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Article 59. — L'Académie déclare laisser à leurs auteurs toute la responsabilité des opinions et des propositions consignées dans les ouvrages lus à ses séances ou imprimés par son ordre. Cette disposition sera insérée , chaque année , dans le Précis de ses travaux. PRÉCIS ANALYTIQUE DES TRAVAUX DE L'ACADÉMIE Des Sciences, Belles-Fettres et Arts DE ROUEN, PENDANT L'ANNÉE 1850-1851. DISCOURS D'OUVERTURE De la Séance publique du 8 Août 1851, PRONONCÉ PAR M. AVENEL, PRÉSIDENT. Messreuns, Faire choix d'un sujet digne de quelque peu d'intérêt, au sein d’une Compagnie qui s’honore, à bon droit, de son existence plus que séculaire ; porter la parole dans une enceinte où tant de fois a retenti la voix éloquente de mes prédécesseurs , c’est vous faire connaître , en peu de mots, mon embarras et mes appréhensions. La conscience de mon devoir peut seule me permettre d'affronter le périlleux honneur de vous entretenir quel- ques instants. Jamais , en effet je n'ai mieux compris qu'aujourd'hui la 1 2 ACADÉMIE DE ROUEN. vérité de ces paroles mises dans la bouche d'Agamemnon par le plus élégant de nos tragiques : Heureux qui , satisfait de son humble fortune , Libre du joug superbe où je suis attaché, Vit dans l’état obseur où les Dieux l'ont caché. D'ailleurs, les légitimes impatiences qui vous pressent d'entendre les organes de l'Académie , justement investis de la faveur publique, me font une loi de fatiguer le moins possible votre attention. N'attendez donc de ma part ni discours ambitieux, ni dissertation savante : je m'eflor- cerai d’être bref; telle est la promesse qui me fait espérer votre indulgence , unique objet de mes vœux dans cette solennité. J'ai pris pour texte de mon allocution l'influence que peuvent exercer encore les Académies à une époque où leur utilité est vivement contestée, sujet bien souvent débattu, bien des fois controversé, sans avoir reçu une élucidation complète. Dans ce champ déjà moissonné par la discussion, recueillir quelques glanes, c’est travailler à la cause commune. Les institutions académiques comptent, non pour enne- mis, mais pour adversaires, plusieurs ordres de détrac- teurs : ceux qui s’en tiennent volontairement éloignés pour des raisons diverses que vous me permettrez de passer sous silence , mais qui ne se montrent guères, envers elles, les plus bienveillants ; ceux qui leur dénient le droit et le pouvoir d'exercer, sur le milieu dans lequel elles évolu- tionnent, je ne dirai pas la réaction la plus favorable, mais la plus légère influence ; d’autres enfin, systémati- quement opposés par goût, par mode, à tout ce qui semble offrir un certain caractère d'immutabilité. A la seconde de ces diverses catégories, doivent plus particulièrement s'adresser ces quelques observations. DISCOURS D'OUVERTURE. 3 Examinons, sans les dissimuler, les reproches élevés contre les Académies ; et, s’il ressort de cet examen que quelques-uns puissent être fondés, recherchons avec vous les moyens de les en garantir. Ce n’est pas, croyez-le bien, Messieurs, une puérile vanité qui a donné naissance à ces institutions; jamais elles n'ont eu l'outrecuidante prétention d’absorber toutes les intelligences , ou de dire, comme le poète : Nul n’aura de l'esprit hors nous et nos amis. Un but plus louable, plus noble , a présidé à leur enfan- tement , et ce but me paraît devoir assurer leur avenir. Le besoin de mettre en commun les connaissances acquises ou à acquérir pour en former un faisceau puissant et inatta- quable ; la diversité des études apportées à la communauté par chacun des membres qui la composent, impriment à la science une force à laquelle les plus laborieux et les plus dignes ne sauraient individuellement atteindre. L'irrésis- tible attrait de cette variété de connaissances qui s’enchai- nent et se prêtent un mutuel appui, a doublé bientôt l'importance de cette pensée fondamentale. Suivant le besoin des temps qui présidèrent à la créa- tion des Académies , les gouvernements se sont honorés d'en accroître le nombre, si bien qu'aujourd'hui la civili- sation d'un peuple semble se mesurer à la quantité de ces fondations, reliant entr'elles les capacités. Récompensé des heureux résultats de leurs efforts, un petit nombre d’entr’elles a reçu une mission spéciale, et de celles-là , je me plais à le supposer, personne n'aurait le triste courage de nier les services. Les unes, conservatrices nées des traditions épurées du langage , ont transmis aux générations les bonnes et saines doctrines linguistiques ; les autres, dominatrices de la science , sont devenues le point de départ des plus mer- 4 ACADÉMIE DE ROUEN veilleuses découvertes et le foyer vers lequel convergent, avec bonheur, tous les rayons intellectuels du pays; quel- ques-unes , dépositaires de ces monuments de tous les âges , reliques saintes, unissant le passé au présent, ont usé leur existence dans la contemplation et l'étude de ces arides et si importants travaux. Les dernières, enfin, consa- crées exclusivement aux beaux-arts, renferment dans leur sein tout ce qui a fait la France grande et honorée parmi les nations étonnées et jalouses de sa supériorité. Plus humbles dans leur but et forcément plus modestes dans leurs résultats comme dans leurs prétentions, les Académies de province sont-elles , comme on l'a dit, res- tées stationnaires au milieu de ce mouvement général qui s’opérait autour d'elles? C'est là la question en litige. Subissant l'influence des temps, les Académies qui, dans l'origine, se bornaient à remplir un rôle purement passif, sont graduellement arrivées à la nécessité d’une active intervention, entraînées par cette tendance domi- nante de nos sociétés modernes, qui, à l'exemple du juif de la légende, crie à chacun de nous : Marche !.. en nous poussant dans la voie du progrès. Est-il nécessaire, pour donner la justification de leur utilité, que chaque découverte importante prenne inévita- blement sa source au milieu des Académies? Non, sans doute , et si nous nous reportons à la pensée primitive qui les fonda , nous reconnaîtrons que leur but principal était la conservation , le fidéi-commis du dépôt sacré de la science humaine et l'examen des idées nouvelles sur les- quelles leur aptitude, alors incontestée, leur donnaitun cer- tain droit de contrôle. Est-il nécessaire encore de démontrer par des exemples que, parfois, elles aient pu faire fausse route ; que, trop exclusivement attachées à des théories , elles n'aient pas toujours accueilli avec faveur des idées auxquelles l'avenir DISCOURS D'OUVERTURE. 5 reservait des destinées brillantes ? Hélas ! dans telle condi- tion qu'il se trouve, l'esprit humain subit la loi commune de l'erreur. Si nous reconnaissons loyalement cette vérité, vous nous permettrez bien d'espérer le bénéfice de quel- ques circonstances atténuantes. Dans leurs erreurs mêmes, ces institutions ont prouvé avec quelle conscience elles accomplissaient le mandat qui leur avait été confié. Parmi les illustrations dont la France est justement glorieuse , s’élève-t-il une voix contre celles qui ont refusé leur ap- probation ou leur concours à des inventions qui, plus tard, ont opéré dans le monde entier une révolution dans les idées, dans les habitudes et dans les mœurs? La réponse est facile. De quel poids pourraient donc être les quelques rares erreurs imputées aux Académies, lorsqu'auprès d'elles se traduisent, se révèlent les immenses services qu'elles ont rendus à la civilisation ? Vous comprenez , Messieurs , qu'embrassant la question à son point de vue général, il n'entre pas dans ma pensée de placer sous vos yeux le programme complet des ser- vices de l’Académie de Rouen. Ce n'est point son apo— logie que j'ai entreprise, elle en a peu besoin. La fon- dation des cours publics de botanique, d'anatomie, de chirurgie, d'architecture , de mathématiques, d'hydro- graphie , de dessin, de peinture , autrefois établies et pro- fessés avec un certain éclat par elle ou sous ses auspices ; la création du Jardin des Plantes et d’une école de bota- nique , la réunion des premiers fondements d’une biblio- thèque publique et bien d’autres idées fécondes auxquelles elle a eu le bonheur d'attacher son nom, sont des souve- nirs que la tradition locale a conservés, et dont notre Compagnie aurait le droit dé rappeler l'initiative ; mais ici, mon examen ne doit porter que sur les Académies prises dans leur ensemble et considérées au point de vue de l'utilité publique, seul moyen aujourd'hui de conserver 6 ACADÉMIE DE ROUEN. pour elles la juste influence qu'elles ont acquise par une longue carrière de labeurs et de dévouement. Placées à la tête du mouvement intellectuel par les élé- ments qui les composent, les Académies ont pour mission principale , dans chaque localité soumise à leur influence, de diriger pour ainsi dire l'esprit public dans la voie la plus sûre des sciences, des lettres et des arts, de soumettre au creuset de l'expérience et de la pratique les idées des novateurs, d’en réprimer les écarts, alors qu'ils pouvaient entraîner à de funestes conséquences. Sentinelles avan- cées , leur devoir enfin est de prémunir l'opinion contre ces améliorations prétendues que chaque jour voit surgir plus séduisantes que vraies, et qu’adopte parfois l'engoue- ment trop facile de l'esprit. C’est pour avoir trop scrupu- leusement rempli ce devoir que les Académies ont encouru le reproche d'immobilité. L'une de leurs plus belles, de leurs plus douces préro- gatives , est, sans contredit, d'encourager ces jeunes intelligences d'élite, nourries de réflexions et d’études sérieuses, avenir et honneur du pays, et qui sont comme la pépinière dans laquelle se recrutent les savants, litté- rateurs ou artistes éminents, qu’elles doivent s’assimiler et associer plus tard à leurs travaux. Ce mot est tombé sous ma plume , Messieurs, je ne le déserterai pas. Ce n’est pas , en eflet, le moins important des griefs formulés contre les Académies , que la portée de leurs travaux, accusés en général de stérilité. Cette apparence de stérilité tient à des considérations étrangères à la cause que la malignité accueille. Une publicité res- treinte , tardive, inopportune enfin, voilà le véritable motif de leur douteuse faveur. A l’époque présente, on ne vit pas seulement, on escompte la vie; tout est question d'actualité. L'idée éclose un jour, si elle n'est pas éditée, fécondée sans retard, est, permettez-moi cette expres- DISCOURS D'OUVERTURE. 7 sion, distancée par celle du lendemain. Or, que devient cette idée renfermée dans les limites d'un Précis, dont la publication n'aura lieu, souvent , qu'une année plus tard? Évidemment, ceux qui travaillent ne pouvant faire fructi- fier immédiatement leurs œuvres , s'éloignent de la lutte et contractent des habitudes de silence dont on a travesti la cause. Vous le voyez, Messieurs, loin de partager l'opinion que j'ai souvent entendu professer autrefois , que les Acadé- mies étaient des aréopages dont le but était uniquement de juger, d'apprécier sans produire , je pense, comme vous, qu'elles doivent joindre l'exemple au précepte , c'est-à-dire , à cette première partie de leur mission, ajouter le tribut de leurs travaux personnels. Qu'’elles sachent surtout se garantir de trop de fécondité! Qu'elles apportent toujours un discernement exquis dans le choix de leurs publications ; qu'elles prennent des moyens régle- mentaires pour en assurer l'opportunité ; enfin qu'elles fassent divorce avec cet esprit de confraternité si précieux, entre nous, mais quelquefois trop bienveillant au-dehors, auquel le public a le droit de donner un autre nom plus sévère, et leur influence naturelle est immédiatement re- conquise, sans efforts et sans luttes. À quoi bon conserver les Académies, disent leurs détrac- teurs, puisque la presse gémit chaque jour pour enre- gistrer ce qu'il y a d’utile, de bon, de nouveau à recueillir dans le domaine de l'esprit, comme dans le monde ma- tériel? Les Académies sont appelées à former précisément le contrepoids nécessaire de la mission de la presse. Poussée par ce besoin incessant de fournir au public son aliment de chaque jour; devenu, pour le dire en pas- sant, l'une des habitudes les plus impérieuses ; dévorée par ces luttes ardentes de la politique qui ne lui laissent ni paix ni trève, la presse signale, en eflet, tout ce qui lui s ACADÉMIE DE ROUEN. paraît de nature à fixer l'attention ; mais, si je ne craignais de me montrer trop irrévérent envers une des puis- sances les plus réelles de notre société (et l'intérêt me commanderait , sans doute , de la flatter) , celle du moins qui a eu le bonheur de ne voir jamais son autorité con— testée, je dirais qu'elle se trouve obligée d'accueillir par- fois, sans examen, des idées ou des découvertes aux- quelles l'expérience n’accorde pas toujours droit d'asile ; et ce sont cette expérimentation, ce contrôle, si néces- saires, qui forment une des parties les plus intéressantes et les plus ingrates des recherches et des travaux entre- pris par les institutions académiques. Est-ce là tout? Le service, vous en conviendrez, Messieurs, ne manque pas d'importance ; mais si grande que soit cette prétendue stérilité dont on les accuse, elles ne laissent pas que de produire des travaux , et s’il m'était permis de citer les plus recommandables, dont le retentis- sement ne s'est point arrêté aux limites de son horizon naturel, il me serait facile de vous en présenter qui ont appelé sur leurs auteurs de hautes approbations , des ré- compenses honorifiques ou pécuniaires, dont le public lettré n’a pas perdu le souvenir. Au point du vue des encouragements , dont la modicité de leurs ressources leur permet de faire usage , ont-elles été moins libérales ? et ces libéralités , déclarées par elles- mêmes insuffisantes, n'ont-elles pas été chercher cons- tamment des sujets auxquels la faveur publique n'a jamais fait défaut ? Voyez, Messieurs, si dans toutes les circons- tances où l’Académie de Rouen, par exemple, a trouvé l'occasion de manifester ses sympathies envers les jeunes savants, littérateurs ou artistes, dont elle découvrait la précieuse existence, elle ne leur a pas tendu une main amie et protectrice ; si elle ne s'est pas fait un devoir et un bonheur de mettre en relief leur valeur naissante où DISCOURS D'OUVERTURE. 9 inconnue , de leur offrir l'appui de son patronage ; si jamais , enfin , elle a laissé échapper l'occasion de rem- plir avec un religieux empressement ce rôle dont elle comprend la grandeur et l'utilité. La mission des Académies, étudiée sans prévention comme sans enthousiasme , est donc plutôt un apostolat qu'une vaine satisfaction d'amour-propre ; leur existence me paraît aussi assurée que celle de la société dont elle est en général l’émanation la plus avancée ; mais cette existence repose sur la nécessité de s'engager plus avant que jamais dans cette voie progressive vers laquelle ten- dent tous les esprits , à la condition de diriger l'opinion , etnon, pour elles, de suivre une marche uniforme ou violentée. Les Académies immobiles retrogradent ; elles ne doivent plus s’isoler dans un cercle restreint , inaccessible aux profanes (comme on le disait autrefois), mais laisser le publie savant prendre part à leurs travaux, et s'inspirer de leurs pensées ; en un mot, vivre de cette vie publique qui ne craint pas le grand jour de la diseussion, qui sent également sa force et sa dignité, et doit, en échange des services rendus , obtenir respect et considération. Mais, vous le savez, Messieurs , la mémoire des services est oublieuse ou bien fugitive. L'habitude, cette triste condition de notre nature, émousse, à la longue, les meilleurs instincts et les plus nobles facultés. Les impres- sions s’effacent avec la rapidité du moment qui les produit. ll en est du monde moral comme du monde physique, où tout ce que nous trouvons créé pour les besoins de l'homme , semble se perdre dans la nuit des âges. Les choses les plus utiles, les plus simples, les plus usuelles, sont tellement accommodées à nos habitudes, que , rare ment , un souvenir de reconnaissance vient honorer ceux qui nous en ont doté. Ces conquêtes de l'esprit sur la matière semblent avoir existé toujours. 10 ACADÉMIE DE ROUEN. Ainsi, pour matérialiser ma pensée par une compa- raison vulgaire ,4riviale peut-être, si l'on se remettait en mémoire que l'invention des montres ne date que de 1500, celle des épingles de 1631, celle des voitures publiques de 1643, et une multitude d'autres que je pourrais citer , mais dont les auteurs sont restés oubliés ou méconnus, on pourrait se demander laquelle est la plus grande de la simplicité fabuleuse de nos pères ou de l’ingratitude de leurs successeurs. Et quand on voit l'électricité , le galva- nisme , la vapeur et leurs mille applications merveilleuses, la lithographie , le Daguerréotype, ee rayon de lumière dérobé au soleil et arrêté par ce nouveau Josué d'immortelle mémoire , qu'un linceul vient de recouvrir, quand on en- visage, dis-je, ces brillantes conquêtes du génie, nées d'hier et déjà passées à l’état d'habitude, je veux dire d'indifférence , les modestes académies de province peu- vent bien laisser diseuter l'utilité de leurs efforts. Dans les sciences, les arts ou la littérature, comme en beaucoup d’autres choses, les réformes opportunes sont les véritables soupapes de sûreté contre les révolutions. Si je comprends bien le rôle futur des académies, elles doivent devenir, dans l'intérêt social, les chefs du mou- vement intellectuel, et sans changer de nature , sans mo- dification nouvelle, mais en mettant judicieusement à profit les éléments de progrès dont elles disposent, revendiquer dans notre société leur part d'influence justement acquise, rajeunir leurs titres antérieurs par de nouveaux services , et fixer ainsi leur position d’une manière irrévocable. L'Académie de Rouen, Messieurs, ne faillira pas à cette importante mission ; tout en s'inspirant des heureux eflorts de ses devanciers , elle n'oubliera pas qu'elle aussi a fait de précieuses acquisitions , dont la voix commande la con- fiance, dont le savoir est, pour elle, une source légitime d'espérances et un gage d'avenir. DISCOURS D'OUVERTURE. 11 Au frontispice de son temple , elle a placé : Corneille, Fontenelle et Poussin, trinité glorieuse, triple symbole du génie humain auxquels la Normandie est fière d'avoir donné le jour. Heureux en effet le pays qui, pour établir sa noblesse civilisatrice, peut blasonner trois noms semblables dans son écusson ! L'Académie, Messieurs, reconnaît comme vous, que noblesse oblige , et, mieux que son organe officiel, saura prouver, en tout temps, qu'elle comprend son origine , sa destinée, son but et ses devoirs. CLASSE DES SCIENCES. a Rapport SUR LES TRAVAUX DE L'ACADÉMIE PENDANT L'ANNÉE 1850-1851, PAR M. J. GIRARDIN, Secrétaire de la classe des Sciences. MESSIEURS , Lorsque les sciences étaient , comme au siècle dernier, l'apanage presque exclusif d'un très petit nombre d'hommes choisis ; que renfermées dans un cercle étroit de faits, et entièrement dominées par l'esprit de systèmes et de con- troverses spéculatives, elles restaient sans rapport et sans liaison directe avec les intérêts communs, un secrétaire d'Académie, à moins d'avoir l’inappréciable talent d’ex - position de Fontenelle, pouvait redouter , en racontant les travaux de ses confrères, ou de n'être pas compris du pu- blic, ou de n'éveiller chez lui qu'indifférence et ennui. Dieu merci! les temps sont bien changés sous ce rapport. Cultivées avec ardeur par tous ceux qui veulent se CLASSE DES SCIENCES. 13 rendre compte des effets observés , embrassant toute la sphère des réalités qui nous entourent, se mêlant aux arts les plus simples en apparence ; évoquant partout des mer- veilles , ayant à leur disposition un langage clair et précis, les sciences, de nos jours, sont devenues vulgaires, et font partie, pour ainsi dire , de la vie commune. Tout le monde s'en sert, en parle et veut être initié à leurs prin— cipes , en ce qui touche au moins les découvertes dont les résultats frappent à chaque instant les yeux. C'est donc sans embarras, sans crainte de ne pas être écouté, qu'un secrétaire actuel d'Académie peut prendre la parole en public. Seulement, il peut lui rester l'appré- hension de ne pas être à la hauteur de la mission qui lui est confiée. C’est là, Messieurs, le seul sentiment qui m'a- gite en venant, par ordre de ma Compagnie , vous dire la part qu'elle a prise cette année au développement de la théorie et de l'art, les doctrines nouvelles qu'elle a étu- diées, les applications qu'elle a su faire à la pratique usuelle des principes et des inspirations scientifiques. Mais ayant à parcourir le domaine presque entier des sciences mathématiques et physiques, à faire même une excursion dans celui des sciences morales et politiques, je ne pourrai qu'énoncer les travaux accomplis par mes honorables confrères, sans qu'il me soit possible de les analyser avec tout le soin qu'ils méritent. Excusez-moi done, si par le désir d'être bref et concis , je ne vous offre qu'une maigre exquisse , alors qu'il y aurait à vous présen- ter un vaste tableau. M. Girault nous a montré comment il est possible de simplifier considérablement une partie des calculs qui permettent d'arriver à la détermination numérique du rapport de la circonférence au diamètre. Abordant ensuite les principes fondamentaux de la SCIENCES MATHÉMATIQUES Communica- tions de M. Girault. Géométrie analytique de la sphère, par M. Borgnet PHYSIQUE APPLIQUÉE. Nouveaux appareils calorifiques de M. Pimont. 14 ACADÉMIE DE ROUEN. musique , dont les règles pratiques ne sont qu'une déduc- tion des lois générales de l’acoustique, notre confrère, en exposant les idées à cet égard du professeur Delezennes de Lille, a donné la description et le modèle d’un petit appareil fort ingénieux de son invention, qui permet de déterminer très facilement la valeur des dièzes et des bé- mols introduits dans la gamme. M. Girault nous a encore fait connaître , par une analyse consciencieuse et savante, l’Essai de géométrie analytique de la sphère, dont l'auteur, M. Borgnet , est un de nos lauréats. Notre correspondant de Tours s'est proposé, dans ce nouveau travail, d'appliquer aux lignes tracéés sur la sphère les méthodes au moyen desquelles on ra- mène à des questions de calcul l'étude des propriétés des lignes tracées sur un plan. Grâce à cette extension natu- relle de la méthode algébrique de Descartes, M. Borgnet a simplifié la résolution de questions mombreuses, d’une application rare, il est vrai, mais qui néanmoins avaient été avant lui l’objet de sérieuses recherches de la part de géomètres distinguées. M. Girault eût désiré toutefois que l’auteur eùt conservé, comme plus naturelles et plus simples , les notations ordinaires de la géométrie plane, et eût discuté les propriétés des lignes sphériques, au moyen des équations de leurs projections perspectives , exprimées en coordonnées rectilignes. Les formules eus- sent présenté de la sorte un aspect moins inusité, et cet emploi de signes familiers aux géomètres n'eût diminué en rien le mérite du travail de M. Borgnet. Tout ce qui a pour objet d'économiser le combustible dans la production de la vapeur, appliquée soit comme chauffage, soit comme moteur , est de la plus haute im- portance et mérite l'attention tant des physiciens que des industriels. Des tentatives de plus d'un genre ont été faites CLASSE DES SCIENCES. 15 sous ce rapport, et la pratique a profité plus d’une fois des découvertes heureuses de la science. Un de nos membres, dont l'esprit inventif s'applique depuis long- temps à trouver la meilleure solution du problême, M. Pi- mont, a doté l'industrie de plusieurs appareils ingénieux qui restreignent singulièrement les pertes énormes de chaleur qu'on éprouve en opérant en grand. On n'utilise guère , en effet, que la moitié de la chaleur produite par un poids donné de combustible , et cela tient à la mau- vaise disposition des foyers, à la combustion incomplète des houilles, à la construction vicieuse des cheminées , au dégagement , sans aucun profit, de la vapeur d’échap- pement. M. Pimont a fait disparaître cette dernière cause de perte de chaleur, en forçant la vapeur d'échappement à circuler, avant sa sortie, dans une série de tubes entou- rés de l’eau froide qui doit servir à l'alimentation des chau- dières. De cette façon , la chaleur qui provient de la liqué- faction de cette vapeur est absorbée et retenue par l’eau d'alimentation , qui acquiert dès-lors une température peu distante de son point d'ébullition. Il y a, dans cette disposition , économie directe de com- bustible, possibilité même de fournir aux besoins de l'usine un excédant d'eau chaude, régularité plus grande dans le fonctionnement de la machine, enfin production moins abondante d’incrustations dans la chaudière, puisque, par son échauffement préalable , l'eau d'alimentation dé- pose une partie des sels qu’elle tenait en dissolution. L'appareil que M. Pimont nomme Caloridore alimenta- teur constitue donc un perfectionnement important des machines à vapeur. Celui qu'il appelle Caloridore progressif n'est pas moins efficace. Ce dernier a pour effet de recueillir la chaleur perdue dans les bains de teinture et de la reporter sur de CHIMIE. Eau minérale de Nointot. 16 ACADÉMIE DE ROUEN. l'eau ordinaire , qui se trouve ainsi amenée à 60 ou 70°, sans qu'il soit nécessaire de brûler un seul morceau de charbon. M. Pimont vient d'étendre les applications du ca/oridore progressif à la navigation maritime, en l’adaptant aux générateurs des paquebots à vapeur, de manière que l’eau de mer qu’on évacue à chaque instant pour éviter les dépôts trop abondants de sel , passe à travers l’eau froide qui doit servir à l'alimentation. On obtient le maximum d'économie en combinant l'emploi simultané des deux ca- loridores. Notre confrère en a fait construire deux de la force de 100 chevaux, qui figurent à l'exposition de Londres. Plusieurs de nos établissements industriels pro- fitent depuis plusieurs années des avantages qu'ils pro- curent. L'Académie, sur le rapport d’une Commission dont M. Boutan était l'organe, a donné son approbation aux inventions de M. Pimont , et a été heureuse de joindre ses félicitations à celles qu'il a reçues , en 1849, du jury de l'exposition des produits de l'industrie française. J'aime à rappeler qu'à cette époque, notre confrère a été honoré d’une médaille d’argent. | L'histoire physique de notre département s'enrichit chaque jour de nouveaux documents ; l'étude des eaux mi- nérales , si intéressante au double point de vue de la géolo- gie et de la thérapeutique , se complète, et cette année, grâce à l'un de nos correspondants de Fécamp, M. Mar- chand , nous avons une bonne analyse chimique de plus à joindre à toutes celles que nous possédons déjà sur les eaux ferrugineuses de la Haute-Normandie. A un kilomètre de Bolbec, dans une prairie maréca- geuse du petit village de Nointot, sourdent plusieurs filets d'eau minérale que Lepecq de la Cloture «a signalée le pre- CLASSE DES SCIENCES. 17 mier dans son remarquable ouvrage. Cette eau est essen- tiellement ferrugineuse, mais elle renferme, en outre, comme principes accessoires, d’autres composés salins et métalliques qui ajoutent leur action bienfaisante à celle du fer ; tels sont , entre autres, de l'acide crénique , du prot- oxyde de manganèse , du chlorure de lithium , des iodures et bromures alcalins, du cuivre et de l’arsenic. Il serait seulement à désirer que le propriétaire de cette eau , M. le marquis de Montault, fit les travaux nécessaires pour la mettre à l'abri de tout mélange avec les eaux étrangères environnantes. On pourrait alors en tirer un excellent parti dans la localité, notamment pour combattre la chlorose , si répandue dans les vallées industrielles du pays de Caux. Nous devons à un autre membre correspondant, M. Le- page, de Gisors, l'analyse de eaux de l'Epte puisées au moment où des peaux d'animaux dépilées à la chaux et à l’orpiment venaient d’y être lavées. Contrairement à ce que l'on présumait, ces eaux ne renfermaient ni arsenic ni aucune autre matière malfaisante. Néanmoins, M. Lepage engagea l'administration municipale de Gisors à interdire l'emploi de l'orpiment pour le débourrage des peaux, la chaux seule pouvant suflire à cette opération. Le même chimiste a étudié le chloroforme, non plus comme moyen de provoquer l’insensibilité, mais comme agent dissolvant. Après avoir essayé son action sur un grand nombre de substances minérales et organiques, et constaté qu'il est plus propre que l'alcool et l'éther à dis- soudre le copal, le caoutchouc , la gutta-percha, et géné- ralement tous les principes très riches en carbone, M. Le- page en conclut qu'on pourra utiliser ce liquide, lorsque son prix de revient sera convenablement réduit, à la +) Eau de l'Epte. Chloroforme comme dissolvant. Toxicologie. Communica- tion de MN. Lepage. Pains empoisonnés, par MM. Morin et Girardin. 18 ACADÉMIE DE ROUEN. fabrication de certains vernis, à l'analyse immédiate de beaucoup de matières organiques mélangées naturelle- ment ou par fraude, à l'isolement de certains alcaloïdes. Il a également reconnu que le chloroforme jouit de pro- priétés anti-septiques très prononcées. En chimie toxicologique, nous avons eu deux commu- nications intéressantes. M. Lepage nous a signalé l’empoisonnement de toutes les poules d'une basse-cour par l'acide arsenieux , vrai- semblablement introduit à l’état de poudre fine dans les grains que ces oiseaux avaient mangés. On frémit en pen- sant aux conséquences qui pouvaient résulter d’une ten- tative d’empoisonnement aussi perfide, si comme cela se pratique assez ordinairement chez les gens de la cam- pagne, la famille du fermier de Dangu eût eu l'imprudence de manger les volailles mortes spontanément. L'auteur de cette horrible machination est resté inconnu jusqu'ici. D'un autre côté, MM. Morin et Girardin nous ont fait connaître l’empoisonnement de quinze personnes dans l’une des fermes importantes des environs de Neufchâtel, par l’usage de pains et de patisseries farcis d'acide arse— nieux. Ces chimistes ont exposé toutes les précautions qu'il convient d'employer dans le cas spécial de la recherche de l’arsenic dans les matières amylacées, étude longue et laborieuse qui leur a permis de prouver que le poison avait été mêlé à la farine , non chez le meünier, mais à la ferme , dans la maie au moment du pétrissage. Admirable science que cette chimie, à qui rien n'échappe, et qui place dans les mains de la justice un flambeau qui la dirige avec certitude au milieu des plus inextricables complications ! CLASSE DES SCIENCES. 19 L'art de la teinture profite aussi chaque année des découvertes de la même science. Lorsqu'on compare la manière dont cet art s'exerce aujourd’hui avec les moyens d'action dont il disposait au commencement de ce siècle, on reconnaît combien a été féconde l'introduction de la chimie dans les ateliers. Les procédés se sont simplifiés , le prix de revient s’est considérablement abaissé , les cou- leurs sont plus variées , plus solides et plus belles , enfin, le praticien a profité habilement des nouvelles matières colorantes que l’homme de laboratoire a su découvrir. Au nombre de celles dont l'introduction est toute récente, il nous faut placer l'acide picrique et la bixine sur lesquels j'ai cru devoir fixer l'attention de l'Académie. La première de ces substances tinctoriales est un pro- duit que le chimiste crée en faisant réagir l’eau forte, c’est- à-dire l'acide nitrique sur une infinité de matières organi- ques et notamment sur l'huile empyreumatique de charbon de terre. L’acide jaune, cristallisable et très amer, qui résulte de cette action, possède un pouvoir colorant très marqué sur la laine et la soie ; malheureusement pour notre industrie locale, il ne peut s'appliquer sur le coton etles autres tissus végétaux. 1 Quant à la Bixine, ce n’est autre chose que la pulpe rougeûtre qui entoure les graines du rocouyer , arbrisseau de la Guyane. Elle diffère du rocou du commerce en ce qu'au lieu d’être obtenue , comme ce dernier, par l'écra- sement, la fermentation des graines et la cuisson de la pulpe, elle est isolée par un simple lavage des semences et la dessiccation à l'ombre de la pulpe colorée et insolble que le lavage a détachée. C’est done une matière presque pure, et, par conséquent, d'un pouvoir tinctorial bien supérieur à celui du rocou commercial. C'est un Français, établi à Cayenne depuis vingt-deux Chimie tinctoriale. Nouvelles matières tinctoriales , par M. Girardin. HISTOIRE NATURELLE. Géologie. Terrains du district de Messine. 20 ACADÉMIE DE ROUEN. ans, M. du Montel, qui a eu l'idée de remplacer le vicieux système de fabrication du rocou, en usage dans la colonie depuis plus d’un siècle, par une méthode plus rationnelle, plus avantageuse pour le planteur et pour le manufacturier. J'ai constaté que la bixine contient six à sept fois plus de principe colorant que le meilleur rocou ; qu’elle a, en tein- ture, un pouvoir tinctorial trois à quatre fois plus considé- rable ; qu’elle donne aux tissus des nuances plus vives et plus brillantes, et qu'elle peut très bien servir dans la pein- ture à l'huile et à l'aquarelle. C’est donc là une excellente importation en faveur de nos ateliers. Le professeur de chimie de l'Université de Salamanque, le docteur don Juan-José Villar y Macias, nous a soumis le discours qu’il prononçait le 1°" octobre 1850, en pré- sence des nombreux étudiants de cette antique et célèbre Université, sur l'importance et le développement des sciences naturelles. Ce morceau littéraire, dont M. Clo- genson nous a donné une élégante traduction, révèle le talent de style de l’auteur, son vaste savoir, son amour vrai, sans emphase , pour les véritables savants, depuis Thalès jusqu'à Cuvier , et sa prédilection pour les hommes de notre nation qui ont consacré la puissance de leur génie , et la glorieuse opiniâtreté de leurs travaux à l'étude des sciences naturelles. Un autre savant étranger , le docteur Joseph de Natale, nous a envoyé des recherches géognostiques sur Îles terrains du district de Messine. Son mémoire, riche de minutieuses observations, de renseignements très cir- constanciés , d'aperçus sagaces , est digne de l'estime des naturalistes géologues. CLASSE DES SCIENCES. 21 L'Académie a mis à l'étude, sur la demande de son secrétaire de la classe des sciences, les bancs de tourbe qu’on a reconnus dans le bassin de l'Eure, au Havre, tourbe que le docteur Piorry a prise pour du lignite, et dont il a singulièrement exagéré l'importance. Ces dépôts n'offrent réellement d'intérêt qu'au point de vue scienti- fique. Il serait curieux d'étudier , d'une manière complète, ces alternances de tourbe et d'argile qui se montrent sur une hauteur de 5 mètres dans le bassin de l'Eure ; de s'assurer si les bancs qu'on trouve à l'embouchure de la Seine ont un origine commune avec celle du sol de la ville du Havre; de rechercher quelle est la nature des accroissements qu'ils reçoivent journellement, et quelles sont les modifications qu'ils ne cessent de subir, soit dans leurs formes, soit dans leur position ou leur étendue, comparées , par exemple, avec celles qui leur sont assi- gnées dans une carte du x1v° siècle, reproduite par M. Frissard, dans son histoire du port du Havre. L'Ingénieur en chef actuel de ce port, et la Société havraise d'études diverses, provoqués par l'Académie, ne manqueront pas d'éclaircir ces questions d'un haut intérêt pour l'histoire géologique de notre département. M. Bergasse nous a communiqué des détails historiques fort curieux sur les bassins houillers de Rive-de-Gier et de Saint-Etienne, dont l'exploitation remonte au xv° siècle pour les premiers, et seulement à la fin du xvn° pour les seconds. En 1846, ils fournissaient plus de 15 millions d'hectolitre de houille, représentant, sur le car- reau des mines, une valeur de 12,700,000 fr. Cette valeur est plus que doublée par les transports, et ce sont ces frais énormes , bien plus qu'une prétendue supériorité dans les procédés d'extraction, qui rendent pour nous si redoutable la concurrence avec les mineurs anglais. Bancs de tourbe du bassin de l'Eure, au Havre. Bassins houillers de Saint - Etienne et de Rive-de-Gier, par M. Bergasse. Recherche de la houille à Sotteville. Zoologie. 29 ACADÉMIE DE ROUEN. M. Bergasse a profité de cette occasion pour combattre l'assertion avancée tout récemment par M. Michel Che- valier, qu'avant deux siècles, il n'y aura plus trace de charbon dans l'arrondissement de Saint-Etienne. Les houillières de cette localité ne sont point isolées, comme on le croit généralement. Les observations du professeur Fournet, de Lyon, prouvent qu'elles sont situées aux confins d'un immense système, encore inexploré, dont le Dauphiné fait partie. M. Pimont poursuit avec la même ardeur ses recherches de la houille dans nos environs. Les travaux de sondage entrepris à Sotteville étaient, au 30 juillet dernier, à la profondeur de 283 mètres. Jusqu’alors les couches tra- versées n'avaient offert que des alternances d'argile et de calcaire sans intérêt, mais, en retirant la sonde, il y a huit jours (4% août), on vit surgir tout-à-coup une colonne d’eau d'un volume considérable , qui n’a cessé de s'élever avec la même abondance. Malheureusement, cette eau, qui sort du grès-vert, contient, d'après mes analyses, jusqu'a 15 grammes de matières salines, sur lesquels il y a 13 grammes 1/2 de sel marin... Elle est donc trop * salée pour qu'on puisse l'utiliser à l'alimentation des chaudières à vapeur et aux usages de la vie commune , et pas assez pour qu'on puisse l’exploiter à l'instar des sources salines de nos départements de l'Est. Néanmoins, cette découverte d’une eau jaillissante, dans une localité si pauvre en puits et fontaines, n’est pas sans importance, et toute impure qu'elle est, cette eau pourra rendre encore d'immenses services, si le Comité pour la recherche de la houille décide qu'on doit la conserver et ne pas pousser plus loin les sondages. La géologie est si puissamment secondée par l'étude CLASSE DES SCIENCES. 23 des coquilles, que tout naturellement je puis passer de l’une de ces sciences à l’autre. Nous devons à M. Largilliert un résumé historique de la naissance et des développements successifs de la conchy- liologie, et c'est par ce travail instructif que notre nou- veau confrère a fait son entrée dans la Compagnie. C'est au xvi® siècle seulement que la science des coquilles commence à poindre. Dans le xvr°, apparaissent quel- ques tentatives de classification méthodique. Au xvime, Linné imagine un système bien supérieur à ceux de ses devanciers, et dans lequel il est tenu compte, pour la première fois, des caractères des animaux qui habitent les coquilles. Adanson, s'emparant de cette idée, la déve- loppe si bien que ceux qui sont venus après lui l'ont à peine surpassé. Enfin, Bruguières, Cuvier, Lamarck et Denis de Montfort, constituent définitivement la science , et lui assurent, par leurs nombreuses découvertes, la saga- cité de leurs vues et la justesse de leur langage , un des rangs les plus distingués dans l'étude des productions naturelles. Aujourd'hui, la conchyliologie n'est plus considérée comme une science futile, bonne tout au plus pour amuser quelques curieux et satisfaire les goûts fastueux de collec- teurs riches et puissants. On comprend, pour déterminer l'âge des terrains, ainsi que Bernard Palissy en a eu le premier l’heureuse inspiration dès 1580 , l'importance de ces débris fossiles qui marquent, pour ainsi dire, la filiation des temps sur les diverses assises de la croûte du globe. On sait, d'un autre côté, le parti que les peuples ont su tirer de l'abondance des mollusques sur leurs rivages , soit pour leur alimentation , leur vêtement , leur parure, soit pour l'application à certains arts utiles ou d'agrément. Sur la conchyliologie, par M. Largilliert. Mémoire sur les sangsues, par M. Ebrard. 24 ACADÉMIE DE ROUEN. Rouen est admirablement favorisé pour ce geare d'études , et, cependant, M. Largilliert le constate avec peine, on s'y occupe bien peu de conchyliologie. Il émet le vœu que, à l'exemple des Américains, les naturalistes de province s'appliquent à dresser la faune de chacun de nos départements. Jusqu'ici, on a préféré courir au bout du monde pour y chercher du nouveau, quand on a sous la main des trésors que l’on néglige ou dédaigne. La publi- cation de faunes locales, en signalant les richesses natu- relles du pays, développerait très rapidement le goût de la conchyliologie et de l'histoire naturelle en général. L'Académie s'associe à de pareilles idées et elle est toute disposée à prêter son appui à leur réalisation. (a) Un excellent travail de zoologie apphquée à la médecine nous a été envoyé par M. Ebrard , de Bourg. Il est relatif aux sangsues ; il agite le problème de leur multiplication et donne les moyens de les rendre propres à plusieurs suc cions. Ces questions ont une haute importance, puisque la France consomme annuellement près de 50 millions de ces annelides , et que, par suite du dépeuplement de ses marais et étangs, elle les tire des pays étrangers, en les payant jusqu’à 250 fr. le mille. Dans un sujet qui semblait épuisé par les nombreux ouvrages qu'il a fait éclore, le docteur Ebrard a su dire encore beaucoup de choses neuves et utiles. Ainsi, il fait connaître à quel âge les sangsues sont capables de se re- produire, quelle est la promptitude de leur accroissement, quelle est leur nourriture, quels sont leurs ennemis. Il in- dique l'aménagement , le terrain, les eaux, la forme et la végétation des étangs où elles prospèrent le mieux. Il cons- tate que leur fécondité est beaucoup plus grande qu'on ne le pense ; il prouve qu'elles peuvent croître et se repro- duire, bien que renfermées dans des espaces limités. CLASSE DES SCIENCES. 25 Ce qui lui a le mieux réussi pour opérer le dégorgement des sangsues repues de sang, c'est une courte immersion dans de l’eau rougie , suivie d’une legère pression entre les doigts. Il a pu ainsi faire servir treize fois de suite les mêmes sujets, sans qu'ils aient jamais refusé de piquer. L'emploi des vieilles sangsues est une pratique adoptée dans les Hôpitaux de Paris, et, en 1845, ilen est résulté une économie de 20,000 fr. Cette mesure , si elle se géné- ralisait, diminuerait la consommation des sangsues neuves et tendrait ainsi à faire baisser leur prix élevé. L'Académie , connaissant toutes les fraudes qui s'exer- cent dans le commerce des sangsues, a cru devoir, dans l'intérêt de la médecine pratique, appeler l'attention du Conseil d'hygiène et de salubrité sur ce point , et lui dé- montrer la nécessité de soumettre à une surveillance eflicace le commerce et la vente des sangsues en ville, alors qu'ils sont exercés par des gens qui ne sont ni her- boristes ni pharmaciens, et qui, par conséquent, échap- pent au contrôle du Jury médical. Nous savons que notre avertissement a été pris en sérieuse considération, et que , dès cette année, par ordre de M. le Préfet, la surveil- lance a commencé. Une autre branche de l'histoire naturelle, la botanique, n'a pas moins occupé les instants de l’Académie que la géologie et la zoologie. M. Bignon, en prenant place au milieu de nous, a, dans un tableau aussi brillant qu'animé , récapitulé les nom- breux services de la science des plantes, montré les agré- ments et le charme de son étude, signalé l'influence qu'ont exercé sur ses progrès Bauhin, Tournefort, Linné et les botanistes du xvre siècle, au nombre desquels il convient de placer £.-J. Rousseau qui, plus qu'aucun Botanique. Considérations générales sur la botanique, par M. Bignon. Sur la rhizotaxie , par M. Cloz. 26 ACADÉMIE DE ROUEN. autre peut-être, en a répandu le goût en France. L'inva- sion des hommes de lettres dans les rangs des naturalistes a eu d'heureux effets ; la littérature et la science y ont également gagné (L) Mais la partie du discours de M. Bignon, qui a plus vivement impressionné l'Académie, c’est celle dans la- quelle, pour prouver que depuis son origine la Compagnie a toujours compté dans son sein des botanistes éminents, il rappelle à son souvenir les mérites et les travaux de Mesaize , Guersent, Marquis , Leturquier de Longchamp ;, Levieux, Auguste Leprevost, le docteur Blanche , noms que la science et l'amitié n’oublieront jamais. Cette revue des célébrités, auxquelles ‘la botanique a dû son éclat dans notre ville, devait plaire à la Compagnie, qui se glorifie d’avoir pris naissance , au milieu des fleurs, dans cette réunion de savants, qui, dès 1716 , et surtout en 4740, recueillait avec un zèle si méritoire les richesses scientifiques de Dufay. Notre honorable Président , dans sa réponse au discours de M. Bignon , approuve ce botaniste d’avoir insisté sur la loi qui règle la distribution des plantes à la surface du sol, et d’avoir faire comprendre l'importance d’une flore descriptive complète qui permet de rencontrer, dans la même localité et à époque fixe, le végétal désiré. Il applaudit aux conseils judicieux qu'il donne pour imprimer à l'étude de la botanique une sureté de marche qui favorise ses progrès ultérieurs, et il constate avec plaisir que , pour justifier la bonté de ses principes , M Bignon a su le premier prêcher d'exemple. M. le docteur Cloz, répétiteur à l'Institut agronomique de Versailles, et que l'Académie à associé à ses travaux, nous a soumis plusieurs de ses écrits , parmi lesquels on à surtout distingué un mémoire relatif à la disposition CLASSE DES SCIENCES. 27 symétrique des radicelles sur la souche. C'est ce que l'auteur appelle Rhizotaxie, étude inabordée avant lui et qu'il a élevée à la hauteur des plus hautes questions de la science. Les idées de M. Cloz à ce sujet ont une grande portée scientifique et ne resteront pas stériles ; il en a déjà lui-même tiré d’heureuses conclusions à propos de la véritable nature des radicelles. D'après lui, ce sont des organes indépendants, qui diffèrent essentiellement, par leur origine et leur mode de développement, des organes axiles et appendiculaires. C'est là réellement un fait capi- tal dont la découverte appartient tout entière à M. Cloz. L'appel fait par l'Académie , l’année dernière, aux bota- nistes normands, n’a pas été vain. Deux jeunes natura- listes de cette ville se sont empressés de lui adresser des matériaux utiles pour la rectification et le complément de la flore du département. M. Emmanuel Blanche , marchant dignement sur les traces de son père, s’est attaché à comparer les plantes de l'herbier de M. Leturquier de Longchamp, dont il est devenu possesseur , avec le texte de la flore éditée en 1816 par ce vénérable Académicien. Depuis l'apparition de cet ouvrage, on s’est borné à recueillir et à signaler les plantes qui n’y ont point été décrites, sans examiner si celles qui y figurent existent réellement dans le pays , et il est résulté delà que beau- coup de plantes, qui ne sont point spontanées chez nous , passent cependant pour s’y trouver , et y sont inutilement cherchées. M. E. Blanche a voulu s'assurer tout d’abord si ces plantes introuvables sont dans l’herbier de M. Letur- quier, et ont été réellement rencontrées avec une indica- tion précise de localité. Cet examen a eu pour résultat de le convaincre, ou que la plante nommée dans la flore n'était pas celle qui figure dans l'herbier, et que, dès lors, Communica- tion de M. Er. Blanche Communica- tion de M. Malbranche 28 ACADÉMIE DE ROUEN. l'auteur l'avait mal nommée , ou , si elle s'y trouvait, que l'auteur n'avait pas vérifié qu'elle fut originaire de la localité qu’on lui avait indiquée , ou , enfin, qu’elle ne se trouvait pas dans l'herbier, la description n'étant alors que la reproduction de l'erreur d’un auteur précédent , copié par M. Leturquier. Quant aux plantes de l'herbier fort exactement décrites, et pourtant étrangères à nos en- virons, M. Blanche a pu constater que M. Leturquier les avait reçues de botanistes qui évidemment l'ont trompé sur le lieu d’origine. (c) Ainsi , M. E, Blanche élague de notre flore tout ce qui y à été placé mal à propos. Ses nombreuses recherches lui permettront , l'Académie l'espère, de remplir ces la- cunes. En tout cas, ce botaniste zélé promet un catalogue complet, critique et raisonné, des plantes qui croissent spontanément dans la circonscription de la Seine-Inférieure et de l'Eure, et plus tard, il se propose de publier la flore générale de ces deux départements. L'Académie applaudit à ces utiles projets, et elle ne doute pas que M. E. Bianche ne puisse mener à bonne fin une entreprise qui n’est pas sans offrir de sérieuses diflicultés. M. Malbranche, de son côté, a envoyé pour l’herbier régional 52 espèces de cryptogames parasites, et, en outre, une note manuscrite sur les herborisations et sur l'étude des espèces en botanique. Dans ce travail, l'auteur a voulu prouver que les herborisations sont fort utiles, que la physiologie et la philosophie végétales ne sont pas toute la botanique, que l'étude et la connaissance des espèces sont nécessaires à la science du botaniste. En soutenant une thèse si peu contestable, M. Malbranche a voulu dé- fendre les collecteurs de l'espèce de dédain avec lequel les professeurs traitent, en général, ces pionniers de la science. Mais il faut que ces derniers en prennent leur parti ; « dans CLASSE DES SCIENCES. 29 le domaine de la science comme dans les champs de bataille, a dit M. Bignon, qui nous a rendu compte de la notice du pharmacien de Rouen, c’est au général qu'on décerne la couronne triomphale. Celui qui saisit l'ensemble , éta- blit l'ordre, coordonne et dirige les efforts isolés pour -en faire un tout harmonieux et régulier, a droit à une place d'honneur, et c’est justice qu'il l'obtienne ; d'ailleurs, dans cette carrière, il n’y a point de tour de faveur ; et si tout soldat a son bâton de maréchal dans sa giberne, le botaniste a, dans sa boîte d'herborisation, son diplôme de membre de l’Institut...... » L'Académie espère que de nouveaux envois prouveront que le goût de la botanique n’est pas éteint en Normandie, et que de jeunes et actifs amateurs se préparent à conti- nuer l'œuvre de leurs habiles prédécesseurs. A propos des tentatives faites par la Société centrale d'Agriculture du département pour tirer des greffes d'ar- bres à cidre des îles anglaises et de la Navarre, M. Bergasse nous a confié ses remarques sur la culture des pommiers dans le Guipuscoa, qu'il a parcouru en septembre dernier. Les arbres des provinces espagnoles diffèrent beaucoup des nôtres par leur port et leur mode de fructification. Ils n’ont guère plus de 5 à 6 mètres de hauteur ; ils sont plantés plus serrés , reçoivent une culture analogue à celle de la vigne , et leurs fruits, plus gros et plus variés de couleur, sont très abondants, et se montrent, non pas seulement au bout des branches, mais tout le long et jusque sur les rameaux les plus intérieurs. Leurs guir- landes ne sont pas le moindre ornement de l'admirable route qui conduit d'frun à Saint-Sébastien, surtout quand on la parcoure en automne. Les pommes sont cueillies à la main avec beaucoup de précaution , et jamais arrachées AGRICULTURE Plommiers des provinces espagnoles, par M. Bergasse. Ouvrages agronomiques dûs à des membres de l’Académie. Communica- tions relatives aux substances alimentaires. 30 ACADÉMIE DE ROUEN. avec cette violence qui, chez nous, compromet souvent l'avenir au profit du présent. Quant au cidre, M. Bergasse l’a trouvé au moins aussi agréable que le bon cidre de Rouen , et de beaucoup pré- férable au vin épais et fortement chargé de goudron que l’on présente aux étrangers. Plusieurs ouvrages d’agronomie et d’arboriculture dûs à des membres de l’Académie, ont été, pour M. Bergasse , l'occasion de rapports intéressants. Je mentionnerai entre autres : Le magnifique travail de M. Soubeiran sur l’histoire chimique de l'Humus et sur son influence sur la végéta- tion ; Le mémoire de MM. Soubeiran et Girardin sur les Tour- teaux des graines oléagineuses ; Les publications de la Société d'Agriculture de Roüen sur les nouveaux Engrais concentrés du commerce ; Le 1° volume du Cours élémentaire d'agriculture publié par MM. Girardin et Dubreuil ; Enfin , la 2° édition du Cours d'arboriculture de M. Du- breuil fils, ouvrage qui, grâce à quelques remaniements et à de nombreuses additions , mérite plus que jamais les éloges qui lui ont été unanimement donnés. Tout ce qui se rattache à la subsistance des populations doit être l’objet d’une étude approfondie tant de la part de l’agronome que de l’économiste et de l'administrateur. L'Académie a donc accordé une sérieuse attention aux communications qui lui ont été faites par M. Bergasse sur les blés de Russie, par MM. Mérat et Bignon sur les plantes proposées pour remplacer la pomme de terre, par MM. Mar- chal et Bergasse sur /4 question des subsistances en général, CLASSE DES SCIENCES. 