussi un cri5ateur de mots souvent heureux par l'exactitude de leur sens. Notamment celui A'Jdéoréalixme, par lequel on pourrait assez bien définir son art, et qui a fait fortune.
(3) On peut ajouter celle-ci, uao des plna jolies: Vivant petit clocher de plume*... — U coq.
II.
IQO rMtM t>'Â.vtovKnmm
ci et là, ^es he fout que des tachei et ne brisent pai toujours l'harmonie de poème* richemeat colorés, ingénieux et graves. Le Pèlerinage de Sainte- Anne, écrit tout entier en images, est pur de toute souillure et les métaphores, comme le voulait Théophile Gautier, s'y déroulent multiples, mais logiques et liées entre elles: c'est le type et la Itienreille du poème en prose rythmée et asso- nancée. » (Le Livre de Masques.)
M. Saint-Pol-Roux a collaboré à La Pléiade, ail* Enîniiens politiques et littéraires, à l'Echo de France, au Mercure de France, à L'Ermitage, au Coq rouge, àL 'Art littéraire, à La Société Nou- velle, k L'En dehors, à La Revue d'art dramatique, an Supplé- ment de VEcho de Paris, à Vers et Proêê, etc.
BibliograpUe :
eme.
Lasare, poème, t'aris, ISN, ia-lX. — Le ttoac émissaire, poèn
Parii, 1886, ia-lB, — L'Ame noire dU thrleur blanc, natte léyende. Paris, Ed. do Mereure de Frauce, 1893, in-8. ~ Ëpilogiies des saisous humalneSi drame en troi« parties, précédé d'un prologue et suivi d'un Epi- logue. Paris, Ed. du Mercure de France, 189S, ia-8. — Les Reposolrs de la Procession, Tome premier (portrait de l'auteur). Paris, Ed. du Mercure et France, 1893, in-8. (Voir plus loin la réimpr., considérablement augmen- tée, de cet ouvrage). ~ I.A Dame à la Pauls, tragédie. Paris, Soc. du (Mercure de Kiauce, HOfl, in-18. — La Rose et les Epines du Chemin 1885-1900. (Leê Reposoir» de la Procession, I.) Paris, Soc. du Mercure de Frabce, 1901, ia-18. — Anciennetés, poèmes. Paris, Soc. du Mercure 4b France, IMI, te-lC. — De la Colombe au Corbean par le Paou 18S5-1904. [Les Rtpeeoir$ de la Procession. II). Paris, Soc. du Mercure de France, 1904, in-lB. — Les Féeries intérieures, 1885-1906. (Les Meposoir* de U Proeetêien, III). Parii», Soc. du Mercure de Frauce, 1907, iB-18.
■m PHiPARATraK. — Le Tragique dans l'homme, recueil d'ouvrage» dramatiques (I. àtonodreau». U. L'Ange et l* Bite). Les Reposolrs de la Procession, IV M V.
On trouve des potmea de M. Saint-Pol Roux daas i'Almanach des poètes, aaaéet 1896 et 18M. (Paria, Ed. du Mercure de Pnace, 1899 et 1898, t vol. in-16.)
A coRsuLTsa. — Remy de Gourmont : Le Ui*rt de» M*»q%ut . Paris, Sac. du Mercure de France, 1896, in-i8. — JmlM Çuret : Enquête sur l'Evolutiem littéraire. Paris, Fasquelle, 18tl, ib-18. — Georges Le Car- doniiei et Charles Vellay: La Littéruture contemporaine. I90B. Opinion» de» Ecrivain» de ce tetnpt. Paris, Soc. du Mercui-e de France, 1906, in-ts. — Camille Mauclalr : Saint- Pol-Bour, aolice dans les Portrait» du pro- chain siècle. Pariti, Girard, 1894, ia-18. — Catulle Mendès : Rapport sur le Mouvement franfait, de liSt â t9H- Pan*, Imprimerie Nationale, 190t, in-8, et Paris, Fasqurile, 1903, ia-«.
André Fontalnas : Saint-Pot- JhtUt. Mereioe de France, janvier 1902. — Charlaa-Uaary ■Iraoh i Mmmt Pol Reitm. Meroore de France, avril
•Aurr-roi^noox 191
fSM. — Gaailll* Maaelalr : Quetquet bttatm peéttê /Wtifai* moi eonntu. La Revue, 15 Mptembre, t" octobre IMI. — Franets de MioiUHndre : Saint-Pol-Houx, L'Art Modéra* (BruMllwK * teptembre ld07. — Edmouil Pilon : [Smint Pol-Roux]. U VcfiM, «oa*. Ééri«, année tSM.
Iconographie :
P. Vallotto* : Âimtçuê, dan* iU Liwrt dtt MiuquM, d« R«my de Oowr- iiM»t. Paria, 8o«, et Mereore <)• France, lSM.(Voir, w outre, une reproduc- tion, li'uptk ub JAcroMat phot««ra^qiw, «a frooliapiecà l'éditiaa ém Jttf^ Mifé é» U Ihrttmkrk, de IJW)
mSSAGK AUxrUKTEH AOOLtSGiNTt
Pèlerin magnifique en palmes de mémoire (O tes pieds Uus sur le blasphème des routiers I) Négliî^e les erachaU épars dans le grimoire Injuste de« crapauds qui te sont des soulier*.
Bnlinceuiant ta rose horloge d'existenct. Evoque ton faotdme A la table des folti Et partage son aigle aux ailea de diàtâiHJè A£n dappriToiaer la foi dM UMiniesub.
De li, miséricorde aux ix>ns plis de chaumière Avec un front de treille et la bouche trémière, Adopte les vieux loups qui bêlent par les ehitttpÉ
Et régénère leur prUnellè douldureuse Au diamant qui rit dans la houille des t«aps CoHUMi l'afate «a fleur «Tnar chattu ambureuse. {Lm R«fo»oirt éa Im Pi
ALOUITTIf
Les eoupa d« eiaeanx gravissent l'ai^.
Déjà le crêpe de mystère que jetèrent Ites AuUdmes 4tl vépre sur la chair fraîche de la vie, déjà le crêpe de ténèbre eât entamé sur la campagne et sur la ville.
*5* POÈTES d'auJOUd'hOT
Ouïs-tu pas la cloche tendre du bon Dieu courtiser de son tisonnier de bruit les yeux, ces belles-de-jour, les yeux blot- tis dessous les cendres de la nuit?
Les coups de ciseaux gravissent l'air.
Surgis donc du somme où comme morts nous sommes, ô Mienne, et pavoise ta fenêtre avec les lis, la pêche et les fram- boises de ton être..
Les coups de ciseaux gravissent l'air.
Viens-t'en sur la colline où les mouttns nolisent leurs ailes de lin, viens-t'en sur la colline de laquelle on voit jaillir des houilles éternelles le diamant divin de la vaste alliance du ciel.
Les coups de ciseaux gravissent l'air.
Du faite emparfumé de thym, lavande, romarin, nous assis- terons, moi la caresse, toi la fleur, à la claire et sombre fête des heures sur l'horloge où loge le destin, et nous regarde- rons là-bas passer le sourire du monde avec son ombre lon- gue de douleur.
Les coups de ciseaux grarissent l'air.
(La Ros0 et tt$ Bpinei du Chemin.)
AIGUILLES DE CADRAN
A Ouitaoe Charpentier. Index et pouce dont le bras invisible pousse sur une épaule de l'Eternel, que signifie ce geste essentiel ?
Que, ta demande aux plumes d'or, il a suffi qu'elle s'élance hors du vase où fermentent tes phrases pour dès lors avoir les plumes blanches ; car l'heure qui se lève est déjà dans le rêve.
Index et pouce dont le bras invisible pousse sur une épaule de l'Eternel, que signifie ce geste cruel?
»Atm-9ùL-novx 19'
Que lourde la douleur dont ton Ame est la proie I que légère la joie dont ton cœur est la fleur! Pourtant, tu dois passer le temps de cette abeille à cette louve jusqu'à ce que vide soit ta Tie comme une outre pressée \ongtemps par le soleil.
Index et pouce dont le bras invisible pousse sur une épaule de l'Eternel, que sijjnifie ce geste solennel?
Qu'une tombe garde la gueule ouTerte, dedans laquelle tôt ou tard il te faudra sombrer, parmi ces dents molles et mobiles noromées vers.
Index et pouce dont le bras invisible pousse sur une épaule de l'Eternel, que signifie ce geste paternel ?
Que tout meurt hormis l'œuvre, poète, et qu'il t'importe de sculpter la Forme à mettre sur ta pourriture à la merci des venta futurs, si ta ne veux mourir totalement à la Nature.
Forêt des Ardennes-en-Luxembourg ce jour des Morts 1895.
{La Ro*« et le* Epine* du Chemin.)
CIOALBS
A Paul Valéry,
Le Temps récite le rosaire du Soleil.
En ces beures couleur de trésor d'église, des joues d'ancre que l'on mangera sourient sur les bras verts des candélabres (lonlles bobèches d'herbe st^che vocalisent. Par les rubans blancs du vallon blond, dont tin coteau semble une idylle de Théocrite et l'autre une bucolique de Virgile, viennent et vont des pèle- rins en blouse, ceints d'un diadème qui repousse, tenace.mal- gré la boule de toile moyennant quoi la main tous les viin>;t pas l'etTace, pérempto ire. Dans un verger messire Epouvanl;iil bat la mesure au-dessus d'un pupitre aux notes de cerise osr- culôes sur le fifre par un berger d'ouailles qui bêlent sdiis un vol vivace d'hiroîKlelles tricotant l'espace. Cependant, devant son seuil enjolivé de chèvrefeuilles, un vieillard d'avant-
i^ PoiTBS d'aojouiid'boi
garde aiguise l'annuelle ftiulx, comme ■11 lustrait «Teèque de la bise une laine de fond.
Le Temps récite le rosaire du Soliil,
Provence, jaîa itgl. {Lm Aoêê et le» Epines du Chtmm,)
OBAUVIS-SOUlllt
Mienne, évitons les éteignoîra nanipulés par des braa mai- gres jusqu'à l'invisibilité.
Regarde-les s'évertuer contre le» choses de clarté.
Mienne, évitons les éteignoirs manipulés par dés bras mai- gres jusqu'à l'invisibilité.
Les voici sur les yeux des jardina, les voilà sur les fleurs des visages.
Mienne, évitons les éteignoirs manipulés par des brw mai- gres jusqu'à l'invisibilité.
Si ces bras n'étaient courts, il en serait iait^éjà de ce prcr mier essaim d'étoiles.
Mienne, évitons les éteignoirs manipulés par des bras mai- gres jusqu'à l'invisibilité.
Notre amour étant de la lamière aussi, rentrons vite jooer, paupières closes, i la mort rose, dans le Un du rêve,
O Mienne, afin de dépister les éteignoirs manipulés par des bras maigres jusqu'à l'invisibilité.
Mais, d'abord, faisant oeuvre de vie e'est-à-dire divine, commençons la fille ou le garçon dont le lointain sourire se devine entre nos caresses que le destin rend une, — et prépa- loaa ainsi notre immortalité commune!
(id JÊÊêe et brn Bpbue dm Ckêmm.)
aAiNT-roL'ROuz t^S
SOIR OB JIREBIS
La tache de sans: dëpoint A l'horizon de ci.
La goiitle de lait point à l'horizon àe li.
Homme simple qui s'éparpille dans la flûte et dont la pru- dence a la forme d'un chien noir, le pAtre descend l'adoles- cence du coteau.
Le suiveut ses brebis, avec deux pampres pour oreilles et deux i^rappes pour mamelles, le suivent ses brebis : ambulan- tes vignes.
Si pur le troupeau ! que, ce aeir «atÎTal, il semble neiger vers la plaine enFantinement.
Ces nierms écrius de vie ont, là-haut, brouté les eaaaolet- tes, et redesceùdenl pleines.
Mes Désirs aussi, stimulés pkf U flûte de l'Espoir et le chien de la Foi, montèrent ce matin le coteau du Mystère, et s'en furent plus haut que les brebis de mon hameau, les bre- bis de mou âme.
Mais, parmi la prairie de jàôinthes, l'odorante étoile incen- dia les dents avides qui Voulaient dégrafer son corsage fer- tile.
C'est pourquoi mon tt-oupeia subtil, à l'heure d'angelus, rentre en mot-m£me, les flanès désespérés.
Les brebis sont au bercail^ et l*hoauBe simple m dormir entre sa flûte et son chien
DoMMim de Pierrefea, t888. {Bê lé Colombe au Corbeau par U Paom,)
ooLoonA
Le eiel enténébré de ses plus tristes bardes S'acr.roupit sur le drame universel du pic. Le violent triangle de l'arme des gafdes A l'air m\ï bout éa boift #«ne langue d'aspie.
igO POÈTES d'aujouhd'hui
Parmi des clous, entre deux loups à face humaine. Pantelant ainsi qu'un quartier de venaison Agonise l'Agneau déchiré par la haine, Celui-là qui donnait son àme et sa maison.
Jésus bêle un pardon suprême en la tempête Où ses os tracassés crissent comme un essieu, Cependant que le sang qui pleure de sa tête Emperle de corail sa souffrance de Dieu.
Dans le ravin, Judas, crapaud drapé de toiles, Balance ses remords sous un arbre indulgent, — Et l'on dit que là-haut sont mortes les étoiles Pour ne plus ressembler à des pièces d'argent.
i884.
{Anciennetés.)
LB PÈLERINAGE DE SAINTE-ANNE
A M** Sarah Bemhardt.
Les cinq Gars de faïence, à la peau de falaise, aux yeux couleur d'océan qui s'apaise, vont, bras-dessus, vers la cha- pelle peinte où, vieillement jolie, sourit la bonne Sainte.
Mises dimanchement, emparfuméesde marjolaine, bras-des- sous les accompagnent les cinq Promises de porcelaine mi- gnonnes comme des joujoux et dont la joue rayonne ainsi qu'une pomme d'api, — car ils reviennent des baleines, des lugubres baleines aux vilaines bouches, les salubres marins destinés à leurs couches.
Donc la guirlande juvénile vers Sainte-Anne marche, à travers la lande puérile, les lins et les moulins, les ruches, le blé noir, les meules, les manoirs, les clochers de pain bis, les vaches, les brebis et les chèvres bêlant à la manière des aïeules.
Et, l'âme vive, l'on arrive à la chapelle peinte où, vieillement jolie, sourit la bonne Sainte.
Viennent offrir, les fils des vagues, leur offrande, viennent offrir à la Marraine aux fins yeux d'algue, à la Marraine des marins, qui, les sauvant des loups gloutons du vent noroît.
lAINT-POL-ROUX I97
ig^iida leurs jt^ands moutons de bois vers le bercail de Cor- nouailles.
Et les voici cherchant au tréfonds de leurs poches, sous le bonjour des cloches, et les voici cherchant le Cœur d'or ou d'argent juré devant l'écueil qui vêt en deuil les femmes de futaine allant pleurer à la fontaine. . .
Et les voilà cherchant le Cœur d'or ou d'argent, cependant que, sur l'herbe et la mousse, lassées par la route, elles s'éten- dent toutes, les douces fiancées aux longs cheveux de gerbe.
Mais ils ne trouvent dans leurs poches, sous le bonjour des cloches, ne trouvent que des sous, du corail, de l'amadou, puis des médailles; les Cœurs d'or ou d'argent nullement.
Surpris, et pâles plus que des surplis, aussitôt ils compren- nent qu'ils oublièrent au village l'ex-voto.
Lors pleurent les marins, dociles pèlerins, qui point neveu- lent faire veuve des cadeaux- la Sainte aux fins yeux d'algue envoyant des radeaux aux voyages fragiles, — tant on devient pii'ux d'aller par la mer bleue sous la superbe croix du mât et de la vergue 1
Dans la brise, tout bas, déjà dorment les Promises de por- celaine emparfumées de marjolaine.
Tout â coup, dressant le cou, les cinq Gars de faïence tirent de leur ceinture cinq couteaux plus brillants que cinq sar- dines de Lorient et se dirigent, sur l'orteil, vers les cinq vier- ges en sommeil.
Les oreilles d'icelles, emmi les tresses blondes, semblent des coquillages dans le sable de l'onde.
Comme pour faire des folies, les cinq Gars s'agenouillent devant les Jolies rêvant sur l'herbe verte ainsi qu'est verte une grenouille.
Lorsqu'à défait chaque jeune homme corsage et corselet où rient deux pommes de Quimperlé voici qu'en les poitrines vives ils font d'un geste preste, avec des yeux de chandelier, font s'enfoncer les sardines d'acier.
• îi'lirtt soudain, du rose arrose la frimousse des anciens mousses : on dirait qu'un rosier de forge les pavoise d'un
t^S roÉTu D'AuiounD*Htn
reflet, on qu'ils mandèrent, jusqu'à ]« gor|B^ et ie fçotàer, des mares et des framljoises.
Leurs mains plongent enfin dans les poitrines belles et retirent cinq Cœurs, cinq Cœurs battant de l'aile.
Dans la brise, toujours dorment les Pronoises de porcelaine emparfumées de marjolaine.
Ensuite, ayant cousu les cbsîr* — mrec le fil du baiser cher en l'aiguille des dents — et refermé corsage et corselet où rient deux pommes de Quîmperlé, les cinq Gars de faïence en- trent dans la chapelle peinte offrir les Cœurs, les Cœurs battant» de l'aile, à la Sainte aux fins yeux d'algue qui, les sauvant des loups gloutons du vent noroît, guida leurs grands moutons de bois vers le bercail de Coroooailies.
Hélas I quand ils sortirent devem la moussé et l'herbe, pliffe ne virent leurs Douces aux longs cheveux de gerbe.
Toutes là-bas partaient, partaient parmi la route qili, blad* che, se déroule jusqu'au villdge où l'on roUcouln.
Eux les appellent par leurs noms : Yvonne, Marthe, Marion, Naïc et Madeleine !
Mais point ne se tournent lés belles, Yvonne, Marthe, Ma- rion, Naïc et Madeleine; et les vilaines au loin s'en vont.
Si loin que leur coiffelelte, d'abord aile de hiouette, devient aile de papillon, puis flocon de neige fbndu pair l'hofizon...
Tombent alors eii défaillane* les cinq Gars de faïedce, tan- dis que disparaissent les cinq Pivmisea de porcelaine empÂt>> fumées de marjolaine.
Dé cœut* n'Ayant plus, ellies n'aimaient plus : Tvonhe, Mar- the, Marion, Naïc et Madeleine.
Qnimper, 1890.
{L»a t'étrieê intéruaret.)
ALBERT SAMAIN 1858-1900
Albert-Victor SamAin nâ()uit ft Lille, le S atril 18B8. dit à aveie lui im be\ ex«ntple de travail et de sincérité. Né datia une famille modeste, de petits honrceola moyens, et mis de boane heure dans rjpt>rentiskage de l'exitileiire. il eutca mérite de nt faire tout seul el de ne devoir qu'à lui aussi bien sa situation matérielle, — modeste, d'ailleurs, — qoe sa réputation littéraire. Les parents d'Albert Samain tenaient k Lille un commerce de « Vint et Spiritueux » et il était encore au collège qu'il perdit son père. L'afné de qiiatre ènTants, il lui fallut seconder sa mère dans les charges de la famille et il entra dans les bureaux d'un af^ent de change, il a parlé dans une lettre de toute cette p/'riode de sa vie. « J'ai quitté le lycée, corivait-il. pour entrer comme saute-ruisseaa dans une maison de banque, h Vk^e de quatorze ans et demi, porenaeut et simplemctit. De la banque, j'ai été versé dans le eourtafi^e des sucres, où j'ai eu très malheiireux pendant plusieurs années, travaillant de hiiit ares et demie du matin à huit heures du toir, et le dimanche jusqu'à deux heures. C'est ainsi que, cherchant de toutes les façons à inc délivrer de cet esclavage, j'ai été amené à songer k l'adtninis- I ration (t). ■ Il resta aussi à Lille pendant plusieurs années. Ëtl 1S80, il fut envoyé en aervicr auxiliaire à Paris, dont il rêvait depuii ' >ne^<rmps, attiré là par sa vocation littéraire. Mais si ta situalioh ilérielle, pour son âfe, n'était pas mauvaise, la liberté cootinuAit lui faire grandement défaut pour satisfaire son double désir d'étu- dier et d'écrire. Un de ses collègues de Lille, plus A(;é qiie lui, en tjii'il avait trouvé Un ami et auquel il faisait ses confidences, lui iiKellla le jourrtaUsme, avec les meilleurs efforts pour vàibcre sa ulidité et seâ hésitations. Albert Samain St ainsi quelques déttiar-
(1) L/«n Bocquet : Albert Sammin, ta eie, »o>t auert. Pari», Mercure de France, l90S, lot âl(^menb< de notre noliee MOt tirte de cet ouvrage, le docu- went le pliu eotiplet sur le po4U.
soo PORTES D*Au/oimD*ttm
ches an Figaro, an OU Blas, — ce qui était peut-être un peu osé, pour un débutant ? — mais avec ai peu d'insistance et d'entrain, d'autre part, qu'il n'en retira rien. Tout son succès dans ce sens fut de collaborer à un petit hebdomadaire illustré de Lille, Le Bon- homme flamand, dans lequel il publia, sous le pseudonyme de Gry- Pearl, en octobre et novembre 1881, deux courtes histoires : Le Bout de COnèille et La Jarretière, qui n'ont guère d'autre intérêt que d'être ses premières œuvres. Gela le convainquit du moins de l'inutilité des tentatives de ce genre, et il résolut de travailler désor- mais pour lui seul, avec patience, comptant d'ailleurs, comme il \ l'écrivait à cette époque, « plutôt sur les coups de vent que sur autre chose ». En 1881, sa mère, quittant Lille à son tour, vint vivre avec lui à Paris. Il eut peu après la chance de passer avec succès l'examen de l'Hôtel de Ville, où il entra comme expédition- naire. C'est à cette époque qu'il fit ses premières relations littéraires, commencées avec quelques-uns de ses collègues, écrivains comme lui . Il fréquenta le groupe de Noas Autres, ainsi qu'on l'a déjà vu dans la notice de M. Le Gardonnel, passa de là avec ses camarades au Chat Noir, où il lui arriva quelquefois de réciter des vers, collabora au Chat Noir, puis au Scapin. Comme l'a très justement fait re- marquer M. Léon Bocquet, la biographie d'Albert Samain ne pré- sente vraiment d'intérêt littéraire qu'à partir de 1890. Entre toutes ses connaissances littéraires, Albert Samain s'était senti attiré de préférence vers ceux des nouveaux écrivains qui cherchaient à organiser et à réunir leurs efforts, et avec eux, nous avons donné leurs noms précédemment, il prit part à la fondation du Mercure de France, dont le premier numéro parut, comme nous l'avons dit, dans les derniers jours de décembre 1889, avec la date de janvier 1890. C'est a« Mercure de France qu'il collabora alors principalement, sauf un très petit nombre de vers parus dans d'autres jeunes revues de l'époque, et c'est la vérité que dans sa modestie il ne voyait pas plus loin que ces insertions de ses poèmes dans des revues, « ne «'inquiétant pas de faire autrement profession d'écrivain ». Il fallut les encouragements de ses camarades et de ses premiers admirateurs, l'insistance, notamment, de son ami M. Raymond Bonheur, pour qu'il consentît à faire et à laisser paraître un choix de ses poèmes. Ce fut Au Jardin de l'Infante, publié en octobre iSgS, dans une édition de luxe à tirage restreint. Quelques mois après , en mars 1894, un article de François Coppée dans Le Journal révélait au public le nouveau poète. « M. Albert Samain, écrivait l'auteur du Passant, est un poète d'automne et de crépuscule, un poète de douce et morbide langueur, de noble tristesse. On respire tout le long de son livre l'odeur faible et mélancolique, le parfum d'adieux des chrysanthcmei à la Saint-Martin. » Ce fut poar Albert Samain
ALBBllT lAKAIM SOI
du jour au lendemain, presque la célébrité, aventure d'autant plus heureuse et charmante que le débutant n'était point connu du maflre et que celui-ci, — on a vu avec M. Pierre Louys qu'il était coutu- mier du fait, — avait écrit sou éloge tout spoiitant'mcnt. A la suite de cet article, l'éditioa de luxe de Au Jardin de l'Infante se trouva bientôt épuisée. En 1897, une nouvelle édition parut, augmentée d'une partie inédite, et à laquelle l'Académie frau(;aise devait décer- ner, l'année suivante, le prix Archou-Despérouses. Tout ce succès n'avait cependant changé en rien Albert Samain, qui demeurait au contraire comblé d'ctonnement qu on pût, à ce point, s'intéresser i son œuvre, taut il était, au plus profond de son être, modeste et désintéressé. Personne non plus dans son entourage ne pouvait son- gera le jalouser, tant on savait son succès mérité et tant il savait se faire aimer. « 11 possédait k un haut degré, a écrit M. Louis Denise (Mercart de France, octobre igoo), ces vertus de société prisées naguère à leur valeur et qui savent encore aujourd'hui charmer : un commerça aimable, un cœur droit et bienveillant, qui savait esqui- ver sans inutiles blessures les lâches compromissions, une conversa- tion primesautière et cet enjouement de l'esprit qui s'ébat parmi des idées... Il avait cette suprême politesse d'abiriss'er ou d'élever le ton de sa parole dont l'ironie même ne semblait être qu'une charité BU niveau de ses interlocuteurs. » On lira également cette apprécia- tion de M. le Comte Robert de Montesquiou dans une lettre à M. Léon Bocquet : « J'avais eu l'occasion de rencontrer le poète à' Au Jardin de l'Infante chez un de nos amis communs, Antonio de La Gandara. La simplicité de son attitude et de ses manières, la dignité de sa vie ne faisaient qu'ajouter de l'estime à la prédilection qu'inspiraient tes oeuvres. Mais sa vie était fermée comme son âme, attachée aussi. On n'en pouvait, on n'en voulait distraire que de brefs instants. Le reste se résolvait en ces chants purs, tendres et pénétrants dont sont faits ses livres... J'eus le plaisir de retrouver plusieurs fois Albert Samain et de le réunir à des amis en des compagnies agréables. Toujours il se montrait réservé sans affec- tation, du fait de sa nature distinguée et discrète ». « A l'exemple de tant d'autres, écrit M. Léon Bocquet à ce moment de sa biogra- phie, Albert Samain aurait pu profiter de ses relations pour aiguil» 1er vers des succès immédiats ; mais loin d'intriguer, il négligeaif jusqu'aux occasions bienveillantes qui s'offraient, par un sentiment cil il entrait à la fois da la pudeur, de l'amour- propre, et davantage encore de défiance de soi-même... C'est le moment où, par l'entremise de José-Maria de Heredia, Ferdinand Brunetière lui ouvre la Revue des Deux Mondes, qui, à deux reprises, publie ses vers; c'est le temps où 8« collaboration pourrait être accueilhe dans les périodi- ques 00 les jooriumx ; ji'têt le tcmpi où on l'espère et l'ambitiooM
•oa poàTKs d'aujourd'hui
dans les uilont. Albert Samain laisse passer, inatile, l'engouement fl le fridit. m Daps o^ m%i\(yie d'ansbitiop, la mauvaise santé avait fOtsi une grande part. A cette époque, Albert Samain était déjà malade, il le savait et la sentait, sa correspondance à ses amis en témoigne. « Ça ne marche pt^*, écrivait-il alors à l'un deux, M. Paul Morisse, la santé n'est pas bonne, toujours de la faiblesse du cOté de l'estomac et, par suite, peu de goût à faire quelque chose. » Il se remit pourtant au travail, cominença les poèmes d'Aax flanc» da Vase, longtemps gardé et parfait et qui parut en 1898. peu apl'^s, il perdit sa mère. Ce fut pour lui un profond déchirepieat, dont siL santé sortit encore diminuée, le spectacle des derniers moments de sa ipère ne cessant de le hanter. Pour tenter de le rétablir et de le distraire de ses pensées, son ami M. Raymond 89aheor l'emmena passer quelques mois dans le Midi, puis il se rendit pour quelque temps chez un autre ami, M. Antony Mars, jutqu'u printemps de 189g. Il rentra alors à Paris. Un peu mieux portant en apparence, il reprit son emploi à l'Hôtel de Ville et se remit à trarailler, écrivit son petit drame en vers Polyphème, mais l'hiver l'abattit de nouveau moralement et physiquement, et en avril igoo, à la faveor d'oo congé, il se rendit à Lille pour se reposer auprès de m Msur^ Il ne s'y réublit guère et sa rentrée à Paris, en juin igoo, fat lamentable. Le désir de riyre loi demeurait, pourtant, une grande volonté de guérir, et confiant dans le grand air de la campagne, il se laissa emmener A Magny-les-Hameaux, chez M- Raymond Bonheur. Il vécut là quelques mois, « dans un décor de paix familière » entouré des soins de l'amitié la plus pieuse, croyant chaque jour faire un pas vers la guérison, mais en réalité déclinant peu à peu, jusqu'au soir du 18 août 1900, où il mourut, calme, sans e£lort ni agonie, — une mort efifacée et silencieuse comme avait été sa vie, une mort aussi c*mme celle qu'il avait eutrevoe :
Oh 1 s'en aller sans violence, S'évanouir sans qu'on y pense D'une suprême défaillance... Silence... Silence... Silence...
Dewc joors après, son corps étçit trwtsp^rt^ h Lille, 0^ {1 repose anx côtés de son père et de sa mère .
Depuis, la réputatipn d'Albert Samain n'a fait que grandir. Un recueil de vers : L« Chariot d'or, et un volume de contes : Contes, publiés pQsthumeiV>eQt, ont prouvé dans le public le même accueil qu'Aa Jardin de l'Infante et 4ca? Flancs du Vase. De nombreuses éditions de Ivixe ont été faites de ses livres, comme de nombreuses conférences çur sa vie et sur fon œuvre, et Polyphém(, joué pour la 1 priBM^rs foUi «j» Thé4||«» de l'OBuvre, en «{^4. « trouvé r^mmçotf
ALBKHT SAMAIN SoS
aa^rçp^ <«1«ÇCJ>Ç à '•'' Ccjoiédiç française qui l'arnisà po» répertoire. Cent la juste conséc-talioa d'un talent que M. Léon Bocquet a très bien dëfiui en c^s terraeH : « .. . Albert Samain n*a pas été un pré- corseur. Il n'a point penmié la poésie rtn l'orient dos terres pro- miiea et des conquêtes nouvelles. Il n'a rien tnTenté, rien décpu- Tert, ni dan<: la fora* ni dans le fond, ni même dans le rythme. Son originalité réside dans son éclectisme et dans sa safcesse. Il ne s'est point aventuré; il n'a été absolument d'aucune école, se réser- ▼ant, selon l'heure et selon l'urgence, de suivre telle règle et telle discipline qui lui paraissait la meilleure, revendiquant, ici et Ik, tour A tour, sa part de l'hoirie litU^^raire. Au milieu du conflit des prosodies, il a eu ce mérite, ce tact et cette mesure de ne se point enraciner dans l'acquis, de ne pas foncer dans l'arbitraire, mais de prendre son bien partout où il jujîeait quelque avautaj^o utilisable. i.'aboalissement des variations de la potfsie au xix* siècle, avec ses tendances dispnratea, ses nouveautés hardies et son élargissement final s'est condensé dans ee poète. Il clôt son âge et le résume. Et c'est pourquoi il se trouve être comme un centre où les innombra- bles avenues du domaine poétique se rejoignent. Et il s'est créé ainsi une sorte d'indépendance et de personnalité détiiiie. Dans le cborar nombrenx dea poètes de son époque, instrumentant A l'unis- son de l'orchestre, mais sans qu'elle pût s'y confondre ou s'y perdre, Samain a chanté d'une voix pure, i^rave et couSdentielle, où persiste on lointain sanglot. Triste et solennelle, comme si elle montait, le soir, du fond d'une clairière, elle a, cette voix, son tiijnbre bien dis- tinct et telles sonorités expressive; à n« point se méprendre. Elle ■e reconnaît à un tremblement de volupté languide et plus souvent à on frisson séraphique, immatériel, éperdu et mourant. Samain est on poète de pénétrante extase, l'ami des imes dolentes, valétudinai- res et blessées que secovtc la doolenr ou que trouble une indicible angoisse. Tout ecqoise d«Tia«. se soggère, mais s'exprime à peine: las ardeurs vagues, lc« défaillances, l«a horixons brumeux de nos rêves, les divins crépuscules da camr, l'obscure émotion de la soli- tude, l'inquiétude des heures méditatives, tout ce que nous sentons, à certaines minutes sapérienres, affiner des âmes vers notre huma- nité, Samain a su le rendre perceptible et insinuer en nous de l'in- connu et do mystère qui y dormaient... < Il y a des âmes femmes, a a observé un jour Albert Samain. Il portait en lui une de ces âmes- là, frêle, déiicnte et faible, câline, mystique et impressionnable... Et c'est elle qui unit A la ^râce de ses qualités les aimables défauts du caractère féminin : la peur et eoume le recul en face de l'action, l'irrraolution davant la vie, nu parti-pris de fatalisme, de pMVi^ité et d'abiindon qoi M marque en ses verf. ■ Albert Samaia a aallaboré ao Chat Ifoir, •• g^aiùm, ao Mwrtmrt
ao4 poàTES d'aujourd'hui
de France, k La Revae des Deux Mondes, à La Revue hebdoma- daire, etc.
Bibliographie :
Les cKuvii£s. — Au Jardin de l'Infante, poèmes. Paris, Soc. dn Mercure de France, 1893, iii-16. (Réimpr. : Au Jardin de l'Infante. Paris, Soc. du Mercure de France, 1894, iii-18; Au Jardin de l'Infante, poèmes, nouv. éd. [augmentée d'une partie inédite : L'Urne penchée], couronnés par l'Académie française, prix Archon-Despérouses, 1898.) Paris, Soc. du Mercure de France, 1897, in-18; Au Jardin de l'Infante, etc. Paris, Soc. du Livre contemporain, 1908, in-8. — Aux Flancs du Vase, poèmes. Paris, Soc. du Mercure de l''rance, 1898, in-8. (Réimpr. : Aux Flanci du Vase, suivi de Polyphème et des Poèmes inachevés, Paris, Soc. du Mercure de France, 1901, in-18. (lia tiré de cette édition, pour la Société des XX: 20 exempL, de format in-8); Aux Flancs du Vase, éd. de luxe, ill. par Gaston Latouche. Paris, pour la Soc. du Livre d'Art, 1901, in-8. — Le Chariot d'Or {Le Chariot d'Or. Symplionie héroïque). Paris, Soc. du Mercure de France, 1901, in-18. Il a été tiré de cetU édition, 20 exemp. de format in-8, pour la Société des XX. (Réimpr. : Le Cha- riot d'Or, etc., arec 27 compositions et gravures de Charles Chessa. Pa^is, A. Ferroud, 1907, 2 vol. in-8). — Contes (Kanthis. Divine. Bontemps. Hyalis, Ilovàre et Angiséle). Paris, Soc. du Mercure de France, 1902, in-18. (Réimpr.: Contes, etc., ill. de L.-Ed. Fournier, gravées par Jamas, Xavier Le Sueur, C. Chessa. Porlr. de Samain. Paris, c Imprimé aux frais du D' Emile Gou- bert », 1908, gr. in-8, 150 ex. hors commerce). — Polyphème, deux actes en vers [représenté pour la première fois avec la musique de scène de Ray- mond Bonheur, au théâtre de l'Œuvre (Nouveau-Théâtre), les 9 et 10 mai 1904, et sur la scène de la Comédie-Française, le 19 mai 1908]. Paris, Soc. du Mer- cure de France, 1906, in-18.
On trouve en outre le teste de deux lettres de Samain dans l'ouvrage sui- vant : Mou Ame, par Georges Thouret. Le Havre, Imprimerie G. D. Quoist, 1903, in-16.
Poésies mises en uusiqub. — Des poèmes d'Albert Samain ont été mis en musique par MM. Bellenot, Berthelin, F. Berthet, Raymond Bonheur, Chan- sarcl, Ch. Cornet, César Cui, M'>* Didier, Albert Diot, Robert de Fay, Fraggi, Léon Jongen, D, Leroux, Lestikou, Masson, Poirson, M"' Sauvrezis, G. do Sei- gneux, etc.
A coAsuLTsa. — Albert de Bersaucourt : Conférence sur A. Samain, prononcée le 4 décembre 1907 au Cercle des Etudiants catholiques du f.u.cembourg. Paris, Bouvalot-Jouve, s. d., in-12. — Léon Bocquet: Albert Samain, sa Vie, son Œuvre, avec un portrait et un autogr. Préface de Francis Jammes. Paris, Soc, du Mercure de France, 1905, in-18. — Henry Bordeaux: Les Ecrivains et les mœurs, notes, essais et figures. Paris, Pion, 1900, in-18. — F. Coppée : Mon Franc-Parler (2* série). Paris, Lcmerro, 1894, in-18. — Edmond Gosse : French profils. Londres, Heiuemaun, 1902, in-8. — A.-M. Gossez : Poètes du Nord. 1880-1902. Morceaux choi- sis. Paris, OlleudorfT, 1902, in-18. — Hemy de Gourmont : Le Livre des Masques, Paris, Soc. du Mercure de France, 1896, iu-18. — Allred Jarry : Souvenirs [avec un fac-siniilc d'une lettre de Samain adressée à M. Ad. van B«rw k 18 décembre 1899]. ParU, V. Lemaale, 1907, in-18. — £■ Vigiâ-
ALBMT SAMAIN
sob
Lecocq : La Poésie contemporaine, 1884-1886, fari», Soc. du Mercure de France, 1897. — V. Thompaon : French l'ortraiU (Beiii(ï appréciations of Ihewrilersof Young France), Boston, Richaril. G. Bml^'cr et H", 1900, iu-8 — Alfred Vallette : Albert Samain, notice dans Les Portraits du prochain ttècle. Paris, Girard, 18'.i4, iii-18. — Enill Zilliacus : Den iWyare franska Foetinock Antiken. llclsingfors, 1905, Aklicbolagol UandoIstrYciicriek,ia-8. F. Coppée : Quelques poètes Journal, 7 oclid.re 1897. — Loiilr» Denise : Albert Samain. Mejcure do France, octobre 1908. — «îastou Deschanips : L» Coin de» Poètes. Temps, 24 octolire 1897. — Henô Doumif, : Trois Poètes. Revue de» Deux-Monde», 15 octobre 1900. — Jean do tiuurinout : Lctli'rali contctnporanei. Albert Samain, Kii\\>oviiim (Bergaiiic), mai 1906. — Otto Ilauser : Albert Satnain, Biof,Taphibche skizze. Âusfrcnidcu Zunge» n* 13, juillet 1902. (Trad. du conte Uyalis par M»* C. Benoit). — Jean Lorrain: L'Allée solitaire, Journal, 1" janvier 1898. — Cli. Maurras: Jievue Littéraire, Hevue Encyclop., 22 janvier 1898. — H. Potez : Albert Samain. Revue Septentrionale, 5 nov. 1900.— P. Quillard : Albert Samain. Mercure de France, octobre 1893. — André Rlvolro : Albert Samain. Revue de Pari», l"' août 1901. — E. Viyié-Lecocq : L'Amour dans la Poésie contemporaine. Mercure do France, janvier 1897. — Articles de Achille Segard, L(?on Bocquet, Paul CasUaux, Edmond Rlangucrnon, A. -M. Gossez, etc.. publii^g dans Le He/jfroi — numéro spécial ill., consacré à Albert Samain, juillet-août 1900. — Lettres inédites de Albert Samain, pu- bliée» par Vert et Prote, septambre-uoraiiibre 1907.
Iconographie :
Eugène Carrière : Albert Samain ntr ton lit de mort, peinture à riuiile, 1900 (appartient à M. Raymond Bonheur). — F. Vailotton : Musqué, daus Le Livre des Masques, de R. de Gourmont, Paris, Soc. du Mercure de France, 1896. — Pholoyraphies d'Albert 'Samain en 1900 (clichés app. à M. Ravmond Bonheur), dont deux reproduil.es, l'une, hors texte, dans Le lie/froi, juillcl- •oùt 1000 (et en tête de l'ouvrage Albert Samain, par Léon Bocquet) et l'autra dana la Revue Emporium, mai 1906.
L'INFANTB
Mua &me est une infante en robe de parade. Dont l'exil se reflète, éternel et royal, Aux grands miroirs déserts d'un vieil Escurial, Ainsi qu'une galère oubliée en la rade .
Aux pieds de sou fauteuil, allongés noblement. Deux lérners d'Ecosse aux yeux mélancoli(iues Chassent, quand il lui plaît, les bêles symbolique» Dans la forêt duHéve et de l'Ëncbantemeat.
Il
Son page favori, qui s'appelle Naguère, Lui lit d'ensorcelants poèmes à mi-voix, Cependant qu'immobile, une tulipe aux doigts, Elle écoute mourir en elle leur mystère. . .
Le parc alentour d'elle étend ses frondaisons, Ses marbres, ses bassins, ses rampes à balustres ; Et, grave, elle s'enivre à ces songes illustres Que récèlent pour nous les nobles horizons.
Elle est là résignée, et douce, et sans surprise, Sachant trop pour lutter comme tout est fatal, Et se sentant, malgré quelque dédain natal, Sensible à la pitié comme Tonde à la brise.
Elle est là résignée, et douce en ses sanglots. Plus sombre seulement quand elle évoque en songe Quelque Armada sombrée à l'éternel mensonge, Et tant de beaux espoirs endormis sous les flots.
Des soirs trop lourds de pourpre où sa fierté soupire. Les portraits de Van Dyck aux beaux doigts longs et purs. Pâles en velours noirs sur l'or vieilli des murs, En leurs grands airs défunts la font rêver d'empire.
Les vieux mirages d'or ont dissipé son deuil. Et dans les visions où son ennui s'échappe. Soudain — gloire ou soleil — un rayon qui la frappe Allume en elle tous les rubisde l'orgueil.
Mais d'un sourire triste elle apaise ces fièvres ; Et, redoutant la foule aux tumultes de fer, Elle écoute la vie — au loin — comme la mer... Et le secret se fait plus profond sur ses lèvres.
Rien n'émeut d'un frisson l'eau pâle de ses yeux. Où s'est assis l'Esprit voilé des Villes mortes ; Et par les salles, où sans bruit tournent les portes. Elle va, s'enchantant de mots mystérieux.
L'eau vaine des jets d'eau lÀ-bas tcHibe en oascade.
Àuuinr •ÂMAm 107
i^ii^— <i « '■■ ' ' ■
Et. pAle è la eroinéf, anefalipe b«x f^oîi:^Ui, Elle est là, reflétée ant miroirs il'autrerois, Ainsi qu'une galère oubliée en la rade.
Moo Am« est une infaote en robe de parade.
{Àm Jardin de tfnfanU.)
ÉLÉGIE
A Gabriel Randon.
Quand la nuit rerse «a irisieM« au firmament. Et que, pâle au balcon, de ton calme ▼iMg^ Le signe essentiel hors du temps ae dégage, Ce qui t'adore en moi a'émeut profondément.
C'est l'heure de pensée où s'allament les lampes. La ville, où peu à peu toute rumeur s'éteint, Déserte, se recule en un yague lointain Et prend cette douceur des anciennes estampes.
Graves, nous nous taisons. Un mot tombe parfois. Fragile pont où l'âme i l'Ame communique. Le ciel se décolore ; et c'est un charrrte unique, Catte fuite du temps il semble, entre nos doi^^ts.
Je resterais ainsi des heures, dea années, Sans épuiser jamais la douceur de sentir Ta tôte aux lourds chereux sur moi s'appesantir. Comme morte parmi les lumières fanées.
C'est le lae endormi de Theure k l'unisson, La halte au bord du puits, le repos dans les roses ; Et par de longs fils d'or nos coeurs liés aux choses Sous l'invisible archet vibrent d'un long frisson.
Oh ! garder à jamais l'heure élue entre toutes, Pour qne son souvenir, comme un parfum séché, Quand nous serons plus tard las d'avoir trop marché, Console notre cceur, s«nl, le soir, sur les routes.
ao8 roirxs d'aujourd'hui
Voicî que les jardins de la Nuit vont fleurir.
Les lignes, les couleurs, les sons deviennent vagues
Vois, le dernier rayon agonise à tes bagues.
Ma sœur, entends-tu pas quelque chose mourir !,..
Mets sur mon front tes mains fraîches comme une eau pure.
Mets sur mes yeux tes mains douces comme des fleurs ; Et que mon âme, où vit le goût secret des fleurs. Soit comme un lis fidèle et pâle à ta ceinture.
C'est la Pitié qui pose ainsi son doigt sur nous ; Et tout ce que la terre a de soupirs qui montent, Il semble qu'à mon cœur enivré le racontent Tes yeux levés au ciel si tristes et si doux.
{Au Jardin de f Infante.)
KEEPSAKE
Sa robe était de tulle avec des roses pâles. Et rose pâle était sa lèvre, et ses yeux froids. Froids et bleus comme l'eau qui rêve au fond des bois. La mer Tyrrhénienne aux langueurs amicales
Berçait sa vie éparse en suaves pétales. Très douce elle mourait, ges petits pieds en croix ; Et, quand elle chantait, le cristal de sa voix Faisait saigner au cœur ses blessures natales.
Toujours à son poing maigre un bracelet de fer, Où son nom de blancheur était gravé « Stéphane », Semblait l'anneau rivé de l'exil très amer.
Dans un parfum d'héliotrope diaphane Elle mourait, fixant les voiles sur la mer, EUle mourait parmi l'automne... vers l'hiver...
Et c'était comme uae musique qui se fane...
^ {Au Jardin de l'Infante.)
ALBERT SAMAIN 1*9
CLÉOPATRE
A Alfred Vallette.
I
Accoudée en silence aux créneaux de la tour,
La Reine aux cheveux bleus serrés de bandelettes,
Sous l'incantation trouble des cassolettes.
Sent monter dans son cœur ta mer, immense Amour.
Immobile sous ses paupières violetteB Elle rêve, pâmée aux fuites des coussins ; Et les lourds colliers d'or soulevés par ses seins Racontent sa langueur et ses fièvres muettes.
Ua adieu rose flotte au front des monuments .
Le soir, velouté d'ombre, est plein d'enchantements;
Et cependant qu'au loin pleurent les crocodiles,
t<a Reine aux doigts crispés, sanglotante d'aveux,
Frissonne de sentir, lascives et subtiles.
Des mains qui dans le vent épuisent ses cheveux.
n
Lourde pèse la nuit au bord du Nil obscur... Cléopàtre, à genoux sous les astres qui brûlent. Soudain pâle, écartant ses femmes qui reculent. Déchire sa tunique en un grand geste impur.
Et dresse éperdument sur la haute terrasse
Son corps vierge, gonflé d'amour comme un fruit mûr.
Toute nue, elle vibre 1 et, debout sous l'azur.
Se tord, couleuvre ardente, au vent tiède et vorace.
Elle veut, et ses yeux fauves dardent l'éclair,
Que le monde ait, ce soir, le parfum de sa chair...
O sombre fleur du sexe cparse en l'air nocturne I
Et le Sphynx, immobile aux sables de l'ennui
iS.
roéiMB d'aujouhd hui
Sent uQ feu pénétrer son fçranit taciturne ; Et le désert immense a remué sous lui.
(Am Jardin de l'Infante.)
SOIR
Le Séraphin des soirs passe le lonjB^ des fleurs... La Dam«-aux-Soog;es chante à l'orgue de l'église^ Et le eiel, dû la fin du jour se subtilise, Prolonge une agonie exquise de couleurs.
Le Séraphin des soirs passe le long des cœurs... Les vierges au balcon boivent Tâmour des brises ; Et sur les fleurs et sur les vierges indécises Il neige lentement d'adorables pAleurs.
Toute rose au jardin s'incline, lente ti lasse, Et l'âme de Schumann errante par l'espace Semble dire une peine impossible k guérir...
Quelque part une enfant très doiiee doit mourir... O mon âme, meta un signet an livre d'hetlres, L'Ange va recueillir le rêve que tu pleures.
{Âm Jardin de l'Infante.)
LE SAGHt
Notre-Dame annonçait l'apothéose prête
Avec la voix d'airain de se» beffrois jumeaux;
Au loin les grands canoos grondaient, et les drapeaux
Se gonflaient, frissonnants, soils l'orgueil de la fête.
L'Empereur s'inclifta, les mains jointes, nu-tête, El le Pape apparut dans l'éclat dw flambeau. t^ Tenant entre ses doigts étincelants d'anneaux La couronnne portant la croiik latitte aii faîie.
Mon fils! dit le pontife... Alors l'orgue se tut. Sur tous les fronts baissés un seul frisson courut. Comme le battement soudain d'une aile immense ;
albkht •kuum an
EtToD n'entendit plus, 6Césàr triomphant. Dans la nef où planait un aus^uste sitence, Qu'une rieilie i genoux qui pleurait son enfant.
(Am Jardin dt t Infante) (i).
