•^^ ■ , ■^.- PRECIS HISTORIQUE DE L'ÉCONOMIE RURALE DES CHINOIS, Ptêfentê h P Académie Royale des Sciences de Suède Pan, 1754. , par M, Charles Gujîave Eckeberg ^ Capitaine c^ un vaif- feau de la Compagnie Suédoife des Indes Orientales , publié par M, Linnaeus , & traduit du Suédois par M. Dominique de Blackford. A MTLAN. MDCCLXXr. Chez les Frères Reycends Libraires fous les Arcades de Figini Avec approbation^ AVERTISSEMENT DU TRADUCTEUR . JuE petit ouvrage , dont on offre aujourd'hui la tradufîion au public , a paru à Stockholm l' an 1757. // tjï entièrement nouveau dans fon genre : en s' apperçoit aifément , que V Auteur n' e/î pas un voyageur ordinaire , à" qu il a vu avec jruit . // feroit à fouhaiter cependant , qu' il eut donné des explications plus parfaites de quel- que s produEîions naturelles . Le Tra- àuEîeur qui efi étranger ^ n' a eu d' autre but , que de rendre fidèlement fin original & d'être intelligible. I PRÉCIS HISTORIQUE DE L'ÉCONOMIE RURALE DES CHINOIS. L n'y a peut-être point de peuple, qui puifle fe vanter d'être affès riche en pro Ju£î:ions naturelles & de les pof- léder dans une variété afles grande , pour pouvoir fe pafTer entièrement des produ6lions étrangères . C'elt cette défeci:uofité 5 qui paroit être le lien gé- néral qui unit enfemble les fociécés civiles : mais la nature femble avoir fuivi une règle différente à l' égard de la Chine , elle peut le fuffire à elle même . Ce païs eil fi heureufement fitué , que les habitans de la partie feptentrionale le plaignent auffi peu du grand froid , que ceux qui habitent la partie méridionale , fe plai- gnent d'une trop grande chaleur. Le climat des païs intermédiaires eH: doux , égal & il eil: par conlequeat agréable pour la vie , commode à la fanté & propre à produire toute forte de plantes. Les vents aliiés , qui font propres à la partie méridionale & chaude apportent avec eu:: de grands avantages à ce climat, le vent ^u nord purifie l'air , difTipaut toutes les A 2 De l'Economie rurale vapeurs pemicieufes , que la chaleur e'iève fur l' atmoiphère , & le vent du fui tem- père réiTervefcence de la faifon chaude. La plus grande partie des frontières de la Chine eR mouillée par de vaftes mers, qui de didance en didance forment des golphes, où l'on eft entièrement à Tabri de tempêtes. Comme la nature femble avoir borné ici la navigation, elle lui a ouvert des nouveaux chemins par des rivières & des fleuves na- vigables qui fe répandent dans l'intérieur du païs. Le flux & le reflux de T eau , qui s'étend fort avant dans le païs & cinq milles Suédois au delà de la ville de Canton , facilite la navigation , & fait que les différentes con- trées peuvent fe communiquer mutuellement leurs productions ; ce qui aus^mente le com- merce & la confommation générale . Le fol efl fi fertile , que quelque mauvais que puîlTent être les marais & les hauteurs, ils récornpenfent cependant abondamment le travail d(.^s laboureurs j car le bled, les fruits ^e la terre & des arbres , qui mûriffent ici parfaitement & dans une variété infinie, s'efforcent, peur ainfi dire, à Tenvi de com- bler leurs cultivateurs de confiantes moiffons. Les grandes & vafies forêts fourniffent, Cutre une quantité immenfe de bois de char- peite & d' autres bois propres à bien des iilages , plufieurs efpèces de bois fins & pré- DES Chinois. ^ cîeux, des fucs utiles, àcs gommes, des écor- ces & des feuilles. Ces forêts font d'ailleurs habitées par un graad nombre de bêtes fau- va^es qui fervent à la nourriture & à Fha- billement. Des métaux, ditierentes efpèces de pierre & de terre , des fels , du fable d'or, des perles, du corail, quoiqu'il ne foit pas de la meilleure qualité & une infinité d' efpèces de poifTons que le rivage frais & falé attire en quantité, font voir que la na- ture ne les a pas traité en marâtre non plus de ce côté là. La volaille, qu'on trouve ici partout en troupes fort nombreufes, flatte la vue, les oreilles & le goût. En un mot le règne de la nature eft dans la plus grande perfection à la Chine : elle offre les perfpe- ftives les plus m.agnifiques, des fituationsck des commodités de toute efpèce , aux quel- les ni l'invention ni l'art ne pourroit rien ajouter; & fi l'on excepte le fuperflu , dont on peut fe pafiTer, toutes les chofes nécef- faires à la nourriture & à l'habillement, fans qu'on ait befoin, d'avoir recours à l'étranger. Comme le bien être d'un païs dépend prin- cipalement du bon ordre & de l'induilrie de fes habitans , on peut dire que la Chine jouit particulièrement de ces avantages. Tous ceux qui ont fait des defcriptions de ce païs ont remarqué Tindufirie des Chinois & leur dextérité pour toutes fortes de métiers, & nous en voyons des preuves par les difilsrea- A z 4 De l'Economie rurale tes marcbandifes , que nos vaiffeaux y vont chercher . Leur paï5 produit en quantité fuf- fîiante les matières crues. Je me fuis propoié , pour prouver l' indu- ilrie fingulière des Chinois , de raconter ici brièvement ce que j'ai obiervé pendant un féjour de quinze mois que j'y ai fait en trois fois différentes, touchant quelques dé'tails de leur économie ordinaire & habituelle. De r Agriculture , DAns îes parties méridionales de la Chi- ne, qui font frtuées fur la mer, le ris, efpèce de bled, qui profpère le mieux dans un fol bas & humide, eil comme prefque chés tous les orientaux la principale nourri- ture . Il eft des efpèces de ris , qui profpè- rent dans un fol fec & haut , comme T on voit par ci par là dans l'isle de Java, & d'autres terres hautes. Les provinces Chi- noifes qui ont un fol fec & inégal , fe fer- vent de ce ris : mais en Qiiantting ou dans ies provinces méridionales qui font balTes , on le femeroit avec perte, parceque fon grain clt petit, qu'il demande le double du tems pour mûrir, au lieu que le grain de l'autre ris eft plus gros , qu'il croît mieux & plus vite , & qu' il peut toujours être fous l'eau , fans être endommagé . De cette efpèce il y en a une forte inférieure, qui eit rougeâtre &: DES Chinois, 5 ^ont les gens da commua fe fervent, on s'en fert auifi , pour en faire une eau de vie qu' ils appellent Samfou . On m'a dit qu'à mefure qu'on avançoit dans la Chine , du midi au feptentrioa , la culture du ris diminuoit., & qu'on cultivoit à proportion plus de Teigle, d'orge, de fro- ment, de fèves, de pois &c. &que dans les provinces les plus feptentrionales , où l^ ris ne prend pas du tout , on entendoit p^irfai- tement bien la culture du blé. Néanmoins on plante auflfi du fronhent, des fèves, des petits pois & des lentilles dans les provinces méridionales , dont les habitans fe fervent en partie pour eux , & en partie pour les étrangers: Mais on fème beaucoup plus fréquemment du ris , dont je parlerai plus particulièrement, puilqu'on s'en fert aux environs de Canton au lieu de pain . On fçait que la Chine eft un pais extrê- mement peuplé. La plupart des provinces le font au point, qu'on eft étonné de voir <5[ue ce païs puilTe produire afles de blé pour tant de millions d' habitans, d'autant plus qu'à l'exception de quelques Tounques (*) venant de la Cochinchine & de quelques vaifleaux hollandois chargés de blé , ce qui n'arrive encore que rarement, ils n'en tirent A 3 (*^) Efpéces de navires fort grands 6 De l'Ecoî^omie rurale point de l'étranger: mais quand on fait at- tention à leur induflrie prelqu' incroyable à cultiver & à tirer parti de tout , à leur par- cimonie & extrême Ibbriété dans la vie or- dinarie , on efl convaincu qu'un païs qui a des pareils habitans, quelqu'en foit le nom- bre , ne peut prefque jamais manquer de leur fournir la nourriture nécelTaire: au con- traire c'eft plutôt la multitude de gens la- borieux , qui contribue à la richefle du païs & à la meilleure fubfiftance des habitans ; car chaque agricole laborieux tire toujours plus du fein reconnoiffant de la terre, qu'il n en peut confommer lui feul . Le degré de perfection , où l'on a pouffé dans la Chine l'agriculture Se particulièrement la culture du ris, ei\ le principal fondement de la félicité, dont jouit ce païs. L'écono- mie rurale eft auffî la profefTion , qu' on y honore, & qu'on y encourage le plus. Les empereurs mêmes pour mieux marquer combien i|s eftiment cette profedlon & pour donner à leurs lujets un exemple digne d'être imité , vont à la campagne à un certain jour de chaque année , accompagnés des grands de leur cour , prennent la charue à la main, préparent & sèment un diliri£t, & moiflbnnent enluite de leur propre maia le fruit de leur travail : mais il faut , que ie me borne aux côtes de Canton . DES Chinois. Du tenain. LE terreia aux environs de Canton e(l aufR varié eu égard à fa fituation , que dans d'autres endroits; tous les lieux bas fon; couverts de terre graffe & noire : mais à mefure que le terrain s élève , il fe revêt (' une terre jaune & rougeâtre mêlée d'ochr; & le fable & le gravier s'y trou- vent int d' autre engrailîément , que le chaume du ris même mis dans la terre , qu on laiie pourrir : Malgré cela ils rendent tous \es ans une moiflon au centuple. Toutes les fois que l'eau inonde I^ champs, elle y laiffe quelques parties gral. fes & bûurbeufes , qui rendent la terre fe(. tile ; car l'eau de la marée, qui monte eï plus faltée & plus trouble , qu elle ne l'eÉ lorf^u elle defcend : outre cela elle defcenc au commencement fort lentement & lei champs au ris font déjà à découvert, lorfquâ la marée defcend avec véhémence ; ce qui fait que le limon falé, qui a coulé à fond & qui fait l'eagraiffement du champ n'ea peut plu£ être emporté • DES ChTN-OTS Des champs à ris ou rifi^res • IE5 champs à ris font fi moux ea qu?I- ^ ques endroits , que la marée emporte la terre des rivages. Pour eViter cet incon- vénient , on y plante des cyprès , dont ïes racines s'entrelacent , & donnent de la fer- meté à la terre . Chaque champ de ris étant féparé de la rivière par de larges fof- fés , ces allées de cyprès plantées en lon- gues haies forment un beau coup d'oeil, particulièrement , lorique la terre ert Tous r eau . Dans des endroits plus élevés , qui ne peuvent pas être arrofés par la marée , on a planté une autre elpèce de champs à ris. Pour leur procurer une quantité égale d'eau, ils font une terraffe autour de chacun de ces champs de la hauteur de deux à trois pieds & dans le temps de la pluie, ils bif- fent augmenter les eaux , ou ils les laif- fent écouler , félon qa' ils le jugent à pro- pos . Dans le tems de fécherefle ils les ar- rofent ou par des conduits , ou en y por- tant l'eau. La terre de ces champs ell mê- lée d'une argile & d'une glaife ferme, & comme ils peuvent rendre le double de ce que les autres champs rendent , on les en-, graide de plufîeurs efpèces de fumier & on eu a plus grand foin . Les Chinois plantent A 5 iQ De l'Economie rurale outre cela du ris dans des endroits bourbeux & marécageux ; mais comme il n' eft pas pfflible de les entretenir dans un degré égal d' humidité ians beaucoup de peine & de dépenies , ils manquent ordinairement dans les années sèches. Des Chinois dignes de fois m'ont rac- conté que dans la province Toc bien y la ri- vière qui le jette dans la mer près de Changekeu & ^mey formoit des grands ri- vages plats & que les habitans , mécontens de ce qu' un terrain fi étendu ne produit rien , faifoient des radeaux , étendoient des nattes defTus, y mettoient de la terre, & y plantoient du ris avec beaucoup de profit : qu' à la vérité ces champs flottans étoient quelques fois iujets à être endommagés par les ouragans , lorique les vents changeoient ; mais qu'on les regardoit comme fort lucra- tifs, parce que dans le tems iéc, aufll bien que dans le tems pluvieux , l'eau de dcf- fous leur coniervoit toujours une humidité égale, & que la pluie ne leur cauibit point de dommage puiiqu'elle s'écouloit bientôt, C'eft là une preuve de leur indullrie digne de confidération . On prépai-e tous ces champs , ou avec la charrue , ou avec la bêche , & comme tout fe réduit au but que le vieux chaume de ris foit retourné & mis dans la terre , l'une ou l'autre peut également i'ervir à cet DES ChtNOIS. II effet ; car le terrein étant toujours fi mou , comme nous avons déjà obfervé , que les laboureurs y entrent jufqu' aux genoux , il ert aile de le travailler . Leur charrue ei\ extrêmement (impie , & eft tirée par ua boeuf: mais avec la pioche , ils peuvent auffi fans beaucoup de peine remuer auQi profon- dément dans la terre bourbeufe , qu'ils le ju- gent à propos. A la première marée la terre ayant été inondée devient unie , comme fi elle avoit été applatie avec un rouleau, & comme T humidité continuelle empêche la terre de fe coller , ils n'ont pas beioin d'au- tre indrument d' agriculture . On traite de la même manière toutes les autres efpcces de terroir , choififTant peur cet effet le tems , où la terre efl le plus amollie par l'humidité, & coniéquemment facile à travailler. Ils engraiilent & labou- rent une petite partie d'un acre , plus ou moins grande d'environ Ibixante pieds en quarré . Il faut à la vérité qu'elle loit hu- mide & molle comme le reile. il ell: nécef- faire cependant , qu'elle foit alscS éloignée de la rivii-re , pour qu'elle ne puille pas être entièrement inondée par la marée, lors qu'elle monte. Ils enfemenccnt cette partie fort copieulémeat d'un ris, qu'ils ont laide auparavant s'imbiber d'une eau qui a reliée fur du fumier & de la chaux. Lorlque le ris commence à paroitre, ils tiennent l'acre A 6 12 De l'Economie rub^ale fous Teau à trois pouces de profondeur; au bout de trente jours ces plantes font pro- pres à être transplantées dans des grands champs. LorfquMis les transplantent, ik ne fe Ibucient pas beaucoup qu'elles foient en lignes direftes. Ils ont foin feulement, que chaque plante ait une place fuffifante . La diftance qu ils laifTent ordinairement entre les plantes ,eft de huit à neuf pouces. Ils font cette opération comme toutes les autres fivec beaucoup de facilité, & de manière, qu'ils ôtent environ la longueur de deux pouces des pointes des plantes & mettent chacune en particulier , ou lorfqu'elle eft trop petite, plufieurs eniemble, dans la terre molle avec les doigts, afsès profondément pour qu' il y ait deux pouces de terre au deffus de racines . Quand le ris a été tranC- planté de cette manière , ils n'y font plus rien : ils examinent feulement , pendant que les plantes font encore délicates , ù elles n'ont pas été endommagées par les vers ou par d'autres infeftes ; & fi cela eft arrivé , ils mettent des nouvelles plantes à la place de celles qui ont péri , & jettent alors un peu de chaux fur le champ i ce qui chafie les infedtes • DES Chinois . 