RRQ 1, D, “tt ve SN : pe, + ae à — G. FES ESA EL. RENE à. LS Lan ve 1 YLTAM V à 73 va IMPENDERE NE ÿ SU a : A LP . VERO. 7 © Lo, C : DAS. on ÿ ) 4 Rs de QE Ca FX LENS (AE x LT LUE RE a F pe" De fe e"* \an Le Eh TN LL RB Se 241 ’ * à | | | À Library | of the À | c University of Toronto | Û TAN TRE CROSS POANE CAT ER A a ne “ie ro ET VE L x K ns. + he à. Le LUE in | A CENT A, & | Ne Ê LA ah CN du”. Le A4 k à ’ *: \, % ne à “SAM CE + ui + LL ÿ Li HAN % tt pe à “y | er : * De cd Digitized by the Internet Archive | in 2010 with funding from KL University of Ottawa ; bd à Von «té He de A POS ie out Join , fus NF cs 1 CS eote V4 2 VE na # in (LR La es y # se Mine, #- * NAT S mi : et N. PL ve NS F à Qi e A PR NEO, UP INA, SENS RE en ve N cond ï ù LEE RS *e - NEA" Ds ‘148 + - 254% à ee 9 | A LE . Vs ” . Get: k nd ù + \ 4 4 ” 8e SAS 8% -+) ss ie, | ., °v à | CNP. PROMENADE OU .ITINÉRAIRE DES JARDINS D’ERMENON VILLE, Auquel on a joint vingt-cinq de leurs principales Vues, dessinées et gravées par J, MERIGOT fils. Cuez Colours Speaks all Languages but word are only understood by such a People or Nation. (fe Spectator.) La Peinture parle toutes les Langues ; mais les mots différent suivant les Nations. À PARIS, Mericor, Libraire, rue Pavée-Saint- André- des-Arcs , n°. 7. Brunor-Lasee, Libraire de l’Université Impé- riale, quai des Augustins, n°. 33. Le Normanr,s Imprimeur - Libraire, rue de Seine, n°. 8. % Et M. Ricnarp, au Château d’£rmenonville. DE L'IMPRIMERIE DE BELIN. 1811. ‘ n Û 1 CP PEN US à PT AT A De he nn à PRE FA L'ET +: Svp r y eu . . ere | < _. Le: £ AUS £.. + 1e 2 Ée ‘Me té vtt Ho me BE. cui ges Hi Se Le" a der me mit D sir Reed dl + es DORE : æ , HE Jo 7e re AVERTISSEMENT. + D) ANS la nuit du 6 Décembre 1787, il est tombé une si grande quantité de pluie à Ermenonville, que le volume d’eau du petit lac en à été considérable- mment augmenté; la digue s'est rompue dans l'endroit où il formoit la grande cascade : ce torrent couloit avec une telle violence , qu'il entraitna des rochers , formaplusieurs excavations dans l'avant- cour, et détruisit presqu’en entier la cas- cade des fossés du château A cette époque, une parte de la des- cription qui paroit aujourd'hut, étoit achevée ; on & cru ne devoir y rien changer, parce qu'on présume M. de Gérardin assez attaché à son ouvrage , pour faire rétablir les jardins d'Erme- nonville tels qu'ils étoient avant cette inondation. | EE on Vo Vo To Ve To D Vo AVIS. 4 Ly ar des jardins, ou celui d'ajouter aux charmes de la nature champêtre, consiste uni- quement à exécuter des Tableaux sur le ter- rain , par les mêmes règles que sur la toile ; ces deux Arts d'imitation arrivent au même but, en suivant les mêmes principes , qui sont de produire une composition agréable par la disposition des masses, des plans et des fabriques, ex observant de les lier au pays par leur forme, leur style, et leur caractère. Si le Lecteur veut réfléchir sur ce que je viens de dire, il ne sera point étonné de ren- contrer fréquemment des termes techniques dans le cours de cet Ouvrage ; il sentira que je ne pouvois me dispenser d'employer les expressions de l’Ært de la Peinture, pour en rendre les effets. PROMENADE OU ITINÉRAIRE DES JARDINS D'ERMENONVILLE,. Ermenxonrirrr est à douze lieues de poste de Paris ; on suit, pour s’y rendre, la route de Compiègne jusqu'à Louvres. À deux milles au-delà de ce bourg, avant le 15°. mille, se présente sur la droite un chemin pavé qu'il faut prendre; il conduit à Mor- fontaine : il est difficile de ne pas s’y arrêter, pour en voir les jardins, qui, depuis quelques années, sont bien changés à leur avantage. Plus d’une lieue au-dessus de Morfontaine, et peu de temps après que l’on est entré dans la forêt, on trouve à sa droite un poteau, sur lequel est écrit Route d’Ermenonville (1). (1) Quand on n’a pas la clef des barrières, il faut 4 C2) Ce chemin de traverses d'environ une demi- lieue, est sablonneux, mais praticable dans toutes les saisons ; il passe à côté d’une petite baraque qui sert de rendez-vous de chasse. Là se trouve une route de Barrières , à l’en- trée de laquelle on lit: venue du château d’Ermenonville. Ce west point une de ces longues et ennuyeuses allées droites, qui n'inspirent dès le commencement que le désir d'en voir la fin; c’est une route si agréable- ment dessinée à travers la forêt, qu’on ne s’est point encore apercu de sa longueur, quand on arrive à l’entrée du parc, où se lit ce vers d'Horace : Scriptorum chorus omnis amat nemus et Jugië urbes, Les favoris des Muses aiment les bois, et fuient les cités. On passe .bientôt après dans une place prendre par une autre route un peu moins agréable, inais plus courte, dont voici Pindication. À une demi-lieue de Morfontaine, après une des- cente très-rapide, on trouve un poteau sur lequel est écrit Chemin d’Ermenonville : suivez-le jusqu’à la vue de l’abbaye de Saint-Sulpice, qu’on doit laisser sur la droite; et aprèsavoir traversé une pelouse, en coitoyant les bois, on entre dans une route de la forêt, qui mène droit à Ermenonville. (3) spacieuse, du milieu de laquelle s'élève un arbre majestueux ; et de là on descend à un pont fermé d’une barrière , où sont deux inscriptions qui annoncent le caractère des promenades d’'Ermenonville ; Vune.est tirée de Piron (1), et l’autre de Montaigne. Disparoissez, lieux superbes, Où tout est victime de l’art, Où le sable, au lieu des herbes, Atiriste par-tout le regard: Ici l’aimable nature, Dans sa douce simplicité, Est la touchante peinture D'une tranquille liberté, Piron: Ce n’est pas raison que l’art gaigne le point d’hon- neur sur notre grande et puissante mère nature. Nous avons tant rechargé la beauté intrinsèque et richesses de ces ouvrages, par nos inventions , que nous l’avons du tout étouffée; si est-ce que par-tout où sa pureté reluit , elle fait une merveilleuse honte à nos vaines et frivoles entreprises. Montaigne. Le château que vous découvrez en sortant de la forêt, est composé d’un corps de logis om (2) Épitre à Mademoiselle Chéré. (4) considérable, auquel se joignent deux grandes ailes parallèles : il n’a ni le caractère cheva- leresque des bâtimens gothiques, ni lélé- gance des fabriques modernes. M. de Gérar- din l’a conservé tel qu’il l’a trouvé; il a seu- lement cherché, par les arbres qu’il a plantés dans la cour, à rompre l’uniformité de ses lignes, et à diminuer la lourdeur de sa masse. S'il venoit à le reconstruire, 1l lui donneroit sûrement le caractère noble, élégant et pitto- resque que doit avoir la fabrique principale des jardins d’Ermenonville. Il est placé dans l’espace le plus étroit d’une vallée qui s’é- tend du 77idi au nord, bornée à l’est par les côtes argileuses d’une plaine fertile ; à l'ouest, par les côtes sablonneuses de la forêt. Il ne faut point de permission du maître pour voir le parc ; la seule chose qu’il désire, c’est qu'on envoie son nom en faisant deman- der un conducteur : ce n’est point par un motif de curiosité, mais pour qu'il ne passe pas, sans qu'il le sache, un étranger célèbre, un artiste habile , un écrivain distingué, auquel il seroit bien aise de montrer lui- même ses jardins. Avant de les parcourir, il faut commencer par se rendre au château, pour saisir l’ensemble du parc dans les deux (> [s VUE DU CÔTÉ DU MIDI... We ». (5) vues de la maison. Celle du midi offre un tableau composé dans le genre de C/aude Lorrain; on croiroit que cet artiste en a dessiné les plans et les masses : cette agréable composition est toujours animée par une quantité de figures et de bestiaux qui passent continuellement sur le pont et le chemin du village. Les formes du terrain ont été si bien sui- vies, qu'on ne peut imaginer que ce site n’aif pas-toujours été le même, et qu'il soit entiè- rement l'ouvrage de l’art. Cependant des bâtimens environnoient encore, il y a peu d’années, une cour carrée où l’on n’entroit que par une grille de fer. Une porte gothique, flanquée de tourelles, à laquelle se joignoient des murs à créneaux, défendoit l'entrée du château : la rue du village se ‘trouvoit en- fermée entre ces murs et ceux qui servoient de clôture à des potagers. Au-delà de ceux- ci régnoit, dans ioute la largeur du vallon, une chaussée d’étang de 60 toises de lon- gueur, plantée de tilleuls, qui formoient une promenade régulière : au milieu de cette digue étoit un grand escalier en pierre de taille, qui descendoit dans les potagers, di- visés par différens canaux. Ces formes symé- triques ne tardèrent point à disparoître lors- (8) que M. de Gérardin devint seigneur d’Erme- nonville. Bientôt les murailles furent abattues et la forêt découverte. Pour en rompre la ligne, on a placé sur une hauteur qui est en avant des bois, un temple construit d’après celui de Tivoli; le grand escalier de pierre a fait place à une chute d’eau ; elie forme une ri- vière qui tombe en cascade dans les fossés du château : les canaux ont été comblés, les potagers détruits ; un joli gazon les remplace ; la digue est masquée par des plantations qui se joignent aux plants de la forêt, et qui rompent la monotonie de sa forme. Un pont de bois établit la communication entre les deux parties du village qui se trouvent entiè- rement cachées. La grille de fer esttenlevée; la cour et l’avant-cour sont dépavées ; un gazon vient les lier au paysage dont elles font partie : des arbustes, des fleurs, forment de la cour un jardin agréable; et sur le tapis de verdure qui s'étend au milieu, on a planté un groupe d’ormes qui sert de repoussoir au paysage. C’est ainsi qu’on a vu le séjour le plus triste se métamorphoser en uün superbe tableau. Lorsque le génie commande, la na- ture obéit. Dü même salon où l’on est placé pour jouir LATE fa TT NT à À VUE DU COTE DU NORD. 118 RAS de la vue du midi, en tournant les yeux du côté du nord, vous découvrez une belle rivière qui serpente dans