RAPPORT FAIT rN<~ AU NOM DU COMITÉ DES DOMAINES, Sur V échange de la forêt de Brix ? Par M. de Bonnegens, Membre dudit Comité. Imprimé par ordre de l’Asskmblee Nationale. A PARIS, DEL’ IMPRIME RIE NATIONALE, t79Im THE NEWBERRY U3RARY f RAPPORT FAIT . ■'■zhbUt : ' AU NOM DU COMITÉ DES DOMAINES > Sur V échange de la forêt de Brix ? P^rM, de Bonnegens3 Membre dudit Comité, Messieurs, Un des échanges qui ont fixé les premiers les regards du comité des domaines , c’ell celui de la forêt de Brix. Cette forêt, & quelques bois qui y étoient annexés, étoient fitués dans la prefque île du Cotentin , relie des anciennes forêts qui couvroient ce beau pays , avant les progrès de la culture & de la population» A z ( 4 ) Mais èe refie n’étoit pas ce qu’avoieht été les parties défrichées; la furface en étoit hériffée de rochers 8c de montagnes ; des routes & des chemins la traver- foient en tout fens. Soit ingratitude du fol , foit le voifinage de la mer , foit les dégradations , elle offroit de grands intervalles de landes Sc de bruyères , 8c , prefque par-tout, des bois abroutis 8c déshonorés. On y comptoit 14,105 arpens, à la mefure de 18 pieds par perche , en plufieurs parties réparées. Le produit, année commune , étoit de 1 5,000 livres , 8c les frais d’adminiftration le réduifoient à 9 ou 10,000 livres. Telle qu’elle étoit , cette forêt fut préfentée à la dame de Langeac , comme un objet digne de fon attention. On propofa d’abord, pour elle, un arrentement en grains , 8c fa propofition quadruploit le produit de la forêt de Brix. La fuperficie devoit être vendue au profit de l’Etat, & on révaluolt 4 à 500,000 liv. Bientôt les défrichemens 8c la population dévoient accroître encore la richeffe nationale , 8c donner de nouvelles bafes aux impofitions. Les adminiftrateurs d’alors furent féduits par un pareil projet , 8c , en effet, il s’offroit fous des couleurs très-favorables. Mais on fit bientôt fentir à madame de Langeac qu’elle pouvoit calculer mieux pour fes^ intérêts ; qu’un échange lui donneroit d’autres furetés 8c d’au- tres avantages. On en vint donc à la propofition d’un échange.. La dame de Langeac n’avoit pas dans fes mains des poffefiions qu’elle pût présenter en contre - échange. Le comté de Saint-Hilpife en Auvergne , dont on (S) Vântoït les mouvances, & une forêt de 4J0 arpens dans un pays inacceffible , étoit le feul objet qui fût à fa difpofition. On s’aflura, pour elle , de la terre d’Efîby en Cham- pagne , & de 974 arpens de bois qui en dépendoient ; ainfi que de la terre deFontette & du fief de Charmoy, encore en Champagne. Enfin on acquit, dans le parc de Verfailles , le châ- teau 8c la feigneurie de Ternay, 8c la ferme du bois d’Àrfy. Tous ces objets épars formoîent , enfemble , un revenu d’environ 22,000 liv. brut. C’efl: avec cela que M. de la Vrillière , ancien mi- niftre , follicite 8c obtient , en fon nom , l’échange 9 ï°, de la forêt de Brix 8c fes dépendances, contenant 14,10$ arpens ; 2°. de la fief-ferme de Soliers, de la fief-ferme de Vaubadon, de la fief-ferme de Fontenay- Lépinel, de la fief-ferme de la comte fie de Boulogne 8c d’Andiieu, de la lande d’Andrieu, du patronage de la cure d’Hotot , d’environ 48 arpens de bois, 8c par- tout la juflice 8c les droits de mouvance. Ces derniers objets , fitués dans l’éleétion de Baïeux , 8c delîinés au fleur de Fontette, chancelier de Monfieur, frère du Roi, 8c vendeur d’une partie des terres données en contre-échange , étoient , prefque tous, des do- maines engagés. Le Roi fut fournis , par le contrat , à rembourfer la finance d’engagement. Il fut fournis en- core à tous les frais néceffaires pour l’évaluation 8c la confommation de l’échange. Des terreins , démem- brés autrefois de la forêt de Brix, avouent été accenfës 