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ROUEN, IMPRIMERIE DE ALFRED PÉRON, RUE DE LA VICOMNTÉ, 65. 1856. r ER MU: ?) etes) € 0 \ et ne | e } 45 DV d'ad da 1 / x aus à Ge Ura, ro et L'Académie des Sciences, Lettres et Arts de Rouen, instituée par lettres-patentes de 1744, confirmées en 1756, fut rétablie en 4804 et confirmée de nouveau à la Restauration. Elle fut, en outre, reconnue Ætablissement d'utilité publique , par décret du 12 avril 1852. (Voir le Précis de 1852, p. 283, et la délib, du 10 fév. 1854.) EXTRAIT des Statuts réglementaires du 50 août 1848. Article 59. — L'Académie déclare laisser à leurs auteurs toute la responsabilité des opinions et des propositions consignées dans les ouvrages lus à ses séances ou imprimés par son ordre. Cette disposition sera insérée , chaque année , dans le Précis de ses travaux. 5 =<2- SÉANCE PUBLIQUE DE L'ACADÉMIE IMPÉRIALE DES SCIENCES, BELLES-LETTRES ET ARTS DE ROUEN, TENUE LE 8 AOÛT 1856, Dans la grande Salle de l'Hôtel-de-Ville. Déjà s'était rassemblé un nombreux auditoire, où figu- raient, comme toujours, beaucoup de dames, lorsque l'Académie et ses invités font leur entrée, à 7 heures précises du soir, dans la grande salle de l'Hôtel-de-Ville. Le président prend place au bureau, avec le secrétaire de la classe des lettres, l’archiviste et le trésorier, le secré- taire de la classe des sciences étant absent pour cause d'indisposition. Sur l’estrade, on remarque M. Fleury, maire de la ville, ayant à sa droite, M. Bertrand, doyen de la Faculté des lettres et maire de Caen ; à sa gauche, M. Bligny, colonel de la garde nationale, ainsi que M. Doucin , inspecteur de l'Académie universitaire, et M. l'abbé Juste, doyen de la 1 2 ACADEÈMIE DE ROUEN. Faculté de théologie. On y voit aussi MM. Verdrel, prési- dent du Tribunal de commerce, et les présidents ou repré- sentants des diverses Sociétés savantes de Rouen. Des con- seillers de préfecture, des adjoints, le secrétaire général de la mairie, les rédacteurs en chef de plusieurs journaux et d’autres invités occupent, avec les membres de l'Aca- démie, toutes les places préparées pour eux. M. le président ouvre la séance par un discours où il compare, principalement en ce qui concerne notre Académie , l'époque contemporaine à celle de 1756; ce discours est accueilli avec un plaisir qu'attestent de nombreux applaudissements. La parole est alors donnée au récipiendaire, M. Bachelet, qui, après avoir fait allusion à son entrée à l'Académie par un gracieux apologue, examine le point de vue sous lequel les anciens envisagèrent l'étude de l'histoire et celui qui prévaut de nos jours. Cet éloquent discours, dé- bité avec beaucoup de charme, est interrompu, à plusieurs reprises, par les battements de mains de l'assemblée. La réponse très courte du président est un éloge aussi délicat que spirituellement exprimé. Un intérêt non moins bien senti, mais plus calme, s'at- tache au rapport lu par M. Brunier sur le concours ouvert pour récompenser le meilleur mémoire exposant les moyens de prévenir les accidents dans les manufactures. Les concurrents n'ayant pas complètement atteint le but indiqué par l'Académie, le concours est prorogé, mais une médaille d'argent est décernée à M. Caron, contre- maître dans une fabrique au Houlme, pour l'invention d'un mécanisme qui fait arrêter spontanément une carde en mouvement, au moment même où s’y introduit le moindre obstacle, tel que le bout d'un mouchoir. Cette SÉANCE PUBLIQUE, 3 médaille lui est remise par les mains de M. le maire, au milieu des témoignages de la satisfaction générale, On annonce ensuite les sujets proposés pour le prix annuel fondé par M. Bouctot. Enfin, la séance se termine par une pièce de vers de M. Théodore Muret, intitulée les Dettes, où il stigmatise le luxe à crédit, et la séance est levée à 9 heures, au bruit des applaudissements d’un auditoire satisfait. Voici au surplus la reproduction textuelle de tout ce qui fut lu dans la séance dont il vient d'être rendu un compte sommaire, D D ©) DISCOURS D'OUVERTURE PAR M. BIGNON, Président. = e ——————— "te SE ———— MESSIEURS , Les fondateurs de cette Académie ont voulu que celui de ses membres qui la présiderait, prononçât un discours dans la séance publique de clôture de chaque année. Ceci remonte à 174%, et nous sommes en 1856! — Ceux à qui ce devoir était imposé, ceux surtout qui viennent ici nous prêter une oreille complaisante, se sont enfin aper- çus que la monotonie pouvait fatiguer les plus dévoués, et que l'ennui qu'elle engendre pourrait bien être le résultat le moins contestable de cette solennité, quelque tentative que nous fissions pour l'éloigner. Ce n’est pas qu'il soit sans exemple qu'un président, heureusement inspiré, ne soit parvenu à éloigner ce fà- cheux acolyte ; mais, en voulant l'imiter, j'aurais trop de raison de craindre l'application de cet apologue du bon La Fontaine, qui est dans toutes les mémoires : Ne forçons point notre talent, etc. SÉANCE PUBLIQUE. 5 Je comprends du reste parfaitement que, du temps de nos devanciers, à une époque où l'instruction était moins générale, lorsque les écrits périodiques littéraires ou scientifiques n’existaient pas, ou étaient peu répandus, un discours académique pouvait offrir un certain intérêt à ceux qui désiraient connaître le progrès des sciences et la marche des idées, sans se donner la peine d’étu- dier; mais aujourd'hui....... quand la science et la littérature courent les rues, quand les revues et les feuilletons nous inondent de nouveautés... quel attrait peut offrir une semblable cérémonie ? ….. Pourquoi cet appareil pour débiter une banalité, réchauffer un lieu commun ? N'est-ce pas ce qui est au fond de toutes les pensées ? — L'usage se maintient pourtant, et il se maintient par un sentiment digne d'estime : c'est par le respect et la fidèle observation des règlements qu'elles se sont donnés , que les sociétés subsistent et se perpétuent. Il ya, dans la tra- dition , une autorité qu'on ne méconnaïit pas sans danger. Je m'y soumets, sans me flatter de donner à cette solen- nité l'éclat qu’elle avait jadis. J’ose espérer que votre indul- gence me tiendra compte de la bonne volonté que j'ap- porte à l'accomplissement de ce devoir. J'ai voulu interroger votre histoire, m'inspirer de ses vieux souvenirs, demander à vos archives quels hommes occupaient , il y a cent ans, la place où nous sommes au- jourd'hui; et j'ai été frappé des transformations qui se sont opérées. S'il m'était donné de pouvoir faire revivre ceux qui, en 1756, étaient membres de cette Académie, de vous les montrer, avec leurs costumes, leur langage et leurs œuvres, je ne sais si je m'abuse , mais il me semble que ce serait là un curieux, un intéressant spectacle. — Quelle ne serait pas leur surprise à eux-mêmes ? — C'est bien là la Société qu'ils ont fondée, la ville où ils ont 6 ACADENMIE DE ROUEN. vécu , et pourtant ils n'y reconnaitraient ni les homimes , ni les choses, ni les institutions. Comment l'Académie siége-t-elle aujourd'hui à la place des moines de Saint-Ouen? Quels sont ces symboles? ces décorations nouvelles ? Au-dehors , ces obélisques du sommet desquels s’échap- pent des torrents de fumée ? Ces navires qui marchent sans voiles et sans avirons ? — Ces chars qui roulent avec fracas , entraînés par un monstre dont la poitrine haletante vomit une vapeur brûlante ? A chaque pas nouvel étonnement ! C'est qu’en effet, tout est nouveau ! Les hommes de 1756 ont répandu, sur le sol, une semence dont le pro- digieux développement surpasserait leur attente , et pour- tant ce que nous voyons aujourd’hui, était en germe dans ce qüe la terre renfermait il y a un siècle. Alors la France vivait sous un prince dont l'histoire a uardé d'assez tristes souvenirs. Louis XV occupait le trône, Me de Pompadour tenait le sceptre. C'était le temps où les petits vers, de galants madrigaux , conduisaient un homme à tout. Un noël spirituel, une épigramme finement aiguisée , avaient toute l'importance d’un événement poli- tique. Les lauriers de Fontenoy étaient toujours verts, le Port- Mahon venait de se rendre, et l’on chantait encore le vain- queur de Berg-op-Zoom. Fontenelle, plus discret que jamais, serrait sa main mourante dans la crainte que la vérité ne s’en échappât ; mais de plus jeunes, moins circonspects, la répandaient avec l'erreur et le mensonge. C'était un pêle-mêle sans nom de foi et d'incrédulité. Le bruit des fêtes , la dissipation, les plaisirs n'empêchaient pas qu'une sourde rumeur ne se fit entendre. SÉANCE PUBLIQUE. 7 À ce moment même, la terre tremblait, et l'Europe tout entière déplorait et craignait le sort de Lisbonne. On parlait beaucoup des jansénistes, dont on ne parle plus , des jésuites dont on ne parle guère ; on plaidait pour des billets de confession, et l'on croyait forcer les portes du paradis avec les arrêts du Parlement. La main du bourreau brülait des livres qui renaissaient de leurs cen- dres, et que ceux qui les condamnaient publiquement , hisaient et répandaient en secret. Qui donc était alors le maître en France? Le vrai souverain se déguisait sous toutes sortes de noms. On le disait banni , et il se montrait partout ! tantôt en Lorraine auprès d'un vieux roi, satisfait, quoique détrôné, de pouvoir faire encore des heureux ; tantôt à Potsdam, accueilli par un jeune prince ambitieux auquel l'héritage paternel ne suflisait pas, qui faisait quelques bons vers, beaucoup plus de mauvais, réfutait Machiavel par écrit et mettait sa morale en actions. Ce Protée insaisissable éta- blissait alors sa cour aux Délices et faisait bâtir Ferney. C'était le plus intime et le plus ancien ami de cet aimable et bon Cideville, qui justement siégeait, en 1756, à la séance de cette Académie que présidait M. de Pont-Carré, premier président du parlement de Normandie ; il était assis entre Lecat et Descamps. Cideville, Lecat et Descamps représentaient digne- ment , je le crois, les belles-lettres, les sciences et les beaux-arts dans la capitale de la Normandie. Personne assurément ne brillait avec plus d'éclat et ne répandait plus d'agrément dans la société rouennaise que Cideville. C'était à la fois un magistrat intègre, et un homme du monde accompli ; tout le temps que lui laissaient les devoirs de sa charge, était consacré aux muses légères, aux plaisirs du monde. La coutume de Normandie n'avait point d'interprète plus consciencieux, Horace de disciple S ACADÉMIE DE ROUEN. plus fervent. Fils d’un conseiller au Parlement, auquel il avait succédé, il était, par sa mère, allié et parent de Cha- pelle , ce gracieux associé de Bachaumont , Qui lui servit de compagnon, Dans le récit de ce voyage, Qui du plus charmant badinage Fit la plus charmante leçon. Cideville , avec les plus heureuses facultés, n'a laissé que des ouvrages manuscrits ; ses liaisons avec le poète le plus illustre du xvin° siècle, sa correspondance et son attachement à cette Compagnie qu'il fonda, assurent sa célébrité, et sa mémoire sera toujours vénérée chez nous. Né en 1693, il avait 63 ans en 1756 ; il mourut en 1776, deux ans avant son vieil ami Voltaire. Lecat, né en 1700, avait alors 56 ans; c'était sans contredit un des premiers chirurgiens de son temps, un savant de premier ordre ; son nom brille encore avec assez d'éclat dans les fastes de la médecine , et il a été consacré ici même par d'assez nobles témoignages pour qu'il ne soit pas nécessaire de vous le faire connaître. Il différait autant de Cideville, qu'Hippocrate aurait différé d'Horace, s'ils avaient vécu dans le même temps ; l'un était le type le plus parfait de l’homme du monde à cette époque, l’autre était un travailleur infatigable , peu curieux des succès de salon, mais jaloux des succès académiques; celui-là culti- vait les lettres avec cette quiétude épicurienne qui fuit la fatigue et cherche le plaisir, l'autre n'était effrayé par aucune difficulté, aimait la lutte, et recherchait la gloire au prix du repos et de la santé. — Ajoutons que tous deux étaient également charitables et bienfaisants , et que leur zèle était le même quand il s'agissait des intérêts de cette Compagnie , dont la fondation par leurs soins à tant con- tribué à répandre alors, dans notre vieille cité, le goût des SÉANCE PUBLIQUE. 9 sciences, des lettres et des arts. C’est à eux qu'on doit l'éta- blissement de ces cours publics et de ces concours où tant d'hommes distingués ont été couronnés. Ne citons que deux élèves, devenus depuis célèbres à des titres différents : Roland de la Platière et Bernardin de Saint-Pierre. Jean-Baptiste Descamps n'était sans doute pas un de ces peintres hors ligne qui font école, mais c'était un artiste distingué. Il occupe encore aujourd'hui un rang honorable parmi les peintres français de son temps et sur- tout parmi les historiens de la peinture ; neveu de Louis Coypel , il n’est point indigne de son oncle. Ses tableaux dans le genre flamand sont toujours fort estimés. Notre galerie ne possède de lui que son portrait, donné par son fils, que beaucoup de nous ont connu conservateur du musée, Il était venu à Rouen fonder une école particulière de dessin, bientôt après rendue publique, origine de celle qui subsiste encore aujourd'hui. Autour de ces hommes distingués se pressaient des magistrats du Parlement, de la Cour des comptes de Nor- mandie, des savants et des artistes. Le maréchal de Luxembourg, gouverneur de la pro- vince, protecteur de l'Académie, honorait de sa présence cette séance solennelle. Voilà ce qu'était l'Académie de Rouen, il ya cent ans; mais une illustre origine n’est un titre de gloire qu'autant qu’on n’a pas dérogé ; et vous n’attendez pas de moi que j'établisse un parallèle entre le présent et le passé, au risque de manquer d'égards avec les vivants et de justice envers les morts. Il ne faut pas dissimuler pourtant que, en ce temps-là, le rôle de l'Académie avait plus d'importance que de nos jours. Alors, tous les hommes éminents de notre cifé avaient ici leur place et se montraient jaloux de l'occuper ; cette Compagnie avait en quelque sorte la direction du mouve - 10 ACADÉMIE DE ROUEN. ment scientifique, littéraire et artistique. Le progrès des lumières, la diffusion de l'instruction, les changements po- litiques lui ont ôté cette prérogative que le pouvoir négli- geait d'exercer, et que l'Académie a été heureuse de lui abandonner après lui en avoir montré l'importance et l'utilité. Ne nous plaignons donc pas : le but que nous nous pro- posions est atteint en partie, et si les services que nous pouvons rendre ont moins d'éclat et de publicité, ils ont encore leur importance et nous ne faillirons point à la tâche. De tous les changements qui se sont opérés, celui qui me frappe le plus, c’est d’être assis dans le fauteuil qu'oc- cupait, en 1756, M. de Pont-Carré, premier président du Parlement. Mais sortons de cette enceinte, et choisissons de plus grands sujets de comparaison. Voyons ce qu'était la société française, et cherchons par cet examen si cette loi du progrès, tant préconisée de nos jours, a toute la vérité que notre vanité lui attribue. Il est bien entendu qu'il ne s'agit point de nos institutions politiques, et qu'ilne me vient pas à la pensée de comparer nos lois civiles modernes avec ces coutumes incohérentes, derniers vestiges de la féodalité, qui morcelaient la France et contrariaient ses instincts d'unité ; d’opposer l'adminis- tration du xvrnr siècle, sans principes stables et sans direc- tion uniforme, à cette merveilleuse organisation qui fonc- tionne de nos jours, où partout se montre , avec l'unité de vue, une volonté aussi puissante qu'éclairée ; ni les guerres du Canada avec les conquêtes de l'Algérie. Quelque gloire qui ait illustré le nom des héros de Fontenoy et de Port- Mahon , j'imagine que les soldats français de nos jours, les vainqueurs de Sébastopol, n'ont rien à envier à leurs de- vanciers d'il y a cent ans. La patrie peut les montrer avec SÉANCE PUBLIQUE. ji orgueil à ses amis comme à ses ennemis, à nos aieux comme à nos descendants. La France de 1856 pourrait braver les sarcasmes du grand Frédéric, et troublerait peut-être son sommeil à Sans-Souci, s’il vivait encore... Ce sont là des considérations politiques qu’il ne m'est pas permis d'aborder : parlons des sciences, de la littérature et des beaux-arts. Ceux-là seuls qui ne connaissent pas l’histoire des scien ces peuvent imaginer qu'établir un parallèle sous ce rap- port entre 1756 et l’époque actuelle, c'est vouloir exalter le présent aux dépens du passé. Dans le vaste champ de la science, rien ne se perd et tout fructifie; la supériorité que nous avons sur nos aïeux, nos petits neveux l’auront sur nous, s'ils ne dégénèrent pas. Tâchons de léguer à leur estime et à leur émulation des noms aussi fameux que ceux des hommes d'alors. Quelque branche des connaissances humaines qu’il nous plaise interroger, sciences mathématiques ou physiques, de calcul ou d'observation, que de grands noms à citer ! Daniel Bernouilli, Euler, Clérault, Réaumur, Linné, Buffon, et tant d’autres que je laisse à l’écart. C'était sous ces grands hommes qu’étudiaient les Lavoi- sier, les Fourcroy, les Laplace, les Jussieu, les maîtres de la génération présente qui ensemence à son tour le champ de l’avenir. Voilà comment je comprends le progrès. Con- tinuer l’œuvre de nos devanciers et ne pas la laisser dégé- nérer. Tout autre est une chimère que le bon sens désa- voue, et si nous nousflattons avec raison de la diffusion plus générale deslumières, et de cette vulgarisation des sciences qui pénètre jusqu’à la masse autrefois ignorante, n'oublions pas que ce sont les hommes de 1756 qui ont donné cette direction et rendu les premiers la science populaire. A ce moment même, d'Alembert et Diderot publiaient l'Ency - clopédie, et les économistes préparaient la science nou- 12 ACADÉMIE DE ROUEN. vel!e, fournissant à l'administration moderne tant de prin- cipes utiles que le temps n’a pas encore tous développés. Il y a eu des erreurs !.… qui le nie ?.. Est-ce que par hasard nous nous croirions infaillibles aujourd'hui ?.… J'oserais peut-être parler de la littérature, à l'époque que j'ai choisie, si je n'avais pas à faire une comparaison ; mais, sur ce sujet, il n’y a pas de règles certaines qui puis- sent permettre d'apprécier le mérite relatif avec précision. — Le goût individuel ne peut être une loi commune des opérations de l'esprit et de leur influence sur l'imagination et la volonté. La théorie des affections morales et de leur ressort s'arrête devant cette continuelle et incompréhen- sible mobilité du cœur, qui met sans cesse toute règle et toute prévoyance en défaut, et que le génie seul, comme une inspiration divine , sait diriger et fixer (1). Le temps n'est un élément de progrès que pour les choses que le siècle, qui finit, laisse à continuer et à perfectionner; mais quand la poésie et la littérature sont arrivées à un certain développement, il semble que Dieuait dit à l'esprit humain, comme à la mer : Tu n'iras pas plus loin. I y a des trans- formations, mais il n'y a pas de progrès. Les goûts chan- gent, les mœurs varient et donnent aux œuvres d’une époque leur cachet particulier; voilà tout. — Les Français passaient dans le monde, en 1756, pour un peuple charmant et fri- vole. La poésie légère de cette époque, quand elle n'est pas licencieuse, ce qui lui arrive hélas ! trop souvent , est restée le modèle et le type le plus parfait du genre. Nous sommes plus graves assurément, mais sommes-nous aussi aimables ? — Dans tous les genres de littérature, nousavons des mérites qu'ils n'avaient pas. Ils avaient des qualités que nous n'avons plus. (1) Cuvier SÉANCE PUBLIQUE. 13 Ce que je dis des belles-lettres s'applique aux beaux- arts ; après les siècles de Périclès , d'Auguste, de Léon X et de Louis XIV, rien qui puisse nous faire croire que, dans cette direction, l'esprit humain soit indéfiniment pro- gressif. C’est le génie ou le goût d’une époque qui fixe son rang dans l'opinion de la postérité. Avons-nous beaucoup de sculpteurs supérieurs à Pigalle, des peintres plus gracieux que Boucher, plus fidèles à la nature que Chardin , mieux inspirés par le sentiment que Greuze? Convenons toutefois que notre éducation musicale a été longue et difficile ; qu'aujourd'hui la musique française est placée plus haut dans l'estime de l'Europe que celle de Rameau, le grand maître d'alors. — Si nous avons quelque peine à com- prendre le succès prodigieux du Devin du village en 1753, n'oublions pas que ce petit opéra était le prélude de la révolution qui s’est accomplie de nos jours , et le premier pas dans la carrière que nous avons si bien parcourue depuis. Vous le voyez, Messieurs, sans être injuste envers le pré- sent, on peut honorer le passé; l'hommage que nous rendons à nos aïeux, espérons que nos arrière-neveux nous le rendront un jour. Ils ne croiront, pas plus que nous ne devons le croire aujourd'hui, que les avantages qu'ils auront en partage , soient le fruit de leurs seuls tra- vaux , et ils nous en attribueront notre part légitime. En rappelant les noms de Lecat, de Cideville et de Descamps, j'ai voulu d'abord rendre à nos devanciers un hommage mérité ; puis, les offrir comme exemple de ce que l'esprit de suite, la persévérance dans une voie bien tracée , vers un noble but, peuvent produire pour le bien général. À nous de marcher sur leurs traces , de con- tinuer ce qu'ils ont commencé, en propageant , en déve- loppant, en récompensant, par tous les moyens dont nous pouvons disposer, l'amour des sciences, des lettres et des 14 ACADÉMIE DE ROUEN. beaux-arts ; c'est-à-dire le culte du beau, du juste et du vrai. À nous de féconder les germes heureux qu'une ad- ministration libérale et prévoyante répand dans la géné- ration nouvelle par les études universitaires, et par les cours publics professés par tant d'hommes éminents , qui assurent, en nous éclairant nous-mêmes , les progrès et la prospérité de l'avenir. Que les hommes distingués d’une cité, qui en renferme un si grand nombre, nous aident de leurs concours, et qu'en voyant les exemples que j'ai cités, ils ne dédaignent pas de s'associer à une œuvre qu'un pouvoir juste et éclairé a proclamée d'utilité publique; nous ne recherchons ni la satisfaction de la vanité , ni les avantages personnels ; mais nous avouons hardiment notre ambition , c’est d'être utiles , de contribuer au bien général. Nous aimons à croire, qu'après avoir produit les Corneille , les Fontenelle, les Poussin, les Boïeldieu et tant d’autres, le vieux sol de la Normandie n'est point encore frappé de stérilité, et que nos pères n'auront à rougir ni de leurs enfants ni des nôtres. DISCOURS DE RÉCEPTION DE M. BACHELET, Professeur d'histoire à l'Ecole préparatoire à l’enseignement supérieur des sciences et des lettres, et au Lycée impérial de Rouen. Messieurs , Souffrez que je rappelle un apologue bien connu, mais où je vois une image saisissante de ma situation parmi vous. Il y avait à Hamadan, ville de la Perse , une Académie renommée , et il n'était pas de savant qui n’eût l'ambition d'y être admis. A la porte de la salle des séances vint frapper avec modestie un auteur de quelques petits livres , le docteur Zeb, qui pria l'huissier de remettre au président sa supplique. — Toutes les places étaient rem- plies. Après avoir un peu rêvé, le président fit remplir d'eau une grande coupe, mais si bien remplir, qu'une goutte de plus l'eût fait déborder. Le candidat étant imtro- duit , il la lui montre. Zeb comprend qu'on ne peut l’ac- cueillir. Mais il voit à ses pieds une feuille de rose; il la prend , la met délicatement à la surface de l’eau, et pas une goutte ne s'échappe de la coupe. — Cette réplique était ingénieuse : l'Académie battit des mains, et admit ce 16 ACADÉMIE DE ROUEN. membre surnuméraire , qui promettait de ne gêner per- sonne. Il ne restait plus au récipiendaire qu'à prononcer une phrase de remercîiment. Comme on lui présentait le registre de l'Académie , où les membres avaient coutume de s'inscrire eux-mêmes, le docteur Zeb sut remercier sans dire mot. Il écrivit en marge le nombre cent (c'était celui de ses nouveaux confrères) ; puis, mettant un zéro à la gauche , il ajouta au-dessous : «Ils n’en vaudront ni moins ni plus. » En jetant les regards, Messieurs, sur la Société que vous formez, je me pénètre intimement de la vérité de cet apologue ; car je ne vois pas de science qui ne compte au milieu de vous des représentants distingués. Le sacer- doce chrétien vous a donné des membres en qui les vertus pratiques s'unissent à la connaissance des vérités divines. A une Cour qui brille entre les premières de l'Empire, vous avez demandé quelques-uns de ses profonds juris- consultes et de ses éloquents orateurs. L'industrie, le commerce , l'administration , les travaux de l'archéologie, les sciences médicales, les beaux-arts, ont reçu tour à tour la consécration de vos suffrages. Dans les sciences exactes et appliquées, dont une grande ville comme la nôtre apprécie plus particulièrement les services, ne comptez-vous pas des hommes dont les noms ont volé par-delà les limites de la Normandie, et dont les ouvrages reflètent au loin la popularité de leur enseignement? Vos rangs se sont ouverts aux maîtres de notre Université, et beaucoup d'autres vous eussent apporté un concours bien autrement utile que le mien. Ils ne furent jamais seuls ici à rendre aux lettres un culte désintéressé : entre ceux de vous qui demandent à la poésie le repos de leurs labeurs ou le charme de leurs loisirs, que ne puis-je remercier le magistrat si riche SÉANCE PUBLIQUE. 17 d'érudition classique, et dont la perte ne sera pas de longtemps oubliée ? A mes débuts dans un enseignement de création récente, il m'accorda , jusqu’à la veille de sa mort, l'honneur de ses encouragements assidus ; j'en fus fier pour l'institution elle-même, plus que pour moi, et je ne puis croire encore aujourd'hui que la faveur d'entrer dans votre Compagnie me soit une distinction personnelle. Ne serait-elle pas plutôt l'effet de l'intérêt qui s’est attaché de nos jours à l’histoire, et dont profitent ceux-là même qui sont les plus obscurs interprètes de ses enseignements ? Ou bien n’avez-vous pas voulu, Messieurs, donner à l’un de vos anciens collègues , au fondateur de l’enseignement histo- rique dans notre lycée, un souvenir aussi touchant que délicat, en appelant à vous le nouveau maître, effrayé sans doute du péril d'être son successeur, mais qui, pour vous, se recommandait d’avoir été son élève ? Si ce n'était un travers assez commun , et presque un ridicule , de prétendre que la science dont on s'occupe est la première de toutes les sciences , qu’elle offre à la fois le plus d'utilité et le plus d’attrait, j'aurais été peut-être tenté de rechercher comment la politique, la philosophie. la littérature , les sciences et les arts, peuvent avoir besoin des secours de l’histoire. Mais il faut renoncer à une visée si ambitieuse, non-seulement par la prudence que me donne la disproportion de mes forces avec la grandeur de ce sujet, mais aussi par respect pour l'auditoire, que je ne dois pas rendre responsable et victime de la coutume qui, chaque année , condamne un récipiendaire à l'élo- quence. Je vais essayer seulement de déterminer quel- ques-unes des raisons qui me semblent expliquer, en notre siècle , le développement des études historiques. On peut signaler tout d'abord l'abandon du système de composition dont les anciens ont laissé le modèle, et, par suite, une façon plus vraie, plus élevée, plus ) is ACADÉMIE DE ROUEN. morale , d'envisager les faits , leurs causes et leurs résul- tats. Vous vous rappelez, Messieurs, comment naquit l'his- toire. Hérodote avait été témoin d'une lutte formidable entre les Hellènes et les Perses , lutte de la liberté contre l'esclavage, de la civilisation contre la barbarie. La majesté de ce spectacle l'inspira. Il vint lire son récit devant tout un peuple, rassemblé pour la solennité patriotique des jeux d'Olympie. Ce peuple grec, habitué par les poètes au merveilleux des légendes héroïques, ce peuple , si émi- nemment sensible aux grâces de la diction , et dont la langue était déjà classique et d’une harmonie savante, aurait-il pu goûter une histoire philosophique dont la gravité sérieuse eût laissé froide son imagination? Il demandait plutôt un poète , un fils d'Homére, comme dit Lucien. Or, Hérodote déclare qu'il écrit «afin que les hommes ne perdent pas le souvenir des grands et mer- veilleux exploits; » ce fut en poursuivant ce but qu'il s'éleva jusqu’à la dignité de l'épopée ; il sut plaire par ce natfrel de langage que Cicéron comparait à un ruisseau limpide , par la perfection de cet art d'écrire qui l'a rendu le modèle des historiens de l'antiquité, et l'admiration générale attribua, presque dès l’origine, aux neuf livres de son ouvrage les noms des neuf Muses. Mais il semble que les applaudissements donnés à l'œuvre d'Hérodote par l’as- semblée des Grecs, aient poussé les écrivains des âges sui- vants à l'imiter dans la composition, dans la forme ou dans le style. Vainement un jeune homme de dix-neuf ans, Thucydide , à qui ces glorieux suffrages avaient cependant fait verser des larmes , voulut, en racontant la guerre du Péloponèse, se mettre en garde contre les ornements de la parole, séparer complètement l'histoire et la poésie, instruire au lieu de plaire. La constitution même des sociétés antiques obligeait en quelque sorte l'historien à SÉANCE PUBLIQUE. 19 rechercher l’art plus encore que la vérité. Dans des Etats qui se gouvernaient en république , et où la parole était le moyen décisif d'influence, les personnages politiques étaient nécessairement des orateurs : l’écrivain, qui voulait garder leur mémoire , devait s'appliquer à retrouver leurs pensées , à leur donner un enchaînement vraisemblable , à les revêtir d’une parure oratoire. Aristote nous a laissé de l'histoire, telle que la concevaient les Grecs, une définition qui ne permet aucun doute : il la place un degré au- dessous de la poésie, comme « un art, dit-il, auquel suffisent des faits vrais ou faux , pour déployer tout le luxe du style et de la rhétorique. » Voilà pourquoi Polybe, dont la manière plus sérieuse et plus philosophique se rapproche davantage de la nôtre, ne fut point rangé, chez les Grecs, au nombre des écrivains classiques. Cette façon de comprendre un sujet historique, les Romains se l’approprièrent. Au dire de Cicéron, rien ne ressemble plus à l’éloquence que l’histoire : Nihil est magis oratorium quäm historia. Tite-Live aurait ajouté, sans doute , que rien n’est plus semblable à la poésie. Car, en présence de Rome , qui l’éblouit de son éternité, et dont il veut chanter l’impérissable empire , il est plein d’une conviction enthousiaste. Poète dans la conception de son sujet, il n’a point d’incertitudes à dissiper, n’eût-il même qu'à gravir le Capitole pour en interroger les archives. Il aime mieux écarter les détails qu’il désespère de retracer avec un certain appareil, mais il s'arrête volontiers à l'endroit favorable pour une harangue, pour une description, et le style de son récit est ample et majestueux, comme il convenait dans un pays où l’élo- quence de la tribune était si brillante. Salluste, chez les Romains, comme Polybe chez les Grecs, vous offrira parfois des aperçus élevés, des observations judicieuses et profondes ; mais, pour les formes générales de la com- 20 ACADÉMIE DE ROUEN. position, ils ont encore suivi, l'un et l'autre, le sillon qui leur avait été tracé. Je sais que Tacite se présente avec un tout aufre carac- tère. N'oubliant jamais le sacerdoce de l'historien, juge sévère, implacable, de la moralité, il honore la vertu, même quand elle saccombe, et flagelle le vice jusqu'au sein de la puissance. Il porte sur tout la réflexion, la critique ; il scrute les motifs compliqués ou secrets, puis il prononce d'un mot sa sentence. Chez lui, point d'expressions fleuries, point de périodes, point de luxe d'images : il veut que cha- que parole, dans sa concision étudiée, ait un sens, une instruction, une portée. C'est par là qu'il a mérité d'être appelé le plus grave des historiens et le plus grand peintre de l'antiquité ; peintre qui a vu toutefois les choses sous un jour tellement sombre, qu'il paraît rigoureux, même en- vers un siècle dépravé. Mais, remarquons-le bien, de son vivant même, Tacite dut sa gloire, moins à ses travaux historiques, si contraires à l'idéal qu'on s'était fait de l'his- toire, qu'à des vers et à des discours aujourd'hui perdus. Ce n'est pas Tacite que les historiens modernes, nourris des littératures grecque et latine, se sont proposé comme modèle. Pour aimer, pour imiter Tacite, il faut avoir vécu, comme lui, à une époque où, dans le silence de la tribune, on est tenté de confier à l'histoire ses sentiments et ses regrets; où, sans avoir oublié la liberté, on supporte la servitude en couvrant de traditions glorieuses une ignoble dégradation des caractères ; il faut avoir passé sa vie au milieu de guerres civiles dans lesquelles les factions se dis- putent à qui donnera aux autres le plus mauvais maître ; il faut avoir traversé ces calamités publiques, qui répandent une indicible tristesse sur les âmes fortes et grandes, sur la vie, sur la pensée, sur tous les sentiments. Alors seulement, on frémit avec Tacite, et l’on éprouve comme un besoin de se retremper en lui contre les séductions ou les terreurs. SÉANCE PUBLIQUE. 2f La tradition historique suivie par les modernes, c’est, avant tout, celle d'Hérodote et de Tite-Live. Pendant plu- sieurs siècles, les historiens ont été dominés par cette préoccupation littéraire, de reproduire les conceptions, les plans, les discours, les sentences, les périodes de leurs pré- décesseurs ; ils se sont obstinés à modeler, sur les formes antiques, des sentiments et des faits d'une nature nou- velle. L’écho des historiens grecs et romains s’est pro- longé de Guichardin à l’école des Rollin, des Crevier, des Lebeau, des Vertot et des Barthélemy, tous naïvement ca- pables de tenir une erreur pour sacrée dès qu'elle était antique, de faire parler Clovis comme César, ou de peindre des mêmes traits Charlemagne et Louis XIV. Les dernières générations du xvii® siècle, qui rompirent violemment avec les traditions de la monarchie, n’ont pu briser aussi aisément les entraves des souvenirs littéraires. Les haran-- gues des orateurs de la Révolution fourmi lent de citations et d’allusions classiques. Ces hommes aimaient la liberté, mais ils semblèrent ne la concevoir que sous les formes des républiques anciennes ; le bonnet phrygien et les faisceaux consulaires furent son symbole ; les hommes illustres eu- rent leur Panthéon ; le nom de l'Italie, d'où ces souvenirs étaient venus, périt étouffé sous les noms des républiques. ligurienne, cisalpine et parthénopéenne ; on ressuscita les tribuns et les consuls. Puis, à ceux qui s'étaient appelés les fi!s de Timoléon et de Brutus, Napoléon vint demander, eomme César, le consulat à vie, et, comme Auguste, la puissance impériale. L'antiquité, Messieurs, n’a pas perdu chez nous son prestige; mais les formes traditionnelles de l'histoire ont été sagement abandonnées. L'histoire, dont on comprend mieux l'étude et le but, a cessé d’être un exercice d’élo- quence ; elle ne veut plus de cette méthode antique, de cette dignité factice, de ces beautés de convention, de ces 29 ACADÉMIE DE ROUEN. ornements artificiels, bagage ordinaire d'une imitation impuissante ; elle recherche le vrai plus que le brillant , le bien à l'égal du beau. On se fatigue vite des descriptions de batailles, des harangues pompeuses, des jugements inspi- rés par les souvenirs de Rome et d'Athènes. Mais ce dont jamais onne se lasse, c'est de contempler, à travers les révolutions des âges, le jeu des passions humaines avec leur infinie variété, et d'en recueillir une instruction fé- conde ; c’est de rechercher, de saisir la vérité, qui est l’une des aspirations de notre nature. Il n’importait guère aux idolâtres de l'antiquité qu'un fait fùt vrai ou même probable : c'était assez qu'il füt rapporté dans la langue d'Homère ou de Virgile. Ils ne choisissaient pas même leurs autorités, accordant , sur le compte d’Alcibiade, une égale croyance à Plutarque et à Thucydide. L'école historique de nos jours a plus grand souci de la vérité : elle la cherche partout où elle est enfouie, sous les allégories des poètes, dans les légendes et les traditions , sur les médailles et les monuments mutilés ; elle interroge, sous leur poudre séculaire, la chronique du couvent, le registre de la commune; elle aime à feuilleter les Mémoires intimes » où s'épanchent les joies et les douleurs, les secrets du cœur et de l'intelligence. De l'harmonie ou de l'oppo- sition des témoignages jaillit la vérité, qui restitue aux personnages leur caractère, aux événements leur cou- leur. J'ajoute que cette vérité, éclairée de splendides révéla- tions par les études modernes, nous la possédons à un degré que les anciens ne pouvaient atteindre. Ils ne son- geaient pas à se représenter, tels qu'ils furent, les siècles et les nations, à étudier le genre humain dans son déve- loppement complet, avec les conquêtes et les désastres de la civilisation. Placés au milieu d'horizons bornés, ils expo- saient les événements qui s'étaient produits dans lFintérêt SÉANCE PUBLIQUE. 23 d'un empire, d'une ville, d’une ambition. Ils n'étaient attentifs qu'à observer les héros, qui sont le bras, au lieu des institutions, qui sont le cœur d'une société Vous les interrogez souvent en vain sur le gouvernement, les lois, les mœurs, sur tout ce qui concourt à nous donner la phy- sionomie d’un peuple. Aujourd'hui, au contraire, nous étudions et nous voulons connaître tous les éléments essen- tiels de la vie de chaque âge; nous cherchons, sous Îles événements, l’utile, le vrai, le beau, le saint, c’est-à-dire les formes politiques, l'industrie, le commerce, l'agricul- ture, l’état moral, intellectuel et religieux. Les anciens excellaient à mettre en relief un événement ou un personnage, à grouper les faits à l'entour par masses imposantes, en rejetant dans l'ombre la foule qui n’a pas de nom. Mais nous, qui sommes de cette foule, ce sont d’autres sympathies qui nous dirigent. Les faits éclatants nous inspirent moins d'admiration que les actes utiles, Alexandre ou César moins d'estime et de reconnaissance que ceux qui nous ont dotés de la boussole, des chiffres arabes et de l'imprimerie, ou qui appliquent au mouve- ment quelques agents nouveaux. C’est là une conséquence nécessaire des principes qui se développent depuis 1789. Du jour où le peuple, appelé tout entier à la vie politique, a cessé d'être l'enjeu et la victime des ambitions qui s’agi- taient au dessus de lui, du jour où il eut des droits et non plus seulement des devoirs, la science historique devait changer de face. Un bel esprit du siècle de Louis XIV di- sait : « L'histoire est un miroir où les rois voient l'image de leurs défauts ; » c'était trop peu; ils n’y jetaient pas les regards. Bossuet ajoutait : « C’est dans l'histoire que les rois, dégradés par les mains de la mort, viennent, sans cour et sans suite, subir le jugement de tous les siècles. » La sentence était encore tardive, et la leçon presque sté- rile. Mais aujourd'hui tout le monde est intéressé à retrouver, 1 ACADÉMIE DE ROUEN. pour le présent, les enseignements du passé. Le peuple a partout ses élus, appelés à concourir à l'administration des communes, au vote des lois, à la marche générale du Gouvernement. Dans le conflit des opinions, l’histoire est une arme pour l'attaque et pour la défense. Les discus- sions de la presse et des assemblées législatives appellent chaque citoyen à fixer son regard sur les trônes et sur les parlements, à connaître de la prudence et de la loyauté politique , des ressorts les plus compliqués de la machine sociale. La Muse de l'histoire n’est plus l'antique Clio, chaussée du cothurne, comme la Muse de la tragédie, parce que l'histoire n'est plus la glorification des rois et des grands, à l'exclusion de la foule. Le peuple, et par là j'entends l'universalité des citoyens, le peuple occupe la scène entière. Aussi, voyez avec quel intérêt il demande à l'histoire de l'instruire sur ses origines et ses transfor- mations, sur ses désirs, ses craintes, ses griefs ; de lui ré- véler les sources de la richesse et des prospérités publi- ques, les causes de son bien-être et de ses infortunes, la conformité des lois écrites et des actes humains avec l’éter- nelle vérité de la loi morale. Les leçons de l'histoire lui enseignent tout à la fois les dangers des pouvoirs sans con- trôle et les déceptions des illusions séduisantes et corrup- trices ; il arrive à se convaincre qu'après tout les formes. gouvernementales importent peu, et que la nation la plus heureuse est celle dont les institutions, à l'abri d'un pou- voir puissant et protecteur, donnent le plus de garanties à la paix, au travail et à la liberté des citoyens. Voilà, Mes- sieurs, comment se forme , par l'histoire, la puissance de l'opinion. L'antiquité avait pu dire : Quidquid delirant reges, plectuntur Achivi ; mais, depuis que les rois ne sont plus tout dans l’histoire , les peuples ne se résignent pas à endurer les délires des rois. L'opinion possède mille moyens de les avertir, de les arrêter sur les pentes fatales, et les SÉANCE PUBLIQUE. 25 rois eux mêmes proclament aujourd'hui qu'elle est souve- raine des princes et des peuples. Un autre caractère encore fait, à mon sens, la supério- rité de nos études historiques ; c’est l'appréciation de la moralité dans les faits. Les Grecs et les Romains ne virent autour d'eux que des barbares ; s'ils s’en préoccupèrent , ce fut dans le but de les subjuguer ou de les exploiter pour leurs plaisirs. Animés d’un patriotisme dédaigneux , qui comprenait l'affection pour le lieu natal, le besoin de la défense commune, et une ardeur de gloire qu'ils pla- çaient dans l'accroissement de la puissance , ils ont étouffé en eux-mêmes les sentiments de justice et de bienveillance universelles. Leur politique fut étroite et égoïste ; leur morale . pleine de préjugés. C’est l’égoisme qui peint avec Hérodote, médite avec Thucydide, raconte avec César, compile avec Diodore. Rome paraît grande à Polybe, elle le paraîtra de même à Machiavel , parce qu'elle a subjugué, de force ou par ruse, des peuples innombrables. Moins hommes que citoyens, les historiens de l'antiquité dissi- mulent les violences et les perfidies, ou les excusent en exagérant les torts du vaincu. L’habitude d'accorder aux faits éclatants une admiration exclusive, a fomenté dans leur cœur la sympathie pour le succès. Ils nous représen- tent des héros sans foi et sans pitié, comme s'il s'agissait des ravages d’un torrent, et ne condamnent ni la cruauté ni la trahison. Tacite lui-même , dont le génie, aiguillonné par l'indignation , pénétra jusqu’au fond des actes humains et en sonda les plus secrets mystères, semble ignorer parfois les grandes raisons du bien et du mal. En vain nous cherchons en lui l'intelligence des événements qui s'accom- plissent sous ses yeux : il regrette la république , sans voir qu'elle à péri par ses propres excès ; il ne sent pas que la religion de Jupiter est morte, et que le monde se régé- nère ; il voit apparaître les chrétiens, exempts des vices 26 ACADÉMIE DE ROUEN. qu'il reproche aux hommes de son temps, mais il les confond avec les astrologues et les magiciens , et n'a pas un mot de blâme pour flétrir leurs bourreaux. Cette impassibilité du cœur , nous la retrouvons chez les imitateurs modernes des écrivains païens. Ils condamnent chez le barbare ce qu'ils applaudissent chez le Grec et le Romain. On croirait que le parjure , le vol et le meurtre leur inspirent moins d'horreur pour avoir été commis par Thémistocle ou par Pompée. Ne sachant que réfléchir leurs modèles, ils admirent avec Tite-Live les conquêtes san- glantes des Romains, et maudissent avec César l'opinià- treté des Gaulois, qui refusaient de se laisser ravir patrie et liberté. Non, ce n'est pas ainsi que notre siècle a compris la mission de l'histoire. Notre sentiment moral a plus de déli- catesse, et ne connaît pas les exceptions. L'histoire sait arracher au besoin la couronne des héros; elle pèse la justice ou l’iniquité de leurs entreprises ; elle contrôle leurs actes, non pas au moyen des règles transitoires des conven- tions humaines, mais par les principes immuables de la morale et de la justice. Ne confondant pas l'éclat avec le bonheur, le succès avec la bonté de la cause, elle con- temple les hommes en tant qu'hommes , sans acception de renommée, de rang, de patrie, et prononce hardiment ses arrêts selon le droit et la vérité. Cette hauteur de vues, cette impartialité de jugement, cette émotion morale, lui ont conquis, si j'ose le dire, la sainteté et la vénération dont les âges priinitifs entouraient la poésie. Lés moyens , on doit le reconnaître, ne manquent pas à l'histoire pour tenir dignement son rôle, et jamais les études ne trouvèrent un temps plus opportun. L'érudition interroge les auteurs avec un sentiment profond et une critique large, qui s'attache moins à l'expression qu'à la pensée. Elle ne se borne plus aux langues classiques, mais SÉANCE PUBLIQUE. 27 découvre , à l’aide de tous les idiomes, des preuves jus- que-là inconnues. Elle recueille avec soin les monuments de toutes sortes, par qui sont jetées des clartés nouvelles sur la condition civile et politique des peuples. Marchant de pair avec la philologie et l'archéologie, d’autres sciences, l'astronomie, la géographie, la numismatique, la géolo- gie, apportent à l'histoire leur tribut de renseignements et de découvertes. L'unité nationale a rendu possibles les im- menses collections de livres et de documents. Les sociétés littéraires et scientifiques affrontent leur propre ennui et l'indifférence du vulgaire, pour répandre la lumière sur les points obscurs de leur domaine. Des établissements variés d'enseignement , des publications périodiques , mille modes ingénieux de propagation, instruisent la foule qui écoute et qui croit, ou donnent avis de chaque progrès aux savants qui pensent et discutent. Et puis, n'est-il pas vrai, Messieurs , qu'après de longues agitations politiques, l'esprit hérite du mouvement et de l'impulsion qui ont remué les passions? La paix du monde, qui devient un besoin de jour en jour plus impérieux , a été facilitée par les armes, par les lettres, par le commerce. Les aigles ressuscitées ne guident plus au massacre des barbares les légions contentes de mourir pourvu que se renouvellent les triomphes du Capitole. Désormais la guerre n’a d'autre mission que de veiller à la paix; durant cette paix, qui rapproche les nations , qui les réunit comme en une grande famille , l'Europe ouvre à la science ses archives avec une ardeur désintéressée ; un continuel échange d'idées et de sentiments fait tomber les vieilles haines, fortifie les affec- tions nouvelles, et contribue tout à la fois à l'essor des intelligences et aux progrès de la moralité, L'histoire trouve enfin, Messieurs, depuis l'ère des libertés politiques, l’mdépendance nécessaire à sa mission, Je ne parle pas de l’histoire des choses contemporaines, 28 ACADÉMIE DE ROUEN. qui ne peut être dans des conditions suflisantes d'impar— tialité, Car elle a toujours à ménager des préjugés irritables et puissants; ou bien elle professe le mensonge utile, et sait taire la vérité, qui fait de tièdes amis et des ennemis ardents. Elle ne demeure pas étrangère aux petites et aux grandes ambitions, aux luttes politiques ou littéraires, qui exigent d'elle une opposition systématique ou des concessions oflicieuses. On la voit rechercher les erreurs d’un homme ou d’un peuple, pour rabaisser son génie, où les nier pour n'adinirer que sa grandeur. En un mot, elle est un panégyrique ou un pamphlet. Pour ma part, je ne me suis jamais inquiété d'entendre , sous tous les régimes, les mécontents gémir sur ce qu’ils appellent la perte de la liberté : cette liberté qu'ils réclament, ce n'est pas la faculté de discuter avec bonne foi et sans amertume ; elle a toujours existé, même dans les nécessités temporaires de compression; mais c’est la licence de l'épigramme et du dénigrement ; c'est le pouvoir d'abattre à coups redoublés l'idole que l’on n’a pas faite soi-même, et de douloureuses expériences nous ont déjà bien des fois appris où mène ce genre de liberté. Mais il est une liberté à laquelle j'attache une tout autre importance , et j'augurerais fort mal de l'avenir d’un peuple qui l'aurait perdue; je veux dire , la liberté dans l'enseignement public. A coup sûr, ceux qui suivent cette carrière se feraient illusion, s’ils couraient après la fortune , et s'ils voulaient prétendre aux honneurs publics; tout au plus reçoivent-ils du monde cette estime banale, cette approbation toute des lèvres, et non du cœur, par- tage ordinaire des services honorables , mais sans éclat et sans ambition. La liberté de ces hommes, dont la condi- tion publique est si fragile, ne semble pas pouvoir braver les atteintes. Bien plus, depuis quelques années , se repo- sant sur des chefs qui avaient charge de les défendre , et SÉANCE PUBLIQUE. 29 qui désertèrent le poste de combat, ils ont entendu avec désespoir, mais toujours maîtres d'eux-mêmes, les accu- sations les plus étranges, et l'histoire avait le privilége de partager avec la philosophie les anathèmes lancés par les assaillants. C'a été une manœuvre temporairement habile de nous attribuer les révolutions et les calamités du pays. Les erreurs de quelques-uns, nous les ayons tous payées sans compter; nous avons payé de notre bien-être, de notre considération, de l'avenir de nos familles, et, en même temps que se multipliaient sur notre route les décou- ragements et les dégoûts, nous avons dû trouver en notre conscience assez de sérénité, en notre courage assez d'énergie, pour reconquérir notre nom, notre rang et notre dignité. Eh bien ! je le proclame très haut( car c’est à notre honneur et à l'honneur de la liberté en France), quand tout le monde sait que les impressions premières sont aussi les plus durables , que les opinions semées parmi la jeunesse des écoles influent puissamment sur la conduite de l’âge viril, tous les pouvoirs, depuis qu’existe un enseignement historique spécial, tous les pouvoirs, sans en excepter un seul, ont laissé celte jeunesse sous la garde de notre loyauté d'hommes et de nos sentiments de chrétiens. Bien que les excitations ne leur aient pas manqué, aucun d'eux n’a demandé à nos volontés des sacrifices impossibles ; aucun n’a imaginé que nos établis- sements d'instruction pussent être destinés à façonner pour une cause déterminée les esprits et les cœurs, et que les bruits du dehors dussent franchir nos paisibles enceintes. Oui, si notre parole porte quelques fruits heureux , c’est qu'en respectant les lois et la religion, nous procla- mons en toute indépendance ce que nous avons conscien- cieusement médité; c'est qu'on nous sait bien complè- tement libres et résolus de ne rien dire qui ne soit conforme à nos convictions. Privez l'enseignement de 30 ACADÉMIE DE ROUEN. sa liberté, vous le condamnez au mensonge, à la sté- rilité. Ceux d’entre vous, Messieurs, qui n'ont pas oublié l'apologue que je citais en commençant, me reprochent , j'en suis certain , d’avoir omis un important détail. L'Aca- démie d'Hamadan s'était donné le nom d’Æcadémie du silence, et le premier article de son statut était conçu en ces termes : Les Académiciens penseront beaucoup, écriront peu, et parleront le moins possible. » Par le désir que j'avais de vous exprimer ma gratitude , j'ai violé cette excellente loi; mais le serment de ne plus l'en- freindre à l'avenir me vaudra, je l'espère, tout votre pardon. RÉPONSE DE M. BIGNON, PRÉSIDENT, AU DISCOURS DE M. BACHELET. C'est à moi, Monsieur, d'observer la loi que s'était faite l'Académie d'Hamadan, de parler le moins possible. Nous vous écoutons encore, et, dans ce que nous venons d'entendre, nous ne savons ce qu'il faut le plus approuver, ou de la perfection du style ou de l'élévation des pensées. N'est-il pas permis de bien augurer de l'avenir, lorsque des maîtres tels que vous préparent la génération qui doit nous suivre ? La méthode philosophique a vos prédilections , elle aurait les miennes, si l’historien avait toutes les qualités qu’elle exige. Je crains qu’il ne soit impossible de les voir toutes réunies dans le même homme. Aristote croit peu à la vérité de l'histoire et ne la lui demande pas. Cicéron n'y voit qu’un prétexte à l’éloquence. Quintilien la veut tout en récits, et pourvu que lhis- torien le charme, Pline se montre satisfait. Il semble que la majorité des lecteurs ait adopté l'opi- nion de Pline. Mais dans la chaire que vous occupez avec tant d'éclat , 32 ACADÉMIE DE ROUEN. vous ne faites pas seulement l'histoire , vous la jugez, et, comme programme d'études historiques, je ne vois rien à ajouter ni à retrancher au magnifique tableau que vous avez tracé. Ily a pourtant une chose, dans laquelle vous vous êtes trompé, et cette erreur, vous seul ici pouviez la commettre. L'apologue que vous avez cité ne peut recevoir son application. Aussi modeste et aussi spirituel que le bon docteur Zeb, vous ne voulez pas entrer à l’Académie malgré les gens. Il y a longtemps que votre place y est marquée, et que nous regrettions de ne pas vous la voir occuper. Vous n'êtes point non plus la goutte d’eau qui fait déborder un vase plein , vous êtes plutôt la liqueur qu'on ajoute et qui donne plus de saveur. Et si, comme le docteur Zeb, vous voulez écrire votre nom avec un zéro, à nous de le placer selon la valeur qu'il représente ; c’est à droite que vous serez mis et nous en vaudrons dix fois plus. Prenez-donc ici la place que votre mérite vous assure ; mais n'allez pas surtout réaliser la menace que vous nous faites, de garder le silence à l'avenir; après le plaisir que nous avons eu à vous entendre, ce serait nous imposer une privation aussi pénible que votre longue absence nous a paru regrettable. RAPPORT SUR LE CONCOURS RELATIF AUX ACCIDENTS DANS LES MANUFACTURES, Par M. BEUNIER, ingénieur civil. —. LD À CE L'Académie avait mis au concours pour cette année un prix de 600 fr. , dont la moitié doit être fournie par M. le ministre de l’agriculture, du commerce et des travaux publics , en faveur du meilleur mémoire sur ce sujet : « Trouver des moyens sûrs, d’une exécution facile et « économique, de prévenir les accidents nombreux qui ré- « sultent pour les ouvriers de l'usage des appareils méca- « niques dans les manufactures, de manière à permettre « de réglementer cette partie importante de l’administra- « tion publique. « La fréquence et la gravité des accidents qui survien- «nent dans les établissements industriels et dont la « population ouvrière est victime, ont depuis longtemps « préoccupé l’attention publique ; depuis longtemps aussi, « on a réclamé sans succès les moyens de prévenir les « mutilations auxquelles sont exposés les ouvriers de nos « fabriques. Il a paru à l'Académie que cette recherche 3 34 ACADÉMIE DE ROUEN. « présentait, au point de vue de l'humanité et de l'économie « industrielle , un intérêt assez puissant pour lui donner la « préférence sur de nombreuses questions scientifiques « qui lui avaient été présentées. » Cette tendance générale des esprits vers la recherche de ce qui peut contribuer au bien-être moral et matériel des inasses , est le cachet distinctif de notre époque. La civili- sation entraine après elle l’adoucissement des mœurs ; la science, les découvertes industrielles , une philanthropie éclairée et intelligente marchent de front dans cette voie du progrès que nous parcourons avec ure si étonnante rapidité. Les législateurs les plus éminents des peuples anciens, les sages de la Grèce, les philosophes d'Athènes et de Rome dédaignaient et laissaient de côté les hommes chargés d'accomplir les travaux manuels. Ils en composaient une classe à part qu'ilsabandonnaient à l'esclavage sans s'en préoccuper autrement. Le christia- nisme a rompu le premier cette chaîne si lourde à porter ; il a rendu à tous les hommes la liberté de penser, de croire et d'agir. De nos jours, on cherche à satisfaire complète- ment aux préceptes de l'Evangile et de la charité chrétienne en faveur des classes laborieuses Au moral, l'instruction gratuite est mise à leur portée sur la plus vaste échelle ; matériellement, tous sont admis à recueillir, par le travail, l'ordre et l’économie , leur part des bienfaits et des avan- tages que procure la civilisation. Dans le but de diminuer les fatigues corporelles, chaque jour voit éclore de nou- velles machines destinées à remplacer le bras de l’ouvrier. Mais tout ce qui sort de la main de l'homme semble en- taché d’une inévitable imperfection ; ces appareils, dont nous admirons l'ingénieuse disposition, deviennent trop souvent la cause de malheurs dont les contrées industrielles sont le théâtre. SÉANCE PUBLIQUE. 35 Toutes les actions que l'homme accomplit, l'exposent à des accidents aussi variables dans leurs formes, dans leurs circonstances, que le sont elles-mêmes les nombreuses occupations auxquelles il a la faculté de se livrer. La saison de la chasse, celle des bains en rivière ont leurs accidents spéciaux ; le patineur , le cavalier rencon- trent trop souvent la mort ou des blessures graves là où ils cherchaient le plaisir et la distraction. Le marin périt au milieu des flots, ou bien, jeté à la côte, il est brisé contre les rochers. Le savant lui-même n'est pas toujours à l'abri d'accidents : notreillustre compatriote, le chimiste Dulong, n'a-t-il pas été, à deux reprises différentes , cruellement mutilé en faisant ses belles expériences sur le chlorure d’azole ; près du malade auquel il se dévoue , le médecin trouve quelquefois une mort prématurée. Si, en présence de cette première nomenclature d’acci- dents dont le cadre pourrait s'étendre en quelque sorte à l'infini, nous recherchons la condition de ceux qui vivent d’un travail manuel, nous voyons les ouvriers du bâti- ment entraînés avec leurs échafaudages qui se dérobent sous leurs pieds ; le mineur est asphyxié par le feu grisou ; le puisatier est enseveli tout vivant; partout l'accident prélève de nombreuses victimes. On ne peut donc être sur- pris que l’ouvrier, renfermé dans un atelier, au milieu de machines de tous genres, rapides et puissantes, devienne quelquefois leur victime. L’imprudence , il faut bien le dire , est le plus souvent là cause des accidents; le danger existait sans doute, puisque tel ou tel accident est survenu ; mais combien en est-il qu’on eût évité si l’on eût été prudent ? Trouver le moyen de rendre l'imprudence impossible , ou d’en atténuer les suites, tel est, en fait, le but du concours ouvert par l’Académie. Trois mémoires ont été présentés : 36 ACADÉMIE DE ROUEN. Le premier porte pour devise : « n'ya pa les mau- « vais citoyens qui redoutent les lois trop sévères. Le second porte pour suscription les deux vers suivants : Tout travail dangereux, s’ilest travail utile, Ne parait dangereux qu’à celui qu’il mutile. Le troisième porte pour devise : Conserver c'est créer. Si le prix devait être attribué à celui qui aurait exprimé les meilleurs sentiments, les plus louables intentions, l'Académie se trouverait fort embarrassée pour faire un choix ; les trois concurrents ont à cet égard des droits égaux aux félicitations et aux éloges de l'Académie ; mais les indications qu'ils donnent, les moyens qu'ils proposent sont insuflisants, déjà connus ou appliqués ; ils sont géné- ralement impropres à faire cesser les accidents. Les trois concurrents se sont à peu près inspirés des mêmes idées, sans qu'aucun d'eux puisse les réclamer comme siennes. Les uns et les autres proposent de prescrire : 1° Une forme de vêtements serrés contre le corps ; 2 L'éloignement des femmes de certaines machines dan- gereuses ; 3 l'isolement et l'entourage des arbres de transmission. 4 L'arrêt subit et instantané des moteurs ; Propositions que l'on retrouve partout où l'on traite cette question. L'auteur du mémoire n° { demande en outre l'applica- tion des articles 1382, 1383, et 1384 du Code Napoléon, et des articles 319 et 320 du Code pénal. Il s'étend longue- ment sur ce sujet; il affirme que jamais l'application n’en a été faite : « que les procureurs généraux, dit-il, que les « procureurs impériaux se réveillent donc , qu'ils se mon- « trent plus pénétrés de leurs devoirs. » SÉANCE PUBLIQUE. 37 I ne nous appartient pas de répondre à cet appel fait à-MM. les Membres du parquet, tous savent avec quel soin ils accomplissent leur vigilante mission. Si l'auteur du mémoire n° { veut prendre la peine de se mieux renseigner, il apprendra que les articles précités ont reçu de fréquentes et justes applications ; il saura qu’une haute raison de sagesse et d'équité sait, en pareille circonstance, faire une distinction utile entre les accidents provenant de l’imprudence de l'ouvrier , et ceux résultant de la négligence des chefs d'établissement. Ce n’est pas avec de l'enthousiasme et de l’entraine- ment qu'il faut procéder en cette matière. Le désir de sau- vegarder, par une équitable application de la loi, la sécurité des ouvriers ne doit pas aller jusqu’à dégoûter de l’indus- trie ceux que pourrait en éloigner une sevérité irré- fléchie. Ilest encore, dans le mémoire ne 1, une proposition que l'Académie ne croit pas admissible. L'auteur voudrait qu'un chef d'établissement ne pût en prendre l'exploitation qu'après l'obtention préalable d’un brevet de capacité déli- vré par un jury spécial. L'auteur ajoute, ilest vrai, que les candidats seraient dispensés de savoir le grec ou le latin ; « Mais, dit-il, ies chefs d'établissement, les ouvriers, le « public ne pourraient que gagner à cette mesure. » Comment l’auteur ne s'est-il pas aperçu qu'il nous ramenait involontairement à l'institution des maîtrises et des jurandes ? Le succès d’un manufacturier tient spéciale- ment à son aptitude pour le commerce et l'industrie. Com- ment distinguer ces qualités précieuses chez un jeune homme à l’aide d’un examen? Combien d'hommes, sortis des rangs de la classe ouvrière, sont arrivés par l'industrie à la fortune et aux plus hautes positions sociales, aux- quels un jury aurait peut-être interdit l'exploitation d’une usine. 38 ACADÉMIE DE ROUEN. Le mémoire n° 1 traite particulièrement des accidents occasionnés par les chaudières et appareils à vapeur. L'Académie est d'avis qu'il n'y a, quant à présent , rien à ajouter à la législation qui les régit. L'active surveillance exercée par MM. les ingénieurs des mines tend à diminuer chaque jour le nombre et la gravité des accidents, malgré l'augmentation toujours croissante de l'emploi de la vapeur. L'auteur du mémoire ne 2 établit avec raison que la plu- part des accidents dont les ouvriers sont victimes sont le résultat de leur imprudence ; c'est une vérité qu'on ne saurait trop répéter. Elle indique la cause du mal, et par suite la voie dans laquelle on trouvera le remède. L'auteur du mémoire n° 3 a formulé une forme de règlement intérieur pour l'exploitation intérieure d’une usine. À ce point de vue, il y a dans l'ensemble de son tra- vail de bonnes idées; mais elles manquent de précision ; elles ne constituent pas cet ensemble de moyens pratiques demandés par le programme. En résumé , aucun des concurrents n'ayant été jugé digne du prix, l’Académie le remet au concours pour l'année 1857. L'Académie a remarqué, dans les mémoires 1 et 2, une proposition à laquelle elle donne son entier assentiment : tout accident devrait être suivi d'une enquête dans laquelle les causes et circonstances qui l’auraient accompagné seraient minutieusement détaillées. Le 19 juin 4853, M. le préfet du département du Nord, surla proposition du Conseil central de salubrité , prescri- vait cette utile mesure; elle fournit déjà d’intéressants documents sur cette difficile matière. Si l’on veut, par exemple, savoir quel est le jour de la semaine qui fournit le plus d'accidents, la statistique donne le tableau suivant : SÉANCE PUBLIQUE. 39 Band ec een 6 Mardi "ur Mercredi.. 13 Jeudi... 13 Vendredi.. 8 Samedi. . 15 Dimanche. 8 Lotal- #70 La journée du samedi est celle qui fournit le plus d'ac- cidents ; on peut en induire que ce jour étant consacré au nettoyage des machines, cette opération, lorsqu'elle est faite pendant la marche, présente des dangers. Sur 70 accidents , 51 proviennent de la filature et 19 des autres industries. Dans ces quantités, les fileurs et fileuses sont au nombre de 1%. il y a 7 rattacheurs. Les engre- nages ont occasionné 35 accidents sur 70 constatations , les arbres de transmission 6, les courroies 5 ; le surplus est occasionné par des appareils divers. Les enfants âgés de moins de 13 ans, sont atteints dans le rapport de 35 sur 37, c’est-à-dire qu'ils sont les plus nombreux ; leur imprudence ressort de ces chiffres. La raison indique que le bras droit et la main droite doivent être plus souvent atteints que le bras gauche et la main gauche, l'inflexible statistique le confirme : les pre- miers sont représentés par 5%, les seconds par 27. Le nombre des blessures aux membres supérieurs est, par rapport aux membres inférieurs, comme 69 est à 12. Ces citations, prises parmi un plus grand nombre, démontrent l'utilité d'une statistique rigoureuse et circons- tanciée de tous les accidents qui surviennent dans les ma- nufactures. L'Académie émet en conséquence le vœu que M. le préfet 10 ACADÉMIE DE ROUEN. de notre département veuille bien rendre cette mesure applicable dans toutes les usines de la Seine-Inférieure. Le concours ouvert par l'Académie a déterminé M. Caron, contre-maître dans la filature de M. Lemarchand, Houlme, à présenter à notre examen une carde à coton dans laquelle il a introduit un perfectionnement qui tend à prévenir les accidents et à en diminuer la gravité. Cette invention consiste en ce que l'embrayage des rouages qui commandent cette carde, est réalisé à l'aide d'un ressort qui fléchit instantanément dès qu'un obstacle quelconque s’interpose soit entre les cylindres, soit entre les engrenages ; il y a alors arrêt immédiat de tout l'ap- pareil. La commission quia visité cette machine , l'a soumise à des expériences qui ne permettent aucun doute sur le succès complet de ce procédé. Un mouchoir, introduit suc cessivement entre tous les rouages, a produit chaque fois un arrêt instantané de la carde. Si donc un accident survenait , si un doigt par exemple était pris dans un engrenage, le doigt seul serait com- promis , la main serait préservée. L'Académie voit, dans ce perfectionnement simple et eflicace, un premier pas vers la solution pratique du problème mis au concours ; elle décerne en conséquence, à titre d'encouragement, à M. Caron une médaille d'argent. a LES DETTES, PAR M. THÉODORE MURET, Membre correspondant. Oui, pour la comédie et pour le vaudeville, C’est là depuis longtemps une mine fertile, Aimables étourais fraudant leurs créanciers, Horions pleuvant dru sur le dos des huissiers, Des bons billets souscrits tradition connue, C'est très gai , très piquant , la chose est convenue. Un marchand non payé vient réclamer des fonds : On a, pour l'en coiffer , cent quolibets bouffons ; C'estun sot, un maraud, qu'on promène et qu'on berne. De l'illustre don Juan imitateur moderne, Tranchant du talon rouge et du nouveau Fronsac, On te pousse à la porte , on te met dans un sac, Pauvre monsieur Dimanche, ainsi que ton mémoire. Tout homme à qui l’on doit, laid, stupide, âme noire, Est un être odieux et grotesque à la fois, L’ennemi naturel, enfin , et si les lois, Au bout de ces hauts faits, ne sont pas des sornettes, S'il faut tâter un peu de la prison pour dettes , Quel modèle en son genre ! Un séjour idéal, Une prison bénigne , à l'aspect jovial. 42 ACADÉMIE DE ROUEN. Sous ces barreaux cléments loin que l'ennui vous gagne , On yrit, on y chante, on y boit du champagne, Si bien qu'au lieu de craindre un endroit si charmant , On s'y ferait fourrer..…. pour son pur agrément. Voilà ce qu’à nos yeux présente le théâtre. Or, ce texte chéri d’une muse folâtre Est usé , vieux, banal, et, de tous ses défauts, Le plus grand, ce n’est pas encore d’être faux. Il corrige en riant les mœurs : — à la devise, Modeste... si l'on veut , que le théâtre a prise, Il est bon d'opposer ici la vérité, Souveraine inflexible , et dont l'autorité Doit passer même avant le respect des grands maîtres. Si ce thème comique amusa nos ancêtres , À est mauvais chez eux, tout comme il l’est chez nous. Regnard par ses bons mots ne sera point absous, Et dût, en commençant, s'étonner la routine, A protester contre eux la morale s'obstine. Complaisant amateur de ce texte arriéré , Voici l'alternative où je vous tiens serré : La dette, où vous voulez qu’on s’amuse et qu'on rie, C'est le malheur , — ou bien, c’est la friponnerie , L'équivalent , au moins, — oui, par les résultats. Je ne vois rien de gai dans l’un ni l’autre cas. L'honnête homme frappé par la fortune adverse , Celui qu'ont accablé les chances du commerce , Ah ! ce n’est pas pour lui matière à plaisanter Que la Dette, et le poids en est lourd à porter. « SÉANCE PUBLIQUE. Frémissant à ce mot, comme à l'aspect d’un gouffre, Il se fait presque un tort du malheur dont il souffre ; Son honneur est en gage entre les mains d’autrui, Et rien de ce qu'il a ne lui semble être à lui. S'acquitter est son vœu, son but, c’est l'espérance Qui brille à ses regards comme une délivrance , Et qu'il poursuit, vivant pour un devoir sacré , Au prix de son travail , d'avance dévoré. Dieu bénit ses efforts : jour à jour épargnée , De son nom affranchi la rançon est gagnée, Et tant il est joyeux en payant ce qu'il doit, On croirait bien plutôt que c’est lui qui reçoit. Sous un pareil aspect, la dette est hors de cause. Mais voici qu'autrement se présente la chose : Et d’abord , employons une comparaison. Un bandit subalterne , un gibier de prison, D'un magasin brillant a lorgné l’étalage ; Par un carreau brisé sa main s'ouvre un passage ; Il saisit quelque objet et s’esquive en courant. Le drôle est arrêté : vol tout clair, cas flagrant. Aux lieux où des coquins on loge la canaille, Il va carder la laine ou bien tresser la paille. C'est juste : un tel voleur n'était qu'un malheureux, Un butor : — il en est qui sont plus dangereux. Un monsieur, beau d'aplomb , de mise et de tournure, Un lion à tous crins, de superbe encolure , 43 h4 ACADÉMIE DE ROUEN. Au même magasin rend visite à son tour, Mais lui, c'est par la porte, et tout droit, au grand jour. Le patron , les commis, tout le monde s'empresse. Le chaland fait son choix et donne son adresse : « Qu'aujourd'hui, sans manquer, tout cela soit chez moi. » Dans un nom bien connu comment n'avoir pas foi ? Quelques milliers de francs ! L'affaire en vaut la peine : On n'a pas tous les jours une pareille aubaine. Cependant , au monsieur le mémoire est porté ; Même , sur cet argent, le marchand a compté ; Car du mois finissant l'échéance est pesante. Par deux fois, par trois fois, en vain on se présente. « — Monsieur n’est pas rentré... — Monsieur vient de sor- Répond un grand Frontin très expert à mentir, [tir...» Dont le plumeau caresse un mobilier splendide. Le créancier pâlit devant sa caisse vide. Demain la fin du mois, demain le jour fatal ! — Et, faisant écumer les coupes de cristal, Le débiteur banquète à la Maison-Dorée. —. Demain , une famille au désespoir livrée ; Demain, de longs travaux s’envolera le fruit. — Le joyeux débiteur passe au bal cette nuit. — Enfin, l'heure a sonné, le commerçant honnête Au coup qu'il vit venir a dà livrer sa tête ; Et l'élégant filou, qu'en vain il maudira; S'en va, sans nul remords, briller à l'Opéra ! Eh bien! des deux voleurs dites quel est le pire ? Oui, ce monsieur Dimanche en qui l'on trouve à rire, Le voilà, trop souvent; — et ce noble seigneur Qui croit, en le bernant, lui faire encor honneur, SÉANCE PUBLIQUE. 45 Et qui mériterait, pour varier les rôles, Un vigoureux bois vert tombant sur ses épaules, Quand aux lois de l’honnête il fait pareil accroc, Ce don Juan, qu'est-ce, au fait? un magnifique escroc. La Dette ! oh ! quel cortége elle traîne à sa suite ! Imposture où la bouche est sans cesse réduite, A cet art flétrissant domestiques dressés, Eux, témoins naturels et confidents forcés ; Par de honteux rebuts signature avilie, Sous de publics affronts orgueil qui s’humilie , Quartiers où l’on aurait trop de risque à courir, Porte qu’en hésitant on ose à peine ouvrir ; Ignobles exploiteurs, vils suppôts de l'usure, Qui font marcher de front et ruine et souillure, Car le plus ordinaire, en ces expédients, C'est qu’au fond, tout se vaut, et prêteurs et clients! Voyez l'éclat joyeux dont ces vitres rayonnent ! Voyez comme au travers ces ombres tourbillonnent ! Ecoutez cet orchestre aux entraînants accords! Le plaisir du dedans rejaillit au dehors, Et tout passant se dit, en voyant ces fenêtres : « Ce logis si brillant a de bien heureux maîtres, « Chez qui le bal ainsi, du soir jusqu’au matin « S'ébat sous la dentelle, et l'or, et le satin! » Quel parfum luxueux en entrant l’on respire! Tenez, regardez-les trônant dans leur empire, Par tous leurs invités salués tour à tour, Ù Ces heureux, enchantés de leur gloire d’un jour. Madame se sourit, d'elle-même enivrée. Lampions sur le trottoir, et valets en livrée, 6 ACADÉMIE DE ROUEN. Fleurs, arbustes que l’art est habile à grouper, Un Vatel en renom présidant au souper, Tout est bien ordonné, tout est beau, rien n’y manque ; On transporte chez soi les salons de la Banque, Et, pendant tout un soir, pour quelques yeux surpris, On est un petit astre au grand ciel de Paris. Bien ! mais sous cet éclat quel contraste se voile ! Perçons cette enveloppe , et soulevons la toile Que le fond du théâtre oppose à nos regards : Arrachons leur beau masque à ces acteurs blafards. Ce luxe n’est qu'emprunt, misérable mensonge Que pour un soir encor la vanité prolonge. Ce matin, l'épicier à Monsieur fit affront, A Monsieur, qui, ce soir, porte si haut le front. Hier, la brocanteuse, affreux vautour femelle, Par faveur, à Madame a vendu sa dentelle, Marchés très usités, qu'on règle à tant par mois, Et dont plus d'un grand nom même subit les lois ; Trait d'union flatteur, où viennent correspondre Deux mondes différents... qu'on peut souvent confondre, O du plus sot travers pitoyables impôts, Luxe de similor, gazillons. oripeaux ! La Dette est là-dessous : comme une plaie affreuse , Comme un chancre rongeur qui gagne et qui se creuse, Elle va s'étendant, se gangrenant toujours. L'emprunt même , à présent, refuse son secours : L'usurier inflexible est de marbre et de glace. Voyez, voyez venir, en horrible liasse, Les billets protestés et les termes échus, Puis, enfin, la Saisie avec ses doigts crochus. SÉANCE PUBLIQUE. La Saisie ! elle arrive , elle jette la griffe Sur tout cet appareil de richesse apocryphe. On vivait sans prévoir, et l’on s'étourdissait ; Escomptant l'avenir, que sais-je ? on caressait Quelque lucre incertain , quelque louche ressource , Quelque prime écumée au tripot de la Bourse ; Mais avec un huissier, déjà trop bien connu , Le réel apparaît , le réveil est venu. Sans égard ni merci, son encrier se pose Sur le meuble de Boule et sur le bois de rose, Dans le salon encor plein des parfums du bal. Alignez- vous, honteux, sur le procès-verbal, Divans , riches fauteuils où l’orgueil fit la roue ! Sur ce vulgaire écueil la comédie échoue ! O somptueux chiffons achetés à crédit, Allez , reconnaissant la main qui vous vendit , Dans le quartier Bréda ,; chez quelqu’autre maîtresse , Parer, sur nouveaux frais, le luxe et la détresse ! De la vanité folle Ô besoins superflus, Vous êtes coutumiers de semblables reflux ! De ces astres filants dont l’éclipse est si prompte, Plus d’un, pour terminer, règle avec toi son compte, Plus d'un sera couché sur ton livre d’écrous, Maussade hôtel Clichy, prison dont les verroux Ne sont pas si badins qu'on veut bien nous les peindre. La gaîté la plus folle est sujette à s'éteindre Entre ces quatre murs garnis de vrais barreaux. O Bohême ! on y voit tes plus fameux héros Tourner au Chevalier de la triste Figure. Moins heureux que Richard dans une tour obscure, Pour leur piteux désastre il n’est pas de Blondel ; Sur eux , comme un linceul, tombe l'oubli mortel. Festoyeurs insensés dont j'ai peint la débâcle , Chacun aura pour vous son dédaigneux oracle, 18 ACADÉMIE DE ROUEN. Chacun vous frappera de son trait acéré , Quand vous serez perdus , quand vous aurez sombré Dans ces flots où sitôt tout vestige s’efface ; Le gouffre a refermé sa mobile surface, Et, contents d'expliquer la cause après l'effet , Vos invités d'hier ont tous dit : « C’est bien fait ! » C’est surtout aujourd'hui que la scène du monde En exemples pareils est tristement féconde. Cette soif de briller , de briller à tout prix, Comme une épidémie, enfiévrant les esprits, - Partout , du haut en bas, s'étend et s’inocule : Et là, le sérieux est près du ridicule. Si tant de beaux dehors étaient interrogés, De tant d’heureux du jour, par la Dette rongés, Oh ! si pour pénétrer l'existence secrète , Asmodée , un moment, nous prêtait sa baguette ! Voici qu’il nous la prête : à bon diable, merci ! Venez : comme au spectacle, asseyons-nous ici , Au bord de l'avenue , immense promenade , Où se presse et défile, en pompeuse parade , Le Paris cousu d'or ou bardé de clinquant. | Celui-ci, c’est du sport un héros très marquant, Habitué connu de ces équestres fêtes Où parfois les chevaux ne sont pas les plus bêtes. Rabattez-donc un peu de cet air triomphant ! Sur votre beau coursier vous qui passez piaffant , Jockey de qualité , mangeur de patrimoine, Vous n'avez pas payé son foin et son avoine ; Vous n’avez rien payé, pas même le cheval. Par votre maquignon, devant le Tribunal SÉANCE PUBLIQUE. 