15 Des vents variables & du cl'tmat , LEs vents variables qui fouflent dans les provinces méridionales de la Chine ficuées en dedans du tropique du cancer , y produifent de tels changemens dans le cli- mat qu'ils partagent l'anne'e en deux fai- fons, Tavoir : la laifon humide & la laifori sèche . Quand le foleil paOe dans le mois de Septembre de la ligne équino6liale vers le miidi , l'air devient peu à peu plus frais, & pendant le mois d' Octobre & une partie du mois de Novembre , il règne ordinairenùent des brouillards & des petites pluies : auiTi toutes les fois qu'un vent du Nord-e(l s' élè^e , l'air s'éclaire & refte ferein , juiqu'à ce qae ce vent d' hiver ait entièrement diiparn . Dans les mois fuivans le climat e(t pli^ ftable , plus fec & plus beau , juiqu'à ce que le foleil ait achevé de nouveau ion vo- yage d'hiver & ait paffé dans le mois de Mars, au travers de la ligne équino£tiale vers le Nord . L'air échauffé , qui a tiré peu à peu ea haut une quantité de vapeurs , les rend (uc- celfivement par des pluies plus fortes ik plus abondantes , qui dans les mois de May & de Juin deviennent toujours plus copieufes 3c tel- lement^ perfévérantes , qu'on voit fou vent douze à quinze jours de pluie fans dilcon- tinuité. De fortes tempêtes & des ouragans 14 De l'Economie rurale accompagnent ordinairement les grandes plu- ies du Sud vers l'Oueft. Quoique le foieil commence dans le mois de Juin , à diriger fon cours de nouveau vers le midi , il lailTe cependant dans ces endroits une chaleur plus forte qu'elle n'étoit , lorique le (bleil y don- noit perpendiculairement : Le tems commen- ce pourtant à devenir plus (iable, & moins pluvieux , & des nuées baffes & des coups de vents font caule que la chaleur, qui a refté fe fait fentir pendant quelques jours plus forte qu'auparavant . Le mois d'Août eft plus tempcré , miais vers le mois de Sep- tembre le tems eil variable , tantôt lerein , tantôt ne'buleux , ce qui dure jufqu' à ce que l'autre vent s'établifTe. C'elt pour cette raifon que les mois d'Avril , de May , & df; Juin font appelles chés eux, mois de pluie ; car la pluie tombe alors plus fréquemment , & en fi grande quantité que l'eau fe jette i.ni grands torrents des endroits efcarpés , & ie forme de nouveaux canaux & de nou- veaux lits entre les rochers. Pour remédier ji la féchereffe qui pourroit avoir lieu dans les mois fuivants, les habitans conduifent cette eau dans leurs champs à ris . IL faut remarquer. ici que pendant l'équî- noxe , le chafigement de vents ell précédé ordinairement d'une efpèce de tempête vio- lente , qui f(3ufle quelques jours avant ou après ia pleine lune . L' air inférieur devient DES ChIKOIS. 15 alors extrêmement épais & nébuleux . Ce brouillard, qui a caufe de la véhémence du vent , ne peut pas le transformer en pluie , eft furieufement agité. L'ouragan augmente à proportion qu' il va vers V Oueft , quand il eft de rOueft, les arbres & les maifons peuvent à peine lui réfifier : il abbandonne une région après l' autre , &c au bout de vingt quatre heures il commence à fe diiïi- per . Les champs & les bâtimens en font ordinairement endommagés: aulFi appelle t-on cet ouragan Taj/ , qui veut dire le grand vent.- Les Chinois fa vent tirer avantage , pour leur agriculture , de cet ordre fuccefîif des vents: ils labourent la terre, lorfqu'elle eft mouillée par le tems de l'automne & en- core afsés molle, pour y femer , ou pour y planter, pour l'hiver. Cela fe fait ordinai- rement dans le mois de Décembre , & comme Tair ei\ alors plus frais , l'eau ne peut pas afsts fecher , pour qu'elle ne contribue pas à r accroiffement & à la moiffon . Celle-ci arrive cent vingt jours aprcs ou dans le mois d'Avril: on engraiffe alors un peu, on la- boure & on prépare ce champ que la pluie a ramolli , pour y lemer ou planter de nou- veau . C'eli vers la fin du mois de May, ou vers le commencement de Juin , qu'on prépare ordinairement les champs à ris pour la féconde moiffon de la miême année . Qa ieroit tenté de croire que le change-- iS De l'Economie rurale ment de la pluie & de la chaleur facilîte- roit r accroiflement du ris plus prompteinent qu'à la première moiflbn ; cependant ils Ibnt oblige's d' attendre plus longtems cette ie- conde moiiron & il faut qu'ils comptent cent trente jours depuis l'enfemencement juiqu'à la récolte du ris. De là vient qu'elle n'arrive que rarement dans le mois de Sep- tembre . On met les plantes au ris dans les champs bas, vers la fin du mois d'Avril , ou vers le commencement du mois de May . Ces plantes demandent autant de jours pour mûrir que celles des autres champs & la moiflbn arrive ordinairement dans le mois de Sep- tembre: après cela on laiffe la terre en fri- che jufqu' au mois d'Avril ; pendant ce tems les chaumes & les racines du ris qui ont reflé, pourriflent, de manière qu'ils le con- fondent entièrement avec la terre quand on la laboure. Dès que le ris commence à blanchir , figne de fa maturité, on le coupe avec des faucilles à main , dont le tranchant eft den- telé comme une fcie ; on le lie en gerbe , & on le met dans un endroit fec & élevé, pour qu'il y fèche & qu'il y demeure jufqu' au tems qu on le bat . Le ris battu a encore fon écorce , & on l'appelle Paddi ^ on s'en fert en partie pour le femer , en partie pour en nourrir le bétail : mais avant DES Chinois. 17 que les hommes s'en fervent, ils Tecrafent dans des mortiers de pierre avec des pilons de bois, après quoi on le vanne. Quelques œconomes , qui ont des champs trop étendus , pour qu' ils les cultivent eux rrêmes, en cèdent une partie à des pauvres g^ns , moyennant une certaine redevance . Ces fermiers font trop pauvres pour labourer les champs avec la charrue & des bœufs ; c'eft pourquoi ils fe fervent de pioches, ils achètent des autres, les plantes de ris, qu'il leur faut, quand le ris eft mûr , & qu'ils i'ont coupe', ils le battent fur quelque col- line , ou quelque rocher nud , & ils en payeat la redevance au proprie'taire . De f en^ra'fjfement des terres. UNe agriculture fi étendue exigeant beaucoup d' engrais , les pauvres gens gagnent leur vie à ramaffer dans les rues & aux environs des maifons & même avec des petites fampanes ou barques fur les ri- vages , toutes fortes de matières propres à engraifler, même les excrém.ens d' hommes & de bêtes ; ils les vendent à ceux qui en font un commerce particulier. Ceux-ci les revendent aux agricoles qui en ont befoin . Ils amalTent aufTi l'urine dans des vafes particuliers , qu ils tiennent dans les mai- ions. Quand U moilfon a été avautaseufpj i8 De l'Economie rurale un Fekul (a) de la première efpèce d' engrais coûte deux Mes {b) , & un Pekul de la der- nière ne coûte que la moitié : outre cela chaque œconome a loin que les excre^mens du bétail ne foient pas perdus dans les patis . on emploie des enfans ou d'autres gens qui ne font pas en état de s'occuper plus utile- ment , à les ramafler . Ils brûlent aufTi les oflemens qu' ils trouvent , & en jettent la cendre avec celle d'herbe & de bois brûlé fur les champs, pour les rendre plus fertiles. On engraiffe , on laboure & on applanit les champs qui quoiqu' humides , font dans une fituation plus élevée que ceux dont nous avons parlé jufqu' ici . Leur terre eft plus meublée : on enfemence fort copieufe- ment une portion d' un champ , d' un blé , qui a été trempé pendant quelques jours dans une fauce de fumier & on le tranfplan- te. Quelques fois on plante auffi le blé trempé de cette manière dans le champ pré- paré , de façon que les grains font à la diftance de quatre pouces l'un de l'autre, on preffe la terre autour de chaque grain . Dans une grande féchere(Te, on conduit une petite quantité d' eau fur les champs . Les («) Un Peknl pefe environ cent quarante deux livres & demi poids de Suède . {h^ Un Mes y qui cft la dixicme partie d'un Tell 3 vaut dix iols de France . DES Chinois. x^ profonds filions , qui fe font formés de la prefllon de la terre contre les grains, reçoi- vent alors l'eau & donnent de