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REVUE

PÉDAGOGIQUE

NOUVELLE SÉRIE

TOME YI

«Fanviex^-Jixlii 188S

MUSÉE PÉDAGOGIQUE

BIBUOTHÈQUE CENTRALE DE L'ENSEIGNEMENT PRQUIKE

REVUE

PÉDAGOGIQUE

NOUVELLE SÉRIE

TOME VI

Janvlex'-Juln 1885

PARIS

LIBRAIRIE CH. DELAGRAVE

18, RDS SOUFPLOT, iS

ISSU

Dntlis de titductlaa at da (tproductloD rtiuvdi.

iMnlIeiérie. Tm» H. N* 1. IS Juner IMS.

BEVUE PÉDAGOGIQUE

LETTRES INÉDITES DU PÈRE GIRARD

A M. J.-J. RAPET

En i844, TÂcadémie française décernait un prix Montyon de six mille francs au livre dn P. Girard inlitulé : De renseignement régulier de la langue maternelle. L'illustre cordelier fribourgeois approchait déjà» à ce moment, du terme de sa longue carrière. Après avoir débuté en 1799, à l'époque du Directoire helvétique» comme curé de la paroisse catholique de Beroe, il avait dirigé, de 1804 à 1823, les écoles françaises de la ville de Fribourg, il introduisit en 1816 rcnseignem3nt mutuel. Les jésuites et l'évoque de Fribourg l'ayant forcé d'abandonner son poste, il s'était retiré à Lucerne, et y avait enseigné la philosophie pendant quelques années. Puis en 1834, à l'âge de soixante- neuf ans, il était rentré dans sa ville natale pour y finir ses jours dans lapaisib le cellule de son ancien couvent.

Le livre que l'Académie venait de distinguer par une récom- pense hors ligne était destiné 5 former l'inlroduclion du grand ouvrage à l'exécution duquel le P. Girard avait résolu de con- sacrer les dernières années de sa vie. Cet ouvrage, c'est le Cours éducatij de langue maternelle^ trop connu de nos lecteurs pour que nous . yons ici à en faire Téloge. Œuvre d*un péda- gogue suisse, le Cours de langue maternelle était néanmoins, dans l'intention de son aut^ ir, destiné à la France: mais la publica- tion du livre à Paris offrait certaines difficultés. Le P. Girard avait été heureux d'accepter, pour surmonter ces ob^^tacles, le concours spontané et désintéressé de deux hommes qui partageaient ses vues et son zèle pour l'éducation de la jeunesse : c'étaient H. Rapet, alors directeur de l'école normale de Périgueux, et H. Michel, chef d'une institution libre. Par les soins de ces

EIVDB FtDAGOGIQUI 1885. t*' 8BH. t

s RIVDE PÉDAGOGIQUE

deux amis, le Cours éducatif de langue maternelle parut chez Dézobry et Magdeleiae, de 1843 à i8i6, en six volumes.

Al. Rapet était entri en relations avec h P. Girard dès 1838, et pcul-étrc à une époque déjà plus ancienne, par Tinermédiaire, semble-t-il, de M. François Naville de Genève, le directeur Ijien connu du pensionnat de Vernier. II entretint avec réroinent éducateur fribourgeois une correspondance qui embrasse une période de dix années, de 1838 à 1848. Les lettres du P. Girard à H. Rapet, au nombre de vingt-cinq, appartiennent aujourd'hui au Musée pédagogiq le de Paris. Nous avons pensé qu'il y avait intérêt à les publier ; elles nous fo it assister par* le délai! à la composition du Cours éducatif de langue maternelle, a x négo- ciations parfois laborijus.-s qui en précédèrent la publication, et elles contiennent, sur les hommes et les choses de cette époque, en France et en Suis e, des appréciations souvent assez piquantes.

Nojs donnons ces lettres telles quelles, sans rien siipp imer des minutieux détails d'affaires et des redites parfois lasti- di uses ; nous conservons Torthographe personnelle de l'auteur, avec ses incorrect'ons ; nous ne changeons rien à son style émaillé de germanismes le P. Girard était, par son éduca- tion, plus Alleinand que Français. Nous nous sommes bornés à ajouter quelques notes explicatives il nous a semblé

qu'un éclaircissement pouvait être utile.

La Rédaction.

1

Friboorg en Suisse, le 23 Nov. 1838.

Mon cher et excellent ami,

(fti^'oinii 4p^ Je dois vous appeler, puisque vous partagez si chau- dement Ih èbtilb de^^éilh] cation, à laquelle j'ai consacré une vie longue, laborieiisd.dii soavcnticlrueUemeat contrariée. Mais Dieu, que j'ai l)en%t,pWiYif dfiï>!$i:l%icvnf;çw>fte m'a pas laissé seul. J'espère même

^"'Ïi/Wèffli^?!'^.^ ^'^îfif tft^i?^'Sl»^^ J^»^*^'^ <^® ^^® j'*^»^ ^'"i mon (ravail. - , ,

jê'yatfSiHi afe^éf^ûr'ôt'a'ftttife'^i+ëè Wtlè vive reconnaissance à toutes vosepi?o|K)9îttfoi|ft;Jîayat0iUii;'«noltilIeag&4^mentavec M. Naville (1). Je

(tft)H;rBi»iq;oi8*Kafvitfeij|[NiitV)rig8(i0Mr4^ «Éiitito^i ea 1819 à Vernier

LETTRES INÉDITES DU PÈRE GIRARD 3

voulais, comme de juste, y faire honneur. Mais M. Navîlle, entrant tout à fait dans vos raisons et celles de M. Pltois (1), les appuyant môme avec d'autres que vous n'avez pas énoncées, et qui ne pouvaient par- tir que d'un esprit et d'un cœur comme le sien, vient de dissiper même Tombre la plus légère d'un scrupule. Tout sera au mieux dans les intérêts de la chose. Pour mon comple je n'en ai pas d'autre^".

Je ne sais si je vous ai bien détaillé le plan de l'ouvrage que je rédige. Il comprend deux séries parallèles. L'une c'est celle de la syntaxe qui se développe progressivement en quatre degrés : Pro- position; ^ Phrases de deux propositions; Phrases de 3 propos.; phrases de 4 propositions et au-delà. Au N<» 3 commence ce que j'appelle la logique de la vie. Elle prend le syllogisme positif sur son chemin, et présente une ligne de lumière pour la faire saisir par la jeunesse, et une ligne d'ombre ou d'erreur pour la faire repousser avec connaissance de cause.

La série lexigraphique {i) s'occupe de la dérivation, conjugaison (le. et sur ces mots et formes rinsiiluteur exprime des pensées et invite les élèves a l'imiter. C'est une composition continuelle, libre et vive qui m'a toujours bien réussi dans mon école. Elle accom- pagne le travail syntaxique et le prépare en fournissant des maté- riaux peur la construction. Dès le troisième degré, la lexigraphie, ou le vocabulaire, prend à côté d'elle des sujets gradués de divers genres de compositions propres pour la jeunesse. Dès le troisième degré on peut dans les instituts commencer le grec et le latin.

Je dois vous prévenir que je travaille à présent pour la jeunesse de la classe moyenne ou supérieure, et cela en Franc(î. J'ai publié dans mon pays la première partie de ce que j'ai intitulé Grammaire des campagnes (3). Je l'ai communiquée au Ministre de l'intérieur à Paris, à Mgr le Cardinal de tiausset et aux Évèquea de Nancy, Metz et Orléans. Partout j'ai reçu des encouragements; mais une lutte de pouvoirs s'étant élevée ici entre le gouverne- ment et l'évéché, j'ai gardé la deuxième partie en manuscrit. C'est sur ce manuscrit que M. Chappuis a fait son chétiC extrait imprimé en 1831.

lils , MM. Louis et Ernest Naville. 11 s'était lié de bonne heure avec le P. Gi- rarrj; on verra par ces lettres quelle étroite amitié unissait le cordelier fri- bourgeois et le ministre calviniste. M. François Naville est mort en 1846. ft a laissé un livre remarquable sur l'Éducation publique [Cienève^ 1832; 2* édi- tion, Paris, 1833). (1) M. Pitois-Leyrault, libraire à Paris.

(2} Le P. Girard écrit lexigraphie ^ lexigraphique. L'expression correcte serait lexicographie, lexicographique.

13) La Grammaire des campagnes du P. Girard, dont il sera question à plus d'une reprise dans coi lettre?, a été publiée à Fribourj^ f»ii 18il.

4 mVUK PÉDAGOGIQUE

Mon travail actuel ayant en vue un autre public, une jeunesse mieux préparée, tout comme destinée à des fonctions et des devoirs plus étendus et plus relevés, aura une extension plus grande. Je compte jusqu'à présent 8 petits volumes, 4 pour la syntaxe et tout autant pour les exercices lexigraphiques et de compositions. 11 y aura au moins autant de divisions s'il n*y a pas ce nombre de volumes. C'est une chose que vous arrangerez avec M. Pitois.

Je compte d'achever au nouvel an la rédaction de la première partie «yntaxique : La proposition. C'est la base de tout l'édifice comme tous le verrez. J'ose vous dire que vous n'avez pas encore toute mon Idée, parce que vous n'avez vu que quelques fragments de mes pre- miers essais et que depuis lors je l'ai conçue d'une manière plus lelevée, et en môme temps plus profonde. Mon nouveau manuscrit TOUS dira cela par le fait. La partie correspondante de la lexigraphie me prendra beaucoup moins de temps, parce qu'elle est déjà avancée. Je pense la finir pour paques. Je désire que l'impression commence par celte première livraison. Â elle seule elle formerait déjà un tout.

La seconde livraison qui comprendra la phrase de deux propositions pour la syntaxe, sera beaucoup plus vite expédiée pour deux raisons. D'abord tout le cannevas en est réglé. C'était la grande aUdire. J'ai redressé d'après l'ordre logique non seulement mes propres aberrations en ce genre (j^élais si pressé en face de mes enfanls qui me deman- daient le pain de chaque jour), mais encore celles que mon abbrévia- teur a commises loin de moi. Je suis content de ce que j'ai préparé. Au surplus je n'aurai pas beaucoup à écrire parce que je couperai mes phrases par bandes pour les choisir, ranger et les coler sur une feuille volante, feuilles que je passerai à mon copiste sans donner un coup de plume.

La troisième livraison de la syntaxe comprenant la phrase de 3 propositions demandera un peu plus de temps, parce qu'il faut queje rectifie la marche que j'avais suivie. La lexigraphie s'élèvera de différentes manières. Les sujets de composition sont prêts.

Au sujet de la lexigraphie de la ^ partie j'oubliais de vous dire qu'en fait de conjugaison elle s'occupera de la concordance des temps. Cela est aussi fait. U est entendu qu'ici la conjugaison se fera par phrases, au grand profit de l'éducation, car on coiyugucra lo vrai, le beau, le bon, le divin, et en passant ces idées par toutes 1rs per- sonnes, elles s'imprimeront dans Famé de Télève et formeront cette athmosphère éducative je désire placer la jeunesse pour sa vie. Les premières impressions ne s'effacent pas. Elie^ peuvent s'en aller pour un temps, mais elles reviennent, surtout lorsque 1 instituteur a connu Tassociation des idées et les moyens de la fixer.

Je compte vous faire passer mes manuscrits par mon ami Naville pour qu'il en tire parti en passant pour ses élèves qui sont aussi les miens. Je m*enlendrai là-dessus avec lui. Peutôtro lui enverrai-

LETTIUIS INEDITES DU PÈRE GIRARD 5

je quelques cahiers d'avance. J'achèverai ces jours le 1V« chap. et ce sera, je pense, la moitié du volume.

J'ai arrêté le titre de Touvrage. Le voici: Cours de langue maternelle mis au service de l'éducation. Il rend ma pensée en peu de mots. Je le dédie à M. Cousin (1). Cela doit être. Il n'est pas encore prévenu. Cest assez lot. Vous aurez la bonté de mettre votre nom comme éditeur. Mais vous paierai (sic) cher ce nom que j'aime bien à voir près du mien, puisque vous aurez la peine de laver mon linge sÂle.

Je ferai une préface j'exposerai brièvement les principes qui m'ont inspiré, et d'après lesquels je travaille depuis de longues années. M. Naville y trouvera naturellement sa place et j'acquite- rai ainsi la dette de mon cœur. Si après cela vous trouvez bon d'ajou- ter quelque chose en votre nom, j'en serai bien content, pourvu que vous ne me fassiez pas rougir.

Vous voyez que je suis bien d'accord avec le gendre d'un ancien ami M. Levraut que j'ai tant regrété. Pour l'honoraire je le laisse absolument le maître. Je ne voudrais rien, si je n'avais pas été enveloppé dans les désastres d'autrui, si les copies n'étaient pas coûteuses et si mon grand âge et ma vie laborieuse (je suis levé dès les 4 heures) ne demandait pas quelques dépenses dans une société l'on n'est pas fourni de tout. Je possède une riche collection en livfps scientifiques, et j'ai le chagrin de me demander souvent qui les lira ? 0 î belles et bonnes lettres que vous êtes peu cultivées !

A présent je crois vous avoir tout dit. Agréez mes remercîments pour le service signalé que vous me rendez*; nous travaillons tout deux pro Deo et palria ; la dernière est quelquefois ingrate, mais Dieu s'est chargé de la reconnaissance. Il n'y a rien à perdre.

Tout à vous.

G. Girard Prof,

P. S. J'oubliais de vous dire que mon travail est fait pour être mis entre les mains des instituleurs et des institutrices. Les élèves pourront en voir les cahiers plus tard, si on le juge à propos. La mémoire n'a rien à apprendre ici, tout est pour la pensée et les inspirations du cœur que le maître excite, encourage, aide et corn-

(1) M. Cousin fut un des premiers à faire connaître à la France le nom du P. Girard. Il lui rendit visite à Friboiirg en 1839 (voir plus loin la lettre du 1" juillet 1842). Lorsqu'il fut devenu ministre de l'instruction publique en 1840, il fit décerner la croix au P. Girard. Selon M. Dnguet {Dictionnaire de pédagogie, article Girard, p. 1181), c'est en 1838 que le P. Girard aurait reçu la croix; mais M. Rnpet, qui devait être bien informé, dit à ce sujet dans une notice biographique manuscrite sur le P. Girard, que possède le Musée pédagogique : « Au mois de mai 4840, M. Cousin, alors ministre de l'instrue- tien pubUque, lui fit accorder la décoration de la Légion d'honneur. Dans cette circonstance, le modeste instituteur de Fribourg partaf^ea cet honneur atee quelques-unes des principales célébrités littéraires de l'Europe. »

6 RITUB PÉDAGOGIQUE

plète d*un bout à Tautre. Le mécanisme serait ici la mort. Vous en jugerez bientôt en voyant mes feuilles. A mon école je n'avais que des manuscrits pour le maître et les moniteurs. Rien ne 8*y appre- nait par cœur que le catéchisme. II y avait de la vie.

II

Fribourg, le 18 août 1840.