49 Vous êtes assigné ; quittez votre monture, Allez vous-en à pied, cavalier d'aventure ! Cet autre, qui devrait baisser aussi le ton, Fait voler devant nous un brillant phaéton , Et, le front insolent, se prélasse et se carre Sur les coussins moelleux qu'empeste son cigarre. Le carrossier tenace est armé d’un par corps, D'un jugement en règle , et gare les recors! A pied , mon beau Monsieur ! Mais vos bottes vernies Pourraient bien , à leur tour , subir des avanies : Vous les devez aussi! Cet autre , à son tailleur Doit... ce qu'aux yeux du monde il offre de meilleur, Son habit; car, soit dit sans être misanthrope, Souvent le contenu ne vaut pas l'enveloppe : Habit bas ! habit bas! — Et vous, Madame, et vous, Qui, prodiguant sans choix parures et bijoux, Semblez briguer l'honneur de ressembler à celles Qui traînent par métier les regards après elles, De votre crinoline abaissez donc l'ampleur : Ils sont hypothéqués pour plus que leur valeur Ces atours entassés qui vous rendent si fière ! Si chaque créancier, si chaque créancière Faisait valoir ses droits, un décompte pareil Vous laisserait, Madame , en trop simple appareil ! Ah! près de ces semblants d’opulence menteuse, Près de ces embarras , servitude honteuse, Où meurt l'indépendance avee la dignité , Plaçons , plaçons bien haut la noble pauvreté Qui ne doit à personne , — et ce penser la venge, — L'humble habit qui la couvre et le pain qu'elle mange Ne lui demandez point de s’effacer d'un pas Devant les millions dont se houfñlit Midas. ES] 50 ACADÉMIE DE ROUEN. Possédant bien, au moins , le peu qu’elle possède , Pour elle, il n’est éclat ni luxe qui ne cède A cette liberté, son suprême bonheur ; Et vienne un sacrifice exigé par l'honneur, Tandis qu'on traine ailleurs le lourd boulet des dettes, Elle part, le front haut , le cœur pur . les mains nettes. Dans les Lettres, voyez tous ces bohémiens Que la dette enveloppe en ses tristes liens ; On sait que leur devise est Désordre et Génie. Le désordre, ils l'ont bien , oh! oui! nul ne le nie. Le cachet de l'artiste est de ne pas payer, Suivant eux, blanchisseuse ou tailleur ou loyer. Encore un thème usé , banale et vieille histoire. Le désordre n’est pas nécessaire à la gloire ; Et loin que le génie en soit favorisé, Par là presque toujours il succombe épuisé. Des besoins effrenés naît l’avide négoce : Vous avez un trafic au lieu d’un sacerdoce. Ces faiseurs de métier, ces déserteurs de l’art, L'art en les reniant les punit. — En regard, Grâce à Dieu, maint exemple à jamais mémorable Offre avec le génie une vie honorable. Quoi ! génie et désordre inséparables ! Non ! Il suffit entre tous d’en attester ton nom, Ton nom par qui du beau l'idée en nous s’éveille, O grand homme de bien, à vieux romain Corneille , Toi qui nous apparais , l'œil austère et serein , Gravant ton Qu'il mourût dans l'éternel airain ! Ta modeste demeure, égale à ta fortune , Douvait, pour tout venant , s'ouvrir sans crainte aucune , Aussi bien que ton âme, auguste et saint foyer, Dont la flamme en plein air aime à se déployer. Le marchand éconduit , la créance usuraire Ont-ils jamais troublé le grave sanctuaire SÉANCE PUBLIQUE. 51 Où naissait Polyeucte, où grandissait Cinna ? Tous ces nobles héros que ta main dessina , Ce Cid, en qui l'honneur si promptement s’'indigne , Se seraient révoltés de cette honte insigne, Et Corneille, aux regards de la postérité, Est grand par le génie et par la probité ! PROGRAMME DEN PRIX PROPOSÉS POUR LES ANNÉES 1857, 1838, 1859 ET 1860. L'Académie distribuera, dans ses Séances publiques annuelles des mois d'Août 4837, 1858, 1859 et 1860, les Prix dont les sujets sont spécifiés ci-après : POUR 1857, Sujet remis au concours ; les mémoires envoyés pour 1856 n'ayant pas paru réunir toutes les conditions désirables. La fréquence et la gravité des accidents qui surviennent dans les établissements industriels, et dont la population ouvrière est victime, ont, depuis longtemps, préoccupé l'attention publique. Depuis longtemps aussi, on a réclamé, sans succès , les moyens de prévenir les mutilations auxquelles sont exposés les ouvriers de nos fabriques. Il a paru à l’Académie que cette recherche présentait, au point de vue de l'humanité et de l'économie industrielle , un intérêt assez puissant pour proroger le concours dont le succès n’a point été complet en 1856. En conséquence, elle propose un prix de 600 fr., dont M. le Ministre de l'agri- culture, du commerce et des travaux publics fournit la moitié, à l’auteur du meilleur mémoire sur ce sujet : «“ Trouver des moyens sûrs, d’une exécution facile et écono- mique , afin de prévenir les accidents nombreux qui résultent, pour les ouvriers, de l'usage des appareils mécaniques dans les manufactures, de manière à permettre de réglementer cette partie unportante de l'administration publique. » SÉANCE PUBLIQUE. 53 POUR 1857. PRIX DES LETTRES. Un prix de 300 fr. à l’auteur de la meilleure notice biogra- phique sur le Général Duvivier, né à Rouen; notice comprenant une appréciation raisonnée de ses ouvrages. POUR 1858. PRIX DE POÉSIE. Un prix de 300 fr. à l’auteur du meilleur Conte en vers, sur un sujet laissé au choix des concurrents. Cette pièce aura au moins 100 vers. PRIZ COSSIER. POUR 1858. Un priæ de 730 fr. à l'auteur du meilleur mémoire sur les Artistes normands et les OEuvres d'art en Normandie, au xvue ef au xvine siècle. POUR 1859. ENCOURAGEMENTS AUX BEAUX-ARTS. L'Académie décernera des médailles d'encouragement aux artistes nés ou domiciliés dans un des cinq départements de l’ancienne Normandie, qui, depuis le mois d’Aoùût 1856, se seront le plus distingués dans les Beaux-Arts, à savoir : a peinture, la sculpture, l'architecture, la gravure, la lithographie et la composition musicale. POUR 1860. l'RIX DES SCIENCES. La Flore des plantes phanérogames du département de la Seine-Inférieure a été faite, mais la Flore des eryptogames est fort incomplète, surtout celle des côtes maritimes ; l'Académie, 54 ACADÉMIE DE ROUEN. reconnaissant l'importance de ce travail, veut en hâter l'exécution en proposant un prix de 500 fr. sur le sujet suivant : « Tracer la Flore cryptogamique des côtes maritimes de la Seine-Inférieure. » PRIZ SOUCTOT. Un ancien négociant, M. Bouctot, a fait, en faveur de l'Aca- démie Impériale des Sciences, Belles-Lettres et Arts de Rouen, un legs destiné à fonder des Prix annuels de chacun 500 fr., qui devront être accordés , au nom du testateur, aux œuvres que la Compagnie aura provoquées, reçues et jugées dignes de cette récompense. L'Académie s’est, en conséquence, empressée de choisir trois sujets de prix qui seront décernés, s'il y a lieu, aux mois d'août des années 1838, 1859 et 1860, savoir : POUR 1858. PRIX DES SCIENCES Histoire physique et chimique comparative des huiles d'olive, d’arachide et de sésame, de manière à indiquer des moyens efficaces, prompts et faciles, pour reconnaître les mélanges de ces trois sortes d'huiles, non-seulement pour les qualités qui servent à l'alimentation , mais aussi pour celles qui portent les noms d'huiles tournantes, d'huiles de fabrique. POUR 1859. PRIX DES LETTRES. Etudes littéraires sur les femmes, nées en Normandie, qui se sont fait un nom dans les Lettres au xvue et au xvuie siècle. POUR 1860. PRIX DES BEAUX-ARTS. Tableau dont le sujet aura été pris dans l'histoire de SÉANCE PUBLIQUE. 55 Normandie. Les artistes devront faire parvenir leurs œuvres à l'Académie avart le 4er Mai 1860, avec une lettre d'envoi dans laquelle sera renfermé le billet cacheté contenant leur nom. Après le jugement du concours, les tableaux seront rendus à leurs auteurs, mais l'artiste qui aura obtenu le prix devra remettre une esquisse de son tableau, laquelle demeurera la propriété de l’Académie. Observations communes à tous les concours. Tous les mémoires devront être manuscrits et inédits. Chaque ouvrage portera en tête une devise qui sera répétée sur un billet cacheté , contenant Le nom et le domicile de l’au- teur. Dans le cas où le prix serait remporté, l'ouverture du billet sera faite par M. le Président, en séance particulière , et l’un de MM. les Secrétaires donnera avis au lauréat de son succès, assez tôt pour qu'il lui soit possible de venir en recevoir le prix à la séance publique. Les académiciens résidants sont seuls exclus du concours. Les mémoires devront être adressés francs de port, avant le 4er MaAï DE L'ANNÉE OU CHAQUE CONCOURS DOIT- AVOIR LIEU, TERME DE RIGUEUR, soit à M. /. Girardin, soit à M. 4. Pottier, secré- taires de l’Académie. Extrait de l'art. 66 du Règlement du mois d’ Août 1848. « Dans tous les cas, les ouvrages envoyés au concours appar- tiennent à l’Académie, sauf la faculté laissée aux auteurs d’en faire prendre des copies à leurs frais. » U : 2 » ‘ A - Pr » * cu - A 4 $ AUS: , RS Dr AITTENTPNT 0 # Les AE ve ne: ie La M Fr tn TS Ne (OMR Dre rer aies LES Fer <° . LS EUX que à Lu y Ne Je CSP ra SALE fr ii Pat ws se TETE Ds LEE RE 0 DA TN 1 + M ARR Ces NS 70 7 IN TO DESSOUS DURE TO ES PEN CT US ss HP ATTRL ME ARTS 7 PPT ER ca so. > CON USE a, Net LT sue: A8, (fines DE DNÉS RER CE LL A 0 gi Dr Li EpAER eur | d sh L . ê EN à | “ui (CU ", é L ge ANT 1% ‘ x 4 Sri; AT d #0 1-4 as et ÿ RAR AL EL MARS 7 Le ï Lee | PDO LS A CURE CPE , PL Et = à L LM cod . Lee Meme . 4 : . “ Er” LL » . > : L "à 4 * A p . e - * FL nm où - = . : E À Fr e + Le N ’ 4> A F. ‘ # = 1 1€ hi … . - PC] 27 CLASSE DES SCIENCES. | d Pro À D F0 ler * = à N : L d'a HONTE A Ver ) | me A É Era En LVL L hr AS Cie. É° HN LS EL Vs a ë v À A, er RE DEL DNS L 7 J'e CET ina r ont ‘ÿ LS _ 7” PPT Fe ra eo æ* ni 1 | ANS # CE l | LR . ONCE ANS 20 ni FE : È | : Er ACTA eu Co À =: bo « A PT Tr: s ‘at fi | sf si ds ADD Siipt es! éuoaiui 3 7e Pal #7 Lg Sd Sr qu HET SE DR ne Le “OL EL: es 1 + sh} 39 AFTER DR LRU safe adioni: de DS, 21195 com ; st avt PERTE Time LT 3 ETOTE | titine qi (A L'ej: 1894) dés ioguoi Salodu at Potiat fo L dÙ. és L me 1hesieh ‘ol are, Wii sit yet tri - blu (nait x ain lan ver. Jeu où ses ; «il ne Q RE | L : ? L | | [7 : h . LA OP ons oeil ve os 00 CITORNER " MOD LS Fu ape + Men. hour Nuls ne Aujée aynf di ile sie pobgoor, 7 # jui! "4. w: phtaudi y Kit int at a dicli ! ol DoMéhap ohuni #00 le cotes à eh ne - ot M Ea Do" “00 Lie ME? de OL >" oies LE aT'E 1 Rd U ya La APR PREUES. : RAPPORT SUR LES TRAVAUX DE LA CLASSE DES SCIENCES DE.L'ACADÉMIE, PENDANT L'ANNÉE 1855-1856, PAR M. 3. GARARDIN, SECRÉTAIRE DE CETTE CLASSE. Messieurs, ‘ Résumer les travaux des autres de manière à en faire comprendre l'esprit et la portée, c’est une lourde tâche qui incombe annuellement aux secrétaires des Sociétés sa- vantes. Je vais essayer encore une fois de remplir cette obligation le moins imparfaitement qu’il me sera possible. A défaut du talent qui justifie la hardiesse, j'aurai, du moins, le désir de bien faire qui appelle et commande l'indulgence. Un de nos nouveaux confrères, M. Lallemant, profes- seur au Lycée de Rouen, a traité, dans son discours de réception, avec autant d'élégance que de clarté, une de ces hautes questions de philosophie scientifique qui ont le privilége d'intéresser tous les esprits élevés. L’eæplication des phénomènes physiques, tel est le thème choisi par l’ora- PHYSIQUE GÉNÉRALE. Discours de réception de M. Lallemant 60 ACADÉMIE DE ROUEN. teur. Ce travail devant figurer dans le Précis, je n'en don- nerai qu'une analyse sommaire. Les phénomènes naturels sont dus aux actions de causes diverses agissant simultanément. L'expérience a pour but de déméler, dans un effet complexe, l'effet dù à l'action séparée de chacune de ces causes. Un fait se trouve expli- qué, lorsqu'on a montré comment il résulte d'une ou de plusieurs lois simples. Un fait nouveau, introduit dans la science, acquiert de l'importance, soit parce qu'il confirme les lois trouvées, lorsqu'elles suffisent pour l'expliquer, soit parce qu'il montre que ces lois sont incomplètes ou inexactes, lorsqu'il s'en écarte. Mais les phénomènes naturels étant connus dans leurs rapports les uns avec les autres, ils ne sont pas pour cela expliqués d’une manière complète. Ils sont ramenés aux causes diverses dont ils sont l'effet complexe ; mais il reste à trouver la nature même de ces causés. Tel est le but des hypothèseset des théories qui constituent la partie spé- culative des sciences physiques. Chacun peut aisément concevoir une théorie, mais il est diflicile d'en concevoir qui aient quelque valeur. Ces dernières prennent pour point de départ un petit nombre de faits, et leur mérite dépend surtout de la sagacité avec laquelle ils sont classés. Elles se présentent d’abord sous une forme très simple et paraissent sans portée. On apprécie leur valeur en les sui- vant dans leurs développements et en vérifiant toutes leurs conjectures par l'expérience. Les théories servent à relier les uns aux autres les phé- nomènes d’un même ordre, et font dépendre l'explication définitive de tous de l'explication définitive d’un seul. À ce point de vue, les meilleures sont celles qui embrassent le plus grand nombre de faits. Des théories, bien que fausses, peuvent contribuer à enrichir la science. Si elles sont en défaut par certains CLASSE DES SCIENCES. 61 points, elles peuvent représenter très exactement les au- tres. Souvent même elles grossissent et rendent plus visible le vrai qu’elles renferment. Volta, dont la théorie paraît maintenant abandonnée, eut le mérite de saisir le point fondamental de l'expérience de Galvani. Il vit heureusement que les contractions mus- culaires étaient dues surtout à la présence de deux métaux, et s’il se trompa sur leur mode d'action, il ne se trompa pas sur l'influence prépondérante qu'ils exercent par leur réunion, et sa théorie, quoi qu’on fasse, a donné les résul- tats les plus merveilleux. Dans sa réponse au discours si fortement pensé de M. Lallemant et dont nous n'avons pu présenter qu'une sèche analyse, M. Bignon, donnant au sujet traité un carac- tère purement philosophique, a montré que l'esprit de système est naturel à l'homme, inhérent à l'esprit du sage comme à celui de l’ignorant ; puis, il a fait ressortir que la foi, à tous les âges des sociétés humaines, a précédé l’exa- men critique des faits, moins encore par le manque de pro-- cédés analytiques que par le besoin irrésistible qu’éprouve l'âme de saisir le principe des choses, l'être organisateur de tout ce qui a été créé. Tout en admettant que l'intelligence humaine puisse pénétrer quelques-uns des mystères de la nature, M. Bignon se hâte de proclamer que probablement la connaissance des causes premières échappera à toutes les recherches. La seule et unique cause première, DIEU, ne pourra sans doute être jamais saisie par une intelligence bornée et finie ; mais les autres causes, qui ne sont que les lois de cette sagesse suprême par lesquelles elle semble se révéler, la science, on peut l'espérer, les découvrira et les comprendra. Peut- être même est-ce là la véritable tâche, la véritable épreuve imposées à la nature humaine , pour qu'elle devienne digne Réponse du Présiden au discours de M. Lalleman PHYSIQUE APPLIQUÉE. Recherches des causes d'un incendie, par MM.J.Girardin et Lévy. 62 ACADÉMIE DE ROUEN. de saisir et de comprendre, par un don gratuit, la cause première elle-même ! Les sciences physiques trouvent fréquemment une heu— reuse application dans l’industrie, et souvent des faits jus- qu'alors inexpliqués reçoivent, grâce aux principes scien— tifiques, une explication satisfaisante Cependant des es- prits superficiels et portés à tout exagérer, pensent à tort que la physique, à cause de ses grands progrès, peut tou- jours servir à résoudre des diflicultés qui, pour paraître d'un ordre élevé au premier abord, ne laissent pas que d’avoir une origine parfois bien simple. Cette pensée a été développée dans un mémoire présenté par MM. J. Girardin et Lévy à l'occasion d’un incendie qui éclata à Elbeuf le dimanche 3 février dernier dans la sé- cherie connue sous le nom de Sécherie elbeuvienne. I ne s'agissait de rien moins, au dire de quelques personnes frap- pées de la gravité des accidents et de l'impossibilité appa- rente de toute cause extérieure d'incendie, que d’un phé- nomène de combustion spontanée. A la suite d’une discussion approfondie des faits, et après avoir examiné successivement toutes les causes, même éloignées, qui avaient pu concourir à l'événement, les auteurs du mémoire arrivent, par voie d'élimination, à cette conclusion que l’inflammation des laines contenues dans l'atelier incendié a été provoquée par la présence d'allumettes chimiques tombées sur le sol dans le voisi- nage de ces laines exposées alors à une température de 70° environ. MM. J. Girardin et Lévy terminent en exprimant le vœu que le Gouvernement, prenant en considération les nom-— breux dangers qui peuvent arriver par suite de l'emploi si fréquent des allumettes phosphorées, dangers qui ne seront jamais compensés par les services, cependant in- CLASSE DES SCIENCES. 63 contestables , qu’elles rendent, interdise d'une manière absolue la vente d’un produit qui peut être tout à la fois une cause d'incendie , et une cause de blessures graves ou même de mort. A plusieurs reprises, notre confrère, M. Pimont, a entretenu l'Académie des divers appareils qu'il à imaginés pour éviter les pertes de chaleur dans les machines. Il nous a signalé de nouveau les résultats avan- tageux qu'ils produisent dans les nombreuses usines et fabriques qui en ont adopté l'emploi. Chez MM. Dolfus, Mieg et C°, l’économie qu'ils apportent s'élève à plus de 17 000 fr. par an, en calculant sur le prix actuel du char- bon à 3 fr. les°/, kil. Un fait nouveau indiqué par M. Pimont, c'est l’applica- tion, sur toutes les surfaces rayonnantes des appareils à vapeur, d'un revêtement en matières conduisant mal la chaleur, revêtement qu'il désigne sous les noms de Calo- rifuge plastique et de Calorifuge feutré. L'usage de ces enduits devient aujourd'hui général. Après 18 mois d'ex- périmentation, le ministre de la marine a passé avec notre confrère un marché pour la livraison de 100,000 kil. de son enduit plastique. La mécanique a de si nombreux points de contact avec la physique, qu'il ne paraîtra pas illogique que je parle ici d’un Essai sur la fabrication des monnaies , dont M. Ernest Dumas a fait le sujet de son discours de réception. Toute- fois , je me bornerai à un résumé très courte cet impor- tant travail, son impression dans le Précis de cette année ayant été votée par l’Académie. Dans cette histoire de la fabrication des monnaies, notre nouveau confrère rappelle d'abord les premiers essais par voie de moulage, décrit ensuite avec quelques détails Appareils calorifiques et nouvel enduit, de k M. Pimont. MÉCANIQUE APPLIQUÉE. Essai sur la fabrication des monnaies , par M. Dumas. 64 ACADÉMIE DE ROUEN. les procédés très compliqués en usage sous nos rois de la première et de la deuxième race; puis, prenant ces pro- cédés comme point de départ, il raconte, en suivant l’ordre chronologique, les perfectionnements apportés par le temps et par l'expérience à chaque branche de cette industrie. Dans cette partie de son discours, nécessairement un peu technique , M. Dumas met en opposition la défectuosité des anciens procédés de fabrication avec la perfection des procédés contemporains, et il fait ressortir par quelles voies et sous quelles conditions cette transformation s’est opérée. | Rappelant alors que la fabrication des monnaies se rat- tache à la fois aux beaux-arts, aux sciences, au commerce, à l'industrie et à l'administration, l'orateur montre l'in fluence de cette belle industrie sur le développement général de la France. C’est elle, en effet, qui a doté nos ateliers des outils et des procédés les plus parfaits, créés d'abord pour son usage spécial. De tous temps les ateliers monétaires ont été des sources de prospérité pour les nations , et à toutes les époques on l'a compris, puisque les noms des hommes les plus illus- tres sont intimement liés à l'histoire des monnaies par les améliorations qu'ils ont provoquées dans leur fabrication. Archimède, Newton, Watt, Gay-Lussac, à titre de savants et d’inventeurs ; Charlemagne , saint Louis, Louis XIV, à titre de législateurs, ont donné à cette industrie un appui qui a contribué à l'amener au point de perfection où nous la trouvons de nos jours. Mais c’est en France, suivant M. Dumas, que l'art mo- nétaire, habilement dirigé et puissamment aidé, a surtout réagi, d’une manière heureuse, sur la prospérité nationale. Nulle part, la monnaie n’est mieux ou plus loyalement fabriquée. Nulle part, des lois plus sévères ne sont plus CLASSE DES SCIENCES. 65 rigoureusement observées pour l'exécution et la mise en circulation des espèces portant le sceau du prince et la garantie de la nation. Aussi aucune monnaie ne circule plus aisément que la nôtre, et notre pièce de 5 francs a partout remplacé la piastre espagnole , servant ainsi à la fois de signe matériel à la puissance française et de moyen de propagation de notre système décimal dont elle est le meilleur et le plus puissant avocat. C'est à la perfection de nos moyens de fabrication des monnaies et à l'énergie de nos procédés d’aftinage , ajoute M. Dumas en terminant, que la France doit d’avoir vu la presque totalité des métaux précieux répandus à la surface du globe, passer dans ses ateliers monétaires, et de là dans les mains de ses capitalistes. C'est à ses ateliers mo- nétaires que la France doit d’avoir vu ces fleuves d’or et d'argent monnayés féconder les champs si variés de son industrie et de son commerce. L'année dernière, j'annonçais dans mon rapport général que M. Chesnon, d'Evreux, se flattait d’avoir trouvé dans le molybdate d'ammoniaque un moyen de reconnaître la grossesse d’une femme. Au point de vue de la médecine légale, une pareille découverte offrait un grand intérêt. L'Académie s’est donc empressée de faire répéter les expé- riences de son correspondant par une commission com- posée de MM. Hélot, J. Girardin et Duclos. Le rapport pré- senté par ce dernier n'a pas malheureusement confirmé les prétentions de l’auteur , car il a été reconnu que dans huit cas de grossesse bien avérée, les urines ont donné la réaction des phosphates, sels qui, dans la théorie de M. Chesnon, ne devraient pas s’y trouver. Les quantités d'acide chlorhydrique qu'on ajoute à l'urine avant de faire agir sur elles le molybdate d'ammoniaque influant singu- lièrement sur les réactions de ce dernier sel, la commis- 5) CHIMIE. Sur le procédé de M. Chesnon pour reconnaitre la grossesse de la femme. Rapport de chimie légale, par MM. Chesnon et Mathieu. 66 ACADÉMIE DE ROUEN. sion a été forcée de conclure que le procédé indiqué ne peut fournir de renseignements certains sur la grossesse de la femme. Il y a donc de nouveaux essais à entre- prendre pour résoudre cette importante question. L'Aca- démie invite M. Chesnon à s'en occuper. Les chimistes sont très souvent appelés par les tribunaux à examiner des sujets fort délicats, et conduits à entre- prendre des essais qui demandent autant d'adresse ma- nuelle que de sagacité. Ce cas s’est présenté en septembre dernier, pour MM. Chesnon et Mathieu. Ils furent chargés, par le juge d'instruction d'Evreux, de déterminer si des taches rougeâtres, qu'on remarquait sur une serviette appartenant à un ouvrier terrassier de Coudre , étaient dues à de la liqueur de cassis , ainsi que le prétendait l'inculpé,. Les experts commencèrent par rechercher quels sont les caractères chimiques des taches de cassis, et, compa- rativement, ceux des taches de vin avec lesquelles on pourrait les confondre au premier abord, et ils consta- tèrent que, parmi les nombreux réactifs qui ont une action marquée sur les deux sortes de taches, il en est surtout quatre , le chlorure d’étain, l’acétate de plomb, l’azotate de mercure et ie sulfate de cuivre, qui permettent tou- jours de prononcer entre le cassis et le vin, attendu que les phénomènes de coloration qu'ils provoquent sont très différents. Ce point établi, les experts, en agissant sur les taches de la serviette saisie, acquirent la preuve que ces taches n'étaient point produites par la liqueur de cassis, et que, très probablement, elles étaient formées par du vin, Toutefois , n'ayant pu mettre en évidence, dans la matière de ces taches, la présence de l'acide tartrique, bien que la plupart des réactions propres au vin aient été obtenues, ils furent assez circonspects pour ne pas trancher la ques- lion. CLASSE DES SCIENCES. 67 M. Duclos, chargé de rendre compte du rapport chimico- judiciaire de MM. Chesnon et Mathieu , a dit en terminant : « L'utilité des recherches des experts d'Evreux est incon- «testable ; la manière dont ils ont opéré est empreinte « d’une prudence extrême , et la conclusion qu'ils émettent « a dû porter la conviction dans l'esprit des juges. Enfin, «le mérite de ce travail consiste aussi en ce qu'il résout « une question qui n'a été traitée dans aucun livre d'ana- « Iyse chimique. » Un de ces jeunes gens d'élite que l'Egypte, leur patrie, a envoyés en France profiter des hautes leçons que donnent nos plus illustres professeurs de la capitale, Mohamed Effendy Charkauy à offert à l’Académie la thèse qu'il a sou- tenue à l'Ecole spéciale de pharmacie, pour obtenir le titre de pharmacien. Le sujet choisi par le jeune Egyptien est un des plus vastes que renferment les sciences médicales, l'opium. il a traité surtout avec détail l’histoire naturelle et commer- ciale de ce produit ; la partie chimique et pharmaceutique aurait pu recevoir plus de développement ; néanmoins, l’auteur à réuni, avec une patience digne d’éloges, des documents nombreux, épars dans beaucoup d'ouvrages. Il ne pouvait passer sous silence la funeste passion des peuples de l'Orient pour l’opium ; les effets merveilleux et terribles de ce redoutable produit, cette sorte d'ivresse pleine de charmes, qui tient l'esprit en suspens entre la veille et le sommeil, entre la vie et la mort, sont exposés avec un véritable talent, avec une élégance toute française. Les réflexions qu'il fait à ce sujet , les excuses qu'il trouve à une si dangereuse habitude permettent de supposer qu'il a fréquenté des personnes qui ont*bu à cette coupe enchan- teresse. Nonobstant les quelques critiques dont la Thèse sur Thèse sur l’opium, par Mohamed Effendy Charkauy. Examen de pelotes trouvées dans l'estomac de jeunes poulains, par MM.J.Girardin et Malbranche. Recherches : sur la valeur nutritive des à fourrages, par M. I. Pierre. 68 ACADÉMIE DE ROUEN. l'opium à paru susceptible, l'Académie n'en a pas moins reconnu le mérite , et elle s'empresse de déclarer que l'au- teur a fait preuve d'un esprit cultivé, d’un talent observa- teur et méthodique, d'une instruction solide C'est pour ces raisons qu'elle a cru devoir lui décerner le titre de membre correspondant. Nous gardons l'espoir que, de retour dans sa patrie, où un grand souverain s'efforce de répandre le goût des sciences et des arts, M. Charkauy deviendra l’un de ses sujets les plus utiles et les plus honorés. On sait que, dans nos plaines du pays de Caux, l'usage est de mettre les juments mères au piquet dans un champ de trèfle incarnat ; les poulains sont en liberté ; ils broutent, en se jouant , les têtes fleuries de la plante , puis ils tom- bent malades au bout de quelque temps et meurent. A l’autopsie, on trouve dans le tube digestif des pelotes légères , qu'une observation superficielle avait fait regarder comme des égagropiles, où amas de poils agglutinés par du mucus animal et feutrés. Mais l'étude microscopique et chimique a démontré à MM. J. Girardin et Malbranche que ces corps étrangers sont entièrement formés par l’agglomération des petites villosités qui existent sur les calices du trèfle incarnat. La conclusion pratique à tirer de cette observation, c'est la nécessité de modifier l'alimentation des juments mères, ou de soustraire les poulains à l'effet mortel de l'usage du trèfle incarnat. Une des conditions qui influent le plus sur le bon engraissement des animaux de ferme, c'est assurément le genre de nourriture âuquel on les soumet. Si tout le monde est d'accord à cet égard, il s’en faut beaucoup qu'on ait des connaissances bien étendues sur la nature et CLASSE DES SCIENCES. 69 les qualités des différents fourrages, qu'on sache sous quelles formes et dans quelles proportions des substances alimentaires données produiront le plus grand effet utile pour la production de la force, de la viande , des engrais, de la laine ou du lait. On ne connaît pas mieux la diffé rence qui existe entre divers échantillons d’une même variété de substances alimentaires, suivant la nature du sol qui l’a produite, suivant l'époque et les conditions de sa récolte ou de sa conservation, suivant la manière de la faire consommer, suivant l'espèce d'animaux qui s'en nourrit, suivant enfin la nature des produits que l'on veut obtenir de ces animaux. Un de nos plus laborieux correspondants, M. Isidore Pierre, de Caen, a essayé d'introduire dans quelques-unes de ces questions si intéressantes l'élément scientifique à l’aide duquel on pourrait espérer d’en obtenir une solution approchée. Ses Recherches sur la valeur nutritive des fourrages sont l'exposé de ce qu'il a entrepris dans cette direction. Partant de ce principe, universellement adopté, que la valeur nutritive d'un aliment dépend de la proportion d'azote organique qu'il renferme, et qu'on doit considérer comme équivalentes entre elles les quantités de matières ali- mentaires diverses contenant la même proportion d'azote, M Pierre s’est appliqué à doser l'azote et à fixer l’équi- valent de tous les fourages secs et verts, des graines, des tubercules et racines , des pailles, des résidus divers qu’on emploie habituellement ou qu'on pourrait utiliser. C'était À un travail long et pénible , qui n’a pas rebuté son zèle. On avait déjà, sans doute, de nombreux documents dus principalement à MM. Boussingault et Payen, Dumas, de Gasparin, Liébig, Soubeiran et J. Girardin , ete ; M. Pierre les a complétés ; aussi maintenant a-t-on tous les éléments pour établir les rations alimentaires d’une manière logique, on pourrait presque dire mathématique. AGRICULTURE Culture du mûrier et éducation du ver à soie dans le nord de la France, par M. Cazin. Plantation du blé en lignes par M. Malbranche 70 ACADÉMIE DE ROUEN. Le travail du savant chimiste de Caen a donc une haute importance au double point de vue de la science et de la pratique agricole. Je suis amené, tout naturellement, à signaler ici les communications dont l'économie rurale a été l'objet. Je trouve tout d’abord un excellent mémoire manuscrit envoyé de Boulogne-sur-Mer par notre correspondant, M. le docteur Cazin, sur la culture du muürier et l'édu- cation du ver à soie dans le Nord de la France L'auteur à pour but de prouver qu'il serait possible de donner en France un plus grand développement à la sériciculture, car les contrées septentrionales sont plus favorables que celles du Midi à l'éducation du ver à soie. Celle-ci est, en effet, complètement artificielle, et les orages fréquents du Midi la contrarient souvent. La culture du mürier dans le Nord offre bien de grandes difficultés ; mais M. Cazin démontre par tout ce qu'a fait, sous ce rapport, M. Cham- paillet , fabricant de tulles à Saint-Pierre-lès- Calais , qu'elle peut être entreprise avec succès par un industriel intelligent et actif. Je n'entrerai pas dans de plus longs développements, le mémoire de M. Cazin devant être imprimé en entier dans le Précis de l'Académie. M. Malbranche nous à parlé d'une question agricole pleine d'actualité, la plantation du blé en lignes et au piquet, à l'occasion d'une expérience faite chez M. Eugène Pouchet , à Saint-Michel-de-la-Haye, et qui a produit le rendement énorme de 5,000 pour 1. . Ces chiffres, plutôt au-dessous qu'au-dessus de la vérité, montrent éloquemment une fois de plus le parti avantageux que l'agriculture pourrait tirer de cette CLASSE DES SCIENCES. 71 pratique , adoptée déjà, hâtons-nous de le dire, chez bon nombre d'agronomes instruits de la Belgique et de la France. Si, dans la généralité des cas, on n'arrive pas aux résultats exceptionnels obtenus dans l'expérience citée, on peut toujours certainement améliorer considé- rablement les produits habituels, et surtout faire une économie notable de semence, ce qui est un moyen de plus de s'opposer à l'élévation excessive du prix des céréales et par suite du pain. Deux naturalistes agronomes de Turin, MM. Marcellino et Giuseppe Roda, ont soumis au jugement de l’Académie deux ouvrages qu'ils ont récemment publiés. L'un a pour titre : Cours théorique et pratique sur la culture et l'emploi économique des principales plantes polagères ; L'autre : De la rhubarbe introduite dans l’économie domestique, sa culture et son mode de préparation. Une Commission, composée de MM. Duclos, Malbranche et Brunier, a porté un jugement favorable sur ces ouvrages. Ils sont l'expression des meilleurs principes de culture professés en France. M. Dubreuil fils, d’un côté, MM. Pré- vost et Malbranche, de l’autre, ont traité les mêmes sujets avec plus de développements et d’une manière plus complète. Néanmoins les travaux de MM. Roda ont leur utilité et leur mérite. Ces auteurs se rangent dans la pha- lange de ceux qui ont pris la mission de propager les conquêtes des sciences en les enseignant sous une forme facile à comprendre , en écartant les considérations pure- ment théoriques pour ne répandre que celles qui sont à la fois théoriques et pratiques. L'Académie a décerné aux deux naturalistes italiens le titre de membres correspondants qu'ils ambitionnaient. Ouvrages de MM. Roda de Turin. BOTANIQUE. | Discours | de réception de M. Blanche sur la flore départemen- tale. | | | | | | | | | | Réponse du président au discours ide M. Planche. 72 ACADEMIE DE ROUEN. La botanique, dont la connaissance est si avantageuse , nous pourrions même dire si nécessaire à l’agronome et à l'horticulteur, continue à embellir les séances de notre Compagnie. M. Emmanuel Blanche , en prenant place parmi nous, a présenté dans son discours de réception un résumé analytique et complet des travaux concernant la flore départementale , en partant du Botanicon parisiense, publié par Sébastien Vaillant, en 1727. Il s'arrête surtout avec complaisance sur la Flore des environs de Rouen dont l'auteur, l'abbé Turquier-Delongchamps, a long- temps appartenu à l’Académie. Il se plaît à faire ressortir l'exactitude des indications locales et des descriptions de cette flore, et il attribue, avec raison, la faveur dont cet ouvrage fut l'objet, au mérite réel de l'auteur et à la popu- larité de la botanique à cette époque. Son admiration pour la flore des environs de Rouen ne l'empêche pas cependant de reconnaître ce qu'elle peut avoir aujour- d’hui d'incomplet et d'insutlisant, et il regrette que jusqu'à présent personne n'ait songé à faire disparaître les lacunes qu'elle ofire. Après avoir encore cité la Flore de Normandie de M. de Brébisson , dans laquelle, malheureusement , les localités de nos plantes départementales ne sont pas toujours indi- quées avec exactitude, M. Blanche termine en s'associant aux désirs de l'Académie , et en proclamant l’utilité d'une nouvelle flore de la Seine-Inférieure, présentant l'indication des localités et la description des plantes de manière à donner toutes les garanties de contrôle. M. Bignon, en répondant au récipiendaire qui sait si bien comprendre les charges que la naissance impose, s'est plaint, avec autant d'esprit que de raison, du délais- semept dans lequel la botanique est tombée à Rouen, CLASSE DES SCIENCES. 73 après y avoir été si populaire. Il croit en trouver la cause dans les changements que l’enseignement de cette science a subis, et dans les formes austères qu’elle a revêtues en se développant et en progressant. Aussi l'orateur, après avoir rappelé le temps passé avec charme , a émis l'opinion que la Flore de l'abbé Turquier Delongehamps pourrait peut-être, revue et complétée, combler la lacune qui excite les justes plaintes des bota- nistes et de la Société d'agriculture elle-même. IL à habi- lement mis en cause les avantages exceptionnels que possède notre jeune confrère pour cette entreprise; puis, s'emparant de l'avenir, sans doute au nom de M E. Blanche, car, pour lui-même, il n’y prétend plus, il a tracé, avec une connaissance profonde des besoins de notre époque , le programme de l'ouvrage que désire l'Académie. Voulant conserver jusqu’à la fin de sa réponse ce carac- tère que nous avons déjà constaté et qui lui à permis d'être si spirituel et si bon conseiller, M. Bignon s'est excusé, en disant qu'il se laissait entraîner au genre de libéralité qui convenait le mieux à son âge. Une question de philosophie botanique a donné lieu à d’intéressantes discussions. Elle a été soulevée par M. Mal- branche qui nous a présenté des réflexions pratiques et philosophiques sur les genres en botanique. Préoccupé de l'accroissement continuel des genres, notre confrère s'est demandé si la somme d'avantages que cet accroissement apporte à la science compense les obs- tacles qu'il met à sa propagation, et s’il est vraiment jus- tifié par les besoins et les plus sages principes de la botanique descriptive. Examinant d’abord le rôle de la nomenclature dans les sciences naturelles, il ne voit dans le mécanisme des classifications qu'un artifice ingénieux pour aider la mémoire parmi de si nombreux objets d’ob- Philosophie botanique, par M. Malbranche 74 ACADÉMIE DE ROUEN. servation. Tout en reconnaissant la convenance d'agrandir les cadres linnéens, il se plaint de l'abus que beaucoup de botanistes ont fait de la création de nonveaux genres, cédant le plus souvent au désir d'innover ou à l'occasion d'une dédicace flatteuse, plutôt qu'à une nécessité réelle. M. Malbranche déplore les diflicultés qu’apporte une pa- reille tendance à l'étude des sciences naturelles, qui ne sont plus dès lors accessibles qu'à un petit nombre d'élus. Il croit que, sans rien renier des connaissances acquises, la science pourrait être dégagée des obstacles d'une nomen- clature aussi compliquée, et ramenée à des termes saisis- sables. « La vérité, dit M. D'Omalinus d'Halloy, est faite pour tous, elle doit être accessible à tous. » L'orateur entre dans l'examen des caractères sur les- quels on s'est appuyé pour l'établissement de plusieurs genres nouveaux, et fait voir le peu d'importance des dif- férences sur lesquelles on s’est fondé. Il n’est pas besoin, suivant lui, de connaître tous les détails de l’organisation des plantes ; on peut les comparer de tant de facons ! Il suffit au botaniste de pouvoir les distinguer sûrement entre elles. Nos facultés seront toujours au-dessous de léton- nante variété de la nature. M. Malbranche conclut qu'une réforme est nécessaire, et que ce serait ramener les ésprits vers la botanique que de la doter d’une nomenclature simple et commode. M. Bignon diffère complètement de manière de voir sur le rôle que les genres sont appelés à jouer en botanique. Ce ne sont que des classifications arbitraires. Les genres, suivant lui, n'existent pas dans la nature qui n’a créé que des espèces, d’où il suit qu'à mesure que l'étude s'étend et se perfectionne, les premières distinctions génériques ne répondant plus aux besoins de la science et aux faits acquis, les mutations et les transformations des genres deviennent indispensables et sont parfaitement justifiées. Il cite à l'appui CLASSE DES SCIENCES. 75 de cette opinion, professée depuis longtemps par Lamarck et par de Candolle, le texte de ce dernier savant qui va jusqu’à prétendre qu’un temps viendra où il n'y aura qu’une espèce dans chaque genre. M. Bignon justifie par quelques exemples, notamment par les travaux de Kock sur la famille des ombellifères , la nécessité où l’on se trouve souvent de modifier les an- ciennes classifications et de créer des genres nouveaux, établis sur des caractères plus nets et plus précis. Toute- fois , s’il est facile de créer un genre, comme le croit M. Malbranche, il n’est possible de le faire adopter dans la science qu'après une discussion sérieuse où toutes les raisons pour et contre sont débattues et appréciées. Les bornes d’un compte-rendu ne me permettent pas de reproduire dans tous ses détails cette discussion philo- sophique à laquelle ont pris également part MM. de Glan- ville et Girardin. M. Chesnon nous a adressé d'Evreux une note, sur un cas d'hybridation présenté par les lychnis vespertina et diurna. Un pied femelle de ce dernier a été fécondé par un pied mâle du premier, etilen est résulté un hybride participant des caractères des deux espèces, ayant les fleurs d’un rose tendre et des tiges beaucoup plus fortes que dans les deux types. Si l'on ne connaissait pas l’origine de cet hybride, on pourrait croire, dit M. Chesnon, à une espèce nouvelle, Notre confrère a envoyé deux pieds vivants, l'un mâle, l'autre femelle de cet hybride. Ils ont été remis à M. Du- breuil pour être conservés au jardin des plantes. M. Chesnon pense que le genre lychnis devrait être dédoublé, puisque les lichnis diurna et vespertina sont dioïques, tandis que les lychnis vesicaria et flos cuculi pe le sont pas. Cas d'hybridation , par M. Chesnon. Cas de tératologie végétale, par M. Malbranche SCIENCES MÉDICALES. Monographie de l'albinisme , par M. Cornaz. 76 ACADÉMIE DE ROUEN. M. Malbranche a eu l'occasion de rencontrer une fascie de la racine du spiræa sorbifolia, et il s'est empressé de la mettre sous les yeux de l'Acadéinie. La rareté des découvertes de fascies des axes souterrains qu'une circonstance exceptionnelle peut seule livrer à l'observateur, augmente l'intérêt de l'étude de ces phéno- mènes anormaux. M. Malbranche s’est donc appliqué à reconnaître l'origine du cas spécial de tératologie que le hasard lui à fourni. L'état de la racine, sa conformation physique lui font supposer, en s'appuyant sur la théorie de M. Moquin-Tandon, qu'il y a eu dilatation latérale du tronc et des rameaux, puisque des coupes transversales n'ont présenté qu'un seul canal médullaire très comprimé. Dans les parties délicates de cette racine, le microscope lui a montré un tissu serré, tendre, uniforme, où la moelle n'existe pas encore ; celle-ci se présente un peu plus haut, et occupe bientôt un grand espace central. Les extrémités dénudées et blanches, assez larges, qui terminent les rami- fications seraient donc dues à la descension du suc nour- ricier, et paraissent correspondre au chevelu des racines normales ; la production de la partie corticale et externe serait de beaucoup postérieure à la formation du tissu in terne. Si des anomalies du règne végétal nous passons à celles que nous offre si fréquemment le règne animal, nous trou- vons, dans la race humaine principalement, une altération des plus remarquables, qui se traduit par la couleur d’un blanc blafard de la peau et des poils, la coloration rose des pupilles et une si grande sensibilité de la vue, que les indi- vidus qui offrent cet ensemble de caractères, ne peuvent supporter la lumière du jour. Cet état particulier, c’est ce qu'on appelle scientifiquement l'albinisme, dont M le doc- teur Cornaz, chirurgien en chef de Fhôpital Pourtalès, à CLASSE DES SCIENCES. 77 Neufchâtel, en Suisse, a publié tout récemment une excel- lente monographie. Une commission composée de MM. Vingtrinier, Avenel et Blanche, a examiné cet ouvrage dans lequel on trouve résumé avec talent l’état actuel des connaissances sur ce vice de naissance, aux différents points de vue de l’histoire naturelle, de la géographie, de la physiologie, de la mé- decine et de l'histoire. Ce qui est surtout remarquable dans cet écrit, c'est la méthode qui a conduit l’auteur à tirer des conclusions satisfaisantes tant des travaux nombreux de ses devanciers que des siens propres. Les recherches per- sonnelles du docteur Cornaz serviront à élucider, dans l'histoire de l’albinisme, quelques points qui avaient été jusqu'ici imparfaitement étudiés. L'Académie a donné à ce savant médecin un témoignage de sa haute estime en l’admettant au nombre de ses cor- respondants étrangers. Un médecin régnicole, M. Mazade, d’Anduze, a soumis au jugement de l'Académie, outre plusieurs ouvrages imprimés, deux mémoires manuscrits qui ont été renvoyés à l'examen de MM. Vingtrinier, Avenel et Duclos. Le premier de ces écrits est intitulé : Recherches sur l'emploi du sulfate de quinine dans le traitement de la fièvre typhoide. M. Mazade à prescrit ce médicament à un nombre considérable de malades, et il est obligé de recon- naître que le sulfate de quinine n’a point d'action pour arrêter la maladie dans sa marche, qu'il ne peut être utile que pour remplir une indication précise dans le cours de l'affection, prévenir un danger, mais non la juguler, comme on l'a dit. Le praticien d'Anduze constate l'utilité du sul- fate de quinine surtout lorsque la fièvre typhoïde offre des accidents intermittents et des paroxismes. Ouvrages de M. le Dr Mazade 78 ACADÉMIE DE ROUEN. Les observations de fièvres typhoïdes consignées dans ce mémoire, bien supérieur à deux autres que M. Mazade a publiés antérieurement sur le même sujet, sont tracées de main de maître; la discussion qui les suit est pleine d'intérêt, d'une lucidité, d’une vérité pratique très remar - quables. Dans le second travail manuscrit intitulé : Observations d'affections périodiques, on trouve des faits extrêmement intéressants. Ce sont des affections de diverses natures qui se compliquent de cette inexplicable circonstance qu'elles se montrent à une époque fixe de la journée, pour cesser complètement jusqu’au lendemain où elles reparaissent à la même heure que la veille avec le même cortège d’acci- dents. — Le sulfate de quinine fait justice de tous ces phénomènes anormaux, en très peu de jours, et d’une façon presque miraculeuse. | Il est fort utile que des hommes persévérants entre- prennent des recherches semblables à celles dont il vient d'être question, et il est encore plus utile qu'elles soient publiées et adressées, quel qu’en soit le résultat, aux So- ciétés savantes. La commission de l'Académie reconnaît dans M. Mazade un travailleur consciencieux, un observa- teur dont les progrès sont attestés par la série des ouvrages qu'il a mis au jour, un médecin véritablement praticien qui cherche le but essentiel de la science, le moyen de conduire à la guérison l’homme frappé des plus cruelles maladies. M. Mazade attaque de front la partie la plus difi- cile de la médecine. Il est donc juste de lui tenir grand compte de ses efforts. C'est ce qu'a pensé l'Académie tout entière qui s’est empressée d'accorder à ce laborieux praticien le titre de membre correspondant, CLASSE DES SCIENCES. 79 Les annales de la médecine ne manquent pas d'obser- vations de calculs biliaires qui se font jour à l'extérieur par une fistule abdominale ; mais dans tous ces cas, que l'ex- pulsion soit spontanée , ou aidée par la chirurgie, il s’est toujours produit dans la région de la vésicule un travail préparatoire , dont les symptômes pouvaient éclairer le dia- gnostic. Il en a été tout autrement dans une circonstance dont M. Bigot, chirurgien de l’hospice d’'Evreux , nous a présenté Ja narration. La vésicule avait pris peu à peu un grand développement ; au bout de dix ans elle s’enflamma , contracta des adhérences avec la paroi abdominale anté- rieure, puis celle-ei s'étant ulcérée , il en sortit de temps en temps, par séries, une centaine de calculs, à mesure que la poche revenait sur elle-même; mais une particula- rité rendait le diagnostic dificile : c’est que l'ouverture de la tumeur ne s'est pas faite au niveau de la vésicule bi- liaire, mais plus bas, au niveau de la fosse iliaque droite. Les calculs expulsés étaient constitués par de la choles- terine presque pure , ainsi que M. Chesnon s’en est assuré. L'observation de M. Bigot est fort intéressante, en ce qu’elle nous montre un exemple remarquable des moyens merveilleux que la nature emploie pour éliminer, sans danger pour la santé, un produit morbide dont la présence pourrait gêner les fonctions. Dans un autre fait, signalé aussi par M. Bigot, un malade en proie à des coliques hépatiques, rendait des calculs biliaires par les voies naturelles et on retrouvait ces concrétions de cholesterine dans les excréments. C'est une étude très curieuse à faire que celle des pro- cédés que la nature met en usage, pour guérir les maladies réputées incurables. À l’occasion du mémoire de M. Bigot , et du rapport qui en a été présenté par M. Duclos, une discussion s’estélevée entre MM. Morin, Vingtrinier, Hélot et Duclos sur la pos- Calculs biliaires expulsés spon- tanément par une fistule abdominale, par M. Bigot. Ouvrage de M. Raoul Leroy d'Étioles , sur les paraplégies 80 ACADÉMIE DE ROUEN. sibilité de dissoudre les calculs biliaires dans l'intérieur de la vésicule et sur l'efficacité, dans ce cas, de l'éther téré- benthiné, préconisé, dès 1773, par Durande MM. Morin et Vingtrinier sont pour l’aflirmative et citent des faits à l'ap- pui. M. Duclos les combat par des arguments tirés de la physiologie, et en s'étayant de l'opinion de MM. Trousseau, Breschet , Thénard, Bonnet, Piorry, Videcoq, Roche et autres , qui tous sont unanimes pour rejeter l’action dis- solvante de l'éther térébenthiné, quoiqu'ils ne soient pas d'accord entre eux surle mode d'action de ce remède qui est favorable dans la plupart des cas. Pour M. Duclos, cette action est toute physiologique. M. Hélot, lui, s'élève contre l'opinion du professeur Trousseau qui explique le succès de l’éther térébenthiné par une action antispasmodique. Il assure que jamais les crises ne sont soulagées par le remède, que celui-ci agit après les crises, qu'il les éloigne , qu'il les prévient seule- ment. Sans avoir d'opinion arrêtée sur la vertu dissolvante de la mixture de Durande, M. Hélot lui refuse au moins la vertu antispasmodique. Ces dissidences n’ont pas empêché l’Académie de recon- naître le mérite du mémoire manuscrit de M. Bigot, et dans une séance suivante elle a décerné à ce chirurgien instruit le titre de membre correspondant qu'il sollicitait. La même faveur a été accordée à M. Raoul Leroy d'E- tiolles , à la suite du rapport extrêmement favorable pré- senté par une commission composée de MM. Avenel, Hélot et Duclos, sur l'ouvrage intitulé : Des paralysies des membres inférieurs ou paraplégies. — Recherches sur leur nature , leurs formes, leur traitement. Cet ouvrage a été couronné par l'Académie impériale de médecine , en 1853. L'utilité de ce livre est incontestable ; les bonnes et nom- breuses observations qu'il contient , les déductions exactes CLASSE DES SCIENCES. 81 etjudicieuses qu’en a tirées l’auteur, lui donnent un cachet essentiellement pratique. M. Verrier nous a prouvé de la manière la plus évidente, par la description de deux traitements qu'il a fait subir à des chevaux confiés à ses soins, que l'hydrothérapie appli- quée aux animaux est digne d'attirer l'attention des prati- ciens et permet d'obtenir les plus beaux résultats. Le mémoire de notre confrère devant être imprimé en entier dans le Précis , je me bornerai à consigner ici que les deux faits signalés par lui démontrent bien que l'emploi prolongé de l'eau froide, dont il a été un des premiers à utiliser la bienfaisante action, accélère singulièrement la guérison des plaies et contusions de toutes sortes chez les animaux. Une question qui touche à la fois à l'hygiène et à l'éco- nomie publique, c'est l'examen des causes qui amènent l'effrayante mortalité chez les enfants trouvés nouvean- nés dont M. Duclos nous a présenté le tableau. Malgré tous lessoins qu’on leur donne, il est constant que les enfants nouveau-nés déposés dans les hospices de Rouen, comme partout ailleurs, du reste, meurent dans la proportion de 83 p. ‘/ par an En ne considérant que les enfants trouvés envoyés en nourrice à la campagne, la mortalité est encore de 74 à 75 p.°/, dans la première année. Lorsqu'on rapproche ces chiffres de ceux qui montrent que, pour les enfants des familles aisées, la mortalité oscille entre 15 et 28 p. °/, dans la première année, et pour les enfants de la classe malaisée du peuple, entre 50 et 60 p. °/,, on est frappé d’un pareil résultat qui dépasse toutes les pré- visions , et on est curieux d'en connaître les causes. Pour M. Duclos, qui a longuement étudié cette grave question , il n'y en a qu'une seule, l'alimentation artificielle 6 Cas graves de chirurgie vétérinaire traités avec succès au moyen de l'hydrothé- rapie, par M. Verricr aîné Mortalité des enfants trouvés nouveau-nés, par M. Duclos. ÉCONOMIE SOCIALE. Concours sur les moyens de prévenir les accidents dans !es manufactures, 82 ACADÉMIE DE ROUEN. ou au biberon donnée dès la naissance. Le mémoire de notre confrère a pour but de mettre en évidence cette pro- position, comme aussi d'indiquer le remède à cet état fâcheux de choses. Il y a deux moyens pour cela : d'une part, restreindre le nombre des enfants trouvés , et d'autre part, modifier les soins à donner à ceux qui sont admis dans les hospices, notamment en les confiant, dans les pre- miers quinze jours de leur existence, à des nourrices au sein. M. Duclos insiste surtout sur ce dérnier point, parce qu'il lui semble que le lait de femme peut seul à coup sùr mettre en activité régulière les organes digestifs qui ont sommeillé pendant la vie intra-utérine. Au bout de 15 jours, il y aura moins d’inconvénients à donner du lait de vache pour aliment que lorsque les organes digestifs n'ont pas encore fonctionné. Après ce temps, les enfants seraient envoyés à la campagne, confiés, autant que possible , à des nourrices au sein. Je n'indique ici que les déductions principales des re- cherches et méditations de M. Duclos, renvoyant pour plus de détails au mémoire même qui sera imprimé dans le Précis de cette année. S'il est d'une sage et chrétienne administration de res- treindre le plus possible les chances de mort si multipliées dans le jeune âge, il n’est pas moins moral et digne d'un peuple civilisé d'employer tous les moyens de soustraire les nombreux travailleurs, les hommes de labeur, aux mille causes d'accidents et de mort qui les entourent, Toutes les professions, tous les états, tous les arts de la vie exposent l'homme à des accidents. L'ouvrier surtout en est d'autant moins à l'abri qu'il vit au milieu de machines énergiques et que trop souvent l'impéritie ou l'imprudence accroît les dangers ou les fait naître. CLASSE DES SCIENCES. 83 Depuis plusieurs années , l'Académie appelle l'attention des esprits sérieux et pratiques sur ce point: Des trois mémoires adressés celte année pour le concours ouvert sur les moyens de prévenir les accidents dans les manufac- tures, aucun n'a paru digne de la récompense offerte ; aussi la même question est-elle remise à l'étude. Le rapport rédigé par M. Brunier, au nom de la commission spéciale, montrera aux concurrents les fautes qu'ils ont commises, les lacunes à combler et toutes les conditions à remplir pour obtenir les suffrages de l’Académie. A l’occasion de ce concours, l'Académie a cru devoir décerner, à titre d'encouragement, une médaille d'argent au sieur Caron, contre-maître chez M. Lemarchand , fila- teur au Houlme. Cet ingénieux ouvrier a établi sur les cardes ordinaires un mécanisme fort simple, qui a pour effet d'arrêter instantanément la marche de ces métiers, aussitôt qu’un corps étranger, quel qu’en soit le volume ou la nature , s’interpose soit entre les rouages , soit entre les cylindres. Cette invention prévient nombre d'accidents dans les filatures de coton , et il est bien à désirer que toutes adoptent les cardes perfectionnées du sieur Caron. En dehors des concurrents au prix proposé, il s’est trouvé à Rouen un ancien manufacturier, au cœur géné- reux, qui a conçu l’idée de créer pour le département tout entier une assurance mutuelle contre les accidents. M. Le- moine, avant de soumettre son projet à l'autorité, a voulu connaître la pensée de l'Académie ; il lui a donc adressé un exposé de motifs et les statuts de la nouvelle société phi- Janthropique qu’il désire établir. L'assurance mutuelle départementale conçue par M. Le- moine, a pour but de donner des secours à l’ouvrier blessé, à partir du quatorzième jour de l'accident jusqu'à sa par - faite guérison , de lui faire une rente viagère dans le cas où Projet d'assurance mutuelle départemen- tale, contre les accidents. 84 ACADÉMIE DE ROUEN. il resterait infirme , et d'assurer des ressources à ses héri- tiers en cas de mort par suite de ses blessures. Cette assu- rance s'étend aux ouvriers de tout sexe et de tout âge, moyennant une même cotisation , si minime que tous peu- vent y atteindre. M. Lemoine, pour éviter les frais de surveillance et pour payer les frais de guérison, a besoin que.les chefs d'ate- liers soient les représentants de leurs ouvriers auprès de la direction, versent gratuitement la somme de 50 centimes par chaque ouvrier assuré , et donnent des secours aux blessés pendant les quatorze premiers jours. Par un calcul approximatif, M. Lemoine estime que sur 8,000 ouvriers , il y a 80 blessés , dont 40 seulement sont à secourir par suite du délai de quatorze jours. Or, la somme payée par ces 8,000 ouvriers étant de 2 fr. 60 par an ,il y a 20,800 fr. à répartir entre les 40 blessés , soit 520 fr. applicables à chaque sinistre. Dans le cas où tout le capital ne serait pas dépensé , le reste serait versé dans la Caisse des dépôts et consignations, et les intérêts serviraient à constituer des rentes au profit des ouvriers blessés ou guéris, mais restés infirmes. Il ya plus de 280,000 ouvriers dans notre département. On comprend la ressource qu'offrirait une pareille asso— ciation, si elle était patronnée par le Gouvernement, ou si celui-ci en prenait l'initiative et en faisait une obligation pour les patrons occupant des ouvriers, soit à gages, soit à la journée. Les détails précédents suffisent pour faire apprécier l'im- portance de l'institution dont M. Lemoine a eu la pensée. Après avoir entendu le rapport sur l'exposé des motifs à l'appui d'une demande d'autorisation formulée par cet industriel pour instituer à Rouen une assurance mutuelle contre les accidents graves qui frappent les ouvriers en général, et en particulier ceux des fabriques , l'Académie CLASSE DES SCIENCES. 85 approuve la pensée de M. Lemoine de fonder cette assu- rance mutuelle pour le département de la Seine-[nfé- rieure. C'est encore des classes laborieuses de la Société , pour ainsi dire, que l’un des membres les plus actifs de l'Aca- démie, M. Ballin, s’est préoccupé dans les deux commu- nications qu'il nous a faites sur les Monts-de-Piété. Le tableau décennal qu'il publie chaque année, en sa qua- lité de directeur du Mont-de-Piété de Rouen, présente, avec une grande clarté, des renseignements qui méritent de fixer l'attention des amateurs de statistique. On y re- marque , dès les premières colonnes que , malgré la cherté des subsistances, les engagements ont été moins nom- breux en 1855 que pendant l'année précédente , bien que les prêts se soient élevés à une somme un peu plus forte. Les dégagements , au contraire , ont été plus considérables en nombre et en somme. M. Ballin conclut de ces deux circonstances que la situation des emprunteurs est restée à peu près la même. Voici, au surplus, les résultats que fournit le tableau pour 1855 : Engagements.. 93,9%#1 articles pour 1,147,094 fr. Dégagements... 62,927 — 638,221 Si l’on considère les prêts séparés par séries , on recon- naît que l'augmentation des engagements, qui s'est fait sentir pendant les deux dernières années , s’est portée prin- cipalement sur les prêts de 5. à 30 francs, tandis que les autres ont peu varié ; ceux qui dépassent 500 fr. sont tou- jours en petit nombre ; en 1855 , il n'y en a eu que onze, dont le plus important n'était encore que de 855 fr. M. Ballin a inséré pour la première fois, dans son tableau, les prix du pain et de la viande, Ce nouvel élément de dis- Opérations du Mont de-Piété, par M_ Ballin. Tableau comparatif des opérations des Monts-de-Piété de Rouen, du Havre et de Paris, par M. Ballin. Statistique du commerce de Rouen. 86 ACADÉMIE DE ROUEN. cussion appuie l'opinion que notre confrère avait déjà émise précédemment, à savoir que la cherté des deux denrées de première nécessité n’a presque pas d'influence sur les opérations du Mont-de-Piété, puisque le pain et la viande ayant augmenté de prix en 1855, les engagements ont cependant été moins nombreux, et les dégagements , au contraire , plus nombreux qu’en 185%. L'auteur du tableau saisit cette occasion pour réfuter le vœu émis par M. le président de la Société de la morale chrétienne , dans le cahier d'octobre 1855 du journal de cette Société. Cet économiste demande que le prét gratuit soit établi dans tousles Monts-de-Piété , ainsi qu'il l'est dans 3 ou 4 villes de France. Notre confrère pense, avec toute l'autorité que lui donnesa longue expérience de la matière, qu'il n'est ni possible ni même désirable de généraliser l'institution des prêts gratuits. Enfin, pour terminer ici ce qui à trait à la question si grave des Monts-de-Piété, je consignerai que M. Ballin nous a présenté ultérieurement, avec un rapport détaillé , un tableau comparatif des opérations des Monts-de- piété de Rouen, du Havre et de Paris, de 1828 à 1855 inclusive- ment. — L'Académieayant jugé cette communication assez intéressante pour la faire imprimer dans le Précis de cette année , il deviendrait superflu d'en parler plus au long. Le même membre nous a rendu compte de la Statistique du commerce de Rouen, publiée par la Chambre de com- merce , pour les années 1852 à 1854. Il résulte de cet important document que, pendant ces trois années , le mouvement de notre port a été en décrois- sant, mais que cependant la moyenne des entrées est encore supérieure aux nombres de 1851. Si l'on se reporte à trois années en arrière, on recon- CLASSE DES SCIENCES. 87 nait que le tonnage des navires a été porté, en moyenne, de 83 à 88 lonneaux, ce qui est un avantage évident qu'on peut attribaer à l'amélioration du cours de la Basse-Seine, et qui paraît être d’un heureux augure pour l'avenir. Les transports par eau, de Rouen à Paris, sont restés à peu près stationnaires depuis #ans, tandis que les transports par chemins de fer sont presque triplés. L’exportation des tissus de coton à peu varié, mais celle des tissus de laine est remarquable par sa progression ; depuis 1851, elle s'est augmentée de près de moitié en sus. C'est un résultat très satisfaisant qui prouve que cette in- dustrie est en progrès. Si ceux qui l'exercent continuent à faire entendre des doléances, on doit en conclure, non pas que les bénéfices généraux vont en décroissant , mais qu'ils sont répartis entre un plus grand nombre de travailleurs dont la concurrence amoindrit nécessairement les profits individuels. Un savant américain, M. Lennox, de Philadelphie, à fait hommage à l’Académie de sa traduction en anglais de l'ouvrage hollandais du voyageur David Peterson de Vries, mestre-de-camp d'artillerie de la Frise occidentale. Cet ouvrage de Peterson de Vries est un des livres les plus rares qui existent. Sa traduction anglaise est elle- même une rareté bibliographique, puisque le volume en- voyé d'Amérique n'a été tiré qu'à 250 exemplaires, et il n'est pas du nombre de ceux qu'on réimprime. M de Caze a bien voulu nous en donner une analyse détaillée, Dans deux rapports successifs, il nous a fait con- naître les trois voyages que fit de Vries en Amérique. Le premier fut exécuté en 1632, époque à laquelle les Hollan- dais possédaient des colonies devenues depuis la proie de l'Angleterre. La narration du pêcheur de baleines donne de curieux renseignements sur la lutte entre la Hollande et VOYAGES. Ouvrage de Peterson de Vries. — Rapport par M. de Caze. BIOGRAPHIE. Notice de M. de Caze sur James Smithson. 83 ACADÉMIE DE ROUEN. l'Angleterre, lutte déloyale et injuste qui n'eut d'autre cause que la passion d'envahir et d'autre légitimation que le droit du plus fort. Le deuxième voyage du navigateur de Vries aux côtes de la Guyane eut lieu en 163%, et son troisième voyage à l'ile des Etats, en 1640. Le livre du marin hollandais signale les causes qui firent échouer les tentatives de colonisation essayées par la Compagnie d'Amsterdam ; ce furent surtout l'ignorance, l'impéritie et l’inhumanité des chefs auxquels cette Compagnie confia ses intérêts. De Vries rentra dans ses foyers le 21 juin 16%%. La traduction de M. Lennox a été éditée avec un grand luxe. L'exemplaire dont l'auteur a fait don à l'Académie devient une des curiosités littéraires de nos archives. M. de Caze, rapporteur habituel des importantes publi cations de l'Institution smithsonnienne, a pensé que l'Aca- démie entendrait avec intérêt des renseignements sur la naissance, la vie, la position sociale, l'éducation et la fortune de cet Anglais généreux qui, en 1826, et sous la seule condi- tion de donner son nom à l'institution qu'il voulait fonder pour augmenter et répandre les connaissances humaines, lé- gua aux Etats-Unis une somme de cent mille livres sterling (deux millions et demi de notre monnaie). A l'aide de docu- ments épars, consistant en quelques lettres et notes, M de Caze est parvenu à composer une étude biogra- phique fort curieuse de James Smithson. Nous allons la reproduire en majeure partie, car cet homme ; par ses actes, appartient maintenant à toutes les nations civi- lisées : « James Smithson avait des prétentions à être de haute naissance, et il avait raison, en effet, si l’on considère le nom et le rang de ses père et mère. De fait, cependant, sa naissance était illégitime, car il était fils naturel du due de CLASSE DES SCIENCES. 89 Northumberland, un des plus riches et des plus puissants seigneurs de l'Angleterre, aïeul de celui qui figura avec tant de faste au sacre de Charles X, et de Elisabeth Hanger- ford, nièce du duc de Sommerset. On conçoit qu'avec des parents de cefte volée, son éducation dut être très soignée et sa fortune à venir assurée sur une large base. On ne connaît pas au juste l’année de sa naissance, mais on présume qu’elle eut lieu en 1770 car on le voit, en 1786, prendre honorablement ses degrés à l'Université d'Oxford où il était connu alors sous les noms de James Lewis Macie, nom du mari de sa mère. Mais peu de temps après avoir quitté l'Université, il prit le nom James Smithson qu'il conserva toujours et dont il a signé son testament. « D'une santé délicate, il ne fixa point sa résidence dans son pays, et voulut se fortifier par de longs voyages sur le continent. À Londres, il ne vivait qu'en hôtel garni, etil passait souvent un ou deux ans de suite sur divers points de l'Europe, habitant successivement Paris, Berlin, Florence et Gênes où il a terminé sa carrière en 1829. La pension considérable que lui faisait le duc de Northumberland, jointe à des goûts simples et modestes, lui a permis d’accumuler ses capitaux qui viennent de passer aux Etats-Unis. « On s'est demandé si ses penchants personnels ou ses opinions politiques avaient été le mobile qui l'avaient porté à confier aux États-Unis sa fortune et la réalisation de ses vuesphilanthropiques. Mais on à su queses opinions, autant qu'on pouvait les connaître, étaient plutôt favorables aux principes monarchiques qu'aux institutions populaires. Da reste, s’occupant peu des questions de gouvernement, dési- reux de se faire un nom par lui-même, dévoué aux sciences el particulièrement à la chimie, ce goût le mit en relations avec Cavendish, Wollaston et autres célébrités de la Société royale de Londres dont il était membre et dant les archives renferment plusieurs de ses mémoires. 90 ACADÉMIE DE ROUEN. « Il se lia également, dans ses voyages sur le continent, avec les plus éminents chimistes de France, d'Italie et d'Allemagne Son goût et ses talents pour la chimie étaient déjà connus dès son séjour à l'Université. Ami de Wollas- ton, il rivalisait avec lui pour les manipulations et l'analyse des petites quantités. On rapporte que, voyant une larme sur la joue d’une dame, James Smithson la recueillit dans un petit godet de cristal duquel une partie s’échappa ; l'autre part fut néanmoins soumise à des réactifs au moyen desquels Smithson y découvrit, outre du chlorure de so- dium, trois ou quatre autres sels en dissolution. « On a de lui une trentaine de mémoires parmi lesquels on en distingue un sur la découverte d’un minium natif, un autre sur la composition de la zéolite, un troisième sur une substance organique tirée de l'orme, appelée wlmine, un travail sur les tabasheers ou concrétions qui se forment dans les entre-nœuds des tiges des bambous de l'Inde. « Homme de mœurs douces, disposé à la retraite, sa- chant partout conquérir l'estime et la considération que lui méritaient ses talents, sensible et orné de toutes les qua- lités qui forment le véritable gentleman anglais, Smithson ne se maria cependant jamais. Ambitieux de s’illustrer, il voulut que ce fut par ses travaux ou par quelque grande fondation destinée à propager les sciences. Il y aura certai- nement réussi par ce dernier moyen. On lui a entendu dire que, quoique le meilleur sang de l'Angleterre coulât dans ses veines, il ne voulait point s'en prévaloir, mais qu'il désirait que son nom püt vivre dans la mémoire des hommes, lors même que les noms des Northumberland et des Percy seraient oubliés ou éteints. « Cosmopolite dans ses vues, l'homme de science, selon lui, n’est d'aucun pays, le monde est sa patrie, et tous les hommes sont ses compatriotes. Il avait d'abord pensé à laisser sa fortune à la Société royale de Londres, CLASSE DES SCIENCES. 91 Mais par suite d’une mésintelligence avec le conseil, il changea d'avis, fitun testament quieninvestitles Etats-Unis, et fonda l'institution qui porte aujourd'hui son nom. » L'Académie a appris avec, infiniment de satisfaction que, dans sa session de 4855, le Conseil général de l'Hérault, se rendant au vœu émis par le Conseil d'arrondissement de Montpellier, a décidé qu'un monument en l'honneur d'Edouard Adam sera élevé sur l’une des places de Mont - pellier. Dans sa séance du 23 novembre dernier, l'Académie, sur la proposition de M. J. Girardin, a décidé qu'une adresse serait envoyée par elle au Conseil général de l'Hérault. Voici les termes qui ont été arrêtés : « L'Académie impériale des sciences, belles-lettres et « arts de Rouen a vu avec bonheur la délibération prise « par le Conseil général de l'Hérault, en faveur de la « mémoire d'un enfant de la ville de Rouen, et elle s'em- « pressera d’user de tous les moyens d'action dont elle « peut disposer pour aider, dans la limite de ses forces, &à l’active et reconnaissante initiative des populations du « Midi. » Edouard Adam est mort trop jeune à la peine pour voir la réhabilitation du génie inventeur, pour recueillir quelques-uns de ces honnenrs que notre temps décerne aux découvertes fécondes. Son admirable invention de la distillation continue des vins a doté la France d’une source inépuisable de richesses, et le principe sur lequel est fondé son procédé a reçu depuis lui, dans un grand nombre d'industries, d’utiles apphcations Quand nous parlons d’une source de richesses ouverte au monde entier par le génie de quelques hommes privi- légiés, nous n’employons certes pas une vaine figure de rhétorique , car, on ne saurait trop le redire, la seule Adresse au Conseil général de l'Hérault au sujet d'Édouard Adam. NÉCROLOGIE. 92 ACADÉMIE DE ROUEN. richesse réelle d’une nation est dans son travail, et le génie inventeur , en décuplant le produit du travail , décuple la richesse, et, avec elle, le bien-être physique et moral des Sociétés. Ces mines d'or et d'argent, qui frappent si vive- ment l'imagination populaire, sont , à les considérer à un point de vue positif, bien insignifiantes auprès de ces découvertes qui passent si souvent ignorées ; ilm'est, en effet, permis de dire, après un ingénieux économiste , J.-B. Say, qu’elles produisent bien moins que la richesse qui résulte du travail d'une seule corporation d'ouvriers , celle des cordonniers, par exemple. C'est donc avec raison que nos populations, au mo- ment où elles se sentent entrainées par les progrès de notre époque vers des destinées inconnues, jettent un regard reconnaissant vers le passé et glorifient les noms de tous ceux qui, pionniers infatigables, mais trop souvent mé- connus , leur ont ouvert la voie. En rendant un publie hommage à la mémoire d'Edouard Adam, et en continuant ainsi, d'une manière plus écla- tante, l’œuvre de réhabilitation commencée par la ville de Rouen à mon instigation (1).les deux Conseils de l'Hé- rault vont accomplir un acte juste et moral dont la pensée les honore, et tous les hommes de cœur s'empresseront , comme l'Académie, d’applaudir à cette pensée. C’est par de tels actes qu'on entretient l'émulation , qu'on provoque les belles et grandes actions, qu'on maintient la société française à la tête des nations civilisées. Puisque nous en sommes sur le chapitre des hommes (1) Voir ma Wotice biographique sur Edouard Adam, publiée en 1837 dans la Revue de Rouen, et en brochure éditée par Le Grand. Une seconde édition a été publiée cette année (1856) par les soins de Ja famille d’Edouard Adam, — Br.in-8 av. pl. ; Péron, imp. CLASSE DES SCIENCES. 93 utiles que nous avons perdus , payons un tribut de regrets bien mérités aux trois confrères de la classe des sciences que la mort nous a enlevés dans le courant de cette année académique. L'un, M. Destigny, figurait parmi nos mem- bres honoraires ; le second , M. Prévost, était, depuis longtemps, devenu correspondant par suite de son éloi- gnement de la ville; le troisième , M. Mérielle, comptait à peine quelques années de stage parmi nous. Cette triple mort a répandu la douleur au sein de la Compagnie. Pierre-Daniel Desriexy, né à Sannerville , près Troarn (Calvados), le 17 juillet 1770 , fit son apprentissage d'hor- loger à la manufacture royale fondée, vers 1787, à Paris, dans le faubourg du Temple, par une société de sou- scripteurs. Il vint s'établir à Rouen en 1798. Homme d'étude avant tout, très amoureux de sa profession qui est si intimement liée aux sciences mathématiques et physiques, il chercha plutôt à faire de l’art que du commerce, et il s'occupa presque constamment de perfectionnements à apporter aux instruments destinés à mesurer le temps. Son premier travail scientifique , soumis à l'Académie en 1813 (1), avait pour but principal de faire connaître un compensateur métallique pouvant servir pour toute espèce de petits balanciers. Cette invention obtint l'appro- bation de l'Académie, et lui valut une médaille de la Société libre d'Emulation, qui ne tarda pas à se l’associer en 181% en qualité de membre résidant. En 1818, il construisit, pour les montres délicates et soignées, un système de compensation par le spiral , dis- posé de manière à ce qu'on puisse en augmenter ou dimi- (1) Perfectionnement des pendules ordinaires pour l'usage civèl.— Précis de l’Académie pour 1813, p. 11. M. Destigny. 9% ACADEMIE DE ROUEN. nuer l'effet à volonté avec une grande facilité. Dans son mémoire, adressé à l'Académie, M Destigny déclarait avec une noble franchise qu'il était redevable de cette idée à un habile mécanicien de Louviers; mais, dit le rapporteur de l'Académie, M. Destigny a le mérite de l'avoir bien exécutée, et de partager en quelque sorte la gloire de l'invention en lui prêtant le secours de son talent (1). I obtint, pour ce compensateur, une médaille à l'exposition des produits l'industrie , en 1819 ; le célèbre Bréguet était membre du Comité d'examen. Ces travaux et ces distinctions flatteuses ouvrirent les portes de l’Académie au savant horloger, le 17 décem- bre 1819. Il y fit son entrée par un très intéressant dis- cours sur l’origine et les progrès de l'horlogerie (2). M. Destigny fut le premier à comprendre toute la portée d'une découverte de Pecqueur , alors. chef des ateliers du Conservatoire des arts et métiers, et il en fit l’objet d'un mémoire quil présenta à l'Académie en 1821 (3). Cette découverte consiste dans une méthode des plus ingénieuses au moyen de laquelle il est facile de calculer et de dis- poser un rouage pour obtenir qu'un de ses mobiles fasse , dans un temps donné, une révolution exacte, quelque fractionnaire qu'on le suppose. La solution de ce problème avait été jusqu'alors un écueil devant lequel avaient échoué les recherches des savants les plus distingués. Pour mieux faire comprendre la belle invention de Pecqueur, notre (1) Moyen de compensation employé dans les montres. — Précis de l’Académie pour 1819, p. 23. (2) Tableau historique de l'origine et des progrès de l'art de mesurer le temps, ou de l'horlogerie. — Ibid. pour 1820, p. 9. (3) Mémoire sur une invention de M. Pecqueur.— Précis de PAcadémie pour 1921, p. 18. CLASSE DES SCIENCES. 95 confrère confectionna un rouage de cette espèce, puis quelque temps après, il en fit l'application aux montres et aux pendules afin d'en régler plus sûrement la marche (1). Dans un mémoire que l'Acâdémie inséra dans ses actes (2), il fit connaître un instrument qu'il nomma régulateur d'horloge parce qu'il exécute seul, avec précision , l'opération qu’on lui confie, et qui repose encore sur la méthode de Pecqueur. C'était une nouvelle preuve de cet esprit sagace que notre confrère employait si heureusement au perfectionnement de son art. En 1826, il fut le premier , avant même que la question füt soulevée à Paris, à signaler les avantages qu'il y aurait à faire marquer aux horloges publiques le temps moyen, et non le temps vrai dont les divisions inégales d’une saison à l’autre entraînent des inconvénients. Il donna, en même temps, le modèle d'une table d'équation du temps moyen avec le temps vrai, qu'il proposa de placer auprès de toutes les horloges (3). Cette idée fut adoptée par l'Aca- démie, et, à sa demande, l'autorité municipale pres- crivit de régler toutes les horloges de la ville sur Je temps moyen; elle fit également placer la table d’équation au pied de la méridienne du jardin de Saint-Ouen. Revenant, 16 ans après, sur la même question, M. Des- tigny fit remarquer à l'Académie qu'il existe encore une irrégularité daus la mesure du temps par les horloges de notre ville, en ce qu'elles ne sont pas réglées uniformé- (1) Notice sur une application de la méthode de Pecqueur. — Ibid. pour 1824, p. 22. (2) Notice sur un instrument destine à régler les pendules. — Précis de l’Académie pour 1825, p. 181. (3) Réflexions sur la mesure du temps. — Ibid. pour 1826, p. 37. 