{ V / RECHERCHES EXPERIMENTALES SUR LES CONDITIONS PHYSIQUES DE LA VIE DANS LES EAUX Droits de traduction et de reproduction réservés. PHYSIQUE BIOLOGIQUE RECHERCHES EXPERIMENTALES SUR LES CONDITIONS PHYSIQUES DE LA VIE DANS LES EAUX PAR LE D^ PAUL REGNARD PROFESSEUR DE PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE A l'iNSTITOT NATIONAL AGRONOMIQUE DIRECTEUR-ADJOINT DU LABORATOIRE DE PHYSIOLOGIE EXPÉRIMENTALE A LA SORBONNE PARIS G. MASSON, EDITEUR LIBRAIRE DE l' ACADÉMIE DE MÉDECINE 120, boulevard Sainl-Germain, en face de l'Ecole de Médecine 1891 AVANT-PROPOS Les Leçons que je présente aujourd'hui au public scientifique ne font pas partie de mon enseignement officiel. Ce sont plutôt des conférences que j'ai faites à des époques très diverses et dans diflerents endroits. J'ai dû les compléter pour en faire un tout : j'en ai développé quelques-unes et diminué d'autres. Mon but a été d'étudier ici les modifications physiologiques qu'introduit dans l'appareil animal le fait de vivre dans l'eau. Quand nous faisons de la physiologie, nos yeux se tournent invinciblement vers nous-mêmes et, non seulement le grand public, mais les gens les plus qualifiés nous demandent quelques applications de nos découvertes à nos propres intérêts. C'est pour cela que la physiologie des êtres aériens, qui se rapporte davantage à notre personne, est si développée pendant que celle des êtres aquatiques est à peine à son début. Recherchant les modifications produites par un milieu^ nous avons dû nous occuper longuement de ce milieu lui-même : on trouvera donc ici d'assez grands développements sur le milieu aquatique au point de vue vital. On remarquera qu'il nous a fallu, à côté des recherches qui nous sont personnelles, faire connaître celles de ceux qui ont travaillé sur le même sujet. Nous n'avons certes pas l'orgueil d'avoir été complet : les travaux scientifiques sont aujourd'hui si répandus, que, même après y avoir apporté la conscience la plus scrupuleuse, on ne peut croire un seul instant qu'on a cité VI AVANT-PROPOS. tout le monde et rendu à chacun ce qui lui était dû. Ceux qui liront ces Leçons jusqu'au bout verront que nous avons le plus souvent raconté les faits sans prendre parti dans les discussions de propriété ou de priorité. Si une découverte est bonne c'est l'intérêt qu'elle présente qui nous importe ; celui de son auteur ne vient qu'après. Si même il nous est arrivé quelquefois d'at- tribuer à l'un ce qui appartenait à un autre, nous en présentons d'avance nos excuses aux parties lésées. On remarquera encore que nous avons prononcé peu de noms propres, français ou étrangers. C'est que nous jugeons que la bibliographie, si nécessaire dans les ouvrages didactiques et les articles des grands diction- naires, n'est pas aussi utile dans les Leçons ; nous trouvons qu'elle les coupe et les morcelle, en forçant à chaque instant le lecteur à se reporter au bas des pages pour y trouver des indications qu'il ne désire pas, au moins pour le moment. D'ail- leurs, le professeur, en chaire, ne les a pas données. C'est le devoir de tout auteur de remercier ceux qui l'ont aidé dans son travail : ce sera pour moi un véritable plaisir. Paul Bert, qui m'avait tant encouragé dans mes recherches^ n'est plus là pour recevoir le témoignage de ma reconnaissance. Il est mort au loin, en voulant restituer à notre pays un empire colonial analogue à celui que nous avions perdu pendant le dernier siècle. Son successeur, M. le professeur A. Dastre, dont je suis en- core l'adjoint à l'Ecole des Hautes-Etudes, a mis amicalement à ma disposition la meilleure partie du Laboratoire de la Sor- bonne et de la Station maritime du Havre, qu'il reçoive ici l'expression de toute ma gratitude. Pour bien des recherches, il me fallait aller en mer, essayer des appareils, recueillir des échantillons. Je ne l'aurais jamais pu si le Prince Albert P''. de Monaco, ne m'avait offert maintes fois la plus généreuse hospitalité tant à bord de son yacht que dans la prinripanté elle-même : il a bien voulu se souvenir AVANT-PROPOS. VII toujours d'une amitié qui nous lie depuis notre première en- fance. M. Louis Cailletet, membre de Flnstitut, m'a beaucoup aidé de ses conseils : c'est grâce à lui que j'ai pu entreprendre mes recherches sur les hautes pressions. Que de fois n'ai-je pas mis à contribution sa science de physicien et son ingéniosité d'expérimentateur ! J'ai rencontré encore dans M. J. Tlioulet une aide dont je ne saurais trop le remercier. Faisant lui-même un travail d'océa- nographie pure qui souvent confinait au mien, il m'a com- muniqué ses notes et ses croquis avant même qu'il ne les eût publiés : on verra que j'ai profité plusieurs fois de ce véri- table désintéressement scientifique et que je lui ai souvent emprunté. Je ne voudrais pas finir sans rappeler que tout ce qui a rapport, dans ce livre, à la chimie respiratoire a été fait en com- mun avec mon ami le professeur F. Jolyet, de la Faculté de Bordeaux. C'est lui qui, il y aura vingt ans bientôt, a mis entre mes mains les premiers instruments de physique et de physio- logie expérimentale. J'ai d'autant plus de plaisir à me le rap- peler à moi-même, qu'il est de ceux qui rendent la reconnais- sance facile. RECHERCHES EXPÉRIMENTALES SUR LES CONDITIONS PHYSIQUES DE LA VIE DANS LES EAUX PREMIERE LEÇON LA VIE A LA SURFACE DES MERS Messieurs, Dans un de ses contes philosophiques les plus charmants, Voltaire suppose qu'un géant venu de Fétoile Sirius traverse les espaces et aborde notre planète pour la visiter. — Si pareille fiction pouvait se réaliser, l'être qui arriverait chez nous de cette façon commencerait par traverser notre atmosphère, puis, atterrissant, il reconnaîtrait au-dessous d'elle une autre couche fluide, sans cesse en mouvement ; de cette dernière couche émergeraient par place des points solides et immobiles. En un mot, il verrait que trois modes existent chez nous pour la matière: les gaz qui entourent notre globe d'une sorte d'en- veloppe continue A, les liquides qui lui formeraient une seconde couche continue également E, si les terres ne présen- taient des sortes de pointes T, qui proéminent, déchirent la couche liquide et se mettent ainsi directement en rapport avec la couche aérienne /fig. 1). Dételle sorte que les animaux qui vivent sur la terre sont forcément en rapport, soit avec une Regnard. 1 2 LA VIE DANS LES EAUX. atmosphère aérienne, soit avec une atmosphère aquatique. Les uns, soutenus par les pointes de roc émergées des eaux, vivent dans Tair, les autres, rampant dans les bassins oii les liquides sont demeurés confinés, vivent dans l'eau. Cette diversité d'habitat divise donc les êtres vivants en deux classes bien nettes, les aériens et les aquatiques, et la physiologie générale de chaque groupe est considérablement modifiée par cette différence de milieu. -Mg. 1. Schéma représeutaut la dispositiou du milieu aquatique et du milieu aérien dans lesquels existent les êtres vivants. La physiologie des animaux aériens a été la première qu'on ait étudiée ; c'est elle qu'on développe dans tous les traités classiques, aussi bien est-elle la plus facile à faire : le mammi- fère, l'oiseau, vivent dans le môme milieu que nous, nous les y manions facilement, nous modifions sans difficulté les condi- tions de l'existence qu'ils y mènent. En un mot, l'expérimenta- tion sur eux est plus facile pour nous, puisque nous sommes physiologiquement, nous aussi, des animaux aériens. Il n'en va plus de même pour les animaux aquatiques. Ils vivent au loin, dans des points où nos yeux ne les aper- çoivent pas, et leur observation présente des difficultés particu- lières. Si nous voulons étudier les mœurs des animaux aériens, il nous suffit de regarder autour de nous; mais, en revanche, nous ne pouvons pénétrer chez les aquatiques. Quand nous regardons la surface de la mer immense, rien ne nous dit si elle est déserte ou si elle fourmille d'êtres. Nous sommes un peu LA VIE A LA SURFACE DES MERS. 3 vis-à-vis d'elle comme le géant de Sirius, s'il ne pouvait franchir notre atmosphère : il croirait que notre terre n'est peuplée que des quelques oiseaux de haut vol dont il apercevrait la silhouette à travers les couches nébuleuses de l'air. Si l'observation des êtres aquatiques est difficile et demande des appareils et des précautions toutes spéciales, l'expérimenta- tion que Ton tente sur eux est bien plus pénible encore. Il faut entretenir autour de l'animal en expérience les conditions or- dinaires de sa vie, et c'est pour nous une difficulté capitale. De plus, les phénomènes vitaux se montrent dans ce groupe plus réduits, moins marqués, moins frappants que chez les autres. Il faut une dose d'attention plus grande pour les saisir. C'est sans doute à ces différentes raisons qu'il faut attribuer le délaissement dans lequel les meilleurs auteurs ont aban- donné la physiologie générale des êtres marins. Et, si une maison entière ne suffirait pas à contenir ce qu'on a écrit sur les phénomènes généraux de la vie des animaux aériens, bien petite serait la bibliothèque où on enfermerait ce qu'on a dit de la physiologie spéciale des êtres qui vivent dans l'eau. Et pourtant, le milieu aquatique est loin d'être restreint sur notre globe, il en occupe la partie la plus grande. Krûmmel s'est occupé d'évaluer les relations qui existent entre la surface du sol émergée des eaux, et celle qui en est encore recouverte. La première serait égale suivant lui à 142 millions de kilomètres carrés, la surface recouverte par l'Océan étant de 368 millions. Ces chiffres ne sont évidemment qu'approximatifs, car les régions polaires nous sont inconnues, et Krûmmel, dans son calcul, suppose que ces régions inex- plorées sont occupées également par des terres et par des mers. Murray, par un procédé analogue et ne tenant pas compte des 6 millions de kilomètres carrés qui entourent le pôle Nord et que nous ne connaissons pas, non plus que des 16 millions de kilomètres carrés dont nous ignorons la nature vers le pôle Sud, Murray, dis-je, arrive à des chiffres presque identiques. 4 LA VIE DANS LES EAUX. Nous voyons donc que la surface solide et la surface liquide de notre globe sont entre elles comme 1 est à 2,6. Le monde aquatique est deux fois et demie plus important que le monde aérien. L'Océan Atlantique a une surface de 87 334 950 kilomètres carrés; FOcéan Pacifique représente 144 lo9 100 kilomètres carrés; l'Océan Indien, 43 303 050 kilomètres carrés et enfin les Océans du sud, 79 265 250 kilomètres carrés. Et la masse d'eau prodigieuse qui remplit ces fosses immenses arrive à 1 347 874 850 kilomètres cubes. Veuillez ajouter à cela la masse liquide qui constitue les lacs et qui coule dans les fleuves, masse qui n'entre pas dans ce calcul, et vous voyez que le monde aquatique n'est pas à dédaigner. D'ailleurs, Messieurs, les terres et les eaux ne sont pas éga- lement réparties sur la surface du globe. L'hémisphère du nord, celui que nous habitons, contient à peu près autant de continents que de mers. T [__ M "" 1,116 L'hémisphère sud a, au contraire, une surface liquide dix fois plus considérable que sa surface émergée. T 1 M 10,860 C'est ce que Dove montre par le graphique que je vous pré- sente (fig. 2). Dans ce graphique la partie ombrée représente les surfaces des terres et la partie blanche la surface des mers. Les chiffres placés en bas correspondent aux diverses latitudes du globe. Thoulet a publié, d'après de Chancourtois, un diagramme (fig. 3), qui a l'avantage de montrer à la fois la surface des mers et des terres d'une part et la hauteur de l'eau au-dessus du fond et des terres au-dessus de la surface des mers d'autre part : LA VIE A LA SURFACE DES MERS. je lui emprunte la description de cette figure intéressante. « La surface terrestre, au niveau de la mer, étant représentée Fh Sxxà Schéma représentant l'importance relative des surfaces du milieu aérien et du milieu aquatique sur notre globe. 884o7* 2oo par une circonférence de rayon quelconque, la surface conti- nentale et la surface océanique seront figurées par les arcs AB et BA, respectivement pro- portionnels aux aires conti- nentale et océanique mesu- rées aussi exactement que possible. On divise ensuite chacun de ces deux arcs en parties proportionnelles à la superficie des zones soit con- tinentales, soit océaniques comprises entre 0 et 200, 200eto00, oOOet 1000, 1000 et 2000, 2000 et 8840 mètres (hauteur du Gaurisankar dansTHimalaya) d'altitude et 0 et 1000, 1000 et 2000... 7000 et 8500 mètres de pro- fondeur. On mesure alors les rayons aboutissant aux li- mites de chacune de ces zones ou de ces aires et, à partir de l'extrémité de chaque rayon, on porte à une échelle très exagérée une longueur proportionnelle à l'altitude ou à la Fig. 3. — Schéma représentant l'importance relative des volumes du milieu aquatique et du milieu aérien sur notre globe. 6 LA VIE DANS LES EAUX. profondeur de chaque zone. On joint par un trait continu; la portion ombrée montrera le relief continental, et Tautre la dé- pression océanique ». Cette figure est encore bien intéressante pour nous, car elle nous montre quelle faible importance a le volume des terres qu'habitent les êtres aériens par rapport à la masse énorme du liquide qui remplit les profondeurs oii vivent les animaux qui vont nous occuper. Si la demeure est vaste, le nombre des habitants n'est pas moins important. Aucun naturaliste ne me taxera d'exagération si je dis qu'il n'existe pas un litre d'eau dans la mer qui ne renferme au moins un être vivant, dans bien des cas c'est des centaines d'êtres vivants qu'il faudrait dire. L'Océan, bien plus que la terre, est le domaine de la vie et si, dans les chaudes journées de l'été, nous sommes étonnés de la multitude des Insectes qui bour- donnent autour de nous et rompent le silence des campagnes, que serait-ce si notre organisation nous permettait de voir les myriades de Crustacés qui pullulent dans chaque centimètre cube de l'eau des mers? L'eau est vivante et c'est d'elle qu'est sortie la vie à l'origine de notre monde. Il est même possible d'établir à ce point de vue un contraste entre les eaux et les terres. Celles-ci sont principalement le do- maine des végétaux, les autres restant l'habitat des animaux. Les grandes forêts, les prairies, les savanes sont couvertes d'herbes, de gazons, de plantes, dont les brins ouïes branches se touchent et s'enchevêtrent au point que le sol disparaît sous eux. Des steppes entières sont recouvertes de la même espèce qui donnent au sol sa couleur. Au printemps, quand les neiges fondent en Sibérie, un im- mense tapis de jacinthes et d'iris se développe et fleurit en peu de jours ; qui n'a vu les coquelicots et les bleuets de nos mois- sons changer en quelques heures l'aspect d'une vallée et la faire ressembler à quelque immense draperie multicolore ? Dans la mer rien de pareil, les bords sont couverts de prai- LA VIE A LA SURFACE DES MERS. 7 ries aquatiques formées de fucus divers, mais dès que le fond devient vaseux, dès que la lumière, arrêtée par les eaux, ne pé- nètre plus suffisamment, les végétaux disparaissent et, à ce point de vue, le fond des abîmes doit ressembler à la surface des déserts que nous rencontrons sur la surface des conti- nents. Ce n'est pas à dire pourtant qu'il ne puisse exister aucun grand végétal dans les mers un peu loin des rivages. Seulement comme la lumière leur est absolument nécessaire, leur habitat change, ils ne poussent pas sur le fond, ils nagent à la surface. C'est ainsi qu'il existe dans l'Atlantique boréal, dans l'espace immense qui sépare le 16^ degré du 38° de latitude nord et le 30'' du 80" de longitude ouest, une prairie colossale formée par des Algues flottantes qui recouvrent complètement la sur- face des flots ; c'est la fameuse mer des Sargasses. Elle est explorée depuis longtemps. Déjà Christophe Colomb l'avait sillonnée, il avait môme craint un moment que ses na- vires n'y restassent prisonniers ; leur proue était impuissante à fendre les paquets d'herbes flottantes. Elle est aujourd'hui journellement traversée par les lignes de paquebots qui font le service des Antilles, elle est donc très connue. Elle a été récem- ment visitée par le navire le Talisman qui en a particulière- ment étudié la faune. Dix ans avant le Challenger s'y était aussi rendu. — Ce n'est qu'exceptionnellement qu'on y voit les paquets d'algues réunis en nappes assez grandes pour entraver la marche d'un navire. Il faut que quelque remous, quelque coup de vent les ait accumulés par hasard sur un point donné. En général, les amas d'algues n'ont guère plus d'une dizaine de mètres de diamètre et un chenal au moins double les sépare. Des poissons singuliers ont pris la livrée môme des fucus avec lesquels ils se confondent. Poursuivis, ils se sauvent d'une toufTe à l'autre avec la plus grande précision, montrant bien qu'ils ont l'habitude de trouver les îlots de Sargasses séparés les uns des autres. La couleur des Sargasses est d'un jaune verdàtre, les vagues 8 LA VIE DANS LES EAUX. soulèvent rythmiquement les paquets qu'elles forment, les réunissent ou les disjoignent. On s'est inquiété depuis longtemps de l'origine de ces plan- tes. Pour les uns, les Sargasses se formeraient au fond des eaux et, détachées du sol, elles viendraient ensuite nager à la sur- face. Tout ce que nous dirons plus tard de la vie dans les pro- fondeurs prouvera l'inanité de cette opinion, — On a cru aussi que, poussant sur les côtes du golfe du Mexique, elles étaient entraînées par les courants et apportées par eux au point oîi nous les rencontrons. Il est possible que telle soit en effet leur origine ; mais il est à remarquer que chaque fois qu'on pèche un paquet de Sar- gasse on ne rencontre que des branches terminées par des ci- catrices et soutenues sur l'eau par des sortes d'ampoules rem- plies d'air; jamais on ne constate la présence de crampons, de ventouses ou de quoi que ce soit prouvant que la plante ait jamais été fixée par un point quelconque. Venues on ne sait d'oi^i, les Sargasses depuis un long temps se propagent par rupture des rameaux, ceux-ci ayant la pro- priété, commune d'ailleurs chez les Algues, de végéter sans être aucunement en rapport avec le sol. Si les Sargasses se rencontrent toujours sur le même point des mers, c'est que là elles sont sur une zone calme entre la bran- che américaine et la branche africaine du Gulf-Stream. Ainsi les végétaux marins garnissent les rives et flottent au large, mais ce serait mal les connaître que de croire qu'ils s'en tiennent là. A côté des grandes plantes que nos yeux perçoivent, il en est de microscopiques et celles-là sont les plus nom- breuses. Il est fréquent, lorsqu'on arrive sur les côtes du Groenland, de traverser des espaces marins oii l'eau a totalement perdu cette belle couleur bleue ou verdâtre que nous lui connaissons. Elle est devenue brune et olivâtre. Si on en prend dans un vase, elle semble comme troublée par une poussière si fine que nos yeux ne peuvent en percevoir les éléments. Armés du microscope, LA VIE A LA SURFACE DES MERS. n nous voyons que cette poussière est formée de ve'gétaux micros- copiques, de Diatomées ayant à peine un dixième de millimètre de longueur. Il y en a des centaines dans un gramme d'eau et quelquefois elles colorent la mer sur un espace de 400 kilo- mètres ! Elles vivent et meurent à la surface et leurs débris tombent sans cesse comme une fine pluie qui vient finalement recou- vrir le fond des abîmes. Les grands Cétacés en engloutissent des millions chaque fois qu'ils ouvrent la bouche. Mais qu'importe? on a calculé qu'une seule Diatomée pourrait en quatre jours en produire par géné- rations successives plus de 140 milliards si les circonstances étaient favorables. Scoresby affirme que dans l'Atlantique nord ces amas de Diatomées recouvrent le quart de la surface de la mer. De toute éternité la mer située entre l'Egypte et l'Arabie a reçu le nom de mer Rouge. C'est qu'en effet, à certains moments, ses eaux prennent une admirable couleur rutilante. Ce phéno- mène est dû à la présence de myriades de petites algues, le Tri- chodesmiiim erythrœum . En 1843, Montagne traversa une de ces plaques rouges qui avait 475 kilomètres de long. L'eau était d'une admirable teinte écarlate. Près de Luçon, Freycinet aurait vu une nappe marine égale- ment rouge. Il estimait à 40 millions le nombre d'algues mi- croscopiques contenues dans chaque gramme d'eau. Yous voyez donc, Messieurs, que si, par le nombre des espèces végétales, la mer semble moins bien douée que les continents émergés, elle ne leur cède en rien sur le nombre des indi- vidus. Mais que dirons-nous des animaux qui remplissent fOcéan? Il n'y a pas de fourmilière qui puisse nous donner une idée du nombre, du tassement des êtres vivants qui le sillonnent. Les uns sont tellement grands que nos grands Eléphants sont bien au-dessous d'eux, les autres si nombreux et si petits que les 10 LA VIE DANS LES EAUX. nuages de moucherons qui quelquefois obscurcissent notre ciel ne sont rien à côté des bandes qu'ils forment à travers les eaux. Les monstres des mers, chose curieuse, sont des êtres mixtes, ils ne sont aquatiques que par leur locomotion et aériens par leur respiration. Ils ne vivent dans les mers que pour les dé- pouiller. Ce sont les Cétacés, vous l'avez deviné. L'imagination des marins a bien souvent amplifié leur taille déjà si gigantesque : que de fois n'avons-nous pas entendu par- ler de ces Baleines sur le dos desquelles débarque un équipage qui les prend pour un îlot désert. Il faut laisser à Sinbad-le- Marin ces fables évidentes. Mais on doit pourtant reconnaître qu'on a vu des Baleines de 30 mètres de long et de 20 mètres de tour. C'est la taille d'une église de village. Elles pesaient 200 000 kilos, a peu près ce que pèse un régiment d'infanterie avec armes et bagages. En 1862 un Epaulard échoua sur la côte du Jutland. Eschricht, aussitôt appelé, ouvre le monstre et trouve dans son estomac les débris de treize Marsouins et de quinze Phoques ! Ces monstres de la mer sont rares ou tout au moins le sont devenus en raison de la chasse perpétuelle qu'on leur fait. Les êtres plus petits se font au contraire remarquer par leur immense multitude. « Millions de millions, milliards de milliards, a dit Michelet, qui osera hasarder de deviner le nombre de ces légions?» Si nous en voulons avoir une idée c'est dans la statistique de la pêche que nous la trouverons. Et encore vous rembarquerez que, sur une troupe de poissons qui passe, le filet ou la drague ne prend pas la millième partie. Or, en 1857, la seule ville de Paris a mangé pour 9 169 547 fr. de marée. L'Angleterre embarque tous les ans 120 000 pêcheurs ; c'est le chiflre même de son armée : si l'on compte les pêcheurs au rivage et les femmes occupées à la préparation du poisson, ce nombre se trouve porté à 400 000 âmes. LA VIE A LA SURFACE DES MERS. U En 1882, la France avait 83 000 pêcheurs et prenait pour 93 millions de francs de poisson. La jNorvège à la même époque entretenait 120 000 pêcheurs. En 1881, les Etats-Unis ont pêche du poisson pour une somme d'un demi-milliard. Ce sont les plus récentes statistiques, mais il est certain que, depuis lors, tous ces nombres ont encore augmenté. Je ne puis vous citer tous les Poissons qui remplissent la mer, laissez-moi vous donner seulement quelques exemples. Les Harengs sont connus de tout le monde. Ils voyagent en troupeaux serrés et tassés les uns sur les autres et leurs bandes ont jusqu'à 30 kilomètres de long sur 6 de large : il en passe tant, disait Philippe de Maizières à Charles YI, qu'on pourrait les tailler avec l'espée. « Les harengs, dit Michelet, vont comme un élément aveugle et fatal, et nulle destruction ne les décourage. Hommes, pois- sons, tout fond sur eux; ils vont, ils voyagent toujours. Il ne faut pas s'en étonner, c'est qu'en naviguant ils aiment. Plus on en tue plus ils produisent et multiplient chemin faisant. Les colonnes épaisses, profondes, dans Télectricité commune, flot- tent, livrées uniquement à la grande œuvre du bonheur. Le tout va à l'impulsion du flot et du flot électrique. Prenez dans . la masse au hasard, vous en trouverez de féconds, vous en trouverez qui le furent et d'autres qui voudraient l'être. Dans ce monde qui ne connaît pas l'union fixe, le plaisir est une aventure, Famour une navigation. Sur toute la route, ils s'épanchent en torrents de fécondité. » Et il le faut bien : sans parler des pêcheurs, on prétend que, aux environs des Hébrides, les seuls Fous en détruisent plus de 100 millions. Dès le douzième siècle, les Hollandais occupaient deux mille navires à la pêche du Hareng. Aujourd'hui, ils en prennent et salent environ 250 millions chaque année. C'est la richesse du pays et on a pu dire que la ville d'Amsterdam était fondée, sur des têtes de Harengs. 12 LA VIE DANS LES EAUX. D'après la statistique de 1884, les Écossais en caj3tiirent annuellement 700 millions! En '18o7, trois barques, appartenant au même propriétaire, rapportaient, après une courte campagne, 3 762 000 poissons au petit port de Yarmouth. Quand un banc passe dans un détroit, celui-ci semble en être plein, la mer se soulève et s'agite. Les pécheurs de la Manche appellent cela des bouillons de Harengs. C'est aussi en innombrables troupes que voyage la Morue. Il ne s'agit plus là d'un poisson de petites dimensions, mais d'une espèce dont les représentants moyens atteignent un poids de 12 kilogrammes environ. Les bancs qu'elle forme se voient surtout dans les mers du Nord et aux environs de Terre-Neuve. Le chanoine Yiera donne bien l'idée de ce qu'est l'Océan au passage des poissons. Il en est « lige ». [Mar ciiajado de jjeces.) Il y a déjà trois cents ans que tous les peuples du monde viennent à Terre-Neuve chaque année enlever des myriades de Morues, et le nombre ne semble pas en diminuer. Mais Terre-Neuve n'est pas le seul endroit où sCspôche la Morue. En 1884, sur les côtes de Norvège, six mille grands na- vires étaient occupés uniquement à la prise de ce poisson : la statistique officielle estime à 7o millions le nombre des indivi- dus capturés. J'ai pu, il y a quelque temps, faire un séjour dans cette ré- gion, le pays entier sent la Morue, c'est une odeur qui imprègne tout, même l'eau que l'on boit, le linge que l'on porte : un mois après mon retour en France, les vêtements que j'avais emportés sur ces côtes sentaient encore l'huile. La Sardine, plus encore que les deux autres espèces, donne lieu à des prises phénoménales. Quand ses bancs arrivent sur notre côte bretonne, on en est averti parce que la mer change de couleur, de blanche elle devient grise et comme argentine. Le filet que l'on jette dans la mer ramène tant de Poissons qu'il semble transformé en un véritable drap d'argent. Moquin- LA VIE A LA SURFACE DES MERS. 13 , Tandon cite un coup de filet qui en prit 33,000. La pèche dure à peine deux mois et fournit 7,300 millions de Sardines. Or ce n'est rien à côté de ce qui reste dans la mer ; le banc ainsi décimé ne semble pas diminué. Dans une seule journée de pèche, le 3 octobre 1867, les pê- cheurs de Saint- Yves ont pris 243 millions de Sardines ! Des Poissons moins connus voyagent aussi en quantités énor- mes. Dans le seul golfe du Zuyderzée, les pêcheurs d'Amsterdam prennent annuellement 233 millions d'Anchois. Vous remarquerez que je ne cite que des régions bien con- nues, que la pêche a peut-être diminuées, que pourrait-on dire de la nuée de Poissons qui suivent les côtes à peine explorées du continent africain ou de l'Asie. En voulez-vous ime idée? Les bancs de Poissons sont accompagnés par quelques Squales qui vivent sur eux et font des ravages immenses auprès des- quels notre pêche organisée n'est peut-être rien. Eh bien! la seule ville de Canton vend par an 700,000 kilogrammes de ces Squales. Yeuillez noter que chacun de ces animaux mange des centaines de petits Poissons par jour et que la quantité de ces chasseurs que nous arrivons à prendre n'est sans doute rien à côté de ce qui nous échappe. En résumé, et à ne tenir compte que des peuples qui font des statistiques, les pêches de Poissons fournissent au monde une somme annuelle de 2 milliards de francs. Nous ne pouvons guère apprécier par ce procédé que la population de la mer qui représente pour nous une valeur commerciale. Mais que dire. Messieurs, de la multitude des êtres que nous ne péchons pas et que nous connaissons moins bien ? Je me souviens que traversant, il y a dix ans, le détroit du Grand-Belt, je le trouvai encombré d'une telle quantité de Méduses que ces animaux se touchaient les uns les autres, que mon bateau fendait une sorte de bouillie d'animaux, la proue en coupait des milliers et notre sillage n'était qu'un amas de cadavres, on aurait dit d'une soupe épaisse : invinciblement je me souvenais de cette plaisanterie de notre Midi, de la rivière du Gascon, oii il y 14 LA VIE DANS LES EAUX. avait plus de Poissons que d'eau; elle était réalisée. — Reclus raconte qu'il a vu la mer prendre une couleur jaune orangée tant elle était remplie par ces animaux. En 1850, Piazzi Smyth traversa, près des Canaries, un espace de mer de 60 kilomètres totalement couvert de Méduses. — La couche superficielle com- prenait au moins 345 millions d'individus. Or, le banc avait sans doute une grande profondeur ! Les Crustacés entrent pour une importante quantité dans le monde de la mer ; les pêcheurs de Terre-Neuve chargent actuel- lement de Homards une véritable flotte. Mais ces grands Crus- tacés ne sont rien à côté de ceux de la classe des Copépodes, par exemple, qui couvrent la mer comme une gelée sur des centaines de lieues. Souvent un seau, jeté à la mer pour puiser de l'eau, ramène une sorte de bouillie rosée : examinée à un grossissement moyen, elle se montre formée de myriades de petits Crustacés. En 1888, Albert de Monaco se demanda si cette matière ani- male recouvrant la surface de l'Océan ne pourrait servir de nourriture à des naufragés perdus, sans provisions, sur l'im- mensité des mers. Il laissa traîner derrière V Hirondelle une sorte de filet à papillons formé d'une étoffe de soie à mailles fines. Au bout de quelques heures ce filet improvisé revenait chargé d'une couche de matière animale suffisante pour le repas d'un homme. Bien mieux, quelques lignes laissées à la traîne de l'embarcation. rapportaient un jour près de 300 kilogrammes de poissons de toutes natures. C'est encore à l'infinité sans limite des êtres qui peuplent les eaux, que nous devons rattacher le phénomène qui porte le nom de 7ner de lait. Il a été maintes fois observé par les marins qui traversent l'Océan Indien ; mais une description très complète nous a été laissée par le lieutenant Pornain, qui traversa la mer de lait en 1880 sur le cuirassé V Armide. Le 10 février, vers minuit et demi, par un ciel bleu et sans lune, la mer s'illumina à l'ouest assez vivement pour inquiéter l'oflicier de quart et lui faire croire à la présence dans le lointain LA VIE A LA SURFACE DES MERS 15 d'un navire incendié; mais, une demi-heure après, toute idée de sinistre a disparu etTéquipage, réuni sur le pont, voit le navire entrer dans une énorme nappe d'eau d'un blanc mat et laiteux, La mer ressemble à un champ de neige immense vu par un clair de lune. L'éclairement de l'eau est tel, que les vallées creu- sées entre les vagues en paraissent plus sombres et se perdent avec leurs crêtes dans une teinte commune. Le sillage du navire n'existe plus et l'hélice secoue une écume d'un blanc éclatant. En regardant l'eau défder le long du bord, on la voit remplie d'une myriade de petits corps lumineux qui le deviennent Fiff. 4. — La Mer de lait. davantage encore quand ils touchent le bordage et quand ils s'y frottent. On puise de cette eau, elle est remplie d'animaux lumineux, il y en a quatre cents dans un seul seau. Dès que paraît le jour la lumière de l'eau s'éteint, on puise de nouveaux seaux, on les trouve pleins d'animaux, mais ils ne luisent plus. 11 faut que le soir revienne pour que l'admirable phénomène se reproduise. La nuit suivante on retrouve la mer de lait, mais elle est moins blanche et ce n'est que le quatrième jour que la lueur est supprimée pour ne plus revenir. La mer de lait (fig. 4) avait une longueur de 1,100 kilomètres. Je ne crois pas, Messieurs, qu'en aucune langue humaine il existe un terme qui puisse représenter le nombre des animal- cules qui s'y trouvaient. 16 LA VIE DANS LES EAUX. La région du cap Gardafui n'est d'ailleurs pas la seule où ce phénomène se puisse observer : dans toutes les mers cliaudes, les marins l'ont souvent vu. Déjà, en 1854, le capitaine Kingmann avait rencontré une tache laiteuse de 30 milles de long dans le golfe du Bengale. En 18G0, le commandant ïrébuchet revit la mer de lait aux environs d'Amboine. La mer brillait comme une plaine crayeuse éclairée sur la lune. Chez nous-mêmes, la phosphorescence de la mer n'est pas rare pendant les nuits chaudes de l'été ; mais elle est moins bril- lante; de seconde en seconde on voit comme une étincelle sortir des eaux, puis une autre lui succède. Les rames d'un bateau en dégagent des pluies d'étincelles. Les roues des vapeurs dévelop- pent comme des gerbes enflammées. Eh bien, ces deux phénomènes, phosphorescence ordinaire et mer de lait, sont dus à des noctiluques miliaires, animaux si petits qu'il peut y en avoir 2o 000 dans 30 centimètres cubes d'eau. Et nous venons de voir qu'ils peuvent former des taches ayant l'étendue de la France. Il me faudrait parcourir toute l'échelle des êtres pour vous faire comprendre combien la mer est habitée, comment on a pu dire que l'eau était vivante. Vous souvenez-vous d'avoir vu la plage couverte de cesP]toiles de mer d'un si beau jaune orangé, en quantité telle que des tombereaux venaient les chercher pour aller ensuite les répan- dre sur le sol et fumer les terres? Et que dire des Mollusques ; il y a des plages entières qui ne sont composées que de valves de ces animaux, et ces plages s'étendent sur des centaines de lieues de longueur. De l'embou- chure de la Somme, pour n« parler que de ce qui est voisin de nous, jusqu'aux côtes plus rocheuses de la Finlande, le bord de la mer n'est constitué que par des débris de coquilles mélan- gés au sable. La parole de la Bible est dépassée : ces êtres ont crû plus que le sable de la mer. Ce serait, Messieurs, le moment de vous parler des Foramini- LA VIE A LA SURFACE DES MERS. 17 fères et des Globigérines. Ces animaux inférieurs sillonnent la mer, ils en couvrent la surface ; leurs cadavres tombent à travers les eaux comme une neige ou plutôt comme une bruine perpétuelle. C'est une pluie fine et lente qui arrive sur le fond et s'y amasse sans arrêt. Nous nous en occuperons quand nous étudierons ensemble la faune des grandes profondeurs. Regnard. DEUXIÈME LEÇON LA VIE DANS LES PROFONDEURS DE LA MER Messieurs, Tandis que les naturalistes et les poètes de tout temps ont été unanimes à célébrer la fécondité de la surface et du rivage des mers, ils ont en môme temps considéré les profondeurs de l'Océan comme des solitudes immenses où règne une obscurité profonde, où jamais plante ni animal n'a pu trouver les con- ditions nécessaires à son existence. Il faut arriver tout près de Tépoque actuelle pour avoir quelques notions sur les habitants des profondeurs abyssales. Il semblait, autrefois, que la pression terrible que supporterait un être vivant au fond des eaux marines, pression qui peut at- teindre 850 atmosphères, fût tout à fait incompatible avec l'existence et que tout être qui s'aventurerait à supporter de telles conditions de vie dût à coup sûr succomber. C'est ce qui transparaît dans les écrits de tous les auteurs qui ont existé avant 1850. Darwin, lui-même, n'a pas connu com- plètement la faune des grands fonds qui aurait pu lui fournir des arguments si précieux. Et pourtant depuis des siècles, à Sétubal, à Arabida, les pêcheurs descendaient des lignes de plus d un kilomètre dans la mer et péchaient ainsi des Squales d'une nature particulière. Ces paysans savaient ce qu'ignoraient, ce que niaient même les naturalistes. LA VIE DANS LES PROFONDEURS DE LA MER. 19 Quoi qu'il en soit, Forbes, qui fait autorité en la matière, di- visait les profondeurs de la mer en zones superposées qui se distingueraient par une faune et une flore assez distinctes. La première zone serait la Littorale. Elle est formée de toute cette portion du sol sous-marin que l'eau couvre et découvre à chaque marée. Sans cesse baignée d'air et de lumière, elle donne naissance à une foule d'organismes. Les Algues y sont vertes, nombreuses et composées surtout de ces fucus qui réa- lisent de véritables prairies aquatiques. Poissons, Crustacés, Cœlentérés y foisonnent. La seconde zone est la zone Laminarienne ; elle n'est plus jamais en contact avec l'air directement et des forets y sont for- mées par les Laminaires, algues en forme de longue bande de cuir. Elle va environ jusqu'à 30 mètres sous les plus basses eaux. Une phanérogame du genre Halophila croît encore dans cette région : c'est aussi celle des Poissons et des Crusta- cés de grande taille, c'est la région de la pêche côtière, celle où vivent en sédentaires les espèces les plus recherchées pour leur chair, les plus brillantes par leur couleur. Au-dessous, et descendant jusqu'à 90 mètres, serait la zone Coralline. La lumière y devient peu intense, les plantes y sont rares, les espèces déjà moins nombreuses. Enfin de 200 à 600 mètres se trouverait la zone des profon- deurs. Plus de plantes, à peine quelques animaux de couleur sombre. Une faible lueur éclairerait cette demi-solitude. Au-dessous ce serait l'abîme oii rien ne vivrait et, de même que dans les montagnes au-dessus d'une certaine hauteur on ne trouve plus que le roc à nu sous la neige, de même, dans les fonds, passé certaine distance, on n'aurait plus rencontré que la vase et rien sur elle. L'immensité des mers était donc abiotiqiie.^ azoïque. Yoilà ce qu'on professait encore vers 1840. Vous allez voir, Messieurs, qu'il nous faut bien revenir sur cette opinion. Les explorations un peu complètes n'ont pas été longues 20 LA VIE DANS LES EAUX. à donner tort aux théories préconçues des naturalistes. Dès 1818, John Ross, sondant la baie de Baffin, avait ra- mené de plus de 1800 mètres des Crustacés, des Annélides et même une magnifique Etoile de mer, ÏAsterias Cajmt-Medusœ^ mais on prétendit que ces animaux s'étaient attachés à la sonde pendant qu'on la remontait. D'autres marins avaient retiré de grands tonds une assez grande quantité d'animaux morts. Mais vous comprenez bien que, là, l'objection était plus facile encore ; on soutenait que la sonde avait hapé des cadavres d'animaux qui avaient succombé à la surface et coulé ensuite sur le fond. En 1847, Sir James Ross raconte qu'en un dragage qu'il a fait en 1841 par 1000 brasses dans les mers Antarctiques, il a ramené des Crustacés, des Mollusques et deux Annélides. Il ajoute môme qu'il est persuadé que partout oii on portera la sonde, on ramènera avec la vase une certaine quantité d'êtres vivants. Ces faits avaient peu touché les naturalistes, quand, en 1860, commença la grande campagne destinée à la pose du câble télé- graphique entre llrlande et Terre-Aeuve. AVallich qui accom- pagnait l'expédition en qualité de naturaliste fit une série de découvertes de la première importance. Par 1228 mètres, au début du voyage, la sonde ramena une Serpule fraîche et des coquillages vivants. De 2268 mètres, on retira des Etoiles de mer dont les cavités étaient remplies d'organismes inférieurs. Ces Astéries elles-mêmes étaient arrivées cramponnées à la corde de la sonde : c'était encore sur ce point que triomphaient les objections. Après Wallich, Torrell pécha par 2620 mètres un gros Crus- tacé très brillant qui revint attaché au suif du plomb de sonde. Pourtalès affirme que le golfe du Mexique, à 1000 mètres de profondeur, lui fournit des pêches aussi abondantes et aussi variées que le littoral. Tous ces faits ne semblaient pas concluants, quand, en 1865, un événement capital vint appeler l'attention véhémente des LA VIE DANS LES PROFONDEURS DE LA MER. 21 naturalistes sur la faune profonde et enlever tous les doutes qui pouvaient subsister encore. Le câble téle'graphique qui relie la Sardaigne à l'Algérie se cassa tout à coup et cela par une profondeur de 2000 mè- tres. On releva la cassure et on réséqua un bout du fil. Il était entouré d'une masse de coraux et d'animaux marins qui lui formaient une ceinture bien plus grosse qu'il n'était lui- même. — Hervé-Mangon remit à Alphonse Milne-Edwards ce tronçon et le savant naturaliste reconnut que des Polypiers nombreux étaient fixés sur le câble; plusieurs étaient récem- ment morts, leur chair était encore fraîche. Il y avait même là une Huître qui s'était développée sous loO atmosphères et qui se trouve d'autre part communément sur notre littoral. Il y avait aussi deux Pecteîis aux stries fines et aux couleurs voyantes, que l'on trouve en général à une centaine de mètres de profondeur. Ici il n'y avait pas à dire que les animaux s'étaient attachés sur le câble pendant ison immersion ou son extraction. Ils étaient nés dans le grand fond et ils y avaient vécu. Mais la découverte d'A. Edwards avait une autre importance à laquelle on ne s'attendait guère. Deux Polypiers recueillis par lui sur le tronçon du câble étaient identiques à des espèces du terrain tertiaire, que l'on croyait à jamais disparues. Ainsi, dans les grands fonds des mers, vivaient encore ces animaux qui ne se voient plus sur la surface de la terre et des eaux. Ainsi, dans les abîmes de l'Océan, nous allions peut-être re- trouver le monde géologique. La suite a montré que cette vue n'avait rien d'exagéré. Ce travail fut, je puis le dire, le point de départ d'une fièvre scientifique qui n'est pas apaisée. Les nations armèrent des navires pour aller à la recherche de la faune profonde. En moins de vingt-cinq ans des résultats immenses étaient obtenus. Mais faut -il le dire. Messieurs, si le signal est parti de chez nous, nous avons été les derniers à nous mettre au travail. D'abord un gouvernement peu sensible à ce qui ne brillait pas 22 LA VIE DANS LES EAUX. à la façon des bijoux faux (et la science est bien ainsi), puis les revers de la patrie, les grosses dettes à payer après la défaite sur les champs de bataille, tout cela retarda l'expe'dition fran- çaise, pendant qu'Américains, Anglais, Suédois et Allemands prenaient les devants. Ce sont les Américains qui se mirent à l'œuvre les premiers, leurs débuts datent de 1863, mais la guerre qui ensanglanta leur pays vint interrompre les recherches qui ne reprirent qu'en 4867. Dans cet intervalle pourtant, 8 à 9 mille spécimens d'animaux avaient été péchés dans la région qui s'étend entre le Gulf-Stream et la rive américaine et cela par un fond de 2,000 à 2,500 mètres. En 1867 le Coj^win et en 1868 le Bibh appareillèrent pour une campagne scientifique, des accidents indépendants de la volonté des organisateurs réduisirent l'importance de ces deux tentatives. La même année, une expédition anglaise sous les ordres de Wyville Thompson et de Carpenter partait sur le Lightning, pour draguer la mer qui s'étend entre l'Ecosse et les Faroër. C'était un premier essai ; pendant deux ans un navire plus considérable, le Porcttpine, fut mis à la disposition des mêmes naturalistes. La campagne fut plus importante et plus longue, on dragua tout l'espace qui va des Faroër au détroit de Gibraltar. Le navire pénétra même en Méditerranée et rentra dans l'Océan après avoir contourné la Sicile. Il ne s'agissait encore que de navires appropriés aux recher- ches zoologiques par quelques aménagements peu importants. Le gouvernement anglais voulut faire plus grand et il arma en 1872 le fameux navire le Challenger qui, sous la direction du capitaine Nares, devait parcourir pendant quatre ans l'Atlan- tique, le Pacifique, et l'Océan Indien. A bord, se trouvaient des hommes comme Wyville Thompson, John Murray. Tout ce que la science a de plus nouveau s'y rencontrait : sondes, dra- gues à vapeur, laboratoire de physique, observatoire de météo- rologie. Personnel de préparateurs, de dessinateurs, de photo- LA VIE DANS LES PROFONDEURS DE LA MER. 23 graphes, rien ne manquait. Mais ce n'est pas ici le lieu de développer ces faits sur lesquels nous allons avoir maintes fois à revenir. Au moment même où le Challenger accomplissait sa merveil- leuse campagne, il ne faut pas croire que les Etats-Unis demeu- rassent inactifs. Dès 1871 et 1872 le Hass 1er avec L. Agassiz visitait les côtes de l'Amérique du Sud, et en 1873 le Blake dra- guait le golfe du Mexique et la mer des Antilles. Presque au même instant, les Suédois exploraient leurs côtes sur le Vôri7ujen et les Allemands sur la Gazelle. Vous concevez sans peine, Messieurs, que mon intention n'est pas de passer en revue les résultats zoologiques de toutes ces expéditions, cela n'entre nullement dans notre sujet qui est l'étude physio- logique des conditions de la vie aquatique. En 1880, l'homme môme qui le premier avait prouvé l'exis- tence de la vie dans les abîmes, Alphonse Edwards, obtenait du gouvernement français qu'un modeste navire, le Travailleur, fût mis quelque temps à sa disposition et à celle de ses collè- gues. Pendant trois ans ce navire explora la côte française et celle du Portugal et de l'Espagne. Dans sa dernière campagne il poussa môme jusqu'aux Canaries. Une année après, un bateau plus considérable, le Talisman, beaucoup mieux aménagé, fut livré pendant quelques mois à la Commission des dragages. Il fit une importante campagne aux Açores et sur la côte nord-ouest du continent africain. Vous avez vu, Messieurs, les merveilles rapportées par nos savants explorateurs. Et s'il est possible, en pareille matière, d'exprimer un regret, c'est qu'une salle spéciale n'existe pas dans notre Muséum, oii soit amassée la faune des abîmes. Rien n'aurait pu mieux frapper l'imagination du public curieux d'apprendre, et honorer davantage ceux des nôtres qui, après tant de brillantes campagnes faites par l'étranger, ont encore trouvé du nouveau à découvrir et à nous montrer. Sur ces entrefaites, c'est-à-dire en 1886, un Prince-sou- verain, Albert de Monaco, donnant un exemple qu'il faut 24 LA VIE DANS LES EAUX. bien regretter de ne pas voir suivre plus souvent , partait d'abord seul, puis accompagné de Pouchet et de Jules de Guerne sur la goélette à voile de 206 tonneaux Y Hirondelle. Ce navire avait été rapidement organisé et, bien que ne possé- dant pas la vapeur, bien qu'ayant un équipage restreint, il accomplissait une série de campagnes véritablement étonnantes. Tour à tour démantelée, naufragée, rasée par la tempête, V Hirondelle alla deux fois aux Açores, en Irlande, à Terre-Neuve, draguant les grands fonds et rapportant cette superbe collection qu'il nous a été donné de voir à l'Exposition de 1889. Le prince de Monaco ne s'en tint pas là ; V Hirondelle a tant souffert qu'il ne serait plus prudent de l'exposer aux dangers. Au moment même où je vous parle, sur les chantiers de Lon- dres, se construit le premier navire qu'on ait, non pas aménagé, mais bâti pour la science môme. Le yacht Princesse- Alice ^ de plus de 600 tonneaux, sera un véritable laboratoire flottant. Par ses puissantes dragues à vapeur il permettra de poursuivre les recherches du Challenger et du Talisman. Dans un aqua- rium flottant, on pourra étudier à bord et rapporter vivants, à Paris, des êtres qu'on a toujours été forcé de laisser mourir sur place. Dans des chambres frigorifiques on placera les animaux quelquefois énormes que l'on pêche au large. Ces colosses arriveront encore frais dans les laboratoires de notre Muséum et pourront y être disséqués, dessinés, sans que leurs formes ou leurs couleurs aient le moins du monde été modi- fiées. En un mottes derniers perfectionnements existeront à son bord (1). Quand on étudie les animaux côtiers, la pêche à marée basse et le fait de recueillir ce que ramènent les filets des pêcheurs de profession suffisent complètement à défrayer les zoologistes. (1) Comme nous l'avons dit, nous ne pouvons entrer ici dans les détails des expéditions de dragage. On en trouvera des comptes rendus dans les ouvrages intitulés les Abîme?, de la mer de Wyville Thomson, la Vie au fond des mers, de Filhol, les Explorations sous-marines, par Perrier, enfin dans les magnifiques publications du Challenger, du Talisman et de V Hirondelle. LA VIE DANS LES PROFONDEURS DE LA MER. zo Il n'en est plus de même dès qu'on aborde les profondeurs. Ici il faut un matériel tout spécial et ce n'a pas été une mince affaire de l'imaginer. Les expéditions américaines et anglaises se sont surtout servies de la drague et principalement de la drague de Bail. Qu'on imagine un cadre dont les deux grands côtés sont garnis d'un tranchoir coupant comme celui dont se servent les jardi- niers pour enlever d'un coup l'herbe des allées en raclant leur surface. Ce cadre de fer est suspendu par une anse qui s'insère d'autre part sur les deux petits côtés, A cette anse est attachée la corde qui le suspend. De l'autre côté du câble, est solidement fixé un grand sac en cuir. On conçoit sans peine qu'en traînant sur le fond un pareil engin, il raclera la vase ou le roc, et tout ce qu'il enlèvera ira se remiser dans le sac béant qui lui fait suite. Il suffira de ramener la drague à bord et de vider son filet pour faire une ample moisson. Seulement, il faut bien l'avouer, si la drague est un outil puissant, c'est aussi un outil bien brutal, il hache tout sur son passage et, pour quelques grammes d'animaux intéressants et complets qu'il rapporte, il ramène des centaines de kilogrammes de vase, de pierres et d'animaux brisés ou piles, ce qui ne fait qu'augmenter les regrets des pécheurs. De plus, la drague va doucement. Elle ramasse bien les animaux lents ou sédentaires, mais, si peu qu'une bête soit agile, elle n'a guère de peine à échapper à un engin qui s'avance avec fracas et en soulevant un tourbillon de vase. Ce fait frappa les premiers explorateurs du Challenger^ qui suspendirent en avant de leur drague un paquet de fauberts, c'est-à-dire une liasse de fils d'étoupe. Ces sortes de grands pinceaux flottent dans l'eau comme des Algues : maints animaux s'y réfugient, s'y embarrassent et se laissent ramener à bord sans avoir subi de violents chocs. Cette adjonction à la drague a déjà été un progrès, mais bien d'autres ont suivi. Le Vôringe^i se servit le premier du chalut de pêche à étrier, et le Blake du chalut à plateaux divergents. 26 LA VIE DANS LES EAUX. A bord du Talisman on fit un grand usage du chalut ; j'em- prunte au livre de Filhol la gravure qui le représente tel qu'il servit alors (fig. 5). C'est, comme on le voit, un grand sac de filet de cordes fines, suspendu à deux étriers de fer attachés eux- mêmes à un câble et tenus séparés par deux barres de fer. Au milieu du sac, s'en trouve un second percé d'un trou à son sommet. Il joue là le rôle d'une ouverture de nasse. Tout ce qui l'a franchi ne peut revenir en arrière. Enfin, au fond du sac, se trouve un gros bou- let de fer qui empêche la queue de se relever dans l'eau et la force à trainer sur le sol. Un pareil engin est déjà bien supérieur à la drague ; il est plus rapide et moins brutal. Il a donné d'excel- lents résultats. On eut l'idée de laisser au fond, près du boulet, un paquet de fau- berts et là on retrouva des animaux intacts, quoique fort délicats. Le prince de Monaco a même apporté un perfectionnement : il a at- Fig. 5. Chalut du Talisman. taché une série de fauberts dans r intérieur du chalut, ceux-là LA VIE DANS LES PROFONDEURS DE LA MER. 27 se sont trouvés fort bien protégés et ont ramené quantité d'a- nimaux inconnus. Pour empêcher encore que le boulet qu'on laisse souvent au fond du chalut ne vint à le crever, le prince de Monaco eut la simple et heureuse idée de l'attacher en arrière à quelques mètres et de lui donner une forme d'olive qui lui permît de glisser facilement sur la vase sans trop la secouer. Fig. G. — Bobines et câble du Talisman. Quand on veut se servir du chalut il ne suffit pas de le des- cendre et de le mener à la traîne, on s'exposerait, en procédant ainsi, aux plus grands mécomptes. Le câble qui portera le chalut est en général en fil d'acier. Il est soigneusement roulé sur une bobine que meut un treuil à vapeur (fig. 6). On commence par le passer sur la poupée d'un autre treuil plus puissant qui servira à le dérouler, puis à le relever (fig. 7). De ce treuil, le câble passe sur une forte poulie attachée à la base d'une bigue E (fig. 8), puis, arrivé au sommet de cette 28 LA. VIE DANS LES EAUX. bigue, il rencontre une autre poulie, passe desssus et vient pendre au dehors du navire, sur l"un des côtés. Outre qu'elle projette en dehors Taxe du chalut, la bigue a encore une autre utilité : elle permet de savoir à chaque instant quelle traction supporte le câble. Sans cette précaution de graves accidents peuvent arriver; le chalut peut s'accrocher à quelque roche, le navire tire toujours, on ne s'en aperçoit pas et Fig. 7. — Treuil et poupée destinés à relever les chaluts [Talisman). subitement un craquement a lieu : c'est le câble qui casse, l'ap- pareil est perdu. Du sommet de la bigue part donc un câble qui va jusqu'au màt de misaine et rencontre là une poulie de réflexion sur laquelle il passe. Puis il va s'attacher à Vaccumu- lateur. On appelle ainsi une sorte de dynamomètre qui donne à chaque instant la notion de la tension du câble. Sur le Challenger., qui l'employa le premier, il était formé d'une liasse de fils de caoutchouc extrêmement solides. Suivant qu'ils étaient plus ou moins étirés, on jugeait de la tension du câble. Sur le Talisman l'accumulateur était formé par une pile de LA VIE DANS LES PROFONDEURS DE LA MER. 29 disques de caoutchouc séparés par des rondelles de tôle. Ils étaient serrés entre deux plateaux A (fig. 8) que rapprochait le câble quand il tirait; Taccumulateur, au lieu d'augmenter, di- minuait donc de longueur, on le graduait au préalable. Libre, il avait l™,oO de long; comprimé par 3000 kilogrammes, il arrivait à n'avoir plus que 99 centimètres ; il était facile d'obte- nir les points intermédiaires. Fig. 8. — Dispositif de la bigue et de l'accumulateur sur le Talisman. Mais le caoutchouc se comporte mal à la mer, surtout dans les pays chauds et le prince de Monaco, à bord de V Hirondelle ., essaya de remplacer son élasticité par celle de l'acier. Deux ressorts d'acier à boudin (fig. 9) sont emboîtés l'un dans l'autre ; ils reposent sur le plateau A' lequel est attaché au plateau B qui lui-même est rattaché par un anneau C au cable de la bigue. D'autre part s'appuie sur eux un plateau A ratta- ché au plateau B, qui par l'anneau C est attaché sur le pont du bateau. Il est évident que toute traction de la bigue tendra à comprimer les ressorts en rapprochant A de A'. Un style E qui se meut sur une règle graduée donnera à chaque instant la tension que subit le câble. Si cette tension 30 LA VIE DANS LES EAUX. est un peu forte, un premier timbre /(%. 10) sera mis en mou- vement et avertira l'équi- page; si la tension aug- mente encore, il y a dan- ger, un gros timbre F son- Fig. 9. — Accuniolateur de ['Hirondelle. i//. fO II-'. s^ I -= « o ^ g-5 I ^ I ^ - 2 • (3 o o ^ ^- « ^ jS c I "1 ■^ r-. 2 2^2 ce l| O 53 3 R OJ ^ s .- lO I Ctj o o o bC ~ --3 O O 3 I Cl p c • '^ "S .. 2 pluie, jusqu'au fond des mers où ils s'accumulent de toute éter- nité, tendant en réalité à combler leurs bassins : prenant à la côte et à la surface les éléments minéraux qui se trouvent ainsi entraînés vers le fond, de telle sorte que les grands dépôts géo- 62 LA VIE DANS LES EALX. logiques se continuent sous nos yeux et que nous assistons à la manière dont se sont formés les terrains de sédiment. Wyville Thompson a même été plus loin. Pour lui, la période crétacée continue dans les fonds de FOcéan qui en sont, pour ainsi dire, restés à ce point de l'évolution géologique ; si bien que nous assistons encore à la formation silencieuse des mêmes bancs de craie que nous rencontrons émergés de tant de points du globe, sièges des antiques mers secondaires. Fig. oG. — Rhabdosphère. Cette opinion absolue est fort contestée aujourd'hui, attendu que les êtres qui ont formé la craie sont loin d'être tout à fait identiques à ceux qui abandonnent maintenant leurs carapaces au fond des abîmes. Mais il n'est pas niable qu'il se forme en ce moment même au fond des mers une boue faite de cada- vres animaux et végétaux, et nous ne savons pas du tout quelle roche pourrait donner cette boue si quelque cataclysme venait l'élever, la découvrir et l'exposer aux agents atmosphé- riques. Un récent travail de Murray, ajouté à d'anciennes recherches de Pourtalès, va bien nous faire comprendre dans quel ordre BIOLOGIE DU FOND DES MERS. 63 de succession se forment ces différentes vases. La carte de rOcéan Indien, que je place sous vos yeux, vous montre que tout le long des côtes de l'Afrique, le long du continent antarc- tique et surtout autour du continent asiatique, il se dépose une grande quantité de ces vases que l'on a appelées terrigènes parce qu'elles ne sont que des détritus rocheux et sableux arrachés aux terres par les eaux sauvages; puis, le long du continent antarctique, dans l'endroit où fondent les glaces, où Fig. 37. — Rhabdosphère. f par conséquent beaucoup d'eau douce abaisse la salure de la mer, nous observons un abondant dépôt de Diatomées : en re- vanche, les Foraminifères manquent, mais nous les voyons former une nappe énorme qui comprend tout le centre de l'Océan. Dans les points les plus profonds de celui-ci, nous observons la disparition des Globigérines et à leur place nous voyons d'abondants dépôts de Radiolaires siliceux. On s'est beaucoup demandé comment, puisque Foraminifères et Radiolaires vivent ensemble à la surface, il pouvait y avoir C4 LA VIE DANS LES EAUX. une sorte de partage dans les boues qu'ils vont former sur le fond. Deux théories, qui seraient d'ailleurs à démontrer, peu- vent expliquer ce point de science. Partout ori il existe des Fora- Fig. 38. — Carte de l'Océau Indieu d'après Murray. Elle indique la nature du fond de la mer. minifères, il y a aussi des Radiolaires mélangés, mais la réci- proque n'est pas vraie. De plus, les Radiolaires forment des dépôts toujours plus profonds que les Foraminifères. Il serait donc possible d'admettre que les coquilles calcaires des Foraminifères arrivent déjà à moitié dissoutes par l'eau de BIOLOGIE DU FOND DES MERS. 65 mer quand elles rencontrent le fond assez tôt; mais si, dans leur très lente descente, elles doivent trouver le fond plus bas, elles ont le temps de se dissoudre complètement avant de l'atteindre, de telle sorte que les Radiolaires à coquilles siliceuses et inso- lubles arriveraient seulement sur ce fond et y formeraient des dépots sans aucun mélange. Une autre théorie admet que dans certains points de la mer, et pour des causes variées, il se trouve un grand amas d'acide carbonique, liquide sous la haute pression qu'il supporte, et Trimcahilirui' Piervpode* MilUoIa. ' MajyinuUna \ Cfcbi^c^lnes Fig. 39. — Schéma indiquant l'ordre de succession des dépôts vivants à mesure que l'on descend dans l'Océan. que cet acide devenu puissant attaque et dissout aussitôt les coquilles calcaires, forme du bicarbonate de chaux soluble et respecte absolument les coquilles siliceuses qui restent seules dans la vase. Il me reste à vous faire connaître l'ordre de distribution en profondeur de ces dépôts. C'est Pourtalès qui nous l'indique d'après les recherches qu'il a accomplies sur la côte est des États-Unis. D'après lui, les Miliola se trouvent de 0 à 80 mètres ; les Trimcatulina de 50 à 140 ; les Margimdlna et les Cristellaria de 140 à 400. A 400 mètres arrivent les Pteropodes. Les Giobi- gérines commencent à 3000 mètres et vont jusqu'à SOOO. C'est après ce niveau qu'il nous faudrait placer les Radiolaires^ après quoi on ne trouve plus rien que des argiles absolument Regnard. 3 06 LA VIE DANS LES EAUX. azoïcjues dont nous allons parler tout à Tlieure. C'est ce que représente le schéma que je vous présente (fig. 39). Messieurs, après les vases composées de cadavres d'animaux et de végétaux, nous rencontrons les dépôts d'abtmes. C'est vers 5000 mètres qu'ils commencent. Là, plus trace de co- quilles microscopiques, elles sont toutes dissoutes. Le fond de la mer est tapissé d'une argile grise ou rouge qui n'est que le résultat de l'action de l'eau de mer sur le fond volcanique de l'Océan et sur les roches primitives qui le forment. Aucune trace de sédimentation animale ne s'y trouve, et même cette couche molle d'argile rouge est peu épaisse, car la sonde va frapper à travers elle sur le roc nu. On a quelquefois ramené du tond des blocs de pierre qui y étaient tombés accidentellement, une rayure très nette montrait jusqu'où ils étaient ensevelis dans la vase, leur sommet étant baigné par l'eau. Au milieu de ces vases rouges, on rencontre quelques miné- raux, des sphérules magnétiques et des nodules manganésiens. Ont-ils été lancés par des volcans, sont-ils de nature cosmique? C'est ce qu'on discute encore aujourd'hui ; mais leur étude est plus celle de l'océanographe que celle du biologiste ; je ne puis donc que vous renvoyer sur ce point aux travaux de Murray, de Renard et de Thoulet. Ce qui nous intéresse davantage, c'est que dans ces argiles on a rencontré une grande quantité de dents de Squales et d'os tympaniques de Baleines, derniers vestiges de ces animaux. — Certaines dents môme appartenaient à des espèces aujourd'hui éteintes. Un coup de drague donné par le Challenger^ au sud des Marquises, rapporta, nous dit Thoulet, plus de 100 dents de Requins et 40 caisses tympaniques de Baleines. Vous seriez étonnés, Messieurs, si, vous entretenant du fond des Océans, je passais sous silence le Bathybius qui fit, il y a peu, son apparition dans le monde avec tant d'éclat, j'allais dire de fracas. — Le Porcupine^ draguant les fonds de l'Océan, ra- mena dans ses appareils une sorte de gelée transparente, remplie de Coccolithes et il parut à Huxley que cette gelée était ani- BIOLOGIE DU FOND DES MERS. 67 mée de mouvements sarcoLlir[ues analogues à ceux de ces êtres primordiaux que Ton appelle les monères. On retrouvait donc au fond de la mer, au milieu de ces boues, de ces argiles dont nous venons de nous entretenir, Tètre le plus simple, le proto- type de la vie. Et il ne s'agissait pas d'un être microscopique ; le Bathybius pouvait occuper sur le fond des espaces immenses comme une couche de gélatine vivante répandue sur la vase et mêlée avec elle. Le sol même des mers vivait d'une existence simple mais constatable par le mouvement et la respiration chimique. L'enthousiasme fut grand, il semblait qu'on tenait la clef de la création et l'origine de la vie. On est un peu calmé au- jourd'hui. Des naturalistes considérés pensent que le Bathybius n'a été qu'une apparence trompeuse, qu'un artifice de prépa- ration et qu'on l'obtient toutes les fois qu'on mêle de l'eau de mer avec de l'alcool ; il se produit alors un précipité gélatineux de sulfate de chaux. Les partisans du Bathybius n'ont pas désarmé pour cela; mon rôle d'historien est de ne pas prendre parti et de vous exposer simplement les deux avis, sans y mêler le mien. La question, d'ailleurs, n'a pas l'importance philosophique qu'on lui donne. Le Bathybius n'est pas le seul être monérien qui existe et, fût-il un résultat artificiel, il ne nous resterait pas moins les Protomyxa^ les Amibes et autres êtres analogues qui marquent le début de l'organisation vitale et que personne ne songe a nier. Nous devons rapprocher du Bathybius un autre être primor- dial, sorte dégelée vivante, lui aussi, auquel M. de Folin a donné le nom de Bathybiopsis simplicissimus. L'auteur l'avait rencon- tré dans les dragages du Talisman^ au niveau du golfe de Gas- cogne. Il serait, lui aussi, le principe des êtres; sa première division en s'entourant d'une coquille s'abriterait dans une de- meure et nous serions ainsi sur la voie de la formation du type Foraminifère. Il convient d'attendre que l'opinion des zoolo- gistes soit arrêtée sur le fait même de l'existence de cette glaire vivante avant d'en tirer quelque conséquence physiologique. La revue que nous passons ensemble des animaux qui peuvent, 68 L\ VIE DANS LES EAUX. par leur existence, modifier le fond des mers serait incomplète certainement si je ne vous disais un mot de l'œuvre des Poly- piers. Michelet les appelle des faiseurs de mondes^ et vous savez que cette expression n'a rien d'exagéré puisqu'une quantité d'îles de l'Océan Pacifique et de l'Océan Indien reposent sur les amoncellements minéraux qu'ils ont créés. Comme les Forami- nifères, ils prennent à l'eau de mer la chaux qu'elle a arrachée aux rivages et dissoute ensuite pour la remettre au jour et en refaire des blocs qui finissent par émerger des eaux. Les Polypiers ne vivant que dans les eaux chaudes, dans celles dont la température ne s'abaisse jamais au-dessous de 20", c'est vous dire qu'on ne constate leurs travaux que dans la zone tro- picale ; et, encore là, ne descendent-ils guère sur les fonds qui dépassent 00 mètres; la température de l'eau, dans ces profon- deurs, n'étant plus suffisante pour eux. Les Méandrines et les Porites sont surtout les espèces qui composent ces amas immenses de coraux qui forment des îles véritables. Tant qu'un peu d'eau les recouvre encore, les ani- maux vivent et couvrent le fond de la mer d'une sorte de tapis diapré des plus riches couleurs : le jaune, le rouge carmin, l'orangé se mêlent en formant les dessins les plus splendides. Mais quand les bancs arrivent à ce point qu'ils émergent de l'eau, les animaux meurent et leurs squelettes calcaires demeu- rent seuls visibles. La surface que bat le flot pendant la haute marée ressemble alors à un champ, blanc comme la neige et sur la surface duquel on voit encore les arabesques finement ciselées ou les broussailles pierreuses laissées par la couche supérieure des Polypiers. Mais bientôt l'usure par les vagues, par les agents atmosphériques ne tarde pas à intervenir, le bout des branches pierreuses se casse, pénètre dans les anfractuosités elles méan- dres, les bouche en se soudant et il ne reste plus qu'un sol uni où on aurait peine à reconnaître la riche végétation calcaire qui naguère encore en formait la surface. L'unification de l'édifice est encore aidée par une foule de BIOLOGIE DU FOND DES MERS. 69 Mollusques qui viennent chercher un refuge au milieu du Polypier déshahité, y soudant leurs coquilles et augmentant renchevêtrement général. Enfin la pluie de Foraminifères qu'on rencontre partout vient encore s'interposer dans les moindres interstices et ainsi se trouve formé une sorte de marbre dont la surface arrive au-dessus du niveau des eaux. Dans beaucoup de mers du sud, l'activité volcanique est loin d'être éteinte, aussi comprend-on facilement comment le fond, s'élevant lentement, les bancs de Polypiers arrivent ra- pidement au jour; 290 grandes îles du Pacifique n'ont pas d'autre origine ; elles représentent 50 000 kilomètres carrés. Reclus nous apprend que le roi des Maldives (des îles innom- brables) prend le titre de sultan des treize mille atolls et des douze mille îles. Ce titre oriental n'a, paraît-il, rien d'exagéré, le nombre des petits récifs de corail n'étant pas susceptible d'être supputé. Quand la surface du récif est arrivée franchement au-dessus du niveau des flots, les oiseaux de mer s'y arrêtent, y déposent leurs œufs et aussi leurs excréments : l'azote intervenant, la terre végétale apparaît. Quelque graine apportée par le vent se met à germer. Les insectes entraînés par les tempêtes s'y abattent et voilà la vie qui intervient. Il ne faut pas deux siècles pour que de grands arbres aient poussé : l'homme arrive et s'établit sur sa nouvelle conquête. Depuis qu'on s'occupe de la genèse de ces terres nouvelles émergées des eaux sur les édifices des myriades de Polypiers, on en a vu naître pour ainsi dire sous l'œil d'un même obser- vateur. En 1825, l'île Bikri n'était pas émergée; en 1860, elle était déjà recouverte de végétation (Reclus). La manière dont arrive cette végétation nous explique pour- quoi les espèces sont peu nombreuses. L'île Rose est couverte de forets et pourtant les botanistes n'y trouvent que deux espèces différentes. Les Polypiers construisent vite étant donnée leur petitesse et rimmensité de leur travail. Sur la côte de ]a Floride, ils 70 LA VIE DANS LES EAUX. bâtissent 30 centimètres par siècle. Dans le Pacifique, certaines espèces font 2 mètres tous les cent ans. D'autres seraient, dit- on, capables den construire 6 dans le même temps. Yoilà pour la hauteur, mais jugez de la masse d'après les sur- faces que je vais vous citer. Sur les côtes de la mer Rouge, du Pacifique et de l'océan Indien, des centaines de mille de kilo- mètres sont bordés de récifs de corail. Près du détroit de Torrès. 500 kilomètres de mer disparaîtront un jour si la grande barrière de corail arrive à la surface. En Floride, 80 000 kilo- mètres carrés de terres émergées sont Tceuvre des Polypiers et le fond de la mer en est encore tapissé. J'ai supposé jusqu'ici que le fond do la mer se soulevait et mettait à nu le sommet du banc de Polypiers; il n'en est pas toujours ainsi et, quelquefois, le sol au contraire s'affaisse; néanmoins les Polypiers arrivent à émerger. C'est ici que doit intervenir la fameuse théorie de Darwin sur la formation des atolls. Certaines îles de corail sont circulaires et au milieu se trouve une sorte de grand lac d'eau salée qu'elles entourent comme un simple cordon. Nous avons dit que les coraux ne peuvent vivre au-dessous de 50 mètres, or on voit ce cordon descendre à 2 ou 300 mètres de profondeur et partout il est formé de Madrépores. Cette disposition ne peut être expliquée, d'après Darwin, que par le mécanisme suivant. Une île se trouve entourée d'un récif de corail croissant à la profondeur que ces colonies recherchent. L'île s'affaisse, entraînant ce banc. Les coraux cessent de vivre quand ils arrivent trop bas; mais sur leurs cadavres calcaires une autre colonie s'établit vite, que l'affaissement condamne bientôt à mort et ainsi de suite, en sorte que, plus l'île-support va en s'aflfaissant, plus les coraux qui l'enserrent travaillent avec activité. Quand l'île a tout à fait disparu, elle est remplacée par une mer circulaire située à l'intérieur d'un cordon qui n'est que la colonie coralliaire continuant à s'accroître. Quand elle est près d'émerger, les vagues détachent des blocs à la partie BIOLOGIE DU FOND DES MERS. 71 externe de l'anneau et les lancent sur la partie la plus interne qui se trouve ainsi plus éleve'e que les eaux; les oiseaux, les insectes y arrivent et tout se passe comme nous avons déjà dit pour les récifs régulièrement soulevés par l'action volcanique directe. Il faut donc admettre deux théories pour expliquer l'exhaus- sement des coraux : ou bien dans les points oii le sol s'affaisse, ils bâtissent, comme le veut Darwin, pour compenser la descente et rester dans les régions chaudes, ou bien ils s'établissent sur des accumulations d'organismes calcaires au moment où ces accumulations de Foraminifères sont arrivées à la hauteur qui convient. Avant de quitter cette histoire naturelle du fond de l'Océan, je voudrais vous dire un mot d'un appareil que j'ai imaginé et qui pourrait rendre quelques services pour l'exploration de ce fond. Il s'agit d'un système qui permettrait de le photographier di- rectement. On voit de suite l'intérêt qu'on trouverait à rapporter des images exactes représentant la configuration du sol, les espèces fixées et même les animaux qui pourraient se trouver par hasard devant l'objectif au moment où il s'ouvrirait. Pour qu'un pareil instrument puisse fonctionner il faut : i ° Que le fond de la mer soit éclairé ; 2° Que l'appareil soit toujours rigoureusement au point; 3° Il doit s'ouvrir et se fermer pour un temps de pose connu ; 4° Il ne doit subir aucune pression de la part de l'eau. Nous proposons d'obtenir ces différents résultats par le dis- positif que nous vous présentons (fig. 40). Une caisse ronde, formée d'un tube de cuivre, est fermée à ses deux extrémités par des plaques de cuivre circulaires dont la supérieure se fixe sur une bague de caoutchouc au moyen de boulons à oreilles. Dans cette caisse, se trouve renfermée une chambre noire C dont la glace sensible est fixée dans un châssis à rideaux S. LA VIE DANS LES EAUX. Cette chambre est portée sur un affût dit à crinoline qui se pose sur le sol quand on descend Tappareil. La distance du solà l'appareil est de ce fait toujours la môme, robjGctif est donc toujours au point. La plaque supérieure de la caisse est percée d'un trou où s'engage le robinet R, surmonté d'un ballon compensateur B ana- logue à celui de notre lampe élec- trique. Il est destiné comme pour celle-ci à annihiler l'influence de la pression de l'eau. 11 faut maintenant que l'appa- reil s'ouvre et se ferme à des in- tervalles donnés. Ceci est réalisé par l'appareil M composé d'un disque qui est mû par un mouve- ment d'horlogerie. Ce disque est percé d'une fente F demi-circu- laire. Quand, par suite du mou- vement de rotation, elle vient à passer devant l'objectif, elle en ouvre la lumière ; quand survient la partie pleine du disque, l'ob- jectif est fermé. Il est facile de régler le volant à ailettes V de telle sorte que le passage de la fente dure un temps donné. Reste à éclairer le fond de la mer qui pourrait se trouver trop sombre pour être photographié. Pour cela, une couronne de petits accumulateurs E, E, en- toure la chambre noire. Ils sont réunis en tension et apportent leur courant à 2 lampes Edison placées au dehors de chaque Fig 40. — Dispositif proposé pour photographier le fond de la mer ou toute autre cavité inaccessible. BIOLOGIE DU FOND DES MERS, 73 côté de l'objectif et protégées contre la pression par une cloche de piézomètre solidement mastiquée. Pour que les accumulateurs ne s'épuisent pas en dehors du temps de pose, c'est le disque M qui, en tournant, établit le courant au moment où la fente F arrive devant l'objectif et qui le rompt au moment oi^i cette fente a terminé sa course. Un système de câbles en patte d'oie N permet d'immerger l'appareil et de l'attacher aune légère bouée. Pour opérer on met une glace sensible en S, on lance le vo- lant Y après avoir placé le disque de façon que la fente arrive le plus tard possible en face de l'objectif. Les accumulateurs, bien chargés, sont en rapport avec les lampes. On referme la boite A, on ouvre le robinet R, on immerge, on attache la bouée et on se retire au loin. Le trouble causé dans l'eau par la descente de l'appareil se dissipe, la pose a lieu, puis tout rentre dans l'ordre, on relève l'appareil, on change la glace et on est prêt pour recommencer. Je ne puis encore vous montrer de clichés faits avec cet ins- trument, j'attends une prochaine campagne pour m'en servir et pour y apporter les perfectionnements que l'expérience m'in- diquera. Messieurs, la nature du fond a, sur les animaux qui y vivent, une inlluence considérable. Les animaux littoraux sont munis d'organes qui leur permettent soit de s'y fixer soit de s'enfermer dans le sable, ne laissant pour ainsi dire passer que l'extrémité de leur tube digestif ou de leur appareil respiratoire. Vous connaissez les Mollusques bivalves dont la coquille se fixe sur le moindre rocher pendant que d'autres, munis de bijssus, s'accrochent à tout endroit oîi ils peuvent prendre prise. Quelques autres Mollusques même, comme les Patelles, arrivent à creuser le roc et à s'y faire commeune chambre. Les Oursins, dans un autre ordre d'animaux, nous présentent la même habi- tude à un degré assez complet pour que l'animal soit tout entier renfermé dans la loge qu'il se fait (fig. 41). Les roches les plus dures peuvent être attaquées par l'animal: a LA VIE DANS LES EAUX. la lave, le granit, le gneiss, le grès ; les uns veulent que TOursin ait fait sa loge en se remuant lentement et en usant la roche avec ses épines ; d'autres veulent que ce soit avec les pièces de la lanterne d'Aristote que l'animal attaque volontairement les pierres les plus dures. Fig. il. — Cdvités creusées sur le food de la mer par les Oursins. L'Oursin en se creusant ainsi une grotte se met à l'abri de la trop grande agitation des eaux, de plus il s'assure contre la mise à sec au moment de la marée. Les Oursins qui vivent plus profondément, dans les lieux où la mer ne se retire plus et où les vagues sont nulles, ceux-là, dis-je, ne se creusent pas de cavités. Yoilà donc que la nature du fond, quand il est dur, influe sur la forme et les habitudes des êtres vivants. S'il est sablon- BIOLOGIE DU FOND DES MERS. 75 neiix il en sera de même : des Poissons , des Mollusques comme les Couteaux s'enfonceront subitement quand la mer se retirera et se mettront de la sorte à l'abri du dessèchement. Dans les profondeurs, dans les points où ne subsistent plus que les vases molles terrigènes, animales ou volcaniques, les êtres vivants ont dû adapter leur mode d'existence, leurs moyens de locomotion à pareil habitat. C'est ce que Perrier a très bien décrit en nous montrant les modifications que subissent les animaux qui vivent sur ces grands fonds. Je lui laisse la parole tant sa description me semble parfaite et impossible à abréger. « Point de lumière solaire, une température voisine de 1°, point de courants ou de mouvements tumultueux dans les eaux, point de végétaux verts, point de rochers anfractueux, une vase homogène pour sol, une pression énorme ; telles sont les condi- tions au milieu descjuelles les animaux des grands fonds doivent passer leur existence, les conditions auxquelles leur organisme doit s'accommoder. Ces conditions n'imposent pas à tous des mœurs également différentes de celles des animaux littoraux correspondants. « Les phytozoaires, qui vivent fixés au sol, ceux dont la lente progression n'a besoin pour s'éclairer que d'organes de toucher délicats, les éponges, les polypes, les échinodermes, ne sont pas évidemment placés par l'absence de lumière dans des con- ditions qui leur soient spéciales. « L'abaissement de la température, l'accroissement de la pres- sion n'exigent pas, pour être supportés, de modifications appa- rentes chez les animaux. « Les seules conditions qui pourraient imposer aux phytozoaires des changements de structure sont l'absence de mouvement dans un milieu qui contribue d'ordinaire pour une part impor- tante à la dissémination des œufs et des larves et qui apporte de lui-même l'oxygène et les aliments ; l'absence de végétaux verts qui impose un régime animal ; l'absence de corps solides, qui rend difficile la fixation au sol ; l'absence d'anfractuosités, 76 LA. VIE DANS LES EAUX. qui entraîne la suppression des retraites où tant d'animaux aiment à s'abriter. A la première de ces causes on peut ratta- cher la fréquence chez les animaux des grands fonds de dispo- sitions permettant aux jeunes de se développer en demeurant attachés à leur mère. « Tous les Pterasteridse, parmi les Etoiles de mer ; le Cidaris nutrix ; Y Hemiaster caveniosus, parmi les Oursins ; la Cladodac- ti/la crocea^ parmi les Holothuries, conservent leurs petits soit dans des poches spéciales, soit parmi leurs piquants ; cette habi- tude, déjà très répandue chez les Crustacés des rivages, se présente chez ceux qui habitent les grands fonds avec quelques particularités intéressantes; les jeunes de VArcturusBaffmi, par exemple, se fixent à ses antennes. Cette môme absence des courants confine davantage les animaux nageurs dont les Phy- tozoaires fixés se nourrissent, dès lors ces derniers ont tout avantage à ne pas former des masses ramifiées, mais à se frag- menter et à se disséminer le plus possible, de manière à pou- voir chasser sur un plus vaste espace. On s'explique ainsi la rareté des Polypiers branchus, tels que les Lopliohelia ou les Den.droplujllia^ et l'abondance des Polypiers solitaires, tels que les Caryophyllia^ les Stephanotrocliiis, les Flahellum, qui n'ont même pas besoin de se fixer et reposent le plus souvent libre- ment sur le sol. En l'absence de corps solides fixes, les animaux sédentaires sont dans l'obligation de prendre pour ainsi dire racine dans la vase, et de vivre au sommet de pédoncules plus ou moins longs, s'ils ne peuvent s'enfouir dans le sol pâteux qui les entoure. r « C'est ce qu'on observe chez un grand nombre d'Epongés, qu'elles soient monactinillidées, comme les Stf/Iocordijla^ les AmpJnlectus et les Chondrocladia ou hexactinillidées, comme les Pheronema^ les Rosella^ les Euplectella et surtout les Hya- lonema ; c'est ce que l'on voit encore chez le Monocaulon et nombre d'autre Polypes hydraires, chez les Vmjularia et les Umhellidarla^ parmi les Alcyonnaires, qui ne sont en somme que des Vérétilles à pédoncules énormes ; c'est ce qui explique BIOLOGIE DU FOND DES MERS. 77 que les Crinoïdes pe'doncule's, tels que les Pentacrines, et sur- tout ceux qui sont pourvus de racines, comme les Bhizocrinus, Bathijcrijius et Hyocrinus^ aient persisté uniquement dans les grands fonds ; c'est encore ce qui explique pourquoi, dans ces grands fonds, les Ascidies pédonculées, à la façon des Bolté- nies, telles que les Ascopera^ les Corijnacidia^ etc., sont plus fréquentes que partout ailleurs. « Une môme disposition que l'on rencontre chez des animaux aussi différents vivant dans les mêmes conditions éveille évi- demment l'idée que cette disposition est la conséquence plus ou moins directe des conditions d'existence auxquelles sont soumis les animaux qui la présentent. « On a rattaché à l'obligation de ramper à la surface de la vase la substitution de la symétrie bilatérale à la symétrie rayonnée chez un grand nombre d'Holothuries abyssales. Cette substitu- tion est si générale que les Holothuries rayonnées, les Holo- thuries normales, deviennent l'exception dans les régions pro- fondes. On peut également considérer comme avantageuse dans ces conditions la mollesse du corps des Oursins de la fa- mille des Echinothuridés et des Etoiles de mer de la famille des Ptérostéridées, mollesse qui leur permet de s'aplatir facilement et d'augmenter ainsi leur surface d'adhérence ; la grande lon- gueur des bras chez un grand nombre d'Etoiles de mer des genres Zoroaster^ Dorigona, Archaster ; leur longueur et leur multiplicité chez les Brisingidées ; le développement excep- tionnel des pattes chez les Pycnogonidés et les Crustacés des genres Ptychogaster, Lithodes^ Lispognathus^ Cirtomaia, Platg- maia, et à un degré moindre Scyramathia^ Geryon^ Gonoplax. Mais ici apparaît une distinction délicate. Les pattes des Ar- tiozoaires ne sont pas seulement des organes de tact, dont la fonction exploratrice peut se combiner à tous les degrés avec la fonction exploratrice des organes de vision. » Mais, Messieurs, il n'y a pas que la nature solide ou vaseuse du fond qui puisse influer sur la vie des animaux. La couleur même de ce fond, les algues qui le garnissent sont cause que 78 LA VIE DANS LES EAUX. la livrée des êtres vivants change dans le but de les proléger. Vous savez ce qu'est le iniinéùsme. Darwin a longuement insisté sur son rôle dans la conservation des espèces. Tel oiseau, le perroquet par exemple qui est d'une couleur verte, comme le feuillage des arbres dans lesquels il vit, échappe par cela môme à la vue de ses ennemis et son espèce va toujours se propageant pendant que disparaissent les espèces d'une nuance plus tranchée. Les animaux terrestres se trouvent aussi avoir souvent la couleur du fond sur lequel ils vivent. Le Lièvre a la couleur des terres labourées, une Perdrix tassée ressemble à s'y méprendre à une motte de terre; la femelle du Faisan couve sur le sol et possède sa couleur et c'est au point que certains animaux suivent la livrée delà terre elle-même. L'Hermine elle Lagopède sont bruns Tété; ils deviennent blancs quand la neige recouvre les campagnes. Ce que le sol émergé peut produire, le sol marin le fait aussi : les animaux pélagiques, qui vivent au large, sont transpa- rents comme du cristal et se confondent avec l'eau à ce point que les gens non exercés ne les voient pas. Ceux qui vivent à la côte prennent la couleur de cette côte si bien qu'un homme du monde, se promenant sur un rivage, n'y remarquera pas d'animaux, là même oi^i un pêcheur, un zoologiste, feront une ample récolte. Les Poissons, les Mollusques qui vivent parmi les Algues ont la couleur de ces Algues. Le Labre^ ce beau poisson si commun sur notre côte bretonne, est vert comme les prairies marines qu'il habite : il est noirâtre sur les côtes où poussent les fucus bruns. Dans la mer des Sargasses, cet Antennarlm marmora- tus qui va de plante en plante sans jamais gagner aucun bord ressemble tellement à une Algue qu'on ne peut guère l'en distinguer; ses nageoires se terminent par des filaments tout à fait pareils aux frondes des Sargasses, il est brun comme ces plantes et piqueté de points qui représentent assez bien leurs vésicules flottantes (fig. 42). C'est chez \q Phyllopteryx Equcs que cette adaptation au fond BIOLOGIE DU FOND DES MERS. 79 nous semble le plus admirable. Cet animal habife le sud de l'Australie ; lui aussi demeure au milieu des Algues. Ses na- geoires, les épines de son dos ont pris la forme de longues la- nières sans cesse agitées par Teau, en même temps que les fucus ; sa couleur est juste la même que la leur, si bien que le Poisson demeure à l'afrùt protégé contre ses ennemis qui ne le rz. Antennarius mnrmoralus. — Exemple de Mimélismc. voient pas, armé contre ses victimes qui passent, sans se douter de sa présence, à la portée de sa bouche vorace (fig. 43). Darwin raconte que les Poissons qui vivent sur les bancs de coraux de TOcéanie ont des couleurs vives et piquetées qui font confondre leur livrée avec le sol vivant formant un tapis au coloris le plus brillant. Il en est de même des Cypi^œa qui habitent dans la même région. Dans nos cours d'eau, VAjnis^ qui vit sur la vase au milieu des feuilles en décomposition, présente lui-même l'aspect d'une petite feuille sèche. Il n'y a pas jusqu'à son appendice caudal qui ne simule un pétiole réduit et desséché. 80 LA VIE DANS LES EAUX. Il existe même des animaux qui peuvent modifier leur livrée Fig. 4:}. — Pityllopleryx Eques. — Exemple de Mimétisuie. lentement ou instantanément quand ils changent de fond. BIOLOGIE DU FOND DES MERS. 81 Dans le premier groupe se placent un certain nombre de Poissons de nos rivières. Jurine prétend que les Lotes que Ton pêche dans les profondeurs du lac Léman sont plus pâles que celles que Ton trouve à la surface. Cette manière de voir est loin d'être celle de tout le monde ; les pêcheurs et les natura- listes de Concarneau ont en effet remarqué que les Scorpènes que Ton prend sur le rivage sont d'un brun roussâtre, tandis que celles que l'on prend sur des fonds moyens, où la lumière est moins intense, sont d'un noir violacé. Les marchands de Pois- sons dorés les tiennent à l'obscurité pour qu'ils conservent des teintes riches: ils savent fort bien qu'au grand jour et à plus forte raison au soleil ils deviennent très pâles. J'ai voulu juger cette question expérimentalement et je vais vous présenter le résultat de mes recherches. Voici deux Carpes âgées d'un an et demi environ, elles sont nées ici des deux mêmes parents : elles ont, comme vous voyez, atteint le même développement. Mais leur couleur est bien différente. Depuis un an l'une est dans un vase très propre et placé au grand jour, l'autre a été le même temps dans une obscurité absolue. La première est d'un jaune très clair, l'autre est presque noire : c'est une expérience qu'il faudra refaire sur beaucoup d'espè- ces ; elle est malheureusement très longue, comme vous voyez. On peut du reste exécuter sur certains animaux des recher- ches d'une durée bien moins grande. Dès 1883, Stark avait remarqué que les Loches, les Perches sont pâles quand on les fait vivre sur un fond clair, et foncées quand on les fait vivre sur un fond sombre ; il savait aussi que les Congres pris dans la vase du rivage sont roussâtres, pendant que ceux que l'on pêche dans les roches sont d'un beau noir : il avait aussi cons- taté cela sur les Poissons plats. Soles, Turbots, Limandes; c'est, disait-il, pour échapper plus facilement à leurs ennemis qu'ils possèdent cette faculté. En 1872, de la Blanchère communiquait à l'Institut une ob- servation qu'il avait faite dans le midi de la France. Des Cyprins avaient été enlevés d'une rivière sombre et herbeuse, Regnard. 