une vaste prairie : ce tableau fait un contraste frappant avec celui que vous quittez; 1l porte avec lui un carac- tère mélancolique et doux. Si le côté du rnidi a besoin, pour l'effet, des rayons brillans du soleil levant, il faut au contraire, pour em- bellir le côté du z0ord , les rayons affoiblis du soleil couchant; il seroit bien difficile de faire un choix entre ces deux aspects. Je sais que le tableau du midi doit plaire davantage aux artistes; la composition en est plus riche, la couleur plus variée, la scène plus animée ; mais je crois que Fhomme sensible donnera la préférence à celui duzord : il y règne toujours ce calme enchanteur, qui plaît si fort à l'ame; elle peut s’y repaître de souvenirs agréables, d'idées douces, s’y bercer d’aimables chi- mères, tandis que du côté du rnidi elle seroit toujours distraite par le bruit des cascades, par le mouvement du paysage, et se fatigue- roit enfin d’une situation qui ne lui permet pas de s’occuper des sentimens qu’elle éprouve. Le tableau du nord étoit moins difficile à deviner ; mais la situation en étoit encore plus désagréable que celle du midi : un marais remplissoit la vallée dans toute son étendue, Ho: jusqu’au pied des côtessablonneuses du levant; la gauche étoit entièrement boisée ; on voyoit en face du château quatre petits carrés, en- tourés d’arbres taillés en boule, et au milieu de ce parterre, un bassin avec un jet d’eau : tel étoit le côté du nord avant que la coignée vint éclaircir toute la partie gauche, décou- vrir la tour et la hauteur de Mont-Épiloy, dont la couleur vaporeuse et l'éloignement donnent une grande profondeur au tableau. La rivière produite par la chute d’eau du midi, se précipite en cascade dans les fossés du château, et se divise, pour l’entourer, en deux bras qui viennent se réunir devant la facade dunord; de là, poursuivant son cours en serpentant dans la prairie, elle baigne plu- sieurs îles : sur la pointe la plus élevée. de l’une d’elles, est placé un bâtiment gothique, dominé par une vieille tour d’un bon style; cette fabrique, par sa forme et sa masse, met les fonds dans leur point de perspective. À l'endroit qui paroît être l'extrémité de la ri- vière, on a construit un moulin dans le genre de ceux que l’on trouve en Italie. En avant des bois de la gauche, on apercoit un joli hameau qui se dessine agréablement à travers les arbres. Le clocher de l’abbaye de Chaalis s'élève au-dessus de ce plan, et paroît en faire AVAHALVHN AC ALOYD V HUHVOISVI ot ra AUS LT 0e F£ . WARS (C9) partie, quoiqu'il en' soit encore fort éloigné. Ce qui mérite d’être rémarqué dans la com- position du tableau du nord, c’est la manière savante dont il est lié au pays : on diroit que celui-ci appartient en entier au seigneur d'Ermenonville. Le grand art en effet est de savoir, par la disposition des masses et des plans, s'approprier, pour ainsi dire, le bien de ses voisins. En Angleterre même, on n’a jamais pensé à dessiner un tableau fait pour être vu de la maison. M. de Gérardin, qui n’a point cherché à imiter le genre anglais dans ses compositions, est le premier qui se soit oc- cupé de l’ensemble, et c’est aussi lui qui a donné le premier, en France, l'exemple d’em- bellir les campagnes, et qui a réduit cet art en principe dans son excellent ouvrage sur les jardins. Parmi les nombreuses imitations auxquelles Ermenonville a servi de modèle, je ne connois que Lusancy où l’on ait cherché à composer un tableau pour la maïson, et où l’on ait mis la campagne dans le jardin, et le jardin dans la campagne. On ne réussira cependant jamais à faire quelque chose de bien, de noble, de grand, dans le genre pifto- resque, si l’on ne commence d’abord par mé- diter l’ensemble ; c’est la base de toute bonne (10) composition. Cet ensemble étant bien disposé, les détails naîtront fpour ainsi dire, d’eux- mêmes : c’est à ce principe fondamental , dont il ne faut jamais s’écarter, qu'on doit tout l'agrément de ceux des jardins d'Erme- nonville, que nous allons parcourir. Pour commencer la promenade, aprésavoir descendu le pont qui est à droite de la terrasse du château, prenez le sentier qui ramène au midi, à la vue de la cascade, dont les eaux, divisées par les masses de rochers qui s’op- posent à son cours, se détachent sur le fond de la forêt, et produisent un bel effet. On sort de l’enceinte du chäieau par une barrière qui tient à un des pavillons d'entrée: celui-ci sera célèbre à jamais; c’est celui qu'habitoit J.-J. Rousseau; c’est là qu'il a terminé sa carrière. Les grands peupliers qu’on aperçoit de l’autre côté de la rue, ombragent un bassin formé par la fontaine du village. Sur un pié- destal, se lisent ces deux inscriptions : Le jardin, le bon ton, l’usage Peut être anglais, français, chinois; Mais les eaux, les prés et les bois, La nature et le paysage, Sont de tout temps, de tout pays: Ci 2 Cher ni) IN) de . 1e EUR = r$ # = F CR SE Dm L rs Es SALES Su VO RELT" = , + [Es FU ur. (11) C’est pourquoi , dans ce lieu sauvage, Tous les hommes seront amis, Et tous les langages admis. Ici commence la carrière D'un doux et champêtre loisir ; Chacun, au gré de son plaisir, À chaque borne milliaire, Pourra poursuivre ou s’arrêter : Dans la carrière de la vie, Par le sort ou la fantaisie, Chacun se sent précipiter ; Mais, pour ne jamais culbuter Dans l’abime de la chimère, Le seul moyen, c’est de bien faire, Ou bien de savoir s’arrêter. C’estici l'entrée du parc, dont je vais essayer de donner une idée. Je sais combiert les mots sont insuffisans pour décrire ; ce n’est point avec leur secours qu’on peut faire connoître les formes exactes d’un pays, et les descrip- tions sont toujours au-dessus où au-dessous de ce qu’on veut représenter ; il faut avoir recours au dessin pour rendre des paysages : aussi lemploierai-je pour faire connoître quelques-uns des sites les plus intéressans de ces jardins. Dans un lieu où le goût a présidé par-tout à embellir la nature, et a produit des tableaux aussi variés que pittoresques , (z2) ce qu'il y avoit de plus difficile étoit de savoir faire un choix, afin de ne pas rendre trop volumineux un ouvrage dont le but est de servir de guide à ceux qui parcourent ses pro- menades : mais poursuivons la nôtre. Ce sen- tier ombragé qui suit le cours de la rivière, conduit à une grotte tapissée de plantes ram- pantes de toute espèce, qui contribuent à lui donner un air de vétusté; entre plusieurs voûtes de rochers, on aperçoit la cascade, que la couleur sombre de la grotte fait pa- roître plus brillante. C’est du banc de mousse qu'il faut jouir de cet effet d’eau qui est agréable aux yeux, et porte l’ame à une mé- lancolie douce et tendre. Vous apercevez dans une retraite, en face de vous, cette inscription imitée du poëte Shenstone : Nous Fées et gentilles Naïades, Etablissons ici notre séjour : Nous nous plaisons au bruit de ces cascades, Mais nul mortel ne nous vit en plein jour : C’est seulement quand Diane, amoureuse, Vintse mirer au cristal de ces eaux, Qu’un poëte a pensé, dans une verve heureuse, Entrevoir nos attraits à travers les roseaux. O vous qui visitez ces champêtres prairies, Voulez-vous jouir du destin le plus doux? Nayez jamais que douces fantaisies, Et que vos cœurs soient simples comme nous. LA "ALLOUY VI SAOS AUVISVI Au LE PE TILL À: | (15) Lors, bien venus dans nos rians bocages, Puisse l'Amour vous combler de faveurs ! Mais maudits soient les insensibles cœurs De ceux qui briseroient, dans leurs humeurs sauvages, Nos tendres arbrisseaux et nos gentilles fleurs ! Assurément il faudroit être bien peu poli, pour ne pas se conformer à un avertissement aussi gracieux. Un escalier, artistement ménagé entre les voûtes et les rochers, indique la sortie de la grotte. En quittant un asile sombre et retiré, on est agréablement surpris de se trouver sur les bords d’un lac qui paroît n'avoir d’autres bornes que celles de la vallée. Le superbe amphithéâtre de la forêt se termine à l’ouest ; et à l’est une colline de verdure, plantée de noyers, descend, par une pente insensible, jusqu’au bord de l’eau; son extrémité se perd parmi des plantations variées, en avant desquelles se détache l'ile des Peupliers , où l'on entrevoit le tombeau de Rousseau : ce monument ajoute un grand intérêt à l’agré- ment de ce magnñfique paysage, dont l'effet est d'autant plus frappant, qu'il étoit absolu- ment inattendu. On a fait graver au-dessus de la grotte ce vers de Virgile : Spelunceæ , vivique lacus , hic frigida Tempe. (14) Des grottes, des lacs d’une eau vive, et la rraicHEUR de la vallée de Tempé. Les eaux qui sortent du lac pour fournir la cascade, forment un courant que l'on tra- verse à l’aide de quelques pierres : le reste de la chaussée, couvert d’une pelouse fine, offre une promenade très-agréable, qui se perd sous une voûte de tilleuls, les seuls qu'on ait laissé subsister de la grande allée qui régnoit autrefois sur toute la longueur de la digue : au fond de cette perspective, deux colonnes qui soutiennent un péristile, parois- sent indiquer l'entrée d’un temple : la majesté de cette arcade de verdure rend cet aspect imposant. Au lieu de poursuivre directement votre chemin, prenez, sur la droite, un petit sentier pratiqué à travers les rochers; il ramène au pied de la cascade, dans un point de vue d’où clle produit encore un effet très-piquant (1). (1) Les rochers qui sont auprès de la cascade pa- roissent si bien y avoir existé de tout temps ,quejedis à mon conducteur que M. de Gérardin étoit bien heu- reux de les avoir trouvés là. — C’est lui qui les y a fait placer. — Comment cela se peut-il? — Par un. moyen fort simple: il consiste à chercher dans la campagne des rochers dont les formes soient heureuses et pitto- resques, à les faire casser ensuite en masses assez pe- y ph D 'u (Je dé pa 4 DEAR RUB Le ei dl  LOT ITU x EUR 1 : (15 ) Le sentier s'enfonce