AMAMAAAA AY ReAAAAR res RÉ A dan Ra AS ANR A AAA, AA: ! AAA nAr en RAA: PCA A ANS PARA AÀ L 14 À ARE A - LA a La - AAA AA AAA AAA MA ACC AA EAn Hank NA AA ArarÀ x | En ras ‘€ MR * LÉ Ke Care AM A | 128 3 VAE Ro A RAA? « SA Dana R ana ARR AE 10 j! 1 P PIE. AI. RAPPORT GÉNÉRAL SUR, , LES. D Re Laslersrns- 7, << ments Ce. DE L'ACADEMIE 2e. DES SCIENCES , ARTS ET BELIBS-LETTRES DE LA VILLE DFE CAEN, JUSQU'AU PREMIER JANVIER IôII, Par P.-F.-T. DELARIVIERE, Secrétaire: i rareté EE # À CAEN, Chez P. CæaAror1N, Imprimeur- Libraire, rue Froide-Rue. D ne ee Qi Ps ce CO AN 1811: : D "a ms Te 2 . sé + rot” ou A4 #f et AURAS d> ! mé het Sepi eo © ARE LT te | v 1 + RAPPORT GÉNÉRAL Sur les Travaux de l’Académie des: Seiences, Anls ct Belles-Lettres de la ville de Caen. n "= = = à SA Ts À À 7 MEssIEURSs,: EN formant il ya dix ans une Société littéraire, vous ne vous proposâtes pas seulement ces avantages précieux , ces Jouissances pures , que l'ami des Sciences et des Lettres trouve dans le commerce de ses pareils. Sans doute le charme que peuvent ré- pandre sur la vie des hommes studieux et instruits ces communications franches et amicales, qui affer- missent les opinions vraies, dissipent les doutes , détruisent les erreurs, éclaircissent les difficultés, et enrichissent chaque esprit des connaissances de tous les autres, était bien suffisant pour faire naître le désir d’une telle réunion : mais vous portâtes vos vues au-delà de ces intérêts personnels ; vous eûtes pour but principal de contribuer à répandre tant de vérités essentielles, tant de découvertes utiles, qui ne pénètrent que lentement et difficilement dans la multitude, et de rendre les résultats de vos recher- ches et de vos essais utiles à ves concitoyens. Vous sentites dès les premiers temps de votre insti- À 2 Qi tution, que vous ne pouviez atteindre sûrement ce but que par la publication de vos travaux ; mais des difficultés de plus d’un genre, qu’il est inutile de rappeler, retardèrent d’abord, et suspendirent en- suite l'emploi de ce moyen; et un exposé sommaire, dont vous m'aviez chargé, n’a pas été continué au- delà de la première année. Cependant il devient de jour en jour plus indispensable de rendre public au moins un extrait des lectures qui ont rempli vos séances, ne fût -ce que pour faire participer vos associés aux objets de vos réunions, et donner par là une nouvelle activité à leur correspondance ; et comme rien ne m'empèche plus de vous présenter ce travail que vous m'avez demandé, je ne serais pas excusable , si je différais davantage à remplir vos intentions. Le tableau que j'ai à vous offrir sera défectueux à bien des égards. Je me dispenserai d’en dire la principale raison : ce serait accuser votre confiance , dont je ne dois que m’honorer. D'autres causes tiennent à la multitude des matières que je dois réunir dans un espace resserré , à la difficulté de conserver à une courte analyse un intérêt qui sort souvent des développemens , et à l’impossibiité peut- être absolue de rendre intelligibles des procédés un peu compliqués , en en supprimant les détails. Parmi les nombreux mémoires dont je vous dois le compte, il y en a plusieurs qui, soit pour l'importance du x C5) sujet, soit pour la manière dont il est traité, méris teraient bien d’être imprimés en entier ; et mon in- certitude sur le choix que vous en feriez a été un des obstacles qui m'ont long-temps arrêté. Il y en a d’autres que leurs auteurs n’ont point déposés , dans l'intention , sans doute, de les publier eux-mêmes en leur nom, et dont je ne pourrai vous indiquer que le titre. C’est un compte annuel de vos travaux qui devra vous être rendu à l'avenir ; et en donnant celui de 1801 , je me proposais de le continuer année par année : mais ayant aujourd’hui à vous mettre à la fois devant les yeux ce qui a été fait pendant un espace de dix ans , j'ai cru devoir ahkandonner cet ordre successif des temps, et dis- poser plutôt les matériaux de cette collection d’après leur analogie ou l'identité de leurs auteurs, en les divisant seulement en deux parties, dont la première sera consacrée aux Sciences physiques et mathé- matiques ; la seconde aux Sciences morales et poli- tiques , à l’histoire, à la littérature preprement dite et aux arts, Ce parti me mettra dans la nécessité de faire une nouvelle mention des objets compris dans l’exposé sommaire de la première année ; mais outre qu'il aurait été difficile de laisser ignorer en- tièrement le contenu de cet exposé à ceux qui ne lont pas reçu , ou qui ne l'ont pas conservé 4 j'aurai l'avantage , à ce moyen, de pouvoir mettre plus d'ensemble et de liaison dans un recueil que À 3 (6) sa nature en rénd peu susceptible. Je suis bien per- suadé qu’une analyse aussi succincte vous paraîtra in- suffisante pour atteindre le degré d'utilité qu’offrent plusieurs morceaux ; mais j'ai pensé qu’elle n’empé- cherait pas de publier ces morceaux en entier, et de compléter par un choix de citations cette es- quisse aride , où je ne m'en suis permis aucune, du moins un peu étendue. Avant d'entrer dans f’exposition des travaux scien- tifiques et littéraires de cette Société, je dois retracer en peu de mots la manière dont elle se forma dans les derniers jours de lan 1800 , et consigner ici le nom de l'administrateur recommandable à qui nous devons ce bienfait, celui du savant ministre qui seconda son zèle, et qui l'avait même provoqué , et surtout l’époque mémorable ; où le plus sage gouvernement assurait une entière faveur à un pareil établissement et à tous ceux qui pouvaient fortifier ou honorer la France. Il avait déjà existé dans cette ville pendant un siècle et demi une réunion aca- démique, illustrée par des noms fameux dans les sciences et dans la littérature , et pour laquelle M. Foucault, intendant de Caen, obtint au mois de Janvier 170$ des lettres patentes de création sous le titre d’ Académie des Sciences et Belles-Lertres ; ‘ mais cette institution avait eu à la révolution le sort de toutes les autres du même genre ; ses membres dispersés depuis une dixaine d’années n’en laissaient (7) Plus subsister aucunes traces, et elle ne pouvait te vivre que par une nouvelle création. Ce fut le 21 Frimaire an 9 ( 12 Décembre 1800 ) que le général DUGUA, Préfet du dépar- tement du Calvados, jetta les premiers fondemens de cette nouvelle Académie. Il y avait été engagé par le Sérateur Chaptal, alors ministre de l’intérieur, dont un des principaux soins était de propager toutes les connoissances qui pouvaient perfectionner nos arts utiles ou agréables, et féconder notre in- dustrie. À peme un an s'était écoulé depuis que les rênes du gouvernement étaient entre les mams d’un de ces hommes extraordinaires , à qui tous les autres s’empressent d’obéir, parce que tous les reconnaissent faits pour commander, qui n’ont de rivaux nullé part, parce que leur supériorité se manifesté par- tout, et que nul obstacle n'arrête, parce qu’ils n’en connaissent point que le courage et la prudence ne puissent surmonter ; et déjà l’ordre et la prospérité renaissaient de toutes parts , la confiance et la sécu- rité remplissaient toutes les âmes, la paix intérieure succédait aux dissensions et à la révolte, les traces de si longues et si sanglantes fureurs s’effaçaient , tous les monumens qui servent dé base à lordre social se relevaient dé leurs ruines avec une telle rapidité , que le génie du bien semblait cette fois plus prompt à édifier que celui du mal ne l'avait été à détruire. Quelle circonstance plus favorable pour A 4 (8) rouvrir un temple aux Sciences et aux Lettres , et pour ramener à leur culte ceux à qui des événe- mens désastreux l'avaient fait abandonner ? Et qui pouvait être plus disposé à profiter de ces heureuses conjonctures , que ce guerrier citoyen, ami éclairé des Sciences, comme de tout ce qui peut contribuer à la dignité et au bonheur de l’homme, qui joïgnait les qualités administratives aux talens militaires ; qui, compagnon tout à la fois des meilleurs capitames et des premiers savañs dans l’expédition d'Egypte, avait secondé efficacement des recherches précieuses pour le génie, en même temps qu’un gouvernement militaire entouré de piéges et de dangers exerçait jour et nuit son courage et sa prudence ? Il s’em- pressa donc de réunir une partie des professeurs de l'Ecole centrale, plusieurs fonctionnaires publics de différens ordres, recommandables par leurs connais- sances et leurs talens , et quelques autres amis des Sciences et de la Littérature. Dans cette première réunion , il fut choisi au scrutin neuf membres qui formèrent le noyau de la société : ceux - ci s’en adjoignirent neuf autres dans une seconde réunion, et le nombre fut ensuite porté à vingt-quatre, et définitivement à trente-six. Cette société prit d’abord le nom de Lycée, et se divisa en deux classes ; mais dans la séance du 8 Prairial an 10, pour se conformer à la loi qui attribuait exclusivement aux nouvelles Ecoles publiques le nom de Lycée, elle (9) prit la dénomination d’ Académie des Sciences, Arts et Belles - Lettres ; et le 17 Messidor suivant , elle supprima la division par classes , afin d'éviter la répé- tition dans une seconde assemblée , de toutes les lectures faites dans une première. Ces changemens et quelques autres circonstances nécessitèrent plusieurs modifications dans ses statuts, dont la dernière ré- daction a été adoptée le 17 Brumaire an 11. PREMIÈRE PARTIE. Sciences physiques et mathématiques, PARMI les membres de l’Académie qui l'ont entretenue d’objets d'Histoire naturelle et de Phy- sique, je citerai d'abord le général DUGUA , pour que ce nom, qui fut inscrit le premier sur votre Liste, et qui restera toujours attaché par la recon- naissance au souvenir de votre institütion , figure aussi le premier dans le tableau de vos travaux académiques, que cet administrateur actif et éclaité excita, et auxquels il concourut avec un zèle qui honore sa mémoire. Je ne vous parlerai point du discours par lequel il ouvrit votre première séance publique, et qui donna une idée si avantageuse de la justesse de son esprit et de la droiture de son cœur; parce que ces sortes de morceaux sont peu susceptibles d'analyse, et que ne pouvant faire entrer dans ce précis sommaire les citations nécessaires pour a (10) les faire bien connaître, j'ai pris le parti de les passer sous silence. L'ouvrage dont je veux faire mention, et l’un des prenuers qui vous aient été présentés , est un mémoire d'observations sur la maladie des blés appelée charbon ; et le général Dugua comprend sous cette dénomination ces alté- rations si fréquentes de la substance du froment , qui en détruisent le principe farineux, et le réduisent en une poussière noirâtre , légère et d’une odeur fétide, Sans chercher précisément à déterminer la nature de ce vice, il considère les circonstances qui peuvent en être regardées au moins comme causés médiates, et dont l'influence est établie par des observations sûres. Il met au nombre de ces causes les brouillards , la mauvaise qualité des fumiers ou des terreins, et sur-tout la poussière charbonnée qui s'attache à la semence ; et il appuie son opinion sur des expériences, dont il read compte. Les taches noires que forment sur la paille et sur lépi les gouttes d’eau produites par un brouillard épais, et subitement desséchées par le soleil, indi- quent le principe de la corruption qui se manifeste ensuite dans les grains. D’anciens cultivateurs ont proposé de prévenir eet accident, en faisant passer sur les pièces de blé, après de grands brouillards , une corde lâche, tenue par deux hommes, pour abattre les gouttes d’eau. Lorsque cette précaution n’a point été prise, ou, (nu) lorsque les blés ont été long-temps couchés , et que les pailles sont considérablement endommagées de la rouille ; il est dangereux d’en employer le fumier, avant qu'il soit parfaitement pourri ; et cette obser- vation s'applique aux pays où l’on emploie le lupin ou la fève des mafais pour engraisser les terres. Les chaumes et les Herbes qu’on enfouit dans le champ sont souvent aussi la cause de la carie qui gâte la moisson. L'auteur du mémoire a observé qu’en Lan- guedoc, où l’on est dans l'usage de les faucher ou de les brûler après la récolte , les pièces dans les- quelles cette précaution a été négligée sont toujours plus endommagées que les autres. Il en est de même des parties du champ sur lesquelles on a étendu le gazon des fossés nouvellement relevés ; il a souvent vu ces lisières infectées par le charbon, tandis que le reste de la pièce en était exempt. Un fermier du Gâtinois, persuadé que des semences parfaitement saines et nettes suffiraient pour le garantir des mauvaises récoltes qui avaient ruiné son prédé- cesseur , n’hésita pas à employer le fumier que celui- ci avait laissé sur la ferme. Il en fit répandre sur toutes les pièces qui devaient être ensemencées , à l'exception d’une de douze arpens pour laquelle 11 en manqua. Cette pièce fut la seule dont le blé ne fut pas charbonné. Le général Dugua a fait lui-même plusieurs expé- riences qui prouvent que la poussière charbonneuse (121) est une cause de destruction pour la semence, de quelque manière qu'elle s’y trouve mêlée. En 1784; il prit une partie du blé qui devait être semé dans un champ, et après l'avoir bien lavée et chaulée, il la fit répandre dans le milieu de la pièce. Il n’y eut pas un seul épi gâté dans toute cette partie; le reste, où la semence avait été mise sans prépa- ration, fut maltraité comme les années précédentes. En 1787, il fit laver sur un terrein en pente une assez grande quantité de blé gâté par le charbon. L'eau du lavage coula dans trois sillons, qui ne rapportèrent pas un seul épi sain ,’quoique dans tout le reste de la pièce la récolte n’eût aucun dommage. En 1789, il fit mettre dans un vase rempii d’ex- cellente terre végétale, du blé bien lavé et chauké, dans un second vase rempli de la même terre, du même blé sans préparation, et enfin dans un troi- sième encore du même blé, mais bien mêlé et bien frotté avec de la poussière charbonneuse, et ensuite recouvert de cette poussière. Il n’y eut pas dans ce dernier vase un grain qui ne fût gâté; le premier n'en rapporta pas un qui ne fût sain; le second en eut environ un quart de mauvais. M. DE ROUSSEL vous a lu un grand nombre de mémoires sur l'Histoire naturelle, la Physique, la Chimie , la Médecine, l'Agriculture , qui presque tous ont le mérite précieux de se rapporter à luti- lité de ses concitoyens, soit en leur faisant connaître (13) les ressources de leur territoire, soit en les éclai- rant par l'observation de divers phénomènes dans plusieurs pratiques qui intéressent leur prospérité. Je placera à la tête de ces mémoires, non comme étant le prermier en date, mais comme pouvant servir de discours préliminaire aux autres, celui qu'il a présenté sous le titre d’observarions sur l'importance de létude de la nature, sur l'uulité d’un dépor d'échantillons d'Histoire naturelle dans le dépar- cement du Calvados, et sur La possibilité de [y établir d'une manière avantageuse. L'auteur , en présentant un tableau rapide des vastes objets qu’em- brasse l’étude dont il veut établir limportance , les considére successivement sous les divers rapports dont l'observation peut procurer à l’homme les décou- vertes les plus intéressantes, les jouissances les plus délicieuses. C’est ainsi que l’imagination est étonnée et charmée tour-à-tour, en considérant ces globes lumineux répandus dans l’espace , leurs volumes , leurs distances, la fixité des uns, le cours symétri- que des autres, l’harmonie de tous ; les variations de l’atmosphère , la distribution des élémens qui la composent , les phénomènes, tantôt utiles ou ravis- sans, tantôt effrayans et désastreux , de tous les météores ; ces couches variées en tant de manières, que présente l’intérieur de notre globe , ces innom- brables combinaisons d’un petit nombre de principes , et ce mécanisme mystérieux qui produit sans cesse Cr4) de nouveaux résultats; ces productions plus précieuses, dont la terre pare sa surface , leur formation , leurs caractères, leurs propriétés, leurs parties constitu- tives, et surtout cet admirable système d’accidens périodiques et d'opérations régulières , qui présente tant de points d’analogie entre les végétaux et les animaux ; enfin les prodiges encore plus merveilleux , qu’offrent les espèces si nombreuses et si diverses du règne animal. C’est ainsi que tous ces objets aggran- dissent à l'infini l’esprit humain, en lui apportant sans cesse de nouvelles idées, et l’élèvent aux con- templations les plus sublimes , en lui découvrant partout les traces de cette sagesse invisible qui pré- side à l’ordre de l'Univers. C’est ainsi que l'étude de la nature est propre à rendre celui qui s’y livre meilleur et plus heureux. L'application que l’auteur fait de ces vues générales |, au département du Calvados, est fondée eur la richesse du sol, sur la variété de ses productions, et sur diverses considé- rations locales, dont la justesse a été reconnue. Le premier travail relatif à l'Histoire naturelle , dont vous ait entretenu M. de Roussel, traite des plantes rares ou inédites du département du Calvados et de ses environs, et il est divisé en trois mé- moires. Dans le premier l’auteur décrit quatre plantes, dont il fait connaître certaines propriétés peu observées : 19. Le varaire blanc ( Veratrum album } Æf/bore blanc, Ellébore, qw'il a découvert (15) sur le bord du ruisseau du moulin du Sablonier ; au Champ-segret, à cinq quarts de lieue de Dom- front. Cette plante , qui se trouve au jardin de botanique , a fleuri sur le bord d’un canal dont l'humus est une terre noire, grasse, et posée sur une plaise marneuse ; et elle a péri sur le bord d’un autre canal, dont le fond est une glaise très-com- pacte. 20. Le Warec vermifuge, Mousse où Cora- line de Corse ( Fucus Helminthocorton d’Allioni ). M. de Roussel atteste que les rochers maritimes de Dives sont tapissés d’une couche noirâtre de deux sortes de varecs, dont l’un est le varec nain, et l’autre la véritable mousse de Corse, qu'il a aussi trouvée sur les fameuses roches maritimes d’Ar- manches. Il décrit les caractères apparens qui peu- vent faire reconnaître cette plante précieuse, et il avertit que la plupart des pharmaciens vendent sous le nom de Coraline de Corse un mélange de con- ferves dont la vertu vermifuge n’est encore établie par aucune expérience directe. 3°. La Carorte ma- ricime ; ( Daucus gingidium ); la Carotte à curedents, ( Daucus visnaga ) ; la Carorte hérissée ( Daucus muricatus ). L'auteur a trouvé la première de ces plantes sur les bords de la route du hameau de Lion , et dans d’autres terres arides, près de la Déli- vrande ; la seconde dans le voisinage du chemin du Londel ; la troisième près d’un petit bois de la commune de la grosse Teur. En traitant de l’usage (16) de fa racine de Carotte contre les affections cancé- reuses, il insiste sur l'avantage de l’employer à froid, et il apporte des faits et des raisonnemens à l'appui de son opinion. 4°. L’Ajonc ou Jonc marin { Ulex europeus ) Landier d'Europe , de Lamarck; dont M. de Roussel distingue deux espèces , la pre- mière sous le nom d’U#ex fruticosus , la seconde sous celui d’Uex humilis, plus petite que l’autre, qu'il regarde toutes deux comme très-avantageuses à cultiver, soit pour pâturages, soit pour engrais, soit pour servir de combustible. Ée second mémoire traite de plusieurs espèces d'ivraie ; de la rameuse ( Lo/inm ramosum ) ; de Fenivrante ( Lolium temulentmm ), de la réticulaire des blés, de la réticulaire des jardins , de la clavaire des graminées , espèce de champignon. L’auteur prétend que cette dernière est l’Ergor qu’on trouve sur le seigle, et qu’on regarde faussement comme un prolongement du grain même. Il attribue aussi ke Charbon qui attaque le froment à l’ivraie eni- vrante ; et la nielle lui paraît provenir d’un bysse-pulvérulent qu'aucun naturaliste n’a décrit. Dans son troisième mémoire, l’auteur fait mention de Z’Anthoxanthum interruptum , qu'il dit être in- connu des naturalistes, du Daphné Laureo/a ou Lauréole | dont l'écorce est propre à exciter la sup- puration ; du Trichomanes tumbridgense de Linné, la plus petite de toutes les fougères , qui n'avait été vue (17) vue que sur une portion du territoire de l'Angleterre; et qu’il a trouvée sur les rochers de Mortain , et d’un Fucus ou varec Bicolor, qu'il dit n’avoir été décrit par aucun naturaliste, et avoir été jetté sur nos côtes, dans une des grandes marées de lEqui- noxe d'Automne, et dans leqwel il a découvert une propriété hygrométrique très-remarquable. Il a rendu compte des expériences qu’il a faites principalement sur la troisième variété, qu’il appelle Courroie. Les résultats annoncés dans le précédent mémoire ont été depuis mis sous les yeux de l’Académie dans un appareil hygrométrique , composé de huit diverses substances , et dont la construction et l'usage se trouvent expliqués dans un mémoire qui y est joint. Jusqu'ici l’auteur a eu pour but de rendre plus com- plète l’histoire des végétaux de notre département ; mais dans un autre travail, assez étendu , 1l a con- sidéré les plantes par rapport à un genre de propriété dont l'importance se fait plus sentir que jamais. Il vous a présenté des recherches sur la partie colorante des végétaux ,. dans l'intention d'indiquer à ses com- patriotes les ressourses qu’ils peuvent trouver autour d'eux pour une branche précieuse d'industrie. Avant d'entrer dans l’objet propre de ses recher- ches, M. de Roussel fait remarquer d’abord qu'on n’a point encore su tirer de la partie colorante des plantes tous les secours qu’elle peut offrir, et que Part de la teinture est à cet égard bien en arrière B (18) des progrès de la Physique et de la Chimie. Après cette observation, il présente des notions générales sur le phénomène de la coloration des végétaux , et développe une théorie purement scientifique sur les causes et la production des couleurs et sur lés diverses substances qui y ont part. À la suite de ces préli- minaires, 1} divise sa matière en deux sections, dont là première comprend les couleurs simples ou primi- tives, telles que le noir, lindigo, le bleu, le rouge et le jaune ; et la seconde les couleurs mixtes, telles que le brun, le violet, laurore, le vert. Les plantes que l’auteur indique, dans le premier article de sa section, comme capables de fournir la couleur noire, sans le mélange d’aucune autre subs- tance, sont une espèce de bruyère du Cap, Zmperrum procumbens , Vherbe de Saint-Christophe , l’acajou des Indes, l’acacia, le génipaius d'Amérique ; celles qu'il désigne comme propres seulement à former cette couleur à titre de précipitans , ou à l’aide des réactifs, sont le bolet noir, la pezize, l’escalone à feuilles de myrthe, les comoclades, la terminalie du Mada- gascar , le vernis, le sumac de la Caroline , le sumac de Virginie ; et enfin celles auxquelles il n’attribue que là vertu de donner plus de ton ou plus de solidité aux couleurs noires , sont le rouvre , le chêne pédon- culé, le chêne lanugineux, le coudrier, l'arbre de vie, le cyprès du Mont-Liban, le cyprès étalé, le redoux, le saule noir. Il indique comme un point (19) d'économie très-important dans les laboratoires du cinturier, l’usace qu'on pourrait faire de l'écorce ou de la poudre de la plupart de ces bois pour la subs- tituer à la noix de Galle, et l'essai des fruits des thuyas, des cyprès, du coudrier et des chênes. Il croit que plusieurs autres fruits pourraient pareille- ment remplacer le sucre , et les autres substances qu'on emploie dans la préparation de l’encre où dans la composition des autres couleurs, pour leur donner plus de vivacité et de solidité. Dans le deuxième article, M. de Roussel regarde la couleur de l’indigo comme naturellement inhérente à la fécule de [a plupart des indigotiers ; et des ré- sultats qu'il a obtenus de l'analyse de‘cette fécule, il conclut que la superbe nuance qu’on en retire n'est pas due au peu de fer que cette substance contient. Il attribue aussi cette couleur À certaines Lgumineuses, qu'il passe en revue, et qu’il apprécie, et croit qu'on pourrait la retirer de quelques autres végétaux, parmi lesquels il place certaines espèces de nos saules. Il indique les procéd(s de quelques chunistes pour la teinture en bleu très-foncé, soit des fils et cotons, soit de la soie. Quant à la couleur bleue | dont il traite dans le troisième article, en la considérant relativement à la coloration des fils et laines, et comme tirée du règne végétal, 1l observe que la plupart des végé- . taux qui en fournissent les différentes nuances, ont B2 (20) besoin d'être soumis à diverses épreuves pour en développer la partie colorante ou la purifier. Il cite parmi ceux dans lesquels cette propriété n’est point généralement reconnue , et a besoin d’être éprouvée ; la violette tricolore, la passe-fleur, l’ivraie vivace, le sarrasin, le galega commun, lastragale du Levant, le bluet; et parmi ceux sur lesquels on est plus éclairé, le mélampyre des champs, le cocrète , le grand boucage, le laser, la patience rouge, la sco- lopendre, le mors du diable, le pastel maritime , le pastel du Portugal, le pastel d'Egypte, la persi- caire de Virginie, la persicaire d'Orient, l’hièble , le prunelier, le frêne d'Amérique, le frêne d'Eu- rope. M. de Roussel apporte sur la plupart des végétaux de ces deux séries, des faits et des obser- vations tirées de différens physiciens , pour faire connaître l’usage qu’on en peut faire et les procédés qu’on doit employer. La couleur rouge, considérée par rapport aux fils et aux étofles, est l’objet du quatrième article. Elle est, selon M. de Roussel, bien plus abondamment répandue dans le règne végétal que dans le règne minéral, et elle y est moins fugace et moins altérable que les autres nuances. Les végétaux propres à cette couleur sont partagés en deux séries, l’une pour le rouge tendre ou léger ; l’autre pour le rouge plus vif et plus foncé, tel qu’on l’a dans le pourpre, le cramoisis , l'écarlate. A la première sont rzpnortées (ui) quinze espèces , savoir : l’orseille de mer , le varec chévelu, l’ulve de Crète, le haricot d'Espagne, le haricot roux jaspé, l’alun des Moluques , l’orca- nette, l’orseille d'Auvergne , l’orseille des Canaries, le kenné des Sauvages, le bois du Présil, le bois du Japon, le brésillet, l’érable commun; et à la seconde , dix-huit : le rocou , le bois rouge de St.- Domingue , le bois rouge des Maures , le santal rouge, le brésillet bâtard velu, le brésillet bâtard glabre, l’airelle du Mont - Ida, le bauhine d’Am- boine, le renabibo des Brames, le ehevre-feuille des bois , l’atractyle pourpre, l’origan, le caille - lait des teinturiers , la garance de Zélande, le lizary de la Chine ; la garance de Montpellier, la noisette du Portugal, l’asperule des teinturiers. M. de Roussel , dans cet article, comme dans les précédens, et dans le suivant , cite des obser- vations et établit des opinions, qu'il appuie de l’au- torité de plusieurs savans recommandables , ‘soit anciens , soit modernes, et dont l'exposition ne peut trouver place dans cet extrait. La dernière des couleurs simples , qui appar- tiennent à la première section, est la couleur jaune, pour laquelle l’auteur cite trente-cinq plantes ou arbres , savoir le laitron des champs, la laitue sau- vage, le souchet des Indes , la jacée, l’astragale de Sibérie , la rose d’Inde , l’œillet d'Inde, la sarrette des bois, le trèfle des prés, la luzerne cultivée, la B 3 (can: Yovea.. 203 verge d'or du Canada, le cerfeuil sauvage, l'ortie de la Jamaïque , la camomille, le chanvre, la .fumeterre, le genêt des teinturiers, le genêt épi- :neux, le liciet de la Chine, la graine d'Avignon, le jomarin, le cornouiller mâle, l’épine-vinette, la boccone, le guttier des Indes, le saule commun , le bois jaune , le bois des teinturiers, le coussapoa de la Guyenne , le bois jaune des Antilles , la massue d'Hercule , le chêne jaune de la nouvelle Angleterre, le chêne d'Amérique, l'arbre de vie, le peuplier d'Italie. M. de Roussel n’a présenté sur sa seconde section qu'un seul mémoire, dans lequel commençant l’ex- position des. couleurs mélangées, par celles qui ont le plus de rapport à la dernière des simples, 1l traite des différentes nuances de jaune et des plantes qui peuvent les fournir. Il indique huit espèces pour la couleur de nankin plus ou moins vive, onze pour la nuance de canelle, treize pour celle de vigogne, douze pour celle de noisette, trois pour celle d’a- bricot, vingt-une pour le jaune mordoré, et treize pour la nuance de mordoré, cinq pour celle de jaune ravenelle. Il passe de là aux différentes ver- dures, et cite sept plantes pour Polive clair, et quatorze pour l’olive foncé. L'auteur a semé dans tous ces détails des réflexions qui tendent à prouver que la chimie rendrait de grands services à l’art du teinturier, si elle pénétrait plus avant dans ses labo- (231) ratoires, et si elle dirigeait plus constamment sà pratique. A la suite de ces mémoires, j'en placerai quelques autres qui s’en rapprochent par leur objet, quoique présentés à une époque beaucoup plus récente. Dans le premier, intitulé, essai sur l'analyse des végéraux par la voie des réactifs, M. de Rousse! , en exposant les funestes effets de l'ignorance et de l’aveugle routine , qui employaient les plantes confusément et sans principes sûrs, dans le traitement des maladies, jusqu’au quinzième siècle , marque l’origine et les progrès de cet esprit d'examen et d’aualyse,, dont les résultats pouvaient seuls réprimer de si funestes abus. C’est aux Académies qu’il rapporte les premiers bienfaits de cette judicieuse observation, qui tend à connaître avec exactitude les objets de la nature, pour en éclairer l'emploi , et qui a introuuit enfin dans les études physiques la méthode qui pouvait seule assurer leurs progrès. Maloré l’utile influencs de cette. méthode sur la chimie, cette science n’eb- tint pas d’abord des succès bien complets dans l'analyse des végétaux. L’agent à peu près unique qu'on employait pour séparer leurs principes cons- tituans , en faisait nécessairement disparaitre une partie par son activité destructive ; et le célèbie Rouelle, notre compatriote, en montrant les incon- véniens de l'usage du feu dans l'analyse des plantes, “et les avantages de leur solution dans des principes (24) aqueux, ouvrit la voie à de précieuses découvertes. Il observa que les parties insolubles dans l’eau ne l'étaient pas pour cela dans l’alkool, et il adopta de plus un certain nombre de menstrues, pour sé- parer des substances qui ne se manifestaient pas par ces deux premiers agens. Ce procédé, dont les avan- tages devaient se multiplier indéfiniment avec les essais , a reçu depuis peu des développemens bien intéressans de M. Vauquelin. Dans les belles expé- riences que ce savant distingué a faites sur les sèves de l’orme, du hêtre, du charme , du bouleau, par la voie des réactifs, il y a découvert la présence de l'acide acéteux, de lacide gallique, du tannin, de la gomme, de la potasse, de la magnésie, de la" chaux; etc. Comme on ne peut pas se procurer en tout temps de la sève des arbres, et qu’un grand nombre de plantes n’en peuvent fournir, M. de Roussel a imaginé qu'il pourrait obtenir des principes analo- gues, en faisant macérer les écorces dans de l’eau distillée. Après avoir filtré les produits de cette macération, pour laquelle il a choisi les mois de Juillet et d’Août , à cause de leur température plus favorable à la dissolution des principes dans l’eau, il les a soumis à différens réactifs ; et il rend compte dans ce mémoire des expériences qu'il a faites sur cinquante-un végétaux, avec la teinture de tournesol, la dissolution de sulfate de fer, la solution de colle, ; (25) Vacide oxalique. En résumant le résultat de ces expériences, qu'il se propose de continuer , il fait remarquer les différens changemens survenus à l’eau distillée dans laquelle les plantes herbacées ou les écorces d’arbres ont été mises à macérer, la couleur, l'odeur, la saveur de chacune de ces substances , et l’effet plus ou moins marquant des agens auxquels elles ont été soumises. Le mémoire suivant qui a pour épigraphe : 6 fortunatos nimidm , sua si bona norint, agricolas ! traite des moyens de subvenir à la privation des plantes exotiques. M. de Roussel réduit ces moyens à trois: substituer des plantes indigènes aux exoti- ques, eultiver celles-ci dans nos contrées, remplacer par des mélanges convenablement préparés les subs- tances simples qui se tirent du dehors. C'est en parcourant les différens ordres du règne végétal, et en entrant dans un détail qui n'est pas susceptible d'analyse, qu’il établit ce qu'il a avancé. Notre collègue n’a pas tardé à offrir une appli- cation de ses principes. Il a présenté à l’Académie, d’abord deux tableaux d’expériences faites par M. Vauquelin, le premier ayant pour titre, axza/yse des différentes espèces de quinquina répandues sous ce nom dans le cominerce, par la voie des réactifs ; k second , analyse par la voie des réactifs faite par M. Vauquelin des quinquinas rapportes par Mes- sieurs Humbold et Bonpland. Note sur Les qualités (26) er Les principes de qüelques autres fébrifuges ; par le méme : ensuite trois autres tableaux de ses propres expériences, faites suivant la méthode de M. Vau- quelin. Dans lun intitulé saw/es macèrés a l’eau ; leurs écorces soumises & ce genre d'analyse par la voie des réactifs; on voit en plusieurs colonnes la saveur, la couleur et les différens précipités de dix- huit espèces de saules, par.la colle , le sulfate de fer, l'oxalate d’ammoniaque , la temture de galle , le syrop de violette, la teinture de tourmesol, lam- moniaque caustique, le nitrate de mercure, le tar- trite antimonié de potasse, la potasse, l’alkool. Un autre contient le résultat d’expériences’ semblables sur une quinzaine de plantes qui se rapprochent plus ou moins du thé; et le troisième sur des plantes fébrifuges macérées pendant huit jours dans de l’eau distillée ÿ et dont les liqueurs respectives ont été soumises à l’action des mêmes réactifs. À ces ta- bleaux sont jointes deux notices de M. de Roussel : dans la première, intitulée observations sur les fébri- fuges , il cite particulièrement quatre espèces de saules , savoir le petit saule des bruyères , salix repens de Linné, le saule blanc , salix alba, Linné; le saule pourpre s2/ix parpurea, Linné, le saule ni- cheur, salix incubacea , Linné , qui se laissent préci- piter par la colle comme les quinquinas, sont de même susceptibles de l'impression des réactifs , ont une saveut un peu amère, et se rapprochent plus | (27) ou moins d'eux par les principes médicamenteux de Jeurs écorces. Quant à ce dernier , 1l annonce que sa liqueur soumise aux différens réactifs lui a’ donné des produits peu diférens de ceux qu’on obtient des meilleurs quinquinas. Il assure aussi avoir opéré plu- sieurs guérisons de fièvres avec l’écorce du petit saule de bruyères , réduite en poudre. I passe ensuite à la camomille odorante, à la centaurée de Mont- pellier, à la camomille des champs et à la camo- mille de nos bruyères , anthemis Romana de Linné, dont 1l établit la vertu fébrifuge , tant sur les pro- duits de l’analyse , que sur les succès qu'il a obtenus de son emploi depuis trois ans. Il finit par quelques considérations sur l'utilité du vin blanc dans le traitement des fièvres intermittentes , surtout des fièvres tierces, utilité reconnue par Hippocrate, et confirmée par de nombreuses observations. Le second écrit de M. de Roussel a pour titre : Noces sur les espèces de saules de notre départ.m:nt, sur Les resul- tats de leur analyse par la voie des réaciifs, et Sur leur utilité dans la médecine et les arts. Il expose en commençant les soins qu’il prit, lorsqu’en 1786 il fut chargé de l’enseignement de la Botanique , pour enrichir de nouvelles espèces de saule le Jardin des plantes, qui aux démonstrations de 1787, n’en contenait que ‘cinq. Îl en cite au- jeurd’hui vingt-sept, qui se trouvent dans le dépar- tement, et dont il expose les caractères et les (28) vertus, en ajoûtant qu’il en existe encore d’autres chez nos agricoles zèlés. Sur ce nombre il en a soums dix-huit à l’analyse par la voie des réactifs, et les tableaux qu'il a présentés contiennent les résultats de ses expériences. Les circonstances ne sollicitaient pas encore aussi impérieusement qu'aujourd'hui toutes les tentatives de Pindustrie qui tendent à rendre notre prospérité indépendante du commerce étranger , lorsque M. de Roussel vous communiqua des notes sur ls avan- cages qu'on peut retirer de la culture du houblon , et sur les moyens de lentreprendre avec succès dans notre territoire. Il développe dans cet écrit les divers points de vue sous lesquels ce sujet doit être envi- sagé. Il s’étend sur les caractères du houblon et ses diverses espèces, sur les accidents qui résultent pour cette plante de ses différentes expositions à la lu- mière, de la qualité du sol, de la nature des vé- gétaux qui l'environnent, enfin sur toutes les cir- constances de la culture et les précautions qui peuvent en assurer le succès. La question la plus importante de ce mémoire, parce qu'elle tient à des considé- rations locales, et que la solution ne sort pas immédiatement des théories générales, c’est celle qui regarde l'avantage qu’il y aurait à substituer dans les terrains indiqués par l’auteur , des houblonnières artificielles aux autres genres de culture. Pour établir cet avantage, M. de Roussel fait valoir l’affran- (29) chissement d’un tribut-onéreux que nous payons aux étrangers qui nous fourmissent pour la confection de nos bierres, une denrée que notre sol pourrait nous procurer. Il trouve dans la récolte du houblon faite sur notre propre territoire, un moyen de répandre l'usage d’une boisson bienfaisante, qui suppléerait avantageusement au cidre dans les années où les pommes manquent, et le maintiendrait toujours à un prix modique. Comme les cas assez fréquens d’une abondante récolte de fruits et du bas prix du cidre pourraient fournir une objection contre la multiplication des brasseries, et contre l’assurance de tirer toujours un parti avantageux des houblon- nières ; l’auteur, qui loin de proposer la destruction de nos pommiers et de nos poiriers, présente leurs différens genres d'utilité, croit que quand on ne se servirait de leurs fruits que pour faire des liqueurs spiritueuses, on en tirerait toujours un profit con- sidérable , parce qu’en doublant ou triplant l’expor- tation de nos eaux-de-vie, nous pourrions nous procurer par échange une quantité d’objets étrangers, que nous sommes obligés de paver en écus. Ce n'est pas seulement dans le règne végétal que M. de Roussel à cherché à nous découvrir des sources de richesses où mal connues ou trop négli- gées : il a mis aussi à contribution le règne minéral; et à la suite d’un sableau synoptique des minéraux du département, il a présenté trois mémoires , le (30) premier, sur les coquilles univalves , le. second sur les minéraux et les fossiles | le troisième sur. les pétrifications. CL à L'auteur s’écartant dans son tableau, pour des raisons.qu'il expose , de la méthode du célèbre Hauy, mais en adoptant les principes de sa théorie, indique les gisemens des minéraux qu'il passe en revue, leurs états, la matrice qui les alimente ; il en. détermine la structure ou la composition, et fait connaître dans des notes le parti qu'on peut en tirer dans les arts ou pour nos besoins particuliers. Ce mémoire renferme trois parties , intitulées sxbs- rances acidiferes, substances bitumineuses et subs- zances, métalliques. La première classe comprend six genres, /4 porasse, la soude, la magnésie, la chaux, l'alumine et le quartz ou silice. Chacun de ces genres présente plus ou moins d’espèces et de variétés ou sous- variétés, que l’auteur considère, soit dans leur état simple, soit dans les différens mélanges où elles se trouvent, en les distinguant par leurs formes régu- lières ou irrégulières , et comme amorphoses. Il indique avec les caractères distinctifs de chaque sorte de substances les lieux qui les produisent. Il cite dans la seconde partie Z souffre, la hozille ou charbon de terre, le carbone ou charbon ligneux, Le Jayet et la tourbe. Quant aux métaux, sans s'arrêter à ceux qu ne (3%) se trouvent dans notre territoire qu’en trop petite quantité pour offrir des avantages appréciables , il s'étend sur les nombreuses mines de fer qui font une des plus importantes richesses de notre département. Il expose les différens états dans lesquels il a trouvé ce métal, savoir l'état de fer pur, de fer sulfuré, ou pyrite martiale, de fer oxidé, de fer azuré, ou prussiate de fer natif, ou bleu de Prusse, de fer oxidé quartz-fixe de Hauy, émeril des naturalistes, et d’eaux minérales ferrugineuses. Un mémoire qui fait suite à ce tableau , comprend les fossiles, que M. de Roussel ne considère que dans la circonscription du règne animal. Ses recher- ches à cet évard ont eu pour principal objet les parties solides des animaux , altérées dans leurs formes ou dans leur nature, et il fait entrer dans Pénumération qu’il en donne , les formes mêmes des autres substances auxquelles ces parties auraient pu servir de moules. Sa principale division présente sous trois titres, les ossemens des mammifères, les osse- mens des poissons , les pétrifications des mollusques. Il compte neuf espèces de mammifères, dont diffe- rentes parties solides ont été trouvées dans les fouilles du nouveau canal, ou dans des côteaux peu éloignés , et sur nos côtes. Ce sont l'homme , le chat, l’éléphant , le cerf d'Asie , la brebis; un mammifère amphibie, le morse ou vache marine ; deux cétacés, le cachalot et la baleine, L'auteur (32) admet qu’on pourrait attribuer le dépôt des ossemens d’éléphans à l'introduction de ces animaux sur notre territoire dans les guerres que les Gaules ont eues à soutenir: mais pourrait-on bien , dit-il, donner la même explication pour le cerf d'Asie et quelques autres espèces citées ? Les ossemens de poissons con- sistent en une dent de lamie, trouvée dans la carrière de Croisilles, et un poisson inconnu impres- sionné , du sol de Vacogne. Relativement aux pétrifications des mollusques , M. de Roussel en compte un très - grand nombre d'espèces, qu’il rapporte à soïxante-sept genres. Les seize premiers appartiennent aux mollusques céphalés de Lamarck. Les acéphales , dans lesquels entrent la classe des vers et celle des radiaires, en contiennent trente-cinq, et les seize derniers sont de la classe des polypes. On trouve encore, dit l’auteur, dans les carrières de Blainville et de Luc , des pétrifications connues sous le nom de judaïques, et qui ne sont que de la chaux carbonatée , formée par des baguettes d’oursin, dont on peut reconnaitre les espèces dans encyclopédie méthodique. Tous ces fossiles , ajoûte- t:l, dont le sol de nos environs est rempli, ne sont pour la plupart que des pseudomorphoses, souvent recouvertes d’une argile marneuse , et très-propres à la confection de la chaux; et sous ce rapport, ils offrent à l’agriculture des avantages trop peu connus, | "Des (33) Des trois mémoires lus depuis ce tableau ; le premier contient une liste de coquilles univalves de notre territoire. Celle que M. de Roussel décrit d’abord, et dont la forme diffère peu de celle de largonaute , lui paraît un nouveau genre à ajouter aux pétrifications dans la seconde soudivision des uni- valves uniloculaires de Lamarck , et propre à faire le passage de celles-ci aux multiloculaires. Il la dé- signe sous le nom de poulie ( trochlea ) qu’il déduit de ses caractères distinctifs les plus marquans ; et il en compte trois espèces, qu'il a trouvées dans les riches carrières de la Maladrerie , au Sud-Ouest de Caen, savoir : la poulie nacrée, trochlea margari- tacea ; la poulie applatie, trochlea complanata, et la poulie graphique, trochlea graphica. Passant en- suite aux univalves multiloculaires, dont nos carrières abondent , et qui y sont toutes pétriñiées et à l'état de carbonate calcaire, il cite les genres rate , orbulite | ammonite , planulite ; spirule ; baculire , orthocère, cylindrite, bélemnite , auxquels il rapporte un grand nombre d’espèces, qu’il fait connaitre avec plus ou moins de détail, en joignant au nom de chacune ses caractères propres, et quelquefois des observations instructives. Le second mémoire a pour titre, Nores sur l’uri- lité des minéraux de notre département. Considé- rations géologiques sur Les fossiles qu'on y trouve. L’auteur considère ici les minéraux sous les rapports C (34) qu'ils ont avec l’agriculture et les arts , et il joint quelques réflexions sur les révolutions ou les chan-. gemens que notre territoire a subis par la nature des pseudomorphoses ou des pétrifications. Réunissant sous les titres de substances a/calines, alcalino-terreuses | terreuses , bitumineuses , et métal- liques , les minéraux dont il traite , il cite dans le premier ordre, le genre porasse, de deux espèces , l'une carbonatée, propre à la culture de quelques plantes étrangères, et à la confection du nitre , l’autre zaivrarée | dont on pourrait augmenter le produit , en arrosant les nitrières avec l'urine ou la lessive , et en y répandant de la charrée et des substances animales ; et le genre soude , soit carbo- natée, soit muriarée. Cette dernière espèce , abon- dante à Lion, à Blainville et à Mathieu, est un engrais excellent pour les prairies. La prèmière se trouve en trop petite quantité pour intéresser. Dans le deuxième ordre se trouvent la magnéste et la chaux : dans le troisième, le genre a/umine et le genre quartz: dans l’ordre des substances bitumineuses , le souffre , la houille, le carbone, le jays , la rourbe : dans celui des substances métalliques, ke fr , qui mérite seul une attention particulière, pour le nombre et la richesse des mines qui le fournissent. M. de Roussel présente sur chacune de ces substances les indications les plus propres à étendre les avantages qu’on peut en retirer. Il termine par plusieurs réflexions philoso- (25.7 phiques sur la nature de ces fossiles répandus dans notre département, qui nous offrent les dépouilles d’une multitude d’animaux dont les analogues ne se trouvent plus que dans des régions très-éloignées , ou ont même entièrement cessé d'exister, du moins dans des contrées qui nous soient connues. Ces monumens d’antiquité, si propres à Jjetter du jour sur les révolutions de notre globle, donnent un air de fraicheur à ces faits déjà si reculés, que la vaste érudition des antiquaires n’a pu qu’à peine tirer de leur obscurité. Mais avant d'entreprendre la solution des problèmes importans qu’ils présentent , il faut, dit M. de Roussel, sonder la profondeur de ces dépôts, interroger séparément ces témoins muets, voir ce que la mer toujours en mouvement sur les côtes perd sur un point et ce qu’elle gagne sur l’autre , afin de reconnaître si Ovide a raison de dire : Omnia mutantur… nihil interit : errat et illinc Huc venit, hinc illuc: Summé tamen omnia constant. Vidi ego, quod fuerat quondam floridissima tellus, Esse fretum; Vidi factas ex œçuore rerras. Le troisième mémoire, sous le titre de rores sur lis pétrifications du département , traite, dans un premier article, des bélemnites, sur le genre des- quelles l’auteur observe que les naturalistes diffèrent beaucoup. La nouvelle comparaison qu’il a faite des échantillons de notre territoire | lui en a fait dis- CE + (36) tinguer plus d'espèces qu'il n’en avait cité dans son premier travail. Comme on ne connaît pas l’indi- vidu vivant qui forme ces différentes bélemnites, on ne peut avoir que des conjectures sur sa nature ; mais il regarde comme constant qu'il est au centre et à la pointe du tuyau, et qu'à proportion qu'il croît , il étend son habitation, en travaillant de bas en haut, et en augmentant les tours du cône cal- caire qu’il forme , à mesure qu'il a plus de volume; mais sans apparence d'interruption dans le travail , à la différence des bélemnites à une, deux , trois ou quatre gouttières , dont on dirait que l’animalcule se repose à un, deux, trois ou quatre temps. Parmi treize espèces de bélemnites décrites par Klein, M. de Roussel reconnaît les bélemnites per- forées. Il ne trouve pas celle à une rayure , que nous avons; mais il trouve celle à trois rayures, que nous n'avons pas, et la swivipare , l’ambree, la crustacée , la conique, qui sont très-communes sur nos bancs de carbonate calcaire de Verson et de Laise. La description de Knor, qui en reconnaît douze espèces , a plus de rapport avec les nôtres, quoique nous n’ayons ni la conique à pointe émoussée, ni celle à pointe recourbée. Celle de Sage, qui en comprend onze, en cite aussi plusieurs qui nous manquent. L'article est terminé par l’énumération des treize espèces que nous avons. “ni ET) 6 4211 | L'article deux traite de l’orchocératite, dont Îles faturalistes ne désignent qu’une espèce , quoique nos carrières de Landes en fournissent deux. Dans l’article trois, l’auteur cite les espèces de polypiers qu’il a trouvées, dans les penres que La- marck a décrits; et il déduit de ce tableau que nous n'avons sur nos côtes maritimes aucun de ces poly= piers à rayons, qui font l’ornement des cabinets des naturalistes , mais en ajoutant que nous en som- mes bien dédommagés par la grande quantité de nos autres polypiers. M. de Roussel croit qu’on doit placer après le genre d’alycolires de Lamarck, un genre que ce naturaliste n’a point décrit. Ce polypier adhère à la surface d’une masse de glaise retirée sous la voûte du canal qui sert à l'écoulement des eaux du marais d’Armanville à la mer. Différens caractères , que l’au- teur du mémoire y a remarqués, le portent à lui donner le nom de co/um ( couloir } avec le syno- nime sessile, à cause du site qui lui est propre. Le même membre a fait aussi des recherches