T humidité aux jeunes plantes fans les noyer. La véri- table raifon pour tranfplanter eft vers la fin de Décembre , quoique T air ibit alors fort frais & qu' il faite froid quelque fois pen- dant la nuit. La femence pouffe pourtant, & forme fa fouche au bout de quinze jours, dont chacune donne dans le mois de Mars fept à neuf tiges avec leurs épis , mais la paille efl: plus courte que chés nou^ , Le mois de May donne une mioiflbn abondan- te : On m' a afîiiré qu' un grain du bled , en donnoit cent vingt , ce qui recompenfe bien le travail qu'on y a mis. Comm.e le ris eft la principale nourriture des Chinois, puifqu' ils s'en fervent en guife de pain, on n'emploie qu'une petite por- tion du terrain pour le blé: Ils s'en fervent uniquement pour leurs ccnf:ures, dont ils coniomment une grande quanti :>"; à leurs joiKS de fêtes, pour leurs Pagodes & leurs offrandes . Ils en font auffi un peu pour eux mêmes ♦ Les étrangers en confomment la plus grande quantité; & comme le blé, que cette province produit, ne(t pas fuffi- fant pour eux , on en apporte en quantité des provinces feptentrionales pour leur ufage. J'ai vu dans un petit champ, de forge dans le mois de Juin , qui avoit très biea 20 De l'Economie rurale pouffé: mais comme on Tavôit feme trop tard , la chaleur , qui étoit déjà brûlante , l'avoit fait monter fi vite , que la tige fe flétrit, avant qu' elle pût formier des grains, & qu elle ne contenoit dans fes épis confi- derables que des ecoffes vuides . Si on avoit fcmé cet orge , comme T on féme le blé dans un tems plus frais , il auroit fourni fans doute une riche moiffon . J'en con- cluois que comme ces elpèces de blé pro- fpèrent ,très bien étant iemées & tranfplantées dans un champ bien préparé & également humide , le tems frais eft: plus convenable à leur accroiffement que le tems chaud . Leur manière de battre le bled & le ris cft la même & fe fait comme chés nous avec des fléaux. Après que le bled eil bat- tu, on le fait pafTer par une macchine faite exprès pour le nettoyer , & qui en fait partir toute la pouiïière , avant que de le moudre. Si les moulins à Canton étoient auiFi comrTiOdes , que ces machines , pour netoyer , ils pourroient épàigr.er beaucoup de travail & de mains ; car la manière de moudre ici avec des moulins à main ell extrêmement pénible . Il eil étrange , que les Chinois , qui ont tant d' inventions in- génieuies pour faciliter des petits travaux , îaflent tout avec leurs mains dans les grands travaux , comme fcier , moudre & d'autres qui exigent plus de force , quoiqu ils ayenc DES Chinois. it afsês de facilité pour conftruire des macîii- nes tant mr les montagnes, que fur les ri- vières . Ainfi , comme nous venons de voir , ils emp'oyent à l'agriculture tous les endroits plats & bas & mettent peu de travail à la terre molle qu' ils tiennent entièrement égale. La récolte rend ordinairement au centuple : mais lorfqu' il furvient un tems déréglé, une trop grande fécherelfe ou une trop grande humidité , il y a de la flérilité ici comme ailleurs : & comme le païs eft pro- digieufement peuplé , elle a toujours des grandes conféquences : une petite augmen- tation du prix du ris fait murmurer les pauvres & les fainéans , & quand enfia d'autres s'attroupent avec ces raécontens^il en naît une révolte contre le gouvernement. tartare , ce qui arriva l'an. 175 i., la fami- ne étant accompagnée encore d'une maladie epidémique , qui enleva beaucoup de monde • Des champs fttués fur des hauteurs . DEs hauteurs & des pentes feroient im- propres par leur fituation à porter quel- que chofe l Dans les mois pluvieux : la pluie fréquente . noyeroit & emporteroit tout ce qu'on auroit iemé , ou bien les plantes, après que l'eau s'eil écoulée , fe trouveroient dépourvues de terr^ & expoiés^s ainfi à la 22 De l'Economie rurale f^cherefTe & à la chaleur qui furviencîroit. Pour remédier à cet inconvénient , ils ont eu foin de changer les hauteurs en plaines, moyennant des terraffcs dont la hauteur 8c la largeur eft fuivant la pente. Ils employent ces terrades à différentes plantes, & donnent à chacune la place qui convient le mieux à fa nature . Celles qui fupportent le plus de fécherefle , ont leur place en haut , & les plantes qui font plus tendres , font placées en bas. Quand la pluie à mouillé la terre des terraflfes fupérieures, on conduit l'eau aux terrafe inférieures , par le moyen de filions: ainfi outre la pluie qu'elles ont re- f ûe , elles profitent encore de l'eau fuperflue des terraffes fupérieures . Les bords des terraffes qui font faites qua- tre ou cinq pieds l'une au deffus de l'autre, deviennent quelques fois fi durs par l'effet de la pluie & du foleil , qu' ils pourroient fubfifler nombre d'années: malgré cela ils y ont planté plufieurs arbres , dont les raci- nes entrelacées donnent de la confiiknce à ces bords. Les arbies mêmes garantilTent les plantes, de la chaleur du foleil & des vents, & font que les terraffes ainfi ornées offrent â la vue un fort bel afoe£l. Quand ils ont remtié la terre des terra fl fes avec une petite charrue , ou avec une bêche, & qu'ils l'ont applani avec un râteau au lieu d'une herfe, or^ lui donae quelques DES Chinois. 23 /bis, pendant qu'on la laboure autant d'en- graifTement , que les plantes qu'on veut y mettre en exigent ', mais en cela aufll on obibrve une grande e'conomie : on trempe pour la plupart le fumier dans des trous ronds mure's dans la terre &: remxolis d'eau, on arrofe la lémence avec cette lauce, quel- ques fois en plantant ils mettent une poignet de cendre fur chaque grain, ils croyent , que l'engraifl'cment , qui tombe entre les plan- tes n'eft d'aucune utilité. On laifle à peine un mois de repos aux couches con (Imites fur les terrafles, ou autre- part, & dés qu'une produ£tion efl: mûre & recueillie, on les i^répare pour en porter une autre, ce qui fe fait trois fois par an . Quant à la faifon , les cultivateurs font attention à la nature des végétaux , & l' on donne à chaque plante, la failbn la plus convenable, félon qu'elle demande ou de l'humidité ou du froid ou du fec . Les racines feules ont pour partage l' automne . Les genres de fémences , qu'on plantoit le plus généralement fur ces hauteurs, étoient les fuivans : un genre de fémence grolTitre Q une plante avec une racine mince qui reÇ- femble pour les feuilles , les fleurs & les vaiiïeaux qui confervent la graine à nos radis. Le commencement de Décembre étoit le tems le plus convenable pour celle là ; on formoit dans la terre neuve liement labourée 24 De L'Economie rurale des filions qui avoient un pied de large , 8c un demi pied de profondeur. Entre ces fil- ions il y avoit des longues couches étroites d'un quart d'aune de largeur : au moyen de ces filions l'eau trop abondante pouvoir de'couler, après avoir laifie une humidité iuf- fifante. on plantoit les grains à la profon- deur de quatre doigts & on leur laiiïoit lept à huit pouces d'intervalle , comme cela fe fait dans la faifon fèche , on les arrofe au commencement . au mois de février tout étoit en fleurs & dans le mois d'avril les vaifTeaux à femence devenoient jaunes ; alors on ar- rachoit les plantes, on les féchoit & on les battoit pour en avoir la femence abondante. De cette femence on tire une huile, dont on fe fert beaucoup dans le ménage parti- culièrement pour les lampes, & quand elle ei\ fraiche , on s'en fert pour préparer les mets. Cette huile eft fi graiïe , qu'on ne peut pas l'employer dans la peinture, parcequ' elle ne fcche pas afscs . Le noir de fume'e qui fort de ces lampes fait la couleur noire, connue ^ous le nom d'encre de la Chine. Ordinairement la lémence de Coton, qu'ils appellent Mi nfuy prend la place de la femence à l'huile . On prépare le terrain , comme on a déjà décrit , on plante aulTi la iémence dans des couches , auffi étroites , que pour la femence à l'huile à la diitance d'un pied l'une de l'autre . Il faut remarquer ^ que ie- Ion DES Chinois. 