ensuite parmi des arbres touffus qui se courbent en voûte ; à travers les rameaux entrelacés, on suit le contour de la rivière. Cette allée tournante et sombre mène à un site arrangé dans le goût italien : il donne un tableau parfaitement bien composé dans le genre de Robert. Arrivé au haut de l'escalier , au lieu de suivre l'allée régulière et voûtée, passez dans un bâtiment dont l'entrée est annoncée par deux colonnes; elles soutiennent un portique, et donnent du caractère à une fabrique qui jadis étoit un moulin. Du rez-de-chaussée on a fait une brasserie, au-dessus de laquelle est une grande salle attenante à un pont de bois; il faut le traverser, pour regagner ensuite la forêt, où le chemin se soutient quelque temps à mi-côte sur un terrain âpre et difficile ; tites pour en rendre le transport facile, à les numé- roter et à les rapporter sur le terrain dans le même ordre. On bouche ensuite les cassures avec de la mous%e.... Je suis étonné qu’on n’ait pas employé ailleurs ce moyen, aussi facile que peu dispendieux , plutôt que de faire tailler régulièrement , à grands frais, des formes irrégulières, et de ne présenter que des blocs de pierre qui jamais n'imitent les rochers. Mais M. de Gérardin étoit son architecte... (16) puis il descend tout à coup dans une cavité profonde, dont les bords élevés sont cou- ronnés de bois et de rochers qui semblent suspendus. Sous une de ces roches, couverte de mousse et de lierre, est un renfoncement obscur, consacré à la méditation par l’in- scription suivante : Between the gloomy forest, there studious let me sit, And hold high converse with the mighty dead. « Cest à ombre des forêts que j’aime à me reposer, » et à méditer, en de sublimes entretiens , avec les » Morts célébres. » En quittant cette retraite, on perd de vue les eaux tranquilles qui la baignent. Le chemin continue entre les tiges entre- mêlées de la futaie, et conduit à un abri sous le creux d’un rocher, où l’on a fait allusion à la fameuse grotte de Didon : Shower make’ em both get under ihe cliff or grove Thunder they hear no more but only the sweet love. « L'orage les fit entrer tous deux sous le creux d’un » rocher; ils n’entendirent plus le tonnerre, mais » seulement la voix du tendre Amour. » On s'éloigne de cette espèce de grotte, qui n’est point assez profonde pour offrir aux amours le voile du mystère, et pour justifier linscription. Le sentier se prolonge sous les arbres n £ RCA RoerR Ce EL Gers ärbtes dé la haute futaie, et Vous mène darié ün endroit où la rivière, resserrée par des rochers, ne forme plus qu'un ruisseau rapide : le bruit si doux de ses petites cascades donne un charme de plus à la fraicheur de cet asile; au milieu du ruisseau, s'élève sur une base de rochers une pierre carrée, avec cette inscription 3 LA Coule, gentil ruisseau ;'sous cet épais feuillage; Ton bruit charme les sens, il attendrit le cœur : Coule, gentil ruisseau ; car ton cours est l’image De celui d’un beau jour passé dans le bonheur. Entre les arbres qui ombragent le cours de la rivière , on aperçoit un autel de forme ronde ; mais pour jouir de cette délicieuse si- tuation, où Gesner auroit placé la scène d’une idylle, il faut s’asseoir sur une roche au bord du ruisseau ; elle est appuyée contre un groupe d’aunes, qui lui sert de dossier : c’est là que Rousseau, fatigué de sa promenade, se reposa vérs lé milieu d’un beau jour d'été. La soli- tude des forêts, le murmure mélodieux des eaux , le calme enchanteur qui règne dans les bois, le plongèrent dans une douce mé- lancolie. Bientôt les malheurs qu'il dut à sa célébrité s’effacèrent de son imagination; il ne se ressonvint plus que de ces temps heureux 9 ci (18) où Madame de Warens étoit l’objet unique qui remplissoit son cœur. Revenu de cet état délicieux, qui seroit le bonheur s’il pouvoit durer toujours, l’ame encore échauffée par ces douces chimères, il s’avance d’un pas chancelant vers l’autel ; il y trouve ces vers de Voltaire : Il faut penser, sans quoi l’homme devient, * Malgréson ame; un vrai cheval de somme: Il faut aimer , c’est ce qui nous soutient ; Qui n’aime rien, n’est pas digne d’être homme. Encore ému par ce qu’il venoit d’éprouver, il prend un crayon; il écrit : 4 la réverie. Tous les mots échappés à ce grand homme méritoient d’être gravés. Les vers de Voltaire sont effacés, et le burin consacre à jamais cette inscription, qui peint si bien le caractère de cet endroit. Sur la face opposée de lau- tel, on lit : Questo sesgio ombroso e fosco Per i Poeti, Amanti, e F'ilosofi. Les ombrages épais qui couvrent cet asile, con- viennent aux Poëtes, aux Amans, aux Philosophes. La rivière reprend un cours plus tranquille; le chemin est resserré par la côte de la droite, qui ne laisse entre elle et la rivière que l’es- pace du sentier : des coudriers qui se joignent sur ce passage, y forment un berceau : cette 1 wi" [ar al ASE LA x 1 4 LISLEÉ DES PEUPLERS 11.9 (19) promenade agréable vous conduit à l'endroit où la vallée s’élargit un peu. Sur une éminence escarpée qui se présente en face, on a construit au milieu des bois un hermitage : jamais situation ne fut plus favorable et mieux choisie pour un lieu con- sacré à la retraite et à la solitude. Laissez sur la droite le sentier qui monte ’ à l'hermitage ; celui qui traverse le pont vous mène sur le bord du lac, en face de l’île des Peupliers; mais c’est un peu plus loin, au banc des mères de famille ; qu'il faut s’ar- rêter, pour saisir ce tableau dans tout son ensemble. On ne peut se défendre d’un sentiment de vénération, en apercevant le tombeau de J. J. au milieu des peupliers. Ce monument imprime un grand caractère à tout le paysage. Quel est le cœur sensible qui refuseroit quel- ques larmes à la mémoire d’un homme dont les écrits lui ont fait passer d’aussi délicieux instans? Ceux qui, comme moi, ont eu le bonheur de connoître J. J. Rousseau, lui en doivent bien davantage. Il étoit impossible de n’être pas tendrementattaché à cet homme si bon, si aimant, et sur-tout si sensible. Mais je sens qu'il faut m'arrêter: jai promis au public un Ztinéraire d'Ermenonville, et non (20 ) point l'expression des sentimens d’attachement et d'enthousiasme que renouvelle dans mon cœur tout ce qui me rappelle le souvenir d’un homme que j'ai pleuré si souvent. La fraîcheur, la variété du coloris, les rayons animés du soleil, le ramage des oi- seaux , donnent à la nature, pendant le jour, un air de gaieté qui ne convient point à ce tableau : on aime à la voir en deuil après la perte de son amant. Si vous voulez jouir de tous les charmes de ce lieu, venez le con- templer dans le silence d’une belle nuit. Re- gardez la lune qui s'élève derrière l’amphi- théâtre des bois; sa lumière pâle et argentée éclaire le monument, et se reflète dans les eaux tranquilles et transparentes du lac; cette clarté si douce, jointe au calme de toute la nature, vous dispose à une méditation pro- fonde. C’est à vous, amis de Rousseau, c’est à vous que je m'adresse ; vous seuls pouvez sentir le charme attendrissant d’une pareille situation. Dans ces lieux solitaires, rien ne peut vous distraire de l’objet de votre amour: vousle voyez; il est là. Laissez, laissez couler vos larmes ; jamais vous n’en aurez versé de plus délicieuses et de mieux méritées. Ces quatre vers sont gravés sur le banc des mères de famille : (21) De la La à l'enfant il remit les tendresses, De l’en De l’homme , à sa naissance, il fut le bienfaiteur, nt à la mère il rendit les caresses; Et le rendit plus libre, afin qu’il fût meilleur. Sur une grande pierre couchée au pied d’un saule voisin, vous trouvez l'inscription 2 suivante : Là, sous ces peupliers, dans ce simple tombeau Qu’entourent ces ondes paisibles, Sont les restes mortels de Jean-Jacques Rousseau. Mais c’est dans tous les cœurs sensibles Que cet homme si bon, qui fut tout sentiment, Là De son ame a fondé l’éternel monument. Je vais donner une description d'autant plus exacte du monument, qu’on ne permet plus à personne d’en approcher (1). (1) M. de Gérardin laissoit autrefois à tout le monde la liberté d’aller à l’île des Peupliers. Bientôt on en abusa pour écrire des horreurs sur le tombeau; on essaya même d'en mutiler les sculptures : ce fut à l’époque où il fit défendre aux conducteurs de mener sur l’île. I n’y a point de semaine où l’on ne soit obligé de raccommoder des grilles forcées, et où l’on ne surprenne des gens qui s’amusent à détruire, pour le seul plaisir de faire le mal: ce qui pourroit forcer M. de Gérardin d'interdire l’entrée de ses jardins au public, qui ne respecte pas des lieux livrés à sa bonne foi. (22) L’estampe(r) en dffrira une idée biemnette: on a conservé dans la forme toute la pureté de l'antique; c’est à M. Robert qu’on en doit le dessin ; les sculptures en ont été exécutées par e Sueur, et font beaucoup d'honneur à ce jeune Artiste ; on y découvre cependant quelques légers défauts, qu’il corrigera sans doute. Le voyage d'Italie, qu’il a fait depuis que cet ouvrage a été achevé, aura contribué sûrement à perfectionner son goût et son ta- lent par la contemplation des chefs-d’œuvre de l'antiquité et l'étude des grands maîtres. Sur la face qui regarde le midi, on voit un bas-relief représentant une femme assise au pied d’un palmier, symbole de la fécon- dité ; elle soutient d’une main son fils qu’elle allaite , et de l’autre tient le livre de l'Érmile. Derrière elle est un groupe de femmes qui font une offrande de fleurs et de fruits sur un (1) Elle est copiée d’après celle de Godéfrêy, dessinée par Gandat ; c’est prouver à cet Artiste qu’on ne pouvoit faire mieux. Ce jeune homme a véritable- ment l’amour de la peinture, et se consacre entière- ment à l'étude de son art; aussi nous pouvons prédire avec assurance qu’à son retour d'Italie il sera un de nos meilleurs paysagistes. (25 ) autel érigé devant une