suivies. sur la cryptogamie, cette partie de la bota- nique, où il reste encore tant à découvrir ; mais il n'a lu jusqu'ici qu’une première partie de ce travail; dans laquelle il propose quelques changemens de classification, Une étude aussi attentive de toutes les produc- tions de notre sol devait naturellement conduire C 3 LOS (38) | M. de Roussel à des réflexions sur les accidens et les altérations de sa forme extérieure , et même sur la composition des couches intérieures. Aussi vous a-t-il communiqué des considérations sur les changemens survenus à la surface du territoire du département , d’abord par la retraite des eaux de la mer, et ensuite par leur nouvelle invasion : travail important à plusieurs égards , puisqu’en jettant sur l’ancien état de nos côtes un jour propre à éclairer plusieurs points obscurs de la topographie : et de l’histoire ancienne de nos contrées , il fournit des matériaux pour la théorie générale des révolu- tions lentes et successives du globe terrestre , et laisse entrevoir quelques-uns des résultats probables de ces effets journaliers accumulés par les siècles. Quelques autres mémoires de M. de Roussel se rapportent à la physique ou à la chimie. Il en a lu un sur la silice, un autre sur les parties constitutives du bois, auquel est joint un tableau comparatif des forces de chaque espèce suivant l’âge et les dimen- sions ; un troisième sur un arc-en-ciel, un quatrième sur l’évaporation de l’eau, un cinquième sur les météores ignés, et la direction que le tonnerre suit le plus communément. L'occasion de ce dernier fut l'apparition d’une masse de feu , qu'il observa le 3 Novembre 1807, et qui lui parut sortir du confluent des deux branches de l'Orne, dont l’une passe par le pont Saint-Pierre, l’autre par le pont de Vaucelles. (39) Il cite des météores à peu près semblables, rapportés dans les transactions philosophiques de Londres ; et distinguant des autres ceux qui sont électriques, et qui paraissent avec explosion , auxquels il attribue une origine différente , il les sépare en trois classes, et renferme dans la première, à laquelle il s'arrête, tous les météores ignés qui sortent des entrailles de la terre, pour s'élever dans l'air, en faisant dans les nuages auxquels ils se rendent des explosions considérables , ce qu’on a désigné par le nom de tonnerre ascendant ; Où qui proviennent des eaux sta- gnantes et surtout du lit sur lequel elles reposent. M. de Roussel conclut de ses observations sur les orages et sur la marche que suit le tonnerre, » 1°. » qu'il existe quelquefois des éruptions de matière » ignée, sortant des entrailles de la terre, et se » dispersant dans l’air , à l'instar des fusées volantes, » mais sans aucune explosion ; 2°, qu'il en sort » aussi des masses de feusqui vont se perdre dans » les nuages , qui portent avec elles tout l'appareil » de l'électricité , qui se terminent par des explosions » et des embrasemens; 3°. que souvent aussi l’éta- » blissement des vents du Sud à l'Ouest, lorsque » ceux du Nord-Est existent, contribue à la for- » mation des météores aqueux, ou des nuages, » dans lesquels la matière du tonnerre s’embrase » souvent avec production de pluie, etc.; 4°. que » les globes de feu qui sortent des nuages électriques C 4 (40) # qui se portent vers le Nord-Ouest, tombent ét: » dinairement vers l'Est , par une explosion simple, # sans se disperser , et suivant un angle de quarante- » cinq degrés, en se précipitant en terre, s’il n’y # a pas d’obstacle qui contribue à leur déchirement » et à leur dispersion; 5°. enfin que dans la direc- » tion de ces globes électriques et ignés, à partir » du Nord-Ouest, vers l'Est, la lumière et l’ex- # plosion se font communément sentir suivant un # trajet parallelle à l’horison. » Sans traiter expres- sément de la formation des masses métalliques et pierreuses qu’on a vu tomber sur la surface de la terre , l’auteur croit plus naturel de les rapporter aux éruptions du deuxième, du quatrième, ou du cin- quième ordre, qu'aux deux autres. Quant à l’arc-en-cie] dont j'ai parlé, M. de Roussel l’observa le 14 Frimaire an 11 , sur les huit heures et un quart du matin, et y aperçut des circonstances tout-à-fait extraordinaires. Il re- marqua , au moment de l'apparition de ce phéno- mène, que de trois girouettes voisines, placées à différentes hauteurs, la plus basse marquait le vent à l'Ouest Sud-Ouest, la deuxième, au Nord-Est, et la plus haute, tournée dans la direction des nua- ges, indiquait un courant qui venait du Nord. Le baromètre était à vingt-six degrés et demi; le ther- momètre de Réaumur à quatre , et l’hygromètre de yarec marquait six centim. six millim. d’humidié, | (41) Le temps avait été nébuleux et pluvieux depuis la veille au soir. Pour ce qui est de la composition de ce météore, deux arcs d’un rouge faible tirant à l’écarlate , situés près du Nord, dans la direction de l'Ouest à l'Est, étaient séparés l’un de l’autre par une zone d’un bleu tendre, tirant à l’azur, et très-pur : une seconde zone semblable séparait ces deux arcs d’un troisième, mais au Nord, plus long et plus large , et composé de six bandes de différentes couleurs. La première, à partir du Nord, était d’un beau rouge, la deu- xième, d’un beau bleu clair, la troisième , la plus large de toutes, d’un vert très-prononcé , la qua- trième, d’un jaune pâle, la cinquième, d’un superbe orangé, et la sixième, d’un rouge moins éclatant que la première : plus loin du Nord , et à une assez grande distance de ce dernier arc, un autre présen- tait les nuances du bleu, du rouge et de l'aurore; ensorte que l’ensemble de cet arc-en-ciel offrait toutes les couleurs les plus pures que le physicien puisse se procurer par le moyen du prisme, excepté le violet et lindigo. M. de Roussel déclare que dans les phénomènes du même genre , dont les physiciens nous ont donné la description, il n’en a trouvé aucun ana- logue à celui dont on vient de rendre compte. Les deux mémoires précédens traitent d'objets , qui ne sont que de pure théorie : les deux suivans (#2) se rapportent à la pratique. L’un est intitulé, ©- servations sur l'état actuel de l’agriculture du dépar- tement, et sur les moyens de la perfectionner. L’autre, Exposé des moyens les plus économiques pour réparer Les chemins vicinaux , notamment ceux qui aboutis- sent aux grandes routes, ou les font communiquer entre elles ; et quoique celui-ci paraisse appartenir plus particulièrement à l’économie publique, les prin- cipales considérations qu’il offre, tiennent assez à la prospérité de l’agriculture, pour qu'on puisse le placer dans la première partie de ce rapport. Dans le premier de ces mémoires , M. de Roussel avance d’abord que malgré l’idée avantageuse que pourrait donner de notre agriculture l’aspect de la plus grande partie de nos campagnes , aux approches de la récolte, et surtout des excellens pâturages qui bordent nos principales rivières, 1l n’est pas moins vrai qu’en beaucoup d’endroits les laboureurs sont livrés à une aveugle routine et à une foule de prestiges et de préjugés. Sans parler des richesses que la croûte de la terre dérobe à leurs regards , on peut leur reprocher une indifférence impardonnable pour celles qu'ils pourraient tirer de sa surface. Les prairies artificielles | l’usage de la chaux, l'admission de la poudre végétative , les succès naissans de l'éducation de certains animaux domestiques, offrent à la vérité des améliorations incontestables : mais au surplus , quelles sont en général les notions du cultivateur (43) sur l'influence des principaux agens de la végéta- tion, sur la qualité des terres, le choix des engrais, la formation des plants, l'éducation des bois, et sur une multitude d’autres objets de la plus grande im- portance ? Au lieu des observations météorologiques, si nécessaires pour diriger les travaux champêtres , on trouve partout la série de ces almanachs absurdes, auxquels a seul présidé le caprice d’un imprimeur. M. de Roussel frappé de la nécessité d'éclairer les cultivateurs, désirerait que ses collègues concourus- sent avec lui à une tâche si importante; mais en attendant un plan d'instruction régulière, il émet un vœu dont lexécution pourrait contribuer très- utilement au perfectionnement qu’exige la culture de notre territoire. C’est qu’il y eñt dans chaque commune au moins un cultivateur instruit, qui fit avec soin toutes les observations propres à diriger la marche de l’agriculture , et qui fût comme l’oracle des laboureurs qui l’environneraient. L'auteur expose avec quelques détails ces diverses observations , ainsi que les connaissances que devrait réunir ce guide des opérations rurales. 11 indique même les genres de culture convenables à chaque nature de terrein , et les grands avantases qu’on pourrait retirer d’un emploi plus général et mieux entendu de plusieurs engrais, tels que la chaux, la marne, les cendres des différens végétaux ; et à ce sujet, il présente trois problèmes à résoudre, Le premier : pourquoi | (44) Les lessives de La cendre font végéter en abondance la luzerne polymorphe sur les mauvaises prairies couvertes de plantes céréales ; le second , pourquoi une terre ensemencée , qui ne promettait qu'une faible récolte ; en donne une abondante, si en déchirant le sol sur lequel la jeune plante résidait, on l'a saupoudré avec la cendre de tourbe ; le troisième, pourquoi un terrein Ssaupoudré de plätre produit tant de crioler. Il présente aussi et appuie par l'exemple des Anglais les avantages qu’on pourrait retirer du sang , des entrailles et des ossemens des animaux. Ces divers moyens suppléeraient utilement aux poudres sterco- rales, qui joignent à l'inconvénient de leur cherté celui de ne bonifier qu’une récolte, et d’être pres- que sans effet dans les années trop sèches où trop humides. Quant aux opérations mêmes, l’auteur vou- drait que le laboureur füt pourvu des imstrumens les plus convenables, et qu’il s’en servit avec intelli- gence et avec choix. Il donne à cet égard quelques préceptes, qui terminent son mémoire. On peut rapporter à trois objets principaux les considérations et les vues exposées dans le mémoire sur la réparation des chemins vicinaux. Le premier comprend les causes de dégradation de ces chemins, soit celles qui tiennent à la nature du sol et des matériaux , ou à l’affluence et au séjour des eaux; et qui sont proprement du ressort de l'ingénieur ; soit celles qui dépendent des circonstances politiques ; (45) ét qui ne sont que temporaires, comme les transports extraordinaires nécessités par l’état de guerre, la né: gligence dans les réparations. Le second, qui appar- tient encore à l’art , est relatif aux qualités des pierres à employer dans les chemins; et ici l’auteur joint au tableau des différentes espèces qui doivent être graduellement préférées, une indication très-utile des lieux où chacune se trouve. Le troisième objet consiste dans les moyens les plus économiques et les plus avantageux pour effectuer la réparation des chemins ; et dans cette dernière partie, M. de Roussel propose un expédient digne d'attention , et qui paraît être le principal objet de son mémoire. En rejettant l’ancienne corvée , irrévocablement pros- crite , il indique, seulement pour le transport des matériaux , un mode qui malgré quelque ressem- blance avec elle, n’a aucun des inconvéniens qui l'ont rendue justement odieuse. Il consisterait à assujettir les cultivateurs à transporter des carrières sur le bord des chemins les pierres qui auraient été extraites , et ensuite les conducteurs de voitures vides, et à leur défaut de bêtes de somme en retour ,; à se charger d’une certaine portion de ces pierres , pour les déposer sur le point de leur route qui leur. serait indiqué. Au reste, l’auteur entre dans les plus grands détails, soit pour établir une juste proportion dans la répartition de cette charge , qui tomberait toute entière sur ceux quien profiteraient , et ( 46) pour l’imposer de la manière la moins onéreuse et dans Iles temps les plus commodes ; soit pour assurer la rigoureuse sexécution de cette mesure ; er les précautions qu’il indique paraissent prévenir les plus grandes objections dont son système soit susceptible. M. Lescaille, alors ingénieur en chef du dépar- tement , avait déjà présenté sur les routes un travail dont il sera bientôt parlé, et dont quelques vues, méritent d’autant plus d’être remarquées , qu’il n’était pas encore question alors de la suppression des bar- rières. Je ne ferai qu’indiquer ici un premier mémoire de M. de Roussel sur les maladies printanières, et d’autres, lus ensuite, sur Les maladies qui tiennent a la température des saisons de l'année. L'auteur a fait imprimer sous ce dernier titre, un ouvrage dans lequel les mêmes observations se retrouvent avec plus de développemens. Il a donné à l’Académie une description détaillée dun petit ver intestinal, qu'il a découvert dans le traitement d’une malade, et dont il regarde le genre comme inconnu des médecins et des naturalistes, IL trouve ce nouveau vermicule essentiellement différent du sricocéphale , celui de tous avec lequel il présente le plus d’analogie ; et il le nomme bidenr, à cause d’une bouche échancrée, à deux dents, ou dards saillans, chacun au - dessus d’un orifice circulaire , (47) qu'il lui a apperçue en l’observant avec le micros= cope. Au reste, les membres de l’Académie à qui la pratique de l’art de guérir, ou même l’enseignement de ses différentes parties fournit quelques observations remarquables, ou suggère quelques vues intéressantes, les réservent en général pour la Société de médecine établie en cette ville. # M. LE BOUCHER vous a donné, il est vrai, dès les premiers temps de votre réunion la description de plusieurs variétés observées dans certaines parties du corps humain : mais il vous a présenté ces phé- nomènes sous un rapport anatomique et physiolo- gique, plutôt que sous un rapport médical. Il a re- marqué que les muscles qui lui en ont présenté le plus d’exemples , étaient ceux dont l’action était la plus répétée et la plus sujette à varier : d’où il a conclu avec le professeur Chaussier, que ces variétés regardées long-temps comme des jeux de la nature, sont dues au mode d’éducation première et au genre habituel d’exercice , qui ont sollicité diversement dans une partie les opérations de la vie organique. M. GOBEFROY vous a aussi entretenus , à l’époque de l'introduction de la vaccine, des avantages de cette pratique, des faits qui devaient inspirer une entière confiance en son efficacité et son innocuité; | (43) et des succès qu’il obtenait, avec ceux de ses confrères qui travaillaient à la propager : et l’on conçoit que l'intérêt d’un pareil sujet ne pouvait pas être renfermé dans la seule classe des médecins. Il vous avait auparavant présenté le résultat des observations météorologiques qu’il avait faites pen- dant les années 7 et 8 ( 1799 et 1800 ) et le tableau des maladies qui avaient dominé sous lin- fluence de chaque vent et de chaque températureg, Le même membre, occupé des moyens de diminuer le besoin des plantes exotiques , en leur sabstituant des plantes indigènes , a dirigé vers ce but quelques essais qu'il vous a communiqués dans une notice sur la vertu fébrifuge de l'extrait de fleur de camomille Romaine. En reconnaissant les vertus du guinquina, qui opère chaque jour, dit-il, des guérisons mira- culeuses , il n’en est pas moins persuadé que lap- plication indiscrète de ce remède à toutes les espèces de fièvres , et à diverses maladies auxquelles 1l ne con- # vient point, a le double désavantage de priver par cette profusion la classe indigente des secours qu’elle en pourrait tirer dans les circonstances nécessaires , et de produire, au préjudice de ceux qui en abusent, des effets funestes , qui surpassent ou compensent au moins les avantages qu'on lui doit. C'est un inconvénient presque inséparable des découvertes importantes, que l’enthousiasme ekagère leur utilité, et fasse négliger les moyens auxquels on était réduit - auparavant ; " (49) auparavant ; et cet inconvénient s’est bien fait sentir relativement au fameux spécifique de l'Inde, dont les naturels cachèrent long-temps à leurs vainqueurs la vertu fébrifuge, et qui ne fut apporté en Europe par les Espagnols qu’en 1640. On l'employa sans discernement et presque sans mesure, et les expé- riences commencées sur les plantes indigènes douées de propriétés analogues , furent entièrement aban- données. C’est en les reprenant qu’on peut réparer e mal, et diminuer par de précieuses découvertes les préjudices d’une guerre maritime qui entrave les opérations commerciales. A la suite d'une liste des plantes indigènes les plus vantées comme fébrifuges, M. Godefroy s'arrête à la fleur de camomille romaine, en faveur de la- quelle 1l cite des témoignages imposans. Il passe en- suite” au résultat des observations qui lui sont personnelles. Il avertit qu'il a employé cette fleur sous une forme qui n'avait point encore été mise en usage ; il s’est servi de l'extrait délayé dans seize fois son poids d’eau distillée de la même plante , et il a prescrit une demi-once du mélange de deux heures en deux heures. Sur qiatorze individus soumis à l'expérience, trois femmes à age es de trente-trois à trente-huit ans, su- jettes à des affections diverses, à raison de leur différent genre de vie, ont été guéries, les deux premières d’une fièvre tierce, dont les accès duraient D (so) de dix-huit à trente heures, et la dernière d’une fièvre quotidienne : six hommes ont été aussi guéris ‘d’une fièvre tierce, et deux d’une fièvre quotidienne: trois attaqués d'une fièvre quarte n’ont éprouvé aucun effet du médicament ; ce qui porterait à croire qu'il ne convient pas à ces sortes de fièvres. Mais l’auteur observe que certaines affections locales ne permettaient pas l’usage du quinquina , auquel d’ail- leurs ces fièvres ne cèdent pas toujours, comme il l'a éprouvé. Il fait partager aussi à la fleur de camomille les vertus antiputrides et vermifuges attri- buées au quinquina. Il a même reconnu dans Ia mixture indiquée des propriétés que n’a point l'écorce du Pérou. Appliquée sur les plaies dans les ulcères avec carie, elle en fait cesser l’odeur fétide, aussi bien que celle des ulcères cancéreux , dont elle rend au moins les douleurs plus supportables, si elle n'est pas toujours un moyen curatif. Prise inté- rieurement , elle peut opérer la guérison des ulcères, et réussit dans les suppurations abondantes, suite de dépôts graves. Elle concourt aussi efficacement avec d’autres remèdes, insuffisans par eux-mêmes, à la guérison des affections vermineuses , accompagnées de symptômes épileptiques. M. NicOLAS a lu un mémoire sur les différentes humeurs de l'œil, examinées dans les vues de dé- couvrir leur nature et les causes qui peuvent donner leu à la eararacre. (51) Divers essais faits par l’auteur sur plusieurs cris< tallins provenant des opérations faites par M. LHa- bitant, célèbre oculiste, l'avaient porté à croire que l’opacité de ces cristallins était due à une trop grande quantité de phosphate de chaux infltré dans les humeurs de l’œil, et particulièrement dans celle que lon nomme cristalline. Des expériences ultérieures lui ont démontré que la cataracte pouvait se former par d’autres causes ; et c’est de ces expériences, faites sur plusieurs yeux de brebis , qu'il offre les résultats, en faisant remar- quer les points sous lesquels ils diffèrent de ceux qu’à obtenus dans le même temps en Angleterre M. Chenevix , membre des sociétés royales de Lon- dres et d'Irlande. M. Nicolas considère successivement les principales humeurs de l'œil, l’aqueuse, Ta virrée ou vireuse et la cristalline, sous le rapport de leur densité et de leur transparence , de leur pesanteur spécifique, et des effets de leur mélange avec différens agens chi- miques. Il regarde la première comme un composé d'eau, de gélatine et d’albumine , tenant ensolution un peu de muriate de soude et une très - faible quantité de phosphate de chaux. E’humeur vitreuse , d’une pesanteur spécifique un peu supérieure à celle de l'humeur aqueuse , lui a donné les mêmes résultss à lanalyse, et lui parait n’en différer que par un rapprochement de principes un peu plûs marqué D 2 L 4 (52) $ Quant au cristallin, 1l le trouve cemposé de trois humeurs de densités différentes, dont l’extérieure est mollasse et paraît formée d’albumine. Les différens degrés de densité, de pesanteur spé- cifique et de consistance des humeurs qui entrent dans la composition de l’œil, ne sont pas regardées par M. Nicolas comme un simple jeu de l'économie animale ; mais il les juge absolument nécessaires pour produire des effets acromatiques , et pour cor- riger ou modifier la différente réfrangibilité des rayons lumineux qui nuiraient à la netteté des images , ce qui n'empêche pas toutefois qu'il n'y ait de grandes variétés dans la perfection de la vision, à raison de la configuration du cristallin, qui produit la myopie, si les deux surfaces sont très-convexes ; et la prebyopie , si la surface antérieure est trop applatie, comme il arrive toujours dans la vieillesse, Quant aux causes de la cararacte , l’auteur sans entrer dans de grands détails sur ce sujet, présente cette opacité du cristallin comme tenant à la nature même des substances dont il est formé, et qui sont susceptibles d’éprouver une sorte de racornissement à la suite d’une violente inflammation de l’œil , occasionnée par le choc d’un corps dur ou par une chute. L'exposition habituelle à un soleil ardent, ow à un feu très-vif, l'écoulement de l'humeur aqueuse per une blessure de la cornée, où par tout autre | (5er ) accident, peuvent dohnef lieu à cette maladie, dont la cause la plus ordinaire tient selon l'auteur à l’oblitération des petits vaisseaux destinés à porter cette humeur de l’œil, et a la repomper lorsqu'elle a rempli à l'évard du cristallin et de l'humeur vitrée les fonctions réparatrices que la nature Jui a confiées. Le mémoire de M. LESCAILLE sut es ponis eb chaussées du département du Calvados ; que j'ai déja annoncé à l’occasion de celui de M: de Roussel sur les chemins vicinaux ; renferme des considérations , 1°. sur les ressources pécuniaires affectées aux travaux des routes, 2°, sur le mode d'exécution ou d'entretien de ces travaux , 32. sur les mesures conservatrices propres à en retarder la dégradation: x Sur le premier objet , M. Lescaile expose les vices déjà tant de fois reprochés à la taxe des barrières, sous le rapport des frais tant ordinaires qu’extraor- dinaires qu’entraîne sa perception. Î[l montre par des résultats précis l’insuffisance des produits de cette taxe pour les dépenses auxquelles elle est affectée, et il présente cette disproportion comme devant être encore accrue par la liberté des transports maritimes que facilitera la paix. Îl en conclut la fécessité d’un supplément à cet impôt, qui ne lui parait pas sus+ ceptible d'être augmenté, et il préférerait son rems D 3 (54) placement par une addition proportionnelle aux £on- tributions foncière, mobiliaire et somptuaire. Au reste, quel que soit le mode de contribution affecté à l’entretien des routes, M. Lescaille expose et établit par le raisonnement un principe qui paraît tenir essentiellement à l’esprit de notre constitution : c’est que tous les fonds destinés à cet objet doi- vent former une masse commune , qui fournisse à chaque département en proportion de ses besoins, et non en raison de ses contributions. pl Relativement au moyen d'exécution des travaux, l'auteur du mémoire rappelle les abus de la corvée, qui ont provoqué sa proscription sans doute irrévo- cable , et n’admet que le travail a prix d’argent. Distinguant les ouvrages d'art de ceux de simple construction , auxquels tout homme est propre, il discute l'emploi qu’on peut faire pour ceux - ci de certaines classes oisives, que les routes semblent offrir les moyens d'occuper utileent. Après avoir réfuté l'opinion qui attribue aux légions romaines la cons- truction de ces chemins admirables qui ne faisaient pas le moindre ornement de l'Italie, il présente des considérations de détail, dont les résultats sont 1°. qu’une partie des troupes peut être employée avec avantage en temps de paix à des constructions nou- velles , qui permettent la réunion d’un grand nombre d'individus sur un petit espace, et par conséquent l’assujettissement à une discipline exacté ; que ce (55.2 travail wméliore ke sort des militaires par l’augmens tation de leur paie, les préserve de la mollesse et des déréglemens attachés à une vie oisive , et les tient en haleine et prêts à entrer en campagne au premier signal de guerre ; que le préjugé seul pourrait le trouver indigne du soldat, dont la gloire |, comme celle de tout autre citoyen, tient à tout ce qui est utile; mais qu'on ne peut raisonner de même des simples réparations, qui forceraient de trop dissé- miner les troupes, et dont l’interruption , nécessitée par les guerres, serait très-préjudiciable à la société : 2°. que les mendians et les vagabonds ne pourraient être employés sur les routes qu’au moyen d’admi- nistrations nombreuses et de préposés extraordinaires; que leur réunion dans les ateliers publics de filature est une mesure qui présente moins de difhcultés, et dont le succès vient d’êtrè éprouvé à Bruxelles , où quinze mille mendians ont été convertis en ou- vriers utiles à eux-mêmes et à leur pays: 3°. que les malfaiteurs sont encore moins susceptibles d’être contenus dans un lieu ouvert de toutes parts ; que ces ennemis de l’ordre ne peuvent être employés sans danger que dans l'enceinte des ports et des arse- maux, et encore avec des précautions très-sévères, Notre collègue préfère à tout autre mode d’en- tretien des routes le système des adjudications pour l'extraction, le cassage et le transport des matériaux, mais l'établissement des cantoniers pour leur emploi, D 4 CHEN qui ne deit point être laissé à [a discrétion des en trépreneurs. La raison qu’il en donne est que ceux- ci ont intérêt d’en hâter la consommation sans choix et sans économie, poux hâter leur paiement. Après s'être arrêté sur les avantages de toute espèce qu’offrent des communications nombreuses et faciles, et les avoir fait mieux ressortir par quelques détails historiques , l’auteur du mémoire passe à son troisième objet , et réclame l'exécution des lois sages promulguées pour la conservation des grandes routes, et qui fixent le nombre de chevaux qu'on peut atteler à chaque espèce de voiture, la lar- geur des bandes , et la forme des cloux qui les garnissent. I! accuse la négligence qui a laissé tomber en désuétude ces sages réglemens ,. et l’oppose à la vigilance et à la sévérité que les Romains et les Grecs apportaïent à l'observation des lois conserva- trices de la voie publique , quoique la sécheresse de leur climat et la bonne qualité de leurs maté- riaux préservassent leurs routes de la prompte dé- gradation à laquelle des circonstances contraires exposent les nôtres, Le même membre avait précédement lu un essaz sur la différence des rapports entre la force des bois ec Leurs dimensions , et sur la manière d'estimer l1 résistance des machines en grand ; d'après celle de leurs modèles en pet (57) Il avait aussi présenté quelques vues sur la navi- gation intérieure , extraites d’un mémoire sur la rivière d'Epte ; et des considérations sur les moyens de préserver La vallée d Aure près Bayeux des inon- dations de la mer. La vallée d’Aure, autrefois couverte par les eaux de la mer , est encore sujette à de fréquentes mondations, qui , selon M. Lescaille | diminuent chaque année, l’une portant l’autre, de deux cents mille francs au moins la valeur des produits de ce terrein précieux. Pour remédier à cet inconvénient, on avait construit sur l’Aure deux ponts à portes de flot, l’un nommé le pons-au-Douet, qui paraît être du milieu du dix-septième siècle ; l’autre nommé le pont-aux-vaches, dont on ignore le véritable but, ainsi que du canal latéral, où embranchement sur lequel il est établi, mais dont l'utilité est manifeste depuis que le premier, s'étant totalement écroulé, ne peut plus procurer d'écoulement aux eaux. Après avoir opposé des portes de flot à l’entrée des eaux de la mer dans la vallée d’Aure, il étaië nécessaire de préserver cette vallée des inondations d’eau douce , auxquelles elle était aussi exposée dans les crues subites causées par les orages ou les dégels. Si l’on considère qu’une surface d'environ cent quatre- vingts myriamètres carrés verse dans l’Aure inférieure par plusieurs rivières, ou gros ruisseaux, toutes les pluies qu’elle reçoit, on concevra sans peire que (58) lPAure supérieure et la Drôme, ne trouvant plus dans les cas extraordinaires un débouché suffisant dans les canaux souterreins qui les reçoivent aux Fosses-de-Soucy , reflueront avec les rivières d'Ec- ques et de Tortone et les autres ruisseaux , en trop grande abondance, pour qu’un lit très-peu étendu, et bouché plusieurs heures chaque jour par la marée, puisse suffire à leur écoulement. La considération des ravages que ces débordemens ne peuvent man- quer de causer, avait déterminé le gouvernement , en lan 3, à commencer un canal découvert, des- tiné à porter en tout temps à la mer, dans l’anse de Port, les eaux des rivières d’Aure et de Drôme, quel qu'eût été leur volume. C’est la reprise de ce travail, le redressement du lit de l’Aure et la reconstruction du Pont-au-Douet que M. Lescaille propose comme les meilleurs moyens de prévenir les inondations désastreuses qui ont déjà provoqué tant de réclamations. Un autre mémoire de M. Lescaille a pour objet les constructions des anciens er les mortiers employés par Les Romains. Dans les lieux couverts de forêts , des troncs d'arbres et des branches entrelacées , puis des bois façonnés et liés plus solidement ; dans les pays de montagnes , des pierres d’abord brutes , ensuite équarries , entassées les unes sur les autres ; à défaut (59) de bois et de pierres, de la terre séchée au soleil ; et plus tard, durcie au feu, furent, comme l’observe M. Lescaille, les premiers moyens de construction emplôyés par les hommes. Ce sont les Egyptiens qui paraissent avoir commencé à bâtir en pierres de taille ; et leurs pyramides encore subsistantes , après plus de trois mille sept cents ans, quoique d’une pierre médiocrement dure et posée sans mortier, font croire que dans ces temps tout l’art de cons- truire consistait à transporter des pierres d’une gran- deur extraordinaire , et que le plus grand mérite était dans le plus grand volume. L'auteur en donne pour preuve la chapelle monolithe du temple de Latone à Butis, bloc qui, d’après le rapport d'Hé- rodote, devait peser plus de vingt millions, tout évidé, et fut transporté sur des radeaux de l’île de Philæ, distante de deux cents lieues. Les temps modernes n’offrent rien de comparable en ce genre, Le rocher apporté à Pétersbourg par l’ordre de Ca- therine, pour servir de piédestal À la statue de Pierre- l-Grand, ne pesait que trois millions , et le trajet ne fut que de trois lieues et demie : le bloc de pierre de Meudon, employé aux deux grandes cymaises du fronton du Louvre, ne pesait pas deux cents mille livres avant d’être scié : l’obélisque que Sixte-Quint fit transporter à Rome n’était que du poids de sept cent cinquante mille livres. Les A5syriens , aussi jaloux que les Egyptiens, des ( 60 ) vastes monumens, manquant de carrières de pierre ; employërent pour leurs fameux édifices , tels que les murs de Babylone et le temple de Bélus, la brique, cimentée avec le bitume, au rappert des historiens, parce que sans doute la chaux m'était pas encore connue. Ce goût des constructions gigantesques €t l'usage des grandes pierres parfaitement jointes et posées sans mortier se sont retrouvés dans le Pérou et dans le Mexique. | Les Grecs ne tardèrent pas à substituer la-pierre et le marbre au bois et à la terre. Mais c’est aux Etrusques qu’on doit la manière de bâtir en petites pierres , perfectionnée par les Romains, qui inven- tèrent les voûtes en maçonnerie de blocage et en brique , et bâtirent ainsi leurs premiers temples ronds et voûtés, sans colonnes. On doit attribuer à ce procédé expéditif la quantité prodigieuse d’édifices publics élevés sous les premiers empereurs ; et leur solidité est due surtout à la bonté des mortiers , composés de gravier de terre ou de sable de rivière, avec un quart où un tiers de chaux, et à la pré- caution de bâtir dans la plus belle saison, long-temps avant le retour des pluies. Les Romains avaient aussi un autre mortier , composé avec de la pouz- zolane , du tuf calciné et de la chaux, qui prenait la plas prompte consistance, tandis que le premier exigeait deux mois de sécheresse, Celui de leurs cons- tructions dans les Gaules est pour l'ordinaire de sable (&) de rivière et de chaux, quelquefois avec un mélange de recoupes de pierres, Les interprètes ont varié sur l’usage auquel était destinée la chaux fusée et broyée dans l’eau ( irsrira vel macerata ) dont ‘les lois romaines ne permettaient l'emploi qu’au bout de trois ans. Les uns ont dit qu'elle ne servait qu’à blanchir les murailles et les enduits ; les autres ont prétendu qu’elle formait la liaison des matières mêmes de ces enduits, M. Les- caille cite plusieurs passages de Pline et de Vitruve, qui paraissent favorables à la première opinion. Le dernier de ces auteurs , dans un article sur les enduits des appartemens, exige que pour être solide et sans gerçures , ils soient composés de trois couches de sable et de trois couches de craie ou de poudre de marbre, et il ne parle point de l'ancienneté de la chaux , dont il fait mention ailleurs. Quant à la préparation de la chaux pour les constructions et les enduits , elle consistait à mettre les pierres récemment cuites et préservées de toute humidité, dans un panier qu’on plongeait dans un baquet d'eau claire, seulement jusqu’à ce qu’elles fussent trempées , si elles étaient petites ; et jusqu'à ce qu'elles commençassent à bouillir, si elles étaient de quatre à six pouces de diamètre; à les déposer sur un plancher sec, où elles tombaient en poudre, “et à les renfermer dans des tonneaux secs pour s’en servir au besoin, Les Romains mêlaient avec le sable (62) de rivière, le gravier de terre, on la recoupe de pierres, le quart, le tiers, ou même la moitié de cette poudre, à sec, et la boyaient à force de bras, jusqu'à ce que le mortier fût bien gras. Je vous rendrai compte maintenant, Messieurs ; de plusieurs mémoires de M. PRUDHOMME et de M. WHEATCROFT, sur des questions de physi- que , en suivant l’ordre dans lequel ils ont été présentés. Je commencerai par celui de M. Prudhomme , sur lélictricité aërienne et les paratonnerres. D'abord 5l paie un juste tribut d'admiration à l’auteur de cette sublime découverte, qui renversa les erreurs de l’ancienne physique sur la cause de la foudre, en montrant son identité avec l’électricité terrestre ; déjà soupçonnée par des physiciens français. Îl ex- pose rapidement, en les réfutant, les hypothèses imaginées avant Franklin pour expliquer l’accumu= lation du fluide électrique dans les nuages, et il en- treprend de développer les causes de ce phénomène. Après avoir présenté les principaux caractères de ce fluide subtil, et imperceptible à nos sens, qu’on nomme ÆEZctricité, qui enveloppe ou pénètre tous les corps, et dont la présence ne se manifeste que par une distribution inégale ; il montre comment il peut s'élever du globe de la terre qui le recèle, dans la région orageuse de l’a avec le flude aqueux 11-6765) que la vaporisation répand dans l’atmosphère, s’ac- cumuler à l'excès dans des nuages que plusieurs signes rendent faciles à reconnaître, pour s’en pré- cipiter ensuite plus ou moins brusquement , selon certaines circonstances. Les principales sont la difé- rence de densité des deux électricités aérienne et terres- tre, la hauteur de l'atmosphère , et ce qui est très- important à connaître , la forme des corps qui établissent la communication entre le nuage et la terre. En effet, une expérience constante et très- anciennement observée, comme M. Prudhomme le prouve par plusieurs faits tirés de Pline, de Tite- Live et de César, et par certains usages transmis de siècle en siècle, ne permet pas de douter que la résistance du corps conducteur est en raison com- posée de sa surface et de la hauteur de l'atmosphère , et que si ce corps est te:miné par une pointe aiguë, écoulement se fait sans explosion, sans bruit, et ordinairement même sans aucun indice sensible. Cette observation conduit notre collègue à la théorie des paratonnerres, dont l’utilité a été d’abord sentie par les Anglais, et reconnue ensuite en France, après y avoir été long-temps contestée, malgré des faits très-frappans. L'auteur cite entr'autres, d’après le célèbre Hamilton, le tonnerre tombé dans l’hôtel de l'amassadeur Anglais à Naples , au moment où plus de cinq cents personnes y étaient réunies pour un bal, sans qu'aucune d'elles en füt frappée , ( 64) quoique toutes se vissent enveloppées d’une lumière éclatante ; ce qui fut dû sans doute à la prodigieuse quantité de conducteurs métalliques dont étaient garnis les appartemens, et qui fournirent à la foudre l'écoulement nécessaire. L'auteur allègue encore la persuasion où sont les habitans de Philadelphie, que depuis qu’ils ont généralement adopté l'usage des paratonnerres , cette ville est à l'abri des ravages de la foudre, qui auparavant y étaient très-fréquens. Entre les édifices qu'on est dans l’usage de munir de ce préservatif du tonnerre , M. Prudhomme distingue les magasins à poudre, pour lesquels la chute de la foudre est le plus à redouter. Il rappelle les terribles effets que produisit en 1769 l'explosion de celui de Brescia, en Italie, où l’on avait déposé deux millions quatre-vingts milliers de poudre à canon destinée pour Venise. La tour bâtie sur le souterrain qui renfermait ce dépôt, fut enlevée en l'air, et les pierres de taille en retombant abymèrent un grand nombre d’édifices et même d’églises très-solidement bâties. Un quart des maisons fut renversé, et le reste fort endommagé, et presque entièrement miné: il y périt trois mille personnes. Un canon de vingt- quatre fut porté à un mille et demi du lieu où il était place. Un évènement semblable renversa en partie la ville de Malaga en Espagne le 18 Août 1783 , etyse renouvella à Tanger au royaume de Fez, le 4 Mai 1785. Le (6) Le mémoire est terminé par une exposition rapide de la meilleure construction des paratonnerres , à la suite d’une observation sur les vices de celui dont on a muni le magasin à poudre du château de Caen, et sur la nécessité de le refaire. Un paratonnerre , suivant l’auteur , est composé d’une barre de fer , terminée en pointe acérée, et dorée , pour qu'elle ne se rouille pas. La partie dorée doit être de neuf à douze pouces, quand la barre a de vingt-cinq à trente pieds de long. Cette barre s’enclave dans une pièce de fer fortement attachée sur l'édifice avec des vis faciles à ôter dans le cas où il serait nécessaire de raccommoder la pointe émoussée par une trop forte explosion. À cette barre on en scelle près du toit une seconde, et d’autres à la suite , qui se prolongent et vont s’enfoncer ou en terre, assez avant pour y trouver l'humidité , ou dans l’eau d’un puits , ou même dans des fosses d’aisance, ce qui n'offre aucun danger. Au defaut de ces réservoirs, on terminerait le conducteur par plusieurs pointes divergentes, enveloppées de charbon en poudre, ou de lames de plomb échiquetées, pour prévenir la rouille. La grosseur de la barre dépend de la latitude. Six à neuf lignes de diamètre suff- sent dans nos contrées. Cette barre doit être attachee au toit et au mur par des crampons, son isolement étant point nécessaire, à cause de la préférence du fluide électrique pour les conducteurs métalli- E (66) ques, tels que le fer, le cuivre, et surtout l’or ; le plus parfait de tous. Une précaution importante est d'éviter les solutions de continuité , les trop grandes courbures dans la barre, et des retours que ne suivrait pas l'électricité, toujours portée à prendre la: voie la plus courte. Il faut aussi que l’extrémité inférieure soit assez éloignée des fondemens , pour ne pas les branler, dans un passage trop rapide. Au reste, M. Prudhomme , en recommandant l'usage des paratonnerres, n’affirme pas que ce soit un préser- vatif infaillible contre l'explosion de la foudre ; mais il prétend que dans le cas même , très-peu proba- ble, où cette explosion serait assez forte pour fondre ou couper le paratonnerre, ou l’un de ses conduc- teurs , l'intérieur du bâtiment devrait encore être ga- tanti des effets de l'électricité, qui trouverait au dehors des corps où elle se jetterait de préférence | comme plusieurs faits le prouvent. Il donne en finissant le conseil de faire communiquer au conducteur principal les fils des sonnettes des appartemens, et de faire passer dans un fourreau de bois la partie de ce con- ducteur voisine de la terre, pour obvier aux étincelles explosives qu’on en pourrait soutirer en s’en approchant de trop près, Le premier mémoire de M. Wheatkrofr, com- posé en anglais, ainsi que tous les autres qu’il a présentés, et traduit en français par M. Bouisset , / ; (67) est un essai sur l’aurore boréale ; avec cette épi- graphe : Oft in this season, silent from the North A Elaze of meteors shoots : ensweeping first The lower skies, they all at once converge High to the crown of heaven, and all at once Relapsing quick as quickly reascend, And mix , and thwart, extinguish, andrenew , A!l ether coursing in a maze of lighr. Thompson’s Autum. » L’aurore boréale, dit M. Wheatkroft, vuloai- rement appelée lumière du Nord , est une espèce de météore , qui paraît en général dans les régions septentrionales , et le plus souvent vers l’époque des équinoxes. Ce météore est ordinairement d’une couleur rougeitre, tirant sur le jaune ; il lance de fréquens éclairs d’une lumière pâle , qui semblent s'élever du Nord de l'horizon en forme de pyramides _éndoyantes, et se dirigent avec une grande vitesse vers le Zénith, qu'ils dépassent souvent de plusieurs dé- grés, Lorsque l'aurore boréale est considérable , elle s’élance de la même manière de l'Est et de l'Ouest d: l'horizon : mais lorsqu’elle est extraordinairement forte , les éclats de lumière partent également du Sud ; alors, dans cette partie , elle ne commence en général qu’à quelques degrés au-dessus de l'horizon, Toutes ces pyramides, ou rayons, paraissent quel- F2 (68) - quefois se réunir dans un point, et former une espèce de dais, que nous avons appelé dans les observations suivantes wx sommet ( an apex ). Quel- quefois elle parait former un arc, dont une partie est brillante, et l’autre obscure, quoique toujours transparente : et la matière qui la compose n’exerce aucun effet sur les rayons de lumière qui la tra- versent librement, Le docteur Hamilton observe dans ses essais philosophiques, qu’à travers les plus épais de ces nuages, qui formaient une partie de l'aurore boréale de 1763, il pouvait parfaitement distinguer la plus petite tache dans les Pleiades , sans que son éclat fût en rien augmenté ou diminué. » Notre collègue remarque que depuis l’aurore bo- téale du 14 Novembre 1574, jusqu’à celle du 6 Mars 1716, qui fut vraiment surprenante, on n’en cite aucune en Angleterre , excepté cinq petites, qui parurent en 1707 et 1708 : ce qui porterait à croire que l'air, ou la terre, ou tous les deux, ne sont pas dans tous les temps disposés convenablement ” pour donner lieu à ce phénomène, dont au surplus l'intensité et les accidens varient beaucoup. Il cite ensuite les opinions du docteeur Halley, de M. de Mairan, de M. Euler, de M. Canton, de Beccaria, du docteur Franklin, et du docteur Hamilton, sur la cause de aurores boréales. Il fait aussi mention d'un essai de M. Prudhomme sur la même question, qui lui avait été communiqué , quoiqu'il n’eût nas! ( 69) encore été lu à l’Académie, et dans lequel il avait remarqué la description de plusieurs expériences in génieuses, qui tendent à prouver que l'aurore boréale est un phénomène électrique, et surtout la suppo- sition d’une connexion intime entre l'électricité et le magnétisme. Pour lui, il regarde comme démontré que la matière de l'aurore boréale n’est pas autre que la matière électrique ; mais la manière dont elle se forme , et la cause pour laquelle elle est formée, lui paraissent avoir été jusqu'ici un secret. M. Wheatkroft, avant de proposer ses conjec- tures, et après avoir déclaré que pendant plus de vingt ans de séjour en France, il n’a jamais vu d’aurore boréale assez considérable pour faire un sommet , rend compte de cinq observations qu’il avait faites, lorsqu'il habitait l'Angleterre, à Paxford , près Bloc- key, dans le comté de Worcester, lat. N. 52° : long. O. de Greenwick Oo, 7° 10°”;et de quatre, faites par son ami M. Adams, à l’abbaye de Wa- tham, lat. N. 519 42°; long. O. de Greenwick 0° 2732 8(,envtemps.). Ce qui l’a particulièrement intéressé dans ces ob- servations, c’est la détermination de la hauteur et de l’azimut de ce qu'il appelle le sommer, c’est-à- dire, du point où tous les rayons se réunissent , ou du moins paraissent se réunir; car il suppose qu'ils pourraient bien être à peu près paralleles, et ne paraître se confondre que par une illusion d'optique LL E 3 137 semblable à celle qu’on éprouve en voyant deux longues rangées d’arbres, dont on jugerait , à la vue, que les derniers se touchent, quoiqu’ils soient à la même distance que les premiers. Un rapport frappant que M. Wheatkroft à découvert entre la direction des aurores boréales et celle de Paiguille aimantée a été le fondement de l'hypothèse qu'il propose. En effet, en réunissant les diverses obser- vations qu'il a décrites , trouve pour hauteur moyenne des sommets des aurores boréales 72° 48°, et pour azimut moyen, S.