6 82 LA VIE DANS LES EAUX. puis transportés au milieu des champs, dans une mare, et exposés en plein soleil ; ils avaient perdu leur couleur vive et étaient devenus d'un ton très clair. Des Tanches d'un beau vert bronzé qui vivaient dans un bassin rempli d'herbages avaient été aussi transportées dans un pays marneux et dans un étang à l'eau toujours trouble et blanchâtre. Quand on les avait pochées, on les avait trouvées blanches et même rosées. Ces effets de mimétisme peuvent se produire sur la Tanche avec une rapidité telle que devant vous ils vont se réaliser. Voici deux Tanches qui vivent depuis quelques mois dans notre aqua- rium, au milieu (YH/ppuris, A'Elodea et autres plantes très vertes. Elles sont du plus beau vert bronzé. Ces deux Tanches ont 12 centimètres do long et sont bien pareilles l'une à l'autre. Je les choisis jeunes parce que le résultat n'est certain qu'avec des sujets peu âgés. Yoici, d'autre part, un grand vase dans lequel j'ai mis de l'eau que j'ai rendue bourbeuse en y délayant de la craie en poudre, j'y place une des Tanches. En moins de deux heures elle devient tout à fait incolore, tellement qu'on voit la couleur de son sang et de ses muscles à travers sa peau et qu'elle est comme rosée. Je la replace dans l'aquarium au milieu des herbes. Il lui faut près de quatre heures pour reprendre sa teinte vert foncé. En la mettant dans de l'eau charbonneuse le résultat se produit plus vite (voy. Planche I). Ce qui se passe encore assez lentement sur la Tanche se pro- duit avec une vivacité très grande sur d'autres animaux aqua- tiques. Ainsi la Crevette commune (le Crangon) est transparente et blanche quand elle nage dans l'eau; vient-elle à se poser sur le sable, on voit son corps se couvrir de petites taches qui le font se confondre avec le sol. Le Poulpe commun, la Seiche prennent aussi et instantanément la nuance approchée du mi- lieu qui les entoure, mais c'est sur le Turbot que l'expérience se fait le plus facilement. Yoici un jeune Turbot de 12 à 13 centi- mètres de long; je le pose dans une cuvette de porcelaine; vous le voyez devenir d'un blanc éclatant, je le passe subite- W (U F- O en g O £0 -0) (U c < c ■ p^ I— t o M c o c Ph p C CD O ç-, P ■-a ta c D -H' d cd (D w C (O ne; P O CD m -(D C-, P-, ro (D e g (0 PQ BIOLOGIE DU FOND DES MERS. 83 ment dans une cuvette de gutta, sa couleur se fonce immédiate- ment au point qu'il devient presque noir. Le Gobius nirjei\ le Callionyme lyre nous fournirait exactement le môme résultat. Ils prendraient la couleur du fond sur lequel ils vivraient. C'est à G. Pouchet que nous devons l'explication de ce phénomène; il a montré que c'était sous l'influence du système nerveux qu'il se produisait. Vous me permettrez de résumer ici ce travail vraiment français exécuté avec l'ingéniosité la plus grande par ce physiologiste distingué. Dans plusieurs points du tissu conjonctif et particulièrement dans celui de la peau, se rencontrent des cellules remplies de pigments; ce sont les chromo blastes. Les chromoblastes ne forment pas un tissu continu, mais sont séparés les uns des autres par des cellules ordinaires. Les pigments, dont leur substance est colorée, sont de deux sortes : les uns sont grenus et insolubles, ce sont des pigments noirs analogues à ceux qui existent dans nos propres cellules pigmentaires ; les autres sont dissous et imbibent le proto- plasma de la cellule, ce sont les pigments rouges, jaunes ou orangés que les acides font virer au vert, au bleu et au violet. Ces pigments sont quelquefois simplement dissous dans le pro- toplasma, d'autres fois ils existent sous forme de gouttelettes répandues dans ce protoplasma. Le pigment rouge est très soluble dans un mélange d'alcool et d'éther : la créosote le fait virer au pourpre. En laissant évaporer sa solution, on obtient de fort beaux cristaux rouges par transparence et violets par réflexion. Pouchet pense que la couleur bleue que l'on observe quelque- fois n'est qu'une modification du pigment rouge. Le pigment jaune des chromoblastes diffère peu du rouge quant à ses réac- tions. Ce sont, vous ai-je dit, ces pigments qui colorent le proto- plasma des chromoblastes. Ceux-là sont, dit Pouchet, des élé- ments du tissu lamineux constitués par une substance plus ou moins contractile (sarcode) ayant ordinairement un noyau et 84 LA YIE DANS LES EAUX. renfermant un pigment, soit à l'état de granulations, soit à Tétat de dissolution réciproque. Comme éléments anatomiques ils n'ont rien de spécial; ce qui les différencie des autres, c'est le pigment qu'ils contien- nent. Ces éléments sont contractiles ; par des mouvements sarco- diques, ils peuvent se réunir en une petite sphère ou s'étaler sous forme de lame; dans le premier cas ils sont contractés, dans le second ils sont dilatés. En réalité ils n'ont pas changé de volume, mais simplement de forme : il en est d'eux comme des muscles. On rencontre les chromohlastes dans tous les points où la graisse n'existe pas; quand la cellule conjonctive contient du pigment elle ne contient pas de granules graisseux. Ils sont très abondants dans la peau, mais on les rencontre dans des points où leur utilité ne se voit pas encore bien, au niveau de la vessie natatoire par exemple, dans les méninges, sur les embryons. Chez les Crustacés, la gamme des chromohlastes est en gé- néral plus riche que chez les Poissons; c'est en effet chez les premiers que se rencontrent les couleurs les plus voyantes, les couleurs noires ou rabattues se trouvent plus généralement chez les seconds. Pouchet a décrit des connexions entre les chromohlastes et les fibres nerveuses : ces connexions, évidemment difficiles à observer, ont été niées par les anatomistes; peu nous importe, puisque nous allons voir qu'au point de vue physiologique elles sont indéniables. Puisque les chromohlastes sont contractiles et perdus au milieu de cellules colorées ou incolores, il est certain que quand ils se rétréciront, quand ils prendront la forme sphérique, par exemple, ils découvriront les éléments placés sous eux ; ceux-ci apparaîtront et l'animal semblera avoir changé de couleur; que le chromoblaste au contraire s'étale, il recouvrira les éléments qu'il avait laissé voir et l'animal changera de teinte encore une BIOLOGIE DU FOND DES MERS. 80 fois. Voilà le mécanisme par lequel se fait radaptation des êtres au fond sur lequel ils vivent. Mais il nous faut porter plus loin notre investigation. L'élec- tricité agit sur tous les éléments contractiles; va-t-elle faire contracter les chromoblastes et changer la couleur des ani- maux? La réponse nous a été donnée par Pouchet. En élec- trisant des Gobies, des Trigles, des Blennies, il les a manifeste- ment fait pâlir. Quand la mort de l'animal survient, les chromoblastes se dilatent, mais, comme tous les éléments contractiles, ils con- servent leur contractilité et, pendant quelque temps encore, sur le cadavre, il est possible de produire des changements de colo- ration. Je dois, pour être complet, vous faire d'ailleurs remarquer que plusieurs Poissons pâlissent au moment de leur mort et que leurs cadavres restent décolorés ; les chromoblastes se con- tracteraient donc chez ceux-là. Augmentez la taille des chromoblastes, compliquez-les, au point qu'ils s'insèrent, à la fois par leur centre et parleur péri- phérie, sur les éléments voisins, et vous aurez les chromato- phores^ véritables organes que l'on rencontre dans la peau des Céphalopodes. Paul Bert qui, dans son enseignement, aimait à se servir des comparaisons qui gravent bien les faits, comparait les chromatophores d'un Poulpe ou d'une Seiche à des para- pluies de couleur qui seraient tantôt ouverts, tantôt fermés ; quand l'animal ouvre ses parapluies rouges et ferme les autres, il vous parait rouge, et ainsi de suite. Cela nous rend bien compte de ce qui se passe en réalité. Les chromatophores peuvent s'étaler en nappe horizontale ou se rétracter en tubes verticaux et cela avec une rapidité qui nous explique l'extrême facilité des changements de couleur des animaux. Supposons que, par-dessus les chromoblastes ou les chro- matophores, il existe une couche épaisse de cellules transpa- rentes, de ces éléments que Pouchet a nommés des Irido- ajtes, et les teintes noires ou rouges de ces chromoblastes nous 86 LA VIE DANS LES EAUX. paraîtront bleuâtres, cériilescentes. C'est par le même phéno- mène que le pigment de la lamina fusca nous paraît bleuâtre chez les enfants à travers la sclérotique, que le sang rouge pa- raît bleu à travers la paroi des veines et la peau, que les pous- sières qui restent sous les ongles des personnes peu soigneuses nous apparaissent bleuâtres à travers l'ongle bien qu'elles soient composées de charbon noir en grande proportion. Ces détails anatomiques connus, nous sommes en état de com- prendre les expériences par lesquelles Pouchet a démontré l'action du système nerveux sur l'adaptation à la couleur du fond. La première chose que l'on observe, quand on essaye de pro- duire ces changements de coloration sur un Turbot, c'est qu'ils se font d'autant plus rapidement qu'on y a plus habitué l'a- nimal. Ainsi un Turbot qui vit depuis des mois dans une vas- que blanche est d'un blanc très net ; passez-le dans une vasque noire il mettra plus d'un jour à noircir, mais si vous répétez plusieurs fois de suite cette opération, les changements arrive- ront à se faire en quelques minutes. J"ai constaté de nouveau ce fait sur des Tanches de 10 centimètres qui en fournissent très exactement la démonstration. Cette intluence de l'habitude a, d'après Pouchet, une grande valeur philosophique. Il est certain qu'un animal qui n'aura plus depuis longtemps l'occasion de produire son changement de teinte pourra en perdre la possibilité même. Il arrivera alors à différer assez de ses ancêtres pour constituer une espèce à part. Une cause fréquente de changement de couleur dont il faut tenir compte dans les expériences c'est encore l'action céré- brale. Un Turbot, et surtout un Gobius^ que l'on tourmente présente des changements de coloration presque instantanés. En somme, nous pouvons définir ainsi la fonction chroma- tique ; un grand nombre de Poissons, parmi ceux (jui se posent sur le fond, prennent une livrée variable avec la qualité plus ou moins absorbante de ce fond pour les radiations lumineuses. BIOLOGIE DU FOND DES MERS. 87 Il est évident dès lors que le changement de coulenr est un acte volontaire ou un réflexe, mais que de toute façon il dé- pend du sens de la vue, la qualité lumineuse du fond ne pou- vant arriver à l'animal que par cette voie. C'est ce que démontre l'expérience. Si on supprime les im- pressions rétiniennes, on supprime la fonction chromatique. Sur un jeune Turbot extirpez les deux yeux : immédiate- ment l'animal prend une teinte rousse intermédiaire entre le blanc et le noir ; mais il ne la change plus, qu'on le pose sur fond bleu ou sur fond noir. L'ablation d'un seul œil est sans résultat net : il fallait s'y attendre puisque la vue est conservée. L'œil est donc le point de départ : il faut maintenant que nous connaissions la route que suit l'impression pour aller jusqu'aux chromoblastes. La première idée qui vienne naturellement c'est que cette impression passe par la moelle. La section était le moyen tout naturel de s'en assurer. Or, quand on a fait cette opération avec toutes les précautions qui permettent d'affirmer que la moelle a bien été seule touchée, on s'aperçoit que cette section est sans aucun effet chromatique sur la région qui se trouve de son fait paralysée du mouvement et de la sensibilité. La moelle n'est donc pas la route qui conduit la fonction chro- matique depuis le cerveau jusqu'aux chromoblastes. Essayons alors la section d'un nerf qui ne passe pas par la moelle, le trijumeau par exemple. La section de ce nerf amène une paralysie des chromoblastes telle que toute une région de la face demeure noire. C'est, comme l'indique notre figure, celle oi:i se distribuent les diverses branches du trijumeau, et l'éten- due de la paralysie chromatique est proportionnelle au nombre des branches qui ont été touchées (fig. 44). Les nerfs rachidiens sectionnés ont fourni à Pouchet des ré- sultats aussi intéressants que le trijumeau, mais dans des con- ditions différentes, suivant qu'on a sectionné le nerf avant ou après sa jonction au sympathique. 88 LA VIE DANS LES EAUX. Dans le premier cas, on obtient la paralysie figurée en 45 ; dans le second, la paralysie figurée en 46 ; si on détruit tout le Fig. 4i. — Influence, sur un Turbot, de la section du trijumeau (Mimétisme). grand sympathique ce n'est plus une bande cutanée qui perd sa fonction chromatique, c'est toute la région qui est située en dessous de la destruction (fig. 47). Fig. 45. — Parai j'sies des chromoblastes chez un ïurhot sur lequel on a pratiqué la section des branches ventrales des nerfs rachidieus au-dessus du point oîi elles reçoivent le filet sympathique (Pouchet). Ces expériences ne laissent donc aucun doute, c'est par le sympathique que Faction cérébrale recueillie par l'œil est transmise aux chromoblastes. En résumé, une impression lumineuse vient frapper l'œil, elle se transmet au sympathique et de là aux nerfs mixtes dans les- quels il se jette. Ces derniers portent finalement l'impression BIOLOGIE DU FOND DES MERS. 89 jusqu'aux extrêmes ramifications qui semblent se perdre au ni- veau des chromoblastes, sinon dans leur intérieur même. Fig. 4G. — Paralysie des chromoblastes sur un Turbot à qui ou a sectionné les branches ventrales aii-dessoui du point où elles reçoivcut le fdet sympathiciue et de plus une branche du trijumeau (Pouchet). Nous ferons remarquer encore, avec Pouchet, qu'il semble que la luminosité du ciel ait sur la fonction chromatique une Fig. 47. — Paralysie des chromoblastes sur un Turbot chez qui on a pratique la destruction des organes contenus dans le canal vertébral (Pouchet). certaine influence. Les jours où le ciel est couvert, où il pleut, certains animaux prennent une teinte neutre, et rien, ni le sé- jour sur un fond blanc, ni le passage sur un fond sombre, ne 90 LA VIE DANS LES EAUX. les en fait sortir. Il est cependant à remarquer que, ni les alter- natives de jour et de nuit, ni Tobseurité temporaire produite artificiellement ne réussissent à produire cette teinte intermé- diaire non plus qu'aucun changement de coloration. Parmi les animaux sur qui influe le fond sur lequel ils se posent, il faut encore que nous citions les Crustacés. Les Palé- mons en particulier sont d'un jaune clair quand on les tient sur un fond blanc. Ils sont môme presque transparents comme l'eau qui les baigne : si on les passe sur un fond noir ils de- viennent d'un rouge sombre bientôt lavé de bleu, assez sem- blable à la teinte des rochers immergés au milieu desquels ils vivent. Comme chez les Poissons, Fablation des yeux produit chez ces animaux un changement de couleur ; mais, tandis que le Poisson prend une nuance intermédiaire entre le clair et le foncé, le Crustacé devient d'emblée aussi foncé que possible et conserve cette teinte indéfiniment. Pouchet a cherché par quelle voie l'impression allait de l'œil composé au tégument externe. Il n'est pas arrivé à la trouver. Il semblerait que Foxygène pur ait la propriété de faire éta- ler les chromoblastes rouges, c'est au moins ce que l'on voit chez l'Epinoche mâle que l'on suspend dans ce gaz (Bert). Les poissons que l'on prive d'oxygène pâlissent en général, mais nous savons que toutes les causes de mort ont le même eftet. Nous avons vu, Messieurs, que, chez les Céphalopodes, l'élé- ment chromoblaste était remplacé par un véritable organe, le chromatophore. Celui-ci agit avec une activité bien plus grande que le chro- moblaste. Léon Frédéricq en a fait une étude complète que vous trouverez dans les Archives de zoologie expérimentale. C'est sur le Poulpe, la Seiche et la Sépiole qu'il a fondé ses principales recherches. Il a vu que le chromatophore, comme le chromoblaste, obéissait au svstèmc nerveux ; mais rinfluencc BIOLOGIE DU FOND DES MERS. 91 cérébrale a beaucoup plus d'action ici que chez les Poissons. Ainsi quand on excite un Poulpe, quand on le menace du poing par exemple, on le voit s'iriser, changer subitement de cou- leur comme cela a lieu chez un homme en colère : Aristote l'avait déjà remarqué. Quand on coupe le nerf qui se rend aux muscles qui servent à étaler le chromatophore, on paralyse ce muscle; le chroma- tophore ne peut plus se dilater et l'animal pâlit. C'est ce qui survient toutes les fois qu'il se trouve dans de mauvaises condi- tions, asphyxie ou inanition. Cela arrive aussi partiellement, par exemple, sur le manteau, quand on sectionne un nerf palléal. Quand ensuite on gal- vanise le bout périphérique, la peau se recolore. C'est dans la masse sous-œsophagienne que se trouve le centre physiolo- gique et anatomique du mouvement des muscles des chroma- tophores. On peut, du reste, faire jouer ces derniers sans passer par le système nerveux. Promenez la pince électrique sur le corps d'un Poulpe, vous tracez un sillon noir qui persistera long- temps encore après votre passage. Vous réussirez même sur un animal mort, il vous sera possible de faire sur lui des expé- riences plus élégantes encore. Vous pouvez décrire des cercles, des croix soit avec un corps chaud, soit avec une baguette im- bibée d'acide, et vous laissez sur l'animal des dessins qui de- meurent longtemps visibles. Et même sur un morceau de peau enlevée de l'animal et placé entre deux verres, vous pourrez au microscope suivre pendant des heures les expansions et les retraits de ces singuliers or- ganes. C'est, dit Frédéricq, avec la circulation capillaire, le spectacle le plus attachant que le microscope nous permette d'observer. Vous voyez, Messieurs, que la constitution du fond de la mer intéresse les biologistes à plus d'un titre. D'une part il est formé de milliards d'animalcules ou de leurs débris, d'autre part il réagit sur le genre d'existence des êtres qui vivent sur 92 ■ LA VIE DANS LES EAUX. lui au point qu'ils arrivent à s'adapter, puis à se confondre avec lui. Yous verrez bientôt que la vie aquatique a très souvent mo- difié les êtres pour accommoder leurs organes à ses conditions spéciales. Mais auparavant il faut que nous disions un mot des eaux douces. C'est ce que nous ferons dans notre prochaine leçon. »k ' o^ QUATRIÈME LEÇON LA VIE DANS LES EAUX DOUCES Messieurs, Au moment où tous les matériaux qui composaient notre globe se furent assez refroidis pour que la vapeur d'eau pût se con- denser sur la surface de la terre, des pluies abondantes et chaudes se mirent à tomber et inondèrent sa superficie encore brûlante. Toutes les matières solubles furent dissoutes et entraînées par les eaux qui se rassemblèrent dans les vallées les plus déclives, et c'est ainsi que furent constituées les mers. Leurs eaux s'éva- porèrent de nouveau, retombèrent sur la surface du globe, purent y dissoudre de nouvelles quantités de substances solu- bles, retournèrent dans les Océans où l'activité solaire les con- centra. Aujourd'hui le môme phénomène dure encore, l'eau des mers s'évapore et retombe en pluie sur les terres; mais, depuis les millions de siècles que ce ci?'cuhis se produit, toutes les subs- tances solubles ont été emportées à peu d'exception près et les eaux ne trouvent presque plus rien à verser à l'Océan. Ruisse- lant sur la surface de la terre, pénétrant dans ses couches et ressortant sous forme de sources, se collectant en fleuves, en rivières et en lacs, elles constituent ce qu'on appelle les eaux douces. Tout au plus, comme nous aurons l'occasion de le constater 94 L\ VIE DANS LES EAUX. plus tard, contiennent-elles alors quelques carbonates terreux, quelques sulfates en dissolution et ne les conservent-elles que grâce à leur combinaison peu stable avec l'acide carbonique qu'elles ont dissous en traversant l'atmosphère. Ces eaux douces possèdent une population à part, accom- modée à leur composition môme. Il est probable qu'autrefois elle était fort abondante, mais aujourd'hui elle est considéra- blement réduite tant en espèces diverses qu'en nombre d'indi- vidus. Il y a àcela plusieurs raisons dont la principale est certai- nement la diversité des allures des eaux douces comparée à la fixité des conditions que présente la vie dans les mers. Le niveau de celles-ci reste toujours le même, leur transparence ne varie guère, leur température ne subit que des changements certai- nement lents. Il n'en est plus de même pour les fleuves, les lacs et les ri- vières. L'abondance de leurs eaux va sans cesse en variant. Qui n'a vu ces torrents des Apennins qui, au printemps, ravagent une contrée, qui, l'été, ne contiennent plus une goutte d'eau et semblent de longues avalanches de pierres ? Tout être vivant égaré dans de semblables cours d'eaux est voué à une perte certaine. Telle rivière de nos pays est pleine en hiver et déborde dans les prairies; elle se retire, abandonnant sur la pelouse des masses d'êtres vivants qui succombent aussitôt. Mais bien plus, la lutte pour la vie s'accomplit dans les mers sur un théâtre tellement vaste que le faible échappe facilement au fort. Dans un cours d'eau étroit, le fuyard est vite rattrapé et dévoré par son ennemi. Souvenez-vous qu'un Brochet mange trente kilogrammes de Poissons pour augmenter son propre poids d'un kilo ! Je connais un étang que désola en quelqu-es jours un seul Brochet du poids de sept kilogrammes ; or, cette pièce d'eau était avant fort poissonneuse. Les variations de quantité de l'eau ne sont pas les seules causes de dépopulation dans les eaux douces; les différences de tempe- LA VIE DANS LES EAUX DOUCES. 9;i rature se font sentir quelquefois avec une intensité bien plus grande que dans les mers. Le brassage continuel des eaux venues des pays chauds avec celles des régions froides finit par donner à la mer une température qui varie peu ou tout au moins fort lentement pour une région donnée. Dans les eaux douces une averse peut refroidir ou réchauffer subitement de plusieurs degrés une mare, un étang. — Supposez une rivière qui coule lente- ment entre des collines, ombragée par des arbres; elle arrive subitement en plaine et se trouve exposée aux rayons du soleil. Il se fait là une saute de température que des êtres délicats ne sauraient supporter. Je vous citerai les Truites, par exemple, qui peuvent vivre aux sources de nos cours d'eau mais ne peuvent descendre en plaine avec eux dans des régions où la température variable n'est plus favorable à leur existence. Enfin, les rivières gèlent souvent en hiver, les étangs et les lacs eux-mêmes se prennent par le froid et les êtres vivants n'ont d'autre ressource que de gagner les couches profondes oii le maximum de densité de l'eau leur assure une température de 4°. Tous ceux à qui ce déplacement est impossible succombent im- manquablement. Dans les Océans, les gaz respirables dissous dans l'eau sont abondants ; il y a peu de matières organiques capables de dé- truire l'oxygène ; dans les cours d'eau, le liquide arrive chargé de détritus facilement oxydables qui se brûlent au contact de l'oxygène dissous. Un ruisseau, bien aéré dans un endroit donné, peut traverser tout à coup une région tourbeuse et devenir immédiatement après un véritable milieu asphyxique, privé de toute trace d'oxygène. La terre, si souvent infecte, qui forme le fond de nos rivières et de nos étangs, est de fait une cause de désaération considérable pour l'eau. Aussi, tous les êtres délicats, tous ceux qui, fixés, ne peuvent fuir, manquent-ils complètement dans les eaux douces, eux qui dans la mer se comptent par myriades immenses. Quelques rares Éponges, quelques Polypiers très petits, très 96 LA VIE DANS LES EAUX. rares, une ou deux sortes dllydres, des Infusoires, voilà à peu près ce que nous rencontrons dans les eaux douces pour repré- senter ces êtres inférieurs innombrables qui remplissent les Océans, Les Poissons et les Crustacés, plus agiles, pouvant fuir les dangers plus facilement, sont avec quelques Annélides les vrais habitants des eaux douces. Parmi les causes de la dépopulation relative de celles-ci, il faut encore tenir compte de la difficulté qu'ont pour se repro- duire les êtres qui les peuplent. Enfermés dans les étroites li- mites des rivages d'un fleuve, ils ne peuvent soustraire leurs œufs à leurs nombreux ennemis. Certains Poissons des rivières, le Chevaine, par exemple, vit presque uniquement du frai de ses semblables : dans un seul repas il peut anéantir des milliers de futurs Poissons. Et l'œuf éclos, l'alevin formé, tout n'est pas fini, puisque sur 1000 Truites versées à cet âge dans un cours d'eau, une seule deviendrait adulte au dire de certains piscicul- teurs, dont mon expérience personnelle me fait partager To- pinion. L'homme d'ailleurs s'est vite chargé d'aggraver encore les mauvaises conditions que la nature avait imposées à la vie dans les eaux douces. Il a détruit pour son alimentation plus de Pois- sons qu'il ne s'en reformait et l'épuisement est vite survenu. Certes la pêche maritime est intense, mais qu'est-ce qu'une flot- tille opérant, par exemple, au large de Bordeaux, à côté de l'espace qui sépare Bordeaux de l'Amérique, espace qui, nous le savons aujourd'hui, fourmille d'êtres vivants ? A coté de cela un braconnier d'eau qui barre une rivière avec une senne peut, à lui seul, dépeupler cette rivière en quelques jours. Ajoutez encore que nos villes, nos usines, envoient leurs dé- tritus (souvent toxiques) dans les cours d'eau qui les traversent, d'où une cause de mort de toute leur population sans exception. Je me souviens d'avoir vu, il y a quelques années, la Seine blan- chie dans toute la traversée de Paris par un bateau de carbo- nate de soude qui s'était subitement défoncé en amont de la LA VIE DANS LES EAUX DOUCES. 97 ville. Les Poissons subitement tués par cette immersion dans une lessive déjà concentrée succombaient tous et venaient s'é- chouer sur les aiguilles des barrages. 11 y a encore à tenir compte de certaines maladies parasitaires qui se propagent bien plus facilement dans un espace confiné, comme une rivière ou un étang, que dans l'immensité des mers. On peut dire aujourd'hui que l'Ecrevisse a disparu de tous les cours d'eau de l'ouest de l'Europe. Le marché de Paris est en- core approvisionné de ces Crustacés précieux, mais souvent ils arrivent de l'Allemagne du nord, quelquefois de petites rivières de la Pologne. Malgré cela, dans les pays peu peuplés, dans les fleuves assez vastes, la population aquatique est encore nombreuse. C'est dans les lacs profonds que l'on trouve la plus grande diversité d'êtres vivants. Forel qui en a fait une si remarquable étude divise la Faune et la Flore des lacs en trois régions : la Faune littorale qui renferme les végétaux et les animaux qu'on retrouve d'autre part dans les rivières et les étangs ; la Faune et la Flore pélagiques, composées d'un très petit nombre d'êtres vivants qui vivent au large mais viennent se mélanger souvent aux êtres littoraux et surtout à ceux de la Faune profonde et enfin cette dernière qui va seule nous arrêter quelque temps. Il y a fort peu d'années encore que l'on pensait que les fonds obscurs et froids des lacs étaient déshabités. On leur appliquait les mêmes idées préconçues que l'on avait sur l'inhabitabilité des mers. C'est le 2 avril 1869 que Forel eut la notion que les régions profondes étaient peut-être aussi peuplées que les su- perficielles. 11 était en train de prendre des empreintes du fond du Léman, par 40 mètres, quand il aperçut dans la vase qu'il ramenait des profondeurs un petit Nématode blanc qui s'agitait dans le limon. C'a été le premier être des grandes profondeurs lacustres qu'un homme de science eût aperçu. Sa présence fut une révélation pour Forel qui, quelques jours après, s'était outillé pour draguer les régions profondes. Les instruments dont il s'est servi sont bien simples et ne Regnard. 7 98 LA VIE DANS LES EAUX. ressemblent guère à ceux si solides et si compliqués que né- cessitent les dragages à grande profondeur dans rOcéan. Sa drague métallique consiste en un simple seau de zinc, pris chez le premier marchand venu : on l'attache à une corde et on le promène sur le fond jusqu'à ce qu'il soit plein de vase : on le ramène alors et on fait le triage. Sa drague à filet est un râteau de jardinier attaché, lui aussi, à une corde. Il est terminé en ar- rière par une bourse en toile ou en lilet, qu'un fil de fer solide tient ouverte. Cette drague n'entre pas dans la vase, elle en gratte la superficie et recueille, par conséquent, les êtres qui rampent à la surface. On emploie donc tantôt l'un, tantôt l'au- tre des deux engins suivant les êtres que l'on veut recueillir. Quand on a ramené le limon, il faut le fouiller pour y trou- ver les animaux de la Faune profonde. Il y a deux procédés. On peut simplement le verser dans des terrines et l'y laisser re- poser. Les êtres vivants viennent alors d'eux-mêmes se placer à la surface où on les prend facilement : mais il faut pour cela plusieurs jours. Si on est pressé, il faut opérer le tamisage. On peut le faire sur des tamis ordinaires que l'on agite dans l'eau. Un procédé très commode est celui d'Asper qui verse la vase dans un sac fait en toile de tamis ; puis il agite vivement ce sac dans l'eau, du bord même de son bateau, si bien qu'à la fin de l'opération il n'y reste plus que les animaux et les végétaux que l'on recherche. C'est en procédant comme je viens de vous le dire que Forel a étudié successivement : 1" Le Feutre organique ; 2° Les Algues profondes ; 3^ Les Animaux de la Faune profonde. Dès le début de ses études, il avait remarqué que, sur la vase qu'il mettait dans ses terrines, il se déposait une couche d'une teinte brun-chocolat sous laquelle se dégageaient quel- ques bulles gazeuses. Quand une bulle s'élevait à la surface de l'eau, elle empor- tait une écaille de cette couche et laissait à sa place un trou LA VIE DANS LES EAUX DOLCES. 99 circulaire. L'écaillé arrivée à la surlace de l'eau se débarras- sait de sa bulle et retombait. Une chose intéressante, qui frapjja de suite Forel, c'est que cette couche est vivante ; en effet, les plaies que Ton y pratique se cicatrisent en se comblant de la périphérie au centre, c'est cette couche qu'il a appelée Feutre organique. Il n'existe (|ue dans les grandes profondeurs (à 100 mètres au moins dans le Léman), il recouvre complète- ment la surface de la vase. Vu au microscope, il révèle immé- diatement sa structure, il est composé d'une quantité immense de petites Palmelles auxquelles il doit son aspect velouté ; le feutrage est produit par l'interposition d'une grande quantité de tilaments d'Oscillaires. Cette couche de Feutre organique joue un rôle dans l'évolu- tion de la vie dans les profondeurs. Les gaz qu'elle dégage fa- cilitent la respiration de la Faune profonde; de plus, ce Feutre pourra servir à la nutrition même de cette Faune ; enfin sa présence donne au sol une consistance qui permet aux ani- maux de marcher à la surface de la vase sans s'y enfoncer. La Flore profonde des eaux douces est des plus pauvres, elle consiste uniquement en quelques Algues, particulièrement des Palmellacées, des Saprolégniées^ des Osciilariées et un grand nom- bre de Diatomées^ les unes vivant vraiment au fond, les autres ayant vécu à la surface et n'envoyant dans la profondeur que leur dépouille. Dans la Faune profonde, Forel a rencontré presque toutes les espèces littorales et pélagiques de Poissons, aucune d'ailleurs n'est propre à cette Faune et, si les Poissons de surface vont dans les profondeurs, c'est pour fuir la lumière ou pour frayer. D'ailleurs, Messieurs, il n'y a pas dans les lacs la grande déni- vellation que nous trouverons dans les mers, et quelques cen- taines de mètres seulement séparent la surface du fond ; il en résulte que nous n'avons pas là les causes de la formation d'une Faune profonde reléguée. Je n'ai point l'intention de vous faire connaître en détail tous les animaux que Forel a décrits comme faisant partie de 100 LA VIE DANS LES EAUX. la Faune profonde des lacs, presque toutes les classes s'y ren- contrent, je vous citerai en particulier quelques Ilydrachnides dont la figure 48 représentant le Camjiognatha Forelli vous donne une idée. On y voit aussi des Tardigrades^ des Crusta- cés, parmi lesquels les Clado- cères^ les Oslracodes, les Copé- podes sont les plus nombreux. Chez les Mollusques les Gasté- ropodes sont représentés par trois espèces de Limnées^ les Lamellibranches par deux Pisi- dium. Dans les Vers nous trou- vons une espèce de Sangsue, trois Chétopodes, quelques rares \ Néinatoïdes^ mais de nombreux Turbellariés. La figure 49 nous donne un exemple de ceux-ci, c'est le Plagiostoina Lemani étu- dié autrefois par Du Plessis. C'est le seul de ce genre qu'on ait rencontré dans les eaux dou- ces. Dans les profondeurs lacustres on n'a vu aussi qu'un seul Bryozoaire, c'est le Fredericella Du Plessis. Les Cœlentérés ne sont représentés que par une Hgdre, Y Hydre rouge ; quant aux Jnfusoires^ aux R/iizopodes^ aux Ci- lio/Iagellés^ on en trouve une cinquantaine d'espèces qui n'ont rien de très particulier. 11 ne faudrait pas croire que si la Faune profonde n'est pas riche en espèces elle est pauvre en individus, la population est au contraire très serrée, les dragages sont très fructueux. Certaines espèces se montrent pourtant localisées à certains niveaux et, il faut bien le dire, la densité de la population va toujours en diminuant avec la profondeur. Fig. 48. — Campognalha Forelli. Tous ces animaux sont bien établis dans les grands fonds. Ils y naissent, s'y développent et s'y reproduisent. <( La preuve, LA VIE DANS LES EAUX DOUCES. 101 (lit Forel, en est donnée par les œufs, les germes d'un grand nombre d'espèces, par les larves, embryons et jeunes de tout âge que nous trouvons dans les dragages. C'est donc bien une Faune profonde, bien authentique et bien caractérisée ; l'étude des conditions de milieu et de leur action sur la physiologie Fig. 49. — Plagiostoma Lemani (grossi 70 fois). des animaux nous montre d'ailleurs que rien, dans ces condi- tions de milieu, n'est incompatible avec la vie animale. Quelle est l'origine de cette faune? Elle est relativement moderne. L'histoire géologique de la contrée du Léman, en nous appre- nant l'envahissement de toutes les vallées et plaines subalpines par les glaciers des Alpes au commencement de l'époque qua- ternaire, nous empêche d'aller chercher, avant cet événement historique, l'établissement dans nos lacs des ancêtres directs de nos espèces abyssicoles. Cela exclut la possibilité de trouver l'origine de notre Faune profonde actuelle, ou bien dans les Faunes profondes indigènes des époques tertiaires, ou bien dans des Faunes marines reléguées dans des golfes transformés 102 . LA VIE DANS LES EAUX. eux-mùmcs en lacs. Cette déduction tirée des faits historiques est confirmée par l'étude des formes animales dont aucune n'a le faciès archaïque, dont aucune n'a le faciès marin. (( Nous avons trouvé une double origine à notre Faune pro- fonde. Elle vient : « 1° De la Faune littorale par la grande majorité des espèces qui sont identiques, ou très semblables, ou analogues aux es- pèces littorales du lac où nous les étudions. Descendus dans la région profonde, ces animaux s'y sont établis à diverses épo- ques, et chaque année de nouvelles migrations, actives ou pas- sives, viennent renouveler et rajeunir la Faune profonde; « 2° De la Faune des eaux souterraines, deux ou trois espèces seulement, remarquables par leur cécité et leur absence de pigment. Ces espèces ont peuplé le fond des lacs par migration active, comme elles peuplent Feau des cavernes et des puits de tout le continent européen. Arrivés dans la région profonde des lacs, les animaux de ces deux Faunes ont trouvé un milieu fort différent de celui auquel ils étaient habitués; région froide, sans lumière, sans mouvement, pauvre en matières ali- mentaires, dépourvue de végétation, région sans variations pé- riodiques diurnes ou annuelles, milieu au calme plat au point de vue mécanique, thermique, chimique et moléculaire. Relé- guées dans ce milieu, les formes animales se sont modifiées, et dans le cours des générations elles se sont appauvries, rata- tinées, rabougries, elles ont perdu taille, force et pigmentation. Cependant on est étonné du peu d'étendue de ces variations qui dans certaines espèces sont presque insensibles. « Ces modifications, fait d'adaptation au milieu, sont plus ou moins complètes, suivant que les individus péchés descen- dent d'une suite plus ou moins grande de générations, depuis le transport dans la profondeur du lac. Ceux dont la famille a émigré récemment sont presque semblables au type ori- ginal, ceux dont la famille est établie dans la région profonde depuis des siècles sont modifiés autant que possible. Il en résulte que, dans la région profonde de chaque lac, chaque es- LA VIE DANS LES EAUX DOUCES. 103 pèce est formée par une collection d'individus, à tous les degrés de transformation, entre la forme originale dans son intégrité et la forme profonde parfaite. C'est à trouver cette forme abys- sale parfaite, et à en déterminer les caractères, que doivent tendre les efforts du zoologiste. Chaque espèce animale émigrée dans la profondeur doit donc aboutir à une espèce profonde, plus ou moins différenciée morphologiquement de l'espèce ori- ginale. Il y aurait peut-être avantage à donner un nom spéci- fique à chaque espèce abyssale qui a atteint son maximum de différenciation. Mais ces modifications se sont opérées dans divers lacs, dont la région profonde est absolument séparée de la région analogue des autres lacs ; il n'y a plus eu de croi- sements ni de mélanges possibles ; chaque lac est un centre de différenciation isolé et distinct. « Dans chaque lac l'espèce abyssale formera donc une famille particulière propre à ce lac, qui mériterait d'être désignée par un nom adjectif de variété. « Les conditions de milieu étant très semblables dans les di- vers lacs, ces variétés se ressemblent fort ; mais cependant l'indépendance dans la différenciation étant absolue, il est pro- bable qu'on y découvrirait certains caractères distinctifs de l'une à l'autre. » Avant d'abandonner la Faune des eaux douces, je dois. Messieurs, vous dire un mot d'êtres singuliers qui vivent sans doute dans les nappes souterraines aux points où ces nappes présentent quelque épaisseur. Vous verrez plus loin qu'on a trouvé dans l'eau provenant de source profonde des Crustacés, généralement des Copépodes, qui arrivaient subitement à la surface du sol et qui se montraient privés de tout organe de la vision. Le grand nombre de puits artésiens que l'on fore en ce mo- ment dans nos possessions africaines donne souvent lieu à des observations curieuses. C'est ainsi qu'il y a deux ans, dans un puits artésien que l'on creusait dans l'Oued-Rir', on vit appa- raître un grand nombre d'animaux vivants. Poissons, Crabes, 104 LA VIE DANS LES EAUX. Mollusques (fig. 50). Le fait n'est pas contestaLle, il s'observe Fig. 50. — Crustacéï^ et Poissons émergés subiteiueut du sol par un puits artésien de rOued-Rir. — I. Chromis Desfontainei. — 2. Chromis Zilii. Gervais. — 3. Ilemichromis Saharx, Sauv. — 4. Hemicliromis RoUandi, Sauv. — 5, 6. Cypri- nodoii calaritanu':, Boueili. — 7. Telphusa fluviatilis, Rondelet. presque tous les jours, reste à l'expliquer. Il est peu vraisem- LA VIE DANS LES EAUX DOUCES. 105 blahle que des êtres aussi compliqués que des Crabes ou des Poissons puissent vivre dans les nappes souterraines. D'ailleurs ces animaux ont des yeux très bien conformés et voient fort clair. Ils ne sont donc pas d'origine souterraine. Pour Rolland, l'explication la plus naturelle à donner de leur présence consisterait dans l'existence de la communication de la nappe artésienne à son point de naissance avec un réseau de canaux communiquant eux-mêmes avec les mares oii vivent les animaux, ceux-ci pourraient alors s'égarer dans les canaux sou- terrains, être entraînés par la violence du courant et revenir au jour par le tube artésien fort loin du lieu d'où ils avaient disparu. J'en ai fmi. Messieurs, avec cet exposé succinct de l'état de notre population aquatique, marine ou fluviale, superficielle ou profonde. J'ai tenu à vous faire connaître rapidement les êtres dont nous allons maintenant étudier les conditions physiques d'exis- tence. CINQUIÈME LEÇON LA PRESSION Messieurs, Par le seul fait qu'ils vivent dans Teau, les êtres aquatiques sont soumis à un certain nombre de conditions physiques, qui ne sont pas les mêmes que pour les animaux aériens. La première, celle qui frappe au premier abord, c'est l'énorme pression qu'ils supportent. Tandis que les êtres qui vivent dans Tair ont à supporter une pression qui ne dépasse guère 1 kilogramme par centimètre carré, qui diminue à peine de moitié pour les oiseaux de haut vol, et qui n'augmente que dans des proportions insignifiantes par le fait des changements barométriques, les animaux aquati- ques voient la pression augmenter de 1 kilogramme au moins toutes les fois qu'ils subissent une dénivellation de 10 mètres, puisque 10 mètres d'eau de mer représentent sensiblement une atmosphère. Or, dans notre deuxième leçon, nous avons vu que la drague ou la nasse avaient ramené des animaux vivants d'une profondeur de 6 à 7 mille mètres. Ceux-là supportaient donc une pression six à sept cents fois plus grande que ceux qui vivent à la surface des flots. Nous aurons à étudier bientôt les changements physiologiques qui peuvent résulter de cette condition physique. Mais, aupara- vant, notre rôle de biologiste est de rechercher d'abord par quels moyens nous sommes mis en mesure d'affirmer qu'elle LA PRESSION. 107 existe bien dans TOcéan, dans quels endroits de la mer on la ren- contre, dans quelle proportion elle se présente sur notre globe. C'est grâce à la sonde que nous y parviendrons. La première idée que l'on ait, pour prendre la profondeur d'une mer ou d'un lac, c'est de monter en bateau, de descendre un poids au bout d'une corde, de mesurer de combien cette corde entre dans l'eau, et on aura, pense-t-on, la profondeur. Eh bien, cette chose si simple est absolument impossible. Si on procède ainsi, on pourra dévider de la corde indéfiniment, on ne sentira pas le choc du poids ; et puis même, admettons qu'on l'ait perçu, quand on voudra le retirer, la corde se brisera, à coup sûr, en un point quelconque de sa longueur, et on ne saura rien du tout sur le sondage que l'on voulait accomplir. C'est ainsi que peuvent s'expliquer certaines profondeurs inouïes trouvées à l'Océan. La frégate américaine Congress avait donné, à un point de l'Atlantique, une profondeur de 15 240 mè- tres, et encore, à ce point, sa ligne était entièrement filée, et on ne trouvait pas le fond. Un pareil résultat s'explique simple- ment par ce fait que le plomb avait touché depuis longtemps et que la ligne descendait, par son propre poids, et s'enroulait sur le fond; cela eut pu durer indéfiniment. 11 est certain, pourtant, que pour les faibles profondeurs, quand on ne doit pas dépasser 200 mètres, ce moyen primitif suffit. On attache un plomb prismatique à une corde, et on enduit la base de ce plomb de suif, afin qu'il rapporte un échan- tillon du fond. Quelquefois, on remplace le suif par une lance de fer barbelée, qui ramène dans ses rainures ce même échan- tillon. Le suif est suffisant pour les marins ; il est fort mauvais pour le biologiste, car il englue les grains de sable ou les animaux, et les rend impropres à toute étude. Il convient alors de se servir du sondeur à chambre ou du sondeur à coupe. Le premier se compose d'une masse de plomb d'une cinquan- taine de kilogrammes (fig. 51). A sa partie inférieure, il est ter- 108 LA VIE DANS LES EAUX. miné par un emporte-pièce en fer, qui pe'nètre dans le fond au moment du choc. Des trous 0 permettent l'évacuation de Teau pendant cette pénétration. Quand, ensuite, on relève la sonde, le clapet C chavire et vient fermer la base de Temporte-pièce, lequel revient chargé d'une rondelle représentant la composition du sol. Le sondeur à coupe est plus simple en- core et plus facile à manier. Au-dessous du plomb est vissé un cône creux à base supé- rieure ouverte. Un disque de cuir est mobile le long de la tige qui visse le cône au plomb. Quand la sonde descend, le frottement de Teau relève le disque de cuir, puis, au moment du choc, le cône entre dans le sol; il en prend un échantillon qui, pendant la remontée, se trouve protégé par le disque de cuir que Feau pousse sur la coupe à la façon d'un clapet. Ces appareils sont ab- solument insuffisants, aus- sitôt qu'on prétend arriver à une certaine profondeur. Ce sont les marins des Ktats-Unis qui, sous l'im- pulsion de Maury, firent les premiers travaux sur les sondages à grande profondeur. Ils tentèrent d'abord des sondages au moyen de boulets qu'ils attachaient à une ligne fine. On suivait le déroulement de la corde, et quand on le voyait se ralentir, on en induisait que le boulet avait ton- .Ammmmuk Fig. 61. — Sondeur k chambre. Fig. Ô2. — Sonde à coupe. LA PRESSION. 109 ché le fond, et on notait la quantité' de fil employé. On avait, d'ailleurs, la précaution de sonder en canot, en se maintenant à Faviron contre la dérive. Ce procédé était imparfait pour deux raisons. D'abord, il arrivait souvent que l'embarcation, quelle qu'elle fut, donnait des chocs au fil au moment du tangage ou du roulis; les ruptures étaient, de ce fait, très fréquentes. Pour y remédier, on adapta au fil de sonde un accumulateur analogue à ceux que nous avons décrits à propos du dragage : nous ne reviendrons pas sur cette description. Le deuxième inconvénient est que l'on ne pouvait espérer remonter le plomb de sonde, le câble cassait à tous coups. On avait pris l'habitude de le perdre après chaque sondage, ce qui restreignait évidemment le nombre de ceux-ci. Ce deuxième inconvénient fut supprimé par l'invention faite en 1834 par l'aspirant américain Brooke. La fameuse sonde de Brooke est composée d'un boulet percé d'un trou dans sa longueur. Par ce trou passe une tige de fer terminée en haut par deux doubles crochets à charnière. Aux branches internes de ces doubles crochets s'attache la ligne de sonde doublée à ce niveau. Aux branches externes se fixe une élingue qui passe sous le boulet, et s'attache à un anneau de cuir de chaque côté. Le boulet se trouve ainsi suspendu après ^ les crochets. Que la tige touche le fond, comme le représente la figure, les crochets s'abaissent, l'élingue se décapèle, le boulet tombe et est perdu; on ne remonte que la tige. A ce moment, on a très bien à bord, par des procédés variés, la notion que le plomb a touché le fond. Il suffit donc de noter la longueur de corde déroulée, en tenant compte de la dérive, pour avoir la profondeur vraie. La perte du boulet est insignifiante. Enfin, j'ajouterai que l'extrémité de la tige, qui plonge dans le sol, est munie de tuyaux de plume d'oie, qui se remplissent de la vase du fond et la rapportent à bord. — Un défaut de l'appareil de Brooke est qu'il se montre trop sensible. Souvent, le boulet se décroche avant que la sonde soit au fond. En 1860, à bord du Bull-Dog^ Steil construisit un sondeur 110 LA VIE DANS LES EAUIC. composé de deux écopes maintenues écartées par un cylindre de plomb, qui appuyait sur la partie supérieure de leurs bras. Le cylindre était, d'ailleurs, retenu par des crochets comme ceux de Brooke. Au moment où la sonde touchait le fond, le cylindre se décrochait et libérait un fort ressort, qui serrait solidement iMdsSEAs Fig. ô:î. — Sonde de Brooke. Fi». 54. — Soude de SteiL les deux écopes l'une contre l'autre; elles ramassaient, dès lors, un échantillon du fond. On avait à la fois sa connaissance et celle de la profondeur (fig. o4). Ce sondeur ne semble pas devoir rendre de très grands ser- vices, il est compliqué ; de plus, il suffit d'un grain de sable qui s'interpose entre les mors des écopes, pour qu'il revienne vide sur le navire. Le sondeur du Lightning est à une seule écope. Quand elle arrive sur le fond, elle s'y enfonce. Du même coup, le gros poids de fonte, placé au-dessus d'elle, chavire. L'écope vient alors LA PRESSION. 111 s'appliquer sur une plaque-couvercle, que la figure 5o montre incline'e au-dessus d'elle. Une grande quantité de vase se trouve de ce chef emprisonnée et ramenée à bord. Il paraît que c'est là un excellent appareil. A bord du Challenger on enploya une modification de VHydre^ dont Filhol nous donne ainsi la description : « Cet appareil Fig. 55. — Sonde du Liyhtnlng. Fig. 56. — Sonde du Challenger. consistait en un tube dans lequel pouvait se mouvoir un piston. Le fond touché, le piston tiré par les poids descendait, expul- sant, par des orifices latéraux, l'eau renfermée dans le tube. Quand les dents auxquelles étaient rattachés les poids arri- vaient, par suite de la pénétration de la tige dans le tube, à rencontrer le bord de la paroi supérieure du sondeur, les lacs se décrochaient, et les cylindres de fonte tombaient sur le fond. Le jeu du piston avait pour but de retarder la chute des poids, et de produire ainsi une pénétration plus intense dans le fond. Des soupapes s'ouvrant de bas en haut permettaient l'entrée de 112 L\ VIE DANS LES E.VLX. la vaso et du gravier, et s'opposaient à leur cluito durant Tas- cension (fig. 56). A. Milne-Edwards, à bord du Ta- lisman, imagina un sondeur qui, joint à un appareil de mesure de Fingé- nieur Thibaudier, constitua certaine- ment ce qu'on avait fait jusqu'alors de plus commode et de plus précis. Le sondeur proprement dit est un fort cylindre de fer dans lequel sont creu- sés deux compartiments. Dans le su- périeur se trouve une lige de fer, dont l'anneau est attaché ù la ligne de sonde. Cette tige monte et descend dans le sondeur, mais sans pouvoir s'en séparer. Le sondeur est chargé de poids, comme celui du Challenger. Ces poids ont la forme d'anneaux, et sont au nombre de trois ou quatre. Ils sont enfilés dans le sondeur et un fil de fer, passant sous eux, va s'at- tacher par deux anneaux à deux crans de la tige mobile dont nous parlions tout à l'heure. Tant que le fil est tendu parles poids, l'appareil ne fait qu'une pièce; mais que le sondeur touche, les poids tendent à faire rentrer la tige mobile dans le tube ; de ce coup, les fils sont décrochés, les poids tom- bent et sont abandonnés sur le fond, le tube est facilement remonté à bord. Comme les autres sondeurs, celui du Talisman possède une chambre pour recueillir des échantillons; elle est _ Soude du Talisman, fermée par deux valves que deux le- Fig. 57. LA PRESSION. 113 viers à angle ferment vivement quand le tube a de'jà pénétré d'une certaine quantité dans la vase. Ces valves sont même «-ar- nies de suif, et rapportent du gravier, quand le fond est trop dur pour que le tube du sondeur ait pu y pénétrer. Notre figure montre au-dessus du sondeur un appareil spé- cial : c'est un thermomètre dont nous parlerons plus tard. Le sondeur électrique de Delacroix est destiné à indiquer en permanence le fond sur lequel on se trouve : en effet, on le laisse à la traîne comme un loch, on ne le relève jamais. L'auteur le des- tine aux grands fonds ; je crois qu'il ne pourra jamais être utilisé pour eux, mais bien au contraire pour l'exploration des côtes, pour le cabotage et la marche rapide sur un bas-fond où Ton craindrait de toucher. Le câble qui porte ce sondeur contient dans son âme deux rhéophores soigneuse- ment isolés l'un de l'autre et isolés aussi de l'eau de mer, c'est déjà dire qu'il ne peut avoir une grande longueur. « Le sondeur qui est au bout se compose de deux parties métalliques A et B. La partie A peut se mouvoir dans le sens de l'axe, mais est guidée par quatre tiges C, C, (', C, à section presque triangulaire, glissant dans des rainures pra- tiquées dans le flanc de la masse B. L'extré- mité inférieure de ces tiges se termine par un petit coude E émergeant de la surface A et qui vient buter sur un cercle F agissant comme arrêt, de telle sorte que le sabot A ne peut s'éloigner de la masse de plus de 0™,03 environ. Ce sabot porte sur son centre une tige G glissant à frottement doux par un trou cylindrique pratiqué dans l'axe même de la partie supérieure. Une garniture v, i\ en caout- chouc, assure l'imperméabilité de cette ouverture cylindrique. «La partie B se compose essentiellement de deux moitiés Reg.xard. 8 E lévation C ^ / ^fe\ xp- -|>~"^^0 Coupe c suivant X Y Fig.58. trique — Sonde élec- de Delacroix. 114 LA VIE DANS LES EAUX. demi-cylindriques jointes ensemble au moyen de cercles et de boulons, elle porte à son extrémité supérieure un étrier II pouvant tourner autour d'un tourillon I, I. Dans l'intérieur du col et de chaque côté de l'axe sont pratiqués deux petits canaux servant de conduits isolés à deux fils électriques J, K. Ceux-ci viennent aboutir à une petite chambre L dans laquelle ils se recourbent à angle droit, mais sans se toucher. Fig. 59. — Compteur du soudeur Delacroix. « Une petite tige M, mobile dans le sens vertical, traverse la ])artie qui sépare la chambre du trou cylindrique. A sa ])artie supérieure, elle est fixée au fil J et à son extrémité infé- rieure elle porte un bouton N; en son milieu elle est pourvue d'un petit renflement servant d'arrêt et sur lequel viennent appuyer deux ressorts o^o^ qui, à l'état normal, pressent la tige sur le fond inférieur de la chambre. » Le sondeur et son câble passent sur un treuil à compteur pareil à ceux dont nous allons parler tout à l'heure (fig. 59). On les file en même temps qu'un courant de Leclanché passe dans les rhéophores. Si le plomb touche, ses deux parties sé- parées se rejoignent; un timbre intercalé sur le courant se met à sonner, on lit le nombre de mètres dévidés, on relève un peu le sondeur et on le laisse à la traîne; si le timbre sonne de nou- veau c'est que le fond se relève. Cet appareil peut donc, à notre avis, servir à éclairer la route d'un bateau qui navigue dans LA PRESSION. dis une région deciieils, ou près d'une cote pendant le brouillard. Le son- deur avertisseur pourra fonctionner utilement si son câble n'a que quel- ques mètres de long. Quanta l'utiliser pour la connaissance des grandes pressions et l'exploration des grands fonds, il n'y faut pas songer. Nous signalerons en- core la modification ap- portée au sondeur de lîrooke par Berryman du Cyclops et par Belk- nap et Sigsbee. Ces per- fectionnements avaient pour but de rendre le décrochement plus cer- tain et l'inclusion de la vase plus complète. Ce sont d'ailleurs des mo- difications de détail, sans beaucoup d'impor- tance, j'aime mieux, plutôt que de m'y attar- der, vous dire un mot du sondeur du prince Albert de Monaco. Il porte le nom de sondeur à clef. Il est des- tiné à remédier aux in- Fig. GO. — Sonde de V Hirondelle et de la yvince&se- Alice. 116 LA VIE DANS LES EAUX. convénients que présentaient les précédents et dont le principal était de mal retenir les substances vaseuses. «Les valves de Tancien sondeur à chambre risquaient de s'en- dommager par le contact de fonds durs ; voici comment fonc- tionne le sondeur à clef. C'est en principe (fig. 60) un cylindre creux de fer A, dans lequel coulisse librement, guidé par deux petites traverses d'acier BB, une tige de section rectangulaire terminée à sa partie supérieure par un anneau qui sert à sus- pendre l'appareil au fil sondeur. Deux petites encoches DL dis- posées près de cet anneau ont pour objet de supporter le fil de fer E, qui retient seul plusieurs anneaux en fonte FFFF, charge de l'appareil, variable suivant la profondeur supposée. A sa partie inférieure le tube reçoit une pièce de bronze G de même diamètre extérieur, évidée suivant deux troncs d cône opposés par leurs petites bases. Au milieu de cette pièce, qui fait office de robinet, se trouve placé un véritable boisseau en acier H, terminé d'un côté par une clef plate K, et de l'autre par un petit téton carré L sur lequel est vissée une rondelle en goutte de suif M. « Cette rondelle (à droite) et la clef (à gauche) s'effacent dans des échancrures N prises sur le corps du robinet, quand les bagues glissent le long du tube. Avant chaque opération, l'in- térieur de l'appareil est soigneusement nettoyé, le robinet est graissé, mais de façon à obtenir, dans toute la mesure du pos- sible, que le corps gras ne se mélange pas avec les matériaux ramenés du fond. La clef est placée transversalement pour faire correspondre l'orifice du boisseau avec le canal intérieur du robinet; un courant ascensionnel pourra donc s'établir pendant la descente, à travers le robinet et l'intérieur du tube. (( Pour éviter que le robinet puisse se fermer de lui-même, la clef est maintenue horizontale pendant la descente par le moyen d'un fil cassant, qui relie au fil suspenseur du lest une petite ouverture faite dans l'extrémité extérieure de cette clef (fig. 61). « Lorsque le tube s'appuie sur le fond de la mer, la tige G qui supporte, au moyen du fil de fer E, les bagues en fonte, continue à descendre dans son intérieur jusqu'à Tarrêt des tra- LA PRESSION. 117 verses BB, et la tète de bronze en forme d'étrave P, qui termine la partie supérieure du tube, venant rencontrer le fil suspenseur, le fait échapper de ses encoches. Les bagues de fonte glissent -x«v-3 Vi". Gl. — Détail du robinet du soudeur a clef. alors et rabattent, en passant sur elle, la clef qui ferme le ro- binet (fig. G2). « Le tube rempli de matériaux est remonté jusqu'à la surface avec d'autant plus de facilité qu'il abandonne son lest sur le fond ». Les premiers sondeurs que l'on a utilisés étaient portés par une corde de chanvre. Mais un pareil câble était très lourd, il s'imbibait d'eau et te- nait sur le pont une place considérable. Les derniers, au contraire, étaient suspendus à un fd d'acier d'un millimètre à peine de dia- mètre assez résistant pour porter 140 kilogrammes. La Compa- gnie de Chàtillon et Commentry fabrique de ces cordes à piajio par bouts de plusieurs milliers de mètres. U Hirondelle en possé- dait un échantillon de 10 kilomètres. Le fil d'acier n'est pas seulement très résistant, il est mince, donne peu de prise à l'eau et par conséquent fait très peu dériver le poids sous l'influence du courant. Grâce àlui, le sondeur tombe presque verticalement. La manière dont le fil était placé sur le pont du Talisman et de V Hirondelle Q^i représenté par notre figure 63. 118 LA VIE DANS LES EAUX. W^"^. .v:;.-^'C'i Fig. G2. — Sondeui" à clef au moment où on le remonte. LA PRESSION. 119 Les 10 000 mètres de fil étaient enroules sur une bobine P assez peu volumineuse. Le bas de cette bobine trempait, à la façon des meules à aiguiser, dans une solution aqueuse de glycé- rine qui peut empêcher l'oxydation du fil. Je recommanderais pour ma part de la remplacer par de la vaseline tenue chaude pendant les opérations au moyen d'une simple lampe à alcool; je répondrais ainsi de la non-oxydation de la corde de piano. En Fig-. 63. Machine à souder du Talisman. quittant cette bobine, le fil de sonde va s'enrouler une fois sur une poulie à gorge B qui a juste 1 mètre de diamètre; elle tournera évidemment à mesure qu'il se dévidera. A cette roue d'un mètre se trouve fixé l'axe d'un compteur de tours ; par conséquent chaque fois qu'elle fait une révolu- tion, c'est qu'un mètre de fil s'est enfoncé dans la mer. Le nombre de tours de la roue indique de ce chef la profondeur. Le fil de sonde, en quittant le compteur, s'en va passer sur une roue A qui n'est pas fixe mais bien mobile sur deux rails 120 LA VIE DANS LES EAUX. placés sur une bigue G, puis il remonte, va passer sur la poulie K, descend dans l'anneau à réa G et de là à la mer. Le chariot A a deux buts : d'abord il tend le fil de telle Fig. 64. — Machine à soucier de Sigsbee. sorte que, dans les mouvements de roulis, il monte et descend à l'inverse du navire ; il empêche donc les chocs brusques et par conséquent les ruptures. Au moment où le poids touche le fond, le fil se trouve dé- tendu, le chariot tombe brusquement en bas des rails et indique que le sondage est fini. Vous apercevez de plus un câble ponctué G qui va de ce LA PRESSION. 121 chariot à un levier L de la bobine P. Ce levier s'attache, d'autre part, à un frein /j ; quand le chariot monte ou descend, il serre ou desserre le frein et permet ainsi un déroulement plus ou moins actif du fil. C'est donc la tension même du fil qui, au- tomatiquement, se règle d'elle-même. La machine à sonder de V Hirondelle était analogue à celle du Talisman^ ce sont là des appareils qui fonctionnaient bien. Celle du Blake^ imaginée par Sigsbee, est représentée par notre figure 64. Elle est un peu plus compliquée peut-être, mais elle tient moins de place à bord, on peut l'emballer dans une caisse assez étroite. Elle est composée d'un tambour A d'une brasse de circonfé- rence, munie d'une gorge profonde. Le compteur de tours B est adapté à l'axe de ce tambour et il en numérote les révolutions. Ces révolutions ne valent pas juste une brasse puisque les tours de spire, s'enroulant l'un sur l'autre, ont une certaine épaisseur, ce qui fait que les premiers tours comportent un fil plus long que ceux qui sont au-dessous. Mais on peut faire d'avance une table donnant d'une part le nombre de tours et d'autre part la longueur qu'ils représentent. Ce sont les poulies CDE montées sur le môme axe qui servent à remonter le poids. L'une reçoit le fil d'acier, l'autre une bande de caoutchouc qui va en même temps sur la gorge du cylin- dre A, enfin la troisième porte une corde sans fin qui va à la machine à hisser. L'accumulateur est formé par des ressorts à boudin contenus dans les tubes FF. Us supportent la poulie L qui a juste une demi-brasse de circonférence. Un compteur de tours est aussi fixé à cette poulie. Il faut donc diviser le nombre de tours donné par le compteur par 2 pour avoir le nombre de brasses filées. S est une poulie qui sert à écarter le plomb du bordage du navire. Deux dynamomètres Xet W indiquent la puissance de friction 122 LA VIE DANS LES EAUX. de la corde sur le tambour A. Tlioulet nous apprend que cet appareil manœuvre avec une grande facilité. Il paraît qu'un son- dage de 100 brasses se fait en 50 secondes. Un sondage profond de 3000 brasses ne demande guère plus d'une heure, montée et descente comprises. Fig. GJ. — Macliiue à souder du bureau topographique fédéral suisse. Le corps des ingénieurs suisses a imaginé pour le sondage des lacs une machine fort ingénieuse qui rend des services tels que la reconnaissance des profondeurs peut être acquise avec une extrême minutie, de 10 en 10 mètres par exemple. Il ne faut pas plus d'un quart d'heure par coup de sonde : un ingé- nieur en peut faire trente environ dans sa journée (fig. 6o). L'appareil se compose d'un tambour A sur lequel est enroulé LA PRESSION. J23 le fil d'acier qui va d'autre part passer sur les poulies B et C puis finalement en E, d'où il est conduit au bordage du navire. Sur la roue G est un compteur de tours D, mais il a ceci de par- ticulier que c'est le poids de la sonde qui tient le compteur embrayé à la roue C : dès que le plomb touche et perd son poids, le compteur débraye et s'arrête. C'est là une excellente disposition, mais elle n'est applicable que pour des profondeurs moyennes. Le plomb de sonde est formé d'une tige où deux boulets sont enfilés. 11 se termine par une coupe qui rapporte les échantil- lons du fond. Tout récemment, le prince Albert de Monaco vient d'imaginer un sondeur pour le yacht Princesse- Alice. Il comporte, je crois, les derniers perfectionnements (fig. 66). Le fil d'acier est en- roulé sur un grand tambour T, qui peut être mis en mouvement par le moteur à vapeur C et le volant Y. Le cable passe de là sur une première poulie en rapport avec un fort ressort à bou- din R. Cette poulie, par une tige articulée, est en rapport avec le frein du tambour qu'elle peut serrer sur la gorge. Quand le déroulement cesse, le ressort, n'étant plus comprimé, agit sur la poulie, qu'il serre d'un coup le frein et il arrête le système. Or le déroulement cesse quand le poids touche le fond : l'appa- reil est donc automatique, il s'arrête de lui-même quand le sondage est achevé. Ce seul système suffirait à compenser le roulis du navire, comme dans le sondeur Thibaudier. Pour plus de sûreté, le câble avant de gagner la mer parla poulie P'',. passe sur une autre poulie P' qui l'envoie sur une moufle attachée à un fort res- sort à boudin qui supplée le chariot de la machine Thibaudier. Ce ressort se tend et se détend en suivant le roulis. Il se détend aussi d'un seul coup au moment où le plomb touche le fond. Il va sans dire qu'un compteur G indique à chaque ins- tant la longueur du câble qu'on a filé. Cet appareil a déjà fonc- tionné pendant la campagne faite par la Commission autrichienne sur la Pola. Il a donné d'excellente résultat'^. J24 LA VIE DANS LES EAUX. Jusqu'à présent, Messieurs, nous n'avons étudié que des sondeurs dans lesquels la profondeur était déduite de la lon- gueur du fil déroulé. Ces sondeurs demandent des corrections si le navire est en marche (et il l'est toujours, ne serait-ce que par le fait des courants). En elTet, le fil n'est pas vertical, il tend à prendre une direction oblique qui nécessite des calculs. C'est Fi"?. GG. — Machine à souder de la Princesse-Alice. pour arriver à les éviter qu'on a imaginé les divers bathomètres dont il me reste à vous dire un mot. On a d'abord eu l'idée d'attacher au plomb de sonde une hé- lice. A mesure que le plomb descendrait cette hélice tournerait et ses révolutions pourraient être recueillies par un compteur de tour. L'hélice ne marquerait pas les déviations horizontales LA PRESSION 123 et ne donnerait évidemment que la verticale. Au remontage, l'hélice se désembrayerait dès le premier tour. Le premier de ces sondeurs a été imaginé par Massey, le second par le Coëntre, c'est celui que je fais passer sous vos yeux. Ces appareils sont bons, mais à une condition, c'est qu'il n'y ait pas de courant très fort dans la région oii ils fonctionnent, sinon les ailettes tourneraient sans qu'il y ait descente. Thoulet propose môme de s'en servir pour obtenir une certaine notion sur les courants profonds (fig. 67). Un autre appareil destiné à éviter aussi les mesures de cordes et les cor- rections de déviation est le bathomètre de Thomson. Qu'on imagine une clo- che de verre qu'on descend renversée dans la mer. L'air s'y comprimera, après 10 mètres la cloche sera à moitié pleine d'eau, à 20 mètres elle le sera aux deux tiers, etc. Si nous enduisons de chromate d'argent rouge l'intérieur de la cloche, l'eau salée jaunira ce sel dans les points oii elle montera et nous aurons ainsi la me- sure du niveau le plus élevé où elle sera arrivée quand nous ramènerons l'appareil à bord. Il est bien certain que les situations obliques prises par l'appareil seront sans aucune impor- tance. Seulement on voudra bien noter que la température change pen- 1 \ ^=^ SOE If C Fig. G". — Sondeur i hélice de Le Coëutre. 126 LA VIE DANS LES EAUX. dant la descente, ce qui modifie le volume du gaz comprimé, que, si peu que l'appareil oscille en route ou en frappant le fond, Teau ira lécher les parois dans des régions qu'elle n'au- rait pas atteintes sans cet accident. Enfin, si entre 1 et 10 mètres il y a une grande dénivella- tion d'eau dans la cloche fermée, il n'en est plus de même quand on en est vers 1000 mètres par exemple où, pour 10 mètres, il n'y a plus qu'une variation impossible à lire ; que serait-ce vers 5 ou 6000 mètres ? J'ajouterai que, chaque jour, les indi- cations de l'instrument varient avec la pression du baromètre. C'est trop de correction et je doute que, même per- fectionné, le bathomètre de Thomson puisse jamais servir. Il n'en est peut-être pas de même de celui de Fol ni surtout de celui de Siemens. Fol remplit d'eau un ballon au-des- sus duquel se trouve un entonnoir rempli de mercure. Il n'y a pas une bulle de gaz dans tout le système (fig. C8j. On descend l'appareil; l'eau et le verre se compriment, mais l'eau bien plus que le verre, le mercure pénètre donc dans le ballon d'eau et cela en proportion même de la compression : il tombe au fond de ce ballon. (Juand on remonte, l'eau se dilate, elle sort du ballon en barbottant dans le mercure. Mais le métal qui est tombé au fond y reste, lui. On le recueille, on le pèse et il dit de combien l'eau s'était comprimée. On sait donc à combien d'atmosphères elle était soumise au fond : en multipliant par 10 on a la pro- fondeur. On peut corriger la température facilement. Mais la correc- tion la plus ennuyeuse est celle de la compression du vase de verre qui, en rétrécissant celui-ci, va à l'inverse de la pénétra- Fig. 68. — Bathomètre de Fol LA PRESSION. 127 tion du mercure, si Lien que celle-ci ne résulte que de la diffé- rence qu'il y a entre la compressibilité de l'eau et celle du verre. C'est pour obvier à cela que je proposerais le bathomètre sui- vant (%. 69). Un grand vase de cuivre mince A aura la capacité qu'on désirera II sera avantageux, comme on va voir, de lui donner de grandes dimensions. Un hectolitre ne me semblerait pas de trop. Il n'y a pas à craindre le poids, puisque nous savons qu'il nous faut un minimum de 50 à 70 kilogrammes pour aller au fond avec assez de vitesse. Notre vase A est ouvert en haut par un robinet à trois voies R que manœuvre le long levier L. Un collier s'attache au-dessus de ce robinet, il soutient trois iils d'acier ou de chanvre C réunis en patte d'oie au niveau du câble de descente. Sur la troisième voie du robinet se trouve un sac de caoutchouc épais, aplati et vide d'eau. Quand on descend l'appa- reil, le robinet est dans la po- sition 1, c'est-à-dire que le ballonnet est fermé et que le robinet est ouvert de la bou- teille à l'extérieur. La grande bouteille se remplit donc d'eau dès qu'elle est immergée. On la descend et au fur et à mesure qu'elle s'abaisse l'eau s'y comprime naturellement. Fig. G9. — Bathomètre de Regnard. 128 LA VIE DANS LES EAUX. Arrivée sur le fond, elle se couche, le tramage sur la vase accroche le grappin qui est au bout du levier L et ferme du coup le robinet qui prend dès lors la situation 2. La communication avec l'extérieur est supprimée, mais la bouteille communique avec le ballonnet B. On remonte le bathomètre, Feau se décom- prime et l'excès de liquide ainsi produit va se déverser dans le ballonnet B. Arrivé à bord, celui-ci est dévissé, on verse l'eau qu'il contient dans une éprouvette graduée. On a dès lors tous les éléments du problème. Les travaux concordants de Wertheim, de Grassi, de Tait, de Buchanan, montrent que l'eau de mer se comprime en moyenne de 0,00000430 par mètre. Un réservoir de 100 litres donnera donc une diminution du volume de l'eau égale à 0,00000430 X 1000 pour 10 mètres de descente soit 0'",0043. Pour une déni- vellation de 3000 mètres, par exemple, Teau diminuera de 0,00000430 X 100 X 3000 soit 1"S290. C'est précisément cette eau qui s'emmagasinera dans la bouteille, qui s'y trouvera enfermée à la clôture du robinet et qui regorgera dans le ballon B à la remontée. Donc l'ayant mesurée, il suffira de diviser le nombre obtenu par 0,0000043 X Vpour avoir la profondeur. Il y aura à faire une correction de température car, à la clôture du robinet, l'eau était froide ; elle se sera réchauffée en remontant et se sera dilatée. La lecture donnerait donc un chiffre trop fort. On remarquera en T, sous le levier L, un tube, il contient un thermomètre à renversement, très bien protégé, qui rapportera la température du fond par un procédé que nous ferons con- naître dans une autre leçon. On notera aussi que si des gaz se dégagent de l'eau à la mon- tée, par suite de la diminution de pression, ils n'entacheront nullement les résultats, car ils se réuniront, il est vrai, en B, mais quand on ouvrira celui-ci ils s'échapperont tout simple- ment et n'entreront pas dans la lecture du volume de l'eau transvasée dans l'éprouvette. A mon avis, le premier des bathomètres est celui de Sie- LA PRESSION. 129 mens. Bien construit et bien employé, il permettrait de faire en quelques années la carte topographique des fonds aussi soi- gneusement qu'on a fait celle des continents. Il ne nécessite pas de cordes, de bobines, il fonctionne sans cesse, il suffit de le lire pour savoir au-dessus de quel fond on se trouve comme il suffit de lire un baro- mètre pour savoir sous quelle pression d'air on est placé. Il est fondé sur ce principe que l'attrac- tion que la terre exerce sur un corps est proportionnelle à la densité des couches situées au-dessous de ce corps. Un poids qui pèse un kilogramme sur terre ne pèse plus le même poids exactement sur mer, même à pareille latitude, et cela tout sim- plement parce que l'eau est moins dense que les roches. Sur terre l'attraction est exercée par une colonne de rochers d'une densité égale à 2,750; sur mer, elle est exercée par la même colonne moins une colonne variable d'eau salée de densité égale à 1,026. Or cette colonne c'est justement la profondeur qu'on cherche. Le batfiomètre est formé d'un tube d'acier assez long (fig. 70) fermé par une large membrane d'anéroïde très sensible. Fig. 70. — Bathométre de Siemens. Le tout est rempli de mercure. Pour que la membrane ne se crève pas elle est sou- tenue en son milieu par un piton, maintenu lui-même par de solides ressorts à boudin. En haut, le tube est fermé et terminé par un tube capillaire roulé en spirale et plein d'huile. Quand la pesanteur du mer- cure augmente, il pousse sur la pellicule d'anéroïde et l'enfonce, l'huile le suit et descend dans le tube capillaire, le contraire a Reg.nard. 9 130 LA VIE DANS LES EAUX. lieu quand la pesanteur diminue, c'est-à-dire quand la profon- deur d'eau augmente. La température est sans action, car les variations que le mer- cure subit de son fait sont compensées, comme dans un pen- dule, par l'allongement des ressorts d'acier qui agissent en sens inverse. On comprend qu'un pareil outil, suspendu à une cardan, au centre d'un navire, indique à chaque instant sans aucune ma- nœuvre combien d'eau se trouve au-dessous de lui, comme un baromètre dit combien d'air est au-dessus de lui. On pourrait graduer le bathomètre mathématiquement. Il est plus commode de le faire par comparaison avec un sondeur à fil. Sur le Faraday^ le bathomètre a été essayé et a donné les meil- leurs résultats ; à peine a-t-il laissé un ou deux mètres d'erreur. Néanmoins on ne s'en sert nulle part, il est probable qu'il aurait besoin d'être perfectionné : le physicien constructeur qui arri- vera à le livrer parfait rendra un grand service à l'océano- graphie. Messieurs, c'est grâce à cet arsenal compliqué que nous con- naissons aujourd'hui la profondeur des eaux et par conséquent la pression que supportent les animaux qui y demeurent. Les anciens n'avaient pas sur ce point des notions même approchées. Les poètes et le peuple avec eux déclaraient que la mer était sans fond. Les géomètres grecs estimaient la pro- fondeur moyenne à 1800 de nos mètres pour la mer qu'ils con- naissaient, ils n'étaient pas très éloignés de la vérité. D'ailleurs ils se basaient sur ce fait que la mer devait avoir en profondeur ce que les montagnes avaient en hauteur, les matériaux des montagnes extraits de la terre avaient constitué les bassins des mers. Plus près de nous, Buffon donne à la mer une profondeur moyenne de 440 mètres ; vous allez voir combien il est au- dessous de la réalité. Lacaille estime la profondeur des mers à 500 mètres etLaplace, par un raisonnement analogue à celui des Grecs, l'a porté à 1000 mètres seulement. LA PRESSION. 131 Vous savez déjà, Messieurs, cV après ce que nous en avons dit. qu'il faut multiplier ce chiffre par 8 au moins pour arriver à exprimer la vérité sur ce point. Malheureusement nous sommes loin de connaître les profon- deurs de la mer comme nous connaissons le relief du sol : les coups de sonde sont encore rares, espacés les uns des autres de centaines de kilomètres. Ce n'est guère que dans les endroits où on a immergé des câbles télégraphiques que le fond a été exploré et cela ne fait en somme que des lignes tracées au mi- lieu de l'immensité. L'opinion que j'ai émise devant vous déjà plusieurs fois est vraie jusqu'à un certainpoint. Les vieux marins ont coutume de dire : Telle côte, tel fond. Cela signifie que la pente du sol se continue dans les eaux. Là où la plage est plate, le sol de la mer va s' enfonçant lentement; si la côte est formée de monta- gnes, leur pente se prolonge dans les eaux et les grands fonds se trouvent de suite. Sur la côte du Brésil, Fitz-Roy, sondant d'un côté de son navire, trouvait un fond de 10 mètres. Sur l'autre bord la sonde donnait 40 mètres. Sur la côte landaise, chez nous, au milieu d'un fond bas et sablonneux, s'ouvre une sorte de canal de plus de 100 mètres de fond, c'est le gouffre de Cap-Breton qui va joindre les grands abîmes de l'Océan. Nous n'allons pas ici. Messieurs, parcourir chaque mer et examiner sa profondeur moyenne ou extrême : c'est là l'œuvre de l'océanographe. Ce qu'il importe au biologiste de connaître, ce sont les limites des pressions auxquelles peuvent être naturellement soumis les • êtres vivants et l'étendue géographique sur laquelle ces pres- sions se produisent. Or, non loin de nous, dans la Méditerranée, nous rencon- trons déjà des profondeurs de 4000 mètres, au nord des Syrtes, presque au centre géométrique de cette mer. Une ligne qui joindrait la pointe de Fltalie à Tunis, en pas- sant par la Sicile, représente assez bien une sorte de seuil qui 132 LA VIE DANS LES EAUX. divise la Méditerranée en deux bassins. Le centre de ces deux bassins est à peu près la partie la plus profonde. Quatre cents atmosphères, voilà la pression que supporte ranimai qui vit au fond de cette mer. Je ne vous dirai rien de la profondeur de la Manche, de la mer du Nord, de la Baltique. Deux à trois cents mètres, voilà leurs plus grands fonds ; 20 à 30 atmosphères sont les seules pressions que supportent au plus leurs habitants. Dans leur plus grande étendue, elles ne dépassent guère 60 mètres : il y a môme des points où elles n'ont que 10 mètres de fond : bien moins par conséquent que beaucoup de fleuves. La pose du câble transatlantique a permis de dresser la carte de TAtlantique-Nord au moyen de coups de sonde assez rap- prochés. La profondeur qui sépare l'Europe de l'Amérique est d'environ 3500 mètres (350 atmosphères). Le point le plus profond de cette région est à 4431 mètres. Entre la côte d'Afrique et le Yucatan la plus grande profon- deur est de 5000 mètres (500 atmosphères), on la rencontre près des îles du Cap- Vert. Le fond se relève au contraire subitement au niveau des petites Antilles après s'être abaissé à 5500 mètres dans la mer des Caraïbes. La plus grande profondeur de l'Atlantique se trouve à 157 kilomètres au nord de Saint-Thomas. Elle est de 7091 mè- tres (700 atmosphères environ). Si on en croyait les premiers sondages, l'Atlantique-Sud se- rait encore plus profond que l'Atlantique-Nord. Près du Brésil, nous l'avons dit, Denham a trouvé un fond de 13 900 mètres, et Parker un autre de 15 900. Seulement, à cette époque, on ne tenait pas compte des déviations de la sonde : ces régions ont à peine un fond de 5500 mètres. En réalité l'Atlantique-Sud a en moyenne 4500 mètres de profondeur. Les dérouleurs de fils ont naturellement sondé le Pacifique comme ils l'avaient fait de l'Atlantique et, là encore, ce sont les tentatives de pose de câble qui ont amené à réaliser ce long et pénible travail. mass LA PRESSION. Mais, avant môme qu'on eût sondé le Pacifique, on connaissait sa profondeur moyenne, grâce à un calcul que l'on peut faire sur la rapidité de propagation des ondes produites par une se- cousse de tremblement de terre. j j'*^, . A7ier des Sargasses duCap Vert, ° llesAçores S^ Antonio FRANCt RocheforL Chassu-on lOOO ÏOOO 3000 liOOO 5000 6000 7000 Fig. 71. — Coupe de l'Océan Atlantique entre la France et les iles du Cap-Vert. Cette vitesse de propagation est fonction de la profondeur de l'eau. Elle peut être exprimée d'après x\.iry de la manière suivante : h 9,8088 d'après x\iry et Bâche k=^ = \' d'après Russel g 9,8090 9,8182 Le 23 décembre 1854 un tremblement de terre agita tout le Japon. Il fut ressenti douze heures après de l'autre côté du Paci- fique à 11 000 kilomètres de là. En appliquant la formule on trouve que la profondeur moyenne est de 4285 mètres. Le tremblement de terre du 23 août 1868, qui se produisait en Amérique et celui du 9 mai 1877 permirent de calculer que le Pacifique présente entre Arica et les Sandwich une profon- deur moyenne de 4691 mètres, entre Iquique et Hilo une pro- fondeur de 4252 mètres et une profondeur de 40G0 mètres entre Iquique et ïïonolulu. 134 LA VIE DANS LES EAUX. On ne connaissait encore que ces données générales quand le navire Tuscarora explora le Pacifique, de la Californie au Japon, en vue de la pose d'un câble. Le capitaine Belknap ne donna pas moins de 483 coups de grande sonde sur un déve- 160 160 Fig. 73. — Planisphère indiquant les principales profondeurs dans le Pacifique et l'Atlantique. loppement de 10 000 kilomètres. C'est ce travail que repré- sente notre schéma (fig. 73). Entre l'Amérique et les Sandwich le fond est en moyenne de 4392 mètres. C'est presque exactement ce qu'avaient trouvé les mathématiciens par le calcul de la vitesse des ondes. Près de la côte du Japon, la sonde indique un creux de 8o73 mètres. C'est le point le plus profond que l'on connaisse dans aucune mer. La pression y est de 857 atmosphères. Il porte en océanographie le nom de fosse du Tuscarora. L'Océan Lidien commence à être connu : on y a trouvé des fonds de 5300 mètres ; mais les sondages sont encore bien éloi- gnés les uns des autres. Les récents travaux de John Murray vont jeter un jour nouveau sur ce point. LA PRESSION. 13o Quant aux mers tributaires de rOcéan Indien, comme le "o o CD o a o o d cr "o O p o Q. 3 O a golfe Persique et la mer Rouge, leur fond moyen est de 100 mè- tres, leur plus grande profondeur de 900. L'Océan Antarctique est mal connu, le Challenger y a pouj'- 13fi LA VIE DA\S LES EAUX. tant fait un sondage de 3640 mètres. L'Océan Arctique a été mieux observé. Tandis qu'au nord de la Sibérie les fonds de 2o mètres se pro- longent jusqu'à 2^)0 kilomètres des côtes, on trouve entre l'Is- lande et le Groenland des fonds de 2830 mètres et, entre celui-ci et l'Amérique, des fonds de 3675 mètres. Otto Krûmmel, cité par Reclus, a exprimé dans le tableau que je mets sous vos yeux la profondeur moyenne de toutes les mers. OCÉANS. Océan Atlantique 3 681 mètres. — Indien 3 344 — — Pacifique 3 887 — — Antarctique 3 300 — — Arctique 1 o4o — MÉDITERRANÉES. Méditerranée romaine 1 339 mètres. — ballique.. G7 — — arabique 444 — — persique 37 — — australienne... . 891 — — américaine 1 832 — MERS CÔTIÈRES. Mer du Nord 89 mètres. Manche 86 — Golfe du Saint-Laurent 290 — Mer de Chine 121 — — du Japon 2 200 — — d'Okhotsk 1 olo — — de Bering 1000 — Il résulte donc de cette longue étude à laquelle nous venons de nous livrer que les êtres qui habitent les grands fonds peu- vent y être exposés à des pressions qui vont jusqu'à 850 atmo- sphères. Dans ce calcul nous acceptons que 10 mètres d'eau de mer équivalent juste à 760 millimètres de mercure. Nous savons fort bien que cela n'est pas absolument exact. LA PRESSION. iZl La température des grands fonds est basse, l'eau y est plus dense, nous le verrons. De plus la compression par elle- même fait qu'elle est plus dense aussi au fur et à mesure qu'on la prend plus bas. Là il faut moins de 10 mètres pour faire une atmosphère. Mais ces détails, qui pour l'océanographe ont leur valeur, sont sans importance pour nous : qu'importe pour la vie que sur un fond donné il y ait 300 ou 301 atmosphères? D'autant que les sondages ne sont pas si précis que cela et se trompent certainement de plus que ne comportent les corrections que nous indiquons. Voilà donc une première notion acquise. Ce qu'il nous faut maintenant apprendre, c'est l'influence qu'aura sur les animaux des mers cette formidable pression. SIXIEME LEÇON INFLUENCE DE LA PRESSION SUR LA VIE AQUATIQUE Messieurs, Quelle peut être, sur la vie, rinlluence d'aussi grands chan- gements de pression ? Un animal qui supporte une atmosphère à la surface de la mer pourra-t-il se laisser tomber jusque dans les profondeurs, en porter six cents sans que pareille dénivel- lation lui nuise ? Tantqu'ona argumenté sans faire d'expériences, et vous savez, Messieurs, que telle était la manière de faire en physiologie il n'y a pas bien longtemps encore, on a été emporté par deux courants d'idées inverses. On a dit qu'une pression pareille à celle qui existe au fond des Océans écraserait à coup sûr tout être vivant et le tuerait, le détruirait. Aussi se basa-t-on sur ce fait pour affirmer qu'il ne pouvait exister aucun animal dans les grands fonds. Mais voilà qu'on en a découvert, voilà que la drague a ramené tout un monde aussi riche en espèces qu'en individus. Alors on s'est retourné et on a remarqué qu'au fait les ani- maux des fonds sont comme nous sous la pression de notre légère atmosphère. Ils supportent 600 kilos et plus par centimètre " carré, mais ils les supportent dans tous les sens, donc ils ne sup- portent rien puisque ces pressions se contrebalancent. On disait bien la même chose pour la pression atmosphé- rique avant les découvertes de Paul Bert. Mais voilà que ce sa- INFLUENCE DE LA PRESSION SUR LA VIE AQUATIQUE. 139 vant a découvert que, dans l'air, la pression n'agit pas mécani- quement mais en changeant le milieu chimique où vivent les êtres : si bien qu'elle a la plus grande action sur les phénomènes de leur existence. Nous voudrions qu'on acceptât que nous avons démontré qu'il en est de môme pour les hautes pressions des grands fonds que pour la pression atmosphérique. C'est expérimentalement et seulement par cette voie que nous avons procédé. Pour nous, tout ce qui n'est pas le résultat de l'expérience n'existe pas, le raisonnement ne peut intervenir que pour imaginer l'expérience ou pour conclure après elle. Toute conception a priori ne peut conduire à la vérité scientifique que par hasard. L'expérience la plus simple que nous aurions pu faire pour nous rendre compte de l'action des hautes pressions sur un ani- mal eût été de descendre dans les grands fonds, par exemple, un Poisson placé dans une cage attachée à un plomb de sonde. Cette méthode, nous ne l'avons même pas tentée, elle eût été déplorable, nous n'aurions connu aucune des phases de l'expé- rience ; et puis, il n'est pas facile de trouver un navire qui fasse de grands sondages. L'eût-on, chaque expérience durerait le temps d'un coup de sonde, plusieurs heures : que de choses pourraient pendant ce temps atteindre le Poisson en expérience? A combien de conditions spéciales se trouverait-il exposé sans qu'on puisse l'y soustraire (changement de température, d'aé- ration de l'eau, etc.) ? Et puis les expériences de physiologie ne sont pas faciles à bord ; on n'imagine pas ce qu'est la moindre installation instrumentale avec les mouvements inévitables d'un navire. Nous avons donc voulu opérer dans notre laboratoire même. Et, comme notre maître PaulBert avait reproduit à la Sorbonne les accidents qui surviennent dans l'ascension des Alpes, nous avons voulu obtenir au même endroit les phénomènes que l'on observe au fond de l'Océan. Il nous a fallu pour cela combiner et môme souvent imagi- 140 LA VIE DANS LES EAL'X. ner de toutes pièces les appareils à la fois minutieux et étonnam- ment re'sistants qui devaient supporter jusqu'à 1000 atmo- sphériques. Pour produire la pression une presse hydraulique quelconque pouvait nous servir. Nous avons choisi, dans le nombre de ces instruments, la merveilleuse presse que Cailletet a imaginée pour la liquéfaction des gaz. C'est un outil de grande puissance, c'est en même temps un appareil de précision tel que, bien des fois, je me suis amusé à la manœuvrer du bout du doigt et à monter ainsi à plusieurs centaines d'atmosphères en quelques secondes. Sur un fort bâti en fonte S se trouve solidement fixé un gros bloc de bronze de forme carrée. Ce bloc est percé de part en part et, à chaque extrémité, sont deux chapeaux également en bronze qui ferment les deux bouts du tube. On ne les retire que pour les nettoyages (fig. 74). Dans ce tube on peut comprimer de Teau au moyen d'un piston plongeur P, manœuvré par le levier L qui monte et des- cend dans la glissière G. Quand on l'élève, il puise de Teau par le tube a ; quand on l'abaisse il rejette cette eau par le tube d. Deux clapets en ébo- nite sont placés sous les chapeaux EE' fondus en bronze et so- lidement vissés. Ils servent à régler le sens du courant. Sur le trajet du tube ^, se trouve un pointeau mû par une vis y ; quand on le serre, il bouche totalement le tube d et l'eau comprimée ne trouve plus d'issue qu'en E" par le tube TU. C'est ce tube qui ira au réservoir où on comprimera l'eau. Pour les très hautes pressions on aurait de la peine à manœu- vrer le levier L, il faudrait donner trop de chocs et on briserait peut-être son appareil. En P' se trouve un deuxième piston plon- geur. Celui-là est mû par une vis micrométrique que l'on met lentement en mouvement par le volant Y. On peut ainsi monter lentement jusqu'à des pressions de 1000 atmosphères corres- pondant à 10 000 mètres d'eau de mer. Un manomètre M, gradué de 20 en 20 atmosphères, de 0 à 1000, permet de savoir toujours 011 on en est. INFLUENCE DE LA PRESSION SUR LA VIE AQUATIQUE. 