Monsieur et très cher ami,

Vous ne pouviez pas me donner une nouvelle plus agréable que celle de votre arrivée à Fribourg. Cependant je dois vous prévenir de deux choses qui me contrarient depuis longtemps et qui ne vous aeront pas agréables. J'avais commencé à sortir vers la penlecôte et à me promener dans notre jardin, et voilà qu*au commencement de juillet j*ai été fortement repris par mon rhumatisme goutteux qui me faît beaucoup souffrir et me retient en chambre. Cela m'a bien retardé dans mon travail. Mais il m*est encore survenu une chose à laquelle je ne mattendais pas du tout. J'ai été contraint de me charger de la présidence de la Société suisse des sciences naturelles qui se réunira ici les !2i, ^S et iC) de ce mois. Je n'ai pas be- soin de vous dire que celle présidence me prend beaucoup de temps depuis deux mois environ (I) et que mon travail sur la langue se trouve grandement en retard.

Les trois premiers livres et une partie du quatrième sont copiés, mais je n*ai pas enr.ore pu les corriger. J'ai encore trois chapitres à rédiger pour achever le quatrième. Le cinquième livre reste à faire, mais il sera court et bientôt fait.

Quant aux livres élémentaires, je n'ai rien de prêt sauf la syntaxe de la proposition (ayant dans la copie que m'en a faite un confrère en fort petite écriture, mais très lisible et nette, i5() pages), ("est ma rédaction définitive de ce que je vous ai envoyé. Cette première partie doit nécessairement être accompagnée d'un cahier de conju- gaison et utilement d'un autre faisant partie du vocabulaire. La conjugaison et le vocabulaire alternent dans Tinstruction et complè- tent ensemble l'enseignement. Les matériaux sont prêts, mais il faut les rédiger. Il me faudra deux ou trois mois de travail pour h>s deux, en sorte qu'ils ne pourront être livrés à l'impression qu'en fin de décembre. Copiés de la même main ces deux cahiers ne passe- ront pas les 150 pages de la syntaxe. Le vocabulaire n*est que pour le maître.

(1) Le P. Girard préparait le discours qu'il prononça à roccasion de ccttn réunion de la Société helvétique des sciences naturelles. Ce discours a été publié sous le titre de Parallèle entre la philosophie et la physique, Fri- bourg, in-8% 24 p., 1840.

LETTRES INÉDITES DU PÈRE GIRARD 7

La seconde partie du cours sera formée par la syntaxe de la phrase à deux propositions et les cahiers correspondants de conju- gaison et de vocabulaire. Tout est prêt, sauf rédaction. J*espère qu'en six mois ce travail sera fait. Il me restera encore la (roisièmo par- tic à rédiger. Il faudra encore un cahier de compositions pour le maître. J'oubliais de vous dire que la syntaxe do la troisième par- tie renferme les phrases de plusieurs propositions. Le tout compren- dra ainsi dix cahiers. G*est beaucoup, je le sens; mais cela ne peut pas être autrement. Je crois qu'il faut publier ensemble les deux premières parties. La troisième pourra suivre plus tard. Nous en parlerons.

Vous trouverez du changement à Vernier chez notre ami com« mun (1): deux anciens maîtres ont quitté l'institut qui est conduit par le père et ses deux fils.

Adieu ; je vous embrasse en pensée, dans Tespoîr de le faire autre- ment dans quelques semaines.

Tout à vous,

G. Girard.

m

Fribourg, le l" juin 1841,

Monsieur et cher ami.

En m'adressant à M. Michel (2), j'ai profité d'une occasion qui se présentait, et je venais de voir par le i*^^ N** de son nouveau journal pédagogique que vous lui aviez communiqué mes manuscrits, d'où j ai conclure qu'il serait voire représentant chez M. Pitois- Levrault pour surveiller désormais l'impression de mon travail et la corriger. Au surplus, je venais d'apprendre par votre lettre du 18 février que vos fonctions prenaient même sur votre sommeil, puisque vous ne pouviez guère prendre du repos qu'à une ou deux heures du matin. Je me faisais donc scrupule d'augmenter votre travail. J'adressai dès lors ma question à M. Michel et rien ne se serait fait sans vous, d'autant plus que lui-môme ne le voulait pas plus que moi.

(1) M. Naville.

(2) M. Louis-G. Michel, après avoir dirigé une institution A Lyon pendant douze ans, était venu s'établir à Paris en 1835. Le journal . dont il va être question était intitulé VÉducalion^ revue de CenseignemenL ^Le P. Girard avait demandé A M. Michel 8*il voudrait se charger de surveiller la publication de ronvrjge destiné A former l'introduction du Cours de langue. M. Rapets'étéit ému do cette démarche; il se considérait, en vertu de son entente avec M. Naville, comme investi du droit exclusif de pui'tiier l'ouvrage du P. Girard. Se croyant lésé, il réclama, et reçut la réponse qu'on va lire

8 EIVUE PÉDAGOGIQUE

C'est donc à tort que vous vous êtes inquiété, comme vous l*avez fait et j'en suis peiné.

Je vous dirai d'ailleurs que dans ma question a M. Michel, je n'avais en vue que l'ouvrage préliminaire que j'espérais terminer bientôt, bien qu'il soit une fuis plus étendu que les feuilles que je vous ai remises a Friboiitg, pour que vous puissiez en donner une idée i M. PîLoîs-Levrault. J'ai appris par le commis que vous avez vu à Perrigueux que M. Pitois a quitté les affaires; ensorte que ce point que nous croyions avoir arrangé, ne l'est plus aujourd'hui. Il n'y a donc rien de fait sous le rapport des finances et tout est à recom- mencer à cet égard.

Une chose m'a singulièrement frappé dans votre dernière ; c'est la propriété que noire ami M. Naville revendique sur mon travail, et qu'il croit avoir le droit de passer à un autre. 11 est vrai qu'en partant pour Luceme je lui ai envoyé une grande partie de mes manuscrits syntaxiques, en lui laissant la liberté de les perfectionner et de les publier; mais il n'en a rien fait jusqu'à présent. Il n'a donc pas accepté mon offre, et j'ui prendre son silence pour un refus. D'ailleurs, pour ne rien dire des cahiers de conjugaison, de Icxi- graphie et de compositions que je me suis gardés, ainsi que la logique des enfants, l'ouvrage préliminaire, renfermant la théorie du cours de langue éducatif, n'était pas du tout écrit; je ne l'avais que dans ma tête. Je ne verrais pas comment M. Naville aurait pu vous trans- mettre la propriété de ces choses.

La première partie do la syntaxe que j'ai rédigée à neuf, diffère ^^ucoup de mes anciens cahiers et l'on pourrait dire que c'est un Actre ouvrage. Est-ce que la propriété des uns entraîne la propriété

l'autre?

^ous ui0 dites dans votre dernière que vous avez copié ce nouveau

^^^il pQy le corriger et pour lui donner le tour français qui lui

'^cu^"^» nfi^ ^"^ ouvrir l'entrée de vos écoles: quant à la cor-

'htfg^^ ie^ fautes de langue, la chose est en règle (I), et elle était

'^a>^^^ Df ^s nécessaire que je n'ai pas revu les copies. Le titre

'£^ ^/> j '^'^ travail dont vous avez eu la bonté de vous charger.

3f4f ?^^ro ^ ion mise à port, le travail doit rester le mien, et il ne

e^^ g^>^f"^^uter ni de retrancher, parce que l'auteur seul a l'idée

nX^^^Y^ ^^ qu'il veut produire et des principes qui l'animent.

A ^^ V ''^^^ *^^''® ^"'^ l'égard du fond et de la forme je m'en

vv ^^ ^C^^£ a été arrêté entre nous dès le commencement, a

j^^^fi^^U '^ entrevue, et constamment confirmé depuis lors. Je

> ^ l^lJ^^^uloîr autrement.

'^^^^ ^^^^i*® ^^^'» ""® grande disparate entre nous deux.

I ^<ni Vo^^^ ^a&lMàe chef d'une école normale et d'une école d'ap-

^^» V ^^ ^yi,vez ces deux institutions devant les yeux, et vous

« J'y consent, je suis d'accord avec vous sur ce point. >

LETTRES INÉDITES DU PÈRE GIRARD 9

voudriez que le cours de langue éducatif fût rédigé précisément comme il leur convleat. Personne, sans doute, ne connaît mieux que vous ce qu*exigent leur portée et leurs besoins. Mais ma position est toul-à-fait différente. Moi, j'ai on vue l'éducation en général vi l'édu- calion dans les familles comme dans les écoles, puis, loin de m'ar- rêter aux garçons, j'ai principalement le sexe en vue, et, partageant les convictions d'Aimé Martin (i) depuis 40 ans en\iron, je désire mettre mon travail entre les mains des mères de famille afin de leur donner les moyens d'en former d'autres dès Tï^ge ti»ndre. Mon livre ne servira d'abord que dans les classes aisées il y a de la culture et de rame; mais j'espère que delà il descendra §t que la Providj'nce suscitera des amis de l'enfance qui approprieront aux classes infé- rieures et aux différentes conditions de la société le nouveau moyen d'éducation qu'elle m'a suggéré.

Vous me dites dans votre dernière que tout Touvrsge doit paraître à la fois, de peur que si je publiais d'abord la théorie, plusieurs écri- vains s'aviseraient de rédiger des cours de langue d'après l'ex- posé des principes. C'est précisément ce que je désire; car la même idée, pour se faire jour parlent, devra nécessairement prendre diverses formes, tout comme plus ou moins d'extension dans ses déve- loppements. Cependant, ayant mûrement réfléchi à ce que vous me dites, je renonce à la publication isolée de la théorie (2). Elle ne pa- raîtra qu'avec les deux premières parties du cours de langue, celle de la proposition et celle de la phrase à deux propositions avec les cahiers de conjugaison et de lexigraphîe correspondants. Les deux autres parties, celle de la phrase à 3 pi^opositions et celle de la phrase à 4 propositions et au-delà, formeront la seconde livrai- son. Ici, à côté de la syntaxe qui sera la logique de l'enfance, paraî- tront les compositions graduôes, et la lexigraphie continuera. La conjugaison n'y sera plus traitée à part, car au fond elle aura été épuisée dans les deux premières parties; mais elle sera prise quel- quefois dans la syntaxe même, il y aura des exemples que les élèves seront appelés à conjuguer; comme cela se pratiquait avec fruit dans mon école.

J'espère de pouvoir finir la première livraison. Quant à la seconde on trouvera, si je meurs, les plans détaillés chez moi et les matériaux convenables. Un de mes confrères et amis sera chargé d'en faire la remise à une personne désignée, et cette personne, c'est vous.

(1) Aimé Martin avait publié sept ans auparavant, en 1814, son ouvrage bien connu, couronné par rAcadémie franc lise : Éducation des mères de /a- miUef ou De la civilisation du genre humain par les femmes,

(I) Comme on le verra plus loin, le P. Girard devait ch-mger d'avis encore une fois, et revenir à son idée première. La théorie, c'est-à-dire le livre De renseignement régulier de la langue maternelle, fut, en effet, publiée séparé- ment, et avant le Cours de langue proprement dit.

10 REVUE PÉDAGOGIQUE

Vous voyez par que je n'ai rien changé au seul arrangement que nous avons pris ensemble, et nous prendrons les autres lorsque la première livraison devra paraître. Ce sera assez tôt.

Celte première livraison, comme vous pouvez le voir, formera un tout qui pourra suffire aux classes inférieures que le travail appelle si vite, parce qu'il faut vivre.

Comme les copies me coulent beaucoup d'argent je paye la feuille 4 sous, je vous prie de me renvoyer celles que je vous ai remises par deux fois, afin que j'y insère les changements qui se trouvent maintenant aux originaux.

Il eiït possible que la première livraison soit prête pour le nouvel an. Je renverrai à Paris en profitant de TolTre que m'a faite M. le Baron Mortier, ambassadeur de France en Suisse. Je l'adresserai au Blinistère de l'instruction publique pour vous la faire parvenir. Vous en serez prévenu à temps. Quant à moi je ferai diligence et je mettrai à profit tous les moments qu'il plaira à la divine Providence de m accorder. J'ai toutefois encore mes leçons au couvent: mais je suis enfin au bout des travaux de ma pénible et exigeante présidence de la Société suisse des sciences naturelles. Veuillez m'in- diquer le moyen de vous faire parvenir un exemplaire de nos actes.

Ce qui a tourné ma pensée du côté de M. Michel, je vous Tai dit. Je suis si éloigné de vouloir faire opposition avec l'université, que la conciliation est dans le fond de mon âme et que, loin de tout parti, je désire d'êlre utile à toute la jeunesse, quelle que soit l'opinion politique des parenis. Je n'irai pas me démentir au bord de la tombe et près de paraître devant le Père commun et le Sauveur de tous les hommes. Tous les enfants sont aussi mes enfants.

Adieu, Monsieur et cher ami, je vous embrasse.

Tout à vous.

Grég. Girard, Prof, de Philosophie.

P.'S, M. Michel me marque dans sa lettre du 21 mai que M. Villemain (I) est prêt à recevoir les manuscrits que je lui enverrai. Comme il faut un correcteur sûr pour un ouvrage qui s'imprimera à Paris, loin do vous, je pense que vous vous ferez suppléer pour cela par M. Michel, ce qui à mon avis arrangera tout.

IV

Fribourg en Suisse, le !•' juillet 1842.

Monsieur et cher ami,

Votre dernière a bouleversé tous mes projets. J'ai eu soin de ter- miner l'ouvrage préliminaire et les deux première parties du Cours

(1) M. Villemain était alors ministre de Tinstruction publique.

LETTRES INÉDITES DU PÈRE GIRARD 41

éducatif de langue maternelle : tout était prêt et copié et j*a11ais tout vous remettre à votre passage a Frlbourg. Maintenant il a fallu chan- ger ces dispositions.

M. Cousin, passant à Fribourg il y a 3 ans bientôt, m'avait dit : Envoyez-moi votre travail et je le ferai imprimer. » J'ai le prendre au mot pour l'impression de l'ouvrage préliminaire que je lui ai dédié, etj'attcus sa réponse depuis huit jours. J'en avertis aujourd'hui M. Michel, notre ami commun, car il a bien voulu se charger de revoir les épreuves.

Quant à l'ouvrage élémentaire, il devait porter sur le titre ces mots : Edition soignée par M, Rapet directeur etc. et M. Michel etc.. Je vou- lais par réunir les universitaires et les non-universitaires dans l'intérêt de toute la génération naissante qui toute entière m'est chère et précieuse sans exception. Notre ami commun a Tair de servir le parti légitimiste. Ce n'est pas en cela qu'il peut me plaire, à moi prêtre de J.-C. qui ne suis et ne dois être d'aucun parti; mais il veut réducation de l'enfance, et la meilleure, et la seule véritable, et sur ce point qui est l'essentiel il pense comme nous et nous comme lui. Il nous aidera dans le but que nous poursuivons tous deux, et que si peu d'instituteurs veulent et comprennent. Profitons des ser- vices qu'il est disposé à nous rendre pour la plus belle des causes.

Veuillez me dire ce qu'il y a à faire peur que vous preniez part à la publication des livres élémentaires et qu'ils puissent porter sur le titre les mots Édition soignée par et par. Comme vous n'Irez pas à Paris, il faudra vous envoyer les manuscrits. Cela est- il faisable et comment? Je veux me servir de l'attache ministérielle pour plus de sûreté: car les manuscrits venant à se perdre, il faudrait de nouvoHrs copies qui demanderaient des mois et des mois et beaucoup d'ari^ent, plus qu'il ne m'en reste après les dépenses considérables que j'ai faites jusqu'ici.