XANTmS
An vent fraÎA du matin frisiionne l'herbe fiae; Une Tapeur lés^ère aux flancs de la colline Flotte; et dans les taillis d'arbre en arbrr croisés Brillent, enoore intacts, de longs fils irisés. Près d^une onde ridée aux brises matinales Xnntbis, ayant quitté sa robe et ses sandalos. D'un bras sapjpuie au tronc flfixible d'un bouleau. Et, penchée à demi, se regarde dans l'eau. Le flot de ses cheveux d'un seul côté s'épanche. Et, blanche, elle sourit A sou iiiiajje blanche... Elle admire sa taille étroite, ses beaux bras. Et sa hanche polie, et ses seins délicats, Et d'une main, que jtpiide une exquise décence. Fait un voile pudique à sa jeune innocence. Mais un grand cri soudain retentit dans \tn bois, Et Xanthis tremble ainsi que la biche aux abois, Car elle a vu surgir, dana l'onde trop fidèle, Les cornes du méchant satyre amoureux d'elle.
(Aojc Flanc» du Vai4.
PANNYRE aux talons D'OR
Dans la salle en rumeur un silence a passé... Pannyre aux talons d'or s'avance pour danser. Un voile aux raille plis la cache tout entière. D'un long trille d'argent la flûte la première L'invite ; elle s'élance, entrecroi.se ses pas. Et, du lent mouvement imprimé par ses bras, Donne un rythme bizarre à l'étoffe nooibreuse,
(i) NouiHlle édition augmenté*.
9ia poiTBS d'aojouhd'hui
Qui s'élargît, ondule, et se gonfle et se creuse.
Et se déploie enfin en large tourbillon.. .
Et Pannyre devient fleur, flamme, papillon I
Tous se taisent ; les yeux la suivent en extase.
Peu à peu la fureur de la danse l'embrase.
Elle tourne toujours ; vite ! plus vite encor !
La flamme éperdument vacille aux flambeaux d'or]...
Puis, brusque, elle s'arrête au milieu de la salle ;
Et le voile qui tourne autour d'elle en spirale,
Suspendu dans sa course, apaise ses longs plis.
Et, se collant aux seins aigus, aux flancs polis.
Comme au travers d'une eau soyeuse et continue,
Dans un divin éclair, montre Pannyre nue.
{A ux Flancs da Vas»,)
VERSAILLES
I
O Versailles, par cette après-midi fanée. Pourquoi ton souvenir m'obsède-t-il ainsi f Les ardeurs de l'été s'éloignent, et voici Que s'incline vers nous la saison surannée.
Je yeux revoir au long d'une calme journée
Tes eaux glauques que jonche un feuillage roussi.
Et respirer encore, un soir d'or adouci.
Ta beauté plus touchante au déclin de l'année.
Voici tes ifs en cône et tes tritons joufflus, Tes jardins composés où Louis ne vient plus. Et ta pompe arborant les plumes et les casques.
Comme un grand lys tu meurs, noble et triste, sans bruit ; Et ton onde épuisée au bord moisi des vasques S'écoule, douce ainsi qu'un sanglot dans la nuit.
II
Grand air. Urbanité des façons anciennes. Haut cérémonial. Révérences sans fin.
ALBERT fAMAlIt
llS
Crëqui, Fronsac, beaux noms chatoyants do satîo. Mains ducales dans les vieilles valencieunes,
Mains royales sur les cpioeltes. Antiennes Des évéqnes devant Monseigneur le Daiiphîo. Gestes de menuet et cœurs de biscuit fin: Et Ces grâces que l'on disait Autrichiennes...
Princesses de sang bleu, dont l'âme d'apparat,
Des siècles, au plus pur des castes macéra .
Grands seigneurs pailletés d'esprit. Marquis de sèvres.
Tout un monde galant, vif, brave, exquis et fou,
Avec sa fine épée en verrouil, et surtout
Ce mépris de la mort, comme une fleur, aux lèvres!
m
Mes pas ont suscité les prestiges enfuis. 0 psyché de vieux saxe où le Passé se mire... C'est ici que la reine, en écoutant Zémire, Rêveuse, s'éventait dans la tiédeur des nuits.
O visions : paniers, poudre et mouches; et puis Léger comme un parfum, joli comme un sourire. C'est cet air vieille France ici que tout respire ; Ettoujours cette odeur pénétrante des buis...
Mais ce qui prend mon cœur d'une étreinte infinis. Aux rayons d'un long soir dorant son ag:onie. C'est ce Grand- Trianon solitaire et royal,
Et son perron désert où l'automne, si douc«, [Laisse pendre, en rêvant, sa chevelure rousso Sur l'eau divinement triste du grand canal.
IV
Le bosquet de Vertumne est délaissé des GrAces. Cette ombre, qui, de marbre en marbre gémissant. Se traîne et se retient d'un beau bras languissant, Hélas, c'est le Génie en deuil des vieilles races I
Mt^ poiTB* d'aujourd'hui
O Palais, horizon suprême des tcrrasiies, Un peu de vos beautés coule dans notre sao jf ; El c'est ce qui vous donne un indicible accent, Quand un couchant sublime illumine vos glaces 1
Gloires dont tant de jours tous fûtes l« décor. Ames étincelant sous les lustres. Soirs d'or. Versailles... Mais déjà s'amasse la nuit sombre.
Et mon cœur tout à coup se serre, ear j'entends, Comme un bélier sinistre aux murailles du teînps, Toujours, le grand bruit sourd de ces flots noirs dans l'ombre.
{U Chariot tPOi'.)
SOIR DE PRINTEMPS
Premiers soirs de printemps : tendresse inavouée...
Aux tiédeurs de la brise écharpe dénouée.. .
Caresse aérienne. . . Encens mystérieux. . .
Urne qu'une main d'ange incline au bord des cieux...
Oh ! quel désir ainsi, troublant le fond des âmes,
Met ce pli de langueur à la hanche des femmes ?
Le couchant est d'or rose et la joie emplit l'air,
Et la ville, ce soir, chante comme la mer .
Du clair jardin d'avril l.i porte est entr'ouverte.
Aux arbres légers tremble une poussière verte.
Un peuple d'artisans descend des ateliers ;
Et, dans l'ombre où sans fin sonnent les lourds souliers.
On dirait qu'une main de Véronique essuie
Les fronts rudes tachés de sueur et de suie.
La semaine s'^achève, et voici que soudain,
Joyeuses d'annoncer la Pâques de demain,
Les cloches, s'ébranlanl aux vieilles tours gothiques.
Et revenant du fond des siècles catholiques,
Font tressaillir quand même aux frissons anciens
Ce qui reste de foi dans nos yieux os chrétiens I
Mais déjà, souriant sous ses voiles sévères.
La nuit, la nuit païenne apprête ses mystères ;
Et le croissant d'or fin, qui monte dans l'azur.
ALIICHT SAI^filM
ii5
Rayonne, par degrés [»lus limpidt^ et plus pur.
Sur la ville brâlanle, un instant apaisée-,
On dirait qu'une main de Femme s'est posée
Les couleurs, les rumeurs s'éteignent peu à peu ;
L'enchantement du soir s'achève... et tout est bleui
leneffable minute où l'Ame de la foule
Se sent mourir un peu dans le jour qui s'écoule...
Et le cœur va flottant vers de tendres hasards
Dans l'ombre qui s'éloile aux lanternes des chars.
Premiers soirs de printemps : brises, léjçères fièvres!
Douceur des yeuxl . . .Tiédoiir di's miiins! . . . Langueur des lèvreSi
Et l'Amour, une rose à la bouche, laissant
Traîner à terre un peu de. son manteau glissant,
Nonchalarnuienl s'accoude au parapet du fleuve.
Et puisant au carquois d'or une flèche, neuve,
De ses beaux yeux voilés, cruel adolescent,
Sourit, silencieux, à la Nuit qui consent.
{Le Chariot tfor.)
VOICI LIilS VIEUX MÉTIERS...
Voici les vieux métiers : le cuir, le fer, le bois,
La chanson d'établi dans les copeaux éclose ;
Le marteau sur l'enclume, et le fer chaud qu'on pofM,
Et cet osier qui court flexible entre les doig^.
Âh ! vivre ici pareil au ciel changeant des mois I... La ville a pour ceinture un clair jardin de roses Ah ! vivre ici parmi IMnnocence des choses, Près de la bonne terre, et loin des tristes loitk
On songe d'une vie heureuse et monotone I Bon pain quotidien ; lait pur; oonsoie ace bonne ; Simplicité des cœurs levés svant le jour...
Oui, mais qui sait, hélas ! peut-être quels mystères Même ici, trame, aux nuit:j d'orage et d'adultères, G) vieux couple éternel, l'Avarice et l'Amour ?
(Lé Chariot d'orj
ai6 * POKTSS D^AUJOUnD*HUl
«
ÉLÉGIE
L'heure comme nous rêve accoudée aux remparts,
Penchés vers l'occident, nous laissons nos regards
Sur le port et la ville, où le peuple circule,
Gomme de grands oiseaux tourner au crépuscule.
Des bassins qu'en fuyant la mer a mis à sec
Monte humide et puissante une odeur de varech.
Derrière nous, au fond d'une antique poterne,
S'ouvre, nue et déserte, une cour de caserne
Immense avec de vieux boulets ronds dans un coin.
Grave et mélancolique un clairon sonne au loin . . .
Cependant par degrés le ciel qui se dégrade
D'ineffables lueurs illumine la rade.
Et mon âme, aux couleurs mêlée intimement.
Se perd dans les douceurs d'un long enchantement.
L'écharpe du couchant s'effile en lambeaux pâles.
Ge soir, ce soir qui meurt, s'imprègne dans nos moelles
Et, d'un cœur malgré moi toujours plus anxieux,
Je le suis maintenant qui sombre dans tes yeux
Comme un beau vaisseau d'or chargé de longs adieux 1
Nul soufHe sur la rade. Au loin une sirène
Mugit... La nuit descend insensible et sereine,
La nuit. . . Et tout devient, on dirait, éternel :
Les mâts, le lacis fin des vergues sur le ciel,
Les quais noirg encombrés de tonneaux et de grues,
Les grands vapeurs fumant des routes parcourues,
Le bras de la jetée allongé dans la mer,
I^es entrepôts obscurs luisants de rails de fer,
Et; bizarre, étageant ses masses indistinctes.
Là-bas, la ville anglaise avec ses maisons peintes.
La nuit tombe... Les voix d'enfants se sont éteintes
Et ton cœur comme une urne est rempli jusqu'au bord
Quand brillent çà et là les premiers feux du port.
{U Chariot é'or,)
-^^mk
ALBKRT SAMAIM 117
NOCTURNE PROVINCIAL
La petite ville sans bruit
Dort profondement dans la nuit.
Aux vieux réverbères à branches Agonise un gnz indigent; Mais soudain la lune émergeant Fait tout au long des rriaisons blanches Resplendir des vitres d'argent.
I,a nuit tiède s'évente au long des marronniers... La nuit tardive, où flotte encor de la lumière. Tout est noir et désert aux anciens quartiers ; Mon âme, accoude-toi sur le vieux pont de pierre, Et respire la bonne odeur de la rivière.
Le silence est si grand que mon cœur en frissonne. Seul, le bruit de mes pas sur le pavé résonne. Le silence tressaille nu cœur, et minuit sonne !
Au long des grands murs d'un couvent Des feuilles bruissent au vent. Pensionnaires... Orphelines... Rubans bleus sur les pèlerines... C'est le jardin des Ursuiines.
Une brise à travers les grilles Passe aussi douce qu'un soupir. Et cette étoile aux feux tranquilles, Là-bas, semble, au fond des charmilles. Une veilleuse de saphir.
Oh 1 sous les toits d'ardoise à la lune pâlis,
Les vierges et leur pur sommeil aux chambres claires,
Et leurs petits cous ronds noués de scapulaires,
Et leurs corps sans péché dans la blancheur des litsl...
D'une heure égale ici l'heure égale est suivie. Et l'Innocence en paix dort au bord de la vie...
18
a I S POÂTES D'AUJrOURD HUl
Triste et déserte infiniment Sous le clair de lune éld-lrique, Voici que ia place historique Aligne solennellement Ses vieux hôtels du Parlement.
A J'an^le, une fenêtre est éclairée encor . Une lampe est là-haut, qui veille quand tout dort 1 Sous le frêle tissu, qui tamise sa flamme, Furtive, par instants, glisse une ombre de femme.
La fenêtre s'entr'ouvre un peu ;
Et la femme, poiw'nant aveu,
Tord ses beaux bras nus dans l'air bleu...
0 secrètes ardeurs des nuits provinciales ! Cœurs qui brûlent! Cheveux en désordre épandusl Beaux seins lourds de désirs, pétris par des mains pâles I Grands appels suppliants, et jamais entendus I
Je vous évoque, ô vous, amantes ignorées.
Dont la chair se consume ainsi qu'un vain flambeau,
Et qui sur vos beaux corps pleurez, désespérées,
Et faites pour l'amour, et d'amour dévorées,
Vous coucherez, un soir, vierges dans le tombeau I
Et mon âme pensive, à l'angle de la place. Fixe toujours là-bas la vitre où l'ombre passe.
Le rideau frêle au vent frissonne. . . La lampe meurt... Une heure sonne. Personne, persoaae, personne.
(Le Chariot tTOr.)
TOUT DORT. LE FLEUVE ANTIQUE...
Tout dort.. Le fleuve antique entre ses quais de pierre Semble immobile. Au loin s'espacent des beffrois. El sur la cité, monstre aux écailles de toits. Le silence descend, doux comme une paupière.
AI.BRRT MAMAIN %tg
Les palais et les tours sur le cwl <^oiié Découpent des prolils de rêve- Notre-Dame Se refltHe, géante, au miroir de mon âme. Et la Sainte-Chap<-IIe a l'air de s'envoler!...
Tout dort dans les maisons où regarde la luno. Et ceux-là qu'éreinta la vie et son travail Jouissent, poings fermés, leur somme de bétail Ou galopent furieux la course à la Fortune.
Pour moi, je veille, l'âme éparse dans la nuit. Je veille, cœur tendu vers des lèvres absentes. Parmi la solitude aux brises caressantes, Et la lune à travers les arbres me conduit.
Paris est recueilli comme une basilique ; A "peine un roulement de fiacre, par moment. Un chien perdu qui pleure, ou le long siffloment D'une locomotive — au loin — mélancolique.
Le silence est profond, comme mystérieux. La nuit porte l'amour endormi sous sa mante Et je n'entends plus rien clans la cité dormante Que ton haleine frêle et douce, ô mon amante,
Qui fait trembler mon cœur large ouvert.sou» les cieax«
(Le Chariot d'Or.)
AUTOMNE
Le vent tourbillonnant, qui rabat les volets, Là-bas tord la forêt comme une chevelure. Des troncs entrechoqués monte un puissant murmure Pareil un bruit des mers, rouleuses de galets,
L'Automne qui descend les collines voilées Fait, sous ses pas profonds, tressaillir notre cœur ; Et voici (pic s'afflige avec plus de ffrveur Le tendre désespoir des roses eavoléet.
S20 POÈTES D aujourd'hui
Le vol des guêpes d'or qui vibrait sans repos S'est tu ; le pêne grince à la grille rouillée; La tonnelle greloite et la terre est mouillée, Et le linge blanc claque, éperdu, dans l'enclos.
Le jardin nu sourit comme une face aimée Qui vous dit longuement adieu, quand la mort vient; Seul, le son d'une enclume ou Taboiement d'un chien Monte, mélancolique, à la vitre fermée.
Suscitant des pensers d'immortelle et de buis, La cloche sonne, grave, au cœur de la paroisse ; Et la lumière, avec un long frisson d'angoisse. Ecoute au fond du ciel venir les longues nuits.
Les longues nuits demain remplaceront, lugubres. Les limpides matins, les matins frais et fous, Pleins de papillons blancs chavirant dans les choux Et de voix sonnant clair dans les brises salubres.
Qu'importe, la maison, sans se plaindre de toi. T'accueille avec son lierre et ses nids d'hirondelle. Et, fêlant le retour du prodigue près d'elle, Fait sortir la fumée à longs flots bleus du toit.
Lorsque la vie éclate et ruisselle et flamboie, Ivre du vin trop fort de la terre, et laissant Pendre ses cheveux lourds sur la coupe du sang, L'àme impure est pareille à la fille de joie.
Mais les corbeaux au ciel s'assemblent par millier. Et déjà, reniant sa folie orageuse, L'âme pousse un soupir joyeux de voyageuse Qui retrouve, en rentrant, ses meubles familiers.
L'étendard de l'été pend noirci sur sa hampe. Remonte dans ta chambre, accroche ton manteau ; Et que ton rêve, ainsi qu'une rose dans l'eau, S'entr'ouvre au doux soleil intime de la lampe.
Dans l'horloge pensive, au timbre avertisseur. Mystérieusement bat le cœur du Silence.
AIAIRT SAHAIN
La Solitude au seuil étend sa vigilance,
Et baise, en se penchant, ton front comme une sœur.
C'est le refuge élu, c'est la "bonne demeure, La cellule aux murs chauds, l'àtre au subtil loisir, Où s'élabore, ainsi qu'un très rare élixir, L'essence fine de la vie intérieure.
Là, tu peux déposer le masque et les fardeaux, Loin de la foule et libre, enfin, des simagrées, Afin que le parfum des choses préférées Flotte, seul, pour ton cœur dans les plis des rideaux.
C'est ]a bonne saison, entre toutes féconde. D'adorer tes vrais dieux, sans honte, à ta façon. Et de descendre en toi jusqu'au divin frisson De te découvrir jeune et vierge comme un monde !
Tout est calme ; le vent pleure au fond du couloir ; Ton esprit a rompu ses chaînes imbéciles, Et, nu, penché sur l'eau des heures immobiles, Se mire au pur cristal de son propre miroir :
Et, près du feu qui meurt, ce sont des Grâces nues. Des départs de vaisseaux haut voilés dans l'air vif, L'âpre suc d'un baiser sensuel et pensif, Et des soleils couchants sur des eaux inconnues...
Magny^les-Hameavux:, octobre i8g4.
{Le Chariot d'Or.)
FERNAND SÉVERIN 1867 .
M. Fernand Séverin est né à Grand'Manil (province de Namar) le 4 février 1867. Son père et tousses descendants paternels et mater- nels étaient vi^allons et grands fermiers dans les pays de Namur et de Fleurus. M. Fernand Séverin vécut d'abord à Grand'Manil jusqu'à l'âge de sept ans. Puis il alla faire ses premières études à la Doras- chule d'Aix-la-Chapelle, au Collège Noire-Dame de la Paix à Na- mur et à l'Athénée de Bruxelles II fit ensuite ses études universitai- res à l'Université libre de Bruxelles, où il obtint, en 1891, lediplôme de docteur en philosophie et lettres. Il entra alors dans la carrière de l'enseignement, professeur de français, de latin et de grec, d'a- bord au collège communal de V'irton, puis à l'Athénée royal de Lou- vain. enfin à l'Athénée royal de Bruxelles. Il est actuellement titu- laire du cours de français, à l'Université de Gand. M. Fernand Séverin débuta comme écrivain en 1886, avec des vers qui parurent dans les revues littéraires belges, notamment La Jeunp Belgique, àoni il fut un des plus actifs collaborateurs. Il donna successivement quelques petites plaquettes : Le Lys, Le Don d'Enfance, Un chant dans l'Onibrr, réunis en un seul volume : Poèm-'s inqénas, qui contenait ainsi tous les vers qu'il avait écrits de dix-neuf à trente-deux ans. En 1904, il publia un nouveau recueil : La Solitude heareuse-lonic son œuvre poétique se trouve aujourd'hui rassemblée dans un unique volume : Poèmes, paru récemment.
M. Fernand Séverin a collaboré à L'Elan littéraire, à La Wal- lonie, à La Jeam: BeUjique, à Floréal, au Réveil, au Coq Rouge, k Durcndal, à La Revue Générale, à La Belgique artistique et littéraire, au Samedi, toutes revues belges où il a donné des vers, des poèmes en prose et des impressions de voyages, au Afi^rcure de France et k l' flermilaqe, et notamment à V Indépendance Belge, où il fit, pendant plusieurs années, de i8g3 k i8gg, la critique litté- raire.
-KHISAND S^VKHIM «33
Bibliographie
Lis CBUvRSii. — l,e l>ys, iiomies. ^romlspl^e à l'eau-forte par Henry de Groux. Hriixelles, Lac oin'.icz, el l'aris, Lcuipn-o, 1888, in K. — Le Don d'''n- lauee, poc'^nips. Biuxellts, Lacomlilcz, Ib'Jl, iu-8. (Ri'inipr. : Poèmes ingénus. Pari», Fisclibacher, 1899, in-18 ; Pothnct. Paris, Soc. du Mercure de France, 1908, in-18). — Un Chant dans l'Ombre, l'Oèmes. Bruxelles, Lacomblei; 1895, in-8. (Réinipr. : Poèmes iniiéniis. Paris, Fisclibacher, 1899, in-18; Poèmes. Paris, Soc. du Merrme ile France, I9(i8, in-18K — Po(>mes Inflé- ntis. Préface de G. Barrai. Portrait de l'auteur. Paris, Fischbaclier, 1899, in-18 [Le Lys. Li- Don d'/ùifance. Un Chnni dans l'Ombre, etc.). — Impressions \<^nlli«snne8. Bruxelles, Oscar Schcpens (tirage à part de La Havue Générfttu ,IW1, in-8. — DaiiR l'Ellel. Bruxelles, Oscar .Schepens (tirar.;o h pari de La lievue Générale), 1903, iu-8. — la SoUludo heu- reuse, poèmes. Unixellos, Ed. de l'Assocdus Ecrivains belges, Dcchenne et G", liiOl, petit In-tt. lUi^impr. : Poèrne.f. Paria, Soc. dti Mercure de France, 1908, in-18. — Ohhs le» Hautes Fi«yne8. Bruxelloi. Oscar Scbepens (tirage à part de La Revue Générale), 1905. in-8. — Poèmes. (Le Don d'Enfance. Un Chant dant l'Chidjre. Lex Matini anyéliques. La Solitude heureuse.) Paris, Soc. du Mcrnire de France. 1908. in-18.
On trouve. <lo plus, des po^lnes do Kernand Sévcrin dans les ouvrapes sui- vants : I<c Parnasse (le la .leiiiie Belglqno. pièces diverses de dix-huit po'Ues hetijes. Paris, Vanier, 1887, pr. in 8. ~ Poèl*>s beljjes (l'exurcsslon imncalse [par Pol de Mont). Almelo, W. Ililarius, 1899, in-18. — Die Bei- flK.-he Lyrlk vou 1880-1000, L:ine .iCudie und f.'eher.^etzunyen von Otto Hauser Grossenhain, Baumert et RoD^re, 190Î, in-8 (traduction de trois poèmes), etc.
PoÈHKs MIS KM MusiouK- Des poCsies de M. Fernand Savarin ont été mises en musique par MM. Walluer el Ch. M<''laiik.
A coNsiji.TEH. — Fuflèno Gilbert : France et Belgique. Etudes litté- raires. Paris, Pion, 19ii5, in-18 : Les Lettres françai.ies dans la licliiique d'aujourd'hui. Paris, Sansot, 1906, in-18. — Alb.^rl Giraud : A'o//c.dan» Portraits du ]>rochain siècle. Paris, Girard, 1894, in-18. — Otto Ilaiiser : Die lldijische Lyrik von iS80-l900, etc. Grossenhain, Bcaunierl et Bouge, 1902, in-8. — D<J»<iré llorrent : Ecrivain» bclije» «foujourrf'/iuj. Bruxelles, Lacoiuble?., 1904. in-8.
Albert Arnay : Ferriand Séverin. La Wallonie /Liège), anné» 1891. — Frnn/ Ansel : Fernand Séverin. Uur«ndal (Bruxelles), août 190*. — René Bertaut : Fernand Séverin, notice biu-biblioyr. (portmit). Revue Bibliopru- phi(|ue belge, 31 octobre 1904. — Albert Giraud: A itropos d'un livre nou- veau : Un Chant dans l'Omtire. Jeune Belgique (Bruxelles), juin 1895. — Arnold Gotlin : Fernand Séverin (avec un portrait). Durendal (Bruxelles), mai 1900. — Gaston lieue: Femm'.d Sérevi)!, niono|{iaiiliie. La Lutte (Bruxelles), avril et mai l'JOO. - Hubert Kraiu^ . fAttératews français de Wallonie. Fernand Séverin (portrait). Wallonia (Liège), mai 1904. — Albert .Mockel : Clironique littéraire. La Wallonie (Liè^çel. ann^'el888. — Georoes Rency : Trois poètes. Em. Verhaeren, Van Lerhi'njhe et F. Séverin. L'Art Mmleruo (Bruxelles), 29 mai 1904; La Sfominalion de M. Fernand Séverin. Le Samedi (Bruxelles), 13 octobre 1907. — Hubert Stiernet : Un chant dan* l'Ombre {l* Coq Rouge) Bruxelles, juin 1895 - K. Van den Bosch :
334 P0ÂTB8 d'aujourd'hui
Les Poètes belges d'expression française (portrait). L'Illustration belge, 22 octobre 1905. — Maurice Wilmotte : Poètes de chez nous. Revue de Belgique, juillet 1904.
LA COURONNE
Flumin» amem sylrasque inglorias. . .
TIRGILl.
J'ai revu ma forêt, captive des hivers,
S'éveiller mollement à de tièdes haleines :
Déjà, dans l'air plus bleu, les grands arbres sont verts
Et le parfum des bois s'exhale vers les plaines.
C'est un bonheur antique et toujours inconnu :
Mon cœur, mon simple cœur tremble devant ces choses !
Tout perlé de rosée, un feuillage ingénu
Palpite, ce matin, sur mes forêts écloses.
O Muses I si l'écho d'un amour si profond Lui survit, grâce à vous, dans mes chansons prochaînoB, N'offrez point d'assouplir aux rides de mon front L'indocile rameau des lauriers et des chênes.
Les feuilles s'entr'ouvraient, frêles comme des fleurs I Oh I qu'un léger rameau de ces feuilles tremblantes, Où la froide rosée aura laissé des pleurs, Couronne à tout jamais mes tempes indolentes I
A de plus mâles fronts, les orgueilleux bandeaux. Puissé-je, sans renom, vivre loin de la vie. Et rentrer, tout entier, aux limbes virginaux. D'où mon Âme d'enfant n'était jamais sortie.
(Poèmes,)
LA CHANSON DOUCE
« Une haleine a soufflé ; la lampe s'est éteinte : La nuit, bleuâtre et tiède, entre, avec sa langueur. Un chant d'oiseau lointain, triste comme une plainte, S'élève, par instant, dans la paix de mon cœur.
rCRNAND SiVBJlIM a 35
Qu'il est doux d'être au monde 1 Et d'aimer 1 Et d'entendre
Un aveu dérobé répondre à ses aveux,...
J'ai couronné ton front d'un rameau frêle et tendre ;
Les larmes de la nuit tremblent dans tes cheveux .
Rapproche-toi... L'amour a de ces mots suprêmes Qui ne sont point compris, s'ils ne sont dits tout bas. Vois-tu, ma chère enfant, je sais bien que tu m'aimes. Mais mon âme, sans eux, ne le sentirait pas.
Plus près, plus près de moi I Tout nous sépare encore ! Qu'un soupir, une lialeiue, un frisson moins discret Me livre cet aveu que la parole ignore : Il ne sera si doux qu'au prix d'un tel secret.
O mon enfant ! Les morts, qui dorment sous la terre. Ont tout perdu, sans doute, avec l'aspect du jour... Mais rien n'aftlige tant leur songe solitaire Que le seul souvenir de cet instant d'amour.
Je t'aime... En cette nuit, toute claire d'opales. Où monte en frissonnant la lune à son lever, Les fleurs qui font aimer, adorables et pâles. Se mêlent sur ta tète aux fleurs qui font rêver.
Nous nous croyons unis, et l'amour a des ailes ! Ah! parle, parle encor ! Que j'entende ta voix. Vague, ailée, enfantine, aux inflexions frêles, Mourir dans l'air des nuits comme un lointain hautboi&
Prolonge-s-en toujours la douce rosonnance ! C'est ton cœur qui tintait dans ce frais timbre d'or. Endors-toi. . . Jenlendrai chanter dans le silence Tous ces aveux passés, dont l'écho vibre encor.
... Une haleine a soufflé ; la lampe s'est éteinte : La nuit, bleuâtre et tiède, entre avec sa langueur. Un chant d'oiseau lointain, triste comme une plainte. S'élève, par instants, dans la paix de mon cœur. »
1894.
(Poùinea.)
13.
2 26 POÈTES d'aujourd'hui
L'ASIi,E
Mon heure est là. Le soir est tombé sur ma vie.
Abdiquant, sans regret, mon héroïque envie,
J'ai regagné, du pas résigné des vaincus.
Le seuil, aimé trop tard, où nul ne m'attend plus.
Dans le ciel clair et froid court un frisson d'automne
Parfois, interrompant la plainte monotone,
Le grand appel perdu que jette un cor lointain
Me fait, languissamment, sourire à mon destin...
Mais tout est dit. Plus rien ne me trouble, à cette heure. Que le pressentiment de la chère demeure . Elle est là : je la sens plus que je ne la vois. La douceur de la lune, éparse sur les bois, Voile de plus en plus cet heureux coin de terre D'un indicible attrait de paix et de mystère; Dans l'air, autour de moi passe un conseil d'oubli ; Je ne sais quoi de bon, de grand, de recueilli, Pénètre davantage, à chaque pas vers elle. Mon âme, où gronde encor l'ancienne querelle Qu'importent désormais les orages d'été ? Elle savoure enfin le calme souhaité, Toute tremblante encore à la seule pensée D'un monde où les plus doux l'ont mille fois blessée. 1895.
(Poèmn.)
L'ANGÉLIQUE ADIEU
Cher parfum envolé !...,
SUAKitSPEARB
Ce qui fut un instant n'est plus... Ne pleure pas! Et souviens-toi, plutôt, qu'un jour tu m'appelas Celle qui ne sait rien et s'ignore elle-même.
Car j'étais cette enfant qui rêve, les yeux clos; Mais un pas matinal est entré dans l'enclos ; Et j'ai connu par M»i la tendresse suprême I
riHNANn s^YEnm «27
Esl-il vraiment passé, cet insintii latuiiit'r?
... Un élrnti^(M- est là, dans l'ouihre du sentier,
Et j'écoute, en tremblant, l'ange qui me sal.ie..
Tout sommeille, à l'entour. . . Il me parle tout Jj.is... Simple comme je suis, je ne le compriMuls pas; Mais mon âme tressaille et sent qu elle est élue. . .
Pour venir jusqu'à moi dans mon obscurité, Quel pays radieux mon hôte a-t-il quitté? Voici que le matin est entré sur sa trace.. .
Je ne sais . . Et mon coeur en est comme ébloui... Mais, quoique rien en moi ne soit disene lui, Quand je l'entends parler, je suis pleine de g'râce...
Sans doute, tout cela n'est qu'un conte ancien?
Ah ! seigneur, souviens-toi quel trouble était le miea
Lorsqu'au t'agenouillant, tu m'appelais ta Dame 1
Ne pleure pas ! Je sais le merveilleux secret.. .
Riche de ce seul bien, j'exhale sans regret
Ce souffle frêle et ptir que tu nommais mon âme. . .
1899
{f'oèmet.)
SI, VRAIMENT, LA TRISTESSE...
Si, vraiment, la tristesse est l'épreuve des bons,
Hélas 1 j'ai mal compris les divines leçons ;
Car je ue suis méchant qu'autant que je suis tristo.
Mais qu'un rayon de joie éclate dan>< ma nuit! Il suffit, Dieu le sait, pour que l'amour d'autrui Rentre, en l'élargissant, dans mon cœur égoïste. . .
Vous seule avez vu clair dans mon ombre, à ma sœur , Et voici qu'il n'est plus que joie et que douceur, Ce cœur si longtemps clos, où vous avez su lire.
Vous qui fûtes pour pom i> 11...1.. A.^ pitié,
Sa8 POÈTES D'AUJOUHD^Hm
Ah I n'abandonnez pas l'œuvre faite à moitié ;
Le meilleur de moi-même est dans votre sourire.
r-
Je vais. . . A chaque pas, le ciel semble plus clair ; Autrefois, il est vrai, j'ai douté, j'ai souffert : Ce n'était rien... A peine un nuage qui passe...
Mon cœur est confondu de ce qu'il entrevoit 1 , . .
0 ma sœur, si l'amour vous amène vers moi.
C'est que l'Amour, sans doute, est frère de la Grâce. . .
(Poèmes.)
O PENSEUR I LA BEAUTÉ...
O penseur ! La beauté du printemps dans les bois T'a saisi, ce matin, pour la première fois. Et malgré toi l'odeur de la terre t'enivre...
Tes jours se sont passés à méditer en vain L'énigme que propose à l'homme son destin. Et ton front studieux a pâli sur maint livre.
A quoi bon ? Laisse aux dieux leur sublime secret.
Et, pendant que tu vis, savoure sans regret
Ce qu'il tient de douceur, dans ce simple mot : vivre...
(Poéniet . )
EMMANUEL SIGNORET 1872-1900
Emmanuel Signoret naquit à Lançon (Bouches-du-Rhdne), h i4 mars 187a, de parents â^és. Son enfance passée au village natal, il fit les études à Aix-en-Prorence, dans un établissement dirigé par des prêtres, puis voyagea quelques années en Italie. Il vint ensuite à Paris, où il se mêla à tous les groupements littéraires et collabora aux nombreuses revues du unoment. Il en fonda même une, en janvier 1890, à son usage personnel. Ce fut le Saint-Graal, qu'il continua à rédiger seul jusqu'à sa mort. Il publia successivement Le Livre de l'Amitié, Ode à Paal Verlaine, Daphné, Vers Doré», puis La Souffrance des Eaux, qui fut couronnée en 1899 par l'A- cadémie française. Retiré en 1898 à Puget-Théniers, puisa Cannes, Emmanuel Signoret est mortdanscette dernière ville le ao décembre 1900.
La poésie d'Emmanuel Signoret est l'image même de l'homme qu'il était, emphatique, mégalomane et enfantin. C'est la poésie d'un homme du Midi, avec tous les défauts de la race, plus nom- breux, dans le domaine littéraire, que les qualités. Emmanuel Sii^noret croyait à son génie, il en parlait volontiers, et n'hésitait même pas à imprimer à la fin de ses ouvrages les lettres d'éloges i(nc de complaisants «mis lui adressaient. Ce propos malicieux semblait avoir été créé pour lui, qu'un poète qui récite ses vers est au comble du bonheur. Attablé dans un café, sans qu'on eût à l'en prier, il récitait les siens d'abondance, comme un inspiré, pen- dant de longues heures ininterrom[)ues, accordant ses gestes avec sa redondance, et il n'était guère, à cette époque, po«r rivaliser avec lui de grandiloquence et de puérilité, que M. Jean Carrère, qui B quitté depuis la poésie pour le journalisme. Il s'est pourtant trouvé des écrivains pour comprendre cette poésie, tout au moins pour l'admirer, notammcut, — et c'est un vrai contraste, — M. André Gide, artiste rare autant qu'ingénieux idéologue, qui • prit
a3o poifE» d'aujourd'hui
le soin récemment de rassembler en une édition complète tous lec vers d'Emmanuel Signoret. Nous détacherons pour cette notice ces passagesde sa préface. «Comme ivre de soleil, il (Kmmanuel Signo- ret) avançait dans les t('nèbres de sa misère, chancelant et se cognant à tout, projetant, où posait son reisrard, un nimbe dont s'il- luminait chaque objet. . . Il n'admettait non seulement pas la cri- tique, mais même aucune ri btiiction dans la louant^e : « Un doute ici, écrit-il en parlant de son œuvre, ne témoigne que de l'incerti- tude du regard » ; et encore: « Ne jugeons point la lumière: accla- mons-la. » ... A peine admettait-il que la lumière qu'il se sentait projeter à l'entour de lui ne fût pas sensible à tous les regards. Dans le rêve qu'il faisait d'une sorte de fraternité glorieuse de tous les hommes de génie, il était plus dispos encore à décerner l'éloge qu'âpre à le réclamer pour lui. A peine lui demeurait-il péniijje que tous ne reconnussent pas son génie, car la gloire lui était chose en possession de quoi il se sentait. Pas un quatrain de lui qui n'en témoigne. Il garde, au cours de ses vers, l'attitude d'un Diadumène, ou mieux encore celle du Jeune Homme de Gu>lave Moreau, dont la fausse mort n'interrompt pas le geste de ceindre de laurier sa tête. »
Emmanuel Signoret a collaboré notamment à La Plume, à L'Er- mitage, à La Revae Blanche, au Mercure de France, au Saint- Graal, aux Mois Dorés (Aix), etc
Bibliographie :
Les oenvRKs. — Le Livre de l'Amitié {Mirzaêl et Myrtil), poèmes en vers et en prose. Paris, Vanier, 1891, in-18. — Ode à Paul Verlaine. Paris, Vanier, 1892, in-i8. — Daphné, poèmes. (Portrait de l'auteur par Alexandre Séon). Paris, Bibliothèque artistique et littéraire, 1894, in-16. — "Vers Dorés. Paris, Bibliothèque artistique et litliiraire, 1890, in 12. — La Soullrance des Kaux (première partie, suivie du Premier Livre des Sonnets, de trois Elégies et de cinq poèjnes. Portrait de l'auteur). Paris, Bibliothèque artistique et littéraire, 1899, in-lG. — Vers et Prose, Bibliothèque d'i Saint-Graal, Pugel-Thériiers, février 1899, in-8 , — Le Tombeau de Stéphane Mallarmé, poème bibliothèque du Saint-Graal, n» 2. 1899, in-8. — Le Premier Livre de» Klégles (Z.e« Quinze premières Eléijies). Bibliothèque du Saint-Graal, n» 4. Cauues (1900), ia-8. — Poésies complètes {Ver.-i Dorés. Daphnf. La souffrance des Eaux. Douze poèmes Tombeau dressé à Stéphane Mai larme. Le premier Livre des Elégies). Préface par André Gide. Paris, Soc. du Mercure de l'rance, 1908. in-18
A CONSULTER. — Léon-Paul Fargues : E. Signoret, notice dans les Por- traits du prochain siècle. Paris^ Girard, 1894, in-18. - - A. Gide : Lettres ù Anyèle Paris, Soc du Mercure de Frauce, 1900, in-lâ : Prctextes, réflexions sur quelques points de littérature et de morale. Paris, Société du Mercure de France, 1903, in-18 ; r'réface aux Poésie» complètes, etc. — Adolphe Relté : Le Symbotism». Anecdoies et i>uuvenir» Paris, Messeio, 1903,
KMMANUBL eiONOURT sSl
in-18. — V. Thompson : fVencA Portraits (Beiug appr<5ciations of the writcrs of younij France). Boston Rioliard. G. Radger, 1900.
Ernest Gtiuln-rt: Emmanuel Sif/norct. Revue UnivHrselle, 26 janrler 190t. — Méci.>4lufi Golborn : Emmanuel Siijiiorfi. Caliiers Mensuols de M. Golbcr;,', iiovoiiiliieJricmlii-e 1900. — Adrien Mlthouard : SoMi'oiir» sur Emmanuel SiijnorKt. L'Occident, avril 1908. — Goorge» PelilsHler : /W«/e Revue Encyclopédique,!" février 1895. —P. Souchoa : Criti- que des Poètes. M. Emmanuel Siynoret « Sur le Trimard ». Paris, 23 fé- vrier 1898.
Iconc graphie :
Alexandre Séon : Portrait, reproduit dans l'édition de Daphné (li9A). (Voir, en outre, une reproduction photographique dans l'édition de La Souf- france des Eaux, 1890).
LA LÉGENDE D'UN SAULE
Le prophcliquc azur luit au bleu de vos yeux
Ou bien l.'i Nuit d'or sombre emprunte à vos prunelles
La scintillation obscure d(^ ses feux,
O vous qui n'êtes pas et serez éternelle !
Les lys se sont levés aux cîeux comme vos main.s I De vos larmes d'encens vous parfumez nos tempes, Vous ombrai^ez l'ardeur des antiques chemins : Vos mains ont précédé nos pas, comme des lampes !
Comme un feuillasje d'or, du bouleau blanc, jaillit,
Ou comme le jet d'eau des sèves se déploie
Par la forêt sacerdotale recueilli,
Verte vasque où le flot des chênes saints ondoie
Voici que vos cheveux d'or se sont répandus 1 Vos seins ont l'air de deux colombes assoupies. Votre âme et votre corps vers nos maux sont tendus. Comme un Saule d'art^ent sur des ondes croupies.
{Daphné.)
ÉPOUvSAILLES
Monseigneur le Printemps en robe épiscopale D'un violet vivant comme les fleurs d'iris.
a 3» FOÈTBS d'aujourd'hui
OuvraDt à deux battants les hauts portails fleuris Au son des clairons d'aube entre en sa cathédrale.
Une tulipe fait sa crosse ; en frais camail Monseigneur le Printemps sous le dôme bleu marche ; Au loin plongent les nefs, et sous leur dernière arche, Le soleil arrondit son aveuglant vitrail 1
Les orangers tout blancs, fiévreux et nuptiaux, Ont des frémissements d'orgue; en la campanule Frêle encensoir, l'encens doré du pollen brûle... Sur les nids psalmodie un chœur sacré d'oiseaux.
Blonde, tu me souris vaguement, tu tressailles I Nos cœurs royaux l'un pour l'autre ont battu longtemps. A genoux ! Pour bénir nos blanches épousailles ■ Entre en son temple ému Monseigneur le Printemps 1
Janvier iSga. {Vers dorés.)
RITE D'AMOUR
Notre-Dame-des-Fleurs se bâtit des chapelles
Aux dômes onduleux de lierres feuillescents,
La voix des cloches d'or des muguets nous appelle.
Sur les champs, l'Esprit saint des vieux printemps descend.
Un vol de papillons aux ailes empourprées
Hiératiquement, palpite sur les fleurs :
Des messes de l'aurore au Salut des vesprées
Ce sont les délicats et purs enfants de chœur.
W Quelque prêtre invisible et divin du Mystère
Lève le saint Soleil ainsi qu'un ostensoir :
Sa chasuble d'azur flotte seule sur terre
Et se fleurit de croix d'or et d'astres, le soir.
Ton sang a le parfum angélique des sèves Oh 1 quitte le foyer où frissonne l'aïeul,
CHHANUBL sionouit s33
Vierge, il ne fait pas froid dans l'église du Rêve, Où — cierges éperdus — s'allument les glaieuls !
5 avril i8g3. ( Ver» doré».)
LES OLIVIERS
L'aile en fureur, l'hiver sur les monts vole et vente Du sang glacé des fleurs se paissent les janviers : Votre pleine verdure étincelle vivante, Vous, oliviers que j'aime, oliviers, oliviers !
Votre être fortuné c'est Pallas qui l'enfante.
Sa mamelle est d'argent, jadis vous y buviez ;
Vos fruits broyés trempaient de flamme et d'épouvante
Les muscles des lutteurs par les dieux enviés.
Les siècles garderont ma voix, et d'âge en âge Mon front resplendira sous un triple feuillage ; Car à mes beaux lauriers, à mes myrtes nouveaux.
Vous dont le sang nourrit un peuple ardent de lampes, Sacrés oliviers d'or, vous joignez vos rameaux Pour courber la couronne immortelle à mes tempes.
[La Souffrance des Eaux.)
CHANT POUR L'AMANTE
Deojc Umant» »ont an peuple assemble.
OOSTIIB.
Vierge aux pieds blancs posés sur l'éternelle cime. Jadis la fleur du hêtre embauma ton flanc pur. Reçois, toi qui guidas mes vaisseaux sur l'abtme. L'offrande d'ambroisie en des coupes d'azur !
Jadis j'ai vu briller plus que la chair des femmes
Tes épaules d'argent sous nos soleils amers :
Tu visites mon cœur, vierge, élevant des flammes
Comme aux creux de tes mains tu portas l'eau des mers I
i3a P0ÈTB8 o'AUJOtmD'Hin
Ouvrant à deux battants les hauts portails fleuris Au son des clairons d'aube entre en sa cathédrale.
Une tulipe fait sa crosse ; en frais camail Monseigneur le Printemps sous le dôme bleu marche ; Au loin plongent les nefs, et sous leur dernière arche, Le soleil arrondit son aveuglant vitrail !
Les orangers tout blancs, fiévreux et nuptiaux, Ont des frémissements d'orgue; en la campanule Frêle encensoir, l'encens doré du pollen brûle... Sur les nids psalmodie un chœur sacré d'oiseaux.
Blonde, tu me souris vaguement, tu tressailles I Nos cœurs royaux l'un pour l'autre ont battu longtemps. A genoux ! Pour bénir nos blanches épousailles " Entre en son temple ému Monseigneur le Printemps !
Janvier i8ga. (Vers dorés.)
RITE D'AMOUR
Notre-Dame-des-Fleurs se bâtit des chapelles
Aux dômes onduleux de lierres feuillescents,
La voix des cloches d'or des muguets nous appelle.
Sur les champs, l'Esprit saint des vieux printemps descend.
Un vol de papillons aux ailes empourprées
Hiératiquement, palpite sur les fleurs :
Des messes de l'aurore au Salut des vesprées
Ce sont les délicats et purs enfants de chœur.
V Quelque prêtre invisible et divin du Mystère
Lève le saint Soleil ainsi qu'un ostensoir :
Sa chasuble d'azur flotte seule sur terre
Et se fleurit de croix d'or et d'astres, le soir.
Ton sang a le parfum angélique des sèves Oh I quitte le foyer où frissonne l'aïeul,
BHMANUEL SIONORST
933
Vierge, il ne fait pas froid dans l'église du Rêve, Où — cierges éperdus — s'allument les glaieuls 1
5 avril iSgS. { »'«'*« dorés.)
LES OLIVIERS
L'aile en fureur, l'hiver sur les monts vole et vente Du sang glacé des fleurs se paissent les janviers : Votre pleine verdure étincelle vivante, Vous, oliviers que j'aimi^, oliviers, oliviers I
Votre ôtre fortuné c'est Pallas qui l'enfante.
Sa mamelle est d'argent, jadis vous y buviez ;
Vos fruits broyés trempaient de flamme et d'épouvante
Les muscles des lutteurs par les dieux enviés.
Les siècles garderont ma voix, et d'âge en âge Mon front resplendira sous un triple feuillage ; Car à mes beaux lauriers, à mes myrtes nouveaux.
Vous dont le sang nourrit un peuple ardent de lampes, Sacrés oliviers d'or, vous joiç^oez vos rameaux Pour courber la couronne immortelle à mes tempes.
(La Souffrance des Eaux.)
CHANT POUR L'AMANTE
Deax hmaitis sont «n peuple assemble.
aOSTHB.
Vierge aux pieds blancs posés sur l'éternelle cime. Jadis la fleur du hêtre embauma ton flanc pur. Reçois, toi qui guidas mes vaisseaux sur l'abîme. L'offrande d'ambroisie en des coupes d'azur !
Jadis j'ai vu briller plus que la chair des femmes
Tes épaules d'argent sous nos soleils amers :
Tu visites mon cœur, vierge, élevant des flammes
Comme aux creux de tes mains tu portas l'eau des mers t
a34 roiTBH d'aujourd'hui
C'est l'heure de rosée et l'astre est sur la plaine : Entends les bûcherons chanter dans la forêt ! Tous les blés sont en fleurs ; mais mon âme est trop pleine ; Une face du monde en tes traits m'apparaît.
Au bois, l'astre triomphe : il fait fumer les sèves, Sois-moi l'ombre des lys, douce au cœur des bannis; Toi dont le pas sonnait sur le snble des grèves ; Et qui portais des fleurs, des essaims et des nidsl
Le feu gonfle le flanc des terres, et, sonore, Tressaille en jets de fleurs hors du rosier brûlant. Ne regrettes-tu pas les blancheurs de l'aurore ?
— Sous les feuillages gît le troupeau somnolent. —
Sur le volcan cendreux une flamme s'élance. Le pâle coudrier près des laves grandit. L'ormeau mélancolique au zéphyr se balance, Au loin la mer silencieuse resplendit !
Le feu ! voici le feu ! le grand soleil s'eff"ondre Les astres sur la mer montent et sur ses bords Un peuple de bergers lèvent pour leur répondre, Des flambeaux rayonnants sur la cendre des morts.
D'un laurier radieux j'illustrerai tes tempes : Vierge ! ton cœur est doux comme un soleil levant. Lorsque l'aube d'été fera pâlir les iampes. Sur mon luth douloureux mets tes mains en rêvant,
O toi 1 dont le sourire alimente mon songe ; Il est une montagne aux deux vallons secrets.
— Dans les flots de la nier que le soleil se plonge Ou qu'en ses voiles blancs l'aube coure aux forêts.
Marchons vers la montagne où des flammes plus amnlrs
Brûlent sur un parvis qui luit à ses sommets :
Je te constituerai la Vestale des temples.
Mes trépieds d'or vivant sont sculptés pour jamais 1
(La Souff l'Once des Bauœ.)
KHMANUIL SIONORXT
8:^5
CHANT POUR PROMETHEE
0 ma mèref O moncaltel Vous vntjee qae je soujjre pour la Juttice ? EscBYLE. Promélhée;
0 père des clartés, des arts et des présaa^es ! Oui formas de doux sucs pour adoucir nos maux, lia mont noir et frappé du choc des mers sauvaj^es A nourri de ton sanjf les v<>nts et les oiseaux !