-200 12°-E. Or , en prenant pour le temps, la longitude et la latitude du lieu où ila fait ses observations , le terme moyen des deux observations faites par le capitaine Phipps sur l’inclinaison de la boussole, il trouve cette in- clinaison de 729 47°; etila trouvé dans le même temps, avec une de ses boussoles, la variation de 20 à 21 degrés, ou pour variation moyenne, 20° 30°. Les expériences bien connues, faites avec la li- maille d'acier ou de fer ,. prouvent évidemment Texistence de courans magnétiques, qui coulent con- tinuellement des pôles d’un aimant vers son équateur. Le grand aimant, qui est la terre, a indubitable- ment de semblables courans ; et ce sont eux qui déterminent la direction de l’aiguile aimantée , et qui servent de conducteurs au fluide électrique, qui est la matière des aurores boréales, et qui se réunit (7) toujours, pour en former le somimet, près du point Sud de l'axe magnétique , selon ce qui a été observé. M. Wheatkroft ne se borne pas à donner une explication de la formation des aurores boréales ; 1l y découvre encore ce but d'utilité que le bienfai- sant auteur de la nature a eu dans tous ses ouvrages, quoiqu'il échappe souvent à notre intelligence. Lors- que l’atmosphère , dit-il, est surchargée de fluide électrique , il s'ensuit en général du tonnerre et des éclairs; et par ce moyen, la matière surabondante est reportée à la terre, et l’équilibre rétabli: mais lorsque la terre devient à son tour surchargée de cette matière, les courans magnétiques lui servent de passage pour se reporter dans air 3 et c’est à Paction paisible de ces agens secrets que le monde est redevable de n’avoir pas été jusqu'ici sensible à une opération bien plus douce que les tremblemens de terre, qui servent aussi à rétablir l'équilibre du fluide électrique. Notre collègue forme le vœu que des physiciens de son pays natal , ou de quelque autre contrée plus favorablement située que la France pour ces sortes d'observations , puissent s'assurer de la vérité ou-de la fausseté de sa théorie, en mesurant avec exactitude la hautefft et l’azimut de toutes les au- rores boréales qu'ils seront à portée d’observer ; ce qui peut se faire avec un quart de cercle azimutal E 4 (72) de six à huit pouces seulement , fixé dans le mé- ridien, Pour lui, il déclare comme son opinion , qu'il existe entre les deux fluides de l'électricité et du magnétisme une telle connexité dans leurs opé- rations , que dans le temps de la formation du sommet d’une aurore boréale, deux aiguilles aiman- tées, l’une de déclinaison, et l’autre d'inclinaison, si elles étaient bien sensibles et convenablement sus- pendues, pointeraient, l’une à l’azimut , et l’autre à la hauteur du sommet de ce météore. » Et si cela est ainsi, ajoute-t-il, l'influence du soleil et de la lune sur les eaux de l’océan n’est pas plus clairement prouvée que l'influence magnétique sur Ja formation de l’aurore boréale. » Ce problème intéressant a aussi appelé les recher- ches de M. Prudhomme ; et son mémoire , cité dans : celui de M. Wheatkroft, et qui porte de même le titre d’essai , à pour épigraphe cette phrase de Franklin : « Cela pourrait passer pour une explica- tion de l’aurore boréale. » L'auteur commence par exposer les apparences de ce phénomène, long-temps regardé par le peuple ignorant et superstitieux comme un effet de la colère céleste, et reconnu par les physiciens pour un mé- téore lié aux lois de la nature. Æette lumière qu’on voit la nuit s'élever de derrière l’horizon du côté du Nord, et monter jusqu’au Zénith, en se .dé- (73) ployant sous toute sorte de nuances et de formes, et en jets plus ou moins rapides, a été nommée Aurore Boréale | à cause de sa ressemblance avec Paurore. On a reconnu qu’elle paraissait aussi sous l'équateur, et celle-ci a été désignée par le nom de lumière Zodiacale. M. Prudhomme cite entre les diverses hypothèses imaginées pour expliquer ce singulier phénomène , l'opinion de Lavoisier, qu’il se propose de réfuter dans un autre mémoire sur les phénomènes ignés en général. Selon ce célèbre chimiste, on peut supposer qu'il se forme tous les jours des gaz difhcilement miscibles à l'air atmosphérique , de même que cer- tains fluides ne contractent avec d’autres qu’une adhésion momentanée ; que ces gaz légers et inflam- mables se rassemblent dans les régions élevées, et produisent à leur contact avec la couche d’air at- mosphérique , l’aurore boréale et les autres effets ana- logues. Quant à l’auteur du mémoire, il se range dans la classe des physiciens qui attribuent ces météores à l’efluve électrique, et il ne diffère d'eux que dans la manière d’en expliquer la formation. Voici le sommaire de son hypothèse. L’électricité, dont la terre est le réservoir com- mun, et qui peut être accumulée sur certains corps, s'échappe, par-sa tendance à l'équilibre, de ceux où elle est en excès. La surface du globe ne lui donne pas un passage également facile par tous ses (74) points. Les corps idio-électriques étant reconnus pour les meilleurs conducteurs, lorsqu'ils sont très= chauds, la Zône qui s'étend entre les tropiques, et même un peu au-delà , doit présenter une croûte plus perméable, comme pénétrée d’une grande quantité de rayons solaires. C’est par là que le fluide éiec- trique, par sa force expansive, ou par l'effet de la rotation du globe sur son axe, s'élève en grande abondance, à l’aide de la vaporisation spontanée de l'eau, s'attache en partie aux nuages et aux amas isolés de vapeurs qu’il rencontre dans l’atmos- phère, et y produit ces orages d'autant plus fréquens et plus terribles, que la latitude est moins élevée, et monte enfin jusqu'aux confins de cette sphère aérienne, qui a des limites, quelque part qu’elles soient, et au-dessus de laquelle se trouve un vide, sinon parfait, au moins égal à celui qu’on produit par le moyen de la machine pneumatique. L’air froid qui se rencontre à une certaine distance de la terre, doit à la vérité retarder cette élevation de la matière électrique ; mais 1l n’est point un obstacle invincible, comme le prouvent mille faits connus, et particulière ment une expérience dont M. Prudhomme rend compte, et dans laquelle il a communiqué lélec- tricité d’une verge de fer à une autre à travers l’air froid renfermé dans un tube de “verre de cinq pieds de long. D'ailleurs , il suffit pour l'hypothèse proposée , que l'ascension du fluide trouve moins de (75) résistance dans les Zônes brüûlantes que dans les climats glacés, ce qui est incontestable. Le fluide électrique, parvenu au-delà du sphé- roide aérien , circulera en liberté sur la surface , et poussé par les effluves qui se succèdent sans cesse, il ira s’accumuler vers les pôles, où il produira ce phénomène des aurores boréales , qui doit être cons- tant dans les contrées hyperboréenes , et qui s’étend d’autant plus vers les climats tempérés , que l’affluence de Pélectricité est plus considérable. Il doit donc arriver , ainsi qu’on l’observe , que l’aurore boréale paraïsse venir du pôle, puisque c’est là que com- mence l'accumulation de l'électricité dont elle est l'effet , et que c’est de là que part son accroissement , quoique la matière arrive réellement selon une di- rection opposée, mais sans produire à son passage la lumière qui peut la rendre sensible. L'auteur trouve dans l'identité de la matière élec- trique avec l'aurore boréale, dans la mobilité de la couche aérienne sur laquelle elle s'appuie dans ses différens degrés d’accumulation , et dans la différente réfrangibilité des milieux au travers desquels nous l’appercevons , l’explication des couleurs des formes et de toutes les apparences diverses qui accompagnent ce météore. Quant à ces espèces d’oscaillations mo- mentanées et rapides qu’elle présente quelquefois, pour en rendre raison, il suppose que des nuages ou d’autres corps, électrisés dans les régions moyennes (76) de l'air, voisines de celles qui servent d’appui au fluide électrique, peuvent communiquer de couche en couche une électricité alternativement positive et négative, jusqu'aux limites de l’atmosphère , où .la dernière couche d’air , sur laquelle le fluide est accu- mulé , étant électrisée positivement, ce fluide en se portant vers celle qui ne l'est que négativement , pour y rétablir l’équilibre, présentera cet éclat vif, ces espèces d’éclairs ou de flèches de feu, qui accom- pagnent son passage brusque et précipité. M. Prudhomme confirme son systême par plusieurs observations et par des expériences qu'il a faites , et 1l prévient quelques objections auxquelles il paraît donner lieu. Il tire un dernier argument des varia- tions que l'aurore boréale fait subir à l'aiguille aimantée , qu'il regarde comme obéissant à deux causes , l’une directrice , qui est le fluide magnétique, l'autre perturbatrice, qui est le fluide électrique. M. Wheatcroft vous a présenté un mémoire sur l'invention du télescope acromatique. Dans cet écrit, où il a recueilli quelques faits pris des matériaux qu'il a rassemblés pour une histoire complète du télescope , il a en vue de détruire les erreurs accré- ditées en France par plusieurs ouvrages imposans , sur le véritable inventeur du télescope acromatique. 11 établit d’abord que cette invention n'est point due à Euler, célèbre d’ailleurs par assez d’autres (77) découvertes. Les idées de ce physicien sur cet objet partaient de faux principes, ainsi que l’ont prouvé M. Dollond et M. Clairault ; et de plus, Newton les avait eues et les avait même portées plus loin, près d’un siècle auparavant, comme il résulte d’une citation de sa correspondance imprimée avec M. OI- dembourg. M. Dollond , qui mérite beaucoup comme artiste, pour avoir répandu l’usage des téles- copes acromatiques, et que la nation en a libérale- ment récompensé, n’est point non plus l'inventeur de cet instrument, qui est incontestablement dû à Chester Mole Haïl, du comté d’Essex, ainsi qu'il est bien établi par une lettre authentique que cite l’auteur du mémoire, et par le procès même in- tenté devant le tribunal de Westminster, à l’occasion du privilège obtenu par M. Dollond, pour la fabri- cation des télescopes acromatiques. Il paraît que c'est d’un vieux M. Bass , l’un des ouvriers en optiqie employés par M. Hall, que l’on tient son invention , qu'il n’avait point publiée , et dont M. Dollond a fait jouir le public. M. Wheatcroft termine par une observation sur la dénomination de télescope acromatique , qu'il trouve aussi conforme au génie de la langue française, que celle d’acro- matique télescope Vest au génie de la langue anglaise, et qu'il juge bien plus convenable que celle de lunette acromatique , le terme de lunette lui parais- “67 sant ne devoir être appliqué qu'aux instrumens propres à aider les vues myopes et presbytes. Un troisième mémoire de M. Wheatcroft est intitulé : résultat de quelques observations pour déter- rminer les effets des rayons solaires sur Les corps de différentes couleurs ,. faires à Paxfort dans le comté de Worcester en 1778 et 1770. Le docteur Franklin, pour observer les effets produits par les rayons solaires sur les corps diffé- remment colorés , avait exposé sur la neige des petits morceaux d'étoffe de différentes couleurs, qui s'étaient d'autant plus enfoncés qu'ils tiraient plus sur le noir. Cette expérience fit imaginer à M. Wheatcroft un procédé qui pût déterminer la proportion dans la- quelle les deux couleurs extrêmes, le noir et le blanc absorbent dans un temps donné la chaleur du soleil, et 1l fit successivement deux expériences, dont il rend compte dans sa notice. Le 25 Juillet 1778 , aune heure après midi, il exposa aux rasons solaires , du côté méridional d’une maison, un ther- momètre de Farenheit, enveloppé d’un taffetas noir, plié en quatre, qui dans trente minutes monta à cent douze degrés, tandis qu’un pareil , sans enve- loppe, exposé au Nord, à l'extrémité opposée de la même maison , resta constamment à quatre-vingt. Le premier ayant été retiré du soleil, et étant redescendu à quatre - vingt, fut enveloppé d’un taffetas blanc, LR? (79) aussi plié en quatre, et exposé de nouveau au midi, où il monta en trente minutes à cent degrés. Dans une troisième exposition sans enveloppe, il monta, dans le même temps, de quatre-vingt à cent deux. La deuxième expérience fut faite le 17 Juillet 1779, avec deux thermomètres exposés en même- temps, afin de ne laisser aucun lieu à l’objection tirée de ce que la température peut varier au soleil, quoiqu’elle reste la même à l'ombre. L’un de ces thermomètres, couvert d’un taffetas noir plié en deux, monta , depuis deux heures 15 minutes jusqu’à deux heures 30°, de quatre-vingts degrés à quatre-vingt- seize 3 il était à deux heures 45” à cent-dix, à trois heures 15° à cent-dix-huit , à trois heures 30° à cent vingt. L'autre, couvert d’un taffetas blanc également double , monta, dans les trois premiers intervalles , à quatre-vingt quatorze, cent quatre, et cent huit, où il resta : d’où il suit que les différences furent successivement de deux, six, dix et douze dégrés. Il est à remarquer que dans la première expé- rience , où le taffetas était plié en quatre, le ther- momètre avait monté en trente minutes autant qu’il monta en une heure 15°, dans la seconde, où le taffetas n’était qu’en deux; d’où l’auteur conclut que l'accumulation du calorique fut à peu - près proportionnelle à la quantité d’étoffe dont les boules (80) étaient couvertes. Il expose les raisons qui l’empé- chèrent de répéter et d'étendre ces expériences : mais les résultats qu’il a obtenus suffisent pour lui mdiquer des applications utiles dans l’usage des vé- temens , et dans plusieurs objets d'économie domes- tique. Il s'étonne , par exemple , de voir presque tous nos élégans porter durant les chaleurs de l’eté des chapeaux noirs de castor | trouvant beaucoup plus raisonnable le goût des dames, qui préfèrent pour l'ordinaire les chapeaux ou les voiles blancs. Il cite à cette occasion l'impression que firent en Angleterre quelques-unes de ses observations, faites dès 1780, et publiées dans le Crafis man, et qui fut telle, que pendant plusieurs étés, les chapeaux blancs de castor pour les messieurs, et les calèches blanches de mousseline. pour les dames , devinrent généralement à la mode. En conseillant de peindre en blanc, ou en couleur claire, toute construction en bois, exposée au soleil et a la pluie, parce que les rayons solaires agissant avec force sur le noir , ou toute autre couleur foncée , y fait des gerçures par où l'humidité s’in- troduit, il cite un exemple qui lui est personnel. Deux palissades faites du même bois, et en même temps , furent peintes à l’huile, et à trois couches, l’une en blanc, l’autre en brun. Au bout de douze ans , il fallut renouveller celle-ci, quoique l’autre füt ercore comme neuve ; et après douze autres années, l'auteur C8) l’auteur étant retourné en Angleterre, trouva celle qui avait été refaite et peinte encore en brun, déjà toute pourrie, quoique l’ancienne , qui était en blanc, fût très-bonne et dans le cas de durer bien des années, Une autre conséquence des mêmes principes ; c’est que les espaliers peints en noir; où construits en matériaux de cette couleur, accélèrent la matu- rité des fruits; et M. Wheatcroft donne comme un fait qu'en Angleterre les meilleurs fruits ne mû- rissent pas contre des murs de pierres blanches, mais contre des murs faits en brique, ou enduits de boue, ce qui est presque également bon. Un quatrième mémoire du même membre traite de la propriété inhérente à l'eau d'attirer les va- peurs suspendues .dans l'atmosphère , de Les absorber et de Les rendre à leur premier état de fluide ; et de la manière de faire contribuer cette propriété aux besoins ordinaires de la vie. M. Wheatcroft appelle d’abord lattention sur l'existence attestée par tous les voyageurs , de lacs et de pièces d’eau stagnantes, situées sur le sommet des collines et des montagnes, où il paraît impos- sible qu'aucune source les alimente , et il observe qu'il n'a trouvé jusqu'ici aucune solution satisfai- sante de ce phénomène. L’explication qu'il essaie d'en donner, est d'autant plus intéressante , que F (82) les faits dont il l'appuie indiquent les moyens de se procurer d’une manière permanente de l’eau dans les endroits que le défaut de cet élément condamne à une stérilité plus ou moins parfaite. L’induction qu'il tire de ces faits relativement au pouvoir attrac- tif des pièces d’eau , s'accorde d’ailleurs avec les fréquentes observations qu’il a entendu faire à des paysans intelligens , qui attribuaient au voisinage des rivières et des grandes étendues d’eau stagnante l'aridité des terrains environnans, qu’elles privaient de beaucoup de rosées rafraichissantes. Elle est de plus analogue à l’usage établi dans plusieurs îles de l'Inde occidentale, de laisser les terres élevées cou- vertes de bois pour y attirer les nuages, et pour procurer par là de l’eau aux vallées arides. Il y a à peu-près cinquante ans , au témoignage de M. Wheatcroft ,; que l'Anglais William Smith , culti- vateur intelligent , avec lequel il a été particulièrement hé, forma le projet de fertiliser des terres situées dans le comté de Glocester, au canton des Cotes- Wold , ou Cotes-Wold-Hills, plaine élevée , de plus de trente milles de long, sur huit à dix de large , qui n'est presque toute qu’un rocher de pierres calcaires , à peine recouvert de quelques pouces de terre, et qui était alors dans l’état de nature, c’est-à-dire, en communauté, à l'exception de quelques portions cultivées sans être encloses , dont les meilleures ne valaient pas plus de trois à (8) quatre livres de rente. Quoique les deux plus con- sidérables rivières du pays aient quelques - unes de leurs principales sources sur ces hauteurs, le sol sur plusieurs milles d’étendue était sans une seule goutte d’eau. Le procédé de M. Smith, que M. Wheatcroft expose avec détail, fut , après avoir fait enclore une pièce de près de deux cents acres et y avoir fait toutes les constructions nécessaires à une ferme de cette étendue, de faire creuser dans le rocher un bassin d’environ cent pieds de diamètre , sur un plan incliné depuis les bords jusqu’au milieu, qui pouvait avoir sept pieds de profondeur ; de revêtir le fond de cet étang factice d’une couche de glaise d'un pied d'épaisseur , humectée et battue avec toutes les précautions convenables, et de faire paver le tout avec de la pierre ; ensuite de combler sa pièce, dès que l'hiver fut venu , d’une grande quantité de neige, dont la fonte la remplit d’une eau claire comme le cristal. M. Smith comptait em- ployer tous les ans le même moyen ; mais à son grand étonnement , et à celui de ses voisins, 1l n’en eut jamais besoin depuis ; et malgré l’évapo- ration et la consommation de ses nombreux bestiaux, son étang, dans les plus grandes chaleurs, n’a éprouvé que des diminutions miomentanées, que deux ou trois jours de brouillard suffisaient pour réparer. M. Wheatcroft à lui-même répété cette expé- F 2 (84) rience, plus en petit, pour un de ses parens , et le succès qu'il a obtenu, ainsi que tous ceux qui ont suivi le même exemple , l’a convaincu que les pièces d’eau d’une certaine étendue ont la vertu d'attirer les vapeurs aqueuses de l'atmosphère. Il ne doute point que ce procédé, qui a transformé ce canton stérile des Cotes-Wold en une pleine fer- tile , couverte de bestiaux et de riches moissons , et d’un produit presque égal à celui des meilleures vallées, ne püt être employé très-avantageusement sur les terres élevées de la Normandie et des autres paities de la France. Il croit au reste que le fait qu'il a décrit, fournit une explication plausible de l’existence des lacs sur le sommet des montagnes. Les trois mémoires suivans, de M. Prudhomme, traitent de la vessie natatoire des poissons, des co mêtes, et des tempêtes. Dans le premier , sur la vessie des poissons , à la suite des notions communes sur la nature et le mé- canisme de cet organe, l’auteur passe à l'examen du gaz, qui, en le gonflant, ou en l’abandonnant, sert à augmenter et à diminuer le volume du pois- son, et par conséquent sa lépèreté spécifique, et facilite ainsi ses mouvemens , soit pour monter , soit pour descendre. Il trouve, d’après les expé- riences faites presqu’au même temps ( en 1787 ) par Priestley et M. Fourcroy, comparées aux ré- (85) sultats des observations de M. Biot;, que ce g22 est un mélange, dans toutes les proportions , d’a: zote et d’oxigène , toujours sans hydrogène , du moins en quantité appréciable , et qu’en général l’ex- cès de l’oxigène sur l'azote est en raison. de la pro- fondeur des eaux où les poissons ont été pris. Le principal point de vue sous lequel M. Prud- homme considère la vessie aérienne des poissons , est l'influence qu'il attribue à cet organe sur la mort très-prompte de beaucoup d’espèces après leur sortie de l’eau. L'opinion qu'il manifeste sur cet important phénomène, est qu'il est dû au passage subit d'une grande pression de fluide environnant à une beaucoup moindre. Il trouve en efft qu'un poisson arraché rapidement d’une profondeur où il était pressé par un poids égal à dix, vingt, mème cent atmosphères , pour être amené à la surface de l’eau, où il n’éprouve plus que la pression d’une seule, doit être exposé à une dilatation excessive, et même au déchirement de sa vessie natatoire ; et il apporte plusieurs faits à l'appui de cette expli- cation. Le prenuer est l'expérience qu'il a faite lui- même sur deux carpes , mises sous le récipient d’une machine pneumatique , dont le mal-aise se manifesta à mesure que l'ait leur fut soustrait, et dont la dernière, soumise à ‘une plus grande sous- traction, finit par se renverser sur le dos et tomber au fond du vase. Il reconnut ; à l'ouverture de, En3 (86) celle-ci, que la diminution de la pression intérieure avait distendu sa vessie natatoire , au point de la déchirer , et dé rompre les ligamens qui l’attachaient. Un autre fait, qui paraît bien constaté, c’est que la plupart des poissons pêchés à de grandes pro- fondeurs , comme le hareng , le merlan , la morue, meurent aussitôt qu'ils sont attirés à la surface de l’eau. Enfin M. Biot a observé , pendant son voyage en Espagne, beaucoup de poissons qui avaient leur vessie natatoire dans leur bouche ou dans leur oso- phage , ou même qui la vomissaient. L'auteur du mémoire , qui a remarqué que la vessie du merlan et du maquereau quelque heures après qu'ils ont été pêchés , est flasque et ne contient plus un atome de gaz, exprime en finissant le désir que quel- ques personnes placées dans une position conve- nable pour ce gente d’expérience , observent si les harengs , les merlans et les morues ont au moment que le pêcheur les tire de l’eau, la vessie nata- toire dans un état de distention extrême , ou même déchirée , et si ses ligamens et ceux des intestins sont rompus au point de les laisser échapper vers la bouche. Le second mémoire, sur les comères en général, et en particulier sur celle qu'on a vue pendant les mois de Septembre; Octobre et Novembre , et quel ques jours de Décembre 1807 , a pour épigraphe ces vers de l’épître de Voltaire à M%, Duchâtelet, | (85) » Comètes, que l’on craint à l’éval du tonnerreetc: M. Prudhomme rappelle d’abord les idées bie zarres, et même absurdes , que faisait naître autre- fois l'apparition d’une comète , et il eppose la terreur que causait ce phénomène, à la sécurité avec laquelle on le voit aujourd’hui. Il cite les di- verses opinions qu'on a eues sur les comètes, re- gardées par quelsques - uns comme des météores d’une nature analogue à celle des Etoiles coulanres ; et au milieu des erreurs de lantiquité , il se plaît à montrer opinion beaucoup plus sage de Sénèque qui avait sur ces astres des idées très-saines , et même assez voisines des connaissances modernes, M. Prudhomme pose en principe que les comètes sont des corps célestes, soumis, ainsi que les autres planètes , aux lois de la pesanteur universelle ; mais quant au jugement d’analogie qui fait conjecturer que les planètes sont habitées , il ne le trouve point applicable aux comètes, à cause des grandes vicissis tudes de chaud et de froid, de lumière et de ténèbres, auxquelles les exposerait leur passage près du soleil, et ensuite leur prodigieux. éloignement de cet astre. Elles paraissent donc peu propres à la conservation d'êtres animés , à moins qu'ils ne fus- sent d’une organisation entièiement différente de celle des animaux terrestres, Le défaut d'observations pendant tant de siècles et dans tant. de contrées , les obstacles de tout F 4 (88) genre qui peuvent empêcher une comète d’être aperçue , rendent impossible la détermination du nombre de ces astres : mais tout porte à croire qu'il est considérable, quoique Pingré n’en compte que trois cent quatre-vingt, depuis le commencement de notre ère jusqu’en 1783; et nos astronomes en ont observé quatre-vingt dix-huit, dont il ont cal- culé les orbites. Quelques - unes ont été revues plusieurs fois, telles que celle que Newron vit et calcula en 1680, et à laquelle il attribue une ré- volution de cinq cent soixante-quinze ans, et celle que Aalky observa en 1682, et à laquelle il re- connut les mêmes élémens qu'à celles de 1456 , 4531 et 1607, au point de prononcer que c'était un seul et même astre, et d’en prédire le retour vers 17$9 ; en supposant une révolution d’en- viron soixante-dix-sept ans , d’après laquelle elle est attendue de nouveau pour l’année 1832. Mais il y en a beaucoup plus dont les orbites sont in- connues ; d’autres qu’on a observées pour la première fois , telles que celle de 1804, celle du 20 Oc- tobre 180$ , et enfin celle qu’on a vue depuis le mois de Septembre jusqu'aux premiers Jours de Dé- cembre 1807 , et qui est une des plus belles qui aient paru depuis soixante ans. Elle fut vue à Marseille le 20 Septembre, par M. Pons; mais l’auteur du mémoire l’observa dès le 17, à une campagne sur les rives de la Seine près Vernon, M, Burckhartdr ( 89 ) a calculé son orbite, d’après trois positions ; et en faisant connaître les élémens que cet astronome a trouvés, M. Prudhomme en rapproche les résultats de ceux des calculs qu'ils a faits lui- même , sur les observations de M. Vidal, par la méthode de Duséjour; et en faisant remarquer que ces ré- sultats sont bien différens , il observe qu’ils ne peuvent être considérés que comme une première approximation, dont les inexactitudes seront faciles à réparer par la multiplicité des observations qu’on a pu faire pendant une si longue apparition. Selon M. Burckhardt , la comète à passé au Périhélie le 25 Septembre, à trois heures du matin, la longi- tude de ce point étant de 2919 4” , sa distance au centre du soleil des À de notre distance moyenne ; le point du Nœud de 267° 47°, son inclinaison de 489 4’ , et son mouvement direct. Selon M. Prudhomme le Périhélie aurait eu lieu le 25 Sep- tembre à 14% 43° il serait des 7% du rayon moyen de l'orbite de la terre, c’est-à-dire de quinze millions de lieues, à 2680 5’ 1 de longitude, Pinclinaison de la trajectaire étant de 55° 481 +, ét la longitude du‘ nœud ascendant de 2629 41”. L'auteur passe ensuite à quelques conjectures sur la nature de la queue des comètes, après avoir énoncé qu'il avait estimé celle de la dernière d’un dégré d’étendue, mais qu'avec des instrumens plus exacts, on l’a trouvée d’un peu plus d’un déoré et (90 ) | demi. A la suite de l'opinion de Newron, qui re garde cette queue comme une matière très-déliée à que la chaleur. solaire met +n expansion, et fait élever au-dessus de l'atmosphère de l’astre ; et celle d’Euler., qui veut que la chaleur du soleil élève du corps: des comètes des vapeurs très-ténues, qu’il chasse vers le côté de la comète quilui est opposé? l’auteur propose aussi la sienne. Il admet d’abord que les comètes, ainsi que tous les corps célestes, ont des atmosphères éclairées : par les rayons du soleil, dont l’intensité varie comme la distance, et dont l'éclat est toujours le plus vif à l'instant du Périhélie. Cette atmosphère augmentée par la fusion et la vaporisation successive des. parties solides, ne peut s'étendre sans augmentation de la force çen- trifuge , et ainsi elle tend à s'éloigner de la surface de la comète, jusqu’à ce que le ressort du fluide, contre-balancé par sa pression, vienne à la vaincre, et à rejetter ses vapeurs loin en arrière du mouve- ment de l’astre , et dans le sens que suivent les rayons solaires , dont le meuvement augmente en- core cet effet. Cette hypothèse paraît appuyée sur une mécanique transcendante , due à M. Dela- place, et elle confirme l’idée commune , que les comètes sont des corps solides , qui se comportent à la manière des planètes M. Prudhomme avoue, en terminant son mémoire, que cette opinion. de l’opacité des comètes a eu quelques adversaires, et Con) | notamment M. Schreter, qui prétend que leur né- bulosité ne diffère en rien de la lumière Zodiacale et des nébuleuses, et que ce sont des corps lumi- neux par eux-mêmes, ce qu'il appuie principalement sur ce qu'il n’a jamais vu de phases au comètes ; mais 1] oppose à ce moyen de preuve de M. Schreter les observations contraires de plusieurs astronomes, rapportées par Duséjour , et entrautres de Cas- sini, qui a remarqué des phases à la comète de 1744. Il passe ensuite aux raisonnemens, qu’il tire principalement de ce que les comètes ne s’aper- çoivent que lorsqu'elles passent près du soleil, et que leur photosphère, au lieu de conserver la forme sphérique , prend, en s’allongeant , la forme d’une queue un peu en éventail , ce qui ne pour- rait s’expliquer d’un corps lumineux. Il convient qu'on n’a pas observé des phases à toutes les co- mètes, et notamment à la dernière ; mais il en donne pour raison que la lumière se réfractant d'autant plus que les milieux par lesquels elle passe sont plus denses, les atmosphères cométiques, dont la densité est considérable , comme il l’a fait voir, doivent considérablement ralentir la vitesse des rayons solaires, en absorber une grande partie, et produire par cet effet un photosphère proprement dit. Il cite à l’appui de cette explication, le phénomène ana- logue qu’on observe dans les éclipses de lune, où la réfraction des rayons lumineux qui rasent notre atmosphère, les faisant converger en un point plus (92) rapproché de la terre que celui où ils se seraient réunis, diminue par-là la longueur du cône d’om- bre qu’elle forme; enfin la comète saturée en quel- que sorte , dans son périhélie , de la lumière solaire, doit la réfléchir par torrens long-temps après son passage. Le dernier mémoire de M. Prudhomme , lu dans la séance du 7 Mars 1808 , a particulièrement pour objet les deux tempêtes du 1$ Janvier et du 12 Février précédens , quoiqu'il traite aussi en général des plus petites et des plus grandes marées. L'auteur , sans exposer les principes généraux re- latifs à la production des vents , et sur-tout des vents extraordinaires , dont la théorie est développée dans un essai sur Les vents, qu'il doit présenter à l'Académie, remarque seulement que les tempêtes et les ouragans sont le produit de courans aériens, qui viennent le plus souvent de différens points de l'atmosphère, et que lorsqu'une tempête doit être de longue durée, elle s'annonce par des mouvemens dans l'air, plusieurs heures, et même un jour ou deux à l’avance. Il cite celle du 1$ Janvier, qui causa de si grands désastres à Flessingue, à Anvers, à Gand et sur toute la côte des Pays-bas, avant laquelle le baromètre descendit d’un pouce et demi en moins de trente heures ; et celle du 12 Février, qui fut aussi si désastreuse à Cherbourg, et même au Havre et à Quillebeuf, et qui s’annonça dès le (93) 10 par plusieurs courans opposés ; que rendirent sensibles les différentes directions des nuages ; par un abaïssement progressif du baromètre, qui des- cendit de sept lignes du jour au lendemain, et par quelques autres signes que l'expérience a appris à ne point négliger, comme les agitations et les ma- nœuvrés répétées des chats, et même des araignées. M.-Prudhomme ajoute que les tempêtes et les ou- ragans sont ordinairement accompagnés de phéno- mêènes orageux ; et il rapporte le témoignage d’un habitant de nos côtes, qui , sorti de sa maison dans la nuit du 11 au 12, dans la crainte d'y être écrasé , vit des éclairs fréquens se confondre avec les feux qui jaillissaient de toutes parts du sommet des vagues, la neige tomber. à flots , et souvent mêlée avec la gréle, et. entendit gronder la foudre, malgré le mugissement bruyant de la mer. Il réfute l’erreur qui fait croire au vulgaire que les grands vents ne se font jamais sentir qu'aux équinoxes. Les tempêtes étant l'effet de la création spontanée des gaz souterrains , de l’explosion des volcans sous-marins , du fluide électrique, de la formation subite des nuages et de la position relative du soleil et de la lune, ne peuvent être attribuées exclusivement à une de ces causes ; quoiqu'il soit vrai que la force attractive du soleil et de la lune, qui soulève les eaux de l'Océan, doive agiter l’at- mosphère qu’elle traverse pour les atteindre. M. Prud- (94) homme fait à cette occasion quelques réflexions sur le système de M. De la Marck, et oppose son incertitude avérée par l'expérience, à la théorie des marées découverte par Newton , si constamment appuyée par l'observation, et dont il expese som- mairement les principes généraux. Après avoir dis- tingué » parmi les circonstances dont le concours donne lieu aux plus fortes marées, celles qui dépen- dent des mouvemens réguliers et connus de la terre et de la lune, et de leurs rapports avec le soleil , de celles dont l’action n’a pu encore être soumise à des calculs certains , telles que la force et la direction du vent, il conclut que la marée du 12 Mars prochain, dont l'effet ne doit être senti sur nos côtes qu'après trente-six heures, doit être très- considérable, puisque selon /4 connaissance des LEMPS , elle est la plus forte de toutes celles de cette année et de l’année prochaine ; et que si le vent la favo- risait , elle pourrait occasionner des désastres sur nos côtes : mais qu'il faut bien se garder de prendre les avis donnés à cet égard pour une prédiction infaillible , ainsi que le font ordinairement les ignorans ; puisque la circonstance d’une tempête ou d’un ou- ragah, comme il en arrive assez fréquemment à de pareilles époques , n’est que probable, et peut fort bien ne pas arriver. C'est ici le lieu de citer deux observations astro- nomiques dont M, Prudhomme a rendu compte à (95 ) l'Académie. La première eut pour objet le passage de Mercure sur le soleil le 17 Brumaïre an XI. Notre collègue, dans la séance qui précéda ce phé- nomène , avait entretenu l’assemblée de limportance que les astronomes attachent à cé passages des planètes inférieures, parce qu'ils donnent les moyens de connaître les lieux de leurs nœuds et la parallaxe du soleil, d’où se déduisent toutes les dimensions de notre système. Mais les passages de Vénus sont de beaucoup les plus intéressans , et ceux du 6 Juin 1761 et du 3 Juin 1769, furent jugés si précieux, que pour en multiplier les observations, on envoya à grands frais, et non sans de grands dangers , beaucoup de savans dans toutes les contrées de la terre qui pouvaient être accessibles. Quant au pas- sage de Mercure , qui était l’objet spécial de la note, voici les résuldats que M. Prudhomme communiqua dans une des séances suivantes, Le premier bord de Mercure toucha intérieurement le bord occidental du soleil à 11h $7’ 48" , et le second bord le toucha extérieuement à r1h $8’ 15/ ;ensorte que la sortie du centre de Ja planète répond à 11h 58’ 1 +,au méridien dé Caen, tandis qu’elle eut lieu à Paris, à oh 9’; ce qui donne pour diffé- rence des deux méridiens, 10’ $o! 1 en temps, et par conséquent 11 À de plus qu'on ne les- time communément. Au reste, cette observation fut faite à l’école de navigation, située dans la rue de (96) Geole, avec une pendule à secendes, réglée au midi vrai de la veille. La seconde observation faite par M. Prudhomme, conjointement avec M. Wheatcroft , est celle de l'éclipse de fotæ&ildu 21 Pluviôse an XII. L'entrée de la lune sur le soleil eut lieu, au même meridien de l’école de navigation , à où 18” 10, temps vrai , et sa sortie, à oh 54’ 42". M. Prud- homme , en déclarant que ce dernier point est très- exact, convient qu'il peut y avoir quelque incer- titude sur le premier, parce qu'il peut se passer huit à dix secondes, avant qu’on aperçoive dans la circonférence du soleil l’échancrure qui manifeste l'arrivée de la lune sur son disque , et que les bords de cet astre ne pouvaient être aperçus que par le pouvoir grossissant du télescope, et au travers des nuages demi-transparens. Le même membre a aussi exposé ses vues sur quelques singularités de la nature, qu'il avait été à portée d’examiner attentivement. Il a en outre lu deux notices historiques sur Copernic et sur. Callet, dans lesquelles” se trouvent quelques circonstances 1gnorées ou mal connues. D'autrh notes seront mentionnées avec les ouvrages ou les auteurs qui y ont donné lieu. Je m'arrêterai seulement ici à celle qui con- cerne les matières qu’il a trouvées en faisant creuser un puits dans sa cour ; parce qu’elle contient des faits géologiques utiles à recueillir. 1°. Le terran, dans (97) dans une épaisseur de dix pieds , est formé de remblais ; mais au-dessous, jusqu’à vingt - quatre, on ne trouve qu’une terre vraie zourbe, contenant des végétaux en décomposition. À vingt-un pieds, on a trouvé des os de mouton, et une tête de chien avec des vertèbres de cet animal, qui parais- sent être du cou, et qui étaient placées à côté de la tête. Dans les trois derniers pieds de cette tour- bière , 1l s’est rencontré des racines de saule, des morceaux de bois de diverses espèces, des roseaux ayant plus de deux centimètres de diamètre, et près d’un mètre de haut : ils étaient placés presque verticalement. Arrivé à vingt-quatre pieds, on a trouvé une couche d'argile blanche, sur laquelle paraissent couler les eaux qui fournissent les sources des puits du quartier, et qui proviennent , selon l'opinion de M. Prudhomme, des pluies qui tombent sur le pla- teau incliné de Saint-Julien et de Bagatelle. L’abon- dance de l'eau n'avait pas permis de pousser plus loin la fouille. Deux lettres de M. Wheatcroft, écrites en An- gleterre en 1792 , et dont la traduction française vous a été lue, offrent la solution d’un problême de physique, qui avait long-temps exercé la sagacité des savans, /4 cause des cercles de fées. On désigne vulgairement sous ce nom des bandes circulaires plus ou moins larges et plus où moins spacieuses , G (98 ) qu'on remarque fréquemment dans les campagnes ; et surtout dans les pièces en herbe, et qui se dis- tinguent par une végétation plus prompte et plus abondante , et une couleur plus vive dans l'herbe qui y croit. Le peuple, toujours porté à chercher une cause surnaturelle aux faits qu’il ne peut expli- quer, avait deviné que des fées , en faisant des danses rondes dans les prés, avaient donné au ter- rain que leurs pieds foulaient, cette force productive qui le faisait remarquer. Les philosophes , en rejettant des causes chimériques, en donnaient ordinairement qui n'étaient pas plus satisfaisantes, Les uns attri- buaient cette fécondité à l’urine ou à la fiente des bestiaux, comme si l’on pouvait supposer que ces animaux, en paissant librement dans une prairie, s’amusassent à décrire des lignes circulaires , et quoi- que d’ailleurs ce phénomène s’apperçoive fréquem- ment dans des prés qui se fauchent, et où il ne pait point de bétail; d’autres le rapportaient à des colonies d'insectes, de vers etc ; d’autres aux cham- pignons, qui abondent ordinairement en ces endroits, ce qui était prendre leffet pour la cause, puisqu'il est probable que c’est la fécondité antérieure du terrain qui y attire les insectes, et qui y fait pousser les champigrons. L'explication que donne M. Wheatcroft, et qu’il appuie sur des témoignages imposans , paraît beau- coup mieux fondée, Il attribue la formation des (99 } cercles de fées, à l'explosion de la foudre ; c’est-à=- dire à une décharge de fluide électrique ; et cette : hypothèse, qui aurait peu de mérite, si elle était gratuite , est établie sur des observations et des ex- périences qui lui donnent un haut dégré de proba- bilité, Il est reconnu que la décharge d’une batterie électrique, ou d’un grand conducteur tombant sur une surface plane , y forme une circonférence à peu près semblable aux cercles de fées ; et même M. Cavallo, en indiquant ce moyen de tracer sur un métal des cercles composés de toutes les couleurs prismatiques, donne à ces cercles le nom de cercles de fées, à cause de la ressemblance. La seule ob- jection qu’on puisse faire contre leur: conformité , c’est que les cercles des prairies n’ont pas de point central comme les cercles factices formés sur les métaux ; mais M. Wheatcroft répond qu'on peut obtenir ces derniers sans point central, et il cite à l'appui de sa réponse une expérience du docteur Priestley , qui ne laisse aucun doute à cet:égard. Il est à remarquer que les cercles de fées sont assez rarement complets, et que ce ne sont le plus souvent que des arcs de cercle plus ou moins grands. Cette circonstance du phénomène avait en- core besoin d’être expliquée ; et la même hypothèse en donne une raison très-satisfaisante. Dans les ex- périences d'électricité qu’on fait pour tracer un cercle sur une surface métallique, si la plaque est présen- G 2 ( 100 ) tée obliquement, le cercle n’est point achevé, et les parties les plus proches sont les seules marquées. Or la même chose a lieu dans les pièces de terre. Si le terrain n’est pas de niveau, c’est toujours dans les endroits les plus élevés que se trouvent les, arcs. Entre plusieurs faits de ce genre que M. Wheat- croft a examinés avec soin, il parle d’une portion de cercle de fées qu’il apperçut sur le bord d’un ruisseau. Il fut curieux de visiter le bord opposé, et ;l y trouva un arc qui répondait à l’autre , et qui formait avec lui un cercle entier, interrompu seu- lement en deux endroits par le ruisseau. Il donne aussi les distances et les dimensions d’une série de six cercles qu'il observa un jour dans un vaste herbage , dont le premier avait vingt pieds de dia- mètre, et était formé d’une bande d’environ autant de pouces de largeur; les autres allaient en dimi- nuant jusqu'aux deux derniers, qui n’avaient plus que chacun six pieds de diamètre. Il ne doute point que ce ne fussent les décharges successives d’une même nue électrique. C’est donc , selon notre collègue, l’élec- triciré qui, après avoir brûlé l'herbe sur laquelle elle est déchargée dans l'explosion de la foudre, procure ensuite au sol une fécondité extraordinaire ; et une observation faite par M. Walner, son ami, semble ne laissér aucun doute sur ce point. A la suite d’un viol ent orage, il vit dans un herbage destiné x à être fauché, un cercle d’environ quatre à cinq ( 101 ) verges de diamètre, dont les berds avaient à peu près un pied de large , et où l'herbe était brûlée jusqu’à la racine. L'année suivante, l'herbe parut plus fraîche et plus verte, et fut beaucoup plus abondante au temps de la fenaison dans la place qui avait été brûlée, qu’en aucun autre endroit. Le dernier travail de M. Wheatcroft dont j'ai à vous entretenir, a pour titre : observations sur l'ai- guille aimantée faires à l'abbaye d’Ardennes près Caen , en l'année 1803, par J. Wheatcroft. Le but de ces observations était d'acquérir quelques notions sur les lois qui déterminent les variations de l'aiguille aimantée, dont l'irrégularité apparenté diminue beaucoup les avantages que la navigation en retire. Si je ne m'étais pas fait une loi de ne vous offrir que de simples extraits des mémoires, même les plus intéressans , je n'aurais pu me dé- fendre de copier en entier celui-ci, dont les moindres détails méritent d’autant plus d’être éonservés , que leur résultat est une découverte précieuse , à laquelle l’auteur n’a pas dissimulé qu'il attachait plus d’im- portance qu'à tout ce qu'il a fait d'observations pendant toute sa vie, M. Wheatcroft déclare d’abord qu'il s'est servi d’une boussole construite sous la direction de M: Prudhomme, prof:sseur de navigation, qui en avait lui-même aimanté l'aiguille, supendue par un cheveu très-fin, au lieu d’être portée sur un pivot. Îl a G 3 Ÿ 102 ) téconnu lavantage de ce mode de suspension par l'extrême mobilité de laiguille, qui, quoique ren- fermée dans un cadre formé de verres planes, va- cillait pendant près d’une demi-heure , après qu’elle avait été posée, dans le temps le plus calme, et ne restait jamais en repos, lorsqu'il faisait le moindre vent: ce qui l’obligea de la retirer de son jardin, où il l'avait établie d’abord, et de la placer dans le vestibule de l’Abbatiale, qui était fort commode pour ses observations. Il ne juge pas que le frotte- ment occasionné par le cheveu soit la centième partie de celui que laisse à vaincre le support le plus délié. Cette aiguille, d'environ neuf pouces de long , sur une ligne et demie de diamètre , est un cylindre parfait, excepté à ses deux extrémités, aiguisées en pointes, et elle est percée à son milieu d’un petit trou pour le passage du cheveu. L’octant de Ja boussole, compris entre les points Nord et Nord - Ouest , est divisé en dégrés par des lignes très-fines, et en demi dégrés par des points. L’ob- _Servateur se servait d’une loupe pour estimer les ‘ninutes, et la grande habitude qu’il a de ces sortes d'estimations lui fait croire qu'il ne s’est jamais trompé de cinq. Il commença ses observations au mois de Germinal an 9 ( Mars 18071 ), et les continua pendant six mois. Il les répétait jusqu’à huit et dix fois par jour dans le commencement , jus- qu'à ce qu'il se fût assuré des heures du maximum ( 103 ) et du #inimum de variation, et il présente un extrait de son journal pour chaque cinquième jour seulement. Les clonclusions de l’auteur, qui ne sont que les résultats des faits qu’il a observés, sont qu’outre la variation annuelle , ou grande variation de l'aiguille aimantée, dont la période n’est pas encore déter- minée., elle en a une appelée communément durnale, et qui serait mieux nommée sé7i-diurnale, puisqu'elle s’exécute en douze heures ; et une Æc/yptique, dont la période paraît être le temps qui s'écoule depuis le moment où le soleil quitte l’équateur, jusqu’à celui où il y revient, et à laquelle on ne voit pas qu’on ait fait jusqu'ici une grande attention, quoiqu’on ait bien remarqué que la déclinaison était plus grande à certaines époques de l’année qu’à d’autres. 1°. La variation annuelle , ou grande variation , a été remarquée de bonne heure. M. Wheatcroft cite les principaux résultats des observations faites à Londres depuis 1580. Il s’ensuit que la déclinaison était alors de 109 15° Vers l'Est, qu’elle a dimi- nué jusqu’en 1657, où l'aiguille se trouva dans la direction du méridien, et qu'ayant depuis toujours augmenté vers l'Ouest, elle est maintenant à Lon- dres de 23°, tandis que suivant les observations citées dans le mémoire, elle était en 1803, à Ar- dennes, de 249 33 ou 43” selon lheure du jour. Car la différence des lieux influe ainsi que celle des temps sur cefte déclinaison, G4 ( 104) 30, La variation sémi-diurnale a beaucoup de rapport avec les marées, et semble avoir son flux et reflux , comme le mouvement des eaux de l’o- céan. Son maximum a lieu matin et soir à peu près à trois heures, et son minimum à neuf; la diffé- rence est d'environ dix minutes, mais elle est sujette à quelques perturbations. 3°. La variation éclyptique paraît correspondre aux angles que le soleil fait avec l’équateur , ft M. Wheatcroft'a rendu ce rapport sensible par une courbe qui représente les points de déclinaison de cinq jours en cinq jours. Il se trouve que le 714- ximum répond à peu près au moment où le soleil passe sous l’équateur, et le minimum à celui où il arrive au tropique. Notre collègue termine en exprimant son regret de n'avoir pas poussé plus loin ses observations , et son désir de se retrouver dans une situation qui lui per- mette de les répéter seulement pendant une année. Je n’ai point fait entrer dans la série précédente un mémoire de M. Prudhomme sur Les avantages des mathématiques, quoiqu'il soit antérieur à la plu- part des autres. Celui-ci a un objet bien distinct. Le but que s’y propose notre collègue , est de for- tifier le goût des mathématiques , et de rassurer ceux qui paraissent craindre qu'il ne devienne pré- judiciable , en éloignant des études littéraires, ou (Cros ) en affaiblissant les facultés qui y procurent les plus prands succès. ; Pour faire mieux sentir les avantages attachés à létude des mathématiques, M. Prudhomme les a considérées sous le rapport des qualités qu’elles don- nent à l'esprit, de la gloire qu'elles procurent à celui qui les cultive , enfin de leur influence sur les autres sciences et les arts les plus utiles. Il montre d’abord qu’un effet incontestable de ce genre d’é- tude, est de faire contracter à l'esprit qui s’y livre cette précieuse justesse , sans laquelle ses autres qua- lités seraient inutiles, ou même dangereuses ; que toujours les progrès des mathématiques chez une nation y ont hâté la chute des préjugés et des er- reurs, comme la culture des plantes salutaires dans un pays nouveau, étouffe et fait mourir les poisons, Un autre effet qui tient à ce premier , est de remé- dier à cette frivolité qu’on reproche à la jeunesse oisive des grandes villes. L'esprit une fois accou- tumé au goût du vrai et à la marche sûre des déductions rigoureuses , ne voit plus qu'avec mépris ces sciences de mots, propres à amuser l'enfance des individus, et à perpétuer celle des peuples ; ces vains écrits, nés de l’oisiveté, et dont le moindre défaut est de consumer sans fruit pour la société le temps de ceux qui les composent et le temps de ceux qui les lisent. Notre collègue passe ensuite à la considération ( 106 ) de cette gloire, qui donne tant de prix aux tra- vaux des hommes , et il fait voir que c’est aux découvertes dans les mathématiques qu’elle est le plus solidement attachée. Tandis que tant de sys- têmes de morale ou de physique ont passé avec la réputation de leurs auteurs, pour faire place à d’autres que le temps a encore détruits, les hommes qui ont fait faire quelques pas aux mathématiques , qui ont découvert quelques nouvelles méthodes ou démontré quelques propositions nouvelles , ont acquis une gloire impérissable , comme la vérité qui en est le fondement : témoins les Thalès , les Platon , les Apollonius, les Pythagore, les Archimède, les Eu- clide, les Diophante, dont les noms révérés sont parvenus jusqu’à nous avec tout leur éclat. Après avoir rappellé les différentes découvertes qui ont im- mortalisé les grands hommes, M. Prudhomme a passé aux géomètres modernes , qui doivent à des travaux du même genre la même célébrité. Il a cité Des- cartes, dont la géométrie, comme un monument indestructible , soutiendra éternellement sa réputation contre les atteintes que doivent lui porter tant d’er- reurs répandues dans la plupart de ses autres ou- vrages ; Galilée, qui rendit de si grands services à la géographie et à la mécanique, et fut persecuté par l’inquisition pour avoir démontré le mouvement de la terre sur son axe; Huyghens, son disciple ; Leibnitz; Newton, que l'Angleterre sa patrie, et ( 107 ) tous les peuples éclairés comblèrent d'hemmages, et dont le tombeau a été placé entre les tombeaux de ses rois ; les Bernoulli, dans la famille desquels le génie des mathématiques semble avoir été héréditaire; Euler , l'honneur du Nord, ce génie vaste, né, ce semble, pour étonner le monde, autant que pour léclairer, à qui les souverains de la Russie prodi- guaient des bienfaits dignes de ses talens , et pour qui PAcadémie entière de Pétersbourg prit le deuil, comme si sa mort eût été pour les sciences une ca- lamité publique ; d’ Alembert, aussi célèbre par ses découvertes mathématiques que par la création de l’Encyciopédie, qui, recherché par deux souverains, s’honora par ses refus comme eux par l’hommage qu’ils rendirent à son mérite, et qui, enlevé à la France presqu’en même-temps qu’Euler à la Russie, partagea avec lui les regrets de toute l’Europe. À ces noms fameux il était juste de joindre ceux des La- grange et des Laplace , qui ne cessent encore d’é- lever de nouveaux monumens à leur gloire ; de Bailly , ce savant citoyen, non moins célèbre dans les fastes de la patrie par ses vertus civiques, que dans l’histoire de l’esprit humain par les productions de son génie. Mais quel est le fondement de cette haute con- sidération accordée aux hommes qui se sont distingués dans les mathématiques ? L’utilité de cette science; et c’est le troisième rapport sous lequel M. Prud- ( 108 ) homme l'a considérée. Pour remplir son objet , il lui a suff de parcourir les différentes branches de connaissances qui fournissent à l’hamme des res- sources pour ses bsoins , ou des moyens de bonheur. Ce n’est, comme il le dit , que sur les aîles des mathématiques que l’homme s'élève dans les cieux , et les lie en quelque sorte avec la terre, en faisant servir l'astronomie à l’agriculture , à la géographie, à l’histoire , à la chronologie , à la navigation. C’est par elle encore que les distances sont déter- minées , les limites des propriétés fixées , les objets inaccessibles mesurés, l’eau, l’air et le feu soumis à la volonté de l’homme, pour suppléer à sa faiblesse, Elles servent à fortifier les places de guerre; à di- riger ces instrumens de mort, qui avec un appareil plus terrible que les anciens, sont pourtant moins meurtriers ; à marquer les proportions de larchitec- ture navale ; à guider les vaisseaux sur les mers; à disposer des fleuves et des rivières pour les usages les plus importans. Enfin l'architecture leur doit la coupe des pierres , la beauté des plans, l’exactitude des proportions ; le dessin, la justesse de ses traits ; l peinture , l’art de ses nerspectives ; la musique, la théorie d’où résulte la beauté de ses accords. Il n'est pas jusqu'aux jeux qui servent de délassement * aux hommes , et à ceux auxquels se mêlent les spéculations commerciales et les vues politiques, qui ne soient fondés sur des calculs ; et c’est ainsi que ( 109 ) les mathématiques se trouvent partout, qu’elles ser- vent dans toutes les situations de la vie et dans tous les états. M. QUESNOT, alors professeur de mathémati- ques à l'Ecole centrale , et depuis professeur de mathématiques transcendantes au Lycée de Caen, s'était déjà proposé le même but dans un mémoire destiné à servir de réponse à un discours sur Les inconvéniens du gott exclusif pour l'étude des ma- thématiques. M. TAILLEFER , associé-correspondant, auteur de ce discours, frappé, avec beaucoup d’amis des lettres, de l'empressement avec lequel la jeu- nesse, même l'enfance , se précipitait , pour ainsi dire, dans les écoles de mathématiques, en népgli- geant communément les autres branches de l’ins- truction , avait cru devoir s'élever contre cet abus. I1 voyait avec inquiétude que, pour un petit nom- bre d'élèves qui pourraient atteindre le but de ces études scientifiques , la plupart, sans en tirer aucun profit, se privaient de connaissances essentielles , et qu’il était à craindre que le langage des sciences, si pur, si noble, quelquefois même si éloquent dans les discours et dans les écrits d’un grand nombre de savans modernes, ne devint bientôt incorrect et barbare. IL tâche de ramener les esprits au goût de la littérature , en en faisant l'éloge, mais sans mé- connaître l'importance des mathématiques , qu'il se ( 110 ) contente de renfermer dans de justes bornes. Dans le parallèle que son sujet amène entre ces deux branches de ‘enseignement, il donne l'avantage aux lettres, non seulement sous le point de vue d’une utilité plus universelle ; mais encore sous le rapport de l'étendue , de Pagrément et de l'élévation qu’elles donnent à l'esprit; et surtout des facultés naturelles nécessaires pour s’y distinguer. Il joint aux preuves de raisonnement et à des développemens pleins de charmes, des autorités imposantes, entr'autres celle. de Cicéron. M. Quesnot réfute d'abord le reproche fait à. Pétude des sciences de faire négliger et presque abandonner la culture des lettres, en appelant l’at- tention sur cette foule de livres de toutes formes et de toutes couleurs , dont on est inondé, et qui ne sont rien moins que savans. Îl détruit ensuite l’idée d’incompatibilité entre ces deux genres d'étude, par Pexemple d’un grand nombre d’auteurs, qui ont porté à la fois à un dégré éminent l’art d’écrire et les connaissances scientifiques ; et il montre que les sciences exactes, loin d’étouffer l'imagination, comme on les en accuse assez indiscrètement , lui fournis- sent l'aliment le plus réel , par ces conceptions sublimes et inépuisables, dont elles remplissent l’es- prit; que, si leurs principes élémentaires n’offrent que des abstractions arides , elles ont cela de com- mun avec ceux des arts mêmes les plus agréables, | (in) mais que leurs résultats présentent à la pensée une vaste sphère, bien capable d'agrandir lame et de Pémouvoir. La facilité de réussir dans les mathé- matiques ne lui paraît bien établie que relativement aux théories qui sont l’objet d’un enseignement clas- sique et déterminé ; mais il ne voit pas que Îles hauteurs de la science soient plus accessibles que celles de la littérature aux esprits du moyen ordre, ni que les géomètres auxquels on doit des décou- vertes importantes , soient moins rares que les écrivains immortalisés par leurs productions : et là- dessus , 1l oppose aux passages cités en faveur des lettres, d’autres passages propres à en restreindre les conséquences. î C’est surtout en développant les services inappré- ciables que les mathématiques ont rendus à la société, que, M. Quesnot en fait une magnifique apologie. Il les considère d’abord comme simples, et ensuite comme appliquées ; et suivant. leur marche hardie, et toujours sûre , soit à la surface de la terre, et à travers les immenses plaines de l’océan, soit dans la région des astres, et dans ces espaces inaccessi- bles qu’elle nous ont fait connaître et mesurer : parcourant cette multitude d’arts, tant utiles qu’a- gréables , dont on leur doit ou la découverte ou les progrès , il oppose la vaste sphère que l'homme s’est créée par leur moyen, à ce cercle étroit, dans lequel il serait réduit, sans elles, à renfermer les | F (1239) efforts de sa pensée et les élans de son imagination. Il conclut en présentant comme inutiles, et même dangereuses , toutes questions de prééminence entre les différentes branches des connaissances humaines, qui concourent toutes , quoique diversement , au. bonheur du genre humain. M. POTTIER, dont j'aurai plusieurs mémoires à vous citer dans ma seconde partie, vous en a lu un qui appartient à celle-ci. C’est une rorice sur Ze pommier de Permel, dans laquelle 1l fait entrer diverses réflexions sur la pomme en général et sur le cidre. Le pommier, rare dans le milieu de lIrahe et dans la Provence , à cause de la chaleur du climat, aime surtout les lieux tempérés, et même humides, pourvu qu'ils ne soient pas trop froids ; et il est cultivé avec succès dans plusieurs contrées de la France , et particulièrement dans la Normandie , où l’usage de la liqueur fermentée extraite de son fruit remonte à une époque très-reculée et difficile a déterminer avec précision. M. Huet prétend que cette boisson était connue à Caen, dès le treizième siècle, et beaucoup plutôt en France, et que les capitulaires de Charlemagne mettent au nombre des métiers, celui de cicerator , faiseur de cidre. Des auteurs assurent que les Hébreux désignaient cette liqueur par le mot sichar ou schechar, que Sant- Jérome a rendu par sicera , doù nous est venu le mot ( 123) mot sidre, par une s. Ce qu'il y a de certain, dit M. Pottier, c’est que les nations postérieures , telles que les Grecs et kes Romains, ont fait du vin de pommes.