Causez-en à M. Michel auquel j'écris aujourd'hui et veuillez me faire connaître vcs pensées à ce sujet. Je vous embrasse.

G. Girard.

P.'S. M. Naville se porte bien, j'ai vu dernièrement presque toute sa chère famille, ses deux fils, leurs femmes et W^^ Rose (I).

V

26 juillet 1841. Monsieur et cher collègue.

J'accepte avec une reconnaissance bien vive la proposition que vous me faites de passer par Fribourg les premiers jours de septembre. Les deux premières parties du cours éducatif de langue maternelle

(I) M*>* Rose Naville, qai mourut toute jeune encore, on 18i>.

12 REVUE PÉDAGOGIQUE

sont prêtes, sauf le vocabulaire qui est en travail. J*espère de pou- voir vous remctlre sa première partie, afin que la première livraison du cours soit complète, et puisse être publiée avant la mi-octobre, pour la rentrée des études.

L'ouvrage préliminaire, renfermant la théorie du travail, est parti hier de Fribourg et voici comment. M. ('ousin ne répondant pas à la lettre que je lui ai adressée il y a plus d*un mois, je priai notre ami commun M. Michel de bien vouloir se transporter chez lui. Il le trouva sur sun départ pour les bains de Plombières. 11 témoigna son regret de ne pas s'être occupé plutôt de mon affaire et promit de la prendre en main dès son retour, le 28 ou !29 d*août.

C'est l'ingénieur de nos ponts suspendus, M. Challey, qui m'apporta la lettre de son ami d'enfance M. Michel. Comme M. Challey sera de retour ù Paris dès les premiers jours d'août, je lui ai remis le manus- crit. C'était le remettre en mains sûres, et le faire arriver promple- ment à sa destination. Je ne pouvais pas attendre le retour de M. Cousin, parce que la publication aurait été trop en retard

J'ai remis le manuscrit à M. Michel en toute propriété avec cer- taines conditions que j'ai indiquées en gros et que M. Challey négo- tiera en ma pince et dont il sera le garant. 11 reviendra à Fribourg dans six semaines et il y a toujours des fonds à sa disposition. Ne vous effrayez pas des conditions pécuniaires. Il ne s'agit que du rembours de mes frais, et je laisse faire M. Michel et son ami. S'ils vont trop loin, je rabattrai, parce que ce n'est point une spéculation de ma part, et mon désir est que l'ouvrage destiné aux générations naissantes, soit par la modicité de son prix à la portée de tous.

Je pense aussi vous faire une remise semblable, à vous qui le premier vous éles intéressé aux intentions qui m'animent depuis si longtemps et que vous avez partagé si Irunchement et si vivement avec moi. C'est une chose dont nous nous occuperons à votre pas- sage a Fribourg.

Comme la librairie ne vous est point étrangère et que sûrement vous connaissez à Paris une maison bien achalandée, qui pourrait remplacer M. Pitois-Levrault, veuillez vous entendre avec M. Michel pour que tout soit prêt au moment vous arriverez à Paris avec les manuscrits. M. Michel dans sa dernière me parle encore d'une société à former pour l'imprassion des livres élémentaires. Ce n'est pas plus m >n avis que celui de mes amis de Genève. Je crois que M. Michel abandonnera cette idée dès qu'il aura vu son ami Challey. Celui-ci est tout-à-fait a même de faire les fonds nécessaires. Les deux ponts suspendus de Fribourg lui produisent de gros intérêts.

J'ai appris par M. Leblond qui dernièrement s'est adressé à vous et qui présentement est retourné à Tarare, j'ai appris, dis-je, que M. Michel s'est adressé à M. Debornes pour obtenir de lui un jeune homme attaché à son institution. Il s'agit d'en faire un aide pour

LETTRES IN&DITES DU PÈRE GIRARD 13

aa commerce de librairie. M. Michel fait imprimer de petits livres d'histoire sainte et d'histoire naturelle. Il m'en a envoyé. Serait-ce celle branche de commerce et s'agit-il peut-être do mes ouvrages? Il ne m*en parle pas. Je sais qu'il a refusé M. Leblond que M. Debornes lui a présenté. Les livres élémenlaires ne verront pas le jour sans vous. Vous êtes lo premier pour l'édition et pour les arrangements à prendre, et il est entendu que vous devez en avoir le bénéfice, ne serait-ce que pour vous dédommager de vos frais de voyage.

La loi accorde aux auteurs un privilège de 40 ans. En ce cas une édition stéréotype serait d'un grand avantage pour les éditeurs et les acheteurs. Veuillez y penser.

D'après mon intention, les livres élémentaires ne seront qu'entre les mains des instituteurs et des institutrices et de leurs aides. Vous avez cru qu'il fallait aussi quelque chose pour les élèves. Je vous laisse entièrement le soin de cet extrait que vous proportionnerez aux besoins des écoles françaises. Vous en connaissez la portée.

D'un autre côté j'ai cru devoir donner à mon travail le plus haut ton, sans cependant dépasser ce que j'ai vu faire par mes élèves d'autrefois. Le ton sera cependant trop haut et trop étendu pour les écoles des campagnes et beaucoup d'autres dans les villes. 11 s'agira donc, pour généraliser le cours éducatif de langue^ non seulement d'abréger mais encore de descendre d'un cran, pour se mettre à la portée des élèves qui ont moins de moyens et moins de temps. Voilà une rédaction dont je ne pourrai pas m'occuper du tout et qui de- mande un homme placé comme vous l'êtes dans votre école normale et voire école d'application.

J'ai pitié des élèves qui sont longuement à apprendre à lire, à écrire et à chiffrer ainsi qu'à réciter machinalement quelques chapitres du catéchisme L'éducation n'est pour rien dans ces exercices si longs ; l'esprit ne s'y développe point, les sentiments du cœur ne sont point avertis et la c mscience reste inculte. Vous savez que j'ai placé à côté de ce travail matériel trois exercices d'inlelli^'ence etc. qui ne se faisaient que de vive voix en cours général. Voilà ce qu'il faut dans vos écoles de France. Les élèves y apprennent à parler et à parler français sans grammaire en traduisant leur jargon en français et lo français dans leurs idiomes populaires. C'est ainsi que s'enseignait chez nous la grammaire des campagnes. Mgr D'Asmond, Évêque de Nancy a beaucoup approuvé cette forme d'ensfcignement.

Vous voyez qu'il restera assez à faire pour vous et M. Michel, seuls inslituteurs de France à moi connus qui ayez compris comme moi que l'enseignement do la langue maternelle doit êtro mis au service de l'éducation. Cependant on m'annonce de Lyon que des inslituteurs goûtent et attendent cette révolution. Je me trouverai trop heureux de l'avoir provoquée.

14 REVUE PÉDAGOGIQUE

Veuillez faire vos réflexions sur les nouvelies que je vous ai données et les ouvertures que je vous ai faites. Je vous embrasse de tout mon cœur et je vous attends avec impatience.

Tout à vous.

G. Girard.

VI

Sans date. (L'enveloppe porte le timbre de Fribourg et la date du ai septembre 184^)

Messieurs et très chers amis (1),

Voici de la main du P. Charles (2) le dernier chapitre du ma- nuscrit intitulé : Introduction an catéchisme. Je Tai promis dans quelques jours et le voilà de manière à pouvoir le présenter avec le reste à Tapprobation de Mgr Tarchevêque de Paris.

J'ai arrêté le litre qu'il convient de donner aux trois petits ouvrages que je destine tout autant aux familles qu'aux écoles. Le voici :

Première instruction pour les enfants dans les familles et les Ecoles. i" Partie. Premier coup d'oeil sur la nature. II® partie. Intro- duction morale et religieuse dans le monde des esprits. lll^ Par- tie. La Sainle Trinité comme introduction dans l'église chrétienne?. Les parties doivent être imprimées séparément dans le format que vous jugerez convenable.

Je refond la première partie. Elle sera prête dans un mois et je compte l'envoyer par la poste à M. Michel. —En attendant on pourra remettre les deux autres parties à l'archevêché et les faire imprimer, comme vous le jugerez à propos. Je vous laiïrse tout à fait libres.

11 faudra comme je l'ai recommandé à M. hapet diviser les cha- pitres en leçons comme vous le voyez dans le présent manuscrit, et numéroter les questions.

J'ai pensé que Ton pourrait réunir les deux propositions de M. Mi- chel, remettre l'impression et le débit à une librairie achalandée (3), et cependant prendre des souscriptions chez les amis de l'éducation.

Dans le cours éducatif il y a une grosse erreur contre l'histoire. Je crois avoir écrit que Brutus a fait mourir ses deux fils pour avoir livré bataille sans ordre tandis qu'ils ont été condamnés pour

(1) La letiie est adressée à Monsieur J, Rapet, directeur de l'école normale de Perriffueux^ présentement chez Monsieur Esteveny, Palais de la Chambre des Députés^ à Paris, Le pluriel « Messieurs et très chers amis 9 montre qu'elle était destinée aussi à M. Michel.

(2) C'est le religieux dont il est question dans lu lettre du 18 août 1840, qui se chargeait de la copie des manuscrits du P. Girard.

(3) Des négociations avaient été entamées avec la librairie Langlois et Leclercq.

LETTRES INÉDITES DU PÈRE GIRARD 15

s^étre entendus avec Tarquin, De grâce ne laissez pas passer cette faute. Je vous embrasse à la hâte.

Tout à vous,

Grég. Girard.

P. S. Marquez bien les frais que je vous cause. Ils devront être prélevés avant tout.

VU

Fribourg en Suisse le 6 décembre 1842.

Mille grâces, mon cher et respectable ami, pour Tintérét que vous mettez à réducal ion des générations naissantes et au succès d'un travail que j'ai entrepris et que j'achève uniquement dans Tinlcn- lion de les servir. Je remercie le Ciel de m'avoir donné un aide tel que vous, et comme ThoAme moissonne ailleurs ce qu'il sème ici- bas, ayant partagé le travail, nous partagerons la récompense. Ce partage me rendra ma portion d'autant plus précieuse.

Après avoir réfléchi deux jours sur la lettre que vous m'avez adressée de Paris en date du 10 octobre, j'écrivis à M. Michel et je le priai 1 Me supprimer la dédicace de l'ouvrage préliminaire (1), en lui disant que M. Cousin ne pourrait pas s'en offenser, attendu qu'il ne m'avait pas fait connaître son acceptation et que d'ailleurs je lui en écrirais. Je chargeai M. Michel ain>i que vous de faire droit aux demandes de M. Rendu sans mon intervention (2). J'ajoutai que le cours de langue s'adressait à toute la jeunesse française, et qu'en conséquence il ne pouvait et ne devait pas devenir un ou- vrage de coniruver.-e entre les différentes communions chrétiennes; mais qu'il devait s'en tenir au christianisme universel, etc., elc Je croyais que M. Michel s'entendait avec vous et que l'impression était commencée après les redressements désirés por M. Rendu et que je ne connaissais pas. Ma surprise fut bien grande, lorsque en date du 24 novembre, je reçus de notre omi la nouvelle qu'on lui avait redemandé le manuscrit et qu'on ne le lui avait rendu que la veille. Il m'annonçait que M. Guéneau de Mussy (3) lui a signalé

(1) Lc9 correspond ints de P. Girard lui avaient fait entendre qu'il n'élait ims politique de placer le noan de M. Cousin en tête d'un ouvrage qui avait besoin de l'approbation de l'archevêché.

(2) M. Aoibroiss Rendu, inspecteur général de l'Université, avait reçu communication du manuscrit de l'Enseignement, régulier de la langue mater- nelle. 11 rédigea des observations qui furent transmises au P. Gimrd par M. Rapel. D'autres observations furent formulées une seconde fois par M. Rendu en 1846, après l'impression de l'ouvrage, et nous les trouveronsavec la ré- ponse du P. Girard.

l3) Inspecteur général de l'Université ami de M. Àmbrolse Rendu.

16 REVUE PÉDAGOGIQUE

dans Touvrage des lacunes qui lui donnent une couleur prolestante. Les voici: Le S.iuveur n'y est point présenté comme le Réparaleur et comme Médiateur, le péché originel et ses conséquences, puis la nécessité de la grâce et celle de la prière n'y paraissent point. Vous me parlez d'une autre omission, celle de Féglise et de son autorité. M. Michel ne m'en parle pas.

Répondant au dernier article de ma lettre du mois d'octobre, il pjoute ces mots : « 11 me semble que le plus sage parti est de considérer l'ou- vrage comme s'adressant exclusivement aux écoles catholiques et de donner satisfaction aux susceptibilités qui seraient blessées de la moindre nuance px)tpstante. »

Ces Messieurs ne connaissent pas la doctrine protestante, autrement ils n'auraient pns cité les omissions ci-dessus comme favorisant leurs opinions religieuses (1). Ces Messieurs ont fait deux fautes graves dans leur criti«|ue. La première est de croire que les omissions qui se trouvent dans l'ouvrage préliminaire se trouveront aussi dans l'ou- vrage élémentaire, tandis que le premier n'a que des indications en grand et ne peut pas entrer dans les détails. La seconde erreur de ces Me>sieiirs est do s'imaginer que le cours de langue doit et peut être un catéchisme, tandi^i qu'il ne le peut pas sans se détruire et que si même il le pouvait, il ne devrait pas lêtre pour ne pas empiéter sur l'en^elgncm- nt de Téglise et se faire repousser comme une invasion aussi profane qu'audacieuse.

En réfléchissant sur ces conirariéti s et la source d'où elles décou- lent, j'ai pris un double parti à l'égard de cet ouvrage piéliminaire qui ne comprend que la théorie du cours éducatif de langue mater- nelle.

J'ajouterai aux trois premiers livres quelques éclaircissements à insérer en liru cl place. C'est entr'autres je tracerai claire- ment les limites qui doivent sous tons les rapports exister eotre un catéchisme et rtMiseignemenl de la langue maternc-lle, bien que mis au service de l'éducation. C'est (|ue j'aurai l'occasion de faire mention de Céfflise, du ministère de la parole qui lui est réservé et de faire droit à la demande de M. Rendu que vous venez de me faire connaître et dout M. Miihel ne me parle pas.

Je rédigerai à neuf le 4' et le ti« livres à commencer dès le chapitre lll du IV*. Dans cette refonte, j'î retrancherai les propositions et ie< plirises nombreuses que j'ai ajoutées en parlant de la culture mora/", religieuse, sociale et personnelle pour faire voir en détail quelles sont les pensées à graver dans l'esprit des enfants pour donner à leurs p nchants naturels la direction désirée. Les personn s qui ne sont pas à même de juger dans cott^ pirtie, étrangères qu'elles sont à la science de Vàme et r'est le 1res gran-l nombre même parmi les lettrés, parcourent rapidement du semblables exemples, et n'y

(1) C'est-à-dire les opinioDs religieuses des protestants.