statue de la Nature. On aperçoit dans un coin un enfant qui met le feu à des maillots et à différentes entraves du premier âge, tandis que d’autres sautent en jouant avec un bonnet, symbole de la liberté. Les deux pilastres qui sont à côté du bas-relief, sont décorés de deux figures; l’une représentant l'Amour, l’autre l'Éloquence k avec leurs attributs. La devise que Rousseau a justifiée par ses Ecrits, est placée sur le fronton , au milieü d’une couronne : | Vilam impendere vero. * Sur la face, du côté du nord, est écrit : Ici repose l’homme de la nature et de la vérité. Sur les pilastres correspondans, on voit la Nature représentée par une mère allaitant des enfans; la Vérité, par une femme nue, te- nant un flambeau. Des vases lacrymatoires sont sculptés sur les deux petites faces: sur le fronton de ce côté, deux colombes ex- pirent au pied d’une urne, sur des torches fumantes et renversées. Tel est, dans tous ses détails, le monument qui renferme la cendre de Rousseau. Ce n’est pas sans peine que vous quittez le banc des mères de famille , pour continuer la promenade ; elle passe entre des saules (24) qui ne sont point mutilés, comme ceux qu'on rencontre ordinairement au bord des rivières. On voit dessous un gazon aussi frais , aussi beau que ceux d'Angleterre (1); il s'étend jusqu’au pont (2) que vous rencontrez à l’ex- trémité du lac; c’est de là qu’il faut le regar- der encore une fois dans un point de vue d’où il fait un effet extrêmement agréable. Sur la pointe d’une île qui s’avance dans ses eaux , vous apercevez un petitmonument, dont une partie est cachée par desbuissons; il porte cette inscription : Hier liegt George-Friederich Mayer, aus Strasburg geburtig, er war ein geschickter mahler und ein redlicher mann. « Ci git George-Frédéric Mayer , né à Strasbourg; » c’étoit un peintre habile et un honnète homme. » (1) Il a été semé par le jardinier Ecossais qui est à Ia tète des jardins d’'Ermenonville, et prouve bien que si Von vouloit , en France, apporter les soins nécessaires à l'eniretien des gazons dans les terrains humides et frais, ils seroient aussi agréables qu’en Angleterre. (2) Avant d’arriver à ce pont, on trouve un sentier qui se dirige sur la dfoite, et qui passe devant un obélisque, pour s'enfoncer ensuite dans la forêt. Je conseille à tous ceux qui viennent voir Ermenonville, de le suivre: l’inondation du 26 décembre 1787 a tellement dégradé la Prairie Arcadienne , que la pro- menade en est devenue presque impralicable. IA PRAIRIE ARCADIENNE 11. (25 ) La petite rivière qui se présente vous en- gage à suivre son cours ; elle est ombragée par des saules, sous lesquels passe le chemin pu- blic de Fer à Ermenonville: c’est celui que Von prend pour continuer la promenade le long de la prairie. Nous allons bientôt trouver des scènes pastorales, qui nous rameneront aux fictions aimables du premier âge. Les tableaux de la Prairie Arcadienne auront tous ce caractère champêtre et simple, si conve- uable à des lieux qui sont censés avoir été habités par de bonnes gens. Le ruisseau que vous cotoyez n’a pas plus de six pieds de large et trois de profondeur. C’est cepen- dant là le petit volume d’eau dont on a tiré un si grand parti pour former les lacs, les cascades et la rivière des jardins d'Erme- nonville : elle se nomme /a Nonette. Après avoir pris sa source au village de Fer, elle descend à Ærmenonville, Chaalis, Fon- taine , Senlis, et va former les belles eaux qui contribuent à faire de Chantilly un séjour enchanteur : elle se jette ensuite dans l'Oise. Peu de rivières, dans leur cours, arrosent des lieux plus agréables. Après avoir traversé le premier pont que l’on rencontre sur la droite, vous entrez dans un bois d’aunes, où se trouvent une pièce d’eau ( 26 ) et quantité de petits ruisseaux, dont les diffé- rentes branches séparent des touffes de bois qui forment autant de petites îles. Du banc placé sur le bord de l’eau, on jouit de la vue de la Prairie Arcadienne dans tout son déve- loppement. Sur le devant de ce tableau est une cabane de roseaux , appuyée contre un vieux chêné dont les branches s'étendent au loin pour garantir de la fureur des vents l'habitation qu’elles ombragent. Cette simple demeure rappelle l’idée de la cabane de Phi- lémon et Baucis. On hit sur la porte: Le siècle d’or ne fut point fable: Point d’or, on n’y manquoit de rien. Dans ce siècle de fer, eh bien! On a de l'or, on est plus misérable. Le plus riche est celui qui, sans gène et sans soins, À le plus de plaisir et le moins de besoins. Après avoir erré en suivant le cours des différens ruisseaux qui serpentent dans le bois d’aunes, on en sort pour rentrer dans la forêt, qui n’en est séparée que par une petite rivière, sur laquelle est un joli pont de bois qu'on passe pour arriver à un banc circulaire; des coudriers pliés en berceaux le couvrent, et forment une grotte verte. Sur le grand chêne qui est en face, vous apercevez un trophée champêtre, au dessous duquel on Hit cette (87) idylle, dont la musique et les paroles sont de M. de Gérardin. O Chloé! je t'aime, parce que ton ame est aussi douce que les grâces qui t’embellissent. Cette grotte de verdure, c’est moi qui l’ai faite pour toi. O Chloé ! je l'aime, parce que ton ame est aussi douce que les grâces qui V’embellissent. Elle est garantie des ardeurs du midi; les zéphyrs seuls y peuvent pénétrer. O Chloé ! je l'aime , parce que ton ame est aussi douce que les grâces qui t’embellissent, Au pied de son om- brage est une petite source d’eau pure; tous les oiseaux de ce bocage s’y rendront à ta voix; d'ici nous pour- rous voir nos troupeaux bondir sur la prairie voisine, Viens, Chloé, viens dans cette retraite, et nous yserons heureux; car non-seulement je aime, mais je L’ai- merai toujours, parce que ton ame est aussi douce que les grâces qui ’embellissent. Et C//0é aimera Daphnis, parce qu'aucun berger ne peut l’aimer, ne peut l’ai- mer mieux que lui. Ainsi chantoit Daphnis, le berger qui planta cette grotte verte: Chloé, du bocage voisin, entendit son naïf chant d’amour ; elle en fut vivement touchée, parce qu’elle sentit qu’elle étoit aimée véritablement. O mon ami, dit-elle en s’avançant et tendant la main à Daphnis, je viens dans'ta grotte, et nous y serens heureux; car je l'aime plus que mon agneau n’aime l'herbe fleurie, plus que les abeilles n’aimeni le doux parfum des fleurs (1). (1) On trouvéra la musique de cette idylle à la fin de l'ouvrage. s (28) La promenade se continue en suivant un chemin qui tantôt s'enfonce dans la profon- deur des bois, et tantôt ramène à des clai- rières. Dans les points de vue intéressans, on trouve toujours des bancs; c’est une attention du propriétaire, d'en avoir placé dans tous les endroits où l'agrément du lieu donne en- vie de s'arrêter. Sur le tronc de deux chênes accouplés, qui servent de dossier à l’un de ces bancs, on a gravé: | Omnia junxit amor. VIRGILE. « L’amour a tout uni. » Auprès d’un autre, d’où l’on découvre la prairie, se lisent ces vers : O charmante couleur d’une verte prairie, Tu reposes les yeux et tu calmes le cœur: Ton effet est celui de la tendre harmonie, Qui plaît à la nature et qui fait sa douceur. Plus loin, vous êtes arrêtés par l'aspect d’un temple rustique, situé sur une éminence : il est couvert en chaume, et soutenu par des troncs d’arbres qui tiennent lieu de colonnes. Sur le fronton on lit : Fortunatus et ille Deos qui novit agrestes ! Illum, non populi fasces , non purpura Regum , Flexit, et infidos agitans discordia fratres. VIRGILE. L'OBELIS QUE. 15 Rs > ni Ne Mia ét 2ress) > PA TEMPLE RUSTIQUE. (29) Heureux celui qui connut les Dieux de nos cam- pagnes ! ni les faisceaux populaires, ni la pourpre des rois, ni la discorde agitant des frères divisés, n’eût ébranlé son ame. Bientôt après ce temple, vous trouvez un chêne dont la cime élevée domine la forêt. Cet arbre, d’une beauté rare, est consacré à la mémoire d’un homme vertüeux. Palémon fut un homme droit: Il a planté ce chène. Que ce bel arbre soit à jamais consacré A la droiture et à la probité; Que la foudre et le méchant s’en écartent, Le sentier s'éloigne de la rive fraîche et fleurie de la petite rivière , pour serpenter dans la forêt, et conduire à des points de vue dont le genre agreste rappelle ces scènes pastorales embellies par la brillante imagi- nation des poëtes qui ont chanté les amours des bergers et les mœurs du siècle d’or : il ramène ensuite sur le bord du ruisseau, à l'endroit où l’on a placé un petit obélisque. Ce monument, situé près du chêne de Palé- mon, est construit en briques dont la couleur rougeütre s'accorde parfaitement avec la teinte mystérieuse que répand sur cet asile le vert sombre des aunes qui l’environnent de toute part. Chacune des faces de cet obélisque (50 ) est dédiée à l’un des poëtes qui ont excellé à présenter les douces images de la nature. Dem Salomon Gesner. Er hat gemahlet was er Gesagt hat. « À Salomon Gesner. Il a peint ce qu'il a dit, » Fhompson, Like the circling sun; his Warm genius Coloured and vivified every Season of the year. « Semblable au Soleil dans son cours, le génie brû- » Jant de Thompson colora et vivifia les saisons. » Genio P. Virgilii Maronis Lapis iste , cum luco, sacer esto. « Que cette pierre et ce bois soient consacrés au » génie de Virgile. » ! » >» 14 / a v Ocoxper AmoAAoy: Dino, Mocns Te 95» OT sus, LA € Zur ricw d° oduy npéaro Bono Îruye « À Théocrite, poëte chéri d’A pollon et des divines » Muses, qui lui apprirent à chanter les bergers. » Auprès de l’obélisque, -sur une pierre de taille couchée au pied d’un groupe d’aunes, on lit les vers suivans : This plain stone To William Shenstone In his verses he display’d His mind natural (51) Ai Leasowes(r) he lay’ä Arcadian greens rural. Venus fresh rising from the foamy tide, She ev’ry bosom warms, While half withdrawn she seems to