Ê& .■%'■ i'Vl ^-Jl \ "W -1) ' 1- %. r EX LIBRIS Eo BONNET.oMP ? \"< ^\ I \ «^ hl/& ■ A/v-v ''■'■■ ;oJ^^ fK^vh%, p. \^\\-\%'^J O O iaAû t: a ■ ! I- I^c/ s CjA-'- fil ly RELATION DE LA PREMIÈRE FÊTE CHAMPÊTRE, célébkée PAR LA SOCIETE LmNEENNE DE PARIS. /' . J RELATION . DE LA PREMIÈRE FÊTE CHAMPÊTRE , CÉLÉBRÉE PAR LA SOCIÉTÉ LINNÉEMNE DE PARIS, le %[\ mai 1822, gOVR ANNIVERSAIRE DK l.A NAISSANCE DF, LUTAÉ. Par Arsenne Thiébalt-de-Berneaud, Scci'éuire - prpéluel , Membre et Corcespondanl de plujieuri SoriéU's s.ivaiiles nationales et étrangères. M .^~- PARIS, PHAITEL, IMPRIMEUR DE LA SOCIÉTÉ Ll.^:^ÉEîî^•E . RIE I)£ l.A HARPE , N'. 8o. 1822. Quel nom mieux que le lien a jamais mérité D'obtenir, ô Linné, cette immoilalllé! Tu vins, l'ordre parut. Une vive lumière Rejaillit tout-à-coup sur la nature entière. Le lit sombre et profond des divers minéraux , L'habile enfant de l'air et l'habitant des eaux , Les plantes que Zéphir au printeras fait renaître, Tu vis, tu connus tout, et lu fi? tout connaître. (Castei-, les Plantes, 11', chant.) SOCIETE LINNEENNE DE PARIS. RELATION DE LA PREMIÈRE FÊTE CHAMPÊTRE CÉLÉBRÉE fE â4 M MAflfsa^J. Le 24 de mai 1822, les Membres rcsiduns , Ho- noraires et Auditeurs de la Société Linnéenne de Paris, ainsi que les dames Associées-libres, et plu- sieurs Correspondans nationaux et étrangers, se sont réunis dans les bois de Meudon pour y célé- brer, par une (èVe champêtre, l'anniversaire de la naissance de Linné. Au moment où ils arrivèrent dans cette forêt, l'une des plus agréables des environs de Paris, et en même temps l'une des plus riches en plantes pjintanières, le soleil dorait les coteaux voisins die ses rayons haissans ; les feuilles des arbres et les fleurs qui brillent sur leurs tiges élevées . et celles qui diaprent les frais gazons étendus ù leurs pieds s'épanouissaient et reflétaient les mille cou- leurs des diamans échappés aux mains de l'Aii- ore ; les insectes quittaient leurs cellules ; le 1 ( 2 ) pnpillon silKmnair Ip-ï plaines embaumées de l'air que les oiseaux remplissaient de leurs chansons harmonieuses. Ce doux accord de la nature en- tière était le prélude d'une journée iieureuse , et favorisait le projet conçu par la reconnaissance d'offrir un juste hommage à la mémoire du plus grand naturaliste des âges modernes. Un repas frugal, préparé dans la partie de la foret 'c>i)pdéeleBoisde Flenry, décida de la gaîté franche cpii devait j)résider à toute la journée» Bientôt après, le botaniste et l'entomologiste s'en- foncèrent dans la forêt , en parcoururent les dé- tours pour y satisfaire leurs recherciies curieuses. Pendant ce temps, les dames tressaient des guir- landes, préparaient des couronnes où l'or de la primevère et du genêt le disputait à la blancheur éclatante du muguet et des narcisses; où l'humble violette, l'anémone aux pétales légèrement rosés, le bluet ami des moissons, la digitale pourprée , mariaient ensemble leurs aimables couleurs. Elles vinrent en orner un cippe , surmonté du buste de Linné, qui s'élevait sous un dùme de tilleuls près d'une fontaine, dont le doux bruit se mêlait aux chants mélancoliques du rossignol , au gai ramage du rouge-gorge et de la fauvette. A un signal donné, toute la compagnie se ras- sembla près de la Fontaine de Tricaux; chacun " s'empressa de montrer les récoltes qu'il avait faites. C ^ ) .\î\f. l.KMAN ft Delavaix dressèrent la liste dc.^ plantes, parmi lesquelles on distingua surtout : 1* trois espèces de roses assex rares aux environs de Paris, la Rosa tomenlosa , de Smith (Flor. Brit. ïx" 559. ) , la Rom Icncantha de Loiseleur ( Notice p. 82. j et la Rosa andegavcnsis scmpervirens de Rau (Eman.\). 120); 2'\e Diaulhtis harbatus aux tiges nombreuses terminées par des fleurs petites d'un très-beau rouge; 5° et la famille des orchi- dées qui abonde aux bois de ]\îeuilon. Dans le nombre des insectes, M. le professeur Drsmarets a fait remaïqucr plus particulièrement le Dytiftcus fencslralus , le Clytra bipunctala , le Cu- rabas brevicollis et l'espèce de blatte qui pullule dans les cases des Lapons , où elle ronge les pois- sons qu'ils conservent desséchés. Ici, le botaniste ingénieux qui sut unir les deux systèmes de Tocrnefort et de Linné , et n'en faire qu'un seul sous le nom de Système floral, apprenait à de jeunes adeptes à bien connaître la belle fa- nMile des composées, et fixait leurs yeux sur les fleurs bizarres des ophrys. Là , l'entomologiste profond leur révélait la retraite des insectes , en leur montrant la nature du sol et le genre des plantes qui le convient ; plus loin , le médecin leur indi(piait conuiient les propriétés de ces mêmes végétaux sont calculées avec les nudadies inhé- rentes aux pays qu'elles habitent. De toutes parts I* (4) l'instruction se faisait jour ; de toutes parts il se f.iisnit un échanj^ i(';oipiOfjU€ de lumières et de cette rare cordialité qui rend croyables les mœurs des pi^emicrs âges. A midi plein, le soleil atteignant l'heure à laquelle Linné prit naissance le «4 "^^^i '7^7' '^- thermomètre marquant i8° 75 centigrades; le baromètre 756,86 mclriqu'îs,et l'iiygromètrc 70°, tous les Membres de la Société , décorés d'une branche de la lAnnea borcalis , se rendirent à la Fontaine des Lynx. Dans ce moment , leurs épou- ses et leurs fdles, arrivées de la capitale, vin- rent se joindre à eux, et tous apportèrent leur tribu sur l'autel dressé par ia reconnaissance au génie des sciences naturelles. Quel tableau pour un peintre ! quel sujet d'émotion pour un cœur sensible ! Des femmes respectables , l'ornement de la société , les modèles des vertus domestiques qu'elles pratiquent par inspiration ; de jeunes beautés, dont le front virginal s'embellit de tout ce que la pudeur et la modestie ajoutent aux at- traits de la jeunesse ; des savans que leurs qna- lités personnelles , leur âge et leurs services ren- dent l'orgueil de Kt patrie , formèrent à l'envi des groupes charmans sous les larges tilleuls qui cou- ronnaient le buste de Ll^NÉ, tout entouré de ces mêmes fleurs, qu'il prit autrefois plaisir à re- cueillir dans celte même foict. Alors une voix se fit entendre ; c'est relie du Président. « L'horloge de Flore marque l'heure . du travail , dit-il , que ehacun prenne place ; la « séance est ouverte. » Le silence règne. M. De Lacépède devait prononcer l'éloge de Linné ; le temps et sa santé ne lui ayant pas per- mis de s'en occuper, la bonne amitié s'est, par. une inspiration secrète, chargée de le remplacer. Heureuse rencontre de deux ca'urs tendrement unis ! Le savant auteur de la Flore de Loi et Garonne y. M. Dj- Saint-Amans , écrivit cet éloge sous le voile d'une allégorie touchante ; il rappelle et la vie et les travaux du philosophe suédois ; il peint son âme toute entière , ses efforts de tous les instans pour accomplir l'œuvre de son génie ; ille montre débrouillant le chaos de la science , la plaçant dans la voie de l'ordre , lui ouvrant une carrière nouvelle , et la faisant cultiver avec une ardeur jusqu'alors inconnue. Dans l'hommage qn'il rend à Linné, M. de SainT'Amans , par une fi.t:tion heu- reuse , place l'éloge du grand homme dans la bou- che deïÎALLLR, dont les Alpes rappelleront long- temps et les vertus et les vastes connaissances. Ce morceau , sorti d'un cœur profondément ému , et qui rappelle la forme dramatique du bel éloge de Marc- AuRiiLE , a clé cnlcndu avec la plus vix émotion. ( ^ ) M. iHircAur DEBi:RNEALD,Seciéfaire-j>i;riiélnt'l, irpidit ensuite compte des propès de la Société Linnéenne, et traita du but scientifique et iiHjral de son institution. Tout à coup l'ordre des lectures est interrom- pu ; la forêt s'obscurcit ; des nuages partis du nord-est sont poussés sur elle ; les oiseaux ne chantent plus; les corolles brillantes des fleurs fc referment ; des colonnes de feu se font jour à travers les voûtes des arbres, elles se prolongent sous mille formes diverses, la foudre gronde et remplit les échos du vallon. Ce spectacle , qui d'ordinaire frappe les sens d'une certaine terreur, agite l'imagination et redouble les pulsations du cœur, ne fit qu'une légère impression; la recon- naissance semblait en défendre l'âme même i\ts personnes du «exe le plus faible : la scène n'en fut que plus majestueuse. Le désir de ren)plir la tâche que le sentiment avait imposée, n'en païut que plus vif. Le premier moment do sur- prise passé, l'on reprit l'ordre des lectures. On entendit successivement AL Lefeblre , premier Vice- président , et Madame Amable- Tastu , l'une des dames Associées-libres. Le pre- mier peignit J. J. lloussEAU , charmant ses loisirs ei ses infortunes par l'étude des fleurs , écrivant ses Lettres sur la Botanicpic, et recevant avec trans- port le système linuécn , ce système admirable qui (7) vivifiait à ses yeux chaque |>laiite, q>ii cl«)nnait un sentiment à tout ce qu'il touchait, et qui lui faisait retrouver les ami» que ses rares taleus lui avaient aliénés. La seconde, transportant son auditoire au mi- lieu de la nuit , et portant ses rcj^ards sur la voûte élhérée, s'adresse à l'étoile de la I3' rc , et dans ses poétiques transports , elle appelle sur la France les nouvelles faveurs du dieu des vers. Ses vœux, n'en doutons pas, ses vœux seront exaucés : Apol- lon ne peut rien refuser à la Muse qu'il inspire. Cependant l'orage accumule sur la forêt se ré- sout en torrens de pluie ; il faut fuir. Qn se rend à Fletiry, village le plus voisin, et là, dans l'ha- bitation de AI. Reuouté , l'un des membres de la Société , l'on trouve un refuge délicieux. Le désor- dre aimable qui suivit cette scène bruyante , a imprimé un caractère nouveau , un caractère tout particulier à la fête; et, tandis que la pluie ra- fraîchissait le sein de la terre embrasé par les fortes chaleurs des jours précédens , on parcourut les serres où le peintre habile des fleurs a rassem- blé toutes les plantes les plus belles et les plus riches des deux hémisphères. Le soleil ayant repris son cm|)ire, on a visité les superbes jardins qui entourent l'agréable rr- Iraile de M. Redouté. Là, les roses de tous les (8) rliiniils ot de tontes les couleurs s élèvent auprès de auiguifiqucs ti};es de Hkododcndnm maximum, et de ^zalea viscosa et pontica ; la Spirœa sorti fulùi , (}!ii llatle autant par son feuillage que par ses i;rappcs nonibi'euses et élégantes de jolies fleurs blanches , don?)e plus, d'éclat encore au Kulmia laiifolia chargé de feuilles d'un beau vert luisant et de suj)erl)t'S bouquets rouges; plus loin , le Qtiercus œgylops, originaire de l'île de Candie , semble braver la vigueur des chênes, antiques propriétaires de la forêt voisine , etc. etc. M. Desiiay£s offrit alors aux dames Associées- libres quatre éventails botaniques qu'il a dressés d'après le Système forai. « L'auteur de ce système, leur dit-il , n'a pas travaillé seulement pour les sa- yans ^'il s'est encoçç occupé de vous , Mesdames ;, aussi par reconnaissance autant que par le besoin de vous plaire, les zéphyrs ont-ils été jaloux de vous porter les honniiages de l'amant de Flore et le fruit de SCS doctes veilles. » M. Lachçvahdièrï:, corresponctant , a peint en- suite les derniers instans du célèbie navigateur La Péuousk. Kuiin , avant de elore la séance, le Président a remis à chacun des membres jnésens, comme un souvenir de la «némorable journée du 2] mai 1^22. un cxeuiplaiic Jitiiographié de la lettre de (o) Linné à Gouan , dont M. Asiorelx, mcmbie ho-^ noraiic à Montpellier , a fait don à la Société Linnéenne (i), A cinq heures , on s'est réuni en banquet cham- pètie autour d'une table; disposée en fer à cbeval. Les dames occupaient le centre. Le salon était orné de vases et de tableaux des plus jolies fitiurs, de paysages représentant les sites pittoresques de la Grèce et de l'Italie, et du buste de Linné, ceint d'une couronne d'imniortcllcs. A deux reprises différentes , le repas a été in- terrompu par des lectures. La première fois, M. Jacques Arago raconta plusieurs circonstances de sa promenade autour du Monde, à bord de la corvette VUranle, qui At naufrage le i5 février ^820 dans la baie Française, sur une terre dé- serte des îles Malouines, après un voyage de plu? de trois années. L'intérêt qu'excita cette narra- tion, écrite avec feu el en présence des événc- mens , ne peut se comparer cju'an zèle et au courage du naturaliste-navigateur. La seconde lecture a été faite par M. Desiiayes, (1) Chaque cxcmptairc poric le nom de ta personne à 1 iqiicllc ii fsl (îdiné, k' douât rt le ïctau de la Société Liriiiéciiiic, ainsi que la date du 2'\ mai \'>-^-Ji .t ':\ la sigiiafiire du Sccrétcsire peijiéiu.e!. ( 10 ) correspondant. Il avait choisi pour texte les mé- tamorphoses des plantes et des animaux. Le repas a ensuite été agréahlcmcnt terminé par des couplets impromptus chantés par AI. Voïaut, et qui ont été répétés par les joyeux convives. De là on est rentré dans la forêt , et des danses ont rempli cette belle journée, où la gravité scien- tifique s'est mise , sans déchoir aucunement , à l'unisson de l'aimable gaité des dames accourues à cette fête vraiment pastorale. Que des rigoristes insensibles osent blâmer ces heureux élans, nous les plaindrons. Les sciences ont été créées pour civiliser les hommes , pour embellir la vie , et non pour en faire le tourment. A neuf heures , le Président ayant déclaré la fctc terminée, le Secrétaire perpétuel a donné lec- ture du procès-verbal qui a été approuvé et signé. Aux bois de Meudon , les jour, mois et an que dessus. Signe à la minute, E. G. E. L. comte de Lacépède, Pràident; Leféburc et Desfonlaines , Vice-prcsidem; ThiébautdeBcrneaud , Seartatrc- -perpctucl; J. P. Lamouroux, Archivisle; Voiart , Trésorier; Pcrrotlet, Maujcanet Varaigne, Maîtrea des cérémonies; Leforestier. r>ory-Saint.Vincc:it , Paulin, Troncin, Leudant. J. E. Gay, Gautier, Thory, Léman, Maygricr, Prévost, Warden . Desmarels. Noyer, Mcmbresréi^idans; DeBournou . Chabrol dr Volvic Cuvier, Dciesserl, Dcleu^c , ( lO Dcvèzc, Geoffroy-Suiiit-ililahc , Gillct do Lau- mont, Delïnmboldt, Jomard, Laubert, Michaux, Miot de Melito , Persooii, Silveslrc , Thoûin , Vieillot , Walckeiiaer, Brochant de Villiers, Mein- hres honoraires; Poupiin , Redoulé, Reynicr , (]|. Gay, J. Arago, J. J. Diipuy; Rio, Devilliers, Duc, Lioult , Landreaii , Mauiel , E. Lebon , Diivau , Tastit, Auditeurs ; Elise Voïart, Amable Tastu , Joséphine Redoufé , Antoinette Legroing- la-Maison-Neuve, Ernestine Panckoiicke, Uranie Thiébaut deBe rnea nd , Associées-libres; Schràmm , Pujadc, Lachevardière, Deshayes, Beaunier, De- lavaux, Massias, Bertrand-Geslin , Poiteau, Cor- respondans nationaux ; Bowdich, Durand, Maras- chini ctZea, correspondans étrangers. Pour copie conforme : Le Président , Le Secrétaire-perpétuel , B. G. E. L. comte Tiiikbalt de Beuneaud. De Lacéi'ède. ( '2 ) »\\\\V»«kVVWW»«IVWWrt.w\vvv\VV\v»VM«vwvVW\v«vv*WV\VWVWWV«VVW*«A\WMrtV<.^v ÉLOGE DE LIISNÉ, PAR M. DE SAIiNT-AMAj\S, Associé-Correspondant, Le soleil parcourant sa carrière a ramené l'été dans nos climats. Déjà ses regards vivifians mû- rissent les moissons qui décorent la plaine ; déjà tes torrens déchaînes annoncent la fonte des nei- ges ; ils se précipitent du haut des Alpes ; ik gros- sissent de leurs ondes écumantes le lîeuve qui va se perdre au sein des mers. Les Alpes , ces mon- tagnes qui s'élancent jusqu'aux nues, dévoilent enfin leurs pittoresques beautés ; leur déclivité se couvre de verdure ; des milliers de fleurs bril- lantes y parfiuiient les airs , et la nature à la fois riaiite et sublime, y sollicite le philosophe à l'in- terroger sur le trône de sa puissance et de sa gloire. C'est ici , c'est sur ces monts dominateurs de l'Europe, qu'un savant, formé par le grand Linné , conduit aujourd'hui la foule de ses élèves. « Venez , leur dit-il , récompensant votre zèk et « vos progrès, j'oserai m'acquitler en ces lieux < de tout ce que la reconnaissance et l'admiration « doivent d'iiommages au génie le plus transccn- • dant,au pUilo.snph.c 1»^ plusn)odoslc. » OLI^■^■É! ( >5 ) quei théâtre pour célébrer tes louanges! Le maî- tre, environné de ses disciples, est assis sur le penchant d'une des plus hautes montagnes du globe. Au-dessus de leur tête l'hiver siège encore avec les frimas et la neige éblouissante ; sous leurs pieds l'ardent été dessèche au loin la plaine; les ruisseaux sont taris, la nature expire dans des torrens de lumière et de feux. Autour d'eux règne le doux printemps; l'érable et le tilleul leur don- nent un asile sous le nouveau (euillage qui les décore ; des fleurs odoriférantes émaillent le gazon naissant ; des cascades azurées se déploient sur les rochers qui répètent leur murmure. Ici, des vallées riantes qu'animent le travail et l'indus- trie , s'offrent à travers de ténébreuses et soli- taires forêts ; là , de verdoyans bocages, des champs cultivés , contrastent avec d'horribles dé- serts, d'affreux précipices. Plus loin, le majes- tueux Gothard couionne la scène : à ses côtés , de longues files de montagnes , couvertes, comme lui, d'une neige éternelle, se prolongent à perte de vue , et se confondent avec les cieux. Tel au milieu des saisons s'élève le théâtre où le Botaniste des Alpes , s'étant un peu recueilli dans le silence, s'abandonne à l'impulsion de son cœur, et satisfait par ces mots l'empressement de ses disciples : «0 Linné! s'écrie-t-il , daigne accueillir du ( i4) « fond de la tombe l'essai que je eonsacMC ù la inérnoire; puissenl les aceens de mon admira- lion , conloudus avec ceux de tout l'univers, aller du midi de l'Europe jusqu'aux rivages de la Suède! puissent-ils un jour frapper les échos que tu fis retentir de tes leçons sublimes! Om- bre à jamais illustre , s'il ne suffit pas d'être embrasé du zèle le plus ardent pour louer le génie, et pour remporter ses couronnes, dai- gne agréer du moins que je hasarde dans la carrière mes pas incertains, et ne rejette pas des efforts tentés par l'ambition de répandre ta gloire. Loin d'ici , âmes inertes et passives , es- prits didactiques et glacés , qui , calculant les expressions de notre hommage , pourraient blâ- mer l'enthousiasme que nous inspirent et le lieu de la scène et son peintre immortel. Ma- ture! Linné! Celui qui prononcerait vos noms réunis sur le sommet des Alpes , sans éprouver un saint transport , est indigne de vous con- naître et de chanter vos louanges. C'est ;\vous, mortels sensibles, qui partagez aujourd'hui l'é- motion de mon coeur , vous qui tressaillez au nom de Linné , répété dans ces montagnes pri- mitives; c'est à vous , jeunes admirateurs de ce grand homme , qu'il appartient d'entendre cé- lébrer son éloge à la face de la nature dont il fut l'interprète , et sous le regard immédiat ( i5 ) « lie l'Élcrnel qu'il aâora toujours dans ses ovi- « vrages. « IN'é dans le sein d'une religion éclairée qui n'ef- « face pas ses ministres du rang des citoyens , il « tint le jour d'un père qui, dévoué aux autels, « exerçait les fonctions sacrées de pasteur dans un « village de la Smolande.Ce fut dans ce mois gra- « cieux , où la terre souriant aux regards de l'astre « qui l'embellit , s'orne de tous ses traits , à cette « époque oii tout se renouvelle et se reproduit, que « les yeux du jeune Linné s'ouvrirent à la lumière. « Ainsi la nature, dont il allait être l'amant et le « peintre sublime, le séduisaitdès le berceau; ainsi «se parant de tousses charmes, elle le recevait aux « portes de la vie , elle le faisait naître au milieu « des fleurs dont il devait dévoiler les mystères avec « tant de génie et de sagacité. « Je ne m'arrêterai pas long-temps sur la pre- « mière éducation de ce philosophe. Elle fut l'ou- « vrage d'un père tendre qui , mêlant à ses leçons « la culture des plantes , qu'il aimait , secondait « dans l'àme de son fils , et sans le savoir, le vœu « de la nature. Doué par elle d'une pénétration ac- « tive et d'une maturité précoce , Linné, dès ses plus jeunes années, peu sensible auxamusemens « de son âge , indifférent pour toute autre étude « que celles des plantes, trouvait déjà son unique « plaisir dans l'herborisation savante et tranquille. « ( '^^ ) « Uv'uieusemcnl la tendresse des païens deLiXNÉ «' les éclaira sur sa vocation : ils le chérissaient pour « lui-inême; ils cédèrent à l'impulsion qui l'cntraî- « nait hors des routes d'une éducation connmune. « Non moins heureusement l'illustre Stobé reçut « de leurs mains ce gage précieux, et dirigea dans « la carrière des sciences , celui dont tous les na- « turalistes du Nord devaient s'honorer un jour « d'être les disciples. « Cependant le génie n'attend point , comme les « talens vulgaires , qu'on lui communique l'ins- « truction : il s'élance et ravit les vérités qu'il eût 0 obtenues trop tard d'un enseignement méthodi- « que ; il vole et se précipite lui-même au-devant « du savoir. Quelque satisfaisantes que fussent les « leçons de Stobé , pour tout autre que pour son « élève , elles ne pouvaient suffire à Linné. Cette « faculté , qui rend susceptible de se livrer long- « temps à des occupations assidues, et qu'il possé- « dait au suprême degré , lui faisait trouver les « journées trop rapides pour acquérir les lumières « dont sa jeunesse était altérée. Jamais fatigué des « travaux de la veille, toujours il anticipait sur « ceux du lendemain ; presque toujours adroite- « ment dérobées , les heures du sommeil s'écou- « laient pour lui dans les charmes de l'étude ou de « la réflexion. Surpris enfin au milieu de la nuit , « trouvé par sou maître , lisant les ouvrages de ( 17^ « TouRNEFOUT pt de CÉsALPiN . ♦ju'il sV'tait seriè- « temcnt procurés , il reçoit la récompense duc « à son zèle. Le maître , qui soupçonnait un « autre motif à ses veilles, transporté de surprise « et d'admiration , embrasse son élève, lui remet « les clefs de sa bibliothèque , et le fait déposi- « taire des richesses de son cabinet. Dès-lors , « l'impatient Linné s'abandonne sans crainte à ti l'impulsion de son génie. Il s'applique à l'his- « toire des animaux, sans négliger celle des mi- « néraux et des plantes ; il forme à la fois des col- « lections de rqjtiles , de poissons , de végétaux et « de fossiles. « Arrêté dès son entrée dans la carrière , piqué « par ce dangereux insecte qui mérita le nom de 0 furie infernale (i) , les horribles douleurs qu'il « éprouve, le danger qui menace ses jours , loin « de ralentir son infatigable activité , ne font a qu'accroître et redoubler son zèle ; il se livre « avec une nouvelle ardeur à la recherche des « nombreuses classes de ces sortes d'animaux qui « jusqu'alors n'avaient point été décrites. Mais les « fleurs, ces gages éclatans de l'allégresse de la • nature , avaient fixé ses premiers regards. Il y « revient sans cesse par un mouvement de prédi- « lection qui ne sort jamais du fond de son cœur. « Il étudie leur structure , leur développement , (i) \oj€i\t Systcma naturœ , g iô-jS. c^ ( *^ ) li Irius cliiïcrpnlps i)arlies . avor imr .ilfciiliiui • srnijujlou^e. une iiicroyablo assiduUé : bit'nlôt f ii .s.oiiprorine Içuvs mystères. Cominophilost^plic « sensible, soji âme s'éj)aiiouit, son imiginatiou ï s'exalte ; il (■onleui|)lc (l;;»ns les (leurs l'inno- « cenee de l'amour, Ifl pureté de la jouissance ^ couronnées par le bonheur et la pai>;. Couuiic f naturaliste éclairé , il y v<>it une solution déci- u si.ve et tranclianle de la question qui divisait « alors les savans de l'Europe sur le sexe des plantes. . « On ne rendrait pas justice au génie de Linxk , j si l'on pouvait douter que- convaincu de l'ana- « logie qui règne entre la génération aniniale et f végétale, il ne prévit pas aussitôt la grande ré- if volujtion qu'allait svd)ir la botanique . et ne « forma point le hardi dessein de l'opérer uu «I jour- Sans doute, son extrême sagacité lui dé^ « voila d'abord toutes les conséquences de sa dé- « couverte , et son anu)ur pour la gloire lui pré- _ « senta tout l'avantage qu'il devait en r(tir»;r; <( mais il ne suffit pas an génie d'avoir des vues raire , à peine a-t-il paru dans l'université d'Up- « sal , qu'il obtient les distinctions les plus flat- « teuses, et tous les suffiages qu'il mérite. Déj;i « l'aménité de son caractère, la pénétration , la n justesse de son esprit» ont charmé Celsit s ; et « ce savant emploie le crédit que lui donnent ses « rares connaissances pour procurer au jeune « philosophe tous les encouragemens propres à « développer ses talens, à diriger l'essor de son a génie. Bientôt le célèbre Rldbeck, obligé par « son âge et par ses iuQrmités de terminer ses glo- « rieux travaux, descend de la chaire de bota- « nique; Linné, appelé par la voix unanime de « l'université , y monte après lui , et les savans « sont étonnés de l'entendre dicter des leçons a dans la même école où naguères il était venu K réclamer l'instruction et les préceptes. « Cette place honorable , dont les fonctions « semblaient si propres à combler les vœux de « Linné , ne suflit pas long-temps à son activité a* ( ^o ) • Ijiborieusc. Appelé par la nature à l'inlerpréta- • tioM de ses ouvrap;es ; sollicité par «lie à l'inter- • loger sur le raste théâtre de ses productions , il «éprouve le besoin d'observer par lui-même; » mais si le désir des voyages scientifiques s'al- « limie dans son cœur, ce désir n'est point stérile. <. 1^'université , jalouse de contribuer à tout ce • qui peut agrandir la sphère de nos connaissances , c déroge à ses statuts , et conservant sa pkce au « nouveau professeur, l'engage à de pénibles et « dangereuses excursions , dont elk doit parla- « ger la gloire et les avantages. « C'en est fait ; déjà , Linné , loin des murs « d'Upsal, parcourt en naturaliste et en philoso- f phe , la Laponie voisine du pôle, la montueuse « Dalécarlie , la Scanie et les îles orageuses de la • « Baltique. Affrontant partout le danger , il le « trouve tantôt au sommet des montagnes dé- « sertes et glacées , tantôt dans leurs mines téné- • breuses et profondes. Il le trouve surtout , à la t honte de l'humanité, il le trouve chez les peu- « pies stupidcs et féroces à l'hospitalité desquels « il confie son existence. « Après avoir bravé le courroux de la nature ' sous ce ciel de fer, Linné voulut l'admirer dans • des climats moins rigoureux. 11 vint la voir ci- « vilisée par l'agriculture et les arts du midi , dans • les régions tempérées de l'Europe. Il voj^nge ( 2, ) « d'abord ùii Danemarck , en Allemagne ; passe « ensuite en Hollande , où il s'arrête quel([ue « temps ; vait l'Angleterre et une partie de la « France. Partout il demande à s'instruire; par- « tout il observe , il étudie ; partout il compare et « réfléchit. « Dès-lors il accomplit l'œuvre de son génie eu < changeant la face d'une science aussi vaste dans • ses détails, que précieuse par son importance « et par son utilité ; il lui impose des lois , eu « lui créant des prmcipes, en l'enrichissant de • vues nouvelles , en la fin'sant connaître et culti- « ver dans tout l'Univers, « Mais , dans la grande réforme qu'il projette « et doit exécuter , il sait bien , cet illustre philo- « sophe , qu'il ne sutTit pas de proclamer la vé- « rite ; qu'il faut encore disposer les esprits à la « recevoir , pour qu'elle soit accueillie , pour « qu'elle puisse se propager et devenir plutôt « utile. Ainsi le sol doit être préparé d'avance, afin « que le grain nourricier qu'on veut y répandre « fasse des progrès, et récompense par une abon- « dante récolte la main qui prit soin de le semer. « De retour dans sa patrie , après avoir consacré « par l'hymen des engagemens pris avant son dé- « part avec l'amour et la reconnaissance; après « avoir donné des cours de chimie , dans lesquels « il alluma le premier , en Suède le flambeau ( 2:2 ) < de îii inînf r;(l«>pip. do<'iinaatiqiir , il se l»;»l;> de * juiblier divers écrits qui taisuicut connaitic i>c6 « l)nncipes ol toutes les conséquences qui do- * vaient en découler. S'atlachant essentiellement f dans ces premiers ouvrages à dévoiler les er- « reurs qui s'opposaient aux progrès de la bota- « nique, à démontier l'insuflisance des métliodcs « accréditées, il établissait la nécessité d'une rc- « fonte générale dans les genres et les espèces do « plantes, et jetait les fondeincns d'une nou- « voile nomenclalure. « Il l'opéra cette refonte, et, par une innova- * tion précieuse, il mit en publiant sa P/iitoao-^ * p/ite hotanùfuc , le sceau de la perfection à lu * nomenclature linnéenne, • 0 mes amis! s'écrie le botaniste des Alpes : a O mes amis! élevons à Linnk, sur le sommet * de ces montagnes un monument nou\eau , mo- « nument le plus digne de lui et sans doute lo f plus cher à son ombre. Ilatons-nous de recueillir * les plantes dont ces rociiers , ces bois, ces tapis € de verdure sont diaprés : ({uc chacun de nous « apporte ici son tribut. » ■. ,, 11 dit ; à l'instant la foule des élève* se dis- perse ; les uns gravissent les rochers qu'ils dé- pouillent au péril de leurs jours; les autres s'en- foncent dans les cavernes . descendent dans le lit des torrens ; quohiues-uii5 n)onlenl à la cime de.-. ( ^:^ ) plus grands arbres, dont ils d(hobent les bran- ches char};ées de fleurs et de "jeunes fruits ; quel- ques autres s'étendent sur les flânes de la mon- tagne , ))our y moissonner avec moins de danger tous les dons de Flore; ils accourent , se croisent, déposent joyeusement leur fardeau , repartent et reparaissent encore avec un lluu^el hoinmag»;. Ainsi, dans les beaux jours du pi intemps, les di- ligentes abeilles se répandent dans les j)rair!cs.. visiteiit toutes les fleurs, eidèvenf leur nivela!.. vont le déposer , reviennent d'une aile agile . et le doux trésor qin s'accroît daiis la ruche est le prix de leur activité. Mais le monument s'élève : déyk les^ plantes qu'on a recueillies sont distribuées en gerbes écla- tantes , et placées sur des faisceaux de laurier. Des tiges du même aibuste , et que .vit croître une vallée des environs . sont dressées autour du lio- phée , où l'on dirait qu'elles ont pris naissance. Des eitises , botes gracieux de ce séjour . parés de leurs grapi~.es doiées , soutiennent au-dessus dix monument uneiuunense couronne de fleurs : l'air est embauu'é. Jamais une joie plus vive et plus ]'ure ne brilla sur le front de ces jcnnes élèves; leur zèle enorgueilli se vante d'avoir surpassé ce- lui de leur maitre. Cette fête inattendue, à la fois imposante et clnunpêtre , ne sauiail se dédire : la seule imagiijulion^ excr''cc à se retracer de pocti- ( 24 ) qucs images , à se reposer sur les scènes relif^ieuses et pastorales des premiers siècles , pourra peut- être se la représenter. Ici , cédant au mouvement rapide qui les trans- porte , les disciples entourent le maître : «Pardon- «nez, s'écrient - ils . oh pardonnez un enthou- «-siasmedont vous avez excité la flamme dans nos « cœurs. Daignez permettre que , réunis autour « de ce trophée, dédié à Linné, nous jurions de • lui rester fidèles , et de n'invoquer désormais « que lui seul dans le temple de la nature. » Alors , environnant la pyramide de fleurs , ouvrage de leur culte, ils promettent dans leurs acclamations de ne reco?inaître jamais d'autre guide que Linné; de s'unir , s'il le faut . pour répondre et pour ven- ger sa gloire ; enfin de ne point oublier le jour cl le lieu où , dans leur ivresse , ils prononcèrent cet cjigagement solennel. « Mes amis , leur dit le vieillard , les yeux baî- « gnés de pleurs, je reçois ici pour le grand « Linné . le serment qne vous faites à son ombre. « L'action auguste dont vous me jendez le té- « inoin , est pour ce naturaliste le plus digne • hommage qu'il soit possible de lui consacrer, « et pour moi le prix le plus flatteur que vous puis- k siez ajouter à l'idée d'avoir formé de tels disci- « pics. Oui, mes amis, jurez de lui être fidèles. " Lh ! 'pirl autre syst-inc , ou quelle autr^ hk- (25) « thodc conduirait plus sûrement vos pas. dans la « recherche de la nature? En est-il qui réunisse « plus d'agrémens , plus d'avantages dans la « théorie et dans la pratique? qui soit fondé sur « des principes plus solides et plus philosophi- ques? Ah! sans doute, vous pourrie/, jurer ft maintenant de ne suivre ce système qu'autant '«■ qu'il sera le meilleur; vous pourriez, pioniettrc « de l'ahandonner aussitôt qu'un plus parfait vous « sera connu , sans craindre que ce second ser- « ment vous rendît Jamais parjures. « Le génie de Linné, continua le botaniste des « Alpes, loin de s'épuiser par le travail, semblait « se nourrir de ses propres ouvrages. Il forme un <■ projet qu'aucun naturaliste avant lui n'avait osé « concevoir; projet vaste, pour lequel il fallait « allier une foule innombrable de connaissances « à toute l'audace du génie ; celui de classer et de « décrire la chaîne entière des êtres , depuis leur « immuable auteur , dont l'idée, confondant l'in- • tclligenee humaine, abime son orgueil dans la « poussière ; Jusqu'à cette poussière même , triste « et dernier produit des modifications de la ma- « ticre, et (jui s'anéantit dans le silence des tom- « beaux. « Mais déjà la speigiile replie ses pétales éblouis- sans , et le souci des champs referme ses corolles dorées. L'horl<>nc dr Fhnr que Li>m': nous trans- ( 26) mil . avertit le botaniste des Alpes <{ue les Iieures nocturnes, portées sur l'aile du temps, arrivent eii silence, et vont bientôt répandre les ténèbre-. ft Le jour s'enfuit, dlt-il à ses élèves , la nature « va se plonger dans le sommeil. Loin de pouvoir « vous entretenir encore de la gloire et des trionj- « plies de LiiXNÉ , à peine m'est-il permis d'attirer <' vos regards sur les derniers instans de cet bomme « à jamais célèbre. » « 0 mes amis, continua-t-il d'une voix pres- « qu'éteinte par la douleur : ô mes amis ! Cfe « grand honmie frappé d'une apoplexie cruelle , « avant de succomber au coup mortel , vit dé- « cboir ses forces , affaiblir sa mémoire; il éprouva « le dépérissement de ses organes et de ses sens. « Lmmené lentement sur le bord de la tombe par <• les progrès de la maladie . la seule passion (}ui « semblait l'émouvoir encore, était l'amour de lu « nature et de l'iumianité. Jamais la reeonnais- « sanee de ses disciples ne fut plus empressée à se « manifester par de touchaus témoignages. Ils « semblaient rivaliser de soins et de tendresse avec « ses propres enf-ans , ne faire qu'une même fa- <-' mille , et concourir avec eux pour prolonger les « jours de ce chef respectable et chéri. Hélas ! si « ces soins, si ce culte, décernés par la piété fdialc. :iu simulacre d'un grand homme, ne purent rap- .. peler son rxislcuce fugitive . qui flottait déjà sut ( ^7 ) ■ « le liva^^e de 1 cleriiilé, ils contiib lièrent du moins « à rendre plus douce à J^JiNM: la lin d'une carrière « dont ils lui dérobèrent l'amertume. Ce vieillard « vénérable , s'il est permis de le dire , avait cessé « d'être; Lijnné n'existait plus; mais, grâces aux « attentions continuées de ses disciples et de ses « enlans , il croyait exister encore. Déjà depuis « long-temps l'action et la pensée l'avaient abaa- « donné , lorsqu'on plaça sous ses yeux éteints les «' plantes nouvelles que le zèle de TiiuNBEKolui en- « voyait des terres orientales de l'Asie. A la vue de « ce dernier bommage il donna quelques marques « d'intérêt et de sensibilité ; il parut un instant re- « devenir lui-même ; mais cette lueur incertaine « se dissipa comme une vapeur. Bientôt ce grand « bomme, par l'affaiblissement de ses organes, « exempt des souvenirs de cette vie et des terreurs « de l'avenir, au milieu d'une foule de ses disci- « pies , environné du deuil de sa patrie, et dans « les bras de sa famille, subit la mort du sage, « récompense de ses vertus (i). .. (i) Il mourut àrpsallc ioj;invier 1778, âgé de soixante- dix ans, huit mois et dix-sept jours, étant né le 24 mai 1707, à Roeshult, dans la province de Smoland. Le 10 jan- vier i8iJ2 , jour anniversaire de la mort de ce -rand homme, les éludians de l'Université d'Up.'^al lui ont voté une statue colossale; elle sera exécutée à leurs iVai.s. en marlu'e ur Canire , par Thahile statuaire. 31. \v lunl'esMMir ïivsir.nM. (28) - Et ccpchdant le botaniste des Alpes en finis- sant ces paroles, reprend, avec ses disciples, le chemin des vallées ; ils descendent , ils traversent les forêts , les torrens , ils font répéter partout aux échos des montagnes , le nom de Linné qu'ils pro- noncent avec un saint respect. Ainsi proclamant ce grand homme et ses ouvrages immortels , ils s'acheminent vers le toît hospitalier où le repos les attend , jusqu'à ce qu'un nouveau jour les ramène , avec le soleil , sur la scène de la na- ture. V^'VVVVV\\VVVVVVV\V\\^VWVVV1\\'VV\V\VVVVVVVVVVVVVVVVVVVVVVVVVVVV\IVVVVVVV^^ DES PROGRÈS De la Société Linnéenne de Paris, du but scienlifujue et moral de son institution , par M. Arsenne Tiiiébaut de Berneaud , Secrétaire- perpétuel. Ce fut une idée extrêmement heureuse celle qui donna naissance aux Sociétés savantes. Con- çue par un sentiment profond d'amour pour le vrai , d'estime pour les hommes et de respect pour le génie , cette idée échappa d'un cœur ému en voyant le peuple oppressé sous le joug honteux de l'ignorance; cette idée naquit du besoin de diminuer l'horreur d'une semblable abjection , en conservant les découvertes utiles, en rallumant le feu sacré près de s'éteindre et en l'entretenant ])ar une constance à toute épreuve. Les premières associations furent toutes politi- tiques ; mais contraintes à se cacher, elles cou- vrirent d'un voile mystérieux et symbolique le but où elles tendaient incessamment, celui d'adoucir des mœurs devenues cruelles par des guerres sans nombre , aussi féroces dans leur fin qu'iniques dans leur principe ; celui de perfectionner l'espèce humaine et d'offrir une résistance continuelle. ( "^o ) une résistance nécessaire au\ rnvahissemons dp.-i préjugés et de l'ignorance. C'est dans fes contrées arrosées par le INil que nous trouvons le berceau des Sociétés savantes, du moins les cippes renversés d'une époque très-an- cienne ne nous permettent pas de remonter plus haut. La Grèce, l'Italie et long-temps après la France , peuvent revendiquer seules l'honneur de leur rétablissement aux deux grands âges de la renaissance des lettres, par la haute perfection qu'elles surent leur imprinier et par les brillaus résultats qu'elles leur tirent produire. Maintenant l'Iùirope compte un très-grand nombre d'Acadé- mies et tous les jours il s'en forme de nouvelles. Loin de nous en iriitcr , Messieurs , applaudissons à ce zèle louable; plus il y a d'hommes réunis, plus les lumières del'instruction gagnent de force et d'étendue ; plus les droits et les devoirs sont connus, plus il y a désir d'exercer les uns, et bonne volonté ^l'accomplir les autres. L'Asiatique, condamné par ses vieilles institutions à vivre dans l'indolence et dans l'isolement, pleure inutile- ment sur sou iWth langoureux l'esclavage sous lequel il gémit, l'instabilité de tout ce qui l'en- toure et. le vide accablant de ses pénibles sensa- tions; tandis que l'Européen actif agrandit ses pensées en les coinmuniquant ; il charaie la vie en les appliquant aux spéculations philosophiques, ( 5i ) par fies recherches profondes, p:ir des conceptions iaf^énieuses, et sème de fleurs la routcdchi tomhn on il arrive tranquille, en pensant que le bien qu'il a t;iit ne sera point perdu pour ceux qui lui sur- \ivront. Les avantages des Sociétés savantes sont incon- testables ; on leur dût autrefois , comme aujour- «i'iuii, les progrès qu'ont fait les connaissances liumaines. Foyer où viennent aboutir toutes les observations isolées, toutes les découvertes parti- culières, elles y reçoivent une nouvelle vie, elles en sortent brillantes, fortes et fécondes, dignes en un mot d'être offertes au genre humain qu'elles soulagent et civilisent. Alalheureusement, il faut le dire, autrefois comme de nos jours, les Sociétés savantes n'ont pas toutes suivi une marche franche et généreuse. Plusieurs abusant delà confiance d'hommes mo- destes, point connus ou éloignés , se sont emparé de leurs travaux pour en faire l'apanage exclusif d'une, coterie, chargée de tout diriger, usurpant toutes les places, absorbant tous les honneurs. D'autres, voilant avec une sorte de jalousie l'arbre de la science objet de leur culte , ont, comme les prêtres attachés au culte d'isis , enseveli la vérité dans le sanctuaire inaccessible de leurs temples; elles ont à peine permis à leurs adeptes les plus dévoués, même après !r-, plus rudes épreuves , ( 32 ) d'approcher de leurs lèvres avides le vase mj^sté- lieux de l'instruction. Aussi, qu'est-il arrive de cette coupable concentration des lumières? Les révolutions politiques sont venues changer la face du Monde , elles ont détruit les dépôts des sciences avec ceux qui les conservaient; alors le peuple a tout-à-coup été replongé dans l'ignorance, et de tant de généreux efforts, il n'est plus resté que d'immenses débris et des hiéroglyphes inexpli- cables. Un tel abyme ne peut plus être ouvert sous nos pas, grâce à l'art ingénieux que nous devons à GuTTEMBERG. Lcs lumières , sorties du patrimoine d'un petit nombre d'hommes choisis et privilégiés, sont devenues le partage de tous ceux qu'une âme généreuse porte à les rechercher. Déjà , Messieurs , le bon esprit qui vous anime s'est fait jour dans le monde savant, et vous a ouvert partout des relations honorables , des rela- tions du plus haut intérêt. Vous comptez des frè- res et des collaborateurs sur tous les points de la France , dans toutes les contrées de l'Europe ; vous en avez en Asie , dans l'Afrique et dans les deux Amériques. A peine datez-vous une année d'existence publique , que déjà le nombre de vos associés s'élève au-delà de cinq cents. On vous a demandé de constituer des sections dans diverses grandes villes , vous vous êtes refusés à ce mode C ^3 ) qui tend ù mettre les esprits dans une dé[>cndunce toujours injurieuse pour celui qui l'impose et plus humiliante encore pour celui qui s y soumet. L'é- galité fait les délices des amis des sciences; s'il en est qu'un génie transcendant place au-dessus des autres par des œuvres d'une conception hardie , la modestie , l'amour de la vérité les rapprochent de leurs collègues , et les disposent à travailler de concert avec eux aux progrès futurs de l'esprit humain. Un coup-d'œil jeté dans vos rangs. Mes- sieurs , donne la preuve de ce que j'avance. Une noble émulation est partie de votre en- ceinte , elle a enflammé le zèle de vos correspon- dans, elle vous assure de nombreux succès. Forts de votre conscience , méprisez les sourdes menées de l'envie , ne vous armez point contre des enne- mis qui vous calomnient, les faux systèmes qu'ils suivent vous donnent la mesure de leurs moyens ; laissez-les se complaire dans les créations fantas- tiques de leur imagination déréglée, marchez fran- chement dans la route du bien , et partout où vous trouverez une vérité à proclamer, un fait utile à recueillir, montrez-vous tels que vous êtes, faites tourner au profit de l'humanité jusqu'aux écarts de ceux qui roulent dans des sphères étrangères ù l'ordre, et qui, avilis par la soif de l'or et une ambi- tion démesurée, professent des erreurs condam- nées par la raison, et qu'ils réjuouvent eux-mêmes. ( 54) Tandis que plusieurs d'entre vous Tont explorer îesmers inliospit.dioresdu Sud (i) , pénétrer dans l'intérieur de l'Afrique (2) , éludier les pays en- core inconnus qu'arrosent le Paraguay et le Para- na (5) , et découvrir les traces de ces peuples antiques qui creusèrent les immenses cavernes du Kentuky et du Tennessee (4) ; tandis que , armés de patience et de résignation , nos courageux con- frères vont s'exj)0ser volontairement à toutes les sortes de malaises, aux privations les plus dou- loureuses, et acheter, peut-être, au prix d'une longue suite de détresse, quelques découvertes objets de leurs vœux , de leur ardeur, de leur no- ble dévouement , vous , Messieurs , vous vous oc- cuperez à bien connaître notre auguste patrie. De telles recherches sont toujours précieuses. Certes, il n'est pas nécessaire de franchir la longue mu- raille de la Chine , de braver les glaces des pôles , ou de gravir les monts élancés des Cordilières pour trouver des choses peu connues et des mer- veilles môme, qu'un amour mal entendu pour tout ce qui est étranger fait généralement trop né- gliger. Le sol de la France présente en plusieurs endroits des nronumens remarquables de ces (1) M. Dr M ONT »"L'r VILLE (•2) M. Bouuicu. (3) M. BONPLAND. , (4) M. MlTCBJLt. ( 35 ) vieilles créations dont les conj;énères nous sont inconnus; les produits de la nature y sont si ri- ches et si variées ; les métliodes de culture si dif- férentes; les ressources de l'industrie si fécondes ; les simples et modestes procédés de l'économie domestique si diversifiés que leur exposé fidèle sera le tableau le plus curieux, le plus intéressant et le plus utile que vous puissiez offrir à nos con- citoyens. Ce sera , je vous l'assure, le travail qui vous honorera le plus et vous associera en quelque sorte à la gloire de cette chère patrie , dont vous aurez développé tous les genres de richesses ; indiqué toutes les sources de prospérité et fait ressortir tous les titres à une incontestable préé- minence. Donnez l'exemple de ce généreux élan , trans- vasez en quelque sorte votre esprit investigateur dans l'esprit investigateur de tous vos correspon- dans, inspirez-leur à tous cette pensée patriotique, et bientôt vous les verrez, véritables missionnaires de la raison et du bien public , parcourir les cam- pagnes, s'arrêter dans les villages, y consulter les propriétaires et les liabitans éclairés , s'entretenir avec les cultivateurs et les ménagères, se mettre à la portée aussi bien qu'à l'unisson de leur rus- tique simplicité, gagner leur confiance et verser dans leurs pratiques journalières les notions utiles, les découvertes importantes que vous révèle Vé- 0* ( 'G ) Inde ;ipj)iol'oudie des lois de la iiaUuT. Alors, f-nix dVnlie vos roiifrèi'os (|iii sont plarés sur les hords de l'Ocoaa et de la Mcditérannéc sonderont leurs prolondeurs pour vous en faire connaître les plantes et les animaux; alors, ceux qui résident aux pieds des Pyrénées s'empresseront de mettre à contribution ces pics sourcilleux où , souvent à des distances trèî-rapprockécs, on éprouve toutes les températures comprises entre les chaleurs dé- vorantes de la zone torride et les frimas des pOles; on rencontre de vastes mers glacées auprès d'eaux thermales qui font habituellement monter le thermomètre à 87 degrés centigrades , et près des plantes qui appartiennent à la flore du Groen- land, les végétaux brillans des climats les plus Jortiinés; alors, l'habitant des Alpes et celui des régions sillonnées par les laves de volcans éteints TOUS enverront leurs richesses en tous genres. A votre voix le Ljiudais fixera ses sables mouvans ; la Sologne et l'i 13ress« changeront leurs marais «n plaines fertiles , coupées par des ruisseaux ar- gentés ; les montagnes chauves du Var, des Bon- ■ches-du-Rhôno , de Vaucluse . de la Lozère , etc. . se couvriront d'arbres ut de chalets. A l'exemple du grand homme dont vous avez, adopté le nom et les doctrines , le besoin de réunir autour de vous tous les matériaux qui peuvent éclairer votre marche dans les recherches aiiv- (57 ) quelles vous vous livrez., ne vous fait point oublier ceux à qui vous les devez, : la reconnaissance est le premier sentiment qui vous fait agir; vous payez à chacun le tribut que mérite ses veilles et ses fatigues. Et comme en histoire naturelle il n'y a rien à négliger, vous accueillez tout ce qui vous est envoyé ; le plus petit fait , la plus légère ob- servation , même sur l'objet le plus vulgaire , lors- qu'il présente un point d'utilité , vous le publier avec empressement. Vous voulez, tout savoir, tout rassembler, non pour ensevelir, mais pour ré- pandre, mais pour tout populariser. Près de vous, Messieurs, le mérite humble et délaissé trouve des amis , des appuis et la juste récompense de ses travaux. Vous soutenez les pas du jeune homme dont les heureuses dispositions vous donnent un noble espoir, et vous offrez au vieillard infortuné qui s'est rendu utile , la douce satisfaction de savoir qu'avec vous il descendra dans la tombe s^ns arroser de larmes amères le pain qu'il porte à ses lèvres. Mais en présentant des consolations, mais en donnant des encoura- gemens , vous savez remédier au mid sans montrer la main généreuse qui dispen.