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Article 59. — L'Académie déclare laisser à leurs auteurs toute la responsabilité des opinions et des propositions consignées dans les ouvrages lus à ses séances ou imprimés par son ordre. Cette disposition sera insérée , chaque annee , dans le Précis de ses travaux. ee 0 À © — NÉANCE PUBLIQUE DE L'ACADÉÈÉMIE DES SCIENCES, BELLES-LETTRES ET ARTS DE ROUEN, TENUE LE S AOUT 1854, Dans la grande Salle de L'Hôkel-de-Ville. "ED À Eem——— La séance s'ouvre à sept heures du soir. Au bureau siégent M. Lévesque , président, et les autres officiers de l'Académie. Sur l’estrade, on remarque M. le Maire de la ville, M. le Président du tribunal de commerce, plusieurs autres fonctionnaires, les présidents et délégués des Sociétés d'agriculture , d’émulation, de commerce, d’horticulture, de médecine, des pharmaciens, du Cercle pratique d’horticulture et de botanique , etc. Un public nombreux remplit la salle. M. Lévesque, en ouvrant la séance, s'exprime en ces termes : Messreurs , Il y a quelques années, à cette même place où l'honneur inespéré de prendre en ce moment la parole m'a été conféré par l’Académie, un littérateur, qui était aussi un artiste à la fois et un savant, mais qui était surtout un Î 2 ACADÉMIE DE ROUEN. homme de goût, disait, devant un auditoire éclairé et bienveillant , tel que celui qui daigne m'écouter en ce moment : — Plus de discours! le discours académique a fait son temps ; il a régné, non certes sans éclat, non sans honneur et sans applaudissements; mais son règne est fini : il ne vit plus que dans la tradition et comme monument du passé. Gardons-nous de troubler sa cendre glorieuse; qu'il repose en paix sur ses lauriers : mais gardons-nous aussi de vouloir le faire revivre! — Depuis et récemment, les amis fidèles de nos solennités, ceux qui viennent assidûment , une fois chaque année , les ho- norer de leur présence, ne l'ont pas oublié; tout nouvelle- ment un autre président de l’Académie, dans une allocution poétique pleine de verve et de spirituelle malice, répétait à peu près la même pensée. Après avoir longtemps et inutilement cherché un sujet de discours, il avouait naïve- ment qu'il avait dû y renoncer. Si ces honorables orateurs, Messieurs, n'ont pas eu tort, combien n’aurai-je pas raison , pour mon compte, de parler et d'agir comme eux ! Si leur plume habile et élé- gante, parée des riches couleurs de leur imagination , s’est arrêtée devant un obstacle qui leur à paru presque invin- cible, comment et par quelle témérité irais-je tenter après eux une œuvre qu'ils ont désespéré d'accomplir? Assez et trop longtemps peut-être n'a-t-on pas rebattu les sujets et les sentiers académiques ? N’a-t-on pas assez disserté sur les charmes de l’étude , et redit en périodes savantes, après l'orateur romain, ce qu’elle répand sur la vie de bonheur paisible et de douces jouissances, soit comme ornement dans la bonne fortune , soit comme consolation dans l'adversité ? Assez de fois aussi, et sous toutes les formes , n’a-t-on pas célébré le mérite et la haute utilité des Sociétés scientifiques, et les éminents services qu'elles ont rendus à la cause des lettres, des sciences et des arts ?... SÉANCE PUBLIQUE. 3 Pour moi, après tant de discours et tant d'éloquence prodigués , je tiens la cause pour suflisamment instruite , et le procès en état d’être jugé : je tiens la preuve pour acquise et bien complète. ..... ou bien la preuve ne se fera jamais ; et si, à la riche couronne qui a été tressée dans la suite des temps à l'honneur des Académies , non sans leur aide et sans le secours de leurs propres mains, quelque fleuron rare et inconnu pouvait un jour être ajouté, je laisse cette découverte et ce bonheur à d’autres plus habiles. — Ce qu'il faut désormais, à mon avis, et ce qui, au surplus, doit suflire à la gloire des Académies , c'est l'argument ou le procédé du philosophe devant qui on niait le mouvement , et qui, pour toute réponse, se mit à marcher. — Qu'elles marchent donc, elles aussi, pour répondre aux incrédules et aux sceptiques qui voudraient leur dénier la faculté du mouvement et du progrès. Qu’elles répondent par le fait, par leurs travaux, et non par des discours. C’est là tout ce qu'elles ont à faire, et c’est aussi à ce seul mot que je m'’arrête, quant à présent; car il faut, de suite, Messieurs, que je vous fasse humblement une confidence : c’est que je n’ai pas dit mon dernier mot. Bientôt, j'aurai à vous demander encore un sacrifice, le sacrifice de quelques instants d'attention pour ma réponse à l’orateur qui vient aujourd’hui prendre place au milieu de nous, et dont la parole ne sera pas un des moindres attraits de cette solennité. Dans cette épreuve délicate et périlleuse , où je n'aurai qu’une excuse, celle du devoir à accomplir, puissé-je, à défaut de titre à votre faveur , m'en assurer un du moins à votre reconnaissance par le seul mérite auquel je puisse prétendre, celui qui a été justement appelé la politesse de l’orateur : la brièveté ! Après cette allocution, M. Jorimois, avocat général, nouvellement élu membre de l'Académie, est introduit 4 ACADÉMIE DE ROUEN. dans la salle, par MM. Méreice et Caro, membres de l'Académie , délégués à cet effet. La parole est immédiatement donnée au récipiendaire , qui prononce le discours d'usage. L'orateur se livre à l'examen de la loi sur le travail des enfants dans les manufactures. M. le Président lui répond. Après l'installation de M. Joumois, des lectures ont lieu dans l’ordre suivant : 1. Imitation de Catulle, pièce de vers, par M. N. Leroy. 2, Des avantages que l'on pourrait tirer d'une Eco'e professionnelle départementale dans la ville de Rouen, par M. l'abbé Neveu. 3. Fragments d'une Satire de Juvénal, pièce de vers, par M. N. Leroy. 4. Rapport sur le concours ouvert pour l'Eloge d'Adrien Turnébe, par M. Caro. 5. Bohême et Normandie, pièce de vers, par M. Des- CHAMPS. La séance est levée à neuf heures, au milieu des applau- dissements. DISCOURS DE RÉCEPTION DE M. JOLIBOIS, Avocat général Messieurs, En prenant place au milieu de vous, je veux que mon premier mot réponde à mon premier devoir, et qu’il soit l'expression bien sentie du sentiment qui me domine : c'est celui d’une profonde reconnaissance pour les bien- veillants suffrages qui m'ont ouvert les portes de l'Académie. Toutefois, Messieurs, si j'estime au plus haut prix l'honneur dont vous m'avez jugé digne, je ne me fais cependant aucune illusion sur les motifs qui ont décidé mon élection. Je ne pouvais invoquer , pour prétendre à cette faveur insigne , aucun des titres littéraires ou scien- tifiques qui, pour chacun de vous, avaient à l'avance mar- qué une place dans cette assemblée. La profession d'avocat et l'exercice des sévères fonctions du ministère publie ont tour à tour occupé ma vie tout entière. C’est dans ce passé que votre indulgence a bien voulu trouver un titre suflisant d'admission; et, pour justifier votre choix, vous avez compté sur l'avenir, Vous avez 6 ACADÉMIE DE ROUEN. pensé sans doute que les hommes du barreau et du ministère public peuvent, sans éprouver de grandes difficultés, se livrer aux travaux littéraires ; vous vous êtes dit que ceux qui parlent tous les jours peuvent sans peine écrire quelquefois. Je m'applaudis, Messieurs , que vous ayez partagé cette opinion généralement répandue ; c'est une erreur dont le précieux bénéfice m'est désormais acquis, je puis donc sans danger vous faire ma confession et rétablir la vérité. Je ne parle pas des exceptions, des intelligences d'élite, dès organisations privilégiées , à qui la nature, généreuse jusqu'à la profusion , a permis la science du jurisconsulte , donné le langage du poète et accordé le talent de l'artiste. Mais, en général , l'étude aride des lois et les luttes quo- tidiennes de l'audience entreprennent et absorbent toutes les facultés de ceux quis'y livrent. Entre ces deux rudes labeurs qui se succèdent sans cesse, il n'y a ni place ni loisir pour les délassements littéraires. L'audience est d’ailleurs une mauvaise école de style. Quand il faut, sur le champ, répondre à des arguments imprévus , l'esprit se préoccupe exclusivement du soin de rassembler les faits et surtout de rechercher Ja pensée, et, quand il est assez heureux pour la rencontrer, il s'empresse de la saisir pour la jeter dans la discussion sans avoir le temps de la revêtir d'une forme littéraire. Dans ce combat, où la victoire est recherchée avec la légitime ardeur que donne une conviction sincère, on vise bien plutôt à frapper fort qu'à frapper avec grâce et avec élégance. Que de fois l'action du geste et les inflexions de la voix n’ont-elles pas prêté à l’orateur un secours bien utile en l’aidant à dissi- muler les imperfections de phrases rarement correctes , souvent même incomplètes. Il faut s’en rapporter à ceux qui chaque jour parlent en publie ; ils s'apprécient à leur véritable valeur et se rendent SÉANCE PUBLIQUE. 7 une justice exacte quand ils avouent qu'en dehors de l'au- dience, quand ils ne sont plus animés par la chaleur de la discussion , quand le geste est défendu, quand l'éclat de la voix est de mauvais goût, quand il faut parler, sans avoir, pour excuser ses fautes, la ressource de les rejeter ...... modestement sur les nécessités de l'improvisation, ils ne savent ni lire ni écrire. Quelle que soit l'exactitude de ce mot , trop vrai hélas ! en ce qui me concerne, vos sufirages m'ont ordonné d'écrire , j'ai essayé ; je vais maintenant essayer de lire. Le choix d’un sujet a été mon premier embarras, et, pour m'y soustraire, j'ai naturellement porté les regards vers la loi, objet de mes études habituelles. J'ai pris dans l'immense arsenal de nos dispositions législatives, celles dont l'exécution me paraît le plus utile et le plus nécessaire , à cause des grands intérêts qu’elle embrasse et qu’elle régit, surtout dans cette grande et industrieuse cité; je veux parler de la loi qui règle le travail des enfants dans les manufactures, et du décret qui limite les heures de travail pour tous les ouvriers sans acception d'âge. Personne aujourd’hui n’oserait révoquer en doute la nécessité et la sagesse des prescriptions des lois qui dé- fendent d'étendre au-delà de toutes les bornes la durée du travail journalier. Cependant, Messieurs, les hésitations du législateur ont été longues, bien longues. Elles s'expliquent par les résistances qui se sont manifestées , et dont l'énergie a été rendue plus puissante encore par l'habileté avec laquelle elles se sont produites. L'intérêt particulier s’est dissimulé avec soin , il a pris le nom d'intérêt général , on a invoqué les grands principes, on a fait résonner les grands mots. Restreindre la durée du travail, c'était, disait-on, perdre l'avenir commercial du pays ; apporter de profonds chan- $ ACADÉMIE DE ROUEN. gements dans les conditions de la production mdustrielle, c'était rendre impossible la concurrence avec les nations rivales. On voulait bien reconnaître cependant que le soin d'assurer le développement physique, intellectuel et moral des ouvriers constitue un grand devoir social, mais on signalait un intérêt supérieur devant lequel il devait céder : désormais , ce n’est plus le sort des armes qui doit assurer la prépondérance d’un pays, désormais ilne doit plus exister entre les nations d’autres luttes que les luttes commerciales ; si nous devons combattre encore , ce ne sera plus que pour remporter des victoires industrielles ! Et, pour conquérir cette grande gloire, peu importe que quelques-uns, que beaucoup même succom- bent dans la mêlée ; soldats obscurs, ouvriers ignorés , ils disparaissent; mais, par leur travail, ils auront aidé à assurer la prospérité de ces grands établissements qui ne sont pas seulement des fortunes particulières , qui constituent véritablement la richesse publique. Enfin , pour rendre le tableau plus séduisant, on cou- ronnait le récit de ces grandes choses par un grand mot : la liberté du travail! Longtemps, Messieurs, cette théorie à prévalu, €t, sous des efforts qui n'avaient ni frein ni limite, la con- currence s’est développée avec tous ses excès et toutes ses exigences. L'industriel, poussé bien moins, il faut le reconnaître , par une soif immodérée de lucre que par la nécessité de soutenir une lutte dans laquelle se trouvaient engagés sa fortune , son avenir, son existence commer- ciale tout entière, a mis en œuvre tous les moyens et toutes les ressources ; sous peine de mort, il fallait produire beaucoup et à bas prix ! Telle a été la cause la plus géné- rale de la funeste tendance d'accroître, au-delà de toutes les bornes , la durée du travail journalier. Bientôt même les bras de l'homme sont devenus des SÉANCE PUBLIQUE. 9 leviers insuffisants : la science et le génie des inventeurs ont prêté à l'industrie leur puissant concours. A côté de ces grandes machines, infatigables moyens de production, l'ouvrier à été placé comme un accessoire ; il est devenu machine par destination ; les forces humaines ont dù con- courir avec les forces inépuisables des moteurs mécani- ques, de l’eau , du feu et de la vapeur. Dans cette lutte inégale, l’excès de la fatigue devait nécessairement causer, dans la constitution robuste de l’homme fait, des altérations successives et de profonds ravages ; au milieu de l'atmosphère viciée des ateliers, les organes faibles et délicats de l'enfant devaient inévitablement aussi s'arrêter dans leur développement. Qui de nous n'a été douloureusement affecté à la vue de ces jeunes gens aux formes grêles, à la constitution maladive, au visage livide et amaigri , portant dans tous leurs traits les symp- tômes d’une fin prématurée ? Une grande partie de notre jeune génération arrivait ainsi à un état physique déplorable, effrayant, moins effrayant cependant que son état intellectuel et moral : le corps était broyé, mais l'intelligence était anéantie, l'âme flétrie. Nous n’exagérons rien ; les enquêtes ont révélé des abus tels qu’enfin un noble sentiment de pitié protectrice s’est élevé ; il s'est produit avec une énergie qui a fait taire toutes les autres considérations. Comme il arrive souvent, c'est l'excès du mal qui a produit le bien : en 1841, le légis- lateur est intervenu; il a donné une règle à l’industrie, tracé des limites à la durée du travail des enfants dans les manufactures, et stipulé en leur faveur la bienfaisante obligation de l'instruction primaire. Cette loi fut accueillie comme un bienfait ; elle fit naître de généreuses espérances ; il est triste de constater qu'elles ont été presque entièrement déçues. Le noble but qu'on 10 ACADÉMIE DE ROUEN. s'était proposé n’a pas été atteint. Quelle en est la raison ? C'est qu'il ne suflit pas d’édicter une loi pour détruire le mal qui existe et pour prévenir celui qui pourra se pro- duire: il faut surtout la faire observer avec une inébran- lable fermeté. Toute loi dont l'exécution n’est pas assurée par des dispositions rigoureuses et des moyens eflicaces est une loi inutile. Le législateur de 1841 avait épuisé toute son énergie en accordant le principe de la loi; il faiblit et recula devant la nécessité d'adopter les mesures propres à en assurer _ la sérieuse et complète exécution. On comprend parfaitement que, pour la constatation et la poursuite de délits spéciaux, d’une tout autre nature que ceux prévus dans nos Codes, on ait créé un système d'inspection spéciale ; mais il fallait lui donner une orga- nisation telle que la surveillance fût incessante et s’exerçàt avec fermeté. Des inspecteurs gratuits, choisis dans le sein des Conseils de département et d'arrondissement, dans les Chambres de commerce, en un mot , dans toutes les positions qui généralement sont la récompense du dévoûment pour le bien public, ne peuvent accomplir d'une manière eflicace l'importante et sévère mission qui leur est confiée. Concitoyens et souvent amis de ceux dont ils inspectent les ateliers, leur surveillance est trop pater- nelle pour n'être pas illusoire. À ceux qui sont chargés de la poursuite et de la répression des délits , il ne suflit pas d’être entourés de la considération générale , il faut encore qu'ils soient revêtus d’une autorité qui inspire une crainte salutaire. Si l'on voulait que la loi ne fût pas une lettre-morte, il fallait établir une organisation préventive , sérieuse, Com— posée d’inspecteurs pouvant consacrer tout leur temps et tous leurs soins à l'accomplissement de cette œuvre d'hu- manité. SÉANCE PUBLIQUE. 11 Ce système avait été discuté , et le motif principal qui l'a fait rejeter nous paraît bien futile aujourd'hui, en pré- sence des intérêts qu’il devait sauvegarder : on a craint que les chefs d'atelier ne parussent placés dans un état permanent de suspicion ; comme si la masse des industriels, les gens de bien, les hommes éclairés pou- vaient jamais se sentir blessés d’une surveillance dont ils n'auraient rien à redouter! Une telle exagération de susceptibilité ne peut évidemment servir qu’à dissimuler des motifs intéressés et peu avouables. L'inspection et la surveillance des établissements indus- triels devrait donc, à notre avis, constituer un service public spécial. Le décret du 9 septembre 1848, qui fixe d'une manière générale la durée du travail des ouvriers sans acception d'âge, aurait pu être une occasion favo- rable de l'organiser; mais à cette époque le courant des idées n’était guère porté à la création de nouveaux fonc- tionnaires ; la question ne fut même pas souleyée. Toutefois , ce silence de la loi, sur le mode d'après lequel les contraventions seraient constatées, a eu cet incontestable avantage de les soumettre au droit commun ; elles sont, en conséquence , poursuivies et jugées comme des délits ordinaires. La surveillance peut donc être con- tmuelle, et la répression, qui ne faiblit jamais, doit ramener sans cesse à la règle ceux qui sont tentés de s’en écarter. Pourquoi n'en est-il pas ainsi? Pourquoi ces lois respectables et saintes sont-elles, dès leur naissance même, tombées presque en désuétude dans plusieurs par- ties de la France? Nous l'avons déjà dit, Messieurs, c’est qu'elles blessent tant d'intérêts et portent atteinte à des abus tellement enracinés, qu'il est bien rare qu'elles aient été acceptées avec soumission. C’est l'honneur de ce pays éminemment industriel de marcher au premier rang 12 ACADÉMIE DE ROUEN. parmi ceux qui les exécutent avec loyauté. Dans toute l'étendue du ressort de la Cour de Rouen, les prescrip- tions de la loi sont respectées ; une surveillance active et permanente a été puissamment organisée , et à côté de quelques rares infractions, on est heureux de constater que l'obéissance à la loi est pratiquée partout comme laccom- plissement d'un devoir impérieux. Aussi, Messieurs, s’il est presque toujours difficile, et quelquefois dangereux , de traiter ces questions délicates qui touchent à l'économie sociale et politique, ici, dans cette enceinte, notre liberté est grande. Nous nous sen- tons soutenu par le concours et par les sympathies des industriels eux-mêmes, quand nous demandons que , dans toute la France , la loi, qui est devenue le régulateur des heures de travail dans les manufactures, soit appli- quée avec une stricte et égale sévérité. C'est qu’en effet, si l'humanité le commande, les inté- rêts les plus légitimes et les plus respectables de lindus- trie en font aussi une nécessité impérieuse. Si l'exécution de la loi sommeille quelque part, elle est compromise partout ; il faut la faire exécuter partout ou nulle part. Permettre aux industriels d’une contrée d'exiger de leurs ouvriers une durée de travail en dehors des limites prescrites, ce serait leur constituer une posi- tion privilégiée, et leur donner le moyen infaillible d’éta- blir , aux dépens de leurs voisins, une concurrence aussi désastreuse que déloyale. Quand ces lois seront passées dans nos mœurs indus-- trielles , l'industrie elle-même sera sauvée de ses propres excès ; elle n'arrivera plus à réaliser « ces exubérances « de produits qui, s'accumulant dans les magasins, « font que l'offre excède la demande , que les prix « s’avilssent , et que, finalement, le pays se trouve « jeté dans ces crises désastreuses, dont la conséquence SÉANCE PUBLIQUE. 13 «immédiate est d'obliger les industriels aux abois à « restreindre où à suspendre le travail, c'est-à-dire « à réduire ou à supprimer les salaires, an grand détri- « ment de la classe ouvrière, au péril même de la paix « publique (1). » Sans vouloir ici prendre parti dans une des questions les plus graves et les plus difficiles, qui divise les économistes les plus distingués et les hommes d'Etat les plus consommés, nous dirons aux industriels qui réclament avec tant d’ardeur le maintien de nos tarifs de douane, que la loi, partout exécutée, est le meilleur argument en faveur du régime de protection du travail national. La voix des adversaires du système du libre-échange peut devenir puissante et écoutée. Qu'ils ne disent plus seulement que ia concurrence sans restriction des manufactures étrangères anéantirait notre industrie nationale; qu'ils ajoutent qu'elle aurait pour résultat inévitable de les contraindre à ne pouvoir continuer les généreux efforts que , d'accord avec la loi, ils tentent pour l’amélioration matérielle et morale de la classe ouvrière ; ils ne seront plus suspects d'intérêt per- sonnel et ils pourront demander qu'en dédommagement des obligations qui leur sont imposées, qu'ils acceptent et qu'ils remplissent, on renferme dans nos frontières une Intte qui sera suflisante encore pour assurer le progrès, et qui permettra de concilier les intérêts de la richesse com- merciale du pays avec les droits imprescriptibles de l’hu- manité. Ce sont là, Messieurs, de grands et légitimes intérêts qu'il s’agit de sauvegarder, et cependant , ils ne sont rien en comparaison de ceux d’un ordre plus élevé, qui récla- (1) Circulaire de M. le procureur général Daviel, du 25 mai 1852. 14 ACADÉMIE DE ROUEN. ment plus énergiquement encore l'exécution sévère, mais générale, des lois qui ont limité les heures de travail dans les manufactures. C’est d'elle, en effet, que dépend l'avenir de la classe industrielle, si nombreuse, si intéressante, si indispen— sable à la prospérité publique. Si on veut la régénérer et la moraliser, il faut que, désormais, l'enfant, dont le corps a besoin d'air et de liberté, dont l'intelligence veut être développée par l'édu- cation, ne soit plus enlevé à l’école et aux jeux de son âge pour aller croupir et s’étioler dans l'atmosphère mal- saine des ateliers, pour avoir sans cesse sous les yeux des exemples dangereux qui provoquent les habitudes vicieuses et excitent les passions grossières. [l faut que, chaque jour, quelques heures soient réservées aux leçons que donnent l'instruction, la morale et la religion. Son esprit et son cœur se formeront à ces salutaires enseigne ments ; et quand l'enfant sera devenu homme, n’en doutez pas, Messieurs, on verra bientôt fructifier les semences bienfaisantes que l'éducation aura déposées en lui. Il sera prévoyant, parce qu'on lui aura appris à l'être ; il sera économe, parce qu'on lui aura inculqué des idées d'épargne et d'avenir. Les jours de repos, après la satisfaction que donne l'accomplissement des devoirs religieux, il préfèrera les délassements que procure la vue des belles pages d'his- toire qui ornent nos musées, et qu'on lui aura appris à comprendre ; il préfèrera les avantages que son intelli- gence, suffisamment cultivée, saura retirer de lectures instructives, à la fréquentation du cabaret, ce tombeau de la santé et de la vertu. C'est à, Messieurs, le but noble que le législateur à voulu atteindre. Son œuvre ne doit pas rester et ne restera pas impuissante et stérile. Loin de moi la pensée SÉANCE PUBLIQUE. 15 décourageante qu'il faille désespérer de l'exécution salu taire de ces lois éminemment sociales. Jamais moment ne fut plus favorable pour élever la voix et faire entendre des vœux légitimes. Animé de la plus vive sollicitude pour la condition des classes ouvrières , le Gouvernement de l'Empereur saura vaincre tous les obstacles, toutes les résistances : il a la volonté, la force et le droit, il fera triompher la cause de l'hu- manité ! mme RÉPONSE De M. LÉVESQUE, PRÉSIDENT, AU DISCOURS DE M, JOLIBOIS, Moxsieur , J'ai l'habitude d'être franc; c'est un tort, peut-être : c’est une dérogation, du moins, après celle dont j'ai usé tout-à-l'heure, à d'anciens usages et traditions académi- ques. J'ignore, et, au surplus, je me soucie peu, je l'avoue , de savoir l’art des compliments , qui n’est guère que l’art de la flatterie, sinon de quelque chose qui vaut moins. Je vous parlerai donc, Monsieur , avec franchise, et j'espère que vous ne m'en saurez pas mauvais gré. Tout d'abord, Monsieur, en venant ici, un peu tard peut-être (pardonnez-moi ce regret intéressé), prendre place parmi nous, vous vous êtes demandé quels avaient pu être vos titres académiques. A cette question, ou ce doute par trop modeste, et dont la pensée ne pouvait certainement venir qu'à vous, ce n’est pas moi, Monsieur, qui répondrai. Je ne voudrais pas, tout en restant dans le vrai, paraître même donner trop vite un démenti à ma profession de foi de tout-à-l'heure ; c’est à vous-même, SÉANCE PUBLIQUE. 17 Monsieur , c’est à ce que vous dites des habitudes de votre vie, que je demanderai la réponse. Ces habitudes, avez- vous dit, tout entières consacrées à l'étude laborieuse et à la pratique sévère du droit, soit dans la profession d'avocat, — cette profession aussi noble que la magistra- ture, aussi ancienne que la justice, — soit dans les hautes et éclatantes fonctions du ministère public, ne vous ont guère laissé de loisir, et c’est à peine si, pour un travail ou un simple délassement littéraire, le temps ne vous a pas tout-à-fait manqué. Je prends acte, Monsieur, de ces paroles ; je les veux même prendre à la lettre pour un instant. Mais est-ce donc si peu, je vous prie, que toute une vie si décorée et si bien remplie? Est-ce peu pour la science, qui, sous ses mille formes variées, n’a toujours qu'un but comme elle n’a qu’une origine : la recherche et le culte du vrai et du beau? Est-ce peu que ces longues habitudes de justice, — la justice, cette science par excel- lence, qui n’est elle-même que la vérité? — Et puis, n'est-ce rien d’ailleurs que l'habitude et le talent de la parole ? — La parole, le premier des dons que Dieu dans sa providence ait faits à l'homme , comme complément et révélation de la pensée, comme instrument nécessaire de société et de civilisation? — La parole, cette puissance magique, qui fait de l’orateur un dominateur et un maître aux volontés duquel toutes les volontés sont soumises et asservies? — À qui faut-il demander si ce sont là des titres, — des titres capables d'ouvrir les portes d'une Académie ? Que dirai-je maintenant d’une autre question qu'il vous a plu, Monsieur, de poser et de résoudre , d’une manière, il est vrai, à laquelle il n’était guère facile de s'at- tendre? Vous vous êtes demandé si entre le talent de parler et le talent d'écrire, il y avait quelques rapports de parenté ou même de sympathie, ou, au contraire, si l’ora- D] A 18 ACADÉMIE DE ROUEN. teur, avocat ou organe du ministère public, l'orateur habile et éloquent, n'était pas le plus souvent un écrivain médiocre, à peine capable, selon votre expression, de savoir ni lire ni écrire. Je vous en demande pardon, Monsieur, mais je ne peux pas être de cet avis, que je n'accepte ici que comme un de ces jeux d'esprit, un de ces essais qu'a pu tenter un peu au hasard , sans le justi- fier, un sentiment excessif de modestie; j'ai presque dit un ingénieux paradoxe, que toute la finesse de l'esprit a pu déguiser à peine, mais que personne en tout Cas moins que vous, Monsieur, n'était propre à accréditer, et contre lequel votre parole, malgré vous, n’a fait que protester. Laissons donc Ià la fiction, car je n'y puis voir rien autre chose, pour en venir avec vous, Monsieur, à quelque chose de plus sérieux et de plus vrai. C'est un sujet inté- ressant, et en lui-même, et par rapport à cette grande et industrieuse cité, que le régime du travail des enfants dans les manufactures ; c'est un sujet fécond , dans lequel on peut à volonté trouver soit une thèse philosophique ou philanthropique, ou même politique et sociale, soit une simple question de moralité industrielle et d'humanité. Un économiste ou un théoricien, comme il y en avait tant naguère , n'aurait pas hésité... Seulement, il eût prudem- ment agi en adressant son chef-d'œuvre ailleurs qu'à l'Académie. Pour vous, Monsieur, vous n’aviez pas non plus à hésiter : organe et gardien fidèle de la loi, un seul point de vue s'ouvrait à vous, celui de sa bonne et sincère exécution. — Vous vous en êtes emparé avec une éléva- tion de vues et une sûreté de jugement qui ne me laissent assurément nulle tentation de vous suivre dans cette voie. Après ce qui a été si bien senti et si bien dit par vous sur la loi du 22 mars 18#%1, cette loi si essentiellement morale, humaine et juste , et aujourd'hui si unanimement acceptée comme un bienfait, je n'ai, en rendant hommage à la SÉANCE PUBLIQUE. _: 19 sagesse de votre savant travail, qu'à me réduire à de très courtes et simples considérations. Le travail, cette grande loi de l'humanité, n'a pas, il est vrai, été imposé à l'homme à l’origine des temps sous la même forme et avec les conditions qu'il a dû successive- ment subir. Sans doute , aux premiers âges du monde, et avec les habitudes , aussi simples que leurs besoins, des peu- ples pasteurs, on ignorait et on était loin de prévoir les habi- tudes que devait développer le progrès de la société avec ses mœurs et ses besoins nouveaux ; on était loin de ces admirables inventions que le génie du commerce et de l'industrie a partout créées, non pas, à la vérité, sans entraîner à leur suite bien des douleurs et des misères, souvent aggravées encore par des abus. Mais n'est-ce pas là le sort inévitable de l'humanité, que le mal partout est à côté du bien? Et, à moins que de renier la loi même du progrès, à moins que de vouloir condamner l’homme à l'immobilité de l'ignorance et de la barbarie, qui voudrait aujourd’hui se faire l'écho de ces plaintes et de ces accu- sations qu'une philanthropie aveugle a essayé plus d’une fois d'élever contre ces merveilles du génie, contre ces inventions et ces machines, qu'on n’accusait de rien moins que d'être la cause des misères du peuple, en le privant de son travail et de son pain? Ce que la raison et l'huma- nité ont dû vouloir, ce que le législateur a dù prescrire, c'est la condamnation des abus: c'est la règle sage et morale du travail planant souverainement dans l'intérêt du pauvre, pour le défendre contre des calculs cupides, contre des exigences injustes et oppressives. C'est là le but de la loi du 22 mars. En remontant à l’époque où, pour la première fois, cette loi apparut dans les Chambres législatives pour réglementer et moraliser le travail des enfants dans les manufactures , ce n'était pas, il faut le dire, une chose si 20 ACADÉMIE DE ROUEN. simple ni si facile. I ne s'agissait de rien moins que de régler et concilier des intérêts et des droits également respectables et sacrés, et jusqu'à un certain point con- traires, à savoir, d'une part, les intérêts de l'enfant, sa santé, sa conservation, son éducation morale et reli- gieuse ; et, de l’autre, les droits inviolables de l'autorité paternelle , l'intérèt de la famille , et, de plus, les besoins généraux du commerce et la grande loi de la liberté du travail. Placé, comme le disait un éminent jurisconsulte , entre deux écueils terribles, l'un de permettre qu'on impose aux enfants un travail meurtrier, l'autre de leur arracher le morceau de pain qui les nourrit, le législa- teur hésitait , tremblant de s'engager dans une voie, où, à côté de résultats bien séduisants pour tous les hommes de cœur, on Jui faisait craindre des résistances et des dan- gers , le danger tout au moins de l'inconnu. — Il faut lire dans les discussions officielles et laborieuses de la loi du 22 mars, de cette loi qui n’a plus aujourd'hui d'objections ni de doutes à subir, et qu’on rougirait presque d’avoir à justifier , il faut lire tout ce qui fut dépensé de science et d'habileté, je ne veux pas dire de réserve poussée jusqu'à la peur, pour arrêter et effrayer le pouvoir dans la franche application d'une loi d'ordre , qui aurait dù , dès l'abord, réunir dans la même conviction tous les hommes honnêtes, tous ceux qui pensent et agissent avec le cœur, bien sûrs qu'il n’y a jamais de danger à être moral, humain et juste, car n'est-ce pas là la condition même d'existence de la société ? Toutefois, je le disais, on avait hésité, à l’origine de la loi, et c'est ainsi que s'explique, par les incertitudes timides du législateur , l'incertitude qui se produisit d'abord dans son exécution. C'était un mal sans doute, car je le dis comme vous. Monsieur , une loi mal exécutée est une loi inutile : c'est plus que cela, c'est la preuve que la loi est on mau- SÉANCE PUBLIQUE. 21 vaise où impuissante. Il est bien vrai qu'en fait de morale la loi n’a pas tout à faire et à vouloir, et ce n'est pas en cette matière qu'on peut dire que tout ce que la loi ne défend pas est permis. Mais il faut de deux choses lime, ou qu'elle se taise, avouant secrètement et non sans douleur son incompétence, ou bien qu'elle parle et com- mande , et alors que toutes les résistances cessent, que toutes les volontés se soumettent et obéissent. Là, comme en tout, ce qui importe, c'est de vouloir et de bien savoir ce qu'on veut. Or, ce qui manquait au législateur de 18#1, c'était la conviction. Et puis, que pouvait-on attendre d’eflicace des moyens d'exécution , de la surveillance telle que la loi du 22 mars l'avait créée, avec des Comités d'inspection, dont le personnel , par la position élevée et le caractère même de ses membres, montrait assez qu'ils n'avaient évidemment qu’une mission tout honori- fique, sans aucune action réelle et eflicace, qui est impos- sible sans autorité? C’est là ce que l'expérience a prouvé bien vite, et ce que votre esprit éclairé, Monsieur, a très bien saisi. Je rends hommage avec vous à la judicieuse et ferme sollicitude avec hiquelle, à défaut de la surveillance “spéciale qu'il eût fallu organiser par la loi du 22 mars, cette loi elle-même toute spéciale dans la pensée et dans le but, le magistrat chargé dans ce ressort de la haute direction du ministère public a tenu à honneur d’en assurer l'exécution par les voies ordinaires de la surveillance légale ; mais il n’en est pas moins vrai qu'il y avait là une lacune grave, qu'il n’appartenait qu'au pouvoir souverain de combler. Cette lacune et ce besoin ne pouvaient échapper à la pensée d'un Gouvernement qui met sa gloire à protéger les droits et les intérêts légitimes du peuple, dans tout ce qui touche à son bien-être moral et matériel. Déjà, on l’a appris avec bonheur, cette sur- veillance spéciale, au point de vue unique du travail des 29 ACADÉMIE DE ROUEN. enfants dans les manufactures, cette surveillance est arrêtée en principe et déjà même elle fonctionne dans plusieurs des grands centres industriels du pays Est-il besoin d'ajouter que ce bienfait est à la veille de s'étendre, avec la même faveur, sur notre cité, grâce au zèle inces- sant, aussi actif qu'éclairé du premier administrateur de ce département, auquel rien de ce qui est bon et utile ne reste étranger? C’est alors, mais seulement alors , qu'on pourra dire que la loi du 22 mars est aussi une vérité. Est-ce à dire, toutefois, que tout :alors sera fait? Et même est-ce à dire que tout dans celte matière grave et délicate soit du domaine et au pouvoir de la loi? Telle n'est pas , je l'avoue, ma pensée , et loin de là. Un ancien et célèbre moraliste a dit avec raison : « Que peuvent les « lois sans les mœurs ? Quid leges sine moribus proficiunt ?» Cette maxime, si vraie quant aux mœurs en général, ne l'est pas moins quant à la morale en particulier. La loi humaine a pour principe et pour base les règles de la loi morale ; mais ces règles, elle n'a pas plus à les prescrire qu'il ne lui a été donné de les créer. Les lois de la morale sont é‘ernelles , elles viennent de Dieu et sont écrites par lui dans la conscience. C'est la conscience , fondée elle- même sur le sentiment religieux, qui seule a le pouvoir de les féconder par ses belles et merveilleuses inspirations: Au milieu des mille exemples de ces généreuses créations , il en est un que j'ai trouvé dans la discussion de la loi du 22 mars 1841, et que je ne puis résister au plaisir de citer : c’est un usage touchant qui existe dans une riche cité industrielle , à Mulhouse. Là les jeunes filles des ma- nufacturiers les plus riches placent au rang de leurs devoirs et surtout de leurs plaisirs le temps qu'elles consacrent à l'instruction primaire des filles des ouvriers , pour féconder et compléter leur propre instruction, Admi SEANCE PUBLIQUE. 93 rable enseignement mutuelentre l'opulence et l'indigence, et qui devrait bien avoir partout des imitateurs ! Ceci, Monsieur, m'aurait ouvert, si le temps me l'eût permis, un horizon nouveau plein de charmes et de douces émotions. À côté de l'usage touchant de Mulhouse, se serait placé cet admirable et attendrissant tableau de tant de bonnes et pieuses fondations réalisées par la foi chré- tienne au profit de l'enfance, et qui, chaque jour, par une heureuse contagion, se propagent à l’envi sous nos yeux, comme compensation où comme contraste de toutes les douleurs et les misères que la loi du 22 mars ne rappelle hélas! que trop fidèlement, sans que l'avan- tage dans la comparaison des deux lois, la loi humaine et la loi divine, puisse à coup sùr être revendiqué par la pre- mière. C’est qu'en effet l'une , à côté et sans l'appui de l’autre, est bien faible et impuissante. La loi humaine ne saisit l'homme que dans ses actes extérieurs, dans leurs rapports avec les besoins généraux d'ordre et de sécurité publique : elle ne parle à sa volonté que pour lui défendre de faire le mal. La loi divine seule a le pouvoir de saisir l'homme jusque dans le for intérieur, dans le secret de ses sentiments et de ses désirs : elle le saisit pour lui ordonner de faire le bien, d'être humain, charitable et juste ; pour lui faire un devoir de la charité, qui a sa source comme sa fin loin et au-dessus de la terre, au sein même de Dieu. IMITATION DE CATULLE, Par VE. N. LEROY. SUR LE MARI DE LESBIE (1). Mes lauriers font ombrage au mari de Lesbie, Et Lesbie à juré de venger son époux. Le hasard nous met-il tous trois de compagnie ! Madame fait grands frais de propos aigres-doux : Le quolibet et l'épigramme Sur moi pleuvent en traits de flamme, Vraiment, vraiment Lesbie adore son époux. L'heureux époux s'extasie et se pâme, A son gros rire il mêle des bravos, Et je l'entends parlant bas à sa femme I lui promet les atours les plus beaux. (1) In Lesbiæ maritum. Lesbia mi, præsente viro, mala plurima dicit, Hoc illi fatuo maxima lætitia est. Mule, nihil sentis. Si nostri oblita taceret : Sana esset, Quod nunc gannit, et obloquitur, Non solüm meminit : sed, quæ multé acrior est res, Irata est: hoc est uritur et loquitur. CATULLE , Carmen 83 SÉANCE PUBLIQUE. 25 Hélas! pauvre mari, quelle béatitude ! Et du cœur des humains quelle profonde étude! Cet air railleur et ces malins propos Où tu savoures la vengeance, Ils te cachent, jaloux barbon, Un sentiment dont je tairai le nom Et qui n'est pas l'indifférence. L'amour, quand il n'est plus un innocent amour, À son allure à part et son vocabulaire : Au langage muet d'un regard, il préfère Risquer, dans les périls d’un effronté détour, Un mot qui peut trahir, mais un mot qui dit : «J'aime. » Le danger du plaisir est un plaisir lui-même. Lesbie a le secret des grandes passions , Et son amoureuse ironie Sait créer des émotions Pour trois cœurs à la fois dont dispose Lesbie : L'époux. ... est gai Jjusques à la folie ; Elle-même.... ses plus haineux accents Lui font au cœur de doux chatouillements , Et moi. ... quêtant son adorable injure , De l'œil j'approuve, et tout bas Je murmure : « Belle bouche , tu mens. » UTILITÉ ÉCOLE PROFENIONNELLE DÉPARTEMENTALE A ROUEN, Par labhbé NEVEU. Messieurs, Le but principal d’une Académie n'est pas, comme on le croit d'ordinaire, de former, entre certains hommes, une société d’acquêt où chacun des membres vient déposer sa part de science, de littérature ou d'industrie, pour l'intérêt ou le profit exclusif de ses coassociés. Il est vrai, et il y aurait de ma part une grande ingratitude à ne pas le reconnaître, que l'habitué de ces réunions, n'y vint-il apporter comme moi d'autre quote personnelle que la bonne volonté de s’éclairer aux lumières d'autrui, trouve, dans le commerce de ces hommes d'élite, une somme de jouissances intellectuelles que n'ont point ceux qui vivent en dehors de ce sanctuaire de la science, des lettres et des arts. Mais il y aurait aussi une grande injustice à penser que l’Académie ne songe pas à faire la part des absents. Tant et de si graves questions, agitées dans ses séances privées, ou proposées par elle au concours des savants pour l'intérêt des masses , ces opuscules qui sortent SÉANCE PUBLIQUE. 27 si nombreux de la plame d'un de ses membres les plus éminents pour enrichir et vulgariser la science la plus utile à la société, sont là pour témoigner de son désinté- ressement et de ses vives sympathies pour tout ce qui est d'utilité publique. C'est encore une preuve de ce dévoù- ment à ses intérêts que nous venons offrir aujourd’hui à la classe des enfants du peuple, en faisant au public la confidence de ce modeste travail, que l'insuffisance de son auteur condamnait d'avance à l'oubli, et que l’Académie n'a accueilli avec tant de bienveillance qu'en considération du bien qui peut en revenir à notre département ; je veux parler, Messieurs , de l'établissement d'une Ecole profes- sionnelle départementale. Or, en face de ce publie comme au sein de l’Académie, je sens le besoin de m'excuser auprès de ceux qui ont déjà traité cette grave question dans des conditions de compétence et de capacité que je ne saurais lui fournir. En voyant que, malgré le patronage si éclairé de ses apologistes naturels, elle n'avait pu faire un pas, j'ai dû me demander s’il n’y aurait pas témérité à moi d'élever en sa faveur une voix qui n’a d'autre chance peut-être que celle d'augmenter le nombre des voix per- dues. Je dirai franchement ce qui m'a décidé à rompre le silence : d’abord je ne crois pas qu’à celui qui a la convic- tion d'une vérité utile à la société, il soit permis de se taire ; puis, combien de systèmes ont rencontré, à leur début, des contradicteurs ou une force d'inertie qui ont pu les arrêter pour un temps, mais non les empêcher de parvenir à la lumière et à la haute influence où la vérité les poussait! Enfin, ne peut-on pas dire des systèmes ce qu'on à dit des hommes , que c'est aux circonstances qu'il appartient de les faire? Or, il nous a semblé que, pour celui en question, déjà mis en œuvre au milieu de nous, après avoir eu pour lui la foi si persévérante de son apôtre, la conviction des hommes compétents, ce scean 28 ACADÉMIE DE ROUEN. des prédestinés qu'on appelle la contradiction, et par- dessus tout cela la démonstration sortie de la dernière crise sociale qui nous a prouvé si énergiquement la néces- sité de pourvoir aux intérêts de la classe ouvrière, et, par ses intérêts, aux moyens d'assurer sa moralisation; le moment est venu où, sous les gracieux auspices de l'Ad- ministration qui régit notre département, il n'a qu'à se produire au grand jour pour être sûr de triompher C'est dans cette douce confiance, Messieurs, et dans le but de rendre à la question sa vitalité et l'importance qu'elle mérite, que nous demandons la permission de la reprendre à son origine; par ce qui est déjà fait, nous comprendrons ce qui nous reste à faire, comme on pré- voit dans le grain de senevé, la plus petite des semences , le grand arbre qu'il promet à l'avenir.— Le Gouvernement venait d'imposer aux enfants qui voudraient concourir pour obtenir des bourses à l'Ecole des Arts et Métiers, cette condition indispensable: «que les jeunes candidats « devraient avoir passé dans un atelier une ou deux « années consacrées à l'apprentissage. » C'était, sans doute, de la part de l'État, un moyen de pourvoir aux intérêts de l'industrie ; mais l'avantage de cette condition ne devait-il pas être pour les jeunes apprentis, pour leur famille et pour la société, tristement compensé par les graves inconvénients résultant du contact de ces enfants avec les ouvriers. En deuxième lieu, par l'obligation de donner trois ou quatre années de leur temps à leur maitre pour le payer de ses soins et de la perte des matières, puis par les mauvais exemples qu'ils auraient sous les yeux, enfin, par cette cruelle nécessité de position d'être martyrs en voulant rester innocents. De là, Messieurs, la nécessité d'un premier sacrifice par lequel on dut fournir à ces enfants, dans l'asile d'une école professionnelle , le matériel indispensable à la préparation qu'ils devaient x SÉANCE PUBLIQUE. 29 subir avant d'être admis à celle des Arts et Métiers. Par ce sacrifice, on achetait le triple avantage de les con- server dans l’heureuse habitude de la soumission et de la discipline , de les préparer suflisamment, par la théorie et par la pratique, à devenir des ouvriers habiles, et surtout des hommes d'ordre et de moralité. Or, n'est-ce pas, Messieurs, au seul prix de ces trois conditions réunies dans ses enfants, l’ordre, la capacité, la moralité, que la classe ouvrière pent offrir à la société des garanties de paix pour l'avenir, et recueillir pour elle-même, dans sa vieillesse , les économies de son travail, que les vices contraires ont trop souvent absorbées dans sa jeunesse ? On prend tous les jours de grandes précautions contre le désordre ; et certes, il a failli nous montrer d’une manière terrible ce qu'il peut faire quand on l'a laissé grandir et se fortifier dansl ’ombre. Mais, disons-le bien haut, il faudra tôt ou tard recommencer avec lui pour le réprimer, si l’on ne songe pas eflicacement aux moyens de le prévenir. De même que l'homme ne devient pas tout d'un coup l’homme du désordre, selon cet ancien adage : « Nemo « repente scelestus, » gardons-nous de croire qu’une fois habitué au désordre, il rentre tout-à-coup dans l'ordre pour n’en plus sortir. Je sais, et j'avoue volontiers, que le grand nombre des égarés a été victime d’une plus haute influence; mais cette influence elle-même n'a trouvé sur eux tant de prise que parce que l'éducation première, n'ayant rien garanti, lui laissait tout à prendre. Où donc faudra-t-il chercher cette garantie ? Evidem-— ment dans un système qui, prenant le jeune ouvrier à cet âge où il se livre indifféremment et sans résistance à qui voudra le prendre, le saisit tout entier et s'empare de son esprit et de son cœur pour plier lun et l'autre aux 30 ACADÉMIE DE ROUEN. habitudes de l'ordre et de la moralité ; et cela, Messieurs, non pas avec la force brutale qui fait détester le travail qu'elle impose , pas même avec l'amende dont il est si facile et si dangereux d’abuser : « c’est la vertu de M. de « Tracy prêchée par les geôliers et les gendarmes ; » mais avec ce vif intérêt pour l'apprenti qui laisse voir, à travers le commandement du maître , l'affection d'un ami qui rend doux et léger le fardeau qu'il impose. Aïnsi enseigné, ainsi pratiqué, l'ordre entrera si profondément dans la nature de l'enfant, qu'il passera facilement dans les mœurs du jeune homme, que l'homme enfin aura du bonheur à y demeurer, et ne sentira jamais le besoin d’en sortir. N'est-ce pas pour avoir compris cette pensée, qu'on s'empresse tant aujourd'hui d'ouvrir aux enfants des pauvres ces asiles où l'on prépare, en les façonnant à la discipline , la régénération de la société? C'est sans doute avec une grande joie que nous voyons cette portion de l'enfance sauvée et réservée pour un meilleur avenir ; mais ce bienfait ne peut-il donc s'étendre aux enfants de l'atelier? Serait-ce qu'il leur est moins nécessaire ou moins applicable ? Quiconque voudra interroger le triste contin- gent que l'atelier a fourni aux désordres du passé, aura la solution de la première question; et si l'on mesure le succès obtenu dans la modeste école de Rouen sur les conditions étroites que lui a faites jusqu'ici empire des circonstances , on verra que la seconde est résolue par des résultats qui parlent plus haut que nos éloges. Nous l’avouerons cependant, l'établissement où le jeune ouvrier ne trouverait que la discipline, ne lui donnerait guère que la moitié de ce qu'il a droit d'attendre, et subi- rait le sort de toutes les théories honnêtes qui sont con- damnées à languir et à mourir, si elles s'arrêtent au bien moral sans conduire au bien-être matériel et au confortable. SÉANCE PUBLIQUE. 31 I fut un temps, Messieurs, où l'esprit de conduite suflisait à l'homme de toute condition pour se frayer un chemin à la fortune; en sa faveur, on pardonnait au talent d'être médiocre ; aujourd'hui, il a bien encore son prix , mais à la condition essentielle d’être joint à la capa- cité dont on ne fait plus grâce à personne. Aussi deman- dons-nous à l'atelier bien discipliné qu'il fournisse à ses élèves, avec la discipline, tous les éléments et conditions de progrès qui tirent de leur capacité tout ce qu'elle peut produire pour leur intérêt personnel et la perfection de leur art. Oui, qu’on soit à cet égard aussi sévère, aussi exigeant que pour les garanties de l’ordre et de la mora- lité; demandons une Ecole professionnelle qui, en for- mant des ouvriers honnêtes, nous prépare aussi des ouvriers habiles, de bons ajusteurs, de bons contré-mai- tres, de bons directeurs. Or, avons-nous le droit, Mes- sieurs, d'espérer de notre département le personnel d'ouvriers et de maîtres que réclame une telle institution? En douter un seul instant , ne serait-ce pas manquer étran- gement à l’histoire de son passé, disons-le même à son présent? L'œuvre s'essaie depuis longtemps sous nos yeux ; qu'on la juge par les fruits qu’elle a portés ; qu'on lui demande enfin, avant de lui confier davantage, com- ment elle a fait valoir le peu qu'elle a reçu. Ce compte sévère, Messieurs, cet examen impartial, elle l’a subi plus d'une fois et toujours à son honneur ; d'abord sous les yeux des parents appelés à connaître, dans des examens publics et trimestriels, de la conduite et des progrès de leurs enfants; dans ses luttes avec l'Ecole même de Châlons, d'où elle voit revenir chaque année presque autant de lauréats qu'elle envoie d'élèves au concours; puis sous le contrôle si scrupuleux et si intelligent de plusieurs députés de l'Académie, des Sociétés d'émulation , d'agriculture, du commerce et de l'indus- 32 ACADÉMIE DE ROUEN. trie, qui lui ont rendu, par l'organe de MM. Marchal, Lévy, Cordier et Brunier, un témoignage dont on ne saurait appeler , auquel on ne pourrait rien ajouter ; enfin, sous la haute inspection de M. de Rancé, inspecteur général, de M. le Préfet, de M. le Maire, de M. Ehrhart, professeur à l'Ecole supérieure d'Ulm, député en France par son Gouvernement , avec la mission spéciale d'étudier chez nous l'instruction donnée aux classes ouvrières, et de plusieurs personnages aussi compétents qu'honorables, qui tous ont été entraînés, par l'évidence des faits, à lui dire d’avoir foi dans leur patronage et dans son avenir. Nous avouerons sans hésitation qu'au sortir de notre École, comme de celle de Châlons, les élèves ne seront pas des ouvriers parfaits, pas plus qu’on ne sort bon avocat de l'École de droit. Il leur faudra passer encore une ou deux années dans les ateliers de l’industrie; mais avec quelle heureuse différence dans les garanties de capacité et de moralité ! Dans le premier système d'apprentissage , l'enfant , poussé dans l'atelier par l'indigence de ses parents, avant qu'il ait pu s'apprécier lui-même, sans qu'une voix amie et intelligente lui ait révélé sa vocation , ce que peuvent ou ne peuvent point porter son aptitude et ses forces, ne sait guère que tâtonner et fonctionner en machine; d'où il arrive nécessairement à se dégoûter, à compromettre les intérêts de son patron, et partant , à quitter volontai- rement ou forcément ce premier état pour en essayer plusieurs autres sans se fixer sur aucun, ne recueillant ainsi de tous ses essais malheureux que le découragement ou un certificat d'incapacité. Et sa moralité, qui viendra la garantir ? son maître ? Oh! demandez-lui ce que rappor- tent à sa caisse le talent et les forces de chacun de ses ouvriers; à quelques centimes près, il pourra vous le dire; et croyez-le sur parole, il surveille assez scrupu- SÉANCE PUBLIQUE. 33 leusement cet article pour en être bien et dûment informé, Lui demandez-vous compte de ses mœurs, de sa tenue ; de sa conduite , de la surveillance qui protége sa religion et son innocence ? ce n'est point son affaire ; et, pourvu que l’ouvrier ne soit ni buveur ni voleur, c’est-à-dire qu'il soit pur de ces deux vices qui peuvent compromettre les intérêts de son patron, ila tout ce qu'il lui faut de moralité et de vertu pour être parfait selon le catéchisme de l'atelier et selon le cœur de son maitre. Je dirai plus , Messieurs , lors même que le patron voudrait exiger davantage, exercer sur la moralité de ses apprentis ce contrôle indispensable , il ne peut le faire qu'à la condi- tion d’une abnégation complète , d’un dévoüment héroïque qu'il serait aussi impossible d'imposer qu'il est téméraire d'y compter. Placez-le maintenant dans l'atelier que nous demandons ; et là, sous la surveillance immédiate et continue de maîtres non moins habiles ; comme on s’est plu à le reconnaître , plus désintéressés , Puisque le travail de leurs élèves ne tourne point à leur profit per- sonnel; sous l’heureuse influence de l'instruction reli- gieuse qui obtiendra chaque semaine dans cet atelier un accès et un succès qu'elle ne peut trouver dans les autres, l'enfant recucillera , avec tous les avantages du premier système , le bienfait d'une éducation morale, Au bienfait de cette première éducation, ajoutez la faveur encore plus grande pour l'adulte, de rester sous la tutelle de ses maîtres , dans ces années décisives où les passions , si elles le trouvent sans défense, auraient bientôt dévoré tout ce qu'il y a de pur et d'honnête dans l'enfant , et vous lui aurez assuré une moralité à toute épreuve qui, jointe à la capacité, lui promet d'avance respect et considération dans l'atelier où il doit entrer, le privilége inappréciable d'y donner l'exemple au lieu de le subir. Or, ne voit-on pas, Messieurs , quels avantages immenses doivent 3 34 ACADÉMIE DE ROUEN. résulter de cette combinaison pour l'ouvrier et pour la société ? Loin donc d'avoir à se reprocher quelques faibles dépenses pour agrandir cette nouvelle ruche qui promet d'être si féconde, n'aurait-on point à se repentir de n’en avoir pas ouvert la porte à un plus grand nombre de ces jeunes abeilles, qui vont éparpillant partout ailleurs un miel précieux qui reste sans profit? Qui peut voir sans peine et sans crainte cette multitude innombrable d'enfants, sortant aujourd'hui de la dernière comme de la première classe de la société, se presser, non pas à la porte des ateliers où les arts, l'industrie, l’agriculture les accueil- leraient si volontiers au nom de l'intérêt public et de leurs propres intérêts, mais à l'entrée de toutes les autres carrières où , attendant leur tour qui ne doit jamais venir, ils se heurtent les uns contre les autres, s'empêchent mu- tuellement d'arriver à une position, et font refluer dans la société cette foule de désœuvrés dont elle ne sait que faire. Les deux grands hommes dont le génie adminis- tratif a brillé d’un si vif éclat, Richelieu et Duperron, s'adressaient-ils moins à nous qu'à leur siècle, quand ils disaient : « Qu'on ne pouvait, qu’on ne devait pas ad- « mettre que, dans un État, tout le monde indifféremment « pût être élevé pour devenir savant ? » & Ainsi qu'un corps, disait le premier, qui aurait des « yeux dans toutes ses parties, ne serait qu'un tout « monstrueux ; de même en serait-il d’un État, si tous ses « sujets étaient des savants ; on y verrait aussi peu d'obéis- «sance que l’orgueil et la présomption y seraient ordi- « naires. » «Il nous faudrait, ajoutait l’autre, un moins grand «nombre de colléges, des professeurs seulement autant qu'il en est besoin pour conserver dans sa pureté le feu sacré du temple ; le reste des jeunes gens irait natu- rellement aux arts mécaniques, à l’agriculture ou au 2 SÉANCE PUBLIQUE. 35 « commerce , tandis qu'en les appliquant aux études sans « que la portée de leurs esprits ait été examinée , presque « tous demeurent avec une médiocre teinture des lettres , «etremplissent la France de chicaneurs et de faméliques.» Tout le monde convient , Messieurs , qu’il serait temps et grandement utile d'opposer une digue à cette invasion, de détourner les jeunes gens de cette fausse voie où les pousse par milliers l'imprudente ambition de leurs pères. Or, il me semble que sans vouloir, comme par miracle , arrêter le torrent , il serait du moins possible d'en dé- tourner le cours. Montrons aux pères de famille, ouvrons à leurs enfants une autre source de vie ; que l'Administra- tion donne aux fils des travailleurs un témoignage de sa sympathie en honorant de son patronage l'étude des sciences mécaniques ; qu'elle relève aux yeux des enfants du peuple l’industrie que des préjugés absurdes et une pudeur mal entendue ont abaissée dans son estime ; et nous verrons ces membres dérangés reprendre dans le corps social la place naturelle que la société leur doit et qu'ils doivent eux-mêmes à la société. Ajoutons, pour répondre à l'objection qu'on pourrait nous faire et qui ‘trouve ici sa place naturelle, ces paroles du judicieux Chamousset : «On a plus besoin, dans un État, d’hom- « mes qui l’enrichissent par leur industrie que de gens € qui l'illustrent par leurs talents ; les arts mécaniques le € cèdent aux arts libéraux pour l'esprit et le génie; mais ils l'emportent sur eux par leur utilité. On ne saurait «jeter, dit-il (le mot est dur peut-être, sacrifions l’ex- « pression et sauvons la pensée) , on ne saurait appeler un «trop grand nombre d'hommes dans les classes qui pro- « duisent pour l'État une valeur qui n'y existait pas ; celles « dont les fonctions sont les plus distinguées, sont souvent «celles qui produisent le moins à la masse totale et « qu'une fausse gloire peuple le plus. » un = 36 ACADÉMIE DE ROUEN. Et qu'on ne craigne pas, Messieurs , que le {rop grand nombre d'ouvriers, en répondant à cet appel, ne devienne lui-même un embarras, et n'encombre nos ateliers de produits qui ne pourraient ensuite trouver leur écoule- ment. Tout le monde sait (et nos voisins d'outre-mer nous donnent sur ce point une leçon assez piquante), que c'est non pas à l'abondance des matières, mais à la main de l'ouvrier qui ne sait pas leur imprimer ici ce cachet de perfection qu'elles reçoivent ailleurs , qu'il faut attribuer l'écoulement rapide qui fait la gloire des ateliers étran- gers, et imputer l'encombrement qui charge et humilie les nôtres. La différence étant toute dans la main- d'œuvre, que nous reste-t-il à faire, sice n'est d'appeler nos ouvriers à cette perfection dont ils sont assurément aussi susceptibles que les autres ? Ne les laissons pas plus longtemps subir cet ignominieux cachet d'incapacité qui les a fait exclure de nos chemins de fer, et, ce qui est plus blessant encore, des ateliers qui viennent s'implanter sous leurs yeux, sur un sol qui voudrait ne devoir qu'à leurs bras son illustration et sa fécondité; il est temps enfin de prouver à nos voisins qu'en France , à l'enfant de l'atelier comme à l'élève des Muses, il suflit d'apprendre pour exceller. Nous demandons donc le succès et l'agran- dissement de l'Ecole professionnelle ; nous le demandons au nom et pour l’encouragement des hommes dévoués et intelligents, dont notre indifférence paralyserait l'intelli- gence et le dévoüment; nous le demandons au nom et pour la gloire de notre département, où tant et de si belles œuvres appellent celle-ci à compléter avee elles l'histoire de sa philanthropie et de sa charité; nous le demandons au nom et pour la gloire de notre Administra- tion, qui ne voudra pas laisser à un autre département l'honneur d'une création dont l'initiative , par convenance et de droit, appartient à notre localité qu'elle gouverne , et SÉANCE PUBLIQUE. 37 montrera bientôt qu'elle n'attendait pour lui donner sa faveur que celle des circonstances ; nous le demandons enfin, au nom de la société et de la religion qui réclament la moralisation et le salut de l'atelier, d'où elles ne voient sortir depuis longtemps que des étrangers ou des ennemis, et avec lequel toutes deux voudraient commencer aujourd'hui une alliance indissoluble. Nous avons déjà, Messieurs, pour augurer favorablement de l'avenir de cette école , le bon témoignage que lui rendait notre hono- able maire dans une circonstance des plus solennelles : « Une nouvelle École, disait-il , à 6té créée dans cette « ville pour l’enseignement professionnel. Cette institution « prospèrera , nous l'espérons , et nous rendra de grands « services sous la direction d'un professeur dont le zèle a « déjà obtenu d'heureux succès. » Plus d’une fois encore l'Administration a donné à cette insütution naissante des témoignages publics de sa bien- veillance, voire mème des promesses d'équipement com- plet, qui devaient l'élever à la hauteur où elle peut atteindre. Sans doute, le temps n'est pas venu où ses +essources auraient pu répondre à sa bonne volonté. Et qui pourrait, en face des charges immenses qui pèsent sur le trésor de la ville, songer un seul instant à lui faire son procès? Mais aussi la droiture même des vues de l'Admi- nistration nous permet de demander que, pour arrêter la décroissance trop rapide de cette institution, qui touche peut-être de plus près qu'on ne pense à sa ruine complète, on cherche à l'asseoir sur un terrain plus large, on appelle à son secours un auxiliaire plus puissant. Cette proposition n'a pas à craindre sans doute de blesser la susceptibilité de notre ville, puisqu'elle est elle-même une portion de ce terrain qui serait le département, et que le concurrent qu'on lui propose , et par lequel, en matière de subven- tion, plus d'une municipalité serait contente d'être battue, 38 ACADÉMIE DE ROUEN. n'est autre chose que le Gouvernement. On sai d'ailleurs qu'une Ecole professionnelle exclusivement municipale , fût-elle abondamment pourvue du personnel et du maté- riel nécessaire à l'éducation complète des jeunes gens qu’elle peut admettre , sera toujours trop à l étroit, sous le double rapport du local et des ressources, pour ouvrir ses ateliers à la foule d'apprentis que devrait pouvoir lui adresser le département tout entier. À quoi tend donc le vœu que nous émettons ici, au nom de l'Académie? A supprimer l'Ecole municipale dont notre ville est déjà en possession ? Non pas, assurément . l'une ne peut être pour l'autre qu'un mobile d'émulation, un excitant qui l'em- pêche de dormir. Nous souhaitons, au contraire, à l'Ecole municipale toutes sortes d’accroissement et de prospérité. Mais ce que nous désirons, ce que demandent avec nous grand nombre d'hommes éminents de la ville et du dépar- tement, c'est de voir combler par lapposition d'une Ecole départementale, la triste lacune qui se fait sentir depuis trop longtemps entre notre Ecole professionnelle et celle de Châlons. Est-ce demander trop, Messieurs? L'importance de notre département, lun des plus haut placés dans l'échelle de l'industrie, nous garantit, ce me semble, que la demande n'est pas indiserète. Est-ce trop espérer? Vous tous qui connaissez le zèle si bien éprouvé, lin- Îluence si justement acquise de M. le Préfet, qu'en pensez- vous? FRAGMENTS DE LA SATIRE DE JUVÉNAL, SUR LA NOBLESSE 219 TRADUITS EN VERS FRANÇAIS (1) pan M. N. LEROY. Que servent , Ponticus, des généalogies ? Des noms de nos aïeux vingt tablettes remplies ? Que nous sert de montrer mille portraits anciens, Là, debout sur leurs chars , les deux Émiliens, Plus loin, des Curius deux moitiés vermoulues , Un Maxime (2) sans bras ; parmi d’autres statues, (1) Malgré les retranchements opérés, la pensée entière de l’auteur subsiste, sous toutes les formes où il a voulu la produire. J'ai supprimé des développements, des détails et des allusions , dont le sens ne peut être compris qu'à la condition de bien connaître les mœurs et les usages des temps auxquels nous reporte Juvénal. Cette lecture à été accommodée pour une séance publique. (2) Je dis Maxime, bien que le texte porte Corvinus. Cette substitution n'est faite que pour éviter la fréquence des termi- naisons On US. 10 ACADÉMIE DE ROUEN. Galba dont chaque oreille et le nez sont absents , Témoignant noblement de l'outrage des ans ? Quelle gloire, au milieu d'images enfumées, De compter tous les siens, dictateurs, chefs d'armées, Si nos mœurs font rougir le front des Lépidus ? A quoi bon ces guerriers de marbre revêtus, Si, dans de longues nuits , leur vile descendance Étourdit de ses jeux les vainqueurs de Numance ? Si le sommeil les tient à l'heure où ces héros, Déjà loin de leurs camps, déployaient leurs drapeaux. Du surnom d'Allobroge et du berceau d'Alcide Fabien (1) se fait fier ! Pourquoi ? S'il est cupide, S'il est vain, si, plus mou qu'une faible brebis, Et n’enfermant en soi qu’un ignoble débris, Il verse des parfums où ne se trouvaient guère Chez les vieux Fabiens que sueur et poussière ; Enfant déshérité, si cet empoisonneur Exhale sur sa race un brillant déshonneur. Un palais plein d’aieux ! inutile richesse !! La vertu seule, ami, fait la seule noblesse. Tu veux être Cossus, sois Cossus , je le veux ; Mais fais cas de ses mœurs plus que de ses aieux , Et, fusses-tu consul , place les mœurs austères Au-dessus de l'éclat des faisceaux consulaires. Garde pour la vertu ta plus vive ferveur. (1) Fabien au lieu de Fabius, par Ja même raison que Maxime au lieu de Corvinus. (9\ La reprise est à ce vers : quis enim gencrosum dixertt hunc , qui. SÉANCE PUBLIQUE. Mais du titre de noble est-ce que l’on décore Celui qui n’a de grand qu'un nom qu'il déshonore ? Quelquefois on a dit d’un nain, c’est un Atlas, D'un nègre c'est un cygne, et même , en certains cas, Une laide figure avec un dos d'Ésope Ont été salués du nom de belle Europe Entends-moi , Rubellus ; crains , à ce titre, crains D'être appelé jamais le plus grand des Romains. Oui, c'est à Rubellus que je m'adresse en face ; Il parait tout gonflé de l'orgueil de sa race, Comme si ce rameau de l'arbre des Drasus S’'était fait noble, lui, par ses propres vertus, Et que , déshonoré d’un berceau populaire , On ne püt lui donner que Julia pour mère. Qui pourrait, nous dis-tu , parmi vous , gens de rien, Nommer de quel pays son père est citoyen? Je suis fils de Cécrops, moi. — Que le ciel octroie À toi, fils de Cécrops , une éternelle joie ! Pourtant ces gens de rien, orateurs éloquents, Ont souvent protégé des nobles ignorants. Ce sont des gens de rien dont la raison explique Les décrets et les lois au sens énigmatique. Ce jeune homme bouillant , que déjà son ardeur, Sur les bords de l'Euphrate , a proclamé vainqueur , Ou qui, dans l'Occident, voit les aigles bataves Devant nos légions s'incliner en esclaves, (1) La reprise est à ce vers : his ego quem monui?. 41 42 ACADÉMIE DE ROUEN. Ce jeune homme , il est peuple ; et toi ! mais toi, tun'es Qu'un Cécrops près des siens planté comme un Hermès ; Car Hermès avec toi par ce seul point diffère Qu'il est marbre et qu'en toi vivante est la matière. Dis-moi, fils des Troyens , n'est-ce pas qu'à nos yeux Le plus noble animal est le plus vigoureux ? Nous vantons un coursier dont les membres agiles Lui font sur ses rivaux des conquêtes faciles Et que le cirque en masse accueille par un cri. Il est noble , où que soient les champs qui l'ont nourri, Celui qui, le premier, franchissant la carrière , Loin , bien loin devant lui fait voler la poussière ; Mais la postérité de Corythe et d'Hirpin, Quand elle a désappris son glorieux chemin , N'est plus qu'un vil troupeau, bon à livrer aux rustres ; Sans souci des aïeux ni des ombres illustres, On la troque à bas prix, et ces nobles neveux , Sur une humble charrette attelés deux à deux, La tirent d'un pas lent, ou ie sort, qui les joue, Les attend chez Népos pour y tourner la roue. Veux-tu que je t’admire ? Écoute à quoi je tiens : Exhibe-moi, d'abord, des titres qui soient tiens, De dignes compagnons de ceux que je révère, Et qui font aujourd'hui ta gloire tout entière. Assez pour Rubellus si superbe , dit-on, Si vain, parce qu'il est le parent de Néron. Vraiment le sens commun est chose peu commune A certaines hauteurs où siége la fortune ; Mais je serais marri , Ponticus, si tes vœux Se bornaient à jouir du nom de tes aieux , Si tu ne tentais rien pour vivre de ta gloire. Par le secours d'autrui prendre rang dans l'histoire , SÉANCE PUBLIQUE. 13 Triste honneur! Du palais les appuis retirés , Le fronton sans étais tombe sur les degrés. La vigne, qui ne peut que ramper sur la terre , A besoin pour grandir de l’ormeau tutélaire. Sois vrai ; jamais sans crime on n'aura préféré La liberté de vivre à l'honneur d'être vrai. Après deux ans d'attente, enfin l'on te confie Le sort d’une province , objet de ton envie, Que par toi, ni pour toi, l'abus ne soit permis. Prends en compassion des peuples nos amis. Les rois, par nous vaincus, ne sont plus que squelettes , Et sur leur table à peine il reste quelques miettes. Des lois et du Sénat suis les commandements , Vois à quel prix la gloire, et songe aux châtiments Dont Rome foudroya, dans sa juste vengeance , Capito, Numitor et leur coupable engeance. Aux peuples subjugués le nom n'importe pas, Si Pansa leur ravit ce qu'a laissé Nattas. {) La reprise est à ce vers : Summum crede nefas animam præferre pudort. 2) La reprise est à ce vers : Expectata dit tandem provincia quum te... .. (3) Plena domus tunc omnis ACADÉMIE DE ROUEN. + Et chez lous ces vaincus pourtant quelle abondance ! Quels trésors amassés ! quelle vaste opulence ! Mais vint Dolabella , puis Antoine ; après eux Vint encore Verrès, à l'instinet sacrilég Ceux-R , de leurs vaisseaux guidant le lourd cortége , Nous revenaient chargés du poids de leurs excès Et riches d’un butin conquis pendant la paix. Aujourd'hui, quelques bœufs en de maigres campagnes , Des chevaux , un taureau , roi de quelques compagnes ; C'est ce qui reste à prendre après ce qu'on a pris ; Ou des lares encor , s'ils sont de certain prix, Ou bien un dieu, resté seul dans son sanctuaire. De si riches trésors c’est la trace dernière , De nos peuples amis voilà le dernier bien. Méprise , tu le peux , le lâche Rhodien ; Mais d’autres sentiments pour l'enfant d'Illyrie, D'autres pour le Gaulois, d’autres pour l'Ibérie. Garde-toi d'irriter surtout par ta hauteur L'ennemi généreux trahi par le malheur. Prends son or, prends , en vain sa ruine s'achève, Chacun saura trouver un bouclier , un glaive ; Oui, quand tu pars, chargé de leur dernier trésor, Les peuples dépouillés ont des armes encor. 