hide And half reveals, her charms. Learn hence, ye boastful of taste! Who plan the rural shade, Learn hence to shun the vicious waste Of pomp , at large display’d. « Cette simple pierre est dédiée à W. Shenstone. Dans ses vers il déploya un génie facile et naturel; à Leasowes il rappela les sites touchans et cham- pêtres de l’Arcadie. » Vénus sortant de l’écume de l’onde, embrase tous les cœurs, lorsque, se dérobant aux yeux, elle semble voiler à moitié des charmes qu’elle laisse pourtant entrevoir. Apprenez de là, vous qui vous vantez d’être les enfans du goût, et qui dessinez les jardins champêtres, apprenez à éviter Ia profusion vicieuse d’une magnificence étalée tout à la fois. » Le chemin qu’on voit s’enfoncer dans la forêt sous des coudriers touffus, est celui qu'il faut prendre en quittant l’obélisque : il conduit à une hauteur, sur laquelle se trouvent (1) Leasowes est dans le comté de Salop, sur le chemin de Birmingham à Bewdeley ; il n’y a point en Angleterre de jardin plus délicieux et plus poé- tique : il a été dessiné par le poëte Shenstone, auquel il appartenoit. (52) plusieurs sorbiers aux grappes couleur de feu. Ce fut là que les ouvriers, occupés à briser un rocher pour construire l’hermitage, enten: dirent la terre retentir sous leurs coups: Pour de pauvres gens, ‘tout endroit qui résonne ainsi recèle un trésor. Aussitôt on fouille , on cherche, on découvre un seuil et des jam- bages de porte ; mais au lieu d’or, il ne se trouve que des pierres à fusil, un éperon | de fer, et quantité d’ossemens ; c’est ce que constate l'inscription gravée sur un piédestal à l'entrée du caveau : Hic fuerunt inventa plurima Ossa occisorum , quando F'ratres fratres, cives cives trucidabant. Tantüm Religio potuit suadere malorum ! Ici furent trouvés beaucoup d’ossemens de gens massacrés, dans ces temps où les frères égorgeoient leurs frères, et les citoyens leurs concitoyens. Tant le fanatisme a pu causer de maux! On s'éloigne volontiers de ce monument de barbarie, qui rappelle des temps d’hor- reurs et de calamités, où l’amour de Dieu servit de prétexte à la fureur des hommes. Assez près de cette espèce de catacombe, se trouve l’Ermitage , dont nous avons donné la vue. Un petit enclos, fait de pâlis, forme l'emplacement du jardin : comme il n’y a point d’ermute, ( 55 ) d’ermite , il n’est point cultivé : plusieurs se sont présentés pour lhabiter, mais n’ont pas été admis. Je le concois facilement ; 11 étoit à craindre que leur personne n’ajoutât rien à l'agrément de leur habitation. L'intérieur de l’'Ermitage est meublé avec toute la simplicité qui convient au caractère du bâtiment; on a évité le mauvais goût de ceux qui ont placé dans des fabriques du même genre tous les ustensiles monastiques, depuis le sablier jusqu’à la tête de mort ; détails qui n’offrent que le tableau dégoûtant de l'ignorance et de la superstition; et l’on s’est éloigné de l’excès, encore plus ridicule, de ceux qui les ont décorés avec un luxe recherché, imaginant que la richesse de l’in- térieur devoit faire un contraste agréable avec l'aspect rustique de l'extérieur. Sur la porte de l’Ermitage se lisent ces deux vers : Au Créateur j’élève mon hommage, En l’admirant dans son plus bel ouvrage. Si vous descendez par l'escalier de l'Er- mitage, vous vous trouvez dans un vallon resserré entre des bois épais et des pentes couvertes de fougère. La route de la gauche conduit, en tournant, au sommet de la côte, 3 (54) sur laquelle est situé le Temple de la Philo- sophie, qui fait un si bel effet de tous les points dont il est apercu. Cette fabrique fait le devant d’un tableau dont la composition ne laisseroit rien à dési- rer, si l’on n’apercevoit pas le château dans le fond. Il faut avouer pourtant qu’il est moins désagréable de ce point de vue que de tout autre, parce qu’il est en partie caché par des groupes d'arbres : cependant sa lourde masse et ses toits élevés font un contraste choquant avec le style noble et élégant du Temple. Ce monument, érigé à la Philosophie moderne, est dédié à Michel Montaigne , comme on le voit par l’inscription placée dans l’intérieur du bâtiment : Hoc Femplum inchoutum Philosophie nondum | perfectæ, Michaeli Montaigne , qui omnia dixit, Sacrurn esto. Que ce Temple de la Philosophie, qui est encore imparfaite, soit consacré à Michel Montaigne, qui a tout dit. Sur le fronton de la porte : Rerum cognoscere causas. Vircizr. «Connoître le principe des choses. Sur une colonne brisée, à l'entrée du Temple : br ‘ XIHA4OSO’IEd VIA A'IANAXL I (5) Quis hoc perficiet ? Qui l’achevera ? Sur la base de la même colonne : F'alsum stare non potest. Le faux ne sauroit subsister. Cette grande vérité eût été mieux placée sur une partie du Temple qui auroit eu l'air de s’en être détachée. Chacune des six colonnes, d'ordre toscan, qui soutiennent la rotonde, est consacrée à la mémoire d’un grand homme qui fut utile à ses semblables par ses écrits ou par ses découvertes. NEWTON. Luce). 4 ne Re TA UMÈLES DESCARTES. Nilinrebus inane.. Nul vide dans la nature. VOLTAIRE. FOdICUIUNT SEcree ee Jus des vue Ridicule. W. PENN. Humanitatem............. L'Humanité. MONTESQUIEU. LL nee RS darewacs LA JUSRCE, J.-J. RoussEAU. Naturamxs .,.+5ter estate. La Nature, On apercoit autour du Temple des mor- ( 56 ) ceaux d’entablemens, des chapiteaux, des colonnes, et tous les matériaux nécessaires pour achever la rotonde. Ces colonnes atten- dent, pour être élevées, ces génies privilégiés qui paroissent un instant pour honorer leur patrie et éclairer leurs semblables : peut-être resteront-elles ainsi couchées pendant plusieurs siècles; car il est bien plus facile d'obtenir une place à l’Académie, que dé mériter une colonne au Temple d’Ermenonville. On s'éloigne de ce monument, dont l’idée allégorique est grande et sublime, en suivant une route ombragée et solitaire : après quel- ques détours, elle ramène à cette place cir- culaire qu’on traverse en arrivant à Erme- nonville, et du milieu de laquelle s'élève un hêtre majestueux, qui, par sa hauteur prodi- gieuse et la beauté de ses formes, a l'air d’être l'arbre sacré de la forêt. On a construit autour de son tronc un orchestre champêtre. C’est sous l’ombrage de cet arbre superbe, que les paysans se rassemblent les fêtes et dimanches. Dès que les sons aigres et faux des ménétriers se font entendre, toute la jeu- nesse s’anime ; chaque garcon va choisir une fille ; son cœur conduit sa main; et tous se mettent à sauter en cadence, ou à peu près. C'est dans ces bals rustiques que prennent (57 ) naissance les amours des villageois, amours qui commencent par le plaisir, pour finir par le mariage. On a construit à l'entrée de la place un grand bâtiment couvert en planches; sil survient un orage, les villageois peuvent s’y mettre à l'abri, et continuer leurs danses. Celui qui n’a qu’un seul jour dans la semaine pour se divertir, ne doit pas perdre un seul moment. On a rassemblé tous les jeux autour de ce lieu consacré aux plaisirs du village. Si la jeunesse se réunit au son des violons, les hommes d’un âge mür poussent d’un bras vigoureux la balle dans les airs, tandis que d’autres, d’un poignet ferme et nerveux, s’exercent à lancer la flèche qui doit un jour leur mériter le gobelet d'argent promis au plus adroit. Sur l’arcade qui se trouve au milieu du jeu d'arc, on lit cette devise : _. In medio virtus. Les bons vieillards, dont les forces ne leur permettent plus de se livrer à ces exercices, sont encore heureux, en répétant que dans leur temps on étoit bien plus agile, bien plus adroit. Mais suivons le chemin qui cotoie le jeu de paume : la musique champêtre, le bruit du battoir qui renvoie la balle, les chants des (38) villageoises, les cris des enfans, se confondent ; et à mesure que vous vous éloignez, la futaie reprend son caractère silencieux. Elle est composée de jeunes charmes, dont les ra- imeaux, en se réunissant eu berceau, loin de produire une obscurité profonde, ne pré- sentent qu'un jour égal et doux, qui repose les yeux et convient si fort à lame. L'aspect d’un autel carré, semblable à ceax des Druides, vous fait sortir de cette mélan- colie si douce dans laquelle le calme des bois vous plonge presque malgré vous. Cet autel est placé à côté d’un chêne antique, auquel est suspendu un large bouclier, qui porte l'inscription suivante : Que ce vieux chène esmy cet ancien bois, De nos aïeux nous ramente l’usage ; Par la sagesse ils choisissoient leurs Rois, Leurs Généraux par le courage. Le vice n'étoit point , chez ces braves Gaulois, Objet dont on ne fit que rire: Plus fort que n’est ailleurs celui des bonnes lais, Des bonnes mœurs chez eux plus fort étoit l'empire. Tout enfant par sa mère étoit lors allaité , Et leurs femmes étoient leurs conseils, leurs oracles, Et n'estimoient de dignes tabernacles, Pour rendre culte à la Divinité, Fors du dôme des cieux les voûtes éternelles, Ou des chênes anciens les ombres solennelles. LE GROS HETRE : 25 T0. HEUREUX. 