^c le bien. (^c tendre intérêt, vous le lixcz plus vivement encore sur ceux de vos conrières (pii se dévouent à des expéditions lointaines; vous les accompa- gnez par'oul de vos Mrux , vou.-^ ;t}ipck'Z sur eux ( 58 ) Vattenlion des savaiis avec lesquels vous corres- pujiclez, vous veillez, ù leurs succès, aussi bica q i a leurs peines. La mort vieiil-elle moissonner dansvos raufi^s . TOUS rendez à l'ami que vous perdez les devoirs de la piété; vous allez jusqu'à sa dernière demeure lui payer le tribut de vos généreux sentimens, et là, par un élo{;e justement mérité, vous prouver, au vulgaire que l'homme utile seul ne meurt pas tout entier. Avec de semblables maximes , Messieurs , vous déciderez les hommes à être meilleurs, vous ferez, aimer les sciences , vous vengerez la République des lettres de l'espèce de blasphème d'un écri- vain célèbre autant qu'infortuné , qui prit ù tâche de démontrer que la décadence des mœurs est une suite inévitable du progrès des sciences. J.-J. Rousseau n'en est pas moins digne de votre véné- ration : ce paradoxe était le fruit de l'indignation que l'abus des talens inspirait à son âme sublime et vertueuse. Il n'eût jamais échappé de sa plume éloquente, s'il eût pu assister à la fête religieuse et pastorale que vous consacrez aujourd'hui aux Sciences, à Linné , à la Nature, à la Vertu. Sou cœur se serait épanoui en vous voyant rassscmblés ici pour célébrer l'anniversaire du grand homme qu'il admirait, du grand homuie qui sut si bien ouvrir et interpréter le livre de la nature. (39) Quel plus doux spcctale eu eflet, Messieurs, que celui de votre grande famille appelée dans cette forêt par la reconnaissance, et payant pour- la première fois , au nom de la France entière , un juste tribut à la mémoire de Linné! Ce spectacle porte à mon âme les plus aimables émotions. Mes yeux se plaisent à fixer ces illustres professeurs qui nous ont ouvert la carrière que plusieurs d'en- tre vous, Messieurs, courrent avec tant de succès, et près d'eux j'aime à voir cette jeunesse ardente et sensible, passionnée pour tout ce qui doit as- surer l'honneur du nom français. Je trouve ici réunis tous les genres de gloire, et le magistrat intègre et le guerrier qui a versé son sang pour défendre nos droits et rendre la paix à nos foyers. Près du cultivateur dont la sage prévoyance nous promet d'abondantes récoltes, et non loin du sa- vant qui sut, par de studieusco veilles, forcer la nature à lui dévoiler ses secrets, je remarque le médecin qui pénètre par la pensée dans les lois de notre organisation pour y découvrir le remède aux maux inséparables delà vie; j'aperçois le Barde dont la voix divine chante , en vers harmo- nieux, les paisibles, les nobles conquêtes du gé- nie, et assis à ses côtés, l'artiste habile qni fixe par les traits de son crayon et de son burin, les grandes images qui échappent à la lyre du poète. Partout, sous ces dômes de verdure, je vois les ( "io ) lioniujcs vénéiables qui posercnl avec Bboissonket ]a pierre fondamciilaJe du temple que vous rele- vez ; Je vois ces excellentes mères de famille qui font- le charme et la fortune de vos maisons; je vois ces filles chéries qui vous promettent une gé- nération digne de leurs pères, une génération robuste , en état de soutenir le mouvement utile que vous imprimez aux sciences. Je suis heureux, Messieurs, je suis heureux de votre bonheur; je le savoure à longs traits et vous en désire la lon- gue jouissance. Quant à moi, si, comme la fleur éphémère qui brille sur le gazon . je pouvais m 'en- dormir en ce moment, entouré de mes maîtres et de mes amis , pressé dans les bras de ma fille , j'irais avec joie retrouver l'épouse quej'aipcrdue, j'irais porter vos hommages aux illustres morts que vous honorez, j'irais leur redire les généreux ef- forts que vous faites pour les égaler, j'irais leur deinauder pour vous les palmes de l'immortalité. (4i ) DR J.-J. ROUSSEAU, CONSIDÉRÉ COMME ÉCRIVAIN-BOTANISTE» Pak m. LEFI^BIRE, l'un des Vice-Pti^sidens, C'est toujours avec la plus vive satisfaction, que les habitansdes villes , s'échappantdes tristes de- meures où le sombre hiver les a retenus pri- sonniers, viennent à la renaissance des fleurs, jouir des premiers beaux jours de l'année et res- pirer l'air des champs. C'est là que l'âme s'épa- nouit sans contrainte , et qu'elle exhale , pour ainsi dire, ses plus tendres sentimens d'amitié, de reconnaissance et d'amour; c'est là que l'œil se repose avec délices sur les spectacles si variés que présentent les trois règnes , et dont toute la magie des arts n'est capable de nous offrir que des images décolorées, des tableaux inanimés, à moins que les premiers talens ne se chargent de les re- tracer. Heureux qui peut, dégagé de soins pénibles, revoir la terre embellie se rajeunir à chaque prin- temps ; plus heureux celui qui, participant aux études des amis de la nature, s'unit avec eux pour connaître ses productions, s'entretenir de ses lois (42 ) et admirer ses merveilles ! Quel enthousiasme ii nous inspire pour elle et pour son auteur , ce phi- losophe incomparable qui consacra sa vie entière à la recherche des biens que l'ordre moral peut produire , et n'ayant d'autre désir que de voir l'espèce humaine resplendissante de gloire, de bonheur et de vertu. Pour détruire les erreurs , tristes résultats du sommeil de la raison , il eut à combattre la crédulité du vulgaire qui les adop- tait par ignorance et l'art des hommes perfides ■*lui les propageaient par intérêt. Nouveau Socrate, il éprouva la môme fureur d'un même genre d'en- nemis. Exilé d'une patrie qu'il n'a pas cessé de chérir, en butte aux persécutions d'un siècle illus- tré par ses écrits, trompé dans ses affections, ac- cablé de maux physiques , cet illustre martyr de la vérité ne trouva de consolation réelle que dans l'étude des plantes. Quel eût été son bonheur, si propriétaire assuré d'un faible domaine, il avait pu de ses propres mains cultiver et multiplier les végétaux , richesse la plus précieuse , trésor le plus utile aux humains ! C'est avec les livres de ïolr- KEFORT, et particulièrement de Linné , qu'il cher- ehait à découvrir l'ordre primitif du nombre in- •l'mi d'objets aimables renfermés dans ce beau règne, qui. né du premier, semble enfanter le dernier. Linné les a tous connus, analysés et classés ; son génie en a fixé les limites et réglé les ( 43 ) . dislributions.ToLRNEFORT, qu'il nomma son maî- tre, lui en avait indiqué les moyens par l'heu- reuse découverte qui lui servit à poser l'un des fondemens de la science botanique ; mais de- puis , quiconque a prétendu s'ouvrir de nouveaux sentiers, n'a été payé de sa téniérité que par une chute , et des illusions agréables n'ont pas même dédommagé les esprits qu'ils ont pu égarer. Pour nous, fidèles défenseurs des principes qui ont illustré les scrutateurs les plus profonds des lois naturelles, nous n'admettons point d'hypothèses vagues, qui ne font que substituer à un plan d'or- dre presque achevé des catalogues d'objets re- plongés dans la confusion, et à des rapports ma- jeurs des affinités incertaines, source inépuisable de combinaisons arbitraires et de systèmes avor- tés. Notre devoir est de contribuer à perfectionner l'édifice d'une science déjà fondée sur des bases immuables; et si nos efforis ne sont point cou- ronnés d'un succès complet, du moins, en per- dant l'espoir de l'élever jusqu'au faîte, nous n'au- rons pas commencé par sapper ses fondemens. Avant que d'opposer des idées nouvelles aux no- tions précises que les grands-maîtres ont puisé dans l'étude approfondie des phénomènes de la nature, il faudrait avoir fait preuve d'une expé- rience aussi consommée, d'un génie aussi étendu, et même d'une intelligence aussi capable de cou- (44) rcv(jir dans son cnsonible le système différent, mais d'une pareille étendue , qu'ils ont également embrassé. Sans cela , peut-on se flatter de les avoir seulement compris. Aussi n'est-il donné qu'à un petit nombre d'hommes sages d'apprécier sainement de si hautes conceptions, et d'assurer à leur jugement l'assentiment unanime des phi- losophes de tous les lieux et de tous les âges. Qu'ils sont rares les hommes dont le génie, après l'instant si rapide qu'on nomme la vie, ont pu laisser un nom immortel ! par quels soins , par quels travaux ont-ils obtenu cette gloire? La doi- vent-ils au hasard ? Dès leur naissance possé- daient-ils d'immenses trésors? Jouissaient- ils d'une puissance égale à celle des rois? Avaient-ils enfin à leurs gages ces sortes d'esclaves qu'on nomme flatteurs? Non : l'étude de la nature, l'amour de la vérité , la connaissance plus intime des lois de l'ordre , les ont rendus supérieurs au reste des hommes et les confidens particuliers de la sagesse éternelle qui embrasse , qui pénètre et qui régit l'univers. Une règle générale , une loi sans exception parmi les humains, c'est que pour s'attendre à être jugé d'une manière équitable, il faut l'être par ses pairs. C'est au génie seul qu'il appartient (le bien apprécier le génie. De qui donc est cette voix qui a dit que dans les écrits de Linné chaque parole est une pensée / Vous le savez Ions : c'est le plus grand écrivain de son siècle ; c'est le pen- seur le plus capable d'exprimer en peu de mots des idées profondes qui caractérise ainsi le style du plus grand des naturalistes. Tandis que par ses lettres sur la botanique , l'illustre Genevois dé- fendait la méthode de Tournefort contre l'oubli dont elle était menacée par la fausse application d'une idé« vague empruntée à l'étranger, sa vive admiration pour Linné défendait le système sexuel contre un savant botaniste aussi renommé par ses conceptions bizarres que par ses recher- ches laborieuses. Loin d'aspirer à faire dans la science botanique une révolution destructive de ses principes fonda- mentaux et à la rendre inintelligible, l'ami de la vérité, le disciple de la nature continuait d'ex- poser leurs lois sans les priver de leurs charmes , €t entretenait l'amour d'une étude que les écarts du savoir déjà commençaient à remplir de diffi- cultés. Qu'elles s'évanouissent enfin sans retour! Deux hommes jusqu'à présent sans rivaux et qui ne le furent jamais l'un de l'autre , ont, en se li- vrant à des inspirations différentes, découvert ies deux lois vraiment organiques du svstème des végétaux. On peut en considérer à part les i^onséquences distinctes, former des doux s(m ies qu'elles présentent deux sysièmes ji.nticuiiîMs , ( 4EFOP,T et Linné (47) et leur élève sublime .T.-J. Rousseau , de quels transports d'allégresse retentirait ce séjour, cette iorêt qu'ils ont parcourue, où leurs mains ont herborisé ! Pleins du respect religieux dont peut- être en ce moment sont témoins leurs ombres chéries, voilà dirions-nous , celui qui le premier pénétra le principe merveilleux des créations vé- gétales; voilà celui qui sembla les douer d'une âme en leur assignant une place en rapport avec leurs amours ; enfin voilà celui dont le cœur aussi vertueux que tendre, a su répandre une grâce toute nouvelle sur leurs savantes leçons. En effet, il a pris soin d'écarter de cette science les diffi- cultés scolastiques, les définitions équivoques, l'usage suspect d'une langue à demi barbare. Dans ses charmantes lettres à Madame de Lessert, dont le nom décore nos fastes , et dans ses Promenades solitaires , mélancolique dépôt des regrets les plus touchans , voyez comme il se plaît à rappeler et les premières émotions que lui causa la botanique, et les dernières consolations qu'elle seule ait pu hiioffrir.Qui pourrait, ne suivant pas son exemple, dédaigner encore une étude aussi féconde en bien- faits ! Oui certes , à sa voix la science qui le char- mait va se ranimer, il en réveille l'amour dans les âmes, elle lui devra de nouveaux progrès, puisque sa plume éloquente de plus en plus ad- (4«) mirée invite à son aimable culture , la philosophie, Ja jeunesse et la beauté , qu'aucunes considéra- tions frivoles ne rendront jamais étrangères à la gloire de la France et à sa félicité. (4«;WtVVVVVI.VVVVMIWVV*VVM,VV\>,VV\\>,VVVVVVVVl*VVV»VVVVVVlVV»VVVVV«VlVVlv\V\7 ) n Tout ) pèse sur l'âme, ou fatigue les jeux; « La terre est sans verdure et le soleil sans f<;ux, (I Et ces tristes climats n'offrent pour nourriture, (I Que du rebut des mers l'incertaine pâture: i< Plus loin lout est clianj^é : c'est un nouvel Eden « Où le dieu des saisons [)ar un heureux li)'men, « Sur les autels amis de Flore et de Pomone , « Aux fleurs du doux printems unit les fruits d'automne. c Les bois, l'onde et les airs à ce rivage heureux « Fournissent à l'en\T mille mets savoureux. « Là, d'un pain végétal, pétri par la nature, " Les utiles bosquets s'Slcvcnt sans culture ; « Lt la terre elle-^même enferme dans son sein <• De nouveaux alimens qu'elle nous cache en vain. Il Sur ce fertile sol, en superbe monarque, « L'homme lègne , et pour lui h complaisante parque « File des jours nombreux tissus de soie et d'or, << (Qu'elle coupe à regret , après cent ans encor. Tantôt les descriptions du poète s'embellissent d'épisodes touchans, empreints d'une couleur lo- cale qui répand sur ses récits un puissant intérêt. Tel est celui où il montre le jeune Lescure , lut- tant contre les iïots dans son esquif brisé , et son fidèle ami, son chien, qui l'a accompagné dans un monde nouveau , le suivant encore au fond de l'abîme et périssant avec son maître qu'il n'a pu sauver. Les matelots, dit-il, « Les matelots ardcns « Joignent la rame active à l'effort de la voile. « Un spectacle enchanteur à leurs yeux se dévoile. ( 53) « Des borates fleuris, les Zéjiliirs opjiorluns, " Jusqu'au milieu des eaux répandent les parfums; u De fertiles verj^ers plantés par la nature, " Sont dérorés de Heurs, de fniils et de verdure. « F^à, le pr)isson cliariiié, sorlaut du seiu des eaux, « Semble vouloir jouir de ces riches tableaux , « Et rentrer à regret dans sa retraite humide. « Tout est calme en ces lieux , mais ce calme est jierfidc. « Ce paisible hnri/on, par un contraste heureux, " Se termine au lointain [lar des flols éciimeux, « Redoutables gardiens, qui de ce saiuluaire, " Interdisent Peniiée au mortel téméraire. « Tandis que les Français admirent ce;s beautés , « Kl ces fleurs et ces fruits, et leurs variétés, n Le rapide courant vers l'écueil les entraîne « Et les pousse bientôt à leur perle certaine. " I.iESCtiRE le premier s'aperçoit du dauj^cr; « En vain il veut lutter, son esquif trop léj:;er, " Triste jouet des floli est lance dans l'abîme , «> Il disparait Pyratnc , o dévoùmcnt subiime ! « Trois fois saisit son maître et ramène sur I can ; " Trois fois le tourbillon, cet avide tombeau, « Les replonge en l'abîme, et Pvrame et Lescuke, « Ont par un même sort les flots pour sépulture. Le cœur palpite d'une patiiuliquc t-inotion au nom de ces géncieu.x Français qui , bri^ilant du feu sacré de la science, pour en étendre les li- mites , se vouent à d'effroyables dangers, Ji la mort même, et qui, au sein des tempêtes, sur des plages désertes, au milieu des peuples sauvages, (59) tournent , en succombant , vers le sol chéri de la patrie , leurs regards mourans et leur dernière pensée : . . . Et ihihls moricns reminiscilur Argos (i). Mais la catastrophe approche. Ce vaisseau dont l'audace va scrutant toutes les productions de la nature, et ose interroger les grands mystères de la création , a sans doute épouvanté la divinité ja- louse à qui il va arracher son secret... Tout-à- coup, brisé sous les efforts d'une noire tempête, il disparaît, sans laisser même la trace de sa ruine !. C'est au poète à peindre ce désastre. L'ouragan à soulevé les flots ; la tempête mugit et la mort s'élance avec elle sur le frêle esquif. A cet aspect , La Pérouse, calme et toujours intrépide, s'a- dresse à ses compagnons d'infortune : Compa- gnons , leur dit-il , « Compagnons ! « Si le danger grandit , comme lui grandissons ; « Ou s'il nous {aul périr, mourons avec courage. « Eh que peut redouter qui brave l'abordage ! « Souvenons-nous, amis, que nous sommes Français; « De ce nom soyons fiers et dignes à jamais. (i) VlRG. lEndd. X. 783. C 6o ) « La peur dans le danger augnienle la détresse , « Sachons vivre sans crainte et mourir sans faiblesse. « En dépil du destin quelque soit notre sort, « Nous saurons lionorer et la vie et la mort. « Qui meurt pour son pays a droit à son hommage, « Et son nom doit y vivre honoré d'âge en âge ! " « Chacun à ce discours sent renaître l'ardeur , « El la force du corps qui prend sa source au ct»ur. « Cependant le destin , aveugle , impitoyable , « Enveloppe les nefs d'un'voile impénétrable. " Dès ce moment fatal, la fortune jalouse, « Dérobe à l'univers le sort de La PÉrouse. « Dès ce jouT vainement et la France et son roi « Redemandent aux mers dans un trop juste effroi « Ce chef et ses amis. Sourdes à ces prières , « Les îles et ces mers trop inhospitalières, « Par un silence affreux accroissant nos regrets , << Nous laissent pénétrer leurs horrilj es secrets. « Généreux La PÉROL'SE! Honorable victime! « Yous , nobles compagnons d'un dévofiment sublime « Recevez-en le prix. Puisse ma faible voix « Sur l'aîle des Zépbirs et jusqu'au fond des bois « Où peut-être en secret vous traînez votre vie , » Vous porter les regrets , les vœux de la patrie ! « Mais six lustres , hélas 1 mais la froide raison «• Détruisent notre espoir et notre illusion. « Ah ! plutôt , que ma voix , à la voûte azurée « S'élève , et que perçant son enceinte sacrée, « Elle aille retentir au séjour des héros , Il Où vous goûtez enfin la gloire et le repos. » (Gi ) \lV\%\VVVVVVVVVVVVVVVVV\\*/VVvV\)VVVVVVVVVVVVVVVV\\'\^'VVVVVV\VV\V\^iVVV\\V\V^ EXTRAITS DE MA PROMENADE AUTOUR DU MONDE; Par m. Jacques ARAGO. Messieurs , J'aurais vivement souhaité de trouver clans mes écrits et dans mes souvenirs , des détails intéressans sur les usages adoptés par les Sauvages de la mer du Sud , avant , pendant , et après leurs repas ; mais outre que ces Insulaires, jaloux de leurs privilèges, ne nous ont pas toujours permis d'assister à leurs cérémonies religieuses, il m'eût été impossible de remplir par des faits assez nombreux le cadre que je m'étais d'abord tracé. J'ai donc préféré vous pré- senter aujourd'hui quelques particularités éparses dans les notes que j'ai recueillies pendant mes voya- ges; ce ne sont que de rapides extraits, mais puisque je vais bientôt livrer mon ouvrage au public, il m'est infiniment agréable de vous montrer l'esprit avec lequel il est rédigé, persuadé que je trouverai en vous des juges dont les conseils seront pleins de bienveillance. J'aurais voulu abréger ma narra- tion , mais les impressions qu'on éprouve aux an- {C-2 ) tipodes de sa patrie, laissent clans 1 ame des sou- venirs qui reposent délicieusement la pensée, et que la plume cherche à faire partager. Je viens d'achever de longues courses, et j'ai observé les mœurs et les usages des peuples les moins civilisés , avec un œil non prévenu par la lecture des voyageurs qui m'ont précédé. J'ai comparé leurs divers récits , et presque pas un ne m'a paru d'accord avec son devancier. On trou- vait, je crois, une sorte de honte à avouer qu'on avait vu comme un autre , et l'on créait du mer- veilleux et du romanesque pour fixer l'attention , mendier des lecteurs et piquer la curiosité : comme si, dans l'histoire du monde, la vérité la plus abstraite et la plus simple, n'était pas préférable au mensonge le plus séduisant et le plus ingénieux. Notre première relâche a été Gibraltar. J'y ai trouvé un gouverneur philanthrope (milord Don), aimant la paix et les pommes de terre (i) ; un amas de Juifs aussi fripons que si la friponnerie était la base de leur religion ; un peuple stupide comme s'il était éloigné de deux mille lieues de la terre des arts. A Ténériffe , nous avons ren- contré un noble Espagnol commandant à des es- (i) Ce sage gouverneur a accordé des primes d'encoura geinent aux habitans de Gibraltar qui cullivent le plus de pommes -dc-lerre. (6^ ) claves, et noble assez pour avouer par une mal- honnêteté injurieuse qu'il ne savait point écrire. Au Brésil Le Brésil est le domaine de la su- perstition et de la sottise. La ville du Cap est toute entière au commerce. Les paisibles habitans de Table-Bay ignorent peut-être encore s'il a existé un Voltaire , un Newton , un Linné. Je me re- pose un instant à l'Ile de France, où le goût des lettres a fait de si rapides progrès , qu'elle compte dans son sein un grand nombre de citoyens d'un rare mérite, où nos utiles découvertes parvien- nent avec plus de rapidité que dans nos provinces, et où l'on en jouit davantage , parce qu'on est plus à même d'en être privé. Trois fléaux hélas ! l'ont ravagé depuis peu d'années ; un incendie , un coup de vent , un gouverneur. On compte jo lieues de l'Ile-de-France à Mascareigne. Il y a au moins trois siècles entre ces deux colonies. Permettez-moi , Messieurs , de vous transporter de là , sur une terre d'exil et de désolation , pri- vée d'eau douce , où vivent cependant quelques Sauvages que notre présence a alarmés et qui peut- être ont eu bien du regret d'abandonner leurs cabanes formées de branches d'arbres, inutile res- source contre l'insulte des saisons. Des myriades de mouches s'attachent au voyageur qui visite ces contrées. Rien ne peut le garantir de leur piqûre douloureuse ou de leur fatigante impoitunité. Eu (C4) \ain plusieurs d'entre nous s'étaient fuit des man- ques de gaze; ces insectes tenaces pénétraient jusqu'à la peau par les plus petites ouvertures, et le sang coulait de la partie que nous avions crue le plus à l'abri de leur atteinte. Le soleil se cou- che, aucun insecte ne voltige dans les airs, un froid vif et humide se fait sentir. Le soleil re- paraît, l'atmosphère se peuple, une chaleur dé- vorante accable le voyageur , il cherche le repos , et ne trouve que la fatigue. Je ne crois pas que sur le globe , il existe un pays envers lequel la nature ait été plus avare. La côte , dès le premier moment que nous l'avons aperçue , ne nous a offert que l'image de la désolation. iNul ruisseau ne soulage les regards, nul arbre ne les attire, nulle montagne ne varie le paysage, nulle habita- tion ne l'anime; partout l'aridité et la mort. Si quelques oiseaux de proie rasant , d'un aîle ra- pide, les plateaux uniformes que baignent les flots de la mer , on se demande où ils peuvent rassasier leur faim , où ils peuvent étancher leur soif , tous les êtres qui habitent cette terre inhospitalière ne boivent-ils que de l'eau salée ? Où sont leurs res- sources, car ils ont des besoins; où sont leurs jouis- sances, car ils doivent avoir des désirs? Des ré- cifs effrayans qui s'élèvent quelquefois à la hau- teur de treize à seize mètres ( /jo à 5o pieds) sem- blent vouloir s'opposer à l'audace du navigateur, ( 62 ) et lui interdire l'approche de cette terre aban- donnée de la nature. Aussi je la fuis sans regret, et je n'admire, quinze jours après, les sites riches et variés de Simar et de Timor , que pour gémir sur le sort de ces peuples cruels , étrangers à toute civilisation , où la guerre est un délassement , la vengeance, une vertu; où l'on voit des rois héré- ditaires courber un front avili sous le sceptre d'un gouverneur étranger. A trois lieues de la pointe Nord de Timor, est une île Ombay, où l'on boit le sang dans le crâne d'un ennemi vaincu ; un calme de plus de quinze jours nous retenait dans le détroit qui porte son nom. Nos matelots mouraient de soif et de las- situde. Je demandai au commandant de notre expédition la permission de descendre à terre ; notre Botaniste (i), le deuxième chirurgien (2), et un aspirant (3) vinrent avec moi. Nous étions armés , nous avions de l'audace , et nous nous abandonnions à notre bonne fortune. Nous nous convainquîmes plus tard que la gaîté et la con- fiance sont les meilleures armes contre les Sau- (1) M. Gaudichaxjd, botaniste que nul Janger n'effiayait lorsqu'il s'agissait de tenter des recherches curieuses. (2) M. Gaimàrd dont l'aimable gaîté le faisait désirer dans toutes les courses qu'il sarait si l)ien rendre utiles. (3) M. BÉRABD, la joie du bord et l'orgueil de tous ses amis. (06 ) vn^es , et que s'il est parfois imprudent de se li- vrer à eux, sans défense, il est souvent très-sage de faire quelques concessions à des hommes, dont une vengeance atroce suit toujours de très-près le triomphe. INous descendons à terre, et demandons à par- ler au Raja. Après quelques instans d'hésitation , un naturel d'un caractère de physionomie vrai- ment féroce, nous montre un vieillard assis sous un énorme multipliant , et entouré d'une ving- taine d'Insulaires. Nous lui faisons deux ou trois petits cadeaux auxquels il paraît ne pas attacher un grand prix, et lui demandons le chemin de leur village appelé /?/'/of a. Il nous répond : Damali. iNous avions appris à Timor que ce mot voulait dire : Sacrée. Cependant nous nous dirigions vers leurs ca- banes bâties sur pilotis, et feignions de ne pas comprendre les gestes qu'ils nous faisaient de ne pas pousser plus loin nos recherches. Tandis que je dessine des armes suspendues à un arbre , plus complaisant que je ne l'aurais imaginé , un Om- bayen s'en revêt et prend une attitude guerrière , en m'invitant à profiter de son obligeance, tan- dis qu'un autre se couvre aussi d'une cuirasse , et figure devant nous un combat. Son arc est en mouvement, ses flèches sortent de sa ceinture, il s'anime par degrés. Agile comme l'aigle, il fran- chit les luiics et les buissons , se cache dcirièie un arbre , le plus souvent attend son adversaire gcné- leux tonipagnons de table ne paraissaient pas s'a- pereevoii. Mais une remarque assez singulière , dont aucun voyageur ne niera la justesse, c'est que dans tous les archipels de la mer du Sud que nous avons visités, j'ai vainement cherché un seul mets préparé à une sauce quelconque. Là , tout se cuit sur la braise , ou sur des bâtons expo- sés au feu , ou plutôt à une fumée ardente. Voyez ces pauvres Insulaires , assis en cercle autour d'un tas de poissons, jetés pêle-mêle sur quelques feuilles de cocotier, dévorant avec une voracité surprenante, un repas que leur adresse vient de leur procurer. A Ravvack , nous avons joui tous les jours de ce coup-d'œil intéressant. Le roi de Guébé , espèce de pirate audacieux et entrepre- nant qui sème l'épouvante depuis Amboine jus- qu'à la INouvelle- Guinée , est venu nous offrir aussi le spectacle d'un repas de Sauvages où règne du moins une certaine distinction. Il avait avec lui deux ministres, et ceux-là en valaient bien d'autres, puisqu'ils étaient choisis panni les sujets les plus fidèles et les plus courageux. Eux seuls et un autre chef mangeaient avec lui ; j'ai re- marqué, mais à ce groupe seulement, qu'avant et après le repas , ils faisaient une sorte de libation à je ne sais quelle divinité, tandis que les cercles des deuxième et troisième ordres paraissaient s'af- ( 70 fiauchii de cette cérémonie. Est-ce que dans ce pays il n'y aurait de Dieu que pour les grands?... Kst-ce qu'on aurait refusé aux petits le droit de rendre hommage à une divinité bienfaisante ?. . . Que l'histoire du monde serait curieuse, si l'on en connaissait tous les secrets ! Les maladies , suite inévitable d'un séjour trop prolongé dans un climat sur lequel le soleil darde ses rayons les plus pénélrans , nous forcent à partir des marais de Ravvack, et nous n'arri- vons aux Mariannes qu'après avoir vu disparaître sous les flots un de nos meilleurs otliciers , et l'é- lite de nos matelots. Tandis que ceux que la mort a épargnés, ressaisissent les forces et la vie par les soins généreux du Gouverneur de ce riche archipel, deux de mes amis, un botaniste plein de z,èle, et un aspirant rempli de mérite , partent avec moi pour Tinian , que je ne connaissais que parle récit de l'amiral ANSONCtlapageéloquente de Rousseau. Des rois pilotes des Iles Carolines nous y conduisent... Nous sommes à Tinian et je le cherche encore. Je pénètre dans des broussailles , et je me demande involontairement où est le peuple qui a élevé ces colonnes, et celui qui les a renversées. Quel est le souverain qui habitait cette longue galerie qui certes ne formait qu'un seul édifice? Pourquoi cette demi-sphere colossale qui surmonte chaque pilier?... Pourquoi ces pi- ( V' ) liers énormes bàlis sur le sable?... IMus je par- cours ces ruines, plus je demeure convaincu qu'elles sont les restes de quelques temples con- sacrés par la religion. La cause de leur destruc- tion . on l'ignore. Il faut toutefois que cette île ait été jadis le séjour d'un grand peuple , éteint sans doute par une de ces catastrophes qui bouleversent les empires et changent même les loisde la nature.On ne peut faire un pas sans rencontrer quelques débris demonu- mens, et l'ile entière ne semble qu'une ruine. Les grands végétaux y sont faibles, rares, mais ils pous- sent péniblement à travers des tas de feuilles des- î^échéesetdes troncs d'aibres pourris. Çà et là , on découvre de vieux Rima pelés, dont la tête, armée de quelques branches grisâtres, indique au voya- geur la catastrophe dont ils ont été les victimes , sans lui en assigner l'époque. L'œil parcourt d'un seul trajet une vaste terre , semblable à un loin- tain d'une mer brumeuse; et, oserai-je le dire , presque tontes les parties de Tinian ont rappelé à mon cœur attristé les terres arides et sauvages de la presqu'île Pérou. Quelques pieds de cocotiers, aussi débiles que peu élevés, promènent encore dans les airs leur chevelure flétrie; on dirait qu'ils gémissent de la tristesse de la nature, et qu'ils veulent mourir a\ec elle. Des plateaux peu élevés, uniformes. ( 7^ ) une côte monotone , silencieuse , quelques ré- cifs, des troncs d'arbres dévorés par le soleil, nulle route, presque nul abri , n'est-ce pas là le séjour de la tristesse?... Un souffle brûlant en faisant périr la végétation , a enlevé à la terre le pouvoir de Ja reproduire. Tout est déchu ; les lé- gumes n'y poussent qu'avec effort ; leur suc est sans goût; les patates, les ignames, les melons d'eau y sont inférieurs k ceux des autres îles du même archipel , et je frémis en pensant que l'a- miral Anson a dit peut-être la vérité , en peignant ce pays connne un lieu de délices, comme un séjour enchanteur. ÎVe reste-t-il donc dans la na- ture aucun témoin de ce bouleversement si peu reculé?... Que je serais ingrat si je passais sous silence un événement dont j'ai failli être la victime, et qui nous a confirmés dans la haute opinion que nous avions déjà du caractère généreux et du naturel bienfaisant des pilotes Carolins qui nous accom- pagnaient. En vue de Rotta, nous fîmes une pe- tite décharge de mousquetterie pour prévenir l'Al- cade que nos conducteurs refusaient de franchir la passe qu'ils ne connaissaient pas bien, et ces coups de fusil qui répandirent l'alarme dans la colonie, attiraient cependant auprès de nous un jeune Rotinien , qui nous demanda en espagnol ce que nous voulions, et d'où nous venions. Je (74) )ui répondis que nous venions de Gualiam, que nous avions des lettres du gouvcineur et que nous étions Français. Je réclamai en même temps pas- sage dans sa frêle embarcation , et malgré les sa- ges remontrances de mon compagnon de voyage, je partis. 11 était minuit, mon guide voguait, et me recommandait si souvent de ne pas bouger, moi qui étais immobile, qu'il me donna des in- quiétudes. Je lui demandai enfin s'il y avait quel- que chose à craindre, et à peine m'cut-il répondu non, que nous chavirâmes. Je sais fort peu nager; et l'obscurité de la nuit , un homme inconnu qui était près de moi , le bruit sourd des brisans qui -se prolongeaient , répétés par les échos des mon- tagnes, toutes ces circonstances réunies ne con- tribuaient nullement à augmenter mon adresse. Cependant je jouai tant des mains et des pieds, que je parvins à saisir la pirogue que mon détes- table insulaire poussait au large. 11 ne disait mot , et moi qui étais résolu de me noyer de compagm'e, je le serrais fortement à la gorge , et tâchais par mes cris de me faire entendre de mon camarade que ma frayeur supposait endormi. Que l'eau de la mer du Sud est amère, et qu'une situation pa- reille à la mienne la rend encore plus détestable! On m'entendit enfin ; le Roi qui nous servait de pilote, averti par mon ami, s'arme d'un morceau d'aviron , ce jette dans la mer , et vient à moi au ( 75 ) moment où mes forces commençaient à m'aban- donjjer. Je reprends courage , il m'y excite par ses cris , je le vois , je distingue ses efforts ; il me présente d'une main le bâton qu'il tenait avec lorce, je le saisis, et, le secondant de mon mieux, nous arrivons à bord , lui satisfait et riant de ma frayeur , et moi grelottant et plus satisfait que lui. Quand à mon autre pilote , il releva son embar- cation , et alla porter la nouvelle de notre arrivée à l'Alcade qui faisait toujours entretenir un grand feu sur le rivage. Revenu de ma frayeur et de ma fatigue , je pré- sentai à mon généreux libérateur un mouchoir , quelques hameçons , deux colliers de verre et une chemise; mais dès qu'il eut compris que c'était pour le remercier du service qu'il venait de me rendre , il refusa mes cadeaux avec dignité , et les accepta ensuite comme un témoignage de mon affection. Connaissez-vous , Messieurs , beaucoup d'Européens capables d'un aussi noble procédé? Si je ne craignais abuser de votre patience , déjà trop long-temps mise à l'épreuve , je vous peindrais , Messieurs , les douces mœurs des peu- ples hospitaliers qui , jusqu'à ce jour, ont été à l'abri de ces guerres sanglantes qui ont dépeu- l)lé presque tous les archipels de la mer du Sud. Leurs cérémonies, leurs usages, leur caractère , puisés dans des faits récens, ne manqueraient pas, ■ ( 76) j'en suis sûr. de piquer votre curiosité; mais je u ;ii pas le courage d'achever mon récit, sans vous donner une idée des danses qu'ils ont eu la com- plaisance de répéter devant nous à Guahani. La gaîté la plus folle animait la physionomie des acteurs. Leur amusement n'était point un jeu; c'était une fête. On n'y riait pas pour rire, on ne s'agitait point pour se fatiguer; les éclats pei- gnaient la situation des cœurs, et les cœurs étaient heureux. D'abord réunis sur deux colonnes , les daiiscurs entonnaient un chant monotone, et très-harmonieux, qu'ils accompagnaient des ges- tes les plus gracieux, et de mouvemens de han- ches et de cuisses pour nous un peu trop lascifs. Leurs yeux exprimaient la volupté et non le plai- sir, on eût dit qu'ils attendaient une maîtresse. Bientôt un chant j)lus gai succédait à cette scène amoureuse, car ces hommes ont appris à varier leurs anmsemens. Ils se prenaient par la main , couraient en rond ,faisaientnullc folies gambades, chacun mettait le pied sur la cuisse de son voisin , tous riaient de notre étonnement et de notre sa- tisfaction , et dès que chaque figure était terminée, un des danseurs se détachait de la troupe , et ve- nait nous demander si nous étions contens. Après ces scènes originales , vinrent des danses lellement curieuses , que les dessins sevds peuvent en donner l'idée. Ici, c'était la dilHcullé qui en ./ ( ... ) V 77 faisait le mérite. Armés de longs bâtons qu'il.'^ tenaient à deux mains, les jeunes Carolins se ran- geaient sur deux lignes. D'abord un seul marquait le commencement delà figure , en élevant la voix comme pour fixer l'attention. Un chant monotone et général répondait à cet appel. Les bâtons se heurtaient en cadence; on se portait des coups à droite, à gauche; mais ce n'était que le prélude d'un fracas plus merveilleux. Bientôt le spectacle s'anime, la scène s'agrandit. Les danseurs chan- gent de place, s'évitent, se suivent , se dispersent, se croisent sans s'embrouiller, forment des figu- res admirables, des tableaux ravissans. Tantôt quatre à quatre, tantôt huit à huit, ils s'attaquent avec rapidité. Un coup menace les reins, une ar- me le chasse; un bâton va atteindre la tétc, le bâton du voisin est là comme par enchantement pour l'arrêter. Us ne frappent que pour qu'on pare, ils ne ripostent que pour être parés. Quel mouvement! quelle vélocité! quelle adresse de passer tant de fois sous les armes les uns des '"autres sans se heurter, sans se confondre, sans se perdre. L'œil a de la peine à les suivre , l'atten- tion se fatiguerait , si l'étonnement ne tenait sa place. Les figures changent de forme à chaque instant, les danseurs changent d'adversaires, et toujours l'harmonie la plus parfaite règne dans la fête patriotique... Enfin trois cris plus forts, trois (73) niouvemens plus rapides , trois coups plus pro- noncés achèvent le tableau. Ils sont un peu las sans doute , mais le plaisir et la surprise des spec- tateurs les dédommagent bien de leurs fatigues. Peuple heureux! est-il éloigne le jour, où, attaqué {)ar de féroces ennemis, tu seras forcé d'échanger tes frêles roseaux contre des armes meurtrières. Ah! que la voix de l'humanité reten- tisse au milieu de toutes les nations pour les ex- citer à ta défense, car l'ennemi de tes jeux et de ton bonheur doit l'être aussi du genre hu- main. ( 79) vvvvvv\Avvv^■vvvvvvvvvvvv^vvvvvvlVvvvvv\(\'v\\vvv\^^'VVi'\'\^\^vv\pv^'\\v^ SUR LES MÉTAMORPHOSES DES PLANTES ET DES ANIMAUX, PAR M. DESHAYES. A MESDAMES LES ASSOCIÉES-LIBRES. Les trois Sœurs de l'Amour et les neuf Sœurs jumelles Ayant appris que l'on fêlait LiNNÉ Le vingl-qualre de mai, ce mois de fleurs nouvelles, Tout justement le jour où ce grand homme est né, N'ont pas voulu qu'on le fêtât sans elles. Un rendez-vous bien combiné Sous le même berceau , de guirlandes orné , Vous a fait rencontrer avec ces Immorlelles, Et par vous, en ce jour, son buste est couronné. Jamais fête plus solennelle N'intéressa nos esprits et nos cœurs. Mesdames, près de vous que la nature est belle! On aime à réunir les femmes et les fleurs. Sans vous la fraîche et féconde Cjbèle Perdrait sa grâce et ses couleurs. La plante que l'on cueille est bien plus belle encore, Lorsque l'on songe aux doux attralls De l'aimable objet qu'on adore : Jugez quand près de vous on retrouve ses traits. Chaque corolle esl un mjsière Diiiil ou aime avec vous à souder les secrets. Tout ici-bas travaille pour vous plaire, Vous êtes Pâme des travaux Du poêle et du statuaire , Kl le {^rand Kaphael ne prenait ses pinceaux Qu'en regardant sa belle jardinière. La Botanique a de tout temps été, JJne étude philosophique ; Mais combien avec la Beauté, Elle se montre sympatique ! Ces épouses et ces maris, Leurs riches pavillons, leurs brillantes courtines N offrent-ils pas à nos regards surpris Des Ovides et des Corines, Des Jupins , des los , des Mars et des Cypris Que de chastes baisers donnés, rendus, repris, El surtout quel accord dans ces doux mariages ! Ah! la morale esl là, proGlez-en, mes Sœurs, Et que toujours dans vos ménages Brille Iheureux accord de Taraour et des mœurs ! Que d'aimables analogies Se pressent eu foule à vos jeux ! Par vous les roses sont cueillies. Mais notez pas vos gants , l'arbuste est épineux. N'esl-il pas du plaisir l'emblème ingénieux ? Le galant Demoustier en plaçant des narcisses Sur un sein formé par l'Amour , Y joignit ce couplet que je dévoile au jour Pour mieux persuader mes chères Auditrices : « Pauvre Narcisse , trop épris (8. ) « De la beauté siipi ênie , •« On dit que tu luourus jadis « Amoureux de toi-même. « Euphrosine dans un moment « Va renouveler ton lourmeiif : n Penclié sur le double trésor « Qu'entoure son corsage , « Tu croiras expirer encor « D'amour pour ton image. » Yous devinez déjà mille rapports divers Dont je pourrais vous offrir la série, Car tout dans ce vaste univers Subit les lois de lliarraonie. Qui sut les dévoiler? Le sage Bermardi»^. Que sa lecture est attachante! Ah! peut-être une femme aimante Inspirait son génie et guidait son burin. Nous devons à plus d'une femme Mille ouvrages cbarmans , avoués par le cœur , C'est l'effet naturel de cet aimant vainqueur Qui dirige vers vous les ressorts de notre âme. Mais il est un beau champ qui reste à défricher, C'est celui des métamorphoses. J'indique le chemin, qu'un autre ose y marrliei. La belle Hortensia qui prend l'habit de rose, Sous son frais parasol semble encor se cacher. C'était jadis une jeune bergère , Dont le Japon éclaira le berceau. En cueillant la fleur prinlannièie. Elle négligeait son troupeau ; Lorsque soudain sur le bord d'un ruisseau (8.) ( Ruisseau profond aulanl qu'une rivière \ Uu priuce la poursuit : elle fuyait , légère Comme le faon timide ou le rapide oiseau Qui fuit la flèche meurtrière, Hélas! elle tomba dans l'eau. Flore et Zépliir veillaient sur elle ; Par eux elle est changée en cette fleur nouvelle Où Ton remarque encor l'ombrelle, Qui la couvre comme unciiapcau (i). Je ne vous dirai rien de la Miire sanglante. Oui ne connaît Pjrame et ses malheurs? Qui ne sait les lorrens de pleurs Que répandit la Déesse des cœurs A la nouvelle foudroyante Du coup affreux dont mourut Adonis^ Éternel souvenir de ses cruels ennuis. IJ Anémone naquit sous les pleurs d'une amante. Ah! si la mort de sa faidx dévorante Moissonnait avant moi celle que je chéris , Que ne puis-je la voir soudain changée en plante Pour venir la rcver sous ses rameaux fleuris ! Mais dans un autre règne une leçon utile Peut édore pour vous d'un changement nouveau. En voyageant dans la Sicile, Je m'arrête en rêvant près d'un joli hameau, Dont l'aspect présente un tableau Digne du pinceau de Delille. Une bonne femme qui fde , Repose un moment son fuseau (i) La vraie Heur de l'hortensia (car il y en a une sttrilc), est au- Uestus du calice coloré qui la couvre eomme un petit parasol. ( 85 ) Pour me couler un fabliau, Qui coùrl encor et ies champs el la ville. INole/; bien que j'étais assis au bord de l'eau, Et qu'un homard f^éant fixait mon œil novice. La vieille, à ce sujet, me conta longuement L'orij/ine de l'écrévisse. J'aurai fini dans un moment ; Yous savez qu'abréger n'est pas chose facile. Non loin du mont Eina, l'effroi de la Sicile, La bergère ,'istaca^ seu!c, vivait aux cbamp.*? { Le nom est un peu dur, mais c'est PuNE (i ;, Mesdames, Qui le consacre, ainsi , trêve à vos épigrammes; Et ne dormez pas trop à ce conte d'enfans. ) Non loin du mont Etna, l'effroi de la Sicile, La bergère Astaca , dis-je , vivait aux champs. Chaque jour ses agneaux bélans Sous la garde d'un chien docile Paissaient les rivages cliarmans Qu'arrose l'Aréthuse aux souvenirs touclians (2). Le soir dans son modeste asile Elle rentrait , non sans quelques soupirs. Le tableau piquant des plaisirs Q"c goîilaienl sous ses yeux les tendres tourterelles, Avaient éclairé ses désirs ; Malgré la fraîcheur des Zéplrirs, Fillette en cet état trouve les nuits cruelles. Noire Belle avait lu quelques bons vieux romans ; Elle croyait qu'à peine au monde il pouvait être (1) Tlin. Uist. nat. Kb. IX, cap. îi. C'est aussi le nom que let GiCfs donnaient à l'ccrcvissc. (j) Omc, aUlam, lib. V, v. 571 et seq. 6* Un ou deux fidèles amans. Mais commcnl espérer qu'un seul vînt à paraître Exprès |>our lui jitrcr, par les plus forls sennefis^ Celle Cdélilé qui n'est qu'aux cieux peul-êlre : Tant les humains soûl devenus méchans;' Elle avait dédaigné nombre de soupirans. Vulr.ain vint à son tour; il se croit sûr de plaire^ On le refuse net : la plus forte colère De l'amour dans son cœur éteint le sentiment. 11 retourne à sa forge et guette le moment De se venger de la Bergère. Un soir, comme ce dieu rêvait Aux amours de V^énus , en rêvant il approche Justement aux pieds d'une roche Où la belle Astaca mollement reposait Sur ua tapis de mousse verdoyante. Le forgeron , bouche béante , D'un œil avide dévorait Tous les appas de sa proie innocente. Aslaca se croit seule et tâclie de dormir. Un léger bruit la fait frémir. Elle aperçoit Vulcain el soudain veut s'enfuir ; Mais un pouvoir irrésistible Fixant ses pas , la force de venir A reculons vers cet amant horrible, Oui , l'œil en feu , va sur elle assouvir Sa passion brutale et criminelle. Elle allait succomber , Vénus veillait sur elle Et de son bras puissant daigna la secourir. « D'un époux libertin réprimons le caprice , « Dit-elle , je le prends sous ma main protectrice , « A&taca ; monte au rang de» Constellations. (85 ) « Là, lu pourras braver les persécullons « De mon perfide époux , dont le noir artifice « Tendait un piège à la beauté novice. » Elle dit : Astaca suivit sa bienfaitrice Vers les célestes régions (i). Mais pour laisser aux nations Du crime de "Vulcain un éternel indice , Elle veut <\\i' Astaca soit chez nous l'Ecrévisse, Et que marchant à reculons Dans le froid séjour des poissons, A Paspecl de Vulcain honteuse elle rougisse (a). De 1 origine des Cous'm.i Tsolre Beaucis , si j'ai bonne mémoire , Voulut aussi me raconter Thistoire , Mais je vous en fais grâce, et c'est très-méritoire; On conterait, à lasser tous les Saints, Quand on vous a pour auditoire. (i) Le soleil entre dans ce signe au mois de mai. (2) Allusion à la couleur que prend cet insecte dans la cuiuoa. ( 86 ) l\VlVMV.V\V\\VlWVVVl\\lW«VWVi\\VVVV\V>VW>VVHVV\\Vv\VVV\HVV.VVVV»V\VVWVW^\*«/V». COUPLETS IMPROMPTUS, CIIAMÉS PAR M. VOIART. Air : De la soirée ora::cusc s"- Du patrun des amans des fleurs Célébrons aujourd'hui la fête ! I^orsque nous rsliions les cœurs, C'est pour Flore une autre ronqucle. Chantons tous d'un refrain joyeux Linné, les fleurs et la science , Ici l'on peut être amoureux, Sans offenser la bienséance. Cet autel nous offre LiNNÉ , Admirons sa noble figure ; Son front de feuillage est orne; T,e temple est Inule la nature. ÎS'gus avons moissoiuié des fleurs , Tressons-en vite une guirlande ; Pour Linné leurs douces odeurs Seront l'encens de notre offrande. On voit réunis en ce jour, Le plaisir , les jeux et les Grâces ; SI le sort m'eûl fait Troubadour, J'oserais marcher sur leurs traces. Mais pardonnez à mon cra^'on Une esquisse trop imparfaite.... En vain j'invoque AnacrÉon , Le cœur est mon seul interprèle. (87 ) \VVlVVV*XVVVVVV\A^/VVVVVVWV\\VVV\\'VVVVvV\V\VVVVV\Vl'\\V\\VV\^\\V\\\\\(,\'^VV\fcV\V'\%V\\V\\ NOTE. Les Corrcapondans et Associés de la Sociélé Lin- néenne qui désireraient se procurer la Linnea bn- realis , peuvent s'adresser au Secrétariat de la Société, rue des Saints-Pères, n°. t\Q , ou bien à M. Bâton , fleuriste, rue Richelieu , près celle des Ménars. Cet habile artiste a su l'exécuter avec une vérité et un talent digne des plus grands éloges. V.V\rtVi.v\vVVv\Vl\V.VVVV\V»«.v\\\VVV\\vw>\\AV\.\>,VVl\Vrt%VV\\\\v\VkV\VVV\\V\k\\ WvWWV TABLE DES ARTICLES CONTENUS DANS CE CAIIIEK. Relation de la première fôte champôtre, célébrée le a'} mai 1822; par M. Thiédait de Uernkai'd. Pag. 1 Eloge de Linné, par M. de Saist-Amass, Associé-Corres- A-- pondant. 12 Des progrès de la Société Linnéenne de Paris , du but scientifique et moral de son institution, par »>1. Thié- BAtT DE Berseai'd, Secrétaire-perpétuel. 