141 11 est évident qu'on ne laisse pas une bulle de gaz dans l'ap- pareil, ce qui fait que, s'il éclatait, l'accident n'aurait pas une grande importance. Deux fois entre mes mains et entre 900 et iOOO atmosphères un des tubes de l'appareil a sauté. Il n'en est résulté de fâcheux que la nécessité d'une légère réparation. Fig. 74. — Presse hydraulique de Cailletet. Le tube TU qui mène l'eau comprimée de la presse au réser- voir est un tube capillaire en cuivre souple ; vous savez que la face interne de ces tubes ayant une surface des plus minimes et de forme d'ailleurs cylindrique, ils résistent aux pressions les plus intenses. Comment allons-nous construire le réservoir ovi nous ferons nos expériences ? Au début nous avons simplement utilisé le bloc de Cailletet un peu modifié (fig. 75). C'est un fort tube en acier fondu. Il est fermé par un bout, 142 LA VIE DANS LES EAUX. l'autre extrémité est ouverte et on le coiffe cFun chapeau en acier D qui repose sur une rondelle en cuir. On serre ce chapeau au moyen d'un fort écrou de bronze E qu'on visse au moyen de deux clefs CC. Fig. 75. — Bloc d'acier foudu dans lequel sont placées les substances à comprimer. Latéralement se trouve un trou où une monture particulière admet le tube T qui amène Teau comprimée. C'est dans ce réservoir que nous introduisons les animaux ou les substances à soumettre aux expériences. Pour qu'ils ne soient pas en contact immédiat avec le fer, nous les renfer- mons dans un tube (fig. 76) en verre, fermé par un bouchon à l'émeri, percé d'un trou capillaire. Ce trou est destiné à admettre l'entrée de l'eau comprimée, sans quoi le tube, s'il était tout à fait fermé, se briserait au moment de la compres- sion puisque celle-ci ne se ferait pas à la fois en dedans et en dehors. Nous avons été obligé dans la suite de beaucoup compliquer B i INFLUENCE DE LA PRESSION SUR LA VIE AQUATIQUE. d43 notre appareil ; mais pour les premières expériences il va nous servir dans sa simplicité actuelle. Il est évident que c'est sur les phénomènes primordiaux de la vie que nous allons agir tout d'abord pour savoir comment les hautes pressions les modifie- ront. Le plus simple de tous est la fermentation. Je prends deux tubes comme ceux que repré- sente la figure 76. Dans chacun je mets une so- lution sucrée identique et un poids égal de le- vure de bière. L'un est mis dans le réservoir à pression et je foule rapidement dessus 600 atmosphères. L'autre est laissé dans le laboratoire à côté du bloc. Au bout de dix minutes vous voyez la fer- mentation s'y établir avec énergie. En moins d'une heure tout le sucre a disparu. Ouvrons maintenant l'appareil à pression, re- tirons le tube à levure qui y était renfermé. Nous le trouvons limpide, preuve qu'aucun re- mous de fermentation ne s'y est produit. Toute ^^°' '6-— Tubes a J ^ ouverture capil- la levure est ramassée au fond, précipitée. Si nous faisons l'analyse du liquide nous trou- verons la solution sucrée intacte. Mais laissons au contraire le ferment au con- tact du sucre. Un certain temps s'écoulera pendant lequel la levure va comme dormir et rester inactive. Mais la voilà qui se réveille, le liquide bouillonne et la fermentation finit par se faire jusqu'au bout. Recommençons l'expérience, mais autrement; comprimons de la levure dans notre tube, seulement laissons-la dans l'eau pure. Puis, après une heure, où elle aura supporté 1000 atmosphères par exemple, mettons-la au contact de l'eau sucrée. Rien tout d'abord ne se passera. La levure dort : mais tout à coup elle se réveille, la fermentation part et va jusqu'au bout. capi laire pour reu- feriiier les sub- stances qu'on veut compri- mer. 144 LA VIE DANS LES EAUX. Voilà donc le premier résultat que nous donne la pression; elle met en vie latente les êtres unicellulaires. A l'examen microscopique il ne nous est possible de trouver aucune modification dans la cellule de levure. Cela ne veut d'ailleurs nullement dire qu'il n'en existe pas. Nous avons voulu connaître plus intimement encore le phé- nomène : pour cela, la méthode graphique nous offre son secours : nous avons donc cherché à construire un instrument qui nous permît d'enregistrer l'activité de la levure avant et après l'action de la pression sur elle. C'est sur un cylindre tournant G, couvert d'une feuille de papier enduite de noir de fumée, qu'un style viendra tracer la courbe de la fermentation. Ce cylindre est mû lentement par une horloge : un mécanisme fort simple nous permet de réaliser, à peu de frais, ce mouve- ment très régulier. Nous nous servons d'une horloge ordi- naire A : la corde qui en soutient le poids s'enroule autour d'un treuil B, qui tourne régulièrement à mesure que descend le poids. Ce treuil, au moyen d'une cordelette de transmission, entraîne le cylindre dans son mouvement : il suffit d'augmenter la puissance du poids de l'horloge pour conduire des cylindres aussi lourds et aussi volumineux que l'on veut, ce qui est impos- sible avec les appareils en usage jusqu'à présent (fig. 77). En K se trouve un flacon de verre, dans lequel se passe la fermentation. Ce flacon est plongé dans un bain-marie tenu à une température constante par un thermomètre électrique M et un régulateur N actionné par la pile P. Nous reviendrons sur la description de ce régulateur. Qu'il suffise maintenant de savoir que, dans la figure, les organes M, K, P, N, n'ont d'autre but que de maintenir le bain à une température constante. Le flacon communique par deux tubes : 1° avec un mano- mètre à eau J ; 2" avec une petite cloche H plongée dans du mercure. Quand, par suite de la fermentation, les gaz viennent à se dégager dans le flacon fermé, le flotteur, placé sur l'eau du INFLUENCE DE LA PRESSION SUR L\ VIE AQUATIQUE. 145 manomètre, s'élève, et il entraîne avec lui le bras de la balance auquel il est attaché. Le bras opposé s'abaisse, et un fil de pla- tine qui le termine vient plonger dans un godet de mercure 0. ci 05 a • •H ^-» a o o OJ É s — u ■s «2 ô o a a o bD Ce contact ferme le courant d'une pile placée dans une pièce voisine, et dont les conducteurs sont seuls représentés sur la figure. Or, ce courant passe, à la fois et en même temps, dans la Regnard. JO 146 LA VIE DANS LES EAUX. bobine F et dans la bobine E. Ces bobines s'aimantent et atti- rent leurs armatures. En basculant Tarmature de la bobine, E pousse une dent de la roue à rochet qui est au-devant d'elle. Cette roue à rochet entraine, au moyen d'une corde de transmission, la vis D qui porte le style inscripteur. Cette vis tourne d'une certaine quan- tité, et le style avance d'autant. Mais, du même coup, la bobine F s'est aimantée. En bascu- lant, son armature a soulevé la clochette qui plongeait dans le mercure et qui communiquait avec le flacon à fermentation. Celui-ci s'est trouvé débouché ; le gaz produit s'est échappé. Aussitôt l'excès de pression a été détruit ; le manomètre est retombé à 0° ; le fil de platine a quitté le mercure et le courant a été rompu. Les deux bobines se sont désaimantées; la clo- chette est retombée dans le mercure ; l'armature de E est revenue sous une autre dent de la roue à rochet, et tout est retombé dans le repos jusqu'au moment où une quantité de gaz, juste égale à la première, aura été produite par la fermenta- tion. Alors, le même mécanisme se reproduira et le style avan- cera d'un nouveau degré. Finalement, il résultera de là, sur le cylindre, une courbe odométrique qui indiquera toutes les phases de la fermentation. Il est évident qu'on devra toujours se servir du même flacon et y mettre toujours la même quantité d'eau si on veut que ce soient des quantités de gaz égales qui produisent le déclanchement de la machine. Nous venons de dire que nous entretenions la température égale au moyen d'un régulateur particulier. Ce thermostat est destiné à donner instantanément le degré où l'on désire rester et cela sans aucun tâtonnement. Un vase quelconque (une grande capsule dans la figure 78) est rempli d'eau. Au-dessous se trouve placé un bec de gaz. Le gaz arrive à ce bec par un tube en caoutchouc. Dans un point de son trajet, ce tube est formé par deux très minces lamelles de caoutchouc, collées sur les bords. La plus légère compression sur ces lamelles empêche le passage du gaz et éteint le bec. Or justement au-dessus d'elles INFLUENCE DE LA PRESSION SUR LA VIE AQUATIQUE. 147 se trouve iin couteau d'acier E qui peut être vivement abaissé par un électro-aimant et produire la compression nécessaire pour arrêter le gaz. L'électro-aimant est actionné de la manière suivante : Fig. 78. Thermostat électrique. Dans Teau de la capsule G plonge un thermomètre ouvert à l'une de ses extrémités. Cette ouverture donne passage à un fil de platine que l'on peut descendre ou remonter dans l'intérieur du thermomètre, et que Ton peut, par conséquent, arrêter en face du degré que l'on veut. Dans le réservoir du thermomètre est, d'autre part, soudé un fil de platine noyé dans le mercure. Deux éléments de Leclanché sont mis en rapport avec Télectro- aimant, de telle sorte que le courant est interrompu seulement i48 LA VIE DANS LES EAUX. entre la tige de platine et la colonne de mercure. Si le bain C s'échautTe, le mercure monte dans le thermomètre, et, quand il arrive au degré où on a arrêté la tige, le courant s'établit, Té- lectro-aimant entre en action et éteint le gaz. La température est réglée. En effet, si peu qu'elle diminue, le mercure quitte la petite tige de platine, l'électro-aimant se relève, le gaz passe, se rallume au petit bec de sûreté et le bain se réchauffe, mais immédiatement le mercure remonte et éteint le feu dès que la température voulue est de nouveau atteinte. D'où une série de mouvements du gaz qui font que le bain ne change pas de température. Principal avantage : réglage instantané et sans tâtonnements de la température de l'étuve C. Deuxième bénéfice : si on veut changer le degré, il suffit défaire mouvoir la tige de platine et de l'amener en lace de la graduation du thermomètre pour que, quelques minutes après (2 ou 3 au plus), l'étuve soit réglée à un degré nouveau. Nous voilà donc muni d'un appareil un peu compliqué, il est vrai, mais que l'expérience nous a appris être très exact ; nous allons pouvoir, grâce àlui, connaître la marche de la fermenta- tion avant et après la haute pression. Le tracé (fig. 79) que je mets sous vos yeux en est la fidèle re- présentation. En bas se trouve le tracé normal donné par 10 grammes d'une levure haute à 35° de température. On voit qu'après un temps perdu très court, la fermentation s'est mise rapidement en marche : la courbe s'élève vite. Jusqu'à 400 atmosphères la courbe ne varie pas sensible- ment, aussi ne la reproduisons-nous pas. De la levure qui, pendant une heure, a subi une pression de 600 atmosphères, donne un tracé où la fermentation se montre encore très complète, mais elle débute plus lentement et se traîne pour ainsi dire avant d'arriver à sa fin. La même dose de levure qui est demeurée une heure sous mille atmosphères . donne une fermentation plus ralentie encore. La courbe nous INFLUENCE DE LA PRESSION SUR LA VIE AQUATIQUE. 149 montre bien que la levure a perdu de sa puissance, elle dort pour ainsi dire, mais elle n'en mène pas moins son œuvre jus- qu'au bout : elle y met seulement plus de temps. Nous concluons donc de notre expérience : 1° Que de la levure qui descendrait dans la mer sur un fond de plus de 4000 mètres (400 atmosphères) y tomberait en vie Fig. 19. —Courbe fournie par la fermentation d'une levure haute normale et de la même levure ayant subi pendant une heure des pressions de COO et de 1000 atmo- sphères. latente et ne pourrait y attaquer les sucres qu'elle y trouverait. Mais ramenée à la surface elle pourrait reprendre son activité au bout d'un certain temps. Ceci a déjà une importance assez grande. Beaucoup d'êtres végétaux uni-cellulaires vivent à la surface de l'Océan. Si quel- que accident les porte vers les profondeurs, ils sont voués à la vie latente, au sommeil et sans doute à la mort. C'est ce qui arrive aux Diatomées dont les cadavres couvrent en si grand nombre le fond des mers froides (voy. fig. 35). L'expérience physiologique me permet d'affirmer que toutes celles qu'on a ramenées, vivantes encore, des grands fonds, y étaient récem- ment arrivées ou bien constituaient des espèces spéciales déjà acclimatées à leurs conditions particulières d'existence. 130 LA VIE DANS LES EAUN. Des recherches parallèles aux nôtres faites par MM. Certes et Cochin (Soc.de Biologie, 1884, p. 639) sembleraient prouver que la fermentation est encore possible dans les fonds de 3 à 4 mille mètres. Ce résultat n'est nullement contradictoire avec le nôtre puisque, jusqu'à ces pressions, nous n'avons trouvé aucune modification à la courbe de fermenlation et qu'il nous a fallu dépasser 400 pour obtenir les courbes de la ligure 79. Le ferment alcoolique n'est pas le seul sur lequel nous ayons expérimenté. Voici une expérience qui réussit toujours et que je mets sous vos yeux. Dans ces deux tubes j'ai mis du lait additionné d'une trace de vieux fromage. L'un de ces tubes a été tenu pendant douze jours sous 700 atmosphères, l'autre a été laissé à l'air à côté de l'appareil. Or, tandis que ce dernier est coagulé, acide et qu'il répand une odeur infecte, le lait comprimé est liquide et nulle- ment acide. Il n'y anigoût ni odeur fâcheuse et je sais que dans trois ou quatre jours il sera encore en cet état. Ce n'est qu'au bout de ce temps que les ferments que j'y ai introduits, ferments lactique et butyrique, commenceront à agir et que le lait se coagulera. La putréfaction n'est qu'une fermentation particulière, peut- elle se faire sous la haute pression qu'on rencontre au fond de l'Océan ? Quand un cadavre d'animal est abandonné à la mer dans les points où se trouvent de grandes i)rofondeurs, ce cadavre va forcément jusqu'au fond puisque sa densité plus grande que celle de l'eau l'y entraîne et que cette densité, par le fait même de la compression, ne fait qu'augmenter à mesure que le corps s'enfonce. Or. qu'en advient-il par la suite? Se putréfie-t-il, ou demeure-t-il indéfiniment dans son premier état. Pour résoudre ce problème, nous avons soumis dans notre appareil et à despressions deOOO à700 atmosphères, pendant des semaines, un certain nombre de substances putrescibles. Nous avons commencé par de l'urine que nous avions ense- mencée de quelques gouttes d'urine putride. Nous l'avons lais- INFLUENCE DE LA PRESSION SUR LA VIE AQUATIQUE. 151 sée 21 jours sous une pression de 630 atmosphères. Un témoin était à côté de l'appareil. Or, au bout de trois semaines Furine comprimée était claire, limpide, inodore, un peu acide, on y voyait quelques microbes, mais ils étaient immobiles. L'urine témoin était trouble, alcaline, elle répandait une odeur infecte, elle fourmillait de microbes. Recommençons cette expérience, mais cette fois avec de l'eau de levure sucrée. Au bout de quatorze jours, le témoin est dans un tel état de putréfaction que nous nous décidons à ouvrir de suite notre appareil chargé à 700 atmosphères. Nous trouvons l'eau de levure comprimée absolument transparente et inodore. C'est à peine si nous pouvons y rencontrer quelques micro-or- ganismes immobiles tandis que la liqueur témoin fourmille de vibrioniens. Encore un essai mous mettons dans l'appareil de l'œuf (blanc et jaune mélangés) et nous comprimons à 700 atmosphères. Après dix-huit jours le témoin est infect ; la substance compri- mée, elle, est absolument indemne, ne présente pas d'odeur, ni de goût. On n'y remarque que ce fait singulier : le blanc et le jaune, mélangés par le battage, se sont séparés nettement, le jaune est tombé au fond du tube, le blanc surnage. En opérant avec de la viande ensemencée d'une goutte de sang putréfié, même résultat. Après quarante jours de compres- sion à 700 atmosphères, la viande est absolument saine, elle n'a aucune odeur, elle contient peu de microbes ; dans tous les cas, ils sont complètement immobiles. Je vous présente cette viande, Messieurs, et vous pouvez juger de son étonnante conservation. Tout au plus est-elle un peu lavée et gonflée d'eau par la pression. Quant au témoin, son odeur est épouvantable. Toutes ces ex- périences ont été exécutées dans une salle du laboratoire qu'un thermostat spécial entretient à une température constante de 18°. M. Certes a fait des expériences dans le môme sens que celles que je viens de vous présenter. Ses résultats sont un peu diffé- rents des nôtres. Ainsi, au bout de quelque temps, il a observé 132 LA VIE DANS LES EAUX. la putréfaction. Mais on note qu'il opérait à des pressions bien plus basses que celles que nous avons employées, de plus l'ap- pareil était ouvert chaque jour, ce qui permettait l'introduction de microbes non encore sidérés par la pression. Malgré ces conditions défavorables, M. Certes n'a observé ni mauvaise odeur des substances en expérience, ni mouvement des microbes : nous sommes sur ce point complètement d'ac- cord. Les points qui semblent discordants ne le sont en réalité qu'en apparence puisque nous n'opérions pas dans les mômes conditions. J'ajouterai d'ailleurs que c'est à moi que l'expérience mari- time donne raison. La drague qui racle le fond des mers a souvent ramené des cadavres d'animaux ramollis mais jamais putréfiés (Voy. p. 49). Devons-nous en conclure que la putréfaction est impossible dans les grands fonds et que les corps organisés s'y conservent indéfiniment ? Ce serait imprudent. Il peut fort bien y avoir des microbes, habitués à ces hautes pressions, qui décomposent la matière dans les profondeurs, tandis que les germes et les microbes de la surface sont gênés par la pression dans leur évolution. Il se peut aussi que la pression ne fasse qu'engourdir les mi- crobes de la surface et retarde la putréfaction de telle sorte que les cadavres qui tombent dans les fonds y restent indemnes en attendant qu'ils soient la proie de cette armée Carnivore si nom- breuse dont je vous ai parlé dans notre seconde leçon. C'est l'existence de ces microbes spéciaux qui peuvent exister dans les eaux profondes qui a occupé M. Certes, à qui avaient été confiés un certain nombre d'échantillons de vases fraîches rapportés par le Talisman. Les résultats qu'il a obtenus ne sont pas, de son avis môme, complètement concluants : ils nous donnent pourtant des ren- seignements pleins d'intérêt. Ainsi, en ensemençant des milieux avec une goutte de vase des grands fonds, il a toujours obtenu une culture, quand il INFLUENCE DE LA PRESSION SUR LA VIE AQUATIQUE. 153 opérait au contact de Fair stérilisé, jamais quand il opérait dans le vide. Il pourrait donc y avoir dans les fonds des ferments aérobies, pas d'anaérobies. Il va sans dire que ces recherches ont été faites avec tout le soin qu'on y apporte dans le laboratoire même de M. Pasteur. Dans les cultures faites en liquides neutres, il n'apparaît que des bacilles, longs, gros, mobiles, à spores fortement réfrin- gentes. Dans les cultures d'eau prise à plusieurs mille mètres, on a trouvé des microbes petits et agiles, plus minces que ceux de la vase; jamais d'infusoires. Il n'en existait que dans l'eau de la mer des Sargasses. Des cultures successives ont amené l'isole- ment d'un gros bacille qui, inoculé à des cobayes, ne leur a pro- duit aucun accident. Ces recherches nous montrent donc l'existence de microbes dans les fonds : elles ne nous disent rien de leurs fonctions ni de leur spécificité. Il est probable que, lors des prochaines expé- ditions, l'auteur arrivera à combler cette lacune. Messieurs, après avoir étudié l'action des hautes pressions sur les ferments figurés, notre rôle était naturellement de tâcher de voir ce qu'elles faisaient sur les ferments solubles. Nous avons donc soumis à des pressions de 1000 atmosphères de la salive, du suc gastrique, du suc pancréatique, du ferment inversifdela levure. Quelle qu'ait été la durée de la pression, ils n'ont nullement été atteints. Ce résultat n'a d'ailleurs rien qui nous doive étonner, et nous sommes en mesure d'affirmer que, dans les fonds, les phéno- mènes de la digestion se passent suivant un processus identique à celui que nous observons chez les êtres de surface. Cette conclusion est même encore plus compréhensive, puisqu'au- jourd'hui on tend à considérer que les ferments solubles sont fabriqués parles microbes, nous sommes bien forcés d'admettre que des microbes acclimatés vivent dans les êtres abyssaux et sécrètent les sucs digestifs qui entretiennent leur existence. Si nous suivons notre étude, nous devons examiner mainte- 154 LA VIE DANS LES EAUX. nant Tactioii de la pression chez ces êtres imicellulaires, dont nous avons vu les dépouilles former d'immenses couches au fond de l'Océan. Prenons une infusion de matières végétales, elle fourmille de Kolpodes, de Paramécies; soumettons ces animaux à une pression de 400 à 600 atmosphères, pendant 10 minutes: nous Fig. 80. — Schéma représentant des Vorticelles fixées à une lentille d'eau. Fig. 81. — Schéma représentant des Vorticelles qui ont subi pendant dix minutes une pression de COO atmo- sphères. ne retirons plus que des animaux endormis, immohiles, leurs cils vibratiles sont arrêtés et ils paraissent visiblement plus volumineux sous le microscope. Attendons une heure, après avoir retiré les animaux de l'appa- reil: ils commencent à faire quelques mouvements. Deux heures après, ils sont aussi agiles qu'auparavant et se sont réveillés. Prenons des Vorticelles fixées sous une lentille d'eau (fig. 80). Comprimons-les à 600 atmosphères. En dix minutes nous arrê- tons complètement l'action des cils vibratiles, le long pédon- cule spiral ne peut plus agir : il demeure rectiligne comme le tube d'un manomètre qu'on aurait forcé; il reste allongé, les INFLUENCE DE LA PRESSION SUR LA VIE AQUATIQUE. loo cils vibratiles s'arrêtent (fig. 81). — Il faut plus d'une heure pour que Fanimal délivré remette en mouvement ses cils et pour que Faction du fil spiral recommence. A la suite de ces expériences, que nous avions fait connaître, M. Certes a bien spécifié ce qui arrive à certaines espèces à diffé- rentes pressions. A partir de 400 atmosphères le nombre des organismes vivants diminue, celui des organismes tués ou tom- bés en vie latente augmente. Au-dessous de 400 atmosphères l'ac- tion semble nulle. Ainsi après 7 heures de pression à 300 atmo- sphères le Chlamijdococcus phivialis sort de l'appareil aussi vivace qu'il était en y entrant. Dès 300 atmosphères, les Kol- poldes et les Yorticelles sont en vie latente pendant que les Eu- plotes Charon^ les Euplotes Patella et les Pleuronema marina étaient restés mobiles. Les Holosticha flava et les Actinophrys étaient morts. Vers 500 atmosphères, les Chlamijdococcus^ qui avaient ré- sisté à 300, étaient morts ou endormis. Il en était de môme des Rotifères et des Tardigrades. Si ces pressions intenses, qui peuvent amener le sommeil, sont prolongées pendant de longues heures, les animaux suc- combent tous. Nous sommes donc en droit de dire que les Infusoires, ciliés ou non, qui vivent à la surface des eaux, meurent si quelque circonstance les porte aux grands fonds. Ceux qui vivent là, s'il y en a, doivent, comme les microbes, constituer des espèces spéciales. Élevons-nous un peu dans la série animale et nous allons voir que, malgré la complication des êtres, les phénomènes demeureront absolument identiques ; nous allons même acqué- rir des notions nouvelles qui nous permettront de comprendre le mécanisme de l'action des hautes pressions. Yoici des Actinies de petit volume [Actinia phimosa) qui vivent dans notre aquarium. J'en introduis une dans le bloc et je la comprime dans l'eau de mer, bien entendu, à 1000 atmo- sphères. Je la laisse une heure sous cette effroyable pression qui lo6 LA VIE DANS LES EAUX. équivaut à 10000 mètres de fond. Quand j'ouvre l'appareil, je trouve l'animal inerte, on le croirait même mort. Mais ce qui vous frappe, j'en suis sûr, c'est qu'il a presque doublé de vo- lume. iNous l'avions pesé avant l'expérience, nous trouvons qu'après il a presque doublé de poids. Yoilà donc un fait nouveau que les êtres unicellulaires ne nous avaient pas permis de bien constater. Et pourtant, en exa- minant les cils vibratiles des Vorticelles envie latente nous les avions trouvés manifestement plus gros que ceux des animaux réveillés. Conservons notre Actinie dans un bocal ; elle se dégonfle et, dès qu'elle a repris son volume primitif, soit après o ou 6 heures, la voilà qui se réveille, ouvre ses tentacules et existe de sa vie ordinaire. Voici deux Actinies qui ont été traitées de cette façon, il y a 13 jours : elles sont très vivantes. Pour les tuer il m'aurait fallu sans doute prolonger la pression bien plus longtemps encore. Cette résistance de ces animaux à la mort tient préci- sément à ce fait que leurs tissus s'imbibent et se dégonflent d'eau avec la plus grande facilité. Les Alcyons nous ont donné les mêmes résultats. Voici de petites^67me5, quand je les ai comprimées à 1000 at- mosphères, je les retire de l'appareil endormies et tellement gon- flées d'eau que leur estomac fait hernie au dehors et leurs tis- sus semblent une gelée diffluente. Dix à douze heures après que ces animaux sont dégonflés, ils se réveillent et le mouvement des ambulacres reparaît. Il faut beaucoup prolonger les pres- sions pour amener la mort. Des Ascidies simples, des Annélides (Néréides, Serpules),des Mollusques (Moules, Buccins, Cardiums), nous ont fourni les mêmes résultats ; la vie latente, le gonflement par l'eau, le ré- veil dès que cette eau était éliminée, ou la mort si elle n'arri- vait pas à l'être. On peut bien entendu varier ces expériences à l'infini. Ainsi voici une Sangsue, elle est en état de mort apparente et INFLUENCE DE LA PRESSION SUR LA VIE AQUATIQUE. 137 toute remplie d'eau. Laissons-la dans son bocal, demain nous la verrons revenue à son état normal. Je prends encore de petits Crustacés, des Cf/pris, àesDaphiiies^ des Ct/clopSj des Gam?nanis et même une petite Écrevisse. Je foule sur eux 600 atmosphères d'eau et je les laisse 5 minutes à cette pression. Je les retire profondément endormis et ce n'est que dans quelques minutes que vous les verrez se réveiller. Vous remarquerez que leur sommeil durera moins que celui des ani- maux sans carapace. Si, de ces animaux inférieurs, nous passons aux Poissons, tout s'accentue. Il faut bien entendu éliminer chez eux toute action de la vessie natatoire. Vous savez, depuis les recherches du Talismaji^ que les Poissons que l'on retire des profondeurs subitement en reviennent tout gonflés. C'est que l'air contenu dans leur vessie natatoire se trouve instantanément dilaté par la dépression, en vertu de la loi de Mariotte, il n'a pas le temps de s'échapper par le canal de sûreté, si la vessie est ouverte, ou de se dissoudre dans le sang si elle est close, La vessie dès lors se gonfle outre mesure et vient faire hernie au dehors. Elle éclate même quel- quefois (fig. 82). Dans notre expérience c'est le contraire qui aurait lieu, sous la forte pression, les gaz de la vessie se dissoudraient dans le sang et, à la décompression, ils se dégageraient dans les vais- seaux, formeraient des embolies partout et tueraient l'animal par un mécanisme très spécial. L'expérience est facile à faire ; elle démontre que tout se passe bien ainsi. Prenons donc un Cyprin et vidons sa vessie natatoire en le mettant une minute dans le vide de la machine pneumatique, puis foulons sur lui 100 atmosphères. Il revient de cette expé- rience sans avoir sensiblement soufl'ert. A 200 atmosphères (2000 mètres d'eau) il sort comme endormi, mais il se remet vite. A 300 atmosphères, il est mort; à 400 il est mort et rigide, gonflé, dur comme du bois. Le premier résultat de cette expérience c'est de nous faire lo8 LA VIE DANS LES EAUX. connaître la zone où, dans TOcéan, les animaux Je la surface peuvent se rendre, où le mélange des deux Faunes peut en quelque sorte avoir lieu. C'est en effet entre la surface et une limite de 2."j00 à Fig. 82. Poissou retiré brusqueuieut des profuudeurs : sa vessie natatoire fait heruie au dehors. 3000 mètres que les Poissons que nous péchons d'ordinaire se rencontrent en abondance. Au-dessous de 4000 mètres, il n'y a plus que la Faune pro- fonde qui ne vient jamais à la surface. Là non plus les animaux INFLUENCE DE LA PRESSION SUR LA VIE AQUATIQUE. 159 de surface ne vont pas; s'ils s'y aventuraient ils tomberaient en vie latente et mourraient bientôt. Vous avez été frappés, j'en suis sûr, Messieurs, de ce fait que le Poisson qu'on comprime et qui meurt en quelques minutes sort de l'appareil rigide, dur et comme gonflé. Pesons un Cyprin; il pèse 18 grammes, comprimons-le pendant 5 minutes, il pèsera après 21 grammes. Il s'est donc imbibé d'eau et c'est précisé- ment ce qui Ta fait tomber en vie latente. Et voilà que nous acquérons une notion nouvelle : la vie la- tente puis la mort peuvent survenir par suite de l'excès d'eau dans les tissus comme elles succéderaient à son absence. On savait que l'excès de chaleur, comme son absence, amenait la vie latente, puis la mort (Bernard). On savait aussi que l'excès d'oxygène, comme son défaut (P. Bert), amenait la maladie puis la mort delà cellule. On savait que le manque d'eau dans les tissus provoquait la vie latente (Animaux réviviscents), puis la mort. On ne savait rien sur l'action de l'excès de cet élément. Nous pouvons affirmer aujourd'hui qu'il en est de l'eau comme des autres éléments essentiels à la vie : son excès, comme son défaut, amène la mort ou, au début, la vie latente, chez les êtres susceptibles de supporter ce mode d'existence. Le phénomène delà rigidité et de l'augmentation de poids est celui qui frappe le plus l'observateur après celui de la vie latente. Pour le mieux constater, nous mettons dans notre appareil une grenouille dont nous avons préalablement vidé les poumons en la laissant quelques minutes dans le vide. A côté d'elle nous plaçons des pattes de Grenouilles préparées à la Galvani, c'est- à-dire dépouillées de leur peau. Nous foulons 600 atmosphères. Après dix minutes de cette pression nous retirons Grenouille et pattes. Nous les trouvons gonflées et dans un état de rigidité musculaire telle qu'on les briserait plutôt que de faire plier leurs articulations. C'est là un phénomène si frappant que quiconque l'a observé une fois ne l'oublie plus jamais (fig. 83). 160 LA VIE DANS LES EAUX. M -■>mi Nous avions pesé les pattes dénudées avant Texpérience, elles avaient un poids de 15 grammes. En sortant de Fappareil elles en pesaient 18. En dix minutes elles avaient augmenté d'un cin- quième. Rigidité et augmentation de poids ne pouvaient tenir qu'à une pénétration de l'eau dans les tissus. Cette idée nous était déjà confir- mée par ce fait que les muscles su- perficiels étaient plus durs que les profonds et qu'un muscle très pro- fond, le cœur, avait encore des bat- tements alors que tous les autres étaient tétanisés. Mais il nous fallait une démons- tration expérimentale et nous la donnons par l'expérience suivante. Nous mettons dans le bloc deux pattes de Grenouilles préparées à la Galvani; seulement l'une des deux est enveloppée dans un sac en caoutchouc qui l'isole absolu- ment de l'eau. Nous foulons 600 atmosphères et, après un quart d'heure, nous retirons les deux pattes. Celle qui était à nu est rigide, elle a augmenté de 2 grammes. Celle qui était enfermée dans le sac est molle et n'a nullement augmenté de poids. Donc, pression égale dans les deux cas ; d'un côté, contact entre l'eau, contracture et augmentation de poids ; de l'autre, absence de contact, absence de contracture, absence d'augmentation de poids. L'expérience peut être faite d'un coup avec un animal qui s'y prête fort bien. On prend un Dytique, Cet Insecte est couvert d'un test chitineux extrêmement épais, difficile à traverser et qui pro- Fig. 83. — Grenouille et pattes préparées à la Galvani et com- primées à 600 atmosplièi-es. INFLUENCE DE LA PRESSION SUR LA VIE AQUATIQUE. 161 tège les tissus sous-jacents contre l'imprégnation de l'eau. Comprimons à 600 atmosphères un de ces animaux dont nous aurons vidé autant que possible les trachées en le mettant dans le vide. Retirons-le au bout d'un quart d'heure, il est par- faitement vivant, tandis qu'un Poisson placé à côté de lui est mort et rigide. Nous avons d'ailleurs déjà remarqué que les Crustacés résis- taient beaucoup mieux à la pression que les Poissons et les autres animaux nus. Ainsi de petits Crabes poussés à 800 atmo- sphères, à côté d'un Poisson, revenaient seulement endormis pendant que le Poisson était mort et rigide. C'est que leur cara- pace les protège jusqu'à un certain point contre la pénétration de l'eau. Ils ne sont découverts qu'au niveau des branchies, mais, là, l'entrée de l'eau se fait, non pas au milieu des tissus, mais dans le sang lui-même, ce qui n'a pas une influence nocive comparable. La carapace finit néanmoins par se laisser traverser. Cela se voit fort bien sur les Crevettes qui sont, comme chacun sait, très transparentes. Quand elles ont été soumises à 400 atmo- sphères, on voit leur carapace devenir louche opaque, à la manière de la carapace des Crevettes mortes et imbibées d'eau. La preuve que la carapace est bien la cause de la protection momentanée des Crustacés, c'est qu'en soumettant à 000 atmo- sphère un Crabe qui venait de muer, d'abandonner sa cuirasse et qui par conséquent était mou, nous l'avons tué alors que, quelque temps auparavant, lorsqu'il était encore muni de sa carapace, il avait résisté à une pression bien supérieure. Le Bernard-l' Ermite manque de carapace sur les anneaux postérieurs de son corps, il est donc mal protégé contre la pé- nétration de l'eau. Soumis à 600 atmosphères, il succombe tan- dis qu'un Crabe placé à côté de lui ne fait que s'endormir. Yoilà donc un phénomène bien acquis, la pression agit en faisant pénétrer l'eau dans les tissus et celle-ci est un poison pour eux comme d'ailleurs l'est aussi l'oxygène en excès qui. chose singulière, tétanise lui aussi le système musculaire (Bert). Regnard. 11 162 LA VIE DANS LES EAUX. Mais nous rie pouvons nous en tenir là; il faut analyser le phénomène histologiquement et physiologiquement. B ,^-^-^ a ■s^ Tç;j^ fi.KARMANSn DBL. Fig. 84. — Effet des hautes pressions sur les tissus animaux. Pour la première partie de ce travail, je dois remercier ici M. AV. Yignal, qui a Lien voulu devenir mon collaborateur et mettre à ma disposition son talent d'histologiste. Ensemble, INFLUENCE DE LA PRESSION SUR L\ VIE AQUATIQUE. 163 nous avons examiné TefFet de la pression sur les diffe'rents tis- sus des animaux (fig. 84). Après avoir mis sous 600 atmosphères un œsophage de Gre- nouille, nous avons vu que toutes les cellules muqueuses E étaient comme éclatées, elles n'existaient plus que sous la forme d'un noyau entouré de protoplasma G. « Les cellules à cils vibratiles F paraissaient au premier abord intactes, mais un examen plus soigné montre que l'eau a pénétré dans leur intérieur et a refoulé ce protoplasma au voisi- nage du plateau sous la forme de petits grains. K Sur les Infusoires ciliés, les cils vibratiles sont gonflés, dou- blés de volume, et ils ne reprennent leurs fonctions que quand ils ont perdu, après dépression, l'eau dont ils étaient gorgés. Le môme fait se voit très bien sur le pédicule des Vorticelles. « 2° Le tissu conjonctif est distendu par l'eau, ses faisceaux sont écartés. Dans les tendons les fibres sont séparées les unes des autres et baignent dans une atmosphère aqueuse. « 3° Le tissu musculaire (G) présente des altérations de divers ordres : si la pression n'a duré que dix minutes, et si Ton exa- mine les muscles profonds, on voit que la striation transversale est moins nette (D) et que le sarcolemme ne se montre plus à la surface du faisceau primitif, mais en est légèrement écarté. Les faisceaux sont devenus très friables et se brisent avec la plus grande facilité. « Si la pression a duré quelques heures, les lésions sont multiples. D'abord le sarcolemme est plus ou moins soulevé [d^ e). La striation transversale n'existe que dans quelques rares endroits, la longitudinale est très irrégulière ; généralement elle a complètement disparu. La substance striée est elle-même bri- sée [g), refoulée [h] par l'eau dans le tube du sarcolemme et présente successivement des renflements et des amincissements considérables. Sur des coupes transversales (B), outre les lésions du tissu conjonctif ambiant, on voit que les fibrilles des fais- ceaux musculaires primitifs sont très écartées. Le protoplasma qui les sépare est gonflé (6, c, d). 164 LA VIE DANS LES EAUX. « 4° Les nerfa (A) présentent, eux aussi, des lésions notables ; en effet, leurs fibres, soumises seulement pendant dix minutes à une pression de 600 atmosphères, ont des incisures beau- coup plus marquées qu'à Fétat normal, et souvent la membrane de Schwann n'est plus accolée à la couche de protoplasma qui se trouve au-dessus de la myéline, mais en est écartée plus ou moins. Lorsque la pression est maintenue plus longtemps, les incisures deviennent encore plus marquées et, en même temps, on voit qu'au niveau de chaque étranglement [c] la myéline est refoulée des deux côtés sur une longueur plus ou moins considérable (f/, e, /). « 3" Les globules sanguins sont toujours détruits dans les vaisseaux superficiels. (( Nous rappellerons que M. Ranvier avait supposé que les échanges se produisent, dans les nerfs, surtout au niveau des étranglements. Nous venons de voir que, dans les fibres ner- veuses soumises aux fortes pressions, la lésion principale s'est produite aux étranglements annulaires : c'est donc à ce niveau que la fibre nerveuse est le plus accessible à l'action des causes extérieures. « Il va sans dire que tous nos examens ont été faits compara- tivement sur des tissus qui avaient été comprimés, et sur d'autres qui avaient passé le même temps simplement dans l'eau. Nous n'avons jamais trouvé la moindre lésion sur ces derniers. « Quel est le mécanisme de cette pénétration d'eau dans les tissus? On peut le concevoir de deux manières : « 1° Ou bien le protoplasma de l'épithélium, la matière même des fibres musculaires et la myéline des nerfs sont plus com- pressibles que l'eau, d'une part, et que leur enveloppe, d'autre part, et alors l'eau les refoule et prend leur place ; puis, à la dé- compression, l'eau, n'ayant pas la possibilité de fuir, gonfle les tissus en les dilacérant. « 2° Ou bien, comme le propose M. R. Dubois, l'eau, aux fortes pressions, se combinerait chimiquement aux albumi- noïdes ; puis, à la décompression, l'eau redeviendrait libre et INFLUENCE DE LA PRESSION SUR LA VIE AQUATIQUE. 163 formerait les sortes d'infarctus aqueux que nous avons décrits. « La question ne peut être décidée que par l'examen direct. » Des expériences dont nous allons bientôt parler démontrent que c'est la première opinion qui est la vraie. En effet, la lésion, le gonflement, la pénétration de l'eau et l'impuissance du muscle ont lieu pendant la pression et non à la décompression : nous pourrons le démontrer en regardant le phénomène pen- dant qu'il se passera. POYET '\g. 85. Bloc à hublots permettant de suivre par la vue les phénomènes qui se passent sous haute pression. Tout ce que nous avons observé jusqu'à présent ne nous a pas permis de voir ce qui a lieu pendant la compression elle- même ; en effet, nous introduisons nos animaux dans l'appareil ; puis, après les avoir soumis à une pression correspondant à un fond donné, nous les retirons et nous constatons l'effet produit. Tout ce qui se passe entre le début et la fm de l'expérience nous échappe. Il en résulte que nous ne savons pas si les phénomènes obser- vés résultent de la pression même, ou au contraire de la dépres- sion consécutive. Un seul moyen nous restait pour obtenir la vérité sur ce point, c'était de voir tout ce qui se passait pendant la compression. 166 LA VIE DANS LES EAUX. Pour cela, il fallait construire un vase transparent résistant à une pression de 600 atmosphères; c'est ce que nous avons tenté de faire (fig. 83). Il est bien évident qu'il nous fallait absolument abandonner l'idée d'un récipient en verre ; au delà d'une vingtaine d'atmo- sphères, tous les vases de cette nature sont brisés et cela d'une manière d'autant plus dangereuse que les changements de tex- ture du verre se font silencieusement et que tel récipient qui a résisté à 20 atmosphères se brise subitement à 7 ou 8 dans une épreuve subséquente. L'acier seul pouvait nous servir et nous avons imaginé de creuser, à l'extrémité inférieure d'une culasse d'acier fondu M, deux orifices en ligne droite dans lesquels nous avons essayé d'enchâsser des lames de glace de Saint-Gobain de 5 centi- mètres d'épaisseur. Nous avons, dès le début, été arrêté par ce fait que, vers 200 atmosphères, la glace la plus homogène se brisait, se pou- droyait absolument, la haute pression ayant produit une trempe des plus dangereuses. Nous avons alors essayé du quartz, dont la texture cristalline est beaucoup plus homogène, et nous avons réussi à faire des cônes B, qui, enchâssés dans une garniture spéciale de glu ma- rine et de gutta G, et soutenus par un solide contre-écrou E, en acier fondu, ont pu résister, aux essais, à une pression de plus de 800 atmosphères. On conçoit dès lors comment, avec une semblable disposi- tion, il est possible de faire passer un rayon de lumière élec- trique à travers les deux hublots et, si les animaux en expé- rience se trouvent sur le trajet de ce rayon, leur image pourra être recueillie au dehors par un objectif et projetée sur un écran avec tel grossissement que l'on voudra. La forme en cône a un avantage au point de vue du serrage ; la pression elle-même pousse le cône dans l'orifice en acier, mais je me suis vite aperçu que ce serrage n'était pas suffisam- ment régulier et que souvent il y avait fracture, même du quartz. INFLUENCE DE LA PRESSION SUR LA VIE AQUATIQUE. 167 J'ai alors imaginé de faire tailler par M. A. Duboscq deux hu- blots pris dans un admirable bloc de quartz hyalin. Ils avaient chacun 6 centimètres et demi de diamètre sur 4 d'épaisseur. Ces morceaux de quartz devaient supporter cha- cun 36,700 kilogrammes quand l'appareil serait en pression. Leur taille a duré trois mois, sciage, tournage et polissage. Fig. 86. Grand appareil de I\ Reguard eu acier fondu pour l'étude des hautes pressions. Ces hublots cylindriques furent encastrés entre deux cuirs dans l'appareil formé d'un gros cube d'acier que je mets en ce moment sous vos yeux (fig. 86). La pression fut alors, à l'essai, poussée lentement. A 450 atmo- sphères, un des quartz éclata avec fracas. En voici les frag- ments réunis dans une bague. C'était une grosse perte. L'exa- men polariscopique démontra que le cristal était maclé. Vous remarquerez que la brisure était en croix et que son centre est juste à celui du hublot (fig. 87). Le résultat était déjà remarquable mais incomplet. Je pensai que c'était au serrage entre deux écrous qu'était dû notre échec. En effet, les pressions supportées par le cristal sur ses bords devaient être très différentes de celles qu'il supportait sur son centre. Je fis alors de nouveaux essais en empâtant mes cristaux dans un mastic solide et sans serrage. «8 LA VIE DANS LES EAUX. Pendant quelque temps tout alla bien, mais après quelques expériences le mastic se mit à fuser tout autour du hublot et l'appareil fut hors de service. A ce moment, M. A. Biver, directeur de la Compagnie de Saint-Gobain, voulut bien me faire fondre des blocs de glace très homogènes, refroidis très lentement après la coulée et admi- rablement transparents. Je pensais qu'ils auraient peut-être Fig. 87. — Hublot de quartz brisé à l'essai par une pression de 450 atmosphères. autant de résistance que le quartz, si j'arrivais à leur donner un montage convenable. Je me décidai alors à glisser mes hublots, dans un cuir embouti, comme les pistons d'une presse hydraulique (fig. 88). En G se trouve le bloc de verre taillé à faces parallèles et polies. En G se trouve le cuir embouti; en R, un écrou en bronze retenu par des vis d'acier. Un autre dispositif semblable se trouve en face pour l'entrée des rayons lumineux. Cette disposition est évidemment bonne. Le bloc de glace ne reçoit de pression que sur ses faces parallèles et cette pression est égale partout. Des cylindres de glace de Saint-Gobain de JS millimètres INFLUENCE DE LA PRESSION SUR LA VIE AQUATIQUE. 169 sur 40 supportent très bien une pression de 1000 atmosphères. Des blocs de même substance ayant 5o sur 55 millimètres ont résisté sans se rompre à 500 atmosphères. H, ■!V: 3 O a -■3 3 se ri O Le problème est donc résolu et nous voilà en possession d'ap- pareils transparents résistant aux plus hautes pressions. Rien ne va être plus facile que de faire passer un rayon de lumière électrique d\m hublot à l'autre et de recueillir sur un écran l'image des objets renfermés dans le bloc. 170 LA VIE DANS LES EAUX. ^=b^ C'est ce que montre la figure 89, qui représente une coupe de la totalité de notre appareil. B représente la coupe de la culasse d'acier, A un des hublots vu en coupe avec son ouverture 0 et son quartz Q qui, ici, n'est pas conique. A' représente le hublot opposé vu en exécu- tion. Le collier C et la cré- maillère Z portent Tobjectit achromatique L, U que des vis et une genouillère P' per- mettent déplacer dans toutes les situations possibles. Le rayon lumineux traverse l'ap- pareil, suivant le sens mar- qué par les flèches. Un chapeau d'acier F est solidement serré par un écrou de bronze E, sur un cuir gras et assure la fermeture du ré- cipient dans lequel l'eau fai- sant pression est introduite par l'écrou à vis E, mis en rapport par un tube de cuivre LJj/^'^pZX] capillaire avec la presse Cail- letet. L'instrument présente mô- Fig. 89. — Bloc complet de P. Regnard, me uu perfectionnement. En percé de hublots pour l'étude de l'action „ i i ii r^ des hautes pressions sur la vie. lace des hublots, en Uf, OU aperçoit la cuve de glace oii seront renfermés les animaux ; cette cuve est suspendue par des fils de soie à un treuil en cuivre Po, que l'on peut manœuvrer de l'extérieur par une poulie T. On peut donc monter ou des- cendre la cuve et amener devant les hublots la partie que l'on veut étudier. Chose curieuse : la perfection des joints est telle dans cet instrument que, malgré les nombreuses causes de fuites PCIST INFLUENCE DE LA PRESSION SUR LA VIE AQUATIQUE. 171 qu'il présente, la pression colossale de 600 et de 800 atmosphères s'y garde pendant des semaines. C'est ainsi que le bloc a été monté dans une chambre obscure au laboratoire de la Faculté des Sciences de Paris. Voilà un appareil qui nous permettra de résoudre le problème que nous posions tout à l'heure, nous allons grâce à lui voir le muscle se contracter pendant qu'il est sous pression. Mais il va falloir que nous y introduisions encore une légère modification. B (fig. 90) est un bloc d'acier fondu dans lequel la presse en- voie l'eau comprimée par Je tube A', solidement fixé par un écrou de bronze E'. Le bloc B est percé à son extrémité infé- rieure de deux trous R« et Ra' dans lesquels sont maintenus, dans des cuirs emboutis, deux blocs de quartz V et Y'. Un ob- jectif 0 est placé devant V et projette sur un écran l'image qu'il recueille, à travers les hublots, dans le bloc où pénètre un fais- ceau concentré de lumière électrique. L'appareil entier est clos par un chapeau d'acier A, que serre sur un cuir plat la tête de bronze E, que l'on manie à la clef. Pour notre expérience, le chapeau A est percé d'un trou dans lequel se trouve engagé un bloc d'ébonite tronconique à som- met supérieur. Ce bloc est percé de deux trous où passent deux fds de cuivre F, F' terminés par des bornes auxquelles arrive le courant d'un excitateur. A ces fils on peut suspendre dans l'eau des cuisses de Grenouilles préparées à la Galvani et dont les extrémités arrivent juste en face des hublots. Elles se trouvent donc projetées sur l'écran, et leurs moindres mouvements sont non seulement visibles, mais amplifiés. Plaçons nos muscles de Grenouilles comme nous venons de le dire, et cherchons' quelle va être sur eux l'influence de la pression. Nous envoyons d'abord une excitation sans avoir fait fonctionner la pompe : le mouvement est très intense. Puis nous lançons 100 atmosphères : il y a à peine modification dans la contraction. Nous montons à 200, la contraction est beaucoup diminuée, à 300 elle est encore sensible, à 400 elle n'existe plus, 172 LA VIE DANS LES EAUX. quelle que soit rintensité du courant excitateur. La pression peut Fi?. 90. Bloc Reguard modifié pour l'étude de la contraction musculaire sous haute pression. se faire tellement vite dans le bloc, qu'on a monté de 1 à INFLUENCE DE LA. PRESSION SUR LA VIE AQUATIQUE. 173 500 atmosphères en moins de cinq secondes : il n'y a donc pas lieu de faire intervenir Faction chimique de Teau sur le tissu musculaire. Il faut conclure de cela que la compression du protoplasma musculaire ne le paralyse que vers la profondeur de 4000 mè- tres, mais que, dès 2000 mètres, un animal serait déjà bien em- pêché de se mouvoir et que, par conséquent, même dans la zone qui confine aux deux étages et qui est habitée, des êtres vi- Fig. 91. — Graphique donné par des muscles de grenouilles comprimés sous de hautes pressions. vants doivent difficilement franchir des dénivellations de 2000 mètres. Ceci connu, il nous a semblé intéressant de rechercher ce que devenait le graphique de la contraction dans un muscle qui avait subi les grandes pressions. Pour cela nous avons préparé des Grenouilles pour le myo- graphe et nous les avons successivement plongées dans l'appa- reil à 100, 200, 300 et 400 atmosphères, en ne les laissant que deux minutes et en prenant un tracé entre chaque compres- 174 LÀ VIE DA>.'S LES EAUX. sion. La figure 91 représente le résultat de cette expérience. Un muscle qui a subi 100 atmosphères a une contraction déjà un peu plus faible que la normale. Après 200 atmosphères, la contraction est très diminuée comme intensité, mais elle est allongée. A 300 atmosphères, la contraction est à peine sensible, mais la chute en est très ralentie. Enlin, à 400, il n'y a plus rien ; le protoplasma est déchiré par sa diminution de volume, et ses attaches aux gaines sont rompues. Normal Exe. - ■ ^\^\^^n^\^\^\^\^\^^^^^^^^^\r\^\^ 10 V D ^oXïx Fig. 9J. — luUueucf des hautes pressions sui" le fusiounemeut des secousses musculaires. Ce changement dans rallongement de la courbe de la contrac- tion nous faisait prévoir un changement corrélatif dans le nombre des excitations nécessaires pour amener le tétanos. On sait en effet qu'il faut d'autant moins d'excitations que le muscle est plus lent à se rétracter. Nous prenons donc un muscle de Grenouille et nous cher- chons le nombre d'excitations nécessaires pour le tétaniser. En tâtonnant, nous tombons sur le tracé de la figure 92. Il nous faut, comme on peut voir, treize excitations par seconde pour obtenir un état très voisin du tétanos. Après une pression de 300 atmosphères, il suffit de cinq exci- tations par seconde pour obtenir une tétanisation des plus nettes. Enfin, pour compléter notre travail, nous avons voulu voir riniluence qu'aurait la grande compression sur la durée de l'exci- tation latente du muscle. Procédant toujours de la même manière, nous avons recueilli le tracé ci-contre (fig. 93). INFLUENCE DE LA PRESSION SUR LA VIE AQUATIQUE. 175 Normalement, sur un muscle de Grenouille, le temps perdu était d'un centième de seconde. Après une pression de 100 atmo- sphères, il était monté à deux centièmes; il était de deux cen- Fig. 93. Tracé représentant l'influence des hautes pressions sur la durée du temps perdu musculaire. tièmes et demi après 200 atmosphères et, après une pression de 300 atmosphères, il était arrivé à près de trois centièmes. Quand nous aurons dit que le muscle comprimé est devenu beaucoup plus friable et qu'il se rompt facilement sous une faible charge, nous aurons fait connaître les modifications qu'appor- tent les hautes pressions sur cet important tissu. 176 LA VIE DANS LES EAUX. Messieurs, les recherches histologiques que nous avons faites avec M. Yignal vous ont montré que les lésions résultant de la pénétration de Teau n'étaient pas propres au tissu musculaire et qu'on les rencontrait aussi dans le tissu nerveux. L'expérience physiologique nous Favait déjà prouvé. Un bout de sciatique frais, qui pesait 4 grammes, pesait ¥%i après avoir séjourné dix minutes à 600 atmosphères, il semblait notable- ment plus dur qu'avant et il était rigide. Un tronçon de moelle de chien qui pesait 12 grammes avant la pression en pesait 13, S après. Dans le nerf comprimé l'excitabilité est très diminuée. Un nerf qui amenait des contractions musculaires sous l'action d'un courant égal à 1 demande, pour amener la même contraction, un courant égal à 10 quand il a subi pendant dix minutes une pression de 300 atmosphères. Mais cette étude est pleine d'incerlitudc. En effet l'excitabilité directe du muscle est très diminuée elle-même et dans ces con- ditions il est difficile de retenir dans le résultat final ce qui ap- partient en propre au tissu nerveux. Il est au contraire bien plus simple de constater les change- ments apportés par la lésion nerveuse résultant de la pression dans la rapidité du courant nerveux. En disposant l'expérience suivant le procédé classique, que je n'ai pas à décrire ici, on obtient le tracé de la figure 94. Normalement la durée pour le parcours du tronçon nerveux a été de i centième 1/2 de seconde (l'excitation latente étant ajoutée). Après une pression de 100 atmosphères la durée est portée à 2 centièmes 1/4, à 2 centièmes 12 à 200 atmosphères et à 3 cen- tièmes à 300 atmosphères. A 400 atmosphères il n'y a plus de contraction musculaire, on ne peut donc plus connaître la durée du passage du courant nerveux si tant est qu'il passe. On tiendra compte d'ailleurs de ce fait que la pression aug- mente beaucoup la durée du temps perdu. Les chiffres ont donc une valeur relative et non une valeur absolue. INFLUENCE DE LA PRESSION SUR LA VIE AQUATIQUE. d77 Ces différences ont l'air minimes, elles sont énormes au con- traire, si on veut bien réfle'chir qu'elles vont en re'alité du simple au double pour une diffe'rence de 3000 mètres de fond. La circulation semble aussi subir des atteintes importantes de la part de la pression. Fig. 94. Tracé représentant les modiflcatious apportées par les hautes pressions dans le passage du couraut nerveux à travers le sciatique. Quand on comprime une Grenouille vers 600 atmosphères, c'est-à-dire assez pour que ses muscles tombent en rigidité abso- lue, on voit que les capillaires contenus dans la membrane na- tatoire ne sont plus le siège d'aucune circulation. Ils sont gon- flés et les globules qui les remplissent sont complètement arrêtés. Ce phénomène doit tenir à ce que les muscles contractés violemment sur les veines effacent leur calibre et empêchent la circulation en retour. Regnard. 12 178 LA VIE DANS LES EAUX. En effet le cœur très bien protégé contre Timbibition n'arrête pas ses mouvements. On s'en aperçoit facilement en compri- mant de petites Anguilles de la montée qui sont encore transpa- rentes. Même pendant qu'elles sont en vie latente et qu elles parais- sent absolument mortes, on voit leur cœur continuer à battre. J'ai fait sur des Grenouilles, pour le cœur, ce que j'avais fait pour les autres muscles, j'ai recueilli avec le cardiographe des tracés après des compressions plus ou moins vives. En exami- nant le tracé 9o, on voit que la pulsation cardiaque n'est pas très 400 atm. 300 atm. 200 atm. 100 atm. Normal "^â^vr Fig. 9ô. — Tracé des battements du cœui- d'une grenouille après diverses hautes pressions. troublée par la compression : les différences que l'on observe peuvent tenir simplement à la gêne plus ou moins grande de la circulation veineuse du fait de la tétanisation musculaire. Il nous était difficile d'étudier les modifications du phénomène respiratoire sous l'influence de la haute pression, les animaux que nous pouvons utiliser dans nos presses sont trop petits pour qu'il soit possible de doser les gaz de leur sang avant ou après qu'ils ont été soumis aux conditions des grands fonds. D'ailleurs au point de vue du milieu respiratoire ils ne sont pas dans des conditions toujours égales pendant qu'ils habitent les blocs à hublots. Cependant, le phénomène primordial de l'acte respiratoire, INFLUENCE DE LA PRESSION SUR LA VIE AQUATIQUE. 179 c'est-à-dire l'hématose du sang, sa capacité même pour l'oxygène pouvait être examinée par nous. Il est certain que, baigné dans son plasma, le globule rouge peut s'imbiber de ce plasma, sous l'influence de la pression, de la même manière que la fibrille musculaire s'imbibe de l'eau qui est à son contact. Je prends du sang de Porc et je détermine par les procédés connus sa capacité d'absorption pour l'oxygène. Je la trouve égale à 24 centimètres cubes d'oxygène pour 100 centimètres cubes de sang. Je mets ce sang à 700 atmosphères pendant trois heures. Une nouvelle analyse est effectuée. Elle ne donne plus que 22 centimètres cubes pour 100. Il y a donc eu une perte de 8 p. 100 environ. Je recommence l'expérience et cette fois je laisse les 700 atmo-; sphères agir pendant vingt-quatre heures. Je ne trouve plus cette fois que 19. C'est une perte de 20 p. 100 environ. Le globule, pénétré par l'eau, a donc vu sa capacité absor- bante pour l'oxygène diminuer du fait de la pression. Le développement des embryons peut être aussi touché par la condition physique que nous étudions. Si un Poisson pond ses œufs au-dessus d'un grand fond ou (ce qui doit arriver plus souvent) si les œufs fécondés et déposés sur des Algues flottantes sont détachés de ce support et tombent len- tement jusqu'au fond de l'Océan, peuvent-ils dans ces conditions nouvelles de pression se développer? Pour le savoir, nous plaçons dans l'appareil dix lots d'œuls de Saumon et chacun passe six heures sous pression. Le n° 1 à 100 atmosphères correspondant à 1000 mètres d'eau. Le n° 2 à 200 atmosphères (2000 mètres d'eau). Le n° 3 à 300 atmosphères (3000 mètres d'eau). Le n° 4 à 400 atmosphères (4000 mètres d'eau). Le n'' 5 à 500 atmosphères (SOOO mètres d'eau). Le n° 6 à 630 atmosphères (6300 mètres d'eau). Deux mille œufs restaient à la nression normale dans la pisci- facture comme témoins. 180 LA. VIE DANS LES EAUX. Deux jours après rexpérience, le lot n° 6 était blanchâtre, les œufs étaient morts et tombaient en putrilagc. Cinq jours après on constatait la destruction du n° S et du n° 4. Trois semaines après, en revanche, les 2000 œufs du pisci- facteur éclosaient et en même temps les n°' 1 et 2. Le lot n" 3 était en retard de deux jours, mais tousses œufs donnaient néanmoins des embryons bien vivants et non mons- trueux; de sorte que si on représente par le signe + les œufs éclos et par le signe — les œufs morts, Texpérience peut se figurer ainsi : -f-l,000™ + 2,000-^ + 3,000'^ I —4,000™ — 5,000'" — 6,500'". La barre qui sépare les œufs développés des œufs morts est entre 3,000 et 4,000 mètres d'eau. Cela concorde avec tout ce que nous avons vu jusqu'à présent, c'est là qu'est le point cri- tique qui sépara les deux Faunes, la Faune superficielle et la Faune abyssale. Il semblerait d'ailleurs que les animaux en voie d'évolution présentent à l'imbibition sous pression une résistance plus grande que les autres. Des têtards de Grenouille soumis à une pression de 400 atmosphères se sont endormis profondément : ils ont mis plus de quatre heures à se réveiller. A 100, 200, 300 atmosphères ils ont semblé ne rien éprouver. Nous aurons prochainement. Messieurs, l'occasion de voir que les grands fonds contiennent une foule d'animaux qui émettent de la lumière. Les recherches de Panceri sur les organes lumineux des Py- rosomes et l'examen, par le P. Secchi, du spectre de la lu- mière qu'ils émettent, semblent indiquer qu'il existe, sous le rapport de la fonction photogénique, une très grande analo- gie entre les animaux marins et les animaux terrestres phos- phorescents. Il y avait donc intérêt à rechercher si ces derniers pouvaient conserver la propriété d'émettre de la lumière après avoir été soumis à de hautes pressions. INFLUENCE DE LA PRESSION SUR LA VIE AQUATIQUE. 181 Dans une première expérience, un Lampyre [L. noctihicus) a été immergé, étant phosphorescent, dans un tube rempli d'eau et plongé aussitôt dans le réservoir : il a été maintenu pendant dix minutes à une pression de 600 atmosphères ; au bout de ce temps, Finsecte sorti du réservoir de la pompe était encore lumineux et resta lumineux bien que faiblement pen- dant quelques instants, mais il était d'ailleurs absolument inerte : on put cependant à plusieurs reprises faire reparaître de faibles lueurs au moyen des courants induits. Ce Lampyre, abandonné à lui-même dans une boîte avec un insecte de la môme espèce tué par un autre procédé, fut trouvé au bout de vingt-deux jours absolument mou et flexible, alors que le second s'était complètement desséché : les organes phos- phogènes possédaient la même apparence en tant que forme, consistance et couleur que pendant la vie, tandis que ceux de son compagnon étaient ridés et brunis ; les tissus de l'animal avaient très vraisemblablement subi le phénomène d'hydrata- tion, qui se produit dans ces conditions. Pensant que l'insecte était en état de vie latente et qu'en lui faisant perdre l'excès d'eau qui le maintenait en cet état, on pourrait ranimer la vie et la lumière, il fut placé sous la cloche de la machine pneumatique, au-dessus du chlorure de calcium. Nous l'avons examiné au bout de douze heures, l'animal pré- sentait une phosphorescence très manifeste bien qu'assez faible : il était d'ailleurs absolument inerte, même sous l'influence de l'excitation électrique. Il fut abandonné sous une cloche en présence du chlorure de calcium, à la pression normale : la phosphorescence s'éteignit peu à peu et le dessèchement con- tinuant, l'insecte devint rigide sans avoir retrouvé le mou- vement et la sensibilité. Un autre Lampyre, qui avait été comme le premier immergé, mais qui avait été placé, avec le tube qui le contenait, sous la cloche de la machine pneumatique, perdit rapidement sa phos- phorescence. Introduit aussitôt dans le réservoir et laissé pen- dant dix minutes sous une pression de GOO atmosphères, il 182 LA VIE DANS LES EAUX. sortit non lumineux, mais absolument inerte comme le pre- mier : on ne put faire reparaître la lumière par Texcitation électrique. 11 resta pendant trois jours en état de vie latente et complètement éteint. Le troisième jour, en ouvrant la boîte qui le contenait, on le trouva très vivace et très lumineux. (Cette recherche particulière a été faite par nous en collaboration avec R. Dubois, de Lyon.) Bien que les végétaux ne se rencontrent jamais dans les abî- mes, il nous a semblé qu'il serait intéressant d'examiner com- ment ils se comporteraient sous les hautes pressions. INous aurions voulu voir si une plante portée à SOO ou 600 atmosphères était capable de germer. Malheureusement l'expé- rience ne peut se faire que dans Teau et nous n'avons jamais pu faire germer sous l'eau, môme à la pression normale, au- cune des graines que nous avons eues à notre disposition. Nous avons mis des plantes étiolées dans le grand appareil d'acier représenté par la figure 86. Nous les avons éclairées plusieurs heures par un puissant rayon de lumière électrique et nous n'avons pas vu la chloro- phylle se former. Il est vrai que les plantes étaient dans l'eau et bien que nous ayons employé du Cresson de fontaine qui y vit naturellement, ce n'était pas une condition très favorable. Enfin la dernière recherche à faire était de tâcher de savoir si, sous haute pression, la chlorophylle était capable de dé- composer Tacide carbonique et de dégager de l'oxygène. C'est encore l'appareil représenté par la ligure 86 qui nous a servi dans cette étude. Nous y avons mis des Algues plongées dans le réactif oxymétrique de Schutzenberger qui bleuit à la moindre trace d'oxygène, puis nous avons foulé 100, 200, 300, 400, 500 et môme 600 atmosphères. Nous avons toujours vu la chlorophylle agir et le réactif devenir bleu. Mais tandis que la réaction s'opérait en cinq minutes à la pression de l'atmo- sphère, il fallait plusieurs heures dès qu'on atteignait 400 at- mosphères. De plus, au bout de peu de jours les plantes jaunissaient, INFLUENCE DE LA PRESSION SUR LA VIE AQUATIQUE. 183 mouraient et tombaient en décomposition. Les Algues témoins étaient, elles, en très bon état. Des graines de Cresson alénois, portées à 1000 atmosphères pendant dix minutes, sont sorties de l'appareil gonflées d'eau. Semées dans un pot, elles n'ont commencé à germer qu'au bout d'une semaine, tandis que dès le troisième jour les graines témoins germaient activement.- Si nous réunissons tous ces faits et si nous essayons de tirer l'enseignement qu'ils comportent, nous voyons que l'histologie et la physiologie se réunissent pour nous démontrer deux choses : 1° La pression comprime le protoplasma et, comme il est plus compressible que les gaines conjonctives qui le renfer- ment, il se retire laissant une partie de celles-ci vides. 2" L'imbibilion et l'endosmose se combinent alors pour rem- plir d'eau ces gaines et remplacer le protoplasma absent. A la décompression le protoplasma reprend son volume, mais Teau n'a pas le temps de s'en aller, le tissu semble donc gonflé et en réalité il a augmenté de poids. Yoilà le mécanisme, il nous reste à voir dans quelle mesure endosmose et imbibi- tion concourent au phénomène. Nous allons donc essayer de savoir si ces deux processus sont modifiés par les hautes pressions. Pour cela, il nous faut construire un en- dosmomètre spécial, tel que le représente la figure; il est composé d'un tube de verre cy- lindrique, fermé d'un côté par une mem- brane solidement ficelée et de l'autre par un ^ig. og. — usinomèue ballonnet de caoutchouc incomplètement PO"r les hautes pres- rempli. On a deux appareils semblables pleins d'une même dissolution de gomme, et qui mis dans le môme bain d'eau fonctionnent identiquement puisque leur surface d'osmose est la même. 184 LA VIE DANS LES EAUX. Mettons riin dans le bloc, et Tautre dans une éprouvette cylindrique placée à côté ; foulons sur le premier 400 atmo- sphères, puis, après vingt-quatre heures, pesons-les tous les deux, ils pèsent exactement le môme poids l'un et Tautre, l'en- dosmose a donc été identique et la pression à peu près sans efifet. Il n'en va pas de mémo de FiniLibition et voici quelques ex- périences qui vont vous le prouver. Je taille dans une feuille de papier-gélatine deux lames pesant exactement chacune un gramme, elles ont naturellement la même surface ; je les place l'une et l'autre dans un tube rempli d'eau; sur l'une, je foule 400 atmosphères, l'autre est laissée à la pression normale. Après quinze minutes, la gélatine comprimée pèse 4^'', 8o tandis que l'autre ne pèse que 4^'', 60. Je recommence l'expérience avec deux fragments de tige de La- minaria digitata. L'un et l'autre pèsent 85 centigrammes. Un seul est porté dans l'eau à 300 atmosphères. L'autre baigne simplement dans une éprouvette. Après vingt-quatre heures la Laminaire com- primée pèse 2^'",o0 et l'autre 2^'', 25. En recommençant l'expé- rience encore trois fois, nous trouvons des différences souvent plus marquées puisqu'elles peuvent atteindre 50 centigrammes sur des fragments de 2 grammes. Ceci nous prouve donc qu'in- contestablement l'imbibition est activée par les hautes pressions et qu'elle constitue un processus qui entre pour beaucoup dans les phénomènes que nous avons décrits. Messieurs, je ne voudrais pas terminer cette leçon sans vous rendre témoin d'un des spectacles les plus curieux qu'il soit donné à un naturaliste de contempler. Les explorateurs qui ont parcouru les mers n'ont vu la vie qu'à leur surface ; tout au plus quelques scaphandriers ont-ils vécu au milieu des êtres qui peuplent le niveau supérieur des mers ; nous allons, nous, Messieurs, pénétrer dans les abîmes et voir de nos yeux ce qu'il y advient d'un animal vivant qui s'y aventure. Pour cela, je dispose notre appareil comme il est représenté dans la PI. II E.Oberlm, lith INFLUENCE DE LA PRESSION SUR LA. VIE AQUATIQUE. 185 figure 97 et dans la planche IL Une lampe électrique envoie ses rayons à travers les hublots du bloc qui est rempli de petits m m a =3 Si o a <-, a* eu 3 "S, O C5 Crustacés (Cyclopes). Un objectit projette sur le tableau leur image colossalement agrandie. Leur transparence nous permet 18G LA VIE DANS LES EAUX. de suivre les moindres mouvements de leurs organes, pendant l'expérience. Commençons là pression. Dès les premiers coups de pompe, les animaux, qui nageaient tranquillement dans le liquide, sont pris d'une certaine inquié- tude ; ils s'agitent, et cela jusqu'à ce qu'on ait atteint une pro- fondeur d'environ 1000 mètres (100 atm.). Mais, en somme, ils continuent à vivre dans les mômes conditions qu'à la surface. Au delà de 1000 mètres, ils tombent lentement au fond de l'eau ; leurs membres s'agitent avec rapidité, leurs appareils natatoires se raidissent et sont pris d'un tremblement très éner- gique. Les animaux demeurent, à part cela, immobiles au fond de Feau. Ils semblent incapables de se mouvoir, ils sont tétanisés. Si on les mène rapidement à 400 atmosphères (4000 mètres), on les voit tomber subitement comme une pluie jusqu'au fond de la cuve, où ils restent inertes, sans avoir môme les mouve- ments de tremblements de la première période. Ils demeurent dans cet état tant que dure la pression. Chaque fois que cette pression change brusquement, ne fût- ce que d'une vingtaine d'atmosphères, les animaux sont pris d'une secousse tétanique unique et générale, puis ils retombent dans le repos. Si on les ramène d'un coup vers 1000 mètres ou à la surface, ils reprennent instantanément leur course dans le liquide sans paraître avoir été le moins du monde incommodés. Ceci nous démontre que les accidents que nous avons signa- lés sont bien des accidents de pression et non de dépression, car, dans ce dernier cas, les animaux seraient malades après la dépression, et c'est le contraire qui a lieu. Suivant nous, la différence de compressibilité entre les subs- tances animales et l'eau, différence très faible, mais réelle, fait que, aux hautes pressions, le système nerveux, comprimé, est d'abord excité, puis inhibé (tétanisme 'du début, coma à 4000 mètres). La suppression de la pression lui rend son état primitif et ses fonctions. INFLUENCE DE LA PRESSION SUR LA VIE AQUATIQUE. 187 Si on prolonge la pression pendant longtemps, qii'arrive-t-il ? Il arrive ce que nous avons déjà décrit. Le coma persiste après la compression, et l'animal met plusieurs heures à revenir à son état primitif, au lieu de ressusciter subitement. C'est qu'alors, en vertu de la différence de compressibiiité, les tissus se sont laissé imbiber lentement d'eau qui les a péné- trés, et il faut que cette eau ait été chassée pour que l'animal reprenne ses fonctions. Jusque-là, il demeure en état de vie latente. En résumé, les premiers résultats des hautes pressions sur les animaux sont : l'excitation du système nerveux, puis son inhibition par compression ; les résultats consécutifs, si la pression dure, sont l'imbibition des tissus (nerveux et autres) comprimés et l'état de vie latente jusqu'à ce que, après la dé- compression, ils se soient débarrassés de l'excès d'eau. Si la pression dure plus longtemps encore, les tissus ne peu- vent arriver à la restitutio ad integrwn et meurent. Ce que vous venez de contempler, Messieurs, est le merveil- leux spectacle auquel il m'a été donné d'assister le premier en 1885; ce que nous voyons là, éclairé par la violence du rayon électrique, c'est ce qui se passerait dans la profonde obscurité des abîmes si nous y portions un animal de la surface. Nous connaissons maintenant le problème de la pression presque en entier, et il vous semblera sans doute, comme à moi, qu'en bio- logie un problème ne peut être résolu que si, à l'observation du naturaliste, vient se joindre l'action de l'expérimentateur. H. Q SEPTIÈME LEÇON LA LUMIERE Messieurs, Ce n'est pas cV aujourd'hui que Ton soupçonne que, dans les profondeurs de la mer, règne une obscurité profonde : la mythologie Scandinave y plaçait une des parties les plus lugu- bres de son enfer. Depuis, les pêcheurs qui vont à la plonge recueillir les perles, le corail, les éponges avaient souvent signalé que, môme aux profondeurs minimes où ils pénétraient, ils se trouvaient dans une demi-obscurité. Quand l'invention des scaphandres survint, et qu'on prit l'habitude d'envoyer des ou- vriers réparer la coque des navires au-dessous des eaux, ou rechercher dans les fonds quelque épave, on dut leur mettre en main des lampes alimentées d'une façon spéciale. Quelques mètres au-dessous de la surface il n'y avait plus assez de lumière pour qu'on pût travailler utilement. Ce n'est pourtant que depuis peu, grâce aux travaux de Forel, d'Asper, de Secchi, de Fol et Sarrazin, de Soret, qu'on a étudié, mesuré le phénomène, et qu'on sait à peu près où s'ar- rêtent dans l'eau les rayons lumineux. D'ailleurs, Messieurs, les rayons qui nous viennent du soleil sont de plusieurs sortes : les uns agissent sur notre rétine, et nous donnent cette sensation spéciale que nous appelons la lumière. Leur perception c'est la vue. Les autres agissent sur certains corps et les font se dilater; pour nous, ils sont LA LUMIERE. 189 perceptibles par une action qu'ils exercent sur les nerfs de notre peau, et cette sensation nous Tavons appelée la cha- leur. Enfin, une troisième sorte n'agit sur nous que dans des conditions tout à fait exceptionnelles (coup de soleil, érythème des pellagreux); mais, en revanche, ces radiations-là sont de toute nécessité pour la vie végétale. Sans les rayons actiniques, pas de formation de chlorophylle, pas de décomposition de l'acide carbonique, pas de vie végétale par conséquent. Nous avons donc à étudier successivement la manière dont passent à travers Feau : 1° les rayons visibles; 2° les rayons chi- miques ; 3" les rayons calorifiques, puisque tous agissent sur les êtres qui habitent les profondeurs. Nous laisserons pourtant de côté ici l'étude des troisièmes, parce que nous aurons à la faire plus tard dans un chapitre spécial. Vous savez. Messieurs, de par vos connaissances de physique générale, que les rayons des diverses sortes ne sont pas égale- ment répartis dans le spectre : les rayons calorifiques sont dans la partie la moins réfrangible, dans le rouge et au-delà ; les plus réfrangibles sont les rayons chimiques (bleus et violets). Les plus brillants, les jaunes, sont les rayons visibles ; ils se trou- vent entre les deux. Une expérience préliminaire était, pour nous, de toute néces- sité. Il fallait voir si l'eau laisserait passer également ces divers rayons. Pour cela, il fallait, avec des précautions spé- ciales, réaliser la décomposition spectrale d'un rayon de lumière qui venait de traverser une certaine couche de liquide. Ce travail a été fait avec un soin extrême par deux savantes Suisses, MM. Soret et Sarazin. Ces deux savants ont soumis à l'examen spectroscopique une couche d'eau d'environ 5 mè- tres. Cette eau était admirablement pure ; elle avait été dis- tillée dans un alambic de platine, en présence de permanganate de potasse; elle ne contenait donc ni gaz, ni sels, ni matières organiques. Dans ces conditions, les deux physiciens virent se former, dans l'orangé, une bande noire d'absorption qui, vu l'augmentation d'épaisseur, gagna du côté du rouge. 190 LA VIE DANS LES EAUX. Par un procédé un peu différent, M. Yogel a obtenu des résul tats plus complets encore. Vous savez qu'à Tîle de Capri se trouve une grotte célèbre, dans laquelle on ne pénètre que lorsque les eaux sont basses, et on y arrive même par un pertuis très petit. La lumière n'y entre qu'après avoir passé sous Teau et s'y être réfractée. La lumière de la grotte de Capri a donc abandonné, dans l'eau, les rayons que celle-ci absorbe. En l'examinant au spectroscope, on en trouvera le spectre évidemment modifié. On voit, en effet, une nouvelle bande d'absorption dans l'orangé vers la raie C, tandis que la bande vue par Soret et Sarazin se trouvait près de la raie D. Il apparaît encore, dans ces conditions, une raie d'absorption dans le vert, entre E et 6. De fait, la lumière de la grotte de Capri, privée de rouge, d'orangé et même d'un peu de vert, paraît d'un bleu magnifique [Grotte cV azur). Ce bleu est, d'ailleurs, la couleur même de l'eau prise sous une certaine épaisseur. Aussi voyons-nous les eaux des lacs et des mers, les blocs des glaciers nous paraître d'un bleu azuré. Ils ont absorbé la partie rouge du spectre, et ne nous renvoient que la partie bleue et violette. W. Spring, en examinant l'eau dans des tubes de plus en plus longs, a vu qu'elle absorbait d'abord les rayons rouges, puis les violets, puis les jaunes qui persistent les derniers. En d'autres termes, dans le phénomène d'absorption les rayons calorifiques disparaissent les premiers, puis les rayons chimiques. Les rayons qui frappent notre rétine sont les derniers qui persis- tent. Vous verrez quel parti nous pouvons tirer de ce fait en biologie. Entin, pour en finir avec cette question, j'ajouterai que, par les recherches de Wild, nous savons que plus l'eau est chaude plus elle absorbe la lumière. L'eau glacée des pôles est plus transparente que l'eau chaude des tropiques. L'absorption est à peu près de deux rayons sur mille pour i degré d'élévation de température. LA LUMIERE. 191 Toutes ces expériences ont été faites au laboratoire, c'est-à- dire avec de l'eau très pure. Les résultats ne sont plus tout à fait les mêmes quand on procède sur place dans les eaux natu- relles. C'est qu'elles sont loin d'être pures, à cause des milliers de particules solides, vivantes ou minérales qu'elles tiennent en suspension. Tyndall admet que, dans l'eau, se trouvent des myriades de particules flottantes. En vertu de leur densité très peu supé- rieure à celle de l'eau, et du frottement considérable que ces particules exercent sur le liquide environnant, étant donnée leur grande surface par rapport à leur poids presque négligeable, elles ne tombent pas, ou plutôt elles tombent si lentement, que les moindres remous les soulèvent de nouveau, et qu'elles res- tent toujours suspendues dans le liquide. Du fait de leur petitesse, ces particules ne peuvent réfléchir que les rayons à courte longueur d'onde, les bleus et les violets. Elles concourent donc, avec le pouvoir absorbant de l'eau, à donner à celle-ci la teinte azurée que nous connaissons aux mers, aux lacs et aux grands fleuves. Bien plus, ces particules difl'usant la lumière, la réfléchis- sant dans tous les sens, ont pour action de la répandre égale- ment, à la façon des nuées quand elles se trouvent entre nous et le soleil. Cette diflusion a donc pour résultat de produire une illumination générale du fond des eaux, et de porter la lumière dans des anfractuosités qui resteraient obscures quand elles ne se trouveraient pas dans la direction même des rayons solaires qui se propagent seulement en ligne droite. Mais, à côté de ce rôle bienfaisant, les particules en suspen- sion en ont un autre moins utile : elles interceptent, en les absorbant, une grande partie des rayons lumineux qui arrivent dans les eaux; elles concourent donc à obscurcir celles-ci. Aussi, toutes les expériences sur la transparence des liquides, sur la pénétration de la lumière dans le milieu aquatique, doi- vent-elles être faites sur place et non pas au laboratoire. Les lois d'absorption trouvées par les physiciens pour l'eau dis- 192 LA VIE DANS LES EAUX. tillée nous amèneraient à des conclusions erronées, si nous les appliquions à l'eau de mer, prise dans la mer, sur place, et pour ainsi dire vivante. Ce qui nous inte'resse le plus, au point de vue de la biologie, c'est l'étude de la pénétration des rayons visibles d'une part et des rayons cbimiques d'autre part, dans les profondeurs des eaux. Les premiers sont nécessaires pour la perception des objets. Leur pénétration n'est pas facile à étudier, car leur réactif c'est notre propre rétine : il n'y a pas d'autre instrument qui puisse nous renseigner sur eux et encore cet instrument n'est- il pas sûr. Rien ne nous prouve, en effet, que si nous ne voyons pas clair dans les grands fonds, il en serait de môme des ani- maux qui y demeurent. Sans chercher si loin, il nous est sou- vent difficile de nous diriger dans une cave qui nous paraît profondément obscure alors qu'un chat par exemple se sauve devant nous en courant et en évitant les moindres obstacles. Il faut donc, pour savoir jusqu'oii notre rétine percevra la lumière au fond des eaux, descendre nous-môme dans ces eaux. Et cela ne nous mène pas bien loin puisque, par la plonge, nous ne pouvons guère dépasser une quarantaine de mètres. Hermann Fol a fait cette étude et je vous demande la per- mission de vous lire la relation qu'il a donnée de ses explorations. « L'éclairage du fond de la mer, dit-il, tel qu'on le voit en y descendant en scaphandre, vient uniquement d'en haut. Il res- semble à celui d'une salle sans fenêtres qui reçoit le jour par un vitrage occupant le milieu du plafond. « La cause de ce phénomène est facile à trouver. Il suffit de regarder en haut par la vitre frontale du casque. L'on voit alors un grand espace circulaire lumineux, dont les limites sous-tendent dans l'œil de l'observateur un angle de62°o0' envi- ron. Au delà de ce cercle, la surface de l'eau paraît sombre et présente la même nuance que la mer vue de haut en bas depuis le bord d'un bateau. La limite entre la surface lumineuse et celle qui présente une réflexion totale n'est jamais régulière ; la LA LUMIÈRE. 193 moindre ondulation de la surface suffit à y produire des échan- crures et des enclaves qui s'étendent au loin lorsque la mer est agitée. (( Les rayons du soleil sont pâles déjà à quelques mètres de profondeur. Ils se présentent sous forme de chatoiements mo- biles produits par la réfraction à la surface des vagues. Dans un appartement situé sur le bord de Teau et dont les persiennes sont closes, Ton peut voir, en regardant au plafond, un phéno- mène très analogue à celui que le scaphandrier voit sur le fond. « Au moment où le soleil descend vers l'horizon, le plongeur qui se trouve à plus de 10 mètres de profondeur voit subitement le crépuscule succéder au grand jour. Il m'est arrivé de remon- ter croyant à l'arrivée de la nuit et, une fois sorti de l'eau, de me voir avec étonnement inondé par les rayons d'un soleil encore assez éloigné de son coucher. Cette diminution de l'é- clairage, au moment où l'angle d'incidence des rayons solaires ne leur permet plus guère de pénétrer dans l'eau, est très brusque. <( La couleur de l'eau de la Méditerranée le long du littoral varie beaucoup d'un jour à l'autre, suivant que les courants amènent l'eau pure du large ou l'eau trouble de la côte. Vue horizontalement par la vitre du scaphandre, elle varie du vert grisâtre au bleu verdàtre. Les objets prennent tous un ton bleuté, d'autant plus accentué que l'on descend plus bas. Déjà à 25 mètres ou 30 mètres, certains animaux d'un rouge sombre, tels que les Miiricœa placorniis^ paraissent noirs,, tandis que les Algues, colorées en vert ou en vert bleu, prennent des teintes qui paraissent plus claires par comparaison. En remontant rapi- dement à l'air, les yeux, accoutumés à cette lumière bleue, voient en rouge le paysage aérien. <( Les rayons rouges sont donc éteints dans une proportion très sensible à une faible profondeur, tandis que les rayons bleus sont moins absorbés par l'eau. Ce fait suffirait à lui seul à réfuter les doutes émis, sur la légitimité de l'emploi de la plaque photographique pour trouver la limite de pénétration de Regnard. 