1 4 L'ORME DE 4 À PRISE Al 4 VUF (39 ) Déjà le jour devient plus vi rayons du soleil plus brillans, lombrage est moins épais, la vivacité de la lumière augmente à chaque pas; tout vous annonce que la futaie va finir. Effectivement vous arrivez bientôt au grand chemin de sable qui sépare le Désert de l’enclos de la forêt. Sur un arbre isolé vous lisez ces vers d'Horace : Tantüm juvat (1) silvas interreptare salubres Curantem quidquid dignum sapiente , bonoque est. Horace, lib. 1, epist. IF. Quel plaisir d’errer da les bots pour celui qui médite sur tous les objets dignes des recherches de l’honnète homme et du sage. De l’autre côté du chemin de Senlis à Er- menonville, on trouve une baraque cons- truite avec de vieilles souches placées les unes sur les autres; ce qui lui donne un ca- ractère rustique, mais non pas une forme pittoresque. Ce changement de scène auroit pu être préparé par un bâtiment d’un style plus prononcé. On lit sur la porte de celui-ci: Le Charbonnier est maître chez lui. J’avois vu cette inscription en voyageant en Angleterre, et n’en fus point étonné... (1) Horace a dit: An tacitum silvas interreptare LE] L salubres, ( 40 ) ir traversé cette baraque, on entre dans la partie du parc appelée le Dé- sert. Que le pays qui se présente alors à vos yeux est beau, vaste et magnifique! A prè Un terrain inculte, couvert de productions de toute espèce ; une immense quantité de genêts dont la fleur dorée produit un coup- d'œil ravissant; des côtes de bruyères, des fonds de sable, des rochers couronnés de pins, une grande étendue d’eau, des gene- vriers aussi vieux que le monde, des forêts, des montagnesà l'hoffzon se perdant dans la vapeur. L'abbaye de Chaalis, apercue dans le lointain, semble avoir été placée exprès pour achever de donner un caractère mélancolique à ce pays, dont l'aspect sauvage n’a pourtant rien d’effrayant. Dans ce lieu, la main de l’homme auroit profané la nature; il falloit se contenter d’en jouir, de l’admirer, et sur-tout n’y rien chan- ser; des sentiers semblables à ceux des chas- seurs, pour amener dans les points de vue les plus intéressans, voilà tout ce qu'il falloit ÿ faire. Le propriétaire d’Ermenonville a donné trop de preuves de goût dans la com- position de ces jardins, pour ne l'avoir pas senti ; aussi cette partie du parc est-elle unique + dans le monde. Elle forme une opposition Lee LAS NEC I } H 3 z #4 = a —. (41) si singulière avec le pays que vous avez tra- versé, qu'on s’y croit transporté par un art magique. Parcourons-en les détails; quelques vues en donneront une légère idée : car la pemture ne peut qu'être bien imparfaite auprès d’un pareil modèle ; il est des situations que le pinceau ne peut rendre. L'orme heureux qui est tout près de Îa cahute ‘du Charbonnier, offre une vue si bien composée , que je lui ai donné la préférence dans la quantité que j'’aurois pu choisir : beaucoup de gens instruits, en lisant sur cet arbre, Le voici cet orme heureux où Louise a reçu ma foi, se sont rappelé lariette du Déserteur ; ils ont effacé ma foi, pour y substituer 7165 vœux. Le sentier que vous suivez traverse un petit bois de pins, et conduit sur une hauteur où est pratiquée une grotte cintrée, soutenue par un pilier. On y lit ces quatre vers gravés sur le roc : Vois-tu, passant , cette roche creusée ? Elle mérite ton respect : Elle a servi, toute brute qu’elle est, Pour abriter la Vertu couronnée. Cette grotte, ou plutôt ce banc couvert, présente un asile commode pour jouir de la (4) superbe vue que l’on découvre de la roche Joseph. Si lon me reprochoit de ne l'avoir pas fait graver, je répondrois qu’elle étoit trop étendue pour être réduite dans un aussi petit format : d’ailleurs les vues à vol d’oiseau, qui produisent souvent un effet agréable par leur immensité et leur variété, sont ordinai- rement très-ingrates en peinture, où la mul- tiphicité des détails nuit à l'effet général. Je demandai à mon conducteur, avant de quitter cet endroit, l'explication des vers de l’ins- cription. Il me dit que l'Empereur étant venu voir Ermenonville, la pluie l’avoit surpris as ce lieu, et qu'il s’étoit mis à couvert sous cette grotte ; c’est depuis ce temps qu’elle est appelée la roche Joseph; et M. de Gé- rardin a voulu consacrer ce petit événement par ces quatre vers. J'avoue que je fus fâché que cet hommage à Joseph IT vint troubler dans mon esprit l’idée d'égalité que l'aspect d’un désert y avoit fait naître. En suivant le sentier tracé à mi-côte, vous trouvez écrit sur un tronc de genevrier : Sentier des Peintres. Que tous ceux qui n’ont rien senti en parcourant l’enclos de la forêt, qui n’ont rien éprouvé lorsque le ta- bleau du Désert s’est présenté à eux dans tout son développement, enfin que ceux qui (45 ) ne sont venus ici que pour pouvoir dire, €f moi aussi j’aivu Ermenonville , s'arrêtent là. Que gagneroient-ils à poursuivre? Rien. En descendant la montagne, ils arriveront à la maison de Jean-Jacques par un chemin plus court et plus facile, et n’en auront pas moins vu Ærmenonville. Mais que ceux qui cultivent les arts ou qui en ont le sentiment, suivent le sentier des Peintres ; il est fait pour les gens de goût, les artistes et les amateurs ; le plaisir qu'ils éprouveront iles dédommagera de la fatigue de monter et des- cendre à tout moment pour suivre un chentin tortueux, par lequel on arrive à des points. de vue différens, qui portent tous un carac- tère sauvage et étranger. Le jeune élève qui brûle de marcher sur les traces des grands maîtres, y trouvera, à chaque pas, de quoi faire des études qui l’aideront à s’en appro- cher; et l'artiste consommé pourra y étudier aussi les formes heureuses, variées et pitto- rescues des genevriers, qui ne sont nulle part aussi beaux ni en aussi grand nombre qu'ici. Après avoir parcouru cette côte couverte d'arbres verts, et embellie de toutes les pro- ductions sauvages de la nature, vous des- cendez dans une vallée de sable blanc, d’où l'on découvre des N : sablonneuses, cou- (44) vertes de bruyères, d’une immense étendue, et terminées par la forêt : une chaîne de ro- chers couronnés de pins forme le devant de ce tableau de Salyator; c’est en ce lieu aride, agreste, inhabité, que l’homme peut se convaincre qu'il est, dans la nature, des situations qu'elle n’a point créées pour lui. O vous, ames sensibles , que l'aspect de ce Désert ne vous effarouche pas! venez le parcourir ; le souvenir de l’objet aimé vous accompa- onera dans vos promenades solitaires ; et vous aussi, homme juste, victime de la méchanceté de vos semblables, vous pourrez y trouver quelques adoucissemens à vos peines ; mais que le méchant s’en écarte , il y seroit seul avec lui-même. Après avoir traversé cette vallée sablon- neuse , et s'être arrêté au banc placé près d’un buisson de genevrier, on arrive au pied des rochers : un petit sentier qui prend sur la droite vous les fait parcourir, et donne des tableaux assez agréables, pour ne pas trop vous apercevoir de la difficulté du che- min qui vous fait gravir à travers les rocs, ‘pour vous mener enfin au sommet, sur lequel s'élève une maison couverte en chaume : l'in- térieur est tout en rochers; on lit sur celui qui est en face de 4" : Jean-Jacques in) 1? Ur à CAE NE taf MESTATERS L'É,2 17 PIE A et a - . ! PRISE DE LA CABANE DE J. JACQUES. A LT VUI (45) est immortel. Le temps, qui détruit tout, peut effacer cette inscription; mais elle se gravera successivement dans tous les cœurs sensibles, tant qu’on lira les ouvrages de Rousseau. Cette chaumière est la plus ancienne fabrique des jardins d’'Ermenonville ; elle fut dédiée à J.-J., dont elle porte le nom, et qu’elle conservera sans doute. Des bancs de mousse, pratiqués en avant, invitent à se reposer dans cet endroit. On y jouit de la vue du lac, de la tour de Gabrielle, d’une échappée de la rivière. L’estampe donne une idée de cette superbe situation. En parcourant les environs de la maison, on trouve gravés, sur plusieurs quartiers de roc, différens passages des écrits de Rousseau. Les voici : £ | Celui-là est véritablement libre, qui n’a pas besoin de mettre les bras d’un autre au bout des siens pour faire sa volonté. C’est sur la cime des montagnes solitaires que l’homme sensible se plait à contempler la nature; c'est là que, tête à tête avec elle, il en recoit les ins- pirations toutes-puissanties, qui élèvent l’ame au- dessus de la région des erreurs et des préjugés. Tout ici retrace à vos yeux la situation de Meillerie ; tout rappelle à votre cœur l’idée de Saint-Preux écrivant à Julie, appuyé sur un quartier de roc qui lui servoit de table : ( 46 ) c’est là qu'il faut venir, au lever du soleil, lire cette lettre brûlante qui décida Julie; c’est là qu’il faut venir renouveler aux pieds de sa maîtresse le serment de l’aimer toujours. On s'éloigne à regret d’un lieu où les idées s’agrandissent et s’élèvent , en rendant hom- mage au brûlant auteur de l’Héloïse ; le cœur est vivement ému par le souvenir que J.-J. se reposoit souvent dans cet endroit, après avoir herborisé aux environs : ici tout est rempli de l’idée de Rousseau. C’est le droit du génie d'imprimer un caractère sacré à tous les lieux qu’il habita. Mais reprenons le sentier : il conduit sur les bords du grand lac, à un banc ombragé par des aunes. De là vous voyez les eaux baigner les rochers couverts de roses sau- vages, de chèvrefeuille, de sapins. C’est le monument des anciennes amours. Si une barque est arrêtée sur le rivage, elle amène Julie et son amant; ils parcourent ces prome- nades solitaires; Saint-Preux fait remarquer à Julie leurs chiffres entrelacés, le caillou qui lui servit de burim ; il lui fait lire cette ins- cription : Ma pur si aspre vie, nè si selvagge , Cercar non so, ch’ amor non venga sempre Ragionando con meco ed io con lui. Prrrarc4. Gr "SHAONV SHNNMIONV SHC SLNANIINON _ — — = = AS C47) « Point ne sauroiïs trouver chemins si difficiles ni » lieux si sauvages, que l'Amour n’y vienne toujours » raisonner avec moi, et moi avec lui. » = Plus loin elle voit ce passage de Pétrarque: Chi non sa come dolce ella sospira , E come dolce parla , e dolce ride ? « Qui ne sait comme elle soupire, comme elle LA La parle, et comme elle sourit avec douceur ? » 1 Jui lit celui-ci : Di pensier”’ in pensier, di monte in monte, Mi guida amor, e pur nel primo sasso Disegno con la mente il suo segno. « De penser en penser, de montagne en montagne, » l'amour me guide, et sur le premier rocher mon » imagination se plaît à dessiner son chiffre. » Ici tout est plein de l’image de Julie; elle ne peut faire un pas sans en avoir de nou- velles preuves. Madame de Wolmar, touchée de tant d'amour, va redevenir Julie; elle le craint; elle prend le bras de Saint-Preux, et lui dit: Ællons-nous-en, mon