29 De J.-J. Rousseau, considéré comme écrivain-botaniste , par M. Lefébcre, l'un des Vicc-Présidciis. 4' Ode à rttoile de la Lyre , par madame Auable Tastu, Associée-libre. 4o A Mesdames les Associées-libres en leur offrant quatre éventails botaniques, dressés d'après le Système floral, par M. Deshayes, Correspondant. 53 Les derniers instans de La Pérouse, extraits d'un psènie inédit, par M. LACHEVARDiiiRE, Correspondant. .')5 Extraits d'une promenade autour du monde, par M. Jac- ques Abaco, Membre Auditeur. ()i Sur les métamorphoses des plantes et des animaux , par M. Deshayes, Correspondant. 71) Couplets impromptus, par M. Voïart, Trésorier. 80 Note relative à la JAnuea ùoreatis 87 RELATION DE LA DEUXIÈME FÊTE CHAMPÊTRE CÉLÉBRÉE A ROMAlNVILLE PAR LA SOCIÉTÉ LINNÉENNE DE PARIS, le 24 mai 1823, JOUR ANNIVERSAIRE DE LA NAISSANCE DE LINNÉ; Par m. THIÉBAUT DE BERNEAUD, Secrétaire perpétuel, Membre et Correspondant de plusieurs Sociétés savantes nationales et étrangères. PARIS, DE L'IMPRIMERIE DE LEBEL, IMPRIMEUR DU ROI, RUE d'erfdrth, n" I, vrès l'abbaye. Whiist nature's gcnlle hand Shall getn her form wiih flowers, His memory shall stand Eternel as her bowers ! Brooks (pag. 1 18). f /■ SOCIETE LINNEENNE DE PARIS. VVW> VWft/V C.nyil*j 1 Vt^ VUflifti 1/iyty^ VVll/V 'Artl/lii VMlrtW vtuvv VVl^ RELATION DE LA DEUXIÈME FÊTE CHAMPÊTRE CÉLÉBRÉE LE 2/4 MAI iSaÔ. Depuis un mois des pluies continuelles et un vent froid flétrissaient les plantes nouvelles et rendaient muets les échos champêtres, quand l'aurore du 'i4 mai annonça un heau jour, un soleil brillant, un jour de plaisir. C'était celui où les naturalistes avaient à célébrer l'anniversaire de la naissance du grand Linné, l'anniversaire de ce génie transcendant qui débrouilla le chaos de l'histoire naturelle, et lui imposa des lois simples, une nomenclature harmonieuse, et des coupes puisées dans l'essence même des êtres. C'était une fête pour tous les vrais amis de l'ordre et de la vérité, pour les adorateurs de Flore , pour les hommes mo- destes et studieux. La nature se* mit à l'unisson de leurs vœux, et la plus belle journée du printemps si- gnala la fête de la concorde et de la reconnaissance. Dès que le soleil eut marqiu; les premières heures 7- ( 90 ) de ce jour mémorable, les Linnéens fidèles, membres rcsidans, honoraires, auditeurs et correspondans , réunis à leurs épouses, à leurs enfans , à leurs amis, se trouvèrent dans le joli bois de Piomainville, où le chêne domine j les uns occupés h herboriser, à re- cueillir des insectes ou bien à tresser des guirlandes de fleurs rustiques; les autres étudiant le sol de la montagne sur laquelle sont situés le bois et le village de Romainvillc, ou bien crayonnant quelques-uns des points de vue charmans qui se dessinent, ici sur la plaine des Vertus, dont la culture est si soignée; là, sur les coteaux lointains derrière lesquels s'élève la ville de Mcaux , où Bossuet écrivit une partie de ses éloquentes œuvres. Si les botanistes n'ont rien trouvé qui ne soit décrit dans toutes les Flores des environs de Paris (si ce n'est une très-jolie espèce à^ylrcnaria tcnuifoltn, ap- pelée puiTuiULLiER viscidula, cl qui mériterait d'être dislinguée comme espèce), les entomologistes ont ob- tenu dos sujets plus iniportans : tels sont le Carabus multipunciatus, espèce très-rare; le Sjlplta quadr'i- punctata; le Criocerls duodcciin-panctata ; le Pana- <^œus (Carabus crux major L. ), ég-alement rare; le lihcduvius a'^jptius ; le Cicindcla hjbrida ; le Pcdi- nus glaber. Les zoologistes ont découvert le mâle et la femelle d'une variété de lézard vert, rare aux environs de Paris, dont Daidin a fait une espèce, et remarquable par la bande grise tigrée qui, de la tête, descend jus- ques à l'extrémité de la queue. Après avoir visité un gouffre, connu sous le nom ( 9» ) de Trou-Vassou, dans lequel se perdent toutes les eaux qui descendent du plateau, les géologues ont constaté l'existence d'huîtres, d'ossemens de poissons, de cytlîérées planes et bombées, de spirorbes, et sur- tout de Ccritliium plicatum, dans les couches de mar- nes vertes et jaunes; puis des coquilles d'eau douce, telles que deslymnéeset des planorbesbien conservées dans le sable rouge, très-argileux, que recouvre le grès marin dont est formée toute la montagne. De leur côté, les agriculteurs ont examiné avec soin un superbe troupeau de mérinos et la riche basse-cour , dans une propriété située au lieu dit le il/ow/m f/e/io/Hrtm7;t7/e. Ils se sont crus transportés dans ces deux fermes que Varron décrit dans son Traité des choses rustiques (i), et qu'il possédait dans la Sa- bine et au pied du Vésuve. Ils ont de plus observé un parc où l'on a réuni un grand nombre d'arbres étran- gers, le bon état des terres labourables, des vignes et des arbres à fruits qui abondent sur le territoire de Romainville. A neuf heures et demie, rassemblés dans un lieu fixé d'avance, tous les titulaires Linnéens ont rendu compte de leurs récoltes, et il en a été rédigé des notes exactes. Une heure après on a fait en famille un repas cham- pêtre, sous un berceau de chênes et de châtaigniers, dont le feuillage au vert foncé était égayé par les palmes du robinier et par les longs bouquets blancs suspendus à ses rameaux , et qui répandent au loin (i) De re nisUcu, lib. i , cap. i i, i'2 cl i3. ( 9-- ) mil- (ideur siia\e , analogue h celle de l'oranger, ha- Mlanl des climats chauds. ^ Quelques instans avant l'heure de midi , le préai- donl de la Société Linncenne se rendit, suivi do la noniLreuse assemblée de ses confrères , tous décorés de la Linnœa borealis , et de personnes admises h prendre part à la fête, dans un lieu très-ombragé, au pied de l'autel consacré au génie des sciences natu- relles. Du sein de raille fleurs fraîchement épanouies, tressées en festons ou disposées par masses brillantes, et étalant h l'envi tout ce que la ceinture de Flore a de plus gracieux et de plus séduisant, s'élevait le buste de Linné , couronné de feuilles de chêne et d'immor- telles , entre les images de Tournefort , qui fut son précurseur, et de Auguste Bboussomvet, le fondateur de la Société Linnéenne de Paris, dès l'année 1788. Le silence succéda aux bruyans épanchemens de la joie , et la séance fut ouverte. En ce moment où tous les bons Linnéens, dans l'un comme dans l'autre hé- misphère, célébraient la même fête, proclamaient les services rendus aux sciences, à l'humanité par le pa- tron des vrais naturalistes; qu'ils exprimaient les mêmes sentimens, le baromètre marquait 20" 1 cen- tigrades ; le baromètre ramené à o indiquait ySy""" 64; l'hygromètre, jO". Les vents souillaient du S. S. 0. Le ciel était légèrement nuageux. Les maîtres des cérémonies annoncèrent alors l'ar- rivée de M. le docteur Robsham, membre de la So- ciété Linnéenne d'Upsal, et son député auprès de la Société Linnéenne de Paris, ainsi que celle de M. le général de Schramm, chargé de représenter en ce (95 ) jour mémorable les corrcspondans de la Société dans les départemens de la Sarthe et de Maine-et-Loire. Dès que les deux honorables membres eurent pris place auprès du président, et reçu une branche de la Linnœa borealis, M. le docteur Robsham fit hom- mage de la médaille d'argent frappée, il y a seize ans, par la Société Linnéenne d'Dpsal, et la déposa au pied du buste du grand homme, en signe de l'étroite et constante amitié qui unit les deux sœurs ensemble, et qui doit exister pour toujours entre les Linnéens français et les Linnéens suédois (i). M. le docteur Troncin, l'un des vice-présidens, ayant obtenu la parole, prononça un discours sur les jouissances inséparables de l'étude des sciences natu- relles, et la salutaire influence qu'elle exerce sur les facultés de l'esprit humain, sur le meilleur emploi du temps, sur le bonheur de la vie. Après lui, M. Thiébaut de Berneaud, Secrétaire perpétuel, entretint la compagnie du but général des fêtes champêtres, et plus particulièrement de celles fondées par les Sociétés Linnéennes le jour anniver- saire du 24 mai- On lut ensuite au nom de M. James Gordon Brooks, de New-Yorck,une ode au printemps, que M. Charles Lemesle a traduite de l'anglais. Dans une notice extrêmement curieuse et écrite (i) La médaille présente le profil de Lihné avec l'exergue ; C. Lm- N«ns r.Qu. ACR. A.RCH1AT. ET PR. Ups.; au revers, celle inscription : Nalalium niemorice sœcuLiii d. xxiy nuiii .vncccyii Inslitutum Lin- nœanuin Upsalcense. ,( '94 ) avec beaucoup d'esprit, M. J. Abaco a parlé des sau- vages de la Nouvelle-Galles du Sud; il a parlé de ces malheureux insulaires qui, après avoir lui le joug de la civilisation européenne, sont pour la plupart morts de faim et de misère dans les bois, anciens témoins de leur indépendance, ou bien, après avoir abjuré leurs mœurs primitives, excités par des liqueurs fortes, que des conquérans barbares leur distribuaient avec pro- fusion, s'entre-déchirèrent dans les murs de Sydney, et servirent de spectacle à ceux-là qui se targuent le plus d'humanité. La séance terminée , on a visité le village de Ro- mainville, où chaque année, le premier dimanche de mai, pendant vingt ans, on vit la jeune fille, glorieuse de la sagesse de sa mère , recevoir le chapeau de roses, qui est le prix de la vertu (i). Les environs présentent tous des preuves de l'ancienne existence de la mer dans le bassin dont les hauteurs formaient des côtes ou des îles. De retour dans le bois, la compagnie s'est réunie à cinq heures en banquet. La gaîlé, la franchise et l'amitié cordiale y présidaient. Le repas a été interrompu îi plusieurs reprises : d'abord, par des couplets chantés par M. le docteur Ai.BEUic DevillÈ , le troubadour des Grâces et des naturalistes, dans lesquels il montra sucessivement (i) Cette fête, fondée le 8 septembre 1774) ^ «esse d'avoir lieu ;i l'époque de nos troubles politiques en 1793. La nomination de la Rosiin-e se faisait le premier dimanche de mai, et le premier lundi de septembre suivant le mariage se célébrait. Elle recevait pour dot une somme de 'j5o fr. ( 95 ) l'Amour métamorphosé en bouquetière distribuant des fleurs allégoriques , puis devenu marchand de vin, et donnant à cette liqueur des attributs partiouliers selon les qualités du sol qui l'a produit ; Ensuite par mademoiselle U. T. B.D., associée-libre, qui a raconté l'histoire d'un oiseau des Canaries, qu'elle élève, et auquel elle a imposé le nom de Vert- Jaune ; Enfin , par des chansons. Dans le nombre on a remarqué celle sur l'amitié, impromptu, par M. La- OHEVARDlkRE. Plusieurs toasts ont été portés. A la Société Lin- néenne d'Upsal : Puisse-t-elle voir long-temps encore à sa tête le vénérable Tuumberg, qui fut l'élève, l'ami, le successeur de Linné , et le savant Adam Afzelius , son fondateur en 1807 ! Aux correspondans Linnéens dans l'un et l'autre hémisphère : Puissent leur nombre et leur noble ac- cord assurer h jamais le triomphe et les progrès des sciences naturelles ! Le dernier, proposé par M. le docteur Richard : A la douce fraternité qui réunit en une seule famille les disciples de Linné, les naturalistes du globe. Puis- sent-ils n'avoir qu'un seul système, comme ils n'ont entr'eux qu'un même sentiment ! Puisse l'exemple de leur union servir de modèle aux peuples de la terre, et fonder une paix durable assise sur les bases de la justice et de la vérité! A neuf heures la fête a été close, et l'on s'est séparé en se jurant une union inaltérable. Jamais anniver- versaire n'a été célébré avec plus de joie; jamais un (96 ) accord plus parfait de sentimens n'a régné dans un«; aussi nombreuse assemblée. Tous les bons Linnéens en conserveront long-temps un doux souvenir. Pour extrait conforme : Le I" vice-président. Le II" vice-président, Laubert. Troncin. Le Secrétaire perpétuel, TniÉBAUT DE BeRTVEAUD. ( 97 ) V1VVb(yV11'^VlVV^VVTVVL'^k/^^l/VUl'VVVV%'^/V1UVUTl/WVVU%o6 ) ennemis, en abandonner l'incubatiun au soleil, el laisser au hasard le soin de les conduire à bien (i). Toujours cmporlé par le désir de surprendre la na- ture et de l'observer dans ses œuvres les plus secrètes et les plus cachées, les recherches du zoologiste le conduisent jusque dans les lieux les plus sauvages et les j)Kis reculés; il pénètre dans l'épaisseur des forêts, dans les cavernes les plus obscures, dans les abimes des eaux; ses courses, ses travaux sont souvent ac- compagnés de fatigues et de dangers; mais comJ)ien n'en est-il pas dédommagé par les nombreux et inté- ressons sujets d'observation qu'il rencontre à chaque pas? Il s'attache h contempler les ouvrages étonnans et admirables de l'industrieux castor; il le voit réuni en peuplade, rongeant les arbres dans la circonférence pour les abattre, les divisant en plusieurs tronçons, qu'il traîne sur le bord des eaux, les arrangeant avec une constance, une régularité et une intelligence sur- prenantes; s'en construisant une maison h plusieurs étages, à plusieurs corapartimcns, et disposée de raa- niè-rc à loger chaque couple qui s'y trouvent avec leur progéniture à l'abri des injures du temps, des inondations et de leurs nombreux ennemis. Il contemple avec une admiration mêlée d'étonne- ment et de respect pour l'auteur de tant de bienfaits, ces compagnons fidèles el utiles des travaux de (i) C'est dans quelques espèces de la classe peu nombreuse des repùlfs, dans celles des poissons, dans celles des insectes et des vers, que l'ou trouve des excni|>les si opposc's aux alteulions el aux in- quiétudes des mr»nnnifères el des oiseaux pour leurs petits. ( '07 ) l'homme; ces êtres vigoureux, mais esclaves, dociles et soumis, dont la force et les ouvrages pénibles cul- tivent et fertilisent nos campagnes ; la diversité du chant, les couleurs du plumage des oiseaux, les formes si variées et si artistement travaillées des nids, où doit être déposé et couvé et où doit croître le fruit de la tendresse de ces jolis et intéressans animaux; l'atten- tion du mâle de quelques-uns d'entre eux h nourrir sa femelle, à la soulager, en partageant avec elle les peines de l'incubation, à employer ses momens de repos à la distraire par les accens mélodieux de sa voix, en chantant d'avance son triomphe et sa pater- nité. 11 reconnaît que, de tous les animaux, les oiseaux sont les seuls qui, comme l'homme, [assoit préludera Cunion des sexes le rapprochement de l'organe de la VOIX. Il surprend dans leurs retraites les plus dangereux serpens; il les voit réunis par centaines, entortillés les uns dans les autres, tels que la fable nous représente les têtes hideuses de Tysiphone et de Méduse, se rappro- chant, se serrant, pour réunir en un seul foyer et se communiquer réciproquement la faible portion de chaleur dont ils sont doués, ou se traînant nonchalam- ment et avec peine sous des amas de grosses pierres, ou dans les contours sinueux des racines des arbres, et plongés dans une presque nullité qui laisse h l'obser- vateur le loisir et la facilité de les considérer et de les examiner sans danger. Il observe avec intérêt les travaux utiles de l'infati- gable abeille. Il admire cette courageuse ouvrière, esclave stérile, privée par la nature de la faculté si ( io8 ) générale de se reprocréer, et cependant travaillant sans cesse et toujours occupée à la conservation du nouvel essaim à qui elle n'aura pas donné le jour, qui doit naître d'une reine et de quelques bourdons fai- néans destinés à ses plaisirs, et qui se donnent à peine le souci de chercher leur nourriture. Il la contemple voltigeant de fleurs en fleurs, se chargeant les jambes et les cuisses de l'excédant de la poussière fécondante qui a préparé une nouvelle génération de plantes, ou suçant la liqueur miellée qui se trouve au fond de leur corolle; il la suit jusque dans sa ruche, il l'y voit déposer son précieux fardeau ; il la considère travail- lant à façonner les gâteaux de cire, y confier le miel destiné à la nourriture de la nouvelle république, mais en définitif pour devenir la proie de l'homme, qui sait tout soumettre, tout envahir, et dont l'univers est la propriété. Aucun rapport, aucune dilTéreuce ne lui échappe. Tout est du ressort du naturaliste; tout l'occupe, tout l'amuse, tout l'intéresse; l'ennui lui est inconnu. Plus il est ce que dans le monde on appelle seul cl livré à lui-môfue, moins il est isolé, et plus il a de sujets de contemplation et d'étude. Les livres et ses collections lui fournissent dans le cabinet d'amples matières à s'oc- cuper utilement et agréablement. Se trouve-l-il dans les bois-, dans les plaines, c'est alors que le grand livre vivant de la nature lui est ouvert; entouré d'êtres cl de corps que déjà il connaît, ou qu'il cherche à con^ naître, il passe successivement d'un objet h un autre. Ses plaisirs, ses jouissances en se renouvelant à chaque pas n'en deviennent que plus vifs et plus allrayaus; ( 109 ) toiil ce qu'il renconlre esl pour lui aulaut d'appas qui l'attirent de plus en plus, et dont il ne saurait se dé- tacher. La plante la plus commune, l'animal le plus beau, comme le plus vil, le plus chétif et le plus abject aux yeux du vulgaire; la pierre la moins pré- cieuse, tout attire ses regards, tout fixe son attention; dans tout il reconnaît les effets de cette puissance pai qui tout existe, par qui tout se détruit, et par qui tout se renouvelle. Frappé de tant de motifs de gratitude, ses regards et ses vœux reconnaissans se portent sans cesse et naturellement vers l'auteur incompréhensible de tant de merveilles. Sans cesse il admire; sans cesse il adore, et sans cesse, en observant jusqu'à ses moin- dres œuvres, il paie à la Divinité le juste, le digne et le consolant tribut de reconnaissance qu'il est en son pouvoir de lui offrir. C'est ainsi que lé naturaliste, loin du fracas du monde, échappé aux travers et aux vices qui y abondent, sait supporter les contrariétés de la vie et se consoler des peines et des tourmens qui en sont inséparables. De ce tableau cependant gardons-nous d'inférer que le naturaliste doive être confondu avec ces philosophes sombres et atrabilaires, avec ces misanthropes exaspé- rés pour qui de légères erreurs aittachées h l'humanité sont autant de défauts et de vices. Exposé, comme beaucoup d'autres hommes, à être trompé dans ses in- térêts et dans ses affections, à devenir le jouet de la perfidie et de l'ingratitude, il n'impute pas à l'huma- nité entière les torts et les vices du petit nombre; indulgent et doux, tolérant et juste, loin de fuir la sc- ciélé, loin de haïr ses semblables, il est le premier à ( »io ) ies rechercher; toujours délicat, honnête et gai, comme ses mœurs sont simples, pures cl faciles, 11 se plaît dans h; commerce des hommes; c'est pour les étudier, mais c'est aussi pour les aimer et pour mé- riter une réciprocité, qu'il veut se délasser parmi eux de ses utiles et intéressans travaux; c'est par son exemple, plutôt que par des leçons et des préceptes, que, sans prétention et sans s'en douter, il instruit et corrige le monde. Redisons-le donc sans cesse, comme une vérité con- solante, l'étude de la nature est une étude aimable et douce : elle offre des exemples et des modèles de toutes les vertus; elle influe sur le caractère, sur les mœurs; et, osons le dire sans crainte de contradiction, le vé- ritable naturaliste est sans autre ambition que celle du bien public; c'est l'homme de bien, c'est le bon citoyen par excellence. Vous en êtes la preuve vivante. Messieurs, et la fête de la reconnaissance que vous célébrez en ce jour mémorable en offre un monument qui ne périra pas plus que la mémoire de l'homme immortel dont vous êtes les disciples fidèles, les amis les plus dévoués. ( 111 ) W%lVWW%iVWI/V«IVWi'WVWVWW%iim'VW%%/WW«l'V\'WVl'V%W\iW\ .DISCOURS Sur les Fêtes champêtres ^ et particulièrement sur celle fondée en l'honneur de Linné j par M. Thiébaut de Berneaud, Secrétaire per- pétuel. Dès les âges les plus antiques, les hommes ont voulu par des fêtes champêtres perpétuer le souvenir délicieux de la vie patriarcale, et, réunis en familles nombreuses, serrer de plus en plus les liens d'une amitié fraternelle qu'il serait si doux de voir toujours régner entre eux. La liberté, la franchise, la vertu présidèrent long-temps à ces utiles, à ces agréables assemblées, où tous les rangs, tous les vœux et tous les âges étaient heureusement confondus. Tout y était simple comme le toit rustique témoin des chastes amours de l'humble bergère; les bois, les vertes prai- ries, les frais vallons, le dôme séculaire d'un chêne majestueux ou d'un vénérable ormeau servaient tour à tour de temple et de salle de festins; les expressions bruyantes de la joie, portées sur les ailes des zéphirs et mêlées aux suaves parfums des fleurs, aux douces chansons des petits oiseaux, étaient le pur encens qui s'exhalait de tous les cœurs. Le but général de ces fêles avait quelque chose de sacré, que chacune d'elles en particulier devait rendre ( »12 ) plus cher encore. Dans les unes, on traitait des grands inlcrcls de l'Elat; dans les autres, on célébrail les vertus, les bienfaits des hommes qui avaient travaillé au bonheur de leurs semblables, ou bien les princi- pales époques de l'année rurale. Les premières, appelées Champs de Mai, retrem- paient les âmes; elles étaient un ressort puissant pour vivifier l'esprit public et consolider les institutions so- ciales. Alors que la terre, diaprée de mille couleurs brillantes, voit tous les êtres qu'elle nourrit s'embraser d'un feu nouveau; alors que le soleil de l'aimable prin- temps anime l'agneau à la toison naissante, dore la riche parure de l'oiseau -mouche et du papillon léger qui vivent du nectar des fleurs; les vieillards, entourés d'une jeunesse robuste, examinaient, réglaient tout ce qui avait rapport îi la sûreté commune, et par leur exemple, par la sagesse de leurs conseils, ils comman- daient à ceux qui devaient leur succéder l'amour du juste et du vrai, le respect pour les lois, et le dévoue- ment le plus entier à la patrie. Les fêtes commémoratives des grands hommes, en remettant sous tous les yeux les actions sublimes qui les innnorlaliscnl, faisaient naître l'envie de les imiter; elles liaient ainsi la pensée du bien, le désir d'une sainte ambition, à tous les sentimens généreux et consolateurs. Quoique moins austères, les réjouissances qui si- gnalaient les premières journées du joli mois de mai, le temps des semailles, ceux de la moisson et de la ven- dange, étaient naguère encore la sauvegarde des mœurs et la preuve certaine de la plus tendre sollicitude; (,.3) elles servaient de récompense au travail et donnaient de nouvelles forces aux laboureurs pour nourrir la patrie et assurer sa défense, en même temps qu'elles honoraient le premier des arts. Chacun de vous. Mes- sieurs, se rappelle ces fêtes bruyantes, où les cris de joie et le son des instrumens excitent au plaisir une jeu- nesse impatiente de gloire et très-laborieuse; pour moi je n'oublierai jamais les rameaux verdoyans que les ha- bitans de nos villages se plaisaient à planter devant la demeure de mes aïeux, comme un hoftimage public à leurs vertus, à leur paternelle administration. Plusieurs de ces fêtes n'existent plus. Le despotisme a fermé les assemblées du Champ de Mai; la basse adulation, la servilité, plus basse encore, ont osé asso- cier aux bienfaiteurs de l'humanité l'homme puissant, le conquérant farouche, le magistrat corrompu et les courtisanes les plus déhontées. La plupart de nos fêtes champêtres actuelles sont déshonorées par des orgies, par les jeux de hazard et par la présence révoltante d'hommes toujours armés. Si quelques-unes ontéchappé à la faux du temps, s'il en est encore qui ont conservé 'des traces de leur caractère antique, ce sont celles que les poètes de tous les âges nous vantent sous les noms d'Hyménée, de Flore, de la blonde Cérès et du joyeux Bacchus. Je ne les décrirai point; les vers qui les rap- pellent sont dans toutes les bouches. Je n'en citerai qu'une seule, celle de la Piosière, fon- dée à Salency vers le milieu du cinquième siècle de l'ère vulgaire; parce qu'elle a rendu célèbres plusieurs des villages étendus au pied de la montagne sur laquelle nous nous trouvons en ce moment, cL plus particuliè- ( 114 ) rcment Romainvillc, dont le bois charmant nous offr un ombrage tutélairc. Rapprochement heureux I vous célébrez aujourd'hui. Messieurs, la fête de la reconnaissance, au lieu même où un simple chapeau de roses lut naguère le gage de l'innocence, le prix de la vertu. Rapprochement heu- reux ! nous pouvons redire sans crainte aux échos d'5- l'enlour le nom de l'homme illustre qui nous a ouvert toutes les routes de l'histoire naturelle, le nom du sa- vant modeste dbnt la vie active, toute glorieuse, fut aussi simple que les fleurs rustiques qu'il a su nous rendre si précieuses et qu'il prit tant de plaisir à classer méthodiquement. Le peintre sublime de la nature est au sein de sa famille partout où l'on trouve des hom- mes justes, des cœurs vertueux, des plantes, et des savans aussi respectables que vous , Messieurs. Son génie plane autour de vous; il jouit des honneurs que vous lui rendez, il vous en récompensera en soutenant vos nobles efforts, en favorisant vos succès. A cette heure, les louanges de LiNNi retentissent sur différons points du globe; h celte heure, vos corres- pondans de France et de l'Amérique, vos sœurs, les So- ciétés Linnéennes d'Upsal, de Londres, de Philadel- phie, de Boston, rappellent toutes h l'envi les travaux de celui qui sut dévoiler toutes les merveilles de la nature et pénétrer du zèle le plus pur ceux qu'il initia dans ses secrets. Ailleurs, comme ici, les disciples, les admirateurs de Linnù, réunis à leurs épouses, à leurs eiilans, h leurs amis, rendent hommage au vrai mérite, et s'enllamment d'une mutuelle ardeur pour conserver les brillantes conquêtes du génie, pour travailler à les ( "5 ) étendre. C'est au milieu des êtres qui furent l'objet de SCS longues méditations et de ses profondes recherches, c'est sous le vert feuillage que ses disciples et ses admi- rateurs viennent en ce jour, à celte heure, déposer sur son buste la couronne de l'immortalité et envelopper de festons le cyppe que nos mains élèvent à sa gloire. Touchante solennité, concert sublime d'amour et de reconnaissance, puissiez-vous pénétrer toutes les âmes et rendre les hommes meilleurs! puissiez-vous multi- plier dans nos familles les bons citoyens, les citoyens utiles, et augmenter chaque année la masse de nos connaissances ! Qui croirait cependant que des hommes admis dans nos réunions ont voulu détruire celte fête auguste et porter une main sacrilège sur notre institution.^ Hélas! comme l'ordre politique, la république des sciences a ses factieux; elle voit aussi surgir de son sein des hom- mes turbulens, des ingrats, de coupables ambitieux, des êtres pervers qui, sous les apparences du zèle et de l'amour du bien public, cachent le venin de la ja- lousie, l'habilude de l'imposture, un lâche intérêt, la haine du mérite et de la vertu. Ils ont échoué dans leur criminel!^ entreprise; votre union. Messieurs, a été le roc où sont venues se briser les torches de la sé- dition. La fête du 24 m^i continuera à se célébrer parmi nous, la Société Linnéennc de Paris ne périra pas plus que la gloire du nom français, et ceux de ses membres demeurés fidèles, demeurés dans la carrière active, n'en seront que plus étroitement amis, que plus intimement intéressés à ses progrès rapides. ( n6 ) %'V%VVVVVVVVVVVVVVVVVVV«VVVVt/«/\VV%t<\l«VV\VV\A/V%lV%i/V\W\»/W LE PRINTEMPS, ODE DE M. JAMES GORDON BROOKS, TRADUITE DE l'aRCLAIS Par m. Charles LEMESLE, Correspondant de la Société Linnécnne de Paris. Noble fille du dieu qui verse la lumière, O Printemps, vierge aux beaux cheveux. De tes ailes déjà, sur l'aride matière. Le frémissement amoureux Rend la vie et la joie à la nature entière; Les véfjélaux, long-Umps flétris, De leur lit verdoyant que réchaufle ton père S'élancent jeunes et fleuris. Printemps , nous te vouons une simple couronne De ces fleurs, ton riche attribut; De ces fleurs que ta main comme préscnk n#is donne Prends une part comme tribut. Quel charme dans ta voix mélodieuse cl pure ! C'est le zéphir, enf.inl des airs. Dans les champ.s, dans les bois, quel éclat de parure! Sous les rameaux quels doux concerts! La terre, retrouvant sa force adolescente, Croit au retour de l'âge d'or. Le pied léf^cr du temps, dans ta saison charmante, Nous semble plus rapide encor. ( 117 ) Reine de l'an nouveau, que de beautés étale Ton front calme, riant et frais! Pourquoi faut-il cfu^un jour ta brûlante rivale Vienne en dessécher les attraits? O Printemps! voici riicurc où Linn£ reçut l'être, Linné, dont le coup-d'œil certain Pénétra les secrets les plus cachés peut-être De chaque amante du matin. Qu'il partage avec loi des honneurs qu'il mérite : SoulFre qu'en ce jour consacré, Des perles, des rubis que ton haleine agile Brille son buste vénéré! Au réveil désiré d'une saison si belle, Que toujours, dans un doux transport. L'univers attendri, par une hymne nouvelle Célèbre le Pline du Nord! Son vaste nom remplit l'un et l'aulre hémisphère. Amis , ce nom cher à nos cœurs Vivra chez les humains tant que sur cette terre Ils verront éclore des fleurs. Nous croyons devoir faire suivre ici le texte de cette ode, qui a été également récitée à la fôte célébrée à New-Yorck par les membres de la Société Linnéenne de Paris, au milieu d'un grand concours de savans, de dames et de fonctionnaires publics des États-Unis d'A- mérique : , - Bright daughter of the sun , Fair-haired and viigin Spring! Who now hast just begun To wave thy purple wing , O'er Iree, and plant, and vinc, Which raise the blooming head , ( ii8 ) Benealh llic hrighl sun-sliiue , Thaï vrarms llicir venlant bed — For thec we wrave a crowu Of every maidcn blossom, Of (lowrels, ail lliine own, Which gem ihy glowing bosom : There's music in thy voice , The zéphyr of ihe air — The groves, the liclds rcjoice, The birds arc siuging ihere. The earth is in ils prime — In glorious freshness drest. And ligbl ihe foot of time Stcps o"er crealion's breasi. Queen of the new-boru year, How beauliful art thou ! Ere storms or luildews sear Thy stnoolh and smiling brow. • Now is the ballowcd hour, Wheu /je, the sage, was born, Wlio numbercd evi-ry flowcr That woos the kiss of morn : Be his a varied vrcaUi , Of every rosy géra , Thaï bends benealh ihy brealli, Upon ils parent stem. Let earth record his name, The Florist of the North, And sing his song of famé When joyous Spring cornes forlh; Whilst naturels gcnlle hand Shall gem lier form with ilowcrs, His memory shall sland Elcrnal as her bowcrs ! ( "9 ) NOTICE Sur les Saiwages de la Nouvelle-Galles du Sud; par M. Jacques Arago, membre auditeur. Sur uu riche continent, aussi vaste que l'Europe, dont une partie est brûlée par les rayons perpendicu- laires du soleil, et l'autre battue par les vents orageux du pôle austral, vivaient, inconnues au monde civilisé, des peuplades anthropophages. Des sagaies et des casse- têtes, voilà leurs armes; des cabanes bâties avec quel- ques branches noueuses du Baiicksia et l'écorce docile de VEucaljplns, voilà leur demeure; poursuivre le rapide kanguroo ou l'élégant cygne noir, voilà leurs occupations; la guerre, voilà leur délassement. Tout-à-coup un navire paraît à l'horizon; le génie le plus entreprenant qui ait illustré l'Angleterre s'avance comme pour prendre possession des richesses de la Nouvelle -Hollande et les disputer à ses premiers ha- bitans; il fait flotter le pavillon britannique sur quelque morne élevé, et les farouches habilans s'éloignent des côles, pénètrent dans l'intérieur de leurs forêts pro- fondes, franchissent les monlagnes bleues, et ne repa- raissent enfin que pour échapper à quelques-uns de ces fléaux dévastateurs qui, à de courts intervalles, désolent leurs contrées. Cependant Cook est de retour en Angleterre. Il y ( 120 ) vaille au niiiiislrc qui l'a si généreusenifiil protégé, les beautés du pays qu'il vient de découvrir. La philan- thropie s'empare avec ardeur de l'idée qu'un gouver- nement sage et sévère peut enrichir la métropole de l'absence de ses mallaiteurs el de ses filles publiques, en les transportant à Botany-Bay. Dès lors le terrain, interrogé, roroil les production;? européennes et les multiplie h l'infini. L'espoir de rich«!sses noblement acquises changent les mœurs empoisonnées des cou- pables déportés; des défrichemcns s'exécutent; ces géansdu Sud, que la nature avait mis tant de siècles à élever, victimes d'une flamme généreuse, crient, pé- tillent, tombent, et écrasent dans leur chute les dan-* gereux reptiles qu'ils semblaient protéger; des plan- tations s'opèrent, des bassins se creusent, des maisons s'élèvent, se rapprochent; des hôpitaux, des magasins somptueux remplacent les huiles des sauvages; Sjd- nty est bâtie, el dans un porl vaste et sûr les naviga- teurs trouvent une relâche consolante, et, à l'antipode de l'Europe, les équipages oublient qu'ils ont quitté leur patrie. Mais les naturels de cette cinquième partie du monde s'approchent enfin de la nouvelle cité. Dans leur stupide idiotisme, ils ne savent pas admirer; ils regardent, et ils ne sentent peut-être pas qu'il est des êtres au-dessus d'eux. Vainement l'intelligence euro- péenne inlerroge-t-elle ces peuples sauvages, elle n'en est pas comprise. Ils ne conçoivent pas comment du milieu de tant d'hommes réunis il ne s'échappe point des cris de giiene el de mort. Etonnés, ils Iran chissent de nouveau les montagnes, traversent le lor- 1 ( '^l ) rent de Kinkham , et vont, au milieu de leurs timides compagnons, publier les merveilles dont ils ont élé témoins. Des caravanes se forment, elles arrivent et Sydney; on les reçoit avec bienveillance; les chefs sont traités avec distinction; on couvre leur nudité, on leur montre la terre enrichie de trésors étrangers, on les accable de bienfaits, on cherche h en faire dos hommes ; vain espoir ! dès que leur cupidité est satis- faite, ils émigrent de nouveau, s'enfoncent dans les bois; victimes de la faim qui les dévorent, ils vont attaquer les serpens, les kanguroos, et poursuivre souvent les fourmis, les araignées, les chenilles et leurs larves, placées en gerbes sur les cimes les plus élevées du casuarina. La plupart des sauvages du Brésil ont reçu avec reconnaissance des leçons d'agriculture; les féroces habitans de Timor ont soumis leur disposition au joug des gouverneurs européens; les Malais d'Amboine et des îles environnantes ont presque cessé leurs ravages et leurs dévastations; dans l'archipel des Sandwich on respecte les étrangers, et on leur offre avec em- pressement les jeunes vierges les plus séduisantes; à Otaïti" et aux Iles des Amis , plus de meurtres et de sacrifices humains; aux Mariannes, les prêtres catho- liques y sont révérés, et les voyageurs reçus avec les té- moignages de la joie la plus vive; partout, eu un mol, la civilisation a pénétré avec quelques succès; ici, rien n'a pu changer les mœurs farouches des naturels , et , au milieu d'une cité florissante, ils s'attaquent souvent avec fureur, se déchirent les entrailles, et hurlent gaîment leurs chansons de mort. ( 122 ) C'est inutilement que les soins les plus généreux ont souvent cherché h retenir une épouse infortunée au sein d'une cité, où les secours de l'art auraient du moins aidé la nature et soulagé la souffrance. Résis- tant aux plus pressantes sollicitations, elle allait, au milieu des bois, donner la vie à un enfant qui, quelques jours après, pressait vainement de ses mains etde ses lèvres avides un sein privé de nourriture. Quels tableaux épouvantables que les diverses pé- riodes de la vie de ces hommes extraordinaires! Une mère éprouve les douleurs de renfanlement; la peu- plade se réunit, étend sur le gazon quelques peaux de bêtes fauves, y.placent l'infortunée, et l'entourant, en poussant des hurlemens horribles, elle saute, gam- bade, s'arrête, se précipite de nouveau, et attend que l'enfant soit né Enfin la mère a cessé de souffrir; deux sauvages s'emparent du nouveau venu, ils le plongent à diverses reprises dans les flols de la mer, entonnent un chant barbare, rendent le fils ù la mère, et, à peine soulagée de ses dernières souffrances, elle se lève avec effort, se traîne péniblement sur les pas de la caravane, et partage avec elle ses dangers et ses fatigues. Mais l'enfant acquiert des forces, il grandit; une sagaie est dans sa main droite, un casse-tête dans sa main gauche, une petite hache, j)rovenant de quelques échanges avec les Européens, sur son épaule ou dans sa ceinture. Il parcourt les bois, il grimpe au haut des arbres les plus élevés, ceux dont le tronc a le plus grand diamètre, et ici l'homme civilisé peut h peine concevoir tant d'adresse dans des individus sans intel- ligence, sans force physique. ( 123 ) ■ La peuplade sauvage veut juger des progrès d'une inondalion, ou enlever quelques jeunes oiseaux à leur mère absente; le casuarina le plus haut, le plus aride, le plus gros doit être gravi. Impossible d'embrasser la tige; à l'aide de la petite hache, le naturel surmonte tous ces obstacles. 11 frappe le tronc à coups précipi- tés; il fait deux coches à la distance de G5 centimètres l'une de l'autre, et y monte. Placé sur la plus élevée, il lance à hauteur d'homme son instrument, qui s'y plante avec force dans la tige très-lisse; il se donne un grand élan, se cramponne au manche, s'élève, se sou- tient avec les plis de sa peau dure et la plante rabo- teuse de ses pieds, et recommence le même exercice jusqu'à ce qu'il soit parvenu jusqu'aux branches. J'ai vu exécuter cette manœuvre, Messieurs, et de ma vie je n'aurais cru à tant d'adresse et de dextérité. Qui ne sera étonné encore du courage de ces mal- heureux à s'emparer d'un des reptiles empoisonnés qui viennent souvent assiéger jusqu'aux habitations les plus tumultueuses. J'ai vu, Messieurs, j'ai vu un sau- vage, aux environs de Liverpool , entourer sa main droite de mon mouchoir, se glisser doucement au mi- lieu d'un tas de broussailles, se précipiter tout d'un coup sur un serpent noir, de plus de 2 mètres de longueur, le saisir fortement par la queue, le faire tournoyer au-dessus de la tête pendant une demi-mi- nute, en frapper un tronc noueux, et l'achever ensuite avec un couteau que je lui avais prêté. Et quand on pense que ces infortunés sont absolument privés de vêtemens, que l'arbre déraciné qui cache un reptile, en cache presque toujours un autre; que leur blessure ( '-M ) est mortelle, et que celui qui en est atteint y résiste à peine quelques heures; quand on réfléchira que pres- que à chaque pas, dans les lieux non défrichés, il faut livrer un semblable combat, on ne pourra s'empêcher de déplorer le sort de ces êtres infortunés que la na- ture a jetés lii comme pour se débarrasser d'une race d'hommes qui l'outraj^enl. Mais le sauvage est devenu homme; il se choisit une compagne, et ici la scène change. Quelque pitié que nous inspire le couple amoureux, il est impossible de chasser le sourire qui vient se placer sur les lèvres. Une jeune fille se présente, son futur époux s'approche d'elle, lui Aiil appuyer la tête sur une pierre ou sur un tronc d'arbre, applique sur ses deux dents incisives supérieures un morceau de bois de la grosseur d'un tuyau de plume, le frappe avec une pierre, et les deux dents tombent dans la bouche. C'est le commence- ment de la toilette; bientôt après le galant crache à diverses reprises sur le visage de sa future, le bar- bouille d'ocre et de raies de diverses couleurs , mas- tique toutes les parties de sou corps, et, après ces témoi- gnages d'aflection, il lui jette sur les épaules une peau de kanguroo ou d'opossum. L'heureuse épouse ainsi parée entre dans le bois; son vainqueur l'y suit peu de temps après; et, aux chants burlesques d'une troupe joyeuse, le sacrifice est consommé. J'ai encore assisté à une de ces fêtes de la nature, où le rôle de la femme tut rempli par une personne de douze à quatorze ans. L'infortunée, a|)rèsla cérémonie, fut obligée de porter, pendant une longue marche de la caravane, les sa- gaies et les casse-têtes de son mari, qui de temps ^ ( '^5 ) autre hâtait sa paresse par quelques grands coups de pied dans les reins. Oh ! que le Ciel a vgrsé de bienfaits sur notre vieille Europe! et qu'il en sent bien mieux le prix, celui qui, exilé long-temps de sa patrie, y rentre après avoir parcouru les cités les plus Hérissantes des autres par- lies du globe, et visité surtout les tristes contrées dont nous nous occupons! Peut-on lire sans eftroi la rela- tion d'un seul de ces phénomènes terribles qui pèsent si fréquemment sur le continent de la Nouvelle-Hol- lande! Et ces inondations épouvantables qui la par- courent et la ravagent dans tous les sens, ne devraient- elles pas éloigner à jamais les indigènes et les étrangers ? Jetons un coup d'œil rapide sur le torrent de Kin- kham dont je vous ai déjà parlé. Ses débordemens sont ceux qui répandent dans les campagnes une plus grande désolation , parce qu'il parcourt un terrain uni, régulier et couvert de riches moissons. Ses rava- ges s'étendent à plus de deux lieues de son lit. Dans son cours impétueux , vainement de fortes barrières lui sont-elles opposées; et peu de saisons se passent sans que les habitations lointaines soient détruites et dé- vastées. Les édifices les plus solides, les végétaux les plus élevés, couverts par ses eaux rouges et turbu- lentes, leur résistent à peine. Dès le commencement de la ccue, l'expérience qu'a donnée le malheur ap- prend jusqu'où peuvent s'étendre les ravages ; et la dé- sertion a lieu dans les élablissemens voisins. Parvenu à son plus haut point d'accroissement, ce torrent dé- vastateur ressembh; h un lac immense sur lequel serait jeté un nombre considérable d'îles llottanlcs. Quel- ( ''^<» ) ques toits élevi^s paraissent au milieu des cimes pyra- )nidales des pins de Norfolk; et si, dans son impé- tuosité, le torrent n'a mis que gpu de jours à couvrir un si vaste espace de terrain, peu de jours suffisent aussi pour qu'il rentre paisiblement dans son lit ordi- naire. C'est alors un speclacie vraiment curieux que le pays qu'il abandonne. Sur les branches robustes des arbres restent suspendues en guirlandes des plantes et des fleurs étrangères qui forment quelquefois des dômes élégans et pittoresquemeut balancés. Quelque- fois aussi, au milieu du limon que les eaux ont laissé sur les troncs raboteux, ces fleurs et ces plantes pren- nent racine et vivent, ainsi élevées, comme si elles te- naient leur existence de l'arbre qui les porte et qui s'en enorgueillit. Mais bientôt les eaux se retirent avec plus de rapidité; et chaque heure, presque chaque minute, voit naître un pavsage nouveau. Aux yeux surpris de l'observateur, ce n'est plus l'eau qui baisse, c'est la végétati( n qui s'élève connue par enchantement et qui flomine cette vaste mer. Enlin la terre se découvre, et le torrent impétueux qui seniblait vouloir la ravager, aussi bienfaisant que le Nil, laisse un limon généreux qui lui donne des forces et augmente ses richesses. Le lendemain le soleil promène ses rayons sur une cam- pagne nouvelle, le cultivateur cherche la place de sa cabane enlevée, et, des débris lointains qui .encom- brent les sillons de ses propriétés , il en élève une autre qui sera, h son tour, détruite par la première inondation. Ces calamités, répétées souvent huitou dix fois dans une année, ne sont pas les seules qui aflligeiit l'inté- ( '27 ) rieur de cette belle contrée. Quelquel'ois , victimes d'un souflle brCdaiit, les habitans tombent accablés, et meurent dans des convulsions épouvantables; les plantes se pulvérisent, les sources se tarissent, les troncs des arbres se carbonisent, les oiseaux expirent par milliers aux bords des ruisseaux desséchés, tout meurt dans la nature, jusqu'à ce que de nouveaux orages viennent vomir de nouveaux désastres. Les fleuves, tels que la Népéan et VHawkesbarj , grossis- sent leurs flots de plus de i5 mètres au-dessus de leur cours ordinaire. Quelles masses énormes d'eau doi- vent peser sur ces vastes solitudes! quelle afl'reuse si- tuation que celle des hordes sauvages qui les parcou- rent! quel spectacle à la fois imposant et terrible que celui des cataractes impétueuses qui se précipitent du sommet des montagnes au milieu des sombres forêts ! quel désordre efl"rayant dans toute la nature !... Voyez- vous d'abord, presque imperceptibles, ces légères ri- goles d'une eau claire et limpide, s'accroître petit h. petit, se creuser bientôt un lit imposant, rouler les arbres et les rochers, et venir au loin porter la déso- lation et les ravages. Eh bien ! comme si ce n'était pas assez de ces phé- nomènes efi'rayans pour occuper les indigènes de la Nouvelle-Galles du Sud, il faut encore que leurs hor- des sauvages se livrent sans cesse des combats meur- triers. Point de tactique, point d'adresse; point de grâce surtout pour le vaincu. Dix, vingt ennemis en attaquent un pareil nombre; chacun cherche de l'œil son adversaire. Ils poussent des hurlemens afl"reux; les sagaies sont agitées, les casse-têtes mis en mouve- { ''-^8 ) uient. lis s'approchent, se mesurent, se frappent, se saisissent au corps, se déchirent avec leurs dents, s'ar- rachent les i-ntraillcs. Que leur importe de mourir pourvu qu'ils tuent ! Ils veulent du sang, ils s'en abreu- vent— Les malheureux! ils pouvaient se partager de vastes campagnes; ils pouvaient, sinon vivre heureux, du moins paisiblement et en colonies; hélas! à peine quelques individus décharnés paraissent-ils par inter- valles dans la cité européenne! Semblables à ces ani- maux qu'on a crus long-temps fabuleux , cl dont les ossemens fossiles ont depuis peu prouvé l'existence, cette race d'hommes, dillércnle en tout des sauvages de l'Afrique, des anthropophages do la Nouvelle-Gui- née, ou des peuplades plus rapprochées de la Nou- velle-Zélande, disparaîtra bientôt de la surface du globe, et l'on se demandera si en effet elle a existé. Quelle sera alors voire réponse, philanthropes insu- laires qui aimez tant à publier vos bienfaits ? que di- rez vous h ceux qui vous demanderont compte de ces peuplades, que vous avez chassées des rivages, et que vous avez laissé mourir au fond des déserts ? par quelles spécieuses raisons chercherez-vous à pal- lier vos torts ? comment justifierez - vous votre cruauté ? \ous aurez beau vous écrier que la Nouvelle-Hollande vous doit des villes, des ports, des routes, des plantations; on vous demandera toujours ce que vous aurez fait des hommes que vous y avez trouvés, et l'histoire répondra pour vous : « La pre- » niière nation maritime du globe, l;i patrie des Newton, »des CooKjdesTn. Morus, a découvert dans les mers » australes im vaste continent; elle y a transporté ses ( i'-^9 ) » malfaiteurs et ses filles publiques, qui y sont deve- »nus des hommes de bien et des épouses vertueuses ; «elle a enrichi des trésors de l'Europe un pays où «croissait inutilement la plus belle et la plus riante «végétation; mais elle y a trouvé une race d'hommes «étrangère h toute espèce de civilisation, et au lieu de )rrappeler par des bienfaits au sein de la superbe ville «qu'elle venait de bâtir, elle les en a éloignés par une «coupable indifférence ou une froideur révoltante. «Quelques individus, il est vrai, en abjurant les habi- «tudes sauvages, se sont fixés dans la colonie; mais « en leur permettant de s'entre-déchirer dans leurs mo- » mens d'ivresse, elle leur a prouvé qu'elle ne tenait «point à les civiliser; aussi, privés des bêtes fauves, «poursuivies et tuées par les Anglais, les malheureux «indigènes de ces contrées se sont vus contraints de «s'enfoncer dans les bois, on ils sont morts de faim et ))de misère. » Ainsi parlera l'histoire; et, aux pages d'or des bril- lantes annales de la Grande-Bretagne, elle opposera ces faits récens et épouvantables, qui seront à jamais la honte d'un peuple qui aime à se proclamer le pre- mier par son industrie, par son commerce et son humanité. I 30r.