25 Ion que les plantes font plus fortes ou s'éten- dent davantage, ils font les couches plus lar- ges ou plus étroites, plus eloigne'es ou plus rapproche'es l'une de l'autre. C'efl: dans le mois d'Avril, qu'ils mettent les grains dans la terre. Ils jettent fur chaque grain quel- ques poignées pleines de cendre de l'herbe, qui produit l'huile, ou d'une autre ;& c'eft là tout l'engrais qu'ils donnent pour cette fois à la terre . Juiqu à ce que la quatrième feuille pouffe, on l'arroie dans des jours fecs. La chaleur & la pluie font que les fleurs qui ont paru dans le mois de Juillet, fe chan- gent dans celui d'Août en fruits, qui mû- riffent dans un tems fec & s'ouvrent pour montrer le coton . Alors on les cueille , on fépare le cotoa & la lémence, qu'on garde pour l'enfemen- cement prochain. Trop d'humidité nuit à la plante du coton, pendant le tems de l'ac- croiffement& pendant celui de la maturité: auffi quand le tems pluvieux continue , le coton pourrit fur la tige ; ce qui fait que la récolte n'ell: que médiocre, en comparai- fon des autres. Les fouris recherchent extrê- mement cette fémence, non feulement lorfqu elle eft étendue après qu'on la cueillie, mais même quand elle mûrit encore dans fes vaif- feaux . Les patates qu ils appellent Faucty , font le troifieme & dernier fruit, qu'ils plantent B zô De l'Economie rurale fur les terrafTes : après le coton , ils remuent de nouveau la terre , & y mettent des pe- tits morceaux des patates coupées à la di- flance d'environ un pied. Comme ce fruit n'eft pas aulfi délicat, que le précédent, qu'il croît lentement , & qu'il réfifte au froid , ils lui laififent pour croître les der- niers mois de Tannée. Ces patates différent des nôtres en quelque chofe . Elles ont la pelure rouge , elles font plus longues , jaunes & d'un goût doux & agréable; mais l'herbe reflemble à celle de nos patates en Europe . Ils ne font pas toujours fucceder le coton à la plante , à l' huile , & les patates au coton . D'autres végétaux comme des lentilles, des fèves, des Locktau & des Calebafles pren- nent quelques fois la place du coton ; mais ordinairement ils commencent par la fémence à r huile , & ils finiffent de tirer parti de leurs terrafTes , pour l' année , par des patates . Ils préparent toujours le terrein de h ma- nière décrite & ils ne mettent point de fé- mence , qui n'ait été trempée auparavant pendant quelques jours dans de la fauce de fumier, ou dans de l'eau de chaux. Ils plantent & traitent comme les pata- tes, les Yams^ qu'ils appellent Utau: mais le terrain pour les Tam^ ell différent ; car on plante ces racines dans des endroits fi marécageux & Ç\ humides, qu'ils ne feroient DES Chinois, 27 pas propres pour d'autres plantes, quelque fois aulfi dans un champ de ris, qui a déjà fervi uH'î fois dans une année , & qu'on n clHme pas afsès bon, pour fournir une fé- conde récolte . Plus on laifie ces racines en terre , plus elles deviennent grandes . ordinai- rement on les tire de la terre dans le mois de Novembre. Ils mettoient les racines coupées de la canne de fucre , dont chaque morceau avoit deux jets , dans la terre , à la profondeur de plus d'un quart d'aune, & ils laifToient deux pieds d'efpace entre chaque rang. Ils eraployent pour cela auITi bien les terrafTes les plusélevée^, que les endroits les plus ba-. Dans les mois de Mars & d'Avril, on la planta dans des endroits bas, & dans les mois pluvieux fur des hauteurs ; ce qui produifit une récolte différente . Lorfque la canne com- mençoit à jaunir , on la coupe ; car fi on lailfe plus long-tems , elle commence à pour- rir par la racine . Elle atteignoit la hauteur de quatre à fix aunes . Ils portent à un en- droit commode & fitué fur la rivière , quelques charges d'une fampane de Sucre, y conllrui- fent une maifon de Bambou & de nattes . à l'un des bouts de cette maifon ils font ♦ un four avec deux grands chauderons , qui y font murés ; à l' autre bout , il y a une aire fpacieufe g-^rnie de planches , fur laquelle deux bœufs traînent un roukau équarri fait B 2 28 De l'Economie rurale d'un bois dur. La canne, qu'on avoit mis fous le rouleau par couches , étoit ecrafe'e de cette manière , & le jus qu'on condui- sit , moyennant un égout au bout de l'aire , s'y raiîembloit dans un grand vaKfeau. On mettoit la canne ainfi prefTee dans le cbau- deron bouillant pour en tirer tout le fuc . On le mêioit enfuite avec ce qui étoit déjà exprimé , on le faiibit pafTer par le crible & on le laiflbit bouillir dans l'autre chau- deron , jufqu'à ce qu'il prît la confiltence d'un fucre brun . Les feuilles & les cannes , qui ne conte- noient plus de parties fucreuies , fervoient pour fournir le feu nécelTaire. Quand il n'y avoit plus de provifion de canne dans un endroit , ils défaifoient dans la maifon , & emportoient les uftenciles. Ces rafineurs de fucre parcoure ient le pais & tiroient le fuc de la canne des agricoles . D' autres rafineurs l'épuroient après & en faifoient de la ca- ftonad€ plus ou moins fine. Des farâ'tns potagers , COmme à l'exception de quelques jardins imparfaits de ce genre, je n'ai pas eu occafion d'en voir , la dcfcription que j'en vais faire , ne fera pas aulfi complette que je le voudrois . Ce que j'en puis dire, eft qu'ils choififf^nt pour ces jardins ordinaire- DES Chinois. if ment des endroits bas Se argilleux & qu'ils n'y épargnent pas l'engrais . Les plantes connues e'toient de la Salade , des longs & des courts concombres , du Purjo , des oignons blancs , du célery , des épinards, des radis longs , des carottes , de l'arroche rouge , une efpèce de raves aqueufes , des melons d'eau & d'autres : Ils en ont reçu originairement la fémence des Portugais. On y trouve encore une grande variété de plantes , dont le nom & la figure nous e(l entièrement inconnu . Le Pourpier croiifoit fauvage ; mais ils ne s' en fervoient point & par coniéquent n'en faifoient point de cas. Ils avoient une efpèce grofTière a epr- nards aqueux dans des étangs , qui avoient une demi toife de profondeur . Il y étoit fi abondant, qu'il en couvroit la furface, ils en font un grand ufage dans leurs cuifi- nes . Ils plantent le gingembre par petits îsorceaiîx dans une terre gra/fe & argilleufe à la profondeur de quatre doigts ; ce qui is fait aux mois de Février & de Mars . Plus tard , la chaleur poufferoit trop la tige & les feuilles , la racine deviendroit fpongieufe oc demeureroit petite . Au relte cette plante fup- porte le froid & le chaud. Le Tabac chés eux s'appelle Tien. La culture de cette plante leur eft d'autant plus avantageufe , qu'ils en font cas à la Chine plus qu' en aucun lieu du monde • B J jO De L'EcOîfOMIE RUR.ALE Ils n*y épargnent ni foins ni bons terrains. On le plante le mois de mars , chaque plante à la diilance d' un pied & demi l'une de l'autre . Le mois d'Août on le cueille, on le lailfe refluer & enfuite on le travaille comme chés nous. Ce Tabac ne paroit pas être de la meil- leure qualité : il reflemble fort au nôtre ; mais l'odeur & le goût en font médiocres. Les Chinois lui donnent la préférence fur celui de Man'tlle & ^ Aynam ^ BréfiL Les feuilles derréchées& mifes en