13 194 LA VIE DANS LES EAUX. la lumière du jour dans l'eau, puisque ce sont les rayons chi- miquement actifs qui sont les moins arrêtés. « Le degré de transparence de l'eau le long du littoral varie, de même que sa coloration, dans de larges proportions d'un jour à l'autre. Môme lorsqu'elle est relativement claire, si le ciel est couvert, l'on y voit si mal à 30 mètres de profondeur qu'il est bien difficile de récolter de petits animaux. Dans la direction horizontale, on ne peut pas, dans ces conditions, dis- tinguer un rocher à plus de 7 mètres ou 8 mètres de distance. Si le soleil brille et que l'eau soit exceptionnellement claire, l'on peut arriver à voir un objet brillant à 20 mètres, parfois même à 2o mètres. Mais, dans les circonstances ordinaires, il faut se contenter de la moitié de ce chilfre. « D'abord il est clair que les animaux marins, j'entends ceux qui vivent dans les couches supérieures et éclairées de la mer, se meuvent comme dans un brouillard. Ils ne peuvent pas éviter les surprises et une vue à longue portée leur serait inutile ; aussi voyons-nous que tous ceux d'entre eux qui sont agiles ont l'habitude, lorsqu'on les effraye, de fournir une course effrénée de quelques mètres, et puis de s'arrêter comme s'ils sentaient qu'ils ont dépassé le cercle de vision de leur persécuteur. « Les engins de pêche consacrés par l'expérience seraient inefficaces pour capturer des animaux capables de voir à quel- que distance. » Avant qu'on eût exploré ainsi la tranparence de l'eau en péné- trant dans son sein, des études avaient été faites par le capitaine de vaisseau Bérard, en plongeant dans la mer une assiette de porcelaine blanche attachée à trois cordelettes à la façon du plateau d'une balance. On descendait lentement cette assiette attachée à une corde nouée tous les mètres et on notait le mo- ment de sa disparition. Dans le Pacifique, on distinguait encore l'assiette à 40 mètres de profondeur. Secchi et Cialdi reprirent cette expérience en se servant d'un grand disque de toile peinte à la céruse pure. Ils avaient soin de LÀ LUMIÈRE. d95 répandre un peu d'huile sur la mer pour obtenir une grasseur et éviter le miroitement que causent les rides de la surface. Pour éviter la lumière réfléchie qui gêne beaucoup Tobser- yation, on se servait d'une lunette d'eau, c'est-à-dire d'un tube plongé au-dessous de la surface. Le résultat d'un très grand nombre d'essais, faits de cette ma- nière, fut que, dans la Méditerranée, le disque, par les plus beaux jours, n'était plus visible à 45 mètres. En 1880, à bord de VHertha, MM. Wolf et Luksch reprirent ces expériences dans l'Adriatique ; avec des disques diversement colorés, ils sont arrivés à des conclusions analogues. Sur le lac Léman, Forel recommença les expériences de Secchi et Cialdi. Il vit que l'eau est plus transparente au large que près du bord, au bout d'un cap qu'au fond d'un golfe, sur une côte accore que sur une côte plate. Le disque disparaissait à 6™, 6 en été et à 42", 7 en hiver. Cette diff'érence tient à la tem- pérature du lac et surtout à la différence du nombre des corpus- cules en suspension bien plus abondants en été quand fondent les glaces, qu'en hiver quand l'eau est calme et les affluents taris par la gelée. En 1883 la Société de physique et d'histoire naturelle de Ge- nève reprit la question. Elle opéra différemment. Elle immergea une lampe électrique dans le Rhône à sa sortie du lac. On notait le moment où la lampe électrique cessait d'être visible. Ces recherches, très bien conduites, furent faites aussi avec une lampe à huile immergée, avec une bougie, une lampe Edi- son, etc. Les conclusions furent que la lumière diff"use pénètre une fois plus loin que la lumière directe du point lumineux, que les chiffres varient chaque jour suivant que l'eau contient plus ou moins de particules solides en suspension: ce qui fait que la lumière pénètre plus avant en hiver qu'en été. Quand on colore la lumière en rouge, au moyen d'un verre de cette couleur, la pénétration diminue, ce qui prouve bien que les rayons rouges sont plus abondamment absorbés que les autres. Enfin la lumière 196 LA VIE DANS LES EAUX. électrique la plus intense n'a pu pénétrer l'eau qu'à une profon- deur de 38 mètres. Encore à cette distance était-elle à peine visible. Ce qu'il faut conclure de tout cela, c'est que, vers 40 mètres, les animaux ne reçoivent plus qu'une quantité peu appréciable de lumière utilisable; il doit régner à partir de là une obscurité assez profonde. A moins pourtant que les animaux destinés à vivre dans ces fonds ne possèdent une acuité visuelle différente de la nôtre. Nous ne le savons pas, mais je suis persuadé qu'il en est ainsi. La suite en donnera un commencement de démons- tration. Les rayons visibles ne sont pas, vous ai-je dit, les seuls qui pénètrent dans les eaux, nous savons que les plus réfrangibles y vont aussi, et c'est grâce à eux que certaines réactions de la vie végétale peuvent s'accomplir. Il est donc du plus grand inté- rêt de chercher dans quelle mesure a lieu leur pénétration puis- que ce sera pour nous un renseignement précieux sur la possi- bilité de la vie et sur ses conditions à telle ou telle profondeur. C'est encore à Forel que nous devons les premières recher- ches sur ce point. Il a commencé par placer dans un flacon un papier photographique imbibé de chlorure d'argent, puis il l'a descendu à 60 mètres de la surface dans le lac Léman. Cette opération fut faite pendant la nuit naturellement et, trois jours après, le papier fut retiré, il n'était nullement noirci. Forel a répété cette expérience dans toutes les conditions, par tous les temps, à toutes les profondeurs, dans toutes les saisons. De cette manière il a vu que c'est vers 45 mètres en été que le papier cesse d'être impressionné. Ce résultat est très compa- rable à celui qu'obtenaient Secchi et Cialdi par l'immersion du disque blanc. Mais les papiers photographiques sont peu sensibles. Nous savons qu'il est possible de les manier en plein jour sans qu'ils se voilent. Il se peut fort bien qu'ils ne rapportent aucune trace de lumière de milieux qui pourtant peuvent être légèrement éclairés. LA LUMIÈRE. 197 La découverte des plaques au gélatino-bromure amena, en 1888, les recherches célèbres d'Asper dans le lac de Zurich et dans celui de Wallenstadt. Le physicien suisse attacha le long d'une corde à des distances égales une série de plaques. Puis l'appareil fut immergé par une nuit sombre et feans lune et retiré le lendemain également pendant la nuit. Entre 150 et 160 mètres les plaques n'étaient plus du tout impressionnées. Il doit donc régner dans ces régions une obscurité comparable à celle que nous observons dans nos chambres obscures les plus noires. Il y avait quelques objections à faire au procédé d'Asper, il immergeait la nuit, mais il n'y a pas de nuit si noire qu'elle ne soit éclairée par la lumière des étoiles. Il résultait de cela que les plaques pouvaient être voilées sans que cela fût du fait de la lumière qui avait traversé les eaux. Herman Fol et Saràsin ont descendu à différentes profondeurs des plaques en se servant d'un dispositif qui permettait d'ex- poser la glace un temps donné, à une profondeur connue et cela en plein jour. Leur instrument, dont je leur emprunte la description, consistait en une boîte en laiton en forme de châssis qui contenait la plaque sensible. Ce châssis était fermé à sa partie supérieure par deux volets glissant dans une rainure et allant à la rencontre l'un de l'autre : quand ils s'écartaient, ils découvraient par conséquent entièrement la plaque. Au fond du châssis se trouvait fixée une forte tige en forme de T, qui por- tait les axes de rotation de deux leviers croisés à la façon de lames de ciseaux ; chacun de ces leviers se terminait en haut sur l'un des volets du châssis, volets qu'un ressort tenait tou- jours écarté; un gros poids était suspendu aux extrémités des leviers, les rapprochait comme nos doigts quand ils ferment une paire de ciseaux et par conséquent tenaient la plaque recou- verte. C'est ce qui se passe tant que l'appareil descend dans la mer. Mais que le poids touche sur le fond, son action se trouve annihilée, le ressort antagoniste ouvre les volets et la plaque se trouve exposée à la lumière. 198 LA VIE DANS LES EAUX. Quand on remonte l'appareil, ce poids quitte le fond et le châssis se referme. Quand on veut opérer, on fait un sondage prc^alable et on donne à la corde, qui est entre le levier et le poids, une longueur telle, qu'elle soit la différence entre la pro- fondeur totale et la profondeur à laquelle on veut exposer la plaque. Dans toutes les expériences, le châssis est resté ouvert pendant dix minutes. Le développement a été opéré également pendant dix minutes avec la solution normale doxalate de fer. Les premières expériences des deux savants démontrèrent que dans le Léman la lumière du jour pénètre à 170 mètres de pro- fondeur, mais que là, elle n'est pas plus intense que celle que nous percevons dans une nuit sans lune où nous avons quelque peine à nous diriger. A 120 mètres la lumière transmise voile énergiquement les plaques. En septembre, par un temps couvert, il entrait plus de lumière dans l'eau qu'en août par un soleil radieux, ce fait qui concorde très bien avec ceux qu'a vus Forel tient à ce qu'en août, la fonte des neiges étant très active, les torrents apportent dans le lac une beaucoup plus grande quan- tité d'eau boueuse qui l'obscurcit. Après avoir expérimenté dans le lac de Genève, Fol et Sarasin transportèrent leur appareil sur V Albatros et l'immergèrent dans la Méditerranée au large du cap Ferrât : il fallut, pour ces expériences, dans l'eau de mer, protéger la plaque sensible sous une forte couche de vernis que l'on enlevait par l'alcool quand on procédait au dé- veloppement. En répétant les expériences un fort grand nombre de fois, les deux savants ont vu qu'à 400 mètres delà surface, au milieu du jour et par un beau soleil, les plaques ne se voi- laient plus; il faut donc conclure de là, qu'en ces régions, les rayons actiniques ne pénètrent absolument plus. Forel avait étudié l'inlluence des saisons sur l'éclairage de la superficie des lacs; Fol et Sarasin firent la môme recherche pour les profondeurs; en mars 1883, sur le Sachem^ ils immer- gèrent dans le lac un certain nombre de plaques ; la dernière, qui revint voilée, avait été découverte à 200 mètres ; il résulte de là que la pénétration dans les eaux du Léman est moitié LA LUiMIÈRE. 199 moindre que celle qu'on observe clans la Méditerranée. Une pareille différence ne peut tenir qu'à la présence, dans l'eau du lac, d'un grand nombre de particules en suspension. Les recher- ches de Fol et Sarasin ont encore eu pour but de nous fixer sur l'influence des diverses heures du jour sur la pénétration de la lumière dans les eaux; cette fois c'est sur Le Corse que furent faites les expériences. Une série d'appareils très analogues à celui que nous avons décrit étaient suspendus à égale distance le long d'une ligne de sonde ; ils s'ouvraient et se fermaient dès que le plomb touchait au fond. Nous ne pouvons entrer ici dans le long détail des recherches; qu'il nous suffise d'en donner le résultat. Les couches situées à 300 mètres reçoivent de la lumière chaque jour, non point pendant un temps très court, mais tout le temps que le soleil est au-dessus de l'horizon; à 350 mètres, la lumière entre encore dans la mer pendant huit heures. Ces expériences ont été faites au moment de Féquinoxe de printemps. Les recherches de Fol et Sarasin devront être renouvelées dans des conditions variées, dans les mers chaudes, dans les mers boréales, où la transparence est si merveilleuse. Mais, telles qu'elles sont, elles sont importantes, puisqu'elles sont, jusqu'à présent, les seules qui nous puissent renseigner sur le dernier point où arrivent, dans l'Océan, les moindres rayons lumineux que la plaque sensible puisse enregistrer. Les travaux que j'ai entrepris moi-même, et dont je vais vous parler maintenant, bien qu'ils semblent du même genre que ceux des deux physiciens de Genève, n'ont été faits ni dans le même but, ni par les mêmes procédés; ils n'ont pas eu, naturel- lement, les mêmes résultats. Je n'ai pas cherché, comme eux, la limite extrême de pénétration du dernier rayon actinique, dans une région où règne une obscurité comparable à nos nuits les plus sombres. J'ai voulu plutôt faire œuvre de biologiste que de physicien, et je me suis demandé jusqu'à quelle profondeur nous rencontrerions des conditions de durée et d'intensité du jour à peu près comparables à celles dont nous jouissons au 200 LA VIE DANS LES EAUX. fond de l'espèce d'océan gazeux que constitue notre atmosphère. Je me suis demandé à quelle heure commençait et finissait le jour dans telle ou telle couche de la mer habitée par des ani- maux et par des végétaux. J'ai dû, pour cela, construire un appareil spécial enregis- treur, dans la confection duquel j'ai été guidé par ceux qui m'avaient précédé, et dont voici le principe. Fig. 98. — Appareil de Campbell et Stokcs pour mesurer l'iutensité lumineuse. Le premier en date est dû à Campbell et à Stokes. Il est composé d'une sphère de verre qui agit comme lentille. L'image du soleil est reçue sur une bande de carton étendue dans un cadre courbe, qui se trouve juste à la distance focale. Dès que le soleil luit, sa chaleur est concentrée sur le carton et elle le brûle. Cet appareil est le principe des suivants, mais il est bien imparfait, puisqu'il ne donne que la constatation de la pré- LA LUMIÈRE. 201 sence du soleil, et nullement la mesure de son action (fig. 98). Jordan eut Tidée d'employer, dans ce but, la photographie. Son appareil est formé d'une chambre noire cylindrique, percée de deux trous, par lesquels pénètre la lumière. On introduit, 6''dumatin QVjiœlin nidi 3"'dam'r S^'dusoir y lit z 20 = 30.1 1 ^^ — [ — -" — -T^ - ■! — -!'" ~ 1 . 1 ;10 :J5 eîduraatin 9''dumatin midi 3-dusoir 6l?dusoir Fig. 98 bis. — Résultats fournis par l'appareil Campbell et Stokes. dans l'appareil, un papier sensible circulaire, et on l'incline sui- vant la latitude du lieu. Le soleil, par son simple mouvement apparent, trace une ligne circulaire sur le papier sensible, ligne circulaire d'autant plus foncée que les radiations sont plus intenses (fig. 99). •202 LA VIE DANS LES EAUX. L'héliographfi Maurer que représente notre figure 100 dérive Fig. 99. — Appareil de Jordan pour enregistrer photographiquemeat les variations de la lumière. Fig. lot). — lléliographe de Maurer. Je la même idée. Il est formé d'un cylindre dont Tune des LA LUMIÈRE. 203; bases est coupée obliquement, et percée d'un très petit trou. Le fond du cylindre est garni d'un papier sensible. Les rayons solaires, par suite du mouvement terrestre, viennent décrire un cercle noir sur ce papier sensible. L'intensité est naturelle- ment proportionnelle à Fintensité lumineuse (fig. 101). ra iyrv|vi|vii1miiX|iXixi|sn 10 11 12 13 l^t 15 16 17 16 19 20 21 22 23 Zk 25 26 27 28 29 30 VI |\TE ™ TX SIS 6 M S 6 M S7I S« 6W i 61a; 6); 6 3J 5P ( 5M 5SS 3s; 5BI •0 n 12 13 l'f 15 15 17 18 19 20 gV 22 23 Zh 25' 26 27 28 9 0 Fig. 101. — Résultats donnés par l'héliographe de Maurer, Le principe de ces instruments était utilisable pour notre recherche; mais la manière dont ils étaient construits avait absolument besoin d'être modifiée. C'est alors que nous avons imaginé l'appareil que représente la figure 102. Un lourd plateau de fonte se trouve suspendu, par quatre solides anneaux, à une patte d'oie faite de quatre fils d'acier très résistants, qui rejoignent, au point D, un fil de sonde également en acier. La minceur de ces fils est cause qu'ils n'interceptent en rien la lumière. Sur le plateau de fonte se trouve vissé un cylindre de bronze, fermé par une plaque ronde suivant une de ses bases. Sur sa génératrice supérieure D se trouve une fente recou- verte d'une glace solidement serrée par une garniture en caout- 204 LA VIE DANS LES EAUX. chouc et en métal delta. C'est par cette fente que la lumière pénètre dans le cylindre. Elle a un dixième de millimètre de largeur. Dans l'intérieur du tube se trouve un cylindre que meut un mouvement d'horlogerie. Il fait un tour en vingt-quatre heures. Sur sa surface se trouve collée une feuille de papier platino- graphique assez sensible. En tournant, le cylindre présente à la fente successivement les diverses parties du papier qui se trouve impressionné plus ou moins, suivant qu'il arrive à lui plus ou moins de lumière. En retirant le papier après une journée, on le verra donc plus ou moins noirci, suivant que plus ou moins de lun^ière lui sera arrivé. L'appareil devant être envoyé assez profondément, il faut que sa surface, et surtout ses joints, supportent la pression. Pour éviter tout accident du côté de la pénétration de l'eau, nous avons pris deux précautions. D'abord, un ballon B, plein d'air, est en rapport, par une tubulure latérale, avec l'intérieur du cylindre; la pression qu'il transmet à l'intérieur étant égale à celle que supporte l'extérieur de l'instrument, elles s'annulent. Comme deuxième précaution, dans la boîte môme de l'appareil, nous laissons quelques petits fragments de chaux vive qui absorbe le peu d'humidité qui aurait pu y pénétrer. Un lourd poids P leste le tout, et tend le fd de sonde. Pour se servir de l'instrument, on procède de la façon sui- vante : on a deux appareils ; l'un reste à bord, à l'extrémité du beaupré ; l'autre est immergé. Dans chacun se trouve un cylindre tournant exactement avec la même rapidité. Sur chaque cylindre est un morceau de papier sensible pris dans la même feuille, au môme endroit. Des lignes marquent sur chacun les heures et les demi-heures. On met le navire au mouillage par un temps absolument calme, et on immerge l'appareil pendant la nuit, en l'attachant soit à l'extrémité du beaupré, soit à une bouée que l'on laisse loin du navire, pour éviter que celui-ci pro- jette jamais son ombre sur l'appareil immergé. Puis on laisse les deux photomètres s'impressionner toute la journée. On les LA LUMIÈRE. 205 retire quand la nuit est tombée, et on développe les deux papiers ensemble dans le môme bain d'oxalate de fer. Grâce à l'extrême obligeance du prince Albert de Monaco, nous avons pu voir nos expé- riences se faire dans des conditions d'exactitude excellentes. Il a trans- porté nos deux appa- reils à Madère, très au large, par conséquent loin des cours d'eau qui amènent les particules boueuses dans les eaux. Les recherches ont été faites par lui sur un navire à l'ancre, en rade de Funchal, pendant le mois de mars 1889. Le résultat obtenu est représenté par notre planche IIL Les trois jours où les expériences ont eu lieu, il a fait un temps superbe. Les nuages ont été à peu près nuls. Le 27 mars, l'appareil a été coulé à 20 mètres. On voit, en examinant la figure, qu'à ce niveau le jour s'est levé à Fig. 102. — Photométrogi-aphe de P. Regnard. 20G LA VIE DANS LES EAUX. 9 heures du matin, et que la nuit est venue vers 5 heures du soir. A bord, l'appareil indique que le jour était très net à 6 heures et demie, et qu'à 5 heures et demie du soir il faisait nuit. Les êtres qui vivaient vers 20 mètres de fond ont donc eu quatre heures de jour de moins que ceux de la surface et que les êtres terrestres. De plus, à 20 mètres, le soleil n'a été visible que de i 1 heures et demie du matin à 1 heure du soir, tandis qu'à terre le soleil a été très intense jusqu'à 2 heures et demie. Le 29 mars, on a coulé l'appareil à 30 mètres. Ce jour-là, le jour a été très net à S heures et demie à terre (la différence avec l'avant-veille tient à la moindre nébulosité du ciel le matin). Le soleil radieux a lui de 7 heures et demie à 3 heures. La nuit photographique est venue vers 5 heures et demie. A 30 mètres, le jour s'est levé vers 8 heures et demie; à 1 heure et demie il faisait nuit. Tout au plus le soleil a-t-il été sensible dix minutes vers midi. Les êtres qui vivaient à cet étage marin ont donc eu sept heures de jour de moins que ceux de la surface des continents. Enfin on a porté l'appareil une autre fois à 40 mètres. Bien que la journée ait été fort belle ce jour-là, c'est tout au plus s'il est arrivé au fond vers 1 heure la faible lueur qui suffit pour voiler légèrement le papier platinographique, lequel est pour- tant deux fois plus sensible que le papier au chlorure d'ar- gent. A 40 mètres c'est la nuit telle que notre œil la connaît puisque pour nous l'obscurité correspond à fort peu près au moment oii le papier platinographique peut demeurer un quart d'heure exposé sans donner la moindre réduction. Jusqu'ici, Messieurs, les études expérimentales ne nous ont donné qu'une notion : il y a, ou il n'y a pas, de lumière dans tel ou tel fond. Tout au plus les recherches de Forel permet- taient-elles de comparer l'intensité de la teinte qu'avait prise le papier photographique qu'il immergeait le long de son fil de sonde. Tout au plus aussi peut-on comparer sur notre planche III Appareil du Bord Appareil à 20 mètres. Appareil du Bord . Appareil à SoiTiètres. Appareil du Bord. Appareil à 40 mètres. E.Oberlin.lith. S G 7 8 9 10 11 Mid: 1 i; 3 4 5 s 7 Expériences exécutées au moyen du Photometpogpaphe en rade de Funehal (Madère). ( Mars 1889;, - 1 LA LUxMIERE. 207 les teintes plus ou moins foncées qu'a prises le papier au pla- tine aux différentes heures de la journée. Il n'y a pas là de mesure proprement dite ; on n'a pas de chiffres qui puissent se mettre en courbe et représenter exacte- ment l'absorption de la lumière par l'eau. C'est pour remédier à cette lacune que nous avons imaginé les expériences dont je vais maintenant mettre le détail sous vos yeux. Vous savez que certaines réactions chimiques se font plus activement sous l'influence de la lumière qu'en son absence, c'est ainsi que l'acide oxalique mélangé au perchlorure de fer donne sous l'influence des rayons lumineux une réaction assez complexe, en fm de compte de laquelle il se dégage de l'acide carbonique qu'on recueille. La quantité de cet acide carbonique est proportionnelle à la somme de lumière qui a frappé la dis- solution. Nous avions pensé à utiliser cette réaction pour mesurer la quantité de lumière qui passe dans la mer. Nous en avons été empêché par cette circonstance que le dégagement de gaz est influencé par la pression : or nos divers flacons d'é- preuves devaient être à des pressions différentes puisqu'ils devaient être à des profondeurs variées. Le résultat eût été de ce fait faussé. Les réactions lumineuses donnant lieu à une variation d'électricité étaient plus directement utilisables : l'in- tensité électrique peut en effet être mesurée avec la plus grande précision. Elles sont assez nombreuses. En 1881, Laur montra, après Edm. Becquerel, du reste, qu'une pile composée d'une lame de sulfure d'argent et d'une lame de zinc amalgamé donne des effets variés suivant qu'elle est ou non éclairée; mais il n'est pas démontré que dans un pareil couple il y ait proportionnalité entre le courant et l'intensité de la lumière, du moins quand l'appareil a servi plusieurs fois. Nous avons donc dû l'aban- donner aussi. En 1888, MM. Jouy et H. Rigollot ont fait connaître un ac- tinomètre formé d'une pile où le liquide est le chlorure de so- dium et les électrodes une lame de cuivre décapée et une lame 208 L.\ VIE DANS LES EAUX. de cuivre oxydée. Cet élément adonné des résultats assez bons dans les premier essais, mais il variait d'un jour à Fautre, il n'était par conséquent pas compa- rable à lui-même, il nous a fallu l'abandonner. C'est alors que nous nous sommes décidés à nous servir de la pile à sélénium que nous avons immergée dans la mer grâce à un dispositif par- ticulier. Yous savez. Messieurs, que le sélénium a la pro- priété de diminuer de ré- sistance quand il est éclairé même avec une faible intensité. On a donné des explications variées du phénomène, mais , quelles qu'elles soient, le fait est certain. Si donc on interpose un fragment de sélénium sur un courant parfaitement constant, on verra ce cou- rant dévier davantage le galvanomètre suivant que le sélénium sera ou non Fig. 103. — Photomètre au sélénium de P. Re- ' ^i • . ' f i 1 ' * +" gnard, pour mesurer la pénétration de la GClaire et la Cleviation lumière dans les eaux. gç^^^ proportionnelle à l'é- clairement. L'instrument que nous avons imaginé est fort simple. Une LA LUMIERE. pile au sélénium S, construite comme cela est indiqué dans tous les traités de physique, est placée dans une boîte de cuivre H parfaitement étanche et fermée par une glace (fig 103). Cette boîte est pendue à une patte d'oie en fil d'acier très fin et aboutit à un fil de sonde F divisé de mètre en mètre par des rosettes de drap rouge. Pour que la boîte, lestée par le boulet de fer P, ne subisse aucune pression et ne se brise pas quand on Tim- merge, elle est munie, comme la plupart de nos appareils, d'un ballon compensateur B. Un système de boulons isolateurs fabriqués en fibre et en. ébonite permet à un câble marin C, dont les deux fils sont par- faitement isolés, de pénétrer dans la boîte et de se mettre en rapport avec les pôles de la pile au sélénium. Ce câble a une longueur de 250 mètres, il permet donc de faire l'expérience à une distance assez grande du bord de la mer. On ne peut en etïet s'écarter beaucoup de la terre ferme, car il faut, de toute nécessité, que le galvanomètre très sensible dont on va se servir soit à terre dans une chambre obscure. Les mouvements d'un navire ne permettraient aucune lecture. La pile aussitôt, après son enroulement, présentait une ré- sistance de 5000 ohms. Aussitôt après avoir été desséchée à 200 degrés elle avait une résistance de 250 000 ohms. Après son refroidissement elle avait une résistance de 3 100 000 ohms. L'isolement des lames de cuivre était donc excellent. Quand on eut placé le sélénium entre les spires, la résistance tomba à 1 640 000 ohms. Devant un bec de gaz papillon, à iO centimètres environ de lui, elle devint 680 000 ohms et 350 000 seulement à la lueur du ciel éclairé. Nous avions donc un instrument d'une grande sensibilité. Il fallait le mettre en rapport avec un galvanomètre. Pour cela, dans une chambre obscure, se trouve une table solide, une paillasse en brique autant que possible. Sur cette paillasse (fig. 104) se trouve disposé un galvanomètre Thomson Ga dont le miroir est dirigé par un aimant faible A. Regxard. 14 210 LA VIE DANS LES EAUX. Un bec de gaz L fournit de la lumière par une fente percée dans sa cheminée opaque. Le rayon lumineux, recueilli par le galvanomètre, est réfléchi sur l'échelle graduée I. Des déviations très faibles du miroir sont donc multipliées considérablement grâce à la longueur du faisceau lumineux. L'électricité est fournie par une pile thermo-électrique P dont les couronnes inférieures sont seules utilisées. La pile est entourée d'une tôle protectrice plissée qui empêche qu'un courant d'air fortuit ne vienne augmenter la déperdition de chaleur, ce qui amènerait à coup sûr un mouvement du galvanomètre. Le gaz qui chauffe la pile est d'ailleurs tenu à une pression parfaitement égale par le régulateur Moitessier R. Grâce à ces précautions, le courant qui passe par la pile P, le galvanomètre G« et la pile de résistance au sélénium ne varie pas. L'image I ne bouge pas du tout sur l'échelle tant qu'on ne fait pas intervenir la lumière. C'est là un point important que nous avons réussi à réaliser, bien que cela soit fort difficile. Nous avons transporté ce matériel sur le rocher de Monaco qui nous offrait de grands avantages. D'abord le prince Albert faisait disposer à l'extrémité même de ce rocher une casemate où nous pouvions installer l'appareil galvanométrique. Ensuite le rocher s'avance dans la mer comme un navire, ce qui nous permettait d'opérer un peu loin des côtes et d'éviter le trouble de l'eau inévitable près du rivage. A l'extrémité du rocher, notre câble long de 250 mètres nous permettait de nous éloigner de la côte véritable de plus d'un kilomètre (voyez fig. 105 au point où est figuré le bateau). Nous trouvions là des fonds de 50 mètres. L'eau y est d'une pureté admirable dans les beaux temps ; la côte de Monaco est garantie des eaux bourbeuses du Var par le cap Ferrât et des eaux torrentueuses et troubles de la Roja par le cap Martin. C'est donc un lieu d'élection pour des expériences qui obli- gent à avoir une partie des instruments à terre et qui empêchent de gagner complètement le large. Nous procédions comme LA LUMIERE. 211 cela est représenté dans la figure 106. Un baleau maintenu en place simplement par ses avirons était amené devant le labo- 3 -3 CD u '3 :3 -3 t-l 3 o eu 3 O o si H o o (30 -■H ratoire à 200 mètres au large du rocher, sur un fond de 50 mètres. On choisissait un jour où le soleil était radieux et 2i2 LA VIE DANS LES EALX. OÙ pas un nuage n'était au ciel. De plus on opérait à midi juste pour que les rayons fussent aussi perpendiculaires que possible à la surface de l'eau. La pile étant fixée au beaupré du bateau, on la rattachait au câble qui baignait d'abord dans l'eau puis Focuiaiie ^4 43 ''*■"* ifrur t-e £ffê^ ^O fffth ■;7 &'.7 Vqw^M MONACO CouleuTT-ine .■■■ \ Ja Sa-6 ,tq ^.y"- J.Brrt aff fig. 105. — Topogi'aphie de la région où ont été faites nos mesures de la transparence de l'eau. montait le long du roc et finissait par aboutir dans la chambre noire du laboratoire. Le cable était mis en rapport avec le galva- nomètre et la pile thermo-électrique. L'aide qui était dans le bateau bouchait alors la pile soigneusement. On notait une première déviation qui correspondait à l'ombre absolue. A un signal qui lui était fait du rocher, il mettait la pile découverte en plein soleil. Une deuxième lecture donnait la déviation dans ces conditions. L'aide enfonçait alors de mètre en mètre la pile LA LUMIÈRE. 213 dans Feau et, chaque fois, on faisait une nouvelle lecture (1). C'est en procédant ainsi que nous avons obtenu le tableau de la figure 407. Il montre qu'au soleil et dans l'air, le galvanomètre mar- quait 260 divisions. Après avoir été immergé à un mètre il ne donnait plus que 435, presque la moitié. C'est le premier mètre d'eau qui absorbe la plus grande partie de la lumière, du moins quand, comme dans la mer, cette eau est remplie de particules de toute nature. f CSTSIIV- Fig. 106. — Expérience de la mesure de l'intensité lumineuse dans les eaux exécutée à Monaco en mars 1890. A 2 mètres le galvanomètre marque 104 divisions, etc., si bien qu'à partir de 4 mètres il y a presque toujours autant de lumière ; c'est de la lumière diffuse. A partir de 11 mètres l'ap- pareil n'est plus assez sensible pour indiquer la diminution de la diffusion. Le dernier point (63) que l'on remarque dans la colonne Om correspondait à l'ombre, c'est-à-dire à ce que marquerait le (1) Je dois beaucoup de remerciements à M. Copello et à M. le comman- dant Paul, de la Principauté de Monaco, qui m'ont aidé dans ces délicates recherches avec une jurande obligeance. 214 LA VIE DANS LES EAUX. galvanomètre pour les grandes profondeurs, pour celles par exemple que Fol et Forel exploraient photographiquement. Cette expérience était faite en mer, c'est-à-dire dans une eau relativement trouble, si pure qu'elle parût. Nous avons voulu mil I I Rinin Biinin RHHil I mil R!ll jii RII Fig. 107. — Graphique représentant la diminution de l'intensité lumineuse h mesure qu'on pénètre dans les eaux. la refaire au laboratoire avec une eau prise dans la Seine que nous essayerions telle quelle et que nous explorerions ensuite après l'avoir filtrée. Pour ce travail, nous avons utilisé l'appareil que représente la figure 108. Un grand tube T placé verticalement est fermé en bas par une glace. On peut, par les robinets RR', y faire pénétrer de J'eau; LA LUMIÈRE. 215 un tube gradué en verre t permet de connaître à cliaque instant le niveau qu'occupe l'eau dans le tube T avec lequel il commu- P Fig. 108. Dispositif destiné à mesurer l'absorptioa de la lumière par l'eau pure distillée ou filtrée. nique. Au-dessus du tube T se trouve la pile au sélénium P, renversée sur lui. La lanterne électrique L envoie des rayons parallèles sur le miroir M qui, étant incliné à 45 degrés, les renvoie verticalement 216 LA VIE DANS LES EAUX. dans le tube T. Les rhéophores s'en vont à l'appareil figuré en 104, il est certain que l'absorption de la lumière sera d'au- tant plus intense qu'il y aura dans le tube une couche d'eau plus épaisse. Faisons entrer le liquide non filtré dans notre tube T, décimètre par décimètre, et faisons une lecture chaque fois au 2:alvanomètre. Fig. 109. — Graphique montraut la différence d'absorption de la lumière par l'eau de la Seine avant et après filtration. Quand l'eau n'est pas filtrée, nous obtenons au premier déci- mètre une chute de 23 divisions, nous n'avons dans les mêmes circonstances que 7 divisions de diminution lorsque l'eau est filtrée au papier. Il suffit de considérer les deux courbes de la figure 109 pour se rendre compte de la diflerence qu'entraînent les deux condi- tions. Le tracé A est obtenu avec de l'eau grossièrement filtrée. Sauf pour le premier décimètre, l'absorption est à peu près nulle et va en diminuant suivant une progression arithmétique LA LUMIERE. 217 dont la raison est très faible. La courbe -|- a été obtenue avec de Teau de Seine prise telle quelle et nous reproduit (avec une absorption beaucoup plus grande) la courbe même que nous avions obtenue en pleine Méditerranée. g a '3 > a o o s 'u -s o o o 'o o & g o o 13 O Messieurs, ces expériences ne nous ont pas encore fait con- naître toutes les solutions que comporte notre problème. Jus- qu'ici les recherches de Forel, de Fol et d'Asper nous ont fourni le point maximum où parvenait la lumière diffusée et in- définiment atténuée ; celles que je viens de vous développer, qui 218 LA VIE DANS LES EAUX. me sont personnelles, nous ont montré la courbe suivant laquelle diminuait Viniensité de la lumière, il va nous être possible de chercher comment décroît la quantité de cet agent, non plus par son action sur le sélénium ou sur les sels d'argent, mais sur le mélange détonant de chlore et d'hydrogène. Bunsen et Roscoë ont démontré que la quantité d'acide chlor- hydrique qui se forme sous l'influence de la lumière dans un mélange strictement égal de chlore et d'hydrogène est exacte- mont proportionnel à la quantité de lumière qui tombe sur un élément de la surface de ce mélange. Les deux savants physiciens ont pu, de la sorte, mesurer la quantité de radiation lumineuse que reçoit chaque élément ter- restre à chaque heure du jour et ils ont exprimé cette quantité en centimètres cubes d'acide chlorhydrique formé. Nous avons pensé que nous obtiendrions le môme résultat en immergeant à différentes profondeurs dans l'eau de la mer des tubes remplis d'un mélange à parties égales de chlore et d'hydrogène. Yoici le manuel opératoire dont nous nous sommes servis. Dans le laboratoire installé à Monaco, nous avions disposé un voltamètre d'Hoffmann, tel que le représente la figure 110. Dans les deux tubes H et CL se trouvait de l'acide chlorhy- drique pur. Deux électrodes faites en charbon de cornue y amenaient le courant de quatre grands Bunsen; la décomposi- tion de l'acide chlorhydrique se faisait selon les lois connues en chlore et hydrogène qui remplissaient les tubes II et CL en refoulant le liquide dans l'ampoule E. D'autre part en T se trouvait un long tube divisé en 100 par- ties égales, il était fermé par deux robinets de verre et soigneu- sement peint avec un vernis noir tout à fait opaque composé de noir de fumée mêlé à de la gomme; on y avait au préa- lable fait le vide absolu par la pompe à mercure. Il suffisait de le mettre en rapport avec le voltamètre quand celui-ci était rempli, puis d'ouvrir les robinets RR' et l'un des robinets du tube T pour que celui-ci se remplit du mélange détonant. On préparait cinq tubes semblables et on les disposait le long LA LUMIÈRE. 219 dAin fil de sonde de 2 en 2 mètres, tel que cela est représenté Fig. 111. Tube à H et à Cl détaché de l'appareil précédent. Fig. 112. — Le même tube après que l'eau a lavé le vernis dont il était couvert. dans la figure 113 : puis, une houée étant à l'un des bouts du 220 LA VIE DANS LES EAUX. fil, et une ancre à l'autre, on portait Fappareil en mer et on l'y Fig. 11-3. — Tubes remplis d'un mélange égal d'H et de Cl, suspendus dans La mer. coulait pendant la nuit, Teau lavait en quelques minutes le ver- nis à la gomme qui couvrait les tubes, leur surface redevenait LA LUMIÈRE. 221 transparente (lig. 112) et pouvait recevoir l'impression lumineuse dès le lever du jour. II est nécessaire, lorsqu'on fait pareille expérience, de la tenter par un ciel totalement couvert, sinon l'impression lumineuse est trop vive et la recomposition de l'acide chlorhydrique se fait en totalité dans tous les tubes. ^HS^^H ^^H B B 1 ■ B ■ B HHI B B HH B B um ■ ^^^1 H8 1 B H Fig. 114. — Graphique indiquant la quantité d'acide chlorhydrique formé à diverses profoudeui's dans l'expérience représentée fig. 113. Pendant une journée entière les tubes demeuraient plongés dans la mer ainsi que cela se voit dans notre figure 113. L'expérience a toujours été faite au sud du rocher de Monaco en face de la terrasse de la Couleuvrine à la cote 20, sur un point qui, dans notre carte, est entouré d'un cercle (Voyez 105). Dans la nuit qui suivait, on retirait l'appareil, on laissait fig 222 LA YIE DANS LES EAUX. rentrer l'eau dans chaque tnbe en ouvrant un des robinets : l'acide chlorhydrique formé se dissolvait instantanément et en lisant de suite le chiffre indiqué sur le tube par le niveau de l'eau on avait, par différence, la quantité d'action chimique interve- nue et par conséquent la quantité de lumière qui avait pénétré dans la mer. La courbe que nous donne la figure 114 représente le résultat moyen des expériences. Il est facile de voir qu'elle reproduit sensiblement ce qu'avait fourni la pile au sélénium. Dès le premier mètre d'eau il y a une grande absorption de lumière. Puis la lumière diffuse pro- duite par la réflexion de la lumière sur les mille petits corps en suspension donne une lumière faible, mais presque égale, qui règne ensuite jusqu'à une certaine profondeur. Il y aurait un véritable intérêt à descendre dans les grands fonds un tube à chlore et hydrogène et à voir jusqu'oii les rayons actiniques formeraient de l'acide chlorhydrique. C'est une expérience que nous n'avons pas encore pu réali- ser : mais nous la tenterons quelque jour. HUITIEME LEÇON o LA PHOTO-CHIMIE DANS LES EAUX Messieurs, * L'examen détaillé, que nous avons fait jusqu'ici, nous a dé- montré que la lumière n'a plus qu'une intensité déjà très faible dans des fonds relativement élevés. Il doit résulter de ce fait même des conditions toutes spé- ciales pour les êtres qui se développent dans les eaux et parti- culièrement pour les végétaux qui ont besoin, pour leur nutri- tion, de l'intervention permanente des rayons lumineux. Avant d'en venir à cette étude qui sera forcément compliquée, laissez-moi vous dire un mot de l'influence de la lumière sur le développement des animaux. Nos connaissances sur ce point particulier sont loin d'être avancées. Tout au plus savons-nous que dans les cavernes som- bres, dans les mines, les animaux amenés du jour ne prospè- rent pas; des rats, des chauves-souris, apportés du dehors, ne tardent pas à dépérir et leur race s'étiole. Il est vrai qu'à côté d'eux, vivent dans des conditions excellentes des races autoch- tones de rats et de chauves-souris depuis longtemps habituées et acclimatées au milieu obscur. Longtemps on a cru que l'ob- scurité était pour beaucoup dans l'état anémique où vivent les mineurs et les ouvriers qui percent les tunnels. Nous savons aujourd'hui qu'il n'en est rien et que cet état est le résultat de la présence d'un parasite qui détermine du côté de l'intestin des 224 LA VIE DANS LES EAUX. pertes sanguines, nous savons môme que ce parasite est con- tenu dans les flaques d'eau des régions obscures. Supprimez l'absorption de ces eaux et il ne restera plus aux mineurs d'au- tres causes d'anémie que le rhumatisme dont ils sont souvent atteints et la mauvaise alimentation qui trop souvent aussi est leur lot. Quant aux animaux qui vivent dans les eaux, je ne sache pas qu'on ait jamais cherché quelle pouvait être sur eux l'influence de la privation de la lumière. C'est ce point que j'ai cherché à élucider dans l'expérience dont je mets le résultat sous vos yeux. J'ai pris deux Carpillons du poids de 4 grammes et je les ai mis dans deux bocaux exactement identiques, contenant une môme quantité d'eau que l'on renouvelait exactement les mômes jours : les mômes jours aussi, on donnait aux deux ani- maux une môme quantité de larves de Ghironomus vivantes. L'une des Carpes était en pleine lumière, l'autre était à côté de la précédente, mais le bocal était renfermé dans une boite tout à fait obscure. On a gardé ainsi les animaux pendant trois cent soixante-cinq jours, juste une année. Il sufflt de jeter un coup d'oeil sur les deux Poissons pour voir que la différence éclate aux yeux. Le Poisson qui a passé une année dans l'obscu- rité complète est à peine développé, il pèse 5 grammes tandis que le témoin a plus que triplé de poids et pèse 12^'',o. Si on se fiait à ce résultat, sans l'analyser, on devrait en in- duire que l'obscurité a complètement entravé le développement de l'animal qui la subissait. Mais il y a lieu de noter, dans cette expérience, que, chaque fois qu'on changeait l'eau des Pois- sons, on trouvait que celui qui vivait à la lumière avait dévoré toutes les larves qui lui avaient été données en pâture, pendant que celui qui était prisonnier dans l'obscurité en avait laissé une grande quantité auxquelles il n'avait pas touché. Ne voyant pas clair il était moins apte à s'alimenter ; il ne dévorait que les proies qui se trouvaient immédiatement à sa portée. Notre expérience ne nous dit donc rien sur l'influence de \ LA PHOTO-CHIMIE DANS LES EAUX. 225 l'obscurité sur le développement d'un animal aquatique, elle nous donne pourtant une notion : c'est que si un Poisson de sur- face était entraîné dans les ténèbres relatives du fond il y suc- comberait faute d'être en état de poursuivre sa proie et de s'en emparer. La lumière est absolument nécessaire à la nutrition du vé- gétal , nous devons donc nous attendre à ce que sa diminution Fig. 115. — Expériences de P. Bert et P. Rcgnard sur les radiations qui servent au développement de la chlorophylle. — A, ballon à solution chlorophyllienne — B, ballon à solution d'iode. — C, ballon où pénètre la lumière totale. dans les fonds amène une diminution corrélative et finalement une disparition des plantes. Ce qu'il nous faut d'abord expérimentalement déterminer, c'est la radiation la plus nécessaire à la production de la chlorophylle et par conséquent à la nutrition du végétal, puis- que cette nutrition est une suite forcée de la présence de la chlorophylle. Le problème a été attaqué par Paul Bert et nous avons donné un complément de son expérience que nous devons à ce propos vous faire connaître. Paul Bert a fait construire un ballon à double enveloppe tel que ceux qui sont représentés en A (fig. Ho). Entre les deux enveloppes, il a mis une solution de chlorophylle dans l'alcool. La lumière était obligée par conséquent de passer à travers cette chlorophylle pour arriver à la plante qui poussait dans REGiNARD. 15 226 LA VIE DANS LES EAUX. rintérieur du ballon. Cette plante, dans l'espèce, était du Cres- son alénois. Or, dans ces conditions, le Cresson a pu à peine se dévelop- per et il est mort presque de suite. En l'examinant, on a cons- taté qu'il était tout à fait étiolé et qu'il ne s'était pas formé trace de chlorophylle dans ses cellules. Quelle était donc la radiation qu'avait arrêtée la dissolution de chlorophylle? C'était la radiation rouge qui, dans le spectre dit de la chlorophylle, est remplacée par une bande noire. Nous nous sommes dit alors que si, vraiment, cette bande étant supprimée, la nutrition du végétal était impossible, il de- vait pouvoir se développer dans un milieu où la radiation rouge passerait seule. Nous avons alors rempli la chemise d'un ballon double avec une dissolution d'iode dans le sulfure de carbone B. On sait que cette dissolution, suffisamment foncée, ne laisse passer que les radiations rouges du spectre, il est même possi- ble de charger le liquide juste assez pour que la bande qui in- tercepte la chlorophylle soit la seule qui subsiste. Dans ces conditions, l'intérieur du ballon est tout à fait obscur et, néan- moins, la chlorophylle s'y développe fort bien et, en faisant l'ex- périence concurremment avec celle de Paul Bert, on obtient le résultat qui se trouve consigné dans la figure llo. Dans le ballon témoin A oii la chemise extérieure ne contient rien, le Cresson alénois s'est développé et a pris une belle teinte verte. Dans le ballon B, obscur, oii ne pénètrent que les rayons rouges, le Cresson est presque aussi avancé ; il est manifeste- ment vert. Enfin dans le ballon C, très lumineux pourtant, où les rayons sont obligés de passer à travers une solution de chlo- rophylle, le Cresson a péniblement poussé, il est jaune et tout à fait étiolé. J'ai, avec Paul Bert, contrôlé cette expérience par une autre, beaucoup plus difficile à réaliser et dont voici le principe. Dans une chambre parfaitement obscure, une source élec- trique envoyait un faisceau de rayons parallèles L par une ou- verture 0. LA PHOTO-CHIMIE DANS LES EAUX. 227 Ces rayons tombaient sur un prisme P, se réfractaient et le spectre ainsi formé s'étalait sur une longue boîte B dans la- quelle poussait de rOrge. L'expérience était maintenue pen- dant une semaine entière (c'est là qu'est la grande difficulté). Au bout de ce temps, la boîte était rapportée au jour et on cons- tatait que c'était au niveau du rouge, près du point qu'absorbe la solution de chlorophylle, que TOrge avait verdi (fig. 116). Fig. 116. — Expérience de P. Bert et P. Regnard démontrant que c'est dans la radiation rouge du spectre et dans la radiation bleue, à la quinte de la première, que se développe la chlorophylle. Tout le reste était à peu près étiolé, sauf en Chlo\ entre le bleu et Findigo où le verdissement était appréciable. Ce dernier point est justement à la quinte du rouge, si on tient compte du nombre des vibrations correspondant à chaque région du spectre. Appliquons ces faits à la vie des plantes dans la profondeur des eaux. On a vu dans la précédente leçon que l'eau, sous une cer- taine épaisseur, absorbait inégalement la lumière ; les premières radiations qui disparaissaient sont justement ces radiations rouges dont les plantes ont besoin pour verdir ; cela nous fait donc préjuger que la végétation va beaucoup souffrir si peu que les végétaux soient à une certaine profondeur. Mais en physiologie expérimentale nous ne devons jamais conclure sans un essai direct. 228 LA VIE DANS LES EAUX. Nous avons donc institué une série de recherches pour arriver à savoir à quelle profondeur, dans les eaux, cesse la formation de la chlorophylle et par conséquent la nutrition possible des végétaux. Il est admis généralement que la quantité de chlorophylle formée est proportionnelle à la quantité de lumière qui arrive sur la plante. Un végétal en plein soleil doit de ce fait être beaucoup plus vert qu'un autre qui vit à l'ombre d'un mur, au nord, et qui ne reçoit jamais la radiation directe. Cette opinion, généralement admise, est inexacte suivant nous, ou, du moins, n'est vraie que pour des différences énormes de radiations. Il est certain qu'un végétal verdira plus vite en plein soleil qu'au fond d'une grotte à peine éclairée, mais, quand il s'agit d'intensités lumineuses relativement peu tranchées, il est im- possible de voir des différences corrélatives dans la formation de la matière verte. Voici une expérience qui le prouve. Dans la chambre obscure, nous avons placé un régulateur électrique donnant une lumière d'une très grande intensité ; à un mètre de ce régulateur se trouve un pot contenant des pousses d'Orge étiolées, à deux mètres s'en trouve un autre et de même à trois, à quatre et à cinq mètres. Les distances au point lumineux sont donc comme 12 3 4 o i, —, fj, "*, ij. En vertu des lois de la propagation de la lumière non paral- lèle, les intensités lumineuses sont en raison inverse de 1, 4, 9, 16, 25. Si la théorie généralement admise était vraie, les quantités de chlorophylle formée devraient être dans le même rapport. Or l'expérience démontre qu'il n'en est absolument rien ; dans les limites où elle est faite, les quantités de chlorophylle formées sont égales sur tous les échantillons. C'est qu'en effet la lumière n'agit pas par sa quantité, dans ce phénomène, mais par le nombre de ses vibrations. Si je puis me servir d'une comparaison qu'affectionnait Paul Bert, LA PHOTO-CHIMIE DANS LES EAUX. 229 je dirais que la lumière agit dans la formation de la chloro- phylle comme l'étincelle qui enflamme une poudrière, étincelle qui n'est pas proportionnée au résultat qu'elle produit puis- qu'elle fait partir aussi bien une fusée d'un gramme qu'une soute de mille quin- taux. La figure 117 donne les din"érents ré- sultats de notre expérience. D est la ligne des distances. L exprime l'intensité lumineuse et CA la quantité de chlorophylle formée et dosée par un pro- cédé colori métrique que nous avons in- diqué ailleurs. On voit, au premier coup d'oeil, qu'il n'y a aucune corrélation entre les deux dernières courbes. A 1 mètre et à S mètres, il y a exacte- ment la môme quantité de chlorophylle produite. Cela nous amène à supposer que, dans les eaux, tant que la vibration rouge pé- nétrera, il se fera de la chlorophylle et les Algues verdiront également sans que les plus profondes soient notablement moins colorées que les superficielles. Examinons en effet des Ulves retirées d'un fond d'une dizaine de mètres et les mômes prises à 10 centimètres sous la surface de l'eau ; nous les trouvons par- faitement identiques quant à la masse de chlorophylle qu'elles contiennent. Voici encore une expérience qui dé- montrera la réalité de notre dire. Nous avons pris trois grands tubes de laiton dont l'un avait 1 mètre, le second 2 mètres, et le troi- sième 3 mètres de longueur. Fig 117. — Graphique re- présentant la formation de la chlorophylle par rapport à l'iutensité lu- mineuse qui frappe le véffétal. 230 LA VIE DANS LES EAUX. Nous les avons terminés à leurs deux ouvertures par des lames de glace à faces parallèles et nous les avons disposés dans un jardin en face d'un grand miroir incliné à 43 degrés qui pro- jetait dans leur intérieur les rayons lumineux venus des nuées. Fig. 118. — Expérience destinée à montrer l'influence d'une couche d'eau d'une certaine épaisseur sur la formation de la chlorophylle. Le miroir était orienté exactement au nord de telle sorte qu'il ne reçut jamais les radiations directes du soleil (fig. 118). A l'autre extrémité des tubes se trouvaient enchâssées des boîtes dans lesquelles nous avions placé de FOrge germée dans l'obscurité et complètement étiolée. Au bout de huit jours, les boîtes furent ouvertes, l'Orge avait également verdi dans toutes. A l'examen colorimétrique, on trouva la quantité de chloro- pliylle égale partout. Ainsi, en traversant 3 mètres d'eau, la lumière avait encore conservé suffisamment de radiations rouges et bleues pour pro- voquer la formation chlorophyllienne. LA PHOTO-CHIMIE DANS LES EAUX. 231 Nous avons répété encore cette expérience plus en grand, d'abord dans la rade du Ha- vre, ensuite au large du ro- cher de Monaco. Un câble est attaché au- dessous d'une bouée B (fig. 119), ce cable est tenu verti- cal dans l'eau par un poids P, et finalement attaché au fond par une ancre. Le long de ce câble et à des distances de la surface de l'eau qui sont : 2, 4, 6, 8 et 10 mètres, se trou- vent attachés des flacons rem- plis d'air dans lesquels ger- ment, sur du sable mouillé, des graines de Cresson alénois ou de Radis hâtif (fig. 120). Le tout est coulé la nuit en mer, sans avoir vu la lumière et relevé une semaine après, également pendant la nuit. Le dosage colorimétrique de la chlorophylle est effectué et on trouve que dans le fla- con à 10 mètres il y en a exactement autant que dans le flacon le pUis superficiel. Pour arriver à n'avoir que peu de chlorophylle formée, il nous a fallu couler un bal- lon par 30 mètres de profon- deur, ce doit être la région vers laquelle les Algues vertes disparaissent, mais elles peuvent encore y exister. Il suffit d'ail- Fig. 119. — lutliience de la profondeur de la mer sur la formation de la chloro- phylle. 232 LA VIE DANS LES EAUX. leurs de bien peu de lumière pour que la chlorophylle se forme, je suis sûr que la lumière légèrement phosphorescente qu'é- mettent les animaux des grands fonds (lumière dont nous par- lerons bientôt) suffirait pour colorer en vert des Algues qui réussiraient à pousser dans les profondeurs. Fig. 120. — Un des flacons de l'expérience représentée par la figure précédente. Voici deux expériences qui le démontrent : Dans une boîte obscure, nous plaçons un petit tube deGeissler rempli d'hydrogène chimiquement pur et nous faisons passer dans ce tube le courant d'une bobine d'induction; il se déve- loppe une lumière rouge très peu intense, à peine visible, mais tellement riche en radiations utiles que des plantes étio- lées placées dans cette obscurité presque complète y verdis- sent aussi vigoureusement que les témoins placés en plein jour; on nous objectera que dans les profondeurs, comme nous le dirons bientôt, ce n'est pas la lumière rouge mais la lumière bleue phosphorescente que Ton rencontre, cela n'a qu'une im- portance relative. LA PHOTO-CHIMIE DANS LES EAUX. 233 Nous venons de démontrer en effet, avec Paul Bert, que dans le bleu, à la quinte du rouge, la chlorophylle se forme encore fort bien, du reste voici une autre expérience qui va prouver que les rayons bleus phosphorescents, si faibles qu'ils soient, ont le pouvoir de verdir les plantes. Fig. 121. — Appareil destiné à montrer que la lumière faible, émise par les substances phosphorescentes, suffit à la formation de la chlorophylle. Pour examiner l'influence des rayons bleus phosphorescents placés vers la raie G, il nous a fallu construire un appareil un peu compliqué (fig. 121). Nous avons choisi comme lumière faible la lueur bleue qu'émet le sulfure de calcium convenable- ment préparé ; mais cette lueur n'est pas constante, elle ne dure que quelques minutes après l'exposition de la substance à la lumière; il nous a donc fallu adopter le dispositif suivant. Dans un cadre A sont placés des tubes plats fermés à la lampe et contenant le sulfure de calcium. Ce cadre glisse dans une rai- nure et au devant de lui se trouve une boîte fixée B, dont il forme une des parois. Par une déchirure faite à cette boîte on 234 LA VIE DANS LES EAUX. aperçoit la plante en expérience. En glissant dans la rainure, le sulfure de calcium va s'illuminer au jour, puis il revient au- devant de la boite qu'il éclaire, va de nouveau s'illuminer, puis revient, et ainsi de suite si on entretient son mouvement alter- natif : comme il glisse très exactement contre la boîte qui est munie de bourrelets de caoutchouc, celle-ci, on s'en assure, ne reçoit pas d'autre lumière que la lumière phosphorescente du sulfure. Nous réalisons le mouvement de va-et-vient au moyen d'un dispositif qui nous sert pour dautres recherches et qui a déjà été utilisé, croyons-nous, par M. Yesque dans des expériences de physiologie botanique : Un vase de Tantale H est suspendu à une corde qui passe sur une poulie F. Il est équilibré par un vase E rempli de mer- cure. Quand, au moyen du tube G, le vase de Tantale se remplit, il augmente de poids et il s'abaisse en élevant le contre-poids E. Dès que le siphon du vase H s'amorce, ce vase se vide instan- tanément,il devient plus léger, le contre-poids l'emporte et redes- cend; le siphon de II se désamorce, le vase se remplit de nou- veau et redevient plus lourd, puis il se vide et ainsi de suite ; on comprend facilement comment, grâce à la poulie de réflexion D, on peut faire que le mouvement alternatif entraîne le va-et-vient du cadre A. En procédant comme je viens de le dire et en introduisant dans la boîte obscure des Radis étiolés, on les voit verdir même en présence de cette lumière tellement faible qu'elle est certai- nement inférieure à celle qui, nous le verrons bientôt, existe probablement dans les profondeurs abyssales. Nous tirons du reste de la couleur môme des plantes aquatiques la preuve qu'elles absorbent certains rayons et qu'elles ne peuvent exister que dans les régions oii pénètrent ces rayons. Plusieurs de ces plantes produisent des pigments bleus ou rouges qui, ajoutés à la chlorophylle verte, leur donnent l'aspect plus ou moins brun. Les Algues bleues renvoient à l'œil des rayons de cette couleur, elles absorbent donc les rayons rouges ; nous savons que les LA PHOTO-CIIIMIE DANS LES EAUX. 233 vertes ont besoin des rayons qui sont situés entre A et B, les brunes n'ont besoin que des rayons qui sont situés entre le jaune et le violet, les Algues rouges n'ont besoin que des rayons bleus près de Findigo, qui, d'après nos expériences et celles de Bert, suffisent encore à la création de matière assimilante puis- qu'ils sont à la quinte des vibrations rouges. Ces connaissances physiques nous expliquent pourquoi, pré- cisément, les Algues se disposent par étages et suivant leur coloration. Elles mesurent la qualité de la lumière qui persiste dans l'eau. Les Algues bleues ne peuvent vivre que tout en haut, puis viennent les Algues vertes. Dans l'étage au-dessous on trouve les Algues brunes (Fucus et Laminaires), et enfin dans l'étage inférieur les Algues rouges, les Floridées. Mais, étudier la formation de la chlorophylle, c'est-à-dire la matière ({ui intervient dans l'assimilation du végétal, ce n'est s'occuper que de la moitié du problème. Le phénomène nutri- tif, la décomposition de l'acide carbonique et la fixation du carbone demandent aussi l'intervention de la lumière. Or le milieu aquatique modifiant cette lumière aura une action pré- pondérante sur la vie végétale. Les échanges gazeux entre les végétaux et l'eau ont été ré- cemment étudiés par Merget et par Devaux, je dois vous faire connaître une partie de leurs travaux. En 1769, Bonnet avait observé que des plantes plongées dans l'eau dégageaient sans cesse des bulles de gaz qui venaient . crever à la surface du liquide. En 1849, Cloez et Gratiolet ana- lysaient ces bulles et les trouvaient composées d'un mélange d'oxygène et d'azote. En même temps, l'acide carbonique dissous dans l'eau disparaissait. Us en conclurent que, pendant que ce gaz était décomposé en carbone qui se fixait et oxygène qui se dégageait, la plante subissait elle-même une décomposition par- tielle, d'où le dégagement d'azote. Ils furent pourtant forcés de reconnaître que l'eau était pour quelque chose dans le phéno- mène, car, plus l'expérience durait, moins l'azote dégagé était abondant. 236 LA YIE DANS LES EAUX. Si au contraire on ajoutait un peu d'eau nouvelle le dégage- ment d'azote reprenait. Boussingault en 1861 soupçonna que, Teau contenant de Fa- zote dissous, celui qui se dégageait devait provenir uniquement de cette eau et être entraîné passivement par le courant d'oxy- gène produit. I] démontra qu'il en était ainsi et que l'azote dégagé prove- nait de deux sources, de celui qui était dissous dans l'eau et de celui qui devait être à l'état gazeux dans l'intérieur de la plante. Cette deuxième donnée était fournie par ce fait qu'il se dégage de l'azote même dans l'eau qui en est privée quand une plante s'y trouve plongée en pleine lumière. En 1866, Yan Tieghem remarqua que les bulles se dégageaient, dans les plantes aquatiques, surtout au niveau des blessures qu'elles avaient subies. Il vit, ce qui est plus important, que le dégagement se continuait dans l'obscurité, il pensa que cela tenait à une accumulation d'énergie lumineuse sur la chloro- phylle, qui pouvait dos lors continuer son action en dehors de l'action solaire. Mûller, en 1870, reprit le travail de Yan Tieghem, le confirma et démontra que la diminution de pression ou l'augmentation de chaleur activaient le dégagement des bulles d'oxygène qui devaient de ce chef être incluses à l'état gazeux dans l'intérieur de la plante. En 1880, Merget annonça un fait capital. Il fit voir que les plantes submergées sont entourées de toute part d'une mince couche de gaz, si bien qu'elles sont en réalité des plantes aérien- nes vivant dans le milieu aquatique. Cette couche d'air est d'une finesse extrême, analogue à celle qu'entraîne avec lui tout corps qu'on immerge brusquement dans l'eau. Ces gaz, qui entourent la plante et lui forment une chemise aérienne, communiquent avec ceux qui se placent entre les cel- lules et forment l'atmosphère intérieure du végétal, de sorte que la cellule du végétal aquatique fonctionne en réalité, au point de vue de l'assimilation, comme celle de la plante aérienne. L\ PHOTO-CHIMIE DANS LES EâUX. 237 Les deux atmosphères, extérieure et intérieure, se mettent facilement en relation, car la structure de la plante aquatique est d'une grande simplicité. Le végétal aquatique est presque exclusivement formé par du tissu cellulaire n'ayant jamais subi pour ainsi dire aucune différenciation. L'épiderme, si épais souvent sur les plantes aériennes, est réduit à presque rien sur les végétaux aquatiques ; il ne contient pas de stomates et ses cellules, môme les plus superficielles, renferment de la chlorophylle. Entre les deux épidermes se trouve un tissu cellulaire lâche, rempli de lacunes qui communiquent les unes avec les autres, qui sont remplies des gaz qui forment l'atmosphère interne de la plante. Il n'y a aucune cellule qui ne se trouve en rapport direct avec cette atmosphère interne. Nous pouvons donc, avec Devaux, diviser l'étude des échanges gazeux qui se font dans la plante sous l'influence de la lumière, en deux parties. Nous verrons d'abord par quel mécanisme les gaz internes se renouvellent dans les tissus et ensuite comment ils pénètrent dans la cellule pour se mettre en rapport direct avec le proto- plasma vivant. Nous aurons à étudier plus tard la composition gazeuse de l'atmosphère aquatique : nous le ferons avec grands détails dans une leçon spéciale. Aujourd'hui, il vous suffira de savoir que, dans l'eau, l'air est dissous et que chacun de ses gaz consti- tuants y est contenu suivant son coefficient de solubilité. C'est ainsi que l'acide carbonique, étant beaucoup plus soluble dans l'eau que l'azote, se trouve dans les liquides exposés à l'air en bien plus grande quantité qu'il n'est dans cet air lui- même. Il en est de même de l'oxygène qui forme 33 p. 100 de l'atmosphère dissoute au lieu de 21 p. 100 qu'il représente dans l'air libre. Une augmentation de température ou une diminution subite de pression viennent, en vertu même des lois de Dalton, dimi- nuer la solubilité des gaz aériens dans l'eau. Cependant, ils ne 238 LA VIE DANS LES EAUX. se dégagent pas : l'eau en reste sursaturée. Cela tient à la finesse extrême des espaces intermoléculaires dans les liquides. Les gaz, pour se dégager, mettent beaucoup de temps à les traverser. C'est ainsi que de Teau de Seltz reste saturée d'acide carbonique plusieurs jours au contact de Fair. Si des bulles se dégagent, elles ne le font qu'au contact de l'atmosphère libre, à la surface, là oii la pression de l'eau ne rétrécit plus les espaces placés entre les molécules. Quand on voit un dégagement se pro- duire à l'intérieur du liquide, comme dans un verre de vin de Champagne, par exemple, c'est toujours au contact des parois du vase ou sur un corps immergé, c'est-à-dire, dans des points oii il existe des atmosphères superficielles adhérentes. Si on veut faire dégager les gaz d'un liquide sursaturé et voir se former des bulles, il faut multiplier les surfaces de contact avec l'atmosphère gazeuse intérieure. C'est ce qu'on fait en remuant le liquide ou môme en y projetant un morceau de sucre ou une poudre quelconque qui entraînera une grande quantité d'air au contact de ses molécules. Ces bulles, une fois échappées des espaces intermoléculaires du liquide, seront soumises à toutes les influences de l'atmo- sphère superficielle. Elles en feront partie, bien que séparées par une couche plus ou moins épaisse de liquide, puisqu'elles subiront les mêmes pressions. Elles auront la môme composi- tion que l'atmosphère superficielle : une bulle qui se dégage de l'eau contiendra 21 d'oxygène et 79 d'azote au lieu de 33 et 67 de chacun de ces gaz qui existent dans l'atmosphère dissoute. En cas de sursaturation, le gaz libéré sera d'autant plus riche en oxygène que la différence de pression sera plus considérable entre l'atmosphère dissoute et l'atmosphère superficielle. C'est cette lenteur que met un gaz à traverser les espaces intermoléculaires liquides qui nous explique ce fait que, dans les grandes profondeurs, l'eau à 6,000 mètres ne contient pas plus de gaz dissous que l'eau de la surface, et cela malgré l'énorme pression de 600 atmosphères que subit la première. Ces préliminaires nous étaient nécessaires pour comprendre LA PHOTO-CHIMIE DANS LES EAUX. 239 dans quel état se trouvent les gaz qui vont être mis en con- tact avec la cellule végétale sur laquelle agit la lumière qui pénètre dans l'eau (1). Ces gaz, avant d'arriver aux lacunes intercellulaires, traversent la paroi membraneuse de la plante. Ce septum a une action qu'il nous faut élucider. Pour étudier la dilTusion, on place la membrane diffusante entre les deux milieux qui doivent se mélanger. C'est ainsi qu'on a mis des feuilles entières ou de simples épidermes végé- taux entre deux vases contenant des gaz diffusibles et on a pu voir comment s'effectuait le mélange à travers la membrane ditïusante. Ce procédé est médiocre, car il ne re- produit pas les conditions de la nature. Dans le cas de la feuille entière, les gaz ont à traverser plus qu'ils ne le font pour arriver normalement aux espaces lacu- naires : ils ont moins à traverser dans le cas d'un épiderme sur l'intégrité duquel on peut toujours conserver des doutes. Devaux a tourné la difficulté d'une ma- nière élégante. Il prend un entonnoir en verre et il en ferme le bout par un bouchon de liège sur lequel il met un peu de mercure, puis une tige de plante aquatique étant coupée avec le plus grand soin, il la plonge dans ce mercure. Après quoi, il verse dans le vase une certaine masse de gélatine fondue à 30° G (fig. 122) qui vient faire un bouchon des plus étanches entre les feuilles libres et le bout de tige coupé qui plonge dans le mercure. Dès que la gélatine est prise, on se débarrasse du mer- cure en le renversant. Il suffit d'adapter un tube de caoutchouc (1) Voir pour plus de détails l'ouvrage de Devaux, Échanges gazeux des plantes aquatiques, Paris, Masson, 1890. Fig. 122. — Expérience de Devaux pour l'étude du dégagement gazeux dans les plantes submergées. 240 LA VIE DANS LES EAUX. à vide qui ira à une pompe à mercure pour extraire par celle-ci les gaz qui auront diffusé à travers Tépiderme de la plante, qui seront venus se mêler aux espaces lacunaires et qui s'échappent parla plaie faite à la tige, puisque tous les espaces lacunaires communiquent ensemble. La plante employée est généralement un bouquet à'Elodea. L'entonnoir, une fois prêt, est évidem- ment renversé dans une eau dont on a analysé l'atmosphère dissoute, ou bien on le laisse dans l'air si l'on veut mesurer la différence entre la diffusion du gaz libre et celle du gaz dis- sous. De nombreuses expériences qu'il serait trop long de rappeler ici, Devaux a pu conclure deux choses importantes. La première, c'est que la paroi cellulaire végétale n'oppose, quand elle est mouillée, aucune résistance à la ditTusion. Elle n'éloigne donc pas le milieu intérieur gazeux du milieu inté- rieur dissous. En second lieu, il a vu que la plante diffusait aussi vite les gaz quand elle était dans un milieu aquatique ou suspendue dans l'air. Ce fait devait d'ailleurs être attendu puisque, depuis les recherches de Merget, nous savons qu'autour d'une plante immergée il y a une atmosphère gazeuse très mince. Toutes les plantes, même les aquatiques, sont donc, de ce fait, des plantes aériennes. Enfin, l'air dialyse à travers la plante est plus riche en oxy- gène : Graham avait déjà démontré que l'azote était plus résis- tant à la dialyse, qu'il passait moins bien dans les substances poreuses que l'oxygène. C'est ce que Devaux exprime par les deux lois suivantes : 1" La diffusion des gaz de l'air à travers la paroi continue des plantes aquatiques, jusque dans les lacunes, se produit sen- siblement comme à travers une lame d'eau; 2° La rentrée par diffusion reste la même, que la plante soit dans l'air ou dans l'eau ; l'indifférence au milieu est complète quand il s'agit de diffusion. Comment vont agir ces lois pour modifier l'atmosphère interne LA PHOTO-CHIMIE DANS LES EAUX. 241 de la plante aquatique, pour augmenter ou diminuer la quantité de gaz contenue dans ses lacunes? L'atmosphère lacunaire d'une plante submergée peut être considérée comme une grande bulle ramifiée entourée d'une paroi, ce qui rend son volume invariable. Sous une diminution de pression, l'eau tendra à pénétrer dans les lacunes, à les rem- plir, à les injecter. Une augmentation de pression aura, au contraire, pour résultat de provoquer la sortie des bulles. Cette augmentation de pression ne pourra avoir pour résultat qu'une augmentation de diffusion, et par conséquent une augmentation dans la pression produite par les gaz dissous, car une augmen- tation dans la pression de l'atmosphère superficielle aurait un résultat absolument inverse, à supposer que la paroi des lacunes fût flexible, ce qui n'est pas. On voit donc toute diminution de la pression interlacunaire amener la pénétration de l'eau dans les ramifications des lacunes. Seulement, il se fait une grande quantité d'index gazeux, qui finissent par arrêter la pénétration, en raison de la résistance qu'ils opposent à l'entrée des liquides dans les inter- stices capillaires des lacunes. Pour obtenir une injection com- plète des espaces lacunaires, il faut les remplir d'une atmo- sphère d'acide carbonique pur, par diffusion, puis plonger la plante dans une solution faible de potasse; l'acide carbonique est absorbé en totalité; il ne peut se faire d'index de gaz, puis- qu'il n'y en a plus; les lacunes sont alors injectées en totalité par l'eau qui les remplit. La plante meurt. Devaux, à qui est due cette expérience, pense que cette mort constante du végétal tient à l'action de la potasse sur les cellules ; c'est possible, mais voici une expérience que nous avons faite, et qui montre que l'injection des espaces lacunaires suffît pour tuer la plante. Dans notre appareil à haute pression, nous comprimons dans l'eau à 600 atmosphères des fragments d'Elodea. A pareille compression, les espaces lacunaires sont aplatis, et les gaz aériens qu'ils contiennent sont dissous en totalité sans Regnard. 16 242 LA VIE DANS LES EAUX. index possibles. Les lacunes s'injectent donc complètement. Quand on décomprime, les gaz restent dissous dans la masse liquide de l'appareil, oi^i se trouvait de leau non saturée. Ils n'ont aucune tendance à reformer les lacunes qui restent pleines d'eau. Une plante ainsi traitée meurt toujours. Elle meurt asphyxiée comme un homme dont on remplirait d'eau la tra- chée et les bronches. Ceci peut nous renseigner sur ce qui arriverait d'une Algue flottante qui serait entraînée dans les profondeurs. Sans cesse comprimée davantage, par le fait même de sa pénétration dans des eaux plus profondes, elle verrait ses lacunes aériennes se remplir d'eau, et elle mourrait sans pouvoir végéter sur le fond, à supposer même qu'assez de lumière lui arrivât d'en haut ou des êtres phosphorescents pour qu'elle pût vivre de ce chef. Nous n'avions pas parlé de ce détail en nous occupant de la pression, nous réservant d'y revenir aujourd'hui que nous connaissons les lacunes et leur utilité respiratoire. Que si, dans la grande bulle qui constitue l'atmosphère interne de la plante, il se fait une pression trop élevée, il y aura sortie des gaz par les points où cette atmosphère communique avec l'atmosphère externe de Merget, et cette sortie aura lieu sous forme de bulles. On observe très facilement le phénomène en immergeant une branche d'Eiodea dans de l'eau sursaturée d'acide carboni- que. On voit imriiédiatement les bulles partir de tous les points de la plante où se trouve un stomate ou une plaie. C'est que, dans l'espèce, les gaz pénètrent par suite de la pression des gaz dissous, qui est supérieure à celle des gaz libres au-dessus de la surface du liquide (puisque la solution est sursaturée). Dès que la plante les a remis à l'état libre, ils tendent à sortir, puisqu'ils ne supportent plus que la pression barométrique , très inférieure à celle qui retient les gaz en sursa- turation dans les espaces intermoléculaires du liquide. Il convient de dire que c'est toujours par une plaie acciden- telle que se fait la sortie des bulles d'une plante aquatique. Sur LA PHOTO-CHIMIE DANS LES EAUX. 243 une plante absolument saine, c'est par un courant inverse de difïusion que la sortie des gaz se fait hors des espaces lacu- naires. L'œil ne peut plus rien apercevoir, toute l'action se pas- sant dans l'intimité même du liquide. Si, maintenant, Messieurs, nous voulons aller plus loin, et connaître la composition de l'atmosphère interne des plantes, c'est encore à un appareil dû à Devaux (fig. 423) que nous aurons recours. Dans un grand cristallisoir rempli d'eau, on noie un bou- quet de plantes submergées, d'Elodea, par exemple, de telle sorte que le bout des tiges coupées soit renfermé dans un tube T gradué, où vien- dront s'amasser les gaz déga- gés. Un entonnoir T' recueille les gaz qui se dégageront par le fait des atmosphères super- ficielles. On a donc là, en même temps, un appareil pour la récolte et l'analyse des gaz. On en construit deux, qui sont placés l'un à la lumière, l'autre à l'obscurité, et on compare les résultats qu'ils donnent, en ayant soin d'entretenir un courant d'eau sursaturée également et à une môme tempé- rature. L'eau fournie aux robinets de la Yille de Paris est juste- ment dans ces conditions. En procédant de cette manière, on obtient, sur la plante vivante, des phénomènes de diffusion semblables à ceux qui se présentent journellement; car la sortie des bulles se voit fré- quemment sur les plantes qui habitent nos eaux. Devaux a montré ainsi : 1° que, dans une plante submergée, l'air des lacunes tend toujours à avoir la môme composition que l'air Fig. 123. — Appareil de Devaux pour l'é- tade de l'atmosphère superficielle et de l'atmosphère interne des plantes sub- mergées. 244 LA VIE DANS LES EAUX. libre de l'atmosphère, soit à l'obscurité, soit à la lumière ; 2° que la difTusion est assez rapide pour que la respiration, même intense, ne puisse empêcher cette atmosphère interne d'être à peu près de l'air pur à l'obscurité; les différences sont nulles pour le gaz carbonique, et seulement de 1 ou 2 centièmes pour l'oxygène; 3° que la diffusion est très rapide dans le cas de l'as- similation chlorophyllienne ; mais il arrive souvent que la pres- sion augmente de telle sorte qu'il y ait rejet de bulles libres. En tous cas, l'atmosphère interne est toujours plus riche en oxygène que l'atmosphère extérieure. Dans une eau normale- ment aérée, l'air des lacunes a une composition très sensible- ment semblable à celle de l'air libre. Ces recherches de physique pure sur le renouvellement des gaz, dans les espaces lacunaires des plantes aquatiques, nous amènent à comprendre ce qui se passe dans la nature môme, au point de vue de ces êtres si répandus. Quand naît le jour, quand le soleil se lève, les eaux s'échauf- fent, et par conséquent, la pression des gaz qui y sont dissous augmente. D'autre part commence l'assimilation chlorophyl- lienne qui a aussi pour résultat d'augmenter la tension dans les lacunes. De toute part, on voit alors les bulles gazeuses s'échapper des végétaux, La nuit survient, mais l'eau ne se désature pas immédiatement; aussi voit-on les bulles continuer à se dégager. Mais dès que le froid nocturne devient plus vif, l'eau se refroidit; la tension des gaz qu'elle contient diminue, l'assimilation chlorophyllienne cesse, le dégagement des bulles s'arrête; il y a même tendance à la pénétration du liquide, qui vient injecter un peu les lacunes. Le soleil, ou simplement le jour, reparaissent, et le cycle que nous avons suivi se reproduit. Les saisons ont, sur ce mouvement dans les plantes submer- gées, un rôle analogue, mais plus intense que les journées. Que l'hiver arrive, la saturation de l'eau diminue, les lacunes tendent à s'injecter d'eau; si la gelée survient, les gaz inclus dans l'eau se dégagent complètement; quand arrive le dégel, l'eau, privée LA PHOTO-CHIMIE DANS LES EAUX. 245 de gaz, dissout ceux des lacunes qui se trouvent, de ce fait, injectées. C'est le mécanisme de la mort des végétaux aquati- ques dès le début de la saison froide. Il suffit, d'ailleurs, qu'un peu de la plante échappe au désastre, pour qu'au renouveau elle se mette à végéter aux dépens de l'amidon qu'elle contient, pour qu'aux premiers beaux jours quelques bulles réapparais- sent, et que la restauration du végétal se produise. Les Algues ne contiennent pas d'espaces lacunaires, aussi les bulles nombreuses qu'elles dégagent dans l'eau proviennent- elles uniquement de leurs atmosphères superficielles. Sur leurs frondes s'accumulent ces bulles qui deviennent parfois assez grosses pour soulever le végétal et l'amener à la surface de l'eau surtout s'il s'agit d'une Algue microscopique. Quand le soir arrive la bulle restée adhérente au végétal se re- dissout et l'Algue retombe au fond pour remonter le lendemain et ainsi de suite. Ce que je viens de vous décrire là c'est le phénomène des fleurs d'eau. Une brusque dépression barométrique produit le môme résultat, par un mécanisme différent, et c'est ainsi qu'on voit certains bassins se couvrir d'Algues microscopiques quand le temps va changer, c'est-à-dire quand baisse le baromètre. Il n'y a pas un paysan qui ne connaisse ce fait et ne lui attribue une importance d'ailleurs méritée. Jusqu'à présent, Messieurs, nous avons vu les gaz contenus en solution dans l'eau et dégagés par l'action de la lumière s'accu- muler dans les lacunes ou en sortir. Il nous faut maintenant chercher comment ils se mettent en rapport avec la cellule même. Il résulte des travaux d'un grand nombre de physiologistes, et en particulier de ceux de Devaux, que les espaces lacunaires s'étendent jusqu'aux extrémités les plus reculées du végétal. Entre chacune des files de cellules qui composent la plante aquatique, il existe un fin canal rempli d'air qui communique lui-même dichotomiquement avec les grandes lacunes que nous avons vues communiquer librement avec l'atmosphère superfi- cielle qui entoure les corps immergés. 246 LA VIE DANS LES EAUX. Si bien que chaque masse de protoplasma est en rapport avec un milieu gazeux libre que nous savons devoir être à peu près identique à l'atmosphère même qui règne au-dessus des eaux, La conclusion de tout cela est donc : 1° Que l'air dissous dans les eaux possède sensiblement la même pression que dans l'atmosphère ; 2° Que le gaz contenu dans les ramifications lacunaires est de l'air à peu près pur; 3" Que l'air arrive à chaque cellule à peu près avec la même pression que celle qu'il possède dans l'eau ambiante et dans les lacunes ; 4° Que dans chaque cellule il y a de l'air dissous dans le pro- toplasma môme : qu'il y est à la môme pression qu'à l'exté- rieur. Nous venons, Messieurs, de faire une longue étude du détail d.e l'assimilation végétale dans les eaux. Il ne faut pourtant pas nous éloigner de cette idée que cette assimilation ne peut se faire qu'au contact et par l'influence de la lumière. Or, nous avons vu que, sans aller bien profondément dans la mer, nous trouvions la lumière diminuée au point que, dès le premier mètre d'eau, la moitié des vibrations étaient éteintes par la résistance du liquide. Il s'ensuit que Y assimilation devra être très amoindrie dans les eaux ainsi que la formation de l'amidon qui dépend, au moins dans les régions vertes, de la présence de la lumière. Cela est vrai ; car, si la formation de la chlorophylle n'est pas proportionnelle à l'intensité lumineuse, il n'en est pas de même de la décomposition de l'acide carbonique, qui, elle, demande une certaine quantité de force vive pour la dislocation de la molécule CO^ Il faut nécessairement que la quantité d'oxygène libéré soit proportionnelle à l'intensité et à la durée de sa ra- diation. Depuis longtemps déjà les physiologistes ont remarqué que le dégagement d'oxygène fourni par les plantes vertes est propor- tionnel à l'intensité du jour. Faible le matin, il s'accentue quand LA PHOTO-CHIMIE DANS LES EAUX. 247 le soleil brille au méridien et que ses vibrations tombent plus directement sur le grain chlorophyllien. A^ersle soir au contraire il diminue. J'ai cherché à voir quelle serait Tinfluence sur ce phénomène de l'absorption des rayons lumineux par l'eau. Dans l'appareil figuré en 119, je mettais de l'eau dont je con- naissais la teneur exacte en gaz et en même temps une certaine quantité bien pesée d'Algues vertes (Ulves). Le tout placé dans une caisse obscure était coulé de nuit dans la mer. Puis, le soir suivant, on relevait l'appareil et l'analyse de l'atmosphère dissoute devait donner la production d'oxygène et la destruc- tion d'acide carbonique. Je n'ai pas été heureux avec cette expérience. Une première fois, en rade du Havre, l'appareil fut enlevé et brisé, sans doute par l'hélice d'un steamer. Une seconde fois, au large de Monaco, l'appareil fut arraché et emporté par un grain subit. Enfin, une troisième fois, je pus lever l'appareil, mais je reconnus bien vite que les manipulations nécessaires pour l'ana- lyse des gaz de l'eau étaient beaucoup trop longues. Pendant que j'analysais l'eau des premiers ballons, la respi- ration des Ulves contenues dans les derniers entachait d'une erreur considérable les résultats fournis par eux. J'ai donc dû renoncer d'une manière définitive à ce procédé et j'en ai imaginé un autre beaucoup moins scientifique peut- être, puisqu'il ne donne pas de chiffres, mais qui avait l'avan- tage de fournir des résultats que l'on pouvait comparer entre eux. Si on verse dans de l'eau contenant de l'oxygène dissous une certaine quantité d'une dissolution d'hydrosulfîte de soude, ce sel s'empare immédiatement de l'oxygène : une petite quantité de bleu Coupler donne à l'eau une teinte azurée qui disparaît dès quel'hydrosulfite a enlevé à celle-ci sa dernière trace d'oxy- gène. Rien n'est donc plus facile que de préparer de l'eau qui ne contienne pas la moindre quantité d'oxygène dissous. Il suffit de la colorer légèrement au bleu Coupler, puis d'ajouter goutte à goutte de l'hydrosulfite très étendu jusqu'à ce que la teinte 2i8 LA VIE DANS LES EAUX. bleue disparaisse. A ce moment il n'y a plus d'oxygène, mais la moindre trace de ce gaz ramènera la teinte azurée. Dans une atmosphère ainsi décolorée, mettons un fragment d'Algue verte, fermons le flacon absolument plein, renversons-le sur le mer- cure et recouvrons le tout dune cloche opaque. Après deux heures le liquide sera resté incolore. Levons la cloche, lais- sons agir la lumière et cinq minutes après la liqueur sera d'un bleu intense (1). Yoilà donc un moyen sinon de mesurer, du moins d'appré- cier la quantité d'oxygène libéré dans une réaction. Repre- nons l'appareil de la figure 119, remplissons les flacons avec de l'eau désoxygénée par l'hydrosulfite et colorée au bleu Coupler, mettons-y des poids égaux d'Ulves et immergeons la nuit. Après deux heures de jour, relevons l'appareil. Le ballon à 2 mètres de profondeur sera devenu bleu foncé, celui immergé à 4 mè- tres sera encore bleu pâle : à 6 mètres le bleu sera difficile à percevoir, à 8 et à dO mètres les ballons seront demeurés in- colores. Cela ne signifie certes pas qu'à 10 mètres il n'y a plus d'acide carbonique décomposé par la lumière, cela veut simple- ment dire qu'à cette profondeur l'assimilation chlorophyllienne est assez ralentie pour n'être plus sensible et démontrable par le procédé que nous avons employé. De fait, c'est à partir de cette limite que les Algues vertes de- viennent rares et que commencent les Algues brunes et rouges qui doivent, de ce chef, végéter avec une intensité bien moins grande. (1) M.Jodin a objecté, à des expériences faites parce procédé, ce fait que la liqueur deviendrait spontanément bleue par la seule intervention de la lumière. Je réponds à cela qu'on n"a jamais vu la solution d'hydrosulfite et de bleuGoupier se recolorer spontanément sans l'intervention de l'oxygène. .]'ai depuis cinq ans dans mon laboratoire un flacon à l'émeri renversé sur le mercure et complètement plein d'une solution d'hydrosulfile et de bleu Coupler. Elle est parfaitement incolore et pourtant elle est en plein jour. M. Jodin plaçait sa solution dans des tubes fermés à la lampe. Or, on ne peut fermer à la lampe un tube plein de liquide : il faut absolument un index de gaz entre le liquide et le point chauffé; il est vraisemblable que dans l'expérience de M. Jodin cet index était de l'air dont l'oxygène était plus que suffisant pour recolorer le bleu Coupier. NEUVIÈME LEÇON LA VISION DANS LES EAUX Messieurs, Les expériences de Forci, d'Aspcr et celles de Fol et Sarrazin sont venues démontrer, vous vous en souvenez, que, passé 500 mètres au plus, il n'entre plus assez de lumière dans les eaux pour que les plaques les plus sensibles, au gélatino-bromure, soient le moins du monde influencées. Devons-nous conclure que les animaux qui vivent dans les eaux profondes sont plongés dans une complète obscurité? Je ne le crois pas et je vous propose l'explication suivante. Supposons un être imaginaire qui, ne connaissant pas ce fait que la lumière rouge est sans action sur le gélatino-bromure d'argent, viendrait exposer une glace sensible dans le cabinet môme où nous faisons nos manipulations photographiques. Quand il essayerait ensuite de développer cette glace, il n'ob- tiendrait aucun résultat. Il en conclurait que, dans le cabinet du photographe, il n'y avait pas trace de lumière. Il serait dans l'er- reur, car dans ce cabinet il faisait tellement clair que l'opéra- teur et ses aides se mouvaient avec la plus grande facilité et voyaient très bien tout autour d'eux. La glace au gélatino est aveugle pour la lumière rouge que voit fort bien notre rétine. Or rien n'empêche de croire que dans les profondeurs il pénètre une lumière d'une qualité telle que la rétine des êtres vivants soit capable de la percevoir sans que la glace photographique puisse la déceler. 2oO LA VIE DANS LES EAUX. G. Pouchet a beaucoup insisté sur cette manière de voir. Il a fait remarquer que, sur les photographies du ciel faites par les frères Henry, il pouvait se montrer deux choses. Certaines étoiles que nous ne voyons pas s'impriment sur le cliché. Il y a donc des lumières pour lesquelles notre rétine est aveugle et qui impressionnent les sels d'argent. Puis il y a des étoiles que nous voyons et qui ne viennent pas sur les clichés : il y a donc des lumières que nous voyons et qui sont sans action sur le gélatino. Il est par conséquent possible d'admettre qu'une quantité très faible de lumière passe bien au delà de ce qu'indiquent les immersions de glaces sensibles et vienne agir sur la rétine des êtres de profondeur. On objecte à cela que cette lumière est en tous cas bien fai- ble et probablement imperceptible. Nous ne sommes pas autorisés à raisonner ainsi : reportons- nous à ce qui se passe quand un chien suit un gibier à travers bois. Le gibier, en fuyant, a laissé des particules infinitésimales de lui-même après les brins d'herbes, ces particules sont très faibles poumons qui ne les sentons pas, elles sont au contraire considérables pour le chien qui les perçoit facilement. La lumière qui parvient au fond des eaux peut être insensible pour notre rétine habituée à la vive lumière du soleil et très vi- sible pour les animaux des fonds qui ont peut-être une rétine plus sensible que la nôtre. Une raison qui fait penser d'ailleurs que la vision s'exerce dans les abîmes, c'est que les animaux qui y vivent ontpresque tous des yeux. Ceux qui en manquent sont des Crustacés qui passent leur vie sous des pierres, dans des anfractuosités ob- scures. Partout en effet où manque la lumière, l'organe visuel de- vient inutile, s'atrophie et finit par disparaître. C'est ainsi que se sont constituées les races d'animaux aveugles. 