LETTRES INÉDITES DU PÈRE GIRARD |7

trouvant pas certaines pensées elles commettent la double erreur et la double injustice que je vous ai signalées plus haut. Je m'en tiendrai donc à la simple indication des matières et dans cette indication j'aurai égard aux observations de ces Messieurs. Le travail est déjà commencé et prochainement j'aurai achevé la rédaction du chapitre 111 du IV* livre. La réforme que je fais abrégera Touvrage de 100 pages environ, ce qui le mettra plus à la portée des lecteurs auxquels je le destine. A quelque choî>e malheur est bon.

Il me faudra environ six semaines pour achever parce que nous sommes au gros de Thiver et que je ne puis guère travailler à la •lumière.

J'ai répondu de suite à M. Michel pour lui annoncer ce que j'allais faire et ma lettre est partie deux jours avant que j'eusse reçu votro dernière. Au surplus j'ai encore prié M. Michel de retrancher la dédicace de l'ouvrage à M. Cousin et je lui ai demandé si peut-être il était convenable de le dédier au Conseil royal de l'instruction publique, aHn de faciliter l'introduction du principe dans les écoles. J'ai ajouté que si l'annexe je parle de l'ouvrage de M. Aimé Martin (Education des mères de familles) pouvait déplaire, j'en ferais volontiers le sacrifice.

Je ne lui ai pas répété que je me tiendrais inviolablement au christianisme universel, parce que mes additions et ma nouvelle rédaction justifieront de reste le parti que j'ai pris à cet égard et auquel je tiendrai ferme. Arnicus Plato, magis arnica veritas.

Je suis très content des observations que vous avez faites sur ce pointa M. Michel, et il verra qu'elles ne vous sont point dictées par moi, mais qu'elles viennent originairement de vous, do votre expé- rience et de vos propres réflexions.

M. Michel me marque que MM. Langlois et Leclercqne sont plus aussi décidés qu'ils relaient pour l'entreprise de l'impression, lisse raviseront, j'espère, une fois que le Conseil royal aura décidément pris un parti favorable au cours de langue. 11 faut donc attendre un peu.

Une fois que cette afl'aire sera arrangée, je vous expédierai la copie vidimée des coniratsque vous m'avez envoyés. Vous les jugez convenables et cela me suffit. J'ajouterai un autre engagement en votre faveur et en faveur de M. Michel.

Quant à l'extrait à metire entre les mains des enfants, il sera assez tôt de l'entreprendre apros que le Conseil royal aura approuvé l'ouvrage préliminaire, car il faudra attendre au moins trois mois avant de penser à la publication de la première livraison de l'ouvrage élémentaire. 11 y aura comme vous savez des débats à soutenir sur le principe, et on ne devra rien publier, ce me semble, avant que les juges compétents se soient hautement prononcés en sa faveur. Le retard est nul pour les écoles, puisque le changement ne pourra avoir lieu qu'à la rentrée des éludes.

trVUB PÉDA606IQUB 1885. ^1*' SBH. i

18 REVUS PÉDAGOGIQUE

Veuillez faire de ma pari à Madame Rapet mille amitiés, car je suis sûr qu'elle aussi s'intéresse à voire vieux ami, ne serait-co que parce quVlIe est mère et que j'utilise encore les derniers jours de ma vie au service des enfants.

Tout à vous.

Grég. Girard.

P. S. J'ai terminé la première partie des exercices d'intelligence à placer dans les écoles élémentaires à côté des éléments de lecture, d'écriture et de calcul. Il s'agit de la copier et de changer en con- séquence le premier chapitre de la seconde partie. Veuillez retarder l'impression jusqu'à ce que tout soit en règle. Je ne perdrai pas cef objet de vue.

VIII

.Monsieur et respectable ami,

Je vous annonçais dans ma dernière que sur les représentations de M. Rendu je m'étais décidé à refondre une grande partie de l'ou- vrage préliminaire et à faire quelques légères additions à ce que je ne voulais pas refondre. Ce travail est maintenant terminé. Los copies seront achevées avant dimanche et tout sera prêt pour être envoyé à M. Michel. J'attends dans quelques jours les directions que je lui ai demandées pour l'envoi.

11 vous a écrit, il y a quelques semaines, pour vous faire part des réflexions do M. Queneau do Mussy qui lui avait demandé le manuscrit, sans doute pour le communiquer à quelqu'un et prendre son avis. M. Langlois branle aussi au manche pour ne pas dire davantage, et il comprend qu'en imprimant mon travail, il va faire un grand tort aux gramma'res et adhérences (1) qui font une grande partie de son magnzin. Vous aviez bien raison de m'écrire de Paris qu'il y aurait une grande lutte à soutenir, non seulement avec l'ha- bitude, mais a>ec des intérêts pécuniaires. J'ajouterai, des amours- propres que la réforme blessera....

Vos renseignements et ceux de M. Michel m'ont fait comprendre qu'il faudra eu revenir a la souscription dont il avait d'abord été question. Dans tous les cas, il ne faudra penser à l'impression des livres élémi'ntaires qu'après que l'ouvrage préliminaire auni circulé dans le public et obtenu l'assentiment d'une notable portion de lec- teurs. Alors on pourra publier, soit par souscription, soit par uiw librairie achalandéet

J'avais dès le commencement, au mois de juillet, prié M. Michel

(1) Le P. Girard dit « adhérences « pour « appendices ». On trouvera phis loin une explication de celle phrase, même lettre, page 20.

LETTRES INÉDITES DU PÈHE GIRARD 19

de se charger de l'impression de l'ouvrage préliminaire. Les dispo- sitions élaicnt prises et le travail allait commencer lorsque vous êles arrivé à Paris. Par délicatesse, M. Michel Ta suspendu, bien que je n'eusse pas pensé revenir en arrière sur une proposition faite et acceptée. Les obstacles qui sont survenus, m'ont engagé à prier M. Michel comme directeur de la' nouvelle bibliothèque d'éducation de soigner d'après notre premier projet la pubUcatioii de l'ouvrage pré- liminaire, afin que nous en venions une fois à quelque chose. Si sur son apparition le public se prononce, nous n'aurons point de diffi- culté pour le reste et à défautde MM. Laoglois et Leclercq il se trouvera bien d'aulres libraires.

J*ai prié M. Michel de supprimer la dédicace portant le nom de M. Vîclor Cousio, puisqu'elle nuirait à l'ouvrage. C'est à contre- cœur que je Tai fait et s'il m'avait donné un mot en réponse pour me marquer son acceptation, je l'aurais prié de me dégager, attendu qu'il y aurait eu une parole donnée et acceptée. Je suis sûr qu'ayant le cœur plus grand que ses adversaires, il aurait consenti à faire ce sacrifice, si c'en était un.

J'ai encore prié M. Michel de dédier l'ouvrage au Conseil Royal l'Instruction Publique, si cela est praticable, et si cela peut concilier quelque faveur à l'ouvrage comme de lui ouvrir les portes de l'uni- versité. J*atlends la réponse, et si elle est affirmative, j'adresserai qnelques lignes au Conseil.

Quand j'ai entrepris la refonte d'une partie de l'ouvrage prélimi- naire, j'étais à rédiger le vocabulaire de la deuxième livraison qui vous manque, car je sais que vous avez emporté à Perrigueux les manuscrits que je vous ai remis à Fribourg. Je vais de suite reprendre mon travail qui ira grandement puisque les jours augmentent sen- siblement.

N'allez pas croire que j'aie changé d'idée sur la limite que je m'étais de tout temps prescrite pour l'instruction religieuse à donner dans le courô éducatif de langue. J'en ai resté au même point, mais je justifie d-ms mes amendements ce que j'avais décidé, et les raisons que j'apporte sont tellement plausibles sous tous les rapport^, ({ue l'on n'aura pas un mot raisonnable à m'objecter.

Je sais que M™° Na ville vous a écrit pour vous exhorter à ne pas consentir à insérer une religion étroite dans le cours de langue. M"^ Rose me Ta marqué. Mais cela n'était pas nécessaire, car vous n'en avez pas plus envie que moi. Ni M. Michel non plus, car ce n'est pas sa pensée qu'il m'avait écrile. Il m*a rendu ce qu'on lui a dit, en ajoutant que si Ton avait adopté son projet, il n'y aurait eu aucune espèce de difficulté.

Moi, je désire de tout mon cœur que le cours de langue puiss(; entrer dans les écoîes de l'université. Vous ne le désirez pas plus que moi ; et c'est pour celte raison que j'ai retouché a peu près la moitié de l'ouvrage préliminaire, pour fake droit aux réflexions de

20 REVUE PÉDAGOGIQUE

M. Rendu, et le rendre plus instructif pour les instituteurs, les insti- tutrices et les mères de famille qui sont nos premières maîtresses de langue, partout ôii elles font leur devoir.

C'est sur elles que je compte particulièrement pour le succès du cours éducatif de langue. Je le leur dis quelquefois, et je compte que mes paroles ne serontp as perdues. Je n'oublie pas le clergé, d*apr^s ce que Vous m'avez marqué ainsi que M. Michel, et il comprendra que le coiirs de langue doit préparer l'enseignement religieux ou le catéchisme sans empiéter sur lui et avoir l'air de vouloir l'éliminer de l'éducation.

J'ai lu dans le temps les propositions de M. Langlois, mais comme je savais qu'il tirait en arrière depuis les réflexions qu'on lui a faites, je n'ai pas cru devoir y donner suite pour le moment. Votre silence depuis l'envoi des propositions m'a fait penser que vous connaissiez plus particulièrement les intentions de cette librairie, qui craint avec raison de décréditer ses quatre grammaires avec leurs appendices, en publiant un cours de langue qui se propose de les remplacer dans les écoles et dans les familles.

Je vous ai remis deux manuscrits rédigés pour la classe élémentaire de mon ancienne école et depuis je vous ai envoyé un supplément pour l'un d'eux. Je ne vous ai pas remis le premier que j appelais le Vocabulaire d'abord parce que dans mon école il était aussi destiné à apprendre aux enfants à nommer les objets en allemand comme en français. J'ai maintenant refondu ce vocabulaire en omettant les mots allemands. Je vous ai prié dans le temps d'at- tendre pour l'impression, et je vous réitère cette prière, jusqu'à ce que j'aie trouvé le loisir de mettre ces petits livres élémentaires en parfaite harmonie avec le cours de langue.

A présent, mon cher et respectable ami, je crois vous avoir dit tout ce que j'avais à vous dire pour le moment, et je fmis en vous embrassant de cœur et d'âme ainsi que votre famille qui m'appar- tient aussi puisqu'elle est à vous.

Votre tout dévoué, G. Girard. Fribourg le 3 février 18*3.

P. S. La goutte m'a fait depuis quelques jours une visite dont je me passerais volontiers. Elle me relient captif dans mon cou- vent, sans pourtant m'empâch3r da voyager avec mes pensées et mon cœur jusqu'à Perrigueux.

Si JAmiis on voulait traduire mon cours de Philosophie (i), j'au- rais quelques avis à donner au traducteur.

[\] G'eât le cours de philosophie professé au lycée de Lucerne, et rédig*^ en allemand. Il comprenait quatre cabieri lithographies, iQ-8*| formant ciiscinblé 601 piges.

LETTRES 1MÉDITIL5 DU PÈRE GIRARD 21

IX

Fribourg, le 8 juin 1843.

Mon cher et respectable ami.

Vous aurez appris par M. Naville raccident qui m'est arrivé le 1 mai. En tombant, je ne sais comment, d'un escalier à la renverse, je devais me tuer ou tout au moins me fracturer quelque membre. J'en ai été quilto pour de graves contusions dont les contre-coups ont amené une rétention d'urine qui se dissipe peu à peu, puisque depuis plusieurs jours je n'ai plus besoin de la sonde pour les fonctions du bas-ventre. La première chose que je me suis dite après la chute, c'est que le Ciel veut me laisser le temps d'achever un travail qu'il m'a inspiré pour le bien des enfants.

Je m'occupe maintenant de la troisième partie de la syntaxe, qui s'occupe des phrases de 3, 4, 5 etc. propositions, puis de la partie de la dérivation etc., cahier qui manque encore pour com- pléter le second cours.

Vous m'avez marqué dans voire dernière que vous avez des chan- gements à me proposer dans les 5 manuscrits que vous avez chez vous. Veuillez me les faire connaître, afin que je puisse faire droit à tout ce qui sera conforme à la marche et à l'esprit de l'ouvrage. Je ne désire pas mieux que de rendre mon travail aussi bon et aussi utile que possible, bien que je le croye susceptible d'un perfectionne- ment indéfini

Je l'ai dit et je le répète, mon ouvrage doit présenter le maximum du cours éducatif de la langue maternelle. Il pourra servir dans lefi institutions et les bonnes écoles des villes. Il faudra l'abréger pour les écoles de la campagne, et cet abrégé devra s'approprier aux cir- constances particulières des différentes localités. Je ne m'en occupe^ rai pas et ce sera votre afl'aire et celle de vos amis dans le corpf» enseignant. Vous parviendrez bien à trouver des collaborateurs dans les ditférentes provinces du royaume.

Pour cela il faut que Tintroduction soit publiée et conaue et débattue. Le principe une fois admis par les hommes de sens qui s'occupent de l'éducation de l'enfance, tout le reste se fera comme de soi-même. Mais cette introducMon qui devait paraître avec la fin d'avril, comme M. Michel me lavait promis, n'a pas encore vu le jour. L'éditeur me laisse dans la plus pénible perplexité. 11 ne m'a pliuB écrit depuis le 26 février. Je ne sais pas du tout ce que je dois en penser. Je lui ai écrit depuis lors, le 9 mars, et je suis encore a attendre une réponse aux questions que je lui ai fuites. Je viens de lui écrire pour le prier de me tirer de l'embarras son silence me l^tient depuis si longtemps.

22 RBVnK PÉDAGOGIQUE

Vous avez écrit le 20 mars à notre ami commun de Genève et vous lui avez marqué que l'impression de l'ouvrage commence. Voilà tout ce que je sais. D*où vient le retard? je Tignore, et pourtant il me semble que je devrais le savoir.

A présent que je m*occupe grandement de la troisième partie de la syntaxe, je vois que j*aurai à faire quelques changem3nts à la seconde, j'ai quitté le chemin le plus simple que j'avais toujours suivi, en séparant ce que j'ai appelé les phrases grammaticales de celles que j'ai cru devoir nommer phrases logiques. Sauvent on fait moins bien, tout en pensant mieux faire. Cependant le changement n'ira pas loin.

Un excellent peintre vient de faire mon portrait. Tous ceux qui l'ont vu s'accordent à dire qu'il a admirablement réussi, et moi je dois le croire. Il est fait une lythographie en petit que l'on dit par- faite. Vous en aurez un exemplaire.

Veuillez, mon cher ami, embrasser les vôtres pour moi et croire que je reste pour toujours

Votre tout dévoué

G. Girard.

Fribourg, le 2 octobre 18^3.

En ce moment, mon cher et respectable ami, je viens de lire votre lettre du 26 septembre et j'ai été charmé d'y retrouver ce bon M. Rapet que je conserve précieusement au fond de mon cœur.