| Quant au pommier de Permel, que l’auteur du mémoire a particulièrement en vue , personne ne Va cité comme existant dans le continent de la France, avant que des ecclésiastiques , rentrés depuis quelques années dans leur patrie, l’eussent apporté de l’île de Jerzey sur les côtes de la Manche, qui n’en sont qu’à six lieues de distance, et dont le terrain est à peu-près le même que celui de cette île, M. Pottier y a vu des plants de cette nouvelle espèce, qui donnent déjà les plus belles espérances ; et il juge par quelques essais qu'il pourra réussir dans le ter- ritoire de Caen, où M. Chibourg. le cultive dans son jardin d'Allemagne, Cet arbre ne se greffe ordi- nairement que sur des nains, quoiqu'on en voie beaucoup à haute tige dans l'ile de Jerzey , ainsi que de reinette grise. Son fruit a la forme du pi- geonnet , quoiqu'un peu plus gros, et son goût est à peu-près semblable à celui du drap-d’or : son eau sucrée est relevée par: un léger acide : il se conserve long-temps. L'expérience seule prouvera s'il aura la même délicatesse dans nos contrées. On sait que la nature du terrain et le climat influent beaucoup sur les qualités des fruits. Le cidre est tout autre dans les environs de Bayeux que dans H Ca14) Ja vallée d'Auge , beaucoup plus délicat dans le voi- sinage de Saint-Lo , qu’à Bayeux, et peut - être encore plus exquis dans l’île de Jerzey. Il est cer- tain que cette île et les côtes qui l’avoisment , offrent des propriétés remarquables par rapport aux productions végétales. Le laurier , le figuier, le myr- the, n’y sont presque jamais incommodés de la rigueur des hivers. Des légumes et des fruits qui exigent beaucoup de soins dans nos contrées, tels que les melons, viennent en plein champ à Créames et à l’Ingreville, sans culture extraordinaire. M. Pot- tier apporte deux causes physiques de ce phénomène. Les vapeurs qui s’élèvént de la mer, en passant à l’état liquide, ou même solide, se déposent sur ‘ Jes terres voisines , et y.dégagent une quantité de ca- Jorique d’autant plus considérable , qu'il en faut beaucoup pour réduire à l’état gazeux l'eau de la mer saturée de plusieurs sels. Outre cela, ces ter- rains sablonneux admettent plus facilement la chaleur que le soleil communique à l'atmosphère pendant le jour, que des terrains compactes et moins poreux. De là les froids moins intenses, les gelées moins profondes , les fontes de neige plus promptes, que lon observe dans les îles, et particulièrement sur les bords de la mer , surtout du côté de l'orient et du midi. L'auteur termine son mémoire par un éloge du pommier, dont les productions exquises et tant di- (us) versifiées nous dédommagent amplement de ces pommes d’or, que nous vantent les provinces mé ridionaies , et du doux parfum que répandent ces arbres toujours verds, chargés de fruits et de fleurs dans toutes les saisons. C'est aussi M. Pottier qui a le premier appelé votre attention sur un phénomène que sa véritable nature , telle que vous l'avez connue depuis, doit faire rapporter à l’histoire morale de l’homme , mais qui se range parmi les faits physiques , si l’on con- sidère le caractère sous lequel il vous fut présenté d’abord, et sous lequel il devint l’objet de vos re- cherches. Je veux parler d’une femme du dépar- tement de la Manche, qui passait pour vivre depuis plusieurs années sans prendre aucune espèce de nourriture. Ce n’était pas là un de ces bruits vagues et obscurs, dont il suffit de chercher la source, pour en trouver la fausseté. Ici c'était un récit bien précis, bien circonstancié , uniformément attesté par des personnes réputées très-honnêtes, consigné même dans les annales d’une société célèbre. Suivant les détails que M. Pottier avait reçus d’un ami, et qu’il vous transmit, Marie-Françoise FOUCHARD , femme de Nicolas LECAPELAIN , laboureur de la com- mune du Lorey , au village de la Billardière , arrondissement de Coutances , avait eu en 1792, à l'âge de trente-deux ans, un accouchement pré- H 2 { 116 ) | maturé et pénible, à la suite d’une violente frayeur, causée par une perquisition domiciliaire. Un effet singulier des accidens qu'elle éprouva , fut une ex- trême difficulté à avaler quelque espèce d’alimens que ce fût, difficulté qui, augmentant graduelle- ment, devint telle, que la plus petite quantité, même de liquide , ne pouvait plus passer. Deux seules épreuves faites dans une espace de neuf ans, et à cinq ans l’une de l’autre, confirmaient la nécessité, et par conséquent la réalité d’une abstinence absolue. Pour condescendre aux pieux désir de la malade, on la fit communier à chacune de ces deux époques, avec une hostie de la grandeur d’une lentille, qu’elle avala au moyen de deux larmes d'eau , qu’on lui mit sur les lèvres; mais cela lui occasionna des con- vulsions, des syncopes, et elle resta trois jours sans connaissance. Au reste, on trouvait une femme assez fraîche et agréablement colorée, couchée dans un lit, sur le dos, les yeux fermés, les membres roides , toujours dans la même attitude, et ne pou- vant souffnr le plus léger mouvement , n’ayant aucune espèce d’évacuations, quoiqu’elle toussât assez fréquemment , ne dormant jamais, ne changeant de linge qu’une fois par an, ou tout au plus tous Jes huit ou dix mois, et ayant toujours néanmoins du linge assez blanc , encore bien qu'on l'ait trouvée plusieurs fois couverte d’une sueur abondante. Elle ne voyait point, et ne pouvait même ouvrir les CHA veux, mais elle parlait, et avait la voix claire et assez forte. Telles étaient les apparences qui se pré- sentaient à tous ceux qui visitaient cette femme, Son abstinence absolue et son immobilité perpé- tuelle , affirmées par elle-même , avec les circons- tances que j'ai rapportées, étaient attestées par tous ceux qui vivaient avec elle et qui la voyaient ha- bituellement , et généralement crues par les habitans des communes voisines. Sa famille était dans l’ai- sance ; et loin de tirer aucun avantage de la curio- sité qui attirait chez elle beaucoup d'étrangers , elle n’y trouvait qu’une occasion de dépense, puisqu'elle donnait des rafraîchissemens non-seulement aux voyageurs, mais mème à leurs chevaux, sans rece- voir de personne aucune sorte de payement. M. Lair, qui avait vu cette malade, qui avait questionné sur son état les personnes les moins suspectes , mais à qui il avait été impossible d’approfondir dans une visite la vérité des faits, fut le premier à provoquer dans l’Académie une commission qui se rendrait sur les lieux , et qui s’assurerait par une surveil- lance exacte et continue de ce qu'il y avait de réel dans une pareille singularité : et comme on prévit des difficultés de la part des parens, surtout s'ils en imposaient à la crédulité, ce fut lu qui ouvrit l'avis de s’adresser à M, Costaz, alors Préfet de la Manche, qui aurait les moyens de lever les obstacles auxquels les commissaires de l’Académie H 3 (18) n'auraient aucune autorité à opposer. Cet expédient eut un plein succès ; et au bout de quelques mois, vous reçutes le procès-verbal de M. Quenault, qui avait été charoé de vérifier les faits relatifs à la femme le Capelain, Je ne m’étendrai point ici sur les détails contenus dans ce procès-verbal ,-que vous avez fait imprimer et distribuer, avec le rapport que je vous fis à ce sujet dans la séance du 2 No- vembre 1807. Le résultat évident de ces recherches ‘est , comme l’énonce formellement M. Costaz , dans sa lettre du 7 Septembre 1807, jointe au rap- port, que cette femme en a imposé à la crédulire publique. M. Quenault lui a fait prendre de la nourriture , ouvrir les yeux, remuer les membres et le corps en tout sens ; et il s’est convaincu qu’on ne faisait attendre pendant à peu-près un quart- d'heure tous ceux qui demandaient à la voir, que pour lui donner le temps de préparer son rôle, et de se coucher dans l'attitude où elle voulait être vue. Les travaux des membres de l’Académie, relatifs aux sciences physiques , ne se bornent pas à ceux dont je viens de vous entretenir : il faut y ajouter un grand nombre de rapports , ou d'observations sur des faits particuliers. De plus, vous avez eu dès les premiers temps de votre institution des associés- correspondans , qui vous ont adressé beaucoup de (119) mémoires ; et depuis quelques années surtout ; que vous avez adopté l'usage de recevoir sous le titre d’associés, des savans ou des littérateurs de la ville même, que vous ne pouviez pas admettre comme membres , lorsque le nombre fixé se trouvait rempli, Vous avez vu souvent ces nouveaux collaborateurs rivaliser d’assiduité et de zèle avec les membres les plus laborieux , et ajouter à l'intérêt de vos séances par des productions utiles ou agréables. Aussi est- ce parmi eux que vos suffrages désignent commu- nément les candidats qui doivent remplir les places vacantes , et déjà plusieurs sont entrés dans le corps académique. De ce nombre est M. THIERRY , fils, qui vous a lu deux mémoires, sur des objets trop importans, pour que je n’essaie pas de vous en donner une idée, Le premier de ces mémoires est intitulé : recher= ches sur l'histoire er le commerce de la pierre à bätir de Caen, Les caracières et Les propriétés phy- siques de ses diverses variètés | avec leur examen chimique. M. Thierry , sentant la nécessité de se restreindre , dans l’examen des nombreux rapports que présente .cet objet intéressant , a réduit son travail à trois parties : l’histoire de la pierre de Caen et de son commerce : la description de nos carrières présentement en exploitation ; enfin le résultat de ses recherches sur la nature physique et chimique des pierres de ces différentes carrières. H 4 (mo) Dans la première partie, la seule qui vous ait été présentée , M. Thierry avance d’abord que l’ex- ploitation des carrières de Caen ou des environs remonte à une époque fort reculée. L’inspection de la rue de Geole, et même son ancien nom de Carte houle , qui en Anglo-saxon veut dire chemin creux, où de Hol/on Gare, qui en Anglais moderne a la même signification, font raisonnablement pré- sumer que C’est de là qu’on a tiré les pierres du mur très-élevé qui borde le monticule où est situé le château. On peut former une conjecture sem- blable sur le quartier de Saint-Julien , appelé dès 1410, dans les actes des tabellions de Caen, Sainr- Julien en carrière, et sur un grand nombre d’autres localités citées dans le mémoire. La direction oblique et sinueuse des carrières de Cally , d'Hérouville et de Colombelle, semble indiquer qu’elles furent ex- ploitées par les Saxons , qui ont habité notre pays dès le quatorzième siècle ; et d’ailleurs les antiquités de Vieux montrent que notre pierre à bâtir n’était pas inconnue aux Romains. L'usage qu’on en a fait à une époque moins ancienne, est établi d’une manière encore bien plus incontestable. Non seule- ment l’abbaye de Saint-Etienne fut bâtie au onzième siècle, avec des pierres tirées des carrières de Vau- ceiles et d'Allemagne , pour le transport desquelles furent probablement construites au travers de la prairie deux grandes chaussées , dont on voyait ( 121 ) encore les restes du temps de M. Huet ; et l'on employa , selon l’expression du même savant, ces pierres de Ranville, si dures et si grandes, pour la confection de la chaussée qui fut nécessaire pour partager les eaux de l'Orne: mais il est bien établi que depuis la conquête de l'Angleterre par le duc Guillaume , on fit dans ce royaume une prodigieuse consommation de notre pierre, tant pour la cons- truction des églises, qui étaient pour la plupart en bois, que pour une multitude d’édifices importans. Il est remarquable que le roi Henri V, devenu maître de la Normandie, s’appropria les carrières des environs de Caen , et que les habitans de cette ville ne purent en faire usage jusqu’à l'expulsion des Anglais: ce qui les força de bâtir en bois de- puis 1417 jusqu'à 1450. À cette dernière époque, cette branche de commerce recommença à fleurir, et se soutint dans les siècles suivans. Si depuis l’ex- portation en Angleterre a si considérablement di- minué , il faut l’attribuer aux carrières découvertes par les Anglais, et à leur goût pour la brique. Au reste, le commerce de la pierre est toujours d’un produit considérable pour le pays, puisque tous les ports de la Manche sur la côte de France, depuis Honñeur et le Havre jusqu’à Dunkerque, viennent s’y approvisionner , et que le carreau ou pavé d'Allemagne se transporte non seulement sur tous les points de œette côte, mais encore à Rouen, à ( 1229 Paris, et même quand la mer est libre; à Bor- deaux et jusqu'aux colonies. Le second mémoire de M. Thierry fils a pour titre, coup-d'œil sur des progrès de l'analyse des corps organiques , et présente les résultats des der- nières recherches de MM. Thénard et Gay-Lussac ; et leur liaison avec les découvertes antérieures. Notre collègue remarque d’abord combien la chimie végétale était encore peu avancée à une époque toute récente , lorsque l'analyse minérale avait déjà fait de grands progrès ; il montre dans la différente constitution des deux ordres de subs- tances les raisons de cette marche inégale. C’est après avoir cité les moyens qui furent successive- ment imaginés pour découvrir la composition intime des substances organiques , soit végétales, soit ani- males , et le succès qu’on en obtint, et après avoir indiqué tous les chimistes qui ont rendu des services plus ou moins signalés à la science, qu'il arrive aux dernières expériences de MM. Thénard et Gay- Lussac, qui se sont proposé d’abord de transformer, à l’aide de l’oxigène , les substances animales et vé- gétales en eau, en acide carbonique et en azote pour ramener ainsi leur analyse à une simple analyse minérale et à des résultats aussi certains. Ils ont surmonté, au moyen d’un appareil ingénieux et de procédés délicats, deux difficultés qui se présentaient, (m3) la première , de brûler complétement l’hydrogène et le carbone des substances organiques , l’autre, d’en faire la combustion en vaisseaux ‘clos ; et les con- séquences de leurs travaux sont d’abord trois lois très-remarquables , auxquelles la composition végé- tale est soumise ; et que M. Thierry exprime ainsi : Première Loi. Une substance végétale est toujours acide , toutes les fois que dans cette substance l'oxigène est à l'hydrogène dans un rapport plus grand que dans l’eau. Deuxième Loi. Une substance végétale est tou- jours résineuse ou huileuse , ou alkoolique , etc. toutes les fois que dans cette substance l’oxigène est à l’ydrogène dans un rapport plus petit que dans l’eau. É Troisième Loi. Enfin une substance végétale n'est ni acide, ni-résineuse , et est analogue au sucre, à la gomme, à l’amidon, au sucre de lait, à la fibre ligneuse, principe cristallisable de la manne, toutes les fois que dans cette substance l’oxigène est à l’hydropène dans le même rapport que dans l’eau. Entre plusieurs apflications qui servent de déve- loppement à ces lois, on doit remarquer les résultats relatifs à l'acide oxalique et à l’acide acétique, dont le premier se trouve être le plus oxigéné des acides végétaux , tandis que l’autre , qu'on regardait comme supérieur à tous par son oxigénation, ne tient que le dernier rang. Cu24) M. Thierry termine son mémoire en faisant en- trevoir quels succès on doit attendre des procédés de MM. Thénard et Gay-Lussac. Le même membre vous a communiqué un mé- moire de MM. FOURCROY et VAUQUELIN, lu à l'institut en Thermidor an XII, intitulé, rou- veiles expériences sur Le lait de vache, dont il vous a même donné un extrait ; un autre mémoire de M. Vauquelin, intitulé ÆAzalyse de quelques mines de fer limoneuses , de la Boursogne et de la Franche- Comté, à laquelle on a joint l'examen des fonres, des fers, et des scories qui en proviennent ; et un mémoire de M. DARCET , sur la potasse. M. Thierry, fils , avait aussi été chargé, avec M. Prudhomme , de l’examen d’un mémoire de M. RicARD , professeur de mathématiques , et associé de l’Académie , sur une nouvelle méthode de diviser l’aréomètre à graduation ; et le rapport qu'il vous en fit, en jettant un nouveau jour sur cette ingénieuse théorie , confirma la justesse des calculs sur lesquels elle était appuyée, et lutilité qu’il était facile d’en tirer dans la pratique. Ce mémoire de M. Ricard est très-étendu , etil y a-joint des figures très-propres à en faciliter l’in- telligence. Je m'efforcerai seulement de vous donner une idée de son but et des moyens qu'il emploie pour l'obtenir. Tout le monde connaît l'aréomètre , vulgairements (ms) appelé pèse-liqueur, et son usage. C’est un cylindre de verre, creux, et terminé par une boule, lestée de Mercure , pour le tenir dans une direction ver- ticale, lorsqu'il est plongé dans un liquide. Son immersion fait connaître immédiatement la partie de son volume qui s'enfonce, et par conséquent le volume du liquide déplacé , qui est égal ; et le poids de l'instrument étant constant , la connaissance de ce volume de liquide conduit à celle de sa pesanteur spécifique, ou de sa densité, d’où l’on déduit son dégré de spirituosité, qui est toujours en raison inverse. On est donc assuré qu’un liquide où l’aréomêtre s'enfonce davantage est moins dense, et conséquemment plus spiritueux que celui où il s'enfonce moins : mais ce qui rend l'instrument imparfait , c’est que ses dégrés d'immersion , me- surés sur une échelle à divisions égales, représen- ent des dégrés de spirituosité qui ne sont pas eux- mêmes égaux, et qu’en connaissant qu’un liquide est plus dense qu’an autre, on ne peut pas déter- miner,dans quel rapport. C’est à ce vice que M.Ricard a prétendu remédier par le système de graduation qu'il propose. On a bien des moyens de déterminer rigoureuse- ment le poids spécifique des liquides, soit avec la balance hydrostatique , soit avec laréomètre de Farenheit ; mais il faut, pour les besoins ordinaires de l vie, un instrument plus simple et d’un usage ( 126 ) plus commode , et tel est celui qu'indique M. Ri- card. Il lui conserve la forme des aréomètres ordinaires, quoique pour ses démonstrations , il le suppose momentanément transformé en un cylindre: régulier ; et ce n’est que la graduation qu’il change. On conçoit deux manières générales de faire ce. changement. L’une serait, en conservant les divisions égales, de marquer le dégré de densité correspon- dant réellement à chacune , ou, si l’on veut, le dégré de spirituosité ; mais ce procédé que M. Ri- card explique , et qui pourrait s'appliquer aux aréomètres actuels, nécessiterait des expressions frac- tionnaires qui seraient fort incommodes. L’autre méthode, employée par M. Vallet, mais suivant une échelle que M. Ricard a trouvée imexacte par le calcul et par le raisonnement , consiste à marquer des dégrés égaux de densité, en divisant la tige en parties inégales , puisqu’il est facile de démontrer que la portion du cylindre qui marque la différence entre deux dégrés donnés, par exemple, entre le dégré onze et le dégré douze, n’est point égale à celle qui marque la différence entre deux autres, par exemple entre le dégré neuf et le dégré dix, ou entre le degré treize et le dégré quatorze ; que cette portion croît à mesure que la densité diminue ou que la spirituosité augmente. C'est ce dernier système de division que l’auteur du mémoire adopte; et voici comment il parvient à déterminer les points ( 19 ) de sa tige qui doivent indiquer chaque dégré de densité. Ayant pris pour densité fondamentale celle de l’eau distillée à une température déterminée , il prend le point de l’aréomètre jusqu'où il s'enfonce dans ce liquide , pour terme de départ de deux échelles, lune inférieure , pour les densités plus grandes, l’autre supérieure, pour les densités moindres. En employant un cylindre régulier, tel qu’il l’a sup- posé d’abord , il n’aurait , pour tracer ses deux échelles, qu’à appliquer ce principe, qu’il a démontré, que le dégré pour chaque liquide est égal à l'unité divisée par la densité de ce liquide. Mais le procédé doit être applicable aux aréomètres à boule; et l’on parviendrait à cette application avec un cylindre déjà gradué, qui servirait de type, en considérant que les dégrès sur deux échelles sont entre eux , comme le rapport des poids des instrumens est au rapport du quarré du diamètre de leurs tiges. Cependant , comme la déterminaison rigoureuse du poids des instrumens , et surtout du diamètre des tiges, tient a des opérations très-délicates, M. Ricard a recours à un expédient plus simple. Ayant construit sur le papier une échelle fondamentale, divisée d’après les principes qu'il a exposés , il abaisse plusieurs lignes parallèles à cette échelle, et de tous ses points de division , il tire autant de droites convergentes, qui coupant toutes ces parallèles | vont aboutir à ( 128 ) un même point, Comme toutes les lignes se trou- vent ainsi divisées proportionnellement , il ne s’agit pour graduer un aréomètre, que de trouver celle dont les divisions peuvent lui convenir. Pour cela M. Rücard plonge son instrument successivement dans deux liquides de densité différente et bien connue, soit par les tables déjà dressées , soit par les opérations qui conduisent directement à cette connaissance. Faisant glisser dans l’intérieur de la tige un papier jusqu’au point d'immersion dans l’un et dans l’autre , il parvient à avoir deux dégrés bien déterminés. En portant l’espace qui les sépare sur celle de ses échelles où les mêmes dégrés sont également distans , il n’a plus qu’à prendre sur cette échelle toutes les autres divisions. On pourrait même, ayant deux dégrés marqués sur un aréomètre, abaisser une seule parallele à l'échelle fondamentale, y marquer deux points correspondans à ces deux dégrés, et faire passer par ces deux pgints deux lignes qui partiraient des mêmes dégrés de la grande échelle, pour aller se réunir. Toutes les autres lignes qu’on tirerait des autres dégrés, pour aboutir au même point de réunion, marqueraient ces déorés sur la parallèle, en la coupant. Il y aurait bien des observations de détail à ajouter à cet aperçu, pour établir les avantages du système proposé ; mais il faudrait copier le mémoire en entier, pour n’omettre rien d’important, et un extrait même | étendu , (1129) étendu, ne pourrait servir qu’à faire désirer la publi- cation de l'ouvrage même. M. Ricard vous a fait aussi un rapport sur un petit ouvrage de M. Dubois - Maisonneuve, que vous l’aviez chargé d'examiner avec M. Duchemin, et qui a pour titre essai sur La configuration gco- métrique à donner aux caractères numériques vul- gairement appelés chiffres arabes. Le but de l’auteur est de fixer la forme des chiffres, et d’arrêter les altérations successives qu'ils ont éprouvées jusqu’à présent, et dont aucun principe de construction ne les garantit pour l'avenir. Son moyen consiste à composer chaque chiffre d’une ou de plusieurs figures géométriques , d’une grandeur basée sur celle du premier chiffre, qui continue d’être une ligne ver- ticale. Les modifications qui en résulteraient pour nos chiffres actuels, sont en général très-légères , et ne les changent jamais assez pour faire éprouver le moindre embarras à les reconnaître. Le rapporteur a trouvé que cet essai, qui commence par une ex- position historique des signes numériques employés en différens temps chez les différentes nations, et qui finit par des notes explicatives. et un tableau des chiffres des orientaux , et de ceux de l’Europe, dans les différens siècles | annonçait dans son auteur des connaissances étendues dans l’histoire des ma- thématiques, et donnait lieu de penser qu'il avait fait de cette science l’objet de ses études particulières, I Ci130) Vous avez encore appelé à vos séances, sous le titre d’associé, M. LAMOUROUX , professeur d’his- toire naturelle , qui vous a lu un essai sur ls propriétés générales et particulières des plantes ma- rines, On vous avait déjà présenté de sa part un volume, grand in-40. , intitulé, dissertations sur plusieurs espèces de fucus , peu connues ou nouvelles , avec leur description en latin et en français. Cet ouvrage est composé'de deux parties, dont la der- nière est une collection de trente - six planches, dessinées soit sur le sec, soit dans l’eau. La pre- mière partie, destinée au texte, contient une in- troduction, dans laquelle M. Lamouroux oppose à intérêt que doit exciter cette nombreuse famille, la négligence dont elle a été long-temps l’objet ; puisque , depuis Gmelin , qui écrivit en 1768 , jusqu'à MM. Goodnough et Woodward, qui firent paraître en 179$, dans les transactions de la société Linnéenne de Londres, un mémoire sur les fucus des îles britanniques, les botanistes n’ont rien pu- blié de particulier sur ce genre. Il cite parmi les autres qui ont décrit un petit nombre de ces plantes, Hudson , qui, le premier les a disposées d’après une méthode, et encore imparfaite à bien des égards ; ÆEsper , Srackhouse , Dawson, Turner, Xavier Wulfen , qui ont successivement écrit en 1800, 1801, 1802 et 1803 , les uns sur les espèces de dif- férens pays , les autres seulement sur celles des LE (131) côtes qu'ils habitaient, ou qu'ils avaient parcourues > et dont certains, principalement M. Ssackhouse, ont fait des expériences très-curieuses. Après avoir ainsi fixé à peu près l’état de la science à l’époque où il écrit, M. Lamouroux présente diverses considé- rations générales sur la nature des fucus, leurs variétés, leur fructification, leur genre de vie et leurs propriétés. Il réfute par quelques raisonnemens, sans cependant rien prononcer , l'opinion de ceux qui croient que ces plantes sont spécialement des- tinées à empêcher la putréfaction des eaux de la mer. A la suite de cette introduction, il range sous vingt dénominations principales, et en autant d’ar- ticles, tous les fucus dont il traite; et après une. description et une divisisn méthodique en latin , il présente une notice en français , sur chacune des espèces ou des variétés qu’il a distinguées, et termine cette première partie de son ouvrage par une table explicative des planches. Dans le mémoire manuscrit qui est particulière- ment l’objet de cet article, M. Lamouroux ne s’oc- cupe que des propriétés générales et particulières _ des plantes marines, en les considérant successivement comme alimens, soit pour l’homme, soit pour les animaux, comme remèdes, et comme matière de différens instrumens ; comme ornement et parure , comme matière colorante et cosmétique ; comme I 2 ; ( 132) combustible propre à donner du carbonate de soude, mêlé avec une grande quantité d’autres sels; comme engrais, et enfin sous plusieurs autres rapports établis par des expériences constantes, ou seulement soup- çonnés. Depuis ce morceau, que M. Lamouroux destine à servir d'introduction à un traité sur les plantes marines, il vous a présenté, comme un extrait de ce traité même, un mémoire ayant pour titre, fucus edulis ( Gmel. ), fucus coralloïdes ( Poivre ), alga ( Rumph. ). La plante qu'il considère, sous ces différens noms , est en usage dans les Indes orientales comine un aliment sain et agréable. On l'y prépare de différentes manières , et pour la con- server, on la fait macérer dans le jus de limon, et on lui fait subir une légère cuisson. Les Euro- péens l’emploient aux îles de France et de Bourbon, et dans plusieurs autres parties de lInde , après lavoir réduite en gelée, pour donner de la consis- tance aux sauces , ou remplacer les pâtes d'Italie dans les potages. C’est avec les fragmens de ce fucus que sont construits les nids des salanganes ou hirondelles de Java , selon l’opinion de Rumphius et de la plupart des auteurs modernes, qui est aussi adoptée par M. Lamouroux ; quoique d’autres savans leur donnent une origine différénte. Quelques-uns les croient formés d’une substance mucilagineuse, qui flote en grande abondance sur une partie de la mer (133) des Indes , et qu'ils supposent du frai de poisson ou de mollusques, tandis que cette matière est plus probablement due à la décomposition des piantes marines. Au reste, M. Lamouroux éntre dans des détails intéressans sur ces nids comestibles , tant renommés par le prix qu'y attachent les Indiens , et par la vertu fortifiante et échauffante qu’on leur attribue, et qui pourrait bien n'être due qu'aux assaisonne- mens violens qu'on y mêle. Il indique différentes manières de les préparer, les variétés qu'ils pré- sentent, soit pour la couleur ou la transparence , soit pour la qualité ; et il rapporte les résultats de quelques expériences qu’il a faites sur un de ces nids, dont un fragment mis dans de l’eau froide, changée matin et soir, a “donné pendant plus de dix jours une quantité considérable de mucilage, sans laisser apercevoir les parties solides, qui à la fin se sont séparées , et ont offert des petits fragmens d'algues marines peu déformées. Leur analyse chimique donne aussi les mêmes produits que celle des autres plantes marines. Les auteurs modernes distinguent trois es- pèces d’hirondelles qui construisent des nids comes- “tibles, et donnent à la plus petite le. nom d’hirvzdo esculenta , sous lequel Linné les a toutes confondues, Ces nids sont rares en Europe, soit à raison de leur prix élevé, soit par la difficulté de les bien pré- parer. Cest par cette observation que se termine, le mémoire de M. Lamouroux, 13 (134) Le même associé vous a aussi communiqué un discours préliminaire qu’il a composé pour être mis en tête d’un cours d'histoire naturelle. Ses autres lectures étant postérieures au 1€r. Janvier 1817, ñ’appartiennent point à ce rapport. Il en est de même d’un discours de M. Trouvé, jeune médecin de cette ville, à qui vous avez pareillement donné l'association. Entre les nombreux objets que vos associés-cor- respondans ont proposés à votre attention, je vous rappellerai l'envoi qui vous fut fait, il y a six ou sept ans, par M. BRÉMONTIER, inspecteur-gé- néral des ponts et chaussées, de deux petits pains de résine provenans de la première récolte des pins de la forêt d’Arcachou, semés d’après ses procédés : en 1788 et 1789. Outre l'intérêt général attaché à ce succès important , démontré par les effets, et développé dans les pièces jointes aux échantillons, vous en trouviez un particulier dans la possibilité qu’il présentait d'obtenir de pareils avantages sur nos côtes. Déjà M. de MANGKNEVILLE vous avait entretenus des genres de culture qu'on pourrait essayer dans ces vastes terrains couverts de sable, dont on ne tire aucun parti, et dans lesquels il soupçonne que les pommes de terre et la luzerne pourraient réussir, Ce sont principalement les pins maritimes qu’il proposait comme convenables à cet essai, et 1l s’appuyait de l'exemple de M. Brémon- (135) tier, qui en avait couvert avec un plein succès des espaces immenses. C’est ce qui m'a engagé à né citer son mémoire qu’en cet endroit. M. de Mangneville vous a encore fait un rapport sur un mémoire de M. THIÉBAUT-DE BERNEAUD , qui traite du genér. En louant cet ouvrage, ila cru devoir relever quelques erreurs, qui ne nuisent en rien, dit-il, au but de l’auteur, mais dont l’exacti- tude exige la correction. D’abord M. Thiébaut , après avoir placé le genêt dans la diadelphie du système de Linné, dit que les étaminés sont réunies en un seul corps par leurs filets, tandis qu'elles en forment toujours deux. : Ensuite il confond avec les genêts la plante qu'il nomme genét épinenx , et qui forme une espèce distincte, nommée w/ex, dont les caractères sont différens. Par une autre confusion, 1l dit qu'on cultive les genêts en Lorraine, pour eñ retirer de la soude ou de la porasse; quoique sans doute la porasse s'y ttouve uniquement. Je ferai aussi mention d’une observation météoro- logique , provoquée par une notice de M. DELA- VILLE , sur le transport de patticules salines par le vent qui souffle de la mer. Il observa à Cherbourg, dans un jardin situé à environ six cents mètres du rivage, après un coup de vent du Nord-Est, de jeunes arbres dont l'écorce lisse était couverte d’un grand nombre de petits cristaux blancs, qu’il ré connut à la forme et au goût pour du muriate de Fe ON, (136) soude. Comme la terre était alors couverte de neige, il n'était pas bien sûr que le phénomène ñe fût pas dû à cette circonstance ; mais il a répété plu- sieurs fois l’observation , avec différentes personnes instruites et attentives, et il s’est convaincu que toutes les fois qu’il venait des coups de vent de la mer , ils déposaient sur tous les corps qu’il rencon- traient, des particules salines , que leur ténuité ne permettait de bien apercevoir que sur des surfaces lisses, comme l'écorce des jeunes arbres. Il a remar- qué aussi que, quand un vent humide succédait au premier , la même écorce était humectée d'eau salée du côté exposé au vent qui avait soufflé d’abord. M. Delaville note que le jardin où il fit cette re- marque la première fois, est plus éloigné de la mer que les trois quarts des habitations de Cherbourg , et que l'air qui y transporte le sel, a traversé une grande partie de la ville, sans qu'on s’aperçoive que les vents du Nord causent d’autres maladies que celles qui résultent du passage subit d’une tem- pérature chaude à une plus froide. D’où l’on pourrait conclure , dit-il, que les habitans des bords de la mer peuvent respirer presque impunément un air chargé de muriate de soude ; ce qui est cons- taté d’ailleurs par l’expérience des longs voyages sur mer, où au moyen de quelques précautions, on parvient à conserver la santé des équipages. M. THIERRY , père, dans un rapport sur cette D Lu (137) notice , a joint aux observations qu’elle contient celles qu'il a faites lui-même, ou qui ont été faites a sa demande , et qui paraissent prouver , non- seulement que le vent transporte réellement des particules salines , mais que cet effet s'étend même beaucoup au-delà des limites où M. Delaville la observé. Le lendemain du fameux coup de vent du r2 Février 1808, M. Thierry étant sur la route de Caen à Hérouville , à trois ou quatre lieues à l'Est de la côte, porta à sa bouche, d’abord sans in- tention, et ensuite à dessein, de petites branches d'arbre , et y trouva une saveur saline bien pro- noncée. De retour à Caen, il engagea une personne qui partait pour Lisieux, à chercher jusqu’à quelle distance cet effet pouvait être sensible ; et cette personne lui assura quelques jours après qu’elle l'avait remarqué jusqu’au plus haut de la côte Saint-Laurent , l’un des lieux les plus élevés du département , et distant de cinq à six lieues du rivage qui est au Nord. La nuit et une légère pluie, qui était survenue, n'avaient pas permis de pousser plus loin les recherches. Les coups de vent du 17 au 18 Décembre suivant fournirent encore à M. Thierry l'occasion d'observer le même fait à trois lieues de la mer. En appelant l'attention de l’Académie sur les nombreuses réflexions auxquelles ce phénomène peut (138) donner lieu , il fait cette remarque générale, qua presque toujours dans les mouvemens violens de la nature, le bien se trouve à côté du mal; etil cite pour exemple ces tempêtes si funestes aux naviga- teurs, si desastreuses pour les habitations et les plantations, et qui sont en même temps, selon l’o- pinion assez fondée des habitans de la campagne , le présage d’une abondante récolte en fruits, parce que vraisemblablement les arbres agités dans le temps où la végétation est en repos, en ébranlant la terre, et en la rendant plus meuble et plus perméable à l'humidité , permettent aux racines chevelues de s'étendre avec plus de facilité, et de pomper plus de sucs nourriciers. Mais ces rapides mouvemens de Pair, qui compensent ainsi les dégâts qu'ils causent, paraissent produire un avantage plus important dans les lieux qui avoisinent la mer, en y déposant des sels précieux, qui ne peuvent manquer d'influer uti- lement sur la production de tous les végétaux, et auxquels les terrains qui sont sur nos côtes doivent sans doute leur grande fertilité. Le sel marin est assez généralement reconnu pour un excellent sti- mulant de la végétation, malgré quelques opinions contraires , qui s'expliquent par la différence de l'état et de la quantité dans lesquels il est dépose. En effet il est incontestable que dans son état brut, il peut être assez abondant pour frapper le sol d’une stérilité absolue, comme le prouvent certains (139) cantons de l'Egypte cités par le célèbre Parmentier, et l'usage des Romains de répandre une grande quantité de sel sur un champ qu'ils voulaient rendre pour long - temps stérile, en mémoire de quelque grand crime qui y avait été commis. Mais cet effet ne peut être applicable aux particules extrêmement ténues du muriate de soude, mélées à d’autres sels dans l’eau de mer très - divisée que l’air tient sus- pendue sur les environs des rivages , et qui déposée sur la terre, et sur les végétaux, dont elle pénètre les pores, opère par cette action lente et continue qui caractérise les causes naturelles. Au reste ce phénomène du transport des particules salines par le vent qui souffle de la mer, se trouve cité comme un fait reconnu, dans un mémoire d’un autre associé, composé avant les observations qui viennent d’être rapportées. C’est une zorice de M. DAN DELAVAUTERIE, sur la température des rivages de La mer. Après des réflexions générales sur la méthode rigoureuse d’observation et d'analyse, qui a fait faire depuis un demi-siècle des progrès si prodigieux à la physique, et dont le défaut a si long-temps retenu cette science dans un état d’en- fance , il expose ainsi le phénomène, dont il offre l'explication. » La température des rivages de la mer, qui, dans l'été, est plus fraiche que celle de l'intérieur des terres, à raison de l’évaporation déter- minée par les brises qui se succèdent périodiquement, ( 140 ) se soutient toujours , dans l'hiver, à un dégré plus élevé. » Il en donne pour preuve plusieurs faits généralement observés : par exemple, que la gelée pénètre moins profondément la terre dans les îles. de peu d’étendue et près des rivages que dans lin- térieur des continens ; que la glace et la neige y fondent plus promptement ; qu'on y élève en pleine terre des plantes qu'on ne peut conserver qu’en serre pendant lPhiver dans des lieux éloignés de la. mer, à la même latitude. Il entre ensuite dans l’ex- position de sa théorie , qui consiste dans une appli- cation bien raisonnée des principes les mieux établis sur la nature et le mode d'action du calorique.» Les » vapeurs, dit-il, dans cette dernière partie de sa » dissertation, qui s'élèvent continuellement de la »# mer, soit par la seule action du calorique, soit # par l’action puissante des brises périodiques qui # accompagnent les marées , se répandent à une » distance plus ou moins grande de ses limites. Elies » se déposent sur la terre, en passant à l’état liquide »# ou même solide , et perdent conséquemment le # calorique qui les avait tenues en suspension sous » l’état aëriforme : elles en enrichissent les corps » environnans , sur lesquels il se porte en raison » de leur affinité pour lui. Or cette quantité de » calorique doit être d’autant plus grande , qu'il en » faut beaucoup pour vaporiser un liquide fixé par » divers sels, et ‘une petite portion de ces sels eux- (141) » mêmes, qui ont si peu de tendance à s’unir à # la matière de la chaleur, ou si peu de capacité » pour elle ; que d’ailleurs la pression atmosphé- # rique est ordinairement à un haut dégré, quand » l'air est très-froid, comme dans les temps de » gelée, et surtout au niveau de la mer. » »# On ne peut objecter, ajoute -t-1l, que ces .» sels, qui doivent porter beaucoup de calorique » avec eux, en prenant la forme de gaz non per- # manent, ne sont pas susceptibles de vaporisation, » puisqu'on les retrouve déposés à une certaine » distance , sur la terre, les pierres , les végétaux, » et tout ce qui se trouve exposé à l'air. » Le transport du sel marin par le vent n’est pas le seul objet sur lequel M. Delaville ait appellé votre attention. Il avait déjà transmis auparavant une note sur le développement d’une odeur de musc dans les pommes. Parmi un assez grand nombre de subs- tances , tant animales que végétales, dans lesquelles on remarque une odeur appelée rusquée, à cause de sa ressemblance avec'le véritable musc, fourni par l'animal qui en porte le nom, M. Delaville a reconnu qu'il faut compter certaines espèces. de pommes , dans lesquelles le développement de cette odeur est assez abondant , pour qu’elle se commu- nique à l’alkool distillé sur ces pommes, et s’y conserve très-sensiblement. Il n’a observé jusqu'ici cette propriété que dans des pommes aigres, à écorce (14) verte, et à l’époque de la pourriture. Ce fait lui paraît mériter d’être recueilli comme moyen d’ac- quérir des notions plus précises sur la nature du musc et sa production. Il remarque que ce n’est pas la seule odeur étrangère en apparence aux fruits, que l’on voit se développer en eux ; qu'il a senti une forte odeur de camphre dans un buffet qui con- tenait une grande quantité de pommes à écorce blanchâtre, qui se vendent à Paris, sous le nom de pommes de rainette ; et que les citrons , en pourrissant , répandent une odeur fort approchante de celle de l’Ether sulphurique, M. SURIRAY vous adressa, dès la première année de votre institution, un essai topographique des environs de Thury ( Harcourt ). Après avoir présenté l’ensemble des cantons de Thury, Hamars et Saint-Rémi, comme intéressant sous le double rapport des perspectives les plus variées et les plus agréables, et des phénomènes qui attestent, plus qu'en aucun lieu du département , l’ancien séjour de la mer, et de violentes secousses ,» il se borne à décrire succinctement les rives de l'Orne, depuis le Vey ( canton de Clecy ) jusqu'à Martinbosr ( canton de Hamars ), en s'étendant sur la rive gauche jusqu'aux communes du Pzssis, de Camp- André, de Roucamp, et aux hauteurs d’Auney. Entre la multitude d'objets qu'offre ce tableau , on remarque particulièrement 1°, la différence des (143) montagnes sur les deux rives de l'Orne , soit pour la hauteur et la direction, soit pour la nature des matières qui les composent et la forme des couches; 29. la presqu'ile du Æomme, plaine renfermée par les 7 d’un cercle que forme la rivière ; 3°. Le Mont-Aigu , presque isolé, et coupé verticalement en cône; 4°. le Mont-d' Encre, d’où l’on décou- vre les environs de Bayeux, les plaines de Caen, la mer et les côtes du Havre, et dont la pointe en certains temps attire visiblement les nuages , qui touchent à sa surface lorsqu'ils sont peu élevés ; 5°. les mines de fer de Sainr-Rémi, que l’auteur ne regarde pas comme épuisées , quoiqu’elles soient abandonnées ; 6°. une carrière d’ardoise , quil croit être facile à exploiter ; 7°. les nouvelles mines de fer, situées dans les bruyères et bois du Mont P:n- çon; 80. les fontaines d’eaux minérales ferrugineuses du Camp-André et de la Bertrie, dont il regrette qu'on ne tire pas un meilleur parti pour la méde- cine ; enfin, plusieurs produits, tant du règne minéral que du règne végétal. Il joint à sa description sommaire quelques observations relatives à l’économie rurale. On pourrait, selon lui, trouver dans les années de disette, un supplémènt au cidre et au poiré dans la ronce , si abondante dans ces cantons, dont le fruit contient beaucoup de principe muqueux saccharin , qui étendu d’une suffisante quantité d’eau, lui a procuré une liqueur vineuse, et par la dis- (144) tillation et plusieurs rectifications , lui a manifesté la :présence de l’alkool. Il ‘y a sur les côteaux voisins de l'Orne plusieurs indices de mines de charbon de terre. Le sol fournit en. plusieurs endroits des argiles propres à la brique et à divers genres de poterie. L'immense quantité de bruyère qui croît dans cette contrée, pourrait procurer de la potasse. Peut-être pourrait-elle aussi , desséchée au feu et pulvérisée, être substituée au tan , comme on lit dans les mémoires de l’Académie des Sciences 1756, qu’elle l’a été par Gesner, duc de Wirrembera. Les habitans du Nord, selon Gilibert, l'emploient de différentes manières pour tanner leurs cuirs. Quant à l’agriculture , M. Suriray déclare qu’elle s’est perfectionnée dans plusieurs communes , depuis quelques années, et qu’on doit à des cultivateurs éclairés de nouvelles productions très-utiles, dont l'introduction avait été retardée , soit par le préjugé, soit par l'ignorance. M. AVELINE, de qui vous aviez reçu à peu près dans le même temps des observations sur le calendrier , vous a rendu compte plus récemment d’un fait d’histoire naturelle dont il venait d’avoir connaissance. C’est un accouplement productif, du moins selon toute apparence , d’une truie qu’on ramenait du verrat, avec deux chiens de Brie, ou de Berger, qui l'avaient suivie, et dont l’un tenait un peu du mâtin. Voici les principales circonstances que (145) que notre correspondant avait remarquées dans ce fait. 10. Cette truie ne mit bas que cent dix-sept jours: après son approche du verrat ; tandis que ;, d’après l'expérience , le fermier attendait sa portée au bout de cent douze jours, ou de cent quinze au plus. 2°, Parmi les petits, qui étaient au nombre de cinq, dont trois mâles , quelques-uns poussèrent des cris différens du grognement du cochon; ce qui émer- veilla la femme et la fille du fermier, et excita la curiosité de toute la: famille. 