0. Grimm partnge notre avis, et pense que les animaux et en LA VISION DANS LES EAUX. 231 particulier les Amphipodes aveugles qu'il a dragués dans la Caspienne vivent dans la vase ; leurs yeux ont disparu, mais ils ont été remplacés par des organes sensitifs très développés, des organes de tact et d'odorat par exemple. Les grandes cavernes que l'on rencontre sur notre globe ren- ferment en général des lacs, des cours d'eau où vivent, dans une obscurité cette fois profonde, des Poissons, des Crustacés, des Batraciens. Ceux-là sont tout à fait aveugles. Tels sont cer- tains Cyclostomes et d'autres Poissons comme V Aiyibbjopsis spe- leiis qui habite la grande caverne du Mammouth dans l'Amé- rique du Nord. Dans la célèbre grotte d'Adelsberg en Carniole, on a trouvé, à côté des fameux Protées aveugles, des Mollusques etdes Crus- tacés tout à fait privés d'yeux ; je citerai une sorte de Crevette d'eau douce, le Niphargiis Stijgiiis. Dans la caverne du Mammouth, on a découvert une Ecrevisse tout à fait privée d'yeux. Des grands fonds, le Challenge7\ le Porciipine et le Talisman ont ramené des Crustacés privés de l'organe de la vision. Je ci- terai un Crustacé macroure, le Calocarîs Mac Aïidreœ, qui fut trouvé à une grande profondeur sur les côtes d'Islande, le Ne- phrops Steward qui vit dans la mer des Indes à une petite pro- fondeur mais enfoui dans la vase, enfin YAstacus Laleucus, le Deidamia Leptodactyla^ elle Deidamia Crucifer que ramenèrent des profondeurs les dragues du Porcupine. Je ne voudrais pas quitter ce sujet des animaux aveugles que l'on trouve dans les profondeurs sans vous citer les cas curieux de Crustacés découverts par M. J. Richard, on peut le dire, dans les entrailles de la terre. En péchant dans les lacs du bois de Boulogne, M. Richard fut très étonné de trouver en abondance un Copépode aveugle, encore inconnu. Il lui donne le nom de Bradya Ediuardsi. En se renseignant, il apprit que ces lacs sont alimentés par une eau à 27° qui arrive directement du puits artésien de Passy. En prenant l'eau au griffon même d'arrivée, le naturaliste y trouva 2b2 LA VIE DANS LES EAUX. en abondance son Copépode. Il put donc dire qne cet animal venait des profondeurs de la terre d'où arrivait l'eau elle-même. L'absence d'yeux est bien là en corrélation avec l'absence de lumière. Mais ici se pose une proposition incidente. L'absence d'yeux entraîne-t-elle l'absence de perception lu- mineuse? Les yeux peuvent-ils être remplacés par le tégument externe par exemple ? Il semble que la fonction dermatoptique , c'est-à-dire l'action de la lumière sur le tégument externe, existe réellement. Nous n'avons à nous occuper d'elle ici qu'autant que nous la rencon- trerons sur des êtres qui vivent dans les profondeurs relative- ment obscures des eaux. Les Véretilles^ les Actinies^ bien que dépourvues d'organes de la vision, sont très certainement influencées par la lumière. Les Actinies, en particulier, se ferment quand on les met au soleil, elles s'ouvrent au contraire quand on fait autour d'elles une obscurité relative qui les remet dans les conditions de lumière où elles se trouvent d'ordinaire. On ne saurait d'ailleurs accuser l'action de la cbaleur, car elles demeurent épanouies dans de l'eau chaude si on a soin de les tenir écartées des violentes ac- tions du soleil. Les Méduses cherchent les coins obscurs des aquariums de même que les larves de Ci/anea. Les Vellèles se comportent de même en présence des radia- tions lumineuses intenses. Certains Mollusques semblent per- cevoir la lumière par l'intermédiaire de simples taches de pig- ment répandues sur le tégument externe. R. Dubois a donné quelques notions sur la fonction derma- toptique chez le P/tolas dactylus. Cet auteur fait remarquer que si l'on place un Pholas bien vivant dans un bac d'eau de mer, on ne tarde pas à voir s'allon- ger considérablement le siphon de ce Mollusque. Fait-on tom- ber sur ce siphon un rayon de lumière, il se contracte et se rétracte violemment. Détaché de l'animal, il conserve cette sin- LA VISION DANS LES EAUX. 233 gulière propriété. Toute sa surface est impressionnable elle est recouverte d'éléments que Dubois compare à ceux de la rétine. Il a voulu mesurer les contractions du siphon des Pholades. Il s'est adressé pour cela à la méthode graphique et a procédé ainsi que je vais le dire. Le siphon, étant détaché du corps de l'animal, est épingle par l'une de ses extrémités par une plaque de liège puis immergé dans une cuvette pleine d'eau de mer. Son extrémité libre est attachée à la membrane très sensible d'un tambour récepteur, lequel correspond avec un tambour enregistreur qui écrit sur un cylindre animé d'un mouvement rapide. D'autre part un ob- turateur mobile permet d'envoyer un rayon lumineux sur le siphon. Dès que cet obturateur s'ouvre, il s'établit un courant électrique qui anime un signal Desprez, lequel enregistre sur le cylindre le moment exact oii le faisceau lumineux frappe le siphon. Celui-ci réagit alors, il tire sur la membrane du tam- bour, qui enregistre le mouvement. En lisant sur le cylindre le nombre de vibrations d'un dia- pason, écrites entre le déplacement du signal et celui du tam- bour, on a la quantité de centièmes de seconde qui s'écoulent entre l'impression reçue et la réaction fournie. On connaît par conséquent le temps que demande la transmission de l'impres- sion lumineuse par l'appareil dermatoptique jusqu'aux muscles. Dubois a essayé de cette manière les diverses intensités lumi- neuses et il a vu que l'amplitude et la durée des contractions semblaient proportionnelles à ces intensités. Il a pu constater l'influence de la fatigue et l'action de di- verses lumières colorées et il a vu que chaque lumière mono- chromatique influençait différemment le siphon des P/iolas. Analysant ensuite la manière dont le mouvement succède à l'impression lumineuse sur la peau, il a résumé de cette manière l'action physiologique complexe qui relie le mouvement du si- phon à l'impression reçue parla peau. 1" Excitation du segment pigmenté par le rayon lumineux qui a traversé la cuticule ; 2o4 LA VIE DANS LES EAUX. 2° Contraction du second segment, de ce qu'il appelle l'élé- ment photo-musculaire ; . 3° Ebranlement par cette contraction du segment neural ; 4° Transport de cet ébranlement, transformé en impression sensitive dans le segment neural, aux centres ganglionnaires par les fdaments centripètes du segment neural ; 5° Transformation, dans le ganglion, de cette excitation cen- tripète sensitive en excitation motrice centrifuge et transport de celle-ci aux gros faisceaux centraux delà paroi du siphon qui se contracte alors brusquement dans son ensemble ; les trois premières phases seules se produisent dans le siphon détaché du corps de l'animal (R. Dubois). Mais, Messieurs, la vision par la peau n'est qu'une très rare exception chez les êtres qui vivent dans les eaux. Chez eux, comme chez les animaux aériens, il existe des appareils différen- ciés destinés à la perception de la lumière et je vais vous en dire maintenant un mot. Il y a chez les animaux uni-cellulaires des taches pigmen- taires que l'on suppose être quelquefois des organes pour la perception de la lumière. Chez le Gymnodi/nium Polijphemus, on a vu sous une de ces taches, sorte de choroïde, un petit corps transparent, sphérique, en forme de cristallin. 11 y aurait là une première tendance pour l'organe de la vue à se diffé- rencier. Engelmann s'est aussi particulièrement occupé de l'étude de la perception lumineuse chez les animaux aquatiques les plus inférieurs. Chez les Paramécies, il a vu quelque chose de bien analogue à de la vision. Tant que l'eau dans laquelle nagent ces êtres con- tient sa proportion normale d'oxygène, ils ne manifestent au- cune perception de la lumière. Mais si l'eau a perdu de son oxygène, ils s'agitent tous et se rendent aux parties les plus éclairées du liquide. C'est qu'en effet pour eux la lumière vaut de l'oxygène à respirer. Leur corps contient de la chlorophylle qui, sous l'influence lumi- LA VISION DANS LES EAUX. 255 neuse, dégage de l'oxygène en décomposant le gaz carbonique. Il semblerait donc que c'est par l'intermédiaire du manque ou de la présence de l'oxygène que les Paramécies discernent l'exis- tence ou l'absence de la lumière. Chez VEuglena viridis la perception de la lumière est cons- tante, qu'il y ait ou non dans l'eau de l'oxygène en tension suffisante. C'est bien sur le protoplasma tout entier que la lumière influe et non sur la tache pigmen taire que porte l'animal. Les expériences d'Engelmann ne laissent aucun doute sur ce point. L'auteur a môme pu constater que c'est vers la raie F que se trouve la lumière optima que préfèrent les Euglènes, c'est toujours là qu'elles s'accumulent dans le spectre projeté sous le microscope. Quelques Spongiaires semblent sensibles aux impressions lumineuses. Marshall, cité par E. Jourdan, a vu les larves de Reniera filigrana fuir la lu- mière et rechercher les en- B droits obscurs. /''îi^^^^^^S Si, montant toujours dans Â'--'\-7'7^^-///7' l'échelle animale, nous arri- ^^^^^^^^^^^^ ' ' -^^^lii:^,^ vons aux Méduses nous voyons Fig. 124. — Schéma de l'organe visuel que des points marginaux d'uue Méduse (d'après Jourdan). existent autour de leur om- brelle : d'après Hertwig ce sont des yeux d'une complexité déjà grande, car on y trouve un cristallin C enchâssé devant un bulbe choroïdien, B (fig. 124). Ce dernier contient des cellules pigmentaires, dans lesquelles sont noyées de vraies cellules sen- sorielles, éléments rétiniens en forme de cônes dont la pointe cor- respond avec des cellules ganglionnaires situées auprès de l'œil. Il convient d'avouer cependant que si ces corps ressemblent beaucoup à des yeux rudimentaires, aucune expérience ne prouve encore qu'ils soient capables de percevoir la lumière. Il y aurait une série assez simple de travaux à effectuer sur eux en les éclairant, en les détruisant, en agissant en un mot suivant les règles du déterminisme scientifique. 2o6 LA VIE DANS LES EAUX. Nous sommes encore peu renseignés sur ce que pourrait être l'organe visuel chez les Échinodermes. Ileckel a décrit des taches pigmentaires à l'extrémité des tentacules des Etoiles de mer. En examinant à la loupe ces organes, Ilamann a constaté qu'au milieu d'elles existait un corps hyalin à peu près sphé- rique qui pourrait passer pour un cristallin, au-dessous se rencontre une masse de cellules pigmentées et le tout est recouvert par la cuticule générale du corps de l'animal qui semble jouer ici le rôle de cornée. Dans le môme groupe d'a- nimaux MM. Sarazin ont examiné un Oursin, le Diadema seto- sum ; sur le corps de cet animal se trouve une série de taches bleues qui, vues au microscope, représentent une vraie mosaïque hexaédrique. Chacun des pavés de cette mosaïque n'est que la surface d'une pyramide réfringente dont le sommet s'enfonce à travers les téguments et se met en rapport avec les plexus ner- veux voisins. Ces formations singulières sont bien des yeux, car, si l'on en approche le doigt sur un animal vivant, on voit celui-ci dresser ses piquants et se mettre en défense. Il y a donc là une per- ception sinon de la forme, au moins de la présence des objets. Nous n'avons pas à nous occuper des Vers qui vivent en dehors de l'eau, ce serait sortir de notre sujet; nous n'avons à examiner ici que l'organe visuel des Tiirbellariés et des Anné- lides. Sur ce point d'ailleurs nous sommes peu instruits et quelques mots seulement me suffiront pour vous faire connaître ce que nous savons d'à peu près positif. C'est à Hertwig, à Carrière et à Lang que nous devons Tétude des yeux de ces animaux. Vous en trouverez aussi la description complète dans un travail de Jourdan intitulé : Les sois chez les animaux inférieurs^ travail auquel j'emprunte beaucoup sur ce point particulier de notre sujet. Les yeux des Turbellariés sont placés dans la région cépha- lique du corps et reçoivent des filets nerveux qui viennent des ganglions cérébroïdes. Ce sont des taches pigmentaires au- LA VISION DANS LES EAUX. 257 dessus desquelles se trouve quelquefois fixé un cristallin rudimentaire. Ce corps pigmentaire esl creusé comme une sorte de cupule où viennent se terminer des fibrilles nerveuses au sommet de chacune desquelles se trouve une massue hya- line. C'est l'assemblage de ces massues qui prend l'aspect d'un cristallin. Chez les Rotifères il semble exister un œil unique, il y a encore ici une masse pigmentaire creusée en une coupe qui serait remplie par le cristallin primitif. Chez les GépJujriens il n'y a pas d'yeux et pourtant ces animaux semblent percevoir la* lumière. De Lacaze-Duthiers a fait sur la Bonellie d'intéressantes remarques; il a vu qui? cet animal, bien qu'aveugle, ne sortait qu'à certaines heures de son trou ; jamais on ne la voit au soleil. Tant que cet astre est élevé sur l'horizon la Bonellie fuit la lumière, pour n'apparaître, mais alors en très grand nombre, qu'au crépuscule et à l'aurore. Il est certain que chez ces Gé- phyriens nous nous trouvons en présence d'une fonction der- matoptique bien analogue à celle que nous avons décrite déjà chez la Pholade. De Quatrefages a donné une description macroscopique assez complète des yeux des Annélides. Ces Vers, sédentaires ou errants, sont loin d'en être dépourvus et nous commençons ici à trouver une complication qui correspond au perfectionnement de ces animaux. D'après Graber et Jourdan c'est à deux types qu'il est pos- sible de rapporter les yeux des Annélides. Le premier, plus simple, esiVEimice, le second plus compliqué est VAlciope. Chez VEimice, l'œil se montre sous la forme d'un tubercule saillant à la surface du corps. Il est implanté directement sur le cerveau. Il n'y a pas de nerf optique. La cuticule devient très transparente à son niveau, mais elle est fort aplatie, et ne bombe en aucune manière, à la façon d'une cornée. Au niveau du pôle de l'œil P (fig. 125), elle est tellement amincie qu'elle semble perforée. L'œil est creusé d'une cavité peu régulière L Regmard. J7 258 LA VIE DANS LES EAUX. remplie par une substance hyaline qui paraît jouer le rôle d'un cristallin. Immédiatement en dehors d'elle se trouve une mem- brane d'enveloppe M qui l'entoure et joue le rôle de la cristal- loïde de l'œil chez les animaux supérieurs. Fig. 12.'!. — Schéma de l'œil de l'Eunice (d'après Jourdaa). En dehors de cette membrane qui est amorphe, nous en trouvons une seconde beaucoup plus épaisse V. C'est le corps vitré. Il est formé de prismes transparents, serrés les uns contre les autres, dont l'extrémité périphérique va se perdre dans de grosses cellules nerveuses qui semblent comparables aux éléments cellulaires de notre propre rétine. Ces cellules sont noyées dans une masse de pigments, comme si notre choroïde et notre rétine étaient fondues en une seule membrane. L'œil de VAlcyope est plus parfait encore ; on y trouve un vrai cristallin cette fois CR (fig. 126). Derrière ce cristallin, un corps vitré bien comparable au nôtre Y. Un nerf optique dont l'épanouissement vient former une couche à bâtonnets et une couche pigmentée qui forment une rétine déjà presque parfaite. Malheureusement, si l'anatomie de ces organes est bien faite, leur physiologie n'existe pas. Il y aurait toute une série d'ex- périences à faire, qui nous apprendrait peut-être jusqu'à quel degré de perfection ces organes, déjà compliqués, peuvent don- ner aux animaux, à travers l'eau, la notion de ce qui les entoure. LA VISION DANS LES EAUX. 2o9 Fier. 126. Schéma de l'œil de l'Alcyope (d'après Jourdan). Les Mollusques vont nous arrêter plus longtemps : leurs organes de vision sont plus complexes que ceux que nous avons vus jusqu'à présent. Chez les Lamellibranches^ les expériences faites par Sharp dans les bassins de l'aquarium de Naples ne laissent aucun doute sur la pos- sibilité d'une perception vague de la lumière. Un Solen étant ouvert sur le sable, au soleil, il suffit de faire ombre devant lui avec la main et sans toucher l'eau, pour le voir refermer vivement ses val- ves ; les Huîtres^ les Limes^ les Moules ont fourni des résultats comparables. Leur organe visuel, souvent si- tué sur le bord du manteau, est formé par des taches pigmentées, surmontées d'une cuticule très transparente, très fine et fortement rétringente. On n'a pas encore vu la communication de ces organes avec le système nerveux, mais les expériences physiolo- q giques ne permettent pas de douter de son existence. Les Arches et les Peignes ont des yeux plus compliqués bien qu'ils appartiennent au même ordre. Les Arches sont particulièrement sen- sibles à la lumière. L'ombre du plus mi- nime objet suffit à leur faire vivement refermer leurs valves. Leurs organes visuels Fig. 127. — Schéma de sont situés au bord du manteau, sur le "iZ^^^^!:!;^. repli moyen. Ils consistent en taches pig- mentées ayant l'apparence cylindrique. Dans ces taches se rencontrent des systèmes formés de cellules incolores à doubles noyaux N,N' garnies d'une fibre nerveuse axiale A, le tout en- 260 LA VIE DANS LES EAUX. touré par quatre cellules pigmentées. Il y a dans chaque tache plusieurs de ces systèmes que W. Patten considère comme l'élément visuel primitif, comme un œil simple : la tache pig- mentée totale devient alors un œil composé. L'œil simple est appelé par Patten un ommatidium (fig. 127). La cuticule s'épaissit au-dessus de Tommatidium et lui forme une sorte de cristallin primitif. Il existe plus de deux cents de ces yeux composés sur le bord du manteau de chaque indi- vidu. A côté d'eux, existent des yeux qui, au lieu de sortir sous forme de points saillants, sont au contraire enfoncés en forme de coupes. Ces associations d'ommatidies sont au nombre d'en- viron 800. Les yeux à facettes sont les plus intéressants ; ils sont formés d'environ 80 ommatidies ; ils sont tout à fait comparables aux yeux des Arthropodes, dont nous aurons tout à l'heure à nous occuper. Nous avons dit qu'il y avait entre les deux cellules de ] 'om- matidium une fibre nerveuse axiale. Patten a vu aussi que les parois des deux cellules incolores qui, avec les cellules pigmen- tées, constituent l'ommatidium, que ces parois, dis-je, sont pénétrées aussi par des fibres nerveuses qui semblent se mettre en rapport avec le protoplasma. La fibre axiale n'est autre chose que la réunion en un seul paquet des fibres nerveuses latérales de deux cellules accolées. Les parois des deux cellules ont dis- paru, les nerfs seuls sont restés et semblent dès lors avoir une position centrale au milieu d'une cellule devenue unique. C'est ainsi que s'est formé ce que Patten appelle le rétinophore qui, accolé aux cellules pigmentées, forme l'ommatidie ou œil pri- maire. Au sommet de l'ommatidie, ou mieux à sa surface libre, s'étend la cuticule divisée habituellement en deux couches, la plus superficielle ne contient aucune fibre nerveuse, c'est la cornée ; la seconde est au contraire parcourue par un réseau très riche de fibres nerveuses, c'est la couche rétinienne. LA VISION DANS LES EAUX. 261 Nous le répétons, c'est rassemblage en plaques de nom- breux ommatidia^ qui constitue l'œil composé de \ Arca. Chez le Pecten^ nous trouvons une structure un peu différente. Comme ceux de l'Arche, les yeux du Peigne sont situés sur le bord du manteau ; ils sont faciles à voir, car ils sont placés au sommet d'une sorte de pédoncule. Le pédoncule est couvert de pigment, mais à son sommet se trouve un point transpa- rent tout à fait comparable à notre pupille. L'œil possède une cornée, un cristallin et une rétine. Fig. 128. — Schéma de l'œil d"uQ Peigne (d'après Jourdan) La cornée est constituée par une couche épithéliale Cz^ (fig. 128), qui n'est en réalité qu'une dépendance de la cuticule générale du corps. Le cristallin C, qui vient au-dessous, a une structure cellu- laire très nette. C'est une lentille elliptique, légèrement brune et finement striée. Les cellules qui constituent le cristallin sont polygonales au centre ; mais, à la périphérie, elles s'aplatissent et finissent par former de simples lamelles. Le cristallin est suspendu au milieu d'une véritable humeur aqueuse. La rétine est située en arrière et elle est accompagnée de cellules pigmentaires d'un beau rouge. Un fait remarquable, sur lequel insiste Jourdan, c'est que le nerf optique aborde par un de ses côtés la rétine, il la contourne 262 LA VIE DANS LES EAUX. et se distribue comme chez les Vertébrés à sa face antérieure. Au-dessous de la rétine, se trouve un vrai tapis choroïdien, qui donne à l'œil ses reflets métalliques. Chez les Gastéropodes^ nous trouvons deux types d'yeux. Les uns semblent n'être qu'un enfoncement, une invagination de Tépithélium général du corps, au-dessous duquel se trouve un Fig. 129. — Schéma de l'œil d'un Murex (d'après Jourdan) amas pigmentaire. C'est ce qu'on voit chez les Fissurelles^ les Patelles, etc. Dans une seconde classe, se rangent des yeux beaucoup plus compliqués , chez les Miu^ex , par exemple (fig. 129). Une coque conjonctive, organe de protection, repré- sente la sclérotique. Au-dessous d'elle, se trouve une rétine pigmentée formée de bâtonnets et de cellules foncées, analogues à celles de la Lamina fusca des vertébrés R. En avant encore, nous trouvons un véritable corps vitré V, et finalement un cris- tallin sphérique fort bien différencié Cr, composé d'une sub- stance tout à fait sans structure. Au devant de l'organe, passe l'épithélium C et la cuticule du corps tout entier, qui a ici une grande transparence et peut passer pour une cornée. J'en aurai fini avec les organes visuels des Gastéropodes^ LA VISIOiN DANS LES EAUX. 263 quand je vous aurai dit que Moseley les a vus chez quelques espèces, chez les Chiton, par exemple, non plus vers la partie céphalique de l'individu, mais sur sa coquille môme, au milieu des éléments calcaires. Vous connaissez tous. Messieurs, l'œil si parfait des Cépha- lopodes ; extérieurement, il semble identique au nôtre et, de fait, entre un œil de Poulpe et celui d'un Mammifère, la diffé- rence n'est pas bien grande. On y trouve une vraie sclérotique, une chambre antérieure, un iris, un cristallin avec corps ci- liaire, une chambre postérieure, un corps vitré, une rétine composée de bâtonnets, d'éléments cellulaires et de cellules pigmentaires destinées à absorber la lumière qui a déjà agi sur les éléments nerveux. Chez les Crustacés^ nous trouvons une disposition toute spé- ciale de l'organe de la vision. Ici se voient des yeux composés analogues à ceux que l'on rencontre chez les Insectes. L'organe oculaire, très volumineux, est porté souvent sur un pédoncule qui peut le tourner dans tous les sens. Si on examine sa surface, elle paraît comme une mosaïque dont les pavés sont souvent hexagonaux et plus rarement car- rés, comme cela se voit chez les Arthropodes. Ces facettes sont innombrables, on en a vu plus de 25,000 chez certains individus. Ceci dit de l'aspect de l'œil composé, coupons-le en travers. Nous constatons aussitôt qu'il est formé de petits corps qui vont en divergeant comme les branches d'un éventail. Pour les uns, chacune de ces sortes de branches est un œil à lui tout seul. En haut, il est formé d'une cornée rudimentaire au-dessus de laquelle se trouvent deux cellules chargées de la sécréter. Au-dessous de cette cornéule, se voit un cône transpa- rent, c'est le cône cristallin en rapport par son sommet avec un corps fusiforme de nature nerveuse et qui joue le rôle de rétine. Si bien que l'ensemble des cornéules forme la cornée, l'en- semble des cônes forme le cristallin, l'ensemble des corps fu- siformes donne la rétine. Chacun des cônes étant entouré 264 LA VIE DANS LES EAUX. d'une sorte de choroïde riidimentairc, formée de cellules pig- mentées, on peut aussi admettre que Tensemble de ces enve- loppes opaques forme une choroïde totale. Pour Patten, cette conception n'est pas vraie. L'œil que nous appelons composé est un œil unique. Au-dessous de la cornée C, se trouve une couche de cellules qui est chargée de la sé- Fig. 130. — Schéma de l'œil composé d'un Crustacé (d'après Patteii et Jourdan\ créter, D (fig. 130), cette couche reçoit le nom de hypodermis ommatial. Au-dessous de ces deux couches, se trouve une troi- sième couche (R) d'immenses cellules qui vont de la surface sous-cornéale jusqu'au fond de l'œil. Ce sont des ommatidies formées de cellules centrales claires et transparentes, remplies d'éléments nerveux axiaux et laté- raux. Ils sont absolument analogues aux rétinophores que nous avons observés chez les Arches. De sorte que ces cônes transpa- rents ne sont plus des instruments de réfraction de la lumière, ce sont plutôt des éléments de sensibilité, la cornéule servant seule au rassemblement, sur leur surface, des rayons lumineux. LA VISION DANS LES EAUX. 265 Pour terminer notre étude de l'organe visuel chez les animaux aquatiques, il me reste peu de chose à vous dire sur l'œil des Poissons. Chez les plus réduits de ces animaux, chez les Myxines^ par exemple, il est très rudimentaire et caché sous la peau. Ces êtres doivent être à peu près aveugles. Chez VAmphioxus^ l'œil est réduit, comme chez certains Mollusques, à une tache pigmentaire recouverte d'une cuticule servant de cristallin. Chez les Poissons supérieurs^ l'œil est presque ce que nous le voyons chez les autres Vertébrés. Le cristallin est sphérique et la cornée aplatie. — Ce dernier fait a sa raison d'être pour la vie aquatique même. Il est certain que la courbure de la cor- née a pour but, chez les animaux aériens, de colliger les rayons lumineux et de les réunir pour les faire traverser l'iris en plus grand nombre ; mais, dans l'eau, les rayons qui ont frappé la cornée passent sur l'humeur aqueuse qui a sensiblement le même indice de réfraction que l'eau extérieure, ils reprennent leur direction primitive. Le bombement de la cornée est donc inutile : il ne saurait même être que nuisible, car tous les rayons qui tombent sur sa face externe sont réfléchis et d'autant plus dispersés que cette face représente un miroir plus convexe. Le fait que la cornée des Poissons est plane peut donc être consi- déré comme un perfectionnement. Les seuls organes spéciaux à l'œil des Poissons sont : la glande choroïdienne formée d'un plexus de vaisseaux sanguins qui entourent le nerf optique, et le ligament falciforme, repli choroïdien qui traverse la rétine et s'avance dans le corps vitré à la manière du peigne des Oiseaux. Nous ignorons abso- lument le rôle de ces deux organes. Une modification curieuse des yeux est celle que l'on observe sur VIpnops murragi^ Poisson des grands fonds. Chez lui, les yeux apparaissent comme une sorte de cornée aplatie, divisée longitudinalement en deux moitiés, recouvrant toute la surface supérieure du museau. Au-dessous se trouve une chambre remplie de liquide, puis la rétine dont les bâtonnets ont leur extrémité libre tournée vers la choroïde. 266 LA VIE DANS LES EAUX. Cette description succincte de l'œil d'un Poisson des grands fonds vient à l'appui de ce que je vous disais en commençant. 11 y a certainement de la lumière dans les profondeurs puisque c'est précisément chez les êtres des grands fonds que nous trouvons les appareils de vision les plus développés. Les Pois- sons ramenés des abîmes ont des yeux énormes et particulière- ment perfectionnés. Ceux qui ont les appareils les moins parfaits sont justement ceux qui vivent dans les profondeurs moyennes. Si nous voulons, Messieurs, résoudre complètement le pro- blème de la vision dans l'eau, il nous faut maintenant nous demander ce que voient les animaux aquatiques et comment ils voient. D'abord, que voient-ils? Il est bien certain que la lumière du soleil et des nuées leur arrive bien affaiblie, puisque nous l'avons vue diminuer de moitié dès le premier mètre d'eau. A 4,000 mètres, il y a autre chose et cet autre chose c'est sans doute la phosphorescence. Un grand nombre d'animaux émettent sans cesse, soit par toute la surface de leur corps, soit par des organes spéciaux, une lumière assez vive pour impressionner fortement notre organe visuel et par conséquent celui d'animaux qui peuvent être plus sensibles que nous. Au large, le prince Albert de Monaco, voyant la mer phos- phorescente, a péché des masses de petits Crustacés lumineux qui couvraient la surface des flots. Vers le matin, ces myriades d'êtres disparurent et s'enfoncèrent dans les profondeurs. Or leur luminosité n'avait pas cessé pour cela, et ceux qui avaient illuminé la surface des flots éclairaient maintenant d'une lueur égale les parties plus profondes. Puisque dans la nuit la plus obscure ce fourmillement d'êtres lumineux nous suffit parfois à nous diriger sur la surface de l'Océan, puisqu'il est assez fort pour nous permettre d'apercevoir une épave d'assez loin, pour- quoi, au fond, ne servirait-il pas aux êtres qui vivent là, à perce- voir de loin les obstacles ou les animaux qui les menacent? Celui qui a assisté à l'embrasement intense que produisent LA VISION DANS LES EAUX. 267 les m.i\\ïai\h de No et iluqiies dans le phénomène dit: phosphores- cence de la mer, comprendra facilement que si cet éclairage se fait dans les fonds (et il s'y fait), il doit y régner une lueur bien plus intense qu'on ne croirait au premier abord. De récentes expériences, faites dans l'Océan, semblent reculer le point oîi pénètre la lumière solaire. Je ne serais pas étonné que les glaces sensibles immergées dans ces profondeurs y soient tombées dans le monde phosphorescent. Bien plus, nous savons aujourd'hui, à n'en plus douter, que des êtres très petits, très simples, mais encore plus innombra- bles que le sable de la mer, les Bactéries peuvent émettre une lumière intense [Bacterium liicens^ Bacillits phosphore us). Ces Algues vivent dans la mer et peuvent même s'attacher au corps des animaux morts ou vivants. Chez ces derniers, leur vie para- sitaire finit par constituer une véritable infection, sur laquelle Giard a longuement insisté; quoi qu'il en soit, ces Bactéries flot- tent dans l'eau, recouvrent les fonds d'une couche uniforme, les transforment peut-être en une nappe de lumière flamboyante et les points que nous croyons demeurer dans une profonde obscu- rité sont peut-être plus éclairés que ceux qui sont moins loin de la surface. En sorte que les êtres des abîmes recevraient de la surface de la terre la lumière que le ciel ne peut plus leur faire parvenir. Je ne m'enthousiasme pas pour cette idée au point d'oublier qu'elle est une simple vue de l'esprit ; mais peut-être sera-t-elle confirmée quelque jour par une expérience directe. Et, d'ailleurs, si le jour ne règne pas dans les abîmes de la mer, il doit y faire au moins aussi clair qu'il fait sur notre globe par une belle nuit étoilée ; car des êtres, répandant par des points brillants une lumière éclatante, sillonnent sans cesse les eaux. Les Méduses lumineuses s'avancent lentement. Enfoncées dans la vase, comme des végétaux, les Pewiatules phosphorées éclairent l'espace autour d'elles. Les grands Poly- piers forment de véritables forêts éclatantes de lumière. 268 LA VIE DANS LES EAUX. Et ne croyez pas que mon admiration exagère la vérité ; écoutez le marquis de Folin qui nous fait part de la surprise intense qu'il éprouva le jour où, pour la première fois, le cha- lut ramena ces merveilles à ses yeux. « Un soir, dit-il, que le chalut avait été mouillé assez tard par une assez grande profondeur, comme il ne pouvait rentrer à bord que le lendemain matin de bonne heure, chacun était allé dans son lit en attendant le retour de l'instrument. Il eut lieu vers trois heures, par un temps fort obscur; remontés sur le pont assez à temps pour le voir paraître à la surface de l'eau, il nous fut facile de reconnaître qu'il montrait de nom- breuses lueurs ; cette particularité n'inspira d'abord que peu d'intérêt, la mer présentant souvent les mêmes effets, lorsque quelque frottement ou quelque choc l'agitent. (( Mais combien la surprise fut grande quand on put retirer du filet un grand nombre de Gorgonidés ayant le port d'un ar- buste, et que ceux-ci jetèrent des éclats de lumière qui firent pâlir les vingt fanaux de combat qui devaient éclairer les re- cherches et avaient pour ainsi dire cessé de luire aussitôt que les Polypiers se trouvèrent en leur présence. « Cet effet inattendu produisit d'abord une sorte de stupéfac- tion qui fut générale, puis on porta quelques spécimens dans le laboratoire où les lumières furent éteintes. Dans l'obscurité profonde de cette pièce, ce fut pour un instant de la magie. Nous eûmes sous les yeux le plus merveilleux spectacle qu'il soit donné à l'homme d'admirer. De tous les points des tiges prin- cipales et des branches du Polypier s'élançaient par jets des faisceaux de feux dont les éclats s'atténuaient, puis se ravivaient pour passer du violet au pourpre, du rouge à l'orangé, du bleuâtre à différents tons de vert, parfois au blanc du fer sur- chauffé. Cependant la couleur bien dominante était sensible- ment la verte ; les autres n'apparaissaient que par éclairs et se fondaient rapidement avec elle. Si, pour aider à se rendre quel- que peu compte de ce qui nous charmait, je dis que tout ceci était bien autrement beau que les plus belles pièces d'artifice, LA VISION DANS LES EAUX. 2G0 on n'aura encore qu'une bien faible idée de l'effet produit, et pourtant je ne puis rien trouver d'autre pour comparer le phé- nomène. <( Poumons, il n'eut pas une longue durée! « La vie s'éteignait peu à peu chez ces animaux, la vivacité des éclats diminuait à chaque minute, les feux s'en allaient mourant avec l'organisme, ilu bout d'un quart d'heure, leur pâleur dernière disparaissait elle-même pour ne laisser au Polypier que l'aspect morne et sombre d'une branche dessé- chée. « Si l'on examine un petit fragment de ce Gorgonidé ou de cet Isis^ on voit en effet que son axe calcaire est bien peu de chose et que le sarcosome qui le revêt et projette la lumière ne peut avoir une grande épaisseur. Et cependant il était assez puissamment organisé pour jouer à la lumière électrique, aux feux d'artifice, je serais presque tenté de dire au soleil. Pour faire juger de cette intensité, nous dirons que d'une extrémité à l'autre du laboratoire, à une distance de plus de six mètres, nous pouvions lire comme en plein jour les caractères les plus fins d'un journal. » Au pied de ces végétations radieuses, serpentent les gran- des Etoiles de mer lumineuses. Qui ne connaît la fameuse Bri- singa qui vit à 1500 mètres et dont toute la surface tantôt gré- sille d'étincelles et tantôt émet une belle lueur fixe d'un bleu verdàtre ; des Ophiures éclatants rampent au milieu des brin- dilles des polypiers en feu, des Vers lumineux se glissent entre leurs troncs. Des myriades de petits Crustacés étincelants sillonnent l'es- pace comme les troupes de moucherons qui remplissent quel- quefois notre atmosphère. Ce sont eux qui viennent à la surface et font, avec les Noctiluques, ressembler la surface des flots à un bain de phosphore. Puis au milieu de tout cela passent lentement les Poissons lumineux, ces êtres bizarres dont les yeux lancent comme des flammes et qui dans les régions plus obscures semblent se faire 270 LA VIE DANS LES EAUX. précéder par des fanaux. D'autres ont leurs points lumineux vers la parlie postérieure de leur corps, d'autres sur de longs filaments qui flottent autour d'eux. Et si le flamboiement que quelques auteurs pensent exister dans les fonds n'est pas une réalité, il faut au moins admettre que, comme je vous le disais tout à l'heure, il y règne tout au moins une demi-lumière analogue à celle que nous avons dans notre atmosphère aérienne quand la lune est cachée et que le fond de la mer d'air sous laquelle nous vivons n'est éclairé que par le scintillement des étoiles. Or, nous savons très bien que cette lueur nous suffit pour nous diriger et qu'elle suffit aussi pleinement aux animaux chasseurs et nocturnes pour découvrir et poursuivre leur proie. Il y a donc assez dans tout cela pour nous expliquer l'existence d'appareils de vision très perfectionnés chez les animaux des abîmes. Quant à ceux qui vivent dans les premières centaines de mètres, il est bien certain que la lumière du jour leur arrive atténuée, mais suffisante pour leur existence. Maintenant que nous savons comment voient les animaux aquatiques, il faut que nous sachions ce qu'ils voient. Il faut avouer franchement qu'ici notre ignorance est pres- que complète. Les Mollusques, les Cœlentérés^ les Arthropodes, voient-ils avec la perfection de détail que nous retrouvons chez les Vertébrés ? C'est bien improbable. Il serait peu concevable que des yeux aussi rudimentaires que ceux que nous avons décrits chez ces êtres perçussent aussi bien les détails que le font les nôtres. Notre perfection n'aurait plus alors sa raison d'être. Et puisqu'ici nous ne pouvons conclure que par raison- nement et non par expérience, il nous faut bien admettre qu'un appareil incomplet fonctionne moins bien qu'un ap- pareil plus parfait. D'ailleurs les recherches que Plateau et que Forel ont faites sur les Insectes nous permettent d'induire que les êtres placés dans l'échelle au-dessous d'eux sont, moins qu'eux encore, aptes LA VISION DANS LES EAUX. 271 à percevoir les détails que Fœil parfait des Vertébrés est capa- ble de connaître. Il semble que, à part les Poissons, les êtres aquatiques ne voient que la forme et la couleur des corps. Une Ecrevisse s'avance au fond d'un ruisseau, vous pouvez la saisir facilement avec la main à la condition de vous placer de manière à ne pas faire d'ombre au-dessus d'elle. Mais si vous passez entre elle et la lumière, sans même la menacer, elle prendra rapidement la fuite. Nous avons déjà dit que l'ombre arrivant subitement sur les Mollusques lamellibranches les fai- sait rapidement fermer leurs valves. Il semble que dans certains cas les animaux inférieurs ont la perception de la couleur. Un pétale de coquelicot roule au fond d'un ruisseau, les Écrevisses sortent de leurs refuges et vont à lui croyant à quelque proie : une feuille verte ne produit nullement sur elles cet effet. Paul Bert a pu, par des expériences répétées et confirmées depuis par Merjskowski, démontrer que les animaux aquati- ques inférieurs voient les couleurs et les voient comme nous. Il a placé dans un grand bac parallélipipédique une grande quantité de Daphnies nageant dans de l'eau bien aérée. Ce bac était dans la chambre obscure, et sur une de ses faces on faisait tomber un spectre très pur. Or les Daphnies aiment la lumière. Dès que les couleurs du spectre les frappèrent, elles coururent se mettre sur la partie du bac que celles-ci éclairaient, laissant de côté les portions obscures. Elles voyaient donc bien la lumière ; mais il y a plus, elles la voyaient comme nous, car, négligeant de se placer dans le violet et dans l'ultra-violet, dans le rouge ou dans l'ultra-rouge, c'est dans le jaune, le vert, le bleu, c'est-à-dire dans les cou- leurs les plus éclairées qu'elles venaient se presser en masse. Il se passait là, dit Paul Bert, ce qu'on verrait sur une place pu- blique ou une grande foule d'hommes serait réunie pendant la nuit. Si on projetait un grand spectre solaire sur cette masse. 272 LA VIE DANS LES EAUX. VOUS verriez tous les gens se porter vers le jaune, pour voir, je suppose, l'heure à leur montre. Puisque les Daphnies font, avec leurs yeux composés, ce que nous faisons avec nos yeux simples, c'est qu'elles voient comme nous. Ce que nous savons sur ces phénomènes Je vision dans leau est assez complet quant à la description des appareils visuels et presque nul quant à la manière dont ils fonctionnent. Il fau- drait que cette étude tentât quelqu'un de ces savants qui vivent dans nos nombreuses stations zoologiques. Il pourrait faire là, sans un grand luxe d'appareils, un travail qui aurait peut-être plus d'intérêt que bien des recherches purement des- criptives. WOODS HOLE. MASS DIXIEME LEÇON LA CHALEUR Messieurs, Une des conditions physiques essentielles de l'existence des êtres vivants, c'est la chaleur. Tout animal, toute plante qui ne reçoit plus une quantité suffisante de vibrations calorifiques, tombe tout d'abord en vie latente et finit môme par succomber si la privation de calorique dure trop longtemps. Nous devons donc nous attendre à trouver dans les eaux une certaine quantité de chaleur dont les variations auront sur la vie une iniluence forcément considérable. Suivant l'ordre que nous avons adopté jusqu'à présent, nous allons examiner ensemble d'abord l'appareil expérimental qui nous a permis de nous rendre compte de la calorification des eaux, puis les résultats fournis par les expériences et enfin l'ap- plication à la biologie de ces résultats. Dès 1720, Marsigli cherchait à connaître la température des profondeurs. Aristote avait affirmé que la mer était plus chaude dans les fonds qu'à la surface. BufTon en 1750 avait au contraire remarqué qu'un plomb de sonde, venant de la profondeur, don- nait à la main une sensation marquée de fraîcheur. En 1749, Ellis prenait des températures profondes sur la côte d'Afrique. Il enfermait un thermomètre dans un tube de fer dont les deux extrémités se fermaient automatiquement quand le fond était atteint. Il ramenait donc, en môme temps que Reg.nard 18 274 LA VIE DANS LES EAUX. l'instrument, une certaine quantité d'eau à la température de la protondeur, ce qui maintenait le thermomètre sans variation et permettait de le lire avec l'espoir qu'il n'avait pas varié pen- dant son trajet à travers des eaux plus chaudes. Parrot, Forster, Cook, Irving et lord Mulgrave firent des me- sures avec le même dispositif. De Saussure, puis Pérou se ser- virent d'un thermomètre enveloppé d'une substance qui con- duisait mal la chaleur. A ce moment, on remarqua que la pression de l'eau pou- vait avoir sur l'exactitude du thermomètre une influence fâ- cheuse et, en 1832, Dupetit-Tliomas enveloppa le sien dans un tube de métal résistant et clos hermétiquement. Bravais et Martins agirent de mèrae, mais ils se servirent d'un thermomètre à maxima et à minima de Walferdin. Toutes les températures prises ainsi doivent êtres rejetées. Les tubes protecteurs ne tenaient pas, les appareils se réchauf- faient en remontant, le résultat que l'on lisait était toujours trop élevé. La théorie d'Arago d'ailleurs régnait alors en maîtresse; on pensait que le maximum de densité de l'eau de mer était à 4°. L'eau qui remplissait les abîmes devait donc être à 4° et, puisque les instruments de mesure étaient trop imparfaits pour le cons- tater, on l'admettait théoriquement. Malheureusement le maximum de densité de l'eau de mer n'est pas à 4°. On ne peut dire même à quelle température il est, car il varie avec la salure. Il n'est pas en un seul point ce qu'il est aux autres , car nous verrons que la salure est partout différente dans les Océans. Quand s'installèrent les grandes expéditions océanographi- ques du Lightning, du Porcupine et du Challenger, il fallut bien trouver des thermomètres précis qui fussent en rapport avec le merveilleux matériel qu'emportaient ces navires : la physique avait fait de grands progrès et les constructeurs Casella, Negretti et Zambra apportèrent les appareils à peu près parfaits dont il sera question tout à l'heure. LA CHALEUR. 275 Quand on veut prendre la température de la surlace de la mer rien n'est plus simple. On descend un seau au bout d'une corde, on ramène de l'eau, on y plonge un thermomètre et on lit. Dans la marine on se sert d'un tube à clapet qui permet d'aller cher- cher l'eau un peu plus pro- fondément, un peu au-des- sous de la surface qui reçoit directement les rayons du soleil (iig. 131). On a môme pensé (fig. 132) à disposer un thermomètre sur les flancs mômes du ba- teau ou sur les parois d'une • o"-::0 o FTlô & o l=J,0^-ôi o ol o ô D o; P 01 o œol o b .p ol o 0| o ô 0 ci o Fig. 131. — Seau à clapet pour pren- dre la température de la surface de la mer. Fig. 132. — Observatoire lliermomc- trique placé le long de l'estacade d'un quai. €stacade ; on a ainsi un observatoire fixe auquel on peut se re- porter constamment pour connaître à tout moment les varia- tions de la température de la mer. Les Allemands emploient dans leurs ports et dans leurs ob- servations maritimes un thermomètre du à Meyer. Cet instru- ment a été rendu aussi paresseux et aussi peu sensible que pos- sible par le procédé suivant : son réservoir est entouré d'une boule en caoutchouc durci, corps très mauvais conducteur de 276 LA VIE DANS LES EAUX. la chaleur. On le descend à la mer : il lui faut une heure et demie pour s'équilibrer avec la température de celle-ci. On le retire ensuite et on lit le degré qu'il marque. Il est évident que la lenteur avec laquelle ce thermomètre évolue permet de le retirer de l'eau sans qu'il change, mais cette lenteur même le rend tout à fait inapplicable à une expédition sur un navire. Les thermomètres que je viens de vous décrire ont d'ailleurs un défaut commun et capital. Leur réservoir de verre se laisse comprimer; il chasse alors le mercure dans le tube supérieur, ce qui donne des températures beaucoup trop élevées. En immer- geant un thermomètre à 3650 mètres il marque o° de trop. Voici une expérience typique et inoubliable. Je mets dans notre réservoir à pression un thermomètre à maxima dont l'index restera au point le plus haut qu'aura atteint le mercure. Je ferme l'appareil et je le pousse à 600 atmosphères, ce qui équivaut, vous vous en souvenez, à une descente de 6000 mètres dans l'eau. Puis j'ouvre, voyez le thermomètre; son index s'est élevé et est resté à 155° et l'eau de notre bloc est à 14°. C'est tout simplement que le réservoir de verre comprimé a chassé le mercure sans qu'il y ait la plus minime élévation de température. D'ailleurs vous pourrez reproduire le même résultat en pressant simplement sur le réservoir d'un ther- momètre avec vos doigts. Vous verrez le mercure sauter rythmiquement avec vos pressions. A partir du moment oii ce fait fut connu les constructeurs tâchèrent évidemment d'y remédier. C'est dans ce but que J. Paxton construisit, pour être im- mergé, un thermomètre composé de deux spires d'argent sou- dées autour d'une spire d'or; la contraction ou la dilatation d'une telle spire la fait s'enrouler ou se dérouler, et en plaçant à l'extrémité un style on peut lire ou même enregistrer les chan- gements de température. Seulement un pareil instrument, même composé de métaux inattaquables, ne séjourne pas impunément dans l'eau de mer, il est rapidement hors d'usage. Et puis, la différence de com- LA CHALEUR. 277 pressibilité des métaux qui le composent est telle que, dès 3000 mètres environ, il donne plus de 5° d'erreur. Aussi n'est-il plus employé du tout aujourd'hui. Wheatstone imagina pour le Porcupine un thermomètre très analogue, mais plus compliqué encore, il était relié au navire par un câble électrique et il répétait ses indi- cations sur un cadran situé à bord, on pouvait donc le lire sans cesse. Il eûtété parfait s'il n'eût été ni si cher, ni si délicat. C'est alors qu'intervint le thermomètre Miller- Casella dans lequel un réservoir superficiel sup- portait seul la pression et en préservait celui du thermomètre (fig. 133). Le thermomètre Miller-Casellaest formé d'un tube creux et fermé. A chacune de ses extrémi- tés se trouve un réservoir A et C. A est rempli d'un mélange d'alcool, de créosote et d'eau : au- dessous se trouve un grand index de mercure qui remplit toute la courbure inférieure du tube. Au-dessus on voit une nouvelle couche de li- quide qui finit par aboutir au réservoir C dont le haut est rempli d'une couche d'air qui sert de coussin pour permettre les mouvements du li- quide. Sur chacune des extrémités de la colonne mercurielle, se trouve un index de fer muni d'un ressort qui le fait rester à la place où le mercure Fig. i;j3. — Ther- le laisse. Slf '"""- Si la chaleur augmente l'alcool placé en A se dilate, il pousse le mercure vers C, ce qui fait monter l'index de ce côté. Si au contraire A se refroidit, le mercure monte de nouveau vers lui en entraînant l'index de son côté. C'est au fond le thermomètre à maxima et à minima dont se servent aujour- d'hui tous les jardiniers. Il en a les inconvénients. Il vous dit la plus haute et la plus O ^ O 278 LA VIE DANS LES EAUX. basse température qii'ilarencontre'es dans sa course à travers la mer, mais il ne vous indique nullement la chaleur d'une couche donnée. Je ne vous ai pas dit encore comment Faction de la pression se trouvait annihilée dans cet instrument. Autour du réservoir A se trouve une chemise de verre rem- plie d'alcool amylique au-dessus duquel on a laissé une huile d'air. C'est cette chemise qui porte la pression, et grâce à la bulle d'air elle ne la transmet pas au réservoir situé au-dessous. Malgré cet avantage, le thermomètre Miller- Casella a bien des inconvénients. D'abord, je viens de le dire, c'est un simple thermomètre à maxima et à minima. Ensuite il est délicat, il casse souvent, même après avoir été préalablement essavé à la presse hydrau- Fig. 134. — Méca- . ^ J S. J nisuie qui pré- lique. Le mouvement du navire, de la descente, crde'^'ia"pre"- ^t^., lait souvent remuer les index qui revien- sion le thennomo- neut dans des situations quelconques. Sans trG Mîllcr-Ctispll T 1 compter que souvent ces index tombent en A ou en C, ce qui fait que l'outil est à jamais hors de service. Malgré ces défauts le thermomètre Casella a rendu de grands services aux expéditions du Porcupine et du CJiûllenger. On en attachait des séries le long d'un cable qu'on immergeait. Mais la délicatesse de l'instrument, les ménagements qu'il fallait prendre étaient tels qu'on dut parfois passer une journée entière pour pratiquer une opération complète. Tous ces inconvénients ont à peu près disparu dans le ther- momètre presque parfait que nous devons à Negretti et Zambra (tig. 135). Il est formé d'un réservoir autour duquel se trouve une dou- ble chemise remplie de mercure et contenant une bulle d'air. C'est une application du système Miller-Casella. Au-dessous, se trouve la colonne mercurielle. Elle est rétrécie en un point A, au-dessous duquel se trouve une sorte de diver- LA. CHALEUR. 279 Él\ fin. i| m ticulum en forme cF ampoule. Supposons qu'on retourne le ther- momètre. La colonne se rompra en A et tombera en R. C'est la hauteur de cette colonne, qu'on lira dès lors à l'envers, qui indiquera le degré de température. Elle est du reste d'un calibre assez petit pour que les variations de longueur qu'elle su- bira à la remontée, si elle rencontre des couches chaudes, soient tout à fait insignifiantes. Tout le mécanisme consistera donc à faire retourner le thermomètre au moment voulu. On a employé pour cela plusieurs procédés. Dans le plus simple, le premier employé, le thermomètre était attaché sur une planchette liée au câble de la sonde. La rapidité de la chute du plomb était telle que la planchette ne la suivait pas, le thermomètre restait droit (fig. 136). Quand on relevait le plomb, la planchette tombait (fig. 137) et le thermomètre se trouvait par ce fait môme retourné. C'était bien simple, mais que d'accidents pouvaient survenir? Un arrêt dans la descente, un simple ralenlissement suffisaient pour re- tourner le thermomètre prématurément et un instrument excellent se trouvait donner des résultats déplorables. L'amiral Magnaghi proposa un procédé beau- coup plus simple. Le tube de cuivre qui contient le thermomè- tre T est contenu dans un cadre en cuivre A Fig. i35. — Ther- /r> «oo\ Ti j. • X 1 1 momètrc Negretli (hg. 138). 11 peut pivoter dans ce cadre. et Zambra. En haut se trouve une hélice qui, en tour- nant, se visse elle-même sur la plaque D qu'elle finit par tra- verser. Son prolongement s'enfonce dans l'armature du thermo- mètre qu'elle tient redressé. 280 LA VIE DANS LES EAU.K. Quand on descend l'appareil le long du cable F, dans l'eau, riiélice tourne dans un tel sens qu'elle tend à se visser et par Fig. 13G. — Premier procédé eniploj'é pour le retournement du thermomè- tre Negretti. — Position du thermo- mètre à la descente. Fig. 137 . — l'osition du thermomètre quand on le remonte. conséquent à fixer le thermomètre. Mais, dès qu on remonte, riiélice II se met à tourner en sens contraire, elle se dévisse, finit par abandonner le thermomètre qui pivote par son propre poids, et se trouve retourné. LA CHALEUR. 281 Un ressort placé en A le fixe dans sa nouvelle position. La figure 139 représente la même disposition d'appareil ap- pliquée à une autre forme du thermomètre Negretti. T éLo Fig. 138. — Appareil à retournement Fig. 130. — Dispositif destiné à produire de l'amiral JMagnaghi. le retournement d'un thermomètre Negretti. Comme il peut arriver que l'hélice ne se mette pas en mouve- ment, que la vis se rouille et ne fonctionne pas, on a imaginé de retourner le thermomètre au moyen d'un anneau messager envoyé autour du câble de descente. C'est ainsi qu'on procédait à bord de V Hirondelle et abord du Talisman. 282 LA VIE DANS LES EAUX. Ce thermomètre était tenu à angle par un fil de chanvre que cassait le messager en arrivant, le thermomètre se retournait aussitôt et à coup sûr. En disposant le long du câble une suite de thermomètres, on avait de cette sorte la série de toutes les températures des couches d'eau en une seule opération. Le messager cassait successivement tous les fds des appareils et il était assez large pour que ceux-ci pussent facilement passer dans son anneau (fig. 57). Je ne vous parle ici, Messieurs, que pour mémoire de Fins- trument électrique proposé par AV. Siemens, instrument qui fut utilisé sur le Blake et dont on ne s'est plus servi ensuite tant il est délicat à manier à bord d'un navire. Il était basé sur la résistance électrique d'un fil variant avec sa température. Deux bobines de résistance égale étaient rattachées à un pont de AVheatstone. L'une des bobines était plongée dans la mer au bout d'un cable électrique contenant deux fils très soigneuse- ment isolés. La seconde, placée sur l'autre branche du pont, était retenue à bord et plongée dans un bain d'eau ordinaire. Le pont était en rapport avec un Tbomson marin et un courant fixe était envoyé dans tout l'appareil. Le miroir déviait, car les deux bobines, étant à des températures différentes, offraient au courant une résistance différente. On ajoutait alors de la glace dans le bain où plongeait la bobine n° 2, jusqu'à ce que le miroir fût revenu au 0°. A ce moment les deux bobines étaient certainement à la môme tem- pérature, il suffisait donc de prendre la température du bain du bord, c'était celle de la région où plongeait la bobine im- mergée. C'était bien compliqué, inapplicable pendant les temps un peu gros et le long fil métallique du cable prenait des tempéra- tures qui n'étaient pas celles de la région où plongeaient les bobines : les résultats étaient, de ce chef, altérés. En attendant mieux, on ne se sert aujourd'hui que de l'ap- pareil Negretti et Zambra. De quelque manière qu'on ait recueilli la température, il LA CHALEUR. 283 faut la représenter en courbes ou en schémas qui seuls peu- vent donner une notion de la réalité, les longues colonnes de chiffres ne représentant rien du tout à l'œil ou à l'esprit. Si on veut représenter les différentes températures d'une même couche horizontale de l'Océan, on prend la carte de cet Océan et on y marque des isothermes formées par la jonction IM IM Fig. 140. — Planisphère représentant, par teintes équivalentes, les températures de la surface des différents Océans. des points où l'observation a montré qu'il existait une même température (fig. 140). Si on veut représenter la température d'une tranche verti- cale en un point donné, on se sert d'un quadrillage sur lequel on prend les abscisses pour marquer la profondeur et les or- données pour la température. La courbe se trouve alors être par sa forme la représentation exacte des variations de la tem- pérature. Il y a, dans les/?e;?or^.ç du Challenger^ 258 courbes de cette nature. J'en reproduis une ci-contre, réduite par la pho- togravure (fig. 141). Elle vous montre avec quel soin les son- dages étaient faits ; elle vous donne aussi une idée de la dé- 284 ■ LA VIE DANS LES EAUX. croissance de la température avec la profondeur dans les eaux océaniques. Enfin quand on veut représenter, non plus la variation de la 1 -S <0 s -^ 3 <^ -^ |5 ;: ;- ~ î -7 : 8 l i p. 1 l 5 : ; i : 1 * ^ d î ^ i ; z. % • i i î: i ; : 5 i ,x - d - £ i i t 1 i ' 1 « î 2 1 i i Jf " " ■É i i : : j î ^ § î É ; i = î s 2 f °1 ^ î ^ ' ; è 3, i î 1 l 1 " S : t ; ; " S !• i * * i 3 " £ !J ? • ■S i - -1 î ^ 4 s • ç : S 5 " 1 S, !: i i " - i s t s ; i * î 2 1 1 ^ ; *i s S S ;^ 3 ; 5 ' £ i î ^ ^ ^ l r i i' i î ï i -: s £ 0 i i s 4 î =1 II S' H ^jg^^ tl^ïï Mu^:4CT- hiii iii'4T^I 1 i ! 1 1 ' g::::::::g + :::::tî:::::;;| :::::::::T::f::::±::::::j±:::i- wf+Ç:x:::::::::::::±:±::4:--j-- 1 Pi N mil _™.-i i i """'Tirrrr ""' n r ^ 9 ■? "::» 'Si ^ î. W es = ^ C3 o '^ a a, ;ii "^ o ^n Ch — * ^ CJ c; •^ D ^ 3 o a q Oj aj w o fa température sur un seul point vertical, mais bien la variation de toute une tranche d\m Océan d'un point à un autre, on réunit tous les sondages exécutés sur cette tranche, soit à une profondeur donnée, soit sur le fond variable, comme cela est LA CHALEUR. 285 montré par la figure 142, qui indique les différentes tempéra- tures du fond de l'Océan comparées à la hauteur de ce fond lui-même, laquelle est figurée par la courbe inférieure. Temp" Fig. 142. EntCad. et Motfador 0» 1000 2000 3000 "tOOO sooo GOGO Itnt.Mo^aJon Entre les Canarîès et" I et lesCanaptes, les Ilesdu Cap Vert. EntnltsIMuCapVert; et les Açores. tntrelesAçores et Rochefo'-l c^ ip S> o' iTÏ^ "T r Tracé du fond correspondant au t,race de^ températures Courbes des températures prises à travers l'Océan Atlantique par le Talisman. C'est avec ce matériel et ces procédés qu'on est arrivé, par un nombre considérable de sondages, à connaître la tempéra- ture dans un grand nombre de points des mers et à en faire la topographie calorifique. Aujourd'hui encore, et en dehors de toute expédition scien- 286 LA VIE DANS LES EAUX. tifiqiie spéciale, les capitaines de plusieurs lignes de paquebots relèvent avec soin les températures de l'eau sur leur trajet et l'océanographie tire de leurs résultats des connaissances pré- cieuses pour rétablissement de la carte des courants. Examinons donc tout d'abord ce qu'est la température à la surface. Elle dépend d'un nombre très considérable de circonstances variables : les courants, la conductibilité de l'eau, les vents ré- gnants, les chutes de pluies, la communication avec les mers glaciales, l'action même du soleil. Il y a peu à attendre pour réchauffement des couches supei*- ficielles de la pénétration des rayons solaires. Nous savons en effet que, tout en se laissant traverser par les rayons calorifi- ques, l'eau en arrête une quantité considérable. Les physiciens ont étudié particulièrement ce phénomène et ils ont vu que, dès le premier millimètre d'eau, la plus grande parlie des rayons calorifiques est absorbée. Supposons une quantité de chaleur égale à 100" envoyée par du platine incandescent. On la fait traverser un millimètre d'eau, 94 parties sont immédia- tement absorbées et 6 seulement continuent leur trajet. Il en résulte que le second millimètre d'eau ne reçoit que 6/100 de la chaleur envoyée. Seulement cette chaleur pourra suivre sa route dorénavant sans subir d'absorption bien notable ; le second millimètre ne la diminuera que faiblement et ainsi de suite. Elle est dite dès lors thermanisée. La réflexion à la surface, l'absorption dès le premier milli- mètre sont donc cause que la quantité de chaleur solaire rayon- nante qui pénétrera dans les fonds est insignifiante. Nous avons voulu répéter pour l'eau de mer en couche un peu épaisse ce qu'avaient vu les physiciens pour l'eau distillée et nous nous sommes servi d'un dispositif très analogue à celui que nous avions employé pour l'étude de l'absorption de la lumière. En L (fig. 143) se trouve la source de chaleur lumineuse Vig. 143. — Appareil pour étudier la pénétration de la chaleur rayonnante à ti'avers des couches d'eau de mer de plus eu plus épaisses. 288 LA VIE DANS LES EAUX. ({ni tantôt était la lumière électrique, tantôt la lumière oxhy- drique. Cette dernière même nous semble préférable à cause de sa fixité plus grande. Les rayons calorifiques parallèles étaient envoyés sur un mi- roir M incliné à 45 degrés ; ils étaient par conséquent réflé- chis verticalement et envoyés à travers un grand tube T noirci intérieurement et ayant 1 mètre de haut. Parallèlement à ce grand tube et commuryquant avec lui se trouvait un tube t en verre, gradué, permettant de mesurer exactement la hauteur de l'eau dans le tube T. Deux robinets RR' permettaient d'intro- duire Feau de mer dans l'appareil. A la partie supérieure, se trouvait une pile thermo-électrique de Melloni munie de son collecteur P et communiquant par des fils avec un galvanomè- tre. Dans la réalité le galvanomètre était placé à une grande distance de l'appareil et ses indications lues avec un viseur. Le dispositif étant ainsi organisé on lançait le rayon lumineux à travers le tube vide. La quantité de chaleur qui agissait sur le galvanomètre était celle qui avait résisté à l'absorption par le miroir M et par la glace garnissant le fond du tube. On notait la déviation galvanométrique, puis on introduisait une couche d'un décimètre d'eau. Nouvelle lecture du galva- nomètre et ainsi de suite de décimètre en décimètre jusqu'à 1 mètre en procédant très vite pour éviter réchauffement de l'eau et des parois de l'appareil. Si nous appelons 100 la quantité de chaleur qui avait tra- versé le premier décimètre d'eau, 70 sera celle qui subsistera après le deuxième, 55 après le troisième, 50 après le quatrième, 45,5 après le cinquième, 43 après le sixième, 41 après le sep- tième, 40 après le huitième, 39 après le neuvième, 38 1/2 après 1 mètre. La chaleur thermanisée n'aura donc été diminuée que de 6 dixièmes par son passage à travers 1 mètre d'eau. C'est ce que représente la courbe qui contient les résultats que nous venons d'exprimer et qui est figurée ci-contre (fig. 144). Mais il n'en est pas de même de l'absorption de la chaleur LA CHALEUR. 289 totale : si en effet nous représentons par 100 la quantité de chaleur qui a traversé le premier millimètre d'eau, nous devrons représenter par 2,000 la quantité de chaleur tombée sur le mi- roir M et sur la glace qui ferme le tube. Fig. 144. Graphique exprimant l'absorption de la chaleur par une couche d'eau de mer d'épaisseur toujours croissante. Ces expériences et les chiffres qui en résultent sont donc éloquents pour nous. Ils nous démontrent que ce n'est qu'à la surface que les rayons solaires échauffent i'eau des Océans d'une façon notable et que les profondeurs demeureraient gla- cées, s'il ne se faisait une circulation et un brassage continuels dans la masse des mers. C'est, d'ailleurs, ce que la suite va nous démontrer. Regnakd. 19 290 LA VIE DANS LES EAUX. Si nous examinons la température de la surface même de la mer nous la trouvons plus faible aux pôles qu'à l'équateur ; il fallait nous y attendre. La diminution se fait d'abord lente- ment entre les tropiques, puis d'autant plus rapidement qu'on s'élève davantage en latitude. Un principe reconnu de tout le monde c'est qu'une mer est d'autant plus froide qu'elle communique plus librement avec les Océans polaires. C'est ce qui fait que l'hémisphère nord a des mers moins froides que l'hémisphère sud. Dans le premier, en effet, la calotte polaire n'est en communication que par le détroit de Bering avec le Pacifique et il y a un v^éritable seuil sous-marin entre l'Ecosse et la Norvège, Au sud, au con- traire, la mer glaciale est largement ouverte dans l'Atlantique et dans le Pacifique. Nous ne saurions rendre compte ici de toutes les prises de température qui ont été faites dans les mers ; elles sont innom- brables. La température moyenne la plus élevée qu'on ait étudiée est dans l'Amérique du sud, entre Cayenne et le Para et sur la côte d'Afrique entre Freetown et Gap-Goast-Castle. Elle est là de 28°. L'Atlantique nord a une température moyenne, à sa surface, de 20°, 7 et l'Atlantique sud de 17°, 5. Le Pacifique est mal connu, mais il est moins chaud dans le Nord que l'Atlantique et moins froid aussi que lui dans le Sud. Dans les mers glaciales, la température peut tomber à — 3°, 5, température de congélation de l'eau salée. Elle peut aller, comme cela se voit dans la mer Rouge, jusqu'à + 32° : il y a donc près de 36° de différence entre les points extrêmes. Le nord de l'Océan Indien, les mers de l'Insulinde, le golfe du Mexique et la mer Rouge sont les points où l'eau de surface se montre surtout chaude. Si, de l'étude de la température en surface, nous passons à celle des divers étages thermiques suivant la profondeur nous arrivons à des résultats beaucoup plus intéressants. LA CHALEUR. 291 Pendant longtemps, à l'époque surtout où on raisonnait au lieu d'expérimenter, on admit que le fond des mers devait être uniformément à 4". C'est à cette température qu'est, disait-on, le maximum de densité de l'eau de mer. L'eau la plus lourde tombant naturellement dans les fonds, ceux-ci doivent être à 4°. En 1840 et 1843 James Ross et Ilerschell soutenaient ardem- ment cette manière de voir. Elle péchait par un point : le maximum de densité de l'eau de mer n'est pas à 4°, il est bien au-dessous, il varie avec la quantité de sel dissous et peut tomber, dans l'eau de mer naturelle, à — 3", 5. Il ne faut donc tenir, dans l'espèce, aucun compte de ce que fournit le raison- nement et ne s'occuper que des résultats obtenus par les im- mersions thermométriques. Dans son remarquable traité d'océanographie, Bogulawski a formulé les lois qui régissent la distribution de la température dans les profondeurs. Thoulet les a reproduites et je les lui emprunte. Elles expriment les résultats de tous les sondages thermométriques. I. La température de l'eau de mer diminue en général de la surface au fond, d'abord assez rapidement, ensuite très lente- ment jusqu'à une profondeur commençant selon les localités de 700 à 1,100 mètres et où règne une température +4°. De là elle s'abaisse encore plus lentement jusqu'au fond. Au fond, sous les zones tempérées aussi bien que sous les zones tropi- cales, dans les grandes profondeurs atteignant 3,300 mètres, elle est généralement comprise entre 0° et H- 2°, dans les ré- gions polaires elle descend jusqu'à — 2°, 5. IL La température de chaque portion du sol sous-marin et de la couche d'eau plus ou moins épaisse qui la recouvre immédiatement et est en libre communication avec l'une ou l'autre des mers polaires est inférieure à celle qui résulterait de la température moyenne d'hiver la plus basse à la surface; elle est à peine plus élevée que celle du fond dans les mers polaires. III. L'abaissement général de la température dans les grandes 292 LA VIE DANS LES EAUX. profondeurs ne peut résulter des courants froids de surface relativement peu puissants qui, sortant des mers polaires, coulent vers re'quateur pour compenser les courants chauds de dérive arrivant des latitudes basses. Cet abaissement est la conséquence d'un mouvement des pôles à l'équateur, puissant mais lent, de toutes les couches d'eau inférieures dont l'épais- seur à partir du fond est d'environ 3,660 mètres. Les eaux profondes froides, aux latitudes basses et même à l'équateur, sont ainsi soulevées jusqu'à la surface. IV. Plus la communication avec les mers polaires est consi- dérable et libre et plus les températures des profondeurs et du fond sont basses. Dans le Pacifique et l'Océan Indien, à latitude et à profondeur égales, elles sont en général inférieures à celles de l'Atlanlique en communication moins libre avec l'Océan Antarctique. De même les portions méridionales des Océans sont plus froides que les portions septentrionales parce que la communication avec la mer polaire du nord, quand elle n'est pas nulle comme pour l'Océan Indien, est beaucoup moins libre que celle avec la mer polaire du sud. V. La température du fond, dans les mers polaires, est de — 2° à — 3% dans leur voisinage 0° à — l^o; aux latitudes septentrionales moyennes et inférieures, à une profondeur va- riant de 3,640 à o,oOO mètres de -{- 1° à+2^ sous l'équateur et aux latitudes méridionales, elle est fréquemment inférieure, car elle ne dépasse guère 0° et est même souvent plus basse. YI. Par suite de circonstances physico-géographiques locales et de la forme du relief sous-marin, on constate dans certaines parties des Océans des phénomènes différents de ceux énoncés plus haut. a. Dans les mers polaires et sur leur rivage, la température à la surface et aux faibles profondeurs est quelquefois inférieure à celle des couches plus profondes ; souvent aussi une couche plus Iroide se trouve intercalée entre deux couches plus chaudes. h. Dans les mers intérieures profondes qui sont, comme la LA. CHALEUR. 293 Méditerranée, par exemple, isolées de FOcéan par un seuil sous-marin, la distribution de la température depuis la surface jusqu'au fond offre des conditions spéciales. La température diminue depuis la surface jusqu'à la nappe d'eau commune à l'Océan et à la Méditerranée, mais, de là jusqu'au fond, elle demeure invariable et égale à la température d'hiver la plus Océan Mêdùemanér 1000 20po 3000 +000 Fig. 145. — Coupe à travers le détroit de Gibraltar. basse. La figure 145 montre une coupe longitudinale du détroit de Gibraltar. Telle est la raison pour laquelle les grandes pro- fondeurs de la Méditerranée et de la mer Rouge sont chaudes tandis que celle de la mer d Okhotsk sont froides. c. On observe les mêmes phénomènes dans la portion occi- dentale du Pacifique et dans l'Archipel des Indes orientales, dont le fond, à partir d'une certaine profondeur, est isolé de la communication avec l'Océan par des récifs ou des élévations sous-marines. Depuis cette profondeur jusqu'au fond, on trouve en effet une température égale à celle de l'Océan à la même profondeur. Je dois vous dire. Messieurs, qu'une grave objection a été faite à la théorie de la circulation océanique posée en loi par Bogulawski. Elle vient de Thoulet qui a fait remarquer que, pour admettre la circulation océanique telle que nous venons 294 LA VIE DANS LES EAUX. de l'énoncer, il faut supposer que le fond de l'Océan est abso- lument lisse et plan. Si en effet il s'y trouve une vallée, un trou profond, rempli d'eau, cette eau a dû depuis longtemps prendre une température invariable. On ne voit pas dès lors pourquoi elle prendrait part à la circulation océanique. Celle-ci doit glisser dessus ; les fondrières de la mer, si je puis dire ainsi, sont pleines d'une eau qui ne bouge pas depuis des siècles, on a dit d'une eau fossile pour exprimer qu'elle est là depuis les périodes géologiques, comme il existe dans les mers glaciales de la glace qui n'a jamais fondu et qui date de l'époque où elle a emprisonné dans sa masse les débris des Mammouths. Thoulet, pour défendre son opinion, s'appuie encore sur un fait. On trouve, dans les grands fonds, des rognons magnésiens dont nous avons eu l'occasion de parler. Ils ont une texture qui ne laisse aucun doute sur leur origine cristalline. Or, on ne comprend pas bien une cristallisation qui se passe dans un milieu toujours en mouvement. Thoulet admet donc que la circulation océanique, sous l'in- fluence de la chaleur, est réelle, mais qu'elle n'a lieu qu'à la surface, que les grands fonds n'y prennent aucune part et que la température qui y règne est en dehors des causes jus- qu'à présent connues. Nous avons voulu placer sous vos yeux les pièces du procès, l'avenir dira qui a raison, quand de nouvelles preuves auront été apportées par chacun des partis. Pour être complet nous devons maintenant dire quelques mots de ce qu'est la température dans les eaux douces. Et d'abord que se passe-t-il dans les embouchures, dans les endroits où l'eau venue des rivières se mélange à celle des Océans? Ce point est intéressant pour le biologiste puisque nous ver- rons bientôt que, dans ces régions, des animaux aquatiques vont de l'eau douce à l'eau salée, à des époques fixes et dé- terminées. Hugh Robert Mill a étudié particulièrement ce qui se passe à ce point de vue dans le Firth of Forth. En hiver la LA CHALEUR. 295 rivière est plus froide que la mer : la température va donc en montant au fur et à mesure que Teau s'engage dans cette der- nière. En été c'est exactement le contraire qui a lieu, mais alors Teau de la surface est toujours plus chaude que celle du fond. Il y a naturellement dans Tannée, au printemps et à Tautomne, deux périodes où l'eau a exactement la môme température dans le fleuve, la mer et l'estuaire : au bout de quelques jours, la di- vergence que nous avons indiquée se produit tantôt dans un sens, tantôt dans l'autre, suivant la saison qui survient. Les eaux douces sont collectées en lacs ou bien elles coulent sous forme de fleuves, de rivières, de ruisseaux, de torrents : elles ont pour origine la fonte des glaciers ou bien la chute des nuées, elles sourdent alors dans le sol et apparaissent sous forme de fontaines. Les eaux qui résultent de la fonte des neiges sortent du gla- cier à la température de 0". Peu à peu, descendant sur le flanc de la montagne, elles se réchaufl"ent, absorbent les rayons so- laires ou se mélangent à des eaux déjà chaudes. Plus leur cours est rapide, plus naturellement elles arrivent froides à la mer. Les eaux des fleuves plats et lents ont au con- traire le temps de s'échauffer fortement. Le contraste est frappant entre les deux grands fleuves qui se réunissent à Lyon. En été, le Rhône est beaucoup plus frais que la Saône bien que celle-ci ait un cours bien moins long, de- puis sa source, et qu'elle n'ait pas traversé un lac comme le Léman oîi les eaux ont tout le temps de se réchaufi'er. C'est que la Saône coule avec une grande lenteur, ses affluents aussi : tandis que le Rhône coule vite et reçoit, depuis sa sortie du lac de Genève, un grand nombre d'affluents torrentueux qui n'ont pas eu le temps, vu la rapidité de leur course, de se réchauffer au soleil. Les services météorologiques prennent assidûment la tempé- rature des grands fleuves. C'est ainsi qu'à Paris on relève soi- gneusement la température de la Seine et celle de la Marne. Les eaux ont, en été, une température inférieure à celle de l'air ; mais 296 LA VIE DANS LES EAUX. l'inverse se voit en hiver : au printemps et à Tautomne se trouvent un petit nombre de jours où les deux courbes se croi- sent et où il y a égalité. Quand les eaux douces se collectent en lacs, elles se condui- sent comme des mers au point de vue de la température, avec cette différence cependant qu'ici le maximum de densité de l'eau est bien de 4° et que le fond est bien recouvert d'eau à cette température fixe. Il résulte môme de ce fait que quand les lacs gèlent à leur surface, les êtres vivants trouvent toujours une zone libre à une température favorable dans laquelle ils peuvent se retirer, rien qu'en se laissant couler au fond. Forel a fait du Léman une étude qui peut passer pour le mo- dèle à suivre en cette sorte de choses. Il reconnaît à ce lac trois zones : la zone profonde (au-des- sous de 100 mètres). C'est celle-là qui reste à 4° à peu près sans variations. La couche moyenne va de 10 mètres à 100 mètres. Celle-là varie, car, pénétrée par la lumière, elle s'échauffe et le lac se stratifié, les couches les plus froides gagnent la profondeur pen- dant que les plus chaudes restent à la surface ; mais cette stra- tification met toute une saison à se faire ; à la saison suivante, elle se fait en sens inverse. La couche superficielle va de 0 mètre à 10 mètres. Celle-là s'échaufl'e le jour, se refroidit la nuit et cela quoti- diennement. Il est bien entendu que cette stratification est un peu théo- rique, car elle peut être dérangée par l'arrivée en un point du lac d'un affluent glacé ou par de simples coups de vent qui élèvent les eaux et les mélangent. La manière dont varie la température de la couche superfi- cielle n'est pas la même sur le bord des lacs et dans la région pélagique. Dans la région pélagique l'eau se place par strates de moins en moins chaudes. Sur les bords au contraire la faible profondeur ne permet guère le mouvement d'ascension du li- quide, l'eau stagnante s'échauffe en été, elle se refroidit vite en LA CHALEUR. 297 hiver : c'est toujours par les bords que commence la con- gélation. Il résulte de ce fait ce singulier phénomène qu'a décrit Fo- ret et qu'il a appelé la barre thermique des lacs. Supposons que l'air soit à 0". Le bord peu profond se met en équilibre avec lui et se trouve à 0°,S je suppose : un peu plus loin se trouve une couche à 1°, puis à 2", à 3° et enfin à 4°. Mais nous ne pouvons aller plus loin, car celle-ci se met à couler au Fig. 146. — Barre thermique des lacs. fond, étant plus lourde que les autres et elle vient former une sorte de barre verticale entre la zone littorale et la zone péla- gique. Le schéma de la figure 146, que nous empruntons à Fo- ret, exprime fort bien ce phénomène de la barre thermique, d'ailleurs constatée par tous les sondages que l'on a faits sur les lacs qui se refroidissent. Si la température est très basse, toute la surface du lac passe au-dessous de 0°. La barre thermique est détruite et le lac se gèle. Les lacs norvégiens et finnois, les lacs des régions alpines supérieures se gèlent tous les ans. La môme chose se voit sur les lacs étages des Pyrénées. Cer- tains mômes ne dégèlent jamais (lacs d'Estom Soubiran). A côté des lacs glacés ou froids on en voit quelques-uns qui sont d'une température très supérieure à la normale. Ils sont alimentés par des eaux thermales et peuvent arriver aux en- virons de 100". On a signalé à l'île Dominique un lac au centre duquel se 298 LA VIE DANS LES EAUX. trouve un geyser d'eau bouillante. La température de ce lac est, au bord, de 180° Falir. Sans aller si loin, de nombreuses sources thermales jaillis- sent des montagnes qui nous entourent, leur température est souvent très élevée (81° à Chaudesaigues) et souvent elles con- tiennent des êtres vivants. C'est ainsi que des Algues, les Sul- furaires, peuvent habiter des sources dont la température dé- passe 45°. Une Algue verte, la Nérisine^ se rencontre dans les bassins de Néris ; elle vit et prospère aune température qui dépasse 45°. Il y aurait des travaux extrêmement intéressants à faire sur les conditions physico-chimiques de cette existence. Tout ce que nous avons dit jusqu'à présent nous a fait con- naître la température à laquelle peuvent se trouver exposés les êtres aquatiques. Nous savons quelle est la normale chaleur du milieu qu'ils habitent. Mais ce que nous ne savons pas encore, c'est comment varie ce milieu. Il y a bien quelque intérêt à rechercher si les varia- tions sont brusques, s'il survient des à-coups comme nous en supportons dans notre milieu aérien ou si, au contraire, les animaux aquatiques sont soumis à une température invariable ou du moins ne variant qu'avec une extrême lenteur. Il faut, pour arriver à cette notion, que nous construisions un appareil particulier qui nous permette d'enregistrer la tempé- rature du milieu aquatique au fur et à mesure de ses change- ments. G. Pouchet à déjà eu cette idée. Il a construit un thermo- mètre enregistreur qu'il a plongé dans la baie de Concarneau (Finistère). Cet appareil était composé d'une forte et solide boîte de fonte que l'on pouvait fermer au moyen d'une plaque boulonnée ; dans l'intérieur se trouvait un cylindre mû par un mouvement d'horlogerie. Sur ce cylindre, écrivait une plume que pouvait d'autre part soulever ou abaisser une spirale élas- tique remplie d'alcool. A cette spirale aboutissait, par un tube, l'alcool renfermé dans un cylindre de fer placé dans l'eau au- LA CHALEUR. 299 dessus de la boîte et formant réservoir thermométriqiie, quand ce réservoir s'échauffait il chassait son alcool dilaté dans la spirale qui élevait la plume enregistrante. Le contraire avait lieu quand le cylindre se refroidissait, et ainsi se trouvait écrite à toute minute la température du milieu ambiant, c'est-à-dire de la mer. Cet instrument est passible de deux objections. D'abord, quand on l'immerge il supporte autant d'atmosphères qu'il y a de fois au-dessus de lui 10 mètres d'eau. Si bien que la plaque de fer- meture tienne, il y a donc des chances pour que l'eau de mer pénètre et perde tout : de ce fait on ne peut l'envoyer qu'à de faibles profondeurs. Mais bien plus, le cylindre-réservoir est en dehors de l'appareil. Il supporte donc une pression différente de celle de la spirale dans laquelle il envoie son liquide dilaté. De sorte que, si la pression sur ses parois devient forte, il peut se déformer, même modérément, et injecter de ce fait de l'alcool qui fera croire à une grande élévation de température alors qu'il n'y aura eu qu'élévation de pression. Le thermomètre enregistreur dePouchet ne peut donc servir que dans la zone littorale où il l'a d'ailleurs employé et non dans les fonds un peu grands. C'est pour remédier à cet inconvénient que j'ai imaginé l'ap- pareil que je vais maintenant vous décrire (fig. 147). Un cylindre A en cuivre mince est hermétiquement fermé par une plaque D qu'il est possible de serrer par des boulons sur une bague de caoutchouc. C'est dans ce cylindre que se trouve placé l'appareil enregistreur de la température T. Il est com- posé d'un rouleau tournant, sur lequel se place un papier qua- drillé où les jours et les heures sont en abscisses et les tempé- ratures en ordonnées. Une spirale de cuivre remplie d'alcool porte une plume qu'elle fait mouvoir quand elle se tord ou se développe sous l'influence des changements de température. Cette disposition met l'appareil, tout d'abord, à l'abri de tout changement de pression sur la spirale. L'appareil lui-même est tout entier préservé de l'influence qu'aurait sur lui la pression 300 LA VIE DANS LES EAUX. résultant de son immersion à une assez grande profondeur par le ballon compensateur B dont nous avons fait déjà connaître le rôle. Le thermomètre est fixé sur un lourd plateau E, porté lui-même sur quatre pieds pointus G; enfin quatre chaînes so- lides le rattachent au câble G qui sert aie descendre. Les pieds G s'enfoncent dans la vase, et donnent à Tappareil une assise suffisante pour qu'il résiste au mouvement d'ailleurs léger qui se passe dans les fonds. Notre appareil étant ainsi disposé, nous l'avons, pendant une année entière, immergé dans la rade du Havre et ici je dois dire un mot des difficultés quel- quefois inattendues que l'on rencontre dans l'exécution des choses les plus simples. Il semble, au premier abord, que rien n'est plus élémentaire que de porter en canot l'instrument suffisamment lesté, de le couler, de placer sur son câble une bouée et de venir tous les huit jours le lever pour changer le papier du cylindre. Rien n'est en réalité plus difficile et nous nous en sommes de suite aperçu. Il faut d'abord que l'appareil résiste aux perpétuelles tractions de sa bouée, mais cela n'est rien ; ce qui est beaucoup plus difficile c'est qu'il échappe aux curieux et aux malveillants. Dès la première semaine de son immersion, il fut plusieurs fois visité la nuit par des maraudeurs qui le levèrent, lui coupèrent son câble et sa bouée (vol de quelques francs) et nous obligèrent de le repêcher au moyen d'un plongeur. Gomme nous avions à craindre encore le passage des bateaux à vapeur et l'enroule- ment de notre câble autour de leur hélice, nous prîmes le parti de procéder autrement. M. Quinette de Rochemont voulut bien mettre à notre dis- position le service des Ponts et Chaussées, dont il est l'ingé- nieur en chef au Havre, Grâce à son obligeance, dont je tiens à le remercier ici, un plongeur, muni d'un scaphandre, relevait chaque lundi à dix heures du matin notre thermomètre, puis, ayant changé le papier, il le réimmergeait et l'abandonnait au fond, sans câble ni bouée, mais avec un repérage suffisant pour qu'il fût très facile de le retrouver la semaine suivante. C'est en LA CHALEUR. 301 procédant de cette manière qne nous avons pu prendre la tem- Fig. 147. — Thermomètre enregistreur de P. Regnard pour obtenir en courbe continue la température du fond des mers. pérature de la mer jour par jour, minute par minute, pendant l'année 1888. 302 LA VIE DANS LES EAUX. Un thermomètre, absolument pareil à celui qui était immergé, se trouvait à terre juste dans la même exposition que l'autre. oc os g O o (h -a o a a o G, O H o o r— t O a o O 3 -o 04 o -3 3 O bD 5'- <=^ o g a g r3 -3 a o 04 a a a> d S o ^3 Ci 3 ci u •D &I r^ OJ CJ O -a .a (.1 a o u I ci bD En superposant les deux courbes obtenues, nous avions donc au môme moment la comparaison entre la température de Fat- LA CHALEUR. 303 mosphère gazeuse et celle de l'atmosphère liquide de notre globe. C'est ce que représentent les courbes que nous allons mettre tout à l'heure sous vos .^WL'ilWlHj^i OO O c3 a o rS O) -a r/i O a 3 yeux. On remarquera que dans notre appareil la spirale ther- mométrique est enfermée dans le cylindre plein d'air et qu'elle n'est pas en contact direct avec l'eau. Au premier abord, cette disposition sem- ble inférieure à celle qu'avait adoptée Pouchet : en pratique cela ne fait presque rien ; nous avons en effet mis un enregistreur ordinaire à côté du nôtre; dans l'air les deux Iftr-î^c courbes se superposent pres- que ; dans l'eau le retard du thermomètre enfermé est si insignifiant qu'on ne peut distinguer une courbe de l'autre. Dans les fonds ma- rins, la température varie si lentement qu'un retard de cinq ou six minutes (déjà im- perceptible sur une feuille de papier qui ne se déroule que d'un millimètre à l'heure), un léger retard, dis- je, n'existe môme pas. Ceci dit de l'instrument, examinons les résultats qu'il a donnés. Je ne puis reproduire ici tous les tracés que j'ai recueillis dans l'intervalle d'une année ; j'en choisirai donc deux typiques dans chacune des saisons extrêmes. La figure 148 représente la tempe- CL, a ri ~3 ai p 3 "S -eu CL, bO 30i LA VIE DANS LES EAUX. rature de la dernière semaine de décembre 1888, la ligne A est tracée par l'enregistreur aérien, la ligne E par Tenregistreur im- mergé ; or on voit que, pendant que la température de l'air varie du jour à la nuit de -j- 7 degrés à — 7 degrés, c'est-à-dire en réalité de 14 degrés, la température marine qui est le lundi de 8 degrés est encore le dimanche suivant de 8 degrés ; tout au plus la nuit constate-t-on un léger abaissement d'un demi- degré. I Lundi J ^Vordi / - Verr^di / JcuiU / Vendirdi Fig. loi. — Température dans l'eau des canaux du Château de la Brosse et dans l'atmosphère aérienne en août 1887. Voyons maintenant ce qui se passe en plein été: la figure 149 représente la température aérienne et aquatique pendant la première semaine d'août 1888. Vers deux heures de l'après- midi le thermomètre, qui se trouve d'ailleurs en plein soleil, monte à 4-45°: à 4 heures du matin il descend à-f-lO, soit 35 degrés de différence. Pendant toute la semaine, le thermomètre aquatique trace une ligne droite à 15°, tout au plus, la nuit, est-il possible d'aper- cevoir une petite diminution qui doit tenir à l'absence de la pénétration des rayons lumineux. Je ne m'en suis point tenu aux températures marines, et j'ai voulu répéter sur les eaux douces, courantes et stagnantes ce que j'avais vu sur la mer. L'appareil fut plongé dans la rivière du Petit-Morin pendant l'été 1887 (fig. 150). LA CHALEUR. 303 La température aérienne oscillait de -[-S" à + 25" au-dessus de 0" ; la température de la rivière n'oscillait, elle, que de 14° 1/2 à 15°, soit un demi-degré pour 20 d'autre part. Dans les douves du château de la Brosse, relativement sta- gnantes, j'ai plongé également le thermomètre enregistreur à une époque où l'appareil aérien marquait à 2 heures + 43° au soleil et-|-10° pendant la nuit. Le thermomètre aquatique trace, comme on peut le voir, une ligne régulièrement droite. Mais on trouve ici cette différence que la ligne est ascendante et que, partie de 14° le lundi, elle est le vendredi soir à 18° (fig. 151). Les eaux stagnantes ne subissent donc pas d'oscillation de température ; mais, sous l'influence d'une chaleur continuelle, elles s'échauffent beaucoup plus vite que les eaux courantes ou que celles de la mer. Yoilà, Messieurs, les conditions de température naturelle dans lesquelles existent les êtres vivants ; il nous faut maintenant rechercher ce que l'expérimentation nous apprendra quand nous les ferons varier dans un sens ou dans l'autre. Regnard. 20 ONZIÈME LEÇON INFLUENCE DE LA TEMPÉRATURE SUR LA VIE AQUATIQUE Messieurs, Suivant le principe que nous avons adopté, nous devons au- jourd'hui nous servir des connaissances physiques que nous avons acquises pour nous rendre compte de l'inlluence qu'elles peuvent avoir sur la vie. Le premier problème qui se présente à notre investigation consiste à rechercher quelle peut être la température des ani- maux qui vivent dans l'eau. On a déjà fait sur ce point-là de nombreuses recherches, des expériences multipliées ; mais, en les examinant, il ne semble pas que les précautions minutieuses que comporte le sujet aient toujours été prises. Tantôt on retirait des animaux de l'eau où ils vivaient et on plongeait dans leurs tissus le réservoir effilé d'un thermomètre et alors on les avait saisis à la main et sin- gulièrement échauffés, ou bien on plongeait dans leur corps une aiguille thermo-électrique, mais on ne dit pas si la recherche se faisait dans l'eau môme oii l'animal vivait depuis longtemps ou bien si on ne venait pas de le transporter dans un vase où l'eau pouvait être plus froide ou plus chaude. C'est sans doute à la négligence de ces précautions qu'il faut attribuer la divergence des résultats publiés. Je vous en présente quelques-uns. Krafft expérimente sur le INFLUENCE DE LA TEMPERATURE SUR LA VIE AQUATIQUE. 