06 ACADÉMIE DE ROUEN. ment. Il fit sentir tous les inconvénients qui en résultent, et la Compagnie s’empressa de donner son assentiment aux moyens qu'il se proposait d'indiquer à l'autorité pour faire disparaître cette irrégularité (1). Lié d'amitié avec l'architecte Alavoine et prenant une part très active aux recherches que cet habile constructeur - ne cessait de faire pour neutraliser les causes de destruc- tion qu'entraine l'emploi du fer sous forme d’entraits ou de tirants , M. Destigny se vit peu à peu conduit à déter- miner l'extension et la contraction que les pierres éprou- vent par les variations de la température. Il imagina, pour résoudre cette question, un pyromètre métallique telle- ment sensible qu'il permet d'observer à l'œil nu des va- riations de longueur de 1/#,000° de millimètre. A l'aide de cet instrument, il a pu établir la dilatation absolue des pierres de Vernon et de Saint-Leu , de trois marbres diffé- rents, du cuivre et du fer (2). Quatorze ans plus tard, il détermina la dilatation de la pierre de Volvic, celle du bismuth et de l’alliage fusible de Darcet, en signalant de plus la propriété particulière à cet alliage de prendre de l'extension pendant plus de 3 jours après avoir été en fusion (3). Ces recherches neuves ont rendu un important service aux arts en général, et particulièrement à l'archi- tecture. Dans les nombreux rapports que M. Destigny présenta tant à l'Académie qu'à la Société d'Emulation (4), on (1) Précis de l'Académie pour 1842, p. 19. (2) Notice sur la dilatation de la pierre. — Séance publique de la Société libre d'Emulation, du 6 juin 1828, p. 130. (3) Précis de l'Académie pour 1842, p. 19. 4) Voici l'indication des principaux rapports rédigés par M, Des- CLASSE DES SCIENCES. 97 remarque le même esprit de méthode , la même sûreté de jugement , la même profondeur de connaissances que dans les ouvrages originaux dont il vient d’être question. Les discours qu'il a prononcés en 1829 et en 1834, en qualité de président de la Société d'Emalation, celui qu'il prononça le jour de l'inauguration de la statue du grand Corneille (1), 1821. Rapport sur le système de compensation des effets de la tem- pérature sur les horloges, par M. Noriet, de Tours. — Société libre d’Emul. , séance publ. du 9 juin 1821, p. ff. 1823. Rapport sur le manuel chronométrique de M. Antide Jan- vier. — Précis de l’Académie pour 1823, p. 13. Rapport sur l'ouvrage de M. À. Janvier, intitulé : Des revo- lutions des corps célestes par le mécanisme des rouages. — Ibid. pour 1823, p. 13. 1826. Rapport sur un discours de M. A. Janvier, intitulé : Du pouvoir des sciences sur le bonheur des hommes.— Société libre d'Emul., séance publique du 9 juin 1826, p.22. 1827. Rapport au nom d'une commission sur les mémoires envoyés au concours. — Sur les huiles à employer en horlogerie. — Société libre d’'Emul., séance publique du 9 juin 1827, p.81. Rapport sur les considérations sur le temps vrai et le temps moyen, par M. l'abbc Gossier. — Précis de l'Académie pour 1827, p. 19. 1829. Rapport sur l'Ecole centrale des arts et manufuctures, établie à Paris.— Ibid. pour 1829, p. 29. 1830. Rapport sur une méridienne mobile donnant chaque jour , sans réduction, le midi moyen sur une ligne droite , in- ventée par MM. C. Frisard et E. Barthelemy. — Société libre d’Emulation, séance publique du 6 juin 1830, p. 139. 1833. Rapport sur le manuel de l'horloger de M. Le Normand. — Ibid. , p. 27. 1837. Rapport sur les cours publics et gratuits professés au nom de la Société d' Emulation. — Ibid., p. 195. Rapport sur la situation du forage artésien entrepris à Saint- Sever. — Précis de l’Académie pour 1837, p. 31. (1) Séance publique dela Société libre d'Emulation, du 6 juin 1535. et Précis historique sur la statue de Pierre Corneille, par À. De- ville. — 1838, 1 vol. in-8, p. 83. 1 98 ACADÉMIE DE ROUEN. la notice nécrologique sur Antide Janvier qu'il composa pour l'Académie (1), montrent suffisamment qu'il savait écrire avec cette simplicité de bon goût qui n’est pas, sans doute, de l'éloquence , mais qui s’en rapproche beaucoup. La grande activité de notre vénérable confrère , ses sen- timents généreux, son besoin d’être utile à son pays d'adop- tion, lui firent accepter bien des fonctions gratuites dont il sut toujours s'acquitter avec un zèle et une intelligence remarquables. Ainsi il fut un des fondateurs de la Caisse d'épargnes, président du Comité des salles d'asile, tant que ces établissements furent entretenus au moyen de souscriptions, adjoint au maire de Rouen pendant près de 7 ans (de 1830 à 1837), trésorier, pendant de longues années, de la Société d'Emulation. C’est en prenant la pré- sidence de cette Compagnie, en 1828, qu'il eut l'heureuse pensée de reproduire un projet, déjà formulé en 1802, d'élever une statue à Pierre Corneille. Sa proposition fut accueillie avec enthousiasme ; il s'oceupa dès lors très acti- vement , tant comme président que comme trésorier du Comité de souscription, de tout ce qui avait rapport à ce projet qu’il eut l'honneur de conduire à bonne fin (2). M. Destigny, plus occupé des autres que de lui-même , avait négligé peu à peu ses intérêts commerciaux. L'hono- rable maire de Rouen, M. H. Barbet, se fit un devoir, lorsque son adjoint cessa tout-à-fait les affaires, de lui con- fier le soin d'organiser le service des abattoirs à Sotteville. C'était un poste de confiance qui suscita bien des travaux et des ennuis au nouveau directeur ; mais son ardeur juvé- nile ne s'était pas encore éteinte, et pendant plusieurs (1) Wotice nécrologique sur Antide Janvier. — Précis de l'Aca- démie pour 1837, p. 97. (2) Voir le Précis historique de M. Deville, déjà cité. CLASSE DES SCIENCES. 99 années il justifia, par son activité et par l’habile direction qu'il sut imprimer à l'administration de cet établissement ; le choix qu'on avait fait de lui. Les événements de 1848, en le rendant au repos dont il commençait à avoir grand besoin , il avait alors 78 ans, firent renaître en son cœur le souvenir dela terre natale. Il se retira donc au berceau de sa Jeunesse, entouré de ses enfants dont il était l'idole. C’est là qu'il est mort à l'âge de 85 ans, le 18 septembre 1855. D'une constitution robuste, il n'avait aucune des infirmités qui sont trop souvent les compagnes de la vieillesse, avantage qu'il devait probable- ment à son genre de vie sobre et régulier en tout temps. Ce qui prouve combien son esprit était encore vigou- reux et sain, c'est qu'en 1852 il fit imprimer un mémoire in-quarto, hérissé de chiffres , à l'usage des horlogers (1) : dernier service rendu à l’art que M. Destigny avait prati- qué avec passion, et nous pouvons ajouter, sans aucune exagération, avec un grand éclat. En quittant Rouen, le respectable vieillard avait prié l'Académie de lui conférer le titre de correspondant. La Compagnie, reconnaissante de tout ce qu'il avait fait en faveur des sciences, de l'instruction élémentaire et des beaux-arts pendant les 50 années qu'il séjourna dans notre ville, lui décerna spontanément le titre de membre honoraire. (1) Voici le titre de ce dernier travail : Table indiquant la longueur que doit avoir un pendule simple, dans le vide, à la température de la glace fondante , à la latitude et à la hauteur de l'Observatoire de Paris, pour faire en une heure ur nombre d'oscillations donné, ayant pris pour base la longueur du pendule à secondes fixée par Borda.— Broch. in-4, 1859. Caen, imprimerie de Laporte et C®°, M. Prévost. 100 ACADÉMIE DE ROUEN. Nicolas-Joseph Prévost, né à Rouen le 27 septembre 1787, est mort le 24 septembre 1855, à la suite d’une pa- ralysie dont la première attaque eut lieu au commence- ment de juillet de la même année. A voir cette vigueur de santé , cette activité juvénile qui caractérisaient cet homme éminent dans son art, en connaissant ses habitudes sobres et sévères, personne n'aurait pu supposer qu'en quelques mois une nature si richement douée se trouverait anéantie ! Il est mort véritablement comme le soldat au champ d'honneur , puisque, déjà atteint par la maladie, il eut encore assez d'énergie pour terminer le cours d’arboricul- ture qu'il professait au Jardin-des-Plantes. Le sentiment du devoir dominait tellement chez lui qu'il y puisa les forces nécessaires pour maîtriser pendant quelques semaines le mal qui devait l'emporter. Cette noble fin a dignement couronné une vie qui n'a été qu'une suite d'actes honorables, de durs travaux et de ser- vices rendus à la Société. Né dans une position modeste, destiné comme son père , simple jardinier bourgeois, aux rudes labeurs du jardinage, M. Prévost s'est élevé peu à peu, par une volonté ferme et une louable ambition, jusqu'aux fonctions du professorat, etil a su inscrire son nom parmi ceux des horticulteurs et des agronomes les plus distingués. Des écrits sur la physiologie végétale (1), la botanique (1) Mémoire sur les ulcères des pommiers. — Société centrale d'Agriculture de la Seine-Inférieure, t. 1, p. 17. Mémoire sur l'ébourgeonnement du melon. — Ibid.,t. 1, p. 52. Mémoire sur une nouselle sorte de greffe, dite greffe en cou- ronne entre les deux sèves. — Ibid., t. 1, p. 245. Quelques observations dont le résultat peut concourir à l'éclair- cissement de plusieurs points de physiologie végétale, — Ibid., séance publique de 1521, p. 29. Sur un nouveau phénomène que vient de produire le Cytise- CLASSE DES SCIENCES. 101 rurale (1), la floriculture (2), l'arboriculture (3), l'art des jardins (4), lui ont mérité des distinctions flatteuses de la part des Sociétés savantes de Paris et de la province. L'Académie se l'était attaché, dès 182%, en qualité de Adam.— Société centrale d’horticulture de la Seine-Inférieure , allo rate Observations sur la greffe en fente. — 1bid., t. 1, p. 207. Quelques réflexions sur un article de M. Pavie : Mise à fruit des arbres par la greffe LUISET .— Cercle pratique d'Horticulture de la Seine-Inférieure , t. V, p. 187. Observations sur quelques points controversés du système orga- nique et physiologique des végétaux.— Académie des sciences de Rouen, précis de 1850, p. 126. Histoire et importance de la greffe JAnD. — Discours d’ouver- ture de la séance générale du Cercle pratique d’Horticulture, en 1859 LIN UD. 4 (1) Note sur le mürier d'Italie à fruit rose. — Académie de Rouen, précis de 1833, p. 92. Note sur le chou-arbre de Laponie. — Société centrale d’Agri- culture, t. VI, p. 53. Aote sur le pois à gousses violettes. — Société centrale d'Horti- culture, t. 1, p. 44. Observations sur les caractères dictinctifs, d'après les bota- nistes, des tulipa sylvestris, oculus solis et gesneriana.—- Cercle pratique d’Horticulture, t. IL, p. 61. Note sur les qualités alimentaires de la tulipe sauvage. — 1bid., t. III, p. 80. Note sur un maclura aurantiaca femelle. — \bid., t. IV, p. 31. Examen du projet de création d'une école publique de culture maraichère au Jardin-des-Plantes de Rouen.— 1bid. t. V, p. 177. Note sur plusieurs espèces de bois exotiques employés dans les arts. —1bid.,;-t.VI; p.131. De la nécessité de constater l'origine des végétaux nouveaux dans les localités où ils ont pris naissance. — Société centrale d’'Aorticulture, t. III, p. 398. Considérations sur le désaccord existant entre la nomenclature des végétaux de Linnée et les règles fondamentales de la bota- nique établies par ce célèbre professeur, ainsi que sur la nécessité 102 ACADÉMIE DE ROUEN. membre résidant, et lorsqu'en 1838, par suite de son éloignement de la ville et de l'accroissement de ses occu- pations , il crut devoir résigner ses fonctions, l'Académie lui donna une preuve de son attachement et de son estime, nettes de réformer l'abus du morcellement des genres et l'emploi des nomenclatures défectueuses.-- Discours d'ouverture de la séance générale du Cercle pratique d'Horticulture, en 1854,t. X, p.59. (2) Sur une variéte} de RUBUS FRUTICOSUS, dite ronce à fleur rose double. — Société centrale d'Horticulture, t.1, p. 32. Plantes d'ornement. — 1bid., t. 1, p. 268. Note sur la rose dite AUGUSTA DE SÉGUR. — Ibid.,t. 11, p. 336. Note sur le CANTUA PICTA. — Cercle pratique d'Horticulture , t.1; p.103: Note sur quelques végétaux nouveaux ou très remarquables. — Aide; t-151p: 193 Note sur un CLIANTHUS PUNICEUS.— lbid., t. Il, p. 61. Sur le mérite réel de deux nouvelles variétés de lilas. — Ibid. , t. Il, p. 68. Sur le pécher d'Ispahan à fleurs doubles. — \bid., t. I, p. 73. Note sur deux plantes ornementales appartenant au genre PaLomis.— Ibid. ,t. IV, p. 79. (3) Mémoire sur l'éducation et la culture du pommier dans les environs de Houen. — Académie des sciences de Rouen, précis de 1822, p. 22. Réflexions sur un mémoire de l'Encyclopédie anglaise ayant pour objet l'éducation , La culture, la conservation des pommiers à cidre. — Société centrale d'Agriculture, t. V, p. 283. Sur les pommiers américains —Examen des théories de Van Mons. — Ibid. , t. VIIT, p. 19. Des arbres fruitiers. — Société centrale d'Horticult., t: 1, p. 39. Rapport sur la commission de Pomologie. — 1bid.,t.1, p. 247. Note sur 1m semis de MALUS MICROCARPA. — Ibid. ,t. 11, p. 50. Exposé sommaire des travaux à faire pendant chaque mois de l'année dans les pépinières, les vergers et les jardins fruitiers. — Jbid®,°t. 1, p'06 Des inconcénients qui peuvent résulter de la tran splantation des CLASSE DES SCIENCES. 103 en fui décernant le titre de membre correspondant. La Société centrale d'agriculture du département s'empressa de se l’associer en 1820, peu de temps après la reprise de ses travaux, et en 1833, elle en fit son vice-président ; végétaux, immédiatement après les grands froids. — Ibid., t. 1, p- 216 Examen de l'ouvrage de l'abbé Legendre : LA MANIÈRE DE CULTIVER LES ARBRES FRUITIERS. — Discours d'ouverture à la séance générale du Cercle pratique d’Hort., en 1848, t. IV, p. 2. Origine et description du poirier Vauquelin. — Cercle pratique d'Horticulture , t. IV, p. 36. Note sur quelques arbres, la plupart exotiques, très remar- quables par leurs grandes dimensions. — 1bid. t. IV, p. 150. Note sur l'abricotier du pape. — Ibid., t* VI, p. 117. Notice sur les semis de poiriers à fruits de table, et sur deux variétés obtenues de semis, à Rouen, par M. Alph. Dubreuil. — Ibid. , t. VII, p. 149. De la nécessité de constater l’origine des bons fruits, et du peu de soin qu'on prend en France de cette partie de leur histoire. — Discours d'ouverture de la séance générale du Cercle, en 1852, t. VII, p. 2. Observations pratiques sur l'emploi des fragments de bois de sureau et du fil de fer pour ligaturer la greffe Jard. — 1bid., t.IX, p. 108. Sur l'Ecole d'arboriculture de la ville de Rouen. — Discours d'ouverture à la séance généra'e du Cercle, en 1855, t. XI, p. 5. (4) Sur les progrès du jardinage jusqu'à nos jours. — Discours de réception à l’Académie des sciences de Rouen, en 1824, précis de 1824, p. 36. Observations critiques sur l'article de sir Walter-Scott SUR LES JARDINS ET LES PLANTATIONS PITTORESQUES. — Société centrale d'Agriculture, t. VI, p. 39. Considérations sur l'origine des jardins en général, sur les dif- férents genres de eeux dits de plaisance ou d'agrément, et sur les règles qui doivent servir de base à leur formation.— Discours d'ouverture à la séance générale du Cercle pratique d'Horticulture, en 18012210. VIS p; 2. 104 ACADEMIE DE ROUEN. mais en 183%, il refusa l'honneur de la présider, Il fut un des fondateurs de la Société centrale d'horticulture de Rouen , en 1836, et jusqu'en 1854, il siégea à son bureau comme vice-président. En 18#%, cette Société lui décer- nait une médaille d'or pour sa collection d'arbres fruitiers. Deux ans auparavant, l'Association Normande, siégeant à Rouen , récompensait ses travaux en horticulture et en arboriculture, par une grande médaille d'argent. Mù par un sentiment philanthropique en faveur des jeunes gens qui se vouent au travail pénible de la terre, M. Prévost à créé pour eux, en 1844, le Cercle pratique d'horticulture et de botanique, qui leur offre les moyens d'agrandir leurs connaissances et de joindre de saines notions théoriques à la pratique manuelle de leur art. Président-né de cette excellente institution , notre confrère n'a rien négligé pour répandre, dans la classe des jar- diniers, le goût des études scientifiques, et il y est par- venu, car aujourd'hui on peut constater avec satisfaction que les jeunes horticulteurs praticiens sont beaucoup plus habiles et plus instruits que leurs devanciers. A une connaissance parfaite de son art, dans les diverses spécialités qu'il embrasse, M. Prévost unissait un profond savoir en histoire naturelle , et il avait acquis, à force d'études solitaires, le talent d'exprimer ses idées avec une clarté et une originalité de style qui donnaient un cachet particulier à ses ouvrages, comme elles en impri- maient un à ses communications verbales. Les leçons d'arboriculture qu'il faisait au Jardin-des-Plantes depuis 1849, où il avait remplacé notre confrère M. Alphonse Dubreuil, celles d'agriculture qu'il donnait à Sainte-Marie au nom de l'Ecole départementale, ont exercé une grande influence sur les progrès de l'horticulture et de l'agricul- ture dans notre département. Les petits livres qu'il a rédigés sur l'éducation et la CLASSE DES SCIENCES. 105 culture du pommier à cidre (1), sur la culture potagère rustique et facile (2\; ses instructions sur la culture du maïs en Normandie, comme plante fourragère (3), sur l'éducation et la culture des arbres fruitiers pyrami- daux (4), sur les diverses espèces de rhubarbes cultivées en France (5) ; ses observations sur les différents insectes qui nuisent aux végétaux (6) ; son instructif Catalogue des (1) Traité pratique de l'éducation et de La culture du pommier à cidre dans les départements de l'anciènne Normandie, et notam - ment dans celui de la Seine-Inférieure, etc. ; publié par le Cercle pratique d’Horticulture et de botanique du département de la Seine-Inférieure. — Broch. in-32. Prix : 40 cent. — Rouen, Mégard. (2) Pelit traité pratique de culture potagère rustique et facile à l'usage de toutes les personnes qui possèdent un peu de terre cultivable autour de leur habitation, publié par le Cercle pratique d'Horticuliture et de botanique du département de la Seine-Infé- rieure. — Broch. in-32. Prix : 40 cent. — Rouen, 1854, St.-Evron. (3) Du maïs ou blé de Turquie, et des avantages qu'on pourrait tirer de sa culture en Normandie comme plante fourragère, article composé pour l’almanach de la Société de Saint-Vincent- de-Paul pour 1851, p. 89. (4) Essai sur l'éducation et la culture des arbres fruitiers pyra- midaux , vulgairement appelés QUENOUILLES , précédé de considé- rations sur les causes qui se sont opposées et qui s'opposent encore au succès de cette culture, dans la plupart des jardins. — Précis de l’Académie des sciences de Rouen pour 1895, p. 55. (3) Des diverses espèces de rhubarbes cultivées en France , consi- dérées sous le rapport de leurs propriétés alimentaires et de l'orne- mentation des jardins, en collaboration avec M. Malbranche. — Bulletin du Cercle pratique d’Horticulture et de botanique, t. VI, p. {21 , avec tigures. (6\ Note sur l'existence du puceron lanigère au sein de la terre, autour des racines des pommiers. — Société centrale d'Agriculture, 19° cahier, p. 24, t. II. Sur le puceron lanigère. — 1bid.,t. VIH, p. 25. Discours d'ouverture prononcé à la séance générale du Cercle pratique d'Horticulture, en 1849 : Sur Les moyens employés Jusqu'à 106 ACADÉMIE DE ROUEN. rosiers (1), dont il possédait l'une des plus nombreuses collections ; l’intéressant Album de pomologie (2), qu'il a composé pour la Société centrale d'horticulture de Rouen ; ses nombreux articles et rapports inscrits dans les recueils de nos Sociétés savantes ; tous ces ouvrages , aussi remar- quables par le fond que par la forme, ont contribué gran- dement aussi, de leur côté, à faire avancer la science culturale, et méritent , à leur auteur , une juste renommée parmi les hommes utiles. M. Prévost avait encore d'autres droits à l'estime publi- que ; il était recommandable autant par l'honorabilité de son caractère, sa loyauté parfaite dans les transactions commerciales, que par la bonté de son cœur et par ses vertus domestiques qui font la joie des pères et le bonheur des enfants. L'unanimité des regrets que sa mort a ins- pirés, est la preuve que ses qualités et ses talents étaient bien connus et justement appréciés. ce jour pour la destruction des hannetons et des mans. — Bulletin du Cercle, t. V, p. 2. Insectes nuisibles. Zeuzère du marronnier.— 1bid. , t. VI, p. 149. De l'emploi de l'essence de térébenthine pour éloigner les insectes, et de son action sur les arbres. — Xbid., t. VII, p. 179. Résultats de l'emploi de l'aloès pour la destruction des insectes qui nuisent aux végétaux. — Xbid., t. X , p. 83. (1) Catalogue descriptif, méthodique et raisonné des espèces , variétés et sous-variètés du genre ROSIER. — Un vol. in-8° de 250 pages. — Rouen , 1829. Supplément au catalogue. Un vol. in-8°. Rouen , 1830. (2) PomoLoGie, publiée par la Société centrale d'Horticulture de la Seine-Inférieure ; sept cahiers in-8° avec figures, formant { vol. in-8° de 222 pages ; les six premiers cahiers ont été entière- ment rédigés par M. Prévost. Cette publication à commencé en 1839. CLASSE DES SCIENCES. 107 Pierre-Hector MériLce , né à Mauny (Seine-Inférieure), le 2% août 1810, était fils d’honnêtes cultivateurs qui ne négligèrent rien pour son éducation. Après avoir terminé ses humanités dans l’un des meilleurs pensionnats de notre ville , il se livra à l'étude de la médecine , dont il reçut les premiers enseignements dans les hôpitaux et l'Ecole pré- paratoire de Rouen. Après avoir passé quatre années, en qualité d’interne , à l'asile des aliénés de Saint-Yon, il quitta Rouen en 1836, pour aller terminer son instruction médicale à Paris. Il en revint muni du diplôme de docteur et pourvu surtout de connaissances solides et variées. Il se livra à la pratique de son art, et quelques années après il fut investi, par arrêté ministériel en date du 28 mars 1847, des fonctions de médecin-adjoint de Saint - Yon, où il avait laissé d'excellents souvenirs Le zèle et les talents qu’il déploya dans cette position, le désignèrent tout naturellement au choix du ministre , lorsque le poste de chef du service de santé de cet établissement devint vacant , par suite de la nomination du docteur Parchappe au titre d’inspecteur général du service des aliénés. C'est le 27 mars 1848 que Mérielle fut placé , quoique bien jeune encore, à la tête d’un des plus beaux hôpitaux de France. Succéder à deux aliénistes aussi éminents que MM. F6- ville et Parchappe, qui, tous deux , avaient été ses maîtres ; c'était une tâche lourde et redoutable. Notre confrère ne fut pas au-dessous de sa position, et dans ses mains le service médical de Saint-Yon fut maintenu à la hauteur où l'avaient porté ses prédécesseurs Cette appréciation a de la valeur quand on sait qu’elle émane de l'habile directeur de l'établissement , le docteur Deboutteville (1) , aliéniste lui- (1) Discours prononcé par M. Deboutterille aux funérailles du docteur Mérielle, M. Mérielle. 108 ACADÉMIE DE ROUEN. même d'une haute distinction. Nous tenons de la bouche du docteur Parchappe , notre beau-frère et ami, que nulle part, en France , le service des aliénés. n'était aussi bien fait qu'à Saint-Yon, et que’Mérielle avait dépassé toutes ses espérances. Voici comment un homme compétent, bien placé pour observer , M. le docteur Védie, médecin-adjoint du même hôpital, s'exprime sur le compte de notre si regrettable confrère : « D'un esprit élevé, d'un caractère conciliant, plein d'aménité dans les manières, d’obligeance et de bonne grâce pour ceux qui s’adressaient à lui, il était d’un com- merce agréable, et l'on ne pouvait le connaître sans l'aimer. « Aussi était-ce l'homme qui convenait le mieux à sa position ; j'en atteste les regrets de ses chères malades de l'asile , dont je me fais l'interprète. Pendant toute la durée de sa longue maladie, j'ai vu à quel point il avait su se faire aimer et à quel point on le regrettait. C'est que Mérielle avait pour elles cette bonté qui gagne le cœur, cette bienveillance qui entraîne la sympathie , cette saga- cité qui lit dans la pensée, cette pénétration qui évite les confidences , cette discrétion qui les garde , cette âme qui sait les recevoir et y compatir, enfin cette générosité du cœur qui, connaissant toutes les douleurs et toutes les misères morales que renferment les asiles, sait trouver le mot qui leur convient, l'idée qui les console et l’expres- sion qui relève le courage abattu... « Aussi avait-il sur toutes cet empire et cette influence indispensables quê donnent toujours les qualités de l'esprit et de l'âme, et savait-il s'attacher par la reconnaissance le souvenir de celles qui, grâce à ses sages conseils, à son expérience, à son habile direction, pouvaient franchir guéries le seuil de cet asile, où elles avaient trouvé tant de bienveillance et de dévoñment. CLASSE DES SCIENCES. 109 « Si j'avais à tracer le portrait du médecin aliéniste , à rechercher les qualités nécessaires à celui qui se consacre à l'étude et au soulagement de cette cruelle maladie, mon modèle serait trouvé : Mérielle les résumait toutes (1) ». La carrière trop courte de M. Mérielle n'offre qu'une série d'actions modestes, de devoirs accomplis avec scru- pule et délicatesse, sans aucun de ces événements qui émeuvent ou étonnent. Fils de ses œuvres, c'est par une continuité d'efforts et d'études solitaires que notre jeune ami s’est élevé peu à peu au poste honorable de médecin en chef d'un grand hôpital, de professeur adjoint à l'Ecole de médecine, de membre du jury médical et de l'Aca- démie. | C'est en 1853 que notre Compagnie l'avait admis à par- tager ses travaux. Il s'était fait connaître d'elle, en 1849, par un travail intéressant sur l'invasion et la marche du choléra dans l’intérieur de l'asile des aliénés, dans le cou- rant de cette même année (2). Son discours de réception roula sur l’une des complications les plus fréquentes de la folie, l'hallucination, envisagée surtout au point de vue de la médication, et dans cette dissertation, écrite avec autant de simplicité que de sage retenue, il révéla toutes les qualités de son cœur, toutes les ressources de son es- prit, toute la prudence d’un praticien consommé (3). Les quelques rapports qu’il rédigea pour l’Académie en 1854 et 1855 lui donnèrent l’occasion de prouver la variété et la solidité de ses connaissances médicales. Les travaux écrits de M. Mérielle n’ont pas été nombreux ; (1) Discours prononcé par M. le docteur Védie aux funérailles de M. Mérielle. (2) Précis de l’Académie pour 1849, p. 24. (3) Ibid. pour 1853,p 23. Nouveaux membres de l'Académie. 110 ACADÉMIE DE ROUEN. le temps lui a manqué ! Mais nous savons que, observateur consciencieux et patient, il amassait avec discernement les matériaux d'un ouvrage sur les maladies mentales. Se défiant trop de lui-même, notre ami hésitait à se mettre en évidence, et cependant il avait toutes les connaissances dont un autre, plus entreprenant et moins modeste, eùt su ürer un brillant parti. M. Mérielle laisse au sein de l'Académie un vide qui ne sera pas comblé de sitôt. On pourra peut-être trouver pour le remplacer un spécialiste aussi instruit, mais jamais on ne fera oublier à ses confrères attristés l’homme de cœur, aux formes convenables et polies, qui attirait la confiance et le respect, qui portait avec lui comme un parfum d'hon- nêteté, de franchise et de distinction. C'est le 30 avril dernier, qu'à la suite d'une fièvre typhoiïde provoquée sans aucun doute par un excès de fatigue dans l'exercice de sa profession, notre jeune con- frère a été enlevé trop prématurément à l'affection de ses malades , à l'estime de ses concitoyens , à l’art médical qu'il honorait, à l’Académie qui s’enorgueillissait de le compter parmi ses membres les plus assidus. Pour combler les vides survenus dans ses rangs, l'Aca- démie s’est associé cette année, En qualité de membres résidants : MM. Lallemant, professeur de sciences physiques au Lycée impérial ; Dumas (Ernest), directeur de la Monnaie de Rouen; Pillon de $aint-Philbert, ancien élève de l'Ecole polytechnique, lauréat de l’Académie en 1855; Et en qualité de membres correspondants : MM. Marcellino et Giuseppe Roda, naturalistes et hortieul- teurs à Turin ; Bigot, chirurgien en chef de l'hospice d'Evreux ; CLASSE DES SCIENCES. 111 MM. Cornaz, médecin et chirurgien en chef de l'hôpital Pourtalès, à Neufchâtel en Suisse ; Leroy d'Etiolles, fils, D.-M , lauréat de l’Académie impériale de médecine ; Mazade, D.-M. à Auduze (Gard ; Mohamed Effendy Charkauy, Egyptien, pharmacien de l'Ecole spéciale de pharmacie de Paris. Je ne terminerai pas cet exposé des actes et des travaux de la classe des sciences de l'Académie, sans signaler l’ac- tivité déployée par MM. de Caze, Malbranche et Duclos, dont les nombreux rapports ont vivement intéressé la Com- pagnie, et sans constater avec satisfaction que bon nombre de ses membres résidants et correspondants ont encore, cette année, payé largement leur dette à la science; tels sont, entre autres : MM. Flourens, Passy (Antoine), Pelouze, de Gasparin, Quetelet, Zantedeschi, Payen, Isidore Pierre, Brière de Boismont, Parchappe, Boutron, Cap, O. Henry, Soubeiran, Guibourt, Cahours, Gobley, Morière, Mouchon, Lecadre, Marchal, Girault, Chevallier, Duchesne, Meurein, Besnou, Marchand, Lepage, d'Hombres Firmas, Boutigny, Cazin, Bourdin, etc. Si nous nous plaisons à enregistrer les noms de tous ces travailleurs, c’est qu’il est glorieux pour l'Académie d'éta- blir que, soit comme corps, soit par ses membres agissant isolément , elle contribue, dans une certaine mesure , à étendre le domaine de la pensée, et à entretenir dans les esprits cette noble émulation qui favorise, provoque les découvertes, d'où résulte l'expansion, des sciences et de l'industrie. —— #6 = —— Diversrapports et publications des membres résidants et correspon- dants. De PT PSC Le CA UEL PAP 7) } CE J SU LT! £a Î DR OPEL UE CORAN. 7 AT PP UP AE EPOR LT R ù , LL” ; LOU R 6 à j ‘ QU } ‘à : Le M L Li 4 * t f o . EL e - p = - ) “4 L tr ve j 4 $ « a d l ; . Û l AE. x f ) L So " ‘ À : LS . +3 \R Cr é SA . - : } =. Pè MN. = à LC À l'a ; : \! : . Li dPeEt , = LA : - \ | 0 : x \» À > , La ei Le r ’ Ld F3 ee ” wi) rx ° l, y re: . ; al è lécs . “à | . LES it é : à , LI i 2 + ù Fe J ‘ : 7 A « CEE, 0 . - à 4 - $ ‘ _ ” | _ ‘ = : 4 LA Ï L LL L “ D PO: \ É MÉMOIRES DONT L'ACADÉMIE À ORDONNÉ L'IMPRESSION DANS SES ACTES. où CRU states ie \ ’ | Av CA > pre LA : + 4 + > CET s -s : 1 bp « | 1-00 LE L à TR | DT NA A) EC CPE L Su d LD ‘es } . 13 re - . n * 1 + TE x PRE OUT \ 'Uh re. 4€ : = n " PAT LU m0 Ô : dar h': { = de af fl if Ke ini pe aus) | « 21 at] d Cr "A LN 4 VS à 4 \“ non these”: Ps APS tube 0 PA AE | Suis 6er | « nid t : NE an me Ce 2 | 40 à AE EL TT à, LS PEAR ep. € Rent 6-2 het > AS de vd mr mater k Ep Li: site pe À RE de Aout | h Satan moy og 2 UT De tsar, LA dl lots LE LATE Arr | AU à ur it) pins - f * Ê LM - 7 Ps | ’ | ) 4 re Pr nl Er dA À Mont dite | rite mu 24! nu Ne Es : \ o : , : | F ; | y (RNTL Hitik d ‘ Ë > e , / PHYSIQUE GÉNÉRALE, DE L'EXPLICATION DES PHÉMNOMÈNES PHYSIQUES. DISCOURS DE RÉCEPTION DE M. LALLEMANT, (Séance du 8 Février 1856.) MESSIEURS , Vous n'avez fait, en m'admettant parmi vous, un honneur dont je sens tout le prix et dont je suis extrême- ment flatté. S'il ne m'imposait d'autre obligation que de montrer, dans vos réunions habituelles, beaucoup de zèle à défaut d'autre mérite, et si je restais libre de ne parler que lorsque j'aurais quelque chose à dire, mon conten- tement serait sans mélange. Mais, aujourd'hui, je trouve dans cet honneur un véritable danger pour moi et aussi pour vous, Messieurs. Forcé par le règlement de venir ici, devant tant d'hom- mes distingués, parler en orateur, je crains de laisser trop voir mon inexpérience ; et, en présence d’un public d'élite admis à cette séance dont je regrette la solennité, seulement en ce qui me concerne, je crains d’amoindrir, 116 ACADÉMIE DE ROUEN. par un insuccès, le prestige dont sont entourés ceux que vous avez honorés de vos suffrages. Cette crainte me trouble d'autant plus que j'ose à peine la laisser paraître ; car, en m'élevant jusqu’à vous, vous m'avez Ôté le droit de me montrer en si grande défiance de mes forces, j'ai même dû me dissimuler ma complète insuflisance depuis que vous m'avez jugé digne de partager vos travaux. Cette illusion, et surtout l'espoir que votre bienveillance ne me fera pas défaut, me soutiendront dans l’accomplis- sement du devoir dont je vais essayer de m’acquitter. Les sciences physiques, depuis un peu plus d’un demi- siècle, ont fait des progrès inespérés ; des découvertes imprévues ont attiré et captivé en grand nombre l’atten- tion publique; elles ont émerveillé au même degré et ceux qui n'estiment l'observation d'un phénomène nou- veau que par les services matériels qu'il peut rendre, et ceux qui, se préoccupant avant tout des conquêtes de l'intelligence, pensent que le but principal de la science est de pénétrer les mystères de la nature. Mais si les résultats ont été grands, leur magnificence a un peu effacé le côté philosophique de ces sciences, et si nous sommes heureusement loin du temps où l'expérience devait s'incliner devant le syllogisme , peut-être ne prête-t-on pas de nos jours, aux questions purement abs- traites, toute l'attention qu’elles méritent. Je me propose aujourd'hui, Messieurs, sans avoir pour cela la prétention de relever leur importance , de vous entretenir d’une de ces questions abstraites. Cette ques- tion, dans le domaine spéculatif, est pour ainsi dire pratique. Elle se rapporte au besoin le plus général et le plus vif de tout esprit qui, de près ou de loin, observe la nature; je veux parler de l'explication des phénomènes physiques. C'est un sujet que je ne pourrai qu'eflleurer. Je n'au - CLASSE DES SCIENCES. 117 rais, pour y pénétrer plus avant, ni assez de temps ni surtout assez de forces. L'observation, même la plus superficielle, fait recon- naître combien sont complexes les lois qui régissent les phénomènes naturels, et il n’y a à rien qui puisse étonner. En effet, les forces multiples qui déterminent le mouve- ment et l'état d'équilibre de la matière, n’agissent pas séparément ; le phénomène le plus simple est dû presque toujours aux actions combinées d'un assez grand nombre de ces forces , de sorte que les effets se compliquent par la variété d'action des causes diverses qui les produisent. Il a fallu, pour comprendre l’ensemble, commencer par étudier isolément chaque partie ; il a fallu, pour chaque cause , rechercher quel était son effet particulier, et, dans une telle entreprise, l'observation ne pouvait suflire ; pour découvrir le mode d'action de chacune d'elles on à dû, pendant qu'elle agissait, maintenir les autres dans un état forcé d’inaction. C'est l’art de l'expérience. L'expérimentateur, pour arriver à des lois certaines , rencontre les plus grands obstacles. Indépendamment des difficultés matérielles qu'il éprouve en voulant forcer la nature de rester ainsi en repos en de certains points pen- dant qu'il étudie le mouvement des autres , 1l doit encore rechercher, avec la plus scrupuleuse attention , toutes les influences qui, de près ou de loin, peuvent modifier l'effet qu'il veut produire. La méthode expérimentale à atteint de nos jours, sous ce dernier rapport, une perfec- tion qu'il parait diflicile de dépasser. Appliquée par des mains habiles, elle a doté la physique de lois importantes dont quelques-unes ne sont qu'approchées et dont les autres sont irrévocablement fixées. Mais ce n'est point là le travail de la nature agissant librement ; partout elle est gênée dans ses mouvements , 118 ACADÉMIE DE ROUEN. et dans le phénomène le moins complexe, tel que nous le donne l'observation, on ne retrouve plus isolé ce que le chimiste ou le physicien avaient isolé dans leur labo- ratoire. Expliquer un phénomène naturel, c'est, du moins à un certain point de vue, le rattacher aux lois expérimen- tales considérées comme faits acquis ; c’est, en montrant qu'il est l'effet de causes multiples ayant agi simultané- ment, assigner la part d'action qui revient à chacune d'elles. Ainsi, les physiciens démontrent que le phénomène de l’arc-en-ciel est une conséquence de la composition de la lumière solaire, des lois suivant lesquelles les différents rayons se réfractent , et de la forme que prend une masse liquide soumise aux actions mutuelles de ses molécules. Cette démonstration est une explication du phénomène. De même l'élévation du mercure dans le baromètre et celle de l'eau dans les pompes s'expliquent par les lois de l'hydrostatique et de la pesanteur de l'air, parce que ces phénomènes sont une conséquence de ces lois. Les anciens professaient, sur la cause de l'ascension de l’eau dans un tube vide , une opinion devenue célèbre et à laquelle on a reproché de ne rien expliquer. Ils disaient, comme chacun le sait, que si l’eau monte dans un corps de pompe dont on a retiré l'air, c’est parce que la nature a horreur du vide. Cette explication est mauvaise sans doute, mais c’est une véritable explication. D'abord la nature, comme le fait remarquer Pascal, ne pouvant avoir ni sympathie ni antipathie, l'expression horreur du vide doit être prise dans un sens métaphorique. Les anciens entendaient par là qu'il ne peut y avoir dans la nature aucun espace vide de matière de pondérable. Ils admettaient cette loi à priori comme ils admettaient les autres, et c'est là leur vrai tort, car si la loi était exacte , CLASSE DES SCIENCES. 119 et elle n’a par elle-même rien de déraisonnable, elle expliquerait complètement l'élévation de l'eau dans les pompes, S'il était vrai, en effet, qu'il ne peut y avoir de vide dans la nature, quand on retirerait l'air d'un tube plongé dans l’eau, ce liquide devrait le suivre pour le remplacer. La raison des phénomènes que je viens de choisir comme exemple est évidente pour le physicien; leur explication est complète. Mais il n’en est pas toujours ainsi. Des phénomènes restent souvent isolés sans qu'on puisse les relier à aucun autre. La cause de cet isolement n'est pas la même pour tous. Les uns sont en réalité régis par des lois déjà connues, et s'ils paraissent s’en écarter , c'est que nous ne savons pas voir le lien qui les y rattache. Les autres sont, par certains points au moins, en dehors de ces lois ; ils ne les contredisent pas , mais ils ne s’en déduisent point complè- tement. Ils trouvent une partie de leur explication dans les lois déjà découvertes , ils trouveront le reste dans des lois à découvrir. Enfin il en est qui sont en contradiction manifeste avec les lois admises comme positives ; et, pour les embrasser, il ne suflira point d'agrandir ce qui est, il faudra le bouleverser. Des faits, lorsqu'ils restent ainsi inexpliqués, font tache dans la science et par cela même attirent l'attention. Des efforts sont alors tentés pour rétablir l'harmonie troublée un instant, mais le succès n’a pas pour tous le même genre d'importance. Si le phénomène appartient au premier groupe, le seul résultat qui puisse être obtenu est de le faire rentrer dans les lois connues ; ce n’est point là pro- gresser , c'est apercevoir, sans changer de place, un détail qui d’abord avait échappé, bien que l’on fût placé convenablement pour le voir ; si, au contraire, il appar- tient aux deux derniers, les recherches dirigées vers un but 120 ACADÉMIE DE ROUEN. placé en dehors des connaissances actuelles ne pourront s'arrêter qu'après avoir amené la découverte de lois nou- velles , ou montré l'inexactitude de lois admises avec trop de précipitation, C'est ce qui donne aux phénomènes de cette nature une remarquable importance. Mais, pour que leur importance ne devienne pas uue source de déception, ils ne doivent être admis qu'avec une prudence extrême; il faut, pour les constater, s’entou- rer de toutes les garanties que donnent les méthodes scientifiques et que peut suggérer le bon sens. Lorsqu'ils sont constatés, il faut encore s'assurer, par une étude at- tentive et consciencieuse, qu'ils ne rentrent point dans les faits déjà connus. Malheureusement, on rencontre une tendance assez générale, surtout chez ceux qui ne s’occu- pent de science que par accident, à. suivre une marche toute contraire. On veut avant tout des faits extraordi- naires : s'il s'en présente un offrant quelque singularité, au lieu de chercher à la faire disparaître , on s'empresse de la grossir, on s'efforce de creuser des abimes là où iln'y a souvent que quelques vides à combler. Les preuves de- viennent d'autant moins nécessaires que le fait est plus merveilleux, et on vous croira volontiers sur parole, pourvu que vous annonciez l'impossible. On a vu des hommes, très sensés d’ailleurs, hésiter à croire que les tables tour- nassent sans fraude, et dont les scrupules se sont évanouis dès qu'ils les ont vues parler. Les savants de profession ont aussi, je le sais, leurs tra- vers. S'ils n'aiment pas, et avec raison, à courir les aven- tures, ils aiment souvent trop à rester en place, ou du moins s'ils veulent bien marcher, ils ne veulent point changer de route. Ils voient avec un certain effroi tout ce qui peut amener un bouleversement, redoutant d’avoir à oublier ce qu'ils ont mis tant de temps à apprendre, ils CLASSE DES SCIENCES. 121 sont enclins à rejeter sans examen tout ce qui peut porter atteinte à la science telle qu'ils l'ont faite. De sorte que les faits qui auraiant le plus besoin de preuves ex péri- mentales, sont précisément ceux pour lesquels on se donne le moins la peine d'en trouver ; les uns, en effet, n’en ont pas besoin pour y croire, et les autres y croiraient à peine s'ils étaient prouvés. La sagesse, en ce point comme en beaucoup d'autres, consiste à se maintenir entre les deux extrêmes. C’est un précepte sur lequel je ne veux point insister, car il est aussi peu contesté qu'il est peu suivi. Je n’ai considéré jusqu'ici, Messieurs , les phénomènes naturels que dans leurs rapports les uns avec les autres ; leur explication , ainsi entendue , ne fait que mettre en lu- mière leur dépendance mutuelle ; son dernier mot est tou- jours un fait, sans être jamais une cause ; elle reste muette sur la nature intime des forces qui produisent les phéno- imènes auxquels les autres sont ramenés ; et en cela elle est toujours incomplète. Il ne suffit pas, en effet, pour se rendre entièrement compte du phénomène de l’arc-en-ciel, d’avoir montré comment il dépendait dela décomposition et de laréfraction dela lumière, il faut encore pénétrer lescauses de cette décomposition et de cette réfraction. Tout ne sera pas dit quand on aura montré comment les mouvements du télégraphe électrique, par exemple, dépendent de lac- tion d'un courant sur un morceau de fer; il restera encore à expliquer comment et pourquoi les courants électriques agissent ainsi sur le fer. Les solutions données aux questions de cette nature entraînent toujours à leur suite d’autres questions analo- gues. Les explications ont elles-mêmes besoin d'être expli- quées. Elles ne font ordinairement que retarder le moment où sera posé le pourquoi suprême et décisif qui doit con- duire à la connaissance de la nature intime des causes pre- 122 ACADÉMIE DE ROUEN. mières, ou montrer que l'intelligence humaine est impuis- sante à remonter aussi haut. Toutefois l'obstacle qui nous cache et nous cachera peut-être toujours les dernières raisons des choses, se trouve ainsi reporté plus loin, et souvent assez loin pour que des regards peu pénétrants ne l'aperçoivent plus. Ici, Messieurs, nous entrons dans le domaine de l'hypo- thèse et un peu aussi dans celui de la fantaisie; l'esprit a là ses libres allures, il peut marcher à son aise pourvu qu'il ne tienne pas trop à savoir où il va. Rien n'égale en effet la facilité avec laquelle peuvent être conçues des hypothèses scientifiques. Elles ont, en outre, un attrait pres- que irrésistible qui porte vers elles le chimiste et le phy- sicien ; et il est peu de savants, grands ou petits, qui n'en aient quelques-unes au moins par devers eux ; c’est un dé- lassement intellectuel et presque un besoin; on fait des théories comme on fait des vers. Les théories scientifiques sont donc très nombreuses, mais peu d’entre elles ont assez de valeur pour retenir longtemps l'attention qu'elles ont pu un instant attirer. Les qualités diverses d'où dépend leur importance ne se rencontrent que dans les conceptions des grandes intelli- gences, et celles qui brillent aujourd'hui de quelqu'éclat, sont toutes dues ou à la puissance du génie d’un seul homme, ou aux méditations d'une suite d'hommes émi- nents qui ont su, en les modifiant, les améliorer. La première qualité d’une théorie, et je parle sérieuse- ment, est d’être une théorie. Cette règle, si simple et si peu exigeante, n’a pas toujours été suivie. On en a proposé et presque admis qui n’en ont absolument que le nom; elles expliquent le fait par le fait lui-même ; toute l’inven- tion consiste à former un mot dérivé du grec et du latin et qui veuille dire que le fait est parce qu'il est. Ainsi, l'eau oxygénée est décomposée par le simple CLASSE DES SCIENCES. 123 contact de l'argent en poudre sans qu’on puisse assigner le rôle que ce corps joue dans le phénomène. Des chimistes ont cru expliquer ce fait mystérieux et d’autres faits ana- logues, en supposant que les corps qui le produisent, pos- sédaient une action ou force de décomposition qui se déve- loppait au contact, et ils lui ont donné le nom d’action ou force catalytique; ce qui signifie que si l'argent décom- pose l’eau oxygénée quand il est mis en contact avec elle, c'est que son contact a la propriété de la décomposer. « Voilà, comme le dirait l’auteur de la logique de Port- Royal, voilà qui est commodément résolu, et il n’y a point de Chinois qui n’eût pu avec autant de facilité se tirer de l'admiration où on était des horloges en ce pays-là lors- qu'on leur en apporta d'Europe ; car il n'aurait eu qu’à dire qu'il connaissait parfaitement la raison de ce que les autres trouvaient si merveilleux, et que ce n’était autre chose sinon qu'il y avait dans cette machine une vertu indica- trice qui marquait les heures sur le cadran et une vertu sonorifique qui les faisait sonner. » Les théories sérieuses consistent en un petit nombre d'hypothèses se rapportant soit aux propriétés des der- nières particules de la matière, soit à celles de substances impondérables appelés fluides, qui seraient le siége de forces indépendantes de la matière pondérable. Elles pren- nent pour base un petit nombre de faits choisis avec sagacité. Aucun d'eux ne doit être la conséquence des autres, et tous les faits analogues doivent être la conséquence de l’un d'eux. Les propriétés attribuées aux fluides ou à la matière sont calquées sur ces phénomènes fondamentaux, et la difficulté réside moins dans l'invention de l'hypothèse que dans le choix des faits qui lui servent de point de départ. La théorie des deux fluides électriques offre l'exemple le plus simple qui puisse être donné. Les corps soumis au frottement dans des conditions dé 124 ACADÉMIE DE ROUEN. terminées, acquièrent la propriété d'attirer ceux qui n'ont pas subi la même influence. En même temps, ils exercent les uns sur les autres des actions attractives ou répulsives suivant qu'ils ont éprouvé des modifications différentes ou semblables. Enfin ceux qui ont éprouvé des modifications différentes et au même degré, perdent, après leur contact, toute trace de leur état passager. Les physiciens ont attribué ces phénomènes aux actions de deux fluides ; ils en ont admis deux parce que les corps éprouvent deux genres de modification. Les corps élec- trisés d’une manière semblable se repoussant, ils ont donné aux molécules d’un même fluide une action mutuelle ré- pulsive; par une raison analogue, une action attractive a été attribuée aux molécules différentes. Enfin, comme deux corps électrisés en sens contraire et au mème degré per- dent par leur contact toute propriété électrique, ils ont ad- mis que deux fluides contraires, se réunissant en égale quantité, forment un fluide neutre dans lequel se contreba- lancent les actions propres aux deux éléments qui le com- posent. Une telle conception paraît avoir peu de valeur. Ces propriétés attractives et répulsives ressemblent beaucoup aux propriétés indicatrices et sonorifiques ; et, en les attri- buant à des fluides au lieu de les attribuer aux corps eux- mêmes, l'explication prend une apparence plus scienti- fique, sans devenir plus concluante. Cette insignifiance n’est point particulière à la théorie des deux fluides électriques ; toutes les autres, à leur début, présentent à peu près le même caractère. D'où vient donc leur importance ? Quelle peut être leur utilité ? Les propriétés attribuées aux différents fluides ou à la matière peuvent être suivies dans leurs conséquences. Les plus rapprochées se déduisent par de simples raisonne- CLASSE DES SCIENCES. 125 ments; l'analyse mathématique permet d'atteindre jus- qu'aux plus éloignées. Ces conséquences se traduisent en phénomènes théoriques, et l'expérience est appelée à prononcer sur leur réalité. Les hypothèses se trouvent ainsi soumises à des épreuves nombreuses dont elles doivent complètement triompher. Une seule déduction qui serait infirmée par l'expérience suffirait pour les renverser. Aussi le nombre de celles qui supportent ce travail de vérification est-il très restreint, et il ne serait pas sage de vouloir apprécier leur véritable valeur en essayant de les juger en elles-mêmes; elles doivent pour ainsi dire être vues à l’œuvre. Celles qui ont le plus d'éclat n’ont pas toujours le plus de solidité. Leur simplicité même, quand elles résistent à toutes les épreuves, devient une qualité. On est surpris de voir tant de choses produites si facilement et à si peu de frais ; mais , quand on voit disparaître ces systèmes brillants qui promettaient de tout éclairer, on regrette qu’une lumière si vive se soit si promptement éteinte. Une théorie qu'aucune expérience ne vient infirmer n’atteinf jamais qu'un plus ou moins grand degré de vrai- semblance sans pouvoir arriver jusqu'à la certitude. On doit toujours craindre qu'un fait imprévu, d’un caractère nouveau, ne vienne la mettre en défaut, et cette crainte n'est pas chimérique. Un principe faux peut contenir des conséquences très vraies, et si les conséquences vraies sont: celles qu'il est le plus facile d’en tirer, on ne pourra, par cette méthode, en reconnaître la fausseté qu'en le poussant dans ses conséquences les plus éloignées. Or, nous ne voyons jamais la nature par tous ses côtés, et ce qui s'accorde très bien avec ce que nous en voyons peut ne pas s’accorder avec ce que nous n’en voyons pas. C'est ainsi qu'un astronome , confiné dans son observa- 126 ACADÉMIE DE ROUEN. toire, pourrait voir se vérifier, par tous les faits qu'il lui est possible d'observer, un système astronomique dans lequel il admettrait comme réels le lever et le coucher ap- parents des astres. Une seule observation faite dans un autre lieu suflirait pour le détromper. Les théories physiques ne peuvent donc aspirer à la cer- titude. Quel est alors leur but? Ne seraient-elles qu'un jeu d'esprit difficile mais stérile ? Non, Messieurs, par elles-mêmes et indépendamment de la puissance intellectuelle qu'il a fallu déployer pour les produire, elles ont une haute importance et contribuent pour une grande part aux progrès des sciences. Par elles, les phénomènes d’un même groupe se trouvent rattachés les uns aux autres; sans montrer la nature intime du lien qui les unit, elles permettent de le suivre dans tous ses détours; si tous ces faits sont encore des mystères, il n’en reste pour- tant qu'un à découvrir, l'explication d'un seul amènera celle de tous les autres. Si les physiciens, en effet, savaient pourquoi le verre frotté attire les corps légers, ils connaîtraient, grâce à la théorie des deux fluides, la cause réelle de tous les phéno- mènes électriques. A ce point de vue, deux théories rela- tives à un même ordre de faits, peuvent prendre, tout en s'accordant également avec l'expérience, une valeur bien différente suivant le nombre et la nature des phénomènes qu'elles embrassent. Ainsi, la théorie d'Ampère , fondée sur l'existence de courants électriques dans les aimants , ne rend pas mieux compte de leurs propriétés anciennement connues, que ne le fait l'hypothèse des deux fluides magnétiques , mais elle relie entre eux des phénomènes que l’autre sépare ; elle met en évidence la cause commune des effets produits par les aimants et par les courants électriques ; ce seul caractère lui donne une supériorité incontestée. CLASSE DES SCIENCES. 127 Les théories ne servent pas seulement à réunir les phé- nomènes qui dépendent de la même cause, elles servent aussi à les découvrir; elles appellent, par les déductions qu'on en tire, de nouvelles expériences dont elles four- nissent les éléments et les conditions. Les découvertes auxquelles elles conduisent peuvent être dues à leurs adversaires aussi bien qu’à leurs partisans. Les uns et les autres ont un égal intérêt à en tirer tout ce qu'elles contiennent : ceux-ci pour montrer qu’elles ne renferment que le vrai, ceux-là pour découvrir ce qu’elles renferment de faux. L'attaque porte même quelquefois plus de fruit que la défense. Les adversaires recherchent, en effet, toutes les étrangetés qu'elles peuvent recéler ; les consé- quences les plus paradoxales sont celles qu'ils poursuivent ; et si l'hypothèse contient quelque fait invraisemblable, il ne leur échappera pas. Mais lorsque ces faits improbables sont vérifiés par l'expérience , la théorie se trouve fortifiée en même temps qu'elle a conduit à la découverte d'un phénomène imprévu. La théorie des ondes lumineuses nous en fournit un exemple. Cette hypothèse, qui ne paraît plus avoir aujourd'hui de rivale, fut vivement attaquée par les par- tisans de Newton. Un géomètre éminent, Poisson, fut un de ses plus puissants adversaires ; en la soumettant à un calcul plus rigoureux que ne l’étaient ceux de Fresnel, il fut conduit à la conséquence suivante : un petit disque opaque, recevant la lumière d’un point placé en avant de lui, doit, si le système des ondes est vrai, laisser arriver derrière lui , et au centre de l'ombre qu'il projette, autant de lumière que s’il n’y était pas. C’est là, certes, de l’imprévu. I fallaitjune"grande confiance dans la théorie des ondes pour croire à la possibilité d’un aussi étrange phénomène, Arago eut cette confiance ; il tenta l'expé- 128 ACADÉMIE DE ROUEN. rience, et trouva que l'invraisemblable était le vrai : le centre de l'ombre était éclairé. Toutes les théories de quelque importance ont rendu des services analogues ; et je ne parle pas seulement des hypothèses qui ont pu se maintenir jusqu'à nos jours, je parle encore de celles qui maintenant sont abandonnées complètement. Leur fausseté ne les a pas empêchées d'être utiles ; c'est que, si elles ne représentent pas rigoureu- sement et dans toute leur étendue les phénomènes de même nature, elles en représentent une partie. Sans être l'expression de la loi générale , elles sont celles d’un cas particulier ; leur défaut tient souvent à ce qu'elles exagèrent quelques circonstances au détriment de l'ensemble, et cette exagération même a son utilité : car si elles rejettent une partie du vrai, elles font quelquefois mieux ressortir ce qu'elles en embrassent. C’est ainsi que des instruments grossissants amplifient les points particuliers vers lesquels ils sont dirigés, en même temps qu'ils altèrent et obscur- cissent ceux qui sont placés en dehors du champ de la vision nette. Une des plus grandes découvertes des temps modernes, la découverte des courants électriques, donna lieu, dès l'origine , à une dispute scientifique restée célèbre. Chacun connaît l'expérience de Galvani. Quand on réunit par un arc métallique les nerfs et les muscles d'une grenouille, il s'établit un courant électrique dont l'existence est accusée par des contractions musculaires. Galvani admettait que le courant prenait naissance dans les nerfs et les muscles eux-mêmes. Volta, frappé de l'augmentation d'énergie que le courant éprouvait quand l'arc métallique était formé de deux métaux différents mis l’un à la suite de l’autre, en plaça la source dans le contact même des deux métaux, et rejeta l'hypothèse de Galvani. Il semble prouvé maintenant que les nerfs et les muscles CLASSE DES SCIENCES. 129 sont une source de courants électriques comme l'admettait Galvani, et peu de physiciens soutiennent encore que le contact développé de l'électricité, ainsi que le pensait Volta; pourtant il est heureux, pour le progrès des sciences, que l’idée de Volta ait triomphé. Dans l'expérience de Galvani, les contractions muscu- laires peuvent être attribuées à deux causes : l'une fut vue par Galvani lui-même, mais c'était la cause secon- daire , celle dont l'influence était de beaucoup la moins puissante , et elle est restée, jusqu'à nos jours, à peu près stérile dans ses conséquences ; l’autre était la cause prin- cipale, celle dont l’action était prépondérante, Volta sut en voir l'importance. S’il se trompa sur son origine réelle, il ne se trompa point sur les conditions générales dans lesquelles elle agissait. Le courant électrique, en effet, était dû surtout à la présence de deux métaux, qu'il fût produit par leur simple contact, ce qui n’est point et ce qu'admettait Volta, ou qu'il fût produit par la diversité des actions chimiques auxquelles chacun d'eux était soumis, et c'est ce qui a lieu, le point capital n’en était pas moins saisi. Il existe, en dehors des forces organiques, une source de courants; aussi Volta ne tarda-t-il pas à pro- duire , par les seules actions mutuelles de substances minérales, des courants électriques dont l'intensité peut dépasser toutes limites. Les propriétés de ces courants constituent aujourd'hui une des branches les plus impor- tantes de la physique, et il y aurait peu de justice à faire dépendre la gloire de Volta de la question de savoir si le contact développe ou ne développe pas de l'électricité. De semblables théories, lorsqu'elles sont abandonnées, doivent rester dans l’histoire de la science et y occuper une place honorable. Si les progrès de la physique et de la chimie les ont fait descendre du rang élevé qu'elles occupaient, il y aurait de l’'ingratitude, maintenant qu'elles 9 130 ACADÉMIE DE ROUEN. sont tombées, à les dédaigner, car, pour les renverser, il à fallu tourner contre elles les armes qu'elles-mêmes avaient préparées. Héritiers des connaissances qu'elles nous ont amassées en si grand nombre, nous leur devons , alors qu'elles ont perdu leur force en vieillissant, un respect je dirais presque filial. Ce respect leur est acquis dans une Compagnie telle que la vôtre, Messieurs, où les grandes idées sont toujours honorées parce qu'elles v sont toujours comprises. PHYSIQUE APPLIQUÉE. RECHERCHES LES CAUSES D'UN INCENDIE Qui a éelaté à Elbeuf, dans une Sécherie de laine, le 8 Février 1856, Par MM. J. GIRARDIN er LÉVY. (Séance du 2? Mai 1856.) Le dimanche 3 février dernier , un mcendie qui pouvait avoir des suites désastreuses, s’il n'avait été maîtrisé avec rapidité , éclatait à Elbeuf dans une sécherie appartenant à Me veuve Bastien. Les circonstances tout-à-fait excep- tionnelles dans lesquelles ce sinistre s’est produit, sont de nature à appeler vivement l’attention à cause des grands intérêts qui peuvent se trouver compromis par des acci- dents de ce genre. Nous nous sommes proposés de rechercher les causes qui ont pu déterminer cet incendie, et surtout de donner quelques conseils pour éviter, autant que possible , le retour d'événements aussi graves. Nous diviserons ce travail en trois parties distinctes : 1° Nous exposerons les faits et les circonstances qui ont accompagné la catastrophe, afin de bien mettre en évi- 132 ACADÉMIE DE ROUEN. dence tous les points sur lesquels notre examen à dû porter ; 2° Nous entrerons dans la discussion de ces faits en cher- chant à démêler les causes probables de l'événement; 3° Sous forme de conclusion , après avoir fait ressortir, autant qu'il sera en notre pouvoir , la cause vraisemblable du sinistre et en avoir fait apprécier la gravité, nous cher- cherons les moyens pratiques d'y remédier ou plutôt de la prévenir. Cependant, avant d'entrer complètement en matière , nous croyons devoir faire remarquer que, quelque étranges que puissent paraître , au premier abord, les phénomènes qui se sont manifestés, nous avons dû nous tenir en garde , dès le début de nos recherches , contre cet esprit d'entraînement qui porte toujours à supposer des causes extraordinaires à des faits qui, en définitive, peuvent souvent s'expliquer d'une manière très simple. L'esprit est toujours porté à désirer des explications en dehors de celles qui s'appuient sur des causes vulgaires ; la science , pourtant, ne consiste pas à rechercher une origine pres- que surnaturelle à des phénomènes simples ou compliqués, mais, au contraire, à ramener à des proportions modestes les faits les plus singuliers. Le peuple ignorant, dans l’im- possibilité où il se trouve d'expliquer certains phéno- mènes , dit qu'on lui a jeté un sort ; l'homme sérieux et qui étudie consciencieusement , scrute les faits, et, au lieu de les faire remonter à une origine d’un ordre merveilleux ou au moins extraordinaire, arrive à déterminer les faibles causes qui, souvent, ont produit les plus grands effets. Exposé des faits. Dans une longue galerie, occupant tout le premier étage de l'établissement de M° veuve Bastien , se trouvent dis- CLASSE DES SCIENCES. 133 posées, en plusieurs rangées parallèles, des rames destinées à supporter et à étendre des pièces de drap entre les- quelles l'air chaud, amené par de nombreuses bouches de chaleur, circule aisément et produit la dessiccation complète des étoffes Par exception on place parfois dans cette galerie de la laine teinte ou simplement dégraissée pour obtenir aussi une dessiccation complète de cette matière. | Cette vaste galerie a 39 mèt. #5 de long et 9 mèt. de large ; le sol est carrelé, les murs sont percés de six croi- sées, fermées au moyen de châssis vitrés, d'une forme à peu près demi-cireulaire, ayant 1 mèt. 35 de large et 0 mèt. 80 de haut , et n’ouvrant que partiellement. Une seule porte de 2 mèt. 3 de haut sur 0 mèt. 9 de large, donne entrée dans l'atelier. Les appareils de chauffage employés sont des calori- fères Chaussenot , établis d’ailleurs dans de bonnes condi- tions. Aux deux extrémités et au milieu de la galerie, s’élè- vent les tuyaux au moyen desquels l'air chaud pénètre dans des conduits horizontaux en maçonnerie, munis de bouches de chaleur. L'air est échauffé au rez-de chaussée dans des fourneaux disposés à cet effet, et est amené d'étage en étage jusqu’à la partie la plus élevée de léta- blissement. L'air chaud seul peut trouver passage dans les tuyaux qui, par conséquent , ne peuvent jamais être portés au rouge ; des cheminées en maçonnerie entraînent la fumée et les molécules enflammées qui pourraient être soulevées mécaniquement. La sécherie se trouvait encore dans les conditions que nous venons d'indiquer. le samedi 2 février 1856; le soir de ce même jour, une quantité notable de laine avait été placée sur les rames de la sécherie ; au fond de la galerie se trouvait de la laine teinte en noir, de la laine blanche 134 ACADÉMIE DE ROUEN. était déposée sur les rames vers l'entrée et jusqu'à une certaine profondeur , et l'air cireulait librement entre toutes ces couches étagées depuis le haut de la sécherie jusque sur le sol. Le travail, pour disposer ainsi cette matière première , avait été fait à la lumière , et de nombreux becs de gaz , suspendus au plafond, avaient éclairé les ouvriers dans leur opération. La sécherie , nous a-t-on dit, reçoit ordinairement une température qui peut atteindre 70° centigrades ; le nombre nous a paru élevé; cependant nous devons dire , à l'appui de cette assertion, que les thermomètres à alcool ne peuvent pas être employés dans cet établissement , parce que la force expansive du liquide fait rompre les tubes thermométriques. | La nuit entière se passa sans événement; mais le di- manche , vers neuf heures et demie du matin , une certaine quantité de fumée sortait par les jointures des fenêtres ; le feu était incontestablement dans l'intérieur de l'atelier. L'éveil est donné, un ouvrier monte rapidement pour s'assurer si, en effet, un incendie a éclaté dans la sécherie ; il entre , laisse retomber la porte derrière lui, pénètre dans l'atelier, ne voit rien et ne constate aucune odeur particulière ; alors il redescend annoncer que l'alerte n’est pas fondée, et cependant la fumée paraît toujours à l'extérieur ; l'ouvrier monte de nouveau, entre après avoir fixé la porte pour l'empêcher de se refermer derrière lui, et pénètre jusqu'au milieu de la galerie. À ce moment, un tourbillon de fumée et d'étincelles entoure l'ouvrier, l'aveugle et le contraint à fuir précipitamment. Bientôt le feu fait des progrès rapides, et cette fumée , chargée d’étincelles , s'échappant du fond de la galerie où est la laine teinte, tourbillonne , passe sur la laine blanche et la roussit à la surface. Des ouvertures sont immédiate ment pratiquées aux fenêtres pour introduire les tuyaux de CLASSE DES SCIENCES. 135 pompes ; aussitôt des jets de flamme, c’est-à-dire des gaz produits par la laine échauffée et à demi-brûlée, sortent par une de ces ouvertures à une température assez élevée pour que l'inflammation se produise au contact de l'air extérieur. Enfin de prompts secours habilement dirigés finissent par maîtriser l'incendie. Discussion des faits, recherche des causes. La diflicuité avec laquelle la laine brûle ordinairement , alors même qu'elle est exposée à l'air, explique suflisam- ment l’action lente du feu sur une masse abondante de cette substance renfermée dans un espace relativement restreint. L'incendie, circonserit dans une très faible étendue , à l'extrémité même de la galerie , se propageant lentement à cause du manque d'air, n'a pu être aperçu par l’ouvrier entrant pour la première fois dans la sé- cherie ; l'odeur même de la laine brûlée n’a pas pu vrai- semblablement se manifester de suite, à cause de la distance assez grande qui séparait l'ouvrier du foyer de l'incendie lors de ses premières recherches et de l’immobilité forcée de l'air. Mais la seconde fois la porte était restée ouverte ; l'air froid extérieur étant plus dense que l'air intérieur , un double courant a dû s'établir dans toute l'étendue de la galerie; l'air froid est entré par la partie inférieure et l'air chaud , recevant une impulsion inverse , est sorti par la partie supérieure ; un mouvement rapide a dû s’eflectuer , l'air qui pénétrait, plus riche en oxygène, fournissait un élément puissant de combustion; de la fumée, des matières enflammées ont dù être soulevées et ramenées en avant dans le courant supérieur; de là ce tourbillon qui est venu aveugler l'ouvrier au moment où il se diri- geait vers le fond de la sécherie. Au surplus , pour rendre 136 ACADÉMIE DE ROUEN. le fait encore plus sensible, nous dirons qu'il s'est produit, dans ce cas, quelque chose d'analogue à ce qui se mani- feste lorsqu'une certaine quantité d'air est projetée vers la partie inférieure d'un foyer. La comparaison, pour être prise dans un ordre de faits extrèmement simples, ne laisse pas que d'être exacte et concluante ; en effet, toutes les fois que l'air lancé à la base d'un foyer pénètre vivement au milieu des matières enflammées , un tourbillon de fumée , de cendres et d’étincelles s'élève et revient vers celui qui, par maladresse, a produit cet effet mécanique. Rien done de plus simple et de plus élémentaire que ce fait observé ; le feu , longtemps concentré au sein d’une masse peu com- bustible, ne s’est manifesté avec quelque intensité qu'au moment où un courant d'air assez actif a pu amener au foyer même des quantités d'oxygène suflisantes pour entre- tenir la combustion et faciliter la propagation de lin- cendie. Nous avons vu comment l'incendie s’était propagé, et sur ce point le doute n'est pas possible ; abordons maintenant la recherche de la cause du sinistre ; tel est au surplus le point le plus délicat de la question que nous nous sommes proposés de traiter. Nous discuterons successivement les diverses hypothèses que nous avons examinées et nous indiquerons les recherches auxquelles nous nous sommes livrés. 1° Le feu a-t-ùl pu prendre par une cause extérieure ? Le soin avec lequel des ateliers de ce genre sont fermés , pour éviter toute déperdition de chaleur , répond péremptoirement à cette question ; ajoutons d’ailleurs que la seule porte de la sécherie par laquelle le feu aurait pu trouver passage, non-seulement était hermétiquement fermée , mais encore se trouvait précisément à l'extrémité de la galerie opposée à celle où était le feu , c'est-à-dire à plus de 30 mèt. du foyer ; en outre , les fenêtres , d'ailleurs - CLASSE DES SCIEN\CES 137 si peu nombreuses, et les murailles ne présentaient , après l'incendie, que les ouvertures qui avaient dû être prati- quées pour porter les secours indispensables au moment du sinistre. 2° Le feu a-t-il pu être communiqué par les calori- fères ? Nous avons dit tout-à-l’heure, dans l'exposé des faits, que les tuyaux en tôle, ne livrant jamais passage qu'à de l'air chaud , ne pouvaient dans aucun cas être portés au rouge , et nous ajouterons que l'air sortant par les bouches de chaleur, n'ayant aucune communication avec le foyer, n'a pu amener dans la sécherie d'éléments de combustion : l'examen approfondi des lieux nous porte à affirmer que cette cause doit être entièrement écartée ; le doute ne nous paraît même pas possible ; nous avons la conviction entière que telle n’a pas été la cause du sinistre, et nous sommes intimement convaincus que ceux qui connaissent les appareils employés et qui savent dans quelles conditions ils sont placés , partageront notre manière de voir. 3° La cause de l'incendie réside-t-elle dans un de ces phénomènes de combustion spontanée si curieux et encore si peu expliqués ? Lorsque des matières filamenteuses , telles que de la laine ou du coton, sont imprégnées d’une notable quantité d'huile ou d'une matière grasse quelconque , il arrive assez fréquemment qu'elles s’enflamment d'elles-mêmes sans qu'aucune cause étrangère autre que l’air extérieur et une certaine élévation de température , cette dernière cause n'ayant même pas tou'ours été constatée, intervien- uent dans la production du phénomène. L'air, arrivant d'une manière continue, sur cette masse si combustible , apporte un aliment énergique à toute cause d'incendie , et ces trois circonstances réunies , d'une élévation de tempé- rature , de la présence d'un corps combustible sous l'action 138 ACADÉMIE DE ROUEN. incessante d’un élément comburant , font facilement com- prendre , si elles n’expliquent pas complètement , comment souvent, au sein d'une masse plus ou moins considérable de ces matières, un incendie se développe avec une grande intensité Or ici, les substances brûlées se trouvaient-elles dans le cas que nous venons d'indiquer? La sécherie ren- fermait-elle des masses imprégnées d'huile, comme le sont, par exemple, les débourrages, au sein desquels ce phéno- mène se manifeste si souvent? Il n'en était rien; la laine était, ainsi que nous le verrons tout-à l'heure, presque entièrement débarrassée des matières grasses naturelles qu'elle contient toujours. Nous avons opéré sur différents échantillons de laine pris dans la sécherie et qui ont été sauvés de l'incendie , nous les désignerons par les noms des manufacturiers auxquels ils appartiennent , et nous formerons le tableau suivant dans lequel se trouvent indiquées les quantités de matières grasses enlevées par l’éther aux laines sur les- quelles nous avons expérimenté. F Matière grasse sur 100. Laine blanche de M. Lepesqueur. . - . . . . 2,5 — de MS BESSON ETRRER 0 _ dé Me Dantresmer ” OAV Res Laine teinte en noir, # échantillons. . . . . . 1,75 Ce tableau nous montre que non seulement les laines blanches ne contiennent qu'infiniment peu de matière grasse, mais aussi que les laines teintes en noir en renferment encore moins, ce qu'on pouvait prévoir à priori, puisque avant de teindre la laine, on la dégraisse le plus possible. Or l'incendie a pris naissance au sein même de cette laine teinte en noir, et que l’on peut envisager comme entière- ment débarrassée de la substance grasse qui agit avec tant CLASSE DES SCIENCES. 139 de puissance dans les combustions spontanées. Si nous rapprochons de ce fait que jamais la laine dégraissée , et même non dégraissée, mise dans des conditions iden- tiques, n’a donné naissance à des événements analogues, il est évident que nous devons en tirer inévitablement la conséquence, que telle n’a pas été encore la cause de l'in- cendie de la sécherie elbeuvienne. Ajoutons d’ailleurs que la teinture n'avait pu commu- niquer à la masse une propriété de ce genre, les matières employées ne donnant sur la laine aucune réaction de nature à produire un prigcipe comburant. Ces phénomènes de combustion spontanée frappent vivement l'esprit, et il était tout naturel de penser que dans l'événement, objet de nos investigations, il avait pu se produire un fait de ce genre; nous reconnaissons que c'était une manière tout à la fois simple et élevée d'expli- quer un événement dont nous cherchons si laborieusement à découvrir la mystérieuse origine; l'imagination y eüt trouvé un aliment puissant, et, avec un peu de bonne vo- lonté , il eût été facile de faire acquérir à un fait d'un ordre secondaire un certain degré d'importance relative. 4° Un phénomëne électrique a-t-il été la cause de l'in- cendie ? Ce qui nous à portés à examiner celte cause qui peut paraître fort éloignée au premier abord, c’est que dans les sécheries du genre de celle qui nous occupe, on à souvent occasion d'observer des phénomènes électriques d'une intensité vraiment remarquable. En effet, lorsque les draps sont étendus et chauffés, les ouvriers, en passant, même légèrement. la main à la surface des pièces, en font jaillie de nombreuses étincelles et reçoivent parfois des secousses assez énergiques. La laine ne pouvait-elle pas aussi, dans certains cas, se trouver dans les mêmes condi- tions ? Et si les draps, à cause de leur nature, ne peuvent 140 ACADÈMIE DE ROUEN. pas être facilement incendiés, il en est peut-être autre- ment pour des flocons de laine laissant passer librement dans leur intérieur une plus ou moins grande quantité d'air. Dans cet état, la substance se trouve, en eflet, dans des conditions plus favorables pour être embrasée sous l’action de quelques étincelles électriques , et cette hypothèse trouverait d’ailleurs encore un appui dans ce fait, qu'une quantité assez considérable de débris de bois de teinture désséchés remplissait la laine incendiée. Mais les faits viennent encore ici renverser cette supposition : les ouvriers, qui constatent souvent ces phénomènes électriques sur les pièces de drap, ne les ont jamais observés sur de la laine. Ajoutons encore que, sur le drap, ces étin- celles ne se produisent jamais que par le frottement , et il est vraisemblable que, pour la laine non ouvrée , il aurait fallu au moins la même cause pour produire les mêmes effets Or, cette cause n'existait pas, elle ne pouvait pas exister dans cette sécherie où tout se trouvait dans le repos le plus absolu. Ces impossibilités que nous rencontrons, et qui se dressent si souvent devant nous, semblent reculer indéfi- piment la solution et seraient de nature à nous faire perdre tout espoir de lever la difficulté ; mais ces mêmes impos- sibilités viennent à leur tour. en restreignant considéra- blement le champ des hypothèses, nous obliger à poser la question dans des termes tellement précis , que le pro- blème se trouve réduit à une proposition élémentaire dont le simple énoncé amène inévitablement à sa suite la solu- tion désirée. Nous nous demanderons done s'il y a un agent qui, déposé accidentellement et par mégarde, a pu, se trouvant au milieu d’une certaine masse de laine , sous l'influence d'une température élevée, s’enflammer spontanément , sans choc ni frottement , et incendier, dans des limites CLASSE DES SCIENCES. 141 primitivement très restreintes, une certaine quantité de matières combustibles. Une composition phosphorée jouit seule de cette pro- priété, mais de plus cette préparation la possède à un bien haut degré et à un tel point qu'il est reconnu aujour- d'hui qu'on ne peut pas sans danger jeter derrière les lambris, et même à la température ordinaire, ces pâtes phosphorées d'une si grande eflicacité pour la destruction des animaux nuisibles. Or, malheureusement ces sortes de préparations , autrefois si peu répandues , se trouvent aujourd’hui dans toutes les mains et causent journellement des accidents dont on ne saurait méconnaître la gravité. Et, pour être vulgaire , la cause qui apparaît à nos yeux, en est-elle moins probable et surtout moins redoutable ? N'est-il pas possible, en effet, de supposer qu'un ouvrier, voulant allumer, dans la soirée du samedi 2 février, les becs de gaz de la sécherie, aura laissé tomber sur le sol une allumette phosphorée? Car une seule suflisait. Suivons donc, en esprit, ce qui a dû ou pu se passer. Pressé par le temps , un ouvrier aura rejeté vivement loin de lui une allumette qu'il n'aura pu enflammer, pour en saisir une autre moins humide, et par conséquent plus inflammable que la première. Par ce seul fait, la cause du désastre existait. Figurons-nous, en eflet, cette faible quantité de pâte phosphorée, humide un instant auparavant et subitement desséchée sous l'influence de la température élevée de l’étuve : cette chaleur était plus que suflisante pour produire l'inflammation du phosphore, sans choc, sans frottement ; le fait, d'ailleurs , se passe assez fréquemment sous nos yeux pour que nous ne puissions pas au moins en nier la possibilité. Cette probabilité devient, d’ailleurs, pour nous, une quasi-certitude , en songeant d’abord à toutes les autres 142 ACADÉMIE DE ROUEN. causes que nous avons élé obligés d'écarter, à la suite d'une étude approfondie ; d’un autre côté, tout le monde sait que beaucoup de personnes, et principalement des ouvriers, ont la fatale habitude de porter, mème dans leurs vête- ments, ce redoutable agent de destruction. Ajoutons, enfin, pour complément de preuve, qu'une seule allumette phosphorée, placée dans les conditions indiquées , produirait absolument tous les effets qui ont été observés dans l'établissement de Me veuve Bastien. On conviendra au moins, dans le cas où l'on voudrait douter encore, qu'il est impossible de trouver une analogie plus saisissante , et, pour nous, ces preuves complètent une démonstration qui nous garantit que tout doute doit se changer en certitude dans nos esprits. Conclusion. Le fait que nous venons de mettre en évidence , et qui, dans ce cas, à été nécessairement produit par une inad- vertance, malheureuse sans doute, mais pourtant excu- sable, nous a singulièrement frappés : l'ouvrier, quelquefois malveillant, dispose à toute heure , et sous un petit volume , d'une substance qui, dans des mains criminelles, peut devenir un instrument de vengeance capable d'exercer une fatale influence sur les propriétés , en les détruisant, et sur . les personnes, en leur donnant la mort. Cet agent est d’un emploi d'autant plus redoutable qu'il est plus sûr, et pour le but qu'un esprit coupable vou- drait atteindre, et en même temps pour garantir l'auteur d'un crime contre les poursuites de la justice, la cause du mal se trouvant tout à la fois entre les mains de l'innocent et dans celles du coupable. La science , malheureusement , est parfois impuissante à se combattre elle-même ; elle a doté la société, il faut le CLASSE DES SCIENCES. 