Toi qui vins à Lcmnos ravir aux forges saintes. Pour animer tes blocs sculptés dans les limons, Des flammes que les vents de l'Olympe ont éteintes. Surgis : la lyre éclate aux sommets d»; tes montai
Sa voix d'Océanide a le frisson des ormes Ah 1 pour ton cœur jçonfléle printemps futtrop peu : Tu voulus devancer l'ordre éternel des formes l'.tpour mûrir les fruits, tu pris la foudre au dieu.
Mais qu'aujourd'hui ton corps desséché sur les cimes Ileflcurisse ; descends de tes monts, il est temps, 1/été brillant du moude a des moissons sublimes Et des vins dont la force enivre les Titans !
Ton vautour succomba sous les flèches d'AIcide.
Viens : le laurier fleurit, le ciel est sans courroux,
Les dieux moins grands que toi sont morts : l'Olympe est vide I
— Seuls Bacchus [lampré d'or et l'oeil toujours humide,
Et Minerve aux yeux bleus t'attendent parmi nous!
{La Souffrance des Eaass.\
ÈLh'GIB IV [Le i3 jaillet iSgj.) A M. Calixfe Toesca.
Je ne te confierais, ô Nuit, ces chers mystères Que si leur fruit de vie éclatait au soleil
s 36 poÂTBs d'aujourd'hui
Hippocrène a vaincu les oncles adultère», Je vois le souvenir à l'avenir pareil.
Si le poids des baisers fit fléchir l'auréole. Quelque tendre laurier au myrte a succédé, Comme enfant de ces nuits j'ai conçu la parole, Erato ne m'a point aux mortelles cédé.
Esprit des nuits d'étél... Les mortels que noussonuDvS Des plus hautains plaisirs n'ont gardé qu'un sang^lot ! Extase M... mots compris des savants jeunes hommes : Du char d'or de sa sœur Phœbus parlait au flot.
Celle qui sanglotait d'amour sur le rivage Fût-elle Juliette ou bien Cordélia? Elait-ce un myrte d'or ou ton laurier sauvage, Phœbus ! qui pour jamais à ses bords me lia ?
O Cannes ! jamais l'œil véridique des Muses
Ne t'avait éclairé pour l'immortalité. —
Tremblez sur ses deux mers, belles strophes confuses,
Comme oscille un brouillard au clair des nuits d'été.
(Le Premier livre des Elégies.)
ÉLÉGIE XI
A M. Sully Prudhomme.
Rends-moi la mer brûlante et ces plages de sables Plus molles que les mers et gardant le soleil Dans leurs tendres cristaux ! sur l'île étends mes tables Et que la vague encor me verse le sommeil !
Et le jardin marin oi^ les brises fidèles. Haleines de Pallas, viennent sculpter les fleurs : — — Permesse y fend le sol ; que ses eaux les plus belles, Chargeant mon sein du poids des images nouvelles, Fassent briller le front de mes jeunes Douleurs I
(£f« Premier Livre det Éligien.)
SMUANUKL SiaNOnST
a87
ELEGIE XIII
ou LB8 PHKSKNTS DKS 0KACC8 I
Calixle tant nommé par les lèvres dorées De la tendre élégie ! aux places inspirées Que d'écume et de feux la mer latine bat, Le char flexible et pur des trois Grâces s'abat.
L'une porte une rose et soudain me l'accorde, L'autre dont l'esprit sonne à l'héroïque corde Que me tendit Phœbus suave et me urtrier Fait couler sur ma lempe uu abondant laurier, Et la troisième, au bord des solitaires ondes D'où les yeux de Venus brillèrent sur les mondes, Veut, tant mon haut sanglot à son doux cœur est cher, Par un lien de myrte à son corps m'attacher.
II
Construites d'une larme, ô mes Grâces parfaites I Touchez ces cœurs nourris d'éphémères ardeurs : Pitié pour les absents en proie aux faux prophètes! Cœurs que j'aime, goûtez ces délicates fêles, Le front de la Victoire a de belles pudeurs.
{Le Premitr livrt d$$ Elégies.)
Py^UL SOUCHON
M. PaulSouchon est n' de parents paysaus, le i5 janvier 1874, à Laudun (Gard), sur la live da Rhône qui fait face à Orange. A l'âge de cinq ou six ans, il vint habiter avec sa famille à Aix -en- Provence, où il fut élève au Lycée ISlignet, avec Emmanuel Signoret et M. Joachim Gasquet, pi.is à la Faculté des lettres. Il vint ensuite se fixer à Paris, en 1894. M. Paul Souchon a publié plusieurs vo- lumes de vers, et est égalei'.ent connu comme l'auteur de deux tra- gédies : Phyliis et Le Dii'.u Nouveau, représentées avec succès la première aux Boufifes-Parisif ns, en igoB, et la seconde au Théâtre antique de la Nature, à i;hampigny-la-Bataille, en 1906. Il offre l'exemple, devenu rare à noire époque, d'un poète qui n'a écrit que des vers. « Sa caractéristique.a écrit un critique, est la netteté, une netteté qui n'exclut pas la flùdité; les stroph«s sont lumineuses; elles rappellent ces collines dont la ligne oaduleuse et précise se détache harmonieusement du ciel bleu. Une musicalité très pure y chante. Et cette fluidité, dan:s les premiers poèmes, n'allait pas sans quelque mollesse, mais 1rs contours ont pris peu à peu plus de caractère, et la main qui dessine leurs lignes ne tremble plus. La Beauté de Paris est un baau recueil, rempli du souvenir et do regret de la Terre provençale. »
M. Paul Souchon, qui rédige actuellement au Mercare de France la Chronique des lettres du Midi, a collaboré à La Presse, à La Plume, à La Revue hebdomadaire, k L'Effort, au Feu, à L'Aa- rore, etc.
Bibliographie :
Lk8 œuvres. — Les Flévations poétiques, poésies. Paris, Ed. Girard, 1898, in-18. — Nouvelles Elévation» poétiques, [lOi^siVs. Paris, Biblio- thèque artistique et lillt^raire, 1901, in-18. —Elégies parisiennes, poésies. Paiis, Ed. de « lEirorl », 1902, in-18 — Bagatouni, roman, trad. du pro- vençal, de Valero Buruard. Paria, Bibliothèque artistique et littéraire, 1901,
PAUI. SOOCIION »i^
in-18. - Les Trois, .oiunn (le MoAHut; uoii^i ^traduit, sous le pseudonyme de Henry Martel, avec \.\ ri.ilatioriliou île Mécislas Golborg). Paris, O'iendorff, ia02, iu-18. — La Beauté de Paris, poèmes. Paris, Soc. du Mercure de France, 1904, in-18. — Phyllis. (ra^i5dieen cinq actes (représentée le 16 avril 1005, au TliôitrodesBouffiu-Parisiens). Paris, Soc. du Uercurede France, 1903, in-18. — Le Dieu noiivnau, Irajrédie en trois actes (représentée le 3 juin 1906, au Théâti-o aulii|.i.' de la Nuture, k Champigny-U-Balaille). Paris, Soc. du .Mercure do France, I9ii6, iu-18.
Voyez en outre : Cluq villes) du Midi : Aix. Arles. Avlgnua. Orange- Nîmes. Pari», Ed. des Gui<les d'Art de • La Plume », io-19.
A CONSULTER. — Loiils Bertmiid : Paul fioKchon. Ija, Revue Provinciale (Toulouse), 15 juillet 1901. — François Carco : Paul Souchon. Le Thyrse (Bruxelles), novembre 1906. — Paul Delior : Paul Soucfiou. Poésie, (Castres), avril-juin 1907. — Oeor(|es Le Gardonnol et Ch. Vellay ; La Littérature ronlemporai/ie (1905). Opinions dus Ecrivains de ce tetnpt. Paris, Soc. du Mercure de Franco, 1906, in-18. — Martin \laniy : Paul Souchon. Le Feu (Marseille), l" août 1907. — Emmanuel Siguoret: Paul Souchon. Los Mois Doras (Aix-en-Provence), novembre-décembre 1896.
Iconographie :
t\ Michelet: MMaille (Salon das Artistes Français, 1004); Buatê ,.~>alon d'Automne, 1905).
L'HKUF^E DE MIDI
Eblouissante et dominant toutes les Heures, 'Voici venir la souveraine de midi. Au-devant de sa marche on ouvre les demeures ; Elle s'assied près du foyer qui resplendit.
C'est elle qui suspend l'essor de vos charrues, O laboureurs, et rend vos boeufs plus indolents. Et c'est elle qui fait, dans le calme des rues, S échapper la vapeur des repas odorants.
Elle rayonne à votre bouche, au creux des verres. Et dans l'or bienfaisant du pain ; et sa clarté Se lève dans les yeu.x des enfants et des mères Quand son nom tout autour des tables est jeté.
Heure sainte, elle apporte au monde de la joie. Les champs ont retrouvé leur antique repos, El la profonde mer, où tout le ciel tluniboie, Sur la roche a laissé moiu-ir le bruit des flots.
a4o FoiTES d'aujourd'hui
Heure brillante, elle est la sœur de la lumière. C'est elle qui pétrit les hommes de soleil Et qui, dans sa bouté, glisse sous leur paupière, Au plein du jour, la fleur vivace du sommeil.
Elle est aux animaux la puissance inconnue Qui les couche et leur met des songes dans les yeux; Elle aime aussi le chêne où la brise est venue S'endormir au milieu des nids silencieux.
Mais sa fuite entre ses compagnes est rapide Si l'ombre qui la suit de toute éternité Apparaît et lui montre, au bord du pré limpide, L'image sombre du grand chêne reflété.
{Lei Elévations poétiques.)
HYMNE A LA TRISTESSE
Coupe d'ombre, à tes bords embaumés de vin noir, Dans ma jeunesse ardente et soumise à la joie
Je n'ai pas bu souvent ! J'attendrai que mon âge, à son automne, ploie Pareil aux arbres dont les branches dans le soir
Gémissent sous le vent !
J'attendrai que ma vie à la terre enlacée Détourne mes regards mourants de la beauté.
Leur amante immortelle 1 Et que des passions, plus rouges que l'été, Aient assailli longtemps mon âme et l'aient blessée
De leur flamme cruelle !
Hier dans la splendeur des monts immaculés Qui reflétaient pour moi les couleurs de l'aurore
Et les étoiles d'or, O tristesse qui viens sans que l'homme t'implore Tu me donnas, mes yeux d'exil étant voilés
Le désir de la mort t
PAUL BOUCHON «4'
Délivré maintenant des monts de servitude Où la trompette effarouchait les bois sacrés.
Tristesse, coupe d'ombre, Et pressé par les bras de l'amour adorés Daigne répandre, loin de notre solitude,
Les flots de toa vin sombre 1
La femme se dérobe au coeur qu'elle a séduit Et j'ai vu qu'un hiver faisait danser les feuilles
Dans les soleils couchants ! Mais le bonheur, sous les mensonges, tu le cueilles Et la clarté sur le sein même de la nuit,
0 jeunesse des ans !
Et tu ris de la nuit, de l'ombre et du silence, De l'hiver qui moissonne tout dans la forêt
De sa bise tranchante, Tu ris des trahisons quand l'amour reparaît Aux profondeurs des yeux d'où son charme s'élance
Comme une source chante !
Ce soir, pourtant, le ciel confondu dans les eaux, La chute du soleil parmi sa propre cendre
Et le poids de mon cœur Ont approché la coupe d'ombre et fait descendre Au fond de moi l'effroi qui touche les oiseaux
Derant le soir vainqueur 1
Et je songeais du feu qui s'éteint dans les temples. De la saison qui meurt de nouveau dans les bois,
Et des dieux de la terre Quand l'harmonie étant accourue à ma voix Je te noyai, Tristesse, au choc de ses flots amples.
En chantant ton mystère 1
{NouvelUi EUuationi poétiqat$.) H 14
a4a POÈTES o'aujourd'uui
LOUANGE DE J^\1US
O Paris ! ô couroaue 1 ô fleur ! J'ai quitté mon ciel et ma mère. Ma mère et sa pâle douleur, Mon ciel, le plus pur de la terre l
Et, depuis, si j'ai regrelté Et ma Provence et ma jeunesse, Chaque fois, Paris, ta beauté M'a séparé de ma tristesse !
Tes jardius m'ont souvent reçu Sous leurs ombrages pacifiques Et c'est en eux que j'ai conçu Mes songes les plus magnifiques !
Tes bois, tes parcs m'ont révélé La grandeur de l'âme française. L'ordre par le rythme voilé, La force qu'une grâce apaise 1
Auprès des sables débarqués Par des hommes aux chairs dorées. J'ai goûté, le long de tes quais. Des heures chaudes et sacrées 1
Le soleil traçait des sillons Et coulait, fleuve, dans un fleuve 1 Notre-Dame, sous ses rayons, Paraissait éternelle et neuve !
J'ai suivi des yeux tes brouillards Oui brodaient leur fine dentelle Ou couvraient de leurs étendards Une céleste citadelle !
O couleurs ! ô roses I ô jeux I Crépuscules pleins de batailles! O noirs triomphes orageux ! Forges 1 Victoires I Funérailles f
PAUL 90UCR0N x43
Mnîs je fus aussi pénétré, O Paris, de clnrlés intimes, Et l'amour que tu m'as montré M'aura conduit sur d'autres cimes :
Car, sous ton ciel, le sentiment Comme une fleur embaume et passe Et tu recherches seulement Le plaisir de toute une race I
Et j'ai subi l'enchantement Que tu verses aux cœurs, ô ville, Qui revêls par (ou mouvement La splendeur d'un astre immobile 1
{La Beauté de Paria )
AU JARDIN DU LUXEMBOUUG
<,)ue de cœurs, ô jardin, sous tes calmes ombrasses, <j)ué de cœurs ont saigné ! Tous ceux qui sont ici, ^'emmes et jeunes cens, portent sur leurs visages Le signe de l'amour ou l'éclat du souci?
Les uns, adolescents hantés par la chimère. Viennent te conlîcr leurs plus chères ardeurs, Ta verdure est pour eux coinnie une bonne mère Qui préserve leur âge et nourrit leurs candeurs.
n'autres, déjà vaincus par l'amour ou la {çloire, Esprits désabusés et flétris dans leur fleur. Te demandent, jardin, d'endormir leur mémoire Et de mettre ton charme entre eux et leur douleur !
J'en ai connu qu'un jeu du soleil sur tes marbres. Un éclair de tes eaux au passasse du vent, Une fleur qui brillait sous l'ombre de tes arbres, Ou le pigeon dans l'air limpide s'élevant.
Retenaient et troublaient jusqu'au fond de leur âme ! Saus doute que ceux-là chcrchaieul dans le jardin
»44 poAtes d'aujourd'hui
Le souvenir aimé d'un pays, d'une femme,
Et de jours plus heureux sous un au*Te destin 1
J'ai connu des amants qui voulaient en ce monde Plus de bonheur, hélas ! qu'il ne peut en porter, Et toi seul, par ta paix et ta beauté profonde, Aux heures du couchant, savais les contenter !
Le poète et le peintre, en fuyant le tumulte
Que la ville dépose aux grilles de tes murs,
Ont pu faire de toi leur patrie et leur culte,
Car tu les fais plus grands, plus touchants et plus purs
Et tu permets, au sein dangereux de la ville, Le rêve, le silence et le recueillement! Aussi ta poésie en sanglots est fertile Et, que de désespoirs sous ton enchantement 1
Mais la lumière est belle au fond de tes allées ! Elle vibre sur l'eau, se colore et bondit! Tes bordures de fleura en sont presque aveuglées, Et ton palais, comme une flamme, resplendit !
(La Beauté de Paris.)
ÉLÉGIE A MIDI
Dans la rue, à midi, quand la marée humaine Dégorge des maisons et que son flot m'entraîne, Quand le bruit envahit les bars, les restaurants. Quand, vers le pâle azur, montent les plats fumants, Et, que dans un air lourd, le tumulte et la fange, C'est Paris qui s'attable et c'est Paris qui mange, Je songe que, là-bas, dans la campagne d'or. Le calme moissonneur cherche l'ombre et s'endort, Qu'il chasse en sommeillant la bourdonnante mouche Qui se posait au coin entr'ouvert de sa bouche. Et qu'il voit, les yeux clos, au moment du réveil, A travers tout son sang resplendir le soleil !
(La Beauté de Parit.)
HENRY SPIESS 1876
M. Heory-Charles Spies« est né, d« nationalité Suisse, & Genàye, le la juin 1876. Ses éludes terminées au collège, il fit son droit à l'Université de Genève. Devenu ensuite avocat stagiaire, il demeura inscrit au barreau de la ville pendant deux ou trois années. C'est à ce moment qu'il composa les petits poèmes de sa première pla- quette: liimes d'Audience, dont le titre dit à lui seul toute l'inspi- ration. Ce sont de petits croquis d'audience, en effet, où l'on voit passer des silhouettes de magistrats, de « cliers maîtres » amis, de clercs, d'huissiers et de plaideurs, tout le monde de la basoche et de la procédure, au milieu duquel l'auteur s'est mis lui-même en scène. On trouve là comme un ressouvenir de Villon, un Villon qui aurait lu Laforgue et M. Francis Jammes. S'il faut le dire, M. Henry Spiess ne voit plus dans ce petit volume qu'un amuse- ment de jeunesse, et nous l'aurions écouté que rien n'en figurerait dans notre choix. Mais l'humour est si rare chez les poètes 1 Les fantaisies de M. Henry Spiess distrairont un peu des grands mor- ceaux élégiaques, des tirades sonores et emphati((ues. Après Rimet d'Audience, M. Henry Spiess, qui a abandonné le barreau pour se consacrer tout entier aux lettres, publia Le Silence des Heures, poèmes d'une tout autre inspiration. Voici sur ce recueil quehjues lignes d'appréciation d'un critique, M. Gaspard Vallette, dans La Semaine littéraire de Genève « Il y a du rêve, dans ces vers, de la tristesse, des velléités d'action et des recherches dans le doute inac- tif et la mélancolie craintive La volonté du poète semble incertaine et flottante entre le doute et la foi, le désespoir et la sérénité, l'inac- tion résignée et la joie conquérante, ha volupté délicate du nirvana poétique et l'austère cilice du devoir humain accepté et de la lutte afFrontéc. Les dernières pièces du livre, qui me paraissent, même au puint de vue purement artistique, les plus belles de toutes, semblent conclure à. la volonté, à l'action, à la lutte.
14.
a46 POÈTES d'aujourd'hui
Elles ont un accent tout particulièrement personnel de sincé- rité et d'intimité, de virilité et de résolution. Mais cette note-là retentit rarement dans cette poésie dont le fond constant reste mé- lancolique, un peu sombre, dans des grisailles souvent tendues de deuil, dans de la tristesse estompée de rêve. Serait-ce là la note personnelle et la marque distinctive de notre poète? Nous incline- rions à le croire, quoique cette personnalité soit trop souvent encore par trop voilée de liitérature, par des réminiscenceti livresques qui, en s'interposant entre le poète et le poème, diminuent à la fois la force impressionnante des vers et le plaisir du lecteur. »
M. Henry Spiess a collaboré à La Moniaqne (1898), à La Revue Helvétique, au Sapajou (i8ij6) ; au Pasue- Partout, à La Suisse, au Journal de Genève, à La Semaine littéraire de Genève, à La Revue Maurice, au Papillon, à La Tribune de Genève, au Gene- vois, au f-'oijer romand, au Noël Suisse et à La Voile Latine, tous journaux et revues suisses.
Bibliographie :
Les oEfTVRE». — Rimes d'audience. Genève, Eggimann, 1903, in-18. — Le Silence des Heures, poi^sies. Genève, Eggimann, 1904, ln-18. (Réimpr. : Le Silence des Heures, f' édition. Genève, Pasche, 1903, in-18). — llodolphe. Silhouette genevoise. Genève. Jullien, 1906, in-18.
PoÈMC MIS EN MU8IQUK. — Une poésie de M. H. Spiess, Un Conte, a été mise en musique par C.-H. Richter (Paris, Serpeille, éditeur).
A coNsoLTBB. — Emile Julliard : Un sextuor de Poètes genevois. Genève, Atar, in-18.
Adrien Bovy: Henry Spiess. La Voile latine (Genève), janvier 1903. — Jules Couflnnrd: Le .Silence des Heures. Patrie Suisse, 5 octobre 1904; Causerie littéraire, Id., 2.3 janvier 1907. — Augustin Filon : Les Poètes français de l'étranger. Journal des Débats, 27 janvier 190S. — Philippe Monnler : Henry Spiess et ses Rimes d'audience. Garelte do Lausanne, 22 juillet 1903 ; Un Nouveau Poète genevois. Journal de Genève, 21 octobre 1904.- Edouard Platzhofl-Lejeune: Neue aus derWi'stschweiz.LMerai- risches Echo, 15 juillet 1905. — Virgile Rossel : Poésie française, hors de France. Tribune Libre (Clmux-de-londs), 29 octobre 1904; Bodolph. National Suisse, 31 janvier 1907. — (iaspard Vnllette : Ein Genfer Dich- <er. Neue Ziircher Zeilung, 6 octobre 1904; In Poète genevois. Henry Spiess et son B Silence des Heures ». Semaine Littéraire (Genève), 9 octobre 1904: La Vie Gènevo'se, Journal de Genève, 10 janvier 1907. — J.-J. Widmaun ; h'unst und Lileralur. Der Bund (Berne), décembre 1904.
Iconographie :
nharles Oiron : Portrait. — James VIberf : B%Mt».
BINUt SPIBS8 " S47
MELANCOLIEvS DU LUNDI ^fATIN
A l'AudicDce du Lundi, mon cœur, hélas! célihalaire, se met à battre avec mystère et palpite jusfju'à midi.
Je reprends plaisir à la vie et j'ai du bonheur jusqu'au soir car parfois je crois entrevoir ma chimère en vain poursuivie.
Car Celles qu'un mari trompa, au mépris, de toute décence, viennent s'asseoir à l'audience avec leur mère ou leur papa.
J'aime les voir à la requête du Président, ^Monsieur Pauly, (ah ma chère, il est si poli !) « persister » d'un signe de tête.
Je maudis le mari brutal, monstre d'orgueil et d'imposture, car leur vertu n'a, je le jure, jamais quitté son piédestal.
Tandis que, pour Berthe ou Pauline, ce gueux faisait danser les sous, chaque soir elles pleuraient sous la lampe, — avec une voisine.
O pouvoir essuyer ces yeux, forcer ces bouches à sourire, consoler toutes ces Mariyres et leur dire, en attendant mieu.T :
c Mesdames, l'Etre sans scrupul-s que vous appeliez votre Epoux, jamais ne fut digne de vous ; doue oublii'j'- cette craoule.
95o roÂTBS d'aujourd'hui
Henri Martin, penché sur ses pièces dira :
« Vous savez ? Spiess est mort. » Chacun prendra sa place,
comme hier et comme demain ; et l'on verra
Rossel entrer, sans se presser, la tête basse.
Ce sera la rumeur des chaises qui décroît . On entendra : « Y a-t-il des Experts dans la salle ? » Il fera lourd . La pluie aura, sous le vent froid, fait des méandres lents contre les vitres sales.
Je ne serai plus là, dépliant le « Journal »
et m'arrêtant pour allumer des cigarettes
et demandant pourquoi Gouliû est radical...
De Morsier ne me dira plus : « Bonjour poète I »
On dira : « Spiess est mort ; il s'est trop promené ; on ne le verra plus venir avec un livre. » Ceux qui ne m'aiment pas m'auront tous pardonné. Aubert supputera ce qui lui reste à vivre.
Il ne restera rien de moi que quelques vers scandés un jour d'automne au rythme de la pluie. On dira : « Spiess est mort ; voici bientôt l'hiver. » On dira : « Il s'était assuré sur la vie . »
Et moi, qui pense tant à mourir, je saurai peut-être s'il faut croire à la métempsycose, ô vous, tous mes amis, que je regretterai du haut du Paradis des Avocats sans causes...
[Rime» d'Audience.)
CHANSON LOINTAINE
Un air fragile et triste un peu, simple et discret comme un aveu, UD air de tendresse et d'adieu
me hante ; il y pleure un espoir lassé, un souvenir presque effacé car en lui c'est tout le passé
qui chante.
25l
I
On le modulait en rêvant, jadis, par les soirs décevants, où le coeur, leurré trop souvent,
se grise d'un bonheur volage et subtil ; soirs de musique et de bal/il . .. Peut-être vous eu souvient-il,
Marquise ?
La romance aujourd'hui se tait. Où sont les Belles qui chantaient ? Où sont les p;ii t'unis qu'apportait
la brise ? De tout cela qu'est-il resté ? Plus rien (ju'uu soupir attristé ; et mon cœur, rieu qu'à l'écouter,
se brise.
Et pourtant l'écho du vieil air, après tant d'étés, tant d'hivers, empêche que ce passé cher
ne meure : Tout fuit. Marquise. et doit pâlir; le rêve cesse et le plaisir ; qu'importe, si le sbuvenir
demeure ?
(L« Silence des Heares.
LES MAINS...
Les mains que je vois en rère faire signe à mon destin, m'ont promis des roses brèves et des lys lointains.
Les mains que je voudrais miennes pour leurs ijestes iu'"onnus, ont des bagues anciennes à leurs doigts menus.
s5i poiTES d'aujourd'hui
Les mains qu'il faudrait aux fièvres de ma bouche ei de mes yeux, sont plus douces que des lèvres et caressent mieux .
Quand j'ai cru les reconnaître ma vie a toujours douté : hélas ! elles n'ont peut-être jamais existé.
Mais, pour avoir rêvé d'elles un soir, il y a long-temps, je leur suis resté fidèle et je les attends.
ILe Silence des Heurêi . )
PARLONS BAS...
à P. F. et à P. N.
Parlons bas dans la chambre close où toute vie est suspendue. La pendule dit quelque chose à nos deux âmes confondues.
Et voici la Lampe et le Livre, trésor des humbles comme nous. La pendule dit qu'il faut vivre, aimer, lutter, porter des coups.
Parlons bas. Dans la chambre amie le silence entr'ouvre ses fleurs. La pendule dit que la vie est faite d'amours et de pleurs.
Le Rêve à nos côtés incline ses yeux clairs et sa face vaine. Le temps s'en va, le temps chemine. Oh 1 le bruit de la lutte humaine. ..
(L« Silence dm Hwnê,)
HCNHY SPIBStt 253
MA JEUNESSE
Encore un peu de temps, mon âme, quelques jours, (Quelques heuics de vaine attente uu de tristesse, et je verrai, pâle et pensive, ma jeunesse renoncer à me suivre et me fuir pour toujours.
Encore un peu de temps, quelques heures furtives, quelques moments d'incertitude ou de regret, puis, devers l'ombre où tout s'achève et disparait, je verrai s'en aller ma jeunesse pensive.
Je la verrai me tendre, en un geste d'adieu,
les chimériques fleurs dont je l'avais ornée,
et qui, l'une après l'autre, hélas ! se sont fanées
d'avoir donné leur àme à tous les vents des cieux.
Je la verrai, les yeux pleins de larmes amères,
dépouiller ses habits de fêle, déposer
sa couronne illusoire et son sceptre brisé
pour prendre, en me quittant, le deuil de mes chimères.
Enfin je la verrai fuir^et se perdre au loin, sans grâce ni beauté, le cœur et les mains vides, sans même avoir reçu sur ses lèvres avides l'humble baiser d'amour dont elle avait besoin*
Alors, privé de guide et dénué d'escorte, je poursuivrai ma route avec le double effroi d'être seul et de voir se dresser devant moi le spectre accusateur de ma jeunesse morte.
(£« SUenc4 d*$ iiturêê,)
LAURENT TAILHADE 1854
M. Laurent Tailhade (Laurent-Bernard-Paul-Marie) est né à Tarbes (Hautes-Pyrénées), Je i6 avril i854, d'une vieille famille de magistrats et d'officiers ministériels. Bien que tourné de très bonne heure vers les lettres, M. Laurent Tailhade n'eut tout d'abord d'au- tre ambition que de faire de la liiicralurc en amateur. Cependant, vers sa trentième année, réunissant tons ses vers, il se décida à publier un volume : Le Jardin des Rêve», que Théodore de BanTille présenta dans une préface enthousiaste. M. Laurent Tailhade com- mença alors à collaborer aux journaux et aux innombrables revues littéraires, petites et grandes, de son époque, éparpillant dans les unes et les autres la plupart des poèmes qni composèrent plus tard deux autres petits livres : Dizains de Sonnets et Vitraux. Ce furent surtout ses poèmes satiriques, un genre o4 il a excellé, qui commen- cèrent sa réputation, et son volume : Au Pays du Mujle, dans lequel il a fouailté, tantôt dans des sonneu, tantôt dans des ballades, les ridicules bourgeois, la sottise publique et les écrivains qu'il n'aime pas, est resté célèbre par toutes Im colères qu'il souleva. Les nombreux duels que sa verve attira It M. Laurent Tailhade oe sont pas moins connus, ni la manière dont, paisible dîneur, il fiit blessé, le 4 avril i8g4, au restaurant Foirot, par l'explosion d'une bombe d'anarchiste. M. Laurent Tailhad* s'est aussi mêlé très acti- vement aux polémiques suscitées par l'alfaire Dreyfus, et il en est resté un petit livre de poèmes : A Iravr» le* Grouins, le dernier ouvrage que nous ayons eu de lui comme poète satirique. Depuis cette époque, M. Laurent Tailhade semble avoir renoncé aux polé- miques individuelles et être rentré dans U retraite. Il a mis à pro- fit ce recueillement pour travailler à uua édition corrigée et défini- tive de son œuvre poétique, rassemblée aujourd'hui en deux vola* mes : Poèmes Aristophanesques et Poèmes ElérjiaqtieB.
Les premiers vers de M. Laurent Taillude n'apportaMOt riw ds
LAURENT TAILHAD»
a55
bien nouveau. C'étaieut des vers parnassiens dans toute l'ccccptioa du terme. Beaucoup de virtuositë daus le rythme et un sena artiste delà langue y remplaçaient ce qui constitue avant tout la poésie : le sentiment, la sensibilité. Il a fallu, pour révéler vraiment en M. Laurent Tailhade un poêle lyrique, ses merveilleuses Ballades, où il a ressuscite en maître une des formes poétiques les plus belles et les plus difficiles. On les admirera — sur nos exemples — non seulement pour leur beauté verbale, mais encore pour les senti- ments qu'elles expriment. M. Laurent Tailhade a également publié plusieurs livres de prose, dont on trouvera le détail à la bibliogra- j)hie. Ce sont des ouvrages de beau style, d'éloquence contournée et maniérée, uniquement faits d'érudition. M. Laurent Tailhade s'y montre tel que dans ses premiers vers : un rhéteur infatigable.
M. Laurent Tailhade a collaboré: à Lutèce, i833 ;— & La Revue Indéptndante, i" série, i><84 ; — au Décadent, 1886 ; — au Pail- lasson (Toulouse et Bij;orre), dont il était l'unique rédacteur, 188C- 1887 ; — au Scapin, 1886 : — à La Pléiade, a* série, 1889 ; — au Mercure de France, sous son nom et sous le pseudonyme de dom Juaipérien ; — à L'Effort (Toulouse) 1896 ; — à Minerve, à La Kevue /Hanche, k L'Ermitage, k La Revue Rouge, etc.. ; — pour Jes journaux : au Voltaire ; — à L'Echo de Paris, sous le pseudo- nyme de Tybalt ; au Journal, sous le pseudonyme de Kenzo ; — à La Renaissance, au Libertaire, au Journal du peuple, à U Aurore, aux Droits de l'homme, à La Petite République ; — et en province: à La Petite Gazette et à L'Avenir des Hautes-Pyrénées (Bagjières- de-BIgorrc), — k La Gazette des Etrangers (Pau) ; — et à Za Dépêche et à L'Art Méridional (Toulouse).
Bibliographie :
Lis cbuvhss. — Le .laiiliu des Rêves, poésies, préface de Théodore de Banville. Paris, Lemerro, I8S0, iu-18 (Kûiinpr. : en partie dans Poèmes élé- giaques. Paris, Soe. du Mercure de France, 1907, in-18). — Un dizain de Sonnets. Paris, Lemoirc, 1881, in-18. — Au Pays du Mufle, poèmes, préface d'Armand Silrestro. i'aris, Vauier, 1891, petit in-12 (Kûinipr : Au l'ays du Mufle, poèmes, préface d'Armand Silrestre. Nouvelle édition, revue et cousidùndilouienl augnu-utée, illustr. d'IIormnun Paul. Paris, BibliotliÈque arlisli(iue et litlérairr, 18U4, iu-IG ; cl dans Poèmes aristophanesques. Pari», Soc. du Mercure de France, 1904, iu-18). — Vitraux, poésies. Paris, Vanicr, 1891, petit iu-8 (Rôirapr. : Vitraux, poésies. Paris, L«merre, 1S94, petit in-12, et dans Poèmes élégiaques, Paris, Soc. du Mercure do France, 1907, iu-18). — Terro Latine, prose, préfacodeB. Ledrain. Paris, Lenierrc, 1897, in 18. — A travers les Grouins, poèmes. Paris, Stock, 1899, petit in-12 (lii'iinpr. : da.na Poèmes aristophancsqves, etc., 1904, in-18). — La Pàquo socialiste, d'Emile Veyrin, conférence faite au Nouvean-Tliéftlro lo 15 avril 1699. Paris, Stock, 1899, in-ia.— L'euuemi du Peuple, coufâreuce, suivie de
s56 poÂTEB d'aujourd'hui
l^allmde Solnett. Paris, Soc. libre d'Edition de* gêna de lettres, 1900,in-18. — Le D' Jean-Paul Tallhade. Tarbes, Imprim. J.-A. Lescamela, 1900, in-8. — Imbéciles et Gredins (1895-1900), prose. Paris, Ed. de la c Maison d'Art », 1900, in-16. — La Toulfe de Sauge, prose. Paris, Ed. do « La Plume », 1901, in-18. -La Sotie de Bridoyc, deux actes en prose (en collaboration avec Raoul Ralph), représentés sur la scène du Théâtre des Latins (Nouveau-Théâtre), le 18 janvier 1902 (non publié). — Sales bour- geois. Sou Importance Auguste Pluchon (1), roman (en collaboration avec Raoul Ralph). Paris, Ofl'enstadt, 1902, in-18. — Le Satyrlcon, de Pétrone, traduction. Paris, P'asquelle, 1902, in-18. — L'Œuvre d'Emile Zola, conférence faite à l'Université populaire de Tours, le 30 novembre 1902. Tours (32, rue Etienne-Marcel), 1902, in-8. — Discours civiques (4 nivôse an 109 — i9 brumaire an IfO). Portrait de l'auteur par F. Vallolton. Paris, Stock, 1902, in-18. —Lettres familières. Paris, Librairie de « La Raison », 1904, in-18. — Poèmes Aristoplianesques [Au Pays du Mufle. A tra- vers le» Grouin*. Dix-huit ballades familières, etc.) Portrait de l'auteur par Evelio Torent. Paris, Soc. du Mercure de France, 1904, iu-18. — Omar Khayyara et les poisons de l'intelligence. Paris, Carrington, 1905, in-18. — Poèmes Elégiaques (Le Jardin des Rêves. Epiyrammes. Noc- turne», ftêve Antique. Six ballades elégiaques. La Forêt. Vitraux. Poème» en prose). F'orlrait de l'auteur en luMio>;ravui'e. Paris, Soc. du Mercure de France, 1907, in-18. — La Noire Idole, Kssai de Morphinomanie. Paris, Messein, 1907, in-12. — La Corne et l'Epée {Etude sur le» Courses de taureaux). Paris, Messein, 1908, plaq. in-12. — Le Troupeau d'Aristée. Paris, Sansot, 1908, petit in-12.
Préfacks. — Kmlle Bans : Ballades rouyes. Paris, chez l'auteur, 1903, in-18.— Henri Duhamel -.Journal d'un défroqué. Pans, Soc. d'Ed. lillér., 1899, in-18. — Livre d'hommayes à M. le Pré»ident Afagnaud. Paris, A. Wolff, 1900, in-8. — Victor Litschf eusse : L'Ame d'autrui. Paris, Messein, 1907, in-16.
A CONSULTER. — Th. de Banville : Préface. Le Jardin des Rêves. Paris, Lemerre, 1880, in-18 (Réimpr. : en appendice aux Poèmes ari»tophanesques, 1904). — Jules Bertaut : Chroniqueurs et polémistes. Paris, Sansot, 1906, iii-18. — Ad. Brisson : La Comédie littéraire, Paris, A. Colin, 1895, in-18. — F.-A. Cazals : Iconographie de M. Laurent Tailhade, avec une préface de Stéphane Mallarmé. Paris, Bibliothèque artististique et littéraire, 1894, in-8. — Remy de Gourmont : Le Livre des Masques, Paris, Soc. du Mercure de France, 1896, in-18. —Jules Huret : Enquête sur l'Evolution littéraire, Paris, Charpentier, 1891, in-18. — Bernard Lazare: Figures contemporaines, Paris, Perrin, 1895, in-18. — E. Ledraiu : Préface d Terre Latine. Paris, Lemerre, 1897, in-18.— Stéphane Mallarmé : Divagation», Paris, Fasquelle, 1897, in-18. — Henri de Régnier : Tailhade, notice dans les Portrait» du prochain siècle. Paris, Girard, 1894, in-18. — A. Silvestre : Préface. Au Pay» du Aiufle, Paris, Vanier, 1891, et Bibliothèque artistique
(1) C«oique portant le nom du poète, ces deux derniers ouvrages {La Soti* de Bridoye et Son Importance Auguste Pluchon) ne sont cas de Laurent Tailhade. Seuls deux petits poèmes de La Sotie (dont l'un, \ illanelle, a été inséré pw la suite dans Poème» ilégiaquti spparlienueal en propre à notM
J
lAimiNT TAttiiAnB sSy
et )ittArair«, 1*94. (R^impr. : m appAndice hux- Poèmêt mriitophtineêfue», 1904.) — J. Telller : Nos Poêles. Paris, Uespret, 1888, in-18.
J. de Boisjolln : La Poésie arUtophanenque ehes M. Laurent Tailhade, La Plume, 15 seplomhre 1897. — Alclrlç Guérin : Laurent Tailhade, Ia PluiiK-, l!5 aoiU 1891. —A. Ferdinand ilerold : Une traduction du € Satyricon », Mercure de Franco, octobre 190J. —Jules Huret : Etat d'dme d'un dynamiti ou la convalescence de JMurent Tailhade. Journal, 17 avril 1894 (cet article a 6t< reproduit en partie dans le Mercure de France de juin 1894). — F. Quillard : Laurent Tailhade, Mercure de France, jan- vier 189Î. (Réimpr. : en appendice aux Poème» aristophanesques, 1904). — Ernest Haynaiid -.Laurent Tailhade. Mercure de Franco, janvier, 1891. — A. Vallelte : Au Paya du Mufle, Mercure de France, juin 1891 ; /^es Con- férences de Laurent Tailhade. Mercure de France, juillet 1893; Le Geste iijnnble. Mercure do France, mai 1894. — Ch. VIgner : Laurent Tailhade, [jet, Hommes d'aujourd'hui, n" 391, Pari», Vanier (Réimpr. : en appendice aux l'ohnes aristophanesques, 1904).
Iconographie :
F.-A. CazaU : Iconographie de Laurent Tailhade, douze dessins origi-
mu.x, avec pi <'>.''ace de Stéphane Mallarm<^. Paris, [bibliothèque artistique et lit- 16 aire, 181)4. in-8. — Hi^rmann Paul : Lillwgraphie, 1892. — Ch. Léandre : i'ortraii-clutrye, dAns « l,os Hommes d'aujourd'hui «, n* 391, 8* vol. Paris, Vanicr, s. d.(repr. à l'appendice de Poèmes aristophanesques^90^)•, Portrait, Neuilly, 1895; Caricature en Don Quichotte et en Saint-Georges d cheval, dans La Jtevue Bouge, 1896 ; Portraits : En Sauveur de pierreuses, en Cau- seur au café de la Notivelle-Alhènes, 1899 ; J'ortrait,en frontispice de l'ou- vrape : A travers les Orouins. Paris, Stock, 1899. — Félix Kégamey : Croquis d la plume. 116lcl-l)ieu, 1899 (app. à M. Anatole France). — 'l'o- ché : V'i//ai7, 1891 (Exposition dos Portraits du prochain siècle, 1893), ripioiluit dans la fievue Encyclopédique, 15 novembre 1893. — Evello 'l'orcnt : Portrait au /u«oin,ropr. en frontispice k l'édition de Poèmes aris- tophanesques. Paris, .'^oc. du Mercure de France, 1904. — James Vlbert : Médaillon, sculpture, 1895. — F. Vallolton : Masque, dans Le Livre de» Masques, de Hemy de Tiourmonl. Paris, Soc. du Mercure de France, 1898.
Voir en outre : Portrait de Laurent Tailhade, en Dom /unip^rten. Mercure de France, mai 1894; Portrait en héliograxrure (frontispice à l'édition de Poèmes élégiaques, 1907) .
HYMNE ANTIQUE
Hominam Divamqne voluptoê. Aima Venat/
Aphrodite, Déesse immortelle, aux beaux rires. Qui te plais aux chansons luisçubres des ramiers, Le^ cœurs mortels par toi vibrent comme des lyres, El le printemps gonfle de sève les pommiers.
a58 poèTKg d'aujourd'hui
Salut, Génératrice auguste de la vie, Qui courbes à ton joug les monstres furieux, Qui fais voler la lèvre à la lèvre ravie, Cypris I ô volupté des hommes et des dieux I
C'est par toi que, le soir, à l'ombre des allées, Imbus d'ivresse et de langueur appesantis. Les éphèbes, sous les ramures emperlées. Chantent l'hymne vermeil de leurs oarystis :
Car l'Univers flétri par la haine et les fièvres Et qui souffre, oublieux de l'Olympe vermeil, Depuis dix-huit cents ans, vers toi seul tend ses lèvres, Comme vers un ruisseau consolant, ô Sommeil !
Pour moi, chanteur épris des extases sans trêve. Qui m'enivre des bois, du grand ciel et des eaux, Fais fleurir sur mon front l'irréprochable rêve. Fais chanter en mon cœur d'invisibles oiseaux.
Effeuille autour de moi les plantes funéraires Aux jardins de la Nuit éclose sous tes pas. Les pavots endornieurs, les noires cinéraires, D'où tombe comme un vin la douceur du trépas.
Afin que, dans l'azur où les heures d'ôbène Des astres fugitifs rallument le flambeau. Mon àme, dépouillant toute douleur humaine, Monte se rajeunir aux sources du vrai Beau.
Et je t'adorerai suivant le rit antique, Jusqu'à l'heure indécise où, du ciel emperlé. L'alouette dira son matinal cantique Au soleil radieux du jour renouvelé.
C'est pour toi qu'effeuillant la pourpre renaissante, La rose dit au vent son désir embaumé Et que la vierge apporte, heureuse et rougissante, Sa couronne et son cœur aux bras du bien-aimé.
Et c'est toi qui, rythmant les divines étoiles, Fais tressaillir d'amour le cœur de l'Univers,
LAUMRNT TAILHADI sSq
Afin que l'harmonie en qui tu te dévoiles Apprenne aux hommes purs à composer des vers.
Je t'implore, Déesse immense et vénérable. Soit que, jçlorifiant les soleils rajeunis. Sous les myrthcs en fleurs et les bosquets d'érable Tu couvres de baisers les songes d'Adôuis;
Soit que le dur Ares t'enchaîne à sa victoire. Ou que, domptant les flots, ô Mère des Amours, La très-sainte Lesbos murmure ton histoire : Mon encens à tes pieds s'exhalera toujours.
Garde-moi de l'ennui, de la vieillesse immonde Et, pot"'te vêtu d'orgueilleuse splendeur, O Reine qui formas et gouvernes le Monde, Avant tout, garde-moi de l'infâme laideur!
Fais que je tombe dans ma force et ma jeunesse, Que mon dernier soupir ait un puissant écho, Et, pour qu'unjour mon âme en plein soleil renaisse, Que je meure d'amour comme Ovide ou Sappho.
[Poèmes élégiaqnei,)
HIÎLENE Le laboratoire de Fanst h Witlemberif,
Des âges révolus j'ai remonté le fleuve Et, le cœur enivré de sublimes desseins, Déserté le Hadôs et les ombrages saints Où l'âme d'une paix inefl'able s'abreuve.
Le temps n'a pu fléchir \n courbe de mes seins : Je suis toujours debout et forte dans l'épreuve. Moi, l'éternelle vierge et l'étornelle veuve. Gloire d'Hellas, parmi la guerre aux noirs tocsins.
O Faust, je viens à toi, quittant le sein des Mères I Pour toi, j'abandonnai, sur l'aile des Chimères, L'ombre pâle où les Dieux dorment, ensevelis.
a6o POÈTES d'aujourd'hui
J'apporte à ton nmour, du fond des cieux antiques, Ma gorge dont le Temps n'a pas vaincu les lys Et ma voix assouplie aux rythmes prophétiques.
(Poèmes élégiaqaes.)
LE CHANT DE GLAUCOS
A Casimir Destrem,
La Mer! comme elle est bleue, au loin, la mer sonore!
La plaine harmonieuse et que ne déshonore
Jamais le pied tremblant des hommes au cœur bas,
La Mer qui, dans le calme ou dans les durs combats
De la tempête, garde une .Inie inspiratrice,
La Mer impétueuse et douce est la nourrice
Des Dieux.
La Mer, avec ses écumes, ses cris, Ses hurlements, ses épouvantes, ses débris, Est l'auguste mamelle où vient boire le Monde. Plus que les champs couverts de blés, elle est féconde Et ses gouffres, au sol de nacre et de coraux, Ses lames où le vent creuse des soupiraux Gardent, comme une fleur à tous les yeux ravie, La fermentation énorme de la vie. La Mer est belle et semble, au bord du ciel changeant, Un poisson monstrueux aux écailles d'argent, La Mer est belle.
Avec amour, le ciel la baise Quand, sombre ou reluisante ainsi qu'une fournaise, Elle prête au Soleil l'abîme de ses flots.
La Mer, pour les plongeurs et pour les matelots, A de8 sourires clairs et des baisers sans nombre. Je l'aime !
Cet amour est éclos avec l'ombre, A.vec l'ombre a grandi silencieusement, Lorsque impubère encore et, près des flots dormant. Je sentais, h mon front, de ses glauques vallées, Monter languissamment des haleines salées.
LAtmiNT TAILHADI itt
O Thalassa ! Thétys ! Calme divinité
Qui règnes dans la paix et dans l'immensité,
Bienfaisante 1 si j'ai rêvé ce chaste rôve
De m'incarner en un dieu des eaux, sur la grève,
Moi qui, pasteur, paissais, jadis, au pied des monts.
Les farouches troupeaux nourris de goémons,
C'est pour m'unir à toi, Déesse ! O Bienheureuse !
Qui te montres et fuis, quand la vague se creuse.
Avec tes seins de perle et tes squammes d'or vert.
Oui, je veux m'élancer dans le gouffre entr'ouvert,
Comme les goélands et comme les poètes.
A force d'écouter la plainte des mouettes
Qui se bercent, au loin, blanches sur les flots bleus,
Mon cœur est plein de fièvre et de désirs houleux.
Tel un ormeau que la tempête déracine,
Je penche vers le glauque azur qui me fascine.
Mes jours vers Thalassa courent comme un torrent.
Ce soir, je descendrai sur la grève, implorant, A l'heure d'or où Séléné touche les cimes. Votre clémence, Déités des purs abîmes. Là, dépouillant les jours et les espoirs déçus. Lentement, j'ôterai ma robe de byssus; Le souffle de Thétys gonflera mes narines Et je m'endormirai sous les algues marines.
Toi qui, vers ton déclin, marches, éclaboussant L'azur de clairs métaux couleur d'ambre et de sang, Maître du jour et de la flamme expiatoire. Titan dont les Saisons affirment la victoire. Juvénile dompteur qui te plais aux travaux Glorieux de tes blancs et féroces chevaux, Hypérion ! Soleil ! Archer ! Roi des espaces 1 Je te salue encore, avant que tu t'effaces Et que a molle Nyx ombre le ciel vermeil : Je ne te verrai pas, demain ! Salut, Soleil ! A présent, reçois moi dans tes ondes tentantes. Déesse au pépies bleu 1
Les tiges palpitantes
i8.
«6a poAtks d'aujourd'hui
Des blêmes tamaris déclinent vers les bords. Telle descend vers toi l'âme des enfants morts Dans le désir de ton étreinte insidieuse.
Je vais à toi 1
Pourtant, sous le frêne et l'yeuse, Des vierçes aux bras purs, belles comme tes eaux, Entrelacent leurs chœurs à l'ombre des roseaux ; Mon chien noir garde cncor mes génisses sauvages, Et, dans la plaine, loin de tes mornes rivages, Il est un toit discret, de pampres embaumé, Où je peux abriter mes jours, sûr d'être aimé, Une maison tranquille où, sous les vignes blondes, Voltigent par essaims les abeilles fécondes, Où ma mère, ce soir, en m 'apprêtant ses bras. Regardera longtemps si je ne reviens pas.