3°. Deux des mâles et une femelle avaient la conformation du cochon, avec des soies blanches par tout le corps ( excepté un, qui était parsemé de petites taches noires ); des oreilles petites et droites, une hure semblable à celle du cochon : mais leur gueule était celle du chien , un mufle mou, charnu, et s'arrondissant un peu en pointe ; et non ce groin cartilagineux qui, dans le cochon, se termine par un bourrelet saillant : les orifices des fosses nasales n'étaient point percés par le haut en droite ligne, comme dans le boutoir ; mais c'étaient de$ ouvertures irrégulières , qui s'abaissaient comme les narines du chien: la mâchoire inférieure était presque égale en longueur à la supérieure ; les dents incisives longues et tran- chantes, au point de ne pouvoir être recouvertes par la lèvre supérieure, partagée par ‘une raie, en forme de gouttière; les dents canines fort longues : les piéds, de la nature de ceux des fissipèdes , avaient K (146) en même-temps la forme de ceux du chien et du cochon ; les deux doigts antérieurs étaient terminés chacun par un étui ou sabot ; les deux doigts la- téraux étaient, ainsi que le talon , de petites masses charnues et calleuses, armées de griffes : l’ergot, qu'on nomme le contr'ongle | armé de même, au lieu d’être en dedans de la jambe, était par der- rière, en éperon: l’un de ces animaux n'avait point de queue, les autres n’en avaient qu’une courte. 4°. Il paraît que les ‘trois premiers n’ont pas pris de nourriture aux mamnelles de la mère, qui peut-être les en écartait à cause de leurs dents longues et très-aigues : l’un mourut le matin qui suivit la nuit de sa naissance , les deux autres moururent le soir : le quatrième mourut par accident quelques jours après ; et le cinquième, exempt comme lui de difformité, continua de vivre, C’est le seul qu'’ait vu M. Aveline, qui n’y a remarqué que quelques ongles pointus et recourbés, aux pieds, et l’ergot ou contr'ongle de l'intérieur au-dessus du pied, et double à l’une des jambes. M. Aveline joint à son récit quelques réflexions, qu'il présente sous la forme de questions, soit sur les changemens que des phénomènes de ce genre pour- raient faire apporter à la classification des animaux, soit sur les éclaircissemens qu’on en peut tirer rela- tivement au mystère de la génération, soit enfin sur les résultats qu'ils pourraient avoir dans l’éco- (147) nomie animale ; et il juge ces questions dignes d’oc- cuper les savans. : M. Prudhomme, qui vous a fait un rapport sur ce mémoire, a cité des faits analogues à celui qui vous a été transmis, et a présenté des vues philo- sophiques sur les conséquences qu’on peut en tirer. M. AUBER, médecin, vous a adressé plusieurs écrits imprimés et un mémoire manuscrit , intitulé , Notice historique sur un cas rare de polype nasal monstrueux. À la description pathologique de Ja maladie, il avait joint le portrait, dessiné d’après pature, du Jeune homme qui en était atteint, et qu’elle avait horriblement défiguré, jusqu’à lui faire perdre l'œil gauche et lui affecter sympathiquement le droit. Il finissait par une observation sur laquelle il appelait les recherches des hommes de l’art: c’est que dans la seule ville de Pont-l’'Evèque et ses en- virons, On comptait alors sept personnes attaquées de polypes, soit du nez, soit de la gorge, et que cette maladie n'était devenue «commune dans cette contrée que depuis bien peu de temps. Entre les écrits imprimés de M. Auber, l’un a pour titre, découvert: nouvelle d'un procédé simple et facile pour conserver pendant plusieurs années le fluide vaccin intact. M.DuBOSCQ-DELAROBERDIÈRE vous avait déjà adressé auparavant des recherches sur la vaccine et sur la méthode de l’inoculer aux hommes, pour Les K'> (148) . 4 préserver de la petite vérole ; et plus anciennement, un autre szémoire d'observations sur la vaccine. Vous # avez encore reçu de lui un ouvrage intitulé , recher- ches sur La scarlatine qui a réoné a Vire, dans Les années VIII et IX ( 1800 e&æ 1801 }). La vaccine a aussi occupé particulièrement M. VALENTIN , ancien premier médecin des armées de Sanr-Domingue, et médecin en chef des hô- pitaux français en Virginie. Outre un ouvrage in- titulé, résultats de l’inoculation de La vaccine dans Les départemens de la Meurthe, de La Meuse, des Vosges, et du Bas-Rhin, vous avez reçu de lui une lettre particulière, dans laquelle il vous a fait connaître le succès de nouvelles tentatives sur la vaccine, qu'il a donnée à vingt - quatre individus avec la croûte des boutons vaccins. Il ajoute qu’une croûte de soixante - douze jours a donné de belles pustules à un enfant né depuis dix-sept jours, sans que sa santé en ait paru altérée ; et qu’une: autre croûte conservée depuis quatre-vingt - cinq jours, pulvérisée et délayée , a pareiliement réussi sur d’autres individus. À ces détails, M. Valentin joint le résumé de sa correspondance avec le docteur de Carro, de Vienne en Autriche, qui annonce les progrès étonnans de la vaccination en Asie , son in troduction dans la Chine et la Tartarie, et. la com- position d’un mémoire sur ce sujet par un prince Indien, qui prouve que cette pratique était connue ( 140.) de quelques bramines. Il vous a aussi adressé une notice historique sur le docteur Jenner , et des no- tices sur les progrès des sciences physiques et natutelles, et sur les établissemens de bienfaisance dans les États- Unis d'Amérique. : Un autre médecin en chef de l’armée de Saint- Domingue , M. GILBERT, a donné une histoire médicale de cette armée en l'an 10, où un emoire sur la fièvre jaune. M. DESGENETTES, a pareillement donné une histoire médicale de l’armée d'Orient. Il vous a adressé depuis d’autres ouvrages, qui seront men- tionnés dans le prochain rapport. Comme ce rapport a particulièrement pour objet les ouvrages qui n’ont point été publiés, je me bornerai à citer un mémoire de M. GIRARD, sur l'agriculture et le commerce de la haute Epypte ; un autre, sur Les irrigations, le commerce et l'agricul- ture de la province de Fayoum ; un rapport sur les travaux exécutés au canal de"l’Ourcq , pendant l'an IX; et un devis des ponts à bascule à construire sur ce canal ; un mémoire de M. Hernandez, sur les signes que peuvent fournir la langue, les lèvres et Les dents, et contre La méthode évacuante , rela- Diivement à l’état saburral des premières voies ; un recueil de divers seémoires sur Les pouzzolanes natu- relles ec artificielles, par M, Gratien, le père; une K ? ) (150) dissertation sur la meuxvrologie et les observations méréorologiques , et un mémoire sur La teinture de La soie en noir au moyen du pyro-lignite de fer , par M. Vitalis, auteur de plusieurs autres produc- tions très-utiles; des recherches de M. le Sauvage, docteur en chirurgie, sur Les effets du verre et des substances vitriformes portés a l'intérieur des organes digestifs, dont le but est d'établir leur innocuité ; une dissertation de M. DUBUISSON , intitulée , kÿ- pothèse sur la solidification du globe terrestre , sur laquelle M. Cailly vous a fait un rapport, où en montrant avec quelle défiance on duit accueillir en général ces sortes de systèmes , il reconnait que Pauteur a appuyé-le sien sur des faits et des rai- sonnemens qui ne laissent pas d’être d’une grande force, et de le rendre au moins spécieux. Je ne puis passer aussi légèrement sur un des mémoires qui nous ont été présentés de la part de M. DEGAULLE , professeur de navigation à Hon- fleur , auteur d’une carte marine, en quatre feuilles, du canal de la Manche et de ses côtes ; d’une 2n5- truction détaillée sur la manière de faire la vérification des boussoles dont on fair usage en mer ; d’une autre intitulée , construction et usage d'un nouveau compas azimutal a réflexion ; d'un nouveau moyen de me- surer la hauteur du soleil avec loctant, sans voir l'horizon ,; et de plusieurs autres ouvrages , tous inspirés par le plus pur désir d'être utile , seule (sm) passion de ce vertueux citoyen, qui consacra une Jongue vie toute entière au bonheur de ses sem- blables, et dont la mort a excité parmi vous les plus justes regrets. Je ne n’arrêterai point au mé- moire qu'il vous fit remettre il y a plusieurs années, sur la navigation qu'on appelle cabotage , quoiqu'il contienne des instructions très-précieuses. Je vous entretiendrai seulement du projet d'un port de refuge à établir sur Le banc de l'Eclar proche le Havre ; parce que vous y avez donné une attention particulière, et qu'il est intéressant pour toute la France, mais spécialement pour notre contrée, que les vues de M. Degaulle, dont le gouvernement à eu connais- sance à une certaine epoque , soient assez bien connues, pour qu'on soit dans le cas d’en apprécier le mérite. La côte qui s'étend au Nord-Ouest, depuis les jettées du Havre jusqu’au cap de la Hève, dans une étendue de plus de quatre mille mètres , forme par son enfoncement une, baie appelée /a petite rads, en avant de laquelle sont deux écueils, l’un nommé Les hauts de la rade, et l’autre, plus au Nord, nommé Z banc de l'éclat , long d’environ mille cinq cents mètres, du Nord au Sud, et large d'environ quatre cents, distant de la Hève d’à-peu- près huit cents mètres. Il ne reste sur ce banc, de basse mer ordinaire, que depuis un peu moins de deux mètres , jusqu’à un peu plus de trois, et un K 4 (152) tiers de moins dans les grandes marées : il en reste de six à sept mètres au pied; ce qui procure une passe très-précieuse , surtout pour les navires venant du Nord, et commode en temps de guerre aux ennemis, qui ne peuvent venir que par là dans des vues hostiles contre le Havre. M. Degaulle propose d’enceindre toute la partie xtérieure de ce banc, du côté de lPOuest, d’un mur épais, et de forme circulaire, qui s'élève de quatre à cinq mètres au-dessus des plus grandes marées, et qui soit surmonté d’un parapet, garni de canons du plus gros calibre ; d’élever simplement la partie de l'Est, qui regarde la terre, d’un mètre au-dessus des plus hautes eaux, et de remblayer à la même hauteur tout l’intérieur de cette enceinte. Il marque l'emplacement des différentes constructions nécessaires à cet établissement , telles que casernes, magasins pour les poudres, pour le service de Par- tillerie, pour les agrès et apparaux nécessaires aux radoubs des bâtimens qui ne peuvent entrer au Havre , fourneaux à réverbère, pour rougir les boulets. Il ajoute trois digues ou jettées , d’environ trois cents mètres de longueur, du côté de l'Est, entre lesqnelles les vaisseaux et frégates pourraient être à quai, avoir leurs amarres à terre , et jouir du même calme que dans un bassin; et ure autre digue, au pied de la Hève, de cinq cents mètres, dirigée vers le Nord-Est, et garnie d’une batterie. (153) JH indique où prendre les matériaux pour ces digues et pour les remblais. Il place aussi à chaque extré- imité du banc de l’Eclat un petit phare ou réverbère, visible seulement d’une lieue, pour ne pouvoir être confondu avec ceux du Havre et de la Hève. Quant aux avantages de cet établissement , ils sont aussi nombreux qu’ils paraissent bien prouvés. II offre en tout temps et de tout vent un asile sûr aux vaisseaux du troisième ordre, et même, dans un temps forcé, du second , et à des frégates de quarante à cinquante canons , qui empêchés par quelque cause d’entrer à Cherbourg, sont obligés, s'ils tirent plus de cinq mètres + d’eau, d’aller jus- qu'à Flessingue, ce qui les expose à ,plus d’une sorte de dangers. Les bâtimens de la marine impé- riale, dès qu'ils auraient leurs fonds travaillés , et assez de stabilité pour se tenir debout, pourraient aller dans le port de l’EcZar achever leurs armemens et exercer leurs équipages , qui ne seraient point sujets à être distraits, comme dans un bassin. Ceux qui devraient prendre un convoi au Havre, iraient l’attendre là en sûreté , sans être exposés aux dangers qu'ils courent, lorsqu'il faut rester en rade jusqu’à un moment favorable pour la sortie. Des vaisseaux ennemis ne pourraient plus passer entre / Eclar et la Hève , et venir menacer le Havre. Un moyen d'économie considérable , et cherché envain jusqu'ici, serait la facilité du transport des bois de construc- (154) tion auxquels le Havre sert d’entrepôt, et qui ne peuvent, en temps de guerre , être transportés à Brest, et même à Cherbourg, qu'avec beaucoup de difficulté. Des vaisseaux de soixante-dix à soixante- quatorze canons, qu’on pourrait construire au Havre, au moyen du port de /’Ecl4er, où ils iraient s’armer » y prendraient pour chargemens les différentes pièces d’autant d’autres vaisseaux , travaillées et prêtes à mettre en place. L'établissement d’un magasin à poudre à une telle distance du Havre, préserverait cette ville d’un danger dont la seule idée fait frémir. Un autre avantage important qui résulterait de la seule digue proposée au pied de la Hève, serait d'arrêter le galet, qui obstrue l’entrée du port du Havre, et même celui que les vents du Sud-Ouest poussent vers Fécamp, et de prévenir les éboule- mens du cap même. L'auteur avait joint à ce pojet une manière de vérifier les sondes faites autrefois dans ces parages, dans laquelle il indique les précautions les plus sûres. M. Prudhomme fut invité à examiner le mémoire de M. Degaulle, et même à joindre à son rapport l'indication de toute autre position qui lui paraîtrait de même propre à un pareil établissement , sur les côtes de la ci-devant Normandie. Dans le compte qu'il vous rendit de cet examen, il établit d’a- bord par le raisonnement et par les faits, l'impor- (155) tance d’un port sur nos côtes, où les vaisseaux pussent se réfugier et venir se réparer dans un gros temps , ou après un combat. Passant ensuite en revue les différens ports de l'Océan et de la Manche, en développant les avantages et les inconvéniens de chacun d'eux, il arrive à l'embouchure de la Seine, où il s'étend particulièrement sur le port du Havre , en énonçant son opinion sur celui d'Hon- fleur. Après ce préliminaire , il discute toutes les parties du projet ; et sa conclusion est que l’éta- blissement de ce port de Z'Eclar ; serait d'autant plus important , qu'il ne voit sur nos côtes que deux positions qui paraissent propres À recevoir des vaisseaux de ligne, l’anse sous Armanche et Asnelle, et la Fosse de Colleville ; que l'entrée de la première lui parait trop étendue pour être bien sûre, et que la seconde, dans une rade foraine, serait exposée aux vents du Nord, tenant de l'Ouest et de l'Est, qui pourraient en rendre la sortie difficile en cer- tains temps. [l avoue néanmoins que l’habile ingé- nieur qui a proposé cette dernière position, M. Cachin, n’a pu manquer d'apprécier cet obstacle, et que personne n’est plus en état que lui de juger si les avantages que présente Ze banc de l'Eclat, sont aussi solides que spécieux. Au reste, M. Prudhomme, ayant eu occasion, depuis son rapport, de considérer attentivement toutes les circonstances locales, qu’il ne connaissait (156) que d’après le plan de M. Degaulle, y a décou- vert des difficultés qui lui ont fait suspendre son jugement sur la possibilité d’obtenir un plein succès de ce projet. Je n’entrerai pas dans un si long détail sur un autre mémoire du même associé - correspondant , intitulé , essai sur Les moyens qui pourraient être employés pour rendre les explosions des magasins à poudre moins fréquentes et moins desastreuses. M. Depaulle, s'étant convaincu par des expé- riences en petit que de la poudre renfermée dans des bocaux de verre , bouchés hermétiquement , pouvait être conservée long-temps sous l’eau , sans perdre sensiblement de sa force, et de plus que l’ex- plosion de la poudre ainsi placée ne peut produire des effets considérables , avait fondé sur ce double fait l’idée d’une nouvelle espèce de magasins à poudre, dont il donne toutes les dimensions, et décrit les différentes parties avec le plus grand détail. La com- mission à laquelle ce projet fut renvoyé, n’a pas trouvé les moyens proposés par M. Degaulle aussi efficaces que son but était louable. M. Lange, qui en était le rapporteur , par une discussion très-lumi- neuse de chaque article de ce projet, a montré que d’abord rien ne garantissait l’exactitude des rapports supposés entre les effets d’une petite quantité de poudre et ceux d’une grande; qu’en second lieu la sécurité de M. Depaulle n’était fondée que sur la persuasion (157) que les réservoirs dans lesquels il dépose ses bo- caux, pouvaient facilement être maintenus pleins , tandis qu'il ne fallait qu’une bombe ou un boulet pour entr'ouvrir ses cases , quelque solides qu’elles fussent , et en faire écouler l’eau ; que d’ailleurs un pareil établissement exigerait un emplacement si vaste, qu'il ne pourrait convenir que pour des magasins très-peu considérables, et que la quantité de poudre que l’on pourrait mettre en süreté par ce moyen n'avait nulle proportion avec les frais énormes qu'elle occasionnerait ; qu’enfin les procédés proposés en- traineraient une multitude de dangers pour le trans- port et la manipulation , et rendraient toutes les opérations du 6ervice lentes et embarrassantes. M. GEOFFROY , de Valognes , qui paraît se livrer avec le zèle le plus actif à l’étude de l’histoire na- turelle, vous a communiqué ses recherches et ses opinions sur un grand nombre d'objets. Il.a toujours eu soin de vous donner des descriptions très-dé- taillées des corps qu'il, avait examinés, et il y a quelquefois joint des dessins très - soignés. Mais ne s'étant point trouvé à portée. de vous procurer des échantillons en nature, excepté pour le srès onyx, il vous a mis dans l'impossibilité de prononcer avec assurance sur la justesse de ses théories, qui dépen- dait toujours en partie de celle de ses descriptions, a moins qu’il ne s’agit d'objets assez déterminés pour qu'il ne füt pas nécessaire de vérifier les observations, (158) comme dans les mémoires sur la ponce et sur Les incrustrations minérales. Vous avez regretté d'être ainsi réduits pour l'ordinaire à de simples proba- bilités, et de ne pouvoir donner une adhésion ab- solue aux jugemens d’un collaborateur aussi zélé et aussi instruit, Le premier ouvrage de M. Geoffroy a pour titre : Précis élémentaire et méthodique d'histoire naturelle. M. de Roussel , au nom d’une commission que vous aviez chargée d'examiner ce travail , vous en fit dans le temps un rapport très-avantageux, et déclara qu’on y trouvait la preuve d’une grande connais- sance de la science , et d’un talent remarquable pour l’exposer avec méthode et clarté. On peut rapporter à ce précis un mémoire , présenté depuis, sur l'utilité des figures en histoire naturelle. M. de Roussel vous a aussi fait un rapport sur le grès onyx. Il n’a pas trouvé que cette dénomi- nation s’accordât avec celle de quartz agaté , par laquelle M. Geoffroy a aussi désigné la même subs- tance. Selon lui , la composition du quart agate onyx difière de celle du quartz ou grès onyx, sous le rapport de la pureté de la silice, de la quantité de l’oxide de fer disséminé dans le quartz, et du mélange d’argile et de mica qui se trouve dans la plupart des grès rubanés , et qui n’existe pas dans les quartz agates onices ou rubanés. Les échantil- lons présentés à l’Académie lui ont paru appartenir (159) à la première espèce, qu’on trouve communément et d’une plus belle qualité dans nôtre territoire, où on l'emploie à la bâtisse et au pavage. Il a mis à côté de ces grès brats des échantillons de grès étran- gers auxquels on a donné le poli, pour montrer quel parti on pourrait tirer des premiers. Les autres mémoires de M. Geoffroy, dont plu- sieurs ont été examinés par des commissions , sont intitulés : zores sur l’encrine diluvien ; chaux charbo- natée spiculaire ; lignite fibreux ; Ponce ; incrustrations minérales ; Klingstein ; grès des houillères ; lave avec mégotype. Dans son mémoire sur la ponce, notre corres- pondant, après quelques réflexions générales sur les volcans et leurs effets, pose en principe , comme un fait constant et plusieurs fois vérifié , que les matières lancées dans les éruptions volcaniques ne se forment pas à l'instant même, mais existaient déjà formées dans les profondeurs d’où elles ont été vomies. Îl s’est attaché particulièrement à examiner des échantillons de diverses ponces et celui d’une lave assez pesante, quoique criblée de petits pores, qu' contient en grande quantité des portions de feld- spath, la plupart assez petites , qui en général lui ont paru converties en ponce. Il présente les diffé- tens caractères de ces échantillons. Il cite aussi d’autres espèces de ponce, et en particulier celles - dont un navigateur a assuré à Garcin qu'il avait ( 160 ) trouvé la mer partout couverte , dans une espace de plus de cinq cents lieues, lorsqu'il cherchait à aborder aux îles de la sonde , entre le trente-hui- tième et le trente-neuvième dégré de latitude aus- trale. Il croit assez avec ce même Garcin, que cette immense quantité est due à des volcans sous-marins. Quant à l’opinion de ceux qui croiraient voir dans le tissu de la ponce des portions d’amiante ou d’as- beste , accidentellement incorporées à d’autres subs- tances, ou même les résidus d’un charbon minéral détruit par les feux souterrains, sans énoncer d’abord un jugement formel , il indique assez par la suite qu'il regarde la formation de ces produits comme une espèce de cristallisation vitreuse , qui varie selon diverses circonstances acccidentelles , et particulière- ment selon la nature des matières. Le principal but des observations faites par M. Geoffroy, et des ex- périences qu'il a tentées sur des substances volcani- ques , pour imiter ce qu'il appelle la poncification , et en marquer les différens dégrés , paraît être d’é- tablir que c’est le plus ou le moins de feld-spath contenu dans les corps soumis à l’action du feu souterrain, qui détermine le plus ou le moins de perfection de cette opération. Cette hypothèse lui fournit explication des nombreuses variétés que pré- sentent les matières volcaniques , dont les unes sont en partie poncées, d’autres un peu plus, d’autres entièrement, C’est le feld-spath, que le feu fait passer ( 161) passer de son état naturel, d’abord en fritte ; puis en verre, enfin en filamens , et qui cesse lui-même d'être reconnaissable , tandis que les matières avec lesquelles 1l est combiné en abondance , sont ané- anties. M. Hébert, commence aussi par quelques con- sidérations générales sur les produits volcaniques, et jette un coup-d’œil sur les différens systèmes pré- sentés jusqu'ici pour expliquer la formation de la pierre-ponce en particulier. Il trouve l’hypothèse de M. Geoffroy, qui en attribue l'origine au feld- spath , conforme à l’opinion de Faujas-de-Saint-Fons, à celle de Dolomieu , et aux expériences de Kla- proth, qui a démontré par l'analyse chimique, que le feld-spath et la pierre-ponce sont composés à peu-près des mêmes élémens. Mais quant à la sup- position que cette conversion en ponce ,; que M. Geoffroy appelle poncification | précède l’éruption volcanique , et que la ponce existait déjà formée au fond du cratère, avant l’époque de son expulsion, les commissaires n’ont point vu la raison de recourir à cette opération particulière de la nature, et ils ont trouvé dans les dégrés de feu plus ou moins violens , une cause suffisante des différens états dans lesquels les matières volcaniques sont rejettées. [à leur semble aussi que l’auteur du mémoire, en di- sant en termes formels, que » relativement aux » grès, aux schistes, auxquels sont unies des ma- E ( 162 ) # tières calcaires propres à les disposer à la fusibi- » lité , ils se changeront en ponces de différentes # couleurs » contredit le principe qu’il paraït avoir adopté sur la nécessité absolue dela présence du feld-spath pour la formation de la ponce. Au reste, ils ne prétendent point opposer une autre hypothèse à la sienne ; et ils déclarent que leurs remarques n'ont pour but que d'appeler de nouveau son at- tention sur les parties de son système qui pourraient avoir besoin d’être éclaircies ou confirmées, et de seconder cet ardent désir de la vérité qui l’anime dans toutes ses recherches. Le rapport est terminé par quelques réflexions sur l'emploi des mots nouveaux créés par M. Geof- froy , ou l’acception inusitée de ceux qui existaient, tel que poncer, qui signifie polir avec la pierre- ponce , et dont il se sert pour signifier faire passer à l’état de ponce. Ne serait-il point à craindre que ce néologisme ne vint à dénaturer la langue , si chacun se le permettait trop facilement ? M. Hébert cite à cette occasion l'autorité du célèbre Lavoisier, qui dit que , pour avoir le droit de changer la langue d’une science, il faut en avoir changé les principes. Une autre commission, dont M. Lange était le rapporteur , a fait l'examen du mémoire de M. Geof- froy sur Les incrustations minérales. Elle a trouvé fondée la distinction qu'il a faite de l’incrustarion et (163) de la pérrification. La dernière a lieu dans les corps organisés , soit du règne animal, soit du règne vé- getal , lorsque des sucs lapidifiques s’introduisent dans les pores et les cavités de ces corps , dont ils laissent encore apercevoir quelquefois les formes pri- mitives. La première, au contraire, se fait par une Juxta-position des molécules terreuses, salines , mé- talliques etc., sur la surface de ces mêmes corps , ou d’autres tirés du règne minéral, tous ensévelis dans des eaux qui tiennent des molécules en disso- lution , ou exposés à des vapeurs métalliques. Ces incrustations sont le plus ordinairement terreuses ou calcaires, et ont leur écorce formée d’une subs- tance différente de celle qu’elle couvre. Les commissaires n’admettent point l'opinion où paraît être l’auteur du mémoire , que le repos de Peau est absolument nécessaire pour la formation de ces incrustations ; et ils citent celles de Carlstad en Bohême , de Arno en Etrurie, et d’Arcueil près Paris. Ils communiquent , à cette occasion , une observation bien singulière. En 1782, lorsqu'on tra- vailla aux réparations de l’aquéduc d’Arcueil, on trouva environ six cents toises de l’ancien aquéduc bâti pour le service du palais des Thermes , où il ne se présenta ni dépôt, ni incrustation. C'était à la vé- rité un chenal , eu l'eau coulait à decouvert, tandis qu’à présent elle est renfermée sous des voûtes ; mais d’autres eaux qui coulent également à découvert: L 2 (164) donnent des incrustations , et il en résulte, sur Îles conditions essentielles à la production de ce phé- nomène, une question digne des méditations des géoiogues, Quant à la pierre nommée grisar , qui fournit les incrustations dont parle M. Geoffroy , et qui forme un monticule auprès de Valognes ; lorsqu'elle est brisée , elle montre des filons dont les parois sont tapissées de cristaux quartzeux , en pyramides he- xaèdres, quelquefois diaphanes , avec des points et des angles d’autant mieux prononcés, que la dia- phanéité est plus grande. L’incrustation est grise , ou blanche, ou roussâtre : quelquefois elle n’enveloppe que les pointes des cristaux ; d’autres fois , elle s’é- tablit sur la surface entière de la pierre. Dans une incrustation d’un blanc mat, ou d’un gris un peu blanchâtre , elle était si mince , que les cristaux paraissaient un peu transparens. L’auteur a cru re- connaître la pellicule qui recouvrait l’eau , et qui se sera déposée et aura enveloppé la surface de la pierre, plutôt que le produit d’un sédiment préci- pité de l’eau même. Quelquefois il a découvert du désordre dans la superposition des couches, et plu- sieurs incrustations successives , taciles à reconnaître, et qui convertissaient en petits mamelons le sommet des pyramides. Il a encore trouvé de jolies stala- gmites quartzeuses , et il a observé dans plusieurs mor- ceaux de grisar une substance lamellulaire | qui lui : } (165 ) a paru semblable à la baryte sulfatée. Dans certaines incrustations , la forme avait été tellement altérée, que de pyramidale elle était devenue conique , et de prismatique cylindrique. Le rapporteur a exprimé le regret que M. Geof- froy n'eût pas joint à son mémoire des échantillons en nature, dont l'examen eût jetté un jour utile sur quelques parties de sa théorie , et qu’il n’eût donné aucune description du locai qui a fourni ceux qu'il a examinés lui-même. Vous avez entendu la lecture d’un mémoire de M. NoEz, de Cherbourg, sur l’économie politique et commerciale | dans lequel il traite de la franchise des ports; d’un autre du même associé-correspon- dant, sur Les effèts de l'eau sur Les corps qu'elle frappe ; d’un troisième sur la rade de Cherbourg , et d’un quatrième, ayant pour titre: Économie des arts, Où un mot sur les avantages de la transmis- sion des leçons données par l'expérience ; avéc cette a épigraphe : Ex tenebris tantis tam claram extollere lucem. Lucr. Le but de ce dernier mémoire est d'établir les avantages que chacun peut retirer dans l'exercice d’un art, de la pratique de ceux qui l'ont précédé. Personne n’ignore à quelles méprises grossières la seule théorie exposerait, surtout dans les ouvrages vastes et compliqués , si elle n’était éclairée par lexpé- L3 ( 166 } rence ; mais l’objet particulier de M. Noël est un mode régulier de faire tourner à l’instruction des hommes chargés principalement des grands travaux publics , les essais de leurs prédécesseurs. Pour cela, il propose de donner un récit détaillé de tous les procédés employés pour lexécution des ouvrages qui ont une grande importance , soit à cause de l’u- tilité publique qui en résulte , soit à raison des dépenses qu’ils exigent ; de tenir en quelque sorte un journal exact des difficultés , surtout imprévues, qui se rencontrent, des erreurs et des faux calculs que l'expérience fait découvrir, des dégâts survenus, des moyens employés pour les réparer, et du bon ou mauvais succès de ces moyens. L’auteur pré- tend que de pareilles notices rendues publiques se- raient pour les hommes de l’art un livre précieux , où ils trouveraient des leçons pour tous les cas qui se présentent dans la pratique, et qu’une pareille pré- caution préviendrait , dans l’avenir, des événemens désastreux qui, outre des pertès énormes en argent, retardent la jouissance des établissemens utiles. Entre plusieurs réflexions auxquelles ce mémoire a donné lieu, et qui étaient toutes d’accord avec ce principe, qu’il est avantageux de transmettre les leçons données par l'expérience, on a remarqué que la connaissance des procédés employés dans les grandes entreprises, et de leurs résultats, n’a jamais été considérée comme étrangère à l’art, dont elle (167) fait au contraire une partie essentielle ; que ce n’est point pour l'ordinaire à l’ignorance des faits anté- rieurs , mais à la différence des circonstances qu’on doit imputer les effets qui trompent la prévoyance des hommes les plus habiles ; que d’ailleurs il y a des causes dans la nature, qui agissent avec une puissance dont le maximum ne saurait se déter- miner , ni servir de mesure précise aux précautions que l’art peut employer, et que toute la prudence humaine ne pourrait écarter d’un ouvrage tous les dangers possibles ; qu’ainsi, quelques avantages que püt procurer la mesure indiquée par M. Noël , il ne faut pas se flatter qu’elle prévint tous les incon- véniens. Je ferai encore mention de quatre mémoires de M. VIGNÉ, sur lesquels M. Hébert vous a fait un rapport. Le premier a pour objet une oëservaicn sur une inflammation de l'estomac , maladie heureu- sement très-rare, et bien digne d’être observée. La malade qui en avait été atteinte, et à laquelle, après plusieurs accidens , on avait administré des purgatifs et des émético-cathartiques , était tombée dans un état de faiblesse auquel elle allait succom- ber , lorsque l’auteur du mémoire fut appelé ; et il la rétablit par lusage des sucs muqueux des fruits de la saison. Il remarque avec étonnement qu'après une diète sévère, cette dame recouvra subitement son appétit, qu’elle digéra très-bien , et reprit ses L 4 ( 168 ) forces en peu de temps ; et il attribue cet événe- ment à un effort de la nature. Suivant le rapporteur, cette inflammation était la suite d’un cathartique administré mal à propos après une erreur commise dans le régime , pendant le cours d’une fièvre gastrique ; et elle a cédé à la débilité causée par une diète presque absolue. La nature a eu ensuite bssoin d’un stimulant ; et l’ins- tinct a indiqué des alimens qui dans tout autre cas auraient té dangereux , pris en aussi grande quan- tite, Le second mémoire est une réfuration des asser- tions de M. Boyveau-Laffecteur sur le mercure em- ployé comme anti-siphilitique. M. Hébert est de l’avis de M. Vigné, et regarde comme prouvé par les faits, que le rob de M. Laffecteur , loin d’être bon dans tous les cas indistinctement , est souvent con- traire ; qu’il n’a eu de succès que chez des malades qui avaient déjà suivi un traitement méthodique , et qui n'avaient besoin pour terminer leur guérison que du régime sévère prescrit avec le rob. Il croit d’ail- leurs , avec beaucoup de praticiens , que ce remède contient du sublimé en petite quantité, et"qu’il n'o- père de guérison qu’à une très-grande dose. Le troisième traite des qualités indispensables au médecin dans l'exercice de sa profession. On peut juger de l’importance que M. Vigné attache à ses devoirs et de son zèle à les remplir , par la fidélité et l'intérêt avec lesquels il en trace le tableau, (169) Enfin son dernier mémoire est une observation sur un vornissement symptôme principal d'une fièvre intermittente. Le rapporteur expose ses idées sur les causes de ce vomissement , qu’il regarde plutôt cemme un épiphénomène que comme un symptôme principal. Je terminerai ici cette première partie de mon rapport. J'ai tâché de n’y omettre aucun des mé- moires qui ont été composés exprès pour vous être présentés, ou même de ceux sur lesquels leurs au- teurs ont particulièrement appelé votre attention. Quant aux autres ouvrages dont il vous est parvenu des exemplaires, sans que vous ayez été engagés par quelque considération spéciale à en faire l'exa- men, leur grand nombre ne permettait guères de les mentionner tous. Ce n’est que dans un compte annuel qu'il sera possible de s’assujettir à un détail si étendu, RNA NIIIVITISIT RER VIS SECONDE: PARTIE. Sciences Morales et Politiques, ÆListoire, Littérature. EN réunissant la littérature aux sciences dans le plan de vos travaux, vous prévites bien, mes- sieurs, que les ouvrages de pur agrément ne pour- raient jamais y remplir une place considérable. Lors- que Montesquieu fut reçu en 1716 dans l'académie ( 170 ) de Bordeaux, qui ne faisait que de naître , il ft comprendre à ses confrères que leurs talens pour-. raient s'exercer avec encore plus d'avantages sur les objets de la physique et sur les sciences , que sur les lettres et les beaux-arts, dont le goût les avait d’abord rassemblés. » Il était persuadé, dit d’A- » lembert, que la nature, si digne d'être observée # partout , trouvait aussi partout des yeux dignes » de la voir; qu’au contraire les ouvrages de goût » ne souffrant point de médiocrité, et la capitale » étant en ce genre le centre des lumières et des » secours , il était trop difficile de rassembler loin » d’elle un assez grand nombre d'écrivains distingués. » Il regardait les sociétés de bel esprit si étrangement » multipliées dans nos provinces, comme une espèce » ou plutôt comme une ombre de luxe littéraire , qui » nuit à l’opulence réelle , sans mêmeen offrir l'appa- » rence.» Vousav z pensé aussi que les recherches qui tendaient le plus directement à multiplier les produc- tions de la nature, à perfectionner les procédés de lindustrie , à éloigner les fléaux ou les vices qui affigent ou corrompent l'homme, devaient être le principal objet de vos méditarions ; et quoique vous vous seyez proposé de mêler l’agréable à l’utile dans ce commerce littéraire que vous avez établi entre vous, la plupart des mémoires dont j'ai à vous en- tretenir dans cette seconde partie de mon rapport, roulent sur des faits ou sur des théories qui ne se bornent pas au seul agrément, (171) Je me suis abstenu d'analyser le discours d’ou- verture prononcé dans votre première séance publi- que, et J'ai exposé pourquoi. Les mêmes raisons m'engagent à omettre quelques autres discours de circonstance , dans lesquels il n’a été traité aucun point de science ou de littérature. J'ai cru devoir en excepter un seul, prononcé par M. Fourcroy , conseiller d’état , alors en mission dans le départe- ment du Calvados, parce que je l'ai regardé comme une pièce ministérielle, qui devait être conservée , et même citée ici en entier. Discours prononcé par M. Fourcroy , dans (a séance extraordinaire du 12 Floréal an 9e » Chargé par le gouvernement de porter ici des # paroles de paix, des vœux pour l'oubli total » des malheurs et des fautes passées , pour l'union » sincère de tous les citoyens , des espérances de * tous les genres pour l'avenir, il m'est doux de » me trouver aujourd'hui dans une société d’hom- » mes qui professent les mêmes principes, qui les * soutiennent par leur conduite , qui les propagent » par leurs lumières. Amis des sciences , des lettres » et des arts, vous savez combien leur étude adou- » cit les mœurs, combien elle fait aimer la vertu, » quelle puissance elle exerce sur la prospérité des # nations. Quelques années de troubles et de dis- * cordes ont pu diminuer la clarté de leur flambeau : ” mais 1] était impossible qu’il s'éteignit en France. (172) Les sciences avaient des amans qui veillaient à leur conservation. Du sein même des ruines de tout genre , il ont su tirer les matériaux dont se composent les monumens littéraires qu'ils ont éle- vés ; en instituant des écoles déjà fameuses après quelques jours d'existence , des sociétés illustres dès leur naissance , des établissemens où tous les chefs-d'œuvres du génie ont été rassemblés, où toutes les conquêtes de nos braves armées sont marquées par les tributs des nations vaincues , les lésislateurs de France ont fait un appel à tous les talens, à tous les républicains qui savent que perfectionner la raison humaine, c’est contribuer à l’amélioration de la société et au bonheur des hommes. Cet appel a été entendu: partout se sont formées des associations libérales ,; où les sciences et les lettres sont cultivées avec cet élan que la liberté donne aux esprits, avec cet en- thousiasme que l'amour de la patrie allume dans les âmes. Une ville fameuse par ses anciennes institutions littéraires , par son Université, par les bonnes études dans les lettres et dans les sciences utiles , devait se distinguer de nouveau dans la carrière de la philosophie. Le Lycée * de Caen, rassemble tout ce qui peut honorer un pays en l’éclairant. A côté d’hommes profonds dans la ———_—_—_———————_— 9 L'Académie avait alors le nom de Zycée. (173) science des lois , habiles dans la défense des mal- heureux, siègent ici des physiciens qui observent sans relèche les phénomènes de la nature, et re- cherchent l’art d’en découvrir les secrets , qui étudient les productions du pays et les moyens d’en écarter les fléaux, qui veillent à la santé des hommes et des animaux. Ici je vois des sa- vans , qui s'occupent des antiquités de la ville et de ses environs, des monumens qu'ils recèlent, des époques de son histoire, des grands hommes qui l'ont illustrée. Là se cachent modestement, mais pas assez pour échapper à votre reconnais- sance , des citoyens qui allient le talent aimable du poëte au talent utile du chimiste et du natu- raliste. À côté d'eux se distinguent également par leur amour pour les hommes et par leur zèle à les servir, des administrateurs éclairés , qui sa- vent que c’est bien mériter de la chose publique que de favoriser les progrès des lumières , exemple que donne avec tant d'éclat le chef de votre administration , ami tout à la fois de Mars et des Muses. Je n'oublie pas et les fonctionnaires qui soignent si habilement les travaux publics, et les citoyens industrieux qui créent et natura- lisent des manufactures et des atteliers inconnus Jusqu'ici dans vos murs, et ceux qui se livrent avec ardeur à l'instruction de la jeunesse, et dont les veilles laborieuses préparent à la patrie des (174) citoyens instruits , pour tous les genres d’occu= pations auxquels leur goût doit les appeller lorsqu'ils prendront la robe virile. » Continuez, citoyens, à parcourir une carrière si intéressante ; cultivez avec la même ardeur cet arbre de science, qui doit porter des fruits si doux pour la république; donnez toujours à vos travaux cette direction d’utilité que réclame notre chère patrie. Si bien accueilli parmi vous, témoin de votre zèle et de ves efforts pour l’accroisse- ment des connaissances, je n’oublierai point ce que j'ai vu dans cette ville. Je dirai au gouver- nement ce que vous faites pour l'instruction de vos concitoyens, pour l'avancement des arts et des lettres ; je puis vous annoncer d’avance sa satisfaction et ses éloges ; il a donné des preuves de son amour pour les sciences ; et cet amour est inséparable de celui qu’il porte aux hommes qui les perfectionnent, comme il est dans ceux- ci la garantie de leur attachement au gouver- nement qui les applaudit et qui s’empresse de soutenir leur zèle. » J'ai mis en tête de la première partie un mémoire du général Dugua , sur le charbon des blés : je placerai également au commencement de celle - ci un autre mémoire du même membre sur l'instruc- tion religieuse en Egypte. Quoiqu'àa l’époque où vous l’entendites , les faits qu’il contient eussent (175) plus d’attrait pour la curiosité qu’ils ne peuvent en avoir aujourd'hui , ils ne sauraient cependant vous paraître dépourvus d'intérêt. Après avoir énoncé que le posélytisme qui distingue les sectateurs de Mahomet est le résultat d’un système d’éducation publique , et que l’Islamisme a ses docteurs et ses colléges , l’auteur s'arrête à la mosquée du Caire, qu’il regarde comme le principal de ces établisse- mens, et ilentre dans quelques détails, dont voici le précis. La mosquée d’El- Azar, fondée au Caïre , en l'an 358 de l’Egyre , par Goar Kaïr , général d'Emoës , et Obedi, roi de Barbarie, et considé- rablement agrandie par les souverains de l'Egypte, jusqu’à Æbderam Kiaga, contenait , à l’arrivée des Français, trois mille étudians tant des provinces de l'Egypte, que de différentes nations de l'Afrique et de l'Asie, dont chacune a son Keik particulier et un tfrrein qui lui est affecté. Les écoliers y trou- vent le gîte et la nourriture. ‘On apprend à lire et à écrire, et l'instruction roule au reste sur le Ko- an. Le Kaik, chef de cette université, et qui a sous lui quatre Keiks principaux , pour les quatre sectes suivies au Caire, jouit d’une très-grande au- torité. Il juge les différens des écoliers entre eux, et même avec les autres habitans | hors le cas de meurtre. Le général Dugua a cité un usage singu- ler dans lélection d’un nouveau Keïk. Lorsque le (176) sujet, désigné d’avance dans la mosquée , a été pro- clamé par la majorité des Keïks, et des profes- seurs réunis chez le chef des Schérifs, il est revêtu d’une pelisse : il en reçoit une seconde du Pacha, une troisième du commandant du Caire, et une de chacun des principaux Beys, chez lesquels il est successivement conduit. L’Aga de police de nuit et celui des subsistances doivent une visite au nouveau chef de la mosquée d’El-Azar , et ce chef a sur les Keïks de toutes les mosquées du Caire une autorité qui s'étend jus- qu'a la destitution. Il y a une bibliothèque considérable attachée à cette même mosquée ; mais les Keïiks les plus sa- vans connaissent à peine les titres des livres. Les Francs n’y pouvaient pénétrer avant l’arrivée des Français. C’est de cette école que sértent des apôtres zélés, âgés quelquefois de cinquante ans, pour aller propager la rehgion du prophète. Xe: qui M. De LARUE s’est particulièrement livré à la recherche des antiquités normandes, et s’est proposé de tirer de l'obscurité la plus profonde une multitude de faits intéressans , surtout pour ceux qui y trouvent Vancien état de leur pays, l’origine ou l'enfance de plusieurs de leurs arts, les mœurs de leurs ancêtres, le berceau de leur littérature, portée dans la suite à un si haut dégré de gloire , enfin la source de quelques usages singuliers, qui se sont maintenus à travers (177) travers tant d'innovations successives ; comme des caractères distinctifs. Pour assurer à un tel genre de travail une véritable utilité, ce n’est pas assez de cette activité laborieuse qu’exigent l'étude de tant . d'ouvrages volumineux ensevelis au fond des plus vastes dépôts, la lecture de tant d'éciits également difficiles à découvrir et à déchifirer ; de ce discer- nement prompt, qui Juge au premier coup - d’æil quels sont, cans cette foule de vieux monumens , ceux qui peuvent fournir des notions précieuses ; de cet esprit d’ordre, qui sait distribuer et classer les matériaux extraits de toutes ces mines, de manière à trouver aussitôt ceux dont on a besoin : il faut encore une critique éclairée et libre | qui sache distmguer le bon du mauvais, le vrai du faux, discuter des autorités respectées qui arrivent à nous avec-les suffrages de plusieurs siècles; un jugement pur , qui réduise les motifs de croyance à leur juste valeur, qui ne confonde pas l'adhésion for- melle due à la vérité seule, avec les ménagemens qu’exigent souvent les préjugés , et qui. jaloux de la seule gloire légitime , ose désavouer des tires mensongers , quelque honorables qu’is soient. C’est par toutes ces qualités, autant que par l'étencu: de son érudition, que notre coilégue a su répandre l’in- térêt le plus attachant sur les nombreux mémoires: qu'il a lus dans nos séances, et parmi lesquels j’es- saierai: d'analyser ceux que j'ai pu avoir entre les mains. M (178 ) Le premier a pour objet /a vie et Les ouvrages de Robert Wace, poëte français du XII. siècle. Les Bibliographes ne nous ont fourni jusqu'ici que des notions incomplètes et souvent fausses sur le poëte Wace, l’un des fondateurs du Parnasse français , dont les ouvrages sont un des plus anciens et des plus précieux monumens de notre littérature. M. de Larue a puisé dans la lecture même des manuscrits les plus antiques qui restent de cet écrivain, tant en France qu’en Angleterre, les témoignages les plus propres à détruire les erreurs répandues par quel- ques savans, soit sur l’époque de son existence , soit sur les écrits-qui doivent lui être attribués. Robert Wace, ainsi appelé par Huet, et par tous les littérateurs français et anglais, quoique Ducange lui donne le prénom de Mathieu, ne se nomme dans tous ses ouvrages que Maitre Wace; et 1l se qualifie toujours crc lisant, ou clerc de Caen, d’où l’'Evé- que d’Avranches a mal à propos conclu qu'il avait été clerc de la chapelle de Henri IL. Il était né à Jersey, au commencement du XIIe. siècle. Après avoir fait ses premières études à Caen, où il y avait dès ce temps des écoles célèbres , il voyagea pour perfectionner son instruction, et revint ensuite fixer son séjour dans cette ville, où Henri Ier., Roi d’An- gleterre et Duc de Normandie , tenait ordinairement sa cour, et donnait les fêtes les plus brillantes. II eut part aux bonnes grâces de ce Prince, et à celles (179 ) de Henri Il, qui, ponr récompenser son mérite ; lui donna un canonicat dans l’église de Bayeux. Er vantant les bienfaits du Roi, il assure que, s’il lui donna beaucoup , il lui avait promis bien davan- tage ; et il se plaint dans plus d’un endroit des Mécènes de son temps, qui se bornaient à des complimens stériles, et ne lui donnaient pas même de quoi payer un mois des gages de son secrétaire. Il composa beau- coup d'ouvrages ; il en traduisit d’autres, et il excella surtout dans le genre des poésies légères et dans celui des Romans, nom qui ne signifie pas ici de simples fictions, mais qui fut donné dans le XIIe. et même dans le XIVE. siècle à tout ce qui était écrit en langue romance ou française. M. de Larue met à la tête des écrits de notre poëte une traduction en vers français du fameux Zrus d'Angleterre. Ce poëme, ainsi appelé de Bras , rrière-petit-fils d’'Enée , et qu’on dit avoir été Roi de la Grande-Bretagne, avait été composé primi- tivement en bas-breton , puis tradwt en latin par Geffroi de Monmouth; et il ne fut découvert qu’en 1539, par Henri de Huntington, qui ne sut pas reconnaître la fausseté de cette fabuleuse histoire des Rois d’Amgleterre , qui s'étend presque depuis la. ruine de Troye jusqu’à l'an 689 de l’êre chrétienne. C'est de ce roman, embelli par son traducteur, que