11 paraît que vous n'avez pas reçu la réponse que j'ai faite à votre dernière et j'en suis surpris. Je vous parlais de la décision qu'avait prise M. Langlois sur l'opinion de M. Cousin qui insistait sur l'im- pression de l'introduction, mais qui n'approuvait pas la publication des livres élémentaires, attendu que Lhomond était et est encore suffisant. C'est du moins ainsi que M. Michel ma rendu compte de l'entrevue qui a eu lieu chez M. Langlois et de son résultat.

J'ai do suite prié M. Michel de publier, à mes frais ou aux siens, rintroducti(»n, afin que le principe de mon travail fût d'abord discuté par les hommes de l'art. Je ne doute pas qu'il ne trouve de l'as- sentiment dans le public, et dès lors on procédera à l'impression des livres élémentaires.

L'impression de l'introduction devait commencer en mars. La maladie de M°>« Michel y a mis deux mois de retard. Enfin j'ai recule 11 d'août les trois premières feuilles pour en faire la correcture et j'ai prié M. Michel de se choisir un correcteur à Paris s'il ne Toulait pas l'être lui-môme. L'impression fourmillait de fautes. Depuis ce moment M. Michel garde un profond silence et je ne sais pas j'en suis avec lui ; cela me met dans une pénible situation

LETTRES INÉDITES DU PÈRE GIRARD 23

envers les personnes qui en Suisse, en France, en Piémont, en Italie, etc., attendent sur l'ouvrage.

Je vois que M. Michel ne met pas de diligence à remplir la com- mission dont il s'est chargé et jo vous prie de bien vouloir venir à mon secours. Vous avez a Paris des parents et des amis. Veuillez prier l'un d'eux d'aller en mon tiom chez M. Michel pour activer une impression qui tarde scandaleusement. Ourdirait qu'elle a été remise aux soins d'un ennemi.

Veuillez garder devers vous tous les manuscrits que je vous ai réunis. Je ne saurais les confier à la négligence de M. Michel. S'il venait à vous les demander, dites-lui franchement que je vous ai défendu de les lui remettre. Quand le temps en sera venu, nous conviendrons entre nous des mesures a prendre.

Je suis à terminer les livres élémentaires, et j'avance dans mon travail. Il y aura quelque chose à corriger dans la syntaxe du second cours. Je vais rédiger le vocabulaire qui vous manque. Il serait fait si je n'avais pas faire en môme temps celui de la troisième division. Il faut que tout soit mis en progression et formé comme d'un jet. Vous verrez de quelle importance est ce vocabulaire dans un cours éducatif de langue; abstraction faite de la connaissance des mots, do leur signification et de leur usage.

Je finis ma lettre par vous avez fini la votre. J'ai vu avec beaucoup de peine que la mauvaise volonté du département s'occupe de la suppression de votre école normale. Ce qui m'en console un peu, c'est l'état de votre santé qui demande moins de travail. Mais vous pourriez faire beaucoup en faisant moins, et je vous exhorte de vous ménager mieux en vue même de la belle tâche à laquelle vous vous êtes consacré.

Vous m'apprenez que vous avez gagné d'importants suffrages pour le cours éducatif de langue maternelle. Moi aussi je lui fais des prosélytes à Genève, en France, àSaint-Péterbourg. M. Ernest Na ville vient de l'introduire dans l'une des écoles de Genève il l'enseigne après avoir gagné une partie du public, en l'exposant dans des pré- leçons que l'on a écoulées avec empressement.

Veuillez agréer l'expression de mon attachement cordial pour vous et pour M"»» Rapet.

Votre tout dévoué,

Grég. Girard.

XI

Fribourg en Suisse, 1" mars 1844.

J'ai tardé, mon respectable et cher ami, de répondre à votre dernière, dans l'espoir de pouvoir vous marquer : Le livre a paru I Mais voilà un mot que je ne puis pas encore vous dire, bien qu'il

24 REVUS PÉDAGOGIQUE

soit tout imprimé depuis trois semaines environ. J'ai toutes les feuilles dans les mains. Le retard de la publication vient de ce que M. Michel n'avait pas encore reçu l'approbation de l'archevêché de Paris qui lui était promise et qu'il espérait en recevoir une du Con- seil royal.

Au surplus, M. Michel était en négociation avec la maison Renouard qui était disposée à se charger de Tédition du Cours édu- catif. Je ne sais pas encore oii tout cela en est, et j'attends des nou- velles depuis trois semaines.

J'étais dans la conviction que M. Michel était le propriétaire de la Nouvelle bibliothèque d'éducation et qu'en cette qualité il avait des rapports d'intérêt avec un ou plusieurs imprimeurs. J'avais en conséquence prié un de mes amis de bien vouloir traiter pour moi avec M. Michel. Sur cela, j'ai appris que M. Michel s'est dessaisi de ses prétentions sur la N. B. d'éducation et qu'il n'est en aucun rapport d'intérêt avec des imprimeurs ou des libraires.

Le 15 mars.

Je reçois en ce moment votre chère lettre du 9 courant et je m'empresse d'y répondre pour vous assurer que vous devez être sans inquiétude sur l'extravagante nouvelle que vous a donnée notre ami commun M. Naville. Personne mieux que moi ne sait à qui tient le retard de la publication de mon travail. Je n'accuse point la mauvaise volonté de M. Michel, mais, outre l'état de santé de son épouse, les mesures de longue haleine qu'il a cru devoir prendre dans rintérêt même du cours éducatif de langue. 11 a d'abord désiré l'approbation de l'archevêché de Paris il a fait passer les feuilles à mesure qu'elles étaient composées. Puis au commencement de février, il s'est abouché avec un ami intime de M. Villcmain qui lui a donné l'assurance que le Conseil royal saisirait avec empres- sement cette occasion de faire preuve de ses sentiments religieux et chercherait par son approbation à se rapprocher du clergé. Depuis le commencement de février M. Michel ne m'a pas écrit une syllabe, et j'ignore absolument en sont les choses. Il m'avait aussi mar- qué que la maison Renouard se montrait disposée à se charger do rédilion du cours de langue tout comme de la vente de son intro- duction. M. Renouard avait demandé deux jours de réflexion cl voilà six semaines que ces deux jours sont écoulés !

Vous voyez, mon cher ami, que je no puis pas du tout m'en rap- porter à l'exactitude de M. Michel. N'est-il pas étrange que cette intro- duction qui ne compte pas 500 pages, n'ait pas encore paru à l'heure qu'il est, tandis que M. Michel l'a entre les mains depuis le mois

de juin 18421!

J'ai fréquemment offert à M. Michel de lui envoyer de l'argent poui- fournir aux frais de l'impression, et il a constamment refusé mon offre voulant faire les avances et se réservant de retrouver sa dépense

LETTRES INÉDITES DU PÈRE GIUARD

SUT les premières rentrées. Il estime que cette introduction tirée à deux mille exemplaires dont cinq cent en plus grand format et meilleur papier, coûtera environ 2500 francs. J'ai à Paris un jeune ami quia de la fortune. Je Tai prié d'aller s'entendre avec M. Michel pour les arrangements à prendre. Il s'y est rendu, mais M. Michel n'a pas paru bien disposé à arrêter quelque chose pour l'avenir. En- sorte que tout est encore indécis.

M. Michel voulait former une souscription pour Tlmpression du cours de langue et il avait déjà trouvé des souscripteurs. C'est moi, je vous l'avoue, qui ai insisté à ce que l'ouvrage préliminaire parût d'abord seul. J'étais convaincu et je le suis encore qu'il faut que le principe de mon travail soit d'abord publié et débattu avant d'en venir à la publication du cours de langue rédigé sur cette base. Une fois que le principe aura réuni les suffrages d'une partie du public, on ne risquera plus d'entreprendre l'édition d'un ouvrage élémentaire composé de 3 volumes de syntaxe et do 6 cahiers d'ac- compagnement. J'espère qu'en réfléchissant à la dépense que nécessi* tera cette petite bibliothèque scolaire, vous vous rangerez à mon avis.

Une fois que le public se sera prononcé en faveur du cours éducatif de langue maternelle il ne sera pas difllcile de trouver une maison bas- tante (sic) qui veuille se charger de l'édilion surtout si l'ouvrage est approuve par le Conseil Royal et le Clergé, comme l'espère M. Michel.

Mes amis de Fribourg qui savent ce qui s'est passé jusqu'ici, ont pris M. Michel en défaveur et croient qu'il cherche son intérêt particulier à mon détriment. Je n'ai point celte idée, mais il faut le dire, je n'ai plus en lui la confiance que j'avais dans le temps, et ce n'est pas à lui que je remettrai le soin de publier Touvrage élémentaire, s'il doit voir le grand jour. Je ne désire pas que vous abandonniez votre poste, mais si cela devait se faire, je vous prierais de vous charger de la publication. En attendant gardez les manuscrits chez vous. J'ai fuit le vocabulaire de la seconde livraison ; je retouche la syntaxe comme je vous l'ai marqué, et je travaille à la rédaction de la troisième livraison. J'estime qu'il me faut encore 10 à 12 mois pour tout finir.

Vous vous plaignez du silence de M. Michel. Je vois par moi-même qu'il n'est pas très empressé de correspondre; mais il a une autre raison à votre égard. Je vais la confier à votre discrétion. Il croit que vous l'avez desservi auprès de moi, en me disant qu'il est l'àme damnée du parti Icgilimiste. J'ai pris votre défense dans ma lettre du 1^ février, et en vousjustifiant j ai dit la vérité.

Comme j'espère que tôt ou lard le cours de langue s'imprimera, je vous prie de faire la revision des manuscrits que vous avez, sauf de la syntaxe de la seconde livraison, puisque je la relouche comme je viens de vous le dire. Je ne doute pas que vous y trouviez beaucoup de fautes. Je n'avais pas revu ces manuscrits avant de vous les remettre. Vous étiez là, et j'ai voulu profiter de votre présence.

26 REVUE PÉDAGOGIQUE

Vous m'avez demandé quelle méthode je recommandais pour ren- seignement du latin. La voici en deux mots.

1" L'élève doit être avant tout instruit par principes dans sa lanprue maternelle, qui doit être la base sur laquelle on bâtira.

Oii lui fait apprendre les paradigmes réguliers des noms, ar- ticles, adjectifs et verbes du latin. Si le sujet a quelque facilité cinq à six semaines suffisent.

On prend ensuite par degrés des morceaux de latin, en com- mençant par Sulpice Sévère, Eutrope, Cornélius etc., pour les faire rendre en français avec retour aux paradigmes et analyse comparative qui relève la différence des deux langues. On arrive ainsi graduel- lement à Tite-Live, Salluste, Tacite, selon les progi'ès de Télève.

L'instituteur est longuement le dictionnaire et Taide dans ces tra- ductions (sic) et seulement l'élève travaille seul avec un dictionnaire qu'on lui met entre les mains.

Comprendre la langue latine est d'abord le but unique qu'on se propose, et la plupart des élèves n*ont pas besoin d'aller plus loin.

Cependant dans ce but même le maîlre a soin de faire écrire les traductions, et il les corrige. Avec le temps, il indique à l'élève quelques morceaux traduits pour les faire contre- traduire, c'est-à-dire remettre en latin. De cette manière on obtiendra un véritable latin semblable à roriginal, et non pas, comme dans les méthodes ordi- naires, du français en mots latins.

Il a paru en France, au siècle passé, des extraits de latinité gra- duée par le chanoine Chompré en quelques volumes, les premiers de prose et les autres de poésie. Nous nous en servions en Allemagne dans les gymnases de notre ordre.

A présent, mon cher et respectable ami, je crois vous avoir dit tout ce que j'avais à vous dire. Je n'ai plus qu'à vous prier d'offrir mes respects à M«« Rapct qui voudra bien être un peu l'amie de celui qui vous aime et que vous aimez.

Tout à vous.

Grég. Girard, cordelier.

P. S. Vous m'avez dit dans l'une de vos lettres que vos élèves avaient fait des observations sur mon travail. J'aimerais bien à les connaître pour y faire droit.

XII

Frlbourg en Suisse le 15 juillet 44. Monsieur et respectable ami,

Il est enfin temps que je réponde à vos deux aimables lettres. Il n'y a guère de jours que je ne l'aie fait en pensée, mais malheu- sement mes paroles ne sont pas arrivées à vos oreilles. Je crois

LETTRES INÉDITES DU PÈRE GIRARD 37

cependant que votre bon cœur vous aura dit que le mien ne vous oubliait jamais.

Je commencerai par répondre à votre dernière. J*ai reçu vos félicitations sur le succès de mon livre à TAcadémie française avec d autant plus de plaisir qu'elles ne s'arrêtent point à ma personne, mais qu'elles se rapportent à une grande chose, à Tamélioration de ^ réducalion dans un vaste et beau royaume qui est devenu ma pairie adopUve. J'y demeurais d'esprit et de cœur depuis maintes années, mais dès à présent je vais y demeurer en action. Mon ouvrage préliminaire se lit, et mes livres élémentaires entreront peu à peu dans les familles et les institutions, et par je m'acquitterai envers ma nouvelle patrie.

En recevant la bonne nouvelle j'ai d'abord remercié la Providence qui visiblement a préparé à mon travail un succès auquel je n'avais pas même pensé. Puisque l'ouvrage avait présenté à l'académie par M. Michel et qu'il avait été goûté par un membre de sa commission, je pouvais m'altendre à une mention honorable, mais un prix et le premier prix I... La Providence s'est servie de M. Cousin pour fournir aux frais de l'impression des livres élémentaires. Je la bénis.

Je suis fâché mon cher ami de vous voir faire des frais pour la propagation de mon livre. Faites à cet égard ce que vous écrit notre ami commun M. Michel, et portez sur mon comple les exem- plaires que vous croyez devoir offrir à quelques personnes notables dans l'intérêt de la bonne cause qui n'est pas la mienne, mais celle de Téducation de la jeunesse française. Veuillez en remettre un en mon nom à voire professeur de langue, M. Charbonneau.

Vous allez donc retourner à Paris. Dommage que l'état de votre santé et quelque chose de triste que vous ne me désignez pas en soient la cause. Vous me consolez en me disant que vous serez plus à même de travailler à la publication de mes livres élémentaires, que vous croyez utiles à l'éducation. Sous ce rapport public, c'est réel- lement une consolation que vous me donnez.

Je désire que le poste que vous occuperez à Paris vous laisse le loisir nécessaire pour faire un travail. Vous pouvez voir dans la préface de la première partie de la syntaxe, que mes livres élé- mentaires sont destinés à des écoles de ville pour les classes aisées ainsi que pour les institutions particulières, sans exclure l'éducation qui quelquefois se donne dans les familles mêmes. Mais il faut des- cendre jusqu'aux écoles rurales des deux sexes, et en leur faveur il faut faire un extrait convenable de mon travail, comme j'avais essayé de le faire en 1821 pour nos écoles rurales, sous le titre de grammaire des campagnes. J'ai été trop préoccupé en ce temps de ma méthode conjugative. 11 faut la conserver pour le fond, mais il faut la modifier parce que toutes les pensées qu'exige l'éducation sentimentale, morale et religieuse, en un mot, l'éducation chrétienne de l'enfiance ne peuvent pas se conjuguer.

S8 REVU£ PÉDà60G10U£

Voilà, mon cher M. Rapet, uq travail que je vous destine et qui sera fait en votre nom et à votre profit. Je dis à votre profit^ car je ne pourrais pas le vouloir autrement ; si cette tâche pouvait vous convenir, nous nous entendrions sur la manière de l'exécuter et j'y donnerais aussi un coup de main.