ami, l’air de ce lieu n’est pas bon pour moi. Quelle différence, me dira-t-on, de ces monts qui s'élèvent dans les nues, de ces ro- chers qui se perdent dans les airs, de ces sapins aussi vieux que le monde, à ces objets qui sont devant moi? J’en conviens : mais ceci en est le tableau en nuniature. L’imagi- (48) nation qui voudroit vous transporter dans ces lieux consacrés par la prose de Rousseau, agrandit les objets : si le charme de la lecture de l’Héloïse ou les souvenirs délicieux de cet ouvrage viennent s’y joindre, alors lil- lusion est complète , et vous n’êtes plus à Ermenonville. Mon conducteur , en m'’avertissant qu’il falloit continuer la promenade, produisit sur moi l'effet du réveil après un songe agréable. Je suivis le sentier le long du lac, qui, res- serré par une île, prend la forme d’une petite rivière. La vue est arrétée, à droite, par des arbres plantés sur le rivage; à gauche, on découvreune montagne de bruyères, couron- née d’une forêt de pins. Ce caractère sauvage et retiré prête un charme si grand à ce pay- sage, qu'on ne peut s'empêcher de dire avec Rousseau : 0 0 Er , À s La naturefuit les lieuxfréquentés; c’est au fond des forêts, au sommet des mon- iagnes, et dans les déserts, qu’elle étale ses charmes les plus touchans. Que ceux qui ne craignent ni les ardeus du soleil, ni l’âpreté des montagnes, suivent les hauteurs du désert en cotoyant le bois de pins qui couvre le sommet de la côte. La beauté , ( 49 ) beauté, la variété des aspects et des paysages qu'ils trouveront sur leur route, les dédomma- geront de la fatigue ; mais, je le répète encore, il est des beautés dans la nature.qui ne peu- vent être senties que par des artistes.ou des gens de goût; c’est pourquoi lon a fait passer la promenade au bord de l’eau, pour l’abréger et la rendre moins pénible. Les effets qu’elle présente ne sont pas aussi imposans, mais ils n’en sont pas moins agréables. A l'endroit où la rivière vient rejoindre le lac, on traverse une chaussée qui le sépare d'avec une autre pièce d’eau beaucoup plus petite. On y a construit une baraque, appelée la Maison du Pécheur. C’est un banc abrité d’où l’on jouit de deux vues d’un genre dif- férent : l’une est celle du lac dans sa plus grande étendue ; l’autre est celle d’une partie de l’abbaye de Chaalis, qu’on aperçoit à tra- vers les groupes d’arbres. La petite pièce d’eau fait le devant de ce paysage, qui rap- pelle le genre de Ruisdaal et de Fangoyen. En quittant la maison du Pêcheur, entrez, à droite, dans un bois planté sur une côte. D'abord les arbres ne vous laissent qu’en- trevoir les eaux du lac ; mais bientôt on arrive sur ses bords, d’où l’on découvre toute la côte de J.-J. et la forêt de pins. Je ne  ( 50 ) veux point essayer de décrire les charmes de cette promenade ; cette tâche seroit trop au- dessus de mes forces : je ne pourrois jamais rendre les effets du soleil couchant, dont les derniers rayons viennent dorer les rochers et forcer encore la teinte noirâtre des arbres verts, le calme enchanteur qui règne autour des eaux après le coucher du soleil, l'odeur suave et délicieuse du muguet, dont la nature a pris soin de tapisser la colline de la gauche. C’est dans les premiers jours.de mai que cette délicieuse fleur répand son doux parfum ; c’est aussi dans ce temps qu’il faut voir Erme- nonville ; c’est dans la jeunesse de la nature qu'il faut venir l’admirer. En remontant la colline boisée, vous arri- vez au banc des genevriers, d’où lon a pris une vue fort agréable de la paroisse d'Erme- nonville. Non loin de là vous traversez un grand chemin de sable; c’est une communi- cation de village : on n’a point cherché à en séparer la partie du parc appelée le Désert. Dans un endroit où la nature n’est belle que de ses propres beautés, elle appartient à tout le monde, et tout le monde doit en jouir. Si l’on aperçoit de temps en femps des pâlis, ils n'ont point été faits pour en défendre l'entrée, mais seulement pour empêcher que (51) les bêtes fauves ne viennent détruire les ar- bres verts. Ce chemin sépare le Désert de l’en- clos de la Prairie. L’œil, fatigué des grands effets de la nature et de la couleur /agueuse des bruyères, des tons dorés des sables et des fleurs de genêt, va se reposer avec un nouveau charme sur ce vert tendre et doux qui est la robe dela nature. Les tableaux offri- ront moins de grands effets, la couleur sera plus monotone; s’ils sont moins pittoresques, ils seront plus aimables, et plairont plus gé- néralement. Pour arriver à l’enclos de la Prairie, vous prenez la première route à gauche ; elle tra- verse le bois du Rossignol : il est marécageux, et n’est point encore arrangé pour la prome- nade ; ‘on pourroit, en le desséchant, con- server de petits ruisseaux, tirer parti de la source minérale qui s’y trouve, pour la faire sortir d’une fontaine semblable à celle de la Nymphe Égérie. Cette fabrique jetteroit un grand intérêt sur la composition de ce bo- cage. Dans le genre symétrique, le plan une fois exécuté, tout est fini; mais quand on ne prend que la belle nature pour modèle, il reste toujours quelque chose à faire pour s’en rapprocher davantage et pour atteindre à la perfection. (52) En sortant de ce bois d’aunes, vous trouvez sur la droite une chaussée en dehors des limites du parc. Par-tout l'œil se repose avec délices sur de belles prairies; elles sont circonscrites entre deux lignes de bois. La jolie rivière dont vous apercevez le cours, ajoute un grand charme à ce pays champêtre. Il faut s'arrêter un instant au second pont de pierre qui se trouve sur la route, pour regarder, de ce point, l'effet agréable du tableau du moulin. | Vous rentrez dans le parc, à l’endroiït où le trop plein de la rivière vient former une cascade, sous un petit pont d’une seule arche. Vous arrivez bientôt après à une masse de peupliers qui cache un bâtiment extrême- ment bas et couvert de dalles: il renferme une source abondante et limpide, qui fournit de l’eau à l’abbaye de Chaalis; c’est un re- gard (1) concédé aux Religieux par les an- ciens seigneurs d'Ermenonville. Si nous en donnons la vue, ce n’est pas qu’elle soit ex- trêmement pittoresque, c’est seulement pour faire voir le parti qu’on peut tirer, dans un jardin, d’un objet qu’il est impossible de dé- (1) C’est un mot usité dans le pays pour exprimer une fontaine couverte, IT | "NTTAON AI SE L'ER 9 144 2e " RP et mA LS « % TOMBEAU DE LAURE. 27, ge ï k k ! da 4 » (55) placer. Une urne de marbre, une porte d’un bon style , ont achevé de donner à ce réser- voir la forme d’un tombeau. Ces vers de Pétrarque qui sont au-dessus de la porte, font supposer que c’étoit celui de Laure ; c’est le nom de celle qu’il aimoit et qu'il a chantée ; c’est aussi le nom de ce monument. Non la conobbe il mondo mentre l’ebbe : Conobbil’ io, ch’ a pianger qui rimasi. » Le monde ne la connut pas lorsqu'il la possédoit; » mais je la connus bien, moi qui suis resté ici pour » la pleurer.» Sur la face opposée à la porte, on lit: Chiare, fresche, e dolci acque, Ove le belle membra Pose colei che sola a me par donna; Se lamentar augelli, o verdi fronde Mover soavemente all aura estiva, O roco mormorar di lucid” onde S’ ode d’ una fiorita , e fresca riva; La’v” io seggia d’ amor pensoso , e scriva; Lei che 1 ciel ne mostrd , terra n° asconde. PETRARCA. « La seule qui me parut belle dans la nature, A » vint rafraîchir ses appas dans cette onde douce, pure et limpide. ÿ » Occupé de pensers d'amour, je viens dans ces » lieux, où l’on entend les oiseaux se lamenter, le 2 » doux zéphyr agiter mollement les feuillages, le » murmure des eaux limpides qui arrosent une rive (54 ) » fraiche et fleurie; et j'écris : Celle que le ciel nous » montra, da terre nous la cache, » Lorsqu'on a traversé une aussi grande éten- due de prairie, exposée aux ardeurs du midi, quel plaisir n’éprouve-t-on pas en arrivant dans le joli bois d’aunes qu’on appelle le Bocage! L'entrée en est annoncée par un bâtiment (1) d’une forme ronde, avec cette dédicace : OTro ET Müusrs, au Loisir et aux Muses. Il tombe en ruine; on ne paroît pas disposé à le faire rétablir : on sent com- bien il est déplacé. Suivez ce sentier qui se présenté à vous; il conduit à une grotte cintrée, où vous trouverez un banc de mousse : on s’y arrête avec ravissement, pour y jouir de la fraîcheur qui règne dans ces lieux. Vis-à-vis est un bassin d’une eau claire et limpide, du fond duquel s'élèvent, en bouillonnant, septsources différentes, dont l’une apporte une grande quantité d’un sable blanc et fin; ce sable forme le lit du petit ruisseau qui fait le charme Œ Rd ,» (1) Voilà, avec les deux ponts du côté du nord, les seuls monumens des travaux d’un architecte qui, dans sa Théorie des jardins, veut faire entendre, d’une manière fort adroite, qu'il est le créateur de ceux 22 . d'Ermenonville. BOCCAGE. DU \ 4 FONTAIN Re nt dt ce Ed (55 ) et l’ornement du Bocage. Les ombrages épais de l'aune à la feuille noirâtre permettent à peine au soleil de jeter, à travers ses masses, des jours douteux et inégaux. Une petite cascade d’une eau transparente , donne, par son doux murmure, un charme de plus à cette délicieuse retraite. C’est ici, peinture , qu'il faut quitter tes pinceaux ; ce tableau n’est point fait pour toi; tu ne sauroiïs rendre son effet séduisant ; tes droits finissent lorsque la nature cesse de parler aux :yeux : c’est ä la poésie à s’en emparer, lorsqu'elle parle à l'imagination ; c’est à la poésie seule qu'il appartient de donner l’idée d’un bocage où rien n’est pittoresque, et où tout est enchan- teur; c’est elle qui doit animer cette scène par le ramage des oiseaux et les épisodes du génie; c’est elle aussi qui a fixé le caractère de cet asile par les huit derniers vers de lin- scription que voici : O limpide fontaine! ô fontaine chérie ! Puisse la sotte vanité Ne jamais dédaigner ta rive humble et fleurie; Que ion simple sentier ne soit point fréquenté Par aucun tourment de la vie, Tel que l’ambition, l’envie, L’avarice et la fausseté ! Un bocage si frais, un séjour si tranquille, Aux tendres sentimens doit seul servir d’asile ; (56) Ces rameaux amoureux , entrelassés exprès, Aux Muses, aux Amours offrent leur voile épais ; Ef le cristal d’une onde pure - À jamais ne doit réfléchir Que les grâces de la nature Et les images du plaisir. Ce n’est qu'avec peine qu’on parvient à s’arracher d’un lieu fait pour plaire à tous les âges : la jeunesse voudroit y venir sou- pirer le plaisir, l’âge mûr y vivre de souve- nances, et la vieillesse y rêver l'avenir. Le sentier serpente au gré d’un ruisseau que vous traversez sur un petit pont de bois; il vous conduit au bord d’un bassin d’une eau transparente et pure, qui vient tomber en différentes petites cascades, pour former le joli ruisseau qu’on vient de cotoyer. Au- près de la première chute, à l'ombre d’un saule pleureur , on apercoit un monument dans le goût antique; on y lit ces deux in- scriptions : Qui regna l’Amore. « Ici règne l’Amour. » TL” acque parlan d’amore, E l'aura, e i rami, E gli augeletti, e 1 pesèi, E i fiori, e l’erba. PETRARCA. « Les eaux, le zéphyr, les feuillages, les peits LA TOUR DE GABRIELE. 