8c dévoient des rentes. Ces rentes furent comprifes dans l’échange, 8c les terreins renfermés dans la di- re&e de Péchangifle. La fomme annuelle de ces rentes s’élève à environ 6,000 liv. Au moment où le contrat Rapport fur l'échange de la foret de Brix . A 3 C O €fl figné , le fieur de la Vrillière fait fa déclaration en faveur de la dame de Langeac. Les évaluations font preiTées avec toute l’ardeur de l’intérêt & toute la force de l’autorité. Cependant les agens de la dame de Langeac en- treprennent quelques défrichemens , follicitent des cenfitaires, cherchent par-tout des acquéreurs; mais le bon fens des habîtans de la contrée les défendit de pareilles fpéculations ; ils ne voyoient dans les ter- reins de la dame de Langeac qu’une propriété incer- 'taine 8c fufpe&e, 8c. fes efforts n’aboutirent, en Nor- .mandie , qu’à d’inutiles dépenfes. Ses confeils fe reployèrent fur Paris , 8c ce fut fur Monfieur , frère du Roi , qu’ils jetèrent leurs vues. Moniteur étoit alors dans l’âge de l’inexpérience , en- touré d’hommes qui étoient, la plupart, les créatures de la dame de Langeac ou du miniilre qu’elle gouver- noit. Le fieur de Fontette, le chancelier de Monfieur, étoit intéreffé lui-même dans l’échange, 8c comme poffeffeur , en efpérance , d’une partie des objets échangés. Il ne fut pas difficile de perfuader à un frère du Roi, 8c à cet âge 8c dans ce temps , qu’une pareille poffef- fion étoit digne de lui ; que fon nom détermineroit la confiance ; que des cultivateurs , des acquéreurs s’offriroient de toutes parts , 8c lui créeroient là d’im- rnenfes revenus. Quant à la validité de l’échange , il ne venoit pas dans l’idée d’élever le moindre doute. Monfieur fut donc fubrogé aux droits de la dame de Langeac , le i 3 mai 177^ ; mais un afte fecret lui faifoit payer bien cher cette fubrogation. Un capital de i,f85?ooo liv. , 8c 10,000 liv. de rentes viagères en faveur de la dame Langeac , furent le prix de la fubrogation , 8c il fallut encore aban- donner au fieur de Fontette tous les objets de Té- C 7 ) ehànge, fitués dans l’éle&ion de Bayèux , pour ac- quitter ce qui lui étoit dû des terres qu’il a voit ven- dues à la clame de Langeac , & donner à un des agens de cette dame cinq cent trente-neuf arpens , à raifon de 2 fols de cens par arpent : cinq cents autres arpens furent inféodés au heur Guyon - de - Fremont , grand-maître des eaux ôc forêts de la gé- néralité de Caen ; mais fous la redevance de liv. par arpent , fans retenue d’impofi tiens royales , 6c rachetable feulement au denier 25* ; rente allez im- portante relativement à l’état de ftérilité des terreins, & aux frais qu’il falloit faire , Sc qu’il a réellement faits pour les mettre en valeur : il y a en outre fait des conftru&ions confidérables ; Sc a depuis tranfmis fa propriété à un autre. La Normandie ne fournit encore ni cenfitaires ni acquéreurs. Une compagnie fe préfenta enfin en 1 77(5 , fous le nom de Sainte-Agathe , entreprit de grands défrichemens , perdit environ 600,000 livres , & obtint, de la bienfaifance de Moniteur, la réfiliation d’un marché ruineux. A la fin de l’année 1778, des particuliers osèrent tenter de nouveaux hafards, mais divifément. Les 1 3,000 arpens ou environ qui reftoient à Mon- heur, furent partagés en quatorze lots, Sc chacun de ces lots fut fubdivifé entre plufieurs acquéreurs. On évalua la fuperficie qui exifloit fur chaque lot, Sc la totalité du prix s’éleva à 400,000 L Les 400 >000 liv. furent payées comptant. Le fol de chacun des lots fut évalué, ôc la valeur, réduite à un taux moyen, donna pour prix la fournie de 1,300,000 livres, qui fut conftituée en rente fon- cière rachetable : on y ajouta 2 fous de cens par arpent. Du refte, à chaque lot fut attaché un certain nombre de