31 par MM. Giulio de Turin et la Société de Commerce de Rouen sur la taxe du pain. Je vais essayer de caractériser en peu de mots chacun de ces écrits. Aujourd'hui, où plus que jamais les idées de certains éco- nomistes qui poussent à l'abolition de tous les droits d’en- trée sur les produits étrangers, semblent prendre faveur, il importe d’être bien fixé sur les prix de revient des prin- cipales denrées que le commerce pourrait nous apporter, et qui viendraient lutter sur nos marchés avec les pro- duits indigènes similaires. Le blé est en tête de toutes ces matières par l'importance de sa consommation. La Russie en exporte une grande quantité, principale- ment par les ports de la Mer-Noire. Ces blés sont récoltés dans les immenses possessions méridionales de cet empire. Leurs prix de vente, à Odessa et à Sébostopole, ne s'élèvent pas à plus de 8 à 9 fr. l'hectolitre ; mais c'est qu'aussi, comme nous Ja dit M. Bergasse , le transport de ces blés, des points les plus éloignés jusqu'aux ports d'embarque- ment, ne coûte absolument rien aux propriétaires russes, puisque ce sont leurs serfs ou mougics qui l'effectuent. Ceux-ci, pendant leurs voyages qui durent souvent un mois, ne vivent que de bouillie de farine , couchent sur la steppe, et n'ont pour tout attirail qu'une petite charrette à roues pleines , traînée par deux bœufs. Une fois arrivés à destination, ils vendent leurs bœufs pour la boucherie, la charrette comme bois à brûler, et retournent à pied dans leur pays. Ces renseignements confirment ceux que produisait naguère M. Thiers à l’Assemblée nationale dans la discus- sion de la proposition de M. Sainte-Beuve , et prouvent quelle redoutable concurrence les blés russes feraient aux blés français, si les conditions actuelles des douanes à la frontière étaient modifiées. Sur les blés de Russie, par M. Bergasse. Lois sur les céréales, par la Société de Commerce de Rouen. Plantes pouvant remplacer la pomme de terre, par M. Mérat. 32 ACADÉMIE DE ROUEN. C'est également dans le sens de MM. Bergasse et Thiers que se prononce la Société de Commerce de Rouen, qui vient de publier une excellente brochure sur les mesures à prendre pour assurer l'approvisionnement de la France en céréales. Comme ces messieurs, elle insiste pour le maintien des lois des 15 avril 1832 et 26 avril 1833 , en vigueur aujourd'hui, et qui permettent, dans une sage proportion , l'importation ou l'exportation des grains , sui- vant les besoins, et les entretiennent à un prix modéré. Elle indique seulement quelques légères modifications qu'elle croit nécessaire d'apporter à ces lois. Mais si, dans l'intérêt de l’agriculture nationale , il con- vient de repousser la liberté absolue de l'introduction des céréales , il est prudent de favoriser celle des plantes qui peuvent nous donner les moyens de remplacer, pour notre alimentation et celle de nos bestiaux, la masse énorme de matière alimentaire que la maladie spéciale de la pomme de terre nous enlève annuellement depuis 1845. Celui qui nous apporterait aujourd’hui une plante nouvelle , suscep- tible d'une culture appropriée à notre sol et à notre climat, ayant toutes les propriétés précieuses de la parmentière , sans être sujette comme elle à la maladie qui rend les chances de sa culture aussi précaires, aurait droit aux béné- dictions des peuples et aux hommages des savants. Malheu- reusement , comme nous l'a appris notre confrère Mérat, dont la perte récente nous afflige profondément (d), aucune des plantes proposées dans ces derniers temps comme succédanées de la pomme de terre , à savoir : la Boussin- gaultie (Boussingaultia baseloïdes), l'Apios tubereux (Apios tuberosus ), la Piquotiane (Psoralea esculenta), et l'UI- tuco du Mexique ( Ullucus tuberosus), n’a tenu les pro- messes des importateurs. M. Mérat a insisté, toutefois, pour qu'on n'abandonnât pas l'Ulluco, car trois années CLASSE DES SCIENCES. 33 d'essais ne prouvent pas assez; mais, et c'est M. Bignon qui l'a fait remarquer fort judicieusement, il ne faut rien espérer tant qu'on n'aura pas obtenu cette plante de se- mence, attendu que la reproduction par tubercules fait revenir invariablement le type, sans apporter de modifi- cations dans les propriétés de la plante-mère, L'ouvrage que M. Marchal, ingénieur des ponts et chaus- sées , en résidence à Rouen, a publié sur la question des subsistances, et qui a été couronné par la Société d'Éco- nomie charitable, à la suite d’un brillant concours ouvert en 1847 sur la proposition de M. de Cormenin , a pour but d'indiquer un moyen d'établir et d'entretenir en France l'équilibre entre la population et la production des subs- lances alimentaires. C'est là un sujet plein d'actualité, mais en même temps ardu , complexe , et comportant d'immenses développements. Si M. Marchal n’a pas atteint complètement le but proposé , il en a approché de bien près; c'est au moins ce qu'a pensé la Commission que l’Académie avait chargée d'examiner le livre de cet écrivain aussi docte qu'habile. Comme conclusion définitive de l’auteur et de la Commission académique , le seul moyen praticable de mettre en harmonie les subsistances avec la population incessamment croissante , c'est d'exploiter le sol de manière à lui faire rendre tout ce qu'il peut donner, c'est de faire converger toutes les forces vives du pays vers l'agriculture , cette source la plus féconde et la plus cer- taine de la richesse nationale, Mais faut-il laisser sans réglements le commerce des grains et la vente du pain? Deux opinions diamétrale- ment opposées sont ici en présence. Les uns, et tel est le professeur Giulio, de Turin, dont nous avons discuté les ouvrages, préconisent le système de la liberté illimitée en 3 Ouvrage de M. Marchal sur les subsistances. Taxe du pain. Alimentation dans les pays chauds, par M. Bergasse. 34 ACADÉMIE DE ROUEN. matière de boulangerie , et demandent la suppression de la taxe du pain, qui empêcherait les heureux résultats nés de la concurrence , à savoir : le bon marché et la bonne qualité des produits; les autres, et dans cette catégorie vient se placer la Société de commerce de Rouen, pro- clament la nécessité d’une organisation uniforme de la boulangerie et proposent, en conséquence , de limiter le nombre des boulangers . afin de leur assurer des bénéfices proportionnés à leurs charges , tout en maintenant le pain au meilleur marché possible, à l'aide de la taxation, et en leur imposant l'obligation d'entretenir une réserve qui puisse suffire à l'alimentation de la population pendant 45 jours , temps nécessaire au commerce pour faire arriver au besoin des grains de l'étranger. Cette dernière"opinion est évidemment la plus sage , et malgré l'exemple de Naples, de Florence, de Londres, l'Académie croit qu'il y aurait quelque danger à abandon- ner l’industrie de la boulangerie à elle-même. C’est dans ce sens qu’elle a répondu à l'administration municipale qui l'avait consultée sur les documents relatifs au com-— merce du pain émanés du Gouvernement Piémontais. L'emploi des substances alimentaires appelle aussi l’at- tention du physiologiste , car on a intérêt à savoir quelle est la part qu’elles prennent au développement des forces musculaires. M. Bergasse a envisagé la question à ce point de vue, et, en l’approfondissant, il n’a pas tardé à recon- naître combien sont erronés les principes généraux qui ont été formulés dans ces derniers temps à l'égard de lali- mentation. Prétendre, comme on l’a fait, que l'homme ne peut se passer d'aliments animalisés , que les substances végétales sont impuissantes à entretenir normalement la vie, c’est soutenir une opinion qui a contre elle les faits et le témoignage des meilleures observateurs. Les races, CLASSE DES SCIENCES. 35 le climat, exercent une influence incontestable sur le dé- veloppement des individus, et modifient singulièrement l'effet des aliments ; c'est ce dont on est convaincu quand on met en comparaison la nourriture et les forces des ha- bitants des pays chauds avec celles des gens du nord. Il y a des peuples entiers qui ne se nourrissent que de végé- taux, et même, parmi les populations civilisées de l'Europe, il y a ure foule d'individus, robustes et bien constitués, qui ne mangent jamais de viandes. A cet égard, M. Ber- gasse nous à communiqué les renseignements qu'il a ob- tenus de l'Algérie, et qui s'appliquent à des ouvriers kabyles, arabes, espagnols, allemands et français ; il en ressort que si les travailleurs européens ont eu jusqu'ici la supériorité, pour la force et l'énergie , sur les indigènes, dont le ré- gime est tout différent et purement végétal, néanmoins il y a beaucoup d’exceptions en faveur de ces derniers, car la race arabe a été douée par la nature d’une grande force musculaire, et il y a lieu de penser que si son alimentation était améliorée , elle ne le céderait à aucune race connue. M. Bergasse est donc bien loin de partager l'engouement de certaines personnes pour le régime purement animal , et de regarder le régime adopté par les Anglais comme devant servir de type et de modèle à tous les autres peuples; car, d'après lui, il est opposé aux règles d'une bonne hy- giène qui doit sauvegarder à la fois les intérêts du moral et ceux du physique. Ainsi que cela est ressorti de la dis- cussion qui a eu lieu, à ce sujet, dans le sein de l'Acadé- mie, c’est dans une association convenable des aliments azotés aux aliments végétaux, association modifiée dans un sens ou dans un autre , suivant les races et les climats, que consiste le meilleur régime alimentaire à suivre. Ce qui a conduit M. Bergasse à s'occuper, d'une ma- nière générale , de cette question si complexe de l’alimen- Analyse des vins, par M. Bergasse. 36 ACADÉMIE DE ROUEN. tation, c'est que certains physiologistes ont voulu déter- miner la valeur relative des boissons fermentées par la proportion d'alcool qu'elles contiennent, et que, s'appuyant sur des analyses mal faites , ils ont regardé les vins de Bordeaux comme bien supérieurs aux vins de Bourgogne par ce seul fait qu'ils seraient plus alcooliques que ces derniers. Or, c’est précisément le contraire qui existe, puisque, d'après les nombreuses analyses faites par M. Delarue , de Dijon, les premiers crus de Bordeaux ne contiennent que 9 1/2 p. 100 d'alcool, tandis que ceux de Bourgogne en renferment 13 1/2. Pour M. Bergasse , les vins rouges provenant des côtes de la Méditerranée sont beaucoup plus nourrissants dans les climats chauds que toutes les autres boissons fermen- tées, et comme preuve. il cite ces deux faits très con- cluants, à savoir : Que la substitution des vins rouges du Midi au taflia dans l'alimentation des Nègres, au Brésil, a doublé le travail de ceux-ci ; Et que les matelots noirs Anglo-Américains auxquels on donne double ration de vin, dès qu'ils arrivent dans les mers de l'Inde , font 20 fois plus d'ouvrage, principa- lement à cause de cette circonstance , que les portefaix hindous. Les propriétés nourrissantes des vins du Midi tiennent surtout , d'après notre confrère, à la grande quantité de matières extractives et colorantes qu'ils renferment dans leur premier âge, et qui masquent la présence de l'alcool. C’est surtout alors qu'ils sont plus propres à l’alimen- tation. Essais de Un autre de nos membres , M. Lepage. dont j'ai déjà panification, Cité plusieurs fois le nom dans le cours de ce rapport. a par M. Lepage. envisagé la même question au point de vue économique , CLASSE DES SCIENCES. 37 en s'attachant, de concert avec une commission du Comice agricole de Gisors, à fabriquer du pain sans retrancher de la farine le son du grain qu'on à l'habitude d'en ex- traire . On sait que M. Millon a coustaté que le son est une sub- stance très riche en gluten ; qu'il renferme, en outre, de l'amidon, du sucre, des matières grasses, un principe aromatique , et seulement 10 p 100, au maximum de ligneux ou matière inerte. Ce résultat renverse toutes les théories d’après lesquelles on s'était habitué à raisonner depuis bien des années. En effet, M. Millon est arrivé à conclure de ses analyses, que le son est une substance essentiellement alimentaire , et que par le bluttage on ap- pauvrit le blé dans son azote, dans sa graisse, dans sa fécule, dans ses principes aromatiques et sapides , pour le débarrasser de quelques millièmes de ligneux. La cou- clusion économique serait de remoudre les sons et les gruaux , et de les mélanger à la fleur de farine. D'après l'habile chimiste de Lille , le pain ainsi confectionné serait d'une qualité supérieure , d’un travail facile , et ne présen- terait plus les inconvénients du pain de farine brute , tel qu'on le fait dans quelques localités, et notamment en Belgique. M. Lepage et ses confrères de Gisors ont voulu savoir à quoi s’en tenir sur de pareilles prétentions; voici leurs expériences et les conclusions qui en découlent : 1° Du pain a été préparé avec trois parties de fleur de farine et une partie de son finement remoulu. Ce pain renfermant par conséquent les 25 p. 100 du son qu'on en élimine habituellement, a paru réunir toutes les qualités désirables ; mais sa nuance bise est un obstacle puissant à son application à la nourriture de l'homme , à celle de l'habitant des villes surtout , qui se nourrit presqu'exelusi- vement de pain blanc. HYGIÈNE. 38 ACADÉMIE DE ROUEN. 2° On a confectionné aussi du pain avec parties égales de farine , de son et de fleur de farine ; puis avec un mé-— lange de deux parties de farine de maïs. d'une partie de farine de son et d'une partie de fleur de farine. Ces sortes de pains ne peuvent être envisagées que comme pains de circonstance , qu'il y aurait seulement avantage à fabriquer en temps de disette , principalement celui dans la confec- tion duquel il entre de la farine de maïs. 3° Dans l'intention d'obtenir presque toutes les parties nutritives du son, à l'exclusion du ligneux, et de les in- troduire seules dans le pain , afin d’avoir tout à la fois un aliment aussi blanc que d'habitude et plus nutritif ou sa- voureux , M. Lepage a fait une forte décoction de son dont il s’est servi en place d’eau pour confectionner la pâte. Il a obtenu ainsi un pain très blanc, très nourrissant, d’une saveur agréable, quoiqu'un peu douceâtre. Le son n'avait cédé à l’eau qu'un peu plus du tiers de son poids, et rete- pait encore beaucoup d’amidon, de gluten et de matières grasses. Le but principal , dépouiller le son de tous ses principes nutritifs, n’est donc pas atteint par l’action de l’eau bouillante. On ne peut raisonnablement recomman- der cette pratique nouvelle, vu les frais qu’elle entraîne et le peu d'avantages qu’elle produit (e). L'hygiène publique est encore un de ces sujets qui ont le privilége d’intéresser la société tout entière , depuis l’ar- tisan qui vit du travail de ses mains, jusqu’au savant qui se livre aux méditations du cabinet. C'est qu’en eflet, pendant son passage si rapide sur cette terre, rien n’est plus cher à l’homme que la santé et la vie. Avec la pertur- bation incessante des fonctions de son organisme, il lui est impossible de jouir d'aucun bonheur ici-bas, de parvenir à sa destinée morale. CLASSE DES SCIENCES. 39 Il semblerait, d'après cela, qu'il doit tout essayer pour se maintenir constamment dans les meilleures conditions hygiéniques. Il n’en est rien cependant , et pour ne parler que d'un seul point, que n’y a-t-il pas à dire contre les habitations dans lesquelles nous passons les trois quarts de l'existence? Notre confrère M. De la Quérière s'est ému de l’indifférence qui préside à la construction intérieure de nos demeures , et ila composé tout exprès un livre pour éveiller l'attention des architectes, des administrateurs , des particuliers , sur ce grave sujet. L'exposition la meil- leure à choisir, les moyens d'éviter l'humidité et les grandes chaleurs , la forme des toitures, celle des escaliers, les hauteurs à adopter pour les étages, les dimensions des croi- sées , l'utilité et la disposition des cheminées, les incon- vénients des entresols, voilà les points principaux sur les- quels M. De la Quérière donne d'excellents conseils, que l'Académie approuve , et dont elle espère que les intéressés tireront parti. Notre confrère , en publiant son livre, n'a pas seulement donné la preuve de son savoir, il a fait acte de bon citoyen. C'est également une bonne pensée qui a porté M. le D° Guillaume à composer le Catéchisme hygiénique qu'il a soumis au jugement de l'Académie. Cet ouvrage n’a pu concourir l'année dernière pour le prix proposé, à cause de sa publication anticipée. Cette circonstance est fort à regretter, car ce petit livre remplit la plupart des condi- tions exigées par notre programme. Le principal mérite de l'auteur, c'est d'avoir cherché, par la simplicité des expressions, à se placer à la portée de tous , et d’avoir rejeté bien loin toute prétention scientifique. Tout, chez lui, est clair, précis, sanctionné par l'expérience. Ses avis sont partout de sages conseils, de précieux enseignements. Si son ouvrage n'est pas supérieur à celui du D' Ebrard , Hygiène des habitations, par M. De la Quérière. Catéchisme hygiénique, par M. Guillaume. MÉDECINE. Mémoire ‘de MM. Duclos et Bouteiller. 10 ACADÉMIE DE ROUEN. de Bourg, dont je vous parlais l’année dernière , il marche immédiatement après lui. La médecine proprement dite a aussi fourni son contin- gent aux travaux de l’Académie. Sans parler des ouvrages sur le choléra adressés par MM. Tribes de Nismes, Ala- dane de Lalibarde et Duchesne, de Paris, de la Motice statistique, historique et médicale sur l'Asile public des Aliénés de Lille, et de la Topographie historique, physique et médicale de Cassel , offertes par M. le D' de Smyttère , de Rouen , ouvrages sur lesquels MM. Hellis et Vingtrinier ont fait des rapports favorables, je mentionnerai particu- lièrement le mémoire sur les convulsions qui surviennent pendant l'accouchement à terme, présenté par MM. Duclos et Bouteiller fils, et dont M. Avenel a signalé limpor- tance. Laissant de côté les classifications généralement admises, les auteurs n’attribuent les phénomènes variables de l’é- clampsie qu'à l’exagération des’ mouvements reflexes. L'idée capitale de leur mémoire est de prouver que le point de départ des accidents , loin de reconnaître l'utérus pour origine, y est sinon étranger, du moins beaucoup moins important qu'on ne l'avait supposé jusqu'ici. Fruc- tueuse au point de vue du traitement comme à celui de la saine physiologie, l'opinion de MM. Duclos et Bouteiller à été admise et soutenue par M. Avenel, qui a cité à l'appui plusieurs faits de sa pratique. L'Académie félicite les jeunes docteurs de Rouen, dont elle avait pu déjà apprécier le savoir et le zèle, du succès mérité qu'ils ont obtenu, à cause de leur mémoire, auprès de la Société de Médecine de Toulouse, qui, tout en les couronnant, les a gratifiés du titre de membres correspon- dants. CLASSE DES SCIENCES. “1 Je viens de passer en revue, Messieurs , les travaux de l'Académie qui se rapportent aux sciences mathématiques, physiques et médicales. Il me reste à vous signaler ceux qui sont du domaine de la statistique et de l’économie so- ciale, sciences beaucoup moins positives que les premières, mais qui prennent de jour en jour une marche plus assurée et plus féconde en heureuses applications , par les études incessantes dont elles sont l'objet. Nous devons à M. Nepveur des recherches statistiques sur la mortalité des enfants trouvés en France et à Rouen en particulier. Après avoir proclamé l'utilité des tours et des hospices dépositaires contre lesquels tant d’oppositions se sont éle- vées dans ces dernières années ; après avoir établi que, sans ces institutions , la mortalité chez les enfants trouvés serait encore bien plus considérable qu'elle l'est malheu- reusement , notre confrère discute la question de savoir si, comme on l’a prétendu, cette mortalité est plus grande à Rouen qu'à Paris et à Lyon. M. Nepveur prouve d'abord par des chiffres que les prin- cipales causes qui rendent les décès si nombreux dans notre hospice dépositaire sont antérieures à la présentation des enfants, car ceux-ci passent souvent du tour à la crèche , et de la crèche à l’ensevelissoir. Malgré tous les efforts de l'administration depuis 1687 pour diminuer les chances de mortalité chez les enfants exposés, cette mor- talité est toujours aussi grande aujourd'hui qu'autrefois ; cela tient à la constitution frèle , maladive ou viciée de ces jeunes sujets, au défaut de soin avec lequel s'effectue le plus ordinairement l'apport du nouveau-né à l'hospice , et aussi à ce que très souvent une mère expose son enfant lorsqu'il est voué à une mort certaine, dans le but unique de s'épargner les frais d'inhumation. STATISTIQUE. ÉCONOMIE SOCIALE. Mortalité des enfants trouvés à Rouen , par M. Nepveur. 42 ACADÉMIE DE ROUEN. Une autre circonstance qui a pour effet d'élever chez nous le chiffre de la mortalité , c’est qu'on y observe sévè- rement les prescriptions du décret du 19 janvier 1811, en sorte qu'on ne reçoit presque pas de ces enfants sains et robustes , appartenant à des parents encore aisés, qu'on admet si facilement ailleurs. On conçoit très bien que le contingent de ces enfants bien portants et vigoureux, ap porté au nombre total des enfants exposés, donne pour résultat un chiffre de mortalité relativement moins consi- dérable. Aussi, tant qu'on n'aura pas prouvé que les autres villes sont dans des conditions aussi défavorables que Rouen, il n'y aura rien à conclure des statistiques contre l’hospice de notre ville. Il y a, toutefois. des améliorations à y introduire pour restreindre de plus en plus les chances de mort, telles, par exemple, que l'établissement d'une nouvelle crèche réunissant toutes les conditions de-salubrité qu'on est en droit d'exiger, telles encore que l'élévation du prix des mois des nourrices, afin qu'il y ait possibilité de faire un choix. Espérons que l'administration, qui veille avec tant de sollicitude aux besoins de nos hôpitaux, ne tardera pas à satisfaire à ces nouvelles exigences que réclame l'hu- manité. Opérations du Un autre établissement public qui ne mérite pas moins Mont-de-Piété {out notre intérêt, c’est le mont-de-piété, qui rend tant de Rouen, de services, quoi qu'on en dise , à la classe ouvrière, Nous PRE voyons, par le tableau décennal de ses opérations pour la période de 1841 à 1850, présenté par M Ballin, que la moyenne annuelle des prêts dépasse 1 million pour 93,000 articles. Ces prêts sont, en général, de peu de valeur, la plupart de 3 à 5 fr. Depuis 3 ans, les engagements ont suivi une progression décroissante en nombre et en valeur, CLASSE DES SCIENCES. 13 ce qui semble annoncer moins de gêne et peut-être aussi plus d'ordre et d'économie chez les ouvriers. C’est le mardi où il se fait le plus d'engagements ; le samedi et le dimanche sont les jours où les dégagements sont les plus nombreux, ce qui prouve, contrairement à l'opinion généralement accréditée, que les fêtes donnent lieu à plus de dégage- ments que d'engagements. Deux autres remarques inté- ressantes ressortent encore de l'examen du tableau sta üistique dressé par M. Ballin, c'est que le nombre des emprunteurs inculpés de vol se réduit à # ou 5 par an , et que le nombre des faillites déclarées à Rouen a été en décroissant depuis 3 ans ; il n’y en a eu que 53 en 1850, tandis que le terme moyen était précédemment de plus de 120. C'est le lieu de vous parler de l'administration de la Justice criminelle en France. Je le ferai en extrayant les faits les plus saillants qui se rapportent à l'année 1848 du compte raisonné qui nous a été présenté à ce sujet par M. Antoine Blanche, que sa position met plus que tout autre en état de discourir savamment sur une pareille question. Grâce à l'abondance des récoltes en 1847, l'année 1848 s'ouvrit sous de favorables auspices ; elle devait donc ra- mener la situation normale des années précédentes, que la disette de 1846 avait bouleversée en accroissant , d'une manière considérable , les délits et crimes contre la pro- priété, les rebellions contre l'autorité. Et, en effet , en 1848, le nombre des crimes et délits diminua dans une proportion remarquable. Toutefois, ce fait ne s'explique pas par la seule amélioration de l'état général du pays. I faut aussi en attribuer la cause au relâchement momen- tané de la surveillance, au défaut de constatation des crimes el des délits, à la mollesse de la répression. Administration de la justice criminelle en France. nn RS Re RE OURS de S » CRE { 4 ACADÉMIE DE ROUEN. Cette diminution de 1848 ne porte pas également sur toutes les espèces de délits ; elle a été considérable pour les prévenus de vols, d'escroquerie , d'abus de confiance et de mendicité ; en un mot, pour les prévenus de délits contre la propriété, qui avaient le plus augmenté en 18#7. On remarque, au contraire , un accroissement très no- table dans le nombre des prévenus de rebellion, d'outrages et violences envers les agents de l'autorité. C'est la con- séquence forcée de l'agitation excitée et entretenue par les événements politiques dans certains départements. Si l'on considère dans leur ensemble les résultats des poursuites correctionnelles , on trouve que, sur 1,000 pré- venus, 115 ont été acquittés, 885 condamnés. Les récidives se produisent toujours dans la même pro- portion : 163 sur 1,000 en 1848; c'était 168 en 1847 et 169 en 1846. M. Blanche ne paraît pas très convaincu que les améliorations qu'on se propose d'introduire dans le système pénitentiaire amènent des résultats moins tristes. Plus de la moitié des prévenus en récidive avaient déjà comparu plusieurs fois devant les tribunaux. Les accusés traduits devant les assises ont été moins nombreux en 1848 qu'en 1847. La réduction porte plus exclusivement sur les prévenus de crimes contre la pro- priété ; elle a été de 29 p. °.. Les crimes contre les per- sonnes n’ont diminué que de 10 unités. Les 7,352 accusés jugés en 1848 par les Cours d'assises, comparés à la population totale de la France, donnent le rapport d'un accusé pour #,815 habitants ; mais ce rapport change considérablement suivant les départements. Les habitants des communes rurales forment, comme toujours, les 3/5° des accusés. En 1847, le nombre des acquittés ne formait que le tiers du total des accusés; en 1848, il en forme plus des deux cinquièmes. Ce résultat est dû principalement au CLASSE DES SCIENCES. #5 décret du gouvernement provisoire, qui, en abrogeant la loi du 9 septembre 1835 , et en exigeant neuf voix au lieu de sept pour la condamnation, ne pouvait manquer d’accroitre beaucoup, au détriment de l'ordre et de la sécurité publi- que, le nombre des acquittements. Le décret du 18 octobre 1848, qui a remplacé le précédent, a sans doute rendu à la repression une partie de son énergie ; cependant , les acquittements continuent à être plus nombreux qu'ils ne l’étaient autrefois. M. Blanche est d'avis que ce décret soit abrogé, la législation antérieure conciliant parfaitement les intérêts de la société et ceux de l'accusé. Le nombre des jugements rendus par les tribunaux de simple police est inférieur de plus de moitié à celui des dernières années ; c'est la conséquence de la révolution de février. Pendant plusieurs mois , en effet, la police muni- cipale demeura à peu près inactive sur presque tous les points de la France, soit que d’autres soins plus impérieux occupassent sesagents , soit que l’on craignît de constater les contraventions commises. Les résultats de 1848 dans l'administration de la justice criminelle, comparés à ceux des vingt années précédentes, montrent que la société française vit toujours de la même vie, et que, si elle ne grandit pas en moralisation, elle est loin de s’affaisser dans la dépravation et la perversité. J'ai encore à vous entretenir, Messieurs , avant de clore ce compte-rendu, que vous avez sans doute trouvé trop long, d'une haute question d'économie sociale qu'un de nos nouveaux membres, M. Marchal, a soulevée le jour de sa réception. Il s'agit de l'influence des voies de commu- nication sur les progrès moraux et matériels des peuples. Parmi les faits qui ont exercé de l’action sur le develop- pement successif de la civilisation , il en est un dont les philosophes et les historiens, même les plus éminents, Influence des voies de communica- tion, par M. Marchal. 46 ACADÉMIE DE ROUEN. n'ont pas tenu compte ; c'est la facilité plus ou moins grande qu'ont les peuples de communiquer entre eux. L'influence de ce fait matériel apparaît dans tout son jour, quand on compare la prospérité passagère et bornée de Carthage, de Tyr, des villes de la Grèce , qui ne surent point s'établir solidement sur le sol qui les portait, qui ne comprirent pas qu’il y fallait tracer des voies de commu- nication pour s’assimiler ou dompter les populations envi- ronnantes, avec la domination si puissante, presque univer- selle. et de si longue durée que Rome a exercée. Les Romains, en reliant toutes les villes de leur vaste empire par ces voies, si solidement construites que les traces en subsistent encore après plus de quatorze siècles, eurent un double but : assurer leur domination par le transport facile des troupes, se concilier les populations par les bienfaits qu'ils leur apportaient. Ils ont partout réussi. La même influence civilisatrice se révèle encore quand on étudie l'époque la plus barbare du moyen-âge , celle de l'invasion de l'Europe par les hordes asiatiques. Ce sont encore les routes qui donnent la puissance à ceux qui les font, la conservent à ceux qui les possèdent, et leur per- mettent de résister à l'abus de la force. En dehors du sentiment religieux et guerrier qui les avait provoquées, les croisades n'ont tant influé sur les progrès de l'humanité que parce qu’elle ont mis en com- munication l'occident de l'Europe avec l'occident de l'Asie, que parce qu'elles ont opéré la jonction entre des nationa- lités tout-à-fait opposées. Lorsqu'à une époque plus rapprochée de nous, les Communes se forment et résistent à la domination féodale, elles ne luttent avec succès et n’acquièrent de la stabilité que là, où comme dans les Flandres, le pays est couvert de voies de communication. Si, enfin, les Provinces-Unies de la Hollande ont acquis, CLASSE DES SCIENCES. #7 pendant les xvie et xvu siècles, un si haut degré de pros- périté, c'est qu'elles ont mis à profit le. don que Dieu leur fit de magnifiques fleuves et d’un terrain plat au niveau des eaux, où les canaux sont plus faciles à creuser qu'il ne l'estchez nous d'ouvrir un chemin vicinal. L'Angleterre, la France, et successivement tous les autres grands états de l'Europe, ont suivi l'exemple de la Hollande; ils ont ouvert des routes, creusé des canaux ; aujourd'hui, ils tracent des chemins de fer; aussi, la prospérité vient-elle les trouver au lieu de rester en mo- nopole à la Hollande. L'état d'infériorité relatif de l'Es- pagne et de l'Italie n’a pas d’autre cause que l'incurie de leurs gouvernements, qui n’ont pas su développer l'in- dustrie et le commerce, construire des routes, utiliser les chutes d’eau comme force motrice ou comme moyen d'irrigation, et qui, même , ont délaissé les magnifiques voies romaines dont ces pays sont sillonnés. Tous les grands hommes d'Etat ont été convaincus des effets incontestables des voies de communication sur le bonheur des peuples, et, à cette occasion, M. Marchal mentionne, d’une manière toute spéciale, Washington et Turgot qui, dans des circonstances bien difiérentes , ont montré la même sollicitude pour ce pacique moyen de civilisation. Un des résultats les plus évidents et les plus consolants qu'il amène, c’est la prompte repression des insurrections, c'est la cessation rapide des guerres civiles, les plus déplorables de toutes , c’est la difficulté de plus en plus grande de ces guerres étrangères qui sont une cause de ruine pour les peuples, vainqueurs ou vaincus , qui s'y livrent. Suivant M. Marchal, un tort bien grave de la part de beaucoup d'économistes et d'hommes d'Etat, c'est de chercher une mesure de l'utilité des voies de communica- 48 ACADÉMIE DE ROUEN. tion d’après le produit des péages qui y sont perçus. À ce compte là, il faudrait abandonner toutes nos routes, car elles coûtent et ne rapportent pas. Leur raison d'être, c'est la prospérité générale qu'elles provoquent et entretiennent. (f) L'orateur répond à cette objection vulgaire : que les routes enlèvent à l’agriculture, sans profit aucun, une masse énorme de terrains , en montrant, par des chiffres, ce qui a lieu dans notre département sous ce rapport: La surface totale, occupée par les quatre sortes de communi- cation en usage, représente à peine un trois centièmes de la superficie du département. (g) Il ya encore beaucoup à faire, en France, pour ter- miner le réseau des voies de communication nécessaires. Qu'on en juge par ce point bien établi : pour lier entre elles toutes les communes de la Seine-Inférieure, qui ne le sont pas déjà au moyen de routes ou de chemins de fer, il faudrait construire environ 1,500 kilomètres de chemins vicinaux , dont le cinquième est à peine classé en ce mo- ment. En France, les chemins de fer construits et en construction ne ‘représentent que 3,464 kilomètres; en Angleterre , il en représentent 16,000. Nos canaux sont dans la même infériorité relative, et nos rivières sont à peu près dans l'état où la nature nous les a données. Vous me pardonnerez, Messieurs , d’avoir insisté, peut- être un peu trop longuement , sur la question étudiée par M. Marchal: mais elle est si capitale, sa solution complète importe tellement au perfectionnement moral et matériel des nations; elle a été traitée devant l'Académie avec une telle supériorité et une telle ampleur de vues, qu'il m'a semblé que cela justifierait les détails dans lesquels j'ai crû devoir entrer. D'ailleurs . ma tâche est terminée, je n'ose dire accom- plie dans toute son étendue, car je n'ai pu vous parler des CLASSE DES SCIENCES. 49 nombreux rapports, des ouvrages imprimés et de tant d’autres sujets d’études qui ont été portés devant l'Acadé- mie. (h) Force m'a été de faire un choix dans tous ces travaux, qui ont occupé cette année la classe des sciences ; autrement j'aurais lassé votre patience à vous les raconter. J'aurais bien voulu donner à tant de matières épineuses et abstraites, qu'il m'a fallu condenser, des éclarcissements convenables , un certain tour et même un agrément que les auteurs, plus préoccupés du fond que de la forme, négligent parfois de leur imprimer, et que, cependant , un auditoire public commande ; mais, comme l’a si finement exprimé notre Fontenelle, ce modèle inimitable des secrétaires d'Académie : « ce qui ne doit être embelli que jusqu’à une certaine mesure précise, est ce qui coûte le plus à embellir. (1) » (1) Eloge de M. Du Hamel. — OEuvres diverses de M. de Fonte- nelle, de l'Académie française. — Nouvelle édition in-4°, La Haye, 1729, tome 111, page 66. COMPLÉMENT. 4 50 ACADÉMIE DE ROUEN. COMPLÉMENT DU RAPPORT DU SECRÉTAIRE DE LA CLASSE DES SCIENCES. (a) Dans le cours de son intéressante dissertation, M. Lar- gilliert , pour prouver que l'instinct chez les mollusques rend parfois les recherches et la chasse qu'on leur fait difficiles et très fatigantes , reproduit une lettre que lui adressait, en 4837 , son ami le vice-amiral Cecile , qui commandait alors la corvette l’Héroïine en station sur la côte occidentale d'Afrique. On me saura gré de ne pas garder pour nous seuls ce document curieux et original : « La pêche des Panopées-géantes est très pénible , dit M. le vice-amiral Cécile. Je crois vous avoir déjà dit comment je les ai découvertes. Quelques valves dépareillées roulées par la mer, et que je trouvai sur les plages de la baie des Tigres , m'annon- cèrent la présence de ce mollusque dans les environs ; je fis beaucoup de recherches pour le trouver , mais sans succés , et je finis par croire qu'il habitait le large dans une ligne de bri- sants , où il eût été dangereux d’aller avec des embarcations , et plus encore à la nage. J'avais donc renoncé à me les pro- curer , lorsqu'un jour en suivant à pied le bord du rivage inté- rieur de la presqu'ile des Tigres, le patron de mon canot vit quelque chose au raz de terre; il se baissa pour l'examiner , mais l’objet avait disparu. J'avais porté peu d'attention à l'ac- CLASSE DES SCIENCES. 51 tion de mon homme ; cependant , je lui demandai ce qu'il avait trouvé. « Rien, me dit-il, je crois que c'est un morceau de goëmon, mais il a disparu. » Ce fut un trait de lumière : du goëmon dans un sable mouvant , c'était impossible ; « voyons, dis-je , retour- nons. » Je vis, en effet, un petit enfoncement dans le sable, et je ne doutai plus que ce ne fût le repaire de ces animaux que j'avais cherchés si longtemps ; j'envoyai à bord prendre des pelles et des seaux pour déterrer le monstre que je croyais à peu de profondeur. Nous ne pûmes réussir à l'atteindre ; plus nous creusions , plus il s'enfonçait. La nuit approchant, et nous trouvant assez éloignés de Héroïne , il nous fallut renoncer à notre entreprise. Mais la grande question était résolue, et dès le lendemain, nous reconnûmes plusieurs gites. J'avais remarqué que l'animal prévenu de la présence de l’ennemi par nos piétinements , s'inquiétait et s’enfonçait aussitôt ; il fallait donc l'approcher avec précaution , et tâcher de saisir son tube afin de le contenir pendant la fouille, Pour y parvenir, je traçai un cercle de 14 à 15 pieds de diamètre autour du point appa- rent de l'animal ; puis un second cercle concentrique intérieur de trois pieds, destiné à ménager un cône de sable au centre de nos travaux , au milieu duquel devait être renfermé le tube de l'animal. Commençant ensuite l’excavation , j'arrivai jusqu'à 2 pieds de profondeur ; alors attaquant le cône central par sa base et dégradant avec précaution , on approcha de l'axe où se trouvait le tube ; puis enfin , par un mouvement brusque, où le saisit bien au-dessous de son extrémité supérieure qui n'avait pas bougé jasque-là. On contint ainsi l'animal pendant que, commandant et matelots, travaillant avec ardeur, excavaient et puisaient l'eau afin d'arriver jusqu'à la coquille. Vrai travail des Danaïdes ; car nous ne réussissions pas plus à épuiser notre trou, qu'elles à remplir leur tonneau; ce que voyant , un de mes hommes se met à genoux dans le fossé, la tête presque dans l’eau, dirigeant ses mains de façon qu'il touche la coquille du bout des doigts. “La voilà, je la tiens »; mais, Ô désespoir ! le matelot qui tient le tube , animé par les cris d'esperance , veut aider à désouiller la bête ; fait un eftort, le tube se de- chire et lui reste à la main; au même instant le plongeur sent l'animal lui glisser au bout des doigts, et tout est perdu. 52 ACADÉMIE DE ROUEN. Figurez-vous la bordée de tous les substantifs gracieux tombant sur le coupable ! Le silence enfin succède à la bourrasque ; mais nous avons été trop près du but, pour ne pas reprendre cou- rage. Cette fois l'expérience est mise à profit , nous recom- mencons, etle matelot plongeur ramène , en triomphant , une magnifique coquille sans le moindre défaut , et ornée d’un tube de près d’un mètre de longueur. » (b) « Peu d'hommes, dit M. Bignon , en parlant de J.-J Rous- seau , exercèrent sur leur époque une influence plus marquée. Il sut tout passionner, tout rendre attrayant Ses opinions devinrent des règles de conduite. Ce qu'il aimait, fut à la mode ; chacun, à son exemple , voulut se former un herbier ; les fleurs devinrent l'objet d'un culte mystique et sentimental ; il fut de bon ton de faire des herborisations : le vaudeville, lui- même , essaya de donner des leçons de botanique. L'esprit français est ainsi fait ; il bondit et ne marche pas ; puis, quand le ressort s'est détendu , restent les hommes studieux et réflé- chis qui, d’un pas grave et mesuré, continuent le mouvement ; ce qui n’était pour le vulgaire que l'entrainement d’un caprice , devient chez eux l’objet d’un examen sérieux. Ils étaient venus pour voir , ils restent pour observer ; frappés des aspects nou- veaux qu'offre le règne végétal , ils employërent leurs loisirs à l'étudier dans son magnifique développement. Vous dirai-je tout le charine , toutes les consolations qu’y trouva le vénérable ami de Louis XVI , dans sa retraite de Malesherbes? Les heureux tableaux, les grasieuses harmonies qu'y rencontra notre Ber- nardin de Saint-Pierre ? Toutes les œuvres littéraires de cette époque exhalent je ne sais quel parfum , qui révèle le passage de la botauique dans les études de leurs auteurs, et qui se fait sentir encore dans les derniers ouvrages de Châteaubriand. C'est un botaniste qui vous parle, Messieurs, pardonnez-lui cette petite excursion dans un domaine qui n’est pas le sien; vous savez que les coureurs de champs ne respectent pas toujours les cl- tures...... Les hommes de lettres, en étudiant l'histoire naturelle, amenèrent les savants à mieux connaître la littérature ; la littérature et la science y gagnèrent également. Le charme de la solitude fut mieux senti; l'amour des champs se déve- CLASSE DES SCIENCES. 53 loppa plus vif et plus passionné , et l’on vit paraître cette classe d'écrivains qu'on nomma naturalistes ; réveurs un peu mélan- coliques , qu'il ne faut pas proscrire , car l'ame humaine , flétrie par les réalités dela vie, a besoin de trouver , dans la retraite, un objet qui l’intéresse, une étude qui l'occupe. En est-il une qui atteigne mieux ce but que la science dont les pages tapissent la terre tout entière, et dont les leçons sont répandues avec une si magnifique profusion ?.....» (c) Je profiterai de cette occasion pour rectifier une erreur que j'ai commise dans la note e de mon rapport de l’année der- nière. L'Umbilicus pendulinus est bien spécial aux terrains granitiques et schisteux, et, par conséquent, il doit se trouver en Basse-Normandie ; mais , par cela même , cette plante est com- plètement étrangère au département de la Seine-Inférieure; d'où il suit que l’énonciation de M. de Brébisson, qui l’attribue à toute la Normandie , est inexacte. C'est là ce qu'avait dit M. Bignon. (d) Voici quelques détails biographiques sur l'honorable M. Mérat, qui appartenait à l’Académie , comme membre corres- pondant , depuis 34 ans. MÉRAT ( François-Victor), né à Paris, le 13 juillet 1780 , était fils d'un négociant fort estimé d'Auxerre. Sa première jeunesse s’écoula dans sa famille , en Bourgogne , mais dès l'âge de 13 ans , il fut envoyé à Paris pour compléter son éducation humanitaire auprès de l'abbé Lingois , ancien principal du col- lége du Plessis, chez lequel il étudia , en outre , les mathéma- tiques et le dessin dans l'intention de se présenter à l'Ecole polytechnique. Des projets de famille ayant changé la direction de ses études, il fut placé, en 1795 , chez un pharmacien habile, le professeur Nachet , avec lequel il apprit la chimie et la bota - nique , Concurremment avec la pharmacie ; à sa troisième annce, il remportait déjà le premier prix de botanique au collège des pharmaciens. Dans les quatre années suivantes , il se livra ex- elusivement à l'étude des sciences physiques et médicales; et en 1805 (22 messidor an XI), il fut reçu docteur en médecine , aprés avoir subi des examens trés brillans , courounés par june these inaugurale d'une très grande valeur sur la colique me- 54 ACADEMIE DE ROUEN. _ tallique ou des peintres, thèse qui devint plus tard, en 1812, un ouvrage de 300 pages sous le titre de Traité de la colique métallique. - A la fin de la même année 1805 , il obtint par concours la place de chef de clinique de médecine à la Faculté; il remplit pendant dix ans cet emploi qui le mit en rapport intime avec les deux professeurs de clinique, Corvisart et Leroux. 11 pra- tiquait toutes les ouvertures de cadavres, et dressait des procès- verbaux de ces ouvertures, qui étaient nombreuses , et dont, plus tard , il fit la base d’un Traité d'anatomie pathologique qu'il se proposait de publier, ce que diverses circonstances ne lui permirent pas d'exécuter , mais dont il donna le plan dans le grand Dictionnaire des Sciences médicales. 1 a trouvé le premier de la cholestérine dans les intestins (4804), et des tubercules daus le cervean (1805). En 1312, il donna la première édition de sa Nouvelle Flore des environs de Paris, 4 vol. in-8, de 420 pages, qui ne comprenait que la phanérogamie suivant le système de Linné. Cette publication rendit un véritable service aux botanistes parisiens , qui ne possédaient alors que des flores générales et la petite Flore de Thuilier, dont la dernière édition remonte à 1799 ; je ne parle pas du Botanicon parisiense, de Vaillant (1726), ouvrage trop ancien et hors d’usage pour les herbo- risations. — La Nouvelle Flore eut successivement trois autres éditions (1821 , 48531—1854, 1836 ), en 2 volumes in-18, dont le premier volume comprenait la eryptogamie ; dès la deuxième édition , l’auteur adopta la méthode, alors nouvelle, que MM. Loiseleur-Deslongchamps et Marquis avaient mise en faveur , et qu'ils avaient développée dans un écrit publié à Rouen en 1820 , sous le titre de Æsquisse du règne végétal, et suivie dans le Dictionnaire des Sciences médicales , alors en cours de publi- cation. C’est, pour le dire en passant , celle qu'on professe en- core au Jardin botanique de Rouen, quoique les ouvrages les plus nouveaux ne l’aient pas conservée. C'est snriout cet ouvrage qui a rendu le nom de M. Mérat populaire ; il eut un immense suecés ; c'est qu’en effet, comme flore locale , La Nouvelle Flore des environs de Paris, surtout à partir de la deuxième édition , fut une des plus complètes et des plus satisfaisantes qui aient été jusque-là publiées en France ; CLASSE DES SCIENCES. 55 on y trouve des descriptions exactes et claires, sans prolixite, de nombreuses et fidèles indications de localités. Aussi la préfèra-t-on aux autres ouvrages du mème genre qui voulurent lui faire concurrence , et füt-elle le 7’ade mecum obligé de tous les botanistes parisiens. Cette faveur dura jusqu'en 1843, époque à laquelle parut la Flore analytique et descriptive des environs de Paris, par MM. Cosson et Germain , ouvrage plus complet et qui marqua réellement un progrès réel sur la Flore de M. Mérat. Dès 4817 , le même savant édita, en y joignant des additions et des correctious , le Cours de botanique du professeur Des- fontaines au Jardin des Plantes, sous le titre de Nouveaux Éléments de botanique, 1 vol. in-12. Il y en eut 6 éditions tirées à plus de 20,000 exemplaires. Un autre écrit de M. Mérat, qui n'a pas eu moins d'utilité , c'est sa Motice sur une épizootie contagieuse parmi le gros bétail ( avril 1814), qui eut trois éditions, parce que le Gou- vernement la fit distribuer avec profusion dans les lieux où l'épizootie , qui suivait les armées alliées , s'était répandue. Attaché comme collaborateur, dès 1814 , au Dictionnaire des Sciences médicales, il en devint directeur en 1817, et conduisit à boune fin cette grande entreprise , qui eut, comme on sait, un immense succès , mais qui était à la veille de s'arrêter , lors- que M. Mérat en prit la direction. Ce fat pour lui une occupa- tion très Jlaborieuse, qui lui suscita de nombreux ennuis par la difficulté d'accorder entre eux tant de collaborateurs divers , de satisfaire à leurs exigences et d'en obtenir des articles en temps voulu. Le tome LX, qui parut en 1822, est presqu’en en- tier de M. Mérat, qui a fait, en outre , dans tout le cours de l'ouvrage un grand nombre d'articles , notamment sur l'anato- mie pathologique , les maladies du cœur , du foie , celles des ar- tisans , sur les agents thérapeutiques , l'exhalation sanguine , ete. I rectifia dans son article /pécacuanha les erreurs commises sur cette racine , et compléta, en 4820 , cette monographie in- téressante par une notice spéciale sur l’pécacuanha blanc. C'est lui qui fit connaître en France la vertu tœnifuge de l'é- coree de racine de grenadier , d’après les indications dujdocteur Gomès de Lisbonne (1825), et qui donna la traduction de l'ou- 56 ACADÉMIE DE ROUEN. vrage de ce médecin sur les principaux tœnias de l'homme. Ces services valurent à M. Mérat un des prix Montyon de 1832. Un des ouvrages les plus méritants du même auteur, c’est le Dictionnaire universel de matière médicale et de thérapeu- tique générale, qu'il rédigea avec son confrère de Lens. Com- mencé en 4829 , cet immense répertoire, en 6 volumes , ne fut terminé qu'en 1854. En 1846, il fut complété par un volume de supplément , auquel M. Mérat travailla seul. Un prix Montyon de l’Académie des Sciences, décerné aux auteurs en 1836, prouva l'importance et Le mérite de cette grande publication. A partir de 1832, notre confrère se livra plus spécialement à l'horticulture et à l’agriculture , et parmi les sujets dont il s’oc- cupa sous ce rapport avec le plus de suite, il faut citer ses diverses notices sur la possibilité de cultiver le thé en France en pleine terre et en grand , et ses efforts pour accroître le nombre des plantes fourragères et alimentaires. Les journaux de botanique , d’horticulture et d'agriculture contiennent depuis cette époque une foule d'articles instructifs, comme antérieurement et depuis 1803, les divers recueils de médecine étaient enrichis de ses communications d’anatomie pathologique +de thérapeutique et de matière médicale. Il serait trop long d'énumérer tous les écrits qu'on doit à ce travailleur infatigable dont l'âge ne put arrêter l’activité. On en trouvera l'indication complète dans une liste chronologique qu’il fit imprimer à la fin de 4849, et qui ne comprend pas moins de 251 articles. Voici les quelques paroles qu'il plaça en tête de cette revue bibliographique rétrospective : « Arrivé à l’âge de 70 ans, et à une époque avancée de ma carrière , j'ai eru devoir imprimer l'inventaire de mes travaux, pour m'en rappeler le nombre et la nature, pendant le demi siècle qui vient de s'écouler. L'étude a été le besoin de tous mes instants ; je lui dois les jours tranquilles de ma vie simple et occupée ; elle m'a fait oublier , dans quelques occasions , les peines attachées à notre humaine nature, et auxquelles mon obseurité ne m'a pas toujours pu soustraire. » Le travail, en effet, lui était familier et nécessaire ; par gont, levé de grand matiu pendant plus de 40 ans , ilavait, dans le silence qui était pour lui une chose indispensable , fait bien des recher- CLASSE DES SCIENCES. 57 ches , des analyses , écrit bien des pages. 11 reeueillait sans cesse des notes qu’il réunissait par ordre alphabétique dans des casiers qu'il avait toujours sous la main, ainsi qu'un vaste herbier, et une bibliothèque assez nombreuse. C’est par le labeur le plus opi- niâtre qu'il parvint à se créer la modeste aisance dont il jouit. Il avait été attaché à l’infirmerie de la maison de l'empereur. Quant à sa vie privée, elle était celle d’un homme concen- tré dans la vie intérieure et de cabinet ; il n'allait jamais dans le monde, et excepté sa famille et quelques amis dont le nombre était fort restreint , il ne voulait voir personne , si ce n'est quelques botanistes et quelques voyageurs. Il avait une grande fermeté de caractère , et supporta sans mot dire la perte d’une partie de sa fortune que les événements de février 1848 lui enlevèrent, gémissant beaucoup plus sur la cause que sur l'effet. Néanmoins , son cœur paternel fut violemment ébranlé par la perte subite de son fils , lieutenant d'infanterie , que le choléra enleva le 26 août 1830 , à Biskra , place de la province de Cons- tantine en Algérie, dont il avait été nommé commandant par intérim alors qu'elle était décimée par le fléau. Ce jeune homme , rempli de science et sans contredit l’un des officiers les plus capables et les plus instruits de l'armée d'Afrique, que plusieurs ouvrages et mémoires insérés dans le Journal des Sciences militaires avaient dejà signalé comme écrivain de cœur et d'in- telligence , était appelé à un bel avenir. Sa mort prématurée , occasionnée par un noble et courageux dévoûment , fut pour beaucoup dans celle de son père, qui, dès la fin de 1850 , fut atteint d'accidents fort inquiétants qui succédèrent à des dou- leurs rhumatismales souvent aiguës, dont il souffrait depuis longues années. Un malaise indéfinissable le prenait à la suite de ses repas , et bientôt survint un dégoût tel qu'il ne pouvait méme plus voir d'aliments sans que son estomac ne bondit aussi- tôt. Pendant trois mois , il vécut de riz crevé dans l’eau de poulet , à très petites doses, et d’eau de Vichy. Le professeur Chomel et le docteur Boudard, son médecin ordinaire, re- connurent au palper qu'il avait des tubereules à l'estomac et au foie. Une attaque de paralysie termina , le 143 mars 1851, ses longues souffrances , et ouvrit le champ à tous les regrets de sa faille et des amis de la science. 