143 reconnaître, d'un agent utile, entre des mains honnêtes et prudentes; mais, comme ses découvertes sont pour tous, elle ne peut rendre eflicaces ses procédés dans les mains de ceux seulement qui savent en faire un emploi convenable et sage ; à la loi seule est réservé le moyen de réprimer et de prévenir de pareils abus. La gravité du fait qui nous occupe nous a portés à engager les chefs de l'établissement incendié à garder envers leurs ouvriers le plus profond secret sur la cause du sinistre, dans la crainte de faire germer dans l'esprit de quelques- uns des pensées criminelles. Nous avons conseillé, toute- fois, à ces industriels d'exercer une surveillance active, et d'interdire l'introduction de substances aussi dange- reuses dans leurs ateliers. Nous n'avons pas hésité à recommander, comme sanc- tion de la mesure que nous avons conseillée , l'expulsion immédiate de l'ouvrier en possession duquel, malgré une défense préalable , on trouverait des allumettes phospho- rées, et nous pensons que, eu égard aux nombreux dangers qui peuvent arriver, par suite de l'emploi si fré- quent de ces sortes de préparations , dangers qui ne seront jamais compensés par les services cependant incontes- tables qu'elles rendent, le Gouvernement agirait sagement en interdisant d’une manière absolue la vente d'un produit qui peut être tout à la fois une cause d'incendie et de mort. CHIMIE. EXAMEN DE PELOTES Trowves dans l'estomac de jeunes Poulains , PAR MM. J. GIRARDIN et MALBRANCHE. { Séance du 18 Janvier 1856, ) M. Verrier aîné, médecin vétérinaire départemental, nous invita, dans le courant de 1855 , à faire l'examen de plusieurs pelotes recueillies dans l'estomac de jeunes poulains morts dans les circonstances suivantes. Les mères sont mises au piquet dans un champ de trèfle incarnat ou farouche (Trifolium incarnatum, L.) ; les pou- lains. sont en liberté : ils broutent les têtes fleuries de la plante ; ils tombent malades au bout de quelque temps et meurent. A l’autopsie, on trouve dans le tube digestif des pelotes légères, dont le diamètre varie de 4 à 8 centimètres, et le poids de 40 à 100 gr. On les avait prises d’abord pour des égagropiles analogues à ceux des ruminants. L'un de nous même (M. Girardin), s’en rapportant à un examen super- ficiel, avait avancé prématurément qu'elles étaient formées mp: D. ee z , 1.2.3.4 Tuëfle ici t 4 le du calice à un Ge y eoshhsernern 0 Er ; A cd 2277 EG GRH AICICN € oO Le cd DIRE 22777772 À. leur erticic (haie 274 g'andeur 7 u A D > ne. » j A r , / KR . ; 5. G ÏÉ Matière de la pelotte. se hi dr da CI DS nl lNonrce à 2. 29 eo fall DAC HCrtCnut 6 La mécme-t un Das / cpéoAuNerrertd 7 Loagmiens Mlanchilies ns Age eclcntle croit < ? , id : D died le) laletater. (7a ) CR D Cfd : 5.9. Soil de poutain #. PE g « Piegmendé Lu 4 lèron, Rouen CLASSE DES SCIENCES. 145 par des poils, opinion qu'un savant naturaliste de Caen avait aussi soutenue. Mais M. Verrier, sachant que ces sortes de productions piliformes sont très rares dans la race che- valine, et n'ayant trouvé jusqu'ici les nouvelles pelotes que chez les poulains du pays de Caux, soupçonna qu’elles pourraient bien avoir pour origine la nourriture particu- lière dont ils faisaient accidentellement usage, et il insista pour que nous soumettions ces productions anormales à une nouvelle étude. Il est de fait que ces pelotes n’ont aucun des caractères extérieurs des égagropiles. Leur surface est lisse, comme feutrée (à la loupe), un peu bosselée dans les plus volumi- neuses ; l’intérieur est roussàtre. composé de poils extrè- mement fins, feutrés, roux, mélangés de quelques frag- ments plus gros et blanchâtres. Les petits poils n’ont pas plus de 2 millimètres de longueur ; ils. forment la plus grande partie de la pelote (95 p.°/,). ; Un morceau allumé brûle lentement jusqu'au bout, à la manière de l'amadou, en répandant l'odeur propre au papier et aux autres substances végétales en combustion. L'examen microscopique de la matière de ces pelotes, comparée à différentes parties de la fleur du trèfle incarnat, ne laisse aucun doute qu’elle ne soit constituée par des fragments végé'aux provenant de cette fleur. Les figures qui accompagnent cette note montrent en effet l'identité desobjets. Un peu de mucus animal agglutine et salit les filaments isolés de la pelote, mais les petits poils sont bien la villosité rousse du calice du trèfle incarnat , et les frag- ments blanchâtres en sont les divisions subulées, lesquelles sont opaques et munies latéralement de poils analo- gues à la villosité du tube. Nous avons eu la chance de retrouver, parmi ces fragments blanchâtres de la pelote, quelques-uns d’entre eux qui offraient encore plusieurs ap- pendices latéraux (fig. 7 a), ce qui ne permet plus la moindre 10 146 ACADÉMIE DE ROUEN. incertitude sur l'origine de ces productions, quelque extraordinaire qu'elle paraisse au premier abord Si l’on compare les jeunes poils du cheval, cette contre - épreuve est tout-à-fait favorable à l'opinion que nous émet- tons ici. Ces poils présentent une sorte de gaine fusiforme à leur base ; transparents dans leur partie inférieure, ils de- viennent bientôt complètement opaques et finissent insensi- blement en une pointe légèrement translucide. Ils sont parfai- tement cylindriques, se cassent plutôt qu'ilsne se déchirent ; leur longueur est au moins dix fois plus considérable que celle des filaments de la pelote. On ne saurait considérer ces derniers comme des frag- ments de ces poils animaux, puisqu'ils présentent tous un sommet et une base. Ils sont d’ailleurs transparents d'un diamètre plus petit : leur surface est hispide et non lisse, les plus gros ne sont point cylindriques et creux, mais d'une nature fibreuse, aussi en voit-on qui sont déchirés et fendus (fig . 7). | Nous sommes portés à penser qu'il n'existe pas le moindre fragment de poil animal dans ces pelotes aux- quelles il faudrait donner un autre nom que celui d'éga- gropiles. ° L'analyse chimique est venue confirmer nos observa- tions microscopiques. Ainsi, cette matière ne contient que fort peu de principes azotés ; nous nous en sommes con- vaincus en la calcinant avec de la chaux sodée et recevant les produits gazeux dans une solution d’azotate mercureux. Elle ne renferme aucune trace de soufre, alors que les poils d'animaux en contiennent une proportion très notable. Traitée par l’éther , elle a donné 3, 3 p. °/° de matière grasse, seulement mélangée de chlorophylle, et, par la calci- nation, elle a fourni 29, 5 p."/, de cendres composées principalement de silice et de phosphate de chaux. CLASSE DES SCIENCES. 147 Dans 100 parties en poids de la matière telle quelle , nous avons trouvé en définitive : Ban ES Re RE CE le As Reroias SALE ere 0.5 Matière organique peu azotée. ......... ......, 87,7 Matière grasse avec chlorophylle...........,.... 3,3 Matières minérales, silice et phosphate de chaux... 29,3 Botal ee OT (NUL Si l'onalléguait que les juments qui se nourrissent exclu- sivement de trèfle incarnat, à certaines époques de l’année, ne contractent pas cette maladie, nous répondrions queles poulains ne broutent, en se jouant, que les sommités fleuries ; que cette villosité rousse, qui forme la masse presque entière des pelotes, n'existe que sur les calices, et enfin, que leurs jeunes organes digèrent peut-être moins facilement que ceux d’un adulte. Quoi qu'il en soit de l'explication, ce fait singulier de la production des pelotes reste certain et acquis à la science. Ces pelotes sont bien formées par la pubescence des calices du trèfle incarnat. La conclusion pratique à tirer de cette observation, c’est la nécessité de modifier l'alimentation des juments mères, ou de soustraire les poulains à l'effet mortel de l'usage du trèfle incarnat. MÉRATOLOGIE VEGÉTALE. et Q Q Q— QUELQUEN MOTS SUR UNE RACINE FASCIÉE DE SPIRÆA SORBIFOLILA, Par M. MALBRANCHE. Séance du 21 Décembre 1855. MESSIEURS , La monstruosité végétale que j'ai l'honneur de vous présenter est une de ces anomalies singulières que le hasard nous fournit. On a d'autant moins occasion de remarquer celles-ci qu’elles se développent sous le sol, où une cir- constance exceptionnelle peut seule les faire découvrir. Les auteurs qui ont traité de Ja Tératologie végétale, ont signalé très peu de fascies des axes souterrains. Il n'est peut être pas sans intérêt de nous arrêter sur le cas qui est venu à ma connaissance. Permettez-moi quelques ré- flexions à ce sujet. Les auteurs ont expliqué de diverses façons le phéno- mène de la fasciation. Les uns ont cru qu'il résultait de la soudure de l'axe et des rameaux. Il est certain que si, dans quelques cas, c’est bien là l'origine de l'anomalie, il en est beaucoup d'autres où il serait impossible de s’en rendre compte par cette hypothèse. Par exemple, on CLASSE DES SCIENCES. 149 trouve des végétaux fasciés qui sont habituellement uni- caules ; on remarque des branches en même nombre et avec la même disposition que dans l'état normal, La coupe d’une tige fasciée ne présente qu'un seul canal médullaire comprimé, tandis que l'on devrait en observer plusieurs, si elle résultait de la soudure de plusieurs axes. D’autres auteurs regardent la fasciation comme une sorte d’'hypertrophie. Le volume des axes, dit Moquin-Tan- don, peut en effet s’augmenter anormalement de diffé- rentes manières : soit par un allongement excessif (é/on- gations), soit par une dilatation uniforme dans tous les sens (exostoses), soit par une dilatation sur un seul plan (fascies). Ils forment, dans ce dernier cas, des expansions minces et élargies, prenant une apparence habituelle aux Cactus, aux Xylophylla, au Celosia cristata, au Passe- Velours, si commun et si admiré dans les parterres. On attribue les fascies à une surabondance de nourriture. La racine que je vous présente s’est développée libre- ment dans un sol riche en engrais. La soudure des axes, quelque nombreux qu’on les suppose, ne suflirait pas seule pour se rendre compte de cette fascie. Il y a là évi- demmnent dilatation latérale du tronc et des rameaux. Des coupes transversales, faites à diverses hauteurs, ne m'ont présenté qu'un seul canal médullaire très comprimé, ce qui rend inadmissible la supposition de la soudure des axes. D'ailleurs, la soudure ne peut s'entendre que de la réunion de parties originairement libres; or rien ne jus- tifie cette manière de voir. Il n’y aurait jamais que défaut de séparation. En effet, les faisceaux fibreux, dans la dis- position particulière que nous envisageons, ont de la dif- ficulté à se séparer ; abondants et pressés, ils restent long- temps unis, s'étendant latéralement, jusqu'à ce que le groupe qui s'éloigne enfin continue le même phénomène. L'observation, difficile dans les parties délicates des ra- 150 ACADÉMIE DE ROUEN. cines normales, est ici rendue commode par l'abondance et l'agglomération des parties. L'examen microscopique, fait à diverses hauteurs, nous a montré qu'un tissu fibreux, serré, tendre, uniforme, contenant une ligne de petits points (des vaisseaux sans doute), s'allonge le premier et forme l'extrémité des divisions. La moelle commence à se mon- trer ensuite. Toute cette partie est blanche et sans épi- derme. Plus haut, la moelle occupe un grand espace central qu'entoure une couche fibreuse solidifiée, et un épiderme brun protège tout le système. Si l'allongement des racines est dû à la descension du suc nourricier, ce serait lui qui, coulant avec abondance, s’extravase et s'organise en ce tissu fibreux, avant que les enveloppes protectrices ne l’accompagnent ; et il faudrait voir dans la partie corticale une production subséquente qui suit de loin le développement des tissus intérieurs. Enfin nous pouvons considérer cette partie blanche, dénu- dée, assez large qui termine les ramifications, comme cor- respondant au chevelu des racines normales. ECONOMIE RURALE. DE LA CULTURE DU MURIER ET DB L'ÉDUCATION DU VER A SOI DANS LE NORD DE LA FRANCE, PAR M. LE D' CAZIN, Membre correspondant. ( Séance du 3 Août 1855.) La sériciculture a été essayée à diverses époques dans le Nord de la France. Indépendamment des causes nom- breuses qui s'opposent ordinairement à l'introduction d’une nouvelle branche d'industrie agricole, des essais infructueux, par défaut d'expérience; ont jeté le découra- gement et favorisé les préventions contre la culture du mürier et l'éducation du ver à soie dans nos départements septentrionaux. L'autorité des faits, des résultats avan- tageux et bien constatés peuvent seuls détruire ces pré- ventions. L'éducation du ver à soie est tout-à-fait artificielle (1). (1) Dans le Midi de la France, où l’industrie séricicole a aujour- d'hui une grande extension, on est occupé jour et nuit pendant un mois à la magnancrie. Les uns cueillent les feuilles, les autres les distribuent aux vers qui s’en nourrissent ayec une incessante 152 ACADÉMIE DE ROUEN. Dans les climats les plus favorables, en Italie, en Espagne, il lui faut une chaleur plus grande que celle de l’atmos- phère, et des abris pour le garantir des intempéries de l'air. Ces deux conditions peuvent s’obtenir partout; on a pu élever des vers à soie dans des climats qui semblaient éloigner toute idée de réussite. En Prusse, dans les en- virons de Postdam , on récolte, dit-on, plus de quarante milliers pesant de cocons par année. Il est à remarquer que les plus beaux succès obtenus en France l'ont été, non dans le Midi. mais sous la latitude de Paris, où, comme on le sait. la première magnanerie fut établie au xvi siècle par Olivier de Serres. Le mûrier ne s’y dévelop- pant que vers la fin d'avril. il y est exposé, moins que EEE activité. On soigne ces derniers avec la plus minutieuse attention ; on veille au maintien de la température dans les places où ils sont renfermés; on tremble qu'un orage ne vienne impressionner ces laborieux insectes. L'éclosion de la graine se fait presque partout artificiellement. Quelques femmes de la campagne provoquent cette opération en plaçant les œufs dans leur sein. Mais le plus ordinairement voici les moyens qu’on emploie pour former une colonie sétifère : on opère au moins sur trente grammes; on fait tremper les œufs nouvellement pondus dans l’eau de puits ou de citerne pendant six minutes, on les lave, on rejette ceux qui surnagent, on met les autres à sécher, puis on les place dans des boites de carton ou de bois très minces que l’on tient dans une chambre chauffée par un poèle poussé graduellement, jusqu’au douzième jour, de 17 degrés et demi à 28 degrés centigrades. Une chaleur plus grande hâterait sans doute l'opération, mais elle nuirait à la régularité progressive : il vaut mieux retarder de deux ou trois jours la naissance du ver, en conservant une température soutenue au même degré. Cinq époques précèdent la perfection du coron. A chacune d'elles il y a urgence de renouveler l'air, nécessité de maintenir la température, et de proportionner la quantité de nourriture au nombre de jours qui s'écoulent entre chaque époque. Lorsqu'une chambrée de magnans , où vers à soie, arrivée à Ha CLASSE DES SCIENCES. 153 dans le Midi, à ces gelées blanches qui se font sentir trop souvent dans les preniers jours de ce mois. Ajoutons à cet avantage celui d’une plus grande régularité des saisons à mesure que l’on avance dans le Nord. Si le Midi a moins de jours nébuleux, les orages y sont plus violents et plus désastreux pour tous les genres de culture. À Paris, et même dans la plupart des départements du Nord, les changements atmosphériques sont en général moins brusques. Les pluies y sont plus fréquentes, il est vrai, mais plus douces, plus uniformes, et n'ayant pas une influence aussi funeste sur les vers à soie. On peut toujours se défendre du froid au moyen de fourneaux ou de cheminées, mais il n’est pas facile de se quatrième période de son existence, est en train de prendre son repas ordinaire. le bruit que les magnans font en mangeant, ressemble parfaitement à une averse de printemps, à une pluie continue. La quantité de feuilles que le ver à soie dévore est énorme. Le moment le plus critique comme le plus intéressant est celui de la monte. Le ver alors a accompli son dernier repas, il a atteint son trente-deuxième jour d'existence; transparent et mou , il est mûr. On prépare immédiatement des fagots de bruyère, de chiendent ou de genêt, vers lesquels il se traîne dès qu’il les sent; il aban- donne les claies où ils’était tenu jusqu'alors et se met à filer son cocon , qu’il perce bientôt, transformé en papillon. Le cocon se forme quatre jours après la monte du ver sur les fagots. On dérame alors, et après avoir séparé les cocons pour graine, on passe ceux qui sont destinés au commerce dans un étouffoir, afin d'empêcher la métamorphose. Le filage du cocon se fait au moyen d’une grande bassinoire remplie d’eau chaude, dans laquelle on le laisse surnager. Les fils sont adroitement détachés par une femme, qui les lie en- semble et les fait passer dans un barbin, pour aller ensuite se former en écheveau sur un guindre. Telle est la description, très succincte sans doute, de l'industrie séricicole, mais suffisante pour en donner une idée exacte aux personnes qui l'ignorent. 154 ACADÉMIE DE ROUEN. défendre de la chaleur, qui parfois est très nuisible aux vers à soie. Lorsque la température du dehors s'élève de 20 à 25 degrés Réaumur à l'ombre, celle des ateliers, plus grande encore , s'abaisse difficilement au-dessous de la chaleur extérieure, malgré les moyens de ventilation. Les touffes ou chaleurs sourdes sont souvent fatales. Il est à remarquer que, dans toutes les contrées méri- dionales, on obtient plus de succès dans les montagnes, où la chaleur est moins grande et la température rapprochée de celle du centre de la France. Ainsi, les montagnes du Vivarais, les Cévennes , à des hauteurs où la vigne ne réussit pas , donnent souvent de meilleure soie, et en plus grande abondance que les plaines du Dauphiné, du Cantal et du Languedoc Dans le Nord de la France, les difli- cultés ne viennent donc point du ver à soie, mais de l'arbre qui seul , jusqu’à ce jour , peut lui fournir sa nourriture, Dans le Midi, le mürier , à la faveur d’une saison plus longue et plus chaude, peut se rémettre de l'enlèvement de ses feuilles. Moins fatigué , il devient plus grand, il est plus durable, plus productif. On voit dans le Vivarais, dans les Cévennes, et même dans le Dauphiné, des mûriers de deux mètres et plus de circonférence , qui donnent une énorme quantité de feuilles, tandis que ceux du centre et du Nord de la France atteignent à peine un mètre de tour. Il est incontestable que les cultivateurs des départements méridionaux ont sous ce rapport un avantage réel. Cepen- dant, en renouvelant nos petits müriers, en cultivant beaucoup de variétés naines, les plantations du Nord, ainsi que l'expérience l’a démontré, peuvent fournir une nourriture Suflisante pour donner à l'établissement de l'industrie séricicole, dans nos contrées septentrionales, les résultats les plus satisfaisants. On a dit que les feuilles du mürier, venues dans un pays beaucoup plus humide que le Midi, étaient moins riches CLASSE DES SCIENCES. 155 en principes nutritifs, plus aqueuses , et devaient fournir une soie moins parfaite. Les faits ont répondu à cette objection : on sait que la soie récoltée dans les environs de Paris est fort belle et de bonne qualité. Nous prou- verons plus loin qu'il en est de même de celle qu'on obtient dans les départements du Nord , pourvu que l'on choisisse un terrain et une exposition convenables. On objecte aussi que, dans le Nord, la végétation tardive du mûrier oblige de-retarder beaucoup le moment de com- mencer l'éducation des vers, et que l’époque où l'on a besoin d'y employer le plus de bras, est aussi celle de la moisson et des travaux les plus urgents de l’agriculture. Le mois d'août serait aussi, dit-on, moins favorable, non seu- lement à cause des orages et des fortes chaleurs, mais aussi parce que les müriers auraient peu de temps pour repousser de nouvelles feuilles et mürir leurs jeunes ra- meaux, ce qui les alièrerait et abrègerait leur durée. Mais on peut hâter la végétation des mûriers en les plan- tant à bonne exposition , dans un terrain convenable , et en leur donnant tous les soins possibles. Les terrains légers, secs, graveleux, sablonneux, incultes, exposés au Midi, donnent à la feuille une qualité supérieure à celle des arbres plantés au Nord et qui jouissent peu des rayons viviliants du soleil, Cette différence est commune à presque toutes les productions végétales. Le voisinage des rivières est nuisible : la feuille y est exposée à la rouille , et devient, dans cet état, une mauvaise-nourriture. Les coteaux sont préférables aux plaines, et principalement aux lieux bas, peu aérés et humides. Quand , dans ces endroits, il ya des brouillards , s’il règne un vent bas du Nord , il gèle blanc ; les feuilles tendres, et quelquefois même les jeunes pousses sont perdues. D'autres fois, l'humidité qui s'élève s'attache aux feuilles, dont l'épi- derme est ensuite desséché et brûlé par le soleil. 156 ACADÉMIE DE ROUEN. Si la mollesse de la partie ligneuse et la largeur du conduit médullaire dans le mürier lui donnent l'avantage de reproduire facilement des feuilles quand on l'a dépouillé, cette même organisation le rend plus délicat et plus sujet que les autres espèces à la carie et au chancre. On fait un tort considérable au mürier en l’effeuillant trop jeune. Il vaut beaucoup mieux aussi, surtout dans le Nord , diminuer de quelques onces une éducation , que d'épuiser l'arbre enle privant complètement de ses feuilles, et, par conséquent, des principes nutritifs que ces der- nières puisent par absorption dans l'atmosphère. La pré- caution de cueillir un peu partout, sans dénuder tout-à- fait un rameau, et en laissant tout au moins un tiers des feuilles, maintient l'équilibre de la sève et les moyens suffisants de nutrition aérienne. Dépouillé entièrement , et obligé de tirer toute sa nourriture du sol, le mûrier, comme tous les arbres privés de feuilles, souffre, languit quelques années, devient rachitique et meurt. On ménage moins le mürier dans les régions méridionales , où la sève est si active, qu'il repousse de nouvelles feuilles jusqu'à deux ou trois fois après une récolte complète. A Florence, en Toscane , avec la moitié moins de müriers qu'on en cultive en Piémont, on élève le double de vers à soie. On fait éclore les œufs en deux différentes fois, et dans les moments où les müriers sont en feuilles de la première et de la seconde pousse. Si les essais tentés à diverses époques dans les départe- ments du centre et du Nord de la France pour l'établisse- ment de l’industrie séricicole n’ont donné le plus souvent que des résultats incertains , c'est, nous le répétons , que les connaissances spéciales, soit pour la culture du màrier, soit pour la direction de la magnanerie, ont fait défaut. Dans le Midi, on ne se décide à confier à un magnanier la surveillance des travaux qu'autant qu'on est convaincu CLASSE DES SCIENCES. 157 qu'il a acquis les connaissances théoriques et pratiques par un long apprentissage , sous un homme parfaitement exercé dans cet art, et qu'il a dirigé pendant plusieurs années , sous les ordres de ce dernier, un atelier consi- dérable. Il eût fallu , pour réussir, apporter dans le Nord, avec toute sa perfection, la sériciculture du Midi, et y intro- duire, en outre, les modifications nécessitées par le degré de latitude , la position topographique , les circons- tances locales , etc. Il était réservé à un Lyonnais, M. Champailler, fabri- cant de tulle à Saint-Pierre-lès-Calais, homme actif, intelligent et doué surtout de l'esprit d'observation, de remplir en tous points ces conditions , d'obtenir les plus beaux résultats, et de convaincre ainsi de la possibilité d'établir et de propager la sériciculture dans les contrées sptentrionales de la France. M. Champailler choisit dans sa propriété du Beau-Marais, située à quatre kilomètres de Saint-Pierre , les parties de terrain les plus sablonneuses , qu'il abrita au nord et à l’ouest (1) par une palissade en roseaux ; mais, prévoyant que l'entretien de cette dernière serait très coûteux et de courte durée, il planta derrière, et en même temps, une haie de bois tendre, tels que peupliers de la Caroline et du Canada, saules , aulnes, etc. Le terrain , défoncé à un mètre quinze centimètres de profondeur, fut divisé en deux parties , dont l’une destinée à la pépinière , l’autre à la plantation à demeure des mûriers. Dans la partie destinée à la plantation à demeure, M. Champailler fit ouvrir, dans le courant du mois de sep- tembre, par un temps sec, à quatre mètres de distance (1) Dans le Calaisis , les vents d'ouest et du sud-ouest règnent environ neuf mois de l’année. 158 ACADÉMIE DE ROUEN. les uns des autres , des fossés de deux mètres de largeur sur un mètre quinze centimètres de profondeur , en jetant d'abord sur deux côtés de chaque fossé la première partie de la terre, et le reste sur les deux autres côtés. Ces fossés restèrent ouverts jusqu'à la fin de décembre, époque à laquelle on commença la plantation avec des plants venus de Valence (Dauphiné). On ficha dans le fossé un gros pieu droit pour tuteur ; on y jeta la première terre, la plus végétale, ayant soin d'en mettre davantage près du pieu ; on plaça ensuite le mûrier à côté de ce dernier, en disposant régulièrement et horizontalement les racines étendues et sans enfre- croisement. On recouvrit ces dernières avec de la terre meuble et bien brisée, sur laquelle on jeta une couche mince de fumier bien consommé. On attacha l'arbre au tuteur avec un osier, après quoi on acheva de combler le fossé, en ayant soin d'y jeter d'abord la terre la plus meuble. Ces précautions sont communes à toutes les plan- tations ; mais elles doivent être particulièrement observées dans celles des jeunes mûriers. Aussi M. Champailler en a-t-il perdu fort peu et seulement parmi ceux dont les racines avaient été accidentellement endommagées par l'arrachement ou pendant le transport. Dans la partie de terrain destinée à fournir une pépinière, M. Champailler fit ouvrir, vers la fin d'avril, des sillons sur les ados desquels il fit tracer une petite raie. On répandit fort clairement dans cette raie de la graine de mûrier blanc que l'on recouvrit légèrement de terre bien brisée et bien meuble. Lorsque la graine fut levée et que les plants eu- rent atteint dix à douze centimètres de hauteur, on les fit éclaircir de manière à laisser d'un pied à l’autre une dis- tance de 10 à 11 centimètres. A la fin de la première an- née, les plants avaient de 40 à 50 centimètres de hauteur. Au commencement de l’année suivante, c’est-à-dire au CLASSE DES SCIENCES. 159 mois de mars, tous ces jeunes müûriers furent coupés à fleur de terre, en ayant soin de les ébranler le moins pos - sible. Lorsqu'ils commencèrent à pousser, on ne laissa qu'un seul bourgeon à chaque pied, afin de n'avoir qu'un seul jet. Ce jet, à la fin de la deuxième année, dépassa la hauteur d’un mètre. Au printemps suivant, on fit de nou - veau couper les tiges à ras de terre, n'y laissant toujours qu'un seul bourgeon C’eût été le moment de greffer ceux qui étaient assez gros, mais ne sachant pas faire cette opé- ration, et ne trouvant personne capable de la faire, M. Champailler laissa croître naturellement ses jeunes müû- riers en sauvageons, ce qui, du reste, est sans inconvé- nient, puisqu'il est reconnu que si les sauvageons donnent des feuilles moins grandes et moins épaisses, elles sont de meilleure qualité et plus nutritives que celles des müriers greftés. Au troisième printemps, M. Champailler fit arracher tous ses jeunes müriers, et immédiatement replanter dans le même terrain, à deux mètres les uns des autres. Il les fit recouper à fleur de terre pour avoir une tige forte et bien unie. Depuis lors, il les laissa croître dans cette pépinière, d’où il retire les plus beaux pieds toutes les fois qu'il trouve des emplacements propres à les recevoir à demeure, c'’est- à-dire pour ne plus les déplanter. Depuis plusieurs années, tous les müriers de la pépi- nière, comme ceux plantés à demeure, peuvent être effeuillés pour nourrir les vers à soie. En 1848, M. Champailler fit éclore 60 grammes de graine, dont il obtint 64 kilogrammes de cocons. La soie filée à Lyon fut reconnue par de véritables connaisseurs pour être d'aussi bonne qualité que celle qu’on récolte dans le Midi de la France. En 1849, M. Champailler jugea à propos de faire tailler à tête tous ses müriers pour leur faire acquérir plus de 160 ACADÉMIE DE ROUEN. force. « Mieux instruit, dit-il, je n'aurais fait élaguer que le bois mort ou les branchilles, et je n’aurais mis aucune interruption dans mes récoltes, tandis que j'ai dû, par cette taille inopportune , attendre que les nouvelles bran - ches eussent acquis assez de force pour recueillir les feuilles. » Ce ne fut qu'en 1853 que M. Champailler put se remettre à l’œuvre. Le 31 mai de cette année, voyant que ses mû- riers commençaient à bourgeonner, il mit 64 grammes de graines à éclore. En quatre jours, l’éclosion fut complète, et les vers, éclos du 31 mai au 4 juin, se trouvaient déjà mûrs pour monter à la bruyère du 5 au 8 juillet Ainsi en trente-cinq ou trente-six jours, leur éducation fut termi- née. Quelques jours après, on retirait les cocons de la bruyère, et l'on obtenait pour récolte 80 kilogrammes 500 grammes de ces derniers. « Ce résultat eût été bien supérieur, dit M. Champailler, si j'eusse fait retarder l'éclosion de la graine d’une quinzaine de jours, ce qui eût donné à la feuille le temps de se développer, et m'eût fourni ainsi les moyens d’en donner une quantité suffisante à mes vers pendant leur dernier âge; par cette faute, j'ai perdu environ le quart de la récolte que j'aurais eue. » Ce nouvel essai fut, sous plusieurs rapports, des plus sa- tisfaisants, en ce sens que M Champailler parvint à faire dans une chambre mal chauffée, mal aérée et tout-à-fait au-dessous des conditions voulues pour une bonne ma- gnanerie, une récolte aussi avantageuse que celle qu’on obtient en général dans plusieurs départements du Midi. En 185%, M. Champailler n'a mis à éclore qu'une once (30 grammes) de graine, parce qu'ayant fait tailler ses ar- bres dès le mois de mars, il ne devait compter que sur 1,000 à 1,200 kilogrammes de feuilles. Cette graine, pro- venant d’un de ses correspondants de Lyon, qui se l'était procurée d'un marché de pacotilleur, ne s'est pas trou- CLASSE DES SCIENCES. 161 vée être de première qualité : le quart environ de la quan- tité n'avait pas été fécondé. Il n'y a eu, en réalité, que vingt- deux grammes de graine qui, mal fécondée, n'a produit que la moitié des vers que M. Cham- pailler aurait eus sans ces fâcheuses circonstances. Cepen- dant, il a récolté dix-sept kilogrammes de cocons d'une bonne qualité et qui lui ont procuré une soie nerveuse et ‘tout aussi bonne que celle qu’on obtient dans les Céven- nes, Quelques flottes de cette récolte ont été admises à l'exposition. « De plus en plus, dit M. Champailler (lettre du 14 juil- let 1855), jeme confirme dans la conviction que cette industrie peut s'étendre avec avantage dans ce pays ; mais aussi il faut beaucoup de persévérance et de soins pour étudier les moyens de hâter la végétation des mûriers et de les cultiver convenablement et en temps opportun. J'ai remarqué que la taille de cet arbre devait, pour être efli- cace , être faite, dans ce pays, dans les premiers jours de mars. L'ouvrier que j'ai fait venir du Midi pensait pouvoir faire ici cette opération comme on la fait dans son pays, c'est-à-dire après l’entier dépouillement , qui n'a lieu qu'à la fin de juin ou dans la première quinzaine de juillet. Cette pratique n'est pas admissible dans le Nord , Car les nouveaux jets qui naissent de ces arbres n’ont pas le temps de s’aoûter convenablement, ce qui devient fatal non-seu- lement aux nouvelles branches, mais encore porte souvent une atteinte mortelle à l'arbre lui-même, surtout quand il survient un hiver aussi rude que celui que nous avons eu. J'ai aussi remarqué que ce serait avec fort peu de succès qu'on opèrerait la greffe du mürier dans ce pays, par la raison que les vents et le froid qui règnent dans nos con- trées à l'époque où cette opération doit être faité, ne per- mettent pas à la sève de monter si vite. Suivant moi, il vaut mieux (si l'on ne veut pas s'en tenir. aux Sauvageons, 11 » 162 ACADÉMIE DE ROUEN. afin d'avoir des feuilles plus grandes) faire venir du Midi des plants greffés de 3 ans, qui ne coûtent que 35 à 40 cen- times la pièce, et qui, au bout de deux ou trois ans, vous donneront environ six kilogrammes de feuilles. J'en ai fait venir cette année 400 de Valence, qui ont été plantés à la fin de février, et j'ai l'agrément de n’en avoir pas un seul de manqué. Mais comme tout cela serait dispendieux pour conduire cette affaire en grand, je crois pouvoir obtenir d'aussi bons résultats par mes semis. L'an dernier, j'en ai fait un qui a bien réussi, et qui me fournira au moins 3,000 sujets qui seront à replanter au mois de mars de l'année prochaine ; j'en ai fait un nouveau cette année qui s'annonce aussi très bien. Par ce moyen, je n'aurai plus à recourir aux pépiniéristes étrangers, je me suflirai à moi-même, et de plus, je pourrai en approvisionner ceux de mes conci- toyens qui voudront suivre mon exemple. « Je ne vous dirai rien encore de mes travaux relatifs à l'éducation de vers à soie de cette année. Seulement, je vous apprendrai qu'elle s'opère à ma satisfaction, et que je serais charmé si vous pouviez me faire le plaisir de venir passer quelques jours chez moi pour juger un peu de la chose par vous-même » Si les essais de M. Champailler ont sufli pour le con- vaincre de la possibilité d'établir la sériciculture dans le Nord de la France, ils lui ont donné en même temps la certitude que le succès de l'entreprise dépend, en grande partie, des soins intelligents de ceux qui la dirigent. C'est à cette dernière considération qu'il faut surtout s'attacher ; car il est incontestable que le terrain de notre pays convient très bien au mûrier, que le climat, moyennant quelques pré- cautions, ne lui est pas contraire, que l'éducation du vers à soie y est aussi facile que dans les pays chauds, et peut donner des résultats aussi satisfaisants que dans ces der- niers, La chose principale est d'empêcher l'éclosion de la CLASSE DES SCIENCES. 163 graine de devancer la végétation des müriers, afin de n'être pas obligé de dépouiller ceux-ci avant que la feuille ait eu le temps de se développer convenablement. Pour cela, il faut, d'un côté, hâter la végétation des müriers par une cul- ture bien entendue ; de l’autre, retarder l’éclosion de la graine en la tenant à la cave, de manière à faire coïncider ces deux conditions. Après avoir fait construire une magnanerie d'après les meilleurs principes, M. Champailler a confié son établisse- ment à des ouvriers du Midi, dirigés par un chef habile, Lyonnais comme lui, et familiarisé depuis longtemps avec ce genre d'industrie. Il espère, dès cette année, récolter une assez grande quantité de soie pour alimenter sa fabri- que de tulle, créée depuis plusieurs années, et dont les produits sont avantageusement connus dans le com- merce. L'établissement séricicole de St-Pierre-lès-Calais devait nécessairement appeler l'attention de la science et de l'in - dustrie : le congrès scientifique d'Arras a décerné une médaille d'or à M. Champailler. C’est à la fois sanctionner d'honorables travaux et accorder une récompense bien méritée. Un succès apprécié et authentiquement reconnu est un exemple offert à l'esprit progressif, une certitude donnée à l'imitation, un encouragement qui porte toujours ses fruits. La sériciculture, nous ne nous le dissimulons pas, rencon- trera des diflicultés dans le Nord. Pour les surmonter, rap- pelons-nous que cette industrie fut d’abord très mal ac- cueillie dans le Midi par les cultivateurs, toujours prévenus contre les innovations. Il fallut, pour l’établir, la bien- veillante intervention du Gouvernement, dont les pépinières fournissaient gratuitement les jeunes müriers. L'adminis- tration provinciale les faisait elle-même cultiver pour ame- ner à la conviction par l'expérience, à la propagation par 16% ACADÉMIE DE ROUEN. des succès incontestables et répétés. Pourquoi les mêmes encouragements ne produiraient-ils pas les mêmes effets dans le Nord de la France? L'exemple est donné, l'expé- rience a prononcé, la conviction est arrivée comme con- séquence, l'application pratique étendue ne peut manquer d'en être tôt ou tard l'heureux résultat. STATISTIQUE MÉDICALE. MÉMOIRE SUR LA MORTALITÉ DES ENFANTS TROUVÉS NOUVEAU-NÉ, | Par M. LE Dr H. DUCLOS. (Séance du 30 Novembre 1855 ) Messieurs , L'exposition du nouveau-né par sa mère est une des plaies les plus douloureuses de la société. Observé depuis les temps les plus reculés, cet abandon constitue encore, dans certains pays, un usage tellement invétéré qu'il passe inaperçu, et semble ne devoir jamais disparaître. En France, depuis plusieurs siècles, la charité s’est émue de cette misère ; elle en a cherché le remède. Saint Vincent de Paul a eu la pensée d'établir un asile pour recueillir tous les enfants que leurs mères exposaient, et qui, auparavant, mouraient çà et là dans les endroits écartés où le désespoir et la honte les allaient cacher. Cette admirable institution prévenait le crime, élevait les enfants recueillis, les instruisait, les conservait à la société , où quelques-uns ont brillé d’un éclat remarquable. Aujourd'hui, l'administration des hôpitaux est en pos- 166 ACADÉMIE DE ROUEN. session du privilége de recueillir les enfants que leur mère repousse , soit que , la misère pervertissant chez elle le sen- timent de l'amour maternel, elle livre pour toujours à des mains étrangères la vie du petit être qu’elle désespère de pouvoir nourrir, soit qu'elle veuille couvrir la faute d'une grossesse illégitime par la faute tout aussi grave de l'expo: sition du nouveau-né. L'institution , telle qu’elle existe aujourd'hui , présente- telle toutes les conditions désirables pour empêcher ce vice de notre sociéte d'augmenter ? Ne pourrait-elle pas ètre améliorée , afin que le sort des enfants füt plus heureux? Tel est le sujet sur lequel nous désirons appeler l'atten- tion de l'Académie. Déjà, depuis longtemps, l'administration des hôpitaux fait les plus grands sacrifices pour remédier à la mortalité qui pèse sur les enfants trouvés. L'administration des hôpi- taux de Rouen, en particulier, a toujours donné la plus grande attention à cette question. Dès l’année 1766, elle provoquait un remarquable rapport de M. Leschevin, chi- rurgien, un des premiers membres de cette Académie , et, plus tard, elle a excité le zèle des nourrices, au moyen de l'argent, au moyen des primes, des encoura- gements, etc. Rien n’a été épargné; mais il nous semble, par les études auxquelles nous nous sommes livré, que l'on aurait pu faire des sacrifices moins grands, ou leur donner une meilleure direction, en s'inspirant mieux de la physiologie du nouveau-né. Ce qui nous a engagé, Messieurs, à toucher, malgré notre inexpérience, un sujet aussi grave que celui dont il s'agit, c'est la mortalité qui frappe les enfants trouvés nouveau-nés, notamment à Rouen. Disons-le tout de suite, sur 400 enfants âgés de moins de deux mois, exposés, ilen meurt 83 avant l'âge d’un an. Il nous a semblé que, devant un nialheur aussi grand, CLASSE DES SCIENCES. 167 il était nécessaire de soulever encore une question tant de fois débattue , et de la soumettre au jugement de personnes dont le savoir égale la charité. Messieurs, d'après la loi de la mortalité dans la ville de Northampton, sur 100 enfants nouveau-nés, 74 survivent au bout d’un an. D'après la loi de la mortalité dans la ville de Carlisle, il y a 8% survivants sur 100 Eu 1853, à Paris, il y a eu 34,049 naissances. La mort a enlevé 3,048 enfants âgés de 3 mois ; — 582 — de 3 à 6 mois; — 1,296 _— de 6 à 12 mois. Total.:.. 4,926 — de 0 jour à f’an. D'après ce tableau, sur 100 naissances, il y aurait 86 survivants au bout de l’année. En 1853, à Lille, sur 2,4#% naissances, 443 enfants d’un an et au-dessous sont morts ; Ce qui donne 82 survivants au bout d’un an, sur 100. A Rouen, en 185%, il y a eu 3 117 naissances , 1,097 décès d'enfants au-dessous d’un an, y compris les enfants morts-nés. Soit 900 décès d'enfants viables, au-dessous d’un an; ce qui donne 72 survivants, au bout d'un an, sur 100 naissances. Ainsi la mortalité serait : De 26 p. ./° à Northampton. 146 — à Carlisle. 1% — à Paris. 18 — à Lille. 28 — à Rouen. Mais permettez-nous de faire observer que ces tableaux de la mortalité nous paraissent ne pas exprimer le chiffre 168 ACADÉMIE DE ROUEN. réel de Ja mortalité des enfants dans la première année , parce qu'on connaît seulement les décès des enfants qui sont restés en ville ; on ignore les décès de ceux qui ont été envoyés en nourrice, [1 faudrait comparer le chiffre des décès d'enfants au-dessous d'un an avec le nombre de ceux qui sont restés dans l’intérieur de la ville, Ce calcul est à peu près impossible ; s'il était possible , il élèverait le chiffre de la mortalité. Nous avons eu d'ailleurs l'honneur de vous montrer, dans un précédent mémoire , que, dans la classe malaisée du peuple, la mortalité des enfants au-dessous d’un an, était de 50 à 60 p. °/,; la moyenne pour Rouen étant 28, la mortalité des enfants dans la classe plus aisée serait nulle ou à peu près insignifiante, ce dont l'expérience dé- montre l'inexactitude. Les tables de mortalité en France devraient nous donner un chiffre exact, puisqu'elles doivent résulter de la com- paraison du chiflre total des naissances avec le chiffre total des décès. Elles donnent une mortalité très peu consi- dérable. D'après la table de mortalité en France, par Duvillard, sur 100 enfants, il en meurt 26 dans la première année, 74 survivent, D'après celle de Deparcieux , complétée pour les pre- mières années , il en meurt 17; 83 survivent. D'après la nouvelle table que M. Quetelet a rédigée pour l'époque présente , sur 1,000 enfants nés vivants en Bel- gique , 150 meurent dans le cours de la première année ; il y a donc 17 chances contre 3 que l'enfant qui vient de naître en Belgique , vivra au moins { an. Ainsi, en France , la mortalité serait : De 26 p.°/,, d'après Duvillard (1806 ). 17 — d'après Deparcieux, complété, CLASSE DES SCIENCES. 169 En Belgique , pour l'époque actuelle : De 17 p. % d'après M. Quetelet. En résumé, quelle que soit la statistique, la mortalité des enfants dans la première année est de 17 p. °/, au moins , de 50 à 60 p. . au plus. Ce dernier résultat est partiel ; il est la conséquence des mauvaises conditions hygiéniques où se trouvent les en- fants des pauvres , nés de parents chétifs, élevés pour la plupart au biberon , privés du sein maternel qui, selon la loi naturelle, devrait être donné à tous les nouveau-nés dans les premiers mois de la vie, ou bien recevant, comme nourriture supplémentaire au lait maternel, des soupes, des bouillies et autres aliments grossiers, ces enfants of- frent à la mort la moitié de leur nombre. C’est la règle générale dans le temps où nous vivons. La même obser- vation s'applique aux animaux mammifères qu'on veut élever autrement qu'avec le lait de l'espèce. Les enfants exposés aux crèches des hospices, devaient offrir la même mortalité, et nous l’eussions considérée comme la triste conséquence et de leur origine et de l'ali- mentation artificielle. Nous ne nous en serions pas préoc- cupé plus que d'un fait presque naturel, communément observé ; mais la mortalté qui les frappe, dépasse toutes les prévisions , elle s'élève à plus de 80 p. °/, dans les trois années qui viennent de s’écouler. Voilà pourquoi, Messieurs, nous avons tenté de rechercher la cause de ce fait déplorable. Avant de vous exposer les chiffres qui attestent ce ré- sultat, nous devons vous dire que, pour comparer la mor- talité des enfants trouvés avec celle des enfants de la ville , au point de vue de l'éducation physique du premier âge , il ne fallait pas considérer la fotalité des exposés pendant une année et la mortalité qu'ils avaient offerte, car vous 170 ACADÉMIE DE ROUEN. savez que le total des exposés comprend des enfants âgés de 3 mois à { an, de { an à 6 ans, qui ont déjà plus de chances d'existence. Il serait arrivé que la mortalité qu'ils présentent, n'aurait pas été comparable avec celle des enfants de la ville considérés à partir de la naissance. C'est en prenant la totalité des enfants trouvés de 0 jour à 12 ans, que l’on peut dire, comme M. Ambroise Tardieu : « La mortalité des enfants trouvés, à Paris, est à peu près « de 18 p. 0/0 en moyenne; elle frappe principalement « les nouveau-nés qui, du reste, sont souvent débiles et « maiadifs quand on les apporte à l'hospice. » Ou cette autre phrase qui se trouve dans le Compte- Eendu des travaux du Conseil d'hygiène de Lille, 1853, page 323 : « Les enfants trouvés et orphelins du département de la « Seine , placés en pension dans l'arrondissement, s'élè- « vent au nombre de 820 ; ils forment deux catégories : la « première, comprenant les élèves de 1 jour à 12 ans, en « renferme 500 , et la seconde ceux de 12 ans à 21, 320. « 60 enfants de la 1'° catégorie et un seul de la seconde, «sont décédés pendant l'année ; la mortalité a frappé « presque exclusivement les élèves de { jour à 2 ans.» Vous voyez, Messieurs, que l'on ne présente pas, dans les comptes-rendus ofliciels , de documents pouvant servir à la question de l'éducation physique du nouveau-né, dans les hospices d’erfants trouvés. Dans ce mémoire nous ne considèrerons que les enfants âgés de moins de 2 mois. Cela entendu , il ressort du relevé fait dans les bureaux de l'administration des hospices qu’en l'année 1852, Le total des enfants exposés au-dessous de l'âge de 2 mois, est de 446. Sur ce nombre, ilen est mort à la crèche. . . . 122 On en a envoyé à la campagne, . .: . . . . . . 324 CLASSE DES SCIENCES. 171 Au bout d'un an il y avait seulement 78 survivants ; Ce qui donne la proportion de 17 survivants sur 100. En l'année 1853 : Total des exposés au-dessous de 2 mois. . . + + #47 Morts a las CRéCREr. EE LS GI ET or 172 Envoyés à la campagne . 275 Survivants au bout d'un an, 7t. Proportion : 15 survivants sur 100. En l'année 1854 : Exposés au-dessous de l'âge d'un mois : . . . + 439 Mons la CrécHe Ten ee OS ue TES Envoyés à la campagne. . . . . . . . . . - . 291 Sontiarrivés à l'âge d'un'an:. . + \... ., 18 Proportion : 17 survivants sur 100 Les survivants sont tous à la campagne puisque, dès que les enfants sont à peu près bien portants , on les envoie en nourrice , on ne les garde pas à la crèche. Si l’on veut maintenant considérer les survivants, non plus par rapport au nombre total des exposés, mais par rapport à celui des exposés envoyés en nourrice , On trouve que la mortalité à la campagne a été : En 1852, de 76 p. ‘/ 1853, de 74 — 1854, de 74 — Ce résultat est grave, lorsqu'on songe que cette morta- lité s'exerce sur les plus valides des enfants, et lorsqu'on sait que la moitié de ces enfants envoyés à la campagne sont placés chez des nourrices au sein. — Mais, disons-le tout de suite, il est certain que ces nourrices au sein ne remplissent pas leurs engagements, car il résulte de l'exa- 172 ACADÉMIE DE ROUEN. men des tableaux que la mortalité est plus forte ou tout au moins aussi forte parmi les enfants confiés à leurs soins, que parmi ceux qui prennent le biberon, ce qui est formellement contraire à l'expérience la plus commune. Vous appréciez, Messieurs, toute l'étendue du mal; nous arrivons à la partie la plus dificile de ce travail, à la re- cherche des causes et à celle du remède. La cause essentielle de la mortalité des enfants trouvés, c'est l'immense difliculté d'élever des enfants nouveau- nés avec du lait autre que le lait d’une femme. C’est en vain que la physique et la chimie ont comparé le lait de la vache et celui de la femme afin de rapprocher autant qu'il est possible leurs qualités, on n'est arrivé qu'à faire un mélange plus ou moins imparfait et toujours anti- physiologique. C’est une faveur exceptionnelle que, parmi les nouveau-nés, on puisse en élever la moitié par ce régime. Joignez à ce grave inconvénient {outes les mauvaises conditions où l’on plaçait les enfants trouvés à la fin du siècle dernier, et vous comprendrez comment Tenon déclarait dans ses mémoires sur les hôpitaux, que, sur 100 enfants trouvés, 90 mouraient dans la première année, et lorsque l'Hôtel-Pieu de Paris envoyait à l'hospice 12 à 1,300 enfants par an, ilen mourait environ 400 dans les premiers jours de leur entrée. Si, de nos jours, la mortalité a un peu diminué, c’est grâce à l'amélioration du service sous plusieurs rapports ; mais la condition essentielle de l'allaitement au sein fait défaut ; elle manque surtout dans les premiers jours de la naissance, précisément à l'époque où elle est à peu près in- dispensable. Tous les jours nous voyons à l’hospice des enfants, ap- portés avec toutes les conditions désirables de viabilité, recevoir, sans pouvoir les digérer, les mélanges de lait de CLASSE DES SCIENCES. 173 vache et d’eau en proportion qu'on a variée pour trouver la moins mauvaise. Ils meurent', et nos autopsies concor- dent parfaitement avec celles de M. Leschevin, chirurgien de l'Hospice général, qui, en 1766, disait : « que presque «tous les enfants trouvés qui avaient été placés à titre «d'essai dans une maison isolée, située à mi-côte sur le « grand chemin de Rouen à Darnétal, étaient morts d’indi- «gestion, ou si l’on veut d’inanition; car c'est mourir « d'inanition que de ne point digérer les aliments qu'on « avale. » Jamais observation ne fut plus juste que celle de M. Les- chevin. En effet, les nombreuses autopsies que nous avons faites, nous ont montré que ces enfants étaient morts de faim , tout en ayant dans l'estomac et les intestins du lait. Mais ce lait n'était pas digéré, et semblable à un corps étranger , il déterminait une diarrhée, que tous ont pré- sentée avant de mourir. Ona, par des déclamations plutôt que par des preuves, avancé que l’origine de ces enfants, issus de la débauche , les vouait à une mort presque certaine. On a dit encore que les mères ayant souffert pendant leur grossesse, soit par le chagrin que leur inspirait leur faute, soit par la misère, qui les empêchait d’avoir une alimentation sufli- sante, les enfants devaient conséquemment être chétifs et affectés d’une débilité extrême. La première assertion est le fait d’une vue à priori, car l'expérience répond que les enfants que nous voyons arriver à la crèche ne présentent que très exceptionnelle- ment les stigmates de la débauche. En général, ils n’offrent aucune trace de maladie héréditaire. Les autopsies, mal- heureusement trop fréquentes, nous ont confirmé dans celte opinion. A cette autre assertion, que la misère de la femme aurait produit un enfant d'une viabilité difficile, nous répondrons 174 ACADEÈMIE DE ROUEN. que la nature a assuré la conservation de l'espèce avec tant d'affection, que nous voyons journellement les femmes les plus chétives , les femmes qui sont atteintes de maladie chronique produire des enfants parfaitement viables, et chez lesquels le germe de la maladie héréditaire ne se développera que dans la deuxième enfance, lorsque des causes occasionnelles se joindront à l'influence de l’héré- dité. En un mot, l'aspect des enfants de la crèche, à leur arrivée, ne présage pas une mort prochaine. Mais, admettons que ces enfants soient origihairement chétifs; admettons que les premières heures qu'ils ont passées avant leur exposition les aient mis dans un mau- vais état de santé , il est certain que, dans la plupart des cas, le lait de femme les guérirait. Pourquoi ne pas le donner? Pourquoi continuer, sur ces pauvres êtres, la périlleuse tentative de l'alimentation artificielle, d'autant plus imprudente , que les organes digestifs sont déjà ma- lades ? Ce que l'on fait pour les animaux, par intérêt, nous demandons qu'on le fasse pour le nouveau-né de la femme, par pitié. On a aussi accusé l'air des crèches, rendu impur par l’agglomération des enfants , d’être la cause de la mortalité. Si ce motif peut entrer en ligne de compte, il doit être au moins considéré comme accessoire , parce que nous voyons tous les jours les enfants plongés dans l'air des crèches de la ville, ou du service d'accouchement, dans l'air méphi- tique des chambres d'ouvriers , où toute la famille s’entasse dans le même lit, nous voyons, disons-nous, ces enfants, lorsqu'ils sont élevés au sein . être doués d’une santé quel- quefois florissante , ou tout au moins vivre dans un état de santé satisfaisant , tandis que, dans les conditions d'aération les plus parfaites, dans les familles riches, l'on voit les enfants , élevés au biberon, souvent mourir, ou ne franchir les premiers mois de la vie qu'à travers des accidents CLASSE DES SCIENCES. 175 graves du côté des voies digestives. Le résultat cité plus haut, obtenu avec l'air de la campagne, sur les enfants trouvés , envoyés en nourrice , n'est-il pas, d'ailleurs, un argument qui vient corroborer ce que nous pensons ? La cause essentielle de la mortalité des enfants trouvés, âgés de moins d’un mois, est donc l'alimentation artificielle. Maintenant, cette cause amènera une mortalité plus considérable encore , si le biberon est donné par des mains insouciantes ou inintelligentes ; si les enfants, soignés pendant la journée par une femme, pour cinq berceaux , sont, la nuit, confiés tous à une seule gardienne, pendant que les infirmières de jour dorment tranquilles, ce qui ôte toute unité aux soins qu'exigent ces créatures frêles. L'organisation du service de la crèche ne doit pas être assimilée à celle des autres services d’un hospice. Il est beaucoup plus diflicile. C'est ce qui à fait dire à M. le docteur Zandyck, inspec- teur des enfants trouvés pour l'arrondissement de Dun- kerque : « Les employées des hospices, les sœurs mêmes, « malgré leur bonne volonté et leur grande habitude de «vivre parmi les malades de tous âges, n’ont pas l'instinct « des soins si minutieux que réclame la situation chétive, « délicate du nouveau-né. Le lait d'une bonne nourrice « doit être le premier besoin de l'enfant, le seul moyen « sûr de sa conservation. » Cette pensée, Messieurs, à toujours été dans l'esprit de la généralité des médecins ; mais on s’est toujours arrêté devant les diflicultés d'application. Naguère encore, et pour ainsi dire pour la consécration du principe que nous rappelons, il existait, à la crèche des enfants trouvés, une nourrice au sein, dont le lait était donné tantôt à l'un, tantôt à l’autre des plus grièvement malades. Ajoutons que cette demi-mesure offrait une imperfection telle qu'on y à renoncé avec juste raison. 176 ACADÉMIE DE ROUEN. Il nous reste, Messieurs, à indiquer les moyens qui pour- raient améliorer le service si difficile des enfants trouvés. Nous pensons qu'il y a deux résultats différents qu'il serait bon d'obtenir en même temps : D'une part, prendre des dispositions sérieuses pour diminuer le nombre des expositions ; D'autre part, prodiguer aux enfants qu'on admettra dans l'hospice les soins dont l'efficacité n’est pas douteuse pour leur sauver la vie. C'est ici le lieu de dire que l’on appelle enfant trouvé, celui dont la mère est inconnue ; enfant abandonné, celui dont la mère est connue et qui porte son nom. Permettre l'abandon, empêcher autant qu'il sera pos- sible l'exposition , telle est la première mesure que nous recommandons. L'avantage de l'abandon . mis à la place de l'exposition, est grand ; c'est que si une mère, dans un moment de désespoir, met son enfant au tour sans désignation ou sous des noms supposés , elle n’a pas plus tard, lorsque les circonstances deviennent meilleures , le désir aussi vif de le reprendre que si l'enfant portait son nom. D'ailleurs , si l'exposition a pour cause la misère et que cette misère puisse être soulagée , aujourd'hui que l'assis- tance publique a pris un grand développement, l'on remettra à la mère des secours à domicile qui lui permettront de garder son enfant près d'elle. C'est un vœu exprimé par le Conseil général du département de la Seine en 1850. D'après M. de Watteville, un dixième des enfants envoyés aux hos- pices sont des enfants légitimes ; c'est là un fait sérieux. Comment empêchera-t-on l'exposition de l'enfant? Pour cela il faudrait établir une surveillance rigoureuse du tour ; Créer un bureau permanent d'admission à l'hospice ; Permettre l'abandon de l'enfant entre les mains du com- missaire de police ; CLASSE DES SCIENCES. riUri Interdire d'une manière absolue aux sages-femmes de déposer des enfants au tour, ou d'en abandonner autre- ment que par l'intermédiaire du commissaire de police ; Classer les enfants venant du service d'accouchement , dont les mères ne peuvent se charger, parmi les enfants abandonnés et non pas parmi les enfants trouvés. La surveillance du tour comprend une enquête sur l'identité de l'enfant exposé, enquête qui peut commencer au moment même de l'exposition. La surveillance du tour doit rester étrangère au commis. saire de police. L'administration des hospices sera seule juge de la question de savoir si l'enquête a besoin d'être faite par elle-même ou par un commissaire de police. Lorsque cette enquête aura découvert l'identité de l'en - fant exposé sans désignation, ou bien lorsque des déclara- tions spontanées faites soit chez le commissaire de police , soit au bureau permanent d'admission , auront fait con- naître le nom de la mère, il est expressément bien entendu que le secret doit être gardé d’une manière invio— lable si l'honneur de la famille y est intéressé, et l'enfant sera , dès lors, considéré comme enfant trouvé. Dans le cas où le commissaire de police aurait reçu la confidence, une simple note de sa main devra arrêter toute enquête ultérieure de la part de l'administration, et l'enfant sera considéré comme trouvé. Maintenant les enfants une fois admis, trouvés ou abandonnés , quels soins leur donnera-t-on ? Nous pensons que, pour conserver l'existence de ces pauvres êtres, il y aurait nécessité évidente d'établir douze nourrices au sein,qui seraient chargées chacune du soin d'al- laiter deux enfants, dont les berceaux escorteraient leur lit. Une salle ne renfermerait que six nourrices et douze enfants. 12 178 ACADÉMIE DE ROUEN. Une sœur hospitalière surveillerait , avec la plus grande attention , la manière dont les enfants seraient traités, et chaque matin elle joindrait ses renseignements à ceux des nourrices pour établir devant le médecin l'état sanitaire des crèches. Si nous regardons l'allaitement par le sein d’une femme comme un moyen très important pour assurer l'existence du nouveau-né , nous croyon&que c’est surtout dans les premiers jours de la vie qu'il doit être administré. La raison en est toute physiologique , elle est facile à com- prendre. Pendant la vie intrà-utérine, deux fonctions sommeillent : la respiration et la digestion ; à peine l'en fant est-il né, que la respiration est mise en jeu : l'enfant pousse des cris , les poumons fonctionnent ; mais quelques heures après, l'estomac, le foie, les intestins vont se mettre, pour la première fois, en activité pour élaborer les liquides alimentaires qu'on va faire avaler à l'enfant ; c'est alors que si le liquide alimentaire n’est pas conve- nable , les organes digestifs, au lieu d'entrer dans un exer- cice régulier , deviendront malades par le contact d'un aliment grossier ; l'absorption ne s’exercera que sur un chyle imparfait, l'assimilation n'aura pas lieu , et l'enfant mourra d'inanition. Tandis que si, grâce à l'ingestion du lait de femme , les organes digestifs entrent régulièrement en activité, on pourra, au bout de peu de jours, tenter l'usage d’une nourriture étrangère qui sera bien mieux supportée que si elle avait été donnée à des organes qui n'avaient pas encore fonctionné. Quinze jours du régime naturel sufliraient pour per- mettre de tenter, avec beaucoup plus de succès, l'alimen- tation artificielle. D'ailleurs, pendant ce temps, l'administration des hos- pices s'occuperait avec soin de rechercher à la cam- pagne des nourrices qui, autant que possible , donneraient CLASSE DES SCIENCES. 179 le sein ou qui du moins seraient connues pour porter une grande attention dans l'éducation au biberon. Il est indispensable qu’il y ait un inspecteur des nour- rices à la campagne et que ce soit un médecin. Un mé- deein-inspecteur est seul capable de bien diriger l’édu- cation physique des enfants et de propager les meilleurs procédés. Enfin, à l'exemple du docteur Zandyck, inspecteur des enfants trouvés et abandonnés pour l'arrondissement de Dunkerque, nous demandons qu'on crée, dans chaque commune , un comité local de surveillance composé de personnes notables chargées de surveiller l'éducation et l'identité du premier âge et l'éducation morale de la deuxième enfance. Telles sont, Messieurs , les mesures qui nous paraissent propres à diminuer la mortalité des enfants trouvés nouveau-nés. D'autres après nous les perfectionneront, mais nous serons heureux d’avoir réveillé l'attention sur une question qui mérite l'intérêt des hommes charitables. Ces projets , nous dira-t-on , sont d’une exécution dif- ficile ; nous répondrons que tout projet, à son apparition, présente des difficultés que l’on est tout étonné de voir surmontées quelques années après le succès. Enfin, à ceux qui allègueraient que les enfants des honnêtes gens malheureux mériteraient mieux l'attention que nous donnons aux enfants trouvés, nous dirons qu'il ne s’agit pas, en ce moment, d’une question de bien-être, mais d'une question de vie ou de mort. MÉDECINE VÉTÉRINAIRE. CAS GRAVES DE CHIRURGIE VÉTÉRINAIRE TRAITÉS AVEC SUCCÈS AU MOYEN DE L'HAYDROTHÉRAPIE, PAR M. VERRIER AINÉ. (Séance du 7 Décembre 1456. ) Messieurs, Les deux observations qui vont suivre nous sont com-— munes à mon frère et à moi, et elles ont été recueillies dans notre pratique collaborative de cette année. Ces ob- servations démontrent, selon nous, jusqu'à l'évidence, de quelle puissante ressource l’eau froide, soit simple, soit médicamenteuse, peut être à la chirurgie des animaux domestiques quand elle est employée avec continuité. Voici, sans plus de commentaires, ces deux observations : Le 26 juin dernier, le sieur Pesquet, voiturier, demeu- rant à Rouen, rue Lemire, nous appela pour donner nos soins à l’une de ses juments qui s'était très grièvement blessée dans la nuit. Voici ce que nous avons remarqué à notre première visite : CLASSE DES SCIENCES. 181 Signalement. — Jument blanche, vieille, d'un très mauvais caractère, s’est prise dans la nuit du 25 au 26 juin, un pied postérieur dans sa longe et est tombée dans sa stalle sans pouvoir se relever , mais comme cette bête est très violente, elle a tant et tant frappé de la tête contre le mur qu'elle s’est fortement contusionné cette partie et fait une fracture comminutive de l'apophyse orbitaire gauche. Les pointes aiguës et irrégulières des abouts frac- turés pénètrent les muscles de l’œil et les déchirent pro- fondément ; la tête est fortement œdématisée ; l'animal est d’un aspect horrible à voir. Ces désordres graves étant de nature à nous faire craindre les suites les plus fâcheuses, nous en prévenons le propriétaire, et il nous confie sa jument qui est aussitôt déposée à notre infirmerie. Traitement. — Notre premier soin est d'enlever avec précaution les esquilles de l'os fracturé qui pressent et di- lacèrent le globe de l'œil; puis nous réduisons, autant que nous le pouvons, à l’état de plaie simple les innom- brables parties de la face qui sont meurtries et déchirées, et nous maintenons, partout où cela se peut , une étoupade imprégnée d’eau légèrement alcoolisée. Quatre heures après ces premiers soins, l'infiltration de la tête a beaucoup augmenté ; l'animal est sous l'influence d’un côma profond ; l'œil froissé menace de sortir de l’or- bite ; du sang en nature trouble ses humeurs. — Une in- flammation qui parcourt ses périodes avec cette rapidité, doit, dans un délai très court, être suivie d’une issue fu- neste. Ce fut à ce moment que l’idée nous vint de diriger un courant d’eau froide sur la partie malade , afin de tem- pérer l’action fébrile, et dans ce but, nous organisons un siphon qui remplit à merveille nos intentions. Ce traitement, continué sans interruption pendant douze heures, nous donne un résultat satisfaisant ; non-seule- 182 ACADÉMIE DE ROUEN. ment l'œdème de la tête a très sensiblement diminué, mais le coma a disparu. Notre animal se prête très volontiers au traitement , il prend un peu d’eau blanche ; les mêmes soins seront repris et continués sans interruption. 28 juin. — Nonobstant notre traitement, l'œil est le siége d'une inflammation des plus violentes; il est bleuûtre, violacé , sort en partie de l'orbite, et il exhale une odeur très manifeste de gangrène. Traitement. — L'animal est aussitôt mis à terre ; l'œil, qui crépite sous la main par suite de la décomposition septique dont ii est le siége, est enlevé. Les saillies osseuses fracturées sont régularisées, et notre animal est replacé sous son jet d’eau froide, qui est rendue antiputride par l'addition du chlorure de chaux. 29 juin. — Notre animal va bien, peu de fièvre de réac- uon. 30 juin. — La situation s'améliore sensiblement, 1°1 août. — La plaie est partout rosée, l'animal n’accuse que peu de souffrances ; il prend très bien son barbottage, nous sommes maîtres de l'accident. Néanmoins l’eau froide simple sera continuée sans interruption. Les 2, 3 et 4.— L'œdème de la tête a totalement disparu. Notre jument est gaie, elle prend un tiers de ration. A partir de ce moment, le jet d’eau froide ne se fera plus que la moitié du temps. Les 5,6,7et8, les plaies bourgeonnent et marchent à cicatrisation. De ce moment tout traitement est cessé et l'animal mis à ration entière. Enfin le 11 août, 16 jours après ce très grave accident, cette jument est reprise par son propriétaire, et quelques jours après il la remet à son travail. Depuis cette époque elle fait le service très fatigant du port et se porte à merveille. Je suis heureux de pouvoir mettre sous les yeux de CLASSE DES SCIENCES. 183 l'Académie, les portions d’os qui ont été extraites dans cette circonstance , elles vous permettront , Messieurs, d’appré- cier la gravité du fait dont j'ai l'honneur de vous entretenir. Le second cas dont j'ai à parler à l'Académie n’est pas moins curieux ; il prouve que les plaies les plus graves, même celles faites aux articulations avec écoulement de synovie , peuvent encore être utilement traitées par l’eau froide ; voici ce fait : Le 20 juillet dernier, le sieur Mutel, demeurant à Rouen, rue du Plâtre, amena à notre consultation une jument blanche qui boitait très fortement du membre postérieur droit, par suite de la piqûre d’un clou de rue qui, cinq jours auparavant, s'était implanté sous la face plantaire du pied, dans la lacune et vers la partie moyenne de la four- chette, du côté externe. Après avoir fait déferrer cette jument, et nous être assurés que la piqüre pénétrait droit dans la direction de l'articulation de la troisième phalange avec l’os sésamoïde , nous mimes cette jument à terre, et pratiquâmes un large débridement en infundibulum , qui nous conduisit sur l’apo- névrôse plantaire qui, chez les solipèdes, est formée par l'expansion du tendon fléchisseur profond , et qui clot l’ar- ticulation sésamoïdienne. La partie qui a été touchée par le clou est noire et elle intéresse l'épaisseur de l’aponévrôse. L'indication est de faire une plaie simple , afin d'éviter les lenteurs du travail inflammatoire du tissu blanc, et les désordres qui en sont la conséquence, au risque d'ouvrir l'articulation. Cette opération est aussitôt pratiquée, et la synovie s'écoule en abondance; elle n’est point encore altérée. Une étoupade simple , peu compressive , est main- tenue sous le pied, au moyen du fer et d'éclisses en bois, et notre animal est conduit à l'écurie, où un bain de pied est préparé. 184 ACADEMIE DE ROUEN. 21 juillet. Après quinze heures consécutives de bain froid , l'animal n’accuse que des douleurs supportables. 22. — Vingt-quatre heures de bain de plus n'ont pas changé la situation, seulement notre animal paraît fatigué. I est mis sur belle paille , à côté de son bain ; il s'y couche et se repose quatre heures. Après ce repos nécessaire, notre malade est replacé dans sa position première, où il restera jusqu'au lendemain. 23. — L'animal est gai ; il a peu de fièvre de réaction ; il s'appuie un peu sur le pied malade. Il est replacé quatre heures sur son lit de paille. De ce moment jusqu'au 30, notre malade est alterna- tivement mis dans son bain et sur son lit, mais de façon à être au moins quinze heures, sur vingt-quatre , dans l’eau. Pendant ces six jours, il ne se passe rien de remarquable, sinon que les souffrances diminuent graduellement, ce qui nous est accusé par l'état général du sujet, par sa gaîté, par son appétit et par l'appui de plus en plus franc qu'il prend sur son pied opéré. A Le 30. — Le premier appareil est levé , et à notre grande satisfaction, nous trouvons une plaie superbe ; il n’y a que peu de suppuration; l'articulation est close par un fort caillot albumineux. Pansement à l’étoupe simple. Jusqu'au 5 août, les bains sont continués ; mais on en diminue graduellement la durée. Ce jour , la plaie est belle, rosée et bourgeonneuse partout ; l'appui sur le sol est bon. Le pansement est fait avec la teinture d’aloès. De ce moment, les bains froids sont supprimés ; l'animal est pansé tous les trois jours avec l’alcoolée d'aloès, et le 10 août, vingt jours après l'opération, il est repris par son propriétaire, qui le met, pendant une douzaine de jours , dans un herbage , après quoi il lui fait reprendre son service. En résumé, ce traitement n'a duré que vingt jours , et le propriétaire n’a été privé des services de sa jument que pen- CLASSE DES SCIENCES. 185 dant un mois environ. Par les méthodes ordinaires, le traite- ment de ces sortes d'accidents a une durée moyenne de trois mois, et encore, dans presque tous les cas, les animaux restent-ils boiteux, par suite d'ankylose ou de rétrécissement du sabot, et, dans la plupart des circonstances, le peu de valeur des animaux, après la guérison, ne compense pas les frais qu'il a fallu faire pour un rétablissement incomplet, et il eût été d’une sage administration d'en faire le sacrifice le jour de l'accident. Telles sont, Messieurs, ces deux observations qui m'ont paru intéressantes au point de vue de la science. Je n'ai point la prétention de vous les présenter comme quelque chose de nouveau ; mais elles sont, selon moi, de nature à venir augmenter le nombre, déjà très considérable, des cures obtenues au moyen de l’eau froide employée avec continuité. ÉCONOMIE SOCIALE, — STATISTIQUE. TABLEAU COMPARATIF DES OPÉRATIONS DES MONTS-DE-PIÉTÉ DE ROUEN, DU HAVRE ET DE PARIS, De 1828 à 1855, PAR M. BALLIN. (Séance du 25 Janvier 1866, ) Messieurs , J'ai l'honneur de vous présenter un Tableau comparatif des opérations des monts-de-piété de Rouen, du Havre et de Paris, de 1828 à 1855 inclusivement, avec l'indication de la qualité des récoltes et des prix des denrées alimen- taires de première nécessité. Observations sur ce tableau. J'ai adopté, pour point de départ , l’année 1828, parce que le mont-de-piété de Rouen , créé par ordonnance du 22 novembre 1826, n’a fonctionné que le 1° juillet 1827. Quant au mont-de-piété du Havre, créé par ordonnance CLASSE DES SCIENCES. 187 du 21 décembre 1835, il a commencé ses opérations dès le 11 avril suivant, mais je n'ai, par conséquent, fait figurer que celles de 1837. On remarquera que cette création a dû répondre à un besoin impérieux de la population, puisque les engagements, déjà nombreux dès la première année, ont suivi une progression toujours croissante jusqu’en 1848, où ils paraissaient avoir atteint leur maximum ; mais ils se sont encore accrus en 1853, 1854 et 1855 ; il est vrai aussi que cette augmentation doittenir en grande partie à ce que ce mont-de-piété, conservant ses bénéfices, s’est formé un capital (1) qui lui a permis de réduire successi- vement son droit d'engagement ; en effet, après avoir fait payer, à son début, le taux élevé de 18 p. °/,, il l’a réduit, en 1839, à 14; en 1840, à 12 ;en 1841, à 11 ; en 184%, à 10; et, en 1848, au taux actuel de 9. Il est juste d'ajouter que les progrès de cet établissement doivent être attribués principalement à son excellente direction et aussi à sa bonne organisation ; toutefois, il ne faudrait pas en juger d’une manière absolue d’après le nombre de ses opérations, car elles sont présque doublées par cette circonstance que ses engagements ne sont faits que pour six mois, tandis que ceux de Paris durent un an, et ceux de Rouen 12 à 1% et même 15 mois ; on voit, par la situation des magasins, que l'importance des opérations du mont-de-piété de Rouen s'élève à moitié en sus de celles du mont-de-piété du Havre (2). Celles de Paris sont, en nombre, environ (1) Cé capital, qui s’est élevé à une somme importante, à cté réduit récemment à 24,000 fr., par suite des dépenses considé- rables que lui a occasionnées son installation dans un nouveau local. (2) En septembre 1856, le capital émis au Havre dépassait 540,000 f.; à Rouen, il n'atteignait pas 850,000 fr. éd 188 ACADÉMIE DE ROUEN. 15 fois et, en somme, près de 24 fois plus considérables que celles de Rouen (1). En dressant ce tableau, je me suis proposé, Messieurs, de vous soumettre les principales observations qu'il peut suggérer. Situation générale. — Récoltes. Je tracerai d'abord un aperçu rapide des circonstances dans lesquelles s'est trouvée la population pendant le laps de temps qu'il embrasse. En 1826, la production des manufactures avait dépassé les besoins ; l'encombrement amena la diminution du tra- vail et, par suite, celle des salaires. En 1827, les circonstances semblaient plus favorables et l'industrie devint, en effet, assez prospère pendant les deux années suivantes ; mais la révolution de 1830 la paralysa de nouveau ; plusieurs familles riches quittèrent la ville de Rouen, et le régiment de la garde royale fut disséminé ; d’où la diminution de la population en 1831 ; les récoltes de 1828 à 1832 furent d'ailleurs mauvaises. Pendant cette dernière année et les suivantes, les travaux industriels reprirent une grande activité ; tous les bras fu rent occupés, mais une concurrence excessive amena l’abaissement des salaires ; l'invasion du choléra vint, en (1) Il est à remarquer que le mont-de-piété de Strasbourg qui, grâce à ses prêts de 2 fr., fait un peu plus d'opérations que celui de Rouen, est, à très peu près, sujet aux mêmes variations; depuis 1841, ses engagements ont augmenté jusqu’en 1843; un peu diminué en 1844 et 1845 ; augmenté jusqu'en 1847, où ils ont at- teint leur maximum (130,683 articles, dont 39,818 prêts de 2 fr.) ; diminué en 1849 et 50, augmenté en 1851 ct 1852, diminué en 1853, augmenté en (854, et enfin diminué en 1859. CLASSE DES SCIENCES. 189 1832, aggraver la situation; heureusement nous eûmes des récoltes abondantes jusqu’en 1837; elles furent sui- vies de trois mauvaises qui contribuèrent sans doute aux troubles de 1839 et 1840 ; il y eut ensuite une récolte assez bonne, puis, de 1842 à 1847, elles furent toutes mauvaises et les salaires continuèrent d’être modiques. La disette de cette dernière année et les agitations poli- tiques qui aboutirent à la catastrophe de 1848, amenèrent une crise sans exemple, mais qui, par un bonheur ines- péré, ne fut pas très longue ; aussi, nonobstant le retour du choléra en 1849, une nouvelle activité dans les travaux de toutes sortes, jointe aux bonnes récoltes de 1848 à 1852 inclusivement (1) vinrent-elles améliorer la position de la classe ouvrière, sinon lui rendre l’aisance dont elle a pu jouir dans des temps déjà fort éloignés de nous. Il est à re- marquer d’ailleurs qu’elle répare ses pertes et oublie ses souffrances bien plus facilement et plus promptement que la classe moyenne; nous rentrâmes en 1853 dans la période des mauvaises récoltes qui, si elle s'était prolongée, aurait amené encore une série d'années calamiteuses, mais (1) M. le comte A. Hugo, dans un opuscule daté de mai 1853 et intitulé : Mémoire sur la période de disette, indique les récoltes comme Mauvaises. Bonnes. de 1828 à 1832 de 1833 à 1838 de 1839 ct 1840 de 1841 et 1842 de 1843 à 1847 de 1848 à 1852 Ainsi, dans les 25 années de 1828 à 1852, il y a eu, selon M. Hugo, 12 mauvaises récoltes et 13 bonnes; mais, d’après le prix du fro- ment en 1838 et 1842, les récoltes de ces années doivent, contraire- ment à l’avis de l’auteur, être considérées comme mauvaises; de sorte qu’en 25 ans, il y aurait eu 14 mauvaises récoltes contre 11 plus ou moius bonnes ; et, si l’on ajoute que les dernières années, 1853, 1854 et 1855 ont encore été mauvaises, on arrivera à cette af- 190 ACADÉMIE DE ROUEN. par bonheur la récolte de 1856 semble annoncer une période plus favorable. Causes qui peuvent influer sur les opérations. J'ai l'intention, Messieurs, d'examiner les causes qui semblent devoir exercer une influence quelconque sur les opérations des monts-de-piété et de combattre certaines idées assez généralement répandues. Décroissance des opérations. — La première remarque à faire sur le tableau, c'est la décroissance des opérations du mont-de-piété de Rouen, depuis 1835 et surtout depuis 1837; on peut, ce me semble, l’attribuer, en partie du moins, aux mesures restrictives qui ont été adoptées à l'égard des commissionnaires , dans le louable désir d’at- tirer les emprunteurs à l'établissement central, afin de les affranchir du droit de commission. En effet, on ne saurait douter , que lorsqu'on a interdit aux commissionnaires la faculté de faire des dégagements à crédit le samedi , on a fligeante conclusion que les mauvaises années sont plus fréquentes que les bonnes. Néanmoins, dans son intéressant ouvrage intitulé : Compte moral et financier des opérations de la caisse de service de la bou- langerie de Paris, M. Noyon, directeur de cette caisse, donne des renseignements plus satisfaisants, mais sont-ils plus exacts ? Suivant lui, pendant la période de 28 ans, de 1828 à 1855, il y aurait eu 15 bonnes récoltes (1833 à 1838, 1841 à 1843, 1845, 1848 à 1852); 9 or- dinaires (1828, 1830 à 1832, 1839 et 1840, 1844, 1846 et 1853), et en- fin 4 mauvaises seulement (1829, 1847, 1854 et 1855) ; peut-être se- rait-on plus près de la vérité en considérant comme mauvaises toutes les récoltes des années où le kilogramme de pain a valu plus de 30 centimes. Or, d’après les tableaux de M. Noyon, ce cas s’est présenté 34 fois dans une période de 55 ans, de 1801Fà 1855. CLASSE DES SCIENCES. 