Je viens maintenant à votre première lettre, datée du 27 mai.

Je suis vraiment honteux, mon ami, de la peine que vous vous f^ies donnée pour abréger les observations de M. Charbonneau, afln de pouvoir me les faire parvenir. Vous avez prendre sur votre repos, vous qui avez d'incessantes et graves occupations au poste que vous occupez. Voilà ce qui me peine. D'un autre côté je m'en console, parce que c'est pour la cause de l'éducation, pour la famille du Père commun que vous avez travaillé.

Je remercie de bon cœur M. Charbonneau de ce qu'il a bien voulu étudier mon travail pour me faire des observations que je ne manquerai pas d'utiliser, autant que mes convictions me le permet- tront. Si M. Charbonneau avait, avant d'écrire, lu le livre qu'il connaît sans doute à présent, il aurait été édifié sur plusieurs points. J'espère que nous fmirons par tomber d'accord sur quelques articles, vous êtes deux contre un. Il ne faut d'ailleurs pas oublier que la langue française est un dialecte formé d'éléments souvent très disparates et que souvent il est impossible de mettre en harmonie avec la grammaire générale ou la logique qui n'est qu'une.

La même expression p. e. ne... que peut être envisagée sous divers points de vue, non pas pour le sens, mais pour les mots, et en pareil cas, il faut laisser à l'éducateur la liberté de prendre le parti qu'il juge le plus convenable à l'ensemble de son travail. 11 y a aussi plusieurs mots qui sous un de leurs rapports appartiennent à plu- sieurs classes. Il faut donc leur en assigner une et l'instituteur ne saurait mieux faire que de les placer dans celle avec laquelle ils ont le plus d'affinité. J'ai partagé les articles en trois classes, savoir articles (Tunité, articles de pluralité et articles de totalité. En cela j*ai saisi le caractère le plus saillant de ces mots, le plus facile à saisir par des commençants et je crois encore d'avoir bien fait.

Je sortirai de l'infinitif le soi disant participe présent aimant, chan- tant etc. Il sera un adjectif, ce qu'il est en latin, mais un adjectif inva- riable lorsqu'il est précédé de en ou qu'il est suivi d'un complément. Je tirerai encore parti de quelques autres observations de votre savant collègue, et je suis tout à fait content de voir qu'il entre comme nous dans le but éducatif qu'il faut prendre pour règle dans l'enseignement de la langue maternelle.

M. Michel a trop tardé à vous envoyer mon livre. Comme je ne vous trouvai pas dans le nombre des personnes auxquelles il a remis les premiers exemplaires, avant que j'en eusse, je lui fis de suite la remarque, croyant que c'était de sa part une omission; ejL dans cha-

LETTRES INÉDITES DU PÈRE GIRARD 29

cune de mes lettres vous avez toujours été nommé. C*est ainsi qu'il à négligé Ja société de Lyon dont nous sommes tous trois membres correspondants. Je l'avais aussi prié d'envoyer un exemplaire h Londres, à M. Kay, membre du Conseil royal d'éducation, et un autre k M^ Humann â Strasbourg, belle-sœur de votre ancien ministre des finances. Dans sa dernière il m'annonce que chacun a reçu ce que je lui destinais. Moi, je me suis chargé de PAllemagne et de la Suisse.

Je dois tout plein de reconnaissance à M. Michel pour les peines qu'il s'est données dans les derniers mois pour le succès de la chose. C'est lui qui a présenté le livre à l'académie, avantage im- mense pour l'éducation d'un peuple qui mérite bien que l'on fasse aussi quelque chose pour lui.

M. Michel veut encore tenter d'obtenir l'approbation de T arche- vêché de Paris. A cet effet, je l'ai prié de retrancher du titre le mot de philosophie qui a pu déplaire à des gens qui accusaient cette science de toutes les erreurs qui se montrent en Europe et de tous ses maux. Lorsque M. Michel m'annonça le refus de l'approbation sous prétexte d'erreurs qui s'y trouvaient, disait-on, sans les arti- culer, je lui répondis qu'il n'y en avait qu'une qui s'étendait du commencement à la fin, puisque tout le livre veut fonder la foi sur la raison et le sentiment, comme l'a fait le divin Maître, tandis que le haut clergé veut la foi du charbonnier, si l'on en juge par ses dernières démarches, et entre autres par la brochure que M. l'ar- chevêque de Paris venait de jeter dans le public au milieu de tant d'autres (1).

A présent, mon ami, je crois vous avoir tout dit pour le moment. Il ne me reste plus qu'à vous embrasser, et de tous prier de me renouveler au bon souvenir de M™» Rapet.

Tout à vous.

G. Girard.

XllI

Mon RESPECTABLE ET CHER AMI,

Me voici de retour de Soleure depuis trois jours. J'ai trouvé à mon retour chez moi quatre lettres de M. Michel auxquelles j'ai répondre, et quelques affaires qu'il fallait d'abord expédier.

Je vous ai quitté à regret à mon départ de Fri bourg. Mais on m'attendait à Soleure depuis un mois, et je ne pouvais plus tenir mes

(1) C'était le moment de la grande querelle entre l'Université et le clergé au sujet de la libt rté d'enseignement. L'urchevôque de Paris était descendu en personne dans l'arène en publiant une brochure iniituléc Observations sur ia controverse élevée à i^occasion de la liberté d'enseignemefnt^ 18^3.

30 REVUE PÉDAGOGIQUE

confrères enarrCt. Arrivé le vendredi soir à Soleure, je tins le samedi matin la promesse que j*avais faite à M™« Rapct. Veuillez le lui dire en me rappelant a son bon souvenir.

M. Michel regrette que vous ne soyez pas venu vous établir à Paris comme vous le lui aviez fait espérer. Il insiste sur la prompte publication des deux premières livraisons du Cours éducatif de langue, et je sens, comme lui qu*il faut profiter de l'impression qu*a faite le rapport de M. Viilemain à rAcadémie française. Veuillez donc donner vos premiers moments de loisir à la révision des deux cahiem de conjugaison que vous avez devers vous, ainsi qu'au premier cahier du vocabulaire. 11 serait inutile de toucher à la syntaxe, puisque je la retouche pour l'envoyer directement à M. Michel. Il a chez lui la seconde livraison du Vocabulaire et de la Syntaxe. Un de mes amis les lui a remis dernièrement en mains propres.

Quant au premier cahier de conjugaison, je suis surpris que M. Giarbonneau n'ait pas remarqué que j'avais (je ne sais tri)p comment) pii^sé l'impératif sous silence. Dans la révision que j'ai faite de mon travail, j'ai do suite vu cette omission, et j'ai rempli l'incroyable lacune. J'ai pour cela supprimer plusieurs détails suivants, afm que les trois parties de l'enseignement qui marchent ensemble, restassent d'accord entre elles pour le nombre et la succes- sion des leçons. M. Michel possède le supplément à la conjugaison et la note des numéros à omettre dans le cahier que vous lui remettrez à votre arrivée à Paris, ou que vous lui enverrez plutôt, afin qu'il pui>se le revoir à son tour et le livrer à l'impression. Si vous ne deviez pas vous rendre à Paris au commenccmentde novembre, demandez-lui les deux cahiers qu'il a, afin que vous puissiez en faire la révision sans retard. Ce n'est que la correction du langage qui doit vous occuper, et, à moins que mes copistes aient mal copié, cette correction doit se réduire à peu de chose.

De mon côté, j'activerai la rédaction définitivo du premier cahier de syntaxe. Veuillez en attendant le faire parvenir à M. Michel, si ce n'est pas au commencement de novembre que vous vous rendrez À Paris. Je vous prie de lui faire cet envoi parce que je conserve en partie mon premier travail, en sorte qu'ilne s'agira pas d'en faire ici une copie entière. Je n'enverrai que les articles changés.

Pour vous complaire, mon cher ami, j'aurais bien voulu pouvoir suivre vos idées dans la partie des articles. J'y ai beaucoup réfléchi, mais je n'ai pas pu prendre sur moi d'abandonner la division d ar- ticle d'unité, de pluralité et de totalité. Dans la langue l'arliclt^ a une fonction qui lui est propre, et c'est de déterminer dans quelle étendue les noms communs doivent être pris. Or nous les disons tantôt d'un seul objet, tantôt do plusieurs sans ou avec détermination précise du nombre, et tantôt de tous les objets désignés par le nom. il est temps, mon cher ami, que la grammaire se remette ici, comme ailleurs, d accord avec la saine logique. Je sais que le changement

LETTRES INÉDITES DU PÈRE GIRARD 3{

heurtera les idées et les dénominal ions héréditaires des grammai- riens. Mais ils voudront bien me permellre de me mouler sur les élèves que l'on instruit et pour qui Tinslruclion est faite. Or les en&Dts n'éprouvent aucune difficulté dans ma division. J'en ai fait l'expérience de tant d'années ! Ils ne peuvent pas en éprouver une, puisqu'elle est commandée par la saine logique. Je ne parle pas ici de ceux qui auraient élé habitués à une autre classification. Je parle des commençants, et c'est pour eux et pour eux seuls que j'ai rédigé le cours éducatif de langue nialernelle, car il diffère en tout point des grammaires ordinaire*. J'excepte le travail bien remarquable de M. Goffdt, chef d'instruction à Lyon : ce travail, que je no connais que depuis la publication do mon livre, a été approuvé parla Société Lyonnaise. L'auteur n'a pas craint de se détacher des habitudes grammaticales. Il a rangé la plupart des articles dans la classe des mots qu'il a appelés des déUrminaiifs^ précisément parce qu'ils déterminent lelonduo dans laquelle doivent se prendre les noms communs.

J'ai fait des adjectifs possetsifs des mots son, «a, ses etc., et, réflexions faites, je ne pyis pas en faire autre chose. Ils marquent, comme tant d'autres, une (jualité extérieure des objets. Jadis j'en avais fait des articles, et j'avais tort à tous é;jards. il n'y a pas si longtemps que l'on disait et que Ion écrivait le mien diapeau, la tienne mai- mm etc. Mien et tien n'étaient donc pas alors des articles, et ils n'ont pas pu le de\enir depuis. Je ne suis pas le seul qui ait rangé les mots mon, ton, etc., au nombre des adjectifs. Je vous ai cité Beudant, et il aura bien autant d'autorité que d'autres grammairiens. C'est la saine logique qui doit faire la loi. Je ne dois écouter qu'elle.

Vous ne me direz plus qu'un même mot ne saurait éire un article d'unité au singulier, et un article de pluralité au pluriel ; ou bien vous aurais-je mal compris ? Je dois le croire puisque tous les noms communs marquent au singulier l'unité (ou la totalité), et qu'au plu- riel ils désignent la pluralité. Mais laissons de côté ces menus détails.

Vous m'avez dit qu'il fallait en France un Manuel pour les élèves à côté du livre destiné à l'instituteur, et vous avez bien voulu vous charger de sa rédaction, tout comme de sa publication. Je viens d'en prévenir M. Michel.

Je désire que ce manuel ne renferme que ce qui d'après vos con- victions doit nécessairement être mis entre les mains des élèves français (chez moi, ils n'avaient rien de ce genre). Je demande celle brièveté paur deux raisons. Les élèves apprendront le manuel par cœur pour savoir le réciter sans prendre la peine do le comprendre et ils sauront d'autant moins qu'ils auront l'air de bcauc «up savoir. Si l'en veut les instruire, il faut les forcer de comprendre l'instruction qu'on leur donne, et la mémoire s'emparera ensuite aisément de ce que rintelligim'-e aura saisi. Le bien do l'instruction demande doncî que le manuel soit fort court, et l'économie dans les écoles le veut

32 REVUE PÉDAGfiGIQUE

aussi. Notre colK'^e, M. Goffat a le mérite d'avoir le prenaier intrc duit en France la méthode sucralique dans I>ns<^i jnemenl de la langue.

I>; cours é/Jucatif de langue maternelle pré>eite trois degrés, comme l'indique la page 95 du livre imprimé. Je pense que le Vo- cabulaire n'entrera prjur rien dans le Manuel. II ne sera destiné qu*à la conjugaison et à la syntaxe. La syntixe présenter.! uniquement la progres-^ion des propositions et des phrases avec un seul exemple- modèle et les explications les plus intelligibles. A la dr^uxième partie, les phrasf'S auront leurs formules comme signes de reconnaissance. Voilà en deux mots mes idées sur la rédaction des trois manuels que vous pensez faire.

Il y a un autre travail auquel j*attache beaucoup de prix, c'est la rédaction de mes livres élémentaires en faveur des écoles rurales et des écoles du petit peuple dans les villes. J'ai une profonde pitié pour celte masse qui au fond constitue partout le genre humain, et que les savans négligent partout. Dans mon pays je lui avais destiné la Grammaire des campagne^, qui en a resté à sa première partie, parce que les autorités civiles et ecclésiastiques de ce temps craignaient la diffusion de la lumière, et c'était |)0urtant la lumière de l'évangile que je \oulaîs répandre! La Gram- maire des campagnes en fait foi.

Dans cet abrégé, j'ai trop insisté sur la conjugaison qui toutefois doit en faire le fond, mais qui pourtant ne doit pas exclure les propositions et les phrases qui ne sont pas propres à ^tre conjuguées et qui néanmoins sont nécessaires pour compléter l'instruction édu- calive que nous devons donner à tous les enfants.

M. Ernest Naville s'ofxupe de cet abrégé, et il doit venir s'entendre avec moi sur ce travail, dès que j'en aurai le temps. Il fera, je n'en doute pas, quelque chose de très convenable pour son école de Salnt-Gervais: mais ce ne sera pas ce qui en tout point pourra con- venir aux écoles rurales de France que j'ai en vue. Ces écoles d'ailleurs redouteraient un ouvrage venant de Genève, encore qu'il serait bien approprié à leur croyance et à leurs besoins. L'abrégé que je désire doit ^tre fait en France, par un Français et autorisé par les prélats de France.

Voilà, mon ami, un travail pour vous qui dans votre position avez appris ù connaître les écoles rurales de votre patrie, ainsi que ce (jue l'on peut et doit faire pour elles. Le travail de M. Naville poui-ra vous servir, sans devenir la règle du vôtre.

Veuillez, mon cher ami, me renouveler au souvenir de M™» Rapcl, puis de M. Charbonneau, et croire que je suis pour la vie

Tout à vous.

G. Girard.

Fribourg en Suisse le 17 octobre 184 V

(La fin au prochain numéro.)

DE L'UTILITÉ QU'IL Y AURAIT A RENDRE

LA CONNAISSANCE DU DROIT POPULAIRE

Lutter pour It vrai^ pour le bien»

Si, parmi les différentes sciences qui ont Thomme pour objet, il en est une qu'il serait utile de rendre au moins accessible à tous, et de répandre le plus possible, c'est assurément celle du Droit. Correspondant et présidant à toutes les relations sociales, intervenant dans notre vie de chaque jour, y interve- nant à chaque instant, le Droit, de toutes parts, comme un réseau, nous enveloppe. Fils, pères, époux, propriétaires, com- merçants, citoyens, nous ne pouvons faire un seul pas sans que nous ayons à nous demander ce que la loi admet, ce qu'elle réprime, ce qu'elle punit, et, question plus haute, Celle du Droit proprement, si ce qu'elle admet, ce qu'elle réprime, ce qu'elle punit, est conforme à la justice et aux besoins sociaux.