58 ACADÉMIE DE ROUEN Les distinctions honorifiques ne manquérent pas à ce savant estimable , qui poussa la probité et l'honneur jusqu’à leurs der- nières limites. Il était trésorier honoraire de l’Académie de médecine, membre des Sociétés centrales d'agriculture et d’hor- ticulture de Paris, correspondant des Académies et Sociétés de Rouen, Toulon, Orléans , Bordeaux, Caen, Lyon, Lille, Auxerre, Turin. H était chevalier du Christ de Portugal , et officier de la Légion d'honneur. Plusieurs espèces de plantes lui ont été dédiées par Loiseleur-Deslongchamps , Sprengel , Cassini et De Candolle fils; un genre même porte son nom. Un autre ami, l’infortuné amiral Dumont d’Urville, donna son nom à une ile qu'il avait découverte le 14 août 4827, sur les côtes de la Nouvelle-Guinée. Je ne terminerai pas cette notice sans mentionner un fait regrel- table qui a dû froisser les sentiments généreux de M. Mérat. Au uombre des élèves que ses leçons ont guidés , il s’en est trouvé deux qui , sans égard pour des services bien réels reudus aux botanistes, sans ménagement pour l’âge et la position de celui qui les avait précédés dans la earrière scientifique , n’ont pas craint de publier des critiques amères contre cette Flore parisienne, dont quatre éditions successives attestaient le succès, et ont fait tous leurs efforts pour discrédiier le livre et l’auteur dans l’opinion des savants. Les attaques , non provoquées, de MM. Cosson et Germain , commencèrent en 4840 , s'accrurent en 1842 , et redoublèrent d'énergie en 18%4, après la réponse, un peu trop passionnée peut-être, que fit M. Mérat, en éditant, en 1843, sa Revue de la Flore parisienne (1 vol. in-8, de 400 p.) On ne peut se faire une idée de la violence de ces discussions qui, sans servir la science, déshonorent les savants. Six années ont passé sur ces tristes querelles. Mais quelque soit la valeur de la nouvelle Flore de MM. Cosson et Germain , et bien que réellement M. Mérat n'ait pas assez tenu compte , dans les der- nières éditions de la sienne, de la marche de la science depuis 1821 , ces jeunes botanistes ne pourront jamais se laver du re- proche d’inconvenance et d'injustice que leurs meilleurs amis leur ont adressé. L'ingratitude d'un él: ve envers son maitre doit être flétrie par tous les hounètes gens ; elle suffit pour ternir la plus brillante réputation. CLASSE DES SCIENCES. 59 (e) Voici quelques réflexions que j'ai soumises à l'Académie après lui avoir rendu compte du Mémoire de M. Lepage. «Je n'entrerai pas ici, à l'occasion de ce Mémoire , dans l'examen approfondi de la question soulevée par M, Millon , à savoir, l'introduction du son dans le pain destiné à l’alimenta- tion de l’homme , car cette question est trop grave et trop com- plexe pour qu'on puisse la résoudre à la légère dans un sens ou dans un autre. Il est bien certain, qu'au seul point de vue de l’économie , il y aurait d'immenses avantages à faire entrer tout le son du blé dans la composition du pain; il résulterait de là un moyen d'augmenter considérablement nos richesses agricoles sans les moindres frais de culture; mais 1l faudrait tout d'abord que les meüniers et les minotiers modifiassent , ou du moins perfectionuassent leurs systèmes de mouture, et que les boulangers améliorassent leurs procédés de panification. « Au point de vue physiologique , la question ne me parait pas aussi bien résolue , encore bien que j'admette dans leur en- tier les résultats des analyses du son. De ce que les chiens de M. Magendie, nourris au pain blanc à discrétion, sont tous morts au bout de cinquante jours , tandis que ceux nourris au pain bis exclusivement n’ont éprouvé aucune altération dans leur santé pendant Le même temps , il n’en ressort pas pour moi, d'une manière bien évidente, que le pain blane soit moins nu- tritif pour l’homme que le pain bis, et qu'il y ait avantage, hygiéniquement parlant, à laisser tout le son du blé dans le pain. Je trouve, d’ailleurs, dans quelques expériences de M. Boussingault un motif de nouveaux doutes à cet égard. Des analyses que ce savant chimiste a entreprises pour rechercher si du pain bis-blanc , distribué à la classe indigente de Paris, en 4847, était aussi riche en principes azotés que le pain blanc, l'ont conduit à ce résultat : que le premier contenait propor- tionnellement moins de gluten et d'albumine, plus d'amidon et de dextrine que le second. Dans les idées de M. Million, ceci ne s'explique pas. dJ'ajouterai que le pain de deuxième qualite préparé à Paris, et que les associations charitables ont eu quel que pemne à faire accepter ; est certainement supérieur en qualite à celui que l'on consomme à la campagne , et surtout à celui des manutentions militaires. 60 ACADÉMIE DE ROUEN. « En matière d’aliment , au surplus , il ne s’agit pas seulement de fabriquer du pain nutritif, mais aussi du pain d'un goût et d'un aspect agréables. Or, la conservation du son dans le pain laisse dans celui-ci non seulement du ligneux, difficile- ment assimilable et peu savoureux, mais encore un excès de matière grasse que le blutage sépare du blé moulu non moins utilement que la matière ligneuse elle-même. 1] y a, en effet, dans le son de 5 à 5 1/2 de matière grasse , tandis que les farines de belle qualité n'en contiennent jamais plus de 4 p. 0/0. C’est cet excès de matière grasse qui donne au pain bis son œil gri- stre, son goût moins agréable , cette sorte de translucidité qui le caractérise , la propriété de retenir plus d’eau que le pain blanc de première qualité , et qui le rend plus difficile à fabri- quer ; la pâte des farines bises est réellement toujours difficile à manipuler , grasse, rebelle à l'étirage ; le pain reste lourd, humide et mat après la cuisson. « À mon sens, avant de changer aussi radicalement que le voudrait M. Millon les pratiques de la meunerie et de la boulan- gerie, il y aurait encore bon nombre d'expériences physiologi- ques à entreprendre ponr éclairer tous les points qui se rattachent à l'alimentation de l'homme par les pains de diverses natures. Nous n'avons encore sur ce sujet capital que des notions em- piriques, de simples présomptions, qui ne peuvent autoriser - l'adoption immédiate des idées de M. Millon. » (f) M. Marchal a voulu se rendre compte de l'utilité matérielle des voies de communication, ou plutôt trouver la limite infé- rienre de circulation au-dessous de laquelle la Société entière aurait eu tort de créer ces voies. Il est parti des bases suivantes : Le transport par une bonne route épargne , sur le transport à dos de mulet, O fr. 60 par tonne et par kilomètre ; Le transport par canal épargne, sur le transport par une route, 0 fr. 24 par tonne et par kilomètre ; Le transport par chemin de fer épargne, sur le transport par une route, Ofr. 48 par tonne et par kilomètre ; mais pour les voyageurs , il épargne du temps qui vaut de l'argent : Times is monney. Il évalue approximativement cette économie à Q fr, 03 par voyageur et par kilomètre parcouru. CLASSE DES SCIENCES. 61 A l’aide de’ calculs ingénieux , il arrive à ces conclusions : qu'il y a utilité suffisante pour la Société entière de créer : Un chemin vicinal , quand il est fréquenté chaque jour , et par chaque kilomètre, par .. . . 4 colliers, Une route départementale. .. … : |. . . . . 6 : id. Une routehnatonale. ut heu: 7e nana AE este cent Ve fat Ses nunemede 488 (ONNES: none delers, sut o55-mel «voi once) OT NO ou bien par. , . . . . . . 700 voyageurs. La modicité de ces chiffres prouve combien les états modernes ont raison , au point de vue de la prospérité publique, d'aborder largement la grande question des voies de communication , et combien sont fructueuses pour la Société entière les dépenses qui paraissent pourtant si énormes. C'est un placement à gros intérêts, et plus les ressources d’une. nation lui permettent de faire de ces sortes de placements, plus est considérable le bé- néfice qu'elle en tire. (g) « Le département de la Seine-Inférieure , un des mieux percés sans contredit, dit M. Marchal, contient : En routes nationales. . . . . . . . 385,585® — départementales. . . . . . 725,020 En chemins vicinaux classés. . . . . . 570,918 — TOO AR EN LUE 171,000 Total.. . . . . 1,850,325m qui représentent une superficie de 22,205,876 m q., ou en nombres ronds, 2,220 hectares , c'est-à-dire un tiers de moins que la somme des terrains qui seront prochainement rendus à l’agriculture par l'effet des travaux de la Basse-Seine. Autre- ment dit, la surface totale occupée par ces quatre sortes de communications représente à peine 4/500 de la superficie totale du département. Or, quand on songe qu'en France , il existe encore au moins 6 millions d'hectares de terres incultes , soit près de 1/7 de la superficie du territoire , comment se préoccuper de la perte des terres consacrées aux voies de communica- tion ?...» 62 ACADÉMIE DE ROUEN. (h) La classe des Sciences a concouru pour sa part aux travaux de l'Académie par 26 notes, communications où mémoires ori- ginaux , et par 55 rapports qui ont eu pour auteurs MM. Bignon, Girault, Lévy, Bergasse , Vingtrinier, Boutan, Hellis , Decaze , Antoine Blanche , Avenel , Clogenson , Ballin et Girardin. En-dehors des travaux de l’Académie, plusieurs des membres de la classe des Sciences ont payé leur dette à la Société par des publications insérées dans les journaux scientifiques et même par des ouvrages de plus longue haleine. Je me fais un devoir de citer , à cet égard, MM. Reiset, Dubreuil, Soubeiran , Che- vallier , Payen, Mérat, de Gasparin, Guibourt, Pelouze , Cap, Lecoq, Lepage, Boutigny, Marchand , Jobard de Bruxelles, Ossian Henry, Duchesne , Flourens , Morren de Liége , Bussy, Person, Isidore Pierre, Cahours, Cloz, Civiale, H. Schlumberger de Mulhouse, Vogel de Munich, Zantedeschi de Venise, De Le Bidart de Thumaïde de Liége , Girardin. Je me fais un devoir de consigner ici, en terminant , que le prix de statistique pour 1850 de l'Académie des Sciences de l’Institut a été décerné à deux membres correspondants , MM. Boutron-Charlard et Ossian Henry pour leur travail sur la con- stitution chimique des eaux du département de la Seine, dont j'ai rendu compte dans mon rapport de 1847-1848. —— "ms OT GE — — Mémoires ® DONT L'ACADÉMIE À ORDONNÉ L'IMPRESSION EN ENTIER DANS SES ACTES. NOTE sur Un SIMPLIFICATION DE CALCUL Dans la détermination numérique du rapport de la circonférence au diamètre, Par M. GIRAULT. ({ Séance du 17 Janvier 1851.) a ———— Lorsque l'on détermine la valeur de 7 par la méthode dite des Isopérimètres, on sait que les calculs, d'abord longs et pénibles, se simplifient beaucoup par cette con- sidération que l’on peut substituer sans inconvénient à la recherche de la moyenne géométrique de deux nombres, celle de leur moyenne arithmétique , pourvu que ces deux nombres diffèrent entre eux d'une quantité suffisamment petite. Nous nous proposons de faire voir que les calculs sont susceptibles d'une simplification bien plus grande encore, en démontrant que, si le rayon et l'apothêème d'un polygone régulier isopérimètre avec la circonférence donnée difiè- rent au plus entre eux de 6 unités décimales de l’ordre n, et s'ils sont chacun plus grands que l'unité, on obtient , à moins d'une unité décimale de l'ordre 2n, le rayon de la circonférence donnée , en diminuant le rayon du polygone du tiers de l'excès de ce rayon sur l'apothême. Soit, en eflet, À et r le rayon et l'apothême de ce poly- 64 ACADÉMIE DE ROUEN. gone, À etr le rayon et l'apothème d'un polygone régulier isopérimètre d’un nombre double de côtés. On sait qu'on à : r Re H=\/2- ‘ 2 ‘ On en déduit : 1 R — r—r= Sn, R—R= -—— di r—r ; ge R—R h Mais l'erreur commise en prenant l'unité pour la valeur CRE A de V 5k est moindre que R—7r HET} R + V ONE et a fortiori moindre que 2 AL R—7r 5, Ro r Ainsi l'on a : 7 RM 2R+7r d'où : « Re Mais on peut remarquer que l’on à : 1 R— BR, >> (R—r); CLASSE DES SCIENCES. 65 il en résulte donc a fortiori : (R—r} 1 2(R—R TPS ONUR = R VAE st er, 1 21 rer > 2. , STRTEr) De même, en appelant À, et r, le rayon et l'apothème d'un polygone régulier isopérimètre avec les précédents, et d’un nombre de côtés double du second, on aura : PORERRE) > r,—r >2R —R (RT} , ( 1 e Ê TES GET VE SR +r) qui entraîne a fortiori : 2) 2(R —R)>r-r >2(R—R) LR es 2 LE dr à st ren ae mu le REr puisque l’on à , comme on peut le vérifier : Hi ine : (R —r), et R FORT. On aura, d'une manière analogue : 1 (R—7r) (3) 2(R—R)>r —r, >2(R,—R Je KW S8(R+r) _R) 1 (R-r) (x) 2 (&,. QE k,) > a 7 > 2 (R,. al E6)8(R+r; en doublant n fois de suite le nombre des côtés du pre- mier polygone. Ajoutant, membre à membre, les inégalités (1), (2), (9h, “+ (n) os : (R—r) R—R _ 2(R — sy, Petit 184 2 ( A À 65 2 + R ) Na RIT) 1 1 1 en posant N = 1 + me + ñ +... + Te) 5 66 ACADÉMIE DE ROUEN. Si maintenant on passe à la limite, en supposant # infini, et si l’on appelle x le rayon inconnu de la circonférence donnée, on a : 16 R'ET =, N = —. n n 5 et par suite : 2(R—r)? 2 (R—x ar >2R— x) — ———-,; R—x)>a—r>2(R—2)— ER Er) d'où : æ—r=2(R—-x)—a« ep: 2 R nes BE Le ts 3 3 # étant une quantité moindre que 2(R—7r) 15 (R+r) Si donc on prend 2 R r — Sa ou À — 3 3 pour valeur de x, l'erreur est, par excès, moindre que RE Nr) 45 (R+r) ns à 6 Soit supposé maintenant À — r E& etRetr plus » — 4 L . 36 grands que l’unité, l'erreur est moindre alors que ——— 45.10?" et a fortiori que ds ce qu'il s'agissait de démontr que 5 I ag ontrer. Proposons-nous, comme application, de trouver le rayon du cercle de périmètre égal à 12. En partant de CLASSE DES SCIENCES. 67 l'hexagone régulier isopérimètre, on en déduit pour le polygone régulier isopérimètre de 96 côtés, et au moyen de méthodes d’approximation dont nous ne reproduirons pas ici le détail : 1,90713145 à moins de M 108 6 H1=11914199 à ins de — ; 353 à moin ET r d'où : 2R : als us — 1,90985950 à moins de À 4 3 105 2R+7r et comme la valeur exacte de nc excède celle de ; 1 he à à < æ de moins de 10°? on en déduit, avec six décimales exactes : De=043:909859; +: d'où , pour la valeur approchée du rapport de la circon- férence au diamètre : 12 = = 3,141593 .. 2 X (1,909859 ) qui dépasse la valeur de x de moins de 2 AM 10 On a done, avec cinq décimales exactes : ANA LAON). 2 Pour avoir les six premières décimales de x par les méthodes ordinaires , il aurait fallu pousser les calculs jusqu'au polygone régulier isopérimètre de 12288 côtés. 68 ACADÉMIE DE ROUEN. Les autres méthodes qui servent à déterminer la va- leur de 7, sont d’ailleurs susceptibles de simplifications analogues. Si par exemple on cherche, comme la fait Legendre, le rayon du cercle dont la surface est égale à #, au moyen du rayon et de l’apothème d’un polygone régu- lier équivalent , ayant successivement 4, 8, 16 etc. côtés, on peut vérifier qu'en s’arrêtant au polygone régulier de 6% côtés, et augmentant l’apothême du tiers de la diffé rence entre cet apothême et le rayon (différence qui est plus grande que 0,001 ), on obtient pour valeur approchée du rayon du cercle : 1,1283792. ... avec 7 décimales exactes ; tandis que, pour obtenir la même approximation par les méthodes ordinaires, l'auteur est obligé de pousser les caleuls jusqu'au polygone régu- lier de 8192 côtés. RÈCLE HARMONIQUE. Fig (2) Fig. (2) Fy.(3) GAMME D'UT GAMME DE SOL GAMME DE FA Jatiodection Han du du SI A SOL AN SOL RE NE pA* \\ FA* FA FA FA . EN ON | E |__| m1 MI RUE RE RÉ [LT SI LA soL à soL FA° FA* FA FA (MAL) L_1m RENE) RE 159 |L nr UT F. ri UT UT SI | el = SI ST | | SI él | pre) sr? LA =) Le PTA LA LA NOT [| OT SOL | | SOL SOL SOL RÈGLE HARMONIQUE Ayant pour objet de rendre sensible aux yeux la méthode suivie par M. Delezenne (1) pour déterminer la valeur des dièzes et des bémols introduits dans la gawme, Par M. GIRAULT. {Séance du 4 Janvier 1851.) Sur les deux bords de la règle (voir fig. 1 , 2 et 3) sont tracées des lignes parallèles destinées à représenter les notes de la gamme, et séparées pour cela par des inter valles proportionnels aux logarithmes des rapports qui existent entre les nombres de vibrations correspondant à ces notes. On a ainsi la série ascendante : sol, la, si, ut, ré, mi, fa, sol, la, si, ut, ré, mi, fa, sol. Sur une pièce AA mobile dans une coulisse, le long des divisions de la règle, sont tracées huit lignes parallèles, correspondant aux huit notes de la gamme (y compris l'octave ), et séparées par les mêmes intervalles que les parallèles tracées sur la règle. Ces lignes sont désignées sous les noms de : tonique, sous-médiante , médiante, sous-dominante, dominante , (1) Mémoires \de La Société des Sciences , de l'Agriculture et des Arts de Lille, année 1848, 70 ACADÉMIE DE ROUEN. sous-sensible, sensible , octave. De telle sorte que, lorsque la tonique est placée en regard de l’ut (fig. 1), à chacun des traits de la pièce mobile correspond un trait de la règle. Si maintenant on vient à placer la tonique en regard du sol | fig. 2) : à la s.-médiante correspond à peu près le la, à la médiante id. exactement le s, à la s.-dominante id. id. l'ut, à la dominante id. id. le ré, à la s.-sensible id. id. le mi. A la sensible ne correspond aucune note de la gamme ; il faut donc en introduire une nouvelle, que l’on trace alors sur la règle en regard de la sensible , et que, conformé- ment à l'usage, on appelle fa dièse. Ainsi, on peut définir le fa dièse, en disant qu'il est la sensible de la gamme de sol. Quant au la, on dit qu'il diffère d’un comma de la s.-médiante. De même que : en prenant so! pour tonique, on est conduit à introduire fa dièse; si l'on prend ré id. il faut introduire. .... . ut dièse ; id. la id. M RME sol dièse ; id, mi id. dès. de hi. ais: ré dièse ; id. si id. ide dit ici la dièse ; id. fa dièse id. 1 ENT OR mi dièse ; id. ut dièse id. Ki ORNE si dièse. Si l’on vient à placer la tonique en regard du /a (fig. 3): à la s.-médiante correspond exactement le so! , à la médiante id. id. le la, à la dominante id. id. l'ut, à la s.-sensible id. à peu près le ré, à la sensible id. exactement le mi. CLASSE DES SCIENCES. 71 A la s.-dominante ne correspond aucune note de la gamme ; il faut donc en introduire une nouvelle, que l'on trace alors sur la règle en regard de la s.-dominante , et que, conformément à l'usage , on appelle si bémol. Ainsi, on peut définir le si bémol en disant qu'il est la s.-domi- nante de la gamme de fa. Quant au ré, on dit qu'il diffère d’un comma de la s.-sensible. De même que : en prenant /& pour tonique, on est conduit à introduire si bémol ; si l’on prend si id. id. mi id. id. la id. id. ré id. id. sol bémol id. id. ut bémol id. id. id. id. id. id. id. id. id. id. id. id. id. mi bémol ; la bémol ; ré bémol ; sol bémol; ut bémol ; fa bémol. RAPPORT SUR LES APPAREILS DE M. P. PIMONT, DÉSIGNÉS PAR LUI SOUS LES NOMS DE CALORIDORE ALIMENTATEUR, CALORIDORE PROGRESSIF, Par M. BOUTAN, Au som d'une Commission, ( Lu à la Séance du 28 Kévrier 1851.) MESSIEURS , - Plusieurs rapports présentés, à diverses époques, par MM. Person, Lévy, Bigourdan et Girardin sur les appareils dont M Pimont est l'inventeur, plusieurs communications faites à propos de ces appareils par M. Pimont lui-même vous ont fait connaître les perfectionnements successifs apportés à l'invention première, et le parti avantageux qu'on a pu en tirer pour l'industrie et la navigation. Récemment encore, dans une de nos dernières séances, M. Pimont appelait l'attention de l'Académie sur l'emploi simultané des Caloridores progressifs et alimentateurs dans la navigation maritime. Une Commission composée de MM. Avenel, Girardin, Morin et Boutan fut désignée pour visiter dans les ateliers de M. Renaux , avant leur départ pour Londres, les deux CLASSE DES SCIENCES. 73 appareils que je viens de nommer. Cette Commission vient aujourd'hui, par mon organe , vous rendre compte de ses appréciations. Les Caloridores de M. Pimont sont destinés, comme vous le savez, Messieurs, à utiliser, pour la production de la vapeur, la plus grande portion äe la chaleur qu'on perd aujourd'hui pendant le jeu des machines. Il faut avouer, qu'à notre époque où les progrès de l'industrie sont si rapides, il reste beaucoup à faire au point de vue de l'économie du combustible dans le chauf- fage des générateurs. On consomme dans les foyers d'énormes quantités de houille et de coke sans se rendre compte des effets produits, et sans comparer la quantité de charbon que l'on dépense à la portion que l'on utilise Un calcul bien simple peut montrer, en effet, combien est grande la disproportion sous ce rapport. Aujourd'hui, dans la plupart de nos usines, on obtient au plus 5 ou 6 kilog. de vapeur pour 1 kilogramme de houille, tandis qu'en profitant de toute la chaleur fournie par la combustion de ce même poids de charbon de terre, cha- leur qui dépasse 7,000 unités, on devrait vaporiser de 11 à 12 kilogrammes d'eau. Voilà donc une perte considérable, presque de moitié, qu'on doit attribuer soit à la mau- vaise disposition des fours, soit à une construction vicieuse des cheminées, soit enfin à ce qu'on ne cherche pas à compenser , au moins en partie, quelques-unes de ces pertes en alimentant le générateur avec de l'eau déjà chauffée par la vapeur d'échappement , laquelle se perd sans aucun profil C'est donc rendre un service important à l'industrie , que de porter remède à l'une ou à l'autre de ces causes de déperdition de chaleur ; c'est se rendre digne de vos encouragements que de fournir à la pratique , comme l'a fait M. Pimont, un moyen facile de faire pénétrer 74 ACADÉMIE DE ROUEN. dans la chaudière une eau déjà fortement échauffée , sans dépense nouvelle de charbon, et qui n'exige plus, pour se réduire en vapeur, qu'une proportion notablement plus faible de calorique. Tel est, en effet, le véritable but des appareils dont nous avons étudié la disposition dans les ateliers de M. Renaux. Mon intention n’est point, Messieurs, de reproduire ici tous les détails de leur construction. Les habiles rappor- teurs dont je rappelais tout-à-l'heure les noms, vous ont déjà signalé, avec une exactitude complète et avec une clarté qu'il me serait impossible d’égaler, la disposition principale et le mode de fonctionnement Je me bornerai à apprécier en peu de mots les principes théoriques qui ont guidé l'inventeur, et à vous indiquer l'application nouvelle qu'il a faite de ses appareils. Parlons d’abord du caloridore alimentateur. Dans les machines ordinaires, la vapeur, après avoir pro- duit son effet d'expansion , se condense et dissémine sans profit la chaleur qu'elle possédait. Tantôt cette vapeur dis- paraît dans l'air ambiant comme dans les machines à haute pression, tantôt elle se perd dans un condenseur plein d’eau froide, comme dans les machines à basse pression. M. Pimont a eu l'heureuse idée de faire circuler cette vapeur, qu'on nomme vapeur d'échappement, dans une série de tubes entourés de l'eau froide qui doit servir à l'alimentation de la chaudière. De cette façon, la chaleur qui provient de la liquéfaction de cette vapeur est absorbée et retenue par l'eau d'alimentation qui se trouvait, à son entrée dans l'appareil, presque à la même température que l'air extérieur, el qui pourra acquérir, par son séjour prolongé dans une enceinte constamment échauffée , une température peu distante de la tempéra- ture de sa vaporisation. CLASSE DES SCIENCES. 75 Il y aura donc évidemment économie directe de com- bustible, et possibilité même, dans quelques cas, de fournir aux besoins de l’usine un excédant d’eau rendue chaude par cette vapeur d'échappement. Si l’on ajoute à ce premier avantage celui qui résulte d'une régularité plus grande daps le fonctionnement de la machine, régularité qui est la conséquence d'une liqué- faction plus prompte de la vapeur dans un condenseur qui demeure constamment froid, puisque la vapeur dé- pose sa chaleur avant d'y parvenir ; si l'on remarque que l'eau d'alimentation, par son échauffement préalable , dépose en partie les sels qu'elle tenait en dissolution, et qui seront plus tard en moins pour former des incrusta- tations dans la chaudière . on comprendra que l'appareil de M. Pimont , construit d’après des principes tout-à-fait rationnels , constitue un perfectionnement important des machines à vapeur. Passons au Calidore progressif. Le but primitif de ce dernier était de recueillir la chaleur perdue dans les bains de teinture, et de la reporter sur de l'eau ordinaire parfaitement propre, qui se trouvait ainsi amenée à 60 ou 70° environ sans qu'il fût nécessaire de brà- ler un atôme de combustible. Le système proposé par M. Pi- mont pour réaliser un pareil bénéfice, l'emporta , dès son apparition, sur le procédé de M. Descrozilles qui exigeait des nettoyages trop fréquents, et ne retenait d'ailleurs qu'une faible portion de la chaleur habituellement perdue. Vous savez , Messieurs, que le mérite principal du Ca- loridore progressif tient à l’idée ingénieuse qu'à eue M. Pimont de produire une circulation en sens inverse de l'eau chaude des bains de teinture qu'on perdait aupara- vant , el de l'eau froide qu'on veut échauffer. Le liquide venu du bain de teinture, parcourt une série de caisses ct transmet sa chaleur à l'eau pure et primitivement 16 ACADEÈMIE DE ROUEN. froide qui circule à son tour en sens contraire dans les serpentins qui remplissent en partie ces mêmes caisses ; si bien qu'à l'extrémité de son parcours, l'eau des bains, déjà fortement refroidie par son contact avec les premiers serpentins, se présente à de l’eau pure qui commence à pénétrer dans l'appareil, à de l'eau par conséquent tout- à-fait froide qui peut lui enlever une fraction des dernières portions de chaleur qu'elle retenait encore. Cette double circulation s'accomplit du reste avec une extrême facilité , presque sans main-d'œuvre, de simples différences de niveau suflisant pour la produire. Aujourd'hui, M. Pimont applique ce même caloridore progressif à la navigation maritime, voici son point de départ : L'emploi de l'eau de mer pour alimenter la chaudiere des paquebots à vapeur détermine des incrustations beau- coup plus considérables que celles qui se produisent dans les générateurs des bateaux que portent nos rivières. Il à même fallu, pour éviter des dépôts par trop rapides , en- lever de temps en temps une portion de l'eau de la chau- dière au moment où cette eau, arrivant à son point de saturation, déposait abondamment les matières salines qu'elle renferme. Ces évacuations partielles d'eau chaude qui se renouvellent assez fréquemment , entraînent une perte fort grande dans la chaleur dépensée, et contribuent à rendre considérable la consommation du combustible dans les bâtiments à vapeur qui naviguent sur la mer. Déjà M. Vilson avait fait une première tentative pour dé verser sur l'eau d'alimentation la chaleur de l'eau que l'on va rejetter dans la mer Mais nous pensons que M. Pimont résout le problème d'une manière beaucoup plus satisfaisante en adaptant, à côté du générateur des pa- quebots, son Caloridore progressif, sans efforts, sans aucune modification nouvelle, en faisant circuler seulement , CLASSE DES SCIENCES. 77 au lieu de l'eau de bain de teinture, cette eau saturée qu'on extrait à tout instant de la chaudière. Il est évident que, dans cette nouvelle application, les choses se passeront d'une manière identique, et que l'effet utile de l'appareil sera le même. Il suit de ce que nous venons de dire, qu'on pourra atteindre dans les paquebots le maximum d'économie, en combinant l'emploi simultané des deux caloridores. Le volume qu'ils occuperont est, en définitive, assez res— treint, et se trouve d’ailleurs compensé par l’espace plus grand laissé aux marchandises, à cause d'une moindre charge de combustible au départ. En résumé, les Caloridores de M. Pimont présentent des avantages théoriques incontestables ; si, dans la pra- tique, on a quelquefois rencontré de vives oppositions à leur emploi, il ne faut pas oublier que tel est le sort de toutes les inventions à leur début, et que la routine ou la mau- vaise foi sont toujours les premières barrières qu'il faut renverser, lorsqu'on suit en industrie la voie du progrès. Nous arrivons donc finalement , Messieurs, à la même conclusion que la Commission précédente, en vous pro- posant de donner votre entière approbation aux appareils de M. Pimont. ANALYSE CHIMIQUE DE L'EAU MINÉRALE DE NOINTOT, PRÈS BOLBEC, PAR M. E. MARCHAND, PHARMACIEN A FECAMP, MEMBRE CORRESPONDANT DE L’ACADÉMIE, ETC ( Lue à La Séance du 24 janvier 1851.) —— 25e — M. le marquis de Montault, propriétaire de la prairie dans laquelle sourt cette eau médicamenteuse, avait prié l'Association normande, qui tenait sa session annuelle à Bolbec le 18 juillet 1850, de l'éclairer sur les deux questions suivantes : « Quelle est la propriété des eaux minérales de Nointot , « près Bolbec?, « Sont-elles appelées à rendre des services de quelque « importance à la thérapeutique ? » Une analyse complète de ces eaux pouvait seule mettre à même de résoudre ces questions Je me suis occupé de l'opérer , à l'invitation de M. J. Girardin , inspecteur di- visionnaire de l'Association normande, et voici les résul- {ats que j'ai obtenus. | L'eau sur laquelle j'ai opéré n'est point celle qui se rend dans le petit bâtiment construit il y a quelques an- CLASSE DES SCIENCES. 79 nées pour recevoir l'eau ferrugineuse , l'eau qui y par- vient aujourd'hui étant inodore, incolore, insipide, et n'exerçant qu'une très faible action sur la teinture de noix de galles. Celle que j'ai analysée était, au contraire, très sapide : douée d'une saveur atramentaire des plus pro- noncées ; l’alcoolé de tannin lui communiquait instantané- ment une couleur vineuse très intense, passant rapide- ment au violet presque noir. Sa réaction sur les fleurs de mauves était alcaline : celles-ci , placées à sa surface, cédaient leur matière colorante qui se déposait en stries violettes, passant rapidement au bleu. puis au bleu tirant sur le vert. Elle avait été recueillie dans des puisar(s que j'avais fait ouvrir ad hoc, dans le sol même de la prairie , dans un endroit rapproché des ruisseaux les plus chargés de dépôt ocreux. Un kilogramme de cette eau minérale, dont la densité calculée pour la température de 159 c c., est égale à 1000,46, contient : Acide carbonique libre à un 15° c., et sous la pression de (1 PAL + | ORPI" SNA Ogr. 09291, ou en volume 0 lit. 0496. Chlorure de potassium. . . . . . . . 0 00490. dtfspdiaiis 16408 be 4 O0 01341. de lithium (indices sur 20 lit. ) » » de calcium anhydre.. . . . , 0 00335. de magnésium anhydre. . , . O0 00102. Joie falcalins (indices sur 20 lit.) » » Bromure Sulfate de chaux anhydre, . . . . . . 0 00120. Azotate de chaux. . . . . in à 0 00402. Bicarbonate d'ammoniaque {des bacs) » » deichalinrage: din ui O0 14397. —_——_ À reporter. . Ogr. 26478 80 ACADÉMIE DE ROUEN. Report. . . 0 gr. 26478. Bicarbonate de magnésie . . . . . . 0 00573. de nianganèse. . . . . . . 0 00174. defér NME EME is LE 0 07069. de cuivre (indices extrème- ment faibles). . . . . . » » Crénate de manganèse. . . - . . . . 0 00079. de protoxyde de fer. . . + . . 0 03115. Alumine | Phosphate dalginine 14€ ITACES. LE » » Principe arsenical (indices sensibles sur iéidépôtioërenx stunt, y che, à » » Silice et sable. . . . . put. ir APN 00493210; Matière résineuse ou bitumineuse . . . 0 00098. organique indéfinie . - + . . . O 01275. Danmib:déseul ARRMNIArE u DONE, AMD 47929. 1000 gr 00000. L'arsenic et le cuivre que je porte au nombre des élé- ments constitutifs de cette eau, ont été constatés sur en- viron 500 grammes de dépôt ocreux. recueilli dans les ruisseaux ferrugineux de la prairie. La proportion de euivre que j'y ai trouvée est extrêmement faible ; elle était impondérabie, et n’eût pas été appréciable sur une proportion moins considérable de ces boues. Quant à l'arsenic, il s'y trouve aussi en proportion ex- trêmement faible, mais néanmoins en quantité bien ap- préciable lorsque l’on opère selon les indications de M. Filhol En opérant ainsi, j'ai obtenu, avec l'appareil de Marsh , de la quantité de boues ocreuses que je viens d'indiquer , 68 taches arsenicales. La constitution, maintenant connue de l'eau de Nointot, permet de répondre aux deux questions posées à l’Asso- citation normande, que la proportion remarquable d'oxyde ferreux qu'elle contient, (0 gram. 03974 par litre}, ainsi CLASSE DES SCIENCES. si que la petite quantité d'oxyde manganeux qui S'y trouve également , lui communiquent les propriétés spécifiques des préparations martiales, et qu'elle peut être employce avec avantage dans toutes les circonstances où l'usage des ferrugineux est indiqué, mais particulièrement comme moyen curatif de la chlorose Deux considérations majeures empêchent cependant de lui attribuer une grande importance , comme agent thé- rapeutique : la première, c’est que très éminemment al- térable dans sa constitution (le fer qu'elle contient se séparant avec une facilité extrême ), elle ne peut être employée que par les personnes qui se trouvent assez rap- prochées du lieu qui la produit, pour la renouveler tous les jours , ou au moins tous les deux jours. En second lieu, c'est que d'un rendement peu abon- dant , puisqu'elle n'est que le produit des infiltrations aqueuses qui s'opèrent au travers du sol de la prairie où on la trouve, son écoulement est très restreint, et néces- sairement aussi variable dans son abondance, que le peut être le produit des eaux pluviales, dans cette région du pays de Caux. Néanmoins, et dans l'intérêt même des chlorotiques , si nombreux d’ailleurs dans toutes nos vallées indus- trielles , il serait peut être bon d'engager M le marquis de Montault à entreprendre quelques travaux de répa- ration, pour mettre le petit bâtiment qu'il a déjà fait con- struire ad hoc , en état de recevoir les eaux ferrugineuses qui s'égouttent de sa prairie, en les y mettant à l'abri de tout mélange avec les produits d'une source d'eau potable, voisine et très abondante, qui s’y infiltre au- jourd'hui. Cela me paraît d'autant plus utile que l'on peut, « la rigueur, conser ver à celte eau toutes ses propriéles efli- caces , en y ajoutant une petite quantité de sucre, 8 à 10 6 82 ACADÉMIE DE ROUEN. grammes par litre , comme l'a recommandé si judicieuse- ment M. Peltier, pour la conservation des eaux ferro-cré- natées en général. — En agissant ainsi, on ne doit pas craindre , ainsi que le font certains médecins , de modifier les propriétés des eaux ferrugineuses. Par l'addition du sucre à ces eaux, on ne peut, cela est évident, que rendre leurs propriétés plus stables, et, pour ma part, je suis convaincu qu'il y aurait avantage pour les malades d'avoir recours à ce moyen de conservation , d’ailleurs si simple et si efficace. EXAMEN CHEMICO-LÉGAL DE DIVERSES SUBSTANCES ALIMENTAIRES Ayant occasionné des accidents, Par MM. MORIN er J. GIRARDIN, PROFESSEURS DE CHIMIE A L'ÉCOLE DE MÉDECINE ET A L'ÉCOLE MUNICIPALE DE ROUEN. { Lu dans la séance du 11 avril 1851.) Le 18 décembre 1847, dans une des fermes importantes d'une petite commune de l'arrondissement de Neufchâtel , on fait une cuisson de quatorze pains de 5 à 6 kilo- grammes, et on confectionne en même temps , ainsi que cela se pratique fort souvent à la campagne, deux sortes de pâtisseries : des tartes aux pommes et des boulloches, c'est-à-dire des pommes entières entourées de pâte. Quinze personnes des deux sexes et de différents âges, qui, dans cette journée ou dans les suivantes, mangent de ce pain ou des pâtisseries, ressentent à des degrés di- vers tous les effets de l'empoisonnement ; plusieurs d'entre elles sont en danger de mort, et, au premier coup-d'œæil, le médecin appelé reconnait les symptômes les mieux ca- ractérisés de l’'empoisonnement par l'arsenie. Le maire de la commune, averti, rlace sous les scellés tous les pro- duits de la fournée du 18 décembre, et prévient le mi- nistère public. 84 ACADÉMIE DE ROUEN. Le magistrat qui se transporte sur les lieux le 21 dé- cembre, trouve encore la plupart des habitants de la ferme dans un état de souffrance inexprimable. I est frappé des symptômes d'empoisonnement qui se révèlent de toutes parts, et qui jaillissent de l’informalion sommaire à laquelle il procède. 11 confirme la séquestration des pains et de la pâtisserie , et les fait emporter pour les sou- mettre à une analyse chimique , avec le sac dans lequel la farine a été rapportée le jeudi par le meunier, le grégeon, produit de cette mouture, et le levain de la fournée du 18 décembre. | C'est dans ces circonstances que nous est confié par le juge d'instruction de Neufchâtel l'examen des différentes substances saisies, ainsi que celui de deux échantillons d'urine rendue par plusieurs des malades de la ferme pen- dant leur indisposition. Mais il ne nous est pas simplement ordonné de recher- cher la présence d'un poison dans les aliments précités ; nous devons , si cela est possible, déterminer l'époque à laquelle la substance vénéveuse a été introduite dans la farine qui a servi à la confection du pain et des pâtis- series. Pour résoudre ces importantes questions ; nous avons opéré de la manière suivante, en agissant tout d'abord sur le son et grégeon rapportés du moulin, et sur le sac qui servit à transporter la farine. 1. Examen du son et du grégeon rapportés du moulin. Nous avons fait bouillir une certaine quantité de ces substances , qui consistent en ligneux, amidon, gluten, matières grasses, sels et substances solubles, dans de l'eau distillée, fortement alcalisée par la potasse caustique CLASSE DES SCIENCES. 85 pure , dans le but d'extraire et de fixer l'acide arsénieux dans.le cas où ces substances en auraient contenu. La dé- coction fut passe à travers une toile neuve serrée, le résidu fut lavé à l'eau bouillante, et dans toutes les liqueurs réunies, on ajouta de l'azotate de potasse. On fil évaporer avec précaution jusqu'à consistance de miel épais, et après refroidissement, on projeta la masse saline, par petites portions, dans un creuset rouge de feu, afin de détruire toutes les matières organiques. La déflagration opérée , on versa le résidu salin fondu dans une capsule de porcelaine, préalablement échauffée, et placée dans une autre capsule, pour ne rien perdre dans le ças de rupture de la première ; on traita le sel blanc refroidi par de l'acide sulfurique concentré, jusqu'à cessation de va - peurs rulilantes, et on fit bouillir le tout, après avoir étendu d’eau distillée. En laissant ensuite refroidir la li- queur , il se sépara une certaine quantité de sulfate de potasse ; l'eau mère devait contenir tout lie poison à l'état d'acide arsenique. On la versa peu à peu dans un ap- pareil de Marsh, fonctionnant à blanc depuis quelque temps , mais il nous fut impossible de recueillir la plus légère tache arsenicale, même après 40 minutes d'at- lente. Quoique le mode d'expérimentation suivi ne nous laissât aucun doute sur l'absence de l'arsenie dans le son et le grégeon, nous avons cru, pour prévenir toute objection . devoir désorganiser, par l'acide sulfurique , le résidu li- gneux retenu par la toile, après l'action de la potasse caustique. Le charbon obtenu fut mis à bouillir avec de l'eau régale; on étendit d'eau, on filtra, on chauffa la liqueur avec un léger excès d'acide sulfurique pour la débarrasser de toute trace d'eau régale, et on la versa dans l'appareil de Marsh. Mais, ici encore, les résultats furent entièrement négatifs, 86 ACADÉMIE DE ROUEN. IL. Examen du sac ayant servi au transport de la farine. Ce sac présentait dans son intérieur une petite quantité de farine adhérente au tissu ; il y avait aussi de cette der- nière dans les coins. Le sac fut coupé, secoué avec force au-dessus d’un papier , et purgé, autant que possible , de farine. Une portion du tissu fut traitée comme il vient d'être dit ci-dessus, mais l'appareil de Marsh ne put nous fournir aucune trace d'arsenic. Ja farine isolée, examinée de la même manière, ne nous en donna pas davantage. Il. Examen de la farine restée dans la maïe. Une certaine quantité de farine restée dans la maie, après la confection du pain, fut alors examinée par nous. Cette farine était évidemment de même nature que celle qui entrait dans la composition du pain et des pätisseries. Ici, nous fûmes obligés de recourir à un autre mode de traitement , car le précédent est impraticable. La farine , bouillie avec de l’eau alcalisée par la potasse, se liquéfie bien, mais la liqueur ne peut être évaporée , et pour pou- voir la solidifier et la soumettre à la déflagration, il faut employer une si grande proportion de nitre, qu'on obtient une masse saline considérable , difficile à traiter par l'a- cide sulfurique, et dans laquelle de petites quantités d'arsenic sont, pour ainsi dire, noyées. Disons , toutefois, que la liquéur provenant de la réaction de l'acide sulfu- rique , sur le produit de la déflagration , nous donna des traces non équivoques d’arsenic Voici le procédé qui nous à le mieux réussi, et que nous conseillons aux experts d'employer dans un cas analogue. a mnt CLASSE DES SCIENCES. 87 La farine fut délayée dans un matras assez grand , avec de l'eau distillée , et la bouillie homogène fut étendue d'une nouvelle quantité d'eau additionnée d'acide sulfu- rique pur, On fit arriver au sein de ce mélange un courant de vapeur d’eau , et l’on prolongea l'ébulition jusqu’à la complète liquéfaction et saccharification de la farine. Mais pour nous prémunir contre la volatilité de l'acide arsénieux, sous l'influence de la vapeur d'eau, nous adaptâmes au col du matras un tube qui conduisait la vapeur en excès dans un flacon contenant une solution faible de potasse pure. Ce soin était superflu, car, après l'ébullition , nous ne pûmes découvrir aucun indice d'a- cide arsénieux dans l'eau du flacon. Le liquide du matras fut saturé avec de la potasse caus- tique , évaporée à moitié de son volume, additionné d'une suflisante quantité de nitre en poudre, et réduit à l'état de masse saline que Fou fit déflagrer dans un creuset. À partir de là, on opéra comme précédemment , et le li- quide définitif, introduit dans un appareil de Marsh, dünpna lieu à la production d'un gaz dont la flamme recou- vrit les soucoupes de porcelaine d'une multitude de taches métalliques. Ces taches étaient bien arsenicales, car elles se dissol- vaient dans l'hypochlorite de soude. dans l'acide azotique, et leur dissolution azotique, évaporée à siccité, laissaitune poudre blanche , que l'azotate d'argent colorait en rouge ‘e brique. Ces taches exhalaient l'odeur d'ail en se rédui- sant en vapeurs sur les charbons ardents. L'absence de l'arsenic dans le son, le grégeon , la farine restée dans le sac, ainsi que dans le sac lui-même, et la présence du poison dans la farine trouvée dans la maie, démontrent clairement que ce poison a été ajouté à la fa- rine postérieurement à la mouture , et après qu'elle a été retirée du sac. C'est dans le pétrin, au moment de la ss ACADEMIE DE ROUEN. confection de la pâte, que cette farine a été empoisonnée. Il nous à paru indispensable de déterminer l'état sous lequel l'arsenic se trouvait dans la farine. En consé- quence , une certaine quantité de celle-ci fut délayée et laissée en macération pendant vingt-quatre heures dans de l'eau distillée. La liqueur filtrée au papier Berzélius donna , avec l'hydrogène sulfuré et quelques gouttes d’'a- cide chlorhydrique , d'abondants flocons jaunes solubles dans l’ammoniaque : c'était du sulfure d'arsenic ; les au- tres réactifs indiquèrent , comme les précédents, que lon avait enlevé à la farine de l'acide arsénieux. IV. Examen de la pâte ou levain. Cette pâle, restant de celle qui avait été cuite, élait contenue dans un pot en grès. Après lui avoir appliqué les mêmes moyens analytiques , nous en avons extrait de l'arsenic en quantité. notable , de manière à pouvoir cou- vrir de taches une capsule de 15 centimètres de diamètre, et à former un bel anneau métallique dans un tube de verre adapté à l'appareil de Marsh. V. Examen de la pâtisserie et des boulloches. La pâtisserie était conservée dans un pot de grès ; elle consistait en pâte cuite contenant dans son intérieur de la marmelade de pommes. Les boulloches étaient renfermees dans une soupière en faïence el divisées en deux parties bien distinctes, par une feuille de papier. La partie supérieure était ainsi dé- signée : boulloche mangée par le père L.— L'inférieure avait pour suscription : boulloche non touchée. Ces différentes pâtisseries ont été soumises isolement et successivement au même mode analytique. CLASSE DES SCIENCES. 89 Une certaine quantité de pâte et de fruits a été mise à chauffer avec le 6° de son poids d'acide sulfurique pur jusqu'à carbonisation complète. On fit bouillir le charbon avec de l'eau régale pour détruire l'acide sulfureux qui s'était formé , et convertir l'acide arsénieux en acide arse- nique. On reprit par l’eau distillée, on filtra au papier Berzélius la liqueur bouillante , et après l'avoir concen- trée, on l'introduisit dans un appareil de Marsh fonction- nant. à blanc. Nous obtinmes promptement des taches nombreuses d'arsenic métallique. VI. Examen des pains. Sur les cinq pains qui nous furent envoyés par le juge d'instruction, et qui avaient été pris au hasard sur les quatorze composant le total de la cuisson du 18 décembre 1847, deux étaient entamés et avaient servi au repas des gens de la ferme, Ces pains ayant été confectionnés. ainsi que l'ordonnance du magistrat de Neufchâtel nous lappre- nait, avec de la farine semblable à celle que nous avions déjà examinée, nous nous attendions bien à y trouver aussi de l'acide arsénieux en forte proportion. C'est ce que l'expérience confirma. Voici comment nous crûmes devoir opérer dans ce cas. Nous fimes bouillir 100 grammes de pain dans de l’eau “acidulée par l'acide sulfurique, jusqu'à ce que tout le pain ait disparu ; on remplacait l'eau au fur et à mesure de son évaporation. Celte opération demanda plusieurs heures. On fit alors passer dans la liqueur un courant de gaz acide sulfhydrique qui, bientôt, donna lieu à un trouble abon- dant occasionné par la formation de sulfure jaune d'arsenie, entraînant avec Jui une certaine quantité de matière or- xanique. Après vingt-quatre heures d'un dégagement lent 90 ACADEMIE DE ROUEN. et soutenu d'hydrogène sulfuré , on fit bouillir la liqueur pour favoriser la précipitation du sulfure arsenical; on le sépara par le filtre, et on soumit de nouveau la liqueur filtrée à l'action du gaz sulfhydrique qui produisit encore un précipité; on le reeueillit sur le même filtre, d'où on l'enleya au moyen d'une solution de potasse caustique, qui en opéra la dissolution On fit bouillir cette solution avec de l'acide azotique, afin d'obtenir du sulfate de potasse et de l'acide arsenique. Toute trace de vapeur nitreuse ayant disparu, la liqueur, suffisamment étendue d'eau, fut versée dans un appareil de Marsh nouveau, el après l'inflammation du gaz sortant de cet appareil , on ne tarda pas à voir se déposer sur les capsules de porcelaine qu'on exposait au devant de la flamme, de nombreuses taches miroitantes et métalliques. Les cinq pains contenaient, à très peu de chose près, les mêmes proportions d'acide ar- sénieux. Une seule tranche de chaque pain, mise pendant quelques heures à macérer dans de l'eau froide, commu- niquait à celle-ci tous les caractères d'une faible dissolu- tion d'acide arsénieux. - Toutes les matières alimentaires soumises à notre exa- men étant analysées, il nous restait à étudier les deux bouteilles d'urine dont il a déjà été question. VII. Examen des urines. L'une des bouteilles portait cette désignation : Urine des époux L père et mère , rendue depuis le 21 décembre, 8 heures du soir, jusqu'au 22 , 7 heures du soir L'autre était étiquetée ainsi qu'il suit : Urine provenant des époux L. L. fils, Virg. De'ah. et A. Bal ...., journée du 21 décembre, de 1 heure d'après midi à 6 heures du soir. CLASSE DES SCIENCES. 91 Ces urines étaient légèrement troubles et très peu am- moniacales. On les fit bouillir avec de la potasse pour en expulser l'ammoniaque libre ou combinée, et pour donner en même temps de la fixité à l'acide arsénieux dans l'hy- pothèse de sa présence dans ces liquides. Lorsqu'ils furent réduits en consistance de sirop épais, on les convertit en charbon au moyen de l'acide sulfurique. Ce charbon traité comme il a déjà été dit, ne fournit aucune trace d’arsenic. Dans un autre essai, après avoir fait bouillir avec de la potasse caustique, et évaporer jusqu'à réduction de moitié du volume primitif, on additionna de nitre en poudre, on dessécha le tout, et on le fit déflagrer dans un creuset rouge de feu. Le résidu salin, traité convenable- ment, ne donna pas le plus léger indice d'arsenie au moyen de l'appareil de Marsh. Les urines précitées, bien que provenant de personnes manifestement empoisonnées, ne renfermaient pourtant, pas d’arsenic. On sait cependant que le rein est un organe d'élimination des poisons , et que c'est ordinairement avec les urines que sortent du corps les substances minérales ingérées. Mais dans l'espèce, les individus empoisonnés ont tous éprouvé de violents et fréquents vomissements, et dès-lors la totalité , ou du moins la presque totalité du poison a été expulsée par les contractions de l'estomac ; de plus, si les malades ont bu une certaine dose de liquide dans la première période d'intoxication , s'ils ont eu des déjections alvines abondantes, l'élimination de la très Hinime proportion d'arsenic. passée dans le torrent de la cireulation, a dù se faire très promptement par la voie des reins. Si, euliu, nous notons que c'est seulement le 4° jour après l'empoisonnement qu'on a pu recueillir les urines de quelques-uns des malades , l'absence de l'arsenie dans ces urines S'expliquera très facilement. 92 ACADEMIE DE ROUEN. VIE. Maintenant que nous avons mis en évidence la présence de l'arsenie dans la farine qui a servi à la confection des pains et pâtisseries qui ont failli causer la mort de tant de personnes , examinons une question grave qui se présente tout naturellement, Quelle est l'origine de cet arsenic ? A-1-il été introduit dans une intention coupable, ou pro- vient-il d’une circonstance en dehors des prévisions hu- maines , l'emploi d'un blé chaulé à l'arsenic, pratique sicommune dans beaucoup de localités, et notamment dans l'arrondissement de Neufchâtel ? Cette dernière supposition ne peut se soutenir devant la masse d'expériences, qui ont clairement démontré que le blé chaulé à l'acide arsénieux donne des semences ab- solument dépourvues de tout composé arsenical. S'il en étail autrement . nous aurions dû trouver du poison dans le son, car il est évident que l'acide arsénieux aurait dû s'introduire aussi bien dans les enveloppes corticales que dans la partie interne du grain de blé; nous dirions même qu'il aurait passé de préférence dans la partie ligneuse , puisque M. Payen a constaté que le périsperme du blé à plus de tendance à s'unir avec les substances minérales que la farine même. Or, on à vu précédemment que le son et le grégeon ne nous ont pas fourni la plus légère trace d'acide arsénieux. L'absence de larsenic dans le son et le grégeon, dans la farine adhérente au sac de toile, ainsi que dans le tissu même de ce sac, nous autorise à affirmer que ce poison à été ajouté dans la farine destinée à faire le pain, alors que celle ci était déjà déposce dans la maie. Quant à la question de quantité, nous avons cru ne pas devoir l'aborder , pour ne pas entrer dans le domaine des CLASSE DES SCIENCES. 