sont sortis ceux du Roi rer et de son prophète Merlin, de Lancelot du Lac, de Tristan de Léonois M 2 ( 180 ) dé Perceval le Gallois, etc; et c’est le premier livre qui contienne l’origine de la Table Ronde, de ses fêtes , de ses tournois, de ses chevaliers. On le li- sait publiquement à la cour des Rois Anglo-Normands, qui le jugeaient très-propre à porter l'enthousiasme dans l’âme de nos ancêtres , et les dames allaient en faire la lecture dans les infirmeries, pour calmer la douleur des chevaliers blessés dans les Tournois. Il en existe cinq manuscrits à la Bibliothèque na- tionale, dont trois sont du XIIIe. siècle, et deux du XVe. Le second ouvrage de Robert Wace, dont aucun bibliographe n’a parlé, est son histoire des premières frruptions des Normands en Anoleterre et dans les Provinces septentrionales de la France. Il est écrit en vers de huit syllabes , ainsi que le précédent. Le poëte y développe de vastes connaissances sur l’histoire des peuples et les révolutions des Empires. Le troisième est le Foman du Rou, ainsi appelé de Rollon ou Raoul, premier Duc de Normandie , qui en est le héros, et non du surnom de Roux donné à Guillaume IT. Cette histoire authentique d:s Ducs de Normandie, est écrite en vers de douze syllabes, et elle n’a aucune sorte de rapport avec le roman du Brut, dont quelques écrivains modernes ont prétendu qu’elle était une continuation. Le quatrième ouvrage de Robert Wace , qui, pour être le moins étendu de tous ceux qu’il com- (187) | posa, n’est pas le moins intéressant, est le Roman ; ou l’histoire du Duc Guillaume Longue-Épée, fils de Rollon. L'auteur, en rejettant le témdignage des jongleurs Normands, auxquels il avait entendu chan- ter dans son enfance plusieurs actions de ce Prince, nous explique l’origine de tant de récits fabuleux , qui ont altéré notre histoire civile, er de tant de contes dévots , qui se sont glissés dans notre Histoire ecclésiastique. Les Normands avaient apporté du Nord, et conservé depuis le IXe. jusqu'au XIIe. siècle , l’usage d’écrire en vers et de chanter les faits dont ils voulaient garder le souvenir : mais à cette époque , l’histoire ayant pris chez nous la marche simple de la prose , et la forme aisée des chroniques , les jongleurs, pour exciter plus d’in- térèt , eurent recours au merveilleux , et l’on vit paraître les Géans , les Dragons, les Fées, les Génies enchanteurs. Après le roman de Guillaume longue-épée, l’auteur du mémoire place celui du Duc Richard, son fils. Ce poëme , écrit aussi en grands vers, est plus étendu que les précédens, parce que la minorité de-ce Prince et la durée de son règne, aussi long que brillant ; avaient fourni un grand nombre d’évênemens à décrire. Cex pendant cet ouvrage ne peut être regardé comme absolument fini; et il paraît que le mécontentement fit quitter la plume à notre auteur pendant une dixaine d'années , et qu'il ne la reprit que pour rivaliser avec M 3 ( 182 ) un autre poête, nommé Bénofs de Sainte - Maure; que le Roi Henri IL avait engagé à mettre en vers toute l’histoire des Ducs de Normandie. Notre poëte, dans un ouvrage de près de douze mille vers, com- plète cette histoire, qu’il reprend à RichardIer, ,et qu’il continue jusqu’à la sixième année du règne de Henri ler. Ce poëme, écrit en vers de huit syllabes, n’a au jugement de M. de Larue, ni l’élévation d’idées , ni la gravité d’élocution qu'on admire souvent dans les précédens. Le septième ouvrage de Wace est une espèce de compendium ou chronique abrégée de l’histoire des Ducs de Normandie, composée en ascendant , et partant de Henri II pour remonter à Rollon. Ce poëme, écrit en vers alexandrins, est postérieur à l'année 1173, parce qu'il y est fait mention des troubles que le Roi de France excita cette même année dans la Normandie, en soulevant les enfans de Henri IL contre leur père. L’auteur y montre cet esprit de rivalité qui animaït les Normands contre les Français, et qui, fomenté par les Ducs, et entretenu par les chansons et les satyres des poëtes, subsista encore long-temps après la conquête de la Normandie par Philippe-Auguste. Le huitième ouvrage contient l’origine de la fête de la Conception de la Vierge , appelée par nos vieux écrivains fée aux Normands , plus ancienne dans la Normandie que dans tout le reste de la France, (183) et vraisemblablement établie par Guillaume le con- quérant, On la célébrait par des jeux poëtiques ; et tandis que dans les autres Provinces on avait les puys d'amour; où étaient couronnés les poëtes qui avaient le mieux chanté la beauté qui les enflammait ; les Normands avaient leur Puy de la Conception, où l’on décernait des prix aux meilleures pièces de vers en honneur de la Dame des Cieux. Plusieurs de ces éta- blissemens ont subsisté jusqu’à nos jours ; mais Robert Wace est sûrement le premier poëte qui ait écrit en français sur cette fête, Enfin, ce poëte a écrit une vie de Sainr-Nicolas, En vers de huit syllabes, dont le savant Æickes a publié plusieurs extraits dans son Thesaurus litteratur æ septentrionalis. I] composa encore plusieurs autres vies de Saints. On lui a attribué d’autres ouvrages, tels qu’une pièce de vérs sur l’origine de la maison d’Æar- court, qui n'a aucun caractère d’authenticité , le Roman du Chevalier au Lion, que M. de Larue assure être de Chrétien de Troyes ; le Roman d'Alexandre , composé dans le XIIe. siècle par un autre poëte Normand , nommé ÆA/exandre de Bernay. Mais il nous parle lui-même de poésies légères, qu'il appelle des ais et des serventois , et qui ne sont pas parve- nues jusqu’à nous. M. de Larue réfute l'opinion de Lancelot, qui prétend que Wace a tiré plusieurs des faits qu’il rapporte, de la tapisserie de la Reine Mathilde , long-temps M 4 (184) conservée dans le trésor de l'église Cathédrale de Bayeux, et maintenant déposée avec les autres objets de sciences et d’arts recueillis dans cette ville. Le silence que garde sur ce monument un auteur aussi attentif à citer toutes ses autorités, semble être une preuve qu’il ne le consulta jamais. La conquête de l'Angleterre, dont cette tapisserie représente les difié- rens évènemens , était si proche de Wace, que les témoins oculaires dont il était contemporain ; et son père lui-même, qui s’était trouvé à la fameuse bataille d'Hastings , avaient pu lui fournir les détails les plus circonstanciés et’les plus exacts. M. de Larue, loin de croire que la tapisserie expliquée par Lancelot ait servi à notre poëte, soupçonne qu’elle pourrait bien Jui être postérieure , et la question de savoir quand et par qui elle a été véritablement faite, lui paraît un point de critique difficile à résoudre et digne d’oc- cuper l’académie. Cette solution désirée par M. de Larue, c’est lui- ‘même qui vous l’a offerte depuis, dansun mémoire ayant pour titre : Recherches sur A tapisserie de Bayeux , faussement attribuée à la Reine Mathilde , femme de Guillaume Le conquérant. On connaissait depuis long-temps dans la répu- blique des lettres ce monument en broderie , qui représente la conquête de l'Angleterre par les Nor- mands, et que l’on conserve depuis plusieurs siècles dans la ville épiscopale de Bayeux, Il a été décrit (185) et gravé dans le second tome des monumens de la monarchie française par Mont-Faucon , dans deux mémoires de Lancelot, imprimés parmi ceux de l’a- cadémie des inscriptions, enfin dans les antiquités Anglo-Normandes de Ducarrel ; et ila reçu depuis peu une nouvelle publicité par l'exposition qui en a été faite à Paris. M. de Larue se propose, comme l'annonce le titre de son mémoire, de réfater l'opinion presque générale , adoptée par Mont-Faucon et Lancelot, qui attribue cet ouvrage à la Reine Mathilde. Ses premières preuves sont tirées de quelques pièces iné- dites, dont ses vastes recherches sur les antiquités Normandes lui ont procuré la connaissance ; tels qu'un état des effets précieux contenus dans le tré- sor de Guillaume le conquérant, et que ce prince fit dresser étant au lit de mort , en 1087; un échange de Guillaume Leroux avec l’abbaye de St.- Etienne, consommé par Henri Ier. , un testament inédit de la Reine Mathilde, qui ne font nulle men- tion de la tapisserie , et autorisent par là à croire qu'elle n'existait pas ‘alors. Un second argument est tiré du pillage de Bayeux en 1106, par les troupes de Henri Ier. Roi d’An- glerre, fait suffisamment établi, malgré le silence desnis- toriens Normands , par un poëme de 400 vers du cha- “moine Parisy , témoin oculaire , et par le récit de Robert Wace, L’incendie de l'église cathédrale de Bayeux, ainsi ( 186 ) que de beaucoup d’autres édifices, attesté par ces écrivains, eût inévitablement détruit la tapisserie en question, si elle eût existé. On ne saurait alléguer contre cette supposition, la conservation de quel-. ques monumens plus anciens , tels que la chasuble de Saint-Regnobert et le petit coffre qui la renferme, parce que ces objets du culte purent être épargnés par l'effet d’une terreur religieuse , qu’une toile ornée des exploits des Normands ne pouvait inspirer ni aux Anglais leurs ennemis, ni aux Manseaux et aux Angevins jaloux de leur gloire. Le silence absolu de Wace sur cette tapisserie , dans le long récit qu’il a fait de l’expédition de Guil- laume, ne peut nullement s’expliquer dans ia sup- position soutenue par Lancelot et Mont-Faucon , puisque nul n'était plus à portée que ce poëte, chanome de Bayeux, de connaître ce monument, ni plus intéressé à le citer. Il est facile d’ailleurs de connaître par quelques particularités de son histoire, qu'il ne l’a jamais connu. Par exemple, la broderie représente le vaisseau monté par le Duc Guillaume orné à son avant d’une tête de lion , et à son arrière d’un génie qui embouche une trompette de la main gauche; et en cela elle est d’accord avec un extrait d’un ancien manuscrit du Muséum de Londres, publié par Lord-Lythleton: selon Wace au contraire le génie était sur l’avant, armé d’un arc tendu sur l'Angleterre. Ce poëte a pareillement ns Sr ten MS RS PR ER (187) omis des tours de jonglerie de Taillefer, rapportés par Geffroy Guimar , et représentés dans la ta- pisserie. Mais c'est surtout d’un examen attentif de l’ou- vrage même que M. de Larue tire les plus fortes raisons de le rapporter à un temps postérieur à la Reine Mathilde. D'abord on trouve dans plusieurs inscriptions des expressions purement saxonnes , telles que le mot de Elgi-va, celui de Wadard, celui de Castra , et l’em- ploi du mot Franci pour désigner les Normands ; et ces expressions ne peuvent absolument être attribuées à une princesse attachée à la langue du pays que son époux gouvernait , et aux usages d’un peuple qui était bien loin de se confondre avec les Français. Une autre particularité peut-être encore plus con- vaincante est la représentation, dans la bordure infé- rieure du commencement de la tapisserie, de dix à douze fables qu’on trouve dans Esope et dans Phèdre. Les fables de Phèdre n’ont été découvertes et publiées qu’à la fin du XVIe. siècle par les frères Pithou ; et si notre collègue a prouvé dans une dissertation imprimée dans le quatorzième volume des mémoires de la société des antiquaires , que les ouvrages d’Esope n'étaient point absolument in- connus aux Normands avant la traduction du moine lanude , au XIVe. siècle, on peut du moins supposer que Henri Ier,, Duc de Normandie, qui en avait ( 188 ) traduit une collection deux siècles avant Planude , ne put faire ce travail que sur des exemplaires rapportés de l'Orient lors de la première croisade , et par conséquent dix-huit ou vingt ans après la mort de la Reine Mathilde. Ces différentes considérations ont conduit M. de Larue à adopter l'opinion de Hume, qui attribuait la tapisserie à Mathilde, fille du Roi Henri [é., et dernier rejeton de la première famille des Ducs de Normandie. Tous les faits s'expliquent sans peine dans cette supposition: l'emploi d'expressions Saxonnes, parce que l’ouvrage fut exécuté en Angleterre ; le silence de Wace sur cette tapisserie, parce qu'elle n’existait pas de son temps ; l’omission qu’il a faite, ainsi que les autres historiens, des jongléries qu’elle représente, parce que les ouvriers anglais n'auront connu que par tradition ces faits d'autant plus dif- files à oublier dans le pays, qu'ils avaient paru plus merveilleux. Le sentiment contraire de Lancelot et sit Mont- Faucon ne peut fournir une autorité décisive, puis- que la tradition sur laquelle seule il repose , ne porte ni sur la donation de Matkilde, ni sur l'époque précise où élle a dû être faite. Un inventaire des effets déposés dans le trésor de l’église de Bayeux, dressé en 1476 , preuve même que cette tradition est postérieure. En effet le procès-verbal ne parle de la tapisserie que comme d’une roile très-longue brodée (189 ) a images et escritaux , représentant la conquête de l'Angleterre, sans autre particularité ; tandis qu’en faisant mention d’un manteau garni de pierreries , ik ajoute : duquel comme on dir, le Duc Guillaume était vêtu le jour de ses noces ; et en parlant d’un autre : dont comme l'an dit, la Duchesse Marhilde était vêtue lorsqu'elle épousa le Duc Guillaume. I est prouvé de plus par la collection des statuts et usages de l’éplise de Bayeux, citée par l’auteur , que la coutume d’exposer publiquement la tapisserie pendant l’octave des reliques n'existait pas dans le XIE. siècle. Il est donc tout naturel d'admettre que le peuple de Bayeux, en voyant ce monument pour la première fois, aura facilement confondu la seconde Mathilde, qui lui était peu connue, avec la première, dont le souvenir lui était précieux, et qu'il aura attribué à la Reine épouse du Conqué- rant l’hommage de l'Impératrice sa petite fille. Après avoir fait connaître un des écrivains anciens dont le mérite doit le plus intéresser la ville de Caen, le poëte Wace, qui avait fait dans cette ville ses premières études , M. de Larue a donné des détails curieux sur deux autres trouvères Nor- mands du XIIe. siècle, dans sen mémoire sur la vie et les ouvrages de Philippe de Than ef de Si- mon Dufresne. Il annonce d’abord que le premier de ces poëtes était de l’ancienne famille de Than, propriétaire de la terre de ce nom, à trois lieues (190 ) de Caen, et éteinte dans le XVe. siècle. Ses ou- vrages sont un poème didactique sur la chronologie, et un autre swr l'histoire naturelle des animaux , des oiseaux et des pierres précieuses. Il composa le pre- mier vers l’an 111$, et le dédia à Humfroy de Than, son oncle, Chapelain de Hugues Le Bigot, sénéchal de Henri Ir., et depuis comte de Nor- folk; et le second vers l’an 112$, et il le dédia à Adélaïde de Louvain, femme de Henri Ier. Cet auteur est un des plus anciens poëtes français , dont les ouvrages soient parvenus jusqu’à nous, et Pespèce de ses vers en prouve l’antiquité. Sa versifica- tion ne consiste pas à faire rimer un vers avec le suivant, mais à faire rimer ensemble les deux hémis- tiches d’un vers de douze syllabes. AL busuin est trouved l'ami er epruved: Unches ne fud ami, qui al busuin failli, etc. c’est-à-dire : ax besoin l'ami est trouvé et éprouvé : Jamais il ne fut ami, celui qui manqua au besoïn. Ce mode de versification est pris des poëtes latins de cet âve : les Normands employèrent les vers léonins plus d’un siècle avant Léonius, Chanoine de Paris, auquel on en attribue l'invention. Les Satyres de Warnier , poète de Rouen, vers l’année 1030, les épitaphes du Duc Guillaume le conquérant et de la Reine Mathilde, son épouse, par Thomas, Chanoine de Bayeux , et ensuite Archévêque d'Yorck , le Flebile Carmen, qui nous reste sur la mort du même {191 ) Duc, la Satyre de Serlon Parisy contre Gilbere II, Abbé de Caen, son poëme sur l'incendie de la ville de Bayeux, en 1106, etc. , etc., sont tous en vers rimés aux deux hémistiches ; et c’est peut-être à ce maavais goût, plutôt qu'aux Arabes, que nous devons l'introduction de la rime dans la poësie française. Du Aoins il est certain que les trouvères Normands l’em- ployèrent dans les vers français , à limitation des poëtes latins du XIe, siècle, et par conséquent avant que nos littérateurs du moyen âge eussent pu, dans les croisades , prendre le goût et l’usage de la rime chez les Arabes. Simon Dufresne nous à laissé un ouvrage intitulé la Romance Dame fortunée : c’est un poëme philoso- phique sur les vicissitudes de la Fortune. Ce poëte était Normand, et il fut chanoine de Hereford dans le pays de Galles, à la fin du XIIe, siècle. Leland, dans ses Collectanea , YEvêque Tanner, dans son bibliotheca Britannico-Hibernica, et Leyser, dans son Aistoria poëtarum latinorum medii œvi, nous ont donné des détails sur les poësies de Simon Du- fresne ; mais aucun de ces biographes n’a parlé de son poëme sur la fortune. Cependant , l’auteur se nomme assez clairement dans son ouvrage , puisque les lettres _ initiales des vingt premiers vers donnent la phrase sur- vante: Simon Dufreisne me fisr. C'est le plus ancien poëte français qui ait employé l'acrostiche pour se faire connaître. Son ouvrage est (191) de seize mille vers, et il renferme des beautés vrai- ment poëtiques : on y trouve même des traits d’éru- dition, et entr'autres un passage dans lequel l’auteur parle positivement , et avec assez détendue, de la qua- trième partie du monde. M. de Larue a cité plusieurs trouvères du même âge, qui en parlent également ; et à ce sujet, il est entré dans une discussion intéressante sur la découverte de l'Amérique, par les peuples du: Nord, dans le Xe, siècle, sur les rapports politiques et commerciaux qu'ils entretinrent avec leurs com- patriotes établis dans notre ci-devant Province, et sur la connaissance qu'ils leur donnèrent de la quatrième partie de notre globe, Les ouvrages de Philippe de Than et de Simon Du- fresne ne sont point dans la bibliothèque nationale, à Paris ; on ne les trouve que parmi les manuscrits du Muséum de Londres : ceux de Philippe de Than sont aussi dans la bibliothèque du Vatican. Un autre mémoire de M. de Larue a pour objet l'origine de la Fable qui attribue la fondation de Caen a Caïius, Sénéchal du Roi Artur, et Chevalier de la Table: Ronde. 1 Rouxel , dit l’auteur, Halley , Lair et plusieurs autres poëtes latins de notre ville, l'historien Paul- Emile, de Bras dans ses amriquirés, Gosselin dans son Historia veterum Gallorum , ont défendu ou pro- pagé la fable de la fondation de Caen par Caius. Mais l'opinion de ces écrivains varie, lorsqu'il faut déterminer | (193) déterminer quel est ce fondateur. Les uns nomment Caius Julius César ; les autres Caïus , sénéchal du Roi Artur, et tous sont dans l’erreur. D'abord , ce ne peut être le premier Empereur , puisqu'aucun des géographes Grecs et Latins ne parle de Caen, et César, dans ses commentaires , gardant lui-même sur cette ville le silence le plus profond ; ; l'impose également à tous ses partisans. Ce ne peut être non plus Caïus, sénéchal du Roi Artur : l’histoire et la critique réprouvent une telle . Opinion ; tout ce qu’on en peut dire, c’est que la prétendue fondation de Caen par Caïus , est une vieille erreur , une très-ancienne fable. Pour en découvrir la source, M. de Larue laisse de côté les écrivains modernes, qui l’ont tous répétée sans discussion préalable : il passe aux auteurs du moyen âge. Guillaume le Breton, poëte de Philippe-Auguste , est le premier qu'il trouve avoir débité cette fable. Dans son poëme latin intitulé Philippidos, il raconte les victoires de ce Prince , et lorsqu'il arrive à la pris: de Caen, en 1204, il décrit agréable posi- tion de cette ville, sa grandeur, qu’il compate à celle de Paris, la beauté de ses édifices, la richesse de son commerce , et les avantages de son port ; enfin il termine sa description en assurant que notre ville avait été fondée par Caius, et qu’elle en avait reçu son nom, 2 N ( 194) Quam Caïus dapifer Arturi condidit olim Urnde domus Caii pulchrè appellatur ab illo. Mais est-ce le poëte qui imagine cette fondation , ou l’historien qui la rapporte, et dans ce dernier cas, quels sont ses garans ? M. de Larue ne croit point qu'il faille voir là une fiction du chantre de Philippe- Auguste, parce que le délire poétique a ses règles, et que si elles permettent quelqueïois de ne pas dire le vrai, elles prescrivent toujours de dire le vraisem- blable , suivant la maxime d’'Horace : Ficta voluptatis causë Sint proxima veris. Pénétrant donc plus avant dans les ténèbres du moyen âge , 1] prouve que Guillaume le Breton avait pris la fabuleuse fondation de Caen par Caïus, dans un manuscrit du fameux Roman du Brut d’Angle- terre. Cet ouvrage avait été composé en basse Bre- tagne, dans les premières années du XIIS. siècle. Robert de Caen, Baron de Creully, le fit traduire du bas Breton en Latin, par Geoffioy de Monmouth, vers l’année 1130 , et nous en avons deux éditions publiées par Badius Ascensius , la première en 1508, et la seconde en 1517. On y hr que le Roi Artur fit Caius Comte d’An- jou, et Pedver Duc de Neustrie ; que ce même Roi fut un jour en guerre contre l'Empereur Lucius; et après une ample description des préparatifs nuli- (195 ) taires, l’auteur raconte les horreurs du combat qui eut lieu en basse Bretagne, la défaite de l'Empereur, et la victoire d’Artur. Bedver fut tué sur le champ de bataille, et son corps rapporté par les Neustriens fut inhumé à Bayeux, ville bâtie par son Bisaïeul Bedver , premier du nom. Caïus blessé mortellement, fut transporté à Caen, ville qu’il avait fondée, con- tinue le Brut, et quelque temps après y étant mort de ses blessures, il fut enterré dans un couvent d'Hermites, bâti au milieu d’une forêt qui n’était pas éloignée de la ville. * Comime on ne trouve plus en France, ni en An- gleterre, le texte primitif du Roman du Brut, il est impossible de vérifier s’il renfermait tous les détails que nous venons de copier. On serait même tenté de croire que Geoffroy de Monmouth l'avait altéré, en y insé- rant la fabuleuse fondation de Caen par Caïus; mais M. de Larue, discutant les raisons qui peuvent le faire soupçonner , prouve qu'elles sont sans fonde- ment , et justifie Geoffroy de Monmouth à cet égard. La traduction du Brut ayant été faite par les soins du Baron de Creully, ce fut par les Normands que les Anglais connurent cet ouvrage, et comme il flat- tait infiniment leur orgueil national, il fit beaucoup- de bruit dans leur ile : on crut aveuglément au XIIe. siècle , dans la grande comme dans la petite Bretagne, toutes les fables que renferme le Brut. Pour le prouver, M. de Larue cite le témoignage d'Alfred de Béverley, N 2 ( 196) dans la préface de son analyse du Brut, com- posée vers l’année 1150. « On ne parlait alors, dit-il, » que de l’histoire du Brut, ou des rois Bretons, et » on regardait comme un homme sans éducation , » celui qui ne la connaissait pas. Les jeunes gens la » savaient par cœur, la racontaient agréablement ; » et me trouvant parmi eux, j'ai eu quelquefois À » rougir de mon ignorance. Cependant comme jai » beaucoup de respect pour l'antiquité, j'ai voulu » lire cet ouvrage, j'en aï fait une analyse, et je n’y » ai conservé que tout ce qui ma paru croyable , » tout ce qui s'accorde avec le témoignage des autres » historiens, » D'après ces expressions, on a droit d’attendre qu’un écrivain qui annonce avoir fait en critique l'analyse de cet ouvrage, n'y consignera pas la fabuleuse fonda tion de Caen par Cuïus, et on est très-surpris de voir qu'en l'y transcrivant, il la consacre par là même comme un fait authentique. Alors M. de Larue démontre par l’histoire et par es monumens que tout est controuvé dans les détails imprimés de Ge ffroy de Monmonth, et de son abré- viateur Alfred de Béverley. g Mais pour mieux connaître l’origine de la fabuleuse fondation de Caen par Caïus, l’auteur du mémoire a ux plus anciens manuscrits latins du l'an Roman du Brut,alen a compulse jusqu’à treize exèm- piaires dans ke Museum le Tondres. et il résuhte de o { 197) ses recherches que quatre de ces manuscrits ne ren ferment aucun des details que nous avons donnés ci-dessus. On les trouve au contraire dans les neuf autres exemplaires , mais avec des variantes qui prouveit que, suivant l’auteur du Brut, je sénéchal Caïus était mort à Chinon, et non pas à Caen; que G:offroy de Monmouth avait traduit CAïzon par Kaïrum ; que les copistes confondant l'? et l'z dans ce mot , ont lu et ont écrit Kawum ; que par ce mot défiguré , d’autres copistes ont entendu la ville de Caen, et y ont substitué celui de Cadomum, qu'enfin Alfred de Biverley , rédigeant son analyse, * Guillaume le Breton, comoosant son Phi/iidos, et Badius Ascensius, publiant ses deux éditions du Brut, ont eu sous les yeux des manuscrits altérés, et ont par là accrédité l'erreur. Pour prouver, au reste, que cette leçon vicieuse était véritablement l'ouvrage de l'impéritie des copis- tes, M. de Larue cite d'abord le témoignage de Robert Wace, qui mit le Roman du B:ut en vers français en l'année 115$. Ce poëte écrivant à Caen, n'eût pas manqué de faire mention de cette ville, si son ma- nuscrit en eût parlé; et loin de la nommer, lorsqu'il traduit le passage que nous avons rapporté, il dit au contraire que Caëus avait fondé Chinon , et que Enterrez fut en un hoscage, Lez Chinon en un hermitage. Enfin , si Guillaume le Breton composant som Pki- N 3 (198) Bippidos , se servait d’un manuscrit interpolé, il est démontré qu’il en eut ensuite un autre plus correct, puisqu’à l’année 1213 de sa chronique en prose , de Philippe-Auguste , il dit que le fils aîné de ce Prince assembla une armée à Chinon, ville , ajoute- t-il, fondée par Caïus, et qui en avait reçu son nom. On voit par là combien il est dangereux de com- mettre une erreur , avec quelle facilité elle se propage, et enfin comment, en traversant les siècles, elle usurpe souvent la place de la vérité, jusqu’à ce que la critique lui arrache le voile trompeur dont on l’avait cou- verte. Notre collègue ne s’est point borné à combattre victorieusement une erreur très-accréditée , et con- firmée chaque jour par de nouvelles allusions. Il a senti qu’une tradition même fausse sur une origine intéressante est un aliment cher à la curiosité, et que pour désabuser entièrement les esprits d’un récit mensonger , il faut le remplacer par un autre plus véridique. C’est pourquoi il a entrepris d’éclaircir la question dans un mémoire postérieur sur la fon- dation de la ville de Caen ; mais comme il a mani- festé l'intention de le faire imprimer, je ne puis en présenter ici l'extrait. Il n’en sera pas de même d’un autre memoire sur un Roman de Charlemagne , contenant le voyage de ce prince à Constantinople , et composé en vers français sans rime par un crouvère Normand du (199) XT°. siècle ; 'essaierai de vous donner une idée de ce travail sur un des plus anciens monumens de notre littérature. Avant d'entrer en matière , l’auteur s'arrête quel- qies mstans à la question long-temss débattue et toujours indécise sur les fondateurs du Parnasse fran- çais. En remarquant que Fontenelle a accordé aux Picards Ja primauté en fait de poësie, sans en fournir aucune preuve authentique ; que si l'ancienneté des troubadours est incontestable , il ne l’est pas moins que leur sangue ne fut jamais la langue française ; il convient également que les témoignages multipliés qui attestent que les Normands pénétrèrent très- anciennement dans le sanctuaire des Muses , ne prou- vent nullement qu'aucune autre province n'ait eu de poëtes avant eux, et que les prétentions que lé Grand Dauxiet l’évêque Delaravalière ont soutenues en leur faveur, ne sont fondées que sur de fortes probabilités. Le résultat de cette opinion aussi sage qu'impartiale , est que les Normands doivent se con tenter du droit bien établi, et déjà très-glorieux , d'entrer en lice dans une dispute de ce genre, sans prétendre la décider à leur avantage ; et c’est après avoir tiré cette conséquence, que M. de Larue en vient au sujet de son mémoire, Tous'les historiens , dit-il, qui ont écrit sur la fameuse bataille d'Hastmgs , qui soumit l'Angleterre au Duc de Noimandie en 1066, assurent que nos N 4 ( 200 ) pères ; avant le combat, chantèrent les exploits d: Charlemagne et de Roland , ét ce fait, d’ailleuis très-conforme au goût et aux usages ds princes et de la nation, paraît très-bien établi. Mais il n’est pas aussi facile de retrouver les restes de cette chan. son, que de prouver son existence. M. de Larue ne partage point la confiance de Tressan, qui en a traduit un prétendu couplet , recueilli chez les ha- bitans des Pyrénées ; et il ne croit point que les vainqueurs de Charlemagne à Roncevaux aient ou- blié leur propre gloire , pour chänter celle de leur ennemi. Il ne trouve pareïllement aucun caractère d’authenticité dans les fragmens traduits en style moderne, c’est-à-dire travestis, que le savant Paul- my a donnés pour des restes de cette chanson, trouvés dans nos vieux romanciers ; et il montre combien il aurait été plus important pour l’histoire de la langue et de la poésie française, de les con- server dans leur pureté native. Enfin il réfute l’opi- nion des Bénédictins, qui ont avancé dans leur histoire littéraire de la France, que la chanson des Normands était notre vieil roman de Charlemagne. Ils n’ont pu entendre par là que le roman du voyage de ce prince à Jérusalem, ou celui de son voyage en Espagne, qu'on attribue au faux Turpin, ou enfin celui du siège de Narbonne et de Carcas- sonne, composé par Philoména : or, M. de Larue fait voir, soit par une postériorité bien constante, ( 201 ) soit par des raisonnemens critiques non moins sûrs ; qu'aucun de ces trois romans n’est la chanson dont il s’agit. Sans affirmer qu’il ait été plus heureux que les écrivains qui en ont fait l’objet de leurs recher- ches, il regarde néanmoins comme très - probable que ce monument n’est autre que le voyage de Charlemagne à Constantinople, en vers français non rimés, qu'il a découvert parmi les manuscrits du roi d'Angleterre. Pour établir son opinion, 1l avance que ce roman est du XIe. siècle, et le plus an- cien poëme français qui soit parvenu jusqu'à nous. Au défaut d'indices sur la date, ou sur le nom et la vie littéraire de l’auteur, il tire ses preuves de l'examen raisonné de cet ouvrage, sous le rapport des règles de la langue et de l'orthographe, après avoir affirmé dans une digression intéressante que l'usage des vers non rimés, qui doit remonter à la naissance de l’art, ne nous vient pas des Arabes par les Espagnols et les Provençaux , comme le cé- lèbre Huet l'a pensé, et que c’est une imitation de la poésie employée par les Latins dans la décadence de leur langue , et connue même des Romains dans des temps antérieurs. C’est en comparant le voyage à Constantinople avec les lois de Guillaume le conquérant , imprimées soit en France , soit en Angleterre, et ensuite avec le livre de psaumes traduit en français sous le même prince, et conservé au Muséum de Londres, que ( 202 ) M. de Larüe montre que ce roman a véritablement l'antiquité qu’il lui attribue. Pour rendre plus sensible la conformité de l'idiome par ripport à certaines règles dont on trouve encore des restes dans Philippe de Than, poëte du commencement du XIIe siècle, très peu dans les sermons français de Saint-Bernard , et presque plus dans les ouvrages de Robert Wace et des autres Trouvères Normands, il rapporte le Parer en français du XIS. sècle, et tel qu'on le trouve à la suite du psautier de Guillaume le con- quérant , et il cite ensuite quelques vers du poëme en question. Pour mettre le lecteur à portée d’ap- précier la conséquence que l’auteur tire de ce paral- lèle, je copierai ces deux citations. » Li nostre pere qui iès ès ciels, saintefez seit » li tuens nums avienget li tuns regnes , seit faite # la tue voluntet sicum en ciel et en la terre, et » notre pain cotidian dun a nus oi, et pardune » a nus les noz detes, eïssi cum nus pardununs a » nos deturs, ne nus mener en temtatiun, mais » delivre nus de mal. Amen! » Voici maintenant quelques vers du poëte: Venus sunt a Paris a la bonne citet Et vunt a Sr.-Denis, al mustier sunt entrez Karleun se culcoet a oreisuns LL Ber Quand il a Deu prie, si s’en estrelever. Etc. Un second fait essentiel à l'opinion de M. de (203) Larue, c’est que le voyage à Constantinople n’est point le même que le voyage à Jérusalem , que l'abbé le Beuf fait remonter au XIe. siècle, et qu'il cite comme écrit en prose latine. Ce fait résulte manifestement des nombreuses différences que pré- sentent les deux ouvrages , soit quant à l'objet et au motif, soit quant aux circonstances de détail. Enfin il reste que le roman découvert par M. de Larue contienne véritablement le poëme chanté à la bataille d'Hastings ; et si la preuve n’est pas com- plète quant à ce dernier point, on ne saurait nier qu'il ne résulte de grandes probabilités des consi- dérations et des développemens dont il est appuyé. Le mémoire est terminé par une réflexion judi- cieuse sur les secours qu’on peut tirer de la connais- sance de ces anciens ouvrages pour l’histoire de la littérature, et surtout de la langue française. C’est aux poëtes, dit l’auteur, qu’on doit dans tous les pays le commencement, les progrès et la perfection des langues. C’est à la ville de Caen, en particulier, que la France doit, et les premiers trouvères qui écri- virent dans la nôtre, et les Marots qui à la renais- sance des lettres lui firent prendre un nouvel essor , et enfin ce Malherbe, qui vire, et qui la perfectionna. M. de Larue a encore traité des questions parti- culièrement intéressantes pour la ville de Caen, dans trois mémoires intitulés | le premier, Aé- more historique sur le palinod de Caen ; le second : (204) Recherches historiques sur l'étude de la botanique à Caen , avant et depuis la fondation de l'Université, jusqu'à l’établissement du jardin des planr:s ; le troisième , Mémoire sur la valeur et le prix des li- vres dans la Basse - Normandie, depuis Le XI. jusqu'au XV®. siècle, et sur les anciennes biblio- thèques de 1 ville de Caen. Les siècles de la chevalerie, dit l’auteur dans le premier de ces mémoires, furent ceux de la galan- terie: à peine la première commença à briller parmi nous , qu'on vit se former dans presque toutes Îles provinces de la France, ces institutions connues sous le nom de Puys d'amour, et de cours d'amour , où nos anciens preux allaient célébrer la beauté , chanter le sentiment qu’elle inspire, et recevoir la couronne des mains de leurs dames. Les Normands avaient aussi des institutions dans le même genre, qui eurent des suites plus avanta- geuses pour la poësie française. D'abord ce fut dans leurs festins, dans des réu- nions de famille où l’on appelait ses amis et ses voisins, qu’en fêtant le dieu du vin, ils chantèrent Pamour , et que bientôt ennuyés de traiter exclu- sivement un sujet épuisé depuis long - temps, ils méêlèrent aux poësies érotiques des contes ou des fables ; que les convives étaient obligés de réciter à table, comme le prouve, entre autres, le témoi- gnage de Jean le Chatelain, qui composa son fa- { 105 ) blau du sacristain de l’abbaye de Cluny, pour conserver cet usage. Mais les hommages rendus aux Mises prirent une forme plus régulière dans les palinods institués à Caen , à Dieppe , à Rouen, où préludèrent les Alam Chartier, les Marot, les Malherbe, les Corneille , les Sarrasin , les Huct, les Ségrais , les Fontenelle, les Malfillitre , et tant d'autres poëtes qui ont illustré la Normandie par leurs poësies françaises, grecques et latines. Ces ins- titutions , en ouvrant une vaste carrière au gente , firent éclore de grands talens, et se soutinrent avec gloire jusqu’à nos jours ; tandis qu’on vit déserter dès le XVe. siècle les cours d'amour , où la néces- sité de se restreindre à des poësies érotiques forçait les auteurs à des redites fastidieuses. | Le nom grec de palinod, qui signifie le chant répété, fut donné à ces exercices littéraires, parce que dans la plupart des pièces palidoniques, comme le chant royal, la Ballade et le Rondeau, le der- nier vers de la premmère stance devait être répété à la fin de toutes les autrès. On l’appelait encore le Puy de la Conception, parce que les poëtes y lisaient leurs pièces sur un théâtre, ou lieu élevé, nommé en latin Podium , et que la cérémonie avait lieu le 8 Décembre, jour de là Conception de la Vierge, en l'honneur de la- quelle toutes les pièces devaient être composées, ce qui n'empéchait pas d'y faire entrer toute sorte de sujets, ( 206 ) M. de Larue explique le choix qu’on fit de ce jour pour les jeux poétiques, et rappelle l’établis- sement de la fête de la Conception, due à la piété du Duc Guillaume, et particulièrement appelée la fête aux Normands, même du temps de M. de Bras. Un vénérable abbé du monastère de Ramsay en An- g'eterre , envoyé par ce princeen Dannemark, pour y prévenir la guerre qui le menaçait, lui rapporta à son retour que la Vierge lui avait miraculeusement apparu au milieu d’une violente tempête , et lui avait commandé d'établir la fête de la Conception le 8 Décembre de chaque année, en lui prescrivant même le rite qu’on devait y garder ; et le monar- que, pour acquitter le vœu de son ambassadeur , institua cette fête dans ses états. Ce fait contredit l'assertion des Bénédictins, qui ont affirmé dans le vol. XI du Gallia Christiara , que la fête de la Con- ception avait été établie par Louis de Canosse,évêquie de Bayeux, en 1516; et leur erreur est prouvée par le témoignage de Robert Wace, poëte de Caen, qui, dans un poëme du milieu du XITe. siècle, qu'on peut regarder comme la plus ancienne pièce palidonique , raconte en détail l'évènement miracu- leux dont on vient de parler, l'institution religieuse qui en fut la suite, et la pompe avec laquelle on la solemnisait de son temps. On voit qu’à la fin du XVe. siècle , l'Université de Caen célébrait cette fête avec beaucoup d’appareil, et qu’on y prononçait ( 207 ) dès ce temps une harangue latine; mais ce ne fut qu'en 1527, le 23 Octobre, que Jean Lemercier , seigneur de Saint- Germain , et avocat célèbre à Caen, proposa à l'Université l'établissement du pa- hiod, et en fut nommé prince la première année : fonction qui consistait à présider l'assemblée publique où se lisaient les pièces présentées au concours, à les recevoir de la main des auteurs, à désigner les juges qui devaient PORC sur leur mérite , et à distribuer pendant trois jours les prix aux Yaingeeuss, Cette première institution subsista ] Jusqu ’en 1530» conformément aux statuts pahdoniq. les rédigés pat l'Université, Après une interruption de sept ans, elle fut relevée par Etienne Duval , Seigneur de Mon- drainville, et on en régla le cérémomial et les formes dans l'acte de fondation, qui pourvut aux frais des prix et autres dépenses , jusqu'à ce que la ligue ayant bouleversé la France, et le prix des denrées ayant prodigieusement augmenté, relativement à la valeur nommale de l'argent, la rente fondée devint insuffisante, et le palnod se trouva supprimé de fait en 1614. Un principal du Collége du Bois, Jacques le Maître, chanoine d’Avranches, en procura le rétablissement par la donation d'une rente de 100 1. qu'il ajoûta à celle d’Etienne Duval, le 11 No- vembre 1624, et les assemblées palinodiques ne furent plus interrompues jusqu’à l’époque de la ré- volution, ( 208 ) M. de Larue attribue au palinod la supériorité littéraire de la ville de Caen, établie par la liste nombreuse de ses écrivains célèbres, et par quelques faits particuliers qu’il cite. Tel est le concours ouvert pour la composition de deux inscriptions qui man- quaient depuis plus d’un siècle, aux statues érigées à Orléans en 1458 à Jeanne d’Arc et à Charles VIT. Tandis que Paris et tout le reste de la France ne fournit que six concurrens, il s’en trouva huit dans la seule ville de Caen, et ils publièrent en- semble jusqu’à vingt - huit pièces tant latines que françaises. Ce fut aux poëtes de Caen que la Duchess: de Montpensier déféra le jugement définitif et sans appel du fameux débat sur les deux sonnets de Job et d'Uranie, qui divisèrent la Cour et la ville vers la moitié du XVII, siècle, ét sur le mérite desquels l'académie française ne put se décider à pronon- cer. Enfin telle fut la fécondité des poëtes de Caen, que sans parler des palinods imprimés , l'évêque d'Avranches avait formé une collection de poésies fugitives toutes composées et imprimées à Caen , qui comprend 6 vol. in-f°. 20 in-49. et 25 in-80., et qui est encore aujourd’hui à la bibliothèque na- tionale. La lecture de ce mémoire, en confirmant l’aca- démie dans l'opinion qu'elle a toujours eue de lutile influence ( 209 ) influence du palinod sur la littérature; lui a fait désirer plus vivement de voir revivre cette institu= tion, que ses vœux ont vainement appelée jusqu'ici. -- On voit dans le mémoire sur la botanique, que cette science, et en général l’histoire naturelle, fut entièrement ignorée dans le moyen âge. La méde- cine se bornait alors à la connaissance de quelques simples. Il eût même été dangereux de tenter de nouvelles découvertes, qui n’eussent pas manqué d’être imputées à la magie; et tout progrès dans les sciences était arrêté par cette stupide ignorance dont on voit encore des restes dans nos campagnes, où la connaissance des plantes fait regarder les ber- gers comme sorciers. Il fallut des siècles pour enrichir nos jardins de cette multitude de plantes utiles ou agréables qui offrent aujourd'hui une si prodigieuse variété. Toutes celles qui se cultivaient dans les jardins de Charle- magne montalent à soixante-treize espèces, Outre un très-perit sombre d'arbres fruitiers. Les lys, les roses, les pavots, le romarin, l’aurone, le pouillot et l’hé- lotrope ( hélianthus annuus ) , étaient les seules plantes d'agrément, et la plupart devaient être fort rares, puisqu'on voit que dans les XIIe. XIIIe. XIVe. et XVE. siècles, un chapeau de roses était souvent le prix total ou partiel des fieffes de mai- sons, ou de jardins, et qu’une pareille couronne au mois de Juin avait la valeur d'environ six bois- O ( 210 ) seaux de blé dans le XIII. siècle, et de trois dans le XVe. De nouvelles espèces furent apportées de l'Egypte et de la Syrie par les croisés, et cultivées par les moines. La découverte de l’Amérique en procura d’autres. Il en vint de la Suisse , de la Turquie et de la Chine. Quant aux légumes , nos ancêtres paraissent n’avoir connu que les pois. Ce- pendant l'oignon était cultivé comme de nos jours sur le bord de la mer, et faisait dès le XIIe. siècle une branche de commerce considérable. Presque toutes les communes de notre arrondissement cul- tivaient le voide, quelques-unes la Garance. Les fruits de dessert étaient fort rares, puisque dans le XIIe. siècle, un terrain rue Saint-Jean était fieffé pour dix poires de Rieul, et deux maisons rue St. Pierre, pour une rente d’une livre de pommes. C'est à l'Université de Caen, fondée par Henri VI roi d'Angleterre, qu'est due la première étude de la botanique dans nos contrées. La faculté de mé- decine , la dernière des cinq qui furent successivement établies depuis 1432 jusqu’à 1438, faisait tous les ans des herborisations dans les campagnes et les bois, et sur les rivages de la mer, et il ne paraît pas qu'il y eût d’autre division générale des plantes que ces trois espèces de terrein , dont une seule était visitée chaque année. Les courses de la première année pour les plantes des plaines et des prairies se faisaient dans la prairie de Louvigny , jusqu’à la (211) met, dans les marais de Troarn, la vallée de la Dive et les campagnes environnantes ; celles de la second: pour les plantes des bois, dans les bois de Troarn , la forêt de Cinglais, d’autres bois appelés silva sasulensis, silvula saumonea et silva lomea , dont là situation est aujourd’hui inconnue ; et celles de la troisième pour les plantes marines, sur les rivages de la mer, entre l'Orne et la Seule et entre l'Orne et la Dive. Tous les pharmaciens et tous les chirurgiens de la ville étaient tenus de suivre tous les ans le cours de botanique avec les élèves de la faculté, et tous les professeurs, présidés par le doyen, étaient obligés d'y assister et d'instruire les écoliers. Les monastères et les maisons des seigneurs fournissaient à tous les logemens et la nourriture. Il ÿ avait au retour un souper académique aux frais de ceux qui avaient commencé dans l’année l'étude de la botanique. On appelait cette dépense joyeux avènement, /zczndus adventus. On dut à ces travaux annuels quelques ouvrages précieux : Guillaume Gueroult, alors simple écolier de médecine à Caen, y publia en 1509 une édi- tion d'Æmilius Macer de viribus herbarum , avec un commentaire et les figures des plantes gravées en bois. L'ouvrage fut imprimé deux fois à Paris, et traduit en français par Luc du Tremblay en 1588. Le même Gueroult, retiré depuis à Lyon , où il O 2 cs (20) fut suivi par le fameux Jacques Daleschamps et par le savant Robert Constantin, y publia une traduc- tion française de l’Aistoria plantarum de Léonard Fusch, et d’autres ouvrages sur l’histoire naturelle des animaux et des oiseaux. Lecer Duchesne, autre écolier de l'Université de Caen, fit en 1539 un abrésé de l’ouvrage de Ruelle, sur ies plantes , et en 1543 des mémoires sur les passages les plus difficiles de l’histoire naturelle de Pline ; et Jean Brohon , du diocèse de Coutances , Bachelier de la faculté de médecine, et recteur de l’Université en 1542, fit imprimer une espèce de dictionnaire des plantes, intitulé de stirpibus et plantis ordine alpha- bethico digestis erc. , auquel il ajouta dans la suite une nomenclature des oiseaux et des poissons alors connus en France. Les troubles de la ligue, qui désolèrent nos villes et nos campagnes, interrompirent pendant plus de vingt ans les visites des plantes, qui ne furent re- prises qu’en 158$ par les soins de Jacques Caha- gnes , traducteur du traité de vino pomaceo , célèbre professeur , dont Îa réputation attira aux écoles de médecine de Caen , des étrangers de presque toutes Jes nations de PEurope , et jusqu’à des docteurs reçus à Oxford, à Paris, à Montpellier , et dans les autres Universités de France. Ces temps désastreux ne furent cependant pas entièrement perdus pour la botanique ; et l’isole… (213) ment auquel ils forcèrent les citoyens , inspira du goût pour la culture des jardins , et fonda cette célébrité dont Caen jouit cès la fin du XVIE, siècle pour la culture des fleurs et des arbres fruitiers. M. de Larue termine ses recherches à cette épo- que, où l’on commença à former à Caen un jardin de botanique, et réserve à M. de Roussel la partie postérieure de l’histoire de cette science. -- Les richesses littéraires n'étaient pas plus abon- dantes autrefois dans notre pays, que les richesses botaniques , comme M. de Larue le prouve dans le mémoire qui traite de cet objet. Il remarque d’abord que c’est aux moines qu’on est redevable du plus grand nombre des livres qu’on possédait an- ciennement, et que c’est dans les abbayes qu'ils se transcrivaient pour l'ordinaire. Leur valeur était alors considérable, et la donation de quelques volumes était une libéralité très-remarquable. On les donnait même pour sûreté d’un prêt ou pour prix d’une fondation. M. de Larue en cite plusieurs exemples, aussi bien que du prix payé pour l'acquisition de certains livres. Ainsi l’abbaye de Saint-Etienne de Caen paya sept liv. les ouvrages de Pierre Lombart, en 1431, et cette mème année On aurait eu pour cette somme soixante-dix boisseaux de blé. En 1457, l'Université de Caen donna sept volumes, tous ou- vrages de droit, à Jacques le Liépvre, envoyé à Rome en députation, en gage de la somme de O 3 (214) cent liv. qui lui fut assurée pour son voyage, etc. Cette cherté des livres était souvent augmentée par la beauté de l'exécution, et notre pays fut alors très-renommé pour ses artistes dans ce genre. On voit que les heures que le roi Charles VI donna en 1412, à la Duchesse de Bourgogne, coûtèrent six cents écus ; et le beau manuscrit, appelé Ze rmissel dn duc de Bedford, parce qu'il appartenait à ce prince, et attribué aux artistes Normands , passe pour un. chef-d'œuvre dans l’art d'écrire et dans celui d’enluminer les livres. Après un grand nombre de faits de ce genre, l’auteur passe aux détails historiques sur les anciennes bibliothèques de Caen. La première est celle de l’ab- baye de Saint-Etienne. Saïnt-Lanfranc , premier abbé de ce monastère, y établit dans le XI. siècle une école, d’où sortirent plusieurs prélats fameux dans Véglise de Normandie et dans celle d'Angleterre. Cette bibliothèque, formée à grands frais, et sans doute très- précieuse pour l’histoire de Caen, fut pillée par les protestans en 1562. On trouve aussi une bibliothèque de léglise du sépulchre citée dans des inventaires du XIVE. siècle, et qui fut pareille- ment détruite en 1562. La troisième fut celle de PUniversité, dont le premier établissement date de 1457. Avant cette époque , deux libraires étaient tenus d’avoir et d'exposer tous les livres nécessaires pour l'étude dans les diverses facultés, et même de Car$) les confier divisés par quarts ou par sixaïns ; à l'és tudiant qui voulait les copier, moyennant une ré- tribution fixée par l'Université, Il y avait aussi deux parcheminiers en titre , chargés de fournir du par- chemin au prix fixé chaque année par le recteur ; et cette fixation annuelle, soit du parchemin, soit du papier , subsista jusque dans le XVII. siècle. En 1460 , on volä trois volumes dans la bibliothèque de l’Université , malgré la précaution usitée alors d’attacher les livres avec des chaînes de fer. Un nouveau vol fut commis en 1480. Il y eut à l’oc= casion de ces vols des monitoires fulminés, une bulie d’excommunication affichée dans toutes les rues, Néanmoins cette collection de livres ne cessa de s'accroître par de nombreuses libéralités, et M. de Larue cite plusieurs des donateurs, Cette ancienne bibliothèque subsista jusque vers 1701, que M. Foucault , intendant de Caen, obtint