fiefs, avec les droits de mouvaace ; tous furent (S) affranchis de tout impôt & de toute dîxmê pendant quarante ans; & après quarante ans, la dixme ne de- Voit être perçue qu’au 40e. Les terreins démembrés autrefois de la forêt, & accenfés , furent affignés aux fiefs qui dévoient être érigés. Les rentes dévoient être perçues par les conceffionnaires , & verfées dans le tréfor de Monfieur; mais les profits féodaux dévoient appartenir aux conceffionnaires. Les nouveaux propriétaires ont enclos , à grands frais , leurs terreins , ils les ont applanis , ils les ont dé- frichés : tous ont bâti des fermes ou des moulins , formé des chemins , conftruit des ponts. Mais tous n’ont pas eu des fuccès , ou plutôt aucun n’en a encore eu. Plufieurs ont été forces d abandon- ner leur poffeffion à d’autres , après avoir épuifé leurs refîources ; plufieurs ont dépenfé beaucoup , pour n’obtenir qu’un très*mince revenu; & il eft tel, à qui il en coûte 150,000 livres, pour avoir 2,000 liv. de rente. Quelques-uns ont fait des accenfemens des par- ties de leurs terreins, les plus voifines des anciennes habitations; mais par petites quantités, d’un arpent, de deux arpens, ainfi que le comité s’en eft convaincu par les a&es; & la plupart de ces cenfitaires doivent plufieurs années de leurs redevances. # „ Tous les renfeignemens qu’a pris votre comité lur les lieux, le témoignage unanime des députés du dé- partement de la Manche, conftatent tous ces faits, 8c juftifient que les acquéreurs ont fait un marché oné- reux, & qu’aucun d’eux n’a encore obtenu l’intérêt de fes avances à 5 pour cent. Tels ont été, Meffieurs, les principes & les cir- conftances de cet échange , 8c tels font les événemens qui en ont été la fuite. . Les comité des domaines n’a vu que la fraude dans ceux qui en ont été les artifans. S’il étoit aujourd hm C P ) poffiblê de les atteindre, il vous propoferoit, fans ba- lancer , non-feulement de profcrire l’échange , mais ^ d’en punir les auteurs. Mais ce n’eft plus le fleur de îa \ nLiere 5 ce n eit plus la dame de Langeac que votre décret pourrait frapper : le tombeau les a mis tous deux à 1 abri de vos coups , & ils ne peuvent déformais tomber que fur celui qui a été déjà la viétime de la fraude <5c de 1 in- trigue. En anéantiffant l’échange, vous ne pouvez que rendre à Monfieur les objets qui ont ete donnes en contre-échange, 8c ces objets font aujourd hui dépouillés de tous les avantages de la féodalité . ils ne valent pas la moitié des fommes qu il a réellement payées; 8c il fera encore oblige de reftituer, foit a la Nation, foit aux acquéreurs, les 400,000 liv. qu’il en a reçues. • . ' , Ceft là , Meilleurs , que conduit directement la rigueur des principes , & votre comité ne peut pas vous propofer de les adoucir. . # Quant aux acquéreurs, leur pofition eft bien diffe- rente , 8c il a paru impofîible à votre comité de porter atteinte à leur poffeiïion ; impofîible fous les rapports de la juftice , impoffible fous les rapports de 1 intérêt national. Sous les rapports de la juftice ; ils ont contracté fur la foi d’un échange que tout les autorifoit à croire irrévocable ; ils ont contracté avec toute la franchiie de la bonne-foi ; ils ont payé ou confenti de payer tout ce que valoit réellement l’objet qu’ils acqueroient à l’époque où ils ont acquis , peut-être tout ce qu il vaut encore aujourd’hui , après toutes les dépenfes qu’ils ont faites. Les rentes qu’ils ont confenties, ils les doivent encore ; 8c la Nation retrouve & fa chofe , 8c le prix de fa chofe. Leur nombre eft d ailleurs tiès- conftdérable , Sc forme une colonie agricole très-inté- ( IO ) reliante : il fe monte, à-peu-près, à mille familles, de préfente une population de près de cinq mille indi- vidus. Impoffible, fous les