93 probabilités. L'acide arsénieux ayant été inexactement mêlé à la farine , cela est {rès supposable , n'aurait-il pas pu se faire qu'un poids déterminé de cette substance nous eût fourni une proportion d'arsenic bien supérieure à celle que nous aurait donnée une égale quantité de farine prise dans une autre partie de la masse ? D'un autre côté, l’arsenic contracte avec les matières organiques une sorte de combinaison qu'il est difficile de rompre , et qui s'oppose au complet isolement du poison. Si nous trouvons , dans les procédés de carbonisation que la science a mis à notre disposition, des moyens de dé- truire cette adhérence et de mettre en évidence des quan- tités infinitésimales d'arsenic à l'aide de l'appareil de Marsh, n'oublions pas que ces procédés ne nous per- mettent de retirer qu'une partie seulement de l'arsenic contenu dans les matières empoisonnées. En chimie légale, pour déclarer qu’il y a eu empoison- nement, il suffit d'établir l'existence d’une substance ca— pable d'occasionner la mort. C’est là un principe que nous avons constamment soutenu dans les nombreuses affaires de chimie légale où nous avons figuré comme experts, et nous avons eu la satisfaction, dans une occasion so- lennelle, d'être appuyés par l'autorité imposante de M. Orfila. IX. Conclusions. Des faits ci-dessus exposés, nous avons cru pouvoir conclure : 1° Que le son, le grégeon, la farine adhérente au sac de toile grise, le sac lui-même, sont totalement dépourvus d'arsenic ; 2° Que la farine trouvée dans la maie ou pétrin contient une quantité notable d'acide arsénieux ; 94 ACADÉMIE DE ROUEN. 3° Que le levain. tous les pains, les boulloches el Ta pâtisserie, analysés séparément, nous ont fourni une quan- tité d'arsenictelle que nousavons pu en recouvrir plusieurs capsules, et en former un anneau métallique que nous pla- çons au nombre des pièces à conviction; | 4° Que les deux urines analysées isolément ne nous ont offert aucune trace de ce poison : 3° Que l'existence de l’arsenic dans la farine ne peut être le résultat d'un effet naturel ; que conséquemment ce poison y à été ajouté, lorsqu'elle a été déposée dans la maie à pétrir imniédiatement avant la confection de la pâte, puisque le sac qui a servi à la rapporter du moulin n'en renferme aucune trace. X. Observations. Lorsque l'affaire pour laquelle ce rapport a été rédixé a été appelée devant la Cour d'assises , il a été parfai- tement établi que la présence de l'arsenic dans la farine ne pouvait provenir que d'un mélange fait à dessein, dans l'intention de nuire ; mais l'instruction ne put mon- trer la main de l'accusé mélangeant le poison à la farine dans la maie à pétrir , ni indiquer le lieu où il s'était pro- curé le poison. Elle constata seulement que l'un des ha- bitants de la ferme avait depuis longues années un paquet d'acide arsénieux en sa possession ; et que, d’ailleurs, dans les verreries circonvoisines , cette substance , indispensable à la fabrication du verre, était littéralement à la disposi- tion des ouvriers et même du premier venu. En l'absence de preuves directes , l'accusé fut acquitté. 0m NC v- jo à NOTES SUR DEUX NOUVELLES AUBATANCEN TINCTORIALES, Par M. NX GIRARDIN. ( Présentées à l'Académie de Ron: ans les séances du 23 na pe ACIDE PICRIQUE, Nouvelle matière colorante jaune. M. Guinon , très habile teinturier de Lyon, a eu le pre- mier l'idée de tirer parti, pour la teinture de la soie, de la propriété que possède l'AcIDE PICRIQUE d'imprimer à la peau une belle couleur jaune très solide. Ses essais réussirent complètement ; et, depuis juillet 18%7, il fait un grand usage de cet acide artificiel pour obtenir sur soie des jaunes clairs et moyens, jusqu'à la nuance soufre ou citron clair. Nous avons admiré, à l'exposition des pro- duits de l'industrie de 1849 , les tissus teints par lui avec ce nouvel agent tinctorial. Depuis , il a publié une note 96 ACADÉMIE DE ROUEN. sur la préparation de cet acide et son application à la tein. ture en jaune. (1) L'aciDE PicRrIQUE , dont Berzelius attribue la découverte à Hausmann (1788), n'est autre chose que le produit acide, jaune et amer , qui prend naissance dans la réaction de l'acide azotique sur un grand nombre de substances orga- niques, azotées ou non, telles entre autres que la soie, l’aloës, l'indigo, la salicine, l'hydrure de salicyle, la coumarine , l'huile de goudron de houille, etc. Il a été connu successivement dans la science sous les noms de : jaune amer, amer de Welter, amer d'indigo, amer au maximum (Chevreul), acide amer, acide carbazotique (Liebig), acide nitro-picrique (Berzelius), acide nitro- phénisique (Laurent), acide trinitro-phénique et phénate- trinitrique (Gerhardt). C’est M. Thénard qui lui a donné le nom d'acide picrique, de rix£es, amer, pour rappeler sa saveur d’une amertume très prononcée. MM. Dumas et Laurent le représentent par la formule brute : C°# HS A: O'i. (2) Le procédé le moins coûteux pour l'obtenir en grande quantité est celui que M Laurent a fait connaître en 1841, et qui consiste à faire réagir douze parties d'acide azotique ordinaire sur dix parties d'huile de goudron de houille ou hydrate de phényle. (3) Voici comment M. Guinon exécute ce procédé pour les besoins de ses ateliers : (1) Annales de la Société d'Agriculture, d'Histoire Naturelle et des Arts utiles de Lyon. — Année 1849, 2° série, tome I, page 178. (2) Dumas. Quatrième Mémoire sur les Types chimiques. — Annales de Chimie et de Physique, 3° série, tome Il, page 298. Laurent: Mémoire sur le Phényle et $es dérivés. — Ibid., tone Ill, page 223. (5) Laurent: = Ibid., pages 213 et 221. CLASSE DES SCIENCES. 97 « Dans une capsule ou terrine de grès, dont la capa- cité doit être au moins triple du volume des matières em- ployées, on met d'abord trois parties d'acide azotique du commerce à 36°, dont on élève la température à 60° centi- grades, on retire la capsule du feu, et, au moyen d'un tube de terre eflilé à son extrémité inférieure que l'on fait plonger dans l’acide , on verse peu à peu une partie d'huile de houille. Chaque addition d'essence, qui traverse l'acide chaud, produit immédiatement une vive réaction, d'où résultent échauffement de la masse et dégagement avec effervescence d'acide carbonique et de bi-oxyde d'azote. « Si le liquide menace de s’extravaser, on cesse de verser de l'huile, et on le tempère par l'addition d’un peu d'acide froid. Lorsque toute l'huile qu'on a dessein de transformer est employée , la majeure partie est déjà con- vertie en acide picrique, mais il en reste encore beaucoup dans un état intermédiaire , sous forme d’une matière rési- neuse rougeâtre. Pour complèter autant que possible la transformation , on ajoute trois nouvelles portions d'acide azotique , on porte le liquide à l’éballition , et l’on évapore jusqu'en consistance syrupeuse , en ayant soin de ne pas laisser la matière se dessécher ; sans cette précaution elle s'enflammerait et brûlerait avec intensité. « On peut encore préparer l'acide pierique en opérant à froid le mélange d'une partie d'huile de houille avec deux parties d’acide azotique. Il y a également alors production de chaleur, dégagement d'acide carbonique et d'oxyde d'azote, mais l'effervescence est moins vive que dans le premier cas, il se produit peu de vapeur nitreuse, et l'on obtient ainsi une matière résineuse gluante , que l'on doit traiter à chaud par l'acide azotique, et faire évaporer comme précédemment. « Le liquide syrupeux obtenu dans ces deux cas se prend par refroidissement en une masse pâteuse jaunâtre, 98 ACADÉMIE DE ROUEN. dont le poids est environ le sixième des matières em- ployées. Il se compose d'acide picrique, d’un peu de matière résineuse et d'acide azotique. On sépare l'acide picrique en faisant bouillir la masse dans l’eau qui le dis- sout et l’abandonne ensuite, par refroidissement , à l'état cristallisé. Deux ou trois cristallisations le donnent à peu près pur; mais pour arriver à la pureté chimique , il faut le combiner à une base, soit l'ammoniaque, et le précipiter avec un acide (acide nitrique ou chlorhydrique), puis le faire cristalliser. Après ces préparations, l'acide picrique est sous forme de cristaux transparents d’un jaune citron clair. « Pour les besoins de la teinture , il n’est pas utile de pousser si loin l’opération, la pureté absolue n'étant pas nécessaire; on peut se borner à l'opération suivante : lorsque l’on a obtenu la masse pâteuse, comme nous l'avons dit, on la lave à l’eau froide pour enlever l'acide nitrique en excès ; on dissout ensuite le résidu dans l'eau bouillante , à laquelle on ajoute de l'acide sulfurique (100 grammes environ pour un hectolitre d’eau) , afin de sé- parer la matière résineuse qui accompagne l'acide picri- que. La présence de cette matière donnerait à la soie une odeur désagréable, et ternirait la couleur, en lui laissant une teinterougeâtre désagréable. On obtient ainsi une solu- tion d'acide picrique suffisamment pure, laquelle , étendue d'une quantité d'eau proportionnée à la nuance que l'on veut atteindre, peut servir immédiatement à la teinture. Il n’est besoin d'aucun intermédiaire ou agent pour favoriser la combinaison de la matière colorante avec la soie. On doit opérer à une température de 30 ou 40° centigrades pour que la combinaison se fasse bien également. A leur sortie du bain, les soies teintes par l'acide picrique doivent être mises au séchoir sans aucune opération ou lavage. (1) » ({) Guinon. Loc. citat., page 181. ae CLASSE DES SCIENCES. 99 Voici comment j'ai été appelé à m'occuper de ce nouvel agent colorant, au point de vue industriel. J'ai reçu, à la date du 20 octobre 1850, la lettre suivante d’un M. Lemoine de Paris: « Monsieur, « Dans votre traité de teinture sur soie, laine et coton (1), vous dites que M. Guinon de Lyon emploie , pour obtenir sur soie des jaunes clairs, l'acide picrique sous forme de cris- taux. J'ai voulu m'assurer de ce fait, et j'ai fait demander par un de mes amis, un échantillon de ces cristaux et le prix. M. Guinon a répondu par un de ses correspondants de Paris, qu'il ne fabriquait pas de cristaux, qu'il em- ployait pour des jaunes clairs sur soie un liquide colorant qu'il tirait du goudron de houille , qu’il vendait ce produit à raison de 20 fr. le litre, et qu'il ne pouvait s'engager à livrer d'acide picrique en cristaux, par la difficulté qu'on avait à les obtenir. « Nous avons trouvé le moyen d’en procurer au com- merce une grande quantité, et à des prix qui en permet- tront l'emploi. «Jai l'honneur de vous adresser un échantillon de nos cristaux et vous prie, dans l'intérêt de la science et du commerce, de sacrifier quelques-uns de vos moments précieux à l'examen de ce produit. Votre opinion serait pour nous d’un grand poids , avant de saisir le commerce de notre découverte. « Le liquide de M. Guinon contient des matières grasses et huileuses qui exigent de la part de ceux qui l'emploient des frais de main-d'œuvre et de préparation qui en aug- mentent de beaucoup le prix. Un teinturier de Paris, qui (1) Traité 84 de L'Instruction pour le peuple, ou cent traités sur les connaissances les plus indispensables. — Paris. Paulin et Le- chevalier, — 1850, 100 ACADÉMIE DE ROUEN. se sert du liquide Guinon , a bien voulu faire l'essai de nos cristaux et en à paru satisfait, tant pour la nuarce que pour la simplicité de l'emploi. « J'ai l'honneur, etc. « LEMOINE, « 22, rue de Varenne. » J'ai, suivant le désir exprimé dans eette lettre, employé l'acide picrique à teindre de la soie, de la laine et du coton. Voici les résultats que j'ai obtenus : 1. La soie prend très rapidement dans la solution aqueuse de cet acide, maintenue à la température de 30 à 40° centigr., une belle nuance jaune paille. Il m'a fallu 6 grammes 8% d'acide cristallisé pour teindre en cette nuance 1 kilogr. de soie. Mais cette soie, ainsi teinte sans le secours d’aucun mordant, abandonne une grande partie de sa couleur à l'eau employée sous forme de lavages. En mordançant à l'avance la soie avec un mélange d'alun et de crême de tartre, l'acide picrique se fixe beaucoup plus solidement, et alors la soie teinte peut subir impuné- ment plusieurs lavages. Mais, dans tous les cas, la couleur ne résiste pas à l’action des acides faibles, des alcalis faibles, du chlorure de chaux faible. Elle supporte assez bien l’action de l'air et du soleil 2, La laine se comporte comme la soie, si ce n’est qu’elle prend une nuance plus intense ; elle se colore en beau jaune citron. Il ne faut que 5 grammes 73 d'acide picrique pour don- ner cette nuance à 1 kilogr. de laine. La couleur ne résiste au lavage qu’autant que la laine à été préalablement mordancée avec alun et crème de tartre. La nuance ne passe pas à l'air et au soleil, mais elle ne supporte pas l’action des agents chimiques. 3. Le coton, mordancé ou non, ne prend aucune colo- ration dans le bain d'acide picrique, CLASSE DES SCIENCES. 101 Il résulte pour moi des essais nombreux auxquels je me suis livré : 1° Que l'acide picrique est une matière colorante fort riche pour la soie et la laine ; 2° Qu'on peut donner à ces tissus de belles nuances jaunes, sans altérer en rien la souplesse de ces tissus , et par des opérations aussi simples que possible ; 3° Que pour que ces tissus teints puissent supporter les lavages à l’eau, il faut préalablement les mordancer en alun et crême de tartre ; 4° Que les nuances à l'acide picrique résistent bien à l'air et au soleil, mais ne supportent pas l’action des agents chimiques, acides, alcalis, hypochlorites décolo- rants ; 5° Que l'acide picrique n'est donc pas une matière colo- rante de grand teint ; 6° Néanmoins , que c'est une substance qui devra rendre de très bons services dans la teinture de la soie et de la laine , surtout si son prix n’est pas très élevé ; 7° Que, dans tous les cas , elle ne peut servir à la tein- ture du coton et des autres fibres textiles végétales. J'ajouterai , en terminant, que M. Lemoine livre au com- merce l'acide picrique en cristaux à raison de 25 fr. le kilog. A ce prix, la teinture d’un kilog. de soie coûterait 1 fr. 72 c., et celle d’un kilog. de laine à 0 fr. 93 c. $ EE. BIXINE. Nouvelle substance tinctoriale provenant de la Guyane , destinée à remplacer le rocou. On sait que la pâte tinctoriale connue dans le commerce sous le nom de Rocou est le produit de la graine de l'arbre 102 ACADÉMIE DE ROUEN. appelé vulgairement Roucouyer , et que les botanistes ont nommé Bixa orellana. Cet arbre croît spontanément dans les forêts et dans les terres hautes de la Guyane. On le trouve dans plusieurs autres contrées de l'Amérique mé- ridionale. La graine du Roucouyer , renfermée dans des capsules épineuses , est entourée d’une pulpe huileuse d'un rouge vif. Cette pulpe, seule partie propre à la teinture , se dé- tache très facilement par le trempage et le lavage de la graine. Ce procédé si simple n’est pas celui que suivent les plan- teurs pour la fabrication du Rocou. Ils écrasent la graine soit en la faisant passer au laminoir, soit par le secours des bras et du pilon. Après le pilage, la graine est déposée dans des bacs où on la fait tremper , puis elle est lavée et pressée entre les mains pour être soumise de nouveau à l’action du laminoir. Cette opération qui se répète jusqu’à 15 et 20 fois, sert à diviser la substance de la graine et du tissu fibreux auquel elle est adhérente, en particules assez déliées pour qu’elles puissent passer au travers du tamis au moyen duquel on filtre l’eau provenant des différents lavages. On laisse reposer cette eau jusqu'à ce que toutes les parties qui étaient en suspension dans le liquide se soient précipitées au fond du vase, et qu'elles y aïent formé un dépôt que, dans le langage du pays, on appelle Calé. On fait bouillir ce calé, puis on le laisse égoutter jusqu’à ce qu'il ait acquis la consistance convenable. Alors on en forme des pains ou gâteaux de 6 à 7 kilogrammes, que l’on enveloppe de feuilles de balalou ou de balisier , et que l’on enfutaille dans des barriques à vin. Les bar- riques contiennent ordinairement 30 pains, et le poids varie entre 188 et 218 kilogr., en comprenant 4 p. 100 de feuilles. On comprend combien cette fabrication est vicieuse, et le CLASSE DES SCIENCES. 103 mauvais résultat qu’elle doit produire. Une manipulation trop lente fait subir au rocou l'action de la fermentation putride ; et la partie colorante , délayée dans un grand volume d’eau , se trouve mêlée avec les autres parties con- stituantes de la graine et du tissu, à savoir : la fécule, le mucilage et la fibre ligneuse. Une barrique de Rocou , du poids net de 218 kilogr. contient : hou Ms 0, broldn.s 10. 4207067 RON noie . 6 Jinsreartieten cr ur 400 Fécule, mucilage , fibre hgneuse. 39 906 Matière colorante. . . . . . . . 12 200 218 » Ainsi, lorsqu'un manufacturier, un teinturier , un fabri- cant de couleurs achètent une barrique de rocou, pour laquelle, quand le cours de cette pâte est à 1 fr. 20 c. le kilogramme , ils déboursent environ 300 fr. , ils n'ont, en réalité, que 12 kilog. 200 de matière colorante , et cette matière leur revient à 24 fr. 60 le kilog., sans compter la dépense à faire pour en séparer les parties étrangères. Il y a déjà longtemps qu'on a engagé les planteurs de la Guyane française à modifier le procédé vicieux par lequel, à la place d’une belle substance colorante, on n'obtient, après un travail long et coûteux, qu’un mélange infect , dégoûtant et considérablement altéré. Leblond, qui a publié en l'an XI de la république un mémoire très intéressant sur la culture du rocouyer et la fabrication du rocou (1), a proposé de laver simplement les graines du roucouyer jusqu'à ce qu’elles soient entière- (1) Il en a été donné un extrait par Vauquelin, dans les Annales de Chimie du 30 thermidor an XI, t. XLVU, p. 113 10% ACADÉMIE DE ROUEN. ment dépouillées de la pulpe gluante et colorée qui les en- toure , de passer l’eau de lavage à travers des tamis fins pour séparer tous les débris des écorces seminales, de pré- cipiter la matière colorante qui reste longtems en suspension dans l’eau au moyen du vinaigre ou du jus de citron , et de faire cuire à la manière ordinaire, ou mieux de faire égoutter dans des sacs, ainsi que cela se pratique pour l'indigo. « Par ce moyen , dit Leblond , on aurait un rocou dont « la qualité serait constamment la même , qui ne contien- « drait point cette quantité variable, mais toujours consi- « dérable de matière étrangère qui en augmente singuliè— « rement le poids et en diminue la valeur. » Vauquelin a préparé du rocou de cette manière. en opérant sur des graines rapportées de Cayenne par Leblond. Deux teinturiers de Paris, qui essayèrent ce rocou, déclarè- rent qu'il valait au moins quatre fois autant que celui du commerce , sans compter qu'il était plus facile à employer, qu'ilexigeait moins de dissolvant , qu'il faisait moins d'em- barras dans les chaudières, et fournissait sur la soie une couleur plus pure et non moins solide (1). Près d’un demi-siècle s’est écoulé depuis que Leblond , signalant aux planteurs de la Guyane française le vice du mode alors en usage , et qui n’a cessé de l'être jusqu’à ce jour pour la préparation du rocou, plantait un jalon qui marquait la direction à suivre pour perfectionner et fécon- der une branche importante de la production agricole de cette colonie. Malheureusement sa voix ne fut point enten- due , et son mémoire eut le sort d’autres bons écrits ense- velis par le temps dans Fabime de l'oubli. 1) Vauquelin, Annales de Chemie du 30 thermidor an XI, t, XLVIH, D. 123: an PES CTALNONK NC :N °P autoyessdo pour a] seade p ‘ TNIXIG eep uonesedaid 8 mod syieddy « CLASSE DES SCIENCES. 105 Un français établi à Cayenne depuis vingt-deux ans, M. du Montel, frappé de l'imperfection du système de fabrication en usage dans la colonie, s’est efforcé, sans avoir connaissance du travail antérieur de Leblond , de lui substituer une méthode plus rationnelle , plus avantageuse pour le planteur et pour le manufacturier : ses efforts ont été couronnés d’un plein succès. Remplaçant , dans la ma- nipulation de la graine de rocou, l’écrasement et la pression par le lavage , prévenant par l'emploi d'agents chimiques et par la célérité du travail l’action si nuisible de la fer- mentation , il obtient un précipité d'une extrême finesse, d'une odeur agréable et d'un très beau rouge ; c'est la matière colorante pure du rocou, sans aucun mélange de matières étrangères appartenant à l’intérieur des graines ; c'est ce précipité qu'il a mis dans le commerce depuis un an sous le nom de bixine. Voici comment M. du Montel opère. Sa fabrication com- prend 4 périodes : 1e Période. La graine , déposée dans des cuves dites trempoires, remplies d'eau, est fortement agitée dans le liquide au moyen de pelles en bois ; la continuité d’un mouvement accéléré détermine la séparation de la couleur. Après 24 heures d'immersion , la graine apparait blanche ; c'est un signe qu'elle est suflisamment lavée , et qu'elle ne conserve plus de partie colorante. 2e Période. L'eau colorée, provenant du lavage, est passée à travers des tamis très fins de toile ou de calicot, et tombe dans un vase appelé précipitoir, de forme co- nique ( voyez À dans la figure ci-jointe). L'opération du tamisage se répète deux fois afin d'éviter qu'il ne s'intro- duise dans l'eau filtrée quelques parcelles de corps étran- gers à la couleur, Ce travail demande un jour. 3° Période. Un agent chimique, répandu dans une 106 ACADÉMIE DE ROUEN. quantité proportionnelle d'eau froide et qui n’altère point la couleur, est versé dans le précipitoir. On a l'attention, pendant qu’on verse l'agent chimique dont M. du Montel se réserve la propriété , d’agiter fortement l’eau colorée , afin de rendre le mélange aussi complet que possible. La précipitation s'opère instantanément. Il convient néanmoins d'attendre 8 ou 10 heures avant de décanter. La décanta- tion se fait promptement au moyen du robinet B posé au niveau du calé, mais elle n’est jamais complète; il reste plus ou moins d’eau dans le calé. Pour l'en débarrasser complètement , on ouvre le robinet € qui laisse écouler le calé dans un conduit D , et ce dernier le dirige sur une table de pression E à rebords, garnie de linge fin, placée sur un plan inférieur à celui du précipitoir. Une vis en fer, à pas carrés, produit, déduction faite des frottements, une pression d'environ 5,000 kilog. , force plus que suffisante pour solidifier, en un jour, par des pressions successives , le calé provenant du lavage de 60 bondes ou 1,800 kilog. de graines. Le travail de la 3° période exige environ 36 heures. 4° Période. Le précipité étant arrivé au degré de consis- tance nécessaire pour pouvoir être divisé en tablettes, on le découpe et on expose ensuite les tablettes à l'air sur des séchoirs (planches unies, percées à jour et garnies de linge ), où elles restent jusqu'à ce qu'elles soient parve- nues à une parfaite dessiccation , en prenant le soin de les tenir constamment à l'abri des rayons du soleil. La dessiccation dépend des circonstances atmosphéri- ques ; elle n’exige que 10 à 12 jours quand le temps est sec ; il en faut 20 ou 25 si le temps est humide. Après cela, on emballe. Le mode de fabrication de M. du Montel préserve , comme on le voit, la matière colorante du rocou de toute = CLASSE DES SCIENCES. 107 fermentation , et lui conserve l'odeur douce et agréable de la fleur du roucouyer. L'exposition des tablettes à l’air en rend la surface bru- nâtre ; mais l'intérieur reste d’une belle couleur dont la nuance varie légèrement , selon la nature des terres où le roucouyer est cultivé. Comme Leblond, comme Vauquelin, comme M. du Montel , nous pensons que , puisque la partie colorante des graines du roucouyer est tout entière à leur surface, et qu'elle n’a besoin d'aucune préparation spéciale prélimi- naire pour être employée en teinture, il est tout-à-fait su - perflu de broyer les semences et de les faire fermenter. Outre que ces opérations entraînent des pertes de temps et d'argent, elles ont de plus le grave inconvénient d'intro- duire dans la pâte de rocou des matières étrangères en très grande quantité, qui diminuent sa puissance tincto— riale , qui augmentent les frais de transport, qui nuisent à la beauté des couleurs , qui élèvent le prix de la teinture, qui rendent le dosage des rocous fort difficile à établir, puisque les pâtes du commerce varient continuellement de pouvoir tinctorial, uniquement par la différence de proportion des matières étrangères provenant des se- mences broyées. L'année dernière, j'ai été chargé par M. du Montel, qui avait envoyé à Rouen deux caisses de sa bixine chez M. Adolphe Boivin , négociant, d'examiner son produit, et de lui faire connaître mon opinion sur sa valeur tinctoriale comparée à celle du rocou du commerce. Voici un résumé de mes essais sur cette substance tinc- toriale. 4° La bixine est en tablettes sèches et cassantes , d'un rouge orangé brunâtre à l'extérieur et d’un rouge orangé vifà l'intérieur. Elle n'a pas l'odeur si désagréable des rocous du commerce. 108 ACADÉMIE DE ROUEN. 2° Elle contient la matière colorante du rocou, dans un état de pureté beaucoup plus grand que les pâtes du com- merce. Cette matière colorante n’a subi aucune altération ; elle donne aux tissus des nuances plus vives et plus bril- lantes, 3° Elle ne renferme que 13 à 14 p.0/0 d’eau, tandis que les rocous en pâte en contiennent depuis 67 jusqu'à 71 0/0. Il résulte de la variation continuelle de l’état d’humi- dité de ces rocous , que leur dosage en teinture est moins facile à établir que celui de la bixine , qui est toujours au même état de siceité. 4° De la bixine séchée à 100 degrés, j'ai retiré #0 p. 0/0 de principe colorant rouge orangé , soluble dans les alcalis, et précipitable par les acides. Les meilleurs rocous actuels ne m'en ont donné que 1# p. 0/0 au maximum. Or, en estimant la valeur comparative de la bixine et des rocous, dans l’état ordinaire d'humidité sous lequel on les vend, il résulte des chifires précédents, que la bixine renferme 7 fois 1/} de principe colorant de plus que les bons rocous du commerce. 5 Dans mes essais de teinture en petit, pour amener le coton au ton communiqué par 3 décigrammes de bixine, il m'a fallu employer en rocous les quantités suivantes : Rocou sur feuilles? "7." 00) ."l'oram. 80 SÉPARER 1. Re ee AU PAS dt OÙ Rocou à #fr. 50 : . . . PRET OEM EE OÙ Id. du même prix, d’une autre origine. 2 — 90 ROOMS 602 LME UNS CE EE TU p D'où il suit que la bixine a eu un pouvoir tinctorial 6 fois , ou 9 fois 1/2 ou 10 fois plus fort que les rocous du commerce. 6° Dans des opérations de teinture en grand, faites par CLASSE DES SCIENCES. 109 moi chez M. Léveillé , la bixine , même celle de première qualité qui m'a été envoyée de Cayenne dans le courant de 1851, n’a pas donné des résultats aussi avantageux. Voici en effet un exposé de ce qui a été fait. On a fait cuire pendant 2 heures avec 5 kil. de sel de soude et 260 litres d’eau, 5 kil. de bon rocou à 3 fr. le kil., puis on a laissé reposer pendant 24 heures, et on a tiré à clair. En même temps, on a fait deux bains de la même ma- nière, mais en employant , au lieu de rocou, de la bixine de 1850 et de la bixine de 1851 , prises sous le poids d’un kil. Ces bixines avaient été réduites en poudre et tamisées, Disons de suite qu'en grand il en coùûterait de 2 fr. 50 c. à 3 fr. pour diviser ainsi convenablement 7 kil. de bixine. On a pris des trois dissolutions-mères 13 litres qu'on a étendus de 130 litres d’eau, et on a teint à froid 8 kil. 900 de coton, en laissant 25 minutes dans les bains et en retournant sept fois les pentes. Après lavage et torsion, on a séché à l'ombre. , Le rocou a donné une nuance plus corsée que les deux bixines, et pour monter au mème ton avec celles-ci , il a fallu ajouter dans le premier bain 4 litres de décoction de bixine de 1851 et 10 litres de décoction de la bixine de 1850. D'où il suit que pour équivaloir à 5 kil. de rocou, il a fallu employer : 1 kil. 320 de bixine de 1851 et { kil. 850 de bixine de 1850. Ce qui montre que la bixine de 1851 a un pouvoir co- lorant 3 fois 2/3 plus considérable que le rocou, tandis que pour la bixine de 1850 ce pouvoir n'est que 2 fois 2/3, plus fort ; en effet , d’après les résultats obtenus , Le pouvoir du rocou qui m'a servi étant exprimé par 1. Celui de la bixine de 1851 l’est par... ........ 3,78 Celui de la bixine de 1850 , par. .... ......... 2, 70 110 ACADÉMIE DE ROUEN. C'est donc , d’après ces rapports, que le prix de vente de la bixine doit être fixé. Les nuances aurore et orangé données par la bixine sont bien plus vives et plus brillantes que celles fournies par le rocou. J'ai observé que les bains de bixine sont de suite épuisés par une première teinture , tandis que les bains de rocou peuvent encore donner une légère teinte aurore. 7° La bixine étant sous la forme de tablettes sèches, il n’est pas aussi facile d’y introduire des matières étrangères frauduleuses , que dans les rocous ordinairement vendus à l’état de pâte molle. On sait d’ailleurs que chez les dé- taillants de rocou , on a la mauvaise habitude d'y incor- porer de temps en temps de l'urine, afin de l’entretenir tou- jours humide, d'augmenter son poids, et de rehausser sa couleur à l’aide de l’'ammoniaque que la putréfaction de l'urine développe bientôt dans la masse qui en est impré- gnée. 8 La bixine s'applique très bien à, la peinture, soit à laquarelle, soit à l'huile, sur bois, sur toile, sur métaux. La pâte de pression, qui a subi l’action de la fermentation putride et de la chaleur , et qui est surchargée de matières qu'on ne peut jamais, quoi qu'on fasse , séparer complète- ment de la couleur, est condamnée à un rôle très secon- daire, et ne peut être employée en peinture. Iressort bien évident de ce qui précède qu'il y aurait un grand avantage pour les teinturiers d'Europe à ce que les planteurs de la Guyane adoptassent le procédé de M. du Montel pour l'extraction de la matière colorante des graines du roucouyer, puisque ce procédé plus prompt, plus commode, moins dispendieux que le mode opéra- toire suivi jusqu’à présent, fournit une matière tinctoriale pure, donnant de plus belles nuances que le rocou ordinaire. Les planteurs de la Guyane ont intérêt à imiter M. du CLASSE DES SCIENCES. 111 Montel, car en s’obstinant à fournir au commerce du rocou de qualité inférieure , ils s’exposent à voir repousser ce produit, à moins d'en descendre le prix tellement bas , qu'il n’y aura plus pour eux aucun bénéfice. Propre à des usages auxquels le rocou ne peut servir, la bixine serait recherchée en France et à l'étranger ; la consommation s’étendrait ; le cours prendrait plus de fixité. D'une fabri- cation simple, d’un emballage et d’un transport peu coù- teux , elle assurerait tout à la fois aux producteurs l'intérêt de leurs avances et une juste et convenable indemnité de leurs peines. Espérons que, ramenés, par les bons avis de M. du Montel et par les éclaircissements que leur fournit la science, à l'intelligence de leurs véritables intérêts, les planteurs de la Guyane sortiront de l’ornière où les re- tient, depuis un siècle , l'empire des vieilles routines. NOTE ADDITIONNELLE. Depuis la rédaction de cet article sur la bixine, J'ai fait l’ana lyse des échantillons qui m'ont été envoyés de Cayenne dans le courant de cette année, et voici les résultats que j'ai obtenus : Dans 100 parties en poids de cette bixine, j'ai trouvé : LE ARE EEE 9,25 Principe rouge soluble dans les slvalis', et préci- PAIE par len acides. : :4. 40: 7.) 4440 Principe jaune soluble dans les alcalis , et non précipitable par les acides. . . . . . : 3,01 Matières organiques insolubles dans les alcalis. . 39,44 Substances minérales ( carbonate et sulfate de chaux , sulfate de ns , Silice et x de fer ): 0,82 Alumine dont une partie est étrangère à la ES cn à 0 2 3,08 100,00 112 ACADÉMIE DE ROUEN. La bixine de 1851 m'a donné beaucoup moins de cendres que les échantillons de 1850. Voici, en effet, les quantités obtenues : Bixine de 4834. . . . . . . . . . 3,90 p. °/ cendres. de 1850, no9. . . . . .,. &,90 Je AS80 PL. /. -1.1. 640 Toutes ces cendres avaient la même composition , et, dans toutes , l’alumine en formait près des trois quarts du poids. La présence d’une aussi forte proportion d’alumine dans la bixine , permet peut-être d'expliquer pourquoi , dans les opérations de teinture , cette matière tinctoriale ne rend pas autant qu'on pourrait l’espérer , d'après l’état de pureté de sa matière colo- rante. L'alumine forme sans doute, avec une partie de cette dernière , une laque insoluble qui ne se combine pas aux fibres du coton. Cette alumine provient très probablement de l'empoi d’alun pour faciliter la précipitation de la bixine. Comme je dois recevoir de Cayenne des graines de roucouyer, j'en extrairai la bixine sans l'emploi d'aucun agent, et j'en ferai l'analyse dans son état de pureté absolue. Plus tard, je complèterai ces premiers renseignements sur une matière qui me paraît susceptible de recevoir une foule d'applications utiles. ———"]D 07 — RECTIFICATIONS ET ADDITIONS A LA FLORE DES ENVIRONS DE ROUEN '’, Par M. Emm. BLANCHE, Docteur en Médecine, Chirurgien-Adjoint à l'Hospice-Général de Rouen. — "2 à E— Le travail que j'ai l'honneur d'adresser à l’Académie n'est pas un catalogue des plantes qui croissent spontané- ment dans les départements de la Seine-[nférieure et de l'Eure ; c’est un rapport sur l'herbier de l'abbé Leturquier Delongchamp, que des circonstances heureuses m'ont per- mis d'acquérir. J'ai pensé qu'un nouveau catalogue de nos espèces botaniques ne devait être entrepris qu'après un examen attentif des plantes qui ont servi de types aux des- criptions que l'abbé Delongchamp nous a transmises ; ce travail préliminaire m'a conduit, en effet, à plusieurs rec- tifications qui éclaireront singulièrement le travail ultérieur que je me suis proposé. Je n'ai pas cru devoir discuter longuement la question de la spontanéité ou de l'existence actuelle , dans le rayon de la flore, de plusieurs espèces qui figurent dans l'ouvrage de l'abbé Delongchamp; ces plantes seront l'objet d'une étude toute spéciale dont je présenterai les résultats dans le catalogue raisonné des plantes des départements de la Seine-Inférieure et de l'Eure. J'ai divisé mon travail en trois parties : Dans la première, (1) L’impression du Mémoire de M. Blanche a été décidée par l'Académie, après le rapport qui a été présenté par M. Bignon dans la séance du 2 mai 1851. S 114 ACADÉMIE DE ROUEN j'ai noté les espèces qui doivent être exclues ; leur suppres- sion est brièvement motivée. Dans la seconde, j'ai compris les espèces dont l'existence dans notre département est certaine, mais qui présentent quelqu'intérêt, soit parce qu'elles se rencontrent rarement, soit parce qu'elles ont une grande ressemblance, ou qu'elles ont été confondues avec d’autres espèces ; j'y ai joint les espèces qui n'ont pas été trouvées depuis l'abbé Delongchamp et dont l'exis- tence peut être considérée comme douteuse, quoiqu'elles figurent dans l'herbier ; ces dernières sont suivies d’un point d'interrogation. Pour faciliter le classement des es- pèces nouvelles pour notre département, et pour éviter des recherchés ennuyeuses , j'ai placé en regard les espèces de la flore parisienne et de la flore de la Normandie qui n'ont pas encore été mentionnées dans les départements de la Seine-Inférieure et de l'Eure. De cette manière, on pourra susir d'un seul coup-d'œil les vides qui existent dans notre flore locale et qu'une étude nouvelle parviendra probablement à combler, au moins en partie. L'appel fait aux botanistes par l'Académie de Rouen m'a engagé à pré- férer cette forme synoptique. Dans la troisième partie, enfin, j'ai placé quelques-unes des espèces qui ont été rencontrées dans nos deux départe- ments depuis la publication de l'ouvrage de l'abbé Delong- champ. Comme j'ai eu surtout en vue l'examen de l'her- bier , je me suis peu appesanti sur cette partie. Je ne doute pas que de nouvelles rechérches n’augmen- tent considérablement le nombre de nos espèces indi- gènes ; pour moi, je me suis bien moins attaché à en grossir la liste qu'à rectifier les erreurs qui avaient cours depuis longtemps ; aussi j'ai cru ne devoir indiquer que les espèces que j'avais vues sur place ou vivantes, C’est ainsi que je n'ai pas cru devoir signaler plusieurs espèces indi- quées dans le catalogue de M. Brouard et dans le catalogue ve CLASSE DES SCIENCES. 115 plus récent et infiniment plus complet de M. Chesnon; le même motif m'a empêché d'indiquer un assez grand nombre d'espèces nouvelles pour notre département, dé- couvertes par mon père, et que j'ai trouvées dans son her- bier. Tous ces précieux matériaux seront utilisés plus tard. o J'ai suivi la classification de l'excellente flore de MM. Cosson et Germain; l'indication du modèle suflit, du reste, pour justifier ma préférence. En adressant ce travail à l'Académie, j'ai cru répondre d'une manière utile à l'appel fait aux botanistes de notre département ; j'ose espérer que l'Académie, ayant égard à cette intention , pardonnera les répétitions de langage et de forme presqu'inévitables dans un travail de cette nature. Les espèces que je n'ai pas recueillies moi-même, ou dont l'existence et la spontanéité m'ont paru douteuses, ont été marquées d’un point d'interrogation (?). Les espèces spéciales à la flore parisienne ont été indi- quées par les deux initiales F. P. qui suivent le nom de la plante ; celles de la flore de la Normandie par les lettres F N.; enfin, je n'ai placé aucun signe après les espèces signalées par ces deux ouvrages et qui n'ont pas encore été mentionnées dans le rayon de notre flore. $ 1. ESPÈCES A RETRANCHER. ———— VÉGÉTAUX DICOTYLÉDONES. RENONCULACÉES. Ranuncuzus gramineus £. n'a pas été retrouvé à la localité indiquée. 116 ACADÉMIE DE ROUEN. Raneneuzus nodiflorus L., idem. chærophyllos L. ? parviflorus £. ? intermedius Poir. La plante décrite sous ce nom ne diffère pas du R. philonotis Ehrh. polyanthemos L. Cette espèce n'a pas été trouvée en France; la plante de l'herbier ne difière pas du R. acris L. lanuginosus L. La plante désignée sous ce nom dans l'herbier est une variété du R. acris L. Decpainium Ajacis L. (Cultivé). CARYOPHYLLÉES. Dranruus arenarius L. D Gallicus Pers. Cette espèce n’a pas été retrouvée, et l'individu conservé dans l’herbier vient d’un jardin botanique. deltoïdes L. Cette espèce n’a pas été non plus retrouvée. SILENE anglica L. Généralement considérées comme cerastoïdes L.) de simples variétés du S. Gallica L. conoïdea L. Cette plante est bien nommée, mais il n’est pas douteux qu'elle ait été recueillie auprès d’un jardin, le S coroïdea L. apparte- nant aux provinces méridionales. SrezLariA nemorum L. La plante de l'herbier , recueillie dans un fossé, auprès de la ferme du Gort, est l’Arenaria trinervia L. Ces deux plantes ne consti- palustris Wailld. | tuent qu'une seule et même crassifolia Willd.] espèce et doivent être rap- portées aus. glauca Smith. CLASSE DES SCIENCES. 117 Cerasrium brachypetalum Pers. Sous ce nom, deux es- pèces différentes sont comprises, le C. vul- gatum L et le C. glomeratum Thuill. Le C. brachypetalum n'existe pas dans l'herbier. LINÉES. Lixun perenne L. n'a pas été retrouvé dans le rayon de la flore, } angustifolium Huds. I y a sous ce nom deux espèces différentes, le L. tenuifolium L. et peut-être le L. angustifolium ÆHuds. en très mauvais état. Cette dernière espèce n'a pas été retrouvée dans le rayon de la flore, et je pense qu'elle doit en être retran- chée. OXALIDÉES. Oxais corniculata L. L'espèce décrite sous ce nom est l'O, stricta L. ou O0. corniculata Thuill. Nous possédons néanmoins l'O. corniculata L. GÉRANIÉES. Gerantum nodosum L. ( Échappé des jardins ou planté. } POLYGALÉES. PoyGALa cœspitosa Pers. La plante décrite sous ce nom est le P. depressa Wend. Les deux plantes décrites sous ces noms doivent être rap- portées au P. amarella Gesn., P. calcarea Schultz. Jusqu'à présent, on n'a pas trouvé | amara L. dans nos environs le P. aus- austriaca Crantz. triaca de Crantz 118 ACADEMIE DE ROUEN. RORIDULÉES. PyrroLa rotundifolia L. Je transcris littéralement la note qui accompagne cette plante : « Nous avons commis une grande erreur en décrivant cette Pyrole sous le nom spécifique de rotundifolia, qui n’a point encore été trouvée ; celle-ci est le minor. Aussi si l'on réimprime la flore rouen- naise , il ‘faudra en retrancher la description de la Pyrola rotundifolia et conserver celle de la Pyrola minor. 22 juillet 1826. Il ne faudra pas cependant s'en rapporter à cette note sans un examen ultérieur ; car de Candolle f. fr. dit que le P. minor est très rare , etil ne l'indique que dans le Midi de la France. 16 avril 1828. » Depuis, le P. rotundifolia L. a été trouvé dans notre rayon. PAPAVERACÉES. Papaver hybridum L. Sous ce nom, il n'ya dans l'herbier qu'un petit individu du P. argemone L.; toutes les autres espèces sont , d'ailleurs, confondues les unes avec les autres, ce qui ne peut être attribué qu'à des erreurs de classement, ces espèces étant excessivement faciles à distinguer les unes des autres. FUMARIACÉES Corypauis lutea L. (des jardins). CRUCIFÈRES. Caeirantraus maritimus L. (des jardins). CLASSE DES SCIENCES. 119 Sisywsrium strictissimum £L, La plante qui porte ce nom dans l'herbier a été recueillie dans un jardin botanique ; c'est seulement sur le témoi- gnage d'un botaniste avec lequel l'auteur de la flore rouennaise était en correspon-— dance que cette espèce a été admise ; elle n'a donc pas été trouvée à l'état spontané par l'abbé Leturquier Delongehamp, et elle ne doit pas être conservée au nombre de nos espèces indigènes. Loeselii L. La plante décrite sous ce nom est le S. Loeselii Thuill. S. Columnæ L., plante de la région Méditerranéenne qui n’a pu être rencontrée à l’état spontané dans notre département. Ces deux espèces n'ont pas été Lepiniun latifolium L. | trouvées , À ma connaissance , ruderale EL. | dans le département de la Seine- Inférieure. CISTINÉES. Gisrus hirsutus Thuill. La plante qui est dans l'herbier ne diffère sous aucun rapport du C. helianthe.- mum L PAPILIONACÉES. Lorus eytisoïdes £, Cette espèce n'existe en France que sur le littoral de la Méditerranée. Menicao orbiculairis L. n'a pas été retrouvé dans le dé- partement de la Seine-Inférieure. 120 ACADÉMIE DE ROUEN. Menicaco muricata Willd. La plante décrite sous ce nom ne diffère pas du M. maculata Willd. Le medi- cago muricata Wäilld. n'est connu que dans quelques localités des provinces méridio— nales. marina Willd. La plante classée sous ce nom dans l'herbier, ne se distingue nullement du M. lupulina var. Willdenowri. Taironium squarrosum L. La plante décrite sous ce nom dans l'herbier, provient d'un jardin bota- nique ; cette espèce n’a pas été trouvée en Normandie. dubium 4bb. Sous ce nom existe dans l'herbier la variété minus du T. procumbens Sm. GaLeca oflicinalis L. Plante des provinces méridio- pales. Toutes ces plantes ne se distin- Vicra segetalis Thuill guent pas sensiblement du V. sa- angustifolia Roth.| tiva L.; les seules différences nemoralis Pers. | qu'elles présentent, consistent acuta Pers. dans le plus ou moins de largeur \ des feuilles. peregrina Z. 11 n'y a sous ce nom, dans l'herbier, qu'une forme du V. sativa L. hybrida L. La plante de l'herbier décrite sous ce nom est le V. lutea L. CoronizLa minima L. Sous ce nom , il y a dans l’herbier deux plantes différentes : le Coronilla minima et l'hippocrepis comosa ; il est probable que cette dernière a été recueillie au Boisguil- laume , où le Coronilla minima n'a jamais été trouvé CLASSE DES SCIENCES. 121 TAMARISCINÉES. Tamarix gallica L. La plante décrite sous ce nom est le T. anglica Webb. CRASSULACÉES. Senux rupestre L. La plante désignée sous ce nom ne diffère en rien du S. reflexum L. Mais dans la même feuille , sous le nom de S. reflexum Z., il y a cette espèce et le S. elegans Lej. villosum L. n'a pas été retrouvé, à ma connais- sance. AMYGDALÉES. Prunus sylvatica Desv. Le mauvais état de la plante ne me permet pas de reconnaître quelle espèce l'abbé Leturquier a voulu désigner. ONAGRARIÉES. EpiLoBium roseum Schreb. n'a pas été trouvé à ma con- naissance. OExoruera longifolia L. Espèce exotique, recueillie dans un jardin. OMBELLIFÈRES. Pimpinezca nigra Willd. Ne diffère pas du P. saxifraga L. OExanrue rhenana D. C. indéterminable à cause de son mauvais état. Cette plante paraît cependant se rapprocher beaucoup de l'OE. Lachenali (imel. 122 ACADÉMIE DE ROUEN. OExanrae pimpinelloïdes L. La plante décrite sous ce nom est l'OE. Lachenalii Gmel. Licusricux levistieum £L. Cette espèce appartient aux pro- vinces méridionales ; l'individu de l'herbier aura probablement été trouvé auprès d'un endroit cultivé. Caucauis leptophylla L La plante de l’herbier ne diffère en rien du C. daucoïdes L. Caoropuyzium hirsutum L. Sous ce nom, il n'y a dans l'herbier qu'un fragment du Myrrhis odorata Scop. en fruits. Scannix odorata L. apporté sans doute aux Chartreux où il a continué de croitre. nodosa L. Cette plante provient d’un jardin bota- nique; Le S. nodosa L. est une espèce des contrées méridionales. PRIMULACÉES. PrimuLa veris Walld. x : officinalis Thuill. | MÈME ESpecE. elatior Wild. | même espèce. incisa Mer. | PLUMBAGINÉES. Srarice arenaria Pers. La plante décrite sous ce nom ne diffère pas du S. Plantaginea All. PLANTAGINÉES. PLanraGo graminea £am. ne se distingue pas du P. ma- ritima Z CLASSE DES SCIENCES. 123 GENTIANEES. Gentiana lutea L. plantée sans doute à l'endroit indiqué, d'où elle à disparu depuis longtemps. amarella L. La plante de l'herbier est le G. Ger- manica Walld. Il serait possible , néanmoins, que l’on rencontrât le G. amarella dans les dé- partements de la Seine-Inférieure et de l'Eure. Cainonia intermedia Mer. La plante décrite sous ce nom ne diffère pas du C. centaurium /.. BORRAGINÉES. PuLmonanria oflicinalis Z. (cultivée. ) Ecuium pyrenaïicum L. La plante de l'herbier ne parait différer de l'E, vulgare L. que par les filets des étamines très longuement saillants en dehors de la corolle, Staminibus longissime exsertis Smith. SOLANÉES. SoLanum villosum Lam. Il n'y a sous ce nom dans l'her- bier que le S. nigrum L. VERBASCÉES. Vensascum crassifolium D, C. Cette espèce est tout-à-fait méridionale. SCROPHULARINÉES. SiBThORPIA europæa L. Cette espèce n'existe pas dans l'herbier, et n'a été trouvée par personne à l'endroit indiqué. 124 ACADÉMIE DE ROUEN. Veronica polyanthos Thuüll. La plante décrite sous ce nom ne diffère du V. arvensis L , que par son épi plus allongé et plus fourni de fleurs. LABIÉES. Menrua sylvestris L La plante de l'herbier est le M. rotun- difolia L. nemorosa Walld., idem. pedunculata Sm. ne diffère pas du M. aquatica L. verticillata Hoffm. C'est le M. sativa L. procumbens Thuill. ne diffère pas du M. arven- sis L. austriaca Thuill., idem. GLecuoma hirsuta p rar. Hung. La plante désignée sous ce nom dans l'herbier ne diffère sous aucun rap- port du G. hederacea L. CAMPANULACÉES. CampanuLA cœspitosa Lam. Plantée et a disparu. RUBIACÉES. AsPeruLa taurina L. Cette espèce est méridionale : il est probable qu’elle aura été apportée, avec d’autres plantes , dans le cimetière où elle est indiquée. Gaziux uliginosum Z. La feuille de l'herbier assignée à cette espèce ne contient que des individus appar- tenant aux G. palustre L. et G. pusillum Z. spinulosum Mer. C'est le G. uliginosum L. supinum Lam. [Se rapprochent beaucoup du G. Bocconi A/L. pusillum L. dont elles constituent lœve Thuill tout au plus des variétés. CLASSE DES SCIENCES. 125 GaLiux glaucum Jacq. Cette espèce n'a jamais été trouvée, à ma connaissance , dans les départements de la Seine-Inférieure ou de l'Eure ; l'échantillon de l'herbier a été recueilli dans un jardin bota- nique. scabrum #ith. C’est une var. du G. mollugo Z. parisiense L. n'existe pas dans l'herbier. Rusra lucida L. La plante décrite sous ce nom dans l'her- bier est le R. peregrina Z. Composées. CYNAROCÉPHALES. CarLina acanthifolia L. plantée et a disparu. Carpuus acanthoïdes L. ? rivularis Wild. a disparu des gazons du jardin de Saint-Ouen. CenTauREA montana L. (des jardins). cinerea Lam. La plante décrite sous ce nom est une variété du C. nigra L. Le C. cinerea Lam. est exclu de la nouvelle flore de France. CORYMBIFÈRES. Pyrerurum maritimum Sm. Cette plante, mal conservée, parait être une variété du P. inodorum L. Sexeci0 tenuifolius $m. S. Abrotanifolius Lam. n'existe pas dans l'herbier et n'a pas été trouvé , à ma connaissance , dans le département de la Seine- Inférieure. 126 ACADÉMIE DE ROUEN. Perasires hybrida, planté et a disparu. CHICORACÉES. Hypocnogris hispida /oth. Cette plante est complètement mangée par les insectes ; à la localité indi- quée , on ne trouve guère que le Thrincia hirta Æoth, auquel la description de la flore puisse s'appliquer. Hieracium aurantiacum L. (des jardins ). POLYGONÉES. Raeum undulatum L. planté et a disparu. Pozvéonux nodosum Leturq. Delongch. La plante désignée sous ce nom dans l'herbier, ne diffère du P. persicaria que par ses nœuds plus renflés que dans le type. TurGioun Thuill. Celle-ci ne se distingue du P. persicaria l que par ses épis plns compactes. Incaxum Wild. La plante décrite sousce nom présente tous les caractères du P. Lapathifolium ; seulement les feuilles sont tomenteuses en dessous. Elle répond à la variété incanum du P. Lapathifo- um L. Minus. £. C’est tout au plus, dans l’herbier, une variété grêle du P. hydropiper. A cette plante est jointe la note suivante de M. Levieux, qui avait été consulté sur l'identité de cette espèce : « Si M. Delongchamp n'a pas d'échantillons plus ortho- doxes, le P. minus est encore à trouver. » Duuerorum Z. La plante de l'herbier décrite sous ce nom est le P_ convolvulus £. Nous possédons ce- pendant le P. dumetorum. = = —— CLASSE DES SCIENCES. 127 SANTALACÉES. Tuesium alpinum L. Il y a sous ce nom, dans la même feuille, deux espèces différentes, le T. alpi- num recueilli dans les Vosges et placé la, sans doute, pour servir de terme de comparaison ; l'autre espèce, trouvée probablement dans nos environs, est le T humifusum D. C. SAURURACÉES. SAURURUS cernuus L. planté et a disparu. EUPHORBIACÉES. Euruorgia segetalis L. La plante de l'herbier est en excel- lent état; on ne peut y méconnaître l'E. exigua L. purpurata Thuill, ne diffère pas de l'E, dulcis L. Les plantes décrites sous esula L. d À ; ; 1 ‘ces deux noms sont exac- multicaulis Thuill. | _— tement semblables. CALLITRICHINÉES. CazLirricue autumnalis Z. Il n’y a sous ce nom dans lherbier que quelques brins qu’il est im- possible de déterminer. MM. Godron et Grenier ont retranché celte espèce de la flore de France; d'autre part, elle est admise par MM. Cosson et Germain dans la flore pansienne, par MM. Lecoq et Lamotte dans le catalogue du plateau cen- tral. Je suis heureux, en présence de pa- reilles autorités, de trouver, dans Île mauvais état de la plante, un motif pour ne pas me prononcer définitivement. 128 ACADÉMIE DE ROUEN, SALICINÉES. Sax fusca L. La plante de l'herbier ne diffère pas du S. aurita L. incubacea L. La plante décrite sous ce nom est le S. repens L. CONIFÈRES. Cette famille n’est représentée dans nos départements que par deux espèces , au plus ; le Juniperus communis L. et le Taxus baccata L.; encore la spontanéité de cette der- nière est-elle bien douteuse. VÉGÉTAUX MONOCOTYLEDONES. LILIACÉES. Auuium arenarium /. La plante désignée sous ce nom dans l'herbier, ne diffère pas de l'A. olera- ceum L. carinatum L. doit être réuni aussi à l'A. olera- ceum L. PaacanGrum bicolor Desf. Cette espèce n'a pu être re- trouvée dans le département de l'Eure , si jamais elle y a été recueillie. IRIDÉES. Inrs lutescens Lam. Cette espèce indiquée sur les murs de Bonsecours où elle avait été plantée avec l'Iris pu- mila £., n'a pu y être retrouvée depuis longtemps. eut CLASSE DES SCIENCES. 129 ORCHIDÉES. Oncmis militaris L. Cette espèce répond aux 0. fusca Jacq, 0. galeata Lam, O. simia Lam, indiqués dans la flore. On ne peut done conserver en même temps l'espèce qui comprend toutes les autres et les espèces résultant du démembrement de l'espèce linnéenne. simia Lam. La plante de l'herbier est l'O. galeata Lam. Cette espèce existe cependant dans notre rayon. palustris Jacq. ne diffère nullement de la plante décrite sous le nom d'O. laxiflora Lam. HYDROCHARIDÉES. Vazuisnerta Spiralis L. planté et a disparu. Srnariores aloïdes ZL. Cette belle plante a continué de végéter dans plusieurs localités où elle avait été transportée. POTAMÉES. Poramogeron compressum L. Cette plante n'existe pas dans Fherbier ; il est donc impossible de savoir quelle espèce l'abbé Leturquier a voulu désigner. Le P.compressum £ n'a Jamais été trouvé, à ma connaissance , dans le département de la Seine-Inférieure. graminea L. Laplante décrite sous ce nom dans l'herbier, est le P. pusillum L. LEMNACÉES. Lemna arhiza L. Je n'ai pas étudié la plante indiquée sous ce nom dans plusieurs mares de nos environs , au moment où 1l eût été possible de la distinguer : 91 j'ignore done si nous la possédons. 