ce qu’elle contenait de curieux, et qui ne consis- tait qu’en éditions du XVE. siècle, et de la première moitié du XVIS,, et en manuscrits qui appelaient peu les lecteurs. Elle fut remplacée en 1736 par une nouvelle , pour laquelle M. le Cardinal de Fleury donna des fonds, et qui fut enrichie par M. de Colleville, de la précieuse bibliothèque du fameux Rochart, son grand père, et successivement augmentée par beaucoup d'amateurs, Parmi les autres bibliothèques de Caen, qui ap- 0 4 ({ 26 ) partenaient à des maisons religieuses, M. de Larue ne distingue que celle des Cordeliers, dont il fait remonter la première formation au XVE. siècle, et qui devint très-précieuse par les soins de François- Martin, docteur de Sorbonne , provincial de son ordre , et gardien du couvent de Caen. La plus grande partie de cette bibliothèque a été dissipée à la révolution. Mémoire sur Balleroi. -= On a été jusqu'ici dans l’in- certitude sur la véritable position d’une maison de plaisance des Ducs de Normandie seuvent mentionnée dans l’histoire. C’est le sujet d’un autre travail de M. de Larue , intitulé , Mémoire sur une maison de plaisance des Ducs de Normandie , appelée Bur, Bu- rum ec Burgus dans Les historiens du moyen âge, située dans l'arrondissement de Bayeux , ec appelée au- Jourd'hui Balleroy. L'auteur établit d’abord par un grand nombre de citations, tant des historiens, que des diplomes des Ducs de Normandie, 1°. Que ces princes, et après eux les rois de France, eurent dans l’arron- dissement de Bayeux, en un lieu nommé tantôt Burum juxta Bajocum , ou Burum in Bajocensi Pago., tantôt Burgum juxta Bajocas , et plus sou- vent Bur, un palais qu'ils habitaient souvent , dans lequel ils donnaient des fêtes magnifiques, et où il se trouvait des salles assez grandes pour contenir une table de cent-dix couverts ; et que ce palais avait C #57) un gouverneur particulier ; 20. que Bur était placé auprès d’une grande forêt , à laquelle il donnait son nom, et sur laquelle nos rois accordaïent des droits d'usage ; 3°. que les revenus de cette terre fai- saient partie du domaine du roi, et qu'ils entraient quelquefois dans la masse des fonds assignés pour le douaire des reines de France ; 4°. que nos princes avaient à Bur des chapelains à gage , payés sur leurs domaines ; 5°. enfin que les terres situées au- tour des buissons du Verney et du Tronguay, et les clos placés entre le Tronquay et la grande forêt, faisaient partie du territoire de Bur, et par consé- quent que le Tronquay et le Vernay n'étaient pas encore érigés en paroisse. Il prétend ensuite que ce territoire. de Bur, constamment appelé Rur Le roy dans tous les actes publics, depuis le XIVe. siècie jusqu’au XVIIe., est le bourg que nous appelons aujourd’hui Bal/eroy. I réfute amplement , par beau- coup d'exemples analogues, l’objection qu’on pourrait tirer du changement survenu au nom de Bur, qui toutefois depuis le roi Jean , qui le premier y ajouta les mots Le roy , conserva cette dénomination pure de Bur le roy, dans les actes du gouvernement et des cours souveraines , malgré ses nombreuses al- térations, d’abord dans la prononciation du peuple, et par suite dans les chartes et les contrats, où l’on trouve les mots de Balerreium et Balerium, Balerré et Bakré, Balarré et Balaré. Cet emploi de la ( 218 ) Ÿ syllabe ré pour le mot roy, est commun dans le vieux langage, et il se trouve notamment dans Æ moulin au Ré, qui se disait et s’écrivait pour 4 moulin au Roy. M. de Larue ne peut assigner l'époque du démem- brement des paroisses du Vernay et du Trenquay , dont le territoire était en grande partie compris dans le bourg de Bur; mais il est postérieur à lan 1445, où ces deux paroisses ne se trouvent point dans le récensement du diocèse de Bayeux, dans le ZÆvre pelu, qui est encore aux mains de M. Gervais-De- laprise , membre de notre Académie. Le Duc de Normandie avait à Bur deux chapelles; et la forêt de Bur, qu’on divisait anciennement en quatorze buissons | était alors si étendue , qu’on la trouve appelée la grande forêt , et qu’elle eut pendant plu- sieurs siècles une verderie, ou maîtrise des eaux et forêts , dont le grand-maïître se qualifiait de lieute- nant général du grand-maître des eaux et forêts de Normandie , et avait sous lui un lieutenant général, un procureur du roi, un grefñer, un clerc du greffe et un archer, tous aux gages du prince. Chaque buisson paraît avoir formé une ou plusieurs sergen- teries, et en 1536, Robert Hamon, seigneur de Campigny et Maréchal héréditaire de la ville et cité de Bayeux, était encore lieutenant général de François de Rouville, maître en la verderie de Bur-le-roy. La translation du siége de cette maitrise à Bayeux, (219) et le changement de la dénomination de foré de Bur-le-roy , en celle de forér de Cérisy, sont beau- coup postérieurs. Quant à la question que présente l'entière destruction de cette vaste et ancienne maison de plaisance, qui décorait Balleroy , question qu’on peut faire également sur celles de Bonneville, d'Hébertot et de Semilly , dont il paraît ne rester aucune trace, ét sur les autres châteaux de nos Ducs dans la basse province , l’auteur présente quelques con- jectures , que semble autoriser l’histoire. Il juge que le château de Balleroy fut détruit par les An- glais vers la moitié du XIVe, siècle, soit en 1346, où Edouard III, descendu à la Hogue, vint cou- cher à l’abbaye de Céwisy, après avoir ravagé tout le Cotentin, et où, disent les historiens Anglais , chevalchèrent Les gens de l'armée dans les villes champétres , ardant et détruiant cing à six licues environ ; et ardèrent en plusieurs lieux ; soit lors de leur seconde descente en 1356, où ils s’'emparèrent de deux châteaux forts à Lingèvre et à Saint-Vaast, et pillérent tout le pays circonvoisin. Ce qui paraît confirmer la ruine du château de Balleroy , dans le XIVe. siècle, c’est que dans le XVe. les Anglais possédèrent la Normandie pendant trente-trois ans, sans qu'on trouve rien sur ce château dans tous les actes de leur gouvernement , quoiqu'il y soit souvent mention de l’administration de la forêt de Bur-le-roy, de la nomination des officiers de sa ( 220 ) vérderie, et des aveux rendus par ses sergens. Sur Ls Templiers. —Le mémoire dont je vais rendre compte maintenant offre un intérêt d’un autre genre. Il ne s’agit plus de retrouver l’emplacement d’un château détruit , mais d'obtenir quelques lumières sur un fait historique très-important , et enveloppé d’une obscuri- té difficile à pénétrer. Je veux parler de la fameuse con- damnation de l’ordre religieux-militaire des Templiers , sous le règne de Philippe le Bel. Les historiens ne sauraient établir une opinion uniforme sur ce grand procès, parce que chacun d’eux est suspect d’en parler ou d’après son intérêt, on d’après son pré- jugé , et que l'autorité ayant des moyens de donner à un attentat atroce, l'apparence d’un jugement équitable , en dénaturant les faits et en effaçant les traces de l’iniquité, on ne voit pas trop ce qui pour- rait convaincre les esprits portés à supposer cet abus, qu'il n’a réellement pas existé. Aussi peut- on regarder la question comme encore indécise , et quelque parti qu'on adopte , avouer qu'on n'est point parvenu à une entière certitude. Mais ce doute même ne peut manger de provoquer toujours de nouvelles recherches , telles que celles dont M. de Larue a offert les résultats dans son 7émoire histo- rique, sur des Templiers du grand baïllage de Caen. Le succès tout récent de la tragédie des Templiers de M. Raynouard semblait assurer à cette discussion une attention plus curieuse ; car, malgré la liberté (221) qu'on ne peut refuser à un auteur dramatique de choisir entre deux sentimens dont chacun à son parti, pour faire d’un ancien évènement le sujet d’une pièce de théâtre, il est vrai néanmoins que l'impression sera d’autant plus forte, que le spectar teur ou le lecteur sera plus persuadé que ce qu'il voit ou ce qu'il lit est conforme à la vérité. M. de Larue qui, comme l’annonce le titre de son mémoire, n’env'sage pas l'affaire des Templiers dans sa généralité, débute par quelques réflexions sur le défaut de critique et la partialité des écrivains qui ont discuté cette affaire, et sur les règles qu'on doit suivre dans une pareille discussion, pour ne pas obscurcir de plus en plus les faits, au lieu de les éclaircir. Il annonce ensuite l’exposé de la pro- cédure exercée à Caen , contre les Templiers du grand baillage de cette ville, formant cinq comman- deries occupées par treize religieux : la première , celle de Bretteville - l’Arabel ; la seconde, celle de Voismer, dans la paroisse de Fontaine-le-Pin ; la troisième, celle de Courval, dans la commune de Vassy ; la quatrième , celle de Louvagny , près Argentan ; la cinquième enfin , celle de Baugy, dans la paroisse de Planquery, la seule dont on connaisse les fondateurs par une copie collationnée de la charte de fondation, où l'on voit qu’elle fut établie par plusieurs seigneurs Normands, et où l’on trouve les Templiers qualifiés de chevaliers du Chrise. C'est (22) | aussi sous une semblable dénomination qu'ils sont désignés dans plusieurs donations du Duc Jean- sans-terre : pauperibus militibus Christ Deo servien- tibus in 1emplo Salomonis. Comme aucun acte ni aucune pièce du procès, ne fait mention d'une commanderie de Caen, on doit supposer que l'éta- blissement que leur attribue M. Huet, dans l'em- placement de la rue de Bernière, n’était qu'une maison particulière , où ils descendaient lorsque leurs affaires les appelaient à Caen, et non une com- manderie, Ce fut le 13 Octobre de l’année 1307, que les Templiers des cinq commanderies du grand baillage de Caen furent arrêtés, ainsi que ceux de tout le reste de la France ; cette mesure illégale et extra- ordinaire ne fut pas le premier coup d'autorité exercé contre cet ordre > comme paraissent le supposer ceux qui l’imputent à la crainte de quelque sédition causée par le crédit et la puissance des Templiers ; puisque sept jours auparavant, Jean de Vertot, Bailly de Caen, avait fait inventaire du mobilier de la com- manderie de Baugy, et en avait laissé la garde à | cinq sergens du roi qui l'avaient accompagné: pré- | lude manifeste d’un systême de violence plus étendu, qui au reste ne donna lieu à aucun trouble, ni à aucune tentative pour en exciter. L'inventaire des. meubles des quatre autres commanderies fut dressé | en présence des chevaliers , lors de leur arrestation; | (223) _et le sommaire qu’en a préseuté M. de Larue, ne justifie ni les accusations de luxe effréné, de faste somptueux, tant de fois dirigées contre les Templiers, ni le proverbe qui semble déposer encore de leur intempérance. Des caves pourvues d’une médiocre quantité de cidre et de vin d’Argence et d'Anjou, des bestiaux assez nombreux, et au reste le mobi- lier d’hommes qui sont un peu au-dessus du besoin, voilà ce qu’offrent ces inventaires. Philippe le Bel ne respecta pas plus les lois dans l'instruction du procès des Templiers, que dans leur arrestation. Il les cita devant l’Inquisition , tribunal toujours proscrit par nos Cours souveraines , et toujours odieux aux Français; et par une autre genre d'abus, non moins révoltant, le président de ce tribunal, en France , frèrz Guillaume de Paris, dominicain , se qualifiant chapelain du Pape et confesseur du Roi, se fit remplacer à Caen par une commission de quatre dominicains de cette ville , auxquels Philippe le Bel adjoigmt comme ses dé- putés, deux chevaliers de ce pays. : Les Templiers arrêtés furent amenés le 28 Oc- tobre devant cette commission, dans la salle du petit Châtel de Caen, lieu qui désigne la forteresse du gros horloge , existante encore il y a cinquante ans sur le pont Saint-Pierre ; et on y. laissa entrer neuf à dix personnes des plus marquantes de la ville. D'abord on donna lecture aux accusés des patentes (224) du prince et de celles de l’Inquisiteur , qui consti- tuaient la commission. On posa ensuite les chefs d'accusation, dont voici la substance. 1°. Tous les profès, en entrant dans l’ordre des Templiers, sont tenus de renier Jesus - Christ et de cracher sur la Croix. 29, Le profès est déshabillé et embrassé d’une manière sale et dégoûtante par celui qui le reçoit, et on lui permet d’agir de même avec les autres chevaliers, parce que les statuts de l’ordre autori- sent de pareilles indécences entre les membres qui le composent. 3°. À chaque réception, on ceint le profès d’une corde qui a touché à une idole que le grand-maitie et les chefs des Templiers adorent dans les chapitres provinciaux. 4°. Les prêtres de Vordre ne consacrent point en disant la messe. Tous les accusés, après avoir prêté serment de dire vérité , interrogés, non par un des domimicains, mais par un des chevaliers , déclarent les quatre chefs d’accusation faux et calomnieux ; et de tout ce qui se passa dans ce premier interrogatoire, qui dura deux jours, le procès-verbal ne rapporte que cette dénégation formelle et unanime, dans laquelle tous les accusés persistèrent encore dans un second interrogatoire, qui suivit presque immédiatement le premier, et après un ‘nouveau serment, sans qu'on sache ce qu’ils alléguèrent pour leur justification. Les Inquisiteurs, peu satisfaits , prirent enfin le parti d'interroger chacun séparément. Le procès- verbal (225) verbal contient les représentations, les instances , les menaces et les promesses de pardon , qui furent employées pour obtenir un aveu, auquel tous s’é- taient refusés ; et l’on y voit que Gautier de Bullex, interrogé le premier, non plus par les députés du Roi, mais par les Inquisiteurs, avoue, en pleurant et en sollicitant son pardon à genoux, les deux premiers chefs d’accusation, et persiste à nier les deux autres, et qu'il obtient une pleine remise des peines canoniques de la part des Dominicains , et de la peine temporelle de la part des Chevaliers ; que les onze suivans firent séparément les mêmes aveux et les mêmes dénégations , et que Guipasnaye , Templier de Louvagny , persista seul à nier tous les chefs, même après avoir été appliqué à la ques- tion, désignée par le mot Géhenne , sans autre détail, et qu’il n’avoua que le second jour les deux faits dont les douze autres étaient convenus. M. de Larue remarque que ces détails sont con- signés dans deux procès-verbaux dressés le même jour et le lendemain de linterrogatoire |, l’un en français et muni des sceaux des quatre moines et des deux Chevaliers, l’autre en latin , rédigé par Henri le Gay , notaire public à Caen, et muni de son sceau et de ceux des deux Chevaliers et de deux des Dominicains ; que rien dans la rédaction de ces actes , différens pour la forme, quoique concordant pour le fond, n'indique qu'ils aient été concertés, B ( 226 ) et que celui qni fut dresse par l’Inquisiteur fait seul mention de la torture employée contre Guipas- naye , aimsi que de la plupart des moyens qui furent mis en usage. Il tire de ces circonstances plusieurs inductions favorables à la sincérité de ces pièces , et prend occasion des méprises auxquelles on serait exposé si l’on n’avait que le procès-verbal du notaire, pour faire quelques réflexions sur la réserve avec laquelle on doit prononcer sur les faits de l’antiquité. En convenant que la progédure di- rigée par Philippe le Bel est illégale, injuste et même atroce , il rejette la conséquence qu’on en veut tirer en faveur de l'innocence des Templiers. L'âge des accusés, reçus depuis treize, vingt, vingt-quatre, vingt-six et même quarante-trois ans, et le peu de probabilité, que de tels hommes eussent déshonoré leur ordre par l’aveu de délits si honteux qui n’au- raient été que supposés ; l'accord des déclarations détaillées de ceux qui furent interrogés à Caen, avec celles des chefs qu’ils avaient inculpés, et qui fai- saient les mêmes aveux à Paris, dans le même temps ; la dénégation des premiers sur Particle de l'idole , justifiée par la réponse de Hugues Perrault, Visiteur général de l’ordre , qui déclara que cette idole était à Montpellier ; l’aveu de ce même Visi- teur, réitéré devant une commission de trois Cardi- naux , et ensuite devant le Pape lui-même ; l'assurance qu'il donne et que d’autres témoignages confirment, (os } qu'il avait gémi sur les crimes de l’ordre, et juré sur la croix d'en tenter la réforme ; enfin plusieurs autres particularités fournissent à l’auteur du mémoire de forts raisonnemens à l'appui des accusations. Il les termine par l’exposé de la procédure exercée au nom de Clément V, auquel il suppose lintention de sauver les Templiers, en l’accusant néanmoins d’une politique tortueuse, qui ne pouvait que céder à celle de Philippe. La commission du Pape, com- posée d’évêques de France , cita à Paris pour le 12 Novembre 1309, tous ceux qui voudraient ac- cuser ou défendre les Templiers ; et le Roi donna des ordres pour fire transférer ceux des provinces qui le désireraient , et fournir à leurs frais de route avec les revenus de l’ordre. Guipasnaye et neuf ‘autres de Caen demandèrent leur translation à Paris, et le désir de voir mettre fin à leur captivité, que le Pape prolongeait depuis plus de deux ans, soit pour leur propre sûreté, soit à cause de la nouvelle enquête , par laquelle 1l voulait réparer en quelque sorte les abus de la première ; l'espoir d'être plus favorablement traités par le Père commun des fidèles ; enfin l'avantage de persister dans leur défense contre l’idolâtrie imputée à tout leur ordre, et contre l'accusation dirigée contre leurs prêtres, expliquent assez une démarche dont des esprits superficiels pourraient conclure leur innocence et la fausseté de leur première déclaration, Au reste, cette enquête P 2 (208 ) ne fut point terminée, et après un an et demi d’in- formations, les commissaires fatigués des témoignages infamans de plus de deux cents nouveaux accusateurs, renvoyèrent l'affaire au Concile général convoqué à Vienne, qui n'ayant pas informé , refusa de juger ; en sorte que le Pape, pour la paix, et pour éviter des discussions plus amples et toujours scandaleuses, ‘prononça par forme de provision l'extinction de l’ordre des Templiers. Sa bulle fut lue en plein concile, et y reçut l’assentiment de l’église universelle, La conclusion de M. de Larue, est que ces religieux , illégalement jugés , sont moralement con- vaincus. Aussi remarque-t-il que tous les historiens de leur temps les accusent non seulement des délits qui ont été rapportés, mais encore d’autres crimes non moins énormes, que les états généraux con- voqués à Tours donnèrent unanimement adjonction à Philippe le Bel, pour faire prononcer leur des- truction, et que nous avons encore en original les procès - verbaux d’élection des députés du grand baillage de Caen, et ceux des Evêques et Abbayes de la province, qui tous demandent la suppression de cet ordre, qu’ils qualifient d’infâme. — Il me reste à vous entretenir de trois mémoires historiques du même membre, l’un sur l'origine de l'usage du vin et du cidre à Caen et dans les en- virons de cette ville ; le second, sur Le siége de Caen, par Ls Anglus en 1417, et le troisième, (229) sur l'invasion des Saxons dans le diocèse de Bayeux — Dans le premier de ces mémoires, qui porte le titre de Recherches historiques , l'auteur, après avoir fait remarquer l’objet propre de son travail, qui nest point un traité sur le vin et sur le cidre, comme quelques autres ouvrages, avec lesquels on pourrait le confondre, mais une histoire de la vigne et du pommier dans notre pays, parle d’abord, en suivant la division de son titre, de l’usage du vin. Les monumens historiques recueillis par M. de Larue ne remontent pas au delà du XIE. siècle, quoi- qu'il soit certain que la culture de la vigne, aban- donnée à la fin du Ier. siècle de l’ère vulgaire par suite des ordres de l’Empereur Domitien, a été reprise dès la fin du IIIe. ; parce que l’histoire fournit à peine pour cet intervalle quelques témoignages vagues relatifs à nos contrées. Mais on voit qu'en 1026 le Duc Richard III, épousant Adèle de France, lui gagea douaire sur plusieurs de ses domaines dans la Basse Normandie, et entre autres sur la ville de Caen, sur ses vignes, ses prairies, etc. : et outre le Duc de Normandie, plusieurs particuliers possé- daient des vignobles dans nos environs, ainsi que l'atteste un grand nombre de chartes citées par l’auteur. Il y avait de ces vignobles à Fontenay , à Allemagne, sur les côteaux de Mondeville, à Hé- rouville, aux côteaux du Moulin-au-roy , et à ceux qu’on longe pour aller aux hameaux de Couvrechef P3 (230) ét de la Folie, à Calli, à Venoix, à Carpiquet , qui en était tout couvert, et dont l’abbesse de Caen possédait une partie, avec la dime du reste, et un droit sur ses vassaux, pour le charriage de ses vins , appelé vinagium dans les actes de cette époque. Il y avait aussi des vignobles à Beuville, à Ranville, à Bavent, sur les côteaux de Troarn, de Janville, de Saint-Pair et de Sannerville ; dans la ceigneurie du Ham, à Dives, à Livet près Li- sieux, à Canon, à Ecots, à Mézidon, à Bray-la- campagne ; enfin à Cesny et Oisy , appelés encore aujourd'hui Cesny aux vignes et Oisy aux vignes, et surtout à Argences , où il en subsiste encore, à Moul, à Bellengreville , à Aïran , à Soulengy près Falaise et à Mondrainville. Il est à remarquer que , dans le XV. siècle, le vin d’Argences était réputé de très-bonne qualité, et se vendait plus cher que le vin français ; que la commune de Moul, jadis toute plantée en vignobles, ainsi que celle d’Argences, produisait aussi des vins très-renommés, et qu’on distingait par le nom des quartiers où ils crois- saient ; et que ceux d’Airan avaient encore plus de réputation , surtout pour certains cantons. Quoi qu'il en soit, nos anciens vignobles étant insuffisans pour la consommation de notre pays, les supposât - on doubles, ét même triples de ce qu'on en connaît par les titres subsistans, la bierre était toujours la boisson ordinaire dans nos contrées, fl 25230 comme elle l'avait été pour les Celtes , nos ancêtres ; et c'est ce qui résulte encore des citations faites par M. de Larue. Quant au cidre ( Sicera ) nom par lequel les Hébreux entendaient toute liqueur enivrante autre que le vin, M. de Larue admet, suivant l’opinion de Huet, que son usage nous est venu de l'Espagne, qui l'avait pris de l’Afrique, où il était très-ancien. Pour en fixer l'origine dans nos contrées, il rapporte plusieurs faits, et les appuie de raisonnemens qui paraissent établir que le cidre fut connu parmi nous dès le commencement du XIe. siècle » et conséquem- ment avant les croisades ; que les premiers pommiers qui le fournirent n'étaient point greffés ; que cet arbre ne fut cultivé d’abord que par les soins des grands seigneurs de la province, mais que dès le XII. siècle, cette culture avait déjà fait des pro- grès considérables, surtout dans le pays d’Auge : ce qui n'empêche pas que l'usage de la bierre ne se soit soutenu concurremment avec celui du cidre jusque dans le XVE, siècle, époque où les pressoirs encore presqu'inconnus dans les campagnes , ne se trouvaient guères que dans les villes, où il fallait aller vendre les pommes, C’est aux habitans du pays d’Auge que l’auteur du mémoire croit devoir attri- buer les premières plantations du pommier , qui dut aussi être cultivé de bonne heure dans le Cotentin et dans le Bessin, Pour ce qui est des premières es- P 4 (232) pèces connues , les anciens actes parlent de la pomme Richard et de la pomme de Jacob d'Angkerre , qu'on ne trouve point dans les nomenclatures mo- dernes, de celle de Menuer et de celle d’'Ozane. Ilen est plusieurs qui portent le nom des communes ou des particuliers qui les ont d’abord cultivées. — En commençant son mémoire historique du siége de Caen, par les Anglais en 1417, M. de Larue s'étonne du silence presque absolu de nos historiens sur cet évènement, qui appartenait à l’histoire, de quelque œil qu'il fût envisagé, mais qui d’ailleurs offre un glorieux témoignage de la bravoure de nos ancêtres , puisqu'ils ne cédèrent qu’à la dernière extrémité, et qu'ils se battaient encore, même lors- que la ville était déjà prise, Le récit de M. de Larue, aussi rapide que bien circonstancié, paraît peu susceptible d’un extrait. On y remarque plusieurs traits de prudence du vainqueur Henri V, roi d’An- gleterre, qui travailla efficacement à réaliser le titre de Roi de France , que s’arrogeaient ses prédéces- seurs depuis Edouard III. Débarqué à Touques , le 1er, Août , malgré l’opposition de cinq cents hommes, qui formaient la garnison du château de Bonneville, 1l s’assura de quelques autres châteaux, et de la ville de Lisieux, d’où la frayeur avait chassé tous les habitans, excepté un vieillard et une femme infirme. Il eut la sage précaution d’envoyer en hâte le Duc de Clarence, son frère, avec une (233) partie de son armée, pour prévenir ou arrêter fa démolition de Saint-Etienne et l'incendie des fau- bourgs, dont on s’occupait déjà, comme il l'avait prévu. Ce fut le 18 Août que la ville fut cernée du côté dun midi par la partie de l’armée que com- mandait le roi, et qui avait ses tentes dans la grande prairie; et du côté du Nord, par l’autre division, aux ordres du Duc de Clarence. On ne peut voir sans un intérêt touchant les habitans de Caen, aban- donnés de leur souverain et livrés à eux-mêmes , compter assez sur leur propre courage, pour refuser toute capitulation, et braver les horreurs d’un assaut général, courir en foule sur les remparts, précipiter les assaillans dans les fossés , et les repousser avec tous les instrumens de défense que fournit l'indus- trieuse nécessité. Mais ils succombèrent dans un second assaut, parce qu'ayant trop dégarni le côté du Nord, pour courir au côté opposé, où était le plus fort de l'attaque , ils facilitèrent l'entrée du Duc de Clarence, qui les poursuivant au travers de la ville, jusqu’à l’autre extrémité où combattait le roi, les mit ainsi au milieu des ennemis. Tout fat livré au pillage ; les églises -seules furent res- pectées par ordre du vainqueur. Le château, étroi- tement bloqué, ne se rendit néanmoins qu'à des conditions avantageuses, et le gouverneur obtint de ne le remettre qu'après dix jours, en cas qu'il ne fût point secouru par le roide France ou le Dauphin , ou (2134) le Connétable d’Armagnac. Le Sire de Monteney et sa garnison, avec environ mille personnes qui s'é- taient réfugiées dans le château, chtinrent des sauf- conduits pour se retirer où bon leur semblerait. Un seul article, et qui fut éludé par un grand nombre ,: peut paraître dur au premier coup-d’œil : c’est celui qui déclarait qu’ils ne pourraient tous ensemble em- porter plus de 2000 ecus en monnaie ou autres objets d’or ou d’argent , somme équivalente à 700001. de notre monnaie actuelle. Mais c'était un acte de justice , malgré les inconvéniens partiels qu’entrainait l'impossibilité de connaître avec certitude ce qui appartenait à chacun. Les richesses des églises et des monastères de la ville et des environs avaient été déposées dans cet asile, et il fallait les soustraire à lPavidité des soldats et des réfugiés, pour les resti- tuer à leurs légitimes possesseurs |, comme le fit Henry V. Au reste l’état de Caen changea consi- dérablement. Les maisons et les hôtels d’une multi- tude d’habitans , qui aimèrent mieux abandonner leurs foyers que de reconnaitre le nouveau souverain, passèrent à des Anglais , et il resta peu de Français, si ce n’est dans les faubourps. Toutefois la domination Anglaise , qui dura trente-trois ans , et qui avait commencé par de si grands maux, fit aussi, suivant l'observation de M. de Bras, citée par M. de Larue, de grands biens à la ville, surtout par la fondation de l’Université. (is) — Le ménioire sur l'invasion des Saxons et leurs colonies dans Le diocèse de Bayeux , et particulière- ment sur l'Otlingua Saxoniïa ec ses rapports avec Le Pays appelé aujourd'hui le Cinglais, a pour but de retrouver dans quelques monumens épars les traces des diverses incursions des Saxons dans nos contrées puisqu'on ne peut les chercher dans les histoires suivies. M. de Larue regarde ces peuples comme les premiers des barbares qui descendirent sur nos côtes , et c’est à eux qu'il attribue la destruction de l’ancienne ville des Lexoviens appelée Noviomagus, de la cité des Viducassiens , aujourd’hui Vieux , et de beaucoup d’autres établissemens. Il fixe leurs pre- mière invasion à l’année 286 de l'ère vulgaire , et il prouve par un grand nombre de faits que les provinces de la Gaule dans lesquelles ils portèrent leurs ravages, avaient joui jusque-là , sous la domi- nation Romaine | d’un état heureux et florissant. Cependanr leurs expéditions paraissent n'avoir été que partielles et passagères pendant assez long-temps, et même sous le règne de Constantin, qui sut sans doute, à en juger par le silence des historiens, garantir nos frontières de leurs excès. L'auteur con- jecture même que le camp de Bernière , dont la position indique assez le dessein de résister à des forces maritimes, pourrait bien avoir été établi par cet empereur , plutôt que par Jules César, qui n'avait rien de pareil à redouter. ( 296) Mais sous les successeurs de Constantin, et sur- tout à l'époque de 356, la puissance des Saxons devint si formidable, que les Romains renoncèrent à réprimer leurs violences, et donnèrent eux-mêmes à notre littoral le nom de rivage Saxon, lius Sa- xonicam. Une sorte de tranquillité et de bonheur fut la suite de cette condescendance , jusqu’à l'an 410, où les incursions des Alains et des Vandales, livrèrent le pays à de nouvelles luttes et à de nouvelles dévastations. Le patrice Aëtius finit même par l’abandonner au premier de ces peuples, qui exerça violemment le droit qui lui fut donné de partager les terres avec les habitans. Il ne put man- quer de s'établir alors sur notre territoire plusieurs colonies d’Alains; et des auteurs cités par M. de Larue en reconnaissent dans tous les endroits appelés de leur nom Æ/amania , telles que les deux paroisses de Notre-Dame et de Saint - Martin d'Allemagne , dont le nom est constamment Æ/amania dans nos vielles chartes, et notamment dans celles de Guil- laume le conquérant , les plus anciennes de toutes. Ces peuples durent aussi donner de nouveaux noms à quelques autres endroits de notre pays. Cette réflexion conduit l’auteur du mémoire à une discussion sur un port de nos côtes appelé Gran- nona dans la notice de l’Empire , et qui ne se trouve plus sous cette dénomination. Il réfute lo- pinion de Danville et de quelques autres géographes, = (237) qui placent ce lieu à Port en Bessin; et il pense avec l'abbé Belley et le comte de Caylus, qu'il était situé à l'embouchure de la Seule, non entre Grais et Courseulles, comme ils le disent, mais à Bernières, où il est bien établi que cette embou- chure exista jusqu’en 1610 , qu’elle fut comblée par une violente tempête, et qu’une nouvelle se forma où elle est aujourd’hui. M. de Larue s’étend davantage sur une autre discussion du même genre, mais après avoir montré comment les Saxons se répandirent de nouveau dans notre pays, surtout depuis l’occupation de l’Angle- terre, d’où leur trop grande multitude les força de réfluer sur nos côtes; comment ils formèrent des colonies sur notre territoire, où l’on peut sans craindre de se tromper, leur attribuer toutes les communes dont les noms sont pris dans leur langue , comme Oistreham, Bernières , Grais, Ver, Rye, Granton, Ros, Bray, et toutes celles dont les noms sont terminés en os, comme Malrot, Hotor, Plumerot, Hérivor, Ernerot, etc. Cette autre question qu'il traite avec beaucoup de détail, et qui occupe une grande partie de son mémoire , a pour objet l’Or- lingua Saxonia, ainsi mentionnée dans un capitu- laire de €harles le Chauve de l'an 843 : Concedimus guasdam res sitas in comiratu Bajocasinse in pagello qui dicitur Orlingua Saxonia id est villam nomine Hidram. L'auteur fixe la position de ce canton (238) dans la partie du diocèse de Bayeux située entre l'Orne et la Dive , et retrouve Æeidram dans Airan : et en cela il est d'accord avec le savant Huet et une partie des académiciens de notre ville, qui $’oc- cupèrent de cette recherche à la fin du XVIIS. siécle ; ue il appuie son opinion de preuves qui manquent à la leur. Il explique même comment ce nom d'Oxlingua Saxonia a pu être appliqué à une petite portion d’un pays tout occupé par les Saxons, surtout quand il ne se trouve pas avant de IXe. siècle. Charlemagne , après trente ans de persécutions et de guerres contre les Saxons d'Allemagne, pour les convertir au christianisme, prit le parti extrême d’en arracher le tiers à leur sol natal, et de trans- porter ces étrangers avec leurs femmes et leurs enfans , sur différens points de la France et de l'Allemagne. C’est à une portion de ces nouveaux colons établie dans un canton du Bessin qu'il attri- bue ce changement de nom ; et il termine par descendre, au moyen d’altérations successives , dont il appuie la probabilité par des exemples et des citations directes, de l’ancienne dénomination d’Or- lingua au nom moderne de Cinglais. — M. de Larue a aussi lu une notice sur les mo- numens érigés à la mémoire de Guillaume le con- quérant et de la Reine Mathilde, son épouse , dans les ci-devant abbayes de Saint-Etienne et de Sainte- Trinité de Caen. Cette notice avait pour but de (239) répondre à quelques questions qui lui avaient été faites par des savans, et de réformer certaines er- reurs qui avaient été énoncées sur ce sujet. — Il a encore fait connaître uné lettre de Louis XIV à l’évêque de Bayeux, en date du 16 No- vembre 1693, à la suite de laquelle se trouve un mandement de ce prélat relatif à la distribution des aumônes , avec la manière de faire le potage pour les pauvres, et le compte de ce qu’il en coûte pour cent rations. Cette dernière pièce lui avait paru particulièrement remarquable, en ce qu’elle montre que la préparation des soupes économiques , dont l'invention est attribuée au Comte de Rumfort , n'est pas une idée entièrement nouvelle, ni étran- gère à la France; encore bien qu'il soit constant que les deux procédés diffèrent sous plusieurs rap- ports essentiels, tels que la nature et le mélange des matières premières , le mode et le dégré de cuisson , et surtout l’économie du combustible due à la forme des fourneaux nouvellement inventés. — Je me contenterai de vous citer un ouvrage imprimé du même membre, ayant pour titre , Recherches historiques sur la prairie de Caen, qui vous a seulement été présenté, et qui n'avait été composé que pour fournir des moyens de décision dans une contestation judiciaire élevée entre les habitans de Caen et les acquéreurs de la prairie. — Enfin, M. de Larue a communiqué à l'académie (240) une lettre très - étendue adressée à M. Beugnot , conseiller d’état , en réponse à cette question: - Pourquoi les Litres ont-elles. été plutôt et plus gè- néralement culrivées en Normandie que dans les autres provinces de la France ? Notre collègue assigne deux causes à ce fait bien établi: la protection des sou- verains et le goût des habitans. Il réfute d’abord l'opinion généralement admise, et pourtant fondée sur les seuls témoignages d’une nation ennemie, qui ne voit dans les guerriers que Rollon amena dans notre pays, que des hordes barbares, étrangères à toute culture. L’excédent de population qui peut nécessiter des émigrations si considérables , lui semble suffisant pour attester un peuple civilisé ; et il ajoûte à cette forte conjecture une multitude de faits qui prouvent complètement l'existence d’une littérature chez les Normands, dès avant‘leurs incursions dans les Gaules. Nul doute, par exemple, qu’ils n’eus- sent dans leurs scalds des poëtes chargés de célébrer dans toutes les expéditions les succès ou les revers, et d’exalter une imagination et un courage que leur système religieux, était déjà si propre à exciter. Rollon amena avec lui de ces scalds, qui conti- nuèrent d'exercer leur art, et qui le transmirent même chez nous: et c’est là, selon M. de Larue, Ja source de ce goût littéraire dont il suit la propa- gation et le perfectionnement dans notre province. Quant aux objections tirées des excès atroces que l’histoire (241) l’histoire reproche aux Normands, il répond que la conduite faible et impolitique de nos rois provoqua leurs violences, qu'une fermeté prudente et une condescendance raisonnable auraient sans doute pré- venues; et que d’ailleurs, ces abus de la force fussent-ils aussi énormes et aussi inexcusables qu’on le croit, ils ne seraient pas plus une preuve d’igno- rance et de barbarie, que les atrocités beaucoup plus odieuses des Européens dans le Nouveau Monde. Quant à la protection que les souverains de la Nor- mandie accordèrent aux lettres et à ceux qui les cultivaient , les témoignages s’en trouvent dans l’his- toire de ces princes , et surtout de Guillaume le conquérant, qui favorisa tous les moyens d’instruc- tion qui pouvaient être employés alors, qui ne plaça sur les principaux siéges de l'Angleterre que des évêques et des abbés distingués par leur savoir, et animés comme lui du désir de propager les Ju- mières , et qui fit distribuer avant sa mort ses nombreux manuscrits aux diverses éplises de la pro- vince, pour les mettre en état d'étendre leur en- seignement, — M; GERVAIS-DE-LAPRISE , VOUS a aussi com muniqué des notes sur plusieurs objets d’antiquité, et vous a lu un memoire sur la mythologie ; mais la plupart des idées dont il vous a fait part se re- trouvent avec plus de développement dans un ouvrage qu'il a publié depuis , sous le titre d’Æccord Q ( 242 ) du livre de la Genèse avec la géologie er les monu- mers humains. Les chronolooistes qui ont fondé leurs calculs sur les livres de la Bible, malgré la diversité de leurs “systèmes , dont le nombre s’élève au-delà de soixante- dix, s'accordent tous à ne pas donner au monde une origine très - ancienne. Dans l’opinion la plus suivie, la création ne remonte qu’à environ quatre mille ans avant J. C., et ceux qui ont donné le plus de latitude aux supputations des faits consignés dans l'écriture sainte , ne vont pas à deux mille ans au-delà. D'un autre côté, les savans citent des ou- vrages humains et des monumens historiques qui semblent attester une plus haute antiquité. Il prétendent de plus trouver dans l’état même du globe terrestre et dans la naturé des fossiles que sa surface renferme, ‘des preuves irrécusables d’une durée beaucoup plus longue que celle que lui attribue la Genèse. Il arrive delà que l’autorité des livres saints paraît être en opposition avec les argumens des philosophes, et qu’en reconnaissant lune , 1l semble impossible de ne pas rejetter les autres. M. de Laprise a entrepris de les concilier , et le but de son livre, comme le titre Pannonce , est d'établir que tout ce qui est claire- ment énoncé dans la Genèse peut s'expliquer, sans qu’il faille rejetter aucune des preuves bien établies par les philosophes. Les moyens qu’emploie l’auteur pour atteindre ce (243) but, se réduisent en général à deux espèces. D'un côté, il modifie certaines interprétations données aux passages de fa Bible, et restreint les conséquences : qu'on en à tirées. Il rectifie les idées qu’on attache communément à quelques mots, qui ont des signi- fications toutes différentes dans la langue originale, tels que frmament, qui n’exprime que l'étendue, esprit, qui n’est que l’air ou le vent, etc. Il établit en particulier que la création annoncée par le pre- mier verset de la Genèse, ne doit point être rap- portée à la même époque que l'ouvrage des six jours, dont la description commence au troisième verset; qu'on peut supposer un intervalle aussi spa- cieux qu’on voudra entre ce premier acte de la puissance divine et la formation des différentes parties du monde, telle qu'elle est rapportée par Moïse. D'un autre côté, M. de Laprise discute les faits dont s’aident les philosophes pour prouver que l’exis- tence de la terre et du genre humain, remonte à une très-haute antiquité ; et dans cette discussion , il distingue entre le globe même et les êtres vivans qui l’habitent. Quant à ceux - ci, il repousse tout système qui tendrait à reporter leur origine au-delà de l’époque que lui assigne la Bible, et il réfute les argumens qu'ont fournis soit les ouvrages humains, soit les monumens historiques, pour défendre lo- pinion d’une plus grande ancienneté. Le moyen de preuve qu’il s'attache le plus à détruire, est celui Q2 (244) | qu'on 4 tiré d’uh ancien zodiaque trouvé à Den- ‘dera dans la haute Egypte, qu’on prétendait avoir été construit quinze mille ans avant l'ère chrétienne, Les raisonnemens qu’on peut tirer de la forme même d’un zodiaque pour fixer l’époque de sa cons- truction, sont nécessairement fondés sur l'explication des signes qui répondent à ses divisions ; en sorte que, si cette explication vient à être reconnue fausse ou douteuse, la conséquence ne peut plus être cer- taine, Or c’est précisément le sens qui a été donné, suivant le système de M. Dupuis, à chacune des figures hiéroglyphiques des anciens zodiaques , que notre collègue combat par différens argumens , dont plusieurs tiennent à la connaissance de la langue Chaldéenne, et ne sauraient être appréciés par ceux qui n'ont aucune notion de cette langue. Un eflet de la variation des mouvemens célestes, qu’on appelle précession des équinoxes , est de faire répondre , chaque année, le point équinoxial à un point différent du zodiaque , en sorte qu’un signe entier se trouve parcouru, selon M. de Laprise , en deux mille cent quarante-cinq ans. Or le commen- cement du printemps répondait , mille quatre cent soixante-dix ans avant l’ère chrétienne , à la cons- tellation du bélier, c’est-à-dire au milieu de cette constellation, suivant la manière de diviser de notre collègue, différente en cela de celle de M. Dupuis, qui fait partir la division du commencement même (245) du signe : ce qui au reste ne change rien au fond du système. Deux mille cemt quarante - cinq ans plutôt, c’est-à-dire, environ trente-six siècles avant J. C., c'était le taureau qui ouvrait le printemps. Mais l’auteur remarque que l’usage de rapporter l'équinoxe à un signe peut se conserver long-temps après le changement de ce signe, soit dans la cons- truction des zodiaques , soit dans le langage des écri- vains ; et il cite en preuve ce passage de Virgile dans ses Géorgiques : Candidus auratis aperit cum cornibus annum Taurus. Il est certain qu’au temps de Virgile, ce n’était plus le taureau qui ouvrait l’année, mais le bélier. De même, ajoute-til, la postérité aurait tort de conclure que le bélier était encore le signe équinoxial au temps de Boileau, de ce que ce poëte, dans sa satyre sur l’homme, a dit, en parlant de la four- In] : | Affronter en plein champ les fureurs de Janvier, Et demeurer oisive au retour du bélier. Mais du moins , lorsqu'un signe est cité dans un ouvrage, OU représenté sur un zodiaque comme ou- vrant l’année, c’est une preuve qu'il a été un temps où il l’ouvrait. Conséquemment, si comme on la prétendu , le fameux zodiaque dont il s’agit faisait commencer l’année à un signe qui fût le sixième, Q 3 (246) depuis le bélier, il s’en suivrait qu'il remonterait à environ quinze mille ans avant l’ère chrétienne. Pour détruire cette supposition , M. de Laprise en- treprend de prouver que le système de M. Dupuis, ® quoique très-spécieux dans quelques parties, est ab- solument inadmissible, et que les noms des signes n’ont aucun rapport aux objets qu’ils lui ont paru signifier. Par exemple la balance, dont il a cru que l’idée avait été prise dans l'égalité du jour et de la puit, n’est dans le zodiaque, selon notre collègue, que le symbole du nombre six ; et cette assertion est appuyée par la comparaison de lhiéroglyphe Chinois de ce nombre, et par beaucoup de faits pts dans les usages de diverses langues. Les expli- cations des autres signes sont successivement réfutées de la même manière, et l'invention du zodiaque est discutée avec beaucoup d'érudition. L’auteur réfute aussi les argumens tirés de la chronologie Egyptienne en faveur du système qu’il combat. Quant aux faits géologiques , M. de Laprise admet qu’il y a des substances minérales dont la composition atteste une existence bien antérieure à époque où lon doit rapporter louvrage des six jours. Mais aussi il prétend que la terre avait existé long-temps avant cette époque , que la nature vivante y avait été éteinte, et que tous les autres globes de notre monde planétaire avaient été frappés du même coup; ensorte que l’opération divine qu’on ( 247) croit vulgairement avoir été la création même de ces globes, ne consista qu’à leur rendre le mou- vement et la lumière, et À créer les végétaux , les -animaux et l’homme. Comme dans cette hypothèse, la terre a été livrée successivement , et peut - être un grand nombre de fois, à l’empire du feu et a celui des eaux, et que rien ne limite la durée qu’on veut donner à ces révolutions, la formation des matières qui paraissent avoir exigé l'intervention de ces deux agens, ne présente plus aucune difhculté; _et le philosophe peut prendre tout le temps dentil a besoin pour expliquer tous les accidens que pré- sente la surface terrestre, ces immenses amas de pierres de toute espèce, ces couches si admirable- ment variées qui ont fait éclore jusqu'ici tant de systèmes. Je n’ai voulu que donner une idée du genre de movens employés par l’auteur pour arriver à l'accord qu'il s’est proposé ; et je n'ai point prétendu le suivre dans le détail de ses preuves, qu'il me pa- raît nécessaire de lire dans l'ouvrage même, pour les bien comprendre, et pour en sentir toute la force. Il a donné une suite à son livre , publiée plusieurs années après, dans laquelle il confirme ses preuves, et fait une application toute nouvelle des résultats de son hypothèse, en les étendant même aux êtres intelligens qui peuplaient la terre avant son dernier renouvellement. Q 4 (248) — M. CAïLLY a lu un mémoireintitulé, De l'in- fluence des mœurs et des institutions politiques sur Le bonheur et la prospérité des états. L'auteur développe d’abord par des considérations générales ce grand principe, que l'amour et le res- pect de la vertu sont les seules bases d’un état heureux, et que la corruption des mœurs est une cause infaillible de destruction. 