{Poème» élégtaques.)
BALLADE MYSTIQUE
SUR LA DOUCEUR DE PAUVRETÉ
Par les chemins où croît l'épine affreuse, La Vierge aux maigres flancs, la Pauvreté, Malgré Douloir qui sa paupière creuse Et Malefaim debout à son côté, Franchit sans peur le roc ensanglanté. Car elle sait, la Dame tutélaire. Quel vêtement de gloire, et quel salaire, Etquelsjoyaux faits des pleurs anciens L'investiront d'une gloire stellaire, Lorsque Jésus reconnaîtra les siens.
Un astre dort sous guenille poudreuse . Amour sans fin, éternelle Beauté, Vont rajeunir ta face, bienheureuse Reine du simple et du déshérité I Sur les p.uvis d'azur, en la Cité Qu'un blanc soleil immarcessible éclaire,
LAUnKNT TAItRA.DB »63
Tes pieds lassés par la fange et par Terre, Mali^ré les cris des vils pharisiens, Se poseront comme un aiglon sur l'aire, Lorsque Jésus reconnaîtra les siens.
Donnez la rose avec la tubéreuse ! Et le Poète aussi, tant molesté, Verra finir sa course douloureuse Au malin bleu de l'Immortalité. Son fier désir, à présent exalté, Resplendira sur sa face très claire. Pour ce dolent accoiter et complaire, Des chœurs épris d'Anges musiciens Diront ses vers à l'Agneau jubilaire, Lorsque Jésus reconnaîtra les siens.
A Paul Verlaine.
Prince des vers si doux, le scapulaire
Et l'humble froc, chez tels béotiens,
Ebnudit un mufle patibulaire.
Mais toi, sans peur, sans feinte, sans colère,
Sois de ton Dieu l'éternel vexillaire,
Lorsque Jésus reconnaîtra les siens.
Septembre 189a.
{Poinut ilégiaqaea .)
BALLADE
POVn L'kXALTATION DK la sainte PITlà
Vieux pèlerin aux jambes mutilées.
Courbe la tête et vois grandir le soir.
Le crépuscule obombre les allées
Où ta jeunesse, en riant, vint s'asseoir
En des bosquets de myrte et d'azalées.
Près des grands lis aux parfums d'encensoir.
Les lis sont morts. I^s roses diffamées.
poAtks d'aujourd'hui
S'échevelaDt au gré du vent moqueur, Pleurent le deuil des lointaines aimées. La Nuit descend. Four guérir ta rancœur, Avant que soient les ténèbres fermées, Cherche un autel où suspendre ton cœur !
Les Thalestris et les Penthésilées Nymphes d'orgueil que tu crus émouvoir, Et ce laurier des Victoires ailées, Ton rêve meurt dans la nuit sans espoir. Une hideur sort des plèbes foulées Comme le vin qui gicle du pressoir. Sous le talon assassin des armées Par qui le dol tortueux est vainqueur, Le sang humain exhale ses fumées Et réjoui par la sombre liqueur. Le prêtre boit à lèvres enflammées. Cherche un autel où suspendre ton cœurl
Aux cieux amis où s'en vont les galées, Sur la mer blonde et verte, pur miroir, Partent aussi nos amours esseulées. Rires, baisers d'antan, frais reposoir Des i eunes bras, lèvres ensorcelées Qui nous dictaient le Rythme et le Devoir. Novembre hurle et geint sous les ramées. Voici l'automne et sa morne langueur ! Dans un linceul de regrets, embaumées. Triste et menant le funéraire chœur, Le chœur plaintif des sœurs et des aimées, Cherche un autel où suspendre ton cœur !
Pitié ! vers toi, de justice affamées. Pour conquérir le calme et la vigueur, S'élèveront nos âmes ranimées. Reine aux doux yeux des foules opprimées, Bravant du sort l'infamante rigueur,
LAURENT TAILHADI
•fl5
Je t'ai bénîfi, et voulue, et nommée L'unique autel où suspendre mon cceur.
(Poèmes Mègiaqnet.)
BALLADE S0LNEÎ5S rouR LB 78a anniversairb d'hsnrigk ibscn
« 80USBR8. — Une tour ! Que Ten- iez-vous dire ?
« HiLDE vawoel. — Je pense à qnelqae chose qui s'élève... qui • élève librement dans les airs. »
RKNRicK iBSKN : Sotmss le iJon^ tracteur.
Dans le cloaque aux herbes pestileotes. Gonflé d'orçueil, de boue et de venin. L'impur Dragon nage h travers les plantes. Pour abriter le Difforme et le Nain, La plaine |2;Tasse a plus d'un lieu bénin : Caserne, boua^e, hôpital ou r'iauraine. Entrez, les gueux, en loques, en sarraux. Bétail humain dompté par la famine ! Pourtant, voyez ! Par les airs sidéraux. Monte, en plein ciel, droite comme un héros, La claire "rour qui sur les flots domine.
Une Princesse aux lèvres consolantes,
Kôdeurs blessés, y conduit par la main.
La voix se tait des foules insolentes
Près de la Dame au geste surhumain.
Venez goûter l'espoir du lendemain
A ses genoux ! Que vers elle chemine
Le Peuple exempt des geôles, des harreaax !
Un souffle tiède éclot la balsamine
Et Floréal jase emmi les sareanx :
Car le soleil dore, en tous ses vitraux,
La claire Tour qui sur les flots domioA
KMowdua, Icarie ou Salentes,
a 66 poÂTKS D aujourd'hui
Fuyons cet àîr opaque et saturnin.
Plus de mensonge ou de guerres sanglantes :
Garguons la voile et rompons le funin !
Là-bas, ainsi qu'à l'aube, un Apennin,
Du temple neuf la crête s'illumine.
Prêtres abjects, rois, soudards ou bourreaux,
Juges, souillant de leur honte l'hermine
Et de la foudre attisant les carreaux.
Voici, loin des gredins et des marauds,
La claire Tour qui sur les flots domine.
Vienne ton jour, Déesse aux yeux si beaux, Dans un matin vermeil de Salamine ! Frappe nos cœurs en allés en lambeaux. Anarchie I ô porteuse de flambeaux ! Chasse la nuit ! écrase la vermine ! Et dresse au ciel, fût-ce avec nos tombeaux, La claire Tour qui sur les flots domine !
(Poèmes élêffiaqaes.)
BALLADE SURANNÉE
DE
LA CONSOLATION AUTOMNALE
Tu le connais, ô toi qui fus ma mie, Ce parc hautain jonché de feuilles d'or. Où du couchant la lueur accalmie Incendiait les arbres en décor. Et les appels nostalgiques du cor, Et tout le soir d'octobre, et les feux roses Parmi la Seine aux lointains gracieux, • Et ces parfums de mousse, et les choses D'autrefois qui montaient dans nos adieux. La Belle a dit : « Ne pleurez pas les roses. »
Rose de Mai qu'a l'automne blêmie, Où respirer tes effluves «ncor ?
LADRBNT TA1LHADB 367
Luths, TÎoIoas, muselle et chalciiiie, Sous les pius noirs, ont ccssô leur accord La vigne pend au souffle aigu du nord. Comme un Géronte imbécile, tu causes, Vieil Aquilon, par le bois spacieux. Et, déchaînant les Hyades moroses, Un lourd brouillard se traîne dans les cieux. La Belle a dit : a Ne pleurez pas les roses. »
Le Temps déjà, furieuse Lamie, Des cœurs aimants ruine le trésor. Sans épargner beauté ni preud'homie. Cassandre vient qui remplace Lindor. Adieu les jours fervents de thermidor I Adieu Lignons, Cythères et Formoses I Vendange est_ faite aux ceps délicieux. Le Souvenir bougonne quelques gloses Et peint d'azur ses frêles camaïeux. La Belle a dît : a Ne pleurez pas les roses .»
KNTOI
Prince d'amour, quand, leurs pennes décloses, Stryges, corbeaux et chals-huaots soyeux Voltigeront, secouant des névroses, Tourne-toi vers le printemps de ses yeux. La Belle a dit : « Ne pleurez pas les roses . t>
{Poèmes élégiaqvtet.)
BALLADE ÉLËGIAQUE focn LR Monost APlukS-ItlDI
Tout le pUisirdes joors est en leurs matinées.
MALHBRBB.
Je venx m'enfuir sons les branches pucelles Où du Printemps ardent les clairs midis, Ephèbe-Dieu, Soleil, quand tu ruisselles Dans les rameaux de parfums alourdis I
a68 poirES d'aujourd'hui
Je veux m'enfuir loin des temples maudits, Loin de la plèbe immonde et forcenée ! Voici finir la chaste matinée. Avril, au bois, montre ses jeunes flancs. Vous, cependant, comme aux soirs d'hyménée. De quelques fleurs parez mes cheveux blancs I
Les archiluths, et les violoncelles,
Et les hautbois aux timbres assourdis,
Mystérieux, disent les noms de celles
Qui m'apportaient les roses de jadis.
Bleus souvenirs des lointains paradis.
Embellissez la fin de ma journée !
Que soient par vous mes tempes couronnées.
Et, dans l'accord des rythmes nonchalants.
Pour me conduire aux îles Fortunées,
De quelques fleurs parez mes cheveux blancs I
Vers l'occident fusent des étinoelles. Ce dernier jour des jours que ta perdis. Mon cœur, décline, hélas ! et tu chancnlles. Meure l'orgueil de tes songes hardis l Cesse tes chants, églogues ou bardits I Au loin s'en vont Eros et Thyonée : Plus d'arc-en-ciel pour ta vigne égrenée, Le vent s'épeure et pleure en cris dolents ! — Ah 1 si la fleur suprême n'est fanée, De quelques fleurs parez mes cheveux blancs I
«NVOl
Amour, qu'aima Celle de Mantinéc I
Amour, Seig^neur de nos désirs tremblants I
Sur les remous glauques des cyanées,
En plein azur, montent les goélands. *
Telle, vers vous, notre ôme abandonnée :
De quelques fleurs parez mes cheveux blancs >
{Poèmtt élégiaqaet.)
LAUnXNT TAILRADB sAç
SI TU VEUX, PRENONS UN FIACRE...
Si tu veux, prenons un fiacre Vprt comme un chant de hautbois. Nous ferons le simulacre Des gens urf qui vont au Bois.
Les taillis sont pleins de sources Fraîches sous les parasols ; Viens I nous risquerons aux courses Quelques pièces de cent sols.
Allons-nous-en ! L'ombre est douce, Le ciel est bleu ; sur la mousse Polyte mAche du veau.
Il convient que tu t'attifes Pour humer, près des fortifFes, Les encens du renouveau.
(Poème$ arittophanesqaen.)
BARCAROLLE
Sur le petit bateau-mouche, Les bourgeois sont entassés, Avec les enfants qu'on mouche. Qu'on ne mouche pas assez.
Combien qu'autour d'eux la Sei' Regorge de chiens crevés, Ils jugent la brise saine Dans les Billancourts rôvëa.
Et mesdames leurs épouses, Plus laides que des empouses Affirment qu'il fait grand chaud
Et s'ëpaulent sans entraves A des Japonais très graves Dans leurs complets de Godchau.
{Pointes arittophanesqoêt.)
17© poèTES d'aujourd'hui
MUSÉE DU LOUVRE
Cinq heures. Les gardiens en manteaux verts, joyeux De s'évader enfin d'au milieu des chefs-d'œuvre, Expulsent les bourgeois qu'ahurit la manœuvre, Et les rouges Yankees écarquillant leurs yeux.
Ces voyageurs ont des waterproofs d'un gris jaune Avec des brodequins en allés en bateau ; Devant Rubens, devant Rembrandt, devant Watteau, Ils s'arrêtent, pour consulter le Guide Joanne.
Mais l'antique pucellc au turban de vizir. Impassible, subit l'attouchement du groupe. Ses anglaises où des lichens viennent moisir
Ondulent vers le sol ; car, sur une soucoupe.
Elle se penche pour fignoler à loisir
Les Noces de Cana qu'elle peint à la loupe.
(Poèmes aristophanesqaea .)
PLACE DES VICTOIRES
Les femmes laides qui déchiffrent des sonates Sortent de chez Érard, le concert terminé Et, sur le trottoir gras, elles heurtent Phryné Offrant au plus offrant l'or de ses fausses nattes.
Elles viennent d'ouïr Ladislas Talapoint, Pianiste hongrois que le Figaro vante. Et, tout en se disant du mal de leur servante, Elles tranchent un cas douteux de contrepoint.
Des messieurs résignés à qui la force manque Les suivent, approuvant de leur chef déjà mûr; Ils eussent préféré le moindre saltimbanque.
Leur silhouette court, falote, au ras d'un mur. Cependant que Louis, le vainqueur de Namur, S'assomme à regarder les portes de la Banque.
(Poèmes arisiophanetqaet.)
LAURBNT TAILHADl a?)
SUR CHAMP D'OR
Certes, monsieur Benoist approuve les p^ens qui Ont lu Voltaire et sont anx Jésuites adverses. Il pense. Il est idoine aux longues controverses. Il déprise le moine et le thériaki.
Même il fut orateur d'une Loge Ecossaise. Toutefois — car sa légitime croit en Dieu — La petite Benoist, voiles blancs, ruban bleu, Communia. Ça fait qu'on boit maint litre A seize,
Choz le bistro, parmi les bancs empouacrés. Le billard somnolent et les garçons vautrés, Trône la pucelette aux gants de'filoselle.
Or Beuoi.st qui s'émèchc et tourne au calotin Montre quelque plaisir d'avoir vu, ce matin, L'hymen du Fils Unique et de sa « demoiselle » .
(^Poèmes arîstophanetqaet.)
INITIATION
A Saint-Mandé, — Parmi les badauds hésitants. Le cornac loue avec pudeur sa marchandise, Une Vénus d'un poids énorme et, qu'on le dise ! Montrée aux hommes seuls de plus de dix-huit ans.
Des militaires, des loustics entre deux âges Pénètrent, soucieux du boniment complet, Sous la tente où, massive et fidèle aux usages, La dame, en tutu rose, exhibe son mollet.
Seul, un potache ému de cette plasmature Giganlale, pour voir des pieds à la ceinture. Allonge un supplément dans le bassinet gras.
Et tandis que, penaud, vers l'estrade il s'amène,
D'un accent maternel et doux, le Phénomène
Lui dit : « Tu peux toucher. Monsieur, ça ne mord pas.
• (Poème* aristophanesquês.)
PAUL VALÉRY 1872
M. P«ul-Ambroise Valéry, qui est né à Cette (H^ranlt) le 3o octo- Dre 187a, n'a guère écrit, jusqu'ici, que pour ses amis, dans des revues fermées, comme La Concfue de M. Pierre Louys, et Le Cen- taure, dont il fut l'un des fondateurs. La plupart des poèmes qu'on va lire furent composés de 1889 à 1895. Depuis, M. Paul Valéry a plutôt peu écrit. C'est à peine si l'on trouve son nom dans Le Mer- cure de France, vers 1898, au bas d'études dont le titre ; Méthodes, est significatif des abstractions et des spéculations mathématiques où s'est jeté son esprit. M. Paul Valéry s'adonne en effet depuis plu- sieurs années à des recherches extra-littéraires qu'il est malaisé de définir, car elles semblent se fonder sur une confusion préméditée des méthodes des sciences exactes et des instincts artistiques. Ces recherches n'ont encore fait l'objet d'aucune publication. On n'a de M. Paul Valéry, avec les poèmes que nous donnons et les Méthodes mentionnées plus haut, qu'une élude sur J.-K. Huysmans : ûurtal, parue dans Z« Mercure de France, mars 1898, une Introduction à la Méthode de Léonard de Vinci, parue dans La Nouvelle Revue, août 1895, et quelques pages brillantes et mystérieuses: La Soirée awc M. Teste, publiées dans Le Centaure en 1896 et que la revue Vers et Prose a reproduites dans sou tome IV (décembre 1906, janvier-février 1906). Il convient d'y ajouter: Paradoxe sur l'ar- chitecte {Erm\laig;e, mars iSgt);Pars Drames (Entretiens politiques et littéraires, mars 1891) : La Conquête Allemande, essai sur l'ear pansion germanique (paru en français dans 7'he New-lieview, jan- vier 1897),
M. Paul Valéry a, en outre, collaboré à La Revue Indépendante! 1891 ; à Chimère, 1891 ; à La Syrinx, 189a yk La Wallonie, 189a; et À La Coupe, 1896.
Bibliographie : \mm atDvnM. — Introduction A 1» Méthode de Léonard^ de Vlndi
PAUL TALEUT •?'
(Extrait de LaNotnelle Revue dvi 18 août 18»5). Pua, Librairie de«UNou- ▼olle Rerue ». 1805, iu-8.
A CON80LTIIR. — Paul Suuchon : Critique de» Poète» : M. Paul Valéry, Le Ge»le (Niiues), n» du IS au 19 décembre 1897. — Gilbert de Voisins : Sentiment». Voyei le chapitre inlituli : Le Kw»que vert prè» dt l'Ulang (Pari*, Soc. du Mercure de t'rauco, 1903, ia-18).
HÉLÈNE, LÀ REINE TRISTE
Azur ! c'est moi. Je viens des grottes de la mort Entendre ronde se rompre aux dejçrés sonores Et je revois les galères dans les aurores Ressusciter de l'ombre au fil des rames d'or.
Mes solitaires mains appellent les monarques Dont la barbe de sel amusait mes doigts purs. Je pleurais. Us chantaient leurs triomphes obscurs Et les golfes enfuis des poupes de leurs barques.
J'entends les conques sonores et les clairons
Militaires rythmer le vol des avirons.
Le chant clair des rameurs enchaîne le tumulte.
Et les Dieux ! à la proue héroïque exaltés Dans leur sourire antique et que l'écume insulte Tendent vers moi leurs braa indulgents et sculptés.
NARCISSE PARLE
NARaWa PUàCAHDtS MAMiaCS.
O frères, tristes lys, je languis de beauté
Pour m'ètre désiré dans votre nudité
Et vers vous, Nymphes! nymphes, nymphes des fontaines.
Je viens au pur silence offrir mes larmes vaines
Car les hymnes du soleil s'en vontl...
C'est le soir. J^entends les herbes d'or grandir dans l*ombre sainte Et la luue perfide élève son miroir Si la fontaine nue est par la nuit, éteinte. Ainsi, dans ces roseaux harmonieux, jeté
ji74 poiTBt d'aujocrd'hui
Je languis, 6 saphir, par ma triste beauté,
Saphir antique et fontaine magicienne
Où j'oubliai le rire de l'heure ancienne.
Que je déplore ton éclat fatal et pur
Source funeste à mes larmes prédestinée
Où puisèrent mes yeux dans un mortel azur
Mon image de fleurs humides couronnée.
Hélas ! l'image est douce et les pleurs éternels!
A travers ces bois bleus et ces lys fraternels
Une lumière ondule encor, seule améthyste
Assez pour deviner ici le Fiancé
Dans ton miroir dont m'attire la lueur triste
Pâle améthyse, ô miroir d'un songe insensé !
Voici dans l'eau ma chair de lune et de rosée
Qu'élève la fontaine ironique et rusée ;
Voici mes bras d'argent dont les gestes sont purs*
Mes lentes mains dans l'or adorable se lassent
D'appeler ce captif que les feuilles enlacent
Et je lance aux échos les noms des dieux obscurs 1
Adieux ! reflet perdu sur l'onde calme et close, Narcisse, l'heure ultime est un tendre parfum Au cœur suave. Effeuille aux mânes du défunt Sur ce vide tombeau la funérale rose.
Sois, ma lèvre, la rose effeuillant son baiser Pour que le spectre dorme en son rêve apaisé, Car la Nuit parle à demi voix, seule et lointaine Aux calices pleins d'ombre pâle et si légers ; Mais la lune s'amuse aux myrtes allongés.
Je t'adore, sous ces myrtes, ô l'incertaine 1 Chair pour la solitude éclose tristement Qui se mire dans le miroir au bois dormant O chair d'adolescent et de princesse douce ! L'heure menteuse est molle au rêve sur la mousse Et le délice sombre enfle ce bois profond. Adieu ! Narcisse, ou meurs 1 Voici le crépuscule La flûte sur l'azur enseveli module Des regrets de troupeaux sonores qui s'en vont.
Sur la lèvre de gemme, en l'eau morte, <J pieuse Beauté pareille au soir, beauté silencieuse Tiens ce baiser nocturne et tendrement fatal Caresse, dont l'espoir altère ce cristal !
Emporte-le dans l'ombre, ô ma chair exilée,
Et toi, verse pour la hme, flûte isolée
Verse des pleurs lointains eu des urnes d'argent.
BAIGNEE
Un fruit de chair se baigne en quelque jeune vasque (Azur dans les jardins tremblants), mais, hors de l'eaa, Isolant la torsade où se figure un casque La tête d'or scintille au calme du tombeau.
Eclose sa beauté par la rose et l'épingle ! Du miroir même issue où trempent ses bijoux Pendeloques et lys dont le bouquet dur cingle L'oreille abandonnée aux mots nus du flot doux.
Un bras vague inondé dans le néant limpide Pour une ombre de fleur à cueillir doucement S'effile, ondule, ou dort par le délice vide
Si l'autre, courbé pur sous le beau firmament Parmi la chevelure immense qu'il humecte Capture dans l'or simple un vol ivre d'insecte.
LA FILEUSË
, Lilia. . . neque nenl.
Assise la fileuse au bleu de la croisée Où le jardin «nélodieux se dodeline. Le rouet ancien qui ronfle l'a grisée.
Lasse, ayant bu l'azur, de filer la c&line Chevelure, à ses doigts si faibles évasi^v. Elle songe, et s« tête petite s'incline...
%^9 voins d'aujourd'hui
Un arbuste et l'air pur font une source vive Qui, suspendue au jour, délicieuse arrose De ses pertes de fleur le jardin de l'oisive.
Une tige, où le vent vagabond se repose Courbe le salut vain de sa grâce étoilée Dédiant magnifique, au vieux rouet, sa rose.
Mais la dormeuse file une laine isolée
Mystérieusement l'ombre frêle se tresse
Au fil de ses doigts longs et qui dorment, filée.
Le songe se dévide avec une paresse
Angélique, et sans cesse, au fuseau doux, crédule
La chevelure ondule au gré de la caresse...
Tu es morte naïve au bord du crépuscule.
Pileuse de feuillage et de lumière ceinte.
Tout le ciel vert se meurt. Le dernier arbre brûle.
Ta sœur, la grande rose où sourit une sainte Parfume ton front vague au vent de son haleine Innocente, et tu crois languir. Tu es éteinte
Au bleu de la croisée où tu filais la laine.
FRAGMENT
Un soir favorisé de colombes sublimes, La pucelle doucement se peigne au soleil. Aux nénuphars de l'onde elle donne un orteil Ultime et pour tiédir ses molles mains errantes Parfois trempe au couchant leurs roses transparentes. Tantôt, si d'une ondée innocente, sa peau Frissonne, c'est le dire absurde d'un pipeau, Flûte dont le coupable aux dents de pierrerie Tire un futile vent d'ombre et de rêverie Par l'occulte baiser qu'il risque sous les fleurs. Mais tout indifi^érente à ces jeux doux de pleurs Ni se divinisant par aucune parole
»AUL VALBRt 3i^^
De rose, la beauté jouant de l'auréole Mire dans l'œil au{u;usle émerveillé d'un or D'éparse, chevelure où fuit la myrrhe encor, Delà lumière vue entre ses doi|Çts limpides! . . . Une feuille meurt sur ses épaules humides Une goutte tombe de la flûte sur l'eau Et le pied pur s'épeure comme un bel oiseau lyre d'ombre. . .
A F. Vielé-Gri/fin.
Eté, roche d'air pur, et toi, ardente ruche,
0 mer, éparpillée en mille mouches sur
1 -es touffes d'une chair fraîche comme une cruche Et jusque dans la bouche où bourdonne l'azur^
Et toi, maison brûlante, Espace, cher Espace Tranquille, où l'arbre fume et perd quelques oiseaux. Où crève infiniment la rumeur de la niasse De la mer, de la marche et des troupes des eaux.
Tonnes d'odeurs, grands ronds par les races heureuses Sur le golfe qui mange et qui monte au soleil. Nid» purs, Ecluses d'herbe, ombres de vagues creuses, Bercez l'enfant ravie en un poreux sommeil.
Mais les jambes (dont Tune est fraîche et se déuouo De la plus rose), les épaules, le sein pur. Le bras qui se mélange à l'écuraeuse joue Brillent abandonnés non loin du vase obscur
Où filtrent les grands bruits pleins de bâtes puisëes Dans les cai^es de feuille et les mailles de mer Par les moulins marins et les huttes rosées Du jour. Toute la peau dore les treillas d'air.
378 , POSTES d'aujourd'hui
VALVINS
A S. M.
Si tu veux dénouer la lorêt qui t'aère Heureuse, tu te fonds aux feuilles, si tu es Dans la fluide yole à jamais littéraire Traînant quelques soleils ardemment situés
Aux blancheurs de son flanc que la Seine caresse Emue, ou pressentant l'après-midi chanté, Tandis que le grand bois trempe une longue tresse Et mélange ta voile au meilleur de l'été.
Mais toujours près de toi que le silence livre Aux cris multipliés de tout le brut azur L'ombre de quelque page éparse d'aucun livre
Tremble comme ta voile et vagabonde sur, Sur la poudreuse chair immense de l'eau verte Parmi le long regard de la Seine eotr'ouverte.
CHARLES VAN LERBERGUE i861-1907
Charles Van Lerberphe naquit k Gand (Belgique) le ai octobre ififii. « Son père était un Flamand de vieille roche, hoaime «i'étiidos et d'archives, f^rand amateur d'estampes (i). » Il le perdit il avait sept ans, et il alla vivre alors avec sa mère et une sœur plus jeune que lui dans un quartier retiré de Gand, tout près des bords de IKscaut. Vers treize ans, il fut j^ravement malade pendant toute une année. Peu après, sa mère mourut, et par les soins de son tuteur, oncle de M. Maurice Maeterlinck, il fut placé en pension h la campagne. Il entra ensuite au collège Sainte-Barbe de Gand. dirige par les Jésuites, oîi il eut comme condisciples MM. Maurice Maeterlinck et Grégoire Le Roy, — groupe de trois amis qui devait ■ nmer un jotir trois poètes à la Flandre. Les premiers vers de
inrles Van Lerberghe parurent dans La Pléiade, en 1886. Il colla- oora ensuite à La Wallonie, à 1m. Jeune Belgique. « Sa conception de la poi'sie lui appartenait déjà, a noté M. Albert Mockel. Sym- boliste au sens véritable de ce mot, il voyait des lignes, des couleurs se former à ses yeux en une suite de petits tableaux qu'il peignait avec une libre grâce ; une image l'avait séduit, il la transcrivait dans une sorte de lumineuse buée, et abandonnait aux choses le soin de dire elles-mêmes le sentiment ou la pensée qu'elles pou- vaient évoquer (a). » C'est dans La Jeune Belgique qu'il publia en 1889 Le» Flairears, petit drame en prose pour le théâtre des fan- toches, représenté au Théâtre d'art en 1893, puis au Théâtre de l'Œuvre en 189(5, et dans lequel on a voulu, bien à tort, voir «ne imitation d'un drame analogue de M. Maurice Maeterlinck: L'In- truse. En cittl,L' Intruse parut pour la première fois dans La Wal- lonie }aste an an après Les Flairears, et il n* serait pas moins
(41 Alb^rlMiicIcsl : C/iarle$ Van Lmrberght, avec un portriit. Hereura 4» France, 190*. (f) Albert Mockel, ibid.
s8o foftras i>*AO/otmD'mn
inexact d« voir dans la pièce de M. Manrice Maeterlinck nnc imitation de celle de Charles Van Lerberghe. Camarades depuis le eollèf^e, travaillant souTent ensemble, la même idée leur était tout simplement venue, que chacun avait réalisée à sa façon, avec sa manière propre: M. Maurice Maeterlinck en philosophe, Charles Vaa Lerberghe en poète et en artiste. Après avoir passé quelques années de solitude dans sa maison de Gand, Charles Van Lerber- ghe vint se fixer à Bruxelles, en vue de conquérir ses grades de docteur en philosophie. En même temps, il écrivait les vers é'Entrevitions, petit recueil qu'il publia à Bruxelles en 1898. Ses études terminées, il se mit alors à voyager. Un séjour à Londres, en 1899, un autre, plus long, en Allemagne, en 1900, puis il alla passer quelque temps en Italie, à Rome et dans les environs de Florence, où il composa les premiers poèmes de La €han»on d'Eve, et traça l'esquisse d'une comédie satirique. Pan. qui fut représentée au Théâtre de l'Œuvre en 1906. Rentré ensuite en Belgi- que, Charles Van Lerberghe se retira k Bonillon, travaillant à ter- miner et à parachever La Chanson d'Eve. Deux années se passèrent ainsi et c'est peu de temps après que se manifesta la maladie qui devait l'emporter. En septembre 1906, se trouvant chez son ami M. Grégoire Le Roy, Charles Van Lerberghe fut frappé de conges- tion, moment d'affreuse lucidité, suivi de nombreux jours d'incons- cience. Sa famille, qui avait rompu avec lui pour des motifs reli- gieux, le fit transporter dans une clinique, puis à l'hôpital Saint- Jean et Elisabeth, à Bruxelles, le même où fut soigné autrefois Charles Baudelaire. C'eil là qu'il mourut le 26 octobre 1907, sans souffrance, dans un évanouissement, après une sorte de demi-conva- lescence qui n'avait pu tromper personne, tant il était profondément atteint. Nous extrayons de très intéressantes Noies sar Van Ler- berghe publiées récemment par M. Fernand Séverin les passages suivants: « Partout dans l'œuvre lyrique de Van Lerberghe, se retrouve un idéal de beauté, de pure beauté, souvent caché sons un voile de brume et de lumière qui le laisse seulement entreVoir. On n'a peut-être pas asser remarqué combien cet idéal est exclusivement esthétique. « Ur;c âme d'ange ne me ferait pas détourner la tôte, dit-il d'une façon saisissante dans une de ses lettres, si elle n'était pas enveloppée de beauté. Un ange, pour moi, ce n'est qu'une pure forme, une jolie fille dont je revêts mes pensées. Je suis très fla- mand sous ce rapport. » (5 septembre i8g4.) Toute délicate, toute raffinée, tout éthérée que soit cette conception de la beauté, elle est éminemment plastique et voluptueuse. Elle est d'un peintre, ou, du moins, d'un dessinateur, plutôt que d'un poète. « Le dessinateur au crayon d'or » dont a parlé Albert Giraud. Van Lerberghe « voit en images »; de plus, « ses images sont des svmboles », « Il ne parle
CHAntRH VAN LERDKRnnR s8t
jamais dei choflct qa'indtrectemMit, par allégorie ti^im, par bq^- l^estion... * En oatre, In l)eauté, pour lui, est toujours plus ou moins voilée ; parmi Ips règles d'art qu'il a le plus fidèlement obser- Tées, il y a celle d'Edgar Poe : « ^u'il n'est pas de beauté sans une certaine t'tran^eté, sans un certain air de mystère... » Il en résulte que Van LerberRhe n'est pas toujours clair. Du moins, il ne l'est pas à la façon classique, française, c'est-A-dire de manière à satis- faire le prosaïque entendement. Ses poésies ont toujours quelque chose de flottant, d'indétermint', d'inexpliqu(^... Les rhoses, cher lui, baii^nent dans un brouillard de lumière, comme par les beaux matins d'été... Des formes merveilleuses apparaissent à demi... On ne s'explique pas toujours ni qui elles sont, ni d'où elles viennent, ni ce qu'elles font... Et le symbole non plus n'est pas toujours entièrement clair. Y a-t-il m Ame toujours un symbole? On peut en douter et, dans bien des cas, croire qu'on n a vraiment affaire qu'à une image, exquise ou rare, mais dépourvue de toute ■ignificatioii. •
Charles van Lerberghe a collaboré à La Pléïade, au Parnasse de la Jeune lielçique, k La Wallonie, à La Jeune Belgique, à La Semaine Illustrée de Bruxelles, à L'Indépendance Belge, à L'Art jeune, à La Société Nouvelle, au liéveil de Gand, à La Plume, k L'Ermitage, à Z^ Revue Générale de Bruxelles, et«., etc.
Bibliographie :
Lbs cbovrcs. — Les Flairenrs (1), petit drame en trois actes, en prose, pour le Ihéitre de» fantoches. litige, Ed. de « La Wallonie », 1889, plaquella in-8, carré (Î5 eienipl. Hollande; /.e mime. Bruxelles, Incombiez, 1891, iii-18. (Il existe des exemplaireu aven une couTerture portant la marque du Mercure de France, et cette date : 1904.) — Entrevlsioas, poèmes. Bruxelles, Lacomblez, 1898, petit in-8 (400 pxempl. numéroti^s ; savoir : 15 ex. sur Japon, 385 ex. sur papier à la main du Marais). — La Chanson d'I^ve poème (/'rem i(?re» paroles. Tentation. /m Faute. Crépuscule.) l'aris, t^oc. du Mercure de France, l'J04, in-lS. — Pan, comédie satyriqtie en trois acte», en prose (représentée pour la première fois sur la scène du Tliéitre de /'(^u- vr^ [Nouveau-Théâtre], le 29 novembre 1906). Paris, Soc. du Mercure de France, 1906, iii-18.
On trouve det poème4 do Charles Yan Lorberghe dans les ouvrages suivants Parnasse de la Jeune Belgique, etc. l'.iris, Vanier, tK87, gr. in-18. — Almanach de l'Université de Uand. fjand, Hosie, 1888, I88<) et 1897. — Almaaach des Poètes (année? 1896 el 1898). F'aris, Soc. du Mercure de France, 1895 et 1898, î vol. petit in-8.— Pot de Mon» : Poètes belges d'ex pression française. Almelo, W. Hilahus, 1899, in- 18. — La Roulotte
(t) Première représentation à Paris, au Théitre d'Art, le S février 189S Repris* au Théâtre de l'tKuvie, le 18 janvier Ylt96.
1«.
ft>5î! pn^ITFK n'AtMOTTRn'fTfTT
numéro spécial consacré, à Charles Van I^rberghe. Braxellet, F^acombler. s. é. [1905], in-4 (huits poèmes inédits), etc.
Poèmes mis en mosiqoe. — Des poèmes de Charles Van Lerberge ont été mit en musique par Gabriel Fabre, Gabriel Fauré et Louis de Serres.
A coNsuLTEK. — Ad. van Bever : Maurice Maeterlinck, etc. Paris, Sansot, 1004, in-18. — Albert Mockel : Charles Van Lerberglie, avec portrait. Paris, Soc. du Mercure de France, 1904, in-18. — Valère Gille : Van Lcr- berghe, notice dans Les Portraits du prochain siècle. Paris, Girard, 1894^ in-18.— Otto Uauser : Die Belgiiche Lyrik, 1880-1900. Eine studie ttnd Ubersetzung. Grossonhain, Beaumert et Rouge, 1902, in-8.
Hubert Krains : Charles 7a« Zerôerg^iie. La Vie Inlelleclupllc(Bruïelies), IS juin 1908. — Grégoire Le Roy: Cluirle* Van Lerberglie. La Belgique artistique et littéraire, décembre 1907. — Maurice MaeterliacU: CharUs Van Lerberghe et La Chanson d'Eve, Figaro, 1904 (article reproJiiit dans Vers et prose, décembre iflOS-février 1906). — Rodrigue gérasquier : Charles Van Lerberglie, La Coupe, juin 1895. — Alfred Vallclte : Maurice Maeterlinck et Charles Van Lerberghe, Mercure de France, octobre 1890.— Feraand Séverln : Notei $ur Van Lerberghe, Mercure de France, 1" août 1908.
Voir de plus : La Roulotte, numéro spécial consacré à Charles Van Ler* berghe (portraits, autogr., illust. diverses. Notes bio-bibliograpluques, opi nions, proses et poèmes inédits). Bruxelles, Lacomblcz, s. d. (1905), in-4.
PSYCHÉ
Oarre tea yeux comme une flamme, Mais sois silence, l'Amour dort. Viens, lève-toi, Psyché, mon âme, Et prends en main ta lampe d'or.
Regarde bien, l'Amour s'éveille, Vois comme il s'est évanoui. Bq la lumière et la merveille Que ton regard posa sur lui.
Et maintenant c'est le mystère, L'abandon et la pauvreté ; Mais en tes larmes la lumière Et le songe de sa beauté.
Demain, triste, mais frêle et blanche. Belle d'avoir voulu mourir. Tu sentiras ton front qui penche, Sous des roses s'épanouir.
CHAHLIS TAN LBRBUIOHC a8?
Aux splendeurs do l'aube future, Demain tes lèvres apprendront A n't'trc, (ju'uii divin murmure De mots de résurrection.
{Entrevisions.)
L'ATTENTE
Du monde invisible et d'aurore Où me guidaient mes anges pieux, Qui viendra me, rouvrir les yeux ? Voici le jour. Je rêve encore.
Le doux enchantement des airs
Qui passent sur les roseraies,
Dans mes prunelles azurées
Vient comme une aube au fond des mers.
Heures et choses incertaines; Au loin, dans des bos(juets de fleurs, Me chantent mes divines sœurs, Et j'écoute leurs voix lointaines.
Je tremble et de joie et d'effroi. Nue, en ma chevelure blonde, J'attends que le soleil m'inonde, Et qu'une ombre tombe de moi.
{Entrevition».
BARQUES D'OR
Dans une barque d'Orient S'en revenaient trois jeunes Hlles; Trois jeunes filles d'Orient S'en revenaient en barque d'or.
Une qui était noire.
Et qui tenait le gouvernail.
Sur ses lèvres aux roses essences
284 roèTES d'aujourd'hui
Nous rapportait d'étranges histoires Dans le silence...
Une qui était brune, Et qui tenait la voile en main, Et dont les pieds étaient ailés, Nous rapportait des gestes d'ange, En son immobilité.
Mais une qui était blonde, Qui dormait à l'avant, Dont les cheveux tombaient dans l'onde Comme du soleil levant. Nous rapportait, sous ses paupières, La lumière.
(Entrevition$.)
L'ASSISTANC
Avec sa beauté rose et sombre, Sa bonté claire et son amour, Dans sa petite chambre d'ombre Elle repose, et c'est le jour.
La Beauté rêve dans ses ailes. Et c'est comme une étrange sœur; Elle est faite de choses frêles. Et dans sa main porte une fleur.
La Bonté, sa compagne, dort
Sur sa poitrine virginale ;
Dans sa main sous ses boucles d'or,
Elle porte une perle pâle.
Mais son amour veille et sourit, En l'ombre où sommeillait son âme, Celui-ci vint et la surprit . Et son amour porte une flamme.
[Enlrevisioru .)
OHARLH VAN LKNIimMÉ sSS
DE MON MYSTÉRIEUX VOYAGE...
De mon mystérieux voya)çc Je ne l'ai i^aniii qu'une imag'e, Et qu'une chanson, les voici : Je ne l'apporte pas de roses, Car je n'ai pas touché aux choses, Elles aiment à vivre aussi.
Mais pour toi de mes yeux ardents, J'ai regardé dans l'air et l'onde, Dans le feu clair et dans le vent, Dans tontes les splendeurs du monde, Atin d'apprendre ;\ mieux te voir Dans toutes les ombres du soir.
Afin d'apprendre à mieux t'entendre J'ai mis l'oreille à tous les sons, Ecoulé toutes les chansons, Tous les murmures, et la danse De la clarté dans le silence.
Afin d'apprendre comme on touche Ton sein qui frissonne ou ta bouche. Comme en un rêve, j'ai posé Sur l'eau qui brille, et la lumière, Ma main légère, et mon baiser.
{La Chanson cTÈoe.)
NE SUIS- JE VOUS...
Ne suis-je vous, n'Ates-vous moi,
0 choses que de mes doigts
Je touche, et de la lumière
De mes yeox éblouis ?
Fleurs où je respire, soleil nii je luis.
Ame qui penses,
Qui peut me dire où je finis.
Où ie commence ?
286 po4tk8 d'aujourd'hui
Ah! que mon cœur infiniment
Partout se retrouve 1 Que votre sère
C'est mon san|3^ 1
Gomme un beau fleuve.
En toutes choses la même vie coule,
Et nous rêvons le même rêve.
{La Chanson S Eve.)
LE SEIGNEUR A DIT...
Le Seigneur a dit à son enfant :
Va, par le clair jardin innocent
Des anges, où brillent les pommes
Et les roses. Il est à toi. C'est ton royaume.
Mais on n'éveille des choses
Que la fleur ;
Laisse le fruit aux branches,
N'approfondis pas le bonheur.
Ne cherche pas à conuattre
Le secret de la terre
Et l'énigme des êtres.
N'écoute pas la voix qui attire
Au fond de l'ombre, la voix qui tente,
La voix du serpent, ou la voix des sirènes.
Ou celle des colombes ardentes
Aux bosquets sombres de l'Amour.
Reste ignorante.
Ne pense pas ; chante.
Tout science est vaine,
N'aime que la beauté.
Et qu'elle soit pour toi toute la vérité.
{La Chanson d'Eve.)
MA SCEUR LA PLUIE...
Ma sœur la Pluîe^
La belle et tiède pluie d'été.
CHAHLia VAN LSnBBRGHS 387
Doucement vole, doucement fuit, A travers les airs mouillés.
Tout son collier de blanches perles
Dans le ciel bleu s'est délié.
Chantez les merles,
Dansez les pies I
Parmi les branches qu'ellp plie,
Dansez les fleurs, chaulez les nids ;
Tout ce qui vient du ciel est béni.
De ma bouche, elle approche
Ses lèvres humides de fraises des bois ;
Rit, et me touche.
Partout à la fois.
De ses milliers de petits doigts.
Sur des tapis de fleurs sonores, De l'aurore jusqu'au soir, Et du soir jusqu'à l'aurore, Elle pleut et pleut encore. Autant qu'elle peut pleuvoir.
Puis, vient le soleil qui essuie, •
De ses cheveux d'or, Les pieds de la Pluie.
{La Chanson dCÈve.)
QUAND VIENT LE SOIR...
Quand vient le soir. Des cyjçnes noirs. Ou des fées sombres. Sortent des fleurs, des choses, de nous t Ce sont nos ombres.
Elles avancent : le jour recule; Elles vont dans le crépuscule. D'un mouvement glissant et lent.
288 POÈTES d'aujourd'hui
Elles s'assemblent, elles s'appellent. Se cherchent sans bruit, Et toutes ensemble, De leurs petites ailes, Font la grande nuit.
Mais l'Aube dans l'eau S'éveille et prend son grand flambeau.
Puis elle monte, En rêve monte, et peu à peu, Sur les ondes elle élève
Sa tête blonde.
Et ses yeux bleus.
Aussitôt, eu fuite furtive, Les ombres s'esquivent.
On ne sait où. Est-ce dans l'eau ? Est-ce sous terre ? Dans une fleur? Dans une pierre?
Est-ce dans nous? On ne sait pas. Leurs ailes closes
Enfin reposent.
Et c'est matin.
(La Chanson d'Eve.)
JE L'AI TUÉ...
Je l'ai tué, je l'ai tué I
Il tombe.
Ecoute. Une voix dans le soir a crié
Sur la mer sombre : Tu l'as tué !
Comment l'ai-je tué, mon Dieu, de ces mains blancheg Qui n'auraient pas blessé une colombe Ni tué une fleur?
Ahl rien ne savait qu'il vivait, Et. tout ignore qu'il n'est plus. Et l'aurore se lève encore»
CHAIILU VAN LKHBKnailK a8Q
Rien ne le pleure.
Pas un sourire de la terre
Ne s'est effacé :
Pas une fleur, pas un rayon,
Pas une étoile de ma chanson.
Sans que j'y pense.
Il s'est éteint dans le ûlenM.
{Lm Chanson d'Eve.)
VERS LE SOLEIL SPEN VONT ENSEMBLE...
Vers le soleil s'en ront ensemble Mes pensées, divines sœurs, llles chaulent ; l'air pâle en tremble, Ck)mme s'il y tombait des fleurs.
Une s'attarde la dernière.
Tristement, au bord du cbemîa D'où monte lame du matin St la rosée à la lumière.
Celle-là qui s'évanouit, Au fond de ses larmes mortelles. Ne chante pas, mais c'est par elles Que le soleil l'attire à lui.
(La Chanson d'Eve.)
n
EMILE VERHAEREN 1853-1916
Emile Verhaeren est né à Saint-Amand, près Anvers, le * i mai i855. Nous extrayons d'une biographie écrite par M. Léon Balzal- gette ( I ) les fragments suivants :
« Verhaeren est un enfant de l'Escaut et les approches de U mer du Nord l'ont sacré.,. La maisonnée te composait.hormis le père du poète et sa mère, née Adèle Debock, du frère de celle-ci dont l'tisine crachait ses fumées non loin du logis, — et de sa soeur Amélie De- bock, une tante pour laquelle l'enfant éproura une tendresse très vive. Ces Debock, qui étaient du pays et qui en étaient fiers — fleur mère venait d'Herenthals et avait nom Lepaige, non sans doute révé- lateur d'une origine française^ traitaient amicalement « d'étranger » Gustave Verhaeren, le père d'Emile, qui était de Bruxelles, où son père avait conquis une honnête aisance en vendant du drap dang une boutique de la rue de l'Ecuyer. Il vivait à Saint-Amaud en rentier de village. Les Verhaeren néanmoins venaient probablement de Hollande. Dans la famille, — exception curieuse — on ne par- lait que le français et les bonnes étaient liégeoises : le flamand qu'il ne sut jamais, le poète ne s'y essaya qu'à sept ans, avec le maître d'ëcjle du village, M. Ch. Mertens... Le jeune Verhaeren fréquenta l'école communale de Saint-Amand jusqu'à r& preouère communion, qui eut lieu le i8 mars 1866, — date gravée sur le fermoir de soa livre de communiant, qu'il conserve comme une relique de son en- fance. Il allait avoir onze ans et il était temps de songer à des étu- des plus sérieuses. Alors c'est le départ pour Bruxelles et l'exil à
(l)l^ ^^^ i'^^Vj^i'h^-SmiU I er/ia(r<».|>iis,SNWOt et C'*, 1907.
Ahilb TsuHAiRm sgi
l'Institut Saint-Louis, où il passa deux nns. Ver* treize ou quatorze ans, il cnUe au collèj^e Saiiitc-narbe, à Gacd, sur les bancs duquel Tiendront s'asseoir, quelques aaoées après lui, Maeterlinck et Vau Lerbcrghe...
Le dcuir s'était implanté chez les .'crhaeren et les DebockdeSaint^t Amand de Toir le petit Emile succéder ua jour k son oncle, dans son huilerie. Le malheur était que l'adolescent, nullement alléché par la perspective d'une existence d'usinier en un boiir^ perdu, n'entrait pas dans ces vues. Il allait avoir vingt ans et il avait achevé ses humanités : tm seul grand désir le poignait, comme tous les j<MineK cens d'esprit généreux et de cœur ardent, celui de voir le monde, de ivre une existence plus large, de quitter les miHeux où l'on se m- 'inait, pour la grande ville. Néanaioias il falUit provisoirement céder et. pendant an an, venir s'asseoir dans le bureau de l'oncle, pour s'initier aux arcanes de la comptabilité. A force de lutter, il obtint un jour ji^aia de cause. Mais pour »'écba|)per, il fallait trouver une raison plausible. Ce fut celle-ci : l'usinier iHan(iué irait faire son 'iroit {)our devenir avocat... Vcrhaeren partit donc pour lUniver- .sité de Louvain, qu'il ne quitta qu'en i88i, ay.mt «cquis les preuves de sa vérjt-ible vocation. Ces cinq années fécondes fùrefit celle» de sou initiation à la vie intellectuelle et de soa apprentissage poéti- que.Dans le milieu d'étudiants où il fréquenta, un petit groupe très uni se forma. Chaque semaine on se communiquait les uns aux au- tres ses vers et, gravement, on s'intitulait entre soi les « plua grands poètes de l'épcxjuc »... Un fait que n^us devons retenir fut la fondation par Vcrhaeren et .ses camarades, .ipprentis poètes, comme lui, d'an petit journal d'étudiauLs, La Semaine. Fondée en octo- bre 1879, la follicule vécut jusqu'en janvier 1881, — supprimée ptir une décision acadcmiquc. C'est dans ses colonnes que notre poète, sous le pseudonyme de Kodolpiie, publia ses premières chroniques... 'il 1881, son dernier examen passé, l'étudiant en droit quitte Lou- .lin et vient se faire inscrire au barrc.au de Bruxelles. C'est vrai- M-ntdece temps là que date pour Verhatren une nouvelle existence, ■rhaereu tout de suite noue des amitiés, se mêle à des groupes. Il l du nombre des premiers rédacteurs de La Jrune Belgique, quci . iide Max WaJIer, l'ex-dirccteur du Thijrse, bientôt sa signature) paraîtra dans L'Art Moderne elLa Société Nouvelle, — pour de là se nmltiplier et conquérir tontes les revues de son temps. On imaginel bien que, participant h une telle effervescence, le souci d'une pro- fession qui'il n'avait fait mine d'embrasser que pour complaire aux siens ne dominait pas l'existence du jeune homme. En 1881 il faisait partie du Jeune Barreau et ét.iit entré connue stagiaire chez M* Pi- card... Mais il passait plus de temps à la Bibliothèque royale qu'à'
sgft poÉna d'aujourd'bvi
compulser des dossiers. Pourtant il dut plaider à roccasion. Mais il n'avait pas grand cœur au métier. Edmond Picard, constatant ses médiocres dispositions, lui conseillait franchement de ne pas per- sévérer... Et Les Flamandes paraissaient en i883, chez l'éditeur bruxellois Hochstein. L'œuvre était violente, d'une impudeur mas- sive et d'une liberté d'exécution qui devaient provoquer le scandale ; aussi reçut-elle l'accueil qu'en un pareil milieu il était aisé de con- jecturer. Des éreintements furieux rappelèrent à la décence l'auda- cieux débutant. D'autre part, dans les colonnes de L'Europe, oh. pour la première fois il avait publié Un Mâle, Lemonnier plaidait magnifiquement la cause de l'artiste conspué. Albert Giraud et Edmond Picard, tout en indiquant leurs réserves, saluaient égale- ment un tempérament...