1) Zade Dolabella est (2) Curandum in primis ne magna injuria fiat SÉANCE PUBLIQUE. Cet entretien n'est pas un entretien futile, Mon oracle est plus sûr que ceux de la sibylle. Des plus nobles aïeux n'étiez-vous pas issus , Toi, fier Catilina , toi, son cher Céthégus ? Et pourtant, des Gaulois répétant les exemples, Le fer dans nos maisons , la flamme dans nos temples, N'avez-vous pas tenté de ténébreux forfaits . Que le bûcher punit et ne venge jamais ? Mais le Consul veillait, la ligue fut vaincue. L'homme nouveau , sans nom, d’une ville inconnue , Naguère chevalier, montre de tous côtés De fidèles soldats aux soldats révoltés ; Il protége à la fois et Rome et tout l'Empire. Aussi de plus d'éclat la paix a fait reluire, Au milieu de nos murs, l’heureux fils d'Arpinum, Que n'en conquit Octave aux rives d’Actium ; Qu'Octave n’en conquit, dans sa première gloire, Lorsqu'aux champs de Philippe il fixait la victoire , Et qu'à regret vainqueur de si vaillants guerriers , De flots de sang romain il teignait ses lauriers. Aussi c'est Rome libre et Rome enorgucillie Qui nomma Cicéron père de la patrie. Le peuple revendique aussi les Décius , Plébéiens par le nom, le cœur et les vertus. (1) Quid, Catilina, tuis natalibus.… (2) Plebeice Deciorum anime... 46 ACADÉMIE DE ROUEN. Deux fois ces piébéiens ont dévoué leurs vies Pour Rome , pour l'armée et nos troupes amies ; Deux fois aussi la terre et les dieux infernaux Ont agréé les vœux et la mort des héros ; C'est que les Décius pesaient plus par leurs vies Que Rome , que l'armée et nos troupes amies. Celui de nos bons rois qui régna le dernier Mérita les faisceaux et le royal cimier. Ecoute, Ponticus, ma dernière maxime : J'aime mieux de Thersite un descendant obscur, Avec un cœur d'Achille et le bras aussi sûr, Que le fils d'Achille même, oui, si, pour tout mérite, Etant le fils d'Achille , il n'est, lui, qu'un Thersite. (1) Malo pater tibi sit Thersites…. RAPPORT SUR LE CONCOURS OUVERT POUR L'ÉLOGE D'ADRIEN TURNÈBE; Par M. CARO, Professeur au Lycée impérial de Rouen. — Q ——— Messieurs , Je viens, au nom d'une Commission composée de MM. l'abbé Picard, Deschamps, Frère , l'abbé Langlois , Caro, vous rendre compte des résultats d’un important concours ouvert par l'Académie sur la vie et les ouvrages d'Adrien Turner. Ce concours avait pour objet de réparer une de ces injustices que la France commet si souvent à l'égard des noms les plus honorables qu'elle laisse tomber dans un inconcevable oubli. Oui, nous sommes injustes en France : nous avons des enthousiasmes , faciles jusqu'à la banalité, pour les idées générales, les théories et les livres ambitieux, et trop souvent nous n'avons qu'une indifférence dédaigneuse pour ce soin minutieux, cette pa- tience intellectuelle, ces travaux consciencieux où se sont consumées tant d'existences laborieuses, et qui rendent possibles les généralisations hardies des grands écrivains. 48 ACADÉMIE DE ROUEN. Aujourd'hui , en lisant les monuments de l'antiquité, en admirant le génie de Platon ou l'éloquence de Cicéron, la simplicité grandiose d'Homère ou la passion délicate de Virgile, nous oublions les travaux , les efforts, les noms mêmes de ces grands artistes de l’érudition, auxquels nous devons cette merveilleuse exhumation de l'antiquité. Nous ignorons et nous affectons même d'ignorer à quel prix ces belles œuvres ont passé dans nos mains. Il semble vrai- ment , que cette transmission se soit faite tout naturelle- ment et que Cicéron ait envoyé directement ses traités ‘immortels de sa maison de Tusculum à l'adresse de la postérité. Et pourtant , Messieurs , que de veilles et que de fatigues chaque page de ces œuvres illustres a coûtées à nos modestes et savants aïeux ! Chacune de ces pages a été une conquête de la science obstinée sur le temps , de la vo lonté savante sur l’espace. Il fallait réunir, des extrémités de l'Europe scientifique, ces feuilles déchirées, fragiles dépositaires du génie antique. Il fallait réparer les injures de l’âge, interpréter les allusions les plus obscures , deve- nues, par la suite des temps, autant d'énigmes , dis- cuter les interpolations , coordonner les fragments à force de perspicacité, combler les lacunes à force de patience , de finesse critique et d'industrie inventive. Il ne s'agissait pas seulement de posséder à fond les langues de l'antiquité, il fallait aussi en posséder les mœurs, la politique , l'his- toire, la géographie, les sciences. Pour comprendre Démosthènes, il fallait connaître à fond la vie publique de la Grèce; pour interpréter Plutarque , il fallait connaître la vie privée dans ses derniers détails. Un habile latiniste ou un pur helléniste n'aurait pas sufi à expliquer Cicéron ou Sénèque, Homère ou Platon. S'il n'était pas philosophe comme un disciple de Socrate, il ne comprenait pas le Phédon ; s'il ne s'était pas rendu familier avec tous les détails de la théologie antique, il perdait le sens de bien des vers SÉANCE PUBLIQUE. 19 de l'Iliade; S'il n'était pas initié aux subtilités de la moyenne où de la nouvelle Académie, il passait, sans intelligence, à travers les pages les plus fines des traités philosophiques de Cicéron. S'il n’était pas dans le secret de la philosophie stoïcienne, de ses doctrines et, disons-le, de ses contradictions, il se condamnait à ne rien com- prendre à ces charmantes Lettres à Lucilius, trésor iné— puisable de belles maximes et de jeux d'esprit. Oui, Messieurs, à cette époque laborieuse de la Renaissance, où la civilisation antique cherchait à se natura- liser dans l’Europe oublieuse , il se cachait sous ce travail des mots un travail immense d'idées. Ce serait une critique bien superficielle et bien vaine qui ne verrait que des gram- mairiens dans ces traducteurs, dans ces compilateurs et dans ces commentateurs de l'antiquité, dans ces Scaliger, ces Scévole de Sainte-Marthe, ces Budé, ces Casaubon , ces Henri Estienne, qui nous ont restitué avec tant de patience et d'effort le génie des lettres antiques. Les mots expriment des idées. Cette maxime, qui pourrait, à quelques-uns, ne sembler qu'une solennelle banalité, s'applique avec un .sens très juste et une portée très grande à ce vaste labeur du xvre siècle qui, avec les langues antiques ressusci- tées dans leur éclat et leur pureté , soulevait, à de grandes profondeurs, l’immortel esprit des civilisations dont ces langues avaient été l'expression glorieuse et l’idiome na- turel. Quand tout était encore à créer dans la critique philologique et dans l'interprétation destextes, ce n'était pas assez, je le répète, d'être grammairien consommé, si l'on n'était en même temps historien exact, philosophe familier avec tous les systèmes, littérateur et moraliste. Ajoutez qu'il n’était pas de trop, pour comprendre certains passages de Platon, de Lucrèce ou de Pline, d’être au courant des problèmes les plus importants de l'astronomie, de la géométrie ou de la physique des anciens. Vous le voyez f 50 ACADÉMIE DE ROUEN. bien, Messieurs, un savant du xvi° siècle n'était rien moins qu'une encyclopédie vivante. Tout cela n'était rien encore si cet ami de l'antiquité ne joignait à tant de science une vertu presque religieuse, un ascétisme sévère, une frugalité, une sévérité, une austérité de cénobite. Il fallait vivre à l'écart, dans la soli- tude du cabinet, plongé tout vivant dans ces nécropoles de l'antiquité ; pour cela, Messieurs, le savant n’avait-il pas besoin d'un vrai courage, d'une singulière force de volonté, d'une énergie rare de réflexion et de concen- tration , d’un désintéressement à loute épreuve? Pas plus alors qu'aujourd'hui, la science n'était une source de for- tune, et plus d’un de ces laborieux mineurs, qui rapportait de ses fouilles savantes l'or pur du génie antique , mourait de faim près de son trésor ! Oui, Messieurs, comme la science avait ses dévots , elle eut ses anachorètes : elle imposa plus d'une retraite , plus d’un jeûne volontaire ou involontaire, plus d’un sacrifice ! Et, sans qu'il nous vienne à la pensée de mettre sur la même ligne les pieux athlètes de la foi et les héros de l’érudition, sachons reconnaitre ce qu'il y avait de noble, d’élevé, de magnanime dans ces silencieux dévoùments à la science. Sachons faire trève à nos habitudes de plaisanterie facile et de scepticisme frivole. Sachons ne pas sourire de dédain à ces noms un peu bizarres de ces bons savants qui ne se croyaient pas dignes d'approcher des sanctuaires antiques , tant qu'ils n'avaient pas latinisé ou grécisé leurs noms. Qu'importe, après tout, que le célèbre de Sainte- Marthe ait traduit son nom de Gaucher en celui de Scévole ? qu'un savant médecin nommé Du Bois devienne Syloius? que les de la Scale s'immortalisent sous le nom de Scaliger ? que le sire de Tournebœuf ou Tournebu ait adopté le nom humanisé de Turnenus dont on à fait Tonnive? En vérité il faudrait aimer beaucoup à rire SÉANCE PUBLIQUE. 51 pour se moquer de ces légers travestissements , et si nous insistons , c’est que là est pour beaucoup , et non ailleurs, une source d'intarissable raillerie contre les savants en us, raillerie qui devient aisément du mépris à l'égard de cette prodigieuse époque de rénovation littéraire. On aime mieux rire que de chercher à savoir, et de tout temps on a prétendu se mettre au-dessus de la science par un moyen bien pauvre et bien usé, en s’en moquant. Mais, pour les gens sérieux , ils savent que nous vivons de l’antiquité , que c’est grâce à une vingtaine d’existences laborieuses et de patientes intelligences que nous lisons maintenant si couramment les textes déchiffrés du génie d'Athènes et de Rome, qu'il est juste de payer un tribut d'éloges à ces humbles et grands savants qui ont épuisé leur vie dans cette tâche ingrate d'initiateurs à l'antiquité restaurée. Ils savent enfin que le nombre des obligés n’enlève rien à l'obligation de la reconnaissance , et que, si l’ingratitude est un vice odieux pour les individus, elle ne pourra jamais devenir une qualité pour les générations. Ne soyons donc pas ingrats envers ces patients commen- tateurs du génie antique. Telle est, Messieurs, la leçon que l'Académie de Rouen a donnée à une génération oublieuse et frivole, en choisissant pour sujet de con- cours la Vie et les OEuvres d'Adrien Turnèbe, qui fut un des plus modestes et des plus intelligents ouvriers de cette grande œuvre de restauration. Elle a eu raison aussi de choisir ce nom trop oublié, et de chercher à le mettre en lumière, parce que ce nom fut légitimement, à une certaine époque, la gloire de son pays natal, la Nor- mandie, en même temps qu'une des gloires de la France. C'est là certainement , Messieurs , un des plus grands services que peuvent rendre les Académies de province. Elles peuvent réparer bien des injustices, sauver de l'oubli, et protéger contre l'injure des temps bien des 52 ACADÉMIE DE ROUEN. noms honorables. Elles peuvent élever à des concitoyens utiles et distingués de modestes monuments, en provo- quant des études, en inspirant et dirigeant des recher- ches intelligentes , en couronnant des mémoires qui peu- vent un jour devenir des livres. Les Académies de province ont donc ainsi leur but bien déterminé et leur utilité toute spéciale. Elles sont comme les centres litté- raires , historiques , scientifiques, des études d'une pro- vince, d'un pays ou d’une ville. Elles ne se méprennent pas , Messieurs , sur ce qu'elles sont et sur ce qu'elles ne sont pas. Elles savent qu’elles ne représentent pas, comme l'Institut de Paris, l'universalité de l'esprit français. Elles savent qu'elles représentent plus spécialement la tradition vivante d'une province, et, sans s'isoler du mouvement général des idées dans l'égoisme étroit d'une localité jalouse, elles choisissent de préférence pour leurs études un territoire circonscrit, où elles risquent moins de s'égarer. L'Académie de Rouen a montré, à plusieurs reprises, qu'elle comprenait ainsi la loi de son existence et les conditions de sa mission littéraire et scientifique, par le choix des sujets qu'elle a mis au concours dans ces dernières années. Ai-je besoin de rappeler les noms de Lémery, de Thomas Corneille, de Lépecq de la Clôture , auxquels vient aujourd'hui s’adjoindre légitimement le nom de Turnèbe? Assurément, Messieurs, ce sont là des noms qui appartiennent aussi à la grande patrie, à la France. Mais qui ne voit que chacun de ces noms est pour Rouen, ou pour la Normandie, un bien patrimonial et comme une gloire domestique ? Qui ne voit que ce sont là des hommes qui, perdus peut-être dans la foule des noms secondaires dont s’honore la France , retrouvent pour ainsi dire , dans leur province , comme un piédestal sur lequel vient se replacer dans tout son éclat leur statue, chancelante ailleurs , et dégradée par l'ontrage des temps. L'Académie SÉANCE PUBLIQUE. 53 de Rouen sait noblement défendre le passé glorieux contre l'indifférence du présent, contre l'oubli de avenir. Les concurrents, Messieurs, ont tous compris cette patriotique pensée de l'Académie, et si tous n’ont pas été également heureux dans la manière de traiter le sujet demandé, aucun d'eux, du moins, n’a manqué de justice envers la mémoire vénérée de ce savant universel, que le xvi® siècle mettait si haut dans son estime, Turnèbe. Mais ce n'est pas assez d'admirer , il faut savoir motiver son admiration. L'éloge n’a de prix que quand il s'appuie sur des faits ou sur des considérations sérieuses. Quand l'admiration ne se justifie pas par une étude un péu appro- fondie de la vie ou des œuvres d'un homme, elle n'est pas loin d’une vague banalité. C'était là, Messieurs, l'écueil du sujet. Le péril d'un éloge de Turnèbe , c'était de tomber dans un panégyrique commun et indécis, comme chacun peut en écrire après avoir consulté quelques dic- tionnaires biographiques. On ne pouvait atteindre, en pareille matière , à l'originalité et à la distinction qu’à force d'étude , de patience et de soins. Turnèbe à beau- coup écrit; il n'a guère écrit qu'en latin et en grec. Ceux _des concurrents qui ont eu peur de ces énormes in-folios comme les aimaient nos aïeux, n'ont pu que répéter fai- blement, quoiqu’avec une bonne volonté évidente, ces appréciations vulgaires et ces détails trop connus qu'on trouve à fleur de terre, si je l'ose dire, dans tous les recueils historiques ou littéraires. Ce n'était pas là, évi- demment , ce que demandait l'Académie. Ce qu'elle vou- lait, c'était un travail original, sérieux, complet, sur la vie et les travaux de Turnèbe ; ce qu'elle prétendait, c'est qu'on lui donnât quelque chose de définitif sur ce sujet mille fois effleuré, jamais approfondi ; c’est qu'on fit, en un mot, un véritabie établissement sur ce point important de l'histoire littéraire du xvi siècle. 54 ACADEÈMIE DE ROUEN. Certes , les prétentions de l'auteur du Mémoire n° f ne vont pas si haut. Ce mémoire, qui a pour épigraphe ce vers : Vivitur ingenio, cœtera mortis erunt , est modeste par le volume, et plus encore par la nature des recherches et la qualité du style. Il ne contient pas plus de six pages d’une très grosse écriture ; c'est une sèche et maigre analyse de la vie de Turnèbe , d'après des renseignements très peu inédits, très peu nouveaux. Nous ne nous arrêterons pas à ce travail. qui a dù coûter une ou deux heures à son auteur pour les recherches et un peu moins pour la rédaction. Voici le début du Mémoire : « Après de longues époques d'ignorance et de barbarie , « l'Europe, au xvi° siècle, commençait à marcher dans « Ja voie de la civilisation. » L'auteur croit qu'on peut dive: Après de longues époques, comme on dit: Après de longs siècles. Cela vous donne, Messieurs, une idée du style de ce Mémoire , qui se termine par cette singulière phrase : « Puisse ce juste tribut d'éloges avoir du reten- « tissement dans cette belle contrée, et contribuer à pro- « duire de nouveaux hommes de génie, qui, comme « Turnèbe. augmenteront sa gloire et tous ses titres à « l'immortalité! » Ce vœu nous touche, bien que mal exprimé, mais nous doutons que ce Mémoire soit de nature à le réaliser. Le Mémoire inscrit sous le n° 3 porte pour devise cette maxime : Par pari refertur. H y a plus de recherches, plus de soin, mais il n°y a guère plus d'art dans la com- position, ni d'expérience dans le style; c’est un travail bien intentionné, mais qui révèle une plume imhabile et un esprit très novice dans l’érudition. Ajoutons que les deux parties les plus développées du Mémoire sont : Pune, la SÉANCE PUBLIQUE. He reproduction textuelle de quelques-uns de ces témoi- gnages d'amitié, d'estime ou de regret, dont les savants du xvi° siècle étaient si prodigues les uns envers les autres, et l’autre est la liste très connue des œuvres de Turnèbe. 11 y a dans le reste du mémoire quelques essais, mais assez malheureux , de peinture originale ou de forme pittoresque , tel que ce morceau où l’auteur nous assure que Turnèbe n’était pas, comme on se l'imagine, un pédant rocailleux. Voilà une épithète bien hardie pour les habitudes assez humbles et l'allure modeste de cet écri- vain inexpérimenté. Vous nous permettrez, Messieurs, de passer immédia- tement aux deux autres Mémoires sur lesquels s’est con- centré tout l'intérêt de l'Académie. De ces deux Mémoires, l'un, le n°2, a pour épigraphe ces deux fragments de vers de Catulle : . sed hæc prius fuere ; Nunc recondita .... quiete. L'autre, le n° #, à choisi pour devise ce distique d'Etienne Pasquier : Quicquid in arcano candebat avara vetustas, Turnebus tacitis eruit e latebris. Ce sont là, Messieurs, deux travaux importants, sérieux, de nature à faire honneur à un concours comme à l'Aca- démie qui l’a provoqué. Je vous dirai tout de suite que l’Académie ne s’est pas décidée sans peine à mettre lun de ces Mémoires au second rang. Celui qu'elle a classé le second aurait pu très honorablement se classer le premier dans un autre concours. de suis sûr d'être l'interprète de l'Académie tout entière, en donnant aux auteurs ce 56 ACADÉMIE DE ROUEN. témoignage public d'une très vive estime. C'est pour nous une tâche délicate de présenter le parallèle de ces deux travaux. Ile faut bien pourtant, puisque l'objet d'un rapport est de déclarer le choix motivé d'une Académie. Ce qui nous a frappés à la lecture du n° 2, c’est l'ordre, la proportion , la régularité intelligente du Mémoire, c'est l'économie bien entendue de l'ensemble et des détails, c'est enfin la justesse des appréciations, la finesse de quelques pensées , l’élégante solidité du style. Ce Mémoire nous donne une idée très généralement exacte des prin- cipaux faits de la vie de Turnèbe , de ses œuvres les plus considérables, de son caractère et de son influence. Tout l'essentiel s’y trouve , quoique rapidement résumé. La science y est sincère, puisée en général aux sources , agréablement variée. Les jugements y sont mesurés ; il y a dans tout ce travail comme un heureux mélange de science bien choisie et de bon sens orné. La seule cri- tique de l’Académie porte sur le caractère général de ce Mémoire qui est plutôt une notice excellente qu’une étude complète et qu'un travail définitif. Nous y puisons des appréciations très justes, mais un peu trop générales peut-être. Nous n'entrons pas dans l'analyse intime de l'homme, de sa vie, de ses œuvres. Le principal de ce qu'il faut savoir sur Turnèbe , le nécessaire s’y ren- contre , présenté dans un style ferme et sobre ; mais nous sommes un peu plus exigeants, et notre curiosité réclame quelque chose de plus, quelques détails plus intimes , quelques analyses plus circonstanciées. Nous cherchons presque le superflu. Avant de quitter ce remarquable, mais trop bref Mémoire, nous citerons une excellente appréciation du livre des Adversaria, où, comme dit l'auteur, Turnèbe avait dé- posé le fruit des recherches et des lectures de toute sa VIe. SÉANCE PUBLIQUE. 57 « Quel immense appareil d'érudition ! Là comparaissent presque tous les écrivains de la langue latine : ils sont « commentés avec une rare sagacité et unescience profonde; «les Grecs eux-mêmes ne sont pas omis. Chacun de « ces articles peu étendus est rédigé avec une concision « étudiée , une netteté parfaite. Rien n’y manque, ni les «termes appartenant aux connaissances techniques des «anciens , architecture, art militaire, astronomie ; ni la « langue usuelle , ni la langue du droit , ni la langue litté- « raire. Aucun lien n'unit ces notes entre elles, mais elles « attirent par la variété. Et ne croyez pas trouver ici une « critique purement verbale ! Pour expliquer le sens « poétique ou dérivé d’une expression , l’auteur invoque «tour à tour et les traditions nationales des Romains , et « leurs rites religieux , et les usages de leur barreau , et « les pratiques de leur agriculture. . .. Et quand on songe « à l’imperfection des éditions du xvi° siècle ou plutôt à « la rareté des manuscrits et à la confusion des textes, « aux difficultés d’un travail d'investigation et de rappro- « chement, sans le secours de ces précieux index où rien «n'a échappé à la patiente érudition de nos pères , une «telle continuité d’eflorts épouvante notre mollesse , « Turnèbe grandit à nos yeux, et nous nous associons par « l'étonnement à l'enthousiasme unanime de ses contem- « porains. » Maturité distinguée de jugement et de style, rapidité, peut-être excessive , d'analyse et généralité un peu uni- forme d'appréciation, tel est, Messieurs, le fidèle résumé des impressions de l'Académie à la lecture de cette com- position. A Le Mémoire n° #% a de tout autres qualités et de tout autres défauts. C’est évidemment l'œuvre d'un jeune homme, mais hàätons-nous d'ajouter, d'un jeune homme 58 ACADÉMIE DE ROUEN. auquel l'avenir ne manquera pas, S'il veut ne pas man— quer à l'avenir. Il y a dans ce Mémoire déjà plus que de brillantes espérances. Vous allez en juger, Messieurs , et l'Académie espère que vous partagerez son opinion très flatteuse sur la valeur historique et littéraire de cet ouvrage. C'est un travail considérable qui ne comprend pas moins de 172 pages d'une écriture très fine. I y a là, pour m'exprimer en chiffres connus dans la librairie, la matière d'un volume de 10 à 12 feuilles in-8° environ. Vous voyez tout de suite , Messieurs, quelle est l'importance de cette œuvre. Cette considération doit servir d’excuse à l’auteur pour lui faire pardonner certaines fautes : inadvertances de plume, omissions de mots qui déparent quelques pages de son manuscrit. L'auteur a été évidemment pressé par la rigueur du règlement qui avait fixé la remise des travaux au 1* juin. Ce sont là, heureusement, des détails tout matériels qui n'enlèvent rien à son mérite. D'ailleurs, par compensation, l’auteur a sollicité indirectement son pardon pour ces détails manqués, par l’adjonction de quelques pièces assez curieuses qu'on ne lui demandait pas , comme un petit portrait de Turnèbe, des autographes français , grecs et latins , un fac-simile des caractères de son impri- merie, etc., etc. Dans tous ces détails, se révèle le soin d’un véritable amateur et presque d’un artiste en biblio- graphie. J'arrive à des considérations d'un autre ordre. Il à paru, Messieurs, à l’Académie, comme je le disais tout à l'heure, que ce Mémoire était l'œuvre d’un jeune homme ; et voici par quel symptôme se trahit l’âge de l'auteur. On voit en lui d'excellentes, de fortes, de brillantes qualités : et pas une de ces qualités, poussée à bout par l'auteur, ne manque de se transformer en quelque grave défaut. Je prendrai trois exemples : SÉANCE PUBLIQUE. 59 L'auteur aime la méthode : c'est évidemment un esprit {rès philosophique, habitué à classer et à diviser les choses. C'est là un goût excellent, mais qu'il faut savoir modérer dans l'application , sous peine de réduire en poussière les objets divisés à l'infini par une analyse microscopique. L'auteur n’a pas évité ce défaut. Son plan général est excellent ; on peut le réduire à ces points principaux : une introduction, une biographie très complète de Turnèbe et de sa famille , un travail bibliographique étendu sur ses œuvres, un examen approfondi de chacun de ces travaux, enfin une appréciation générale du caractère, du rôle littéraire, de l'influence de Turnèbe. Mais cette division n'a pas sufi à notre auteur, il a subdivisé à l'infini les chapitres , les considérations , les points de vue, et nous avons été unanimes à constater qu'il y avait dans ce travail comme un excès de méthode , une surabondance de classi- fication. N Autre qualité se transformant , par l'excès, en grave inconvénient. L'auteur connaît à fond les dernières parti- cularités relatives à la vie ou aux travaux de Turnèbe. Mais il y a beaucoup de détails qui, par eux-mêmes, n'ont qu'une valeur secondaire et qu'il eût mieux valu sacrifier tout à fait ou reléguer dans un appendice, où les curieux intrépides iraient les chercher. L'auteur n’a pas eu ce Courage qui pourtant n'eût été que de l'habileté, et qui aurait débarrassé de détails prolixes et de particularités médiocres lè cours plus rapide de son exposition. Les exemples abondent sous ma main. J’indiquerai surtout quatre ou cinq pages consacrées à la grave discussion du vrai nom de Turnèbe. L'auteur compte jusqu'à onze variantes de ce nom vénérable. Il aurait dù rejeter dans des notes en très petit texte, à la fin de son Mémoire, cette énumération qui n'offre qu'un faible intérêt. Je ferai encore une autre critique, an nom de l'Aca- 60 ACADÉMIE DE ROUEN. démie. L'auteur a un goût vif pour les choses de l'esprit , il sait finement apprécier le travail de la pensée et est très éloigné du scepticisme frivole qui nous porte à rire de ces mœurs littéraires si Gpposées à nos habitudes ; mais l'Académie a trouvé qu'il tombait encore ici dans l’exagération d’une heureuse qualité. L'auteur ne ménage pas assez l'hyperbole dans l'éloge : les épithètes de grand , de glorieux, d’illustre ne lui coûtent rien, et j'avoue que ces épithètes, prodiguement appliquées à un très savant commentateur, dépassent la mesure , même de la louange académique , même à l'égard d'un compa- triote. Messieurs , j'en aurai fini avec la critique quand j'aurai signalé une discussion, qui a semblé longue et conjectu- rale, des motifs et des causes qui amenèrent Adrien Tur- nèbe à faire, à son lit de mort, une sorte de profession de foi protestante, et, en dernier lieu, quand j'aurai noté dans le style quelque tendance au trait un peu rafliné, à la plaisanterie parfois un peu quintessenciée. Et cependant, Messieurs, l'Académie n'hésite pas à vous signaler cette œuvre comme très remarquable. Recherches originales, étendues, variées, intelligence très souple et très habile à saisir les différents points de vue du travail multiple de la Renaissance , esprit philoso- phique net et judicieux, analyses courageuses des prin- cipales œuvres de Turnèbe , style coloré, souvent brillant, et, dans la dernière partie surtout, élévation remarquable d'appréciation et de pensée, voilà, Messieurs, ce qui a tout d'abord fixé l'attention de l'Académie sur cette œuvre considérable, d’où il pourra sortir un bon livre, quand l’auteur aura soumis à une révision sévère quelques pages et quelques détails de son Mémoire. Nous aurions voulu, Messieurs, vous citer quelques pages excellentes de ce travail; mais nous ne voulons pas SÉANCE PUBLIQUE. 6! prolonger ce rapport par des citations trop nombreuses. Une seule nous suflira pour faire apprécier le style et la manière de l’auteur; nous choisissons une page où il entreprend de disculper en partie Turnèbe de ses nombreuses licences de polémique à l'égard de Ramus. L’apologie de Turnèbe s’étend, du reste , à presque tous les savants du xvi° siècle. « « « « « À bien examiner les choses, dit-il, avons-nous le droit de reprocher au xvr' siècle cette facilité, cette sûreté de conscience avec laquelle il emprunte, dans ses polémi- ques, la langue des portefaix romains? Au xvr° siècle, les libelles, les pamphlets abondent, mais ils ne sont en général que le fruit d’un quart-d'heure d'emportement. Ces petits dictionnaires de synonymes injurieux, ces lexiques de mots malveillants qu'on échangeait alors si volontiers, qu’on se pardonnait en général si facilement , n’attestaient qu'une connaissance approfondie de la partie vitupérative de la langue latine. A voir les termes le plus souvent usités dans ces querelles, et qui ne disent plus rien en voulant dire trop, on reconnait bien vite qu'il n’y a guère eu là qu'une sorte de révision des différentes manières de s’injurier dans l'antiquité : pur exercice de mémoire. L'esprit troublé par la crainte d’un plagiat, l'imagination exaltée par je ne sais quel enthousiasme chevaleresque pour Cicéron offensé, pouvaient bien en inspirer l’idée première, en dicter quelques fragments, mais le cœur n'y était pour rien. On ne pensait presque pas ce que l’on écrivait de la sorte. Aujourd’hui, nous avons changé tout cela. Notre délicatesse s’effarouche d’une expression blessante. Quant à la pensée elle-même, qu'elle soit ce qu'il lui plaira ; dès que le mot a une tenue convenable et sait se respecter, cela suflit. Egorgez-vous si bon vous semble , mais égorgez-vous, s’il vous plaît, en gens qui savent vivre, et n'oubliez de vous saluer de ce 62 ACADÉMIE DE ROUEN. « fer qui va vous percer ; sinon, vous n'êles que le dernier « des pieds-plats. Ce respect meurtrier des convenances, « cette hypocrisie dans la politesse ne valent guère mieux « sans doute que cette franche et pédantesque animosité du « xvr° siècle, où plus d’une fois une querelle, commencée « par de gros mots, a fini par faire deux bons amis. De ces « mœurs littéraires de deux époques si opposées, lesquelles « doit-on préférer? » = En somme, Messieurs, l'Académie vous présente comme très dignes d’éloge deux Mémoires, le n° 2 et le n°4; l’un, résumé excellent, synthèse exacte et judi- cieuse, mais résumé trop rapide peut-être, synthèse trop générale; l'autre, œuvre considérable par l'étendue des recherches, la nouveauté piquante des analyses, la variété des documents, mais partiellement défectueuse par l'excès des classifications et la prolixité des détails. Entre la maturité très intelligente, mais trop sobre peut- être de l'un et l'érudition très étendue et très agréable , mais prodigue de l’autre , l'Académie s'est décidée pour le Mémoire n° 4, tout en accordant de sympathiques éloges au Mémoire n° 2. Nous avons pensé que le luxe des déve- loppements et l’intempérance juvénile de quelques détails ne devaient pas nous faire oublier ce qu'il a fallu de peines, d'efforts, de patience dans la réunion des documents consultés par le n°4, et ajoutons, Messieurs , ce qu'il a fallu de talent réel, inexpérimenté parfois, mais souvent brillant, pour mettre aussi heureusement en œuvre cette quantité considérable de matériaux. De ce Mémoire, je le répète, pourra plus tard sortir un livre définitif sur Tur- nèbe. En conséquence , l'Académie adjuge le prix au Mémoire n° #, et décerne une grande médaille de vermeil au Mémoire n° 2, SÉANCE PUBLIQUE. 63 À l'appel de M. le Président, M. Lecrezse, étudiant en droit, auteur du Mémoire n° 4 » vient recevoir des mains de M. le Maire de Rouen une médaille d’or de 300 fr. Une médaille d'honneur en vermeil, grand module, est accordée à M. Morin, professeur à la Faculté des lettres de Rennes, auteur du Mémoire n° 2 a BOHÈME ET NORMANDIE, SCÈNE DIALOGUÉE, EN VERS, FAR M. F. DESCHAMPS. PERSONNAGES : DUVAL, Propriétaire. OLIVIER, Artiste en tous genres. Oravier, assis sur un pliant de voyage, est occupé à crayonner le paysage; — Duvar apparait sur le perron d'une villa élégante.) OLIVIER. Je ne me trompe pas.... sur ce seuil somptueux C'est toi que je retrouve, ami des temps joyeux, Cher Duval ! DUVAL. Ce n’est point une vaine apparence, C'est toi, mon Olivier, mon compagnon d'enfance , Le fou , l'enfant léger, monsieur l’insoucieux, Ainsi que t’appelait, d’un ton sentencieux , Notre vieux professeur ! — Approche et prends un siége, Et puis causons ainsi qu'autrefois au collége. — Je suis ici chez moi; je puis sans vanité Te faire les honneurs de l'hospitalité. SÉANCE PUBLIQUE. 65 OLIVIER, Chez toi! dans ce castel ! diantre, tu fis fortune ! DUVAL. Je n’en eus pas besoin, mon père en avait une ; Nous l'ignorions alors n’en ayant nul souci. — Toi, tun'es pas, j'espère, à plaindre, Dieu merci! OLIVIER. Oh ! moi, c’est différent : c'est un peu moins sonore, Mon père n'avait rien, et moi, j'ai moins encore. Ce que j'en dis n’est pas un reproche, il s’en faut, Et je trouve très bien ce qui se fait là-haut ; Le Ciel savait qu'il faut que rien ne me dérange, Or, du bien me serait d'un embarras étrange. — D'ailleurs, n’ai-je pas plus d’une propriété ? Jai le soleil, la mer, l’air et la liberté : J'ai, pour l'été , les bois et les plaines fleuries ; J'ai, pour l'hiver, le Louvre avec ses galeries, Les monuments des arts, les châteaux, les palais, Tout ce que l’on admire enfin... à peu de frais ; Les forêts de l'Etat me donnent leurs ombrages, Et l'artiste au salon m'expose ses ouvrages ; La Seine me convie à rêver sur ses bords. Bref, j'aile bien de tous ; est-ce assez de trésors ? DUVAL. Toujours le même !.. A moins que tu ne sois, en somme, Devenu plus léger en devenant un homme ! 66 ACADÉMIE DE ROUEN. Voyons... comment vis-tu ? OLIVIER. Chaque jour a son gain. DUVAL. Fort bien , celui du jour , mais pas du lendemain? Enfin, quel est ton art? OLIVIER. Aucun et tous ; exemple : Hier, j'ai dégrossi la colonne d’un temple ; Demain, dans un concert, au chef-lieu de canton, Je ferai retentir ma voix de baryton; Aujourd’hui, j'ai recours à mon pinceau fidèle, Je croquais ton vallon dans une humble aquarelle ; Je pratique au besoin le culte des neuf sœurs , Pour doter de mes vers messieurs les confiseurs. Rien ne m'arrête, rien ne me blesse, m'étonne. Que dirai-je ? j'ai fait l'an dernier, à l'automne , Mon tour de France avec des rapins ambulants Posant en maillot-chair dans les tableaux vivants. DUVAL. Joyeux fou !.…. Mais, vraiment, toute cette bohème Te séduit ?.. OLIVIER. C'est la seule existence que j'aime ! SÉANCE PUBLIQUE. Et n'ayant rien à moi, le temps dans sa rigueur Pourra plisser mon front sans racornir mon cœur ! DUVAL. Prends garde! quelquefois, et par pure bravade, De son insouciance on fait un peu parade ; Si l’on voulait pourtant être de bonne foi, Peut-être avoürait-on qu'un tout petit chez-soi À nos libres élans ne ferait point injure. — L'amour de posséder est dans notre nature, Et, comme philosophe aussi, tu dois sentir Qu'aux instincts primitifs on ne saurait mentir ! OLIVIER. Oh ! ne discutons point ici philosophie ; Je te parle caprice, arts, libre fantaisie ! — Comme toi je pourrais dire en termes ronflants Qu'on ne verrait encor que des peuples errants Si l'homme sur la terre, à son pouvoir soumise, N'’eût un jour en vainqueur opéré sa main-mise ; Que la propriété, par l'occupation, À créé ce grand mot : civilisation ! — Hein? Je suis un peu fort sur l’histoire du monde, Du monde social? DUVAL. Ta science est profonde. OLIVIER. C'est du vrai Puffendorff ! c’est du Bentham tout pur ! — Pourtant je prise peu ce prosaisme obscur. 67 68 ACADÉMIE DE ROUEN. DUVAL. Je t'y guettais ! Voilà le grand mot : prosaisme ! En style du jour même on dit « positivisme. » Ingrat ! mais ferais-tu des bustes , des tableaux ; Pourrais-tu contempler des palais, des châteaux , Sans tout ce que pourtant ta verve satyrique Ecrase avec dédain du nom de prosaique ? = Mais sur ce terrain-À j'aurais par trop beau jeu : J'aime mieux essayer de te montrer un peu Que tout n’est pas toujours sec, étroit et vulgaire Dans le rôle abaissé de ce propriétaire , Ce brave possesseur, dont Lu fais aujourd'hui, Sans merci ni pitié, le type de l'ennui. _ Notre discussion ressemble à la querelle Entre l'amour honnête , ostensible , fidèle, Et celui qui, fatal au repos des époux , Sans fixité, sans frein, vit aux dépens de tous. Le premier , disait-on, est Sans ardeur ni sève ; A l'autre les élans , l'émotion, le rêve !… Cependant un auteur justement applaudi, Au théâtre a prouvé qu’un père, qu'un mari Peut , à l'esprit troublé d'une femme inquiète , Redevenir bientôt le seul, le vrai poète! Si j'avais le secret de ces vers éloquents, Je voudrais démontrer, ainsi que je le sens , ” Que la propriété même a sa poésie | OLIVIER. Joli sujet de vers et thèse bien choïsie ! Invoquer les amours ! belle comparaison ! SÉANCE PUBLIQUE. 69 DUVAL,. Crois-tu qu'on n'aime pas son jardin , sa maison, Ses prés, ses bois , ses fleurs ?... OLIVIER. Bast! ton propriétaire Est un musicien dont l'oreille préfère Le tocsin de l'argent au chant du rossignol ! Et voilà ce que c’est que ton amour du sol! DUVAL. L'amour du sol! — Ce mot, je l'accepte , la terre Qui nous donne ses biens est aussi notre mère ; Ne peut-on pas aimer celle qui fait mûrir Dans son sein maternel des fruits pour nous nourrir ?.… OLIVIER. Mais vous êtes alors des enfants sacriléges ! Car, pour vous composer vos petits priviléges , Vos petits biens, dont seuls vous cherchez à jouir, Je vous vois morceler, étriquer à plaisir Cette terre puissante aux beautés naturelles , Cette mère adorée aux formes solennelles , La serrant à l’étroit dans vos murs , vos fossés < A votre taille ainsi vous la rapetissez. Vos bornes , vos barreaux et toutes vos clôtures Rident partout son front de leurs mille hachures : D'un damier, grâce à vous , elle m'offre l'aspect ; Vous la gâtez, enfin, voilà votre respect ! 70 ACADÉMIE DE ROUEN. DUVAL. Injuste , c'est par là qu'elle devient féconde. Vas-tu pas regretter la naissance du monde, Les splendeurs du chaos et ces arbres géants Qui, pour tes deux repas , te serviraient des glands ? Vraiment ta poésie est un peu trop fossile ; Je ne m'en cache point , j'aime mon champ fertile , Que les blés onduleux jaunissent à l'été ; Bien qu'assez arrondi ce champ est limité ; Je l'avoue ; à mes vœux pourtant il peut suflire. Pour qu’un plaisir soit vif, il le faut circonscrire. Qu'est-ce qu'éparpiller mille sensations, Sans s'arrêter à rien dans ses affections ? Quel charme de n’aimer que les choses banales ? Mes admirations aux tiennes sont égales ; Mais j'en ai là l'objet, près de moi, sous mes yeux, Pour le goûter à l'aise et le comprendre mieux, — Quand d'arbres inconnus tu cherches le feuillage Moi , des miens , chaque jour je vois grandir l'ombrage ; Ils sont tous mes amis, quelques-uns mes enfants. Je les connais , les suis ; je vois, chaque printemps, Leur base s’élargir et leurs rameaux s'étendre , Et leur fais, à l'automne , un adieu triste et tendre. — Ton oreille se plait au concert des oiseaux , De leur voix, comme toi , J'aime les doux échos ; Mais mon charme est plus grand et ma joie est plus haute ; L'oiseau qui chante là, dans mon bois, est mon hôte ; Aujourd'hui je l'entends , il reviendra demain ; Quelques grains de millet , quelques miettes de pain ün font un commensal reconnaissant, fidèle, Faut-il parler enfin de la vive hirondelle SÉANCE PUBLIQUE. 71 Que l’équinoxe en pleurs fait fuir de nos climats Et qu'avril me ramène en chassant les frimas j Compagne de mon toit dont l'ogive de pierre Garde et couvre le nid sous la mousse et le lierre ? OLIVIER, Ah ! je suis attendri! — Vraiment, mon cher Duval ; On n’est pas plus touchant et pas plus pastoral ! DUVAL. Choisis, si tu ne veux énerver ta critique , Voyons, dis : suis-je trop ou trop peu poétique ? Tout à l'heure j'étais étroit et positif, J'exagère à présent le sentiment naïf ; Lequel des deux ?... OLIVIER. Eh bien ! voilà ce que je pense ! - De ta propriété, suprême jouissance, Tu n'es que l'humble esclave ! au-delà tu ne voi Rien de bon ; l'univers est dans ce coin pour toi. Aussi que d’embarras et de tracasseries ! Il faut faire aujourd’hui couvrir les vacheries ; La gouttière est à jour ; le mur est ébranlé ! La lucarne du toit a son carreau fêlé ! Et mille autres détails encor plus grandioses ! — Oui, tu vis dépendant de ces charmantes choses ! ! DUVAL. Écoute-moi : le plus dépendant, c’est celui Qui ne possédant rien attendra tout d'autrui, 72 ACADÉMIE DE ROUEN. Qui de tous humblement doit souffrir les caprices. — Même dans ces plaisirs dont tu fais tes délices , Ce Louvre, ce musée, et tous ces monuments , ILte faut bien subir la loi des règlements. D'un chef-d'œuvre de l’art ta vue est enivrée, Quand arrive un gardien en tricorne, en livrée, Son bâton insolent qu'il a fait retentir Te chasse ente criant : « On ferme. » Il faut sortir. __ A l'arbre de l'État qui vers ton front se penche Cherche donc seulement à cueillir une branche ! Le garde est sur tes pas et son procès-verbal Va faire au délinquant l'honneur du tribunal. OLIVIER. Mais c'est vous qui savez ainsi nous rendre esclaves, Grands juristes, rêvant restrictions , entraves ! DUVAL. Avouez donc au moins que l'heureux possesseur Est plus libre que vous ; il est maitre et seigneur ; Dans son droit absolu, de sa terre il dispose , Il peut créer, détruire, et c'est bien quelque chose ! Créer! mais c’est pour l'homme un plaisir souverain ! Une émanation d'un pouvoir tout divin ! Un céleste attribut ! non pas que sa puissance Ait jamais du néant pu tirer l'existence ; Mais, dans ses facultés et dans sa mission, Le Ciel a mis le droit de transformation. Oui , Dieu veut qu’à sa guise , il change , il modifie Ce globe où son travail sème et répand la vie. Ce bonheur, ignoré par toi, je le connais : Vois ces jardins, ce parc, ces vergers, ces bosquets, SÉANCE PUBLIQUE. 73 J'ai tout créé: — Le tertre aux pentes inégales , Les chemins sinueux se tordant en spirales, Et la grotte d’écaille aux reflets argentés , Ces bois de toute essence et leurs variétés , Bois agrestes , fourrés de jones marins , de ronces , Bois groupés en taillis , alignés en quinconces ; Là, j'ai planté l'arbuste, ici semé les fleurs , Harmonisant partout les formes , les couleurs ! OLIVIER. Non : vous n'êtes vraiment pas même heureux copistes, Et vos contrefaçons sont mesquines et tristes : Allez donc voir le monde en ses sublimités ! La nature nouvelle en ses virginités ! Les bois immaculés , les sauvages campagnes, Les torrents du désert, les abruptes montagnes ! Et vous rirez, voyant que vos efforts sont vains Et n'ont pour tout produit que quelques rochers nains, Quelques buttes sans nom , ridicule grimace Des grandeurs que le monde étale à sa surface ! DUVAL. De ces grandeurs je puis jouir autant que toi ; En attendant j'en garde un spécimen chez moi, Et celui-là, je l'ai toujours , quoi qu'il arrive. L'autre admiration est un peu fugitive ; Car le Chimboraço, nile Niagara, Ne peut, pour t’exalter, tous les jours être là ! — Il ne faut pas non plus traiter d'esprit vulgaire Quiconque est satisfait de son lambeau de terre : 74 ACADÉMIE DE ROUEN. Molière avec Auteuil, Horace dans Tibur Comprenaient ce bonheur d'un petit coin obscur Arrangé par nos mains au gré de notre envie, Et qu'on peut parcourir chaque jour de sa vie ! — Puis, ne comprends-tu pas que la propriété A dans ses attributs la perpétuité ? Tiens, ce même platane , encor dans sa jeunesse , Étendra sur mon fils son ombre plus épaisse , Là, par le souvenir il me retrouvera. . — Et les tiens sauront-ils où ton pied se posa Seulement ? OLIVIER. Que dis-tu ? mes enfants ! ! ! en aurai-je ? Question sur laquelle un doute au moins m'assiége Et que je ne veux pas résoudre de longtemps ! Diable , mon cher, tu vas bien vite! mes enfants! DUVYAL. Allons , tu vaux bien mieux que tu ne veux paraître... OLIVIER. Mon Dieu, non....— Mais adieu, de ce site champêtre Je veux tracer l’esquisse et je m'en vais là-bas. DUVAL. Eh bien! va; moi, je vais voir pousser mes lilas. SÉANCE PUBLIQUE. Mais quand tu vas avoir saisi ton paysage , Tu me reviens diner. OLIVIER. Moi, diner chez un sage ! DUVAL. Et pour punition, disputeur entêté , Tu goûteras les fruits de la propriété ! 1 Svcseuh VUE + 0 "| : | Pa LE ) DS LES LPNTILE _ : PA hits » " ” 4 nie CE EN ñ | j | Û D v Pl Pau ie utte ayet Co : histib ut) dgraf LA | | L'ile TiaiTir él devra #f 40 à D à : . ' : | : - ton æ ñ ; é » Y | | è l Au : (ra | Ï { | : [Q : Le ï ik | | bre y FE | L | 4 - x ‘ CPR | 1 4 j : S | L Er eh. L : oi LA : . LU L ( L : " + HN L t L L 4 LR . | » . ! L 0 L LE h ; | L D à ni CL Lu LE A PROGRAMME DES PRIX PROPOYEN POUR 1855, 1856 et 1857. D À CS=e——— L'Académie distribuera, dans ses Séances publiques annuelles des mois d’Août 1855, 1856 et 1857, les prix spécifiés ci-après : POUR 1855. PRIX GOSSIER (HORS TOUR). L'Académie, qui n’a pas cru devoir décerner le prix qu'elle avait annoncé pour 1852, a seulement accordé un encouragement de 300 f. à l'ouvrage qui lui a paru le plus méritant; en conséquence, elle propose un nouveau prix de 500 fr. à l’auteur du meilleur mémoire sur le sujet suivant : MorEurs HYDRAULIQUES. — Donner la théorie mathé- mathique de tous les systèmes de moteurs hydrauliques connus : roues à palettes et à aubes, roues de côté, en- dessus et en-dessous, turbines, etc. Discuter, au point de vue pratique, le genre de moteur le plus avantageux à employer dans chaque cas , en faisant varier le volume d’eau et la chute. Donner, pour chacun des systèmes reconnus préférables, des méthodes de construction simples et faciles à com- 18 ACADÉMIE DE ROUEN. prendre, par les charpentiers de village, pour les moteurs en bois, et par les ouvriers mécaniciens pour les moteurs en métal. Les concurrents devront appuyer leurs mémoires de dessins suflisamment nets et corrects pour en faciliter l'intelligence et citer le plus grand nombre d'applications pratiques qu'ils pourront, en faisant connaître, dans chaque cas, les rendements effectifs constatés. L'Académie se réserve la faculté de diviser le prix, dans le cas où une partie seulement de la question aurait été complètement résolue. PRIX GOSSIER. L'Académie décernera un prix de 800 fr. à l'auteur du meilleur mémoire sur le sujet indiqué ci-après : Essar PHILOLOGIQUE ET LITTÉRAIRE SUR LE DIALECTE NORMAND AU MOYEN-AGE : exposer ses formes principales et ses varia- tions ; son rôle dans la constitution définitive des langues anglaise et française ; rechercher, dans les patois actuels des diverses parties de la Normandie, ce qui subsiste de cette ancienne langue, en dehors de l'anglais et du français modernes. Encouragements aux Beraux-ûrts. L'Académie décernera des médailles d'encouragement aux artistes nés ou domiciliés dans un des cinq départements de l'ancienne Normandie , qui, pendant les trois dernières années, c'est-à-dire depuis le mois d’Août 1852, se seront le plus distingués dans les Beaux-Arts, à savoir : la peinture, la sculpture, l'architecture , la gravure, la Rithographie et la composition musicale. SÉANCE PUBLIQUE. 79 POUR 1856. La fréquence et la gravité des accidents qui surviennent dans les établissements industriels, et dont la population ouvrière est victime, ont, depuis longtemps, préoccupé l'attention publique. Depuis longtemps aussi, on a réclamé, sans succès, les moyens de prévenir kes mutilations aux- quelles sont exposés les ouvriers de nos fabriques. Il a paru à l’Académie que cette recherche présentait, au point de vue de l'humanité et de l’économie industrielle, un intérêt assez puissant pour lui donner la préférence sur de nombreuses questions scientifiques qui lui avaient été présentées ; en conséquence, elle propose un prix de 600fr., dont M. le Ministre de l’agriculture, du commerce et des travaux publics fournit la moitié, à l’auteur du meilleur mémoire sur ce sujet : « Trouver des moyens sûrs, d’une exécution facile et économique, afin de prévenir les accidents nombreux qui résultent, pour les ouvriers, de l'usage des appareils mécaniques dans les manufactures, de manière à per- mettre de réglementer cette partie importante de l’admi- nistration publique. » POUR 1857. L'Académie de Rouen décernera une médaille d'or de 300 fr., ou sa valeur en argent, à la meilleure notice biographique sur le Général Duvivier , né à Rouen; notice comprenant une appréciation raisonnée de ses ouvrages. sû ACADÉMIE DE ROUEN. Observations communes à tous les Concours. Tous les mémoires devront être manuscrits et inédits. Chaque ouvrage portera en tête une devise qui sera répétée sur un billet cacheté, contenant le nom et le domi- cile de l'auteur. Dans le cas où le prix serait remporté, l'ouverture du billet sera faite par M. le Président, en séance particulière, et l'un de MM. les Secrétaires donnera avis au lauréat de son succès , assez tôt pour qu'il lui soit possible de venir en recevoir le prix à la séance publique. Les académiciens résidants sont seuls exclus du concours. Les mémoires devront être adressés francs de port, avant le 1° Mar DE L'ANNÉE OU CHAQUE CONCOURS DOIT AVOIR LIEU, TERME DE RIGUEUR, Soit à M. J. Girardin, soit à M. À. Pottier, secrétaires de l'Académie. Extrait de l'Art. 66 du Règlement du mois d'Août 1848. « Dans tous les cas, les Ouvrages envoyés au concours appartiennent à l’Académie, sauf la faculté laissée aux auteurs d'en faire prendre des copies à leurs frais. » CLASSE DES SCIENCES. He RTE re) LRU Eu re à émane | f | L de ll : red ue DR TR x" _ [ « | LA : el Ve ut Wu j: : de SR é \ | f Je 0 À ne L \ L CLUIER t NE CES È] : rie | | ve L D 12 i … ». Fu. < ann 41 : : | À | EC LES AT L 1 ; | , ! L LN - EL { : 0) Ju : # : L _ us . L , | : * Le | L | : ve or A L ; . DD. | de | | | : LR n L ; L nl | Vr : . a 1 N : Pr” . {nr ” L . L L L Le L mn P: L : +: u 1e . ain \ 1% de | | : D : Tr n Bu + [l L #4 Es a Lu 6 dus h : | ro \ LL # | me OR M - ke CA | " an or k à : De + . dià | ) re Ed é L ait : L * “ ( L | | : : L : L " El | 1 , L : "A [T .. L t de | 4 E , 8 3 ‘ nn" pi | + L L : 1: | a 7 " ” | | | ! | | : | L " RAPPORT SUR LES TRAVAUX DE LA CLANNE DEN SCIENCES DE L'ACADÉMIE, PENDANT L'ANNÉE 1853-1854, ss PAR M. 3 GARARDIN, SECRÉTAIRE DE CETTE CLASSE, MESSIEURS , Le règlement et les usages m'obligent à vous présenter chaque année le tableau succinct, mais fidèle, de vos divers travaux scientifiques. Je vais essayer d'accomplir ce devoir le moins imparfaitement qu'il me sera possible ; mais, avant tout, j'en appelle à votre indulgence, car bien résumer les écrits des autres, en dégageant les faits principaux , l’idée fondamentale , de tout ce qui n’est pas essentiel à la manifestation de la vérité, n’est pas chose aussi facile qu'on pourrait le supposer. Comme toujours, j'ouvrirai cette revue rétrospective par l'analyse des œuvres de mathématiques. CIENCES JÉMATIQUES Sur la loïde, par Viucent. 84 ACADÉMIE DE ROUEN. M. Vincent, professeur au lycée de Rouen , a composé un Mémoire sur la Cycloïde. Organe d'une Commission , M. Lévy en a fait ressortir la valeur. Galilée, Roberval, Descartes, Pascal et Huygens ont montré, par leurs nombreuses recherches, toute lim- portance qu'ils attachaient, an moins sous le rapport purement spéculatif, à la solution des divers problèmes qui résultent de l'étude de la cycloïde. Jean Bernouilli en _a déduit un résultat pratique, en prouvant qu'un are de la oup d'œil historique eur les thématiques pures, r le même. cycloïde est la courbe de la plus vite descente. Mais il fallait mettre cette question très ardue à la portée du plus grand nombre: c'est ce qu'a réalisé très habile- ment M. Vincent. Il fait voir que les propriétés géométri- ques de la cycloïde peuvent être démontrées sans ie secours des calculs différentiel et intégral, en employant les méthodes élémentaires de la géométrie pour passer des polvgones aux courbes. C’est une idée heureuse d'envisager isolément les deux mouvements de rotation et de translation du cercle géné- rateur. Cette méthode, souvent employée en mécanique , a conduit le savant professeur du lycée à une solution simple et élégante de la question. L'Académie , qui connaissait depuis longtemps le mérite de M. Vincent , s'est empressée de l'admettre dans ses rangs. Le nouvel élu a fait son entrée par un discours sur l'état actuel de nos connaissances dans les mathématiques pures. Après avoir rappelé que c'est par la géométrie que les anciens préludèrent dans le vaste champ des sciences mathématiques, M. Vincent établit que c'est le grand Euler qui, le premier, a signalé la liaison logique des opérations de l'arithmétique. Wronski, un peu plus tard, CLASSE DES SCIENCES. 85 a complété le magnifique ensemble des théorèmes relatifs à la génération des nombres. Il montre ensuite que l'algèbre peut nous offrir le même enchainement que l'arithmétique dans les différentes parties qui la compo- sent ; et, laissant de côté à dessein les remarquables tra- vaux de Viète, de Fermat, de Pascal, il arrive à la découverte féconde faite simultanément par Léibnitz et Newton, à savoir le calcul différentiel. 1 en parle avec une clarté et une concision remarquables ; il en fait ressortir les avantages dans ses applications à la géomé- trie. « Cet instrument puissant, dit l'orateur, permet de résoudre généralement des questions dont les anciens ne donnaient de solution que dans des cas très particuliers. Leur géométrie était éminemment spéciale ; les méthodes appliquées à l'étude de chaque espèce de ligne étaient par- ticulières à l'objet étudic. La supériorité de la géométrie moderne consiste surtout dans sa généralité. » Quant au calcul intégral, qui comprend de si nom- breuses et de si importantes divisions , l'honneur de l'm- vention en appartient tout entier aux géomètres modernes, parmi lesquels on doit citer en première ligne l'illustre auteur de la mécanique analytique , Lagrange , qui, entre autres découvertes, a trouvé le calcul des variations. En commençant sa réponse au récipiendaire, M. le Président évoque le souvenir de deux de ses prédécesseurs, MM. Bergasse et Boutan, qui ont si dignement marqué leur passage au sein de l'Académie ; puis, se plaçant en quelque sorte sous leur patronage, il aborde d'un point de vue élevé et philosophique les questions iraitées par M. Vincent dans son intéressante disser!ation. Après avoir signalé les aberrations des métaphysiciens du dernier siècle, qui ont fait une si triste confusion des phénomènes physiques et moraux, et qui, en étendant Répons de M. Léve à M. Vin oncours ar le prix r0ssier. HIMIE. 86 ACADÉMIE DE ROUEN. les limites des mathématiques au-delà de ce qui est placé sous leur perception, poussaient la raison humaine dans toutes les illusions qui font son désespoir, M. Lévesque félicite notre nouveau confrère de la prudente réserve dans laquelle il s'est tenu. Il présente ensuite un résumé des théories de Wronski sur l'origine de nos connais- sances , théories bien différentes de celles de Looke et de Condillac , et qui, en faisant remonter à un principe autre que la sensation l’origine de notre intelligence, en la repor- -tant à la vérité pure et jusqu'à la hauteur de l'infini, ont rendu à la raison humaine sa dignité et proclamé son essence spiritualiste comme œuvre et émanation de Dieu. M. le Président termine par une revue historique de la marche qu'ont suivie les mathématiques depuis Thaiès jusqu’à Newton. C'est à partir de l'époque illustrée par les travaux de cet homme de génie, qu'on voit toutes les forces de la science converger vers le grand but d'unité qu'elle doit atteindre. La sublime découverte du calcul infi- nitésimal détermine cette haute tendance philosophique, dont le développement extrême ou plutôt la finalité appar- tient à l'avenir. Je n’abandonnerai pas cette première partie des travaux de l'Académie sans mentionner que le concours pour le prix Gossier, qui avait pour programme: La Théorie mathématique de tous les systèmes de moteurs hydrauli- ques connus, est prorogé jusqu'au 1° mai 1855, le Mémoire du seul concurrent qui s’est présenté cette année n'ayant, en aucune manière, satisfait aux conditions pro- posées. La chimie , cette science favorite de notre époque , qui compte de si nombreux travailleurs dans toutes les classes, a occupé fréquemment les instants de Académie. CLASSE DES SCIENCES. 87 Ïl y a deux ans, l'un de nos correspondants les plus Étude des zélés, M. Marchand, de Fécamp, nous a communiqué un stagnantes important travail sur les eaux potables en général, et M. March spécialement sur celles qu’on utilise dans les arrondisse- ments du Havre et d'Yvetot. Comme complément à ces recherches, le même chimiste nous a présenté une Note sur les eaux stagnantes. En voici le résumé succinet : Les eaux d’étangs, de lacs, de mares et de citernes sont d'abord étudiées par l'auteur d'une manière générale au point de vue de la composition et des phénomènes variables que l’air et la lumière exercent sur la nature des principes qu'elles tiennent en dissolution. À cette occa- sion , M. Marchand signale les curieuses métamorphoses de la matière verte de Priestley, qui est le point de départ de ces myriades d'êtres microscopiques, de nature végé- tale ou animale, qui se succèdent dans les eaux dor- mantes, et dont les débris accumulés donnent à ces eaux la propriété de se putréfier et d'acquérir des qualités nui- sibles. Ce sont ces infusoires qui, en se détruisant, introduisent dans le liquide les proportions notables d'albu- mine et d'humus que M. Marchand y a toujours rencon- trées. C'est surtout lorsque les eaux sont recouvertes d’'es- pèces végétales, lorsqu'elles baignent et portent en même temps à leur surface des végétaux en grand nombre, que les eaux dormantes, exposées à l'air et à la lumière, deviennent plus malsaines ; elles ont une odeur fétide, réduisent les sels d’or et dissimulent l’action de l'iode sur l'amidon. En se vaporisant , elles laissent à la surface du sol des limons imprégnés de matières putrescibles, qui sont la source d'une production incessante d'hydrogène carboné, véhicule le plus actif des miasmes paludéens. Notre confrère a remarqué que la production de ce gaz est 88 ACADÉMIE DE ROUEN. d'autant plus assurée que les eaux contiennent une plus forte quantité d'albumine végétale. Lorsque les mêmes eaux sont conservées en dehors de toute influence lumineuse , ainsi que cela arrive dans les citernes, l'oxygène de l'air dissous, réagissant sur les matières organiques, provoque leurs dédoublements suc- cessifs et leur conversion finale en eau, en acide carbonique et en matières que leur insolubilité isole du sein du liquide. Après cinq mois de soustraction à la lumière, les eaux les plus corrompues se trouvent ramenées à un état remarquable de pureté. Après cette étude préliminaire de toutes les causes qui peuvent altérer ou améliorer la nature des eaux stagnantes prises dans toutes les conditions possibles, M. Marchand s'occupe des eaux de mares du pays de Caux. Il en donne les caractères et la composition, insiste sur les inconvé- nients qu'entraiîne leur usage prolongé comme boisson, surtout pendant l'été, et indique la manière de construire à peu de frais des mares salubres. Tous les faits signalés par M. Marchand, et notamment la présence de l’albumine dans les eaux stagnantes, sou- vent en proportions considérables, se trouvent confirmés par les recherches toutes récentes d’un autre correspon- dant de l'Académie, M. Fauré, de Bordeaux, qui à examiné l’eau des marais de la Gironde et les eaux du sous-sol des Landes. C’est également à la présence de cette albumine, à son altération rapide, que le chi- miste bordelais attribue le développement des fièvres paludéennes si meurtrières dans quelques localités des Landes. Comme on le voit, les travaux de nos deux correspon- dants sont du plus haut intérêt au point de vue de hygiène publique comme à celui de la science hydrolo- gique. CLASSE DES SCIENCES. 89 M. Morin, qui s'est voué aux recherches de chimie légale , nous a énuméré les expériences qu'il a exécutées dans le but de résoudre un nouveau problème relatif à l'empoisonnement par les préparations cuivreuses, dans le cas spécial d’une exhumation juridique longtemps après la mort. Après avoir rappelé que plusieurs chimistes ont constaté la présence du cuivre dans les diverses parties du corps de l’homme et des animaux, et dans une foule de végétaux, tant indigènes qu'exotiques, notamment dans le froment, et par suite dans le pain, M. Morin affirme, comme consé- quence de ces faits, que le cuivre entre comme principe élémentaire dans nos tissus, et qu'il s’y trouve, non à l’état d'oxyde ou à celui de sel, mais intimement uni aux autres éléments organiques, puisque , pour en constater la présence , il faut détruire les tissus au moyen de l'acide azotique. I ne peut, du reste, y avoir aucune confusion, au point de vue chimico-légal, entre ce cuivre normal ou physiologique, et le cuivre introduit par voie criminelle , puisque M. Orfila a tracé une marche infaillible pour en faire la distinction. Mais comme le plus habituellement les viscères soumis à l’expérimentation du chimiste sont dans un état de pu- tréfaction plus ou moins avancée, M. Morin s’est demandé si lammoniaque qui s’y trouve alors ne pourrait pas agir sur le cuivre normal de manière à le rendre accessible aux moyens adaptés à la recherche du cuivre d’ingestion. C’est pour résoudre cette grave question , que notre con- frère a entrepris une série d'expériences qui lui donnent le droit de conclure : 1° que , dans tous les cas, le cuivre normal n’est point mis à l'état d'isolement dans les tissus animaux par la putréfaction ; 2° que, par conséquent, Du cuivi au point de médico-le: par M. Mo techerche la lactucine, par _Mouchon. Étude e l’indigo t de Chine, M. Penner. 90 ACADÉMIE DE ROUEN. lorsque l'opérateur découvre du cuivre dans ces tissus sans recourir à l'emploi de moyens désorganisateurs , il peut aflirmer que ce métal a été ingéré soit par suite d'em- poisonnement, soit par suite de suicide. M. Mouchon qui, l’année dernière , nous avait informés de ses études sur le lactucarium, ce.suc, épaissi au soleil , de la laitue cultivée, a poursuivi ses essais pour en isoler le principe actif, la lactucine , afin de pouvoir offrir aux thérapeutistes un agent toujours identique. Dans le Mé- moire qu'il a présenté dernièrement à l'Académie , le zélé pharmacien de Lyon relate le mode opératoire qu'il a suivi pour séparer la lactucine du caoutchouc et des autres matières étrangères qui l’accompagnent dans le suc du commerce, et il propose des formules pharmaceutiques nouvelles pour l'administration de ce principe qu'il regarde comme huit fois plus actif que le lactucarium. Mais comme, d’une part, la lactucine de M. Mouchon n'est, aux yeux des chimistes de l'Académie , qu'un pro- duit pharmaceutique complexe , dont l'analyse est encore à faire, et que, d'un autre côté, aucune pièce oflicielle ne constate les effets obtenus par son emploi comparati- vement à ceux du lactucarium, la Compagnie veut attendre, pour se prononcer, que M. Mouchon ait fait une étude plns complète de la matière active de la laitue. Elle l'engage à continuer ses recherches à cet égard , persuadée que ses patients efforts seront couronnés de succès. La même recommandation a été faite à M. Benner, chimiste de la fabrique d'indiennes de MM. Kæchlin et Beuzard, à Darnétal, à propos d'une nouvelle substance tinctoriale, appelée lo-kao ou indigo vert de Chine, sur laquelle cet habile coloriste a rédigé deux Mémoires qu'il à offerts successivement à l'Académie. Cette matière végétale CLASSE DES SCIENCES. 91 a ceci de particulier qu’elle teint immédiatement en vert les tibres textiles, et que, dans nombre de cas, elle se comporte comme l'indigo, bien qu’elle ne renferme ni indigotine ni aucun des autres principes organiques de ce produit colorant bleu. Ce n’est que depuis quinze à dix-huit mois qu'elle a été importée de Chine, par les soins de la Chambre de commerce de Lyon, qui a provoqué des essais pratiques en en mettant des échantillons à la dis position des indienneurs et des teinturiers. L'un des pre- miers , M. Benner a répondu à cet appel : ce chimiste a fait un très grand nombre d'essais pour constater les pro- priétés tinctoriales du vert de Chine, reconnaître les conditions dans lesquelles il est préférable de l'employer et savoir le parti qu'on en peut tirer en teinture unie ou en impression. Le journal de ses expériences est du plus grand intérêt, d'autant plus que M. Benner y a joint des échantillons teints, de sorte que l’on peut parfaitement apprécier les résultats obtenus et établir des points de comparaison. L'exactitude des faits avancés par lui a été constatée dans le laboratoire de l’école de chimie de la ville. Nous nous bornerons à consigner ici que le vert de Chine teint le coton sans le concours des mordants , mais que ceux-ci, toutefois, contribuent à l'éclat et à la solidité des couleurs, tout en permettant de varier les teintes. La nuance fondamentale qu'il donne, seul ou avec les mordants d'alumine et d’étain, est un bleu verdâtre, assez terne à la lumière du jour, mais qui prend une vivacité et une intensité remarquables à la lumière artificielle ; il efface alors les plus belles nuances produites par lindigo ordinaire. De tous les procédés essayés successivement par M. Benner, celui qui fournit les meilleurs résultats, c'est la désoxygénation de la couleur, opérée soit par 92 ACADÉMIE DE ROUEN. l'hydrogène naissant, soit par l'acide hyposulfureux. Soumise à l'action de ces agents réducteurs , la solution aqueuse du vert de Chine prend une couleur rouge, et en passant dans cette liqueur, échauffée peu à peu jusqu'à l'ébullition , des calicots mordancés en sel d’alumine , ou même non mordancés, on obtient des nuances bleues très corsées, surtout après un passage en carbonate d'am- moniaque faible. D'après des renseignements pris sur les lieux par M. Marc Arnaudtizon, le vert de Chine réside dans l'écorce d'un arbre que les Chinois appellent /o-sa, qui croit uniquement près de Sou-Chow et de Ka-Chin, dans des terrains marécageux. L'écorce étant détachée et pul- vérisée , on la met infuser pendant quinze à vingt heures dans de l'eau chaude , et c’est dans cette infusion qu'on plonge les étoffes à teindre. Après une immersion dont la durée n'est pas connue , on fait égoutter les pièces, puis on les étend sur la terre pendant les nuits de la saison la plus froide de l'année. C'est le côté qui touche K terre qui est le plus foncé, le plus vif en nuance, qui de- vient, en un mot, l'endroit de l’étofle. Pour avoir les nuances foncées , les Chinois donnent plusieurs passages pour chacun desquels on observe les mêmes précautions. L'infusion qui a été employée pour la teinture des pièces , a formé un résidu ou dépôt qui est recueilli avec soin et destiné à faire une décoction prolongée pendant plusieurs heures. La liqueur qui en provient est évaporée à siccité ; on obtient ainsi un extrait see, en minces écailles, d’un bleu foncé, ressemblant à lindigo ; c'est là ce que les Chinois appellent o-kao , qu'on vend 250 fr. le kilog. , et qui sert à teindre les tissus en vert pâle, sans l'emploi d'aucun mordant , après l'avoir fait bouillir avec une assez forte proportion de potasse. Jusqu'à présent, l'indigo vert de Chine n’a qu'un intérêt CLASSE DES SCIENCES. 93 scientifique. Le temps nous apprendra si l'industrie doit en profiter. Sa rareté, son prix excessivement élevé n'ont pas permis de compléter son étude. Si, un jour, cette matière doit prendre rang parmi les matières tinctoriales utilisées par l’industrie européenne, on n'oubliera pas que M. Benner aura été l’un des premiers à chercher à en connaître la valeur et à guider les praticiens dans la voie de ses applications. L'un des correspondants les plus distingués de l'Aca- démie , M. Berthier , de l’Institut, lui a adressé le recueil d'un très grand nombre d'analyses comparatives de cendres de plantes et de différentes terres végétales. De pareilles recherches sont d'une haute utilité pour l'éco- nomie rurale et pour là physiologie végétale. , Il serait bien avantageux , en effet, pour les progrès de la pratique agricole, qu'on déterminât ce que chaque espèce de plantes exige de matières salines pour son développement le plus complet, car ce n’est qu’alors qu'il sera possible d'améliorer, d'une manière certaine, les divers sols ; qu’on sera en état de leur fournir tous les éléments que réclament impérieusement les cultures diverses, une fois qu'on aura constaté par l'analyse que les sols ne les renferment pas ou ne les contiennent pas dans les proportions suflisantes aux besoins de la végétation. Depuis une douzaine d'années, plusieurs chimistes, imi- tant l'exemple de Théodore de Saussure qui , le premier, a fait des analyses exactes de cendres de végétaux, et montré qu'il y a un certain nombre d'éléments minéraux qui sont tout aussi essentiellement parties constituantes des plantes que le carbone, l'hydrogène, l'oxygène et l'azote, plusieurs chimistes , disons-nous , et en tête nous placerons notre confrère M. Berthier, sont heureusement entrés dans cette voie de recherches. Déjà des renseignements pré Analyse de cendr et de ter végétales, M. Berthi Valeur les grains mentaires , par . J. Reiset. 9% ACADÉMIE DE ROUEN. cieux ont été recueillis; le nouvel ouvrage dont jl est ici question vient en augmenter considérablement le nombre, et l’agriculture en à fait et en fera encore son profit. M. Berthier a donc de nouveaux titres à la reconnaissance des physiologistes et des agronomes, comme aussi à l'estime de tous les corps savants. Une des plus intéressantes questions d'économie rurale, et qui n'offre pas moins d'importance pour l’'économiste et l'administrateur, c’est, sans contredit, la détermina- tion de la valeur des grains employés à l'alimentation des hommes et des animaux. La chimie seule peut en donner la solution, car l'aspect, le maniement, le poids de l'hec- tolitre, procédés empiriques qu'emploient les meuniers, les cultivateurs, et en général tous ceux qui font le commerce des grains , ne fournissent que des renseignements vagues et souvent fautifs sur la valeur comparative des blés et autres céréales. C’est ce que M. Jules Reiset établit d'une manière irréfutable dans un important Mémoire sur lequel il a appelé l'attention de l'Académie. A l’aide d'expériences très exactes, M. Reiset a démontré que la densité réelle des blés n’est pas généralement en rapport avec leur poids apparent, ce qui dépend presque exclusivement de la forme et du volume des grains. Or, en appliquant le système généralement suivi dans les marchés, la vente à l'hectolitre, on arrive au résultat pratique que voici : Un blé d'une grande densité pourra être très notablement déprécié, si le poids de l'hectolitre est au-dessous de la moyenne; mais on paiera un prix plus élevé un blé lourd en apparence, sans même savoir que sa densité réelle est très faible. Ce simple rapprochement suflit déjà pour montrer que l'on attribue trop de valeur au poids de l'hectolitre de blé. Et comme , d’un autre côté , au moyen d'analyses élé- CLASSE DES SCIENCES. 95 mentaires très précises , M. Reiset arrive à prouver qu'il n'y a aucune relation entre le poids apparent des diverses espèces de blé et leur richesse en matière azotée, tandis qu'il y a une relation entre la valeur alimentaire de ces blés et leur densité, puisque la proportion de gluten augmente avec la densité des grains, notre confrère arrive à ces conclusions, adoptées par l'Académie : « 1° que le poids de l’hectolitre de blé ne donnant que de très faibles indications sur la qualité du grain, la vente au volume ne présente que des inconvénients ; 2 que le Gouvernement, en établissant la vente au poids sur une base uniforme , rendrait un véritable service à l’agriculture en faisant cesser la confusion qui existe aujourd’hui sur les marchés, par l'emploi d’un système mixte. » Au point de vue de lalimentation, M. Reiset fait ressortir l'erreur du consommateur qui donne la préfé- rence aux blés fournissant les farines les plus blanches, sans se préoccuper le moins du monde si ce sont les blés qui renferment le plus de principes nutritifs. Il arrive de à que le commerce recherche et apprécie davantage les blés blancs à écorce tendre, qui donnent de très belles farines, que les blés durs et glacés qui fournissent des farines moins blanches; et cependant ces derniers con- tiennent toujours beaucoup plus de gluten que les pre- miers, en d’autres termes, ils sont beaucoup plus nourris- sants. La raison voudrait qu'on choisit pour faire le pain le blé le plus azoté ; les préjugés du public forcent les bou- langers à prendre le blé le plus pauvre en gluten, unique- ment parce que c’est lui qui donne le pain le plus blanc. On aura beaucoup de peine à changer les habitudes de la population sous ce rapport, et c'est un grand malheur, économiquement parlant. En présence du goût du consommateur qui, à propos SCIENCES NATURELLES. ’aléontologie , par M. de Cazes. 