9 130 ACADÉMIE DE ROUEN. AROIDÉES. Ca palustris L. planté et a disparu. JONCÉES. Joncus filiformis L. Il est impossible de reconnaître à quelle espèce appartient la plante désignée sous ce nom dans lherbier; elle ressemble cependant beaucoup au J. effusus encore très jeune ; dans tous les cas, ce n’est certainement pas le J. fifor- mis L, Cette plante, qui habite les parties humides des Alpes et des Pyrénées, n’a pu être trouvée dans les sables du bord de la mer, ainsi que l'in- dique une note accompagnant cette plante. articulatus L. Sous ce nom, l'abbé Leturquier réunit les deux espèces lampocarpus Ehrh. et obtusi- florus Ehrh niveus L. Cette espèce appartient à la végétation des Alpes. CYPÉRACÉES. Carex splendens Thuill. n'existe pas dans l'herbier. extensa Schk. La plante décrite sous ce nom est bien le C. extensa Schk; mais la note suivante que je transcris littéralement, fera apprécier la valeur de l'indication qui l'accompagne : « M. Be- cerf a assuré à M. Levieux, qu’il avait trouvé ce Carex sur les fossés d'une ferme qui avoisine le bois Banière, à Bonsecours. Nous avons plusieurs fois cherché ce Carex à l'endroit indiqué. » D'au- tres aussi l'ont cherché sans plus de succès. Cette espèce n'a pas encore été trouvée, à ma Con- naissance , dans notre département ; peut-être la découvrira-t-on vers le littoral de la Manche ? CLASSE DES SCIENCES. 131 Scmpus multicaulis Thuill. La plante désignée sous ce nom ne difière en rien du S. palustris L. Erropnorum gracile Roth. n'existe pas dans l’herbier. intermedium Bast. La plante qui porte ce nom ne diffère en rien de l'E. angustifolium Roth. La feuille destinée à l'E. angustifo- lium Roth. contient aussi FE. Vaillantii, généralement considéré comme une variété de cette espèce. GRAMINÉES. Muium paradoxum L. Si cette espèce a été trouvée dans notre département , elle n’était certainement pas à l’état spontané ; elle appartient aux provinces méridionales. Poa alpina L. Ce ne peut être que par une erreur de clas- sement que cette espèce a été indiquée dans la flore des environs de Rouen. Meuica atrovirens Letwrq. de Longch. Cette plante présente tous les caractères du M. cœrulea L. ; seulement elle a pérdu, par l'habitation , la couleur violette qu'elle présente ordinairement; aussi est-elle indiquée dans les endroits humides et ombragés. Briza maxima Z. Plantée et.a disparu, | Dacryus hispanica Roth. Variété du D. glomerata, très fréquente sur les bords de la mer. Fresruca cinerea Vill. Cette plante ne paraît pas différer du F. glauca Lam. considéré généralement comme variété du F, duriuscula Z. fallax Thuill. Cette plante n'existe pas dans l'her- bier ; je ne puis savoir quelle espèce l'abbé Le- turquier a voulu désigner. 132 ACADÉMIE DE ROUEN. Bromus grossus Desf. La plante désignée sous ce nom ne diffère pas du B. secalinus Z. squarrosus L. n’existe pas dans l'herhier ; étran- gère à nos localités , cette espèce n’a pu paraître que par hasard dans les moissons. pratensis Ææl. ne se distingue en rien du B. ar- vensis Z. Ecvuus arenarius L. n'existe pas dans l'herbier. Horpeun secalinum Roth. La plante décrite sous ce nom est l'H. maritimum Sm., et celle décrite sous le nom d'H. pratense Sm. est l’H. secalinum Schreb. $ IL | ESPÈCES ESPÈCES Sur lesquelles on appelle l’atten- De la Flore Parisienne et de la tion des botanistes, : Flore de Normandie, Non signalées dans les départements de la me— ! Seine-Inférioure et de l'Eure. 2 VÉGETAUX DICOTYLÉDONÉS. RENONCULACÉES. THALICTRUM minus Z. lucidum LZ. f. p. saxatile D. C. f.p. ANÉMONE ranuneuloïdes Z. ANBMONE sylvestris L, f. p. hepatica Z. hepatica j triloba ill. CLASSE DES SCIENCES. 133 Avonis æstivalis L. La plante Aponis autumnalis Z. mentionnée sous ce flammea /acq. nom dans l’herbier est l’A. autumnalis Z. RANUNCULUS. . .. toutes les es- RANUNGUIUS tripartitus D. C. pèces de la S. ba Petiveri Koch. trachium. Baudotii God. f. n. gramineus L. ? Drouetii Schultz f.n. chærophyllos Z. ? cænosus Guss. Î. n. parviflorus Z. ? nemorosus D. C. HELLEBORUS viridis L. hyemalis L. Eranthis hyemalis Salisb. NiGELLA arvensis L. Isopyrun thalictroïdes Z. f. n. AconiTum napellus Z. ACTEA spicata L. CARYOPHYLLÉES. Diantuus deltoïides L. ? Dianraus superbus L. £. p. SAPONARIA vaccaria L. gallicus Pers. f. n. Cucugazus baccifer Z. SILENE otites L. SILENE noctiflora L. f. p. Lycunis viscaria L. cretica Z. f. n. SaGina ciliata Fries. stricta Fries f. n. maritima Fries. f{.n. subulata ÆFimm. SPERGULA pentandra L. SPERGULA Morisonii Bor. f. n. nodosa Z. ALSINE segetalis Z. ALsINEsetacea MerketXochf.p. ARENARIA montana L ? ARenaRiA grandiflora L. f. p. GENRE CERASTIOM 154 ACADÉMIE DE ROUEN. LINÉES. Linux angustifolium Æuds ? Linum gallicum Z.. 4 perenne L. ? maritimum Z. ELATINÉES. ELATINE alsinastrum L. ELamne hexandra 2. C. OXALIDÉES. OxaLis corniculata Z. BALSAMINÉES. IMPATIENS noli tangere L. GERANIACÉES. Eronium moschatum Z. Eronium botrys Bert. f. n. malachoïdes #illdf.n. maritimum $m. f. n. GEraniu lucidum Z. Genanium pratense Z. f. n. sanguineum L.. pyrenaïcum Z. phœum £. MALVACÉES. MaLva nicæensis 4/1. LavarEerA arborea Z. f. n. ALrueA hirsuta ZL. POLYGALÉES. PozycALA austriaca Crantz ? PozyGALaA ciliata Lebel f. n. MONOTROPÉES. FRANKENIACEES. Monorropa hypopitys L Frankenia lœvis Z. €. n CLASSE DES SCIENCES. 135 HYPERICINÉES. Hyrenicum dubium Leers. Hyrgricux linearifolium 7ahl. elodes Z. f. n. ANDROSŒMUM oflicinale A4. RORIDULÉES. Drosenra longifolia Z. Drosera intermedia Hayn. PyroLA minor L. rotundifolia Z. NYMPHÉACÉES. _ RESEDACÉES. Nympyea alba far. minor. AsrrocarPus Clusii Gay. f.p. ReseDA phyteuma Z. PAPAVERACÉES. Paraver hybridum Z. Meconorsis cambrica fig. f. n. FUMARIACÉES. Convpaus solida Sm. CorypaLis claviculata D. C, f. n. cava Ehrh? FumaniA capreolata L. Fumaria muralis. Sond.f. n. densiflora D. C. Vaillantii Zois. CRUCIFÈRES. RaPmaANus maritimus Ængl. Bot.f.n. landra Moretti f. n. Sinaris incana L. f. n. cheiranthus Koch. 136 ACADÉMIE DE ROUEN. ErucasrRum obtusangulum Reich Envcasreum Pollichii Schimp et ErucA sativa Lam. Spenn. f. p. Hespenis matronalis L. MarwioLa sinuata Brown ? Enysimum orientale. r. Brown. cheirifolium #ahl. [. p. BARBAREA vulgaris Brown. BangaREA intermedia Bor f. n. præcox Brown f. n. arcuata Aeichb. Tunauris glabra L. ARABIS arenosa SC0p. CARDAMINE amara L. CARDAMINE impatiens L. sylvatica Link. DenTariA bulbifera L. DiPLOTAXIS viminea D. C. f. p. SisymBRIUM sophia L. SISYMBRIUM asperum Z. f. p. BrayA supina Koch. NASTURTIUM anceps D. C. SILICULEUSES. BIScUTELLA lœvigata Z. Lunaria biennis Z£. f. n. ALyssum campestre L. f. p. montanum £Z. f. p. Draga muralis Z, f. n. CocuLeariA anglica L. COcHLEARIA armoracla L. f. n. danica L. officinahs Z f. n. draba L. SENEBIERA pinnatifida L. Lerinium latifolium Z. ? Lerinium Smithit Z200k f. n. grarminifolium Z. ruderale Z.? CLASSE DES SCIENCES. Tuzasr1 perfoliatum Z. precox ? La plante in- diquée sous ce nom dans le supplément de la flore , n'existe pas dans l’herbier. IL m'est impossible jusqu'à présent de savoir quelle espèce l'abbé Leturquier a voulu désigner. Wenis intermedia Guers. Isaris tinetoria Z. Nesria paniculata Desv. CRAMBE maritima L. 137 CAMELINA sativa Crantz. dentata Pers. f. n. Cazerina Corvini Desv. f. p. Bunias erucago L. f. p. orientalis L. f. p. CISTINÉES. HeLiaNTuemum guttatum Mill. HeLiANTuEMUM umbellatum fumana Mill. Mill. f. p. VIOLARIÉES. Vioza canina, L. arvensis ZL. tricolor Z. Vioca palustris Z. f. n. sylvatica Fries.f. n. PAPILIONACÉES. GenisrA pilosa L. ULex nanus L. Ononis columnæ 4{L. natrix Z. TerracoNoLogussiliquosus Aoth. MeuiLorus leucantha Koch. LE Cyrisus supiaus Z. f. p. GENISTA prostrata Lam. [. p. TuiIGONELLA monspeliaca Z. f. p. ornithopodioïdes 0:'D:.f. 1. ASTRAGALUS cicer L. f. n. bayonnensis Lots fn: 138 ACADÉMIE DE ROUEN. Menicaco orbicularis L. Menicaco Gerardi Wälld. denticulata #illd. Tiurozrum. Tous les trèfles de la Trirozium rubens L.f. p. S. Chronosemium strictum Z. sont mal dénom- montanum Z. f. p. més dans l’herbier, Michelianum Sav. mais comme nous . f.n. possédons en réa- suffocatum Z. f. n. lité toutes les es- angustifolium Z. pèces indiquées , f. a. je n’ai pas cru né- Boeconi Savi f. n cessaire de signa- resupinatum ZL.f.n. ler les erreurs commises au sujet de chaque espèce en particulier. ochroleucum L. glomeratum L. maritimum Huds. Vicia sativa L. avec les variétés Vicia serratifoha Jacq. f. p. lutea L. pannonica Jacgq. f. p. Gerardi D. C. tenuifolia Roth. f. p. villosa Roth. f. p. Pisum maritimum Z. f. n. Laruynus nissolia L. Larayrus tuberosus Z. hirsutus Z. palustris L. CoroniLLA varia L. minima Z. Onosus niger Z. f. p. LYTHRARIÉES. Lyrunum hyssopifolia Z. Pris Borœi Guep.f. n. CLASSE DES SCIENCES. 139 PARONYCHIÉES. Pozycauron tetraphyllum Z. ILLECEBRUM verticillatum L. SCLERANTHUS perennis L. CRASSULACÉES. BuLianpa Vaillanti D, Cf. p. Umsimacus pendulinus D. C. f. n. Sevum telephium Z. SEDUM fabaria Koch f. n. cepœa L._ hirsutum £. f. p. dasyphyllum LZ. villosum Z. f.p. anglicum Æuds. elegans Lej. AMYGDALEES. Prunus sylvatica Desv. n'existe Cerasus cerasifera Æhrh. f. p. pas dans l’herbier. natur. C'est sans doute une forme du P. Insititia L. ROSACÉES. SriræA filipendula £. SPIRŒA hypericifolia L. natur. Genre Rusus. Geux rivale L. Geux intermediun £hrh. Fraçaria grandiflora Z'hwëll. Eracania collina Ehrh. f. p. Comanun palustre L. PorenrisLa nitida Z'huill. POTENTILLA supina L., f. p. alba Z., f. n. recta Z. natur. pensylvanica Z., f. p. natur. procumbens Sibth., Ch 140 ACADÉMIE DE ROUEN. GENRE Rosa. Rosa emnamomea L., f. p. _ gallica Z. villosa L., f. p. n. AGRIMONIA odorata T'huill. | POMACÉES. AMELANCRIER vulgaris Mænch. Mazus sylvestris Bauh. C'est le M. acerba Mer. SORBUS aucuparia L. Sorsus domestica Z. : latifolia Pers., f. p. aria Crantz. ONAGRARIÉES. EPiLoBium roseum Schreb. EPILOBIUM virgatum Fries. ISNARDIA palustris L. HALORACÉES. MyrioPayLLUM alterniflorum D. C:, En. Trapa natans Z. OMBELLIFÈRES. ERYNGIUM maritimum Z. BuPsEevRuM rotundifolium Z. BUPLEURUM aristatum Zartl. SisoN amormum Z. TRiniA vulgaris D. C. CicuTA virosa Z. Fazcania Rivini Host, f: p. Canum bülbocastanum Æoch. Ami majus Z. verticillatum Xoch. BELOSCIADIUM repens Koch. imundatum Xoch. Coxoromum denudatum Xoch. CLASSE DES SCIENCES. 141 GENREe CŒNANTRE. CŒNANTUE crocata Z. f. n. SuyRNIUM olusatrum L., f. n. SESELI montanum £Z. Lisanoris montana AU. Var. daucifolia f. p. Cniniux apioïdes Spreng., f. p. Pucepanum Chabræi Gaud. PeucebANUM parisiense D. C. SELINUM carvifolia ZL cervaria Lapeyr . OnLAYA grandiflora Hoffm. oreoselinum Mænch. TurçenlA latifolia Zo/fm. palustre Mænch. ANETHUM graveolens L. f. p. TorDYLIUM maximum Z. Lasenprriom latifolium L., € p. SAXIFRAGÉES. CurysospLeNiIuMalternifolium Z. ÉRICINÉES. Erica ciliaris Z. ÉRica scoparia Z., £. p. .Vagans Z. PRIMULACÉES. vin 8 ou ANAGALLIS tenella L. CenruncuLus minimus £., f. p. PLUMBAGINÉES. ASCLEPIADÉES. Srarice limonium Z. ASCLEPIAS cornuti Decaisne , f. p. nat. PLANTAGINÉES. LiTTORELLA lacustris Z. GENTIANÉES. GENTIANA pneumonanthe L. Exacuu pusillum 2. €. 142 ACADÉMIE DE ROUEN. GenTiana amarella Z. existe EnvrnræA diffusa #00ds, f n. peut-être dans no- tre département. campestris Freel. filiformis Z. CONVOLVULACÉES. CUSCUTÉES. Convosvuzvs soldanella L. Coscura-epilinum Æ#eik.. BORRAGINÉES. AncausA italica Aetz. GENRE MYosoTis. Myosons stricta Zink. LiTHOSPERMUM purpureo-cœru- leum Z. CywocLossum hybridum Thuill. CyNocLossum montanum £am. AsPERUGO procumbens L. VERBASCÉES. VergascumM thapso - nigrum VergAscum pulverulentum Sm . Schied. f. n. floccosum 7acq Ces deux plantes , ainsi que le remarque Pabbé Delongchamp , ne se distinguent pas sensiblement l'une de Pautre. 5 VerBascum thapsoïdes D.C., ré- pond au V. schra- deri Mey. SCROPHULARINÉES. Veronica Buxbaumii Z'enore. VERONICA verna /.. prœæcox All. ERA peregrina Z. f, p. spicata Z. teucrium ZL. CLASSE DES SCIENCES. ScROPHULARIA vernalis Z. GnrarioLA officinalis Z. Linaria arvensis L. BARTSIA visCosa L MELAMPYRUM cristatum L. 143 SCROPHULARIA canina ZL. {. p. Digirauis purpurascens Xoth., f. n. LiNarIA pelisseriana Mall. f. p. Nottæ Breb. f. n. arvense L. arenaria D. C.,f. n. EuPurasiA lutea Z., f. p. Jaubertiana Bor. LENTIBULARIÉES. PincuicuLA vulgaris L. lusitanica L. UrricuLARA minor Z PineuicuLa gypsophyla #'alir., f. n. UrRiCuLARIA intermedia /ayn., CR: neglecta Lehm., f. n. OROBANCRÉES. GENRE OROBANCHE. LATHRŒA squamaria Z. Lararæa clandestina £L. f. n. LABIÉES. MENTuA sylvestris L.etlesautres espèces. SALVIA sclarea Z. Une note de l'herbier annonce que c’est par erreur qu'elle a été indiquée dans le bois de Saint- Georges (forêt de Ron- mare. ) Hyssorus officinalis L. LAVANDULA vera D. Cf. p. Menrua viridis Z. f, n. piperita L. f.n. 144 CazamnTua officinalis Mænch. nepeta Link. NEPETA cataria Z. GaLEopsis ochroleuca Lam. STACHYS germanica Z. LEoNuURuUs cardiaca L. BRUNELLA grandiflora Jacq. laciniata L. SCUTELLARIA minor Z. A3uGA pyramidalis ZL. Teucrium scordium Z. GLOBULARIÉES. GLoBuLaRIA vulgaris Z. ACADÉMIE DE ROUEN. CaLaminria ascendens /ord.f.n. Mecissa oflicinalis Z. Cult. SATUREIA montana L. f. p. Lamium maculatum Z. f. p. Marrugium Vaillantii Coss. et Germ. f. p. SCUTÉLLARIA Columnæ All. f. p. VACCINIÉES- VACCINIUM oxyCoccos Z. VaAccinium vitis idæa Z. CAMPANULACÉES. CampanuLA persicæfolia L. rapunculoides L. patula Z. CamPANULA cervicaria L. f. p. WANLEMBERGIA hederacea Beichb. f. n. - CAPRIFOLIACEES. Lonicera xylosteum L. f. p. RUBIACÉES. ASPERULA arvensis L. Gatium hareynieum #eih. tricorne Æith. ASsPERULA tinctoria Z. f. p. Gatium anglicum Huds. CLASSE DES SCIENCES. 145 Rumia peregrina L. tinctorum L. VALERIANÉES. GENRE VALERIANELLA. VALERIANELLA eriocarpa Des. coronata D. C. DIPSACÉES. SCABIOSA ucranica L. f. p. suaveolens Desf. f. p. Composées. CYNAROCÉPHALES. Cinsiuxm eriophorum Scop. Cinsium hybridum Koch f. p. anglicum Lam. bulbosum D. C.f. n. Canouus acanthoïdes L.? CarpuNcuLus mitissimus D. €. SiLYeuM marianum Gaertn. f. p. CenraureaA solstitialis Z. nigra L. avec les variétés. KENTROPHYLLUM lanatum D. €. Ecmxors sphærocephalus L.? CORYMBIFÈRES. Ormenis mixta D. C.f.p PrReTaRomM maritimum Sn. ? Pyrerrom corymbosum /#illd. AUNTEMISIA campestris Z. f. p. 10 146 ACADÉMIE DE ROUEN. GnargaLium luteo-album Z. et OrTanruus maritimus Link f. n. les autres es- pèces. Fir.AGo arvensis ZL. et les autres Micropus erectus Z. f. p. espèces. InuLA helenium L. INuLA hirta Z. f. p. salicina L. crithmoïdes Z. f. n. graveolens Desf. Doronicum plantagineum L. AsTER amellus L. f. p. pardahanches L. Cineraria integrifolia Jacq. palustris L.? SENECIO viscosus Z. SENeci0 adonidifolius Lois. f. p. erucæfolius L. CHICORACÉES. Leonropon hastile Z. HyPocnæris maculata L. f. p. SCORZONERA humilis Z. C'est à TRAGOPOGON majus Z. tort que les S. hu- milis L. et Jacq. sont réunis ; ces deux espèces sont différentes. Nous ne possédons que le S. humilis L. Ponosrermum laciniatum D, C. BaRkAUSIA selosa D. C. f. p. Lacruca perennis Z. Soxcuus palustris L. Creris tectorum Z. HierAcium peleterianum Mer. HierAcIUM prœaltum #illd. et les autres espèces f.p lævigatum Wild. f. p. boreale Fries f. n. CLASSE DES SCIENCES. 147 AMBROSIACÉES. XANTHIUM strumarium £L. AMARANTHACEES. AMARANTHUS sylvestris Desf. AMARANTHUS retroflexus L. f. p. ALBERsIA blitum Xunt. ALBERSIA prostrata Aunt. POLYCNEMUM arvense Z. CHÉNOPODÉES. GENRE CHENOrODIUM. ATRIPLEX laciniata L. ATRIPLEX rosea L. f. n. peduneulata L. ? Sar1coRNiIA fruticosa L. f. n. patula L. Suæpa fruticosa Forsk. f. n, POLYGONÉES. Genre RUMEx. Rumex palustris Sm. maximus Schreb. f. p. scutatus Z. Por.yGonum bistorta ZL Por.yconum Bellardi All. f. p. mite Schr. dumetorum Z. URTICÉES. Unrica pilulifera Z. SANGUISORBÉES. ALCHEMILLA vulgaris Z. SanGuisonBa officinalis Z. DAPHNOIDÉES. , STELLERA passerina Z. DaPANE mezereum £Z. 148 ACADÉMIE DE ROUEN. ARISTOLOCRIÉES. ASARUM europœum L. EUPHORBIACÉES. EuPxorgiA paralias Z. EurxorBia lanuginosa Thuill. platyphyllos Z. Var. de l'E. platy- stricta Z. phyllos. f, p. verrucosa L. f. p. portlandica L. f. n. CALLITRICHINÉES. CALLITRICHE aquatica Huds, avec les variétes. CÉRATOPHYLLÉES. CERATOPHYLLUM submersum Z. SALICINÉES. GENRE SALIX. Sarix undulata Ehrh. hippophaefolia 7'huill. f. MYRICÉES. p- purpurea L. Myrica gale Z. rubra Z/uds. MONOCOTYLEDONES. ALISMACÉES. ALISMA natans Z. Damasonium stellatum Dalech. LILIACÉES. Tourpa sylvestris ZL. Le CLASSE DES SCIENCES. 149 ORNITROGALUM nutans L. ORNITHOGALUM pyrenaicum ZL. luteum L. sulphureum Æoem. et Sch. f. n. Gacea bohemica Schultz. f. p. ScizLA autumnalis Z. ALLIUM ursinum £Z. ALLIUM fallax Aoem et Sch. f. p. oleraceum L. flavum L. f. p. paniculatum £L. f. p. Muscani racemosum £Z. Muscan botryoïdes L. f. p. PHALANGIuM liliago Schreb. Pnazanqium bicolor D. C.f. n. NARTHECIUM ossifragum Æuds. ASPARAGINÉES. fn: POLYGONATUM vulgare Desf. MarïanTaemum bifolium 2. €. IRIDÉES. Jus fætidissima Z. Ixia bulbocodium £. f. n. AMARYLLIDÉES. Nancissus poeticus Z. Narcissus biflorus Curt. f. n. incomparabilis Ai. GaALANTHUS nivalis Z. Leucoium vernum L. f. n. ORCHIDÉES. Oncuis ustulata L. Lipanis Loeselit Æich. simia Zam. Mazaxis paludosa Swartz f. p. coriophora L. Ones olida Breb. f. n. palustris Jacq. ? ANacampTis Durandi Zreb.f. n. GYMNADENIA odoratissima Atch. viridis Æich. albida Aich. 150 ACADÉMIE DE ROUEN. Aceras antropophora À. Brown. Herminium monorchis X. Brown. SPIRANTHES æslivalis Æich. Eripacris latifolia 4/l. avec les variétés. CEPHALANTERA pallens Æich. ensifolia Aich. rubra Æich. Limoponum abortivum Swartz. JONCAGINÉES. TRIGLOCHIN maritimum Z. POTAMÉES. GENRE POTAMOGETON. Ruprpia rostellata Koch®æ TrieLocHin Barrelieri Lois. f. n. Poramoceron rufescens Schrad. heterophyllum Schreb. plantagineum Ducroz. monogynum Gay. acutifolium Gay. prælongus Wulf. f.n. obtusifolius Mart. et Koch. marinus Z.f. n. LANICHELLIA pedicellata Fries. NAIADÉES. AROIDÉES. Naïas major Aoth. minor 4{L. Arum italicum Mill, f. n. ; CLASSE DES SCIENCES. 151 LEMNACÉES. Lemxa gibba Z. arhiza L.? TYPHACÉES. SPARGANIUM natans ZL. JONCÉES. Juncus squarrosus L. tenageya L. pygmœus £Z. LuzuLAa maxima Z. JuNCus capitatus Weig. Gerardi Lois. f. n. CYPERACEÉES. Carex pulicaris Z, Carex dioïca L. f. p. muricata L. paradoxa Willd. teretiuscula Good. curta Good. Goodnowii Gay. humilis Leyss. digitata L. maxima Scop. depauperata Good. binervis Good. RuyxcnosporA alba f’ahl. fusca Æoem et Sch. HeLeocuans acicularis Aoem, el Sch. davalliana Sm. f. p. Schreberi Schrank f. p. cyperoïdes Z. f. p. elongata L. ericetorum Poll. f. p. montana L. f. p. sicyocarpa Lebel f. n. nitida Host. f. p. trinervis Degl. f. n. hordeistichos Z’ülL. f. p. Mairit Coss. et Germ. f. p. hornschuchiana Æ00p. biligularis D. C. filiformis Z. strigosa Good. f. n. limosa Linn. f. n. extensa Good. f. n. HeLEOCHARIS ovata Brown f. p. 152 SCiRPUS fluitans Z. setaceus Z. compressus Pers. EriorHoRuM vaginatum L. angustifolium Aoth. Cyrerus flavescens Z. longus Z. Scnœænus nigricans Z. ACADÉMIE DE ROUEN. Scimpus cæspitosus L. supinus £. f. p. tabernæmontani Gmel. pungens 7ahlf. n. Savii Sebast. f. n. GRAMINÉES. Diciraria filiformis Xæl. SETARIA glauca Beau. LeensiA oryzoïdes Swartz. Pozyrocon monspeliense Desf. AGROSTIS interrupta £. CALAMAGROsTIS lanceolata Aoth. Gasrrinium lendigerum Gaud. Merica ciliata L. Sripa pennata L. CoryNEernorRus canescens Pal. Beau». AvENA pratensis L. Briza minor Z. Fesruca tenuitlora Schrad. ANDROPOGON ischæmum L. f. p. Traçus racemosus Desf. f. p. Paacaris minor Aetz f. n. ALOPECURUS utriculatus Lers. frs fulvus Sm. f. n. Cryrsis alopecuroïdes Schrad. {, D: AGrosris setacea Curt.f, n. LaGurus ovatus Z, f. n. AMMOPHILA arenaria Link. f, p. Mecica nutans Z. f, p. Avena longifolia Z'hore. f. n. Aina uliginosa Heih. Ainopsis agrostidea D. C. EraGrosris vulgaris. f. p. pilosa Beau. Cynosurus echinatus L. Fesruca uniglumis 4if. f. n. CLASSE DES SCIENCES. 153 Fesruca bromoïdes L. FEsruca poa Kunth. sciuroïdes Æoth. arundinacea Schreb. f. rubra Z. li. rotthollioides Xunth. f. n. Bromus secalinus Z. Bromus madritensis L. f. n. Triricum caninum. Schreb. GauniniA fragilis Zeauv. f. p. acutum 2. C. Louivum italicum Zrown. f. n. junceum Z. linicola Sond. ELymus arenarius ZL ? SPARTINA stricta Zoth. f. n. HorpEeum maritimum /’ahl. Lerrurts filiformis Zrin. f. n. $ HE. ESPÈCES À AJOUTER. VÉGÉTAUX DICOTYLÉDONES. RENONCULACÉES. RanuneuLus cireinatus Sibth. CARYOPHYLLEES,. Cerastiun tetrandrum Curt. ÉLATINÉES. ELarine alsinastrum £. 154 ACADÉMIE DE ROUEN. GÉRANIACÉES. GeranIuM phœum L. lucidum L. FUMARIACÉES. Fumaria micrantha Lag. F. densiflora D. C. CRUCIFÈRES . Brassica erucastrum L ,erucastrum obtusangulum Reichb . eruca L., eruca sativa Lam. MarmioLa sinuata Brown. ? Carpamne sylvatica Link. Braya supina Koch. Hurcminsra petræa Brown. VIOLARIÉES. VioLa sylvestris Lam. PAPILIONACÉES. ANTuyLLis vulneraria Var. Sericea. Trirozium glomeratum £Z. TAMARISCINÉES. Tawarix anglica Webb. Nous ne possédons pas le T. gal- lica L. CRASSULACEES. Sepun anglicum Huds. elegans Le. CLASSE DES SCIENCES. 155 ROSACÉES. Rosa eglanteria L KR, lutea Mill. OMBELLIFÈRES. TrRinia vulgaris D. C. ERICINÉES. Erica ciliaris L, ? vagans L. PRIMULACÉES. PrimuLa variabilis Goup. BORRAGINÉES. Ancnusa sempervirens L. A disparu depuis plusieurs an- nées de Saint-Georges-l'Abbaye. Myosoris cœspitosa Schultz. LiruosPermuM purpureo-cœæruleum L. SOLANÉES. Puaysauis alkekengi Z. SCROPHULARINÉES. Veronica Buxbaumii Tenore. prœcox Al. LABIÉES. Menrua sylvestris L 156 ACADÉMIE DE ROUEN. VALERIANÉES. Les Valerianelles qui sont dans l'herbier n'ont pas de fruits mûrs , leur détermination est donc très difficile ; voici celle que j'ai trouvée aux environs de Rouen : VALERIANELLA olitoria Mæœnch. carinafa Lois. auricula D. C. dentata Soy. Willm. COMPOSÉES. Carpuus pycnocephalus D. C. Fizaco Jussiæi Coss. et Germ. SExECLO erraticus Bert. AMBROSIACÉES … Xanrgiuu spinosum L. ; île Lacroix, en 1845. AMARANTHACÉES. AmaranTuus sylvestris Desf. POLYGONÉES. Pozyeonux mite Schrank. EUPHORBIACÉES Eursorgia stricta Z. I TT Te com CLASSE DES SCIENCES. 15 VÉGÉTAUX MONOCOTYLÉDONES. LILIACÉES. Tuzipa sylvestris L. ORNITHOGALUM nutans Z. AMARYLLIDÉES Narcissus incomparabilis Mill. ORCHIDÉES. PLaTanTuERA chlorantha Cust. POTAMÉES. PorauoGeron oblongus Viv. Ruppra rostellata Æoch Zosrera marina L. CYPERACÉES. Carex paradoxa Wild. Goodnowii Gay. digitata L. maxima Scop. depauperata Good. Heceocnanis uniglumis Reich. di 158 ACADÉMIE DE ROUEN. Scrpus bæothryon L,. Savii Sebast ? GRAMINÉES. Poa procumbens Sn NOTE sUn L'ALIMENTATION DANS LES PAYS CHAUDS, PAR M. BERGASSE. (Lue à la Séance du 20 Juin 1861.) Messieurs, En vous rendant compte, il y a quelques mois, de l'inté- ressant travail de notre honorable confrère , M. l'ingénieur Marchal sur les subsistances, et en examinant la valeur nutri- tive attribuée par lui aux divers vins français , j’ai exprimé l'opinion que les vins rouges que nous recueillions sur les côtes de la Méditerranée , étaient préférables à tous les autres dans les climats chauds. J'annonçais en même temps que j'allais prendre des renseignements sur ce point au- près du directeur d'un établissement important de l'Algérie, renseignements que je m'empresserais de communiquer à l'Académie , aussitôt que je les aurais reçus. C'est ce que je viens faire aujourd'hui. Mais avant permettez-moi une digression ! Ce n'est point à la légère que j'avais arrêté mon opinion : deux faits avaient principalement contribué à la former. Aux Antilles et dans le Continent Américain , la nourri- ture des noirs , quand ils ne travaillent pas , est purement végétale. La nature s'y montre si prodigue en fruits et en racines alimentaires de toute espèce, que, pour se nourrir, ils n'ont que la peine de recueillir ce qu'elle leur présente. 160 ACADÉMIE DE ROUEN. La facilité de soutenir leur existence est la première cause des habitudes d’indolence et de paresse qui leur ont été si souvent reprochées. Quand ils travaillent, les planteurs leur fournissent de la morue et une ration de tafia. Au Brésil, la morue a été remplacée par de la viande séchée au soleil. Il ya vingt- cinq ou trente ans que, dans la même contrée et aux Etats-Unis, on essaya de substituer an tafia des vins tirés du Midi de la France, qu’on préférait à tous les autres à raison de leur bas prix. L’essai fut tellement heureux que chaque année , depuis vingt ans, a vu augmenter la quantité de vins embarqués chez nous pour cette desti- nation. L’énorme accroissement dans le chiffre de nos exportations, signalé par les états de douanes, porte à peu près exclusivement sur les vins de Provence et de Languedoc. J'ai eu de longs entretiens avec une personne digne de la plus grande confiance, qui a séjourné quelques années au - Brésil, et qui, de 1845 à 1846, en a parcouru les principales habitations dans le but d'y introduire les procédés Cail et Derosne pour l'extraction du sucre. Tous les planteurs ont été unanimes pour lui dire que , depuis la substitution du vin au tafia, le travail de leurs noirs avait doublé. Voici maintenant le second fait : Le hasard me mit en rapport, il y a déjà bien des années, avec un Capitaine au long cours de Savanah, homme fort instruit qui fréquentait les mers de l'Inde. Il en était, Je crois, à son huitième voyage à Calcutta. Les équipages anglo-américains comptent toujours un grand nombre de noirs qui, sous le rapport des forces muscu- laires , ne sont point inférieurs aux blancs, et supportent beaucoup mieux qu'eux les chaleurs tropicales. Je lui ai souvent entendu raconter que, quand il effectuait un chargement au port de Calcutta , un seul de ses noirs fai- Tr CLASSE DES SCIENCES. 161 sait autant d'ouvrage qu'une vingtaine de portefaix hin- doux. Parmi lés causes nombreuses qui expliquaient cette différence , il faisait figurer en première ligne l'usage des vins chauds que produit la France. Il en augmentait la dose à son équipage quand il arrivait dans les mers de l'Inde. Les propriétés nourrissantes de ces vins tiennent sur- tout à l'absence de tout acide et à la grande quantité de matière extractive et colorante qu'ils contiennent dans leur premier âge , et qui y masque la présence de l'alcool. C'est dans ce premier âge qu'ils sont surtout propres à l'alimentation. Plus tard , ils deviennent plus agréables au goût, mais ils sont loin de renfermer autant de matière assimilable. On a remarqué depuis longtemps que les habitants des pays chauds ont besoin d'une nourriture moins abondante que ceux des pays froids, et on n'a pas manqué d’expli- quer cette différence en faisant observer que, portés par le climat à l'oisiveté , ils dépensent moins de forces que les hommes du Nord, et ont ainsi moins à reparer. À cette observation , qui cesserait d'être juste si l’on voulait trop la généraliser, il faut en ajouter une autre bien plus im- portante et d'une vérité plus rigoureuse. L'homme du Midi se trouve placé dans un milieu dont la température se rapproche davantage de celle du sang et la dépasse même quelquefois. 11 doit donc beaucoup moins consommer que l’homme du Nord, de ce genre d'aliments auxquels l'illustre Liebig refuse le caractère de plastiques, et qu'il considère comme ne jouant que le rôle de combustibles dans la nutrition. Quand on veut comparer les climats chauds aux climats froids sous le rapport de l'alimentation, il ne faut pas avoir égard seulement à la quantité et à la qualité des subs- tances alimentaires, il faut tenir compte aussi de leur forme et de leur volume. {1 162 ACADÉMIE DE ROUEN. Dans les régions tempérées, et, à plus forte raison, dans les régions septentrionales, l'estomac a besoin d'être lesté (1). Le laboureur, l’ouvrier qui va se livrer, au grand air, à untravail manuel et qui ne peut manquer de perdre beaucoup par la transpiration insensible, est instinctive- ment porté à donner la préférence à une nourriture volu- mineuse et encombrante qui tienne chez lui les parois de cet organe dilaté et en remplisse la capacité. Essayez de di- minuer le volume de sa nourriture, tout en augmentant sa puissance, et vous l'entendrez se plaindre amèrement de malaise, de perte graduelle de forces ! Son amaigrisse- ment , son dépérissement deviendra sensible pour peu que vous continuiez de le soumettre à ce nouveau régime. Dans les régions méridionales , au contraire, et pour les hommes qui se livrent au travail immédiatement après leur repas, il semble que le problème à résoudre soit de diminuer le volume des aliments, sans rien retrancher de leur puissance nourrissante. - C'est ce que pratiquent les Espagnols, qui paraissent avoir mieux compris que tous les autres Européens les exigences des climats chauds , et qui, en général , résis- tent beaucoup mieux qu'eux à leur influence. Bien diffé rent du régime débilitant et énervant des Napolitains, leur régime est substantiel, fortement azoté, tonique, mais se compose d'aliments peu volumineux. Ils ne se per- mettent jamais aucun changement passager à leurs habi- tudes. Se trouvent-ils transportés dans un climat plus froid que le leur , ils augmentent le volume de leurs aliments, ils l'animalisent davantage , mais sans dépasser jamais de (1) Les statistiques officielles de la Grande-Bretagne évaluent à dix livres la consommation journalière de chaque Irlandais en pommes de terre; il n'y associe qu'un peu de laïitage, et, de temps en temps, du hareng saur. CLASSE DES SCIENCES. 163 certaines limites. C'est à cette sagesse, à cette sobriété devenue proverbiale , qu'on doit attribuer un fait qui méri- tait d’être recueilli par l'histoire, et qu’elle a, je crois, oublié. Tout le monde sait qu'à l'époque où Napoléon méditait l'invasion, de la Péninsule, il dirigea vers le Danemarck les troupes espagnoles que Charles IT ou plutôt Godoï avait mises à sa disposition, et qu'au bout d’un long exil dans ces contrées boréales, embarquées sous les ordres de La Romana , elles accoururent au secours de leur patrie, et vinrent former le noyau de l’armée appelée à lui rendre l'indépendance... Mais ce qui est beaucoup moins connu, c’est la manière dont les Espagnols résistèrent aux rigueurs du climat. Ils n’eurent presque point de malades, et les pertes que La Romana éprouva furent bien inférieures à celles des généraux français qui se trouvaient dans les parages voisins. Dans l’une des nombreuses expéditions qui ont précédé la prise d'Abdel-Kader, une de nos colonnes, forte de cinq à six mille hommes commandés par le général La- moricière , se trouva pendant trente-cinq jours éloignée de ses équipages, et n'eut d'autre nourriture que du blé que nos soldats concassaient entre deux pierres , à la ma- nière des Abyssins , et de la viande de bœuf qu'ils faisaient griller à l’aide des grandes herbes qu'on trouve en Algérie. Is étaient sur la frontière du Maroc. Le thermomètre ne descendait jamais, dans le milieu du jour, au-dessous de 35 degrés. Nous n’eûmes pas un seul malade. Jamais nos soldats ne se montrèrent plus gais et plus dispos (1). (1) Jetiens ce fait de M. Trochu, père d'un jeune officier fort distingué , attaché à M. de Lamoricière. 164 ACADÉMIE DE ROUEN. Personne ne rend plus justice que moi aux admirables travaux de MM. Dumas et Boussingault sur l'alimentation. On a voulu malheureusement se servir de ces travaux pour établir certaines propositions générales que je crois erronées Prenant pour type l'alimentation des Anglais, on a fait dépendre exclusivement le plus ou moins de forces musculaires de telle ou de telle race, du plus ou moins de conformité de son régime avec celui de nos voisins. J'ai cru devoir faire sur ce point quelques quéstions à mon correspondant. Peut-être l’Académie n'entendra-t-elle pas sans intérêt les réponses que j'ai reçues. La personne à qui je me suis adressé dirige l'exploitation de la forêt de liége de l'Edough, à quatre lieues de Bône. (1) La forêt de l'Edough est élevée de 700 mètres au-dessus de la mer, et se trouve adossée à une montagne. . Une maison puissante de Paris a obtenu du Gouvernement la concession de l'extraction du liége pendant un certain nombre d'années. Elle y a créé un vaste établissement. A l'époque où mon correspondant m'écrivait , il avait déjà sous ses ordres une population de 90 personnes. Depuis, ce nombre a peut-être doublé. 17 QuesTion. Quelle différence y a-t-il entre le travail des Kabiles que vous employez et celui des Européens. Réponse. « Je paie les Kabiles 1 fr. 75 c par jour, et les Espa- « gnols 2 fr. 50. Il y a entre leur travail la même diffé- — (1) Cette personne est mon parent , M. Louis Bergasse. _ CLASSE DES SCIENCES. 165 « rence qu'entre leur paie. Les Kabyles et les Arabes sont « parfois très vaillants pour les travaux de laterre ou autres, «et pour la conduite des mulets qui ne portent qu’à dos ; « mais cette vaillance n'étant pas soutenue, ils sont, de « toute façon, bien inférieurs aux Espagnols et autres « bons Européens qui habitent le pays. » 2 QuEsTIoN. Quelle nourriture donnez-vous à vos ouvriers ? Réponse. « Les ouvriers indigènes se nourrissent eux-mêmes ; « leur nourriture se compose de galettes et de couscous « préparé avec du blé moulu par leurs femmes, et dans « lequel ils introduisent de temps en temps de la viande a de mouton ou de bœuf, ou de la volaille. Ils ne boivent « que de l’eau. « Les Espagnols se nourrissent également eux-mêmes. « Leur nourriture consiste essentiellement en morue, riz, «haricots et pois chiches assaisonnés à l'huile. Ils ne « mangent que très rarement de la viande, mais ils boivent « beaucoup de vin « Quelques-uns cependant vivent dans une pension que « nous avons ouverte aux Européens, et y suivent un autre « régime. » 3° QuesrTion. Qu'est-ce qui emploie le plus de forces musculaires dans un temps donné , des Kabiles ou des Européens ? Réponse. « I n'y a pas de doute que ce sont les Européens. Ce- « pendant, il y a des Arabes plus fortement constitués que 166 ACADÉMIE DE ROUEN. « les autres qui font exception. Je ne doute pas qu'avec le « temps , la population arabe ne prenne le dessus sur la « population européenne pour les travaux agricoles , « lorsqu'elle verra que ces travaux lui sont productifs. « Déjà on remarque chez elle de grands progrès pour la « culture des céréales , l'élève et l'engraissement des bes- « tiaux qui fournissent de la bien meilleure viande , et « pour la culture des oliviers. La nouvelle loi de douanes « va donner une grande impulsion à cette culture qui ob- « tient ici les plus beaux résultats, et qui, trouvant en « France des débouchés , luttera avec avantage contre les « produits similaires qui nous viennent de Tunis. Ce pays- « ci produit aussi de bonne huile à manger, et en produira «encore de meilleure à mesure que les moyens de fa- « brication se perfectionneront. Déjà des perfectionne- « ments ont été introduits ici cette année par un homme «intelligent. Je lui ai acheté ma provision d'huile. » 4° QuesrTiox. Quel régime alimentaire faites-vous suivre aux ouvriers auxquels vous avez ouvert une pension ? Réponse. « lls consomment par jour 4 demi-kilogramme de viande , 1 kilogramme de pain préparé avec les meilleurs « blés du pays, et quelquefois davantage, 1 litre de vin, «et quand ils travaillent à l'écorcement des arbres à liége, « 1 litre et demi. Nous donnons même jusqu’à trois litres « de vin à d'excellents ouvriers catalans que nous avons « appelés auprès de nous Accoutumés aux vins spiritueux « de leur pays, ils boivent cette quantité de vin de Provence sans en être jamais incommodés. Tous les ouvriers con- 2 EN CLASSE DES SCIENCES. 167 « somment en outre des légumes verts et secs. Leur nour- « riture nous revient à 1 fr. 25 c., et nous ne la leur faisons « payer que 1 fr. Nous avons voulu, en faisant ce sacrifice, « nous procurer les moyens d'obtenir des ouvriers à de « meilleurs conditions, et en même temps acquérir sur eux «une influence morale. Elle est telle que sur une population « de 90 personnes, hoïfnmes, femmes et enfants de diverse « nation, nous n'avons pas eu encore une querelle à ré- a primer. » 5° Quesrion. Y a-til une différence entre l'alimentation que vous lournissez aux ouvriers venus du nord de la France, et ceux venus du midi? Réponse. « Les ouvriers du midi sont naturellement plus sobres « que ceux du nord. Je vous ai donné plus haut le détail « des espèces de vivres consommés spécialement par les «uns et les autres. La viande est la base de la nourriture « des hommes du nord. » 6° QuesTioN. De ces deu r classes d'ouvriers, quelle est celle qui a supporté le mieux les chaleurs du climat ? Réponse. « Il y a beaucoup de gens du midi dans l'Algérie. Leur « vie étant quelquefois moins régulière, peut-être ne « supportent-ils pas mieux le climat que les hommes du « nord. Dans notre établissement, les Alsaciens d'élite que « nous avons fait venir ont aussi bien supporté les travaux 168 ACADÉMIE DE ROUEN. « de l'été que les Espagnols. Ce n'est que lorsque les « pluies de l'automne sont survenues, qu'il y a eu parmi «eux quelques indispositions. Encore ces indispositions «n’ont-elles été déterminées que par leur imprudence. » 7° et 8° Quesrions. F a-t-il un choix à faire parmi les légumes ? Quels sont ceux qui vous ont paru mériter la préférence ? Réponse. « Nous consommons en quantité égale beaucoup de « pommes de terre , de haricots , de choux et autres lé- « gumes verts; je n'ai aucune raison pour préférer les « uns aux autres. » 92 QuEsTIoN. Quels sont les vins qui vous ont paru devoir être préférés sous le climat de l'Algérie ? Réponse. « Ce sont les vins de bonne qualité de Provence, de « Languedoc et de Roussillon. Ils sont préférables à tous « les autres. » 10° Quesrrox. Le café ne peut-il pas remplacer avantageusement le vin ? Réponse. « Pendant les grandes chaleurs , le vin peut être ntile- «ment remplacé par le café pour les personnes qui se tien- « nent en repos. Mais pour les ouvriers, pour les hommes CLASSE DES SCIENCES. 169 « de peine, le vin n'a pas d'équivalent. Il y aurait utilité « sans doute pour eux à associer l'usage du café à celui du « vin. Certaines difficultés nous ont empêché jusqu’à pré- « sent de leur donner le moyen de le faire , si ce n’est le « dimanche. « Aux détails que je viens de vous donner , j'ajouterai « que nous avons ici une population d'enfants espagnols « qui réussissent très bien. Ils sont au nombre de 23. Il «n’en est pas mort un seul. Nous avons l'intention d'or- « ganiser une fabrique de bouchons à laquelle nous obli- « gerons tous ces enfants de prendre part aussitôt qu'ils « auront atteint l'âge de dix à douze ans. » Comme vous l'avez vu , Messieurs, mon correspondant, tout en reconnaissant la supériorité actuelle des travailleurs européens sur les travailleurs kabiles et arabes , s’est cru obligé de faire une exception en faveur de quelques-uns de ces derniers. C’est qu’en effet la race arabe a été douée par la nature d’une grande force musculaire. Il y a lieu de penser que, si son alimentation était améliorée , elle ne le céderait à aucune race connue. Je crois devoir protiter de cette occasion pour con- signer par écrit un fait dont le souvenir remonte pour moi aux premières années de ma jeunesse, et qui me frappa tellement , lorsqu'il me fut raconté , que je n’en ai pas ou- blié le moindre détail. Je tiens ce fait d’un fort savant homme qui en avait été le témoin oculaire , et qui avait habité pendant cinq ans le Grand-Caire , quinze à vingt années avant l'expédition des Français et par conséquent à une époque où l'Égypte se trouvait sous la domination des Mameluks. Les résidents européens avaient fait venir d'Europe une voiture pour la donner au Bey qui gouvernait le Grand-Caire. Conduite par des chevaux des bords du Nil dans la ville, 170 ACADÉMIE DE ROUEN. elle avait été abandonnée à elle-même , non loin de la de- meure du consul anglais. La première apparition d'une voiture ne pouvait manquer d'être un événement pour les habitants. Le consul anglais voulant la dérober à leur entreprenante cu- riosité (qui sait si quelqu'un d'eux , mû par le fanatisme musulman, ne se serait point porté à des voies de fait envers cette diabolique invention des infidèles), appelle un portefaix arabe, et lui commande d'aller recruter quelques- uns de ses camarades, pour l'introduire à bras dans la cour du consulat et la remiser sous un hangard. Le portefaix lui répond qu'il n’a besoin de l’aide de personne. Il s'approche de la voiture , s’introduit dessous, la soulève avec son dos jusqu'à ce qu'il ait trouvé le centre de gravité, se place sous ce point, quand il l’a découvert, enlève la voiture et la porte, sans hésitation, à quatre-vingts pas de là, sous le hangard. Le consul fut tellement surpris d’une pareille preuve de - force et d'adresse qui dépassait tout ce qu'il avait vu faire à ses plus vigoureux compatriotes; qu'il ordonna de peser la voiture , qu'il dressa une sorte de procès-verbal, et le fit signer par tous les assistants, parmi lesquels se trouvait la personne qui m'a raconté le fait. La voiture, fort lourde par elle-même, contenait plusieurs ballots ou caisses destinés à être donnés en présent au Bey. Elle pesait deux mille cinq cents livres, poids de marc. Je pourrais m'emparer de ce fait et de bien d’autres encore pour montrer combien l’on s'écarte de la vérité, en prétendant, en cette matière, assujétir la nature à des règles inflexibles et absolues qu'elle n'accepte pas. D’innom- brables témoignages, empruntés aux anciens et aux plus savants hommes des temps modernes, à la tête desquels je placerais Alexandre de Humbold , me serviraient à établir que rien n'est plus inexact que de prétendre qu'une nour- CLASSE DES SCIENCES. 171 riture purement végétale n'est point assez azotée pour soutenir l'existence de l'homme, et lui permettre de satis- faire aux besoins de son organisation. Je m’empresserais néanmoins de reconnaître que si elle suffit pour le faire vivre et se perpétuer dans l’état de repos, elle ne suflit point ordinairement aux exigences de la vie laborieuse et agitée qu'a produite la civilisation, qu'il faut y joindre des substances animales, dans une proportion qui varie non- seulement suivant le climat, mais aussi suivant les indi- vidus. Le caractère de cet écrit, qui n’est qu'une simple note , m'interdit d'aborder de front cet intéressant sujet qu'on m'assure avoir été déjà traité par M. Trousseau , docteur de la faculté de Paris, dans sa thèse inaugurale. Mais aux faits que je viens de signaler, je ne puis m'em - pêcher d'en ajouter un autre dont chacun de vous, Messieurs , pourra vérifier l'exactitude. Dans un village peu éloigné de Rouen, qui ne compte pas moins de douze cents âmes (1), il existe un travailleur, un terrassier, qui égale tous les autres, quand il ne les dépasse pas , en force musculaire, en activité, en énergie, en vaillance, comme dit mon correspondant d'Alger. Ce terrassier à éprouvé dès son jeune âge une répugnance instinctive pour la viande. Il n’en mange presque jamais. Sa nourriture se compose essentiellement de pain , de lé- gumes herbacés et farineux et de cidre, auxquels il associe du beurre ou du fromage , et de temps en temps des œufs et du hareng salé. Disons en passant, Messieurs ; que l'usage de la viande dans vos campagnes est beaucoup plus récent qu'on ne se l'imagine. Je me suis livré sur ce point à une minutieuse (t) Quincampoix. 172 ACADÉMIE DE ROUEN. enquête. Dans le village dont je viens de parler, les manou- vriers , les journaliers n'en mangeaient pas il y a quarante ans. J'ai interrogé un chef de famille regardé comme l’un des hommes les plus robustes de la contrée. Il m'a assuré que , pendant les premières années qui avaient suivi son mariage , ni lui ni sa femme ne faisaient usage de viande , que leur nourriture se composait exclusivement de pain et de beurre, de légumes et de cidre , et qu'il n'y joignait jamais ni œufs , ni poisson , ni fromage , ni lait. La ration quotidienne de pain était d’un kil. et demi pour lui et d’un kil. pour sa femme. Je-lui ai demandé s’il avait éprouvé une augmentation de forces depuis qu'il employait de la viande. 11 m'a répondu négativement, en ajoutant, qu'il en était résulté pour lui une véritable économie. Cette réponse n’a rien qui doive surprendre quand on réfléchit à la faible quantité de viande que consomment actuellement les cul- tivateurs de la Seine-Inférieure, quantité qui, d’après mes recherches, ne dépasse pas une moyenne de cent- vingt grammes. Ajoutons que, à cette époque comme aujourd'hui, le plus pauvre imanouvrier ne mangeait que de ce pain blane et substantiel qui donne à l'alimentation de la Normandie un avantage marqué sur celle de presque toutes les autres parties de la France , sans en excepter la capitale (1). J'éprouverais tous les regrets du monde , si l’on voulait conclure de ce que je viens de dire que. à mes yeux, lin- troduction de la viande dans le régime alimentaire des RE po un Pr °° pe AR RE (1) Le pain espagnol ou pain brié, dont font encore usage en ce moment les cultivateurs de cette partie de la Basse-Normandie qui avait appartenu autrefois au roi de Navarre, ne se prépare qu'avec les plus belles farines du pays , ne reçoit que l’eau rigoureusement nécessaire pour la formation de la pâte, et en perd la plus grande partie par la pression et la longue cuisson qu'on lui fait subir. On peut affirmer sans exagération qu'un kilogrammes de ce pain nourrit davantage que deux kilogranmes du pain blane de Paris. CLASSE DES SCIENCES. 173 travailleurs ne doit pas être encouragée ; j'ai voulu simple- ment montrer tout ce que certaines doctrines avaient de trop absolu et de trop tranché. Mais, je suis tellement convaincu de la nécessité d'améliorer , sous ce rapport , la condition des classes ouvrières, et, en l'arnéliorant, d'amé- liorer celle des agriculteurs , que tous mes efforts , depuis que la confiance de mes concitoyens m'a appellé à siéger parmi les représentants de la cité, ont constamment tendu à faire baisser le prix de la viande. Toutefois , je l'avoue , je ne saurais partager l’aveugle engouement de certaines personnes pour le régime an- glais, et je me garderai bien de l'indiquer comme devant servir de type et de modèle sous tous les climats. Même , en ayant égard à la température humide et bru- meuse sous laquelle les Anglais vivent, je tiens pour certain que leur alimentation pèche par un excès contraire à celui de la nôtre, qu'elle n’est pas toujours conforme aux règles d’une bonne hygiène, appelée à sauvegarder à la fois les intérêts du moral et ceux du physique. Les ouvriers de la Grande-Bretagne lui doivent sans doute cette accumulation de forces musculaires qui vous a si vivement frappés, quand vous les avez vu travailler à vos voies ferrées. Mais ils lui doivent aussi cette lenteur d'intelligence que vous avez plus d'une fois remarquée, et celte obésité précoce qui les rend si promptement impro- pres au travail, et les met à la charge des paroisses. Le soldat anglais lui doit une partie de cette admirable constance d'âme avec laquelle il accepte le danger : mais il lui doit aussi cette difficulté de se mouvoir qui, sous le rapport de la rapidité des marches et des contremarches, le rend si inférieur au soldat français. Lorsqu'on lit les détails de la campagne de lord Elphinstone dans le Caboul, l'esprit se rappelle involontairement l'incroyable attirail dont les souverains de l'Orient et leurs lieutenants s'en- 174 ACADÉMIE DE ROUEN. touraient quand ils allaient à la guerre (1). Lorsqu'on lit au contraire le récit de nos modestes campagnes d'Algérie, il est impossible de ne pas songer au soldat romain dont l'alimentation, telle que Polybe, Végéce et Pline nous l'ont décrite, se rapprochait prodigieusement de celle du nôtre (2). Au surplus , il serait facile de démontrer , à l’aide des formules de MM. Dumas et Boussingault, que dans l’ali- mentation des Anglais, il y a une énorme quantité de sub- stances assimilable qui n’est point assimilée, ou qui, lorsqu'elle n'est pas entièrement perdue , doit avoir pour résultat d'accroige démesurément certains tissus. Voici un exemple de cette alimentation : L'acte du Parlement britannique qui a réglé les rapports des colons de l’Austrasie avec les convicts, impose aux premiers l'obligation de fournir à chacun de ceux-ci, par semaine , sept livres de viande de bœuf ou trois livres et demie de lard et dix livres de farine. Ils ne sont tenus de leur donner aucune boisson ; mais lorsqu'ils sont contents de leur travail , ils leur furnissent ordinairement un peu (1) Le livre de Judith, ch. 2, vers. 8 et 9, contient de curieux renseignements sur les préparatifs qui précédaient l'entrée d’une armée asiatique en campagne. On y voit que la viande jouait un rôle important dans son alimentation. Il s’agit d'Holopherne : « Omnemque expeditionem suam fecit prœire in multidine in- « numerabilium camelorum cum his quæ exercitibus sufficerent « copiose, boum quoque armenta, gregesque ovium, quorum non «est numerus. Frumentum ex omni Syria in transilu Suo parari « constituit. » , (2) C'était le blé et les légumes qui formaient le fond de lali- mentation du soldat romain en campagne. La ration d’un fantassin était de 4 boisseaux de blé ou de 32 chœnix par mois. C’est ce qu’on appelait le menstruum. On ajoutait au blé du sel, des légumes, du fromage, et quelquefeis du lard et de la chair de porc. ( Schelius, notis in Polybium. ) CLASSE DES SCIENCES. 175 de thé. Le convict ne convertit point sa farine en pain levé, il la transforme en galettes qu'il fait cuire dans l'âtre du foyer, et qu'il mange avec la viande, Je suis loin de méconnaître que, sous le rapport de l'emploi consécutif des forces musculaires , les ouvriers anglais ne soient en général de beaucoup supérieurs aux ouvriers français. Mais je ne pense pas que l'on doive attribuer uniquement cette supériorité à celle de leur nourriture. Il y a d’autres raisons physiologiques dont il faut tenir compte. Je vais en indiquer une. Quand les Lacédémoniens reconnaissaient qu'un nou- veau-né avait reçu de la nature une constitution débile , et qu'il ne pourrait jamais faire un soldat , ils le condam- naient à la mort. Sans doute, Messieurs , les Anglais sont loin de suivre cette abominable pratique ; mais le peu de soin avec lequel ils protègent la première enfance contre le froid et l'inclémence des saisons, doit amener un résultat analogue. Le chiffre de la mortalité des nouveaux-nés en Angleterre est énorme. Ceux qui survivent à ces causes de destruction doivent être évidemment forts et robustes. Ces qualités sont ensuite développées par la riche alimentation qui leur est fournie Mais s'imaginer qu'il suflirait de donner une pareille alimentation aux enfants étiolés qui fréquentent vos manu- factures, pour en faire de robustes travailleurs, voilà une extravagance qui ne supporte pas l'examen. Je vous demande pardon, Messieurs, de la longue dis- cussion à laquelle je viens de me laisser entraîner. Elle était oiseuse , car, malheureusement , nous sommes bien loin encore d’avoir à nous défendre de l'excès dans lequel , suivant moi, sont tombés nos voisins. NOTE SUR LES BLÉS DE RUSSIE, Par M. BERGASSE. ( Lue à la Séance du 27 Juin :8b1.) Un solennel débat vient de s'ouvrir , Messieurs , entre les partisans du libre -échange et ceux des droits protec- teurs. Je n'ai point la prétention d'aborder aujourd'hui l'immense question qui les divise. Mais, puisque l’occa- sion s’en présente , permettez-moi de consigner ici, sous la forme d'une simple note, quelques détails propres peut-être à éclairer l’un des points du problème. Tout le monde sait que la Russie exporte une grande quantité de blés. Les uns sont expédiés par les ports de la Baltique , les autres par les ports de la Mer-Noire. Les premiers sont recueillis dans l’ancienne Pologne , la Li - vonie, l'Esthonie et la Courlande. Ils donnent, en général, une farine très blanche et peu riche en gluten. Ils ont l'in- ‘convénient de renfermer , par suite de l'extrême humidité du climat , beaucoup d’eau de végétation. Aussi, dans les CLASSE DES SCIENCES. 