prefle les unes fur les autres, font coupées par bouts avec un inftrument de fer dans la même forme , qui elt ufitée chés nous, quand on le fume. Il dillille une huile gluante & d'une odeur forte. Coupé par morceaux plus gros, il fume mieux. Le débit de cette marchandiie eft fi confiderable , qu'on en apporte ici une gran- de quantité de toutes les contrées voifines . Ils diipofent par rangs fur de larges couches une plante, qui reflemble à la menthe, mais dont les feuilles font plus pâles. Ils l'appellent Focktyong . Le mois de Mars , elle a un pied de haut , Sa culture demande beaucoup de foins , on la feme dans le tems froid \ dans le tems de la chaleur, pour en prévenir les inconvé- niens,on la couvre & on l' entoure de nattes. Ils citiment beaucoup cette plante . La mefure d'un Pekel s'en vend cinquante Te'U C) oi^ (*) Un Tell vaut cent fols de Fiance . DES Chinois. ji la croit très bonne contre la confomption . L'arbre merveilleux ( Ricinus ) de la grande & de la petite efpèce à été apporté ici ^Ay^ nam» Ils en mettenjupartout & fans ordre dans leurs jardins"^ & particulièrement des petits. Le fruit fous le preflbir, rend une huile blanche & claire en grande quantité. Après en avoir ôté la graiffe par le moyen du minium , de la chaux vive & de la terre vitriolique , ils en font un vernis , qui fert à la peinture. Ce vernis fèche promptement & donne un éclat fort vif. Ils font ufage au lieu du chou , d'une plante , qui reffemble au glouteron par fes feuilles grandes & groffes , dont les pédicu- les épais fortent d'une racine mince. La fleur eft jaune, la tige contenant la graine & la graine même reflemblent à celles du chou , Comme ils l' employant journellement , la confommation en eil grande. Cette plante croît fort vite & dans toutes les faifons dès que la récolte en eft faite , ils en refsèment de nouvelle fur la même couche , on la cuit à demi & on la lailfe fécher, C'ed une de leurs provifions dans leurs voyages fur mer. Les Tartares ont apporté ici , de Pékin , une efpèce de chou blanc qui a la tête longue & étroite, il n'eil pas encore fort en ufage j ainfi il n'eil pas commun. B4 SZ De l'Economie rurale Des Arbres^ QUoiqu' il y ait ici plufreurs efpêces de , bons arbres fruitiers , on ne remarque pas que les Chinois s'appliquent particuliè- rement à cette culture, i^armi la grande diverfité d'arbres, qui ornent leurs jardins ce leurs terraffes , il s'en trouve de cette dernière forte. Ils ont même de grands jardins tout plantes d' arbres ; ce qu' ils re- g<^rdeat comme une grande magnificence ► Ce il pourquoi les environs de lears pagodes- & de leurs maifons de plaii'ance en font dé- cores; mais la plupart de ces arbres nous font incon^nus. L'oranger, que les Portugais ont tranfplanté en Europe , porte ici de gros & bons fruits .. On dit que dans le canton AeFock'ien &dans ks environs d'amoy , ils font encore plus parfaits . Il y en a ici de différentes fortes : quelques uns font de la groffeur des noix de Galle; d'autres font comme des reinettes.. Il y en a qui ont la forme angulaire & la couleur rougeâtre &c. Il eft rare qu oa prenne ici un foin bien particulier de la cul- ture de ces arbres , & qu on leur donne même une certaine difpofition oc quelque arrangement . Loriqu'ils fe trouvent placés à r abri des vents violens , ils viennent fort bien d'eux mêmes 5c rapportent en abon- dance . Les provinces de Fockien &: de Quan-^ DES CîîIKOTS. 55 tiC'i^ font obligées d'envoyer tous les ans une grande quantité de fruits à la cour de Le Letchi eO: un arbre que les Chinois paroiffent eilimer autant que l'oranger. Il y en a de d'iiïérentes efpcces , de gros , de petits , & de fauvages : les fruits font de la groiïear d'une noix mufcade , Ils font en- tourés d'une écorce rude, raboteufe & rou- geàtre , ils croiflént comme la vigne en for- me de grappe . L'arbre atteint la hauteur du poirier & eft garni de feuilles petites pointues & piquantes . Les fruits fe coafer- vent déHechés & ont le goût des raifias de Corinthe . Il femble prelqu' incroyable que les environs de Canton , qui qH le feul païs j où cet arbre vienne , produife par année pour cent mille Tell de fruits de Leichi délTechés . Le thé , qu' ils appellent Chia , & qui croît ici dans une isle vis à vis de Canton Qi\ en réputation pour fa vertu contre les maladies de poitrine . L' isle s' appelle Honam , & fon thé Thce d honam . L'arbulle qui ell: de la hauteur d'une aune ou d'une aune & demi, s'eltve par rangs fur ^es collines fèches & fablo- neufes . On ceuille les feuilles tendres & qui font d' un verd clair , le mois de Mars , on les rôtit drtns des chauderons de fer, & on les difpofe en forme de rouleau comme les autres efpèces de Thé j on néglige les feuilles dures & qui B5 54 De l'Economie rurale font d'un verd plus fonce. Il paroit , qu'on ne prend pas grande peine pour la culture de cet arbre ; on en iaifle dépérir plus de ia moitié. L'arbre ^ Arec a ne croît pas loin de C^r^- ton , ainfi que je le conje£lure par des noix fraîches , que j'en ai vues ici . Il y avoit dans r isle ^ Aynam diveries plantations de cet arbre . Le terrain , qui le porte eft gras & humide . L'arbre refferable au cocotier, & a la tige droite. Lorfque le fruit eft mûr, Técorce prend une couleur jaune. La noix diffère peu de la noix mufcade. Elle fe fèche & s'envoie dans les provinces feptentrionales. La plante du Bêthel n'eit point délicate. Elle croit d'elle même fans culture , lorfqu' elle trouve un terrain propre . Ses feuilles frottées avec de la chaux & la noxyi^Areca^ font le Pinang fi connu que ces peuples & ceux des autres pais orientaux mâchent avec tant d'appétit . Le Manglier s'élève fort haut & porte des branches fort étendues comme le frêne . La feuille eft du genre de celle de l'aube épine & le fruit paffe pour un des plus fa- liibres des Indes . Le Fumpelmofe eft une efpèce de gros citron doux, l'arbre relTemble au citronier; mais les feuilles font plus larges . Ils ont de petits citrons aigres , des Lon- ^ans & plufieurs autres fortes de fruits. Ils DES ChWOTS. j^ ont auiïi de VOtomchouy dont comm* nous r apprend le Comte , ils confervent la gomme pour leur vernis. Il leroit trop long de faire le détail & la defcription de leurs différentes efpèces d'oli- viers , de poiriers , de pommiers & de raifns . On ne peut-pas dire quils donnent quelque préférence à une culture fur une autre : ils les laiffent prefque tous fauvages . Ils font iifage du greffe pour quelqu efpèce d'arbres, & ils le fervent de cette méthode fort heu- reufement . Des Jardins de platfance . COmme le goût des Chinois diffère beau- coup de celui des autres nations pour les manières, l'habillement &c. cette diffé- rence n'elf pas moins remarquable dans leurs jardins de fleurs & de pur agrément . Ils fe foucient fort peu de parterres , de haies , d' allées couvertes & géne^ralement de la fym- metrie : une place nue , ornée de pierres de différente grandeur & couleurs , qui forment des figures de dragons &. de fleurs , leur plait beaucoup plus , qu' un parterre orné de beaux deffeins , dont les interllices font remplis d'herbe. Leurs allées ne font pas ouvertes, elles ont pour la pilpart des murs au'- otés, contre lefquels on a planté des vignes eu d' autres arbres qui graviffent le long des murs * £ 6 :î6 De L'Economie hurale Ils les tirent moyennant des bâtons d' un mur à r autre & couvrent ainfi Tallce. Les bancs font pratique's dans des allées , qui n'ont point de rrjurs aux côtés & par l'arrange- ment des pierres , ils forment de nombreuibs cavités , où ils placent des vafes de diffé- rentes fleurs. Les allées font difpofées en courbures ; quelquefois elles fe prolongent au delà d'une petite place unie, garnie de pierres , & mènent à une maiibn de plai- jance découverte , fur laquelle il y a des vafes de fleurs . Quelquefois elles pafTent par des arcades formées , avec des Bambou (*) minces qui font doubles & arranges inéga- lement . Les intervalles font remplis d' une efpèce de pervenche qui les traverfe, & qui les fait afsès relTembler à un paroy , qui a un grand trou ; avec cela Ton trouve bien de la variété : des montagnes couvertes de broffailles , au pied defquelles coulent des ïuifîeaux . Ces montagnes repréfentent des déferts & font entourées d'arbres touffus (k ferres. Des bàtimens de trois à quatre otages , qui pour la plupart font ouverts d'un côté, des tours , des grottes, creufées obliquement , des ponts , des étangs , des en- droits femés de haricots , des bocages arrangés dans ie goût fauvage , des petits bois de (*) Bamhcu ef[)Cc; d'arbre DES Chinois. 