îA'R26 RELATION DE LA TROISIÈME FÊTE CHAMPÊTRE CÉLÉBRÉE A VILLE-d'avRAY PAR LA SOCIÉTÉ LINNÉENNE DE PARIS, le 24 mai 1824» JOCR ANNIVERSAIRE DE LA NAISSANCE DE LINNÉ; Par m. THIÉBAUT DE BERNEAUD, Secrétaire perpétuel , Membre et Correspondant de plusieurs Sociétés savantes nationales et étrangères. PARIS, DE L'IMPRIMERIE DE LEBEL, IMPRIMEUR DU ROI, KUEn'ERFnRTH' ,n" I, près l'abbate. 1824. Des prophétiques fleurs qui parfumeni la rive, Tous couronnent leur chef, et leurs festons chéris , Présages des surcés , en deviennent le prix. Delillf., les Trois Hègnes, rhanl ^ T. SOCIETE LINNEENNE DE PARIS. RELATION UE LA TROISIÈME FÊTE CHAMPÊTRE cfel.ÉBRÈE LE 24 MAI 1824. Les bois de Ville-d'Avray, silués à onze kilomètres, nord-est, de Paris, furent choisis pour théâtre de la fête champêtre que les Linnéens français devaient célébrer le 24 mai, jour commémoratif de la naissance du législateur des sciences naturelles. Malgré la pluie qui, depuis plusieurs semaines, déshonorait le mois des fleurs, malgré le vent froid qui soufflait du nord, les dames associées libres et les dames invitées arri- vèrent au lieu indiqué dès la septième heure du jour. EUes avaient été précédées par un grand nombre de membres de la Société Linnéenne, et elles furent re- çues par les maîtres des cérémonies. La journée devait être belle; le soleil sembla vou- loir kl favoriser; il se montra radieux ?» son lever, et brilla de tout son éclat une grande partie du jour. Après le déjeuner on se dispersa dans le bois qui repose, en majeure partie, sur la grande bande sablon- neuse s'élendant sans interruption de Ville -d'Avray ( '54 ) à Aubergenville, et partie sur un gypse qui se aiani- feste par des marnes vertes, très-minces, remplies de cristaux de gypse et de strontiane sulfatée. On visita le bord des deux étangs, les collines voisines, les vignes plantées autour des habitations du village; on s'arrêla près d'une source abondante, dont l'eau est très-bonne, et à une heure donnée l'on se trouva réunis au lieu dit le Carrefour de la côte bridée. Là, on procéda h l'examen du fruit des recherches de tous. L'herborisation a présenté plusieurs plantes peu communes et même assez rares aux environs de Paris; tels sont : VEupliorbia paniculata, le Trifolium sub- terraneum, le Gcnisla an^tica, le Poly^ala austrlaca, le Galium parisiense, la Jiosa villosa, la Limosella aquatica, et la variété de VOrchjs militarisa nommée par Jacquin, fuscata. Parmi les insectes, on a surtout remarqué une espèce absolument nouvelle de dorthésie, trouvée par M. DiîLAVAux sur les feuilles du Teucrium scorodo- nia , dont plusieurs étaient chargées de femelles et ■des précédentes enveloppes de la larve de cet hémi- noptère, auquel on a imposé le nom de Dortkesia Delavauxii. De son côté, M. Descourtilz fils a découvert sur les feuilles de l'ortie blanche {Lnmium album), un in- secte également nouveau, appartenant à la famille des cicadaires (2) de M. LATRi-iLLE.et constituant un genre que M. Descoubtii.z nomme A génie. On a, de plus. (i) Ces insectes sont décrits et figurés clans les Actes de la Société pour 1834, pa.q. 285 et suiv. ( '35 ) observé le cossus gâte-bois [Cossus lignipcrda de Fa- BRicius) dans l'intérieur des tiges de pommiers : celle chenille, très-nuisible à l'agriculture, a fait de grands ravages celte année dans les jardins. Le Président prévint alors les membres qu'il était temps de prendre séance. On se rend aussitôt au lieu disposé à cet effet. Non loin d'un chêne majestueux, vieux témoin des plaisirs du village, sous un dôme de verdure, est un aulel chargé de guirlandes de feuilles et de fleurs, du centre desquelles s'élève le buste de l'immortel auteur du Systcina naturœ. Sa tête est ornée d'une couronne d'immortelles, dont la ' couleur éclatanle se marie aux longues grappes du cytise , aux bouquets de la blanche et suave aubépine, du genêt et du lilas, aux fleurs bleues de la véronique et de la jacinthe des bois, à l'incarnat de la fraxinelle. Chacun prend place sur les sièges disposés dans l'enceinte consacrée. Le soleil était alors arrivé au terme moyen de sa course diurne. Le thermomètre centigrade marquait— |— i5", 62; le baromètre 757,38; l'hygromètre 74; les vents étaient nord-ouest. Le Président annonce que la séance est ouverte. Le silence règne et rend plus agréables le bruissement des feuilles, les chansons gaies et variées des oiseaux. M. Bailly, à la tête des maîtres des cérémonies, présente MM. Bonafous, de Turin; Prosper Debia, de Montauban; Tillette de Clermoat-Tonnerre, d'Ab- beville; Isidore Le Bret, de Rouen; Le Boullenger et ViCTRix Renault, de Melun; Soblange-Bodin, de Fromont, et Schreiber, de Versailles, tous correspon- dans de la Société, venus exprès pour s'unir à leurs 10 ( '36 ) frères de la capitale, et célébrer ensemble la fête des vrais amis des sciences naturelles. Ils prennent place auprès de l'autel. M. le docteur Descourtilz, premier vice-président, prononce un discours d.nns lequel il s'attache particu- lièrement à montrer les services étendus que LiNwi rendit aux sciences naturelles, le mouvement régulier qu'il leur imprima, et l'heureuse influence qu'il ne cessera d'exercer sur leurs progrès futurs. Ce tableau rapide, peint à grands traits et d'inspiration, a été vivement goijté et unanimement applaudi. M. ïiiiKBAUT DE BEiiMiAiD, Secrétaire perpétuel, a fait ensuite connaître plusieurs circonstances de la vie du grand Lin>é jusqu'ici demeurées inédites; elles ont été recueillies dans le sein même «le sa famille, dans les souvenirs de ses disciples et de ceux de ses compatriotes, aujourd'hui correspondans de la So- ciété : elles oflVont dans leur filiation et dans leur ensemble rexomj)le le plus remarquable de ce que peuvent la constance dans les résolutions et l'amour du travail. Après ce morceau , qui a paru intéresser la nom- breuse et brillante compagnie, mademoiselle Uranib TmÙBAUT DE Berneaud s'est avancée, et, au nom des dames associées libres, elle a dit : « Messieurs, un sa- Bvant a dédié à Linné la plus petite des plantes, vou- »lant ainsi rendrç plus grand encore l'homme immor- »tel auquel il la consacrait. Vos associées libres ont » pensé vous faire plaisir en vous oITrant l'image fidèle "de cette plante que l'une d'elles a dessinée. Nous vous «prions de l'accepter comme un souvenir de la jour- ( '57 ) »née mémorable que nous venons célébrer avec «vous. » Elle remit ensuite à chacun des assistans un exemplaire gravé de celte plante chérie. Chaque exem- plaire portait ces mois : Souvenir du 24 ^«* 1824. — Le président a exprimé à l'orateur les remercîmens de la Société. Un membre ayant demandé que le dessin original fût encadré et placé dans le lieu ordinaire des séances, cette propos-ition , appuyée, a été mise aux voix et adoptée à l'unanlmilé des suffrages. M. Charles Lemesle obtint ensuite, la parole et ré- cita une ode, qui fit la plus profonde impression sur tous les esprits, et qui fut écoulée avec une pieuse attention. M. PoDEViN occupa l'assemblée des recherches cu- rieuses qu'il a faites sur les fleurs, sur les agrémens qu'elles présentent, sur le goût que l'on a toujours eu pour elles, même dans les siècles obscurs dont l'histoire fait à peine mention, el sur le rôle qu'elles jouent dans les institutions politiques et religieuses, ainsi qu'aux diverses époques de la vie. La séance a été terminée par des stances analogues au même sujet, et adressées aux dames. On s'est de nouveau répandu dans le bois; mais tout-à-coup le ciel se couvre de nuages qui s'accu- mulent et se résolvent en pluie; on se rend au village, où les commissaires avaient fait disposer un vaste sa- lon. Là, vers quatre heures, on s'est réuni en banquet- La gaîté franche brillait sur tous les visages; la bonne amitié faisait de tous les assistans (au nombre de 102), Linnéens et invités, une grande famille. 10. ( '58 ) Vers le milieu du repas, M. DesmyttIïre lui un songe allégorique sur le bonheur. Ce morceau a plu, non-seulement par la manière aimable avec laquelle le jeune auteur parle dés vertus, mais. encore par les grands résultats qu'il a su montrer que leur pratique et le travail procurent aux sciences, aux institutions politiques dos états et à la félicité individuelle. Des chansons aimables et pleines de gaîté ont été chantées. Dans le nombre on a surtout remarqué celle de M. EuckwE Duniiiu (invité), qui a pour titre La Science, et dont l'impression a été votée d'une voix unanime. La même faveur a été accordée à une autre pitce de vers intitulée : la Consolation, chantée par M, Thièbaut Dr. Bkrneaud, Enfin la journée a été terminée par des danses, entre autres par une polonaise que l'on sait avoir fait les délices de Linné, qu'il dansait souvent en famille avec ses disciples, et dans laquelle, au rapport de Fabricius, l'un de ceux qu'il aima le plus, il surpas- sait de beaucoup les plus jeunes et les plus habiles. A neuf heures et demie du soir on reprit le chemin de la capitale. Fait et signé à Ville-d'Avray, le 2^ mai 1824. Pour extrait conforme : Le I" vice-président. Le II' vice-président, DESCouRTrr.z, d. m. p. C. H. PnRsooN.d. Le Secrétaire perpétuel, TlIliBAUT DE BeRNEAUD. ( >39 ) DISCOURS D'OUVERTURE Par M. le Docteur DESCOURTILZ , Premier vice-présidenl. Messieurs et honorables coNFRkRES, Combien il m'est doux d'avoir à remplir près de vous une tâche dont les sciences naturelles forment le sujet, et le perfectionnement de leur étude le but. Je dois me féliciter en ce jour d'avoir été choisi pour vous rappeler, et l'époque qui nous rassemble, et la scène qui s'ouvre devant vous. J'oserai élever ma voix en pré- sence de savans éclairés, persuadé qu'ils ne jugeront que l'intention qui m'anime, que la pensée qui m'in- spire, pensée qui, sans se faire sentir, existe dans tous les cœurs, comme l'éloge de l'homme vertueux dont nous célébrons la naissance est dans toutes les bou- ches. Plongés dans un sommeil voisin de la mort, les vé- gétaux, ces Vêtemèns éternels de la terre, avaient cour- bé leurs branches dépouillées sous le poids et la ri- gueur des frimas; mais, donnant une vie nouvelle aux êtres qu'il féconde, l'astre radieux du jour a ranimé un flambeau prêt à s'éteindre, et une verdure légère est venue embellir le théâtre où la nature déploie sa ma- ( i4o ) gnificence, et prouve à l'homme que, dans quelque lieu qu'il porte ses pas, il rencontre des marques de sa puissance et de sa bonté. Une voix a retenti dans ce séjour de paix, et l'écho des bocages redit encore les paroles de l'éloquent con- tinuateur de BiFFON.du digne successeur de ce grand homme. Rempli d'admiration pour Lir>>É, il nous a tracé une roule dans laquelle personne que lui ne peut sans témérité marcher avec assurance. Réunis tous les ans par un sentiment unanime de reconnaissance, vous avez dû juger. Messieurs, de l'im- pression que produisait sur vous le souvenir du savant modeste dont nous fêlons la naissance en même temps que nous avons à en déplorer la perte. Cependant, Messieurs, nous devons payer un tribut et offrir des hommages h celui qui sut si bien pénétrer les lois immuables qui régissent l'univers; au savant vertueux dont le profond génie, guidé par la main de la nature, parvint h surprendre ses secrets, la suivit dans sa marche, établit des rapprochemcns dont elle- même ne s'écarta jamais, et sembla dans son vol ra- pide embrasser d'un regard la masse entière des êtres, pour en observer les rapports et en simplifier l'étude. L'histoire des merveilles de la création éveilla de tous temps l'attention des hommes. Mais, se contentant de décrire les êtres qui frappaient leur vue, les an- ciens naturalistes n'établirent que des divisions in- formes qui, loin de jeter du jour sur la marche de la nature, rendaient plus épais le voile qui en cachait les agens secrets. Un homme pourtant devait débrouiller ( '4' ) ce chaos : les sciences l'attendaient, il parut eulin, et ce mortel, c'est Linné. Du climat glacé de la Suède, des forêts silencieuses du nord, il s'éleva tel qu'un météore brillant dont l'é- clat perce l'obscurité qui l'environne; et dès ses pre- miers essais il présagea que, prenant une face nou- velle, l'histoire entière de la création allait subir des réformes utiles. Écartant de pénibles études, suivant la marche la plus simple, Linné, éclairé par son génie, saisit les chaînons de vie qui réunissent tous les êtres, depuis le marbre informe, le grossier caillou, ébauche des forces de la nature, jusqu'à l'homme, chef-d'œuvre de la création et image de sa puissance. IMon content des recherches au milieu de la Suède, il résolut d'augmenter ses trésors. Des voyages, entre- pris dans l'intérêt de la science, fournirent à ce grand homme une foule d'objets nouveaux ou peu connus qui prirent place dans son système. Lui-même, quit- tant sa patrie, ayant à lutter souvent contre les dan- gers, les souffrances, parcourut diverses régions, de- puis les lieux sauvages où la brume épaisse, le froid cuisant et des neiges éternelles recouvrent un sol âpre qui semble faire partie des domaines de la mort, jus- qu'aux bords fortunés où un printemps perpétuéJJJet la civilisation dispensent leurs blenfailà et répandent l'a- bondance et la vie. L'ensemble des êtres éveilla sou ardeur; il pénétra dans les entrailles de la terre, en déroba 45 ) les zones de l'univers lui offrirent leurs richesses. Des •végétaux délicats se virent avec étonnement descendre des rocs glacés dans une terre étrangère où un ciel plus pur échauffait leurs racines et vivifiait leur feuil- lage; Ainsi \a Linnœa borealis, plante qui lui est con- sacrée, vint augmenter le nombre de celles que nous possédions. Des rives des fleuves du Nouveau-Monde lurent transportés ces élégans bambous, ces bananiers lîtiles, une foule de végétaux où brillent la vigueur et la santé. Des plages maritimes furent arrachés ces nombreux fucus, ces algues colorées, et les soudes dont s'empara le commerce. Les plaines verdoyantes, séjour fortuné du printemps, apportèrent leur tribut à ses pieds; les déserts arides, les sables brùlans de l'A- frique abandonnèrent les bruyères élégantes, les nom- breuses liliacèes, les euphorbes, les aloès, les cactus à tiges cannelées et à feuilles épaisses, d'un vert triste, portant l'empreinte sauvage du sol qui les vit naître; l'Inde donna les moyens de connaître plus parfaite- ment ses précieux aromates. Un seul homme entre- prit ces changemens immenses, en trouva les moyens, et exécuta ce qu'il avait projeté, une coordonnartce entre tous les êtres, ainsi que la nature lui en donnait l'exemple. De ses observations se forma le système le plus sim- ple et le plus parfait que puisse encore suivre le zélé naturaliste. Bien des objets ont été découverts de- puis lui, mais tous peuvent entrer dans les divisions dont il avait posé les bases. Exempt des soucis rongeurs qui dévorent les mal- heureux humains, Linnk jouissait du présent; et, sans ( '4A ) crainte pour l'avenir, il voyait arriver son heure der- nière avec ce calme, cette tranquillité que donnent l'innocence et la vertu. Conservant les facultés que l'âge seul eût pu anéantir, il approchait du tenue que le destin avait mis à son existence. Ce moment -fatal arriva , la mort appesantit sa faux redoutahie . sur l'ami de la nature, et ne respecta en lui ni ses titres aux égards de ses semblables, ni ses vertus. Plein de confiance en l'Être créateur des merveilles sans nombi*e qui tant de fois excitèrent son admiration, il s'attendait à périr. La lumière de ce flambeau, qui brilla trop peu de temps, pâlit, et un souille l'éleignit pour jamais. 0 Li^NÈ ! LI^^•È ! nous marchons sur tes traces , la mémoire vénérée nous inspire, et ton génie nous guide!... Du séjour de paix où t'ont placé tes vertus, tu daigneras sourire à nos eflbrts, tu verras avec plai- sir le marbre qui nous offre les traits, couronné par nos mains, recevoir le tribut de nos regrets et celui de notre espérance!... Manibus date lilia pleius : Purpureos spargamjlores, antmii,m(fue nepotis flis sahem accumulein Jonis, etfungnr iiiunt. Munere. Le désir de perpétuer le souvenir de ce grand homme a engagé des savans h former une société qui portât son nom, et qui s'occupât uniquement des diverses branches de l'histoire naturelle, et donnât une plus grande et plus utile activité aux connaissances en les réunissant. Un sexe aimable a daigné s'associer à leurs travaux, faire le plus bel ornement de leurs séances, ( .43 ) et en charmer les loisirs. Encouragés par sa présence, les premiers essais ont été dignes du sentiment qui les avait inspirés. Parmi vous. Messieurs, plusieurs écrivains célèbres ont déjà fourni à la Société Linnéenne des découvertes récentes, des productions utiles dont nous apprécions toute la valeur. Formons des vœux, pour que, encou- ragés par ses succès toujours croissans, cette réunion conserve un éclat que des êtres jaloux ont en vain cherché à ternir. J'aurais, Messieurs, cédé à quelqu'un plus digne de le remplir, le devoir qui m'appelle au milieu de vous : fier de vous appartenir, c'est le seul droit que j'oppo- serais à votre jugement rigoureux, mais c'est aussi mon seul titre à votre indulgence. C'est en présence de Linné , dans le sanctuaire même de la nature, que votre séance solennelle a lieu. Cette colonnade vivante que couronnele vert feuillage, l'azur céleste qui en forme la coupole semblent dire à l'âme qu'elle est en présence de son Créateur, et que là il n'existe nul intermédiaire entre la Divinité, qui dispense les bienfaits, et l'homme, qui les reçoit. Cette verdure fraîche et légère que l'aquilon des hivers doit détacher; ces fleurs qui éclosent, brillent un instant, et disparaissent, sont un miroir fidèle qui réfléchit et rend sensible à l'imagination et notre exis- tence présente et notre avenir. Car tout naît, vit et se détruit sur la terre, et ce- pendant le principe de vie ne s'éteint jamais : le lierre et les ronces envahissent nos demeures; la mousse qui revêt ce tertre doit par sa mort fournir aux besoins ( i4ti ) de ce chêne allier, dont les fils s'élèveront un jour sur ses débris. Le polype, qui au fond de l'abîme travaille sourdement à sa demeure poreuse, doit livrer à la na- ture une surface que viendront habiter par la suite des nouvelles colonies de végétaux; et le grain de sable que foule avec dédain le voyageur, formera peut-être un jour le récif où les flots écumans viendront briser sa nacelle. Cette idée de la transformation de la matière, de cette lutte éternelle de l'existence contre la destruc- lion, parle au cœur et console. Elle apprend à atta- cher moins de prix à la vie, puisque la mort en termine le cours. L'homme, comme la fleur prinlanière, naît et doit périr; sa dépouille ne saurait échapper h la loi générale; mais son âme, rendue à sa source primitive, à la Divinité, dont elle est un rayon, est la seule partie de lui-même qui soit inaltérable comme son essence. ( '47 ) ANECDOTES INÉDITES ou PEU CONNUES DE LA VIE DE LINNÉ, Rrcueillies par M. Thiéraut de Berneaud. En ni'eilvelopparit de luy je me sentois meilleur. MoNTAiGIVE. Réums en ce jour solennel pour célébrer l'anniver- saire du grand homme qui nous apprit à bien voir la nature, à l'aimer, à réfléchir sur ses naerveilles, je crois, Messieurs, répondre au but de votre noble fon- dation, satisfaire à votre attente et remplir vos recon- naissantes intentions, en vous entretenant de celui que vous avez adopté pour maître, en remettant sous vos yeux les principales époques de sa vie, en vous ra- contant quelques anecdotes inédites ou peu connues que j'ai recueillies par l'entremise de vos correspon- dans en Suède et dans le sein même de sa famille. Né au milieu des fleurs que voit éclore le plus joli mois de l'année, Charges Linné dut nécessairement aimer ces aimables productions, ces brillans trésors du printemps; son berceau en fut orné, elles furent ses premiers hochets, et ses innocentes lèvres, en se posant sur elles, puisèrent dans leurs calices eiiibau- més un rayon de l'immortalité. Ministre des autels dans un village obscur de la Smalande, Nils Linné, son père, aimait les plantes; ( '48 ) il en possédait plus de quatre cents espèces rares, et les cultivait avec un soin tout parliculicî-. Son fils as- pira donc par tous les pores le goût de la botanique; Il s'y livra dès ses premiers ans; et la portion du jardin de SlenbrLIiull qu'il disposa, encore enfant, où il passa les heures qiie l'on perd h cet âge dans les jeux, est religieusement conservée par la famille de son oncle, qui succéda à Nils Linné. Avec des goûts aussi sirtiples, avec des habitudes ' aussi douces, avec des sentimens aussi puts que ceux qu'il témoignait chaque jour 5 son père, et surtout h sa mère, qu'il aimait tendrement, Linné devait espérer que sa vie serait paisible, qu'elle coulerait heureuse, protégée par les arbres que ses mains avaient plantés, par les odeurs suaves des fleurs qui accomplissaient par ses soins les diverses destinations de leur existenc e. Mais du sein même des jouissances les plus chastes surgit l'adversité; elle l'enveloppe à peine âgé de douze ans, elle s'attache h ses pas et lui impose ses dures leçons. Plus les coups du malheur furent poignans, plus l'âme de Liknû sut grandir, plus il sentit croître son courage. Dès lors, s'habituant aux privations , il ofl'rit à la jeunesse l'exemple le plus mémorable de ce que peuvent la constance et legénie. Il voit se fermer pour lui le jardin où il avait pris la p remière habitude de penser; on l'oblige à des études pour lesquelles il a de la répugnance, et comme il n'apprend rien, on le juge stupide, on l'éloigné de sa famille, et on le condamne à faire des chaussures. L'homme qui devait un jour être l'orgueil de la Suède, la lumi ère du monde savant, pouvait périr avant de naître, mais le cœur de ( '49 ) LiNNi, qui battait pour la gloire, trouva les moyens de satisfaire à sa noble passion, tout en obéissant au sort qui le frappait si rudement. Les jours de repos, il s'échappait pour courir dans les champs, pour ramas- ser des plantes et les étudier. Loin de les accuser de sa position cruelle, il leur demandait de nouvelles forces; il souriait, h leur vue et des larmes de plaisir roulaient sur ses joues décolorées. Il reprenait le len- demain, et sans murmurer, je travail que l'impitoyable destinée lui prescrivait, pensant au bonheur qu'il es- pérait dans une promenade prochaine. La petite ville de Vexioe était depuis quinze mois le théâtre de ses chagrins, quand il vit éclore le pre- mier rayon d'espérance. Celait au mois de mai 1721. Le docteur Rotiimain le rencontre un jour sur les collines des environs, entouré de Heurs, les dis- tribuant selon leurs formes, et cherchant à démêler les caractères qjii les rapprochent; ce médecin, surpris d'une aussi grande perspicacité, l'interrogé, reconnaît qu'il est appelé par la nature à se frayer une route dans les sciences; il l'emmène chez lui, le réconcilie avec son père, lui met en mains les Institutions bota- niques de Tolr,^£FORT, et dwient ainsi le flambeau qui éclaira la route sur laquelle Linné devait se placer, et qu'il devait parcourir plus tard si glorieusement. Ainsi, la résignation, qui, chez la plupart- des hommes, est le premier stigmate de l'esclavage et de la nullité, fut pour l'âme forte de notre illustre maître le brasier oîi elle voulut se retremper. La volonté dans l'homme est donc la puissance la plus sublime, puis- qu'elle triomphe de tous les obstacles, et qu'elle place ( 100 ) la plus faible des créatures au sommet de la création. Qu'une jeunesse téméraire n'aille pas en conclure que les eulans ont le droit de lutter contre la direc- tion que des parens , quelquefois séduits par les cir- constances, souvent égarés par le malheur, et le plus souvent décidés par un calcul raisonnable, croient pouvoir imprimera leurs goûts, à leurs études : il est diflicile de juger sainement de l'avenir; les disposi- tions, dans lé jeune âge, sont le plus communément trompeuses. Pour un homme de génie, combien de pauvres sujets ! pour un esprit médiocre, que d'hommes meurent sans avoir pensé! line étincelle lumineuse n'est pas toujours le signe certain de la profondeur de l'esprit. Semblables à ces météores ignés qui sillonnent Fatmosplière pendant la belle saison, les brillantes in- clinations de l'enfant répandent un instant un éclat assez vif; mais il ne laisse d'ordinaire aucune trace après lui : c'est la flamme légère que l'on aperçoit la nuit sur les mâts des vaisseaux battus par la tem- pête, et qui disparaît avec le calme du jour, La lecture de Tournefobt développa les grandes pensées qui germaient déjà dans la tête du jeune phi- losophe suédois ; elle leiw donna plus d'étendue et plus d'énergie. Ainsi, prêt h descendre dans la tombe, celui qui créa le genre, celui qui le premier classa métho- diquement les plantes d'après la seule considération de leurs caractères extérieurs, forma l'athlète vigou- reux qui, sous un cie^ voisin de la France, devait dé- finitivement arra^cher la science au chaos et préparer les progrès réels, les immenses progrès de l'histoire naturelle. LiNNÏi n'oublia jamais ce qu'il dut à notre *• ( '5' ) illustre compaliiolc; il professa toujours pour lui la vénération la plus profonde. Vexioe n'oflVait plus rien à son impatiente curiosité; aussi,' d'après les conseils de Rothman, la quitta-t-il en 1723 pour se rendre à Lunden. Il marchait heu- reux vers cette ville, cueillant partout des piaules, ra- massant des insectes, contemplant à chaque pas les œuvres immenses de la nature; mais sa bourse était légère, et plus il approchait du ternie de son voyage, plus son argent allait diminuant. C'était alors que l'adversité l'attendait ; c'était alors qu'elle promettait de s'appesantir sur lui et de l'enlever à la gloire vers laquelle, et h son insu, il courait déjti d'un pas ferme. Au moment d'entrer à Lunden, qu'il regardait comme la terre promise, le bruit des cloches frappe ses oreilles d'un son lugubre; il s'informe de la cause, et il ap- prend que la ville en deuil rend les derniers devoirs au professeur Hiimerus. A celte nouvelle, son sang se glace, les marques de la douleur qu'il voyait sur tous les visages confondent toutes ses idées, détruisent toutes ses espérances. Il a perdu dans Humérus, l'ami de RoTHMAN, un des proches parens de sa mère, l'homme qui devait présider à ses études, pourvoir k ses besoins, et préparer son avancement. Que faire dans cette situation perplexe? Harassé de fatigues, dé- nué de tout, n'ayant pas de quoi se procurer un gîte, n'ayant pas même de quoi satisfaire au premier des besoins, que va devenir Linné? Il donne une larme au souvenir de Humérus, et soutenu par son goût pour l'étude de la nature, il se présente chez Kilian Sto- BÉE, qui en professait toutes les branches, et demande 1 1 ( i5'i ) ' l'entrée de sa galerie. C'était pour la première fois que Linné voyait une collection aussi considérable : il lut coHinje ébloui par la niagnilicence, comme écrasé par la variété et le nombre des objets rassemblés devant lui; SCS yeux ne pouvaient sullire pour tout voir, et son âme, singulièrement exallée, faisait taire la voix si pressante des besoins. Stobék fut étonné de l'ordre, de la précision, de la profondeur des questions et des réflexions du jeune amateur; son avide curiosité l'in- téressa, et le détermina à se l'attacher de suite. D'a- bord il l'occupa comme copiste, mais l'ayant surpris passant des nuits pour étudier les ouvrages des meil- leurs botanistes, ets'étant assuré que celte ardeur pour le travail, que cette envie d'augmenter ses connais- sances avaient de profondes racines dans le cœur de Linné, il ne voulut pas lui dérober son temps et retar- der sa marche. Il l'aida généreusement de son crédit, de tout son savoir et le mit en élat de se rendre h Upsal, oii l'université lui présentait plus de ressources, et où brillaient d'illustros professeurs. LiiNNÉ arriva dans la capitale de l'Upland au com- mencement de l'élé de 1728. Les libéralités de Stobée lui fournirent, au moyen de la plus stricte économie, de quoi travailler durant plusieurs mois; elles s'épui- sèrent enlin, et le voilà de nouveau aussi indigent que lors de son arrivée à Lunden. Cette nouvelle cala- mité lui fut d'autant plus pénible, qu'il sentait ce qu'il pouvait devenir. 11 donna des leçons de latin à d'autres écoliers, mais celte triste ressource l'aidait à peine pour vivre, et il se vit réduit à raccommoder pour son usage lr!s vi(Mix souliers qu'il obtenait de ses camarades. Il C ''^5 ) luttait contre le besoin avec un courage vraiment hé- roïque, quanti une lettre de son père vint aggraver le poids de ses peines, et lui ôter tout espoir de secours. Dans cette lettre son père lui ordonne de la manière la plus dure, et pour la dernière fois, de renoncer h un goût que sa position ne lui permet pas de salis- laire, et de se rendre au plus vite au sein de sa famille, pour s'y livrer sans retour à un art mécanique, qui lui donnerait de quoi vivre. Il faut obéir! ignoré, seul dans une grande ville, sans espoir comme sans ressources, il faut obéir. L'âme brisée, les yeux en larmes, il va faire un dernier adieu aux végétaux cul- tivés dans le jardin botanique; il arrose de pleurs amères ces plantes qu'il avait étudiées avec tant de délices ; et comme dernier tribut de l'amant malheu- reux, tout sanglottant, il trace sur ses tablettes les caractères de celles qu'il avait négligées; il figure les traits de celles qu'il aimait le plus, et prêt à les quitter pour jamais, un homme qu'il ne connaît point, un homme arrivé depuis peu de jours à Upsal l'aborde, lui parle avec le ton de la franche amitié, le presse de questions. Linné répond en gémissant, en mon- trant les ordres de son père, en révélant les secrets de sa fâcheuse situation. Il veut alors s'éloigner, mais son génie vient d'être deviné, mais il se sent dans les bras d'un savant qui lui ouvre sa maison, sa riche bi- bliothèque et sa bourse. Cet ami, ce vénérable phi- lanthrope, c'est Olaus Celse, qui fut le véritable fon- dateur de l'histoire naturelle en Suède, qui s'est fait un nom également cher aux amis des sciences, comme professeur des langues orientales, et comme auteur 1 1. ( '54 ) de recherches érudiles sur la botaniqut- des Hébreux. L'adversité est vaincue. Linné a désormais triomphé de ses entraves; il a conquis un véritable ami, un juste appréciateur de ses talens, un prolecteur attentif à tout ce qui peut agrandir ses connaissances, et qui met tous ses soins ii cacher le bien qu'il lait avec tant de plaisir, avec tant de délicalcsse. Sous les ailes d'un ami aussi dévoué, LiNNt s'abandonne sans réserve à ses études chéries ; il consulte tous les livres pour mieux com- prendre celui de la nature. Dès lors toutes les routes de l'observation s'aplanissent devant lui; son génie prend un noble essor; il sonde les profondeurs de la science; il eu)bra6se d'un coup d'oeil la création en- tière, il l'inh'rrogc avec une curiosité toujours crois- sante : un ordre nouveau, un système brillant se dé- roule à sa pensée; il est saisi, et de ce moment il a vu que l'on peut étendre l'horizon des sciences naturelles. Nouveau Bacon, il les appelle devant lui, et leur dicte les progrès qu'elles ont à faire désormais. Ce serait ici le lieu de montrer l'état où se trou- vaient ces sciences au moment où Linné jeta les fon- demens d'une nouvelle ère; mais cette lâche. Mes- sieurs, a été remplie par des plumes habiles, par des hommes illustres. D'ailleurs, vous savez tous, mieux que moi, que la zoologie, réduite à des descriptions plus ou moins brillantes, metffiit alors dans sa marche beaucoup trop d'incertitude; la botanique, ellrayée de ses richesses, tendait h retomber dans le chaos, et le minéralogiste colligeait les substances d'après leurs for- mes extérieures sans faire attention h leurs parties con stiluanles. En un mol, l'histoire naturelle demandait ( <55 ) un réformateur; les lois qui la régissaient étaient in- suffisantes, et en contradiction permanente avec les découvertes qu'elle faisait chaque jour. Plusieurs sa- vans se disputaient, il est vrai, l'honneur de porter le sceptre ; Dillen en Angleterre, Boerhaave en Hollande, MiCHELi en Italie, Bernard de Jussieu en France : Linné seul devait s'en emparer, Linné seul devait lixer les opi- nions du monde savant, et faire jaillir la lumière en éta- blissant des divisions dans lesquelles tous les êtres vin- rent se ranger naturellement, où ils montrèrent les rapports qui les lienfentre eux, et révélèrent aux yeux investigateurs le secret de leur formation, de leur développement et de leur destruction. Mais n'anticipons point sur les temps que nous avons encoreàparcouriravantd'arriverh cette époque mémo- rable: suivons Linné dans ses études, et voyons quand et comment il s'avança vers le temple de l'immortalité. Notre maître, Messieurs, étonnait chaque jour Sro- BÉE par ses sublimes pensées, par le grandiose de ses travaux; et chaque jour il entassait de nouveaux faits, qu'il pesaitensuitedans lesilencede la méditation, qu'il éclairait par d'autres faits demeurés inutiles jusqu'à lui. RuDBECK en est instruit, et dans la joie de son cœur il s'écrie : « Je suis courbé sous le poids des ans et des » infirmités qui en sont le triste apanage, j'ai bien «rempli ma longue carrière, il me reste à donner à » mes nombreux disciples un maître digne d'eux, digne )>de moi. Je ne puis les remettre en des mains plus «habiles. » Il ilit, et Linné, à peine âgé de vingt-lrois ans, monte dans la chaire de botanique; il paraît à la tète de cette même école où hier encore il siégeait ( '5G ) inconnu du plus jçrand nombre. Ce choix était dicté par le sonliinent des forces du jeune naturaliste, il l'était par la perception intime du brillant avenir qu'il préparait à la science. Pygmées de nos jours, vous que la plus vile intrigue élève si haut, vous que les vues secrètes de quelques coteries politiques nous présentent sous un jour si flatteur, dites-le-moi, avez-vous comme LiNi\/c acquis le droit d'occuper les premières places, de parler avec tant d'assurance, de justifier les hon- neurs dont on vous charge si sratuitemcnl? Misérables, vous périrez tout entiers quand l'enveloppe terrestre dont vous êtes si fiers descendra dans la nuit des tom- beaux! Avec la chaire de botanique, Linné reçut la direc- tion du Jardin des plantes. II est pour ainsi dire hon- teux (le sa fortune; aussi, loin de s'en enorgueillir, il croit devoir justifier la bonne opinion que Celsk et RuDBiiCK donnent de lui, il veut par ses services acheter le droit d'être assis parmi ses maîtres. La modestie imprime un nouveau charme au plaisir que l'on goûte ù l'entendre; son imagination brillante attire un au- ditoire nombreux; son génie lécond, son impétueux génie fixe toutes les tètes pensantes; jeunes et vieux, savans et néophytes, tous l'écoulent avec attention, tous accourent à ses doctes leçons, tous prennent plus de goût que jamais aux choses qu'il enseigne avec élo- quence, qu'il enseigne d'inspiration. Son triomphe est des plus complets. Bientôt sa classe augmente telle- ment, que les autres maîtres de l'école en conçurent de l'ombrage, qu'ils osèrent pousser la méchanceté, la dé- pravation jusqu'à menacer de s'opposer à l'avance- ( >57 ) nienl de ceux des élèves qui conliuueraienl à alliM- l'entendre, et même de les priver de leurs droits aux grades vers lesquels tendaient leurs études assidues. A leur instigation l'on vit s'unir contre noire illustre maître la basse jalousie, qui domine presque tous les hommes, et l'envie, celte fureur qui ne pardonne point les succès mérités, et qui se moulre si fortement enracinée dans l'âme de la plupart des savans. A la tête de cette cabale inique, grossie par la tourbe des lâches et des plus vils ambitieux, se place Rozen, le professeur de zoologie ; ils accusent Linné de toutes les perfidies, de toutes les bassesses dont eux seuls sont capables. Ils enveniment jusqu'à ses intentions et le poursuivent avec tant d'acharnement, avec tant de malignité, qu'ils arrachent aux magistrats l'ordre qui lui défend d'enseigner publiquement. Tel on vit au- trefois, pendant les jours de l'anarchie, le sénat d'A- thènes proscrire les philosophes et fermer pendant une année toutes les voies de l'instruction, pour venger les hypocrites et de misérables rhéteurs du mépris dont on les couvrait si justement. Plus surpris qu'effrayé de l'odieuse victoire rem- portée par les nouveaux sycophantes, Linné demeure calme au milieu des passions haineuses qui se déchaî- nent contre lui; il sait que la persécution est le prix que reçoivent ceux qui se dévouent au bien de l'humanité. Il méprise leurs clameurs qui marchent toujours crois- sant, et il s'enferme avec quelques amis zélés pour en- tretenir dans le silence le feu sacré. Ses ennemis ne s'arrêtent point; ils parviennent encore <^ décimer le petit nombre d'adeptes demeurés fidèles; ils vont ( i58 ) même jusqu'à menacer sa vie, tant est déliranle la crainte que ses talons prodigieux leur imposent ! Ce- pendant, pour leur éviter un nouveau crime, Celse et Rlkbeck décident Linné à voyager. Il part pour la Laponie; il va explorer les Alpes de la Scandinavie, interroger ses montagnes escarpées, ses forêts éten- dues, ses sauvages habitans; il va pénétrer dans les mines de la Dalécarlie et reprendre avec des fatigues incroyables le grand travail que Oi.Ais Rldiîi;ck, le père de son bienfaiteur, avait entrepris sous le titre singulier de Campi Elysti, et qui fut entièrement anéanti lors du fameux incendie d'Upsal, en 1702. A son retour d'un voyage aussi long que périlleux, LiNNÈ frappa d'étonnement les savans de la Suède par le nombre et l'importance des choses qu'il rap- portait, par les vues profondes qu'il énonçait avec noblesse et une élégante simplicité; mais les services qu'il rendait ne purent mettre un terme aux tracasse- ries de ses ennemis. Il se détermina donc h quitter sa patrie et à porter à la Hollande les immortels ouvra- ges qu'il méditait depuis long-temps. Il visite les parties de la Suède qu'il ne connaissait pas encore ; il parcourt le Danemarck et les îles ora- geuses de la Baltique; il débarque dans la Gueldre, s'arrête à llarderwick où il fut reçu docteur eu méde- cine le même jour que IIai.ler et Va>-Swieten, et de là il passe à Hartecamp, où il demeura pendant trois ans au milieu des plus belles collections d'histoire na- turelle. Ce fut là qu'il donna loiilc l'extension néces- saire à sou ingénieux système des noces végétales , qu'il avait ébauché, dès 175) , en firessant la Flore de \ ^9 j la Laponie. Ce fût là qu'il créa la langue qui devait à l'avenir indiquer d'une manière simple et précise les prodigieuses variétés de conformation qu'on ob- serve dans les êtres; qu'il proposa une nouvelle théo- rie sur les fièvres inlermiltentes; qu'il décrivit le riche jardin de Cliffort où vivaient réunies les plantes les plus rares des deux hémisphères; qu'il fixa en trois cent soixante-cinq aphorismes les lois de la botanique, et qu'il publia l'histoire de cette science et des hom- mes qui l'ont véritablement enrichie par leurs décou vertes et par leurs travaux. Cette prodigieuse succession d'ouvrages, tous em- preints du génie de leur sublime auteur, tous aussi nouveaux par leur style serré que hardis dans leurs vues profondes, porta le nom de Linné aux extrémités du globe. Tandis que l'Europe reconnaissante buvait à longs traits les flots lumineux qui s'échappaient de sa plume féconde; tandis qu'on s'empressait partout d'adopter sa brillante réforme; tandis que sa gloire gran- dissait chaque jour, la fatalité vint encore lui présenter le calice de l'amertume. Il méditait alors ce livre im- mortel ( la Philosophie botanii/uc) que J.-J. Rodsseau, digne appréciateur des hommes et des choses, admira comme l'un des grands elForts de l'esprit humain : un bruit confus se fait entendre, il augmente; on se presse, on s'agite de toutes parts; Linné demande le sujet d'une si grande inquiétude, on le regarde en sou- pirant, personne ne répond. Cependant, il apprend qu'on vient de retirer de l'eau le corps inanimé d'un jeune homme qui, chaque jour, dès l'aurore, prenait plaisir à observer les poissons qui flottent en grand ( '6o ) nombre dans les ondes de l'Anistel, dans ce fleuve que le besoin d'un commerce actif, d'un commerce très étendu, (it diviser en cent canaux. Ces détails l'inté- ressent, il veut se rendre sur la plage où gît le corps de cet infortuné, mais Cliffort, qui s'avance triste- ment vers lui, l'arrête. Sa démarche est lente, son cœur paraît brisé, et des larmes inondent ses pau- pières assombries. En approchant de Linné, il lui saisit une main, la presse avec douleur, et d'une voix entre- coupée il laisse échapper ces mots lugubres : ArUdi n'est plus ! Linné répète : Artédi n'est plus! et le sai- sissement le rend presque insensible. Puis reprenant ses forces, et soutenu par Cliffort, il arrive près de son meilleur ami, près du compagnon de ses infortunes; il voit ses tristes restes, il veut les réchauffer en posant son cœur sur celui d'ARTÉDi qui n'a plus rien pour lui ; il veut ranimer ses traits que le limon altère, mais Artédi n'est plus! En sortant la veille de chez Sf.ba et se dirigeant vers l'habilalion de Linné, il est tombé de nuit dans un des canaux que l'Ainstel remplit de ses eaux bourbeuses et saumâtres, et il y a trouvé la mort. Ce spectacle cruel glace toutes les âmes, il déchire les cœurs, et des larmes sillonnent tous les visages. Le corps est conduit au lieu de la sépulture, et Linné, vou- lant du moins immortaliser la mémoire de son ami, rassemble ses manuscrits, imprime son beau Traité d'ichtyologie, el trace d'une main douloureuse ce por- trait de l'homme qu'il regretta toute sa vie. « Son es- )) prit était mûr et profond, ses mœurs et ses vertus » antiques. J'étais son meilleur ami, je n'en avais pas de »plus cher. La différence de nos caractères nous était l lOi ) » utile. Son espril était plus sévère et plus attentif, il ob- » servait plus lentement, mais avec plus de soin. Pour «moi il abandonna la botanique, je lui laissai l'ichtyo- »logie et l'histoire des amphibies. Dès que l'un de «nous Taisait une observation, il la communiquait à » l'autre; presque aucun jour ne se passait sans que l'un «n'apprît à l'autre quelque nouveauté curieuse et pi- uquanle. L'émulation excitait notre industrie et nos V efforts ; nous nous voyions chaque jour malgré la dis- » tance de nos logemens; nous nous communiquions I) nos peines et nos succès. » De ce moment, la Hollande où vivaient les savans qu'il affectionnait le plus, et qui avaient si essentielle- ment contribué à la publication de ses immortels ou- vrages, la Hollande lui devint insupportable. Livré à la mélancolie, mécontent de tout, il veut fuir la terre qui recèle les tristes restes de son ami. Pour se dis- traire il reprend le cours de ses voyages. Il visite d'a- bord l'Angleterre, puis il passe dans notre auguste patrie, où, précédé par la renommée, il vit se presser autour de lui tous ceux qui cultivent les sciences et les lettres. Chacun veut le voir, l'entendre, lui parler; chacun cherche à fixer soo regard, à mériter son es- lime. Il herborise à Meudon, à Saint-Germain, à Fon- tainebleau, dans les parcs de Saint Cloud et de Ver- sailles, etc. Dans le bois où nous célébrons aujourd'hui l'anniversaire de sa naissance, il est venu ramasser les espèces des plantes que l'on y trouve plus spécialement. Les honneurs qu'il recevait de toutes parts, les ob- jets nouveaux qu'il observait, ne pouvaient plus rem- plir ses vœux; il était fatigué d'une existence que per- k ( i(i*^ ) kOUDC ne partageait; la plaie de son cœur ne pouvait se fermer qu'on trouvant une compagne digne de lui. Les palmes de la gloire ne sont un trésor pour celui qui les porte que lorsqu'elles sont soutenues par la main (l'une tendre épouse; elles contribuaient h la cé- léLrilé de noire maître, Messieurs, mais elles ne fai- saienl rien, absolument rien pour son bonheur. Tel ou nous représente le voyageur perdu dans le désert brûlant que les lions disputent chaque jour au féroce NumidC; appelant de tous ses vœux les lies de verdure semées dans ces affreux climats pour en tempérer l'ar- deur dévorante, Liaaé ne veut plus vivre seul, il veut se choisir une compagne. Sa résolution est sage; elle est commandée par la reconnaissance. Il retourne aus- sitôt en Suède, et après quatre années d'absence, il touche le sol qui l'avait vu naître. Il y trouve bien encore des antagonistes, mais, ha- bitués à ramper, ils n'osent élever la voix; Tkssin, alors premier ministre d'étal, Tiîssin à qui vous avez consacré un beau genre de plantes, Tessin vient au- devant de LiNNÙ; il le charge de fonder h Stockholm une académie des sciences, et le place à la tête des pre- miers établissemens scientifiques de la Suéde. Ce nou- veau triomphe lui rend encore plus pressante la dette du cœur; il part aussitôt pour la Dalécarlie et épouse ELizAniiTH MooRE, la iille d'un médecin de Kahlun, chez lequel il avait reçu l'hospilalité la plus cordiale dans un temps oh, malheureux et proscrit, il était loin d'appartenir à la plus brillante renommée. Son bonheur fut dès lors fixé. Il refuse les flatteuses propositions qu'on lui fait de Pélersbourg, de Gotlin ( '65 ) gue, de Madrid : c'est dans son pays qu'il veut vivre et mourir. En 1741, il reparut dans la chaire de botanique à Upsal : c'était là le dernier terme de ses désirs. Il l'occupa, cette chaire, trente-sept ans, sans cesse entouré d'adeptes dont il se Taisait chérir comme lin père, voyant de jour en jour s'accroître la puis- sante influence de .^es sages doctrines, de ses pensées profondes, de ses ouvrages immortels. Disciple obscur, il ne m'appartient pas de le suivre dans ses hautes méditations, d'entrer dans le détail in- téressant de ce qu'il a fait pour assurer la gloire de sa patrie, pour élever l'histoire naturelle au plus haut degré de prospérité, et imprimer un grand mouvement aux esprits scrutateurs de ce XVIII""' siècle, tant décrié par cerîaine classe d'hommes; il ne m'appartient point d'analyser les écrits de Linnk, de remettre sous vos yeux le tableau de ses découvertes, et l'application qu'il en fait à l'économie générale et particulière, à la félicité des peuples, sans laquelle, comme il le disait, les sciences sont complètement inutiles : j'admire le génie, je courbe devant lui mon front indépendant, ji; jouis du bienfait, je révère la main qui le répand, et ne puis que sentir la vive reconnaissance dont je suis pénétré. Mais père, mais ami, qu'il me soit permis, Messieurs, de terminer cette esquisse en vous pei- gnant les vertus du grand homme, en vous le mon- trant dans la joie de son ménage, dans la conduite qu'il tient avec ses amis, avec ses enfans : ici, h défaut du talent, le cœur sera mon guide. Linné, comme je vous l'ai dit, trouva la véritable félicité dans le mariage. Celle qu'il avait choisie réu- l '64 ) nissait à la beaiilé le caractère le plus aimable, toutes les vertus tle la plus exceilenlc moitié du genre hu- main. Il l'aimail lendremcnl, elle était fière de son époux et ne conçut pas de bonheur au-dessus de celui d'être avec lui. De leur union naquirent un fils et qua- tre filles, dont la présence et l'amour auj^mentèrent la somme de leurs jouissances : ils n'en souhaitèrent ja- mais d'autres. Quoique investi de l'autorité d'un grand nom, de l'autorité qu'impose le génie le plus vaste, Lixaé fut toujours simple, toujours modéré dans ses désirs, tou- jours indulgent. Jamais il ne rendit h ses ennemis les traits qu'ils lui lançaient : il voulait sincèrement que la vérité brillât de tout son éclat, aussi pardonnait- il les erreurs, comme inhérentes à la faiblesse humaine. Les vices seuls lui faisaient horreur : il en détournait sa vue. Né bon, né sensible, son âme fut généreuse avec SCS semblables et plus encore avec ses inférieurs. Par sa bonhomie, par ses tendres prévenances, il sem- blait leur dire: «Ne redoutez point l'espèce de distance «que certains titres, que certains honneurs mettent «entre nous; le cordon que je porte n'est point pour nmoi, comme chez tant d'autres, le signe de l'orgueil, »le cachet d'une coupable complaisance, la preuve de «viles sollicitations : il redit à ceux qui les ignorent, ma «constance dans le travail, mon courage dans l'adver- i>sité; il leur montre le bon emploi que l'homme doit «faire de son temps, de ses connaissances, et l'obliga- «tion où il est de se sacrifier pour sa patrie, pour le «bien de l'humanité. » Que cette leçon profite à ceux qui m'écoutent ! 