Les Moines avait paru chez Lemerre, l'éditeur du Parnasse, en 1886. Ce recueil avait des origines lointaines et se rattachait à d'in- times impressions d'enfance. Il y avait à une lieue environ deSaint- Amand, à Bornhcm, un cloître de Bernardins, où Gustave Verhae- ren, très lié avec l'un des Supérieurs, avait coutume de se rendre chaque mois en pieux pèlerinage. Son fils l'accompagnait, quand il était à la maison, et l'on partait à quatre heures et demie du matin pour se confesser et communier. Ces matinales expéditions et les hautaines figures, si nobles dans les plis du froc, qu'il apercevait dans les couloir» du cloître avaient énormément frappé l'imagination de l'enfant, et, pour longtemps, les solitaires de Bornhem lui demeu- rèrent une hantise. Ce sont eux qui ont posé pour Les Moines. Et au temps où Verhaeren portait en lui les vers qu'il leur dédia, il s'en fut, pour essayer de revivre ses souvenirs, au monastère de Forges, près de Cbimay, accomplir une retraite de vingt-et-un jours...
Alors c'est la trilogie fameuse des Soirs (\%%'j),à.ts Débâcle* (1888), et des Flambeaux Noirs (1890), la partie la plus souvent commen- i tée de l'œuvre du poète. Ce sont là des pages <• pleines de pleurs, ^ pleines d'affres, pleines de mort », comme les « Mers Novembrales » l qu'il a chantées et où i! rôde souvent aux confins de la démence, f celle d'un Van Gogh ou d'un Nietzsche.
A l'époque où il burinait ces strophes exaspérées, Verhaeren fat- ^ sait à Londres des séjours fréquents et prolongés. Il y travaillait beaucoup et c'est de là que presque toute la trilogie est sortie. Les aspects sombres de fer et de bitume, les brouillards de poix.l'atmos' phère fiiligineusc de la vilir où passe le trafic du monde hii procu- raient mie volupté forte el imère Entre «on moi d'alors, tourmenté cl malade, et !p drcor désolé des cités d'indii^Jf-ie et de cturbon, des correspondances surgissaient, le grisant d'âpres délices. En ce Loa-
ÉMILB TBftHABRBM S^S
drcs brutal et noir et ai âprement vivant et si captivant dans sa lai- deur, Verhaeren venait se saturer de la tristesse ardenle que suent 'les villes du Nord et leurs usines et leurs chantiers ri leurs wharfs, exacerber son intime souffrance, exalter ses nostalgies et s'affadir le cœur. 11 y venait aussi — sans peut-être s'en rendre coinptc — pour y découvrir une nouvelle beauté cachée au fond de ce que l'humanité courante nomme la laideur...
Après ces pages de douleur et d'orgueil exaspéré, un apaise- ment est survenu, que traduisent Les Apparus dans mes Chemins i\8Q\) el Les Campai/nes Haliacinées {i8it3). Le recueil qui vient ensuite annonce clairement des préoccupations nouvelles. Il fait é;io<jue dans l'œuvre. Les Villnqfs /Uusoires (iHoAl renferme en eÛVlles strophes les plusauguralesipie le poèleait jusque-là publiées, (le même qu'il offre une signification d'art très à part des volumes antérieurs. L'inleiilion que réalisa Les l'(7/n;7C.9 était celle-ci ; choi- sir comme héros les gens des petits métiers, les pauvres artisans des bourgades qu'il avait connus à Saint-Ainand, et les -( immensi- ficr », par les vertus de l'art, jusqu'à en faire des types symboli- ques d'humanité. Par là Verliaeren se rattachait à la tradition de Millet et de Rembrandt, opposée k celle de Wagner et des Italiens, suivie par tel autre poète contemporain, Henri de Kégnier.parexem. pie. Il faisait sienne cette tendance si moderne et si féconde inou- iiliablemenl illustrée par Emerson, suivant laquelle l'héroïque, le sublime et le divin sont à chercher dans la vie quotidienne, et non dans les exploits des paladins, dressés sur leur palefroi avec des gestes traditionnels. Il niagnitiait l'homme moyen, allait tirer d&leur chaumière les gens du couimun, pour les introniser. C'était adopter là un art idoine à la démocratie, l'art type de lâgc moderne. Dans Les Villages Illusoires, ces petites gens des métiers ont passé à l'é- tat synthéli(iue ctabstrait par une volonté de les exprimer sous leur aspect d'éternité... Je ne crois pas que jusque-là Verhaeren ail com- posé d'aussi mafjnitiqiies pages que celle du Mrunier, du Sonneur ou du Forgeron. Ce forgeron splcndiiiu forgeant l'avenir surson en- clume en psalmodiant son rt've, — du même geste que Siegfried, dans la caverne du Niebelung, battant l'épée de victoire, — c'est de loin l'annonciateur du si-ns nouveau d'humanité qui va ruisseler bientôt des strophes du poète. Mais h ce point de vue, aucun poè- me du recueil n'est aussi gonflé de significations que celui des Cor- diers, qui, malgré l'œuvre postérieure, demeurera l'une des plus pures merveilles qu'ait réalisées le visionnaire des campagnes fla- mandes...
Les Villes T enlaçai aires (iSgD), c'est toute l'agonie d'un monde et la naissance de celui qui aspire à le remplacer. L'étrange sugges-
9%k POànS D'AD4O01U>'HTn
tion de ces yen ne commnnique-t-elle pu 1« «entiment dn Tolume
enlier ?
Et les ritranz, grands de siècles agenouillés Devant le Christ, avec leurs papes immobiles Et leurs martyrs et leurs héros, semblent trembler Au bruit d'un train lointain qui roule sur la ville.
Au flanc des glèbes dont Les Campagnes hallucinées interprétait la désolation, la bêche inutile est restée plantée : réciproquement Les Vil:es débute par l'évocation des plaines d'où les humanités, à flots pressés, s'acheminent vers les industries reines. C'est un dyp- tiquc où les champs abandonnés s'opposent aux cités bruissantes. A présent c'est en leurs rues noires et vertigineuses que rêve le poêle» capté par les aspects trag^iques du phénomène nouveau frémissant, aux éco«tcs, tour à tour hagard, apitoyé, bondissant de joie on frissonnant de tristesse, mais sachant l'inéluctable et ignorant les malédictions. Et c'est l'énorme et rouçeoyanle vision de music-hall dans Les Spectacles, le mystère de l'or et de l'agio dansZ!.a Boarse, — oui, un poète sans dédain pour cet immense phénomène du mon- de moderne, le troc dos valeurs, f t s'attardant près de la « corbeil- le », parmi les hurlements des vendeurs et des acheteurs, — la fiè- vre autour des comptoirs assiégés par la foule des grands magasins dans Le Batar, l'évocation de telle rue chaude de Marseille ou d'Anvers, L'Etal, — où l'art du formidable évocateur dresse une de SCS plus rouges flambées, — des ruées de Communes et de foules en folie dans La Révolte, le savant exalté dans son ardeur d'investi- gation et le labeur magnifié dans La Recherche — le poème de la science par un artiste assez authentique pour ne pas redouter l'ap- parente banalité du thème, — et ce cantique inoubliable à la force.à la beauté, aux « lois », dans Les Idées. . , Plus spécialement, ici Verhaeren confesse sa foi. atteint ces sommets où la méditation à la suprême poésie s'allie...
En présence d'une oeuvre comme Le» Villes Ttntaculaîres, qui si génialement attestait, en les exaltant, le* puissances poétiques, si longtemps endormies, d'un peuple, la Belgique artistique s'émut et résolut d'offrir publiquement à Emile Verhaeren son hommage — où l'atfcction et l'admiration demeuraient inséparables. Une vail- lante petite revue, L'Art /«Kne,prit l'initiative d'un banquet qui eut lieu à Bruxelles, le a^ février 1896. Une foule était venue. L'heure fut émouvante, fraternelle et mémorable. On fêtait l'homme admira- ble de bonté, de droiture et d'indépendance autant que le poète.
Les Visages de la Vie (1899) et un peu plus tard Les Forces Ta- multaeuscs (igoa), dans cette neuve voie moderne et universelle que suit désormais Emile Verhaeren, représentent une autre étape. Moins
ÉUtlM TSMHAIKCR igS
Apres et tourmenté» que Lft Villefi, ces deux recueils offrent les in- dices d'une sérénité d'antnnt plus émonvanle et large que le poète dut longtemps errer et peiner avant de la con<iuérir. ..
Verhaercn c«t essentiellement un Barbare que le destin voua à peindre ses visions à l'aide d'une langue plut(*>l faite pour traduire les sensations délicates et raffinées de l'cxtrèmc civilisation. Il faut comprendre cela avant de le juger. II est hors de doute d'ailleurs qu'à l'égard de la « mesure », de la « tradition • et du c goût », ce triple idéal périodiquement invoqué par ceux-là qui estiment qu'un écrivain comme Musset, par exemple, représente tout le génie, toute la beauté et tout le sublime, l'attitude poétique de Vcrhacren est celle d'un iconoclaste. On a essayé de montrer en lui un artiste ata- Tiqucmcnt dominé par les fièvres d'or et de torture du catholicisme .espagnol. Je trouve qu'il est, de toutes ses forces de poète, un homme du Nord, tout autant qu'un Carlylc ou qu'un Wiliam Blake. Sa tragique vision de U nature et de l'humanité, sa richesse d'âme, ses inquiétudes spirituelles, son farouche individualisme révèlent absolument un septentrional... C'est un tourmenté, dont l'art sug- gère des impressions volcaniques ou cycloniques. Les grondements le secouent qni paraissent sortir des profondeurs de la terre ora. geuscraent. Une strophe de lui est une décharge d'électricité hu- maine. Son art est le plus subjectif qui se puisse concevoir. 11 est empli d'infini et se distingue par nn sentiment exalté et surhumain. Comme celui de Rembrandt il est fait; de matière et de féerie broyées ensemble. Il représente l'engloutissement de « l'universelle huma- nité dans l'abîme d'un coeur ï, la fusion du mystère et de la vie, tordus « en un même éclair ». Verhaercn a le don d'évocation et de puissance à un degré inconnu c'-it:K nous depuis le chantre de La Légende des Siècles... Veriuieren bc procède de personne. Il n'est pas sorti comme les chef» de sa génération poétique, de Laforgue, de VJlliers, de Mallarmé ou de Verlaine. Il n'a subi que les influen- ces générales de son temps. Il n'en est point d'autres aujourd'hui pour faire entendre ce large accent religieux qui appartient aux seuls grands bardes.
La fréquence à travers toute son œuvre de telle interjection « Dite» !... » lui communique je ne sais quoi de communiai et de fervent. Sa rêverie a l'intensité et l'ardeur d'une oraison : en pré- sence des nouveaux dieux, le poète a conservé la piété brûlante du fidèle,.. »
Cet admirable artiste de la vie contemporaine, le plus grand de tous ceux qui s'employèrent à exalter les forces humaines, ce chan- tre incomparable des cités et du machinisme modernes, devait, hélas 1 finir Ir.ifi.iiirment victime de ces forces créatrices qu'il avait s' i'.eo
poixES d'aujourd'hui
magnifiées. II allait quitter Rouen où son « rythme souverain » l'avait, au cours de la présente guerre, conduit à prononcer de fortes paroles, et il montait dans un train en marche, lorsqu'il glissa sur la voie et fut horriblement broyé. Ainsi finissait, le 27 novembre 1916 l'un des plus nobles esprits de ce temps, celui qu'on a considéré, à à juste titre, comme le meilleur poète lyrique de l'infortunée Belgi- que. Il laissait, pareil à un ouvrage posthume, ce recueil virulent, inoubliable : Les Ailes rouges de la Guerre, publiée la veille même de sa mort, véritable acte de foi et de révolte devant les crimes du germanisme, un livre d'une telle puissance verbale qu'on peut le comparer aux Châtiments de Victor Hugo.
Emile Verhaeren a collaboré à de nombreuses publications, sa- voir : La Semaine, Journal Universitaire (Louvain), L'Artiste (Bruxelles), L'Art Moderne (Bruxelles), Les Ecrits pour VArt, Le Scapin, La Vogae, Le Journal des Beaux-Arts, La Plage, Le Réueil de Gand, La Jeune Belgique, La Société Nouvelle, L'Art Jeune (Bruxelles). Le Coq Rouge (Bruxelles!, L' Humanité Nouvelle, La Revue Journal, Nouvelle Revue, L'Ermitage, Les Entretiens politiques et littéraires, L'Image, Mercure de France, La Revu^ Blanche, Durendal, Le Thyrse (Bruxelles), Le Monde Moderne, Revue Encyclopédique. Fortnightly Heview, Magasine of Art, Les Arts de la Vie, Antée, La Belgique artistique et littéraire, La Grande Revue, La Revue de Paris, Zukunft (Berlin), etc.
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ÉMILI VRnHAKRCM SQy
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— Petites Lrf'iflendos, poèmes, couverture et ornementation de Théo van Hysselbcrglie. Bruxelles, Ed. Deman, 1900, in-8. — Philippe II, tragédie eu trois acte» (représentée sur la scène du Théâtre de l'Œuvre, Nouveau Théâtre, les 9 et 10 mai lOO*). Paris, Soc. du Mercure de France, l'JOl, in-8. — Le» Forces Tumultueuses, poèmes. Paris, Soc. du Mercure de France, 1902, in-18. (Il a été tiré 20 exempl. de format in-8, pour la Société des XX, signés par l'auteur.) — Le» Villes tentaoulatres, précédées des Cnm- pagncs hallucinées, poème». Paris, Soc. du Mercure de France, 1904, i,i-lg. — Toute la Flandre. Les Tendresses premières, courerture et ornementation de Théo van Rysselberghe, poèmes. Bruxelles, Ed. Deman. 1904, gr. in-8. — Les Heures d'après-i»ldl, poèmes, couverture et orne- menlation de Théo van Rysselberghe, Bruxelles, Ed. Deman, 1905, in-.8. — Itembrandt (Les Grands Artistes, leur Vie, leur Œuvre), biographie eriti(|ue illustrée de 24 reproductions hor« texte. Paris, H. Laurens, 1905, in-8. — LaMulliple splendeur, poèmes. Paris, Soc. du Mercure de France, 1906, in-18. — Tonte la Flandre. La Guirlande des dunes, couverture et ornementation de Théo van Rysselberghe. Bruxelles, Ed. Deman, 1907, gr. in-8. — Les Visages de la Vie {Les Visages de ta Vie. Les Douze Moin). Paris, Soc. du Mercure de France, 1908, in-18. — Toute la Flandre, Le» Héros, couverture et ornementation de Théo van Rysselberghe. Bruxelles, Deman, 1908, in-8, etc.
On trouve en outre des poèmes d'Emile Verhaeren dans les ouvrages sui- «•ats : V» ParnaMo de la Jeune Belgique, pièces diverses de dix-huit
il.
29^ rofttBt »'Au/oimD'«m
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Prèpacbs. - Exposition Uenri-Udoiond Cross: Lettre-Préface. Paris Galène E. Druet, 114, faubourg Saint-Honoré, 21 mars, 8 avril [19051, in-12' Couverture illustrée servant de titre. — Max Stevens. L'Ecrou (Préface). Bruxelles, Larcier, 1906, in-12. — Francis Yard : L'An de Terre (Lettre, autogr.). Pari», Sansot, 1W6, in-4. — P. Crommelynck : Le Sculpteur de A/aiiyue», symbole, trag.enun acte. Bruxelles, Deman, 1908, in-8. — Paul Spaak : Kaatj, 3» éd. Bruxelles, Lamertin, 1908, in-18.— Paul Deltombe, Peintures, présentée» par Emile Verhaeren chez Eugène Blot, 11, rué Richepanse, du 6 au 91 mai 1908, petit in-4. Couv. servant de titre. — L. Piérard, Âim»»thi arim. FnuMriw, J. Itafraae-Friart, 190», in-lS.
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3oo roiTES d'aujourd'hui
Marlns-Ary I^etilond : La Survivance flamande de VEspagne. Mercure de France, février 1904. — Camille Mi\.ViC\aiiv: Trois poètes. Revue Ency- clopédique^ 2S avril 1896. — Charles Maurras : Z-/ érature. Revue Ency- clopédique, 23 janvier 1897. — Gustave Meyer : Emile Verhaeren. Die- Zeit (Vienne), 31 juillet 1902. — Henri de Régnter : Emile Verhaeren. Revue Blanche, mars 1895. — Karl Haus Strobl : Emile Verhaeren. Alge- niei»e Zeitung (Munich), 30 août 1904. — Francis Vlelé-Grilfln : Emile Verhaeren (Les Hommes d'aujourd'hui). Paris, Vanier, s. d., in-fol. ; Emile Verh/ieren. La Plume, 25 avril 1896. — Tancrède de Visan : Sur l'Œuvre d'Emile Verhaeren. Vers et Prose, septembre-novembre 1905.
Voir en outre : Virgile Rossel : Les Poètes belges contemporain». Semaine littéraire (Genève), 1894. — RudoH Komadlna : Emile Verhae- ren. Die Gesellchaft (Berlin), 1900.— René Arot : Emile Verhaeren, Mou- Tement Socialiste, 1901. — Franz Cari Pinzkey : Emile Verhaeren, Pt&zer Tagespost, 1905.— Ellen Key : Zwei Bûcher und Zwei Menschen. Au- fremden Zungen, 1906. — Georges Brandes : Verhaeren als Dramatiker. Die Schaubfihne, 1906. — Ferez Jorba: Em. Verhaeren. Calalonia (Barce- lone), 1698. — G. Eekhoud : J\aar aanerding van « Le Cloître». Ontwaa- king, 1907. — A. -G. Van H amel :Z>ic/iier-S!7/to«e</en. Oids (Amsterdam) 1907. — Van de Wœstyne : Emile Verhaeren. Europa (Amsterdam), 1907 — Paul Hermant : [Jitude]. Revue Germanique, mars-avril 1908. — Frantz Clément : Die Lyrick de* E. VerAowen. Soiialistche Monatschefte (Beilin), juillet 1908, etc.
Numéro consacré d la Belgique (article d'Albert Mockel et Camtlle Mauclalr). Revue Encyclopédique, Si juillet 1807.
Iconographie :
Théo van Rysselberghe : Sept portraits. !• Pastel, 1882-1883 ; H» Verhaeren lisant, dessin, 1891 ; III» Dessin, 1891 ; IV» Peinture d i'huile (app. à M. Emile Verhaeren) exposée à Paris (Artistes Indé- pendants, 1898), à Bruxelles (Salon de la Libre Esthétique, 1894), à Vienne (Salon de la Sécession, 1898-1899 et à Dresde, 1899); V» Dessin, M^i (app. h. M"" van Rysselberghe), exposé à Bruxelles (Salon des XX, 1893) reproduit dans L* Plume, 1895, dans une plaquette : Emile Verhaeren, 1883-1896, et dans diverses revues littéraires ; VI" Dessin, 1896 (app. à M. Francis Vielé-Griffin), leproduit dans Les Hommes d' Aujourd'hui, Paris, Vanier; VII» Verhaeren Usant, eau-forte, 1898 (hors commerce). — Théo van Rysselberghe : Portrait dans le tableau La Zecfwre, peinture à l'huile (1985), Musée de Gand, reprod. dans la Revue Z'Arf Flamand (1906) et dans l'ouvrage de Victorio Pic» : L'Arte Mondiale alla VII' Esposizione di Venezia. Bergame, Istitul. itai. d'Arti grafiche, 1907, in-4. — D'autres portraits ont été exécutés par Lemmen : Peinture d l'huile. — Jainm^s Knsor : Peinture à l'huile.— Ilullin : Portrait en pied, peinture — G. Montald : Portrait en pied, peinture.— A. Mncho : /)es«m. — Wolle8:/)e«»in en trois couleurs (Uusée de Bruxelles.) — Félix Vallotton : Masque, dansZe Livre des Masques, de R. de Gourmont, Paris, Soc. du Mercure de France, 1896. ~ Charles Ber- Bler : Dix portrait* d l'eau- forte. One de ces gravures, reprod. en fron- tispioe dans l'Anthologie d'Emile Ver/iaere?i, publiée par l'éditeur Decheime « 190f). — Coastantln M9nnl»r. Buste, bronse, IDOt. — Ch. Van der
Amili vsRHÀmuN Soi
Stappen : liuste, brome, 1901. — Uolealan Biegaa : fiutte, bronze, 1900. — M. (Ma(l«l : Hutte, plâtre. 1908 (ces dernières œurres apparlioDneut à H. Biuile Vorhseren).
L'ABRBUVOm
En un creux de terrain nussi profond qu'un antre,
Les ctnncjs s'ôtalnicnt dans leur sommeil moiré.
Et servaient d'abreuvoir au bétail bigarré.
Qui s'y baignait, le corps dans l'eau jusqu'à mi-ventre.
Les troupeaux descendaient, par des chemins penchants: Vaches A pas très lents, chevaux menés à l'amble, Et les bœufs noirs et roux qui souvent, tous ensemble, Beuglaient, le cou tendu, vers les soleils couchants.
Tout s'anéantissait dans la mort coutumière,
Dans la chute du jour : couleurs, parfums, lumière,
Explosions de sève et splendeurs d'horizons ;
Des brouillards s'étendaient en linceuls aux moissons. Des routes s'enfonçaient dans le soir — infinies, Et les grands bœufs semblaient râler ces agonies.
[Poèmes : Les Flamandes .)
LES PAYSANS
Ces hommes de labeur, que Greuze affadissait
Dans les molles couleurs de paysanneries.
Si proprets dans leur mise et si roses, (jue c'est
Motif gai de les voir, parmi les sucreries
D'un salon Louis-Quinze animer des pastels.
Les voici noirs, grossiers, bestiaux — ils sont tels.
Entre eux, ils sont parqués par villages : en somme, Les gens des bourgs voisins sont déjà l'étranîïï'er. L'intrus (ju'on doit haïr, l'ennemi fatal, l'homme Qu'il faut tromper, qu'il faut leurrer, qu'il faut gruger. La patrie ? Allons donc 1 Qui d'entre eux croit en elle ?
3oa poÉTSs d'aujourd bui
Elle leur prend des gars pour les armer soldats,
Elle ne leur est point la terre maternelle,
La terre fécondée au travail de leurs bras.
La patrie ! on l'ignore au fond de leur campagne.
Ce qu'ils roient vaguement dans un coin de cerveau,
C'est le roi, l'homme en or, fait comme Charlemagn
Assis dans le velours frangé de son manteau ;
C'est tout un apparat de glaives, de couronnes,
Ecussonnant les murs de palais lambrissés,
Que gardent des soldats avec sabre à dragonnes.
Ils ne savent que ça du pouvoir. — C'est assez.
Au reste, leur esprit, balourd en toute chose.
Marcherait en sabots à travers droit, devoir,
Justice et liberté — l'instinct les ankylose ;
Un almanach crasseux, voilà tout leur savoir ;
Et s'ils ont entendu rugir, au loin, les villes,
Les révolutions les ont tant effrayés.
Que, dans la lutte humaine, ils restent les serviles,
De peur, s'ils se cabraient, d'être un jour les broyés.
{PoèrM$: Let Flamandes.)
SOIRS RELIGIEUX
Le déclin du soleil étend, jusqu'aux lointains. Son silence et sa paix comme un pâle cilice ; Les choses sont d'aspect méticuleux et lisse Et se détaillant clair sur des fonds byzantins.
L'averse a sabré l'air de ses lames de grêle. Et voici que le ciel luit comme un parvis bleu. Et que c'est l'heure où meurt à l'occident le feu. Où l'argent de la nuit à l'or du jo«r se mêle.
A l'horizon, plus rien ne passe, si ce n'est
Une allée infinie et géante de chênes,
Se prolongeant au loin jusqu'aux fermes prochaines,
Le long des champs en friche et des coins de genêt.
Ces arbres vont — ainsi des moines mortuaires Qui s'en iraient^ le cœur assombri par les soirf,
AmILB TUlRAIItCN So3
Comme jndis partaient les longs pénilenls noir* Pèleriner, là-bas, vers d'anciens sanctuaires.
Et la route d'amont tonte large s'ouvrant Sur le couchant rougi comme un plant de pivoine», A voir ces arbres nus, à voir passer ces moines, On dirait qu'ils s'en vont ce soir, en double rang.
Vers leur Dieu dont l'azur d'étoiles s'ensemence ; Et les astres, brillant là-haut sur leur chemin, Semblent les feux de grands cierges, tenus en main, Dont on n'aperçoit pas monter la tige immense.
{Poèmes : Lit Mointa.)
RENTRÉE DBS MOINES
I
On dirait que le site entier sous un lissoir Se lustre et dans les lacs voisins se réverbère ; C'est l'heure où la clarté du jour d'ombres s'obère, Où le soleil descend iei escaliers du soir.
Une étoile d'argent lointainement tremblante. Lumière d'or dont on n'aperçoit le flambeau. Se reflète mobile et fixe au fond de l'eau Où le courant la lave avec une onde lente.
A travers les champs verts s'en va se déroulant La route dont l'averse a lamé les ornière» ; Elle longe les noirs massifs des sapinières Et monte au carrefour couper le pavé blane.
Au loin scintille encoro une lucarne ronde Qui s'ouvre ainsi qu'un œil dans'un pignon rongé : Là, le dernier reflet du couchant s'est plongé. Comme, eu un trou profond et ténébreux, la sonde.
Et rien ne s'entend plus dans ce mystique adiea. Hien — le site vêtu d'une paix mctalUque
3o4 FoiTxs d'aujourd'hui
Semble enfermer en lui, comme une basilique, La présence muette et nocturne de Dieu.
II
Alors les moines blancs rentrent aux monastères,
Après secours portés aux malades des bourgs.
Aux remueurs cassés de sols et de labours,
Aux gueux chrétiens qui vont mourir, aux grabataires,
A ceux qui crèvent seuls, mornes, sales, pouilleux. Et que nul de regrets ni de pleurs n'accompagne Et qui pourriront nus dans un coin de campagne, Sans qu'on lave leur corps ni qu'on ferme leurs yeux,
Aux mendiants mordus de misères avides. Qui, le ventre troué de faim, ne peuvent plus Se béquiller là-bas vers les enclos feuillus Et qui se noient, la nuit, dans les étangs livides.
Et tels les moines blancs traversent les champs noirs Faisant songer aux temps des jeunesses bibliques Où l'on voyait errer des géants angéliques, EnloQgs manteaux de lin, dans l'or pâli des soirs.
III
Brusque, résonne au loin un tintement de cloche. Qui casse du silence à coups de battant clair Par-dessus les hameaux, et jette à travers l'air Un long appel, qui long, parmi l'écho, ricoche.
Il proclame que c'est Tins tant justicier
Où les moines s'en vont en chœur chanter Ténèbres
Et promener sur leurs consciences funèbres
La froide cruauté de leurs regards d'acier.
Et les voici priant : tous ceux dont la journée S'est consumée au long hersage en pleins terreaux. Ceux dont l'esprit, sur les textes préceptoraux, S'épand, comme un reflet de lumière inclinée.
iitïlM TBRaAKRBN 3ri5
Ceux dont la solitude .^pre et pâle a rendu L'Ame voYiint(' et dont la peau hldme et collante Jette vers Dieu la voix de sa maigreur sanglante. Ceux dont les tourments noirs ont fait le corps tordu.
Et les moines qui sont rentres aux monastères.
Après visite faite aux malheureux des bourgs,
Aux rçraueurs cassés de sols et de labours,
Aux gueux chrétiens qui vont mourir, aux grabataires,
A leurs frères pieux disent, à lente voix,
Qu'au dehors, ({uel(|ue part, dans un coin de bruyère,
Il est un moribond qui s'en va sans prière
Et qu'il faut supplier, au chœur, le Christ en croix,
Pour qu'il soit pitoyable aux mendiants avides Qui, le ventre troué de faim, ne peuvent plus Se béquiller au loin vers les enclos feuillus Et qui se noient, la nuit, dans les étangs livides.
Et tous alors, tous les moines, très lentement, Envoient vers Dieu le chant des lentes litanies ; Et les anges qui sont gardiens des agonies Ferment les yeux des morts, sileneieusement.
(Poèmes : Les Moines.)
LE MOULIiN
Le moulin tourne au fond du soir, très lentement. Sur un ciel de tristesse et de mélancolie. Il tourne e ttourne, et sa voile, couleur de lie, Est triste e faible et lourde et lasse, infiniment.
Depuis Taube, ses bras, comme des bras de plainte. Se sont tendus et sont tombés ; et les voici Qui retombent encor, là-bas, dans l'air noirci Et le silence entier de la nature éteinte.
Un jour souffrant .d'hiver sur les hameaux s'endort, Les nuages sont las de leurs voyages sombres.
3o8 roÂTBS d'aujourd'hui
Et le long des taillis qui ramassent leurs ombres, Les ornières s'en vont vers un horizon mort.
Sous un ourlet de sol, quelques huttes de hêtre Très misérablement sont assises en rond ; Une lampe de cuivre est pendue au plafond Et patine de feu le mur et la fenêtre.
Et dans la plaine immense et le vide dormeur Elles fixent — les très souffreteuses bicoques ! — Avec les pauvres yeux de leurs carreaux en loques, Le vieux moulin qui tourne et, las, qui tourne et meurt. {Poème*. — NonvëUe série : Lps Soirs.)
LES BRUMES
Brumes mornes d'hiver, mélancoliquement Et douloureusement, roulez sur mes pensées Et sur mon cœur vos longslinceuls d'enterrement Et de rameaux défunts et de feuilles froissées Et livides, tandis qu'au loin^ vers l'horizon, Sous l'ouatement mouillé de la plaine dormante, Parmis les échos sourds et souffreteux, le son D'un angélus lassé se perd et se lamente -Encore et va mourir dans le vide du soir, Si seul, si pauvre et si craintif, qu'une corneille, Blottie au creux humide et noir d'un vieux voussoir, A l'entendre gémir et saiigloter, s'éveille Et doucement répond et se plaint à son tour A travers le silence entier que l'heure apporte, Et tout à coup se tait, croyant que dans la tour L'agonie est éteinte et que la cloche est morte.
(Poème» : Les Bords de la route.)
LES HORLOGES
La nuit, dans le silence en noir de nos demeures. Béquilles et bâtons qui se cognent, là-bas ; Montant et dévalant los escaliers des heures, Les horloges, avec leurs pa« ;
hm.m TRuiTAiRaN S07
Emaux naïfs derrière un verre, emblènifts Et fleurs d'antan, chiiTres maigres et vieux; Lunes des corridors vides et blêmes Les horloges, avec leurs yeux ;
Sons morts, notes de plomb, marteaux et limes, lioulique en bois de mots sournois El le babil des secondes minimes. Les horloges, avec leurs voix ;
Gaines de chênes et bornes d'ombre. Cercueils scellés dans le mur froid, Vieux os du temps que grignote le nombre, Les horloges et leur effroi ;
Les horloges
Volontaires et vigilantes,
Pareilles aux vieilles servantes
Boitant de leurs sabots ou glissant sur leurs bas,
Los horloges que j'interroge
Serrent ma peur en leur compas.
{Poèmes, Nouvelle série ; Les liordt de la roatê.)
LA PEUR
Par les plaines de ma crainte, tournée au Nord, Voici le vieux berger des Novembres qui corne. Debout, comme un malheur, au seuil du bercail morne. Qui corne au loin l'appel des troupeaux de la mort.
L'étable est cimentée avec mon vieux remords, Au fond de mes pays de tristesse sans borne, Qu'un ruisselet, bordé de menthe et de viorne Lassé de ses flots lourds, flétrit, d'un cours retors.
Brebis noires, k croix rouges, sur les épaules. Et béliers couleur feu rentrent, à coujis de gaule, Comme ses lents péchés, en mon Ame d'ellroi ;
Le TÏeux berger des Novembres corne tempête.
So8 roAns d'aujovrd'hui
Dites, quel vol d'éclairs vient d'effleurer ma tête Pour que, ce soir, ma vie ait eu si peur de moi '?
(Poèmes, Nouvelle série : Les Apparus dans mes chemins,)
NOVEMBRE
Les grand'routes tracent des croix
A l'infini, à travers bois ;
Les grand'routes tracent des croix lointaines
A l'infini, à travers plaines;
Les grand'routes tracent des croix
Dans l'air livide et froid,
Où voyagent les vents déchevelés
A l'infini, par les allées.
Arbres et vents pareils aux pèlerins, Arbres tristes et fous où l'orage s'accroche. Arbres pareils au défilé de tous les saints. Au défilé de tous les morts Au son des cloches.
Arbres qui combattez au Nord
Et vents qui déchirez le monde,
O vos luttes et vos sanglots et vos remords
Se débattant et s'engoutFrant dans les âmes profondes 1
Voici novembre assis auprès de l'âtre, Avec ses maigres doigts chauffés au feu ; Oh ! tous ces morts là-bas, sans feu ni lieu. Oh! tous ces vents cognant les murs opiniâtres Et repoussés et rejetés Vers l'inconnu, de tous côtés.
Ohl tous ces noms de saints semés en litanies,
Tous ces arbres, là-bas.
Ces vocables de saints dont la monotonie
S'allonge infiniment dans la mémoire;
Oh ! tous ces bras invocatoires
Tous ces rameaux cperdun\ent tendus
Vers on ne sait quel christ aux horizons pendu.
ÉHiui vxnHAtcniN 809
Voici novembre en son manteau grisâtre Qui se blottit de peur au fond de l'Aire Et dont les yeux soudain regardent, Par les carreaux cassés de la croisée, Les vents et les arbres se convulser Dans l'étendue effarante et blafarde.
Les saints, lea morts, les arbres et le vent,
Oh ridenti(juc et affolant cortège
Qui tourne et tourne, au long des soirs de neige ;
Les saints, les morts, les arbres et le vent,
Dites comme ils se confondent dans la mémoire
Quand les marteaux battants
A coups de bonds dans les bourdons,
Ecartèlent leur deuil aux horizons.
Du haut des tours imprécatoires.
Et novembre, près de l'âtre qui flambe. Allume, avec des mains d'espoir, la lampe Qui brûlera, combien de soirs, l'hiver ; Et novembre si huniblemeot supplie et pleure Pour attendrir le cœur mécanique des heures 1
Mais au dehors, voici toujours le ciel, couleur de fer,
Voici les vents, les saints, les morts
Et la jiroccssîon profonde
Des arbres fous et des branchages tords
Qui voyagent de l'un à l'autre bout du monde.
Voici les grand'routes comme des croix
A l'infini parmi les plaines
Les grand'routes et puis leurs croix lointaines
A l'infini, sur les vallons et dans les bois I
(Poèmes, III» série : Le» Vignen de ma muraille.)
UN MATIN
Dès le matin, par mes grand'routes coutumières
Qui traversent champs et vergers,
Je suis parti clair et léger, Le oorps enveloppé de t«ii4 et de lumiâra.
SlO POÂTK8 1>\v>0URJ>'um
Je vais, je ne sais où. Je vais, je suis heureux ;
C'est fête et joie en ma poitrine ;
Que m'importent droits et doctrines, Le caillou sonne et luit, sous mes talons poudreux;
Je marche avec l'orgueil d'aimer l'air et la terre.
D'être immense et d'être fou
Et de mêler ie monde et tout A cet enivrement de vie élémentaire.
0 les pas voyageurs et clairs des anciens dieux i ^ Je m'enfouis dans l'herbe sombre
Où les chênes versent leurs ombres Et je baise les fleurs sur leurs bouches de feu.
Les bras fluides et doux des rivières m'accueillent ;
Je me repose et je repars.
Avec mon guide : le hasard, Par des sentiers sous bols dont je mâche les feuilles.
Il me semble jusqu'à ce jour n'avoir vécu
Que pour mourir et non pour vivre : Oh! quels tombeaux creubenl les livres
Et que de fronts armés y descendeat vaincus I
Dites, est-il vrai qu'hier il existât des choses.
Et que des yeux quotidiens
Aient regardé, avant les miens, Se pavoiser les fruits et s'exalter les roses.
Pour la première fois, je vois les veuts vermeils
Briller dans la mer des branchages,
Mon âme humaine n'a point d'âge ; Tout est jeune, tout est nouveau, sous le soleil.
J'aime mes yeux, mes bras, mes bmIus, ma chair, mou torsff
Et mes cheveux amples et blonds
Et je voudrais, par mes puuuious. Boire l'espace entier fwxe eu gonfler uui force.
àuiLB VUliiAUUM 3ll
Oh 1 ees marches i trarere bois, plaines, fossés,
Où l'étrft chante et pleure cl crie
Et se déppnr^r; avec furie Et s'eoivre de soi ainsi qu'un iusi^nsé 1
(£,«8 Forces lumuUutaieê.)
VKRS LK FUTLU
0 race humaine aux astres d'or nouée.
As-tu senti de quel travail formidable et battant, Soudainement, depuis cent ans. Ta force immense est secouée?
Du fond des mers, à travers terre et cieux, Jiisques à l'or errant des clollcs perdue», De nuit en nuit et d'étendue en étendue. Se prolonge là-haut le voyage des yeux .
Tandis qu'en bas les ans cl les siècles funèl»res. Couches dans les tombeaux stratifiés des temps. Sont explorés, de continent eu continent, Et surgissent poudreux cl clairs de leurs tônèbres,
1 -'archarnement à tout peser, à tout savoir, bouille la forôt drue et mouvante des êtres
" Et malgré la bronssaille où tel pas s'enchevêtre L'homme conciuiert sa loi des droits el des devoirs.
Dans le ferment, dans l'atome, dans la poussière, La vie énorme est recherchée el apparaît. Tout est capté dans une infinité de rets Que serre ou que distend l'immortelle matière.
Héros, savant, artiste, apôtre, aventui'icr, Chacun troue à son tour le mur noir des mysiùre* lit g^âcc à ces labeurs groupés ou solitaires. L'être nouveau se seul l'univers tout entier.
Et c'est vous, TOUS les villes, Debout
Sis foAtks d'aujourd'hui
De loin en loin, là-bas, de l'un à l'autre bout
Des plaines et des domaines
Qui concentrez en vous assez d'humanité,
Assez de force rouge et de neuve clarté,
Pour enflammer de fièvre et de rage fécondes
Les cervelles patientes ou violentes
De ceux
Qui découvrent la règle et résument en eux,
Le monde.
L'esprit des campagnes était l'esprit de Dieu ; Il eut la peur de la recherche et des révoltes, Il chut ; et le voici qui meurt, sous les essieux Et sous les chars en feu des nouvelles récoltes.
La ruine s'installe et souffle aux quatre coins D'où s'acharnent les vents, sur la plaine finie, Tandis que la cité lui soutire de loin Ce qui lui reste encor d'ardeur dans l'agonie.
L'usine rouge éclate où seuls brillaient les champs * La fumée à flots noirs rase les toits d'église ; L'esprit de l'homme avance et le soleil couchant N'est plus l'hostie en or divin qui fertilise.
Renaîtront-ils, les champs, un jour, exorcisés De leurs erreurs, de leurs affres, de leur folie ; Jardins pour les efforts et les labeurs lassés, Coupes de clarté vierge et de santé remplies ?
Referont-ils, avec l'ancien et bon soleil, Avec le vent, la pluie et les bêtes serviles, En des heures de sursaut libre et de réveil. Un monde enfin sauvé de l'emprise des villes T
Ou bien deviendront-ils les derniers paradis Purgés des dieux et affranchis de leurs présages. Où s'en viendront rêver, à l'aube et aux midis. Avant de s'endormir dans les soirs clairs, les sages ?
En attendant, la vie ample se satisfait
Émut TBRBABIIBM 3l3
D'être une joîc humaine, effrénée et féconde ; Les droits et les devoirs ? Rôves divers que fait Devant chaque espoir neuf, la jeunesse du monde !
{L9ê Ville» tentaculairet.)
L'ARBRB
Tout seul.
Que le berce l'été, que l'agite l'hiver,
Que son tronc soit givré ou son branchage vert.
Toujours, au long des jours de lendresse ou de haine,
11 impose sa vie énorme et souveraine
Aux plaines.
H voit les mêmes champs depuis cent et cent ans
Et les mêmes labours et les mêmes semailles ;
Êes yeux aujourd'hui morts, les yeux
Des plus lointains aïeux
Ont regardé, maille après maille,
Se nouer son écorce et ses rudes rameaux,
U présidait tranquille et fort à Jeurs travaux ;
Son pied velu leur ménageait un lit de mousse ;
Il abritait leur sieste à l'heure de midi
Et son ombre fut douce
A ceux de leurs enfants qui s'aimèrent jadis.
Dès le matin, dans les villages.
D'après qu'il chante ou pleure, on augure du temps
Il est dans le secret des violents nuatij^es
Et du soleil qui boude aux horizons latents;
11 est tout le passé debout sur les champs tristes.
Mais quels que soient les souvenirs
Qui, dans son bois, persistent,
Dès que janvier vient de finir
Et que la sève, en son vieux tronc, s'épanche.
Avec tous ses bourgeons, avec toutes ses branches,
— Lèvres folles et bras tordus —
H jette un cri immensémeat tendu
Vers l'avenir.
*• 18
3l4 FOiTES D*AUJOURd'hUI
Alors, avec des rais de pluie et de lumière,
Il fixe le tissu de ses feuilles trémières ;
Il contracte ses nœuds, il lisse ses rameaux ;
Il pousse au ciel vaincu son front toujours plus haut;
Il projette si loin ses poreuses racines
Qu'il épuise la mare et les terres voisines
Et que parfois il s'arrête, comme étonné
De son travail muet, profond et acharné.
Mais pour s'épanouir et régner dans sa fonce,
O les luttes qu'il lui fallut subir, l'hiver!
Glaives du vent à travers son écoix;e.
Chocs d'ouragan, rages de l'air,
Givres pareils à quelque âp^c limaille.
Toute la haine et toute la bataille,
Et les grêles de l'Est et les neiges du Nord,
Et le gel morne et blanc dont la dent mord
Jusqu'à l'aubier^ l'ample écheveau des fihres.
Tout lui fut mal qui tord, douleur qui vibre.
Sans que jamitis pourtant
Un seul instant
Ne s'alentît son énergie
A fermement vouloir que sa vie élargie
Fût plus belle, à chaque printemps ,
En octobre, quand l'or triomphe en son feuillage, Mes pas larges encor, quoique lourds et lassés, Souvent ont dirigé leur long pèlerinage Vers cet arbre d'automne et de vent traversé. Comme un géant brasier de feuilles et de flammes. Il se dressait, tranquillement, sous le ciel bleu, Il semblait habité par un million d'âmes Qui doucement chantaient eu son branchage creux. J'allais vers lui les yeux emplis par la lumière, Je le louchais, avec mes doigts, avec mes mains. Je le sentais bouger jusqu'au fond de la terre D'après un mouvement énorme et surhumain; Et j'appuyais sur lui ma poitrine brutale, Avec un t«I amour^ une tciit; ferveur,
é
iMXht VKRHAKRKN 3t5
Que son rythme profond et s;»
Passnient «n moi et pénétraient jusqu'à mon cœur.
Alors, j'étais môle à sa belle vie ample;
Je m'atlacihais k lui comme un de ses rameaux ;
Il se plantait, dans la splendeur, comme un exemple ;
J'aimais plus ardeinm(>iit le sol, les bois, les eaux,
La plaine immense et nue où les nuages passent ;
J'étais armé de fermeté confro lo sort.
Mes bras auraient voulu tenir en eux l'espace ;
Mes muscles et mes nerfs rendaient léger mon corps
Et je criais : « La force est sainte.
I! faut que l'homme imprime son empreinte
Violemment, sur ses desseins hardis :
Elle est celle qui tient les clefs des paradis
Et dont le large poing en fait tourner les portes. »
Et je baisais le tronc noueux, épcrdftment,
Et quand le soir se détachait du firmament,
Je me perdais, dans la campaj^ne morte,
Marchant droit devant moi, ver^ n'importe où.
Avec des cris jaillis du fond de mon coeur fou.
{La Multiple Splendeur.)
L'OMBRE S'INSTALLE
L'ombre s'installe, avec brutalité ;
Mais les ciseaux de la lumière.
Au long des quais, coupent l'obseurîté,
A coups menus, do réverbère en réverbère.
La gare et ses vitraux larges et droits Brillent, comme une châsse, en la nuit sourde, Tandis que des voiles de suie et d'ombre lourde Choient des pignons et des sonnants beffrois.
Et le lent défilé des trains funèbres
Commence, avec ses bruits de gonds
Et l'entrechoquement brutal de ses wagons.
Disparaissant - tels des cercueils — vers les ténèbres.
3i6 poèm D'AUJOunD'mn
Des cris ! — et quelquefois de trag^iques signaux, Par au-dessus des fronts et des gestes des foules. Puis un arrêt, puis un départ — et le train roule Toujours, avec son bruit de fers et de marteaux.
La campagne sournoise et la forêt sauvage L'absorbent tout à coup en leur nocturne effroi ; Et c'est le mont énorme et le tunnel étroit Et la mer tout entière, au bout du long voyage.
A l'aube, apparaissent les bricks légers et clairs. Avec leur charge d'ambre et de minerai rose Et le vol bigarré des pavillons dans l'air Et les agrès menus où des aras se posent.
Et les focs roux et les poupes couleur safras. Et les câbles tordus et les quilles barbares. Et les sabords lustrés de cuivre et de guitraa Et les mâts verts et bleus des îles Baléares,
Et les marins venus on ne sait d'où, là-bas, Par au delà des mers de faste et de victoire. Avec leurs chants si doux et leurs gestes si las Et dès dragons sculptés sur leur étrave noire.
Tout le rêve debout comme une armée attend : Et les longs flots du port, pareils à des guirlandes. Se déroulent, au long des vieux bateaux, partant Vers quelle ardente et blanche et divine Finlande?
Et tout s'oublie — et les tunnels et les wagons Et les gares de suie et de charbon couvertes — Devant l'appel fiévreux et fou des horizons Et les portes du monde en plein soleil ouvertes.
(La Multiple Splendeur.)
L'EFFORT
Groupes de travailleurs, fiévreux et haletants, Qui vous dressez et qui passez au long des temps Avec le rêve su front des utiles victoires.
Torses carpes et du m, gcstrr» prëcis et forta. Marches, courses, arrêts, violences, efforts, Quelles lignes fières de vaillance et de gloire Vous inscrivez tragiquement dans ma mémoire I
Je vo*-8 aime, gars des pays blonds, beaux conducteam
De Hennissants et clairs et pesants attelages,
Et vous bûcherons roux des bois pleins de senteurs.
Et loi, paysan fruste et vieux des blancs villages.
Qui n'aimes que les champs et leurs humbles chemins
Et qui jettes la semence d'une ample main
D'nbord en l'air, droit devant toi, vers la lumière,
Pour qu'elle en vive un peu, avant de choir en terre ;
•
Et vous aussi, marins qui partez sur la mer Avec un simple chant, la nuit, sous les étoiles. Quand se gonflent, aux vents atlantiques, les voiles Et que vibrent les mâts et les cordages clairs ; Et vous, lourds débardeurs dont les larges épaules Chargent ou déchargent, au long des quais vermeils. Les navires qui vont et vont sous les soleils S'assujettir les flots jusqu'aux confins des pôles ;
Et vous encor, chercheurs d'hallucinants métaux, En des plaines de gel, sur des grèves de neige. Au fond de pays blancs où le froid vous assiège Et brusquement vous serre en son immense étan ; El vous encor mineurs qui cheminez sous terre, Le corps rampant, avec la lampe entre vos dents Jusqu'à la veine étroite où le charbon branlant ' :ède sous votre effort obscur et solitaire ;
Elvous enfin, batteurs de fer, forgeurs d'airain, Visages d'encre et d'or trouant l'ombre et la brume, >s musculeux tendus ou ramassés, soudain, iitour de grands brasiers et d'énormes encluraeSy Muineurs noirs bâtis pour un œuvre éternel j<n s'étend de siècle en siècle toujours plus vaste. Sur des villes d'effroi, de misère et de faste, Je vous sens en mon (-(l'ur |>iii'<'<nnt»i rt fraternels I
It.