191 contrarié les habitudes de beaucoup d'emprunteurs, dont plusieurs doivent trouver fort gênants les dégagements des dimanches, qui leur occasionnent une grande perte de temps et les exposent à se trouver au milieu d’une foule importune. Peut-être aussi, et cela est assez vraisem- blable , la Caisse d'épargnes et les Sociétés de secours mutuels ont-elles inspiré aux ouvriers de Rouen des idées d'ordre, d'économie et de prévoyance qui leur per- mettent de recourir moins souvent à la ressource du mont- de-piété. Quant au petit commerce , on conçoit que l’élé- vation des droits, qui sont encore de 10 p. °}, par an, l'éloigne du mont-de-piété, tandis qu'il y aurait certaine- ment recours plus souvent, si l’abaissement des droits en faisait réellement la BANQUE Du PAUVRE , suivant l'heu- reuse expression de M. le baron Charles Dupin. Comparaison entre les opérations du bureau central et celles des commissionnaires. — Quoi qu’ilen soit, à compter de 1837, le bureau central a vu augmenter successive - ment ses opérations, à mesure que celles des commission- naires décroissaient, surtout en dégagements, mais, en même temps, le nombre total éprouvait une diminution encore plus forte , ce qui prouve que le but qu’on se pro- posait n’a été atteint qu'imparfaitement. Voici, au surplus, les proportions dans lesquelles ces mutations se sont opérées. Avant 1827, les commissionnaires faisaient les 6/7* des opérations (1), de sorte que létablissement n'en faisait que 143 sur 1,000; en 1839 et 1840, il en fit 332 sur (1) Rapport en date du 6 février 1822, rédigé par M. Lepasquier, alors chef de la division de l’intérieur à la Préfecture de Rouen. (Archives départementales.) 192 ACADÉMIE DE ROUEN. 1,000, c'est-à-dire un tiers, mais, d'un autre côté, comme je viens de le dire, la totalité avait subi une forte diminu- tion ; en 1834 et 1835, le nombre total des opérations (engagements , renouvellements. et dégagements) avait été d'environ 230,000, tandis qu'en 1839 et 1840, elles n'ont guère dépassé 179,000 ; en 1851 et 1852, la proportion des opérations du bureau central a continuéde s’accroître, elle s’est élevée à 393 sur 1,000 , mais le total des opéra- tions a encore diminué de plus de 17,000 articles ; enfin, en 1854 et 1855, le nombre des opérations ayant augmenté de près de 20,000, l'établissement en a fait 424 sur 1,000, c'est-à-dire près de 3/7*, ou environ le triple de ce qu'il en faisait avant son organisation actuelle. Toutefois, si la comparaison s'établissait par rapport aux engagements seulement, on trouverait que l’établisse- ment en fait à peine 20 sur 100 et les commission- naires 80, ce qui prouve la préférence que le public leur donne encore, malgré le surcroît de droits qu'ils per- çoivent. Durée moyenne des engagements. — La durée moyenne des engagements est difficile à déterminer , à cause de la grande variété qui existe entre eux. On trouvera une pre- mière solution en divisant le produit moyen des droits d'une année , par le produit qu'aurait donné la totalité des engagements, si chaque article n'était resté qu'un mois en magasin ; ainsi, en supposant que le nombre des enga- gements eût été de 91,000 (1) pour un million de francs de prêts, le produit des droits à 10 p. °/, par an eût été, pour un mois, de 8,333 fr., mais, comme le pro- duit réel de l'année moyenne n'est que de 80,000 (1) (1, Poir le tableau décennal de 1855. CLASSE DES SCIENCES. 193 (200 8533 — 9, 6), il s'ensuit que chaque engagement dure, en moyenne, plus de 9 mois et donne , par conséquent lieu au paiement de 10 mois de droits. D'un autre côté, il est certain que la plupart des prêts au-dessous de 7 fr. ne restent pas 6 mois en magasin, mais, comme il yen a un certain nombre de renouvelés et surtout de vendus, il ést probable que la durée moyenne de ces prêts n’est pas au- dessous de 6 mois , et la moyenne générale de 8 mois. Population. — Toutes choses égales d'ailleurs, l'aug- mentation de la population De devoir amener celle des opérations du mont-de-piété, néanmoins c’est le contraire qui est arrivé. En 1808, la population de Rouen était à peine de 87,000 habitants ; il y avait alors douze maisons de prêts tolérées et quelques autres tout à fait clandestines, contre lesquelles , toutefois, on ne sévissait pas, ce qui suppose un nombre très considérable d'engagements. Plus tard, l'autorité fit fermer toutes ces maisons, et le mont-de-piété actuel fut institué en 1827, la population était alors de 90,000 habitants ;: en 1831, elle était redes- cendue à 88,000, mais depuis elle a toujours augmenté, tandis que les opérations du mont-de-piété ont suivi une progression décroissante, sauf quelques alternatives de hausse passagère et peu considérable. Taux des droits. -— Avant l'établissement du mont-de- piété légal, la maison de prêt qui, par la régularité de ses opérations , avait mérité l'appui de l'autorité municipale, faisait monter ses droits jusqu'à 2% 1/2 pour cent , sur les prêts au-dessous de 40 fr. ; le nouvel établissement les a réduits, d’abord.à 12 et, ensuite, en 1845 , à 10, taux actuel. Cette diminution de droits et la sûreté des opéra- tions auraient dû rendre les engagements plus nombreux, et cependant il en a été tout autrement. 13 19% ACADÉMIE DE ROUEN. Prix des denrées alimentaires. Viande. — Depuis 1825, la viande de première qualité s’est toujours vendue au moins 1 fr 20 le kilogramme, pendant quelques années elle a été portée à 1 fr. 30, même à 1 fr. 40, et en 1855 à 1 fr. 50; mais on conçoit qu'une augmentation de 10 ou même de 20 c. par kilog. de viande, tout en causant un peu de malaise dans les petits ménages, ne doit pas occasionner un accroissement sen— sible d'engagements, et, en effet, l'on voit que, pendant les années de cherté de 1838 à 1845, ils ont été moins nombreux qu'ils ne l'avaient été précédemment. Pain. — Quand la viande est chère, on peut , sans trop de souffrance, en restreindre la consommation, mais il n’en est pas de même du pain, dont la consommation doit, au contraire, augmenter par la privation d'aliments plus nourrissants ; il est donc naturel de penser que la cherté de cette denrée indispensable doit emplir les ma- gasins du mont-de-piété, et cependant l'accroissement est moins marqué qu'on ne devrait s’y attendre. En effet, pen- dant les cinq années de 1828 à 1832, les récoltes ont été mauvaises, le pain s'est maintenu à près de 40 c. le kilog., et pourtant l'accroissement des engagements ne s'est fait sentir qu'à la quatrième année de cette période (1831) etil y a eu diminution dans la cinquième ; les dégagements ont d'ailleurs augmenté en même temps que les engagements et la proportion des ventes a diminué Une série de mauvaises années revint de 1842 à 1847, mais les engagements n’augmentèrent de même que vers la fin de cette période malheureuse, et encore les déga- gements augmentèrent-ils proportionnellement; quant aux ventes, elles se maintinrent à peu près au niveau des années précédentes. CLASSE DES SCIENCES. 195 Il est vrai que les engagements ont un peu diminué pen- dant la période favorable de 1848 à 1852, où les bonnes récoltes ont maintenu le pain à un prix peu élevé, mais aussi les dégagements ont été moins nombreux, tandis que la proportion des ventes a été un peu plus forte. En 1855, le pain, qui s'était maintenu à #4 c. jusqu'en avril, est ensuite monté progressivement aux prix excep - tionnels de 50 à 60 c.., et l’on pourrait croire que, par excep- tion aussi, cette fâcheuse situation a dù contribuer à l’aug- mentation des engagements et à la diminution des dégage- ments, si l’on n'avait la preuve que toutes les opérations ont suivi à peu près leur cours ordinaire, jusqu’à la fin de cette année et même depuis. (Voir le Tableau décennal de 1855). Gêne de la classe ouvrière , fins de mois, fêtes populaires. Les remarques qui précèdent tendent à prouver que les prix du pain et de la viande n’exercent qu'une bien faible influence sur les opérations du mont-de-piété ; c'est donc à tort que l’on croit généralement que l’aug- mentation ou la diminution des engagements doit être considérée comme la preuve de la gêne plus ou moins in-- tense qu'éprouve la classe ouvrière ; d’autres observations viendront plus tard à l’appui de cette assertion. On croit aussi que les fins de mois doivent occasionner un accroissement d'engagements ; les employés du mont- de-piété eux-mêmes émettent cette opinion, quoiqu’elle ne soit pas fondée sur une expérience constante et qu’elle ne puisse s'appliquer qu'à un nombre très restreint de petits commerçants. Enfin l’on croit assez communément que les fêtes popu- laires provoquent de nombreux engagements, tandis que c’est presque toujours le contraire qui arrive. 196 ACADÉMIE DE ROUEN. Je vais m'occuper de ces trois croyances , dans l'ordre inverse, parce que la première me paraissant exiger plus de développements que les autres, je la réserverai pour la fin. Fêtes populaires — J'ai déjà eu l'honneur de vous faire remarquer plusieurs fois, Messieurs, que si les fêtes populaires donnent quelque activité aux opérations, ce sont surtout les dégagements qui deviennent beaucoup plus nombreux. Il parait toutefois qu'il n’en était pas tout-à- fait ainsi à l'époque de la création du mont-de-piété; on m'a assuré qu'alors, non-seulement les engagements se multipliaient, mais encore que les objets dégagés, en grand nombre aussi, rentraient dans les magasins , dès le lendemain ou le surlendemain des fêtes. Aujourd'hui, au contraire, si les objets dégagés la veille ou le jour d'une fête viennent en partie se classer de nouveau dans les ma- gasins, c'est plus lentement et d’une manière moins sen- &ible. Il est vrai toutefois que le mardi est le jour où les engagements sont plus nombreux. Engagements des fins de mois — Quelques industriels et petits marchands peuvent bien venir, à la fin du mois ou le 1% du mois suivant , demander au mont-de-piété de quoi compléter le paiement de billets qu'ils s'efforcent de ne pas laisser protester; mais il n’en résulte, le plus souvent, qu'un mouvement peu sensible dans les opérations; ainsi les échéances des billets à ordre n'ont à Rouen qu'une faible influence sur les opérations du mont-de-piété, parce qu’en effet le commerce s'adresse rarement à cet établisse- ment pour y chercher des ressources qui lui sembleraient trop onéreuses , et le petit nombre de prêts élevés vient à l'appui de cette assertion , car le Tableau décennal fait voir qu'il s'en présente à peine douze par an, d'une valeur de 500 fr et au-dessus, parmi lesquels deux ou trois tout CLASSE DES SUIE CES. 197 au plus atteignent ou dépassent 1,009 fr., encore dois-je ajouter que la plupart de ces emprunts sont faits par des personnes qui ne sont point dans le commerce. Pour les trois monts-de-piété, le minimum des prêts est de 3 fr., le maximum n'est pas déterminé, mais les prêts de 500 fr. et au-dessus, rares à Rouen , comme je viens de le dire, sont plus nombreux au Havre, et, proportion gardée , encore plus nombreux à Paris, où certains prêts s'élèvent à des sommes très fortes. A Rouen et au Havre , le prêt moyen est de 11 à 12 fr. ; à Paris, il est de 17 à 18 fr. Influence de la misère publique sur les opérations du mont de-piété. — Les opérations du mont-Ge-piété sont- elles , comme on le répète assez fréquemment, le thermo- mètre de la misère publique ? Cela me paraît dificile à établir avec certitude , et je serais presque tenté d'émettre une opinion contraire, si je ne craignais qu'elle ne passât pour un paradoxe. L'ouvrier est, en général, peu soucieux de l'avenir et peu ménager, de sorte que, quand il gagne de bonnes journées, il dépense inconsidérément plus qu'il ne devrait, et se trouve dans la nécessité de recourir au mont de: piété, avec d'autant moins de répugnance , qu'il se croit plus sûr de pouvoir dégager promptement. Si, au contraire, les salaires diminuent, ou que les prix des denrées alimen- taires augmentent , il devient forcément plus économe, et n'use qu'avec réserve de la ressource du mont-de-piété. Dans la classe moyenne, si les travaux et le commerce languissent, on s'efforce de restreindre ses dépenses pour ne pas emprunter ; mais, quand les commandes arrivent, quand la vente devient plus active , à bout de ressources, on est forcé de demander au mont-de-piété de quoi se pro- curer les matières premières ou les marchandises dont on 198 ACADÉMIE DE ROUEN. a besoin. Ainsi, jusqu'à un certain point, et sous des aspects différents, la gène et la prospérité peuvent contri- buer à alimenter le mont-de-piété, et la combinaison de ces différentes causes amène une espèce de compensation qui fait qu'on remarque rarement de grandes différences entre les opérations de deux années consécutives ; il a fallu la révolution de 1848 pour faire diminuer, à Rouen, le nombre des engagements de plus de 25,000, et leur montant de près de 278,000 fr., tandis qu'on aurait pu supposer qu'une pareille perturbation aurait produit un résultat tout contraire. Je citerai, à cette occasion , un mémoire de M. Horace Say, sur les monts-de-piété; on y lit : « Depuis leur origine , les opérations du mont-de-piété « de Paris se sont successivement accrues, sans que les « années malheureuses, sous le rapport des mauvaises « récoltes, des crises commerciales ou des événements « politiques, aient eu une notable influence sur cet accrois- « sement... La disette de 1816 et les misères de l’occupa- « tion par les armées étrangères n’ont eu aucune influence. « Depuis 1839, les opérations ont continué de s’accroitre , « avec et malgré le développement incontestable de « l'industrie et de la richesse générale. » { Journal des Economistes, n° 7%, 15 janvier 1848. ) Considérations sur les ventes. — Le fait même du dépôt d’un objet au mont-de-piété annonce le désir de le conserver ; car, si l'on n’y tenait pas, il vaudrait beaucoup mieux le vendre immédiatement. On doit en conelure naturellement que le grand nombre d'objets vendus par le mont-de-piété est un signe de détresse parmi les emprun- teurs ; toutefois, n'éprouve-t-on pas quelqu'incertitude à cet égard , si l'on observe que, pendant les dix premières années du mont-de-piété de Rouen, le grand nombre des engagements semblerait annoncer un temps de malaise, CLASSE DES SCIENCES. 199 tandis que le petit nombre d'articles vendus devrait indiquer une certaine aisance. Pendant les années 1848 à 1853, le petit nombre d'engagements pourrait, au contraire, faire croire à une prospérité que dément la forte proportion des articles vendus. A Paris, on remarque également des contrastes qui paraissent inexplicables ; ainsi, en 1843 et 184%, il y à eu beaucoup d'engagements et peu de ventes; en 1818, peu d'engagements, et peu de ventes; en 1849 et 1850, peu d'engagements, mais beaucoup de ventes ; enfin, de 1851 à 1855, beaucoup d'engagements et peu de ventes. CONCLUSION. Eu résumé, Messieurs, ni les fêtes populaires, ni les échéances de fin de mois, ni même le prix élevé des den- rées alimentaires et la misère publique ne me paraissent avoir une influence marquée sur les opérations des monts- de-piété, à moins que ces dernières circonstances ne soient poussées à l'extrême. Quant aux moyens de rendre cette institution plus pros- père et plus utile, il me semble qu'ils se réduisent, indé- pendamment de quelques réformes dans son organisation, d'un côté à faciliter les opérations des commissionnaires, ce qui détournerait la classe ouvrière de recourir aux prê- teurs clandestins, et de l’autre à diminuer le taux de lin- térêt pour attirer les commerçants, en diminuant la répu- gnance qu'ils éprouvent à se présenter au mont-de-piété ; répugnance qui ne tarderait pas à s’affaiblir si ses bureaux pouvaient être considérés comme ceux d’une banque ordi- paire. 200 ACADÉMIE DE ROUEN. APPENDICE. On se plaint généralement, et avec raison, que plusieurs monts-de-piété font payer leurs secours trop cher, et la loi du 2% juin—24 juillet 1851 le reconnaît en faisant pres- sentir que les droits devront un jour être réduits à 5 p. */v. Il y aurait, ce me semble, un moyen bien facile d'arri- ver à cet utile résultat ; il suflirait pour cela de réunir les monts-de-piété aux caisses d'épargnes, partout où exis- tent ces deux institutions, et il serait désirable qu'il y en eût dans tous les grands centres de population (1). Cette réunion à déjà été proposée il y a trente ou quarante ans, et M. Blaize, ancien directeur du mont-de-piété de Paris, en démontre les avantages dans son curieux et important ‘ouvrage intitulé : Des monts-de-piété et des maisons de prêts sur gage, en France et dans les divers Etats de l'Europe (2 vol.in 8’, Paris, 1856; — p. 265 et suivantes). L'expérience en a d’ailleurs été faite, puisqu'il existe en France trois monts-de-piété dont l'administration est com- mune à celles des caisses d'épargnes ; ce sont ceux d'Avi- gnon, de Nancy et de Metz. J'ignore quels succès obtien- nent les deux premiers ; mais je sais que le dernier, sous l'habile direction de M. de Viville, donne, depuis 37 ans, les plus heureux résultats. J'ai sous les yeux ses tableaux annuels depuis 1840 ; cette même année, le mont-de -piété de Metz a fait #7,726 engagements, dont les prêts se sont élevés à 547,784 fr.; le droit était alors descendu à (1) 1 y a maintenant en France environ 400 caisses d’épargnes et 200 succursales, tandis qu'on n’y compte que 44 monts-de-piété. La réunion aurait le double avantage de diminuer le taux des droits exigés des emprunteurs, et d'augmentér celui des intérêts payés aux déposants. em en mag. décembre. Engagt ct renouv!'. Dégagements. © 7 Prêts. Articles. Prêts. Articles. SNS ral Le] D © © © NN FF © € © © » 1 154 20 689 885 14 487 263 1 392 24 128 1 054 16 607 428 1 385 24 151 989 155503 | 5 PRIX MOYEN s d à: , ROU p . - à |&£ £ |8 Rouen, dukiog. de] z HMAVRE. PAURHS, m À GE = 5 POPULATION EN 1856 — 103,223 NAMITANTS. 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È 3 = ü ui = 25 ü rl . 1898 Vrauvaise 3e | 11200] % F " 5 mn 2 |8 : : 1 u8 | où " 032 1828 1829 idem. 4 Créé par ordonnance 1 197 a 551 07 o10 1420 1830 idem, 38 1 147 lat as 04 F idem du 21 décembre 183 7 | 21 250 S ti7 1410 1831 : 38 #8 1 250 | Î NT idem 36 5 il a commencé ses opératl EN ee ie CE 1832 Lee ÿ 8 a commencé ses opérations dal a No fé = FE onne, Es DRE Ja EEE 1433 RE 38 le 11 avril 1896 1 004 | 10 og 45 so 1899 1834 idem, 27 1 153 | 20 688 il 002 1804 DES 1835 idem, 28 14 1 178 10 Us? an 017 [LR , pr: PERATIONS DEN MONTN-DE-PIETE AU É f = ” " » we Liu) a l'on io IN VIA 1837 idem, 29 1 30 sl 08 14,270 22 10 303 20 220 “ 10 192 PH] “80 | ln 741 an 743 1407 1838 mauvaise. 5 78 58 14,039 “1 40 481 28 304 58 12 101 23 œ48 16 216 3 734 1838 de 1830 idem, 66 53 81 40 84 29 (ni 16 a1û 24 003 o04 où #00 [ENT 1840 idem, 39 68 53 13 à 607 (h} 300 ‘5 14 aiû on uvo 102 70 Ha 1440 ROUEN, oo HAVRE »r px PARIS 1841 bonne. 32 96 07 ñ8 Li] 5 6 350 30 10 556 an 678 084 | 10 754 06 zui 1Nt 1842 mauvaise, 20 un 1 40 93 1 017 07 EL 16 62 180 40. 23 309 25 Jin 1 065 10 242 0 | in 10 0% 1842 idem, 2 3 1 076 07 58 1 9 ‘0 25 î 20 217 b 7 f AVEC LEM PIX , À ROUEN, DEN DENNÉES DE PREMIÈNE 1843 idem 0 4 99 076 09 00 40 à AIT 20 21 1 on 14 06 50 #o 3 do! 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J'ai déjà démontré que la misère publique n’a guère d'influence sur les opérations des monts-de-piété, et si une de ces grandes catastrophes qui inspirent une panique générale venait à éclater, la Caisse des dépôts et consignations se trouverait elle-même hors d'état de pourvoir à la totalité des remboursements ; il deviendrait donc indispensable de les restreindre ; or la portion réservée serait plus que suffisante pour alimenter les monts-de-piété qui offriront toujours une sécurité com- plète pour le capital engagé, bien que, par la nature de leurs opérations, ils ne puissent pas toujours satisfaire instantanément aux remboursements exigibles. = —— VOYAGES. RAPPORT SUR LES VOYAGES DE DAVID PETERNON DE VRIEN, Par M. DE CAZE. (Séance du 18 Janvier \856.) Messieurs , L'original des voyages de David Peterson de Vries, mestre-de-camp d'artillerie de la Frise occidentale , écrit en hollandais, est certainement un des livres les plus rares qui existent. On n'en connaissait aucun exemplaire imprimé avant celui dont M. Lennox se rendit propriétaire en 185%, et sur lequel il à fait faire la traduction anglaise dont il a adressé l'hommage à l'Académie. Une ancienne copie manuscrite est déposée dans la bibliothèque de Philadelphie. On ne connaît aucune autre trace de cet ouvrage. Le livre que M. Lennox nous a envoyé est lui-même une rareté bibliographique, car il n'a été tiré qu'à deux cent cinquante exemplaires, et il est peu probable qu'il CLASSE DES SCIENCES. 203 Soit Jamais réimprimé. Ce sera donc toujours un des livres curieux de votre bibliothèque , digne de l'attention des amateurs ; mais cet ouvrage nous paraît moins recomman- dable sous le rapport de la science : il offre peu de faits inconnus. Les mêmes noms propres sont souvent écrits par l’auteur avec une orthographe totalement différente , ce qui rend assez difficile de reconnaître les véritables lo- calités auxquelles ces noms s'appliquent ; il nous donne en outre tous les noms connus du temps des colonies hollan- daises, et tous ces noms sont aujourd'hui changés ou oubliés, les pays dont il parle ayant passé sous d'autres maîtres. Ainsi, ce qui s'appelait alors Fort-Amsterdam , est devenu de nos jours l'immense New-York : Fort- Orange , la ville d’'Albany ; et ainsi de suite. L'ouvrage original hollandais est accompagné du portrait de de Vries et de dix-huit gravures. Notre in-4" est orné de ce même portrait, mais, quoique le traducteur anglais cite à tout moment les gravures et y renvoie le lec- teur, cependant ces gravures ne sont point jointes à notre traduction On n'a pas jugé à propos de les donner, parce qu'elles sont, dit-on, pour la plupart copiées sur celles des voyages de Champlain au Canada. On eût mieux fait alors d'en supprimer les indications. C’est une petile mys- tification pour le lecteur dont l'intelligence est obligée de suppléer à ce dont l’image aurait été mise sous ses yeux. Il est probable que la science perd quelque chose à cette omission. L'auteur nous semble peu versé en histoire naturelle! ou crédule : il cite des dindes sauvages du poids énorme de cinquante livres. Arrivé à la Guyane, il découvre dans les forêts deux espèces de sangliers. L'un grand , pesant cent quatre-vingts livres, l'autre petit, nommé Pokiero, portant, dit-il, son ombilie sur le dos. La nature a, sans doute, d'étranges monstruosités , mais ces anomalies mêmes sont 204 ACADÉMIE DE ROUEN. sujettes à de certaines règles, et j'avoue qu'un animal portant l'ombilic sur son dos, piqua ma curiosité. Je cherchai donc à deviner ce qui avait pu faire naître cette étrange erreur dans l’esprit de notre voyageur , et je crois l'avoir découvert. Les forêts de la Guyane nourrissent , en effet, une sorte de pachyderme de petite taille, que les naturalistes nomment Pécari. Il porte sur les reins une ouverture glanduleuse d'où sort une humeur fétide. C'est là, sans doute , ce que de Vries, qui n’y regardait pas de si près, avait pris pour l'ombilic de l'animal. Mais je m'aperçois, Messieurs, que je vous entretiens de véritables bagatelles en présence des idées que fait naître la lecture des trois voyages de de Vries. L'époque à laquelle il les commença est celle où les Hollandais possédaient, en Amérique, des colonies devenues depuis la proie de l'Angleterre. Elles formaient alors, de 1632 à 164%, le noyau primitif de ce qui est devenu les Etats- Unis. N'oublions pas , Messieurs, que New-York, cette ville dont le génie commercial menace aujourd'hui Londres même, fut originairement fondée sous le nom de Nouvelle- Amsterdam; Albany s'appelait alors Fort-Orange, et de nos jours, dans l'état de New-York, l'esprit hollandais a laissé des traces encore visibles, tant certaines empreintes nationales sont difficiles à effacer. En 1632, de Vries vit déjà poindre la lutte commençante des Anglais pour arriver, par la force et contre toute justice, à s'emparer des pays découverts, occupés et défrichés par les Hollandais, sous le prétexte vraiment incroyable que, dès 1496, Henri VIL, roi d'Angleterre, avait délivré à un Vénitien, nommé Jean Cabot , une commission qui l’autorisait à naviguer, à ses propres frais, pour découvrir les îles, contrées, régions ou provinces inconnues jusqu'alors à la chrétienté, avec pouvoir d'y planter le drapeau anglais et de s'en emparer CLASSE DES SCIENCES. 205 au nom de la couronne. Or, il est reconnu par tous les historiens , que Sébastien Cabot, fils de Jean , se contenta de voir, sans y aborder jamais , la côte américaine depuis le cap Breton jusqu'aux Florides. Telle est pourtant l'ori- gine du titre que les Anglais ont prétendu avoir sur le territoire primitif des Etats-Unis ; telle fut la source de la guerre que les Anglais firent en 166% aux Hollandais, pour leur enlever la colonie de Fort-Amsterdam , aujour- d'hui New-York. Elle resta donc à l'Angleterre en vertu du droit du plus fort, ce droit qui trouble si singulièrement les appréciations du philosophe et du jurisconsulte. Ce fut donc le 12 février 1632, que de Vries entreprit son premier voyage pour se livrer à la pêche de la baleine. Le 2 décembre de la même année, il sentit en mer une odeur parfumée venant de la terre ; elle provenait de ce que , à cette époque de l’année , les Indiens mettent le feu à leurs bois pour chasser. Ces bois sont pleins de végétaux odoriférants , tels que le sassafras ; ils répandent une odeur agréable, de sorte que, le vent venant à soufller du nord-ouest, on peut dire qu'on sent la terre longtemps avant de la voir. En quelques jours on harponna dix-sept baleines, mais si maladroitement qu’on n’en avait pris que sept; ces mauvais pêcheurs avaient dirigé leurs harpons sur la queue, tandis que les bons pêcheurs basques frappent toujours l'animal sur la partie antérieure du corps. Le 12 mars 1633, deVries arriva aux lieux découverts par l'Anglais Hudson, lorsqu'il était au service de la Compa- gnie hollandaise ; ce pays , selon le droit des gens, devait appartenir aux Provinces-Unies. Pendant l'hiver il avait vu des centaines de milliers d’oies sauvages sur l'Hudson, et, à cette époque printannière, ce furent des myriades de pigeons traversant les airs en si grand nombre qu'ils obscurcissaient quelquefois le jour et se reposaient sur le navire même. Sur le bord du fleuve , il trouva un Anglais 206 ACADÉMIE DE ROUEN. établi qui se prétendait maître du sol sousle prétexte d'une découverte antérieure. Quelques semaines plus tard, ect esprit d’envahissement devint encore plus évident. Un Anglais, nommé Eclkes, arriva à Fort-Amsterdam , (N.Y.), où venait d’être envoyé, comme gouverneur , un nommé Wolster Van Twiller, ancien commis de la Compagnie des Indes à Amsterdam, tout-à-fait impropre aux fonctions qu'on lui avait confiées ; invité par cet Anglais à venir le voir, il y arriva ivre, ainsi que ses officiers. L'Anglais lui dit que ce pays appartenait à sa nation, ayant été découvert par David Hudson. « Nous lui répondimes, dit l'auteur, « que cette découverte avait été faite aux frais de la Com- « pagnie hollandaise , que les Anglais ne s’y étaient jamais « établis, et nous lui citâmes le nom de Maurice, donné, « en souvenir du prince d'Orange, au fleuve appelé aujour- « d'hui l'Hudson, et le nom de Fort-Orange donné à la « localité qui s'appelle maintenant Albany. L’Anglais « remonta le fleuve sans tenir compte de nos observations, « mais lorsqu'il fut parti, le gouverneur réunissant toute « sa troupe, fit apporter devant sa porte une barrique de « vin, et remplissant son verre, il but à la santé du prince « d'Orange , invitant tout le monde à l'imiter et à le pro- « téger contre les outrages de l'Anglais. On se moqua « de lui, car il était trop clair qu'il n'avait que le désir de « boire sa barrique de vin, sans inquiéter cet Anglais « le moins du monde. Je lui fis observer que cet homme « était sans commission, qu'il devrait envoyer un navire « à sa poursuite, et que la comédie qu'il jouait était indigne « de ses fonctions. » De Vries eut personnellement à se plaindre de ce gou- verneur incapable qui compromettait la Compagnie des Indes occidentales par ses fanfaronnades et la folie de sa conduite. Le 15 juin, il fit voile pour retourner en Hollande où il CLASSE DES SCIENCES. 207 arriva le 24 juillet, après un voyage peu lucratif; la Com- paguie lui ayant cherché des querelles mal fondées , selon lui , il la quitta" pour chercher fortune ailleurs. Dans le but de fonder une colonie sur les côtes de la Guyane, de Vries entreprit son second voyage; il partit donc le 10 juillet 14634, sur un bâtiment de quatorze canons avec vingt-cinq hommes d'équipage et trente colons destinés à former le noyau de son établissement. Le 10 septembre ils jetèrent l'ancre à un demi-mille de Cayenne, et le 14, trente hommes débarquèrent pour s’y établir ; ils trouvèrent dans les ruines d’un fort déman- telé, qui paraissait avoir été bâti par des Français, des cannes à sucre, grosses comme le bras, dont ils man- gèrent. En pénétrant dans les terres, il rencontra sept ou huit Zélandais et Anglais qui cultivaient le tabac. Le pays était occupé par des sauvages qu’il nomme Arricoens. Leur chef, âgé de 150 ans, vint à mourir pendant son séjour; on tua tous ses domestiques pour le servir dans l’autre monde, et le médecin qui n'avait pas su le guérir: C’est dans les forêts de ce pays qu'il découvrit le Pécari, cause de la singulière méprise dont nous avons parlé. Il avait laissé sa petite colonie bien établie et revenait d’un long voyage qu'il avait poussé jusqu’au 38e degré, lorsqu'il apprit qu'elle avait été détruite par des Anglais et quelques marins qui étaient avec eux. Ceux-ci avaient persuadé aux colons, à la suite de plu- sieurs actes de violence, de les suivre aux îles, mais, une fois arrivés là, ils s’en saisirent et les vendirent comme esclaves. Si ces malheureux eussent résisté aux Anglais et fussent restés là seulement deux mois encore, dit l’auteur, ils auraient récolté pour plus de 150,000 florins de coton, rocou et tabac; mais, dit-il, les Anglais 208 ACADÉMIE DE ROUEN. sont un vilain peuple , ils vendraient leurs pères , s'ils le pouvaient. Ce voyage, comme on le voit, manqua “son but; il en attribue l'insuccès, non seulement aux désordres que nous venons de signaler, mais aussi au défaut de protection et à l'ignorance grossière des hommes choisis en Hollande pour gouverneurs. Il cite les Français comme d'excellents colonisateurs, grâce à leurs chefs éclairés et polis; mais chez nous, dit-il, on n’a rien fait, et c'est une suite bien natu- relle de l'orgueil et de l'incapacité avide de la Compagnie qui voudrait dévorer les profits du commerce avant de les avoir fait naître. Mais que dirait-il de nous aujourd'hui ? Car si les Français du xvr° siècle ont su établir de grandes colonies, ils n'ont su conserver de nos jours ni les vastes contrées du Canada, ni les opulentes régions de la Loui- siane, ni l'Ile-de-France , ni la moitié de leurs possessions aux grandes Indes. Nous arrivons au troisième voyage entrepris par de Vries, à la sollicitation de son frère, à l'effet de fonder, pour leur propre compte, une colonie sur l'ile des Etats. Il partit le 25 septembre, accompagné de personnes à son service. Trois mois après il arrivait en face de l’île des Etats où il voulait s'établir, non sans avoir eu à discuter avec de mauvais pilotes qui, sur la foi de quelques vieilles cartes, voulaient lui faire faire fausse route. Il y trouva un commandant, nommé William Kieft , dont il fut bien reçu. Il débarqua son monde avec les ressources nécessaires pour y bâtir quelques habitations. Vers le mois de juin , il monta un yacht pour aller reconnaître un lieu qui est au jourd'hui Newhaven. Il y trouva des Anglais qui avaient déjà bâti une petite ville de 300 maisons avec une jolie église. Le 9, en remontant Fresh-River, il trouva encore des Anglais établis sur ses bords dans un pays acheté par CLASSE DES SCIENCES. 209 les Hollandais, et ils y avaient bâti, malgré eux, une petite ville de cent maisons. Ils avaient battu un détachement de quinze soldats envoyés par le commandant. Cette espèce de gouverneur ordonna à de Vries de faire des représen- tations au chef anglais sur ses usurpations. Celui-ci l'invita à diner et lui dit que le pays ayant été délaissé par eux depuis longues années sans en tirer aucun parti, c'était pécher que laisser un si beau pays sans culture, et que, le voyant abandonné, ils y avaient déjà bâti trois villes. Dans ces explorations, de Vries rencontra, montés dans leurs canots, des Indiens revêtus d’habits anglais. L'un d’eux était couvert d’un manteau écarlate, etil lui demanda comment il se l'était procuré. Il apprit alors que, quelques jours auparavant, ils avaient tué et dépouillé le capitaine Stone et ses gens. C'était le même capitaine qu'il avait connu lors de son premier voyage, échappé tout récemment alors au malheur d'être mangé par son équipage, et qui venait de tomber sous les coups des Indiens. Au mois de décembre , il établit ses colons dans un lieu qu'il nomma Vriessendale , pays magnifique où il pouvait élever aisément 200 têtes de bétail, et où le blé qu'il avait semé avait dépassé la taille de l’homme le plus grand. Mais il ne fut pas secondé par les directeurs de la Compagnie hollandaise qui préférèrent vivre à ses dépens , se figurant apparemment qu'une colonie peut se fonder sans hommes et sans capitaux. Ils mangeaient les fonds de la Compagnie, nuisaient aux entreprises particulières, et préféraient le butin qu'ils faisaient sur les sauvages aux fruits d’un tra- vail régulier. Au mois d'août suivant (1641) arriva à Vriessendale un nommé Malyre qui soutint que la terre des Etats lui appartenait, lui ayant été donnée par les direc- teurs, ce qui surprit fort de Vries, car j'étais venu, dit-il, dès 1638, prendre possession des lieux, et le sixième article de 14 210 ACADÉMIE DE ROUEN. nos concessions portait que les premiers occupants ne pourraient être troublés dans leurs droits; mais, le 1°* no- vembre, tous les colons de l'ile des Etats furent tués par les Indiens. Des soldats du commandant Kieft avaient pillé du bois, tué du bétail et commis des désordres que ce com- mandant voulut pallier en en chargeant les Indiens et les faisant punir injustement à ce sujet. Ceux-ci se vengèrent à leur tour en tuant les colons et ravageant la colonie qui fut ainsi détruite, dès son origine, par cette conduite insensée. Ce gouverneur ne se borna pas là. Un pauvre Hollandais avait été tué en trahison par un Indien qui, étant venu lui offrir des peaux de castor, l'avait assommé par derrière et volé. Le commandant Kieft envoya chez les sau- vages s’enquérir de la cause d’un tel meurtre. L'assassin répondit que, pendant la construction du fort, son oncle et un autre Indien ayant été proposer des peaux de castors, plusieurs Hollandais les avaient nés pour prendre leurs peaux ; qu’enfant alors, il avait juré deles venger, ce qu'il avait fait en tuant Claes Rademaker. Le commandant en- voya, pour punir ces Indiens, deux expéditions qui s'éga- rèrent et manquèrent leur but. De Vries, qui voyait tous les jours le commandant et di- nait très souvent avec lui, avait été nommé avec douze autres colons pour l'aider à administrer le pays. Consulté pour savoir s’il fallait venger le.meurtre de Rademaker et déclarer la guerre aux Indiens , de Vries répondit que rien n'était prêt pour la guerre, que l'on n'était pas en force, que dans ce moment tous les troupeaux étaient dispersés à paître dans les bois, qu'il n'y avait aucun profit à en at- tendre, que déjà tous ses colons avaient été massacrés à l'ile des Etats par son imprudence, que cette guerre serait formellement désapprouvée par la colonie, et qu'en un mot, il ne fallait pas la faire ; mais ce commandant ne voulut rien entendre, la Compagnie ayant choisi un homme incapable, CLASSE DES SCIENCES 211 ne connaissant ni le pays, ni les gens auxquels il avait affaire.L'hiver s’écoula. et pendant cet intervalle, j'eus, dit l’auteur, diverses preuves que les Indiens me regardaient comme un bon chef auquel ils ne voulaient as de mal. Mais, dès le mois de février, étant un jour à la table de ce gouverneur, il me dit qu'il voulait frapper un cou» sur les Indiens. Je lui fis observer la fatilité de ses motifs, en lui disant qu'il ne pouvait d'ailleurs agir sans l'avis de la com- mission des douze dont je faisais partie ; que j'étais un des principaux colons ; que déjà, en 1630, on avait perdu la colonie de Swanendael , en faisant éjorger pour rien 33 de nos hommes; qu'en 16%0 tous mes colons de l'île des Etats avaient encore été massacrés par sa faute; mais tous mes discours restèrent sans eflet. Il regardait comme un fait digne des Romains, ce ravage et la mort qu'il allait porier chez les sauvages, et cela sans avertir les habiiants du pays, et sans les mettre à l'abri de la vengeance des Jadiens qu'il ne tuerait sûrement pas tous. Le repas fini, il me fit voir ses soldais prêts à traverser la rivière et à aller exécuter leur massacre. Je ne pus m'empêcher de lui dire : « Gouverneur, arrètez. vous voulez casser la tête aux Indiens, mais vous allez du même coup faire égorger tous nos colons, pas un seul n'étant prévenu; moi-même, je vais immédiaiement voir détruire mon habitation, mes gens, mes troupeaux, mon bié et mon tabac.— Iln'y a au- cun danger, me dii-il, et d’ailleurs, j'enverrai garder votre maison, ce qui ne fut pas fait. » Cette affaire eut lieu dans la nuit du 25 au 26 février 1643. Je passai la nuit chez le gouverneur, et vers minuit, j'entendis des cris affreux qui me firent accourir sur le rempart et regarder du côté de Pavonia. Je ne vis que des flammes et n réniehdis que les cris des Indiens égorgés dans leur sommeil. An moment où je rentrais près du feu, je vis accourir un Indien avec sa femme. Ils me dirent que 212 ACADÉMIE DE ROUEN. les Indiens de Fort-Orange les avaient attaqués et qu'ils venaient se cacher dans le fort. Mais je leur répondis qu'ils eussent à s'enfuir sur-le-champ, que le fort n’était pas pour eux un lieu de refuge, et que ceux qui les avaient attaqués et avaient massacré leurs amis à Pavonia n'étaient pas des Indiens mais des Hollandais. Je les conduisis donc à la porte et ils s'échappèrent dans la forêt. Au jour , les soldats revinrent au fort, se glorifiant , comme d'un fait héroïque, d’avoir assassiné quatre-vingts Indiens. Ils avaient arraché des enfants au sein de leurs mères et les avaient mis en pièces sous les yeux des parents, les jetant ensuite dans les flammes ou dans l'eau. D'autres avaient été jetés vivants dans la rivière, et si les parents s'élançaient pour les sauver, les soldats, ne les laissant plus revenir à terre, les noyaient avec leurs enfants. Non contents d’immoler des enfants de cinq à six ans, on tuait aussi des vieillards infirmes ou décrépits. Beaucoup d’autres qui s'étaient enfuis dansles bois voisins, revenant le lendemain se réchauffer ouchercher un morceau de pain, furent égorgés de sang-froid et précipités dans le fleuve. Beaucoup d’autres couraient les champs avec les mains ou les jambes coupées, soutenant leurs entrailles dans leurs mains, ou offrant aux regards des plaies si horribles, qu'il aurait beaucoup mieux valu poureux y succomber sur- le-champ, et la plupart deces pauvres créatures se croyaient la victime des Indiens Maquas. Après un tel exploit, les soldats furent félicités et récompensés par le gouverneur Kieft qui leur serrait la main. Dans un autre lieu et de la même manière, on égorgea encore quarante autres Indiens, chose honteuse et déplorable pour une nation chrétienne gouvernée alors par le prince d'Orange. A peine les Indiens eurent-ils su que c'étaient les Hollandais qui les avaient traités de cette manière, que tous les hommes qu'ils purent surprendre dans les fermes furent tués, mais on n'en- tendit jamais dire qu'ils eussent égorgé des femmes ou CLASSE DES SCIENCES. 213 des enfants ; ils brûlèrent toutes les maisons, les fermes, les granges, les récoltes de blé ou de fourrage ; la destruc- tion s'opéra sur une grande échelle, Ma ferme, mes gran- ges, mon magasin de tabac, mon bétail furent détruits. Mes gens se défendaient avec leurs armes par l'embrasure des fenêtres. Pendant qu'ils étaient livrés à ces angoisses, l'Indien que j'avais fait sauver arriva. Il dit aux autres ce que J'avais fait pour lui, et que les Indiens avaient été attaqués contre mon gré. Alors ceux-ci crièrent qu'ils ne tireraient pas, que si le bétail n'avait pas été tué on le conserverait, qu'ils épargneraient ma maison et ma petite brasserie, mais ils y avaient d'avance pris ma chaudière pour armer leurs flèches avec des dards de cuivre, et, en effet, ils s’en allèrent. Après de si cruelles représailles, j'allai trouver Willian Kieft, et lui demandai s’il ne voyait pas se réaliser tout ce que j'avais prédit, et qu'il était la cause de tant de sang chrétien répandu. Je l'interrogeai sur ce qui pourrait com- penser tant de pertes et de malheurs, mais il ne me répondit rien , et comme il s’étonnait assez sottement que les Indiens ne revinssent pas au fort; comment pouvez-vous croire, lui dis-je, que les Indiens reparaissent dans un lieu où ils ont été si maltraités ? Le 4 mars, trois Indiens, avec pavillon blanc, vinrent demander à parler à des gens du fort; je m'offris au gou- verneur, et ils demandèrent comment il se faisait qu'on eût tué tant d’Indiens de Long-Island, qui. loin de mettre jamais une paille sur notre chemin, nous avaient comblés de faveurs. Ils nous engagèrent à aller trouver leurs chefs. Pensant que ces Indiens ne nous étaient pas hos- tiles, je me résolus à les suivre, accompagné d’un nommé Olfers. Nous arrivämes, le soir, auprès du chef, qui n'avait qu'un œil. Îl était entouré de deux à trois cents Indiens, 214 ACADÉMIE DE ROUEN. et nous engagea à entrer dans sa maison. Il nous régala d'huîtres et de poisson, et nous dit d'aller nous coucher, ajoutant que, le lendemain, on traiterait l'affaire qui nous avait amenés. M'étant levé au milieu de la nuit, je ren- contrai un Indien, qui m'engagea à entrer chez lui. Je le fis, non sans crainte, mais il me rassura, disant que j'étais un bon chef, que je venais pour faire ranconty- maruit, ce qui, chez eux, signifie la paix. Au jour, un sauvage nous conduisit au milieu des bois , à environ quatre cents pas des habitations, et nous fûmes entourés par seize chefs, qui s’assirent en rond autour de nous. L'un d'eux, qui tenait à la main un faisceau de petits bâtons , et parais- sait leur meilleur orateur, commença son discours en indien. Il raconta notre arrivée sur la côte, dépourvus de vivres ; ils nous avaient donné leur maïs, leurs huîtres et leurs poissons; en récompense , nous les avions tués, et il mit à terre un de ses bätons, comme premier point. Il rappela encore qu'au commencement de noire séjour, nos hommes avaient pu tranquillement jouir de leurs mar- chandises, en attendant le retour des vaisseaux ; que les Indiens avaient protégé ces élrangers, comme la prunelle de leurs yeux ; qu'ils leur avaient même donné leurs filles , dont ils avaient eu des enfants ; que ces enfants cireulaient comme Indiens au milieu d'eux, et que, maintenant, les Hollandais avaient été assez scélérats pour égorger leur propre progéniture. Il déposa , alors, un second bâton. Ces dépôts successifs commencèrent à m'effrayer, car il en avait encore beaucouÿ: dans la main. Je linterrompis, pour dire que je connaissais tous ces faits; que nous igno- rions qu'il y eût des Indiens de Long-fsland parmi ceux qui avaient été tués, et que, s'ils voulaient venir au fort, le gouverneur leur ferait des présents. Cela termina la conférence , et les chefs y consentirent. Mais un Indien, armé d'un arc et de flèches, accourant aussitôt, demanda CLASSE DES SCIENCES. 215 aux chefs s'ils seraient assez fous pour aller se fier au monstre qui avait assassiné leurs amis. Il dit qu'aussitôt arrivés au fort, le commandant les garderait, mettant ainsi toutes les tribus indiennes dans le plus grand embarras, en les privant de chefs et de conseils. Les Sachems nous demandèrent si nous avions compris ce qu'il avait dit Nous répondimes que cet Indien était insensé, el que, s'ils voulaient venir, ils verraient le contraire , et recevraient de beaux présents. Un des chefs qui me connaissait dit que l'on pouvait se fier à ma parole, attendu que je n'avais jamais menti comme les autres. Ils vinrent donc, au nombre de vingt, et le commandant Kieft leur fit quelques présents. Il les pria, ensuite, de ramener au fort plusieurs des chefs dont les tribus avaient perdu beaucoup de monde. Il vint, en effet, des Sachems d’Ackinsack et de Tapaen ; mais les cadeaux qu’ils reçurent furent si médiocres qu'ils se retirèrent en murmurant. Ils me dirent qu'avec plus de générosité , on aurait pu faire la paix, mais qu'il pourrait bien se faire qu’on n'oubliât pas les enfants coupés en morceaux . cloués sur des planches et noyés. Effectivement, quelque temps après, un chef indien vint me trouver et me dit qu'il était fort triste , une foule de mécontents voulant recommencer la guerre. Je le conduisis au commandant , q'i lui promit 800 florins s’il faisait tuer tous ces brouillons. Cet Indien refusa, et moi-même, je ne pus m'empêcher de rire intérieurement à cette proposition inhumaine et maladroiie de faire massacrer des parents et des amis, pour 800 florins. Il se retira done, nous laissant la crainte d'éprouver encore une fois leur vengeance. En effet, un parti de neuf Indiens ayant pénétré, sous prétexte d'un message , dans le fort de Pavonia, tua tous les soldats qui y étaient, mit le feu à toutes les fermes et habitations du pays ACADÉMIE DE ROUEN. 12 (=r) On conçoit qu'un colonisateur de l'espèce de ce gouver- neur ne devait pas avoir les succès que William Penn obtint plus tard en Pensylvanie. Aussi de Vries fut-il obligé d'abandonner l'établissement qu'il avait formé, gémissant sur l'ignorance et l'impéritie des gens sans éducation, sans humanité et sans science, auxquels la Compagnie hollan- daise confiait ses intérêts, et il rentra dans ses foyers le 21 juin 164#. NECHNOLOGIE, ESSAI SUR LA FABRICATION DES MONNAIES. DISCOURS DE RÉCEPTION DE M. E. DUMAS. sp Messreurs, Votre bienveillance , le nom que je porte, la famille que je représente, m'ont valu d'être appelé ajourd'hui parmi vous, et d'occuper une place dans cette savante Assem- blée auprès de laquelle je n'avais aucun titre personnel à invoquer. Votre indulgence, Messieurs, m'est done nécessaire ; je ferai tous mes efforts pour la mériter, et, comme ma reconnaissance ne suflirait pas pour payer l'honneur que je vous dois, ceux qui font l'exemple de ma vie sauront, en y joignant la leur, m'aider à m'acquitter de la dette que votre bonté m'impose. Si mon âge, si les efforts que j'ai dû faire pour me créer 218 ACADÉMIE DE ROUEN. une position et pour m'y maintenir, m'ont éloigné momen- tanément des sciences , ils m'ont rapproché de la pratique industrielle , et j'ai pensé que vous écouteriez avec bien- veillance quelques détails relatifs à la fabrication des mon- paies, l’une de leurs plus belles applications. En ce qui concerne la juridiction et l’organisation admi- nistrative des monnaies , les documents abondent ; ils ont été recueillis avec le plus grand soin par de savants et consciencieux écrivains. Quant à la valeur vénale et histo- rique des monnaies et des médailles, je vois parmi vous, Messieurs , des hommes devant qui je m'incline, qui en ont fait leur étude spéciale, qui ont le droit d’en parler avec une autorité partout respectée , et dont je me garderai d’usurper les prérogatives si bien légitimées. Mais les renseignements sur la fabrication des monnaies sont épars, incomplets, souvent inexacts. Tantôt, on néglige cette partie de la science industrielle, tantôt, on décrit seulement la fabrication contemporaine, sans recher- cher par quelle suite d'idées et par quelles modifications successives ele s'est constituée. Cependant, Messieurs , si la fabrication des monnaies à été l’occasion de grandes et précieuses découvertes scien- tifiques on industrielles, si les hommes les plus éminents de l'antiquité et des temps modernes ont attaché leurs noms à l'histoire des progrès de l'art monétaire , une étude attentive de ses archives est-elle indigne de votre attention? Ne remontons pas à ces époques où le commerce par voie d'échanges, le seul admis à l’origine des peuples, permettait seul aussi de se procurer les objets nécessaires à l'existence. Il est facile de s’en former une idée dans les contrées encore barbares , où la pièce d'étoffe , le fusil, la poudre, le plomb, les verroteries, sont à la fois des objets d'échange et des valeurs monétaires d'un cours réglé, et même sur ces marchés de l'Amérique du Sud, CLASSE DES SCIENCES. DT où il n'est pas rare de recevoir en œufs de poule, qui y font fonction de monnaie de billon , l’appoint d’une acqui- sition plus importante. Faut-il croire que ces haches celtiques, taillées en pierre, en os, en corne ou en bois; que la hache de cuivre, si souvent déposée dans les tombeaux de nos ancêtres, fussent des représentations monétaires. des signes commerciaux? Cela est certainement possible, et le caractère religieux qui avait été attaché à ces symboles ne répugnerait pas à cette idée. Les premières monnaies proprement dites, celles du moins qui remontent aux temps les plus reculés, offrent ” un caractère tantôt religieux , tantôt commercial. Les figures d'animaux qu'elles présentent, témoignent qu’elles furent employées comme signe représentatif de la richesse des peuples pasteurs , le troupeau, Pecus, d'où le mot Pecunia. Les divinités dont elles portent lefligie ou les attributs , semblent prises à témoin de la sincérité du gage que la monnaie représente. Elles répondent de sa valeur, comme si celui qui les a fabriquées eût prêté devant elles un serment solennel de fidélité dans lexécu- tion de son travail. Les villes, les princes, en se substituant aux divinités, ont matérialisé, sans en changer le sens, cette garantie dès longtemps nécessaire. Tout le monde sait que les empereurs romains repré- sentaient sur leur monnaie, non-seulement leur propre effigie, mais encore celle des princes de leur famille Cependant, ce ne fut que vers l’année 86% de l'ère chrétienne, sous Charles-le-Chauve , qu'en France les monnaies commencèrent à prendre un caractère politique et à porter l'efligie du prince régnant. Les premières monnaies furent faites par voie de moulage, très probablement dans des moules en sable, 220 ACADÉMIE DE ROUEN. semblables à ceux dont on s'était servi pour reproduire jusqu'alors les objets de bronze destinés à servir d'armes ou de parures. Mais bientôt on moula des disques ou rondelles de métal, que l'on frappait ensuite au moyen de coins gravés au touret, comme l'on grave les pierres dures. C'est ainsi qu'ont été frappées les monnaies de tous les rois de la première race. Ces monnaies , fort épaisses et peu larges, étaient frappées dans les hôtels monétaires qui existaient à cette époque au nombre de huit dans les principales villes du royaume; les ducs ou comtes de _ces villes avaient le droit de battre monnaie, mais sous l'inspection de la Chambre des monnaies, composée de trois généraux des monnaies, qui faisaient partie de la Chambre des comptes, dépendaient du souverain, et surveillaient en son nom le poids et le titre des monnaies. Charles-le-Chauve établit huit hôtels des monnaies dans diverses villes de son royaume. Rouen fut une de ces villes privilégiées ; peut-être cette circonstance n'est-elle pas tout-à-fait étrangère à la puissance industrielle de cette ville. Malgré les efforts constants de Charles-le-Chauve et de ses successeurs , l'organisation monétaire de la France était loin d'être complète. Le due, comte ou baron ayant le droit de battre monnaie, la frappait à son efligie. Les monnaies frappées à Paris portaient seules l’efligie royale, et cet hôtel ayant le privilége de battre monnaie à un titre d’un quart plus élevé que celui des pièces frappées dans les autres hôtels monétaires, il se trouvait dans la circu- lation des pièces portant le même nom , et cependant ayant des valeurs très différentes. La monnaie frappée à Paris portait alors le nom de monnaie Parisis ou monnaie forte, et, celle fabriquée en province, le nom de monnaie Tournois ou Tournoïse, CLASSE DES SCIENCES. 221 du nom de la ville de Tours où cette monnaie se fabriquait en abondance. Ce ne fut que sous Philippe-le-Bel, en 1282, que les monnaies françaises prirent un caractère uniforme. Ce fut le premier de nos rois qui fit inscrire sur toutes nos monnaies la légende qui subsista jusqu'en 1789 sur nos monnaies d’or et d'argent: Sit nomen Domini bene- dictum. De tous temps, les métaux destinés à la fabrication des monnaies ont été mis en fusion dans les creusets en terre réfractaire , fabriqués avec plus ou moins d’habileté, et placés dans des fourneaux alimentés soit au bois, soit au charbon de bois. Ces cereusets, d’une contenance de 20 à 30 kilog. , étaient à l’origine, et furent pendant longtemps, les mêmes pour la fusion de l'or, de l'argent et du cuivre. Le moulage a dù s'effectuer pendant longtemps dans les moules de sable fabriqués à la main. Peut-être commença-t-on par mouler les pièces une à une ; peut-être, au contraire, moulait-on des bandes de métal que l’on découpait ensuite avec des cisailles. Quoi qu'il en soit, ces moules en sable furent remplacés, à une époque qu'il me serait impossible de préciser , par des moules en fer, semblables à des tablettes, creusées d'un sillon large et peu profond , dans lequel la matière se moulaiten une barre mince et large. Ces moules se nom- maient Rayaux, et l'opération de couler prenait le nom de jeter en rayaux. Ilest évident que ce procédé de moulage était fort imparfait, et ne pouvait donner que des lames très irré- gulières ; aussi fut-il remplacé, il y a déjà longtemps, par une sorte de gaufrier ou de lingotière à charnières, dont on se sert encore aujourd'hui, et qui donne de très bons résultats, 222 ACADÉMIE DE ROUEN. La coulée se faisait, pour l'or et pour l'argent, comme elle se fait encore actuellement pour l'or, au moyen du creuset lui-même , saisi avec des pinces et incliné à bras sur l'orifice de la lingotière. Pendant fort longtemps on se contenta de battre et d'amincir au marteau les lames au sortir des moules en sable , des rayaux ou des lingotières ; en un mot, on les forgeait comme on forge le fer et l'acier , puis on les livrait à l’ouvrier nommé ajusteur qui, au moyen d'une forte cisaille, les divisait en morceaux earrés d’un poids un peu supérieur à celui que les pièces devaient con- server. Ces carreaux étaient ensuite arrondis au moyen de trois ou quatre coups d'un marteau spécial, puis recuits au rouge dans une bassine ou poêle pêle-mèêle avec des char- bons allumés. Ils passaient de (à aux mains de la tailleresse, qui les mettait au poids en cherchant en même temps à les arrondir avec des cisailles. La tailleresse était un person- nage important; aussi celte place était-elle réservée aux filles ou aux femmes de monnayeurs. Malgré ces diverses opérations , les disques étaient encore bien loin d'être exactement circulaires; on les rangeait donc par poids de un marc sur une planche nommée rabottier, creusée de sillons parallèles, de manière à faciliter celte opération, et un ouvrier, les saisissant au moyen d’une pincette, les tournait sur une enclume en les frappant sur la tranche , au moyen d’un marlean qui eu ahbaflait les angles, C'est alors que les carreaux prenaient le nom de flans, et qu'ils subissaient un second recuit et un décapage , au moyen d’un mélange acide de sel marin et de lie de vin, dans lequel on les faisait bouillir avant de les monnayer. Le prévôt du monnayage recevait ces flans par nombre ronds e t complets composant une livraison ou bréfve, les CLASSE DES SCIENCES. 293 enregistrait, et les livrait au monnayeur après en avoir fait vérifier le titre par l’essayeur. Les plus anciens coins que l’on connaisse sont ceux dont les Romains se servaient. Ces coins , réunis par paires au moyen d'un ressort, présentaient la forme d’une pincette, terminée aux deux extrémités par les coins. La pièce à frapper était saisie au moyen de celte pièce, le tout était placé sur une enclume , et, au moyen de un où de plu- sieurs coups de marteau, on donnait empreinte à la pièce. Cet instrument était, du reste, lès propre au mon-- nayage des pièces frappées à la température rouge ; l'art de travailler le fer et l'acier n'étant pas connu, et les monnayeurs romains étant réduits à se servir de coins en bronze , il fallait hien arnollir les flans par la chaleur, Mais, dès que l’on a fabriqué des coins en fer, on a pu monnayer #froid , et, en supprimant le ressort qui unissait les coins , on les a rendus indépendants. Le coin supérieur, d’une longueur de 15 à 30 centimètres suflisante pour que l'on pût l'empoigner à pleines mains, portait la gravure du revers ; il avait recu de sa forme le nom de pile , qui est resté populaire pour désigner son empreinte. L'inférieur , nommé Trousseau , se ferminait en bas par une pointe en forme de clou qui entrait dans un biilot de bois dur ; un épaulement , ménagé sur le coin , lempêchait d’ailleurs de pénétrer dans le bois sous l'effort des coups de marteau. Le monnavage, à l'aide des coins séparés et du mar- teau, est représenté sur le chapiteau de l'une des colonnes d’une église fort ancienne, voisine de Rouen. Un ouvrier, que sa barbe et son costume désignent comme appartenant aux temps de la première race de nos rois, a placé une rondelle de. métal entre les deux coins, et se prépare à frapper de la main droite sur le coin supérieur 224 ACADÉMIE DE ROUEN. | qu'il tient dela main gauche. Le marteau semble assez pesant pour que l'empreinte des deux faces fût susceptible d'être obtenue du même coup. Toutefois, plusieurs coups de marteau pouvaient être nécessaires, si le diamètre de la pièce était considérable. Le frappage terminé, le monnayeur rendait, en nombre et en poids, les pièces qu'il avait reçues au prévôt de l'atelier , qui les remettait lui-même par brèves aux juges- gardes chargés de les conserver jusqu'à ce qu'elles fussent livrées à la circulation. Les coins dont on se servait en France furent gravés au touret un à un, jusqu'à ce que les relations de Charle- magne avec les pays méridionaux eussent introduit le procédé de la gravure au burin, en usage à Constantinople depuis longtemps. Ces procédés permirent de donner plus de finesse et moins de profondeur à la gravure, et, pær suite, de diminuer beaucoup l'épaisseur des pièces qui, dès cette époque, tendirent à se rapprocher des pièces orientales toujours très minces. Mais , si des coins en bronze aux coins en fer il y avait progrès, si des coins de fer aux coins d'acier il y avait progrès encore , le dernier terme de l’art restait pourtant à obtenir : au lieu de graver individuellement chaque coin, ce qui en fait autant d'individus différents , il fallait, dans l'intérêt d'un monnayage uniforme et pour prévenir le faux monnayage, arriver à une identité absolue des coins et des espèces; il fallait, en un mot, obtenir avec un seul coin autant de coins que la plus large fabrication pouvait en exiger. Jusqu'au règne de Louis XIT, l’art de graver les coins resta à peu près stationnaire. Mais à cette époque , les procédés italiens de gravure des coins, au moyen de poinçons en relief, furent importés en France, où ils se sont depuis beaucoup perfectionnés. L'identité des coins et celle des monnaies fut dès lors garantie, le même CLASSE DES SCIENCES. 295 poinçon pouvant fournir autant de coins qu'il était nécessaire. Louis XII fut le premier de nos rois qui fit imprimer son efligie sur la monnaie d'argent, et fit accompagner ce portrait du titre de duc de Milan et de roi de Sicile. Ces pièces prirent le nom de testons à cause de la tête qu'elles portaient sur une de leurs faces. Ce sont les premières frappées en France au moyen du mouton ou du martinet . outils importés d'Italie vers la même époque , et qui rem- placèrent le marteau trop léger et trop irrégulier dans ses eflets, à l’aide duquel on ne pouvait frapper que des pièces d’un faible diamètre. Tout le monde sait que le mouton est encore d’un usage très habituel pour la fabrication des boutons de métal et de beaucoup d'objets analogues ; mais ce que l’on sait peut-être moins généralement, c'est que, sauf l'atelier monétaire de Watt et de Bolton , tous les ateliers de Bir- mingham , où se fabriquent tant de monnaies pour tous les pays du monde, à côté des boutons qui sont l’objet principal du travail de ces ateliers, se servent encore du mouton. Les ouvriers qui emploient cet outil sont même parve- nus à une habileté manuelle quileur permet de rivaliser avec l'emploi des machines, au moins pour la rapidité. Ils frappent souvent 45 à 50 pièces par minute, du dia- mètre de la pièce de un franc. En France , l'usage du mouton n'a point persisté assez longtemps pour que les ouvriers arrivassent à ce degré d'habileté. Vers le milieu du xvi° siècle, un menuisier, nommé Aubry Olivier , présenta à Guillaume de Marillac , alors général des monnaies , un système de perfectionne- ments à introduire dans la fabrication des monnaies. Ces améliorations étaient au nombre de trois: le /aminoir , le découpoir et le balancier, instruments que l’industrie 15 296 ACADÉMIE DE ROUEN. monétaire a appris à l'industrie du fer à employer en France , et dont les deux premiers, par leur intervention récente dans cette industrie, ont métamorphosé les arts modernes et toute la civilisation de notre âge, Rien dans le système d'opération d'Aubry Olivier n'était changé , soit à la fonte soit ou moulage des lames ; seule- ment, au sortir des lingotières, ces lames étaient immé- diatement passées au laminoir; dégrossies, elles étaient recuites , et une série de laminages et de recuits sem- blables les réduisaient bientôt à l'épaisseur des espèces qu'il s'agissait de fabriquer. Elles étaient alors soumises au découpoir , sorte de petit balancier dont le piston déta- che de la lame des disques réguliers de métal. Un seul homme , munide cet instrument, peut découper 25,000 ou 30,000 pièces par jour. Une lime servait à ajuster au poids les pièces ainsi découpées. Enfin, le balancier venait imprimer les empreintes d'une façon plus rapide, plus correcte et plus profonde qu'on n'avait pu le faire par tous les procédés employés jusqu'alors. Henri IL, qui s'occupait activement des réformes monétaires à introduire en France, et qui avait déjà ordonné que les monnaies porteraient à l’avenir le millé- sime de l’année de leur fabrication et le quantième des rois du même nom, fit établir, par son édit du 3 mars 1833, ce mode de fabrication dans sa maison des Etuves, qu'il mit sous la direction d'Aubry Olivier. Cet établisse- ment qui était situé sur l'emplacement actuel de la place Dauphine, prit alors le nom de Monnäie-au-Moulin, à cause du moulin ou roue hydraulique qui mettait en mou- vement l'atelier des laminoirs établi près de à, sur la rivière. Aubry Olivier s'étant associé deux excellents graveurs , Jean Rondel et Etienne de Laulne, arriva bientôt à dépasser, comme perfection, les plus habiles monnayeurs CLASSE DES SCIENCES. 227 italiens. Mais il fallait ménager les intérêts de la corpora- tion des monnayeurs, menacée de réductions impor- tantes. Le roi fit marcher, dans ce but, simultanément, les deux modes de fabrication au marteau et au moulin jusqu'en 1585. À cette époque, Henri IIE supprima en grande partie, non l'atelier au marteau comme on devait s'y attendre , mais le nouvel atelier, l'atelier au moulin , qui ne fit plus que des médailles. La fabrication au mar- teau régna donc de nouveau seule dans les monnaies de France jusqu'en 1616, où Nicolas Briot , graveur général, essaya, mais en vain, de faire adopter en France une machine qu'il avait inventée pour le frappage des mon- naies. Il fut plus heureux en Angleterre, et Varin, son successeur dans la charge de graveur général et héritier des machines d’Aubry Olivier , les perfectionna tellement que, par la puissance . la rapidité et la facilité du travail, elles furent désormais sans rivales. On frappait par ses procédés, d'un seul coup et facile- ment , des pièces qui exigaient plusieurs coups de mar- teau, et quine s’obtenaient qu'avec peine auparavant. En 1640 , le roi Louis XIV rendit un édit par lequel il adopta complètement l'usage de la fabrication au moulin et au balancier ; cinq ans plus tard, la fabrication au marteau était supprimée , et Varin, dont les coins jouis- ” sent d’une si juste célébrité, recevait le titre de directeur général des monnaies de France. Depuis lors , la fabrication des monnaies s’est effectuée par les procédés dits au moulin, perfectionnés de toutes les inventions imaginées pour les industries analogues, et de toutes les améliorations spécialement effectuées pour l’industrie des monnaies elle-même. La fonte a peu changé; la valeur considérable des matières met un obstacle sérieux aux essais que l’on pour- rait tenter pour modifier une opération aussi délicate. Elle 298 ACADÉMIE DE ROUEN. s'effectue par les mêmes procédés depuis longtemps, c'est-à-dire pour l'argent, dans de vastes creusets de fer forgé ou de fonte d’une capacité de 1,000 à 1,200 kilog. , chauffés soit au bois, soit à la houille, suivant les localités. Pour l'or, le charbon de bois a fait place au coke, et les creusets de terre réfractaire à des creusets de plom- bagine de la même capacité. Le cuivre se fond tantôt dans de petits creusets de Picardie, de la contenance de 20 à 25 kilog., tantôt dans des fours à réverbère d'une contenance de plusieurs tonnes ; les ressources locales et les exigences de la fabri- cation sont les seules lots qui règlent l'emploi de ces divers procédés. Les lingotières n'ont changé ni de forme ni de dimension. Le travail du fer et de la fonte s'étant beaucoup perfec- tionné , elles sont seulement plus exactement travaillées , donnent des lames plus régulières, et, dans quelques localités, sont mues par un mécanisme ingénieux qui en ouvre et en ferme plusieurs à la fois. L'ébarbage des laines, qui se faisait autrefois an moyen d'une serpe , d'où lui venait le nom d'éserpage, a été remplacé par un ébarbage plus régulier qui s'obtient au moyen d'une cisaille circulaire. L'ancien moulin, mû par l'eau ou par des chevaux, a fait place au moteur à vapeur , et les laminoirs , établis avec la puissance , la précision et la perfection que lon sait maintenant donner à toutes les machines, emploient moins de force , débitent plus de lames, et leur donnent une épaisseur plus régulière. Les fours de recuit, autrefois garnis d’une grille fixe sur laquelle on plaçait les lames, au travers de laquelle passait la flamme du combustible , sont maintenant munis d'une sole tournante sur laquelle on pose les lames, qui CLASSE DES SCIENCES. 229 viennent ainsi présenter successivement leurs extrémités et leur centre à l’action de la chaleur. Bientôt , nous verrons les découpoirs à bras remplacés par des découpoirs à vapeur qui permettront de découper plusieurs pièces à la fois, et, par suite, de réaliser une économie notable sur la main-d'œuvre. Une machine à rabotter les flans a remplacé l'action lente et incertaine de la lime pour l'ajustage des flans trop lourds. Les bassines et les chariots dont on faisait usage pour le recuit des flans, se sont transformés en moufles de fonte qui peuvent tourner dans le feu. Lorsque les flans sont rouges, on les jette dans un bain d’eau et d'acide sulfurique pour l'argent, d’eau et d'acide nitrique pour l'or. Quant au cuivre, son blanchiment qui se fait à froid est encore plus simple; on se contente de faire rouler, pendant quelque temps les flans dans des tonneaux avec de l’eau acidulée d’acide sulfurique. On rince alors les flans, on les étuve, et le frappage vient achever leur fabrication. L’essai des pièces ou vérification du titre des espèces a aussi subi de nombreuses et importantes modifications. Un fait curieux et bien digne de remarque, c’est l'éclat du nom des hommes qui ont fondé ou perfectionné l'art de l’essayeur. Après Archimède qui, le premier, a fait une opération d'essai propre à vérifier la composition d'un alliage, et qui, à cette occasion, découvrit le prin- cipe qui a éternisé sa mémoire , n'est-il pas remarquable de voir que les essayeurs puissent citer Newton comme l'inventeur du système d'essai par la voie sèche , pratiqué en Angleterre jusqu’à ces derniers temps ; Newton, dont le fourneau est conservé, comme un monument historique , à la monnaie de Londres, et qu'ils aient le droit d'ajouter à ces deux noms si illustres, sous le patronage desquels ils 230 ACADÉMIE DE ROUEN. peuvent se placer, celui d'un des plus beaux génies de ce siècle, celui de Gay-Lussac , l'inventeur de Part d'effectuer les essais par la voie humide, cet art d'où date une précision jusqu'alors inconnue dans l'analyse des monnaies ? N'a-t-il pas d'ailleurs généralisé, à cette occasion, l'emploi de la méthode et des instruments d'analyse que Rouen avait vu naître entre les mains de Descroizilles, mais qu'il était réservé à Gay-Lussac de porter tout d'un coup au plus haut degré de précision , de simplicité et d'élégance ! Si maintenant nous considérons les perfectionnements apportés au balancier, nous verrons que, dans le prin- cipe, cet instrument se composait uniquement de la cage en fer ou en bronze , de son écrou , de sa vis , de sa barre et de ses boules ; le monnayeur enlevait de dessous le balancier la paire de coins enveloppée d’une chappe en fer, pour placer chaque flan et pour enlever chaque pièce frappée. On eut bientôt l'idée de fixer le coin supérieur à la vis du balancier , et le coin inférieur à la semelle ; ce dernier était fixé entre les pointes de quatre vis et restait immo- bile. Le premier montait et descendait avec la vis du balancier ; une boîte rectangulaire, glissant dans des guides, empêchait le coin de tourner avec la vis. La chappe dans laquelle les deux coins étaient mainte- nus, avait naturellement conduit à tenter de maintenir constamment le flan entre les deux coins, et à frapper la tranchée de la pièce en même temps que les deux faces, au moyen d’un anneau nommé virole. Cette idée remonte donc à une époque assez reculée, elle est même anté- rieure à l'usage du balancier. De cet anneau à la virole brisée qui permet de frapper des lettres en relief ou en creux sur la tranche des pièces , il n'y avait qu'un pas. Aussi, les premiers essais de la CLASSE DES SCIENCES. 231 virole brisée sont-ils contemporains de l'invention du balancier; mais la complication des moyens employés pour l'application de la virole simple et de la virole brisée, le ralentissement considérable que cette main-d'œuvre apportait au monnayage, la firent bientôt abandonner. Cependant. on voit sous Henri IV et sous Louis XII repa- raître de temps à autre des essais de virole brisée, qui prouvent que l’idée n’en était pas complètement aban- donnée. Il était en effet exclusivement utile de mettre, sur la tranche des pièces, une marque qui s’opposât à l’altéra- tion qu’on leur fait subir par le rognage, et cette utilité était si bien reconnue, que, dès 1685, le roi voulant arrêter la fraude dont nous venons de parler, ordonna qu'à l'avenir les pièces seraient soumises à une nouvelle façon qui consistait à entourer les franges d'une gravure en relief; c'est à l’aide d'un instrument appelé castaing, du nom de son inventeur , que cette gravure s'imprimait avant le frappage. En 1786, Jean-Pierre Droz tenta de remplacer cette main-d'œuvre par un frappage latéral obtenu au moyen d’une virole en plusieurs morceaux ; mais cet essai ne fut pas plus heureux que les précédents, non plus qu'un autre qui fut fait quelques années après, en 1796. C'est en 1807 seulement que Philippe Gingembre, mé- canicien très habile et inspecteur des monnaies, présenta un système complet de balancier comprenant le frappage en virole pleine, par des moyens assez simples et assez pratiques pour être adoptés immédiatement Le mécanisme de ce nouveau balancier évite les acci- dents graves qui arrivaient fréquemment aux monnayeurs, lorsqu'ils étaient obligés de polir les flans à la main entre les deux coins : une main, réglée par le mouvement de la vis maîtresse du balancier, saisit le flan, le place entre les 232 ACADÉMIE DE ROUEN. deux coins, et chasse la pièce aussitôt qu'elle est frappée, sans que le monnayeur ait à courir le moindre risque. Ce procédé de frappage en virole pleine, de flans sur la tranche desquels on avait, au préalable, imprimé une légende, dura jusqu'en 1829, époque à laquelle un mon- nayeur, M. Moreau, trouva le moyen de substituer sans frais la virole brisée à la virole pleine dans le mécanisme du balancier, modification qui fut adoptée dans le cours de l'année 1830. Les flans furent alors machinés ou cordonnés à blanc au moyen du castaing perfectionné par Gingembre, et le frap- page de la tranche s'effectua désormais en même temps que celui des deux faces. Dès lors, le balancier fut une machine très complète et parfaite, mais, au point de vue de l’économie , elle péchait encore. Il fallait douze hommes pour frapper des pièces de cinq francs, sans compter le monnayeur proprement dit ou poseur, et, en outre, la beauté des empreintes dépendait de la vigueur et de la bonne volonté des monnayeurs. Il fallait donc chercher un moyen de remplacer le balancier pour la fabrication courante des espèces. Ici, Messieurs, un grand nom vient encore prendre sa place dans l'histoire des procédés monétaires. La machine à vapeur, devenue un procédé universel et sûr, la compo- sition de l'eau reconnue et démontrée, sont des titres de gloire qui feront toujours oublier celui que j'enregistre ici. Mais, s'il importe peu à la célébrité de J. Watt que ce titre soit rappelé, il importe beaucoup à l'histoire de l'art mo- nétaire que le plus grand nom de la science industrielle moderne soit inserit dans ses annales. Or, le balancier monétaire, mu partout à bras d'hommes, considéré par- tout comme un instrument que les moteurs inanimés étaient impropres à mettre en activité, le balancier moné- faire fut mis en mouvement par la vapeur dans les ateliers CLASSE DES SCIENCES. 233 de Soho, et plus tard dans les ateliers de la monnaie de Londres où il fut appliqué par Watt. C’est au moyen d’un réservoir intermédiaire entre les machines à vapeur et le balancier, que Watt avait résolu ce problème délicat de mécanique ; la machine à vapeur fait le vide dans ce réservoir, et la pression de l'air ramène au repos la vis du balancier. C’est la vapeur qui frappe le coup, c’est le vide qui soulève le coin supérieur et le remet en position pour frapper de nouveau. Toutes les médailles frappées à Birmingham, dont un grand nombre sont relatives à l'histoire de la révolution française, tous les monnerons, toutes les monnaies de cui- vre mises en circulation au commencement de ce siècle dans le Royaume-Uni, ont été fabriqués par Watt avec ces procédés. Tout le monde sait en Angleterre combien les ateliers de Watt sont sévèrement soustraits à la connaissance du public ; ce qui explique le peu de retentissement de l'ap- plication ingénieuse faite par lui de cet emploi du vide; mais qui aurait pu en parler? La porte des ateliers de Soho n’était ouverte à personne. — Nelson avait un jour fait prévenir Watt qu'il viendrait les visiter. Celui-ci l'attendit à la tête de tous ses ouvriers à la porte de son établisse- ment et, au moment où il se présentait : Milord , lui dit-il, je ne puis répondre à votre désir, mais je suis heureux que vous l’ayez exprimé Personne désormais ne s’étonnera de trouver fermée une porte qui ne s’est pas ouverte pour Nelson. Bien des années après, cette porte s’est ouverte pour M. Arago et pour mon père qui ont seuls obtenu la faveur refusée à Nelson par le grand-père du propriétaire actuel de cet établissement. En 1839, un mécanicien viennois, M. Ulhorn, inventa une machine qui, mue par la vapeur et conduite par un 234 ACADÉMIE DE ROUEN. seul homme, peut frapper environ 2,000 pièces par heure. Cette machine, importée en France par M. Thonnelier qui l’a en même temps considérablement perfectionnée, répond aujourd'hui à toutes les exigences d'une fabrication rapide, économique et très parfaite. Cette machine semble inutile après que nous avons dit que Watt était parvenu à mettre en mouvement , par la va- peur, le balancier qui d’ailleurs répondait si bien à toutes les exigences monétaires. Mais remarquons que le balancier frappe un coup et se retire ; il épuise par conséquent toute sa puissance sur le métal mou, et la perd au moment où le métal, durci par l’écrouissage, lui résiste plus for- tement. l La presse monétaire, au contraire, dans laquelle le coin est pressé par une pièce en forme de genou, exerce sur le flan une pression toujours croissante, qui n'a de limite que la résistance des pièces même de la machine et la force du moteur. Ce principe permet de donner des empreintes bien plus nettes, et c'est cet avantage qui a valu à la presse monétaire une préférence justifiée sur le balancier. Depuis quelques années, toutes les monnaies se frappent tant en virole pleine qu’en virole brisée au moyen de cette machine, et le balancier ne sert plus qu’à la fabrica- tion des médailles ou des jetons. Bientôt même il sera presque complètement abandonné, et ne servira plus que pour les médailles d'un très grand module tirées à un petit nombre d'exemplaires, et exigeant plusieurs coups de ba- lancier. Ce rapide coup-d'œil jeté sur la fabrication des monnaies et sur les nombreux changements que ses procédés ont subis depuis les temps anciens, donne une idée de son inté- rêt. En effet, c'est une industrie qui se rattache à la fois : Aux beaux-arts, par la beauté des empreintes qu'elle est chargée de reproduire ; CLASSE DES SCIENCES. 