96 ACADEMIE DE ROUEN. de son aliment essentiel, préfère l'agréable à Putle, c'est-à-dire une farine très blanche, mais peu nutritive , à une farine bise, mais riche en principes nourrissants, la ligne de conduite du cultivateur est toute tracée. Dans les conditions qui lui sont faites par le public, cette éponge à préjugés, comme le disait si spirituellement notre regrettable Arago, le cultivateur n'a aucun avantage à cultiver les blés durs, qui ne deviennent riches en gluten qu'en appauvrissant le sol, puisque sur les marchés on donne le prix le plus élevé aux blés tendres ou blancs, qui contiennent toujours une moins grande proportion d'azote, et qui, par conséquent, exigent moins d'engrais et de fumiers animaux. Le Mémoire de M. Reiset sur la valeur alimentaire des blés est d’un très haut intérêt, surtout dans les circons- tances actuelles ; il contient des faits bien observés, précis, obtenus avec tous les moyens d’exactitude que fournit la science actuelle, et surtout avec ce sentiment d'honnê- teté qui leur imprime un cachet de vérité et d'utilité qui manque , il faut bien le dire, à bon nombre des écrits qui ont paru dans ces derniers temps sur la question des subsistances. L'Académie a vivement engagé M. Reiset à poursuivre ses intéressantes recherches sur les autres grains alimen- taires. Les sciences naturelles ont eu aussi, cette année , de dignes et nombreux interprètes au sein de l’Académie. M. de Cazes nous a présenté des détails historiques fort intéressants, relatifs à la découverte d'ossements d’un mastodonte gigantesque dans les strates des terrains tertiaires qui bordent le Mississipi, dans la Caroline du CLASSE DES SCIENCES. 97 Nord, à Newburgh, état de New-York. Le D' Warren à rédigé à ce sujet un magnifique volume in-#°, qui a été publié par les soins de l’Institution Smithsonnienne. La parfaite conservation des restes du mastodonte trouves en 18%5, est due bien certainement à leur immer- sion dans l’eau à une profondeur suflisante pour empêcher tout contact de l'air. D’après sir Ch. Lyell, l'époque où le mastodonte à disparu de la surface de la terre, a pré- cédé de bien peu l’apparition de l’homme. Il à fallu une catastrophe bien grande et bien générale pour écraser et anéantir un animal d'une si énorme stature, doué de tant de force et si largement répandu sur divers points du globe. Ce mystère est également applicable aux causes qui ont détruit un si grand nombre d'animaux non moins remarquables que le mastodonte. « Espérons, dit M. de Cazes, que nos descendants pour- « ront lever le voile qui couvre ces secrets de la nature. Ce « sujet est digne du plus haut intérêt. Il reporte admira- « blement nos idées vers l’Etre suprême, qui, par des voies « inconnues, accomplit des changements incessants dans la « nature animée , anéantissant des individus et des espèces « sans nombre , et manifeste sa puissance infinie en en « créant de nouvelles pour les remplacer. » L'ardeur des botanistes normands ne se ralentit pas, et, grâce au zèle de M. Bignon, l'Académie est tenue au courant de leurs efforts et de leurs succès. La flore de notre région s'enrichit chaque année de quelques plantes nouvelles. M. Comar, élève en pharmacie à Gisors, vient de signaler au Marché-Neuf, canton de Gournay, le carda- mine impatiens et le dentaria bulbifera. M. Malbranche a découvert le scilla autumnalis à Tour- ville. Botaniqu 98 ACADÉMIE DE ROUEN. M. Frédéric Baudry a rencontré le cyparis Loëselii dans les marais d'Heurtauville. Une mucédinée assez rare, le stilbum rigidum, qui a envahi inopinément, au commencement de cette année , un petit bois à Tourville-la-Campagne, a fourni à M. Mal- branche l’occasion de rédiger une note intéressante dont M. Bignon vous a parlé avec éloges. Le même rapporteur a appelé l'attention de l'Académie sur la flore des prairies de Normandie, publiée tout récemment par M. Dubreuil père. C'est un fascicule de vingt plantes desséchées, très bien choisies pour la for- mätion des prairies naturelles, des prés secs et des her- bages de notre région. M. Bignon regrette seulement que l'auteur ait cru devoir se restreindre à un si petit nombre d'espèces , et il ne s'explique pas pourquoi on n’a pas fait figurer dans cette collection les bromus , festuca, agrostis, et négligé l'anthoxantum odoratum qui donne aux foins un parfum si agréable. Grâce à MM. Chesnon, d’Evreux ; Le Jolys, de Cher- bourg; Morière, de Caen, et Comar, de Gisors , l'herbier régional commencé par l'Académie a reçu, cette année, une augmentation considérable de très bonnes espèces. A l'occasion du procédé qu'emploient les botanistes pour préserver les plantes de leurs herbiers de l'attaque des insectes, c’est-à-dire l'immersion des plantes dans une solution alcoolique de sublimé corrosif, M. Bignon nous a fait part des accidents qui peuvent survenir, par suite des émanations alcooliques entraînant avec elles une certaine quantité de chloride mercurique. A la suite de nombreuses préparations effectuées dans un appartement clos, il a été pris de violentes coliques suivies de tous les symptômes d'une dyssenterie très aiguë dont il fut grave- ment malade pendant plusieurs jours. Cette communication a conduit M. Girardin à proposer CLASSE DES SCIENCES. 99 de remplacer, dans ce cas , le chloride mercurique par la naphtaline , dont l'odeur forte tue ou éloigne les insectes. Ce carbure d'hydrogène, qui est très soluble dans l'alcool, présenterait encore l'avantage d’une grande économie sur le sublimé corrosif, puisqu'il se produit en très grandes quantités dans les appareils des usines à gaz alimentés par la houille. M. Bignon et quelques autres botanistes ont commencé des expériences à cet égard ; il en sera rendu compte ultérieurement. Nous devons à M. Le Jolys une excellente monographie sur les ulex des environs de Cherbourg. Les représentants de ce genre sont abondants dans le nord du département de la Manche. Notre confrère examine principalement la question du nombre d'espèces qu'il faut admettre ; il ne la décide point, mais il fournit des matériaux qui pourront servir à la résoudre , et, dès à présent, au lieu des trois espèces: europœus, legalli et nanus, il indique onze formes bien caractérisées qui pourraient, au besoin, former onze espèces nouvelles, ou une seule espèce , l'europœus, accompagnée de dix variétés. M. Bignon adopte cette dernière opinion. Il engage les agriculteurs normands à tirer parti de l’ajonc pour varier la nourriture des bestiaux, ainsi que cela a lieu dans une grande partie de la Bretagne ; les vaches en sont friandes, et celles qui en mangent donnent un lait fort savoureux. I faut avoir seulement la précaution de briser les épines de cette plante en la réduisant en pulpe. Notre collègue, M. Prévost, président du Cercle pra- tique d’horticulture et de botanique du département de la Seine-Inférieure, a présenté, dans le discours qu'il a prononcé à l’occasion du neuvième anniversaire de la fon - dation de cette association, des considérations sur la Nomenclature de Linné, l'abus du morcellement des genres et les espèces de création nouvelle. M. Bignon, 100 ACADÉMIE DE ROUEN. chargé par l'Académie de rendre compte de cet opuscule, a cru devoir se livrer à un examen approfondi des prin- cipes émis par M. Prévost, au mérite duquel il s’est plu à rendre un juste et éclatant hommage. Il s'est attaché d’abord à justifier Linné du reproche qu'on lui fait de ne pas avoir suivi, dans les dénominations des espèces, les principes qu'il avait proclamés. Suivant notre confrère , Linné a proposé à la science un idéal que les botanistes devaient constamment s’efforcer d'atteindre comme un but suprême ; on ne peut lui faire un reproche de ne pas l'avoir réalisé ; il a dù, d’ailleurs, adopter des noms déjà consacrés, et un bouleversement nouveau de la synonymie aurait plus d’inconvénients que d'avantages réels Telle a été aussi l'opinion de Poiret, continuateur de Lamark, que M. Bignon oppose à M. Prévost. Quant au morcellement des familles, à la multiplica- tion des genres , dont se plaint M. Prévost, ces modifica- tions sont le résultat inévitable et nécessaire des progrès de la science et du nombre infini des découvertes journa- lières. Cette justification des botanistes modernes est appuyée de l'opinion du célèbre de Candolle, qui, lui- même, à invoqué à ce sujet l'autorité de Buffon. Relativement à la question de savoir si, comme le croit M. Prévost, l'art et la nature peuvent former des espèces nouvelles, M. Bignon, sans nier l'influence de la culture et de la différence des milieux, a méconnu la possibilité des créations spontanées ; en d’autres termes , il ne croit pas qu'il puisse se former des espèces nouvelles. — Les espèces , livrées aux seules forces de la nature, ou dispa- raissent ou reviennent au type primitif, c’est ce que nous présentent plusieurs de nos plantes potagères , l'œgilops qui se métamorphose en trilicum sativum. Comme , dans cette discussion, c'est beaucoup moins son opinion per- sonnelle que l'autorité des plus grands maîtres de la bota- CLASSE DES SCIENCES. 10? nique qu'il à prétendu défendre , Notre confrère a cité les noms illustres de Linné, de Jussieu , de Lamark et autres, qui, tous, s'élèvent contre l'idée que M. Prévost à cru devoir soutenir. La différence du point de vue et des objets d’observa- tion explique le dissentiment que nous signalons entre nos deux confrères. Les botanistes étudient la nature dans sa spontanéité et ses libres allures ; les horticulteurs ne la voient que dominée par l'art et la culture. Le D° Joseph Leidy, de Philadelphie, a fait imprimer, dans les Mémoires de l'institution Smithsonnienne de Washington, une histoire très complète et très soignée d’une série remarquable de plantes , accompagnées, dans beaucoup de cas, par des animaux parasites, et qu'on trouve croissant, comme dans des conditions naturelles , à l'intérieur du corps d'animaux vivants. Parmi ces der- niers, il en est, et tel est, entre autres, le passalus cor- nutus, espèce de cétoine, où l’on ne manque jamais de trouver des plantes en pleine croissance, notamment à la surface intérieure du ventricule ou second estomac. Ces plantes, de la nature des algues, tellement petites qu’elles n'atteignent pas toujours 3 millimètres de longueur, ne se montrent que dans les insectes qui vivent de végétaux et nullement dans les espèces carnivores. En présence de ces résultats d'observations microsco- piques , et en voyant les récents travaux publiés sur les végétaux qui croissent sur l’homme et les animaux, depuis les plus gros jusqu'aux infiniment petits, M. de Cazes se demande si les expérimentateurs , qui sont obligés d'avoir recours à des instruments d'une énorme puissance optique, ne sont pas le jouet d'illusions trompeuses. Donner à des filaments mille fois plus fins qu'un cheveu, à des points imperceptibles , le nom de plantes, d'algues, de champi- gnons ; nous signaler non seulement leurs formes, mais 102 ACADÉMIE DE ROUEN. encore indiquer le mode de leur croissance et de leur reproduction, leur attribuer une vie propre et indivi- duelle, n'est-ce pas, dit M. de Cases, aller un peu loin ? n'est-ce pas un léger abus de la science? C’est là un doute qu'il n'énonce, toutefois , qu'avec une extrême réserve, en présence du travail si sérieux, si complet, si philoso- phique du D: Leidy. M. Vingtrinier ajoute plus de foi à la puissance et à l'infaillibilité du microscope. La micrographie, d’après lui, est une science toute nouvelle que le perfectionne- ment des instruments a poussée très loin en fort peu de temps. On peut douter, avec M. de Cazes, lorsque le microscope décèle à un œil, peut-être abusé, des parasites infiniment petits, vivant dans l'intérieur d'animaux déjà microscopiques eux-mêmes. On peut douter, mais il ne faut pas nier, car on risquerait de se tromper et de tromper beaucoup d’autres après soi, au grand détriment de la science. C'est ce qui est arrivé à l’un de nos grands naturalistes qui, n'ayant pas vu ou voulu voir les animal- cules spermatiques , traitait de fable ce monde microsco- pique. Ce naturaliste, c'était de Blainville. Sur la parole de son maître , notre confrère, M. Pouchet niait un jour devant MM. Vingtrinier et Desbois , qui lui présentaient un vieux livre orné d’une gravure représentant les animal- cules spermatiques. Mais se rendant au désir de ces messieurs , et utilisant ses excellents instruments, M. Pou- chet a fini par voir, ce qui l'a conduit à des recherches intéressantes et à des découvertes qui font un de ses beaux titres comme savant naturaliste. Il est donc permis de douter, ajoute M. Vingtrinier , mais il est dangereux de nier dans les sciences qui pro- gressent toujours, Il n'ya rien de grand ni de petit pour la nature ; tout est merveilleux et tout est possible. M. Morin ne va pas aussi loin, et il craint que fort sou CLASSE DES SCIENCES. 105 vent les micrographes ne se fassent illusion. Ainsi, il y à des physiologistes qui vont jusqu'à prétendre qu'au moyen du microscope il est facile de distinguer dans les liquides de l'économie certains sels que les réactifs chimiques sont impuissants à signaier. Notre confrère voit, dans cette assertion, une de ces exagérations dont les spécialistes donnent tant d'exemples une fois qu'ils sont entrés dans la voie des illusions à propos de leur science favorite. Notre confrère , M. le D' Giuseppe de Natale, de Mes- sine, nous a présenté ses Recherches anatomiques sur le scinque bigarré, en rapport avec les principaux types de l’organisation des reptiles. Comme on le sait, Geoffroy Saint-Hilaire père a imprimé à l'anatomie comparée une marche éminemment philoso - phique, et a pris une part immense au développement de cette science en créant sa Théorie des analogues qu'il a formulée dès 1795, et qu'il a su faire prévaloir, malgré l'opposition de Cuvier, en la fortifiant chaque année de nouvelles et irréfutables démonstrations. Aujourd'hui que tous les travaux exécutés suivant les vues et les principes de Geoffroy Saint-Hilaire en ont confirmé la justesse , il ne reste plus aux naturalistes contemporains qu'à les étendre à tous les ordres d'animaux et à faire cesser les incerti- tudes qui subsistent pour quelques classes moins bien étu- diées que les autres. C'est ce qu'a fait M. de Natale à propos des reptiles. L'étude particulière du scinque bigarré, petit lézard à peine connu en Europe, n'aurait qu'un intérêt fort secondaire, si le savant Sicilien n’en eût tiré des considérations philo- sophiques fort importantes, qui la rattachent aux bases fondamentales de l'anatomie comparée et qui servent de vérification aux principes du grand naturaliste dont je rappelais le nom en commençant cet article. En effet, de Zoologie. SCIENCES MÉDICALES. Essai sur l'apoplexie nerveuse, par M. L. Gigot. 10% ACADÉMIE DE ROUEN. cette étude spéciale, M. de Natale tire la conclusion sui- vante : L'organisme individuel qui parcourt les phases qui mènent du simple au composé, n'est qu'un passage à travers les évolutions qui lui sont inférieures , et réciproquement la nature dans le développement des formes animales ne suit pas d'autres lois que celles qui président aux évolutions de l'organisme individuel. En s'appuyant non-seulement sur les caractères exté- rieurs, mais aussi sur les formations organiques intérieures, M. de Natale propose une nouvelle classification des sau- riens , qui s'écarte en plusieurs points de celles proposées successivement par Brongniart, Cuvier et Duméril. La partie descriptive du mémoire n’est pas moins digne d'éloge que la partie philosophique. De pareils travaux sont la base fondamentale des sciences naturelles, qu'ils hâtent dans leurs progrès, et tous ceux qui s’y livrent avec l'ardeur et le savoir de notre correspondant ont droit à l'approbation et aux encouragements des corps savants. L'anatomie comparée me conduit tout naturellement à l'examen des questions médicales qui ont été agitées devant l'Académie, et tout d'abord je trouve sous ma main l'Essai sur l’apoplexie nerveuse que nous a envoyé M. le D' Léon Gigot, de Levroux (Indre). Suivant ce praticien , il n’y a pas d’apoplexie nerveuse, sans lésion matérielle ; celle-ci est une congestion des mé- nynges cérébrales, qu'on ne peut apercevoir à l’autopsie , attendu qu'elle disparaît pendant le laps de temps légal qui s'écoule entre l'instant de la mort et l'époque de l'ouverture du corps. Cette disparition est l'effet d’un phénomène cadavérique dont l’auteur donne la preuve en décrivant plusieurs expériences qu'il a exécutées sur des CLASSE DES SCIENCES. 105 animaux. Pour lui, la cause de la mort , c’est la conges- tion ményngée. M. Duclos, qui a été chargé d'examiner le Mémoire de M. L. Gigot, trouve sa conclusion forcée. Il pense qu’alors même que la congestion ményngée existerait au moment de la mort, il resterait à prouver que la cause de celle-ci est réellement la congestion ményngée plutôt que l’apo- plexie nerveuse, c'est-à-dire une lésion dynamique vio- lente des centres nerveux entraînant , comme phénomène secondaire, une congestion sanguine, de même qu’une névralgie de la face, par exemple, détermine la congestion de cette partie. Le fait incontestable qui ressort du travail et des expé- riences de M. le Dr L. Gigot, c’est que la congestion des ménynges cérébrales peut disparaître après la mort et ne plus laisser de traces au bout de vingt-quatre heures. L'Académie engage M. L. Gigot à poursuivre ses inté- ressantes recherches dans la voie expérimentale. M. le D' E. Blanche nous a fait part d’une observation fort curieuse d'une plaie grave de la main causée par la morsure d’un cheval et guérie par les irrigations d’eau froide. Le pouce était détaché presque entièrement , les chairs profondément déchirées , de nombreux tendons se montraient dénudés et plusieurs os du métacarpe étaient brisés comminutivement. En présence de pareils désordres, le sacrifice de la partie lésée paraissait indispensable et la seule voie propre à prévenir les plus redoutables acci- dents. ' M. Blanche en jugea autrement. L'ablation de la main devait priver le malheureux blessé de ses moyens d’exis- tence. Devant cette pensée le jeune chirurgien ne voulut même pas enlever le pouce qui ne tenait plus que par un faible lambeau Il conçut l'espoir de rétablir les parties Observation chirurgicale, par M. Blanche. Alimentation des jeunes enfants, par M. Duclos. 106 ACADÉMIE DE ROUEN. offensées à l’aide d'irrigations d’eau froide, et le succès à couronné sa hardiesse. M. Hellis, rapporteur , a donné son entière approbation à la marche suivie par M. Blanche. Pour lui, la chirurgie qui conserve l'emporte de beaucoup sur celle qui détruit. Les irrigations froides ne sont point, d’ailleurs, un pro- cédé nouveau ; l'auteur l'a reconnu lui-même, et dans son mémoire il trace leur histoire avec autant de savoir que de concision. « M. Blanche , dit M. Hellis à la fin de son rapport, en employant à propos ce moyen précieux, nous a prouvé qu'il appartient à cette école prudente qui ne néglige aucune source d'instruction, et qui sait au besoin y puiser des ressources bien profitables aux malades qui lui sont confiés. » M. Duclos, à qui l'on peut adresser le même éloge, nous a soumis des considérations fort intéressantes sur l'alimentation des enfants âgés de moins d'un an dans la classe malaisée du peuple, à Rouen. C’est là un sujet d’études pour le moraliste, lécono- miste et le médecin. Membre du Conseil de santé des crèches, M. Duclos a profité de cette position pour faire des observations d’une grande importance relativement à la conservation des jeunes sujets. Frappé du chiffre effrayant de la mortalité des enfants nouveau-nés , il a voulu en trouver la cause, et, à cet effet, il a suivi un grand nombre d'enfants dans les crèches et dans leur famille pour en connaître la fin et l'expliquer d'une manière certaine. Un tableau nominatif annexé au Mémoire établit qu'en 21 mois des années 1852 et 1853, sur 180 enfants âgés de moins d’un an et reçus aux crèches de Saint-Vivien et de Saint-Maclou , il en est mort 101 , soit 56 sur 100. La cause, presque unique d’une aussi effrayante mor- CLASSE DES SCIENCES. 107 talité, réside, d'après M. Duclos, dans les habitudes d'une mauvaise alimentation, et ce désordre dans l’hy- giène de l'enfance est entretenu par l'ignorance du peuple, qui conserve opiniâtrement les idées fausses et les pré- jugés que les médecins d'une autre époque ont répandus dans les masses à l'égard des soins à donner à l'enfance. Une épidémie variolique a régné dans notre ville depuis le mois de mai 1853. Nous avions espéré qu'après quelque temps de décroissance elle disparaitrait tout à fait, mais elle a reparu dans le courant de cette année et, sans faire un grand nombre de victimes, ellese montre toujours. Notre confrère M. Vingtrinier, médecin des épidémies, a constaté le chiffre de 120 décès depuis le {er juillet 1853 jusqu'au 31 août 1854. Ce qui peut faire supposer 1,200 cas au moins. La prison de Bicêtre seule en a eu 47 jusqu'à ce jour. Les médecins ont profité, dans l'intérêt de la popula- tion , du fait même de l'épidémie, pour pratiquer de nom- breuses inoculations et revaccinations. Et ce qui les a surtout portés à provoquer ces dernières , c'est qu'ils ont constaté, plus que cela ne s'était vu depuis cinquante ans, des faits de variole par réitération, et de variole après vaccination. MM. Avenel et Vingtrinier se sont élevés avec force contre un abus de langage qui a introduit, peu à peu, une idée erronée à propos de la vaccine , même dans le monde médical. En croyant à une puissance préservatrice du vaccin, on s’est éloigné de la pensée première de l'au- teur de la découverte, car Jenner n'a jamais prétendu que la vaccine préservât de la variole , et qu’elle agit à la manière des spécifiques ou des antidotes. Le vaccin ne peut pas préserver de la variole , puisqu'il est la variole elle-même, seulement il substitue une É pidémie de variole à Rouen. Mémoire de M. Duclos sur les revaccinations. Lettre de l’archevèque de Chambéry sur le goître et le crétinisme. 108 ACADÉMIE DE ROUEN. maladie, presque toujours sans gravité, à une maladie ordinairement fâcheuse et trop souvent mortelle. Com- ment pourrait-il empêcher absolument le retour de la variole naturelle, puisque celle-ci peut être observée plusieurs fois chez le même individu ? Les expériences et les faits, en modifiant un peu les croyances de ceux qui ont trop cru à une vertu préser— vatrice , conduisent à faire des revaccinations une mesure aussi sage que celle qui a été adoptée déjà une première fois dans l’enfance. M. Duclos va beaucoup plus loin que ses autres confrères, à propos de la même question. Il soutient qu'il n'y a pas de signe qui donne la certitude qu’une vaccination aura son plein effet, aussi propose-t-il de vacciner tous les deux mois les personnes chez lesquelles le vaccin à pris une seconde fois, en réitérant cette opération jusqu'à un insuccès bien constaté. Les observations cliniques sur lesquelles le D' Duclos s'appuie, pour justifier sa propo- sition, ne sont pas assez nombreuses pour autoriser l'adoption de cette nouvelle pratique ; qui aurait infailli- blement pour résultat de jeter le doute dans l'esprit des populations sur un moyen qui, depuis sa découverte , a rendu d'immenses services à la société. L'attention de l'Académie a été encore appelée , cette année , sur une autre affection non moins redoutable et désastreuse que celle dont il vient d'être question. M. Ving- trinier a fait part d'une lettre qui lui a été adressée par Mg; Billiet, archevêque de Chambéry, à l’occasion de l'envoi de son Mémoire sur la statistique et l'étiologie du goître dans le département de la Seine-Inférieure, mémoire analysé dans mon rapport général de 1853. Le savant prélat s'est livré à l'étude du goitre et du CLASSE DES SCIENCES. 109 crétinisme dans la Savoie. Ses observations l'ont conduit à prendre, sur l’étiologie de l'endémie, la même opinion que celle que M. Vingtrinier a déduite des siennes dans une localité toute différente , à savoir que la cause pre- mière réside dans le sol. De celui-ci s'échappe un gaz méphitique ou spécifique de nature inconnue , ainsi qu'il arrive dans les lieux où règnent d'autres endémies. Pour Mgr Billiet, comme pour notre confrère, il y a des terres à goîtres, et le premier admet aussi que le transport de ces terres , opéré par des alluvions, a apporté le goître là où il n'existait pas. « Ce fait, dit l'archevêque de Chambéry, est incontestable. On naît crétin, on devient goitreux. » Dans un autre passage de sa lettre , il y a une obser- vation qui prouve l'influence des conditions locales sur tout l'organisme : « Dans les lieux où le terrain est crétinisant à un haut degré, le poison exerce son influence à peu près sur toute la population ; il y produit une prédisposition géné-— rale à ces deux maladies. On y trouve peu de personnes, même parmi les plus intelligentes de chaque localité, qui n'aient, dans les formes du corps, dans la taille, dans la physionomie ou dans la voix , quelques-uns de ces traits qui caractérisent les goîtreux et les crétins. Cette cause spécifique agit non-seulement sur le physique, mais encore sur le moral. Dans ces localités, les habitants sont presque tous plus ou moins originaux, retors , opiniâtres et entêtés ; les passions y ont quelque chose de plus vil et de plus bas; les grands crimes s'y commettent plus fré- quemment qu'ailleurs. » Sans doute , la cause locale qui agit dans nos contrées à endémie goîtreuse , est bien plus faible qu'en Savoie, aussi les remarques de Mg' Billiet ne pourraient-elles y être faites. Cependant M. Vingtrinier aflirme que cette Discours de réception le M. Duclos. 110 ACADÉMIE DE ROUEN. cause ne se borne pas seulement à modifier le volume de la glande thyroïde. En faisant remarquer ce passage de la lettre du savant prélat de Chambéry : « Il faut bien le reconnaître , on a « déjà beaucoup écrit, mais on n’a encore rien ou presque « rien fait pour combattre sérieusement cette triste « endémie », M. Vingtrinier annonce à l'Académie qu'il a l'espérance de pouvoir dire un jour que, dans notre département , on aura procédé tout autrement, c'est-à-dire * peu écrit, mais beaucoup fait. Sur sa proposition, comme médecin des épidémies, M. Ernest LeRoy, notre Préfet, qui adopte toujours avec empressement tout ce qui peut être profitable à ses admi- nistrés , M. le Préfet, dis-je , a adopté deux mesures im- portantes, c’est : 1° d’assainir, ainsi que l’a indiqué M. Marchal, la presqu'ile de Tourville qui renferme 300 goitreux; et 2° de faire gratuitement le traitement des goîtreux par les procédés que possède la science mé- dicale. Cet essai sera commencé en 1855, c'est-à-dire quand les formalités financières seront aplanies. On doit désirer qu’un pareil essai soit fait dans plusieurs localités de la France , afin de savoir si l'ennemi caché qui afflige tant de populations peut enfin être combattu. L'Académie ne peut, en cette circonstance, qu'applaudir au zèle de notre confrère Vingtrinier, et désirer de nou- velles communications à ce sujet. En prenant place au sein de l'Académie, M. Duclos a choisi pour texte de son discours de réception l'exposé des préceptes que donne la médecine pour la conservation de la santé et des forces intellectuelles de tous ceux qui se livrent aux professions libérales. Après des considérations générales sur l’admirable CLASSE DES SCIENCES. 111 organisation qui fait de l'homme un animal supérieur, obéissant à la double action du cerveau et de l'âme , après avoir établi la simultanéité d’action des fonctions orga- niques et des facultés immatérielles , de la matière vivante et de l'esprit, le récipiendaire recherche quelles sont les conditions les plus favorables au maintien de la santé, à l'intégrité des fonctions intellectuelles pour l'homme voué aux travaux de la pensée. Il les trouve surtout dans un juste équilibre entre l’activité du cerveau et l'exercice modéré des fonctions organiques. La nature nous a donné des besoins, en attachant à chacun d'eux une espèce particulière de plaisir, que l'hygiène recommande de ne pas réprimer. Si nous refusons de satisfaire à ces besoins légitimes et naturels, l'être moral en subit bientôt la peine. Mais quelle sagacité ne faut-il pas pour sentir où com- mence l'excès! C’est surtout à l’âge où l’homme n’a pas acquis son complet développement physique que l'appli- cation aux labeurs intellectuels doit se faire avec une prudence extrême. L'orateur montre par le tableau des symptômes de l'as thénie de l'intelligence, combien il est nécessaire de ne pas abuser des forces du cerveau , et de s'arrêter à temps dans les travaux de l'esprit comme dans tous les autres ; et, sans blâmer d’une manière absolue l'usage du café pour prolonger l’activité de la pensée, il insiste sur l’utilité du sommeil comme moyen de réparation du système nerveux surexcité par un excès d'études. Passant ensuite aux soins purement relatifs à l'ame, pour la conservation des forces intellectuelles, M. Duclos signale comme des plus essentiels le choix et la variété des occupations de l'esprit. L'application à un sujet exclusif limite la puissance cérébrale, et peut même altérer l’inté- grité du jugement. « Un des meilleurs soutiens de l'esprit, dit en terminant Réponse de M. Lévesque à M. Duclos. 112 ACADÉMIE DE ROUEN. le récipiendaire, c'est le concours d'intelligences qui se sont livrées à des études différentes et qui s'éclairent mutuellement. C'est cette heureuse condition que pré- sentent les Sociétés savantes et cette Académie , en parti- culier , où je viens surtout dans le but de m'instruire au contact d'hommes distingués par leur savoir et leur éru- dition, et dans l'espoir de continuer plus tard la voie qu'ils agrandissent chaque jour par leur travail et leur persévérance. » M. Lévesque , en répondant au discours de M. Duclos, a dit que l'hygiène , envisagée dans ses rapports avec l'in- telligence , est un vaste et beau sujet d’études , bien digne des méditations du médecin, car c’est surtout à lui qu'il appartient d'étudier l’homme dans les plus précieux et les plus nobles attributs de son être ; mais c’est aussi un sujet qui n'est pas sans diflicultés graves et même sans périls. La question des rapports entre le physique et le moral de l'homme n’est rien moins , en effet, que celle de sa nature même, grand et mystérieux problème, qui, pour avoir exercé dans tous les âges les plus hautes intelli- gences, a été plutôt posé que résolu. Qu'importe, au surplus , à la destinée de l'homme, que les causes pre- mières lui échappent, et que sa science bornée et limitée comme sa nature, dans une sphère étroite de connais- sances et de facultés , ne puisse s'élever jusqu'à ces hau- teurs de la vérité suprême? Ce qui lui importe , c'est de reconnaître dans l'unité de son être un double élément : l'élément matériel uni à l'élément spirituel, et de ne voir dans le cerveau que l'intermédiaire obligé, l'agent purement physique de la pensée. Amené tout naturellement en face de ces deux systèmes qui ont partagé le monde intellectuel, le matérialisme et le spiritualisme, M. le Président déplore cette fatale CLASSE DES SCIENCES. 113 erreur qui à conduit tant de médecins habiles, renommés par leur science et leurs belles découvertes , à professer la première doctrine qui abaisse le rôle de l'intelligence et appauvrit celui de la conscience. L'orateur s’empresse d'ajouter que le discours tout entier de notre nouveau confrère est une protestation contre cette désolante doc- trine, qui va jusqu'à soutenir, en plein xix° siècle, que la pensée est une sécrétion du cerveau ! Après avoir fait justice, en quelques phrases aussi bien senties qu'élégamment exprimées, des erreurs du maté- rialisme , M. Lévesque regrette que le temps ne lui per- mette pas d'aborder la théorie de la physiologie des passions, magnifique sujet pour les méditations du philo- sophe ou du médecin spiritualiste. 11 adresse, en termi- nant, des félicitations à M. Duclos pour la manière brillante avec laquelle il a formulé de si sages conseils à l'adresse des hommes qui, par devoir ou par goût, sont voués plus spécialement aux travaux de l’intelli- gence. Le choix d’une pareille thèse est un premier acte de confraternité, dont le Président de l'Académie s’em- presse de remercier l'auteur. Indépendamment de ces travaux originaux sur les sciences médicales, l'Académie a entendu avec intérêt plusieurs rapports sur des ouvrages imprimés qui lui avaient été adressés. Ainsi : M. Vingtrinier lui a parlé avec éloge de la deuxième édition du livre de M. le D° Brière de Boismont, sur les Hallucinations. M. Avenel a fait valoir l'importance et les bonnes inten- tions de la brochure de notre autre confrère, le Dr Duchesne, sur la Prostitution dans la ville d'Alger depuis la conquite. 8 Ouvrages de médecine soumis à l'appréciation de l’Académie. ! 114 ACADÉMIE DE ROUEN. M. Mérielle a présenté l'analyse du Traité d'hygiène populaire, et de la Déontologie médicale, deux traités publiés par M. Max Simon , lauréat de l'Académie , admis depuis en qualité de membre correspondant. M. Mérielle a encore donné une opinion favorable de la dissertation de M. le D' Desbois, sur Les revaccina- lions. M. Ballin a reproduit en français quatre Mémoires écrits en italien par le D' Pellegrino Salvolini, de Venise, notre correspondant, sur : 1° L'avantage des incisions dans les extravasions du sang, externes et internes du cräne ; 2° Les inconvénients qui se rencontrent généralement dans les hôpitaux, sous les rapports de la situation, des constructions et des distributions intérieures ; 3° L'emploi du chloroforme dans le travail de l’accou- chement ; 4° Enfin, sur la syphilis. Ce dernier travail a été cou- ronné , en mai 1853, par la Société impériale de méde- cine de Toulouse. L'emploi du chloroforme, et subsidiairement sa substi- tution à l’éther, dans le travail de l'accouchement, ont été combattus par MM. Mérielle et Girardin. Le premier sou- tient que la douleur est un mal nécessaire pour la mère dont les cris dirigent l'opérateur et l'éclairent , et qu'il est presque certain que l'enfant venu sans efforts et sans que la mère en ait, pour ainsi dire, conscience, est bien moins cher à celle-ci que lorsqu'il a été mis au monde au milieu des gémissements et des douleurs. Le second prétend que le chloroforme est un agent d’une action trop prompte et trop dangereuse pour qu'il n’y ait pas de graves dan- gers à le substituer à l'éther, dont il est toujours plus facile de limiter les effets. CLASSE DES SCIENCES. 115 C'est ici le lieu de vous parler du résumé très bien fait par M. de Cazes d'un énorme volume de 750 pages, en anglais, publié, l’année dernière , à Boston , par le D' W. Morton, pour soutenir sa prétention à la priorité de la découverte des propriétés anesthésiques de l’éther. Après avoir raconté les circonstances dans lesquelles s’est produite la découverte importante des effets si remar- quables de la vapeur de l’éther, après avoir rappelé le jugement que porta l’Institut, en 1848, sur les prétentions rivales des D" Jackson et Morton à l'honneur de cette invention, jugement qui attribuait au premier l'idée- mère, et au second le mérite de l'application, M. de Cazes termine ainsi son rapport : « En 1848 , époque où l’Académie des sciences rendit la décision qui précède, elle ne pouvait connaître des documents qui n’ont paru que postérieurement. Ces docu- ments sont : « 14° La demande des administrateurs de l'Hôpital- Général de Massachusets au Sénat et à la Chambre des représentants réunis en congrès, adressée et datée de Boston , le 2 novembre 1851, réclamant pour M. Morton une récompense nationale comme inventeur de la décou- verte dont il s'agit. Cette demande est revêtue de onze signatures ; « 20° Un Mémoire des chirurgiens et médecins du grand hôpital de Boston, et des membres de l'Association médi- cale de l'Etat de Massachusets , au nombre de 312 doc- teurs, certifiant que, dans leur opinion, le D' W. Morton est le premier qui ait prouvé au monde que l'insensibilité produite par l’éthérisation enlève la douleur des opéra- tions chirurgicales, et peut être employée sans danger ; « 3° L'opinion favorable de la majorité de la Commis- Priorité de la découverte des propriétés anesthésiques de l’éther. ÉCONOMIE SOCIALE ET STATISTIQUE. Taxe du pain, M. par Marchand. 116 ACADÉMIE DE ROUEN. sion nommée pour faire un rapport sur la demande d'une récompense nationale en faveur du D' Morton; « 4° Enfin, les débats au sein du Sénat américain qui lui sont des plus honorables, et qui ont eu lieu en 1852 seulement. « Après la lecture de tous ces documents, ajoute M. de Cazes, il est difiicile de ne pas croire qu'aux Etats- Unis la priorité ne soit accordée au Dr Morton. » Si les sciences exactes et les sciences d'observation ont fourni un si riche contingent aux discussions de l’Aca- démie , les sciences morales n'ont pas été négligées, ainsi que vous allez en acquérir la preuve par ce qui me reste à vous dire. En 1851, nous nous étions occupés de la taxation du pain, à propos des écrits de quelques économistes. Cette année , la même question a été examinée par MM. Mauduit et Ballin, à propos d'un nouveau Mémoire de M. Marchand, de Fécamp. M. Marchand voudrait qu'on prohibât la vente des grains et des farines à domicile. L'Académie ne partage pas cette opinion. Elle ne croit pas que la liberté accordée à ce commerce ait l'inconvénient de fausser les mercuriales d'une manière appréciable , et, d’ailleurs, il est à l’avan— tage de tous que les frais de transport soient diminués autant que possible. Il est certain que les meuniers paient toujours plus cher les blés qu'ils vont chercher à domicile que ceux qu'ils trouvent sur les marchés. L'Académie n'admet pas non plus la proposition faite par notre correspondant de réglementer la quantité d'eau admissible dans le pain, ni cette autre de fixer la prime du boulanger en raison inverse du prix du blé. C'est une idée CLASSE DES SCIENCES. 117 malheureuse qui doit être énergiquement repoussée, parce qu'elle est contraire à l'équité. La profession de boulanger étant loin d'offrir de grands avantages à la plupart de ceux qui l’exercent, il est juste de leur assurer des bénéfices suflisants, tout en sauvegardant les intérêts des consommateurs. Le mode suivi à Rouen pour la taxe du pain ne laisse rien à désirer ; cependant, il serait utile que le Gouverne- ment fit vérifier l'exactitude de l’assertion de M. Bresson qui prétend que le prix du kilogramme de pain blanc, très bonne qualité, est égal à celui du kilogramme de grain augmenté de 5 centimes. Nous rappellerons, à cette occasion, que M. Bresson qui a établi à Rouen , en 1850, une boulangerie mécanique , est le premier; en cette ville qui ait vendu son pain au poids. Tout en repoussant le système proposé par M. Mar- chand, l’Académie n'en rend pas moins justice à son zèle éclairé , ainsi qu'à ses bonnes intentions. Nous devons à M. Vingtrinier une très bonne analyse du rapport présenté à l'Empereur, en 1853, par la Com- mission supérieure d'encouragement des Sociétés de secours mutuels. Avant le décret du 26 mars 1852, il n'existait en France que 5 de ces Sociétés , reconnues comme établissements d'utilité publique ; la plus ancienne datait de 1825. Depuis, 236 ont obtenu l'approbation du Gouvernement , et beau- coup d'autres sollicitent cette faveur. Au 31 décembre 1852, il y avait en France 2,488 Sociétés d'ouvriers, comprenant 271,077 membres, dont 21,635 honoraires et 249,442 participants ; sur ce nombre il y avait 27,443 femmes. La Seine-Inférieure avait 41 Sociétés de secours mutuels, réunissant 6,357 membres. Elles avaient dépensé, en 1852, Sociétés de secours mutuels en France, par M. Vingtrinier. ES 118 ACADÉMIE DE ROUEN. 77,492 fr. et avaient un capital de 209,287 fr. Des mem bres honoraires s'y étaient associés au nombre de 1,12#. Enfin, elles entretenaient 112 vieillards. Malheureusement la plupart de ces Sociétés portent dans leur sein une cause de ruine dans un avenir peu éloigné, puisqu'elles ont promis à leurs vieillards des pen- sions qu'elles ne peuvent et ne pourront pas payer. Cette situation fâcheuse , résultat de mauvaises combi- naisons réglementaires, notre confrère a su l'éviter pour la Société l'Alliance , qu'il a fondée à Rouen ; en 1849, et dont il a été nommé Président par décret impérial. Il le prouve en exposant les bases du règlement qui dirige cette association et qui permet de faire produire à la même caisse, sans l’épuiser, l'indemnité du malade et la pension du vieillard. Le zélé fondateur de l Alliance a donc résolu, depuis quatre ans, le problème que la Commission supé- rieure regarde comme très dificile à résoudre , à savoir : assurer une pension de retraite en même temps que les secours en cas de maladie. L'exposé de la situation des Sociétés de secours mutuels est accompagné de plusieurs tableaux curieux qui servi- ront de point de départ et de comparaison pour l'avenir. Il constate d'heureux résultats et donne de belles espé- rances. « À mesure qu'on avancera dans la pratique , dit M. Vingtrinier, l'opinion publique apréciera davantage tout ce qu'il y a de protection pour la nation, de garantie pour l'ordre, d'économie pour la bienfaisance publique dans une œuvre qui fait tourner au bien-être , au rappro- chement de tous , des instinets souvent si dangereux , des forces et des besoins souvent si hostiles. » Nous sommes heureux d'avoir à consigner ici que les efforts de M. Vingtrinier en faveur des Sociétés de secours mutuels ont été reconnus par le Gouvernement, qui a décerné tout récemment une médaille d’or à notre zélé confrère, CLASSE DES SCIENCES. 119 L'année dernière, l'Académie a porté ses regards sur une institution, l'Ecole professionnelle préparatoire, qui devait produire d'excellents résultats tant pour l'industrie locale que pour la classe ouvrière. La recommandation qu'elle adressa , en faveur de cette école , au maire de Rouen a eu pour effet de provoquer , de la part du Con- seil municipal , une subvention qui a servi à acquérir des instruments de travail, comme aussi d'éveiller les sym- pathies des personnes les plus recommandables de la ville pour cette intéressante institution. Mais comme M. l'abbé Neveu nous l'a démontré dans un nouveau Mémoire, l'École professionnelle municipale, füt- elle abondamment pourvue du personnel et du matériel né- cessaires à l'éducation complète des jeunes enfants qu'elle peut admettre , sera toujours trop à l’étroit, sous le double rapport du local et des ressources, pour ouvrir des ateliers à la foule d’apprentis que devrait pouvoir lui adresser le département tout entier. Ïl y aurait donc utilité, dans l’état actuel des choses 2 à provoquer , par un vœu exprimé à qui de droit, la trans- formation de l’École municipale en établissement dépar- temental, et de combler ainsi la triste lacune qu'on aperçoit dans un pays aussi industriel que le nôtre. Cette proposition formulée par M. l'abbé Neveu , lui a été inspirée par la création récente de plusieurs écoles du même genre, que l'État vient de fonder dans divers dépar- tements, qui n’ont peut-être d'autres droits à la préfé- rence sur nous que celui d’avoir été les premiers à en faire la demande. L'Académie , adoptant à l'unanimité la pensée de son vice-président , s’est empressée de réclamer l'intervention bienveillante de M. le Préfet. M. E. Le Roy, qui comprend si bien les besoins du pays qu'il administre d'une manière École professionnelle départemen- tale, par M. l'abbé Neveu. Opérations du Mont-de-Piété de Rouen, par M. Ballin. 120 ACADÉMIE DE ROUEN. aussi paternelle qu'intelligente , a accueilli la démarche de l'Académie avec une faveur qui lui permet d'espérer la réalisation prochaine de ses idées, à l'égard du développe- ment de l'instruction professionnelle dans la classe ouvrière. C'est encore de celle-ci, pour ainsi dire, qu'il est question dans la communication qui nous à été faite, par M. Ballin, des opérations du Mont-de-Piété de Rouen , pendant la période décennale de 18%4 à 1853. Dans le tableau dressé par l'habile directeur, on voit que la cherté des objets de première nécessité a eu une influence mar— quée sur ces opérations, particulièrement pendant les cinq derniers mois de 1853. Cependant l'augmentation des engagements n’est pas aussi considérable qu'on aurait pu le craindre. Ainsi, la moyenne décennale des engage- ments et renouvellements étant de 90, 835 articles pour 1,0%4,215 fr., ceux de 1853 ne s'élèvent qu'à 88, 909 articles pour 1,056,61% fr.; c'est-à-dire qu'il y a eu 1,926 articles de moins et un accroissement de 12,399 fr. seulement. En 1846 et 1847 , années marquées par le renchérisse- ment excessif des matières de première nécessité , les engagements et renouvellements ont été plus considé- rables en nombre et en somme que ceux de 1853. A cette occasion, M. Marchal a mis en évidence qu'il serait rationnel d'établir les comparaisons, non sur l'année solaire, mais sur les mois de la fin d'une année et ceux du commencement de la suivante, parce que sont ceux sur lesquels la disette des céréales a le plus d'influence. Ainsi, par exemple, ce ne sera que vers le milieu de 185% qu'on pourra apprécier les effets de la disette de 1853. On n'a done pas encore tous les éléments d'une comparaison exacte entre les résultats de la disette de celte dernière année et ceux de la disette de 1846. CLASSE DES SCIENCES. 121 M. Marchand a fait imprimer un Rapport sur les progrès et la situation de l'Agriculture dans le canton de Fécamp. Le travail de notre correspondant a été entrepris pour la Commission de statistique agricole du canton de Fécamp, l’une de celles que M. le Préfet a organisées dans le dépar- tement par arrêté du 27 décembre 1852, en exécution du décret du 1° juillet précédent. Suivant M. Ballin , l’auteur s’est acquitté de sa mission de manière à ce que son travail pût servir de modèle pour tous les autres cantons. Il serait heureux qu'il trouvât beaucoup d'imitateurs ; mais, ajoute le rapporteur , il est à craindre qu'on n'obtienne pas même un second Mémoire qui puisse être comparé au sien. A propos de la publication du volume annuel faite par le Gouvernement sur l'administration de la justice crimi- nelle en France , une question, déjà traitée dans le sein de l'Académie par M. Vingtrinier, est revenu sous sa plume et lui a fourni le sujet d’un nouveau Mémoirc que je dois analyser. Déjà, en 1846, notre confrère avait établi, par des chiffres empruntés à la statistique’oflicielle , que la crimi- nalité n’est pas’ en progrès, en France, comme tant d’économistes l'ont avancé. Mais depuis cette époque, il a pu arriver un malheureux changement dans la moralité publique , et c'est, en effet, ce qui a été affirmé récem- ment par un magistrat éminent, M. le Procureur général Daviel. Or , il résulte pour M. Vingtrinier , tant des recherches qu'il a faites dans le nouveau volume publié par M. le Ministre , pour l'exercice de 1852, que de celles qu'il a Statistique agricole du canton de Fécamp, par M. Marchand. Statistique criminelle de la France; par M.Vingtrinier. 122 ACADÉMIE DE ROUEN. entreprises dans le ressort de la Cour d'assises de Rouen, que la criminalité reste fixée à un chiffre qui n’a pas varié depuis 25 ans, quoique la population ait augmenté de plusieurs millions. ... 5,000 affaires, 7,000 accusés dont 1/3 acquittés , tel est le bilan annuel. Les délits correctionnels ont seuls augmenté notablement, et cela tient surtout à la création de nouveaux moyens de surveillance et à une plus active recherche. Il n'y a pas eu plus de délits commis, il y en a eu plus de punis. Il faut tenir compte aussi de l'accroissement incessant de la popu- lation et de ce fait important, que les falsifications des denrées alimentaires, de plus en plus nombreuses , sont actuellement justiciables des tribunaux de police correc- tionnelle. Comme conséquence définitive de ses nouvelles recher- ches, M. Vingtrinier soutient que le chiffre de la crimi- palité reste stationnaire , et que la démoralisation déplo- rable qui afllige les Sociétés n'est pas en progrès en France. Dans une seconde partie, le même académicien s'occupe du crime d'’infanticide. Une statistique minutieuse faite à ce sujet, et comprenant trente années, démontre que, pen- dant cette longue période , il n'y a eu que 48 accusés, soil auteurs, soit complices. Ce nombre, divisé en trois autres périodes de 10 ans, a justement donné le chiffre 146. De ces 48 accusés, 21 seulement ont été condamnés. M. Ving- trinier en conclut que les crimes d’infanticide n'ont pas été en augmentant dans notre département , ainsi que cela a été avancé par un honorable magistrat. Notre confrère trouve dans M. Guizot un appui pour la thèse consolante qu'il soutient depuis longtemps, puisque le célèbre publiciste a éerit qu'il n'est pas possible qu'une décadence morale coïncide avec tous les progrès sociaux qui marquent notre époque. CLASSE DES SCIENCES. 193 Indépendamment des travaux dont je viens de rendre un compte, sans doute, trop succinct, j'ai encore à men- tionner les rapports substantiels et intéressants de MM. Bi- gnon, De Cazes, Lévy, Rondeaux, sur divers ouvrages parvenus à l’Académie dans le cours de l'exercice de 1853—1854, et j'ai à noter que des Mémoires et même des livres, plus ou moins étendus, ont été publiés par des membres de la Compagnie, entre autres par MM. Bourdin, Brière de Boismont, Berthier, Chevalier et Duchesne, Ebrard , Girault, V. Meurein, Mérielle, Marchand, Morière, Is. Pierre, Plouviez, Pouchet , Prévost, Payen, Zante- deschi, etc. Enfin, je dirai que l'Académie des sciences de l'Institut a honoré, dans sa séance publique du 30 jan- vier dernier, d'une récompense de 1,500 fr., notre confrère M. le Dr Giraldès, pour son Mémoire sur les kistes muqueux du sinus maxillaire, et d'une récompense de 2,000 fr. un autre correspondant, M. Guibourt , pour la quatrième édition de son Histoire naturelle des drogues simples. La bibliothèque de l'Académie a été enrichie, cette année, de neuf lettres manuscrites écrites d'Auvergne par le célèbre Fourcroy, comte de l'Empire, conseiller d'Etat, membre de l’Institut, et l'un des plus brillants professeurs de chimie dont la France s'honore. Ces lettres, écrites en l'an V de la République (1797), étaient adressées à M de Wailly, femme de l'architecte Charles de Wailly, né en 4729, mort en 1798. M®e de Wailly, devenue veuve , épousa Fourcroy, dont elle était la parente. Cette dame, recommandable par les deux noms célèbres qu'elle a portés, et par les qualités aimables de son esprit, mourut en 1838, âgée de soixante-douze ans. Elle était belle-sœur de la mère de Divers rapports et publications des membres résidants et correspon- dants. LITTÉRATURE SCIENTIFIQUE. Lettres inédites de Foureroy. NECROLOGIE. 124 ACADÉMIE DE ROUEN. M. H. Lemonnier, membre correspondant de l'Académie, à qui elle légua par testament les lettres manuscrites, dont M. Lemonnier a fait hommage à l’Académie. M. Bignon a fait ressortir tout l'intérêt que présentent ces lettres écrites avec l'abandon du touriste, mais du touriste pour lequel les sciences physiques et naturelles n'ont plus de secrets. Par des citations habilement choi- sies, il a fait connaître l'observateur, le savant, le spiri- tuel écrivain qui a esquissé des peintures pleines d'éclat et de fraîcheur, qui a reproduit si fidèlement et d'une manière si colorée les grands effets de la nature dans cette Auvergne si pittoresque et si précieuse pour les études géologiques. L'Académie qui a reçu avec reconnaissance de son associé correspondant le manuscrit des lettres de Four- croy, le conservera avec l'admiration due à la mémoire d'un homme qui réunissait à une science profonde tous les charmes de l'esprit et toutes les qualités du cœur. Puisque je viens de parler d’une gloire qui n'est plus , je rappelleraiï ici , en terminant, le souvenir d’un savant ingénieur que l'Académie a eu la douleur de perdre le 19 octobre 1853. Charles-François Mallet, né à Paris le 4 juillet 1766, était fils de Noël-Nicolas Mallet, docteur-régent de la Faculté de médecine. Ses études terminées , il entra, en 1784, à l'Ecole des ponts-et-chaussées, et, en 1791, il reçut le grade d'ingénieur. Chargé, en cette qualité, de l'arrondissement de Senlis, il se fit honorablement con- naître de Joseph Bonaparte qui, une fois roi de Naples, appela le jeune Mallet près de lui, en 1805, eten fit un des trois membres du Conseil général des ponts-et- chaussées. Son séjour en Italie dura deux ans; il en revint décoré de l’ordre des Deux-Siciles. Peu de temps après, CLASSE DES SCIENCES. 125 il rédigea sur les Eaux de Rome un très instructif Mémoire qui parut dans le tome IV du Journal du Génie civil. Nommé, en 1808, ingénieur en chef, il fut d’abord envoyé dans le département de la Doire ; puis, quelques mois après, dans celui du Pô. Là, il dirigea et termina la construction du pont magnifique jeté sur ce fleuve, à Turin. Dans l'exécution de ce travail, M. Mallet fit l’appli- cation des études auxquelles il s'était livré en Italie, sur les soins remarquables apportés par les anciens dans leurs constructions. — Le redressement du Pô, près Moncalier, opération difficile qui eut un résultat complet; des projets de conservation de grands ponts ; un pont en granit sur la Doire ; un hospice sur le col de Sestrières, dont les des- sins sont insérés dans la collection lithographique publiée par l'Ecole des ponts-et-chaussées ; enfin , le nivellement barométrique dont il s’occupa conjointement avec M. d’Au- busson, et qui fut l'objet d’un rapport très favorable à l'Institut; tels sont les principaux travaux qui marquè- rent son séjour en Piémont, et qui lui valurent plus tard l'ordre de Saint-Maurice et de Saint-Lazare, que le roi de Sardaigne lui envoya spontanément. En 1814, M. Mallet vint à Rouen pour diriger la cons- truction du grand pont de pierre. L'habileté dont il fit preuve en cette circonstance, les grandes entreprises qu'il mena à bien dans le département, la régularité qu’il introduisit dans l'instruction des affaires et des contesta- tions concernant l'usage des eaux, mirent le sceau à sa réputation. Au milieu des occupations de son service, il trouvait encore du temps pour cultiver les sciences et pour faire connaître les perfectionnements apportés dans le système des roues hydrauliques. L'Académie de Rouen ne pouvait avoir à côté d’elle un homme aussi distingué sans chercher à se l’approprier. Le # août 1815, il faisait son entrée dans la compagnie en | | 126 ACADÉMIE DE ROUEN. dissertant savamment sur les moyens à employer, dans la construction des ponts, pour éviter les différents incon- vénients que subissent les voûtes, soit pendant leur con- fection , soit pendant et après leur décintrement. M. Mallet prit au sérieux son titre d'académicien , car nous le voyons, en 1817, 1819, 1820, 1821 , 1822 et 1823, faire d'importantes communications , rédiger des rapports sur des machines nouvelles soumises au juge- ment de l'Académie , et traiter toutes les questions qui se rattachaient directement à ses connaissances spéciales. Lorsque le Gouvernement conçut, en 182%, le projet d'utiliser les eaux de l'Oureq à l'assainissement de la capitale, et à pourvoir d'eau les maisons particulières, l'Administration jeta les yeux sur M. Mallet comme sur l'homme le plus versé en l’art hydraulique, et le fit venir à Paris. Très au courant de ce qui se pratique en Italie pour le même objet et pour les irrigations agricoles, M. Mallet voulut néanmoins connaître à fond ce qu'on avait exécuté à ce sujet dans la Grande-Bretagne , et il fit, dans cette intention, plusieurs voyages en Angleterre. A la suite de toutes ses études, notre confrère fit paraître, en 1830 , un grand ouvrage in-4°, avec planches, intitulé : Notice historique sur le projet d'une distribution générale d'eau à domicile dans Paris, ou exposé de détails y rela- tifs, recueillis dans différentes villes du Royaume-Uni, notamment à Londres. — Ce livre est rempli de docu- ments sans lesquels l’entreprise de la distribution des eaux dans Paris eût été à peu près impossible. Le projet de M. Mallet, approuvé par le Conseil général des ponts- et-chaussées, servit à composer le cahier des charges rédigé par la préfecture de la Seine. En 1830, M. Mallet fut nommé inspecteur divisionnaire, et, en 1840, il se retira du service actif avec le titre d’inspecteur général honoraire. CLASSE DES SCIENCES. 127 Marié en premières noces avec M'e Foulon, de Senlis, qu'il perdit de bonne heure, il avait épousé, en 1819, pendant sa résidence à Rouen, M"° veuve Boismare, fille de M. Le Masson, ancien ingénieur des ponts-et-chaus- sées, si honorablement connu dans le département de la Seine-Inférieure. De son premier mariage, M. Mallet eut un fils qui est aujourd’hui colonel d'artillerie et sous- directeur du service des poudres et salpêtres , à Paris. Notre regrettable confrère était officier de la Légion- d'Honneur, membre de la Société d'encouragement pour l'industrie nationale, aux travaux de laquelle il prit une large part, de la Société impériale et centrale d’horticul- ture, correspondant de notre Académie depuis 1824, et de la Société centrale d'agriculture de la Seine-Infé- rieure. est mort, à Paris, à l’âge de quatre-vingt-huit ans. DE LA CYCLOIDE, Par M. VINCENT, Professeur de Mathématiques spéciales au Lycée de Rouen. Le but de cette note est de faire voir que les propriétés géométriques de la cycloïde peuvent être démontrées sans le secours des calculs différentiel et intégral, en employant les méthodes de la géométrie élémentaire pour passer des polygones aux courbes. J'abrégerai les démonstrations en substituant à la méthode des limites celle des infiniment petits, qui est soumise à des règles rigoureuses bien connues. Tangente et normale à la cycloïde ordinaire. — Soit M (fig. 1) le point décrivant; BMB’ est le cercle générateur, et AA’ est la base de la cycloïde. Pour passer du point M au point M’ infiniment voisin, je fais tourner le cercle sur son centre d’un angle très petit, le point M vient en N; puis je transporte le cercle parallèlement à la base, à une distance égale à l’are MN; le point N vient en M’, qui est un point de la courbe. La tangente au point M est la limite des CLASSE DES SCIENCES. 129 positions de la sécante MM’ ; mais en substituant à l’arc MN sa corde, qui n’en diffère que d’un infiniment petit négli- geable, on a un triangle MNM/ qui est isocèle; la droite MM’ est donc bissectrice de l’angle NMQ, et, à la limite, de l'angle TMQ, puisque MN devient tangente au cercle. Donc la tangente à la cycloïde au point M est MB’, et la normale est MB. Cette propriété de la normale peut être généralisée. Dans une roulette quelconque, la normale à la courbe décrite passe toujours au point de contact de la courbe génératrice et de la base. Lacroix démontre cette pro- priété en faisant rouler un polygone sur un autre ; mais la démonstration peut être ramenée au cas d’une cycloïde quelconque , en substituant à la base sa tangente, et à la courbe mobile son cercle osculateur. Les déplacements infiniment petits ne seront altérés que de quantités infini- ment petites par rapport à eux. Soit donc M (fig. 2), le point décrivant; on passera du point M au point M’, en faisant tourner le cercle autour de son centre d'un angle très petit, puis en le transportant parallèlement à la base à une distance égale à MM’. Alors, OB et OM sont res- pectivement perpendiculaires à NM’ et MN; donc l'angle , MN _ MN . MO MOB = MNM'. De plus, TL Re cal mé a Les deux triangles MNM’ et MOB sont par conséquent sem- blables ; il en résulte que MB est perpendiculaire à MM’. Rayon de courbure dans une cycloïde quelconque. — Je passerai d’un point de la courbe à un point infiniment voisin comme précédemment. Soient B et B’ (fig. 3) les deux points successifs du contact de cercle générateur avec la base ; alors BB’ = mm’ = NM’. MC et M’C sont les normales en M et en M’; le rayon de courbure au point M 9 130 ACADÉMIE DE ROUEN. est la limite de MC. Je mène OP perpendiculaire à MB, et j'appelle « l'angle BMO. On a, comme on l'a vu MM' MN = —. Mais BN est parallèle à B'M’, et par conséquent MB MO MC MM" MM' Lest perpendiculaire à MM’; ainsi = = — = ——: LUE D LE tu MB MI — MNcosa’ MB° \:B? donc MC = ——— = . On tire de là une construc- MO cos « MP tion simple pour trouver la limite C' des positions du point C. es MB Dans la cycloïde ordinaire, MP = —-> et par consé- 4 quent lim. MC = 2 MB; le rayon de courbure est double de la normale. Développée. — Soit O’ (fig. 1) le centre d'un cercle symétrique du premier, puisque AB — AM, on a MB’ = BD’ = 6€. Soit pris 6m = «6, u sera le point décrivant d’une nouvelle ceycloïde égale à la première. Mais les deux triangles B6x et BMB’ étant égaux, By est le prolongement de MB, est égal à MB, et, de plus, est tangent à la courbe Aa. Il résulte de là que la courbe Az est la développée de AD. Rectification. — La connaissance de la développée nous conduit immédiatement à la mesure de l'arc de la courbe. On a au = Da — My = 2 (D'« — Bu)=2 (Da — V'D'. Bx }. Ainsi, Aa = 2 D'« et Au = 2WD'2.B% ; ou bien, DM = 2 WDD'. PM = 2 MB'- Quadrature. — Comparons les deux trapèzes MNQ'Q QQ NQ°+ MQ et MM'P'P ; leur rapport est égal à — : PI SE pp MP + M'P’ CLASSE DES SCIENCES. 131 = QQ” CORNE 57 100" Ë X = ES la limite sie lim =— ST Or, PE ur à lim Te B'Q Me. = 0 moi Donc le rapport des deux trapèzes a pour limite l'unité, et deux trapèzes curvilignes finis (sommes de pareils trapèzes infiniment petits) ont un rapport égal à l'unité. ; 1 ad ; 3 Donc aire AED = 3 cercle générateur et aire ADD’ = — cercle générateur. ——220) 9 (E—— DU CUIVRE AU POINT DE VUE MÉDICO-LÉGAL, Par M. MORIN, Professeur de Chimie à l'Ecole de médecine de Rouen. Les expériences que nous avons entreprises ont été faites en vue d'un nouveau problème de chimie judi- ciaire, relatif à l'empoisonnement par les préparations cuivreuses, dans le cas d'une exhumation juridique long- temps après la mort. Avant de les exposer, 1l n’est pas inutile de rappeler que Vauquelin, en faisant l'analyse du sang , trouva dans ce liquide organique une quantité très appréciable de cuivre ; mais le sang ayant été abandonné dans un vase de ce métal, il pensa que le cuivre que les réactifs démontrèrent était dù à la réaction de l'ammo- niaque, produit constant de la décomposition des matières animales. Depuis, M. Rossignon a trouvé du cuivre dans le sang, dans les muscles, les viscères et jusque dans le sperme de l'homme. En 1817, Meissner reconnut ce métal dans les cendres d'un grand nombre de végétaux indigènes et exotiques. En 1830, M. Sarzeau, de Rennes, prouvait que le CLASSE DES SCIENCES. 133 quinquina en contenait 5 milligrammes par kilogramme ; que le café Martinique en renfermait 8 milligrammes par kilogramme , et enfin, après avoir estimé la quantité de ce métal qui se trouve dans le froment, il a évalué à 3,690 kilogrammes la quantité de cuivre contenue dans le pain nécessaire à l'alimentation de la France pendant une année. En présence de semblables faits, pourrait-on se refuser à admettre l'existence du cuivre dans le corps de l'homme, puisque la plupart des matières alimentaires le renfer- ment. D'un autre côté, le genre d'alimentation de la classe ouvrière, dans les grands centres de population, ne doit-il pas introduire dans l'organisme une certaine quan- tité de cuivre? D'ailleurs, n'est-il pas à craindre que les cuisiniers et les charcutiers, négligeant de veiller à l’éta- mage des vases de cuivre, n'introduisent ce métal dans les aliments de haut goût, dont l’assaisonnement hâte l'oxydation par le refroidissement. Il suit de là que la pré- sence du cuivre dans les organes de l’homme peut avoir une cause tout autre qu'une origine criminelle. Mais ce cuivre peut-il séjourner dans nos organes sans produire les accidents qui résultent de son ingestion soit à l’état d'oxyde , soit à l’état de sels? Il est probable que, si le métal existait dans les substances alimentaires que nous venons de citer, sous l’un de ces deux états, il produirait dans l’économie un trouble qui serait en rapport avec ses proportions, et il est à présumer qu'il subirait ensuite les lois d'élimination que la nature a établies. Toutefois, il peut arriver que nos organes en conservent une quan- tité teilement petite qu'il échapperait aux agents chimi- ques. Tout porte à croire que le cuivre se trouve dans nos tissus, combiné à la manière de l'hydrogène, de l'oxygène, du carbone et de l'azote, puisqu'il faut détruire l'organe 134 ACADÉMIE DE ROUEN. par l'acide azotique pour pouvoir démontrer la présence du métal. Il résulte de là qu'il pourrait y avoir dans les recherches de chimie judiciaire une certaine complication relativement à l'intoxication par les sels de cuivre, si le savant auteur de la toxicologie générale n'eût pas fait connaître un procédé propre à démontrer l'existence du cuivre d’ingestion, sans toucher au cuivre normal où phy- siologique. Dans les expertises de chimie judiciaire, le chimiste reçoit rarement les viscères sans qu'ils aient subi une décomposition de laquelle résulte de l'ammoniaque. La production de ce corps à fait naitre dans notre esprit un problème qui n’est pas sans importance : à savoir si l'ammoniaque, qui exerce sur le cuivre métallique et même sur les minerais de cuivre une action dissolvante si puissante, ne peut pas agir Sur le cuivre normal de manière à le rendre accessible aux moyens adaptés à la recherche du cuivre d’ingestion. De prime-abord, cette opinion semble mériter quelque accueil, puisque l'ammo- niaque, en se développant, rend les tissus animaux diffluents, et les amène , en quelque sorte, à l'état de dissolution. Cette question offre donc une grande impor- tance dans les cas d’exhumation juridique après un cer tain laps de temps. Pour résoudre ce problème, nous avons pris un foie humain, que nous avons coupé en petits morceaux , et, après y avoir ajouté de l'eau distillée parfaitement pure, nous avons abandonné le mélange à tous les changements de température qui surviennent dans l'atmosphère. Après quatorze mois d'attente , le foie était converti en une matière peu consistante , exhalant une odeur infecte ; on y ajouta de l'eau distillée, de manière à rendre la filtra- tion possible. Lorsqu'elle fut opérée, on évapora le liquide jusqu'à dessiceation presque complète, et on traita le résidu CLASSE DES SCIENCES. 135 par l'acide azotique pur pour le carboniser. Le charbon ainsi obtenu fut pulvérisé et chauffé dans un creuset de porcelaine, pour obtenir une incinération entière, en ayant grand soin que les cendres, provenant du charbon employé comme combustible, ne tombassent point dans le creuset. Il est mutile de dire. qu'il est indispensable pour l'opérateur d'ouvrir le creuset de temps à autre pour que la matière subisse l'influence de l'air. On traita les cendres par l’eau distillée pour les priver de sels solubles, et, à l’action de l'eau, on fit succéder celle de l'acide chlorhy- drique additionné de quelques gouttes d'acide azotique avec l’aide de la chaleur. On continua l’évaporation pour chasser l'excès d'acide, et on reprit le résidu par l’eau distillée ; en filtrant, on obtint une liqueur incolore dans laquelle le ferro-cyanure de potassium ne produisit aucun trouble indiquant la présence du cuivre, et en y faisant séjourner une lame de fer bien décapée , on ne put par- venir à obtenir le moindre indice de cuivre , même après un laps de temps de quarante-huit heures. Cette expérience démontre que le cuivre normal ne devient pomt accessible aux agents chimiques par suite de la putréfaction. Dans le but d'infirmer ou de corroborer l'expérience dont nous venons de faire l'exposé, nous avons cru devoir faire agir en même temps l’ammoniaque d’une manière directe. En conséquence , nous avons réduit en bouillie la moitié environ d’un foie humain, en le triturant avec du verre pilé provenant de vases qui n'avaient servi à aucune opération chimique. On introduisit cette matière pultacée dans un bocal à large ouverture, et on la délaya avec de l'ammoniaque pure, et, après avoir bouché le vase, on laissa réagir lammoniaque pendant le même espace de temps ; puis on l'étendit d’eau distillée, et on filtra. La liqueur, colorée en jaune-brunâtre , avait une odeur 136 ACADÉMIE DE ROUEN. fortement ammoniacale, On la satura par l'acide azotique pur, et on réduisit à siccité pour calciner le résidu de manière à obtenir un produit qu’on traita successivement par l’eau et par l'acide chlorhydrique. On évapora ensuite avec ménagement pour chasser l'excès d'acide, et on obtint un résidu dans lequel on ne put parvenir à démon- trer les plus légers indices de cuivre. Pour donner à ces expériences le degré de certitude que comportent les recherches médico-légales, nous avons carbonisé séparément chaque portion de foie avec de l'acide azotique, et chauffé ensuite le charbon de manière à laisser un libre accès à l'air atmosphérique. Dans cette action de la chaleur, on obtint des cendres qu'on traita par l’eau distillée pour enlever les sels solubles; Peau laissa indissous un résidu qu'on reprit par l'acide chlorhy- drique additionné d'acide azotique pur. La dissolution fut évaporée pour chasser l'excès d'acide, en ayant soin toutefois de ne pas élever la température pour volatiliser le chlorure de cuivre, et on obtint un résidu dans lequel on constata la présence du cuivre d'une manière irré- cusable. De ces expériences, on est en droit de conclure que le cuivre normal ou physiologique n’est point mis à l'état d'isolement dans les tissus animaux par la putréfaction, et qu’alors, lorsque l'expert-chimiste en démontre la pré- sence sans employer de moyens désorganisateurs, il peut affirmer que le poison est du cuivre ingéré soit par suite d’empoisonnement , soit par suite de suicide. Les recherches que nous avons l'honneur de commu- niquer à l’Académie ont été entreprises à l'occasion de viscères provenant du cadavre d’une femme en état de putrilage , et dans lesquels nous avons trouvé une quan- tité appréciable de cuivre, en suivant les procédés em- ployés pour démontrer le cuivre d'ingestion, et comme la CLASSE DES SCIENCES. 137 quantité de ce métal était assez faible, nous pensämes qu'il pourrait se faire qu’en raison de l'état de putréfac- tion de ces organes, l’ammoniaque produite eût réagi sur le cuivre de l'organisme de manière à opérer une disso- lution. Mais les expériences que nous venons d'indiquer ne permettent pas d'admettre cette supposition, et démon- trent que le cuivre, physiologiquement combiné dans nos tissus, ne peut être mis à l’état d'isolement sans en détruire la trame génératrice ; or le cuivre trouvé dans le cadavre précité était du cuivre d’ingestion. NOTE SUR LES EAUX STAGNANTES, PAR Eucène MARCHAND, Membre correspondant de l'Académie, à Fécamp: APPENDICE AU MÉMOIRE AYANT POUR TITRE : DES EAUX POTABLES Considérées dans leur constitution physique et chimique , et daus leurs rapports avec la physique du globe, etc. Toutes les fois qu’à la surface de la terre, une dépression en forme de euve repose sur un sous-sol argileux , imper- méable , l'eau, fournie par les pluies ou les ruisseaux, y séjourne et disparaît lentement , soit par sa vaporisation naturelle , soit par son infiltration au travers des couches qu'elle recouvre. Ces nappes d’eau reçoivent, en raison de leur étendue , les noms de lacs, d'érangs ou de mares ; elles restent d'autant plus longtemps au même niveau, que leurs sources alimentaires sont plus constantes dans leurs effets. Lorsque ces nappes aqueuses ne sont point maintenues à un niveau constant, par une alimentation et un écou- lement réguliers, elles prennent, en outre, le nom d'eaux stagnantes. Quand elles ont pour origine les pro- CLASSE DES SCIENCES. 