4 ( '»'â ) Son cœur se déployait dans le sein de l'amitié, et il le faisait avec une f'rancliise, avec une amabilité qui pénétrait véritablement et permettait de lire jusqu'au plus profond de son âme. Il se plaisait à prendre part aux bruyans entretiens de ses jeunes disciples; il se plaisait à descendre à leurs jeux et souvent à se mêler à leurs danses. C'est par cette existence paternelle qu'il les enivrait des charmes de l'étude, qu'il les plaçait sur toutes les avenues de la science, et qu'il les forçait, pour ainsi dire, à acquérir le talent précoce qui devait arracher à la vieillesse le seul avantage qu'elle croyait lui rester. C'est par cette douce familiarité qu'il peu- pla l'université d'Upsal d'une foule d'hommes distin- gués, et qu'il plaça la Suède à la tête de la plus sublime des révolutions de l'esprit humain. Devenu propriétaire d'un petit domaine situé à Ham- marby, à peu de distance d'Upsal, il fit bâtir près de son jardin, sur une colline voisine, un pavillon où il rassembla une belle collection d'histoire naturelle, où il plaça tout ce que ses nombreux élèves lui envoyaient des diverses parties du globe qu'ils exploitaient. Ce musée, qui existe encore aujourd'hui, était alors le phare d'où s'élançaient toutes les clartés de la science, d'où partaient les signaux utiles qui préparèrent les progrès actuels de nos connaissances; il était alors comme le méridien magnétique dans le plan duquel se dirigeaient toutes les recherches, toute l'ambition des explorateurs de la nature. Dans cette retraite chérie des Muses (i), Linné, i) Lu chamîne f|ut; Linkk aimait à liiibiter pendant sou séjour ik k ( 'fi6 ) lout entier Ji l'étude, tout entier à l'édiicatioii de ses enfans, vil naître et s'éteindre les troubles politiques de son pays. A cette époque deux partis se disputaient la puissance; vrai patriote, il ne voulut se dévouer à aucun d'eux; il n'avait point acquis l'intime conviction que l'un ou l'autre cherchât véritablement les intérêts de la nation, que l'un ou l'autre pensât à la rendre libre de toute oppression. Il se contenta de donner de sages avis, on ne les suivit pas; la vertu perd son ascendant quand les passions sont en présence. Bien- tôt la lutte s'engagea entre la noblesse, qui ne voulait d'autres lois que celles qu'elle dicterait, et le pouvoir exécutif, qui visait îi la monarchie absolue : ce der- nier triompha ; le peuple fut victime, comme il l'est toujours, et les lois politiques de 171g et de 1721 abo- lies placèrent de nouveau, comme Li>né l'avait prévu, la Suède sur l'abîme des révolutions. Il en gémit dans le silence ; bien différent en cela de certains savans de noire tige qui, profilant de l'incertitude des esprits, se prostituent à l'insidieuse politique, parce qu'elle distribue les honneurs, parce qu'elle dispense la for- lune, et vont perdre en de viles complaisances le temps qu'ils étaient appelés h consacrer aux progrès des lu- mières. LiMSÉ eul le bonheur de voir son fils et l'une de ses Hanirnarby, est encore d.ins le même elat, garnie de ses lapis faits de feuilles d'herbes; la table su laquelle il traça de si grande.s pensées, le bonnet de docteur qu'il reçut le aS juin 1^55 à Harderwyck, plu- sieurs manuscrits, un service en porcelaine de la Chine orné de Ja Linnœa horealis, y sont conservés respectueusement. Dans la salle à manger, on voit les portraits de toute la famille. ( i67 ) filles cueillir des palmes dans le champ qu'il avait dé- friché. Il jouissait de cette nouvelle gloire quand il reçut les premières atteintes de la mort, quand il sen- tit se perdre la mémoire prodigieuse qu'il avait eue dans sa jeunesse. Il fut frappé d'apoplexie au commence- ment de mai 1774; une seconde attaque, en juin 1776, le priva de la plus grande partie de ses facultés; enfin il mourut d'une hydropisie le 10 janvier 1778, âgé do soixante et onze ans. Dans l'un comme dans l'autre hémisphère on en tonna l'hymne des funérailles, partout on s'empressa de rendre hommage à la mémoire de notre maître im- mortel; son épouse lui survécut d'un petit nombre d'années; son fils mourut en 1784, et tandis que l'her- bier qu'il avait formé dans ses voyages, que ses élèves avaienlenrichi, était porté en Angleterre, Broussonnet, en France, eut le premier l'idée de placer sous les aus- pices de LiNNÈ une réunion d'amis qui, tout en adop- tant les lois sages qu'il avait dictées aux sciences, s'im- posait l'obligation de marcher à la gloire en travaillant sans cesse à en reculer les bornes. La première Société Linnéenne fut fondée à Paris en 1 788 ; celle de Londres date de 1 789 ; celle de Phi- ladelphie de 1806; celle d'Upsal de 1807; celle de Boston de 1810; et la vôtre, Messieurs, réédifiée sur les débris de l'ancienne, compte déjà cinq années d'existence. A votre exemple, on s'est empressé d'élever dans plu- sieurs départemens de la France, dans diverses con- trées du globe, un temple à Lipiné, mais le vôtre seul jouit des prérogatives réservées aux aînés. Vous n'êtes 12 ( 'fis ) pas seulement les disciples, los admirateurs du grand homme, vous lui appartenez par le sany;. Trois de ses filles sont devenues vos sœurs ; elles font partie de votre Société, et vous lient ainsi à la famille même de celui que vous avez si franchement adopté comme pore. A ces litres, Messieurs, vous devez rire des mensonges que débitent contre vous ceux qui se sont rendu s coupables du crime de félonie; vous devez mépriser les armes que dans l'ombre quelques-unes de ces âmes double- ment perverses aiguisent encore contre vous. Fils de Linné, à l'exemple de votre maître, soyez liers de la haine et des injures des méchans; comme lui l'on vous calomnie, on vous persécute ou l'on envenime jusqu'h vos pensers, et comme lui vous verrez dissiper par les vents la fange soulevée contre vous; ne redoutez point les entraves, en les surmontant on arrive à la gloire (i); achetez-la cette gloire si chère aux grandes âmes, ache tez-la par de nobles sacrifices, par des travaux utiles, et vous recueillerez les bénédictions dos âges futurs, vous serez vraiment dignes du beau nom de Linnéens. (i) " Advcrsariorura tela nunquatn retorsi :acerrim;i convitia, insi- mulalioncs, cavillationes, buccinationes (praeslanliorutn lonf;e viro- riim, omni œvo, laboris prœmia), tranquillo aniino siisliiiiii, u<'<; < (LiNNjKu.s, praelalio in Spi-c. fjlu/it.) ( ' ) de narcisses, de violettes, d'amaryllis; ils les rasseiu- hlaient à grands Irais et les nièlaicnl à toutes les sortes de fiantes odorifi^rantes que leur fournissaient leur sol lerlile, les marchands de l'Orient et ceux qui visitaient l'antique Egypte. Pour conserver les fleurs venues de toutes les parties du vieux continent, les Romains in- ventèrent les serres chaudes; elles se multiplièrent sous les empereurs, malgré les déclamations de Si NÈQUE : tant-il est vrai que l'iionmie écrasé sous le poids des honneurs et des richesses éprouve le besoin impérieux de se rapprocher de la vie agraire, et de chercher à imiter la !»imple condition du laboureur ou du jardinier, pour rétablir dans son âme la dignité dv son être et pour venger le pauvre de l'orgueil dont il l'accable sous les lan)bris dorés et par le luxe de son heureuse destiïiée. Outre le jardin, les fleurs ornaient encore autrefois, comme de nos jours, l'intérieur des habitations; on en plaçait sur toutes les croisées. En parcourant les rues de la cité éternelle, dit Martial, je respire les odeurs du printemps; le myrte, la rose, le lis, la marguerite, la jacinthe, fraîchement éclos, brillent à tous les étages, descendent sur ma tête en festons, et donnent un non- veau charme aux monumens qui s'élèvent non loin de là. Mais en admettant les fleurs dans l'intérieur de nos maisons, ne nous laissons point tromper par leurs ornemens enchanteurs. Si dans les champs elles j)rodui- sent sur tous nos sens un sentiment subit et délicieux, c'est parce qu'elles s'unissent an ravissant spectacle de la nature; mais renfermées, elles nuisent h la santé, elles affectent le système n, Horace, le gentil Bernard, chantaient leurs odes couronnés de fleurs. Leur inja- gination brillante en était plus féconde, les vers cou- laient avec rapidité, leur rilhme était plus harmonieux et le sentiment plus vrai. Paphos, Amatonthe, les ri- ves du lac Lucrin, les plages de Baïa, redisent encore h la pensée la bruyante gaîté des convives, les fleurs qui couvraient le lit de la beauté, les fleurs qui nais- saient sous les pas de la nymphe légère. Ces innocentes unions des fleurs et des plaisirs ont cessé lorsque de tristes sectateurs ont renversé les autels des dieux de la riante mythologie. On décorait de fleurs nouvelles le berceau de l'en- lanco. Symboles de la grâce, de la candeur el de la vie. ( '78 ) elles devaient aussi présider au mariage, aux danses de l'hyménée. On a fait plus, elles ont servi de pré- texte aux fries les plus touchantes, aux institutions les plus aimables. Un chapeau de rose a élé dès le milieu du cinquième sièchï de notre ère un puissant motif de sagesse, de justice, de travail. L'heureuse idée de l'évêque de Noyon a fait établir d'autres rosières; elles ont long-temps servi de sauve-garde aux mœurs, mais elles tombent en désuétude, surtout auprès des grandes villes ; la faveur a souvent de nos jours couronné d'im- pudiques vestales, et la fondation sacrée ne fait pas germer dans les cœurs les sentimens de bienveillance que l'on retrouve encore dans les campagnes les plus éloignées. Amies de l'homme, les fleurs devaient le suivre dans sa dernière demeure. Tous les peuples ont orné l'urne funéraire des images brillantes du printemps. La jeu- nesse de l'année cachait ainsi les horreurs d'une sépa- ration éternelle; les emblèmes de la vie rendaient moins horribles le silence, le froid glacial de la mort. Les Grecs couvraient les tombeaux d'amaranlhes, de myrtes, d'asphodèles; chez eux les pavots croissaient .^ l'ombre des cyprès, la pervenche montait près du laurier-rose. Les Romains donnèrent la préférence au lis, au safran, à la rose, à la vigne-vierge, au buis et aux fleurs rustiques qui émaillent la prairie. Ces fleurs étaient sacrées; elles semblaient, au retour de la saison, une émanation de l'ami, de l'épouse, de l'enfant, dont la dépouille mortelle reposait sous le sol. Celle idée touchante agrandissait l'âme, faisait battre plus vive- ment le cœur cl donnait moins d'amertume aux souvc- I ( '79 ) nirs. Elle montrait aussi la courte durée des choses auxquelles nous attachons le plus de prix et enseii Une femme dans une rose. » L'amour pour les fleurs annonce des goûts simples, des habitudes aimable^;. Celui qui porte un cœur insensible, une âme sordide, n'aime point les fleurs : le méchant n'ose pas même les fixer. Nous avons appris dans les fleurs à calculer les heures liu jour; d'autres, (\\\v Ton ;i nommées méléori- ( "S" ) qiies, nous avertissent des mouveniens de l'atmosphèri"; un grand nombre est employé avec avantage dans l'art de guérir; les unes ont fourni un motif important de commerce; les autres alimentent plusieurs branches de l'industrie. En un mot, les fleurs accompagnent et embellissent notre vie, elles sont les dernières amies qui pleurent sur notre tombe. n Le sorl jaloux abat ce que riiomme a constiuil, » Sur:' le front des rois même imprime ses outrages, « Renverse leurs palais et brise leurs images. ,1 Plus durable lui seul que le marbre cl l'airain , « L'arbuste où vil leurs noms triomphe du destin. 1) C'est une inscription que le temps renouvelle , » Qu'offre cliaque jirintemps, que chaque Iiiver ia|)pelli\ » ( '82 ) LES FEMMES ET LES FLEURS STANCES. Vivantes fleurs ! 6 vous, divinilcs niorlelles Des plus tlouces vertus, vous, les touchans modèles; O femmes ! lu n;tUne a soumis à vos lois Et les luunhles bergers et les sujicrbes rois. De nos faibles de;lius arbitres souveraines. De TéelaL des vertus ennoblissez nos eliaines; Honorez voire euipire en nous rendant heureux ; Quand vous l'ordonnerez nous serons vertueux; Et nos cœurs épurés , fiers de votre suffrage , Des viles passions briseront l'esclavage. Muses, (jue vos accords célèbrent tour à tour Les femmes et les fleurs, le printemps et l'amour' Du printemps et des fleurs séduisantes images, A'ous, dans tous les climats, objils de nos hommages : Astres étincelans , dont la vive clarté Vient embellir pour nous la sombre adversité : () femmes! en tous lieux votre aimable influence Peut devenir pour l'homme une autre providence. Vous régnez par l'amour, les vertus et les arts; iSos destins sont souvent écrits dans vos regards. Du moins sachez user de vos droits légitimes. Sans vouloir soiis le joug dégrader vos victimes.... Muses, que vos accords célèbrent tour à tour Les feuunes et les fleurs, le printemps et l'amour I ( i83 ) Le myrte, de l'amour est l'arbre tutélairej Le laurier, du héros est le noble salaire ! L'olivier, de la paix symliole précieux. Semble un don accordé par la bonté des cieux. Dans l'humble violette , ornement du village , L'aimable modestie a caché son image : La rose, en nos liameaux, des vertus est le prixj Chaque arbre, chaque fleur, s'offre aux yeux attendris Comme un être animé , comme un touchant emblème Que chacun, à sou choix, donne à celle qu'il aime. Muses, que vos accords célèbrent en ce jour Les femmes et les fleurs, le printemps et l'amour ! i5 ( '«4 ) NOTE Sur la Linnœa borealis, par M. ArsenneThiébaut DE BerneauDj Secrétaire perpétiipl. Cette petite plante, à laquelle on a d'abord donné le nom de Campanula scrpyllifoUa, parce qu'elle a le port d'une campanule, fut constituée genre par J. Gro- Novius qui, le premier, lui donna une attention parti- culière. Il lui imposa le nom du plus grand des bota- nistes. Elle aime les situations ombragées, point trop hu- mides, et quoique originaire des contrées alpines, elle redoute les grands froids. Richer de Belleval, qu'on a justement appelé le promoteur de la botanique à Montpellier, en avait découvert une variété dans les montagnes de l'Espérou, l'une des branches les plus âpres des Cevennes; elle y a été recueillie par Gouan, qui fut l'ami de Li.nné, mais elle est perdue depuis plusieurs années. On ne la trouve plus en France, et les pieds que l'on cultivait dans les jardins botaniques ont dégénéré. Elle présente encore, mais très-rarement, des tiges isolées sur le Monte-Baido, en Lombardie, dans la vallée d'Aost, en Piémont, et dans certaines localités de la montagneuse Helvélic et de l'Angle- terre (i); mais elle abonde surtout en Laponie, dans (i) Le professeur Beattie l'a trouvée dans les anciennes forêts de ringlismaldie, clans le Kincardineshire. ( «85 ) les forêls de la Suède méridionale, daus plusieurs par- lies de la Russie et de la Sibérie, et dans les contrées élevées des Etats-Unis de l'Amérique du nord. Elle fait le plus bel ornement des vasJes déserts de la Finmar- chie. J'en possède un pied vivant que je dois h l'obli- geante amitié de M. Soulange-Bodi\, et deux échan- tillon secs, l'un, cueilli en iSaS à Hammarby, dans la propriété du grand Linné; l'autre, provenant des mon- tagnes de Cattskill, dans l'état de New-Yorck. La Lmnœct est une petite plante rampante, à racines fibreuses. Ses tiges, étalées sur la terre, et qui s'éten- dent jusqu'à un mètre et plus (i),soîit sous-ligneuses, filiformes et munies de quelques poils blancs très- courts; leurs rameaux alternes, plus sensiblement ve- lus, s'élèvent de cinq à seize centimètres ( 2 h G pou- ces ) et dépassent rarement vingt et un centimètres- (8 pouces). Les feuilles sont toujours vertes, opposées, presque orbiculaires, garnies de quelques crénelures, persistantes, et larges de sept à dix-huit millimètres (3 à 8 lignes). Les pédoncules terminent les rameaux; ils sont droits, solitaires, longs de quarante à cin- quante-quatre millimèties ( i pouce et demi à 2 pou- ces ) , fourchus et biflores. La plante appartient à la * didynamie angiospermie du système sexuel. Jussieu la place dans la famille caprifoliées. Les fleurs de la Linnœa sont penchées, blanches ex- térieurement, un peu velues, veinées de rouge en de- dans, et portées sur un double calice. Elles s'épanouis- (■) LiKKÉ en n vu d.ins l;i Lapoïiic qui avaii-nl 6 iiicUcs (i8 pieds) de long [Flora lapponica , n" 25o.) ( i86 ) sent rers l'époque où Linné reçut le jour ( le 24 mai), et répandent, principalement le soir, une odeur agréa- ble, voisine de celle de l'ulmaire des prés ( Spirœa ubnaria). Le premier calice est inférieur, hispide, glutineux, à quatre folioles, dont deux opposées, Irès- petites, pointues; et les deux autres, également oppo- sées, plus grandes, elliptiques, couniventes, embras- sent l'ovaire. La corolte est monopélale, turbinée, canipanulée, à limbe quinquéfide, obtus, presque régulier. Les éla- mines, au nombre de quatre, dont deux plus grandes, sont moins longues que la corolle, insérées à sa base, blanches et à lilamens subulés; les anthères qu'elles portent sont comprimées et vacillantes. Le style est fili- forme, de la longueur de la corolle, incliné, à stigmate globuleux, hispide. L'ovaire est inférieur, arrondi : de son centre part le style. Aux fleurs succède une baie sèche, très-petite, ovale, triloculaire, environnée par le calice inférieur. Les se- mences qu'elle renferme sont arrondies, au nombre de deux dans chaque loge. Un petit nombre atteint à la parfaite maturité. La plante est un peu astringente, diurétique. Les fleurs sont an)ères. Dans ses liariorcs I^ orivegur pu- bliées en 1 7G8, et cinq ans après dans sa Flora Noinvc- gica medico-œconomica, le docteur Henri Tonxing parle du bon usage de la Linn.Ta contre la goutte et les douleurs rhumatismales. Artedi a vu ses feuilles in- fusées avec du hiit, employées dans l'Angerinanie (province du nord de la Suède) pour fomentations et calaplasmes. Eu France, les praticiens n'en ont obtenu Fête Clianipètre d/t 24 -^'^ iS^J.- LINNtEA Borealis . Jara/i. Starr , tlel . ,4e/è/o £timurt,n*?e So^ttef. uue IKui c|iic voUe art décompose, ^ (lus ne Irouvez qu'un sujet de leçon; ( i89 ) Et quand mon œil aime à voir une lose. Vous l'efFeuillez pour m'en dire le nom. Allez , cruels , en vos expériences , A la nature arracher ses couleurs j Moi , je préfère à vos tristes sciences L'illusion et ses douces erreurs. Qu'ui-jc entendu.'' d'où vient qu'au bruit des vcrrfs D'aimables voix mêlent de gais refrains? C'est l'Amitié, chez un peuple de frères, Qui boit et trinque au bonheur des humains. Sages mortels, votre docte alliance Aux doux plaisirs ne ferme pas vos cœurs , Et vous goi^itez au sein de la science L'illusion et .ses douces erreurs. A vos travaux , oui, la grâce s'allie : Près du savoir, aimable et sans orgueil , Vient, en chantant, se placer la folie, Qui, pour ce jour, occupe le fauteuil. De la beauté la riante présence Déploie aussi des charmes séducteurs, Et je retrouve auprès de la science L'illusion et ses douces erreurs. EuGÈNi; DORIEU, ( '90 ) (t/V^^ll^lfVÏ VIVV^VVVï VWVV VV1VV V^A/^Mk/iyvVIVUb VVIL^ VVVVVVW WWVM.'W l/WVW^^ VH/t/VVti/W LA CONSOLATION. Air : Contentons- nous d'une simple bouteille. Sur celle mer qu'on appelle le monde, Où malgré moi Ton me lil passager, Triste jouet et des vents et de l'onde , J'ai maintefois couru plus d'un danger. Aux bords riaus dont m'éloigna l'orage Eu vain l'espoir fait luire encor ses feaxj Je ne crois plus aux rêves du bel âge... Mais je souris en voyant des heureux. Du doux printemps séduisantes chimères, Amours, plaisirs ont enivré mon cœurj Mais du destin ces faveurs passagères, Sans le donner, promettent le bonhenr. Aimez pourtant, riez, vive jeunesse^ Que mes regrets ne troublent pas vos jeux ! Ne faites trêve à vos chants d'allégresse , Car je m'égaie en voyant des heureux. Quand cependant, lassés de la folie. Au vent du soir vous rentrerez au porl^ Pour y rester faites-vous une amie , A son destin enchaniez votre sort. J'en avais une; elle me fut ravie, El je n'ai plus que des jours nébuleux : Dans les regrets qui tourmentent ma vie Mon seul bonheur est de voir des heureux. RELATION DE LA QUATRIÈME FÊTE CHAMPÊTRE ■■jt CELEBREE A MEUDON PAR LA SOCIETE LINNEENNE DE PARIS, le 24 niai 1825, JOUR ANNIVERSAIRE DE LA NAISSANCE DE LINNÉ J pak m. thiébaut de berneaud, Secrétaire perpéluel, Membre et Correspondant de plusieurs Sociétés savantes nationales et étrangères. PARIS, DE L'IMPRIMERIE DE LEBEL, IMPRIMEUR DU ROI, fiUE d'erfdrth, n" I, PRÈS l'abbate. 1825. I Dutn jii^a inoulis apcr, fluvios diiin piacis ani;ibit, Diinique ihymo pascenliir apes, dum rorc cicaclx, Scmpcr honos , nomcnquc luum, Iniulcsque maiiebunl. Yinr.iL., F.clog. V, 76. r r SOCIETE LINNEENNE DE PARIS. RELATION DE LA QUATRIÈME FETE CHAMPÊTRE CÉLÉBRÉE LE 24 MAI îSsS. Au retour de la saison des fleurs, les Linnéens aspi- rent à ce joli mois où la nature s'embellit de tous ses charmes; où la terre, diaprée de mille nuances diverses, travaille graduellement au grand œuvre de la fructifica- tion; ils voient avec plaisir s'approcher le jour anniver- saire de la naissance de Linné, et tous, vivement émus par le sentiment de la franche cordialité, s'empressent de se grouper autour de l'autel du génie, élevé par la reconnaissance sous la voCite embaumée des arbres^ au milieu même des êtres qui s'animent, se reprodui- sent, et ajoutent par la variété de leurs formes, de leurs couleurs et de leurs mouvemens, un nouvel ac- cord aux harmonies de la création f tous viennent pour célébrer avec la Société-mère la fête solennelle et champêtre qu'elle a consacrée à la mémoire à jamais illustre du législateur des sciences naturelles. Le ciel triste et même froid des jours précédens i4. * ( '94 ) s'épura le 20 par un orage i)rolongé, et dès l'aurore du 24 il devint superbe; un soleil radieux brilla du plus pur éclat, il répandit sur la terre ses rayons bien- faisans; l'atmosphère s'échaulla, et les doux elianls des oiseaux préludèrent aux plaisirs de la journée. De nombreux Correspondans, venus des bords de la Tamise, de l'Escaut et de la rive droite du Rhin, ou bien partis de divers points de la France, ainsi que plusieurs amateurs distingués de la capitale, réunis aux Membres Résidaus, aux IMcmbres Honoraires, aux Auditeurs et aux dames Associées-libres, se sont reudus par trois chem'ins dillerens au village de Meudon, qui, du haut de sa montagne, domine le vaste bassin dont Paris oc- cupe le centre, et voit la Seine, après mille contours, s'approcher, disparaître pour se montrer de nouveau, et se perdre dans le lointain. Les uns ont comnicncé leur exploration par le petit vallon d'Arcucil, d'où l'on tire cette pierre dure, à grain fin, et susceptible d'un beau poli, que l'on nomme Pierre de liais; par les hauteurs que dominent agréablement Chalillon, Bagneux, et ce Fontenay, qui produit de si belles fraises, et prend son nom des jolies fleurs que l'on y cultive depuis plusieurs siècles. Les autres ont visilé les carrières de Mont-Uouge, dont les couches calcai- res renferment nombre de coquilles fossiles et des empreintes de plantes; Yanvrcs, village très-ancien, coupé en tous sens par les nombreux lilels d'une eau pure, et Clamart, qù M. Thorv, membre résidailt de la Société, a décrit si exactement les roses qu'il a ras- semblées autour de lui, et auxquelles il prodigue tous les soins d'une culture favorite. Les troisièmes en (in ont traversé la plaine de Grenelle, qui est formée de ( i9'^ ) silex roulés dans un sable argileux plus ou moins épais el coloré par l'oxide de (cr; ainsi que le village d'Issy, donl le calcaire sablonneux présente des cof[uilles très- variées et souvent nacrées. Parvenus tous an lieu du rendez- vous général, on s'est rendu compte des premières observations recueil- lies : elles ont fourni les moyens de corriger des des- criptions mal faites, de remplir des lacunes immenses, de rectifier les erreurs de localités, d'espèces et de variétés qu'on trouve dans les ouvrages de ceux qui ont écrit jusques ici sur les plantes, les insectes, les corps fossiles des environs de Paris. Après un déjeû- ner animé par la gaîlé et la franchise, on s'est dis- persé dans la forêt de Mcudôn. Non loin d'une fontaine qui roule ses eaux paisibles vers des étangs voisins, sous une large touffe de chê- nes, où le ramier a placé sa couche amoureuse, et qu'environnent des groupes de châtaigniers et des hêtres dont la verdure brillante, fraîche, précoce, contraste agréablement avec l'écorce blanche et sati- née des bouleaux, les dames Associées-libres placèrent sur un cippe, orné de guirlandes légères, le buste de Linné, qu'elles couronnèrent de dix- huit espèces ou variétés de roses, offertes par M. Ïuouy (i). (i) E.'i voici les noms : liosa indlca Liiiiiœaiia (Tiiory); R. longi- folia (WiLLDENOw); R. andegavcnsis (Bastard); R. hrevtsLjla (de Candolle); r. rcduteana glauca; R. candolleana elegans; R. piin- pineLlifoUa ]>rittiulaj R. spiiiuUfolia derniita, cl R. scpium uijrtijo/ia (Tiiory); r. rnhisinosa acideaLissiina j R. alpin fi ■varie gâta; R. liis- pida flore semi phnô ; R. inerntis ( Turbinala inermis) ; R. fœtida (noit BastahiI ; R.nd'iUa ( Likdley) ^ R. Kamschatica (Vektenat); R.pirii- pineUifolia discolor (incidite) , el in Rose aux cent cens, ctcDupowT.Î .1 ( '96 ) Lli,li midi plein (heure à laquelle Charles Linné prit naissance il y a cent dix-huit ans), le ihennouiètre marquant 22° 9 centigrades, le baromètre, ramené à 7éro, indiquant -joy""^ 86, et l'hygromèlre étant à 70°, M. le docteur Descourtilz, en sa qualité de Pré- sident, ouvrit la séance par un discours, qui fut vive- ment applaudi par l'honorable assemblée. M. Charles Lemesle récita ensuite des stances dans lesquelles il chaule tour à tour les fleurs, qui sont la parure des végétaux, et la culture, qui sait faire la part de l'agréable et celle de l'utile, auquel elle s'est plus spécialement consacrée. JM, PoDEVix, membre résidant, lui succéda pour en- tretenir l'assemblée des réflexions philosophiques qui lui ontéléinspirées parla marche de la civilisation dans ses rapports avec les habitudes primitives de l'homme ot par les progrès de son intelligence, si puissante, et (juelquefois si misérablement bornée. Dans une allégorie anacréonliquc, M. Albéric De- ville, autre membre résidant, a remonté à l'origine de la beauté, et l'a fait voir, brillante de jeunesse et de grâces, sortant des mains de l'Amour. L'ile de Terre-Neuve, que l'on sait être située vis-à vis l'embouchure du grand fleuve du Canada, fournit h M. de la Pylaie (1) le sujet d'une notice très-curieuse sur la force végétative de son sol, sur les causes qui y limitent le nombre des plantes, et jilus grande partie de ces fleurs sont peinlcs, et décrites dans les Jîoses de Redolté, dont M. Thory a rédigé le texte. ■ (1) Ce savant botaniste l'explora à deux fuis diiTérentes, duboid en 1816, puis en 1819 et 1810. ( 197 ) sur ses époques végétales : elle fut entendue avec plaisir. Pour et au nom de M. Pesche, correspondant, M. Delavaux, membre honoraire, donna lecture de vers adressés h la rose : c'est une amplification de ceux consacrés par Martial à l'emblème chéri de la plus aimable moitié du genre humain. M. TiiiiBAUT DE Berneaud, Secrétaire perpétuel, lut ensuite une espèce d'allocution intitulée : Le Na- turaliste patriote , ou Conseils d'un vieillard aun» ■amis des sciences naturelles. Enfin M. Deshaves termina la séance par des stan- ces à Linné, à la suite desquelles MM. de la Pylaib et TiiiÉBALT DE Berneaud offrirent, par la voie du sort, plusieurs échantillons de la Linnœa borcalis, recueil- lis par le premier dans les montagnes de l'île de Terre- Neuve, et envoyés au second le i" mai courant, de Hammarby près d'Upsal (i), par mademoiselle Louise Elisabeth Christine, fille aînée de Linné, à qui les sciences sont redevables de l'intéressante observation des étincelles électriques qui s'échappent de la ca'^a- cinefTrapœolummaJusJ, le soir, par un temps chaud, et de la découverte du phénomène qui rend inflam- mable la vapeur transpirée par la fraxinelle (Dictam- nus albus) et par quelques autres plantes, comme elle, munies à l'extrémité des tiges et aux pétales de vé- sicules pleines d'huile essentielle (2). On s'est alors de nouveau répandu dans la forêt (i) ^'oyez la Relation de la fête du i^ mai i^i'^, pa^. i65. (2) Mémoires de l'Acadciiiie des sciences de Stockholm , 1 762 , rng. 284. ( '98 ) pour l'explorer sous tous les rapports de l'histoire na- turelle. La récolte des plantes phanérogames n'a rien produit de Lien remarquable, si ce n'est une belle col- lection d'orchidées, si ce n'est aussi le Genista an- glica qui commence à se perdre aux environs de Paris. Quant aux cryptogames, grâces aux recherches alten- lives de M. le docteur Lèveillè, membre résidant, leur nombre a presque égalé leur nouveauté (i). Lesenlomologistes ont retrouvé, à des âgcsdifférens, lesDorlhésia de l'euphorbe à fleurs rouges fEupliorbia c/t«î'rtcirtsy et l'espèce que la Société Linnéenne a, Ta'h dernier (2), dédiée à M. Delwaux. Ils ont en outre découvert dans la grande famille des carabiques deux espèces inédites; de plus, un sylpha fort rare aux en- virons de Paris, et une muscide nouvelle, qui seront décrits et figurés dans ]«s Mémoires de la Société. Les carrières de ftleudon, qui fournissent de très- beaux blocs de pierres, et les caves d'une étendue consi- dérable (5) d'où l'on tire la craie, où elle se trouve en- tremêlée de silex eu rognons, recouverte d'une couche mince d'argile plastique, donnant parfois une sorte de brèche (4), ont offert aux géologues des coquilles presque toutes analogues à celles que l'on trouve h (1) Dans le «ombre, je citerai j)lus pnrliculirrcmcnl r.Z^ciùVf/;;! convolyuU (dtî BROKDEAr), elV/E. ^nolœ caninœ, Y Uredo alni,ïU. hyacinthi non scripti, et VU. colchici, ainsi que YJEndophjllum Per- soonii et ]c. Peridcrminm pini (de Léveilli?) décrits dans le IV<^ vol. des Mémoires de la Société Linnéenne, pag. 202 et suivi (2) Voyez le t. III des Mdmoirp.s Je, l bois que nous allons parcourir : ici, le papillon volagu ( 202 ) va exercer la légèreté et l'adresse de nos aimables sœurs; là, l'insecte, caché sous l'herbe, ou parcourant les airs, éveillera le désir de nos entomologistes, el leur fournira les moyens de faire l'application d'une méthode sagement raisonnée. L'ornithologue lui-même, au milieu des transports de son ivresse, désarmera son tube meurtrier, et fera grâces aux hôtes de ces bois pour ne point troubler une solennité aussi chère, en donnant la mort h quel- que mère éplorée; les chants joyeux du merle et du lo- riot, celui plus soutenu de la rousserolle babillarde, celui plus agréablement modulé de la fauvette à tête noire, le rossignol lui-même, tous ces oiseaux fiers do notre protection, et paisibles au milieu de leurs enne- mis, célèbrent notre réunion, et applaudissent h notre hommage. Produits moins animés de la création , aimables fleurs! que chacun de nous vous chante, embellissez nos demeures, voilez les soucis qui empoisonnent si sou- vent notre triste existence, et au milipu dos hivers char- mez encore nos regards dans les collections vivantes de nos collègues MM. Gels, Noisette, et particuliè- rement SoLLANGE-BoDiN, OÙ l'art rivalisc avec la na- ture et quelquefois la surpasse, en redressant ses aber- rations. Il n'est point d'hiver pour ces observateurs studieux et désintéressés; ils offrent en tout temps au curieux amateur le ravissant spectacle d'un prinlenijis éternel. Que de soins ingénieux imaginés h Fromnnl pour dérober aux rigueurs d'une température glaciale ces belles plantes de la zone torride, qui y retrouvent une chaleur bienfaisante et prolectrice, des fontaines , des jets et des cascades d'une eau thermale qui dé ( 203 ) veloppe leur verdure, et favorise leur végétation ! je vote publiquement ici des félicitations à cet infatigable botaniste cultivateur qui a su si bien tirer parti de tous les sites, acclimater des espèces utiles et curieuses, et forcer la nature, pour ainsi dire , de céder à l'empire de sa théorie savante. Avant de terminer. Messieurs, je dois vous rappe- ler que chacun de nous doit butiner pour enrichir les collections de la Société. Employons utilement notre temps, et que la fin de ce beau jour s'écoule dans les jeux! la lune nous prêtera sa lumière pour retourner dans nos foyers, satisfaits d'avoir consacré quelques momens à la nature, aux sciences, et à la douce amitié!.... LES FLEURS ET LA CULTURE, STANCES Par m. Charles LEMESLE, Membre correspondant. Mortel ambiiieiix, insensé que lourmcnle La soif d'au vain renom sans cesse reuaissjuitr, Poi\r 1!» moment baisse les yeux ; O superbe j un moment susptnds ta course allicie : Tu foules à les pieds une herbe salutaire Qui te rendrait im calme heureux. .Si tu n'entends du Inuil, tu crois que l'on sommeille; C'est toi qui dors plutôt, et c'est moi qui t'éveille : Repousse tes rêves raenleurs. Contemple de Rodsseac les dernières années, Et cherche, ainsi que lui, des heures fortunées Dans le^dotu: cbmmerce des fleurs. Les fleurs, quand le printemps commence à noiis sourire, Embaument à l'euvi l'haleine du Zéplijrc; Trésors de parfums , de couleurs , Leur sein renferme aussi de moins frêles richesses. Et leurs faveurs pour nous sont cncor des promesse» Que nos sens portent à nos cœurs. Travaux d'Alcinoiis, si chers à Tàmc pure, Et toi, source de biens, loi, noble Agricullurr , Heureux qui goûte vos attraits! ( 205 ) n ne poursuivra jniinl une gloire iiiocvtaiae : ïi a pour aviuir la ii colle prochaine, tL j)oui prcsenl des pl:)iiirs yvim. L'airain dt: la Irompette est bruyant et stéiiif; l.e fer df la charrue est ruuel, mais utile. Trop souvent, dans ses voeux déçu, S.'liomœe présomptueux, qu'uu fol espoir enivre i'.a yain après sa mort se flatte de revivre^ Il meurt avant d'avoir vécu. CONSIDÉRATIONS GÉNÉRALES Sur les rapports de la civilisation avec les habitudes primitives de l'homme et les progrès de son in- telligence; par E.-D. Podeyin, Membre résidant. L'noMME occupe, par son Intelligence, la sommité de la création; il est éminemment sensible, il a de nombreux besoins et par conséquent des aircctions qui déterminent ses habitudes primitives et constantes. 11 est à la fois physique et moral, et ses facultés morales diversifient à l'infini ses habitudes. Il est per- fectible et le développement de sa perfectibilité multi- plie ses besoins avec les moyens de les satisfaire. Il est corruptible par suite de sa perfectibilité même, et sa corruption substitue les caprices d'un goût dépravé au sentiment de ses véritables besoins. Toutes ces ma- nières d'être sont également dans la nature de l'homme; sa grossièreté primitive, sa civilisation subséquente, sa dépravation finale se trouvent l'une comme l'autre dans la puissance et la liberté d'agir que le Créateur luiadéparties. Toutcc qu'il estet loutce qu'il peutclre, tout ce qu'il a fait et tout ce qu'il fera, rentre de même dans les habitudes propres de son espèce, et si nous devions la considérer dans tous ses états, dans tous ses rapports, l'histoire naturelle de l'homme se terminerait iiar l'histoire générale de l'humanité. o 1 Mais h travers cette foule de coutumes et d'institu- tions civiles, morales et politiques, qui modifient de mille manières les habitudes primitives, on découvre ( 207 ) toujours le fond sur lequel notre esprit inquiet a tant travaillé. Ce fond est dans les premières déterminations que nous suggèrent nos premiers besoins, et cette déter- mination constitue notre instinct; car il faut bien recon- naître pour instinct ce qui dépend chez nous, comme chez les animaux, non des combinaisons de l'intelli- gence, mais de la simple obéissance aux lois de notre nature physique. Il a bien fallu que l'espèce humaine pût subsister avant que de raisonner, puisqu'elle s'est trouvée d'a- bord dans des situations où elle aurait péri mille fois avant d'être raisonnable. Il lui a fallu des demeures, des vêtemens, des armes et un art d'attaquer et de se défendre, un régime de famille, un attrait pour la so- ciété, avant qu'elle eût des arts, des sciences, des con- ventions et des lois. Pourquoi l'instinct n'aurait-il pas fait dans l'homme ce qu'il a fait dans les animaux? Pourquoi l'intelligence universelle qui agit constam- ment en eux parce qu'ils n'ont pas la raison, n'aurait- elle pas agi en lui avant qu'elle se fût développée? Que! que soit cet instinct, sans doute la raison l'a bientôt fécondé; sans doute la perfectibilité dont l'homme seul contient le germe, l'a bientôt asservi aux combi- naisons de sa propre intelligence; sans doute cet esprit - qui devait par la suite embrasser l'univers dans ses contemplations répandait déjà quelque lueur sur les premières actions que suggérait le besoin. L'hommu n'était pas entre les mains de la nature un aveugle instrument. CiC n'était pas l'hirondelle qui construit partout le même nid, la fourmi qui forme partout les mêmes asaoçialions. En quelque lieu qu'on l'ait trouvé i5 ( 2o8 ) voisin de son origine, il avait fait du feu, bâti unehutle, construit une pirogue, fabriqué un arc et des hameçons, établi des sociétés. Voilà l'instinct; mais partout il était parvenu au nrênie but par des moyens différens, et voilà l'intelligence. Après les moyens de préservation personnelle, le premier moyen de conservation de l'espèce qui fixe la sollicitude de la nature est l'éducation des races nais- santes. Dans les espèces où cette éducation n'exige que peu de temps et de soins, la mère seule en est chargée. Un seul iftâle suffît à plusieurs femelles, et il naît beaucoup plus de femelles que do mâles. Dans celles au contraire où l'éducation est longue et péni- ble, le père est appelé à la partager. Les individus s'unissent deux à deux, et la nature a pourvu à l'as- sortiment en faisant naître en nombre égal ceux des deux sexes. La race humaine est éminemment dans ce cas. Toute union de deux sexes qui ne se fait pas à termes égaux, est donc, chez nous, une infraction à la loi de la nature. Parmi les espèces d'oiseaux où l'union se fait par cou- ple, les petits sont élevés et capables de se pourvoir eux-mêmes dans l'espace d'une saison. L'intervention des parens devient dès lors inutile, et la société con- jugale se dissout dans l'année. Il n'en saurait être de môme parmi nous. L'homme étant de tous les êtres celui qui a le plus à apprendre, est aussi celui dont l'enfance est la plus longue, proportionnellement au temps de la gestation; en sorte qu'une mère doit le devenir plus d'une fois avant que l'éducation de son premier enfant soit achevée. L'union conjugale ne pourrait donc être dissoute après la première éducation ( 209 ) sans en laisser ordinairement quelqii'autre imparfaite, et la durée de cette union exigée par la nature ne peut être abrégée dans nos sociétés sans que l'État se mette à la place des parens dont les enl'ans ont perdu le secours. Le renouvellement des espèces étant assuré, la na- ture songe à les porter au degré de puissance qui leur est nécessaire pour occuper et défendre la place qui leur est assignée. Elle doue les plus faibles d'une fé- condité qui compense les pertes auxquelles leur fai- blesse les expose. Les plus fortes et les plus hardies sont moins nombreuses, parce qu'elles ont une suffi- sante garantie dans leurs moyens de résistance. Plu- sieurs ne sont composées que d'individus isolés qui se suffisent à eux-mêmes, et l'instinct sépare surtout ceux à qui leur genre de vie ne permet pas de s'approcher sans se nuire. Beaucoup d'autres espèces, au contraire, ne peuvent remplir leur destination qu'en formant des sociétés de travail et de guerre. L'homme, qui n'ob- tient que du concours de toutes les forces et de toutes les lumières le rang qu'il doit occuper sur la terre, est déterminé d'avance, par sa faiblesse et par la priva- tion d'armes naturelles, à s'unir d'intérêt avec ses sem- blables. Il trouve les élémens de l'association dans l'u- nion domestique qui a chez lui une consistance propre à affermir toutes les combinaisons sociales, en même temps qu'elle les nécessite par le nombre des objets d'aflection dont la possession paisible exige une ga- rantie. Et en effet, s'il est des espèces où il se fait habituel- lement des associations d'attaque ou de défense, il n'y a pourtant des sociétés régulières et durables que dans i5. ( 2'o ) celles où les afTcctions de rumille ont beaucoup d'em- pire, et chez qui la conservalion de la race exige une communauté de travaux. De même, l'allachement de l'individu au produit de ses travaux est proportionnel h ce qu'ils lui ont coû- t<^, et donne naissance dans toutes les espèces labo- rieuses au sentiment de la possession, sentiment d'au- tant plus vif chez l'homme qu'il se compose de plus d'élémens, puisque les facultés morales ont concouru à l'exécution de ses ouvrages. Cette moralité de l'homme, qui n'est autre chose qu'un consentement réfléchi aux lois de la nature, ajoute l'idée de droit au sentiment de la possession, et cette idée de droit portée dans la société, y suggère l'idée de garantie qui donne à la possession le carac- tère de la propriété. Dans toutes les espèces laborieuses et sociales, la garantie est représentée par une disposition naturelle de tous à respecter le travail de chacun. Mais le pro- duit de cet aveugle instinct se borne h la conservation de la race. Chez l'homme moral et perfectible, la pro- priété garantie éveille l'industrie, qui multiplie les tra- vaux et propage l'espèce. Mais l'industrie s'arrêtant dans chaque individu aux limites de sa perfectibilité naturelle, n'offrirait à la race humaine qu'un cercle étroit d'améliorations que chaque génération serait réduite îi recommencer, si la nature n'avait mis au nombre de nos facultés celle d'imiter et d'apprendre, qui nous rend héritiers du savoir de nos pères; et celle transmission du plus pré- cieux des héritages, a» moyen de laquelle chaque in- dividu se continue dans ses dcsccndans, nous montre ( '^I' ) dans la nature de l'homme le droit àa succession dont chacun de nous est investi. L'eflcl des premiers développemens de la nature de l'homme, est l'extension de la race qui se propage dans tous les sens et porte dans tous les climats un tempérament assez flexible pour se plier aux diverses habitudes que chacun d'eux exige. Dans les heureuses contrées, où il estprobable que l'espèce naquit, l'homme dut être frugivore avant d'avoir acquis l'adresse et in- venté les armes qui lui livreraient les animaux. Mais, porté dans des lieux moins féconds, il fallut qu'il de- vînt homme de proie, chasseur dans les forêts, pêcheur sur le bord des mers, et ces deux professions primitives de notre espèce sont encore les seules qui le fassent subsister dans les vastes déserts de l'Amérique septen- trionale et au voisinage des glaces polaires. Dans les régions plus tempérées, où la nature a fait naître les animaux susceptibles de contracter avec nous une sorte d'alliance, un nouveau champ a été ouvert h l'industrie de l'homme. Il a soumis ces animaux; il a veillé h leur propagation. 