307 Brochet et lui trouve une température de 4" au-dessus de celle de l'eau ambiante. Hunter trouve à une Carpe 1°,94 de plus qu'à l'eau. Sur ce même animal, Broussonnet trouve 0%93, Buniva 3°, Des- pretz 0°,86. Broussonnet expérimente sur V Anguille et lui trouve O^OS de plus qu'au milieu ambiant. Despretz et Becquerel cherchent la température de la Tanche et trouvent 0%71 et 0°,50. Sur la Truite, Davy trouve 1%10 et Martine 0°,55. Sur le Requin le même Davy trouve r,30 et sur le Poisson volant 0%20. Sur une Ablette, Martine trouve 0°,5o et sur un Grondin 0°,6o. Ces chiffres sont déjà élevés, mais ils n'approchent pas de ceux qui ont été constatés par J. Davy sur une Bonite à qui il trouve une température de 10° supérieure à celle de l'eau où elle était plongée. Sur des Pélamides, pèchées dans la mer de Mar- mara, il trouve une température de 7°,22 au-dessus de celle de la mer à cet instant. On a fait moins de recherches sur les Mollusques et les Zoo- phijtes : elles ne manquent pourtant pas. Sur YEledone, Yalen- tin a trouvé un excès de température de 0",90. Sur le Poulpe, l'excès de température était de 0°,20 et 0°,60. Chez les Aplijsies le même physiologiste a trouvé un demi- degré de différence sous le manteau et un degré dans la cavité anale. ChezV Holothurie tubuleuse il a trouvé un excès de 0°,20 à0°,50 suivant qu'il prenait la température sous le manteau ou dans l'anus : Chez VOphiure 0°,30 Chez V Astérie 0°,60 Chez VOursin 0°,40 Chez la Pélagie 0o,20 Chez VActinie 0%20 Chez VActinia mes 0°,oO Tous ces chiffres sont élevés : si nous les admettons il faut 308 LA VIE DANS LES EAUX. que nous admettions du même coup que les animaux aquati- ques produisent une quantité énorme de chaleur, car ils sont plongés dans un milieu à capacité calorifique considérable qui leur enlève immédiatement le calorique qu'ils produisent. De plus ce milieu se renouvelle sans cesse, l'eau échauffée par le corps de l'animal monte de suite vers la surface et se trouve remplacée par de l'eau plus froide. Il faut donc pour se maintenir à 10° au-dessus de l'eau ambiante, comme la Bonite de Davy, qu'un animal aquatique produise beaucoup plus de chaleur pro- portionnellement que nous, qui sommes couverts de vêtements, lesquels empêchent le rayonnement et qui vivons dans un mi- lieu aérien à chaleur spécifique faible qui nous enlève peu de chaleur par le contact. Si les animaux a({uatiques fabriquaient tant de calorique, ils devraient brûler beaucoup et produire beaucoup d'acide car- bonique. On verra aux chapitres suivants qu'il n'en est rien et qu'ils produisent au contraire peu de combustions. C'est donc évidemment qu'on a mal pris leur température. Déjà Dutrochet le soupçonnait, car il a révoqué en doute les résultats de ses prédécesseurs. Puis Ilumboldt et Provensal ont trouvé que les Poissons avaient toujours la température même de leur milieu ambiant. Berthold et Dutrochet ont constaté ce fait sur la Lote, VÉcre- visse, le Crabe, la Sangsue, VHiiitre, V Ablette. Yalentin lui-même l'a vu chez les Anthélies et les Éponges. Nous venons de reprendre ces recherches et nous avouons que nos résultats sont absolument en rapport avec ceux des derniers observateurs. Un Poisson est placé dans un aquarium G (fig. 152). Il y vit plusieurs jours avant l'expérience, afin d'être bien exactement à la température de son milieu. Au moment d'opérer, on le saisit avec une épuisette et, sans le sortir de l'eau, ni le toucher avec les doigts, on le transfixe avec une aiguille thermo-élec- trique munie d'un ardillon d'hameçon, de telle sorte qu'elle ne INFLUENCE DE LA TEMPÉRATURE SUR LA VIE AQUATIQUE. 309 puisse se retirer du corps. Le Poisson s'agite d'abord beaucoup, puis il se calme et se met à nager tranquillement. L'aiguille traverse un flotteur en liège, elle suit donc l'animal dans tous ses mouvements. L'aiguille témoin A' est tenue fixée par un support et elle plonge dans l'eau de l'aquarium. Bien qu'elle soit du système Fig. 152. — Dispositif destiné à mesurer la dilTérence de température entre un animal aquatique et l'eau dans laquelle il vit. de d'Arsonval, nous la vernissons pour plus de précaution. Le couple thermo-électrique est en rapport avec un galvanomètre des plus sensibles sur le miroir duquel un rayon lumineux L, L' tombe et se réfléchit. En G se trouve une clef coupe-courant. Quand l'animal est bien tranquille on ferme cette clef. S'il y a un cinquantième de degré de difl'érence entre les sou- dures des aiguilles d'Arsonval, le miroir quitte très sensible- ment le 0°. Or, dans aucune de nos expériences, nous n'avons observé la plus légère déviation ; nous nous rangeons donc à l'opi- nion de Dutrochet et de Humboldt et Provensal; pour nous, les animaux aquatiques ont la môme température que le milieu ambiant. Ils produisent à coup sûr de la chaleur, puisqu'ils res- 310 LA VIE DANS LES EAUX. pirent, mais cette chaleur leur est enlevée au fur et à mesure qu'elle est produite et cela à cause de la conductibilité et de Ténorme chaleur spécifique de l'eau, milieu dans lequel ils existent. Une autre expérience que nous avons instituée démontrera, je l'espère, la faible quantité de chaleur produite parles animaux aquatiques. 11 est certain qu'un animal qui, dans Feau courante, se maintient à 0°,5 au-dessus du milieu ambiant, devra élever beaucoup sa température et celle de l'eau où il se trouvera si cette eau est stagnante et en quantité insignifiante par rapport à lui. Nous avons donc pris une caisse de bois G (fig. 15S) dans laquelle nous avons placé deux vases contenant l'un 750 gram- Fig. 153. - Expérience destinée à dé- ^^s d'eau et l'autre uu kilogr. terminer approximativement la pro- Q^S deux VaseS SOnt entourés de ductiou de chaleur chez un animal aquatique. duvet afin de rayonner le moins de chaleur possible. On les laisse ainsi pendant plusieurs jours au bout desquels deux thermomètres T et T' indiquent qu'ils sont strictement à la môme température. Ceci fait on plonge dans le vase A (celui qui contient 750 gr. d'eau) une Anguille du poids de 250 grammes. Cet animal, bien que dans un milieu restreint, ne succombe pas, car, sortant sa tète de l'eau, il vient fa- cilement respirer l'air à la surface. Au bout de dix heures on lit la température marquée par les deux thermomètres. J'ai répété nombre de fois cette facile expérience, jamais je n'ai vu la température du vase A dépasser de plus de 4 dixièmes de degré celle du vase B. Et, si on considérait cette expérience comme une recherche calorimétrique, il faudrait admettre que INFLUENCE DE LA TEMPÉRATURE SUR LA VIE AQUATIQUE. 311 l'Anguille n'a pas produit plus de 4 dixièmes de calorie. En rap- portant la calorie au gramme d'eau et au gramme d'Anguille on trouverait que 2o0 grammes d'Anguille ont produit 400 calo- ries; un gramme d'Anguille a donc produit r''',G. jXous voilà bien loin d'animaux, brûlant à peine de carbone, comme on le verra plus loin, et arrivant, comme dans les recherches de Davy, à se tenir à de nombreux degrés au-dessus du milieu ambiant. Nous sommes obligés d'admettre que nos prédécesseurs n'ont pas pris assez de précautions dans leurs mesures de températures et qu'ils ont laissé introduire quelque cause d'erreur dans le maniement de leurs animaux, cause qui surélevait considérable- ment leur degré thermi([ue. Nous nous rangeons à l'opinion d'Humboldt et Provensal qui admettaient que la faible (quantité de chaleur produite par les animaux aquatiques leur était, au fur et à mesure, enlevée par le milieu oii ils séjournent, de sorte que dans les conditions nor- males ils sont en équilibre de température avec ce milieu. Ce premier point tranché, nous devons maintenant recher- cher quelles sont les températures extrêmes que peuvent sup- porter les animaux qui vivent dans les eaux. Un certain nombre ne peuvent affronter les températures éle- vées. C'est ainsi que la Morue suit le courant d'eau froide à 6° qui longe les côtes de la Norvège et du Groenland. Le fait est aujourd'hui si bien connu que les pêcheurs l'utilisent. Ils pren- nent la température de la mer et, quand ils trouvent la veine à G", ils disposent leurs appareils de pêche, le banc n'est pas" loin. Tout le monde sait aussi que les Salmonidés ne peuvent supporter les eaux chaudes. Au delà de 15° les Truites ne vivent plus, aussi, quand arrivent les chaleurs de l'été, les voit-on re- monter les cours d'eau pour entrer dans les ruisseaux om- bragés et frais dont les eaux n'atteignent pas ce chiffre maxi- mum. Tous les naturalistes ont remarqué des faits analogues : ce qui les a particulièrement intéressés, c'a été de savoir jusqu'à 312 LA VIE DANS LES EAUX. quelles températures on pouvait porter les animaux aquatiques. Dans Tantiquité, Œlien parle d'un lac de Lybie dont les eaux étaient très chaudes : elles contenaient des Poissons qui mou- raient si on les plongeait dans Feau froide. Shaw raconte un fait semblable et nomme les Poissons dont il parle : c'étaient des PercJies. Sonnerai a vu à Manille des Poissons vivre dans les bassins d'un établissement thermal : d'après lui la tempé- rature était de 86" : nous verrons comment et pourquoi il se trompait. Spallanzani a publié sur ce point des expériences célèbres : il a pu faire vivre des têtards de Grenouilles dans de l'eau à 43" : il en a vu qui vivaient dans les bains de Pise à une tempéra- ture de 44". Il a pu amener des Cyprins à une température de 42"; en allant lentement, il ne les a vus mourir qu'à 59° : mais là encore il y a une erreur. Desfontaines a péché des Poissons dans la source de Cafsa qui est à 37°,P). Nous avons déjà dit que des Algues vivent dans des sources thermales dont la température atteint 45°. Enfin Plateau et, d'un autre côté, Ch. Richet ont vu que la température de 33° à 37° était celle oi!i succombaient le plus ordinairement les animaux aquatiques. Pourtant des auteurs dignes de foi parlent de températures beaucoup plus élevées. Ainsi Tripier a poché des Barbeaux dans la fontaine chaude d'Hammam-Mes-Koutin dont la température s'élève à 50". Au Bengale, Cumberland a péché des Poissons dans des flaques d'eau qui atteignaient 44". Prinsep raconte qu'à Calcutta, à l'hôtel des Monnaies, les eaux de condensation de la machine à vapeur se rendent dans une pièce d'eau oii vivent des Poissons. Certains jours, la température s'y élève bien au- dessus de 40° : les animaux n'y meurent pas pour cela. Toutes ces relations semblent contradictoires les unes avec les autres ; elles ne le sont pas, parce qu'il faut tenir compte d'une observation que fit, à Battaglia, Hoppe-Seyler. Dans la plupart des sources chaudes il y a deux couches, une supé- rieure à température élevée, l'autre inférieure à température INFLUENCE DE LA TEMPÉRATURE SUR LA VIE AQUATIQUE. 313 très réduite : ainsi à Battaglia, où vivent des Poissons, la tem- pérature de la couche supérieure atteint 44", mais celle de la couche inférieure n'est que de 25° et c'est dans celle-là que vi- vent les animaux; s'ils s'aventurent dans la couche supérieure, ils s'enfuient ; quelquefois même on les y voit succomber subi- tement. Il est probable que c'est à l'existence de couches superposées Fig. 134. — Thermostat pouvant fonctionner à bord d'un navire ou dans les localités où n'existe pas le gaz d'éclairage. de cette manière que sont dues les observations en apparence extravagantes que nous avons signalées tout à l'heure. D'ailleurs, Messieurs, ce que donne difficilement l'observa- tion, nous allons l'obtenir très facilement de l'expérimenta- tion. Rien ne nous sera plus facile que de porter un Poisson ou un Crustacé dans de l'eau à des températures variables et devoir comment ils se comporteront dans ces diverses circonstances. Comme nous avons eu souvent à faire nos recherches au bord de la mer, dans des localités où n'existait pas le gaz d'éclai- rage, il nous a fallu imaginer un dispositif pour avoir de l'eau 314 LA VIE DANS LES EAUX. maintenue toujours au môme degré de température, ou ne montant que lentement à ce degré. Dans un bain (lîg. 154) on plonge un thermomètre électrique B, c'est-à-dire un thermomètre ouvert par en haut, dans le tube duquel plonge un fil de platine A très fin qu'on peut élever ou abaisser et arrêter définitivement devant un degré quelconque de la division. Le mercure de la boule du thermomètre C est en communication par un fil soudé dans le verre, avec le pôle d'une pile Leclanché ou Daniell. Le fil de platine supérieur étant en rapport avec l'autre pôle, dès que le mercure, en se dilatant, viendra toucher ce pôle, le courant sera fermé; on pourra ainsi établir le courant à telle division que l'on voudra. Sur le trajet de ce courant se trouve un électro-aimant D, dont la palette E, munie d'un long levier, porte une petite lampe à essence de pétrole G. Quand le courant ne passe pas, cette lampe est placée sous l'étuve; dès que le courant passe, la palette de l'électro-aimant est attirée et la lampe entraînée au loin. L'étuve ne chauffe donc plus. Presque aussitôt, le ther- momètre et le bain se refroidissant, la colonne mercurielle quitte le curseur de platine. De ce fait le courant est rompu, l'é- lectro-aimant devient inactif et un ressort antagoniste H ra- mène la lampe à pétrole sous l'étuve et ainsi de suite indéfini- ment. On voit donc que la température de l'étuve ne saurait varier puisque, dès qu'elle s'élève, la source de chaleur est enlevée; dès qu'elle s'abaisse, la source de chaleur est ramenée. Cette étuve a encore l'avantage d'être instantanément réglée à telle température que l'on désire, puisqu'il suffit pour cela d'amener d'un coup le fil de platine en face du degré que l'on veut avoir. C'est dorénavant toujours en face de ce degré que le courant sera fermé et que la lampe quittera l'étuve. C'est, munis de cet appareil ou d'un autre analogue, que nous pouvons étudier l'influence des variations de température sur les animaux. INFLUENCE DE LA TEMPÉRATURE SUR LA VIE AQUATIQUE. 31o Voyons d'abord, Messieurs, jusqu'à quelle température il nous sera possible de porter un animal aquatique sans entraî- ner sa mort. Pour cela nous prendrons Tappareil de la figure 154 et, après avoir mis un Cyprin dans le réservoir, nous procéderons en ti- rant lentement le fil de platine, degré à degré et de telle sorte que l'élévation de température ne se fasse que d'un quart de de- gré environ à l'heure. Bien entendu un soufllet particulier entretiendra un violent barbottage d'air dans le bain ; sans quoi le Poisson aurait vite épuisé l'oxygène contenu dans l'eau et succomberait rapide- ment. En agissant ainsi, j'ai pu amener des Cyprins à la tempéra- ture de 39°. Ils étaient très vivants, s'agitaient beaucoup. Mais, évidemment, cette température ne leur était pas agréable, car ils faisaient tous leurs efforts pour sauter au delà du bassin ; la chose arrivait môme toujours quand je n'avais pas la précaution de recouvrir le bain d'une toile métallique. J'ai pu ainsi conserver de longs jours des Poissons à cette température, et je ne doute pas que je ne les y eusse acclimatés. Seulement, même avec nos trompes de laboratoire, il est diffi- cile d'entretenir longtemps le courant d'air si utile dont j'ai parlé. Il est toujours arrivé que la baisse de la pression l'a fait s'arrêter quelques minutes, et la mort a toujours été la suite de cet incident. Je viens de vous dire que la condition du succès dans notre expérience c'était de faire monter lentement la température. Que deviendrait-il si on faisait passer subitement un Poisson de la température ordinaire à une beaucoup plus élevée? Pour le savoir, chautfons notre bain à 30°, puis jetons-y su- bitement un Cyprin qui était au préalable dans un bain à 1S°. L'animal est à peine dans l'eau tiède qu'il s'agite, fait deux ou trois fois le tour du vase, à grande vitesse, puis tournoie sur lui-même et demeure inerte. En cinq secondes il est mort. L'expérience réussit toujours. Nous nous sommes demandé 316 LA VIE DANS LES EAUX. combien il fallait de différence de degré pour que la mort sur- vint h coup sûr et nous avons vu que 5 degrés suffisaient à partir de 20° ; je m'explique : un Poisson porté subitement V6° à 20° ne meurt pas ; mais il succombe si on le fait passer d un coup de 20° à 25°. La même chose d'ailleurs a lieu en sens inverse : un Pois- son est acclimaté à 30°, jetez-le subitement dans l'eau à 23°, il tournoie sur lui-même et meurt. Ceci nous prouve bien clairement que, dans le phénomène, Vélévation de la température n'est pas en cause : c'est le chan- gement de température qui agit et qui agit sur le système ner- veux, très probablement par action sur les branchies. Une observation d'abord, une expérience ensuite nous prou- veront qu'il en est bien ainsi. Les pêcheurs ont remarqué que certains Poissons ne peuvent être tirés de l'eau sans succomber instantanément. Ainsi, au moment même où on amène à bord les filets chargés de Sardinei^ on voit que tous les animaux sont morts. iVucun ne frétille dans les mailles comme cela est si fré- quent pour les autres espèces. La même chose s'observe pour le Hareng^ au moment où on le sort de l'eau il est comme foudroyé et ne remue plus et, le replongeàt-on aussitôt dans le liquide, il ne reviendrait pas à la vie. Il est impossible d'ad- mettre que cette mort soit du fait de l'asphyxie, le sang bran- chial est rouge, le cœur continue à battre, le changement subit de température seul est en cause. Encore une preuve : dans l'Océan les grands fonds ont une température que nous savons être de 2 à 3°. La surface peut avoir fort bien 25° à 28°. Tout animal qu'on ramène des pro- fondeurs arrive mort. Dans la Méditerranée, fond et surface sont à 12°, 5. Or le prince Albert de Monaco a pu ramener vivantes de grandes Crevettes [Acanthepinjra pidchra) : elles ont même vécu plu- sieurs jours dans un bocal où on entretenait soigneusement la température aux environs de 13°. INFLUENCE DE LA TEMPÉRATURE SUR LA VIE AQUATIQUE. 317 Après l'observation, Fexpérience. La figure 135 représente un appareil qui permet de l'aire passer successivement un ani- mal aquatique, un Poisson, par exemple, d'une température à une autre avec une certaine régularité. En V se trouve un vase rempli d'eau à la température du la- boratoire, en V un vase absolument semblable qu'un thermos- tat entre lient à une température de 10 degrés au-dessus grâce Fig. 155. — Dispositif permettant défaire passer automatiquement et indéfiniment un Poisson de l'eau chaude dans l'eau froide et réciproquement. à la lampe D qu'il règle. Dans chacun de ces vases vit un Pois- son que l'on n'a pas figuré pour simplifier le dessin. Immédiate- ment au-dessus se trouve une balancelle A qui porte deux systèmes : l'un est composé de deux boules BB' reliées ensem- ble par le tube A qui leur est soudé et qui pénètre jusqu'au fond de ces boules. Ce système est totalement vide d'air et rem- pli d'éther. Au-dessous se trouvent deux vases pleins d'eau maintenus à 30° par le thermostat R. Supposons l'appareil dans la situation oii il est figuré. Tout l'éther est dans la boule B, 318 LA VIE DANS LES EAUX. qui plonge dans l'eau tiède ; il se volatilise et la pression de sa vapeur fait lentement passer Téther de la boule B dans la boule B'. Cette boule B' se trouve alors la plus lourde, l'appareil cha- vire et B sort de l'eau chaude pour passer dans Fair, pendant que B' tombe dans l'eau plus chaude que l'air. Alors B' s'é- chauiTant l'éther repasse en B; l'appareil chavire de nouveau et ainsi de suite, indéfiniment. Or, sur la balancelle A, se trouve attachée une glissière en cuivre C, sur laquelle roule une poulie E qui porte, par un fil, une petite nasse en tulle à larges mailles N ; dans celte nasse se trouve un Cyprin, animal qui supporte le mieux de tous les changements de température. Le va-et-vient de la balancelle a pour effet un identique va- et-vient de la nasse d'un bout à l'autre de la glissière et il en résulte le passage successif et régulier du Poisson, de l'eau à 15 degrés d'une part dans l'eau à 20 degrés d'autre part. Dans notre expérience ce passage avait lieu toutes les cinq minutes environ. Or, tandis que le Poisson qui vivait à 15" et celui qui vivait à 20° se portaient admirablement, celui que l'on faisait passer successivement d'une température à l'autre s'a- gitait vivement chaque fois que le passage avait eu lieu et finissait par succomber en peu de temps. L'eau à 15 degrés et l'eau à 20 degrés n'étaient point nuisi- bles aux deux témoins ; leur alternative tuait l'animal en expé- rience, ce qui démontre bien que la mort survient, en ce cas, par une action directe sur le système nerveux. Les très grands froids peuvent certainement être supportés par les animaux qui vivent dans l'eau : souvent, quand les ri- vières et les étangs se congèlent, les Poissons se laissent couler vers les couches à 4" : mais ces dernières, elles aussi, arrivent à se prendre et les animaux sont saisis dans la glace, dont la température peut alors descendre au-dessous de 0°. Les Poissons alors se congèlent-ils, ou reste-t-il une mince couche liquide qui les entoure ? On ne le sait pas bien : ce qui est certain c'est qu'ils tombent en vie latente, en sommeil INFLUENCE DE LA TEMPÉRATURE SUR LA VIE AQUATIQUE. 319 et que leurs échanges nutritifs diminuent considérablement. En Russie on fait souvent voyager des Poissons pris dans des LIocs de glace ; quand ils arrivent à destination ces blocs se dégèlent très lentement et, des Poissons contenus dans leur in- térieur, beaucoup sont encore en vie et se mettent à nager dans le liquide. Cela ne veut pas dire que ces animaux étaient congelés, cela signifie seulement que leur température s'était très abaissée. Pourtant la congélation suivie de survie ne nous semble pas absolument impossible. En 1879, pendant le grand hiver dont chacun se souvient, alors que la température s'abaissa à — 23°, un certain nombre de Grenouilles furent, par mégarde, aban- données dans un bassin du laboratoire où il n'y avait plus d'eau. Nous les avons trouvées complètement gelées, dures comme du bois ; en en cassant quelques-unes, nous avons cons- taté que leur sang était gelé ou du moins dans un état tel qu'au- cune hémorrhagie ne se produisait. Or, au moment du dégel, beaucoup de ces animaux revin- rent à la vie. On pourrait toujours nous objecter que nous n'a- vons pas ouvert celles qui ont survécu et qu'elles n'étaient sans doute pas gelées à l'intérieur. C'est possible ; mais si nous les avions ouvertes elles seraient mortes de ce fait et n'auraient pu revivre au dégel. Tout ce qu'on peut dire, c'est que toutes celles que nous avons ouvertes étaient totalement gelées. Au voisinage des banquises, l'eau de mer peut descendre au- dessous de 0°. Elle ne se gèle en effet qu'aux environs de — 3". Est-il possible à des animaux de vivre dans ces conditions ? L'observation le démontrerait, car c'est dans ces parages que des pèches ont souvent donné de merveilleux résultats. Seulement l'observation n'est pas complète ; dans ces régions si froides arrivent souvent des veines liquides relativement chaudes et rien ne prouve que les Poissons n'habitaient pas ces courants. L'expérimentation seule pouvait nous renseigner. Nous verrons bientôt qu'on peut accoutumer un Poisson d'eau douce à vivre dans l'eau saline, surtout dans le sulfate de 320 LA VIE DANS LES EAUX. magnésie. Un tel animal peut être porté au-dessous de 0% car l'eau magnésienne pourra être à ce point chargée de sel, qu'elle ne se gèlera qu'à — 3° ou — 4", exactement comme l'eau po- laire. L'animal pourra donc être considérablement abaissé sans être pris dans la glace et il sera possible de l'observer. Fig. loG. — Appareil destiné à portai* les animaux aquatiques à des températures au-dessous de 0°. Nous avons, pour cette expérience, construit l'appareil dont voici la description (fig. 136). En N se trouve un vase dans lequel on a mis de l'eau conte- nant 2 1/2 pour 100 de sulfate de magnésie et de plus une Carpe depuis longtemps habituée à vivre dans un tel milieu. Un ther- momètre T plonge dans le liquide et en donne à tout instant la température. Autour de ce vase s'en trouve un autre dans lequel circule une solution très concentrée de chlorure de calcium : on arrive à refroidir cette solution par le mécanisme que voici. INFLUENCE DE LA TEMPERATURE SUR LA VIE AQUATIQUE. 321 Elle est placée dans une grande e'prouvette V qui peut la déver- ser par le robinet R. Dans cette éprouvette baigne un ballon B terminé en môme temps par un serpentin de verre et par un entonnoir E. On verse dans l'entonnoir E du chlorure de méthyle contenu dans le siphon S. Ce liquide, en passant à l'état gazeux, peut produire, comme on sait, une température s'abaissant jusqu'à — 40^ Notre artifice permet donc très facilement d'abaisser la solution de chlorure de calcium à — 3°. Les choses étant ainsi disposées on amène l'eau froide autour du vase N où la température diminue rapidement ; dès qu'elle arrive vers 0 " le Poisson semble s'endormir, il ne fait plus mouvoir ses nageoires, non plus que ses ouïes qui n'ont que de faibles battements. A — 2" l'animal semble totalement endormi, mais il n'est pas congelé ; à — 3° il est en état de mort apparente ; mais encore parfaitement souple. Si on laisse la température remonter lentement il se réveille, se met à nager et semble n'avoir nulle- ment souffert. C'est pour nous la preuve que les mers polaires, qui ne descendent jamais au-dessous de 3°, peuvent parfaite- ment receler des animaux vivants et acclimatés à cette basse température. Au moment oîi l'eau salée se prend en glace, dans notre expérience, l'animal meurt à coup sûr. Mais il est impos- sible de mettre cela sur le compte de la température. En effet, au moment de la prise en masse du liquide, le sulfate de ma- gnésie n'entre pas dans la composition de la glace, il demeure tout entier dans la partie qui reste liquide ; de ce fait le mal- heureux Poisson se trouve instantanément plongé dans une solution saline concentrée et c'est à cette circonstance qu'il doit de succomber, ainsi qu'on le verra dans une de nos prochaines leçons. Nous nous sommes encore demandé si le fait de franchir brusquement les degrés inférieurs de l'échelle thermométrique était aussi meurtrier pour un Poisson que le fait d'être élevé brusquement à une température supérieure. Nous avons pris Régna RD. • 21 322 LA VIE DANS LES EAUX. une Carpe qui vivait depuis quelque temps dans de l'eau magné- sienne à — 2° et nous Favons brusquement jetée dans un vase qui contenait le môme liquide h -\- 12°. Bien loin de mourir par ce fait d'avoir franchi d'un coup 14°, l'animal se montra instantanément réveillé et agile. En résumé, les hautes températures sont plus facilement funestes que les basses aux animaux aquatiques ; c'est ce qui nous explique pourquoi à la suite des étés chauds la mortalité peut se montrer grande dans les cours d'eau et surtout dans les masses stagnantes, tandis qu'il est bien rare qu'à la suite des hivers rigoureux, alors que tout était gelé et solidifié, on ait vu de nombreux cadavres de Poissons ou d'autres animaux flotter sur les eaux et s'arrêter aux barrages. ( f H. ^ WOODS HOLE, MASS. DOUZIÈME LEÇON LE MILIEU RESPIRABLE Messieurs, Les animaux qui sont plongés dans le milieu aquatique ont, de ce fait même, une respiration très différente de celle qu'on observe chez les animaux aériens. Le poumon disparaît : il est remplacé par la branchie et les gaz dissous dans Feau passent directement dans le liquide sanguin sans reprendre leur forme aérienne. Ils sortent d'une dissolution pour entrer directement dans une autre. Le problème initial qui occupe le biologiste est donc forcé- ment la recherche de la composition de l'atmosphère dissoute dans les eaux: c'est de sa composition que dépendra l'activité respiratoire de l'être vivant qui l'habite. Comme cette atmosphère varie suivant les lieux et suivant les profondeurs, il a fallu s'inquiéter de trouver des procédés pour aller chercher des échantillons d'eau jusqu'au plus profond des abîmes. Les appareils destinés à remplir ce but sont très nombreux. A priori cela est mauvais et cette richesse cache une véritable misère. Toutes les fois qu'il y a trop de remèdes pour guérir une maladie c'est qu'aucun n'est bon ; toutes les fois qu'il y a trop d'appareils pour arriver à un but scientifique c'est qu'au- cun ne le remplit pleinement. Le procédé le plus simple, mais aussi le plus imparfait, est 32^ LA VIE DANS LES EAUX. celui qu'a employé la Commission de Kiel (fig. 157). Celle-ci se sert d'une bouteille ordinaire, attachée au fil de sonde immé- diatement au-dessus du plomb P. Elle est descendue fermée par le bouchon B. Quand elle est arrêtée à la profondeur désirée, on donne une brusque secousse, elle se -débou- che, se remplit d'eau et on la remonte vive- ment. Il est évident qu'un semblable diposilif ne peut être utilisé que pour des profondeurs très petites. De plus, au remontage, il peut arriver qu'un peu d'eau s'en aille et soit rem- Fig. 1Ô7. — Bouteille placée par celle des couches supérieures. En- de j^i^f;""'"'^''^''" fin, au moment du remplissage, l'air contenu dans le llacon barbotte évidemment avec l'eau qui entre et en change la teneur aérienne, ce qui rend les ana- lyses subséquentes assez illusoires. Pour éviter cet inconvénient. Bunsen a imaginé la disposition que voici (fig. 158). On plonge à l'aide d'une ligne de sonde un ballon rempli d'eau jusque dans la couche liquide que l'on veut examiner ; puis, avec un tube de caoutchouc «, on aspire l'eau jusqu'à ce qu'on soit bien sûr qu'on l'a remplacée par l'eau de la couche en observation. Pour qu'il n'y ait pas de mélange quand on ramène l'appareil, on tourne le robinet b. Le ballon est fermé par une lame de caoutchouc c, fendue pourdonner passage autube a. L'élasticité du caoutchouc est cause que cette fente se referme dès qu'on retire le tube : le ballon est ramené de suite à la surface. Immédiatement on y adapte le robinet en caoutchouc (fig. 159). Dès qu'on a rempli ce robinet d'eau bouillie, on le ferme par une ligature et on y ajuste le tube b (fig. 160) en partie rempli d'eau. Immédiatement ce tube est mis en rapport avec le tube divisé c par un robinet en caoutchouc d. On penche ensuite tout l'appareil de sorte qu'il entre de l'eau dans la boule b, on porte cette eau à l'ébullition en ouvrant le LE MILIEU RESPIRÂBLE. 325 robinet cl et en fermant le robinet a. Dès que l'air atmosphé- rique a été expulsé et remplacé par de la vapeur d'eau, on ferme le tube en caoutchouc e par la pince figurée ci-contre (fig. 161). Si, après le refroidissement, on ouvre le robinet a, l'eau du ballon se met à bouillir et les gaz qui y étaient dissous se déga- Fig. 158. — Boateille de Buusen. Fig. 159. — Robinet en caoutchouc de Bunsen. gent dans le vide supérieur c. On laisse Tébullition se faire une heure, tous les gaz sont alors dégagés. En chauffant avec précaution la panse du ballon on dilate assez l'eau pour que le niveau liquide s'élève jusqu'en d. On ferme alors cette ligature ; on enlève le tube e qui contient tous les gaz dissous auparavant dans l'eau : il n'y aura plus qu'à les analyser par les procédés connus. Nous avons, en collaboration avec le professeur Jolyet, mis en œuvre autrefois un appareil qui permet de prendre l'eau à 326 LA VIE DANS LES EAUX. une petite profondeur, aussi facilement qu'avec la bouteille de Kiel et en évitant le barhottage (fig. 162). Fig. ICI. — Pince à caoutchouc Bunsen. '•Il) Fig. IGO. — Tube à analyse Fig. 102. — Appareil de .Jolyet et Reguard de Bunsen. pour recueillir l'eau à de faibles profon- deurs. Cet appareil se compose d'une forte pipette ovoïde, à robinets, de 1 litre 1/2 de capacité, laquelle pipette est fixée dans une LE MILIEU RESPIRABLE. 327 cage métallique lestée par deux lourds saumons de plomb. Les clefs des robinets RR' sont reliées entre elles par une tige arti- culée r, de manière à former un système de robinets conjugués, s'ouvrant et se fermant simultanément. Un ressort à boudin fixé d'une part à l'articulation de la clef supérieure, et d'autre part à la cage métallique en bas, maintient les robinets dans leur position fermée (cette disposition est représentée sur la figure par le trait continu). Une traction exercée sur une cor- delette fixée à l'articulation d'en haut permet d'amener les robinets dans la position d'ouverture (ligne ponctuée sur la figure). Cela dit, veut-on prendre de l'eau du fond, on remplit la pipette d'un liquide peu dense, non miscible à l'eau (essence de pétrole) et on descend l'appareil, retenu par un cordage, à la profondeur voulue. Tirant alors sur la cordelette, on ouvre les deux robinets de la pipette, qui se remplit d'eau peu à peu par déplacement de l'essence minérale. Quand on juge la pi- pette remplie, on cesse la traction, le ressort ramène les robi- nets dans la position fermée. Il ne reste plus qu'à retirer l'ap- pareil avec sa pipette remplie de l'eau d'une profondeur déter- minée. En se servant d'un appareil plus petit et dont les robinets sont en fer, on peut le remplir de mercure qui s'écoule dans une poche située sous le robinet inférieur, le remplissage est alors opéré d'un coup et sans le moindre barbottage avec l'air puisqu'il n'y en a pas en présence de l'eau. La pipette est alors portée à la pompe à mercure, pour l'analyse, comme nous le dirons plus loin. Ces trois appareils fonctionnent pour les petites profondeurs, mais ils seraient tout à fait inapplicables aux grandes. C'est pour celles-ci qu'ont été imaginés les dispositifs dont la des- cription va suivre. Le premier est l'appareil de Meyer (fig. 163). Il peut servir pour des profondeurs moyennes. Il se compose d'un tube de cuivre E attaché par une cordelette à un crochet oscillant C. Ce tube glisse le long de trois ailettes de cuivre, terminées 328 LA VIE DANS LES EAUX. en bas par un rebord tronconique supporté par un pied N et percé d'un trou qui est fermé par un robinet R. Tant que l'appareil est dans la situation re- présentée par la figure 163,reau circule autour des ailettes ; mais dès que la bouteille touche le fond, le pied pose, le crochet C bascule, la cordelette est lâchée, le cylindre E tombe et toute l'eau qui circulait autour des ailettes directrices se trouve emprisonnée. Il suffit de remonter la bouteille et de la mettre en rapport avec Fappareil d'analyse, dans lequel on verse Feau en ouvrant le robinet R. La bouteille de Mill est un perfectionne- ment de celle de Meyer, car elle peut s'ouvrir non seulement au niveau du fond, mais en un point quelcon- que de la profondeur. Elle est formée d'un tube de laiton servant d'axe à l'appa- reil et à travers lequel passe la ligue de sonde ; au-dessous est un disque muni d'un anneau en caoutchouc et une plaque ser- vant à guider la chute du cy- lindre ; un disque en laiton sup- portant une feuille de caout- chouc concave se trouve au- dessus, ainsi qu'un tube avec € g liiTM, ""^^ robinet pour laisser entrer l'air et permettre de vider la bou- teille dans l'appareil d'analyse. Ce n'est plus l'arrivée de l'appa- Bou- reil sur le fond qui produit le de Meyer. teille de Mill. d^^clanchement du tube, c'est un poids messager, qu'on envoie du bord, le long de la corde. M Fie. 1G3. — Eouteille Fig. 1G4. LE MILIEU RESPIRABLE. 329 L'emprisonnement, de l'eau se fait donc au point que l'on choi- sit d'avance. A bord du Challenger on s'est sur- tout servi de la bouteille deBuchanan (%. 16o). Elle est composée d'un gros tube L Fig. 165. — Bouteille T Fig. 16(i. — Bouteille-sonde de Buchanau. du Challencjer. de cuivre D terminé en haut et en bas par un très fort robinet R, 330 LA VIE DANS LES EAUX. (O q X R'. Ces robinets sont conjugués par une tige L, si bien qu'ils s'ouvrent et se referment ensemble et en même temps. Sur la barre L se trouve fixée une planchette P, qui peut se relever ou rester horizontale comme elle est représentée. Labouteille étant fixéeau fil de sonde, on la descend ; la planchette P se relève, les deux robinets R, R' sont ouverts et l'eau circule dans leur intérieur et dans la bou- teille. Quand on est arrivé au point voulu, on remonte la bouteille : ce seul mouvement met la planchette P horizontale : la résis- tance de l'eau l'abaisse et les robinets se tournent, emprisonnant l'eau de la région même où ils se sont fermés. En r se trouve un petit robinet qu'on laisse ouvert, au-dessus se trouve un clapet à ressort qui se soulève quand l'eau se di- late en se décomprimant ou en s'échaufFant : ce robinet sert en outre à mettre la bou- teille en rapport avec l'appareil d'analyses. C'est encore sur le Challenger qu'on s'est servi d'une bouteille qui était en môme temps un sondeur (fig. 166). Elle était formée d'un tube C, C muni de deux clapets s'ouvrant dans le môme sens, qui restaient ouverts quand la bouteille descendait, qui se refermaient dès qu'elle remontait Au-dessous se trouvait un long tube destiné à s'enfoncer dans la vase et à en ramener un cylindre que retenait un petit clapet conique N. Autour de la bouteille se trouvait un fort cy- lindre de plomb II, attaché par une cordelette à un crochet oscillant. Quand l'appareil arrivait au fond, il prenait de la vase, les clapets emprisonnaient de l'eau, le cylindre de plomb se dé- crochait et l'appareil était ensuite remonté. On avait, du même coup, la profondeur, l'eau et un échantillon du sol. Fig. 1G7. Bouteille d'ElkmaDi). LE MILIEU RESPIRABLE. 331 La bouteille d'Elkmann permet de recueillir l'eau et d'en prendre la température (fig. 167). C'est elle qui a servi à Nordenskiold. Elle est formée d'un tube de laiton maintenu relevé par un crochet. Ce cylindre peut monter ou descendre le long de trois guides. Quand il tombe il se fixe sur un plateau inférieur dans une rainure m .::,) Fm. 1G8. — Bouteille de Sis:sbee. pleine de suif. Son ouverture supérieure s'adapte du môme coup autour d'un disque que porte une tige centrale. L'eau se trouve donc enfermée par le haut et par le bas d'un seul coup. Tant que l'appareil descend, cette descente môme maintient le tube relevé ; mais dès qu'il remonte il s'abaisse et la bouteille se trouve fermée. Les pattes situées au-dessous d'elle la pro- tègent dans les cas où elle touche le sol. Pour que Feau con- tenue conserve sa température, tout l'appareil est entouré d'une 332 LA VIE DANS LES EAUX. épaisse feuille de gutta très mauvaise conductrice de la tempé- rature. Sigsbee a fait aussi une bouteille où il utilise un principe que nous avons déjà vu appliquer plusieurs fois. Sa bouteille se ferme au moyen d'hélices qui ne se mettent en mouvement qu'au remontage. Elle est composée (fig. 168) d'un cylindre de cuivre fermé par deux clapets que la pression de l'eau tient ouverts pendant la descente : quand on commence à remonter, les ailettes se mettent à tourner, elles font alors mouvoir la vis qui traverse toute la bouteille et sur laquelle sont fixés les deux clapets : elle les ferme et même les serre vigoureusement sur les bords du tube de cuivre. L'appareil est adapté par des ressorts sur la ligne de sonde, et on peut le joindre à des thermomètres et au- tres instruments immergés. C'est aussi par des ailettes que Wille fait fonctionner la bouteille de son invention qui est représentée figure 169. Elle a la forme d'une spirale de cuivre ouverte à ses deux bouts. Au-dessus du tube spiral et à ses deux extrémités se trouvent deux clapets qui, normalement, sont relevés. Quand la bouteille descend, l'eau pénètre dans le tube spiral et s'y renouvelle au fur et à mesure de la chute. Mais dès qu'on relève la sonde, deux hélices se mettent à tourner et viennent serrer les clapets sur les bouts du tube spiral. L'eau se trouve dès lors empri- sonnée. A l'une des extrémités de la spirale se trouve un in- dex de verre. En arrivant à bord on regarde dans cet index avant de rien ouvrir ; il est évident que s'il y a dans l'eau quel- ques bulles d'air dégagées, on les y apercevra. Or, dans les ex- péditions du Vôringen on n'a jamais pu en voir la moindre trace. La dernière bouteille à eau qui ait été utilisée dans les grandes expéditions est celle du Travailleur ; elle a été imaginée par MM. Richard et Villegente. Elle est composée d'un fort tube de bronze T, terminé à ses deux extrémités par un tronc de cône, au-dessus duquel se trouve un robinet à long levier C. Quand le robinet est ouvert, sa clef presse sur une tige intérieure, à LE MILIEU RESPIRABLE. 333 laquelle est fixée une soupape en caoutchouc qui ferme l'ouver- ture d'une cloison située au-dessous du robinet; la soupape se trouve dès lors ouverte et permet à l'eau d'entrer. Quand le ro- &=^JWi~^ Fig. 109. — Bouteille de Wille, Fig. 170. — Bouteille du Talisman. binet est fermé, la tige se trouve libre et elle obéit à un ressort qui ferme la soupape. Pour employer cet appareil, on l'attache à la ligne desonde, les deux robinets étant ouverts et leurs grands leviers perpen- diculaires à l'axe. Pendant la descente, l'eau circule librement à travers le tube, comme dans les appareils précédents ; quand on est arrivé au point voulu, on envoie du bord un anneau de fonte qui glisse le long du fil de sonde et qui, arrivé à la bouteille, rabat subitement les deux leviers, ferme les robinets et dégage les deux soupapes qui dès lors résistent vivement à toute ex- pansion possible des gaz qui se dégageraient de l'eau. Cette ex- pansion de gaz n'aurait en effet pour résultat que d'appliquer 334 LA VIE DANS LES EAUX. plus énei'giquement les soupapes contre les orifices. Or M. A. Milne Edwards a raconté maintes fois que quand on ouvrait les bouteilles ainsi fermées, revenant des grands fonds, Teau en jaillissait à plus de 1 mètre de hauteur et qu'elle moussait à la façon du Champagne. Yoilà qui est bien différent de ce que disent tous ceux qui ont recueilli Teau des profondeurs et par- ticulièrement les expérimentateurs du Vôri?igen, lesquels, nous venons de le voir, déclarent n'avoir jamais vu la plus petite bulle gazeuse dans l'eau qu'ils observaient. Gela ne tiendrait-il pas à ce que la bouteille du Talisman est la seule qui ferme exactement et à ce que, dans les autres, des gaz, se dégageant sous haute pression, auraient pu facilement vaincre des clapets serrés par de petites hélices. On ne se fera sur ce point de conviction définitive que dans de prochaines expéditions. J'ai pensé, pour ma part, qu'il y aurait peut-être lieu d'ajouter une nouvelle bouteille à toutes celles qui ont déjà été décrites jusqu'à présent et cela parce qu'elle en diffère d'une façon radicale, comme principe et comme résul- tats. Je ne suis pas très rassuré, en effet, sur la qualité de l'eau que peuvent contenir ces bouteilles ouvertes par les deux bouts, dans lesquelles le liquide est censé se renouveler par le simple fait de la descente. Il peut fort bien ne se renouveler qu'incom- plètement et l'eau que l'on ramène des grands fonds pourrait bien être, en partie, de l'eau qu'on y a menée de la surface. Ensuite tous ces robinets peuvent bien tenir quelques atmo- sphères. Mais si la pression des gaz se dégageant est très grande, il est certain qu'ils les laisseront fuir. Je propose donc l'appareil dont je vais maintenant vous donner la description. Entre deux forts plateaux de bronze, se trouvent fixés deux ballons de caoutchouc (fig. 171). L'un P est en caoutchouc très épais et quand on l'écrase il reprend vivement sa forme. L'autre P' est au contraire très mince, s'écrase facilement et ne revient pas sur lui-même. Le ballon P se termine à sa partie inférieure par un gros robinet R dont la clef est mue par le grand levier L. Le petit ballon P' est terminé par un robinet R', de plus les deux LE MILIEU RESPIRABLE. 33r ballons sont en communication par un tube d'ébonite T percé de nombreux trous. Enfin, au robinet R, et dans l'intérieur du ballon P, se trouve adaptée une soupape en caoutchouc de De- nayrouse. On sait que sous les pressions les plus formidables ces soupapes tiennent d'autant plus qu'elles sont plus pressées. L'appareil étant ainsi disposé, on commence par fermer le robinet R, puis on adapte le robinet R' à la ma- chine pneumatique à mercure qui fait partie, comme on va le voir bien- tôt, de notre appareil d'analyse. En un coup de pompe, le vide est fait dans les deux ballons dont les parois s'appliquent énergiquement tune con- tre l'autre. On ferme le robinet R', la bouteille de caoutchouc ne contient par conséquent absolument rien. On la suspend alors au fil de sonde F (fig. 172) et on la descend dans la mer. Quand on est arrivé au point voulu, on envoie du bord l'anneau de fonte A qui passe autour de la bouteille, s'accroche au levier L et l'abaisse brusquement ; la bouteille est ouverte. Le ballon P, en caoutchouc épais, se dilate violemment et se remplit complètement d'eau, P' au contraire reste flasque. On remonte alors l'appareil, et si l'eau contenue en P augmente de volume, si elle dégage des gaz abondants, tout cela va se loger en P' qui se distend au fur et à mesure des besoins. Il est en- tendu qu'à la remontée le clapet de Denayrouse C se ferme énergiquement par le simple poids de l'eau qui est au-dessus ; je me suis assuré qu'il tenait en effet absolument. On a pesé la bouteille avant le départ, on la pèse au retour, la différence des deux poids représente l'eau ramenée, on ferme alors le robinetR, on abouche R'avec le ballon vide de notre appareil d'analyse, Fig. 171. — Schéma de la bou- teille eu caoutchouc de P. Re- gnard, représentée au moment où on la descend dans la mer. 336 LA VIE DANS LES EAUX. Fig. 173. — Bouteille en caoutchouc de Fig. 17:i. — Bouteille en caoutchouc P. Regnard représentée au moment où de P. Regnard représentée au nio- arrive le poids messager. ment où on la remonte. LE MILIEU RESPIRABLE. 337 eau et gaz qui ont pu se dégager y sont entraînés d'un seul coup. Nous avons même ajouté un perfectionnement qui peut servir quand on ne puise pas à grande profondeur. Un croisil- lon C, suspendu au-dessous de la bouteille, recueille Tanneau de fonte qui n'est pas perdu. Pour les grandes profondeurs cet anneau doit être abandonné sur le fond. Nous nous sommes servi de cet instrument par des profon- deurs moyennes (60 à 100 mètres). Il nous a donne d'excellents résultats. Nous attendons une prochaine expédition pour l'en- voyer dans les grands fonds ; nous sommes persuadé qu'il pourra rendre service. De quelque manière que l'eau ait été puisée, il faut mainte- nant en dégager les gaz dissous et les analyser. De nombreuses méthodes ont été proposées pour cela, nous ne nous occuperons que des plus récentes, ne faisant que signaler les anciennes qui n'ont plus aujourd'hui qu'un intérêt histo- rique. Humboldt et Provensal extrayaient les gaz de l'eau en faisant bouillir ce liquide et en recueillant sur le mercure les gaz qui se dégageaient. Leur procédé donnait des résultats inexacts, car on sait aujourd'hui que l'ébullition seule ne chasse pas tous les gaz; déplus beaucoup d'eau se condensait dans l'éprouvette des gaz et redissolvait ceux-ci, du moins en partie. En 1838, Frémy se servait du même procédé, l'eau dont il dosait les gaz avait été recueillie par la Boiiite un an auparavant ; les résultats étaient de ce fait entachés d'une grave erreur : les matières organiques avaient détruit beaucoup d'oxygène. Nous en dirons autant des recherches faites par Morren en 1843. Cet observateur recueillait l'eau à Saint-Malo et ne l'ana- lysait qu'à Rennes. En 1869, le Porcupine commence sa grande expédition. On se décide à faire les analyses à bord ; on se sert encore de l'ébulli- tion pour expulser les gaz, puis on dose l'acide carbonique par la potasse et l'oxygène par l'acide pyrogallique. Régna RD. 22 338 LA VIE DANS LES EAUX. Une seule des causes d'erreur se trouve éliminée de ce chef ; les résultats sont encore incomplets. Enfin, en 1872, Jacobsen imagine un procédé dérivé de celui de Bunsen que nous avons déjà fait connaître. L'opération se divise en deux parties : dans la première on recueille les gaz (celle-ci se fait à bord) ; puis on les analyse (cette deuxième partie ne se fait qu'à terre, au retour). L'appareil se compose de trois parties: un grand ballon B, une ampoule A, et un tube T, étranglé à ses deux orifices. Les trois parties sont raccordées par des caoutchoucs et maintenues Tune au-dessus de Fautre par un support P (fig. 174). Le volume de l'ampoule A est calculé de manière à contenir deux fois environ le résultat de la dilatation de Fcau renfermée en B quand on la porte à 100°. On commence par remplir de l'eau à analyser le ballon B, et on le ferme par son bouchon sans conserver la moindre bulle d'air; puis on remplit A à moitié avec de l'eau douce. On chauffe cette ampoule avec une lampe à alcool ; l'eau entre en ébuUi- tion et chasse tout à fait l'air par le tube T. Quand on est bien sûr qu'il n'y a plus de gaz, on ferme T en haut, d'un coup de chalumeau. On allume alors la lampe L et on chauffe le ballon B. Les gaz se dégagent et passent dans le tube T. On laisse bouillir une heure, on chauffe la boule A, de manière que la dilatation totale de l'eau contenue en A et en B la remplisse, puis d'un nouveau coup de chalumeau on sépare le tube T rempli des gaz dégagés, on l'étiquette et, au retour, on analyse son contenu que l'on fait passer sur la cuve à mercure dans un eudiomètre gradué. L'acide carbonique est absorbé par la potasse et l'oxygène est brûlé par l'hydrogène pur. Le résidu est de l'azote. Bien que ces procédés soient remarquablement précis, nous croyons qu'on peut aller plus loin encore comme exactitude scientifique, et nous avons pensé qu'il y aurait certainement avantage à employer la pompe à mercure aujourd'hui si souvent utilisée dans les analyses gazométriques. LE MILIEU RESPIRÂBLE. 339 M. Gréiiant, dans ses recherches sur la respiration des Pois- sons, s'en était déjà servi. Fig. 174. — Appareil de Jacobsen pour l'extractiou des gaz de l'eau. L'appareil est représenté ci-contre par la figure 175. A est un long tube barométrique terminé par une boule. A sa partie su- périeure, se trouve un robinet à trois voies R que surmonte, 340 LA VIE DANS LES EAUX. d'une part, une cuvette à mercure C, et d'autre part un tube latéral, qui, par un caoutchouc, peut être mis en rapport avec un ballon D, lequel plonge dans l'eau chaude. A l'extre^mité inférieure du tube barométrique se trouve un long tube de caoutchouc à vide qui se termine d'autre part dans un grand récipient B, qu'une manivelle permet de monter ou de des- cendre. Supposons le récipient B en haut et tout l'appareil plein de mercure. Mettons le robinet à trois voies dans la position figurée en 1. Le baromètre est fermé. Descendons le récipient B, aussitôt le vide se fait dans la boule A. Donnons alors au robinet la position 3; l'air du ballon D est appelé en A ; remettons le robinet en position 1 et remontons le récipient B ; le mercure reprend son niveau et comprime en A l'air puisé en D. On met alors le robinet en position 2. L'air s'échappe à travers le mercure de la cuvette C. En répétant cette ma- nœuvre un certain nombre de fois , on arrive à faire le vide complet dans le ballon D ; d'autant qu'on y a laissé un peu d'eau qui, se vaporisant, expulse vite les dernières traces d'air. Quand le vide est parfait, ce qu'on voit par ce fait qu'il ne vient plus la moindre bulle d'air quand on relève le récipient B, il ne reste plus qu'à introduire le liquide à analyser. Cela se fait par le robinet r, qui plonge lui-même dans de l'eau ou du mercure : on adapte à ce robinet celui (R') de notre bouteille à eau, on ouvre et la pression atmosphérique fait entrer immé- diatement l'eau de la bouteille dans la pompe. Instantanément, les gaz dissous se dégagent ; l'eau, dans le vide, bout tumultueusement et les bouillons iraient jusqu'à la pompe si un courant d'eau froide qui se fait dans un manchon, autour du col du ballon, ne venait les faire crever. On ouvre alors le robinet en position 3, tous les gaz se pré- cipitent dans la boule A ; on amène le robinet en position 2, on remonte le réservoir B et les gaz de l'eau passent aussitôt sur la cuvette G, où on les recueille dans le tube eudiométrique dans lequel on les analysera ensuite par la potasse (absorption LE MILIEU RESPIRABLE. 341 '■vADEr. s'^ Fig. 175. — Pompe à mercure disposée pour l'extraction des gaz de l'eau. 342 LA VIE DANS LES EAUX. de l'acide carbonique) et par la combustion avec l'hydrogène pur (dosage de l'oxygène). Avec son apparente complication, cet appareil permet d'aller quatre fois plus vite qu'avec celui de Jacobsen. Les résultats sont beaucoup plus certains, l'eau passe directement de la mer dans le ballon analyseur: il n'y a pas le moindre contact avec l'air permettant, soit un dégagement de gaz, soit une dissolu- tion de l'air atmosphérique. Si le ballon est de grande capacité, on peut faire cinq ou six analyses de suite, sans le vider, tout simplement en ajoutant le nouveau liquide par dessus celui qu'on vient d'épuiser de ses gaz ; enfin on est certain chaque fois qu'on a bien tous les gaz contenus dans l'eau. Seulement, l'appareil comme nous venons de le décrire peut bien fonctionner à terre, mais il serait tout à fait imprudent de l'installer à bord d'un navire. Le roulis le mettrait de suite hors d'usage. Le mercure se renverserait sans cesse ; de plus, le baromètre se penchant à chaque inclinaison du navire, le mercure ferait bélier et viendrait choquer sur le robinet à trois voies qui, étant en verre, serait brisé du premier coup. Nous avons donc dû faire une modification à la pompe de façon à la rendre très portative et même pratique à bord d'un navire (fig. 176). Une grande barre de fer, de la grosseur du doigt, est attachée au plafond de la cabine où l'on opère ; elle est terminée par un poids G, très lourd (20 kil.), elle oscille donc en même temps que le bateau, mais très lentement. Une planche est fixée vers son milieu et sur cette planche se trouve tout le mécanisme de la pompe, c'est-à-dire la chambre barométrique R, la cuvette r et le tube gradué ï. Un petit robinet, terminé par le tube de caoutchouc L, permet de vider l'excès de mercure de la cuvette quand celle-ci se trouve un peu trop pleine. Le robinet à trois voies est supprimé, il est remplacé par deux pinces en fer PP' qui saisissent des tubes de caoutchouc à vide, et les ferment ou les ouvrent suivant qu'on veut mettre le baromètre en communi- cation avec la cuvette ou avec le ballon analyseur. Cette dispo- LE MILIEU RESPIRÂBLE. 343 TiiiiimmliiliNimiiiiiiimnuiiiiiiiiiiuiiiiiiiiiiiiiiiiimnm; £ vef^i'/'/ Fig. 17G. — Pompe à roulis de P. Regnard pour l'extraction des gaz de l'eau. 344 LA VIE DANS LES EAUX. sition est très bonne, elle reproduit lefTet du robinet à trois voies et n'est nullement fragile comme lui : de plus tout acci- dent, qui avec le robinet en verre est irréparable à bord, se ré- pare au contraire en quelques minutes avec les caoutchoucs pressés. Le vide est aussi bien tenu qu'avec le robinet, nous avons pu le conserver intact pendant toute une semaine. Le réservoir R est monté et descendu au moyen d'une simple poulie ; quand il doit être au repos, on accroche le bout de la corde qui le tient à un piton qui n'est pas figuré dans la planche. Enfin le ballon analyseur Z a dû être aussi modifié ; il est main- tenu dans un peu d'eau chaude que chauffe un fourneau à pétrole M, fixé solidement au plancher. On ne peut faire ici un courant d'eau autour de son col, mais les bulles qui se produisent sont obligées de passer dans un tube S, où elles rencontrent un rétrécissement X qui les crève et les empêche d'aller plus haut : le liquide qui résulte de leur destruction retourne en Z par le tube U. Enfin l'eau est intro- duite dans l'appareil en aboutant notre bouteille par son robi- net R' au petit robinet de verre V. Quand l'appareil ne sert pas, on l'attache solidement au mur de la cabine, il ne fait alors aucune oscillation et il suit celles du navire, le réservoir est fixé un peu plus haut que la boule barométrique. On peut utiliser notre instrument par les houles moyennes : il est évident qu'il ne faut pas s'en servir par les gros temps, mais qui pensera jamais à faire une expérience délicate par la tempête, quand on a déjà toutes les peines du monde à se maintenir debout? D'ailleurs ces jours-là on ne peut môme pas recueillir de l'eau et envoyer les bouteilles dans la profondeur. Les tubes contenant les gaz de l'eau peuvent être simplement bouchés avec un bouchon de caoutchouc et maintenus debout dans des porte-tubes ; le mercure qui reste au fond, au-dessus du bouchon, suffit pour les fermer aussi hermétiquement que s'ils étaient soudés à la lampe. Enfin si, à bord, on est bien installé, on peut placer une petite cuvette profonde à mercure LE MILIEU RESPIRABLE. 34c sur une suspension à la Cardan et faire les analyses par la po- tasse et l'acide pyrogallique, sinon on ne les exécute qu'au retour. Quelque soit l'appareil dont on se servira, on constatera tou- jours que trois gaz existent en dissolution dans les eaux, ce sont : l'oxygène, l'azote et l'acide carbonique. Nous devons examiner quelles sont les proportions relatives de ces trois gaz et leurs variations. Pour cela nous distinguerons les eaux en deux grandes classes, les eaux douces et les eaux de mer. A) Eaux douces. — Elles comprennent les eaux de sources, les eaux de rivières ou de fleuves, les eaux des lacs et des étangs. Les eaux de rivières et de fleuves, c'est-à-dire celles qui ont pour origine les eaux de sources qui s'écoulent à la surface du sol, et celles résultant de la fonte des neiges et des glaces sur les hauts sommets de montagnes, ont une composition gazeuse assez variable, suivant ([u'elles s'éloignent plus ou moins de leur point d'émergence, c'est-à-dire suivant qu'elles ont subi l'action de l'air et de la lumière, qu'elles ont traversé de grandes cités, etc. Le tableau suivant, que nous empruntons au travail de M. IL Sainte-Claire Deville, donne la composition gazeuse des eaux de nos principaux fleuves. Les quantités des gaz y sont données en centimètres cubes et rapportées au litre. GAZ par litre. LOIRE, pont de Meung près Orléans. GARONNE, eu amont de Toulouse. RHONE, Genève avant l'Arve. RHIN, Strasbourg (mai). SEINE, Bercy (juillet). EAU d'Arrueil, Fontaine St-Michel. Oxygène Azote cent, cubes. 1.8 cent, cubes. 7.9 15.7 17.0 cent, cubes. 8.4 18.4 8.0 cent, cubes. 7.4 13.0 7.6 cent, cubes. 3.9 12.0 16.2 cent, cubes. o.O 12.7 25.6 Ac. carbonique. 346 L\ VIE DANS LES EAUX. M, Gréhant qui, à roccasion de ses reclierclies sur la respi- ration des Poissons, a fait un certain nombre d'analyses des gaz de Teau de Seine, a trouvé que ces gaz étaient dissous dans Feau, dans les proportions de (j h S cent. cub. pour l'oxygène, et de 13 à 17 cent. cub. pour Tazote. Quant à l'acide carbonique libre, il indique des proportions beaucoup plus fortes (20 à 30 cent. cub. et plus par litre) que celles que l'on signale liabituellement dans l'eau de ri- vière. Cela tient, comme nous l'avons déjà dit, à ce que le procédé d'extraction des gaz de l'eau, et surtout de l'acide car- bonique, par la pompe à mercure, est un procédé beaucoup plus parfait que tous les autres. Les nombreuses analyses des gaz de l'eau que nous avons été amenés à faire, à propos de cha- cune de nos expériences, que l'on trouvera consignées plus loin, s'accordent parfaitement avec celles de M. Gréhant. L'eau de rivière, en outre de l'acide carbonique simplement dissous, contient encore une quantité assez élevée de ce gaz (60 à 70 cent. cub. par litre), fixée à la chaux, et qui ne se dégage dans le vide qu'après l'addition d'un acide. Les eaux des lacs et des étangs, comme celles des cours d'eau, sans cesse exposées au contact de l'atmosphère, absorbent et tiennent en dissolution une certaine quantité d'air, et suffisent aux besoins de la respiration d'un grand nombre d'animaux. Nous en donnerons, comme exemple, l'analyse que nous avons faite de l'eau de l'étang de Ville-d'Avray (mai) : Oxygène (par litre d'eaii) 7,9 Azote 1.3,0 Acide carbonique libre 3,8 — combiné 20,0 B) Eaux de mer. — L'eau de mer est caractérisée par la grande quantité (25 à 40 gr. par litre) de chlorure de sodium ou sel marin qu'elle contient. Mais les matériaux gazeux qu'elle renferme (oxygène, azote, acide carbonique) doivent seuls nous occuper ici. Morren et Lewy ont analysé les gaz contenus dans l'eau de LE MILIEU RESPIRABLE. 34-7 5° mer. La proportion des gaz dissous varie entre le 30" et le 4 du volume de Feau ; mais ces gaz renferment jusqu'à 32 et môme 38 p. 100 d'oxygène. Nous avons fait nous-mêmes un grand nombre d'analyses des gaz de Feau de mer. L'extraction en a été réalisée par la pompe pneumatique à mercure. Nous distinguons les gaz sim- plement dissous (oxygène, azote et acide carbonique), c'est-à- dire se dégageant sous l'influence du vide et de la chaleur seuls, et l'acide carbonique lié se dégageant de l'eau après l'addition d'un acide. Les résultats de quelques-unes de nos analyses se trouvent compris dans le tableau suivant : Gaz de l'eau de mer (rapportés à i litre d'eau). GAZ LIBRES. CO^ LIÉ. OBSERVATIONS. Oxygène. Azote. Acide carbonique. 5.6 6.34 0. / 5.7 4.0 4.8 13.7 14.1 12. <> 14.0 12.. S 12.8 3.6 4.9 2.1 5.0 9.2 9.1 43.7 42.9 41.5 62.0 3o.o 36.0 Croisic (septembre). Idem. Idem. Dieppe (octobre). Concarneau (août). Idem. La composition gazeuse de l'eau de mer, à la surface, varie dans une certaine mesure, suivant les parages et les divers moments de la journée, et suivant la grandeur des marées. Cette dernière cause porte surtout son influence sur la propor- tion de l'acide carbonique combiné, qui diminue ou augmente suivant que la marée est faible ou forte. Toutes ces variations n'ont qu'une importance secondaire. Ce qu'il importe surtout de connaître, c'est de savoir comment varient l'oxygène et l'a- cide carbonique dissous, à mesure que la profondeur de l'eau augmente. La présence de types si nombreux et si variés dans les eaux profondes pouvait faire prévoir que l'eau devait contenir de 348 LA VIE DANS LES EAUX. l'oxygène dissous en quantité suffisante pour rendre compte de la respiration de la Faune. Et en effet, les analyses des gaz contenus dans Teau de mer, faites pendant Texpédition du Porciipine par AV. L. Carpenter, ont confirmé ces prévisions. Des échantillons dean ont été recueillis, non seulement à la surface, mais encore à de grandes profondeurs, et les gaz, sé- parés de Teau par rébullition, ont été analysés. Trente analyses de Teau de la surface ont donné la moyenne suivante calculée sur 100 parties de gaz : Ox 25,1 Az ;i4,2 or- 20,7 Un fait qui ressort des analyses de Carpenter, c'est que, d'une manière générale, la proportion d'oxygène de l'eau di- minue un peu, et celle de l'acide carbonique augmente, à me- sure que la profondeur s'accroît, comme le montrent les ana- lyses suivantes, faites de 50 en 50 brasses, à partir de 750 bras- ses jusqu'au fond situé à 802 brasses (1568 mètres). GAZ. Oxygène Azote Acide carbonique 750 BR.\SSES. 800 BRASSES. 862 BRASSES. 18.8 49.3 31.9 17.8 48.0 33.7 17.2 34. o 48.3 Or, il résulte de la comparaison des analyses précédentes et des dragages faits concomitamment, que la diminution de l'oxygène et l'accroissement de l'acide carbonique dans les eaux de plus en plus profondes dépendent bien plus de la richesse de la faune, indiquée par les dragages, que de la profondeur môme de l'eau ; de sorte que des eaux de profondeur égale pourront contenir beaucoup ou peu d'acide carbonique, suivant que la vie animale y sera plus ou moins développée. L'accroissement de l'acide carbonique et la diminution de l'oxygène au fond semblent ainsi dus à la respiration. Mais LE MILIEU RESPIRABLE. 349 ces altérations de l'eau rendraient bientôt la couche en rap- port avec le fond, complètement impropre à la respiration, faute d'une action contraire de la végétation, si l'acide carbo- nique n'avait la propriété de remonter par diffusion à travers les couches intermédiaires, jusqu'à la surface, et si l'oxygène, par le même phénomène de diffusion, ne pénétrait de la surface jusqu'au fond. Un échange perpétuel s'effectue à la surface entre les gaz de l'eau de mer et ceux de Tatmosphère, en vertu duquel l'eau, par son agitation incessante, par une sorte de respiration, cède à l'atmosphère de l'acide carbonique, et lui prend de l'oxygène, et la force de diffusion apporte cet oxy- gène aux eaux de plus en plus profondes, et assure ainsi la res- piration de la Faune des abîmes. Cette double diffusion, cette sorte de respiration de la mer est encore aidée considérablement par les courants de circula- tion océanienne, l'eau chaude gagnant la surface, l'eau froide gagnant la profondeur et y portant les gaz dissous au contact de l'air. Mais dans les mers, comme la Méditerranée, où ce courant n'existe pas, la diffusion doit seule entrer en jeu. Thoulet a dé- montré par une expérience qu'elle se faisait et qu'elle était aidée par la chute des mille poussières qui tombent sur les eaux et pénètrent dans leur sein en entraînant chacune la bulle d'air adhérente qui entoure tout corps immergé. Voici comment il a fait cette démonstration. Dans une éprou- vette pleine d'eau bouillie il dissout de la potasse et de l'acide pyrogallique : un pareil mélange noircit au contact de l'air. Or on voit le noircissement gagner peu à peu le fond de l'é- prouvettc, l'oxygène gagnant successivement chaque couche de la solution pyrogallique après qu'il a saturé la précédente. Bien plus, si on jette à la surface une fine poussière de sable pur, on voit les grains gagner le fond en laissant une traînée noire, preuve que chacun avait emporté une trace d'oxygène et l'avait entraînée vers la profondeur où il s'est dissous. Ce phénomène qu'avait constaté Thoulet, nous avons réussi 350 LA VIE DANS LES EAUX. à le mesurer, grossièrement peut-être, mais suffisamment, au moyen de l'appareil que voici (fig. 177). Un grand tube T' ouvert en haut et fermé en bas est ren- fermé dans un autre T où circule perpétuellement un courant d'eau froide pour que les remous résul- tant des changements de température ne puissent pas entrer en cause. Le tube intérieur T' est rempli d'une solution de bleu Coupler exactement saturé par de l'hydrosulfite de soude, de telle sorte que la moindre trace d'oxygène donnera une couleur bleue intense à ce liquide, en ce moment jaune pâle. L'appareil est laissé ouvert dans le laboratoire et le courant d'eau établi. Au bout de trois mois, la teinte bleue qui a gagné de proche en proche n'a pas encore tout à fait 1 mètre de profondeur ; c'est donc à peine d'un centimètre par jour que l'atmosphère gazeuse pénètre dans l'atmosphère liquide. Il résulte de cela que l'air ne saturerait en un an qu'environ 4 mètres d'eau en profon- deur, il aurait donc fallu 1000 ans pour que l'oxygène de l'air ait pénétré par simple diffusion depuis la surface iusque Fig. 177. -Dispositif destiné ^ f i , r ,,nn >x • à mesurer la rapidité de la vers les londs de 4000 metres SI com- diffasion de roxygène dans jj^^^j^g j^^^s nos Océans. Cela paraît 1 eau. i énorme, mais en réalité la diffusion n'a pas seule agi, comme nous venons de le voir: les remous ther- miques, l'agitation des Ilots, les chutes de poussières ont brassé les mers et mélangé les couches saturées de gaz avec celles qui n'en contenaient pas. Et puis, eût-il encore fallu 1000 ans, qu'est-ce que cela dans les temps géologiques ? Pour terminer l'étude du milieu exiérieur respirable, il nous LE MILIEU RESPIRâBLE. 351 faut faire connaître les variations qui peuvent se montrer dans les quantite's des gaz dissous dans Teau, sous Tinfluence de con- ditions diverses. Un premier fait qu'il importe de noter, c'est la diminution conside'rable qui se produit, dans certaines circonstances, dans la proportion de Toxygène dissous dans l'eau de nos rivières et de nos étangs. La cause principale de ces variations se trouve surtout dans l'augmentation des matières organiques contenues dans l'eau, élévation qui se montre pendant le parcours des fleuves dans les grandes cités par exemple. En môme temps que les détritus organiques augmentent dans les eaux, l'oxy- gène y disparaît presque complètement. Les résultats suivants, dus à Smith, des analyses de l'eau de la Tamise à divers points de son passage à travers la ville de Londres sont très explicites. La Tamise avant Londres Oxygène 7.4 — à Hammersmith — 4.7 — à Sommerset-IIouse — i .'à — à Woolwich — 0.23 Récemment M. Gérardin, dans une série de mémoires très intéressants, a insisté sur l'influence pernicieuse que l'altération et la corruption des eaux peut avoir sur les êtres qui peuplent les cours d'eau, et montré que la salubrité et l'altération des eaux sont intimement liées à la présence ou à l'absence de l'oxygène dissous. Dès que les eaux s'altèrent, les Poissons éprouvent un ma- laise évident ; ils remontent à la surface, s'engourdissent et, si l'altération persiste, ils ne tardent pas à périr en grand nombre. La plupart des Mollusques périssent également dans les eaux infectées. Quand la quantité d'oxygène dissous n'est pas encore très abaissée, les Poissons dont la respiration n'est pas très active peuvent résister, tandis que ceux dont la respiration est plus active ne peuvent plus vivre. C'est ainsi que, quand une rivière commence à s'infecter, l'Anguille survit aux autres Poissons. Il en est de môme des autres animaux : les Sangsues 332 LA VIE DANS LES EAUX. vivent dans les eaux où la Crevette de ruisseau meurt instan- tanément. Vous verrez par la suite, dans la relation de nos recherches, la confirmation expérimentale de ces résultats d'observations. Deux autres causes peuvent faire varier les quantités d'oxy- gène dissous dans Teau. Les gaz, en effet, sont absorbés par les liquides en quantités variables, qui dépendent de la température et de la pression que supporte le gaz. Aous examinerons rapi- dement l'influence de ces deux conditions sur la vie des ani- maux aquatiques. Les quantités d'oxygène dissous dans l'eau diminuent avec Taccroissement de la température. Si on considère les quanti- tés de ce gaz. qui sont absorbées par Feau à la température de zéro degré, on trouve que, toutes choses étant égales d'ailleurs, la proportion absorbée à la température de 20 degrés sera en- viron moitié moindre. Or comme l'eau dans les conditions or- dinaires n'est jamais saturée d'air, on comprend facilement que l'élévation de la température, dans certaines limites, puisse avoir une influence fâcheuse sur la vie des animaux. Il n'est pas rare, en effet, de voir dans les bassins des viviers, où l'eau est mal renouvelée, un grand nombre de Poissons mourir tout d'un coup, pendant les grandes chaleurs de l'été. C'est qu'alors les animaux, par cela même que la température est plus élevée, consomment beaucoup plus d'oxygène en même temps que le gaz se dissout dans l'eau en moins grande quantité, en vertu même de sa loi de dissolution. Nous avions pensé d'abord que telle était la raison de la mort des Poissons, qui sur- venait dans les expériences où Ton portait l'eau à des tempéra- tures qu'on aurait pu cependant regarder comme compatibles avec l'existence de ces êtres (28 à 32 degrés). Nous nous som- mes assuré depuis que cette raison était insuffisante, et que l'élévation de la température a des limites qui tiennent à l'or- ganisation môme de l'animal. En d'autres termes, la mort des Poissons dans de l'eau progressivement chauffée, survient tou- jours lorsque le liquide atteint une température, variable dans LE MILIEU RESPIRABLE. 353 certaines limites, selon les espèces (37 ou 38 degrés), bien que l'oxygène dissous soit en quantité suffisante pour Fentretien de la vie. Dans un bocal contenant 8 à 10 litres d'eau de Seine, on place quelques Cyprins. On élève lentement la température de l'eau au bain-marie, de manière à la faire monter de 12 à 30 et quelques degrés, dans l'espace de 1 heure 1/2 à 2 heures. Pour assurer l'aération la plus parfaite de l'eau, pendant toute la durée de l'expérience, on y fait passer un fort courant d'air, ou môme d'un air suroxygéné. On note la température du li- quide, au moment où chaque Poisson vient à mourir, et l'on fait une prise de l'eau du vase, dont on analyse les gaz. Dans ces conditions, on trouve que la mort des animaux arrive lors- que la température de Feau est à 33". Or, Fanalyse des gaz de l'eau montre que celle-ci contient des quantités d'oxygène dis- sous qui varient entre 4 et 5 centimètres cubes par litre d'eau, c'est-à-dire des quantités de ce gaz qui suffisent aux besoins de la respiration dans son état d'activité la plus grande. Mais passons maintenant à Finlluence que la pression baromé- trique exerce sur la vie des êtres aquatiques. Les abaissements progressifs de la pression de l'air, en diminuant d'une manière proportionnelle les quantités d'oxygène dissous dans Feau, finissent par exercer sur les animaux des effets plus ou moins promptement sensibles, suivant que la raréfaction de l'air est elle-même plus ou moins rapide et prononcée. On sait, d'un autre côté, d'après des observations faites par M. Boussingault, qu'on ne trouve pas de Poissons dans les lacs situés à de grandes hau- teurs dans les Andes. Il était intéressant de rechercher la raison physiologique de ces faits, de voir par des expériences directes, si l'influence exercée sur la vie, par la diminution de la pression barométrique, dans certaines limites, est le ré- sultat de la pression en elle-même ; ou si, au contraire, elle est le fait exclusif des variations de l'oxygène dissous dans Feau, à la suite des modifications dans la tension de l'air. Dans le but d'élucider ce point, nous avons imaginé le mode Regxard, 23 354 LA VIK DANS LES EAUX. d'expériences suivant, qui nous a permis de maintenir, pendant un temps plus ou moins prolongé, des Poissons dans de l'eau normalement aérée, à des pressions qu'on détermine à son gré. Un Cyprin est placé dans un bocal tubulé, contenant de l'eau et de l'air, et hermétiquement fermé (fig. 178). L'atmosphère Fio;. 178. — Expérience de Jolyet et P. ReyiiaiJ déiiioutraiit l'iiinueuce de la pression sur l'oxygénation de l'eau et la respiration des animaux aquatiques. d'air du flacon est en rapport par un de ses orifices avec un ma- nomètre à mercure M qui donnera à chaque moment la pression de l'air dans l'appareil ; d'autre part, il est en rapport avec une trompe aspiratrice à eau D, permettant d'y faire un vide par- tiel déterminé par l'ouverture plus ou moins grande donnée au robinet R. De cette façon la rentrée de l'air qui règle la pres- sion sert en môme temps à maintenir normale l'aération de l'eau. Nous avons pu, au moyen de cet appareil, répéter sur les animaux aquatiques une expérience devenue classique, que Paul Bert a instituée pour les animaux aériens. Exp. I. — Un Cyprin doré, du poids de 120 grammes, est placé dans l'ap- pareil, et soumis graduellement et maintenu à une dépression constante LE MILIEU RESPIRABLE. 3oo de 62 centimètres (14 cent, de pression réelle). L'expérience dure pendant 7 heures. Le Cyprin, qui est sur le flanc et offre une respiration haletante, est très souffrant et semble près de mourir. Analyse de l'eau (1 litre) à la fin de Vexpérence. Oxygène 1,8 Azote 6,0 Acide carbonique 20,0 Exp. II. — Le même Cyprin ayant servi à l'expérience précédente, il y a cinq jours, et parfaitement remis, est placé à nouveau dans l'appareil conte- nant 4 litres d'eau de Seine et soumis à une dépression de 65 centimètres de mercure (H cent, de pression réelle), mais on fait barboter dans l'eau de l'air suroxygéné, au lieu d'air normal, de façon à augmenter la propor- tion de l'oxygène dissous dans l'eau. L'expérience dure pendant dix-huit heures. L'animal est bien portant et ne paraît nullement souffrir. Analyse de leau (1 litre) à la fin de l'expérience. Oxygène 2,9 Azote 4,5 Acide carbonique 31;6 Ainsi, à la condition de diminuer lentement la pression, à cause de la vessie natatoire du Poisson, on voit que la dépression en elle-même est pour peu de chose dans le malaise éprouvé par l'animal ; tout dépend de la quan- tité d'oxygène dissous dans l'eau. Le Cyprin en effet, dans l'expérience 2, n'est point malade, et pourtant il est à une pression réelle plus faible que dans l'expérience 1 , seulement l'eau contient plus d'oxygène dans la seconde expérience que dans la première. On sait que lorsqu'on laisse séjourner des Poissons dans une eau aérée qui ne se renouvelle pas, ceux-ci peuvent épuiser en grande partie l'oxygène dissous, et la mort des animaux a lieu lorsqu'il n'y a plus que quelques traces de gaz dans le liquide. On peut se demander si, dans l'asphyxie des Poissons dans l'eau non renouvelée, la mort est le résultat de la privation de l'oxygène seul, et si l'accumulation graduelle de l'acide carbo- nique dans le liquide n'y entre pas pour quelque chose. Pour démontrer ce point, nous avons recherché à quel mo- ment mouraient des Poissons dans une eau aérée normale- ment, mais dans laquelle on augmentait graduellement la pro- 3o6 LA VIE DANS LES EAUX. portion d'acide carbonique dissous, et nous avons toujours vu que la proportion de ce gaz qui doit être dissoute dans l'eau est infiniment supérieure à celle qui peut y être contenue, au moment de la mort des Poissons dans Teau non aérée. Exp. III. — On place 2 Cyprins dans 4 litres d'eau, et on fait barboter dans cette eau un double courant d'air et d'acide carbonique. Après vingt minutes de barbotage, les 2 Cyprins sont très malades, n'ont plus leur mode de station normale et cinq minutes après un des Poissons est mort et l'autre mourant. On cesse alors le courant d'air et d'acide carbonique et on introduit dans le récipient vide de la pompe pneumatique à mercure 500 centimètres cubes d'eau. L'extraction et Taualyse des gaz donnent les cliiffres suivants rap- portés à 1 litre : CO- 306 centimètres cubes. Oxygène 4,9 — On voit donc que des Cyprins meurent dans de leau aérée, et contenant une proportion normale d'oxygène (4'"', 9) lorsque cette eau contient environ 30 0/0 de gaz acide carbonique. Nous avons répété l'expérience précédente, mais en arrêtant le courant de CO- et d'air au moment où les Cyprins sont en- core vivants, mais déjà incommodés et n'ayant plus leur mode de station normale. L'analyse de l'eau, faite alors, nous a donné par litre: CO- 211 centimètres cubes. Oxygène 4 — Les quantités d'acide carbonique libre, à l'état de dissolution dans l'eau, nécessaires pour produire l'asphyxie chez les Pois- sons, varient dans des limites qui dépendent de causes multi- ples (température, rapidité de l'accumulation du gaz acide dans le milieu), et surtout des espèces animales mises en expé- rience. L'oxygène restant constant dans l'eau, si on augmente graduellement la proportion d'acide carbonique, on peut dire que les Poissons sont très malades lorsqu'elle atteint 15 à 20 p. 100, et meurent lorsqu'elle monte de 20 à 30 p. 100. LE MILIEU RESPIRABLE. 337 De là il résulte que ce genre d'asphyxie ne doit jamais pou- voir se produire dans les conditions ordinaires (à moins de cir- constances particulières qui favorisent Faccumulation de CO'^), et que toujours la mort des animaux aquatiques devra avoir lieu par privation d'oxygène, avant que le gaz acide n'ait pu s'accumuler dans Feau en quantité suffisante, même pour pro- duire des accidents. Des faits et des considérations que nous venons de développer, il résulte que le milieu respirable, dans lequel vivent les êtres aquatiques, doit contenir une certaine quantité d'oxygène dis- sous, qui varie dans certaines limites, suivant des circonstances nombreuses, mais qui jamais ne peut s'abaisser au-dessous d'un certain chiffre, sans danger pour la vie des animaux. On peut assigner les limites des variations de l'oxygène du milieu respirable, entre 3 et 10 centimètres cubes par litre d'eau. Il résulte de là que, môme en prenant les quantités les plus fortes d'oxygène dissous dans l'eau, la proportion de ce gaz qui arrive au contact des organes respiratoires est en définitive beaucoup plus faible chez les animaux qui vivent dans l'eau que chez ceux qui vivent dans l'air. Tandis qu'en effet, 1 litre d'air fournit à la respiration 210 centimètres cubes d'oxygène, 1 litre d'eau n'en donne au maximum que 10, c'est-à-dire 20 fois moins. Sous le rapport de la quantité d'oxygène qu'il reçoit, un animal aquatique se trouve à peu près dans les mêmes conditions que s'il respirait dans un air qui contiendrait moins de 1 p. 100 d'oxygène. Ces considérations peuvent déjà faire présumer que les êtres qui nous occupent n'ont besoin que d'une quantité relativement faible d'oxygène. \^' TREIZIÈME LEÇON LA RESPIRATION AQUATIQUE. — MÉCANISME Messieurs, Les êtres vivants qui habitent les eaux respirent aux de'pens de ces gaz dissous que nous venons d'étudier ensemble si lon- guement. Ils le font au moyen d'appareils que nous devons maintenant vous faire connaître. Pris en soi-même, un appareil respiratoire est toujours cons- truit sur le même plan. D'une part le milieu respirable, de l'autre le milieu respirant , c'est-à-dire le sang ou même sim- plement les cellules constitutives de l'individu : entre les deux une membrane d'une minceur extrême que devront traverser les gaz qui, du milieu extérieur, gagneront le milieu intérieur et ceux qui, devant être rejetés, suivront une voie précisément inverse. C'est dans le milieu aquatique que nous rencontrerons les appareils respiratoires les plus simples. Sont aquatiques, en effet, vous le savez, tous les Invertébrés sauf les Insectes, les Myriapodes, les Arachnides et quelques Crustacés et Mollusques formant une minime exception dans leur ordre. Dans les Vertébrés nous rencontrons tous les Pois- sons et tous les Batraciens, qui, au moins pendant ime période de leur existence, vivent dans les eaux. Il est bien entendu. Messieurs, que nous n'allons pas faire ici une revue complète de l'appareil respiratoire de tous ces LA RESPIRATION AQUATIQUE. — MÉCANISME. 3o9 animaux, je voudrais seulement vous en dire ce qui est stricte- ment nécessaire pour comprendre ensuite la manière dont s'effectue leur respiration chimique: ceux d'entre vous qui voudraient pénétrer plus avant dans cette étude purement anatomique ne manqueront pas de traités où elle est faite avec grands développements. Chez les animaux tout à fait inférieurs, chez les Infusoires, les Spongiaires, les Cœlentérés, il n'y a pas d'appareil respi- ratoire spécialisé. Le liquide général du corps de l'animal Fig. 179. — Respiration aquatique chez l'Holothurie. n'est séparé de l'eau ambiante que parla mince couche anhiste dont je vous parlais tout à l'heure; les échanges se font à travers cette membrane sur toute la surface extérieure et interne du corps, laquelle se trouve considérablement aug- mentée par les replis et les franges nombreuses des couronnes de tentacules. C'est l'appareil respiratoire primordial et simple, typique pour ainsi dire. Les Echinodermcs ont le corps couvert de plaques chiti- neuses et calcaires à travers lesquelles il semble difficile qu'une respiration s'effectue. On a admis alors que l'eau pénétrait par l'extrémité des tubes ambulacraires jusque dans la cavité géné- rale du corps et que la respiration se faisait là. Cette disposi- tion n'existe pas en réalité, mais il semble qu'il y ait une com- 360 LA VIE DANS LES EAUX. mimication entre l'eau ambiante et Tintérieur des tubes ambulacraires et cela par la plaque madréporique, le canal du sable et un réseau particulier de vaisseaux. Chez les Holothuries (fig. 179) l'appareil commence à se com- pliquer; autour de la bouche nait un véritable panache qui est le rudiment de la branchie. Ces ramifications sont creuses c 0 a Fig. 180. — Appareil respiratoire des Bryozoaires. et l'animal peut les enfler ou les vider en y poussant l'eau ambiante ou bien en la rejetant. C'est donc un vrai poumon qui s'emplit et se vide comme le nôtre. Chez les Bryozoaires une couronne de tentacules entoure la bouche et lui forme comme une couronne. Le liquide interne du corps circule dans ces prolongements effilés, l'eau de la mer les baigne et l'échange a lieu (fig. 180). La circulation de l'eau est même entretenue par les mouve- ments continuels de cils vibratiles qui recouvrent les tenta- cules. Rentrez ce paquet pseudo-branchial dans l'intérieur du corps et admettez qu'une disposition spéciale fasse circuler rapide- ment l'eau autour, toujours dans le même sens, et vous aurez l'appareil respiratoire dune Ascidie. LA RESPIRATION AQUATIQUE. ~ MÉCANISME. 361 Les Mollusques Brachiopodes sont remarquables par deux bras ciliés qui semblent, au même titre que le reste du corps, des organes d'échanges gazeux avec Teau ambiante. Les parties mêmes du corps qui revêtent la coquille sont mises en rapport avec Teau à travers des perforations de celle-ci. Par ces perfo- rations passent des houppes ciliées qui sont de vraies branchies rudimentaires. Nous nous élevons peu à peu dans Téchelle animale, et voici que, sans quitter les Mollusques, nous trouvons des animaux chez qui la surface du corps n'a plus qu'un rôle secondaire dans les échanges gazeux et chez qui commencent à apparaître des organes spéciaux et parfaitement différenciés. Chez ces Mollusques, la branchie occupe des localités anato- miques diverses, mais elles sont toujours délimitées par un repli particulier du manteau. Ainsi par exemple, chez les Lamellibranches, de chaque côté du corps, pris comme axe, tombent symétriquement deux replis qui constituent le manteau. C'est dans l'angle dièdre formé par le corps d'une part et par le manteau d'autre part que l'on aperçoit une série de filaments qui constituent les branchies. Chez les Gastéropodes, la forme contournée du corps rend les choses un peu plus compliquées ; mais c'est encore dans l'angle qui sépare le manteau du reste du corps que se rencontrent les appareils branchiaux. — Cela est absolument vrai chez les Patelles et les Oscabrions. — Chez les Gastéropodes plus com- pliqués, chez les Prosobranches ou les Opisthobranches , les appareils de la respiration se trouvent auprès de l'anus ou sur la nuque de l'animal. Chez les Mollusques les mieux organisés, chez les Céphalo- podes, c'est toujours au niveau de l'angle palléal que nous re- trouvons l'appareil de la respiration (fig. 181). Il demeure du reste bien entendu que chez tous ces ani- maux la peau a une importance énorme dans l'acte respiratoire. On peut supprimer les branchies sans pour cela nuire consi- dérablement à l'être vivant. 362 LA VIE DANS LES EAUX. Fig. 181. — Sac respiratoire du Poulpe. Où qu'elles soient, d'ailleurs, ces branchies des Mollusques sont constituées comme je vais vous le dire. Elles sont formées par deux ou quatre séries de filaments creux, de tubes qui partis de l'angle du corps se re- joignent à leur partie infé- rieure à la manière des fran- ges d'un tapis. Souvent môme elles sont rejointes par des fils transversaux qui les transforment en une sorte de grillage. Dans ces tubes se trouvent des vaisseaux sanguins et, à leur superficie, se rencontre une masse de cils vibratiles, qui sans cesse agitent l'eau et la renouvellent sur l'ap- pareil respiratoire. Ces cils produisent même un courant uni- forme dans l'eau et, comme le manteau est percé de plusieurs ouvertures, ce courant se fait de l'une à l'autre, le liquide en- trant et sortant toujours par la même. 11 arrive que les replis du manteau qui portent les ouvertures sortent au dehors de la co- quille sous forme de deux tubes, de deux siphons dont l'un prend l'eau chargée d'oxygène et l'autre la restitue chargée d'acide carbonique. Dans ce cas, le courant d'eau est produit par le jeu des cils vibratiles. Chez les Céphalopodes il existe im mécanisme plus compliqué mais aussi beaucoup plus parfait. Les branchies ont la forme d'une pyramide allongée (fig. 182) et sont composées de lamelles placées le long d'une tige cen- trale comme les barbes d'une plume. Il peut y en avoir une ou deux paires. La surface de ces branchies n'est nullement recou- verte de cils vibratiles, mais le manteau de l'animal est refermé en forme de poche avec deux ouvertures munies de valvules. Quand le Céphalopode veut respirer il dilate son manteau, LA RESPIRATION AQUATIQUE. MÉCANISME. 