139 duits de la pluie, elles peuvent se présenter dans deux conditions : à ciel ouvert , ou dans des cuves artificielles, creusées pour les recevoir, et plus ou moins complètement recouvertes, pour les mettre à l'abri de tous les corps étran- gers et de toutes les causes d’altération qu’elles peuvent recevoir du dehors. À ciel ouvert, elles constituent les étangs et les mares; en cuves closes, les citernes. L'eau de ces dernières est ordinairement recueillie sur les toits des habitations. Les eaux , selon qu'elles sont conservées au contact de l'air, et de la lumière , comme dans les étangs, les lacs et les mares , ou bien qu'elles sont préservées de l'action du dernier de ces agents, comme dans les citernes, sont le siége d’un certain nombre de phénomènes variables , qui exercent une action intense sur la constitution des prin- cipes qu'elles tiennent en dissolution : je vais les étudier dans ces conditions différentes : Eaux stagnantes au contact de l'air et de la lumière.— En parlant (dans mon Mémoire) des modifications éprou- vées par la matière organique des eaux courantes, sous l'influence de la lumière, j'ai déjà eu l'occasion de faire remarquer qu'il se produit des globules de matière verte, dont la proportion est toujours en relation directe avec la quantité de matière organisable dissoute. Les globules vivi- fiés, qui se génèrent ainsi, sont désignés dans la science sous le nom de matière verte de Priestley, en souvenir du savant observateur qui, le premier, en a constaté Ja production. Cette matière jouant un rôle important dans les phéno- mènes qui s’accomplissent au sein des eaux, je dois en présenter ici une courte histoire ; elle donnera la clef de presque toutes les réactions , et permettra d'expliquer la présence de différents agents au sein des liquides soumis 140 ACADÉMIE DE ROUEN. à son influence. Selon R. Wagner, la matière verte est constituée par les cadavres innombrables de petits êtres infusoires, d'une constitution très élémentaire, résidant au degré le plus inférieur du règne organisé : ils portent le nom d'Euglena viridis. Une autre variété l'Euglena sanguinea , observée par Ehremberg , et que j'ai presque toujours reproduite à volonté en exposant à l’action de la lumière les eaux plu- viales qui tombent à Fécamp, est susceptible de colorer l’eau en rouge. Tout porte à croire que les eaux acciden— tellement rougies, que les Égyptiens, selon la Bible, crurent changées en sang , lui devaient leur couleur. Si l'on s’en rapporte aux observations d'un savant micrographe , M. le D' G. Gros, les euglènes, en parcou- rant toute la série de leurs phénomènes de vitalité, sont susceptibles d'éprouver des transformations dignes du plus haut intérêt ; il assure les avoir vus , sur le point de se transformer , perdre leur trompe, se rouler en boule, et secréter une matière albumineuse dont elles se font un cocon qui, plus tard, après une incubation suflisamment prolongée, se transforme , tantôt en totalité, tantôt en se parifissant , c'est-à-dire en se divisant en parties égales. Dans le premier cas, l'euglène se change en espèces supérieures : des rotatoires, des nématoïdes. Dans le second , et suivant le degré de parifissure , car l'euglène peut se diviser en 2, 4, 8, 16, 32 ou 6% cellules égales, les produits de la métamorphose sont plus nom- breux et plus variés : certaines cellules, et ce sont celles qui suivent le rhythme général, se transforment en conferves ; d'autres donnent des navicules, des desmidiens, des zygnémiens , qui s'éteignent sans postérité ; puis des ani- malcules utriculeux : vorticelles, plæscomiens, oxvtriqués, dileptus, coccudina nassula, etc., susceptibles de donner naissance, par leurs métamorphoses, à des espèces ascen- CLASSE DES SCIENCES. 141 dantes , capables de se multiplier par division spontanée. Les rotatoires issus des euglènes peuvent reproduire leurs types, et les rotifères, en particulier , multiplient leurs espèces pendant un nombre déterminé de générations , ou bien ils se résolvent en coccudina, en dileptus, en kéroués, en oxytriqués ou en actynophrys. Ces derniers peuvent à leur tour absorber assez de substance pour former un beau cocon, d'où sort ensuite une planariole qui, elle- même, se métamorphose ordinairement en tardigrade. La lumière joue un rôle certain dans ces transformations: il a été constaté que les euglènes, tenues dans l'obscurité, prennent la direction animale , tandis que celles que l'on expose à la lumière deviennent des végétaux. Lorsque tous ces phénomènes de vitalité s’accomplissent au sein d’un liquide, celui-ci, sous toutes les influences réagissantes, contracte des propriétés différentes, en dis- solvant des principes nouveaux, dont la nature mérite d’être déterminée, car ils ne ressemblent en rien à ceux dont, jusqu'à présent, j'ai signalé (dans mon Mémoire général) la présence normale dans ies eaux naturelles , puisqu'ils émanent des générations animales et végétales qui se succèdent et se développent dans l’une des trois conditions que je vais étudier successivement. Premier cas. Eaux exposées à l'action de la lumière. — Dans ces circonstances, elles ne tardent pas à se recouvrir d’une matière quelquefois verte , quelquefois rouge , dont la quantité va sans cesse en augmentant; plus tard, cette matière se répand dans toute la masse du liquide, et se dépose même au fond de la cuve , en même temps que l'eau , par sa vaporisation spontanée, diminue de volume. Lorsque l’action de la lumière sur les couches inférieures du liquide est interceptée par la matière colorante existant à sa surface , il se développe de nombreux animalcules 142 ACADÉMIE DE ROUEN. microscopiques , dont les générations se succèdent rapi- dement, et augmentent la quantité des matières organi- ques qui se déposent en subissant la fermentation putride. L'eau contracte toujours alors des propriétés nuisibles , car , sion la filtre, on l’obtient colorée en jaune ; elle est neutre vis à vis des matières colorantes ; elle possède une saveur fade et désagréable ; elle réduit les sels d’or et empêche la réaction de l'iode sur l'amidon. L'analyse y décèle la présence de proportions notables d'albumine végétale et animale, ainsi que de l’humus en quantité quelquefois considérable. Cependant l'air qu'elle retient en dissolution est ordinairement très oxygéné, car, dans plusieurs expériences, je l'ai trouvé formé en centièmes de : Oxygbne.- . «l. 17. 00.295 AZOIS eee 2 mn US US et sa proportion s'élevait jusqu'à vingt-six centimètres cubes par litre. Cette richesse de l'air dissous, en gaz comburant, n'a rien qui doive surprendre, car, l’une des plus importantes propriétés de la matière verte de Priestley , est précisé ment d’excréter une quantité considérable d'oxygène pur. J'ai cru reconnaître, en outre, qu'elle se produit au détri- ment de l'acide carbonique et des sels ammoniacaux ou nitrogénés , témoins de son développement ; car, au fur et à mesure qu'elle s'accroît en vase clos, la proportion de l'acide carbonique dissous diminue , ainsi que celle de l'oxygène , mais celle de l'azote augmente. A cet égard, je résume, dans le tableau suivant , la moyenne des résul- tats obtenus dans une série de recherches sur l'influence exercée par la lumière et l'obscurité sur la constitution de l'air dissous dans les eaux : les observations ont été faites sur l’eau de la fontaine Bigot, à Fécamp. SCIENCES. … Le LASSE DE C cecbo o gt1ÿ0 Co) / tgL10 0 | o6gço o | ÿlçro o | cçlio 0 10ÿt0 ‘0 | çoÿoo ‘y 0 | 0/00 [0 6gg00 ‘1j 0 wu0 q ot] ‘1124 a1gneu Joe ‘oprdum] ‘eprdur “aprdwur] CENDRES MCE es | cases | METRE PRNEEREEEENEEE QUO EURE ‘AIe,] 9P S99u9119dx2 9p 19 PU el] Jo8iu09 np sap MEL 9P ler ap poemuool AU K 19 quout joeju0o ne npugege |?1HN9Sq0,f R | -22U9UW09 —————— —— ——" 2[ JUPAP A'IVHUON SION XNA4Œ LNVANHd AHAUHSNOI \epons eee 0000 = \ roses sau984xo 8191] 1 SUPP S21N0SSIP S2191EIÛ gulqu09 19 91q1] ‘qIu2 2pDE -+++31028 JUOISS91d 0G1 + € nE2,p terstetese +{ 0497 e ) aubinpuoseq uotssa1q “+sasfjeue sop quoutour ne le] 2p 21me19dun y, sescerceeenea ] ap 100dSY ‘SASHAAIG SNOILVIIONT 144 ACADÉMIE DE ROUEN. Second cas. Eaux recouvertes d'espèces végétales, mais n'en baignant aucune. — Les phénomènes de la végéta- tion , sous l'influence des rayons solaires , s’accomplissent d'une façon régulière et normale, et sous la nappe de verdure il se développe de nombreux animalcules micros- copiques, dont un certain nombre deviennent visibles à l'œil nu. Avec le temps , des débris de végétaux et d’ani- malcules s'accumulent dans les couches inférieures du liquide et y contractent, comme dans le cas précédent , mais à un degré plus énergique , la fermentation putride ; l'eau se colore en jaune fauve , elle exhale une odeur de matières organiques en décomposition, et quand elle con- tient des sulfates au nombre de ses éléments, elle peut exhaler de l'hydrogène sulfuré. Elle est ordinairement très faiblement alcaline ; l'analyse y décèle toujours aussi des quantités très appréciables de matières albumineuses qui lui communiquent habituellement la faculté de mousser par l'agitation ; sa couleur est due à la présence de l'humus dissous. La proportion d'air atmosphérique s’y élève , en moyenne , à 22 centimètres cubes par litre, et il est ordi- nairement formé , pour 100 parties, de : Oxygène. + - 25e - : «+ 20 A7Ote. . ar + -2. 80 Les eaux de cette classe , plus encore que celles de la classe précédente ou suivante , jouissent de la faculté de réduire les sels d’or, sous l'influence de la chaleur, et de dissimuler l’action de l’iode sur l'amidon. Comme elles aussi , elles sont très pauvres en acide carbonique. Troisième cas. Eaux baignant et portant à leur surface des végétaux en grand nombre. — De même que celles qui sont soumises aux influences précédentes, ces eaux contiennent de nombreux animalcules; mais, grâce à CLASSE DES SCIENCES. 145 l'action des plantes qu’elles baignent , les phénomènes de putréfaction qui s’y développent, cessent d'être appré- ciables à l’odorat. Néanmoins, l'humus dissous en excès colore encore le liquide en jaune päle, en lui communi- quant souvent une réaction légèrement acide; on peut toujours le retrouver , en même temps que des matières albumineuses , dont la quantité peut varier. L'air atmos- phérique qu’elles contiennent est ordinairement aussi abondant que dans celles de la dernière classe , et oxy- géné au même degré. Leur saveur est fade et souvent désagréable. Les eaux stagnantes, exposées à l’action des rayons lumineux, contractent donc des propriétés nouvelles, en subissant l'influence des êtres organisés qui leur cèdent certains produits, résultant, ou des excrétions fournies pendant les diverses périodes de leurs évolutions vitales , ou des produits solubles résultant de leur décomposition : soit de l’humus et des matériaux albumineux , toujours reconnaissables par l’action de la chaleur qui les coagule, et par celle du tannin qui les rend insolubles. L'on conçoit que, sous l'influence réductive des phéno- mènes de putréfaction signalés plus haut, les nitrates se trouvent encore transformés en sels ammoniacaux, dont la proportion, si elle n’est absorbée par les végétaux, doit se trouver notablement accrue. Cette ammoniaque ainsi pro- duite opère surtout la dissolution de l'humus. Les sels primitivement dissous diminuent aussi de proportion, en passant dans la constitution des êtres organisés. On le voit, toutes choses étant égales d’ailleurs, les eaux stagnantes que nous avons étudiées dans le second cas, sont les plus dangereuses : plus que les autres, elles se chargent de matériaux organiques, résultant des matières en putréfaction, dont elles empruntent les qualités nuisibles. 10 146 ACADÉMIE DE ROUEN. Toutes ces eaux stagnantes , lorsqu'elles se vaporisent, laissent en contact avec l'air atmosphérique des terres imprégnées de matières putrescibles, qui deviennent la source d’une production active d'hydrogène protocarboné, — le gaz des marais — principe ou véhicule le plus actif des miasmes paludéens. J'ai cru remarquer que sa production était d'autant plus assurée , que les eaux contiennent une plus grande quantité d’albumine végé- tale. De tout ceci, il résulte donc que le séjour des eaux stagnantes à la surface du sol est digne de fixer l’atten- tion du législateur : elles devraient être soumises à une surveillance rigoureuse, sinon complètement prohibées. Tous les faits qui précèdent sont déduits de deux séries d'observations entreprises comparativement sur des eaux de pluies... pures, — et mélangées de purin ou jus de fumier saturé de détritus organiques , en voie de mutation chi- mique. — Les eaux de la seconde et de la troisième classe étaient recouvertes de diverses variétés de lentilles d’eau, mais spécialement du lemma minor L. Celles de la troi- sième classe baignaient , en outre, des jones, des alismas, du cresson , des renoncules, etc., dont les racines étaient fixées dans un sol sableux ou argileux. Je n'ai remarqué aucune différence entre le résultat final des expériences conduites parallèlement sur les eaux de pluies pures, et sur les mêmes eaux mélangées de purin. Les proportions d’air atmosphérique dissous, et sa richesse en oxygène , se sont toujours retrouvées les mêmes, dans les mêmes con- ditions, pour les eaux des deux séries. Quant à l'humus et aux matières albumineuses, ils variaient nécessairement de quantités , selon les influences réagissantes, mais leur présence, au sein du liquide, a toujours été signalée d'une manière constante et normale. Fai aussi soumis ces deux séries d'eaux à l’action de CLASSE DES SCIENCES. 147 l'air, en dehors de toute influence lumineuse. Voici ce que j'ai observé : Eaux stagnantes au contact de l'air et à l'abri de la lumière. — Eau DES ciTERNES. — Lorsque leurs eaux ali- mentaires arrivent dans ces réservoirs sans contenir d’ani- malcules en suspension, il ne s’y en développe pas, et cela se conçoit, puisque l'intervention des rayons lumineux est indispensable pour la génération des premiers germes de la matière organisée. Lorsqu’en s'y rendant, elles recueillent des insectes — des infusoires, etc., ces animaux étrangers peuvent continuer de s’y développer, si la lumière diffuse a encore un léger accès dans le réservoir, sinon ils se détruisent rapidement, parce que l'absence complète de la lumière, pour des êtres destinés à vivre sous son influence la plus active, est presque toujours une cause de mort. Néanmoins , si les eaux, en se rendant à leurs réservoirs, recueillent de la matière verte de Priestley , celle-ci, comme l’a observé M. G. Gros , prend la direction animale , et donne naissance aux divers ani-— malcules qui en dérivent, et que l'on retrouve toujours alors dans ce liquide. Maintenant, l'oxygène que les eaux, abandonnées à elles-mêmes, tendent sans cesse à absorber, réagit sur la constitution des matières organiques dissoutes, provoque leurs dédoublements successifs et leur conversion finale en eau, en acide carbonique, et en matières que leur insolubilité complète isole du sein du liquide; elles se précipitent au fond du réservoir, où elles sont incapables même d'éprouver la fermentation putride. C'est ainsi que , dans ces conditions bien déterminées, les deux séries d'eau, sur lesquelles ont porté mes observations, ont été retrouvées, après cinq mois d'abandon à elles-mêmes, ramenées à un état remarquable de pureté , sauf quelques 118 ACADÉMIE DE ROUEN. flocons de matières insolubles restés en suspension, qui leur communiquaient un aspect opalin, mais que le filtre de papier suflisait seul à isoler : la majeure partie des matières organiques , primitivement dissoutes, élait déposée et fixée à l'état insoluble au fond des réservoirs , et la liqueur filtrée possédait une saveur fraiche très agréable ; elle était sensiblement incolore, car c'est à peine, si, même pour l'eau primitivement mélangée de purin , elle retenait des traces d'humus perceptibles dans les résidus de la vaporisation ; elle colorait en violet la matière bleue des fleurs de mauve, et contenait des traces très appréciables d'acide carbonique libre. Elle exerçait une faible action réductive sur le sel d'or , mais ne dissimulait aucunement l'action de l'iode sur l’amidon. En cet état, les eaux des deux séries étaient toutes saturées d'air atmosphérique très riche en oxygène , car, à la température de 12° c., elles en contenaient, par litre et en moyenne , 23 centi- mètres cubes , composés en centièmes de : Oxygène . . . . . - . 32 à 33 Arotes. M Ve Meteo -MBOD AIDE Avant que les eaux des citernes soient ainsi débarrassées complètement de leurs matières organiques, lorsque, surtout, elles proviennent d'eaux pluviales recueillies après plusieurs jours de sécheresse , sur des toits NUM : matières vertes et d’animalcules, etc., ou bien ayant recu des excréments d'oiseaux, — et que la lumière directe ou diffuse peut encore avoir accès dans Île réser- voir — (ces circonstances se reproduisent fort souvent) — l'on conçoit très bien qu'elles présentent la saveur et l'odeur des matières en putréfaction; mais, lorsque l'obscurité est complète, et que l'action de l'oxygène atmosphérique est suflisamment prolongée, elles se trou- vent toujours ramenées à un état de pureté plus parfait ; CLASSE DES SCIENCES. 149 pour les obtenir complètement limpides , il sufit alors de les passer au filtre de sable ou de papier. Fous ces faits étant acquis, à devenait possible d'étudier avec quelque profit la constitution de l'eau des mares, qui, sur tous les plateaux , dans toutes les parties rurales du pays de Caux, servent presque seules à l'alimentation des hommes et des animaux. C'est ce que j'ai essayé de faire : Les mares, je l'ai dit, sont des cuves naturelles ou artificielles, creusées dans des bancs argileux, ou reposant sur des terres glaiseuses qui s'opposent aux infiltrations et où se rendent les eaux pluviales tombées sur le sol. Les eaux de mares sont toujours troubles, lourdes, peu aérées, et par suite fort indigestes. Quand elles sont exposées à l'action des rayons solaires, elles se recouvrent rapidement d'une nappe verte, quelquefois, mais rare- ment, rouge, composée de nombreux végétaux des classes inférieures , parmi lesquels on distingue surtout les diffé- rentes espèces de lemna. Elles baignent ordinairement un grand nombre de plantes, plusieurs classes d'animaux, mais surtout des insectes ou des reptiles qui y vivent, y déposent leurs graines et leurs œufs, et y meurent, en abandonnant leurs dépouilles qui s’y putréfient. Souvent aussi les eaux pluviales, avant d'arriver à ces réservoirs, lavent des terrains chargés de détritus organiques en putréfaction complète !... Parmentier dit avec raison qu'il ne faut faire usage de ces eaux qu'après les avoir purifiées et assainies, soit par l'action du calorique, soit par leur filtration au travers d'un lit de charbon d'os ; mais l’apathie des habitants des campagnes est trop grande pour qu'ils usent de ce moyen si simple. On doit donc conseiller aux pro- priétaires de fermes d'établir à peu de frais des mares 150 ACADÉMIE DE ROUEN. nouvelles , susceptibles de livrer à la consommation des eaux aussi pures que celles des citernes. Pour cela, il sufit de leur donner plus de profondeur, mais en les disposant de manière à pouvoir les assécher quelquefois complète- ment, afin de les nettoyer des détritus organiques qui s’y accumulent en infectant l’eau. Il faut les entourer d'une végétation arborescente et luxuriante qui les préserve des rayons directs du soleil; mieux vaudrait encore les cou- vrir, si cela n’entraînait pas des dépenses trop considéra- bles; car, je l'ai prouvé, la privation de la lumière , l’obs- curité est un obstacle à la vivification de la matière organique des eaux; et maintenant que l’on sait que la génération des globules primitifs ne s'opère qu'aux dépens de l'oxygène et de l'acide carbonique dissous dans les liquides où ils se développent, l’on doit en con- clure que l'obscurité est un moyen de mieux assurer la salubrité des eaux de pluies, conservées dans les mares ou les citernes. Dans tous les cas, il est indispensable de redoubler de soins pour prévenir etempêcher le dévelop- pement des matières vertes, et généralement de tous les êtres organisés, puisque ces êtres, par les matières qu'ils excrètent, où qui résultent de leur destruction, deviennent toujours la source et la cause d’altérations redoutables dans la constitution des eaux qui les renferment. Cela est d'autant plus nécessaire que, dans les condi- tions actuelles , les eaux de mares , on vient de le voir, présentent souvent les plus mauvais caractères des eaux stagnantes; leur emploi pour l'alimentation ne saurait alors être sans danger, car les principes albumineux qu'elles contiennent, de même que tous les matériaux assimilables par l'organisme humain, sont susceptibles de produire de véritables accidents toxiques, lorsqu'ils sont ingérés dans l'estomac, tandis qu'ils sont en voie de décomposition ; aussi les populations qui s'alimentent CLASSE DES SCIENCES. 151 avec ces sortes d'eaux , surtout lorsqu'elles les emploient pour boisson, sont-elles sujettes à contracter des maladies dans lesquelles les accidents fébriles intermittents, spéciaux aux affections paludéennes, sont souvent reconnaissables pour l’observateur attentif; leur emploi est alors d'autant plus redoutable que, par une sécheresse prolongée , et que sous l'influence de la vaporisation spontanée du liquide , les matières organiques et albuminoïdes s’y trou- vent en plus grande quantité. Pour éclairer cette discussion , j'ai analysé trois eaux de mares, dont la composition pour un litre est résumée dans le tableau suivant : (Suit le Tableau.) 152 ACADÉMIE DE ROUEN. EAU DE LA MARE ———— 1000 O00t 1000 0000!100n 0000 CARACTÈRES “d'Oherville , prise | Mélangée T COMPOSITION. 5 jours | 15 jours |je fumier. de pluie. |de séch®". |" Odeur2212265:.. He HEMEUIT, nulle. nulle. nulle. Saveur: etui . ...…. Idouceitre.|douceätre.|lég'amère Gonleur er "ner ambrée. | ambrée. | jaune. a] litre. | litre. litre, Air atmosphérique | oxygène... 0 0045| 0 o0f o oo à + 15° pression { azote..... 0 0185] © o1g] © o1 = om60...... {acide carb.| traces. traces. traces. Chlorure de potassium. ..... ? ? indices. — de sodium......... : 0 0275 o o4o4 o 1090 — de calcium....... .. _traces. traces. o 0014 — de magnésium... ... id id. traces. Jodure . +. alcalins:e-.-.--..| indices indices. indices. Bromure Bi-carbonate d'ammoniaque o 0019 o 0026 o o17 — de chaux...... ne o 0083 0 00q4 0 0135 — de magnésie..... traces. traces. traces. Sulfate de soude anhydre...... o 0095 o 0136 o 0241 — 1 dé CHAUX. 0. o 0032 0 0039 o 0088 Nitrate d'ammoniaque ........ o 0160 o o142| traces. Phosphate de chaux, oxyde de er Net ec -creee .......l indices très faibles. 0 0013 | Acide silicique............. : idem. o 0010 Matière albumineuse....,..... 0 00q5 0 0174 o 0066 Humus et matières organiques indéfinies (perte comprise). . o 0141 o 0265 o 1458 | ÉAUNTE = -CR-e-e rererr 999 9100! 99g 8720] 999 6500 | k A | | CLASSE DES SCIENCES. 153 L'eau de la mare d'Oherville peut être considérée comme représentant la qualité moyenne de toutes les eaux semblables consommées dans le pays; elle a été prise, pour la première fois, le 8 juillet dernier, après cinq jours de pluies, ayant produit 46 millimètres d’eau ; et, pour la seconde fois, le 13 août, après quinze jours de sécheresse. Cette eau, habituellement exposée une partie de la journée aux rayons solaires, était incomplète ment recouverte de lenticules; elle baignait un grand nombre de plantes, et particulièrement le ranunculus aquatilis L., dont les fleurs épanouies recouvraient la surface de la nappe d'eau. Les grenouilles étaient nom- breuses dans la cuve. Quant à l’eau de la troisième colonne, elle a été puisée également le 13 août. Elle pro- venait d’une mare placée dans la cour d’une ferme, devant des écuries et à proximité d’un tas de fumier, qui, ainsi que cela n'arrive que trop souvent encore dans la contrée, y versait la majeure partie de son purin en s’égouttant. Cette eau, bien qu’elle fût exposée à l’action des rayons solaires, ne présentait aucune trace de végétation à sa surface, et ne baignaïit aucune plante, mais elle contenait de nombreux animalcules ; de plus , elle était troublée par une matière résiniforme rougeâtre , tenue en suspension, et provenant de l'oxydation des matières organiques pri- mitivement dissoutes; la proportion de cette matière desséchée à 100°, s'élevait à 0 gr. 077 par litre : c'était peut-être des débris de l’Euglena sanguinea. HISTOIRE NATURELLE. RAPPORT SUR LE MÉMOIRE DU D' JOSEPH DE NATALE, AYANT POUR TITRE : RECHERCHES ANATOMIQUES SUR LE SCINQUE BIGARRÉ (Scinco variegato), EN RAPPORT AVEC LES PRINCIPAUX TYPES DE L'ORGANISATION DES REPTILES , Par M. BIGNON. mie Q cmtt—— Ce Mémoire, écrit en italien, a été inséré dans le Recueil de l'Académie de Turin. L'auteur, admis réce m- ment au nombre de nos correspondants, en vous l'adres- sant, avait droit d'espérer qu'un rapporteur plus compé- tent serait chargé de vous le faire connaître. Il s’agit d'une œuvre d'anatomie comparée. Ceux de nos confrères que des études spéciales ont initiés aux mystères de l'orga- nisation animale, auraient sans peine rempli cette tâche qui est pour moi hérissée de diflicultés. Je resterai sans doute au-dessous de l'obligation qui m'est imposée, et, si je n'ai pas hésité à m'en charger, c'est parce que je pense qu'en nous réunissant ici pour nous communiquer nos travaux avec une mutuelle bienveillance, s’il en est quelques-uns qui peuvent avoir la légitime prétention de contribuer aux progrès des sciences qu'ils cultivent , 1l en CLASSE DES SCIENCES. 155 est d'autres , et je suis de ce nombre , qui se proposent surtout de s’instruire, d'encourager par leurs suffrages les travaux des savants, de propager et de vulgariser, suivant la mesure de leurs forces , les découvertes utiles. Cette modeste mission a son utilité, surtout lorsqu'il s’agit de ces travaux qui exigent des études particulières hors de la portée du plus grand nombre, et qui ne peuvent prétendre à un succès populaire. Quels encouragements obtiendraient les savants qui se livrent à ces études, si les Sociétés comme la nôtre ne leur accordaient pas une atten- tion particulière , ne les examinaient pas avec conscience, et n'en signalaient pas le mérite avec justice et empresse- ment? Les acquisitions de la science sont comme toutes les richesses dont la valeur s'accroît par l'opinion qu'on s’en fait et la facilité des communications. Au nombre des sciences qui ne peuvent aspirer à une grande popularité , il n'y en a point qui mérite plus d’être encouragée que l'anatomie comparée. Ses recherches ne peuvent être appréciées que par les savants sérieux, et par un petit nombre de curieux, quoique les résultats aux- quels elle parvient aient, aussi bien sous le rapport de l'utilité pratique que sous celui des théories philosophi- ques, une incalculable importance pour les sciences natu- relles dont elle est aujourd’hui la base fondamentale. Le naturaliste qui l'ignore ne possède que des notions impar- faites et superficielles. Mais les procédés qu'elle emploie et la répulsion instinctive qu'ils inspirent en feront toujours une science rare et peu répandue. C’est une raison pour nous de l’accueillir avec une faveur exceptionnelle et d’applaudir aux efforts des hommes qui s'y dévouent. Voilà pourquoi j'ai pensé que, malgré mon insuflisance, et quoique convaincu que l'examen auquel je vais me livrer doive offrir peu d’attraits à la plupart des membres de cette Société, je ne pouvais, sans manquer à un devoir, 156 ACADÉMIE DE ROUEN. me dispenser de vous entretenir du travail de M. de Natale. Pour en bien apprécier la valeur scientifique, il faut connaître son point de départ ; autrement on n'y verrait que l'œuvre d’un habile anatomiste plein de patience et de sagacité ; la partie philosophique échapperait à l'apprécia- tion, et c'est là, suivant moi du moins, ce qui donne à ce mémoire la haute valeur que je ne crains pas de signaler. Ceux de vous, Messieurs, qui se sont occupés d'ana- tomie comparée, ceux même qui, se livrant à d’autres études, ont suivi avec intérêt la marche et les progrès des sciences naturelles, n’ont point oublié le mémorable débat qui divisa les deux plus illustres naturalistes de l'époque à laquelle nous succédons: je n'ai pas besoin de vous nommer Georges Cuvier et Geoffroy Saint-Hilaire. Le premier , aussi grand par la science que par le talent de bien dire si vivement senti chez nous, a reçu, pendant sa vie et après sa mort, tous les genres de récompense et d'hommage ; l’autre, aussi savant , plus hardi dans ses vues , mais moins habile à les exposer, n’a pas été d'abord apprécié dans sa patrie comme il méritait de l'être; l'Allemagne et le reste de l'Europe l'ont mieux compris ; et, sans doute, la France n'oubliera pas qu’elle lui doit autant qu'à Cuvier. Celui-ci, observateur infatigable , possesseur de faits innombrables, ne croyait pas que la zoologie en eût recueilli assez pour en faire la base d’une théorie qui pût expliquer et relier entre eux tous les êtres du règne animal ; Geoffroy Saint-Hilaire , avec des obser- vations aussi nombreuses, mais unies entre elles par une synthèse moins timorée , se crut en droit de proclamer la découverte d'une loi générale et absolue à laquelle il à donné le nom de fhéorie des analogues. Gette doctrine, appliquée à tout le règne animal, exigerait, pour être CLASSE DES SCIENCES. 157 bien saisie, une netteté de perception, une clarté d'expo- sition qui pourrait effrayer de plus habiles que moi; elle a besoin, d'ailleurs, d’être accompagnée de preuves maté- rielles qui se succèdent et s’enchaînent sans interruption depuis l'être le plus développé jusqu'à l'embryon le plus informe ; mais , si l’on se borne à l'appliquer à la classe des vertébrés seulement, elle devient plus compréhen- sible et d’une évidence telle, à mes yeux du moins, que je ne crains pas de m'en rendre l'interprète. La théorie des analogues repose sur l'unité de compo- sition dans toute la série du règne animal; c'est à savoir l'identité de germe développé diversement, suivant la différence des milieux et des circonstances : c'est l'unité dans la diversité. Je veux rendre ceci plus clair par les paroles mêmes de Geoffroy Saint-Hilaire, dans son Mémoire sur les makis (1795) :! «Une vérité constante pour l’homme qui observe un « grand nombre de productions du globe, c'est qu'il «existe, entre toutes les parties, une grande harmonie «et des rapports nécessaires; c'est qu'il semble que la « nature s’est reufermée dans de certaines limites, et n’a « formé tous les êtres vivants que sur un plan unique , « essentiellement le même dans son principe, mais « qu’elle a varié de mille manières dans toutes ses parties « accessoires. Si nous considérons particulièrement une « classe d'animaux, c'est là surtout que son plan nous « paraîtra évident. Nous trouverons que les formes diverses sous lesquelles elle s’est plu à faire exister chaque espèce, dérivent toutes les unes des autres ; il suflit de changer quelques-unes des proportions des organes « pour les rendre propres à de nouvelles fonctions , ou pour en étendre ou en restreindre les usages. La poche osseuse de l’alouate, qui donne à cet animal une voix si éclatante , et qui est sensible au devant du cou par 2 A = 2 & 2 A = À 158 ACADÉMIE DE ROUEN. « une poche d'une grosseur extraordinaire, n’est qu’un « renflement de la base de l'os hyoïde ; la bourse des dia- « delphes femelles, un repli de la peau qui a beaucoup « de profondeur ; la trompe de l'éléphant, un prolonge- « ment excessif des narrines; la corne du rhinocéros, un amas considérable de poils qui adhèrent entre eux, etc. « Ainsi, les formes de chaque classe d'animaux , quelque variées qu'elles soient, résultent toutes, au fond, d'or- «ganes communs à tous. La nature se refuse à en « employer de nouveaux. Ainsi, toutes les différences les « plus essentielles qui affectent chaque famille dépendent « d'une même classe, viennent seulement d’un autre «arrangement, d'une complication, d'une modification «enfin de ces organes. » Ces lignes écrites, il y a bientôt soixante ans, ne sont pas la formule dernière de la théorie des analogues, mais l’expriment suflisamment. Elles passèrent inaper- çues et ne rencontrèrent pas de contradicteurs, peut- être parce qu'alors la France s’agitant dans les convulsions d’une rénovation sociale, avait peu de loisirs à donner aux spéculations paisibles de la science ; peut-être aussi parce que les exemples cités à l'appui étant tous pris dans la classe des vertébrés, on les admit comme exprimant un fait vraisemblable ; d’ailleurs, cette pensée, apparais- sant au milieu d’une étude toute spéciale, ne se montra pas avec toutes les conséquences qui en découlent. Ce n’est que longtemps après et lorsque Geoffroy Saint- Hilaire eut, dans plusieurs occasions, reproduit sa pensée et l’eut appliquée sans réserve à tout le règne animal, que les clameurs s’élevèrent, et qu'une opposition violente et passionnée se manifesta. Les noms de Cuvier et de Geof- froy, mis en présence, donnèrent au débat une impor- tance européenne. C'était dans les premiers mois de 1830 ; nous vivions alors dans un temps où la politique se mélait 2 A CLASSE DES SCIENCES. 159 à tout, et l’on vit les journaux, suivant le parti auquel ils appartenaient, se prononcer pour celui-ci ou pour celui-là. Vous n’attendez pas de moi que je vous fasse le rapport du débat qui divisa les deux illustres amis : mais, du moins, puis-je vous dire que, depuis lors, bien des choses obscures se sont éclaircies, et affirmer que tous les travaux exécutés suivant les vues et les principes de Geoffroy Saint-Hilaire, en ont confirmé la justesse et la certitude. Mais ne sortons pas de la classe des vertébrés. Il fallut bien, au début même, que Cuvier et ses disciples se rendissent à l'évidence. H. Cloquet (Système anatomique des reptiles) convint que dans les mammifères, malgré les proportions variées des os, malgré la singularité des formes extérieures qui en résultent souvent, on peut saisir, sans beaucoup de peine , les rapports ostéologiques qui lient telle espèce avec telle autre; il convient enfin que dans cette classe il existe un plan commun, une com- position à peu près pareille. — Il ne conteste pas davan- tage que les mêmes analogies se rencontrent dans la classe des oiseaux ; mais, dit-il, il n’en est point de même pour les reptiles. Les doctrines de Geoffroy se trouvaient ainsi sans application, avant même d'être arrivées aux poissons et aux animaux inférieurs. Le Mémoire de M. de Natale répond à cette objection, noñ pas que l’auteur paraisse s’en être aucunement préoc- cupé, et qu'il y ait même songé : sa conception est la conséquence d’une idée plus générale et plus élevée ; la classe des reptiles, qui semble fournir aux adversaires de la théorie des analogues un argument si puissant , devient, au contraire, un moyen de la justifier, et cela par une considération qui frappe tout d'abord : les caractères mal déterminés et si variables qu'on y signale n'annoncent-ils pas aux moins clairvoyants qu'ils appartiennent à une 160 ACADÉMIE DE ROUEN. formation transitoire ? qu'ils forment un anneau qui joint la série progressive du développement des formes ani- males du simple au composé? Ceci vous explique pourquoi M. de Natale s’y est arrêté. Si dans cette classe il a parti- culièrement fixé ses regards sur le scinque bigarré (scinco variegato), c'est que ce petit lézard, à peine connu en Europe , réunit, plus qu'aucun autre saurien, ces formes intermédiaires qui relient entr'eux les êtres en apparence très différents. Autrement, l'étude particulière de cette espèce isolée, quelles que soient l'habileté et la sagacité de l'observateur, n'aurait qu'un intérêt fort secondaire ; c’est de l'application qu'il en fait à une synthèse large et féconde qu’elle tire toute son importance. Que veut, en effet. prouver M. de Natale , et quelle est sa conclusion ? «a C'est que l'organisme individuel qui parcourt les « phases qui mènent du simple au composé, n'est qu'un « passage à travers les évolutions qui lui sont inférieures, «et, réciproquement , que la nature dans le développe - « ment des formes animales, ne suit pas d'autres lois que « celles qui président aux évolutions de l'organisme «individuel.» Vous voyez qu'il ne s’agit pas seulement ici du scinque bigarré , mais de la science même de l'anatomie comparée dans ses bases fondamentales, et de la vérification des principes de Geoffroy Saint-Hilaire présentés sous un nouveau jour, avec une nouvelle formule. Ceci est incon- testablement digne de toute votre attention et donne un prix extrême au travail dont je viens vous rendre compte. Au reste, il n'entre pas dans ma pensée, en rapprochant la théorie des analogues de celle de M. de Natale, de les confondre toutes deux; il existe entr’elles des différences qu'il ne serait pas difficile de vous signaler ; mais je ne juge pas... je rapporte. Au début, M. de Natale développe quelques considéra- CLASSE DES SCIENCES. 161 tions au sujet de la classe des reptiles; il insiste sur la variété de leur forme,— en fait trois divisions principales : — chéloniens , sauriens, ophidiens (tortues, lézards et serpents). I néglige de s'occuper de la première, qui semble isolée des deux autres, mais il insiste sur les rapports frappants et nombreux qui lient les sauriens et les ophidiens ; ils sont tels, qu’on peut imaginer qu'un ophidien quelconque peut, en suivant certaines modifica- tions successives, arriver à la forme d’un saurien , et, dans le fait, ce qu’on peut considérer comme une combi- naison imaginaire existe en réalité dans la nature en types permanents, d’où il semble que les genres de cette classe réunissent les temps d’arrêts du développement embryogé- nique d’un ophidien en marche vers le genre saurien. Mais, pour que cette progression devienne sensible, il ne faut pas s'attacher exclusivement aux formes extérieures, il faut que l’étude se continue sur le développement des formations organiques intérieures ; c’est à quoi l’auteur n'a pas manqué, et c’est en faisant marcher de front ces deux procédés qu'il est arrivé à proposer une nouvelle classification des reptiles, qui appartiennent à l'ordre des sauriens , classification qui s’écarte en plusieurs points de celles proposées successivement par Prongniart, Cuvier et Duméril. Jusqu'ici cet ordre a été divisé en deux sous-ordres : les émidosauriens, ou crocodiles ; les ortosauriens, ou lézards. Mais, en s’en tenant rigoureusement aux carac- tères attribués à ces deux sous-ordres, on éprouve un extrême embarras quand il s’agit d'assigner la place qui appartient aux genres bipes, pseudopodes, chirotes et anguis ; quelque place qu'on veuille leur donner, ils ne font que rompre l’analogie zoologique, si nécessaire à respecter dans les familles naturelles. Pour y remédier, il propose une troisième sous-division qu'il nomme celle 11 162 ACADÉMIE DE ROUEN. des ophidosauriens, dont il détermine les caractères et qu'il compose de trois familles, qu'il nomme : Fossipoda , Cryptopoda et Apoda. Après ce travail préparatoire, l'auteur aborde enfin l'étude anatomique du scinque bigarré, nommé occellé, dans le Dictionnaire d'histoire naturelle. Cette jolie espèce anime les ruines de l'Égypte. Petiver l'a décrite comme venant de Chypre. Je vois, par la facilité que M. de Natale a eue de s'en procurer des individus vivants sur lesquels il à opéré, que l'espèce n’est pas rare en Sicile. J'ignore si elle a les vertus aphrodisiaques que les médecins arabes attribuent à son congénère, le scinque officinal, qui figu- rait autrefois dans les pharmacies européennes ; le seul que Lacépède ait connu et décrit. Je ne puis pas, dans ce travail qui, je le crains bien, a déjà des proportions trop étendues, me livrer à une analyse de la partie anatomique du Mémoire de M. de Natale ; il me suflit de vous en avoir fait comprendre la haute portée, de vous en avoir indiqué les résultats. Tout au plus puis-je vous dire, autant qu'il m'est permis d'exprimer une opinion sur un travail si étranger à mes études ordinaires, que l'auteur a partout suivi une marche régulière et savante, que son œuvre est complète, que rien n'a échappé à ses persévérantes investigations ; qu'il n'a jamais un seul instant perdu de vue le but qu'il s’est proposé d'atteindre. C'est ainsi qu'il décrit successivement, avec un soin scrupuleux, la forme du squelette et de toutes ses parties , les systèmes nerveux et musculaire, les organes des sens, les appareils circulatoires, respiratoi- res, digestifs et génilo-urinaires , et les glandes intesti- nales, À mesure qu'il découvre un fait qui justifie sa théorie et confirme ses principes, il le signale, le discute et en fait comprendre toute l'importance ; les occasions en sont fréquentes , reparaissent à chaque pas et se montrent dans CLASSE DES SCIENCES. 163 toutes les pages de son Mémoire. Souvent, entrainé par la séduction qu'exerce sur lui l’idée qu'il a adoptée, il en reproduit et en renouvelle l'expression en théorèmes fondamentaux. Ainsi, et pour n’en citer qu'un exemple, après avoir décrit les glandes intestinales, voyant que toujours, aussi bien par ses formes extérieures que par sa constitution interne, le scinque se montre comme une formation intermédiaire entre les sauriens et les ophidiens, il s’écrie : « N'est-ce pas une preuve évidente que la « nature, dans Ja création ou la genèse des organismes, «ne fait que répéter l’état des formations embryogéniques « de l'individu , et cela par des actes successifs et presque « imperceptibles ; de telle sorte que ce fameux aphorisme : « La nature ne fait pas de sauts, se trouve en opposition « formelle avec la méthode des classificateurs de zoologie , « qui ne tiennent compte que des formes extérieures, « tandis qu'il se montre toujours vrai et sans exception « lorsqu'on s'attache à faire concourir entr’elles les formes «internes et externes, tant il est d'une évidence incon- «testable que le développement d'un organe, d’un « système partant de son point de départ pour arriver à « celui de sa perfection , ne suit que la série des orga- « nismes par des transitions et des évolutions graduelles « et presque insensibles, semblable en tout au développe- « ment embryogénique. L'étude la plus rationnelle que « l'on puisse donc faire des formes animales est de suivre « la nature dans la lente et longue série de ses évolutions, « en commençant par son état le plus rudimentaire , pour « arriver à la manifestation la plus complète de l'existence « organique. Ceux qui étudient l’animalité dans ses « formes individuelles, sans s'occuper des anneaux qui « servent de jonction, n’en peuvent retirer d'autre fruit « qu'une idée vague et indéfinie, quelques notions dis- « tinctes et isolées, qui, n'étant pas liées entr'elles, ne — = 164 ACADÉMIE DE ROUEN. «pourront jamais fournir une synthèse et former une « science. L'anatomie comparative entre leurs mains ne « sera jamais qu'une compilation informe de faits indivi- « duels, qu'une confusion d'observations recueillies sans « méthode et sans plan. La synthèse seule pourra rendre « l'étude des formes animales rationnelle et féconde. Sans «elle, l'anatomie des organismes n'aura ni plus ni moins « de valeur que l'anatomie descriptive de l'homme , qui, « suivant le système d'exposition de ces livres qui courent «les écoles, n'est qu'une minutieuse description de « l'individu, mais ne constitue ni un art, ni une science. « Rappelons-nous donc que l'étude des infiniment petits « pourra seule élever la zootomie comparative à l'honneur « d'être une science , et, de toutes , la plus rationnelle et « la plus sûre. » Cette longue citation est le résumé de la doctrine de M. de Natale, et c'est pour cela que je n’ai pas voulu la dénaturer en me bornant à vous en faire l'analyse. Sans doute, je l'ai déjà dit, entre cette doctrine qui débute par l'embryogénie et la théorie des analogues, on peut signaler d'assez notables différences ; mais , dans le fait, toutes deux arrivent à la même conclusion et sont identiques dans leur principe. L'honneur de la découverte appartient à Geoffroy Saint-Hilaire. Avant lui, l'anatomie comparée était un dédale inextricable, il a fourni le fil conducteur, une mer inconnue ; il a découvert la boussole. Comment se fait-il done que l'anatomiste piémontais , qui cite souvent Cuvier, non pour se soumettre à son autorité, mais pour le contredire , n’ait pas une fois, une seule fois! prononcé le nom de Geoffroy Saint-Hilaire dans son Mémoire? Est-ce oubli? Eh quoi! partout et toujours , la gloire des inventeurs sera-t-elle nécessaire- ment vouée à l'ingratitude de la postérité, et le nom de Geoffroy Saint-Hilaire doit-il s'ajouter à la liste déjà si CLASSE DES SCIENCES. 165 longue de ses victimes ? S'il en devait être ainsi, qu'au moins une pareille iniquité ne s’accomplisse pas sans protestation. Mais j'ai dépassé les limites légitimes d'un rapport; je termine en vous priant de considérer que, quelle que soit l'opinion que chacun de vous puisse se faire sur les idées philosophiques que M. de Natale a adoptées , il y a un point sur lequel nous serons , je l'espère , unanimes , c'est que de pareils travaux sont la base fondamentale des sciences naturelles, qu'ils hâtent leurs progrès, et que tous ceux qui s’y livrent avec l'ardeur et le savoir de l'auteur ont droit à l'approbation et aux encouragements des hommes qui aiment la science. Des savants comme M. de Natale, en s'adonnant à ces recherches ignorées du plus grand nombre, n’attendent pas du publie ces ova- tions bruyantes qui couronnent les œuvres de la littérature et des beaux-arts, ils doivent au moins espérer les encou- ragements des corps savants : c’est le moyen de les sou- tenir dans la tâche laborieuse qu'ils s'imposent. Je vous proposerai donc de prier M. le Président d'adresser, au nom de l'Académie, des remerciments à M. de Natale pour l'envoi qu'il nous a fait, en lui donnant en même temps des témoignages de votre estime et de votre sym- pathie. La France peut quelquefois négliger la gloire de ses enfants , elle est toujours juste envers les étrangers ! QUELQUES CONSIDÉRATION SUR L'ALIMENTATION DES ENFANTS DANS LA CLASSE MALAISÉE DU PEUPLE, A ROUEN, Par le D: El. DUCLOS. « Ce que les mammifères offrent de plus remarquable , «c’est leur mode de développement et d'alimentation « pendant les premiers temps de la vie. Ces animaux sont «tous vivipares, et, pendant la période embryonnaire « de leur existence , ne portent pas avec eux un amas de « matières nutritives, comme cela se voit chez les ani- « maux ovipares ; ils puisent ces matières directement « dans le sang de leur mère, et, aprés la naissance, le « jeune vit encore aux dépens de celle-ci qui l'allaite pen- dant un temps plus ou moins long. » (Milne Edwards). = Ce passage, où l'on considère d’un point de vue général l'alimentation du mammifère dans les premiers temps de la vie, devrait être toujours présent à l'esprit du médecin, au lit d'une femme accouchée. J'ai déjà cherché à démontrer, dans un précédent Mémoire , que c’est au pré- judice de sa santé que la femme ne satisfait pas à cette loi générale de son organisation : l'allaitement maternel. CLASSE DES SCIENCES. 167 J'apporte dans ce travail une preuve matérielle d'un fait incontestablement démontré: à savoir qu'une grande partie des décès, dans la première année de la vie, sont dus, dans notre ville, à l'oubli du précepte ci-dessus énoncé sur l'alimentation du jeune mammifère. C’est une exception des plus rares de trouver dans la classe malaisée un enfant élevé exclusivement au sein pendant les six ou dix premiers mois de sa vie. Je ne saurais dire si, dans cette classe, il y a plus de mères donnant le sein à leurs enfants qu’il n’y en a qui leur donnent une nourriture artificielle, soit elles-mêmes, soit par la main d’une étrangère. Mais ce que je puis aflir- mer, c'est que, dans l'immense majorité des cas, l'enfant au-dessous de six mois prend une nourriture artificielle, lors même que la mère lui donne le sein. Et quelle est la nourriture artificielle ordinairement employée, supplémentaire ou non de l'allaitement? C'est, la plupart du temps, de la bouillie, de la soupe au lait, de la mitonnade au pain et au beurre, de la soupe grasse, et très rarement du lait sucré seul, pur ou coupé. Ces ali- ments sont administrés irrégulièrement et en abondance. L'effet de cette alimentation est, en général , d’exciter, dans les premiers temps, un embonpoint remarquable ; mais bientôt l'enfant va à la selle fréquemment, et les selles sont muqueuses, présentant des grumeaux blancs de lait caillé non digéré ; puis se montre une proportion plus grande de mucosités de matières dites glaireuses, de matières bilieuses vertes ; des coliques violentes excitent les cris du malade ; enfin, pendant un ou deux jours, les selles augmentent considérablement de quantité ; l'enfant dépérit rapidement et meurt épuisé. Il meurt par les racines, si l’on peut s'exprimer ainsi ; c’est d'abord de la diarrhée par indigestion, c'est ensuite l'entéro-colite avec tous ses symptômes. 168 ACADÉMIE DE ROUEN. J'avais un instant cru pouvoir tirer parti de l'étude de la zoologie agricole pour faire de la physiologie comparée, au sujet de l'alimentation du mammifère nouveau-né; mais je me suis trouvé arrêté tout-à-coup en reconnais- sant le but de cette partie de la science, du moins par rapport à un certain nombre d'espèces servant à notre consommation. L'agriculteur qui tend à la santé des bes- tiaux est un mauvais agriculteur ; il doit chercher non pas à développer la stature, la vigueur de ses bêtes, mais à leur faire produire le plus de chairs et de graisse qu'il est possible sur un squelette peu volumineux. La zoologie agricole blâme l’éleveur obtenant de beaux animaux qui flattent l'œil du physiologiste et du peintre, comme je blâme ces nourrices de l'espèce humaine, qui, par une alimentation prématurée, font, quand l’entérite ne survient pas, des enfants chargés d’une graisse abon- dante sur un petit squelette. La zoologie agricole veut que l'animal , le bœuf, par exemple, frise la maladie ; dès que l'animal, par un régime particulier, jouit d’un certain embonpoint, elle sait qu'il faut l'abattre, sinon il deviendra malade et dépérira. C'est ce que nous observons aussi pour l'espèce humaine. Ces gros enfants , dont l’'énormité fait l'admira- tion des bonnes d'enfants, deviennent très souvent malades. Ce sont les affections intestinales qui surviennent le plus fréquemment, et amènent le dépérissement avec une rapidité effrayante. Or, ces maladies ne sont pas plus étonnantes dans l'espèce humaine, que ne l'est chez les bœufs la péripneumonie, dont les ravages s’accroissent depuis que grandit l’art d’engraisser ces animaux. Cependant, chez les espèces non destinées à la consom-— mation alimentaire et chez lesquelles on recherche la force seulement , il serait intéressant d'examiner le régime ali- méntaire qui convient le mieux pour y parvenir, de suis CLASSE DES SCIENCES. 169 persuadé que l'allaitement est une des premières condi- tions d’un bon résultat. Néanmoins, la comparaison ne serait pas encore exacte. Car chez l’homme nous ne cherchons pas seulement la foree, l'énergie physique, comme on la réclame d'animaux destinés à des travaux pénibles ; on demande surtout les conditions de longévité. C'est ainsi que, par un régime animal presque exclusif, on peut arriver à obtenir chez l'homme une vigueur plus grande, mais peut-être au détriment de la longévité, en créant des conditions organiques qui, pouvant convenir à l’âge viril, ne sont plus compatibles avec celles d'un âge plus avancé. Quoi qu'il en soit, il serait intéressant de rechercher s’il existe des espèces animales, dans les mammifères , qui puissent se passer, sans inconvénient sérieux, de l’allai- tement maternel. — S'il en est qui puissent se passer de l'allaitement. — Dans le cas d’une réponse négative, si des espèces différentes peuvent se suppléer pour l'allaitement. — Si ces espèces peuvent être bien éloignées l'une de l’autre dans l'échelle animale. Pour l'homme, le lait de l'ânesse, de la chèvre, de la vache peut remplacer celui du sein de la femme ; mais souvent il faut revenir à l'allaitement par le sein. La chèvre ne fournit de lait en quantité que pendant quatre ou cinq mois; le lait de la vache a besoin d’être modifié, d’être coupé , d’être sucré, d’être chauffé à une tempé- rature convenable. Cet aliment est supporté par l'enfant qui peut très bien vivre ainsi. Cependant une trop grande quantité de ce liquide , donné irrégulièrement, provoque l'indigestion et ses conséquences. Enfin, il y à une petite minorité d'enfants qui ne deviennent pas malades pour être nourris avec précaution de soupe et de bouillie. Toutefois en admettant, comme les faits le prouvent , 170 ACADÉMIE DE ROUEN. la possibilité du maintien de la vie avec l'administration de ce genre de nourriture, je ne puis m'empêcher de faire une restriction. J'entends que ces enfants n’ont pas d'accidents notables du côté des voies digestives, qui sont les plus graves puisqu'ils sont souvent cause de mort immédiate, mais il en résulte d'autres maladies. Il m'a semblé, par exemple , que, dans les premiers mois, les gourmes, l'impetigo , l'eczéma étaient très rares chez les enfants nourris exclusivement au sein, et qu'ils étaient extrè- mement fréquents chez l'enfant nourri au biberon ou mangeant de la soupe. L'engorgement des ganglions , les écrouelles en sont les conséquences. Ce régime de l'alimentation artificielle a-t-il pour con- séquence , chez l'enfant , le développement d'un mauvais tempérament qu’il conservera toute sa vie? Je n'ai pas remarqué que ce phénomène eût lieu. Je ne pense pas que l'alimentation artificielle donne tel ou tel tempérament , mais je dis qu'elle laisse s'aggraver une mauvaise consti- tution native chez un enfant qui avait besoin que son régime fût convenable dès le premier jour et pendant tout son développement, pendant toute sa jeunesse , pour que cette mauvaise constitution héréditaire püt être modifiée. Toutefois, il est parfaitement démontré qu'indépendam - ment de l'entérite et des gourmes, certaines affections spéciales dont les effets persistent toute la vie, le rachi- tisme entr'autres, viennent de l'administration prématurée d'une nourriture composée de viande. L'enfant nourri autrement qu'au sein, s’il est né avec une bonne constitution , soufifrira de différents accidents morbides, effet de la nourriture artificielle, mais s’il échappe à la mortalité due à ces accidents des deux pre- mières années, un bon régime pendant les années suivantes pourra réparer les désordres qui auront pu être produits, et la bonne constitution héréditaire apparaîtra avec tous CLASSE DES SCIENCES. 171 ses caractères ; de même que si l'allaitement naturel, bien dirigé, peut masquer pendant les deux premières années la mauvaise constitution héréditaire , celle-ci se fera sentir avec tous ses inconvénients dans les années suivantes, si le régime ultérieur à l'allaitement n’est pas approprié convenablement au tempérament de l'enfant. Mais dans les causes de la diarrhée, de l’entérite des enfants pauvres, ne peut-on distinguer que la mauvaise direction du régime alimentaire? N’a-t-on pas noté la misère, c’est-à-dire l'ensemble des mauvaises conditions hygiéniques où l'enfant est placé? À ce sujet, j'ai recher- ché, en analysant cette misère , si les conditions d’habille- ment, d'habitation , d'aération étaient mauvaises. Généra- lement je les ai trouvées suflisantes, et, dans de mauvaises conditions d’ailleurs, j'ai toujours vu que les enfants élevés réellement au sein se portaient beaucoup mieux, et que la mortalité était moins fréquente parmi eux. Mais hélas! je le répète, ils forment l'exception. Je soumets au lecteur les tableaux ci-annexeés. En 21 mois des années 1852 et 1853, sur 180 enfants âgés de moins d’un an, reçus aux crèches Saint-Vivien et Saint-Maclou , il en est mort 101 (56 sur 100). Crèche Saint-Vivien, 1852. Enfants nourris au biberon. A mars. Conseil, 3 mois, biberon. — À une entérite; mort le 2 mars. 9 mars. Maria Lainé , { an, biberon. — Vit encore. 6 mars. Clémentine Lagneau, 3 semaines, mange de la bouillie. — 22 mars, muguet, entérite; perdue de vue depuis. 172 ACADÉMIE DE ROUEN. 10 mars. Louis Lefèvre, 10 jours, a déjà mangé. — Mort le 22 mars. 16 mars. Augustine Horeau, 1 mois, a déjà mangé de la panade. — Diarrhée ; morte le 26 mars. 30 mars. François Fallast, 10 jours, a mangé de la bouillie dès le sixième jour. — Perdu de vue. 15 avril. Antoinette Lemesle , 3 mois 1/2, a mangé de la bouillie et de la soupe. — 22 avril, enté- rite, diarrhée, vomissements, muguet; morte le 26 avril. Idem. Marie-Augustine Porcher, 6 mois, mange de tout. — Diarrhée, affection catarrhale ; morte le 12 mai. 20 avril. Joséphine Couillard, 9 mois, biberon , soupe. — Morte le 6 mai. Idem. Antoine Marie , 7 jours, avait déjà mangé. — 26 avril, entérite, diarrhée, muguet intense ; mort le 6 mai. 18 mai. Joseph Saint-Martin, 3 semaines, a mangé des soupes. — Mort le 2 juin. 26 mai. Albert Bonfils, 23 jours, biberon.— Parti à Paris, est entré avec le muguet , entérite. Idem. Olivie Verrier, 3 mois, biberon — Entérite ; morte le 24 mai. Idem. Tabouelle , # mois, biberon. — Diarrhée, vomisse- ments ; mort le 24 mai. 29 mai. Joséphine Langlois , 7 jours, avait déjà mangé , a été envoyée en nourrice parce qu'elle était génante la nuit. — Vit encore. 9 novembre. Stéphanie Mounehay, 9 jours, avait déjà mangé de la soupe grasse. — Entrée avec le muguet et entérite ; morte le 7 décembre. CLASSE DES SCIENCES. 173 2% novembre. Stéphanie Lange, 20 jours, avait déjà mangé de la soupe. — Enfant chétif; morte le 4 décembre. 10 décembre. Théodore Martin , 20 jours, biberon. — En- fant chétif ; perdu de vue. Idem. Adèle Chrétien , 12 jours, biberon.— Enfant chétif ; morte. 27 décembre. Clémentine Cavé, 6 mois, biberon, soupes.— Morte le 7 mars 1853. Enfants élevés au sein. 15 mars. Louis-Alexandre Cantuel, 1 mois, a déjà mangé de la bouillie. — 23 mars, muguet ; 22 avril, enté- rite, ulcérations de la bouche ; mort le 12 mai. 7 avril. Désirée Martin, 3 mois, mange de la soupe. — 29 avril, entérite, diarrhée, vomissements, muguet ; morte le 26 avril. | 292 mai. — Blanche Amptil, 1 mois 1/2, élevée au sein jusqu’à cette date, désormais au biberon. — 1°" juin, diarrhée , dépérissement ; morte le 3 juin. 25 juin. Clémence Chanu, 5 mois, au sein et au biberon, désormais au biberon. — % août, diarrhée ; morte le 13 août. 6 juillet. François-Xavier Béranger, 2 mois, élevé au sein, cependant mange des soupes depuis 15 jours. — Bien portant. 14 juillet. Séraphine-Armandine de Briouze, 5 mois, élevée au sein et au petit-pot. — Entérite, muguet le 5 août ; morte le 4 octobre. 9 août. Maria Noisel , # mois 1/2, au sein seulement la nuit, — Morte le 9 novembre. 174 ACADÉMIE DE ROUEN. 16 août. Aimée Fortier, 11 mois, au sein et au petit-pot. 26 août , entérite ; morte le 16 septembre. 18 août. Hippolyte Caillot, { an, au sein et au biberon. — Mort le 1* septembre. 23 août. Clémence Cayeux, 8 jours, élevée au sein et au lait coupé seulement.— Dévoiement le 5 novembre, dû à de la manne donnée par sa mère sans prescription. 24 août. Maria Roulland , 6 mois, au sein et au biberon. — Morte le 1° septembre. 2 septembre. Maria Avenel, 12 jours, au sein et au bibe- ron, n'a pas mangé encore. — Morte le 10 février 1853. 3 septembre. Ernest Moneuse , 11 jours, a déjà mangé. Mort le 24 février 1853. 30 septembre. Auguste Maleuvre, 8 mois, au sein, a tou jours mangé.— Mort le 2 novembre. 11 octobre. Euphrosine Martellot, 8 jours , élevée au sein, enlevée de la crèche parce qu'on ne lui donnait pas à manger. — Morte le 13 janvier 1853. Idem. Blanche Bunel , 3 mois , avait 15 jours quand elle a commencé à manger. — Vit encore. Idem. Adeline Pilote, 5 mois, au sein et mangeait. — Vit encore. 3novembre. Adélaïde Coulon, 3 mois, tète et mange.— Morte le 30 septembre 1853. 15 novembre. Ernest Stoch, 8 jours, mangeait déjà. — Mort le 6 décembre. Idem. Charles Lesage , 9 mois, élevé au sein jusqu'à pré- sent. — Vit encore. 29 novembre. Émile Cottard, { mois 1/2, sein et biberon. — Avait mangé du lard ; mort le 18 décembre. CLASSE DES SCIENCES. 175 29 novembre. Alfred Viard , 10 mois, sein et biberon. — Vit encore. ‘ 16 décembre. Narcisse Bonnaire , 7 mois, sein, biberon, soupes. — Mort le 1% février 1853. 93 décembre. Albert Rasset, 8 mois; élevé au sein jusqu’à 7 mois. — Mort le 20 janvier 1853. Crèche Saint-Vivien, 1858. Enfants nourris au biberon. 10 janvier. Oscar Alais, 3 mois, constitution chétive par alimentation prématurée. — Mort le 22 janvier. Idem. Albert Taurent, 5 semaines, a déjà mangé.— Entré avec la diarrhée, le 23 janvier, entérite grave ; mort le 3 février. 26 janvier. Onésime Au: ry (il est à regretter que les parents l'aient soumise à l'alimentation par les pota- ges). — Morte le 19 février. 4er février. Albert Dubosc, 15 jours, biberon. — 11 fé- vrier, muguet , diarrhée ; mort le 14 février. 21mars. Eugène Henri, 2 mois 1/2, biberon. — Très faible ; perdu de vue. 26 mars. Henri Tesson, 4 mois 1/2, biberon. — Mort vers avril. 2% avril. Augustin Gilbert, 3 mois 1/3, avait mangé. — Perdu de vue. 9mai. Constant Quesnel, 5 mois, biberon, mange. — Constitution faible ; mort le 23 juillet. 23 mai. Thérèse Fiéret, 17 jours , avait mangé. — Enfant chétif, entérite ; morte le 20 juin. 176 ACADÉMIE DE ROUEN. 93 mai. Ernestine Carpentier, 2 mois 1/2, élevée au sein d'abord et maintenant au petit-pot.— Entrée dans un état déplorable, puis perdue de vue. 14 juin. Henri Lefebvre, 1 mois 1/2, mangeait déjà. — 23 juin, vomissements, diarrhée ; mort le 8 juillet. 98 juin. Eugènie Degranne , élevée au biberon. — Partie à Paris. 30 juin. Eugène Durand, 3 mois, mange. — 13 juillet, muguet ; mort le 29 juillet. Idem, Arthur Dojon, 2 mois 1/2, élevé avec du bouillon. — Mort le 16 juillet. 6 juillet. Raphaël Guilbert, 9 jours, biberon. —Muguet. 98 juillet. Montgruel, 4 mois, élevée au biberon , n’a pas encore mangé. — Morte le 12 septembre. 9 août. Enfant , 15 jours, biberon. — Muguet. 8 septembre. Alexandre Perier, 8 mois, biberon. — Vi- vant, le 5 octobre, diarrhée. Idem. Rosine Hiard, sans biberon. — Morte d’entérite le 2% septembre. 28 septembre. Célina Carré, 8 mois. — Perdue de vue de- puis le 26 octobre, muguet , diarrhée. 6 octobre. Eugènie Codron, 15 jours , biberon, soupe. — Entérite, muguet ; mort le 28 octobre. 18 octobre. Eugéme Binard, 15 jours, a mangé de la soupe à l’âge de # jours. — Muguet, dévoiement, et, depuis , perdue de vue. 20 octobre. Louis-Charles Fortier, 15 jours, biberon. — Muguet , entérite ; morte le 21 octobre. 31 octobre. Félix Renout, 2 mois 1/2, mange depuis sa naissance. — Vit encore. CLASSE DES SCIENCES. rl 10 novembre. Adélaïde Colon, 6 semaines, biberon. — Morte le 1°" décembre. 15 novembre. Louise Aubin , 15 jours, biberon. — Diar- rhée ; morte le 25 novembre. Idem. Emilie Goulet, 1 mois 1/2, biberon. — Chétive ; morte le 4 décembre. Enfants élevés au sein. 16 février. — Virginie Roulin, 3 semaines, avec supplé- ment de soupe. — Diarrhée ; morte le 1° mars 1853. 28 février. Gaston Toutain, # mois, au sein, n'a pas mangé encore. — Vit encore. 4 mars. Alphonsine Hurard, 15 jours, au sein, avait mangé. — 12 mars, muguet; morte le 19 mars. 13 mars. Michel Guerliot, 10 mois, au sein. — Bien por- tant. 15 mars. Gaston Durdant, 3 mois, avait déjà mangé. — Vitencore. 17 mars. Célestin Chartier, 5 semaines, avait mangé. — Vit. Idem. Auguste Beaudouin, 15 jours, le sein la nuit, la soupe le jour. — 11 avril, entérite, diarrhée , ma- rasme ; mort le 23 mai. 91 avril. Félicité Caumartin, 10 mois, au sein. — Bien portante. Idem. Edmond Leroy, 5 semaines, avait mangé de la bouillie. — Vit encore, 2 mai, muguet. 8 juin. Aimable Hatu, 2 mois 1/2, mangeait de la soupe grasse. — Mort le 17 septembre, diarrhée , vomis- sements. 19 178 ACADÉMIE DE ROUEN. 8 juin. Ferdinand Tabouelle , au sein. — Bien portant. 13 juillet. Eugène Paris, 5 mois , au sein la nuit, le jour la soupe , soupe grasse. — Mort le 16 septembre. 8 septembre. Aline Delamare , # mois 4/2, au sein, ché- tive. — Partie à Elbeuf. Idem. Auguste Dubuc , 5 mois 1/2, au sein. — Venant de la crèche Saint-Maclou , vit encore, bien portant ; la mère vient deux fois par jour. 12 septembre. Caroline Pilon , 3 semaines , au sein , mange de la soupe. — Muguet ; morte le 6 décembre. 9 octobre. Marie-Désirée Aubèle, 12 jours , au sein, mange déjà. — Muguet, entérite ; morte le 4 novembre. 10 octobre. Joséphine Durand , 1 mois, au sein et au bibe- ron. — Morte le 26 novembre. Idem. Paillant, 2 mois 1/2, au sein, mange de la soupe. — 19 octobre, diarrhée ; le médecin a vu vomir, à l'arrivée de l'enfant, la soupe que la mère lui don- vait ; chétif le 3 décembre. 31 octobre. Désirée Froment, 3 semaines, au sein et au biberon, n’a pas encore mangé. — Bien portant. Idem. Emile Fromentin, 3 mois 1/2, au sein la nuit seu- lement, mange depuis l’âge de 15 jours. — Mort le 30 décembre 1853. Décembre. Marie-Louise Touzé, 6 mois, au biberon , mange depuis l’âge de 8 jours. — Morte le 16 janvier 1854. Crèche Saint-Macliou , 1852. Enfants élevés au biberon. 2% mars. Clarisse Porchez, 3 semaines , au petit-pot. — Morte le 5 avril. CLASSE DES SCIENCES. 179 24 mars. Edouard Durand, 4 mois, au petit-pot ; revient de nourrice. — 14 avril, entérite ; sa mère lui donne de l’eau rougie la nuit , trouve que le lait ne le rafrai- chit pas; mort le 4 mai. 25 mars. Baptiste Lebreton, 3 semaines , biberon, man- geait chez sa mère. — Entérite 10 avril, dévoiement, maigreur, vomit la soupe que lui donne sa mère ; mort le 13 avril. 1# avril. Valentine Bardel, 6 mois, biberon, mange dès les premiers mois. — Dévoiement. 17 avril. Alexandrine Capon, 2 mois 1/2, biberon, avait déjà mangé. — Morte le 27 avril. Idem. Elise Lerouge, 4 semaines, biberon. — Dévoiement. 15 mai. Gustave Flout, 6 semaines, biberon. 2% mai. Maria Pourpoint, # mois, biberon. 8 juin. Rose Lecouteux, 15 jours, mange de la soupe, biberon. — Chétive, entérite, vomissements ; morte le 14 juillet. 25 juin. Elise Lévesque, 4 mois, biberon. — Muguet, entérite ;, morte le 5 septembre. 19 juillet. Maria Thomas, 5 mois, biberon, soupe. — 1% septembre, muguet, dévoiement. 23 septembre. Hyacinthe Péquet, 4 mois, biberon. 13 octobre. Julie Rampini , 1 mois, biberon. — Morte le 13 novembre. 14 octobre. Pierre Lefêvre, 1 mois, biberon. 26 octobre. Pierre-Alexandre Frémont, 5 mois, biberon. — Mort le 3 novembre. 8 novembre. Pierre Poupinel, 2 mois 1/2, biberon. — Chétif. 180 ACADÉMIE DE ROUEN. 46 novembre. Vaillant, 2 mois 1/2, petit-pot. — Enté- rite ; mort le 6 décembre. 29 movembre. Louis Durand, 2 mois, petit-pot. — Mort accidentelle Le 15 décembre. 8 décembre. Maria Savin, 9 mois, biberon. — Muguet; morte le 30 mars 1853. 18 décembre. Gustave Lemaître, 6 mois, biberon ou soupes. 98 décembre. Auguste-Gabriel Ramier, 7 semaines, bibe- ron. — Mort. Idem. Adélaïde Racine, 15 jours, mangeait de la soupe. — Morte le 7 janvier 1853 par diarrhée. 31 décembre. Clémence Aubert, 2 mois, biberon. Enfants élevés au sein. 8 mars. Jacques Fresnel, 2 mois, au sein, retiré de la crèche par la mère qui trouvait qu'on ne lui donnait pas assez à manger. — Mort le 12 juillet. 10 mars. Louis Bachimont, 4 mois , au sein, reçoit très irrégulièrement le lait de sa mère. — 17 mars, dé- périt ; mort le 29 mars. Idem. Ernest Hamelin, 5 semaines, au sein, et mange. — Mort le 29 avril. 30 mars. Isidore Winzelle, 6 jours, au sein, a déjà mangé de la soupe. — Mort le 22 mai. 2% avril. Augustine Delahaye, 15 jours, au sein, a mangé hier une petite mitonnade. — 5 mai, entérite. 4% juin. Jules Noël, au sein et au biberon. 5 juillet. Hubertine Pollard, 11 jours, au sein, mangeait, mise en nourrice parce qu'elle ne grossissait pas assez. — Rapportée à la crèche avec la diarrhée, dépérisse- ment ; morte. CLASSE DES SCIENCES. 181 k août. Angèle Renouard, 7 mois, au sein pendant #4 mois, puis au petit-pot. 7 août. Alfred Murier, 7 mois, au sein et au biberon. — 25 juillet, muguet. 1% août. Célestine Deslandes, 11 jours, sein et biberon. 17 août. Thérèse Fritz, 2 semaines, au sein, et man- geait. — Muguet, entérite le 13 septembre ; morte. Idem. Aimable Coquelin, 5 mois 1/2, au sein. 1% septembre. Louise Després, # mois, sein et biberon. 23 septembre. Adolphe Poulleau, 13 jours, sein et biberon. 8 octobre. Joseph Ridel, 15 jours , au sein. 2 décembre. Esther Duclos, 2 mois 1/2, sein. — Mort accidentelle le 28 décembre. 15 décembre. Augustine Ledain, 9 mois, sein et man- geait. — Entérite ; morte le 22 décembre. Idem. Edouard Levasseur, 2 mois, sein et biberon. Idem. Emilie Grout, 9 mois, sein et biberon. Crèche Saint-VWacioun , 1853. Enfants élevés au biberon. 19 janvier. Léon-Charles Freulet, 3 mois, petit-pot. — Muguet ; mort le 14 mai. 26 avril. André Lequeu, 5 semaines, biberon et soupe. — Mort le 24 mai. 4 mai. Léontine Jubert, 15 jours, biberon et mangeait, — Morte le 17 août. 3 juin. Emile-Arthur Noël, 8 mois, biberon. 16 juin. Adolphe-Ernest Poulot, 8 mois, biberon. 182 ACADÉMIE DE ROUEN. 29 juin. Aimée-Célina Leroux, { mois, biberon. Idem. Grenier, 6 semaines, biberon, soupe. — Muguct ; mort. 7 juillet. Louis-Amédée Vautier, 5 mois, biberon, soupes. — Chétif; 11 août, mort d’entérite, mangeait la veille de sa mort. 2 août. Marie Grégoire, 8 mois, biberon , soupe. — En- térite ; morte le 46 août. 9 août. Albert Delaunay , 2 semaines , biberon, soupe. — Muguet ; mort le 9 septembre. 41 octobre. Auguste Favel, 6 mois, biberon , et mangeait une énorme quantité de soupe. — Mort d’entérite le 8 novembre. 140 novembre. Francois Lecesne, 3 semaines, biberon et mange de la soupe. — Mort le 10 décembre 1853. 18 novembre. François Lecesne, 3 semaines, biberon ct mange de la soupe. Idem. François Petit, 10 mois, biberon. — Chétif. Enfants élevés au sein. 4 janvier. Paul-Jean Bocquet, 3 mois, au sein, a été pres- que sevré en arrivant à la crèche. — Entérite ; mort le 26 février. 43 janvier. Maria Petit, 8 mois, au sein et biberon. — Vit encore. 19 janvier. Ernestine Provost, 10 mois, sein et biberon. — Morte le 16 avril 1853. Idem. Léontine Lehec, 10 mois, sein et biberon. 29 janvier. Héloïse-Francoise Guérin, 22 jours, idem. — Morte par entérite, le 2 août. CLASSE DES SCIENCES. 183 24 janvier. Louise Lefebvre, 11 mois, au sein ct biberon. 9 février. Emilie Lucas, 18 jours, sein et biberon. Idem. Moreau, 5 semaines, idem. — Mort le 14 février. Idem. Marie Soyer, # semaines, sein et biberon.—Worte. 25 février. Amanda-Anna Gilbert, idem, idem. 2 mars. Adolphe Arthuf, 8 jours, sein et biberon. — Mort. 9 mars. Joséphine Lefrançois, 4 mois, au sein, mangeait déjà. — Morte le 29 mars. 31 mars. Sophie Roissé , au sein, mangeait. — % avril, diarrhée. 23 avril. Félicité Saint-Amand, 2 mois, sein. 10 mai. Hippolyte Benoît, 8 jours, au sein, n'a vécu que du sein. — Mort du croup le 24 novembre 1853. 21 juin. Auguste Dubuc, sein et biberon. — Passé à la crèche Saint-Vivien. 19 juillet. Félix Hérel, 8 mois, au sein et sevré. 23 juillet. Rose-Louis Sangent, 10 jours, sein, mais la mère venait très irrégulièrement, biberon, soupe. — 1° avril, malade , bourrée de soupe par ses pa- rents ; muguet, diarrhée ; morte le 29 août 25 juillet. Louis Durand, 2 mois, sein et biberon. — Mort le 49 août, cause inconnue. Idem. Marie-Adolphine Lepiller, 6 semaines, au sein et mangeait ; sa mère ne venait pas lui donner le sein. — 1% août, muguet, diarrhée ; morte le 17 sep- tembre. 