11 y a trouvé des compa- gnons et des auxiliaires, ses vêlemens et sa nourriture. Enfin l'agriculture est née dans les. terres fécondes, où l'espèce, accoutumée à vivre de fruits, a conçu la possibilité d'en augmenter la production par le travail. Partout les mœurs de l'homme se sont accommodées à sa condition, et le genre d'industrie auquel il a dû sa subsistance a déterminé sa perfectibilité, fixé sa po- pulation et réglé le régime do ses sociétés. Les peuples chasseurs sont les plus circonscrits dans leur développement physique et maral. Une proie qui fuit sans cesse est le seul fond d'une sub^islunce qrj. ( îi'2 ) devenant plus rare à mesure que la populalioii aug- mente, pose bientôt à celle-ci des bornes qu'elle ne peut franchir. Comme les animaux qui vivent de ra- pine, les hommes de proie ont besoin d'une «grande étendue pour subsister. Ils ne forment donc que de pe- tites peu|)I;Kl(>s très-écartées les unes des autres et qui se partagent d'immenses désorts. Le terrain que cha- cune parcourt devient une sorte de propriété nationale que la société défend en commun contre quiconque n'en fait point partie, mais où chacun de ses membres use d'un droit d'indivis pour ne porter le sentiment de la propriété personnelle que sur sa demeure et ses armes; chasser et se reposer remplissent toute la vie; il n'y a point de temps h donner au développement de l'industrie; le besoin dissout promplement les familles; il n'y a point de gouvernement domestique; le régime de la société est aussi simple que ses déterminations sont bornées. Une opinion plus ou moins générale di- rige les mouvemens de la petite nation, sans prendre envers aucun individu le caractère de la volonté. Dans les cas graves, les anciens sont plus particulièrement consultés, et quelquefois une expédition exige le choix d'un chef dont l'autorité, au reste, est toujours subor- donnée à l'assentiment de ceux qu'il commande. Les peuples pêcheurs sont, h beaucoup d'égards, dans une situation plus favorable au développement de leur perfectibilité et à la propagation de l'espèce. Le fond do subsistance est inépuisable et l'on peut en faire des provisions : aussi ne part;ig(; t-on point le do- maine de la mer, et n'a-t-on guère d'idée do propriété publique. Mais ce sentiment de la propriété s'attache plus fortement à l'habitation qui est plus stable, aux ( 210 ) instrumens de la pêche dont la fabrication est plus dif- ficile, à tout ce qui constitue l'économie d'une famille à qui la facilité de subsister donne une toute autre con- sistance. L'abondance laisse aux pêcheurs plus de temps libre, et ce temps est employé aux combinaisons de l'in- dustrie assortie à sa profession. Ses enfaus luisent des auxiliaires utiles, et à l'entretien desquels il satisfait aisément; le lien de famille est donc plus serré; mais celui des familles entre elles est plus lâche parce qu'il n'y a point de domaine commun à défendre; 11 y a peu d'élémens de gouvernement, parce qu'il y a peu de contestations particulières ou publiques; les peu- ples pêcheurs sont les plus pacifiques de tous, mais ils manquent, par les mêmes raisons, de cet esprit public qui est le principal excitateur de la perfectibilité des nations. La condition des pasteurs est différente selon le pays qu'ils habitent et les espèces d'animaux qu'ils ont eu l'occasion de soumettre. Le renne du Lapon, le cheval et le chameau de l'Arabe, le bœuf de Cafre et du Hottentot ne donnent pas la même direction h l'industrie. Des neiges presque éternelles, des sables toujours brùlans, une contrée hérissée de forêts et coupée de rivières ne donnent pas la même empreinte aux habitudes; la terre, les animaux et l'homme ex.ercent l'un sur l'autre de mutuelles influences dont le résultat explique ce qu'il y a de distinctif dans les moeurs des divers peuples voués cependant au même genre de vie. Tous, au reste, sont errans comme les chasseurs dans d'immenses déserts où ils se dispersent par pe- tites hordes : ils trouvent dans leurs troupeaux un fond (214) assuré de subsistance et d'inappréciables comuiodilcs pour se transporter au loin ; mais le fond de subsis- tance du bétail est lui-même borné par l'étendue et la nature du terrain; il marque donc à la multiplica- tion des possesseurs un terme qu'elle ne saurait outre- passer. Une possession aussi importante qu'un troupeau, un bien d'une défense aussi difficile, fait vivement sentir l'amour de la propriété et le besoin d'une forte };arantie. Cette garantie prend d'autant plus d'empire sur la forme générale de la société, que le peuple est plus nombreux, que les conditionsy deviennent plus in- égales, que cette inégalité excite davantage l'avarice des uns et la cupidité des autres. Au dehors, la société est dirigée entièrement par l'esprit de rapine, tandis qu'au dedans il y a entre les familles une étroite ligne pour la défense du patrimoine commun et particulier, et dans chaque famille une union que resserre la jouis- sance des richesses domestiques; mais en même temps tout conspire à altérer le sentiment de l'égalité natu- relle. L'empire exercé sur les animaux soumis, ins- pire le goût de la domination et porte à chercher des esclavesjusquedansses semblables. La protection pater- nelle prend un tel caractère de puissance que la famille entière descend à la condition de propriété, et le gou- vernement domestique devenant le modèle de celui de la société, érige bientôt en maîtres les chefs qu'elle s'est donnés. En général on peut dire que c'est du moment où les animaux ont été réduits en servitude, que date l'idée de l'autorité, dont l'abus a produit le despotisme, el ( 2i5 ) qui, mieux dirigée, peut protéger la liberté naturelle qu'elle avait opprimée. D'un autre côté, c'est du loisir des peuples pasteurs les plus anciens et les mieux situés que sont nées les sciences spéculatives qui ont eu tant d'influence sur le développement de la perfectibilité sociale. Et c'est dans le penchant h la méditation combinée avec des habitudes d'obéissance, que l'élan naturel de l'homme vers l'auteur de son être puisa les mystérieuses com- binaisons de l'allégorie et l'appareil obligatoire des , formes liturgiques. La société des pasteurs est encore celle des sociétés primitives où la soif de posséder, conjurée avec l'a- mour de la domination, a le plus excité la fureur des combats. Les Bédouins, les Arabes et surtout les Tar- tares, fournissent les plus anciens et les plus fameux exemples de la guerre d'invasion, guerre particulière à l'homme, où, sans objet de dispute et sans sujet de haine, une portion de l'espèce va porter chez les au- tres le ravage et la mort. Tous les animaux combattent pour se défendre; plusieurs combattent pour s'em- parer d'une proie qui fait résistance; et dans la plupart des espèces, il y a guerre particulière entre les indivi- dus qui se disputent la possession du même objet. Ce conflit général, celte discorde jetée entre tous les ha- bitans delà terre par les besoins de chacun, et qui sem- blerait devoir entraîner tout ce qui vit vers la destruc- tion, n'est pourtant autre chose que la grande police de la nature. C'est en sacrifiant dans chaque espèce les droits du plus faible aux appétits du plus Ibrt, qu'elle la propage par les individus les plus capables ( 2l6 ) d'en assurer la durée. C'est en balançant dans toutes les espèces les forces des uns par la résistance des autres, qu'elle les maintient respectivement dans l'é- quilibre, et trace à chacune le cercle dont elle ne peut sortir. L'homme, seul enfant privilégié de la nature, était à ce dernier égard hors de la commune loi : nulle espèce animale, quelque puissante qu'elle fut, ne pouvait lui servir de contrepoids. Habitant de tous les climats, possesseur de toutes les industries, divisant à son gré les associations des animaux, dont il dirige les forces contre eux-mêmes, et l'instinct à son usage, il aurait détruit toutes les races qu'il n'aurait pas intérêt à conserver. Il a fallu qu'il trouvât en lui-même le con- trepoids de sa puissance, et c'est à l'espèce elle-même que la nature a remis le droit terrible de réprimer l'espèce. Les semences d'une guerre intestine et inter- minable ont été jetées à côté du berceau de l'humanité; elles se sont développées à tous les âges et dans toutes les situations de l'homme, comme une maladie de tous les temps et de tous les climats, qui remplissait tout autrement l'objet de la nature que les contagions dont elle allligc plus rarement nos sociétés, parce qu'elles détruisent sans réparer. Dans la guerre, au moins, le succès est toujours ou au courage ou à l'a- dresse, et toujours la puissance physique ou morale a de son côté le triomphe; là des sauvages sont domptés par des hommes policés pour recevoir des lumières; ici, des peuples énervés par une longue civilisation re- prennent de l'énergie en se mêlant au sang d'un con- quérant barbare; et quand il s'agit de remanier en entier une espèce qui se modifie et se conompt dr ( '-^'7 ) mille manières par l'usajço et l'abus de ses facultés morales, qu'importent à la nature uniquement occupée de ses grandes harmonies, qu'importent les individus, et les sociétés, et leur ordre, et leur équilibre, et nos sciences, et nos lois, frêle réseau péniblement lilé par l'araignée, et emporté d'un coup «l'aile du bour- don? Ce ne sont point des hommes asservis ou à con- sidérations politiques, ce ne sont pas des peuples à raouvemens réguliers qui serviront alors le bras de fer de la nature; il faut prendre où il est l'homme encore voisin de son origine, déjà puissant, mais encore bar- bare, et dont rien ne modère l'impétuosité. Les pas- leurs s'arment et débordent de leurs limites; on voit s'écouler ces flots de Tartares qui ont inondé la Chine, renversé Ninive et Babylone, fait disparaître comme un songe la puissance de Rome, et qui nous ramèneront encore un jour à leur barbarie, s'il n'est pas dans la perfectibilité de l'espèce que nous les ramenions nous- mêmes k notre civilisation. Mais ces puissans agens des grandes révolutions hu- maines n'ont pas eu une moindre influence sur l'amé- lioration de notre condition dans les premières pério- des de calme qui ont précéilé leurs invasions. C'est d'eux, ou de leurs colonies, qu'ont procédé les pre- miers peuples agricoles. L'agriculture ne pouvait naî- tre chez les peuplades de chasseurs ou de pêcheurs qui n'avaient pas su s'emparer des animaux destinés cl devenir domestiques : tous ces hommes de proie, bien loin de se propager et d'agir sur les destinées de l'es- pèce, n'ont qu'une existence décroissante et précaire; les uns confinés sur des rivages que ne peut féconder aucune industrie, les autres crrans dans les forêts oii ( 2l8 ) ils épuisent peu à peu le fond de leur subsistance; tous réprimés dans leur déloppement physique et mo- ral par la rigueur du climat, ou par les souffrances du besoin, ils abandonnent le reste du monde à la pos- térité des hommes plus heureusement nés, qui, en sou- mettant les animaux, ont fait le pas décisif pour sou- inellre la terre. Le sauvage du haut Canada plante bien quelques ar- bres ou sème un peu de maïs, mais sans troupeaux il n'y a pas de culture assez extensible pour fournir h la mulliplication de l'espèce. Aidé de ses troupeaux, le pro- priétaire du bétail a assis son domaine sur le sol qu'il parcourait en usufruitier; le vague indivis de la terre a cessé, et la propriété s'est fixée sur chaque espèce que le travail avait fécondé, et où le cultivateur re- cueillait les fruits qui étaient son ouvrage. Dès lors le grand problème de la multiplication indéfinie de l'es- j>èce est résolue, puisque le fond de subsistance croît avec le travail, et se multiplie avec les ouvriers; dès lors le développement des facultés intellectuelles s'ou- vre une carrière sans bornes, puisque le travail dt; quelques-uns suffit à la nourriture d'un grand nombre, et que l'excédant entretient beaucoup d'hommes, uni- quement livrés aux combinaisons de l'industrie et aux spéculations de sciences. Dès lors aussi les conventions sociales acquirent une solidité loulc nouvelle; ce ne sont plus des familles errantes, conditionnellement rap- prochées par l'appréhension d'un péril commun, ou l'espoir d'un avantage passager, ()ui se désuniront au ])remier caprice ou au premier besoin. L'agriculteur îillnché à la terre, est un élément fixe de la société conlractée. Celle lerrc est cllc-mèinc cnlréc dans les ( 219 ) conditions comme partie intégrante, et leur imprime quelque chose de sa stabilité; il y a eniin un corps de nation indivisible, parce qu'il y a garantie pour garan- tie, et que l'association peut compter sur les membres comme chacun d'eux peut compter sur elle. C'était vers ce but que l'homme tendait par sa na- ture, comme des abeilles dispersées se cherchent pour former un essaim, comme le castor isolé attend des frères pour bâtir sa cabane. Cette société, la seule ou la multiplication de l'espèce soit indéfinie, la seule où nos facultés intellectuelles puissent atteindre à leur dernier développement, la société agricole, où chacun travaille pour tous, même en ne songeant qu'à travail- ler pour lui, voilà la ruche que l'homme est appelé à construire) voilà sa place véritable et le complément de sa destination; voilà son état de nature, et non l'état d'ignorance, de dispersion et de dénùment par lequel il a passé avant d'y parvenir. rORK.INE DE LA BEAUTÉ, ALLÉGORIE, Par m. A1.BKRU. DKVILLF Mrmbie rësidanl. A DÈS que riiomme habita la terre, L'ennui contrisla sou séjour; Mais, pour adoucir sa misère. Tous les Dieux dirent à l'Amour : « De mille biens tu vois le maître )> Gémir de sa tranquillité, » Pour le captiver forme un être » Qui de ta mère ait la beauté. » A ces mots Cupidon rassemble. Des lis, des roses, des bluets; Il les mêle, il les fond ensemble : A l'instant brillent mille attraits. Un corps où respirent les grâces. Se trouve composé de lis; De bluets quelques faibles traces En ébauchent le coloris. Il efleuille ensuite une rose Sur un teint frais , mais languissant ; Sur les genoux il en dépose. Les doigts en obtiennent autant. Deux globes, qui déjà palpitent. Sont embellis par deux boutons; ( 2ai ) C'est pour l'Amour seul qu'ils s'agitent • Heureux eifet de tous ses dons! Il ne lui restait que deux roses. Et leur emploi l'embarrassa : Sur des lèvres à demi closes D'abord la première il plaça; Mais quand il posa la seconde Les Dieux sourirent tour à tour : Depuis ce beau jour, dans le monde, La rose est la fleur de l'Amour. RECHERCHES Sur la force végétative à Vile de Terre-Neuve , et sur les causes qui y limitent le nombre des plantes, avec une esquisse des époques végétales (i); par J.-M.-B. de la Pilaye, Correspondant. 'De la force végétative à l'île de Terre-Neuve. En arrivant à Terre-Neuve, la nudité de la côte et de toutes les hauteurs extérieures ferait croire le pays comme totalement dépourvu d'arbres : mais dès qu'on entre dans chaque baie, havre ou golfe, bientôt nous ne voyons plus au contraire que celte forêt continue qui couvre l'ile partout où le sol est susceptible de produire des arbres. Comme celui-ci ne se compose que d'une couche peu épaisse, je n'en fus que plus surpris de la voir douée d'un tel degré de force pro- ductive, et j'attribuai ensuite à l'âpreté du climat, conjointement au défaut de profondeur dans cette couche de terre, le peu de grosseur et d'élévation du tronc des arbres; je m'enfonçai davantage dans les bois, pour vérifier si elle ne résultait point de l'in- fluence du voisinage de la mer; et m'y étant avancé (i) Exlrail dune nolicc sur 1 ilc de Tcnc-Ncuvc considtrcc par- liculièrement sous le rapjiort de Thistoire naluixllc, qui sera insérée dans le tome IV des Mémoires de la Sociélé Liuucenne. ( 225 ) jusqu'à 1 5 ou 20 kilomètres (5 et 4iJeues), je n'ob- tins d'autre résultat, que de remarquer que cet état de choses était un caractère local. Mais ici tous ces arbres, les Abies balsamea, alba, nigra, et les Bctula papji'i- fera, quelquefois encore entremêlés de B étala tenta, n'ont que lo à i4,et très-rarement i6 mètres et demi d'élévation ; leur hauteur va même en décroissant de plus en plus à mesure que l'on approche de l'extrémité septentrionale de l'île. Cette médiocrité des arbres me parut fort extraordinaire, vu que je comptais retrouver au contraire dans une contrée qui semblait si favorable à la végétation résineuse, ces forêts majestueuses de sa- pins, décrites par tant de voyageurs ; d'autant plus qu'en Laponie,sousle 60" degré dclatitude, les pins atteignent encore jusqu'à 19 mètres de hauteur. La grosseur des troncs répond à leur peu d'élévation : ils n'ont environ que 32 centimètres de diamètre, et jamais ils n'excè- dent 48 centimètres, pendant toute leur existence, qui est d'un siècle et demi tout au plus, d'après le nombre de leurs couches corticales. Ce terme de leur durée m'a semblé le plus reculé, car la plupart sont dété- riorés au cœur dès leur 120"'' année, et même plus tôt. Ces petites dimensions empêchent que la marine puisse trouver de grandes ressources dans les forêts de Terre-Neuve, leurs arbres n'étant ainsi propres qu'à la construction des petits navires, ou bien à former les pièces supérieures dont se composent la mâture ou les vergues dé ceux de premier ordre. J'ai vu, il est vrai, des pieds de Bctula tenta dans les endroits les mieux abrités de la baie du Désespoir, dont le diamètre était de 6 décimètres inférieurement, et la hauteur de 19 mètres et demi; mais outre qu'ils i6 ( î"->/, ) jc trouvaient en fort potil nombre, l'arbre me penratt confiné aux seules parties nuridionalcs. Les trois espèces de sapins mentionnées ci-dessus, et Vj^bics frazeri, qui ne s'avance point plus au nord que les îles Saint-Pierre, Miquelon, et quelques points encore de la côte sud de Terre-Neuve, se retrouvent également dans le Canada. En comparant mes obser- vations avec celles de Miciuux sur ces arbres, j'ai vu qu'ils n'étaient point inférieurs en proportions h ceux du continent américain, où ils descendaient jusqu'au 35*degré de latitude, c'est-à-dire lo degrés plus sud que Terre-Neuve. Comme le petit tronc de VAbies frazeri {hmnilt's N.) ne peut jamais acquérir de grandes pro- portions sur la plupart des lieux qui le produisent, soit sur les parties extérieures, ou sur les élévations où il est sans abri, il y résiste néanmoins encore à l'in- Hucncc si contraire de l'atmosphère, et devient véri- tablement filiciforme, n'ofl'rant plus que des branches étalées horizontalement, dont les rameaux sont dis- tiques comme les divisions d'une fougère. Ce n'est plus alors qu'un arbuste, qui se tient comme déprimé sur le sol : mais il s'élève pourtant davantage sur la pente des coteaux; il en couvre tous les flancs, composant un taillis de 81 à 97 centimètres, qu'on peut traverser en tout sens avec assez de facilité. L'on se croirait un géant au milieu de ces forêts en- tières, réduites à un état nain et comme rampantes h nos pieds. Cependant ce sapin s'élève de 16 à 19 décimètres, au fond des vallons, près des ruisseaux, entre les grandes chaînes de monticules. J'ai remarqué souvent que le» plus extérieurs de ces arbres, lorsqu'ils avaient eu leur ( 2 9.5 ) flèche mutilée, ou desséchée par les vents venant du large, redressaient une de leurs dernières branches latérales; que quand celle-ci périssait h son tour, souvent une seconde se redressait encore, mais je n'en ai pas remarqué davantage; et comme la flèche morte persiste entre ces nouvelles branches, les sommités deviennent ainsi comme inégalement trifurquées. C'est aux personnes qui possèdent des arbres verts à profiter de cet exemple que leur donne la nature, lorsque quelque accident détruit leur dernier jet ver- tical. L'esprit de système est cause qu'un des plus beaux cèdres d'Europe, reste au degré d'élévation qu'il a acquise, parce que lorsqu'il perdit sa flèche, l'on s'imagina qu'on eût vainement essayé de re- dresser quelqu'une de ses branches latérales, les croyant destinées à rie croître qu'étalées horizon- talement. Comme l'île de Terre-Neuve reste 6 ou 7 mois en- sevelie sous la neige, il en résulte qu'elle conserve mieux intérieurement la chaleur propre à sa latitude; mais ce n'est point au seul efîet de celle-ci que nous devons attribuer exclusivement cette force si aciive de la végétation au réveil de la nature, c'est-à-dire au retour de la belle saison ; car, dès avant que la fonte des neiges soit complète, et lorsque le dégel n'est encore que superficiel, déjà certains végétaux fru- ticuleux ont développé leurs fleurs. C'est pour ce motif que je dois au hasard la découverte des fleurs de V Empctrtim nigrum, et celle du premier moment où V Andromcda calicidata commence sa floraison ainsi que le Coptis trifolla. J'aurais attribué une pré- cocité aussi étrange à la chaleur intérieure du sol 16. ( 226 ) s'H eût élu complèlement dégelé , mais il n'y avait alors environ que la moilié des neiges fondues, cl la terre, excepté à sa surlacc, était une masse de glace dure comme un rocher. Dès ces premiers momens où le soleil a acquis un certain degré de force, la teinte sombre et hyémalc des arbres verts a changé; leurs chatons floriltîres se développent avec promptitude sur les sapins, les pins, le mélèze, sur les Myrica, dans tous les bas-fonds marécageux : mais les bouleaux attendent une chaleur plus élevée et un dégel complet pour développer leur feuillage; ils demandent une tem- pérature moyenne de 12 degrés. Comme il ne faut que quelques semaines au bouleau nain pour que toutes ses feuilles soient complètement développées, pourvu que les circonstances lui soient favorables, c'est le motif pour lequel on le voit remonter à une plus grande élé- vation absolue que n'importe quel autre arbrisseau. Il n'a que trois feuilles ordinairement h chaque bourgeon, tandis que ce nombre varie de 3 à 5 dans le Bclula nlba d'Europe, selon le degré de chaleur qui a lieu pen- dant leur apparition. Les habitans de la Suisse, qui ont fait celte remarque, ont reconnu que quand ce dernier en portait 5, l'été serait bon; qu'il serait peu favorable au contraire quand elles n'étaient qu'au nombre de trois. Il est probable qu'on pourrait faire la même remarque sous le climat américain, sur les Bclula tenta, papyrifcra, et toutes les autres espèces analo- gues à notre bouleau d'Europe. J'ai lu dans la traduction d'un ancien ouvrage anglais sur l'île de Terre-Neuve, que le climat était ex- trêmement favorable aux arbres fruitiers, que la vigne y réussissait parfaitement. De pareilles assertions ne ( 227 ) sont dictées que par l'inlérêt parliculior. Le sol n'ad met point le hêtre, encore moins le chêne, cl 5 plus forte raison bien moins encore la vigne. Quelle que soit la force productive d'un lion, la vi- gne, pour mûrir convenablement ses raisins, exige une température annuelle moyenne qui ne descende jamais au-dessous de 8° 7', et pendant l'hiver au-dessous de + I. Un tel cUmat ne se rencontre point en Améri- que au-delà du 40'' degré de latitude boréale, tandis qu'en Europe il s'étend jusqu'au 5o^ dans sa partie oc- cidentale. L'on a même remarqué que, sur le conti- nent de l'Amérique septentrionale, partout où la cha- leur moyenne de l'année descend h (/,1a température moyenne est à — 1°5 ' pendant l'hiver. L'on ne peut pas non plus y élever avantageusement d'arbres fruitiers, vu le peu de différence qui existe entre Terre-Neuve et le Labrador, où la température moyenne de l'année est à — 1, 2, par 57° latitude. Le dernier pommier qui mûrisse ses fruits en Laponie, est à Sundevall, où le sol est à 4° '• au-dessous de celte température tous ces arbres disparaissent. Si l'on objectait la force avec laquelle le sureau croît dans certaines parties de la côte méridionale de Terre-Neuve, pour peu qu'on l'examine, l'on reconnaîtra bienlôl qu'il y est tel- lement contrarié par le climat, malgré sa grande force végétative, que la souche persiste seule, tandis que les nouvelles pousses périssent tous les ans, même dans les lieux les plus abrités. Des causes qui limitent le nombre des plantes à Terre- JScuve, et esquisse des époques végétales. Si l'on compare le nombre des espèces de végétaux ( -i.S ) que produit l'ilo de Terre-Neuve, h son étendue, certes il paraîtra bien borné : cette disette est une conséquense de l'ùprcté du climat, de runilormilc du sol, et du défaut de montagnes élevées. 11 résulte de cet état de la supeiiicie, trois classes de localités pour toute l'île : i" une forêt d'arbres verts non inter- rompue sur tous les coteaux; 2° des rochers nus cl arides sur toutes les hauteurs principales, où l'on ne rencontre que des arbustes chétifs ou rabougii»; 5° enfin , des bas-fonds marécageux occupés par des tourbes presque noyées par l'eau qu'elles retiennent, et par une multitude de lacs et d'étangs, plus ou moins profonds. Cependant, malgré tous ces obstacles h la multiplicité des formes, la végétation de Terre-Neuve se trouve dans un rapport très -avantageux avec le nombre des plantes du Spilzberg, de l'Islande et du Groenland. L'on n'a rencontré au Spitzbcrg que 4o espèces, 3oo en Islande, et l'ile de Terre-Neuve, où les hivers sont presque aussi rigoureux qu'autour du montllécla, en produit i5oo environ, dont j'ai recueilli les deux tiers environ. Par l'inspection des lieux, je peux statuer avec assez de certitude que leur nombre n'excède point le terme que je lui assigne. La Flore de ce pays nous expose des détails curieux sur la plupart de ces plantes que j'ai réunies; je les ai même analysées presque toutes sur le vivant, et dessiné une centaine des plus intéressantes ou des plus remarquables. En raison de la longueur des hivers, elles n'ont, ainsi que soïis la zone glaciale, pour remplir toutes les pé- riodes de lei/ir végétation annuelle, que les mois du juin, juillet, jidùI et la moitié de septembre. ( 229 ) Coinine les espèces précoces n'auraient point asscï de chaleur, durant la fonte des neiges, pour com- mencer leur nouvelle végétation, et qu'elles man- queraient alors de temps nécessaire à la l'ormatiou de leurs boutons, nous les voyons préparer ceux-ci d'avance à la fin de l'automne, pour n'avoir plus que leurs fleurs à épanouir, pour ainsi dire, lors même que le sol ofl're encore eà et là les derniers restes des neiges sous lesquelles il était enfoui. J'ai fait celte observation sur des arbustes, en- tre autres de la famille des Ericinées et des Rhodo- racées , tels que les Andronieda calicidata , Ar- butus alpina, les Einpetruni, etc., végétaux qui se couvrent de fleurs lorsque la superficie seule du terreau se trouve dégelée et que la glace en dessous conserve la dureté du rocher, ou crie et se rompt sous vos pas. C'était au Barachois de Miquelon que je re- marquai ce phénomène au mois de mai, relativement h VEmpctriim, et puis dans les vastes plaines maré- cageuses qui se trouvent entre la rade de cette île et les montagnes de Miranda. \J Androincda calicidata y remplit toutes les cavités du sol : elle ajoutait la blancheur de ses fleurs nombreuses à celles du lichen rangiferinus et de ses congénères qui rappellent trop les neiges qui recouvrent ces lieux plus de la moitié de l'année. Alors je vis encore, dans les endroits exposés au soleil et bien abrités, le Coptis trifolia élever ses petites fleurs éloilées, non moins curieuses que jolies. Les propriétés de cette plante et l'examen de ses fleurs méritent plus de détails que je ne peux leur en donner Ici : ma Flore de Terre-Neuve les fera connaitre. ( 2ÔO ) Ayant dessiné soigncuseoîent celte espèce inté- ressante, j'ai rcclKié en outre Teneur dans laquelle le célèbre Linné était tombé relativement à la com- position de ses ieuillcs. Alors encore fleurissent les Myrica rcrifera, dans les marais, le Larix amcricaiia au pied des coteaux, liiSalixuva-ursi, sur les monticules découverts. L'on voit aussi dans ces lieux aquatiques les hampes mono- eéphales de VEriopliorum vaghiatum sortir du milieu de ses feuilles desséchées avant l'apparition des nou- velles. Bientôt leur succèdent les violettes et le pis- senlit qui se tient seulement autour des habitations, ou dans les lieux fréquentés par les hommes. Les épis de quelques Carex sortent çà et là de la pelouse; enfin les groseillers, soit au bas des coteaux rocailleux, ou bien dans les forêts, où la teinte sombre des sapins s'est aussi ranimée, épanouissent leurs ileurs comme herbacées, en même temps qu'ils coin- luoncent à développer leurs feuilles naissantes : c'est Jà le premier printemps du pays. Après celte période, qui se termine du loau 20 juin, succède le moment où la contrée va s'émailler de fleurs ; nous allons voir toutes les collines bientôt blanchies parla fleur des cornouillers de Suède et du Canada; les bas-fonds tourbeux se parer de celles des élégans Andromcda polif'olia et Kalmia glauca ; le bord des torrens décorés des bouquets de l'amelanchier qui croît entre les rochers. C'est alors que le printemps brille de tout son éclat ; c'est le mois de mai de France, lequel n'a lieu ici que vers le commencement de juillet; mais les ,siipins n'ofl'rent plus que des chatons pollinifères flé- tris, et leurs cônes commencent h se développer. ( 23» ) Plusieurs fleurs ont disparu, et déjà nous touchons à l'été. La végétation, favorisée par une chaleur soutenue, est alors si active, si vigoureuse, que l'on se refuserait à croire que le réveil de la nature ne date quede trente jours. Le Lediun h larges feuilles, qui succède aux cor- nouillers, émaille à son tour les coteaux exposés au soleil. Les renoncules sauvages abondent dans les jar- dins et le long des sentiers où elles se distinguent des autres végétaux par leurs corolles dorées; les orchidées surtout embellissent les bas-fonds humides, les bois ombragés, et ces marais tourbeux où les étranges Sar- racenia se remarquent de loin par leur couleur som- bre, qui tranche si fortement avec la pâleur des autres herbes, et de la mousse qui les entoure. Au bas des coteaux rocailleux, où le sol a de la pro- fondeur et se trouve de bonne qualité, le grand Hera- cleum lanatum nous plaît et nous étonne sous ce cli- mat par son port élevé, ses larges ombelles et la forme élégante de son feuillage. Du fond des eaux s'élèvent le Nymphéa advena, étranger à son genre par la structure de sa corolle, et le Njmpkea odorata de Sibérie, dont les fleurs et les feuilles ont leurs pétioles et pédoncules contournés en spirales, comme dans le Fallsncria de nos climats. Par cette sage précaution de la nature, la plante en déroulant ou resserrant aussi chacun de ces tours, selon la hauteur des eaux, lient ses feuilles et ses belles fleurs toujours flottantes à la superficie des eaux. Les bas-fonds, les marais et les plaines tourbeuses qui restaient encore comme inanimées au milieu du ( 252 ) printemps, ont daus ce moment changé d'aspect. Les touffes soyeuses de diverses linaigrclles y étalent leur blancheur qui ne le cède en rien à celle de la neige; les jolis rosiers de la Caroline et leurs analogues se pa- rent de Heurs semblables à celles de nos églantiers; la balsamine suspend ses fleurs orangées à ses ra- meaux délicats, et les iris à courte tige, et de Caro- line, embellissent les lieux maritimes de leurs élégan- tes corolles d'un bleu azuré. Voilà sans doute au moins la moitié de la belle saison déjà révolue, et dès que nous sommes arrivés au mois d'août, nous voyons les fruits se succéder aussi rapidement qne les fleurs précédentes. Déjà la ronce herbacée, qu'on nomme la platte- bierrc, développe dans les marais ses mûres solitaires, qui sont d'abord d'un rouge éclatant comme celui de la corise-bigarreau; les camarines ou Empt- trum sont chargés de fruits qui vont être à leur ma- turité parfaite dans quinze jours, et si ces baies, noires comme celles du cassis,o n'ont qu'une saveur fade, qui les rend sans attrait pour l'homme, elles devien- nent néanmoins d'un grand prix , par rapport aux myriades de courlieux (TantaLus) qu'elles attirent, lesquels nous procurent à la fois une excellente et agréable nourriture. Les groseillers ont mûri pareillement leurs baies globuleuses qui ne sont recherchées que des enfans; mais tous les habilans, les dames surtout, vont par sociétés s'enfoncer à Saint-Pierre, dans les mornes et dans les vallons, pour y recueillir les alokas, c'est-à- dire les fruits des canneberges ou Oxjcoccus vttis idea, serpillifolittft, inacrocarpiis, elvvl^fnv's, qui mû- rissent depuis la fin de l'été jusqu'au retour prochain { 253 ) de l'hiver : passant toute cette saison sous la neige, on les retrouve encore bien conservés au renouveileuient di^ printemps. Ces iruils se confisent comme nos gro- seilles à grappes; et simplement conservés dans Teau- de-vie, ils ont une telle propriété astringente, qu'ils ont arrêté, aux environs de Saiut-Malo, une dyssen- terie qui résistait, dit-on, aux secours ordinaires de la médecine. Depuis le i ""^ jusqu'au 1 5 septembre, époque que nous devons considérer comme la première moitié de l'automne, les coteaux intérieurs de Terre-Neuve sont encore couverts des Heurs de la verge-d'or, qui achève la belle saison; les vallons nous offrent aussi les nombreux groupes des asters, qui résistent même aux premiers froids de l'arrière -saison. Alors aussi toutes les collines découvertes qui étaient émaillées, au printemps, de la fleur des cornouillers herbacés, empruntent un nouvel éclat de leurs fruits, réunis au sommet de leurs tiges comme une tête de grains qui ressemblent au corail du rouge le plus vif; et dans les bois, ceux des sorbiers, disposés en larges cimes, brillent au loin par le contraste de celte couleur, et tranchent avec la nuance obscure des sapins. Mais nous sommes arrivés an dernier éclat de la vie végétale. Les couleurs locales, plus générales, out une fixité qui remplace cette variété de nuances de la saison des fleurs. Non-seulement toutes les espèces ont mûri leurs graines, mais les fruits précoces sont déjà disséminés depuis long-temps; partout enfin le grand œuvre de la nature est rempli, la reproduction de l'espèce est assurée. Quelques végétaux néanmoins exigent plus de temps que la fm de l'été, outre un mo- ( 234 ) ment d'automne, pour conduire leurs graines à ma- turité parfaite. De ce nombre est la petite primevère farineuse, indigène pareillement sur nos hautes myi- tagnes et dans la Laponie, la Sibérie, même au dé- troit de Magellan, où elle a été retrouvée par M. Gau- DiCHAiD. Les coteaux au pied desquels elle habite, la protègent contre la rigueur de l'hiver, et ce n'est qu'à l'automne suivant que sa graine est arrivée à son état parfait. Durant cette maturation bisannuelle, la hampe prend un très-grand accroissement et bien delà force pour une plante aussi petite. Vers la fin de cet automne, dont toute la durée n'est que d'un mois environ, les bois ont changé de physio- nomie; à cette verdure animée a succédé la couleur obscure qu'ils vont conserver jusqu'au retour de la belle saison : il est même un moment où les coteaux of- frent une couleur d'un rouge sombre, qu'ils doivent aux feuilles des Vacciniumcl àcsKulmia angustifolia, qui, comme le cerisier d'Europe, deviennent de cou- leur de sang, pour ainsi dire, avant de se séparer des branches; mais celte nuance éphémère passe ensuite au brun de feuille morte. Les sorbiers ont ainsi brillé sur le fond vert obscur des sapins, par le rouge car- miné de leur feuillage, tandis que les bouleaux rcssor- laienl si vivement par le jaune brillant qu'ils avaient pris avant leur dépouillement. Comme tous se distin- guent alors parfaitement, il est aisé de juger qu'ils n'entrent guère que pour trois pour loo au plus, dans la masse des forêts de Terre-Neuve. Ce tableau mobile des couleurs de l'automne dure du 10 au '20 octobre. Il s'appauvrit de ])lus en j)lus par la chute des feuilles, et tout rentre, par une dénu- ( 235 ) dation universelle, dans cette triste uniformité qui est le prélude du deuil de la nature. Chaque jour le froid re- double d'intensité : il change les eaux en glace, il en- chaîne la sève des végétaux dans les canaux qui la re- cèlent ; il engourdissait mes doigts, lorsqu'au milieu de la rade, assis sur le pont du navire blanchi de givre, je décrivais ces derniers momens delà vie végétale. Dès le mois de septembre les glaces avaient recom- mencé à descendre du cercle polaire. Lors de notre sortie du havre de la Station, il y en avait trois sur notre route, qui étaient hautes comme des montagnes; mais heureusement elles étaient trop distantes pour nous faire courir des dangers, malgré leur volume. Le froid m'avait fait déjà souffrir, et je perdis de vue encore une fois l'île de Terre-Neuve, le i" novembre, avec autant de joie que j'y étais arrivé. V*\*fc«>tA*-4**'t«^/V tLVVV VWiJV VVfc\ i^/Vft' VtVtJ^ ftWV4- ^-VW^ t'V^ SUR LA ROSE, Pnii M. ,T.-R. PESC.IIE, Correspondant. Rose chère à Cypris , û Rose fortunée, Décore de tes fleurs mou ApoUinaris! Si par le temps un soir ses cheveux sont hianrhis, Que sa tête par toi soit encor couronnée (i)! Alors que le printemps réveille la nature, Que le Zéphyr léger l'iipporte ses faveurs, Qu'à nos yeux enchantés apparaissent tes fleurs, Et ta beauté toujours et si douce et si pure. O Rose! viens encor de ma belle Corinne, Viens parer le sein virginal j Pour elle abaisse ton épine, Crains, je t'en prie, ô crains de lui faire du mai! Et, cependant, si l'inhumaine Me préférait quelqu'aulre, et cessait de m'aimrr, Que ma vengeance soit certaine, Je l'ordonne de la piquer! Mais , que dis-je ? l'amour ne se commande pas : Malheur, cent fois malheur, à qui ne sait pas ])laire; (i) Ce quatrain est la Iraduction de l'épigramme Oui, mes amis, la science de la nature réunit toutes' ces belles prérogalives; elle est la plus utile, la plu* nécessaire à l'homme, puisqu'elle se lie sans cesse à ses besoins, à ses plus chers intérêts, et qu'ella lui fournit tous les moyens de contribuer puissamment à la gloire, à la prospérité, à la richesse de son pays^ Sans la science, en effet, l'agriculture, le commerce,, l'art de guérir et toutes les branches de l'industrie no seraient rien. Nous lui devons la connaissance den lieux que nous habitons, des êtres nombreux et variés qui nous environnent, des végétaux qui assurent notre existence, et les moyens d'étendre son utilité h toutes les circonstances de la vie. Ce que j'ai acquis, je désire le partager avec vous : c'est un devoir que tout homme contracte envers ses semblables et qu'il me sera doux de remplir. Je veux reconnaître par tous mes efforts les avantages que je trouve sous ce ciel protecteur de mes premiers ans , la paix que je gonte parmi vous et l'avantage de vivre dans une heureuse obscurité au sein de mes pénates. Pour vous dévoiler les mystères de cette na- ture si belle, si grande et si prodigieuse, je ne vous obligerai point Ix quitter vos foyers : les voyages de long cours sont toujours périlleux et l'on n'eu rapporte pas toujoiu's ce qui serait le plus important. Et puis, peu d'hommes sont appelés à cette vie de sa- crifices, à celte longue série de tribulations, de souf- frances et de fatigues qu'une découverte paie quel- quefois, mais qui le plus souvent est terminée par une ( a42 ) mort cruelle, par des larmes de sang offertes h une pairie éloignée, à des compatriotes qui vous ignorent, TBiiM.iARD ont regardés avec raison comnie deux ( '45 ) espèces distinctes ? Qui peut dire la véritable loi d'ha- bitation des insectes, leurs différens modes de station , et les particularités qui en dépendent, les végétaux qu'ils préfèrent, et toutes les transformations qu'ils subissent durant leur singulière existence? Et les plantes, qui peut en parler en pleine connaissance? La plupart des botanistes n'en condeot que le nom à leur mémoire, et ne peuvent en citer que la famille ; un très-petit nombre raisonne sur leurs graines, leurs racines, les lois de la germination et de leur production, la na- ture des principes nutritifs qui se dispersent dans tout le végétal, depuis l'embryon dont l'enveloppe fragile renferme le rudiment des générations futures, jusques aux feuilles qui décorent les tiges et les ra- meaux. On estime généralement que les phanérogame» sont décrites avec soin : cependant , pourquoi voit-on des botanistes nier l'existence de quelques plantes, du Cineraria alpina de Allioni, entre autres qui se trouve, aux environs de Castellanc? Si le plus grand nombre est bien connu , peut-on se flatter de les avoir égale- ment étudiées sous le rapport de leur utilité réellç pour nous et pour les êtres associés à nos rustique» travaux? Cependant plusieurs de nos arbres forestiers les plus communs, sont moins connus que certains lichens et les mousses qui croissent sur leur tronc. Malgré l'exacte déhnilion de l'espèce donnée par le chef d'une école fameuse, les plus grands désordres existent aujourd'hui dans les familles végétales; on augmente les erreurs de culture et d'emploi toujours si préjudiciables à ceux qui les font; on crée des espèces, des genres et des familles sur des faits vagues, incertains, incessamment variables; on donne trop d'iin- ( •^4(> ) portance à des générations hybrides, avortons du ha- sard ou de l'esclavage, qui tôt ou tard retourneront à la forme primitive de leur véritable espèce. Pour ce qui concerne la cryptof^amie, c'est une branche nouvelle qu'il importe d'exploiter convenablement : de grandes erreurs sont commises h leur sujet; elles sont ap- puyées de grands noms; ce sont autant de fanaux Jrompeurs qu'il faut éviter avec soin; ce sont autant de forteresses qu'il faut abattre pour éclairer la marche de l'observateur. Mes amis, dans les recherches que je vous propose, ne voyez que la nature; qu'elle seule soit votre guide; sachez distinguer son œuvre de l'œuvre de l'homme, l'élendue réelle de l'étendue fictive , la partie essen- tielle de la partie acridenlelle. Que votre raison ap- pelle le dogme au tribunal de l'opinion, qu'il voudrait en vain décliner; qu'elle attaque ses fausses doctrines qui tendent à tout envahir; t^lij/.S rw.'»i3nu(' / r SOCIETE LINNEENNE DE PARIS. RELATION DE LA CINQUIÈME FÊTE CHAMPÊTRE CÉLÉBr/îE 1,E 24 MAI 182G. Chaque année, dès que la saison nouvelle ranimait la nature, et que tous les êtres revêtaient, à son exem- ple, la robe nuptiale; alors que les bois, avec les feuilles et les premières fleurs, reprenaient leur ma- jestueux ombrage, leur atmosphère parfumée; alors que la joie venait s'asseoir sous le chaume hospitalier et sur le soc fertilisant de la charrue, les peuples an- ciens consacraient aux dieux les prémices de leurs champs et de leur industrie. Rien ne pouvait retarder un hommage aussi pur, ni les phénomènes météori- ques, si inconstans lorsque le soleil rajeuni parcourt de nouveau chacun de ses douze palais, ni les désas- tres de la république, ni même les fureurs de l'esprit de parti, toujours si funestes. C'était un devoir à rem- plir, chacun s'empressait de s'y montrer fidèle. Qui connaît l'étendue de ses devoirs sait faire respecter ses droits, et prouve par 15 seul qu'il est homme de bien. ]8. ( 254 ) Comme les peuples anciens, au retour de la saison jolie, les Linnéens vont chaque année, à l'époque mé- morable du 24 rnai, sous la voûle sacrée des forêts, au sein de la nature régénérée, célébrer l'anniversaire du grand Li>>û, payer à sa mémoire le tribut de la gratitude la mieux sentie et de la vénération la plus profonde. Ils y accourent de toutes parts pour se ju- rer, sur l'autel de l'union, de l'amitié sincère, de conserver le feu sacré allumé dans les cœurs bien nés pour la recherche des choses utiles, pour la conquête de la vérité. Tandis que sur divers points du globe, à Lima, à New-York, à Philadelphie, à Londres, à Upsal et h Bruxelles, dans le pays de Luxembourg, sur les bords du Riiin et du Danube, en Bavière, en Savoie et dans plusieurs localités de la France, on proclame à la même heure les services rendus à la zoologie et h la botani- que par le plus grand homme des siècles modernes, la Société Linnéenne fondée à Paris par Auguste Broissonnet, le 28 décembre 1787, celte Société, mère de toutes celles existantes aujourd'hui dans l'un et l'autre hémisphère, célébrait pour la cinquième fois, depuis son rétablissement, en 1820, la grande fête de la reconnaissance. La fête commença le 24 mai, dès les neuf heures du malin, dans les bois de Chaville, dont les buttes offrent des positions charmantes et des productions variées. Le sol y rappelle partout la foru)ation gyp- seuse; ici, des marnes vertes, accompagnées plus ou moins de stronliane, sont exploitées avec prolit pour la fabrication dos briques et des tuiles; là, des lits de fer rougeâlre pulvérulent se mêlent aux grès et aux ( 255 ) sables marins, à des débris fossiles et à un calcaire grossier. On a exploré avec soin cette localité, et à midi plein, tous les membres réunis aux dames et assislans invités, chaque section a rendu compte des récolles qu'elle avait été dans le cas de faire. Parmi les fossiles recueillis, on a trouvé des cérithes, des cardes, des miliolites, des moules de cythérées, d'ampullaires, de lucines, etc. Dans le nombre des insectes, on a remar- qué Vlulius variegatus, habitant les régions médianes de la France, VAphodiussubterraneus, commun dans les Alpes et les Cévennes, le Chrjsomda palescens, originaire d'Allemagne, les Myrtnex dongata et ce- phalotes, VHelops ater et le Byrrhus œneus, Fab. , abondant près d'Upsal, tous fort rares aux environs de Paris, ainsi que les coquilles univales dites Vitrina pelluclda et Nova speciesj les HcUx trochioides et planorbts? La récolte des plantes a été très-abondante, mais elle n'a rien offert de bien particulier, si ce n'est de fort beaux individus du Montia foiitana et du Mono- tropa hypopithys, une valériane dont la place naturelle servira de transition entre Vofficinalis et la dioica, ainsi que plusieurs cryptogames très-mal décrits ou point connus, sur lesquels on se propose de donner un Mémoire particulier. Ces notes ayant été dressées, M. Lèveillé, l'un des vice-présidens, a fait part d'une observation qui lui est personnelle, et dont le but est de détruire tout principe de douleur chez l'insecte que l'on veut étudier et coUi- ger. Il en a fourni la preuve sur des fourmis contenues dans une boîte, sur des araignées et divers coléop- ( u3b ) lères. Ce moyen, qui conserve à l'animal toute lu fraîcheur de la vitalité, consiste à toucher, à l'aide d'un petit pinceau trempé dans de l'élher sulfurique concentré, les stygmates, ou de verser quelques gouttes de cette liqueur sur les insectes contenus dans une boîte. Aussitôt l'application, la vie cesse (i). En em- ployant l'élher acétique, les insectes ne meurent pas ; ils paraissent, au contraire, doués d'une force vitale plus énergique : on pourrait comparer l'action de l'é- lher acétique, dans cette circonstance, à celle qu'exerce sur l'homme le protoxide d'azote. Aidé de quelques membres, le Président procède ensuite à l'examen des instrumens météorologiques exposés depuis le matin en un lieu découvert et élevé. Lé thermomètre marquait à midi 16 degrés centigra- des ; le baromètre, ramené à zéro, indiquait 751,42 millimètres; l'hygromètre à cheveu était 5 70 degrés; l'atmosphère était calme, le ciel pur, le soleil radieux, la végétation brillante , les fleurs exhalaient leurs doux parfums, les oiseaux célébraient à l'envi celle belle journée , l'une des plus agréables de tout le mois de mai. A l'horizon, vers l'ouest seulement, on aperce- vait quelques nuages arrêtés par un léger vent du nord- est, qui ne leur permit de grandir et de se résoudre en pluie abondante que les jours suivans. On traverse le vallon, que la chèvre hardie et la brebis bêlante parcourent en bondissant; on gravit la colline bocagrre, où l'écho répèle les chants amoureux des hôtes que lo feuillage protège; l'on entre dans les (j) Cette propriété justifie l'emploi de réllicr sulfuri'iue conli« le lœnia, recommandé par le professeur Bourdie». ( 207 ) bois de la Ronce, et l'on arrive au lieu dit le Bdvéder^ de la Ronce. Là, sur un tertre élevé, l'on voit le buste du grand Linné, qu'ombrage un dôme de verdure. De cette position délicieuse, l'oeil domine à gauche les bois de Ville-d'Avray, de Saint-Cloud et de Boulo- gne; à droite, la Seine, qui vient baigner le pied de la montagne sur laquelle sont bâtis Fleury, Meudon et Bellevue; en face, on plane sur Sèvres et sa belle manufacture de porcelaine, sur le Point-du-Jour, les hauteurs de Passy, et la plaine de Grenelle , qui se couvre depuis peu d'habitations et de jardins, sur la retraite des Invalides , ou tant de belles actions par-, ticulières, ensevelies d'abord dans le tumulte des ba- tailles, reçoivent une récompense quelquefois tardive; on plane sur ce Panthéon, que la voix de la patrie re- connaissante avait désigné pour dernière demeure des grands hommes , et sur une vaste étendue de Paris,' foyer de gloire et d'iniquités , foyer de tous les genres de talens et de grandeur, d'impostures et d'ignorance.' Après un moment de repos, M. le docteur Descour- TiLZ, en sa qualité de Président, ouvre la séance et prononce un discours sur la solennité de ce jour anni- versaire de la naissance de LiNNi et du rétablissement de la première société fondée sous son égide. Il rap- pelle que les honorables fonctions qu'il remplit depuis la mort du célèbre André Thouin cessent en ce jour même, et il témoigne le désir que l'élection de son successeur se fasse séance tenante. Pendant que les dames Associées-Libres posent des couronnes sur le buste de Linné , et qu'elles ornent de ( 258 ) guirlandes le cippe qui le porte, tous les Membres Ré- sidans. Honoraires, Auditeurs et Correspondans réu- nis votent des remercîmens à M. Descourtilz, et pro- clament d'une voix unanime Président M. le chevalier SoULAnCE-BoDIN. Sur l'observation qu'une place de Vice-Président demeure vacante , tous les suffrages se portent sur l'au- teur du Poème des plantes; M. Castel est en consé- quence proclamé second Vice-Président. Les deux Présidens sont près l'un de l'autre , assis au pied du tertre d'où le grand Linné plane sur toute l'assemblée , et semble sourire à ses utiles travaux , à ses plaisirs , à son union si douce et si franche. M. SouLANGE-BoDiN fend sommairement compte de l'état actuel du jardin de Fromont, et fait connaître une nouvelle espèce à fleurs pourpres de Magnolia , obtenue en iSuS et 1826 dans son établissement hor- ticullural, et qui se place entre le Magnolia julan elle discolor. — Sur la proposition de plusieurs Membres, la Société Linnéenne impose à celte espèce précieuse le nom de Magnolia Soulangiana. M. Castel récite ensuite une Ode dans laquelle il peint le mouvement imprimé par Linné à ses nom- breux disciples , qui se dispersent aussitôt sur le globe, et vont partout solliciter des