8i8 poàm o'ÂmovKù'nm
O ce travail farouche, ftpre, tenace, austère, Sur les plaines, parmi les mers, au cœur des monts. Serrant ses nœuds partout et rivant ses chaînons De l'un à l'autre bout des pays de la terre! O ces gestes hardis, dans l'ombre ou la clarté, Ces bras toujours ardents et ces mains jamais lasses, Ces bras, ces mains unis à travers les espace» Pour imprimer quand même à l'univers dompté La marque de l'étreinte et delà force humaine» Et recrée» les monts et les mers et les plaines, D'après une antre volonté.
{La Maltiple Splendeur.)
SOUVENIR
ConnaîsseE-'vmis ces beaux soirs d'or.
Où les anges voilent les yeux du jour.
L'été, quand on aime, d'un lent amour.
Ceux d'autrefois à qui l'on a fait tort :
Les doux, qui se donnèrent, sans envie,
Kt dont aucun ne se découragea,
Bien que, souvent, OD affligeât
Leur cœur, pouar se prouver, avec hargne, sa vie.
Ils étaient bons jusqu'à lasser.
Et pardonnants jusqu'à froisser,
Leurs cœurs naïfs et inventifs
De bienveillance et de tendresse,
Se dévouaient^. avé5\des^mots presque» .sacrés..
En leurs yeux purs et inspirés.
Où se mouillaient des regrets de caresses.
Se maintenait la confiance
Intacte encor de la première enfance.
Ils arrivaient, du côté du matin.
Avec le rêve, en eux, des temps lointains,
Où les lèvres des vierges bénévoles
Parlaient, avec des banderoles,
Selon leur vœu, qui rendait simples leurs paroles.
ildIJI TBHflABlU» f 19
11 I ■— — '
Ils étafent blancs d'une lumière
Dont la Hamme dormait, «u berceau de la terre ;
Ils étaient forts d'une autre joie
Que celle, hélas I qui tient, entre ses mains
Des fleurs rouges, comme des proies.
Et leurs pas lents sâiraient, par nos chemins,
L'empreinte d'or dont les Jésus, sans doute,
Au temps des saints, avaient marqué la route.
Aussi vécurent-ils, sans nulle plainte.
Dupes du monde — et néanmoins
Voulant toujours porter plus loin
L'ofFrandeà tous de leur douceur sans crainte.
Mais aujourd'hui qu'ils sont les morts. Loin des dédains et loin des haines, — En ces heures de beaux soirs d'or Où les anges voilent les yeux du jour — Hélas ! comme au-delA de l'heure humaine. On les aime d'un triste et régressif amour. On les rêve, là-bas, vêtus de laines. Parmi les herbes et les fleurs. En des jardins ornant des plaines Et descendant, vers la rivière. Mirer les rosiers blancs delà prière*
Ils habitent les pays de clarté
Qui sont leur ftme
Revenue h son essence et sa flamme;
Leur âme de candeur et de bonté.
Que personne, durant leur passage sur tem^
N'a visitée.
Leur voix n'a rien changé à son mystère. Leurs yeux profonds et assidus N'ont rien perdu De la sereine violence De leur silence.
Ils nous hèlent, là haut, parmi les firaaamentif^ Bien qu'on voudrait
3ao PoiTKS d'aujourd'hui
Les voir renaître, ici, pour s'en aller, auprès.
Dès à présent,
Se repentir, en les aimant,
Profondément.
En rêvant d'eux, en ce décor d'or sombre.
Où les anges ferment, avec de l'ombre,
Les yeux du jour.
Le cœur trop longtemps clos à leur amour,
Immensément, se donne,
Tandis que, dans la paix du soir.
Leur tranquille mémoire
Toujours plus douce, nous pardonne.
{Let Visa ff es delà Vie.f
LES PAUVRES
Il est ainsi de pauvres cœurs avec, en eux, des lacs de pleurs, qui sont pâles, comme les pierres d'un cimetière.
Il est ainsi de pauvres dos plus lourds de peine et de fardeaux que les toits des cassines brunes, parmi les dunes.
Il est ainsi de pauvres mains, comme feuilles sur les chemins, comme feuilles jaunes et mortes, devant la porte.
Il est ainsi de pauvres yeux humbles et bons et soucieux et plus tristes que ceux des bêtes, sous la tempête.
Il est ainsi de pauvres gens, aux gestes las et indulgents sur qui s'acharne la misère, au long des plaines de la terre.
(Les Visages de la VU.)
PAUL VERLAINE 4844-1896
Panl'Marie Verlaine, le plus admirable poète que noua ayonfl ea depuis lonj^tenips, ^sl né à Metz le 3o mars i844. d'une famille oriifinaire de« Ardriines. Sa maison natale, a6, rue Haute-Pierre, aujourd'hui Hoschleinslrasse, existe encore. Son père, Nicolas- Auguste Verlaine, aé à Bertrix (B«lgi(iue) en 1798, était capitaine adjudant major nu a* rép-iment de ^énie et chevalier de la L<'gion d'honnesr. Il avait ^lé soldat dans les armées de Napoléon «t avait opté pour la nationalité française, quand hod pays était devenu luxembourgeois à la suite des traitéa de i8i5. La mère de Paul Verlaine était née à Fampoux (Pas-de-Calais). Les premières années de Paul Verlaine s'écoulèrent dans les garnisons de son père, d'abord à Metz, puis à Montpellier, puis h Nîmes, puis de nouveau à Metz. En i85i, le capitaine Verlaine donna sa démission et vint s'établir avec sa famille à Paris, rue Saint-Louis, aujourd'hui rue Noilft. Paul Verlaine, qui avait alors sept ans, fut mis comme externe dans une petite institution de la rue Hélène. H entra ensuite dans une grande pension de la rue Cliaptal, l'Institution Landry, où l'on préparait aux cours du Lycée Bonaparte. Sa pre- mière communion faite, il entra au Lycée Bon8[>arle, depuis Lycée Condorcet, où il eut comme condisciple M. Edmond Lepelletier, avec lequel devait le lier une amitii- de trente-six années, sans une heure de brouille. Reçu bachelier es-lettres en i86a, et sauvé de la cons- cription yiar un « bon numéro >», Paul Verlaine, après avoir pria bien inutilemeut une inscription d'étudiant en droit, entra comme employé à la Compagnie d'assurances l'Aigle et le Soleil réunis. Il obtint ensuite, en 1864, un poste d'expéditionnaire à la Mairie de la rue IJrouot, d'où il passa biejitftl à l'Hôtel-de- Ville, bureau des Bud- gets et des Comptes. A la fin de i8f).^, son père mourut, à demi ruiné par une opération de bourse. Sa mère, dupée par des spécula- teur* perdit une partie de la fortuaa mn Uù. «estait, et lui-même
322 roitBS d'autourd'hot
commença à néglister son, emploi, plus préoccupa de littérature que d'administration, et déjà fantasque, inv^ulier, bohème. Il s'était lié à l'Hôtcl-de- Ville avec quelques-uns de ses collègues, ('crivains comme lui : MM. Georges Lafenestre, Armand Renaud, Léon Valade et Albert Mérat, et passait son temps, loin de son bureau, à discuter littérature avec eux, dans un café de la rue de Rivoli où le groupe tcDait ses réunions. Dans Vh ."^alon de M.Lonis Xavier de Ricard, il se mêla aussi un moment au groupe des Parnassiens : Leconte de Lisle, José-Maria de Hcredi», Sully Prudlfomme, François Cop- pée, MM.Léon Dierx et Catulle Mendès, Eu 1866, le même jour que François Goppée publiait L« Reliquaire, il fit paraître son pre- mier livre: Poèmes Saturniens, qui passa complètement inaperçu. Trois ans iilus lard, il publia Les Fêtes galantes, que lui inspirè- rent, au dire de M. Edmond Lepellctier les travaux des Gonconr. sur les artistes du xviu« siècle et l'ouverture, au Louvre, d'une salle consacrée aux peintres de cette époque. En 1870, iJ publia Z/O Bonn". Chanson, composée pendant ses fiançailles avec M"' Mathilde Maulé, sœur utérine du compositeur Charles de Sivry. Lenr ma- riage eut lieu au mois d'août de la même année. Bientôt après, la gacrre franco-allemande éclata. Le disastre de Sedan, l'cnvahissc- ment, le siège de Paris et la Commune survinrent. Plus ou moins compromis ous'imaginant l'être par ses amitiés dans le camp insur- rectionuel, Paul Verlaine, qui avait l'ait comme les autres io héros dans la garde nationale, crut prudent de quitter Paris, et s'en alla avec sa femme passer quelque temps dans le Nord, chez des parents et des amis. La mé8inteHig;ence était déjà entre les époux, causée par les coups de télc fréquents de Paul 'Verlaine et les habitudes d'intempérance qu'il avait contractées de bonne heure. Rentrés à Paris, la naissance de leur fils Georges ne les rapprocha en rien, et c'est alors que Paul Verlaine se lia avec Arthur Rimbaud, qui devait avoir tant d'influence sur sa vie. Comme on l'a vu dan» la notice d'Arthar Rimbaud, Paul Verlaine ne le connut d'abord que par une lettre et quelques poèmes dont la singularité l'intéressa. Il lui répon- dit, lui etvoya même quelque argent, puis, d'accord avec sa femme et sa belle-mère, l'invita à venirà Paris, chez eux, oii on le logerait. Arthur iiirnbaud accourut, mais ses excentricités lui firent bientôt signifier son congé par M"* Verlaine et sa mère, et il dut aller loger chez des atnis de Paul Verlaine, notamment chez Théodore Ae Ran- ville, comme on l'a vu anssi précédemment. Cette séparation, contre le gré de Paul Verlaine, ne fit qu'accroître l'attraction qu'Arthur Rimbaud exerçait sur lui, et qu'auiicmcnter encore son désaccord avec sa femme. De longues discussions d'art que le» deux poètes eurent enKcmble pendant l«nrs promenades » travers Montmartre, comme l'enthousiasme de Paul Verlaine à produire Arthur Rimbaud
VAUL VBRLAINB
8a3
dans tous lea milieux littéraires, ju8<]ue chez Victor Hugo, vinrent encore resserrer leur uoiou, et uu nialii» de juillet 187a, tous deux partirent enseaï(>le. Ils se rendireat d'abord à Arras, où ih se posè- rent si bieOj daoH leurs couversalioiis, coaioie deux criminelle, qu'on le* arrêta et qu'on leur fit reiirendic le tfain pOMr Paris, eu compa- gnie do deux gendarmes. Arrivés à ta gare du Nord et rcudus à la liberté, ils remontèrent aussitôt en wagon, pour se rendre d'un trait en Belgique, d'oii ils passèrent en A-"glelerre. Ils YCcurcnt ensemble i Londres environ une année. Pendant ce temps, la femme de Paul Verlaine, arguant de son brusque abandon et encore plus de sa sin- gulière intimité avec Arthur Rimbaud, engageait contre lui un pro- cès en séparation de corps. Au printemps de 1878, Paul Verlaine, qu'Arthur Himbaud avait délaissé à Londres pour retourner à Charteville, rentra à son tour en France et ^lU^ passer quelque temps chez uu'j parente, à Jéhuuviliti, entre Sedan et Souillon. C'est pen- dant ces divers /séjours en Belgi(iue, en Aas^leterre et «dans les Ardeniies ijue furent composées Les Ilcunances sans paroles, pu- bliées seulement eu 1875. A Jéhon ville, Paul Verlaine essaya de se réconcilier avec sa femme, sans rien obtenir, il se retourna alors vers Arthur Rimbaud, qui vint le rejoindre à Bouillon. Liés de nouveau comme auparavant, ils vagabondèrent tous les deux pendant quel- que temps dans les Ardennes, nuis s'embarciuèrent une nouvelle fois pour l'Angleterre. Là, fugue de Paul Verlaine, qui quitte brusque- ment Arthur Rimbaud pour se rendre seul à Bruxelles, où il s'em- presse ensuite de le rappeler. Nous arrivons alors à l'incident qui devait les séparer, les deux coups de revolver tirés par Paul Ver- laine sur Arthur Rimbaud, en juillet 1873, à la suite du désir manifesté par le second de reprendre sa liberté. Condamné à deux années de prison par le Tribunal correctionnel de Bruxelles, Paul Verlaine fut enfermé aux Petits Carmes de Bruxelles, puis transféré k Mons. Là, le calme se fit en lui, il s'arma de courage et de pa- tience et se mit tu travail. Il avait envoyé depuis longtemps le manuscrit des Romances sans paroles à M. Edmond Lepelletier, qui dirigeait alors à £ena un journal républicain supprimé à Paris et qui imprima les vers de aou ami avec lei« caractères mêmes de sou imprimerie. 11 en corrigea les épreuves dans sa prison, et le livre parut. « Le volume, raconte M. Kdinoud Lepelletier dans le livre qu'il* écrit sur Paul Verlaiue et qui est le docuui' iit le plus complet et le plus exact sur le poèie fi), fut tiré à peu d'exemplaires, cinq ttcnta, je croiK, et ne fut pas mis dans le commerce. Je remis, à diverses reprises, un certain nombre de volumes à M"* Verlaine Dieie, j'exi>«diai ka «uvois que Paul Verlaiue avait iudiqués, jo ^
it) i*«w^ rtrUiHt, Sa *i«. •k»n «iuom, Metv«H i» France, 1M7.
324 POÈTES D*AUJOUaD'BUI
un service aux journaux 1res complet. Pas un ne cita même Te titre du livre. J'avais conservé quelques exemplaires, devenus très rares, et considérés comme des curiosités bibliographiques; j'en ai fait, par la suite, la distribution à des amis de Verlaine, à des écri- vains qui, comme M. Henry Bauer, ignoraient le poète, méprisaient l'homme, et que la lecture de ce petit volume impressionna et chan- gea en admirateurs sincères et 'en défenseurs ardents du prand et malheureux poète. C'est cette plaquette de Sens qui m'a permis de maintenir parmi les vivants le poète enfermé dans le tombeau cel- lulaire, muré dans un sépulcre d'animosité et d'oubli. » Ce fut aussi à Mons que Paul Verlaine épronra les premiers sentiments de cette conversion reli^euse qui devait aboutir à ce chef-d'œuvre : Saffesse. La cause principale paratt avoir été le déchirement qu'il ressentit à la nouvelle du jugement qui prononçait sa séparation d'avec sa femme, alors, que transformé par le régime sobre , régulier et soli- taire de la prison, il rêvait de réconciliation, d'apaisement el d'un foyer retrouvé. Il fit appeler l'aumônier, s'entretint à plusieiira reprises avec lui , et trouvant dans la religion, comme l'a très bien noté M. Edmond Lepelletier, autant un réconfort moral qu'un re- nouvellement poétique, il se convertit et communia. Libéré le i6 jan- vier 1876 après avoir purgé sa condamnation complète, il rentra en France, alla se reposer dans sa famille, à Arras, à Fampoux, dans les Ardennes, puis se rendit en Angleterre, où il vécut environ une année, donnant des leçons de français et de latin, et même de des- sin. Il rentra en France en 1878 et accepta un poste de professeur au Collège de Réthel, puis, cédant brusquement à un désir qui l'occu- pait depuis longtemps, se fit cultivateur à Coulommes, dans l'arron- dissement de Vooziers. Cette fantaisie, étant donnés son manque d'application et son inexpérience, fut decourte durée, et, en 1881, après une douloureuse histoire dont on trouve le récit détaillé dans l'ouvrage de M. Edmond Lepelletier, il revint à Paris. Sagesse, commencée dans la prison de Mons, éuit achevée. Paul Verlaine ayant perdu tout contact avec les éditeurs, M. Edmond Lepelletier s'occupa d'en trouver un. Après bien des échecs , il trouva enfin accueil chez l'éditeur catholique Victor Palmé, et Sa<jesse pànit, fruit de « six années d'austérité, de recueillement, de travail obs- cur » . Ce livre, qui devait un peu plus tard faire tact pour la répu- tation du poète, passa complètement inaperçu, les amateurs de poésie se méfiant d'un ouvrage sorti d'une librairie religieuse et les dévots lui trouvant quelque chose de profane. Les ressources de sa mère très diminuées, Paul Verlaine dut sonçer à vivre de sa plume, et il n'y essaya courageusement. C'est ainsi qu'il collabora pendant quel- que temps au Réveil, journal quotidien dont M. Edmond Lepelletier était rédacteur eu clief, et oà il publia plosieore artielea qu'on r**
FAUL VBHLAINB
3a5
troure dang les Mémoires d'un Veuf. En même temps, il fréquenta le Quartier latin, et le groupe des jeunes rédacteurs de la petite revue Liitèce, ui» des premiers organes du Symbolisme. 11 publia daus Z,u/«ce quelques poèmes, uolanimcnt sou célèbre Art poétique, qui fit tout de suite de lui un maître pour les nouveaux poètes, puis des olud.s sur Tristan Corbière, Arthur Kiœbaud et Stéphane Mal- larmé, qui parurent ensuite en volume sous le litre Les Poètes mau- dits. C'est alors qu'après avoir remis à l'éditeur Vanier les manus- crits des Mémoires d'un veuf, de deux autres volumes de prose et d'ua nouveau recueil de vers : Jadis et Naguère, le goût de la cul- ture le reprit. Il quitta brusquement Paris, et retourna s'improviser cultivateur a Coulommes, où il s'installa avec sa mère, en octobre ibSii. Là, nouvelle aventure, en février i885, à la suite d'une scène qu'il eut avec sa mère, qu'un témoin intéressé assura avoir été frappée par lui. Dénonce et arrêté, Paul Verlaine comparut devant le Tribunal correctionnel de Vouziers, et malgré les dénégations de sa mère, désireuse de l'innocenter, fut condamné à un mois de prison. A sa sortie, il dut vendre sa fcrme^ et revint à Paris, plus pauvre qu'il n'en était parii. Il voulut se remettre à vivre de sa plume, mais déjà la maladie l'envahissait, le paralysant peu à peu. De ce moment date l'existence lamentable, pleine de misère, d'hôpital en hôpital ou dans d'alFreux taudis, qu'il devait mener jusqu'à sa tin. En 1886, sa mère mourut, nouvel événement funeste pour, lui, qui se trouva désormais sans frein ni appui dans la vie, toujours labo- rieux, cependant, ne cessant de travailler, de produire, malgré ses dtboires de «Pauvre Lélian « comme il s'était surnommé lui-même. Euire ses séjours à l'hôpilal on le voyait dans Paris. « Il traînait sa jambe malade, s'appuyaut sur sa canne, mais le torse redressé, la titc haute, légèrement Hère, avec un sourire sarcastique, il allait, s'attablant dans les cafés du Quartier latin, et là rimant des vers, écrivant des ébauches de contes en prose, discutant, ah! discutant trop longuement avec de jeunes poètes qu'attirait sa renommée grandissante (i). » En 1889, après un séjour à Broussais, il alla faire uue cure à Aix-les-Bains, puis entra de nouveau à Broussais. H fréquenta ensuite les soirées de La Plume, qui organisa plusieurs banquets en son honneur. En 1891, on représenta au Vaudeville, à son bénéfice, par les soins du Théâtre d'Art de M. Paul Fort, une de ses saynètes: Les Uns et les Autres, opération dont il ne relira pas un sou, toute la recette ayant été absorbée par les frais. les décors et les costumes d'un ouvrage de M. Catulle Meudès, repré- senté eu même temps. Il collabora à L'Echo de Paris, partit faire quelques conférences en Belgique, eu Hollande, en Angleterre, puis
(1) M. EdsMBd Up«U«U«r
3a6 poÉTM d'aujourd'hui
revint à Paris. On représenta aux soirées du Café Procope son autre sayn*te: il/"»" Aubin. Leconte de Lisle étant vena à moarir et an reporter ingénieux ayant eu l'idée de proposer un vote pour !e remplacer dans radnairation des jeunes poètes, Paul-Verlaine fut élu son successeur par 77 voix. On parla même un moment de sa candidature à l'Académie, fantaisie plutôt que projet vraiment réa- lisable. Entre temps, de plus en plus malade, il avait dû entrer à Saint-Louis. A sa sortie, il alla habiter quelque temps l'Hôtel de Lis- bonne, rue de Vaui^irard, où étaient venus le visiter en 1886 ses amis de la première heure : Gabriel Vicaire, Ary Renan, Villiers de risle Adam, Jules Tellier, M"* Rachilde, MM. Jean Moréas, Laurent Tailhade, etc. Puis ce fut iSgS, qui devait être sa dernière année. Sa . maladie encore ag^^ravée, il dut s'aliter, soi(^né par ses fidèles mé- decins, les docteurs Chauffard et Parisot. Il logeait alors rue Des- cartes Sg, dans un petit logement où, « ne pouvant plus sortir, il passait ses journées, avec un pincean et des flacons de vernis dit » or liquide », à dorer tous ses objets usuels : la lasse où il mettait son tabac, ses chaises, sa lampe et les objets les plus imprévus » . C'est iè qu'il mourut le 6 janvier i8g6. Voici maintenant quelques opinions sur Paul Verlaine et son œuvre. « Il ne faut pas juger ce poète comme on juge un homme raisonnable. Il a des idées que nous n'avons pas, parce qu'il est à la fois beaucoup plus et beau- coup moins que nous. Il est inconscient, et c'est un poète comme il ne s'en rencontre pas un par siècle. . . 11 est fou, dites-vous; je le crois bien. Et si je doutais qu'il le fût, je déchirerais les pafçes.que je viens d'écrire Certes, il est fou. Mais prenez g:arde que ce pauvre insensé a créé un art nouveau et qu'il y a quelque chance qu'on dise un jour de lui ce qu'on dit aujourd'hui de François Villon, auquel il faut bien le comparer : c'était le meilleur poète de son temps. " (A. France, La Vie Littéraire, 3' série.) — « ... Il est un barbare, un sauvage, un enfant... Seulement cet enfant a une musi- que, dans l'Ame, et, k certains jours, il entend des voix que nul avant lui p'avait entendues. . . » (J. Lemaltre, Les Contemporains, 4* série, j — « Verlaine, né dans une époque de décadence, survi- vant aux plus affreux désastres qui puissent frapper la tête et le cœur d'un peuple, a résisté à la double faillite de la foi et de la poésie... Que nous importe son histoire? c'est la terre commune de l'humanité ; que nous importe son œuvre, ralculce par le nom- bre de ses volumes, la richesse, la variété et la nouveauté de sa prosodie? c'est la base de tous les penseurs, c'est l'art dont se ser- vent tous les poètes ; mais plus haut, ce qui est bien à lui, c'eut sa foi retrouvée. Ce qu'il importe de savoir d'un homme, c'est jusqu'à quel point il t'est éUvé ; or, Verlaine $'est ilevi jjuqu'à Dieu par la
PAUL VKRLAIHB 3x7
prière. " (Ch. Fuinel, La St$tae de Paul Verlaine, La Lyre uni-
Terselle, dôccmbre 1896.)
Paul Verlaine» collabora à: La Revue, dex lettres et des arts, 1867; La Nouvelle Néniésis. 1868; Lufèce, i883-i885; La Revue contemporaine, iSSî); Le Décadent, iSSf"'; La Vogue, i" série, 1886, Le Scapin, 1886; La Décadence. 1886; /.a Revue Indépendante, 3« série, 1886, et 4* série, 1889; Les Chroniques, 1887 ; La Petite Revue, 1888; La Revue d'aujourd'hui, i8yo; Les Entretiens poli- tiques et littéraires, 1890; Le Suint-Graal, 1892; La Plume, La Revue Encyclopédique, La Revue Blanche, La Cravache, Vendé- miaire, Art et Critiqua, Le Chat Noir, La France littéraire, L'Eprouve littéraire, Gil Bios, Figaro, Echo de Paris, The Senate, The Savoy, La Revue Rouge, etc.. elc.
Ses œuvres ont été réunies en une édition complète par la librai- rie Vanier (Mcssein, succesaear). Ellts comprennent aix tomes, dont oa trouvera le détail dans la biblinË;raphie ci-aprè.s.
Bibliographie :
Lis (kuvrks. — PoèineH saturnJcDM. poé^iics. Paris, Lemerre, 1866, in-12. (Réimpr. : Pohne» saturnien», nouvelle ^lilioo. Paris, Vanier. ISl'O, in-18).
— Fôle- gal.nutea, poésies. Pari"», Lcmerre, 186U, in-12. (Ri'^impr. : Fêtes plantes. Paris, Vanier, iHM, in-lS; Fétrs r/a/an{e«, soixanle-neiif dessins de A. Gérardin. gravés .sur bois. Paris, Soc. Arlist. du Livre illustri^, 1899, in-8 ; Fêles galantes, fA. ill. de 24 dctisiuH el H culs-de-lainpo de Robaudi. Paris, Maison du Livre, 1903, 125 cxoihpl. numéroté»). — Las Amie*, scènes d'amour saphique. Sonnets, par lo licencié Pablo de Herla^nei [Bruxellc», Poulel-Malasi»], 1867, petit in-12 (50 exempl.). La même, Ségovie, 1870, petit in-lî, couverture trrise. 11 existe une cnnlrofaçon decelte (édition. Réirapr. dans La Trilogie erotique de /'. Verlaine, 19ii7, in-8. — La Bonne Chan- son, poésies, ruris, Lonierre, 1870, in-12. (Réimpr. : La lionne C/ian.von, nou- velle édition. Paris, Vanier, 1899, in-18. — Romances sans paroles, poésies . Sens, Typofçrapliie de Maurice l'Hermitle, 1874. (Réimpr. ■.Roman- ces sans parafes, nouvelle édition, portraits de l'auteur, sur Chine, par A. des Gâchons. Paris, Vanier, 1887, in-18). — Saflesse, poésies. Pari», Soc. péné- rale de Librairie catholique, Pahaé, 1881, iu-8. (Réimpr. : Sa'jesse, nou- velle édition. Pari», Vanier, 1889, in-lS). — Le» Poètes maudits, prose. Paris, Vanier, 1884 et 1888, in-12. — Jadis et N'ugnèro, poésies. Paris. Vanier, 1884, in-18. — Louis» Leclercq, prose, Paris, Vanier, 1886, in-18.
— Mémoires d'un veul, prose. Paris, Vanier, 1S86, in-18. — Amour, poésies. Pari», Vanier, 1888, in-18. — Parallèlement, poésies. Paris. Vanier, 1889, in-18. (Edition de luie : Parallèlement, avec de» lilbo^r. ori- ginales de Pierre Ronnard. Paris, VoUard, 1900, in-8). — Dédicaces, poé- sies, avec un dessin de F. -A. Caials gravé par Maurice Baud. Paris, Bibliothèque artistique et littéraire, 18S*), iii-18. (Réimpr : Dédicaces, nouv. éd. Paris, Vanier, 1894, in-18) - Keinme», poésio-i '175 excmpl.). Imprimé n sout le auntoau et no se vend nulle part ■, 1890, in-18 (Réimi>r. Femmes, t- I. n. d. Tsrs 190S), tirafe k 100 siaiapl. Bum4rotAs «t dans Lm TritogU éftiqut da
Sa 8 roiTES d'aujourd'hui
Paul Verlaine, etc., 1907, in-S). — Bouheur, poésies. Paris, Vanier, 1891 in-i8. — Choix de poésies, avec un portrait d'après Eugène Caprière. Paris, Charpentier et Fasquelle, 1891, in-18).— Chausons pour Elle, poé- sies. Paris, Vanier, 1891, in-18. — Les Uns el les Autres, coinMie en un acte en vers, représenté pour la première fois au Théâtre du Vaudeville par les soins du Théâtre d'Art, le 21 mai 1891. Paris, Vanier, 1891, in 18. — Mes Hôpitaux, prose. Paris, Vanier, 1891, in-18. — Liturgies Jutinn;Ei avec un portrait par L. Hayet. Paris, Bibliothèque du Saint-Graal, mars 1892 in-8 carré. — Mes Prisons, prose. Paris, Vanier, 1893, ia-18. — felégics, poésies. Vanier, 1893, in-18. — Odes en son honneur, poésies. Paris, Vanier, 1893, in-18. — Quinze jours en Hollande. La Haye, B!ok,
1893, gr. in-8 (nouvelle édition, Paris, Vanier, 1895, in-18. — Dans les limbes, poésies. Paris, Vanier, 1894, in-18). — Dédicaces, poésies, nou- velle édition. Paris, Vanier, 1894, in-18. — Epigramines, poésies, avec uh frontispice de F. -A. Gazais. Paris, Bibliothèque artistique et littéraire,
1894. — Coulessious, prose. Paris, Librairie du <.< Fin de Siècle », 1S95, in-18 (Réimpr. : Confeisions, nouvelle édition, illust. de F. -A. Gazais. Paris, Bibliothèque artistique et littéraire, 1897, in-18). — Chair, poésies, fron- tispice de Félicien Rops. Paris, Bibliothèque littéraire, 1896, in-18. — Invec- tives, poésies. Paris, Vanier, 1896, in- 18. — Œuvres poïithumes, vers et prose [Varia. Parallèlement, Dédicaces. Vers de Jeunesse. Le Livre posthwne. Souvenirs el fantaisies. Nouvelles]. Paris, Vanier, 1903, in-16. — Poésies religieuses, préface de J.-K. Huysmans, 1904, in-18. — nom- bres (//omnics), poèmes. « Imprimé sous le manteau et ne se vend nulle païf*, B. d. (1904), in-18 (Réimpr. dans la Trilogie erotique de P. Verlaine, pAs.^ in-18). — Voyage en France, par un Français, publié d'après le manuscrit inédit. Préface de Louis Loviot. Paris, A. Messeiu, 1907, in-18. — La Trilogie Erotique de Paul Verlaine [Amies. Femmes. Homhrcs). Ed. illustrée de 15 eaux-fortes originales par Van Troizcm et augmenté il'un avant-propos par un Bibliophile Verlaiuicn.A Paris et à Londres, 1907,iii-8.
D'autre part on trouve quelques pages qui n'ont point encore été réi:iiics en volume ; Chez soi à l'iiôpital (Revue Blanche, 15 février 1895) ; i'.io- quis de Belgique (Revue Encyclopédique, le mai 1895); Lettres. Une Saison à Alx-les-Bains, août-8eptemt)re 1889 (Revue Blanche, l'i no- vembre et l*'' décembre 1896); Vive le Roy! fragment inédit et complet d'un drame inachevé (La Plume, 1" avril 1797); A Mademoiselle ni>. Sonnet inédit, autographié (Ia Petite Revue, 15 juin 1907). Et dans l'ou- vrage de Ph. Zilcken : Paul Verlaine, etc. 1897, in-18, des lettres et des documents inédits.
ŒuvBEs COMPLÈTES. — (Euvrcs complètes de Paul Verlaine, Tome I :
Poèmes Saturniens. Fêtes galantes. La Bonne Chanson. Romances sanx paro- les. Sagesse. Jadis et Naguère. Tome II ; Amour. Bonheur. Parallèle- ment. Chansons pour elle. Liturgies intimes. Odes en son lionneur. Tome III •' Elégies. Dans le* limbes. Dédicaces. Epigrammcs. Invectives. Cliair. Tome IV : Les Poètes maudits. Louise Leclercq. Les Mémoires d'un Veuf. Mes hôpitaux. Mes Prisons. Tome V : Confessions. Quinze jours en Hol- lande. Les Hommes d'Aujourd'hui. Paris, Vanier, 1899-1900, 5 vol. iu-16. (Cette édition eai complétée par le recueil d' Œuvres posthumes, publié en 1901, «t qiM nous avons signalé plus haut).
FAUL TBRLAimi SsÇ
(EoYiiEt iNtDiTiB. — Quatorzain d« Sonnatc (rar Im Utfm), 1894 (Mnnuscril app. k M. P. Dauio).
Points MIS KN MUBiQui. — Claud* Debugsy : Ariette» oubliées. Pans, Froment, 1903,in-fol ; Fétci galantes. Paris, Durand, s. d., in-fol.,— Gabriel Fauré : Cinq mélodies sur ilos poésies de Paul Verlaine (La /lonne Chanson), Paris, Hamelle, s. d., in-fol. — D'autre» poésies de Paul Verlaine ont été mises en musique par HM. Charles Gordcs, Gustave Charpentier, Ernest Chausson. Gabriel Fabre, Geor^'es Fié, ReynaUlo ilahn, Sylvain Laizari, Maurice Ravel, G. Sandre, D. de Sévérac, 15. StrohI, etc., etc.
Tradoctiom : John Gray : Silverpoints. Londres, 1891. — Gertrude Hall : Poem» of Verlaine. New-York, 1895. — Arthur Symons : Silhouettes. Londres, 1896; et des poèmes divers traduits, en anglais, par H. George Moore, et en allemand, par MM. Richard Dehmel, C. Flaischlen, St. George, Otto Reuter, R. Schaukal, P. Wiegler, etc., etc.
A coNBULTEH. — lleui'i d'AIiiiéras : Avant la Gloire. Leurs débuts. Pans. Soc. française d'impriinerio et de librairie, I, 1902, in-18. — Anonyme: Paul Verlaine et ses contemporains par un Témoin impartial, avec un por- trait par A. Bonnet. Paris, Bibliothèque de l'Association, 1897, in-8. — Ilermann Bahr : Skizzen und Essais. Berlin, Fischer, 1897, in-8. — P. Berrichon : La Vie de Jean-Arthur Rimbaud. Paris, Soc. du Mercure de France, 1897, in-18. — Léon Bloy : Un brelan d'excommuniés. Paris, Savine, 1889, in-18. — G. Brandès : Samlede Skrifter. Kobeahagen, 1901, VII, pp. 147-173. — Ad. BrISBon: La Comédie littéraire. Pans, Colin, 1895, in-18. — W. G. C. Byvanek : Un Hollandais d Paris en t89f. Paris, Perrin, 1892, in-18. — F. -A. Gazais : Paul Verlaine, ses portraits, préface de J.-K. Huysmans, texte de Félicien Rops, Ernest Delahaye et H. Cornuty Paris, Bibliothèque de l'Association, 1896, in-8. — J. Coucke : Pnui Ver- laine. Bruxelles, Lamcrtin, 1896, in-8. — Ernest Delahaye : Arthur Jiim- baud. Paris et Reiras, Revue de Paris et de Champagne, 1906, in-18. — G. Descharaps : .^a Vie et les Livres, 3* série. Paris, A. Colin, 1896, in-18. — Ch. Uonos : Paul Verlaine intime (ouvrage intéressant, mais douteux). Paris, Vanier, 1898, in-16. — M. Dullaert : Ter/aine. Gand, Impr. A. Sitfer, 1896, in-8. — René Uoumlc : Hommes et Idées. Paris, Perrin, 1903, in-18. — Anatole France : La Vie littéraire, Z* série. Paris, Caî- mann-Lévy, 1891, in-18. — Kemy de Gourniont : Le Livre des Masque*. Paris, Soc. du Mercure de France, 1896, in-18; t^omenadcs littéraires, \. Paris, Soc. du Mercure de France, 1904', in-18. — FernandGregh: La Fenêtre ouverte. Paris, Fasquelle, 1901, in-18. — J. Huret : Enquête sur l'Evolution littéraire. Paris, Charpentier, 1891, in-18. — Gustave Kahn : Symbolistes et Décadents. Paris, Vanier, 1902, in-18. — Bernard La- zare ; Figures contemporaines, Paris. Perrin, 18^5, iu-18. — J. Lemat- tre : Nos contemporains, 4* série. Paris, Lecène et Oudin, 1889, in-18. — Edmond Lepelletler : Paul Verlaine. Sa Vie. .%n Œuvre, avec un portrait reproduit eu héliogravure et un autographe. Paris, Soc. du Mercure ^de France, 1907, in-8 et iu-18. — Stéphane Mallarmé : Divagations. Paris, Fasquelle, 1897, in-18. — C. Mendès : La Légende du Parnasse eon^emporain. Bruxelles, A. Brancard, 1884. in-18. —Ad. Mithouard: Paul Verlaine ou le Scrupule de la Beauté. Pans, Spectateur catholi(|uo, 1807, ia-8. — Emile Monot : Paul Verlaint, confireuce f«ite k l'Union
l8o roArss d'aujourd'hui
artistique Lédlonienne . Typographie de Lon8-le-S»ulni«r, mai 1898, in-8. — — Pol de Mont : Pavd Verlaine (f(5Trier 1896), o ». 1. n. d. », in-ê. — R. de Montesqniou : Autels privilégiée. Paris, Fasquclle, 1899, in-18. — Ch. Morice : Paul Verlaine, l'homme et l'œuvre. Paris, Vanier, 1888, iu-18. — L. G. Mosirailles : Têtes de pipe». Paris, Vanier, 1885, in-8. — •f. Pacheu : De Dante à Verlaine, Etudes d'idéalistes et mystiques. Paris, Pion, 18»7, in-18.— O. Pelllssler : Etudes de littérature contemporaine. Paris, Perrin, 1898, in-18. — Vittorlo PIca : Paul Verlaine, broeh. illust. Bergame, 1896, « extrait de l'Emporium t>, in-8; Littérature d'eccezione. Milano, Baldini et Castoldi, 189», in-8. — F. Régamey : Verlaine dessina- <««r. Paris, Floury, 1896, in-18. — Adolphe Retté : Le Symbolisme. Anec- dotes et souvenirs Paris, Messein, 1903, in-18. — L. de Roberto : Poeti fr. eontempor. Milan, Gogliali, 1901, in-8. ~ O. Rodenbaoh : L'Elite. Paris, Paaquelle, 1899, iu-18. — Arthur âymODB : The Symbolist movement in Literature. London, W. Heinemann, 189», in-8. — Saint-Pol-Konx : Lm Rote et les Epines du chemin ( Verlaine le Pdtre). Paris, Soc. du Mercure de France. 1901, in-18. — Juleg Telller : Nos poètes. Paris, Despret HH8, in-18. — V. Thompson : French Portraits (Being appréciations ot tlie writers of Yoiing France). Boston, Richard G. Badger et C», 1900. — A. Tan Hamel : Franshe Symbolisten. Amsterdam, Gids, l»Ot, in-8. — Faul Verlaine : Les poètes Maudit*. Paris, Vanier, 1888, in-18; Confu- sions. Paris, Librairie du « Fin de Siècle », 1895, et Bibliothèque artistique et Kttéraire, 1897, in-18. — E. Vigié-Lecocq ; La Poésie contemporaine, iU4-lt96. f>aris, Soc. du Mercure France, 1897, in-18. — S. Waotzoldt Paul Verlaine ein Diehter der Décadence. Berlin, Weidmann, 1892, in-8. — P. Wiegler : Baudelaire et Verlaine. Berlin, Behr, 1900, iu-8. — Ph. Zllcken : Paul Verlaine. Correspondmnet et documents inédits. Paris, Floury, 1897, Iq-18. — Emile Zola : DoetmenU littéraires. Paris, Char- pentier, 1881, in-18.
Maurice Barrés : Les Funérailles de V»rl»ine, Figaro, 10 janvier 18»A. — O. Bonnamour: Paul Verlaine, La Plume, 1" juin 1889. — P. Bru- Betière : Etude. Revue des Deux-Mondes, 1" novembre 1888. — H. Cas- tets : Etude biographique sur Paul Verlaine. Revue Encyclopédique SS janvier 1896. — P.-A. Guals : Paul Verlaine intime- The Senate (Lon- dres), février 1897. — Clodainir: Verlaine en Allemagne. La Plume 1" janvier 1885. — L. Desprez : Les Derniers romantiques. Paul Ver- laine, Revue Indépendante (3* série), juillet 1894. — Ch. Fiiinel : La Statue et Paul Verlaine. La Lyre universelle, décembre 1896. — Ed. GoBse : A Firtt Sight of Verlaine. The Savoy (Londres), n» J, avril 1S96. — Gustave Kalm : Les Œuvres posthumes de Paul Verlaine. Ia Revue, 15 avril 1903. _ C P. Keary ; EtuSk, The New Review (Londres), juillet 1897. — J. Maira : Verlaine à la Toison d'Or. La Libre critique (Bruxelles), 16 fér. !•••. — Ch. Maurras : Paul Verlaine, les époques de sa poésie. Revue Ineyclopédique, 1" janvier 1895; La mémoire de Paul Verlaine, Revue Incyclopédique. S5 janvier 1896. — Ch. Morlce : On portrait de Paul Verlaine. Art Moderne (Bruxelles), « décembre 1896. — P. Paulhan : Etude, nouvelle Revue, 15 mars 1896. — T. S Penry . The latest literary Fashion in France (illustré). Tlie Comospolilan, New-York, juillet 1892. — Abbé Poasard : Verlaine poète chrétien. La Quinzaine, 16 décembre 1904, ■- Adolphe Hetté : Paul Vtrlaint. La Plume, 1" février 1896. — X. de
PAUL VKRUâUn 33 1
Ricard : Lu /WaiM de' Paul Verlnine. DroiU de llioawM, M Juillet IgOS;
Petit» mi'moirei d'un Parnaatien. Petit Temps, 13 novembre, S et 6 décembre 189*. — K. von Sallwûrk : l'eWaine uml UuuJtlaire in DeulscUatid. All^'omeine Zouil.nij,', '.y02. p. 241. - G. «Uegler : Puul Verlaine. Per- iiiert motnenU. Echo do Pnri», 10 jaurier 1896 "— Arthur SyinoDH : Paul yerlaine. National Heview (Ixndrcit), juin 1892, traduit en partie dans le .Mercure de France, juillet 1892; Les « Invective» » dt Paul i erlaine. The SaTOy (I.on(lrc»),n' 7, novonihrf! 1896; Etude. TbeSaturday Review (Londres), Kvrier 1897. — L. i allliade : Petits mémoires de la vie littéraire. Paul l'i'Woine.l,a Plume, tSnovembrp t8<>*: Pau Verlaim^. Revue Roago, iOvtiw 1896; Souvenir» inédita sur Paul Verlaine, La F'etilo Revue, 15 juin 1807. — Emile Verha«r«n ; Paul yerlaine. Revue Blanche, 15 »TTil 1807. — Paul Verlaine : P»luI Ver/aine, Ixjs Hommes d'aujourd'hui, n' 244. Paris, Vanier â. d.,en («mille; Chez toi à l'Iir^pilal. Revue blanche,lS février 1895; Croquis de lieJijiii: " >olo|.iô'lii|ue,l" mai 1895 ; Z.e</r«# (6'ne »aj«on
d Aix-les-liains, i' 1^S9;. Kevue Blanche, 15 novembre et ("dé-
cembre 1806. — t.;,_ . i .lire : Paul Verlaine. Revue Hebdomadaire, 21 avril 189* — F. Vlt'lô tirllfti» : Notes inédiles sur Paul Verlaine. Re- vue Vcriainieanc, u" 1, novembre 1901.— Waclaw Lieder : Erinne>-unff an Paul Verlaine Blàtlor fur die Kunsl (Berlin), 1893, 3" série, J« vol — MïignuB von Wedderkop: fou/ Verlaine unddieLyrik der Décadence. rjerlln. Pan, 1896. I" anuée, 1" livraison. — W.-B. Yeata : Verlaine in ti9i. The Savoy (Londres), n» 2, avril 1898.
I,a Franc© scolaire, n» 27 (Auecdoles et document» sur P. Verlaine à propos de sa vie à Londres). Paria, Bibliothèque de l'Association,
Demain, Journal Hebdomadaire, 19 janvier 1896, n* spécial sur P. Ver- laine.
Revue RncyotopAdlque, 25 janvier 1896, n» spécial sur P. Verlaine.
La Plan*, l" février 1896, u» spi^cial lur p. Verlaine.
L'Iirinltau*». février 1896, n« spécial sur P. Verlaine.
Ju0ead (liunich), février 1894, n> spécial sur F. Verlaine.
Iconographie -.
(R«BOnç;inl à signaler, tant ils sont nombreni, tous lu périrait* de PaU|
Verlaiue, nous indiquerons Mulenient les ptua notoires. On pourra fie i-p|>orter, pour des renseignement» compléincnlaires, à l'Elude Iconographique, parue dans La Plunie (n»« du l" »U M février 1«M) tous la si^nialure de k. Léon Maillard.
Aman-Jean : Portrait, peinture, exposé à U Société Nationale de* Beaux-Art», 1892. — Auqiietin : Déetin, fr«ott*piee de la l'« édition de A/et Confusion», 1895. — Cliaiitalk : Portrait, peinturt |M\iséé du Luxem- bourg,). — l^ugéne Currior» : Portrait, peinture, exposé à la Société Nationale des Beaux-Arts, ImKI (app. à M. Jean Dolent), gravé à l'eau-forte par l'ajot et reproduit en b(^lio(,'ravuro en tAte dp Chaire de Poésie». Pahi, Vasquelle, 1891. — P.-A. CayaU : Paul Verlaine, te» portrait» iPréfacede i-K. Huy!>mans, telle du Félicien Rop», Ernest Delahaye et H. Comuty], Pari*, Bibliothèque de l'Association, 1896, in-8. — F A-. Casais: Verlaine 4 Urotusais, crayon, 1888 (app. au b' Chauffard)- Verlaine à Brouetai», youm- the, 1889 («pp. k l'auleùr) ; K«Wain« indme, crayon, 1889, eii>osé à la dMiété
3Ss poiTKti d'aujourd'hui
Nationale de» Beanx- Arts, 1899; Verlaine d Brou»*ai$, crayon, 1890 (app. au D' Bouland); Verlaine au lit écrivant, fusain, 1894 (Musée de Nancy) ; Ver- laine au café Procope, dessin aquarelle, 1894, exposé à la Société Nationale des Beaux-Arts, 1899; /"or^raii, 1894 (appartenait au roi Mlsin} -.Lithographie. Estampage d'Alexandre Charpentier (pour la représentation aux Soirées Pro- cope de Madame Aubin, 25 octobre 1894) ; Croquis divers, 1894-1895 (app. à l'auteur) ; Verlaine sur son lit de mort, suite de Croquis, 1896 (app. à l'auteur) ; Affiche pour la 7' Exposition des Cent, sept. 1894. — E. Cohl : Dessin- charge, « Les Hommes d'aujourd'hui », n» 244. Paris, Vanior. — Marcellin Desboutln : Eau-forte, 1896. — Fantln- Latour : Coin de table, pein- ture (groupe d'artistes p^rmi lesquels Mérat, Carjat, Rimbaud, etc.). app. à M. E. Bléraont. — A. de la Gandara : Verlaine assis, dessin exposé à U Société Nationale des Beaux-Arts, 1896 (app. à M. de Montesquiou-Feiensac).
— L. Lœwy : Verlaine sur son lit de mort, portrait d l'encre. 9 janvier 1896. — Péaron : Caricature ancienne, lithographie « représentant Ver- laine en 1685, au moment de l'apparition des Poèmes saturniens ; il Irayerse un cirque apocalytique, monté sur un Pégase squelette » (collection Pochet).
— W. Rothenstein : Portrait de Verlaine dans son lit, rpproduction ^çravée, publiée dans Pall Mail Budget, 23 norembre 1893. — J. Valadon : Portrait, peinture, 1884 (app. à M. F.-A. Gazais). — Jan Veth : Portrait de profil, dessin, 3 novembre 1892.
De nombreux bustes ont été faits de Paul Verlaine. Signalons ceux qu'exécuta M. de Nlederhausern-Rodo (un buste en marbre exposé au salon de la Rose-Croix, 1893, et diTera moulages), l'auteur du monument qui sera quelque jour, et grâce à l'initiatiT» des «mis du poète, érigé dans un square de Paris.
MON RÊVE FAMILIER
Je tais souvent ce rêve étrange et pénétrant D'une femme inconnue, et que j'aime, et qui m'aime, Et qui n'est, chaque fois, ni tout à fait la même Ni tout à fait une autre, et m'aime et me comprend.
Car elle me comprend, et mon cœur, transparent Pour elle seule, hélas ! cesse d'être un problème, Pour elle seule, et les moiteurs de mon front blême. Elle seule les sait rafraîchir, en pleurant.
Est-elle brune, blonde ou rousse ? — Je l'ignore. Son nom ? Je me souviens qu'il est doux et sonore Comme ceux des aimés que la Vie exila.
Son regard est pareil au regard des statues.
Et pour sa voix, lointaine, et calme, et grave, elle a
L'inflexion des voix chères qui se sont tues.
^Poèmes Saturniens. Meiscia.)
PAUL VSnLAlNS 333
CHANSON D'AUTOMNE
Les sanglots longs
Des violons
De l'automne Blessent mon cœur D'une langueur
Monotone.
Tout suffoquant Et blême, quand Sonne l'heure, Je me souviens Des jours anciens Kt je pleure.
Et je m'en vais Au vent mauvais Qui m'emporte
Deçà, delà.
Pareil à la Feuille morte.
{Poèmes Saturnienu Meiseia.)
CLAIR DE LUNE
Votre âme est un paysage choisi Que vont charmant masques et bergamasques Jouant du luth et dansant et quasi Tristes sous leurs déguisements fantasques.