702027 (57) » oiseaux, les poissons, les fleurs, le gazon, tout » parle ici d'amour. » Le sentier vous mène, en tournant ; sur le bord de la grande rivière, que vous tra- versez dans un va-et-viens , vis-à-vis de la tour de Gabrielle ; mais , tandis que vous avancez, Votre pensée vous ramène au Bo- cage : c’est ainsi que le souvenir peut encore rendre heureux, lorsqu'on vient de cesser de l'être. Vous débarquez au pied de cette tour, à laquelle est appuyée une maison d’un genre plus moderne, qui paroît devoir être celle du batelier. Cette fabrique est située sur le point le plus élevé d’une île, et présente, dans ses différens aspects, des tableaux très- agréables : son style, sa couleur et sa cons- truction , persuaderoient qu’elle existoit effec- tivement du temps de la belle Gabrielle ; son élévation et ses accessoires la font paroître très-considérable. Elle est jointe à une petite tour carrée, par une porte gothique, sur la- quelle on lit: En cette tour, droit de péage, La belle Gabrielle avoit ; C’est de tout temps qu'ici l’on doit À la beauté foi et hommage. À côté de cette porte, vous voyez le tro- (58 ) phée des armes de Dominique de Vic : il est au-dessus d’un monument dont la face principale est occupée par un bas-relief représentant la bataille d’Ivry, où cet ancien seigneur d'Ermenonville recuf, un coup de feu qui lui cassa la jambe, comme on le voit par cette inscription : Cest ici le trophée de Dominique de Vic,dit Sar- rede. Il eut la jambe emportée d’un boulet de canon à la bataille d’Ivry , où il étoit sergent de bataille. Son amour pour Henri IV étoit si grand, que passant par la rue de la Féronnerie deux jours après la perte horrible de ce bon Prince, il y fut saisi d’une telle douleur, qu’il en tomba presque mort sur la place même, et en expira le iendemain. En ce bocage où ton laurier repose Sur le joli myrte d'amour, Ton fidèle sujet dépose Ses armes à toi pour toujours, O mon cher, mon bien-aimé maitre ! J'ai déjà', sous ton étendard, Perdu de mes membres le quart; Te voue ici mon restant ètre. Que si d’un pied marche trop lent pour toi, Point ne défaudrai meilleure aide; Car pour combattre pour son Roi, L’amour fera voler Sarrede, L'idée qu’on se forme de l'antiquité de cette tour, n’est point du tout détruite par (59 ) le style de l'intérieur ; il répond parfaitement à celui du temps où elle est censée avoir été construite. On entre d’abord dans une cuisine gothi- que, voûtée, et soutenue dans le milieu par un gros pilier, sur lequel on a écrit ce cou- plet : Sur l’Air: De La belle Gabrielle. De ce bon Henri IV Vous voyez le séjour, Lorsque las de combattre, IL y faisoit l'amour. Sa belle Gabrielle Fut dans ces lieux, Et le souvenir d’elle Nous rend heureux (1). La salle du passeur, que vous traversez en- suite , est meublée en naïte : l’escalier de bois qui est en dehors de la maison, vous mène dans la chambre du batelier ; elle commu- nique au salon de la tour, décoré de six co- lonnes cannelées , soutenant une coupole. Au- dessus d’une des portes, on a mis un buste de Henri IV, au-dessous duquel on lit : Un Roi qu’on aime est un Dieu sur la terre. Un petit escalier qui donne dans le salon (1) Ce couplet est de M. Sedaine, de l’Académie Francaise. ( 60 ) vous fait parvenir sur la plate-forme du bâtiment , d’où vous découvrez un aspect magnifique, et d'autant plus agréable, que la forme circulaire de la tour en augmente la variété, parce que votre œil ne peut em- brasser à la fois qu’une petite partie du pays. Vous apercevez tout le développement de la rivière qui serpente à travers les prairies : la vallée du midi est bornée par le château ; plus loin, vous voyez quelques maisons du village paroître à travers les arbres; elles prennent pour fond toute la masse de la forêt: à l’est, vous retrouvez les hauteurs du Désert, le lac qui vient baigner le pied des rochers de Jean-Jacques. C’est là que vous vous êtes arrêté pour regarder un joli tableau; c’est ici que vous avez passé: on jouit deux fois d’une promenade agréable , quand on revoit, d’un seul point, la plus grande partie du pays que l’on a parcouru. Lis Si vous reportez voire vue vers le nord, vous apercevez l’abbaye de Chaalis, qui s'élève du milieu des bois, et qui se détache sur des fonds vaporeux , dont la teinte bleuâtre se dégrade et s’unit avec celle du ciel : vous découvrez aussi la côte fertile de Mont-Épiloy, dont le village et la tour font un si bon effet de la terrasse du château. (61) A l'ouest, au pied des côtes sablonneuses couronnées par le bois de Perte, on voit une vigne, au milieu de laquelle est construite , à côté du pressoir , une fabrique d’une jolie forme, sur le modèle d’un temple de Bac- chus qui subsiste encore dans les environs de Rome : ce bâtiment est le logement du vigneron. Lorsqu'on est descendu au pied de la tour, il faut prendre le premier sentier qui se pré- sente; il passe au milieu d’arbres verts d’es- pèces différentes, et se divise, à l'entrée d’une voûte dé lilas, en deux branches, qui se réunissent au pont que l’on traverse pour sortir de l’ile : elle est plantée d’arbustes, mais on désireroit encore y trouver des fleurs de toute espèce, dont les odeurs parfumeroient délicieusement l’air. L’ile de Gabrielle doit être le bosquet de l'amour. Toute la partie qui vous fait face est rem- plie de vignes, de potagers, et se joint à l'enclos des cultures(1); un sentier qui prend (1) J'ai entendu dire que M. de Gérardin avoit di- visé en différens enclos la partie de la plaine la plus proche du village; que son intention étoit d’y faire bâtir des métairies, pour les donner aux gens les plus vertueux de la paroisse, d'établir un prix d’encoura- En +. sur la droite, vous ramène au pont du chàä- teau. C’est là que se termine une promenade de trois ou quatre heures , que j'ai dirigée par les points de vue les plus intéressans. Il est possible de trouver en Angleterre, et même en France, des jardins qui offrent quelques parties beaucoup plus belles; mais il n’en est point où l’ensemble soit aussi parfait, où le pays et les paysages offrent autant de va- riété, puisque, dans un espace de temps aussi Court, et dans un lieu circonserit , vous avez vu les effets les plus piquans de la na- ture, lacs, cascades, rivières , ruisseaux, rochers, déserts arides , prairies, pays cham- pêtres; enfin toutes les parties qui pourroient a — gement pour augmenter l’émulation, et de tâcher, par des essais sur l’agriculture, d'approcher des Anglais dans un art qu'ils ont si fort perfectionné. Si jamais cet exemple pouvoit déterminer à diviser les terres en petites cultures, au lieu de les réunir en une seule ferme qui n’enrichit qu’un seul homme, tandis qu’elle sufhroit pour faire vivre dans l’aisance tous les habitans d’une paroisse, M. de Gérardin au- roit rendu un grand service à ses semblables et à sa patrie; car la source de la vraie richesse est dans l’agriculture, comme la sûreté d’un Gouvernement dans le bonheur des peuples. (65 ) contribuer à l’embellissement des jardins , se trouvent réunies en un seul. Je sais qu'il faudroit plus d’un jour pour connoître parfaitement toutes les beautés d’un parc qui a plus de deux lieues de tour, en y comprenant l’enclos des cultures : leur description exigeroit un ouvrage beaucoup plus volumineux ; pour les ‘rendre, il fau- droit des estampes plus grandes et plus soi- gnées : mais mon intention, en publiant ce livre est seulement qu'il serve de guide à ceux qui viennent voir les jardins d’Erme- nonville, qu'il en donne une idée à ceux qui ne les connoissent pas, et qu'il fixe le souvenir de ceux qui les ont vus. RES Re MALE Y, SMS CIAGRENN BE ds . A pe ARRETE Fe ue Resp Fe vie v. aTAR c té ef ; à is se ons &: LE : | eu in fe x a su sien sui HE de e es RENE trees 2 à # eur dis sat” Fee RE a * Fi ab) ie D vase + #2 CHANSON SEE ) “Al Qu Perger ve la KE {Le verte lé. a ne CU) te dou 2 di de que les yl'et=cee! Ju e Lonr-bel-ls -tent. Cet le Grol le de ver -du re, 0 \ € el tot qu Las Jrésite four QUE Pl = 1] , , ’ . peut -vertd pe =nre- rer Ole 2e" RC OL EMUC NI { ! lorts. let OC -deuuet de ce O0 = Cu ge ef L'Orù - dront € Le Diet date cet = le Je -l'ut -le. ,; 1e! 1/ C0 L'Of bel ett =P CU p CO TO reut-le ment 1e U L € 5 RER dac-me matt je Calme = Fac out jours € € / ù fie Jeu lu DIT E à LU CLU UC lui”. - n ? 1 te v “ Ca Lu j L … ‘ t 4 ‘ À * ' Hl < t” ! KE 4 ù | ‘ .\ & $ Le À 8 € 1 1 Î à LC ES y. _ ? S d'A H Le PQ ER 7. La « IR «+ + a HA v. - De L) à Le er, x | " 7. LE NAT EL SG ET mate me EE A né re ab = = g 74 { k fe, RENE