connaissances positives pour le monument que le maître élève aux sciences. Au nom de M. Robsahm, Correspondant en Suède, M. LivEiLLÉ, Vice-Président, présente deux dessins de ( 209 ) M. Grakstrokm; l'un représentant la maison de cam- pagne du législateur des sciences naturelles , l'autre son muséum , et il donne lecture d'une description de ces deux lieux chéris de tout bon Linnéen. M. Charles Lemesle lit une pièce de vers intitulée la Maison des champs. Il y peint le bonheur de l'homme simple et modeste retiré dans le domaine qu'il fertilise, étudiant les fleurs qu'un poète aimable et vrai Linnéen a chantées dans des vers riches d'imagination et de' vérité. M. Bailly de Merlieux lui succède, et lit quelques Considérations générales sur la vitalité et l'irritabilité des végétaux. Ce fragment est extrait d'un Traité de physiologie végétale destiné à faire partie de sa grande entreprise d'une Encyclopédie portative. M. le comte de Chevigné lit ensuite une Ode à la Rose, d'ANACBÉoN, qu'il annonce détacher de la tra- duction complète de ce poète des Grâces et des doux Plaisirs, à laquelle il travaille avec autant de zèle et de goût que de véritable succès. M. TiiiÉBAuT DE Berneaud , Secrétaire perpétuel , termine la séance par un Discours sur l'importance des faits bien recueillis en histoire naturelle, et sur la marche à suivre pour les établir d'une manière profi- table aux projz;rès de la science. A chaque lecture, l'Assemblée a manifesté son ap- probation et le plaisir qu'elle éprouvait par des applau- dissemens. L'impression de tous les discours et mor- ceaux de poésie a été ordonnée d'une voix unanime, ( 2Go ) ainsi que celle des deux dessins exécutés par M. Graps- TROEU. La Société ayant ensuite voulu que les soixante Lin- nœa recueillies à Hammarby, et envoyées par made- moiselle Elizabeth Linné, fille aînée du grand homme, servissent de souvenir de cette belle journée, a décidé qu'elles seraient distribuées à chacun des Membres présens, avec une déclaration du Secrétaire perpétuel, laquelle sera munie du petit sceau de la Société, et conçue en ces termes : « Linnœa borealis, recueillie, » le 28 avril 1826, au pied de la colline où est bâti » le Muséum Liniiœi, à Hammarby, près d'Upsal, en- » voyée à la Société Linnéenne de Paris , par made- » moiselle Elizabeth LiNNi;, l'une dé ses Associées- » Libres. Cet exemplaire, a été remis à M » le jour anniversaire de la naissance de Linné , en » séance tenue dans les bois de la Ronce, entre Cha- » ville. Sèvres et Ville-d'Avray, le 24 mai i8a6. » La séance levée , on s'est dispersé sous la feuillée , dans les bois, sur les bords de l'étang de Ville-d'Avray, sur les buttes de la Côte-Brûlée, et à cinq heures, ren- dez-vous donné au pied d'un grand chêne , dans les bois de Fausses-Reposes, non loin d'une fontaine cé- lèbre par son eau pure , on s'est réuni en banquet. La gaîté présidait au festin, et faisait de tous les convives une grande famille. Parmi les chansons inspirées dans cette aimable circonstance, on a remarqué et ordonne l'impression de celle intitulée le Couvent Linnten , composée par M. Adolphe Delajous , Membre-Audi- teur; et te Printemps des LÀnnùens , chanté par ma- I ( 26l ) demoiselle Uranie Thiébaut de Bebneaud, Associée- Libre. Des danses ont terminé celte brillante journée, cl à onze heures du soir, on a repris le chemin de la ca- pitale. Aux bois de Fausses-Reposes, entre Versailles et Ville-d'Avray, le 24 mai 182G. Pour extrait conforme : Signé E. Descourtilz, ex-Président. — Le Chevalier SouLANGE-BoDiA' , Président actuel, — Léveillé et> Castei-, Vice-Présidens. Le Secrétaire perpétuel, Arsenne TaiÉBAUT de Berneaud. DISCOURS D'OUVERTURE Par m. E. DESGOURTILZ, Président. Messieues et très-honorés Confrères, Les champs ont repris leur parure; la terre féconde entr'ouvre ses flancs pour étaler une riche végétation, produit pompeux de la lumière et de la rosée; les oi- seaux émigrans sont arrivés pour célébrer le printemps et revivre aux amours; les insectes, sortis de leur lé- thargie, couvrent les gazons, les bois, les rivières, ou se répandent dans les airs; l'aubépine, aux fleurs de fiancée, a épanoui ses guirlandes odoriférantes; le li- las, balancé par lo zéphyr, baisse et relève avec grâce ses thyrses élégans; la rose, celte reine modeste, enivre nos sens et enchante nos regards. Flore, enfin, verse complaisamment et avec profusion, sur les tapis qui portent sa livrée, toutes les fleurs de sa riche cor- beille; les arbres développent les merveilles de leur reproduction, charment nos regards, et semblent offrir au Créateur l'hommage de leurs parfums!.... C'est cette époque du réveil de la nature que nous avons choisie pour honorer la mémoire du chef ingénieux dont chacun de nous admire les profondes lumières et la vaste érudition, pour célébrer le rétablissement de notre Société, la première, la plus modeste,' et la plus utilement laborieuse de toutes celles que l'on cite { 265 ) aujourd'hui. 5alut à ce beau jour de la naissance de Linné ! Salut à ce grand homme 1 Salut à celui d'entre nous qui, malgré les efforts des niéchans, malgré. les insinuations perfides d'une coterie, a eu la noble au- dace de relever le temple linnéen fondé par Auguste Broussonnet, et de le soutenir au milieu des orages! En parcourant des yeux tous les membres de cette Société, j'y retrouve avec plaisir le noble enthousiasme qui conduit aux succès; j'y admire l'impatience que chacun éprouve de solenniser cette fête en rappor- tant sur le cippe où repose le buste de notre auguste chef les butins dérobés aux trois règnes; j'y retrouve des personnages célèbres, des savans modestes, qui font tourner au profit de la société leurs connais- sances variées, leurs heureuses découvertes, et sa- vent trouver le bonheur en s'occupant de celui des autres. La botanique, aimable sœur de l'agriculture; la chimie, compagne inséparable de la physique; l'astro- nomie, l'histoire naturelle, toutes ces branches de la science vivent en famille et du meilleur accord. C'est ainsi. Messieurs, c'est par une union parfaite, par une contemplation religieuse, que l'homme se rend digne de la protection d'un Dieu qui a couvert de merveilles les mondes qu'il a créés. Notre élude. Messieurs, serait vague et stérile, si notre but n'était point aussi pur; et notre prétention serait ridicule si nous rapportions à notre unique fa- culté l'intelligence et la découverte de quelques secrets que la nature, en bonne mère, se laisse surprendre par ses enfans. Il n'en est point ainsi de nous, mes chers Confrères, et lo litre de Linnéen suppose celui d'admi- ( 264 ) rateur théophile des beautés de la création : jo dirai plus, il en est inséparable. Réunis en ces bois pour décerner de nouTelles pal- mes de triomphe au célèbre historien de la nature, que toutes les heures de la journée soient consacrées au sonvenir de ce génie sublime qui a si bien inter- prété les intentions du grand architecte de l'univers. Que des couronnes fraîchement tressées par nos ai- mables sœurs soient posées par leurs mains gracieuses sur le front vénéré de notre patron, et servent de nou- vel hommage à un si beau modèle. Avec celle fêle. Messieurs, cessent mes fonctions de président. Puissé-je avoir rempli dignement la tâ- che que vous m'aviez imposée! Un autre membre va me remplacer. Puisse votre choix pour mon succes- seur tomber sur un digne ami des arts et de la nature , sur un botaniste dont les travaux préparent une école- pratique débarrassée d'erreurs mensongères et de tra- vaux inutiles ! Votre premier président. Messieurs, fut un zoolo- giste illustre (la Cépîîde); le second, un agriculteur non moins célèbre (André Thouin); le troisième fut choisi dans cet art utile que le grand Hippocrate a tiré du néant et du sein des préjugés, en éclairant l'homme sur la nature de ses maux, et sur cello des remèdes qu'il doit employer. Le quatrième doit appar- tenir à la science favorite du grand Linné; oui, mes chers Confrères, Flore et Pomone semblent deman- der aujourd'hui vos voix en faveur d'un botaniste, elles vous le désignent tout bas, elles vous sollicilcnt de rendre ainsi hommage à ses travaux imporlans. Maintenant, Messieurs, il me reste ^ vous remercier ( 265 ) de la faveur de mon élévation, à m'excuser de n'avoir pu mieux faire, et à vous certifier que, rentré sur les bancs, comme occupant le fauteuil, je me regarderai toujours heureux de pouvoir partager vos travaux, et de conserver le titre de Membre de la Société Lin- néenne de Paris. i,;.>ila':i^oiq ■'11'.' . ;:rriKl t, NOTICE Sur une noui>elle espèce de Magnolia ; par M. le chevalier Soulange-Bodin, Président actuel. Messieurs et chers CoNPRkRES, Je ne puis assister h vos assemblées sans sentir se réveiller plus vivement en moi la reconnaissance que je vous dois pour l'intérêt dont vous avez, dès l'origine, honoré l'établissement horticultural que j'ai fondé à Fromont. Je regarde aujourd'hui comme un devoir do vous informer qu'il s'est élevé rapidement vers le point où vos nobles encouragemens m'ont excité à le porter; et je vous prie de me permettre d'ajouter combien je serais flatté que vous daignassiez, dans le courant de cet été, venir juger par vos yeux des progrès de mes cultures, et me donner encore cette nouvelle marque de voire protection éclairée. La culture! Que ce mot. Messieurs, a de charmes et d'empire, et quel sens à la fois touchant et profond il présente à l'homme qui, revenu des erreurs ou dé- sabusé des illusions de la vie, a retrouvé sa liberté morale, et ressaisi le véritable bonheur au sein du re- pos, de la famille et de la naturel De ce mot, qui ex- prime l'idée de la terre mise en valeur, jaillit la so- ciété tout entière et ses plus hautes combinaisons. En deçà, est l'état sauvage. I :^ 41 -m que couvrir la surface de l'objet que l'on veut dorer d'une légère couche de vernis; puis d'appliquer dessus la feuille d'or. — Une grande quantité de ce vernis est employée par la nation Burma à dorer les nombreux édifices de leur culte et leurs idoles. Enfin le beau Pâli , écrit par les reli- gieux de Burma ^ sur de l'ivoire , des feuilles de palmier ou du métal , est entièrement recouvert de ce vernis dans son état naturel et pur. 19. Extrait d'une Note sur le changement de couleur qui a lieu dans le bois de certains arbres, et particulièrement dans /'Alnus GLUTiNOSA , Gaertn. (Betula alnus Linn." Var. a. ) par M. F. Marget. I A la séance générale de janvier, de notre Société de Physique et d'Histoire naturelle, M. Marcel a lu une note très-intéressante sur le changement de couleur qui a lieu dans le bois de quelques arbres. Il a bien voulu m'en com- muniquer l'extrait. 11 a particulièrement étudié ce phé- nomène dans V Aulne (ou Verne), dont le bois, exposé à l'air, devient d'une couleur rouge plus ou moins foncée. Il a observé, par un grand nombre d'expériences, que ce changement de couleur n'avait pas lieu, si , au moment où la branche d'aulne était coupée transversalement, on la plaçait dans un vide parfait, ou dans des gaz qui ne conte- naient point d'oxigène; qu'au contraire, la couleur rouge était plus vive dans l'oxigène que dans l'air. Si ce bois d'aulne était trempé dans l'eau après avoir été exposé à l'air, il rougissait toujours, lors même qu'on l'introduisait de suite dans le vide, ou dans des gaz non mélangés avec l'oxigène. Cette couleur rouge est soluble dans l'eau. N» 2. M. Marcel mit des portions de ce bois dans de l'eau distil- lée, qui fut chauffée lentement pendant quelques heures, jusqu'à ce qu'elle eut dissous une portion considérable de la matière colorante. Cette eau fut ensuite évaporée jusqu'à siccité, et la matière colorante qui resta, présentait tous les caractères chit.iiques du tanin pur. Ces expériences portent M. INIarcet à soupçonner, sans pouvoir l'affirmer, que la coloration du bois d'aulne est due à une espèce d'oxigéna- tion du tanin, au moment où. celui-ci est exposé à l'air. La coloration s'observe surtout dans les tranches transver- sales du bois 5 car si l'on détache simplement l'écorce , la surface longitudinale est peu colorée. Celte découverte peut devenir d'une importance d'au- tant plus grande, pour le tanage, que l'aulne croit partout au bord des rivières, des ruisseaux, qu'on pourrait très- facilement en faire des plantations considérables dans beau- coup de localités où ne croissent que des saules et des peu- pliers dont la valeur est bien inférieure. Il serait à dé- sirer qu'on fit quelques essais avec ce bois râpé ou con- cassé , afin de savoir s'il ne serait pas propre à remplacer l'écorce de chêne, assez rare surtout dans le nord, où l'aulne réussit très-bien. \S Alnus incana Dec. (Betula alnus Linn. var. (3. , ou Aulne blanchâtre) se colore aussi en rouge 5 et est encore plus fréquent au bord des eaux. 20. Extrait dune Note sur une matière crasse produite par le Vateria Indica, par MM. MAC AIRE et MaRCET. MM. Macaire et Marcel entretinrent encore la Société d'une substance grasse , rapportée du Malabar par le doc- ^- 43 ^ leur Babingtoii, de Londres, qui en a publié une descrip- tion dans le Quarterly journal of Science pouriSaS, et qui en a donné dernièrement une petite quantité à ces messieurs, pour l'examiner sous les rapports chimiques. Cette substance se retire , comme la cire du BIjrica Ceii- fera, en faisant bouillir le fruit du Vateria Indica dans Teau , sur la surface de laquelle elle vient nager et se soli- difier par le refroidissement. Elle est solide, d'un blanc jaunâtre, douce au toucher, insipide, mais d'une odeur légèrement aromatique. Elle se fond à 4o degr. centigrad. , est susceptible de former de belles bougies , brûlant avec une belle flamme blanche. Elle est soluble dans l'éther et l'alcool bouillant j ainsi que dans les huiles fixes et essen- tielles. Elle se saponifie avec les alcalis, dans la proportion de 200 gr. à 5o gr. de potasse, et forme un beau savon blanc , entièrement soluble dans l'eau chaude. Examinée chimiquement, quant à ses principes constituants, d'après la méthode de M. Chevreuil, elle ne contient que de V Oléine, de la Margarine et de la Stéarine. Celte sub- stance , d'après M. Babinglon, se vendait, dans le pays, environ cinq sous de France la livre. 21. HISTOIRE PHYSIOLOGIQUE DES PLANTES D EUROPE. M. le pasteur Vaucher, déjà connu par son Histoire des conserves d'eau douce, sa Monographie des Prèles et celle des Orobanches , ainsi que par plusieurs autres travaux insérés parmi les Mémoires de la Société de Phy- sique et d'Histoire naturelle de Genève, fait imprimer un ouvrage bien plus important encore que ceux qu'il a publics jusquici. C'est une Jlistoirc physiologique des plantes d'Europe. Il a eu l'obligeance de m'en confier les premières feuilles, que j'ai parcourues avec un grand in- térêt. Lintroduclion en est remarquable par l'abandon avec lequel elle est écrite, elle peint la candeur et la bien- veillance de son auteur. Je me bornerai à citer quelques passages, qui perdront beaucoup à être détachés de l'ou- vrage , mais qui peindront le bonheur qu'éprouve M. 'V^au- cher en l'écrivant. « Un de mes buts, en composant cet ouvrage, est de ramener la science à sa vraie destination, c'est-à-dire, de la faire servir à manifester les témoignages multipliés de l'In- telligence et de la Sagesse infinies. Sans doute que nous avons les plus grandes obligations à tous les auteurs systé- matiques qui ont décrit et qui s'occupent tous les jours à décrire les nombreux végétaux dont cette terre est cou- verte, et qui les distribuent en familles , genres , espèces et variétés •, leur travail est la base sur laquelle reposent tous les autres, et il doit être encouragé de toutes manières. Les naturalistes qui entreprennent des voyages lointains, et s'exposent ainsi à mille privations , pour rassembler des végétaux encore inconnus, élèvent le superbe édifice de la science, et méritent aussi notre vive gratitude. Mais ces descriptions, si indispensables pour la pleine connaissance de la plante à laquelle elles s'appliquent, et si nécessaires à celui qui s'occupe des mêmes objets, ne sont pas faites pour intéresser le commun des lecteurs. Ce'que nous vou- lons savoir, c'est la manière dont le Créateur s'est plu à différencier les espèces d'un même genre -, ce sont les for- mes variées de leur végétation; les moyens dont elles ont été pourvues pour se défendre contre leurs divers ennemis et les nombreuses intempéries des saisons 5 ce sont ces mou. vemenis singuliers, organiques et jusqu'à présent incxpli- m- 4.5 .^ cables, par lesquels les plantes sortent de la classe des êtres bruts , pour prendre quelques-uns des attributs d'une sensibilité confuse. En un mot, ce sont ces rapports de but et de moyen , ces causes finales auxquelles tout ramène l'homme, dans la contemplation de la nature. Je sais bien qu'on en a étrangement abusé et qu'on en abuse tous les jours dans les ouvrages destinés à la jeunesse; mais cela n'empêche pas qu'elles ne soient le dernier but de l'his- toire naturelle, et la dernière conséquence que les hommes éclairés tirent, comme malgré eux, de leurs méditations sur le système de l'univers; c'est même le seul but qui puisse intéresser le grand nombre. Eh ! que me fait à moi cette infinie variété qui règne dans les êtres organisés, dans leurs différents modes d'accroissement et de reproduc- tion , si je n'y vois que les effets du hasard, des arrange- ments indéterminés et sans but ? Mais si je suis capable d'assigner les causes de ces arrangements , si je découvre que les uns sont destinés à protéger l'enfance de la plante , les autres à favoriser la fécondation, sa reproduction , la conservation et la dissémination de ses graines; si je recon- nais qu'entre plusieurs combinaisons également possibles, celle qui a été choisie était celle qui menait le plus sûre- ment au but; enfin, si j'aperçois dans certains cas l'Auteur de la nature, luttant contre les accidents imprévus, mo- difiant les lois suivant les besoins, réparant les désordres par un nouvel ordre, sorti de l'ordre ancien; alors je ne me trouve plus jeté , comme au hasard , dans une mer sans rives; mais je sens auprès de moi une intelligence et une sagesse qui excitent à chaque moment mon admiration la plus profonde; je découvre un être infiniment bon , qui, quoique invisible , m'associe à ses desseins , se plaît à me dévoiler les merveilles de ses ouvrages; et j'en tire la consé- quence qu'il ne saurait ôtre indiÛérentà mon sort, et que, puisqu'il a réglé avec tant de soin le monde physique , il a arrangé avec plus de prévoyance le monde moral, que je contemplerai un jour dans toute sa magnificence. — Voilà les pensées auxquelles s'élève toujours plus ou moins le botaniste observateur , et c'est dans ce sens qu'on a dit avec beaucoup de raison , que l'élude de la nature rendait l'homme plus religieux. Elle léloigne en efl'ct du théâtre où se débattent avec tant d'agitation les nombreux intérêts de cette vie; elle ouvre à son activité une carrière noble et infinie; elle lui prodigue des plaisirs purs, qui le suivent partout, et lui font supporter avec moins d'amertume les décomptes et les peines cuisantes, qui sont trop souvent notre partage sur cette terre. » Page i5 il continue : « On n'imagine pas combien cette botanique, que je puis appeler vivante, a d'intérêt et de charmes. Dans nos herbiers , tout présente le silence et la mort; tout est sans forme, sans grâce et sans symétrie; mais dans la nature, au milieu de nos champs, de nos bois et de nos prairies , tout est frais et brillant des plus vives couleurs. On y voit à nu les divers phénomènes de la végétation , les mouvements variés des feuilles et des ti- ges, Tépanouissement des calices et des corolles, l'appareil de la fécondation et la manière dont elle s'accomplit. On se plaît plus tard et à l'époque où la campagne a perdu une grande partie de sa parure , à contempler les moyens divers par lesquels les péricarpes s'ouvrent pour répandre leurs graines. On admire les artifices nombreux par lesquels ces graines s'accrochent, se cachent en terre , s'enfoncent dans l'eau ou se répandent au loin par leurs ailes , leurs enve- loppes floconneuses ou leurs aigrettes flottantes , etc. » Ces citations pourront faire entrevoir le charme que l'on :^ 47 •^; éprouvera en lisant cet ouvrage. Ce ne sont pas ces des- criptions bien symétriques et arides pour la plupart des hommes , ce n'est pas non plus de la haute poésie , mais une noble simplicité règne partout , c'est la poésie de l'âme. M. Vaucher a suivi l'ordre établi dans le Prodivmus de M. De CandoUe. Il passe des caractères des familles à celui des genres, sans entrer dans le détail des espèces, mais en les signalant rapidement par quelques traits. La famille des Renonculacées occupe environ 80 pages , qu'on lit tou- jours avec plaisir 5 en un mot, il instruit en intéressant. Je reviendrai sur cet ouvrage lorsque le premier volume pa- raîtra. J'ai cherché pour le moment à donner une idée de la candeur de celui auquel nous le devons. «••««« «e»» HORTICULTURE. 22. M.Bi un- F^eillaj'd \ient d'établir, près de Genève, un très-grand jardin, particulièrement destiné à la culture des plantes potagères et prairiales. Il a reçu ses premières graines de M. Vilmorin-Andrieux, et d'autres marchands grainiers bien connus. Il vient de publier un catalogue de graines potagères récoltées sur ce terrain en 1829. Il fera cette année de nouveaux essais, non-seulement sur les plantes potagères, mais encore sur les prairiales. Je me borne , pour le moment, à citer le nombre d'espèces jardi- nières de quelques-uns des genres principaux de son cata- logue, et j'engage les personnes qui auraient besoin de graines, d'en faire la demande à M. Bnin-V^eillard (Ge- nève, Grand'rue , 18), qui s'empressera d'expédier soit son catalogue , soit les commissions qu'on lui donnera. — :^ 48 -eè- Artichauts, 4* — Asperges, 3. — Betteraves, ^. —Car- dons, 4- — Carottes, 'j. — Céleris, 7. — Chicorées, 9. — Choux-Cabus, i3. — Choux de Milan, 9. — Choux verts, 3. — Choux-fleur , 5. — Choux-brocolis, 4« — Concom- bres, 8. — Cressons, 5. — Epinards, 4* — Fèves, 9. — Haricots à ramér , 12. — Haricots nains , 1^. — Laitues, 39. — iVJelons, 6. — Navets, 1 5.-^ Oignons , 9. — Pois, 26. — Pourpiers, 2. — Radis, 11. — Raves, 5, etc. — On peut aussi se procurer; à la même adresse, 3o espèces de plantes fourragères, en Choux, Légumineuses, Graminées et Che- nopodées. *c«»9a>> AVIS. Les deux premiers N"' de ce Bulletin ont été envoyés pour montrer comment il sera rédigé; les personnes qui vou- draient continuer à le recevoir sont priées d'envoyer au Rédacteur, rue du Puits-St.-Pierre, ou à MM. J° J5a;- bezat et Cornp^, imprimeurs-libr. , rue du Rhône, 177, à Genève; même maison à Paris, rue des Beaux-Arts, n" 6; leur adresse bien exactement écrite et le montant de la souscription ou un bon sur Paris. L'abonnement de l'année est de 12 fv. de France. Chaque souscripteur re- cevra tous les mois (franc de port pour la France et la Suisse) un numéro composé d'environ 2 feuilles d'impres- sion, ou en partie un nombre équivalent en planches. Les Botanistes qui auraient des notices, des descriptions de genres ou d'espèces , des traductions , etc. , à faire insérer, ou de nouveaux ouvrages à faire annoncer, sont pries de vouloir bien les faire parvenir ,yr«HC* de port, à l'une des adresses indiquées. GENEVE , IMPRIMERIE DE J" BARBEZAT ET C [ SO MAB 25 j / ( 2»? ) Je vous le répèle, c'est pour vous obéir el pour vous plaire que je viens vous parler de moi. D'ailleurs, n'est- (fe pas en quelque sorte le compte d'une partie de vos ■ propres travaux que je viens vous rendre ici ? Les con- structions et ouvrages de terrasse que vous vîtes com- mencer à l'époque où le buste de notre immortel LiNNÊ fut placé par vous dans mon jardin (i), sont au^ jourd'hui terminés. Le résultat est l'organisation d'un système général de multiplications que j'ose dire infi- nies; car elles n'auront d'autre terme que l'améliora- tion la plus complète d'une des jouissances les plus naturelles et les plus douces : l'amour et la culture des beaux végétaux. Je l'ai dit souvent à d'eslimaules jardiniers, que mes premières conceptions scmbiaienL «ffrayer : mettez vos fleurs à la portée de toul.io monde, et vo.us n'aurez pas assez de bras pour en éle ver. Tel est mon but, et, si je l'atteins, je mériterai peut-être que 1q dernière fleur qui s'échappera de mes mains soit placée par vos mains amies sur mon tombeau. Mais une autre branche de culture est venue, dans ces derniers temps, partager mes soins : ce sont les semis d'arbres faits en grand. Cette opération se rat- tachant plus particulièrement au bien public, méritera aussi plus particulièrement votre intérêt. Les fonds de terre, en propriétés privées ou communales, qin' se- raient susceptibles d'être plantés en bois, avec une réunion d'avantages reconnus par tous les agronomes, (i) Lii 3 juillet iS24- f^^oyez le procès-verbal Je colle frie dans le Bullciin linucen, (lai,'. 33 cl suiv., qui termine le HI'' voliin e «les Aeles (Je la Soeiéle. ( 268 ) se comptent en France par millions d'hectares. Eh bien, Messieurs, c'est par millions qu'il faut oflVir aux propriétaires des plants jeunes et vigoureux de tok Jes arbres qui sont à la fois propres à décorer et h uti- liser des lieux à la fois sauvages et improductifs ; et les immenses ressources qui vont se trouver à Froment, surtout en arbres de l'vVniérique et en conifères, exci- teront et alimenteront en même temps, je l'e-^père, le mouvement généreux et {)alriolique auquel sera due la régénération de nos forêts; Il n'est, vous le savez, de multiplication véritable- ment grande, utile et économique, que par la voie des semis. C'est ce qui nj'a déterminé tout récemment à publier une instruction qui tend à faire aflluer sur Fro- monl des graines de toutes les parties du monde. Vous en avez ordonné l'insertion dans vos Annales (i), afin qu'à l'aide de vos Annales, cette instruction fût bien- tôt connue du inonde entier. C'est aussi dans la pratique des semis que l'on observe ces jeux de la nature, qui transportent à un végétal les qualités d'un autre, qui produisent dans les germes des altérations et des modifications remar- quables, et qui donnent naissance h des variétés nou- velles, que l'art vient ensuite à bout de fixer comme des espèce?. Le hasard préside souvent b ces briilans phénomènes d'une génération mystérieuse; mais l'ob- servation en a fait aujourd'hui un art; et nos fruits, ainsi que nos fleurs, peuvent, avec son secours, ac- quérir une nouvelle saveur ou U^ nouvel éclat. Je ne (i) ^oycz \c Rull''tin liiinocn de i8a6, pap. 9 el suiv ;i l,i fin du Y* \oliinie de,' Aclcs de la Sociçlc. ( 269 ) mets point en doute qu'avec le temps les procédés de la fécondation artificielle ne puissent influer jusque sur la qualité intrinsèque des bois propres aux grandes constructions. C'est avec la joie d'un bien innocent triomphe que je vais avoir l'honneur, Messieurs et chers confrères, de vous dire un mot sur le beau produit hybride que j'ai récemment obtenu dans mes cultures. G'e«t un Magnolia nouveau, provenu d'une semence du M. prœcia, ou julan, fécondée par le pollen du M. pur- purea, ou discolor. Je vais vous en lii-e la description. Votre amitié vient de donner mon nom à cette belle plante. Je pourrai accepter cet hommage du cœur, lorsqu'à la floraison prochaine vous aurez examiné l'individu sur le terrain, et que vous l'aurez jugé digne d'augmenter au printemps l'éclat de nos bosquets, par son port arborescent, par son beau feuillage, et sur- tout par ses fleurs larges et brillantes, où le blanc vir- ginal (i) des pétales du M. yulan se colore vivement des teintes purpurines du M. discolor. «."«^«I v«-* «.-«/fcV^^ Description du Magnolia- Soulange. — Ma^ gnolia Soulangiana , seu M. prœcia flore aibo purpurascenle, var. Le Magnolia qui fait le sujet de cette Notice a do très -grands rapports avec deux autres espèces du d") Le Masnolia yulan esl, en Cliinr, le symbole de la Mrqinilé, à caiisf du bl;mr pur de ses fl'ur.-. ( 270 ) même genre, les .]f. yulan et discolor ; mais il pré- sente des parlicularilés qui l'éloignent assez de l'un et de l'autre pour qu'on puisse le considérer comme espèce nouvclU^ ou loul au moins comme variéié constante, comme un hybride rare et précieux, pro- duit par le mélange des deux espèces dont il participe. Voici les rapprocliemeus et les différences qu'on peut observer entre eux. Le M. Soutangiana se rapproche du Yulnn par son écorce, la l'orme de ses feuilles, qui cependant sont d'une consistance plus ferme; par la régularité de ses belles corolles ; enfin par l'odeur suave qu'exlja- lent ses fleurs. Il s'en éloigne par l'époque où il les épanouit : en efl'et, le Yutan montre les siennes sur des rameaux dénudés avant que les jeunes pousses aient rompu les bractées soyeuses qui les retiennent captives, et ses roses élégantes sont h peine flétries que l'on voit leur succéder celles du 3i. Soulangiana, qui sont accom- pagnées de feuilles d'un vert tendre sur lesquelles se détachent de larges coupes d'un blanc de neige h l'in- térieur, et d'une couleur purpurine bien ménagée au dehors. Cette nuance bien fondue, est le seul pbint de res- semblance qui puisse le rapprocher du M. discolor, car ce dernier a des fouilles d'une forme tonte diflc- rente, leur disque se prolongeant jusqu'à la base du pétiole d'une manière insensible; ses fleurs affectent la forme d'une tulipe, ne se développent jamais bien, et sont inodores; enfin ces mêmes fleurs ne s'épa- nouissent que quand le M. SouUtngiana a noué ses cônes. Voilà, ce me semble, assez de différences pour ( ^7' ) qu'on ne puisse regarder ce dernier comme une simjile variélé du M. discolor. Passons à lu description des caractères, ils ont clé saisis sur un individu vigoureux. Caractères. — Arbre dont le tronc et les branches sont recouverts d'une écorce grise. Celle des jeunes rameaux qui sont fléchis en zigzag à chaque articu- lation donnant naissance aux feuilles, est d'un brun- gris, très-lisse, luisante, parsemée de points d'un blanc jaunâtre. Les plus jeunes pousses sont vertes, tomen- leuses à leur base jusqu'à l'insertion du pétiole de la première feuille. Celles-ci sont alternes, assez éloignées l'une de l'autre, amples, larges et cunéiformes au sommet, ter- minées par une pointe; rétrécies h leur base, qui se termine brusquement et inégalement sur les côtés du pétiole, à une certaine distance de sa naissance. Leur limbe est entier aux bords, d'une consistance ferme, doux et soyeux au toucher, d'un vert gai en-dessus, plus pâle en-dessous, à nervures obliques régulières jointes par un réseau vasculaire très-délicat : frois- sées, ces feuilles répandent une faible odeur aroma- tiq,ue. Les stipules sont longues, caduques et verdâlres. Les pédoncules sont terminaux, renflés, soyeux, et le bouton est recouvert par une bractée d'un brun léger, translucide; le calice est formé de trois folioles obtuses, petites et caduques. La corolle est composée de neuf pétales disposés sur trois rangs; ils sont très- charnus et d'une odeur suave. Les trois plus extérieurs, moins larges que ceux du milieu, sont ovales, lancéolés, élargis près de leur som- met et à leur base, étranglés vers leur tiers inférieur, ( 2/2 ) d'un bhmc pur au dedans, de la même couleur au dehors, mais variés comme il suit : h leur insertion est une nuance vert jaunâtre, se fondant en pourpre rose très-pùlc. Cette même teinte règne encore le long de la nervure moyenne du pétale, et prend d'autant plus d'intensité qu'elle s'éloigne davantage de l'attache au réceptacle. Au sommet du pétale c'est un pourpre tendre très-pur. Les trois pétales intermédiaires sont les plus grands; ils sont spaluleux, larges et obtus au sommet, très- charnus et creusés en cuiller à leur base, et presque vers leur partie moyenne; leur superficie est marquée de nombreuses veines longitudinales ; les plus près des bords sont rameuses. Ces trois pétales sont d'un blanc de porcelaine au dedans; leur face extérieure offre un fond de cette couleur, mais depuis leur insertion au rétcplncle jusque vers leur milieu est une teinte d'un pourpre rosé, se fondant insensiblement sur le fond, à une distance d'au moins quatorze millimètres des bords. Ce rose marque les nervures latérales et la côte moyenne en se terminant à quelque distance du sommet. Les trois pétales intérieurs sont plus petits, un peu plus étroits que les extérieurs, arrondis au sommet, ré- trécis à leur base, d'un beau blanc au dedans et au de- hors, portant sur toute leur longueur extérieure un sillon pourpré plus large que celui des pétales exté- rieurs, mais moins que celui des pétales du milieu, et se perdant insensiblement dans la masse blanche. Le réceptacle est hexagone, marqué de six larges facettes et de trois marques linéaires placées au- dessous. ( 275 ) Les étammes sont nombreuses, disposées en spirale, sur cinq rangs autour d'un axe qui s'élève au centrci du réceptacle. Les filets sont de la longueur des an- thères, cylindriques, aplatis, d'un pourpre violet; les anthères adnées aux deux côtés du filet sont jaune- purpurin, surtout à leur pointe; une ligne de cette même couleur règne aussi à leur partie moyenne. Les ovaires sont nombreux, allongés, disposés en spirale, jaunâtres; les styles longs, réfléchis légère- ment, d'un vert plus foncé. Le cône, peu après la chute des pétales et des éla- mines, a au-dessus du réceptacle jusqu'à cinquante- quatre millimètres de longueur sur la grosseur d'une plume de cygne. Le fruit n'a pas encore été observé. Tableau comparatif des principales différences qui existent entre la nouvelle plante et les deux espèces de Magnolia dont elle est le produit. Organes de la reproduction. — Le Magnolia dis- color a les fleurs inodores, les étamines presque en en- tier purpurin-foncé ; les ovaires à styles et stygmates verts, terminés de pourpre. ^ — Dans le M. Soulan- gtana , les fleurs sont très- odorantes, d'une odeur douce et agréable, htamines à filets purpurins, som- met et partie moyenne des anthères violacés. Ovaires jaunes, styles verts sans nuance pourprée. — Tandis que le» fleurs du M. julan. sont odorantes, les éta- mines à filets rosés, les anthères, les ovaires et les styles jaunes. ( '^74 ) I.Nïi.onEscENCE. — Lcs lleuTs du M. yulan s'épa- ûouissent en mars et avril, long-temps avant la nais- sance des feuilles. — Les fleurs du M. Soulangiana naissent en avril et mai, quand celles an yulan sont flétries, et cet arbre couvert de feuillage. — En mai et juin les corolles du M. dlscolor se développent,* lors- que le M. Soulangiana a perdu «les siennes, ou au moins quand la fécondation est opérée. Fleurs. — Dans le M. discolor, six pétales lancéo- lés, presque inégaux, roulés les uns sur les autres, ne s'ouvrant jamais en entier, blanc pur au dedans, vio- lets au dehors, cette couleur gagnant jusqu'aux bords. — Les neuf pétales du M. Soulangiana se montrent sur trois rangs, inégaux, oblongs, creusés en cuiller à la base, blanc pur au dedans, ainsi qu'au dehors, avec une large bande moyenne pourprée, et la base de chaque pétale d'un rose pur; les trois plus extérieurs vert jaune à l'extrême base. — Les neufs pétales du M. yulan sont aussi disposés sur trois rangs, oblongs, inégaux, mais d'un beau blanc pur au dedans et au dehors, avec quelques reflets d'un jaune très-pâle à la base interne. Fj;uilles. — - Celles du M. discolor sont ovales, lan- céolées, luisantes, d'un vert-bleu, plus pâles en des- sous. Le disque de la feuille s'étend insensiblement sur les côtés du pétiole jusqu'à son insertion; tandis que celles des M. Soulangiana et yulan sont ovales, cunéiformes, très-larges, et pointues au sommet. Le disque de la feuille se termine brusquement et inéga- lement h vingt-sept millimèlres de l'insertion du pé- liolt'. Bois. — Chez le M. discolor les rameaux sont flé- ( ( ^y-'i ) chis, coiilotiniés, souvent raboteux, d'un cendré pur- purin, plus foncé sur les jeunes pousses, où il est violet. — Dans le M, Soidangiaiia, les rameaux sont fléchis en zigzags réguliers, épiderme lisse, d'un brun cendré, parsemé de points d'un blanc jaunâtre. — Dans le M. yulan, l'écorce est encore unie, gris-cen- dré, souvent bru.iàtre, avec des taches répandues sous ■ forme de pustules jaunâtres. \/v%fy%,-vvyv%/%nfV%^/%t%n/v%-v%/^ni\'vv%v%n/%ivv%^\/%n/\>vvi»/^'V^ LINNE. •HMcMM ODE Pjib René- Richard -Louis CASTEL, Vice-Président. Le siècle de Louis , témoin de la querelle Des modernes talens et de l'antiquité, Ne vil point de Thémis la balance Cdelle * S'incliner d'un côté. • * Mais ce procès fameux, plaidé durant cinq lustres. Sans appel en un jour su serait terminé, Si le même âge avait parmi svs noms illustres Vu le nom de LiNwt. Comme l'éclat constant de l'étoile polaire Sert de phare aux vaisseaux égarés sur les mers, Ainsi l'astre d'Upsal d'une pure lumière Eclaira l'univers. Oii va ce jeune essaim qu'an milieu des bocages LiMKé charma long-temps de ses douces leçons? lis courent demander à de nouveaux rivage.s De noiivrllcs mois.sous. ( 277 ) Quel succès eùi suivi, dans rAmérique entière. Leurs courses, leurs périls et leurs savaas efiurts, Si de la liberté l'enseigne hospitalière Eût flotté sur ces bords ! Avijourd'hui Panama, sur sa base profonde. D'un second Capitole élève les remparts j Aujourd'hui l'Amérique est l'exemple du monde El l'asile des arts. »'■* LE MUSÉUM DE LINNÉ A HAMMARBY; Par M. Olaus-Aïr. Robsahm, d. ra., Correspon- dant à Carîberg, en Suède. Te.cuncta loqueiur Tellus, te variis scribent in Uoribus horae, Claudianus, /n Proôi/J. Cons. A trois milles d'Upsal, l'ancienne capitale des Scan- dinaves, on montre, dans la commune de Danuark, la demeure champêtre où Linné passa les dix derniers étés de sa vie active. L'habitation se nomme Ilain- marby [Voyez la planche II ci-joinle); elle est simple comme le furent les mœurs du grand homme ; de vieux ormeaux l'ombragent, et un épais rideau d'arbres verts l'abritent des vents glacés du pôle. Près de l'habitation, on voit encore le jardin que l'illustre réformateur des sciences naturelles avait créé pour y cultiver les arbres et arbustes de la Sibérie et les belles fleurs qui, des monts Ourals et Allais, sont descendues dans nos parterres. Linné appelait ce jar- din son //or^«« «St^tr/cH*. Depuis 1778,113 perdu toute sa splendeur, et parmi les plantes communes qui en envahissent chaque jour l'enceinte. Flore conserve encore quelques tiges étrangères j)Our y rappeler la main amie qui prit tant de plaisir à les naturaliser. ( 279 ) Après avoir visité VHortus Sibirtcus, on traverse les prairies si richement variées, si soigneusement entre- tenues du temps de Linné, rt l'on arrive à uu monti- cule aride, tout couvert de blocs de pierres, d'une élévation moyenne, et au sommet duquel notre maître, à tous fit Lâlir un pavillon pour y déposer tout ce qu'il possédait, tout ce qu'il recevait journellement en plantes sèches, en dépouilles d'animaux, en pro- ductions minérales et en fossiles. Le bâtiment est un carré long, ouvert sur trois faces par une grande croi- sée, et sur la quatrième, par la porte d'entrée. {Fojcz la planche III.) De Ih, la vue s'étend sur un paysage magnifique el d'une belle étendue, coupé çà et là par de nombreux villages où se logeaient les disciples de Linné. D'un côté, les yeux s'arrêtent sur la ville d'Upsal et sur le fleuve de Sala, qui la divise en deux parties; de l'autre, on entrevoit à l'horizon les eaux du golfe de Bothnie et les monts élancés de la Dalécarlie, qui renferment de vastes minières. Plus près, on découvre les débris d'une grandeur qui n'est plus, et les richesses d'une agriculture qui pourrait être encore plus florissante, malgré l'aridité du sol qu'elle exploite. Dans ce temple des sciences naturelles, Linné ai- mait à se voir entouré de ses amis et de ses disciples, qu'il chérissait tous d'une amitié tendre et inaltérable. Il s'y rendait chaque jour; et là, nouveau Moïse, ce grand et puissant génie, interprète fidèle de la nature, dicta les lois qui doivent présider à un enstîignemenl bien entendu de ses productions; il dicta ces lois austères qui rétabliront l'ordre dans les classifications, et qui, bientôt afrès, adoptées par les peuples les plus ( a8o ) instruits, ouvrirent toutes les voies pour arriver plus prompteraent et plus sûrement à Fa conquête de la vérité. Tant que Linné vécut, ce sanctuaire, comme on l'a dit, était pour l'Europe studieuse, pour les natura- listes épars sur la surface du globe, le phare d'où s'é- lançaient toutes les clartés de la vraie science, d'où partaient les signaux utiles qui préparaient les progrès actuels de nos connaissances en histoire naturelle ; il était pour l'univers entier comme le méridien magné- tique dans le plan duquel se dirigeaient toutes les re- cherches, toute l'ambition des cxploralcuré de la nature. Aujourd'hui le bâtiment est veuf des riches collec- tions qui décoraient tout son intérieur et moulaient depuis le sol jusqu'à la voûte. A la mort de Linné, son herbier, la plus grande partie de ses manuscrits et la presque totalité des objets rares qu'il possédait furent vendus au docteur Smith, notre vénéral)le confrère, président et fondateur de la Société Linnéenne de Londres. Les autres objets furent acquis peu h peu par les amis, les admirateurs du grand homme; et maintenant il ne reste plus dans le musée que la chaire du haut de laquelle Linné donnait ses éloquentes le- çons et un crocodile du Nil demeuré suspendu :'.u plafond. Comme le laurier jadis planté près du tom- beau de Virgile, et destiné à ombrager l'urne conte- nant ses cendres, a vu ses feuilles, ses branches et jusques à ses racines enlevées par les amaleurs de la haute poésie; comme l'orme au pied duquel ïunKNNK fut enlevé à son .armée, dont il était le père, cl .'i sa patrie, dont il était le plus noble, le plus ferme ap- pui, est tombé sous le couteau de tous le.* guerriers; ( 28l ) de même le musée d'Hammarby a été successivement dépouillé de tout ce qu'il renfermait par les natura- listes qui le visitaient et qui sollicitaient l'honneur d'emporter avec eux un souvenir du grand LI^^•È. Moi-même je conserve précieusement un œuf d'autru- che (Struthio camelus L.) et quelques coquilles qui m'ont été donnés par mademoiselle Elisabeth Linxè, lors de mon pèlerinage à la retraite champêtre de son immortel père. Malgré l'enlèvement successif des richesses déposées en ce musée, son enceinte sera toujours pour l'ami de la nature comme un temple sacré qu'il visitera avec un saint respect, et qu'il prendra plaisir à loucher dans toutes ses parties. Il y viendra respirer le même air que respira le législateur des sciences naturelles ; il y viendra retrouver les doctrines qu'il y professa, ces doctrines profondes et éternelles qui, semblables aux semences ailées de certains végétaux promenées par les vents 9ur tous les points de la terre . sont répandues sur l'un et l'autre hémisphère et ont ré- vélé les secrets de la vraie science; il y viendra se pénétrer de plus en plus de ces doctrines sublimes qui ont porté la vie dans toutes les branches de la zoo- logie et de la botanique, leur ont imposé l'ordre, principe de toutes chq^ses durables, et formé cette élite de scrutateurs qui vont partout interrogeant la surface et les entrailles tant de fois bouleversées du globe que nous habitons. L'ombre révérée de Linné erre autour de ce monument; la reconnaissance et l'admiration aimeront loi'jours à venir s'y entretenir avec elle. Le sol foulé par un grand homme inspire toujours de grandes pensées; tout en cherchant à y démêler lis ( 282 ) traces de ses pas, on s'ouvre une route nouvelle qui mène 5 la gloire. En sortant de ce sanctuaire, on voit sur la porte J'entréc les armoiries qui furent imposées h Linné, avec l'ordre de rétoile polaire. On a Llàmé le jjrand hoirmie RÉ voulait que la prééminence accordée à sa personne, et qui était le résultat de l'estime pu- blique et de l'utile révolution qu'il avait introduite dans l'élat présent, dans la marche future des sciences natu- relles, servît de stimulant h la jeunesse avide de savoir. Il aimait la gloire, comme nous devons tous l'aimer; il la voulait justement acquise; il la voulait fondée sur l'amour de la science, sur le dévoûmenl à la patrie et au bien général de l'humanité; son ada^e ordinaire était F amam extendcrc factis,il/L jamais ce noble sen- timent ne dégénéra chez lui en un orgueil oftlinsanl et insociable. L'étoile polaire et les armoiries accep- tées par le fils An pasleur de Roeshnlt étaient des tro- phées nouveaux qui se mariaient, sans se nuire ninlurl- lement, aux lauriers nés sous les pas du grand Linné : il ne les avait point mendiées, ellels n'enchaînèrent point sa conscience, elles n'altérèrent en rien sa bon ( 285 ) homie, ses goûts simples, son ardeur pour l'étude : il était homme, il était illustre avant de les recevoir, il demeura tout aussi homme, tout aussi illustre après les avoir reçues. Peut-on en dire autant de nos jours, où nous voyons les citoyens les plus distingués dans la noble carrière des études utiles, descendre à toutes les sortes de bassesses, consentir à toutes les sortes d'humiliatiotïs pour obtenir des rubans d'une ou de plusieurs couleurs, pour avoir des titres avilis, et, par suite d'une ambition déréglée, tomber du sommet de l'honneur et de la vraie gloire dans la fange des porle- livrées? Avant de quitter le muséum du grand Linné, avant de descendre cette colline sacrée, avant de sortir d'Hammarby, recueillons la Linnœa borealis, char- geons-en nos mains et distribuons-la h [ceux de nos frères qui, trop éloignés de la patrie de l'homme de génie qu'ils ont adopté pour maître, seront jaloux de posséder la fleur modeste née aux lieux mêmes qu'il habita, aux lieux mêmes où son âme immortelle de- meurera empreinte tant qu'il y aura des âmes aimantes et studieuses. 90 «/VVV«\lVk«\All«/VVU«VlV«*«««WM«V»«n«»V««V«AW»MAIVV««\««/VM«ViVV«*V«WlV«WV LA MAISON DES CHAMPS. ^5*-^^^^ STANCES Par m. Charles LEMESLE, Membre correspondant. Heureux le possesseur tianqaille D'une. douce compagne et d'un champêtre asile! Heureux (|ui sait régler sa fortune et son c(Bur, Qui dans des plaisirs purs sait cbercher le bonheur. Et, loin des jeux d'enfans d'une foule imbécile, Vivre en paix et mourir sans peur ! D'un enclos moins grand que fertile. Qu'il est doux, par les soins d'une culture habile, D'accroître chaque jour les trésors savoureux! De Tarbre qu'on planta l'ombre rafraîchit mieux. Qui n'aime aussi les fleurs, les fleurs charme fragile Et de l'odorat et des yeux.' De leurs tribus intéressante» One tu nous monlrr* bien, chantre aimable des Plantes, Les attraits sans danger et les bieni'ait.s sans prix! Tes beaux vers, 6 C.