Tout enchantant sur le mode mineur L'amour vainqueur et la vie opportune. Us n'ont pas l'air de croire à leur bonheur Et leur chanson se mêle au clair de lune.
Au calme clair de lune triste et beau. Qui fait rêver les oiseaux dans les arbres
it.
SS4 roiTBS D'AUjrouHo'wn
Et sanjçloter d'extase les jets d'eau.
Les grands jets d'eau sveltes parmi les marbres.
{Fétei calantes. Mess«io.)
LES INGENUS
Les hauts talons luttaient avec lès lonfj^es jupes. En sorte que, selon le terrain et le vent. Parfois luisaient des bas de jambe, trop souvent Interceptés I -^ et nous aimions ce jeu de dupes.
Parfois aussi le dard d'un insecte jaloux Inquiétait le col des belles sous les branches. Et c'étaient des éclairs soudains de nuques blanches El ce régal comblait nos jeunes yeux de fous.
Le soir tombait, un soir équivoque d'automne : Les belles, se pendant rêveuses à nos bras, Dirent alors des mots si spécieux, tout bas, Que notre Ame depuis ee tempe tremble et s'étonne.
(Fêtes galante». Messein.)
IL PLEURB DANS MON CŒUR...
// pleut doucement sur la ville.
AHTHaH RIMBAUD.
0 pleure dans mou cœur Comme il pleut sur la ville. Quelle est cette langueur Qui pénètre moo cobwtl
O brait doox et la plui* Par terre et tar le» toitsi Pour un eoBtir qui s'ennuie» O le chant de la pluie !
Il pleure sane raison
Dans œ cœur qui s'écœuva* Quoi ! nulle trahison ? Ce deuil est sans raison.
1. VcnLAINB
335
C'est bien la pire peiue De ne savoir pourquoi} Sans amour et sans haine. Mon ccBur a tant de pein« t
{Romanc4M Mans paroi*». Measein.)
GHEEN
Voici des fruits, des fleurs, des feuilles et des branches. Et puis voici mon coeur, qui ne ne bat que pour vous. Ne le déchirez pas avec vos deux mains blanches Et qu'à vos yeux si beaux l'humble présent Bbît doux.
J'arrive tout couvert encore de rosée Que le vent du matin vient jiçlacer à mon front. SouSrei que ma fatigue, à vos pieds reposée. Rêve des chers instants qui la délasseront.
Sur votre jettoe sein laisaei rouler ma tête Toute sonore eoeor de vos derniers baisers ; Laissez-la s'apaiser de la bonne tempête, Bt que je dorme un peu puisque vous reposes.
(RonuLmce* $amt paroln. Utmtim.)
STRKKT'8 Dansons la gigue I
J'aimais surtout ses jolis yeux, Plus clairs que l'étoile des cietix, J'aimais ses yeux malicieux.
Dansons la gigue t
Elle avait des façons vraiment De désoler un pauvre aniaot. Que c'en était vraiment charmant !
Dansons la gigue I
Mais je trouve encore meilleur Le baiser de sa bouche en fleur, Depuis qu'elle est morte à mon coeur.
336 poÂTEs d'aujourd'hui
Dansons la gigue 1
Je me souviens, je me souviens
Des heures et des entretiens, Et c'est le meilleur de mes biens.
Dansons la gigue 1
{Romances tansparo/««. Mesieia.)
ÉCOUTEZ LA CHANSON BIEN DOUCE...
Ecoutez la chanson bien douce Qui ne pleure que pour vous plairCj Elle est discrète, elle est légère : Un frisson d'eau sur de la mousse I
La voix fut connue (et chère f) Mais à présent elle est voilée Comme une veuve désolée, Pourtant comme elle encore fière,
Et dans les longs plis de son voile Qui palpite aux brises d'automne Cache et montre au cœur qui s'étonne La vérité comme une étoile.
Elle dit, la voix reconnue, Que la bonté c'est notre vie, Que de la haine et de l'envie Rien ne reste, la mort venue.
Elle parle aussi de la gloire D'être simple sans plus attendre, Et de noces d'or et du tendre Bonheur d'une paix sans victoire.
Accueillez la voix qui persiste Dans son naïf épithalame . Allez, rien n'est meilleur h l'âme Que de faire une lime moins triste .
rAtn. TCRLAINB 'S?
Elle est « en peine t> et « de passage », La voix qui souftVe sans colère, Et comme sa morale est claire I... Ecoutez la chanson bien sage.
{Saffeate. Metieia.)
MON DIEU M'A DIT...
I
Mon Dieu m'a dit : a Mon fils, il faut m'aimer. Tu vot» Mon flanc percé, mon cœur qui rayonne et qui saijçne, Et mes pieds ofi'ensés que Madeleine baigne De larmes, et mes bras douloureux sous le poids
De tes péchés, et mes mains ! Et tu vois la croix. Tu vois les clous, le fiel, l'éponge, et tout t'enseigne A n'aimer, en ce monde amer où la chair règne. Que ma Chair et mon Sang, ma parole et ma voix.
Ne t'ai-je pas aimé jusqu'à la mort moi-même, O mon frère en mon Père, ô mon fils en l'Esprit, Et n'ai-je pas souffert, comme c'était écrit ?
N'ai-je pas sangloté ton angoisse suprême Et n'ai-je pas sué la sueur de tes nuits. Lamentable ami qui me cherches où je suia T »
II
J'ai répondu : « Seigneur, vous avex dit mon âme. C'est vrai que je vous cherche et ne vous trouve pas. Mais vous aimer ! Voyez comme je suis en bas, Vous dont l'amour toujours monte comme la flamme.
Vous, la source de paix que toute soif réclame, Hélas I Voyez un peu tous mes tristes combats ! Oserai-je adorer la fracn de vos pas. Sur ces genoux saignants'd'un ramx>emeQt inf&ma î
MX ' foitM d'aujoukb'mui
Et pourtant je tous cherche en longs tâtonnements, Je voudrus que votive ombre au moins vêtit ma honte. Mais vous n'avez pas d'ombre, d vous dont l'amour
O vous, fontaine calme, amère aux seuls amants
De leur damnation, ô vous toute lumière
Sauf aux yeux dont un lourd baiser tient la paupièrel »
UI
— Il faut m'aimer! je sois l'universel Baiser, Je suis cette paupière et je suis cette lèvre Dont tu parles, ô cher malade, et cette âèvre Qui t'agite, c'est moi toujours ! Il faut oser
M'aimer 1 Oui, mon amour monte sans biaiser Jusqu'où ne ^mpe pas ton pauvre amour de chèvre, Et t'emportera, comme un aigle vole- un lièvre, Vers des serpolets qu'un ciel cher vient arroser 1
O ma nuit claire ! ô tes yeux dans mon clair de luae I O ce lit de lumière et d'eau parmi la brune ! Toute cette innocence et tout ce reposoir I
Aime-moi I Ces deux mots sont mes verbes suprêmes. Car étant ton Dieu tout-puissant, je peux vouloir. Mais je ne veux d'abord que pouvoir que tu m'aimes.
IV
— Seigneur, c'est trop ! Vraiment je n'ose. Aimer qui? Vous T Oh 1 non 1 Je tremble et n'ose. Oh I tous aimer je n'osa»
Je ne veux pasi Je suis indigne. Vous, la Rose Immense des purs vents de l'Amour, 6 Vous, tous
Les cœurs des saints, ô vous qui fûtes le Jaloux
D'Israël, Vous, la chaste abeille qui se pose
Sur la seule fleur d'une innocence mi-close.
Quoi, moi, moi, pouvoir Vous aimer. Etes-vous fous (I),
(l) Saint Au^ustia.
rAOL TBRUUKB IS9
Père, Fils, Esprit ? Moi, oc pécbeur-ci, ce lâche,
Cç superl)e, qui fait le mal comme sa tâche,
Et n'a dans tous sett sens, oJorat, toucher, goût.
Vue, ouïe, et dans tout son être — hélas ! dans tout Son espoir et dans tout son remords que Textase D'une caresse où le seul vieil Adam s*embrase t
— Il faut m'aimer. Je suis ces Fous que tu nommais, Je suis l'Adam nouveau qui mange le vieil homme. Ta Rome, tou Paris, ta Sparte et ta Sodome, Comme uik pauvre rué parmi d'horribles meta.
Mon amour est le feu qui dévore à jamais Toute chair insensée, et l'évaporé comme Un parfum, — et c'est le déluge qui consomme En son flol tout mauvais germe que je seooais,
Afin qu'un jour la Croix où je meurs fAt dressée
Et que par un miracle effrayant de booté
Je t'eusse un jour à moi, frémissant et dompté.
Aime. Sors de ta nuit. Aime. C'est ma pensée
De toute éteruité, pauvre âme délaissée.
Que tu dusses m'aimer, moi seul qui suis rwté I
VI
— Seigneur, j'ai peur. Mon âme en moi tressaille toute. Je vois, je sens qu'il faut vous aimer. Mais comment Moi, ceci, me terais-je, ô mon Dieu, votre amant, O justice que la vertu des bons redoute?
Oui, comment ? Car voici que s'ébranle la roàtê Où mon cœur creusait son ensevelissement Et que je sens fluer à moi le firmament, El je vous dis : de vous A Boi quelle Mt la route T
34o poiTRS d'aujourd'hui
Tendez-raoi votre main, que je puisse lever Cette chair accroupie et cet esprit malade. Mais recevoir jamais la céleste accolade,
Est-ce possible ? Un jour, pouvoir la retrouver Dans votre sein, sur votre cœur qui fut le nôtre* La place où reposa la tète de l'apôtre ?
VII
— Certes, si tu le veux mériter, mou fils, oui. Et voici. Laisse aller l'ignorance indécise De ton cœur vers les bras ouverts de mon Eglise Comme la guêpe vole au lis épanoui. "
Approche-toi de mon oreille. Epanches-y L'humiliation d'une brave franchise. Dis-moi tout sans un mot d'orgueil ou de reprise Et m'o£Frc le bouquet d'un repentir choisi.
Puis franchement et simplement viens à ma table. Et je t'y bénirai d'un repas délectable Auquel l'ange n'aura lui-même qu'assisté.
Et tu boiras le Vin de la vigne immuable Dont la force, dont la douceur, dont la bonté Feront germer ton sang à l'immortalité.
•
Puis, va l Garde une foi modeste en ce mystère D'amour par quoi je suis ta chair et ta raison. Et surtout reviens très souvent dans ma maison. Pour y participer au Vin qui désaltère.
Au Pain sans qui la vie est une trahison. Pour y prier mon Père et supplier ma Mère Qu'il te soit accordé, dans l'exil de la terre. D'être l'agneau sans cris qui donne sa toisoD,
D'être l'enfant vêtu de lin et d'innocence.
PAUL ▼SRLAINS 34 <
D'oublier ton pauvre amour-propre et ton essence, I']nfin, de devenir un peu semblable à moi
Qui fus, durant les jours d'Hérode et de Pilate,
Et de Judas et de Pierre, pareil à toi
Pour souffrir et mourir d'une mort scélérate I
Et poar récompenser ton zèle en ces devoirs
Si doux qu'ils sont encor d'ineffables délices,
Je te ferai goûter sur terre mes prémices,
La paix du cœur, l'amour d'être pauvre, et mes soirs
Mystiques, q land l'esprit s'ouvre aux calmes espoirs Et croit boire, suivant ma promesse, au Calice Eternel, et qu'au ciel pieux la lune glisse. Et que sonnent les angélus roses et noirs,
En attendant l'assomption dans ma lumière. L'éveil sans fin dans ma charité coutumière, La musique de mes louanges à jamais,
Et l'extase perpétuelle et la science.
Et d'être en moi parmi l'aimable irradiance
De tes souffrances, enfin miennes, que j'aimais!
VIII
— Ah I Seigneur, qu'ai-jc ? Hélas I me voici tout en larmes
D'une joie extraordinaire : votre voix
Me fait comme du bien et du mal à la fois.
Et le mal et le bien, tout a les mêmes charmes.
Je ris, je pleure, et c'est comme un appel aux armes D'un clairon pour des champs de bataille où je vois Des auges bleus et blancs portés sur des pavois. Et ce clairon m'enlève en de fières alarmes.
J'ai l'extase et j'ai la terreur d'être choisi. Je suis indigne, mais je sais votre clémence. Ah 1 quel effort, mais quelle ardeur ! Et me voici
34s roirma d'aujourd'hui
Plein d'une humble prière, encor qu'un trouble immense Brouille l'espoir que votre voix me révéla. Et j'aspire en tremblant.
ix
— Pauvre âme, c'esl cela 1
{Sagesse. Messein.)
LE CIEL EST, PAR-DESSUS LE TOIT...
Le ciel est, par-dessus le toit,
Si bleu, si calme I Un arbre, par-dessus le toit
Berce sa palme.
La cloche, dans le ciel qu'od Voit
Doucement tinte. Un oiseau sur l'arbre qu'on voit Chante sa plainte.
Mon Dieu, mon Dieu, la vie est là,
Simple et tranquille. Cette paisible rumcur-Ià,
Vient de la ville.
— Qu'as-tu fait, ô toi que voilà
Pleurant sans cesse. Dis, qu'as-tu fait, toi que voilà. De ta jeunesse ?
(Sagesse. Messeia.)
LB PETIT COIN, LB PETIT NID...
Le petit coin, le petit nid
Que j'ai trouvés, Les grands espoirs que j'ai couvés.
Dieu les bénit. Les heures des fautes pcissées
Sont effacées Au pur cadran de mes pensées.
PAUL TUILAINS 34s
L'innocence m'entoure et toi,
Simplicité. Mon cœur par Jésus visité
Manque de quoi? Ma pauvreté, ma solitude,
Pain (iur, lit rude, Quel soin jaloux 1 l'exquise étude I
L'Ame aimante au cœur fait exprès,
Le dévouement. Viennent donner un dénouement
Calme et si frais A la détresse de ma vie
Inassouvie D^avoir satisfait toute envie 1
Seigneur, ù merci ! N'est-ce pat
l>a bonne mort'? Aimez mon patient efFort
Et nos combats. Les miens et moi, le ciel nous voie
Par l'humble voie Entrer, Sei;^'iicur, dans votre joie.
{Amour. MesMît. )
FRANCIS VIELÉ-GRIFFIN
1864
M. Francis Vielé-Griffin est né à Norfolk (Virginie), Etats-Unî«, le 36 mai 1864. Il vint en France dès sa jeunes se et s'y est fixé depuis, habitant tour à tour Paris et la Touraine ; il a pour cette belle pro- vince où
La lente Loire passe altière et d'tle en fie Noue et dénoue au loin son bleu ruban moire
aneaffection particulière, dont il a souvent témoigné dans ses poèmes. Les premiers vers de M. Francis Vielé-Griffin parurent dans Latèce en 1 885 et furent réunis ensuite en une plaquette sous le titre de Cueille d'Avril. D'autres recueils suivirent : Les Cygnes, Joies, Diptyque, La Chevauchée d'Yeldis, avec lesquels il manifesta une originalité poétique qui n'a cessé depuis de s'affirmer et de lui mé' riter parmi les nouveaux poètes une place de plus en plus grande. De iSgoà 1893, M. Francis Vielé-Griffin fit paraître avec Bernard Lazare et M.Paul Adam Les Entretiens politiques et littér aires, \int revue où beaucoup des écrivains connus aujourd'hui publièrent leurs premières œuvres et où il exposa pour sa part, en de nom- breux articles, ses théories d'une poétique nouvelle. M. Francis Vielé-Griffin a eu ce grand mérite de conformer son œuvre à ses théories, et par là il est bien à notre époque le poète le plus signi- ficatif du vers libre. Le vers libre qu'il emploie n'a rien d'une désar- ticulation plus ou moins habile de l'alexandrin régulier. De celui-ci, M. Francis Vielé-Griffin a tout rejeté, « les gentilles difficultés vaincues, le bon vieux rythme numérique et carré, le jeu puéril des césures, l'or un peu fané des rimes masculines et féminines, la cheville artiste, etc. *, comme il a dit quelque part, — toutes faciles pratiques qui font que beaucoup de f^cns peuvent faire des vers sans être le moins du monde poètes. Son vers libre, à lui, n'a bien d'autre rythme (pie celui des paroles qui chantent en son esprit, — n'est-ce pas la définition de la forme poéliaue par excellence? — tt
ruAMCis TiiLi-onivviM 345
c'est peut-être U raison pour laquelle ses poèmes peuvent décon- certer au premier abord certaines habitudes de lecture, — la vieille routine Je l'alexandrin, — et pour laquelle aussi on ne ptul les imiter : ils lui sont profondément ressemblants et personnels. M, Francis Vielt5-Griffiii n'a d'ailleurs rien voulu imiter d'autriii, ni suivre le chemin de personne. On ne trouve point dans son œu- vre de ces « motifs » cent fois repris, V(?ritablBS lieux communs des poètes. Tel qu'il était, il a voulu le rester, et les choses qu'il a dites sont bien à lui. Comme l'a dit M. Uemy de Gourmont dans le Livre des Matques,en parlant delà forme et de l'essence de sou art, « il y a, par M. Francis Vieié-Griffin, quelque chose de nou- veau dans la poësie française. »
M. Francis Vielé-Griffin est Officier de la Lépion d'honneur. Il acellaboré aux Écrits pour CAri (1887), à La Wallonie (iSgo-iSga), à Floréal, à La litoue indépendante (1889), au Livre des Légen- des (iSg.')), à L'Écho de Paris (1896-1897), à La Revue blanche, au Mercure de France, à L'Ermitage, à Vers et Prose, à L'Occident, à La Phalange, à La Grande Revue, etc.
Bibliographie :
Les «uvres. — Cueille d'Avril, poésiies. Paris, Vanter, 1886, in-18. — I.cs Cygnes, poésies, 1885-1886. Paris, Alcan-Lévy, 1887, in-i8. — Ancaeut, ]ioùnie dramatique, 1885-1887. Paris, Vanier, 1888, in-18. — Joies, poèmes, 1888-1889). Paris, Tresse et Stock, 1889, in-16. — Diptyque {Le Porcher. /.' /':ttrythmie) Pnih [Pour\ea Entretiens politiques et littéraires], 1891, in-16.
Les Cyjjne», nouveaux poèmes, 1890-1801. Paris, Vanier, 1892, in-18. — Swauhildc, poème dramatique, 1890-1893. Paris, Extrait do L Ermitage. 1S93, in-18 (100 ex.). — La Chevauclién d'Yeldis et autreu poèmes, Paris, Vanier, 1893, in-18. — TlaiXai, poèmes, (1894). Paris, Ed. du Mercure lie France, 1894, in-8 carré. — I^us Veneri», poème de Swinburne (traduc- lion) Paris, Ed. du Mercure de France, 1895, petit in-16 /283 ex.). — Poèmes et Poésies. 1886-1893. (Cueille d'Avril. Joies. Les Cyijne*. Fleurs du chemin et Chansons de la route. La Chevauchée d'Yeldis) augmentés de )>lusicur8 poèmes. Paris, Soc. du Mercure de France, 1895, in-18. — La Clarté de Vlo, poèmes (ChaMons. L'Ombre. A u gré de l'heure. In Memo- riam. En Arcadie). Paris, Soc. Mercure do France, 1897, in-18. — Phocas le Jardinier. précédé do Swanhilde.Ancaeus. Les Fiançailles d'Euphrosine, poèmes. Paris, Soc. du Mercure de France, 1898, in-18. — La Partenza, poèmes. Paris, Extrait do Z'£'rmi<a(;e (liors commerce), 1899, in-U. — La Légende ailée de Wieland le Forgeron, poème dramatique. Paris, Soc. du Mercure do France, 1900, gr. in-8. — Sainte Agnès, poème. Paris, [hors commerce], 1900, in-16 (Ri-impr. dans L'.lmour sacré, 1903). —Sainte Julie, poème. Paris [hors commerce], 190J, in-16 (Réimpr. dans L'Amour tacré, 1903). — L'Amour sacré, poèmes. Paris, Bibliothèque de l'Occident, 1903 iu-8. — Plus loin, poèmes (La J'arlenza. lu Alemoriam. Stéphane Mal- ivmé. L'Amowr iacri). Paris, Soc. du Mercure de France, 1006, a^-ie
346 roÊTKs d'aujouhd'hoi
On trouve, en outre, des poèmes de M. F. Vinlé Griffm dans T.'AIraanach des poèteH, années 1896, 1897 et 1898. (Paris, Ed. du Mercure, 1S95, 1896 et
1898, 3 Yol, in-lô.) ft une « note biographique » sur le poète Verhaeren dani l'ouvrage de M. Albert Mockel : Emilie Verhaeren. Paris, Ed. du Mer- cure de France, 1»95, ia-18.
PoÈiiM uis EN MUSIQUE. — Dcs poèoies de M. Vielé-Griffin ont été mi» en musique par M. Herscher et M"' Gctty.
A CONSULTER. — André BeaunJer : La Poésie nouvelle. Paris, Soc. du Mercure de France, 1902, in-18. — Remy de Gourmont : Le Livre des Masques. Paris, Soc. du Mercure de France, 1896, in-18. — Georges Le Cardonnel et Charles Vellay : La littérature contemporaine. 190-5. Opi- nion des écrivains de ce temps. Paris, Soc. du Mercure de France, 1906t in-18. —Albert Mockel : Propos de littérature. Paris, Libr. de l'Art Indé- pendant, 1894,in-8.— Henri de Régnier : F. Vielé-Griffin, notice dans Les Portraits du prochain siècle. Paris, Girard, 1894, in-18. — Adolphe Retté : Le Symbolisme. Anecdotes et Souvenirs. Paris, Messein, 1903, in-18. — Christian Rimostad : Fransh Poesi i det de Nittende Aarhundrede. Kobenhavn, Schubolhcske, 1905, in-8. — Robert de Souza : La Poésie populaire et It Lyrisme sentimental. Paris, Soc. du Mercure de France,
1899, in-18. — V. Thompson : French l'ortraits (Being appréciations of the wrilers of young France). Boston, Richard G.Badger and G», 19^)0, in-8. — E. Vlglé-Lecocq : La Poésie contemporaine, (884-1896. Paris, Soc. du Mercure de France, 1897, in-18. — Emll ZUIiacus : Den Nyare franska Poesin och antiken. Helsingfors, 1905, Aktiobolaget Handelstryckoriet, in-8. — Henri Chantavolne : Poètes et poésies, Journal des Débats. îl norem- bre 1895. — Jean de Gourmont -.Littérature contemporaine. F. Vielé- Griffin, avec 3 illustrations. Emporium (Bergamc), décembre 1903. — Henri Ghéon : Etude. L'Ermitage, septembre 189(5.— A. -F. Herolrt : Notes sur la Chevauchée d'Yeldis Mercure de France, juillet 1893. — Ch. Maurra» : La Vie littéraire et Littérature. Revue Encyclopédique, 15 décembre 1895 et 7 août 1897. — George* Pelllssler. Poésie, Revue Encyclopédi(|uct 1" février 1895.— IMerre et Paul : (Paul Verlaine) : Francis Vielé-Griffin (Les Hommes d'aujourd'hui). Paris, Vanier, s. d.,en feuille. — Robert de Souza : Etude, Gil Blas, 6 juillet 1895. — A. Van Hamel : Fransche Symbolisten. Gids, 1902. — E. Vlglé-Lecocq : .t'^mour dans la Poésie contemporaine. Mercure de France, janvier 1897. — Tancrède de Visan:
Viélé-Griffin, Vers et pro»e, mars 1905.
Iconographie :
Jfi^cqnes Blanche : M. F Vielé-Griffin et sa famille. (Soc. nationale de» Beaux-Arts) . — Luque : Portrait-Charge (Les Hommes d'aujourd'hui). Pans, Vanier. — Salomon: Portrait de Francis Vielé-Griffin d f9 ans, peinture d l'huile, i88S (app. à M. Francis Vielé-Griffin). — F. Vallotton : Masques, dans Le Livre des Masques, de R. de Gourmont. Paris, Soc. du Morcuro de France 1896. — Théo van Rysaelberghe : Portrait, pein- ture d Chwle, 189J (app. à M. Francis Vielé-Griffln). — J«Ha YetoiT : Portrait au crayon, reproduit dans L'Ermitage, vrtU lft9l.
iKLA-anrFrm 547
[,KS VKRTS ET L'INDIGO..
Mare liveas
Les vertaet l'indisfo brûlant et l'azur pâle Que roule dans ce faste impertinent ton flot, 1:11 les étoiles d'or et la lune d'opale Que tu balances dans la nuit comme un falot,
Tu lésas pris aux ciels merveilleux des aurores, Au;t rêves des minuits, aux «gloires des couchants Pour en farder l'éclat de tes houles sonores Et tu cherches l'écho des roches pour leurs chants I
Ne sens-tu pas en toi l'opulence dn n'être Que par toi seule belle, ô Mer, et d'être toi? N'as-tu pas ton arcaneoù nul ceil ue pénètre, .
. Comme l'Espace ! etn'a-tus pas aussi l'effroi ?...
ir toi, mon cœur, qui ris de honte et te renies, v'M leur ficloire sur loi pèse d'un vaste poids ; Si, sous l'immensité des cieux et des jg^énies, Ta médiocrité semble un crime parfois ;
Du moins sois fier, male^ré les heures d'impuissance Exulte d'être toi, puisque tu restes tel — Toi qui n'as pas, rythmant quelque réminiscence. Cherché le plagiat qui m'eût fait immortel !
{Poènvis et Poésies : Cueille d'Avril.)
LES DOUX SOIRS SONT FLÉTRIS
1' Les doux soirs sont flétris comme des fleurs d'octobre
— (Ju'irions-nous dire au saule, aux ajoncs, aux lag^unes ? Mon âme à tout jamais s'est faite çrave et sobre;
— Qu'irioûs-nous dire aux dunes?
Le vent se lève et vient, discret et sans parole :
Ma tempe est fraîche de son baiser;
La Duit — dottoemeot, comme uae mère oooaoto —
948 poiTBs d'aujourd'hui
Se lève et vient m'étreindre et me bercer. Qu'irions-nous dire au saule ?
Vous fûtes mon roi pour un printemps fleuri. Vous fûtes l'élu de vos douces parole ; Le savions-nous, quand nous avons ri, Que tous deux jouaient de vieux rôles?
Le savais-je, moi? vous, le saviez-vous?
— Maintenant tout est gris sur la lande nocturne — Avec nos rires faux et doux ?
Que nous en avait dit l'avenir taciturne? Que savions-nous ?
Moi, je rêvais, sans doute, les vieux poèmes. Et vous, les vieux contes de bonnes fortunes : « Vous rri aimez? — Je Cairnel — tu m'aimeslv Quel âge avons-nous donc pour rire de nous-mêmes? Ou'irions-nous dire aux dunes ? Au saule, aux ajoncs, aux lagunes?
— La lune se lève en ses halos blêmes — Nos cœurs seront morts sans rancunes. »
{Poèmes et Poésies : Joies.)
CES HEURES-LA
Ces heures-là nous furent bonnes. Comme des sœurs apitoyées ; Heures douces et monotones, Pâles et de brumes noyées. Avec leurs pâles voiles de nonnes.
Ne valaient-ils donc pas nos rires. Ces sourires sans amertumes Vers le lourd passé dont nous fûmes V Ah ! chère, il est des heures pires Que ces heures aux voiles de brumes.
Elles passaient en souriant
— Comme des nonnes vont priant —
riiAMCit YiKLl-anirriN S4|
De lueurs opalines baignées, Les douces heures résignées.
Va, nos âmes sont encor sœurs Des heures de l'automne grises, Dont la pénombre dans nos cœurs Estompait les vieilles méprises Et nous ne voyions plus nos pleurs.
(Poèmes et Poésies : Joiêê.)
LES FEUILLES, CETTE MATINÉE
Les feuilles, cette matinée.
Sont toutes satinées,
La pluie est tiède ;
Les chant* d'hier reviennent en refrains.
Ce gai matin.
Et, si j'oublie, ta voix me vient en aide;
Et si même ta mémoire défaille,
Je reprends l'air qui mène, vaille que vaille,
Les mots qu'il laisse, au hasard, se poursuivre ;
Que chantions-nous
Avec des mots si doux
Que même ainsi, sans suite, ils nous enivrent ?
(Poèmes et Poésies: Joi*».)
RONDE
Avec du soleil ou du clair de lune.
Et des voix de femmes, et des pas de danse.
Mêlez les rêves en ronde d'enfance :
La brise est neigeuse, l'herbe saupoudrée
Des pétales blancs que sèment les branches ;
Passe la blonde et passe la brune 1
Elles tournoient; vous n'en aimez qu'une;
Embrastez celle que vous voudrez.
Les bouquets levés comme des torches Essaiment, comme des ëUacelles,
35o PORTES d'aujourd'hui
Le sang des roses que la brise mêle
A la neige des lys efl'euillés sous le porche;
Je sais le balustre où vous accouderez
Ce rire timide qui voile un émoi ;
La ronde tourne et vous faites un choix
Embrassez celle que vous voudrez.
On sonne du fifre et tous les rires
Vont tournant, encore, comme au vent les feuilles
Vous avez peur de son baiser d'accueil,
Vous cherchez le mot que vous vouliez dire;
La coquette d'un rire vous absoudrait,
A vous voir au cœur cette honte d'amour
Ne dites rien si vous êtes à court ;
Embrassez celle que ootu ooudres.
(Pointe» et Poésies : Joies,)
BELLE HEURE, IL FAUT NOUS SÉPARER...
Belle heure, il faut nous séparer.
Toi de rêve et de roses parée.
Vers le vague et la nuit à jamais égarée...
Je t'attendis pourtant comme une amante. J'ai fait mon âme pure à rêver ta venue. J'ai fait ma chasteté de ton épaule nue Frissonnant du baiser de mon attente ;
De loin, quand je levai les yeux, de loin. C'était toi qui fanais dans les jeunes foins. C'était toi qui cueillais la vendange nouvelle. Et c'était ton pas, tout frisson d'ailes ;
Tu fus mon espoir, et te voici venue. Rieuse et frêle en ta beauté nue. Ceinte de joie et d'amour, et qui fuis.. . Entre hier et demain il n'est pas d'aujourd'hui Et je ne t'ai pas — sur mon âmel — connue,
(Poèmes et Poésies : Fleurs du C/iemin.)
VRANCit viKLi-onirriN 35 1
ÉTIRE-TOI, LA VIE,.,
Elîre-toi, la Vie est lasse à ton côté
— Qu'elle dorme de l'aube au soir. Belle, lasse.
Qu'elle donne —
Toi, lève-toi ; le rêve appelle et passa
Dans l'ombre énorme,
Et, si lu tardes à croire.
Je ne sais quel s^uide il te pourra rester
— Le rêve appelle et passe, Vers la divinité.
Laisse, ne prends qu'un viatique
Et de tout cet amour qui double chaque pas
Ne prends que le désir, et va,
Dépèche-toi :
Le rêve appelle et passe.
Passe — et n'appelle qu'une fois.
Marche dans l'ombre, cours ! Est-il un abîme que tu craignes? O hàte-toi !. .. il est trop tard : La belle Vie en son sommeil d'amour Etend ses doux bras qui t'étreignent
— Trop tard : le rêve appelle et passe. Appelle en vaii^
Passe et dédaigne...
Alors,
Jbtreius la Vie, encore, de baisers lasse.
Engendre d'elle un art ;
Si tu ne fus vers Dieu, à l'infini.
Selon le rêve muet et qui prie.
Retourne-toi, étreins la belle Vie ;
Immortalise en elle ta seule heure :
De ta douleur de mort et de sa joie
Procréant quelque Verbe harmonieux
Qui le survive et rire et pleure
Quatid le printemps verdoie
35ai ro^Tts d'aujourd'hui
Au bois joyeux
Du jeune leurre d'amour qu'il faut redire
Et chante dans la clarté de son sourire. ..
(La Clarté de VU.)
LÀ MOISSON
Une ombre bleue Traçait des cônes dentelés A l'Orient des meules, Sur l'éteule ; La plaine rose pantelait D'un souffle maternel ; On tassait l'or réel Des lourds blés fauves, Sous le soleil de Dieu.
Au halo violet des meules.
On chantait en buvant :
Du levant au couchant
C'était des l'ires ;
Là-bas,
On marchait vers le Nord
Et, à l'avant,
La ligne des faux pâles faisait teu
— Comme étincellent des miroirs virants —
Les faucheurs marchaient vers le Nord,
Coucliant les grands blés derrière eux
D'un même effort ;
Puis venaient ceux qui liaient les épis
Et ceux qui groupent en faisceaux les gerbes pâles
Et puis, courbant et redressant leur taille souple,
Les glaneuses méticuleuses vont par couples.
Ou l'une et l'une, d'un pas égal ;
Et tous les chariots avec leurs cris
Et leurs bœufs — lents comme le blé qui monta —
Et tout le faix d'orgueil des lourds épis..
Nous eûmes Jionte. .
nuNCis TiiLi-onirriM 353
Assis contre les gerbes chaudes
J'ai chanté, bas et pour moi-même,
Ceux-là qui rôdent
De porche en seuil.
Qui ne labourent et qui ne sèment.
Glanant la Vie selon l'accueil ;
Et j'ai chanté, plus bas encor,
La faim et l'ombre de la mort
Honteuse et morne et telle qu'on n'ose
Dire qu'on a faim et pour quelles causes.
Et qu'on meurt seul et sans révolte
D'avoir semé sans qu'on récolte
— La crainte et l'orgueil sont muets ;
... Tel qui mourait, on l'a tué,
La faim faisant sa bouche acerbe. . .
Je t'ai chanté, tout bas, ces choses Entre les blés, au mois des gerbes.
{La Clarté dt Vie.)
OCTOBRB
La brise, déjà brusque et de voix rude,
A poussé, devant nous, le vantail d'or
Du vieil Automne auguste aux yeux de solitude.
L'herbe est joyeuse encore
Et, dès le seuil,
Le regain vêt le pré de sa verdure neuve ;
Regarde : la vallée s'élargit comme un fleuve ;
L'arrière été, frileux sous son manteau de feuilles.
Se lève, au loin, souriant la bienvenue,
Et chante, comme au temps des cueilles
Et les oiseaux.
Alors qu'il cherchait l'ombre et riait nu
D'entre les grands lys d'eau et les roseaux...
L'été n'eut pas de gloire comme celle-ci : Le verdoyant orgueil de son laurier
so.
J54 poàTKS d'aujourd'hui
N'a pas valu les diadèmes d'or verdi
Que te voici cueillant au peuplier léger ;
Et si des feuilles saignent sous nos pas
Comme une lie vive de vendange,
L'âme subtile et fauve de l'effeuillaison
Monte sous bois, en griserie étrange
Entre les ormes tors,
Quand nous passons, riant tous deux, couronnés d'or
Et tout, autour de nous, est beau comme la mort.
Seules les feuilles bruissent,
Au sillage de ta jupe hâtive;
Arrête 1 écoute et retiens ton haleine :
Il n'est plus un murmure qui vive,
Le silence des rayons oblique et glissa
Furtif entre les chênes. . .
La brise meurt ;
L'air est si calme qu'on entend son cœur
Qui bat la vieille peine...
La mort est belle comme ce soir, je crois
— Silencieuse et pâle, sans rêve et sans émoi —
Nulle douleur voilée ne guette entre les ifs
Ceux dont la voix s'éteint comme un chant qui s'éloigne
Et le geste crédule où les lèvres se joignent
Scelle d'un sceau d'enfant la loi grave du sort ;
Saluons d'un baiser l'Automne aux yeux pensifs ;
La Vie est un sourire aux lèvres de la Mort...
Si de la gaieté claire de ses guirlandes
J'ai fait comme un refrain au rêve de la vie,
La sente du verger ou le sentier des landes
Ondule au rythme égal de ma mélancolie ;
On pleurerait, peut-être, à rêver l'ombre grande
Et le cri du tombeau où nul ne vient à l'aide ;
Mais l'ombre grêle est douce sous la charmille tiède.
Le râteau à tes pieds mord des feuilles crispées ;
L'Eté hésite, avec ses heures attroupées,
Au seuil de l'occident et sourit à la nuit...
vKANciM visLi-anirriN S55
...Oiie ferons-nous deniaiu de ces roses coupées ? J'ai hÀte du feu clair et de la voix qui lit...
[La Clarté df Vit.)
L'AUTOMNE
LAche comme le froid et la pluie, Brutal et sourd conirae le vent. Louche et faux comme le ciel bas, L'Automne rôde par ici, Son bâton heurte aux contrevents ; Ouvre la porte, car il est là.
Ouvre la porte et fais-lui honte, Son manteau s'effiloche et traîne. Ses pieds sont alourdis de boue ; Jette-lui des pierres, quoi qu'il te conte. Ne crains pas ses paroles de haine : C'est toujours un rôle qu'il joue.
Car je le connais bien, c'est loi Qui vint l'antan avec des phrase* Avec des sourires et des s^rappes, Partant du bon soleil qui luit. Du vent d'été qui bruit et jase. Du bon repos après l'étape ;
|1 a soupe à notre table
— Je le reconnais bien, te di«-J8 Il a goûté au vin nouveau. Puis on l'a couché dans l'étable Entre la jument et le veau :
Le lendemain l'eau était prise.
Les feuilles avaient plu sous la (çeléfl.
— Ferme la porte et les volets.
Qu'il passe son chemin, au moins. Qu'il couche ailleurs que dans mon foio. Qu'il aille mendier plus loin.
356 roèTK» d'aujourd'hui
Avec des feuilles dans sa barbe Et ses yeux creux qui vous regardent Et sa voix rauque et doucereuse ; A d'autres ! moi, je le reconnais. Qu'il s'attife d'or ou qu'il gueuse. — Rentre la cloche : s'il sonnait I
Prépare une flambée ; j'attends Le vieil hiver au regard franc.
[LaClartide Tm.)
D'AUTRES VIENDRONT PAR LA PRÉS...
D'autres viendront par la prée S'asseoir au banc de la porte ; Tu souriras belle et parée, ^ Du seuil, à ta jeune escorte
Ils marcheront à ta suite Aux rayons de ton printemps — Qu'ont-ils à courir si vite ? Moi, j'eus aussi, leurs vingt ans —
Ils auront tes sourires Et ta jeunesse enchantée... Qu'importe? qu'en sauront-ils dire : Moi seul, je t'aurai chantée.
[Plus loin.)
DEMAIN. EST AUX VINGT ANS FIERS.
Demain, est aux ving't ans fiers; Leurs rires passent, et l'on reste accoudé ; On a honte, un peu, de ses joyeux hiers. Comme d'un habit démodé.
Demain, c'est l'automne qui parle De plus près à l'oreille qui l'écout
ruANCis viBLi-animN S57
Je suis sans regret, mais j'ai mal; Je suis sans effroi, mais je doute;
Non, certes, de ma journée : J'ai vécu, au mieux, le poème ; Mais l'âme reste étonnée De n'être plus elle-même.
{Plus loin.)
RESTER T TU ES FOLLE, PENSÉE I...
Rester ? tu es folle, pensée ! On serait seul — rien ne dure — Rester comme une ombre aux croisées. Comme un portrait qui sourit au mur î
C'est déjà trop qu'on s'attarde ; Notre heure est loin mj: la route
— Qu'est-ce donc que tu regardes Là-bas ? Qu'est-ce que tu écoutes ?
Rester I il ne reste rien
Des rires, des rêves, de l'été. . .
Ils s'en furent par d'autres chemins.
Je suis las d'avoir été.
(PluM loin.)
If'EST-IL UNE CHOSE AU MONDB.^
« N'est-il une chose au monde. Chère, à la face du ciel
— Un rire, un rêve, une ronde. Un rayoa d'aurore ou de miel —
N'est- il une chose sacrée
— Un livre, une larme, une lèvre. Une grève, une gorge nacrée. Un cri de fierté ou de fièvre —
358 poiTES d'aujourd'hui
N'est-il une chose haute,
Subtile et pudique et suprême
— Une çloire, qu'importe ! une faute.
Auréole ou diadème —
Qui soit comme âme en notre âme, Comme un geste guetté que l'on suive. Et qui réclame, et qui proclame. Et qui vaille qu'on vive. .. »
{Plus loin.) IN MEMORIAM STÉPHANE MALLARMÉ
THRiNB
Si l'on te disait : Maître I
Le jour se lève ;
Voici une aube encore, laAnême, pâle;
Maître, j'ai ouvert la fenêlre,
L'aurore ^'en vient encor du seuil oriental.
Un jour va naître !
— Je croirais t'entendre dire : Je rêve.
Si l'on te disait : Maître, nous sommes là.
Vivants et forts,
Cooune ce soir d'hier, devant ta porte ;
Nous sommes venus en riant, nous sommes lA,
Guettant le sourire et l'étreinte forte,
— On nous répondrait : Le Maître est mort.
Des fleurs de ma terrasse.
Des fleurs comme au feuillet d'un livre.
Des fleurs, pourquoi ?
Voici un peu de nous, la chanson bassç
Qui tourne et tombe,
— Comme ces feuilles-ci tombent et tournoieol — Voici la honte et la colère de vivre
Et de parler des mots — contre ta tombe.
(Plu* loin.)
VRANCIS VIKLÉ-ORIFFIM 8^9
LE VOYAGE
J*at an grand voyage à faire : Par delà les horizons Fuit la route ardeutc et claire. Poudre d'or jaune, poussièie. Parmi l'or vert des moissons ; Elle s'échappe, matinale, Du baiser bleu de la forêt ; Celle qui la croise dévale, Rit au fleuve et dispar.TÎt ; A la prendre à contre brise^ On irait, peut-être, au ciel? Par la porte d'iizur (ju'irise L'auije des faîtes éternels... 0 le beau, le grand voyage ! N'es-tu prêt, mon cœur trop sage? Mainl est mort qui demeura Hésitant au carrefour... Beau voyage des Amoan, Je ne sais qui le fera...
J'ai un grand voyage à faire ; Cœur, ô mon cœur, viens, faisons route ; Choisis l'ombre ou le ciel clair. Prends ta foi et prends ton doute ; Faisons hâte : le temps nous gagne 1 Viens, à travers bois ou plaine. Descendons vers la rivière, Gravissons, à perdre haleine, Marche à marche, la montagne.... Ah ! que tardes-tu, cœur tendre? L'Heure n'a que faire d'attendre; Vois ! elle s'est levée ; lève-toi I Marchons courons... mais, déjà, Tu regardes en arrière... Ah I le beau voyaç^e à faire.. Je ne sais qui iejera.
30o pofiTES d'aujourd'hui
J'ai un grand voyage à faire
— Mon cœur, c'est bien des affaires —
L'Heure s'en fût en un jeune rire ;
Du baiser de sa bouche ma lèvre brûle encore !
J'ai fait un pas vers elle et n'ai su que lui dire ;
L'heure jeune s'en fut et tu battais si fort,
O mon coeur solitaire,
Que le regret est pire
Bien que doux amer
Que ne fut jamais le remords ;
Pourtant cette nuit et cette ombre recèlent
Le douteux avenir auguste et sidéral ;
Son mystère est ardent d'une pluie d'étincelles
Et ton désir s'assoiffe à son baiser fatal ;
Ton orgueil, s'il rougit, ne se mirera pas
Au rêve enténébré qu'ondule la rivière ;
Tu mêleras ton pas au bruit d'un autre pas ;
La nuit, bandeau d'amour, enveloppe la terre ;
Pour l'étreinte hasardeuse, une main dans la nuit
S'est tendue, et voici qu'elle effleure ta bouche.
Et l'aveugle destin sous la nuit s'accomplit :
Ëtreins ta joie; au loin l'aurore s'effarouche ;
Le jour monte ; la plaine et la forêt se joignent ;
La rivière enlaçante et la fière montagne
Ne font qu'une en ce rêve ardent de paysage...
La route, aventuriers, vient au-devant de vous : Le beau voyage à faire, ô mon cœur, le Voyage C'est la Vie et l'Amour qui le feront en nous !
APPENDICE
Quelques définitions da « Symbolisme » et du a Vers Libre ».
SUR LE SYMBOLISME *
a La contemplation des objets, l'image s'cnvolant de rêveries Biis'iti'es par riix, sont léchant: les Parnassiens, eux, prennent la chose entiùreiuent et la montrent; par là, ils manquent de mys- tère ; ils retirent aux esprits cette joie délici«use de croire qu'ils créent. Nommer un objet, c'est supprimer les trois quarts de la jouissance du poème qui est faite du bonheur de deviner peu à peu; le suggérer voilà le rêve. C'est le parfait usage de ce mystère qui constitue le symbole; évo(iuer putit à petit un objet pour moiitrer un état d'âme, ou, inversement, choisir un objet et en dégager un état d'âme par une série de déchiffrements... » Stsphank Mallar- mé: Enquête sur l'Evolution Littéraire, 1891.
« Ennemie de l'enseignement, la déclamation, la fausse sensibi- lité, la description objective, la poésie symboliste cherche à vêlir l'idée d'une forme sensible qui néanmoins ne serait pas son but à elle-même, mais tout en servant à exprimer l'idée demeurerait sujet. L'idée à sob tour ne doit point se laisser voir privée des analorirs extérieures : car le caractère essentiel de l'art symbolique consiste à ne jamais aller jusqu'à la conception de l'idée eu soi. Quant aux phénomènes, ils ne sont que les apparences sensibles deslinces à représenter leur» affinités ésotériques avec les Idées primordiales...
«... L€ rythme : l'ancienne métrique avivée, uu désordre, savam- ment ordonné, la rime illucescenle et martelée comme un bouclier
21
362 p.Ji^itb L.'aI;J0UUd'ul.1
dor et d'airain, auprès de la rime aux fluidités abscondes ; l'ale- xandrin à arrêts multiples et mobiles; l'emploi de certaitis nombres impuirt»... • Jkah MoMi^s : Manifesle, Figaro, 1 8 septembre 1886.
« On peut noter arec quelque raison que les poètes qui nous pré- cédèrent immédiatement, ks Parnassiens et la plupart des Roman- tiques, manquèrent dans un certain sens de symbole ; ils consfaé- rèrent dans les idées, les sentiments, l'histoire et la mystique, le fait particulier, comme existant en W>i poétiquement De là l'erreur de la couleur locale en histoire, le mythe raccorni par une interpré- tation pseudo-philologique, l'idée sans la perception des analogies, le sentiment pris dans l'anecdote. Et nous retrouvons tout cela grossi et i^rosaoyé dans le naturalisme qui est la pourriture du ro- mantisoM... a Jbam MoasAs: Enquêté mut l'Evolution Utiirairtt
« ... Jfe crois qu'il y a deux sorte» de «rinboles : l'un qu'on ponr- rait appeler le symbole a priori ; le symDole de propos délibéré; il part d'abstractions et lâche de revêtir d'humanité ces abstrac- tions. Le prototype de cette symbolique, qui touche de bien près à l'allét^orie, se trouverait dans le secoiui Faust et dans certains coates de Goethe, son fameux Màhrehen aller Màhrchen, par exemple. L'autre espèce de symbole serait plutôt inconscient, aurait lieu à l'insu du poète, souvent malgré lui et irait, presque toujours, bien au-delà de sa pensée: c'est le symboie qui naît de toute créa- tiOD s^éniale d'humanité: le prototype d* «ette symbolique se trou- verait dans Eschyle, Shakespeare, etc.
• Je necrois pas que l'œuvre puisse naître viablement du symbole, ■Mis le symbole naft toujours de l'œnrre, si celle-ci est viable. L'œuvre née du symbole ne peut être qu'une allégorie, et c'est pour- quoi l'esprit latin, ami de l'ordre et de la certitude, me semble plus enclin à l'allégorie qu'au symbole. Le symbole est une force de la ■ature, et l'esprit de l'homme ne peut résister à ses lois. Tout ce que peut faire le poète, c'est se mettre, par rapport au symbole, dans la position du charpentier d'Ëiiicrson. Le charpentier, n'est-ce pas? s'il doit dégrossir une poutre, ne la pisce pas au-dessus de sa télé, mais suus ses pieds, et ainsi à chaque coup de hache qu'il donne, ce n'est plus lui seul qui travaille, ses forces musculaires •ont insignitiantes, mais c'est la terre edtière qui travaille avec lui; ca se mettant dans la positioa qu'il a prise, il appelle k son secours
▲PPSNDICB 363
toute la force de {gravitation d notre planète, et l'uniTen «pproave
t'i multiplie le moindre mouvement de ses muscles.
• Il en est de même du poète, voyez-vo.us ; il enl plus ou moins ()ui.ssant, non p«s en raison de ce qu'il tait lui-même, mais en rai- son de ce qu'il parvient à faire exécuter par les autres, et par l'or- dre mystérieux et (Hernel et la force occulte des choses 1 il doit se mettre dans la position où l'Eternité appuie ses paroles, et cha({uc ;i:oiivemeiit de sa pensée doit être approuvé et multiplié par la force lie ^ruvitiiliun de la pensée unique et éternelle t Le poète doit, me scmble-t-il, être passif dans le syutbole, et le symbole le plus pur ei>t peut-être celui qui a lien à son insu et même à l'eucontre de ses luteutious : le symbole serait la fleur de la vitalité du poème : et, à UD autre point de vue, la ijualite du symbole deviendrait la contre épreuve de la puissance et de la vitalité du poème... S'i\ n'y a pas de syitibole, il n'y a pas d'œuvre d'art... » Maiihick Mak- TBaLiMcs: EnquiéU tur l'Evolution littéraire, iSqi.