11 confirme ensuite ses raisonnemens par les faits tirés de l’histoire, et passe en revue les peuples qui peuvent fournir les applications les plus sûres de sa théorie. Son but n’est point, comme il le déclare plus d’une fois, de faire la critique de nos mœurs actuelles, pour exalter les vertus des nations qui nous ont pré- cédés. Egalement éloigné de ce respect idolâtre que tant d'hommes affectent pour les siècles passés, et d’une injuste prévention pour le nôtre, il avoue que les hommes d’aujourd’hui lui paraissent être ce qu'ont été les hommes de tous les temps ; que les Grecs, pendant la guerre du Péloponnèse, les Romains , sous la dictature de Sylla et sous le consulat de Pompée, ne furent pas à l'abri des horreurs qui nous ont afigés ; que nous avons même fait de plus grands pas qu'eux dans la civilisation. Mais il accorde aux anciens peuples la supériorité qui leur est due, celle qui est fondée sur la bonté de leurs institutions, dent il a pour but d'apprécier les effets. (249) M. Cailly recherche le principe de ces grandes actions qui ont rendu les Grecs et les Romains si célèbres , et il le trouve dans ce profond amour de la patrie, qui ne voit de bonheur particulier que dans le bonheur public, et qui rend en quelque sorte l'existence du citoyen aussi dépendante de celle du peuple, que dans un individu la vie d’un mem- bre dépend de celle du corps. Mais cet amour même de la patrie avait sa source dans une cons- titution qui confiait à chaque particulier une part dans le gouvernement général, qui confondait son im- térêt propre avec l'intérêt commun, et l’attachait à la chose publique comme à la sienne. Il était entretenu et fortifié par des institutions toutes en harmonie avec les principes de la constitution, un système d'éducation, des jeux, des fêtes, où tout tendait à exalter ce sentiment patriotique. Comme chacun ne pouvait être heureux que par l’estime et l'amour des autres, et qu’on n’était aimé et es- timé que pour des actions louables et utiles, c’était une conséquence que le désir même du bonheur fût identifié avec l'amour de la vertu. L'auteur , en considérant les diverses constitutions de la Grèce, et ensuite celle des Romains, à la- quelle la passion de la gloire militaire donnait un caractère tout particulier , fait remarquer partout cette influence, qui est l’objet de son mémoire, Mais il ne s'arrête pas aux deux peuples qui semblent (250) avoir habité seuls la terre dans les temps anciens, parce que seuls ils ont eu des historiens capables de répandre un grand éclat sur leur vie politique. Entre les hutres, qu’on a été accoutumé dès l’enfance à regarder comme barbares, il en distingue deux ; dont nous devons savoir gré à Cesar et à Tacite de nous avoir conservé les mœurs. Ce sont les Gaulois et les Germains, qui ont particulièrement droit de nous intéresser. Notre collègue considère suc- cessivement leur amour pour la liberté et ia nature de lautorité qu’ils déléguaient à leurs chefs, la composition de leurs troupes , la vénération qu'ils avaient pour les femmes, leur respect pour la sain- teté du mariage, leur attention à écarter toutes les causes de corruption et de dérèglement , la sé- vérité de tous leurs exercices , et même de leurs jeux, leur exactitude à remplir les devoirs de l’hospitalité, surtout l’usage d’avoir des poëtes qui, en célébrant les vertus ouerrières , les faisaient naître dans les jeunes cœurs. | Enfin , passant aux peuples de l'Europe moderne, il montre les effets de leurs mœurs et de leurs ins- ütutions ; l’heureurse révolution que produisit la chevalerie ; les avantages’ qu'apportèrent ces commu- nautés , collèges et confrairies | qui se formèrent d’elles-mêmes, et qui entretenaient le bon ordre et le sentunent de J’honneur dans les citoyens des dif- férentes classes qui composaient ces corporations; les (251) progrès que dut la civilisation à la renaissance des lettres et des arts, et principalement à limprimerie, ce moyen si facile et si prompt de propager les connaissances. La conséquence générale qui paraît sortir de tous les faits présentés dans ce tableau, c’est qu’on peut diriger bien ou mal les passions de l’homme ; que les peuples sont vicieux ou vertueux, selon que les institutions qui forment le caractère de leurs mœurs, tendent à leur imprimer des sentimens honnêtes et généreux , ou des goûts dépravés et méprisables , et que de là dépendent, ou leur prospérité et leur gloire, ou leur misère et leur bassesse. — Le même membre a lu aussi une dissertation sur le prèjugé qui attribue aux Egyptiens l'honneur des premières decouvertes dans les Sciences et Les Arts. Suivant l’auteur, les sciences ne sont point nées dans un pays dérobé aux eaux de la mer, et dont une partie est, comme le démontrent Hérodote , Larcher, et Volney , une alluvion du Nil. Toutes les anciennes traditions placent le berceau du genre humain à une latitude élevée dans l'Asie. C’est du plateau de la Tartarie, que les premières peuplades se sont répandues par l'Inde et l’Arabie , jusque dans l'Ethiopie ; et les Ethiopiens, savans dans les arts et dans l’astronomie, ont peuplé la haute Egypte, qui leur doit ses anciens monumens, comme des colonies d’Arabes ou pasteurs ont peuplé la Basse (252) et la Moyenne. M. Cailly argument: en faveur de son système, de la direction générale des peuples du Nord au Midi, les Arabes exceptés ; de la nature du climat et du gouvernement de l'Egypte ; des autorités puisées dans de Paw, Baïlly et Lacépède. Il tire d’autres preuves d’un examen direct des con- naissances des Egypriens : il les montre étrangers à l'invention de lalphabet, dont il réclame la gloire pour les peuples du Nord, et non pour les Phé- niciens ; inférieurs aux Babyloniens et à d’autres peuples pour és qu’ils ont laissé dégénérer, loin de l'avoir créée; grossiers dans leur peinture , leur sculpture et même leur architecture , dont les mo- numens tant vantés ne sont que des masses de pierre , entassées par des esclaves ; enfin barbares dans leurs institutions politiques, dont la perfection n’est que dans une vaine théorie, et non dans les faits , qui permettent le mariage entre frères et sœurs, autorisent le vol par une honteuse capitulation avec les voleurs |, cimentent la division des classes, en interdisant aux enfans toute autre profession que celle de leur père, et nous présentent partout un peuple avili par un double despotisme , royal et sacerdotal, et fait pour être la proie de tous les conquérans. L'auteur assigne pour cause à la brillante réputation usurpée par l'Egypte, le respect aveugle pour une opinion qui était universelle du temps d’Auguste, et qui avait sa source dans l'imagination (253) féconde des Grecs, et l'intérêt que les voyageurs et les écrivains sont toujours sûrs d’exciter par des récits merveilleux. Cette dissertation de M. Cailly ayant été im- primée, 1l ne m’a pas paru nécessaire d’en présenter une analyse plus étendue. —M.POTTIER , que j'ai déjà eu occasion de citer däns la première partie de ce rapport, vous a pré- senfé plusieurs travaux relatifs à la littérature an- cienne, dont il a toujours fait une étude particulière jusqu’à sa mort. Son premier mémoire est une dis- sertation Sur la langue première des Romains, dans laquelle il présente un tableau systématique de ses altérations | composé sur quelques restes de cet ancien idiome recueillis par des savans. L’anteur, après avoir distingué deux Latium , dont le second, peu différent du premier, comprenait quelques peu- ples de plus, prouve par le témoignage de Pline l'ancien , que les Osques où Osciens | omis par le géographe Danville et par ceux qui l'ont suivi, en faisaient partie ; et il établit par plusieurs monu- mens authentiques, que la langue de ce peuple fut la première langue des Romains, qui paraissent l’a- voir employée à la rédaction de leurs lois pendant près de cinq siècles ; et que c’est à elle qu’il faut rapporter quelques mots étrangers à la pure latinité, qui se trouvent dans les meilleurs auteurs, — Le second mémoire de M, Pottier, est un Essai (254) sur la vie et les ouvrages d’Ovide. L'auteur com- mence par marquer le caractère général des écrits de ce poëte. Il indique ensuite la grande analogie qu'ils ont avec lurbanité galante des mœurs fran- çaises, comme une des principales causes du goût de notre nation pour ces ouvrages, dont tant d'é- crivains, et parmi eux les philosophes mêmes les plus austères , se sont exercés à faire passer les beautés dans notre langue , que tous les théâtres ont mis à contribution, et qu'on pourrait, dit-il, regarder comme la fleur de l'esprit Romain natura- lisé français. Cette dissertation est divisée en trois parties. Dans la première, M. Pottier donne un précis de la vie d'Ovide avant et après son exil. Passant rapidement sur ses premières années, 1l fait seule- ment remarquer entre ses dispositions naturelles pour les arts de l’esprit, ce penchant invincible pour les vers, qui le fit poëte malgré son père qui l'avait destiné au barreau, et malgré ses propres intérêts. C'est sans doute cette passion, jointe à celle de l'amour, par laquelle il se laissa subjuguer, qui fut la source des malheurs qui flétrirent une partie de sa vie. Après en avoir passé les plus belles années à la cour de l'Empereur , 1l fut relégué à Thomes, ville de la Scythie d'Europe, sur les bords du Pont- Euxin, où les plus basses flatteries prodiguées à Auguste et à Tibère, son successeur, ne l’empé- (255) chèrent pas de rester exilé jusqu’à la fin de ses jours. M. Pottier promettait de revenir dans une autre dissertation sur la cause de ce mystérieux exil, sur lequel la curiosité s’est épuisée en conjectures inutiles. Dans la seconde partie , il a présenté sans pas- sion, comme sans enthousiasme , les jugemens qui lai ont paru les plus justes sur les différens ouvrages d'Ovide, qu'il classe ainsi sous cinq titres différens : 19, les Métamorphoses , l’une des plus ingénieuses productions de l’antiquité ; 20. les livres qui traitent de l'amour, tels que les élégies amoureuses , le livre de arte amandi | un autre du remède de l'amour, quine contribuèrent pas peu à corrompre la jeunesse Romaine ; 30. les Epitres appelées Æéroides , qui sont autant de lettres amoureuses; 4°. les quatre livres des Trisss, et les Pontiques , qui sont aussi au nombre de quatre ; 5°. les fasses, qu'Ovide composa dans un âge plus avancé. La troisième partie contient la notice des prin- cipaux traducteurs ou imitateurs d'Ovide. Entre plus de soixante écrivains qu'il dit avoir essayé leur plume sur les ouvrages de ce poëte , depuis le commencement du XVe. siècle, il cite comme un des premiers qui méritent d’être remarqués , le Car- dinal Duperron, qui encore ne donna que deux Héroïdes , l’une en vers, l’autre en prose. L'abbé de Marolles, qui s’avisa de traduire, ou plutôt de (256) , travestir presqu'en entier le plus charmant poëte de l'antiquité, épargna ses métamorphoses, qui ne lé- vitèrent, dit M. Pottier, que pour tomber entre les mains du laborieux et infatigable Martignac , dond le style lourd et pesant contraste sigulièrement avec la molle aisance et la douce facilité de son modéle. Après avoir passé rapidement sur les traductions de Renouard, de du Ryer, de l'abbé de Bellegarde, et même de l'abbé Banier, dont les notes seules lui paraissent vraiment intéressantes, et avoir dis- tingué celle de M. de Fontanelle, couronnée jL2qu'ici du plus grand succès, et réimprimée tout récem- ment, l’auteur du mémoire en vient aux traductions en vers. Il cite l’essai malheureux que Thomas Corneille fit de sa muse sur les métamorphoses ; et parlant ensuite de Benserade, qui entreprit de les mettre en rondeaux , il compare cette idée extrava- gante à celle du personnage des précieuses ridicules, qui se proposait d'écrire l’histoire Romaine en ma- drigaux. Il n’y eut pas, dit-il, jusqu’à d’Assouci qui ne s’avisât d’affubler d’un habit d’arlequin , le poëte le plus élégant de l’ancienne Rome. En 1732; M. de Saint-Ange donna une traduction en vers des métamorphoses , digne dans plusieurs parties du suffrage des connaisseurs, quoiqu'om ait dit plai- samment qu’elle était une véritable métamorphose des métamorphoses. Mais les discours d’Ajax et d'Ulysse par M. Delacondamine, la peinture tou- chante (257) chante du départ d'Ovide par M. Lefranc de Pom- pignan , et surtout les charmantes fictions de Phi- lémon et de Baucis, de Pyrame et de Thisbé, des filles de Minée, par Lafontaine, sont au Juge- ment de M. Pottier, les seuls morceaux qui puissent dédommager ceux qui ne connaissent Ovide que dans le travail d’une version. Il passe légèrement sur les traducteurs des poësies érotiques, pour en venir à la traduction que M. Bayeux , l’un de nos compa- triotes , nous a laissée des Fastes, ouvrage inconnu jusqu'alors dans notre langue , puisque l'abbé de Lézeau n'en avait traduit que le premier livre. Il s'étend fort au long sur cette production d’un écri- vain qui honore la ville de Caen, et qui termine en quelque sorte, dit-il, la longue série des litté- rateurs distingués qui l'ont illustrée. Il fait remarquer la vaste érudition déployée dans le discours prélimi- maire , et le mérite du supplément, qui répare autant qu'il est possible la perte des six derniers livres des Fastes. Cette traduction est aussi enrichie d’une dissertation sur l'exil d’Ovide, qui fut lue à PAcadémie de Rouen en 1784, et sur laquelle M, Pottier se proposait de revenir dans une notice sur les ouvrages de M. Bayeux. Les autres morceaux lus par M. Pottier, sont un ÆEssai sur les Géorgiques de Viroile, o:1 examen analytique de ce poëme ; et un mémoire ayant pour titre: Cansique de Moyse avant sa mort, expliqué. R (258) selon Les règles de la poësie et de l'éloquence. — M. VASTEL, qui vous a présenté un exem- plaire de l’art de conjecturer , qu'il a traduit du latin de Jacques Bernouill, avec des observations, éclaircissemens et additions , et un de sa traduc- tion française de l’économie de la vie humaine, ouvrage de Blair, écrit en Anglais , vous a aussi Ju un Dialogue entre un avocat et un étudiant en droit. Le jurisconsulte, pour bannir les dégoûts qu'éprouve l'élève, lui remet devant les yeux les avantiges de toute espèce attachés à la profession d'avocat, et lui montre dans la considération pu- blique, dans une noble indépendance, et surtout dans le plaisir délicieux de protéger l'innocence et la faiblesse, un prix bien digne des plus longs et des plus pénibles efforts. Il l’engage à ne point envisager l'étendue effrayante de la carrière qu'il a à parcourir, mais à concentrer chaque jour son attention sur l’objet qui se présente. Il tâche surtout de lui prouver l’importance de l'étude du droit Romain, que établissement du code français fait regarder au jeune homme comme désormais inu- tile. Ce nouveau code est sans doute un grand bienfait pour la France; et il suffit, pour en sentir le prix , de jetter les yeux sur ces coutumes absurdes, destinées, dit l’avocat, à perpétuer chez une na- tion, la plus policée peut-être qui fut jamais, les mœurs d'un peuple barbare et sauvage : 1l suffit de (259) se rappeler cette diversité de principes, qui diffé- raient, non seulement pour chaque province, mais encore pour chaque ville, souvent même pour chaque bourgade, et dont la multiplicité se trouvait encore compliquée par une foule de décisions con- tradictoires, qui souvent les violaient en les invo- quant. Mais quelque précieux que soit ce code si long-temps désiré, destiné à fixer enfin d’une manière uniforme les droits des citoyens, il s’en faut bien qu'il dispense le jurisconsulte d’étudier les lois Ro- maines. Que de cas particuliers, que de difficultés imprévues , qui forceront toujours de recourir à cette raison écrite, ouvrage de la sagesse et de l'expé- rience, à laquelle il est téméraire de vouloir substituer sa propre raison. Ces lois portées avec tant de précautions , qui ont gouverné long-temps tout le monde connu, que les Romains observaient avec un respect si religieux, que des barbares vainqueurs adoptaient avec soumission, et dont la découverte, après six siècles d’oubh, fut regardée comme un miracle de la providence en faveur de Fhumanité, ces lois seront toujours des guides nécessaires dans une multitude de circonstances , où la législation moderne ne pourra fournir des lumières sufhsantes. C'est en développant toutes ces considérations, que Jhabile jurisconsulte prouve au jeune élève qu'il doit non-seulement s’instruire du texte des lois Ro- maines, mais encore en étudier le véritable esprit: R 2 ( 260 ) dans leurs savans interprètes ; qu'il est nécessaire , non de suivre pas à pas, mais de consulter avec choix, ces laborieux commentateurs, qui ont éclairci les points obscurs , expliqué les endroits douteux , et dont les vastes compilations offrent, malgré le vain étalage d’une érudition souvent déplacée et des longueurs rebutantes , un fonds de doctrine que la plus grande sagacité ne saurait suppléer. _ Vous avez entendu un autre mémoire relatif à la législation, lu par M. LE HreuLLE. Il a pour titre: Cop-d'œil, on Esquisse historique du système judiciaire en matière criminelle, chez les Romains, depuis Le consulat de Walérius Publicola jusqu'a Tibère, Cest-a-dire, pendant plus de cinq cents ans ; et chez Les Anglais, depuis Alfred le Grand jusqu'a nos jours, C’est-a-dire, depuis près de mille ans. L'auteur , dans la première partie, expose l'origine, les modifications, et enfin l'entière abolition des formes tutélaires inétitnées dans les jugemens criminels pour la sûreté de la liberté civile. Le fond de ce système porte sur l'influence immédiate du peuple dans les décisions judiciaires qui intéressaient la vie ou la liberté des citoyens, et sur la distinction for- melle entre la déclaration du crime et l'application | de la peine. Le peuple exerça d’abord la première de ces fonctions dans les comices par centuries, et ensuite dans des tribunaux, divisés par questions ; selon les differens genres de délit, et présidés par ( 261 ) un préteur et par un juge de la question, dont les fonctions étaient annuelles. Toutes personnes d’une probité reconnue pouvaient entrer dans la composition de ces tribunaux. Les noms des ci- toyens , au nombre de quatre cents cinquante , nommés chaque année par un préteur, étaient jettés dans une urne, d’où l’on en tirait tantôt trente- deux, tantôt cinquante, tantôt soixante-cinq etc., suivant la nature du délit, avec faculté de récu- sation , soit pour l’accusateur, soit pour l’accusé, tant que l’urne n’était pas épuisée. Il était même quelquefois permis à l’accusé de choisir ses juges parmi le peuple. Le préteur prononçait la sentence, d’après la pluralité des suffrages , exprimés par ces lettres initiales, A, C, N L; qu signifiaient 44- solvo, Condemno , Non Liquet; dans le cas d’une accusation déclarée incertaine , l'accusé, mis en li- berté , restait Sub judice, et pouvait être traduit de nouveau, s’il se découvrait de nouvelles preu- ves. Ce système, qui subsista encore long-temps après la ruine de la liberté, ne pouvait pourtant manquer de céder aux atteintes d’une ambition toujours oc- cupée àaffermir les bases d’un gouvernement absolu ; et après une durée de plus de cinq cents ans, il éprouva sous Tibère la fatale altération dont il était menacé. Tum‘primum, dit Tacite, à campo comitia ad patres traslata sunt ; et tous les droits de la sou- R 3 (262) veraineté du peuple furent déférés au : sénat: L'institution du Jury anglais , qui fait l’objet de la seconde partie du mémoire, remonte au milieu du IXe. siècle, et se ressentit d’abord de l’imper- fection attachée à tout établissement humain, qui prend naissance dans des temps d’ignorance et de barbarie ; mais elle s’améliora successivement sous les règnes de Guillaume Duc de Normandie, de Henri Ier, dit Beau-clerc, et de Jean-sans-terre , auteur de la grande Charte, dont les Anglais sont si jaloux. La jurisprudence criminelle d’Angleterre offre une combinaison plus parfaite que tout ce que les Ro- Mains avaient imaginé pour la garantie de leur liberté, On y distingue le grand et le petit Jury, dont le premier , analogue à notre Jury d’accusation, est composé de plus de douze membres , et de moins de vingt-quatre. L’accusation ne peut être admise que par le concours de douze jurés. Le petit Jury, qui répond à notre Jury de jugement, est toujours composé de douze hommes, tous pairs de l'accusé, choisis dans le comté où le crime a été commis, et possédant un fonds de terre d’un revenu égal à 240 fr. de notre monnaie. Ce nombre est tiré d’une liste de quarante-huit citoyens , sur lesquels l'accusé peut dans les délits ordinaires en récuser vingt pé- remptoirement, et sans en donner de raison , outre les récusations pour cause, au moyen desquelles :l arrive quelquefois qu’il rejette la liste entière. Dans (263) les délits d'une haute gravité, tels que ceux qui peuvent se commettre contre le roi ou l’état, la protection de l'accusé croit en proportion de l’é- normité du crime. Il peut récuser jusqu'à trente- cinq jurés: la loi lui fournit les moyens de faire comparaître tous les témoins qu'il produit pour sa défense : elle lui donne deux défenseurs au lieu d’un: elle veut que les jurés lui soient connus dix jours avant le jugement, et contient encore plusieurs au- tres dispositions favorables à la liberté civile. Telles sont 19. les assises ou sessions appelées Oyer et Terminer, dont le but est d’évacuer les prisons et de décider les accusations capitales ; 2°, celles qui se tiennent devant la cour suprême du banc du roi, à laquelle sont déférés non-seulement la connais- sance des trahisons , félonies, tumultes, séditions , etc., mais encore le droit d’annuler les déclarations de jurés qui paraissent manifestement erronées. Au reste, dans tous les cas, la déclaration du petit Jury doit être unanime , excepté quand il s’agit d’un lord temporel traduit devant la Chambre Hante. La conséquence que M. le Hieulle tire de son mémoire , c’est que le système judiciaire en matière criminelle adopté par les Romains et les Anglais, et fondé sur la distribution des fonctions , pouvant être regardé comme la véritable garantie de la liberté dont jouirent les premiers, et dont les derniérs jouis- sent encore, les Français doivent s’applaudir de voir R 4 (264) l'institution des jurés, qui consacre cette distinction; adoptée dans leur législation crimirelle, — M. le Hieulle à encore lu un Discours sur les avantages qu'on peut retirer dans les villes de province des sociétés académiques , et en général de la culture des Lettres et des sciences. Les propos in- discrets, les plaisanteries même assez peu décentes, dont ces réunions sont souvent l’objet, lui ont fait juger qu'il n’était pas inutile de répondre à ceux qui demandent à quoi elles servent, non en em- ployant contre eux un ton d’ironie et de persiffage, aussi peu convenable à la dignité des Académies, que contraire à l’esprist de modération qui carac- térise leur apologiste, mais en développant les nom- breux avantages que l’on puise dans le commerce des Lettres, pour prévenir le découragement de ceux qui seraient tentés de les révoquer en doute. C'est en opposant d’abord aux innombrables ressources que les villes capitales offrent au génie, à l'ambition et à toutes les facultés de l’homme, le dénuement de tous les moyens d'activité, l’uni- formité fatigante qu’on trouve dans les villes de province, qu'il établit le besoin qu’on a dans ces dernières de recourir à la culture des Lettres, pour se sauver de l'ennui, et de l'espèce d’engourdisse- ment dans lequel l’âme ne peut manquer de tomber, tant que rien n’excite son énergie. Mais les Lettres ne sont pas seulement un préser- (265 ) vatif contre cette déplorabie léthargie, qui en faisant périr les germes de tous les talens, développe ceux de tous les vices ; elles fournissent encore à l’homme tous les moyens de bonheur appropriés à l'excellence d’un être raisonnable, social et moral. Par elles, il munit son esprit des principes les plus solides et les plus féconds , il enrichit son imagination des plus brillantes idées, il découvre la vérité au milieu des préjugés et des erreurs qui l'étouffent , il varie sans cesse ses Joussances, et s’élevant de la stupide inertie où il languissait dans l'isolement, aux pensées les plus profondes , aux plus sublimes conceptions , il se donne en quelque sorte une nouvelle existence. Par elles, il connaît et se rend capable de perfec- tionner les procédés des arts, il s’approprie les découvertes du génie, il soumet à son examen les productions des savans , il puise dans les monumens historiques des exemples de vertu, des leçons ins- tructives, capables de bien diriger ses pas dans la carrière de la vie. Par elles, parcourant sans fa- tigue et sans frais toutes les parties du globe qu'il habite, se retraçant à son gré toutes les scènes qui en ont changé la face, 1l devient le concitoyen de tous les peuples , le contemporain de toutes les géné- rations , l’ami de tous les hommes ; il prend des mœurs douces et bienfaisantes , l'habitude de la complaisance, de l’urbanité, de l’abnégation de soi-même, et de toutes ces vertus sociales qui répandent tant de ( 266 ) charmes sur tous les rapports de la famille humaine. Par elles en un mot, il acquiert ce calme heureux, que ne peuvent troubler les luttes de l’opinion , les rivalités de l’orgueil et de la cupidité , et qui est Vapanage des ames fortes. Pour renforcer les traits du riche tableau dont cette faible esquisse ne pré- sente qu’une idée très - imparfaite , notre collègue emprunte le langage du prince des orateurs Romains, de Pline le jeune, d’Aristippe le philosophe , de Théophraste, et confirme l'éloge qu'il a fait des Lettres, non-seulement par les témoignages honorables de ces grands hommes , mais aussi par l'exemple qu'ils nous offrent des services qu’elles rendent à l’huma- nité. Ce discours est terminé par des conseils donnés à la jeunesse , pour exciter en elle l'amour de l'é- tude, et dans lesquels respire Le zèle aussi ardent qu’éclairé d’un ami des Lettres qui connait par sa propre expérience les avantages qu’elles procurent. — Un membre que sa nomination à un nouvel emploi vous a enlevé, M. DEMOY, alors censeur du Lycée de Caen, vous a lu un mémoire intitulé des cérémonies ; un autre, des rassemblemens ; un troisième , des noms et Surnoms que nous portons individucllement ; deux, de la parok; et un der- nier, ayant pour titre Réflexions sur les noms pris emblématiquement. Je m'arrêterai seulement à quel- ques-uns de ces mémoires, — Des rassemblemens. Après avoir défini ce mot, _— ( 267 ) et distingué en général des rassemblemens narwrels et des rassemblemens moriux , l’auteur présente quelques idées succinctes sur les premiers, qui nais- sent du besoin, soit pour l’union des sexes, soit dans les dangers, soit rélativement à la dépen- dance établie dans certaines espèces ; ou qui sont dus au hasard, ou qui résultent nécessairement de la propagation qui multiplie les individus. -Il passe de à aux rassemblemens moraux, les seuls qui soient exclusivement propres à l’espèce humaine ; et à la suite de quelques considérations générales sur l’attraic . mutuel et les diverses causes qui portent si puis- samment les hommes à se rapprocher, il rapporte à trois motifs principaux les rassemblemens dont il s'agit, et qui ne sont que passagers et de circons- tance, à la différence des réunions permanentes, qui forment ou des sociétés politiques, ou des cor- porations. Ces trois motifs sont le plaisir, le besoin mutuel, le désir de s’honorer. Le plaisir peut tenir à l’esprit,et naître.du com- merce des idées et des connaissances ; ou au cœur, en faisant partager aux uns les affections agréables ou pénibles des autres ; où à l’amour de la consi- dération, qui nous fait chercher à paraître avec avantage; Ou aux Jouissances des sens, qui elles- mêmes perdent beaucoup de leurs charmes, lorsqu'elles ne sont pas goûtées en commun. Tous ces plaisirs, suivant l’auteur , prennent leur source dans les ( 268 ) passions. L’orgueil est la source secrète des plaisirs de l'esprit, et l’amour du vrai en est la source avouée. La source secrète des plaisirs du cœur est la faiblesse , et leur source avouée l’amour de la justice : ils tiennent à la sensibilité. Enfin c’est dans la vanité qu'il faut chercher le principe de ce plaisir mixte qu’on trouve à briller, soit par sa parure, soit par ses qualités extérieures , et qu’on rapporte à l'amour de l’ordre. Le besoin de la défense mutuelle est la seconde cause qui rassemble les hommes, soit pour préparer les moyens de se préserver ou de se délivrer des dangers, soit pour porter des lois, soit pour établir des magistrats. Les rassemblemens de la troisième espèce, sur lesquels M. Demoy s'étend avec plus de détail , sont ceux qui ont pour but les devoirs de civilité. Il fait dériver de la loi naturelle les témoignages d'intérêt, de bienveillance et de considération que les hommes se doivent réciproquement , et qui ne se bornent pas aux individus, mais qui s'étendent aux familles rapprochées par le voisinage ou par quelques relations. Ces témoignages sont de devoir surtout dans trois circonstances : 1°. celle de la naissance d’un enfant, qui ne doit pas intéresser seulement la famille à laquelle il appartient , mais encore la réunion des autres familles, dont il doit faire partie, et à laquelle il tiendra par tous les liens sociaux. Un tel évènement doit être commu- ( 269 ) niqué ; et même consigné d’une manière authen- tique au nom de la société qu'il intéresse. 20. L'union de deux nouveaux époux , qui en formant une nouvelle famille particulière, augmente la fa- mille générale |, et donne lieu à des devoirs de civilité, à une commune aléoresse , à des rassemble- mens solemnels. 3°. La mort de quelqu'un des mem- bres d’une famille , qui appelle de la part des autres des démonstrations de douleur , des consolations , des rassemblemens analogues à ce genre d’évènement. L'auteur, après avoir développé dans trois sec- tions les motifs de ces trois sortes de rassemblemens, et avoir indiqué parmi les autres le serment, qui tend à rendre authentique un engagement spécial pris par un membre envers la société, consacre une quatrième section à marquer les caractères propres à chacune de ces trois circonstances. Ainsi, parce que tous les individus sont susceptibles d’affections agréables, et éprouvent , quoique diversement , le désir d’émouvoir ou d’être émus, ilest de la nature des rassemblemens qui ont pour objet le plaisir d’embrasser l’universalité des membres de la grande famille ; ils exigent de la pompe, du cérémonial, pour imprimer plus fortement les sentimens qu'ils sont destinés à exciter. Au contraire les rassemble. mens de la seconde espèce, loin d’appeler tous les membres de la société, n’admettent point ceux que la faiblesse du sexe ou de l’âge dispense de con- (270) à courir à la défense commune, et exclut des dé- hbérations publiques. Les individus dont ils se composent , sont considérés comme des mandataires du peuple, munis de pouvoirs plus ou moins étendus, selon le caractère qu'ils y portent, la nature des fonctions qu'ils exercent. Enfin les rassemblemens de civilité sont toujours restremts à une partie des membres d’une où au plus de deux familles ; et si l’on peut dire que la société générale y figure, ce n’est que par représentation et par le ministère d’un agent public choisi pour être son organe. Ils 1n- posent certaines formalités d’étiquett: , dont M. Demoy expose les principales, et c'est par là que se termine son mémoire, — De la parole. Le but de ce mémoire paraît être d'expliquer les changemens perpétuels des êtres moraux, en développant l'influence qu’exercent sur eux tous les objets qui les environnent. L'auteur annonce d’abord qu'il entend par la parole, prise dans son sens le plus étendu , le moyen accordé par la nature à tons les êtres pour se ma- nifester à d’autres. Toute propriété physique étant connue, ou susceptible de l'être, au moyen d’organes appropriés, comme la parole proprement dite est le signe par excellence entre les êtres intelligens, 1l croit pouvoir étendre ce terme à toutes les qualités sensibles, pour mieux caractériser la propriété qu’elles ont, comme le véritable langage, de transinettre des (271) affections et des idées dans l'âme de celui qui les perçoit; mais pour que ces attributs des êtres mé- ritent ce nom de parole, il exige que celui à qui ils se manifestent soit un être moral , et il ex- clut de cette dénomination tous les rapports, quels qu'ils soient , qui peuvent exister entre des êtres purement physiques. La parole est smplement mare- rielle, si l'être qui est le principe de la manifestation est lui-même purement matériel ; mais si c’est un être moral, ainsi que celui qui en est le terme, elle est alors intencionnelle. Suivant cette application du mot parole, il faudra dire que chaque espèce d’être a sa langue ou son idiôme, et que même chaque individu l’emploie avec des modifications qui lui sont propres , et qui en forment comme le ton et l'accent ; car dans une classe d’objets, il n’en est aucun qui ne soit différencié des autres, au moins par quelque nuance plus ou moins sensible ; autre- ment il serait impossible de len distinguer. Ainsi l'être meral est instruit par la voie de tous les êtres, même inanimés ; leur parole purement matérielle est pour lui une source intarissable d’afections , d'idées, de connaissances. Il n’est pas même né- cessaire qu'il soit en communication avec des corps étrangers ; son propre corps, par la disposition , action réciproque, les rapports de toutes ses parties, suffirait pour lui procurer des notions et des sen- timens divers, (27) M. Demoy , pour caractériser les deux effets que produisent sur notre âme les objets qui nous, affec- tent , distingue deux parties dans la parole matérielle, L'une, qu'il appelle gremmaticale , est l'image ou la notion qu'elle fait naître, et se rapporte à l’intel- lect ; l’autre, qui est du ressort de la volonté, et qu’il appelle musicale, est l'influence qu’elle exerce sur le sentiment, et qui sans rien changer à la na- ture de lobjet représenté, procure à l’âme une disposition agréable ou pénible, à différens dégrés, comme dans la musique les mêmes paroles affectent diversement selon la douceur ou la rudesse , ou les autres qualités des sons. De ces deux effets produits dans l’être moral par les êtres physiques, résultent des varations conti- nuelles dans sa manière d’exister. Car sa pensée n’étant que l’image, la copie de ce qu’elle lui fuit connaître , et cette pensée étant d’une autre part une seule et même chose avec lui, on peut dire qu'il est en quelque sorte identifié avec les objets que lui peint son imagination, et qu’il devient tour à tour chacun des êtres qui se succèdent dans ce tableau magique. De là ces impressions de gaité ow de tristesse , au milieu d'objets rians ou lugubres. Son ame prend, si l’on peut parler ainsi, la teinte de tous les corps qui agissent sur elle. Elle éprouve sans cesse des changemens partiels, elle ne se res- semble pas deux instans de suite à elle-même. Et cette (273) cette influence ne se borne pas même à l’âme ; elle s'étend jusqu'au corps. Les traits du visage, l'attitude, la démarche, tous les mouvemens plus ou moins vifs, plus ou moins réguliers , sont des effets naturels, et deviennent des signes assez sûrs des idées qui occupent l'esprit. Mais ces idées ont une autre propriété que d’émouvoir le sentiment ; elles servent aussi à enrichir l’intelligence , en gros- sissant continuellement ce trésor de connaissances qui sont toutes dues aux impressions, ou si l’on veut au langage, à la parole des êtres avec lesquels nous sommes en rapport; avec cette différence pourtant que ce pouvoir sympatique que toutes les parties de la nature exercent sur l'être sensible, agit de lui- même , sans notre concours, et qu’au contraire, 1l faut de l'attention , des eforts, des conditions assez difficiles à réunir, pour conserver les notions qui nous sont transmises par tant d’agens employés à notre instruction. — Le second mémoire sur le même objet, traite de la parole intentionnell , que M. Demoy définit la manifestation faite sciemment de sa manière d’être. Cette faculté de s’entretenir avec soi-même est un privilége exclusivement accordé à l'êrre intelligent, Son exercice n’exige point l'existence actuelle des autres êtres, mais elle suppose au moins une com- munication antérieure avec eux ; car c’est dans nos rapports avec ces êtres que nous puisons ces idées S (229 primitives et élémentaires, qui deviennent les mate- riaux de nos pensées, comme les couleurs servent au peintre à composer ses tableaux. Sans les êtres physiques, nous ne pourrions acquérir aucunes no- tions, parce qu'il n’y a point d'idées innées, et que nous n'avons point le pouvoir d’en créer , mais seulement celui de combiner de toutes les ma- nières celles que nous avons acquises par le moyen des causes extérieures. Elles forment comme le voca- bulaire de cette langue qui nous sert à converser avec nous-mêmes, à nous rendre compte de nos af- fections, à déterminer nos mouvemens, soit pour nous en procurer d’agréables, soit pour éviter ceux qui sont pénibles. L’être pensant, selon la conclusion de l’auteur, doit donc être regardé en quelque sorte comme un être double, et ne peut jamais être réduit à un isolement parfait, quand même tout ce qui est hors de lui cesserait d’exister. Mais le sentiment seul ne sufhit pas pour l’usage de la parole intérieure, la mémoire est encore in- dispensable. Sans elle il n’y aurait point d’exis- tence continuée, d'identité individuelle : à chaque instant l’être commencerait une nouvelle carrière, qu’il terminerait aussitôt. Au reste, si M. Demoy trouve dans ce don précieux de la nature, qu’il appelle la parole inté- ricure , Une prérogative qui distingue éminemment (275) tous les êtres sensibles , des êtres purement physiques et muets; s’il attribue à tout individu doué de la vie la faculté de sentir , de percevoir, de composer, de juger, en un mot la pensée, en observant que l'intelligence varie prodigieusement dans les animaux ; il reconnaît en même temps que ces différens dégrés se renferment dans des limites que la brute ne saurait dépasser, et que l’homme seul est placé dans une vaste sphère, dont il ne peut apercevoir les bornes. Sa parole intérieure embrasse tout, tandis que celle de la brute est renfermée dans les objets qui tien- nent à ses besoins physiques. Aussi prétend-il que l'animal le plus intelligent n’atteindra jamais au point où l’homme le plus stupide se trouve naturellement placé au sortir de sa première enfance. Voilà donc deux sortes de parole intérieure , lune commune à tous les êtres sensibles, et qui parait convenir à l’homme même , à la première époque de son existence, et lorsqu'il n’est encore homme qu'en espérance, et l’auteur l'appelle :s- tinct ; l’autre, qu'il appelle raison, exclusivement propre à l'espèce humaine, et son attribut carac- téristique. — M. BRÉMONTIER a lu une dissertation sur !:s règles à observer en raisonnant sur les effets et leurs causes. Il réduit d’abord l'idée de cause et d’efer à la connexion nécessaire de deux événemens dont l’un est antérieur et l’autre subséquent ; et comms S2 (276) il y a une grande obscurité dans quelques-unes de ces liaisons de faits dont la connaissance constitue la philosophie , il propose de substituer de nouvelles règles à celles qu’on suit généralement , et qu'il attribue à Newton. Il trouve celles-ci utiles, maisinsuffsantes, non seulement en elles-mêmes, et pour étendre les con- naissances autant qu'il est possible, mais encore dans le système auquel leur immortel auteur a voulu les faire servir de base. En effet, la première de ces règles , telle que M. Brémontier l’énonce , consiste à n'admettre comme causes naturelles que celles qui sont vraies et suflisantes pour expliquer les apparen- ces. Or, dit-il, à quel signe reconnaîtra-t-on cette vérité et cette suffisance ? et la règle qui pourrait les faire distinguer d’une manière certaine, ne serait-elle pas la meilleure pour juger de l’objet même ? Si c’est l’expé- rience seule qui doit diriger ici, comme il paraît essen- tiel a une philosophie toute fondée sur l'observation ; comment accorder avec une telle règle les premiers principes de Newton, le vis inerriæ ou inertia, et le vis impressa, Qui , indépendamment de leur obscurité, ne peuvent certainement être basés sur des faits ? Ces réflexions conduisent M. Brémontier à diviser en général les causes en expérimentales et ration- nelles , en les distinguant comme éloignées et comme prochaines , et ensuite comme prédisposantes , occa= sionnelles, inçcitantes , partielles, primaires, secon- daires , efficientes , médiates etc., sans entrer dans (277) l'explication de ces dernières espèces. Par cause ex= périmentale, il entend celle dont la connaissance est le résultat immédiat d’un fait, comme quand on attribue la douceur qu’une eau auparavant insi- pide à contractée, au sucre qu’on y a fait dissoudre, en raisonnant 4 posteriori ; et par cause rationnelle, celle que nous inférons à priori, des qualités posi- tives ou négatives que nous connaissons dans les corps. C'est ainsi que concevant l’eau comme privée de couleur, de goût et de qualités médicinales, si nous y trouvons quelqu’une de ces manières d’être, nous la rapportons avec assurance à une substance étrangère. Au premier cas, nous jugeons qu’un fait est cause d’un autre, parce que l'expérience nous le montre toujours suivi de cet autre , quoique nous ne concevions pas comment il en implique l’existence : c’est de cette manière que l'impulsion est reconuue pour cause vraie et suflisante du mou- vement, quoique nous ne comprennions point com- ment le mouvement naît de l'impulsion. Au second cas , nous prononçons, par exemple ,; ou qu'une substance étant ajoutée à une autre qui est dépourvue d’une certaine qualité, la lui communiquera, parce que nous connaissons l'existence de cette qualité dans la première ; ou qu'une qualité nouvelle venant à exister, il y a eu addition d’une nouvelle substance, parce que nous savons qu’une qualité ne peut pas exister sans la substance quila contient. Cette ma- 9 3 (278 ) nière d'étendre par le raisonnement la théorie des causes, a ses limites et ses règles. M. Brémontier veut qu’elle soit fondée ou sur le changement dans la forme, ou sur l’union à une nouvelle substance, ou enfin sur quelque changement, soit dans la qua- lité, soit dans la figure , soit dans la place précédemment occupée. Quant aux règles, il donne les cinq sui- vantes. Ire. Règle. Dans toute cause rationnelle doit se trouver la nature et la quantité de l'effet. IIe. La cause rationnelle et son effet doivent exis- ter simultanément en même-temps, en même lieu. IIIe, Nous ne devons admettre qu’une seule et même cause rationnelle. IVe. Des effets qui ne diffèrent entre eux que relativement aux circonstances, mais dont la nature est la même , doivent être attribués à la même cause diversement circonstanciée, et non à des causes différentes. V. Des forces égales et contraires venant à se rencontrer, se détruisent mutuellement. — Je vous ai aussi lu, Messieurs | quelques mémoires, dont je vais vous présenter une courte notice. 10. Observations sur Le plan d'une méthode pour l'enseignement élémentaire de la lecture. En traitant un pareil sujet, je n’ai point eu la crainte qu'il parût futile à des observateurs judicieux , qui savent (279 ) combien la direction des premiers pas dans la car- rière littéraire influe sur tout le reste de la course, combien une sage méthode pour l’enseignement de la lecture peut épargner à l'enfance d'efforts, de dégoûts et de chagrins, quels indices l'apprentissage de ce premier art peut donner de l'aptitude de chacun pour les sciences. Si l'utilité d’un genre d’é- tude est la mesure de son importance, on ne s’éton- nera pas que Cicéron , et Quintilien surtout, n'aient pas dédaigné de descendre dans des détails minu- tieux sur les lettres mêmes, ces élémens merveilleux, dont se composent les plus vastes et les plus sublimes productions du génie. J'ai moins cherché dans cet aperçu à présenter des idées nouvelles, qu’à indiquer les moyens de profiter de celles qui sont connues. Ce ne sont pas les théories qui nous manquent sur cet objet, com- me sur bien d’autres, mais c’est : art de les faire adopter dans la pratique. On jourrait ici se récrier sur l’aveugle entêtement de Ia multitude, qui s’obstine à préférer, dans les choses mêmes les plus essen- tielles, une routine reconnue vicieuse au système le plus sagement conçu : mais ce serait faire le procès à l'humanité elle-même; car on doit croire que ce que les hommes font généralement est ce qu'ils doivent naturellement faire, et qu’ils ne s’égarent que parce qu’on ne sait pas les conduire. On peut concevoir cette prévention populaire contre les inno- S 4 ( 280 ) vations de tout genre, sans accuser la dépravation humaine ; et les causes qui l'expliquent ont une force particulière relativement à la première instruc- tion. Il n'est donc pas étonnant que le perfection- nement des méthodes de lecture n'ait profité jusqu'ici qu'à quelques individus des classes aisées, et que les écoles populaires soient restées pour la plupart au même point où elles étaient il y a plusieurs siècles. Il est remarquable que dans toutes les bran- ches d'industrie’ on ait trouvé des procédés pour diminuer le travail et multiplier les produits, et que l'enseignement scolastique , dans plusieurs de ses parties, n'ait fait à peu près aucun progrès. Mais on cessera de s'étonner de cette singularité, si l’on réfléchit que la division du travail, appliquée avec tant de succès au plus grand nombre des arts, n'est presque nulle part adoptée dans l’enseignement pri- maire, lors même que la population rend cette division facilement praticable. La réunion de leçons trop différentes dans l’école d’un seul maître, outre l'inconvénient de partager son attention et ses soins d’une manière très-nuisible à l’avancement , semble de plus mettre un obstacle imsurmontable à lintro- duction de toute nouvelle méthode. Pour ne parler que de la lecture , qui est l’objet spécial de mon memoire , comment adopter un système inusité, pour des commençans qui se trouvent mêlés avec des élèves à qui l'en a donné, et à qui il faut continuelle- (281) ment rappeler d’autres prinapes ? Quel homme serait capable d’une présence d’esprit assez continue, pour ne jamais se méprendre dans l'application alternative de ces deux méthodes ? Et comment garantir les enfans eux-mêmes de la confusion que ce mélange devrait mettre dans leurs idées ? Il serait donc indispensable, pour introduire dans les écoles publiques un système de lecture une fois admis, sinon d'organiser entièrement sur de nouvelles bases cette partie de l'instruction publique , au moins de séparer entièrement les enfans qui commen- ceraient , de ceux qui auraient déjà des notions acquises. Mais on ne doit pas présumer que le plus grand nombre des instituteurs fût dans le cas de se conformer exactement au nouveau plan avec une partie des élèves, en suivant l’ancien avec les autres, à moins que l’exécution de cette mesure ne füt fa- cilitée par quelques moyens extraordinaires ; et le moyen que j'indiquais comme le plus efficace, était l'établissement d’écoles normales , où l’on püût en quelques leçons expliquer aux maîtres le système qui leur serait prescrit, leur-en développer les avantages, et en esssayer avec eux l'application. Quant au plan même que j'avais à proposer , 1l a pour base la distinction de deux sortes de con- naissances que comprend l’art de la lecture, comme toute autre science, celle des élémens , et celle des produits de leurs diverses combinaisons, La première ( 2824) n’est, du moins dans son mode actuel de transmis- sion , que l'ouvrage d’une mémoire mécanique, où la raison n'entre pour rien. Comme cette connais- sance ne tient qu'à une habitude longue et pénible à acquérir, il importe de réduire le plus qu'il est possible ces élémens isolés et indépendans, qui ne se rattachent à aucune notion antérieure. Tout le monde sentira sans peine que ; si au lieu d'enseigner d’abord les lettres, on commençait par les syllabes, qui sont incomparablement plus nombreuses , on accroîtrait la difficulté dans une proportion effrayante ; et que si c’étaient les mots mêmes, dans leur uni- versalité, qu’on voulût prendre pour premiers élémens dans la lecture, il est douteux que la vie entière fût suffisante pour apprendre à lire. L'usage de commencer cettre première instruction par les lettres est dont fondé sur la saine raison , et même le seul dont on puisse obtenir du succès. Il n’y aurait que deux points sur lesquels cette partie semblerait susceptible d’être améliorée , savoir l’ordre dans lequel les lettres sont présentées , et de son qu’on attache à chacune en la nommant. Quant à l’ordre , les livres élémentaires modernes séparent bien les voyelles d’avec les consonnes , parmi les- quelles elles sont dispersées dans l’alphabet ; mas les consonnes elles-mêmes ne sont pas arrangées suivant des rapports d’analogie qui pourraient les rendre plus faciles à retenir. Pour le son par lequel on a cou- (283) tume d'exprimer chaque consonne prise isolément , il contribue beaucoup à rendre lart de lire plus difficile à acquérir. Il y a près de deux siècles que des savans célèbres en ont montré l'inconvénient , et en ont proposé la réforme ; mais l’habitude a prévalu presque partout sur la raison. Voici le prin- cipe sur lequel j’établis la détermination de ce son. Que chaque consonne, prise dans un mot où elle n’est point suivie d’une voyelle écrite, et où pour- tant elle se fait entendre, soit séparée dans la prononciation de ce qui la précède et de ce qui la suit : elle présentera le son qui doit la dénom- mer. Ainsi, en divisant en deux sons les mono- syllabes or, fl, cri, glu, on aura la vraie valeur des lettres nommées abusivement erre, elle, cé, ge, et lon connaîtra qu’elles doivent se prononcer 7e, Le, que, gue. Ce résultat est trop peu nouveau pour avoir besoin d’être plus développé. La seconde partie de l’art de la lecture, qui a pour objet les combinaisons des principes élémen- taires, quelque étendue qu'elle soit, offrirait neu d’embarras, si chaque élément conservait toujours dans ces combinaisons sa valeur naturelle ; mais c’est ce qui n’a pas lieu, et l'emploi des lettres offre au contraire des bizarreries très-incommodes. Je me sers de deux moyens pour diminuer les difficultés. Le premier est de composer les premiers essais de lecture, de mots choisis avec soin, où toutes les (284) lettres conservent leur valeur propre. Le second est, lorsque l'enfant lit très-facilement ces premiers mots, de lui en proposer successivement d’autres où chaque lettre ait ses différentes valeurs, avec l'attention de commencer par des mots familiers, dans lesquels l'habitude fasse aisément abandonner la prononciation indiquée par le raisonnement. Je ne puis me per- mettre de surcharger cette analyse d’explications plus minutieuses. — Mémoire sur l'instruction de la première en- fance. Je cite ici ce mémoire à cause de son analogie avec le précédent, quoiqu'il ne l'ait pas suivi im- médiatement. Je ne m'y suis point proposé de critiquer en général les systèmes d'éducation commu- nément suivis ( critique toujours facile dans un sujet de ce genre ), pour y substituer un nouveau plan: je n’ai eu en vue que les premières années de la vie, et le parti avantageux qu’il me semble possible d’en tirer. J’ai bien présenté d’abord quelques ré-, flexions moins restreintes sur la prodigieuse fécondité de lesprit humain, prouvée par la multitude de takens et de connaissances que réunissent quelques individus, et sur l'ignorance presqu'universelle des hommes mêmes les plus cultivés, principalement par rapport à une quantité d'objets naturels, aussi utiles à connaître que faciles à concevoir ; et J'ai laissé sortir de ce contraste frappant cette conséquence assez simple, que nos méthodes d'instruction sont (285 ) ordinairement vicieuses. Mais c'est particulièrement au premier âge que j'ai voulu appliquer ce reproche. Je n'ai point trouvé qu’on donnât assez d'impor- tance à ces années précieuses , que l’on croit à peine comptables dans un cours d'éducation, quoique ce soit à cette époque que la faculté de concevoir des idées premières est dans sa plus grande force et s'exerce avec le plus d’empressement. Je sais avec quelle défaveur on a coutume d’ac- cueillir tout procédé qui a quelque apparence de singularité , surtout s'il rappelle tel ou tel système prôné et décrié avec un égal excès ; et je ne nie pas même que cette prévention, parmi ses inconvé- niens, n'ait aussi ses avantages. Mais il est certains principes qui paraissent si essentiellement raisonnables, que toutes ces considérations ne peuvent empêcher de les énoncer avec confiance. Par exemple , malgré l'autorité de l’usage, ne doit-il pas être permis d’a- vancer que commencer l'instruction avec des livres, comme si l’univers n'existait plus, et qu’on fût réduit à en prendre l’idée dans les ouvrages des écrivains, c’est renverser l’ordre naturel, qui pré- sente d’abord à notre esprit les objets qui frappent nos sens, ensuite ceux que nous font connaître par 2 moyen de la parole les hommes avec qui nous conversons, et en dernier lieu seulement les faits recueillis dans les écrits des morts ou des