^stei-, ont leur franc coloris, Ils ont leurs doux parfums, leurs grâces élégantes, El, comme elle?, iiorlcnl des fruits. ( 285 ) Dès loDg-lemps, à Linné fidèle. Ta lyre a tressailli de sa gloire imniorlelle. Bien qu'au Pline du Nord ce jour soit consacré, De respect et de crainte à la fois pénétré. Après toi, devant toi, j'ose à peine, en mon zèle, FroDODcer son nom vénéré. Vrai botaniste et vrai poète. Tu chéris comme lui les champs et la retraite. C'est là que la nature à ses doctes amans Livre plus volontiers ses charmes imposansj Là, l'inspiration, de sa source secrète, Fait jaillir les flots enivrans. Là, dans plus d'un soin domestique. Objet des froids mépris du ciladiu caustique. Sous les traits du plaisir le travail nous sourit. Tour à tour occupant et le corps et l'esprit. Interrogeant le monde ou moral ou physique. On médite , on agit, on vit. Sous un toit simple et solitaire, ■; L'iiymeu conserve mieux son sacré caractère : Ou est père plus tendre, on C't plus tendre époux, L'àme ne se nourrit que de senlimens doux : Tout ce qui nous entoure, allié tributaire, Existe par nous et pour nous. Le sage, en ce séjour qu'il aime. Jouit de la nature et jouit de lui-même. Rien d'un cœur simple et droit ne vaut le calme heureux- L'art d'étendre nos biens est de borner nos vœux: Mais la fièvre nous biûle, et jusqu'au jour suprême. Nous délirons à qui mieux mieux. îiO. CONSIDÉRATIONS GÉNÉRALES Sur la vitalité et l'irritabilité des végétaux ; par M. Bailly de Merlieux, Membro ré- sidant. Lorsque nous portons nos regards sur la nature, les preuves qui attestent la vie des plantes sont si multi- pliées, qu'elles pénètrent dans notre esprit par toutes les voies. Quand sous nos yeux, et de grains imper- ceptibles, en peu d'années, jaillit une forêt; quand nous voyons la plante chercher autour d'elle et choi- sir les alimens qui lui conviennent, s'en abreuver, s'en nourrir, se développer avec plus ou moins d'é- nergie, selon l'abondance de ces alimens et l'état de sa santé; lorsque nous avons reconnu dans les végé- taux l'existence de deux sexes dont l'union est néces- saire à la reproduction de l'espèce, et que nous avons vu cette union accompagnée de phénomènes et de mou- vemens qui semblent indiquer des sensations et des plaisirs, non-seulement nous nous écrions que les plantes sont des êtres vivans, mais, avec Dahwin, nous sommes tentés de leur accorder des sentimens et des passions. Ramenés par le doute philosophique vers l'élude plus approfondie de l'organisation, les végétaux, lors- qu'on les considère d'une manière très-générale, s'of- ( 2S7 ) frent à nous comme des êtres doués de toutes les fa- cultés inhérentes à la vie de l'individu et à lu vie de l'espèce, mais privés des fonctions de relation, la sen- sibilité et le mouvement volontaire. Ils semblent donc ne posséder que ce genre de vie dont les animaux n'ont point la conscience, qui cependant est plus impérieu- sement essentielle à leur conservation, et que BiciiAx désignait sous le nom de vit végétative. Les causes qui président à la mise en jeu et à l'en- tretien de la vie sont sans doute encore un mystère profond; cependant les pas que nous faisons chaque jour, d'un côté, par l'application plus complète des lois générales de la nature, de l'autre, par l'élude mi- croscopique des organes, circonscrivent de plus en plus la question, et semblent devoir nous conduire prochainement dans le sanctuaire où réside la source cachée de la vie. En attendant cette victoire, lâchons de tracer rapidement le tableau des incertitudes qu; nous entourent, des découvertes qui commencent h les éclaircir, des voies qui pourront peut-être les dissi- per complètement. L'élude de l'organisation des végétaux nous apprend que leur existence est entretenue par la l'ormation d'une matière organique demi-liquide, contenue dans des vaisseaux ou des cellules solides qu'elle-même pro- duit et développe. C'est dans cette substance que pa- raît résider le priifcipe vital, dont la source primitive nous est inconnue, mais que nous sommes obligés d'admettre, puisque les lois mécaniques sont impuis- santes pour l'explication d'une foule de pliénomènes des corps organisés. Qui pourrait, en effet , leur con- fier cet acte mystérieux dans lequel les êtres vivans ( 988 ) élaborent le corps qui, détaché d'eux, doit reproduire un être semblable? Qui donnerait h ces êtres le pou- voir de résister avec force aux causes de destruction, soit chimiques, soit physiques, qui les entourent, ré- sistance qui a paru si importante à certains physiolo- gistes, qu'ils ont osé définir la vie, l'ensemble des fonc- tions qui résistent à la mort? Si nous ignorons qui mot en jeu la fibre végétale, des découvertes très-récentes semblent du moins nous en indiquer la nature : déjà Priestley avait vu dans Its transformations de la matière verte la source de toute organisation, aussi bien végétale qu'aniciaie ; déjà d'autres naturalistes avaient observé au dernier échelon des deux règnes, des êtres, animaux et plan- ics tout h la fois, passant successivement de l'un à l'autre état, et qu'ils ont, par ce motif, appelés zoo- carpesj ou plijtozoaircs. Enfin M. Edwards (i) n'a pas seulement observé que les conferves, au lieu de semences, produisent des animalcules qui à leur tour s'alongent en filament végétant; il vient encore de prouver qu'elles sont composées de tubes divisés en cloisons occupées par des grains de malièrc verte. Ces grains, il les a reconnus doué-* du mouvement et iden- tiques avec les monades de Mui.ler : il les a pareille- ment retrouvés dans des substances animales et végé- tales, soit macérés dans l'eau, soit déchirés, et jusque dans les vaisseaux propres des plani'-os. Ces animalcules .seraient donc des grains de matière verte végétale ? Ces cellules vivantes, ces vaisseaux végétant seraient àti conferves, seraient aussi des monades? iM. Euwards (i) Méuiuire lu a rAcaiJeinit: dts st;ieaces de l'iuvliiul le 9 mai i8i(). ( 289 ) conclut de ses observations que les vaisseaux propres, en se détachant les uns des autres, en se gonflant par l'imbibilion de l'eau, en éprouvant l'influeuce du so- leil, acquièrent une vie indépendante et deviennent des conierves; qu'ainsi, toutes les^ parties principale» des feuilles, en se décomposant dans des condition» convenables, peuvent aussi acquérir une vie indépen- dante, soit d'animalcules en demeurant isolées, soit de plante lorsqu'elles s'agglomèrent plusieurs ensemble.. Cet habile observateur a donc, pour ainsi dire, as- sisté h la formation des êtres les plus simples des deux règnes organiques. Quand on considère que ces phé- nomènes se manifestent principalement sous l'influence de la chaleur et de la lumière, lorsqu'on réfléchit aux puissans eff'cts de ces deux agens, on est bien tenté de leur attribuer l'excitabilité qui, agissant sur des ma- tières ainsi disposées, semble suflire pour expliquer la cause et les premiers effets de l'organisation. Dans ce système, nous dirons que la chaleur et la lumière, par leurs mouvemens vibratoires, font naître de la décom- position des substances organiques, ces grains de ma- tière verte, rudiment primitif de toute organisation : que par leur action répétée ils sollicitent leur union et impriment à leur ensemble le mouvement contrac- tile qui entretiendra leur vitalité, et permettra leur reproduction toutes les fois que quelques-unes de leurs parties, douces des mêmes facultés, seront sou- mises aux mêmes influences. Quel sera d'ailleurs le rôle de l'élcclricité dont l'action dans la végétation est également irrécusable? Ce fluide, en «'accumu- lant, ou en traversant les organes, servira à rétablir leur tonicité et à réveiller leur contraclililé; enfin,, ( '^go ) il meltra en jeu les organes de la reproduction el opé- rera la fécondation des germes; car de nombreuses considérations tendent h faire croire que celle im- portante fonction s'accomplit sous ses auspices. Ainsi que nous l'avons dit ailleurs, dans des Considérations générales sur la cause des phénomènes physiques (i)< nous sommes loin de mettre tous ces aperçus sur le même rang de probabilité, mais nous ferons remar- quer qu'il est aussi important pour celui qui veut con- tribuer h l'avancement de la science de se laisser guider par des idées théoriques, que dangereux d'y attacher trop de réalité. ' Les agens dont nous venons de parler manifestent leur pouvoir par mille phénomènes divers : « que les ï parties herbacées, dit M. de Mirbel, ver.-:ent dans » l'atmosphère des lorrens d'air vital; que le carbone, » se combinant avec les élémens de l'eau, forme les » gommes, les résines, les huiles, etc.; qu'il s'unisse » au tissu de la plante et le fortifie; que les feuilles, B les fleurs, les fruits se nuancent de mille couleurs; 1) que les grains du pollen se remplissent de la liqueur » fécondante; que les feuilles et les étamines se meu- » vent comme si elles avaient des nerfs et dos muscles; » que les brillantes enveloppes des organes de la gé- » uération étalent ou resserrent les lames délicates » qui les composent ; tous ces phénomènes sont sou- » mis à l'influence de la lumière. S'il était possible X que le soleil, perdant toul-à-coup son éclat, ne lançât » plus sur la terre que des rayons calorifiques, bien- ' 1 1 /''oyez lu PItyiu/ui: des corps impondérables: par MM lUttJNE'i tl BilLLT DE Mi.nLrEux. ( 291 ) y> tôt il ne subsisterait de tout le règne végétal qu'un » petit nombre d'espèces, placés si bas dans l'échelle » des êtres, qu'à peine oserions nous leur donner le » nom de plantes. » L'absence de la vie est en eftet ua des caractères de l'absence de la lumière, et dans ces grottes ténébreuses, dans ces mines profondes, où l'in- fluence vivifiante du soleil ne peut se faire sentir, à peine voyons-nous quelques champignons informes, con)posés d'un tissu cellulaire distendu, première ébauche de la matière organique, attester que la cha- leur, modification d'un fluide lumineux, peut en rem- plir quelques-unes des fonctions les plus simples. Mais l'absence de la vie caractérise aussi l'absence de la chaleur : ainsi, dans cos climats glacés qui accompa- gnent les deux extrémités de l'axe de notre globe, c'est en vain que la lumière répète long-temps son action sur les corps. Un des effets les plus remarquables de cette action, c'est la direction constante des racines et des tiges. Sollicitées en sens contraire par l'action de cet agent, en vertu d'une cause qui nous est tcut-à-fait incon- nue, la racine suit toutes les directions où elle peut se plonger dans l'obscurité, la tige, toutes celles qui peuvent lui faire recevoir une plus grande masse de lumière. Comme le remarque M. Dutrochet, les phénomènes les plus généraux de la nature, ceux qu'elle présente sans cesse à nos yeux, sont ceux que la plupart des hommes remarquent le moins. Celui qui n'a pas ap- pris à méditer sur les phénomènes naturels se per- suade avec peine, par exemple, qu'il existe un mystère prjyfond dans l'ascension des liges des végétaux et dans ( '^d'^ ) la progression descendante de leurs racines; ce phé- nomène, cependant, esl un des plus curieux parmi ceux que nous oflVe la vie végélale. 11 n'est personne qui ne soit fr;ippé de celte réilexion, en considérant la tendance universelle des parties aériennes et ter- restres des plantes; mais il est une l'oule de phéno- mènes accessoires qui viennent se ranger à côté du fait général , et qu'il est important de noier, parce qu'ils pourront un jour nous éclairer sur l'action qui produit ces effets. Nous voyons les plantes élevées dans des souter- rains réduites pour ain*i dire h la ccndilion des ra- cines; mais s'il existe une ouverture par laquelle pé- nètre la lumière, toutes se penchent, s'alongent vers elle, surmontent tous les obstacles qui s'opposent 5 celte tendance invincible; les végétaux placés sur des fenêtres, attachés à des murailles, abrités par des toits non transparens, s'inlléchissent au dehors, et même se renversent pour remonter ensuite vers le point le plus éclairé. On sait que la piumule et la radicule, quelle que soit la position de la graine, ne se trompent pas de, direction, l'une vers le ciel, l'aulre vers la tern; : Di;- HAMicL a observé que quand on lait germer des graines dans des tubes trop élroils pour que la tigellc et h» radicelle puissent se retourner, elles se contournent en spirales. Le retournement des feuilles et des Heurs contrariées dans leur position naturelle esl un phéno- mène du même genre, dont le palissage des arbres frui- tiers nous offre de fréquens exemples : constamment la face supérieure des l'euilles et la partie la plus vive- ment colorée des lleurs se place de façon à recevoir In plus possible l'impression des rayons de lumière; IcUo ( «95 ) est même la cause déterminanle de la position qu'af- fecte chaque feuille d'une plante ou d'un arbre; qu'il soit isolé ou entouré d'autres végétaux, on reconnaît qu'aucune disposition n'auriu't atteint le but de la na- ture aussi bien que celle qui été adoptée par les feuilles. Combien en est -il que nous voyons même se mouvoir poursuivre la marche du soleil ! Combien d(! fleurs lournctil sans cesse leurs regards vers l'astre qui dispense la vie 1 Les anciens avaient observé ce phénomène, et l'avaient introduit dans leur mytholo- gie, lorsqu'ils nous racontent que Ciytie, inconsolable d'avoir perdu l'amour d'Apollon, refusant toute con- solation, fut enfin métamorphosée en fleur qui se tourne continuellement vers le soleil : c'est l'hélio- trope des anciens qui nous est aujourd'hui parfaite- ment connu (i). 11 est des plantes parasites qui vivent aux dépens d'autres végétaux : tel est le gui. Le principe qui di- rige sa racine est aussi la tendance à fuir la lumière et h pénétrer perpendiculairement 5 la surface d'im- planlalion : en sorte que, placée à la partie inférieure d'un rameau, la graine du gui dirige sa racine vers le ciel alin de s'implanter dans un rameau : lembryon du gui se comporte donc, par rapport à la branche qui le nourrit, comme les autres graines par rapport à la terre. Les moisissures, les poils des végétaux, sont également toujours perpendiculaires à leur surface d'implantation, et sans doute celte cause combinée avec la tendance générale des tiges vers le ciel, des (i) f^uycz dans lu V'^ volume îles AtU'.s de la Société Linnéenrir, paj,'. iG/| Kl Miiv-, k" Uitmoiie publii' par M. ThiiSb\ut de BeARKAiin. ( 5^94 ) racine> vers le centre de la terre, produit la direction moyenne des branches et des racines latérales. Lnfail bien iuiporlautà noter, et que M. Dutrochut a mis dans tout son jour, i-'eslque l'on voit les racines et les tiges, qu'elles soient plongées dans l'obscurité ou exposées à la lumière, d'une manière invariable, tendre vers le ciel lorsan'elles sont colorées, tendre vers la terrelorsqu'elies sont incolores, ('-'est ainsi que dans plusieurs plantes aquatiques, et notamment chez le Sagitkiria sagittifolia,les bourgeons axillaires, nais- sant décolorés, se courbent et dirigent verticalement leur pointe vers le centre de la terre , au lieu de la porter vers le ciel; se comportant dans ce retour- nement comme la radicule d'une «graine semée h contre-sens. Celle tige souterraine munie de feuilles décolorées comme elle, se plonge dans la vase, où sa progression devient horizontale; enfin, bienlôt son bourgeon terminal prend une couleur verte , et dès lors il affecte une direction ascendante et devient lige aérienne. De même, dans la digitale, l'ovaire se re- dresse après la chute de la fleur, qui était dirigée ver» la terre, tandis que le contraire a lieu dans !e liseron des champs; c'est que le prenjier ovaire a pris une couleur verle très-prononcée , tandis que le second est demeuré incolore. Conclurons nous de là, avec M. DuTROCUEï, que la coloration est la condition or- ganique a laquelle est attachée la différence de direc- tion des diverses parties des plantes? Nous nous en garderons bien, llappclons-iious que la coloration est un effet entièrement dépendant de l'action de la lu- mière, et dès lors nous serons conduits à penser que dans les végétaux cette coloration dénote l'influence { 295 ) (le la lumière , qui est ainsi la"! condition déterminante de la direction des tiges; et si l'on nous cite l'exemple des tii^es colorées qui se relèvent quoique privées de lumière, rappelons-nous que l'obscurité n'est point absolue, mais relative à nos organes; rappelons-nous que la chaleur, qui existe partout, n'est qu'une modifi- cation de la lumière. Dans tous ses mouvemens, en quelque sorte in- slinciil's, la plante manifeste le discernement le plus parfait , suivant toujours la voie qui doit la faire par- venir le plus promptement à son but. Mais cet effet n'est-il pas plutôt une preuve de la cause qui le pro- duit, car, si l'action de la lumière attire les tiges, ne doit-il pas en résulter qu'elles marchent vers elle par le chemin le plus court? et ce qui le démontre, c'est que la tige soumise h l'action des deux faisceaux de lumière égaux en intensité ne se porte pas vers l'un d'eux pour s'exposer à l'influence directe de ses rayons, mais elle prend la direction moyenne entre les deux faisceaux, direction qui la conduit dans l'obscurité. Nous ne devons donc reconnaître que l'influence d'un agent lout-puissant dans cette tendance, qui semble l'effet d'une volonté bien prononcée. L'action seule de la lumière ne peut rendre raison de l'ascension des tiges et de la progression descen- dante des racines. Les belles expériences deM. Ksigto, et plus récemment de M. Dutrochet, sur les phéno- mènes qui se passent lorsqu'on soumet des graines en germination ou des liges en végétation à divers mou- vemens de rotation, ont démontré que la cause de la pesanteur ou la gravitation vers le centre de la terre concourait aussi d'une manière énergique et coastante ( 296 ) à celte direction. Nous rcgrellons de ne pouvoir entrer dans le détail de ces curieuses expériences , mais nous dirons d'une manière générale que les plunuiles, les liges, la face supérieure des feuilles, les fleurs qui se tournent vers la lumière, soumises à un mouvement de rotation, se dirigent constamment vers le centre de cette rotation; tandis que la radicule, les racines, la face inférieure des feuilles, se dirigent d'une manière aussi invincible vers la circonférence; ce qui nous porte à conclure, avec M. DiTRocuET, que les deux faces opposées des feuilles possèdent des conditions vitales opposées dans leur nature, comme cela a lieu pour la plumule et la radicule des embryons séminaux : la face supérieure des feuilles possède les conditions vitales de la plumule, la face inférieure, celles de la radicule, et toutes deux se dirigent de la même ma- nière. Ainsi, c'est l'action de la lumière qui provoque la direction des tiges et de la face sujiérieuie de» fL'uilles et des fleurs, vers le lieu duquel celle lumière arrive; c'est la gravitation, c'est aussi le besoin de fuir la lu- mière qui provoque le mouvement descendant des ra- cines, et porte la face inférieure des feuilles et des fleurs, de même que la radicule du gui, à s'éloigner du lieu duquel la lumière émane. Il est une autre classe de pliénomènes où les plantes manifestent des mouvemens spontanés plusévidens en- core : nousvoulons parier deces effets singuliersqu'on désigne sous le nom d'irritabilité des végétaux el de sommeil des plantes. Aux ap;)rocbes de la nuit les feuilles et les fleurs d'un grand nombre de végétaux affectent des positions et des directions différenl(!S de celles qu'elles offraient durant le jour. Cet effet est ( 297 ) surtout très-scDsible dans les plantes à feuilles com- posées. L'amorpha, le faux acacia, abaissent leurs feuilles dès que le soleil disparaît, et durant la nuit elles sont tout-à-fait pendantes , au réveil du matin leurs folioles s'éteudcnt, et plus tard elles présentent encore le phénomène remarquable qu'à mesure que la lumière et la chaleur augmentent, elles se redressent, en sorte qu'elles pointent vers le ciel au milieu du jour. L'élal diurne des feuilles présente donc aussi des va- riations, et à l'effet que nous venons de noter s'en r.iltache un autre plus général, observé par Bonnet : c'est que les feuilles larges prennent une forme con- cave lorsqu'elles sont frappées par une vive lumière. Qui ne conçoit que ce phénomène provient de ce que les extrémités des nervures des feuilles se comportent comme si elles étaient des extrémités de tiges, et qu'en celte qualité, elles tendent vers la lumière? Les positions qu'affectent les feuilles et les inflores- cences dans leur étal nocturne varient à l'infini. Sous ce rapport , la casse du Maryland e.-;t une des plantes les plus curieuses : le soir ses folioles s'abaissent en tournant sur leur articulation, de manière qu'elles s'appliquent l'une contre l'autre, par leur face supé- rieure. Dans le Mimosa pudica le pétiole principal lui-même s'incline, les pétioles secondaires se rappro- chent, et les folioles s'appliquent les unes sur les autres comme les tuiles d'un toit. Ces mouvemens remarquables ont beaucoup occupé les naturalistes. Bonnet les attribuait à l'influence de l'humidité de^a nuit; Linné, à l'absence de la lumière; M. DE Candolle a démontré la vérité de cette der- nière opinion , en plaçant dans l'obscurité plusicur» ( 298 ) plantes douées de celte faculté et les éclairant artifi- ciellement; il en a vu plusieurs changer les heures de leurs veilles et de leur sommeil, et faire de la nuit le jour, et du jour la nuit. M. Dutrociiet, auquel nous devons une série des belles recherches sur la sensitive, et qui, le premier, a Lien expliqué l'anatomie et le mé- canisme des articulations des feuilles de cette plante, conclut de ses expériences, que la lumière est l'ageat dans l'influence duquel les végétaux puisent le renou- vellement des conditions de leur motilité. En privant une sensitive de ces conditions, en partie seulement , on la réduit au mode d'existence des végétaux vulgaires, c'est-à-dire qu'elle ne meut plus ses feuilles sous l'in- fluence des agens mécaniques, et, dans l'étal d'épuise- ment complet de ces conditions, elle devient incapa- ble de sommeil et de réveil appréciables, comme tant d'autres végétaux. La sensitive est une des plantes qui offrent le plus curieux mouvement d'iritabilité; non-seulement la plicature de ses folioles s'observe lorsque leso'eil dis- parait sous l'horizon, ou est obscurci par un nuage épais, mais encore une secousse, une égratignure, le contact de la main, la chaleur, le froid, les agens chi- miques, agissent sur elle, et souvent l'action exercée sur une seule foliole se communique à plusieurs au- tres et jusqu'au pétiole commun. C'est dans les articu- lations que réside cette faculté de mouvemens, aussi sont-elles bien plus sensibles que toute autre partie. Dans le Dionœa muscipula, la feuille offre deux lobes réunis par une charnière: quand un insecte vient lou- cher la face supérieure de ces lobes, ils se rapprochent et saisissent l'animal qui les irrite: les'^Drosera rotun- ( ^99 ) ^ dlfolla et angustifoita, qui croissent aux environs de Paris, ferment leurs fouilles comme desboursiîs; ce qui leur a valu, ainsi qu'à laDionœa.le nom d'atlrape-mou- che. Beaucoup d'autres végétaux exécutent des mouve- mens analogues, moins remarquables, qui, dans tous les cas, ont plus d'énergie lorsque la lumière est vive, la chaleur forte, l'état électrique intense. Mais de tous les végétaux, le plus singulier sous ce rapport, est V H edtsarum gyrans, espèce de sainfoin du Bengale : les feuilles de cette plante sont composées de trois fo- lioles; la plus grande, qui est terminale, exécute un faible mouvement sur son articulation; mais les deux petites latérales ont un double mouvement, l'un de bascule de haut en bas, l'autre de torsion en se rappro- chant ou s'éloignant de la grande foliole; ce mouve- ment paraît inhérent à leur organisation ; car, tout en présentant de fréquentes irrégularités, il ne cesse ja- mais, alors même que la feuille est détachée de la plante. Il n'est point d'organes plus irritables que ceux de la reproduction; ainsi les étamines de la rue s'inclinent alternativement sur le pistil, roucheut les stygmates, puis se redressent et tombent; dans l'épine-vinetle, le Cactus opuntia, le Sparmannia, les étamines sont si irritables qu'elles s'agilentdès qu'on les touche.^ Il en est de même des pistils du Martynla, de ceux de plu- sieurs plan tes de la famille des Bignones, des Personnées, des Cynarocéphales, etc. Dans les fleurs de la passion, les nigelles,les épilobes, les styles se penchent vers les étamines, exécutant aussi divers mouvemens d'irri- tabilité qui semblent indiquer une sorte d'instinct. Des faits que nous venons d'exposer, il résulle évi- 2 1 ( 5(jo ) demment que les plantes sont douées d'un principe vital susceptible d'être mis en action par l'influence de» agens extérieurs; mais en conclurons-nous, avec cer- tains phytologistes, que les végétaux possèdent une sorte de sentiment? Il est encore une série «le phénomènes, les uns communs à toutes les piaules, les autres parti- culiers 5 certainesespèces, qui sembleraient l'iudiquer, et qui ont même engagé plusieurs écrivains h douer les plantes d'instinct. Lorsque les fibres de la racine se dirigent constamment vers la nourriture la plus conve- nable et souvent vont la chercher à de grandes dis- lances ; lorsque les fleurs se ferment à l'approche de la pluie; lorsqu'une plante, doniinée par une invincible antipathie, rel'use de croître h côté d'autres végétaux; lor!>qu'une lige grimpante néglige et a même horreur de s'appuyer sur certains arbres, tandis qu'elle va chercher celui avec lequel elle sympathise; dans tous ces faits, ne devons-nous point voir des témoignages irrécusables du sentiment et de l'instinct des végétaux? Toujours guidés par le doute philosophique, gardons- nous de généraliser les conséquences de phénomènes peu nombreux , quelquefois incertains. Lorsque la puissance vitale végétative ordinaire et l'action des agens extérieuà's siillisent pour expliquer l'ascension de la^ve et la direction particulière des tiges et des racines, des feuilles et dos fleurs (jue Vi P. Keith et d'autres naturalistes apportaient surtout en preuve de l'instinct des plantes, ne nous pressons pas d'invoquer au secours de noire impuissance des moyens surnatu- rels. Si les végétaux semblent avoir en partage plu- sieurs des facultés inhérentes aux animaux, s'il est im- possible de distinguer l'animai de la plante, dans les ( 3oi ) dernières classes où ces êtres passent alternativement et sous nos yeux d'un règne à l'autre; si les végétaux paraissent même formés d'une matière animée, ce ne sont pas encore des motifs suffisans pour les douer de facultés qui nous échappent, dont nous ne connaissons ni la cause ni l'origine, dont chaque découverte sem- ble s'attacher à diminuer l'empire. Attendons les révé- lations de l'expérience, et, amans sincères de la nature, interrogeons-la sur les secrets qu'elle nous dérobe: si un voile épais couvre encore ses mystérieux principes, rappelons-nous que des premières faveurs ont le droit de nous rendre exigeans et de nous faire bien augurer du succès. 21. LA ROSE. ODE V"" D'ANACRÉON; Traddction ue m. Louis, comte DE CHEVIGNE, Correspondant. MÊLONS au jus de nos raisins La rose chère à Cjlhérce; De roses ma muse parée Fêle d'aimables libertins. Le printemps a nourri la rose,, Elle est le miracle des fleurs, L'œil du jeune amant s'y repose, L'Olympe chérit ses couleurs. Amour, quand la danse t'appelle Avec les Grâces et les Jeux, Ta main, de la rose nouvelle, A soin d'embellir tes cheveux. Couronnons-nous à son exemple : Evohé , je veux qu'en ton temple La jeune Ismène à mon côté. Offrant sa gorge à peine éclosc. Figure, sous un dais de rose, La danse de la volupté. VV\/V%/V)/VVUM'VVVl'VTUV\iVVtU^%/VUVVUTUVV%/VVVVV%>VVMiVTk/T^ DISCOURS Sur l'importance des faits en histoire naturelle, et sur la véritable marche à suivre pour les bien établir; par M. Tiiiébaut de Berneaud, Secrétaire perpétuel. Les instructions de la nature sont tardives et lentes; celles des hommes sont presque tou- jours prématurées. J.-J. V>.o\isst.K.v, Emile, hs. \x. Quand, au renouvellement de la belle saison , nous arrêtons notre pensée sur le vaste tableau de la na- ture , et que nous contemplons en détail les mystères de la vie et de la mort; ou bien quand, guidés par le génie de l'investigation , nous interrogeons les témoins muets, mais irrécusables, de ces révolutions antiques qui tant de fois ont changé la face de la terre , noire âme, saisie d'admiration , s'incline tout en s'élevant au-dessus d'elle-même. Revenue de celte noble extase, pour en prolonger la jouissance si pure , elle veut en apprécier tous les degrés, elle veut en connaître la cause uiorale et mesurer l'étendue de ce sonlimeut qui la grandit à ses propres yeux; elle veut en faire sa propriété, elle veut qu'elle serve de vélucule à son existence iatelle\;tuelle et de soutien à son oxisleuce ( 5o4 ) physique. Dès lors elle s'adresse aux études auxquelles nous nous livrons, et leur demande compte de tout ce qu'elle éprouve, de tout ce qu'elle espère. Sans l'examen attentif des choses , sans la recherche de leurs rapports entre elles et avec les besoins de la vie , la conteujpiation nous écraserait de tout son poids, elle nous rendrait stupides , elle nous retiendrait dans le cercle étroit des facultés instinctives. Qu'elle ré- ponde au contraire aux sollicitations de la raison, la lumière jaillit. La llamme est d'abord imparfaite , su- perficielle; bientôt elle acquiert du volume, elle s'étend 5 mesure que nos idées se débrouillent, à mesure que les connaissances acquises s'appliquent à nos besoins; le génie vient ensuite s'en emparer; il s'ouvre une nouvelle voie pour arriver à la conquête de la vérité, il nous donne de nouvelles forces en nous créant de nouvelles ressources, et dès lors, véritablement assis au sommet de la création , nous embrassons le monde entier, nous voguons sur le cti>.tal de l'onde amère , nous unissons par un commerce d'échanges deux hé- misphères qui semblaient condamnés à s'ignorer tou- jours , nous pénétrons dans les profondeurs de la terre, f t nous calculons le mouvement des globes qui bril- lent et gravitent sur nos tètes. Ces résultats sublimes de l'humaine intelligence sont le fruit tardif des siècles : tant il est vrai que le travail soutenu surmonte les plus grands obstacles; qu'une pensée en fait naître une autre, et que, lorsqu'elle part d'un fait hier) observé, elle arrive toujours à une so- lution importante. La science des faits est donc l'objet l(i plus diîînc de nos uiédi'alions; mais pour qu'ils in- spirent le génie , pour qu'ils alimeulent le feu sacré ( 5o5 ) dans tous les cœurs bien nés, il faut que les fails soient recueillis avec soin , discutés sans passion , conslalés d'une manière h porter la conviclion dans les esprits les moins disposés à croire. De cette vérité première , tâchons d'en acquérir une seconde en interrogeant les siècles qui nous ont pré- cédés. C'est lorsque nous aurons vu la marche qu'ils ont suivie, que nous pourrons éviter les écueils que nos pères ont rencontrés. Les savans de la haute antiquité , n'écrivant que pour un petit nombre d'élus , se sont contentés de si- gnaler simplement l'objet qu'ils avaient en vue, et qu'ils pouvaient montrer Incessamment. Ils ont laissé fort peu de chose à dire et même à luire en sciences morales et politiques; mais il n'en est pas de munie en histoire naturelle, qui demande, pour être saisie sous toutes ses faces , beaucoup plus de termes de comparaison qu'ils n'en avaient, et le secours de ces heureux auxiliaires au moyen desquels nous donnons de l'ampleur aux objets que l'œil ne pourrait per- cevoir aisément. Parmi les écrivains de la Grèce hé- roïque, nous devons cependant excepter, et le grand Aristote et ïiiÉoPHRASTE, qui fut son élève, son ami, son digne successeur : tous deux ils ont mis beaucoup de franchise dans leurs observations, et d'exactitude dans les fails qu'ils ont recueillis par eux-mêmes. Nous ne trouvons plus cet accord des faits et de la pmsée lorsque nous arrivons chez les Latins. Trop occupés de conquêtes , ils éclairent moins le monde qu'ils ne l'écrasent du poids de leur ambition. Phak avait tenté de poursuivre l'honorable carrière ouverte pur les Grecs j mais il n'eut pas le temps de mellre eu ( 5oG ) ordre les immenses matériaux de son Histoire natu- relle. Ce livre ne nous est parvenu que très-inipari'ait. Si de cet homme illustre nous descendons aux âges qui suivirent la grande migration des peuples du Nord. nous voyons l'anarchie féodale n'ayant plus de frein, la terre livrée à l'oppression, aux brigandages du plus fort : nous vovons l'homme tout couvert des slygma- tes de l'ignorance et de la servitude, plongé dans la misère la plus profonde, dans l'abrutissement le plus absolu, ne pas même éprouver le désir d'y échapper. Comment espérer alors que les sciences puissent pro- filer aux hommes, et dissiper les épaisses ténèbres, les ténèbres universelles qui avaient envahi une grande partie de la terre, qui menaçaient de vouloir la cou- vrir à jamais tout entière et n'en faire qu'une vaste et inutile ïhébaïde? Le temple où brillaient aulrelois lu science, la sagesse et la liberté élail voilé, le sanc- tuaire était désert, et sur les marclus du portique, à n»oilié ruiné, gisait l'emblème du mystère, qui repous- sait tout ce qui osait approcher. Dans cet élat de cho- ses , l'erreur devint souveraine , les préjugés les plus absurdes enchaînèrent la pensée, les faits, recueillis à l'ombre des cloîtres, y subirent les éj)reuves d'une re- ligion soupçonneuse, d'une ignorance de nécessité; la vérité fut exilée, et des écrits tracés à cette époque il ne sortira jamais une étincelle bienfaisante, jamais ils n'inspireront une heureuse pensée. Franchissons ce long espace de deuil , et arrivons aux temps non moins funestes de ces ambitieux qui sillonnèrent la terre de sang et de larmes : ce n'est j)oint encore le règne de l'auguste vérité. Le siècle est tout glorieux de lauriers bouticides et d'une litléralure ( 3o7 ) sonore , pompeuse , enivrante d'amour et pleine de sensibilitéj le siècle vante les vices d'une cour corrom- pue , comme autrefois on vantait les hauts faits de MiLTiADE et de Léoividas, les vertus d' Aristide et de la mère des Gracques; le siècle ne rougit point de nous montrer les monumens fastueux que son orgueil et son ambition élèvent, tandis que sa politique dévore dans d'affreux cachots, dans d'horribles supplices, l'homme dont le génie pénètre les mystères de la nature, dont la noble audace allume au brasier sacré de la véritable grandeur ces flambeaux qui doivent porter l'instruc- tion dans tous les rangs, ouvrir toutes les voies de l'industrie , et rendre les nations h leur dignité , à leur indépendance. Sous la férule du tyran , la pensée est contrainte à vivre indolente; le poète peut chanter sa maîtresse; malheur h lui s'il saisit la lyre de Tyrtée. Le despote frémit aux mâles accens de l'amour de la patrie, à la marche progressive des sciences: aussi, quand la terre est peuplée d'esclaves, un vide immense existe dans l'étude de la nature, les faits demeurent sans but , de toutes paris la chaîne est rompue. Cependant l'imprimerie est inventée, la terre a con- quis de nouvelles limites , les âmes s'arrachent à leur longue léthargie, l'homme ose penser; déjà il arrête ses regards sur les grands arbres de la forêt , mais il ne voit pas encore les mousses qui entretiennent la fraîcheur de leurs racines, ni les plantes comestibles, textiles et tinctoriales qui doivent augmenter ses jouis- sances, lui assurer de? ressources dans les années de sécheresse ou de pluies constantes, l'abriter des in- jures de l'air, etc.; mais il ne connaît point encore k's animaux qu'il doit dompter un jour, ni les eaux ( 5o8 ) dont il peut utilement employer le cours aujourd'hui vagabond et destructeur. L'esprit d'association est la conséquence de ce pre- mier mouvement; les idées s'épureiil, se propagent, s'accélèrent; les lumières se font jour, on s'irrite des préjugés, on les combat avec un désintéressement naïf et sincère : on ne peut encore espérer de grands ef- forts, ni chercher dans la science l'espril |)hilosophi- que, mais on marche en avant. Le X\ ll"^ siècle est chargé de préparer celle mémorable révolution que le siècle suivant devait voir éclore , soutenir avec éner- gie, et léguer glorieuse au XIX* siècle, qui doit lui donner de la puissance, de l'ampleur, et en recueillir les premiers fruits. Le chaos a cessé; la vérité reparaît dans tout son éclat, les fers de la servitude sont brisés, la science a reconquis sa dignité , elle devient féconde , et ses bien- faits pénètrent , vivifient toutes les classes de la société. Le génie du bien triomphe du génie du mal. Di' toutes parts on tente d'expliquer les phénomènes et d'en cal- culer les eflets; on veut étendre la sphère de. la civi- lisation; chacun apprécie ses droits et les mesure ii l'étendue de ses devoirs; les senlimens généreux s'é- veillent dans tous les cœurs. Mais comme la philoso- phie du XVllI" siècle a la fougue de la jeunesse, elle marche avec intempérance, elle ne songe ni à la di- versité des situations et des besoinS: ni à l'inégalité des lumières; et parce qu'elle remue des masses, elle croit, cl l'exemple des dieux d'iloMkni;, toucher à son but dès qu'elle s'est mise en mouvemenl. Celle erreur a failli nous être fatale; elle a donné plus que du crédit aux armes qui doivent seulement agir pour noire dé- ( 3o9 ) fense; elle a permis h l'imposture de reparaître; elle a cru à la reconnaissance, ù l'humanité, et ceux-là mêmes qu'elle a tolérés complaisamment ont ensuite creusé l'abîme ; ils ont étendu leurs bras sur les esprits faibles, et maintenant ils se flattent d'éteindre le flam- beau de la philosophie, d'enchaîner la pensée, de nous rendre, en un mot, aux nuits prolondes des siècles de la barbarie. Eclairé par les excès d'un enthousiasme mal dirigé, par les excès non moins coupables d'une confiance aveugle, d'une imagination ardente, le XIX'-' siècle a une grande lâche à remplir. Plus le but est élevé, plus les moyens doivent être sagement combinés; plus la iin est sublime , plus on doit faire pour y parvenir di- gnement. Ne perdoiis pas les fruits des plus généieux efibrts. CopiiRNic et Klepkr ont frayé la route b New- ton; le législateur des sciences naturelles, auquel nous rendons hommage en ce jour solennel , a été pré- cédé par les deux frères Bauhin et par Ïouuxefoht. Dans la lutte de la vérité contre le mensonge, suivons l'exemple de Newtom et de LiiNné; tout en voulant imiter leurs devanciers, ils les ont laissés bien loin der- rière eux. A leur exemple, portons -nous en avant, solli- citons sans cesse la nature, elle veut être interrogée, elle veut même qu'on la tourmente, et ce n'est qu'au génie de l'invesligatiim qu'elle découvre ses secrets; ce n'e^t que lui qu'elle met en possession de nouvelles vérités. Mais pour pénétrer dans l'auguste sancluairc, il faut avoir le sentiment de sa force, il faut porter une âme indépendante et s'être fait une conscience 5 l'é preuve de toute? les séductions ; Ciir la science seuh ( 5io ) ne fuit pas l'homme; elle double la puissance de ses l'acullés inlellecluelles , elle tempère la fougue des passions; parles charmes allachés à l'étude, elle peut modifier les formes du caractère, mais elle n'en chaugft pas le fond; cette partie secrète de l'individualité de- meure toujours la mèu)c, quel que soit le genre de nos travaux, quelles que soient les leçons d'une édu- cation soignée, ou les calculs d'une unie habituée à la dissimulation. C'est pour cela que la grande répu- blique des sciences compte tant de Zoïles, tant d'hommes à lalens si misérables sous le rapport de la probité, de la franchise, tant d'imposteurs et d'am- bilieux. Notre maître , Linnéens, nous a donné l'exemple de cette noble indépendance qui naît d'une conscience pure , de vues louables et dans l'intérêt général ; raontrons-nous dignes de lui. Suivons la route lumi- neuse qu'il nous a tracée; ne cédons point au lorrenl qui gronde autour de nous, qui menace d'envahir tout le domaine de la pensée; établissons une digue insurmontable entre nous et les dieux aux pieds d'ar- gile, que d'aveugles partisans veulent placer sur l'au- tel des sciences. Par notre résistance aux fausses doctrines, semblables aux républiques de l'Ilalie au moyen âge, luttant sans cesse contre le despotisme, et conservant l'auguste liberté au milieu des désastres du monde , ûous offrirons un phénomène au sein même de la corruption , nous conserverons iiilacle fa législation linnéenne , et nous la sauverons du nau- frage qui la menace. C'est |nne vérité^ inconleslable; l'histoire naturcUe exige les méthodes les plus précises pour arriver à ia (5,. ) connaissance exacte des êlres qu'elle considère; et, comme la géométrie , elle demande les raisonuemens les plus rigoureux pour diriger et assurer sa marche vers la perleclion. Ce double moyen est méconnu de nos jours; aussi voit-on renverser aujourd'hui ce que l'on a édifié hier, s'arrêtera des riens pour multiplier sans vergogne les genres, les familles, pour détruire des espèces et donner à de simples variétés une importance qu'elles ne justifieront jamais. On se hâte de créer des systèmes, d'établir des coupures sur une circonstance éphémère, sur des données enlevées pour ainsi dire à l'assaut ; aussi n'offre-t-ou point résolues les plus sim- ples conditions du problème. Dans cet état anarchique, on trouve parfois des idées lumineuses, mais elles n'arrêteront point la chute d'un édifice où toutes les lois de la mécanique sont violées à chaque instant. La science de leurs auteurs est stérile , incertaine , erro- née, parce qu'elle n'a pris ni vie ni nourriture à la source du vrai. Les fails sur lesquels elle se fonde sont violentés, l'imagination en déduit des hypothèses, et de celles-ci ell« passe à des théories, vrais mensonges de l'ambition et de la sufiisance. Veut-on imprimer un but profitable aux recherches assidues auxquelles on se livre? veut-on que leurs ré- sultats servent un jour aux progrès des sciences.'* il faut les établir sur des bases solides; il faut procéder d'une manière rigoureuse à la détermination des faits que l'on étudie; il faut, par une invincible persévé- rance , donner h ces faits un caractère d'authenticité auquel, je le répète, rien ne puisse résister. Plus les faits sont pressans, plus ils demandent d'évidence, (in fait bien déterminé est une mine féconde; il éveille, il ( '^is ) élecirise, il alimente lej^énie; le lâl onnement cesse; encore un pas, et la vérité se découvre : elle brille de toute sa splendeur. Mais couinient donner à un fait toute l'autorité qu'il doit ollViri' C'est à la conscience à agir, à prononcer» La conscience ne trompe jamais; c'est le juge impar- tial dont la voix parle plus haut que toutes les consi- dérations de secte ou de coterie, que tous les intérêts, que toutes les passions. Comme Ta dit l'auleur de Y Emile , la conscience est à l'âme ce que l'inslinct est au corps; qui suit la conscience obéit à la nature ; il ne s'égarera pas , et ne craindra point d'égarer les autres. Je n'ignore pas qu'il est des hommes dont la con- science est aussi facile , aussi ténébreuse qu'elle est soumise aux caprices du moment , aux lois hostiles qui répugnent à l'honneur. Cette espèce de conscience fait des pygmées , elle imprime sur leur front le sceau de l'infamie; pour eux, l'identité du moi ne se pro- longe pas au-delà de l'atmosphère corrompue qui les environne. Une fois le fait obtenu, vous devez le considérer comme une li^ne, comme un trait échappé à la masse lumineuse , l'examiner sous toutes ses faces , dans toutes ses circonstances, en disséquer les parties avec une attention toute spéciale; et lorsque le scal- pel ne peut pas cire appliqué , il vaut mieux s'ar- rêter, le dire de bonne foi , et non pas copier servile- ment les autres, comme on le fait aujourd'hui; il vaut mieux s'arrêter que de jeter de la confusion dans les connaissances acquises par des vues ambitieuses, nlluencées par une idée préconçue, et pour le mô- { 5.3 ) chanl plaisir de faire parler de soi ou de parler d'amis aussi peu discrets. Avez vous au conlraire obtenu des résultats heureux par la comparaison rigoureuse des formes intérieures avec les formes extérieures , par le rapprochement avec les faits voisins , par la certitude d'un emboîte- ment naturel ? placez alors l'objet observé sur le grand échafaudage des genres, des tribus, des familles, il prendra de lui même sa place. Ne vous arrêtez point encore; votre tâche n'est pas entièrement remplie; il vous faut exposer aux yeux de tous le travail fait et les moyens employés : en science, point de mystère, il faut tout dire. Resserrez votre matière dans un petit nombre de pages, vous y arriverez par des géné- ralités graduées. Exprimez votre pensée en quelques mots; évitez cet appareil factice qui détourne l'atten- tion, ces prestiges trompeurs qui plongent dans le va- gue; soyez essentiellement philosophes. Imitez Linné; soyez simples, pleins et concis comme lui. Dans les sciences, il est une sorte de mnémonique qui éclaire, coordonne, pénètre, vivifie toutes les parties de la pen- sée, et la met en contact direct avec la pensée des autres. Un trait suffit pour caractériser un objet, pour en faire un seul point de vue, un fait unique, pour le lier à l'ensemble de la science. C'est en suivant cette marche que nous parvien- drons à arracher quelques grands secrets à la nature, que nous ouvrirons de nouvelles roules h l'esprit hu- main , que nous multiplierons les vérités sans multi- plier les livres , sans surcharger inutilement la mé- moire. C'est ainsi que nous donnerons de la force et de rcxlensiou aux bonnes doctrines, que nous feron» ( 3i4 ) faire aux sciences naturelles des progrès utiles, et que nous appliquerons lo résultat de iios études au bonheur de l'homme, à la prospérité des familles, 5 la civilisation du monde entier. LE COUVENT LINNEEN, CHANSON Par m. Adolphe DELAJOUS, Membre Auditeur. Air du Pclii matelot. Dans ce coin charmant de la terre Que Flore embellit de ses dons ; Loin du profane et sot vulgaire Veuez entendre mes leçons. Amis, passons gaîment la vie , Aimons et buvons le bon via : Nargue de la philosophie Qui blâmerait un tel dessein. Ici formons un monastère Sous la règle du bon Chaulieu, De Chapelle el de Saimt-Ablaike j Aux all'aires disons adieu. Frères, passons gaîment la vie. Chantons les Muses, le bon vin : Nargue, etc. Puis, parcourons toute la terre, Chacun a des Heurs à choisir. Et les secrets de leurs mystères Seront les jeux de nos loisirs. Mes frères, partageons la vie Entre les Heurs et le bon vin : Nargue, etc. 22 ( 3i6 ) Les plaisirs ne font qu'une cliaîuc, Baccjms souriait à TAniour, Les Grâces recherchaient Silène, Imitons-les à notre tour. Mes Frères, parlaf;toiis la vie Entre les belles, le boa vin : Nargue, etc. Les favoris de Terpsichore Dessineront ici ses pas, Et, s'il le faut, la jeune Aurore Kous surprendra dans nos ébats. Mes Frères, partageons la vie Entre nos sœurs et le bon vin : Nargue, etc. Pour retracer nos jouissances, Deux bouts-rimés d'AHACRÉoi» Animeront par leurs cadences De temps eu temps cet Helicon. Amis, passons gaîment la vie, Aimons et buvons le bon vin : Nargue de la philosophie Qui blâmerait un tel dessein. 5itp ej' LE PRINTEMPS DES LINNÉENS. Air : Ai>ec les jeux dans le village. Vous qui chérissez la iialiue, Liniiéens, l'honneur de nos champs, Vous qui portez une âme pure, PrèLez roreille à mes accens ! Je chante la saison chérie Qui succède aux sombres hivers : Je peins la nature fleurie, C'est à vous de dicter mes vers. Déjà l'impatiente Flore S'agite au souffle du Zéphir, Et la rose, qui vient d'éclore. S'empresse de s'épanouir. lia "violette, dans les plaines. Exhale la plus douce odeur; PencTié sur le bord des fontaines, Narcisse étale sa blancheur. Déjà. l'abeille industrieuse Presse la lavande et le thjm ; De sa course laborieuse Elle apporte uu riche butin. La vive et légère alouette, En chantant, plane dans les air.i .V ^i^M-^ I \ rr. ..^ A ■' v-^ ;./ ^^' ■J^ r^/-!^ :^. .-.>; >^ .. vr- •^. .^^L- '^P^ X y H' -, ^:>^^ ^^^^:^^-^ -^ ■