« Si l'on veut savoir en quoi le Symbolisme est une théorie de liberté, comment ce mot, qui semble strict et précis, implique, au contraire, une absolue licence d'id>''es et de formes, j'invoquerai de précédentes définitions de rideali8me,doat le Symbolisme n'est, après tout, qu'un succédané.
«L'Idéalisme signifie libre etpersonntl développement del'individu intellectuel dans la série intellectuelle ; le Symbolisme pourra (et même devra) être considère par nous comme le libre et personnel développement de l'individu esthétique dans la série esthétique, — et les symboles qu'il imaginera on qu'il expliquera seront imugincs ou expliques seloa la conception spéciale du monde morphologique- ment possible à chaque cerveau symbolisateur.
« D'où un délicieux chaos,un charmant labyrinthe parmi tequel on voit les professeurs désorientés se mendier l'un a l'autre ta bout, qu'ils n'auront jamais, du fil d'Ariane.
• Ils voudraientcomprendre,ilscherchent,qaand parlent les harpes, à agripper au passage quelques clairs et nets lieux communs; ils croient qu'on va leur redire les vieilles généralités qu'ils biberon- nèrent à l'Ecole, tootce qui, applicable k un Grec, l'est encore & un Scandinave, tout ce qui, définissant la femme, dt doit la marcheuse et la gardeiise d'oies. Si le Symbolisme devait (comme d'aucuns l'ont annonce) revenir à des concepts aussi simples, â des imagina- tions aussi naïves, il ne «erait ni ce qu'il est, ni ce qu'il sera : — il continuerait tout simplement le classicisme, et alors à quoi bon ttoute, il apparaît, en un certain sens, comme uo rctoor à U
364 poÂTBs d'au/ourd'bui
simplicité et à la clarté, — mais il demande de tels effets au com- plexe et à l'obscur, au Moi où toutes les idées s'enchevôtrent, où toutes les lumières concoureat à ne donner que de la nuit. On est toujours comj)liqué pour soi-même, on est toujours obscur pour soi- même, et les simplifications et les clariôcatioas de la conscience sout œuvre de génie ; l'Art personnel — et c'est le seul Art — est toujours à peu près incompréhensible. Compris, il cesse d'être de l'Art pur, pour devenir un motif à de nouvelles expressions d'art. » Remt de Gouhuomt : Le Chemin de Velours (Le Symbolisme), 190a.
« Le Symbole dégage des signes mystiques de la nature, c'est une âme cachée qui ressemble fort à la nôtre, c'est pourquoi le sym- bole est possible.
« Il s'agit de forcer la nature à livrer son secret, les apparences des choses à révéler ce qui se dissimule sous la diversité de leurs aspects et la vie universelle à venir se confondre avec l'existence de celui qui l'interrogée.» S. Viqié-Lboooq : La Poésie contemporaine, I 884- j 896.
SUR LE VERS LIBRE ET LA TECHNIQUE DU VERS
« Le vers est libre ; — ce qui ne veut nullement dire que le vieil alexandrin... soit aboli ou instauré; mais plus largement — que niilie forme fixe n'est plus considérée comme le moule nécessaire à l'expression de toute pensée poétique ; que désormais comme tou- jours, mais consciemment libre cette fois, le poète obéira au rythme personnel, auquel il doit d'être, sans que M. de Banville ou tout autre « législateur du Parnasse » aient à intervenir... » Fra.ncis Vielb- Griffin : Joies, préface, 1889.
« Le vers est partout dans la langue où il y a rythme, partout, excepté dans les affiches et k la quatrième page des journaux. Dans le genre appelé prose, il y a des vers, quelquefois admirables, de tous rythmes. Mais en vérité il n'y a pas de prose : il y a l'alpha- bet, et puis des vers plus ou moins serrés, plus ou moins diffus. Toutes les fois qu'il y a effort au style, il y a versification. — Le T«ri officiel ne doit servir que dans les moments de crise de l'âme...
AFriMDics 365
Et les poètes actnels, ta lieu d'en faire leur principe et leur point de départ, tout à coup l'ont fait surgir comme le couronnement du poème ou de la période. » Stéphanb Mallarmï : Enquête aur l'Evo- lution littéraire, Bcho de Paris, i4 mars 1891.
a ... Qu'est-ce qu'un vers ? — C'est an arrêt simultané de la pen- sée. — Qu'est-ce qu'une strophe ? ('/est le développement par une phrase en vers d'un point complet de l'idée. — Qu'est-ce qu'un poème ? C'est la mise en situation par ses facettes prismatiques, qui «ont les strophes, de l'idée tout entière qu'on a voulu invoquer.
... Le vers libre, au lieu d'être, coniine l'ancien vers, des lignes de prose coupées par des rimes régulières, doit exister en lui-même par des allitérations de voyelles et de consonnes parentes. La strophe est engendrée par son premier vers, le plus important en son évolution verbale. L'évolution de l'idée génératrice de la stro- phe crée le poème particulier ou chapitre en vers d'un poème en ▼ers. » GusTAVK Kaiin : Enquête sur l'Evolution littéraire. Lettre de M. O. Kahn. Echo de Paris, i*' juillet 1891.
« La liberté la plus grande : qu'importe le nombre du vers, si le rythme est beau ? L'usage de l'alexandrin classique suivant les besoins; la composition harmonieuse de la strophe, que je consi- dère comme formée des échos multipliés d'une image, d'une idée ou d'un sentiment qui se répercutent, se varient à travers les modi- ficationsdes vers pour s'y recomposer... »Hbhhi db Rkomeh : Enquête sur l' Evolution littéraire. Echo de Paris, a5 mars 1891.
« Considères que le long repos fixe, par qni le décasyllabe et l'alexandrin sont suspendus, les distingue rythmiquement de tous les autres vers français. Or, allonger (jusqu'où ? la nécessité musi- cale en décidera en chaque occurrence) l'octosyllabe conformément à sa césure muable... Ce dont nous voulons enchanter le rythme, c'est la divine surprise toujours neuve 1 » Jean Mohbas : Le Pèlerin passionné {L'Auteur au lecteur), 1891.
«... La aaul* oailé rationnalle est la strophe et I« seal gnide pour
3M roiTES D'AujouhD'mn
le poète e«t le rythme, non pas un rythme appris, çarrotté par mille règles que d'autrea inventèrent, mais un rythme personnel, qu'il doit trouver en lui-même, après avoir écarte les' préjugrés métaphysiques et culbuté les barrières, que lui opposaient les Dic- tionnaires des Rimes et les Traités de Versification, les Arts poé- tiques et l'Autorité des Maîtres... » Adolphb Rstté : Le Vers libre. Mercure de France, juillet 1893.
« Le Wn^»%t scientifiquement est musique : Helmoltz a, en efFet, démontré que, aux timbres des instruments de musique et aux timbres de la voix, les voyelles sont les mAmes harmoniques ; l'ins- trument de la voix humaine étant une anche à note variable com- plétée par un résonnateur à résonaance variable, que sont le palais, les lèvre \. les dents, etc... La musique, certes, est le mode d'expres- sion le plus multiple. Mais si elle décrit et suggère, elle ne peut définir. Or, compris comme plus haut, et c'est ainsi qu'on doit le comprendre, le langage est au-dessus de la musique, car il décrit, suggère et définit nettement le sens
« Etant donné tel état de l'esprit à exprimer, il n'est donc pas seu- lement à s'occuper de la signification exacte des mots qui l'exprime- ront, ce qui a éié le seul souci de tout temps et usuel : mais ces mots seront choisis en tant que sonores, de manière que leur réunion ▼oulae et calculée donne l'équivalent immatériel et matîiématique de l'instrument de musique qu'un orcheslrateur emploierait à cet instant pour ce présent état d'esprit : et de même que pour rendre un état d'ingénuité et de simplesse, par exemple, il ne voudrait pas évidemment des saxophones et des trompettes, le poète instrumen- tiste pour ceci évitera les mots chargés d'O, d'A et d'U éclatanta...» Rbhb Ghil : Bnquéletar l'Evolation littéraire, 1891.
Il
c Les Déliquescences d'Adoré Flonpette »
On • beaocoap écrit sur les poètes ; ce furent de longs commentaires de journaux, des articles de grandes revues, enfin des ouvrages entiers allant jusqu'à emprunter la flétrissure de la pathologie, afin d'en marquer l'œuvre originale de tout k l'heure. Nous feindrons d'ignorer ce fatras qu'il serait malséant d'analyser ici. Néanmoins, nous n'omeiirons pas de signaler un petit livre, sorte de pastiche dû aux plumes d'un bon poète parnassien, Gabriel Vicaire, et d'un pulygraphe, M. Henri Beauclair, qui laissera dans le» lettres un nom attaché à d'aimables supercheries littéraires.
AFPKNDICa 3Ç7
Sons l'apparfocf d'u'ir vmi' lus natire du prorM^ cher à l'époque, il parut, eu 18SF1, bous ce tifr : Les D-liqaexci'nces, poènie$ déca- dents d'Adoré Floupelte (Byzimcr, chez Lion V^aiinf' [sic], in-ia). Les courts poèmes île ses trente feuillets.' tirés d'abord à quelques rares exemplaires pour des bibliophiles, puis en raisoa de leur succès de sint^ularité à un . nombre plus considérable, sont de nns jours devenus introuvables. Le lecteur nous unra donc gré de lui extraire quelques pièces de cetie œuvre légère, laquelle, perdant arec les annres un peu de son ton d'ironie, apparaîtrait sans doute quelque jour comme une oeuvre originale de notre temps.
%jm ÉNinvÉS DK JUMirr.i'-.
L'Horizon «'emplit • De lu. iirs flambantes
Aux lignes .tombantes Comme un Ciel de Lit.
L'Horizon s'envole Rose, orange et vert, Comme un coeur ouvert Qa'an relent désole.
Autour du bateau Un remotis clapote; La brise tapote , Son petit manteau.
Et, lente, très lente En sa pÂmoisoD, Lu frêle prison Va tur l'eau dolente.
O doux éoerrés. Que je vous envia Le soupçon de vie Que voua conserveil
Pas de clameur vaine, Pas un mouvement ! Un susurrement Qui bruit k prioe I
Voua avez le flou Dca choiea fancea.
368 poiTxs d'aujourd'hui
Ames très vannées Allant Dieu sait oui
Gomme sur la grève Le vent des remords, Passe en vos yeux monta Une fleur de rêve !
Et, toujours hanté D'un ancien Corrège, Je dis: Quand aurai -ja Votre Exquisité? .
PLATOMISUI
La chair de la Femme, argile Extatique, Nos doigts polluants la vont-ils toucher? Non, non, le Désir n'ose effaroucher La Vierge Dormante au fond du (riptyque.
La chair de la Femme est comme un Cantique Qui s'enroule autour d'un divin clocher. C'est comme un boulon de fleur de pécher Eclosau Jardin de la nuit Mystique.
Combien je vous plains, mâles épaissis. Rongés d'Hébétude et bleus de soucis, Dont l'âme se vautre en de viles proses!
O sommeil de la Belle au bois Dormant, Je veux l'adorer dans la Paix d ' roses. Mon angelot d'or, angéliquement
L'adorable Espoir de la Renoncule A nimbé mon cœur d'une Hermine d'or Pour le Rossignol qui sommeille encor, La candeur du Lys est un crépuscule.
Feuilles d'ambre gris et jaune ! chemina Qu'enlace une valse à peine entendue, Horizons teintés de cire fondue, N'odorez-vous pas la tiédeur des mains f
APPENDICE 309
O Pleurs de la Nuit I Etoiles moroses I Votre aile mysti(jue eltleure nos frouls, La vie a(^onise et nous expirons Oana la mort suave et pâle des Roses I
BTLLI STMBOLIQtm
L'Enfant abdique ion extase. Et, docte déjà par chemins Elle dit lo mot : All&sta^e t Né pour d'Eternels parcbemiai.
• Avant qu'on Sépulcre ne rie
Sous aurun climat, son aVeul, De porter en imra : l'ii'chérie Caché par le trop grand (il •i«ul I
STtl'UAMC HÀIL*IIH<
Amourcnses Hypnotisées Par l'Indolence des Espoirs, Ephèbes doux, oux reflets noirs, Avec des impudeurs rosées.
Par le murmure d'un Ave, / Disparus 1 O miracle Etrange I Le démon suppléé par l'Ange, Le vil Hyperbole sauvé !
Ils parlent, avec des nuances,
Comme, au cœur vert des boulingrin*,
Les Bengalis et les serins.
Et ceux qui portent des créances.
Mais ils disent le mot: Chouchou, — Né pour du papier de Hollande, — Et les voilà seuls, dans la lande, Soas le trop petit caoutchouc I
III
Index général des ouvrages, études littéraires, etc., intéressant l'histoire poétique de ces dernières années.
LES LIVRES :
Anonyme : Curiosités littéraires. Les Premières Armes dit Symbolisme (ouvrage contenant plusieurs manifestes de Jeaa
21.
'^"" POÈTKS D AUJOURD'HtJl
Moréas). Pari», Vanier, 1889, in- 18. — Anonyme : Us Pi^tilrg Bevu-s, essai de biblios^raphie, préface par K. de Gourmont. Pari-;, Soc. du Mercure de France, 1900. in-S. — Anonyme: La Vérité «or l'Ecole Décadente, par un Bourgeois luttré Paris. Vrinier, s. d., in-i9. — A. Baju : L'Ecole Décadente. Paris, Vaiiîer, 1887, m-iB; TJ Anarchie littéraire. Paris. Vanier, s. d., in-18. — André Beaunier : La Poésie nouvelle. Paris. Soc. d'u Mercure de France, 190a, in-18. - Henry Bérenger: L'Aristocratie intel- lectuelle. Paris, Colin, 1895, iu-i8. - W -G.-G. Bijvanck : Un Hollandais à Paris en i8gi. Paris, Perrin, 1892, in-18. — Ferd. Brunetière : Nouvelles questions de critique. Paris, Galmann- Lévy, 1890, in-18; Essais sur la littérature contemporaine. Paris, Calmann-Lévy, 1890, in-iS; L'Evolution de la poésie lyrique. Paris, Hachette, 1896, iu-iS. — P. Brunot : La Langue française de 181 5 à nos Jours {Histoire de la langue et de la littérature fran- çaises des origines à igoo, publiées sous la direction de L. Petit .le Jnlloville). Paris, Colin, 1900, lome VIII, pages 791 à 810). — Georges Gasella et Ernest Gaobert : La Nouvelle littêra' tare. i8g5-igo5. Paris, Sansot, 1906, in-18. — Victor Ghar- bonnel : Les Mystiques dans la littérature présente, i" série. Paris, Soc. du Mercure de France, 1897, in-18. — J. Coucke : Note.<f snr l'Evolution littéraire et corrélation avec les phénomènes économiques. Bruxelles, Lamertin, 1896, in-18. — Virgina Cra-wford : Stadies in Fr. litter. Boston, 1899, in-S — R. Ghil : Traité du Verbe, arec Avant-dire de Stéphane Mallarmé,' nouvelle édition augmentée et avérée. Paris, Alcan-Lévy, 1887, in-8, Ri En Méthode à l'Œuvre (éd. nouv. et revue du Traité du Verbe). Paris. Messein, 1904. in-18. - Edmund Gosse : Qae.t- tions at issue. Symbolism and Mallarmé. Londres, Heinemann, 1893, in-8. — R. de Gourmont: L'Idéalisme. Paris, Soc. du Mercure de France, iSgH, in-12 ; Le Livre des Masques, portraits symbolistes, glose? et documents sur les écrivains d'hier et d'au- jourd'hui ; les masques an nombre de XXX, dessinés par F. Val- lotton. Paris, Soc du .Mercure de France, 1896, ia-18; Le II* Livre des Masques, XXIII portraits dessinés (.ar F. Vallotton. Paris, Soc. du Mercure de France, 1898, ia-iS ; L'Esthétique de la langue française. Paris. Soc. du Mercure de France. 1899, in-18; Promenades Uttéraire.t. 1 et II. Paris, Soc. <lu Mercure de France,' i9o5,i9o6,in 18.— J. Hliret : Enquête sur l'Evolution littéraire, Paris, Charpentier, 1891, in-18, - G. Kahn : Préface aux Pre- miers Poème». Paris. Soc. du Mercure de France, 1897, in-18: Sym- bolistes et di^cadeitts. Paris, Mes.sein, 190-?, in-18. - E. Lan- rent : La Poésie décadente devant la lecience pfn/rhiatriqiie. P.iris, Maloine, 1897, in-j8. — Georges Le Cardonnel ^i Ch. Vel^
APPENDICE 371
lay : La littératart contemporaine rgoS. Opiniom deit écrivains lit- ce tempx. Piris, Soc. du Mercure de France, iQOÔ, iii-18. — Camille Mauclair : L'An en silence. Paris, Ollendorff, 1901,
-18 — Catulle Mondes : La Légende du l'amasse contam- i'rjrai'n.BruxelIt ., Urtiuoaj-t, i<>34. in-i8; Rapport sur le .Sfoavemeni /loètique français de 1867 à iqoo. Paris, Imprimerie Nationale, 11102, io-è, et Pasquellc, 1903, in-8 (ouvraire partial). — Albert Mockel : Propos de littérature. Parii, Art Ind^^pendant, 189/4. in-16. — Gh. Moiioa : La Uttéralare de tout à Cheure. Paris, IVrrin, 1889. iu-i«. Denimn. Qaestiong d'Eslhétiqu'^. Paria, Perriii, 1888, in-i8. — Lucien Muhlfeld : Ae Monde où. ton imprime^ Regards tar quelque* lettrés et dwrrt illettrés contemporains. Paris, Pernn, 1897, in-i8 - P. Nautet : Note» sur ta littérofare mo- lerne, tome II (voir étudea «ur les caraclèrea de la nouvelle Poé.sie).
aris.Savine, iX8i),in-i8. — G. Pellissler : Biaden de littérature •mtemporaine. Paris, Pernn, iMyS, in-ib. — J Plcwert : Petit • lostiiire pour servir à l'Intelligence des auteurs décadents et .-i^nihoUstei. Paris. Vanier bibliophile, octobre 18S8, in-i8. — Ad. Ratté : Aspects. Paria, Uibliottièqne artistique et littéraire. i.'(97, iii-i6; ht Symbol imnp. Anecdotes et Soiivi-nirs. Paris, Mes-
'in, 1903, in-i8. — Thomas B Rudœose Bro'Wti : Etude omparée de la nersijiciition française ri de la versification ngLaise. L'alexandrin et lehlnnk «er»^. (Thèse), Grenoble, Typotjr, ..Hier fr., 190.^, 111-8. — R. de SotUa : Questions de métrique : Le Rythme poétique. Pari», Ptrrm, 1^1, in-iS; La Poésie popu- laire et le Lyrisme sentimental . Paris, Soc. du .Mercure de. France, b'91.), in- 18. — A. Symons : The Symbolist Mou-ment in Litera- -tre. London, W. Heineinanu, 1899, in-8. — J. Tellier : Nos Poètes. Paris, Despret, 188D, in-18. — V. Thompson: French l'ortraits. etc. Boston, Richard Q. Bad^jer n C», 1900, ia-8. — G. Vanor : L'Art symboliste. Paris, Vanier, 1889, in-ig. — P. Verlaine: Le$ Poètes maudits. P«ris, Vanier, 1884 et 1888 in-18. — Gabriel Vloalre et Henri Beauclair : Les Dèli. qiit-.^cmces, d'Adoré F/oanrt'e, poète Décadenl. By/.ance, chex Lion Vanné, i88â, io-js (Réimpr. : L~.s Délique-icencet, d'Adoré Flou- petie, avec sn Vie par .Varius Tapora, i* édition, t'aris, Vanier, in-ii). — E. Vigié-L«cocq : Z<a ikiéiie contemporaine, i884- iH ;6. Paris. Soi\ du Mercure d»- France, 1897, in-18. — Tan- Orède de Visan : Kssai sur le Symbolisme, publié en manière d iiitroduciioii n /'"ysa(/es introsftectifa. Paris, Jouve, 1904, in-18. — W. Vreigand : Essaya tur Psychologie der Decaéestc*' Munich, Merbof, 1890, io-16.
37» POÈTE» d'aujourd'hui
LES PÉRIODIQUES :
Agathon : Bevae des Idées : Les Sentiments de la « Jea- nesse ». Parnassisme, Naturalisme, Symbolisme. Cntalle Mendt-s, Emile Zola, Stéphane Mallarmé. Revue Encyclopédique, i4 mars 1896, — Ad. van Bever : Notes pour servira V Histoire de Iv Poésie contemporaine. Les Origines du Symbolisme. Flegrea (Naples), 5 et 20 mars 1901. — Georges Bonnamour : La Jeunesse littéraire. Revue IndépendaDle, février 1891. — Arthur Daxhelet: Une Crise littéraire. Revue de Belgique, i5 janvier 1904 el tasc. suiv. — J.Delafosse : Les Evolutions du Style. Nouvelle Revue, i" mai 1896. — A. Delaroche : Les Annales du Symbolisme. La Plume, 1" janvier i?'9i. — Léon Des- champs : La Jeune littérature (ill.), Revue Encyclopédique, 1" jan- yier iSgS. — Louis Dumur : A propos de l'accent tonique. Mer- cure de France, juin 1890. — Anatole France : Les Jeunes poêles, notice et extraits. Temps, 12 et a3 septembre, 6, 7 et 8 octobre 1891. — J. de Gaultier : Essai de physiologie poéti. que. Revue Blanche, mai, juin et juillet 1894. — Alice Gorren a The French symbolists. Scribner's Magazine, 1898, pp. 337-302. — R. de Gourmont : La Poésie française contemporaine el l'in- Jluence étrangère (publié en français). Flegrea (Naples), 20 octobre 1900. — Georges Grappe : Quelques notes sur le Symbolisme. Mercure de France, 1" janvier 1907. — Tristan Klingsor : Les Musiciens et les poètes contemporains. Mtrcure de France, nov. 1900.
— L. D. (J^ouis Dumur) : Le Symbolisme Jugé par une Busse. Mer- cure de France, février 1898. — Camille Mauclair : Souvenirs sur le mouvement Symboliste en France, 1884-1897. Nouvelle Revue, j 5 octobre et i" novembre 1897. — Gh. Maurras : Etude sur les Symbolistes. L'ObserMaieuT français, avril 1891 ; Le Bepentir de Pithéas. Ermitaoj», janvier iSga ; Défense du Système des Poètes romans. La Plume, i" juillet 1R95. — Henri Mazel : Li-s Temps héroïques du Symbolisme. Mercure de France, dec. 1903,
— Stuart Merrill : La Poésie Symboliste. Ermitage, juin 1893.
— J. Méry : Les Préludes, simples documents (sur les revucti). Programme du Théâtre d'Art (représentation au bénéfice de Paul Verlaine et Paul Gauguin), 1891, — G. Moch : Le Calcul et la réalisation des auditions colorées. Rtrue Scientifique, 20 août 1898, Albert Mockel : La Littérature des Images. Wallonie (Liège), 1887; Les Lettres françaises en Belgique. Revue Encyclopédique. 24 juillet 1897. — Vittorio Pica : L'.A^rt aristocratique, confé- rence. Don Marzio, 4 avril 189a. — J. Psichari : Le Vers fran- çais aujourd'hui et les poètes décadents. Revue Blouc, 6 juin 18g 1 — E. Raynaud: Les Poètes Romans. Mercure de France,
ArPBNDICB ^"ji
septembre i8()i; L'Ecole Romane française. Nfercurc de France, mai i8(j5. — H. do Régnier : Victor lluijo et les Syniholislpt Knlre'iciis polilicines et litlérairei, septembre 1891. — Adolphe Retté : Paradoxe sur ta Poésie, \fennire de France, janvier i8()3; Le Vers libre. Mercure de France, juillet 1893; Du Vers libre. La Plume, i5 juin iSgS. — K. Sachs : Ueberdie neueren franz. Litrra- lurbestrehuri'fen, betonders die Décadents . Zeilschrift fur neufran- zôsiche Sprach und r.iteralure, i^^qS (XV), pp. a4-6o. —Saint- Antoine: Qu'est-ce que le Symbolisme^ Ermitage. juin 1894. — Albert Schinz: Lileranj symbolism in France. Modéra Lan- t^a^^r. Asaociatioa of America, avril 1903. — Victor Ségalen : Les Syn' gthésies de l'Ecole Symboliste. Mercure de France, avril 190a. — R. de Souza : Le rôle de l'E muet dans la porsie fmn- çaise. Mercure de France, janvier 1896. — J. Thorel : Les Romantiques allemands et les Symbolistes français. Entretiena politiques et littéraires, septembre 1891. — P. Valin : Le Rythme poétique et Callitération. La Plume, i" août 1891. — A. Val- lette : Les Symbolistes . Le Scapin, 16 octobre i88fi; Les Jeune» Revues. Echo de Paris littéraire et illustré, hebd., du i5 oct. 189» au 6 août 189.3, et Echo de Paris, i3, ao et 37 août, 3, 10 et 37 sep., 17 octobre et la novembre 1893. — A. van Hamel : Fransch» Symbali.Hlen. Gids, igoa, pp. 407-442, 448-489. — Paul Ver- laine : Sur le Parnasse conlemporain. Revue Indépendante, no- vembre 1884. — E. Verhaeren : La Renaissance actuelle des Lettres en Belgique. l\c\ut dts Kevues, i5 juin 1896. — F. Vielé- Grifûn : A propos du Vers libre. Entretiens politiques et litté- raires, I" mars 1890; Elucidations. Entretiens politiques et litté- raires, mai 1891 : Réflexion sur l'Art des vers. Entretiens politi- ques et littéraires, mai 189a ; Entretien sur le mouvement poétique. Knireliens politiques et littéraires, to mars, î5 juin, 10 juill. 1898; La Poétique nouvelle. Mercure de France, octobre 1876; /^e .Mouve- ment poétique. Mercure de France, avril 1898; La Désespérance du Parnasse. Mercure de France, mars 1899; Causerie sur le Vers libre et la Tradition.ErmiUge, août 1899. -• E. Vigié-Lecocq : L'Amour dans la poésie contemporains. Mercure de France, jaa- fier 1897, etc., «to.
TADLE
TOME I
INTRODUCTION 5
INTRODUCTION A LA PREMIERE ÉOFTION •,.,. ^
HENRI BARBUSSE
Notice Il
1.K souniRi I»
U POISSON SKC i3
LA LAMPK l3
LA LETTRE , l4
COUTUniiRI l5
HENRY BATAILLE
Notice 17
LK MOIS MOUILLÉ I9
LA NUIT O'OCTOBRK IQ
LES SOUVENIRS SI
l'adiku SS
DIALOGUE DE RENTRÉE sS
LA FONTAINE DE IMTIK i5
N' iG rURNE ï5
LA DERNIÈRE BERCEUSE a6
TRISTAN CORBIÈBK
Notice «8
LA RArSODE PORAINB OU LS PARDON DB BAINTB-ANNB, . . . Si
I\ APSOniE DU SOURD .....,...,, M%
376 poèTKa d'aujourd'hui
LUCIE DELARUE-MARDRUS
Notice 4>
RÉVEIL 43
AVENIR 44
LA FiaURE DK PROUE 45
CHANT DE LA PASSION 4?
EMILE DESPAX
Notice 5o
SONNETS 5l
DITES-LUI 5a
BONHEUR 53
A NANIE , nS
I4JS GARDE- FRANÇAISE 56
A MADAME DE NOAILLKS 58
STANCK 59
ULTIlf A 59
MAX ELSKAMP
Notice 60
DE SOIR 62
CONSOLATRICB DK8 AFFLIGES ."> 62
AUX YEUX 63
UN PAUVRE HOMME K8T BNTRé 65
on POUR COMMENCER TOUT EN FOI -65
ET MAINTENANT VOICI l'hYVER 68
ANDRÉ FONTAINAS
Notice 70
VOIX VIBRANTE DB h£vB 73
SUR LE BASALTE, AU PORTIgUK 72
LA PROPICE RENCONTRE 73
VLEUR8, TOUT l'eSPOIR DES CROIX 73
VERS LE NORD 74
rHONTiBPicB 74
INVITATION 75
éVEILLE-TOI 75
377
AUTREFOIS, DI8A18-TU 7®
LA VIE EST CALMK 77
PAUL FORT
Notice 79
DBS « BALLADES DES CLOCHES > 8a
DES « BALLADIC8 AU HAUKAU » Sa
DES < BALLADES DE LA NUIT » 83
DES «. BALLADE» DE LA MONTAGNE, ETC. . . » 84
DES a BALLADES DE LA UONTAONB, BTC ... > 85
l'albhtk 86
LE LIEN d'amour 88
sur lb pont au changb 88
la vision harmonieuse de la terre go
pbilomèlb; 92
RENÉ GHIL
Notice 94
SONNET 98
POUR l'enfant angiknnne 99
EN m'en venant au TARD DE NUIT 99
FRAGMENT 1 00
FRAGMENT 103
FRAGMENT , Io3
LA HACHE DE PIERRE : I o5
FRAGMENT IO9
REMY DE GOURMONT
Notice m
LITANIES DB LA ROSB 133
HIÉROGLYPHES I a5
AGATHE 126
AONis 127
CATHERINE I27
JEANNE , 127
MATHILOE 128
PAULB 128
878 FOÈTK* D'ATJJOURn'HUI
0RAI80NS If AUTA.I8KS
LB8 CHKVKUX
L.V NEIGE
ue moulin
l'Église
le soir dans un musée
FERNAND GRIÎGH Notice
DIALOGUE
LE SILENCE DE l'eAU
MENUET
LE RETOUR
PROMENADE d'aUTOMNE ,
DOUTE ,
JE VIS .
HUMORESQUE
AU DIEU INCONNU
CHARLES GUÉRIN Notice
n VOUDRAIS i^TRK UN HOMME
A FRANCIS JAMMES
LE SOIR LÉGER
ENTRERAI-JE, CE SOIRj SEIGNEUR, DANS TA MAISON.
NUIT d'ombre, NUIT TRAGIQUE
MAÎTRESSE, TENDRE ET NOBLE AMIE
ON TROUVE DANS ME8 ANCIENS VERS
AH 1 CE BRUIT AFFREUX DE LA VIE ... ,
l'ambre, le SEIGLE MUR. . ,
BIEN QUE MORT A LA FOI
A.-FERDINAND HEROLD Notice
V)IGI LA DAN8B DBS FEUILLES
M AROZIE , .
• 'IR LA TERRE IL TOMBE
BERTILLA
379
LE VAL n \ l\ MONTKUX « 67
LK FKOII 167
i.A FLOTi; AHÀnxDB l'auiomnb. . , . . . 168
TRIPTYQUB 168
GÉRARD D'HOUVILLE
Notice 171
LES BAUX DOUCHES DU SONOB I 72
CONSOLATION I7 i
LB REGRET » I 7^
STANCRS AUX DAMBH CREOLES 176
LUNE SUR LA MEK I78
OKFRANOB rUNÉRAIRE I 79
LB JAKDIN DS LA NUIT 1 79
FRANCIS JAMMES
Notice 181
c'est aujourd'hui 1 85
j\lME DANS LES TEMPS , I 85
LA SALLB A HANQBR 1 86
LE VIEUX VILLAGE I 87
l'eau COULE 188
JE SAIS QUE TU K8 PAUVRE « 189
VOICI LES MOIS d'automne I9O
IL VA NEIdER 191
MADAME DE WARBNS 1 9a
AMSTERDAM igS
PHIÈIVE POUR qu'un enfant NB MEURE PAS 193
PRIÈRE POUR ALLER AU PARADIS AVEC LES ANES I96
JEAN DE NOARRIEU I 97
DANS LK SILENCE DE LA NUIT , I 98
l'enfant lit l'almanacii I ;il)
ON VOIT QUAND VIKNT !,* M 1 1^ ■■ v ir
MON RL MBLK AMI, MON 1 HIBN FIDÉUB..,. ••«..• SOO
l'aNK savant , :i,ul
CONCLUSION ,,, ,,, aol
38o poÂTES d'au^oubd'bui
GUSTAVE KAHN
Notice 2o3
VOIX DE l'hsuhe implacable 206
CHANTONNE LENTEMENT 206
LES VOIX REDISAIENT 2O7
FILE A TON ROUET . 208
DES CHEVALIERS QUI SONT PARTIS 209
VOTRE DOMAINE EST TERRE DE PETITE FÉB 2O9
JE PARERAI TES BRAS 210
LE VIEUX MENDIANT 211
IMAGE 21a
JULES LAFORGUE
Notice 2 14
LA CHANSON DU PETIT HYPERTROPHIQUE 7^1
l'impossible 222
COMPLAINTE SUR CERTAINS ENNUIS 223
COMPLAINTE DU ROI DE THULÂ 223
COMPLAINTE DE L*0UBL1 DES MORTS 2 25
ENCORE UN LIVRE 220
l'hiver qui VIENT 227
DIMANCHES 229
LE BRAVE, BRAVE AUTOMNE . 23 1
DIMANCHES 232
NOTRE PETITE CAMPAGNE , 233
LÉO LARGUIER
Notice 235
AUTOMNE 237
RâVBRIB 238
REMORDS 238
PENDANT LA PLUIE 239
LORSQUE JE SERAI VIEUX 24o
TU m'as DIT qu'en PASSANT 24 I
JACQUES {Fragments) 243
poisiB ai'iS
TADLI
SSi
RAYMOND DE LA TAII.HÈDE
Notice a4ô
APPARITION 2^7
SOLITUDE 248
OMBRES 249
SI l'bspoir d'un laurier 25 1
TRIUHPUE 25 I
LOUIS LE CARDONNEL
Notice 254
VILLB MORTS 256
BN FORÊT 257
A UN JEUNB AÈDB 258
LA LOUANQE d'aLFRED TENNYSON 269
INVOCATION d'automne 262
l'avertisseuse 263
SÉBASTIEN CHARLES LECONTE
Notice 2OO
8APP110 2O8
lk tombeau 269
l'orphelin 270
AU DIEU QUI s'Éloigne * 27a
le DERNIER CHANT d'oRPHAb 273
GRÉGOIRE LE ROY
Notice 277
LA MOHT 279
LES AVEUGLES 280
écUOS DE VALSES 28 I
LE PASSÉ QUI FILE 28 1
CELLE d'autrefois 282
LES PORTES CLOSBS 283
LE ROUET DE VIE 284
MUSIQUE d'0MBR£ 285
Al IV HE GUITARE. ... 286
PRlàftE 287
LA OBANIÉRB VISITKUSE 288
38i poàTKs d'aujourd'hui
JEAN LORRAIN
Notice. 289
rÈTK QALAMn 397
CHANSON 297
JSMBARQUKMENT , 298
LA-BAS, OU l'ancien PARC 299
FANERIE. . 299
RÉCURRENCE 3oi
TA TOMBE JOYEUSB 3o 1
LA. MARJOLAINB 302
PIERRE LOUYS
Notice 3o5
AU PRINCE TACITURNE. 3o9
PÉGASE 3lO
LB BOUCOUASTB 3l0
CHUTE DK JtOUR 3l I
SONNET ADRESSÉ A M. MALLARMÉ LE JOUR OU IL EUT
CINQUANTE ANS 3ll
l'ombre 3 13
TOMBEAU DE BAUDELAIRE 3l2
HAMADRYADS ET SATYRE. . 3t3
l'afogéb 3l3
MAURICE MAETERLINCK
Notice 3i5
HEURES TERNES 322
DÉSIRS d'hiver 328
RONDE d'ennui 323
VEHRE ARDENT 324
AHE DE NUIT 325
CHANSON SaS
CHANSON , 826
CHANSON Say
OKANsoM.. 3a7
MAURICE MAGRE
Notice 329
yiJA.NLi LA VIK EST PASSBK 33 l
LbS UOMMBS DK8 ROUTES 33a
.. HKTOUH DES POAtKS 333
c AND JB SERAI MORT 334
LA COQUETTBRIR OB8 HOMMES 3 j6
JE PASSE 337
LA FEMMB DE QUARANTS AMS 338
VILLES d'eaux d'uivbr 3^0
LA uktat BT Ut nis 34i
STÉPHANE MALLARMÉ
Notice 34a
LLS FBNÈTRBS ,..• 35o
l'axur 35a
DON DU POiMB. , 353
icHODiAOE {Fragment) 333
i.V£NTAlL de MAOBM0I8BLUC MALLAUMÉ 35^
SONNET 356
K TOMBEAU d'eDGARD POB 356
)NNET 357
Sl)NNBT 357
TOME II
CAMILLE MAUCLAIR
Notice I
Lli SOLEIL OI8ANT 4
JB N8 SAIS pounguM 5
LU MAINS LBNTBS BOUS LA LAMl'K. 6
UNE ooucBUn 6
JB SUIS BBAUCHB CB iOUH 7
MIMUTS 8
384 POÈTES d'aujourd'hui
PASTEL DE JEUNE VILLE 8
FllÉSENCKS > > 0
STUART MERRILL
Notice • ï «
NOCTURNE I 3
CHAMBRE d'amour 1 3
CELLE QUI PRIE 1 4
AU TEMPS DE LA MORT DBS MARJOLAINES I 5
ROYAUTÉ 1 6
LA CHANTEUSE A LA BAGUE I 7
SOLITUDE ; . • I 7
LA VISITATION DE l'aMOUR l8
ATTENTE I 9
ÉCRIT DANS LA TRISTESSE 20
ÉPHRAIM MIKHAEL
Notice, . , ■ 23
EFFET DE SOIR ^4
TRISTESSE DE SEPTEMBRX. , ^5
CRÉPUSCULE PLUVIEUX 26
l'hiérodoule iiG
impiétés .' 27
l'Étrangère 28
ALBERT MOCKEL
Notice 3 1
CAR ELLES IGNORENT . 34
LE LIED DE l'eAU COURANTE 87
LE DOUX VISAGE Sq
ROBERT DE MONTESQUIOU
Notice 4o
MONSTRANCES . 43
LE COUCHER DE LA MORTE 44
LUCIFERS 4'>
MORTU» lONOTIS .... 4^
TABLB
385
sous LK8 VILLOSrris VIOLETTES 48
SERVANTE-MA.ITKBS8K 48
LIS ROSE 49
LOUIS DIX-8KPT 49
MON CCKUH 5o
JEAN MOKÉAS
Notice 52
ACCALMIE 58
PARMI LES MARRONNIERS 50
rAmEMBR ANGES 6o
VOIX QUI REVENEZ 6o
LE RUFFIAN 6 1
l'investiture 62
UNE JEUNE FILLE PARLE 62
CONTRE JULIETTE 63
iGLOQUE A PAUL VERLAINE 63
QUE FAUDRA-T-IL A CE CCXUR 64
SŒUR DE PHÉBUS CHARMANTE 65
l'automne OU LES SATYRES 65
LA PLAINTE o'hYAONIS 66
STANCES 67
COMTESSE MATHIEU DE NOAILLES
Notice 75
le verger 79
l'image 81
LE TEMPS DE VIVRE 8a
LES OMBRES 83
j'écris pour QUE LE JOUR OU JB NE SERAI PLUS 84
CONSTANTINOPLB , 84
OFFRANDE 87
LA VILLE DE STENDHAL 88
PIERRE QUILLARD
Notice 91
LE DI£U MORT , , qS
II 32
380 POÈTES d'aujourd'hui
RUINES 9 '
l'automne a dénudé 95
psYcarii. 95
CBRYSARION 96
l'errante (Fragment) V -
LE CHÈVRE-PIEDS O
FLAMMES J (, l
JOUVENCE , 102
LIED , 102
LA. ROUTE DE THÈBES 1 03
ERNEST RAYNAUD
Notice I r/-
VERSAILLES I 6
LE RETOUR IOfc>
ÉLÉGIE I Og
LA MATINÉE CHAMPÊTRE I I O
LE FAUNE 110
BRUGES ,.. III
MUSES, JE CROIS EN VOUS III
POÈTES OUBLIÉS 1 112
HENRI DE RÉGNIER
Notice ii3
SiJÈNE AO CRÉPUSCULE 12 1
EXERGUE 122
DISCOURS EN FACE DE LA NUIT 124
LA SAGESSE DE l'aHOUR I 27
LE VASE 127
LE VISITEUR 1 3o
ÉLÉGIE DOUBLE l3l
ODELETTE l3a
ODELETTE , 1 33
LA COURONNE . / 34
CHRYSILLA. . . . l35
SONNET POUR BILITIS 1 35
TABLâ 387
l'onde nk chantk plu* 1 36
I.K S4NG DE MAUSYAS. oioiCACE l'i"]
LA LUNE JAUNE I ^7
ÉPILOGUE 1 08
LA VOIX I 3q
LK HBPUOCUK l40
l'accubil 14»
ADOLPHE RETTÉ
Notice i/)4
LOMINKU8B, «LUI VINT I ^(7
CHANSON d'hiver I /) 7
ANADYOMÈNK l .^{H
SÉHÉNADB I '19
GRAND VBHT I fio
HYMNE AUX ARBRES I 5 I
ÉLOGE DU VENT 1 5a
JEAN-ARTHUR RIMBAUD
Notice 1 54
LE CHATIMENT DE TARTUFE | 58
LE DORMEUR DU TAL l59 ■
BATEAU IVRB I Bq
LES CHEHCHBUBBS DE POUX , i 0 2
VOTUXBS 1 63
GEORGES RODENBACH
Notice 1 f)/,
BÉaUINAGK PLAM AND . i 68
DOCTEUR DU SOIR 1 „ I70
AH 1 VOUS ÊTES MBS SORIRS I 7 I
EN PROVINCE 172
O VILLE, TOI MA 8<BUR \-j->
ÉPILOGUE .... 17')
c'bST OCTOBKB qui s'en REVIENT 1 -/)
LE M.VLADR SOUVBNT . : -
LES YBUZ DBS PKMMES I y
388 poItis d'aujourd'hui
PAUL-NAPOLÉON ROINARD
Notice 1 78
FIDÈLK SOUVENANCE 182
BERCEUSE I 83
LA CHANSON DE l'oSERAIK l84
REGRETS DB l'aIEULB 1 86
SAINT-POL-ROUX
Notice 188
MESSAGE AUX POÈTES ADOLESCENTS IQI
ALOUETTES 1 9 1
AIGUILLES DK CADH AN 1 92
CIGALES 1 93
CHAUVE-SOURIS 1 94
SOIR DK BREBIS I yS
GOLGOTHA 19^
LE PÈLERINAOB DB SAINTE-ANNE I96
ALBERT SAMAIN
Notice 199
l'infante 2o5
ÉLÉGIE 207
KEEPSAKB 208
CLÉOPATRE 209
SOIR 210
LE SACRE 210
XANTHIS 211
PANNYRE AUX TALONS d'oR 211
VERSAILLES 212
SOIR DE PRINTEMPS 2l4
VOICI LES VIEUX MÉTIERS 2l5
ÉLÉGIE 216
NOCTURNE PROVINCIAL 2 1 7
TOUT DORT, LE FLEUVE ANTIQUE 2l8
AUTOMNE 219
389
FERNAND SEVERIN
Notice aaa
LA counorms 234
LA CHANSON DOUCB a^
l'asile 226
L'ANOiLIQUB ADIBU 220
SI TRAIUBNT, LA TRISTBSSB 237
O PBN8BUH 1 LA BBAUT^ 228
EMMANUEL SIGNORET
Notice 229
LA LiOKNDE d'UN SAULB 23 1
ÂPOUSAILLKS • 23 I
RITE d'amour 23a
LBS OLIVIERS 233
CHANT POUR l'aMANTB 233
CHANT POUR PROMÉTHÉB 235
ÉLÉGIB IV 235
àvkoiK IX 236
Plagie xiii 287
PAUL SOUCHON
Notice 238
l'heure db siidi aSg
HYMNE DE LA TRISTESSB > 2^0
LOUANGE DE PARIS 242
AU JARDIN DU LUXBMBOURQ 243
ÂLÉOIB A MIDI 244
HENRY SPIESS
Notice 245
MÉLANCOLIE DU LUNDI MATIN 247
BALLADE POUR EN PRENDRE MON PARTI 248
JE MOURRAI 249
CHANSON LOINTAINE 25o
LES MAINS 25 I
PARLONS BAI 25a
MA JBUNESSB 25a
3go poÈTsa d'aujourd'hui
LAURENT TAILHADE
Notice 254
HTMNB ANTIQUE 267
HÉLÈNK 269
LK CHART DE 0LAUC08 260
BALLADE MYSTIQUE SUR LA DOUCEUR DE PAUVRETÉ 262
BALLADE POUR l' EXALTATION DK LA SAINTE PJTIÉ 203
BALLADE 80LNES8 265
BALLADE SURANNÉE DE LA CONSOLATION AUTOMNALE 266
BALLADE ÉLiOIAQUK POUR LE MOROSE APRÈS-MIDI , 267
SI TU VEUX, PRENONS UN FIACHE 269
BAHCAROLLB • : . 269
MUSÉE DU LOUVRE 27O
PLACE DBS VICTOIRES 27O
SUR LE CHAMP d'OR 27 I
INITIATION 271
PAUL VALÉRY
Notice 274
HÉLÈNE, LA REINE TRISTE 278
NARCISSE PARLE 278
BAIGNÉE 275
LA FILBUSB 275
FRAGMENT 276
ÉTÉ 277
VALT1N8 278
CHARLES VAN LERBERGHE
Notice 27g
PSYCHÉ 282
l'attente 283
BARQUES d'or 283
l'assistance 284
db «oh my8téh1kux voyage 285
he 8uir-jb vous 285
m mONRUR A DIT . . ,. , 386
TÀBLC
3gi
MA SOiVn LA PLUIB .••••.,. i ^^^
QUAND VIENT LK SOIK. ....••.,..•* -'^7
il l'ai i ué 2^*8
TKR» r K HO| KH s'bn vont KNSEMBLB ■ 2iiy
EMILE VERHAEREN
Notice 2yO
L*ABRBLIVOin 3oi
LMB PAYSANS 3oi
soias HELioiBux 3oa
lUNTRÉE DK8 MOINKS 3o3
LK MOULIN , 3o5
LB8 BRUMES 3o6
LB8 HORLOOSS 3o6
LA i>iiun 3o7
NOVEMBRE 3o8
UN MATIN 309
VERS LK ruTun 3 u
l'arbrb 3i3
L*OMBRB s'installe 3l5
l'effort 3i6
SOUVENIR 3l8
LK8 PAUVRES 3aO
PAUL VERLAINE
Notice 3a 1
BON RÊVE FAMILIER .... 332
CHANSON d'automns 333
CLAIR DE LUN» 333
LES INGKNUS 334
ÎL PLEURE DANS MON CCEUR 33^
GHEEN 335
strebt's 335
écoutez la chanson bien douce 336
MON DIEU m'a dit. 33 1
LE CIEL EST PAR-DESSUS LE TOIT 343
Ll PETIT COINj LE PETIT NID 'H\,Z
3gs POÈTES d'aujourd'hui
FRANCIS VIELÉ-GRIFFIN
Notice 344
LK8 VBRTS KT l'iNDIGO 8/47
LES DOUX SOIRS SONT FLÉTRIS 34?
CES HEURES-LA 348
LES FEUILLES^ CETTE MATINÉE 34g
RONDE 349
BELLE HEURE, IL FAUT NOUS SÉPARER 35o
ÉTIRE-TOI, LA VIE 35l
LA MOISSON 352
OCTOBRE 353
l'automne 355
d'autres viendront par la prée 356
demain est aux vingt ans fiers 356
resier ? tu es folle, pensée l 357
h'eST-IL une chose AU MONDE 357
IN MBMORIAM STÉPHANE MALLARMÉ 358
LE VOYAQB » SSg
Appendice.
t. QUELQUES DÉFINITIONS DU « SYMBOLISME » ET DU
« VERS LIBRE » 36l
II. C LES DÉLIQUESCENCES d'aDORÉ FLOUPETTE » 366
UI. INDEX GÉNÉRAL DES OUVRAGES, ETUDES LITTERAI- RES, ETC., INTÉRESSANT l'bISTOIRE POÉTIQUE DE CES XX
DERNIÈRES ANNÉES SOQ
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ton. Lettres hispano-américaines Fran
cisco Contreras. Lettres brésiliennes: Tristao da Cnnh» Lettres néo- grecques : Déiaëtriui
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Lettres russes : Jean Ghuzcwiile Lettrespolonaises: Michel Muter milcb Lettres néerlandaises : J.-L. V/alch Lettres Scandinaves : P.-G. La Ghos
nais. Lettres tchèques : Janko Cadra. La Francs fagée à l'Etranger : Lncil
Dubois. Variétés: X... La Vie aneedotiqus Gaillanme Apol
linaire. La Curiosité : Jacques Daurelle. Publications récentes : Mercure. Echos : Mercure.
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Six mois 17
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Poitiert — Imprimene du Mercure de Kranoe, G. ROY, 7. rae Vietor-Hoto
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Bever, Adolphe van |
1183 |
Poètes d'aujourd'hui. |
B4 |
29. éd. |
1918 |
t. 2 |
t. 2 |
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