37 plaifance , & d' autres variations , qui for- ment une belle perlpeclive. Ils ont aulFi des tables de pierre , à T ombre de hauts arbres , ou dans des entroits élevés , dont la vue s'e'tend au loin. De leur bêtatî • AUx environs de Canton & dans les provinces fitue'es fur la mer , les ha- bitans s'appliquent fort peu au gros bétail, parcequ'ii n'elt pas auffi nécefTaire ici, qu'il i'eft dans les provinces contigues & Tepten- trionales. Car ils peuvent labourer leurs champs fans beaucoup de travail & fans le fecours des bétes, & leurs voyages & tranf- ports fe font par eau ; ce qui leur efl fa- cilité par la marée . Le bœuf n' elT: pas un met agréable pour eux & il efl: remplacé par lespoifibns, qui y abondent. A l'exception des Mandarins & des officiers de guerre, il n'y a que peu de perfonnes , qui aient àQS chevaux. Ils ne fe fervent pour l'agricul- ture que de bœufs & de bulles ; ce qui a particulièrement lieu dans les endroits éloi- gnés de la rivière : & ce n'cft que pour en conferver la race , qu ils nourriffent quel- ques vaches , parce qu'ils ne fe iervent que rarement du lait . Autrefois ils faifoient en- core moins , de cas de betes à corne. Ils ne fe font portés à élever plus de bœufs & 58 De l'Economie rurale de vaches , que depuis que les Européens ont fréquente' le pais davantage , bc qu ils en coniomment annuellement une bonne par- tie , tant pendant leur féjour , que pour leurs prov i fions , loriquMls s'en retournent. Les moutons ne font pas fi communs aux environs de Canton , que dans les provinces adjacentes. On le lért de leurs peaux & de leur laine pour l'habillement dans les mois froids ; mais elles font aflès chères ; aulfi n'eft ce pas r affaire de tout le monde de nourrir du bétail particulièrement des moutons. On n' a pas autant d' ânes aux environs de Canton, qu'on en a plus loin dans le pais, où l'on fe fert d'eux pour le travail & pour voyager. Les Tartares trouvent tant de goût à la chair de cet animal , qu'ils ont intro- duit la mode de les tuer comme les chevaux Se d'en maneer . J'ai vu vendre de la viande d ane ici . Mais s'ils négligent d'avoir grand Join du bétail, dont nous venons de parler ,*ils font d'autant plus de cas des petites bêtes qu'ils nourrid'ent avec moins de peine & dont ils tirent plus de profit. Ils ont tant d'expé- rience & d'adrelfe pour cette partie écono- mique , qu'elle fournit une fubfiftance abon- dante à grand nombre de petites familles. Comme ils mangent journellement du cochon, en quantité & avec grand appétit, ils en ncurriiïent un grand nombre. La race DES Chinois, 5c? des cochons efl fertile ici & vient bien. Les truyes donnent des cochonnets , avant que d'avoir atteint un an. Au commencement elles n'en doaneat pas tant qu'à la troifie'- me ou quatrième portée, qui font ordinaire- ment de dix lept ou dix huit cochonnets & il en périt rarement. Les didillateurs du Samfti {a) ceux qui pilent le ris , & ceux qui ont des moulins , nourriffent toujours beaucoup de cochons. Les pêcheurs & ceux qui demeurent fur le rivage, en ont un nom- bre plus confiderable encore , parceque le poifTon dont ils les nourriffent, ne leur coûte rien ; ce qui leur donne cependant un goût huileux . Outre cela prefque toutes les petites familles , qui demeurent fur de Sarnpams {b) nourriflént des cochons , tant pour leur pro- pre ufage , que pour en vendre . Lorfqu' on voit combien de cochons tant crus que rôtis, ils portent par les rues, pour les vendre, & combien ils en confomment journellement, le lard coupé par morceaux faifant pour l'or- dinaire leur principal plat; qu'outre cela il leur faut de grands cochons, qu'ils rôtiflfent (^ci) Efpèce d'eau de vie diftillée de ris . (6) Sampane: c'eft ainfi , qu'on appelle les barques chinoifes lans quille, qui ont prelque la forme d'un auge, il y en a de différente grandeur, & de différentes efpêces . Elles font ordinairement couvertes & habitées. 4© De l'Economie rurale tout entiers pour leurs jours de fête , & qu'ils en facrifient auffi beaucoup dans les Pagodes , on ell étonné , qu' il puilTe y en avoir un nombre fi prodigieux ; d'autant plos , qu'ils en employent beaucoup dans le-urs voyages de mer , & qu' ils en vendent aulii aux Européens. Les cochons de lait qui proviennent de la première & de la fé- conde ventrée de la truye refient petits , de même que les truyes qui donnent des co- chonnets , trop tôt. De là vient , qu'on châtre les cochons de lait deftinés à êtres tués. Ils nourrirent beaucoup de poules , plus cependant pour les étrangers, que pour eux iTiêmes. Ils lavent chaponner avec beaucoup de dextérité. Ils font éclore les petits pou- lets par les poules, & ils ne fe fervent point de fourneaux pour cela . Le climat chaud & le grand nombre d'œufs que font les pou- les , contribue beaucoup à leur propagation . Il y a des faiians aux environs de Ca-n- tcn^ mais ils n'y font pas fi communs, que plus avant dans, le païs, oîa on les trouve beaux & de différentes couleurs : aufii les porte-t-on à Canton comme de raretés , & ils coûtent cher . Il n y a point de cocqs d'Inde dans la Chine , & quoique les vailleaux en appor- tent quelques uns tous les ans de la côte de Malabar & de Coromandel , qui en efl: h véritable patrie , les Chinois n'ont pas DES Chinois. 41 eiTayé, d'en introduire refpèce chés eu::. Des pigeons de différentes efpèces pro^pè-^ rent & ie multiplient très bien ici , de même que les oyes. Celles ci font plus petites, que les nôtres, & reffemblent à nos oyes fauvages , pendant que leurs oyes fau- vages ont de la reflemblance avec nos oyes domeftiques . Ils entendent parfaitement bien l'éduca- tion des canards . C eft après les cochons , ce à quoi ils s'attachent le plus ; Se com- me les canards font le plat prefque ordinai- re des gens qui font à leur aife , la grande confommation , qu'on en fait, exige qu'oa s'applique à faciliter la propagation de leur efpéce . Le climat qui eff conftament doux & le voifinage de la rivière y contribuent beaucoup, par la commodité de les nourrier de petits poiflbns & écrevifTes qui relient fur les chamjps à ris , après que i'cau s'efl ecouleé , & par conféquent à fort bon mar- ché. Bien des Cantonots ne vivent que du commerce des canards . Les uns achètent les œufs , & en font trafic , d' autres les font éclore dans des fourneaux , & d' autres encore élèvent les petits canards . Les four- neaux pour les couver font extrêmement fimples. On pofe une plaque de fer fur un foyer muré, on met fur la plaque une caif- fc de la hauteur d'un demi pied , remplie de fable , oh. on a mis les ceufs en rangs . 