9 août. Avinde Deburre, 7 semaines, au sein et biberon. — Vit encore. 9 août, Emile Breton, 3 mois, idem, idem, — \it encore, 184 ACADÉMIE DE ROUEN. 12 août. Allais, 3 semaines, sein et biberon. — Vit encore. 16 août. Aimable Legrand, 15 jours, sein, a déjà mangé de la soupe à la régence et au beurre. — Mort le 2 décembre. 31 août. Louis-Isidore Saturnin , 9 mois, sein et biberon. 20 septembre. Marie-Blanche Duménil, 3 semaines, idem. 30 septembre. Louis Monnier, 4 mois, sein, vermicelle, soupe. 8 octobre. Arsène Lebourg, 9 mois, sein, biberon, soupe. 26 octobre. Léontine Vincent, 11 jours, sein, mange déjà de la bouillie. — Morte le 20 novembre par la diar- rhée. 18 novembre. Ernest de Carpentry, 5 mois, sein et biberon. Idem. Alphonse Clabeaux, 3 mois, sein et biberon, la mère vient une seule fois par jour. — Mort en jan- vier 1854. 7 novembre. Jean-Baptiste Féret, 7 semaines, la mère vient lui donner le sein très irrégulièrement, biberon. Ces listes d'enfants sont celles de tous les enfants âgés de moins d'un an, recus aux crèches Saint-Vivien et Saint- Maclou. La liste commence au mois de mars 1851, époque où les registres sont désormais bien tenus. ai pris le nom des enfants au-dessous d’un an, parce que, passé ce temps , il se joint au régime d’autres causes de mala- dies : Je travail de la dentition est en pleine activité, etc., etc. ; il yaurait un élément qui compliquerait la question de l'influence de l'alimentation. — Les notes annexées à chaque nom sont tirées des livres de la crèche ou des renseignements des sœurs, et, enfin, puisées à la liste des décès que publient les journaux. CLASSE DES SCIENCES. 185 On voit que j'ai séparé les enfants élevés au biberon de ceux élevés au sein, non pas que ceux-ci soient mieux nourris, puisqu'ils ont tous le biberon ou la soupe sup- plémentaire ; mais je montre ainsi que beaucoup d'enfants meurent, quoique les femmes possèdent le moyen de les sauver. On voit qu'il n'est point exceptionnel, comme à un échelon plus élevé de la société, de voir la mère nourrir son enfant au sein, je l'en approuve; je crois qu'il y a avantage pour la santé de la mère d’en agir ainsi ; mais par l'addition de la soupe, l'enfant ne s’en trouve que plus mal. Toutefois, c'est un salutaire usage à maintenir, attendu que le sein est encore le moyen le plus eflicace pour guérir le mal qu'a pu causer l'alimentation artificielle supplémentaire, lorsqu'un bon avis ou une bonne inspi- ration montre à la mère la mauvaise route qu’elle suit. Je m'empresse ici de déclarer que la mortalité qui frappe les enfants des crèches ne peut être, en aucune manière, imputée à ces établissements. Cette institution a été établie dans des prévisions qui ne se sont pas réali- sées. — On espérait que la bonne mère, qui ne peut s'éloigner de son enfant dans la crainte qu'une étrangère ne lui donne pas tous les soins désirables, trouverait là un asile momentané qui lui permit, les jours ouvrables, de le déposer, à peu de frais, en toute sûreté, sous la surveillance de sœurs dévouées, de médecins attentifs, sous le patronage de dames riches, au lieu de l'aban- donner aux soins douteux d’une gardienne à gages, ayant une foule de préjugés sur l'éducation du premier âge, habitant un endroit souvent malsain. — La mère, qui aurait pu, dans la journée, venir deux ou trois fois donner le sein à son enfant, aurait rempli son devoir de nourrice dans une chambre consacrée à cet usage. Ou 186 ACADÉMIE DE ROUEN. bien encore la mère aurait donné le sein seulement k soir, la nuit et le matin ; la crèche aurait, pendant les heures de travail hors la maison, donné à l'enfant une nourriture artificielle, mais appropriée à son âge. — Si, enfin, la mère n'avait pu nourrir son enfant au sein, la crèche aurait dirigé l'éducation physique de l'enfant, en indiquant le meilleur mode d'alimentation à suivre pour suppléer le moins mal possible à la nourriture naturelle. Malheureusement, ce rêve ne s'est pas réalisé; ces projets n’ont pas pu recevoir leur exécution. Les mères qui gagnent leur vie par le travail dans les fabriques ou les ateliers, et qui peuvent mettre 15 fr. de côté chaque mois pour l'enfant, l'envoient en nourrice. « Quand nous «sommes fatiguées le soir, disent-elles, nous ne pou- « vons réparer nos forces par le sommeil , s'il faut la nuit « soigner un enfant. » Il n'y a, le plus souvent , que les mères plongées dans la misère, et, partant, dans l'igno- rance la plus profonde , qui gardent leurs enfants avec elles. Ces femmes ont des notions très fausses sur la manière de les élever. Malheureusement, la crèche, au lieu d’être un foyer de bons préceptes pour l'éducation physique de l'enfant , est quelquefois la très humble ser- vante des pauvres et de leurs préjugés. L'administration des crèches doit voir avec peine sa charité donner d'aussi tristes résultats. Ne serait-il pas désirable qu’elle imposât sérieusement, comme condition d'admission, de donner au nouveau-né une éducation physique convenable , comme certaines sociétés imposent à leurs sociétaires l'obligation de ne pas s’enivrer ? C'est bien réellement l'ignorance qui est la cause du désordre que nous signalons dans l'hygiène de l'enfant. Ce mot ignorance caractérise non pas l'absence de toute notion médicale sur l'éducation physique du jeune âge. Il serait souvent à désirer que le peuple fût complètement, CLASSE DES SCIENCES. 187 absolument ignorant sur cette matière ; l'instinct serait un guide bien plus certain que l'esprit chargé d'idées fausses et déviées des lois naturelles. L'ignorance du peuple, dans ce cas , c'est la science qu'il possède des théories médi- cales d’une époque déjà bien éloignée de nous. Les masses, qui ne peuvent renouveler leurs connaissances par la lec- ture et le contact des hommes qui se livrent aux travaux intellectuels, conservent longtemps l'impression des théo- ries qui ont eu de la vogue , et ne reçoivent que lentement les idées nouvelles qui ne pénètrent jusqu'à elles qu'après avoir filtré à travers les classes supérieures. Dans la con- duite du peuple, on reconnaît une foule de pratiques avouées autrefois par les savants des derniers siècles. Ambroise Paré, que je choisis comme représentant les idées de son siècle, conseille l'allaitement maternel avec cette singulière recommandation de ne pas donner à téter les premiers jours, parce que le lait est impur ; et , ailleurs, il admet qu'on puisse donner de la bouillie à un enfant de onze jours. Toutefois, son langage, les précautions qu'il recommande, semblent démontrer qu'il y trouvait des inconvénients. «Il faut à présent parler de l’eslection d’une bonne « nourrice pour allaicter et alimenter l'enfant qui se fera, « toutesfois, de la propre mère, s’il est possible , plustost « que d’une étrangère........ Parquoy les femmes qui « veulent être nourrices de leurs enfans se doivent, aux « premiers jours, faire téter par quelque pauvre fille, « afin que le laict mauvais soit évacué et le bon soit de ANONNEAUN CNTONATÉ, D. ce eme mme dec &............ La bouillie est bonne aux petits enfans « à cause qu'ils ont besoin d’une nourriture humide de « grosseur conforme au laict, non de trop difficile diges- «tion, lesquelles conditions sont trouvées en la bouillie , « pourveu que la farine de forment ne soit erue........ 188 ACADÉMIE DE ROUEN. «et ne sert de rien d’alléguer que , par expérience quoti- « dienne , on void plusieurs enfans qui mangent bouillie « sans que la farine soit cuite et se portent bien ; car je dy « que cela se fait plustost d’adventure ou de bonne nature « que de la bonté de cette nourriture. Or, on ne luy doit « donner bouillie de dix ou douze jours après estre nay. «Mesme Galien (lib. I, de Sanitate tuenda) veut que «les enfans soient seulement nourris de laict tant que « l’on cognoistra la nourrice en avoir suflisamment pour « fournir de nourriture à l’enfant à mesure qu'il croistra. « Et, encore , il y a des enfans qui ne la veulent prendre « de deux ou trois mois et plus, et se contentent du laict «et où on leur en veut bailler le rejettent, autres la pren- «nent plus tost qui se fait pour la diversité de leur nature « indicible à escrire. » En considérant la mortalité considérable des enfans âgés de moins d’un an, et, d'autre part, le peu de souci que ce résultat excite, je me suis demandé si la même insou- ciance paralyserait les efforts des propriétaires dans le cas où une mortalité de 50 0/0 frapperait les animaux domes- tiques ; ce ne serait qu'adresses et supplications à tous les comités savants agricoles , ete., tandis que le fatalisme du peuple regarde sans étonnement la mort emporter ses enfants. « Quand la mort yest! c’est un ange de plus au bon « Dieu ! c’est un malheureux de moins ! il avait la maladie « des intestins, et, d’ailleurs, il en reste d’autres! » Toutes consolations dont l'existence seule atteste la réalité du mal ! La population des villes ne s’accroit pas en proportion des naissances. Est-ce un malheur , diront certaines gens ? la terre ne suffirait plus s'il n'y avait de temps en temps la guerre , les épidémies , celles qui sont au-dessus de toute intelligence humaine, et ces erreurs populaires qu'il faut classer dans les fléau x. CLASSE DES SCIENCES. 189 J'avoue qu'it existe des fléaux qui semblent devoir déjouer toujours les efforts de l'esprit humain. Mais quand une cause de mortalité est évidente , qu'il est possible de l’anéantir, il est du devoir de tout honnête homme d'y consacrer ses forces , quelles qu’en soient les conséquences au point de vüe des destinées futures de la société. N'est-il pas plus utile de s'occuper de ces questions d'hy- giène que de chercher à trouver la cause des épidémies comme celle du choléra? Nous avons un choléra endé- mique dans les enfants du peuple ; le choléra asiatique tue un sur deux des malades qu'il atteint. Un sur deux enfants du peuple meurt dans la première année par la Mauvaise éducation physique. Dans l’un des cas, le remède est Certain, mais l’ignorance, les préjugés , les exigences sociales, s'opposent à son exécution rigoureuse, Je présente ces considérations à l’Académie, non comme la solution d’une question en litige, mais comme une nou- velle preuve d’une assertion démontrée par la science, et n'ayant pas reçu de vulgarisation assez étendue. Je m'adresse à l’Académie, parce que je suis persuadé que lorsqu'une société savante met à l’ordre du Jour une vérité scientifique qui a des applications importantes, elle réussit à la propager mille fois mieux et plus rapidement que ne peuvent le faire les efforts individuels des praticiens. L'autorité légale intervient avec raison pour obtenir de bonnes conditions de salubrité dans les rues. La passion obscurcissant la vérité des meilleurs avis, la loi a besoin d'intervenir, quoique d’une manière très indirecte, sur la passion de l'ivrognerie, qui nuit à la liberté ; elle va jusqu’à décréter la vaccination obligatoire, parce que la négligence ou l'ignorance d'en seul peut devenir la cause du malheur de tous les habitants d’un quartier ou d’une cité. Mais lorsqu'il s’agit des rapports de la mère avec son 190 ACADÉMIE DE ROUEN. enfant , et qu'un préjugé, basé seulement sur l'ignorance et non plus sur l'intérêt ou la passion, est une cause évi- dente de la mortalité, la loi ne peut intervenir, comme dans les cas précédents, pour imposer avec rigueur sa volonté. L'autorité morale d’un corps savant prend les proportions d’un ordre. L'ignorance est obstinée sans être passionnée. De bons avis, basés sur des arguments solides, peuvent triompher de cette obstination. La science, dégagée de toute individualité, peut seule servir d’antagoniste redou- table au préjugé. OBSERVATION D'UNE PLAILE DE LA MAÎN PRODUITE PAR LA MORSURE D'UN CHEVAL, TRAITÉE PAR LES IRRIGATIONS D'EAU FROIDE, PAR LE D° EMM. BLANCHE, Médecin Adjoint de l'Hôtel-Dieu de Rouen, etc, Les irrigations ont été, de tout temps, employées en médecine. Hippocrate les recommande, xaraguoes maéios, dans les cas d’ecchymoses , de contusions , de distensions musculaires , d'épanchements sanguins traumatiques, dans les luxations , les entorses , les fractures voisines des arti- culations, les fractures avec issue des os. Il préférait généralement les affusions d’eau chaude quand il n°y avait pas de plaie ; lorsque la fracture était compliquée de plaie, les irrigations étaient faites avec des liquides différents : dans l'été, il prescrivait d'humecter fréquemment les compresses avec le vin; en hiver, il faisait couvrir la plaie de laine en suint imbibée de vin et d'huile. Il est à noter qu'Hippocrate faisait un plus fréquent usage de l’eau chaude que de l’eau froide; et, pour le cas de plaie, il excluait l'eau à toute température et employait l'huile et le vin. À ces liquides il ajouta bientôt le vinaigre pour les plaies, et, pour les vieux ulcères, les affusions d’eau de mer et même d’eau simple très froide. 192 ACADÉMIE DE ROUEN. Celse pratiquait les affusions au moyen d'une éponge ; elle était imbibée de vinaigre ou de vin pour les plaies récentes , et d'eau simple pour les plaies légères ; l'éponge était entretenue dans un état d'humidité continuelle. Galien, tout en usant des mêmes moyens, préférait les irrigations d'huile chaude , surtout dans le traitement des plaies des nerfs et des tendons. Malgré les modifications précieuses indiquées par Avi- cenne, les irrigations ne furent tirées de l'oubli qu'au xvre siècle, par Ambroise Paré; mais ses eflorts et les succès qu'il en obtint, particulièrement sur lui-même, ne purent en répandre l'usage. Ce ne fut ensuite qu'à la fin du xvimu° siècle, vers 1785, que Lombard et Perey étudièrent d’une manière plus suivie l'application des irrigations au traitement des plaies récentes. C’est à Percy que l’on doit d’avoir vulgarisé le traitement par les irrigations d’eau fraiche. Adopté et mis en pratique en France par Sanson, par MM. Jobert, Marjolin et Blandin, il fut modifié par MM. Josse et A. Berard, qui, vers 1835, lui substituèrent le système des irrigations continues. Malgré les succès éclatants obtenus depuis lors par cette méthode, et notamment après les événements de 1848, les irrigations continues ont été peu ou pas employées en dehors de Paris; c’est à peine si quelque fait isolé est mentionné de temps en temps dans les ouvrages périodiques. Aussi ai-je cru devoir, en raison de cette rareté, adresser à l'Académie l'observation sui- vante, qui montre bien, sans parler ici des autres avan- tages, l'efficacité des irrigations froides continues à prévenir l'inflammation dans les lésions traumatiques, et à amener leur guérison prompte et exempte d'accidents. Le 30 mai 1853, le nommé Alphonse Saint-Aubin, âgé de vingt-six ans, charretier chez M. Caron, meunier à CLASSE DES SCIENCES. 193 Saint-Martin-du-Vivier, fut mordu à la main gauche par un cheval entier. Saint-Aubin, renversé par cet animal furieux, qui, sans lâcher prise , lui écrasait avec les genoux la poitrine et le ventre, ne fut délivré qu'après deux ou trois minutes des plus vives angoisses. Cet homme me fut amené par M. Lodieu, médecin à Darnétal, et je pus l'examiner quelques heures seulement après l'accident qui lui était arrivé. Le tronc avait reçu de nombreuses con- tusions ; aucune fracture n'avait été produite ; la main gauche, débarrassée des linges imprégnés de sang qui l'entourent, se présente dans l’état suivant : A la partie postérieure, externe et antérieure du pouce gauche, existe une solution de continuité de 9 centimètres d'étendue, depuis la commissure interdigitale postérieure jusqu’au milieu de l’éminence Thénar, où la plaie se bifurque , une division atteignant l'articulation métacarpo- phalangienne , l’autre division se prolongeant jusqu’au milieu de la paume de la main. La peau, le tissu cellulaire, les vaisseaux et les nerfs superficiels , les tendons du long abducteur du pouce, du court extenseur du pouce, du long extenseur du pouce, sont complètement divisés ; les muscles court abducteur du pouce, une partie de l’opposant du pouce, peut-être une partie du court fléchisseur du pouce, une partie de l’adducteur du pouce, en un mot les muscles des émi- nences Thénar et Hypothénar, mais surtout ceux de l'émi- nence Thénar, sont déchirés en totalité ou en partie. Le premier métacarpien est fracturé à sa partie moyenne, et un intervalle de 2 centimètres au moins sépare les fragments. La plaie présente, dans son ensemble, une profondeur de 3 centimètres 1/2 à 4 centimètres ; les tendons qui côtoient la face antérieure du premier métacarpien sont détachés de cet os et appliqués sur les muscles profonds de lémi- nence Thénar, Vers la face antérieure et interne, la peau qui retient le pouce à la main n’a pas plus de #% à 5 centi- 13 194 ACADÉMIE DE ROUEN. mètres : un coup de ciseau suflirait pour l'en détacher; il s'écoule peu de sang de la plaie , et les articulations carpo- métacarpienne et métacarpo-phalangienne ne paraissent pas avoir été atteintes. En présence de désordres pareils, et en considérant l'état des fragments de l'os fracturé qu'un intervalle de plus de 2 centimètres séparait, et qui avaient été broyés, le fragment inférieur surtout, par l’action des dents du cheval, ma première pensée fut de pratiquer sur-le-champ l'amputation du pouce. Mais, d'autre part, la position du malade , l'utilité du pouce pour la conservation de linté- grité des mouvements, ou du moins d’une partie des mouvements, enfin les dangers inhérents à toute opération pratiquée dans de semblables circonstances , ces considé- rations réunies , et surtout le souvenir des heureux résul- tats obtenus sous mes yeux par les irrigations froides, me déterminèrent à recourir à ce dernier moyen. En consé- quence , les fragments ayant été affrontés, autant que le permettait le gonflement déjà considérable des parties, une compresse de linge fin fut appliquée sur la plaie et maintenue par quelques tours de bande. Ce petit appareil fut imbibé d'eau froide, que le malade renouvela jusqu'à son domicile au fur et à mesure qu'elle s’échauffait. Le malade fut mis au lit, et sa main fut placée dans une position convenable sur un morceau de toile cirée. Un entonnoir de ferblanc , d'une contenance de 2 litres, fut placé au-dessus de la plaie, et, au moyen d'une petite tige de bois placée dans l’orifice de l'entonnoir, l’eau fut dirigée en filet mince sur la portion supérieure du premier métacarpien, voisine de la plaie. L'eau était puisée à la rivière, et, pendant les deux premiers jours, elle fut versée sans interruption sur la plaie, le malade diminuant l'épaisseur du jet quand la plaie ne lui causait pas de douleur, et laissant le jet entier couler quand la moindre CLASSE DES SCIENCES. 195 sensation de chaleur se manifestait. Une fois, le second jour, le malade avait essayé d'interrompre les irrigations pendant quelques instants, mais il s'était développé dans la région affectée une chaleur tellement intolérable, qu'il avait dû recourir bien vite au moyen dont il avait obtenu un soulagement si marqué. 3° jour de la maladie. — Saint-Aubin revint chez moi; il s'était muni d'une bouteille d'eau froide afin de ne pas suspendre les irrigations pendant le trajet. Le sang a complètement cessé de couler; il n’y a dans la partie ni chaleur ni gonflement ; l’écartement des deux fragments osseux n'a pas sensiblement diminué; l'épiderme des environs de la plaie paraît épaissi et offre les rides qu’on observe sur une main qui a macéré dans l’eau pendant plusieurs jours. Un nouvel examen des parties, rendu plus facile par la disparition du gonflement, confirme l'exactitude de ce qui a été observé le premier jour. Le malade n’a pas de fièvre, et il assure n’en avoir pas eu depuis son accident. Suivant mon conseil, il n'avait pris, pendant les deux premiers jours, que de la limonade citrique, de l’eau de groseille et quelques bouillons. Continuation des irrigations froides continues ; j'autorise le malade à prendre des potages légers où même des aliments plus substantiels, si la fièvre ne se déclare pas et si le besoin de manger se fait sentir. 7° jour.— Sous l'influence des irrigations froides conti- nues, la plaie a pris un aspect satisfaisant. Une suppuration fort peu abondante, à peine appréciable, existe à la partie profonde de la plaie ; les chairs ont une coloration rosée de bon augure ; sur les bords de la solution de continuité existe un liseré rosé qui tranche sur la teinte blanchâtre de l’épiderme ridé et épaissi. L'écartement des deux frag- 196 ACADÉMIE DE ROUEN. ments osseux est toujours aussi considérable. Le malade n'a pas eu de fièvre; le sommeil, auquel il refusait de se livrer pendant les premiers jours , afin de faire sans inter- ruption les irrigations froides, a pu être plus prolongé sans que ces retours de chaleur intolérable aient eu lieu. L'appétit est celui de l’état de santé, et il a pu être satis- fait sans aucun inconvénient appréciable. 41° jour. — La suppuration est toujours fort peu abon- dante. Le malade a voulu suspendre les irrigations froides, mais il s’est développé bientôt, dans la région malade, une chaleur tellement vive et insupportable, qu'il a fallu revenir à l'usage des irrigations, dont l'emploi a amené la complète cessation des accidents. L'aspect général des parties charnues est satisfaisant ; le liseré rosé des hords de la solution de continuité a plus de largeur, la cicatrisa- tion commence à se produire sur les bords de la plaie. Le fragment inférieur du premier métacarpien fait une saillie de plus de 1 centimètre au-delà des chairs ; ce fragment est le siége d’une suppuration fétide. Le malade ne vou- lant pas consentir à ce que je pratique l’ablation de cette partie d'os, je prescris la continuation des mêmes moyens. La santé générale est d’ailleurs aussi satisfaisante que pos- sible; les fonctions s'accomplissent comme dans l'état normal. 15° jour. — La suppuration des parties molles a presque complètement cessé; un point suppurant existe seul à la partie supérieure du fragment inférieur du premier méta- carpien; il est constitué par des fibres aponévrotiques et par une portion du tendon du long abducteur du pouce. Quelques tractions ménagées, amenant l'écoulement du sang , les parties sont laissées dans le même état. Le frag- ment inférieur du premier métacarpien est dénudé dans CLASSE DES SCIENCES. 197 une étendue de 2 centimètres par la rétraction des parties charnues ; la suppuration l’a rendu assez friable pour que des morceaux en soient enlevés facilement avec la pince. Continuation des mêmes moyens, seulement les irriga- tions continues sont remplacées par des irrigations inter- mittentes. À partir de cette époque , les irrigations n’ont plus été faites que de dix en dix minutes; le malade allait baigner sa plaie dans la rivière, il l’aspergeait pendant plusieurs minutes et la recouvrait ensuite de compresses trempées dans l’eau froide. Vers le vingtième jour, le peloton apo- névrotique et tendineux , mentionné plus haut, tomba; dès-lors, la cicatrisation des parties molles n'étant plus entravée, marcha très rapidement. Mais en même temps, il se produisit une nouvelle rétraction dans les parties charnues du fragment inférieur, rétraction qui porta à 2 centimètres et demi la dénudation du premier métacar- pien. La suppuration entrainait chaque jour quelques parcelles de cet os. Vers le commencement de la qua- trième semaine , la cicatrisation des parties molles étant complète et la suppuration n'étant plus fournie que par le fragment inférieur du premier métacarpien, je fis panser avec la charpie et le cérat. Vers la fin de la qua- trième semaine, le fragment nécrosé put être enlevé ; il avait 3 centimètres de longueur, et présentait, à son extrémité supérieure, de nombreuses anfractuosités et aspérités. L'on continue à panser avec le cérat pendant douze jours , et, avant la fin de la sixième semaine, la cicatrisation était complète. La cicatrice avait une étendue de 8 centimètres ; elle formait un enfoncement de 1 cen- timètre environ au niveau du fragment inférieur du pre- mier métacarpien, qu'un intervalle de à centimètres environ séparait du fragment supérieur de los fracturé. Cet homme est revenu chez moi il y a quelques jours ; j'ai 198 ACADÉMIE DE ROUEN. pu constater que l’enfoncement , signalé au niveau de la cicatrice, avait très notablement diminué, de manière à rendre presque insensible le passage du bord inférieur de la plaie au bord supérieur. En outre, une consoli- dation complète s'était opérée entre les fragments osseux sans que la cicatrice se fût rouverte. Les mouvements commencent à s'exercer de nouveau; le pouce, qui est ordinairement dans l'extension, peut exécuter des mou - vements de flexion et d’adduction principalement ; il n'est le siége d'aucune douleur, et s’il est encore incapable d’une grande résistance , il suflit, du moins, à rendre au malade de nombreux services. Le temps et l'exercice lui rendront la force et l'adresse qu'une longue inaction lui a fait perdre. Cette observation m'a paru mériter, sous plusieurs rapports, d’être présentée à l'Académie : 1° À cause de la nature de la plaie et des accidents qui pouvaient la compliquer ; 2% A cause des moyens qui ont été employés pour la traiter, moyens d’une application facile , d'une efficacité réelle et incontestable dans les circonstances spéciales où de graves accidents compliquent ordinairement les plaies, et particulièrement dans les plaies par contusion, par déchirement ; 3° Enfin, à cause des circonstances qui ont accompagné ou retardé la guérison. J'ai l'espérance que l’Académie voudra bien prendre ces motifs en considération et accueillir favorablement lob- servation que j'ai l'honneur de lui adresser. Rouen, 15 janvier 185%. LETTRES ÉCRITES D'AUVERGNE, EN 1797, FAR FOURCROY A Mn DE WAILLY, SA PARENTE ET SON AMIE. RAPPORT PAR M. BIGNON. On attache aujourd'hui un grand prix aux autographes ; chaque ligne, tracée par un homme qui s’est fait un nom, est conservée comme une sainte relique. Lorsque ce culte s'adresse à d'insignifiantes bagatelles, j'ai quelque peine à le comprendre ; mais s’il s’agit d’un document original, qui peut fournir à la science, ou à la biographie d’un homme célèbre , quelques utiles renseignements; s’il fait connaître sa vie dans cette intimité que ses écrits publics éclairent rarement ; si, par les détails qu'on y trouve, on peut mieux apprécier son esprit ou son cœur, il n'est per- sonne qui ne se sente ému, qui ne soit heureux de pou- voir le consulter, d'être en quelque sorte admis à l'intimité, aux confidences d’un grand homme, de toucher les carac- ières qu'il a tracés, de pouvoir , selon que sa plume est rapide ou hésitante, suivre les mouvements de sa pensée dans ses élans ou ses indécisions ; les ratures elles-mêmes intéressent, et les variantes ont leur attrait. Voilà ce que 200 ACADÉMIE DE ROUEN. j'ai éprouvé en lisant les neuf lettres que Fourcroy, en 1797, écrivait d'Auvergne à M" de Wailly; elle les à pieusement conservées, et, lorsque vingt-neuf ans après Fourcroy, elle le rejoignait dans la tombe, elle les légua, comme un cher souvenir, à M. Lemonnier, notre corres- pondant depuis plus de trente ans ; celui-ci en a fait don à l'Académie de Rouen, qui les a reçues avec reconnais- sance , et les conservera avec la religieuse fidélité due à la mémoire du savant dont elles émanent. Foureroy n’est point une de ces illustrations équivo- ques , que, trop souvent de nos jours, la vanité d'une cité tire de l'obscurité pour en faire objet d'une ovation publique, ou d’un monument qui sauve un nom de l'oubli. Celui-ci rappelle les souvenirs d’une époque où tout fut grand en France : la science, l’éloquence, le cou- rage , les espérances, les désastres et les crimes aussi. Il eut l'honneur incontesté d’ajouter sa part de gloire à la gloire de son temps ; le bonheur de le traverser en res- tant pur de ses souillures, et, lorsque tant d’autres suc- combèrent à la contagion générale, réfugié dans l'étude, vivant par la science et pour elle, il sut en conserver le culte et en relever les autels. Lavoisier, lourcroy, Chaptal, c'est l'éclatante mani- festation de la chimie française ouvrant une nouvelle carrière. Lavoisier crée, Fourcroy répand, Chaptal applique. Mais ce n’est point à moi qu'il appartient de vous parler des titres de Fourcroy ; par le choix du rap- porteur, vous avez suflisamment annoncé que ce n'était pas un rapport scientifique que vous attendiez. De quoi s'agit-il en effet? Est-ce un nouvel écrit intéressant la science et venant révéler quelque grande découverte restée inconnue ?.. Non; ce sont quelques lettres intimes et familières; peut-être n'ont-elles d'autre valeur que celle que leur donne le nom dont elles sont CLASSE DES SCIENCES. 201 signées ; ou bien doit-on y trouver quelques détails qui feront connaître l'homme dans ses relations particulières, dans les habitudes de sa vie de famille ; qui sait même si la malignité n’y trouvera pas quelques-unes de ces particu- larités piquantes qu’elle recherche avec tant d'ardeur et répand avec tant de joie ?.… On l'a dit: I n'y a point de héros pour son valet de chambre. La révélation de certains détails intimes a sou- vent enlevé le prestige et terni l'éclat de la gloire. Pour grand que soit un homme, c'est un homme; dans les plus éminents, un assemblage de puissance et de fai blesse; le cœur et l'esprit s'élèvent rarement à la même hauteur ; le métal dont sont fondus les grands hommes n'est pas sans alliage , et jamais type parfait n'est sorti du moule de l'humanité. Nous serions trop humiliés par la perfection absolue, et, sans que nous cédions à l'envie , nous sommes bien aises de sentir la chair humaine pal- piter sous le métal du Dieu. Mais, il faut bien que je l'avoue, dût l'intérêt de cet examen en être affaibli, les lettres de Fourcroy, que je me propose de vous faire connaitre, satisferont peu la malicieuse curiosité qui voudrait en faire sa pâture. Dans l'intimité où nous allons le voir, il est toujours un savant chimiste, un minéralogiste, un bota- niste ; seulement , son impressionnabilité vive et sa sensi- bilité se montrent avec abandon. Il écrit à une parente qu'il nomme son amie, et qui, plus tard, devint sa femme ; il est aimable, sans fadeur, et galant avec réserve ; il se laisse aller au goût du jour; il cède à quelques velléités poétiques, mais la science le domine, et sa cor- respondante a dû le lire avec intérêt, mais sans émotion. Quand ces lettres furent écrites, il avait quarante-deux ans; il ne remplissait plus aucunes fonctions publiques ; après quatre ans de luttes glorieuses , de brillants et utiles travaux , 1l sortait du Conseil des Anciens ; la France vivait 202 ACADÉMIE DE ROUEN. sous le Gouvernement du Directoire, où siégeaient Lare- veillère, Lepeaux , Rewbel, Barras et Barthelemy ; c'était en ce moment que se préparait, dans l'ombre et le mys- tère le coup d'Etat qui eut lieu le 18 fructidor an V. Il devait avoir besoin de distractions et de repos; quitter Paris alors, visiter l'Auvergne était d’un savant et d'un sage. Après l'admirable éloge historique que Georges Cuvier a fait de Foureroy, comment entreprendre sa biographie ? Cependant , dans ce siècle de renouvellement perpétuel et de progrès continu, les travaux des plus illustres savants vieillissent si vite ! Le champ que, les premiers, ils ont livré à la culture a produit tant de moissons, que le sillon qu'ils ont tracé disparaît et s'efface ! Il faut bien que Je me hasarde à rappeler à ceux qui ont pu l'oublier, que j'apprenne à ceux qui l'ignorent quel était l'homme que nous allons mettre en scène. Antoine-François de Foureroy , né le 15 juin 1755, était fils d’un pharmacien de Paris. Son père , quoique d’une famille noble et ancienne, possédait pour toute fortune un établissement que la corporation des apothicaires fit fermer par suite de la rigoureuse application de son pri- vilége. Fourcroy, bien jeune encore, fut obligé d'inter- rompre ses études et de s'assurer des moyens d'existence à l’aide de quelques leçons et de travaux d'écriture. Vicq- d'Azyr, qui débutait alors, connaissait sa faille, le prit en affection, et, frappé de son intelligence et de son courage, l’engagea à étudier la médecine; il en fit son élève d'affection. Le protégé avait dix-huit ans ; le pro- tecteur en avait vingt-cinq. Mais ce protecteur venait de fonder la science de l'anatomie comparée, et de vaincre des rivalités jalouses , animé de cet ardent amour de la science qui tient presque de l'apostolat. — Il espérait que le mérite et les succès de son jeune ami lui feraient CLASSE DES SCIENCES. 203 obtenir une des deux licences que le legs du docteur Diest avait fondées. C'était la Faculté de médecine qui était juge du concours. Tout ce qui venait de l’Académie royale de médecine était suspect à la Faculté. L'élève de Vicq- d'Azyr, malgré son mérite hors ligne, ne put rien obtenir, et cet homme qui , plus tard, fut comte de l'Empire, con- seiller d'Etat, fondateur et membre de l'Institut, dut à une souscription généreuse, provoquée par son jeune maître, le diplôme de docteur qui coûtait alors 6,000 fr. Il ne faut pas trop médire des révolutions ; elles coûtent cher ; mais quelques-unes, du moins, ont cela de bon qu'elles mettent les gens à leur place. Ce comte de l'Empire logeait dans un grenier dont la lucarne était si étroite que sa tête, coiffée à la mode du temps, n’y pouvait passer qu’en diagonale ; il avait pour voisin un porteur d’eau, père de douze enfants ; Foureroy les soignait dans leur maladie. En échange, disait-il depuis, ant que je fus dans mon grenier, je n'ai Jamais manqué... d’eau ! Voilà Fourcroy en 1780. Une fois docteur, il délogea ; il avait une figure noble et belle, un grand savoir , du courage, de l'ambition, vingt- cinq ans : l'avenir était à lui. Je ne vous dirai rien de ses travaux, de ses écrits, de ses: brillantes leçons et de ses rapides succès. Qui fut Jamais mieux servi et plus digne de l'être ? Vicq-d'Azyr le met en évidence ; Bucquet, le plus suivi de tous les pro- fesseurs de la capitale, l'appelle à le suppléer quand ses fréquentes maladies ne lui permettent pas d'occuper la chaire. A son tour, il distmgue et appelle notre Vauquelin, ce petit paysan normand qui devint son émule, et acquitta la dette de la reconnaisance par une amitié qui tenait du culte, et ne s'est jamais démentie. Macquer , professeur de chimie au Jardin du roi, meurt en 178%; la voix publique et le choix de Buffon appellent Fourcroy à le remplacer ; il fait un riche mariage. Voilà sa vie jusqu'au 204 ACADÉMIE DE ROUEN. moment de la révolution. Si vous voulez savoir quelle impression il a laissée dans le souvenir de ceux qui l'ont entendu, écoutez l'homme le mieux fait pour le juger, etle plus capable de vous le faire connaître , l'élo- quent Cuvier : « Les leçons de M. de Fourcroy répondaient complète- ment à cette double image; Platon et Démosthènes y semblaient réunis, et il faudrait être l'un ou l’autre pour en donner une idée. Enchaînement dans la méthode, abondance dans l’élocution; noblesse, justesse, élé- gance dans les termes comme s'ils eussent été longue- ment choisis; rapidité, éclat, nouveauté, comme s’ils eussent été subitement inspirés ; organe flexible, sonore, argentin, se prétant à tous les mouvements, pénétrant dans tous les recoins du plus vaste auditoire ; la nature lui avait tout donné. Tantôt son discours coulait égale ment et avec majesté ; il imposait par la grandeur des images et la pompe du style ; tantôt, variant ses accents, il passait insensiblement à la familiarité ingénieuse , et rappelait l'attention par des traits d’une gaîté aimable ; vous eussiez vu des centaines d’auditeurs de toutes les classes, de toutes les nations, passer des heures entières pressés les uns contre les autres , craignant presque de respirer , les yeux fixés sur les siens, suspendus à sa bouche, comme dit un poète. Son regard de feu par- courait cette foule; il savait distinguer dans le rang le plus éloigné l'esprit difficile qui doutait encore , l'esprit lent qui ne comprenait pas ; il redoublait pour eux d’ar- guments et d'images ; il variait ses expressions jusqu’à ce qu'il eût rencontré celles qui pouvaient les frapper ! La langue semblait multiplier pour lui ses richesses ; il ne quittait une matière que quand il voyait tout ce nom- breux auditoire également satisfait. « Et ce talent sans égal brilla de son éclat le plus vif à CLASSE DES SCIENCES. 205 « l'époque où la science elle-même fit les progrès les plus «inouis. » F J'étais porté à croire que le peintre de ce brillant portrait, entrainé par son admiration pour son modèle, en avait flatté les traits ; mais non. J’entendais récemment encore un ancien élève de l'École polytechnique, aujourd'hui colonel d'artillerie en retraite , en certifier la vérité. Un orateur aussi brillant était fait pour la tribune poli- tique. Il fut assez heureux pour n'être nommé que cin- quième suppléant à la Convention nationale , de n’y siéger que lorsqu'elle eut commis le plus grand de ses crimes , et seulement à la fin de 1793. 11 y fit tout le bien qu'on pou- vait y faire ; il arracha quelques victimes aux bourreaux , Darcet, entr'autres. Il fut menacé lui-même: et quand, le 16 mai 179%, Lavoisier mourait sur l’échafaud , s’il ne put le sauver, il lui donna du moins un éclatant et dange- reux témoignage de sympathie et d’admiration, en s’as- sociant au Lycée qui, bravant les fureurs révolutionnaires, pénétra dans les cachots de la Conciergerie pour déposer une couronne sur la tête de l’illustre victime , la veille du jour où elle allait tomber. Que pouvait faire de plus un ami, un admirateur, quand , dans ce temps exécrable , un frère, plus puissant que ne l'était Fourcroy, ne pouvait sauver son jeune frère, innocente victime, dont la suc- cession ne pouvait être convoitée comme celle du fermier- général Lavoisier. Un reproche cruel a cependant atteint sa mémoire et blessé son cœur trop facile à s’afiliger ; il eut, en effet, la faiblesse de ne point dédaigner la calomnie et de rechercher l'approbation de ceux qu'il devait mépriser. Ce n'est qu'après le 10 thermidor que Fourcroy put enfin remplir, à la Convention nationale, le rôle qui lui appartenait. C’est à son initiative et à son concours que la - France doit la création de l'Ecole polytechnique , l'éta- 206 ACADÉMIE DE ROUEN. blissement des grandes Écoles spéciales de médecine, la formation de l'École normale , l'Institut national , etc. Il avait perdu sa femme , qui lui laissa deux enfants. Sa parente, M'° Belleville, jeune femme dont il vante le bon cœur, et qui. pour mériter d'être sa correspondante, devait avoir une instruction aussi variée qu'étendue , avait épousé de Wailly, un des premiers architectes de son temps, ancien grand-prix de Rome , jouissant en Europe d'une réputation si éclatante , que l'impératrice de Russie, Catherine IL, avait voulu le fixer à Saint-Pé tersbourg, en lui proposant la présidence de son Académie des beaux- arts. De Wailly refusa, comme d’Alembert avait décliné l'honneur d’être président de l'Académie des sciences. La grande coquette du Nord a eu beau faire, ce n’est point du Nord que nous vient la lumière. De Wailly, quoique âgé de soixante-huit ans, était plein d'activité et d'énergie, toujours passionné pour l'art qu'il avait illustré. Il habi- tait le Louvre, et c'était là que Fourcroy passait les instants qu'il pouvait dérober à la science et aux affaires publiques. La ville de Clérmont-Ferrand se proposait de faire construire une salle de spectacle , et s’était adressée à de Wailly, à qui Paris doit la belle salle de l'Odéon. Four- croy, de son côté, était appelé dans le Puy-de-Dôme par l'amitié et la reconnaissance d'une honorable famille , et par le désir de visiter en naturaliste l'Auvergne et ses montagnes volcaniques. Fatigué des agitations politiques auxquelles, pendant qua- treans, il a été mêlé, heureux de quitter Paris à la veille des événements qu'il pressent, il part avec deux élèves, assisté du fidèle Vauquelin, et fait, en quittant Me de Wailly, la promessse de lui rendre compte de son voyage. Les neuf lettres que nous possédons sont la réalisation de son engagement. ( Poir le fac-simile ci-contre.) 5 Fe) à Mon utée) dv Hay 22777777 Au puy-de. Îome = LS Hpiles an S. frais dune, Won es lui Riuie utrbule | pruuutade 0 hr audi de kfrine, feptly haut et | pl Hugulire Ho fre RE Aa Chou qu | PéE5 net tn partira qu lu-aal age; Lfora? | Me Lun ligne g Guiyo He CAS 5; Zauaut piradut ie | Matin; do du Le fut alips d'en titauau ue hgfooie aile, def uoppés af able; La | Loir Pis Udepray, de Way fous, ACRE pu re L Grey ue no J'trgue hi, dés À kbogu qu apuat E hily pa pou abgpsude | lauat ul tudant à mo buusy pans 1 ge ru pa per aftinc x Lar ture y Has ES dluploy husjue de partent ée Bague de Hiouttlosair ÿ def du; 7277 paru fur he prause ui palase qu 274 d'eufaliod debat qu L dé 24 douus PU L Yluabl Lits 7 1227 a fau bin luuviis Le buts d Ar Hat ur Guise La feruati , L Diitade,: 1 Eat si Gites ni at, à HA L 2 À ne MES ., ELU : sisaiin sf FAST | EX t# Lans NE Ka! 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Ce qui frappe dans toutes , c'est une exactitude souvent minutieuse , une fidélité de mémoire qui retrace toutes les impressions, et ne fait grâce d'aucun détail, un laisser-aller tout spontané, que d'assez nombreuses ratures viennent quelquefois corriger. Comment s’en étonner quand on sait où et comment il écrit ? Le bout d’une table , où les convives sont assis et causent encore ; la halte d’un relais, le retour d’une excur- sion fatigante. Mais je ne dois ni le juger, ni l’excuser. Vous allez l'entendre. La première lettre, écrite pendant le voyage, a été mise à la poste à Clermont, à l’arrivée, le 16 messidor an V (5 juillet 4797). «Je t'ai promis de te rendre compte fidèle de mon « voyage , et, pour tenir ma parole, je commence ce soir, « à la première couchée, à m'entretenir avec toi. J'es- « père que tu seras contente de moi, fu n'auras pas plus « de plaisir à me lire que je n’en ai à l'écrire. Promettre est doux, quand c'est à son amie, Mais tenir sa promesse est œuvre bien plus pie ! « Le 13, après un diner succinct chez moi, nous nous «sommes rendus rue Neuve-des-Augustins; au lieu de « partir à trois heures, nous n'avons démaré qu'à quatre. « Le carrosse neuf , lourd , massif, mais bien solide , à six « places assez commodes , a commencé par heurter contre «une borne. A l’aide de deux reculades et de trois « coups de fouet, le postillon, qui essayait comme nous « celte voiture, nous a promenés une heure dans Paris , 208 ACADÉMIE DE ROUEN. « crottés, accrochés, secoués , et, enfin, entraînés par « la barrière des Gobelins. Un cliquetis de ferrailles et de « chaînes neuves nous annonçait au loin, comme on dit « des loups-garous, et nous avions quelque peine à nous « y faire. Nous voilà roulant sur la route de Fontainebleau, « lestement trainés par cinq bons chevaux qui brûlaient « le pavé. Arrivés à Essonne , à sept lieues de Paris, vers « huit heures du soir, nous avons été accompagnés de « deux inquiétudes : le ciel semblait se brouiller et nous « menacer de la pluie, tandis que nos regards, triste- « ment fixés sur les seigles couchés par terre, nous mon- «traient une perte énorme de subsistance. — On change « nos chevaux à Essonne ; nous partons après un demi- « quart d'heure, et cheminant rapidement comme bruyam- « ment ; le ciel se nettoie, la lune se montre plus belle, « mais baisse vers l'horizon, en sorte que nous entrons « dans la forêt de Fontainebleau avec l'ombre de la nuit «et le sombre des arbres. Sais-tu bien que l'idée de la « Forèt-Noire nous est venue ; nous avions trois lieues de «bois à traverser, et l'on commençait à conter des « histoires de voleur ; nous en fûmes quittes pour le récit « des attaques des autres. Nos pistolets sont devenus «inutiles , et l'espérance d'arriver à bon port a commencé « à luire pour nous. À une heure du matin, nous entrons « triomphalement dans Fontainebleau, après avoir par- « couru trois ou quatre villages, à chacun desquels un « postillon de bonne humeur se faisait servir une chopine « de rouge ou de blanc , etc.» Voilà l'homme dans sa simplicité , heureux comme un écolier qui quitte le collége, remarquant tout, signa- lant tout, comptant les coups de fouet du postillon et les chopines qu'il s’'administre , se préparant , par de terribles récits, à un combat avec les voleurs de la forêt, armant ses pistolets, — N'était la réflexion sur la perte des subsis- CLASSE DES SCIENCES. 209 tances , où l’écolier se fait homme sérieux, qui pourrait reconnaître le savant éminent que chacun sait ? Toute la lettre est sur ce ton et prouve la même observation juvénile. Le menu de chaque repas est soi- Sneusement noté : à Fontainebleau, une fricassée de poulets durs, des écrevisses réchauflées et noircies, de gros pois au lard , un brochet et des fraises ; à Nemours , on achète des cerises flétries à une femme qui ne l’est pas moins, Quand le jour paraît, on se récrie à la vue des gros blocs de grès dont sont hérissés les coteaux ; réflexions à comme cela doit être, sur la manière dont ces grès ont été mis là, sur la mer qui a recouvert ce vallon ; le bota- niste se révèle à la vue d’une plante curieuse : La digitale Pourprée l'intéresse , comme Rousseau la pervenche. Il se passionne pour les beaux sites de la vallée de la Loire : il admire l'ingénieuse combinaison des écluses du canal de Briare; il signale la gaîté et la propreté des filles de village qui fêtent le dimanche en dépit du décadi légal; s'arrête à Pouilly pour y prendre quelques bouteilles de joli vin blanc. On dine à Nevers, dans une auberge construite sur l'emplacement du couvent des Visitandines ; le souvenir de Vert-Vert échaufte la verve poétique de l'auteur des Leçons d'Histoire naturelle et de Chimie, il laisse échapper des vers dont il ne dissimule pas la faiblesse et qu'il confie à l'indulgence et à l'amitié : On ne peut passer par Nevers Sans que le souvenir des nonnes , Dont Gresset, dans de charmants vers à A célébré les doux travers, Ne vienne, avec leurs voix mignonnes Et leurs séraphiques concerts : Vous rappeler la fraîche image Des nonnains au gentil corsage , 1% 210 ACADÉMIE DE ROUEN. Au voile artistement placé, Au sein d’un pectoral pressé. Hélas! de ces Visitandines J’ai vu l'asile renversé ! J'ai vu d'indécentes cuisines , Où Vert-Vert était caressé. Une auberge a donc remplacé Ce séjour d'aimables nonnettes. Ces voñtes, autrefois si discrètes , Où le chant de vingt jeunes sœurs, D'un amour pur, de douces mœurs, Était le céleste interprète, Ne retentiront désormais Que du langage d’amourettes. Ou de propos de cabarets. A Gannot , en vue de la Limagne , il remarque que la ville est fort laide. Cependant , dit-il, le sexe y est assez joli; il y a donc du bonheur partout. Le sexe aimable , en quelque lieu qu'il soit, Fera toujours le bonheur de la vie. Gannot est laid, mais comme il me plairait Si J'x ÉTAIS avec ma douce amie ! Ces vers, assurément, ne sont pas bons, mais je les cite pour la consolation des gens d'esprit qui n’en font pas de meilleurs. Enfin, il aperçoit le Puy-de-Dôme. Nos voyageurs ne peuvent plus retenir leur admiration. L'énthousiasme déborde ; Foureroy n'a plus que vingt ans ! « Figure-toi un beau chemin large, planté d'immenses « noyers de chaque côté; vois, au dehors de ces magnifi- « ques végétaux, une vaste campagne, une terre promise, « des moissons ravissantes par leur beauté; vois surtout, «avec nous, l'objet de notre voyage, le Puy-de-Dôme, CLASSE DES SCIENCES. 211 ES comme suspendu en l'air, terminant l'horizon devant nous , semblant terminer le monde. C'était la première fois que nous le voyions ; aussitôt, nous quittèmes la « voiture; nous volons dans le chemin; nous nous arrê- tons devant la vaste éminence du globe de ce côté; nous saluons le père des monts de la Limagne, que nous « regardons avec complaisance, avec étonnement, avec admiration , élevé seul et détaché sur un beau ciel par un sommet noir, tronqué obliquement, confondu avec « les nuages, accompagné de cinq à six montagnes qui « l'entourent et qui s'abaissent humblement au-dessous « de lui; il semble commander à toute la contrée. Je ne « puis pas te rendre l'effet que nous avons éprouvé. « Taillé d'abord en pain de sucre, présentant une pente «raide et lisse, au premier coup-d'œil ; coupé oblique- « ment et comme avec un emporte-pièce à son extrémité ; « nous songions déjà à le gravir, et nous en étions encore « à six ou sept lieues ! » Et, après être remonté en voiture , il ajoute : « Je ne pouvais me lasser de le regarder, toujours la « tête et les yeux en l'air. » N’êtes-vous pas touchés, comme moi, de cette admira- tion naïve dans un homme si haut placé, recommandable à tant de titres, et si digne des sentiments qu'il inspire ? Est-ce là le conventionnel ? le membre du Comité de salut public? l'administrateur qui venait de reconstituer l’ins- truction publique en France ? C'est le cœur candide d'un enfant dans la poitrine d’un homme d'Etat et du premier de nos savants ; et puis des vers encore, et des vers qui ne valent pas ses leçons de chimie : À A = R À CS En lisant ce long griffonnage D'un écrit sans ordre et sans art, Songe qu'à tout ce bavardage, La douce amitié prend sa part. 219 ACADÉMIE DE ROUEN. C'est elle qui me l'a dictée, Cette douce narration. L'absence est un peu supportée Par une conversation Avec celle qu'on a quittée, Et dont la tendre affection D'un doux retour est acquitlée. Bien certainement la réputation de Foureroy ne perdrait rien si ces vers restaient inconnus ; mais on aime assez à voir les grands hommes en robe de chambre, et après les avoir admirés sur leur piédestal, je suis bien aise, pour mon compte, de savoir que, dans certains moments, je pourrais m'asseoir à leurs côtés. Pendant les quinze jours que Fourcroy passa à Cler- mont, il ne resta pas inactif un instant : chaque jour une excursion nouvelle. Il visite toutes les montagnes des environs, fait l'ascension du Puy-de-Dôme ; ni les orages, ni les chaleurs de la canicule ne le retiennent. Il observe tous les phénomènes de cette curieuse et admirable con- trée ; il les décrit en homme passionné pour la nature, en savant qui veut en pénétrer les mystères ; il subit les récep- tions officielles, voit les savants du pays, étudie ses curio- sités archéologiques ; tout le charme et le rend heureux ; il ne se plaint que des diners somptueux qu'on lui donne et qui dérangent ses habitudes de naturaliste ; il collecte des échantillons de minéraux, fait des analyses chimiques. Il improvise , au bord des fontaines et sous l'ombrage des châtaigners, des leçons qui enchantent ceux qui le suivent et l'entourent ; il se mêle aux rondes villageoises, déjeune sur l'herbe avec du pain noir et du lait. Ah ! l'heureuse vie ! les ravissants souvenirs! Il trouve encore le temps d'écrire, d'une écriture fine et pressée, 144 pages de lettres, que nous possédons aujourd'hui, et ce ne sont plus alors ces aimables enfantillages , distractions du loisir d'un CLASSE DES SCIENCES. 213 homme d'esprit qui laisse courir sa plume au hasard : c'est presque toujours une science profonde et variée ; cela tient du prodige ! Si la preuve évidente du premier jet et de l'improvisation ne se trouvait pas ici, on croirait que ces lettres sont le fruit d’un travail longtemps médité. Alors, on reconnaît le grand homme que nous a représenté Cuvier; j'oublie ses vers, et je ne suis plus tenté de me familiariser avec lui. Il ne voulait pas cependant que ses lettres fussent communiquées. Les écrivains de nos jours ne connaissent plus cette réserve. Fourcroy n'ouvrait son cœur qu'à l'amitié et ne prenait pas le publie pour confi- dent de ses impressions de voyage. I dit à M"° de Wailly : «Quoique je n’y attache aucune prétention que celle de «tenir ma parole à mon amie, de l’amuser par le récit « de nos trouvailles et de nos aventures, je serais fàché « qu'elles fussent perdues. Tu te doutes bien qu'en les « écrivant au milieu d’une maison agitée et au milieu de « visites sans nombre , il ne n’est pas possible d’en faire « une copie; de sorte que je t'envoie les originaux tels « que je les rédige, à la hâte; l'ensemble de ces lettres « pourra cependant former un petit voyage lithologique « d'Auvergne. «Je n’ai pas besoin, sans doute, de te rappeler que « nous sommes convenus de ne rien communiquer de mes « lettres, et de les garder dans ton portefeuille jusqu’à « mon retour; c'est à la bonne et pure amitié que je « les adresse, et ce sera la fidèle amitié qui les conser- ( Vera. » Les récits, les descriptions se succèdent avec une telle rapidité, et s’enchaînent avec une telle suite, que je ne puis essayer même de les faire connaître par analyse ; la peinture des sites est pleine d'éclat et de fraîcheur ; tout est senti vivement, rendu avec exactitude et sans monotonie, Quel excellent guide ce serait pour celui qui 214 ACADÉMIE DE ROUEN. suivrait cet itinéraire ! Quel plus instructif et plus char- mant compagnon de voyage! Pas un site , pas une curiosité ne lui échappe. Arrivé le 16, le 17 il visite les bains de Clermont, le ruisseau de Chamulière , la grotte de Royat. Le 18, il est à la source de Saint-Allyre; il en décrit les pétrifications en paysa- giste; il en explique la formation en chimiste : « C'est, « dit-il, une simple expérience de la dissolubilité de la «craie et du fer par l'acide carbonique et la séparation « de ces deux matières qui a lieu par la volatilisation de « l'acide carbonique dans l'air. Tu as vu bien des fois « cette expérience, et tu dois te figurer la nature de ce « miracle. » La soirée se passe à l'analyse de ces eaux, et le résultat des opérations, écrit de la main de Vauquelin, a été retrouvé par M. Girardin, notre confrère , dans la biblio- thèque de Clermont , lors d’un voyage qu'il y fit en 183%. I l'a publié dans le recueil de vos travaux pour l’année 1836, en y joignant sa propre analyse qui constate les progrès que la chimie a accomplis depuis cette époque. Comment choisir pour faire quelques citations au milieu de toutes ces richesses ? Chaque lettre a son intérêt parti- culier, chaque description sa valeur. Puis, à travers ces travaux pacifiques, on entrevoit de temps en temps le lugubre reflet de l'époque : les sentiments des populations rurales fêtant le dimanche dans des églises dépouillées et en ruine, en opposition avec l'agitation révolutionnaire des villes; le jacobinisme relevant le bonnet rouge, orga- nisant ses banquets ; la fusillade ensanglantant les rues de Clermont jusque-là pures de sang humain, tandis que Fourcroy, tout occupé de minéralogie , brisant le granit pour en extraire des cristaux de sulfate de baryte, se désolait de ne pouvoir obtenir que des fragments impar- faits, et s'écriait : « Oh! bon Jean-Jacques, tu n'étais pas CLASSE DES SCIENCES. 215 « plus fâché, plus palpitant que nous, lorsque l'impitoyable « pioche de M. Lambercier renversait ton acqueduc! » Il fait un retour sur les agitations de la Convention aux- quelles il a été mêlé pendant quatre ans : « Ah ! dit-il, « que la culture des sciences, l'observation de la nature « est au-dessus de toutes les querelles des hommes ! Je « n'ai jamais mieux senti qu'aujourd'hui le prix de l'étude « et des lettres. » Plus tard, à Sayat, joli village qu'il traverse le 4 ther- midor : « C'est là qu'on voudrait fuir le bruit et l'agitation des « villes; c'est là que le sage pourrait trouver un doux « loisir, un site heureux et le bonheur tout entier. » Il avait dit, en traversant Ganat : « Le bonheur est par- € tout ! » Pourquoi donc, illustre savant, ne l’as-tu pas trouvé au sein des honneurs et des dignités ? Pourquoi es-tu mort de douleur dans la crainte de n'être pas placé assez haut dans l'estime d’un maitre ? Ton exemple prouve que, pour un cœur où l'ambition se glisse, le bonheur n’est nulle part ! L'Auvergne n’est pas seulement curieuse pour les natu- ralistes , pleine de charmes pour ceux qui ne recherchent que la magnilicence et la variété des paysages; elle offre un vif et patriotique intérêt; elle est pleine de glorieux souvenirs. C’est aux pieds des murs de Gergovia que les aigles romaines furent humiliées par Vercingétorix, et que César vit. pour la première fois, pâlir son étoile. Mais où se trouvait placée cette cité fameuse ? Elle a dis- paru ; les archéologues et les géographes la recherchent et ne sont pas d'accord. Fourcroy, pièces en main, étudie le problème et vient ajouter le poids de son autorité à l'opinion de ceux qui placent la cité gauloise sur l'empla- cement de la montagne qui porte encore le nom de Ger- govia. 216 ACADÉMIE DE ROUEN. Si le temps est pluvieux, si la température trop élevée rend une excursion impossible, il trouve d'autres su— jets d'observation: il visite l'hôpital de Clermont, et il écrit : « Mais comment entretenir son amie d'un sujet si désa— « gréable ? Comment lui offrir l’image de la douleur et de « la maladie au milieu des beautés naturelles qu'on lui a « présentées dans d'autres lettres, et qui ne sont pas « épuisées ? Ceux qui connaitront la bonté de son cœur , « son inépuisable bienfaisance, et son âme sensible et com- « patissante, sauront bientôt que cet objet n'est pas « déplacé dans mes lettres; et si quelques détails utiles à « l'humanité souffrante doivent y trouver place, elle les « lira avidement, et me félicitera de kes avoir recueillis. » Alors vivait à Clermont un homme éminent , un chirur- gien d’un mérite hors ligne, voué tout entier à la science et au soulagement des malheureux, M. Bonnet, dont le nom ne se trouve dans aucune biographie médicale. Four- croy, qui devait ses premiers succès à ses leçons d’ana- tomie, était capable de le juger, et léclatant éloge qu'il fait de cet homme remarquable suflirait à l'illustration de Bonnet, aujourd'hui peut-être oublié. Aucun de ses pro- cédés ne reste sans examen ; il signale les heureux résul- tats de sa pratique ; il entre dans les détails anatomiques les plus instructifs, explique les plus obscurs phénomènes de l’organisation , recherche les causes de certaines diffor- mités, rend compte de plusieurs cas de stérilité, de la formation des calculs de la vessie, en étudie la composi- tion, et prépare les expériences qu'il continua en 1798, et dont Cuvier, dans son éloge, a fait un de ses titres scientifiques. Toute cette lettre semble une leçon de chi- rurgie, et servirait de base à un cours. On remarque malgré soi que c’est à une jeune dame que cette lettre de 16 pages est adressée, On reste convaincu du mérite de CLASSE DES SCIENCES. 217 M. Bonnet, plein d'admiration pour la facilité avec laquelle Fourcroy traite tous les sujets, et un peu surpris que M“e de Wailly pût toujours bien le suivre et le com- prendre. Ce n’est là qu'une séance d'avant-diner. Après diner, il ajoute : « Nouvelle conversation intéres- « sante et par conséquent instructive sur l’art salutaire , « nouvelles communications des lumières de l'hôte qui « nous rassemblait, et grandes oreilles ouvertes de ma « part pour ne rien perdre de ce qui sortait de cette bouche « féconde. » Dans plusieurs endroits de ses lettres, on voit que sa préoccupation constante était le rétablissement et la pro- pagation de l'instruction publique ; il en parle à la dépu- tation de la ville qui vient le remercier des services qu'il lui a rendus, il en entretient l'administration dé- partementale qui lui offre un fort bon diner, sans doute , dit-il, par zèle pour la science; il exprime la crainte que l'abandon où l'instruction est laissée ne rende nulle la génération qui s'élève, et il est presque tenté de dire à ses amphitryons que leur diner aurait été bien mieux employé aux dépenses si pressantes qu'elle exige ; mais l'extrême honnêteté de leur réception, et la persuasion où il est que c'était à leurs frais qu'ils le rece- vaient, lui ont fait rengaîner son compliment. Je le cite textuellement. Aïlleurs , il parcourt la bibliothèque , en déplore l'aban - don et le désordre; il visite l'atelier de M. Groux , peintre de mérite, qui, depuis 1793, s'était réfugié à Clermont et cherchait à y propager le goût des beaux-arts. Mais ce qui me charme et me séduit dans Fourcroy, c’est surtout le profond sentiment de la nature dont il est pénétré , l'enthousiasme presque fébrile qu'elle lui inspire, l'espèce d’extase où ses beautés le plongent. Qu'il me soit ee. 218 ACADÉMIE DE ROUEN. permis de vous en citer un exemple pris dans sa dernière lettre datée du #4 thermidor. La chaleur était intolérable et dépassait 27 degrés de Réaumur ; n'importe, il visite Durtol, Nonent et Sayat , il arrive à la fontaine de Saint- Vincent : « Un bruit assez fort d’eau tombant en cascade nous fit « apercevoir que nous approchions de la fontaine : nou- « velles beautés, nouveau sujet d'étonnement. Dans un « bois fourré et qui ne laissait passer que quelques rayons « de soleil, à travers les roches escarpées, mousseuses et « gisant sur un sol en pente, penche-toi avec nous sous «les voütes touffues de feuillage, écarte les rameaux « croisés en mille sens, et en passant entre les troncs « pressés , arrive enfin au lieu de la fontaine , et vois SOUS « tes pieds des bassins d’eau de plus de quarante pieds « de largeur, séparés en trois ou quatre bassins par de « gros blocs de laves détachés d'un immense rocher qui « domine cet amphithéâtre humide. Regarde le mur de « laves taillées à pic, fendues verticalement, hérissées de « pointes et de gros blocs suspendus, comme prêts à « s’écrouler ; vois du bas de ce mur, presque au niveau « du sol où tu te tiens, au milieu de la fontaine même, « des pierres qui en surmontent le réservoir, plusieurs « sources, grosses comme le corps d’un homme, jaillir « avec bruit et remplir un vaste bassin , d’où l'eau s'écoule « bientôt à travers les rochers en sept ou huit cascades , « qui les précipitent au bas de la côte. Respire un moment « au milieu de ce spectacle étourdissant ; jouis avec nous « de la fraicheur répandue par cette eau, brisée de sa « chute et lancée en poussière dans Pair qui la dissout ; « couche-toi sur ces trônes de mousses, ou sur ces cubes « de laves jaunes qui couvrent de toutes parts ce lieu « enchanteur ; vois ces vaches, dont le pied baigne dans « l'eau et la bouche arrache les extrémités du sima nodi- « CLASSE DES SCIENCES. 219 florum, espèce de berle ou ombellifère , qui croit de toutes parts dans le bassin de la fontaine. Tranquilles dans ce réduit ombragé et humide, où elles évitent la chaleur du jour, elles ne sont point effarouchées par les hommes qui viennent les visiter et ne fuient pas devant eux. Là, tout à côté de la plus volumineuse des sources, la voûte est creusée , allongée et étroite. Semblable au dossier du meilleur fauteuil, là, sous cette voûte, où pendent des festons de plantes du plus beau vert, un siége de lave est pratiqué : le premier de nous qui aperçoit ce trône de la nature s’y élance à travers les blocs de pierre, un second succède à celui-ci, mon tour vient d'en prendre possession; je m'y assieds , le feuillage me couvre le front, mon corps est appuyé sur le dossier creusé derrière moi, il est porté sur le siége de lave, mes jambes élevées et soutenues commodé- ment sur une pierre placée à un pied de là, se dessinent dans l’eau qui coule sous elles. Une onde fraiche et brillante sort en jaillissant du côté de ce reposoir et va remplir, en bouillonnant, le bassin, dont le trop plein s'échappe à quatre pieds plus bas en cascade écu- meuse. À peine suis-je un instant assis que je ne puis résister à l'envie d'exprimer les sensations déli- cieuses que j'éprouve : un crayon à la main, je veux rendre les affections qui m'animent ; vains efforts, je sens trop pour écrire et pour penser. Tout mon être est absorbé par le sentiment ; mes idées fugitives, comme l'eau qui coule de toutes parts autour de moi, me lais- sent à peine la faculté de prendre quelques notes , d'é- baucher une esquisse; je sens encore ici ce que j'ai senti vingt fois dans mes promenades , il faut que mon corps , moins agité par tant de sensations qui le pénè- trent dans tous ses points, laisse quelque temps après mon esprit plus tranquille ; il faut que toutes les idées , 220 ACADÉMIE DE ROUEN. « produites par les sens frappés, se débrouillent et s'or- « donnent dans mon cerveau. C’est douze heures , c'est « vingt-quatre heures après que le souvenir se retrace « avec plus d'ordre toutes les impressions qui m'ont saisi « dans tout mon être. Ainsi Tibulle, Catulle , Ovide et « Bernard n'ont peint les délices de la volupté qu'après la « jouissance ; ainsi Delille a chanté les jardins, souvent loin « de leur séjour; ainsi, peut-être, il chantera quelque « jour les sites heureux de l'Auvergne , longtemps après « les avoir vus. » Que dites-vous de cette description si fidèle, où tout est mis à sa place? Rien d'imaginaire comme dans ces tableaux où les contrastes se heurtent, où l'on rencontre les fleurs du printemps et les fruits de l'automne ; ici, on reconnaît l'homme habitué à l'exactitude des analyses chimiques, le botaniste qui signale la plante locale, l'homme que la chaleur du jour a disposé à la sensualité , le ravissement d’un cœur ouvert à toutes les voluptés de la nature ; on sent que J.-J. Rousseau et Gentil Bernard ont passé par là. Toutes ces émotions n'ont point épuisé son ardeur ; il va quitter Clermont pour visiter les.Monts-d'Or. Ce voyage sera la plus longue de ses excursions , il dura cinq où six jours. Il rassure son amie; il lui promet de bien soigner sa santé, de suivre ses bons conseils, et il termine ainsi sa dernière lettre que nous possédons : « Ce qu'on nous annonce de ce voyage, entrepris sans «autre prétention que notre amusement et le tien, est « encore bien au-dessus de ce que nous avons vu jusqu'ici. « Les monts plus élevés, plus chenus et plus majestueux , « leurs chaines plus liées, des rochers plus escarpés , les « présipices, les fissures chargées de neiges éternelles. Là « où ont régné ces terribles embrasements, les cascades à « perte de vue, les eaux salutaires du Mont-d'Or, les lacs CLASSE DES SCIENCES. 221 «à la place des cratères volcaniques , les masses de bal- « sates prismatiques en colonnades, en jeux d'orgue ; les « coulées plus vastes et plus étendues de laves , les ébou- «lements immenses, et au milieu de ces lieux, témoins « autrefois de scènes si horribles, les pâturages qui nour- « rissent des quantités innombrables de bestiaux, les « plantes aromatiques qui rivalisent avec celles de Suisse ; « des cabanes où l’on recueille le laitage , où l’on prépare « ces bons fromages que tu connais. Voilà les tableaux qui « vont passer sous nos yeux, depuis le 7 jusqu'au 12 « thermidor, et que j'essaierai d'ébaucher dans mes pro- « chaines lettres ; si j'écris comme je sens et si je peins « comme la nature m'inspire , je te ferai naître l'envie de « voir les lieux que j'aurai parcourus , et nous y viendrons «ensemble jouir du plus beau spectacle qu'elle puisse «offrir aux hommes. » Tels sont les derniers mots de cette correspon- dance. M. de Wailly mourut en 1798. Sa veuve épousa Four- croy, et lorsque le 18 brumaire sauva la France, il fut rendu à l'administration et devint directeur de l’instruc- tion publique. Lors de l’organisation de l'Université, le premier de ceux qui n'ont pris la place de personne et détrôné que l'anarchie lui préféra Fontanes, sans oublier cependant ses services. Une raison d'État parut une injustice à Fourcroy, il la prit pour une disgrâce. Une profonde mélancolie s'em- para de ce cœur trop impressionnable. Le 16 décembre 1809, il mourut au milieu d’une fête de famille préparée pour le distraire , et, dit Cuvier, la preuve éclatante de la satisfaction de son maître, précieux témoignage, long- temps désiré et qui eût peut-être prolongé ses jours , s'il avait osé le prévoir, n'arriva que pour être déposé sur sa tombe. 229 ACADÉMIE DE ROUEN. Sa veuve , fidèle à son souvenir, a gardé précieusement ses lettres ; elles nous sont aujourd'hui confiées par son légataire, vous les avez reçues avec reconnaissance, et vous les conserverez avec l'admiration due à la mémoire d’un homme qui réunissait, à une science aussi éclatante, tous les charmes de l'esprit et toutes les qualités du cœur. CLASSE DES BELLES-LETTRES. RAPPORT SUR LES TRAVAUX DE LA CLANSE DEN LETTRES ET DES ARTS, Par M. A. POTTIER, Secrétaire de cette Classe, Messieurs , L'honorable président de notre Compagnie, en faisant cette année l'ouverture de la séance publique annuelle, disait à ses nombreux auditeurs, dont nul sans doute n’eût songé à le contredire, que le discours académique avait fait son temps. Qu'il me soit permis de penser qu'il en est de même du préambule élogieux, à l'adresse de ses confrères, que tout secrétaire se croyait naguère obligé de mettre en tête du compte-rendu des travaux de la Société qu'il représentait. Aujourd'hui que le siècle se montre de plus en plus exigeant envers les institutions et les hommes, les Académies se jugent à la même mesure que les indi- vidus, c’est-à-dire par leurs œuvres. Laissons donc parler les œuvres, c’est ce que nous avons de mieux à faire ; leur variété, leur nombre et leur valeur doivent nous rendre confiants dans le résultat de cet examen. M. Caro. | sensualisme dans à littérature | dans l’art. 296 ACADÉMIE DE ROUEN. La réception de M. Caro, professeur de philosophie au Lycée de Rouen, récemment élu membre de l'Académie, inaugura dignement la reprise des travaux de la Compa- gnie , et, parmi nous, il eut toute l'importance et l'éclat d'un événement littéraire. Le jeune et savant professeur s'était, en effet, produit sous les plus brillants auspices ; un livre de philosophie spiritualiste, sous le titre d' Étude sur le Mysticisme au xviu® siècle, à propos du théosophe Saint-Martin, avait été adressé par lui à l'Académie ; et l'on avait pressenti dès lors tout ce que l'auteur possé- dait d'aptitude et d'expérience à traiter les plus délicates abstractions de la philosophie transcendante , tout ce qu'il avait de facilité à les éclairer de elartés vives, à les revêtir des plus séduisantes couleurs. On attendait donc beaucoup du récipiendaire, et nous pouvons dire aujourd'hui avec assurance que cette attente a été dépassée. Pour faire apprécier, comme il aurait droit de l'être, à tous ceux qui n'ont pu l'entendre, le beau discours de M. Caro, il faudrait posséder des qualités qui nous font défaut, disposer d’une étendue que l'usage nous interdit. Ce n'est donc pas même un résumé que nous essaierons d'esquisser, c’est un programme, une simple indication que nous nous bornons à présenter. Une pensée de haute morale plane sur toute cette com- position, dont l'auteur indique le sujet et la portée en l'intitulant : Du Sensualisme dans la littérature et dans l'art. Ce qu'il veut, c’est, au nom de la philosophie spi- ritualiste, dont il se porte l'interprète, juger quelques écoles ou plutôt quelques sectes de la littérature et de l’art contemporains, qui lui semblent s'être mises en insurrec-— tion ouverte contre les principes élémentaires qui consti- tuent le code de l'imagination réglée et la législation du bon sens. CLASSE DES BELLES-LETTRES. 