177 années pluvieuses, étaient-ils peu recherchés. On à obvié en partie à cel inconvénient en les soumettant, immédiate- ment après le battage, à une dessiceation préalable dans des étuves. Maintenant ils sont fort estimés, comme on peut le voir par les mercuriales du marché de Londres. L'agriculture s'est extrémement perfectionnée dans la partie de la Russie où on les récolte ; mais la production ne peut pas y dépasser certaines limites. Aussi, je ne pense pas que ce soit de ce côté que nos cultivateurs français aient à redouter une bien dangereuse concur- rence. de le pense d'autant moins que ces blés, peu riches en gluten, comme je lai dit, conviennent bien moins aux habitants du midi de la France qu'à ceux du nord. Or, vous savez que c’est dans nos départements méridio- naux que l'on est surtout obligé de recourir aux blés étrangers dans les années de disette. Il n'en est pas de même des immenses possessions mé— ridionales de la Russie dont les produits nous parviennent par les ports de la Mer-Noire Là, se trouvent des steppes sans limites, offrant jusqu'à un mètre de terre végétale , enrichie par la décomposition de myriades d'insectes de toute espèce, et n’attendant que la main de l'homme pour produire d'énormes quantités de céréales. On peut juger par les résultats obtenus des défrichements , de ceux qui restent à obtenir. J'ai suivi, avec quelque soin, la marche du prix des blés depuis 1825. J'ai remarqué que jusqu'en 1847 (1) il y avait eu constamment une différence en plus de 5 à 6 francs entre le prix de nos blés nationaux et celui des blés de la Mer-Noire , c'est-à-dire qu'au moment où en (1) Depuis 1847, et surtout depuis l'ouverture des ports de la Grande-Bretagne aux blés ctrangers , cette différence x diminué. 12 178 ACADÉMIE DE ROUEN. France le blé se vendait 20 fr. l'hectolitre, il n'était coté qu'à 43 ou 14 fr. dans les entrepôts d'Ancône , de Mar- seille et d'Hambourg. On estimait, à cette époque , les frais de transport et les faux frais à 6 fr. par hectolitre (1), ce qui ne donnait pour prix de vente sur les lieux que 8à9 fr. Je connaissais parfaitement la situation du cultivateur russe, et cette situation m'expliquait jusqu'à un certain point comment il pouvait vendre sans perte à 8 fr. une céréale que nous ne pouvons vendre qu'avec perte à 15fr., même dans les parties de notre sol, où sa culture se fait avec le plus d'avantage et d'économie, telles que la Lorraine et la Bretagne. Mais, comme je savais que les blés de la Russie méridionale, avant d’être embarqués à Odessa ou à Sebastopol , avaient eu à supporter des frais de transport qui, eu égard au défaut de voies de communication, ne pouvaient manquer d'être fort considérables, je ne me ren- dais pas parfaitement compte de cette extrème modicité du prix de revient du blé dans ces contrées. “Le hasard m'a servi en me mettant en rapport avec le représentant d'une maison puissante de Paris et de Mar- seille, qui avait habité longtemps Odessa, qui s’y était marié, et qui avait souvent parcouru l'Ukraine, la Volhynie, la Podolie et toute la Russie méridionale. , Voici ce que j'ai appris de lui : Ont sait les conditions dans lesquelles se trouvent placés les propriétaires russes. Les serfs leur doivent le travail de quatre jours de la semaine , et reçoivent en échange une nourriture bien inférieure à celle qui est donnée aux noirs de nos colonies. IS (1) La concurrence pour le transport des blés en a diminué les frais depuis 1848. CLASSE DES SCIENCES. 179 Les terrains non cultivés sont tellement étendus, et les bras si rares, qu'on ne sème guère à la même place que tous les quinze ou vingt ans. On né pratique jamais qu'un seul labour très superficiel, au moment de l’ensemence- ment. On n'y emploie aucun engrais. Ces circonstances , dont plusieurs m'étaient déjà con- nues ,-expliquent bien la différence de situation des pro- priétaires russes et des cultivateurs français. Mais restait la question des transports. Parmi les blés qu'on embar- que à Odessa , il en est qui viennent de points éloignés de deux cents lieues. J'ai appris que ee transport ne coù- tait presque rien aux propriétaires russes. | Leurs serfs ou mougics l’effectuent; ils chargent le blé sur de petites charrettes attelées de deux bœufs , dont les essieux sont en bois et les roues pleines, toutes pareilles par leur construction à celles que quelques- uns d'entre vous, Messieurs, ont vues dans le pays Basque. On leur remet une provision de farine dans un petit sac; ils partent. Le voyage dure quelquefois plus d'un mois. Le soir, quand le mougic arrive au bord d'un ruisseau, il dételle ses bœufs, les laisse paître dans les steppes , prépare un peu de bouillie avec la farine qu'il a apportée, la fait cuire avec quelques herbes desséchées, et se couche sur la terre. Le lendemain matin, il renouvelle ce frugal repas et se remet en marche. Arrivé à Odessa, il décharge sa charrette, vend ses bœufs pour la boucherie, sa charrette comme bois à brûler, et revient à pied dans son pays. Il ne met quelquefois que huit jours pour par- courir la distance qui lui a demandé un mois quand il con- duisait son attelage. Nous recevons par la Mer-Noire des blés tendres et des blés durs. Le blé dur, triticum durum de Desfontaine , a le grain très petit, l'apparence cornée , et ne contient point de son, mais une énorme quantité de gluten. On ne 180 ACADÉMIE DE ROUEN. le recueille pas dans toutes les parties de la Russie méri- dionale, mais seulement sur les bords de la mer d'Azof, etsa culture remonte à la plus haute antiquité. C’est la pature du sol qui explique ce fait. Le terrain y est extrème- ment riche en engrais provenant de la décomposition de substances animales. La partie de la mer d’Azof qui longe la Crimée a reçu le nom de mer Putride. Placé dans d’autes conditions , le triticum durum perd de sa qualité. On le cultive sur certains points du Languedoc et de la Provence, mais il n’y offre pas, à beaucoup près , les mêmes propor- tions de matière azotée. OBSERVATIONS SOUMISES AU CONSEIL GÉNÉRAL DE LA SEINE-INFÉRIEURE SUR LA MORTALITÉ DES ENFANTS TROUVÉS EN FRANCE, ET A ROUEN EN PARTICULIER, Par M. L. NEPVEUR, Vice-Président de la Commission administrative des Hospices de Rouen. ( Communiquées à l’Académie dans la Séance du 21 Jévrier 1851.) ei — La grande mortalité des enfants trouvés a, depuis long- temps, appelé l'attention des moralistes, des philosophes et des politiques. Chacun a traité cette grave question à son point de vue particulier , et en a tiré des conséquences en faveur du système qui avait ses sympathies. Quelques adversaires des tours ont été jusqu'à faire peser Sur cette institulion une effroyable responsabilité ; mais la raison a bientôt fait justice de cette exagération, comine si l'enfant, secouru aussitôt qu'exposé, n'avait pas plus de chances de vie, que si on le déposait dans la fange ou dans la neige, à la porte d'un hospice ou d'une église. En principe donc, le tour ne tue pas l'enfant, mais il le sauve quand il peut être sauvé ! 182 ACADÉMIE DE ROUEN. D'autres, et par le même motif, se sont élevés contre les hospices dépositaires, mais ils n'étaient pas plus dans le vrai que les premiers; ils manquaient évidemment d'ex- périence pratique. Ils auraient reconnu que l'hospitalité la plus généreuse et la plus éclairée était donnée à ces frêles créatures. Qu'il me soit permis de citer l'opinion d’un homme qui fait autorité dans ces sortes de matières : « De l'étude attentive des faits, dit M. de Gérando, « ressortent deux conséquences qui absolvent ici l'insti- « tution hospitalière ; d'une part, on reconnaît que la « mortalité des enfants trouvés peut être réduite ; de « l'autre, on découvre que les principales causes qui la « rendent si considérable, sont étrangères à l'existence des « hospices, et que ces établissements tendent plutôt à y « remédier. (1) » Plus loin, M. de Gérando ajoute : « S'il n'existait point d'hospices, ou si la porte n'en était point ouverte aux enfants qui réclament l'hospitalité , la mortalité, parmi eux, serait bien plus considérable encore. (2) » Les hommes que les idées préconçues n'aveuglent pas recherchent ailleurs les causes de la mortalité des enfants trouvés ; ils reconnaissent, toutefois, parce que c'est l'évidence , que cette mortalité a sensiblement diminué pour la France entière (3), mais ils la trouvent trop grande encore, et, en cela. nous sommes de leur avis. (1) De la Bieufaisance publique par M. de Gérando, tome nm, page 3953. (2) De la Bienfaisance publique par M. de Gérando , tome 11, page 357. (3) D'après M. de Gérando , de 1816 à 1836, il périssait par an près de 1,000 enfants trouvés de moins, quoiqu'il existât 5,000 enfants trouvés de plus, tome 1r, page 359. CLASSE DES SCIENCES, 183 Ces amis de l'humanité, s'emparant des statistiques qui montrent la mortalité des enfants trouvés plus grande dans tel département que dans tel autre , en demandent la raison. Ainsi, la mortalité serait plus considérable à Rouen, par exemple, qu'à Paris et à Lyon; pourquoi cela ? Faut-il en accuser l'imperfection du régime suivi dans l'hospice dé- positaire ? Non; d'une part, les enfants ne font que passer à la crèche, et, d’une autre part, les soins les plus em- pressés et les plus intelligents leur sont prodigués ; c'est la charité religieuse qui veille sur eux , après les avoir recueillis. Is sont envoyés en nourrice, aussitôt que faire se peut, ct rien n'est négligé pour les soustraire aux fatigues du voyage. Cependant l'on insiste, la statistique à la main ; notre réponse , la voici: Admettons, par hypothèse, l’exacti- tudé des chiffres, mais les chiffres n’ont de valeur qu'au- tant qu'ils sont expliqués par les faits ; alors seulement, on peut en former un corps de doctrines. Or, ici, les faits manquent absolument ; toutes les hypo- thèses sont donc permises. Ainsi, l'on ne sait pas si la mortalité des enfants, en général , n'est pas plus grande à Rouen que dans d’autres villes de la France dont les conditions de salubrité sont meilleures, où les maladies scrofuleuses sont plus rares. Ainsi, l'on ne sait pas davantage si, dans certains hospices dépositaires, où le chiffre de la mortalité des enfants trouvés est moins considérable qu'à Rouen, les admis- sions ne sont pas plus faciles. ss Nous avons quelque raison de penser qu'il en est ainsi dans plusieurs localités, à Lyon notamment ; l'enfant est admis , soit parce que sa mère ne peut ou ne veut l’élever. Voué au malheur, il est secouru. A Rouen, au contraire, les exigences du décret du 19 184 ACADÉMIE DE ROUEN. janvier 1814 sont religieusement observées ; toutes les fois que l'on peut aller de l'enfant à la mère , celle-ci doit reprendre son enfant, à moins qu'elle ne soit hors d'état de l'élever, et, dans ce cas, c'est M. le Préfet qui statue. | Toutes ces choses se savent; aussi, à quelques excep- tions près, le tour ne reçoit que ces enfants dont les mères sont souillées de débauche, ou qui ont tenté sur elles l'avortement ; ou bien encore de ces malheureuses filles abandonnées par un lâche séducteur , et qui, par consé- quent , ont porté leur enfant dans les angoisses du déses- poir et de la honte. presque toujours aux prises avec la misère. Ces femmes, pour la plupart, ne mettent au monde que des cadavres. Voyez nos registres d'exposition; le plus souvent , les enfants passent du tour à la crèche , et de la crèche à l’ensevelissoir ; le jour qui les a vus naître est aussile jour qui les a vus mourir. En 1848, sur 462 enfants exposés au-dessous d’un an, 377 étaient gravement malades ; 85 seulement étaient en santé ; 99 ont été placés en nourrice ; 6 ont été réclamés par leurs parents ; partant, le nombre des décès à la crèche a été de 357, les enfants mouraient aussitôt qu'ap- portés. . Donc , les principales causes qui rendent si nombreux les décès dans notre hospice dépositaire sont antérieures àala présentation des enfants , et il n'y a rien à conclure contre la constitution de l'hospice lui-même. Veut-on une nouvelle preuve de cette assertion ? Elle s'offre tout naturellement..... En 1849, le nombre des enfants exposés a été de 522; leur état de santé était beaucoup plus satisfaisant ; 191 seulement étaient indi- qués comme malades ; aussi, 219 ont pu être envoyés en nourrice ; 46 ont été réclamés par leurs parents et Île CLASSE DES SCIENCES. 185 chiffre des décès , à la Crèche, n'a plus été que de 279 sur 522, au lieu de 357 sur 462, comme nous l'avons constaté pour 1848. Cependant , nous ne pouvons laisser sans réponse une opinion émise , tout récemment , à la tribune nationale. L'honorable M. Armand de Melun, dans son rapport au nom de la Commission d'assistance publique sur les enfants trouvés (1), nous à paru (qu'il nous le par- donne) avoir pris un peu trop au sérieux les reproches adressés, bien légèrement par certains écrivains, aux hospices dépositaires , et, sans vouloir contester tout le bien que fait la Crèche ouverte par la charité privée, nous dirons, parce que c’est notre conviction, que la Crèche de la charité publique n’a rien à envier à celte dernière , soit au point de vue de l'hygiène, ou des mesures de prudence. Sans doute la maladie et la mort ne visitent pas la Crèche de la charité privée, mais par une raison toute simple , c'est que les enfants malades n'y sont pas admis ; ils sont traités à domicile. ï Qu'on ne rapporte donc pas ces précieux ayantages à la Crèche de la charité privée; ils lui sont tout à fait étrangers. Nous serions bien heureux , si la charité privée avait reçu du Ciel le don d'écarter du berceau de l'enfant la maladie et la mort. Le problème de l'humanité serait résolu ; il n'y aurait plus qu'une question d'administration, et, pleine de re- connaissance, la charité publique dirait à la charité privée, (1) Rapport et projet de loi sur les enfants trouvés, abandonnés et orphelins, présentés au nom de la Commission d'assistance pu- blique par M. Armand de Melun, représentant du peuple (le-et- Vilaine), p. 25. 186 ACADEÈMIE DE ROUEN. en lui ouvrant los hospices dépositaires . Voilà nos enfants, qu'ils soient sauvés par vos mains! Mais ne nous laissons pas aller à des espérances chimé- riques ; jamais l'enfant délaissé n'aura les mêmes chances de vie que l'enfant confié à la Crèche privée ; les mêmes soins sont donnés à ces frêles créatures , mais leur origine est différente, et tout est là! L'un , le plus souvent est le fruit de la débauche ; quel- quefois déjà, dans le sein de sa mère, il a ressenti les atteintes de la mort; presque toujours le mystère a présidé à sa naissance, il arrive à l'hospice après avoir souffert de la faim et du froid ; glacé, il faut le réchauffer ; il n'a plus la force de prendre le lait qui devait le nourrir ; il mourra d’inanition, car c'est mourir d’inanition que de ne pouvoir digérer les aliments qu'on avale (1). L'autre, au contraire, est né sous le voile du mariage ; sa mère qui n'avait point à rougir de sa grossesse , n'a rien fait pour la dissimuler ; son accouchement n’a pas été clandestin ; son mari était à ses côtés pour recevoir le nouveau-né, et celui-ci, envelioppé de langes bien chauds et bien doux , le baiser de sa mère au front et dans d'ex- cellentes conditions de vie , entre à la Crèche de la charité privée ; le soir , il retrouvera les caresses de sa mère qui ne le quittera que pendant ses heures de travail. Comment cette différence d'origine et de conditions au (1) Dans une réponse à un Mémoire sur les enfants trouvés, en- voyé par M. de Saint-Florentin à M. l'Intendant de Rouen, au mois d'octobre 1766, M. Leschevin, alors chirurgien en chef de l'Hospice-Général de Rouen, disait que presque tous les enfants trouvés qui avaient été placés, à titre d'essai, dans une maison isolée située à mi-côte sur le grand chemin de Rouen à Darnétal, étaient morts d'indigestion , ou si l’on veut d’inanition , car c’est mourir d'inanilion que de ne point digérer les aliments qu'on avale. ne. mm = Bu CLASSE DES SCIENCE*. 187 milieu desquelles se produit la naissance de l'enfant n'ame- nerait-elle pas des résultats différents ? Si nous ne eraignions de donner trop d'étendue à cette digression , nous dirions tous les essais qui ont été tentés depuis 1687 par l'administration des hospices de Rouen ; l'on verrait alors que nos devanciers n'ont reculé devant aucune mesure, devant aucun sacrifice, pour assurer, autant que la Providence et les lois de la nature le per- mettent, l'existence des malheureuses victimes de la misère et du libertinage (1). Nous citerions les délibérations nombreuses prises à ce sujet (2), les arrêts du Parlement de Normandie des 20 juillet 1763 , et 15 janvier 1789 qui les ont homologuées, toutes les Chambres assemblées. La plus grande sollicitude est apportée dans le choix des nourrices ; on augmente leurs salaires et leurs grati- fications , les linges et les vêtements se donnent en plus grande abondance , les visites des enfants sont plus fré- quentes , rien en un mot n'est négligé; mais, chose triste à dire , les résultats ne répondent pas à tant d'efforts gé- néreux, la mortalité des enfants trouvés est toujours aussi grande. Donc, ces expériences de toute sorte prouvent , une fois de plus encore, contre la constitution physique de ces pauvres créatures , et justifient ainsi les hospices dé- positaires et le nôtre en particulier. (1) Réquisitoire du Procureur-Général du roi à fin d'homolo- gation d'une délibération prise par les deux bureaux des deux hôpitaux, assemblés le 24 décembre 1788, pour la conservation des enfants trouvés et exposés dans la ville et faubourgs de Rouen. (2) 1087,1711,.1726, 1728, 1720, 1730, 21 août 1747, 1748, 1752, 29 mars et 16 avril 1763, 28 mars (765, 4 février 1778, 23 décembre 1779 , 24 décembre 1788 188 ACADÈMIE DE ROUEN. Reprenons la première de ces deux propositions. Certes, l'on admettra que si la mortalité des enfants , en général, est plus grande à Rouen que dans d'autres villes de la France dont les conditions de salubrité sont meilleures , où les maladies scrofuleuses sont plus rares, l'abus des liqueurs fortes moins considérable, la mortalité des enfants trouvés doit être plus grande à Rouen que dans ces villes privilégiées (1); il y a ici une corrélation qu'un esprit éclairé ne saurait nier. « Ne nous flattons pas, dit M. de Gérando, de pou- « voir jamais ramener la mortalité des enfants trouvés, «admis dans les hospices , au niveau de celle qui règne « généralement parmi les autres enfants du même âge (2).» Les raisons de cet état de choses , nous les avons dites ; elles sont inhérentes à la constitution frêle , maladive ou viciée des enfants trouvés ; ajoutez encore le défaut de soin avec lequel s'effectue le plus ordinairement l'apport du nouveau-né à l'hospice (3); enfin, et ce fait nous avons eu occasion de le constater, il n’est pas rare qu’une - mère expose son enfant lorsqu'il est voué à une mort certaine, et dans le but unique de s’épargner les frais d'inhumation. Ainsi, un enfant né au Bosgouet (Eure) le 10 juillet 1847, est mis’au tour, à Rouen, le 27 mars 1848 , et le 2 avril suivant , il avait cessé de vivre ; les portes de l'hospice s'étaient ouvertes devant un agonisant ! (1) A Rouen, la mortalité des enfants, en général, âgés de moins de { an, est de près des 2/3. Et il est d'expérience chez nous, que le refroidissement du nouveau-né est presque toujours pour lui une cause de mort. ‘ (2) De la Bienfaisance publique , t. 2, p.356 et 357. (3) Quelquefois l'enfant, avant d'arriver au tour, a dû parcourir un trajet de {5 et 18 lieues, par une température froide et bu- mide , privé pour ainsi dire de langes ; heureux encore quand il n'a pas eu à endurer de mauvais traitements. CLASSE DES SCIENCES. 189 Donc, à priori, et tant qu'il ne sera pas établi que Paris et Lyon soient dans des conditions hygiéniques aussi dé- favorables, par rapport aux enfants, que Rouen, il n'y aura rien à conclure des statistiques contre l'hospice dé- positaire de cette dernière ville. En d’autres termes, et pour rendre notre pensée plus sensible, si la mortalité des enfants-trouvés à Rouen est, par rapport aux autres enfants du même âge de cette ville, dans des conditions identiques avec la mortalité des enfants-trouvés de Paris et de Lyon, rapprochée de la mortalité des autres enfants du même âge de ces villes, il faut dire que la position de Rouen, de Paris et de Lyon est la même, relativement à la mortalité des enfants trouvés. Voyons maintenant notre seconde proposition. Il y a des villes, avons-nous dit, où les admissions des enfants trouvés sont beaucoup plus faciles qu'à Rouen ; ce fait est incontestable. À Mais qu'on ne donne pas à nos paroles un sens que nous n'y attachons pas; ce n’est pas un reproche que nous for- mulons ici, il serait déplacé de notre part ; nous n'enten- dons pas non plus revendiquer pour nous une position plus légale, et nous poser comme des administrateurs qui remplissent mieux leurs devoirs; celte prétention serait ridicule. Nous citons un fait, rien de plus. Quand le Gouvernement lui-même s'est plusieurs fois écarté, dans ses circulaires, du décret de 1811, qui oserait dire que ceux qui, à son exemple, ont fait fléchir la règle, ont commis une faute, leurs intentions étant bonnes ? Cela bien entendu, allons au-devant d'une objection qui ne manquera pas de se produire. Que nous parlez-vous, dira-t-on , de difficultés d'admis- sion des enfants ? À Rouen, n'y a-t-il pas un tour dont les bras sont loujours ouverts pour recevoir ? 190 ACADÉMIE DE ROUEN. Distinguons l'exposition de l'admission ; le dépôt dans le tour, c'est l'exposition ; mais l'admission ne se fait qu'en séance de l'administration et sur le procès-verbal dressé au moment de l'exposition; donc il y a là deux choses tout-à-fait distinctes et qu'il ne faut pas con- fondre. Le moment est venu de dire l'influence que peut avoir, sur la question de mortalité des enfants trouvés, la facilité de leur admission. Cette influence , elle est toute décisive contre les sta- tistiques ; elle renverse les chiffres posés et ne permet plus de conclure. Avec la facilité des admissions, vous n’avez plus seu- lement à l’hospice dépositaire ces enfants à la face blême et livide , et qui sont le fruit de la débauche, ou qui ont été torturés dans le sein de leurs mères ou nourris de leurs angoisses ; ces créatures, en un mot, qui entrent dans la vie par l’agonie et s'inscrivent bientôt sur le livre de mort ; vous avez aussi ces enfants sains et bien por- tants qui appartiennent à des parents peu aisés, qui ne s'en séparent d'abord qu'avec la pensée de les réclamer quelques années plus tard , et qui ne les oublient pas toujours (1). On conçoit alors que ce contingent d'enfants robustes et vigoureux ainsi apporté aux enfants exposés , donne pour résultat un chiffre de mortalité relativement moins considérable. Donc, à ce point de vue encore, le chiffre de mortalité des enfants trouvés à Rouen , donné par les statistiques, en le tenant pour vrai, ne permet plus de dire avec toute (1) En 1847 , le nombre des réclamations a été de 97. Il est en moyenne par an de 42, 80. CLASSE DES SCIENCES. 191 sûreté de conscience que, dans l'hospice dépositaire de notre ville , il meurt plus d'enfants trouvés qu'à Paris et à Lyon. Cependant , si notre hospice dépositaire se trouve ainsi relevé de cet état d'infériorité où l'avait placé la statis- tique, ce n’est pas une raison pour sommeiller : l’'adminis- trateur qui a le sentiment de ses devoirs, ne s'arrête que quand sa tâche est remplie; nous sentons qu'il nous reste à faire , tant qu'il y aura pour nous une possibilité d'arra- cher , ne füt-ce que de rares victimes , à la mort. À l'œuvre donc, pensez-vous, contrairement aux pres- criptions du décret de 1811 et à l'opinion de M. de Gé- rando, qu'il faille retenir plus longtemps à la crèche le nouveau-né , et ne l'envoyer en nourrice que lorsque sa santé paraîtra aux hommes de la science assez fortifiée pour supporter, sans danger, les fatigues du voyage ? Dans ce cas, nous devons dire au Conseil général que notre crèche ne réunit pas toutes les conditions de salubrité que l’on est en droit d'exiger. Bien que située au 1° étage, elle n’est pas suffisamment élevée, l'air y circule mal; le soleil ne la baigne pas assez ; ses dépendances pourraient être mieux appropriées, elle n’est pas suffisamment éloi- gnée des infirmeries, et son exposition laisse également à désirer. Est-ce à dire pour cela qu'il faille déserter le terrain de l'Hospicé-Général, quitter même la ville et bâtir à grands frais, dans une campagne voisine , un hos- pice pour les enfants trouvés ? Nous ne le pensons pas ; toutes les améliorations que nous venons de demander pourraient s'obtenir, sans quit- ter le périmètre de l'Hospice-Général et avec peu de dé- penses. A l'une des extrémités de cet établissement, sur un point culminant et dans une situation des plus saiubres, existe un vaste bâtiment dit des Célestins, entouré de jar- 192 ACADÉMIE DE ROUEN. dins et occupé en ce moment par des enfants du sexe mas- culin qui, à raison de leur santé, sont rentrés à l'hospice ; les incurables , pour y rester toujours, et les autres pour retourner plus tard à la campagne. Au premier étage de ce bâtiment, une crèche pour- rait être convenablement installée, sans désorganiser au cun des services , sans augmenter le personnel et sans mo- difier l'administration. Ce local permettrait l'installation d’une infirmerie où les jeunes malades ne seraient pas trop rapprochés. I y aurait une salle spéciale pour les ophthalmies. Si l'on ne parvenait ainsi à résoudre complètement le difficile problème qui s’agite depuis tant d'années, l'on aurait au moins donné une satisfaction désirable à l'hu- manité. Cette amélioration n'est pas la seule que nous récla- mions. Le service des enfants délaissés ne se limite pas à la crèche ; là, sans doute , le nouveau-né. subit les pre- mières et rudes épreuves de la vie; $’il sort victorieux de cette lutte , on le confie à une nourrice de campagne ; tout d'abord, vous l'avez dit, il faut être difficile sur le choix, vous voulez que cette mère que vous allez donner à l’en- fant, vous offre des garanties de moral té et de santé, vous avez raison. Il faut quelque chose de plus encore ; il faut que, dans cette maison où va reposer le nouveau né, votre enfant adoptif, il y ait une sorte d'aisance ; qu'il y trouve des caresses, un cœur qui l’aimera , cette affection, enfin, qui fait la vie, et dont sa mère l'a déshérité en le jetant dans le monde. Mais ces avantages veulent une compensation. Aug- mentez donc le prix des mois de nourrice ; que le salaire ne reste pas tellement bas, que le choix des nourrices ne soit pas possible. Le manufacturier accorde à l'artisan un CLASSE DES SCIENCES. 193 prix de journée, le plus ordinairement en rapport avec les services qu'ilen reçoit ; est-ce trop demander que l'on traite de la même manière la femme qui accepte la mis- sion si grande , quand elle est bien comprise, d'é'ever un enfant ? Ces réflexions qui sont le résultat de l'expérience acquise dans le service des enfants trouvés, nous les apportons, comme une prière, au Conseil général. 4 septembre 1850. 13 CLASSE DES BELLES-LETTRES. RAPPORT M. LE SECRÉTAIRE PERPÉTUEL De la Classe des Belles-Lettres et des Arts. 202 Messieurs, L'Académie de Rouen, en venant chaque année exposer, devant l'élite de ses concitoyens , le compte-rendu de ses travaux et le résultat de ses constants efforts , est toujours assurée d’exciter, parmi cette réunion d'hommes éclairés, un juste intérêt, et de se concilier de bienveillants suffrages. C'est que, en effet, dans le domaine des Lettres et des Arts aussi bien que dans l’ordre des faits scientifiques, c'est toujours aux sources du vrai, de l'utile et du beau qu'elle puise ses inspirations; c'est en s'appropriant, par ses relations avec une foule de Sociétés animées du même esprit, le mouvement général des intelligences , c'est en reflétant jusque dans ses moindres travaux les tendances de son époque , qu'elle marche et progresse. Toutefois, ce n'est pas sans redonter une certaine im- pression de défaveur que les Lettres viennent produire 196 ACADÉMIE DE ROUEN. leur contingent , quelque riche et varié qu'il soit, à côté de celui des Sciences. En effet, à mesure qu'on voit le do- maine des Sciences s'étendre de jour en jour, et les sa- vants porter, vers tout ce qui reste abordable à nos moyens d'investigation, leur ardeur infatigable , on re- marque , suivant un reflux contraire, que le domaine des Lettres se circonscrit et se resserre de plus en plus. La poésie replie ses aîles; l'imagination n'a plus guère d'autre emploi que de fournir un aliment journalier à de vulgaires appétits. L'histoire seule a su conquérir presque tout le terrain que la poésie et l'imagination n'ont pas eu le pou voir de retenir. C'est que l'histoire, malgré l'incertitude souvent trop réelle de ses fondements et la diversité de ses apprécia- tions , est aussi une science ; c’est que son but, comme celui de toute autre science, est encore la recherche du vrai, et, jusqu'à un certain point, de l’utile ; car toujours, sans doute, l'homme, soit pour accroître la somme de ses connaissances, soit pour éclairer d’un rayon de prescience les redoutables obseurités de l'avenir , ira de- mander à l'histoire les leçons et l'expérience du passé. D'ailleurs l'histoire ne possède-t-elle pas un champ infini, des mines assez fécondes pour épuiser l’activité des plus patients explorateurs? Et, depuis le modeste récit qui se contente de raconter sans discuter, jusqu'aux hardies spéculations de cette philosophie ambitieuse qui prétend établir en vertu de quelles lois naissent, grandissent , prospèrent ou succombent les civilisations et les empires , n'est-elle pas susceptible de revêtir toutes les formes , de prendre tous les tons, de s’accommoder-enfin aux besoins de toutes les intelligences ? Ne nous étonnons donc point de voir que, dans notre contingent annuel, à deux ou trois exceptions près, l'histoire et l'archéologie, sa com pagne ordinaire, aient tout envahi; ce n'est là ni le ré- CLASSE DES BELLES-LETTRES, 197 sultat d'un hasard ni le parti pris d'un système ; c'est un symptôme que l'esprit humain se modifie et se transforme; qu'il délaisse aujourd'hui , pour des travaux essentielle ment sérieux , les études de simple délassement , et que l’Académie de Rouen , sous ce rapport , présente naturel- lement un fidèle reflet de son époque. Cette analogie dans la direction des travaux nous dis- pense d'établir aucune classification. Seulement, comme dans nos séances de réception, nous décernerons les honneurs de la priorité aux membres nouvellement admis. M. Mallet, recteur de l'Académie universitaire , en ve- nant prendre , à Rouen , la haute direction de l’enseigne- ment , s’est empressé de réclamer, au sein de notre Com- pagnie, la place qu'il avait longtemps occupée à titre d'éminent professeur. M. Mallet , en reprenant possession , dans nos rangs, du siége qu'une longue absence l'avait contraint de laisser vacant, était dispensé, par le règle- ment, de l'obligation du discours de réception; mais notre ancien confrère n'a pas voulu profiter dé cette con- cession, et le beau travail qu'il nous a présenté sur les caractères , la définition et la formule de la loi morale, cette base de tous nos devoirs, ce fondement de toutes les lois sociales, a démontré une fois de plus, comme l’a dit M. le Président en lui répondant, qu'il possédait non seulement ce jugement droit et rigoureux qui analyse, enchaîne et résout, avec une infaillible logique , les ques- tions les plus ardues de la philosophie morale, mais encore ce talent d'exposition qui sait appeler l'intérêt sur les matières les plus abstraites et rendre saisissantes des vérités plus faciles à apprécier par l'intelligence du cœur que par celle de la pensée. Conduit par les développements de son magnifique sujet , à chercher lui même une formule qui précise les 198 ACADÉMIE DE ROUEN. obligations de la loi morale , et remplace avec avantage les maximes que toutes les philosophies, sensualistes ou spiritualistes, se sont efforcées de faire prévaloir au profit de leurs systèmes , l'auteur propose celle-ci : Vouloir le bien par la pensée et l'accomplir par l'acte. Une telle for- mule , suivant lui, à l'avantage d'être applicable tout à la fois à l'intention et à l'action, c'est-à-dire à ce qui constitue la moralité complète. Il ne suflit pas de vouloir le bien , il faut encore que ce vouloir se traduise en actes. Mais ce n’est pas assez pour lui d'établir la supériorité de cette formule : En démontrant que la notion de moralité qui lui sert de base, se soustrait à toute origine matérielle ou sensible qui pourrait lui être attribuée, il la rattache à Dieu même, comme à son principe, et en la faisant des- cendre d'une source à la fois si haute et si sainte, il lui imprime l'infaillible autorité qu'elle emprunte au principe. même de toute vérité et de toute justice. Entre toutes les positions auxquelles donne accès et qu'ennoblit la culture des Sciences et des Lettres , il n'en est point de plus digne d'estime et de respect que celles du professorat et du haut enseignement. L'Académie en a toujours jugé ainsi en appelant à elle, avec une prédilec- tion marquée , les membres de cette noble milice de l'in- telligence, chargée de former , d'instruire et de diriger les générations nouvelles ; et c’est parmi les hommes distin- gués dans l'enseignement et les fonctions universitaires, qu'elle a plus d’une fois rencontré ses lumières les plus brillantes et ses plus éloquents interprètes. A ce titre, M. Delzons, professeur de seconde au Lycée de Rouen , et que recommandait une réputation d'écrivain élé- gant, de savant voué à l'étude assidue des différentes phases de notre littérature, ne pouvait manquer de se voir accueilli avec empressement. CLASSE DES BELLES-LETTRES. 199 En venant prendre place au sein de l'Académie , M. Del- zons à cru devoir rapporter au corps illustre auquel il appartient, bien plus qu’à son propre mérite , le succès de son élection ; et, dans le but de consacrer un reconnais- sant hommage à cette puissante institution , il a pris pour sujet de son discours l'Université elle-même. Il s’est donc proposé de parler d'elle sans humilité, comme sans orgueil; en homme qui lui est attaché par le devoir et par la reconnaissance, mais qui n’a point à faire son apologie , et qui ne cherche qu'à opposer la vérité et le bon sens à l'aveuglement des préjugés et à l'animosité des partis. Exposer quelques-uns des traits principaux qui la distinguent, et marquer l'influence qu'elle a eue et qu'elle doit exercer encore, soit dans l'ordre moral, soit dans le domaine des Sciences et des Lettres, tel est le com- plément de ce programme. Nous regrettons qu'il nous soit impossible de donner une analyse , même succincte, de ce vaste et remarquable travail, dans lequel les considérations s'enchainent si étroitement que ce serait les mutiler que de chercher à les disjoindre. Nous nous contenterons d'indiquer que l’ora- teur passe successivement en revue la fondation de l'Uni- versité impériale , les principes qui animèrent ce grand corps à sa naissance, et qui, suivant le vœu de son puis- sant fondateur , avaient pour but de former les générations naissantes à l'esprit d'ordre, d'unité et de discipline, vers lequel celui-ci tournait si énergiquement toutes les forces du pays ; puis, les principes vers lesquels l'Université in- clina avec le temps et en suivant les transformations de l'esprit national; les services qu'elle a rendus, les célébrités qui l'ont illustrée ; sans même dissimuler les torts qu'elle put avoir et qui motivèrent les critiques et les inimitiés dont elle devint l'objet, mais dont l'orateur s'efforce de la faire absoudre, Eofin, il termine en exprimant l'espoir 200 ACADÉMIE DE ROUEN. qu'il a réussi à montrer que cette grande institution, loin d’avoir encouru le mépris et la haine, ne mérite au con— traire que l'estime et l'attachement de tous les hommes éclairés. Trop souvent un discours de réponse n'est qu’un calque réduit d'un original, commenté et suivi pas à pas. Heu- reux l'orateur qui peut, comme M. le Président , refaire le tableau avec des couleurs qui lui soient propres, et, tout en suivant la même voie, faire surgir des considéra- tions nouvelles d'un sujet en apparence épuisé. M. le Pré- sident à entrepris cette tâche difficile avec un rare succès, en prenant à son tour la défense de cette Université, tant et si injustement décriée, sans dissimuler toutefois les fautes qui lui sont personnelles, mais qui sont loin de ba- lancer les services réels qu'elle a rendus. Son vœu , qui sera partagé par tous les hommes sincère- ment dévoués à leur pays, est que l’antagonisme qui s’est élevé entre l'Université et d’autres corps enseignants serve uniquement à développer les ressources nombreuses que possèdent ces institutions rivales, faites pour s’estimer plutôt que pour se combattre , et que la lutte engagée ne devienne pas la ruine de ce riche domaine des Lettres que leur mission sainte est de fertiliser. | Le discours que M. de Duranville a prononcé , en venant prendre place au sein de l’Académie, forme une intro- duction naturelle à l'ensemble des travaux historiques que nous allons passer en revue. Il a pour objet de traiter : des histoires locales et de leur importance au point de vue de l'histoire générale des provinces et du pays. Nul, sans contredit, n'aurait su, en abordant cette question, l’entourer de développements ingénieux et féconds , comme pouvait le faire l’auteur de tant de notices sur les localités historiques de nos environs. Aussi , est-il CLASSE DES BELLES-LETTRES. 204 assez riche de faits pour pouvoir démontrer, par de piquants exemples , qu'il n'existe pas de hameau si ignoré, de si petit coin de terre, qui ne renferment un trésor sus ceptible d'être exploité par la science historique. C'est ainsi qu'il cite, pour notre département , les deux com- munes de Saint-Martin-le-Gaillard et de Grainville-la- Teinturière ; la première où naquit, et la seconde où mourut et où fut inhumé Jean de Béthencourt, l'auda- cieux aventurier qui se fit couronner roi des Îles Canaries ; et la commune d'Ouville-les-Trois-Rivières, où le vain- queur de Ruyter venait se reposer, dans une humble maisonnette , de ses longues navigations et de ses combats périlleux. De semblables recherches , ajoute-t-il, n'offrissent-elles d’attraits qu'aux habitants du lieu , elles seraient encore recommandables, puisqu'elles les attacheraient au sol natal, en leur rappelant tous les souvenirs de prospérité, de gloire , de patronage, d'industrie et d'art, qui ont pu d'âge en âge illustrer, pour l'un sa ville, et pour l’autre son hameau. Dans sa réponse, M. le Président constate qu'à toutes les époques , l'Académie s'est honorée de prêter son patro- nage et son appui aux recherches historiques locales. Per- sonne n'ignore que cette Compagnie a été assez heureuse pour compter, au nombre de ses membres actifs, des illustrations que la France entière a depuis longtemps consacrées, et que la Normandie revendique plus particu- lièrement comme les lumières de son histoire provinciale. Au resfe, nul plus que lui n'est persuadé qu'on doit accorder une juste préférence aux faits de notre propre pays sur ceux qui appartiennent à l'antiquité ou aux con- trées lointaines; que les particularités historiques, les moins importantes en apparence, ont un intérêt singulier lorsqu'elles se rapportent à des lieux ignorés qu'elles con- 202 ACADÉMIE DE ROUEN. tribuent à tirer de leur profonde obseurité ; qu'il n'est pas d’ailleurs de si petit événement qui ne puisse porter avec lui son enseignement ; de même qu'il n'est pas de docu- ment si insignifiant qui ne puisse entraîner la réhabilita- tion d’un nom oublié ou la cidamnation d'une réputation usurpée, Aussi s’unit-il au récipiendaire pour conseiller de fonder dans chaque mairie ou paroisse un répertoire de tous les faits notables , de tous les souvenirs locaux ; précieuses archives communales qui deviendraient un jour la plus solide base de toute bonne histoire provinciale. Au reste, M. de Duranville a lui-même prêché d'exem- ple, et prouvé, par plusieurs travaux qu'il nous à lus pendant le cours de cette année, qu'il comprenait mieux que personne tout le parti qu'un écrivain sagace et judi- cieux pouvait tirer de documents épars et ignorés, de souvenirs glanés çà et à, dans les livres , au voisinage des sites et des monuments. Ainsi, cinq pièces originales, du xvi' et du xvu° siècle, tombées par hasard en sa posses- sion, quoique présentant par elles-mêmes peu d'impor- tance, lui ont fourni l'occasion de grouper une foule d’intéressantes considérations sur les faits, les circonstances et les personnages auxquels elles se rapportent ; considé- rations qui témoignent d'un véritable savoir appliqué aux particularités de notre histoire. M. de Duranville n'a été ni moins fécond, ni moins heureusement servi par ses souvenirs, en prenant, pour sujet d'une esquisse de topographie historique et monu- mentale, la vallée qu’arrose la Varenne, petite rivière qui prend sa source au-dessus de Bellencombre, et va se jeter dans la rivière d'Arques , non loin du château de ce nom. Une semblable description, faite par un écrivain qui n'omet rien de ce qui peut intéresser, a, pour le lecteur, tout le charme d'une excursion réelle, entreprise à travers de beaux sites, où l'on voit se déployer à chaque pas de = + CLASSE DES BELLES-LETTRES. 203 nouvelles perspectives, semées de villages, de bourgades, de châteaux-forts démantelés , d'antiques abbayes tombant en ruines ; lieux riches en souvenirs, illustrés par des tra- ditions, des miracles, des hauts faits de bravoure, qu'un guide instruit vous raconte à mesure que le théâtre s’en déroule à vos yeux. C’est encore à ce genre de recherches, grâce auquel on réussit, à force de sagacité, et en s’aidant de quelques lambeaux de titres, à reproduire tout un coin du passé avec sa physionomie sérieuse ou grotesque, qu'appartient le mémoire que M. de Fréville, l'un de nos correspon- dants , est venu nous communiquer. Il s’agit d'une mas- carade bouffonne par laquelle, au milieu du xv° siècle, les habitants de Dieppe avaient la simplicité de croire ajouter à l'éclat des plus grandes solennités de l'église. Le sévère Raoul Roussel, archevèque de Rouen , qui, pendant une visite pastorale, avait récemment tenté de rétablir un peu d'ordre moral dans les esprits troublés par une longue anarchie , n'avait pas manqué d'interdire , sous des peines graves, cette espèce de profanation. Mais des étourdis, de jeunes poursuivants d'armes , qui jugeaient qu'une défense , qui datait déjà d’une année , pouvait bien passer pour être tombée en désuétude, se mirent, un jour de l'Assomption, à courir la ville, déguisés en diables, au grand applaudissement de tout le menu peuple et des marins du port. De À, poursuites ordonnées par l'autorité ecclésiastique, long emprisonnement préalable à l'égard de tous les acteurs de cette folle équipée , et enfin, à la requête du promoteur, sentence rendue par la cour spiri- tuelle de l’archevêché, laquelle, ayant égard à la pré- somption de bonne foi, renvoie paternellement les prévenus sans châtiment, mois non sans une sévère admonestation pour l'avenir. 20% ACADÉMIE DE ROUEN. Le Mémoire que M. de Xivrey, membre de l'Académie des Inscriptions et notre correspondant , est venu lire au sein de l’Académie , peut passer à juste titre pour l’une des plus piquantes dissertations philologiques qu'il soit donné d'entendre. La science profonde de l’auteur, loin de revêtir cette sécheresse de forme et cette aridité de détails qui constituent trop souvent le type caractéristique du genre, ne s'y montre , au contraire, que parée d’ac- eessoires qui la rendent attrayante : esquisses de mœurs vivement colorées , ingénieux parallèles, aperçus remplis de finesse ; le tout soutenu d'un style élégant et délicate- ment épigrammatique. Un certain mérite d'actualité ne peut d’ailleurs que redoubler l'intérêt. L'auteur se propose de rechercher de quelle manière les anciens ont exprimé l'idée de République, et ce n'est pas sans étonnement qu’on apprend de lui que ni les Grecs, ni les Romains, qui pour- tant avaient en quelque sorte inventé, puis si longuement pratiqué cette forme de gouvernement, n'avaient, dans leurs riches idiômes, aucun mot qui répondit de tout point à notre mot république. Chez les Grecs, le Amos, si bafoué par Aristophane, ne rappelait guère que l’idée d’une démocratie bruyante et agitée : et quant au 7oxTeiæ, Si fréquemment employé par Aristote, quant au Res publica des Romains, que Cicéron prit pour titre d’un de ses plus célèbres ouvrages, l’un et l’autre avaient une si large acception , qu'ils servaient à exprimer toute forme de gou- vernement, même celui de la monarchie la plus absolue. L'auteur ne recoanait guère qu'au mot populus la pro- priété de se rapprocher de notre mot République. Aussi s'étonne-t-il, en terminant, que, lorsque la forme répu- blicaine se substitua parmi nous à la royauté , le Gouver- nement provisoire, ayant à fixer le choix de la formule de la prière religieuse , ait hésité entre les mots populus et Respublica. Populus eût été, sans contredit, plus exact ; CLASSE DES BELLES-LETTRES. 205 pourtant on s'arrêta à celui de Respublica, sans doute afin que le mot fût bien reconnu de tous. Mais il en résulte aussi que ce mot est acceptable pour tous, sans distine— tion d'opinions, car il exprime d’une manière générale l'État, la société, la patrie. L'Archéologie proprement dite, c'est-à-dire l’investi- gation historique appliquée aux monuments figurés, aux œuvres matérielles du génie humain, soit de l'antiquité, soit du moyen-âge, occupe , à notre époque , une large place , surtout en province, dans les préoccupations des savants. Îl n'est guère aujourd'hui de grand centre qui n'ait sa société archéologique et son Recueil spécial. Si Rouen n'a pas jusqu'ici suivi cet exemple, c’est que l'Archéologie a toujours trouvé, dans l'Académie, un asile digne d'elle , et, parmi ses membres, un auditoire bien- veillant et des juges compétents. M. l'abbé Picard nous a lu, sur des peintures décora- üives retrouvées au plafond d'un ancien appartement, dans le logement qu'il habite, cour des Libraires, une intéres- sante notice dans laquelle il s'efforce tout à la fois de remonter à l'origine de ces peintures, et d'arriver à leur interprétation. Mais l'origine en est aujourd'hui aussi diffi- cile à saisir que le sens. Tout ce qu'on peut induire de leur examen, c'est que , appliquées sur des bâtiments qui faisaient partie d’un collége fondé au xnre siècle par l'ar- chevêque Pierre de Colmieu, et connu sous le nom de Collége de l'Albane , elles nous présentent les restes de quelque somptueuse décoration, introduite au xvi° siècle, dans l'une des salles de ce collége. Quant à la description et à l'interprétation de ces peintures, comme elles offrent un mélange bizarre, familier d'ailleurs aux artistes de cette époque , de figurations empruntées à la mythologie 206 ACADÉMIE DE ROUEN. et à l'histoire sainte, il est bien difficile de retrouver la véritable pensée de l'artiste. Tout ce que M. l'abbé Picard se hasarde à conjecturer, c’est qu'il s'agit du triomphe de la faiblesse sur la force, lorsqu'elle a pour soi l'ascendant de la vertu et le secours de Dieu. Une note de M. De la Quérière nous a également appris l'existence de peintures murales, existant autrefois au pourtour du chœur de la cathédrale, sur le mur décoré d’arcatures qui enceint les bas-côtés, les chapelles et l'abside. Malheureusement, un envieux badigeon à depuis un siècle enseveli ces peintures sous d’épaisses couches de craie. Mais, en grattant avec précaution . on fait facilement reparaître des fragments de cette décoration primitive ; et il ne serait pas moins utile aux intérêts de l'art qu'à ceux de l'archéologie de faire revivre, au moins en quelques parties , ce splendide spécimen de polychromie appliquée à la décoration de notre antique cathédrale. C'est encore à ce majestueux édifice, qui fait l'ornement et l'orgueil de notre cité, qu’un autre de nos confrères, M. l'abbé Langlois, est allé demander le sujet de nouvelles recherches ; tant il est vrai que tant de volumes successi- vement composés sur son histoire, tant de monographies publiées sur ses tombeaux, sur ses stalles, sur sa flèche incendiée , sur ses architectes, n’ont pas encore pu épuiser tout. ce qu'on peut recueillir de neuf, de rare et d’instruc- tif dans la contemplation de ce géant de l'architecture du x siècle. M. l'abbé Langlois a entrepris de faire l'histo- rique du jubé actuel de la cathédrale , et en outre de celui qui l’a précédé. L'absence de documents positifs ne permet guère de remonter au-delà ; toutefois il est certain qu'il en exista d’antérieurs à ces derniers ; car l'usage du jubé, CLASSE DES BELLES LETTRES. 207 désigné primitivement sous le nom d'Ambon , remonte aux époques les plus anciennes de l’église; et, avant l'emploi des chaires qui ne fut introduit qu'au x siècle, c'était du haut du jubé qu'on annonçait aux fidèles la parole évange- lique, qu'on fulminait les excommunications , qu'on pu- bliait l'élection des arehevêques ; c'était même exhaussés sur cette espèce d'arc triomphal qu'on intronisait les em- pereurs et les rois. Quoique l’ancien jubé de la cathédrale n'ait été démoli qu'en 1773 , et que quelques vieillards aient encore pu le voir debout, cependant, comme il n’en subsiste aucun dessin connu, ce n’est qu’à l'aide des mentions de détail fournies par les registres capitulaires , que l’auteur a pu parvenir à le restituer par la description , avec ses autels, ses statues , ses tableaux , ses tapisseries de haute lisse , ses jeux d’orgues , et surtout avec sa porte de fer , elôture révérée qui ne s’ouvrait qu’en de rares occasions , et seu- lement pour laisser passer les rois, les archevêques , le jour de leur entrée , les cours souveraines et les gouver- neurs de Normandie. Ajoutons que , à l’aide de ce même procédé d'analyse des documents originaux qui l’a si bien servi dans le cours de son œuvre, M. l'abbé Langlois est parvenu à établir que ces deux belles portes en fer ouvragé, qu'on admire à notre Musée d’antiquités, et qu'on savait vaguement provenir de la cathédrale, ne sont autres que les deux vantaux de cette inviolable porte de fer du jubé de la cathédrale, devant laquelle, au temps passé, s’ar- rêtait respectueusement la foule, sans jamais oser la franchir. Quant au jubé actuel , son histoire plus récente est beau- coup mieux connue. M. l'abbé Langlois a cependant su la semer d'une foule de piquantes particularités ; c'est ainsi , par exemple, qu'il nous apprend que le beau marbre cipo- lin antique qui revêt les autels , et couvre la balustrade de 208 ACADÉMIE DE ROUEN. l’attique, provient de colonnes enlevées, par l'ordre de Colbert, aux ruines de l’ancienne Leptis magna , ville voisine d'Alger, renversée au xvn® siècle par un trem- blement de terre. L'infatigable explorateur des monuments religieux de notre département et de tous les vestiges qu'ont laissés ensevelis sous notre sol les deux grandes invasions romaine et franque, M. l'abbé Cochet nous a communiqué une notice pleine d'intérêt sur l’église de Notre-Dame du Havre, monument peu recommandable comme architecture, mais qui cependant commence parmi nous la série des œuvres de cet art gréco-romain, qui régna pendant les 60 pre- mières années du xvir* siècle. Commencée en 1575, par un architecte, enfant du Havre, Duchemin, qui en continua la construction pen- dant 23 années, et eut l'avantage de la laisser, à sa mort, en grande partie élevée, elle dut paraître, à la ville nais- sante qui la voyait grandir avec elle, un temple aux pro- portions majestueuses et grandioses ; aujourd’hui, elle semble insuflisante et mesquine pour cette ville , à la pros- périté si rapide , dont le port est devenu le rendez-vous des nations. Enfin, et pour compléter tout ce qui se rapporte à l'ar- chéologie , nous rappellerons que M. Fallue nous a lu deux mémoires : le premier sur la destruction d'un catelier romain qui existait à Vatteville , sur le bord de la Seine, et dont l'arrasement a fait découvrir trois galeries en pierres sèches, des ossements , des fragments de verre , et quelques médailles romaines ; le second, ayant pour titre : Observations sur les sépultures antiques, dites Mérovingiennes, trouvées dans la vallée de l'Eaulne , et dont le but est de contester l'attribution que M. l'abbé ———___…_û_ LR CLASSE DES BELLES-LETTRES. 