rapports de l’intérêt national, vous ne pouvez les dépofféder qu’en leur rembour- fant le prix de leurs améliorations, le prix de leurs conftrudions ; 8c nous vous l’avons déjà dit, ce prix eft tel pour la plupart d’entre eux, qu’ils n’ont pas l’intérêt de leurs avances à deux pour cent. Il n’y auroit donc qu’à perdre à les exproprier; mais expropriés une ibis, qui oferoit fe mettre à leur place 8c fuccéder à leurs dépenfes ? On regarderoit avec effroi une propriété fi incer- taine, que ni la bonne foi d’un contrat, ni douze années de facrifices 8c de dépenfes n’auroient pu ga- rantir; de au lieu de 85,000 livres de rente, il ne refleroit à la nation qu’un défert 8c des ruines. Nous n’avons pu penfer, Meilleurs, que rien de pareil pût être propofé à uneMifemblée fage qui veut régénérer la France , mais qui veut la régénérer fur- tout par la juflice. Mais en reconnoiffant la propriété des acquéreurs, il n’efl pas pofîible de leur biffer des droits féodaux fur les terreins autrefois démembrés de la forêt de accenfés ; ces droits doivent appartenir au domaine , qui n’en a point encore été deffaifî, puifqu’il n’y a point eu de fiefs érigés. En nous réfumant. Meilleurs, vous voyez qu’on a fait céder par le roi une maffe de bois de 14,105 arpens, qui a coûté à Monfieur 1,68 j, 000 livres, y comprenant le fonds de la rente viagère de 1 0,000 liv . , 8c dont il a retiré, foit en argent, foit en rentes, 1,700,000 livres. Le roi a reçu cinq petites terres féparées, fituées en différentes provinces, produifant brut au plus 22,000 livres par an. Certes, s’il y eut ( IX ) un échange ruineux , ce fut celui dont iî s’agit ; doit- on s’en étonner ? les noms des auteurs vous avaient fait préjuger cette léfion, avant d’en avoir les détails. Nous n’héfiterons donc pas, Meilleurs 3 à vous propofer le décret fuivant : DÉCRET. Article premier. L’AlTemblée nationale révoque Sc annulle le con- trat d’échange de la forêt de Brix, Sc des autres biens domaniaux, paffé devant Duclos Dufrefnoy, notaire au châtelet de Paris, le iy oétobre iyyo, entre les cqmmilfaires du Roi Sc le fieur de la Vrillière qui en a fait fa déclaration le même jour, au profit de la dame de Langeac , enfemble les arrêts Sc lettres-patentes qui ont précédé & fuivi ledit contrat. IL Révoque Sc annulle pareillement les fous-aliénations de parties defdits domaines, faites aux fleurs de Fontette & A/r aUnt ? tant Par *ac^te dame de Langeac eue par Monfîeur, comme étant en fes droits ; 'ordonne en conféquence qu’à l’avenir lefdites parties de biens eront régies Sc adminiilrées pour le compte de la nation , par les prépofés à Fadminiftration des do- maines. I I I. , A l’égard des autres aliénations faites par Monfîeur a divers particuliers, à titre d’inféodation ou par baux a cens Sc rentes , elles font irrévocablement conhi- ( 12 ) mées par le préfent décret, à la charge par les çon- ceffionnaires de tenir direâement leurs propriétés du domaine de la nation ; de payer au t refor public , entre les mains des prépofés de l’admimftration , les cens, rentes & redevances dont 1 s ont ete charges, ainfi que les droits cafuels qui echeront jufqu au chat quf pourra en é.,e fait en la forme S au taua réglés par les pjécédens decrets. I V. f es rentes dues ci-devant au domaine fur les ter- reins andennement démembrés de la forêt de Bruc & accenfés avant l’échange, appartiendront a la na- ?on & feront perçues par la rég,e du domaine, ainfique les droits cafuels qui pourroient echeoir , nonobftant toutes claufes contraires, portées aux contrats defdits acquereurs. V. Autorife Monfieur à fe mettre en poffeflion & a fnfdit contrat du 17 oétobre 1770, à la charge par Moteur de rendre au tréfor public la fomme de 400,000 livres qu’il a reçue des infeodatanes.