42 De l'Economie rurale On les couvre d'un tamis , au deffus du quel on met une natte. Pour les e'chauffer, ils fe fervent de la braife d'un certain bois, qui brûle lentement 2c entretient une cha- leur égale . D' abord on ne leur donne que peu de chaleur, peu à peu on l'augmente, juiqu'à ce qu'elle devienne afsès forte, pour faire éclore les œufs . Si quelque fois ils augmentent trop la chaleur , les jeunes ca- nards fortent trop tôt, & meurent ordinai- rement au bout de trois ou quatre jours . On vend les jeunes canards éclos de cette manière , à ceux qui les élèvent. Ceux-ci e'prouvent de la manière fuivante , s'ils font éclos trop tôt : Ils prennent les jeunes ca- nards par le bec, lailTant le corps fufpendu. S'ils s'en dé^ndent , battant des pieds & des ailes ils font bien & duement éclos ; mais quand ils ont reçu trop de chaleur, ils retient tranquilles pendant qu' on les tient par le bec. Quelquefois ces derniers demeurent vivans , jufqu' à ce qu' on lailfe aller tous les jeunes canards à l'eau; ce qui arrive ordinairement environ huit jours , après qu' ils font éclos. Alors ils vacillent, fe jettent fur le dos & meurent après quel- ques convulfions. On les tire cependant de Teau & on les laifle fécher , puis qu'ils reviennent quelque fois ; mais lorlqu' ils Ibnt mouillés de nouveau, ils meurent fort fou- vent d' un pareil vertige . Quand i' eau s ell \ DES Chinois. 43 écoulée , on ramaffe les petites écrevilTes, 8c les crabes, on les fait bouillir & on les hache ; & au commencement on ne nourrit les jeunes canards que de cette pâture. Quel- ques jours après , on y mêle du ris bouilli & des herbes hachées. Quand ils font plus âge's , on les porte dans une grande Sam- pane dont le plancher fait de bois de Bam- bon , s' élève au deffus du niveau de T eau . Elle eft entourée d'une galerie & d'un pont qui s'abaifTe vers l'eau, on donne aux jeu- nes canards une vieille marâtre qui les mène , lorfqu' on les laifle defcendre le pont pour aller paître. La vieille canne efl tel- lement accoutume'e au cris qui vient de la Sampam , lorfqu' on veut les raflembler le foir , qu' elle y arrive , moitié en nageant & moitié en volant . Ils changent alors de place avec leur fampane , & abordent à un endroit, où il y a plus de nourriture pour leurs canards , & ils les laiffent aller jour- nellement au rivage fur les champs à ris . On efl étonné de voir ces fampanes entou- rées de milliers de canards grands & petits . Et ce qu'il y a de fingulier , c'eil que quand plufieurs Sampanes laiflent paître leurs canards au même endroit & qu' on les ap- pelle le foir , chaque canard fait retrouver la fienne. Les Chinois s'occupent confia- ment de la propagation des canards, excepté Ips trois mois d'hiver; & quoiqu'elle exige 44 De l'Economie rurale beaucoup de foin , on ne voit pas que ce foin les fatigue beaucoup ; car dès que les jeunes canards ont atteint V âge de quinze jours , ils lont en état , de pourvoir à leur nourriture eux mêmes . Les vers à foye mériteroient par leur utilité' , qu'on en parlât ici , ainfi que de la manière dant on les traite ; mais comme on eu trouve des détails dans d'autres rela- tions , je les pafle fous filence , & je me contente de remarquer, que les Chinois man- gent ces vers avec beaucoup d'appétit, après qu'ils en ont dévidé la foie. Ils les font pouillier frais , ou ils les sèchent . un Cat- ù {a) de ces vers fechés vaut huit à neuf Candarins {b) , On prétend , que vers Cbîngek'tau il y a une efpèce de vers à foye fort gros , dont on tire une foie fi épaiffe , qu' elle reffem- ble d'abord à du chanvre. Les habitans en font cependant une efpèce d' étoffe qui , quand elle efl neuve a l'air d'une toile crue, mais par Tufage &: par un blanchil- liige répété, elle obtient du luftre , & fait un meilleur effet. Il femble que cette foie ne fe laiflfe par teindre, puis qu'on ne lui donne jamais cet apprêt , On allure qu elle (ri) Ua Catti fait une livre & un quart do nôtre poids . (h) Petite moniio le Chinois . DES Chinois . 45 eil d'une dur^e incroyable. On l'appelle Chmchlati , de T endroit d' où elle vient . De la pêche . DA.ns ce païs dont la côte abonde en une grande variété de poiffons , le Taho , rivière longue & large à Ton embouchure > pafle pour être la plus fertile en toute forte de poiiTons . On feroit tenté de croire que le flux & le reflux empêcheroit la pêche , par- ticulièrement dans les endroits efcarpés & incommodes pour le filet ; cependant ils pren- nent une grande quantité de poiflbn de cette manière là . Voici leur manière la plus ordi- naire de pêcher : Ils mettent des longs bâ- tons ou paliflades dans les bancs de fable éloignés du rivage, à la diftance d'une toife l'un de l'autre. D'un bâton à l'autre, ils attachent des naffes teintes en noir & tri- cotées d'un fil fort. Cela fait que les poiC- fons , qui vont le long du rivage , s'y pren- nent. Cette pêche reflemble à nos nafles que nous mettons , dans les rivières . Ils ont aulfl une quantité de paniers, qui font faits de ferches de Bambou jointes à des branches d'oHer. Ces paniers ont une toife ik demi de longueur & reffemblent à nos naffes. Ils s'en fervent , quand l'eau monte plus haut, qu'à l'ordinaire. Ils les mettent le long du rivage , mais lis laiiTeni; 4^ De l' Economie rurale des ouvertures aux deux bouts du rang de paniers. C'eil: là qu'ils fe tiennent tranquil- les avec leurs fampanes ou barques , afin que le poidbn , qui cherche le rivage, puifTe y entrer librement. D'abord qu'il y a paffé, il trouve un rang de paniers de Bambou , qui font dii'pofés à la traverfe vers le riva- ge, & qui lui défendent la fortle. Dès que l'eau commence à s'écouler, ils ferment l'efpace qu'ils avoient laifTé ouvert, avec de pareils paniers. Quand l'eau s'eft entièrement écou- lée, ils entrent en dedans de l'enceinte pour ramaffer les poiiTons. Ils fe fervent auflî d'un filer flottant attaché entre deux barques avec lequel ils fe promènent pendant le iiux , & prennent les troupes de poiffons qu'ils ren- contrent. Ils fe fervent également d'un grand filet, attaché entre deux bâtons de Bambou , avec •lequel ils pèchent, auiïi bien dans leurs voya- ges par mer qu'au milieu de la rivière. Ils attachent des vers & des crabes aux hameçons , dont ils prennent des anguilles & d'autres petits poiffons. Ils fe fervent auliî d'une efpèce àQ Sampayies ^ qu\ font longues & bafles & qui ont des planches teintes en blanc aux côtés. Ils entretiennent un petit feu dans ces fampanes pendant la nuit. Les poiffons que la lueur du feu ainre, fautent dans la Sampane . Ces Sampanes font pro- prement conftruites pour une efpèce de poif- fû.is- qu'ils appellent Muhttes, DES Chinois. 47 Ils pèchent beaucoup avec le filet & l'ha- mecon entre les brifans & fur le rivage , 5c prennent quantité de poiflbns j^ qu ils fa- lent ou qu' ils sèchent pour les vendre dans les villes & villages voillns. \ Parmi la grande variété de poiffons , il y en a qui reflemblent à des poiffons connus chés nous , comme les carpes , les per- ches &c. ; mais je ne puis pas dire fi ce font les mêmes efpéces. Ceux que je con- nois avec certitude , font les anguilles , les crabes, les civades, les huitres , les moules & les homards . De ces derniers on en prend de très grands dans les écueils prés de Ma- cao. Ils brûlent les coquilles pour en faire de la chaux & ils fe fervent des plus lar- ges , pour en couvrir leurs maifoas au liâu de tuiles. cv^^ V . V s