209 Cochet a faite de ces sépultures dans diverses notices , à l'époque où les Franes envahirent la Gaule et substituèrent leur domination à celle des Romains. Ce dernier Mémoire, tout de discussion, et dans lequel l'auteur passe en revue les différents modes d'inhumation chez les Romains et les Gallo-Romains , les lieux particulièrement affectés au dé- pôt des corps ensevelis ou incinérés , l'excipient ordinaire de ces corps, suivant le mode adopté, puis enfin tous les objets, armes offensives , agrafes, ornements de parure , médailles, vases en terre et en verre trouvés dans les sépultures indiquées , pour établir que tous ces objets sont gallo-romains ; ce Mémoire, disons-nous, n’est guère susceptible d'analyse ; c'est un contredit motivé qui appelle une réplique sérieuse ; et, en attendant que cette réponse se soit produite, nous devons nous abstenir de juger : adhuc sub judice lis est. La poésie, nous l'avons fait pressentir, occupe désor- mais peu de place dans l’ensemble des travaux acadé- miques. Toutefois, comme aux luttes poétiques instituées par Clémence Isaure, la poésie a encore quelques zélés mainteneurs parmi nous. M. Deschamps, dans un petit poème, produit d'une haute et généreuse inspiration, et qu'il intitule : La Loi du Progrès , M. Leroy, dans une touchante élégie, expression d’une douleur maternelle profondément sentie, nous ont momentanément ramenés au culte des nobles pensées re- vêtues de cette forme mesurée qui, dans tous les temps, a passé pour la plus sublime expression de toute parole humaine. Mais ces poèmes font partie des lectures de cette séance, et, quel que soit mon désir de louer, je ne dois point oublier que ce n'est point à moi à donner le signal des applaudissements. 11 210 ACADÉMIE DE ROUEN. Ici se termine le compte--rendu des travaux originaux , lus dans le sein de l’Académie , pendant le cours de cette année; ce contingent , aussi riche que varié, ne constitue pourtant que la plus faible partie des lectures consacrées aux Lettres et aux Arts qui ont occupé nos séances. La brièveté du temps qui m'est concédé m'oblige, en effet, de passer sous silence cette longue suite de rapports sur les ouvrages soumis à l'appréciation de l'Académie , rap- ports dans lesquels tant de talent d'analyse, tant de eri- tique spirituelle et de bon goût, tant d'expérience dans l'art difiicile de résumer les vues et les idées d’un auteur , sont journellement dépensés. Qu'il nous soit donc permis, à défaut d’une plus longue mention qui leur serait bien due, de payer un tribut de gratitude à nos infatigables et con- sciencieux rapporteurs ordinaires : MM. Lévesque, Ber- gasse, abbé Picard , de Duranville, Leroy, de Glanville , Rondeaux et abbé Langlois. Leurs travaux , pour demeu- rer sans publicité dans le dépôt de nos archives , n'en mé- ritent que mieux peut-être notre juste reconnaissance , puisqu'ils témoignent si généreusement de la modeste ab- négation de leurs auteurs. Rappeler , chaque année, dans cette circonstance solen- nelle , les distinctions obtenues par des membres de l’Aca- démie, pendant l'intervalle qui s’est écoulé depuis la dernière séance publique, c’est, pour le secrétaire, accomplir un bien doux devoir, celui d'appeler, sur de modestes confrères , l'estime de leurs concitoyens, juste récompense de leurs travaux. Nous rappellerons donc que l'Académie des Inscriptions, dans son dernier concours sur les antiquités de la France , a mentionné très honora- blement deux membres de l'Académie de Rouen, en re- grettant que le nombre trop limité des médailles qu'elle décerne ne lui permit pas de leur accorder une plus haute CLASSE DES BELLES-LETTRES. 211 récompense. Ce sont MM. Barabé, pour ses Recherches historiques sur le tabellionage , et M. Fallue, pour plu- sieurs Mémoires archéologiques Pourquoi faut-il qu'une triste fatalité nous condamne trop souvent à terminer ce rapport, expression d’une légitime satisfaction pour tant d’estimables travaux accom- plis, par des paroles de tristesse et de regrets? C'est qu'il ne se passe guère d'année que la mort ne lève parmi nous son rigoureux tribut. Aujourd’hui, nous avons à déplorer la perte de l'un des plus anciens membres de cette Aca- démie , de l'un de nos vénérables doyens qui, pendant près de quarante ans, nous consacra sa féconde activité, son zèle et son dévouement. Je veux parler de M. Duputel, littérateur d’un goût exercé, bibliophile érudit et passionné, collecteur infatiguable de pièces rares et curieuses, décédé il y a peu de mois, à sa campagne de Saint-Ouen-de- Thouberville, près Bourg-Achard. L'intérêt qu'il portait à notre compagnie ne l'abandonna jamais, pas même au milieu des infirmités d’une vieil- lesse avancée , et il s'est encore manifesté à ses derniers instants par un legs généreux que l’Académie a dû recueil lir avec reconnaissance. Ici se termine, Messieurs, ce rapport que la haute va- leur des travaux analysés n'eût pu manqué de doter d'un intérêt puissant et soutenu, si la tâche aussi difiicile qu'ho- norable de le présenter dignement n'eût été infiniment au-dessus des forces de votre rapporteur. DISCOURS DE RÉCEPTION DE M. DELZONS. ( Séance du 10 Janvier 1851. ) MESSIEURS , L'honneur que vous m'avez fait en me recevant dans votre Compagnie m'a vivement touché : mais si je suis fier de l'unanimité de vos suffrages, c'est moins pour moi-même que pour le corps auquel j'appartiens. Étran- ger à cette ville, à peine connu de vous, et dépourvu de titres littéraires , j'ai senti que vous m’aviez élu surtout en considération des laborieuses fonctions de l’enseigne- ment et des austères devoirs que l'Université impose à ses membres. Des voix amies et chaleureuses ont parlé au milieu de vous, je le sais , pour me recommander à votre faveur ; mais je reconnais que rien ne m'a plus servi pour l'obtenir que ce titre de Professeur , si respectable, j'ose le dire, aux yeux des hommes éclairés, et qui, dans les plus humbles chaires comme dans les plus élevées, donne à celui qui sait le porter une certaine dignité aussi pré- cieuse que le rang et la fortune. Souffrez donc, Messieurs , que, pour la première fois où je suis admis à prendre la parole devant vous , je choï- Re ln ie “PU er re à = CLASSE DES BELLES-LETTRES. 213 sisse pour sujet de mon discours l'Université même, et que je vous parle d'elle sans humilité comme sans orgueil, en homme qui lui est attaché par le devoir et par la re- connaissance , mais qui n’a point à faire ni son apologie ni son éloge , et qui ne cherche qu'à opposer sur ce point la vérité et le bon sens à l'aveuglement des préjugés et à l'animosité des partis. En faisant cela , je serai naturelle- ment amené à vous présenter quelques-uns des traits principaux qui la distinguent, et à marquer l'influence qu'elle a eue et qu'elle doit exercer encore, soit dans l'ordre moral, soit dans le domaine des Sciences et des Lettres. Le caractère de l'Université dès sa formation a été, Messieurs, de se montrer profondément empreinte de l'esprit qui a triomphé avec la puissante révolution de 1789, et en même temps de conserver quelque chose des traditions de cette antique Université de Paris, si vénérée et si illustre , dont Saint Louis a été le véritable père, et Rollin le maitre le plus admirable. C'est cette union qu'avait cherchée l'immortel fondateur de l'Univer- sité nouvelle , lorsque, tout en lui donnant sa constitution si libérale et si conforme aux besoins du xix* siècle , il la plaçait sous le patronage symbolique de Charlemagne , et maintenait dans les règlements qui enchaînent ses mem bres un bon nombre de prescriptions plus dignes des temps passés que compatibles avec les mœurs nouvelles. Pour lui elle était une institution chargée de former les géné- rations naissantes à l'esprit d'ordre , d'unité et de disci- pline vers lequel il tournait si énergiquement les forces indomptables de la Révolution. Après lui, en conservant les principes et les lois qu'il lui avait donnés , l'Université a incliné sensiblement , avee tous les esprits, avec les gou- vernements eux-mêmes , vers ces idées de progrès et de liberté qui seront ou l'écueil ou le port (Dieu seul le sait !) 214 ACADÉMIE DE ROUEN. de notre nation et de notre siècle. Elle a marché dans cette voie, comme tout ce qui l’entourait : que ce soit son crime aux yeux des uns, son honneur aux yeux des autres , il n'importe ; ce qui est vrai, c’est que si elle sui- vait en cela son caractère et sa nature , elle y était d’ailleurs tantôt engagée par les pouvoirs publics, tantôt entraînée par le courant de l'opinion, et qu’elle semblait gagner dans ce mouvement plus de force et d'autorité. C’est à cette obligation, périlleuse pour elle, de suivre l'impulsion générale qu’elle a dû , dans les vingt dernières années, de voir son nom grandir et son influence s'accroître. C’est ainsi qu'elle est sortie peu à peu de cette première et heu- reuse obscurité, au sein de laquelle elle avait vécu d’abord, et avait rendu peut-être le plus de services. A la fin elle s'est trouvée mêlée à trop de grandes affaires et de ques- tions difliciles ; la politique et toutes ses passions , en s’agi- tant autour d'elle, l'ont souvent atteinte et compromise elle-même, sinon d’une manière grave , assez du moins pour faire croire, dans ces derniers temps, à beaucoup d’esprits égarés par la prévention ou la terreur que le moment était venu de la frapper , et de la punir des maux que d’autres avaient faits. Est-ce à dire, Messieurs, que l'Université n’eût mérité aucun reproche , et que ce retour qui s’est fait contre elle dans un grand nombre d’esprits n'ait eu pour cause qu’un caprice de l'opinion? Non, sans doute ; mais les fautes d'un corps sont toujours exagérées par la passion de ses adversaires , tandis que ses services sont appréciés froide ment du pays qui en profite. Soyons vrais : quand on accusait l'Université d'enseigner ou lincrédulité ou le panthéisme, de n'avoir nul souci de l'éducation morale des jeunes gens, et d’exciter en eux l'ambition, l'orgueil et toutes les passions mauvaises qui arment l'individu contre la société, ces accusatians à la fois si violentes et si À CLASSE DES BELLES-LETTRES. 215 vagues n'étaient que de la déclamation et de la calomnie : le temps et le bon sens public en ont fait ou en feront justice. Mais si naguère on eût dit à la jeune Université qu'elle s'écartait souvent de la simplicité et de la gravité modeste de ses fonctions , et devenait présomptueuse et frivole ; qu'elle sacritiait un peu trop à l'envie de briller et de paraître, oubliant le collége et ses obscurs la- beurs pour les plaisirs du monde et les succès académi- ques ; enfin qu'elle négligeait l'ancienne discipline et dédaignait l'esprit et les traditions de ses devanciers, je n'ose pas aflirmer que ces avertissements fussent venus mal à propos. Toutefois prenez garde, Messieurs, que dans le même temps il eût été permis peut-être d'en adresser de semblables à d’autres corps plus haut placés, et en général à toute la société française, qu'on n'aurait pas pour cela sauvée des malheurs qui l’attendaient. Quant à l'Université, il n’est pas douteux qu'à trente ans d'intervalle, de l'Empire aux années qui viennent de s'écouler, ses habitudes et son esprit avaient beaucoup changé. Mais combien les temps et les hommes étaient-ils différents eux-mêmes ! Quoi de commun entre la France de 1810 et celle de 1840 ? Partant qu'y a-t-il de surpre- pant que l'Université actuelle ne représentât que de loin l'Université impériale , si humble, si paisible , si appliquée à son œuvre? Est-il besoin de le dire ? depuis vingt ans, tout a contribué à nous faire sortir de notre condition pre- mière : un régime politique de plus en plus favorable à l'égalité ; une paix profonde , brillante de l'éclat des arts et fécondée par tous les travaux de l'esprit ; le dévelop- pement considérable donné à toutes les branches de l'ins- truction publique , et enfin l'ardeur de la concurrence en- gagée contre l'État dans cette partie longtemps réservée de son domaine. [l n'en fallait pas tant pour exciter des esprits que la pratique de l'étude et de la parole rend na- 216 ACADÉMIE DE ROUEN. turellement vifs et sensibles , des hommes dont la profes- sion honorable a été souvent présentée comme une mission et comme un sacerdoce des lumières et du progrès. Ajou- tez, Messieurs, que, dans cette période de quinze ou vingt ans, que j'appellerai volontiers les beaux jours de l'Uni- versité , à la faveur publique se joignait pour elle une pro- tection royale , inspirée plus encore par la sympathie que par la politique, puisque , vers la fin, une politique diffé- rente n’en avait rien diminué. De quel élan et de quel juste orgueil ne devaient pas se sentir animés les plus simples maîtres , quand un Prince du caractère le plus élevé et de l'esprit le plus libéral s’honorait publiquement d'avoir autrefois donné des leçons dans une école ; qu'il envoyait ses fils s'asseoir sur les bancs de nos colléges, et qu’une Reine, l'exemple des mères, se plaisait à paraître sans faste, mais, comme disait un éloquent ministre , avec une dignité si touchante et si pure, aux solennités univer- sitaires ! Dans ce temps, Messieurs ( pardonnez ces doux et tristes retours vers le passé), nous voyions siéger dans les conseils de ce roi éclairé et ami de tous les talents les hommes que l’enseignement avait illustrés ; leur faveur était au plus haut point; la tribune et la presse comptaient des professeurs parmi leurs orateurs et leurs écrivains les plus admirés ; l'Institut se recrutait souvent parmi les an- ciens élèves ou les maîtres de l'École Normale ; cette école elle-même quittait sa maison en ruines pour une magni- fique demeure d'où il semblait qu’elle allait prendre un essor nouveau : en un mot, l'Université ne voyait pas de limites à ses espérances et à sa gloire dans l'avenir. En cet état pouvait-elle facilement en mettre à ses prétentions ? et quand les voix les plus éloquentes la glorifiaient du haut de la tribune , était-il possible que ses membres en de- vinssent plus modestes, et voulussent se dérober dans le silence et dans des études solitaires à l'éclat qui se répan- CLASSE DES BELLES-LETTRES. 217 dait sur eux? Oui , de fâcheuses atteintes ont été portées alors aux traditions saines, à la discipline sévère, aux mœurs simples qui avaient distingué l'Université dès son origine : mais était-il juste de l’accuser si durement ou de l'accuser seule, et de faire retomber sur tous ses servi- teurs la répression due à quelques fautes passagères et in- dividuelles ? Ne devait-on pas aussi imputer une part du mal à l'imprudence de quelques hommes d'État, qui , dans leur ardeur de bien faire ou de faire du nouveau , ont les premiers, même en des temps pacifiques, porté le trouble dans l'économie des rapports que la main puissante de l'Empereur avait établis avec une si exacte mesure entre toutes les parties de cette belle institution? Ah! plutôt il fallait n’accuser personne, mais déplorer et arrêter, s'il se pouvait, cet entraînement malheureux de notre époque vers les changements et les réformes téméraires, en même temps que ce relâchement général des mœurs et cet amol- lissement des esprits , qui nous rendent à la fois si impa- tients du mal, si incapables du bien, et si prompts à tout perdre par caprice et par légèreté ! Au reste, Messieurs, les critiques et les inimitiés dont l'Université est devenue l'objet, loin d'être pour elle une cause de souffrance et de ruine , devront plutôt , si elle sait en tirer parti et en comprendre l'utilité, lui être salutaires et la fortifier même , en la déterminant à faire encore plus pour mériter la confiance du pays. Ses rivaux sont habiles et nombreux : elle ne doit ni les craindre ni les dédaigner. Qu'elle leur oppose le silence et l’action : jamais la polé- mique la plus triomphante ne fera tant pour elle qu'une conduite exemplaire , un travail persévérant , et une atten- tion vigilante sur ses actes et sur ses doctrines. Par ces moyens , et avec l’aide de Dieu et du temps , l'Université vaincra sans doute les obstacles et les passions qui s'élèvent aujourd'hui contre elle : peut-être même forcera-t-elle à 218 ACADÉMIE DE ROUEN. l'estime et au respect les hommes et les partis qui lui sont le plus opposés , ceux du moins qui lui font la guerre loya- lement et au grand jour. Dans ce nombre , et au premier rang , se présente ce corps puissant par sa discipline autant que vénérable par son ministère, qui toujours à souhaité de joindre à la di- rection des âmes celle de l'enseignement de la jeunesse , et qui semble ne s'être jamais vu plus près qu’en ce mo- ment d'atteindre à ce but de sa constante ambition. Certes, sans exagérer , l'on peut dire que c'est un grand et cu- rieux spectacle pour notre temps que cette lutte qui se prépare entre deux armées , inégales en force , mais éga- lement ardentes, disons mieux , entre deux esprits diffé rents, qui représentent, l’un la tradition, l'autorité et la foi, l’antre le libre examen, la philosophie et le progrès de la raison humaine. Assurément ces deux puissances , chacune au nom de leur principe, ont pareïllement un droit naturel de prétendre au gouvernement des jeunes intelligences : que ne peuvent-elles partager amicalement cet empire! Mais, hélas ! la Foi et la Raison, l'Église et la Philosophie, ces guides et ces flambeaux du monde , ne sont pas uniquement des abstractions sublimes placées au-dessus des misères humaines et les courbant sous leur joug : elles ont au contraire les hommes pour instruments, et quoiqu'elles procèdent de Dieu, elles ne règnent point ici-bas sans le concours des préjugés et des faiblesses incurables de notre nature. Les passions de l'homme se rangent et s’abritent sous leurs bannières ; et ainsi ces deux grands partis, qui sentent également leur foree et leur autorité, loin de s'embrasser et de s'unir, ou au moins de s'observer en paix sans chercher à se faire tort, sont entraînés invinciblement à une lutte incessante , où chacun s'efforce de tirer à soi ce que l'autre travaille à retenir. Que parlez-vous de conciliation entre ces prin- CLASSE DES BELLES-LETTRES. 219 cipes si divers, subtils politiques, qui prétendez mêler dans vos étroites combinaisons des éléments que Dieu a faits séparés, et plus propres à se balancer qu'à se con- fondre? Que ne leur laissez-vous plutôt leur indépendance féconde et leur rivalité généreuse, qui n'ont jamais tourné qu'au bien de la civilisation et de l'humanité? Vous n'oseriez pas porter une main téméraire sur l'Église , qui est au-dessus de vos atteintes ; respectez donc aussi dans l'Université l’œuvre du temps et d'un grand homme ! Elle se corrigera mieux de ses erreurs (si elle en a commis) dans le feu de cette concurrence désormais inévitable , et qu'elle n'a jamais repoussée , sur le terrain de l'égalité et du droit commun , que par ces réformes équivoques et arbitraires, qui des diverses régions de la politique vien- nent la diviser , l’affaiblir et la décourager. Vous devez, Messieurs, pardonner la liberté de ce langage : car, vous le voyez, je rends l'honneur qui leur est dù à ceux que j'ose appeler les adversaires naturels de l'Université. De tels rivaux méritent qu'on les combatte avec courtoisie et respect, et je reconnais avec la loi nou- velle la légitimité de leurs prétentions. Qu'ils opposent donc une nouvelle École Normale à la nôtre, et des colléges aux lycées de l'Etat : c'est leur droit, et le tort qu'ils pourront faire à notre prétendu monopole ne sera pas un grand mal, s'ils réussissent mieux que nous à ré- pandre les lumières et à détruire l'ignorance. Que dis-je ? ce sera un motif pour tous les honnêtes gens de vénérer encore davantage tant de vertueux prêtres, tant de sages et doux pasteurs , qui autour de nous soutiennent la gloire immortelle de l'Église de France. Mais l'Université n'a pas seulement devant elle des concurrents : elle compte aussi un certain nombre d'en- nemis déclarés ; et parmi eux , après le sineère hommage que je viens de rendre au clergé catholique, je ne crains 290 ACADÉMIE DE ROUEN. pas de signaler tout d'abord cette école hautaine et pas- sionnée d'hommes pieux , mais intraitables , qui, à la tri- bune et dans la presse, se constituent les champions de la foi, de l'art et des doctrines du moyen-âge contre les efforts et les tendances de l'esprit moderne , et qui, d’une parole mordante et d’une plume acérée, ne cessent d'in vectiver contre l’enseignement de l’État, et de poursuivre ce corps auquel le gouvernement de notre pays confie le soin de donner l'instruction que les familles lui demandent pour leurs enfants. À ces détracteurs fougueux de l'Uni- versité s'associent, non par communauté de principes et de vues , mais par un semblable entraînement d’amour- propre et d'orgueil , bon nombre de savants enfoncés dans les sciences exactes et qui s’y creusent leur tombeau ; ou encore, les derniers débris de ce qu’on appelait il y a cinquante ans les idéologues , et les sectateurs plus novices de la philosophie dite positive , dont les rameaux infinis nous mènent de proche en proche jusqu'aux sectes di- verses et confuses du socialisme , où se trouvent peut être les ennemis les plus insolents de l'Université. Ceux-là en effet, du haut de leurs systèmes transcendants sur la régénération de l'espèce humaine et la reconstruction des sociétés décrépites , abaissent sur elle un regard non pas de dédain, car ils seraient charmés de la conquérir et d'en faire leur instrument, mais de colère et de pitié, pour la folie qu'elle fait de ne pas immoler ses vieilles admirations au génie méconnu mais sublime des nouveaux apôtres. J'ai mis ensemble ces divers ennemis de l'Université ; car, dans leurs camps différents, les uns et les autres l'attaquent avec une égale amertume. Ceux-ci vont publiant partout qu'elle ne fait point des jeunes gens religieux ; ceux-là l'accusent de ne préparer que des beaux-esprits , et non des hommes de science ; les autres enfin s’indignent ne CLASSE DES BELLES-LETTRES. 221 qu'elle ne sache pas former de vrais patriotes. Tous lui demandent plus qu'il n’est raisonnable, et n’écoutent eux-mêmes que la voix de leur passion ; tous se plaignent d'elle en fanatiques ou en utopistes , qui, méconnaissant l'humanité et se créant un monde au gré de leurs chimères, voudraient constituer la société , les uns comme un grand cloître , les autres comme une académie, et les derniers enfin la transformer , non point en une république idéale et vertueuse comme celle de Platon ou de Fénelon , mais en je ne sais quel État fantastique et désordonné , tantôt sous le titre bizarre de Phalanstère , tantôt avec le nom odieux d'anarchie. La réponse est simple à toutes ces prétentions. L'Uni- versité, Messieurs , soit qu'elle possède le monopole de l'enseignement , soit qu’elle en partage le privilége avec d’autres corps, peut se croire de fait l'institutrice de la société. Ses traditions, ses méthodes , ses programmes , ses livres mêmes sont pour la plupart adoptés et suivis par ses rivaux ; elle adresse ses leçons aux jeunes gens de tous les âges et de toutes les conditions : elle les conduit à l'entrée de tous les rangs et de toutes les carrières de la vie. En outre , elle reçoit les intelligences à leur début, quand elles sont à peine éveillées, et elle les rend au monde à un âge où la plupart ignorent encore leur voie naturelle, leur direction future , leur aptitude véritable , ou, comme on dit vulgairement , leur vocation. Il ne lui est pas permis de plier sa discipline et son enseignement aux dispositions individuelles des jeunes esprits, parce qu'elles ne sont encore que vagues et trompeuses : fussent- elles manifestes et positives , il ne lui serait pas moins impossible de donner à chacun une mesure particulière et spéciale dans ce partage commun de l'instruction et des lumières dont elle est chargée. Il faut donc qu'elle pro- cède avec des vues toutes générales et un esprit d'unité 299 ACADÉMIE DE ROUEN. qui embrasse tout à la fois les temps, les lieux, les con- ditions ; en sorte que cette culture première de l'intelli- gence, par laquelle elle exerce les jeunes gens, soit la même pour tous, sans autre distinction que celle du talent, du travail, ou de la conduite. Sa première loi est de donner à tous, petits ou grands , faibles ou forts , une direction pareille, et d'initier également leurs âmes à la nécessité commune du travail et de la règle dans les posi- tions infiniment variées de la vie sociale. Ainsi, d’une part, l’enseignement de l'Université doit être ménagé prudemment , et tempéré dans une juste mesure; car pour deux ou trois qui à cet âge s'abreuvent avec ardeur et à longs traits au vase de la science, il ÿ en a mille qui n’y boivent qu'avec répugnance et difficilement : d'autre part, sa discipline doit être simple et égale, sans rudesse et sans rigueur , pour que son joug soit facile à porter aussi bien aux natures délicates et débiles qu'aux tempéraments et aux caractères les plus énergiques. En un mot, Messieurs, l'Université ne choisit pas ses élèves , elle ne les divise pas non plus en catégories ; elle ne condamne pas à une hié- rarchie arbitraire et tyrannique des intelligences encore mal débrouillées , et dont les plus ingrates en apparence sont quelquefois les plus fécondes pour l'avenir ; elle ne peut que recueillir chaque année une moisson d'esprit , qu'elle essaie de faire fructifier ensemble , en se faisant toute à tous , sans exalter le bon, sans violenter le faible, les menant tous réunis avec patience et lenteur , comme le bon berger fait marcher et paître à la fois son troupeau côte à côte , et n'emploie ses gardiens vigilants et fidèles qu'à ramener auprès des autres tantôt l'animal qui s'égare, tantôt celui qui s’attarde et s’oublie. Dans ce rôle modeste, mais utile, l'Université n’a point à chercher des résultats extraordinaires, ni à accomplir des prodiges : il suflit qu'elle réussisse à faire naître chez les jeunes gens qu'elle Te CLASSE DES BELLES-LETTRES. 293 instruit le goût du travail et l'habitude de bien faire, qui les rendent propres à remplir dignement dans la suite les fonctions les plus diverses. Ses devoirs à cet égard sont assez difficiles : ne lui en imposez pas de plus grands , si vous ne prétendez pas l'impossible. Ainsi ne demandez pas à l'instituteur, au professeur, qu'il enseigne à l'enfant la religion et la piété : ce soin est celui du prêtre, du pasteur. N'exigez pas qu'il fasse des leçons de morale : car la morale démontrée est ingrate et stérile ; elle s’'apprend mieux, d’abord à l'ombre du foyer domestique, aux bons exemples d'un père honnète homme et d’une mère vertueuse , puis au contact du monde et à l'école de la vie. Le professeur de philosophie même n'a besoin que d'en exposer les fondements et d'en rappeler les principales obligations : la science du bien est simple, autant que la pratique en est laborieuse. Sans doute , c’est un devoir pour le maître d'offrir à l'élève l'exemple d’une vie régulière et d’un caractère honorable; de ne parler jamais qu'avec émotion et respect de tout ce qui est beau et sacré; de recommander les exemples de vertu et d’hon- neur que présente l'histoire, ou les hautes et divines pensées dont les ouvrages des grands écrivains abondent , et de faire goûter aux jeunes âmes, dans les Entretiens de Socrate, dans les Oraisons funèbres de Bossuet, dans Polyeucte, dans les Offices de Cicéron , autant la pureté de de la doctrine et la religieuse élévation des sentiments que la grâce des expressions et la sublimité du style. La bonne culture de l'esprit ne va pas sans celle ducœæur, et les talents ne deviennent féconds qu'avec l'amour de Dieu et de la vérité, Mais vouloir que celui qui enseigne la grammaire , ou la rhétorique, ou l'histoire, ou la logique, ou les sciences naturelles ; soit en même temps un moraliste et plus encore un théologien , un prédicateur , un apôtre, c'est confondre témérairement le sacré avec le profane , 294 ACADÉMIE DE ROUEN. et compromettre les études sans profit pour la religion. C'est vouloir aussi substituer dans l’enseignement même la Bible à Homère, Saint Paul à Platon, Prudence à Virgile , et Saint Augustin à Cicéron, ce qui n’a jamais été sérieusement tenté, même aux siècles les plus religieux. Enfin, et cela est plus grave, Messieurs , c'est courir le danger d'allumer dans des esprits encore tendres l'ardeur d'une foi sans bornes et l'exaltation de la piété, comme dans ces prétendus modèles qu’on a quelquefois offerts à la jeunesse , sous le titre d'Ecolier vertueux ou de Parfait Ecolier, et qui ne furent jamais ou que des types romanes- ques, ou, dans la réalité, que de malheureuses et précoces victimes d’une dévotion puérile et d’un ascétisme insensé, Serait-il plus judicieux de faire ce que demandent les partisans aveugles et exclusifs des sciences exactes, es- prits enivrés des progrès admirables qu’elles ont faits de- puis un siècle, et qu pensent que la société nouvelle ne saurait trop se passionner pour la géométrie , la mécani- que ou le calcul des probabilités ? Selon eux, les Lettres anciennes ont fait leur temps, la philosophie spiritualiste n'est que chimères, la poésie ne fait pas vivre l'homme , et l’histoire est le pays des mensonges. Qu'elles fassent donc place dans l’enseignement, disent-ils , à ees sciences aussi positives que sublimes , également claires et pro- fondes, et qui viennent en aide à l’homme dans les né- _cessités de la vie et la pratique des arts utiles , en même temps qu'elles sont un vaste champ aux plus hautes spécu- lations de l'esprit. Il est vrai, tel est le caractère et telle est la beauté de ces sciences ; mais ni elles ne suflisent à la jeunesse, ni elles n'offrent un exercice et un aliment con- vénable aux précieuses facultés qui à cet âge prédominent sur les autres, je veux dire l'imagination , la mémoire et la sensibilité. La science pure, le raisonnement , l'analyse, sont des instruments dangereux pour des intelligences qui CLASSE DES BELLES-LETTRES. 295 n'ont pas acquis toutes leurs forces; autant elles élèvent et agrandissent l'esprit de l’homme mûr, autant elles des- sèchent et faussent celui de l'adolescent, si rien ne les accompagne et ne tempère la sévérité de leur méthode et la rigueur de leurs déductions. Dieu nous préserve de laisser flétrir la fleur charmante de la jeunesse dans ces études arides et dévorantes ! Que l'exemple douloureux de Pascal soit à jamais une leçon. Quel homme sage vou- drait, au prix même d’un si beau génie, voir son fils se consumer jeune dans de pareils travaux, et être à seize ans un prodige dans les sciences pour mourir avant l’âge , épuisé par les souffrances du corps et les tourments de la pensée ? Mais, Messieurs, que dire de ceux qui voudraient donner à l'éducation de la jeunesse un caractère politique, sous prétexte de placer l'enseignement à la hauteur des institutions et de la gloire du pays? C'est là un système d'autant plus périlleux qu'il aurait plus d’attrait pour les jeunes gens. Rien de si facile, en eflet, que d’exalter leurs âmes avec les mots de patrie et de liberté, ou que d'é- chauffer leurs cœurs au spectacle de nos révolutions, de nos grandeurs militaires, et de l’action souveraine de la France dans les destinées du monde. Malheur à ceux que ces images et ces sentiments entretenus sans cesse n'en- gageraient pas à faire à leur tour de grandes choses, et n'animeraient point d’un amour passionné de leur pays ! Cet âge ne demande et ne cherche rien tant que ces im pressions vives et ces mouvements impétueux; le calme du travail et la patience des efforts sont bien moins de son goût. Mais, je le demande, que deviendrait la raison humaine dans ce développement excessif de l'amour-propre na- tional et du sentiment de la liberté? À quelle fin s'emploie- rait plus tard cette passion de la patrie qu'une éducation 15 296 ACADÉMIE DE ROUEN. toute républicaine aurait excitée sans mesure ? Il faudrait toujours des commotions et des guerres nouvelles pour donner à ces générations ardentes un champ à exercer ou leurs vertus civiques , ou leur courage guerrier, ou leur éloquence enthousiaste. La paix du monde et la tranquillité du pays leur seraient un joug insupportable, et Dieu sait de quelles tempêtes cette fermentation des esprits serait perpétuellement l'annonce ! Le patriotisme est une passion qui s’éveille à la vue des malheurs du pays et des périls de la société, où une flamme qui s'allume au foyer des grandes révolutions que Dieu laisse éclater à des époques inévi- tables; mais en des temps calmes et prospères ce n’est le plus souvent qu'une ardeur mal réglée, une fièvre qui égare des esprits malades d’ambition ou d’orgueil , et leur met aux mains le fusil ou le poignard contre les chefs de l'État et les citoyens. On n’a pas à craindre que l'Université accepte jamais des systèmes si chimériques ou si dangereux ; et il ne faut pas croire non plus qu'elle ait des moyens d'action assez puissants pour pousser à son gré la jeunesse dans aucune voie inconnue et hasardeuse. Elle a bien assez à faire de suivre le temps présent, sans le devancer, et au collége même elle ne règne pas en maîtresse absolue. La liberté a fait irruption là comme partout. Prétendre au- jourd’hui séquestrer la jeunesse et dérober à sa vue ce qui se passe au-dehors, ce serait folie : autant vaudrait l'en trainer au désert. Nous ne sommes plus au temps où les enfants pouvaient s'instruire à l'ombre des cloitres ou dans le silence des champs : c'est au sein des villes , au milieu de leur bruit et de leurs agitations, que les écoliers travaillent et se préparent à la vie. Ce régime a ses périls : qui en doute ? Mais il a peut-être aussi ses avantages , et, sans vouloir traiter ici cette grave question , il est permis millsdctus. HSE: CLASSE DES BELLES-LETTRES. 297 de croire que c'est celui qui convient le mieux à notre temps , à nos idées , à nos mœurs, à nos habitudes de fa- mille et de société. Quoi qu'il en soit, cette condition existe, et personne ne songe à la changer : ce que l'Université peut faire de mieux est de l'accepter ainsi, et d'essayer d'en tourner à bien les inconvénients mêmes. Et de quelle manière , Messieurs? En faisant de cette liberté et de cette publicité des études d'abord un moyen d’émulation entre les jeunes gens, puis, pour elle-même, un principe de progrès en même temps qu'une arme contre ses ennemis et une garantie envers la société. Que dis-je? dans cette loi même ee trouve la règle et la mesure de ses devoirs : respecter et honorer la religion, en laissant aux ministres du culte le soin de la faire comprendre et aimer ; donner plus à la morale, mais la prècher surtout par l'exemple , ou linsinuer doucement par des conseils simples , bien placés, et en faisant à propos sortir de l’enseignement même mille réflexions salutaires pour le perfectionnement des mœurs , des habitudes et des sentiments ; à l'égard de la discipline, prendre pour modèle l'État lui-même , c’est- à-dire , garder un juste milieu entre la rigueur qui pousse à l’insubordination et l'indulgence qui la favorise ; dans l'instruction enfin, s'attacher surtout aux éléments et aux principes certains de toutes les sciences , depuis la gram-— maire jusqu’à la philosophie : en exposer tout ce qui est utile et incontestable, et s'arrêter devant les faits inconnus, dont la découverte et l'explication intéressent plutôt la curiosité particulière que l'utilité générale, ou dépassent la portée d'esprit ordinaire du jeune homme ; faire aux Lettres la plus large et la plus belle part, sur ce fonde- ment qu'elles sont singulièrement propres à façonner le cœur et l'esprit, à éveiller et satisfaire l'imagination, à élever même la raison, soit par le spectacle des grands faits de l'humanité, soit par le commerce continuel avec 298 ACADÉMIE DE ROUEN. les plus beaux génies des temps anciens et modernes qui ont enchanté et éclairé le monde ; avoir soin encore, dans toutes les parties du travail scolaire, de stimuler tout à la fois le sentiment critique et le talent de la com- position , de faire concourir au même but les efforts de la mémoire avec ceux de limagination et de la raison, d'aller au fond des choses et de cultiver beaucoup la forme, d’extiter le goût et de régler le jugement : en un mot, de féconder toutes les facultés de l'intelligence par un ensemble d'exercices toujours pratiques, plutôt variés que compliqués et intéressants que difliciles. En appliquant ces principes avec la modération et la constance qui lui sont propres, l'Université , dans la situa- tion intermédiaire qu'elle occupe au sein de la société française , est appelée non-seulement à répandre des connaissances et des vérités profitables à tous les esprits , mais encore , sie ne m'abuse, à rapprocher les opinions diverses par l'unité de ses doctrines, et à jeter dans les âmes les fondements d'une conciliation progressive, où s’effaceront tôt ou tard les préjugés de races et les haines de partis. Mais c’est surtout dans la sphère des études qu’elle peut faire du bien, et agir avec avantage. Là en effet, Messieurs, son rôle est simple, et son objet déterminé. Établie pour donner l'instruction , comme la Magistrature pour rendre la justice. et l'Armée pour défendre le pays, elle enseigne , et ne dogmatise point ; elle a des élèves, et non des adeptes ; elle travaille pour l'intérêt commun de la société, non pour l'avantage particulier de chaque famille , ni pour les besoins de chaque profession Car son office n’est point de former- spécialement ni des ecclésias- tiques , ni des juges , ni des médecins, ni des industriels, ni même des professeurs, mais plutôt, si ce n’est pas trop dire, des hommes. Et de même que son enseigne- ment n'a point pour caractère d'être local , individuel , ni CLASSE DES BELLES-LETTRES. 229 technique , ses doctrines morales aussi ne s'accommodent point aux passions qui divisent le monde. Par là, si l'Uni- versité n’entraîne pas fortement les esprits des jeunes gens, elle ne les égare pas non plus , et elle ne produit , quoi qu'on en puisse dire, ni des impies ni des fanatiques, et aussi peu dès démagogues que des ennemis de la li- berté. Son honneur et sa gloire sont de côtoyer ces écueils sans y tomber, et de traverser les temps d'orage sans y laisser la dignité de ses modestes et utiles fonctions. Après cela, si des esprits chagrins et superbes vien— nent demander quels grands progrès l'Université fait faire à la morale publique ou privée, et quelles vertus rares et nouvelles elle met dans les âmes, il faut leur accorder que ce n’est pas d'elle en effet qu'on doit attendre la réforme du monde, et que ses leçons ne sont pas de nature à faire des héros et des martyrs. Mais la société actuelle n'en ré- clame point, Messieurs, et peut-être, si on lui en donnait, n’en saurait-elle que faire. Ce qu'il lui faut, ce sont des esprits polis et cultivés, des intelligences éclairées de la lumière des Sciences et des Lettres : et à cet égard on peut dire que, dans l'impulsion extraordinaire qu'ont reçue de nos jours les unes et les autres, si l'Université n'a pas marché en tête, du moins elle n’est pas restée en arrière. Un corps qui dès ses commencements a eu pour chefs tour à tour des hommes tels que Fourcroy et Fontanes, Royer- Collard et Georges Cuvier, devait marquer sa trace dans le grand mouvement intellectuel de ce demi-siècle qui vient de s’accomplir. En effet, l'Université ne s'est pas seulement montrée active et intelligente à transmettre et populariser les résultats des travaux de quelques hommes supérieurs ; ces hommes mêmes souvent se sont produits dans son sein , ou y ont été attirés par elle. Ainsi, dans les mathématiques et les sciences naturelles , elle montre avec orgueil, parmi ceux qui ne sont plus ou qui touchent au 230 ACADÉMIE DE ROUEN. terme de leur illustre carrière, Lacroix, Dulong , Poisson, Ampère , les Cuvier, M. Biot, M. Thénard, et après eux une foule d’autres plus jeunes, quidans les Facultés et dans les colléges honorent par des leçons et des travaux de premier ordre une époque où les conquêtes de la science effacent toutes les autres. Je ne dis rien de cette admirable École de Médecine de Paris, le plus beau fleuron de la couronne universitaire, ou, pour mieux dire , qui est à elle seule presque une autre université, par l'étendue et l'élévation de son enseignement, le nombre et l’activité de ses élèves , et la gloire immortelle de ses professeurs ré pandue dans le monde entier. Pour ne parler que de ce qui touche directement à l'instruction littéraire et morale de la jeunesse , combien d'œuvres remarquables pourrais- je citer dans la science grammaticale , dans la critique litté- raire et l’histoire, dans l’érudition et la philosophie , qui sont dues à des hommes ayant passé par les fonctions et les dignités universitaires, ou qui les occupent encore ! Des noms populaires en France et célèbres dans l'Europe s'offrent en foule à ma plume : mais qu’est-il besoin de les écrire ? et est-ce à vous, Messieurs, qu'il faut les rappeler ? Permettez-moi seulement de signaler à votre attention le caractère commun aux travaux littéraires et philosophiques que l'Université a produits, et où se révèle encore mieux que dans tout le reste l'esprit qui lui est propre. Cet esprit, qui n'est autre chose qu'un heureux accord des anciennes disciplines avec les idées et les hardiesses du temps présent , s'est fait un domaine particulier dans la Critique, et s'y est pour ainsi dire retranché contre le tor- rent des essais d'innovations arbitraires où ontété entraînés de nos jours une foule de brillants génies. En grammaire , enlittérature , en histoire, en philosophie , l'Université n’a point voulu faire école nouvelle , ni rester non plus atta- chée servilement à des formes surannées ; elle a échappé CLASSE DES BELLES-LETTRES. 231 à l'un et l’autre excès par une impartialité judicieuse, et par une sorte d'équilibre qu'elle s’est efforcée d'établir dans chacune de ces branches entre les principes depuis long- temps approuvés et les vues nouvelles que l'expérience devait consacrer à leur tour. Ce goût d'examen et de com- paraison dont elle s'est fait une loi, et qu'elle a appliqué tout à la fois à l'étude des langues , des ouvrages de litté- rature , des monuments historiques et des systèmes de philosophie , a été pour elle un fonds d'observations fé- condes pour la solidité de ses doctrines et le perfection- nement de ses méthodes. De là sont nés aussi tant de lexiques et de manuels excellents, tant d'éditions soignées et de traductions fidèles, tant d’ingénieux mélanges , d'élé- gantes notices et d'abrégés judicieux , enfin tant d'analyses lumineuses, d'expositions éloquentes et de cours spiri- tuels ou profonds, dont le succès dure toujours et que l'estime publique a consacrés. Cela vaut mieux pour l'Uni- versité sans doute que d’avoir produit des œuvres d’une originalité équivoque et d’un éclat périssable , ou des sys- tèmes hardis et singuliers, mais chimériques et dange- reux, comme il s'en voit encore tant autour d'elle. D'ailleurs cette sage réserve , qu'on ne peut taxer de sté- rilité et de froideur, et cet esprit de critique haute et sévère qui n'exclut pas l'imagination et l’éloquence, étaient trop conformes aux besoins de notre temps, pour qu'on ne reconnaisse pas que l'Université n’a fait là, comme ailleurs, que satisfaire le goût général, en s'appliquant à le régler et à l'épurer. Une conduite si prudente a porté ses fruits, et donné des résultats d’une valeur incontestable. Dans les études de grammaire , l'Université française , sans pousser aussi loin que celles de la savante Allemagne les efforts de l'analyse et les subtilités de la philologie comparée, a fait 232 ACADÉMIE DE ROUEN. faire des progrès marqués à la connaissance des langues anciennes , et elle a fondé en même temps l’enseigne- ment régulier des principaux idiômes de l'Europe mo- derne. En littérature, elle a combattu avec énergie la fièvre du romantisme , et assuré dans ses écoles l'étude et le culte des classiques nationaux : ce qui ne l'empêche point d'accueillir avec honneur et sympathie les œuvres ou récentes ou étrangères qui, malgré des formes moins correctes, ont mérité l'admiration des gens de goût. Dans l’enseignement historique , qui est encore une de ses créations , elle a maintenu les traditions des anciens et celles de nos deux grands siècles, en ouvrant toutefois la porte au genre pittoresque et à l’histoire érudite, qui plaisent également à celui-ci. Mais c'est en philosophie surtout qu’elle a eu pour principe de ne jurer par aucun maître, et d'emprunter à chacun de ceux qui ont laissé un grand nom tout ce que leur doctrine contient de vrai et de solide. Et cette philosophie critique , à laquelle on a donné le nom d'Éclectisme, est non-seulement la plus sage et la plus convenable pour une époque tourmentée comme la nôtre, mais aussi la plus appropriée à l'esprit des jeunes gens , qui ne peuvent aller loin dans les pro- fondeurs de l’ontologie, en même temps que la moins offensive et la plus rassurante pour la conscience du chrétien, puisque c’est la simple analyse des facultés de J'âme et l'histoire critique des systèmes qui en sont le principal fonds. Ne dites pas que cet éclectisme est pé- rilleux, et que la conciliation qu'il cherche à ménager entre des écoles diverses est une chimère : car il ne vise à fondre ensemble que des doctrines compatibles ; il ne rapproche que des génies sympathiques, comme Platon et Saint Augustin, ou Descartes et Bossuet, et ne prétend point associer des esprits inconciliables, tels que Mon- PRE CLASSE DES BELLES-LETTRES. 233 taigne et Pascal, Voltaire et Jos. de Maistre. Ne dites pas non plus qu'il n’est qu'un scepticisme déguisé : car vous ne pouvez lui refuser l'honneur d’avoir relevé le drapeau du spiritualisme et de l'avoir défendu également contre les matérialistes et les mystiques, ces deux partis extrêmes qui parfois semblent se rencontrer. Non, Messieurs, cet éclectisme, qui non-seulement en philosophie mais en toutes choses est le véritable esprit de notre temps, ne repousse pas la foi, mais bien le fanatisme et l'erreur. II est l'expression naturelle du sens commun et de la raison pratique, formée par le concours et l'accord des meilleurs génies de tous les temps et de tous les pays : et quel plus sûr refuge saurait trouver la pensée contre le scepticisme ou l'indifférence, tout en conservant sa liberté et son droit d'examen ? C’est dans ce milieu paisible et à l'abri des orages que les jeunes intelligences, conduites par des maîtres prudents et discrets, peuvent marcher avec con- fiance, en exerçant leur jugement , leur goût, leur raison, sans crainte d'y égarer leur cœur et d'y perdre la sincé- rité de leur âme. L'Université a trop l'amour des Lettres et de la Philosophie pour en faire jamais des instruments de corruption, si elle pouvait être tentée de corrompre ceux qui sont confiés à ses soins. Je pense en avoir dit assez, Messieurs, pour montrer que cette grande institution ne mérite pas la haine et le mépris, mais au contraire l'estime et l'attachement des hommes éclairés. A ce titre je suis assuré de vos sympathies pour elle, que je ne suis pas le premier à éprouver. De- puis le rétablissement de votre Compagnie, bien des hommes distingués dans l'enseignement et les fonctions universitaires y ont occupé une place ; il en est plusieurs encore qui, séparés de vous, s'associent de loin à vos travaux : entr'autres , ce professeur accompli, qu'il y a un an à peine vous avez vu partir avec de si Justes regrets, et 234 ACADÉMIE DE ROUEN. qui était une des lumières de cette Académie(1). Je ne parle point de ceux qui siégent ici devant mes yeux , et dont les vœux m'appelaient parmi vous depuis longtemps : l'amitié dont ils m'honorent et leur modestie m'interdisent de les louer ; mais je m'estime heureux de venir dans cette réunion des esprits,d’élite d’une grande cité m'asseoir à côté d'eux , et je me ferai un plaisir comme un devoir d'y apporter, à défaut d’un mérite égal, la même assiduité et le même dévouement. (1) M. Chéruel , aujourd’hui professeur d’Histoire à l’École Nor- male. RAPPORT SUR LES NOUVELLES CHRONIQUES DE NORMANDIE, PUBLIÉES PAR M. CHÉRUEL , LU PAR M. L'ABBÉ LANGLOIS, Dans la Séance du 23 mai 1851. Messieurs , Forcé de choisir parmi les volumes déjà nombreux dont je dois vous rendre compte, je m’arrête de préférence à l'œuvre d'un compatriote, historien élégant et fécond que nous regrettons tous de ne plus voir dans cette enceinte. Je parle de M. Chéruel et des nouvelles chroniques de Normandie qu'il vient de publier et dont il fait hommage à l'Académie. La Normandie , cette terre des abbayes, puisqu'un his- torien du xr° siècle, Guillaume de Poitiers, l'appelait une nouvelle Thébaide (alteram Thebaidem) , devait être par excellence la terre des chroniques. Je ne sais en effet quelle province de France pourrait , sous ce rapport, riva- liser avec elle. Sans parler des écrits de Dudon de Saint-Quentin, de Guillaume de Jumiéges, de Guillaume de Poitiers, ces 236 ACADÉMIE DE ROUEN. pères de l’histoire normande, ces miroirs si fidèles des temps barbares, de Robert du Mont ; d'Orderic Vital sur- tout, auquel nul de ses contemporains n’est comparable , soit pour la fidélité des récits , soit pour la clarté du dis- cours, nous possédons d'innombrables chroniques, ou- vrages de moines anonymes, connues seulement sous le nom des monastères d'où elles sont sorties , que nos béné- dictins, les membres de l’Institut , les savants de France, d'Angleterre et même d'Allemagne ont soigneusement re- cueillies, et dont M. Chéruel vient aujourd'hui enrichir la nomenclature. A la tête de ces vénérables monuments , sans lesquels , dit un savant anglais. nous serions condamnés à une éter- nelle enfance dans l'étude de notre histoire, «nos sanè in historià patrià semper essemus pueri » (1), figure la chro- nique de Fontenelle dont la ville du Havre montre un très ancien manuscrit , seule histoire de notre pays entreprise avant l’arrivée des hommes du Nord. De la même abbaye sortirent plus tard le Chronicon minus Fontanellense , conservé parmi les manuscrits de la Bibliothèque de Rouen (2), une chronique de Fontenelle , publiée par Du- chesne dans ses Historiens de France (3), et une qua- trième chronique de Fontenelle, retrouvée par les con- tinuateurs de dom Bouquet dans le monastère des Dunes (#4). Viennent ensuite les chroniques de Notre-Dame de Rouen, du mont Saint-Michel, de Fécamp, publiées par (1) Propyl. monastic. Anglic., apud A4nnal. Benedict.,t. V, præf., sub finem. (2) N° 104, d'après Langlois, Histoire de Saint-Wandrille , p. 159. 3) T. I, p. 38. HT ( (4) T. XI, p. 771. CLASSE DES BELLES-LETTRES. 237 le P. Labbe dans sa nouvelle Bibliothèque des Manuscrits, celle de Jumiéges , insérée par Pistorius et D. Brial par- mi les monuments de l'histoire d'Allemagne et de France, la chronique de Saint-Etienne de Caen qu'on retrouve à la suite des œuvres de l'abbé Guibert, et, parmi les histo- riens normands de Duchesne, avec une autre chronique de Normandie , que ce savant avait découverte chez les chanoines de Saint-Victor de Paris; les chroniques de l'abbaye du Bec, au nombre de trois, la première que D. d'Acheri a réunie avec beaucoup d'à-propos aux œuvres de Lanfrane, la seconde publiée par D. Martène dans l'Amplissime collection (1), la troisième, autrefois consultée par Ducange , et qui déjoue maintenant toutes les recher— ches des érudits (2). Je n’ai pas encore nommé les chro- niques des abbayes de Saint-Taurin d'Evreux, de Saint- Evroult, de Lyre, de Savigny, de Mortemer, dont Baluze, Martène , Brial, ont enrichi leurs recueils. Quant aux chroniques normandes en langue française , tant en prose qu’en vers, elles sont innombrables ; je ne citerai que les romans de Robert Wace, la chronique de Normandie ré- digée au xur° siècle , dix fois réimprimée à Rouen , à Caen et à Paris, celle des abbés de Saint-Ouen et de l’archi- diacre Nagerel. Même abondance de monuments de ce genre chez les Normands d'outre-Manche. On pourrait citer quarante histoires ou chroniques anglo-normandes entassées dans les collections de Saville, de Twisden, de Sparke, de Gale , du docteur Giles, toutes intimement liées à l'histoire de notre province. En 1836, M. Francisque Michel en (DUT VE 2) Voir notes de M. A. Leprevost, sur les communes de l'Eure, p.12, col. 2. 238 ACADÉMIE DE ROUEN, publia douze nouvelles qu’il avait recueillies dans les bi- bliothèques de Londres, de Paris, de Cambridge et de Bruxelles. En sorte qu’il est permis de douter si cette race normande qui, comme l'observe Guillaume de Poi- tiers , possédait l’Apulie et la Sicile, défendait Constanti- nople, faisait trembler l'Orient et voyait toute l'Angleterre à ses pieds, n’est pas plus admirable encore par la multi- tude et la valeur de ses historiens , que par l'éclat de ses victoires et de ses conquêtes. A la masse déjà si imposante de nos trésors historiques, M. Chéruel vient ajouter trois nouvelles chroniques, eelles de Notre-Dame de Rouen , du prieuré de Saint-Lô de la même ville, et de l’ancienne abbaye de la Trinité du Mont Sainte-Catherine, réunies ensemble sous le nom de: Chronicon triplex et unum. Le manuscrit de ces chroniques avait été autrefois trans- porté du collége de Beaumont en Auge dans l’abbaye de Saint-Ouen, et s’est heureusement retrouvé dans la biblio- thèque de notre ville. MM Deville, Richard, Cochet, Fallue, en ont révélé l'importance en les mettant souvent à contribution. M. Chéruel lui-même a montré dans son Histoire de la Commune de Rouen et dans son Précis sur l'intruction publique dans notre ville pendant le moyen- âge, tout le parti qu'on pouvait tirer de ce manuscrit. Il est vrai que la chronique de Notre-Dame de Rouen se retrouve imprimée , partie dans les Analectes de dom Mabillon, partie dans la bibliothèque des manuscrits du P. Labbe. Quant à celles de Saint-Lô et de Sainte-Cathe- rine, M. Chéruel les regarde, avec raison, croyons-nous, comme entièrement inédites, et c’est à lui que le public est redevable de les avoir aujourd’hui entre les mains. Toutefois, ce serait une médiocre acquisition pour la science si elles n'étaient que de serviles copies de tous les autres écrits du même genre. Il faut convenir que ce dé- CLASSE DES BELLES-LETTRES. 