297 Après avoir ainsi jeté son défi, l'orateur prépare ses armes et les déploie. Il définit d'abord l'art, et d’une manière digne de Platon, en l'appelant une aspiration vers le beau ; il définit l'idéal, le type agrandi, épuré, du réel. L'idéal ainsi distingué du réel, il le sépare du fictif qui n’est qu'une combinaison arbitraire, le plus souvent incohérente et fantasque , des éléments du réel. Muni de ces définitions précises qui vont devenir, entre ses mains, des armes d’une trempe excellente, et laissant de côté les arts plastiques et matériels, pour ne s'attaquer qu'à la littérature ; choisissant même, dans cette région immense, un terrain de combat plus circonscrit encore ; c'est au {héâtre, à la poésie, au roman, qu'il va demander compte de leurs méfaits, parce que ce sont là les formes les plus populaires sous lesquelles se manifeste la pensée contemporaine. C'est alors qu'il engage successivement, avec chacun des adversaires qu'il s'est choisis, une généreuse lutte, non à passes courtoises, mais à fer émoulu, dont le succès ne saurait demeurer longtemps en suspens. Au théâtre, il reproche son réalisme violent, son imi- tation fougueuse de la passion forcenée et brutale, son matérialisme excessif; il le flétrit, parce qu’au lieu de chercher à émouvoir notre âme par le sentiment , il s’in- génie à remuer nos sens par le luxe matériel du décor ou l'horreur du sang répandu. Chez le public, complice éhonté qu'il prend à son tour à partie, ilstigmatise cette curiosité malsaine qui recherche avec avidité les tableaux de tous les bas-fonds de la vie sociale, qui se délecte à l'aspect de ces cavernes élégantes du vice, repaires opulents d'âmes perdues. A la poésie , qui se décore du nom de fantaisiste, l'ora- teur oppose un persifflage moins indigné, mais il ne ménage ni ridicules , ni travers. I la montre traitant ici l'humanité M. LÉVESQUE. Réponse à M. Caro. 228 ACADÉMIE DE ROUEN. comme on traiterait un modèle d'atelier; mettant ailleurs son triomphe à donner une tournure exquise et rare à des futilités insignifiantes ; adorant partout la forme , ce dernier mot de la poétique de l’école fantaisiste. Au roman enfin (soit qu'il se pose franchement en inventeur, soit qu'il se déguise sournoisement en bio- graphe ), il n’épargne non plus ni sarcasme , ni dure vérité. Il ne voit en lui, pour dernière expression, dans un cas, qu'un professeur de paradoxes; dans l’autre qu’un colpor- teur de commérages insipides. Après ce dernier combat, l’athlète peut suspendre ses coups, €ar la lutte est terminée. I avait à cœur, dit-il, en face des excès du théâtre, des excentricités de la fantaisie, de l’impertinence des prétendus mémoires, de réhabiliter les principes de la philosophie spiritualiste, dans son application à la littérature, et de relever courageusement le drapeau de l'idéal; l'Académie, juge du combat à outrance , a témoigné , par son applaudissement unanime, qu'il avait victorieusement réussi. S'il est , au sein d’une Académie , une situation délicate et perplexe, c'est, sans contredit, celle d’un président obligé de répondre à un orateur exercé, souverainement maître d'un sujet qu'il a choisi suivant ses convictions et ses forces, et d’ailleurs gardant pour lui l'avantage de la priorité, le privilége de l'intérêt qu'il doit exciter et tenir en éveil jusqu'à la fin. A moins qu'il ne se pose en contra- dicteur, ce que la courtoisie lui conseille d'éviter, l'orateur chargé de répondre doit toujours craindre, en marchant à la suite de son modèle, de n’en offrir qu'un décalque affaibli, qu'une froide contrefaçon. Toutefois, en voyant notre digne président, M. Lévesque, aborder cette tâche dificile , personne ne douta que sa facilité féconde , son expérience consommée, ne lui permissent de tourner CLASSE DES BELLES-LETTRES. 299 l'écueil avec grâce, et ne le fissent sortir de cette épreuve redoutable, sinon victorieusement, au moins sans péril. Plaçant son point de vue à un degré supérieur, philoso- phiquement parlant, et s'élevant des effets aux causes, il se demande quels ont été les mobiles de cette grande transformation de l'art, et comment celui-ci a pu tomber jusqu'à cet abaissement volontaire, jusqu’à cette maxime de l'art pour l'art, qui tendrait à identifier en lui seul son principe et sa fin. Ne serait-ce pas la société elle-même qui serait la grande coupable, la société, dont la litté- rature n'est que l'écho , l’image, ou, comme on l’a dit, l'expression? Cette question, insinue-t-il, est importante à résoudre, car de sa solution peut sortir le remède. A la vérité, dit l’orateur, des esprits chagrins ont répété que le spiritualisme , qui seul pourrait être ce remède , est si loin dans le passé qu'il est éteint, et qu'il ne faudrait rien moins qu'un miracle pour le rallamer. Mais cela est-il bien vrai? Et si l'on ne saurait affirmer que le spiritualisme , cette éternelle lumière, brille comme par le passé, n'est-il pas vrai cependant qu'elle a recommencé à luire, et que les ténèbres des âmes et des intelligences sont moins épaisses? Ce retour n’apparaît-il pas dans l'ordre moral, dans la littérature et surtout dans l’enseignement public ? Eau faut-il d'autres preuves que le récipiendaire lui-même et que sa profession de foi, au point de vue de l’art et de la littérature? Avec de telles doctrines, l'avenir de l’art ne saurait être désespéré, et la génération qui s’élève et s'instruit à une si noble école ne peut que nous rassurer sur les destinées de la littérature fondée sur le beau dans l'idéal. M. Caro n'eût-il apporté en tribut à l’Académie que son étude sur le sensualisme dans l’art, sa preuve était faite, et la Compagnie le plaçait désormais, dans son estime , au rang des penseurs profonds, servis par une admirable M. Caro. Étudelittéraire sur Mme de Staël. M. DE DURANVILLE. Sur Jean de Béthencourt. 230 ACADÉMIE DE ROUEN. faculté d'exposition. Mais il a voulu mériter davantage , et les deux extraits d'une Etude littéraire sur Mr° de Staël, que, peu après , il est venu lire, ont présenté son talent sous de nouveaux aspects. Certes, l'Académie, en ordon- nant l'insertion entière, dans son Précis, de ces deux fragments qui promettent un beau livre, nous a exonérés fort à propos d'une obligation périlleuse , sous laquelle notre faiblesse eût infailliblement succombé. L'ampleur des développements apportés à la mise en œuvre du sujet n’était ici qu'un obstacle secondaire ; mais comment ana lyser, en quelques phrases condensées , ce qui n’est, d’un bout à l’autre, qu'analyse délicate, étude exquisement suivie des plus intimes replis du cœur ? M. Caro se montre franchement admirateur de ce génie si viril, et pourtant inclinant si naturellement à la ten- dresse et à la passion ; de cette organisation multiple, en qui se révèle, au gré des variations du point de vue , tant d’aspects nouveaux et inattendus. Toutefois, l’auteur ne se fait point résolument panégyriste; il étudie avec con— science , et l'étude le conduit à l'admiration que, sans efforts et sans artifices de style , il entraîne à partager. Passons maintenant à des questions d'un ordre moins élevé, au milieu desquelles notre insuflisance se trouvera plus à l'aise. Toujours dévoué à l'exploration des annales de notre province , soigneux avant tout de recueillir çà et là ce qui peut contribuer à réhabiliter un nom oublié, à tirer de l'obscurité un titre de gloire méconnu , M. de Duranville poursuit avec une louable persévérance la série d'études qu'il a entreprises sur les monuments et les faits, les hommes et les choses de la patrie normande. Une pre- mière Notice, qu'il nous a communiquée, réveille le souvenir de cet intrépide aventurier, Jean de Béthencourt, CLASSE DES BELLES-LETTRES. 231 qui, sorti de notre province, et devançant de près d’un siècle les Colomb et les Gama sur cette route qu'ils allaient suivre et dans cette carrière glorieuse qu'ils allaient par- courir, sut, à la pointe de son épée, se conquérir une rovauté dans l'archipel des Canaries. A la vérité, ce n'est pas cette histoire, qui, par l'audace de l’entreprise et la couleur étrange des aventures, res- semble tant à une légende chevaleresque du moyen-âge, que notre confrère a voulu raconter; l'histoire existe, fidèlement retracée par des compagnons même de Béthen- court. Il s’est borné à nous révéler l'existence d'un ma- nuscrit de cette précieuse chronique, que nous ne con- naissions encore que par le livre imprimé Ce manuscrit , s'il n’est l'original transcrit de la main des pieux biographes du héros non moins apôtre que conquérant , est au moins une copie qui dut suivre de bien près cette première transcription ; ce qui donne un puis- sant intérêt aux nombreuses peintures dont il est décoré, car le lecteur, avide de se figurer ces personnages singu- liers, ces mœurs nouvelles et imconnues, se laisse facile- ment induire à l'illusion que quelque vérité de couleur locale s’est transmise à ces naïves représentations. Toutefois, il est prudent de se tenir en garde contre cette tendance décevante. Le peintre du moyen-âge, sans souci de ce qui fut avant lui, sans curiosité de ce qui est étranger et lointain, ne connaît que ce qui l'entoure, et pour lui, guerriers d'Homère, soldats de Machabée ou preux de Charlemagne , tout est coiffé du même casque et vêtu du même surcot. M. de Duranville se montre surtout reconnaissant pour ces vieux auteurs normands qui lui ont tant appris; il voudrait qu'on les réimprimât tous, en conservant leur forme originale et sans porter atteinte à leur tournure Sur Noël Taillepied. 232 ACADÉMIE DE ROUEN. incorrecte et surannée. C'est la rouille du temps qu'il faut se garder de faire disparaître , de peur que le monument mis à nu ne montre plus qu'une stérile pauvreté. Dans une Notice très étendue, qu'il a consacrée à Noël Taillepied l’auteur des Antiquités et Singularités de la ville de Rouen, c'est à ce père de notre histoire locale, à ce principium et fons de nos annales domestiques qu'il s'ef- force de nous intéresser. La biographie de l'écrivain, obscur religieux, mais auteur fécond de nombreux ouvra- ges dont quelques-uns sont encore aujourd'hui fort recherchés, occupe naturellement une place importante dans cette Notice. L'auteur, en mentionnant les éditions multipliées du livre des Antiquités, qui se succédèrent à de courts intervalles, nous est garant qu'une véritable popularité fut, dès l'apparition, acquise à l'œuvre du pieux cordelier. Ce succès , pour l’époque , était légitime et dut paraître justement acquis. C'était la première fois que l'antique cité rouennaise se voyait glorifiée dans son histoire ; elle apprenait à se connaître , et retrouvait en un jour tous ses titres de noblesse dispersés par le temps. Il est vrai que Taillepied, sans plus de scrupules que maint faiseur de généalogies, se permit de glisser bien des ancêtres équi- voques dans cette noble lignée de fondateurs et de souve- rains, et son royal Magus, grand bâtisseur sans contredit, qui édifia Mayence sur le Rhin en même temps que Roto- magus sur les bords de la Seine, nous paraît être de la même famille que tous ces illustres et problématiques Troyens, miraculeusement échappés au désastre d'Ilion en cendres, et qu'on est toujours certain de rencontrer auprès du berceau de chacune de nos grandes cités. Mais on ne saurait en vouloir à Taillepied de sa crédulité; il servait ses lecteurs au goût de leur époque ; l'enfance des nations fut toujours bercée avec des contes de nourrice. CLASSE DES BELLES-LETTRES. 233 M. de Duranville réussit plus facilement à nous faire apprécier l'intérêt toujours subsistant du livre de Taille- pied , lorsqu'il analyse les parties véritablement histori- ques et surtout la partie descriptive de son œuvre. La vieille cité du xvi° siècle semble alors revivre à nos yeux ; l'imagination peut aider à la reconstruire , avec ses innom- brables clochers, sa ceinture de murailles crénelées, ses portes armées pour la défense, ses hôtels aux sombres façades, ses fontaines pédantesquement historiées, ses rues étroites et tortueuses, constellées d’enseignes bizar- rement énigmatiques. Ce que nous indiquons suffira sans doute pour faire pressentir tout l'intérêt que M. de Duran- ville à su répandre dans sa Notice; intérêt qu'en modeste commentateur il s'efforce loyalement de reporter à son auteur favori, espérant que de son labeur pourra sortir, pour le vieux chroniqueur, trop dédaigné peut-être , une véritable réhabilitation , c'est-à-dire le bienfait d’une nouvelle édition. Les deux notices, dont nous venons d’esquisser le sujet plutôt que d’en entreprendre l'analyse, ne sont encore qu'une faible partie du contingent de travaux que M. de Duranville a fournis à l'Académie pendant l'année qui vient de s'écouler. Rapporteur exact et surtout consciencieux de toutes les publications renvoyées à son examen, M. de Duranviile s'attache à mettre la Compagnie en communication avec un bon nombre de Sociétés correspondantes, dont souvent, sans sa complaisante intervention, nous ne connaîtrions les travaux que par l'inscription des titres au procès- verbal de la séance. C’est ainsi que , successivement, il a fixé notre attention sur les Mémoires de la Société acadé- mique de Blois, sur ceux de la Société des sciences mo- rales de Seine-et-Oise , des antiquaires de la Morinie , des Rapports divers. M. DE EAUREPAIRE. Hôtel de l’abbaye du Bec. 234 ACADÉÈMIE DE ROUEN. antiquaires de l'Ouest et de la Société archéologique de Sens, analysant avec une constante sollicitude tout ce qui pouvait présenter un intérêt général, révéler quelques particularités ignorées, montrer sous un nouveau jour quelque point discuté d'histoire ou d'archéologie, Ce sont là de ces travaux , auxquels tout académicien , quelque zélé qu'on le suppose, ne s’assujettit que par dévoûment, et dont il nous serait impossible de rendre compte en détail, mais que nous devons honorer dans leur ensemble , parce qu'ils exigent, dans celui qui veut bien s’en charger, autant de zèle désintéressé que de judicieuse critique. Notre jeune et savant archiviste départemental, M. de Beaurepaire , continue de mettre à profit, avec un singu— lier succès, les ressources accumulées dans l'immense dépôt confié à sa garde. Là, en effet , le flot des révolu- tions, en traversant naguère les palais , ls monastères, les châteaux , en précipitant dans les mêmes abiîmes tout ce qui fut la société d’un autre âge : les institutions et les lois, les usages et les mœurs, a poussé, comme une épave en débris, ce que le moyen âge ensevelissait dans le secret de ses chartriers : titres de possession , aveux de vassalité, droits utiles, hommages honorifiques, conces- sions et usurpations , procès et accommodements. Toute la vie du passé est là pour l'esprit sagace et persévérant qui sait l'y saisir. Il faut tout reconstruire, à la vérité; le récit fait défaut, la chronique est absente; les faits, loin de s’enchaîner, se dérobent dispersés dans les détours insidieux d’une interminable procédure ; mais la ténacité de l’archiviste, digne de ce nom , saura les poursuivre de dossiers en dossiers, jusqu'à ce qu’il les ait tous réunis et contraints à venir apporter leur témoignage. C'est par de tels miracles de patience et de perspica- CLASSE DES BELLES-LETTRES. 235 cité que l’on réussit à composer de toutes pièces quel- qu'une de ces curieuses chroniques, comme celle dont M. de Beaurepaire nous a donné lecture , et qui est con- sacrée non à raconter l'histoire d’un homme, d’une famille ou d'une cité, mais à suivre les vicissitudes d’un hôtel de haut parage, l'hôtel où les religieux de l’abbaye du Bec s'étaient ménagé une sûre retraite dans des temps de discordes civiles, et que, plus tard, ils se gardèrent bien d’aliéner, sans doute parce qu'ils trouvaient dans sa possession honneur et grand profit. Nous aurions mau- vaise grâce à déflorer ce piquant récit, puisqu'il a sa place marquée dans notre volume , et qu'on éprouvera plus de charme à l'y rencontrer pour n’en rien perdre, qu'à lire une incomplète analyse. Les traits de mœurs parfois singuliers dont il est semé, les révélations mali- gnes qu'il amène, contribueront à perpétuer parmi nous le souvenir du séjour des bons religieux du Bec, non moins sans doute que l'honneur qu'ils ont eu, sans l'avoir ambitionné , d'imposer leur nom à l’une des rues les plus populaires de notre cité. Pans la seconde notice que M. de Beaurepaire nous a communiquée, il s’agit d’un fait isolé, d’un simple débat entre des religieuses de Montivilliers et un bailli de Caux qui outrepassait les priviléges de son oflice ; mais ici le théâtre s'agrandit, et les faits d’un obscur procès pren- nent tout-à-coup des proportions dramatiques et inatten- dues. C’est qu'il y avait eu violation du droit d'asile, de ce droit véritablement régalien, qui suspendait, comme l'eüt fait une souveraine intervention, l’action de la jus- tice, même dans ses plus légitimes prérogatives, qui élevait une barrière soudaine que le respect consacré rendait infranchissable, entre le criminel et son juge; droit exorbitant, si nous le mesurons suivant les idées de Violation du droit d'asile. M. BALLIN. Deux columbaria romains. 236 ACADÉMIE DE ROUEN. notre époque, et qui, nous n’en pouvons douter, dut être plus souvent propice au crime audacieux qu'à l'innocence aux abois. Toutefois, l'abbaye de Montivilliers ne mit pas moins de vigueur et de résolution à défendre ses immu- nités que l'obstiné bailli n'en avait mis à consommer ses entreprises sur le temporel et même sur le personnel des religieuses, en explorant audacieusement jusqu'aux secrets de leurs cellules. Pour amener à composition l'intrai- table justicier, on dut recourir à l'autorité royale de Charles VI, qui punit ce trop zélé serviteur en lui faisant faire amende honorable. A ces deux Mémoires, composés spécialement pour l'Académie , et dont elle a ordonné l'impression dans son volume, M. de Beaurepaire a joint l'offrande de deux autres, récemment publiés, dans la Bibliothèque de l'Ecole des Chartes, et dans la Collection des Antiquaires de Normandie, lun sur l’Asile religieux dans l'empire romain et la Monarchie française, l'autre sur un Séjour de Charles VIII à Rouen, en 1485. N'est-ce pas là géné- reusement acquitter sa dette, tant envers la science qu'envers l’Académie ? M. Ballin a fait à l'Académie une communication qui, bien qu'elle fût empruntée pour le fait principal qu'elle avait pour but de mettre en lumière, à l'ouvrage d'un savant antiquaire romain, M. le marquis Campana, n'en a pas moins, à cause de la rareté tout exceptionnelle de l'ouvrage original, et grâce à l'heureux choix des extraits que le traducteur en a faits, l'intérêt et la nouveauté d’un travail entièrement inédit. Ce travail a pour objet de faire connaître l'une des plus précieuses découvertes que, eu égard à l'importance des monuments et à leur belle conservation , on ait faites depuis un bon nombre d'années dans le domaine de l'archéologie classique. Il CLASSE DES BELLES-LETTRES. 237 s’agit de sépultures romaines du premier siècle de notre ère. Dans nos contrées, on ne rencontre guère les sépul- tures romaines que sous forme de monuments isolés, disséminés aux environs des lieux d'habitation, le long des voies antiques, ou groupés, sans ordre apparent, dans des espèces de champs funéraires. Mais, à Rome, au temps d'Auguste , avec cette population exubérante que des évaluations, exagérées peut-être, portent à 3 millions d'habitants, si l’on eût toléré jusqu'à ses dernières limites ce mode de sépultures disséminées, le domaine de la mort, en s'étendant chaque jour davantage, eût bientôt usurpé celui des vivants. Des raisons d'ordre et de prévoyance devaient donc conduire à restreindre, par tous les moyens possibles, cet envahissement progressif. De À, l'invention de chapelles funéraires dans lesquelles, grâce à l'incinération qui réduisait les restes humains à quelques poignées d’ossements calcinés, on parvenait, tout en ménageant à chacun sa place distincte, à rässem- bler, dans un étroit espace , plusieurs centaines et même des milliers de sépultures. Ces nécropoles en petit, décorées à l’intérieur, et prin- cipalement sur les voûtes, de peintures du genre le plus gracieux , avaient reçu le nom, assez peu approprié à leur destination , de columbaria, parce que , avec leurs parois percées du haut en bas, et, tout au pourtour, de rangs réguliers et pressés de petites niches, dont chacune admettait une ou deux urnes, ces funèbres sanctuaires ressemblaient véritablement à des colombiers. Peu de monuments durent être plus fréquents, dans l'antiquité, aux environs de Rome, que ces columbaria. Mais, saccagés dans les désastres des siècles postérieurs , fouillés avec obstination, depuis la Renaissance , par les explorateurs scientifiques , la plupart n’ont laissé que des souvenirs ou Mort du comte Marchetti, 238 ACADÉMIE DE ROUEN. des débris. Ce n'était donc pas une découverte de médiocre importance que celle de deux édicules de ce genre, encore intacts en grande partie, ayant échappé, comme par miracle, aux dévastations des barbares , aussi bien qu'aux rapines des amateurs, et qui présentaient encore, presque sans altération, leurs fraiches et riantes peintures, leurs inscriptions aux pieuses formules d'une élégante conci- sion, leurs urnes incrustées dans le mur pour mieux braver les atteintes des ravisseurs, et jusqu’au petit mobi lier de menus ustensiles employés dans les rites funèbres. C’est cette découverte que M. le marquis Campana, à qui en revient l'honneur, a entrepris de faire connaître dans une publication d’une rare somptuosité. M. Ballin, en nous initiant au beau travail de cet antiquaire, en résu- mant pour nous les vastes développements d’une descrip- tion qui descend jusqu'aux plus petits détails, en grou- pant toutes les observations générales dont l'ensemble constitue le rituel funéraire du culte romain, a rendu un éminent service aux amis de l'archéologie classique, et l’Académie a sanctionné ses efforts en ordonnant l’im- pression du mémoire dans le recueil de ses actes. Rappeler à la mémoire oublieuse des contemporains les services d’un homme éminent, dont la vie dignement remplie s'est éteinte sans bruit dans la retraite ; recueillir pieusement, pour que la postérité les accueille, les souve- nirs épars d’une grande existence consacrée tout entière aux nobles pensées, aux utiles travaux, c’est là une mis- sion délicate, vérs laquelle on ne saurait guère être guidé que par la reconnaissance ou le dévoüment, et qui honore presque autant l'écrivain qui s’en charge que le sujet qui l'inspire. Plus d'une fois M. Ballin a déjà fait preuve , en s'ac- CLASSE DES BELLES-LETTRES. 239 quittant d'un pareil devoir, d'un souvenir fidèle et d'un zèle éloquent. Cette année encore, il nous a retracé avec chaleur et conviction une noble vie à laquelle ne manquè- rent ni l'éclat des plus hautes fonctions, ni la gloire des succès littéraires, ni la palme des vertus domestiques. Nous voulons parler de la biographie de M. le comte Mar- chetti, ancien ministre des affaires étrangères de Pie IX, et l'un des poètes de l'Italie contemporaine les plus juste- ment estimés. Notre confrère, qui eut, aux premières années de la carrière administrative du jeune diplomate, l'honneur de le connaître intimement, laissant à d’autres le soin de peindre l’homme d'État, s’est attaché à nous faire apprécier le poète et l’homme privé ; noble modèle à suivre , sans contredit, en qui l’on voit briller d'un égal éclat cette haute sérénité d'âme que ne troublèrent jamais les agitations du monde, cette direction assurée vers le beau et l’utile qui, mieux encore que l'ambition vulgaire, conduit l’homme à s'élever sans cesse, et enfin cet amour constant des poétiques études qui fait le charme de la vie tout en contribuant à lillustrer. C'est encore un devoir de délicate conscience que M. Ballin remplissait naguère, lorsqu'il nous entretenait de l’œuvre poétique de lun de nos plus anciens correspon- dants, M. Lemonnier, fils du peintre renommé que la ville de Rouen compte au nombre de ses glorieux enfants. A l'aide de ce rapport sur le Pélerinqge en Suisse, rendu si attrayant par d'heureuses citations, nous avons pu appré- cier tout ce que peut le prestige d’une inspiration franche et d’une versification élégante pour rajeunir un sujet vieilli, et en même temps constater, une fois de plus, qu'entre la peinture et la poésie il y a toujours un lien de famille. Poésie de M. Lemonnier. M. Frère. Œuvre presque inconnue de Corneille. 240 ACADÉMIE DE ROUEN. La gloire de Pierre Corneille est tellement chère à sa ville natale, qu'avec le plus humble détail inconnu, recueilli sur l'homme ou sur ses œuvres, on est toujours certain d’intéresser vivement parmi nous. C'est ce que M. Frère a compris en venant nous soumettre une Notice sur une œuvre du grand poète, qui. bien qu'imprimée en son temps, est devenue tellement rare qu'elle pourrait passer aujourd'hui pour entièrement inédite. Malheureusement , la gloire de Corneille, qui n’a plus rien à envier, n’a rien non plus à gagner à cette tardive résurrection. Si la destinée , qui se joue des livres comme des hommes, est souvent aveugle à l'égard des uns, on peut affirmer qu'elle est toujours clairvoyante à l'égard des autres, et qu'elle ne laisse tomber dans l'oubli profond que les œuvres qui l'ont bien mérité. La traduction en vers de l'Office de la Vierge date de cet âge où l'homme, qui s’est toujours nourri de hautes pensées, sent le besoin de mettre un intervalle entre les agitations du monde et le repos de la tombe , de cet âge où notre poète , loin du théâtre et du bruit, voulait, sui- vant l'expression du sublime panégyriste chrétien, consa- crer à Dieu seul Les restes d'une voix qui tombe et d'une ardeur qui s'éteint. I est probable que Corneille, en composant ce recueil de pieuses aspirations, songeait bien plus aux joies du Ciel qu'aux gloires périssables de la terre, et qu'il n’ambitionnait point que ce débile sou- venir lui survécût, Toutefois, et sans prétendre revendi- quer, pour cette production d'une verve épuisée, une faveur qui ne saurait renaître, tout en convenant même que, malgré quelques réveils sublimes, il règne, dans toute cette composition , la morne langueur de la vieillesse, M. Frère a pensé avec raison que la bibliographie, qui n'est guère que la nécrologie des livres oubliés, serait CLASSE DES BELLES-LETTRES. 241 loin de dédaigner cette conquête d’un volume omis, d’une édition passée inaperçue. Il a donc scrupuleusement rétabli l'acte de naissance de cette introuvable produc- tion; et maintenant si la succession du poète est assez opulente pour laisser tomber en déshérence cet inutile article d'inventaire , la chronologie de ses œuvres trou- vera sans doute quelque satisfaction à s'enrichir d’une date de plus. Ayant à nous rendre compte d’un ouvrage adressé à l'Académie par M. Daussy, de Saint-Jean d'Angély, ancien auditeur sous l'Empire, ouvrage qui n’est rien moins qu'un Résumé de l'Histoire de Napoléon, depuis sa naissance jusqu'à sa mort, M. Frère s’est acquitté de cette tâche en analyste consciencieux. C'est en termes des plus élogieux qu'il porte témoignage en faveur de l’auteur. Guidé par l'amour du vrai, dit-il, spectateur assez voisin des événements pour qu'aucune ombre n'ait pu lui en voiler la splendeur, assez éloigné d’eux cependant pour pouvoir les apprécier à un juste point de vue, il a envi- sagé sans passion, présenté sous une forme intéressante et presque nouvelle, retracé enfin, avec une austère impartialité, une série d'événements dont il est d'autant plus important de conserver le souvenir que l'abondance, la grandeur des faits pourraient empêcher les siècles futurs de croire à leur réalité. M. de Caze, à qui sa connaissance familière des langues étrangères rend plus facile qu’à tout autre la tâche de nous mettre en communication avec certaines sociétés établies en des contrées lointaines , nous à initiés aux publications grandioses que met au jour, avec une féconde activité, de l’autre côté de l'Atlantique, une Société qui ne fait que de naître, l'institution Smithsonnienne des Etats-Unis, Un 16 Sur une histoire de Napoléon par M. Daussy. M. pe CAze. Sur la langue Dacota. M. VERVOITTE. Sur les anciens compositeurs de musique. 242 ACADÉMIE DE ROUEN. volume de ces Mémoires l'a particulièrement occupé cette année , et Jui a fourni le sujet d’un rapport qu'à cause de son curieux intérêt, et contre l'usage le plus habituelle- ment suivi, l'Académie a fait imprimer dans son Précis. Ce volume est consacré tout entier au dictionnaire du langage que parlent les Indiens Sioux, ou Dacotas, ainsi que ces peuplades s'appellent entre elles. C'est le résultat des travaux de la grande entreprise des missionnaires américains qui se sont dévoués à enseigner l'Evangile à ces peuplades , à leur apprendre à le lire et à l'écrire dans leur langage. On comprendra les immenses difficukés qu'a dù pré- senter l'exécution de ce travail, quand on saura que ces tribus errantes, ignorant l'art de l'écriture et ne possé- dant aucun document écrit, ce n’est qu’à l’aide de signes, d'interrogations exprimées et variées par la mimique la plus ingénieuse, qu'on est parvenu à leur tirer, mot par mot, les matériaux d’un glossaire qui égale presque en étendue celui de nos langues civilisées. On est conduit, en lisant l'intéressant rapport de M. de Caze, à faire cette triste réflexion : c'est que bientôt, par l'effet de cette puissance dévorante d'absorption que subissent les peu plades sauvages en contact avec les nations civilisées, la race des Sioux ou Dacotas aura disparu, et que, de toutes ces tribus guerrières qui possédaient d'immenses territoires , il ne subsistera plus, pour rappeler leur sou- venir, que l'inutile dictionnaire de leur langage désormais éteint. A la fin de l’année dernière , et trop tard pour qu'on en püt tenir compte dans le rapport général , M. Vervoitte a soumis à l'Académie une proposition dont le but était de rendre à la culture de la grande musique, à Rouen, une partie de la faveur et de l'éclat qu'en d'autres temps elle CLASSE DES BELLES-LETTRES. 243 avait obtenus. Cette proposition , développée en notice historique, a fourni à l’auteur l’occasion de passer en revue tous les compositeurs , les écrivains spéciaux et les artistes, qui, depuis, le xvn° siècle, en Normandie, et surtout à Rouen, se sont distingués dans quelques-unes des branches de l’art musical. M. Vervoitte exprime le vœu, véritablement patriotique, qu'on tire de l'oubli pro- fond dans lequel elles demeurent ensevelies, les œuvres les plus remarquables de ces maîtres divers, et que, en facilitant aux musiciens les moyens de se réunir pour s'exercer en Commun, on ouvre la voie à l'exécution de morceaux de musique nationale, dont l’ensemble forme- rait de véritables concerts historiques. Ce vœu nous paraît trop juste, et devant conduire à de trop intéressants résul- tats pour qu'il ne soit pas tôt ou tard entendu. Nous voudrions rendre , à chacun des membres zélés qui se sont acquittés consciencieusement de l'obligation de rendre compte des ouvrages renvoyés à leur examen, toute la justice qui leur appartient, mais nous ne pouvons que mentionner sommairement ces modestes travaux, qui ne sauraient avoir, pour l’Académie et surtout pour le public, tout l'intérêt des communications originales. M. l'abbé Neveu , dans un substantiel rapport sur une série de numéros du Journal de la Société de la morale chrétienne , nous a fait apprécier un vaste travail de M. de La Rochefoucauld-Liancourt sur la Statistique de la Cri- minalité en France, de 1825 à 1850 , suivant lequel une amélioration sensible et bien consolante pour le pays doit être constatée. D'un mémoire de M. Valade-Gabel sur les sourds-muets et sur l'administration des institutions consacrées à instruire les enfants aflligés de cette infirmité, il fait ressortir cette conclusion : que cette partie des ser- vices publics réclame une organisation d'ensemble , une RAPPORTS sur divers ouvrages. 2h ACADÉMIE DE ROUEN. surveillance tutélaire que le Gouvernement a seul le droit et le pouvoir d'appliquer, suivant les besoins et les intérêts de cette grande œuvre. M. de Glanville, chargé d'analyser le dernier volume des mémoires de l'Académie de Metz, n'a pas manqué d'apporter, dans cette analyse, variée par la diversité des sujets, et riche surtout en matières historiques, cette judi- cieuse critique et cette animation chaleureuse qui le dis- tinguent , surtout lorsqu'il s’agit d’intéresser ses auditeurs au récit de découvertes archéologiques. Les mémoires de l'Académie du Gard ont fourni à M. Caro l’occasion de donner une nouvelle preuve de son zèle , en se bornant au rôle d’analyste exact et disert de plusieurs travaux d'économie sociale , de critique littéraire et de géographie. Enfin M. Lévesque a porté, dans l'examen du Recueil de l'Académie des jeux floraux de Toulouse, de cette Académie qui, seule aujourd'hui en France, maintient avec une fidèle et courageuse persévérance le culte de la poésie, sans pourtant faire divorce avec la prose, cette élégante fécondité d'observations délicates , ce soin attentif de mettre en lumière tout ce qui mérite d'être remarqué , qualités qui sont le cachet distinctif et l'ornement habituels de ses rapports. Attentif à ne rien omettre dans cette longue énuméra- tion, nous signalerons une communication verbale que M. Marchal nous a faite sur des objets antiques, d'origine romaine, exhumés par l'application du drainage, à Fou- carmort, dans l'arrondissement de Neufchâtel, et dont il a fait hommage à l’Académie. Nous mentionnerons encore une autre communication verbale, faite par M. Clogenson au retour d'une excursion en Algérie, et dans laquelle il nous a familièrement raconté ses impressions à la vue de ces contrées aujourd'hui st CLASSE DES BELLES-LETTRES. 245 dévastées, mais où se rencontrent à chaque pas tant de nobles débris de la grandeur romaine, tant de vestiges sacrés de l’apostolat évangélique. Nous avons dit, en commençant ce rapport, que l'Académie avait dignement inauguré la reprise de ses travaux par la réception, dans l’une de ses premières séances , de M. Caro, professeur de philosophie; disons, pour ne rien omettre, qu’une autre réception, qui ne jeta pas moins d'éclat que la première, est venue clore le cycle annuel des travaux de la Compagnie, et ajouter un puissant intérêt à la solennité de sa séance publique. Nous voulons parler de la réception de M. Jolibois, avocat-général, laquelle, par une innovation qui a été vivement accueillie, et qui entrera sans doute désormais dans les usages de l’Académie, a eu lieu à l'ouverture de la séance publique. Le discours du récipiendaire et la réponse du président étant imprimés en tête du présent volume, nous nous croyons dispensés de faire ressortir le mérite éminent de cette double composition. Nous paraîtrons sans doute injuste ou négligent envers la poésie, en nous contentant de mentionner les succès qu'elle a obtenus dans plusieurs de nos séances particu- lières, et principalement à notre séance publique ; mais le sentiment de la convenance et les intérêts de la brièveté, qui interdisent à ce rapport général d’usurper une trop large place, nous condamnent à ce sacrifice. D'ailleurs, la poésie a sa part réservée dans notre volume ; elle s’ex- primera plus éloquemment que nos éloges. Qu'on nous permette d'indiquer seulement des titres. M. l'abbé Picard nous a récité un gracieux apologue, intitulé /’Orphelin, dans lequel, sous la forme naïve d’une conversation familière , et à l’aide d’une analogie ingé- POÉSIE. L'Orphelin, par M. l’abbé Picanp. Boutade sur le Progrès, par M. AVENEL. Bohème et Normandie, par M. Descamps. NÉCROLOGIE. 246 ACADÉMIE DE ROUEN. nieusement combinée , il a su déposer le grave enseigne - ment d'un dogme redoutable. M. Avenel , en qui ses confrères n'avaient jusqu'alors considéré que le savant aux vastes connaissances, autant qu'au jugement sûr et à la parole élégante, s’est un jour révélé poète , mais poète sarcastique et frondeur, tel sans doute qu'il convient de l'être, sans ridicule et sans faiblesse, à l’homme qui a longuement observe , et, partant, surpris beaucoup de nos travers. Sa Boutade sur le Progrès, cadre élastique, tableau mobile, dont il change, au gré de sa raillerie, les fantasques aspects, semble un foyer rayon - nant d’épigrammes , d’où toute science aux fondements caducs, toute invention aux menteuses promesses doit s'attendre à recevoir son trait. M. Deschamps, dans sa charmante idylle philosophique, où l'artiste et le seigneur châtelain remplacent les tradi- tionnels bergers de l'Arcadie ou du Lignon, et qu'il a intitulée : Bohème et Normandie; M. Leroy, dans une délicate Imitation de Catulle, dans une forte Traduction de Juvénal, dont les vers ont la mâle énergie du satyrique latin , ont fait tous deux preuve nouvelle de leur habileté à manier la poésie. Ces pièces étant insérées dans notre Recueil, nos éloges seraient superflus. L'Académie a perdu , dans le cours de l’année qui vient de s’écouler, l’un de ses anciens présidents, M. le comte de Murat (Gérard-Antoine-Hippolyte), ancien préfet de la Seine-Inférieure avant 1830, pair de France depuis 18%1 jusqu’à la dissolution de la Chambre des pairs, décédé dans la retraite qu'il s'était choisie, à Enval, près Vayre ( Puy- de-Dôme), le 23 janvier 185%, à l'âge de soixante-qua- torze ans. Nous laissons à d’autres, qui sans doute ne failh- eo CLASSE DES BELLES-LETTRES. 247 ront pas à cette noble tâche, le soin de retracer la longue et honorable carrière de l'administrateur et de l'homme public; nous nous contenterons de dire que, nommé président de l’Académie en 1829, il inaugura sa prési- dence en faisant la proposition de composer en commun, pour le département de la Seine-Inféricure, une statisti- que complète , à l'instar de celles qui avaient été exécutées pour les départements de la Seine et des Bouches-du- Rhône. Suivant le projet qu'il soumit à l'Académie, qui l’admit après avoir consacré plusieurs séances à en dis- cuter les bases, ce vaste et utile travail eût été réparti entre les diverses Sociétés savantes, les principaux fonc- tionnaires et les hommes spéciaux du département , et les matériaux réunis eussent été coordonnés par l’Académie elle-même pour être publiés sous les auspices de l'Admi- nistration. Malheureusement les événements politiques de 1830 vinrent bientôt suspendre indéfiniment la réalisation de ce beau projet que nul, mieux que M. de Murat , n'était capable d'organiser énergiquement et de conduire à bonne fin. L'Académie, quelque soin qu’elle mette à honorer d'un tribut de regrets chacun des membres corres- pondants qu'elle a le malheur de perdre dans le cours de l'année, n'est pas toujours cependant tellement bien informée qu'il ne lui arrive quelquefois de commettre des omissions qu'elle s’empresse de réparer dès qu'elles lui sont signalées. C’est ainsi que, dans les rapports pré- cédents , on a omis de mentionner la perte regrettable que l’Académie avait faite dans la personne d'un jeune architecte, M. Lejeune, ancien élève de Rome, que des études approfondies sur les monuments antiques avaient initié à tous les secrets de son art. Nous avons peu de renseignements sur ses travaux qui furent nombreux et CONCLUSION. 248 ACADÉMIE DE ROUEN. variés, mais il en est quelques-uns à Rouen, qui, sans être de première importance, contribueront cependant à conserver son souvenir parmi nous. Nous citerons, par exemple, les belles serres du jardin botanique, dont le vaste pavillon central est un modèle de hardiesse et d'élégance, les deux pavillons qui décorent l'entrée du Pont-Suspendu, et dont l'un, noble témoignage de reconnaissance civique, fut consacré à servir d'habitation à Louis Brune ; une charmante petite fontaine au coin de la rue du Pré-de-la-Bataille, et enfin quelques belles constructions particulières, édifiées ou décorées, et qu'on cite parmi les plus remarquables dont notre ville se soit embellie pendant ces dernières années. Enumérer scrupuleusement les titres de chacun, laisser au public le privilége de les juger, c'était la seule tâche qui füt compatible avec notre insuflisance. La mission du juge sera désormais facile, puisque l’Académie, en impri- mant dans son Recueil la plupart des travaux cités, lui aura mis loyalement les pièces sous les yeux. NOTE UN VOLUME MAIMTJSCRIT, Contenant la Chronique de Lu Conanète des les Canaries par Jun de Béthencourt, Par M. Léon DE DURANVILLE. (Séance du 18 novembre 1853.) se 9 M. Vitet, dans son Histoire de Dieppe, après avoir parlé de la conquête des îles Canaries par Jean de Béthen- court, et après avoir rendu hommage à la grâce et à la naïveté de la relation de ses deux chapelains, ajoute ce qui suit : « Il existe un manuscrit de cette précieuse chro- « nique : si ce n’est pas l'original , c'est au moins une copie « faite dans le temps même, c’est-à-dire peu d'années « après la mort de Béthencourt; car l'écriture est de la «première moitié du quinzième siècle. J'ai vu peu de ma- « nuscrits plus intéressants. Chaque tête de chapitre , etil «y en a quatre-vingt-treize, est ornée d’une vignette qui « représente la scène principale décrite dans le chapitre : « ce sont des dessins qui remplissent la moitié de la page, « teintés comme des espèces de camaïeux; les figures « sont tracées avec peu de finesse, mais elles ont du mou- « vement et de l'originalité. » Je m’estime heureux de ce que le possesseur de ce précieux trésor a bien voulu me 250 ACADEMIE DE ROUEN. le confier pour quelques semaines, et j'espère être agréable à mes honorables confrères de l’Académie en leur en don- nant communication. La route de l'Amérique était encore inconnue en 1402 : elle devait l'être encore pendant quatre-vingt-dix années ; cinq années seulement s'étaient écoulées depuis que Vasco de Gama, gentilhomme portugais, avait doublé le cap des Tempètes. Il fallait, en 1402 , un caractère entreprenant pour s’aventurer à la conquête de nouveaux pays : Jean de Béthencourt était doué de ce caractère. L'un de ses arrière- reveux, Galien de Béthencourt, conseiller au Parlement de Normandie, fit imprimer à Paris, en 1630, la relation de l'expédition de son arrière-grand-oncle ; Bergeron eut la charge d'en surveiller l'impression, et s’exprimait ainsi dans une lettre qu'il adressait à qui voulait bien faire part au public de ce précieux trésor : « Messire Jean de Béthencourt, conquesteur des Cana- «ries, le premier que l'on sache, a, nouvel Argonaute « françois, d'un courage pieux et magnanime, tenté le « Grand-Océan, non pour y chercher des trésors comme & la pluspart des autres, mais pour planter la foi chrestienne « dans ces isles que l’on n'avoit jusqu'alors attaquées que « pour butiner. Ce qui lui réussit si heureusement qu'au- « jourd’hui encore tous ces peuples là luy doivent leur bonne « police , civilité et vraie religion; et mesme il a frayé et « ouvert le chemin à tant d’autres depuis à entreprendre de « plus grandes choses, qui ont esté et seront en admiration « aux siècles suivans. Cela est un honneur et los immortel « pour la France, qui en a ressenty de si excellents effets. » La bibliothèque publique de Rouen possède un exemplaire de l'Histoire de la premiere descouverte et conqueste des Canaries : ce volume est devenu rare. On y trouve le véri- table pourtraict de messire Jean de Béthencourt, roy des Canaries, gravé par Balthasar Moncornet. Sa tête robuste, CLASSE DES BELLES-LETTRES. 251 encadrée dans une chevelure épaisse, est recouverte d’une toque que surmontent des pointes aiguës comme celles de la couronne des rois lombards. Chacun devine dans ses traits une âme fortement trempée ; la cuirasse est riche- ment damasquinée; les épaules sont recouvertes d’un manteau ; un écusson sur champ d'argent au lion rampant de sable se voit auprès du personnage. Jean de Béthen- court mourut en 1425, dans son château de Grainville-la- Teinturière , au pays de Caux ; il fut inhumé dans l’église de ce village , où l’on croit reconnaître sa pierre tumu- laire, et où M. l'abbé Cochet a eu l'heureuse idée de faire placer récemment une table commémorative. Je suis donc gardien pour quelques jours d’un manuscrit antérieur au volume qui fut mis en vente, en 1630, à Paris, chez Jean de Heuqueville, rue Saint-Jacques, à l'enseigne de la Paix. J'ai donc entre les mains ces quatre- vingt-treize vignettes, dans chacune desquelles on peut remarquer, il est vrai, de nombreuses incorrections ; mais où l’on peut trouver plus d’une observation à faire. Elles ont le mérite de leur date, et c’est beaucoup. Je ne crois pas me tromper en pensant que ceux qui les regarderont à un point de vue archéologique éprouveront autant de plaisir que j'en ai ressenti moi-même, lorsque, pour la première fois, j'ai manié ce manuscrit, celui probable- ment que le conseiller au Parlement, Galien de Béthen- court, confiait à Bergeron. Celui-ci l'en remerciait en ces termes : « C’est avec juste sujet , dit-il, que ce livre doit « vous être présenté, tant pource qu'à ma simple requeste « vous l'avez si volontiers tiré de vostre bibliothèque pour «le donner libéralement au public que pour porter à si « bon titre le nom de vostre noble famille, qui estant « desia de soy assez recommandable pour plusieurs dignes « respects, recoit encor un très notable accroissement de « mérites en la personne de messire Jean de Béthencourt , 252 ACADEMIE DE ROUEN. « conquesteur des Canaries. » J'ai tout lieu de penser que le manuscrit que je présente aujourd'hui à l'Académie, soit qu'on doive le considérer comme l'original, soit qu'on n'y voie qu'une copie, est celui qui a servi pour l’impres- sion en 1630. Je le pense parce que la personne à laquelle il appartient a des alliances avec la famille de Béthencourt, précisément par une branche qui possédait la terre de Mauquenchy auprès des Forges, et de laquelle est sorti le conseiller au Parlement Galien. M. d'Avezac, garde des archives de la marine et des colonies, rédigeant pour l'Académie des inscriptions et belles-lettres un mémoire sur les découvertes faites au moyen-âge dans l'Océan- Atlantique , l’a consulté afin de constater l'exactitude du texte imprimé. M. Paulin Paris en a offert une somme considérable pour une collection publique de Paris. La personne qui le possède n’a pas voulu se dessaisir de ce document de famille. de vais donner une courte description de ce manuscrit. La chronique de l'expédition de Jean de Béthencourt con- tient cent soixante-cinq pages. On voit aux trois premières l'écusson au lion rampant de sable. Il est soutenu sur la seconde page par deux sauvages. Leur costume, exacte- ment semblable à celui que le dessinateur donne aux Guanches ou naturels des Canaries, porte à croire que ce sont aussi là des Guanches, deux de ces hommes amenés par Jean de Béthencourt à la foi chrétienne et à la civili- sation, qui présentent son emblème héraldique au lecteur. Il ne manque pas un seul feuillet au manuscrit. Il com- mence par une préface où les auteurs du texte se révèlent : «Et nous, frère Pierre Boutyer, frère de Saint-Jouin de « Marnes et Jean Le Verrier, prestre , et serviteurs du dit «de Béthencourt, dessus nommé, avons commencé à «mettre en escrit le plus de choses qui lui sont advenues CLASSE DES BELLES-LETTRES, 253 « à son commencement et aussi la manière de son gouver- «nement dont nous pouvons avoir eu vraye connoissance «dès ce qui se partit du royaume de France jusques au « 19 jour d'avril 1406 que le dit de Béthencourt est « arrivé aux iles de par deça. » On voit, à la première page de la relation, Jean de Béthencourt s’embarquant à la Rochelle ; des hommes de peine chargent les bagages sur un navire : ni Jean de Béthencourt, ni ceux de sa suite n’ont le costume mili- taire ; ils ont de longues robes comme des clercs. Le même costume s’observe sur je ne sais combien d’autres dessins. Dans la cinquième vignette, les Européens, arrivés à l’île de Fortaventure, se mettent à la poursuite des insulaires ; ils ont tous ici le costume de guerre , et marchent partagés en deux troupes: la première a deux étendards, dont l'un en forme de flamme présente une croix, et l'autre de forme carrée présente le lion rampant de sable. Ces deux emblèmes héraldiques sont encore figurés à la sixième vignette, où Gadifer refuse de recevoir au bord de son navire Jean de Béthencourt ; le costume civil de celui-ci fait contraste avec celui des guerriers qui le suivent. En voyant, à la page 79, Jean de Béthencourt rentrant à son château de Grainville-la-Teinturière, vêtu pour lors en véritable guerrier, le casque en tête, le corps couvert de fer, on peut supposer que cette porte placée entre deux tours surmontées chacune d’un toit conique reproduit celle du château maintenant détruit. IL serait trop long d'énumérer ce que chaque vignette représente ; cest assez que d'en avoir indiqué quelques-unes des plus remarquables. Il serait assez intéressant de savoir si c'est le manuscrit original dont les lignes ont été tracées par les deux cha- pelains : dans le cas d’affirmative, on pourrait supposer nee. — — — 254 ACADÉMIE DE ROUEN. que ceux-ci ont également été les auteurs des vignettes. L'écriture est lourde, écrasée, difhcile à déchiffrer, surtout exécutée currente calamo, comme l'est ordi- nairement celle du xv° siècle. Elle n'offre ni le posé du xvi® siècle, ni cette hardiesse, cette netteté, ces traits capricieux du xvr siècle, ni surtout cette ressemblance avec notre ronde, qu’on remarque dans la dernière. La généalogie qui commence au feuillet 8%, après la relation des deux chapelains, n'a pas été imprimée textuellement : elle a dû servir pour la rédaction de celle qui est insérée à la fin du volume de 1630. Je transcris le commencement de cette généalogie. « Après le trespas de messire Jehan de Béthencourt, conquéreur des isles de Canare , messire Regnault de Béthencourt, dit Morclet, son frère de père et de mère, fut et estoit son héritier : car le dit messire Jean sans hoires de son corps mourut. Lesquels deux frères estoient filz de messire Jehan de Béthencourt, chevalier, et de Marie de Bracquemont , lequel messire Jehan, en son vivant, estoit baron et seigneur de Saint-Martin-le- Gaillard, en la comté d'Eu, baron et seigneur de Grainville-la-Teinturière, et seigneur de Béthencourt, de Saint-Saire, de Ryville, du Grand-Quesnay et de Huqueleu, et encore de plusieurs autres seigneuries. Le dit messire Regnault de Béthencourt fut marié deux fois. Il espouza madame Marie de Bréauté, dame de Rouvray, dont il n’en yssit point lignée et mourut la dite dame. Après le dit messire Regnault espouza Phelipe de Troyes, de laquelle le dit chevalier eut un filz nommé Jehan. Lequel demoura sans terres et quelconques revenus. Avec ce il eut de grans et innombrables poines et povretés, que qui le saroit en seroit tout esbahy. » En poursuivant la lecture de cette généalogie, on CLASSE DES BELLES-LETTRES. 255 apprend qu'un Béthencourt, médecin de Rouen, qui fut mandé à Croisset, pour donner des soins au sieur de Civile , le mort enterré et ressuscité, qu'on y avait trans- porté pour qu'il ne füt pas gêné du bruit de la ville, était un des arrière-neveux du conquérant des îles Canaries. Le conseiller Galien de Béthencourt, fils de Jean de Béthencourt, médecin à Rouen, était le cin- quième arrière-neveu du conquérant des Canaries. Sous la même reliure du xv* siècle, qui a conservé les fleurs de lys compliquées de sa basane , on trouve encore un autre manuscrit qui commence par ces mots : « Est « le livre de la compilation faite par celluy qui point ne « veult que gloire ne louange lon luy donne pour son « rude entendement et insuflisance. » L'auteur y a réuni de nobles tables et de biaulx mots dorez. Ce ma- nuscrit est écrit de plusieurs mains. Ses divers chapitres contiennent des observations judicieuses sur un grand nombre de matières disposées par ordre alphabétique. Un article est intitulé : « La plus grande richesse de ce « monde c’est la santé du corps des roys et de leurs « royaulmes. » Il commence en ces termes: « Ainsi « qu'il appartient au peuple d'estre subject et obéissant à « la Majesté, tout ainsi appartient-il au roy d’entendre « diligeament au gouvernement de son peuple, et plus que « au sien. Car tout ainsi est le roy avec son peuple « comme l'ame est avec le corps. Qu'un roy s'efforce « d'assembler trésor par extorsion ou autrement, « idemment c’est mal fait et péché : car tel trésor ne se « peut assembler que ce ne soit en despeuplant son « royaulme. » L'article intitulé : « Femmes » n'est pas précisément écrit sous l'influence de l’ancienne galanterie française : tant s’en faut; on en peut juger par cet échantillon : « II « nest nul plus grand empeschement que de ignoranre 256 ACADÉMIE DE ROUEN. « de femme. Une femme portoit feu à laquelle ung sage « dit: le plus chault porte plus fort. Il vit une femme « malade à laquelle il dit : le mal repose avecques le mal. « On menoit une fame à la justice, et plusieurs fames « pleuroyent après elle ; il leur dit: le mal se couronne « pour le mal qui se perd. Comment pourroit-on « eschapper de tout mal? Pour quelque chose que ce « soit, gardez- vous d'obéir aux fames : car toutes sont « semblables aux malins. » Après avoir feuilleté les pages de ce manuscrit, On trouve , à la dernière, ces mots qui apprennent que le ré- pertoire des mots dorets contenutz en plusieurs volumes des sages, tant philosophes, poètes, peut se trouver ailleurs que dans ce manuscrit « imprimé à Paris pour « Anthoine Vérard, libraire, demourant sur le pont « Nostre-Dame , à l’image Sainct-Jehan l’évangéliste , ou « au Paslais, au premier pillier de la salle devant la « chapelle où on chante la messe de mes seigneurs les « présidents. » Il serait donc superflu de m'arrêter plus longtemps à ce manuscrit; c’est celui des conquêtes de Jean de Béthencourt qui fait le véritable mérite du volume. PANNAGEN LES PLUS INTÉRESSANTS D'UN OUVRAGE ITALIEN CONCERNANT DEUX SÉPULCRES ROMAINS DÉCOUVERTS PAR M. LE Mis CAMPANA ; Trapurrs Par M. BALLIN. (Lecture du 28 avril 1854, ÿ S -— Messieurs», Je vais avoir l'honneur de vous entretenir d’un ouvrage italien (1) que M. Capplet, d'Elbeuf, m'a communiqué, il y a peu de temps, au retour de son quatorzième voyage à Rome. . L'auteur, M. le marquis Campana, officier de la Légion d'honneur, dignitaire de plusieurs ordres de divers pays, membre de plusieurs Sociétés savantes, l’un des hommes les plus éminents de Rome et possesseur d'un des plus beaux cabinets d’antiquités de cette ville, si riche en col- lections de ce genre , a fait imprimer cet ouvrage en 1852; c’est la description détaillée de deux sépulcres romains du temps d'Auguste, découverts récemment à peu de distance du tombeau des Scipions , description qu'il a lue à l'Académie romaine d'archéologie , et qui me semble de {1) Un beau volume grand in-4°, accompagné de 16 planches, 17 258 ACADÉMIE DE ROUEN. nature à exciter vivement l'intérêt de tous les amateurs d’antiquités. Les Romains, vous le savez, Messieurs, ont surpassé tous les peuples de l'antiquité par leur pieux amour, leur respect religieux pour les morts, et surtout par la splendeur qu'ils ont déployée dans leurs funérailles, par la magnifi- cence de leurs tombeaux, dont quelques-uns pouvaient rivaliser avec le célèbre mausolée du roi de Carie et les fameuses pyramides d'Egypte. L'extension progressive des nécropoles aux environs des villes habitées, ayant fait sentir la nécessité de les res- treindre , paraît avoir donné naissance à la construction d’édifices d’une forme particulière, destinés à recevoir, dans un local, relativement peu spacieux, un grand nombre de sépultures , et auxquels on a imposé le nom de colum- baria, à cause des petites niches funéraires qu'ils renfer- ment, et qui leur donnent, en effet, une certaine ressem- blance avec les bâtiments destinés à recevoir les nids des pigeons. M. Campana ne craint pas d'aflirmer que la grandeur et la magnificence qu'on admire à l'extérieur des plus splen- dides monuments sépulcraux de Rome sont égalées par l'exquise élégance qui semble faire, de l'intérieur des columbaria, le sanctuaire des arts d’où, chose remar- quable , on a pris à tâche d'éloigner toute idée de tristesse ; on y a prodigué les ornements les plus ingénieux, les sujets les plus riants : des fleurs, des oiseaux, de petits génies symboliques, dont les formes et les attitudes diverses paraissent destinées à rappeler le caractère, les goûts des défunts ; et le séjour de la mort est transformé en jardins fleuris , en riches et joyeux salons, en temples gracieux consacrés , il est vrai, à la mémoire vénérée, mais aussi ‘à l’agréable souvenir des trépassés. On dirait que, par ces innocents artifices , les anciens eussent voulu rendre CLASSE DES BELLES-LETTRES. 259 la mort moins effrayante en cachant son hideux aspect sous un masque souriant et qui rappelle la vie. Ilest, près de la Rome moderne, une contrée presque sauvage, s'étendant au loin, depuis les restes majestueux des thermes de Caracalla jusqu’à la porte Latine, dans la direction du mont Célius, et longeant, d’un autre côté, la voie Appienne qui sort de la ville par l'arc de Drusus. Le voyageur, en parcourant ces lieux , n’aperçoit que des terrains mal cultivés , où s'élèvent cà et là quelques misé— rables cahutes formées, sans art, de vieux matériaux et d’antiques pierres tumulaires. Les malheureux habitants de ces masures en sont chassés pendant l'été par la crainte de l'air malsain qui s’en exhale ; elles deviennent alors la paisible retraite du corbeau croassant et du lamentable hibou. Il semble que le deuil y ait établi sa résidence et qu'il conseille au passant de s’en éloigner, comme d’un lieu fatal. Néanmoins, cet état d'abandon rappelle le souvenir d'une époque bien éloignée, mais grandiose et sublime. Ces tristes débris de monuments qui, lorsqu'ils étaient debout, attestaient la gloire des anciens héros, font vibrer le cœur de l’antiquaire et lui parlent un langage plus énergique et plus éloquent que ne le fut jamais celui des orateurs. En foulant cette terre, dont les plus petites parcelles renferment les cendres d’un illustre Romain, l'homme instruit remonte l'échelle des temps et voit passer dans son esprit toute l’histoire de ce peuple qui, s’il ne fut pas exempt de vices, fut toujours magnanime , et dont les triomphes, qui n'eurent point d'égaux, ne seront jamais surpassés. Tout occupé de ces pensées, encouragé par ses premières trouvailles, M. Campana ne se lassa pas de poursuivre, pendant plusieurs années, ses observations, ses recherches, qui furent enfin couronnées de succès inespérés. C'est précisément au genre des columbaria qu'appar- 260 ACADÉMIE DE ROUEN. tiennent les deux monuments qu'un heureux hasard a offerts à sa persévérance, et qu'un hasard plus heureux encore avait soustraits, jusqu’à nos jours, aux injures du temps et aux dévastations des hommes. C'est leur monographie , traitée avec l'amour d’un véri- table antiquaire et l'érudition d'un savant distingué, qui est le sujet du livre remarquable dont M. Campana vient d'enrichir la science archéologique. Il commença ses premières recherches aux environs du tombeau des Scipions, dans l'espérance de retrouver les sépultures de quelques autres membres de cette illustre famille ; et, s’il ne lui fut pas donné d'atteindre ce but, il en fut bien dédommagé par la découverte d’un grand nombre d'autres monuments pleins d'intérêt dont il se réserve de faire plus tard l’objet d’une nouvelle publica- tion. Cependant , il se dirigea du côté de la porte Latine, près des hautes murailles dont l’origine remonte à lem- pereur Aurélien , vers l'an 270. Là, sous un monceau de décombres, entouré de marbres brisés, de monuments en ruine , il eut le bonheur d’apercevoir, vis-à-vis de l’an- cienne basilique de Saint-jean , ante portam Latinam , le commencement d’un escalier qui paraissait devoir conduire à un souterrain. C'était, en effet, l'entrée d’un sépulcre. Après avoir descendu quelques degrés, l'observateur se trouve en face du côté principal de l'édifice. Il aperçoit d'abord un monument plein de noblesse et d'élégance portant une inscription en mosaique ; il se compose d’une niche carrée dont les côtés sont revêtus de marbre de Carie et couronnés d'une petite voûte capricieusement ornée de concrétions calcaires. Cette niche et celle de dessous sont décorées d’un ornement aussi élégant qu'in- connu jusqu'à ce jour, formé de coquilles disposées avec art, sur un fond d'une teinte purpurine , destinée peut-être CLASSE DES BELLES-LETTRES. 26t à rappeler les murex dont on tirait la fameuse couleur de pourpre aujourd'hui perdue. Cette décoration est ana- logue à celle des deux élégantes fontaines découvertes, en 1827, à Pompei. Dans cette niche , sur une tablette de marbre du plus beau blanc, avaient été placés deux vases funéraires en verre, à deux anses, d’une forme rare, mais qui étaient malheureusement brisés. Au-dessous est une inscription en mosaique de pâte de verre , ornée de deux griffons d’un beau dessin, au milieu desquels s'élève un trépied delphique. En continuant de descendre l'escalier, l'explorateur fut introduit dans une chambre peu étendue, mais admirable d'invention et d'exécution artistique et pittoresque, d’un genre tout-à- fait nouveau. Le monument, parfaitement construit en briques, est un parallélogramme rectangle, dont les côtés sont entr'eux comme 7 est à 8, avec l'addition, sur l’un des grands côtés, d'un hémicycle dont le diamètre comprend les deux tiers de ce côté (fig. 1°). L'épaisseur des murs est d'environ 45 centimètres; les constructions de marbre, qui forment les tombeaux et les niches où sont déposées les urnes sépulcrales, ont une profondeur à peu près égale, excepté d'un côté où elles sont presque doubles , et les- calier vient encore restreindre l'espace libre , qui n'a guère que 3 mètres 10 centimètres de large sur 3 mètres 60 cen- timètres dans sa plus grande longueur, au fond de lhémi- cycle, ce qui donne au sol libre une superficie d'environ 11 mètres carrés. En face du dernier palier de l'escalier, on lit l'inscription : DIS. MANIBVS. SAC. qui annonce que ce lieu est consacré aux dieux Mânes, et cette espèce de dédicace générale explique, dit l'auteur, l'absence, dans plusieurs inscriptions tumulares, des lettres D. M. qu'on y voit ordinairement ailleurs. Certaines inscriptions et 262 ACADÉMIE DE ROUEN. quelques médailles trouvées dans ce sépulere prouvent qu'on y déposait encore de nouvelles sépultures du temps d'Adrien , c'est-à-dire au commencement du I: siècle. Sur le sommet d’un petit édifice très élégant , on voit un admirable vase cinéraire, d’où s'exhala, lors de son ouver- ture, une agréable odeur, provenant d'une liqueur qui humectait encore des restes d'os à demi brûlés. On admire , dans plusieurs de ces petits monuments, le talent avec lequel les artistes ont su employer les stucs et marier la peinture à l'art plastique. La plupart des orne- ments rappellent ceux des thermes de Titus et de tant d'autres édifices romains dont on déplore aujourd'hui la perte. j Je passe les minutieux détails des urnes, des inscrip- tions, des pilastres, des colonnettes, des corniches et des sujets peints ou sculptés, ainsi que les dissertations et conjectures auxquelles ils donnent lieu, pour vous faire assister à l'ouverture d’un cercueil d'argile dans lequel était placé un corps richement vêtu, et si bien conservé, qu'on y reconnut le visage d'une femme qui, depuis des siècles, v dormait d’un sommeil de mort, mais aussitôt qu'il fut exposé à l'air, il se décomposa en- tièrement et se réduisit en poussière , ainsi que ses vête- ments, sous les yeux mêmes de l'explorateur, ce qui lux fit penser à ce vers de Pétrarque : Véramente siam noi polvere ed ombra (son. 26). C'est au surplus l'avertissement que nous donne le prètre , après les folies du carnaval, en nous rappelant que, formés de poussière , nous redeviendrons poussière. Au milieu de cette poussière brillaient des fils d’or très fus qui avaient enrichi le tissu du vêtement ; d'autres parcelles d’or, des morceaux de verre de diverses cou- CLASSE DES BELLES-LETTRES. 263 leurs et de petites émeraudes indiquaient les fragments d'un collier qui avait dû orner le cou de la défunte ; y avait aussi des restes de pendants d'oreilles et une élé- gante épingle d'or, du genre de celle que les Latins appe- laient acus crinales , dont la forme se rapproche de celle des longs flambeaux qui sont l'un des attributs de Cérès. Aucune inscription n’a pu indiquer quelle était cette morte, mais elle tenait entre ses dents une monnaie de Faustine, femme d'Antonin le philosophe, ce qui peut faire sup- poser qu'elle vivait au [T° siècle. Au pied de l'escalier, dans la partie la moins ornée du sépulcre, était un autre cadavre entier dans un cercueil de terre cuite, couvert de grandes tuiles , sans inscription. Ce sépulcre offre une particularité tout-à-fait remar- quable : au centre de l'hémicycle, dont le sol est formé d’une espèce de ciment battu, se trouve un petit bloc de marbre carré, percé d’un trou dans lequel s'adapte un tube de terre cuite. Ce bloc ayant été enlevé laissa voir une petite fosse, en partie remplie d'un amas de petits ossements qui furent reconnus pour être des phalanges de doigts d’un grand nombre d'individus différents. M. Cam- pana entre, à cet égard, dans des explications qui me paraissent mériter d'être rapportées. Les anciens Romains, dit-il, observèrent deux sortes de sépultures : l’inhumation, plus usitée dans les pre- miers temps de Rome, et l'ustion, qui devint plus fré- quente au temps d'Auguste ; mais l’inhumation reprit la vogue sous Antonin, et, plus tard, l’ustion fut tout-à-fait abandonnée. Ce furent les rits religieux des chrétiens , ce furent les édits de Gratien et de Théodose-le-Grand qui, vers la fin du IV' siècle, prohibèrent l'usage de brûler les morts, et, en effet , on ne trouve aucune trace de cet usage dans les catacombes. 264 ACADÉMIE DE ROUEN. D'un autre côté, Varron (1) et Cicéron (2) rapportent qu'il était de croyance, chez les Romains , que la famille d'un défunt était considérée comme souillée et impure tant que le corps n'était pas inhumé. Toutefois, il n’était pas nécessaire, pour s'affranchir de cette espèce de répro- bation religieuse, que le corps entier fût enterré, il sufli- sait, pour réhabiliter la famille , de couper un petit os du corps du défunt, et, suivant la prescription des prêtres , de le mettre promptement en terre. Les parents qui s'étaient ainsi purifiés pouvaient ensuite préférer l’ustion à l'inhumation, si quelque motif particulier déterminait leur choix. I est donc très probable que la petite fosse en question devait être le dépôt général des petits os soustraits aux corps des défunts qui avaient reçu la sépulture dans le sépulcre dont nous nous occupons , et qui, tous, avaient été brûlés , à l'exception des deux dont j'ai parlé. Quant au tube de terre cuite placé dans le trou qui communique à cette petite fosse, il est présumable qu'il servait à l'introduction des libations qu'on faisait sur cet ossuaire, dans la célébration annuelle des sacrifices offerts aux mânes. Maintenant, Messieurs, si nous portons nos yeux vers la voûte élevée et très bien conservée de ce temple de la mort, nous la verrons merveilleusement décorée des plus gracieuses peintures. Au milieu de tiges de vignes chargées de pampres verts et de superbes grappes de raisin , s’entrelacent des branches de grenadier, parmi les- quelles voltigent huit petits génies ailés, couronnés de (4) Lib. IV, de Lingua latina (2) Lib. HT, de Legibus. CLASSE DES BELLES-LETTRES. 265 laurier et portant sur l'épaule un petit manteau bleu de ciel. Cette voûte est aussi parsemée de jolies fleurs, de légers papillons et d'oiseaux aux couleurs variées qui semblent sauter de branche en branche et prêts à faire entendre leurs chants harmonieux. L'exploration du sépulcre a fait découvrir divers instruments de fer et de bronze, tels que : ciseaux, maillets, pelles et autres ustensiles du même genre, qui paraissent avoir servi à la construction de l'édifice, et que les ouvriers y ont laissés, les considérant comme con- sacrés aux dieux Mânes, et ne devant, par conséquent, pas être profanés en les employant à d’autres usages. On y découvrit aussi, près des urnes, un grand nombre de lampes, la plupart en terre cuite, et quelques- unes en bronze, représentant des sujets variés, graves ou bouffons, ainsi que ces petits vases d'argile ou de verre, auxquels les antiquaires donnent l'épithète de lacrymatoires ; mais je ne dois pas vous laisser ignorer que M, Campana la condamne comme étrange et ridicule. est vrai, dit-il, que les écrits des anciens, et particu- lièrement les œuvres poétiques, font mention de larmes répandues sur les cendres ou les os des personnes chères enlevées à leur tendresse, et que, dans les épitaphes anciennes et modernes, on emploie les mots cum lacrymis, mais chacun doit reconnaître dans quelle erreur grossière tomberait quiconque interprèterait cette expression dans le sens matériel, et plus absurde encore serait, suivant l’auteur, la supposition que ces larmes eussent été soigneusement recueillies dans des vases pour les placer à côté des restes des morts. Il est donc hors de doute, ajoute-t-il, que ces petits vases ne contenaient que des parfums ou des liqueurs destinées à faire des libations en l'honneur des défunts, de même que tous les ustensiles semblables d’albâtre ou de craie cuite qu'on 266 ACADÉMIE DE ROUEN. découvre fréquemment dans les tombes égyptiennes où étrusques. M. Campana termine cette première partie de son ouvrage en faisant remarquer que, plein de vénération pour cet asile de la mort, il à laissé scrupuleusement chaque chose à sa place, mais que, parmi les amateurs qu'il a complaisamment admis à visiter ses columbaria, il s’en est trouvé qui, loin de se montrer reconnaissants de cette faveur , et poussés par un faux amour des choses de l'antiquité, n'eurent pas honte de s'emparer furti- vement de quelques-unes de ces reliques, sans plus de respect pour la propriété des vivants que pour le droit des morts. Après cette importante découverte, M. Campana n'était pas homme à rester inactif, et ses nouveaux travaux obtinrent un magnifique résultat, puisqu'il dé- couvrit, à peu de distance du premier, un second sépulere du même genre, tout aussi bien conservé, à l'exception de la voûte qui s'était enfoncée ; il était d’ailleurs plus grand, et réunissait un plus grand nombre de précieuses épitaphes, sculptées dans Île marbre ou tracées à la pointe sur le stuc:; il offrait en outre d'élégantes peintures à fresque, ainsi qu'un nouveau genre de division architectonique formant plu- sieurs centaines de niches et de petits monuments, dans un ordre symétrique, contenant tantôt des urnes et des vases de marbre, tantôt des poteries d'argile, destinés à conserver des dépôts de cendres funéraires, tantôt des marbres sculptés représentant les personnages auxquels ces tombeaux étaient consacrés. Le plan de ce sépulcre offre la figure d’un rectangle d'environ 7 mètres 50 centimètres de long, sur 5 mètres 65 centimètres de large à l'intérieur ; dans le pourtour se trouvent trente-six rangs de niches disposées en lignes CLASSE DES BELLES-LETTRES. 