363 l'eau y pénètre par une des ouvertures, puis le manteau se contracte, l'eau est forcée de sortir par l'autre ouverture en forme d'entonnoir. Le manteau agit là comme un véritable cœur qui met en mouvement de l'eau à la place du sang. vb es vc as br cp s Figi 182. — Appareil brauchial chez le Poulpe. Paul Bert fait même remarquer qu'un muscle spécial s'at- tache à la base de la branchie et sert à l'agiter dans le liquide contenu dans le manteau. Nous en avons fini avec les Mollusques, et nous rencontrons maintenant la classe des Annélides. Chez beaucoup de ces animaux la respiration est purement cutanée. Chez quelques espèces, cependant, se trouvent des houppes branchiales qui ont servi aux naturalistes à distinguer les ordres. C'est ce que l'on voit, par exemple, chez les Serpules que représente notre figure 183. Il y a même ceci de particulier, chez ces animaux, que certaines de leurs branchies sont péné- trées simplement par le liquide général du corps (branchies lymphatiques), tandis que d'autres sont remplies d'un liquide rouge tout à fait analogue au sang des Vertébrés. Ces branchies 364 LA VIE DANS LES EAUX. flottent au milieu de l'eau, qui n'est guère renouvelée à leur sur- face que par leur propre agitation. Nous arrivons aux Crustacés. Chez les plus inférieurs de ces animaux, la respira- lion ne s'effectue guère que par la surface générale du corps, mais chez ceux qui sont plus élevés en organisation, la peau s'en- croûte d'une substance chitineuse qui en- trave absolument les échanges; aussi la branchie réapparaît-elle, et la trouvons- nous, tantôt placée sur l'appareil locomo- teur, qui l'agitera dans l'eau, et tantôt dans une cavité qui la protégera et où l'eau se renouvellera par un mécanisme particulier. Si nous prenons, par exemple, comme Fig. 183. — Appareil ros- type de notre étude l'appareil respiratoire pirntoire chez les Ser- , , r -, i :»i Joules. Ires parlait des JMacroures, nous voyons que, de chaque côté du corps de ces ani- maux, dans le céphalo-thorax, se trouve une cavité fermée en haut et sur les côtés, et ouverte seulement en dessous. Ouvrons n _ Fig. 184. — Appareil respiratoire du Palémon. cette cavité (fig. 184 et 18o), et nous y verrons une série de pyramides qui sont les branchies. Celles-ci prennent naissance LA RESPIRATION AQUATIQUE. — MÉCANISME. 365 soit sur le céphalo-thorax, soit sur les articles mêmes des pattes correspondantes qui, par leurs mouvements, les agitent dans le liquide. 11 n'y a pas de cils vibratiles à leur surface. La figure 186 représente l'appareil respiratoire d'un Crabe; on aperçoit les branchies en place d'un côté et relevées du côté opposé. Fig. 185. — Appareil respiratoire de l'Écrevisse. Examinons maintenant la manière dont va fonctionner cet appareil. Nous avons mis un Palémon dans l'eau ; nous voyons celle-ci s'introduire dans l'animal par la grande fente de la carapace dont nous avons parlé, et sortir en avant, près de la bouche. Cette circulation d'eau se fait rythmiquement ; nous la consta- tons plus facilement encore en retirant l'animal, et en le met- tant à l'air qui vient se mêler au liquide de sa chambre respira- toire ; on le voit alors expulser, par coups successifs et répétés, une certaine quantité de bulles gazeuses. Cette circulation d'eau est produite par une sorte de vanne découverte par Milne- Edwards, vanne qui, à la façon d'une cuillère, prend de l'eau à l'entrée de la chambre respiratoire et la pousse vers la sortie. Ce n'est point ici, Messieurs, la place de vous faire connaître en détail les modifications que subit l'appareil branchial chez les différents genres de Crustacés ; ce point est l'œuvre de l'ana- tomiste et ne nous intéresse pas; j'aime mieux en arriver de suite à vous donner un aperçu de l'appareil respiratoire des Poissons. Parmi ceux-ci, il en est un d'une simplicité très grande, et 366 LA VIE DANS LES EAUX. sur lequel les zoologistes ont beaucoup discuté : c'est VAm- phioxus. Chez cet animal, un pore antérieur marque, à la fois, l'entrée de l'appareil respiratoire et de l'appareil digestif. De môme, vers la partie postérieure du corps, le pore abdominal est la sortie des deux appareils. Dans la cavité même du corps fo e m no t fo ■ f h c aa // ô' Fig. 18G. — Appareil branchial d'un Crabe. se trouve un treillage véritable, formé par des vaisseaux san- guins très serrés. L'eau est introduite par la bouche et remplit la cavité générale du corps; puis, à certains moments, une contraction générale a lieu, et celui-ci se vide de Feau qu'il contenait. Or, il semble certain qu'ici, malgré la confusion apparente des deux appareils digestif et respiratoire, les vaisseaux en lacis jouent le rôle de branchies. Chez les Lamproies, qui viennent ensuite comme simplicité d'organisation, on trouve, de chaque côté de la partie anté- rieure du corps, sept orifices qui donnent dans sept poches par- ticulières communiquant les unes avec les autres et môme avec celles du côté opposé ainsi qu'avec les fosses nasales. Ce sont les LA RESPIRATION AQUATIQUE. MÉCANISME. 367 poches branchiales ; en effet, dans chacune d'elles se trouve une branchie rudimentaire qui naît sur le sac lui-même, comme les feuillets d'un livre partent de son dos. Quand l'animal est fixé par sa bouche, on le voit dilater ses poches branchiales et y appeler l'eau, puis les contracter pour la chasser, si bien que le liquide entre et ressort par le môme orifice. Il arrive fré- quemment qu'un fragment solide suive cette eau : alors, on le lih ar s co ca nh h r b l Fig. 187. — Appareil branchial d'uu Poisson. voit sortir indifféremment par l'un quelconque des orifices, puisque toutes les poches branchiales communiquent entre elles. Si la Lamproie n'est pas fixée et si elle nage, il en est absolument de même ; elle tient sa bouche hermétiquement fermée. Chez les Poissons osseux, la complication devient beaucoup plus considérable. Il me suffira pourtant de vous rappeler que sur les côtés de leur tète se trouvent des arcs osseux, sur lesquels se sont étalés les paquets vasculaires qui constituent les branchies. La chambre branchiale est en com- munication, d'une part, avec le pharynx, et d'autre part elle est recouverte par un opercule qui s'ouvre en arrière par une fente 368 LA VIE DANS LES EAUX. (fig. 187). La branchie elle-même est formée par ime série de vaisseaux très fins, sans cils vibratils, qui prennent le sang vei- neux, sont le siège de Tartérialisation, et rendent du sang oxygéné. Cette description très sommaire nous suffit, d'ailleurs, pour comprendre le mécanisme de la respiration. Voici comment Duvernois Ta décrit, et avec lui tous les auteurs, jusqu'à Paul Bert : « Le Poisson ouvre la bouche, la remplit d'eau, puis la ferme et expulse cette eau par la fente des ouïes, en la faisant passer à travers ses branchies. » Il y a donc mouvement inverse de la bouche et de l'opercule; l'un se ferme quand s'ouvre l'autre; voilà. Messieurs, comment on fait la physiologie par le simple raisonnement. Fig. 188. — Ampoule pour l'enregistrement des mouvements de l'opercule. Tout ce que je viens de vous dire est faux; dans la réalité la bouche et l'opercule se ferment ensemble. Il est déjà possible de le voir rien qu'en regardant un Poisson qui respire, mais la méthode graphique nous en donne la certitude. Yoici comment Paul Bert l'utilise. Il introduit, dans la fente operculaire du Poisson, une ampoule de caoutchouc (fig. 188). Cette ampoule est en relation, par le tube A, avec un tambour enregistreur de Marey qui écrit sur un cylindre tournant. Il a fait construire un deuxième ballon de caoutchouc (fig. 189), formé de deux ballons renfermés l'un dans l'autre. On introduit ce deuxième appareil dans le pharynx du Poisson; le tube A est en rapport avec un tambour enregistreur qui écrit auprès du LA RESPIRATION AQUATIQUE. — MÉCANISME. 369 précédent, tandis que le tube B sert à gonfler l'appareil, dès qu'il est placé dans le pharynx de ranimai. Quand tout se trouve en place, on a la disposition représentée en 190. Supposons l'expérience faite, et examinons les tracés que nous aurons obtenus (fig. 191). Ils nous montrent que toutes les fois que la bouche se contracte, le pharynx d'une part et l'oper- cule d'autre part, se contractent aussi. Une perpendiculaire , abaissée pendant un temps quel- conque du mouvement de l'un des organes, correspond exactement à un temps identique des deux autres organes. Ce que les anciens auteurs avaient dit Fig. 189. —Ampoule pour l'enregistre- ment des mouvements du pharynx. Fig. 190. — Dispositif employé pour enregistrer simultanément les mouvements de l'opercule et du pharynx chez un Poisson. est donc inexact; dans la respiration du Poisson, la bouche, le pharynx et l'opercule s'ouvrent et se ferment en même temps. Peu d'eau, pourtant, entre par l'orifice operculaire au moment de l'inspiration. Par sa forme même il fait clapet. Au moment de la contraction, l'eau sort par l'opercule en grande quantité, bien qu'il soit fermé, car elle le soulève mécaniquement. D'ailleurs, chacun de ces orifices peut suppléer les autres. On peut coudre la bouche à des Carpes, elles ne meurent pas pour Regnaru. 24 370 LA VIE DANS LES EAUX. cela, elles inspirent par Topercule ; si, sur d'autres, on ferme celui-ci, elles inspirent par la IdoucIic. Elles sont, en cela, comme lÉÉlÉÉ Fig. l;jl. — Tracé représentant la simultanéité des mouvements de la bouche, du pharynx et de l'opercule dans la respiration d'un Poisson. un homme qui respire par la bouche si son nez est fermé, et par le nez si Forilice buccal se trouve obturé. Dans les Poissons cartilagineux, nous rencontrons une dis- position un peu différente de celle que nous venons de vous signaler chez les Poissons osseux. Le bat- tant operculaire manque et les fentes plia- ryngiennes viennent s'ouvrir directement à la surface du corps ; elles sont en même temps rétrécies et diminuées de hauteur. Quant au jeu de l'appareil, il est sensi- blement le même que chez un Poisson os- seux, bien que la méthode graphique soit impuissante à le saisir. Sur les Squales on trouve de plus, en arrière des yeux, deux ouvertures particu- lières, deux évents qui pour Davy sont des orifices inspirateurs. Si on examine une Raie à moitié noyée dans le sable, on voit parfaitement que ses évents servent uniciuement à l'entrée de Teau et qu'il n'en sort par eux jamais la moindre trace : la bouche est étrangère à Fig. iy'2. — Branchies extérieures chez un tê- tard de Grenouille. LA RESPIRATION AQUATIQUE. — MÉCANISME. 371 l'inspiration. Une valvule particulière fait que l'évent n'est jamais un organe expiratoire. A l'ouverture de l'évent se trouve un organe spécial sur la nature duquel on a discuté et que tous s'accordent aujourd'hui à considérer comme la branchie accessoire. Messieurs, certains animaux nous présentent d'intéres- santes modifications dans la constitution de leur appareil res- piratoire. Je fais allusion tout d'abord aux Batraciens chez qui la pre- mière partie de l'existence est purement aquatique. Voyez (fig. 192) ce très jeune têtard de Grenouille, né de- puis quelques jours seulement. De chaque côté de sa tête vous / to t ab c ob 2 Fig. 19:J. — Appareil brancliial du têtard de la Grenouille. apercevez deux bouquets vasculaires B qu'il agite dans l'eau, ce sont ses branchies. — Si vous les examinez dans leurs rapports avec les vaisseaux sanguins (fig. 193), vous voyez qu'elles re- çoivent le sang veineux venu du cœur et qu'elles renvoient à l'oreillette gauche de celui-ci du sang artérialisé. Peu à peu ces organes vont s'atrophier et, vers le quinzième jour de la vie de Fanimal, ils auront totalement disparu. Si alors vous considérez l'animal, vous verrez qu'il avale l'eau par la bouche et la rejette par un orifice particulier situé en arrière de sa tète. Fendez largement cette bouche et vous apercevrez, flottant dans l'eau, des houppes branchiales très riches : ce sont les branchies internes; elles ne sont nullement recouvertes de cils vibratiles. 372 LA VIE DANS LES EAUX. Sur un animal plus âgé, ayant déjà des pattes, nous trou- vons, en même temps que les branchies internes, des poumons aériens. Ici donc, deux mécanismes bien séparés : pendant la première partie de la vie aquatique, branchies extérieures que l'animal se contente d'agiter dans l'eau ; dans la seconde période, bran- chies internes que l'animal irrigue par des mouvements de dé- glutition. D'ailleurs la peau est, chez les Batraciens, une voie très large pour la respiration aquatique; les Grenouilles plongées dans l'eau aérée vivent très bien, même si on les empêche de venir respirer l'air à la surface. W. Edwards a pu les conserver pen- dant deux mois et demi en faisant courir l'eau autour d'elles. En les laissant dans l'eau non renouvelée, on les voit épuiser totalement l'oxygène dissous dans ce liquide. La branchie n'est même, à la période aquatique, qu'un point plus riche en vascularisation, qu'une région de la peau plus délicate et plus développée en surface. Mais elle n'est nulle- ment indispensable, car on peut, en opérant avec précaution et à une basse température, débarrasser un Axolotl de ses bran- chies sans entraîner sa mort le moins du monde. Yoilà déjà une modification bien curieuse de l'appareil respi- ratoire. Celle dont je vais maintenant vous entretenir est plus singulière encore. Certains Poissons possèdent une disposition telle de l'appa- reil branchial que celui-ci reste humide même quand ils sont exposés directement à l'air et sortis de l'eau, si bien qu'ils vivent presque indifféremment de la vie aérienne ou de la vie aquatique. Les pharyngiens labyrinthiformes ont, au-dessus de leurs branchies, des houppes spongieuses qui tiennent celles-ci tou- jours humides. Il y a quelque chose d'analogue chez un silu- roïde, le Sharmuth du Nil. Chez le Saccobranchus Singio^ chez V Amphipnous on trouve des sacs sous-cutanés pleins d'air en relation avec une grande LA RESPIRATION AQUATIQUE. MÉCANISME. 373 ^> Fig. lOi. — Appareil branchial de TAnabas. quantité de vaisseaux ; ils doivent contribuer beaucoup à la possibilité d'une véritable respiration aérienne. Aussi ces ani- maux peuvent-ils sortir des eaux et vivre quelque temps sur le sol. Ln Poisson célèbre à ce point de vue est VAnabas dont l'appareil branchial est repré- senté ci-contre (lig. 194). Au dire des Indiens, cet animal peut, non seulement vivre hors de l'eau, mais il peut ramper dans l'herbe hu- mide, aller d'une rivière dans une autre (fig. 193) et même grimper aux arbres dans cer- taines circonstances. Du reste cette respiration aérienne des Poissons se retrouve chez presque tous. Voici une Carpe qui vit dans ce bassin trop étroit pour elle. Elle a depuis longtemps épuisé l'oxygène dissous dans l'eau et vous la voyez venir à la surface, avaler l'air et le faire passer sur ses bran- chies. Elle vit de cette manière depuis deux jours. Mettons main- tenant un grillage qui l'empêchera de venir humer à la surface ; en moins d'une heure elle aura succombé. Mais ce n'est pas seulement avec les branchies et avec la peau que respirent les Poissons : il y en a qui respirent avec leur intestin. M. Jobert a décrit un de ces animaux, le Caliichtt/s, qui vit dans les eaux des rios brésiliens. Cet animal possède des bran- chies, mais quand les rivières se dessèchent, il avale l'air, son tube intestinal, garni de houppes vasculaires, lui sert de poumon. Le Cobitis fossilis est célèbre à ce point de vue ; généralement enfoui dans la vase, il vient de temps en temps à la surface et avale quelques bulles d'air qu'il rejette ensuite par l'anus. Mon collègue M. Jolyet et moi nous avons étudié particulièrement 374 LA VIE DANS LES EAUX. cette respiration au moyen de l'appareil que je vous présente (fig. 196). m,'!, Vlln,, Fiîir. 195. — \^Anah'is sortant de l'eau Dans un tube enU, fermé par un grillage T, passe un courant d'eau froide venu du robinet E. Le Co^zV/s est placé de telle sorte que sa boucbe soit d'un coté du tube et son anus de l'autre. Il LA RESPIRATION AQUATIQUE. — MÉCANISME. 375 avale l'air en T et le renvoie dans le tube gradué T' qui sert à la fois à le mesurer et à l'analyser. Depuis longtemps déjà on connaît la particularité ofTerle par le Cobitis fossilis d'avaler de l'air par la bouche pour le rejeter par l'anus, après l'avoir dépouillé d'une quantité plus ou moins grande d'oxygène. Ermann, qui le premier a fait à ce sujet d'in- Fig. 196. — Appareil pour l'étude de la respiration du Cobitis fossilis. téressantes observations, a montré que cette sorte de respira- tion intestinale surajoutée est suffisante, même pour entretenir la vie de ces Poissons. Ayant eu, par l'entremise de M. Carbonnier, un certain nom- bre de Cobitis à notre disposition, nous avons cru devoir re- prendre l'étude de la respiration de ces êtres pour la préciser davantage. Nous avons d'abord, au moyen de notre méthode pour l'étude de la respiration des animaux aquatiques, déterminé les quantités d'oxygène absorbé et d'acide carbonique exhalé dans l'acte respiratoire normal (respiration branchiale et intestinale simultanément) par les Cobitis fossilis. 376 LA VIE DANS LES EAUX. Six de ces animaux, pesant ensemble 93 grammes, furent placés dans notre appareil et y séjournèrent soixante-dix heures par une température qui a varié entre 17° et 22". Les résultats de Fexpérience ont été les suivants : Volume de l'oxygène consommé .")79'^'',8 — de l'acide carbonique exhalé 454 ,4 — de l'azote exhalé 8,3 Rapport entre le volume de l'oxygène contenu dans l'acide carbonique exhalé et le volume de l'oxygène consommé 0 ,78 Volume de l'oxygène consommé par heure et par kilogramme d'animal 80 ,3 Dans une autre série d'expériences, nous avons recherché dans quel rapport se trouvent entre elles la respiration intestinale et la respiration branchiale du Cobitis. Nous avons trouvé que la quantité d'oxygène de Tair absorbé par l'intestin est environ moitié moindre que celle absorbée par les branchies. Ainsi, sur les 86'^', 3 d'oxygène absorbés par heure et par kilogramme de Poisson, dans la respiration complète, 27*"', 9 le sont par la muqueuse intestinale et 58", 4 par les branchies. Quant à l'acide carbonique rendu, comme Baumert et Bis- cholT l'avaient déjà indiqué, il est excrété presque en totalité par les branchies, o centimètres cubes seulement s'en allant par l'autre voie. L'analyse des gaz rendus par l'anus nous a montré que l'air était moins dépouillé d'oxygène que ne l'avaient indiqué les observateurs précédemment cités. Nous avons trouvé qu'il con- tenait de 13 à 18 p. 100 d'oxygène. Ermann ayant montré que l'oxygène absorbé par l'intestin pouvait suffire aux besoins de la respiration, nous avons fait la contre-épreuve et nous avons vu que l'on peut supprimer ce mode de respiration, sans danger pour l'animal, au moins pen- dant un temps assez long (24 heures et plus). Un Cobitis est placé dans un appareil traversé par un cou- rant d'eau aérée, et disposé de telle façon que l'animal peut LA RESPIRATION AQUATIQUE. — MÉCANISME. 377 avaler à volonté le gaz qui est au-dessus de l'eau, pour l'expul- ser d'autre part dans un tube gradué. Le gaz qui surnage étant de l'hydrogène pur, Tanimal peut vivre dans ces conditions, sans inconvénient, comme lorsqu'il est maintenu sous l'eau aérée. Nous avons observé de plus ce fait intéressant : c'est que le Poisson semble en quelque sorte avoir conscience de l'inutilité, dans ce cas, de sa respiration intestinale, et au lieu de rejeter par l'anus 8 centimètres cubes de gaz par heure, comme il le ferait en avalant Tair ordinaire, il n'expulse plus que 1 centimètre cube d'hydrogène environ dans le même temps. Si on remplace l'atmosphère d'hydrogène par une at- mosphère d'oxygène, les autres conditions restant les mêmes, on voit que la quantité de ce gaz l'endue par l'anus est égale- ment diminuée et varie entre o et 6 centimètres cubes à l'heure. Dans le premier cas, l'atmosphère étant inerte, l'animal, pour suppléer à la respiration intestinale suspendue, augmente le nombre des mouvements respiratoires des ouïes ; dans le deuxième cas, les deux modes respiratoires se ralentissent si- multanément, l'oxygène pénétrant dans le sang par la mu- queuse intestinale en quantité plus considérable. En sorte que, chez le Cobùis fossilis, pour ce qui est de l'ab- sorption de l'oxygène, la respiration intestinale et la respi- ration branchiale peuvent se suppléer l'une l'autre; mais la respiration branchiale est toujours nécessaire pour l'excrétion de l'acide carbonique. Ce n'est pas seulement par son intestin qu'un Poisson peut absorber de l'oxygène, il peut encore en puiser dans un organe de statique que j'aurai plus tard à vous faire connaître et qu'on appelle la vessie natatoire. Ce réservoir, qu'il communique ou non avec l'extérieur, contient de l'oxygène, de l'acide carbonique et de l'azote. Si on met un Poisson dans de l'eau pauvre en oxygène et par conséquent asphyxiante, on voit cet animal consommer l'oxy- gène contenu dans sa vessie. Mais il ne lui rend pas une proportion correspondante d'acide 378 LA VIE DANS LES EAUX. carbonique, c'est toujours par les branchies que s'en va celui- ci. C'est exactement comme chez le Cobitis. Du reste la quantité d'oxygène contenue dans la vessie nata- toire varie beaucoup : d'après Biot elle peut aller de 0,5 à 87 p. 100. Cette différence énorme dépendrait, d'après cet au- teur, de la profondeur à laquelle a vécu l'animal. Armand Moreau, qui a tant étudié la vessie natatoire, a mon- tré qu'elle s'appauvTissait en oxygène quand le Poisson ne pou- vait plus respirer par les branchies, mais il a fait plus, il a prouvé que si on vide la vessie natatoire en la ponctionnant, par exemple, le gaz qui s'y reforme est de plus en plus riche en oxygène : la proportion a pu monter de 18 à 85 p. 100. Cette exhalation de gaz se fait sous l'influence du grand sympathique. Quand on coupe ce nerf, elle augmente et cela corrélativement à la circulation qui augmente aussi. Il y a dans la vessie natatoire une véritable exhalation d'oxy- gène qui provient forcément des gaz du sang. L'oxyhémoglobine de celui-ci se dissocie donc quand elle tra- verse les capillaires de la vessie. Ce fait semble dû à des corps spéciaux décrits par Moreau et qu'il a appelés coi'ps rouges. On n'est pas encore très bien édifié sur le rôle et la significa- tion de ces corps rouges, aussi n'y insisterai-je pas davantage. Il me reste, Messieurs avant déterminer cette leçon, à résu- mer ce que nous avons dit des mécanismes respiratoires. Quels qu'ils soient, ils se présentent toujours de la manière sui- vante : Un appareil où le sang se trouve séparé des gaz dissous dans l'eau par une simple membrane, des cils vibratiles qui agitent l'eau au contact de cette membrane ou bien des instruments plus compliqués qui, sous l'influence de réflexes médullaires, établissent un courant d'eau sans cesse renouvelée sur les appa- reils respiratoires. Je me suis demandé si la suppression du réflexe respiratoire et du courant d'eau qui en est le résultat amènerait l'asphyxie d'un Poisson, par exemple. J'ai donc institué l'expérience que LA RESPIRATION AQUATIQUE. — MÉCANISME. 379 voici. Je plonge un Cyprin doré dans une solution à 2 pour 1 ,000 de chlorhydrate de cocaïne. Vous voyez Fanimal s'agiter vivement d'abord, puis respirer avec une grande activité. Au bout de dix à quinze minutes le Poisson se trouve sur le liane, il monte à la surface de l'eau, puis tout d'un coup cesse toute respiration : sa bouche demeure fermée et ses ouïes sont tout à fait immobiles, Fanimal est inerte, paralysé de tous les muscles : de l'avis de tous, il est mort. Si on le retire alors, et si on le met dans l'eau pure, il demeure dans l'état de mort apparente pendant trois ou quatre heures, davantage même quelquefois, puis la respiration recommence, et, douze heures après, l'animal est tout à fait revenu à son état primitif. Si, par le procédé que nous vous avons fait connaître, on ana- lyse les gaz de l'eau où le Cyprin a séjourné pendant sa léthargie, on voit qu'ils n'ont pas varié et que la respiration a été aussi nulle chimiquement qu'elle l'était physiquement. — Ainsi de l'eau qui contenait 8™, 8 d'oxygène et 16''%2 d'acide carbonique renfermait encore exactement la même quantité de chaque gaz, après qu'un Poisson cocaïne y avait séjourné une heure. Nous croyons qu'il faut attribuer cet état à une anesthésie des nerfs branchiaux, d'où abolition du réflexe respiratoire et suppres- sion par cela môme du mouvement des ouïes et de la bouche. Les mouvements reprendraient quand la cocaïne serait éli- minée. Si en effet on laisse l'animal dans la solution, pendant plus d'une heure, il finit par succomber sans qu'on puisse savoir à quel moment : il ne se réveille pas de l'état où on l'a plongé. Cette expérience nous démontre que, contrairement à ce qui existe chez les animaux aériens, les mouvements respiratoires peuvent être abolis chez les aquatiques sans que la mort sur- vienne. Les simples mouvements de Teau suffisent pour qu'elle se renouvelle autour des branchies. D'ailleurs la deuxième partie 380 LA VIE DANS LES EAUX. de rexpérience nous démontre que les tissus de ces animaux consomment bien peu quand les muscles sont au repos. C'est ce qui ressortira d'autre part de Tétude chimique à laquelle nous allons maintenant nous livrer. WOODS HOLE. MASS. QUATORZIÈME LEÇON LA RESPIRATION AQUATIQUE. — CHIMIE Messieurs, D'un coté de l'organe respiratoire que nous venons d'étudier se trouve \emilieu respirable que vous connaissez déjà, de l'autre le milieu respirant^ le sang, qu'il nous faut maintenant en- visager. Le sang des animaux aquatiques ne diffère pas comme consti- tution générale de celui des animaux aériens ; la seule différence qu'ils présentent repose sur les quantités respectives des sub- stances que tous deux ils contiennent ou sur la composition de quelques-unes. Il est de connaissance vulgaire que le sang des animaux est un liquide dans lequel nagent des globules. , . Ceux-ci sont les véritables organes respiratoires, le plasma dans lequel ils nagent charrie, lui, l'acide carbonique, résultat de l'acte respiratoire et les substances nutritives qui sont brûlées pendant cet acte. Il n'y a donc que le globule qui doive nous intéresser ici et môme seulement la partie oxydable de cet organite. Chez les Vertébrés, celle-ci porte le nom d'hémoglobine ; vous savez. Messieurs, sans que j'y insiste davantage, qu'elle consiste, dans une combinaison particulière d'une substance albuminoïde et du fer ; vous savez aussi que c'est elle qui donne au sang sa couleur rouge. Quand elle s'est oxydée au contact de l'air elle 382 LA VIE DANS LES EAUX. est rouge vif, elle devient rouge brun quand elle a perdu dans les combustions une partie de son oxygène, quand elle est réduite. L'hémoglobine existe dans la classe des Poissons, leur sang est rouge; les globules qui la supportent sont de forme ovoïde. La rencontre-t-on dans les Invertébrés? Le sang des Crusta- cés, des Vers, des Echinodermes est quelquefois rouge. Cette couleur est-elle due a de l'hémoglobine ? C'est ce que nous avons recherché, M. leD"' R. Blanchard et moi, après quelques auteurs que nous allons citer, et il me semble qu'après nos observations et nos expériences il n'y a guère de doutes à avoir; c'est bien à l'hémoglobine ({ue le sang de certains Invertébrés doit sa teinte rouge. Il y a longtemps déjà, en effet, les zoologistes ont remarqué que le sang d'un certain nombre d'Invertébrés présente une co- loration rouge, tout à fait semblable à celle du sang des Ver- tébrés. On soupçonnait alors que cette teinte spéciale était due à l'existence de Thémoglobine ; mais c'est seulement en 1867 que M. Nawrocki, professeur à l'Université de Varsovie, à la suite d'études spectroscopiques et d'analyses chimiques, vint démon- trer ce fait, au moins en ce qui touche aux Chétopodes. Depuis, la présence de l'hémoglobine a été constatée dans un grand nombre de Vers : il nous suffira de rappeler ici YHiriido, la Nephelis, parmi les Hirudinées; la Capitella, Y Arenicola piscatorum, parmi les Polychètes tubicoles ;la Glycera^ YEunice sanguinea^ la Nereis^ parmi les Polychètes errants; le Lumhri- cits parmi les Oligochètes. L'hémoglobine est donc très répandue chez les Annélides ; toutefois ce ne sont pas les seuls Vers chez lesquels on la puisse rencontrer : parmi les Géphyriens, on l'a signalée aussi chez le Phoronis et le Sipuncuhis; parmi les Né- mertiens, chez la Polia sanguirubra. D'autres Invertébrés encore semblent posséder de l'hémoglo- bine : les Echinodermes, suivant Fœttinger, et certaines larves de Diptères, suivant Rollett. LA RESPIRATION AQUATIQUE. — CHIMIE. 383 On sait en outre qu'un certain nombre de Mollusques Gasté- ropodes possèdent aussi un sang chargé d'hémoglobine ; dans nos régions, le Pkmorbis curneus se prête le mieux à l'observa- tion, mais le fait ne lui est point spécial, on retrouve la même chose chez beaucoup de Gastéropodes marins, et, si l'on en croit certains auteurs, les Tuniciers eux-mêmes posséderaient de l'hé- moglobine. A cela se bornaient nos connaissances sur la distribution de l'hémoglobine dans le grand groupe des Invertébrés, quand, en 1873, Ed. van Beneden vint à son tour en signaler l'existence chez certains Copépodes parasites, tels que le Leniant/iropiis et la Clavella, chez lesquels il décrit un double système circula- toire semblable à celui de la plupart des Vers annélides. Outre le système lacunaire dans lequel circule un liquide incolore pourvu de globules blancs, il existe chez les Clavelles et chez les Lernanthropes un système très compliqué de vais- seaux à parois propres dans lequel circule un sang rouge dé- pourvu de globules. Aucune communication directe n'existe <3ntre les deux liquides, qui ne se mêlent jamais. L'analyse spectroscopique de la matière colorante de ces vaisseaux démontre qu'elle n'est autre chose que l'hémoglobine. Nous sommes, de notre côté, arrivés au même résultat pour le sang de certains Crustacés phyllopodes [Apus productus^ A. canc7nformis)\ nous avons en outre des raisons de croire qu'il en est peut-être de même pour celui du Branchipus, pour celui d'autres Phyllopodes du groupe des Cladocères [DapJi- nia) et pour celui de quelques Ostracodes [Cypris). Par suite des pluies persistantes, certains bas-fonds d'Ar- genteuil, d'ordinaire desséchés, ont été envahis par les eaux ; celles-ci, après avoir stagné pendant quelque temps, grouillaient d'Apus et de Branchipes, en sorte que ces animaux, toujours rares aux environs de Paris, ont pu, par exception, être réunis en assez grand nombre à notre laboratoire en 1882. Nous nous proposions d'entreprendre sur eux de tout autres recherches que celles auxquelles ils ont servi. 384 LA VIE DANS LES EAUX. En examinant la face inférieure de la tête d\in Apus, l'atten- tion est tout d'abord attirée par une vaste collection d'un liquide rouge qui se montre à l'extrémité antérieure, sur la ligne médiane, et qu'il est fort aisé de voir par transparence à travers la carapace. Yient-on à pratiquer une piqûre en ce point, à l'aide d'une fine aiguille, on voit sourdre aussitôt quelques gouttes de liquide rouge : celui-ci, dont la teinte est assez va- riable d'un individu à l'autre, présente tout à fait l'aspect du sang de Yertébré, si ce n'est qu'il est toujours d'une coloration moins intense. Le liquide qui s'échappe de la sorte n'est autre chose que le sang de l'animal. Il ne se coagule ni par l'exposition à l'air, ni par la chaleur. Il ne semble point renfermer de globules, ou du moins, il n'en contient qu'un petit nombre, si les rares corpus- cules arrondis et incolores que nous y avons rencontrés lui appartiennent en propre; ces corpuscules étaient, en diamètre, deux ou trois fois plus petits que les globules du sang de l'homme. En piquant, comme nous venons de dire, un grand nombre d'Apus, on se procure à la longue une quantité appréciable de liquide qui, filtré avec soin, pourra servir à divers essais, no- tamment à l'examen spectroscopique. Nous avons pu de la sorte établir nettement que la matière colorante de ce liquide n'est autre que l'hémoglobine. Les rai- sons qui nous amènent à cette manière de voir sont les sui- vantes : 1° Examiné au spectroscope, ce liquide est caractérisé par deux bandes d'absorption qui, comme la comparaison avec du sang de chien nous l'a montré, sont identiques à celles de l'hé- moglobine oxygénée ; 2" Le sulfhydrate d'ammoniaque fait disparaître les deux bandes et, après son action, on n'en observe plus qu'une, intermédiaire aux deux premières par sa situation et identique à celle de l'hémoglobine réduite; 3" On peut indéfiniment passer de la raie unique de l'hémo- LA RESPIRATION AQUATIQUE. — CHIMIE. • 383 globine réduite aux deux raies de l'oxy-hémoglobine et inver- sement, tout comme avec du sang de Vertébré : il suffit pour cela d'instiller dans le liquide un courant d'oxygène ou, plus simplement, de l'agiter au contact de l'air, puis d'ajouter quelques gouttes de sulfhydrate d'ammoniaque, etc. ; 4° En faisant barbotter dans le liquide de l'oxyde de carbone, on obtient la réaction caractéristique de rbémoglobine oxy- carbonée : les deux bandes d'absorption primitives restent fixes et le sulfhydrate d'ammoniaque est désormais impuissant à accomplir la réduction. Ces preuves nous semblent suffisantes. C'est bien réellement de l'hémoglobine que contient le sang de l'Apus, et cette substance se présente ici sous un état tout particulier, en ce sens qu'elle est simplement dissoute dans le plasma et non fixée sur des globules. Il est, du reste, à remarquer que, jusqu'à pré- sent, ce fait semble être la règle chez les Invertébrés. Certains auteurs, et notamment M. Ch. Rouget, ont bien signalé la pré- sence de globules rouges chez les Invertébrés ; mais ils sem- blent toujours se rencontrer au sein d'un plasma chargé lui- même d'hémoglobine. Il eût été intéressant de voir cristalliser cette hémoglobine : l'éther ne nous a donné aucun résultat et nous disposions d'une trop faible quantité de sang pour recourir à d'autres mé- thodes. Ajoutons encore que, dans le sang de l'Apus, l'hémoglobine se tient toujours combinée à l'oxygène ; il est donc vraisem- blable que, là encore, elle joue un rôle dans les phénomènes de la respiration. Toutefois, elle n'est point saturée d'oxygène ; on voit, en effet, le sang se colorer plus vivement, devenir presque rutilant si, au sortir du corps de l'animal, on l'agite au contact de l'air. Chez les Crustacés, l'hémoglobine est remplacée par une substance bleue : l'hémocyanine. Chez elle, le fer est remplacé par le cuivre. Il y a longtemps qu'elle est connue, mais elle a été étudiée tout particulièrement par Frédéricq de Liège. Regnard. 25 386 LA VIE DANS LES EAUX. Avant lui, Ilarless, Bert, Jolyet et moi-môme, avons fait une étude de ce liquide. Quand on pique un Poulpe, un Homard, une Ecrevisse, on peut recueillir une assez grande quantité d'un liquide bleu par transparence et bleuâtre par réflexion : c'est le sang. Si on soumet ce liquide à l'influence du vide de la pompe, il perd son oxygène et du môme coup sa teinte bleue. Il reprend cette dernière, à la surface seulement, si on laisse rentrer l'air, et dans toute sa masse si on l'agite. (Jolyet et Regnard.) L'hy- drosulfite de soude, qui a la propriété d'enlever l'oxygène des liquides qui en contiennent, produit les mômes elTets que le vide sur le sang des Crustacés qui peut ensuite recouvrer sa coloration par l'agitation avec l'air. Du sang de Crabe, privé d'oxygène, conserve sa coloration rosée quand on y fait barboter de l'acide carbonique pur, tan- dis que le môme sang chargé de gaz acide redevient bleuâtre, si si on l'agite quelques instants avec de l'oxygène. Si on traite le sang des Crustacés par l'éther en excès et si on laisse reposer jusqu'au lendemain dans la glace, on voit qu'il s'est formé deux couches, l'une supérieure, formant un magma jaunâtre dans lequel on pourrait reconnaître peut-ôtre une sorte de cristallisation confuse, l'autre inférieure, limpide et transparente, renfermant toute la matière colorante bleue du sang. Ce liquide décanté offre une teinte bleue azurée très intense et se comporte, au point de vue des changements de couleur sous les diverses influences que nous avons signalées, comme le sang lui-même. Nous avons recherché si dans l'examen spectroscopique on ne trouverait pas quelque caractère distinctif entre le sang oxygéné et le sang privé de gaz ; nous n'avons reconnu aucune différence essentielle dans l'un et l'autre cas. La teinte bleue de l'hémocyanine est bien due à du cuivre, car si on réduit du sang de Crustacé en poudre et si on examine au chalumeau et sur le borax cette cendre, on produit une perle d'un beau bleu, caractéristique des sels de cuivre. LA RESPIRATION AQUATIQUE. — CHIMIE. 387 Si on traite le sang par de l'acide nitrique, on obtient un coa- gulum dont la cendre ne contient pas de cuivre, mais le liquide dans lequel il nage contient, lui, tout le métal. L'hémocyanine semble former avec les acides des combinai- sons analogues aux sels d'hématine que donne dans ces condi- tions r hémoglobine. Une expérience de Frédériq démontre bien queFhémocyanine joue le rôle de véhicule de l'oxygène dans l'acte de la respi- ration. Il fixe un Poulpe sur une planchette qui baigne dans l'eau ; d'un coup de ciseaux, il lui ouvre la cavité respiratoire. Une branchie se trouve alors à nu ; pleine de sang oxygéné, elle semble d'un beau bleu. Tous les vaisseaux qui y arrivent, remplis de sang rose, désoxydé, sont au contraire à peine visibles. Mettons à nu un gros vaisseau efférent; il est bleu foncé; mais retirons le Poulpe ou empêchons l'eau de se renouveler autour de sa branchie, le vaisseau efférent devient pâle. Il redevient bleu dès que l'animal est replacé dans l'eau. C'est le calque de la fameuse expérience de Bichat sur l'asphyxie chez les animaux à sang chaud. L'hémoglobine et l'hémocyanine ne sont pas les seules ma- tières colorantes du sang. Il y a peu de temps, Ray Lankester remarqua que le sang de certains Annélides marins était d'un beau vert. La matière colorante verte joue chez eux le rôle de l'hémoglobine : il l'appela chlorocrunrine. Elle forme, avec l'oxygène, une combi- naison instable : l'oxychlorocruorine ; celle-ci se dédouble en oxygène et clilorocruorine sous les mêmes influences qui dé- doublent riiémoglobine oxygénée. Quand on l'examine au spectroscope, elle donne deux bandes d'absorption de chaque côté de la raie D. Si on la réduit, l'une des bandes disparaît, l'autre persiste. En soumettant soit l'hémoglobine, soit la chlo- rocrurine à l'action du cyanure de potassium et du sulfure d'ammonium, Ray Lankester a retiré de ces deux corps une 388 LA VIE DANS LES EAUX. base identique : le cyanosuIpJiaem. On ne connaît pas le métal, fer ou tout autre, qui entre dans la composition de la chloro- cruorine. Le milieu extérieur (gaz dissous dans reau} et le milieu inté- rieur (liémoglobine. hémocyanine, chlorocruorine) entrent en relation à travers la membrane branchiale et l'acte de la respi- ration a lieu. Il faut donc pour cela que les gaz de l'eau se dissolvent dans le sang. On connaît fort bien la quantité de ces gaz entrés en solution dans le sang des Vertébrés. On est bien moins renseigné sur ce qui se passe chez les animaux aquatiques. Cela tient à la difficulté d'opérer et à la petite quantité de sang que l'on peut se procurer. Nous avons pourtant, M. Jolyet et moi, tâché de venir à bout de ce problème et voici les quelques résultats que nous avons obtenus. Un premier fait, c'est que l'oxygène, l'acide carbonique et l'azote qu'on trouve dans le sang des animaux supérieurs se trouvent également dans le sang des animaux aquatiques. Nous avons, dans quelques expériences pratiquées sur les Poissons, recherché la proportion des gaz contenus normale- ment dans le sang veineux. Ces expériences ont été faites sur l'Anguille qui offre une artère branchiale facile à découvrir et d'une longueur suffisante pour qu'on puisse y introduire les deux extrémités d'un tube en T, de façon à ne pas interrompra la circulation et la respiration chez l'animal pendant la prise du sang, qui est faite au moyen d'une seringue graduée, par l'orifice libre du tube à trois branches. Les résultats suivants d'une analyse des gaz du sang, dont l'extraction a été faite au moyen de la pompe pneumatique à mercure, sont rapportées à 100 centimètres cubes de sang. Oxygène 3,7 Azote 2,0 Acide carbonique 33.0 Il eût été intéressant de faire connaître comparativement la LA RESPIRATION AQUATIQUE. — CHIMIE. 389 composition gazeuse du sang veineux et du sang artériel, de façon à juger de la sorte de la quantité d'oxygène gagnée, ainsi que de la quantité d'acide carbonique perdue par le sang pendant son passage au travers de l'organe respiratoire branchial. Malheureusement la difficulté qu'il y a, chez les Poissons, à faire une prise de sang artériel à l'abri du contact de l'air, ne nous a pas permis d'arriver à ce résultat. Nous nous conten- terons donc de donner la capacité respiratoire du sang chez l'Anguille. Quand on agite du sang, dans un flacon rempli d'oxygène, jusqu'à ce que ce fluide se soit saturé, c'est-à-dire pendant quelques minutes, on trouve qu'il est capable d'absor- ber des quantités d'oxygène beaucoup plus grandes que celles qu'il contient normalement dans les vaisseaux. Dans ces condi- tions, le sang de Poissons peut absorber des quantités de gaz oxygène qui varient entre 7 et 9 pour 100 centimètres cubes de sang. Si on compare cette capacité respiratoire du sang chez les Poissons à celle trouvée chez les Mammifères, chez le Chien, par exemple, dont le sang peut absorber de 20 à 28 centimètres €ubes d'oxygène, on voit qu'elle est environ 3 à 4 fois moindre chez les premiers que chez les seconds. La différence est encore plus accentuée pour le sang des Invertébrés, comme on le verra plus loin. Ces faits sont d'ailleurs en accord avec les analyses que Jones a faites chez les animaux aquatiques, analyses qui démontrent que le sang chez ces êtres est très pauvre en prin- cipes organiques. Nos extractions et nos analyses des gaz du sang chez quel- ques Crustacés nous ont fourni des résultats qui méritent d'être signalés. Chez l'Ecrevisse {Astacu^ fluviatilh)^ nous avons examiné les gaz contenus dans le sang, sans que celui-ci ait subi le contact de l'air. Les chiffres suivants sont, comme toujours, rapportés à 100 centimètres cubes de sang. Acide carbonique 10,5 Oxygène 2,5 Azote 1,7 390 LA VIE DANS LES EAUX. La recherche du plus grand volume d'oxygène absorbé par le sang des mêmes animaux et par le sang d'autres Crustacés a fourni les résultats qui suivent : GAZ. Acide car]ioni(iue Oxygène Azole Acide carbonique comliiné. ECREVISSES. CRABES ENRAGES. i2.7 3.0 2.0 237.0 30 . i 3.0 :.o 280.0 3.2 0.8 48.0 CRABE-TOL'RTEAU Il .2 2.4 2.7 G . G 10.2 4.4 1.2 2.8 Deux points particuliers ressortent des analyses précédentes. Le premier, que nous signalons en passant puisqu'il n'a pas de rapport avec notre sujet d'études, c'est la très forte propor- tion d'acide carbonique combiné (plus du double du volume du sang) qui existe dans le sang des Ecrevisses et des Crabes à certaines époques. Cet acide carbonique se trouve sous forme de carbonate calcaire, lequel sert à la production des corps désignés sous le nom d'yeux d'Ecrevisse et qui se montrent à l'époque de la mue chez ces animaux. Mais le point sur lequel il est surtout nécessaire d'insister, c'est la très faible proportion d'oxygène que le sang de ces In- vertébrés contient et est capable d'absorber. Pour terminer ces études préliminaires (et ce sera le moven de les relier à la partie qui va suivre), nous dirons que relati- vement aux phénomènes d'échanges gazeux qui constituent la respiration proprement dite (respiration externe), le milieu in- térieur, le sang, chez tous les animaux aquatiques, est appro- prié par sa capacité respiratoire à la pauvreté oxygénée du milieu extérieur avec lequel il est en rapport d'échanges. En d'autres termes, l'eau aérée suffit amplement aux besoins de la respiration des êtres qui vivent dans son sein. Si donc les échanges gazeux qui constituent la respiration extérieure sont restreints, ralentis et subordonnés aux condi- tions et aux propriétés des milieux, il en découle cette autre conséquence, que l'emploi de l'oxygène dans l'intimité des LA RESPIRATION AQUATIQUE. — CHIMIE. 391 tissus et des organes et la production de l'acide carbonique qui en est le résultat (phénomènes qui constituent la respiration intérieure) seront eux-mêmes, chez tous les animaux aquati- ques, ralentis et diminués. Quant aux échanges gazeux eux-mêmes, plusieurs théories les expliquent. Pour les auteurs classiques les gaz passent direc- tement de la solution aqueuse dans la solution sanguine par suite de la différence de tension qu'ils ont dans chacun des li- quides : c'est l'opinion généralement adoptée. MM. Bataillon et Couvreur ont démontré que la pression plus ou moins grande sur une des faces de la membrane avait une grande influence sur l'intensité du phénomène. Nous pensons, nous, que pour l'acide carbonique au moins, il existe un autre mécanisme. Quand on abandonne, dans un vase rempli d'eau et bien ven- tilé par un barbottage d'air, un certain nombre de Poissons, on voit que l'eau où ils étaient placés se charge rapidement de carbonates. Après avoir dégagé tous les gaz dissous dans cette eau par le vide absolu et Faction de la chaleur, on produit encore un abondant dégagement de bulles gazeuses si on ajoute quelques gouttes d'acide. Ce fait nous avait déjà vivement frappés, M. le professeur Jolyet et moi, au cours de notre travail sur la respiration des animaux aquatiques. J'ai depuis cherché par oii ces sels pourraient bien sortir de l'organisme du Poisson et j'ai pensé que peut-être il se faisait une excrétion de carbonates par diffusion, à travers la paroi si fine des branchies. Pour voir ce qu'il en était, pour savoir si cette excrétion de carbonates était un acte respiratoire, j'ai d'abord cherché si elle variait en même temps que la respiration. Pour cela j'ai élevé lentement la température de l'eau et par conséquent celle de l'animal. On verra plus tard dans nos expériences, que, dans ces conditions, les phénomènes respiratoires augmentent rapi- dement. 392 LA VIE DANS LES EAUX. Un Poisson, à 10°, excrétait en vingt-quatre heures 840 cen- timètres cubes d'acide carbonique libre , il excrétait en même temps 30 centimètres d'acide combiné. A 23° il excrétait 1440 centimètres cubes d'acide libre et 218 centimètres cubes d'acide combiné. A 30° il excrétait 2664 centimètres cubes d'a- cide libre et 880 d'acide combiné. Fig. 197. — Dispositif destiné à démontrer l'excrétion des carbonates en nature par les branchies. Il s'agissait donc bien d'un phénomène respiratoire puisqu'il progressait ou diminuait en même temps que les combustions respiratoires elles-mêmes. Mais nous avons voulu en donner une preuve plus complète encore. Nous avons essayé de placer dans un vase les branchies d'un animal, pendant que le reste de son corps serait dans un autre vase. Pour cela nous avons mis une Anguille dans un tube en U renversé. La tète de l'Anguille plongeait seule dans un vase d'eau, le reste du corps et l'anus étaient dans un autre vase! On ne pouvait donc pas incriminer l'intervention des déjections intestinales ou cutanées (fig. 197j. LA RESPIRATION AQUATIQUE. — CHIMIE. 393 Dans ces conditions, nous avons vu 172 centimètres cubes d'acide carbonique sortir, à l'état de carbonate, de la branchie. En sorte que nous pouvons dire que, à coté de la respiration brancbiale gazeuse, il existe une vraie respiration solide par la sortie, par diffusion, des carbonates contenus dans le sang. Nous rapprochons notre étude de celle de Frédéricq(de Liège), qui démontre qu'un courant inverse peut exister, de sorte que. par diffusion et à travers la branchie, les sels du sang se mettent en harmonie avec ceux de l'eau oii baigne le Poisson, si bien qu'on peut faire apparaître tel ou tel sel dans le sang d'un animal aquatique, simplement en mettant ce sel dans l'eau oii on le fait vivre. Quoi qu'il en soit du mécanisme, l'excrétion de l'acide carbonique et l'absorption de l'oxygène sont la mesure des oxydations intimes de l'animal. Ce sont elles que nous sommes maintenant en état d'aborder. Ce que nous allons en dire sera le résumé et quelquefois la reproduction d'un long travail que nous avons fait sur ce sujet avec le professeur Jolyet. Les premières études scientifiques sur la respiration des ani- maux aquatiques, et spécialement des Poissons, sont de dates récentes. Cependant un certain nombre de faits relatifs à ce sujet avaient été connus par les anciens physiologistes. Depuis longtemps, en effet, on avait distingué les animaux aquatiques, tels que les Poissons, les Crustacés et les Mollusques, des ani- maux terrestres à respiration pulmonaire, en ce que les pre- miers au lieu d'avaler et de rejeter de l'air, comme les seconds, avalaient et rejetaient de l'eau, et l'on avait dit que parmi les êtres vivants, les uns respiraient l'air, tandis que les autres respiraient l'eau. C'est Robert Boyle qui le premier, en IGTO, chercha à mon- trer que l'air est nécessaire à la vie de tous les animaux, et aussi bien à la vie des animaux aquatiques que des animaux aériens. jMais ce ne fut que quelques années plus tard que Jean Bernouilli mit ce fait hors de doute, en établissant expérimentalement que l'eau contient de l'air, et que les Pois- 394 LA VIE DANS LES EAUX. sons ne peuvent vivre dans de l'eau purgée de ce fluide par Tébullition. Un siècle devait s'écouler avant que la véritable théorie de la respiration ne fût définitivement établie par les travaux de l'illustre Lavoisier. C'est alors seulement que des expérimenta- teurs habiles, cherchant à généraliser la théorie Lavcisienne, montrèrent que les choses ne se passent pas autrement chez les animaux à respiration branchiale que chez ceux qui respirent l'air par des poumons. Priestley, en 1777, avait déjà constaté que les Poissons vicient l'air de la même manière que les autres animaux, en absorbant l'oxygène, ou, suivant sa théorie, en y cédant du phlogistique, sans toutefois remarquer la production d'acide carbonique par ces animaux. C'est, en réalité, à Spallanzani que l'on doit d'avoir démontré que, chez tous les animaux, les phénomènes chimiques de la respiration sont au fond identiques. Il montra en effet que des Poissons placés dans de l'air libre absorbent de l'oxygène et produisentde l'acide carbonique : il vit qu'une couche d'air dans lesmémes conditions esta peu peu dépourvue de son oxygène. Il remarqua aussi que des Poissons meurent en quelques heures dans une quantité d'eau limitée soustraite au contact de l'air atmosphérique ; il montra enfin que des Poissons placés dans de l'eau de chaux donnent lieu à un abondant précipité et par conséquent produisent de l'acide carbonique, et cela non seulement par l'action de leurs branchies, mais encore par toute la surface de leur peau. En 1799, Ilumphry Davy avait aussi fait quelques expé- riences sur la respiration des Poissons, desquelles il concluait que c'est bien l'oxygène dissous dans l'eau qui est nécessaire à l'entretien de la vie de ces animaux, et qu'il n'y a aucune raison de supposer, comme certains naturalistes l'avaient avancé, que l'eau puisse être décomposée par leurs branchies. Sylvestre, par des expériences variées, a cherché également à montrer que les Poissons respirent l'air contenu dans l'eau; LA RESPIRATION AQUATIQUE. — CHIMIE. 303 mais il a vu de plus que ces animaux ont besoin d'élever de temps en temps leur tête au-dessus de Feau pour mettre leurs branchies en contact avec l'atmosphère et respirer l'air direc- tement. Il ne suffisait pas de savoir que les Poissons comme les êtres aériens absorbent de l'oxygène et exhalent de l'acide carbo- nique; il fallait encore, comme l'avait fait Lavoisier pour les animaux supérieurs, mesurer les quantités d'oxygène qui dis- paraissent ainsi dans la combustion respiratoire, et savoir si ce gaz oxygène est représenté en totalité ou en partie seulement par l'acide carbonique excrété; en d'autres ternies il fallait déterminer le rapport -j— - de la respiration, et voir enfin com- ment se comporte l'azote, si ce gaz est absorbé ou exhalé dans l'acte respiratoire des animaux aquatiques. De semblables ré- sultats, obtenus ainsi, offriraient ce grand intérêt de permettre de comparer les activités respiratoires d'êtres appartenant à des classes différentes. Provençal et Ilumboldt, dans leurs recherches sur la respira- tion des Poissons, publiées en 1809, dans les Mémoires de phy- sique et de chimie de la Société d'Arcueil, se sont posé ces diffé- rents problèmes et ont essayé de résoudre quelques-uns d'entre eux. Notre intention n'est pas d'analyser ici ce travail; nous voulons seulement vous faire connaître les procédés expérimen- taux employés dans ces recherches, afin de pouvoir apprécier à leur valeur les résultats obtenus par ces physiologistes. « L'exactitude d'un travail sur la respiration, disent ces au- teurs, dépend en grande partie de l'exactitude des méthodes eudiométriques employées pour reconnaître la nature des mélanges gazeux soumis à l'action pulmonaire. » Il faut y ajou- ter, selon nous, cette autre condition, tout aussi indispensable, que les animaux seront maintenus pendant toute la durée de l'expérience dans des conditions physiologiques, et aussi nor- males que possible. Voyons si ces deux conditions ont été sa- tisfaites. 396 LA VIE DANS LES EAUX. De UumbokU et Provençal déterminent tout J'aLorJ la quan- tité et la nature des gaz contenus normalement dans l'eau de Seine. Pour cela ils pèsent un certain volume d'eau qui est placé dans un ballon muni d'un tube abducteur, qui se rend sous une cloche pleine de mercure, et l'air est retiré de l'eau par l'ébullition. Le volume gazeux est mesuré : on détermine l'oxygène par l'eudiomètre de Yolta, l'acide carbonique par l'eau de chaux, et l'azote par différence. Il est trouvé ainsi que un litre d'eau de Seine pure contient : Oxygène G,0:j Azote 13,43 Acide carbonique 0,81 On procède alors aux expériences ; on remplit d'eau de Seine des cloches dans lesquelles sont renfermés des Poissons (les auteurs n'indiquent jamais le poids des animaux), et on les ren- verse sur le mercure, pour préserver l'eau du contact de l'air extérieur. On a soin de ne pas laisser périr les animaux dans les cloches, de peur qu'ils n'agissent sur l'eau après leur mort autrement qu'ils n'agissaient pendant leur vie. On les retirait en général lorsqu'on les voyait très souffrants et près de mourir; on versait alors rapidement l'eau des cloches dans lesquelles avaient respiré les Poissons, dans des ballons, et on extrayait et analysait les gaz comme il a été dit. Quatre litres d'eau do ri- vière dans laquelle avaient respiré 7 Tanches pendant 8 heures ont donné ainsi pour un litre : Oxygène 0,40 Azote 1 1,20 Acide caibonitjue 5,92 Les animaux ont donc absorbé 5,63 d'oxygène, exhalé 4,81 d'acide carbonique, et enfin absorbé 2,23 d'azote. Dans toutes les expériences rapportées par les auteurs pré- cités, presque toujours tout l'oxygène de l'eau a été absorbé, l'acide carbonique rendu a toujours été inférieur au volume LA RESPIRATION AQUATIQUE. — CHIMIE. 397 d'oxygène absorbé, ce qui a donné pour rapport -^ = 0,80, c'est-à-dire un rapport plus petit que l'unité. Enfin, l'azote a été absorbé dans des proportions considérables, représentées environ par le sixième du volume de ce gaz contenu dans l'eau au début de l'expérience. Malheureusement, toutes les expériences de Ilumboldt et de Provençal sont entachées d'une erreur considérable due au procédé défectueux employé pour l'extraction des gaz de l'eau, procédé, il faut le dire, qui était le seul connu à l'époque où ces auteurs ont fait leurs expériences. On connaît en effet la difficulté qu'il y a d'extraire complè- tement les gaz de l'eau par la seule ébuUition : tout au plus a-t-on ainsi en entier l'oxygène et l'azote ; quant à l'acide carbo- nique, il ne se dégage complètement que par une ébullition extrêmement prolongée, qui a l'inconvénient très grave de faire passer dans l'éprouvette à recueillir les gaz une grande quantité d'eau. Cette eau, on le comprend, absorbera à nouveau une portion plus ou moins considérable de l'acide carbonique recueilli et faussera les résultats. C'est ce qui est arrivé dans toutes les expériences de Humboldt et Provençal, et le lecteur s'en convaincra facilement en comparant les quantités d'acide carbonique trouvées dans l'eau de Seine pure par ces physio- logistes, avec celles que l'on obtient aujourd'hui de la même eau, au moyen des appareils perfectionnés que nous avons décrits. Quant à la seconde condition d'une expérience complète sur la respiration à l'état physiologique, dont nous avons parlé, à savoir que les animaux soient placés pendant toute la durée de l'observation dans des conditions normales, elle n'a pas été da- vantage satisfaite, puisque les Poissons séjournaient dans une eau qui s'appauvrissait de plus en plus en oxygène, à partir du début de l'expérience, jusqu'à en être plus ou moins com- plètement dépourvue à la fin. Nous sommes donc amenés à regarder les recherches de 398 LA VIE DANS LES EAUX. lliimboldt et Provençal sur la respiration des Poissons, comme des études sur l'asphyxie, dans un espace confiné, par privation graduelle de l'oxygène du milieu respirable, et encore dans ce cas, pour des raisons que nous avons fait connaître, ne peut-on tenir aucun compte d'un des éléments de l'asphyxie, c'est-à- dire de l'acide carbonique excrété. Dès 1870, M. Gréhant a profité de la pompe pneumatique à mercure, qui permet d'extraire aussi complètement que possi- ble les gaz contenus dans les liquides, pour exécuter une série de recherches sur la respiration des Poissons. Les expériences de M. Gréhant sont remarquables par la précision avec laquelle ont été faites l'extraction et les analyses des gaz de l'eau avant et après que les animaux y avaient respiré ; mais il est à regretter aussi que l'auteur ait sacrifié, comme il l'a fait, l'élément phy- siologique à l'élément physico-chimique de la question. Les résultats des altérations de l'air par la respiration des Poissons que nous recueillons dans le travail de M. Gréhant vont nous éclairer sur ce point et nous montrer que, dans tous les cas, les animaux placés en expérience étaient des animaux asphyxiés. Les chiffres suivants donnent l'acide carbonique exhalé et l'oxygène absorbé par heure et par kilogramme de Poisson : Rapports Oxygène restant C02 nxvgène C02 P^M",';^*?;^*^ proiluit. absorbé. — * de l'expérience. Cyprin lOi.G 62.3 1.67 0.2 Cyprin 88. a 43.9 2 0.0 Tanche 63.2 27.2 2.3 0.4 Tanche Ho 110 1.04d 1 On voit, par ces résultats, que toujours les Poissons ont con- sommé l'oxygène de l'eau presque en totalité ; que, toujours aussi, ils ont exhalé plus d'acide carbonique qu'ils n'avaient absorbé d'oxygène, d'où un rapport plus grand que l'unité. Ce fait est d'ailleurs en accord avec les observations de Spallan- zani et de William Edwards sur l'asphyxie. Ces observations démontrent en eftet qu nu animal continue à exhaler de l'acide LA RESPIRATION AQUATIQUE. — CHIMIE. 399 carbonique dans un mileu qui ne contient plus (roxygène. Quant à Tazote, tantôt il a été absorbé, tantôt exhalé dans de faibles proportions. Des observations, déjà anciennes, de Morren, montrent quel danger peut avoir pour la vie des Poissons de rivière un abais- sement plus ou moins rapide dans la proportion de l'oxygène de l'eau dans laquelle vivent ces animaux. Il a vu, en effet, que toutes les fois que pour une cause quelconque les eaux de nos rivières et de nos étangs arrivent à ne plus contenir que 2 à 3 centimètres cubes d'oxygène, au lieu de 7 à 8 ou plus qu'elles contiennent normalement, un grand nombre de Poissons mou- raient, et que les plus voraces d'entre eux (Brochets, Perches) étaient frappés les premiers. Ces observations fort intéressan- tes nous font déjà pressentir quel intérêt il y a à placer les animaux en expériences dans un milieu chimique et physiolo- gique absolument semblable à celui dans lequel ils vivent nor- malement, si nous voulons nous rendre un compte exact de leurs phénomènes respiratoires. Le dernier travail qui ait trait à la question qui nous occupe est celui de M. Quinquaud. Il peut se résumer ainsi : La quan- tité d'oxygène absorbée est proportionnelle à l'unité de temps. La puissance relative du travail respiratoire chez les Poissons diminue avec le poids, mais chez les Poissons dont le poids est inférieur à 300 grammes l'activité respiratoire, pour l'unité de poids, est plus considérable, quelle que soit l'espèce. Chez les Mammifères , les nouveau-nés résistent plus que les adultes à l'asphyxie ; chez les Poissons, le contraire semble avoir lieu. Il existe chez les Poissons ime respiration cutanée, mais très faible. Les dosages de l'oxygène ont été faits par l'hydrosulfite de soude ; l'acide carbonique produit n'a pas été recherché. Si nous envisageons dans leur ensemble les résultats certains fournis par les différents travaux dont nous venons de faire l'analyse succincte, nous voyons ressortir nettement deux faits principaux : Les phénomènes respiratoires chez les Poissons 400 LA VIE DANS LES EAUX. sont, au fond, les mêmes que chez les animaux qui vivent dans Fair, la seule différence consiste en ce que, chez ces derniers, Toxygène est offert à l'organe respiratoire sous la forme ga- zeuse, tandis que les animaux à respiration branchiale le re- çoivent à l'état de dissolution. Comme tous les autres Vertébrés les Poissons produisent de Tacide carbonique. Sur tous les autres points il y a divergence. Relativement à. la quantité d'oxygène qui disparaît, comparée à celle de l'acide carbonique produit, les uns trouvent que le gaz acide repré- sente environ les 4/5 du volume de l'oxygène consommé ; les autres trouvent, au contraire, que ces quantités diffèrent d'une manière très marquée dans le sens inverse. A l'égard de l'azote il n'y a pas moins de désaccord. Ces contradictions dans les résultats obtenus nous ont enga- gés à reprendre ce sujet d'étude en collboration avec F. Jolyet. Dans le début, nous l'avons vu, limperfection des méthodes d'analyse et d'extraction des gaz de l'eau avait été une source d'erreurs dans les résultats; mais après le perfectionnement de ces méthodes, les résultats demeuraient aussi défectueux. Il fallait donc en chercher la cause ailleurs, et cette cause on de- vait la trouver dans le mode d'expérience. Et, en effet, les procédés expérimentaux employés n'ont ja- mais imité parfaitement la respiration naturelle des animaux aquatiques. Ces animaux étaient placés dans une quantité d'eau limitée qui ne se renouvelait pas, et par conséquent ils alté- raient graduellement, à partir du début de l'expérience, la com- position gazeuse de l'eau qui arrivait au contact de leurs bran- chies. Or, nous avons vu que l'eau qui arrive à ne plus contenir que la moitié environ de l'oxygène qu'elle tient en dissolution dans les conditions ordinaires devient un milieu qui n'est plus normal et qui n'est plus respirable pour les animaux qui y séjournent. Nous avons vu, de plus, que ce mode de respiration de l'air dissous dans l'eau ne suffisait pas complètement aux Poissons qui ont en outre besoin de venir de temps à autre à la surface LA RESPIRATION AQUATIQUE. — CHIMIE. 401 deTeaii humer,'^en quelque sorte, Fair directement. Ceci nous indique quelles sont les conditions physiologiques dont il faut chercher à se rapprocher le plus possible pour étudier la res- piration, à Tétat naturel, des animaux aquati(|ues.'[^Ce sont ces conditions que nous croyons avoii* réalisées dans Tappareil que nous allons maintenant faire connaître. Lavoisier est le premier physiologiste ([ui ait émis et réa- lisé ridée de faire vivre un animal en vase clos, en absorbant l'acide carbonique à mesure qu'il est formé, et en rendant Toxygène à mesure qu'il disparaît. Plus tard, M. le professeur Regnault, reprenant l'idée de Lavoisier, a fait construire uii appareil ingénieux, au moyen duquel il a entrepris, en collabo- ration avec M. J. Reiset, une étude remarquable des produits gazeux de la respiration des animaux aériens. Il fallait donc imaginer uu procédé qui réalisât pour les ani- maux aquatiques les conditions obtenues par hi méthode de ces savants pour les animaux terrestres, c'est-à-dire qui main- tînt le milieu toujours normal, quelle ([ue fût d'ailleurs la durée de l'expérience. Que fait-on loi'S(|ue, dans un a(|uarium dont on ne peut re- nouveler l'eau, on désire conserver des Poissons? On fait sim- plement passer dans cette eau un courant d'air qui a un double résultat : P* il rend au liquide l'oxygène à mesure que celui-ci est dépensé par l'animal ; 2" il entraîne l'acide carbonique dissous. Le problème à réaliser était donc celui-ci : dans un espace limité, de capacité connue et parfaitement clos, conte- nant des quantités d'eau et d'air déterminées, faire circuler et barboter l'air dans l'eau et maintenir constante la composition de ces milieux en absorbant l'acide carbonique à mesure qu'il est exhalé et en remplaçant Toxygène à mesure qu'il est con- sommé, de façon à y faire vivre des animaux pendant un temps donné. Notre appareil est ainsi disposé (fig. 198) : Les animaux sont placés dans un récipient C contenant un volume connu d'eau aérée que surmonte une couche d'air. Le récipient est rodé et RegiSArd. 26 402 LA VIE DANS LES EAUX. fermé par une plaque de veri-e soigneusement lutée. Cette pla- que porte quatre ajutages. Il faut noter que tous les raccords de l'appareil sont noyés dans Feau, pour éviter toute rentrée d'air possible. Le barbotage de l'air dans l'eau est produit par une poire de caoutchouc à parois épaisses A communiquant par l'intermé- diaire d'un système de soupapes à boules B, au moyen de tubes de caoutchouc, avec les ajutages t et t' de la plaque. L'ajutage t. est terminé en pomme d'arrosoir et plongé dans l'eau, 1 aju- tage t' aboutit dans l'air qui est au-dessus de l'eau. La poire est maintenue entre les branches articulées de l'appareil SP mis en mouvement par un moteur hydraulique de Bourdon, et des- tiné à comprimer la poire 30 à 40 fois par minute. Supposons l'appareil en place et la poire comprimée : l'air est chassé dans l'appareil B ; la boule b se soulève, tandis que la boule b' s'ap- plique sur l'orifice qu'elle obture ; l'air est donc poussé dans le tube t et vient s'échapper en gerbe au milieu de l'eau et éclater en bulles à sa surface. Il exercerait dans l'appareil une aug- mentation de pression si un petit sac v à parois accolées l'une à l'autre ne venait recevoir cet excès d'air. La poire revient sur elle-même, un jeu inverse des soupapes a lieu, et l'air aspiré revient du récipient à la poire par le tube t' après avoir bar- boté dans une dissolution de potasse caustique et s'être dé- pouillé de son acide carbonique. Le mouvement recommence, et ainsi se produit une véritable circulation de l'air qui sature l'eau d'oxygène et la dépouille de son acide carbonique. Mais, l'expérience se prolongeant, il y a consommation graduelle de l'oxygène de l'eau par les animaux, dissolution de l'oxygène de l'air, et par suite tendance à une diminution de pression dans l'appareil. Or, de l'oxygène pur contenu dans une carafe jau- gée 0 en communication par son orifice r' avec l'ajutage i du récipient vient combler à mesure le vide, tandis que l'oxygène lui-même est remplacé dans la carafe par une quantité égale d'une dissolution de chlorure de calcium contenue dans l'appa- reil à niveau N. Ainsi se trouvent maintenues pendant toute la LA ItKSIMliATlO.N AOI AIHjl K. — Clll.MlF,. 40M 404 tk ME DANS LES EAUX. durée de Texpe'rience la tension et les compositions gazeuses de l'appareil. Yeiit-on faire une expérience, on place, dans le condensateur D de Tacide carbonique, 500 centimètres cubes d'une dissolu- tion de potasse titrée; dans le réservoir 0, 500 centimètres cubes d'oxygène pur à zéro ; dans le récipient, 7 litres d'eau de Seine aérée, dont on a déterminé la composition gazeuse. Alors, on introduit dans l'eau du récipient les animaux de poids et de volume connus; on ferme hermétiquement, et l'on établit les communications respectives des ajutages delà plaque-couvercle. On note la pression barométrique et la température de l'appareil qui forme alors une cavité close, de capacité déterminée, et le moteur est mis en mouvement. L'expérience dure un ou plusieurs jours, et, en général, on l'arrête lorsque les animaux ont consommé les 500 centimètres cubes d'oxygène du réservoir. L'opération terminée, on note de nouveau la pression et la température, et on analyse l'air et l'eau de l'appareil. On connaît, en outre,' la quantité d'oxygène pur qui a passé du réservoir dans l'appareil. L'analyse du liquide potassique contenu dans le flacon C fait connaître la quantité d'acide carbonique absorbé. On connaît donc ainsi très exacte- ment les quantités d'oxygène, d'azote et d'acide carbonique que contenait l'appareil au début et à la fin de l'expérience, et par suite on possède tous les éléments nécessaires pour déterminer rigoureusement : 1° la quantité d'oxygène consommée par l'ani- mal ; 2° la quantité d'acide carbonique exhalée. L'appareil que nous venons de décrire, et qui se trouve figuré, a, depuis lors, subi quelques modifications de détail, mais qui ne touchent pas au principe général qui a guidé sa construction. C'est ainsi que son installation au vivier de Concarneau a néces- sité la modification suivante au dispositif décrit. La pression de l'eau, qui constituait notre force motrice, nous faisait absolument défaut. Nous avons donc fait construire un moteur d'horlogerie à la fois assez puissant, assez régulier cl à marche assez longue pour remplacer le moteur de Bourdon. LA HI^SPIRATION AQUATIQUE. — CHIMIE. 40o Notre moteur est constitué par deux ressorts puissants, entraî- nant un barillet qui engrène sur cinq axes successifs. Le cin- quième de ces axes porte une roue à dents obliques engrenant sur une vis sans fin munie d'un régulateur à ailettes. Sur le troisième axe se trouve annexée une roue pleine, munie de six saillies portant des molettes. En face de ces saillies se trouve une tige de fer montée sur un axe, et oscillant comme le fléau d'une balance. La roue, en tournant, accroche successivement par ces saillies la tige de fer et en soulève l'extrémité. L'autre extrémité s'abaisse forcément. Or, au-dessous d'elle, se trouve la poire de caoutchouc qu'elle comprime. Dès que la saillie de la roue a dépassé l'extrémité de la tige de fer, celle-ci revient brusquement à l'horizontale, la poire est abandonnée et se dilate. L'effet produit par le moteur hydrau- lique se trouve par conséquent réalisé, et l'air est alternative- ment chassé et appelé dans la poire. Notre moteur produisait seize alternatives par minute, et mar- chait cinq heures environ sans être remonté. Pour achever la description de nos procédés d'expérimenta- tion, il nous reste à faire connaître comment ont été recueillis et analysés tous les gaz exhalés pendant l'observation, et aussi comment a été préparé et mesuré l'oxygène fourni aux ani- maux. Extraction des gaz de l'eau. — Elle est faite par le procédé de la pompe, sur lequel nous ne reviendrons pas. Le dosage se fait avant et après le séjour des animaux dans l'appareil. Air de l'appareil. — L'air de l'appareil à la fin de l'expérience, air dont la composition est absolument identique partout, comme nous nous en sommes assurés, est pris dans la poire P. 100 à 150 centimètres cubes de cet air sont introduits dans l'eu- diomètre, et l'analyse en est faite avec toutes les précautions désirables. Dosage de lacide carbonique . — Après des recherches nom- breuses, pour déterminer un procédé précis et commode de dosage de l'acide carbonique produit par les animaux pendant 406 LA VIE DANS LES EAUX. robsorvalion. et letenii par la dissolution de potasse dans laquelle l'air a barboté, nous nous sommes arrêtés au procédé volumétrique suivant, qui nous a donné d'excellents résultats. Ce procédé consiste à extraire l'acide carbonique fixé sur la potasse, de la même manière que nous avons extrait les gaz de l'eau, c'est-à-dire au moyen de la pompe pneumatique à mer- cure. Le récipient vide de la pompe pneu- matique à mercure étant donc préparé comme pour l'extraction des gaz de l'eau, on y introduit la solution de potasse à ana- lyser, en ayant soin de bien laver le bar- boteur à l'eau distillée, et de faire pénétrer également les eaux de lavage. Ceci fait, on donne quelques coups de pompe, et l'on débarrasse le liquide potassique de l'air dissous. Alors, par le robinet R, on intro- duit dans le récipient un excès d'acide chlo- rbydrique ou sulfurique ; un abondant déga- gement de gaz se produit dans le ballon. Il n'y a plus qu'à l'extraire et à le me- surer. Mais ici deux pi'océdés interviennent, suivant que l'expérience a duré quelques heures seulement ou plusieurs jours. Dans le premier cas, la quantité d'acide carbonique est relativement faible, et peut être recueillie dans des tubes gradués, sur la cuvette à mercure de la pompe. Pour n'avoir pas à remplir ainsi un trop grand nombre de tubes, et par suite à faire autant de lectures dont chacune est forcément entachée d'une légère erreur, nous nous servons de tubes de forme spéciale (fig. 199). Ces tubes, qui contiennent 60, 120 et loO centimètres cubes, olTrent, dans leur continuité, une boule comprise dans la gradua- Fig. lOy. — ïiil)uàhoulp pour le dosage de l'acide carbonique. LA RESPIRATION AQUATIQUE. — CHIMIE. 407 tion, et calculée de façon à permettre de lire en haut du tube le gaz restant après absorption du gaz acide par la potasse. On extrait l'acide carbonique dégagé, et on en remplit un ou plu- sieurs tubes à boule ; on achève l'extraction dans un tube gradué ordinaire. Le gaz est mesuré et l'acide carbonique absorbé par la potasse ; s'il reste un peu d'air, le volume restant est lu et défalqué. Dans le second cas, c'est-à-dire lorsque l'expérience a duré longtemps, et que par conséquent la quantité de gaz acide pro- duit et fixé par la potasse a été relativement considérable, nous employons l'appareil suivant que représente en entier la figure 200. Un grand ballon B, d'une capacité exactement connue, est muni d'une armature qui porte deux tubulures à robinet. Par l'une des deux tubulures, il est en rapport avec une des branches du manomètre à mercure M ; par l'autre avec un tube de caoutchouc à vide C. Le ballon, dans l'intérieur duquel se trouve un thermo- mètre, plonge complètement dans une conserve remplie d'eau et de glace. On fait un vide partiel dans le ballon, et on note la température et la pression du gaz restant. La solution de potasse à analyser est introduite dans le récipient A, et les gaz dissous sont chassés. Alors, on adapte l'extrémité du tube C à l'ajutage supérieur de la pompe à mercure, et la clef du robinet à trois voies est tournée de façon à établir toutes les communications. L'acide sulfurique est introduit dans le ballon A, le gaz acide carbonique se dégage, la pression remonte dans l'appareil. Quand l'équilibre est établi, la clef du robinet est ramenée dans sa position normale. Par une série de manœuvres de la pompe, le gaz dégagé dans le récipient A est chassé dans le ballon B, jus- qu'aux dernières traces que l'on recueille dans un tube gradué. On note de nouveau la température et la pression dans le ballon ; on possède alors tous les éléments pour déterminer la quantité de gaz acide contenu dans la solution de potasse et chassé dans le ballon. Soit x le volume de CO' cherché, V celui du ballon, t et A la température et la pression de l'air dans le Kiy. v'Ol). — .\pp;ncil de Jolyet ot 1*. llegiuirtl pour le dosage des très grandes quantités d'acide carbonique. LA KESPIRATION AQUATIQUE. — CHIMIE. 409 ballon au début, /' et h' celles après, et 11 la pression baromé- trique normale, on aura : v(H— //) ym—h) X: H(l4-aO H(l + aO' Dans toutes nos expériences, nous nous sommes servis de potasse pure. Mais, malgré cette précaution, nos solutions de potasse contenaient toujours une certaine quantité de carbonate alcalin. C'est pourquoi chaque analyse de solution potassique après l'expérience doit être précédée d'une analyse d'un échan- tillon de la solution avant l'expérience, afin de déterminer la quantité d'acide carbonique qui est contenue dans la solution normale de potasse et qui doit être défalquée. Préparation de l'oxygène fourni. — Nous avons voulu, dans nos expériences, introduire un nouvel élément de précision, qui avait été négligé par la plupart des auteurs qui se sont occupés jusqu'à présent de la chimie de la respiration. L'oxygène que l'on obtient par les procédés ordinaires, et même celui fourni par la décomposition du chlorate de potasse contient presque toujours quelques centièmes d'azote dont il est très difficile de le débarrasser. Sans doute, on peut, par une ana- lyse préalable, tenir compte de cette cause d'erreur, mais c'est encore une inconnue que l'on introduit dans le problème, et, dans l'analyse môme qui a pour but de la faire disparaître, il peut survenir des imperfections de lecture qui produisent un résultat d'autant plus fâcheux que l'on multiplie l'erreur donnée par l'eudiomètre. Une idée fort simple par elle-même, mais qui nous a offert quelques difficultés dans la pratique, a été de préparer l'oxygène pur au moyen de la décomposition de l'eau par l'électricité. Nous avons dû chercher tout d'abord une pile qui donnât un courant constant et durable. Les piles de Bunsen ne pouvaient nous servir, car notre appareil devait fournir de grandes quan- tités d'oxygène et fonctionner d'une manière continue pendant des mois. Les piles de Daniell et dcLeclanché ne nous ont pas 410 LA ME DANS LES EAUX. donné un courant assez intense. Nous avons alors employé la pile thermo-électrique de (Uamon, utilisée depuis quelque temps dans les usines de galvanoplastie. Cette pile peut fonctionner indéfiniment sans qu'on s'en occupe, et de fait la nôtre, com- posée de cent couples, a pu, pendant près d'une année, nous donner chaque jour 4 litres d'oxygène pur pour nos expériences. Les deux pôles de la pile sont en rapport (fig. 201) avec un Fig. 2U1. — Appareil de Jolyet et 1*. Reguard pour la production de l'oxygène et de l'hydrogène purs. distributeur C, grâce auquel nous pouvons envoyer le courant aux divers travaux du laboratoire. De ce distributeur partent, en effet, des fils qui passant au-dessous de la table, se rendent au grand voltamètre Y. Le vase est rempli d'eau distillée bouillie mélangée d'un quart de son volume d'acide sulfurique pur. L'hydrogène se dégage dans la cloche H, et de là il est con- duit dans une cuve à eau où on peut le recueillir pour effectuer les analyses eudiométriques. Quant à l'oxygène il se dégage en 0, traverse le tube A rempli de peroxyde de plomb, au contact duquel il se dépouille de son ozone, se rend dans le grand gazo- mètre G rempli d'une solution saturée de chlorure de calcium LA KKSPlHATIOiN AQUATIQUE. — CHIMIE. 411 et s'y emmagasine. On Ten extrait par un tube abducteur qui se rend dans la cuve à eau dont nous avons déjà parlé. Le courant de la pile nous sert encore à d'autres usages. C'est ainsi que, par un simple tour du distributeur, nous l'en- voyons dans le fil d'une bobine d'induction qui nous permet de produire l'explosion dans nos eudiomètres. Enfin l'on sait com- bien est souvent nécessaire l'emploi des deux gaz de la pile pour provoquer ou compléter une explosion de mélanges pau- vres en gaz détonants. Aussi avons-nous joint à notre appareil un voltamètre B donnant les deux gaz de la pile réunis, volta- mètre que nous pouvons également mettre en action par un simple mouvement du distributeur C. Il y a là, on le voit, toute une installation permettant les ana- lyses eudiométriques les plus précises. Nous avons cru devoir la décrire en détail pour vous éclairer sur la rigueur des pro- cédés que nous avons employés dans nos expériences sur la respiration des animaux aquatiques. Ces expériences que nous allons maintenant relater ont porté sur un certain nombre d'espèces appartenant aux princi- paux groupes des êtres qui vivent tant dans l'eau douce que dans la mer. Dans le clioix des animaux mis à l'étude, nous nous sommes attachés à prendre ceux qui sont les plus communs et les plus vivaces , nous nous sommes attachés également à ce qu'ils fussent maintenus, pendant toute la durée de l'observation, dans des conditions aussi normales que possible. Nos expé- riences sont donc des expériences de respiration à l'état phy- siologique. Celles dans lesquelles un commencement d'asphyxie aurait pu se montrer pour des causes accidentelles, indépen- dantes du procédé expérimental lui-même, ont été rejetées. Nous avons fait un certain nombre d'expériences sur des in- dividus de la même espèce animale et dans des conditions aussi semblables que possible, afm de juger tout d'abord des limites des variations qui doivent exister chez les divers individus, dans l'intensité ou la puissance respiratoire. 412 LA VIE DAiN'S LES EAUX. Ce n'est qu'ensuite que nous avons abordé l'étude de la refs- piration chez les individus appartenant aux principaux groupes de Tanimalité. Tontes ces expériences ont été faites par des procédés identi- ques. Aussi nous suffira-t-il d'en rapporter une en détail pour mettre le lecteur à même de comprendre la marche par nous suivie. Dans les suivantes, nous donnerons seulement les résul- tats de nos observations. Dans l'évaluation du travail respiratoire, il faut tenir compte, ainsi que l'a fait remarquer, le premier, ïréviranus, du poids des animaux. Nous avons donc toujours ramené par un calcul de proportion, la quantité d'oxygène absorbé à ce qu'aurait fourni, dans l'unité de temps, l'unité de poids de matière vi- vante des animaux en expérience, afin de rendre ainsi les résul- tats comparables entre eux. Eniin, comme chez les animaux à sang froid, les variations de la température ambiante ont une inlluence considérable sur l'intensité des phénomènes chimiques de la respiration, nous avons toujours noté exatement la température et cher- ché à éviter ses variations pendant le cours de chacune de nos expériences. I. — Expérience sur les Tanches (Cyp. tlnca). Exp. I. — Le 10 mai, on introduit dans raquariiim 7,100 cent. cub. d'eau et deux Tanches pesant ensemble 443 grammes, et ayant un volume de 340 cent. cub. On réserve 1,000 cent. cub. de la même eau pour l'analyse. On a mis dans le barboteur à potasse 125 cent. cub. d'une solution de potasse à l'alcool; dans le réservoir à oxygène 4o8,o cent, cub, d'oxygène pur ramené à zéro. L'appareil, d'une contenance de 8,088 cent, cub., est fermé et l'expérience mise en train à 3 h. o m. du soir. La température est de 14°. Détermination de l'oxygène, de Tazote et de l'acide carbonique contenus dans l'appareil au début de l'expérience. A) Atmosphère d'air. — L'appareil jaugeant exactement 8,088 cent, cub., si on retranche de ce chiffre ce qui a été introduit, c'est-à-dire Kau. l'oissons. Sol. H- 145.8 H- >- + 38i).8 = 526. 6 En résumé, les deux Tanches, pendant les dix-huit heures quarante-cinq minutes qu'elles ont séjourné dans l'appareil, ont absorbé Oxygène 619.0 — 157.2 = 461«8 et exhalé Acide carbonique 526.6 — 220.2 = 306.4 Azote 502.5 — 500.7= 1.8 Rapport entre le volume de l'acide carbonique exhalé et le volume de l'oxygène absorbé 0"66 Volume de l'oxygène absorbé par heure 24. 8 — — consommé par heure et par kilogramme d'animal. . . . 55 . 7 Nous ne saurions, dans ces leçons, reproduire le détail des très nombreuses expériences que nous avons faites sur toute la série des animaux aquatiques. Nous en donnerons seulement les ré- sultats et les conclusions. Le tableau suivant fera connaître au lecteur la quantité d'oxygène absorbée par heure et par un kilogramme de chacune des espèces en expérience, l'acide carbonique rendu et le rap- port entre ces deux gaz. Actinies.. . Astéries.. . Huîtres . . . Moules Palourdes. :02 0 C02 0 54 55 0.90 25.4 31.5 0.80 10.7 13.4 0.81» 9.6 12.4 0.77 12.6 15 0.84 ■U) 0.80 oo 0.89 67 0.80 107 0.81 124 (».83 89 0.83 55 0.83 70.4 0.78 54 0.61 43 0.76 92 0.71 142 0.65 133 0.81 LA RESPIRATION AQUATIQUE. — CHIMIE. 415 Poulpes 40 Langoustes 49 Homards 54 Crabes 87 Crevettes 108 Syngnathes 74 Squales 45.9 Soles ;)5 Torpilles 33 Congres 33 Grondins 67 Dorades 93 Mulets 109 Toutes ces expériences ont été faites à la même époque de Tannée et par une température à peu près invariable de 18". Nous tenons à bien le spécifier, car, de toutes les causes qui peuvent influer sur la respiration des animaux aquatiques, la température est certainement celle dont l'action est la plus grande. On sait en efl"et, depuis longtemps, que les animaux dits à sang froid ont une température propre qui suit les varia- tions du milieu ambiant. Ces êtres ne jouissent de la plénitude de leurs facultés physiologiques, que lorsque leur chaleur pro- pre est assez élevée : alors seulement toutes leurs fonctions s'exécutent avec activité. Mais, à mesure que le milieu extérieur se refroidit, on voit leurs mouvements se ralentir, les propriétés du système nerveux s'émoussent : en un mot, tout l'organisme s'engourdit et semble sommeiller. Le cœur ralentit le nombre et la force de ses battements, en même temps que la respiration s'affaiblit au point de devenir insensible si l'abaissement de la température est devenu assez grand, \V. Edwards, qui a fait une étude si parfaite des influences des agents physiques sur la vie, a vu que dans ces conditions les êtres inférieurs peuvent résister très longtemps aux diverses causes de l'asphyxie. Etudiant l'influence delà température sur la vie des Poissons dans Feau privée de gaz, AV. Edwards a vu que la durée de la vie augmentait progressivement à mesure qu'il abaissait la température de l'eau, depuis iO° jusqu'à zéro degré. 416 LA VIE DANS LES EAUX. Dans le but de mesurer rinfluence des variations de la tem- pérature sur l'activité respiratoire des Poissons à l'état normal, nous avons fait les trois expériences suivantes : 2 Cyprins ont été placés dans l'appareil, et la température de Teau a été main- tenue, dans chacune des expériences faites successivement, à 2" puis à 10% enfin à 30". Exp. I. — 2 Cyprins dorés du poids de 160 ^'ranimes et du volume de 170 cent. cub. sont placés dans Taquarium entouré de glace, (Tempéra- ture, 2".) Composition de l'eau avant l'expérience. Acide carbonique 27 0 Oxygène 8.0 Azote 16.7 L'expérience dure quarante-sept heures quarante-cinq minutes. Composition de l'eau à la fin de V expérience. Acide carbonique 26.6 Oxygène 10.2 Azote 16.0 Volume de l'oxygène consommé 121"7 — de l'acide carbonique produit 108.9 Rapport entre le volume d'acide carbonique pro- duit et le volume de l'oxygène consommé 0. 89 Volume de l'oxygène consommé par heure 2.o Volume de l'oxygène consommé par heure et par kilogramme de Cyprins 14.8 Exp. II. — Les deux Cyprins de l'expérience précédente sont replacés dans l'aquarium et l'eau est maintenue à la température de 10°. Composition de Veau au début de Vexpériencc. Acide carbonique 21.3 Oxygène 8-8 Azote 14.6 L'expérience dure cinquante et une heures dix minutes. Composition de Veau à la (in de l'expérience. Acide carbonique 23. ii Oxygène 6 . i» Azote i;;.9 L.\ RESPIRATION AQUATIQUE. — CHIMIE. 417 Volume de l'oxygène consommé 329'^'=6 — de Facide carbonique produit 308 . 7 Rapport entre le volume d'acide carbonique ex- halé et le volume d'oxygène absoi^bé 0. 96 Volume de l'oxygène consommé par heure 6.4 — de l'oxygène consommé par heure et par kilogramme de Cyprins 37.8 Exp. III. — L'appareil ayant été placé dans de l'eau chaude, entretenue à la même température par un régulateur automatique, les deux mêmes Cyprins dorés du poids de 169 grammes et du volume de 170 cent. cub. sont ■remis dans l'aquarium. (Température, 30°.) Composition de Veau avant l'expérience. Acide carbonique 28.0 Oxygène 5.0 L'expérience dure vingt-deux heures cinquante-cinq minutes. Composition de Veau à la fin de Vexpérience. Acide carbonique 17.0 Oxygène 5.2 Volume de l'oxygène consommé o76'=''00 — • de l'acide carbonique produit 432. 00 Rapport entre le volume d'acide carbonique ex- halé et le volume de l'oxygène consommé 0. 73 Volume de l'oxygène consommé par heure 25. 00 — de l'oxygène consommé par heure et par kilogramme d'animal 1 47 . 8 Les résultats des expériences comparatives précédentes sont assurément très explicites, et montrent bien qu'un même animal peut absorber, dans le même temps, des quantités très différentes d'oxygène, quand on fait varier une seule condition de l'expé- rience, la température. Si on représente par l'unité la quantité d'oxygène absorbé par les Cyprins dans l'unité de temps, lorsque la température est de 2°, cette quantité sera 2 fois 1/2 plus grande à 10°, et 10 fois plus grande encore lorsque la tempéra- ture atteindra 30". Si nous insistons autant sur l'influence de la température, c'est parce que les physiologistes qui se sont occu- pés de la respiration des Poissons n'en ont pas toujours tenu Regnard. 