239 faut s’y fait un peu sentir jusqu'au xn° siècle , avant lequel elles ne fournissent de vraiment neuf que quelques traits sur Saint-Godard, Saint-Prétextat et Saint-Ouen ; mais à partir de cette époque, elles offriront une mine féconde et presque inexplorée aux futurs historiens de la Normandie. Celle de Saint-Lô contient, sur le passage à Rouen de l'armée des pastoureaux, de curieux détails que M. Ché- ruel n'a pas négligés dans son histoire de la Commune. Celle de Sainte-Catherine surtout abonde en faits intéres- sants et inédits. Je citerai entre autres la révolte des Rouennais contre le duc Robert, père du Conquérant , soupçonné d’avoir empoisonné son frère Richard ; l'in- fluence du vicomte Goscelin qui apaise la sédition, et reconcilie le duc avec ses sujets ; la notice d'Isembert, abbé du Mont Sainte-Catherine, homme prodigieux dans un siècle de barbarie, cultivant avec un égal succès la théologie et les arts, la musique surtout qui lui sert à populariser dans nos contrées l'histoire de Saint-Nicolas , devenue bientôt le sujet de tant de drames pieux au moyen- âge. (1) Tel est encore le voyage de saint Louis à Rouen en 1255 : son entrée solennelle dans cette ville le 8 octobre , son pélerinage au Mont Sainte-Catherine, sa visite au re- clus Adam , ancien abbé de Saint-Ouen, volontairement enfermé pendant vingt-quatre ans dans une petite cabane adossée à l’église de l’abbaye de Sainte-Catherine, où il rivalisait d'austérités avec les plus célèbres Solitaires des déserts d'Orient. (1) Voirles origines latines du théâtre moderne par M. Ed. Du- méril, et deux dissertations de l'abbé Lebeuf, dans le Meroure de décembre 1729 et d'avril 1734 (ou 35), ainsi qu'une dissertation de M. l'abbé Picard, curé de Notre-Dame de Rouen, insérée dans le Précis de l'Académie de cette ville, année 1846. 240 ACADÉMIE DE ROUEN. Un seul chapiteau de pierre et quelques pavés coloriés , déposés dans notre Musée d'antiquités, furent longtemps les seuls débris connus de notre abbaye de Sainte-Cathe- rine, dont l'église surpassait en grandeur celle de Saint- Georges-de-Bocherville ; mais en 1840 , M. Deville déterra dans un coin poudreux des archives de la Seine-Inférieure son magnifique cartulaire, composé de près de cent chartes du xi° siècle , qu’il a données au public ; en 1849, M. de Duranville en publia une notice intéressante avec trois vues empruntées au livre des fontaines, au géographe Chastillon et au capitaine Valdori. Aujourd'hui, M. Ché- ruel nous en donne la chronique, pleine de documents nouveaux pour l’histoire de l’abbaye et de notre province. Voilà donc en dix années une résurrection assez complète d’un de nos plus célèbres établissements religieux, due tout entière à des membres de cette Académie , et dont se ré— jouiront tous les amis de nos antiquités normandes et nationales. Je n'aurais rempli que la moitié de ma tâche, si je ne vous parlais encore de la savante introduction en latin que M. Chéruel a mise à la tête des nouvelles chroniques , et dans lesquelles il examine les points d'histoire qu'elles éclaircissent et ceux qu'elles laissent dans l'ombre , ou par trop de sécheresse , ou même par un silence absolu. Cette docte préface, qui n'a pas moins de trente pages in-#°, digne en tout de la plume qui a écrit la thèse De Mari Stuartà, est danssa première partie une revue très appro- fondie de toutes les sources de l’histoire normande. Le savant éditeur y signale, en passant, l’école annexée, dès le 1x° siècle à l’égiise de Rouen , et dont les prélats de Normandie et même de l’Armorique prescrivaient la fré- quentation à leurs diocésains , les écoles de l'abbaye de Sainte-Catherine, de Saint-Cande-le-Vieux, de Saint- Ouen surtout qui pouvait contenait plus cinq cents écoliers ; CLASSE DES BELLES-LETTRES. 241 précieuses institutions dont nous ne trouvons point de mention ni dans le traité historique de Claude Joly sur les écoles épiscopales , ni dans l'ouvrage du docteur Launoy : De scholis cœlebrioribus per occidentem instauratis. Voilà des faits d'un haut intérêt et très précieux pour l'histoire littéraire de notre ville. Nous avouerons ingénument que M. Chéruel nous paraît moins heureux lorsqu'il se montre satisfait de lx science liturgique des rouennais au moyen-âge , parcequ'à cer- taines fêtes ils représentaient dans la cathédrale les Mys- tères de l'Etoile, du Sépulcre, des Enfants et des Bergers, auxquels on peut ajouter les Mystères des Pélerins d'Em- maüs, de Saint-Romain et de l'Assomption, mentionnés dans les archives de notre Métropole. Loin d’être desxites sacrés, comme M. Chéruel le suppose, et de marquer le progrès de la liturgie, les Mystères en furent toujours l’altération, et souvent l'indécente parodie. Ils lui don- naient la torture pour en tirer des dialogues, des drames, et parfois des farces ignobles dans lesquels nos érudits croient trouver les origines du théâtre moderne ; ils la dé- gradaient en la faisant descendre au niveau des passe- temps populaires. Si les mystères eussent fait partie de ces symboles, de ces chants, de ces actes approuvés, seuls dignes du nom de rites sacrés, par lesquels l'Eglise manifeste sa religion envers Dieu , on n'en eût point placé le théâtre hors du temple, comme il arrivait souvent. Le Chapitre et nos Conciles n'auraient point songé à les pros- crire comme contraires à l'honneur du culte divin ; nos archevêques Raoul Roussel et François de Joyeuse ne les auraient point fait disparaître entièrement. (1) Nous crai- (1) Reg, capit. 21 août 1460, Concile de 1214 apud Bessin, et ibid. pars 2°, p. 113. 242 ACADÉMIE DE ROUEN. gnons donc que M. Chéruel n'ait pris l'abus de la liturgie pour la liturgie elle-même. Il est d’ailleurs constant que les xiv® et xv° siècles furent des temps de décadence liturgique. Dans la Métropole de Rouen, la négligence des ecclésiastiques donnait lieu chaque jour à des fautes et à des omissions considérables dans la récitation des offices. En 1420, funeste époque d'invasion et d’anarchie , ils étaient tombés dans une telle ignorance de leurs cérémonies et de leurs oflices, qu'ils s'y perdaient comme dans un dédale, et qu'à peine en trouvait-on un seul qui pût servir de guide à ses con- frères. (1) Partout, les fictions qu'on appelait mystères, les additions grossières et parfois superstitieuses , les his- toires apocryphes envahissaient les livres liturgiques. Ce fat précisément cette période de dégradation du service divin, de laquelle M. Chéruel nous semble avoir une opinion trop favorable, qui porta le Concile de Trente à décréter la réforme de la liturgie. Dans la seconde partie de son introduction , M. Chéruel signale les points essentiels négligés par les chroniqueurs ; par exemple, les institutions et suppressions de com- munes, la création du nouveau duché de Normandie par Philippe de Valois et son abolition par Louis XI, la charte aux Normands de Louis X, les Etats de la province, l'antique Tribunal de l'Echiquier, la coutume de Nor- mandie , les services rendus à la France par les Normands du x1v° et du xv° siècles, sur les mers et sur les champs de bataille. Delà, M. Chéruel conclut avec raison à la nécessité de rechercher soigneusement, d’annoter, de (1) Reg. capit., 8 février 1490, et Statuts du 16 août 1420. Vix unus inveniatur qui dirigat ignorantes, et ducat potiùs quasi cæcos. TE —_————————— me er CLASSE DES BELLES-LETTRES. 243 publier tous les anciens manuscrits relatifs à l’histoire d'une aussi importante province que la nôtre. Nous sou- haïitons , pour le progrès des lettres et l'honneur de notre Pays, que tous les hommes studieux entendent son appel, et réunissent leurs efforts pour mener à bonne fin une si noble entreprise. NOTES : HISTORIQUES ET DESCRIPTIVES SUR LES JUBÉS DE L'ÉGLISE MÉTROPOLITAINE DE ROUEN, Lues par M. L'angé LANGLOIS, Dans la Séance du 27 Juin 1851. Messteurs, L'usage des jubés , appelés aussi ambons, pupitres, tribunes ou lectriers, est très commun et très ancien dans l'Église. Il serait facile de le prouver par l'autorité des Pères, d’une foule d'historiens et d'auteurs ecclésiastiques, même des premiers siècles. Avant nos chaires actuelles qu'on croit ‘introduites au xu° siècle par les Ordres mendiants , c’est du jubé que descendait la parole évangélique , comme de ces hauteurs mystérieuses d’où le divin maître se plaisait à parler à la foule. C’est du jubé qu'on annonçait les fêtes , les jeûnes, les miracles , qu’on fulminait les excommunications. Les empereurs d'Orient étaient couronnés dans le jubé de Sainte-Sophie , et les rois très chrétiens intronisés dans le jubé de la métropole de Reims. Nos églises de Saint-Maclou , de Saint-Ouen , de Saint- CLASSE DES BELLES-LETTRES. 245 Vivien de Rouen, de Saint-Jacques et de Saint-Remy de Dieppe , de Fécamp, d'Étretat, etc., avaient des jubés. Aujourd’hui on n’en compte plus que trois dans le diocèse de Rouen : les jubés de Moulineaux , d'Arques et de la Métropole. Une seule église de la capitale. a conservé le sien, c'est Saint-Étienne-du-Mont. La cathédrale du B. Maurile, dévorée avec toute la ville de Rouen dans le célèbre incendie de 1200 , était pourvue d’un jubé ou pupitre. Notre archevêque Jean IF en fait foi dans son livre des offices ecclésiastiques. Aux jours de fête, le sous-diacre y chantait l'Épitre, le diacre l'Évan- gile ; les chantres , tenant dans leurs mains des diptyques d'os ou d'ivoire, y chantaient aussi le Graduel et l'Alle- luia (1). Au xur siècle , avec notre cathédrale actuelle surgit un nouveau jubé, destiné aux mêmes cérémonies et que quelques vieillards ont pu voir encore debout. Comme il n’en existe aucun dessin connu , j'essaierai d'en esquisser la description et l'histoire, en m'appuyant sur nos livres liturgiques et nos registres capitulaires. Dans les plus anciennes délibérations écrites du Chapitre, qui remontent au milieu du xnv° sièele , le jubé nous appa- raît flanqué à droite d’un autel de la Vierge, nommé aussi de Saint-Didier ou Dizier , à gauche d’un autel de Saint-Pierre (Altare Sancti-Petri subtüs pulpitum ). En 1492, on célébrait des messes pour l'anniversaire de Charles V, à l'autel de Saint-Pierre , sous le jubé (2). En 1482, au même autel de Saint-Pierre, prés le grant REP TR AR TS orme eneun (1) Lectores Epistolæ et Evangelii, et cantores Gradualis et ileluia in festivis diebus in pulpitum ascendant... per tabulas osseas quas cantores tenent in manibus.. (Johann. Abrinc., p. 17.) (2) Reg. capit., 19 sept. 1492 246 ACADÉMIE DE ROUEN. huis du cuer , on disait chaque jour la messe des Pares- seux qui commençait à l’'évangile de la grand'messe (1). En 1372, lorsqu'à la prière du roi Charles V, le pape Grégoire XI, ancien archidiacre de Rouen , affranchit nos chanoines de la juridiction des archevêques, la bulle d'exemption, d’abord lue dans le Chapitre en présence de tous les chapelains et choristes , fut relue devant le peuple du haut du jubé , ef etiam in pulpito (2). En 1357, un chanoine nommé François Letourneur donna une image de la Vierge pour l'autel qui était à la droite du jubé (3). Dans l’office ou mystère des pélerins d'Emmaüs qui se célébrait dans notre métropole au xiv° siècle, deux prêtres se tournaient du milieu de la nef vers le jubé ( versüs pulpitum) pour chanter ce verset : Dic nobis , Marie, Quid vidisti in vià (4). Enfin , nous avons sous les yeux une charte originale, du 10 avril 134, par laquelle Guillaume de lIsle, chancelier de l’église de Rouen, donne annuellement au Chapitre une mesure de blé et une mesure d'avoine, (unum modium bladi , et alium avenæ), dont le prix sera par- tagé entre les chanoines qui, dans les cinq premiers jours de l’octave de Pâques, feront l'office de Jésus res- suscité, de Marie-Madeleine , des deux pélerins, chan- teront le Salve festa dies, le premier Alleluia dans le (1) Livres des chapelles de la Métropole, 1482 ; aux Archives du département. (2) Reg. capit., 6 mai 1372. (3) Pommeraie , cathédrale, p 25. (4) Ordinarium ad usum ecclesiæ Rotom. M. S. du xrv° siècle : Bibl, de Rouen. CLASSE DES BELLES-LETTRES. 247 chœur , et l’Alleluia sur le jubé , au retour de la proces- sion (1). Ces dates qui sont certaines, démontrent que le jubé de Notre-Dame de Rouen touchait de près à l'origine de la basilique elle-même, et que, par conséquent, son archi- tecture devait être en parfaite harmonie avec le reste de l'édifice. Il était construit en pierre de taille, et, sans préciser sa hauteur, nous pouvons aflirmer qu'il était beaucoup moins élevé que le jubé actuel, auquel, entr'autres défauts, on reprocha d’abord sa hauteur insolite (2). On y accédait par un seul escalier spacieux que les chanoines montaient et descendaient revètus de leurs chapes et de leurs plus précieux ornements sans crainte de les endommager (3). Il était percé, au milieu, d'une arcade ogivale, par laquelle on pénétrait dans le chœur. Une porte en fer forgé, à deux vantaux, dans le style de la fin du xur° siècle, d'une richesse et d'un goût achevés, en défendait l'entrée. Elle était haute de deux mètres treize centimètres , large de un mètre quarante centimètres. La porte de fer du jubé, toujours ainsi désignée dans les archives, parce que les portes collatérales furent d’abord de bois, ensuite de cuivre, ne s’ouvrait que pour l'entrée des archevèques , des rois de France , des gouverneurs de la province ou des cours (1) .... Cantantes Salve festa dies, et cantantes primum 4#{/e- luia in choro, et cantantes A{leluia in pulpito, in regressu pro- cessionnis. Je dois la connaissance de cette pièce à l’obligeance de M. de Beaurepaire, élève de l'école des Chartes, conservateur des Archives de la Seine-Inférieure. (2) Mémoire de l'abbé Terrisse sur le nouveau jubé, Questions, ad calcem. 1) Reg. capit., 19 août 1697 et 17 nov, 1780 248 ACADÉMIE DE ROUEN. souveraines. Elle se retrouve aujourd'hui dans notre musée d'antiquités (1). Rien n'indique qu'il ait jamais existé d’autel sur notre jubé comme à Lyon et ailleurs (2), mais nous savoñis qu’en 1519 on le couronna de deux beaux jeux d'orgues , dont la montre était entièrement dorée ; c'était un présent du chanoine Pierre Mésenge, ancien maître de la musique et des enfants de chœur. Pierre Mésenge avait visité l'Italie, Jérusalem et la Terre sainte. La curieuse relation qu'il nous a laissée de ce voyage témoigne de sa vive piété et de son goût pour les arts (3). Les ornements et les deux autels du jubé, ainsi que tous les autels des chapelles, sans exception, tombèrent sous la hache des calvinistes , en 1562 (4). Un siècle suftt à peine à réparer ces ravages d’un jour. En 1600, un personnage de la ville, esmeu de dévotion, disent nos Mémoires , fit représenter en pierre le sacrifice d'Abraham , au-dessous de l’arcade du jubé. Toute l'his- toire de ce patriarche, de semblable pierre, fut aussi sculptée sur la façade, en regard de la nef, et offrit sans cesse aux yeux du peuple la figure d'un sacrifice plus auguste qui s'accomplissait dans le sanctuaire (5). Au-dessus de l'édifice s’éleva, en 1636, un grand Christ, donné par MM. Brice, chanoines. A droite et à gauche du Christ, les statues de la Vierge et de saint Jean se dressèrent sur des acrotères (6). (1) Catalogue du musée n° 167. (2) Thiers, Jubés, p. 28. (3) Reg. capit, 24 juillet et 28 décembre 1519, et manuscrit n de la bibliothèque de Rouen. (4) Reg, capit., 20 janvier, 1562. o 575$ 573 (5) Ibid. 1° janvier , 1600. (6) Pommeraie, p. 24 et reg. capit., 18 mai 1774. CLASSE DES BELLES-LETTRES. 249 La croix qui supportait le Christ s’appuyait sur une grande arcade de charpente , sous laquelle le prédicateur prenait place deux fois l'an, en deux circonstances solen- nelles : le jour du Synode diocésain le jour de la fête de Saint-Sever. C'était sans doute un vestige des temps an— ciens où la parole sainte s’annonçait constamment du haut du jubé. (1) Dans les grandes solennités, la tribune du jubé était une place d'honneur réservée aux plus illustres personnages. Le 3 décembre 1617, pendant que l'archevèque François de Harlay discourait dans la chaire , le jeune roi, Louis XIII, entouré de ses ministres, écoutait du haut du jubé. (2) Du côté du chœur, il était couvert de tapisseries de haute lice, pareilles à celles qui se déployaient sur les dossiers et dais des stalles sur toute la longueur du chœur ; elles représentaient les histoires de la Passion, de la Sainte- Vierge, de l'Adoration des Mages et celle de Saint-Georges, aux armes d'Amboise, (3) Sur la façade occidentale, en regard de la nef, on voyait plusieurs tableaux sur toile, entre autres une Annoncia- tion, un Saint-Jean-Baptiste et un Christ au Jardin des Oliviers. (4) L’autel de la Vierge, à droite de l'entrée du chœur, était en singulière vénération chez le peuple de Rouen, qui se pressait autour de l'image d’albâtre donnée au x1v° siècle par le chanoine François Letourneur. Les jours de dimanche et de fêtes, on y célébrait sans cesse des messes (1) Lebrun-Desmarettes, Foyages liturg., p. 353 (2) Reg. capit., 3 décembre 1617 (3) Farin, Normandie chrétienne , p. 189 (4) Reg. capit., 6 février 1696 et 15 novembre 178 250 ACADÉMIE DE ROUEN. jusqu'à midi. Lorsqu'on le renversa pour l'érection du jubé actuel , il fut indispensable de le remplacer sur le champ par un autel provisoire. (1) En 1468, le chanoine Pierre Picart avait sollicité, comme une grâce, d’être enterré dans la nef, à l'entrée du chœur, devant l'image de la Vierge Marie. (2) MM. Brice, dont nous avons parlé plus haut, imitèrent cet exemple , le premier en 1640, le second en 1715. Lorsque les rois de*France visitaient l’église Métropoli- taine, avant de pénétrer dans le chœur, ils s’arrêtaient préalablement pour prier devant cet autel. Louis XII, François I*, Henri Il, Charles IX, Henri IV, y firent tour à tour leur oraison devant l’ymage de la Vierge Marye, disent les registres capitulaires. (3) En 1637, lorsque les échevins de la ville où la peste sévissait depuis vingt ans, résolurent de se commettre à Notre-Dame, par vœux et prières. pour, par son interces- sion, obtenir la cessation de la maladie contagieuse, ce fut devant ce même autel, nouvellement relevé, qu'ils vinrent en grande pompe suspendre une lampe d’argent du poids de quarante marcs, comme le symbole du vœu publie de toute la ville. Depuis lors, il s'appella l'autel de Notre- Dame des Vœux, ou simplement du Vœu, c'est le nom que porte encore le nouvel autel qu'on lui a substi- tué. (4) C'est au même lieu qu'on exposait le Saint-Sacrement , lorsque le roi courait risque de la vie, soit à la guerre, (1) Reg. capit., 1°" septembre 1693 et 27 septembre 1773. (2) Ibid., 24 avril 1468. (3) Ibid., 28 septembre 1508, 2 août 1517 , 1% octobre 1550, 12 août 1563, 16 octobre 1596. (4) Reg. capit., 20 septembre 1637, CLASSE DES BELLES-LETTRES. 251 soit dans une grave maladie. Alors, la nef toute entière disparaissait sous les plus riches tapisseries de la ville , et se remplissait d’une immense multitude ; l'autel, ombragé par un dais somptueux, et chargé de candélabres d’or, étincelait de mille flambeaux de cire vierge. (1) En 1640, M. Godard , chanoine et trésorier du Chapitre , légua deux mille livres pour le dorer entièrement et peindre toute la façade du jubé, (2) Le sanctuaire était pavé en marbre sur toute la longueur du jubé, et fermé par une balustrade à pilastres de cuivre et entablement d’ébène , exécutée sur les dessins de M. de Saint-Hilaire, chanoine de Beauvais, (3) En 1539, une confrérie d’organistes, dont le maître était un nommé Dumonstier, commença, avec permission du Chapitre, de chanter en musique une messe de Sainte Cécile au haut de la nef (4). En 1570 , Jehan Payne, ancien maître de la confrérie, obtint de placer sur la façade du jubé une image de Sainte-Cécile, qui donna bientôt son nom à l'autel de Saint-Pierre. (5) Cependant, les commen- cements de cette société de musiciens promettaient peu, En 1565, le Chapitre fut contraint de lui interdire de chanter devant le jubé les Psalmes de Marot, alors très en vogue, et des Chansons dissolutes, par lesquelles elle croyait honorer la Vierge romaine. (6) Mais au xvu° siècle, elle achève de s'organiser et de se discipliner, en adoptant des statuts approuvés par l'archevêque Charles II de Bour- bon, (1602) Alors, rival du Puy de la Conception , le Puy ——————————————————— (1) Voyages liturg., p. 350-52. (2) Reg. capit., 6 octobre 1640. (3) Ibid., 10 janvier 1698. (4) Ibid., 21 novembre 1539. (5) 1bid., 9 novembre 1570 6) Ibid., 24 novembre 1565 2592 ACADÉMIE DE ROUEN. de Sainte-Cécile ouvre des concours et distribue des prix. Le premier était une somme de cent livres, le second, une écritoire d'argent. La société faisait monter sur de grands théâtres , dressés le long de la nef, tous les chanteurs et instrumentistes qui accouraient de toutes parts pour dis- puter la palme. (1) MM. de Martimboz, Dadré, de Hac- queville, de Mouchi, de Fieux, de Bourdigal, de Sainte- Hélène, Dutot-Ferrare, les plus hauts personnages du Chapitre et des cours souveraines , devinrent tour-à-tour princes du Puy de Sainte-Cécile. Les poètes s’évertuèrent à chanter ces princes, les vainqueurs qu'ils avaient cou- ronnés , et l’auguste martyre , étonnée peut-être de prési- der à leurs combats et d’être la reine de l'harmonie, car sa qualité de musicienne est loin d’être démontrée (2). Quoi qu'il en soit , il n’y a pas moins de cinq belles odes latines des P.P. Commire et De la Rue, dédiées aux ma- gistrats et aux chanoines, princes du Puy de Sainte-Cé- cile (3). L’autel de la sainte, composé d’une riche me- nuiserie entièrement dorée, et dù aux libéralités de M. Godard, rivalisait de richesse avec l'autel de la vierge. Tels sont les souvenirs qui se rattachent à notre ancien jubé, dont il nous faut maintenant raconter la chute. Le renversement des jubés devint une sorte de mode au xvue siècle. C’est en vain que le célèbre J. B. Thiers essaya d'arrêter ce vandalisme, en publiant son curieux livre : Des Jubés et clôtures du chœur, et en flétrissant leurs ennemis du nom d’Ambonoclastes. Un autre liturgiste, (1) Reg. capit., 11 novembre 1631. (2) Lettre de l'abbé Lebeuf, Mercure de France , 1732, janvier, p. 21,et juin, p. 1081, et Revue de la Musique, par M. Danjou, année 1845 , p. 433. (3) Commirii et Ruæi, carmina passim. EE CE CLASSE DES BELLES-LETTRES. 253 non moins savant , applaudissait à la chute de ces grosses masses , qui bouchaient l'entrée du chœur, invention nou- velle , née dans un siècle de mauvais goût (1). Sachons gré au Chapitre de Rouen d’avoir fait la leçon à son siècle, en conservant son ancien jubé jusqu'en 1773, et d’avoir su résister pendant quarante ans à ceux de ses membres qui conspiraient sa ruine. En 1737, le haut-doyen, Barthélemi Le Cordier de Bigards de la Londe , offrit quinze mille livres à ses con- frères pour élargir l'arcade du jubé, y construire une nouvelle porte, et deux petits escaliers aux deux côtés pour l’épître et l'évangile. Une commission fut nommée pour examiner ce projet, qui tomba bientôt dans l’ou- bli (2). | En 1758, un autre doyen, l'abbé Terrisse , offrit un don de cent louis pour aider à ouvrir le chœur, si les chanoines se décidaient enfin à entreprendre ce travail. Les chanoines remercièrent M. le doyen de ses offres gé- néreuses , et gardèrent leur antique jubé contemporain de leur église (3;. Mais en 1771 , l'abbé Terrisse a recruté des partisans; et les Ambonoclastes l'emportent dans le Chapitre. Ils arrêtent qu'on travaillera incessamment à l'ouverture du chœur , à la construction des deux chapelles à droite et à gauche , et qu'on dressera aussitôt des plans de ces nou- veaux ouvrages. (4) Cependant , grâce à l'influence d'une minorité intelli- (1) Traité sur la Liturgie, p. 72, par André Bocquillot, chanoine d'Avallon. (2) Reg. capit., 26 août 1737. (3) Reg. cap., 23 août 1758. (4) Idid., 28 mars 1771. 254 ACADÉMIE DE ROUEN. gente et active, le projet traînait en longueur, et une année entière s'écoula sans que l'abbé Terrisse pût présen- ter des dessins sur le bureau du Chapitre. C'est en vain qu'il tenta de rallier les dissidents en faisant décider capitulairement qu’un jubé nouveau serait construit à la place de l’ancien, pour conserver l’ancien rit de l'é- glise (1). Enfin , le 8 juin 1772 , il présenta au Chapitre présidé par Mg* de la Rochefoucauld , le plan du nouvel édifice. L'auteur était M. Carpentier, de l'Académie royale d’archi- tecture , à Paris, lequel étant originaire de Rouen , désirait laisser dans sa patrie, dit notre registre , ce monument de son habileté en son art (2). L’archevêque , le doyen, les intendants, approuvèrent et signèrent son plan , en obser- vant qu'il ajouterait un Crucifix à son jubé, du côté de la nef, ce à quoi il n'avait point songé. Cependant, avant de passer outre , l'abbé Terrisse et ses adhérents, que la minorité harcelait sans cesse , Vou- lurent sonder l'opinion publique sur la valeur du dessin de Carpentier : en conséquence, une toile immense sur la- quelle notre nouveau jubé était figuré de grandeur natu- relle, fut suspendue en travers de la nef , à l'entrée du chœur (3). Afin de provoquer plus directement encore les observations des amateurs et des artistes, une série de questions imprimées fut répandue dans le public. Nous exposons ici les principales, en les abrégeant : 1° L'ordonnance d'architecture ionique que présente le nouveau jubé , ou toute autre architecture grecque ou ro- maine, peut-elle s’accorder avec l'architecture gothique de. l'église ? SR à | (1) Reg. cap., 2 mars 1772. x (2) Ibid., 8 juin 1772. (3) Ibid., 22 sept. et 20 déc. 1773, et 1°" fév. 1774. CLASSE DES BELLES-LETTRES. 255 2 La hauteur des colonnes est-elle proportionnée au petit entablement qu’elles supportent ? 3° Que faut-il penser de la balustrade qui règne sur la corniche , et des bas-reliefs des deux autels ? Comment appliquer une croix sur l'entablement ? Est-il supportable de faire du tabernacle le piedestal d'une statue ? 4° Quelles sensations fera naître l'aspect du jubé, con- sidéré de la nef à diverses distances ? (1) A toutes ces questions, qui faisaient toucher au doigt les nombreux défauts de notre jubé, on répondrait aujourd'hui par un cri unanime de réprobation qui le ferait rentrer dans le néant, s’il n'existait que sur la toile ; mais au xvurt siècle, au moment où la cathédrale de Metz recevait un portique de théâtre , et la façade de Notre-Dame de Paris des embellissements de style corinthien , pouvait-on être scrupuleux sur l'accord des styles et l'homogénéité des édifices ? Le malencontreux projet de Carpentier sourit au public rouennais non moins qu'aux chanoines, et nul n'embrassa la défense du bon goût, si ce n’est la minorité qui luttait encore avec énergie au sein du Chapitre. Le 17 février 1773, un de ses membres, après s'être élevé contre les défauts du nouveau jubé , osa faire la pro- position d'en arrêter les travaux qu'on commençait à Paris. Pour toute réponse , la majorité maintient ses délibérations précédentes , nomme commissaires des travaux les cha- noines Grésil, d'Osmond , Bordier et d'Angerval, et dé- cide que l’ancien jubé sera démoli immédiatement après l’octave du Saint-Sacrement (2). Il ne restait plus à la mi- norité que de protester ; elle protesta en effet, et apporta (1) Mémoire de M. Terrisse sur le jubé. Questions ad calcem. (2) Reg. cap., 17 fév., 15 avril 1773. 256 ACADÉMIE DE ROUEN. au Chapitre sa réclamation couverte de signatures. Comme on s’y attend bien , elle fut regardée comme non ave- nue, et écartée comme contraire aux usages du Cha- pitre (1). On voudrait connaître les noms de ces honorables vaincus qui tentaient d'épargner une faute à leurs con- frères, et une fâcheuse disparate à leur église; le registre ne m'a fourni que celui de leur chef, M. Jean-Louis Roffet , docteur de Sorbonne, promoteur du Chapitre et intendant de la Bibliothèque, homme d’un grand savoir et d’un mérite éminent, comme le prouvent ses doctes réponses aux consultations des Chapitres d'Avranches, de Limoges et d'Angers (2). En conséquence, au jour dit, l'antique jubé avec ses autels , ses bas-reliefs, ses pinacles , ses colonnettes , ses fenestrages qui remontaient aux plus brillantes époques de V'architecture ogivale , fut livré au pic destructeur, et long- temps après , ses débris jonchaient encore la place de la Calende (3). ‘La vierge du x1v° siècle, qu'on avait dorée en 1725, fut vendue 400 liv. au curé de Saint-Vivien (4). Un particulier obtint pour 96 livres le grand Christ et les deux statues qui l’accompagnaient (5). Monseigneur de la Rochefoucauld avait contribué pour 20,000 liv. au nouveau jubé ; il en posa le premier marbre le samedi 2 avril 1774, après l'Inviolata. Sous ce marbre qui sert de base à la colonne d’entre la porte du chœur et (1) Reg. cap., 19 avril 1773. (2) Ibid., 25 juin (760 et fer juillet 1761. (3) Ibid., 30 juin 1773 , et 23 janvier 1775. (4) Ibid., 5 mars 1725 , et 3 nov. 1778. (5) Ibid., 18 mai 1774. CLASSE DES BELLES LETTRES. 257 l'autel du vœu, on plaça , dans une boîte de plomb, une plaque de cuivre avec cette inscription : ANNO SALUTIS M.D.C.C.LXXIV, REGNANTE LUDOVICO XY, sCmMo PONTIFICE CLEMENTE XIY, HUJUS AMBONIS , PRÆSENTE VENERABILI CAPITULO, PRIMARIUM LAPIDEM POSUIT REVERENDISSIMUS IN CHRISTO PATER , DOMINICUS DE LA ROCHEFOUCAULD , ARCHIEPISCOPUS ROTHOM. NORM. PRIMAS , ABBAS CLUNIACENSIS. Après trois ans et demi de travaux, le 15 août TT, les chanoines chantèrent pour la première fois les leçons de matines, l'épitre et l’évangile, sur leur nouveau jubé(1). Mais il leur fallut cesser d'y monter en chapes pour les versets des stations. L’escalier trop étroit causait un dom- mage considérable à leurs ornements les plus précieux ; c'est pourquoi ils ordonnèrent que ces versets seraient dé- sormais chantés in plano devant l'entrée du chœur (2). Le 20 septembre 1777 , le célébrant bénit le tabernacle de l'autel du vœu , et les statues de la Vierge et de Sainte- Cécile, la première donnée par l'archevêque, la seconde par le Chapitre (3). Le lundi saint, 13 avril 1778 , les deux autels furent consacrés solennellement par Mg‘ de la Rochefoucauld. Le nouveau jubé avait dérangé l'ordonnance primitive desstalles et causé même la suppression de plusieurs, dont deux furent transportées à l'extrémité du côté gauche , en face (1) Reg. cap., 14 août 1777. (2) Ibid., 17 nov. 1780. (3) Ibid, 8 avril 1773. 258 ACADÉMIE DE ROUEN. du trône archiépiscopal (1). Toutes avaient été replacées avant le 12 avril 1778, jour auquel l'archevêque put re- prendre sa place accoutumée parmi les chanoines , dans les fêtes au-dessous du rit triple. Cette place était la deuxième stalle au-dessus de la première brisure , du côté ‘droit , et la huitième à partir de la principale entrée du chœur. (2). Dans la séance publique de l'Académie , du 6 août 1777, l'abbé Terrisse lut son mémoire sur les marbres du nou- veau jubé , dont la richesse et la structure excitaient alors l'admiration universelle. J'abrégerai et complèterai tout à la fois son écrit, qui est antérieur à l'achèvement de l'édifice. Les marbres du jubé sont de deux sortes : 4° Le blanc veiné provenant des magasins de Leprince, marbrier du roi, à Paris ; 2 Le marbre cipolin qui mérite l'attention des curieux par les nuances de ses couleurs , la singularité de ses veines, et surtout par sa rareté. Pline le naturaliste à si- gnalé cette espèce de marbre dont les carrières, décou- vertes en Egypte sous Auguste et Tibère, sont aujour- d'hui ou épuisées ou inconnues. Le cipolin employé au jubé de Rouen provenait de ma- gnifiques colonnes de 18 pieds de longueur sur 2 pieds 2 pouces de diamètre, faisant partie des 40 que Colbert avait fait enlever des ruines de l’ancienne Leptis magna , ville voisine d'Alger, renversée au xvu® siècle par un tremblement de terre. On croit que ce ministre les avait destinées au péristyle de Trianon. Dans la suite, elles furent vendues ou données à différentes églises, à Saint (1) Reg. capit., 24 mai 1776. (2) Ibid., 12 avril 1778. CLASSE DES BELLES-LETTRES. 259 Sulpice, à Saint-Germain-des-Prés, à St-Martin d’Autun, à Sainte-Bénigne de Dijon. Celles de Rouen, au nombre de six, furent achetées dans les magasins du roi par le doyen du Chapitre , M. de la Roque-Hue , de la famille des Miromesnil, qui en fit présent à l'église en 1721. Il les destinait à soutenir un gigantesque baldaquin dont il voulait ombrager le maître- autel. Ce projet était sa chimère favorite. Il en fit même ajouter un dessin à son portrait conservé aujourd'hui dans la bibliothèque du Palais archiépiscopal. Le bon doyen, avec la plus naïve satisfaction, vous montre du doigt la forêt de colonnes grecques chargées d’anges adorateurs , dont il se promettait d’embellir l'harmonieux et sublime rond-point de notre métropole. Son projet fut abandonné à sa mort arrivée le 16 dé- cembre 1729 , et ses colonnes restèrent plus de cinquante ans couchées dans la poussière, dans un coin de l'église; le Chapitre voulait même les vendre , et les fit annoncer dans les afliches de Normandie (1). Lors de la construction du jubé, elles fournirent plus de 300 pieds cubes de marbre qu’on plaça aux panneaux et revêtissements, aux marches du sanctuaire des deux chapelles, aux tables et marchepieds des autels , au socle et à la tablette d'appui de la balustrade , enfin dans les deux entrecolonnements , depuis la partie supérieure des autels jusqu'à l’'entablement de l'édifice (2). (1) Reg. cap., 19 déc. 1757. (2) Les vastes panneaux de marbre cipolin qui remplissaient les entrecolonnements, furent enlevés vers 1825, sans doute pour dé- gager les colonnes du jubé et l'entrée du chœur. Employés à déco- rer une fontaine sur la place du Vieux-Marché , ils ont depuis dis- paru avec elle. C'est vers la même époque qu'on construisit les deux escaliers disgracieux qu'on voit aux extrémités du jubé. Pri- mitivement, il n’en existait qu'un seul, qui était masqué par les panneaux de marbre. 260 ACADÉMIE DE ROUEN. Dans les entrecolonnements sont placés les autels du Vœu et de Sainte-Cécile, décorés de bas-reliefs. Le bas- relief de droite représente le Sauveur mis au tombeau , environné des saintes femmes. Sur le tabernacle est posée la statue de la Vierge en marbre blanc, de 6 pieds de hauteur. Cette statue et toute la sculpture du même autel sont dues au statuaire Lecomte. A gauche, sur l'autel de Sainte-Cécile, se dresse la statue de cette martyre , aussi en marbre blanc, sortie, comme toute la sculpture de cette chapelle, des mains de Clodion. Le bas-relief représente Cécile rendant le dernier soupir. Ses pauvres qui l’environnent encore, recueillent dans des linges et des urnes le sang qui s'échappe de ses blessures. Ce travail nous semble bien inférieur au chef-d'œuvre d'Étienne Maderno, qui retrace avec tant de bonheur l'in- effable sommeil de la Vierge couchée sur le côté droit , les genoux réunis avec modestie, les bras affaissés l'un sur l’autre , et la tête, par une inflexion mystérieuse et touchante , un peu retournée vers la terre (1). Les deux statues richement drapées sont pleines de flexibilité et de mouvement, et révèlent, ainsi que les reliefs , une grande habileté de ciseau. Mais leur beauté trop naturelle parle trop aux sens et n’est pas assez trans- figurée par la pensée chrétienne. Elles ne font pas moins disparate avec les statues du moyen-âge, que l'architecture grecque du jubé avec les ogives de la basilique. Le calvaire, dù à Clodion, composé d’un grand Christ qui subsiste encore , d'une vierge et d'un saint Jean de 8 pieds de haut, qui ont disparu , ne fut posé qu'en avril 1788. Le cardinal de la Rochefoucauld en fit la bénédic- tion solennelle le dimanche # mai, et célébra pontificale- (1) Guéranger , Histoire de Sainte-Cécile, au frontispice. or ot _ CLASSE DES BELLES-LETTRES. 261 ment la messe de l’exaltation de la Sainte-Croix. Les cha- noines en soutanes rouges et violettes, selon leurs dignités, étaient rangés en demi-cercle au bout de la nef. M. Crespin, membre du Chapitre et prédicateur ordinaire du roi, pro nonçÇa le discours (1). Les six vases d'ornement en cassolettes, confiés aussi à Clodion , ne furent posés qu’à la fin de l’année 1789. Le bateau qui les apportait s'étant ouvert près le pont du Pecq, ils restèrent près d’un an au fond de la Seine, avant de figurer sur les acrotères où ils sont encore. Le Chapitre alloua 400 livres à Clodion, pour tous frais et ava- ries (2). Je termine ici cette ébauche de notre nouveau jubé. Quelque fâcheux que soit le contre-sens qu'il forme avec l'ensemble de la Cathédrale , il n’en atteste pas moins le zèle et la magnificence du cardinal de la Rochefoucauld et de son Chapitre pour la décoration du lieu saint. Que n'atteste-t-il aussi leur bon goût , leur intelligence de l’ar- chitecture du moyen-âge et de l'harmonie des styles ! Evi- demment, c’est un sens qui leur manqua ; mais il man quait aussi à toute notre ville, aux Académies qu'ils avaient consultées, disons mieux , à tout leur siècle. SR PR RE EAN EEE RES OT (1) Reg. cap., 4 mai 1788. M. Crespin, entr’autres stations, prè- cha l'Avent de 1789 devant Louis XVI. (2) Reg. cap., 29 mai, 30 octobre et 3 novembre 1789. VARIÉTÉS ARCHÉOLOGIQUES AU SUJET D'UNE MASCARADE DONT DIEPPE FUT LE THÉATRE (1449-1451) PAR M. E. DE FRÉVILLE. (Lues à la Séance du 4 avril 1851.) Messieurs, Il existe aux archives départementales , parmi les comptes des recettes et dépenses de l’archevêché, un re gistre que je déclare n’avoir pas découvert. A moins qu'il ne s’agisse d’une immense collection de pièces historiques, comme le cabinet des manuscrits de la Bibliothèque natio- nale ou comme les archives de l'État, il est en effet con- venable et souvent juste de penser que le Conservateur d’un dépôt connaît, au moins par aperçu, tout ce que les visiteurs y découvrent. On peut aflirmer, d’ailleurs, que ce registre a été feuilleté, car des mains un peu trop im- patientes d’en tirer parti y ont imprimé les traces de leur passage. Voici la description matérielle du manuscrit. Il est in-folio et recouvert d’une épaisse feuille de parchemin brunie par le temps. Il contient cent feuillets de papier, non Tdi À ide CLASSE DES BELLES-LETTRES. 263 paginés, et porte un titre que je suis obligé de transcrire, quelque long et diffus qu'il soit : « Copia registri emenda- « rum, composicionum et reconciliacionum , aliorumque « expletorum juridictionis spiritualis curie archiepiscopalis « Rothomagensis, facti per Johannem Rousselli, in decre- « tis licenciatum, promotorem ipsius curie, sub reveren- « dissimo in Christo patre et domino, domino Radulpho, « miseracione divina Rothomagensi archiepiscopo, pro «uno anno incipiente prima die meusis dulii, anuo « Domini millesirao cecc®° quinquagesimo, et finiente anno « revoluto , et, a dicta revolucione anni, que fuit prima « jullii, anno ejusdem Domini millesimo cccc”° quinqua- « gesimo primo, usque ad primam septembris proxi- « mi et inde sequentis. » Les auteurs qui ont écrit sur le droit canonique nous apprennent que le vicaire général, l'oflicial et le promoteur ou procureur fiscal, étaient les trois principaux ofliciers des évêques ; que les promoteurs exerçaient une haute sur- veillance dans le diocèse ; qu'ils signalaient aux vicaires généraux et aux officiaux , chacun en ce qui les touchait , les abus qu'ils découvraient (4). En outre, et c'était même la plus importante ile leurs fonctions, les promoteurs rem- plissaieut , auprès des cours ecclésiastiques , le rôle qui est dévolu au ministère publie dans nos tribunaux ; ils ins- truisaient les affaires criminelies ou contentieuses, et pre- naient des conclusions devant l’official. Le registre , dont nous possédons une copie, confirme la définition que vous venez d'entendre, puisqu'ou y trouve la liste des jugemorits rendus ét les peines prononcées par l'oflicial , à la requête du promoteur. (1) De là vient que le promoteur du Chapitre prenait, à Rouen, le titre de Magister morum. (Expilly, Düict. des Gaules, art. ROUEN. ) 264 ACADÉMIE DE ROUEN. Maintenant, pour quelle cause une copie de ce registre accompagne-t-elle les comptes des recettes et dépenses du trésorier ? Parce que levolume contenantles noms des condamnés et la quotité des amendes qu'ils avaient en- courues, était la principale pièce justificative du compte que le promoteur rendait au trésorier. Aussi, dans tous les registres de ce dernier, au chapitre des amendes, on lit en marge la mention suivante : « Collacio istarum « parcium sequencium facta fuit cum singulis partibus , in « registro emendarum dicti promotoris contentis , et bene « reddit. » Le manuscrit que nous examinons s'étend du 1° juil- let 1450 au 1° septembre 1451, c'est-à-dire qu'il em-— brasse un espace de quatorze mois. Je ne connais pas la cause de cette singularité. Il faut peut-être l'attri- buer à la date de l’entrée en charge de Jean Roussel. L'époque de la reddition des comptes du promoteur étant ordinairement le 1 septembre, on aura donné quatorze mois à la première année de l'exercice de Jean Roussel, afin de retomber ensuite dans les périodes ordinaires. J'ai aussi, Messieurs, une conjecture à vous soumettre sur un autre point. Vous remarquerez que l'archevêque de Rouen et le promoteur portaient le même nom de fa- mille , en 1450. On a donc lieu de penser qu'ils étaient parents, et avec d'autant plus de raison que les évêques ne confiaient guère le promotoriat qu'à des hommes par- faitement sùrs et dévoués à leur personne. Pour exposer les divers genres d'intérêt que présente le registre de Jean Roussel , il faudrait entrer dans beaucoup de détails. Je me borne à dire qu'il peut être opposé avec succès aux détracteurs de ce temps-ci , et qu'il est précieux au premier chef pour l'histoire des mœurs dans notre dé- partement. En comparant ce registre avec ceux de même espèce , CLASSE DES BELLES-LETTRES. 265 qui sont, aussi bien que celui-ci, mêlés aux comptes de l’ar- chevêché, on s'aperçoit que les crimes et les délits ont été plus graves et plus nombreux, en 1450, que dans d'autres années. Nous n'en serons pas étonnés si nous réfléchissons que notre province était alors au lende- main d'une révolution, et, qui pis est, d'une longue anarchie. Encore un mot sur cette série de registres. Par cela même qu'elle a droit d'être appelée la chronique scanda- leuse de ce pays-ci, par cela seul qu'on y trouve, soit comme coupables, soit comme victimes d’attentats à la pudeur , de violences, ete., des personnes dont les familles existent encore , il me paraîtrait bon de ne la communi- quer qu'avec une certaine réserve. Je in’abuse peut-être , mais je crois voir un peu de res- semblance entre l'archéologue et le médecin. Comme le médecin , l’archéologue est appelé à étudier les maladies et les douleurs sociales , afin, s’il est possible , d'en pré- server les générations futures ; non moins que le médecin, il doit s'attacher à ne rien dire qui puisse inquiéter les individus et alimenter la malignité publique. Toutefois , on n'a pas encore songé, que je sache, à exiger des savants le serment d'Hippocrate ; c'est donc à nous , Messieurs, à veiller , et au besoin à provoquer les mesures nécessaires pour que les secrets des familles ne soient pas livrés aux fantaisies révélatrices du premier curieux venu. I ne serait pas question de la mise sous les scellés, mais seulement, je le répète, de la communication res- treinte des registres semblables à celui dont j'ai l'honneur de vous entretenir ; car on aurait tort assurément d'inter- dire le jour de la publicité à des détails aussi inoffensifs que ceux que vous allez entendre. Le mercredi 25 mars 1450 (il y a aujourd'hui un peu plus de quatre siècles), la ville de Dieppe célébrait l'une 266 | ACADÉMIE DE ROUEN, deses principales fêtes, la fête de l'Annonciation. Cette so- lennité occasionnait ordinairement de grandes réjouis- sances , où chacun apportait l'ardeur la plus vive, dans l'espoir d'oublier un instant les préoccupations continuelles de la vie commerciale. En 1450 , la fête ne s'annonçait pas sous d'aussi agréables auspices. A la vérité, le clergé de Dieppe avait déployé toutes ses magnificences , comme de coutume; mais la ville s'était tenue sur la réserve. Elle ne montrait pas de joie , tout au contraire , elle était grave, presque triste. On n’y voyait aucun de ces jeux , aucun de ces baladins, aucune de ces mascarades qui naguère encore amusaient si bruyamment son peuple de matelots. La cause de cette métamorphose, la voici. L'année précédente , à pareille époque, l'archevêque de Rouen , après avoir obtenu un arrêt de main-levée qui fit lâcher prise aux gens du roi, était venu visiter son domaine de Dieppe , afin de mieux marquer sa rentrée en possession. Le sévère prélat avait encore profité de ce voyage pour interdire formellement toutes les farces et sotties qu'on se permettait dans la ville, aux jours de grande fête. Mais certes, Monseigneur Raoul Roussel n'aurait pas lancé son anathème , s'il eût pris conseil des Dieppois. Ecoutons-les plutôt. Autrefois , disait un marchand de cidre à pot renversé, il y avait ici trois bonnes fêtes en l'an , et cela nous aïdait à supporter la guerre, la faruine , la peste et les impôts ; aujourd'hui , on nous défend de nous réjouir, et pourquoi , je vous prie ? Parce qu'il y a eu quelques fernmes fouettées, parce que deux ou trois hommes se sont battus jusqu'au sang ! Où donc est le grand mal, Monseigneur l’Archevêque, d’en finir avec ses vieilles rancunes ? Est-ce que , après la bataille , n’arrivait pas toujours la réconciliation ? Nous en savons quelque chose, et nous savons aussi que notre CLASSE DES BELLES-LETTRES. 267 commerce s'en trouvait bien. — Quelle galère ! ajoutait un vieux pêcheur ; traqués sur mer par ces enragés anglais, traqués sur terre par un archevèque, vraiment c’est trop à la fois. Nous étions plus heureux sous la férule royale. Celle-là avait du bon, quand on s’en tenait loin ; elle nous laissait nos amusements , elle ne s'ingérait pas de tout absolument, comme le bâton pastoral de notre très révérend père et seigneur, Monseigneur Raoul Roussel. — Encore passe pour l’année dernière , disait un bourgeois retiré des affaires , alors ce n'était point le quart-d'heure de rire , et Monseigneur , aussi bien que nous autres , n'était pas tran- quille chez lui. Mais , à cette heure que les Anglais sont chassés du pays et que l’on recommence à vivre, il y a dureté à nous refuser jusqu'aux plus innocentes distrac- tions ; car la défense est absolue , sachez-le bien, c’est de monsieur le lieutenant que j'en ai reçu l'assurance. La conversation allait continuer , faute de mieux , quand elle fut interrompue par une espèce d'émeute, dans la rue voisine. Nos interlocuteurs écoutèrent attentivement , et la stupéfaction, qui d’abord était apparue sur leurs visages, fit aussitôt place à des sentiments divers et trop naïvement exprimés pour ne pas captiver l'œil du peintre qu'un heureux hasard eût amené là. En effet, au milieu du tapage et des cris, on n'avait pas tardé à distinguer des éclats de rire , des trépignements de joie; et ces signes ayant rassuré les trois causeurs , vous eussiez vu la physio- nomie du bourgeois s’animer de la plus impatiente curio- sité, les traits hâlés du vieux marin s'épanouir de bon- heur, l'espoir d’un gain inattendu éclairer les yeux du tavernier Comme ils se dirigeaient ensemble vers le théâtre du tumulte , tout-à-coup, cinq masques costumés en diables et sortis on ne sait d’où , les poussent, les enveloppent , aux applaudissements de la foule, tournent autour d'eux 268 ACADÉMIE DE ROUEN. avec une incroyable furie , puis recommencent leur course folle à travers la ville. Kolle , ai-je dit ? je me trompe ; ces diables avaient des intentions , et des plus noires. Quand ils eurent parcouru toutes les rues, frappé à toutes les portes, grimpé sur les toits, fait mille singeries ; quand ils eurent enfin rompu le charme qui tenait ce peuple dans l'immobilité , ils l'entraînèrent vers une place écartée, où l'un de leurs complices préparait un spectacle fort goûté par nos pères, je veux parler d’une course à la Quintaine. J'ai de la peine à vous avouer, Messieurs, que ce noble exercice, ce jeu préparatoire de nos anciens tour- nois est devenu , à force de dégénérer , notre modeste et enfantin jeu de bague (1). En 1450, bien qu'il se fût déjà transformé, il était encore facilement reconnais- sable. «C'était alors, dit le P. Menestrier , une figure de « bois, en forme d'homme , plantée sur un pivot, afin « qu'elle fust mobile. Elle demeuroit ferme quand on la « frappoit au front, entre les yeux et sur le nez... ; mais « quand on la frappoit ailleurs , elle tournoit si rudement « que , si le cavalier n’étoit adroit pour esquiver le coup, « elle l'atteignoit d'un sabre de bois ou d’un sac plein de « poussière ; ce qui donnoit à rire aux spectateurs. (2) » Dussiez-vous désapprouver , Messieurs, tous les détails de ma mise en scène, cependant , il vous faudrait m’ac- corder que , en 1450 , la Quintaine de Dieppe représentait un gros soudard anglais, et que le masque joùteur était un élégant chevalier français , armé de toutes pièces. (1) Ch. du Fresne du Cange, Glossarium mediæ et infimæ latini- tatis, au mot : Quintana. (2) Traité des Tournois, p. 264. — Comparez avec cette descrip- tion, l’image de la Quintaine ancienne , que du Cange a donnée dans son Glossaire , aux mots: #rictem levarc. [| ] À l } : CLASSE DES BELLES-LETTRES. 269 Déjà notre lutteur avait exécuté plusieurs passes bril- lantes et recueilli les applaudissements du publie , lorsque l'autorité, sous les traits de quelques sergents, survint, sans crier gare, et termina la journée par la mise en prison de messieurs les diables, en compagnie de monsieur le chevalier. Les acteurs de cette petite comédie étaient six jeunes poursuivants d'armes... Mais , puisque la justice est saisie, laissons-la parler. Nous y gagnerons de connaître le style du greffe de notre ancienne oflicialité. « Petrus de la Couyere, « Petrus le Seneschal, « Johannes le Bourguegnon , « Perrinotus de Greges, « Johannes Gosselin , « Juvenes et soluti (1), arma sequentes , Deppe commo- « rantes , lune post Quadragesimam , anno predicto, « Emendaverunt et emendavit quilibet ipsorum , « Quia ipsi , scientes fuisse inhibitum omnibus , ex parte « reverendissimi in Christo patris, domini archiepiscopi « Rothomagensis , in publico sermone facto Deppe , circa « festum Annunciacionis beate Marie Virginis, anno « m° ecec° xlix°, ne aliquis de cetero, in dicta villa, se in- « dueret vestibus dyabolicis, nec haberet facies larvatas , « nec discurreret in illo statu per villam, prout (ab antiquo « ibidem licet male fieri) consuetum erat in predicto festo, « unde provenerant scandala et mala. Nichilominus ipsi et «eorum quilibet, die Annunciacionis ultima lapsa , in pre- « dictis habitibus , faciebus larvatis , ut per prius , per pre- « dictam villam Deppe cururrerunt ; propter quod arres- « tati fuerunt presionarii et per aliquot tempus detenti. (1) C'est-à-dire : célibataires. 270 ACADÉMIE DE ROUEN. « Asserentes, medio juramento, quod credebant illam « prohibicionem sic factam valere non debere nisi pro illo «anno quo fuit facta, cum anno sequenti nichil fuerit « prohibitum. Fuerunt inhibiti ad penam decem libra- « “ef eve We”), VER LES yd* (V7 À LA |" TIR PL SSP TE ÿ kANUN | M VTT ÜVÉ é PEU A AV Ne") SN C2 VV AA CU CAM AR PHARES ,v° L'ÉCRIT Z AAA y ACACACAE SAR RAA LAS AT AA MU VV UV yvuu D V AVES Ü NY ET EUME VV LA 2 w 4 : A ("24 j UE LC de So ; { VV VEVUVVO Tu ve { 2 FE AL A = LL LA VU 7 VE POUVOE ÿ “rh AN uv" Vi VEN AAA U LA o _ dE dd he — he M QE >d AA AA ANT AA AA AAA RARE AASAR AAA re RAAAAAAA Ana AA AXAA A ANA pe AA AAA TA TA ARR Fan RAAR \ AAA AARAAAS AAA a SAP à: à SL : Dm LAN Le Lt