267 horizontales et verticales ; quelques-unes se distinguent par la profusion des ornements, d’autres par une noble simplicité. Les quatre murs, tronqués précisément à l'endroit où était l’imposte de la voûte, ont la même hauteur d'environ 7 mètres , divisés en neuf étages de niches. Au milieu de la salle s'élève un vaste et remarquable pilier rectan- gulaire qui doit avoir servi de support à la voûte, et qui fut en même temps disposé pour recevoir un assez nombreux dépôt d’urnes funéraires, car il est percé de plusieurs rangs de petites niches différentes par la forme et l’ornementation, ce qui contribue à donner plus d’in- térêt à l'aspect général du monument; les grands côtés de ce pilastre ont environ 6 mètres, et les petits un peu plus de 2 mètres, ce qui réduit l’espace libre à environ 30 mètres carrés (fig. 2°). Par sa grandeur et son importance ce monument sur- passe tous ceux du même genre, si l’on en excepte celui des affranchis et serviteurs de Livie, qui fut découvert dans le dernier siècle, et malheureusement saccagé presqu'aussitôt. Ce sépulcre révèle la curieuse coutume de placer sur les urnes, entièrement enfoncées dans la maçonnerie, au lieu de couvercle, un morceau de marbre, herméti- quement scellé, ordinairement carré, creusé tantôt comme le fond d’un mortier , tantôt en forme de coquille ou de patère, et percé d'un grand nombre de petits trous, afin de pouvoir faire pénétrer à l'intérieur les liquides consacrés aux libations L'inscription entoure la partie concave ou est placée au-dessous en ligne courbe ou droite. Ainsi s'explique l'usage de ces marbres qui étaient déjà connus, mais qui n'avaient jamais été trouvés à leur place, et dont, par conséquent, la destination n'avait pas encore été bien définie. 268 ACADÉMIE DE ROUEN. : Nos deux columbaria ont présenté trois exemples sin- guliers de sépultures d'animaux, placés probablement près des restes des maîtres qui les avaient chéris; dans le premier, deux urnes renfermaient chacune le squelette d’un petit chien, dans le second, une urne contenait les ossements bien conservés d'un petit chien et de deux oiseaux. M. Campana relate plus de deux cents inscriptions qui , sans offrir un grand intérêt historique, lui fournissent l'occasion d'expliquer , avec autant de sagacité que d’éru- dition, les usages religieux qui se rapportent aux funé- railles des anciens; mais je craindrais, Messieurs, de fatiguer votre attention en essayant de vous les retracer, ce qui m'entrainerait à traduire l’ouvrage presque en totalité. Je joins ici les plans des deux monuments que j'ai réduits et rapportés à l'échelle commune de 1 centimètre pour mètre, ce qui met à portée d'en apprécier et d'en comparer la grandeur. te) DE —— Ac ce e f CL. aus Zrcltc. bars. des deux Cher AtT LR CP & 0 0 69 © 0 0 6 6 6 © © © © © © @ | Jocoocsele 60006 @@0%0 e | +1 2 ® | 8 | & e © | e | o © © °Ë Lin. A Peron Rouen FRAGMENTS D’UNE ÉTUDE SUR M"° DE STAËEL. Par M. CARO, Professeur de Philosophie au Lycée impérial de Rouen. — (Communicetions des 2 et 23 Juin 1854, — La gloire ne saurait étre pour une femme qu’un deuil éclatant du bonheur, (De l'Allemagne, HI° part., ch. x1x.) 1°" FRAGMENT. Le bonheur pour une femme est-il fixé ailleurs qu'à l'ombre du foyer domestique? Y a-t-il une autre destinée pour elle que la pratique austère des devoirs de famille ? Ya-t-il pour elle d'autre récompense légitime que cette couronne d’affections que l’homme dépose sur le front d’une épouse ou sur le front d’une mère? Ou, s’il arrive qu'une femme, cédant aux entrainements de son génie, déserte l'abri silencieux de son foyer pour le champ de bataille où se gagne la gloire, peut-il se faire que, dans cette vie nouvelle et dans cette lutte tumultueuse de l'intelligence, elle rencontre ce vrai bonheur qui n’est pour chacun de nous que le gage de notre destinée accomplie? Que de fois ne tournera-t-elle pas un re- gard attristé vers cette plage tranquille, où elle a laissé 270 ACADÉMIE DE ROUEN. la paix du cœur pour tenter cette mer et ces orages de l'intelligence, plus terribles mille fois que l'Océan et ses tempêtes ! Corinne monte au Capitole , elle y monte, aux applau- dissements de l'Italie ; elle a touché les plus hautes cimes où le génie couronne ses élus ; triomphante , adorée, vous la diriez heureuse : tout se prosterne sur son passage ; les têtes les plus fières s’inclinent devant elle ; que lui manque-t-il ? Et pourtant son bonheur est inquiet, son front n’a plus sa sérénité ni son éclat; un regard a suffi pour déconcerter son triomphe ; elle a vu Oswald, elle n'est plus heureuse, elle ne peut plus l'être; sa belle destinée s'achève dans les larmes, et, désignée à l'in- fortune par sa gloire , elle n’a plus qu'à mourir. Corinne nous révèle Me de Staël. Quelle femme reçut jamais du ciel de plus riches facultés pour être heureuse ? Quelle âme plus sensible et mieux douée pour recevoir et donner le bonheur? Sa vie ne fut qu'une fête et qu'un triomphe. Elle parlait, et sa parole éveillait l'enthousiasme au cœur des plus froids et des plus sceptiques. Elle écrivait : l'Europe en armes applaudissait à ses accents inspirés, vengeurs de la pensée libre. Elle aimait, elle était aimée : que manquait-il à son bonheur ? Et plus d’une fois, pourtant , elle jeta un regard d’envie sur d’autres existences plus humbles et plus austères, qui, près d'elle, s’écoulaient dans une silencieuse obscurité. Plus d’une fois, elle s'interrogea avec eflroi; elle se demanda si elle n'avait pas mal choisi sa destinée, si, placée entre la gloire et le bonheur, elle n'avait pas sa- crifié les joies tranquilles du cœur aux jouissances amères et tourmentées du génie. Et, dans un de ses derniers ouvrages, quand ses années étaient sur leur déclin, à cette heure mélancolique où, du sommet de la vie, le regard aperçoit déjà la pente qu'il faut descendre, CLASSE DES BELLES-LETTRES. 271 Me de Staël laissa échapper de son âme ce cri de douleur, qui semble être comme le remords d'un trop vifamour de la renommée, ou plutôt comme le tardif désaveu d’une erreur : « La gloire ne saurait être pour « une femme qu'un deuil éclatant du bonheur. » Cette parole, avant de l'écrire, Me de Staël a dù la pro- noncer plus d’une fois dans un de ces dialogues intérieurs où l'âme s’entretient douloureusement avec elle-même ; elle a dù la prononcer dans ses promenades rêveuses, sous ces grands arbres héréditaires qui murmuraient à l'illustre exilée de Coppet le nom de son père, ce grand ministre tombé de si haut dans un tel isolement et dans un tel oubli ! S'il est une destinée plus spécialement désignée à la souffrance, c’est la destinée de ces intelligences d'élite qui ont le pressentiment mystérieux de l'avenir, et qui viennent annoncer à la génération contemporaine le secret des générations nouvelles appelées à la remplacer sur la scène de l’histoire. M"° de Staël eut ce glorieux et fatal privilége. Fille du xvur' siècle, elle appartient au xixe siècle par les tendances de son génie. Sa pensée la fait notre contemporaine. Elle a tous les caractères de la génération qui doit succéder à l'Empire : le goût vif de la liberté, une foi enthousiaste dans l'avenir de l’hu- manité ; l'amour, ou plutôt l’adoration du progrès, cette idole philosophique dont Turgot et Condorcet avaient été les premiers apôtres : en morale, un spiritualisme exalté, une sensibilité vive et romanesque, le don des larmes, une manière fort élevée d'entendre la passion et de tout ramener au sentiment, en littérature, le désir hardi d'affranchir la poésie des entraves d’une froide étiquette ; la tentative heureuse de retremper les lettres aux sources nouvelles du christianisme et de la chevalerie, et l'auda- cieuse pensée de faire goûter à l'esprit méthodique de la 272 ACADÉMIE DE ROUEN. France une littérature pleine de surprises, celle de l'Alle- magne , où cet idéal était en partie accompli. Voilà quel fut l'œuvre de M"° de Staël. En politique comme en littérature, elle prend décidément contre le passé le parti de l'avenir. Ainsi, associant diverses influences , mélangeant diflérents esprits, tempérant la démocratie absolue de Rousseau par la sagesse de Montesquieu, annonçant à la France l'ère nouvelle des gouvernements représentatifs, introduisant dans Ja poésie et dans l’art l'esprit de réforme plutôt que l'esprit de révolution, mêlant à son rare bon sens des élans d’un mysticisme sentimental, et consacrant toutes ses audaces du droit divin de son génie, Mm° de Staël a cette gloire singulière d'avoir reflété d'avance et comme par instinct tous les caractères auxquels se reconnut la géné- ration qui devait lui survivre ; mystérieuse pensée de la Providence qui la fit naître cinquante ans d'avance, comme pour essayer en elle les nuances et les traits divers dont se composa plus tard la physionomie morale de la France! Comme elle, la France devait après l'Empire modeler son gouvernement sur l'idéal de Montesquieu, que devaient malheureusement altérer des dogmes surannés et des passions fanatiques ; comme elle, la France devait relever hautement cette doctrine du spiritualisme qui ne suffit pas sans doute à résoudre tous les doutes, ni à calmer toutes les inquiétudes de l'âme, mais qui du moins constitue un immense progrès sur le sensualisme du dernier siècle, rehaussant les caractères au niveau des plus grandes vertus, et préparant ainsi dans le monde moral le retour du principe immortel de la charité chrétienne , depuis longtemps exilé de l'empire des consciences, et tombé de ce trône éclatant où le xvnt siècle l'avait fait s'asseoir entre la gloire de Louis XIV et le génie de Bossuet! Comme elle enfin, CLASSE DES BELLES-LETTRES. 273 la France brisa ce cadre artificiel où sa pensée étouffait, et, si la littérature, une fois émancipée du joug, a plus d'une fois abusé de sa liberté nouvelle, n’en accusons pas M" de Staël qui, au besoin d'innovation et de ré- formes, ne sacrifia jamais le culte sévère de la morale et les éternelles traditions du goût. Génie enthousiaste, pensée virile, volonté hardie, Me de Staël avait pour elle tout ce qui fait la fortune des intelligences d'élite et le triomphe assuré des âmes fortes. Homme , de pareilles facultés l’auraient mise au premier rang ; elle aurait imposé son génie à son siècle. Femme, elle usa dans des luttes ingrates ces grandes qualités qui la désignaient aux grands rôles d'un État ; née pour l'ac- tion , elle consuma sa force dans la résistance. Plaignons les femmes qui sentent s'éveiller en elles d'indomptables ambitions ! Plaignons ces âmes qui semblent nées pour agir et que la société condamne au repos ! Plus heureux, les grands hommes modèlent leur siècle sur eux-mêmes ; ils impriment leur idéal à toute l'époque dont ils sont les contemporains ; ils façonnent les événements à leur res- semblance : chacune de leurs pensées a son contre-coup dans l’histoire. Une femime ne peut, dans aucun cas, posséder ce merveilleux privilége de faire l'histoire et de se peindre dans ses actes. L'opinion l’emprisonne dans le cercle infranchissable d'une impuissance systématique. Le génie même n'a pas le droit d'intervertir l'ordre néces- saire et de bouleverser la nature. C’est justice ; mais cela nous explique pourquoi les femmes, même les mieux douées de la pensée qui conçoit et de la volonté qui exé- cute, se sont toutes consumées dans des ambitions impuis- santes : l’action n’a jamais couronné leur pensée. M"° de Staël ne put donc essayer que de la résistance , rôle ingrat et stérile ; elle ne put participer aux affaires de l'Etat que par de lointaines influences ; aussi dut-elle plus d'une fois 18 274 ACADÉMIE DE ROUEN. maudire cette dure condition de son sexe qui lui interdisait le droit et le pouvoir d'agir. Elle ne donna son nom à aucun événement de l'histoire, et cependant il n'y eut jamais une âme aussi naturellement faite pour un grand rôle, et qui portât aussi haut qu'elle le génie viril de l'action. C'était là sa grandeur, ce fut là aussi sa misère. Elle souffrit, mais devons-nous nous en plaindre ? Son énergie refoulée éclata en grandes et fortes œuvres de l'intelligence ; sa force comprimée changea de route; elle ne trouva pas son issue dans l’action , elle la chercha dans la pensée : voilà le secret de cette vigueur incom- parable , de cette originalité si distinguée et de celte hau- teur de vues qui semblent être le trait distinctif et l'allure paturelle du génie de M: de Staël. Elle retrouva ainsi d'un côté ce qu'elle perdait d'un autre, et, par l'effet d'une merveilleuse compensation, elle gagna certaine- ment en gloire tout ce qu'elle aurait voulu et ce qu'elle n'eut pas de pouvoir : ses facultés actives se déplacèrent ; elles s’appliquèrent à la pensée, et la postérité qui ne considère que les résultats, a le droit de s’en applaudir. La vie de Mrw° de Staël est donc l'histoire, non de ses actes, mais de ses pensées, disons aussi l'histoire de ses sentiments. Trop souvent il arrive que les grands dons de l'intelligence étouffent les affections humaines; que la raison , qui cherche à s'élever au ciel, rompt ces doux liens qui l’attachent à la terre, et que le génie oublie d'aimer. M”° de Staël ne l’oublia jamais. Le cœur eut une large part dans son existence ; le premier événement de sa vie fut un sentiment. Cet événement, ce fut l'affection singulièrement vive que son père lui inspira. On peut dire que cette affection devint une passion, et que cette passion fut la plus sérieuse et la plus profonde que ressentit jamais Me de Staël, C’est à un phénomène moral à étudier, C’est là aussi, si je lose CLASSE DES BELLES-LETTRES. 275 dire, un phénomène littéraire. Le nom et le souvenir de son père se mêlèrent constamment à ses œuvres, et il n’y a guère un seul écrit de cette femme illustre où la figure tant aimée de M. Necker n'occupe un coin choisi du tableau. On peut dire que cette affection fut pour elle la source intime des plus délicates inspirations. L'amour de Mme de Staël pour son père n'a rien qui lui puisse être comparé, si ce n'est l'amour extraordinaire de Mr: de Sévigné pour sa fille. L'une et l’autre , prêtresses un peu sentimentales d’un culte presque superstitieux , ont idéa- lisé l’objet de leur culte par tous les prestiges de leur imagination. Ce sont là des sentiments qui appartiennent à l'histoire. Les noms de M"° de Grignan et de M. Necker sont liés par la mémoire de la postérité à des noms plus illustres qui leur communiquent quelque chose de leur immortalité. Me de Sévigné se peut-elle séparer de sa fille? Me de Staël se peut-elle séparer de son père ? Me de Sévigné avait mis toutes ses affections et toutes ses espérances de bonheur sur la tête adorée de sa fille. Pour se tenir en garde contre les séductions de la cour et jes faciles illusions d’un cœur né sensible et froissé par le malheur d’une première union, cette jeune et illustre mère dut pratiquer avec une sorte de fanatisme les austères devoirs et les saintes affections de la famille. Elle aima sa fille de tout cet amour qu’elle sentait dans son âme et qui n'avait pas eu d'objet. Il y eut quelque chose d’analogue dans la vie de M": de Staël : nature vive, expansive, imagination brillante, esprit original et libre d’allures, M'e Germaine Necker avait eu à souffrir plus d'une fois des réserves excessives de sa mère, femme distinguée , mais sévère jusqu’à la rigidité. Cette vivacité charmante s’arrangeait mal des froideurs calculées de Me Necker, et cette franchise, naïve jusqu'à l'imprudence, se heurtait trop souvent contre des principes trop rigou- 276 ACADÉMIE DE ROUEN. reux, pour qu'il pût y avoir entre la fille et la mère, même dans les relations du premier âge, un complet abandon. L'amour filial de M'° Germaine prit donc envers Me Necker un tour plus respectueux que tendre, et se reporta dans toute son ardeur sur son père qui compre- nait mieux la naïve originalité de cette jeune âme. Mie Necker savait déjà aimer jusqu'au sacrifice, à cet âge où, dans sa charmante ignorance de la vie, l'en- fant sent à peine s’éveiller son cœur. Toute jeune encore, elle voulut épouser l'historien Gibbon pour rendre plus faciles les entretiens de son père avec le spirituel Anglais ; trait naïf et touchant d’une abnégation qui sera capable plus tard des plus grand sacrifices. Le caractère s'annonce: l'enthousiasme commence, et l’on voit déjà dans cette spirituelle vivacité, prête au dévoûment comme à la répartie, quelle tendresse de cœur unie à quel charme et à quelle force d'esprit. Mie Necker eut l'inspiration du dévoûment avant l’âge des pensées sérieuses. Mais faut-il tenir compte de son âge? Tout en elle était précoce : le cœur et le génie. Qu'on se représente cette enfant enjouée et rieuse, assise sur son tabouret de bois et dominée par le regard sévère de sa mère. Grimm la raille agréablement ; l'abbé Raynal l’entretient avec un singulier plaisir : il jouit de se voir si bien compris par une si jeune intelligence ; mais l'enfant est presque muette. Elle ose à peine donner car- rière à sa vivacité naturelle; elle contient sa malicieuse ironie. Ne craignez rien, tout est sauvé. M. Necker arrive, et sa fille recouvre comme par enchantement sa parole finement railleuse , ses réparties inattendues, sa gaîté, sa verve spirituelle d'enfant écoutée et applaudie. Grimm harcèle et provoque ce jeune esprit ; il se complaît dans cette lutte vive et caustique où les rieurs ne sont pas tou- jours de son côté. Raynal écoute à son tour ; et l’une des CLASSE DES BELLES-LETTRES. 277 sociétés les plus brillantes de Paris se groupe autour du tabouret de bois, ce trépied de la Jeune sibylle ; et déjà l'on pressent la femme illustre dont la parole hardie et brillante, passionnée , agressive , excitera un Jour de si vives sympathies en provoquant de si ardentes colères ! M'e Germaine nous annonce Mc de Staël , êt le tabouret de bois nous présage le fauteuil de Coppet, ce trône aimable des grâces brillantes et des élégances exquises de l'esprit. Seulement de tristes années séparent les deux époques, et Grimm cédera la place à Benjamin Constant. La société sera changée ; la royauté de l'esprit restera seule au milieu des ruines. Plus heureuse que Louis XVI, M de Staël conservera sa couronne. Cette liberté d’allures que permettait M. Necker en la modérant de temps à autre par un trait de légère ironie , cette franchise d'esprit qui devint plus tard le caractère dominant de M": de Staël, cette hardiesse originale de la pensée d’une enfant ne plaisaient que médiocrement à la raison sévère de M": Necker, si scrupuleuse sur la limite délicate des convenances. Me Necker eût préféré à tant de grâces plus d’austérité, et, aux brillantes élégances de l'esprit de conversation, elle opposait ce puritanisme honorable, mais exagéré, qui interdit aux femmes tout rôle d'éclat comme portant atteinte à la modestie naturelle. Elle eût voulu inspirer à sa fille cette excessive pudeur de certains esprits délicats qui tiennent à cacher leur charme, comme les filles d'Israël cachaient aux yeux des hommes l'éclat oriental de leur brune chevelure. Le principe était sévère, l'application en était impossible. L'imagination ardente de M'e Germaine se pliait malaisément à cette discipline de l'esprit génevois ; il n’y eut jamais révolte , jamais il n'y eut atteinte au respect le plus scrupuleux ; mais souvent Me Necker put regretter dans sa fille cette amitié naive et profonde, cette tendresse pleine d'abandon 278 ACADÉMIE DE ROUEN. et d'aimables confidences, qui est pour une mère la plus douce récompense des soins et des sacrifices prodigués à cet âge ingrat où l'enfant pouvait à peine les com- prendre et les payer d’un sourire. Plus tard, M"* de Staël comprit sa mère : plus tard, blessée et souffrante , atteinte dans la partie la plus intime de son âme par des passions douloureuses ou par les malveillances du monde, elle se reporta vers les souvenirs austères de sa première enfance ; elle apprit à la sévère école du monde, tout le péril des rôles d'éclat ; elle apprit, par quelles rudes épreuves ! à se défier de la passion, cette ennemie dont M: Necker lui avait tant de fois dénoncé la perfidie. Elle goûta la lie du calice que lui présentait d'une main caressaute la gloire, cette sœur hypocrite du bonheur. Que de fois alors elle regretta les heures perdues pour la raison , et les conseils de sa mère trop négligés, et les brillants mensonges du monde trop écoutés, et les insinuations de l'amour-propre acceptées avec une confiance trop aveugle ! Que de fois alors, dans ses abandons et ses défaillances, si Me Necker eût vécu encore, elle eût cherché dans les bras de sa mère un asile contre son propre cœur ! Il était trop tard. Mais, aux heures brillantes et légères de l'enfance, l'ho- rizon était si pur! le soleil si radieux! la vie si belle et si rayonnante d'espérance ! l'avenir paré de si belles pro- messes! le monde si engageant, la société si avenante, si prodigue de caresses et de fêtes pour l'esprit et pour la beauté! À elle aussi, sa bienvenue lui souriait dans tous les yeux : que de séductions dans cette royauté de salon, dont M®° du Deffant et M" de Beauveau portaient si légè- rement la fragile et charmante couronne ! Quel charme dans la voix brillante de la jeunesse , cette syrène dont chacun de nous, à son heure, entend au fond de l'âme les ravissantes mélodies! Mie Necker n'y résista pas, et la première période de sa vie ne fut qu'un enchantement CLASSE DES BELLES-LETTRES. 279 et qu'une fête où pénétraient avec peine les austères conseils et la raison un peu grondeuse de sa mère. Voyons-la se:promenant dans les riants ombrages d'Ecouen, seule avec les gracieux fantômes dont son imagination peuple la solitude ; son esprit s'enivre de poésie et de jeunesse : elle bâtit de capricieuses fictions où la tristesse est un peu exagérée peut-être. Elle com- pose , avec des larmes surtout, la destinée de ses héroïnes, de Mirza, d’Adélaïde, de Pauline, ces filles un peu roma- nesques d'une imagination précoce : la passion occupe toujours le premier plan du tableau. Cette voix si jeune parle déjà d'amour avec un ton ému. On sent que ce cœur, qui commence à vivre, a déjà palpité sur les pages brûlantes de la Nouvelle Héloïse: Me Necker s’en souvient dans ses premiers romans, ébauches imparfaites qui irahissent le modèle : c’est une littérature sentimentale et fausse; c'est une littérature d'emprunt. Jean-Jacques Rousseau est le père de toute cette génération un peu pâle d’'héroïnes éplorées. Il faudra , pour que le talent s'élève, qu'il se débarrasse des réminiscences, qu'il cherche l'inspiration dans l'étude de la nature, non dans le souvenir d'un livre, et qu'il place son idéal au-dessus de limitation. C'est là l'ordinaire erreur des jeunes esprits qui essaient leurs forces. Ils croient inventer, quand ils ne font que se souvenir, et l’on sent dans leur essor encore novice l'aile du puissant génie qui les a soulevés de terre pour les lancer dans les cieux. Entre les deux maitres du xvu° siècle, M": Necker n'avait pas hésité. Chacun de nous, au début de sa vie intellectuelle, a son livre de prédilection, son génie inspi- rateur, son démon familier. Le génie familier de Me Nec- ker, ce fut Jean-Jacques. Ou la grâce du scepticisme frivole et railleur, ou Pexaltation du spiritualisme et 280 ACADÉMIE DE ROUEN. l'enthousiasme dans la passion , Voltaire ou Rousseau , il fallait choisir. M'e Necker se sentit naturellement entraînée vers le génie du sentiment. Le génie de l'analyse et du sarcasme effrayait son âme avide d'amour. Elle se livre tout entière , elle abandonne toutes ses facultés aimantes à la passion éloquente qui éclate dans les pages de la Nouvelle Héloïse : elle s'éprit pour Jean-Jacques d’une admiration presque fanatique qui ne se pouvait comparer qu'à son extrême tendresse pour son père. Et, de même qu'elle avait consacré à M. Necker les prémices de sa raison politique dans une lettre célèbre qu'elle lui adressa à propos du compte-rendu , ainsi elle fit hommage à Rous- seau des fruits précoces de son éloquence dans les fameuses Lettres sur Jean-Jacques, qui furent son premier ouvrage sérieux. C'était encore, on le voit, de Ja piété filiale. Cette piété naïve imitait tout du maitre , jusqu'à la déclamation. On regrette de voir une telle âme subir le joug d'un tel maître. Dans ces heures d'enthousiasme, on aimerait à sentir davantage l'austère et douce discipline de l'Evangile qui aurait ramené à la règle ces écarts litté- raires d'une passion adolescente. Plus tard, dans les heures sérieuses et mélancoliques, cette âme fatiguée de la passion reviendra aux sources pures de l'enthousiasme etàla règle nécessaire du spiritualisme chrétien. À cette heure où nous sommes , l'ivresse de la vie emporte cette pensée brillante. La passion secoue le joug et veut se faire sa règle à elle-même, c'est-à-dire n’en pas avoir. C'est là ce qui fait pour beaucoup de jeunes esprits l'attrait particulier et la funeste magie de l'éloquence , c'est-à-dire de la passion de Rousseau. Dans ces pages rapides et colorées que Me Necker, devenue M" de Staël, déposa sur la tombe de Rousseau , ne cherchons pas la pensée philosophique ni la critique CLASSE DES BELLES-LETTRES. 281 imparliale ; ne cherchons pas une raison sévère diseutant les titres d'un génie souvent égaré. Ce n'est qu'une acclamation vive et brillante; c'est un eri harmonieux sorti du cœur. Me de Staël ne juge pas, elle applaudit ; elle ne critique pas, elle admire. Dans cette revue en- thousiaste des œuvres du maître, c'est à peine si l’on rencontre de temps à autre quelques restrictions à l'éloge immodéré, et ces restrictions ne sont faites qu'à contre- cœur ; ce sont presque des notes fausses dans ee concert de louanges mélodieuses. Dirons-nous dès lors que le ton du panégyrique manque de sincérité? Non, car le sen- timent est vrai dans son emportement ; l'admiration, dans son excès même, est une admiration bien sentie ; l'enthousiasme déborde, mais l’auteur est femme, et la femme a vingt ans. Que la critique vienne ensuite, et d'un coup d'œil plus philosophique perce le nuage d’encens dont s’enveloppait l'idole ; que l’éloquent historien des Lettres françaises au xvin® siécle, comprimant l'élan de son cœur, cite devant sa raison le fougueux orateur qui manque à chaque instant son but en le dépassant; que la philosophie, armée de sa dialectique, réfute ce réquisitoire que Ja passion a dressé contre la société du xvin siècle, et qui atteint, à travers un siècle corrompu , l’éternelle société humaine; nous ne reprocherons pas à M"° de Staël de n'avoir pas eflleuré ce problème redoutable qui ne veut être touché que pour être creusé à des profondeurs dont pouvait s'épouvanter le génie d'une femme, nous allions dire d’une enfant. Où Mre de Staël se retrouve tout entière avec les qualités de son charmant esprit, c'est quand elle juge le caractère de Rousseau. Sa sensibilité éclate; sa com- passion est profonde pour la destinée glorieuse et tour- mentée de ce pauvre grand homme qui, parmi tant 282 ACADÉMIE DE ROUEN. d'ennemis irréconciliables, n'en eut pas un seul aussi acharné contre son bonheur que lui-même, avec sa volonté inquiète et sa folle imagination. Avec quelle naiveté de sentiment Me de Staël se plaint de ce que Rousseau n'ait pas rencontré dans le monde une main secourable et délicate qui se soit tendue à tant de misère et tant de gloire ! Ce rôle eùt été si facile et si doux de rattacher cette âme souffrante à la vie, et de réconcilier cette immense infortune avec le bonheur! Que fallait-il pour cela? Une pitié ingénieuse et vraie, une amitié dévouée et pas trop exigeante , une sympathie délicate et profonde pour le malheur et le génie. Que fallait-il pour cela? Le cœur de Me de Staël; un si beau dévoüment l'aurait tentée peut-être, si le sort l'avait fait naître vingt ans plus tôt; peut-être, à force d’attentions aimables et de délicates prévenances, elle eût fait refleurir un sentiment affectueux dans les ruines de ce cœur dévasté ; au foyer éteint et désert de cette pauvre âme, elle eût ravivé l'étincelle sacrée de l'enthousiasme; oi, son intelligente amitié aurait sauvé Rousseau, et la vie tourmentée de ce grand homme aurait pu, grâce à tant de soins et à une si touchante sympathie, rencontrer enfin un abri dans les dernières tempêtes de son désespoir et de sa folie. Rêve inutile ! A quoi bon refaire la destinée? Rôve d'enfant en face des événements accomplis ! Disons aussi : rêve d’un cœur généreux en face de tant d'infor- tunes ! Pendant que Me de Staël chantait ainsi les louanges harmonieuses de Rousseau, et fixait si heureusement dans ses pages vives et passionnées un reflet éblouissant du style et de la pensée du maître, les événements marchaient vite, et lère des sociétés nouvelles allait s'accomplir. Encore quelques jours, et ce ne sera plus le temps des poèmes et des fictions; encore quelques CLASSE DES BELLES-LETTRES. 283 jours, et l'heure sera si grave, l'histoire si solennelle, qu'il n’y aura plus dans la société ébranlée un seul écho pour les voix brillantes de l'imagination et de l'amour. Les plus grands, les plus terribles problèmes vont se discuter dans une salle nue et pauvre de Versailles, en présence de la France silencieusement émue , en présence de l'Europe qui écoute et qui frémit. En vain de salu- taires avertissements ont été donnés à la royauté ; en vain Turgot, ce grand ministre, effrayé de l'avenir, a proposé la répartition égale des impôts entre toutes les classes, seul remède à tant de souffrances qui vont éveiller la révolte ; en vain, dans un premier ministère combattu par de criminelles ambitions et de frivoles intérêts, M. Necker, épouvanté de ce gouffre immense du déficit qui s’élargit tous les jours, et où les courtisans , pour le combler, jettent sans les compter les misères et les malédictions du peuple, en vain M. Necker a parlé d'économies et proposé des assemblées provinciales ; les deux grands conseillers de la monarchie égarée se sont retirés devant d'implacables passions. La place est restée à leurs ennemis triomphants sur des abîimes. Et, sur ce théâtre si mobile des affaires publiques, la France a vu successivement paraître deux ministres également or- gueilleux et impuissants; elle a tour à tour sifflé la folle prodigalité de ÆCalonne, elle a sifflé les violences désespérées de la faiblesse aux abois, et les ridicules coups d'Etat de l'archevêque de Toulouse. Calonne est tombé sous le poids énorme du déficit ; Brienne est tombé à son tour sous la triple opposition du Parlement, de l'assemblée des notables et des provinces. La royauté épouvantée se décide aux grandes mesures. À la France, exaspérée de tant de faiblesse et de frivolité , elle promet la convocation des états généraux. Elle annonce le rappel de Necker après sept années de disgrâce ; mais, dans ces 284 ACADÉMIE DE ROUEN. sept années de vertige et de folie, l'esprit public a marché : que la monarchie n'espère plus se sauver à l'ombre d’un nom populaire ! Ici commence pour M° de Staël une nouvelle phase de son existence; jusqu'à l'heure présente, enfant précoce, jeune femme brillante, elle a donné tous ses loisirs aux lettres et à la poésie ; elle ne s'est intéressée aux affaires de l'Etat qu'un instant, à propos du compte- rendu, et par une sorte de préoccupation de piété filiale. Mais ce qui n'a été jusqu'ici qu'une distraction à ses études ordinaires va maintenant envahir sa vie entière ; elle va écouter les grards débats de l'Assemblée cons- tituante ; elle va frémir au bruit sourd de la monarchie qui tombe; bientôt elle maudira les sacrifices sanglants qui doivent déshonorer l'autel de cette liberté qu'elle avait rêvée si brillante et si pure; sa vie politique commence. Elle aussi, dans ce drame gigantesque que vient jouer le peuple sur la scène de l'histoire, et après le peuple un héros , elle aussi , elle sent le besoin d'agir, elle aussi, elle veut remplir son rôle, et, n’en doutez pas, elle saura le remplir avec décence , avec grandeur, avec simplicité. . Puis, au milieu même de la mêlée, ce génie brillant et facile trouvera encore des heures pour linspiration littéraire; elle écrira des pages immortelles; et, dans cette vie si agitée, si tumultueuse, si agissante, elle trouvera du temps encore pour aimer; elle n’oubliera ni son père, nises amis, nises enfants ; elle leur réservera encore la meilleure part de son génie : son cœur. La vie politique de Mm° de Staël, ses travaux littéraires , sa vie intime qui appartient aussi en un sens à l’histoire littéraire, seront tour à tour l’objet de notre étude. La politique, la littérature, la passion, se partagent son existence tout entière, mais l'unité n'en est pas pour cela CLASSE DES BELLES-LETTRES. 285 rompue. Cette unité se retrouve dans deux ou trois idées essentielles qui dominent la vie de Me de Staël, et qui ont réglé tous les élans de sa pensée et jusqu’au dernier battement de son noble cœur. C’est une vie diverse, mais simple au fond; ce sont des éléments variés, mais dont nous ferons sans peine ressortir la majestueuse et brillante harmonie. 2° FRAGMENT. — PARTIE LITTÉRAIRE, — On pourrait dire que l’idée d'un progrès sage, régulier fut l'idée fixe, la pensée dominante du génie de Me de Staël, aussi bien dans l’ordre de la pensée que dans l'ordre de l’action, en littérature comme en politique : c’est la foi des nobles âmes ; c’est la foi dans la Providence ; ce fut la sienne. C'est une idée sublime que celle du progrès, quand elle est contenue dans de sages limites, quand elle n’est pas le rêve sensuel d’une génération sceptique ou l'utopie d'une raison enivrée d'elle-même. Cette idée sanctifie la douleur en la rendant féconde et justifie la Providence dès cette terre en payant à chaque génération ses souffrances par un progrès, et en lui donnant pour rançon de sa misère et pour prix de ses larmes le gage d’une destinée meil- leure, dont l'avenir au moins recueillera les heureux fruits. Ainsi, progrès dans les idées, dans la raison générale de l'humanité , dans la science , et par suite dans la civili- sation ; développement successif des diverses questions qu'agite la curiosité inquiète des hommes, diffusion de 286 ACADÉMIE DE ROUEN. plus en plus large, de plus en plus complète, des lumières et de la morale : telle était la foi profonde et raisonnée de M de Staël; tel était le point de vue supérieur de sa critique : c'est de ce point élevé qu'il faut juger ses théories sur la littérature et sur l'art; ses théories, sa critique, toutes ses œuvres ne sont que le développement successif et l'application variée de ces grands principes. D'après cela , il est facile de supposer quel doit être le caractère général des œuvres littéraires de M° de Staël. La littérature ne sera pas pour elle la brillante fantaisie d'une imagination oisive : ce sera, n'en doutez pas, la mise en œuvre de ses principes. Au fond de tous les ouvrages de cette femme illustre, nous trouverons une idée philosophique, sérieusement méditée et artistement développée dans le cadre d’une fiction romanesque ou d'une analyse critique ; l'esprit de réflexion s'unit intime- ment chez Me de Staël au sentiment du beau. Elle aime à revêtir d’une riche parure la pensée qui l'inspire , et à rehausser, par l'éclat du style ou le charme de la fiction , les idées générales qu’elle interprète. C'est le génie du philosophe traduit sous des formes brillantes et harmo- nieuses par le génie de l'artiste. Il arrive trop souvent que les écrivains philosophes oublient que le culte de l'art rebausse le culte de la pensée , et que les écrivains, pure- ment écrivains , trop enchantés de la forme et sans souci de l'idée morale , s'abandonnent aux vagues fantaisies de leur imagination rêveuse et désordonnée. Entre la philo- sophie sans style et la littérature sans idées, il y a une belle place à prendre pour ces intelligences d'élite qui savent penser et qui savent donner à leur pensée le relief et l'éclat de la forme littéraire. Ce fut l'éminent caractère du génie de Mr° de Staël. Chacune de ses œuvres est une inspiration philosophique en même temps qu'une œuvre d'art. CLASSE DES BELLES-LETTRES. 287 La période révolutionnaire fat marquée, on le sait, par un singulier appauvrissement de la littérature et par une douloureuse stérilité des esprits. On à remarqué avec éton- nement ce bizarre contraste de l'esprit révolutionnaire poussant à l'excès la doctrine de la liberté, soulevant la société dans ses dernières profondeurs, et s’arrêtant , comme impuissant et désarmé, devant les règles tradition- nelles du goût , et souvent même devant la faible barrière des bienséances de convention. Ceux qui osaient tout dans la politique n'osaient rien dans la littérature ; novateurs hardis sur toutes les questions sociales, timides et rétrogra- des sur toutes les questions d'art, ils offraient cette étrange inconséquence d'une audace illimitée et d'une puérile timidité , l'audace illimitée de l’action , la puérile timidité du goût. Ceux-là qui signaient , d'une main résolue même au crime, l'arrêt de mort d’une monarchie séculaire, acceptaient sans contrôle la règle souveraine des traditions de l'étiquette. Joseph Chénier, ardent révolutionnaire en politique , l'était fort peu en littérature (comme l'a si ingé- nieusement démontré l'éloquent historien des Lettres au xvin® siècle). Toutes ses tragédies sont jetées dans un moule usé : l’allusion seule, passant comme un éclair sur le fond un peu effacé de ses tableaux, brille d'un vif et rapide éclat, éblouit l'esprit et s'évanouit dans l'ombre d’une imitation sans vigueur et sans coloris. Dans l'art, David revient au système exclusif du goût antique, il drape ses mâles figures dans le manteau romain, et, copiste de génie, il marque sur toutes ses œuvres l'inef- façable empreinte de l'antiquité renouvelée avec vigueur, mais toujours imitée. Des tragédies moulées sur la forme classique du xvir siècle , des peintures dans le style anti que, de pàles comédies et des idylles plus fades encore par ce contraste odieux du sang répandu à flots, voilà l’art, voilà la littérature dans cette époque tourmentée où 288 ACADÉMIE DE ROUEN. il semblait que l'inspiration devait jaillir énergique , brû- lante , passionnée , des profondeurs de la société détruite. Tandis que tout se renouvelait et que l'aurore, hélas! trop sanglante de la liberté moderne se levait sur les débris de la Bastille, le théâtre était esclave, la poésie comprimait son élan, et la littérature seule refusait de participer à cet immense mouvement d'émancipation. Boileau prolongeait son empire , à même où la monarchie de Louis XIV avait perdu ses droits. La révolution n'avait pas encore pénétré dans le domaine inviolable de l'art. Il y avait dans ce triste spectacle des lettres dégénérées un démenti apparent à la doctrine de M de Staël sur la perfectibilité de la raison humaine; il y avait à comme une condamnation de ses espérances. Comment croire aux progrès de la moralité et des lumières en face des écha- fauds qui décimaient la France? Comment croire au progrès de l'esprit humain en face de cette littérature énervée qui ne savait qu'imiter, et encore dont limitation maladroite ne prenait à l'antiquité que des noms héroïques et des sujets rebattus, sans même comprendre le sens profond et mystérieux de ses traditions, sans même essayer de traduire sur fa scène l’énergie des sentiments et la vérité des mœurs de la Grèce ou de Rome? Alors se posa naturellement devant la raison de Me de Staël cette question des anciens et des modernes, si stéri- lement agitée au xvrr siècle : Me de Staël, en la traitant, l’'éleva à la hauteur d’une question philosophique, et négligeant la puérile argumentation de Lamotte et de Perrault , elle se plaça tout d'abord au cœur de la civili- sation moderne, l'analysa dans ses éléments essentiels, et, comparant ces éléments à ceux de la société antique , elle tira de ce rapprochement fécond des conclusions de la plus haute portée. Ces conclusions, le xix° siècle les a presque toutes acceptées ; elles étaient en germe dans la CLASSE DES BELLES-LETTRES. 289 raison moderne ; il ne fallait, pour les faire passer dans l'histoire que l’action d’une haute intelligence qui vint les interpréter avec grandeur, et donner ainsi le sens de l'avenir à cette littérature rétrograde , imitatrice infidèle à la fois et servile du passé. M®: de Staël ne croyait pas que l'esprit humain füt ainsi condamné à végéter sans éclat sous la tutelle d’un système exclusif. Elle ne pouvait pas croire que les sources de l'invention originale fussent définitivement épuisées ; elle osa, et ce fut son honneur, ne pas déses- pérer de l’éternelle fécondité du génie. D'ailleurs, dans le siècle qui venait de finir, Jean-lacques Rousseau avait prouvé, par des œuvres éclatantes, qu'il y a, au fond de la conscience et dans les mystères du sentiment personnel, des ressources infinies pour le génie de l'observation et l'éloquence du cœur. Bernardin de Saint-Pierre avait montré, dans une œuvre naïve et charmante, quel parti le talent peut tirer du sentiment de la nature, et quelle richesse de coloris ce sentiment peut répandre sur la plus simple fiction. Ces exemples sullisaient pour relever les- poir du progrès, en indiquant à quelle source les lettres pourraient se rajeunir et l'inspiration se vivifier. Enfin, précisément à l’époque où M"° de Staël méditait son grand ouvrage de critique , celui où elle devait poser avec éclat la doctrine si hardie en littérature de l'innovation et de la réforme , M. de Châteaubriand, encore exilé, mais déjà célèbre , écrivait les dernières pages du Génie du Chris- tianisme, où, justifiant d'avance la théorie nouvelle, i] allait montrer à la France et à l'Europe l'alliance merveil- leuse de l'esprit chrétien, grave, intime, mélancolique avec la grâce du sentiment poétique et le charme de la plus brillante imagination. Il y avait là des sources fécondes où l'invention originale pouvait puiser des sujets nouveaux et surtout des sentiments inconnus aux anciens. 19 290 ACADÉMIE DE ROUEN. C'était le salut de la littérature ; si, par un effort hardi, elle ne brise pas les liens usés qui l’attachent encore aux vieilles traditions , elle tombera d’épuisement et de décré- pitude au niveau de la littérature du Bas-Empire, cette littérature de sophistes et de rhéteurs, qui n’était plus qu'une vaine déclamation d'école et qu'un ridicule avor- tement des intelligences. Mais si les lettres s’affranchissent enfin de cette servitude , si elles consentent à s'inspirer ailleurs que dans des réminiscences infidèles de la Grèce et de Rome, si elles veulent être autre chose que l'écho monotone et fatigué des voix brillantes du monde antique, qu’elles osent puiser aux sources intarissables de la con- science humaine et de la nature éternellement jeune , et sans doute elles se ranimeront; la poésie trouvera des accents nouveaux, et l'esprit humain, rajeuni et vivifié, renouera par une chaine d’or le siècle nouveau aux grands siècles de la littérature. Le seul moyen de lutter sans trop de désavantage avec les grands modèles de l'antiquité, ce sera donc de tenter avec hardiesse des voies nouvelles, et de mettre à profit ce trésor d'expériences, d'observations et de sen- timents, accumulé pendant tant de siècles et par tant de générations, trésor que n'avait pas la sagesse antique et que l'esprit moderne possède sans en jouir. On ne peut égaler les anciens qu'en se séparant d'eux et s'inspirant ailleurs. Incomparables artistes, ils resteront nos maîtres pour la perfection soutenue de la forme, pour la fermeté du dessin, pour la pureté du coloris; es:ayons de leur ravir ce précieux secret de l'élégance simple et de l'art tempéré par le naturel, mais, admirateurs sincères du génie antique, osons être nous-mêmes, osons être de notre siècle et de notre civilisation. Etudions Homère, Sophocle, Virgile, mais auprès de ces maîtres de l'art antique, ouvrons Ossian, Shakspeare et Goethe. CLASSE DES BELLES-LETTRES. 291 Telestle sens du grand ouvrage de Me de Staël sur la Littérature considérée dans ses rapports avec les insti- tutions sociales. Au fond, c’est une comparaison hardie, brillante, originale entre le génie de la civilisation moderne et le génie des civilisations antiques; c'est une éloquente apologie de la doctrine du progrès ; c'est aussi un essai de naturalisation en faveur des littératures étrangères, plus avancées que la nôtre dans les voies nouvelles, et plus rapprochées du véritable esprit de la civilisation moderne. Ainsi M" de Staël fait d'une main ferme et sûre la part du progrès accompli; ce progrès est surtout un progrès scientifique et moral; il s'est marqué spécia- lement par les conquêtes de la science moderne et de la civilisation chrétienne. La philosophie, la science des principes a fait un pas immense. La littérature a donc gagné elle-même en tant qu'expression de la philosophie. Mais, sous le point de vue de l’art, M"° de Staël avoue de bonne grâce l’incontestable supériorité des anciens; au reste, ce n’est pas là une objection contre le fond même de sa doctrine ; elle distingue toujours avee le plus grand soin ce qui appartient aux arts d'imagination de ce qui a rapport à la philosophie : « Les arts d'imagination, dit- « elle, ne sont point susceptibles d'une perfectibilité « indéfinie, tandis qu'on ne peut prévoir le terme où « s'arrêtera la pensée. La poésie des Grecs n'a été ni « surpassée , ni même égalée par les modernes ; mais il « n'est pas vrai que, depuis près de trois mille ans, les « hommes n'aient pas acquis une pensée de plus, et c’est « un grand tort dans l'esprit de ceux qui condamnent « l'espèce humaine au supplice de Sisyphe, à retomber « toujours après s'être élevée. » Dans des limites si sagement tracées, l’idée du progrès était incontestable, et Me de Staël avait raison d'avance 292 ACADÉMIE DE ROUEN. contre la critique partiale et méticuleuse de Fontanes, qui combattait, dans la théorie de cette femme illustre, bien plus encore l'opposition politique que l'innovation litté- raire. Que reste-t-il de l'ouvrage de Mw: de Staël, et quelle influence a-t-il exercée sur la littérature contem- poraine ? Irons-nous au-delà du vrai, en disant que cette œuvre a été le programme des réformes qui devaiént s'accomplir dans la littérature et dans l'art? C'était en quelque manière la poétique anticipée d’Atala et de Réné. Châteaubriand vint bientôt donner à ces théories nouvelles l'autorité d'un grand exemple et la consécration d’un beau génie. Me de Staël, elle-même, s'efflorça dans ses œuvres de réaliser cet idéal qu'elle avait entrevu dans un prochain avenir: artiste enthousiaste, elle excita la jeune géné- ration à la suivre dans sa brillante entreprise. Ce fut elle qui donna le premier ébranlement aux intelligences, amoureuses du beau, lasses du présent, avides de progrès. En même temps qu’elle innovait en littérature, Me de Staël innovait dans la critique : elle la rattachait aux principes mêmes de l’histoire, en montrant quels liens étroits unissent les institutions sociales au mou- vement des esprits; ainsi s’expliquait naturellement la différence des littératures par la différence des nationalités. La pensée n'était plus l’œuvre stérile et isolée du caprice et du hasard ; la littérature n'était plus un effet sans cause ; elle prenait racine dans le sol; elle se rattachait au mouvement intime des sociétés, et la critique, cessant d'être une aride nomenclature des ouvrages de l'esprit ou une discussion stérile de détails, devenait, sous le pinceau magique de M" de Staël, le tableau dramatique des révolutions de lesprit humain et la saisissante peinture des réalités sociales : la critique devenait aussi une des faces, la plus brillante peut-être, de l'histoire. Ainsi, renouvellement de la critique par la philosophie CLASSE DES BELLES-LETTRES. 293 de l'histoire, interprétation des littératures diverses par le point de vue supérieur des institutions sociales, conception profonde du caractère des peuples et du génie spécial des civilisations ; vive intelligence des révolutions de la pensée et des progrès de l'esprit humain ; enfin, recommandation incessante donnée aux lettres françaises de se retremper aux sources intérieures de la conscience et d'étudier les grands modèles des littératures du Nord, plus libre que celles du Midi de limitation classique , et par là plus originales et plus fécondes ; tels sont les traits essentiels par lesquels on peut apprécier cette œuvre si brillante et si hardie qui faisait pénétrer l'esprit de réforme dans l’art devenu stérile, l'esprit de progrès dans la littérature rétrograde, déshabituait le génie français des systèmes exclusifs et des préjugés nationaux, et donnait droit de cité à Shakspeare, faiblement interprété sur notre scène par Ducis, et à Goethe, presque inconnu de ce côté du Rhin. En littérature comme en politique, ce qui caractérise Mu: de Staël, c'est une remarquable indépendance d'esprit. Française , nous l'avons vue proclamer hardiment la supériorité de la constitution anglaise, cette charte inviolable de la liberté individuelle, sur ces constitutions innombrables , filles capricieuses du moment , aujourd'hui libérales, rétrogrades demain, et abandonnées avant l'heure des expériences calmes, sérieuses, réfléchies. En littérature, elle ne cache pas sa prédilection pour la poésie du Nord; elle l'interprète avec enthousiasme, elle la propose pour modèle d'inspiration à la France. Ainsi, en tout , elle se montre avide du vrai et du beau, sachant le reconnaître même sous le déguisement d'une nationalité étrangère ; ennemie du patriotisme étroit, partial, exclusif: véritable cosmopolite de la liberté sage, du progrès littéraire et de Ta civilisation élégante. 294 ACADÉMIE DE ROUEN. Un caractère saillant de ces littératures du Nord que Me de Staël étudiait avec une si vive sympathie, c’est la poésie du sentiment personnel : nous entendons par là cette singulière complaisance avec laquelle le poète s'analyse lui-même, raconte ses souffrances, ses combats, ses terreurs, ses espérances, ses joies, et s'inspirant du spectacle de sa conscience inquiète, tourmentée, ou heureuse et calme, traduit ses diverses impressions sous des formes mélodieuses, et tente d'intéresser le publie à l'histoire intime de son cœur, comme il s’y intéresse lui-même : c'est l'épanchement de la personnalité, l'effusion du sentiment intime; c’est la confidence de cette vie intérieure si agitée, si mobile, pleine d'émotions si délicates et de si touchants mystères. Nous ne trouvons rien de semblable dans l'histoire des littératures antiques. Elles ont au plus haut degré le caractère impersonnel : l'écrivain n’aspire qu'à saisir la vérité générale, le fait humain, l'idée universelle. Le poète ne se met jamais en scène, si ce n'est dans la poésie lyrique qui n’était guère alors que la poésie de la volupté et l'hymne de la sensation; il ne se raconte pas lui-même, il n'occupe jamais le public de ses émotions intimes. La personne d'Homère est toujours absente du théâtre majestueux de l’Iiade : Platon se cite une seule fois parmi les disciples de Socrate; à Rome, Lucrèce revêt de sa poésie enchanteresse le dogme aride d'Epicure, et dans l'exposition de cette philosophie qui faisait pourtant une si large part au sens individuel, il s’oublie Ini-même; sa personne disparaît dans le développement harmonieux de la pensée qu'il interprète : Virgile rattache en quatre vers, les plus modestes assurément qu'un poète ait jamais écrits sur lui-même, la conception grandiose de l'Enéide à l'œuvre toute patriotique et toute romaine aussi des Géorgiques. Cicéron, le génie le plus CLASSE DES BELLES-LETTRES. 295 personnel de l'antiquité, ne se met en scène qu'à propos des services qu'il a rendus à la patrie, quand il parle de Rome sauvée ou de Catilina vaincu. Là encore le sen- timent de la personnalité s’efface derrière le sentiment patriotique. D'ailleurs il y a loin de cet orgueil naïf du consul romain, associant sa gloire au salut de Rome, à la perpétuelle contemplation du poète moderne par lui-même, faisant de son âme le sujet de ses chants, et cherchant dans ses émotions personnelles le motif constant de ses inspirations. La littérature du xvne siècle, grave, austère, sévère- ment chrétienne et toute pénétrée de l'idée de Dieu, ne pouvait pas faire à l’homme une si large part. Une seule fois Bossuet parle de lui-même, et c'est pour consacrer à Dieu les restes de sa voix qui tombe et de son ardeur qui s'éteint. Corneille et Racine s’inspirent sans doute, l'un de son âme toute romaine et fière, l’autre de son âme toute grecque , harmonieuse et tendre ; mais tous deux tradui- sent leurs inspirations sous la forme impersonnelle de la tragédie. Toute la littérature du grand siècle semble prendre pour mot d'ordre cette maxime de Pascal, qui était à la fois une règle de goût et une règle de morale : « Le moi est haïssable. » Le xvure siècle fut infidèle à ce grand précepte. Précurseur de la Révolution française , il réhabilite le sens individuel , proclame à haute voix les droits de la personne humaine , émancipe la conscience ; alors on voit le sentiment personnel envahir la scène littéraire dont il avait été jusqu'alors soigneusement exilé. Rousseau trahit dans tous ses ouvrages l’'amer sentiment de ses blessures, l'indignation mal contenue contre la société qui lui a fait un sort injurieux, la rancune d’une âme froissée et d’un génie longtemps méconnu. Sans pudeur, sinon sans remords, il confesse sa vie tout entière ; il prend plaisir à raconter cette existence bizarre 296 ACADÉMIE DE ROUEN. et troublée où le mal l'emporte sur le bien, où les géné- reuses inclinations succombent sous le poids d’une dou- loureuse fatalité dont il ne doit accuser que lui-même. C'est avec une sorte d'orgueil qu'il avoue ses plus secrètes misères, et la génération qui lut avidement les Confes- sions , S'habitua insensiblement à laisser une large part à l'homme dans ses écrits , au sentiment personnel dans la littérature. . Nous insistons , parce qu'il nous semble que c’est là un des traits essentiels de la génération littéraire dont Me de Staël fut le guide aventureux et brillant : le développe- ment de la personnalité dans l'art. C'était un caractère déjà sensible au xvi° siècle : c’est un caractère plus forte- ment marqué encore dans les littératures du Nord. Filles du protestantisme, elles s'inspirent presque exclusivement du sentiment individuel ; le protestantisme isolait les consciences en les affranchissant de la discipline qui réunit et de l'autorité qui contrôle ; la pensée, habituée à son indépendance religieuse, portait jusque dans la litté- rature ses habitudes de liberté non réglée et de caprice individuel. Aussi la poésie du Nord, interprète harmo- nieuse et mélancolique des sentiments personnels, offrait un contraste étrange avec notre poésie classique, la poésie de Racine et de Corneille, où le poète s'effaçait devant l'œuvre, la personne devant l'écrivain, l'émotion individuelle devant l'idée générale , Fhomme devant lhu- manité. Le choix de M"° de Staël ne fut pas douteux : elle était protestante , elle se décida pour la poésie sentimen- tale et personnelle ; de plus, elle était avide de progrès, amoureuse du beau sous toutes ses formes, sous toutes ses expressions ; elle souffrait de voir la littérature fran- çaise se rabaisser à une monotone imitation. Cette déca- dence ne pouvait s'arrêter que par un suprême effort. fallait changer le motif des inspirations épuisées , substi- CLASSE DES BELLES-LETTRES. 297 tuer à l'étiquette usée des formes de la tragédie classique l'indépendance de la pensée poétique, le libre essor de l'inspiration personnelle. A cette condition la poésie française pouvait revivre : elle reprit en effet une vie nou- velle ; mais elle-changea de forme : de tragique elle devint lyrique ; elle perdit son caractère de généralité et prit le caractère personnel. M" de Staël contribua beaucoup à cette révolution dans l’art, par ses critiques pénétrantes, incisives, et aussi par le brillant exemple qu'elle donna dans ses romans. Si Me de Staël était née poète . elle eût sans doute pris les devants sur le lyrisme de notre époque ; son talent était tout porté à l’effusion lyrique. Elle eût rencontré sans doute dans son cœur les notes les plus profondes de la mélancolie moderne. Mais elle n'avait pas reçu le talent poétique. Les vers qu'elle nous a laissés manquent d'ai- sance , de grâce et de mélodie. On dirait que sa pensée si légère , si aérienne , brise ses ailes au cadre trop étroit des vers ; sa fougue d'improvisation s’arrangeait mal des len- teurs de la prosodie et de la difliculté périodique de la rime. I lui fallait un horizon plus large, un espace plus libre que l'espace et l'horizon si étroitement mesurés par le rhythme poétique. Son âme qui débordait se trouvait trop resserrée dans le moule uniforme de l’alexandrin. Comme Châteaubriand, elle sentit bientôt que son talent n'était pas là , et quelques essais infructueux la ramenèrent vite à cette forme plus simple du style, la prose, où sa pensée se développait dans toute son aisance, sa grâce et son harmonie. Sa poésie intérieure et personnelle changea donc d'expression; elle se produisit sous le voile discret de l'analyse philosophique ou des fictions romanesques , et l’effusion lyrique de son génie, contrainte et comme resserrée dans la forme du vers, trouva son issue natu- relle dans ces trois livres si pleins d'émotion sincère et de 298 ACADÉMIE DE ROUEN. charme : le livre des Passions. Delphine et Corinne. C'est dans une heure de mélancolie qu'a été conçu le livre des Passions : c'est dans des jours sombres et sous de tristes inspirations qu'il a été composé. On croirait d'abord qu'il s’agit d'une analyse philosophique : Mwe de Staël essaie de se faire illusion à elle-même ; elle plie sa pensée à des formes didactiques ; elle s’astreint à suivre un plan rigou- reux, mais dans ce cadre si exactement mesuré, lâme éclate , la personnalité déborde. Mr: de Staël a voulu ana lyser d'une main froide et impassible le cœur humain ; mais elle l’étudie sur elle-même, et chaque fibre saigne encore ; il y a dans cet ouvrage des cris de douleur trop vrais, des plaintes trop éloquentes, une tristesse trop sincère pour que ce soit là purement une œuvre d'art ou une œuvre de science. C’est la nature blessée qui gémit ainsi: cet ouvrage n’est done pas l'inspiration calme et réfléchie de la raison, c’est l’effusion lyrique d’une âme où la douleur mal contenue se résigne , mais en gémissant. Il y a au fond de ce livre une grande lassitude de cœur ; il y a une pensée de doute et de défiance, fruit amer de l'expérience. Irons-nous écarter le voile sous lequel s’abrite la pensée intime de M" de Staël? irons-nous demander au passé des secrets douloureux qu'on ne nous a pas confiés ? Non; laissons au cœur son mystère ; laissons au sentiment l'ombre diserète du temps et de l'oubli; mais, du moins, essayons de nous expliquer cette appa- rente contradiction du livre et de la vie de M"° de Staël, de cette vie si ardente et si enthousiaste, et de ce livre qui bannit si sévèrement la passion comme une ennemie irré— conciliable du bonheur. Est-ce un paradoxe? est-ce un douloureux aveu ? Qu'il y ait dans cette raideur de principes quelque chose de faux et d'outré ; qu'il y ait un certain faste de stoïcisme dans l’austérité des conclusions du livre ; qu'il v ait enfin CLASSE DES BELLES-LETTRES. 299 dans ces éloquentes déclamations contre la passion comme un écho excessif de la théologie de Port-Royal : il faut bien le reconnaître, et nous pouvons nous étonner d’abord de ce bizarre contraste. Notre étonnement cesse quand nous comparons ce que M de Staël aurait voulu être et ce qu'elle a été, ses vœux ardents et ses déceptions ; la grandeur de la passion rêvée et le néant du bonheur obtenu; son amour exalté de la gloire, et son impuissance à désarmer la calomnie par la sincérité de ses convictions et la critique par l'éclat de ses talents. Elle avait porté si haut ses désirs! elle avait formé de si belles et de si vastes espérances ! elle avait si généreusement compté sur la justice des hommes , sur la bienveillance de la société ! Tout à la fois lui avait manqué : son cœur se déchira ; elle essaya par un suprême eflort de quitter la sphère tumul- tueuse du sentiment et de la passion où elle avait trop souffert, pour s'élever à cette sphère de la raison où elle espérait trouver le silence et le repos. Si son expérience personnelle a été si douloureuse, qu’au moins elle profite aux autres! que ses douleurs intimes soient la leçon des imprudents! Elle s'est vue déchirée par des affections tendres, par des illusions ardentes , par des désirs même insensés. Il ne faut pas que toutes ces infortunes soient sans profit: elle doit être, c'est elle-même qui nous le dit, comme ces religieux placés sur le sommet du mont Saint-Bernard ; elle se consacre à conduire les voyageurs égarés. Qu'y a-t-il à faire, sinon de s'affranchir de ces liens si doux et si forts, dont la passion enchaîne notre existence ? Qu'y a-t-il à faire, sinon de ne compter que sur soi seul pour accomplir son destin? A ee prix, aurons-nous le bonheur? Non, mais du moins nous éviterons les grandes douleurs ; nous préserverons notre âme de ces terribles émotions qui l'anéantissent: plus favorisés que Prométhée, 300 ACADÉMIE DE ROUEN. nous arracherons de notre cœur ce vautour qui le dévore : et, s'il est vrai que la science du bonheur moral ne soit que la science d'un malheur moindre, quand nous aurons achevé notre destinée et parcouru notre carrière entre la méditation solitaire de la philosophie et la pratique assidue de la bienfaisance, moins tourmentés que les autres, moins déchirés, nous pourrons dire, par comparaison au moins, que nous avons été plus heureux. Dans tous ses ouvrages, comme dans le livre des Passions, M": de Staël se révèle : elle n’est jamais absente de ses œuvres ; chaque page de ses ouvrages porte , pour ainsi dire, la signature de cette femme illustre, en- thousiaste de la beauté artistique et de la beauté morale : dans ces fictions romanesques où se plaisait son imagi- nation , on sent passer le soufile ardent de la réalité et de la passion. Delphine a vécu : elle a souffert, elle a aimé dans la vie, comme elle aime, comme elle souflre dans le roman ; c’est la vérité sociale, c'est la vie, c’est le mouve- ment du cœur, c'est le drame intime de la passion avec les alternatives de la vertu et les sévères remontrances de l'opinion, toujours prête à s’alarmer, et dans cette confidence à peine voilée d’une âme de trente ans, on a peine à marquer la limite qui sépare la fiction de la réalité : rien, presque rien n'est donné au caprice ni à la fantaisie. Les noms sont changés sans doute; mais la société d'alors connaissait tous les portraits du roman; on nommait l'étrange personnage qui avait, disait-on, servi de modèle au caractère équivoque et périlleux de Mr: de Vernon ; on nommait surtout Delphine ; dans le monde, on la blâmait quelquefois, sans cesser jamais de l'aimer. Delphine représentait avec une saisissante vérité l'état de l'âme de Mme de Staël au moment où elle composait cette œuvre. Avee un goût vif pour la règle, une incli- nation naturelle vers le bien, une déférence craintive CLASSE DES BELLES-LETTRES. 301 pour l'opinion, souvent Mr: de Staël ressentait les atteintes d’une sensibilité capricieuse , et subissait les emportements orageux de la passion. Le roman n’est pas autre chose que le drame intérieur de son âme traduit sous des formes harmonieuses et discrètes : M” de Staël prolonge dans la fiction qu'elle a choisie le combat qui se livre dans son cœur, d’une part entre l'amour du devoir calme, régulier, astreint au joug de l'opinion et aux exigences du monde, et d'autre part la passion libre , irrégulière aux yeux d’une société soupconneuse , mais s’affranchissant de l'opinion publique par la conscience intime de sa pureté et s’éle- vant au-dessus de la calomnie par la noblesse soute- nue du caractère. Delphine, c'est l’ardente protestation d'une âme indépendante et d'un cœur élevé contre la tyrannie mesquine des salons, contre le préjugé des opinions courantes et le.despotisme des formules toutes faites avec lesquelles le monde juge toutes les situations , même les situations exceptionnelles, et tous les caractères, même ceux qui sortent du niveau commun. Il s'échappe du livre un cri de haine contre la morale de convention : c'est en elle-même que se réfugie Delphine mnocente et persécutée ; c'est dans sa conscience qu'elle cherche un abri contre les soupçons du monde qui accuse sa sensi- bilité exaltée , mais sincère, et qui raille cruellement sa passion non coupable encore, mais trop peu dissimulée ; sa vertu lutte héroïquement, et le monde la condamne déjà. Delphine quitte cette partie inégale qu'elle a engagée avec l'opinion; elle abandonne son âme à la jouissance amère du dédain , seule consolation qui reste à une con— science honnête, en butte à d’indignes calomnies ! Cette protestation éloquente, indignée contre certaines iniquités sociales, a de quoi nous toucher profondément ; mais que la révolte n'aille pas trop loin, et que, sous prétexte de réagir contre la morale de convention, contre 302 ACADÉMIE DE ROUEN. les pruderies affectées et les vertus factices des salons, quelque talent égaré dans de périlleuses déclamations ne vienne pas attaquer l’éternelle moralité des grandes insti- tutions sociales, et donner ce scandale d'une révolte ouverte contre l'inviolable religion de la famille ! IF faut distinguer avec soin l’œuvre exaltée, mais pure et morale encore, de l'œuvre subversive et déclamatoire ; il faut noter avec un religieux scrupule le point où s'arrête M"° de Staël, le point où finit la morale de convention, où le devoir éternel commence. M° de Staël, dans un élan de passion, va jusque-là; elle ne va pas plus loin ; la limite plus tard est franchie, et ce qui n'était chez M"° de Staël que la fière protestation d'une âme vigoureuse, devient, sous une plume moins sûre et plus emportée, un paradoxe coupable et une sorte de réquisitoire contre les plus saintes institutions de la société, Me de Staël avait pris en main la cause touchante des victimes que la société immole sur les vieux autels du préjugé et de la calomnie ; plus tard on transforme les femmes coupables en victimes ; on revêt le crime d'un intérêt romanesque, et d’une grâce idéale l'adultère. Delphine n'aurait pas manqué de se récrier contre cette audace, ou plutôt, disons mieux, éprise d’une douce pitié, sans aigreur et sans colère, elle eût sans doute essayé de ramener au culte du beau moral ce talent perdu dans les mauvais rêves d’une imagination déréglée ; elle aurait, d’une main indulgente et pieuse, montré à Lélia l'Évangile , ce livre de l'amour pur et de la vraie douleur ; elle eût réconcilié une haute intelligence avec la vertu, cette sœur du génie. Ainsi M°e de Staël a rajeuni l'invention romanesque en s'inspirant du sentiment personnel. Elle a mêlé à la fiction idéale la peinture éclatante de son propre cœur. Elle a puisé à la source intime de la vie, et à cette source, elle a pris le sens profond de la réalité, l'intérêt CLASSE DES BELLES-LETTRES. 303 dramatique de la nature bien étudiée et admirablement rendue. Corinne achève Delphine : nous y retrouvons cette grande figure élevée aux proportions de l'idéal, mais toujours marquée de la même ressemblance. Delphine n’était que la moitié de Me de Staël. Elle ne représentait que le côté tendre et passionné. Corinne n'est plus seulement une femme éprise des doux rêves du cœur. Elle aime; mais à son amour se mêle une autre passion vivace, profonde, la passion de la gloire. Elle aime, mais avant d'aimer Oswald, elle aimait le succès, elle aimait la renommée ; elle n'y renonce qu'avec peine et non sans gémissement. Quand l'amour a envahi son âme , il finit par l’envahir tout entière, mais non sans combat ; Mw° de Staël nous peint à merveille cette décroissance du génie poétique à mesure que Corinne, de plus en plus passionnée, abandonne ses hautes facultés à l'empire orageux du sentiment qui l’absorbe. La passion règne enfin sans partage : la lyre de Corinne est muette; son génie ne rend plus d'oracles : Oswald seul est aimé. La gloire préparant l'amour, et le goût du succès s’effaçant ensuite devant un sentiment plus énergique et plus vif, il y a là une profonde vérité intimement sentie, et dont toutes les nuances sont rendues avec une grande perfection. Qui de nous n'a pas rêvé mille fois ce roman de Corinne ? Qui de nous dans les caprices de sa jeune imagination, ne s’est pas surpris lui-même à se composer cette destinée idéale qui promène triomphalement Corinne du Capitole au Cap Misène ? Mais à quoi bon la gloire, si elle ne sert pas à nous faire aimer”? Jeunes, nous n’aimons la gloire que par ce sentiment intime et profond qui nous fait espérer que la gloire nous vaudra une chose mille fois meilleure qu'elle-même , l'amour ; nous rêvons tous le Capitole, parce que, sur les marches sacrées du temple, nous espérons rencontrer l'objet 304 ACADÉÈMIE DE ROUEN. idéal de nos rêves ; nous associons ainsi le goût du succès et de la renommée à cette espérance pleine de trouble que ce succès tant envié nous vaudra peut-être la conquête plus douce et plus enviable d'un cœur. M” de Staël interprète admirablement ce double sentiment des jeunes âmes enthousiastes et rêveuses : elle nous dit elle-même son secret; elle. nous confesse l’aridité de la gloire, quand la gloire vient seule. Le Capitole sans Oswald, -ce serait le vain triomphe des facultés ambitieuses ; il faut plus aux âmes tendres et passionnées. Corinne est donc un poème tout personnel, un roman intime , un roman lyrique, si l’on peut dire. Sur le point de quitter les rives enchantées de la jeunesse, c’est le dernier adieu de Me de Staël à toutes ces illusions , à ces aspirations, à ces désirs qui sont les hôtes toujours perfides, mais toujours adorés de nos jeunes années : elle ne se décide qu'avec peine à descendre le fleuve si troublé de la vie; c’est avec effroi qu'elle contemple la rive glacée où il faudra aborder, sous ce pâle soleil qui n'a plus les chauds rayons du soleil de la jeunesse, et qui ne brille qu'à peine à travers un ciel brumeux sur un horizon dévasté. Corinne n’a plus le charme virginal de la première jeunesse ; elle est dans le plein épanouissement de la beauté et du génie. Elle va bientôt entrer dans les années sombres du milieu de la vie; elle peut chanter, elle peut aimer encore ; demain ses chants, demain son amour siéront moins à sa voix moins pure et moins fraiche, à son cœur moins jeune et peut-être fatigué de vivre. On sent, dans tout ce roman de Corinne, l'éclat de la dernière flamme de la jeunesse qui va s’éteindre; la passion est encore là ardente, enthousiaste, mais sanctifiée par la douleur et les larmes. Nous ne sommes pas si loin qu'on pourrait le croire de ce stoïcisme amer qui CLASSE DES BELLES-LETTRES. 