Donc, dans toutes les sociétés, la connaissance du Droit s'im- poserait normalement à tous, mais avec quelle raison plus forte encore ne s'impose-t-elle pas ainsi dans les sociétés qui ont la démocratie pour base? Les républiques de l'antiquité l'avaient compris à merveille ; et, lorsque à Rome la plrbe eut conquis le pouvoir, son premier grand pontife se mit à enseigner le Droit sur la voie publique.

Les choses, sans doute, ne vont pas tout ii fait chez nous, du côté du Droit, comme elles allaient jadis à Rome; et l'on no pourrait dire sans exagérer et sans altérer les faits que, chez nous comme à Rome, il y ait un patriciat gardant pour lui le secret des formules juridiques et faisant monopole à son profit de l'interprétation des lois. Mais quoi ! dans un pays le plus humble comme le plus élevé dans Téchelle sociale est appelé non seulement à exprimer un vœu, mais à dicter sa volonté sur tout ce qui touche aux lois et au Droit, on ne ferait pas effort pour que chaque citoyen ai'rive à posséder au moins les premiers principes du Droit et les premières notions des lois !

ftlTUB piSAGOOIQUE 1885. l*' SBM.

34 REVUE PÉDAGOGIQUE

Quoi ! des questions se rapportant à l'organisation de la famille, celle do divorce, par exemple, celle de la condition des enfants nalurelç, une foule d*autres ayant trait au régime de la pro- priété, au développement du crédit, à la constitulioti même des délégations ou pouvoirs publics, toutes ces thèses sociales si considérables pourraient être posées devant un Parlement issu du suffrage populaire, être débattues dans ce Parlement, sans que le peuple, la nation prise en masse, eûl la plus simple idée de la loi existanlc, de ce qu'elle contient ou de bon ou de mau- vais, de ce qui peut et doit y être changé ! Quelle contradiction serait plus flagrante, quelle plus déraisonnable et, avec le temps, quelle aventure nous menacerait de périls plus grands !

Ainsi apparait-il; avec une évidence complète, que, dans notre France, en Tétat actuel, c'est au nom des intérêts les plus immédiats du ciloyen comme de l'homme privé, les plus divers et les plus graves, qu'il importe que la lumière soit faite sur Tensemble du Droit et des lois ; que, dans ce qu'elle a de fondamental, la connaissance du Droit et des lois pénètre partout.

Mais les objections se pressent. « Que parlez-vous de popu- lariser la connaissance du Droit? Le Droit n est-il pas fait uni- quement d'abstractions, n'est-il pas une science de rapports, et ne repose-t-il pas tout entier sur une des conceptions les plus hautes à laquelle puisse s'élever l'esprit de l'homme, sur ridée que l'on doit se faire du Juste ? Comment vulgariser une telle idée et surtout en l'appliquant aux relations si nombreuses et si complexes que le Droit a charge de régler? Puis, à tort ou à raison, nos lois ne passent pas toutes, dans l'opinion commuae, pour être des chefs-d'œuvre de simplicité, de pré- cision, de clarté? Beaucoup, au contraire, sont^ aux yeux du public pardon de l'irrévérence grande un grimoire les pius habiles se trompent quelquefois et ne savent pas tou- jours lire. Enfin, l'essai a été tenté, et la meilleure preuve que, selon votre propre sentiment, il n'a pas réussi, c'est que vous proposez à tout le monde de le tenter encore. »

Je répondrai d'abord sur ce dernier point.

Je n'ignore pas que des écrivains conciencieux et experts se sont ingéniés à résumer dans les termes les plus brefs et les plus concis certaines parties de nos lois et que peut-étEd

LA CONNAISSANCE DU DROIT 35

le succès n a pas tout à t'ait répondu au mérite de leur effort. Mais je dirai en toute franchise que ces écrivains, selon moi, n'ont pas pris la bonne route, et que le but qu'ils ont eu en vue était quelque peu différent de celui que je viens de marquer. Il ne saurait s'agir, en effet, d'apprendre à chacun la science du Droit et des lois de façon que chacun, dans toutes les circonstances de la vie ou même dans la plupart de ces cir- constances, puisse être son seul guide et n'avoir pas besoin du concours de ceux qui ont fait du Droit et des lois l'objet spé- cial de leur étude ; en vérité, le point est autre, et, s'il con- vient de fournir le mieux possible à chacun un moyen de s'orienter pour ses propres affaires, s'il convient de mesurer aux détails la part la moins stricte possible, il est d'un inté- rêt essentiel de mettre d'abord chacun à même d'embrasser dans toutes les matières l'ensemble et les parties principales, de se faire une idée du tout et, s'il se peut et autant qu'il se peut, de juger la loi au nom du Droit, an nom de la Justice qui avance, des besoins sociaux qui changent.

Mais.par là, j'imaginerais avoir défini le but qu'il faudrait viser, et je crois désormais facile de répondre aux autres objections.

Que la science du Droit soit abstraite ; que de plus elle soit complexe, et que, par leurs propres complications, souvent nos lois en accroissent les difficultés, aucun de ces points n'est contestable. Hais, dans le plan que je conçois, et que je voudrais en outre dégagé de tout apparat, de tout appareil scientifique, j'ai Tintime pensée que les idées générales qui, en dehors de la législation, dominent les principaux sujets du Droit, pourraient être ramenées à une expression simple et aisément compréhen- sible; et, quant aux abstractions techniques qui forment l'explication des textes, rien n'est plus praticable, en définitive, que de les rendre vivantes et tangibles au moyen d'exemples ou, comme on dit en droit, d*espèces.

Restent les complexités et les complications, dernier écueil.

Mais qu'il aille en avant, avec bon courage et sans peur, l'homme jaloux de rendre à la démocratie ce capital service, de l'initier à la science des lois et du Droit !

Emile Agollas.

A TRAVERS LES ECOLES (notes d'UxN inspecteur)

A H. . ., rinstituteur, quand il n'est pas content d'un élève, le retranche du nombre de ceux qu'il emmènera se promener avec lui le jeudi suivant : c'est la plus grave des punitions usitées dans l'école; or remarquez que l'élève reste libre de se promener «t comme il lui plaira.

A G..., il y a une heure d'éludé avant ou après la classe suivant la saison ; rien n est plus sensible aux élèves que de leur interdire l'entrée de cette étude.

Vous souriez et vous vous dites que beaucoup d'élèves que vous connaissez s'arrangeraient assez bien d'une punition qui leur retrancherait une heure de travail ou môme une heure de présence à l'école. D'où vient la différence ? Cherchez.

Punir, c'est infliger une douleur dont le souvenir persiste comme un avertissement de ne plus loipber dans la môme faulè. La nature de cette douleur dépend de la nature de Tétre à qui elle s'adresse : elle sera nécessairement physique pour l'être matériel, pour celui qui ne vit et qui ne sent que par le corps ; mais dans cet ordre même, combien de degrés, depuis le coup de fouet qui fait hurler le chien ou qui ensanglante le dos de l'esclave jusqu'à la privation de la friandise dont a été au moins menacé le plus gâté des enfants! Pour celui dont on a su cultiver et affiner la nature morale, la punition peut être purement morale.

Si je me rappelle bien les jours de mon enfance, ce qui m'a toujours le plus puni dans une punition, c'est l'idée que j'étais puni.

4 *

A V. .. , on a entendu un enfant durement traité par son père pour une cause futile s'écrier : (^ Ah, si le maître le savait ! »

A TRAVERS LES ÉCOLES 37

6t le père, dit-on, arrêta son bras levé. Ainsi la pensée de l'en- fant dans sa détresse se tournait tout de suite vers son maître ; il en appelait à lui, comme à la justice même^ et ce nom invoqué faisait réfléchir le père et le désarmait! Quel plus bel hommage rendu à un homme! Quel plus grand exemple d'autorité morale ! Quand je rencontre dans le plus humble village im tel maître, je m'incline avec respect devant lui.

* *

Je sortais d'une école dont le maître m'était dès longtemps connu comme digne de toute estime. Je n'étais pas content. J'avais trouvé depuis ma dernière visite, qui ne remontait pas bien loin, livres nouveaux, adjoints nouveaux, le tableau de l'emploi du temps remanié ou plutôt bouleversé, les programmes distendus, les élèves surmenés, le maître agité, nerveux. Je disais à ce maître : -

« Je crains que vous n'ayez voulu trop bien faire. Il y a déjà longtemps qu'on a dit que le mieux était l'ennemi du bien. Cet adjoint avait, je le sais, des défauts; vous l'avez changé. Ce livre ne répondait pas à tout ce que vous atten- diez de lui; vous l'avez remplacé. Mais cet adjoint, à côté de ses défauts, avait des qualités; les avez-vous retrouvées en son successeur? Ce livre, vous le connaissiez; vous l'aviez longtemps pratiqué; vous saviez vous en servir; il vous faut étudier celui que vous avez introduit à sa place ; je vous ai vu encore hésitant, tâtonnant; après expérience, répondra-t-il à votre attente? Ne serez-vous pas amené à reconnaître qu'il eût mieux valu pour vous, pour le bien de l'école, essayer, comme vous l'aviez commencé, à tirer parti et du livre et du maître que vous aviez d'abord? Je ne prétends pas qu'il ne faille jamais rien changer ni personne ;* mais je voudrais vous mettre en garde contre cette idée que le moyen d'améliorer est de changer. Cette idée est si séduisante, elle est d'application si facile! On a si vite dit: Changeons! On l'a si tôt fait! Et on arrive à ces perpétuels changements qui ne permettent à rien d'aboutir, qui nous font vivre dans l'éternel espoir du mieux et ne bissent pas le bien, même ordinaire et vulgaire, se réaliser.

« Je voudrais qu'on distinguât entre deux sentiments, voi-

38 REVUE PÉDAGOGIQUE

sins sans doute, divers pourtant et surtout d'effets très opposés; je les appellerai, à défaut de noms plus précis, Tamour du bien et l'amour du mieux. L'amour du bien est sage, rai- sonnable, réfléchi ; il voit les imperfections, il est désireux de les corriger, il s'y applique. II ne prétend pas toutefois supprimer ces imperfections, toutes et d'un seul coup. Il sait que rien en ce monde ne se fait qu'avec le temps, peu à peu ; que, fût-on pressé, on n'avance que pas à pas, en mettant l'un devant l'autre tour à tour un pied ; que même, si la route est longue, il y faut des étapes; qu'on ne vient à bout des difficultés qu'en les prenant une à une; que le progrès est le résultat d'efforts successifs et continus. Il ne brusque rien, ne violente rien; il tient compte des résistances que lui oppose le présent, le passé même qu'on ne peut empêcher d'avoir existé ; il se fie un peu à l'avenir pour continuer ce qu'il a commencé et, si possible, l'achever. L amour du mieux est impatient, nerveux, impuissant à se modérer, à se contenir ; il a devant les yeux Tidéal ; tout ce qui en diffère le choque, l'arrête. Cet idéal, il veut l'atteindre et au plus tôt; il n'admet ni les retards, ni les lenteurs, insépa- rables pourtant des choses humaines. C'est ainsi qu'il est entraîné à changer et à changer encore; car le premier chan- gement ne lui a pas donné la perfection qu'il rêve; et il renverse ce qu'il vient d'édifier; il trouble, voulant ordonner; il inquiète les meilleures volontés qui se sentent incapables de de le suivre; il les décourage; demandant trop, il n'obtient plus assez... Vous avez jusqu'à ce jour pris pour guide le premier de ces sentiments, Famour du bien: ce dont je vous louais ; il me semble que vous dérivez maintenant vers le se- cond : ce dont je m'effraie et ce qui me fait jeter le cri d'a- larme. )}

Et comme je voyais l'excellent h«mme ému de ces paroles, j'ajoutais : u La faute n* en est pas toute à vous. Ne vous ai-je pas excité, poussé? La faute n'en est peut-être pas non plus à moi tout seul. Nous sommes d'une génération pressée. Eu particulier dans ce champ de l'instruction primaire, on avait avant nous si doucement cheminé que nous avons senti le désir, pour rattraper le temps perdu, de prendre le trot, voire le galop. »

A TRAVERS LES ÉCOLES 39

Je m'en allais, réfléchissant et me demandant si je n'avais pas dans mes critiques dépassé le but. a Cet amour du mieux dont je viens de médire, n'esMl pas après tout nécessaire à l'amour du bien pour l'activer et le stimuler? Bien plus, sans amour du mieui y aurait-il vraiment amour du bien?... Mais pourquoi nos grands psychologues, nos moralistes ne nous indiquent-ils pas la dose précise d'amour du mieui qu'il faut infuser à l'amour du bien pour que celui-ci atteigne, sans le ' dépasser, le plus haut déféré d'énergie utile et bienfaisante, qu'il ait l'ardeur et non la fièvre? Je m'imagine que la dose ne devrait pas être très forte. «

Il y a des professions que l'on embrasse par cette seule et

simple raison qu'on y gagne de l'argent; il y en a que l'on choisit

pour des motifs plus complexes et plus délicats, parce qu'elles

donnent place dans un corps estimé et qu'on espère avoir part

à la considération dont il jouit, parce qu'elles promettent des

occupations intéressantes en soi et l'esprit joue son rôle,

parce que la valeur personnelle de l'homme y compte davantage,

parce qu'enfin elles relèvent celui qui les embrasse aux yeux du

monde et à ses propres yeux. La profession d'instituteur me

parait être de ces dernières.

E. A.

A PROPOS DES MUSEES SCOLAIRES

M. Lecaplain, professeur de physique au lycée Corneille à Rouen, donne d'excellents conseils aux instituteurs dans le Bulletin déftar^ temenlal de la Seine-Inférieure sur les conditions que doit remplir un musée scolaire. Pour éclairer Tenfant, sans courir le risque de jeter la confusion dans son esprit, il doit remplir trois conditions essentielles : être très simple, avoir un classement méthodique et être plutôt général que particulier. Laissons la parole à l'auteur de de cet intéressant rapport, qui a été publié à Toccasion do Texpo- sition sedaire de Rouen.

40 REVUE PÉDAGOGIQUE

tt Trois conditions, selon nous, dit M. Lecaplain, doivent être rigoureusement remplies.

Première condition, La première condition d'un musée modèle doit être d'offrir avant tout une grande simplicité.