235 Aux sciences, par l'étude des alliages qu’elle emploie, et de leurs propriétés physiques et chimiques ; Au commerce, par les transactions qu'elle opère sur les métaux précieux et par ses opérations de banque ; A l'industrie, par ses procédés de fabrication ; Et enfin, à l'administration, par sa législation particu- lière, et par son incontestable influence sur les plus graves questions économiques. I ne vous a pas échappé, Messieurs, que si la plupart des procédés employés pour la fabrication des monnaies ont été empruntés à l'industrie ordinaire, ils lui ont été bientôt restitués avec tous les perfectionnements qui devaient ré- sulter de leur emploi suivi dans des usines prospères, par des ouvriers intelligents et sous les yeux d'hommes exer- cés, instruits, et directement intéressés à leur succès. Vous avez reconnu de même qu'un grand nombre de ces procédés ou de ces appareils, inventés spécialement pour la fabrication des monnaies, sont passés de là dans les industries du commerce pour y être appliqués à une foule d'objets de consommation : Le mouton ; Les laminoirs ; Les découpoirs ; Le banc à tirer, connu sous le nom de dragon ou draw- bench, dont la monnaie de Londres tire un très bon parti pour régulariser, après le laminage, l'épaisseur des laines d'or employées dans la fabrication ; Le balancier ; Ne sont-ils pas autant d'instruments introduits en France par les hôtels monétaires, et abandonnés ensuite par eux à l'industrie privée avec la plus complète libéralité ? La balance à limites, employée pour la première fois à la banque de Londres, dont l'outillage est au-dessus de tout éloge, balance qui trieles pièces d'or mécaniquement, 236 ACADÉMIE DE ROUEN. qui les divise en faibles, fortes et droites, et les rejette séparément en trois lots ; Le machinage ou cordonnage ; L'emploi des coins ; L'emploi des viroles unies et brisées ; L'art des essais par voie sèche et par voie humide ; L'aflinage des métaux précieux par l'acide sulfurique qui s'effectue actuellement à Paris sur la somme énorme de 300 à 400 millions par an, Ne sont-ils pas autant de procédés industriels inventés pour l’usage spécial des fabriques de monnaies, et ces procédés ne se sont-ils pas déjà tous ou presque tous ré- pandus dans les fabriques du commerce ? Vous voyez, Messieurs, que cette industrie qui, au premier abord , semble limitée à la fabrication d’une seule sorte de produits , reflète dans son histoire, d'une manière aussi certaine que durable, non-seulement les grands événements politiques que les monnaies ont pour mission d'enregistrer, mais aussi les progrès de la science, ceux de l'industrie et des beaux-arts. Au moyen-âge, l’impor- tance de cette industrie, à laquelle nous devons tant, était si bien comprise, que les monnayeurs formaient une cor- poration particulière anoblie par la profession même et portant l'épée. Sans aller si loin, on peut dire qu'une indus- trie à laquelle la France doit , entre autres, la création de ses fabriques d’estampages et de boutons, dont les pro- duits sont incalculables en nombre et si remarquables comme exécution, a rendu et rendra encore des services importants aux arts et à l'industrie ; que les hôtels moné- taires , autrefois si nombreux et maintenant si rares, ont contribué pour une bonne part à la prospérité industrielle de notre pays . et que peut-être des établissements sem- blables , existant sur divers points d’un grand État comme la France , servant de modèle aux industries privées et de CLASSE DES SCIENCES. 237 champ d’épreuve pour les procédés nouveaux, ne sont point sans influence sur l'introduction des procédés étran- gers dans nos manufactures et dans les perfectionnements industriels. Quoi qu'il en soit, permettez-moi , Messieurs, d'ajouter avec bonheur et orgueil pour mon pays, que la monnaie française est la plus belle, la plus régulière et la plus loyale de toutes les monnaies en circulation. Aussi, a-t-elle cours dans le monde entier, et a-t-elle partout remplacé la piastre espagnole, servant ainsi de symbole matériel de la puissance française dans tous les pays, de moyen de propagation eflicace du système. décimal dont elle est le meilleur avocat, et de puissant levier commer- cial. C’est notre grande science monétaire, n’en doutez pas, Messieurs , qui a détourné, au profit de la France, ce grand courant métallique si extraordinaire qui, né de la découverte du Nouveau-Monde, s'était maintenu ailleurs jusqu’au commencement de ce siècle. Sorti des mines de l'Espagne et de la Carniole ,le mer- cure, transporté dans l'Amérique du Sud, y servait à l'extraction de l'argent qui revenait en lingots en Espagne pour s’y transformer en piastres , dont la presque totalité allait s'offrir à son tour en Orient et en Chine . après avoir servi à en solder les produits et particulièrement le thé et les épices. La France n'entrait dans ce mouvement que comme consommatrice ; elle avait réuni et retenait près de trois milliards de numéraire. Combien tout est changé à cet égard depuis que nous possédons les ateliers d’affinage les plus parfaits , les hôtels monétaires les mieux montés, les lois les plus sévères, les plus intelligentes et les mieux observées pour la constitution du système monétaire le plus régulier, le plus simple et le plus complet ! 238 ACADÉMIE DE ROUEN. L'argent et l'or, extraits dans le monde entier, sont destinés à passer peu à peu dans les creusets français ; quand on a retiré, à l'aide de nos procédés si parfaits d'affinage , de l'argent un peu d'or, et de l'or un peu d’ar- gent, on donne aux métaux aflinés de la sorte une forme monétaire ; ils circulent partout , accueillis avec confiance, protégés par l'égide du prince dont la pièce porte l'em- preinte , et par le renom d'honneur de la nation qui leur a donné sa garantie. Puissance étrange de la science ! Lorsque l'abbé Raynal cherchait dans les plus hautes régions de la politique l'équilibre du grand commerce des deux mondes; lorsque Humboldt en traçait avec tant de soins et d'intérêt le mer- veilleux tableau, pouvaient-ils imaginer qu'un chimiste, en découvrant que l'acide sulfurique qui dissout l'argent, n’attaque pas l'or, ce qui permet de les séparer, allait, par ce fait seul, déplacer l'axe commercial du globe, achever la ruine de l'Espagne , préparer la France à sou- tenir la lutte contre l'Angleterre, et ouvrir à notre pays une ère de prospérité inconnue dont la cause mystérieuse est à peine comprise ! Et pourtant, qui oserait mettre en doute que les trois ou quatre milliards d'or et d'argent qui, depuis vingt-cinq ans , sont venus à Paris pour y être afli- nés, fondus et monnayés , n'aient contribué par leur mou- vement, dans une proportion incalculable, à y faciliter sur les lieux les grandes entreprises, au loin les grandes spéculations ; qu'ils n'aient amorti la secousse de 1848 ; qu'ils n'aient diminué les maux causés par la disette , et, en un mot, enflé les voiles de la prospérité nationale ? Ne séparons donc jamais dans notre pensée les hôtels monétaires de ces grands événements commerciaux dont ils sont l'âme , non plus que du souvenir de cette force, de cette prospérité, de cette confiance dont ils ont le privilége de multiplier et de répandre les signes dans les comptoirs CLASSE DES SCIENCES. 239 et dans les palais les plus lointains, comme dans les chau- mières les plus éloignées. Permettez-moi maintenant, Messieurs, avant de rentrer dans le silence que m’imposent mon inexpérience et ma jeunesse , de vous exprimer de nouveau ma vive et pro- fonde gratitude pour la bienveillance avec laquelle vous m'avez appris à profiter de votre exemple et de vos en- seignements. Si des nécessités de position m’obligeaient un jour à quitter cette ville, ce serait pour moi une vive peine , car j'y ai été accueilli comme un compatriote et comme un vieil ami, avec une cordialité dont je suis pro- fondément touché. Parmi les souvenirs que j'en conser- verais , l'insigne faveur dont je viens ici vous remercier occuperait le premier rang; car rien ne m'y avait pré- paré , et je suis heureux d'y voir l'expression d’une sym- pathie que j'aurai du moins tâché de mériter, en vous laissant voir tout entière celle qui me porte vers vous. — 0 — ES Mn vie pe) PRET RER gant EN F " i 1. ne RER Pise | ; Cd cr A Et Re its Datasttiqueen ni LIÉE RES LEE ANA is FA ar: | RESTO RNNERRS LES TT Jd'ir aNMe e et pe=L PI RAA Eur er +. 3 Set Ah res s ie" RON PAT ER ANRT Er 8 EC at LE STE fr CEE SPP LE DU OR EEE LS LR “ci * be Daho AR ed, CR Ce MAL 7 TEA NA TS las ve PM ; . à CS 6 6 RERO 22 cé “nr a te "VON. VE 4 er RSA TT S . re Be lue ins PART RCE pee PT DRE PERLE EL RS ES s FPS 2 : Platon 1e Rs Ca PANDA : + PR - mr Al . EL si dt : ï fs À " - e x? … , FES MA] La! “ste 2 à . ' V2 sg FAX SE Fa Del Le" : \ à « Lu Ce 0 : on LQ se ÉUVORRORRRS < P, L ." À < À . Vo CLASSE DES BELLES-LETTRES. CEE FLE = y è À TE d . LEA " LJ L « “ 1 F0 PE TM ) 1447 } EYE JELLY le $ . a bn Eee à APTAU EL Can fi SU MATE x : 0, ef ANT CUBUITT f)-+Fai" ILE! id mes AL OANCERS 3 Lu meux À: PEU + ’ ufr 1 AU ve SE 7 EANANE: PAM AMEN Ps MDN T EI FM grE Enfs : pur MONET LE A mue DHTAUR > 1 AUCRYE Lt FL LL É aber CAM iries SP CON AMEN) EP TN EN Mig. SU & PAU A ER RL CN à ' à L « | L os FRA * li EM 3 | ; ) ' Ag ANS nl . ” s RAPPORT SUR LES TRAVAUX DE LACLANNE DEN LETTRES ET DEN ARTX, Par M. A. POZTIER, Secrétaire de cette Classe, — "#23 — Messieurs, C'est avec une appréhension toujours croissante d’an- née en année, que votre secrétaire des lettres aborde la tâche délicate de rendre un compte détaillé des travaux de sa classe pendant la dernière période écoulée. La diversité des sujets, les oppositions de nuances qu'offre le ton général de chaque composition, la nécessité de fondre le tout de manière à composer un ensemble homogène et suivi; tous ces contrastes et bien d’autres lui créent des diflicultés que l'expérience acquise lui fait paraître d’au- tant plus sérieuses qu'il a la conscience de ne les avoir jamais surmontées. C'est donc le cas de réclamer votre indulgence ; qu’elle me vienne en aide pour me détermi- ner à poursuivre. L'admission d’un nouveau membre au sein d’un corps académique est toujours, pour la Compagnie, un événement d'un haut intérêt au point de vue littéraire. L'obligation imposée au Président de répondre à chaque récipien- 244 ACADÉMIE DE ROUEN. daire, donne à cette solennité le caractère d'une lutte cour- toise, où, tour-à-tour, l’un et l’autre orateur viennent déployer, dans la mesure de leur goût, le talent de bien penser et l’art de bien dire. La science se dépouille en cette circonstance de son austérité; non-seulement elle croit de son devoir de se rendre accessible à tous, mais encore elle s'efforce de revêtir une forme élégante et pure- ment littéraire. L'institution des réceptions académiques possède d’ailleurs un avantage précieux, c’est qu'elle tend à maintenir l’art difiicile de complimenter avec tact et déli- catesse, et de critiquer au besoin sans s’écarter des règles d’une exquise urbanité. La réception de M. de Lérue confirme et justifie pleine- ment les principes qui font la loi de ces brillantes passes- d'armes littéraires. Le récipiendaire traitait de la bienveil- lance et de la politesse chez l'administrateur, il ne pouvait manquer de fournir un modèle de diction et de courtoisie académiques. Son but était d'examiner si la bienveillance, cette affec- tueuse politesse qui vient du cœur, malgré l'opinion d'es- prits chagrins qui croient la voir disparaître des relations établies entre les hommes, ne se retrouve pas intacte chez l'administrateur, pour qui elle est d’ailleurs une obligation, quand bien même la propre impulsion de l'homme ne l'y porterait pas. Comment le fonctionnaire ne contracterait-il pas cette qualité, quand , à chaque instant, on le voit forcé d'in- terrompre des travaux pressants qui réclament toute l'énergie de son attention, pour écouter les plaintes, laisser parler les espérances , se constituer le juge des inté- rêts et des passions, et donner à tous une décision juste et prompte? Ne fait-il pas là provision de douceur et de longanimité, et n'est-il pas véritablement à l'école de la bienveillance ? CLASSE DES BELLES-LETTRES. 245 L'orateur trace alors à grands traits le caractère de l'administrateur, tel qu'il le conçoit, mélange de bienveil- lance et de fermeté , d'indépendance et de justice, de réserve prudente et de conciliante indépendance , et pour qui le dernier mot est toujours : intérêt général. Tels sont, dit-il, les formes saisissantes et les résultats heureux de la bienveillance érigée en principe , et qui, appliquée par l'Administration à tous les actes de sa fonction , lui assure infailliblement, à la longue , une juste popularité. Mais ces formes polies, science véritable qui ne s'ac- quiert qu'à la suite d’une longue expérience, ont pourtant leurs détracteurs. « Tout cela, dit-on, c'est de l’eau bénite de cour. » Combien un bon mot, un sarcasme, propagé par la médisance , a peu de valeur lorsqu'il s’at- taque aux choses sérieuses , aux institutions utiles ! Il faut donc reléguer celui-ci au rang de ces plaisanteries vieillies qui se sont émoussées à force d'avoir été décochées à faux. Il faut surtout se garder de contester au fonctionnaire le mérite de la bienveillance , qui est presque un bienfait social, à la condition de s’appuyer sur la vérité et sur la justice, et qui honore de plus en plus cet édifice adminis- tratif que la France montre avec orgueil aux nations ses émules. Au reste , le récipiendaire ne dissimule point que, s’il s'est placé sous l'égide de la bienveillance, c’est qu'il espère inspirer pour lui quelque chose de ce sentiment dont l'Académie possède le secret, et qu'il est venu étu- dier dans les constantes traditions de ses membres. M. Bignon, président , en répondant au récipiendaire , a fourni un modèle précieux de ces rares qualités : le tact dans l'éloge et l'urbanité dans la critique, qui doivent caractériser, comme nous l'avons dit, les harangues aca- démiques. [ne s'étonne pas que l'orateur ait combattu 246 ACADÉMIE DE ROUEN. pour repousser cette impulation : que la politesse, exilée des salons , est également bannie des bureaux de l'Admi- nistration ; car, en l’écoutant , il a vérifié l'exactitude de cette maxime célèbre formulée par Buffon : Le style, c'est l'homme ; au choix du sujet, à la manière dont il est traité, il a reconnu l'auteur du livre de la Bienfaisance publique et le poète des Méandres. Toutefois, M. le Président conserve des scrupules à l'égard de l'influence bénigne des fonctions administra- tives sur le caractère de ceux qui en sont revêtus. Il doute qu'on soit toujours et nécessairement bienveillant parce qu'on est administrateur. Dans les régions très élevées du pouvoir, cela est sans doute ; mais il y a des degrés infé- rieurs où cette influence est moins eflicace et moins sai- sissable dans ses effets. Ensuite , tout en restant dans les termes d'une parfaite courtoisie, M. le Président conteste au récipiendaire l'ac- ception qu'il a donnée au mot de bienveillance, qualité dont les moralistes et les philosophes, dit-il, font conce- voir une idée plus élevée que celle de simple politesse; ils prétendent qu'elle vient du cœur, et qu'elle est mère et compagne de la bienfaisance. La charité chrétienne l’ms- pire à tous, envers tous, sans distinction du temps, des choses et des hommes, Recherchant alors quelle valeur il faut attribuer au vieux dicton que le récipiendaire veut rayer du diction- naire de la bonne compagnie , il trouve que tous les voca- bulaires s'accordent, pour n’y attacher qu'un sens inof- fensif, pour désigner la manière dont on éconduit, sans l'offenser, un solliciteur importun. Suivant lui, le nom de bienveillance, appliqué aux formes les plus séduisantes de l'Administration, ne s'accorde donc pas avec le sens légitime du mot. Ces formes se nomment politesse , con- venance, aménité, Que l'Administration en soit une école CLASSE DES BELLES-LETTRES. 247 accomplie, c’est ce dont M. le Président ne saurait douter; il croirait violer toutes les lois de la bienséance s’il disait le contraire. Au reste, le récipiendaire retrouvera , au sein de l’Aca- démie , les sentiments dont il vient de faire l'éloge, qu'il sait si bien peindre, et dont il contribuera à maintenir les règles et la tradition. Après avoir entendu cette réponse , si délicatement for- mulée, chaque auditeur est resté convaincu qu'il était impossible d'engager une discussion contradictoire avec plus de mesure, de convenance et de courtoisie, en matière de joute littéraire. Abordons maintenant les travaux proprement dits. C'est encore, comme par le passé, au précieux dépôt des archives départementales dont il est l’actif et savant directeur, que M. de Beaurepaire a emprunté les éléments de l’intéressant Mémoire qu'il a lu devant nous. Ce travail suffirait au besoin à prouver combien la critique histo- rique , pour l’éclaircissement des faits les plus considé- rables, peut trouver de ressources inattendues dans de simples pièces de comptabilité qu'on dédaigne et qu'on traite trop souvent comme d'inutiles papiers. Il s’agit d’un compte de recettes et de dépenses de la vicomté de Rouen pour l’année 1431 finissant à Pâques 1432. Cette époque est d'un puissant intérêt dans notre histoire locale. La Normandie , contenue plutôt que soumise, subissait le joug de la domination anglaise et brûlait de s’en affran- chir. Une année à peine s'était écoulée depuis que Rouen avait vu, dans son enceinte, s’'allumer le bücher de Jeanne d'Arc ,et des tentatives sans cesse renaissantes, des complots imparfaitement étouffés dans le sang , témoi- gnaient que le vieux patriotisme français n’était point éteint dans les cœurs, et qu'il se ranimerait avec énergie lorsque 248 ACADEÈMIE DE ROUEN. sonnerait l'heure de la délivrance. Entre toutes ces tenta- tives de partisans isolés, qui tenaient l'occupation étran- gère dans de continuelles alarmes et qui malheureuse- ment prenaient trop souvent les formes du brigandage, il en est une que l'étonnante audace de l’entreprise, le succès momentané qu'elle sut conquérir et que suivit trop tôt une catastrophe déplorable, ont rendue particulièrement célèbre. C’est la surprise du ehâteau de Rouen par une entaine d’aventuriers sous la conduite d'un gentilhomme normand nommé Ricarville. Entreprise téméraire s'il en fut, que celle d'enlever nuitamment , par escalade et avec une poignée de soldats, une formidable forteresse rem- parée de fossés profonds et défendue par une nombreuse garnison! Si pourtant cette tentative eût pleinement réussi, si, maîtres un instant du château , ces intrépides champions eussent sufli à le défendre, la ville de Rouen ouvrait ses portes aux défenseurs du droit national, et la Normandie était peut-être reconquise vingt ans plus tôt. On connaît la funeste issue de cet imprudent et sublime dévouement ; les courageux assaillants furent abandonnés ichement par ceux qui s'étaient avancés à leur suite pour les soutenir. Ricarville lui-même, si l’on en croit l’histo- rien le mieux informé, après avoir conduit l'escalade et avoir regagné la campagne pour presser l'arrivée des ren- forts, ne put rejoindre ses compagnons, et ceux-ci, bien- tôt assiégés de toutes parts, durent cesser toute résistance et se mettre à la discrétion du vainqueur. Mais le vain- queur fut impitoyable, tant l'épouvante qu'il avait ressentie imposait silence à sa pitié. Gent cinq têtes tombèrent sous la hache du bourreau ; c'était le nombre des héroïques aventuriers, auteurs et victimes de cette audacieuse entre- prise. d Le compte de dépenses qu'analyse lauteur du Mé- moire , peut servir à éclairer d'une lueur funèbre ce tra- CLASSE DES BELLES-LETTRES. 249 gique dénouement, Il contient la mention du salaire que réclame, pour son terrible office, l'exécuteur de cette justice sans merci : CXI livres XIIT sols, pour avoir trainé sur une claye au bout d'une charette . . avoir décapité, escartellé et pendu les quatre membres aux quatre portes, le corps au gibet , et assis la tête sur une lance , (c’est le traitement que subit un des principaux fauteurs de l’entre- prise ) ef aussi avoir semblablement décapité les personnes dont les noms ensuivent….. ; puis vient la désignation par noms , prénoms et lieu d'origine des cent cinq victimes. Triste nécrologe que le patriotisme doit inscrire dans ses fastes. A ce récit, poignant d'intérêt, que M. de Beaurepaire a reconstruit en conciliant les relations malheureusement très divergentes de deux chroniqueurs, il a joint de curieux détails sur l’état où se trouvait la Normandie à la fin de la domination anglaise. C’est un tableau navrant des cala- mités que, sous l'occupation étrangère, on vit fondre sur notre malheureuse province, et qui peut se résumer en ces simples mots : ruine, misère, brigandage et dépopula- tion. On reproche souvent aux hommes de province, comme une conséquence de leur état d'isolement , cet amour exa- géré du lieu natal, qui se complaît aux plus petits détails de la topographie et de l’histoire locale. On critique cette disposition qui leur fait considérer la plus chétive bourgade comme un petit monde à part, digne à tous égards qu'on lui assigne une antique origine, et qu’on rédige en chro- nique ses obscures destinées. Cette critique n’est pas sans fondement ; et parfois, en effet, on a pu craindre de voir l'histoire provinciale se morceler en une infinité de mono- graphies, créées sans raison suffisante et grossies outre mesure par d'ambitieuses prétentions. Mais proscrire tout 250 ACADÉMIE DE ROUEN. travail de ce genre, par la raison qu'il s'applique à quelque localité dépourvue de renom historique, ce serait mécon- naître tout ce que de semblables recherches, entreprises dans un but sérieux et poursuivies avec une patience consciencieuse, peuvent présenter d'intérêt pour nous initier à la connaissance de l’organisation sociale , et de la condition économique , civile et morale des habitants des campagnes pendant toute la durée du moyen-âge. A ce point de vue, nous ne pouvons qu'applaudir à la curieuse étude dont M. Rondeaux nous a communiqué les premiers chapitres, et qu'il consacre à retracer l'histoire d’une simple paroisse de campagne : Saint-Étienne-du- Rouvray, près de Rouen. L'auteur remonte aussi loin que possible , c'est-à-dire à l’ère gauloise; mais il a le bon esprit de convenir que , à part une pierre et un tombeau, l'époque antique, jusqu’au x° siècle, n’a laissé aucune trace sur le sol ni dans les souvenirs. L'invasion normande a gravé son empreinte en attachant çà et là, à quelques points du territoire , ses dénominations scandinaves ; mais, avec l’époque ducale , les documents écrits commencent à se produire et finissent par se multiplier. Alors com- mence également à s'établir cette organisation puissante qui, sous le nom de système féodal, enchaïînait l'une à l'autre, par des liens de vassalité, toutes les classes d’habi- tants, depuis le seigneur jusqu'au plus humble tenancier. Un horizon étroit, un point de vue rapproché permettent à l'auteur d'étudier de près, et en quelque sorte sur place, cet état social particulier, et d'en préciser les curieuses applications. Une des expressions les plus caractéristiques de ce système est le château scigneurial, la forteresse féodale L'auteur, sans s'écarter beaucoup de la circons- cription qu'il a choisie, rencontre l'emplacement de plu- sieurs (le ces résidences hautaines , autrefois pourvues de remparts menaçants, aujourd'hui tellement arrasées au CLASSE DES BELLES-LETTRES. 251 niveau du sol, que l'œil exercé de l’antiquaire a peine à les reconnaître. On peut pressentir l'intérêt que présentera cette histoire, lorsque l’auteur en aura parcouru toutes les phases. C’est comme un petit monde distinct , mais en qui se reflètent les révolutions et les transformations successives qui agitent et modifient la société entière. La forme sociale, étudiée de plus près, s’y manifeste dars ses effets avec d'autant plus de netteté et de franchise. L'influence des préjugés et des usages, la persistance des souvenirs tra- ditionnels , tous ces liens invisibles qui lient si étroitement le passé au présent, se laissent saisir et analyser. Il est utile que, pour chaque province au moins, quelques études de ce genre soient entreprises, pour nous aider à découvrir par quelles secrèles aflinités et sous l'empire de “quelles influences naissent, se développent et se perpétuent d'âge en âge ces minimes agglomérations rustiques , humbles parcelles du grand ensemble politique appelé la commune patrie. Comme diversion à ce travail important, M. Rondeaux à entrepris de nous initier à la connaissance des publica- tions allemandes de la société de la haute Lusace. Cette société, qui siége à Gocrlitz, s'occupe avec un zèle notoire de la recherche et de la mise en lumière de divers monu- ments de date et d'origine incertaines, qu'on rencontre abondamment dans la contrée qu’elle explore. c'est-à- dire dans le duché de Sagan , au confluent du Bober et de la Queiss. Ce sont des sépultures qui affectent des dispo- sitions variées , mais toujours avec cette circonstance uni- forme que les ossemients , qi ont subi l'incinération, sont rassemblés dans une urne de terre. Ces urnes se ren- contrent tantôt isolément , tantôt en groupes, tantôt sim- plement enfouies dans le sable, tantôt enfermées dans une caisse circulaire, formée de pierres brutes juxta- 259 ACADÉMIE DE ROUEN. posées , tantôt enfin ce grossier sarcophage est surmonté d'énormes amas de pierres ou de cailloux. Les savants les plus réservés donnent à ces sépultures le nom de tom- beaux paiens , d'autres les attribuent soit aux Wendes, soit aux Huns. Cette mention de sépultures antiques nous amène natu- rellement à parler des nouvelles découvertes de M. l'abbé Cochet et des trois Mémoires que ce savant explorateur a adressés à l'Académie pour lui en faire connaître les résultats. Deux de ces Mémoires concernent une localité à peine signalée jusqu'ici, et qui. à divers titres, paraît devoir acquérir une haute importance. Il s'agit d'une com - mune voisine d'Elbeuf, qui forme comme un prolongement ou un faubourg de cette florissante cité industrielle, et qu'on appelle Caudebec-lès-Elbeuf. Quoiqu'aucun sonvenir- historique ou traditionnel ne recommandât cet emplace- ment à l'intérêt des érudits , tant d'objets antiques de toute nature y ont été découverts, depuis peu d'années, qu'on a dû penser qu'une cité oubliée gisait sous ce sol si com- plètement renouvelé. Dès-lors, le champ des conjectures était ouvert, et le nom d'Uggade fut prononcé. Ce nom appartient à l'itinéraire d'Antonin. Sur la route qui va de Rouen à Paris par Evreux et Dreux , il occupe une situation intermédiaire entre Rouen et Evreux, beaucoup plus près de la première ville que de la dernière. L'opinion à peu près unanime des géographes plaçait cette station à Pont-de- l'Arche ou aux environs; mais quelques critiques , dans ces derniers temps , songèrent à l'établir à Elbeuf, et enfin M. l'abbé Cochet, s'appuyant sur les récentes découvertes, fixe, avec toute vraisemblance , Uggade à Caudebec-lès- Elbeuf. C'est à donner à cette opinion tout l'appui que réclame une vérité nouvelle que sont consacrés en grande CLASSE DES BELLES-LETTRES. 253 partie les deux Mémoires de notre laborieux confrère. Il demande d’abord ses preuves à la géographie comparée , en discutant les distances fournies par les itinéraires, en constituant le réseau de voies romaines qui rayonnait sur cette partie de notre territoire, et principalement en étu- diant, sur le sol même , les débris sans nombre que des hasards heureux ou des fouilles suivies ramènent chaque jour à la lumière. Ce sont, comme dans toutes les localités où les Romains ont fondé des établissements durables , et déployé à loisir leur science du bien-être et le luxe de leurs habitudes, des murailles sans nombre dessinant le contour des habitations, des aires pavées de mosaïques, des puits et des citernes creusés à chaque pas; puis, semés profusé- ment au milieu de ces débris, ces meubles et ces ustensiles innombrables qui correspondent à tous les besoins de la vie domestique , à toutes les délicatesses d’un luxe raffiné : meules en grès et en poudingue pour moudre le grain, céra- mique grossière ou finement modelée pour servir à tous les usages et s'accommoder à toutes les fantaisies, frag- ments de verrerie d'une fabrication exquise, menus bronzes d'une variété infinie, puis enfin cet élément principal de toute certitude historique , les médailles et les inscriptions, qui viennent donner aux objets de ces découvertes l’anthen- ticité d’une date précise et d’une origine désormais incon- testable. Voilà, en peu de mots, ce que les deux Mémoires de notre savant confrère ont pour but de décrire et de caractériser, A quelle époque cette ville antique dut-elle dispa- raître, car partout les signes de destruction violente se laissent saisir et apprécier ? L'auteur conjecture que ce fut lors de la grande invasion saxonne, en 282, et, en supposant qu'elle ait survécu partiellement à ce désastre , il en fixe la ruine complète et définitive à l’année 383, sous le règne de l’empereur Gratien, c’est-à-dire à cette 10 34 ACADÉMIE DE ROUEN. époque de bouleversement qui vit succomber, dans nos contrées , la domination romaine sous les coups des bar- bares. Toutefois, cette cité dut, plus tard, se relever en partie de ses ruines , car M. l'abbé Cochet mentionne, à la fin de son premier Mémoire, la découverte récente de nombreux tombeaux en pierre, que, à des caractères certains , il a reconnus pour être d'origine franque. Ces découvertes si fécondes en résultats n’ont point em- pêché M. l'abbé Cochet de poursuivre ailleurs des explo- rations dont il avait déjà, l’année dernière, entretenu l'Académie. Ces nouvelles fouilles, pratiquées dans l’ancien cimetière paroissial de Bouteilles, près de Dieppe , et qui ont mis au jour des sépultures anglo-normandes du xr° et du xue siècle, forment l'objet d'un troisième Mémoire dont l’Académie a entendu la lecture. La circonstance la plus intéressante que relate ce minutieux compte-rendu c’est la découverte de deux de ces croix en plomb, portant ordinairement inscrite une formule d’absolution , et que les morts inhumés portent sur leur poitrine, comme un symbole de leur croyance ét comme un viatique destiné à fléchir la colère céleste. Il résulte de l'examen d’habiles paléographes, car ces inscriptions sont fort difliciles à déchiffrer , que l’une des deux croix se distingue de toutes celles que M. l'abbé Cochet a déjà rencontrées, en ce qu’elle porte une indication sépulcrale et une demande de prières , le tout exprimé en trois vers léonins. Cette large moisson de faits, à ajouter à l'inventaire déjà si vaste de la Normandie souterraine, témoignent suffisamment que le zèle infatigable de notre confrère n'est pas plus près de s’épuiser que la matière de ses décou- vertes. Rien de plus diversifié, suivant les époques, que la forme des sépultures et les modes d'ensevelissement. CLASSE DES BELLES-LETTRES 255 Rien de plus intéressant à étudier que les tombeaux de la période du moyen-âge; on trouve en eux une variété infinie de formes, depuis la simple dalle posée au niveau du sol, jusqu'aux plus splendides créations de l’architec - ture; leur étude montre à chaque pas les spécimens les plus curieux de la sculpture, de la statuaire et de l’épigra- phie ; et enfin les efligies qu'ils portent suflisent pour cons- ütuer , à l'égard de la période qu’ils embrassent , l’histoire du costume dans les différentes classes de la société. M. de Glanville, à qui ses études habituelles ont fait comprendre toute l'importance de ces monuments, n’a pas dédaigné de consacrer à une modeste pierre tombale tous les développements d'un Mémoire spécial. Il s’agit du tombeau de saint Loyer, en latin Zotharius, qui occupa le siége épiscopal de Seez dans la première moitié du van: siècle. Ce tombeau est placé dans une petite chapelle bâtie près d’une des plus humbles églises du département de l'Orne ; il n’occupe pas aujourd'hui l'emplacement pour lequel il était destiné ; il devait figurer sous une arcade, suivant un usage fréquent au moyen-âge, tandis qu’au- jourd’hui il est isolé ; il n’a jamais non plus contenu le corps du saint, carilest massif dans toute son étendue, mais il formait simulacre au-dessus de l'endroit où le corps était déposé dans un cercueil beaucoup plus simple ; enfin il est postérieur au saint dont il recouvrait les restes, car il affecte une forme qui ne fut généralement usitée qu'à partir du xnu sièele ; probablement il remplaçait un autre monument plus ancien et qui avait été détruit. La forme de ce sarcophage est celle d'une longue caisse carrée que surmonte un toit à double versant, simulant un couvercle. La particularité la plus remarquable que présente ce monument, d’ailleurs fort simple et sans ins- cription, c'est une ouverture en entonnoir, pratiquée latéralement à la base du couvercle, et traversant perpen- 256 ACADÉMIE DE ROUEN. dieulairement toute l'épaisseur de la pierre. On suppose que, par cette ouverture , qui correspondait au véritable cercueil placé au-dessous , les fidèles avaient une com- munication en quelque sorte directe avec l'objet de leur vénération, et pouvaient faire toucher au corps sanctifié des amulettes et des chapelets. Cette disposition n'est pas sans exemple, mais elle est assez rare pour mériter qu'on la signale, et pour justifier l'intérêt que ce monument a inspiré à notre confrère. M. de Glanville a d’ailleurs com- plété tout naturellement les données que comportait cette notice, par un récit judicieux des faits assez obscurs qui constituent l'histoire de saint Loyer. A cette matière de l'histoire et des antiquités, qui occupe toujours la plus large part dans les travaux de l'Académie pour la classe des lettres, se rattachent plu- sieurs rapports que nous a faits M. de Caze pour nous initier à la connaissance des savantes et splendides publi- cations de l’Institut Smithsonien de New-York, et des modestes mais profonds travaux des antiquaires de Copenhague. Dans un premier rapport, M. de Caze, d'après un mémoire de M. Lapham, inséré dans le VII volume de Ja Société Smithsonienne , décrit de singuliers monuments qu’on a récemment reconnus et explorés au milieu des solitudes du Wisconsin, cet état de nouvelle création, situé au voisinage des grands lacs Supérieur et Michigan , et vers lequel semble aujourd’ui se porter le flot incessant des émigrations européennes. Qu'à ce nom de monuments on ne s’attende pas à voir surgir des ruines majestueuses, telles que celles de Thèbes ou de Palmyre, du Panthéon ou du Colysée , pas même telles que celles de Mitla ou de Palenqué qui témoignent de la puissance et de la civilisation des anciens Mexicains. w CLASSE DES BELLES-LETTRES. 257 Les monuments dont il s’agit sont aussi sauvages que les solitudes vierges an milieu desquelles on les rencontre ; mais on sent , à leur aspect , s’éveiller un vif intérêt, si l'on interroge leurs débris pour leur demander quels peuples les ont élevés. Ce sont des élévations de terre d'une hauteur médiocre mais d’une très grande étendue , qui représentent , par le développement de leurs contours, des figures d'animaux : des loups, des buffles, des loutres, des oiseaux, des reptiles, ou des figures variées : des croix , des globes ailés , des armes. Quelquefois , ces figu- rations, au lieu d’être en relief, sont en creux. Tout ces étranges travaux , au reste, paraissent remonter à une assez haute antiquité, car, sur les éminences qu'ils décrivent, se sont implantés des arbres âgés de plus de quatre siècles. C’est presque en vain qu’on a sondé leur épaisseur pour y trouver des débris plus significatifs ; des squelettes et quelques fragments de poterie grossière ont seuls apparu, sans révéler sous l'influence de quelles croyances ils ont été élevés. Dans un second rapport, M. de Caze a rendu compte des dernières publications de la Société des antiquaires de Copenhague. L'examen qu'il a fait de ces volumes lui a permis de constater un témoignage bien honorable de l’universalité de la langue française, c’est que plusieurs des Mémoires qu’ils contiennent, et ce ne sont pas les moins importants , sont écrits dans notre langue; aussi ne man- que t-il pas de louer la savante Compagnie de savoir se mettre ainsi en communication directe avec les savants de la plus grande partie de l'Europe, que rebuterait sans contredit l'emploi des idiômes septentrionaux. M. de Caze a ensuite passé en revue quelques-uns de ces Mémoires, glanant çà et là quelques faits curieux. Ainsi, dans un Mémoire sur l'emploi des runes et sur (Yi 258 ACADÉMIE DE ROUEN. l'interprétation des inscriptions runiques , il a relevé cette découverte, importante pour l'histoire des invasions da- noises , d’une inscription funéraire en caractères runiques, trouvée à Londres en 1852, à 20 pieds au- dessous du sol actuel. Le consciencieux Rapporteur s'est, en outre, entremis d'exposer les titres et les arguments à l'aide desquels les savants du Nord s'efforcent aujourd'hui de faire prévaloir cette opinion : que les côtes du continent de l'Amérique ont été visitées, au x° siècle, par des navigateurs danois, qui y formèrent des établissements et qui leur imposèrent le nom de Vinland, pays de la vigne. En face d’assertions appuyées sur des monuments déclarés parfaitement au- thentiques , M. le Rapporteur se garde bien de conclure ; il se contente de déclarer que si ces témoignages de- meurent bien avérés , ils assureront , sans contestation , la priorité de la découverte de l'Amérique aux Normands. A côté de M. de Caze, rapporteur exact et consciencieux des ouvrages en langue étrangère , et qui nous initie à la connaissance de travaux que, sans l’aide de cet habile in- terprète, nous pourrions toujours ignorer, nous devons placer M. Lévesque , qui met non moins de soin à parcou- rir un grand nombre de publications de Sociétés savantes françaises, pour en extraire ce qu'il juge devoir intéresser l'Académie. Toutes les analyses de ce scrupuleux Rappor- teur se distinguent par une étude consciencieuse et sou- vent même approfondie des matières qu'il soumet à son examen , par une critique fine , assaisonnée d’une légère ironie qui ne messied point à pareille œuvre, par des élans chaleureux, toutes les fois que son sujet l'amène à retracer de grandes choses ou à laisser parler de nobles sentiments; mais la variété, la multiplicité même des Mémoires analysés nous interdit d'en entreprendre l’énumération. Contentons CLASSE DES BELLES-LETTRES. 259 nous d'indiquer que, dans plusieurs des derniers volumes de l'Académie de Besançon, M. Lévesque a cité avec éloge des biographies d'hommes éminents, des considérations philosophiques , des recueils poétiques , une étude sur les patois de la Franche-Comté , et enfin une notice sur deux extatiques miraculeuses, observées dans le Tyrol italien, et qui présentent des phénomènes physiologiques que la science humaine est impuissante à expliquer. M. Lévesque nous a encore rendu compte d'un discours de M. Charma sur l'établissement d'une langue univer- selle, et ce dernier rapport, par son importance et ses développements, mérite une mention spéciale. Après avoir reconnu, avec l’auteur, que ce problème de l'établissement d’une langue universelle a été posé il y a déjà plusieurs siècles, et que de nombreux et patients investigateurs se sont efforcés de le résoudre, il se de- mande ce que tant de travaux ont pu laisser d’utile et de sérieux , et il répond hardiment que pas une idée , pas une lueur de vérité ne subsistent, et que la question n’a pas avancé d’un seul pas. M. Charma cependant ne désespère pas de la solution ; il croit cet établissement non-seulement possible, mais encore certain et infaillible dans un avenir quel qu'il soit. M. le Rapporteur ne veut pas contredire ou- vertement l'opinion du savant professeur, mais il est évi- dent qu'il ne partage pas les mêmes convictions. Il doute qu'il ait jamais existé une langue primitive de laquelle tous les autres idiômes seraient dérivés. Or, si l’on peut con- tester l'existence de cette langue unique , mère de tous les idiômes , on peut également contester la possibilité de ra- mener toutes les langues existantes à une seule qui serait la langue universelle. Réduire à si peu de mots cette large et savante argumentation, c’est en donner une bien faible idée; mais les bornes étroites de ce résumé des travaux académiques ne nous permettent pas d’insister davantage. 260 ACADÉMIE DE ROUEN. M. Vingtrinier consacre à la classe des Sciences les ré- sultats de son expérience et de ses méditations, et ce n'est qu'occasionnellement que la classe des Lettres obtient une légère part dans ses nombreux travaux. Toutefois, cette classe peut réclamer de lui, cette année, un rapport sur les publications de M. de Lérue, rapport qui a valu à ce dernier son admission au sein de l’Académie. M. Ballin a donné à l’un de ces rapports qu'il fait avec tant de conscience et de discernement, tout l'intérêt d’une œuvre originale. Il s'agissait d'un Mémoire de M. Blan- chard , couronné par la Société de la morale chrétienne, sur les moyens de diminuer la fréquence des suicides. M. Ballin, laissant de côté pour cette fois la sèche aridité des formes du résumé analytique, a, pour entrée en ma- tière , raconté, en style anecdotique , une curieuse histoire empruntée à ses souvenirs d'enfance. Cette histoire est celle d'une famille parisienne , de la fin du siècle dernier, qui vit, en quelques années, périr misérablement par le suicide plusieurs de ses membres, et, avec de telles cir- constances, qu'il semblait qu'une véritable fatalité fût atta- chée à la maison que cette famille habitait. En outre, pour faire apprécier l’état de notre ancienne législation à l'égard des suicides, M. Ballin a joint à son travail le récit d’un procès fait au cadavre d’un suicidé, par le procureur du roi du bailliage de Caen , en 1688. Un malheureux octogénaire , désespéré de ne pouvoir payer un faible loyer, s'était pendu aux barreaux de son lit. Après une longue information , dans laquelle les formes de la procédure furent assez bizarrement observées, le cadavre fut condamné à être traîné sur la claie par le bour- reau, pendu par les pieds et jeté à la voirie; punition excessive sans doute, pour un crime que le désespoir expliquait sans le justifier. CLASSE DES BELLES-LETTRES. 261 Inspiré par plus d'humanité et de justice, M. le Rappor- teur s'associe aux intentions de l’auteur du mémoire , qui voudrait qu'une loi, formulée en un seul article, traduisit la noble pensée de l'ordre du jour du général Bonaparte, arré- tant d’un seul mot la contagion du suicide dans l’armée d'Italie. Il est rare que notre laborieux archiviste laisse écouler une année sans enrichir le Précis de l'Académie de quel- que notice nécrologique , destinée à consacrer le souvenir des confrères que la mort nous a ravis. Cette année, M. Ballin n’a point failli à cette tâche qu'il s'impose comme un pieux tribut de regrets, et comme un devoir de con- fraternité. La notice qu'il nous a lue, a pour objet de retracer les principaux traits de la carrière administrative de M. le comte de Murat , ancien préfet de la Seine-Infé- rieure, membre de la Chambre des Pairs et ancien pré- sident de l’Académie. Ce haut fonctionnaire avait un titre particulier à cet hommage posthume que lui décerne la Compagnie par l'organe de M. Ballin. En inaugurant sa présidence, il soumit à l'Académie le projet d’une statis- tique complète du département de la Seine-Inférieure , établie sur le modèle des meilleurs travaux de ce genre. IT invitait la Compagnie à prendre la plus large part à ce travail, offrant de mettre à sa disposition le concours de ses agents et les documents officiels de son administra- tion. Ce projet, accueilli avec empressement , fut immé- diatement mis à l'étude, et il eût, sans contredit , réehaussé d’un vif éclat les travaux de l'Académie, si les événements de 1830 n’en eussent fait ajourner indéfiniment l'exécution. Lorsqu'il s'agit de payer un juste tribut à la mémoire d'un confrère, que son talent éminent et son noble carac- tère ont rendu particulièrement digne de cet hommage ; heureux s’il se trouve un ami prêt à accomplir ce pieux 262 ACADÉMIE DE ROUEN. devoir ; alors on peut être certain qu'un souvenir vivement impressionné, une parole convaincue feront entendre de généreux accents qui émouvront vivement tous les cœurs. M. Guiard, jeune professeurde rhétorique, dont l'Académie, pendant le peu d'années qu'il résida parmi nous, avait apprécié les brillantes facultés et qu'elle avait été fière de s'attacher, était surtout digne d’inspirer ce touchant témot- guage d'affection. M. Delzons, un de nos anciens con- frères, le lui a rendu avec cette exactitude de détails qu'exphquent de familières relations, et cette chaleureuse éloquence du cœur à laquelle l'amitié seule sait atteindre. Ce n'est pas seulement loin de nous et parmi nos anciens confrères que la mort a frappé récemment ; l'Académie aussi a, dans son cercle même, éprouvé des pertes cruelles. M. Martin de Villers, qu'elle vénérait comme l'un de ses doyens, a succombé peu de semaines après la solennité de notre dernière séance publique, alors que vibrait encore dans tous les esprits le souvenir de sa parole élégante et finement appréciatrice , qui s'y était fait entendre pour la dernière fois. Ce que l'Académie hono- rait principalement dans ce confrère si cher à tous, c'était moins encore le citoyen éminent, membre de nos diffé- rentes assemblées électives, que le théoricien profond de la science musicale, que le juge compétent de toutes les questions d'art, et enfin que l'historien si douloureuse- sement attendri des infortunes de Marie Stuart. Le Secrétaire des Lettres, au nom de l'Académie assis- tant en députation aux obsèques de notre confrère, à rendu un juste mais insuflisant hommage à cette mémoire si pure et si digne d’éternels regrets. Fidèle au devoir que ses fonctions lui imposent, le Secrétaire des Lettres a également rendu un triste et dernier CLASSE DES BELLES -LETTRES, 263 hommage à un autre de nos confrères , M. Leroy, qu'une mort soudaine et prématurée est venue nous ravir. Magis- trat d’un ordre élevé, mais consacrant ses rares loisirs à l'étude des classiques de l'antiquité et aux délassements de la poésie, c'était surtout par son côté littéraire et comme écrivain d’une élégante pureté, d’une ingénieuse et fine critique, qu'il se montrait parmi nous. L'Académie lui décerna les honneurs de la présidence, le plus haut témoignage de son estime. Il n’est pas toujours possible de signaler, dans ce rap- port, les pertes que l'Académie a pu faire chaque année parmi ses correspondants français et étrangers ; mais il est une de ces pertes cependant que nous ne saurions passer sous silence , parce qu'elle a causé au sein de la Compagnie un vif sentiment de régret. Nous voulons par- ler de la mort d'un jeune savant distingué, M. E. de Fré- ville , enlevé prématurément, le 18 novembre 1855, à la science historique et aux travaux paléographiques qu'il cultivait avec un succès tout rempli de promesses pour l'avenir. M. E. de Fréville était lauréat de l'Académie de Rouen qui lui avait décerné, il y a plusieurs années , le prix Gossier, pour un Mémoire sur l'état du commerce de Rouen au moyen-âge. La Compagnie avait conçu une si haute idée de ce travail qu’elle avait décidé de le faire publier sous ses auspices, avec le produit d'une triple subven:ion, libéralement accordée par le Conseil muni- cipal de la ville de Rouen , la Chambre de commerce de la même ville et le Conseil général de la Seine-Inférieure. L'auteur ayant alors voulu revoir son ouvrage pour lui don- ner toute la perfection désirable, la publication fut différée de quelques années, et la mort vint surprendre le laborieux écrivain au moment où il mettait la dernière main à cette œuvre. L'Académie s'est fait un pieux devoir de ne pas 26% ACADEMIE DE ROUEN. laisser tomber dans l'oubli ce noble héritage; elle a ré- clamé de la famille de M. de Fréville l'honneur de publier le Mémoire qu'elle avait jadis couronné. Cette publication, aujourd'hui commencée, verra bientôt le jour et justifiera* par son importance , tout l'intérêt que les nombreux amis de M. de Fréville attachaient à cette dernière œuvre de sa belle intelligence trop tôt éteinte. Après avoir rappelé ces souvenirs funèbres, qui, chaque année, et comme par l'effet d'une destinée envieuse , viennent inévitablement attrister les dernières pages de ce rapport , ilest difficile, il paraîtra peut-être hors de propos de parler de poésie. Mais, quoique affranchi des eptraves d'une classification rigoureuse, nous avons cepen- dant dû suivre un certain enchaînement des matières qui vous a conduit à garder cette énumération pour la fin. La poésie , qui souvent s'exile de notre enceinte, a reparu cette année, et sous ses formes les plus attrayantes, plus gracieuse et plus souriante que jamais. Rendre un compte détaillé de ces œuvres, la plupart badines et légères , que le plus souvent la circonstance inspira, serait pour nous une tâche difficile ; que leurs auteurs nous par- donnent donc notre brièveté. M. Clogenson , que ses études de prédilection sur le xvin siècle ont rendu si excellent juge en matière de poésie , a été, cette année , le rapporteur constant de Tous les recueils de poésie qui ont été adressés à l'Académie. II serait superflu de les énumérer; mais ce que nous ne sau— rions passer sous silence, ce sont deux belles odes de sa composition , adressées à la grande armée de Crimée , et datées , la première d'octobre 185%, et la seconde de sep- tembre 1855. La lecture de ces odes, qu'anime un généreux enthou- CLASSE DES BELLES-LETTRES. 265 siasme à l'égard des vainqueurs de Sébastopol , a provo- qué M. Bignon à adresser à M. Clogenson quelques strophes spirituellement piquantes, dans lesquelles il le félicite de conserver sa verve poétique, nonobstant le poids des années. Ce gracieux badinage ne pouvait manquer de pro- voquer une réplique , et en effet, la réponse de M. Clo- genson ne s’est pas fait attendre. M. Avenel, voulant faire une proposition à l'Académie , celle d'envoyer périodiquement aux journaux le compte- rendu des séances hebdomadaires, a pris la forme de l'épitre badine , en vers, et, sous ce titre : Simple causerie à propos du règlement , sa muse caustique a lancé plus d’une épigramme comme assaisonnement d’un judicieux conseil. C’est encore à l’occasion du règlement, dont la discus- sion prolongea si longtemps la durée de nos séances, que M. l'abbé Picard, donnant carrière à une verve ingénieu- sement sarcastique, composa et lut un petit poème inti- tulé : Le Jeton de présence. Son but est de raconter, sous une forme héroï-comique , et en vers que colore un loim- tain reflet de ceux du Lutrin . toutes les péripéties d'un débat qui ne manqua ni d'intérêt, ni d'animation. M. de Lérue, qui demande volontiers à la poésie l’allè- gement des fatigues administratives, nous a lu quelques petites pièces qu'on pourrait appeler des confidences poé- tiques. C’est : Un soir de pluie, Mon Jardin, Le Bonheur; épanchements rêveurs, où l’on saisit un sentiment poé- tique plein de délicatesse, joint au mérite d’un tour gra- ciel et d’une expression élégamment choisie. Disons, en une seule fois, et pour toutes les œuvres poétiques que nous venons de passer en revue, que cha- 266 ACADÉMIE DE ROUEN. cune d'elles, suivant son genre de mérite et suivant sa forme, élégiaque, héroïque ou enjouée, a obtenu de l'au- ditoire l’assentiment d'une émotion bien sentie ou le succès d’une franche hilarité. L'Académie a reçu, pendant le cours de l'année qui vient de s'écouler, à titre de membres résidants, dans la classe des Lettres : M. Bacueer, professeur d'histoire au Lycée de Rouen ; M. pe Lérue, chef de division à la Préfecture de la Seine-Inférieure. A titre de membres correspondants dans la même classe : M. pe Commarmonp , antiquaire à Lyon ; M. Adolphe Mourox, littérateur. MÉMOIRES DONT L'ACADÉMIE A ORDONNÉ L’IMPRESSION DANS SES ACTES. \h.. n? « tee ù = . s «4 . te d fers 4 MAN Kad w#! ve sûr" ñ ". ‘ : : > - + \ Cu Éd ON ji 2 siférés RUE à " s @ + té h + sf LU at Dre = Den: PU MAN, NU ARS d 30 t 4 a | Re Lot pti x +» se) Da we dre Mr 1 D TO CORSA EE UE TENTE qi #14 = + . * * . . e \ si CRILLOTE Mir E ve, Ci TIME CE ILES CPI 4 pi EN É , 1 $ ; À C h (RES | . ! 2 # LI CR af bi] RE 01 « e Ê = » È É ET Le are HR “À L .. 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Léon Renier, ce dernier nom se trouve sur les meilleurs et les plus anciens manuscrits de l'itinéraire C’est la leçon qui a été adoptée par les derniers éditeurs de ce précieux document : MM. Parthey et Pinder. Évi- demment elle doit prévaloir. 270 ACADÉMIE DE ROUEN. Lotum , le Belcinac du moyen-âge (1). Le sol de Caude- bec-lès-Elbeuf est plus élevé que tout le plateau qui l'en- toure, etil ne serait nullement surprenant qu'un bras de la Seine en ait fait autrefois le tour. Quoi qu’il en soit de cette hypothèse géologique, émi- nemment controversable , il est une autre assertion qui nous paraît hors de conteste, c'est que Caudebec a été l'antique Uggate des Romains , dont le nom seul est resté dans une ligne des Itinéraires. Nous lisons en effet dans l'Itinéraire d’Antonin, ce monument postal de l'empire romain à l'apogée de sa puissance, ces simples mots : ( ITER A ROTOMAGO (Rouen) Lvricram | Paris) (2), vsQve M. P. LXXVII SIC: VGGADE, M. P. VIII (3). — MEDIOLANO AVLERCORVM ( Evreux ou le Vieil-Evreux)m p.xrmx » Depuis environ deux siècles que la science historique essaie de reconstruire l’ancienne Gaule, elle a à peu près constamment échoué pour l'emplacement de l'antique Uggate, comme elle avait tâtonné pour Juliobona (Lille- bonne); comme elle a longtemps erré pour Caracotinum (Harfleur ) ; comme elle hésite encore pour Zotum ( Cau- debec-Belcinac? ) , et comme elle ignore tout-à-fait pour Gravinum (Grainville-la-Teinturière ?) L'archéologie seule devait retrouver et fixer pour toujours les trois premières de ces stations antiques, et c’est à elle qu'appartiendra , probablement , l'honneur de retrouver les deux autres. (1) Théodoric IT , roi des Francs, définit ainsi l’ile de Belcinac, dans un diplôme délivré à Arélaune ( Vatteville), en 673 : « Insulam in fluvio Secanæ sitam.... quam antiquitas Lutum censuit nunc vero Belcinacam nuncupatam. » Dom Bouquet, Rerum gallic. et franc. scriptores , t. IV, p. 653. (2) Les Bénédictins écrivent LVTETIAM. Rerum gallic. et franc. script., t. 1%, p. 108. (3) Les Bénédictins disent : 1x, ibid. CLASSE DES BELLES-LETTRES. 271 Au xvirre siècle , l'abbé Belley, cet enfant de la Nor- mandie , si zélé pour la recherche des voies romaines dans notre patrie, place Uggate au Pont-de-l'Arche, sur une des cartes qui accompagnent ses nombreuses dissertations insérées dans les Mémoires de l'Académie des inscriptions et belles-lettres (1). Après lui vient le célèbre d’Anville, si studieux de restituer l'ancienne Gaule, et qui n'hésite pas à fixer au Pont-de-l'Arche l'Uggate de l’Itinéraire , et cela malgré l'opinion du géographe Sanson, qui lui était connue 2) Bruzen de la Martinière se décide pour Igoville, près Pitres, et en face du Pont-de-l'Arche (31. Héritière , ou plutôt organe de l'opinion de ces deux érudits, l'En- cyclopédie méthodique , publiée en 1788 , attribue Uggate aux Aulerques-Eburoviqueset le place au Pont-de-l'Arche, qui fit toujours partie du diocèse d'Evreux (#%). (1) Mém. de l’Acad. des inscript. et belles-lettres, t x1x , p. 633- 70,in-4°, Paris, imprimerie royale, 1753. (2) D’Anville, Notice sur l'ancienne Gaule, p. 698, in-4°, Paris, 1760. (3) Bruzen de la Martinière, Le grand Dictionnaire gcograph., hist.et crit., t. V1, p. 168 et 325, in-folio, Paris , 1768. (4) Encyclop. méthod. — Géographie ancienne , par M. Mentelle, t. 1%, verbo Galli, in-4°, Paris, 1788. — L'Encyclopédie métho- dique avait peut-être raison d’attribuer Uggate aux Aulerques, dont la métropole était Evreux , et non Velocasses , dont la métro- pole était Rouen. Mais notre opinion, loin de distraire Uggate du pays des Aulerques, l’y maintient complètement. Pour s'en con- vaincre, il suffit de se rappeler que, jusqu’en 1791, Caudebec fit toujours partie du diocèse d'Evreux. La nouvelle démarcation des diocèses de Normandie , calquée, en 1791 et en 1502, sur la division départementale, a seule placé Caudebec sous la juridiction de Rouen, tandis qu’Elbeuf fit toujours partie de ce dernier diocèse, Or on convient généralement que les anciens diocèses ont succédé aux pagi gallo-romains, donc Caudebec-Uggate appartiendrait aux Aulerques. 272 ACADÉMIE DE ROUEN. De nos jours l'abbé Rever, qui appartenait à la rive gauche de la Seine, s’est fixé sur le Pont-de l'Arche ou plutôt sur les Damps qui sont à côté (1). De la part du savant défenseur des Aulerques, c'était une conviction bien arrêtée ; car vers 1825 il rédigea tout un Mémoire sur cette matière. Ce Mémoire , qu'il adressa à l'Académie de Rouen (2), demeura inédit, mais l'auteur en publia un extrait à Evreux, en 1826, sous letitre de : Recherches sur le véritable emplacement de la station romaine Uggade, entre Evreux et Rouen, et sur l'antiquité du Pont-de- l'Arche (3). Dans cet opuscule de 16 pages , l’auteur parle beaucoup du Pont-de-l'Arche et des Damps à l'époque normande, mais on y chercherait vainement quelque chose sur Uggate. M Auguste Leprevost, dont l’autorité est bien supérieure à celle de M. Rever, s’est aussi pro- noncé pour les Damps et Bon-Port, mais en faisant du Pont-de-l'Arche « le centre de la station antique (#). » Enfin M. Gadebled, qui a publié il y a quinze ans un Dictionnaire historique de l'Eure , résume ainsi la ques- tion telle qu'on l’envisageait à Evreux, en 1840: «On s'accorde généralement à fixer vers l'emplacement du Pont-de-l'Arche une station romaine désignée dans l'Itiné- raire d'Antonin sous le nom de Uggade. Dans l'intervalle du 1x° au xu° siècle, on trouve que le lieu appelé les Damps, situé un peu plus haut sur le cours de la Seine, (1) Rever, Mémoire sur Les Ruines du Vieil-Evreux, publié par ordre de la Soc. d'agric. de l'Eure, p. 217, in-8, Evreux, 1827. (2) Précis analyt. des trav. de l'Acad. roy. de Rouen , année 1827, p. 113. (3) In-12 de 16 pages, Evreux , Ancelle fils, septembre 1826. (4) A. Leprevost, Wotice histor. et archéol. sur le départ. de l'Eure , p. 23 et 49, in-8, Evreux, Ancelle, 1835. CLASSE DES BELLES-LETTRES. 273 se nommait Hasdans et celui au-dessous Maresdans, d'où l'on peut induire que toute cette plage , occupée par l'an- cien établissement romain , était comprise sous une même dénomination (1). » Cependant, dès le siècle dernier, quelques érudits avaient déjà songé à Elbeuf, et leur opinion nous a été con- servée par le savant éditeur du Recueil des Historiens des Gaules. En 1738, dom Bouquet traçait cette simple ligne en notre faveur : &« Uggade quibusdam est Elbeuf, sed res est in incerto (2). » Toutefois la carte de la Gaule, publiée par ces mêmes Bénédictins , d'après les travaux de Gilles Robert, et sur les notes de Sanson, le tout revu par l'abbé Lebeuf , place Uggate à Elbeuf , sur la voie de Rotomagus (Rouen) , à Condate ( Condé-sur-Iton, près Breteuil) (8). Après cette première manifestation du doute historique qui n'échappa point à Bruzen de la Martinière (4), il faut arriver jusqu’à notre siècle pour en retrouver deux sem- blables. La première fut émise par M. Th. Licquet, au sein de la Société d'Emulation de Rouen, et la seconde par notre premier maître M. E. Gaillard, qui soupçonna fort Elbeuf d'être sur une voie antique, à cause de la route que suivait constamment, au xnue siècle, Jean- (1) Gadebled , Dictionnaire topograph., statist. et hist. du départ. de l'Eure, p. 399, in-12 , Evreux , Canu, 1840. (2) Rerum gallic. et francic. scriptores, t.1, p. 108, note. (3) Ibid. « Description des Gaules, tirée des Cartes imprimées ou manuscrites des sieurs Sanson , corrigée sur Les remarques de dom Bouquet, bénédictin, et sur les dissertations de M. Lebeuf , par le sieur Robert, géographe ordinaire du Roy. » (4) Le grand Dictionnaire géogr., hist. et crit., t. VI, p. 326. verbo Yggade, 18 274 ACADÉMIE DE ROUEN. sans-Terre, lorsqu'il allait de Rouen au Pont de-l'Arche 1). M. Gaillard se montrait en ceci bon observateur. Le moyen-âge a construit peu de routes ; il a vécu tout entier et a cheminé pendant des siècles sur les débris de la voirie romaine. L'archéologie seule, qui sonde le cœur et les reins du passé, pouvait trancher un nœud compliqué par l'érudition de deux époques également adonnées à l'étude des monu- ments écrits. M. Guilmeth, il faut le dire à sa gloire, quoiqu'il ne soit pas lui-même un grand archéologue, M. Guilmeth , dis-je , a appliqué à cette recherche l'esprit d'observation et de critique modernes. Il est venu à Elbeuf, il s’est ins- tallé sur les lieux, a étudié le sol, interrogé tous les habitants et réuni tous les monuments découverts depuis cinquante ans ; puis, pièces en main, il a instruit le procès qu'il a ensuite décidé et jugé sans appel et pour toujours, nous n’en doutons pas. Uggate est désormais fixé, non à Elbeuf, peut-être, comme il incline un peu trop à le dire, mais à Caudebec, où était le point central de la station antique dont Elbeuf n’était alors que le faubourg. Pour nous, nous ne balançons pas de fixer Uggate à Caudebec, et nous avons la confiance que l'avenir ne nous démentira pas. Carrée à peu près comme toutes les villes romaines (2), l'assiette de la station antique de Caudebec nous paraît devoir se renfermer dans un espace de 1,000 mètres en- viron, tant en long qu’en large, partant du territoire actuel (1) A. Leprevost, Notice hist. et archéolog. sur le départ. de l'Eure , p 110. (2) « La cité qui reste dans la ville (de Beauvais ) étant très an- cienne et vraiment romaine , presque carrée ct quasi en forme de trapèze.» Loysel, Mémoires de Beauvais et Beauvoisis. — Mem. de la Soc. acad. de l'Oise, t. II, p. 12. CLASSE DES BELLES-LETTRES. 275 de la ville d'Elbeuf et allant jusqu'à la Ware aux Bœufs, puis de la route départementale n° 7, qui va d’Elbeuf au Pont-de-l'Arche, jusqu'a la rue aux Chevaliers. Nous citerons, comme fertiles en découvertes, les quartiers de la Vignette, de la Mare-aux-Bœufs (1) ,du Bout-du-Gard, du Bout-de-la-Ville, et par-dessus tout les alentours de l'église. La principale mine archéologique paraît toutefois être concentrée à l'orient de l’édifice (2), entre la rue de l'Eglise, la route d'Elbeuf à Louviers, et celle de la même ville au Pont-de-l'Arche. C'est là le cœur du Caudebec actuel , et c’est là aussi le tombeau de l'antique Uggate. Dans l’espace que je viens de déterminer on n’a cessé, depuis cinquante ans, de trouver des murailles et des substructions antiques. Il n'est personne qui n’en ait rencontré. Les puits surtout s'y trouvent en grand nombre, et il est de tout petits jardins où l'on en a compté jusqu’à trois ou quatre fort rappro- chés l'un de l’autre. On nous a cité des bains et un aque- duc; mais ce qui est journalier, ce que l’on trouve partout, ce sont des médailles, des poteries, des tuiles, des meules à broyer et des débris de toute espèce. Les meules à broyer sont si communes dans ce pays de tisserands, que toutes les trameuses ont dans leurs maisons une meule en poudingue sur laquelle est posée leur tournette. M. Guilmeth a dressé un long inventaire de tous les objets d'art trouvés à Caudebec, cette « localité féconde (1) Les restes romains sont si abondants à la Mare-aux-Bœufs que la charrue n’y peut labourer la terre, et qu’un homme qui s'occuperait à tirer des pierres y gagnerait de bonnes journées. (2) « En août 1844, dit M. Miard, dans un terrain situé à 180 mètres est de l’église, on a trouvé un bain romain dont les murs avaient 70 centimètres d'épaisseur ; près de là deux puits en moellon, comme tous les puits romains de Caudebec. » 276 ACADÉMIE DE ROUEN. en antiquités romaines , » comme l'appelle M. Deville (1). Il cite , entre autres, des hachettes en bronze et en silex, des morceaux de flûte en os et en ivoire , des statuettes en terre cuite de Latone et de Vénus, un Mercure, une Minerve et un Mars en bronze ou en cuivre , des agrafes et des boucles en métal, des épingles à cheveux, des styles et des spatules, des bagues gt des anneaux en bronze, des vases de toutes couleurs et de toutes formes , des am- phores, des urnes et des milliers de tuiles et de poteries romaines (2). Le même écrivain énumère toute une série d’empereurs du Haut-Empire trouvés à Elbeuf et à Caudebec ; 177 mé- dailles ont passé sous ses yeux, et il a pu les déchiffrer et les classer toutes dans son livre. Nous savons de plus qu'en 1846, on a trouvé à Caude- bec un vase en terre grise ardoisée, recouvert d’une tuile et contenant une masse de médailles en billon et de petit module, dont le poids s'élevait à 30 kilogrammes, le nombre des pièces dépassait 8,100. Sur ce nombre, 6,800 au moins étaient de Posthume, le reste de Gallien, de Gordien IL, des Philippe, de Trajan-Dèce, de Valérien, etc. La dernière en date était de Claude-le-Gothique (269-70); ce qui suppose que l’enfouissement eut lieu vers cette époque. Une seule était rare : c'était une Cornelia Supera. Elle a été achetée 500 fr. par M. Deville, pour le Musée de Rouen. La valeur totale du dépôt était de 1,300 fr. (3). Une des meilleures pages du passé d'Uggate nous a été donnée par M. Lalun , architecte de l'arrondissement de 1) Revue de Rouen de 1846, deuxième sem., p. 370. ( (2) Histoire de la ville et du canton d'Elbeuf, par M. A. Guilmeth, p. 174-77, in-8, de 684 pages. Rouen, Berdalle , 1840. (3) Deville, Æevue de Rouen de 1846, deuxième semestre, p. 370. CLASSE DES BELLES-LETTRES. 277 Louviers, qui a recueilli un grand nombre d’antiquités dans les travaux opérés par lui, à Caudebec , de 1849 à 1844. Pendant quatre années , cet amateur a ramassé toute une série d'objets antiques (1) que nous allons rapidement effleurer. Ce sont d'abord six meules à broyer en poudingue, plusieurs petits objets en bronze , dont l'usage est malaisé à définir, et une figurine en relief, d'un métal très mince, et qui semble avoir été autrefois fixée sur du bois. Jusqu'à meilleure explication nous la considérons comme une - divinité paienne. Nous la donnons ici. Mais le meuble principal et dont la destination est aisée à reconnaître, est un magnifique seau en cuivre, recueilli en 1841 , à 10 mètres de profondeur, au fond d'un de ces (1) « Tous les objets que je possède, venant de Caudebec, nous écrit M. Lalun , ont été trouvés dans des défoncements de jardins et des fouilles exécutées pour des constructions, par des proprié- taires qui, souvent, travaillaient d'eux-mêmes . et sans le secours d'aucun architecte, Seulement, dès que j’eus connaissance de 278 ACADÉMIE DE ROUEN. puits rebouchés, si communs à Caudebec. Ce seau est une des pièces les plus rares en son genre. Sur une hau- teur de 60 centimètres , il présente une largeur de 30 à la base et de 44 à l'ouverture. Sa forme n’est pas droite, a. comme chez les seaux des Francs. Elle va en se rétrécis- sant vers le fond, comme nos seaux en ferblanc d’aujour- d'hui. L'anse , encore mobile, est en bronze et s’emboîte dans deux aîlerons qui font saillie sur les parois du seau. Le lecteur peut en juger. Soixante morceaux de poterie ont encore été recueillis PRE JAM En Fe us PR se EEE ES quelques trouvailles, je me mis à la piste, je m’abouchai avec des ouvriers et des propriétaires, et de temps en temps, lorsque j'allais à Elbeuf, je faisais une battue générale. Il est fâcheux qu'il ne se CLASSE DES BELLES-LETTRES. 279 par M. Lalun. Bon nombre d’entre eux sont à reliefs. Les plus remarquables représentent des lièvres , des chevaux, des dauphins , des masques scéniques , une Vénus sortant des eaux , un Hercule avec sa massue et sa peau de lion. Dix de ces fragments ont reproduit soit intégralement, soit en partie, le nom ou la marque de leurs potiers. Voici celte liste qui est pour nous intéressante. Le premier nom est celui de poccivs. Il se lit sur le flanc d’un beau vase rouge à relief, mais au-dessus de la partie ornementée. Celui de ciNnaur , au contraire, se trouve à la main même d’an petit Hercule, qui tient de l'autre une massue (1). Le premier de ces noms a été rencontré à Paris (2) et en Angleterre (3), et le second à Rouen (4). trouve pas sur place un amateur qui ne laisse rien perdre; car je suis persuadé que si je possède 200 objets, entiers ou en morceaux, il en a bien été trouvé 600, et la mine est loin d’être épuisée. » (1) Un Hercule avec sa massue a été vu à Poitiers sur un vase à reliefs. De Longuemar, Notice sur quelques poteries antiques dc- couvertes à Poitiers, p. 13. (2) Grivaud de la Vincelle, Antiq. gaul. et rom. recueillies dans les jardins du Palais du Sénat, p. 146, pl. var, fig. 1. (3) Thomas Wright, The Celt, the Roman and the Saxon, p. 470. (4) Bulletin monumental, t. XXI, p. 501. 280 ACADÉMIE DE ROUEN. Les huit autres qui suivent ont été lus au fond de vases rouges. C’est d'abord LoGrmni, nom déjà retrouvé, avec des variantes , à Vieux, près Caen ; à Berne, en Suisse; à Londres , à Tours, à Amiens et à Paris (1). Puis pamINIm que j'ai recueilli en 1851, dans le cimetière romain des Loges et que l'on a aussi retrouvé à Londres (2). Le troisième est celui de LuGerors (Lugeti officina) qui existe aussi à Paris (3) et en Angleterre (4). Le quatrième est une variété de ce nom de Primus, si commun sr les poteries antiques et qui est déjà apparu à Tours, au Châtelet, à Bavay, à Cany, à Rouen , à Paris, à Limoges , à Colches- ter et à Londres (5). Les quatre derniers, beaucoup inoins lisibles , n’ont laissé reconnaître que les fragments suivants : M. ADM — OF M... WOII... — SV... La neuvième marque, qui est entière , est celle de rvux, qu'on lit sur un fragment de poterie brune. Peut-être est-ce le nom de Zvinus , fort commun en matière de céramique. Déjà, en effet , il a été vu à Dieppe (6) eten Angleterre (7). Enfin, la dernière marque est cette fameuse indication de Melisse, qui, nouvellement observée, se rencontre déjà dans tout l’ancien empire romain. @ ..,LIL. — MEL... » Ici, sans doute, elle est très tronquée, mais je la crois (1) La Normandie souter., première édit., p.155; deuxième édit, p. 175. (2) Ibid., première édit., p. 157; deuxième édit., p. 179. (3) Ibid., p. 160. (4) Th. Wright, The Celt , the Roman and the Saxon, p. 471. (5) La Normandie souter., première édit., p. 158; deuxième édit., p. 179.— Bulletin monumental, t. XXI, p. 502. (6) Zull. monum., t. XXI, p. 501. — La Norm. souter., première édit., p. 158; deuxième édit., p. 180. (7) Roach Smith, Catalogue of the Museum of London antiquitres, p. 14. —Tb. Wright, The Celt, the Roman andthe Saxon, p.475, CLASSE DES BELLES-LETTRES. 281 suflisamment reconnaissable. Elle y est d’ailleurs, comme partout, empreinte sur un goulot d'amphore. Cette marque a déjà été vue dansla vallée de la Saâne (arrondissement de Dieppe), dans le camp de Dalheim, près Luxembourg, et à Londres, avec une foule de variantes (1). Puisque nous avons nommé les potiers, nous en citerons encore deux, que le sol de Caudebec a fournis. Le pre- mier, celui de Cracisa (cracisar ) en est sorti en 1840, pour entrer dans le Musée départemental de Rouen, où on le voit aujourd'hui. Déjà il avait été révélé à Londres, au camp de Dalheim et à la villa de Maulévrier , près Cau- debec-en-Caux (2). Le second est la marque de : OFNATVG... (officina matug ou natug}), qu'on lit sur un fond de soucoupe rouge , autour d’un cercle en creux. Ce nom, trouvé près de l’église, m'a été donné le 28 sep- tembre 1855, par M. Gosselin, ancien maire de Caude- bec (3). Toutefois les deux preuves les plus authentiques que nous ait laissées de son passé l’ancien Uggate, celles mêmes qui attestent le mieux l'importance de cette antique cité, ce sont deux restes d'inscriptions qui durent autre- (1) La Norm. souter., première édit., p. 159; deuxième édit., p. 181. — Public. de la Soc. archéol. de Luxembourg , t, VW, p. 132. — Roach Smith, Collect. antiq., vol. I, p. 150. — Catalogue of the Museum of London antiquities, p. 14. — Th. Wright, The Celt, the Roman and the Saxon, p. 475. (2) La Normandie souterraine, première édit. , p. 159; deuxième édit., p. 178. (3) Ce Mémoire était sous presse, lorsque j'ai encore reçu de M. Lalun la lettre suivante : « Au mois de juillet dernier, j'ai acquis d’une femme veuve de Caudebec-lès-Elbeuf, une trentaine d'objets, que son mari avait trouvés, depuis dix ans, dans sa propriété de la Mare-aux-Bœufs. Ce sont des épingles en os et en métal, des fragments de verre et de terre, dont un en poterie romaine pré- 282 ACADÉMIE DE ROUEN. fois décorer les monuments publics de la ville disparue. Le premier, en pierre de taille, a été recueilli par M. Concorde, naguère fabricant à Elbeuf (1). Il a 16 centimètres de hau- teur sur 8 de large. Pris au beau milieu de l'inscription , il n'offre que quelques lettres incohérentes distribuées sur trois lignes différentes. Le second est un morceau de marbre d'un grain très- gros , trouvé en 1840 et recueilli par M. Lalun , architecte sente la marque incomplète de : OF...0A : deux soucoupes en terre rouge montrant les deux noms de potiers qui suivent : PRVOCI — ALBVSFE. Parmi les autres objets, je citerai une cruche en terre grossière , un fragment de statuette de Vénus, un bout de flûte antique et une plaque en os, taillée en losange , et repro- duisant un poisson comme ceux qui furent trouvés à Dieppe, dans le cimetière romain de Caudecôte, et dont vous parlez dans votre Normandie souterraine. » (1) Ce même M. Concorde, qui habite maintenant Rouen, quai Napoléon, 7, possède encore un bon uombre d'objets antiques, provenant de Caudebec. Nous citerons trois épingles et un passe- lacet en os, recueillis en 1840; deux petites cruches en terre grise et un joli vase en terre rouge, à couverte noire et épaisse comme sur les vases étrusques et campaniens. Son collet est orné d’une guirlande de feuilles de lierre, à teinte blanche. CLASSE DES BELLES-LETTRES. 283 à Louviers. Haut de 20 centimètres et large de 18, il pré- sente six lettres qui doivent former le commencement des deux]premières lignes de l'inscription. Entre nos mains ces fragments ne disent rien; mais nous avons trouvé moyen «le les faire parler et même de leur prêter une haute autorité et une voix solennelle. Toute la France connait l'habileté pratique et l'expérience consommée, en matière épigraphique, de M. Léon Reuier , chargé par le Gouvernement français de publier le recueil des inscriptions de la Gaule et de l'Algérie. Nous nous sommes empressé d'adresser à ce savant mem- bre de nos Comités historiques le dessin de nos deux ins- criptions de Caudebec, et voici la réponse que nous devons à son obligeante érudition : « J'ai pris un calque des intéressantes inscriptions que vous m'avez adressées. La première, qui est sur pierre, est bien mutilée, et tout ce que je puis hasarder à son égard, c’est qu’elle ne me paraît pas avoir fait partie d’une inscription funéraire Elle aurait done appartenu à un monument public, et Caudebec aurait eu plusieurs monuments de ce genre , puisque le marbre de M. Lalun a eu incontestablement cette destination. 284 ACADÉMIE DE ROUEN. « Ce deuxième fragment est , en effet, le commence- ment de la dédicace d'un monument élevé sous le règne d'Hadrien, dédicace dont les premières lignes étaient certainement ainsi conçues : IMP ( CAES. TRAIANO) HAD (RIANO. AUG. DIVI) (TRAIANI PARTH. FIL ) (DIVI. NERVAE. NEP) etc. « Imp (eratori) Cæs (ari) Trajano Hadriano Aug (usto) divi Trajani Parth (ici) fil (io) divi Nervæ nep ( oti) etc. « On pourrait aussi penser à Antonin-le-Pieux, qui, comme vous le savez, s'appelle sur les monuments T. AELIYS, HADRIANVYS , ANTONINVS ; Mais il serait impossible de recomposer , avec ces noms, notre monument, sans couper le mot ANTONINO , ce nom ne tenant pas entière- ment dans la seconde ligne , dont les lettres , ainsi que le prouve votre dessin , sont égales à celles de la première. Or , on doit croire que le graveur d’un monument public , comme celui-ci, avait disposé son inscription de manière à ne pas couper le nom de l'empereur en l'honneur duquel ce monument était élevé; c'est, du reste, une induction qu'on peut tirer de la comparaison des inscrip- tions analogues et du même temps Il faut donc s’en tenir à ma restitution , et donner pour date à ce monument le règne de l'empereur Hadrien, c'est-à-dire une année comprise entre la 116° et la 130 de notre ère. » Trois voies romaines principales formaient comme les grandes veines de circulation d'Uggate, d’autres plus secondaires en étaient comme les artères. Les premières étaient les routes militaires de Rotomagus (Rouen), de Médiolanum (Evreux) et de Condate (Condé-sur-[ton). Les secondes, retracées par M. Guilmeth , étaient les che- CLASSE DES BELLES-LETTRES. 