27 418 LA VIE DANS LES EAUX. compte. Or, les activités respiratoires de ces animaux, comme celles de tous les êtres à température variable, ne pourront être comparées entre elles que par l'observation de cette condition. Parmi toutes les conditions qui peuvent influer sur les quan- tités d'oxygène absorbé par les animaux, nous avons déjà, dans le cours de ce travail, signalé les principales, il nous suffira de les rappeler ici. Le volume des animaux a une influence marquée. W. Edwards, en étudiant l'influence de la température sur la vie des Poissons dans l'eau privée d'air, avait constaté, comme nous l'avons dit, que la durée de la vie des animaux est d'autant plus courte ou plus longue, que la température s'élève ou s'abaisse ; mais il a constaté, de plus, que pour un même degré de température, les petits Poissons, ainsi que les plus jeunes, sont ceux qui résistent le moins longtemps à l'asphyxie. La raison de ces faits tient assurément à l'activité respiratoire plus grande chez les petits Poissons que chez ceux de grand vo- lume. Pareillement dans la classe des Crustacés, l'influence de la taille se montre et plus marquée encore : des Crevettes de ruis- seau absorbent près de 4 fois plus, à poids égal, que des Lcre- visses, par exemple. Rappelons, enfin, que l'état de jeûne ou de digestion (expé- riences sur les Sangsues), l'état d'activité musculaire plus ou moins grand, peuvent aussi influer plus ou moins sur la respi- ration des animaux aquatiques. Quant à l'influence due à l'espèce, on la connaîtra en com- parant entre eux les résultats de nos expériences ci-dessus con- signées. Pour terminer, il nous reste à signaler les modifications ap- portées dans les altérations de l'air par la respiration, sous l'influence de l'asphyxie, et à montrer comment varie, dans ces CO^ conditions, le rapport -r— . Si on considère les résultats des altérations de l'air dans nos expériences sur la respiration des animaux aquatiques, on voit (|ue, toujours, le rapport entre le volume de l'acide carbonique LA RESPIRATION AQUATIQUE. — CHIMIE. 419 produit et le volume de l'oxygène absorbé est plus petit que l'unité. Cependant quelques physiologistes qui se sont occupés de la respiration des Poissons ont trouvé que ces animaux exha- laient plus d'acide carbonique qu'ils n'absorbaient d'oxygène. i\ous avons déjà eu l'occasion de dire que ce résultat était le fait de l'asphyxie par privation graduelle de l'oxygène dans le milieu respirable. Nous rapporterons ici deux de nos expériences, où, par suite d'une mauvaise aération de l'eau, due à des circons- tances accidentelles, l'oxygène dissous ayant baissé considéra- blement, les animaux se sont trouvés dans un état d'asphyxie prolongé. Or dans ces deux observations, dans lesquelles les ani- maux sont sortis très souiïrants de l'appareil, on voit que le volume de l'acide carbonique rendu a été plus grand que le vo- lume de l'oxygène absorbé. Expérience sur des Crabes [Cancer menas). Exp. I. — Le 22 août, on met dans l'appareil de petils Crabes pesant ensemble 1,095 f,n^ammes. (Température, 18°.) ComposUion de Veau avant Vexpénence. « Acide carbonique H.O Oxygène 4.3 Azote 10.9 L'expérience dure deux heures quarante-cinq minutes. Composition de l'eau après Vexpérience. Acide carbonique 16.6 Oxygène 0. 64 Azote 10.9 Volume de l'oxygène consommé llO^'^o — de l'acide carbonique exhalé 158 . 2 — de l'azote exhalé 11.0 Rapport entre le volume d'acide carbonique ex- halé et le volume d'oxygène absorbé 1.3 Volume d'oxygène absorbé par heure 42. 9 — d'oxygène absorbt' par heure et par kilo- gramme d'animal 39.1 420 LA VIE DANS LES EAUX. Expérience sur un Labre (L. titrdus). Exp. II. — Le 18 août, on met dans raquarium un Labre du poids de 275 grammes. (Température, 19°, H = 760.) Composition de Veau au début de l'expérience. Acide carbonique 2.8 Oxygène 3.8 Azote 11.4 L'expérience dure trois heures vingt minutes. Composition de Veau à la fai de l'expérience. Acide carbonique 7.3 Oxygène 1.6 Azote 9.2 Volume de l'oxygène consommé 125'' 00 — de l'acide carbonique exhalé 156 . 00 Rapport entre le volume d'acide carbonique ex- halé et le volume d'oxygène consommé 1 . 24 Volume d'oxygène consommé par heure 37 . 8 — d'oxygène consommé par heure et par 4^ kilogramme d'animal 1 37 . 00 Dans l'impossibilité où nous sommes, Messieurs, de mettre sous vos yeux le détail de nos recherches sur la chimie respira- toire des animaux aquatiques, nous vous demandons la permis- sion d'en reproduire simplement les conclusions, telles que nous les avons fait connaître autrefois dans un mémoire adressé par M. Jolyet et par nous à TAcadémie des Sciences. Pour étudier la respiration des animaux aquatiques, disions- nous, la condition essentielle, indispensable, à laquelle on doit satisfaire tout dabord, c'est que les êtres soient maintenus, pen- dant toute la durée de l'expérience, dans des conditions physio- logiques, et aussi normales que possible. L'appareil que nous avons imaginé et décrit réalise complètement cette condition. Les animaux à respiration aquatique, destinés à vivre dans un milieu très pauvre en oxygène et ayant, d'autre part, un fluide sanguin dont la ca})acité respiratoire est très faible, sont LA RESPIRATION AQUATIQUE. — CHIMIE. 421 de tous les êtres ceux dont la respiration offre l'activité la moins considérable. Dans l'acte de la respiration libre et naturelle, l'oxygène qui disparaît n'est pas exactement représenté par l'oxygène contenu dans l'acide carbonique produit, toujours le rapport CO" -— - est plus petit que l'unité, c'est-à-dire que les animaux aquatiques, placés dans les conditions normales de leur exis- tence, ne rendent jamais plus d'acide carbonique qu'ils n'absor- bent d'oxygène. Si, dans des expériences sur la respiration des Poissons, quelques physiologistes ont trouvé un volume d'acide carbonique supérieur au volume de l'oxygène absorbé, cela tient à ce que les animaux se trouvaient placés dans un milieu confiné, dont ils épuisaient graduellement l'oxygène (asphyxie dans l'eau mal aérée, non renouvelée), et qui par conséquent n'était plus normal et respirable. Comme chez tous les animaux à température variable, les va- riations thermiques ambiantes ont chez les êtres aquatiques une influence considérable sur l'intensité des phénomènes chimiques de la respiration. En opérant aux températures de 2° et de 30° du milieu extérieur, les quantités d'oxygène absorbées varieront, toutes choses égales d'ailleurs, dans le rapport de 1 à 10, au minimum. Parmi les autres causes qui peuvent influer sur l'activité de la respiration en dehors des conditions relatives à l'espèce, les plus importantes, après la température, sont l'état déjeune et de digestion, la taille, l'état d'activité musculaire plus ou moins grand des animaux. Avant de quitter ce sujet, je voudrais, Messieurs, vous mon- trer quelques résultats pratiques qu'il est possible d'en dé- duire. Il est certain, par exemple, qu'on pourra faire vivre très longtemps dans la même eau des animaux aquatiques, si on 422 LA VIE DANS LES EAUX. fait barbotter dans cette eau un courant d'air actif. C'est ainsi qu'on entretient les animaux marins dans les aquariums situés loin de la mer et où on ne peut renouveler facilement l'eau saline. Fig. 202. — Appareil de P. Reguard pour la ventilation des aquariams. Ces barbottages sont entretenus à grands frais par des trompes débitant une grande masse d'eau ou môme par des machines soufflantes très coûteuses. En voici une que nous avons utilisée dès 1882 et qui nous a rendu les plus grands services pour conserver des animaux marins dans des endroits où nous ne disposions pas d'une masse d'eau ou d'une pression suffisante pour faire manœuvrer des trompes. LA RESPIRATION AQUATIQUE. — CHIMIE. 423 Notre appareil fonctionne sin plement avec un courant d'eau sans pression, il de'pense fort peu et coûte si bon marché que chacun peut le fabriquer dans son laboratoire (fig. 202). Il se compose d'un vase conique A, fermé en haut par une plaque rodée, maintenue bien appliquée par une vis de pres- sion. Dans l'intérieur de ce vase plonge un tube de verre en communication par un caoutchouc avec le robinet d'eau. Dans l'appareil se trouve un second tube B très large ayant la forme d'un siphon de vase de Tantale. Ce gros tube B traverse un bouchon de caoutchouc qui ferme en bas l'appareil A; il abou- tit à un vase quelconque E, où l'eau se déversera tout à l'heure. La plaque supérieure est percée de deux trous. Dans l'un est luté un tube de verre C où se trouve une soupape de caout- chouc, dans l'autre est enfoncé le tube D, muni d'une soupape inverse de la première. Voici comment fonctionne l'appareil : on ouvre le robinet d'eau. Celle-ci pénètre dans le vase A, elle le remplit et chasse l'air par la soupape D et le tube F jusque dans l'eau de l'a- quarium. Puis, dès que l'eau arrive à la crosse du tube B, le siphon de Tantale, que constitue ce tube, s'amorce et, comme ce tube B est trois fois plus gros que le conduit de l'eau, le vase se vide très rapidement, bien que l'eau continue à y entrer. Cette évacuation produit une aspiration, fait pénétrer de l'air par la soupape C. Quand l'eau arrive en bas du tube E, le siphon se désamorce. Immédiatement, le vase se met à se remplir de nouveau en produisant l'insufflation, et cela se reproduit ainsi indéfiniment sans qu'on s'en occupe et avec une rapidité qui varie suivant la quantité dont on a ouvert le robinet d'eau. C'est un appareil dont le principe est très différent, mais qui fournit des résultats identiques, qui sert au transport des Pois- sons. Un grand tonneau (fig. 203) est chargé sur un baquet. Au- dessous de lui, se trouve un mécanisme de pompe que les roues 424 LA VIE DANS LES EAUX. elles-mêmes mettent en mouvement. Un débrayement facile permet de cesser le monvement quand on se trouve dans des chemins trop caillouteux. La pompe injecte de Tair dans le ton- neau où sont entassés les Poissons. Fig. 203. — Appareil de OUo Hainmerle pour le transport des Poissons. Dans ces conditions, ils respirent bien, même s'ils sont très serrés dans un faible espace. L'appareil que je vous montre est de M. Otto Hainmerle de Dornhirn. A Ilunningue et aussi en Amérique, on en utilise de presque identiques. Dans ce dernier pays, en 1874, on a pu, avec un sem- blable dispositif, transporter 12 GOO Aloses à 1 600 kilomètres de distance. Quand le trajet est plus court et la quantité de Poissons très faible, on peut se servir de rinstrumcnt que représente la figure 204. C'est une sorte de hotte en bois, semblable à celles qui servent dans les pays de montagnes H transporter le lait. La ventilation y est faite au moyen d'un simple soufflet que le porteur fait mouvoir de la main qu'il a libre. Très simple, cet appareil peut rendre de réels services. Fig. 204. — Hotte ;'i Poissons. QUINZIÈME LEÇON LA SALINITE ^9r Messieurs, Tout au début de ces leçons, nous avons établi une grande division entre les êtres qui vivent dans les eaux. Les uns exis- tent dans l'eau qui sillonne les continents ou qui stagne dans leurs vallées, ce sont les animaux d'eau douce; les autres habi- tent les Océans et les mers, c'est-à-dire une eau qui renferme une grande quantité de sels en dissolution. Il semble, en effet, nous allons le voir, que le fait du plus ou moins de salinité constitue une barrière entre les différentes espèces. Celles qui demeurent dans l'eau douce ne peuvent pas passer dans les eaux marines et réciproquement ; une très petite quantité fait exception à cette règle formelle. Au moment oii notre globe se constituait et commençait à prendre l'aspect que nous lui connaissons aujourd'hui , des pluies abondantes et chaudes tombaient sur la surface des terres, elles y dissolvaient tous les éléments solubles et les en- traînaient dans les bassins océaniques. Quand, ensuite, elles étaient évaporées, elles abandonnai ent leurs résidus solubles dans l'eau de la mer qui se concentrait ainsi de plus en plus. Encore aujourd'hui, cela continue, et la potasse qui résulte de la désagrégation des granits, l'ammoniaque qui est formée dans la terre et dans la mer, sont sans cesse versées par les fleuves dans la masse des eaux marines. Seulement toutes les 426 LA VIE DANS LES EAUX. substances très solubles ont depuis longtemps abandonné la surface émergée du globe et sont restées en solution dans les mers. Si bien que maintenant on rencontre dans les eaux marines trente-deux corps simples qui sont : 1° L'oxygène en solution dans Feau ou en combinaison avec rhydrogène. 2° L'hydrogène, qu'on trouve combiné dans l'eau même, dans les matières organiques et dans l'ammoniaque. 3° Le chlore combiné au magnésium et surtout au sodium. 4°, 5", 6° Le fluor, le brome, l'iode, 7" Le soufre, qui forme de nombreux sulfates. Quelquefois même on le rencontre dans les vases saumâtres sous forme d'acide sulfhydrique. 8° Le phosphore sous forme de phosphates. 9" L'azote dissous dans l'eau ou combiné dans l'ammo- niaque. 10° Le carbone à l'état d'acide carbonique. 11° Le silicium à l'état d'acide silicique. 12° Le bore. 13° L'argent en quantité suffisante pour se précipiter sur les coques des vaisseaux doublés en cuivre. 14° Le cuivre. 15° Le plomb. 16° Le zinc. 17° Le cobalt. J8° Le nickel. 19° Le fer. 20" Le manganèse. 21° L'aluminium. 22" Le magnésium. 23° Le calcium. 24" Le strontium. 25° Le baryum. 26° Le sodium combiné en masses immenses avec le chlore. LA SALINITE. 427 27° Le potassium, très abondant, mais moins pourtant que le sodium. 28° L'arsenic. 29° L'or. 30° Le lithium. 31° Le cœsium. 32° Le rubidium. En réalité, ces corps sont les plus abondants, mais tous les corps simples doivent se rencontrer dans l'eau de mer puisque, nous l'avons dit, celle-ci est l'eau de lavage de la surface du globe, lavage qui ne cesse de se faire depuis le jour oii la croûte terrestre a été assez froide pour que l'eau pût séjourner à l'état liquide à sa surface. Il est évident que tous ces corps ne sont pas à l'état simple dans l'eau de mer, ils sont combinés les uns avec les autres de façon à donner le tableau suivant, que nous empruntons à Thoulet : Chlorure de sodium. de magnésium. — de potassium. — de rubidium. Sulfate de magnésie. — de chaux. — de potasse. Bromure de sodium. — de magnésium. Carbonate de chaux. Carbonate de magnésie. — de soude. — de potasse. — de fer. Bi-carbonate de chaux. — de soude. — de potasse. Phosphate de chaux. Silice. On admet, en général, que, dans quelque point des Océans que l'on recueille de l'eau de mer, elle est toujours identique à elle-même. La vérité est qu'entre les diverses analyses, il n'existe qu'une très faible différence. Certaines causes pour- tant peuvent, d'une mer à l'autre, surtout dans les mers fer- mées ou près des côtes, faire varier sensiblement la salinité. Les lois de cette variation ont été formulées comme il suit par Bogulawski : l°La teneur en sel de l'eau de mer augmente, en général, à 428 LA VIE DANS LES EAUX. mesure qu'on s'éloigne des côtes, par suite de Tafilux des eaux douces provenant des cours d'eau. 2" La teneur en sel est maxima dans la région des alizés et minima dans la région des calmes équatoriaux, et elle va en augmentant des hautes latitudes à la région des alizés. 3° La teneur en sels dans les mers isolées tient au rapport entre l'évaporation et les pluies ou les apports des fleuves. 4° Elle est un facteur considérable de la vie des êtres orga- nisés marins. Ces lois sont tellement évidentes qu'on peut les énoncer à priori^ mais il faut dire aussi qu'elles sont confirmées par l'ex- périence. Dans l'Océan Atlantique, Forchhammer a fait de nombreuses analyses : elles ont été continuées par J. Murray ; en voici la moyenne : Chlorure de sodium 25,18 — de magnésium 2,94 Sulfate de magnésie 1 ,75 — de soude 0,27 — de chaux 1 ,00 31,14 Pour 1 000 grammes d'eau, bien entendu. Cette composition est vraie pour le centre de l'Atlantique, mais, dans les mers polaires, au moment où les glaces se for- ment, elles libèrent pour ainsi dire les sels de leur solution, puisque ces sels n'entrent pas dans la composition de la glace. L'eau de mer se charge donc en substances dissoutes. Au mo- ment de la fonte des glaces, c'est exactement l'inverse qui a lieu : l'eau pure provenant de la fusion vient se mêler à l'eau de la mer et la dilue beaucoup. Dans les pays tropicaux, l'évaporation considérable concentre l'eau à la surface des mers, cette eau se charge en sels, de- vient plus lourde, tombe, et elle doit contribuer à réchauffer les couches profondes et en même temps à leur porter les gaz. respirables qui leur manquent. LA SALINITE. 429 S'il s'établit vite une moyenne, cela résulte de l'existence des courants qui brassent et mélangent les eaux de densité diffé- rente. Dans les mers fermées, il peut y avoir dilution des eaux ou, au contraire, concentration. Prenons pour exemple la Baltique. Elle ne communique avec le reste des mers que par le Sund. L'évaporation y est presque nulle, car c'est un pays froid, humide, où l'air est presque toujours saturé. En revanche, d'immenses fleuves s'y jettent; si bien que cette mer va toujours se dessalant. Sa composition est la suivante : Chlorure de sodium 3,67 — de potassium 0,ol — de magnésium 0,24 Sulfate de magnésie 0,11 — de chaux 0,10 Bicarbonate de magnésie 0,01 — de chaux 0, 1 2 Bromure de magnésium. traces 4,70 Aussi le golfe de Bothnie est-il un véritable lac d'eau presque douce ; on y voit vivre des f/m'o, des Anodontes^ des Cyclas. On prétend même que les Grenouilles vont pondre leurs œufs à la côte. Les Huîtres n'y vivent plus, mais dans les temps préhisto- riques elles y existaient, car on a retrouvé leurs coquilles au milieu de débris provenant de l'âge de la pierre polie. La mer Noire est presque dans les mômes conditions que la Baltique; seulement l'évaporation y est très active en été, et elle reçoit des fleuves moins importants ; aussi n'est-elle qu'à moitié dessalée. Yoici sa composition : Chlorure de sodium 14,19 — de potassium 0,18 A reporter .14,37 430 LA VIE DANS LES EAUX. Report 14,37 Chlorure de magnésium 1 ,30 Sulfate de magnésie 1 ,47 — de chaux 0,10 Bicarbonate de magnésie . 0,20 — de chaux 0,36 Bromure de magnésium traces 17,66 La Faune marine de la mer Noire n'est pas mêlée d'espèces lluviales, mais elle est extrêmement pauvre. La mer d'Azoïr est encore moins salée que la mer Noire, comme le montre l'analyse de ses eaux : Chlorure de sodium 0,65 — de potassium 0,12 — de magnésium 0,88 Sulfate de magnésie 0,76 — de chaux 0,28 Bicarbonate de magnésie 0,12 — de chaux 0,22 Bromure de magnésium traces 11,8 La mer Caspienne est complètement fermée, c'est, en réalité, un grand lac salé. Et il s'y passe un phénomène curieux : dans certaines régions, l'évaporation l'emporte sur l'afflux des eaux douces, l'eau est là sursalée. A côté de cela, dans d'autres en- droits, il arrive par les fleuves une telle quantité d'eau douce que c'est à peine si elle se môle avec l'eau saline. Voici ce que donne dans ce cas l'analyse : Chlorure de sodium 3,67 — de potassmm 0,07 — de magnésium 0,63 Sulfate de magnésie 1 ,23 — de chaux 0,49 Bicarbonate de magnésie 0,01 — de chaux 0,17 Bromure de magnésium traces 6,20 LA SALINITÉ. 431 Ce que je viens de vous dire s'applique à des régions froides. Si nous examinons les mers fermées qui se trouvent dans les régions chaudes, nous verrons que, chez elles, l'évaporation va en dominant Tafflux d'eau douce, et elles se sursalent visiblement. Prenons pour exemple la Méditerranée, qui ne communique avec les autres mers que par le détroit de Gibraltar. L'évapo- ration s'y fait énergiquement, tandis que l'apport du Nil, du llhône et de l'Èbre sont relativement faibles. Il en résulte qu'elle se concentre et qu'elle se dessécherait même s'il ne se faisait par le détroit de Gibraltar une entrée perpétuelle de l'eau de rOcéan. Aussi la Méditerranée est-elle notablement plus salée que celui-ci. Voici, d'après Usiglio, la composition de ses eaux : Chlorure de sodium 50,42 — de potassium 0,30 — de magnésium 3,21 Sulfate de magnésie 2,47 — de chaux 1,35 Carbonate de chaux 0,11 Bromure de sodium 0,55 Peroxyde de fer traces 37,63 La mer Piouge est encore plus salée, car elle se trouve dans des pays plus chauds; l'évaporation y est très active et l'apport des fleuves et des pluies presque nul. Aussi y voit-on 43 gram- mes de sels par litre d'eau. Mais c'est la mer Morte et les lacs salés de l'Amérique qui contiennent le plus de substances solides : ces éléments y sont môme en telle quantité que toute existence y devient impos- sible. Dans la mer Morte , Boutron et Henry ont trouvé 150 grammes de sels par litre; Klaproth 426 grammes, et Gay- Lussac 262. Ces différences tiennent à ce que les prises d'eau ont été faites après de grandes pluies ou à la suite de grandes sécheresses. Yoici d'ailleurs l'analyse complète de Boutron et Henry : 432 LA. VIE DANS LES EAUX. Chlorure Je sodium 1 10,03 — de potassium 1 ,66 de magnésium 16,'96 — de calcium 6,80 Sulfates alcalins 2,33 Carbonates terreux 9,o3 Silice 2,00 149,31 Tous les animaux aquatiques que le Jourdain amène dans la mer Morte succombent dès qu'ils y ont pénétré. Et pourtant, dans un petit lac voisin du lac Asplial tique et plus chargé que lui encore en chlorure de sodium, des milliers de petits Pois- sons fourmillent. Ils meurent dès qu'on les plonge dans Teau de la mer Morte : les auteurs ne nous disent pas s'il y a une grande ditTérence de température entre les deux nappes d'eau. La salure du grand lac d'Utah est analogue à celle de la mer Morte ; on y rencontre, comme dans celles-ci, des Foramini- fères et quelques Algues très simples du genre Nostoch. Yous remarquerez, Messieurs, qu'au début de cette leçon, je vous ai parlé de trente-deux substances contenues en solution dans les eaux de la mer et que, d'autre part, dans les analyses que je vous cite," il n'est question que de huit ou dix. Cela tient à ce que les autres sont en proportion infinitésimale. C'est ainsi que l'argent n'est qu'à l'état de traces, mais vu la masse im- mense des eaux océaniennes, on peut évaluer à 3 milliards de kilogrammes la quantité de ce métal qui s'y trouve dissoute. Il en est de même des autres. Certains végétaux et certains ani- maux ont la propriété de concentrer dans leur substance ces matières rares, et c'est dans leurs cendres qu'on les trouve faci- lement. Ainsi tous les ÎMollusques à coquilles puisent dans l'eau de mer le phosphate et le carbonate de chaux qui leur sont néces- saires : et les bancs coquilliers sont quelquefois d'une épais- seur énorme. Nous nous sommes déjà expliqué sur l'existence et l'immensité des bancs madréporiques. L'iode, le brome, le lluor sont extraits et concentrés par les LA SÂLIiXITÉ. 433 Fucus. C'est encore dans les cendres de ces végétaux que notre industrie va les chercher. Le fer n'est pas abondant dans l'eau de mer. C'est pourtant là que tous les animaux à hémoglobine vont le puiser pour leurs globules. Les Crustacés extraient le cuivre pour l'hémocyanime de leur liquide sanguin. Chez la Pinna squainosa on a trouvé dans l'organe de Bojanus des concrétions de manganèse assez riches pour donner immé- diatement la perle violette caractéristique dans l'essai au cha- lumeau. Le bore a été vu dans les cendres de la Zostera marina et du Fucus vesicidosiis, l'argent se trouve à la dose de 1/3 000 000 dans un corail, le Pocillopora alcicornis. Le môme corail con- tient 1/500 000 de ç,\\\\YQ.\JHeterospora abrotanoïdes renferme 1/500 000 de cuivre et 1/50 000 de plomb. Les Zostera contiennent 1/30 000 d'oxyde de zinc et de man- ganèse. La Serjmla filigrana renferme jusqu'à 1 et demi p. 100 de carbonate de magnésie. D'ailleurs les animaux qui vivent dans l'eau salée empruntent le sel lui-même de cette eau et le laissent pénétrer dans leur sang; les expériences de Frédéricq ne laissent aucun doute sur ce point. Elles peuvent se résumer de cette manière. Les animaux d'eau douce que l'on transporte dans l'eau de mer lui prennent du sel qui passe dans leur sang : les ani- maux marins qu'on met dans l'eau douce dessalent leur sang au bénéfice de celle-ci, dans laquelle la chimie retrouve facile- ment le chlorure de sodium. Toute la surface osmotique du corps concourt à ce résultat, mais les branchies, grâce à leur minceur, y prennent plus de part que le reste. Ainsi le sang de l'Écrevisse ne contient que 0,94/100 de sel : celui du Crabe en contient 3,37. La preuve que cette différence tient bien au milieu, c'est que, pendant que les Crabes de la Regnakd. 28 434 LA VIE DANS LES EAUX. Méditerranée ont 3,39 p. 100 de chlorure de sodium dans leur sang, les mômes animaux vivant dans l'eau presque douce des bords de l'Escaut n'en ont que 1,48 p. 100. L'expérience reproduit les mûmes résultats : on peut faci- lement dessaler un Crabe marin en le faisant passeï* dans de l'eau de plus en plus douce. Le même piiénomène peut être reproduit chez les Mol- lusques. Ce qui est curieux, c'est que le sang seul subit ces différences de salure, la chair des animaux de mer n'est pas plus salée que celle des animaux d'eau douce. Un autre fait singulier, c'est que le sang des Poissons ne subit pas ces alternatives. Chez ces Vertébrés, le sang des espèces marines n'est pas plus salé que celui des espèces d'eau douce. Il y a là un fait mystérieux mais qui pourra pourtant nous aider à fixer le mécanisme de la mort des êtres que l'on fait passer de l'eau douce dans l'eau marine. L'expérimentation s'est occupée d'enlever à l'eau de mer quelques-uns de ses éléments ou d'en faire varier la teneur pour voir comment se ferait l'existence des êtres marins. Le pro- cédé consistait à faire de l'eau de mer artificielle, privée de l'une ou de l'autre des substances que nous avons énumérées. Il y avait même là une certaine importance pratique. Or les ré- sultats ont toujours été les mêmes, les animaux, après avoir langui quelque temps, ont lini par mourir toutes les fois que la disproportion entre l'eau de mer naturelle et l'artificielle a été un peu grande. Ceci nous explique pourquoi les animaux de l'Océan ne pé- nètrent pas dans la Baltique et ceux de la Méditerranée dans la mer Noire. Ceux qui s'y acclimatent péniblement ne doivent guère s'y reproduire, d'oii la pauvre Faune de ces deux mers. Pourtant, à propos de notre Exposition Universelle de 188D, Perrier a fait d'importantes tentatives pour fabriquer une eau de mer artificielle qui pût entretenir des animaux marins dans les aquariums du Palais. Les résultats furent remarquables. LA SALINITÉ. 435 Ôii arriva à faire rester pendant des mois entiers des Iluitres et des Actinies dans une eau de mer ainsi formée : Eau 3000 grammes. Chlorure de sodium 79 — — de magnésium H — — de potassium 3 — Sulfate de magnésie 5 — de chaux. «) Il convient pourtant de remarquer que les Huîtres et les Acti- nies sont des animaux littoraux dont la race est déjà habituée aux variations des flaques par afflux des eaux pluviales : on ne sait pas encore si des animaux de haute mer seraient capables de subsister dans un milieu semblable. La recherche de ce point serait d'un grand intérêt. Dans un autre ordre d'idées, Pouchet et Chabry ont cherché ce qu'il adviendrait d'Oursins que l'on ferait se développer dans une eau complètement privée de chaux. Où prendraient- ils la substance qui leur est nécessaire pour leurs spicules? Les deux expérimentateurs ont d'abord essayé de composer une eau de mer artificielle totalement dépourvue de sels de chaux : cette tentative ne réussit pas : les œufs ne se développaient pas dans un tel liquide. Puis ils ont essayé de supprimer la chaux contenue dans l'eau de mer naturelle en la précipitant par de l'oxalate de potasse. Dans ces conditions il se produisait malheureusement une double décomposition et il restait dans l'eau du sulfate de po- tasse et sans doute un léger excès d'oxalate. Néanmoins l'expé- rience put être faite : les œufs d'oursins se développèrent et les spicules apparurent, mais sans être encroûtés de matière dure, puis l'anim-al succomba toujours et jamais son dévelop- pement n'alla plus loin. Pendant ce temps les œufs, placés comme témoins dans l'eau normale, suivirent leur développe- ment habituel et arrivèrent promptement à l'état de Pluteus. Pouchet et Chabry ont môme remarqué que les œufs placés dans l'eau décalcifiée se développaient avec un retard sur 436 LA VIE DANS LES EAUX. les témoins pendant tout le temps qu'ils pouvaient encore vivre. Quoi qu'il en soit de ces faits accessoires, ce qui domine l'his- toire biologique de la salinité des eaux, c'est ce fait que les ani- maux marins meurent quand on les met brusquement dans l'eau douce et réciproquement. Ce fait ne souffre aucune exception, et les cas d'acclimatement que je vous signalerai plus tard ne l'infirment nullement. La réalité de cette mort étant constatée, il s'agit d'en donner maintenant l'explication. Paul Bert s'y est appliqué dès 18G7. Plus tard Charles Richet, de Yarigny et nous-mème avons ajouté quelques faits à son travail. D'autre part, en Belgique, Plateau avait entrepris des recherches sur le môme sujet. Pour Plateau, la mort vient par une véritable intoxication résultant de l'absorption du chlorure de sodium par les ani- maux d'eau douce. Il s'appuie sur ce fait que les animaux pro- tégés par une carapace, comme les Crustacés, se trouvant da- vantage à l'abri de cette absorption, résistent plus longtemps que les Poissons, par exemple. Nous pouvons faire à cette théorie quelques objections. D'a- bord on comprend que le chlorure de sodium, passant dans le sang, soit un poison, bien qu'il y existe normalement; mais on comprend mal pourquoi un Poisson de mer meurt dans l'eau douce, car son immersion dans ce liquide ne lui ajoute pas de chlorure de sodium, mais lui en retire, au contraire. Ensuite, si le chlorure de sodium passe dans le sang, on doit l'y trouver; or, les recherches de Frédéricq nous apprennent que justement il n'y passe pas chez les Poissons : or ces ani- maux sont précisément ceux qui succombent le plus vite quand on les transporte de l'eau douce dans l'eau salée. Il y a contra- diction flagrante, et j'aime mieux adopter la théorie de Bert, qui affirme que la mort survient par suite d'une difl"érence su- bite qui se produit dans les courants osmotiques, principale- ment à travers les branchies dont l'épithélium se gonfle et LA SALINITÉ. 437 devient un obstacle aux échanges de la respiration. La mort devient alors un simple phe'nomène asphyxique. Voici la preuve que les choses se passent bien ainsi. Plongeons deux animaux marins, Fun dans l'eau douce pure et l'autre dans l'eau douce additionnée d'assez de sucre pour qu'elle ait la densité de l'eau de mer. Le premier succombera en quelques minutes, le second vivra plusieurs heures. Si on les pèse, on verra que le premier aura diminué de poids, le second n'aura presque pas changé. Examinons les branchies, nous les voyons recouvertes d'un épithélium trouble, gonflé, à travers lequel les échanges respi- ratoires ne se font pas. D'ailleurs le chlorure de sodium n'est pas le seul sel qui pro- duise ce courant exosmotique. Remplaçons-le par du sulfate de soude, du sulfate de magnésie et donnons à l'eau la densité de l'eau de mer, les mêmes faits se passeront. Un Poisson marin vivra plus longtemps dans la solution de sulfate de magnésie que le Poisson d'eau douce et celui-ci y mourra plus vite. Une expérience de Ch. Richet démontre très clairement pour nous que la mort est alors un phénomène asphyxique. Plaçons un Poisson d'eau douce dans l'eau de mer à 10" et un autre dans l'eau de mer à 20°. Celui-ci mourra beaucoup plus vite que le premier. Est-il admissible qu'un poison agisse plus vite à chaud qu'à froid? N'est-il pas plus simple d'admettre que de deux Poissons qui éprouvent des difficultés pour respirer, celui-là mourra le plus vite qui consommera le plus vite la pro- vision d'oxygène de son sang? C'est justement le cas duPoisson qui a le plus chaud. D'ailleurs le courant osmo tique qui gontle le Poisson d'eau de mer quand il passe dans l'eau douce et qui vide le Poisson d'eau douce qu'on plonge dans l'eau de mer n'est pas une simple supposition : la balance constate la réalité du phénomène ; chez les Grenouilles, c'est encore beaucoup plus net : une Grenouille plongée dans l'eau de mer y perd i-apidement le cinquième de son poids. 438 LA VIE DANS LES EAUX. L'acclimatation est pourtant possible, mais à une condition, c'est d'aller lentement, de telle sorte que l'animal ait bien le temps de compenser ses pertes. C'est encore à Paul Bert que nous devons les principales re- chercbes sur ce point. Il met dans un grand aquarium des Daphnies et, chaque jour, il jette dans les 15 litres d'eau de cet aquarium o grammes de sel. Au bout de quarante-cinq jours, ily a IS grammes de sel par litre d'eau dans l'aquarium. A ce moment, les animaux succombent. Mais, peu de temps après, on en voit naître une nouvelle génération qui vit à merveille dans l'eau salée. Si les Daphnies étaient mortes, leurs œufs avaient survécu et, chose singulière, ces Daphnies marines mouraient immédiatement si on les mettait dans l'eau douce, qui est pourtant bien l'élément dans lequel vit leur race. Certains animaux sont d'ailleurs protégés contre les pertes exosmotiques par un mucus répandu sur leur corps; aussi peu- vent-ils passer de l'eau douce à l'eau salée et réciproquement en courant moins de dangers que les autres. Je vous citerai, par exemple, les Anguilles et, à ce propos, il me revient un épi- sode expérimental des plus instructifs. Quand Paul Bert fai- sait ses recherches à propos de Faction de Teau de mer sur les Anguilles, il remarqua que certaines de celles-ci mouraient pendant que d'autres résistaient. Très perplexe, il chercha la raison de cette différence et s'aperçut que toutes celles qu'il mettait dans l'eau de mer survivaient pendant que toutes celles que prenait le garçon de laboratoire mouraient. La cause en était dans un détail opératoire. Paul Bert saisissait les Anguilles avec une épuisette et les déposait dans le bac d'eau salée. Le garçon essayait de les prendre à la main, puis, pour mieux les tenir, il les mettait dans un torchon, luttait avec elles, essuyait ainsi tout le mucus qui recouvre leur corps et les désarmait vis-à-vis de l'action osmotique du sel. Bert a poussé plus loin ses études, il a placé des animaux marins dans l'eau sursalée. Il met dans trois bacs xV, B, C, de 40 litres de capacité el parfaitement aérés : A, 2 Plies, 2 Carre- LA SALINITE. 439 ]ets, 5 Vieilles avec des Ulves ; B, 2 Spinanchies, 2 Mugil capito^ 2 Crabes; C, 2 Gobies, 2 Syngnathes, 2 Bernard-rilermite. Tous les jours on ajoute les produits de l'e'vaporation de 120 litres d'eau de mer divisés en 180 paquets, un paquet par bac et par jour. Chaque paquet représente ainsi 75 centilitres d'eau de mer. Les êtres vivants meurent dans l'ordre suivant : Les Ulves quand le sel est augmenté de 12 p. 100. Les Crabes — 17 — Les Syngnathes — 17 — Les Mugils — 20 — Les Bernards — 20 — Les Plies — 27 — • Les Gobies — 30 — Les Spinanchies — 32 Les Carrelets — 32 — Les Vieilles — 40 — L'expérience avait duré vingt-quatre jours. Si l'on suppose qu'elle ait été faite par évaporation , on voit que les animaux seraient morts lorsque le volume de Teau aurait été réduit de 17 à 40 p. 100. En opérant avec un seul des sels de Teau de mer, le sul- fate de magnésie, j'ai pu aller plus loin encore que Paul Bert, mais alors en procédant plus lentement encore. Voici une Carpe d'un an : elle est dans de Teau qui contient SO grammes par litre de substance saline, presque le double de l'eau de mer, et la Carpe est un animal d'eau douce. En voici une autre qui vit dans le sulfate de soucie : il y a 40 grammes de sel par litre. Seulement, pour arriver à de pareils résultats, j'ai procédé avec une extrême lenteur. J'ai mis cinq mois à amener la dose de sulfate de 0 à 50 grammes par litre. C'est sans doute par ce mécanisme d'acclimatement que certains autres animaux peuvent vivre à la fois dans le mi- lieu marin et dans les rivières. C'est par tâtonnement, aux embouchures, que l'acclimatement se fait. Plateau raconte avoir 440 LA VIE. DANS LES EAUX. pêche des Chevrettes dans l'Escaut jusqu'à Anvers. Frédéricq, dans les fossés salés qui avoisinent Roscoff, se souvient d'avoir pris d'un même coup de fdet des Grenouilles et des Crabes. Il existe dans le lac d'Arcqua, près de Padoue, des Mugils qui vivent dans l'eau tout à fait douce. A côté de ceux-là, certains Poissons vivent dans la mer et viennent pondre dans les eaux douces : ce sont les Anadromes (Saumon, Alose, Truite de mer); d'autres, au contraire, quittent les eaux douces pour aller frayer dans la mer : ce sont les Ca- tadromes (Anguilles). Dans les Anadromes, il convient de faire encore une division. Il y en a, comme le Saumon, qui sont de vrais Poissons de mer, car ils ne passent que leur jeunesse dans les eaux douces, ils y reviennent frayer, mais vivent vraiment dans l'Océan. D'autres, comme les Ombres-Chevaliers, les Lottes, vont seu- lement jusqu'à l'embouchure et demeurent de vrais Poissons d'eau douce toute leur vie. Dans bien des cas, qui nous sont fournis par les époques géo- logiques, de grandes étendues d'eau douce ont été envahies par la mer avec assez de lenteur pour que les animaux se soient habitués et acclimatés doucement à la salure progressive. C'est ce qu'on voit pour la mer Caspienne, par exemple, où l'on rencontre simultanément des animaux propres à la mer comme le Sterlet, l'Esturgeon, le Cardium, et en même temps des ani- maux bien nettement d'eau douce comme la Brème, la Carpe, le Brochet. Par un mécanisme inverse, la Baltique, qui communiquait autrefois largement avec l'Océan, n'est plus en rapport avec lui que par le Sund. Nous l'avons déjà vu, la Baltique se dessale sensiblement, si bien que des espèces nettement marines s'ac- climatent à l'eau douce que versent en abondance les grands fleuves. Dans cette mer singulière, on rencontre le Surmulet, le Cotte, les Trigles, l'Espadon, les Gobies, la Baudroie, Pois- sons nettement marins, et avec eux le Gardon, le Rotengle, le Brochet, la Perche, la Brème, espèces d'eau douce. LA SALINITÉ. 441 Certains Palcmons vivent dans les lacs d'eau douce de l'Amé- rique du Nord, dans les lagunes de la Vénétie, et jusque dans les eaux tout à fait douces du lac de Garde. Ce que la nature a fait spontanément, l'homme le reproduit dans son intérêt. Ainsi, en Norvège, on a acclimaté des Saumons à ne jamais retourner à la mer, en les enfermant dans des étangs clos. Les animaux se contentent alors de remonter dans les cours d'eau qui aboutissent à ces étangs. La contre-partie a été aussi réalisée; on a accoutumé des Saumons à vivre dans la mer en réservoir clos, sans jamais pouvoir remonter en eau douce ; cette expérience n'a pas donné, d'ailleurs, d'aussi heureux résultats. Gobin a réuni un grand nombre d'observations analogues dues aux anciens. Le temps considérable qui s'est écoulé depuis qu'on les a faites, l'imagination habituelle des auteurs latins, leur en- lève bien de la valeur. Il faut pourtant en parler. Columelle raconte qu'on peuple de Mules, de Chiens de mer, de Bars et de Daurades les lacs d'eau douce de l'Ktrurie. Il ajoute que, dans les fossés marécageux de la côte du Latium, il est facile d'élever des Soles, des Plies, des Turbots, et môme des coquillages comme les Palourdes, les Huîtres et les Pour- pres. Les modernes ont, sur ces points, suivi l'exemple des anciens avec des fortunes diverses. On a parfaitement acclimaté le Bar dans les étangs qui avoi- sinent Arcachon ; c'est, d'ailleurs, un Poisson d'embouchure. Les Cottes, Poissons de mer, ont été introduits avec succès dans les grands lacs de la Suède. Déjà, au siècle dernier, on avait mis des Mulets dans une rivière d'eau douce ; on les y avait vus vivre et même, dit-on. se reproduire. Arnould ayant introduit une grande quantité de jeunes Muges pesant quelques grammes, dans un grand étang d'eau douce, prit, quelques années après, de ces animaux qui avaient atteint le poids de 2 kilogrammes. — En 1863, M. Caillaud apprenait, à la Société d'Acclimatation, que deux propriétaires 442 LA VIE DANS LES EAL'X. vendéens avaient acclimaté, dans les fossés d'eau douce qui traversent leur propriété, des Bars, des Soles et des Plies, et que même ces animaux semblaient être, à âges égaux, en bien meilleur état que ceux qui sont dans la mer. Du reste, les Muges remontent naturellement en eau douce. Dans la Loire, on en pêche à 125 kilomètres de la mer; dans la Charente à 8a kilomètres ; dans l'Adour à 60 kilomètres ; dans le Rhône à plus de 80 kilomètres. Quand ils remontent nos fleuves, on les voit quelquefois franchir les arches des ponts en troupes serrées et innombrables, les plus gros en tête, puis le moyens, et enfin les plus petits. Je pourrais multiplier considérablement ces exemples ; je vous citerai encore le Hareng, que l'on pêche en Angleterre dans les cours d'eau où il remonte très haut. En Allemagne, on Ta vu à 120 kilomètres de l'embouchure de l'Oder; Yalenciennes prétend même qu'il est possible de le faire vivre dans des étangs d'eau douce. Jonathan Franklin affirme avoir vu des Morues vivre dans l'eau douce; il va jus([u'à prétendre que leur acclimatation pourrait être industriellement profitable. Les Poissons plats se pèchent très souvent dans les rivières. On en prend dans la Tamise, en amont de Londres. On prend des Flets dans la Loire, à Angers. En 1818, on en a péché un à Metz; en 1842, on en a pris deux à Trêves et un autre à Mayence. La Sole et la Plie se capturent fréquemment dans les fleuves, loin des embouchures maritimes. Mais c'est la Limande qui vit encore le plus souvent dans les eaux douces; on en a pris dans la Loire, à Nevers, et même dans l'Allier, près de Clermont- Ferrand, à 450 kilomètres de toute eau salée. Les Requins vivent dans le Gange, et les Raies dans l'Amazone. Une espèce particulière se trouve dans le Yar, au milieu des montagnes. Il n'y a pas de rivière où on n'ait pris des Esturgeons; on en a péché dans la traversée même de Paris. Le grand Frédéric en LA SALINITÉ. 443 avait l'ait enfermer dans les étangs de la Poméranie, mais ils ne s'y sont pas reproduits. Les Poissons d'eau douce que Ton prend dans les eaux salées sont très nombreux. Je vous ai déjà parlé des Cyprins, qui vivent dans la Baltique et dans la Caspienne. La Perche elle- même se rencontre dans des parties très salées de cette mer. Le Brochet a été péché dans l'Océan glacial et au nord de l'Adriatique, dans les lagunes. r Les Epinoches vivent très bien en eau saumâtre, et elles y prennent des caractères extérieurs spéciaux qui en ont fait faire des espèces à part. Nous nous sommes déjà expliqué sur les Saumons et les Anguilles, qui vont frayer les uns en eau douce, les autres en eau salée. L'Ecrevisse à pattes rouges elle-même, qui semble si délicate, est souvent pochée dans la mer par les Livoniens, à une grande distance des côtes. Mais n'oubliez pas, Messieurs, que ces exemples d'acclimata- tion ne s'appliquent qu'à des cas où le changement de milieu est lent. Prenez une Limande que vous pécherez dans la Loire, et jetez-la dans Feau de mer, vous la tuerez subitement. Mettez dans l'eau douce une Carpe que vous prenez à une em- bouchure, et vous la faites ainsi passer de vie à trépas. Il faut, pour que la vie, après le changement de milieu, soit possible, que l'épithélium de la branchie s'y habitue lentement, qu'il ne se gonfle pas subitement, ou qu'il ne se contracte pas d'un seul coup, comme cela a lieu dans les passages instantanés. Faute de cette précaution, l'asphyxie immédiate a lieu, et il n'y a pas d'acclimatement. Celui-ci n'est même possible, vous le voyez, que chez un nombre d'espèces très restreint, si on les compare au grand nombre de celles qui suivent la règle générale et pour qui, comme je vous le disais au début de cette leçon, le changement de milieu est chose absolument impraticable. SEIZIÈME LEÇON LA LOCOMOTION DANS L'EAU Messieurs, Le fait même qu'ils vivent dans Feau, qu'ils s'élèvent et s'abaissent dans cet élément, a nécessité chez les animaux aquatiques la création ou tout au moins l'adaptation d'organes spéciaux à la molilité. Nous devons remarquer tout d'abord que tous les animaux aquatiques ne jouissent pas de la faculté de se mouvoir; beau- coup, comme les Polypiers, sont fixés sur le fond et n'exécutent aucun déplacement; d'autres ne se meuvent pas par eux- mêmes, mais ils empruntent les mouvements d'un autre : telles ces Actinies que Ton voit souvent énergiquement fixées sur le dos d'un Crabe ou sur la coquille d'un Bernard à ce point qu'il s'établit entre eux une sorte de vie commune, de commen- salité. Un grand nombre encore ne se déplace guère que par le moyen de cils vibratiles qui garnissent la surface totale de leur corps et qui, s'agitant sans cesse dans le liquide ambiant, les font, soit tournoyer sur eux-mêmes, soit s'avancer avec une cer- taine rapidité. D'autres encore vivent dans l'eau, mais se traînent sur le fond si bien qu'ils ne nagent en réalité jamais; n'est-ce pas le cas de beaucoup de Crustacés, de tous les Echinodermes, des Mollus- ques Gastéropodes? LA LOCOMOTION DANS L'EAU. 445 Ceux-là marclient sur le fond et à travers les herbes comme le font les animaux qui nous entourent au milieu de nos prai- ries aériennes. C'est déjà par une sorte de motilité perfectionnée, que nous voyons d'autres animaux, plus avancés en organisation, se pous- ser à travers les eaux par une sorte d'éjection du liquide con- tenu dans leur cavité; c'est le cas par exemple du Poulpe qui se projette à reculons par un rapide mouvement de ses tenta- cules, mais qui aide aussi considérablement ce mouvement en vidant d'un seul coup toute l'eau amassée sous son manteau pour les besoins de sa respiration. Les Méduses que nous trouvons souvent en si grand nombre à la surface de la mer progressent par un moyen analogue, mais plus simple encore ; la sorte d'ombrelle qui les constitue se re- ferme brusquement grâce à un anneau de fibres musculaires situé à sa périphérie, il en résulte que l'ombrelle se vide d'eau et que l'animal est chassé en arrière par un recul analogue à celui que subit au moment de la détonation un canon monté sur un affût à roues. Ce mode de progression se voit encore chez les Salpes et même celui que nous remarquons chez les Crustacés macroures lui est très comparable. Chez ces animaux, en effet, la partie postérieure du corps se termine par un prolongement contractile, terminé lui-même par une large palette qui peut se développer dans l'eau : c'est ce que nous appelons la queue du Homard, ou de l'Ecrevisse. Tant que l'animal se traîne sur le fond, ce prolongement est inactif, mais quelque danger menace-t-il la bête, qu'aussitôt elle le meut, en fouettant vigoureusement le liquide, ce qui fait que par réaction elle se trouve projetée à reculons. Ce mouvement est toujours rectiligne, et ce n'est que par des mouvements des pattes, accrochant le sol çà et là, que l'animal peut décrire quel- ques courbes et encore celles-ci appartiennent-elles toujours à un très large rayon. Pour trouver de véritables organes locomoteurs différenciés^ *TtC LA VIE DANS LES EAUX. nageoire Ces nageoires ne Fig. 20j. — Schéma de l'appareil loco- moteur d'uu Poisson. il faut que nous arrivions aux Vertébrés aquatiques, aux Pois- sons. Ceux-ci, en effet, sont munis de nageoires qui sont des modifications des membres. La figure 205 nous montre la disposition de ces nageoires. Le corps, effilé, se termine par une grande nageoire c : c'est la na- geoire caudale, sur le dos se rencontrent une ou deux na- geoires d}cV- que l'on appelle dorsales, leur correspondante inférieure est la anale a sont que des dépendances de la peau soutenues par des baguettes osseuses qui se dé- veloppent ou se rabattent à la façon de celles qui constituent les membres de la Chauve-Souris. Les nageoires pectorales /; et ventrales v représentent les membres antérieurs et postérieurs des Vertébrés supérieurs. Tous les Poissons, d'ailleurs, ne sont pas munis de toutes ces nageoires, chez les Cyclostomes il n'y en a pas du tout, et chez les Anguilles il n'en existe qu'une seule paire. Ces appendices ont cela de particulier que lorsqu'ils ont été enlevés à l'animal, ils repoussent totalement avec une rapidité qui n'excède pas six mois. Ce fait avait déjà été constaté au siècle dernier par Brous- sonet. Il fut ensuite énergiquement nié par Dugès, puis plus tard affirmé par Paul liert. La planche IV met sous vos yeux d'une façon bien évidente la réalité du fait que j'ai pu constater deux fois de suite sur un même animal. Une Carpe d'un an A fut amputée en un seul jour de toutes ses nageoires ; elle fut conservée dans un aquarium à part et bien nourrie. Trois mois après elle était dans l'état que représente la figure B, c'est-à-dire que les nageoires étaient déjà à moitié res- taurées. Six mois après (C), l'animal n'aurait plus été reconnais- sablc d'avec ses congénères. C'est alors que je le repris et qu'une PI . IV. ■y^s-^'-'yn^ A _ Carpe (grandeur naturelle) dont les nageoires ont été amputées. B_ La même trois mois après -<5^ C_.La même six mois api^ès E. Oberlin.lith. LA LOCOMOTION DANS L'EAU. 447 seconde fois je lui fis rampiitation totale des nageoires. Six mois après, encore, elles avaient complètement repoussé et la Carpe avait recouvré sa parfaite intégrité. Il ne semble donc plus que le fait de la restauration puisse être contesté, d'autant que je ne vous cite ici qu'une seule expérience, mais je l'ai en réalité répétée cinq fois et toujours avec le môme résultat. Messieurs, après ce rapide aperçu anatomique il nous faut nous occuper de la locomotion même du Poisson. L'étude de cette fonction comportera deux chapitres : 1" L'animal doit se tenir en équilibre; 2° 11 doit se déplacer dans l'espace. L'équilibre est facilement obtenu par les animaux qui ram- pent sur le fond et qui ne s'élèvent, comme les Poissons sans vessie, que par un effort momentané. Mais, pour les Poissons, par exemple, qui vivent à la surface des mers, il était nécessaire qu'ils eussent toujours la densité du liquide môme oii ils se trouvaient, sans cela ils seraient immanquablement tombés au fond ou n'auraient pu se maintenir à la surface que par des efforts continus incompatibles avec le repos et le sommeil. C'est la vessie natatoire qui permet à l'animal, vous allez le voir, de posséder toujours la densité du milieu où il se trouve. Nous avons déjà eu à nous occuper de cet organe à propos de la respiration, car nous avons constaté que le gaz qui y est contenu est de l'oxygène presque pur, que le Poisson consomme quand il se trouve placé dans un milieu asphyxique. La vessie natatoire est un sac fermé à paroi membraneuse, garnie de ces corps rouges qui sécrètent l'oxygène, le séparent de l'hémoglobine du sang et le rendent libre dans l'intérieur du réservoir. De plus ces parois sont garnies de fibres musculaires qui lui permettent de se contracter ou de se dilater. La vessie natatoire existe chez tous les Poissons d'eau douce, sauf chez le Chabot qui rampe toujours sur le fond. Parmi les Poissons marins les Squales, les Raies, les Torpilles, les Poissons plats en manquent totalement. 448 LA VIE DANS LES EAUX. Parmi les animaux qui possèdent une vessie natatoire, les uns ont cette vessie tout à hi\ close; chez d'autres elle commu- ni(jue par un canal avec le tube digestif. Ce canal est destine à permettre au Poisson de rejeter une pe- tite quantité d'air quand il se trouve soumis à une subite dimi- nution de pression, provenant d'une grande dénivellation. S'il se trouvait dans l'impossibilité de rejeter cet air, il en ré- sulterait pour lui un grand danger, puisque la vessie, augmentant beaucoup de volume, comj)rimerait ses organes et arriverait même à faire hernie par la bouche en rejetant au dehors pres- que tous les viscères contenus dans la cavité du corps. Ce fait survient d'ailleurs dans le cas où un animal, mèm& muni d'un canal, est retiré d'une grande profondeur. Les pê- cheurs de Maquereaux et de Morues le connaissent bien. Les explorateurs du Talisma?i l'ont observé dans des proportions extrêmes chez les Poissons qu'ils ramenaient subitement des grands fonds (Tig. 82). D'ailleurs l'expérience confirme la théorie. Yoici une Carpe que je place dans l'eau sous le récipient de la machine pneumatique. Dès les premiers coups de piston, vous la voyez rendre des bulles d'air par la bouche. Chaque fois que ce phénomène a lieu le Poisson diminue un peu de volume, ce qui fait qu'il reprend la densité de l'eau où il est plongé. Voyez au contraire cette Perche : elle n'a pas de canal aérien, sa vessie est tout à fait close, à peine commençons-nous à faire le vide, qu'elle monte à la surface de l'eau et s'y tient couchée sur le côté en donnant des signes non équivoques de souf- france. Au moment où nous laissons rentrer l'air, les deux Poissons se conduisent différemment. La Carpe diminuant subitement de volume tombe au fond du vase, tandis que la Perche reprenant son volume primitif se remet de suite à nager dans le liquide comme précédemment. Le Sinchard [Caranx tmchurus) qu'on pêche en grande quan- tité sur la cote bretonne (fig. 20(3) a présenté à Moreau une dis- LA LOCOMOTION DANS L'EAD. 449 position toute spéciale. Sa vessie natatoire possède un canal qui commence au milieu de l'organe (fig. 207, n° 1) et qui vient s'ou- Fig. 206. — Caran.r Trachunis. vrir au dehors des paquets de branchies , immédiatement sous l'ouïe (fig. 207, n" 2a), sans avoir eu aucun rapport avec le tube diijestif. ■m y Fig. 207. — Vessie natatoire et caual de sûreté du Caranx Trachurus. Il est assez difficile de soupçonner l'orifice extérieur de ce canal au moyen de la simple vue. Le meilleur moyen pour se convaincre de son existence est de placer l'animal dans l'eau, sous la cloche de la machine pneumatique, et de faire le vide : RegiNARd. 29 4b0 LA VIE DANS LES EAUX. on voit aussitôt un grand nombre de jDetites bulles s'échapper au niveau de l'ouïe du côté droit. Son rôle est en réalité à peu près le même que celui du canal aérien qui s'ouvre dans le tube digestif. Il n'y a guère entre eux que cette diflérence que l'uti- lisation du canal de sûreté ne demande pas l'intervention de la volonté. Fig. 208. — Expérieace qui démontre que le Poisson à vessie close se comporte comme un ludion. Mais occupons-nous maintenant des Poissons à vessie close, de ceux qui ne peuvent rejeter au dehors de l'air pour s'alourdir et éviter les inconvénients d'un trop rapide entraînement vers la surface. Chez ceux-là, la vessie natatoire est munie d'une grande quan- tité de fibres musculaires lisses. Borelli a depuis longtemps soutenu que quand le Poisson voulait descendre au fond, il comprimait sa vessie natatoire et qu'il la dilatait quand il voulait remonter à la surface. En LA LOCOMOTION DANS L'EAU. 4ol d'autres termes, l'animal pouvait changer à volonté de densité par rapport à l'eau. Etudions avec Moreau la possibilité de ce fait physiologique. Dans un grand vase presque rempli d'eau (fig. 208), nous mettons une Perche que nous avons, au préalable, enfermée dans une sorte de cage qui se moule sur son corps. Pour que cette cage ne l'entraîne pas au fond, nous l'avons délestée au moyen d'une boule de verre close terminée en haut par une pointe fine. Au-dessous de la cage, se trouve un petit récipient en verre dans lequel, avec une pipette, nous introduisons du mercure jusqu'à ce que la pointe de la boule affleure exactement le niveau de l'eau. Nous fermons l'appareil par une plaque hermétique, percée de deux trous, munis de deux tubes dont l'un va à une pompe de pression et l'autre à un manomètre à eau. Les choses étant ainsi disposées, donnons un léger coup de pompe. La tige de verre quitte la surface et le Poisson tombe jusqu'en bas. Il se comporte comme un ludion. C'est qu'en eff"et le très léger coup de pompe a suffi pour comprimer un peu sa vessie. Il a, de ce fait, perdu la densité de l'eau, il s'est enfoncé et au fur et à mesure qu'il descendait, sa vessie se comprimait davantage par l'action de la colonne d'eau qui se trouvait au-dessus d'elle, et sa densité devenait de plus en plus considérable. D'où ce fait que, s'il ne réagissait pas par ses nageoires, comme nous le verrons bientôt, un Poisson qui quitte la sur- face de la mer devrait immanquablement aller jusqu'au fond. Nous pouvons faire une expérience cruciale, imaginée par Moreau, et qui nous prouvera qu'un Poisson qui monte ou qui descend dans l'eau change de densité et de volume sans faire le moindre mouvement volontaire au moyen des fibres de sa vessie. Dans un grand bocal (fig. 209) nous mettons une Perche en pleine liberté. Le bocal est tout à fait rempli d'eau, il est 452 LA VIE DANS LES EAUX. terminé par un tube capillaire gradué et horizontalement placé. Le niveau supérieur de l'eau aboutit précisément à ce tube gradué. Une tige coudée, enfoncée dans le liquide, sert, quand on la tourne, à exciter le Poisson et à le faire monter ou des- cendre. Or, on voit que chaque fois que le Poisson demeure en place^ Fig. 209. — Expérience démoutrant que le Poisson change de voluQie quand il change de niveau. le niveau de Feau dans le tube horizontal ne change pas. Il avance au contraire quand le poisson monte et il recule quand le poisson descend. Preuve que, dans le premier cas, Fanimal augmente de volume et qu'il en diminue dans le second. Or le mouvement de Teau dans le tube se fait juste au même mo- ment que celui du Poisson. Il ne le précède pas comme cela ar- riverait forcément si le Poisson commençait par comprimer lui-même sa vessie natatoire. Il est possible d'enregistrer ce phénomène, il suffit d'adapter au bout du tube horizontal AIÎ un tambour enregistreur de LA. LOCOMOTION DANS L^EAU. 453 ^larey dont le style reproduira tous les mouvements du liquide et par conséquent de la vessie natatoire du Poisson. Dans les tracés obtenus, de cette manière, on voit très bien la diminution du volume de la vessie se faire lentement et non pas d'un seul coup comme cela arriverait si l'animal, avant son départ, comprimait activement le gaz contenu dans son corps. Moreau a répété cette expérience sur nombre de Poissons et particulièrement chez les Trigles dont la vessie natatoire est munie de muscles puissants qui devraient agir énergiquement sur les gaz si tel était leur rôle. Or, chez ces animaux, les résultats ont été absolument les mêmes que chez tous les autres Poissons. Le second appareil de la figure 209 vous montre les deux expériences de Moreau combinées en une seule. Le bocal de la première expérience est repris, mais on ne l'emplit d'eau qu'à moitié. On y place un deuxième flacon, celui-là plein d'eau. Il contient le Poisson en expérience et il est terminé par un tube horizontal où le liquide peut se mouvoir. Quand on augmente la pression avec la pompe, on voit le manomètre monter et le Poisson tomber au fond comme dans la première expérience (fig. 208). En môme temps on voit l'eau reculer dans le tube horizontal comme dans la seconde (fig. 209). Il y a là une synthèse intéressante à montrer dans un cours. En résumé, ces expériences de Moreau démontrent que le Poisson subit les changements de densité que les diff"érences de pression lui imposent et qu'il ne réagit nullement par les mus- cles de sa vessie natatoire. Cette conclusion semble pourtant exagérée à Henry Milne- Edwards, qui base son opinion sur une expérience même de Moreau. Dans un vase complètement clos et terminé par un tube horizontal, on place une Perche, que Ton attache sur une pla- que de gutta-percha. Un chariot de Dubois-Raymond permet 454 LA VIE DANS LES EAUX. d'envoyer à ranimai des secousses par deux rhéopliores qui pénètrent dans Tappareil (fig. 210). Chaque fois que l'on envoie une secousse, le Poisson con- tracte tous ses muscles, il en résulte une compression de la vessie natatoire que la rétrogradation de l'eau dans le tube B montre parfaitement. Fig. 210. Expérience qui d^uiontre que le Poisson peut, jusqu'à un certain point, comprimer sa vessie natatoii'e. Ce détail semble infirmer les conclusions primitives, mais, comme Moreau le fait remarquer lui-même, il était bien pro- bable que le Poisson pouvait comprimer sa vessie aérienne en changeant de forme lui-même ; mais ce qu'il faudrait prouver c'est qu'il le fait : or les expériences précédentes démontrent justement qu'il ne le fait pas. En réalité, dans la nature, quand il est calme, le Poisson ne contracte jamais d'un seul coup tous les muscles de son corps : il ne reçoit jamais le choc électrique qui a produit un pareil résultat. La deuxième partie de notre problème consiste à démontrer que le Poisson arrivé à une place, où il se tient par l'effet de ses nageoires, se sert de sa vessie précisément pour arriver à reprendre lentement la densité de l'eau et s'éviter de nouveaux efforts. Yoici comment on peut prouver ce fait. On met dans une cage de fd de fer (fig. 211) un Poisson à vessie close. LA LOCOMOTION DANS L'EAU. 455 Fig. 311. — Volumruoiriètre de Moi'eaii. La cage porte à sa partie supérieure une tige graduée de densimètre. En bas, se trouve un godet de verre où l'on peut mettre du mercure. On place le tout dans Teau et on note la division où s'arrête ce voluménomètre. Ceci fait, on porte le Poisson dans un panier que Ton coule en mer à une profondeur d'environ 10 mètres (fig. 212). On le force donc à vivre à un niveau où il n'était pas, puisqu'il vivait dans l'aquarium à la surface de l'eau. On l'y laisse quarante-huit heu- res : on le rapporte au laboratoire et on le replace dans le voluméno- mètre. On voit alors que la tige de celui-ci émerge de l'eau davan- tage qu'à la première mesure. On remet le Poisson dans la cage du fond et quarante-huit heures après on le rapporte, on le renferme dans le voluménomètre : la tige émerge encore davantage, le Poisson a de nouveau augmenté de volume. Cela fait, laissons l'animal quarante-huit heures dans un bac plat, où il ne puisse s'enfoncer, puis replaçons-le dans le volumé- nomètre, nous verrons qu'il a diminué de volume ; quarante- huit heures après ce sera encore plus net. En résumé, un Poisson que la pesanteur précipite vers le fond augmente d'abord de densité en diminuant de volume, puis il sécrète de l'oxygène par les corps rouges de sa vessie natatoire et cet oxygène, qu'il emmagasine, lui donne finale- ment un volume plus grand jusqu'à ce que la densité de l'eau soit atteinte. En d'autres termes, la vessie natatoire est incapable, par sa construction, de compenser les différences de pression que le Poisson subit du fait de ses déplacements, mais lentement, par sécrétion ou absorption d'oxygène, elle ramène l'animal à ■iol LA VIE DANS LES EAUX. la densité Je l'eau dans la couche liquide où il se trouve. 11 n'a donc plus à faire là d'effort pour se maintenir : c'est ce point que Moreau appelle le plan des moindres efforts. S'il en sort, soit en montant, soit en descendant, aloi's il faut absorber ou sécréter de l'oxygène pour créer, où il est, une nou- velle couche des moindres efforts : tant que la modification ga- zeuse n"est pas produite, il doit agiter ses nageoires et se maintenir par un effort musculaire continu. Fig. 2 ri. — Expérience qui démontre que le Poisson change de densité lentement quand on modiûe le niveau où il vit. Nous n'en avons pas encore fini avec le rôle de la vessie nata- toire ; cet organe ne sert pas seulement à faciliter le repos du Poisson dans les différentes couches où il se meut, il sert aussi à l'équilibrer par rapport à l'axe de son corps. Nous voyons les Poissons dormir horizontalement dans l'eau. On a déduit de cette constatation que leur vessie natatoire est située sur un plan tel de leur corps, qu'elle facilite le décubitus ventral. C'est là une de ces déductions à priori qui trompent toujours quand on ne les confirme pas par l'expérience. Coupons, par exemple, toutes les nageoires à une Ablette; LA LOCOMOTION DANS L'EAU. 457 nous voyons de suite l'animal arriver à la surface de l'eau, le ventre en l'air, comme s'il était mort, et il ne peut plus se tirer de cette situation anormale. Répétons la même opération sur une Carpe. Celle-là tombe au fond, la tête la première, et demeure immobile dans la pos- ture que représente la fi- gure 213. Elle dormira ainsi et elle demeurera la tête en bas pendant des mois, jus- qu'à ce que ses nageoires aient repoussé. Cette dilTérence d'attitude tient à ce que, chez l'Ablette, la vessie aérienne est située au-dessous du centre de gra- vité et à ce que, chez la Carpe, elle est plus près de la queue que de la tête, c'est-à-dire en arrière du Fig. 213. — PusUiou pri^e pai- une Carpe ^1 A- 1 '1- 1 qu'on a déséquilibrée en lui coupant les plan vertical médian du na-^eoires corps. Beaucoup de Poissons ont une vessie natatoire cloisoi^née en deux parties, l'une antérieure, l'autre postérieure. Un pertuis, que des fibres musculaires peuvent resserrer et fermer, sépare en deux cette sorte de bissac. D'après Monnoyer, les fibres musculaires que nous avons constatées sur la surface de la ves- sie serviraient à chasser d'un sac dans l'autre, subitement, une certaine quantité de gaz, ce qui changerait l'équilibration de l'animal. Quand il expulserait l'air dans sa poche vésicale anté- rieure, cela dirigerait sa tête en haut et, en agitant ses nageoi- res, il monterait. Le jeu inverse élèverait sa queue et l'action directe de ses nageoires le ferait descendre. Monnoyer démontre ce fait en coupant la nageoire caudale à un Gardon. L'animal se met à nager, tombe la tête en bas et la queue en l'air (fig, 213), mais au bout de quelque temps il re- 458 LA VIE DANS LES EAUX. prend sa position primitive parfaitement horizontale. Pour JMonnoyer, il a l'ait passer du gaz de la poche postérieure à la |)0che antérieure de sa vessie. Je n'ai jamais vu cela se pro- duire sur les Carpes : elles demeuraient des mois entiers désé- quilibrées. Il faut d'ailleurs un déplacement très petit du centre de gra- vité pour que le Poisson perde son équilibre. ■,/,yA..y>.v/,v// Fig. 214. — Position prise par une Carpe de 335 grammes à qui on a attaché un poids de 2 grammes à la qaeue. '■■/y7///V'////'y//.y-'/////Ay///////y////^^^^^ Fig. 215. — Mode de natation d'une Carpe de :i25 grammes que l'on a déséquilibrée en lui attachant un poids de 20 grammes sur le dos. M. Voici une (]arpe qui pèse 325 grammes. Je lui attache à la queue un poids de 2 grammes, soit la cent soixante-deuxième partie de son corps. Elle s'agite d'abord violemment, puis elle prend la position verticale figurée en 214, et elle ne la quitte plus. En peu de temps tous ses efforts sont devenus impuis- sants à Ten tirer. En mettant le poids à la bouche, on obtient une position absolument inverse. Cette expérience étant terminée, nous prenons la même Carpe et nous lui attachons sur le dos, avec un hameçon, un poids en cuivre de 20 grammes. Ce poids tombe naturellement sur l'un des flancs du Poisson, qu'il tend à renverser de ce côté. LA LOCOMOTION DANS L'EAU. 4b9 Nous voyons alors l'animal se pencher dans le sens où le poids l'entraîne, puis, pour n'être pas renversé, il se met à nager vi- vement de ses nageoires pectorales et ventrales de ce côté, pen- dant que celles de l'autre côté sont étendues simplement et im-, mobiles. Mais bientôt ses efforts ne suffisent plus, il tombe sur le liane, et, remuant vivement sa nageoire caudale, il se met à nager à la façon d'un Poisson plat (fig. 215). Finalement, épuisé de fatigue, il tombe au fond et cesse tout mouvement. Tout cela, Messieurs, constitue la statique du Poisson, il faut maintenant nous occuper de la manière dont il se déplace dans le liquide. Ce fait est le résultat du mouvement de ses na- geoires. Les pectorales et les ventrales ne paraissent pas agir dans la progression proprement dite. En frappant l'eau de haut en bas, elles empêchent le Poisson de tomber au fond quand il n'a pas encore pu prendre la densité de l'eau, après ses déplacements verticaux. Quand elles agissent d'avant en arrière, elles le font reculer; quand elles agissent d'un seul côté, elles tendent à le faire tourner du côté opposé. Mais, dans la progression rapide en avant, elles n'ont qu'un rôle secondaire. Si on les ampute, le Poisson ne semble pas désemparé, ni même très gêné. C'est le corps tout entier (et surtout sa partie caudale) qui concourt à l'acte de la natation. Pour Borelli, la nageoire caudale, ou mieux la queue tout entière, venant frapper l'eau, la tête du Poisson se porte du côté opposé, puis le coup de queue suivant ayant lieu de Tautre côté et la tête se portant à Finverse, il finit par résulter de ces composantes la marche en avant. Giraud-Teulon pense que ce n'est pas ainsi que les choses se passent : pour lui la tête, dans le mouvement de torsion du corps, se porte du même côté que la queue. Il suffit d'ailleurs d'examiner un Poisson qui se débat sur le sol quand on vient de le tirer de l'eau pour voir qu'il en est bien ainsi. L'animal, sur le sol, essaye en somme de fuir et par conséquent de nager. 400 LA VIE DANS LES EAUX. Or, simplement à l'œil, on aperçoit très bien qu'il tourne tou- jours la tète du côté que frappe sa queue. Dans la progression, il exécute le mouvement que représente le schéma A (fig. 216). Dans l'eau, la résultante de ces divers mouvements est repré- sentée par le schéma B. Les courbes successives que prend le Poisson se détruisant l'une par l'autre, l'animal iinit pai- pro- £ A C l'ig. 210. — Schéma de la progression d'un Poisson. — A, Positions successives prises par la tête et la ciueue. — B, Résultante de ces positions. — C, Cas d'un Poisson anguiforme. gresser directement en avant, avec de légers mouvements laté- raux de la tète. Quand l'animal est très long, comme une Anguille, par exemple, alors il accomplit plusieurs courbes avec son corps (C), mais le résultat est le même : la marche en avant. En examinant un Poisson qui se sauve à fleur d'eau, on voit fort bien les mouvements rhythmiques de sa tète et de sa queue. Mais, Messieurs, quand un phénomène se passe aussi vite, il est bon de ne pas nous fier à nos sens imparfaits, il faut le sou- mettre à Tappareil enregistreur qui nous laisse une trace que nous pouvons examiner à loisir. LA LOCOMOTION DANS L'EAU. 461 C'est ce qu'a fait Corblin. Il a construit un équipage flottant A (fig. 217) : cet équipage se tient sur Teau au moyen d'une plaque de liège non représentée. Au-dessous, une Carpe est al- taclîée par une sangle. Sur la plaque de liège, sont fixés deux tambours de Marey Fig. 217. Appareil de Corblin pour enregistrer les mouvements de natation d'un Poisson. dont les styles sont liés Tun à la bouche, l'autre à la queue du Poisson. Les tambours sont, par des tubes, en rapport avec des récep- teurs qui enregistrent les mouvements de la tête et de la queue sur un cylindre tournant. L'examen des courbes obtenues démontre : 1° Que le mouvement de la tête dépend du mouvement de la queue. 2° Que le mouvement de la queue est analogue à celui d'un pendule. Elle oscille comme un gouvernail qui serait mené dans les deux sens. 462 LA VIE DANS LES EAUX. 3° Enfin, contrairement à l'idée de Borelli, la tète se porte du même côté que la queue. On a beaucoup construit d'oiseaux artificiels, Corblin a voulu réaliser un Poisson artificiel qui fût capable de nager. Tatin en a fait un autrefois, Chabry en a publié un modèle à la Société de Biologie, enfin on en a vu dans nos magasins de jouets qui, construits industriellement, fonctionnaient par un caoutchouc tordu. Celui qu'a imaginé Corblin a ceci de remarquable qu'il fonc- tionne en reproduisant exactement les mouvements naturels du Fiff. 218. — Poissou artificiel de Corblin. Poisson vivant. Une courbe étant recueillie, on taille une came qui en reproduit les sinuosités, et c'est cette came qui règle le mouvement de l'animal. Il y a donc là quelque chose d'analogue à ce qui se passe dans le phonographe; la parole inscrit une courbe sur le papier d'étain, et c'est cette courbe môme qui fait vibrer le style qui reproduit la parole. Corblin a, sur ses courbes, découpé des cames C (fig. 218) qu'il a placées sur un axe recevant une rotation rapide d'une poulie de grand diamètre X. Cette partie de l'appareil sert à donner le mouvement au Poisson proprement dit qui se com- pose d'un tambour B, identique au précédent, mais dont le levier de grande longueur porte à son extrémité une nageoire artifi- cielle h, faite de deux rayons extrêmes et d'une membrane de caoutchouc tendue entre ces deux rayons. LA LOCOMOTION DANS L'EAU. 463 « Le tambour B est monté sur un bâti en fil de fer de façon qu'il se trouve placé verticalement à peu près à la partie mé- diane de ce bâti, et le tout est introduit dans une forme en bau- druche simulant le corps de l'animal. « Si maintenant on met ce Poisson artificiel dans l'eau, après avoir réuni les deux tambours A et B au moyen d'un long tube de caoutchouc et qu'on fasse tourner la came C, on le voit avan- cer à la manière du Poisson, et il reproduit exactement tous les mouvements qu'avait exécutés le Poisson vivant quand s'ins- crivait la courbe sur laquelle la came G a été découpée. » Les grands mouvements de la queue ne servent d'ailleurs au Poisson que pour les mouvements de fuite rapide. Quand il avance lentement, il se contente de remuer sa nageoire cau- dale à la façon d'une hélice animée de mouvements de rota- tion. Il suffit de regarder une Carpe nageant lentement pour saisir ce mécanisme. Les Poissons plats ne se meuvent pas à la façon des autres. N'ayant pas de vessie natatoire, il ne possèdent jamais la den- sité de l'eau et leur poids les entraîne sans cesse vers le fond. Aussi tous leurs mouvements sont-ils combinés à la fois pour les soutenir et les faire avancer. Ils opposent donc la forme plate de leur corps à Taxe même de leur chute, c'est-à-dire à l'axe de la terre, de telle sorte que leur grande largeur offre à l'eau une certaine résistance ; ils élèvent leur tête et la partie antérieure de leur corps, ils en battent l'eau, ce qui les fait monter d'une certaine hauteur, puis la queue accomplit un mouvement pareil, la tête reprend ensuite, de telle sorte que le Poisson accomplit verticalement le môme mouvement ondulé que le Poisson long accomplit horizontalement. Mais, comme la puissance musculaire du Poisson plat sert à la fois à l'élever et à le faire progresser, il en résulte que cette force se trouve divisée et que la progression en est d'autant moins rapide. Toute chose égale d'ailleurs, un Poisson plat marche moins vite qu'un Poisson long. Il suffit de la plus simple observation pour s'en rendre compte. 464 LA VIE DANS LES EAUX. La forme môme du Poisson long est favorable à la progression en avant. Bien avant que les physiologistes aient calculé les meilleures conditions de forme pour la progression dans l'eau, les constructeurs de navires avaient cherché à résoudre le même pi'oblème. Ils avaient reconnu que la forme effilée en arrière du Poisson était la meilleure, à cause des remous qui se fai- saient en ce point et qui servaient à propulser l'animal en avant. Corblin a calculé directement l'intensité de la force que doit vaincre le l^oisson pour progresser. Si, avec lui, nous considérons une plaque mince qui se dé- place dans un fluide, nous voyons qu'elle éprouve une résis- tance : cette résistance peut être calculée par une formule approximativement. Soient : Il la réaction du solide plongé dans le liquide, A l'aire transversale maxima du corps immergé, :: le poids spécifique du liquide, Y la vitesse relative supposée normale à la section A, K un coefficient que l'on peut calculer dans un petit nombre de cas, mais (jui, la plupart du temps, n'est susceptible que d'une évaluation empirique (il dépend principalement des formes du corps immergé), g l'accélération de la pesanteur. On a Pi:=K7:A,:r-. Les termes intéressants de cette formule sont K, Y et A, - et rj étant invariables dans l'espèce. K se détermine facilement pour un navire qui a une forme géométrique, et ne peut guère être connu qu'expérimentale- ment pour un Poisson dont la forme n'est pas régulière, ni facilement calculable. Aussi Corblin a-t-il imaginé un appareil pour en faire la détermination directe. L'instrument qu'il utilise est un dynamomètre enregistreur (fig. 219), formé d'un caoutchouc qui remplace les lames d'acier des grands dynamomètres. A ce caoutchouc est fixé un fil qui passe au-dessous de l'appareil, sur la gorge d'une poulie placée dans l'eau et va se fixer à l'avant du Poisson. LA LOCOMOTION DANS L'EAU. 46b (( Par l'intermédiaire d'un levier, une plume inscrit les allongements du fil de caoutchouc sur une feuille de papier noirci enroulée autour d'un cylindre, lequel est animé d'un mouvement de rotation dont la vitesse est proportionnelle au chemin parcouru par tout l'appareil qui entraîne à sa suite le Poisson. Dans ces conditions, on obtient des courbes abso- lument analogues à celles obtenues dans les essais avec les Fig. 219. — Dynamomètre enregistreur de Corblin destiné à mesurer la résistance passive du corps d'un Poisson. dynamomètres de traction, souvent usités en pratique, dans lesquels le papier se déplace proportionnellement au chemin parcouru, grâce à une poulie recevant son mouvement direc- tement de la roiîe de la voiture. « Pour obtenir, dans le cas actuel, cette proportionnalité entre les vitesses respectives de l'appareil et du cylindre, on fixera à l'une des extrémités du bassin une cordelette que l'on passe sur une poulie placée à l'avant de l'appareil et qui revient parallèlement à elle-même au point d'où elle est partie. Cette Regnard. 30 466 LA VIE DANS LES EAUX. poulie commande un système d'autres poulies, de diamètres différents, qui ralentissent la vitesse du cylindre. (Le rapport est de 1 à 40.) Si l'on vient à tirer sur le bout non fixé de la cordelette, on entraine l'appareil en faisant tourner la poulie et par suite le cylindre d'une quantité proportionnelle au chemin parcouru. <( De telle sorte qu'on a une courbe continue dont les ordonnées représentent les efforts de traction, c'est-à-dire les effets néces- saires pour vaincre la résistance de l'eau, et dont les abscisses représentent les parcours correspondants. La surface comprise exprime donc le travail dépensé pendant un temps qu'il est facile de noter au moyen d'un chronomètre. (( Une simple division fait connaître l'effort moyen pour la vitesse moyennne notée et permet d'apprécier le coefficient K dans la formule citée plus haut : R = KA % oîi tous les éléments, sauf K, sont connus. « Le Poisson, mort bien entendu, est attaché à un flotteur qui est lui-même fixé au bâti du cylindre, de façon que la réaction de l'animal agisse seule sur le caoutchouc. Derrière le flotteur est un loch carré qui tient la cordelette roide et empêche les courbes d'êtres dentelées. Yoici, Messieurs, les résultats de deux expériences faites par Corblin : 1° Maquereau de 350 centimètres cubes. Surface de plus grande section : 20 centimètres carrés. Tare du dynamomètre : 0'",4 pour 1 gramme de traction. Traction moyenne : 41 grammes. Valeur de K : R = KaÏ-"ou il^^ = Kx20^'^>-X ^'^ 2g 19,6 d'où K = 0,0081. LA LOCOMOTION DANS L'EAU. 467 2° Roussette de 850 centimètres cubes. Surface de plus grande section : 27 centimètres carrés. Longueur du parcours : 7'", 65 en vingt-cinq secondes. Vitesse : 31 centimètres par seconde. Longueur des courbes : lO'""',!. Surface moyenne : 27"^, 2. Ordonnée moyenne : 1""'',4. Traction movenne : 35 grammes. Valeur de K : R = KA -^ ou 35e-^ = K X 27"'-"^ X -,^ 2ff 19,b d'où K= 0,026. Ajoutons, d'ailleurs que cette résistance est la même pour toutes les profondeurs, la densité de l'eau ne changeant que fort peu pour les diverses couches ou se meut un môme animal. 11 nous faut encore, Messieurs, tâcher de savoir si les muscles des animaux qui vivent dans l'eau ont plus ou moins de puis- sance que ceux des animaux aériens tant de fois étudiés. C'est à Plateau que l'on doit les études principales entre- prises sur ce point. Déjà Darwin avait fait remarquer que les pêcheurs qui introduisaient leurs doigts entre les valves de la coquille des Tridacnes avait grande peine à les retirer ; Vaillant confirme cette opinion, il raconte môme que les matelots prétendent que les grands Bénitiers peuvent, entre les bords de leur co- quilles, couper le câble de l'ancre des navires; il y a là certes une grande exagération et Plateau a cherché à connaître expé- rimentalement la vérité sur ce point. Il se sert de l'appareil figuré en 220. Ce sont simplement deux crochets dont l'un est pendu au plafond du laboratoire et dont l'autre porte un plateau de balance : on introduit ces crochets 468 LA VIE DANS LES EAUX. entre les valves d'im Mollusque qui résiste et on charge le plateau de poids, jusqu'à ce que les valves s'ouvrent de force. On obtient de cette manière des résultats prodi- gieux. Une Huître L A & y r-'i- c Fig.220. — Schéma de l'ap- pareil de Plateau destiné à mesurer la force des muscles d'uu Mollusque. Fig. 221. — Schéma de l'appareil de Plateau destiné à mesurer la puissance musculaire d'un Grustacé. Pied-de-Gheval supporte 17 kilos, une Clovisse supporte o kilos : une Moule ne s'ouvre que sous .3 kilos ; les muscles de ces ani- maux supportent donc des centaines de fois leur propre poids. Un Pectunculus a porté ainsi près de 500 fois son poids. Si la comparaison était possible, nous dirions qu'il s'est montré au moins 600 fois plus fort qu'un cheval de gros trait. LA LOCOMOTION DANS L'EAU. 469 Plateau ne s'en est pas tenu aux Mollusques ; il a poursuivi ses expériences, sur les Crustacés. Attelant un Crabe à une sorte de cliarriot, il lui a fait traîner des poids cinq fois plus lourds que lui-même, il a cherché aussi, quelle résistance offrait à Touverture la pince du même Carcinus. A la suite de nombreuses expériences , il a trouvé chez le Crabe Enragé, le poids de 2", 322, si bien que cet animal soutient un poids équivalent à trente fois celui de son corps, tandis que l'homme le plus robuste, serrant un dynamomètre de la main droite, n'arrive guère à développer qu'une force égale aux deux tiers de son propre poids. Chez un énorme Tourteau, Plateau n'a guère obtenu que la force de 3'',848, c'est à peine le double de ce que donne le très petit Crabe Enragé. Voici d'ailleurs, d'après Frédericq, l'appareil dont se servait Plateau (fig. 221). Sur une planchette on fixait le Crabe : à sa pince étaient atta- chés deux fils d'acier : l'un allait à l'article fixé et au sommet d'une potence, l'autre à l'article mobile et d'autre part, à un plateau chargé de poids. On ajoutait ces poids sur le plateau jusqu'à ce que la pince s'ouvrît et on notait le chiffre. Il faut d'ailleurs remarquer que cette force immense n'est obtenue qu'aux dépens de la vitesse, en effet si les muscles de ces animaux aquatiques sont très forts, ils sont en même temps très courts et dans l'évaluation du travail qu'ils produisent, il faut tenir compte de ce fait que, s'ils élèvent de grands poids, ils ne les élèvent pas à de grandes hauteurs, si bien que, toutes choses égales d'ailleurs, ils ne sont pas en réalité plus puissants que les nôtres. J'ai cherché pour ma part, comment, au point de vue de la force produite, le Poisson utilisait la puissance de déplacement que lui donne son appareil caudal. Voici l'appareil que j'ai combiné pour cette étude (fig. 222). Aux deux bouts d'un grand aquarium sont fixées deux supports en bois. A l'extrémité de l'un se trouve un dynamomètre D gradué en grammes 470 LA VIE DANS LES EAUX. expérimentalement. Du levier de ce dynamomètre part un fil L qui, plongé d'abord dans l'eau, se réfléchit sur les deux poulies R R', puis sur la poulie R" et porte finalement le contre- poids B qui le tient tendu ; c'est sur le trajet horizontal de ce fil que nous attachons un gros Cyprin ou une Carpe, au moyen de deux hameçons piqués en avant de sa nageoire dorsale. ' ^m Fig. 223. — Dynamomètre de P. Regnard pour la mesure de la force que peut développer un Poisson. En procédant de cette manière avec une Carpe de 90 grammes nous voyons que, quand elle essaye de nager doucement, elle entraîne 25 grammes : le quart environ de son poids ; si nous lui faisons faire de violents efforts de fuite, elle arrivera à enlever 170 grammes ; presque le double de son propre poids. Coupons-lui alors toutes les nageoires, sauf la caudale, c'est à peine si nous observons un changement dans sa force. Si, au contraire, nous supprimons cette dernière en laissant les autres LA LOCOMOTION DANS L'EAU. 471 sur un Poisson du même poids, nous ne le verrons pas dévelop- per une puissance de plus de 35 grammes dans ses plus grands efForts. 11 y aurait intérêt à suivre cette étude sur un grand nombre d'animaux : nous le ferons quelque jour. Nous avons voulu, en attendant, aborder encore un autre problème. Quelle est la vitesse que peut développer un Poisson qui se meut librement dans l'eau? La solution était ici plus difficile à obtenir : le Poisson, en effet, doit conserver la liberté absolue de ses mouvements, faute de quoi sa vitesse sera certai- nement diminuée. Yoici comment nous avons cherché à vaincre la difficulté. Un plateau tournant est mii par un moteur électrique animé par la pile thermo-électrique très régulière P (fig. 223). Le courant de cette pile est au préalable obligé de traverser une boîte de résistance qui permet de l'augmenter ou de le dimi- nuer et par suite de diminuer la rapidité de rotation du disque. Sur celui-ci on a mis un vase V plein d'eau, au centre duquel s'en trouve un autre Y' : de sorte qu'entre les deux existe un couloir circulaire dans lequel le Poisson se meut librement. Chaque fois que le disque fait un tour, il établit un contact qui ferme le courant d'une pile P' sur un signal de Deprez, lequel écrit sur un cylindre tournant R. Sur ce môme cylindre un métronome M enregistre les secondes, grâce à un tambour de Marey S. On a donc en môme temps enregistré sur le cylindre : 1° le nombre de tours effectués par le plateau tournant; 2° le nombre de secondes pendant lequel le plateau a tourné. Ceci dit, voici comment on procède : on place le Poisson en Y et on met le disque en mouvement ; l'animal se met aussitôt à nager à contre-courant. On augmente la vitesse du disque jusqu'à ce que le Poisson, faisant son maximum d'effort, demeure immobile tout en nageant. On dit alors que sa vitesse est juste égale à celle du disque qui tourne en sens inverse de 472 LA VIE DANS LES EAUX. lui. Or, en lisant sur le cylindre, on y trouve inscrite la vitesse du disque et par suite celle du Poisson, puisque connaissant la circonférence du disque tournant on connaît le chemin par- couru en le multipliant par le nombre de tours. — Examinons les résultats donnés par l'instrument : Une Carpe de 6 grammes fait 59 centimètres à la seconde. Une Carpe de 5 grammes fait 52 centimètres à la seconde. Une autre Carpe de 5 grammes fait aussi 52 centimètres à la seconde. Une Ablette de 1 gramme fait 50 centimètres à la seconde. Un Chevaine de 15 grammes fait 24 centimètres à la se- conde. Mais à cause de sa taille ce dernier était peut-être gêné dans l'appareil. La méthode va nous permettre de tenir compte de l'inlluence de la fatigue. L'Ablette qui faisait 50 centimètres à la seconde n'en fait que 32 après une course forcée de 5 minutes et 16 après 15 mi- nutes de fatigue. Les Poissons peuvent donc fournir une course très rapide et très instantanée (10 fois environ la longueur de leur corps en une seconde), mais cet effort ne peut être longtemps soutenu. L'amputation des nageoires a aussi une certaine importance sur la vitesse fournie. A une Carpe qui fait 60 centimètres à la seconde, on ampute les nageoires pectorales ; elle n'en fait plus que 40. On ampute les ventrales, elle fait encore 40 centi- mètres; mais si on ampute la caudale, elle n'en fait plus que 13. C'est donc la caudale qui est de beaucoup la plus utile. Voici une expérience qui le prouve : une Carpe parcourt 50 cen- timètres à la seconde ; elle n'en fait plus que 22 après l'amputa- lion de la caudale : si ensuite on coupe les pectorales et les ven- trales, elle n'en fait plus que 16 ; la grande chute de vitesse a eu lieu après l'amputation de la caudale. L'amputation des nageoires d'un seul côté est plus fâcheuse pour le Poisson que l'amputa- tion des deux côtés à la fois, car elle le déséquilibre. Une Carpe LA LOCOMOTION DANS L'EAU. 473 o a en a c3 «H -a es Sh O) g O -3 a d SB -3