305 remplit le livre des Passions : Corinne est par elle-même l'éclatante démonstration de cette douloureuse loi qui veut que toute passion n'apporte à l’âme que le trouble, et finalement le désespoir. Ce côté mélancolique du génie de M" de Staël nous émeut profondément. Il y a dans Corinne un constraste poétique et vrai d'enthousiasme et de désenchantement; la passion l'attire; elle s'a- bandonne à son fatal attrait, certaine d'avance qu'elle n'y trouvera qu’amertume et tristesse. Elle cède comme on cède à un désir insensé, comme on cède au vertige du malheur ou de la folie ! Corinne meurt de la blessure que lui à faite la passion, et en mourant elle bénit sa blessure; elle meurt, et elle sent dans son âme comme une joie amère et une mélancolique allégresse en souffrant ainsi pour avoir trop aimé ! C'est là un sentiment nouveau que M": de Staël introduit dans notre littérature, le sentiment de la mélancolie rêveuse et passionnée , jouissant de sa douleur même, savourant les blessures, chérissant sa souffrance secrète : c'est un élément tout moderne, un élément lyrique et romanesque dont la poésie contemporaine s’est servie non sans grandeur et sans éclat. Il n'y arien de pareil dans l'antiquité , rien d’analogue dans la littérature du xvrre siècle. L'esprit antique avait sa tristesse, mais c'était, si on peut le dire, une tristesse épicurienne, c'était la mélancolie des âmes positives qui regrettent que la jouissance ne soit pas toujours nouvelle et ne dure pas une éternité. A part quelques notes mystérieuses échappées à l'âme tendre de Virgile, les Romains, comme les Grecs, heureux par toutes les voluptés de la nature, nese plaignaient guère que de la brièveté de la vie et du rapide passage de la prospérité. Saisissons l'heure présente ; nous ne savons pas ce que l'heure prochaine nous apportera de trouble et d'ennui ; jouissons : la mort 20 306 ACADÉMIE DE ROUEN. peut venir qui flétrira ces couronnes de fleurs sur nos têtes, et qui fera tomber de nos mains ces coupes à moitié pleines encore. Ainsi chantait Anacréon; ainsi chantait Horace : Carpe diem, c'était le dernier mot de la mélancolie antique. Le christianisme apprit au monde une mélancolie plus digne, plus élevée, plus féconde en grandes et sérieuses pensées : cette mélancolie religieuse s'inspire dans le sen- timent profond du néant de la vie en face de l'éternité, du néant de l'homme en face de Dieu. Elle respirait déjà dans les psaumes des Hébreux, dans le livre de Job sur- tout. Elle respire dans toute la littérature du xvur siècle , dans l’éloquence comme dans la poésie : c’est elle qui dictait à Corneille ces stances sublimes où Polyeucte, au seuil de l'éternité , jette l'anathème du martyr aux voluptés du monde. Elle inspirait Pascal écrivant , pour se préparer à la composition de son grand ouvrage, ces pensées qui ren- ferment , pour ainsi dire , l'infini dans une phrase, et qui sont comme ces médailles faites d’un métal éternel, que l’on jette dans les fondations d’un grand édifice pour attester aux siècles futurs la hardiesse du plan et le nom du souverain qui l’a exécuté. C’est encore ce sentiment vif de tristesse religieuse qui empreint la grande parole de Bossuet d’une si austère gravité. Au fond de la mélancolie chrétienne , il y a des idées religieuses, positives et pré cises, qui soutiennent l'âme et qui la dirigent : cette mé- lancolie a un terme précis, des limites fixées ; elle ne se perd pas dans le vague : l'âme, que ce sentiment possède , sait à quoi se prendre dans la vie; elle ne s'abandonne pas à de stériles rêveries ; elle économise le temps de son épreuve au profit de son éternité. Elle ne perd pas un seul instant le but fixé devant elle , la néces- sité du salut. Elle ne s’abime pas en Dieu, même dans la prière ; elle se contient avec force; elle se dirige par CLASSE DES BELLES-LETTRES. 307 des principes fixes; elle ne s’aventure pas dans les voies détournées et périlleuses ; et si l'âme inquiète de Fénélon cède un instant au vertige qui l'entraîne dans les rêve- ries mystiques, la voix de l'Eglise le rappelle aussitôt aux vérités simples et à la pratique. Le sentiment religieux a donc un caractère positif; il s'appuie sur des croyances fixes ; il se règle sur une foi certaine, sur des espé- rances immuables. La mélancolie, telle que nous la trouvons dans la poésie du Nord et dans les œuvres de M"° de Staël, a, elle aussi, son origine, comme la mélancolie chrétienne, dans le sentiment douioureux de ee qu'il y a d'incomplet dans la destinée de l’homme ; mais tandis que l'esprit chrétien s'appuie sur cette considération pour s’élancer de la sphère du temps dans la sphère de la foi, l'imagination, frappée de la mélancolie moderne, se complait et s'arrête dans la méditation de ce contraste douloureux qui existe entre les vœux de l'homme et la réalité, entre ses désirs pres- que infinis et la destinée qui lui a été si étroitement mesurée par l'imperfection de ses facultés. Il y a là un vague terrible, un je ne sais quoi d'indécis et d’indéterminé qui a un singulier et périlleux attrait. L'âme s’y perd avec délices ; l'imagination s’y absorbe; la volonté s’y anéantit ; les facultés actives s'engourdissent dans une rêverie sans fin et sans but. En outre, il n°y a plus en dehors de la foi, pour l’âme fatiguée de vivre, que l'inconnu de la mort: cet avenir mystérieux dont la foi seule perce l'obscurité, agite la pensée et l’inquiète comme une indéchiffrable énigme. Sous l'empire de ce sentiment exclusif, l'âme soufre et jouit à la fois ; elle souffre de ce vide immense que la sensibilité fait trouver dans l'existence ; elle souffre de ces déceptions de l'intelligence et du cœur qui avaient rêvé une science où un amour impossible ; elle soufre de ce 308 ACADÉMIE DE ROUEN. tourment ineffable que produit en nous la pensée de l'infini, quand nous n'arrêtons pas cette pensée sous la forme précise d'une croyance , d'une espérance ou d’une prière; mais elle jouit en même temps de ses rèves mêmes ébauchés, de ses facultés mêmes incomplètes, de sa sensibilité même inquiète et tourmentée. Elle s'abandonne à l'amère jouissance de cette tristesse vague et de cette rêverie qui promène sans cesse l'imagination de la fatigue de la vie à la terreur de la mort. Il y a quel- que douceur sans Goute à souffrir ainsi ; mais, ne l’ou- blions pas, cette souffrance énerve l'âme ; elle la rend incapable d'agir ; elle détend le ressort de la volonté, et si c'est là une disposition romanesque , avouons au moins que ce n’est pas un état moral et sain. C’est une sorte de mysticisme profane dans lequel le désir triomphe sur les débris de la raison et de la volonté. 11 y a donc là, en même temps qu'une séduction puissante, un péril im— mense ; en même temps qu'un attrait pour l'imagination , un piége pour les facultés actives ; Mme de Staël y suc- comba. Elle s'arrête avec trop de complaisance aux vagues inspirations de ce sentiment, sans doute elle y a puisé de grandes beautés poétiques. Le roman se tient dans un certain milieu idéal et romanesque qui exerce sur nous une irrésistible séduction. Mais, qu'on y prenne garde ! A se trop complaire dans cette sentimentalité excessive, on perdrait bientôt le sens pratique du devoir. En fer- mant le livre , il semble que nous sortons d’un monde légèrement chimérique, où le rêve se substitue à la vie, où l'élément romanesque absorbe l'élément réel. Corinne nous apparaît à travers le crépuscule indécis de la mélan- colie réveuse , comme apparaissaient aux fils de Fingal les ombres des héros, penchées sur les nuages. Et pourtant, on ne peut pas dire que le sens de la réalité, et surtout de la réalité pittoresque , manquât au génie de CLASSE DES BELLES-LETTRES. 309 Mo de Staël; le sentiment de la mélancolie se mêle plus heureusement qu'on ne pourrait le croire au sentiment profond des harmonies de la nature. Mr° de Staël ne décrit pas la nature , mais elle lui prête son âme, sa sen- sibilité ; elle l’associe à ses passions. C’est sur les bords enchanteurs du Léman que M: de Staël s’est éprise de ce goût si vifet si pur pour la réalité pittoresque , pour les vastes horizons , pour les grands spectacles des montagnes, pour les mille aspects divers par lesquels la nature parle à l'imagination des hommes. N'oublions pas aussi que, toute jeune encore, elle a rêvé sur ces pages délicieuses où Rousseau mêle à sa dialectique enflammée le poétique souvenir des lieux qu'il a parcourus ; n’oublions pas que, tout enfant encore, elle a entendu dans le salon de sa mère la première lecture de Paul et Virginie, cette œuvre originale et naïve, où les plus vives couleurs de la pature des tropiques se mêlent avec un charme si péné- trant à la plus simple, à la plus touchante fiction. Me de Staël a tiré de grands, de sublimes effets du sentiment vif de la réalité pittoresque. Sous ce point de vue, son influence a été décisive et complètement heu- reuse sur l'école moderne. Elle à appris à la poésie lyrique à vivifier son inspiration par le contraste perpétuel ou l'harmonie de l'âme humaine avec la nature. La nature n'est plus seulement pour l'esprit moderne ce qu’elle était pour les anciens, une source de voluptés et de jouis- sances sensuelles. Le christianisme a spiritualisé la nature : c'est un vaste tableau qui porte la signature de Dieu. OEuvre intelligente et animée d’un artiste souverainement intelligent, la nature a ses mystères intimes qu'elle ne livre qu'aux âmes dignes d'être imitiées à ses secrets par une sensibilité plus délicate et une pensée plus pénétrante. Heureux qui peut interpréter cette enigme sublime ! heu- reux surtout celui qui peut ouvrir aux autres le trésor 310 ACADÉMIE DE ROUEN. mystérieux de ses idéales jouissances! Oui, il y a une âme dans la nature. une âme qui ne se révèle qu'à un petit nombre d'intelligences mieux douées pour la comprendre, mieux douées pour l'aimer ! Qui jamais exprima sous des formes plus brillantes que M de Stnél ce rapport mtime de toutes nos facultés avec les impressions diverses des climats , et cette grande amitié de la nature pour l'homme qu'elle console dans ses tristesses et qu'elle relève dans sa misère ? Qu'on relise cette page admirable où Mr° de Staël raconte la promenade de Corinne et d'Oswald dans la campagne de Terracine, et qu'on nous dise si jamais un poète trouva des couleurs plus délicates et plus vraies pour rendre cette impression de la nature du Midi qui fait que les facultés ne suffisent plus à la vie, et que l'âme, écrasée et comme anéantie par la surabondance des sensations, s'abandonne à une rèveuse indolence dont on se rend à peine compte en l’éprouvant. Oui, M“ de Staël comprenait vraiment l’harmonieux langage de la nature : &« La lune que je contemplais, dit « Corinne, s'est couverte d’un nuage, et l'aspect de ce « nuage était funeste. J'ai toujours trouvé que le ciel avait « une expression tantôt paternelle et tantôt irritée ; et je « vous le dis, Oswald, ce soir il condamnait notre « amour. » Plus tard, revenant le cœur brisé et sans espoir par ces mêmes lieux qu'elle avait traversés aupara- vant avec tant de délices , en vain appelée au bonheur par le spectacle de cette belle nature, invitée à la joie par ce calme si pur du ciel et de la terre imprégnée de parfums, Corinne s’assit devant la même mer qui brisait ses flots contre le même rocher, et vit au eiel le même nuage, comme il y avait deux mois , à la même heure : « Avais-je «raison de croire aux présages? Mais n'est-il pas vrai « qu'il y a quelque compassion dans le ciel? Il m'avertis- « sait de l'avenir, et aujourd'hui, vous le voyez , 1l porte CLASSE DES BELLES-LETTRES. 311 « mon deuil. » Il y a là un effet simple, mais tragique : le plus grand naturel s’unit à la plus vive émotion. Ainsi, associant la nature à ses impressions intimes, l’'interpré- tant , en quelque sorte, selon son cœur, la traduisant sous les formes les plus mélodieuses , Me de Staël enseignait à l'école moderne quel parti la poésie pouvait tirer de ce sentiment un peu négligé, un peu effacé peut-être, dans la poésie idéaliste du xvu° siècle. C’est à une des sources les plus pures et les plus fécondes où s’est retrempé le lyrisme moderne , et il y a dans quelques pages de Corinne je ne sais quel pressentiment mystérieux de cette poésie de l'âme et de cette poésie de la nature dont l'harmonieux mélange produira plus tard cette élégie du Lac, si chère à la jeunesse , à l'amour, à la mélancolie. 22 p QE — NOTICE L'ANCIEN HOTEL DE L'ABBAYE DU BEC, SUR LE DROIT D'ASILE AU MOYEN-AGE, Dans ! Abbaye de Montivilliers, PAR M. DE BEAUREPAIRE, ARCHIVISTE EN CHEF DU DÉPARTEMENT: { Séance du 24 juillet 1854.) Autrefois le peuple était le seul parrain des rues. Il les désignait à sa guise, tantôt du nom d’une enseigne, tantôt de celui du principal propriétaire. Jamais il n’avait soupçonné le parti qu'on pouvait tirer de leur dénomination pour rendre un hommage aussi éclatant que peu coûteux aux hommes célèbres et aux bienfaiteurs de la cité. Moins encore l'au- torité municipale songeait-elle à donner à ces noms une consécration légale et une signification politique. La rue du Bec, avant que les religieux du Bec-Hellouin fussent venus y chercher un refuge, fut donc successivement appelée rue Naguet, rue au Bail; plus rarement rue Guillaume-le-Comte. Elle comprenait au xiv° siècle, à gauche, en y entrant par la rue de la Courvoiserie (1), (1) Aujourd'hui Grande-Rue ou rue du Gros-Horloge. CLASSE DES BELLES-LETTRES. 313 deux hôtels remarquables par leur étendue ; un hôtel de pierre , qui, après avoir appartenu à la famille d'Orbec, passa à sire Jean d'Orléans, du côté de Saint-Herbland, et le manoir de La Fontaine du côté de la rue aux Juifs. C'est ce dernier seul qui va m'occuper. Ce devait être, à cette époque, un des plus beaux de la ville. Il renfermait dans son enceinte une cour, un jardin, une chapelle, une fontaine, et, enfin, une tour de pierre qui semblait avoir fait partie antérieurement d’un édifice distinct. Les agréments extraordinaires qu'il présentait , sa situa- tion entre la Cathédrale et l'Hôtel-de-Ville durent le faire rechercher des personnes les plus notables, et il y a lieu de croire que c’avait dù être la propriété de quelque grande famille ou de quelque établissement religieux. Toujours est-il que , vers la fin du xiv° siècle , il apparte- nait à un bourgeois de Rouen , nommé Michel Le Comte. Dès lors et depuis longtemps, ce n'était point exclusive- ment , comme on est porté à le supposer, aux mains de la noblesse et du clergé que se trouvaient la richesse et l'in fluence. Je pourrais citer des commerçants possesseurs de fortunes que je ne crains point de qualifier d'immenses. Les fiefs échappaient aux nobles, appauvris, épuisés par la guerre et par le luxe. Les bourgeois, non moins, sinon plus puissants qu'eux à l'intérieur de la ville, n'avaient point à subir leurs prérogatives honorifiques au sein de l'église paroissiale. Ils y avaient, comme eux, leurs cha- pelles et leurs sépultures, et s’appliquaient, avec une égale ardeur, à l'enrichir de leurs libéralités et de leurs pieuses fondations. Après la mort de Michel Le Comte , qui me semble avoir appartenu à cette classe de riches propriétaires, son fils et son héritier, Guillaume Le Comte, loua cet hôtel à 314 ACADÉÈMIE DE ROUEN. Monseigneur de Bellengues, capitaine de Rouen (1), ensuite au bailli Jean A-la-Tieulle (2), lequel y demeura une quinzaine d'années et céda la place à un autre bailli, Monseigneur Hugues de Donquerre (3). Après ce dernier, Guillaume Le Comte vint y loger l’espace de seize à vingt ans. Une coutume des Rouennais, que je signalerai tout-à- l'heure, lui permit d'en tirer un parti avantageux. Du reste, lorsqu'un haut personnage arrivait dans la ville et faisait choix de sa maison, Guillaume Le Comte se retirait dans la partie située sur une ruelle habitée par des orfèvres , et abandonnait le reste à ses hôtes, parmi lesquels il suflira de citer les dues de Warwick, de Glocester et de Norfolk. Ces noms étrangers nous reportent aux temps désastreux de l'occupation anglaise. La forteresse du Bec-Hellouin ayant été surprise par les Français en 1421, l'abbé Robert Vallée fut soupçonné de la leur avoir livrée. Il échappa à grand'peine à la mort. Le comte de Salisbury le fit charger de chaînes et conduire à Rouen. Le prélat prouva son innocence et fut mis en liberté, Mais, n’osant, après une pareille aventure , résider dans son abbaye au milieu d'un pays où la vie monastique était devenue impossible , il jeta les veux sur la maison de Guillaume Le Comte , et, après l'avoir occupée quelques années à titre de loyer, il l'acheta au nom de sa communauté, le 28 janvier 1429, (1) Guillaume sire de Bellengues et de Beusemonchel avait été nommé capitaine de Rouen en 1382, à l’époque de la première émeute, pour veiller à la garde du château de Rouen et de la for- teresse de Sainte-Catherine. (7. M. Chéruel, Histoire de la com- mune de Rouen, 2° Yol., p. 474.) (2) Baïlli en 1389. (7. Farin, Histoire de la ville de Rouen. Ed du Souillet, in-12, 2e vol., p. 362.) (3) Baïlli en 1395. ( Zbidem. CLASSE DES BELLES-LETTRES. 315 Comme c'était un homme d'étude , il prit soin d'y rassem- bler les manuscrits et les chartes du célèbre monastère, et mourut, dans cette retraite qu'il s'était choisie, accablé de peines et de souffrances, le # mai 1430. Le 9 juin de la même année, Thomas Frique fut élu pour lui succéder ; la cérémonie eut lieu à Rouen, dans la chapelle de l'hôtel nouvellement acquis. Les troubles de la guerre ne permet- taient point aux religieux de retourner au Bec; personne alors, comme dit leur chronique , ne se croyait en sûreté en dehors des remparts d’une ville ou d’une forteresse. On sait de Thomas Frique qu'il prit part à la honteuse condamnation de la Pucelle , et qu'il fit faire de somp- tueuses réparations au manoir de La Fontaine. Son suc- cesseur, Jean de La Motte, y mourut le 17 novembre 1452 (1). Après lui, les moines n’occupèrent leur hôtel de Rouen qu'à de rares intervalles. Dans les derniers temps, ils avaient tout-à-fait cessé de l'habiter et le louaient pour une somme considérable. De 1420 à 1455, cet hôtel donna lieu à un procès qui fut porté successivement devant l’oflicial de Rouen, le souverain pontife et l’échiquier, et terminé enfin, de guerre lasse, par une transaction entre les parties, les prieurs , les religieux et le curé de Saint-Lô d’un côté , et le curé de Saint-Herbland de l’autre. Il s'agissait de savoir sur quelle paroisse il se trouvait. Une longue enquête , dressée à cette occasion, nous révèle certains détails intéressants qui forment, à vrai dire, l'objet principal de cette Notice. Les habitants de notre hôtel s'étaient toujours tenus pour paroissiens de Saint-Lô. Souvent on les avait vus au (1) Gallia christiana , XE, 236. Chronicon Beccense, à la suite des œuvres de Lanfranc publiées par Dom Luc Dachery, p. 22 et 23 316 ACADÉMIE DE ROUEN. chœur de cette église, y assister aux oflices et y recevoir les sacrements. Il avait fallu la permission du curé pour dispenser les domestiques des religieux du Bec de l'obliga- tion de venir à l’église de la paroisse. C'était aussi des mains du curé, et non de celles des religieux du Bec, que Robert Vallée et Jean de La Motte, dont nous venons de parler, avaient reçu l'extrême onction dans leur dernière maladie , et quand les moines transportèrent les corps de leurs abbés au monastère du Bec, les religieux , le prieur et le curé de Saint-Lô conduisirent le cortége jusqu'au quai de la ville. Enfin, par un effet de cette funeste quoique touchante habitude, qui tendait à transformer chaque église en un étroit cimetière, les habitants du manoir de La Fontaine avaient pour la plupart été enterrés à l'intérieur de l'église Saint-Lô. Le bailli Jean A-la- Ticeulle et Michel Le Comte, par une affection particu- lière pour les ordres religieux, avaient voulu reposer, le premier, aux Chartreux, et, le second, aux Corde- liers. On prouvait encore que les habitants de notre hôtel avaient été considérés comme paroissiens de Saint-Lô par l'assiette des tailles, et, à ce propos , je remarque que le voisin de Guillaume Le Comte, Guillaume Le Tavernier, marchand de cervoise , propriétaire d'une vaste maison qui se trouvait en partie sur Saint-Lô et en partie sur Notre- Dame-de-la-Ronde, avait coutume d'échapper aux impo- sitions de l’une et l’autre paroisse, en se retirant tantôt dans un bout de sa maison et tantôt dans l’autre. Chaque dimanche , à l'heure de midi , les marguilliers de Saint-Lô portaient l'eau bénite au manoir de La Fon- taine et en remportaient pour leur peine un plat du diner. Il est vrai qu'un jour le clere de Saint-Lô fut devancé. Il trouva en entrant, à sa grande surprise. un marguillier de Saint-Herbland, assis devant la table de l'abbé. Ennuvé CLASSE DES BELLES-LETTRES. 317 de cette fâcheuse concurrence , celui-ci se mit à dire aux deux rivaux : « Vous n'aurez plus rien; je ne sais plus à « qui j'appartiens. » Sur cela , il défendit à son intendant de leur rien donner jusqu'à ce que la question eût été vidée. Ce n'était point le seul privilége des marguilliers. Ils venaient chaque année, à ce même hôtel, demander et chanter les haguïgnettes. Peut-être leur chanson n'était elle autre chose que ce couplet populaire que l'on entend encore dans les rues de Rouen le jour des Rois. Les enfants et les pauvres ne l'ont point laissée tomber dans un complet oubli; mais il va sans dire qu'il ne faut plus la demander aux marguilliers. La procession de Saint-Lô, aux Rogations et à la Fête- Dieu , s'avançait toujours jusqu'à l'extrémité de la maison de Guillaume Le Comte; on y avait suspendu, pour marquer la limite de la paroisse, des branches de glayeul. C'était une pratique assez ordinaire. Nous voyons, par la même enquête, que la ligne de démarcation entre Saint-Lô et Notre-Dame-de-la-Ronde était indiquée au moyen de branches d'arbres. Mais, malgré ces bornes évidentes , les usurpations d’une paroisse sur l’autre n'étaient que trop fréquentes. Une fois, la procession de Saint-Her- bland prétendant que le pavé du roi appartenait à tout le monde , se hasarda à passer par la rue au Bailli, pour gagner de la rue aux Juifs et la rue des Carmes. Ceux de Saint-Lô protestèrent sur l'heure en passant devant l'église même de Saint-Herbland. Les dimes du jardin du manoir de La Fontaine étaient fournies régulièrement aux curés de Saint-Lô. Elles con- sistaient principalement en raisins et en poires nommées tuffesque. Les jardins n'étaient point rares dans ce quartier de la ville, qui devait pourtant être le plus peuplé. L'Hôtel- de-Ville, le curé de Notre-Dame-de-la-Ronde avaient le 318 . ACADÉMIE DE ROUEN. leur. On citait encore ceux de l'évêque de Bayeux et de Guillaume Le Tavernier. Parfois , au moment de faire la cueillette de ses fruits, la femme de Michel Le Comte envoyait quérir le curé de Saint-Lô pour qu'il vint prendre la part qui lui était due. Un jour il était venu, comme à son habitude , et avait fait mettre dans un plateau sa part de verjus. Sur ces entrefaites arrive le curé de Saint- Herbland, accompagné d'un chapelain et d'un clerc. Il - s'empare des raisins et les jette dans un sac. Le curé de Saint-Lô n'eut que le temps d'en saisir quelques grappes et de protester contre ce fait en disant : « Je prens cecy en « entretenant ma possession. » À la cérémonie de la bénédiction de Thomas Frique , le curé de Saint-Lô ne manqua point d'être convoqué des premiers , et le couvent lui donna, pour lui et le sacristain du prieuré, une somme d'argent, deux pains, deux torches et deux cruches de vin. Enfin, le curé de Saint-Lô prouvait son droit par des faits d’une nature beaucoup plus intéressante. On sait qu'à cette époque il y avait beaucoup de chapelles parti- culières, et qu'il était de mode d'y célébrer les épousailles. Sans sortir de Saint-Lô, nous pouvons citer la maison dont Jean de Nonancourt, ancien archidiacre du Vexin fran- çais, avait fait don à la fabrique. Elle renfermait une chapelle , où le bailli Guillaume de Houdetot, locataire de cet hôtel jusqu’à la prise de Rouen par les Anglais, maria son fils à la fille de Pierre de Bellengues. Il est sou- vent question de cet usage dans les statuts synodaux des diocèses, et l'Église veilla toujours pour prévenir les abus qu'il pouvait entraîner ;1). Mais ce qui me semble extraor- dinaire, c'est de voir une chapelle , affectée par son pro- (1) Bessin, Concilia , 2° partie, p. 61,245, 480, 496, 241, 592. CLASSE DES BELLES-LETTRES. 319 priétaire , dans un but de spéculation , à la célébration des mariages des riches bourgeois. C'est ce fait que nous révèle notre enquête; elle nous apprend, en effet, que Guillaume Le Comte appliqua son hôtel à faire noeupees pour ce qu'il estoit bel, notable et spacicux. M ne faut point, je crois, chercher d'autre motif à cette habitude des Rouennais, que ce sentiment qui porte, de nos jours, tant de futurs époux à se marier la nuit pour éviter les regards importuns des curieux, et je me hâte de constater que cet hôtel ne servit point à couvrir de ces unions clan- destines qui sentaient, pour nous servir des termes d’une ordonnance, plutôt la honte du concubinage que la dignité du mariage. On s'y mariait, en effet, en face de sainte Église, comme on disait alors, sinon en présence d’an public nombreux, et après avoir obtenu le congé de l'oflicial ou d’un grand-vicaire. Les lettres de permission, délivrées sur la requête des parties, étaient toujours adressées au curé de Saint-Lô, pour qu'it fit ou souffrit faire les espousailles. Ordinairement , il ne jouait le rôle que de témoin. Comme les bourgeois qui venaient à cet hôtel tenaient généralement à donner de l'éclat à leur mariage , ils avaient recours soit à un chanoine, soit à quelque haut dignitaire de l'Église ; mais, en tout cas , les présents offerts à cette occasion étaient pour le curé, et les cierges pour le sacristain du prieuré de Saint-Lô. Ce fut dans cette chapelle que le bailli Hugues de Donquerre maria ses quatre filles à Mons. Regn. de Reux chlr., à Mons. Jean de Caux chlr., à Guillaume le Mectaer et à Guillaume Charnel. Plus de cent noces y eurent lieu du temps de Guillaume Le Comte, entre autres celles de Guillaume Ango, de Jacques Le Lieur et celles d'un seigneur de Clère avec M de Hellande. Le témoin qui fait mention de cette dernière union, en avait le souvenir tellement présent qu'il rappelle, à ce 320 ACADÉMIE DE ROUEN. propos, que le seigneur de Clère portait encore les bottes et les éperons. Mais voici un personnage qui mérite davantage notre attention. Le capitaine de Rouen, le seigneur de Bellengues, bien qu'il habitât le manoir de La Fontaine, ne voulut point se soumettre à un usage qui lui semblait contraire aux vieilles mœurs, et répugnait à sa simplicité. On ne fut point sans lui en témoigner quelque étonnement : « Ma fille, répliqua-t-il plai- samment, est assez jolie, et je ne serai pas fâché de la faire voir à tout le monde. » Un témoin croit que le capitaine , homme des plus considérés de la ville, avait voulu donner une bonne leçon aux bourgeois qui mariaient le plus souvent leurs filles dans l'oratoire. Quoi qu'il en soit, M'° de Bellengues et son fiancé, Regnaud de Trie, seigneur de Sérifontaine, plus tard amiral de France (1), prirent, comme de simples gens, le chemin de l’église de leur paroisse, précédés de seize ménétriers ou farceurs, pour amuser le peuple. Cette louable protestation que semble avoir renouvelée, pour sa part, Guillaume Le Comte lui-même, peut-être en sa qualité de trésorier de son église, ne semble pas avoir produit l'effet qu’on en attendait, puisque nous voyons plus tard ce dernier destiner spécialement sa maison aux noces des bourgeois. Les époux restaient chez lui quelques jours, une semaine quelquefois , jusqu’au moment sans doute où l'on ne songeait plus à eux. Le lit nuptial que le prêtre ne manquait jamais de bénir (2) était placé dans une chambre située derrière la chapelle. (1) 11 devint aussi maître des arbalétriers, capitaine et garde des châteaux de Saint-Mälo et de Rouen. Il mourut en 1406. Sa veuve se remaria à Jean Malet V, Sire de Graville. (F. Île Père Anselme, VI, p. 673 }) (2) Sur l'usage de bénir le lit nuptial dans le diocèse de Rouen, r. Le Bruu des Marettes, foyages liturgiques, p. 420, 421. CLASSE DES BELLES-LETTRES. 321 Un mot maintenant sur l'issue du procès et sur ce qui reste de l’ancien hôtel du Bec. Par le conseil de Ph. de la Rose, trésorier de Notre- Dame de Rouen, de Jean de Gouvys, de Guillaume du Désert, défenseur de l’église Saint-Herbland et de Girart Follie, qualifiés, dans la transaction, de très bons et experts juristes, le curé de Saint-Herbland reconnut pour lui et ses successeurs que la maison en litige était de la paroisse Saint-Lô, qu'il n’y pouvait prétendre aucun droit, et que son clerc n'y devait point porter l’eau bénite. Mais le curé de Saint-Lô permettait à son confrère de mener la procession de son église par la rue au Bailli et la rue aux Juifs, et obtenait en retour l'autorisation de passer par la rue de la Courvoiserie. Le curé de Saint Lô s’obligeait en outre à ne point permettre qu'on fit de nouvelles entrées à l'hôtel du Bec (13 novembre 1455). (3). Il subsiste aujourd'hui une portion assez notable de l’ancien manoir des Religieux. On voit encore un escalier de pierre, fort étroit, contenu dans une tourelle tronquée à son sommet, qui pourrait bien être cette tour que mentionnent les vieux titres. Au pied de cette tourelle, au rez-de-chaussée, se trouve une salle, comprenant deux travées de voûte, construites dans le style ogival, sans chapiteaux ni piliers. Les arceaux de la voûte , taillés en forme d'amande, me semblent annoncer la fin du xivé ou la première moitié du xv* siècle. Quant à la chapelle, elle se trouvait du côté de la rue aux Juifs. Il n’en reste plus de traces. Il est inutile de dire que le curieux usage auquei elle était affectée dut cesser dès qu’elle devint la propriété des religieux du Bec. (3) Cette transaction et l'enquête se trouvent aux archives de la Seine-Inférieure, fonds du prieuré de Saint-Lo. ee —— 21 NOTES SUR UNE VIOLATION DU DROIT D'ASILE EN L'ÉGLISE DE MONTIVILLIERS, AU XV° SIÈCLE. D Le droit d'asile était un des priviléges les plus sin guliers des églises au moyen-äge. Il se rattache à son histoire une foule de faits intéressants, parmi lesquels le suivant me semble mériter de trouver place. Il se passa à Montivilliers dans les premières années du xv° siècle. Guillaume du Certain, dit Bombarre, et Jean Roger, clercs non mariés, s'étaient échappés des prisons royales, où on les avait enfermés pour crimes ou délits, et s'étaient mis en franchise dans l’église des religieuses. Cleres non mariés et réfugiés, c'était plus qu'il n’en fallait pour les mettre à couvert de l'autorité séculière , si les lois avaient été observées. Mais, sans en tenir compte, Jean de Saulieu, bailli de Caux, chambellan du roi, et son lieutenant-général Guillaume Le Prevost, se présentèrent à l'église Saint- Sauveur , suivis d’une foule considérable de peuple. Avertis courtoisement par les religieuses de se garder de ne rien entreprendre contre la liberté de leur abbaye, ils n’en installèrent pas moins un grand nombre de sergents dans le chœur même de l'église, pour faire le guet, et empêcher les deux prévenus de s’esquiver. Douze jours entiers, ces hôtes fâcheux occupèrent le sanctuaire, troublant, sans souci, les nonnes dans leurs offices et leurs dévotions. Ennuyés de leur longue et infructueuse attente , ils osèrent soumettre à l'examen le plus minutieux les chambres, les cellules du couvent, et enfoncèrent leurs épées dans les paillasses des lits. Ils montèrent ensuite dans la tour, et pénétrèrent jusque sur les voûtes de l’église. Is ne s'en tinrent point à; la CLASSE DES BELLES-LETTRES. 323 nuit, d'après l'ordre du lieutenant, ils sonnèrent toutes les cloches ; le peuple s’assembla en tumulte; les reli- gieuses craignirent une sédition et les plus grands malheurs pour leur église. On eût dit d’une ville tombée aux mains de l’ennemi. Elles persistèrent pourtant dans leur discrétion ; mais les prisonniers, aux abois, se décidèrent à sortir de leur retraite, soit qu'ils craignissent d’être découverts et massacrés sans pitié, soit qu'ils cédassent aux prières ou aux conseils du couvent alarmé. Il ne fut plus question de Jean Roger. Sans doute il parvint à se dérober à toutes les recherches. Quant à son compagnon, il forjura le pays, suivant les formes solennelles de l'ancienne coutume , et, muni de la croix et de l'eau bénite, 11 prit le chemin du Roi, escorté par le clergé du pays. Mais les parents de Ricart Callouel, qu'on disait avoir été assassiné par Bombarre, ne laissèrent point le fugitif atteindre en paix les frontières de la province , à laquelle il avait dit adieu pour touiours. Guillaume Le Prevost et le geôlier, excités par leurs plaintes , rejoignirent Bombarre , et, par une ruse qui n’était que trop ordinaire aux juges séculiers , ils trouvèrent moyen de l’attirer traîtreusement hors de la route du Roi; alors s’évanouit pour le malheureux tout espoir de salut. Il fut saisi, ramené à la prison, jugé et pendu sans retard, malgré sa tonsure et nonobstant les justes réclamations de loflicial de Montivilliers. Le fait même qu'on lui imputait n’était point parfaitement prouvé, et il paraissait constant que Callouel n'était point mort. Non content de tant d'illégalité, le lieutenant fit prendre par le procureur du roi, un bref de fief lay et d'aumône contre les religieuses, et mit leur temporel en la main du roi. De pareils attentats ne pouvaient rester impunis. II importait de maintenir par une réparation éclatante les 324 ACADÉMIE DE ROUEN. priviléges de cette abbaye, que les rois avaient honorée de leur sauvegarde. Les religieuses poursuivirent donc le lieutenant devant le Parlement de Normandie; et le procureur-général, convaincu de la justesse de leurs griefs, fit cause commune avec elles. Deux ans se passèrent; rien n'avait encore été décidé; mais tout faisait regarder la condamnation du lieutenant comme indubitable. On parla alors de transaction; le roi Charles VI eut égard aux suppleations de Guillaume Le Prevost, qui s'était acquis une réputation honorable dans un long exercice des fonctions judiciaires , tant dans le bailliage de Caen que dans celui de Caux ; il pardonna à son oflicier l’offense dont il s'était rendu coupable envers Sa Majesté et envers la justice, et octroya aux parties, de grâce spéciale, l'autorisation de s'en aller hors de cour, sans amende, et de faire tel accord qu'il leur conviendrait pour bien de paix et pour amour nourir entre elles. Les lettres du roi sont du 22 août 1407. Quatre jours après, l’accord fut conclu entre le procureur des religieuses et le lieutenant du bailli. J'en rapporterai les termes ; ils valent mieux que l'analyse ou la traduction que j'en pourrais faire. « Cest assavoir que le corps dudit clerc sera despendu du gibet par le bourrel, et de la sera par ledit bourrel adméné en une charrette à la porte de l’abbaye, à neuf heures, devant midy, lequel la venu dira aux doyen et official, et autres officiers de la dite abbaye, que il trouvera à la dicte porte, en la présence des assistans : « Véez le corps de Guillaume du Certain, dit Bombarre, que je vous apporte et restitue, ainsy comme il ma esté commandé du lieutenant de M. le Bailly, pour tant que avant qu'il feust executé , il avoit esté admonesté de le vous rendre comme clere, » et sera lors ledit lieutenant du bailly et les sergens de qui il pourra s’orner pour le CLASSE DES BELLES-LETTRES. 325 accompagner, à la maistre porte de l’églize de Saint- Sauveur de Monstiervillier, devers la porte de la dicte abbaye qui sera ouverte, lequel lieutenant ainsy accompagné , comme il pourra, ira par la dicte porte de l'églize Saint-Sauveur en la partie de l’églize des dames, et entrera au cuer d'iceluy, auquel lui venu, Madame l'abbesse séant en son estat, en présence de ses reli- gieuses, ses doyen ct oflicialet autres ofliciers et d’autres gens notables jusqu'au nombre de dix, il la saluera reveremment, en disant ces paroles : « Madame, vous et Mesdames vos Religieuses avez esté malcontentes de ce que len à exécuté Guillaume du Certain , dit Bombarre, duquel rendre comme clerc je avoie este admonesté ; si vous plaise sçavoir, que pour la reverence de Dieu, de l'églize et de vous, je vous le restitue, pour en faire à votre plaisir, et en tant que vous avez esté mal contentes de ma personne, de ce que je fis faire la dicte exécution , et aussy pour cause des choses faictes par moy en votre églize, durant le temps que ledit Bombarre fut en franchise en ycelle, en quoy l'immunité d'icelle pourroit avoir esté enfrainte, en quelque manière que ce soit, je en suis courroucié , et vous supplie que il vous plaise et à Mesdames vos Religieuses le me pardonner ; car en vérité, ce que j'en ay fait a esté fait, en cuidant accomplir raison et Justice, à mon povoir et non pas en entencion de blecier, empeschier ou diminuer les droits de votre églize. ne ou contemps de votre personne ne de vos Religieuses, » et après les dictes religieuses pourront faire service solennel pour ledit Bombarre, se il leur plaist, et le faire enterrer et faire faire un tablel en l'auditoire de la court de l’églize ouquel aura paint une ymage d’un homme long vêtu et sera escript audit tablel : « Véez ci la représentation de Bombarre rendu à l'églize et restitué comme clerc, » 326 ACADÉMIE DE ROUEN. Les religieuses prirent soin sans doute de conserver ce tableau dans leur auditoire , pour servir d'exemple aux juges à venir, et de consécration nouvelle au droit d'asile de leur monastère. Ces symboles des restitutions et des amendes honorables faites aux églises ,. étaient jadis assez communs , si j'en juge par les mentions que j'en ai rencontrées. Ici c'était un tableau, là une statue, ailleurs un mannequin. Je ne sache point que les archéo- logues aient signalé l'existence de semblables monuments, du moins en en indiquant la destination. J'ai peine à croire cependant qu'il n’en existe plus, et je suis porté à penser que si l’on n’en a point remarqué, cela tient à ce qu'on n'a plus présentes à l'esprit les formes d’un droit devenu tout-à-fait étranger à nos lois et à nos mœurs ({). (1) Les lettres-patentes qui fournissent ces détails, sont aux archives de la Seine-Inférieure , fonds de l'abbaye de Montivilliers. RAPPORT SUR LE DICTIONNAIRE DE LA LANGUE DACOTA, PUBLIÉ PAR L'INSTITUTION SMITHSONNIENNE, Par M. DE CAZE. {Séance du 93 décembre 1853.) S'il est un livre curieux , rare parce qu'il a été tiré à peu d'exemplaires, et qui le deviendra plus encore parce qu'il est très probable qu'il ne sera jamais réimprimé , qui a dû donner et a donné, en effet, des peines infinies à faire , d’une utilité presque nulle et destiné, par la force même des choses, à être un jour totalement inutile, un simple souvenir; c'est bien, à coup sür, le livre que vous avez en ce moment sous les yeux. Ce livre, qui vous a été envoyé par l'institution Smith- sonnienne , est un dictionnaire du langage Dacota. Or, les Indiens Sioux, si souvent nommés par Cooper, ou les Dacotas, comme ils s'appellent eux-mêmes , sont un peuple composé de plusieurs tribus sauvages de l'A- mérique septentrionale, s'élevant au plus à 25,000 âmes , dispersées sur un territoire immense , depuis le Mississipt 328 ACADÉMIE DE ROUEN. jusqu'aux montagnes Noires, peuple n'ayant jamais su lire ni écrire , Ni par les traits divers de figures tracées , Douner de la couleur et du corps aux pensées ; ne possédant , par conséquent, aucun document écrit de leurs usages, de leurs arts, de leur histoire et de leurs traditions. Ce langage, parlé par un si petit nombre d'hommes , se divise pourtant encore en plusieurs dialectes qui dispa- raîtront eux-mêmes avec la langue lorsque la race , dont ils sont l'idiome , aura également disparu devant la civi- Jisation , l’eau de feu et la guerre ; car c’est une opinion générale que les tribus aborigènes de ce continent sont destinées à s'éteindre. L'histoire prouve , en effet, qu'un grand nombre des tribus qui habitaient autrefois les contrées occupées aujourd'hui par la population des États- Unis, ont considérablement diminué. Quelques-unes même ont totalement disparu. Ainsi les Dacotas, par exemple, passaient pour s'élever encore au nombre de 30,000 , il y a vingt ans; aujourd'hui les investigations les plus récentes réduisent ce nombre à 25,000. Si cela continue de même, il est facile de conclure que cette race humaine, disparue avant un siècle de dessus le globe, ne laissera plus qu'un souvenir comme les mastodontes dont nous vous parlions naguère. Alors le dictionnaire Dacota, devenu sans application, ne sera plus, à son tour, qu'une curiosité philologique. Dans l’état actuel des choses, cet ouvrage est un tribut payé à la science par la grande entreprise des missions étrangères américaines. On voulait enseigner l'Évangile à ces peuplades , leur apprendre à le lire et à l'écrire dans leur langage, mais comment y parvenir avec un peuple CLASSE DES BELLES-LETTRES. 329 dont pas un individu n'avait jamais su lire ou écrire? Là commençait une série de difiicultés. Il fallait d’abord rendre les sons dont l'oreille était frappée par des carac- ières dont ces hommes ne connaissaient ni la forme , ni la valeur, ni l'usage. Ces sons eux-mêmes, ces voyelles si répétées , prononcées par les sauvages d’une manière très nette et très pure, offraient une vraie difficulté à des Américains habitués à l’idiome anglais, dont les intona- tions sont rarement nettes et précises. Ils ont donc été obligés de déclarer que, dans les livres imprimés, ils appliquaient aux voyelles les sons qu'elles ont dans l’ita- lien et dans l'allemand; et ils ont rendu certaines articu- lations par un caractère unique. Pour moins de complica- tion, ces caractères de convention ont été pris dans ceux de l'usage ordinaire avec l'addition d’un point, d’une queue, d'une cédille ou d’une apostrophe. Enfin, on peut dire que l'idée de rendre leurs pensées par l'écriture est tout-à-fait européenne et entièrement étrangère aux Dacotas, qui n'auraient pas même compris ce qu'on voulait leur dire, car, il faut bien le dire, à la réflexion, l'écriture est chose merveilleuse. Ces peuples ne sont pas forts sur l'analyse et les défini- tions ; et pendant les premières années de séjour au milieu d'eux, les naturels n'étaient pas assez habiles pour être d'une grande utilité à ceux qui voulaient formuler leur langage. Ainsi, leur demandait-on la signification d’un mot, de kas’ka, par exemple, qui veut dire ler, ils répondaient invariablement cela veut dire kas’ka, et ne peut signifier autre chose. Ces bons sauvages se seraient bien gardés de répondre : cela veut dire réunir plusieurs choses ensemble par le moyen d'une corde, d’un brin d'herbe , d’un fil ou d'un lien quelconque. Un nommé Hennepin, se trouvant prisonnier au milieu d'eux, se mit à courir un jour devant eux à peu de distance, et revenant 330 ACADÉMIE DE ROUEN. aussitôt sur ses pas , il leur demanda comment s'appelait cela. Les missionnaires voulant connaître la signification de mots Dacota ont souvent été obligés de recourir à de semblables expédients. Or, quand on saura que ce dic- tionnaire contient plus de seize mille mots, on concevra qu'il a exigé de longues années de fatigues. Les inversions les plus fortes sont communes à tous les dialectes, et, malgré leurs différences, il y a cependant bien peu de mots usités dans unetribu , qui ne soient pas connus ou même en usage dans une autre. Si nous disons : Donne-moi du pain ; un Dacota dira: « Pain moi donné; » tournure que les auteurs trouvent émi- nemment primitive et naturelle. Le génie de cette langue est tel que, pour traduire une sentence ou un verset de la Bible, il faut absolument commencer par la fin et non par le commencement. C'est ainsi qu'agissent leurs meilleurs interprètes. J'avoue ne pas concevoir pourquoi les auteurs de ce dictionnaire disent que de cette ma- nière les sentences sont plus aisément retenues dans l'esprit, et les phrases mieux développées. Cette manière d'exprimer les idées est, d’ailleurs, si essentiellement différente de celle à laquelle nos esprits de race européenne sont accoutumés, qu'il est presqu'impossible d'arriver à penser en Dacota, et par conséquent de parler couramment cette langue. Le magicien, le prophète, le visionnaire parlent chez ces peuples un langage inintelligible au vulgaire pour donner une plus haute idée de leur supériorité. Les songes sont, à leurs yeux, une révélation du monde des esprits, et leurs visions prophétiques ne sont autre chose que ce qu'ils ont vu, et comme dans une autre vie. Il est donc bien naturel que ces songes et ces visions se revêtent de mots inconnus à la multitude ; cette langue sacrée est du reste peu étendue, car il suflit de quelques CLASSE DES BELLES-LETTRES. 331 mots détournés de leur sens ordinaire , et devenus par là inintelligibles pour détruire le sens de tout un discours. Les auteurs du dictionnaire ont si bien senti toute la force des considérations que nous vous avons présentées en commençant ce rapport, qu'ils terminent leur intro- duction en disant : « Puisque ces tribus sont destinées à finir, faisons en sorte que ce soit en cessant d'être indiennes et en devenant membres de la société civilisée. À Minnesota, tout individu de sang mêlé est reconnu comme citoyen du territoire. Que ce privilége s’étende à toute la nation, et bientôt ces sauvages s’élèveront à toute la hauteur de la dignité humaine. Cette extinction tournant alors au profit de la civilisation et du christia- nisme, qui pourrait s’en plaindre, ce serait notre gloire et notre joie. C'est ainsi que l'Amérique chrétienne, ouvrant ses bras fraternels à tous les peuples et à tous les langages, remplirait sa mission de paix et de bien- veillance universelle, » Tout cela est très beau et très juste, mais qu’arrivera- t-il alors du langage Dacota et de notre grand diction- naire ? — LED Et EE———— AR RNEENÉÉEÉSSENESÉENNENSSNESENSSNENSÉS TABLE DES OUVRAGES Reçus pendant l’année académique 1853-1854, et classes par ovdre alphabétique , soit du nom de l’auteur et du titre des vuvrages anonymes, soit du nom de la ville où sont publiés les ouvrages périodiques et ceux des Sociéles savantes ; Dressee conformément à l'art. 63 des nouveaux statuts, Académie nationale agricole, manufacturière et commer- ciale , et Société francaise de Statistique universelle. Jour- nal mensuel des travaux. — Juiltet à novembre 1853. — Janvier à juin 1854. Albert Montémont. L'Amour du lieu natal, chanson. Amiens, Société des antiquaires de Picardie, — Bulletin, 1853, n% 2,3, 43 1854, n% 1, 2.— Documents inédits concernant la province , t. 2. — Repertoire analytique des textes, 11 feuilles. — Mémoires , 2° sem., 1. 2, 1853. — Programme du concours pour la construction du Musee Napoléon à Amiens. — Rapports sur les travaux pendant l'annee 1852-54. Angers. Société d'agriculture. — Mémoires, 5° vol., 5° iv. 1844, et 5° 1845. Angers. Soc, industrielle. Bulletin, 24° année, 1853. Angoulème. Soc. d'agriculture, Annales n°% 1 à 5, 1844. (Envoyées par le Ministère de l'instruction publique.) Annuaire de lPInstitut des provinces et des congrès scientifi- ques, 1854,—Du département de la Manche, F°, Travers, DES PUBLICATIONS. 333 Archives générales. Archives des hommes du jour agrandies, 191 vo/., 1e serie. — Feuille 18. Association normande. Annuaire de 1854. Athénée des arts. Procès-verbaux x17°, 1182 et 1 19°. Séan- ces publiques. ( Envoyés par le Ministre de l'instruction publique.) Baird (S.-F.). and Girard. Catalogue of north American reptiles in the museum of the Smithsonian institution. Baumès ( P.). Précis historique et pratique sur les diathèses. Lyon, A. Vingtrinier, 1853 — Chroniques et légendes de la Bresse et du Bugey (tiré à 100 exemplaires). Lyon , A. Vingtrinier, 1853. Beaurepaire (Charles de). Entrée et séjour du roi Charles VIII à Fouen. Caen, 1854. — Essai sur l'asile religieux dans l'empire romain et la monarchie française, Paris , 1854. Beauvais. Athénée du Beauvaisis. Bulletin , 2° sen. 1853. Benner (Ch.). Rapport sur une nouvelle matière cotorante appelée indigo vert de Chine (manuscrit ). — Notice sur le Lo-Kao ou indigo vert de la Chine (manuscrit, V. p.90). Berger de Xivrey. Rapport fait à l Académie des inscriptions et belles-lettres , au nom de la commission des antiquités de la France , 1853. Berthier, Mémoires relatifs aux mines, 1533 à 38, 1. 6. — Analyses comparatives d’un grand nombre de végétaux , etc., 183/. Besancon, Académie des sciences , etc. Séances publiques des 24 août 1842, 28 janvier et 24 août 1843 , 28 Janvier 1844. Blanche (E). Observation d'une plaie à la main produite par la morsure d'un cheval, traitée pur les irrigations froides (manuscrit. F. p. 105). Blois. Soc. des sciences et des lettres. Mémorres sum, 18b2, 334 : TABLE Boitel. Catalogue de la bibliothèque de Louis Coste, par M. Aimé Vingtrinier. — Compte rendu, 1851. V. Vingtri- nier ( Aimé). Bolo. Eloge de Louis- Gabriel Suchet, duc d’Albuféra, maré- chal de France. Lyon, A. Vingtrinier, 1853. — Eloge en vers de Jacquard. Mention honorable décernée par 1 ’Aca- démie de Eyon , le 21 juin 1853 ( papier chamois). Lyon, A. Vingtrinier, 1853. Bordeaux. Académie, Programme du concours pour l’année 1854. — Recueil des actes. 2° et K° trim. 1853. Boston american Academy. Memoirs. New series. Vol. V. part. 1%. — Plan of the Tornado of august 22, 1551. Bouchardat. Archives de physiologie, de thérapeutique et d'hygiène. N° 1°", janvier 1854. — Mémoire sur la digitu- line et la digitale. Boulogne-sur-Mer. Soc. d'agriculture. Séances semestrielles du 29 octobre 1853 et du 18 mars 1854. Bourdin (Dr). De la nature du suicide. Paris, 1851. — De l’action concomitante du chloroforme sur le principe de la sensibilité ct le principe des mouvements, 1852. Bourg. Soc. d'Émulation de l'Ain. Journal d'agriculture , n° 8 à 12, 1853. — No 4, 5,6, 1854. Bretin (Martial). Napoléon IT. Poésies. Première partie. Lyon, A. Vingtrinier, 1853. Brierre de Boismont et Cerise. Annales médico-psycholo - giques, journal destiné à recueillir tous les documents rela- tifs à l'aliénation mentale, aux névroses el à la médecine légale des aliénés , t. 2 à 5, 1850 à 53. Bruxelles, Académie royale de Belgique. Bulletins, 1. 19, 3e p., 1852.— T. 20, 1° el 2° p. 1853.— Annuaire pour 1853. — Sur le principe électrostatique de Palagi et ses expériences. Lettre de D. le professeur Zantedeschi, de Padoue , à M. Quetelet. DES PUBLICATIONS. 335 Bulletin des sociétés savantes, Missions scientifiques et litte- ratres , 1 à 5° Up. 1854. Caen. Soc. d'agriculture. Mémoires, 1° et 2° p. 1852-53, Caen. Soc. des antiquaires de Normandie. Mémoires, 2° sé- rie, 10° vol., déc. 1853. Cerise. F, Brierre. Châlons-sur-Marne. Soc. d'agriculture , etc. Séance publique, 1853. Charma. Notes sur les fouilles de Vieux , 1853. — Discours d'ouverture de la séance publique du 24 nov 1853, de l’Académie de Caen. — Sur les fouilles pratiquées à Jort en 1852-53. Cherbourg. Soc. des sciences naturelles. Mémoires , 1° vol., 3° et 4° lv. — Observations sur la maladie de la pomme de Lerre. Chesnon. Envor de plantes pour l'herbier de l’Académie. Chevallier et Duchesne. Des dangers que présentent les papiers colurés avec des substances toxiques. Paris, 1854. Clermont-Ferrand, Académie. Annales de l'Auvergne, 1852. Cochet (labbé). Les églises de l'arrondissement d'Yvetot, 2 vol., 1852 (Euvoi de M. le Préfet). — La Normandie sou- terraine, ou Norice sûr des cimetières romains et des cime- tières francs explorés en Normandie. Rouen, 1854 ( En- voi de M. le Préfet). Comar ( de Gisors). Liste de plantes offertes à l’Académie de Rouen. ( Un paquet.) Daviot (Félix). La Muse ottomane, compte-rendu. Deboutteville et Mérielle. Rapport sur la visite des asiles des aliénés de la Grande-Bretagne, 1853. Defosse, Esquisse historique sur les deux communes de Que- oùly, 1853. — À nos jeunes soldats partant pour la guerre d'Orient, 1854. 336 TABLE Delcourt, Notice historique sur M. le baron Dupont-Delporte, 1854. (Hommage offert de la part de M. Dupont-Delporte,) Delisle (Léopold). Examen de treize chartes de l'ordre de Grammont. Caen, 1854. Demidoff (Anatole de). Prersfrage, etc. Département de la Seine-Inférieure, Supplément au budget de 1853. — Session ordinaire de 1853 du Conseil général (Envoi de M. le Préfet.) Budget de 1854. Desbois. Quelques mots sur les revaccinations , 1851. Dijon, Académie. Mémoires , £. 1°, 1851. Douai. Soc. impériale d'agriculture. Mémoires, 1. 2, 1852- 1853. Drainage. V. Hombres. Drapier. Cours complet et pratique de future de coton, etc. Appendice. Du Bois. Ballades normandes , 1853. Du Breuil père. Flore des prairies normandes. Recueil de plantes, 1 cahier in-f?... Duchesne. De la prostitution dans la ville d'Alger depuis la conquête. V. Chevallier. Duclos (Henri) Sur la vaccination (manuscrit), — Quelques considérations sur l'alimentation des enfants âgés de moins d'un an, dans la classe malaisée du peuple à Rouen , févr. 1854. (V. p. 106 et 108.) Dunkerque. Soc. Dunkerquoise. Mémoires, 1853. — Rap- port du secrétaire de la commission de l'exposition de Dun- kerque, nov. 1853. — Catalogue des ouvrages de peinture, sculpture ; architecture , etc., exposés le 8 sept. 1853. Ebrard. Le docteur Pauly.— Conseils d’un vieux médecin aux ouvriers des villes et aux habitants des campagnes sur la conservation de la santé. Exposition universelle. Commission impériale, decrets , règle- ments el instructions. DES PUBLICATIONS. 337 [I Foucher de Cafal. Lettres et opuscules inédits de Leïbnitz, précédés d'une introduction, 1854. — Réfutation inédite de Spinosa , par Leïbnitz , précédée d'un mémoire, 1854. Fourcroy. Lettres écrites d'Auvergne par Fourcroy, pro- fesseur de chimie , membre de l'Institut. (Manuscrit donné par M. Lemonnier.) V. p. 123. Fréville (de). De la civilisation et du commerce de la Gaule septentrionale avant la conquête romaine. Paris, 1853. Garnier du Bourgneuf.. Nouveau manuel des courtiers de com- merce. Paris, 1853. Gerville (de). F. Hombres. Gigot (Léon). Essai sur l’apoplexie nerveuse. Gingins (de). Les trois Burchard, archevéques de Lyon aux x° et x1° siècles. Lyon, A. Vingtrinier, 1853. Girardin (J.). Vote pour servir à l’étude du lait. Girault, Notes sur les solutions singulières des équations dif- ferentielles. Caen, 1854. Hare. De la conclusion à laquelle est arrivé un comité de l’Academie des sciences de France, qui prétend que Les ouragans sont causés par la chaleur, tandis que... , etc. Hayden (Van der). Notices historiques et généalogiques sur les maisons de Kerckhove-V'arent , etc., de Penaranda, etc. — Extrait du nobilaire de Belgique, concernant la famille de Kerckhove-V'arent, etc. Hombres-Firmas (d°). Mémotre sur le drainage. — Notice sur la pie et les ouvrages de M. de Gerville. Hugues ( B). Les vorx de l’Albarine. Poésies. Lyon, À. Ving- trinier, 1853. Institut de France. Prix de vertu fondés par M. de Montyon, 1803. 338 TABLE Institut historique. L'investigateur, 223° à 234° lv. Investigateur. P. Institut historique. Jobard. Bulletin du Musée de l'industrie belge , 1853, juillet à décembre; 1854, janvier à juin. Jolibois (l'abbé). Histoire de la ville et du canton de Trévoux. Lyon, A. Vingtrinier, 1853. Journal des Savants. 1853, ao! à. décembre ; 1854, janvier à Juillet. Journal général de l'instruction publique. Plusieurs numéros. Lecocq. V. Clermont-Ferrand. Le Jolis Observation sur les ulex. Cherbourg, 1853.—- Liste des plantes phanérogames des environs de Cherbourg, adressées en 1853 à l’herbier de l’Académie de Rouen. (Manuscrit avec un paquet de plantes.) Lemoine (Louis). De l'emploi des toiles métalliques dans les machines à air chaud, etc, septembre 1853. Lemonnier (A.-H.). Pèlerinage poétique en Suisse et poésies di- verses. Nouvelle édition. Paris ,Cherbuliez, 1854. (Ÿ°.p. 123 et 239). Leroy de Chavigny. Ÿ. Tudot. Leroy-Mabille. La vigne guérie par elle-même. Paris, 1854. Lille. Commission historique du département du Nord. Bulletin , t. 4°, 1853. Lille. Soc. centrale de médecine. Bulletin médical du Nord de la France , n° 1, 2. Lille. Société impériale, Mémoires , 1852. Mallet-Dufresne (l'abbé). Traité des participes. Mans (le). Soc. d'agriculture de la Sarthe. Bulletin, 1852. Marchand (Eugène). Note sur les eaux stagnantes (manus- crit). — Mémoïre sur la taxe du pain (manuscrit). — De l'essai des huiles comestibles, 1853. — Rapport sur les pro- grès et la situation de l'agriculture dans le canton de Fécamp. DES PUBLICATIONS. 339 Meissas, Ÿ. Michelot, Mende. Soc. d'agriculture, etc. Bulletin, n°° 40 à 48. Mérielle. f. Deboutteville. Metz. Académie impériale. Mémoires, 1852-53, 2 vol.,1853. Meurein ( Victor). Observations météorologiques faites à Lille pendant l’année 1853. Lille, 1854. Michelot et Meissas. Dictionnaire de geographie ancienne et moderne. Ministère de la justice. Compte gencral de l'administration de la justice civile et commerciale en France. — Id., id. de la Justice criminelle pendant l'année 1851.— Méêmes comptes pour 1852. Monfalcon. Monographie de lu Tabie de Claude, publiée par la ville de Lyon. Nouv. édit., 1853. Moreau de Jonnès. Statistique des peuples de l'antiquité : les Egyptiens, les Hébreux, les Grecs, les Romains et les Gaulois , 2 vol. Paris, 1851. Morière. Discours prononcé à la distribution des prix du lycée impérial de Caen , le 10 août 1253. Mouchon. Recherches pratiques sur le lactucarium pour en isoler la lactucine (manuscrit). Moulins. Soc, d’émulation de l'Allier. Bulletin, 1853. Mulhouse. Soc. industrielle, Bulletin, 120 à 125, 1853. Munich. Académie royale de Bavière. Bulletin, n° 25, 27 augst 1852.— Vogel jun, Veber des chemismus der vege- tion, 1852. — Annalen des konighchen sternwarte bei Munchen, 1852.— Abhandlungen der philasoph-philolog. classe. Siebenten bandes. Erste abtheilung 1853. — Africa vor den Entdeckungen der Portugiesen, 1853. Plusieurs autres ouvrages en allemand. Nancy. Académie Stanislas. Mémoires, 1852.— Oversiet over det ko! danske videnshkabernes selskabs forhantliger og det Medlemmers arbeider 1 aaret, 1852. 340 TABLE Nantes, Soc. académique des sciences, ete. Annales 185-253. Nantua. Soc. d'Émulation. Distribution des médailles accor- dées à la suite de l'exposition des produits industriels et agricoles , 1853. Naumann. Catalogue de la bibliothèque de feu M. Auguste- Constant Neumann , professeur de mathématiques à ! "école royale des mines à Freiberg. Neveu (l'abbé). Cours d'éducation religieuse pour les jeunes personnes. Nicot. P. Nimes. Nimes. Académie du Gard. Compte-rendu des travaux, par M. Nicot, 27 anit 1853. — Mémoires , 1853. Niort. Soc. de statistique. Mémoires, 1°° lio., 1853. Olivier (Félix). Pensées d'un solitaire. Lyon, A. Vingtrinier, 1853. Orientalisme. Supplément qui termine la seconde édition de l’Orientalisme , rendu classique dans la mesure de l'utile et du possible. Paillart. Eloge de NI. le baron Zangiacomi, pair de France, président de chambre à la Cour de cassation. Nancy, 1854. Paris. 7, Académie, Bulletin, Institut, Journal des Savants, Revue progressive , Societes. Pèlerinage poétique en Suisse et pacsies diverses. Paris, 1854. F Lemonnier. Pellegrino Salvolini. Sulla sifilide. Torino, 1853. Pierre (Isidore). Késumé de quelques leçons faites à la Fa- culté des sciences de Guen sur les substances alimentaires , 1854. Pigeory (Félix). Revue des beaux-arts, 1° SEP ANS 7e AA lio., 1854. Plouviez. De l'insufflation pulmonaire dans certains cas d'opnée, *853.— Des pertes après l'accouchement, 1855. DES PUBLICATIONS. 341 — Du meilleur mode d'appliquer le chloroforme et des moyens de combattre les accidents dont il est susceptible. Arras. Poitiers. Soc. academique d’agriculture , etc. Bulletins , n°° 25 à 28, 1892. Poitiers. Soc. des antiquaires de l'Ouest. Bulletin 3° et 4° tr. 1853. — 1% et 2° tr. 1854. Pomme de terre (maladie). F. Cherbourg. Pouchet. Histoire naturelle du hanneton et de sa larve. Rouen, 1853. Prévost. Considerations sur le desaccord existant entre le nomenclature des vegetaux de Linnée et les règles fonda- mentales de la botanique, établies jar ce célèbre professeur, ainsi que sur la nécessité de reformer { abus du morcellement des genres et l'emploi de nomenclatures defectueuses, — Observations concernant l'étymologie récemment publiée des noms de quatre plantes alimentaires de la famille des légu- mineuses. Puy (le). Soc. d'agriculture, Annales, #. 17, 1852. Regnault. Wie de Thomas Langevin de Pontaumont, de Cu- rentan. Paris , 1854. Reims. Académie impériale. Travaux, annees 1852-53, 1. TONI Reinvillier. Cours élémentaire d'hygiène en 25 leçons. Paris, 1854. Reiset (Jules). Mémoire sur la valeur des grains alimentaires. Paris , 1853. (V. p. 94). Revue des beaux-arts. W, Pigeory. Revue progressive. Sciences, arts mécaniques, etc, t. 1°, n° b, 16 août 1853. Rigollot, Esquisse de l’histoire de la thérapeutique et de la malière médicale, 1833. Rouen, Cercle pratique d'horticulture et de botanique. 342 TABLE Bulletin, n° 4 à 7, 1853, p.185 à 203.— Bulletin, n° 1, 249: 1804. Rouen. Chambre de commerce. Statistique du commerce mu- rutime et des exportations de tissus de coton et de laine du port de Rouen, pendant l'année 1552. Rouen. Comité de vaccine, Compte-rendu des travaux en 1892. Rouen. Soc. centrale d’agriculture. Extrait des travaux , -128° à 132° cahiers. Rouen. Soc. centrale d’horticulture, Bulletin, #. 4, 7° cahier. —T 5, 1° cahier, 1853. Rouen. Soc. de médecine. 3° bulletin des travaux, 1853. Rouen. Soc libre d’émulation. Bulletin, 1852-53. Saint-Etienne. Soc. des sciences naturelles, Bulletin, 1854. Saint-Omer. Soc. des antiquaires de la Morinie. Bulletin his- dorique, mars à seplembre 1853. Saint-Quentin. Soc. académique. Annales, 2° série, t. 9, 1851; 1. 10,182. Salvolini. F. Pellegrino. L Simon (Max). Hygiène du corps et de l'üme, où Conseils sur la direction physique et morale de la vie. — Déontologie médicale ou des devoirs et des droits des médecins , 1845. Smithsonian institution. Portraits of North american indians with Sketches of Scenery, etc. — Sixth annual report of the board of regents of the Smithsonian institution. — Contri- butions to knowledge, 5 vol gr. in-4°, 1851-52-53. — Norton’s literary register, 1853, New-Yorck. F. Baird, Hare et Warren. Société de géographie. Bulletin, 1.5, n°% 28 à 40. Société de la morale chrétienne. Jeunes détenus. — Caisse d'épargnes. — Testament de M. Lair. — Sir Robert Peel. Correspondance , 1. 3, n° 6, 1853. — Le suicide, l'ivro- gnerie. Sainte-Foy, M. de Reverdy, Mont-de-Piété, 1. 4, DES PUBLICATIONS. 343 n° 1, 1894. — Le colportage. Cuba. Derniers vers d'un Jeune malade, n° 2, — Concours, l’Afrique centrale , l’Al- gérie, justice criminelle , secours mutuels , le colportage, 103 Société de l’histoire de France. Bulletin, n°10 , 11, 1853; n® 1 à 9, 1854. Société francaise de statistique universelle. P. Académie nationale , etc, Société impériale et centrale d'agriculture de Paris. Bulletin des séances, 2° série, 1. 8, n% 1, 3,4 et 8, 1853. Société philotechnique. Annuaire des travaux de l'année 1853, 1x1 "160. Terrebasse (de). Gérard de Roussillon. Lyon, A. Vingtrinier, 1853. Thomas. Endiguement de la Seine maritime. Tisseur (J.). Une visite au tombeuu de Jacquard. — Poème couronné par l’Académie de Lyon, le 21 juin 1853. Lyon, A. Vingtrinier, 1853. Toulouse. Académie impériale. Mémoires , 1853. Toulouse. Académie des jeux floraux. Recueil, 1854. Tours. Société d'agriculture, etc. Annales, 1. 32, n° 5 et 2, 18525493 1017 1009. Travers (Julien). Biographie de Charles-Gabriel Porée, etc. — Notice sur Pierre-Bernard Durand. — Annuaire du dé- partement de la Manche , 25° année, 1853. Troyes. Soc. d'agriculture de l'Aube, Mémoires, n° 91 à 96, de 1844 et 1845; n°° 27 el 28, de 1853, n° 29 et 30, de 1854. Tudot, Cours de paysage à la plume, 8 dessins avec une page de texte lithographie. Moulins. Tudot et Leroy de Chavigny. Deux plumes d'artistes, Album composé de 6 dessins à la plume et d'un texte, etc, Moulins, 1852, 344 TABLE DES PUBLICATIONS. Vaccine. F. Desbois, Duclos, Rouen. Van der Hayden. 7”. Hayden. Verdun. Soc. philomatique. Mémoires , t. 5, 1853. Versailles, Soc. d'agriculture. Mémoires, 53° année, 1853. Versailles. Soc. des sciences morales , etc. Mémoires , 1853. Vigne. V. Leroy-Mabille. Vincent (A.). De la Cycloïde ( manuscrit. F. p. 84). Vingtrinier. Soc. de secours mutuels et de retraite l'Alliance, fondée à Rouen le 1°° janvier 1850. Procès-verbal d'instal- lation de son president. — Du goitre endémique , etc. Vingtrinier (Aimé), imprimeur à Lyon. Catalogue de la biblioth. lyonnaise de M. Coste. — F. Boitel, (M. A. Ving- trinier a offert en même temps onze ouvrages de divers auteurs , sortis de ses presses, mentionnés dans la présente table aux noms de leurs auteurs, MM. Baumès, Polo, Bretin, Gingins (de), Hugues, Jolibois, Olivier, Terrebasse (de) et Tisseur.) Vogel. F. Munich. Warren (John-C.). Description of a skeleton of the mastodon giganteus of North america. Buston , 1852, gr. in-4°. Zantedeschi. 4/l’ insigne chimico Dumus. Dell’ azione reci- proca di due correnti elettriche, dirette nello stesso flo; e dell’ azione induttiva laterale nelle medesime in fili isolaté varalelli vicinissimi. V. Bruxelles. TABLEAU DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES, BELLES-LETTRES ET ARTS DE ROUEN) POUR L'ANNÉE 1954-1955. OFFICIERS EN EXERCICE. M. l'abbé Neveu, Président. M. VinGrTriniER D.-M., Vice-Président. M. J. Girarnin K, Secrétaire pour la Classe des Sciences. M. A. Porrier XK, Secrétaire pour la Classe des Belles-Leltres et des Arts. M. Hezus #, D.-M., Trésorier. M. Bazcin, Bibliothécaire-Archiviste. CHANGEMENTS SURVENUS DEPUIS L'ANNÉE PRÉCÉDENTE. Nora. En conformité de l’article 70 des statuts réglementaires du 30 août 1848, Ja liste complète ne devant plus être imprimée que de cinq en cinq ans, on se borne à indiquer ici les changements à faire à la liste de 1853-1854. ADDITIONS. ACADÉMICIENS RÉSIDANTS, MM. 3854. VINCENT , professeur de mathématiques supérieures au Lycée de Rouen , rue d’Ernemont , 10. Duccos (Henri), D.-M. à Rouen, rue Alain-Blanchard, 0, 1854. 1823. 1833. 183- 1851. 1818. Murar (le comte de) 7° ACADÉMICIENS CORRESPONDANTS, MM. D'Aussy (H.), membre de la première classe de lFnstitur historique, de l’Académie de Bordeaux et de plusieurs autres Sociétés savantes, à Saint-Jean-d'Angély (Charente- Inférieure ). Max Simox, D.-M. à Aumale (Seine-Inféricure) Mancnaz (R. 1851), ingénieur des ponts et chaussées, place Royale, 18, à Paris. Caro (R. 1853), professeur de philosophie à la Faculté de Douai ( Nord). CHANGEMENTS DE DOMICILE. LEMONNIER , 216, rue de Paris ( Belleville ). BouGrox , à Paris, 8, boulevard des Filles-du-Calvaire. GARNIER-DUBOURGNEUF, à Paris, 55, rue Taitbout (ane. des Trois-Frères ). Floquet , à Paris, rue d'Anjou-Saint-Honoré. Dawson-Turxer, à Lee Cottage, Brompton, près Londres. MEMBRES DÉCÉDÉS, MM. , anc. préfet de la Seine-Inférieure. Taxcnou, D -M. à Paris. LEJEUNE (Augte), architecte à Paris. SOCIÉTÉS ÉTRANGÈRES, ADDITION. Cambridge et Boston. American Academy (M. H. Bossance, correspondant à Paris). TABLE DES HATIÈRES CONTENUES DANS LE PRÉSENT VOLUME. Ru Pages, Séance publique du 8 août 1854. — Allocution de M. le Président . D cl Discours de réception de M. Jolibois. Eœamen de la Fe sur le travail des enfants dans les manufactures . . 5 Réponse de M. le Président . 3 16 Sur le mari de Lesbie, imitation de Catulle ; je de la satire de Juvénal sur la Noblesse ; pièces de vers par M. N. Leroy. . 24, 59 Utilité d'une ce A UC départementale à Rouen, par M. l'abbé Neveu : 26 Rapport sur le concours ouvert pour l Ro &. ee Turnèbe, par M. Caro . 47 Noms des auteurs couronnés HAL RC Bohème et Normandie , scène dialoguée en vers, par M. Deschamps. 1 04 Programme des prix proposes Fe 1835, 4856 : 1837. 77 CLASSE DES SCIENCES. Rapport sur les travaux de l'année 1853-1854 +] Qi 348 TABLE DES MATIÈRES. SCIENCES MATHÉMATIQUES. Sur la cycloide , par M. Vincent. : Ed Coup d'œil historique sur les mathématiques par le même. ; Réponse de M. Tr à Ur 2 een ; Concours pour le prix Gossier. . CHIMIE. Etude des eaux stagnantes, par M. Marchand . Du cuivre au point de vue médico-légal, par M. Morin. Recherche de la lactucine , par M. Mouchon Étude de l'indigo vert de Chine . Analyses de cendres et de terres bre par M. ‘Ber- thier. À Valeur des grains alimentaires. par M. 7 Reisat SCIENCES NATURELLES. PALÉONTOLOGIE, par M.de Caze . Botanique . . Zoologie. SCIENCES MÉDICALES. Essai sur l'apoplexie nerveuse, par M. L. Gigot . .. Observation chirurgicale, par M. Blanche . Alimentation des jeunes enfants, pir M. Duclos. . Épidémie de variole à Rouen . : Mémoire de M. Duclos sur les revaccinations : : Lettre de l’archevéque de Chambéry sur le goître et le crétinisme. Discours de réception de M. Duclos (Conservation Fe la santé et des forces intellectuelles de ceux qui se livrent aux professions libérales). Béponse de AT. le Président . TABLE DES MATIÈRES. 349 Ouvrages de médecine envoyés à l’Académie par MM. Brière de Boismont, Duchesne, Max Simon, Desbois, Pellegrino Saivolini LME Re 0115 Priorité de la découverte des Dropr re niques DELCOURT C0 411415 ÉCONOMIE SOCIALE ET STATISTIQUE. Taxe du pain, par M. Marchand. . . . . . . 416 Sociétés de secours mutuels en France, par M. ringirie LUCIEN ME 0e 117 École professionnelle nu tmentales por M. l'abbé Neveu sr. 1119 Opérations du Mont- de-Pièté de Roten par M. Ballin . 120 Statistique agricole du canton de fois par M. Mar- CRANT I EAP DOS > Statistique criminelle de la France : par M. p ingtrinier. ib. MRUVUUL. DDErSS MON ENONCE NS LITTÉRATURE SCIENTIFIQUE. Bettres inédites de FOuNCrTOy MC CR NN ID NÉCROLOGIE. — Mort de M. Mallet, inspecteur GéRArQ honoraire des ponts et chaussées. . . . . . . . . . 124 MÉMOIRES DONT L’ACADÉMIE A ORDONNÉ L'IMPRESSION EN ENTIER. De la cycloide, par M. Vincent . . . . . . : . . . . 1499 Du cuivre au point de vue médico-légal , Der M. Morin. 1352 Note sur les eaux stagnantes, par M. Marchand . . . 158 Rapport sur le mémoire du D: Joseph de Natale, intitulé : Recherches anatomiques sur le Scinque bigarré, ete. . . 1354 Quelques considérations sur l'alimentation des enfants agès de moins d’un an, dans la classe malaisée du peuple, à Rouen, par le Dr H. Duclos. . . . 166 Observation d’une plaie de la main, produite par 7 morsure d'un cheval, traitée pur les irrigalions d’eau froide, par le Dr Emm. Blanche. . . . . . . 191 350 TABLE DES MATIÈRES. Lettres écrites d'Auvergne , en 1797, par Fourcroy à Mme de Wailly, sa parente et son amie. Bapport par DPABUNON. M à ue ve 4 NON CRPRNIS0n CLASSE DES BELLES-LETTRES ET ARTS. Bapport sur les travaux de la classe des lettres et des arts, par M. 4. Pottier, secrétaire de cette classe . . 225 M. Caro. Du sensualisme dans la littérature et dans l'art. 225 M. Lévesque. Réponse à M. Caro. . . . . . . . . . . 298 M. Caro. Étude littéraire sur Mme de Staël. . . . . . 999 M. de Duranville. Sur Jean de Béthencourt . . . . . . 250 Id. Sur Noël Taillepied. . . . . . . . . 9251 Id. Rapports divers … . .,.:. . .…. .- +. 255 M. de Beaurepaire. Hôtel de l’ Abbaye du Bec. . 254 Id. Violation du droit d'asile . 253 M. Ballin. Deux columbaria romains. 256 Id. Mort du comte Marchetti . 258 Id. Poésie de M. Lemonnier . Lee 25 M. Frère. OEuvre presque inconnue de Corneille . . . 240 Id. Sur une histoire de Napoléon, par M. Daussy. 241 M. de Caze. Sur la langue Dacota.. tb. M. Vervoitte. Sur les anciens compositeurs de musique . 242 Rapports sur divers ouvrages. . . . . . . . . . . . 9243 Poésie. — L'Orphelin, par M. l'abbé Picard. . . . . . 243 —- Boutade sur le Progrès, par M. Avenel. . . . 246 — Bohème et Normandie, par M. Deschamps . . ib. NÉCROLOGIE. — M. le comte de Murat, M. Lejeune . . . ib. MÉMOIRES DONT L'ACADÉMIE À ORDONNÉ L'IMPRESSION EN ENTIER. Note sur un volume manuscrit contenant la chronique de la conquête des Iles Canaries par Jean de Béthen- court, par M. Léon de Duranville. . . . . . . . . 9249 Deux sépulcres romains (columbaria) découverts à Bome , traduction par M. Ballin . . . . 2357 Fragments d'une étude sur Mme de Staël, par M. Caro. 269 TABLE DES MATIÈRES. Notice sur l’ancien hôtel de l'Abbaye du Bec, et sur le droit d'asile au moyen-dge, par M. de Beaurepaire . Rapport sur le dictionnaire de la langue Dacota, par M. de Caze Table des ouvrages recus pendant Panne académique ASSIS LODAER Tableau des membres de l Académie. Table des matières contenues dans le présent or 351 512 327 332 345 347 chiites ris im : RU 4 [NEO Ni an 4 cp CR" LR V'# " d- y ") 1 à À + 2 A0) DUR vaut - HAE VUYLU VV MA . Ps Mu EVENT gd ve UN ve \ “aveu te ee MW AU ETAT PORN LEE AA Aa ART PEN YU W'w ah ITS > "HE - RAA UCRAT ÿ IPRAG VL We Evry y Vote sédd 7 SYVOUV Me W AU MAT PTE À UN ACL LUEUR MATE LE JA Fa PES GOUVEUYEPU EE Ur "FYS ë EŸ NU SvvyvV Evry AOC b VU (be LA Ù À PE UNE Mt “M ÿ MA er JÈ ue VU EU us HS north TN . AY ni we sa H u NY UE V SAND 7 LV M LE! Me SE e vie Hu ONU AU NE AENE 1 a, es 4 A NM ET LA LAN EE MU euytt W vu vu! NUM : ÿ YE VV Se nrli HET UV Fate Wie MAX ve nt nr VF EEE FL ; RM ACHETE JUUVC EEE NU 2 0 ÿ Re Me EMA LM “ Me M Ye k, | Li ME EE VUvVEU Ut ns ER ri hi, NL LL SANT MON RE co EM AUELA HE MERS LAN ELEC OMELEMR EEE LA “in 1. 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