285 mins de Breviodurum (Brionne), de Lotum (Caudebec- en-Caux) de Juliobona ( Lillebonne) , de Caracotinum ( Harfleur), d'Arægenus (Vieux, près Caen), d'Augusto- durum (Bayeux), et de Cæsaromagus (Beauvais) (1). C’est sur le bord des voies que l’on a rencontré, comme toujours, les sépultures antiques, surtout les incinérations. «€ Quant aux urnes, dit M. Guilmeth, il en a été trouvé une fort belle , à peu de distance de la rue Royale, sur la propriété du sieur Charles Legouy, boulanger. Cette urne, entièrement remplie de cendres et d’ossements à demi brûlés et concassés, est en verre, de forme carrée, et pré- sente dans sa partie supérieure , attenante au goulot , une petite anse ou oreille également en verre. Sur ce même terrain, en poursuivant les fouilles, on trouva aussi des médailles romaines ; quelques-unes même accompagnaient l’urne (2). » Puis sortant d'Elbeuf et suivant la route du Neubourg, l’auteur cite encore que près de la rue Meleuse, au bord de l'antique cavée qui conduit au Thuit-Anger, « M. Join- Lambert a trouvé, vers 1822, dans la cour d’une masure, des agrafes en cuivre doré, une douzaine de petites lampes, des fioles, des vases en terre, ete Les fioles et les lampes étaient placées par groupes de quatre à cinq, à environ 2 mètres les unes des autres (3). » Au point où la voie de Rotomagus à Uggate se divisait en deux branches , l’une allant vers Mediolanum (Evreux), l’autre vers Condate (Condé), là devait se trouver, selon l'usage antique et gallo-romain, un temple consacré à (1) Guilmeth, Hist. de la ville et du canton d'Elbeuf, p. 150-204. (2) Ibid., p. 197-61. -— La Norm. souter., première édit. p. 137 ; deuxième édit., p. 156. (3) Ibid. 286 ACADÉMIE DE ROUEN. Jupiter ou à Mercure, le dieu des chemins et des voya- geurs (1). Les carrefours sont restés longtemps des lieux vénérés même à l'époque chrétienne , aussi nous voyons les évêques des temps mérovingiens s'élever avec énergie contre ces foyers de superstition païenne, C’est par ce culte primitif que nous expliquons la construction de l’église de Caudebec , dès les premiers âges du christianisme (2). Elle s'éleva sur un carrefour idolâtrique, comme s'étaient élevées les églises de Rouen (3), de Tours (4), de Séez, (1) Vers 1833, on a trouvé, dans le Gers, un autel votif, sur lequel était écrit : « Mercurio Viatico. » — Bull. mon., t. IV, p. 427. — Saint Eloi disait aux peuples de Noyon : N'allumez pas des flam- beaux le long des chemins ou dans les carrefours. — Vie de saint Eloi, p. 169. — Dès le temps de sa conquête, César nous apprend que les Gaulois : « Deum maximè Mercurium colunt : ejus sunt plurima simulacra. Hune viarum atque itinerum ducem arbitran- tur.» Comm. de J. César, Guerre des Gaules, traduct. de Ch. Louandre, p. 269. — Tacite nous dit aussi que les Germains, qui avaient tant d'’affinité avec les Gaulois, leurs voisins, honoraient surtout Mercure : « Deorum maximè Mercurium colunt. » De Morib. Germ., c. 4. (2) Par acte passé le 17 février 1619, entre le duc d'Elbeuf et les habitants de la paroisse de Caudebec , il est dit qu'il sera permis : « aux entrepreneurs et feseurs de pauement du bourg d’'Elbeuf démolir la vieille Chaussée allant dudit Elbeuf au pied de l'église de la dicte paroisse (de Caudebec) afin d'y prendre et enlever les pierres, grès ou gros cailloux. » Guilmeth, Hist. d'Elbeuf , p. 163. (3) « Ces jours passés , disait M. de Laquérière, à l’Académie de Bouen , en 1825, lorsque l’on creusait le puits destiné âu paraton- nere que doit porter la nouvelle flèche en fonte de l’église cathé- drale, on ramassa, à vingt-cinq pieds de profondeur, quantité de débris de tuiles et de briques romaines, et une médaille de bronze de petit module, présentant le mot Constantinopolis et la tête casquée du génie de cette ville. Une victoire se voit au revers. » Précis analyt. des trav. de l'Acadéèm., en 1825, p.313. (4) La cathédrale de Tours, l’ancienne Cæsarodunum , est égale- ment construite sur un lieu sacré. En 1851, on trouva dans le CLASSE DES BELLES-LETTRES. 287 de Troyes (1), de Bayeux, d'Evreux et de Paris (2). Comme la plupart de ces cathédrales, elle fut dédiée à N.-D. M.Guilmeth ajoute que l’église de Caudebec repose sur des antiquités romaines (3) Nous avons reconnu ce caractère aux églises de Bourdainville, de Saint-Martin- l'Hortier, de Saint-Denis de Lillebonne (4), et de Saint- Laurent de Bayeux (5). Ces dernières inductions sont des conjectures, il est vrai, mais pour nous ces hypothèses ressortent naturel- lement et presque nécessairement des faits que nous avons cités. Une première fois, probablement, Uggate fut détruit par la grande invasion saxonne de 282, époque du reste qui coïncide avec l’enfouissement du trésor numismatique dont nous avons parlé. Il est probable qu'il aura péri pour la seconde fois et plus complètement vers 383, sous le règne de l’empereur Gratien. M. Guilmeth, qui fixe à cette époque la ruine d'Uggate, se fonde sur ce que les médailles de Gratien sont les dernières monnaies impériales qui caveau de M. de Maïilly, archevêque, placé dans le souterrain de Saint-Gatien , une statuette d’Hercule, en albâtre , qui fut décrite et dessinée par Caylus. Recueil d'Antiquités , t. NV, pl. 129, fig. 4, p. 337. (1) En 1855, on a trouvé, dans la cathédrale de Troyes, des anti- quités romaines, consistant en poteries rouges, blanches et grises, peintures à fresques, objets en fer, débris de casques dorés, frag- ments de corniches en marbre, le tout sur une mosaïque. Mém. de la Soc. d'agric. de l'Aube, t. VI, p. 431. (2) L'Athenœum français de 1853, p. 750. (3) Guilmeth, Hist. de la ville et du canton d'Elbeuf, p. 171. (à) L’'Athenœum francais de 1853, p. 750. (so, Mém. de la Soc. des Ant. de Norm.,t. XIV, p. 266. 288 ACADÉMIE DE ROUEN. soient sorties des ruines (1), et aussi sur ce que le nom de cette ville ne figure plus sur la table dite de Peuttinger, dressée par ordre de Théodose-le-Jeune , vers l'an 392 de notre ère (2). Chose assurée , c’est que Uggate, comme toutes les villes romaines du nord de la Gaule, périt par les flammes dont on retrouve encore les charbons et les cendres épaisses de plus d'un mètre sur tout le sol de Cau- debec (3). « Partout, dit M. Guilmeth, où il a été trouvé des anti- quités romaines , soit dans l’enceinte même d’Elbeuf, soit dans les environs, il a été rencontré aussi des amas consi- dérables de charbons , des masses de cendres mêlées de briques, de tuiles et de poteries calcinées, des pavés brülés indiquant l'existence d'un feu violent ; enfin , toutes les traces , toutes les preuves de plusieurs grands incen- dies. Partout à Caudebec on trouve absolument les mêmes objets entourés des mêmes circonstances et placés dans la même position. « La présence d’un feu ardent sur toute cette étendue du territoire elbeuvien , indique assez quel dut être le sort qu'eurent à éprouver les antiques maisons d'Uggate, (1) Les médailles de Gratien, mort à Lyon, le 25 août 383, sont les dernières que l’on ait trouvées dans les fouilles de Hediolanum ( le Vieil-Evreux) , dit M. A. Leprevost, dans sa Notice hist. et arch. sur le départ. de l'Eure, p. 13.— Il en a été de même à Vieux , dans les fouilles pratiquées de 1839, à 1841, par la Société des Antiquaires de Normandie. — Mém. de la Soc. des Ant. de Norm., t. XI, p. 354. -— Au fond d’un hypocauste romain , découvert à Rouen , rue Impé- riale , en 1846, M. Deville a recueilli un petit bronze de Gratien, de 375. — Revue de Rouen, premier sem., p. 320, 1846. (2) Guilmeth, ist, de la ville et du canton d'Elbeuf, p. 220-30. (3) Ibid., p. 219. CLASSE DES BELLES-LETTRES. 289 bâties, selon l'usage gallo-romain , moitié en bois, moitié en matériaux solides , et trop voisines d’ailleurs du cours de la Seine et des voies publiques pour avoir pu échapper aux pirates qui remontaient le fleuve (1). » Ce que nous devons ajouter, c'est que la couche de cendre et de charbons n'est pas unique et qu'en divers endroits on en a trouvé plusieurs superposées. Ce sont là les traces authentiques des invasions des barbares, et comme l’a si bien dit M. A. Leprevost , comme des couches distinctes de dévastations successives. Toutefois M. Guilmeth suppose que ce fut sur les ruines fumantes d'Uggate que fut semé le christianisme par les premiers apôtres de la religion nouvelle. Il croit à une première prédication vers 410, par saint Vitrice de Rouen (2), et à une seconde vers #30 , par saint Taurin , d'Evreux (3). Il suppose aussi qu'à cette époque le terrain occupé par Caudebec et Elbeuf quitta le nom d'Uggate, pour prendre celui de Brunent (4%). Selon M. Ballin (5) et lui, Brunent ou Boulent était encore le nom que portaient, au 1x siècle, ces deux localités industrielles (6). Ils lui appliquent, sans (1) Guilmeth, ist. de la ville et du canton d'Elbeuf, p. 219-90. (2) Ibid., p. 234-58. (3) Ibid., p. 260-90. (4) Ibid., p. 300-312. (5) Notice sur Elbeuf, par M. Ballin, p. 4, in-8° de 22 pages. Rouen, N. Periaux , 1834. (6) Guilmeth, Æist. de la ville et du canton d'Elbeuf, p. 366-67. — Le nom de Brunent dut persévérer jusqu'à l’époque normande, etiln’en resta d’autres traces, dans les titres ecclésiastiques, que l’affixe donnée autrefois à Saint-Gilles-Jouxte-Bouleng ou Près- Bournent, et encore aujourd'hui portée par Saint-Aubin-Jouxte- Boullenc ou Bournent. 19 290 ACADÉMIE DE ROUEN. hésiter, la défense qu’un concile antérieur à 900 avait faite aux moines de porter des draps de Brunent, comme trop faconnés et trop luxueux (1) Ici nous arrêtons notre course, nos citalions et nos recherches. Nous touchons à Rollon et à la conquête nor- mande, époque où Uggate et Brunent vont prendre pour toujours les noms de Caudebec et d'Elbeuf. $ IL. — TOMBEAUX FRANCS DÉCOUVERTS À CAUDEBEC-LÈS-ELBEUF , EN 1855. Au mois de septembre 1855, la Compagnie du gaz d'Elbeuf entreprit d'établir des conduits dans la rue dite de l'Eglise, qui passe derrière le chœur et le long du pres- bytère de Caudebec. Le terrain que parcourt cette rue , aujourd'hui place publique, fut autrefois consacré à la sépulture des morts ; en un mot, ce fut le cimetière de la paroisse, Comme tous les cimetières anciens , non-seule- ment des villes, mais encore des campagnes, celui de Caudebec a été diminué à une époque que l'on ne saurait assigner, mais que l’on peut présumer et dont nous allons essayer de donner la date en en déduisant les causes. La première qui se présente à l'esprit est une certaine dépopulation du pays, provenant du fait des guerres et des pestes, qui dut avoir lieu vers la fin du xvi° où au éommencement du xvu° siècle. La seconde raison se tire surtout de l'usage qui à pré- valu depuis quelques siècles d'inhumer successivement plusieurs personnes dans le même endroit. Aujourd'hui le terme légal est de six années, mais en admettant qu il (1) Guilmeth, p. 319. — Ballin , p. 10. CLASSE DES BELLES-LETTRES. 291 ait été beaucoup plus long d'abord, il n’en est pas moins vrai que l’inhumation simultanée et successive est passée dans nos mœurs depuis au moins trois siècles. Chose assurée, c'est qu'il n’en était pas ainsi au temps des Romains ni sous les Francs. Peut-être même en trouverait- on bien peu d'exemples avant le xr° siècle. C’est là, selon moi, ce qui explique l'abandon ou pour mieux dire la sécularisation d’une ffule de terrains rayonnant autour des vieilles églises. Ces portions de terre, jadis consacrées par la prière et par la mort, sont devenues à présent des rues, des jardins ou des places publiques. La double explication que nous venons de donner fera aisément comprendre au lecteur comment les ouvriers de la Compagnie du gaz ont trouvé des cercueils de pierre dans la rue de l'Eglise, sur un parcours d'environ 60 mèt. Averti de cette découverte par l'administration locale, M. le Préfet m'invita à me rendre à Caudebec, ce que je fis avec le plus vif empressement. C’est le resultat de cette visite que je vais maintenant raconter. A une profondeur d'environ 60 centimètres du niveau actuel du chemin , ilavait été rencontré, sur une longueur d'environ 30 mètres, douze cercueils de pierre, dont quel- ques-uns étaient placés côte à côte. Tous du reste étaient dirigés de l’est à l’ouest, les pieds à l’orient, la tête à l'occident. Comme ils se trouvaient précisément dans la traverse du conduit à gaz et au-dessous de son assiette, ils furent tous ou entièrement extraits ou brisés par le milieu. Le nombre des cercueils extraits par les terrassiers était de sept au moins. Quand j'arrivai sur les lieux, le 27 septembre , je les trouvai gisant sur le pavé. Je les ai mesurés tous et ils m'ont donné en moyenne les chiffres suivants : 292 ACADÉMIE DE ROUEN. Longueur (au dedans) 1 mètre 98 centimètres. Id. (au dehors) 2 mètres 15 centimètres. Largeur à la tête (dedans) 36 centimètres, ( dehors ) 52 c. Largeur aux pieds (dedans ) 30 centimètres , (dehors) 50 c. Profondeur intérieure (partout) 27 centimètres. Tous ces cereueils étaient en deux morceaux , ainsi que le couvercle qui avait une forme légèrement bombée et aiguë vers le milieu. Pour mettre le lecteur à même de les apprécier d'une manière approximative , nous donnons ici le dessin d’un des cercueils de Vergelé trouvés à Saint- Pierre-d'Epinay , près Dieppe, en 18#7 (1). de. La pierre avait la teinte jaunâtre de celles de Vergelé, de Saint-Gervais et de Saint-Leu. Je crois qu’elle vient de l’une de ces carrières Un seul cercueil (celui qui conte- nait des objets) étaiten calcaire du pays ou craie d'Orival. EEE RER en (1) La Normandie souter., première édit., p. 319-30 ; deuxième édit., p. 4038-16. — Nous prévenons toutefois le lecteur que, sur ce dessin, la partie inférieure du couvercle est mal représentée. Le bas du couvercle est plat et non arqué; le bout du cercueil est également horizontal et non aigu. CLASSE DES BELLES-LETTRES. 293 Généralement ces sarcophages étaient plus étroits aux pieds qu’à la tête, mais j'ai observé qu'ils étaient un peu bombés ou renflés vers le milieu , type que l’on retrouve encore mieux prononcé au xr° siècle (1), et qui me sem ble reproduire la nef ou nau des Francs. Ces sept cercueils ont été trouvés ensemble , C'est-à- dire qu'ils paraissent former un groupe ou plutôt une rangée allant du sud au nord. Déjà, en 1848 ou en 1849. M. Dumord, propriétaire de la maison voisine » en avait aussi trouvé sept autres en creusant des fondations du mur de clôture qui borde la rue de l'Eglise. Le long du mur de bauge qui ferme l’enclos presbyté- ral, les ouvriers ont encore rencontré un dernier cercueil en plâtre gâché. Après avoir recueilli, de la bouche des personnes qui avaient assisté aux premières découvertes, le plus de ren- seignements possibles, je procédai moi-même à l'examen des cercueils restés enfouis. Grâce au bienveillant concours de M. Pelletier, maire de Caudebec, la terre fut de nou- veau enlevée, et je pus examiner moi-même les cercueils cassés par les ouvriers. En deux jours j'en visitai cinq, dont deux placés côte à côte se trouvaient juste devant la porte de M. Zouin, médecin de Caudebec. Je dois ajouter qu'en 1832 (2), lorsque M. Santerre fit creuser les fonde ments de la maison du docteur, on trouva aussi cinq autres EE | Tue (1) Tombeaux chrétiens, de la période anglo-normande, trouvés à Bouteilles, près Dieppe , en 1855, dans le Précis analyt. de l’Aacad. de Rouen, pour 1855. — Christian tombs of the anglo- normand period, dans les Proceedings of the Society antiquaries of London, Vol. HI, p. 206-12. (2) Note de M. Miard , citée par M. Guilmeth, p. 171 de son His- toire de la ville et du canton d'Elbeuf. 294 ACADÉMIE DE ROUEN. cercueils de pierre, orientés de la même façon que les nôtres, et ne contenant, comme eux, que des ossements et de la terre. La visite de ces sarcophages ne m'apprit à peu près rien sur leur compte. Mais l'inspection du terrain, la reconnais- sance de leur gisement et du milieu dans lequel ils se trou- vaient, en un mot, l'étude du sol, m'ont mis à même de formuler les observations ou plutôt les impressions sui- vantes. Ce ne sont que des conjectures, il est vrai, mais qui atteignent presque l'importance d'un fait. Le terrain dans lequel furent placés l’église et le cime- tière de Caudebec est un terrain antique, occupé pour une cause ou pour une autre à l’époque gallo-romaine. Il fit partie de la ville d'Uggate, détruite et relevée par le temps et les hommes. Ce qui prouve ce que j'avance, c’est que la terre ici est entièrement noire, pleine de fragments de vases romains ou de poteries rouges, de tuiles con- vexes ou à rebords, et de médailles impériales. Il est pro- bable que dans l'antiquité la terre dont nous parlons était consacrée à des usages religieux, et que Notre-Dame de Caudebec, comme Notre-Dame de Paris, aura succédé à un temple paien. Comme nous l'avons déjà dit, c'est là une conjecture , mais une conjecture qui prend la couleur de la vérité quand elle se base sur des faits. Plus tard, à l'époque franque (du vi° au vin siècle } , lorsque, devenus chrétiens, nos pères cherchaient à s’abriter à l'ombre des églises , des chapelles ou des oratoires , on enterra autour de l’église de Caudebec les habitants de l'ancien Uggate , et les cercueils que nous trouvons doivent avoir été déposés ici à cette période de l'histoire : ils en ont tout le caractère. La pierre qui les compose, leur orientation , leur taille, la forme des auges et des cou- vercles, tout plaide pour ce temps; et ce qui achève de le démontrer, ce sont les objets trouvés dans celui des CLASSE DES BELLES-LETTRES. 295 cercueils qui. placé sous un autre, avait échappé ainsi au pillage général et successif de ses confrères. La période franque une fois expirée, les premières familles une fois éteintes ou disparues , la population re- nouvelée, les lois tombèrent en désuétude, les vicilles coutumes devinrent sans effet , et de cette sorte les cer- cueils de pierre restés là servirent périodiquement aux générations qui se succédèrent pendant tout le moyen-âge. Ils reçurent ainsi, indistinctement et à tour de rôle, tous les habitants de Caudebec. Les premiers fossoyeurs auront pillé les objets précieux déposés par les Francs, pour mettre en leur lieu et place les corps nus des chrétiens du xn° au xviI' siècle. Ce qui me fait penser de cette sorte. c'est que nous avons trouvé, dans chacun de ces sarcophages, un corps et parfois deux placés côte à côte, la face vers le ciel et les mains jointes sur la poitrine. Aucun objet n'accompagnait ces corps, pas même le vase à l’eau bénite ou à l'encens, si commun au moyen-âge; ce qui prouve de plus en plus combien l’inhumation était recente. Je la crois même si nouvelle que si l’on me disait qu'elle n’a que deux siècles , je le croirais, n'ayant pas d'objection sérieuse à faire contre cette assertion. Cette fouille se trouvant ainsi dénuée d'intérêt, je dus n'arrêter et ne pas prolonger inutilement mes recherches. Malheureusement il en avait été à peu près ainsi des sept cercueils précédemment visités par les ouvriers. Tous, à l'exception d’un seul , ne contenaient que la terre de rem- blai dans laquelle était enveloppé un squelette relative- ment moderne, mais dont rien ne trahissait la date ; car je ne puis considérer comme suflisamment caractéristiques les fragments d'un couteau rongé par la rouille , trouvés dans une des auges de pierre de Saint-Leu. Le seul cercueil vraiment instructif et caractéristique de 296 ACADÈMIE DE ROUEN. son époque est celui qui, placé sous les autres, avait échappé ainsi au pillage des fossoyeurs, et qui s'est pré- senté à nous avec les objets que nous allons décrire. Cette auge , en calcaire d'Orival , avait dû contenir deux corps, dont un était entier et l'autre incomplet. La tête du second s'est trouvée aux pieds du premner, il est probable que le dernier était celui de l'époux et le premier celui de l'épouse. Ce qui me parait très vraisemblable, c'est que le dernier occupant était une femme ; je juge d’après la toi- lette ou les affiquets, comme dirait un paysan de la Somme. Or voici les objets que contenait cette sépulture. Ces objets nous les avons vus et touchés, nous les possédons , ils nous ont été remis pour le Musée de Rouen, par l’ad- ininistration municipale de Caudebec. Il ne nous manque qu'une chose, c'est de les avoir vus en place et de les avoir recueillis de nos propres mains , circonstance très importante en archéologie. A la ceinture étaient plusieurs objets rongés par la rouille et que le contact a brisés. De ce nombre était une boucle en bronze, de forme carrée, qui dut servir à fermer le ceinturon —Un anneau de bronze assez lourd, et pesant 25 grammes. Sur la circonférence extérieure du cercle sont quatorze petits grains du même métal, len- CLASSE DES BELLES-LETTRES. 297 semble reproduisant assez bien ce que nous appelons une bague-chapelet. Nous ignorons l'usage de cette pièce, nous ne supposons guère qu'elle ait eu une destination annulaire; en tout cas, on peut la passer au petit doigt. Une pièce à peu près semblable à celle-ci a été trouvée par M. Wylie, dans le cimetière anglo-saxon de Fairford, près Glocester. Seulement l’anneau de bronze de Fairford n'avait que onze grains qui étaient doubles. Le diamètre paraît aussi un peu plus grard que le nôtre (1). — Deux perles, dont une de verre bleu très irisée, et l’autre de pâte de verre rouge , avec des raies jaunes imitant une feuille de fougère. Cette perle ressemble à un baril de forme bombée. Deux objets curieux et assez rares ont été trouvés dans ce cercueil, nous voulons parler d’un cure-oreilles et d’un cure-dents en bronze , de la longueur de 8 centimètres. Tous deux étaient attachés à un anneau de même métal, dans lequel ils étaient passés au moyen d’un trou pratiqué à leur extrémité supérieure. Le corps de l'objet est tordu en spirale , et à l'extrémité inférieure il se termine par un aplatissement qui reste horizontal pour le cure-dents, et 2% DITS Er CR ns | qui se recourbe pour le cure-oreilles. C’est absolument comme de nos jours. (1) Fairford graves, plate V, fig. 7. 298 ACADÉMIE DE ROUEN. Ces objets, toutefois, pour être rares, ne sont pas uniques dans leur genre. Nous n'en avons pas trouvé nous- même , il est vrai, mais l'archéologie moderne nous en fournit huit exemples que nous sommes en mesure de citer, deux en France , un en Suisse et cinq en Angle- terre. La plupart se rapportent à la période mérovin- gienne. La première découverte française a eu lieu en Flandre , soit à Douai, soit à Bavai. vers le milieu du siècle dernier. Caylus nous a reproduit dansson Recueil d’ Antiquités, cette pièce curieuse qui, à elle seule, donne par un bout «un cure-dents » et par l’autre «un cure-oreilles. » Ce mor- ceau en bronze, ajoute le savant antiquaire, est travaillé en spirale, sans doute pour donner une tenue sûre à la main , en même temps que pour augmenter la force de la pièce (1). » La seconde découverte a eu lieu en Dauphiné, dans cette ville de Vienne, que l’on pourrait surnommer, comme Arles, la Rome des Gaules, « Gallula Roma Arelas. » M. Victor Teste racontait tout récemment à M. de Cau- mont, qu'un habitant de de cette ville, «exécutant quelques travaux, avait trouvé un bijou d'or massif, du poids de 14 grammes, se composant d’une plaque semi-circulaire à son sommet. muni d’un anneau mobile de suspension. Des deux extrémités inférieures pendent, à d’autres anneaux, un cure-oreilles et un cure-dents Cet objet dut appartenir à une grande dame viennoise. Le faire de son orfévrerie est tout-à-fait romain, quoiqu'il ne remonte qu'à l’époque mérovingienne. Ce qui prouve cette der- (1) Caylus, Aecueil d' Antiquités, ete., &. V, p. 504, pl. 130, fig. 5 CLASSE DES BELLES-LETTRES. 299 nière date, c'est le caractère de l'inscription gravée sur la plaque : INDIN GEMO LANE (fn nomine domini Gemolane: au nom du seigneur Gemolane) {1}. C’est le nom de la propriétaire, inscrit ici en cas de perte accidentelle (2). » La troisième découverte aurait eu lieu en Suisse, vers 1853, dans le cimetière helvéto-burgonde de Vidy, près Lausanne. Dans ces riches sépultures on a trouvé, avec une bague d’or à chaton d'émeraude, deux fibules et des bracelets d'argent , une passoire aussi en argent et un très beau cure-oreilles du même métal. Cette jolie pièce, longue de 10 centimètres, et torse comme une corde, présente au milieu une croix de Saint-André gravée en creux. Elle est passée dans un anneau de suspension , large de 2 centimètres. M. de Bonstetten, qui nous l’a reproduite avec sa teinte et sa grandeur naturelles (3), prétend que la passoire et le cure-oreilles sont « deux instruments destinés à prendre et à remuer l’encens dans les cassolettes (4). » Quand donc les antiquaires modernes se dépouilleront-ils de la vieille archéologie classique ? (1) Bulletin monumental, t. XW, p. 419. (2) Une chose bien remarquable , c’est que, sur un anneau de bronze trouvé, en juin 1856, à OEstrich, dans Je Rhingau , entre Mayence et Bingen, on a vu la marque suivante : IN DI NYMI NE A. (n Domini nomine, amen ) Cette bague était dans un cimetière franc. (3) Aecueil d'antiquités suisses, pl. 24, fig. 12 (4) Ibid., p. 46-47. 300 ACADÉMIE DE ROUEN. La quatrième découverte, qui est de la même époque , nous est donnée par le cimetière anglo-saxon de Fairford , près Glocester, exploré par M. Wylie, en 1851. Le même anneau de bronze tient attachés ensemble un cure-oreilles et deux cure-dents (1). Trois cure-dents et trois cure-oreilles sont reproduits dans les belles planches de M. Néville, représentant les intéressants objets trouvés par lui à Little-Wilbraham, comté de Cambridge : 2). Il est évident que tout ce curieux Musée domestique est anglo-saxon. Un cure-oreilles a été trouvé sur une femme , le 6 septembre 1851. Une mine archéologique , aussi substantielle que bien critiquée , est le trop court et très intéressant Mémoire que M. Thomas Wright vient de publier à Liverpool , sur les antiquités anglo-saxonnes de la collection Faussett. Parmi les différents objets dont il signale la rencontre dans les sépultures anglo-saxonnes de la Grande-Bretagne , le savant et judicieux auteur place un ornement qui devait se trouver à la ceinture d'une grande dame. Il donne à cette pièce, qu'il reproduit, le nom de châtelaine , et il dit que parmi les objets qu’elle contenait se trouvaient un cure-dents et un cure-oreilles. Cette découverte a eu lieu dans un tombeau de Sibertswold {Kingston Down), dans le Kent (3). Grâce au bienveillant concours de MM. Joseph Mayer, (1) Fairford graves , plate IX, fig. 10. (2) Saxon obsequies, plates XI et XIV. (3) Thomas Wright, Oz anglo-saxon antiquities with a particular reference to the Faussett Collection, p. 15, in-8°. Liverpool, Bre- kell, 1855. CLASSE DES BELLES-LETTRES. 301 Thomas Wright et Roach Smith, nous pouvons présenter au lecteur ce curieux objet. Le septième exemple apppartient au cimetière anglo- saxon de Harnham-Hill, près Salisbury, fouillé en 1854, par le célèbre M. Akerman, de Londres. Le 28 septembre, il trouva un squelette de femme, long de cinq pieds (anglais), qui, parmi les nombreux objets de toilette qu’il portait à la ceinture, a présenté un cure-oreilles et deux cure-dents en bronze passés à un anneau du même métal (1). (1) Akerman, An account of excavations in an anglo-saxon Burial ground at Harnham Hill, plate I], fig. 13, in-4°, London, 1854. — Archæologia , vol. XXXV. — Remains of Pagan Saxondom , pl. XXXV, fig, 4. 302 ACADÉMIE DE ROUEN. Enfin je trouve le huitième exemple dans les procès- verbaux de la Société royale des Antiquaires de Londres. Le 3 mai 1855, sir Edw. Kerrison fit offrir à la Compa- gnie un objet de toilette antique consistant en un cure- oreilles et un cure-dents en bronze, unis ensemble au moyen d'un anneau du même métal Cette pièce avait été trouvée dans une urne à Eye, dans le Suffolk (1). De quelle époque était cette urne cinéraire , c'est ce que ne disent ni M. Kerrison, ni la Société. Or comme il y a en Angle- (1) Proceedings of the Society of Antiquaries of London , vol. HW}, p. 186, année 1855. CLASSE DES BELLES-LETTRES. 303 terre des urnes romaines et des urnes anglo-saxonnes, il nous est impossible de nous prononcer (1). Toutefois, par la bienveillance de la savante Compagnie , nous pouvons mettre sous les yeux de nos lecteurs l’exacte reproduction de cette curieuse pièce. Mais les deux plus belles pièces fournies par cette sépul- ture et même par cette fouille de Caudebec, ont été trouvées sur la poitrine du squelette ; ce sont deux fibules de bronze avec charnières et ardillon en fer, mais recou- vertes extérieurement d’une feuille d’or et décorées avec un soin exquis. Ces deux fibules, parfaitement semblables à celles que nous avons trouvées à Parfondeval, en 1851 (2), ne diffèrent de leurs aînées que par la largeur qui est moindre de 5 millimètres. Pour les faire connaître nous aurons recours à la description qui nous a été donnée, pour les précédentes, par M. Alfred Darcel, de Paris, l'un des collaborateurs les plus distingués des Annales archéologiques. Elle s'adapte aux dernières venues d'une façon merveilleuse ; on dirait même qu'elles ont été prévues d'avance. Cette similitude est telle qu’elle a frappé de prime-abord M. Miard , géomètre à Caudebec, qui n’a cru rien faire de mieux que de copier le texte même de la Normandie souterraine, dans l’article communiqué par lui au Journal d'Elbeuf, du 30 septembre 1855. Cette ana- (1) Un neuvième exemple nous est encore fourni par l’Angle- terre. En 1845, la villa de Hartlip, dans le Kent, a donné à ses explorateurs un anneau dans lequel étaient passés une pince à épiler en bronze et un cure-oreilles du même métal. — Roach Smith, Collectanea antiqua, vol. I, p. 20, plate V, fig. 1. (2) La Normandie souterraine , première édit., p. 258; deuxième édit., p. 4311-12, pl. XIT, fig. 6. — Roach Smith, Co/lectanea an- tiqua, Vol. I, p. 211, plate XLIX. 304 ACADÉMIE DE ROUEN. logie de l’art prouve aussi une grande contemporanéité dans l'inhumation. Les fibules de Caudebec se composent d'une feuille d'or de 20 millimètres de diamètre, enchâssée dans un cercle d'argent large de 2 millimètres à peine. Le cercle d’'ar- gent , faisant légèrement saillie sur le plan de l'or, est orné sur le bord de petits trous gravés à l’aide d’un poin- çon. La feuille d'or est maintenue contre le cercle d’argent par un anneau d’or en forme de grènetis qui est séparé de l'argent par la feuille d'or relevée et maintenue ainsi entre les deux cercles. Le champ de la fibule est orné au centre d'un bouton de pâte verdâtre , serti en or et formant saillie; vers chaque extrémité des deux diamètres , se coupant à angle droit , d'une lame de verre rouge pourpre, transparent, de la forme d'un petit triangle isocèle, sertie dans une feuille d'or également en saillie, et le sommet tourné vers le centre ; de quatre perles d'argent, semblables à des têtes d'épingle , placées à la circonférence, chacune au milieu de l'intervalle laissé entre les plaques de verre ; enfin le fond est couvert d’un ornement de filigrane d’or imitant une corde ou un fil tordu. Ces filigranes se composent de petits cercles placés de chaque côté de la base des plaques de verre , d’un nœud en double $S, imitant assez bien un CLASSE DES BELLES-LETTRES. 305 8, fixé au-dessous de chacun des boutons d'argent , et de quatre ou cinq petits cercles maintenus par une pelite épingle d'or, diversement disposés entre le nœud et le bouton central. Conczusion. — De tout ce qui précède nous croyons pouvoir conclure , et nous espérons que le lecteur con- clura avec nous : 1° que Caudebec-lès-Elbeuf est l'ancien Uggate de l'Itinéraire d’Antonin ; 2 que les tombeaux en pierre rencontrés en 1855 , appartiennent à la période franque des rois mérovingiens. AITOTES SUR LA PRISE DU CHATEAU DE ROUEN PAR RICARVILLE, EN 1432, PAR M. CH. DE BEAUREPAIRE. ————.#$ e=-- _—— Les anciens registres de comptes forment une classe de documents historiques des plus intéressantes et des plus curieuses. Que ne peut-on point espérer d'y rencontrer, puisque tout est de nature à figurer dans la dépense, depuis les travaux de l’imagier et de l'architecte, l'ordon- nance du médecin, jusqu'aux exécutions si souvent com- pliquées et barbares, parfois bizarres et ridicules de la . justice criminelle ! Malheureusement on n’a point assez généralement senti l'importance de cette sorte de pièces. Elles étaient en trop grand nombre pour qu'on en prit soin ; on les envisageait trop exclusivement au point de vue pratique, pour tenir à les conserver au bout de quelques années d'existence. Celles qui se trouvaient ras- semblées dans les riches archives de la Chambre des comptes de Paris, ont été en partie consumées dans l'in- cendie de 1737, en partie dispersées et, si du temps de l’auteur de l'Usage général des fiefs, on ne pouvait citer que peu de comptes du ximr siècle concernant le domaine royal en Normandie, peut-être aujourd'hui aurait-on peine à en citer beaucoup du x1v° et du xv°. Quant à ceux de la fin du xvre et de la première moitié du xvn° siècle CLASSE DES BELLES-LETTRES. 307 que nous possédons, il s'en faut bien qu'ils forment une collection complète. Aussi ne fut-ce pas sans satisfaction qu'en classant, il y a quelques mois, le fonds du prieuré de Bonne-Nouvelle , je mis la main sur une copie d’un Compte de la vicomté de Rouen pour le terme de l’année 1432. Cette copie, que les moines de ce prieuré s’é- taient procurée au xvne siècle, probablement dans l'unique but d'établir leurs droits sur la recette de la vicomté de l'Eau, m'a paru assez incorrecte; elle est d'ailleurs incomplète et notablement endommagée par l'humidité. Au plaisir de cette rencontre a bientôt succédé le regret de n'avoir point un Compte du terme précédent. Il nous eût sans doute présenté, au chapitre de la dépense, les frais et le détail du supplice de la Pucelle , de ce sup- plice mémorable qu’on aime à se rappeler, malgré la tris- tesse qu'il inspire, parce qu'il fut éminemment glorieux pour la victime et fécond en résultats pour notre pays dont il réchauffa et exalta le patriotisme. Le Compte de 1432, sans nous fournir de renseignements sur des faits d'un “intérêt aussi général, mérite toutefois d'être étudié Il nous fait connaître combien, dès lors, la domination anglaise était tourmentée et chancelante. Il nous fournit des détails nouveaux et positifs sur un touchant épisode de l’histoire de Rouen au xv° siècle , la prise du château de cette ville par les compagnons de Ricarville et la fin tragique de ces braves soldats. L'étranger les traita alors en brigands. Cette ville, qu'ils faillirent rendre à la France dix-sept ans avant le jour où les armes de Charles VII lui en ouvrirent les portes, doit bien sans doute à leur mémoire un hom- mage et un souvenir C’est principalement à ce point de vue que je vais envisager le Compte de 1432. Je négligerai complètement la première partie, d’abord parce que la recelte n'offre jamais le même intérêt que la dépense . qu'elle ne varie que faiblement dans tous les comptes du 308 ACADÉMIE DE ROUEN. même domaine ; en second lieu , parce que cette partie est illisible en plusieurs endroits , et que le texte n'en saurait être rétabli qu'avec une extrême difliculté. Le registre qui nous occupe est intitulé : Le compte du demaine de la ville et viconté de Rouen pour le terme Sainct Michel 1431 (1). rendu à court par Pierre Petit et Robin Lecomte , clercs et procureurs de Michel Durant, viconte de Rouen, comme par procuration rendue sur le compte du terme S. Michel qualre cens trente appert, Messire Raoult Bouteiller bailly dudit fiouen. Dans la dépense, nous passerons les fiefs et aumônes el rentes à héritage, invariables de leur nature , et dont les titres de constitution remontaient déjà pour la plupart à une haute antiquité. Notons les gages de quelques ofliciers. Ceux du bailli de Rouen étaient calculés à raison de 10 livres par jour. Les deux avocats généraux du duché touchaient chacun 100 livres par an. Le traitement d'Henri Picard, procu- reur du Roi du bailliage, était de 40 livres. Jacques de Sotteville et Alexandre de Berneval, le premier maitre des œuvres de charpenterie, le second maître des œuvres de maçonnerie de Rouen , ne recevaient du Roi que 18 livres 2 sols par an, à raison de 2 sous par jour. Le Conseil et la Chancellerie du Roi se tenaient alors dans deux corps de logis situés devant le château de Rouen, connus anciennement par l’enseigne de la Lune. La confis- cation encourue par Jacques Poignant les avait fait passer dans le domaine royal. Les chanoines de la cathédrale percevaient une rente annuelle de 4 livres sur ces maisons, EE ————————————_——— (1) 1 faut entendre le terme commençant à la Saint-Michel 1431, puisqu'il est question, dans ce compte, d'événements arrivés en 1432. Nous publions une partie de ce document à la suite de cette notice. CLASSE DES BELLES-LETTRES. 309 pour la messe que sire Martin des Essars avait fondée à la chapelle Sainte-Catherine. Parmi ceux qui devaient à la générosité du feu Roi la possession d'importantes seigneuries, on peut citer le jeune seigneur anglais Henri Gray. Propriétaire des vastes terres qui relevaient du comté de Tancarville , il possédait encore, dans la vicomté de Rouen, celles de Clères, Beaumais , Hugleville, le Gite-Bernard, confisquées sur d'anciennes familles françaises demeurées fidèles à leur légitime souverain. Ces quatre terres étaient estimées à 700 écus de revenu annuel. Les chanoines de Beauvais s'étant montrés rebelles au Roi d'Angleterre et s'étant mis en possession des revenus de l'évêché, la rente qu'ils touchaient sur les halles et moulins de Rouen , fut confisquée et donnée à leur évêque Pierre Cauchon. Cette année, on munit de provisions abondantes les deux points de Rouen dont la conservation, en cas de révolte, importait le plus aux Anglais : le château de Bouvreuil et la forteresse du Pont-de-Seine. Ces provisions consistaient en blé, en vins dont une grande partie était du crû de Mantes, en harengs ,en pois, en pore et bœuf salé. On peut conjecturer par la quantité de ces provisions, que la garnison de la forteresse du Pont-de-Seine était moitié moins nombreuse que celle de Bouvreuil. Les réparations qui furent faites au château s'élèvent à 1.152 livres 15 sols 8 deniers. Il est vrai que , dans ce chiffre, sont compris les frais que nécessitèrent les dégâts causés par les opérations du siége. Les travaux exécutés au Pont-de-Seine n’eurent au contraire que fort peu d’im- portance ; on se contenta d'établir un comble de char- pente, couvert en chaume, au-dessus d’une porte neuve, à herse couleiche , construite récemment pour protéger, du côté de la ville , la forteresse de ce pont. On tenait tou- 310 ACADÉMIE DE ROUEN. Jours les Rouennais pour suspects ; cette forteresse et le Vieux Palais en sont la preuve. Tant de précau- tions sont superflues contre des sujets. Aussi, dans l'acte de capitulation du 10 novembre 1#49, Charles VIT accor- da-t-il sans difliculté que le pont et fortification qui estoit contre ladicte ville , en la tour que fist faire sur le pont de Seine feu le Roi Henry d'Angleterre, fût changée au con- traire de ce qu'il était alors. On fit aussi quelques répara- tions à l'hôtel du Roi, qui n’était autre chose que cet ancien logis de Jacques Poignant dont nous venons de parler, l'hôtel de la geôle et aux prisons , aux buffets des changes situés devant la Madeleine et aux Cohues. Un article de dépense , relatif aux halles du Vieux-Marché, nous reporte au supplice de Jeanne d'Arc : « À Jean le Mesle , couvreur de thuille, pour avoir res - « touppé et réparé plusieurs trous et cassures qui naguères « avoient esté faictes en la couverture desdictes halles, au « bout, devers l’escheffault, iceux trous et rompures adve- « nus à l’occasion des establies illec faictes pour prescher « Jehanne qui se disoit la Pucelle, et trouvé thuilles, lattes, « mortier, et autres choses nécessaires , par quittance « dudit le Mesle, escripte le x° jour de novembre 1431, « certifiée par Jacques de Sotteville, maître des œuvres, eV Tenue 0 LE PR CRE NS ere en) On avait acheté douze ins de fer, de diverse lon- gueur , pour la haute justice du Roï. En septembre 1431, un petit échafaud carré, fondé de bois sur bout et de queues unies et couvert d'ais de chesnes, avait été dressé par manière de provision et en attendant un autre plus considérable. Le nouveau eut 1# pieds de long, autant de large et 9 pieds d’élévation. On l'entoura d'une palissade de bois afin que les chiens cet autres bestes ne puissent altoucher au sang des exécutez, qui chiet en une fosse dessoubz icelui eschaffault. H coûta 40 livres. Ce monu- CLASSE DES BELLES-LETTRES. 311 ment permanent des villes et des hautes justices d'autrefois ne devait , hélas ! servir que trop cette année-là, et rare- ment les Rouennais furent plus souvent attristés par le spectacle des exécutions capitales, l'établissement d’une domination étrangère n'allant jamais sans un grand dé- ploiement de rigueurs et de supplices. Les frais de justice et le salaire des messagers envoyés de tous côtés porter les ordres du bailli et du Conseil, occupent une large place dans la dépense. Ici, un messager de pied va remettre aux vicomtes de Honfleur, Pont-l'Evêque et Lisieux des mandements ex- traordinaires du Roi pour faire crier, les jours du bailliage de Rouen en parlement, et la vente de plusieurs terres confisquées et réunies au domaine. Là, nous voyons le bailli envoyer à Vitefleur-en-Caux neuf archers sous les ordres de Guillebert Pallesseau. Des Anglais avaient pris, aux environs de Pavilly Jean de Ra- sonville, Thomas Suitte et Jean le Batteur, accusés d’avoir livré aux Français la citadelle de Torcy; le premier était en outre inculpé d’avoir tué par trahison le lieutenant du capitaine préposé à la garde de cette forteresse. Ceux qui avaient fait cette capture songeaient à en tirer parti, et traitaient déjà de la rançon de leurs prisonniers. Les archers avaient charge de s'opposer à la mise en liberté des trois brigands (je leur laisse la qualification de notre compte), et de les amener à Rouen pour qu'on en fit prompte justice. Le greffier du bailli se rendit deux fois à Pont-de- l'Arche avec quelques hommes de conduite pour saisir, la première fois, un nommé Jean Davy, du pays d'Angleterre, coupable de brigandage dans le vrai sens du mot, la se- conde, Jean Fauxpoint dit Jacques, et Girard Alesseau, qua- lifiés de traîtres, meurtriers, bouteux de feu et ennemis du Roë. La Hire s'était emparé de Louviers ; et, de là, il en- 312 ACADÉMIE DE ROUEN. voyait souvent des gens déterminés porter jusqu'aux envi- rons de Rouen le pillage et l'incendie. « Si commencèrent, dit Monstrelet (1), « dedans briefz jours, la Hire et ses com- « pagnons à endommager le pays environ en plusieurs « lieux, et couroient souvent jusques bien près de Rouen, « et en estoit le povre peuple mallement grevé ou oppressé, « dont grandement desplaisoit aux Anglois; mais pour le « présent ne le povoient amender, considérés leurs autres « grans affaires. » Bientôt cependant ils furent en mesure d'assiéger Louviers. Il y avait déjà quelque temps qu'ils étaient devant cette ville, lorsque les Français s'assemblèrent à la Ferté-Bernard pour venir au secours des assiégés. Les vicomtes d'Auge, Orbec, Pont-Audemer , Pont-de- l'Arche, reçurent l'ordre « de faire crier, par tous les lieux desdites vicomtés où l’on avait accoutumé de faire cris, que tous chevaliers, écuyers, hommes d'armes et de trait et autres tenans fiefs nobles et seigneuries feussent par devers M. le bailly de Rouen. au Pont-de-l'Arche, pour aller ‘en sa compaignie, devant Louviers, soubz messei- gneurs les comtes de Varvic et de Stafford , afin de résister par bataille ou autrement aux adversaires du Roy... qui s’estoient assemblés à la Ferté-Bernard, en intenction de venir sur ledit siège dudit Louviers.» Les Anglais n'eurent point la peine de livrer de combat. On sait par la Chro- nique de Normandie, que la Hire, étant sorti de la place pour aller chercher du secours, fut pris en chemin « par quoi convint rendre la ville, et fut démolue et abatue comme place abandonnée. » A quelque temps de là, une poignée de Français (1) Monstrelet, édition d'Antoine Vérard, 2° vol,, {9 Lx v°, CLASSE DES BELLES-LETTRES. 313 pénétra jusque dans l'enceinte du château de Rouen et faillit soustraire la capitale du duché à la domination étrangère. Ce coup hardi fut décidé à Beauvais et exécuté par un gentilhomme normand nommé Ricarville. Voici le fait tel que le rapporte Enguerrand de Monstrelet 1). Je compléterai le récit ce cet historien par celui de la Chro- nique de Normandie (2), et contrôlerai, autant que possi- ble, ces deux témoignages par notre compte de 1432. Le 3 février de l’année 1432, et non point en 1434, comme le dit la Chronique de Normandie. le Maréchal de Boussac qui tenait sans doute à réparer l'échec qu'il avait essuyé à Clermont en Beauvaisis, le seigneur de Fon- taines , messire Jean Fouquet, le seigneur de Moy et plu- sieurs autres au nombre de 690 combattants , se réunirent à Beauvais et résolurent de s'emparer de Rouen. Le Maréchal avait gagné un homme de la garnison du château, nommé Pierre Audebeuf , bernois d'origine. C’est évidem- ment celui que notre compte désigne sous le nom de Pierre ou Pierrot de Biou, écheleur. Entre Pierrot de Biou et Pierre Audebeuf, la différence est assez faible pour l'oreille, et le soin que prit Monstrelet de s’enquérir du nom de cet homme obseur, est une preuve de l'exactitude que cet auteur tenait à mettre dans ses récits. Boussac s’avança sans rencontrer d'obstacle jusqu'à environ une lieue de la ville, et, arrivé là, il mit ses gens en embuscade dans un bois. La nuit venue, Ricarville s’achemina vers Rouen à la tête de quatre-vingts hommes, dit la Chronique de Normandie, « cent à six vingts combattants, dit Mons- «trelet, tous de pied , excepté quatre ou cinq qui estoient (1) Monstrelet, édition d'Antoine Vérard, 2° vol., f° Lxv. (2) Les Chroniques de Normandie, imprimées par Guill. Le Talleur, 1487, folio 98. 314 ACADÉMIE DE ROUEN. « sur petits chevaux. » Sur ce point comme sur d’autres . Monstrelet semble mieux informé que le chroniqueur normand. À en juger par la liste des soldats qui furent exécutés immédiatement après la prise du château, Ricarville devait être accompagné de plus de cent hommes. Pierre de Biou tint parole , il jeta des échelles et tous s’introduisirent dans la place , à l'exception de deux ou trois qui gardèrent les chevaux. Surpris par cette escalade rapide , les Anglais n'opposèrent aucune résis- tance. Les uns sautèrent par-dessus les murailles dans la campagne; les autres se sauvèrent dans la partie du château qui donnait sur la rue. Les Français les y pour- suivirent et les massacrèrent « Et si en eut aucuns morz et « navrez par les dits François, » dit Enguerrand. « Et « tuèrent tous les Anglois tant chevaliers que escuiers » dit la Chronique. Le comte d'Arondel , capitaine de la place, se barricada dans une chambre forte avec quelques ofli- ciers , et le lendemain, quand vint le jour, apercevant un rassemblement de bourgeois devant le château , il leur demanda pour qui ils voulaient tenir. Ceux-ci «répon- « dirent qu'ilz tendroient pour le Roy de France et d'An- « gleterre. Incontinent il se fit descendre en une corbeille « jusques au fons des fossez, et de ceulx de la ville fut «monté de l'autre part des fossez. » (Chronique de Normandie). « Et après que les besongnes furent ainsi « advancées , le dessus dit Richarville remonta assez tost « à cheval. et retourna moult hastivement où il avoit laissé le « dit Mareschal et ses gens, auquel il racompta tout l'estat «et gouvernement de l’entreprinse dessus dite, disant « qu’ils chevauchassent songneusement et à haste pour «secourir leurs gens , et que sans doute le chastel seroit « tantost parconquis. Mais . à brief dire, pour chose qu'il « leur sceust remontrer , onques ne peut tant faire que ils «se voulsissent conclurre ne mettre en voye pour y aller, CLASSE DES BELLES -LETTRES. 315 « jasoit chose que le dit Mareschal et grant partie des « plus notables de ceulx qui estoient avec luy leur «eussent promis de leur foy à leur département qu'ilz le «secourroient sans point de doute, s’il advenoit que la «dicte entreprinse vint bien. Néantmoins, ils n’en vouloient « rien faire; car quant ilz furent ainsi qu'à une lieue près «de Rouen à tous leurs gens, ilz se commencèrent à « débatre l'ung contre l’autre pour avoir la plus grant « part du butin, qui point n’estoit encores gaingné. Et à «cause de ce retournèrent sans aller plus avant, et « laissèrent leurs gens en ce dangier. Pourquoy, quant le « dit Richarville, qui vaillamment avoit achevé son entre- « prinse, fut retourné, leur dist plusieurs injures et reprou- «ches, lesquelles ilz souffrirent assez paciemment. Et se « départirent de là hastivement, si s’en retournèrent à « Beauvois et ès autres lieux dont ilz estoient venuz, lequel «retour despleut grandement à icelluy de Richarville, « pourtant qu’il avoit esté meneur des dessusditz entre- « preneurs, et aussi fist-il à aucuns autres qui y avoient « de leurs prouchains amys. Pourtant ne demeurèrent 1lz « mye qu'ilz ne s’en retournassent audit lieu de Beauvois « comme les autres. » Tel est le récit de Monstrelet Celui de la Chronique de Normandie est tout différent On n'y voit pas que Ricarville soit sorti du château ; il y serait resté jus- qu'à la fin, et saisi le premier par les Anglais, lors- qu'il se livrait à eux pour capituler , il aurait été leur pre- mière victime. Je suis porté à préférer le récit de Monstrelet, parce que ce chroniqueur me semble généra- lement bien informé, et que le nom de Ricarville ne figure pas sur la liste des Français condamnés à mort. Je ne me dissimule pas cependant qu'on peut à la rigueur, en admettant le récit de la (Chronique de Normandie, s'expliquer l'absence sur cette liste du nom de cet infor- 316 ACADÉMIE DE ROUEN. tuné capitaine, puisqu'il aurait été décapité, sans forme de procès et sans frais, au pied même de la tour. Mais, en tous cas , il faut choisir entre les deux auteurs ; il ne me semble guères possible d'admettre la combinaison que fait des deux récits le savant M. Chéruel, en supposant que Ricarville après être allé trouver le Maréchal de Boussac, serait revenu partager le sort de ses compagnons. On pou- vait bien s'introduire dans le château par surprise, une première fois ; mais une seconde fois , il fallait y revenir en force. Car il n'y a point lieu de douter que les Anglais, dès qu'ils furent revenus de leur panique , ne se soient ms à le cerner de tous côtés. Du reste, il faut convenir que si le récit du chroniqueur normand est plus avantageux pour la mémoire de Ricarville, l'autre récit ne doit laisser planer sur ce capitaine aucun soupçon de lâcheté. S'il n’amena point de secours à ses compagnons , ce n'est pas sans doute qu'il n'eût fait tous ses efforts pour en obtenir; s'il ne revint point partager leur sort, c’est que cela ne lui fut pas possible. En attendant « les « François entrés dans le château contendoient de tout leur « povoir à débouter les Anglois, leurs ennemys, de la porte « qu'ils tenoient vers les champs, et quand ce vint vers le « jour qu'ils n’oyoient point de nouvelles de leurs gens , «ilz apperçeurent bien quilz ne auroient point de secours «et qu'ilz estoient frauldez de la promesse qui leur avoit «este faicte. Si en furent moult esmerveillez et esbahis. «Et d’auttre part les Anglois se assemblèrent de tous «costez en grant diligence, qui les assaillirent moult . «asprement. Si vindrent avec eulx grant nombre de «combattans de Rouen pour doubte qu'ilz ne feussent « suspectionnez d'iceulx Anglois quilz fussent favorables à «iceulx François. » Le siége de Rouen, qui avait eu lieu douze années auparavant , ce siége si long et si héroïque avait épuisé la constance des bourgeois ; ils en étaient CLASSE DES BELLES-LETTRES. 317 réduits à subir avec crainte et en silence le joug de leurs vainqueurs. L'année précédente, ils avaient été témoins du supplice de la Pucelle ; cette année, ils virent les Anglais délogés du château , et ce fait, pas plus que l’autre, con- trairement sans doute aux prévisions du Maréchal de Boussac, ne produisit à Rouen aucun mouvement en faveur de la France. Le duc de Bedfort était alors à Paris. Le comte d’Arondel, le bail, les conseillers et les bourgeois lui dépéchèrent en toute hâte deux messagers pour lui porter la nouvelle de la prise du château. Le duc répondit à leur lettre, et demanda à être informé jour par jour de ce que l’on ferait contre les Français. Un autre messager à cheval fut chargé par les seigneurs du Conseil de porter à Jean Hisac, capitaine de Pont- audemer et Honfleur ; à Taillefer de la Remanière, capitaine de Pont-l'Evêque ; à Durand de Thieuville, lieutenant du bailli de Rouen et vicomte d’Auge et de Pontaudemer , l’ordre de venir en toute hâte à Rouen avec leurs gens de guerre, pour aider à chasser les Français du donjon où ils s’efforçaient de se maintenir. C'était là en effet, dans cette vieille tour, seul débris qui nous soit resté de la construction de Philippe-Auguste , dans cette tour à laquelle se rattachent tant d'intéressants souve- nirs, où l’illustre Xaintrailles, notre compte nous lap- prend (1), fut quelque temps prisonnier, que les compagnons deRicarville s'étaient retirés, quand ils virent qu'ils n'étaient point en nombre suffisant pour garder tout le château. Ils y rassemblèrent des vivres et tous les moyens de défense (1) « Pour une grosse serrure à boche, pour une des chambres de la grosse tour,en laquelle tient prison Poton de Sentreilles .»Voy. le fragment de compte publié à la suite de cette notice, Xaintrailles avait été pris par les Anglais aux environs de Beauvais, en 1430; 318 ACADÉMIE DE ROUEN. qu'ils purent se procurer, décidés à s’y maintenir jusqu'à la mort, et conservant peut-être encore l'espoir de n'être point abandonnés de leurs camarades. Le dernier jour de février 1432, les assiégeants mirent le feu à la barrière et au pont-levis qui faisait face à la ville. Le feu s'étendit plus loin qu'ils n'avaient voulu; il avait déjà consumé la plus grande partie de la porte, quand les dinants qui habitaient le quartier voisin réussirent à l’éteindre, Il est probable qu’en retournant à Beauvais , à regret et contraint , le Maréchal de Boussac n'avait point renoncé au dessein de venir au secours des assiégés. C’est du moins ce que l’on croyait à Rouen , et l’on prit sans doute des mesures pour s'opposer à son retour. Ce qui me le fait supposer , c'est un passage du compte de 1432 , oùil est question de « cinq messagers envoyés hastivement , « à plusieurs et diverses fois, tant de nuit que de jour, « en la ville de Gournay et ès parties d'environ pour savoir « et enquerir secrètement de l’entreprise des ennemis du « Roy .. lesquelz, comme l'en disoit faisaient certaines « assemblées à Beauvais et ès parties. d'environ, en inten- « tion de secourir ceux qui, par trahison, estoient entrez dedans la grosse tour du chastel de Rouen, en laquelle « ilz estoient assiegez. » A en croire la Chronique de Normandie, le Régent aurait fait offrir aux Français une assez forte somme d'argent et la faculté de s’en retourner librement. Mais la mort d'un enfant, causée par un trait lancé de la tour, et d’autres A il fut délivré pour le sire de Talbot qu'il avait fait prisonnier à la journée de Patay. Voyez les chroniques de Jean Chartier et de Jacques le Bouvier, surnommé Berry, dans l'Histoire de Charles VII, de Denys Godefroy, p. 47 et 354. CLASSE DES BELLES-LETTRES. 319 accidents semblables auraient complètement changé les bonnes dispositions du duc de Bedfort à leur égard. Ce qu'il y a de certain, c'est que, par la lettre qu'il adressa aux gens du Conseil, à la date du 9 mars 1432, il se plaignait de « n’avoir point encore oui dire que grand exploit eût été fait pour réduire les ennemis. » I chargeait le comte d’Arondel , de s'entendre avec les baillis de Rouen et de Caen, avec le Conseil et six des bourgeois de Rouen, dont l'affection pour l'Angleterre ne fût point suspecte, « afin d’adviser les plus hastives voyes et manières qu'ils pour- roient , pour avoir et mettre en subjection les dis enne- mis, soit par miner icelle tour ou autre manière, en mettant à bonne et briève exécution, sans délayer, la con- clusion que tous ensemble ils auraient prinse; et, si tôt que des ennemis ils auraient la maîtrise et domination , faire incontinent de tous générallement, sans exception ou espargne d’eulx ne d'aucun d’eulx, de quelque estat ou con- dition qu'ilz fussent , telle et si haulte et publique punicion que ce fût exemple à tous autres, et que leurs complices ne se enhardissent doresenavant de faire contre le Roi et le Régent si outrageuses entreprinses, comme ils avaient voulu faire audit Rouen, et s’efforçaient chacun jour de faire ailleurs au très grand préjudice du Roi. » Il leur ordon- nait en même temps de mettre à Rouen, à Verneuil, à Vernon, des lieutenants sûrs et diligents, d'y entretenir un nombre convenable de soldats. « Autrement, disait-il, (et ces paroles témoignent de son inquiétude, et des mouvements des plus en plus prononcés qui avaient lieu en Normandie en faveur de la cause nationale,) autrement « se pourroit ensuir la perdition d’icelles places, qui redon- « deroit à la totalle perdition de tout le païs. Car attendues « les malices, cauteles et diligences continuelles que font en « grant effort les dis ennemiz, il est expédient que les bons « et vaillans vassaux, serviteurs et subgets de mon dit Sei- 320 ACADÉMIE DE ROUEN. « gneur, et ceulx qui ayment notre honneur prengnent « plus grant paine et diligence de résister aux entreprinses « desdis ennemis que onques mais (1). » Ce fut après la réception de cette lettre qu’on eut recours aux mesures énergiques. « Les Français furent de toutes « parts avironnez et très fort combatus de plusieurs gros « engins que les dits Anglais firent asseoir contre la grosse «tour, et tant en ce continuèrent qu'elle fut mout fort « endommagée en plusieurs lieux. » Notre compte nous apprend, en effet, que plusieurs mines furent pratiquées, l’une au baile du château pour asseoir près de la tour des manteaux et engins de charpen- terie ; une autre aux murs de l'enceinte, pour détourner les eaux du puits du donjon. Les Anglais braquèrent leurs canons contre les assiégés , non-seulement du baile, mais encore de la chapelle du Roï, à travers uue brèche qu'ils ouvrirent dans la muraille. Une bombarde fut même établie à la Rougemare , d'après le chroniqueur normand. Bientôt les voussures de la porte d'entrée et de la fenêtre du pre- mier étage tombèrent sous les coups. Il n’y avait plus moyen pour les Français de se mettre à l'abri ; d'un autre côté la retraite leur était fermée. Vainement avaient-ils démuré une ancienne porte de huit pieds de large qui donnait sur les champs, et espéraient-ils s'échapper par là. L'entrée des gens du Roi dans le boulevard, du côté de Bouvreuil, leur enleva cette dernière chance de salut. Dans cette situation critique, menacés de périr sous les ruines , privés de bois, d’eau, de vivres, ils durent se rendre après un siège de douze jours. D’après la Chro- nique de Normandie, que je considère sur ce sujet comme (1). M. Chéruel , Histoire de Rouen sous la domination anglaise au XV° siècle, pièces justificatives , p. 95-97. CLASSE DES BELLES-LETTRES. 321 très suspecte, on leur aurait laissé le choix de s’en remettre à la volonté du prince ou à la volonté des bour- geois, soit dans le but de flatter les Rouennais, soit pour mettre leur fidélité à l'épreuve. Les assiégés s'en seraient remis à la volonté du prince ; c’est alors que Ricarville aurait eu la tête tranchée. Ses compagnons qui ignoraient son sort, osaient encore compter sur la générosité du vainqueur. Is demandaient pour eux la composition que leur capitaine avait obtenue , mais à mesure qu’on les descendait de la tour, on leur répondait en leur faisant voir la tête de Ricarville. Quoi qu’il en soit de ce récit, il est certain que la sévère prescription du Régent eut son plein effet ; on ne prit même pas la peine de lui demander une seconde fois son avis. Tous furent décapités au Vieux- Marché : « qui estoit chose piteuse à voiren si peu de heure « mourir de si vaillants hommes et par meure délibération « telle effusion de sang. » (1) Voici l'extrait de compte qui nous apprend le nombre, le nom et la patrie des victimes, et nous fait connaître de quels éléments divers se composaient alors les compagnies à la solde du Roi Il est malheureusement fort incorrect, et beaucoup de noms de lieu sont tout-à-fait méconnaissables. « À Geuffray Therrage, pour avoir traisné sur une claye «au bout d'une charrette Pierre de Biou, eschelleur, « depuis les prisons du Roy notre sire jusques au Vieil- « Marché, et audit lieu lavoir décapitté, escartellé, et pendu «ses quatre membres aux quatre portes, le corps au «gibet, et assis sa teste sur une lance, et aussy avoir « semblablement décapitez les personnes dont les noms « ensuivent , c’est assavoir : « Pierre de Nogon, de Veuguessin-le-Normand ; (1) Chronique de Normandie, p. 18. 322 ACADÉMIE DE ROUEN. « Martin Forest, de Bary ; « Jean Lescuier, d'Orléans ; « Colin Levavasseur, de Lampre-sur-Somme ; « Gaspart de Thury, de Thury-en-Pymont ; « Léon, de Villeneuve sur Brenon-en-Sablon ; a Regnault du Fay, de Cressy-en-Brie ; « Jean Hatquin , de Daours près Corbie ; « Colin de Lannois, de Lan-en-Lannois ; « Jean Lyvoisin, de Compiègne ; « Jean du Pré , de Tournay ; « Jean Bigot , d'Espauboug en Beauvoisin ; « Jean de Fierecoq , d'Escampois-en-Beauvoisin ; « Jean du Pré, de Thiers-en-Clermont ; « Regnault de la Court, de Feurres-en-Forest près Auvergne ; « Jean Collin, de la duché de Bari ; « Jean Letellier, d'entre Mondidier et Compiègne ; « Regnault de Bari ; « Jean de Maisons , de Feneres prez Guisar (sic) ; « Jeuffray de Moireau, de Gueullevert prèz Clermont. « Thomas Gautier, de la Rochelle ; « Robert Picard , de Feriere-en-Brie ; « Pierre du Breuil, de Vire ; « Jean du Val, de Ruel, sur Brez-en-Beauvoisin ; « Pierre de la Fontaine, de Samur-en-Berry ; « Ollivier le Lièvre, de Beauvais. « Jean Turquet , dudit Beauvais ; « Jean la... de Pierre-Pont près Coustances ; « Jean Martin, de Neufchastel ; « Simonnet Brulet, de Hedin ; « Vissenot le Blond, de Neuilly en Telles. ...; « Jean de Dampierre , bastard ; « Jean de Soissons, natif de Soissons ; « Jean le Roucher, de Marmoulet près Séez ; CLASSE DES BELLES-LETTRES. 323 « Pierre Jullien , de l’abbaye de Lessy ; « Jean le Prince, de Bretteville-en-Caux : «Robin Geuffray, d'Auge-en-Berry ; « Jean de Lorrain , de la duché de Bar ; « Charles le Machon , de Lan en Lannois ; « Jean Aubergeon, de Bruges-en-Berry : « Jean Dubois, d'Angers ; « Jean de Lourmes, de Boullaincourt ; « Jean de Vallognes , de Thenin-en-Liège ; & Jean le Court, de Tours en Tourraine ; * € Guillaume de Sully, de Sully-sur- Loire ; « Jean des Quesnes, de Fontaines, « Robin Ully, du dit lieu ; «Guillotin du Bois, de Broisselles, en Henau : « Thomas Scelles de Moitou, prez Bray-sur-Somme ; € Thomas de Hollanges , du pays de Boulonnois : «Perrin Pelerin, d’Aulette Mallortie : « Thomas de la Vallée, de la Ferté-Bernard ; « Jean de la Mare , de Canny, en la conté de Rethel ; « Le Bastard de la Tour, de Dauphiné ; « Jean, de Mesières en Champnès ; « Guillot le Tellier, de Monson-en-Negon ; « Jean de Saint-Flou , d'Auvergne ; « Jean Pettict, de Tourraine : « Girardin de Thurin, de Lorraine : « Estienne Boullon, de Manthes ; € Guillot de Neuilly, de Canny ; « Jean de Saint-Laurens, de Hermival près Lisieux: € Pittres Lancernon , d'Allemaignes ; « Andrieu de Tournehan , de prez Verneuil sur Aise ; « Perrin le François, du Chastel-de-la-Lune , près Beaumesnil ; « Adam Mase, de Bayeux-en-Beausse ; « Didier de Vanelon, de la duché de Bar ; ACADÉMIE DE ROUEN. « Arnoult Regnault, de Beauvais-en-Vergongne ; «Pierre Sagonnet, d'Allix près Saint-Arnoult-en- Ivelines ; « Gilles, de Boullongnes-la-Crasse , en Lombardie ; « Pierre, de Caldiste , en Lombardie ; « Pierre Chantemerle , de Saint-Gilles ; « Boullanger ,de Mouy ; « Jean de Paux , de Routangny , près Beauvais ; « Mahiet le Gros , d'Annecourt en Beauvoisin. « Jean Raoult, du Parc-sur-la-Roche, en Poitou ; « Guillaume de Biou, nepveu dudit Perrot de Biou ; « Thomas Scot , de Capelle-en-Auge ; « Simon Plassart, du Chasteauneuf près Lion ; « Simon Dauphin , de Roches en Tourraines. « Simon de la Maigne , de Poullongne sur le Rin ; « Philippot de Grouchy, bastar, de Montéraullier ; « Robin Cohen, de Vallensienne ; « Pierre de la Bruye, de Mouy; a Thibault Gainpont , bastard ; « Jean Martin, de la Bassce , près Tournay ; « Laurens Scart, d'Évron en Augeon ; « Guill. Martin, de Vitot, près Évreulx ; « Jean Michel, de Monthereuil sur-la-Mer ; « Pierre de Tourneville , d'Artegny, près Yenville, « hameau de Constance , près d'Allemaigne ; « Guillaume de Leseque, d'Auvergne ; « Simonnet de Francières, de Rante près Compiégne; « Regnault de Montchauvet, de Gastinois ; « Lucas de Venise , du pays de Gennes. « Le bastard de Maligny ; « Robinot de Pouppeincourt, de Beauvoisin ; « Colinet , de Blarigny près Poidz; « Guill. Galland, de la Ferté...... « Pupin de Motgland, de la Motte en Poictou ; CLASSE DES BELLES-LETTRES. 325 « Jean Pausset, de Bresnes en Lannoy ; « Philippot Desnoy, de la Cauchée ; « Guillaume Pousseau, de Sageville en Beausse; « Guillaume le Conte , du païs de Hennois, « Et Girard de Langres, «traistres, à ce condamnez pour leurs démérittes, et les- « quels, par l'entreprise dudit de Bihou, estoient entrez « dans le chastel de Rouen, et depuis gaigné sur eux à force « d'armes, les parties à luy taxéez montant en somme « ext L. xt s., plus à plain déclarez où mandement de « M. le bailly, donné le xxv° jour de mars audit an, cy « rendu avec quittance dudit bourrel, pour ce à luy par « vertu dudit mandement. € xE À. XIE. S. » Dès que cette exécution fut terminée , la nouvelle en fut portée au duc de Bedfort. Celui-ci renvoyale messager à Gournay, avec mission sans doute de s'enquérir des desseins des gens de Beauvais, et de là à Corbeil vers le cardinal de la Croix. On transmit en même temps aux juges de Gournay lesnoms de plusieurs fraîtres natifs des environs de Rouen, avec ordre de ne point les relâcher moyennant finance. Mais on avait beau faire, partout on avait des sujets d'inquiétude. Les bourgeois de Dieppe furent avertis de se tenir sur leurs gardes « pour ce qu'il estoit venu à « congnoissance qu'il y avoit plusieurs ennemys du Roi, qui « alloient tant par mer que par terre, en intention d’entrer « en icelle ville. » Le messager qui fut chargé de porter cet avis , fut pris le long de la route par les brigands. A Rouen on redoubla de vigilance. Jusqu'à ce que les portes et les barrières du château eussent été complète- ment rétablies, chaque nuit, des gens d'armes faisaient le guet autour de son enceinte, à la lueur des fallots. Tous les Anglais, sans charge ou retenue du gouvernement furent sommés de se présenter, le 16 avril, devant messire 326 ACADÉMIE DE ROUEN. André Ougard , chevalier, pour prendre gages du Roi et exécuter les ordres qui leur seraient donnés. - Cette année fut signalée par de nombreux supplices. La plupart des condamnés étaient décapités au Vieux- Marché ; le corps était ensuite pendu au gibet et la tête posée au bout d’une lance. Jean de Rasonville, Jean le Batteur de Neufchâtel , Martin Suitte d'Esmanville, accusés d’avoir livré Torcy aux Français, furent traînés sur la claie avant d’être pendus. Huit Anglais furent condamnés pour faits de brigan- dages. Quelques-uns furent pendus, une miître en tête ; mais ces sévères répressions ne ramenèrent point la sécurité dans les campagnes. Le pays restait désert et presque inhabité ; on aurait peine à croire que notre riche province eût été exposée à de telles calamités, si mille témoignages ne nous en apportaient la preuve. J'en choisis quelques-uns au hasard. Notre compte de la vicomté de Rouen nous apprend que les paroisses de Saint-Eloi, Saint-André de la Porte-Cau- choise, Saint-Patrice , Saint-Martin du Bout-du-Pont, ne payèrent point de fouage parce qu'elles étaient tout-à-fait inhabitées. Dans un état par abrégé des rentes et autres revenus appartenant à l'église de Fécamp, du 928 février 1418 au 15 avril 1420 (1), le receveur écrivait les lignes suivantes : « Les rentes et revenus de la baronnie de Fécamp n'ont « esté d'aucune valeur, parce que le pays est destruit, pour « l'occasion de la guerre, mesme de la frontière de « Harfleur. « Les rentes et revenus de la terre de Fontaines-le- (1) Archives départementales, Fonds de Fécamp. CLASSE DES BELLES-LETTRES. 327 « Bourg n'ont été semblablement d'aucune valeur, pour « ce que pour l’occasion de la guerre, espécialement pour « le siège qui fut devant Rouen, la ville et chastel et le « pays d'environ sont ars et destruits, et les bonnes gens « mors à Rouen par famine , par quoy le pays est désert « et aussi l'en n’y ose, ne n'a osé bonnement converser « pour la doubte des brigans, qui de jour en jour y hantent « et se retrayent ès bois dont le païs est moult avironné. « Les rentes et revenues de la terre de Heudebouville « n'ont esté semblablement d'aucune valeur, pour le fait de «la guerre, mesmement pour l'occasion du siège qui « fu devant Loviers, l'an précédent, et semblablement « pour la guarnison de ceulx de Dreux, qui chascun jour « courent en la dicte terre et ès pays d'environ; car nul « ne demeure en ycelle terre ; et se sont piecha retrays ès « bonnes villes; et la greigneure partie mors; et ainsi « demeure le pays non labouré et désert. » Les terres de Tancarville n'avaient pas été plus épar- gnées. Le compte de 1428 (1) nous apprend qu'un grand nombre d’héritages revinrent aux mains du seigneur par faute d'hommes. On ne trouva à les bailler à ferme, qu'au prix de 5 s. ou même de 4 s. l’acre. Pour attirer et rete- nir les vassaux des seigneuries de la Cerlagne et de Saint- Jean-des-Essarts , le bailli de Rouen leur proposa de les exempter de toutes redevances en grains , et leur déclara qu'on se contenterait d’une rente de 10 s. par acre pen- dant toute la minorité de Henri Grey. Malgré tous ces sacri- fices, les mentions de terre en non-valoir, en ruine, pleines de ronces, d'épines , de fougères, etc., sont extrê- mement fréquentes. (1) Archives départementales, Fonds de Tancarville. 328 ACADÉMIE DE ROUEN. Cette affreuse situation se prolongea pendant toute la durée de l'occupation anglaise. Aux Etats-Généraux de 1485, Masselin rappelait avec une émotion profonde cette dévastation, dont les funestes effets se faisaient encore sentir et ne pouvaient , selon lui, disparaître qu’au bout de plusieurs siècles. = 2 « Lorsque toute la population du pays de Caux, disait- il, eut été ainsi anéantie par la mort ou par la fuite, la terre demeura improductive et inculte. Où jadis vous eussiez admiré de brillantes moissons et des champs fer- tiles, s'offraient à la vue des buissons d'épines, des arbres qui avaient pris une croissance inutile ou déme- surée. Cet abandon avait tellement changé la face de la terre , que personne ne reconnaissait ni sa ville ni sa sa maison , que le chemin public ne se distinguait pas d'avec le reste du sol. Une solitude profonde régnait au loin, et partout un silence effrayant... Telle fut cependant la destruction irréparable, le dernier anéan- tissement de ce pays, qu'il était devenu tout-à-fait sau- vage. « Et quoique à cette époque la terre n’y fût nulle part sillonnée par la charrue, ni foulée par des pieds amis, ses désastres ne cessèrent point , la fureur des méchants ne s'arrêta pas : les gens d’armes des divers partis, qui tenaient les forteresses du pays , se déchaïînèrent en for- cenés les uns contre les autres, ils exercèrent leur rage sur les maisons et sur les édifices ; ils brülèrent ou démolirent entièrement presque tout ce qui restait d'habitations. « N'est-ce point, poursuivait-il , un spectacle affreux et déplorable, que depuis Dieppe , et Eu jusqu'à Rouen ; il soit impossible de reconnaître la route, et même que, dans les villes, on ne puisse rencontrer des créa- tures humaines, si ce ne sont peut-être quelques- CLASSE DES BELLES-LETTRES. 329 « uns de ces brigands qui continuent d'infester les « chemins ?... «N'est-ce pas enfin le spectacle le plus épouvantable et « le plus digne de compassion , que la population entière « de ce pays soit détruite ou expatriée, que les ruines de « presque toutes les maisons couvrent la terre, et, ce qui «est plus affligeant encore, qu'on y cherche en vain les « vestiges d'une infinité de bourgades (1) ?v Tout cela ne prouve-t-il pas que, malgré une adminis- tration dure, il est vrai, mais généralement sage et habile, les Anglais ne purent réussir à se faire accepter en Nor- mandie, pas plus que dans le reste de la France? Is avaient à combattre quelque chose de plus puissant que les armées ; ils ne purent, malgré tous leurs efforts, parvenir à fléchir ce sentiment patriotique, ce sentiment français que deux siècles avaient formé, et auquel tous les désastres de la guerre n'avaient fait que prêter une nouvelle force. C'est à cette cause qui poussait sans cesse à la résistance encore plus qu'à des coups décisifs et à de grands capi- taines, que nous devons d'être restés ce que nous sommes. Chaque jour avait affaibli la puissance étrangère au milieu de nous ; de petites batailles devaient suftire à en disperser les débris. (1) Adhelm Bernier, Journal des Etats-Généraux de France, tenus à Tours en 1484, par Jehan Masselin, p. 565-567. 330 ACADÉMIE DE ROUEN. FRAGMENT D'UN COMPTE DE LA VICOMTÉ DE ROUEN DE L'ANNÉE 1432. Parties d'œuvres à ce terme où Chastel de Rouen. A Jean Ouin, masson, et Ollivier Deshays , charpentier, pour leurs peynes et sallaires, par marché à eux faict, c’est assavoir audit Ouin xL s., pour avoir estoqué et scellé de pierre la quarrieure d’une herche vollant à la porte dudit chastel lès la ville}, et audit charpentier Ls., pour avoir redressé une lucarne séant sur la maison de la paticerie et espicerie dudit chastel , et y avoir faict et assis ung potz de sept piedz de long et redreché les .che- vrons qui estoient ploiez, et trouvé bois à ce nécessaire, par quit- tance desdits ouvriers, escripte Le xxv° jour d’Aoust 11° XXXI., certiffiée par Jacques de Sotteville et Alexandre de Berneval , maitres des œuvres du Roy notre sire, cy rendue. . . nul. xs. A Michel Gueroult et Ollivier Deshays, charpentiers, pour leur peyne sallaire, par marché faict d'avoir faict en la grosse tour dudit chastel, en l’estage de bas, endroit l'arche d’une canonnière, une forte prison de charpenterie, et trouvé bois à ce nécessaire, mesme réparé et mis à poincet le pont-levis devers la ville, qui avoit esté dommagé à l’occasion des bombardes naguères mises dedens ledit chastel, par quittance desdits ouvriers, escripte le xxe jour de septembre audit an, certifiée par le dit de Sotte- ile Cy rendue pour Cor AU EEM E REN evR A Jean Ouin, plastrier, pour plusieurs parties d'ouvrages de son dit mestier par luy faictes audit chastel, et quy nécessaires estoient à faire, c'est assavoir ung........ en la chappelle, CLASSE DES BELLES-LETTRES. 331 endroict l'orratoire du Roy, repoissé ung mur séant pour les ..... de la grosse tour, réparé deux cheminées séans ès chambres de l’artillerie et du doien de la chappelle, lesquelles chemi- nées estoient tellement rompues et cassées qu'y les a con- venuz abattre jusques aux raiz des manteaux , et mesme réparer trois cheminées séant en la chambre du Roy, plastré une clouai- son faiète endroit l'arche d’une canonnière , séant au bas estage de ladite grosse tour, plastré une maison séant auprez de la bar- rière , et illec faire une cheminée neufve, et à ce trouvé plastre, blocs et autres mattières à ce nécessaires , et aussy avoir emploié et mis en œuvre jusques au nombre de nuxx minnes de plastres à rétouper et réparer plusieurs troues, planchiers, peunois et paroies , marches et degrez, et autres menuz agréemens dudit mestier, qui estoient nécessaires à faire en plusieurs et diverses places audit chastel, selon ce que par les maîtres des œuvres luy a esté ordonné, par quittance dudit ouvrier, escripte le xxune jour de septembre nue xxxt, certifiée par lesdits de Sotteville et Berneval; cy rendues-ponr.ce 21... 4,22... 1, mes nm A Michault Desmoutiers, serrurier, pour plusieurs parties de menues ouvrages de sondit mestier par luy faictes et quy néces- saires estoient à faire audit chastel pour la S. Michel derre- nière passée dont la déclaration ensuit, c'est assavoir : ungtrilles de fer en une fenestre de la grande chappelle da Roy, la ferreure d'un cassis double pour ladite fenestre, quatre verges de fer pour tenir lesdiz verres dudit cassis, xvi gonds et xvi verte- velles mis en plusieurs huisseries de chambres et canonnières dudit chastel, deux grosses serreures à boches ès aisemens de la grosse tour et une grosse clef en une chambre près d’illec, quatre grands cros de fer pour lier certaine charpenterie naguères faicte en une canonnière basse d'icelle tour, deux grands couples de travers d’un huis séant en ladite canonnière, une grande serrure à boche pour ledit huis, une grande serrure à boche en la tour devers S. Patrix, une autre semblable serrure en la chambre du Roy et une serrure de bois en une chambre pour la pettitte chapelle, un grandz coupletz de fer pour le couverteur du puictz, six gondz, six vertevelles pour la chambre d'enprès la barrière, deux touroulx, l’une en une salle sur la gallerie , et l'autre en la chamb re joignant à icelle, pallé deux 332 ACADÉMIE DE ROUEN. vertevelles de fer et une serrure de bois pour un huis de la grande cuisinne basse , deux grands barreaux de fer à ense et respons, pour une trille de fer, séant au costé vers les champs, une grosse serrure à boche pour une des chambres de la grosse tour en laquelle tient prison Poton de Sentreilles, par quittance dudit Desmoutiers , escripte le dernier jour de novembre ou dit anuue xxx, certifiée par ledit de Sotteville, ey rendue , pour COS nee se ha Ve eat s le RENE NS RE RP RSI ET RR. A Allain Lemesle, couvreur de thuille, quarante-six livres, pour marché à luy faict, pour la peynne et salaire de luy, Jean Catherine, semblablement couvreur, son aide, et deux de ses valletz, ouvriers de bras, d'avoir ouvré et besongné le temps et l’espace de xvi jours puis le jour S. Michel nue xxx1, à faire remanier et réparer à mettre à point la couverture nécessaire estre faicte audit chastel, sur les chambres le Roy, l’artillerie, les devant des provisions et garnissons, sur la garde prez la barrière, sur la paticherie et plusieurs autres places audit chastel, au prix de vs. pour jour pour chaseun desdiz ouvriers , et 11 s pour chascun desdits valletz, vallent xvil. xvi s.; pour six millers et demy de thuille illec emploiez, de L s.le miller, comprins la voicture, vallent xvi 1. v. s.; pour deux millers et demy de lattes illec emploiez audit prix, vallent vil. v s.; pour x minnes de mortier, au prix de 1 s. la mynne, LxviI s.: pour vi bullettes et xxvi festures xx s. ; pour vi millers de clou à latte, au prix de vis. vin d: pour miller, vallent xL s.; pour demy cent de clou de xxv1 ,11. vin s., lesquelles parties montent et vallent ladite somme de xLvi |., par quittance dudit Lemesle, escripte le xxe jour de décembre unie xxx1 certifiée par Jacques de Sotte- ville et Alexandre de Berneval, maistres des œuvres, cy ren- LINE. Es ne ve te AN RDBAE ERP ONE SRE NME REINE A Michault Desmoutiers 1117* L. pour marché à luy fait, pour les causes et parties d'ouvrages de son dit mestier cy après déclarées par luy livrées audit chastel, c'est assavoir : pour 1v pitons, ue mux* xvii chevilles de fer en manière de fiches à teste carrée , huit grandes bendes de fer, le tout par luy livré, miset assis ès deux pont-levis nouvellement faicts en l'entrée d'icelluy chastel par devers la tour carrée, avoir faict les virolles desdictz CLASSE DES BELLES-LETTRES. 333 pontz et des plancettes séant en iceux, avoir réparé et ralongué les grandes chainnes desditz pontz et plancettes, faict et assis ès cullez d’iceux pontz, quatre grandes bendes de fer et six autres bendes pour couvrir les pitons d'iceux, pour (avoir) refforgé et réparé et ralongué les six grandz. carnieures quy portent les voollez (sic) desditz pontz et planchettes, deux pinches de fer pour lever le merrien d’iceux, réparé et mis à poinct six grosses serrures servant ès dictz pontz , faict clefs neufves en chacune des dictes serrures , plusieurs crampons , esquetiaux etautres menus agréemens ésdicts pontz, mesme avoir faiet et assis en une chambre séant en la grosse tour deux grandes vertevelles et une serrure, une autre serrure sur la porte, deux autres serrures, l’une de bois et l’autre de fer fournies de clefz, servant en la chambre des provisisions, une autre serrure soubz un degré vers le palliz pallais qui est vers Les champs du pardon, et à ce faire avoir trouvé et livré fer, cloux, charbon et autres mattières À et peinnes d'ouvriers à ce nécessaires, par quittance dudict Des- moutiers, escripte le xx° jour dudit mois et an, certifiée par le dit de Sotteville, ey rendue, pour ce. . . . . . . . uw. A Raoul Le Nouvel, nattier, pour sa peinne et sallaire d’avoir natté la chambre du Roy notre sire et la Chambre de parement auprès d'icelle dedans ledit chastel, et à ce faire trouvé et livré mattières nécessaires, par quittance d'icellui certiffiée par ledit maistre des œuvres, escripte le xxine jour dudit mois de décembre oudit an, cy rendue. . .. . . .. . . xuu 1. v.s. A Gautier d'Oessel , hucher, pour plusieurs parties d'ouvrages de son dit mestier, cy aprez declarez, par lui faictes audit chastel puis l'entrée du mois de novembre audit an, cest assavoir : sept huis de bois de chesne tous neufs, assis le premier en la chambre du pennetier, le second en deux manteaux en la tour de la chapelle, le tiers en la grande cuisine, le quatrième en la chambre des paiges du Roy, le ve en la garde-robe de la chambre de M. le Comte, le vie en une chambre sur la porte, et le vue en la chambre de retraict du Roy, ung chassis double lenbrissé de bois de chesne en la chambre du grand Chambellan, et assis deux aiz sur le lambris de la chappelle pour aller à la cloche, et à ce faire trouvé et livré bois, pennes d'ouvriers à ce 334 ACADÉMIE DE ROUEN. nécessaires, par quittance dudit hucher , escripte le dernier jour dudit mois de décembre audit an, certifiée par ledit de Sotteville, ey rendue, pour ce. . . . . . . . . . + XX Il. A Guillaume La Marche et Jean Le Marchand, charpentiers , pour une tasche de leurs dits mestiers de charpenterie par eux faite du bois du Roy prins sur bout en la forest de Roumare, quy nécessaire estoit à fairre audit chastel, cy après déclaree, c'est assavoir : deux pont-levis et trois pontz dormans, tous tenans ensemble en l'issue dudit chastel, en costé devers les champs, iceux ponts contenant xv toises de long et toise et demie de lé, fournis de leurs sulles, potz, traversains, lintaux , rachineaux , vollans, baculles et tous autres agréemens dudit meslier de char- penterie, et, en ce faisant, avoir trouvé abattages, jéages, dol- lages , voictures tant à charroy que par eaue et touttes autres mattières de choses nécessaires, réservé ledit bois sur bout, laquelle tasche et ouvrage leur est demeuré au rabais après les criéez faictes et rapportez au lieu et à la maniere acoustumée , comme il appert par quittance desdit ouvriers , escripte le xrie jour de janvier, mie xxx1, certifiée par Jacques de Sotteville , maistre des œuvres dessus nommé , ey rendue, . . . mme |. A Binot Manseul, masson, pour la peinne sallaire de luy, ses aydes et par marché faict d’avoir machonné et reffaict de pierre de taille la machonnerie soulleure, sur quoy sont fonduz et assis les cinq traictes de bois, quy soustiennent le pont-levis et dor- mant naguères faictz audit chastel, dont ey-dessus est faict men- cion, laquelle machonnerie convenoit estre faicte reffaire, pour ce qu'elle estoit rompue et cassée à l'occasion des geléez, chacun d’iceux cinq traites contenant trois toises et demy de long et quatre pieds et demy de haut ou environ, et à ce faire, avoir trouvé et livré pierres, mortier et touttes autres mattières à ce nécessaires, en soy aidant de la vieille pierre qui estoit , par quittance dudit Binot, escripte le premier jour de febvrier ou dit an mme xxx, certifiée par lesdiz de Sotteville et Berneval, maitre des œuvres, ey rendue, . . . . + - + + +. + + L 1. A Jean de Haydict, Baudet et Bertin Collemiche , du mestier de dinanderie pour eux et leurs aydes compaignons , X I. qui deubz leur estoit par marchié à eux fait, pour leur peinne et CLASSE DES BELLES-LETTRES. 335 sallaire d'avoir tappy et destainct certain feu mis en la barrière et pont du chastel de Rouen le dernier jour de febvrier dernier passé , pour le recouvrement dudit chastel lors occupé par les ennemis, lequel feu s’estoit tellemént espris qu'il avoit ars grande partie de la porte dudit chastel vers la ville, par quit- tance des des8us diz escripte le vnie jour de mars audit an » CY HÉROS DOUCE. eee AU, te MOD Diane VOOR ERA RMREARe A Michault Desmoutiers, fèvre , pour la vendue et dellivrance de va fallotz en fustais, mis audit chastel pour la provision d’icelluy, au prix de xv s. pièce, vallent cv s., par quittance dudit Desmoutiers, escripte le xve jour dudit mois de mars, Cy TE DEN ET CD IOlTS PAPER RE PE Le A Colin Belot et Jean Sautin, pour eux et Jean Mouton et Girard de Larminterie compagnon pionnier, Jean Pavé, Guill. Chemin, Thomas Lemonnier, Henry de Louvain,EstienneleVicomte, Sanson de la Mare, Raulin Danez et Perrin Le Court, ouvriers de bras, leurs aydes, pour avoir remply et estouppé de terre une myne naguères faicte où belle du chastel de Rouen près la grosse tour, pour mettre et asseoir auprez d'icelle tour certains manteaux et engins de charpenterie faicts pour le recouvrement d'icelle tour, en laquelle s’estoient retraictz les ennemis et adversaires du Roy notre sire, qui par certains moiens estoient entrez audit chastel, et avoir nettoyé les galleries devers les champs, la grande salle et les deux tours de la porte vers la ville, vuidé hors et ensemblé dedens la belle dudit chastel les pierres, les tailleaux, plastreaux et autres nettoyeures qui estoient acumu- lez ésdiz lieux, à l’occasion des canons et pièces de fer que avoient jetté les ennemis estans en la grosse tour, en quoy les dessusdiz ont vacqué chaseun par l’espace de trois jours et demy, qui vallent , au prix de vi. s. par jour pour lesdiz pionniers, et mu s. int d. pour lesditz manouvriers, vin 1. Xs. vin d. ; pour ce à eulx, par quittance desdiz Sautin et Belot, certifiée par les- diz maistres des œuvres, escripte le xixe jour de mars, cy MENU EU ee Cane 4 avril XSS VIN A Jean Pinchet et Henry le Picard pour avoir vuidé et mené hors à deux benneaux plusieurs terres et nettoyeures estans où belle dudit chastel , issues de plusieurs massonnerie illec faictes 336 ACADÉMIE DE ROUEN. pour le recouvrement de la grosse tour dudit chastel naguères occupé par les ennemis du Roy notre sire, par quittance desdiz Pinchet et Picard, escripte le premier jour d’Avriladvant Pasques audit an xxxi, certiffiée par ledit de Berueval maistre des œuvres, Cy Tendue 42.0 NO NN Ne ON mA M CEXN UE A Jean Reclud, cordier, vi 1. qui deues lui estoient pour la vente et dellivrance de plusieurs menues pièces de caables et cordeaux par luÿ livrez audit chastel, puis la rendue des ennemis naguères occupant icelui, tant pour faire les establis des char- pentiers, massons et autres ouvriers besongnant audit chastel, comme pour les engins à tirer et lever en hault les pierres merrien et aultres mattières necessaires pour les ouvrages d'icelluy chastel, par quittance dudit hucher, escripte le dixièsme jour dudict mois d’Apvril audit an , certiffiée par ledit maitre des œuvres Cy rendue; POUrICE 2. -l--ee ele- AYINIE A Binot Manseul pour plusieurs parties d'ouvrages de son dit mestier par luy faictz audit chastel puis la reudue des ennemis adversaires qui estoient en icelluy chastel et quy nécesseres estoient à faire, c’est assavoir : pour avoir machonné de pierre de thailles une myne naguères faicte ès murs de l’enclos dudit chastel, affin d’oster les eaues du puis de la grosse tour où lesditz ennemis s’estoient retraictz, icelle myne contenant trois toisses de hault, toise et demie de laise et vit pieds d'époesseur, reffaict de machonnerie tout de neuf la voussure de l'huisserie de la grosse tour , partie de la massonerie d’entour icelle huisserie , qui avoict esté cassée et rompue par les canons que l’on jettoit du belle contre icelle tour, faict et machonné de pierre de taille une porte neufve à double voussure, qui faict ouverture pour aller dudit belle en ladicte tour, contenant deux toises et demie de long et toise et demie de haut et trois piedz d’époesseur, et avoir machonné et refaict de pierre de taille tout de neuf une fenestre à voussure scéant au premier estage d'’icelle tour, que les canons avoient rompue et cassée, faict en l'allée d'icelle fenestre quatre grandes marches , dont les ennemis estant en la dicte tour avoient osté les poerres et icelles mises en droict la dicte fenestre pour la deffense desdiz canons , avoir refaict en la chapelle du Roy ung grand pertuiz illec faict pour affüter un CLASSE DES BELLES-LETTRES. 337 canon jettant pierres contre les fenestres d’icelle tour, pour les- quelz ouvrages ledit Binot a trouvé et livré pierres, bloc, mor- tier nécessaire, en soy aidant des vieilles matières estant sur les lieux, par quittance duditt Binot, escripte le xuie dudit mois d’Apvril audit an, certiffiée par lesditz Berneval et Sotteviile, cy rendue 0 se one TU MC IEEE A Gautier d'Oessel, hucher, pour les ouvrages de son dit mettier ey aprez déclarez par lui faictz au chastel de Rouen où mois de mars dernier passé, aprez la rendue des ennemis naguères tenans et occupans icellui chastel, c'est assavoir : deux grandes portes neufves , chacune à deux manteaux de bois de chesne, l’une à l'entrée vers la ville et l’autre vers les champs , deux autres gros forts huis l’un en l'huisserie qui mene du....en la grosse tour, fourny d'une barre traversaine couleiche , avec la heuse de bois, séant en l’époisseur du mur d’icelle huisserie , et l’autre en l'huisserie de l'entrée d'icelle grosse tour, et ung autre huis en l’huisserie de l'entrée du cellier des garnissons , lesquelz huis estoient nécessaires pour ce que ceux quy aupa- ravant y estoient avoient esté arses, rompues et cassées à l’oc- casion de la prinse dudit chastel, et, en ce faisant, avoir trouvé et livré bois, voicture et toute peyne d'ouvriers dudit mettier de hucherie, lesquelz ouvrages sont demeurez audit Gautier à rabais , au lieu et à la manière acoustumée, par le prix de Exxv l., par quittance dudit Gautier, certifiée par lesditz maitres des œuvres, escripte ledit jour et an, cy rendue, DOUTE CC CCE ne CRC Te + + LXXV. | A Michault Desmoutiers, serrurier et febvre, vi*x 1 1. qui deubz luy estoient en plusieurs parties par marché faict pour les ouvrages cy après déclarez, par luy faictz audit chastel puis le premier jour de febvrier dernier passé, que les ennemis et adversaires y entrèrent, c'est assavoir: pour avoir faict et livré et assis la ferrure et ouvrage nécessaire pour les deux grandes portes à deux manteaulx et huisseries nouvellement faictes, dont cy-deseus est faict mention, cette ferrure pour lesdits deux manteaux pesant ne x£ l., au prix de xu d. la livre, vallent xn 1.; la ferrure de l'huis à l'entrée de la grosse tour, pesant vaux ]., audit prix, vallant van LL, deux grandes bendes doubles, deux grands cou- 29 338 ACADÉMIE DE ROUEN. plectz, deux grans touroulx, six érampons en un autre huis , et, à l'entrée d’icelle tour, par devers la Belle, pour ledit huis du cellier, deux grandes vertevelles et deux gondz paissans ne 1., vallant audit prix xn |. x s.; pour avoir faict et livré xxxvn serrures, toutes neufves, nécessaires tant pour lesdictes portes comme pour plusieurs autres huisseries dudit chastel , réparé et mis à poinct plusieurs autres serreures nécessaires estre réparées , et trouvé fer et clou à ce nécessaire , par marché à luy fait xe l., lesquelles parties montent ladite somme de vrxn 1. x s., par quittance dudit Desmoustiers, escripte le dit x11e jour d’Apvril audict an, certifiée par lesdiz de Sotteville et Berneval, maistres des œuvres dessus nommez, ey rendue. . vrul. xs. A Thibault Sauce demeurant à Rouen , pour la vente et delli- vrance de mesche à fallotz, qui, puis le mois de mars dernier passé , ont esté convertiz et emploiez à donner lumière aux gens d'armes faisant le guet de nuit autour dudit chastel, aprez la rendicion d'icelluy faiete par les ennemis , depuis la dicte rendue jusques à se que les portes, barrières et cloesons dudit chastel ayent esté faictes, par quittance dudit Sauce, escripte ledit xie d'apyril, cy rendue. . . . . . . . + - . - . - LXXXVS: À Jean Ouyn , plastrier, pour la peyne et sallaire de luy et ses aydes d’avoir faiet audit chastel les ouvrages cy aprez déclarez depuis la rendue des ennemis occupans icellui, restouppé de blot et de plastre une huisserie pieça faicte au mur de la grosse tour dudit chastel, que lesdis ennemis avoient demurée pour cuider eschapper d'icelle tour, icelle huisserie contenant huit piedz de lay ou environ, restouppé en la chappelle du Roy plu sieurs pertuiz de planchers qui furent rompus et cassez par les ennemis, qui furent efforcés et assis en icelle chapelle, pour jetter contre lesdites treilles de la dicte grosse tour , restouppé de bloc une canonnière, séant ou boulevert par devers les champs , laquelle fust rompue pour donner entrée aux gens du Roy dedens ledit boulevert , affin que lesdits ennemis estans dedans lediet chastel ne gaignassent la porte de derrière, réparé plusieurs arches de l'ame de la grosse tour qui avaient esté rom- pues des canons, el mesmes réparé deux arches du paon du mur de l'enclos dudit chastel, quy ont esté rompues pour assorter CLASSE DES BELLES-LETTRES. 339 gros canons contre ladite grosse tour, restonppé plusieurs per- tuis et casseures en la chambre des garnissons d'icelle grosse tour, avoir machonné et refaiet 1x marches de degré de laditte grosse tour quy par lesdiz ennemis furent rompues pour doubte d’estre poursuivis, avoir réparé le... des aisemens de la dite tour, machonné et reffaict grande partie de la machonnerie du pied droit des jambes de la porte d'entrée vers la ville, qu'il cenvenoit nécesairement faire réparer, parce que ladite machonnerie avait esté arse par feu quy fut mis à l'assault, pour ardre la barrière dudit chastel, estouper une huisserie de quatre piedz d'épesseur séant par la vis où l'on descent de la grande cuisinne où fondz des fossez , reffaict de bloc et de plastre une archière, séant en l’espoisseur du mur prez de ladite grande cuisinne, laquelle avoit (été) rompue pour asseoir ung canon, pour rompre l’huis de fer de ladite grosse tour, avoir machonné endroit une grande porte neufve pour soutenir les soliveaux du planché d'icelle, avoir réparé de plastres plusieurs parrois et planchers en l'allée des murs prèsladicte tour, et, en ce faisant, avoir trouvé et livré plastre et mattières à ce nécessaires avec toutes paynnes d'ouvriers, par marché faict au prix de nrrx |. , comme il appert par quittance escripte le xve jour dudit mois d'apvril au dit an, certifiée par lesdits de Sotteville et Berneval , cy rendue. . . . ue À. Summa xi Lu l. XV S. vint d. En l’hostel de la geolle et prisons du Roy notre sire. À Binot Manseul , masson, et Jean Ouin, plastrier, xxx |. qui deues luy estoient pour deux tasches de leur dit mestier par eux faictes puis la S. Michel une xxx en la dictegeolle et prisons, c’est assavoir : audit machon, pour avoir pavé et machonné de pierre de taille tout de neuf une dalle , contenant deux toises , et auprez ladite dalle faict ung marche degré de pierre, contenant x11 piedz de long , pour monter en icelle dalle, laquelle dalle est nécessaire en la dicte geolle, pour pierres, mortier et peynne d'ouvriers vu |. , et audit Ouin vn LL. , pour avoir planché tout de neuf le planché de la gallerie séant sur la cour des dites pri- sons ; et icellui planché enduit et agrée deuement, trouvé plastre, platreaux, chinstres, establis et peinnes d'ouvriers, lesquelles parties montent et vallent Jadite somme de xxxv |. , par quit- tance desdiz ouvriers, escripte le xun* jour de novembre 310 ACADÉMIE DE ROUEN. nie xxx, certifiée par Jacques de Sotteville et Alexandre de Berneval , maistres des œuvres de machonnerie et charpenterie dessus nommez , ey rendue, pour ce. . . . . . «+ + XXXV F Summa per se xxxY |. En l'hostel des Changes. A Ollivier Deshays, charpentier, et Guillaume Horion, hucher, pour leurs painnes et sallaire , c’est assavoir audit charpentier LYS. , pour avoir faict de son bois ung corbeau , fourny de sol- liveau , pour soustenir le grand degré de l'hostel ou manoir des changes, et assis trois estapes pour soustenir la voutte du cellier du dit hostel , et audit Horiot, Lxv s. pour avoir faict et assis trois fenestres et un huis tout neuf de bois de chesnes, nécessaires en l’un des buffetz de change séant devant la Mada- layne , appartenant au Roy notre sire, que tient à louage Andrié Sachin , et, à ce faire, trouvé bois , gondz , vertevelles, clou et touttes autres mattières , les quelles parties montent vil., par quittance desditz ouvriers, escripte le xue jour de novembre audit an, certifiée par lesdits maistres des œuvres, cy rennes cite ns Fe MONS d DS MER CAT EVER Summa per se v11. Es halles du l’ieil-Marché. A Jean Le Mesle, couvreur de thuille, pour avoir restouppé et réparé plusieurs trous et cassures , quy naguëres avoient esté faictes en la couverture desdistes halles, au bout devers l’es- cheffault , iceux trous et rompures advenus à l'occasion des esta- blies illec faictes, pour prescher Jeanne quy se disoit la Pucelle, et trouvé thuilles , lattes, mortier et autres choses nécessaires, par quittance dudit Le Mesle, escripte le xe jour de novembre une xxx, Certiffiée par Jacques de Sotteville, maistre des œuvres icyarendue.": 204070 20. MIRNEUENE RIRE CLS} Summa per se XLS. En l'eschafaut dudict l'ieil-Marché. A Ollivier Deshays , charpentier , pour avoir faict en ce pré- sent mois de septembre un xxx1 ung petit escharfaut carré fondé de bois suc bout et de queues unies et couvert d'aiz de chesnes , ordonné estre faicte audit Vieil-Marché pour l'exé- CLASSE DES BELLES-LETTRES. 341 cution de la justice du Roy notre dire, par manière de provision, attendant ung autre grigneur escharfault, qu'il conviendra faire où lieu d’icelluy quy par avant y estoit, et trouvé à ce faire bois et merrien, x queues vuides et toutes autres mattières nécessaires, par marché audit Deshays , x 1. , comme il appert par quittance dudit Deshays, escripte Le xxe jour dudit mois de septembre , certifiée par le dit de Sotteville, ev rendue. . . . . . x I. A Jean Laurens, charpentier à Rouen, pour avoir faict et assis oudit Vieil Marché ung escharfaut tout neuf pour illec exécuter les condamnez par justice , ainsy quil est acoustumé faire, lequel escharfaut contient xin piedz de long, xni1 piedz delé, et ix piedz de hault, avec la haulteur des ponniaux et apuis, icelluy avoir clos tout à lonc de bois , afin que les chiens et autres bestes ne puissent attoucher au sang des executtez qui chiet dans une fosse dessous icellui escharfaut , et, à ce faire, avoir trouvé et livré gros bois, aiz à plancher, clou, ferailles, et toutes autres mattières, peynes d'ouvriers à ce convenables et nécessaires : par marché faict, la somme de xs s., comme il appert par quit- tance dudit Laurens, du xxe jour de mars audit an une XXXI, certiffiée par ledit de Sotteville, ey rendue. . . . . . xL 1. Summa nu |. Es Cohues. À Jean Lemesle, couvreur, pour avoir faict au mois de Sept- tembre nne xxx, au long de la couverture des Cohues, certaines ratillières de callantte et d’essende, pour destourber que l'on ne joue à la paulme sur la dite couverture , et, à ce faire, trouvé et livré toutes mattières, réservé l'ouvrage de fer........... par quittance dudit Lemesle , escripte le xve jour dudit mois de décembre audit an, certifiée par ledit de Sotteville, cy ren- QUE 0 2 be one ee tete Pet LE 2 MORE VI ÉRENR À Guillebert Le Pettit,charpentier, xu L. par marché faict, pour sa painne et sallaire d’avoir dressé et rebouté le pignon de la grande Mason desdites CORSA NOR A EN TO ENNT À Michault Desmoatiers, fèvre, pour la ven lue et dellivrance de xvur grosses chevilles de fer par luy faictes et livrées et 342 ACADÉMIE DE ROUEN. emploiez à la réparacion faicte en l'ung des boutz de la grande COMMON S 0 50 ID AIRE RE PMR Ne re NCIRERNNE Summa XX. 158. vid. Au Pont de Sayne de Hiouen. A Jean Lemesle, diet Pettit, couvreur de chaume, pour avoir couvert tout de neuf ung pettit comble de charpenterie, de nouvel ediffié et estably sur la neufve porte dudit pont vers la ville, ordonnée et nécessaire estre faicte pour couvrir la herche d'icelle porte, et trouvé, à ce faire, clou, latte, thieulle, mortier et toutes autres mattières à ce nécessaires, par quittance dudit Lemesle, tiers jour d'octobre une xxx1, certifiée par Jacques de Sotteville, maistre des œuvres, cy rendue . . . . . vil. xs. nn d. A Guill. La Mace, charpentier, demeurant à Rouen, pour la painne de luy et ses aydes d’avoir faict de son bois tout de neuf ung comble de charpenterie , quy nécessaire estoit à faire en la forteresse du pont de Sayne, servant à recouvrir la herche cou- leiche de la tour séant vers la ville, par quittance dudit char- pentier, escripte le xu° jour dudit mois , certifiée par ledit de SOUEVINC CV FÉQUUE ES PAP ENS CS Re RES EEE, Summa xvin |. xus. nu d. En l'hostel du Roy notre sire. A Jean Lemesle, dit Pettit, couvreur de thuille, pour plu- sieurs parties d'ouvrages de son dit mestier par luy faictes ès mois de Janvier et Febvrier une xxx1, ès hostelz où l'on tient de présent le dit Conseil et en l’hostel où demeure de présent le geollier des prisons dudit seigneur , c'est assavoir: rassis une gouttière en l'hostel dudit Conseil, recouvert et latté en icellui en- droict au costé vers le Pot d’estain, et mesme recouvert etbali tout de neuf sur le costé de l’une des maisons dudit Conseil, vers les jardins , sur la cuisine d'icelle recouvert et reparé le costé de la maison où demeure le geollier vers les cohues, relatté , recou- vert tout de neuf ung apentiz estant illec, avec une autre petitte maison et un degré joignant au dit apentiz, où besoing et nécessaire estoit ès dits hostels , et , à ce faire, trouvé, livré tuille , clou, latte , chanlatte , noes, festiers , mortier et toutes CLASSE DES BELLES-LETTRES. 343 paines d'ouvriers, par marché fait audit Lemesle £vI. , par quittance d’icelluy, escripte le quinziesme jour de mars nue xxx1 , Certiffiée par le dit de Sotteville , maistre des œuvres, CN PAR 15 UD M RES RAR A EN COM A BUR Summa per se LY |. Sumima istorum operum xinc x£ L. x1s. vi d. —— + CDI 512 NOTICE NÉCROLOGIQUE SUR M. LE Ce DE MURAT, Par M. BALLIN. (Séance du 2 Mai 1456.) Messieurs , Dans son rapport de 185%, M. le Secrétaire des Lettres a consacré quelques lignes à la mémoire de M le comte de Murat ,mort au commencement de la même année; je viens aujourd'hui vous en parler un peu plus au long, avec le regret toutefois de n’avoir pu réunir tous les renseigne- ments nécessaires pour rendre cette notice plus complète. Je les ai demandés inutilement à madame sa fille qui, peut-être, n’a pas reçu ina lettre. Je dois donc me borner à vous communiquer les détails que mes recherches m'ont procurés ou qui sont à ma connaissance personnelle. En prenant possession de la présidence de notre Aca- démie , le # décembre 1829, il fit la proposition de com- poser, en commun , pour le département , une Statistique élevée et complète, à l'instar de celles de la Seine et des Bouches-du-Rhône, et il offrit de concourir à cet impor- tant travail, tant par la communication de tous les docu- ments à sa disposition, que par les autres moyens que pouvaient lui offrir ses fonctions de préfet. CLASSE DES BELLES-LETTRES. 345 Cette ouverture fut accueillie, comme elle devait l'être, avec beaucoup d'empressement ; une commission fut nommée pour préparer un plan général dont l'adoption fut prononcée, après de longues discussions, qui occupèrent plusieurs séances. Dans l’idée du Président , toutes les So- ciétés savantes, les principaux fonctionnaires et même d’autres habitants du département , devaient contribuer à cette vaste entreprise et furent invités à fournir des docu- ments qui auraient été coordonnés par l’Académie , pour être publiés sous les auspices de l'Administration, et certes M. de Murat , qui était un homme de volonté et d'action, aurait conduit ce projet à bonne fin, si les événements politiques de 1830 n'étaient venus l’interrompre indéfini- ment. M. le comte De Murat (Géraud-Antoine-Hippolyte ) était d’une ancienne famille d'Auvergne ; il tenait son nom et son titre d’une petite ville du Cantal ; il était né à Vic-le- Comte ( Puy-de-Dôme) le 22 juin 1779. Je n'ai aucune donnée sur sa jeunesse, et j'ignore quelle fut sa position sous l'Empire, où je crois qu'il n'oc- cupa aucune fonction publique. Le 3 août 181%,il est nommé chevalier de la Légion d'honneur ; c’est la pre- mière fois qu'il figure au L'oniteur. Le #4 août 1815 , il devient sous-préfet de Châtillon-sur- Seine ( Côte-d'Or), et le 1% septembre 1816 , il est nommé , par le préfet d’Indre-et-Loire . président du col- lége de l'arrondissement de Loches , dont il était membre, ainsi que du Conseil général. Nommé préfet de l'Aveyron , le 8 juillet 1818, il entre- tenait, en décembre même année, son Conseil général des diverses méthodes d'enseignement primaire : « Les sys- « tèmes exclusifs sont toujours, disait-il, hors de la vérité, « de la justice et de la raison... Avyons des frères là où « l'on peut fournir à leur entretien, les individus sont res- 346 ACADÉMIE DE ROUEN. « pectables ; propagcons l'enseignement mutuel, la mé- « thode est utile. » Le 19 juillet 1820 , il passe à la Préfecture des Côtes- du-Nord , et le 12 août suivant, un très grand nombre de ses anciens administrés, habitants de Rhodez, lui adressent une lettre qui rend le témoignage le plus honorable de son administration, et exprime de vifs regrets de son dé- part Le Moniteur du 2% du même mois constate que cette lettre était souscrite de plus de deux cent cinquante signa- tures. Il devient préfet du Nord le 9 janvier 1822. Le 4 janvier de l’année suivante, la Société d'émulation de Cambrai l'inscrit au nombre de ses membres correspondants. Dans la même année, il est nommé maitre des re- quêtes en service extraordinaire; en 1825, officier de la Légion d'honneur; en 1826, conseiller d'Etat en service extraordinaire; en 1827, il est fait commandeur de la Légion d'honneur, après la visite de Charles X à Lille ; en 1828, le 3 mars, il est nommé préfet du Bas-Rhin, mais M. Esmangart ayant obtenu de conserver cette préfecture, M. de Murat fut nommé préfet de la Seine-Inférieure en remplacement de M. le baron de Vaussay, passé à la Pré- fecture de la Loire-Inférieure. Le 20 avril 1828, il adressait aux fonctionnaires de notre département sa première circulaire ; c’est un mo- dèle de laconisme abondant en idées. Par son arrêté du 21 février 1829 , toujours suivi depuis jusqu’en 185%, il a règlementé l'organisation des maisons d'éducation de jeunes demoiselles , et les conditions d'ad- mission des maîtresses et sous-maîtresses de pensions et d'institutions. Au mois de mai 1829, il fut élu député par le collége électoral d'Hazebruck , où il obtint cent cinquante-sept voix sur deux cent soixante-dix-huit, Le 25 du même CLASSE DES BELLES-LETTRES. 347 mois , il annonçait aux maires de la Seine-Inférieure que ses nouvelles fonctions ne ralentiraient en rien l'expédition des affaires du département , et qu'il profiterait même de son séjour à Paris pour en hâter la solution. Dans la séance de la Chambre des députés du 30 juin, il prit la parole pour appuyer une pétition des commer- çants et manufacturiers de la ville de Rouen et du dépar- tement de la Seine-Fnférieure Pendant le peu de temps qu’il a passé dans notre pays, il s'est beaucoup occupé de l'opération si importante du classement des chemins vicinaux. C'est à son arrêté du 2 mars 1830 qu'on doit l'institution , dans ce département, des commissaires-voyers, chargés de concourir à la sur- veillance des travaux d'entretien des routes. Il a aussi régularisé divers autres services, notamment celui de la surveillance des machines à feu , par son arrêté du 2% avril 1830. Le 26 juillet, à sept heures du matin, M. de Murat reçut, par estafette , les ordonnances qui causèrent la ruine de Charles X ; il en fut atterré, car il prévit à Pins- tant la catastrophe qui allait éclater. Cependant il ne crut pas pouvoir se dispenser de prendre quelques dispositions pour commencer à les exécuter, mais il se vit bientôt contraint d'y renoncer, et voici le dernier de ses actes : « Le Conseiller d'État, préfei de la Seine-Inférieure, dé- « clare cesser ses fonctions ; en se retirant , il autorise les «employés de la Préfecture à se mettre à la disposition de « l'Administration qui sera appelée à lui succéder. « Rouen, en l'hôtel de la Préfecture , le 1°" août 1830, « à 9 heures du matin. Signé : H. ne MurarT. » Une commission administrative provisoire, composée de onze membres, s’occupa, dès ce moment, de l'expé- dition des affaires , jusqu'au 8 août, époque de l'entrée en fonctions d’un nouveau préfet, M. le comte Freilhard. 348 ACADÉMIE DE ROUEN. M. de Murat possédait une vaste intelligence, un juge- ment sûr et prompt ; il doit figurer honorablement parmi les hommes supérieurs qui ont administré notre beau département. Il aimait et protégeait les arts ; il a fondé à Lille une école départementale de musique et a fait progresser l'école de peinture de la même ville. C'est lui qui a en- voyé , aux frais du département, à l'Académie de pein- ture de Paris, le peintre sans bras Ducornet , et, au Con- servatoire , le jeune musicien Franc-Homme. M. de Murat était vif, emporté même , mais bon et géné- reux. Le 31 décembre 1829, je m'en souviendrai toujours, pour un motif peut-être assez léger, il avait adressé à son secrétaire particulier les reproches les plus virulents ; le lendemain , il lui fit cadeau d’une belle montre d'or ! Au mois d'octobre 1828, dans un but d'économie et de célérité, il fit exécuter à Paris, par lé moyen de l’auto- graphie , encore nouveau alors , le travail considérable des listes électorales. Il donna 600 fr. d'indemnité de voyage à l'employé supérieur qu'il avait chargé de la surveillance de cette opération. Le même reçut une nouvelle gratifica- tion de près de 700 fr. aux élections suivantes. M. de Murat se tenait très droit; on lui reprochait d'avoir l'air fier, mais c'était plutôt chez lui une habitude de corps qu'un vice de caractère, et, quoiqu'il eût en général l'abord froid, il ne manquait pas d’affabilité ; il recevait noblement et faisait les honneurs de chez lui avec beaucoup de grâce et de distinction. Après son départ de Rouen, il resta longtemps éloigné des affaires ; cependant sa haute capacité bien connue le fit nommer, le 25 décembre 1841, membre de la Chambre des pairs , où il fut chargé de nombreux rapports , et prit fréquemment part aux discussions qui s’y sont agitées jusqu'à la dissolution. CLASSE DES BELLES-LETTRES. 349 Rentré alors dans la vie privée pour n'en plus sortir, il se retira en son château d'Enval, près Vayre (Puy-de- Dôme), où il mourut, le 23 janvier 1854, dans sa soixante- quatorzième année. | M. de Murat m'a toujours montré beaucoup de con- fiance et d'affection, même depuis son départ de Rouen, et je suis probablement l’un des employés de la Préfecture qui l'ont regretté le plus sincèrement. NOTICE NÉCROLOGIQUE Sur M. Tx. GUIARD, Membre correspondant de l’Académie Impériale de Rouen PAR M. DELZONS. Paul-Philippe-Henri-Théodore Gurarp , mort le 6 jan- vier 1855, était né à Avallon, le 26 novembre 1814. Fils d’un avoué de cette ville, qui aimait la poésie et les lettres, il eut de bonne heure l'amour des vers et la passion d’en écrire. Ses études furent brillantes ; il les fit à Paris, au collége Bourbon, dont il fut un des élèves les plus re- nommés , et se signala par des succès fréquents dans les luttes du concours général : de 1828 à 1834, il y rem- porta huit prix et plusieurs nominations. Au sortir des classes, il chercha quelque temps sa voie, partageant ses occupations entre l'étude du droit, pour laquelle il n'avait qu'un goût médiocre , la culture de la poésie romantique , alors dans toute la licence de son triomphe , et les fonctions modestes de répétiteur dans les pensions où il avait été écolier. Il passa de la sorte environ trois années , à la suite desquelles il publia un volume de poésies, les Zuccioles (1), recueil agréable d’études et de ———————_—_—_—_—_—__a—aa—aaZaZaZaZZZ—Z———— (1) Paris, Eug. Renduel, 1837, in-8°. . CLASSE DES BELLES-LETTRES. 351 fantaisies brillantes dans le goût de l'école nouvelle , Où se distinguent aussi quelques heureuses imitations de l’an- tique. Dans le même temps, il se fit recevoir licencié ès- lettres à la Faculté de Paris. Ce succès détermina sa voca- tion pour l'enseignement , et il entra dans l'Université. Sans dire adieu pour toujours aux muses légères, il se remit alors aux sérieuses études et à la littérature classique, soutenu par les conseils et les encouragements de quelques hommes supérieurs qui avaient remarqué son talent, et qu'il a nommés avec reconnaissance dans la préface de sa traduction en vers de Sophocle. Grâce à ces protections bien méritées, il devint d’abord régent de rhétorique au collége d’Avallon , sa ville natale, et peu après chargé de cours au collége royal de Stras- bourg. C’est dans cette docte et laborieuse ville qu'il se prépara aux épreuves de l'agrégation des classes supé- rieures de lettres : il fut reçu avec beaucoup de distinction au concours de 1841. Deux ans après, il vint à Rouen occuper au collége royal la chaire de seconde que quittait M. Pelletier, un des plus estimables et des plus habiles professeurs de l'Université. En 1845, il succéda, dans la chaire de rhétorique, au savant M. Magnier, membre de cette Académie ; enfin, en 1847 , il fut nomnié, par M. de Salvandy, professeur titulaire de seconde, au collége Char- lemagne, à Paris. C'est dans ces dernières fonctions qu'il a succombé , à quarante ans à peine, aux suites d’une de ces redoutables maladies de nerfs, qui, ébranlant la faible raison, lui laissent juste assez de lumière pour reconnaitre avec dé- sespoir qu'elle s’anéantit. IL avait depuis longtemps éprouvé les premières atteintes de ce mal ; mais les fatigues d'un pénible enseignement, augmentées par celles de ses travaux littéraires ; les émotions des terribles journées de 1848, où il combattit pour défendre les lois et sa jeune 332 ACADÉMIE DÉ ROUEN. famille, au foyer même de la plus formidable insurrection; les inquiétudes sans cesse renaissantes de ces temps d'orage ; plus tard , quelques espérances déçues, et en un mot trop d’agitation , coup sur coup, pour une nature extrêmement impressionnable, précipitèrent les crises qui devaient amener sa fin. Ni une année de repos que l'Université lui accorda et qu'il passa à la campagne, ni les attentions empressées de ses parents et de ses amis, ni les soins admirables d'une épouse courageuse et dévouée , ne purent le sauver. Sa perte a été douloureuse à tous ceux qui l’ont connu, et a fait éclater de vifs et profonds regrets parmi la stu- dieuse jeunesse du Lycée Charlemagne, dont il était véritablement aimé. À un remarquable talent de parole et à une instruction brillante , Th. Guiard joignait, comme professeur , le don si rare de charmer les jeunes gens, et non seulement d’intéresser les esprits, mais de gagner les cœurs. Ses élèves le goûtaient et le chérissaient éga- lement. Il savait, soit dans la chaire , soit en public, leur tenir un langage affectueux et sympathique , sans sévérité comme sans faiblesse. Deux discours remarquables qu'il a prononcés à des distributions de prix , à Rouen, en 1847, à Paris, en 1851, ont été imprimés : on y retrouve ce ton de cordialité, de franchise, de confiance, et cette grâce d'élocution qui, dans sa bouche , faisaient passer les conseils les plus piquants et les leçons les plus austères. Il était de même hors du collége, dans le monde et chez lui: sensible , aimant , généreux, plein d'abandon, d'élan et de droiture; ami chaleureux et dévoué, mari tendre et excellent père ; il y avait en lui tous les agré- ments, toutes les séductions, et, s’il m'est permis de le dire, tous les aimables défauts des natures poétiques. La poésie, dans cette âme, dominait tout; elle était plus encore dans son cœur que dans son imagination, elle CLASSE DES BELLES-LETTRES. 353 l'inspirait en toute occasion avec cette abondance de sen- timents élevés et généreux , qui est une des sources vives du talent. Ses productions, dont plusieurs sont encore ignorées , ne révèlent , sous ce rapport, qu’une partie de ses heureux dons , et, il faut le dire, il leur donnait l’es- sor en écrivant plutôt qu'il ne les cultivait avec effort, et ne les réglait par l’art et l'étude. Dans la familiarité expan- sive, et tantôt enjouée , tantôt pathétique , de sa poésie, il négligeait quelque peu la forme; d’ailleurs, ses pre- mières inclinations ne l'avaient pas attaché à une école sévère. Il le savait bien lui-même: aussi jugeait-il plus rigoureusement que personne ses compositions juvéniles , et il reconnaissait que s'il eût pu s’astreindre davantage à serrer ses pensées et polir son style, il se füt élevé plus haut, en produisant moins. Sa belle Ode à Malherbe (1) témoigne qu'il ne méprisait pas, comme d’autres, ce soin lent et laborieux de la correction, lineæ labor et mora : mais sa facilité l'entrainait , et il lui coûta toujours moins de refaire à neuf tout un morceau que de perfec- tionner à loisir son premier jet. Depuis ses Luccioles, qui méritaient d'échapper à l’ou- bli dont lui même les menaçait agréablement dans sa pré- face , il composa divers essais poétiques et littéraires, dont quelques-uns ont paru dans des journaux et des revues, entre autres dans celle de Rouen, en 1845. L'Académie , où il fut reçu cette même année, n'a pas oublié ses vers sur la colonie agricole du Petit-Quevilly, et sur Jeanne d'Arc et la princesse Marie d'Orléans (2). Mais son principal ouvrage , celui qui l’occupa sans relâche (1) Revue de Rouen, livr. de mai 1845. (2) Voir les Précis de l'Académie, années 1846 et 1847. 23 354 ACADÉMIE DE ROUEN. pendant douze années, est la traduction littéralement fidèle, en vers, du théâtre complet et des fragments de Sophocle (1), œuvres d'une difficulté désespérante , que Racine n'eût pas entreprise, et qu'il eût pu seul exécuter. Le travail de Th. Guiard a été, à diverses reprises , appré- cié dans l'Académie, et ce n’est pas ici le lieu d'y revenir, Le succès, je dois l'avouer , n’a pas répondu suffisamment àses efforts ; mais, comme l'a dit Boileau d’après un ancien : Dans un noble projet on tombe noblement. Pourquoi faut-il ajouter que le sort de ce volume , publié trop tôt, et dans les circonstances les moins favorables, a peut-être été, pour le malheureux auteur, une des principales causes de sa mort prématurée ! Il avait ambitionné pour lui-même la gloire du théâtre. Il lisait , il y a quelques années, à ses amis, une tragédie de Scipion , fort intéressante, dans le genre à demi-clas- sique, mis à la mode par la Lucrèce, de M. Ponsard; et ses papiers doivent contenir encore quelques ébauches de compositions semblables. On lui doit aussi des traductions élégantes de diverses parties de Cicéron , d'Horace et de Stace , publiées dans la collection d'auteurs latins de M. Nisard; enfin il a donné, pour les classes d'humanités, un recueil de Narrations latines (2), fait et annoté avec beaucoup de goût, et un . autre de Morceaux de Poésie latine (3), tirés d’Ovide, de Virgile et d'Horace, avec des notes en français. (1) Paris, Dezobry, 1852, in-8°. (2) Chez Dézobry, 1 vol. in-12. (3) Chez L. Hachette, { vol. in-12. CLASSE DES BELLES-LETTRES. 355 Telle a été la vie, tels ont été les travaux de cet homme d’un esprit vif et charmant comme sa physionomie. Son souvenir sera toujours cher à ses élèves, à ses amis et à tous les siens. Il a laissé une veuve qui supporte noblement son infortune , et deux fils bien dignes, par les services de leur père , de toute la bienveillance de l État. D mms NOTICE SUR M. GARNIER DU BOURGNEURF, Membre de l'Académie en 1837, DÉCÉDÉ A PARIS EN JUIN 1856, PAR M. HELLIS. M. Garnier pu BourGneur naquit à Paris en 1796. Son penchant le portait vivement vers la littérature; mais la nécessité le détermina à entrer dans le barreau. A vingt- deux ans il débuta , et après quelques années consacrées à la plaidoirie, étant docteur en droit , il fut envoyé à Coulomniers, comme procureur du roi, puis à Pontoise; en 1832, avocat général à la cour de Riom et conseiller à celle de Rouen en 1833. Rappelé à Paris en 1839, il fut nommé juge d'instruction, et peu à près chef de division au Ministère de la justice , et enfin en 1841 , directeur des affaires civiles du sceau et maître des requêtes au Conseil d'État. La révolution de 1848 vint briser sa carrière et le rendre à la vie privée. La littérature , qu'il aimait passionnément, fut pour lui d’un heureux secours et d’un grand charme. Avec elle il oubliait les orages de la vie et supportait pa- tiemment les longues douleurs qui ont abrégé son exis- tence. CLASSE DES BELLES-LETTRES. 357 En 1837 , il fut membre résidant de l'Académie. Chacun put apprécier la douceur de son caractère , son urbanité et son goût éclairé pour les Lettres. Ses collègues à la Cour n'ont point eu de membre plus sympathique et plus digne de rehausser la dignité de la magistrature, par ses lumières et la noblesse de son caractère. Voué au travail par goût et par le sentiment du devoir, nul ne remplit avec plus de conscience et de tact les nom- breuses fonctions qui lui furent confiées. Dans ses mo- ments de loisir, il publia des commentaires sur le code forestier, Sur celui de la presse, sur le code en matière criminelle et plusieurs manuels de droit. L’altération de sa santé l'ayant éloigné du monde, il consacra sa retraite à la méditation des œuvres des pen- seurs du grand siècle Quand la mort le surprit , il s'occu- pait d’un travail littéraire sur les Lettres de M" de Sévigné et préparait une édition de La Bruyère et de La Rochefou- cault, dont il avait enrichi les pensées de recherches et d'observations d’un haut intérêt. Ces travaux ne seront probablement point publiés ; ils resteront au sein d’une famille digne de les apprécier, et seront la consolation d’une perte qui eût été adoucie si elle eût pu l'être, par les sentiments de foi et de résignation chrétienne qui ont terminé une vie honorable et constamment honorée. L'Académie, qui le compta parmi ses membres résidants pendant trop peu d'années , n’eut jamais de collaborateur plus distingué , ni de membre plus sincèrement dévoué. 2k000009000000000000000000000000000000000000000000000000000000% 8 TABLE DES OUVRAGES Reçus pendant l'année académique 1855-1856, et classés par ordre alphabétique , soit du nom de l’auteur, du titre ou du sujet des compositions , soit du nom de la ville où sont publiés les ouvrages périodiques et ceux des Snciétés savantes, Académie nationale agricole, manufacturière et commerciale, et Société française de Statistique universelle. Journal mensuel des travaux. — Juillet à novembre 1855. — Jun- oier à Juin 1856. Adam ( Edouard). F, Girardin. Administration monarchique. F”. Chéruel. Albinisme, V. Cornaz. Amiens. Société des antiquaires de Picardie. Bulletin, n° 3, 1855. — Séance du 20 novembre. — Documents inédits concernant la province , 1855. — Bulletin, n° 1°, 1856. Augers. Société d'agriculture. Travaux du comice agricole de Maine-et- Lorre , 5° vol. , n° 42, 1856. Angers. Société industrielle. Bulletin , 26° année , 1855. Annuaire du département de la Manche. V. Travers. — de l'Association normande. W. Caen. Anvers. Académie d'archéologie de Belgique. Annales, t. 12, 3e liv. — T. 13, a° liv. Association normande. V, Caen. Athénée, F. Beauvais. Aubertin ( Charles ). Table generale bibliographique des ouvrages publiés par M. le chevalier Joseph Bard, pré- cédée d'une biographie. TABLE DES PUBLICATIONS. 359 Baecker ( Louis de ). Du Calendrier chez les Flamands et les peuples du Nord. Dunkerque, 1855. Bains sulfureux artificiels. F7. Soubeiran. Ballin. Notice sur Jules de Blosseville. Extrait du Précis de 1855. | Beauvais. A{hénée du Beauvaisis. — Bulletin, 1°® sem., 1854. Beckers ( D' Hubert). Denkrede zur feier ihres sechs und neunzigsten sliflungstages. 28 mars 1855. Belladone. JF”. Cazin. Berger de Xivrey. Rapports à l’Académie des inscriptions et belles-lettres, au nom de La Commission des antiquités de la France. 10 et 17 août 1855. Bernard fils, D.-M. Mémoire sur la question suivante, mise au concours, par la Société de médecine de Lyon, pour l’année 1856 : « Déterminer l'influence que les récentes découvertes en physiologie et en chimie, relatives aux fonctions des organes digestifs, doivent exercer sur la pathologie et la thérapeutique des maladies de ces organes. » Première mention honorable. Lyon 1856. ( Offert par M. Aimé Vingtrinier. ) Besnou. Recherches médico-légales sur une intoxication phosphorique. Cherbourg, 1855. Blanchard (Henri). De la Mort volontaire , ou Considérations politiques et législatives sur le Suicide, mémoire qui a rem- porté le prix à la Société de la morale chrétienne, 1855. Blés. V. Morière et Sellier. Blosseville { Jules de). F, Ballin. Boccage (M"° du). Recueil de ses œuvres. Lyon , 1770. 3 vol. reliés. (Offert à l'Académie par M. Le Brument, libraire.) Bordeaux. Académie impériale, Recueil des actes, 3° trim. , 1854.— 1°", ot et 3° trim., 1855. Boudet (F.) F. Boutron. Boulogne-sur-Mer. Séance semestrielle. 10 nov. 1855. — 29 mars 1856. 360 TABLE Bourdin, D.-M. De l'Hallucination improprement appelée physiologique. 1856. Boutron et Boudet. Æydrotiméetrie. — Nouvelle méthode pour déterminer les proportions des matières en dissolution dans les eaux de sources et de rivières. Brierre de Boismont. Ju Suicide et de la Folie-Suicide consi- dérés dans leurs rapports avec la statistique , la médecine et la philosophie. Bruxelles, Académie d'archéologie de Belgique. Annales, t. 12, 4° liv., 1855. Bruxelles. Académie royale. Bulletin, t. 22, 1"° et 2° part. — Annuaire, 21° aunée , 1855. — Bibliographie acadé- mique. — V. Jobard. Caen. Association normande. Annuaire de 1856. Caen, Société d’agriculture. Mémoires, t. 6. Cahours (Aug.). Leçons de Chimie génerale élémentaire, t. 1er, 1855. Calendrier chez les Flamands. F, Baecker. Caumont (de ). Statistiques routières de la Basse-Normandie. Cazin, D.-M. Farcin chronique chez l'homme. — Gueérison. (Observation manuscrite. ) — Monographie médico-pra- tique et bibliographique de la Belladone. 1856. Châlous-sur-Marne. Société d’agriculture. Séance publique du 29 août 1855. Champignons vénéneux. F”. Gobley. Charkauy (Mohamed-Effendy). Thèse sur l Opium. Paris, 1856. Charma. Biographie du docteur Le Sauvage. — Rapport sur les fouilles pratiquées au village de Vieux, près Caen. Juillet 1855. — Sur l'établissement d'une langue univer- selle. Janvier 1856. Châteauroux. Société d’agr. Ephémérides , 1° p., 1855. Chatel (V°'). Observations sur les principales causes de l'éléva- tion du prix du pain et de la viande. DES PUBLICATIONS. 361 Chaulage des blés, F, Sellier. Cherbourg Société imp. des sciences naturelles, Mémoires , 3e vol., 1855. Chéruel (A.} Histoire de l'administration monarchique en France, depuis l'avènement de Philippe- Auguste jusqu'à la mort de Louis XIV, Chevallier, Duchesne et Reynal. Mémoire sur l'if et sur ses propriétés toxiques. Choussy (E.-J.), Essai sur l’invraisemblance du règne commun et simultané de Louis IL et Curluman, pendant l’année 879. Christophe (l'abbé). Notice biographique et littéraire sur François Collombel. Lyon 1834. (Offert par M. Aimé Vingtrinier. ) Clermont-Ferrand. Annales de l'Auvergne. V. Lecoq. Cochet (l'abbé) Notice biégraphique sur D. Nell de Bréaute. Dieppe , 1855. Comité central de vaccine. Compte-rendu des travaux, ex. 1853-b/4. Compte général de la justice criminelle, — Jd. Civile et com- merciale en France, pendant l’année 1854. Cooke. F. Josiah. Copenhague. Saga j'atwardar Konungs hins helga , ete., 1852. Copenhague. Société des antiquaires du Nord. Mémoires, 1845-49. — 1852. Corblet ( l'abbé ). Projet d'une hagiographie diocésaine. Amiens, 1856. — Notice historique sur la foire de la Saint-Jean, à Amiens. 1856. Coruaz, D.-M. De l’albinisme ; monographie. Gand, 1856. D’Aussy. Le Musée du Midi. — Notice biographique sur M. D'Aussy. Deboutteville. Des Sucietés de prévoyance ou de secours muluels ; recherches sur ! ‘organisation de ces institu- lions, etc. Paris, 1844 362 TABLE Defosse, V’ers sur la naissance du prince impérial, \ 6 mars 1856. De Lérue (A-J.). De la bienfaisance publique et privée dans le département de la Seine-Inférieure. Rouen, 1852. — Docu- ments pour la Statistique de la production industrielle , 1843. — Paraphrase du Pater-Noster, 1852.— Discours prononcé le G juin 1854 , à la séance publique de la Societé hbre d’émulation de Rouen. — Observations sur le régime des hypothèques légales, à propos d'une publication de M. Le Mazurier, (manuscrit). — Réflexions relatives au danger de la dépréciation des valeurs monétaires , 1855 ( manuscrit). — Le Chien. Delisle ( Léopold ). Notes sur la bibliothèque de la sainte Chapelle de Bourges. Dénoix des Vergnes , (Mademoiselle Fanny). La Paix, pièce de vers. À Deville. Dissertation sur une médaille romaine frappée sous Tibère au nom de Jvxxx Avevsr. Alencon, 1855.— Chants bucoliques, 1856. Dijon. Académie impériale. Mémoires , 2° série ,t. 4, 1855. Dionisotti. Lettere di Carlo Botta pubblicate in occasione delle nozze della gentilissima damigella signora Giuseppina Tar- chetti col signor Francesco Perla 1° ap. 1856. Vercelli. Division indéfinie de la propriété , W. Passy. Douai. Société impériale d'Agriculture. Mémoires, t. 3e 1854-55. Drainage. V. Fouché. Duchassaing, D.-M. Observations sur les formations modernes de l’île de la Guadeloupe. Duchesne. V. Chevallier. Dumast (P.-G.) De la véritable orthographe du nom de Jeanne d'Arc. Durand (Henry). Notice sur le village de Jujurieux en Bugey et sur l'érection de son église, en 1854 et 55. Lyon 1855. ( Offert par M. Aimé Vingtrinier.) DES PUBLICATIONS. 363 Du Vivier de Stréel (l'abbé). La Cinéide ou la Vache recon- quise, poème national héroï-comique en vingt-quatre chants. Eaux potables, etc. VW. Marchand, — Hydrotimétrie, V. Boutron. Ellesmere (comte de). Guide to northern archæology , etc. Guide pour l'archéologie du nord , à l'usage des lecteurs anglais. Londres, 1848. Empoisonnements par le phosphore. V. Besnou et Meurein. Epuisements de l’économie humaine. V. Sallenave. Exposition d’instruments aratoires, etc. PV. Morière. Farcin. V. Cazin et Sellier. Fébrifuges indigènes, PV. Mouchon. Fécondation artificielle. F, Sellier. Feytaud. V. Valenciennes. Fièvres typhoïdes. 7, Mazade. Foire de la Saint-Jean à Amiens. V. Corblet. Fouché. Quelques mots sur le drainage, à propos du concours universel de 1856. Fourrages. (Valeur nutritive des). V, Pierre. Frictions mercurielles, V. Mazade. Frissard. F. Lecadre. Girardin (J.) Rapport sur les viandes salées d'Amérique. — Discours prononcé à l’occasion de la distribution des prix des écoles municipales supérieures , le 8 Avril 1855. — Sur le pain mixte de blé et de riz, etc. V. Rouen. Société libre d'émulation. — Notice biographique sur Edouard Adam , 2° édition , 1856. (Offerte à l’Académie , par la famille, comme hommage de gratitude. ) 364 TABLE Girault. (Ch.) De la transmission du mouvement circulaire dans un plan, au moyen d'une bielle. — Remarques rela - tives à un principe fondamental de la mécanique. Caen, 1855. Gobley Recherches sur les champignons vénéneux. 1° mé- moire , etc. 1856. Goelitz. Société des sciences, Neues lausitzisches magasin. trois cahiers, n°% 1 à 4. Grateloup (de) et V. Raulin. Deuxième tableau statistique et géographique du nombre d'espèces de mollusques terrestres el fluviatiles , etc. Bordeaux , juin 1855. Guadeloupe. F. Duchassaing. Guigue Notice historique sur le château de Trévoux. Lyon, 1856. (Offert par M Aimé Vingtrinier.) Guizy (Léon). Les mystères maçonniques dévoilés. Rouen, 1855. — La pipe et le cigare. Hagiographie diocésaine, 7”. Corblet. Hallucination physiologique. F. Bourdin. Havre. Société havraise d’études diverses. Recueil de la 20° et de la 21° année , 1852 à 1854. Havre , 1855. Henrion de Pansey.7. Paillart. Hydrométrie. P. Boutron. If. ”. Chevallier. Institut historique. P. Paris, Jeanne d’Arc. 17. Dumast. Jobard. Bulletin du musée de l'industrie de Belgique. Juillet, août , octobre , novembre, décembre 1855 ; janvier à mai 1856 Josiah P, Cooke J.R. On two new crystalline compounds of zinc and antimony, and on the cause of the variation of composition observed in their crystals. DES PUBLICATIONS. 365 Journal des savants, août 1855 à juillet 1856. Justice. PF, Compte. Lait. PV. Marchand ( Eugène ). Lamont ( D'). Denkrede auf die akademiker Dr T'haddaus Siber und D’ Georg Simon Ohm. 28 mars 1855. Lecadre (D'). Essai sur la névralgie intercostale. — Notice biographique sur Frissard, insp. gén des Ponts et-chaussees. Lecoq(H.). “nnales de l’ Auvergne, t. 28 , avec 9 pl., 1855. Le Flaguais (Alph.). Te Deum, pièce de vers. — Œuvres poétiques complètes. 2 vol. in 8. Paris , 1850. Legoyt, chef du bureau de Ja statistique générale de France, Compte-rendu de la seconde session du congrès interna- tional de statistique , réuni à Paris les 10 ,12,13,14et 15 septembre 1855. Leroy d’Etiolles (le D' Raoul). Des paralÿysies des membres inférieurs , vu paraplégies, recherches sur leur nature : leur forme et leur territoire. Paris , 1856. Le Sauvage. V, Charma. Lille. Société impériale des sciences , ete. Mémoires » 1854. — Supplément à V'année 1853. — Toble generale de la 1° série, 1856. Limoges. Société d'agriculture, L’Agriculteur du centre, n° 3, 1856. Lois, leur influence sur les sciences, etc. V’. Rouen, Discours. Lons le-Saulnier. Société d’émulation du Jura. Travaux , année 1854. Lys (C.'. Sébastopol, pièce de vers. Paris, septembre 1855, — L'Ovation, vers. Malbranche. De l’origine des espèces en botanique , et de l’ap- parilion des plantes sur le globe. Mamarbaschi (l'abbé Jean). Les Syriens catholiques et leur patriarche, Mg* Ant. Samhiri. Paris, 1855. Mans (le). Société d'agriculture de la Sarthe, Bulletin, 1855. 366 TABLE Marchal (L.), De l'utilité des chemins de fer français pour les transports agricoles. Paris, 1855. Marchand (Eugène). Des eaux potables en general, etc. Paris, 1855, — Eléments d'une conférence sur le lait, faite à Goderville, le 20 novembre 1855. Mazade (J), D -M.-P, Observations sur l'emploi des frictions mercurielles dans le traitement de la fièvre typhoïde et de l'érysipèle phlegmoneux. Montpellier |, 1838. — Observa- ions sur l'emploi des frictions mercurielles à haute dose dans le traitement de la méningite aiguë. Alais, 1845. — Observations régulièrement périodiques. Alais, 1845. — Nouvelles observations sur l'emploi des préparations mer- curielles duns le traitement de la fièvre typhcïde. Nimes, 1849.— Recherches sur l'emploi du sulfate de quinine dans le traitement de la fièvre typhoïde | manuscrit). — Obser - valions d'affections périodiques (man.).— Liste des travaux publiés par le D' Mazade man.). Mende. Société d'agriculture de la Lozère. Mémoires, t. 6, août à décembre 1855 ; t. 7, janvier à mai 1856. Metz. Société d'histoire naturelle de la Moselle. Bulletin AE cahier, 1855. — Mémoires, 1854-55. Meurein ( V®*). Observations météorologiques faites à Lille, pendant l'année 1854. — Id. , 1854-55. — Des moyens de reconnaître les empoisonnements par le phosphore, 1856. Etudes analytiques sur la propriété nutritive des vinasses et des pulpes de betteraves, etc. Michel (A.-F.) Chambre de commerce de Lyon. Rapport sur le vert de Chine, 1856. Michel Cervantes. J. Muret. Moissonneuses (nouvelles). F. Sellier. Monnier. Ÿ”. Vingtrinier. Montémont (Albert). Souvenirs d'un voyage dans la Tartarie , le Thibet et la Chine. Analyse, 1855. — Le Louvre joint aux Tuileries. Ode, 15 août 1855. DES PUBLICATIONS. 367% Morière. De la verse des bles. Moyens d'y remédier. — Quelques réflexions à propos d'une expérience de plantation du blé en lignes. — Rapp sur l'exploitation agricole dirigée par M. Tiphaigne, à Beuzeville-les-V'eys. Maison du Pin (Manche). — Rapp. sur l'exposition d'instruments ara- toires , etc., qui a eu lieu à Caen, en juillet 1855. Mouchon. Monographie des principaux fébrifuges indigènes considérés comme succédanés du quinquina. Lyon, 1856. Morve. F, Sellier. $ Moulins. Société d’émulation de l'Allier. Luletin, Avril 1855. Mouton. Poésies diverses. Rouen, 1856. Mulhausen, Société industrielle. Bulletin, n° 131 à134, 1855. Munich. Académie royale. Abhandlungen des philosoph-philo- logischen classe. Siebenten Bandes. Munich , 1854. — Almanach fur das Jahr, 1855. (W. Beckers et Lamont. ) Muret (Théodore), Michel Ceroantes, drame en quatre actes et en vers , 1856. Nantes. Société académique. Annales, 4° vol. de la 2° série, 1843. 1t"et 2°sem., 1854. —Id., 1855. Nell de Bréauté. /”. Cochet. Névralgie intercostale. V, Lecadre. Nîmes. Académie du Gard. Mémoires, 1854-55. Niort. Société de statistique des Deux-Sèvres. Mémoires, 1e liv., 1854; are liv., 1855. Observations météorologiques faites à Lille , pendant l’année 1854-55. V, Meurein. Organes digestifs. F. Bernard. Orléans, Société archéologique. Mémoires , t. 2, 1853;t. 3, 1855; atlas in-fol., 1853. Paillart. Eloge de M. le baron Henrion de Pansey. Pain (prix du). F7, Chatel. 368 TABLE Pain mixte. F°. Girardin. Pallias( Honoré), Uriage et Vizille, Souornirs des Alpes. Lyon , 1856.(Offert par M. Aimé Vingtrinier.) Paraplégies. l. Leroy d’Etiolles. Paris. Institut historique. L’Invesligateur, Div. 247° à 256°, (mars 1856). F. Académie nationale agricole, etc. Paris. L'Observateur catholique. Revue des sciences ecclésias- tiques et des faits religieux, n° 3. Paris. Revue archéologique. Dissertation sur les oppida gau- lois , les camps-refuges gallo-romains , et particulièrement la cité de Limes et Caledunum (Caudebec). Paris. Société de géographie. Bulletin, n° 55 à 66, juillet 1855 à juin 1856. Paris. Société de la morale chrétienne, Journal, t. 6, n° 1, NE VAE Paris. Société de l’histoire de France. Bulletin, n°* 8 à 12, 1855; n° 13 à 17, 1856. Paris. Société impériaie des antiquaires de France. Mémoires, 3e série, t. 2, 1855 — Annuaire, 1855. Paris. Société impériale et centrale d'agriculture. Bulletin , n°7 t 11, n%1, 2, 3855; n3,4, 1856: Paris. Société philomatique. Procès-verbaux de 1853 4 et5. Paris. Société philotechnique. Annuaire , 1856. Passy (Ant) Rapport sur un Mémoire de M. Ch. Girou de Buzaringues , intitulé : Essai sur la division indéfinie de la propriete. Perpignan. Société agricole, 9° vol. ; Pétrequin. Essai sur l'histoire de la chirurgie à Lyon. 1856. (Offert par M. Aimé Vingtrinier. ) Physiologie végétale. V. Malbranche. Pierre (Isidore). Recherches sur la valeur nutritive des four- rages , elc. Pigeory (Félix). Revue des beuux-arts, 17° à 2e liv. ct 23°, 1855; are liv. à 15°, 1856. DES PUBLICATIONS. 369 Poésies Wallonnes, n°* 1 et 2, Liége, 1842. Poitiers. Société des antiquaires de l'Ouest. Bulletin 4° tr., 1854, n° 36. — Mémoires, 1854; 3° ét 4° tr., 1855; rer et 2° tr., 1856. Ponce de Léon. Mélodie de Franz Schubert. Pontaumont (de). Promenude archéologique au Rozel, près Cherbourg. Prince impérial. V. Defosse. Propriété | Division indéfinie de la). F. Passy. Rafin ( Ch.-C.). Découverte de l’ Amérique pur les Normands. — Rapports des Normands avec l'Orient. Deux feuillets. Raulin. V. Grateloup. Revue agricole , industrielle et littéraire. F, Valenciennes. Revue des beaux-arts. W, Pigeory. Revue des Sociétés savantes de la France et de l'étranger, publiée sous les auspices de M. le ministre de l'instruction publique et des cultes. T. 1°", 5° liv., mai 1856. Reynal. V, Chevallier. Ribard (Prosper). Défense de l’œuvre des six Jours de la création et du récit de Moïse, etc. Rouen, 1841. . Rochefoucauld-Liancourt (marquis de la). Etudes littéraires et morales de Racine. Paris, 1856. Roda ( Marcellino e Giuseppe). 17 rabarbaro introdotto nell’economia domestica. Sua coltivazione e modo di pre- pararlo. Torino , 1854. — Corso teorico-pratico sopra la coltivazione e potatura delle principali piante fruttifere. Torino, 1854. Rouen. Cercle pratique d’horticulture et de botanique du département de la Seine-Inférieure , 5° à 8° Bulletins, 1855. — 19 à 4° Bulletins, 1856. Rouen. Chambre de commerce. Sfatistique du commerce maritime, elc., etc., décembre 1855. 24 370 TABLE Rouen. Compte départemental de la Seine-Inférieure, exer- cice 1853. Supplément au budget de 1855. —- Budget départemental, exercice 1856. Rouen. Conseil général du département de la Seine-Infé- rieure, session ordinaire de 1855. Procès-verbaux des délibérations. (Donné par M. le Préfet.) Rouen. Discours proposé par l’Académie des sciences, belles- lettres et arts de Rouen, sur cette question : Déterminer l'influence des lois sur les Sciences , les lettres, les arts et le commerce ; et celle des sciences, des lettres, des arts et du commerce sur les lois. Rouen, 1788. ( Ce livre a été offert par M. Vervoitte. ) Rouen. Ecole préparatoire à l’enseignement supérieur des sciences et des lettres. Programmes des cours, 1855. Rouen. Société centrale d'agriculture. 137° à 140° cahiers, 1355. Rouen, Société impériale et centrale d’horticulture. Bulletin, t. 5, 4° cahier, 1855. Rouen. Société libre d’Emulation. Sur le pain mixte de blé et de riz, etc., par M.J. Girardin. — Bulletin, 1855. Rozel. F. Pontaumont. St-J... (Me). Recueil de poésies. Lyon, 1856. (Offert par M. Aimé Vingtrinier. ) Saint Olive. Le Veau d'Or, satires. 1856. (Offert par M. Aimé Vingtrinier. } Saint-Quentin. Société académ. des sciences, etc. Annales, t. 11, 1853-54. Sallenave (D.-M.). Traïté théorique et pratique sur l’épuise- ment pur et simple de l’économie humaine et sur les maladies chroniques les plus répandues qui ont cette origine. 1855. Samhiri. VW. Mamarbaschi. Schmit (J.-P.). Atlas complet du manuel de l'architecte des monuments religieux , etc. DES PUBLICATIONS. 371 Schubert, F, Ponce de Léon. Sébastopol. V. Lys. Sellier (Alex). Lettre sur la fécondation artificielle, — Sur le Jarcin et la morve (manuscrit). — Mémoire en versadressé au Sénat (man.), — Essai sur les effets du chaulage des blés, etc. — La poule au pot. — Réflexions sur les nouvelles moïssonneuses (man.). Severo. Première mélodie. Simon, F, Travers Simonnet (Maurice). Ésquisses poétiques. Lyon, 1856. (Offert par M. Aimé Vingtrinier. ) Smith (Valentin). Considérations sur la Dombes. Lyon, 1856. Smithsonian institution, Eghth annuul report of the board of regents of the Smithsonian institution , etc. Washington , 1854. — Ninth annual report of the board of regents, elc., 1255. — Smilhsonian contributions to Knowledge. Vol, 7, 1855. Sociétés de prévoyance. l. Debouttevile. Soubeiran. Notice sur les bains sulfureux artificiels. Paris, 1856. Stassart {baron de}. Œuvres complétes, précédées d’une Notice biographique, par M. P.-N. Dupont-Delporte, Nouv. édit., 1855. Statistiques routières de la Basse-Normandie. P. Caumont. Suicide, V. Blanchard et Brierre de Boismont. Toulon. Société des sciences, lettres et arts du Var. Bulletin trimestriel, n°% 3 et 4, 1845. — Bulletin semestriel, 23° année, 1855. Toulouse. Académie des jeux floraux. Recueil, 1856. Toulouse, Académie impériale des sciences, etc. Mémoires , tort, are, 26, 3° et 4e liv. — T. 5°, — Histoire et Mém. ; années 1839, 4o et 4x, t. 6, 2° part. Tours, Société d’agr. Annales, 1. 34, n° x, janv. à juin 1855, 372 TABLE DES PUBLICATIONS. Travers (Julien). Annuaïre du département de la Manche, 28° année, 1856. — Biographie de M. Jean Simon , ancien géomètre en chef du cadastre dans le Calvados. 1856. Troyes: Société académique de l'Aube. Rapport fait au congrès des délégués des sociétés savantes sur les travaux de la Société, en 1855, par M. le baron Doyen. Troyes. Société d'agriculture de l'Aube. Mémoires, t. 6, 2° série, 3° et 4° trim., 1855. Valenciennes. Société impériale d'agriculture. Revue agricole, industrielle et litiéraire , n® x à 4, 1855. — N° 6 et 10., 1856. Versailles. Société d'agriculture. Mémoires, 45° année, 1845. Vert de Chine. V. Michel. Viande ( prix de la). W. Chatel, Viandes salées. PV. Girardin. Vieux (fouilles de ). F. Charma. Vinasses et pulpes de betterave, etc. W. Meurein, Vingtrinier ( Aimé). Notice nécrologique sur M. Leon Boitel. Lyon, 1855.— Biographie des artistes lyonnaïs : 1° Fleury Epinat, peintre; 2° H' Leymarie, peintre et écrivain. Lyon, 1854 et 1855. — et Monnier (Désiré). Traditions populaires. Mythologie. Règnes de l’air et de la terre. Paris, 1854. V. Bernard, Christophe , Durand, Guigue, Pallias, Pétrequin , S'-J..., Saint-Olive et Simonnet. Vitard (A.). Abrége du manuel de drainage, destiné aux élèves des écoles primaires. Paris, 1856. Washington. 7”. Smithsonian institution. Zantedeschi. Della interferenza luminosa che presenta il filo metallico comune a’ due circuiti chiusi, etc., 1855. TABLEAU DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES, BELLES-LETTRES ET ARTS DE ROUEWy POUR L'ANNÉE 1556-1957. OFFICIERS EN EXERCICE. M. DE GLaANviLE, Président. M. F Descaamps, Vice-Président. M. 3. Gran K , Secrétaire pour la Classe des Sciences. M. A. Porrier X, Secrétaire pour la Classe des Belles-Lettres et des Arts. M. Hecurs &, D.-M, Zrésorier. M. Bazcin, Bibliothécarre-Archiviste. CHANGEMENTS SURVENUS DEPUIS L'ANNÉE PRÉCÉDENTE. Nora. En conformité de l'article 70 des statuts règlementaires du 30 août 1848, la liste complète ne devant plus être imprimée que de cinq en cinq ans, on se borne à indiquer ivi les changements à faire aux listes de 1853-54-53-56. ADDITIONS. ACADÉMICIENS RÉSIDANTS, MM. 1856. De Lérue (Adrien-Jules), chef de division à la Préfecture, membre de plusieurs Sociétés savantes et de la Commis- sion de statistique du département, etc. 374 ACADÉMIE DE ROUEN. 1855. Dumas, Directeur de la Monnaie de Rouen. DE Picon DE SAINT-PHILBERT, ingénieur civil à Rouen, 21, rue Bourg-l'Abhé. ACADÉMICIEN HONORAIRE, M. 1856. Paumier (L.-D.) #4, pasteur président du Consistoire de Rouen (R. 1831. — P. 1835), 16 bis, rampe Bouvreuil. ACADÉMICIENS CORRESPONDANTS, MM. 1856. CLéry (R. 1852), ingénieur des mines, à Paris. Juste t%4 (l'abbé), docteur en théologie, etc. (R. 1855), recteur de l’Académie de Poitiers. Bicor, chirurgien en chef de l’hospice d’Evreux. Le Roy p’Ertoces fils, D.-M. à Paris. Mourox (Adolphe), littérateur à Hautot. De Commarmoxp, antiquaire à Lyon. Mazane, D.-M à Anduze (Gard). CHANGEMENTS DE DOMICILE , MM. CuékuEL 34 (R. 1834), maître des conférences à l'École normale, a Paris, 24, rue Royer Collard. Louvez (l'abbé) (R. 1849), principal du collége de Bayeux. FLoquer 3% (R. 1829), correspondant de l'Institut, au château de Formentin, près Lisieux (Calvados), 52, rue d’Anjou-Saint- Honoré, à Paris. Micer, D.-M., 16, quai St-Symphorien, à Tours (Indre-et-Loire). Pcouviez, D.-M , Maison de santé, 36, rue Marbeuf, Champs-— Elysées, à Paris. OrmGNY (Charles d’), naturaliste , 57, rue Crevier, à Paris. BourTan ( A. — R. 1848. — P. 1852), professeur de physique au Lycée Saint-Louis, 20, rue des Fossés-Monsieur-le-Prince , Paris. ACADÉMIE DE ROUEN. 373 MEMBRES DÉCÉDÉS, MM. MÉRIELLE, médecin en chef de l’Asile des aliénés, membre rési- dant depuis 1853. GARNIER DU BOURGNEUF , ancien magistrat (R. 1837. — C. 1839). LEROY , conseiller à la Cour impériale de Rouen (R. 1841. — P. SOCIÉTÉS CORRESPONDANTES FRANÇAISES. Bergues. Société de l’histoire et des beaux-arts de la Flandre maritime de France. Orléans. Société archéologique de l’Orléanais. SOCIÉTÉS CORRESPONDANTES ÉTRANGÈRES. Amsterdam. Académie royale des sciences (Hollande). Manchester. Société littéraire et philosophique ( Angleterre). Vienne. Institut 1. et R. géologique ( Autriche). De (4 FA . Lever de nb LATE ù LE _ MISE RO nt D ME à ARE CEE 2heih r “Érpties Et sr È ; et. { bete à : Er = Jen ee Rue let Dopon: + rt © 230N 3102 PI eee NET à ns T AUVRRS Maya TT à AC CS A LE IE Fe cp ë mi do) rs En tr ACTE mel: CA M v? ‘} DER TN dé tie HE. | : A A | LL Qer FA + Re ve Le L - N x Pi : u) : F5 FD 2 n jt vi Re Edemag | 4 L : à e : | u 0 te à rl + in “Dr "A AU ñ, Le ae DL: ce N ue | # Fu. «7 y . : “ x < + « 3 1 3 a » L « : L " . ù » : M ‘# A n 2 À : à “ { .… É L 3, : L 7, v l * ; : * 1 Ÿ " D: | {| N TABLE DES MATIÈRES CONTENUES DANS LE PRÉSENT VOLUME. — Hoi Procès-verbal de la séance publique du 8 août 1856. Discours d'ouverture par M. Bignon, président. Discours de réception de M. Bachelet, sur l'étude de l’histoire chez les anciens et &e nos jours. liéponse de M. le Président . . lapport sur le concours relatif aux Docents ane 1 manufactures, par M. Brunier. Le prix n'est pas décerné, mais une médaille d encou- ragement est accordée à M. Caron. Les Dettes, pièce de vers par M. Théodore Muret . Programmes des prix proposés pour les années 1357, 53, 59 ef 60. CLASSE DES SCIENCES. l'apport sur les travaux de la classe des sciences , par M. J.-Girardin, secretaire de cette classe. PHYSIQUE GÉNÉRALE. Discours de réception de M. Lallemant. . . . .. 39, Béponse de M. le Président . Pages. 1 % Qt e 115 61 378 TABLE DES MATIÈRES. PHYSIQUE APPLIQUÉE. Recherche des causes d'un incendie , par MM. J. Girardin et Lévy - . . 5102, Appareils calorifiques et Donner ARR ‘calorifuge de M. Pimont .,... MÉCANIQUE APPLIQUÉE. Essai sur la fabrication des monnaies. Discours de réception de M. Ernest Dumas. . . . . . . . 65, CATMIE. Sur le procède de M. Chesnon pour reconnaître la grossesse de la femme. RE AL Rapport de chimie légale, par MM. Chesnon et Mathieu. Thèse sur Donne Dur Mohomel Effendy Charkauy . Lxamnen de pelotes trouvées dans l'estomac de jeunes poulains, par MM. J. Girardin et Malbranche. 68, Recherche sur la valeur nutritive des différents four- rages > DUT Ml, Pare PRE Se AGRICULTURE. Culture du mürier et education du ver à soie dans le nord de la France, par M. le Dr Cazin. . . . . 70, Plantation du blé en lignes, par M Maïlbranche . Ouvrages de MM. Roda, de Turin. . . BOTANIQUE. Discours de réception de M. Emmanuel Blanche, sur la flore départementale. Réponse de M. le President. NS Philosophie botanique , par M. Malbranche. Cas d'hybridation, par M. Chesnon. Cas de tératologie végétale, par M. Malbranche. . T6, 130 63 217 65 66 67 144 68 72 ib. 75 75 148 TABLE DES MATIÈRES. 379 SCIENCES MÉDICALES. Monographie de l'albinisme, par M. le Dr Cornaz. . 76 Ouvrages de M. le Dr Mazade. . . ... . 77 Calculs biliaires expulsés spontanément p par une ste abdominale, par M. Bigot . . . . . 79 Ouvrages de M. Raoul Leroy d'EUOlS, à sur Îles para- DIÉTES MEN CE. . 80 Cas graves de chirurgie Darinaire, tr aités avec succès au moyen de l’'hydrothérapie, par M. Ferrier aîné. 81, 181 Mortalité des enfants trouves nouveau-nés , par Ma DUCIOS ENS ONE Et NS M0 ECONOMIE SOCIALE. Concours sur les moyens de prévenir les accidents dans les manufactures. -. . …. . vo e 82 Projet d'assurance mutuelle Len tale nue Tes accidents, communiqué par M. Lemoine. . . 83 Opérations du Mont-de-Piété de Rouen, par M. Ballin. 85, 186 Tableau comparatif des opérations des Monts-de-Piéte de Rouen, du Havre et de Paris, par M. Ballin. . . 86 Statistique du commerce de Rouen. . . . . . . .'. . . VOYAGES. Ouvrage de Péterson de Vries. — ne par IMG e CARE PE ER NA CRE Lee 04h 20 BIOGRAPHIE. Notice de M. de Caze sur James Smithson. . . . . 88 Adresse au Conseil général de l'Hérault au sujet ETOUATA A TAN ET AM Re. ue RU NÉCROLOGIE. M: Destiny Pt EM. LA RS MEN IS ITS. PTEVOSC EMA EN AE MIPE NE OEM ES RAIOÙ 380 TABLE DES MATIÈRES. M. Mérielle. É Fsx Nouveaux membres de l’. Académie : Divers rapports et publications des membres résidants et correspondants . . MÉMOIRES DONT L'ACADÉMIE A ORDONNÉ L'IMPRESSION DANS SES ACTES. PHYSIQUE GÉNÉRALE. De l'explication des phénomenes Eee Discours de réception de M. Lallemant. à" Recherches sur les causes d’un incendie qui a éclaté à à Elbeuf , dans une sécherie de laine , le 3 février 1856, par MM. J. Girardin et Lévy. . . . CHIMIE. Examen de pelotes trouvées dans l'estomac de jeunes poulains , par MM. J. Girardin et Malbranche. TÉRATOLOGIE VEGÉTALE. Quelques mots sur une racine fasciée de spiræa sorbifolia, par M, Malbranche . ECONOMIE RURALE. De la culture du mürier et de l'éducation du ver à soie dans le nord de la France, par M. le D° CAANR".-PUSRENE. PO EEE SECHE DUC STATISTIQUE MÉDICALE. Mémoire sur la mortalité des enfants trouves nou- veau-nés, par M. le Dr H. Duclos. MÉDECINE VÉTÉRINAIRE. Cas graves de chirurgie vétérinaire , traités avec succès au moyen de l’hydrothérapie, par M. Verrier aine. 110 110 111 144 151 165 180 TABLE DES MATIÈRES. 381 ECONOMIE SOCIALE. — STATISTIQUE. Tableau comparatif des opérations des Monts-de- Piété de Rouen, du Havre et de Paris, de 1828 à 1835 ; examen des causes qui peuvent influer sur ces ODETAULONSE DAT MN B QI EEE NE G VOYAGES. Rapport sur les voyages de David Peterson de Fries, DATM GS CALE ART SONT ER DE 1: 020% TECHNOLOGIE. Essai sur la fabrication des monnaies. Discours de fécephion de M..E.,Dumus.…. . .. .. …. . . M... 917 CLASSE DES BELLES-LETTRES ET DES ARTS. Rapport. sur les travaux de la classe des lettres et des arts, par M. 4. Potier , secrétaire de cette classe. 243 Béception de M. de Lérue. Discours sur la bienveillance et la politesse chez l'administrateur. . . . . . . . 244 Réponse de M. Bignon, président. . . . . 245 Compte de recettes et de dépenses de la vicomté de Rouen, pour l’année 1451 , et détails sur l’état où se trouvait la Normandie à la fin de la domination anglaise, par M. de Beaurepaire. . . . +. + + . 247, 306 Histoire de Saint-Etienne-du- Rouvray 5 DOTE. F Rondeaux. . .. 250 Rapport sur les publications allemandes ‘de la Société des sciences de Goerlitz (Prusse) qui traitent de recherches archéologiques , par M. J. Rondeaux. . . 9251 Nouvelles découvertes de M. l'abbé Cochet, d’après lesquelles il émet l'opinion qu'Uggade a dù exister à Caudebec-lès-Elbeuf. 2 s....1,232,2269 Mémoire sur le tombeau de, Ce roger) évéque de Seez au S° siècle, par ZI. de Glanville. . . . . 255 Rapports de M. de Caze' sur les publications de l'Institut Smithsonien de New-York et les travaux des anti- quairestelCODENRAGUCME MENT EU RER... MOST 382 TABLE DES MATIÈRES. Rapports de M. Lévesque sur les publications de plusieurs sociélés savantes et Sur un discours relatif à l'établissement d'une langue universelle. . 259 Rapport de M. Vingtrinier sur les ouvrages de M.de Lérue. 260 Mémoire de M. Henri Blanchard sur les moyens de diminuer la RS des suicides. He par M. Bain... ib. Notice nécrologique sur M. le ‘comte de Murat par MS BG CC en. ste 015 044 Notice nécrologique sur M. Guiard, par M. Delzons. 262, 550 Mort de MM. Martin de Villers et Leroy. . . . . + . . tb. Mort de M. de Fréville, auteur de l'ouvrage couronné par l’Académie sous le titre de Mémoire sur l’état du commerce de Rouen au moyen-âge. . . . . . . . : 265 Poésies diverses par MM. Clogenson, Bignon , ‘ Avenel, l'abbé Picard et de Lérue. . . . . . . . . . . . . 264 Nouveaux membres. . . . . . . . . . + . + + « + 266 MÉMOIRES DONT L'ACADÉMIE A ORDONNÉ L'IMPRESSION DANS SES ACTES. Antiquités romaines et tombeaux francs trouvés à Caudebec-lès-Elbeuf , — Caudebec-lès- Elbeuf est l'antique Uggate ou Uggade, par M. l'abbé Cochet. 269 Notes sur la prise du château de Rouen, par Ricarville, en 1432, par M. Ch. de Beaurepaire. . . . 306 Fragment d'un compte de la vicomté de Rouen de l’année 1432. . . . . Te 330 Notice nécrologique sur M. le comte de de par MS Bali eu. : c 344 Notice nécrologique sur m. Th. Ghia. : par M. Delzons. . - . .- 350 Notice sur M. Garnier di Bourgneuf, ; par M. Hellis. . 556 Table des ouvrages reçus pendant l'année acadé- mique 1853-1856. . . . . . AVR En OP PRMRS5S Tableau des membres de l'Académie . NE TER EUI375 F 7 TEE He ME mis AND nn | An. A AARANAE AMAR Ar Rs AAA ARARTRIMAARTS AAA MAS NA AAAARARS A »» D > >> D 3 D >» D>>>] 5 S> 2355 5 2 215% LD ! >} s > > » : > D: ] ») V9 POSTS ) ) »2 > : 3] 5% ) ) >> ? 25 re - 5 > es D» »; EE > 20 es nd >; » + >> D>22B3) > 2223 Bo 9° À À À EE >; » By 12 ED) 5 > AAA A, , + L'IPRP à A 22 2 2 MAAAA A FAnÉ AAA . } n sal A ER À SNA SARA ANA An SA ATNARR 2 2 > à : NA VAN ARS | ANR MAAARAN AAA ARR AS: Ta 2 où L 4 A - VA An AC Anna AAA A NN REA AAAA, AAA AAA AAA Me AA AAA a re À An À ñ a ae 0 ARARA AAA 0 A y À AARA AË À. AU A AAA Na Fa) AR À ARR ARAA AA an A RAA Ann AAA AA PAAAAR a A AA aa na Ana 0 2e LA RU A REX Ana" ANA A2 AAA ES À A A RE À À RAR AA À À À Ve AS s ANA PARA AE ELA ARR À À A ä A) A x 1 ê ARAAA ARAARAANPAAN AAA AM A nan ARE NS ARR a Æ Pa A Ra Sp AAA RARE. DORA STA ARS n° RAAARe Rp nr en Re AE AnAèA  * An. 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