11 doit raconter au jeune élève, d'une façon aussi nette que possible, rbistoire de la pierre, du bois, des métaux ; dans un autre ordre d'idées, celle du coton, de la laine, ou encore, pour varier, quelques détails intéressants sur le pain, le sel, les aliments les plus ordinaires. Il ne doit, sous aucun prétexte, viser plus haut. La science proprement dite n'a pas déplace marquée à TécoJe primaire. Il ne faut pas dépasser le but. C'est ainsi, pour ne citer qu'un exemple, qu'une collection trop complète de produits chimiques ou pharmaceutiques est un peu déplacée dans un musée scolaire. On doit se contenter, nous le pensons du moins, des produits essentiels, de ceux qui entrent dans la fabrication des substances les plus utiles. Que Ion exclue les réactifs, qui ne servent qu'aux chimistes de profession. Qu'on nous permette une remarque analogue pour les collections d'animaux. Il faut ici encore un choix judicieux. Au lieu de chercher à réunir tous les types connus, comme le ferait un amateur, ne prenons que ceux utiles ou nuisibles, comme l'ont fait, du reste, quelques exposants. Un zèle assurément bien louable, puisqu'il est spontanément du désir d'être utile et de bien faire, la satisfaction naturelle que Ton trouve dans l'organisation d'une collection complète, ont peut-être entraîné un peu loin un certain nombre d'exposants.

Exception à ce principe. Nous cro yons toutefois devoir faire une exception à cette règle de simplicité pour les musées scolaires des grandes villes, Tinstituteur s'adresse dans les cours d'adultes à des jeunes gens plus âgés, susceptibles par suite d'un enseignement plus élevé; et toutefois, même dans ce cas, il est une limite, difficile à assigner sans doute, mais qu'il y a un intérêt réel à bien fixer et à ne pas franchir.

Deuxième condition. Le musée doit offrir un classement aussi méthodique que possible.

Le classement n'est pas chose indifférente. Il est même assu- rément le point capital, le point important par excellence. N'est- ce pas par la méthode suivie que le maître révèle le mieux son esprit d'ordre, son aptitude à l'enseignement? Sa valeur au point de vue pédagogique n'offre certes pas de meilleur critérium. S'il existe bien des modes de classement, il s'en faut de beaucoup qu'ils aient tous la même valeur.

Le meilleur système nous paraît le suivant :

Disposer sur une planchette spéciale, agencée d'ailleurs de telle ou telle façon, ou, d'une manière générale, grouper en un même lot tous les objets se rapportant à une même leçon. Chaque tablette ou chaque petite collection partielle racontera une histoire parti-

A PROPOS DES MUSÉES SCOLAIRES 41

cuUère, celle du papier, du verre, de la porcelaine, ou mettra sous les yeux de Tenfant Tensemble des outils employés dans tel ou tel métier, dans telle ou telle industrie. Le maître a ainsi devant lui et embrasse d'un seul coup d'œil le plan du petit développement qu'il va faire à ses élèves. La leçon est ainsi toute tracée, et elle Test méthodiquement; par suite elle est mieux faite, plus facile à saisir, et le profit en est plus grand.

Les collections d'histoire naturelle ont également besoin d'une classification appropriée aux besoins de l'enfant. La classification scientifique, que Ton suit forcément dans l'enseignement secondaire, convient-elle au cas actuel ? Doit-on classer par exemple les insectes en hyménoptères, névroptères,| etc. ; les ois^eaux en rapaces, passe- reaux, etc. ? Nous ne le pensons pas. La plupart de ces noms, qui tirent leur origine du grec ou du latin, n'éveillent aucune idée dans l'esprit de l'enfant, qui ne peut remonter à l'étymologie même de tous ces noms. Cette nomenclature aride ne constituera pour sa mémoire qu'une surcharge fatigante et inutile. Que les instituteurs adoptent simplement la classification moins scientifique mais plus simple qui consiste à diviser les insectes et les oiseaux en insectes utiles, insectes nuisibles ; oiseaux utiles, oiseaux nuisibles. Nous comprendrions à la rigueur, dans un cours d'adultes, une sorte de classification mixte telle que celle-ci ; hyménoptères utiles, hymé- noptères nuisibles, etc., et encore n'y tenons-nous que médiocre- ment.

Troisième condition. -^ Le musée doit être plutôt général que particulier.

Est-il utile de varier la collection suivant l'industrie du pays? Nous ne voyons pas d'inconvénient à ce que le musée scolaire ait une sorte de reflet de la production locale. 11 est certain, par exemple, que si l'école est dans un pays de tanneries, il serait singulier de ne voir figurer dans la colleclion ni tan, ni cuirs. Cependant le musée scolaire, ce nous semble, ne doit pas offrir, un caractère trop particulier. Il ne s'agit pas, en effet, à l'école pri- maire, d'initier l'enfant à toutes les phases d'une industrie parti- culière ; il faut au contraire, qu'il ait des idées simples et générales sur le plus grand nombre possible de choses usuelles. Que si l'in- stituteur, animé d'un zèle tout à fait louable, désire collectionner tous les objets relatifs à l'industrie de la région qu'il habite, il détache ce petit musée de la collection générale. S'il vient à changer de résidence, le musée général lui sera toujours d'un utile secours, tandis que l'autre passera souvent alors à l'état de collection d'ama- teur. Plusieurs exposants ont suivi cette méthode et nous estimons qu'ils ont agi sagement. »

CHANSON DE FRANCE

LA DAME DE LA ROCHE-GUYON

(1419)

L'Anglais poignait la France, et les morts d'Azincourt Depuis quatre ans déjà blanchissaient dans leur tombe : Ils n'étaient pas vengés ! Comme la lèpre court Et s'étend sur le corps, qui membre à membre tombe. L'invasion de ville en ville ainsi gagnait, Et vers Paris, le cœur, tendait son bras avide. Charles VI était fou ! Le vrai roi qui régnait, C'était l'Anglais. Hélas ! le trésor était vide, Le royaume au pillage, et les seigneurs sans foi Oubliaient aux festins les morls et les défaites; Les gens de guerre épars sur les routes, sans loi, Sans ordres et sans chef, se donnaient joie et fêtes. Volant le paysan, imposant les cités : La France était perdue; aucune résistance N'entravait les vainqueurs d'avance redoutés. Si les bourgeois n'avaient étendu leur constance Plus haut que les seigneurs ne haussaient leurs cimier^. Plus loin que les routiers ne poussaient leur rapine, Et lutté sans répit, bien que peu coutumiers, Pour tirer le pays de honte et de ruine.

Mais parfois leur courage aux pièges d'un félon Trébuchait, et leur sang répandu par traîtrise. Leur milice éclaircie en chaque bataillon, Epuisaient leur vigueur et leur ville était prise. Ainsi tomba Rouen ! Par Guy le Boutellier La cité fut vendue. Il en ouvrit les portes. Lui qui dut la défendre; et fut le conseiller Lâche qui proposa pour ces deux âmes fortes, Le brave Alain Blanchard et Robert de Livet, La mort en châtiment : et sans miséricorde La honte du supplice infâme du gibet : Et le Plantagenet leur octroya la corde.

II

' A Paris! »> s'écriait le prince triomphant ; ' A Paris î >* répétaient ceux de son entourage : a Paix à qui se soumet, mort à qui se défend ! »> Les Français désolés pâlissaient de l'outrage,

LA DAMB DB LA BOGHE-GUYON 4S

Tandis que l'ennemi bien armé, bien pourvu, Remonte la vallée, en longeant la rivière ; Ville, bourg se résigne aussitôt qu'on Ta vu. Mais voici qu'un château dressant sa tour altière Fait flotter les couleurs de France à ses créneaux ; Le donjon féodal haut perché sur la roche Proscrit la route à l'homme et la Seine aux canots ; Et les canons braqués en défendent l'approche : On ne passera pas sans qu'il en coûte cher. Pour peu que de ce nid, pointée avec adresse, Vole et s'abatte au loin la mitraille de fer. Le roi non sans dépit voit cette forteresse ; Elle arrête sa force et barre son chemin. Chacun autour de lui le rassure et le flatte : On va rendre les clefs dès qu'il tendra la main.

Mais déjà le canon pour leur répondre éclate. L'usurpateur s'irrite : « Ah ! s'ils ouvrent le feu,

Quand j'y perdrais six mois, nous les mettrons en poudre, « Le fort avec les gens, et nous verrons beau jeu l » Le Boutellier en doute ; il faudra se résoudre A remonter au nord : c'est la Roche-Guyon ; Le comte Guy périt aux champs de Picardie, Mais sa veuve elle-même est sur le bastion, Et ses troupes ont foi dans son âme hardie. Le fort est imprenable, et pour donner l'assaut Il faudrait des guerriers portant au dos des ailes : Plus encor que les tours le cœur est ferme et haut A celle qui le tient, et ses gens sont fidèles : Par force on ne peut rien, et rien par trahison. L'Anglais gonflé d'orgueil proclame en sa jactance : '* Us rendront à merci remparts et garnison. » Cette veuve oserait me faire résistance ! v

n ne la connaît pas pour en parler ainsi. Son époux non vengé de la tombe lui crie Son devoir inflexible ; et demander merci Serait ternir sa race et trahir sa patrie.

m

Elle était jeune encore et de pure beauté ; La grandeur de son nom, surtout sa grandeur d'âme Dans le pays normand avait autorité. Et quand on parlait d'elle, on l'appelait LA DAME. Ah ! si l'Anglais pouvait la gagner doucement

44 REVUE PÉDAGOGIQUE

Par présents et promesse ! elle vaut qu'on Tacheté ;

Tout le peuple après elle irait prêter serment :

Ce serait assurer pour longtemps la conquête.

Et ce rêve naquit dans Tesprit de Henri

D'unir cette âme noble et ce nom sans souillure

Au traître de Rouen, gentilhomme flétri.

L'offre plaît au félon, il est prêt à conclure :

La Dame est de grands biens non moins que de grand lieu.

L'épouser, c'est reprendre avec cette richesse

DeThonneur; et plus tard, s'il veut changer de jeu,

La Roche est un asile. Et dans leur hardiesse

Ce traître avec ce roi négligent de compter

L'horreur que leur projet insolent fera naître

Dans le cœur de la veuve ; et sans plus hésiter

Henri, qui du donjon se voit déjà le maître,

Dépêche vers la Dame un de ses chevaliers.

Il entre désarmé, puis redit son message :

« Le roi l'estimant fort laisse ses biens entiers

» A la Dame, pourvu qu'elle lui rende hommage,

» Et qu'elle épouse l'un de ses bons serviteurs,

» Guy, sieur le Boutellier, baron de Normandie. »>

La comtesse répond : « Nous tenons les hauteurs ;

» Malheur à qui s'abaisse et paix à qui mendie.

» Allez à votre sire, et dites-lui ces mots :

» Plutôt que de prêter serment à l'Angleterre,

» Plutôt que d'épouser un traître, tous les maux

» Me sont doux. Si je mens, que vive l'on m'enterre ! »

« Madame, « dit l'Anglais, » songez à vos enfants. »

« J'y songe; leur pays fléchit, l'honneur s'efface;

» Combattant pour l'honneur, c'est eux que je défends;

» Mieux vaut le froid au cœur que du rouge à la face. »

IV

« La Roche tombera », jurait Plantagenet. Son camp s'est étendu tout autour dans la plaine Plus pénible était l'œuvre et plus il s'obstinait, Sans que son lent progrès lassât la châtelaine. Dès que sur un coteau s'établit l'étranger, Le château-fort pointant ses longues couleuvrines Par ses boulets pleuvant le force à déloger, L'écrase et le poursuit jusque dans les ravines.

Pendant deux mois entiers l'effort se prolongea : C'était comme un réveil de la France engourdie ; L'Anglais broyé de loin désespérait déjà.... Le sort prit son parti ! Famine et maladie

LA DAME DE LA ROCHE-<GUYOX 4S

Entrèrent dans la place, et comme des brigands Louches, rampants et vils, étreignent aux entrailles Ces braves indomptés, qui jusqu'au bout constants Succombent épuisés à leur poste, aux murailles.

Du dehors on ne peut espérer nul secours; La Dame voit souffrir ses enfants en bas âge; Quand faudjra-t-il mourir? Elle a compté les jours; Une ombre de tristesse a voilé son visage. Mais nul regret n'émeut son cœur inébranlé: Elle a suivi la loi de son devoir austère ; Dans la brise de nuit son époux a parlé, Qui lui disait : « Jamais de Irève à l'Angleterre ! » Et la Dame en secret médite sur le sort De sa race, autrefois si fière et florissante. Aujourd'hui condamnée à cette affreuse mort. Mais dans le même instant apparaît grandissante Limage du royaume affamé, s'écroulant Aux bas-fonds qu'ont creusés la haine et la folie : Et le malheur public à ses maux se mêlant, . C'est le malheur des siens que cette mère oublie.

Mais la poudre manquait, le feu se ralentît. L'ennemi va comprendre enfin cette détresse, Se ruer sur le fort que rien ne garantit: Et tout entière encore au tourment qui la presse, La comtesse hésitait entre fuir ou périr. Quand un baron survient portant nouveau message: a Le roi sait désormais qu'il peut sans coup férir » S'emparer du château, réduire en esclavage » Les rares survivants, se saisir de tous biens; » Mais la noble fierté de la Dame le touche, » 11 ne propose plus Thymen d'aucun des siens, » La Dame sera libre ; ïl suffit, de sa bouche, » Un hommage, un serment au roi Henri prêté; » Le roi lui laissera son titre, son domaine, » Tandis que son refus c'est honte et pauvreté; » Pour elle et ses enfants sera-t-elle inhumaine? j)

Pour troubler ce courage il avait essayé La vanité souvent puissante au cœur des femmes. Et lamour maternel justement effrayé ; Il faisait entrevoir de ces destins infâmes Qui sont le châtiment amer des grands déchus. L'argument eût pesé sur une âme ordinaire. Mais ces calculs retors devaient être déçus : « Envers moi votre sire est vraiment débonnaire, y>

4(5 RE^UE PÉDAGOGIQUE

Dit-elle. « Je perds tout, il me reste Thoiineur,

K Le roi veut mon château, soit : qu'il vienne le prendre.

B Avant il entendra la voix du Grand Seigneur. >

C'est le nom du canon le plus gros; sans comprendre,

L'Anglais redescendit vers le camp.

Dans l'instant La Dame se saisit d'une mèche enflammée, L'approche du canon, qui, terrible, éclatant Crache au loin la mitraille à travers la fumée, Pêle-mêle fauchant les gens et les chevaux.

C'est tout: la Roche est morne, il n'est plus d'espérance; L'écho prolonge seul par les monts et les vaux Ce grondement, suprême appel au roi de France.

Puis quand la nuit tombante ensevelît les champi, La Dame, laissant tout et de tout dénuée. D'un pas furtif s'éloigne avec ses trois enfants : Le plus jeune à son dos s'accroche. Exténuée, A gratid'peine marchant, elle va dans la nuit, Le cœur ferme et l'œil sec, sans regard en arrière. Sans regret des trésors qu'en partant elle fuit. Au risque de passer pour une aventurière, Elle, fille des preux de la Roche-Guyon !

L'ennemi trouvera déserte la demeure. Devant lui ne s'est pas baissé le pavillon ! Elle s'est dit : « S'il faut que ce lignage meure, » Mes trois enfants et moi du moins mourrons Français a Et nous dormirons mieux en terre non souillée 1

0 femme, honneur à toi I dans ce temps d'insuccès Ta gloire a relevé la France humiliée !

PONTSEVREt.

FRAGMENTS .D'UN RAPPORT

SUR UNE MISSION EN ITALIE .

M. Henri Le Bourgeois, inspecteur général de Tenseigneiront primaire, chargé en janvier 1884 d'une mission en Italie, a rapporté de sonv<nrage une collection fort intéressante d'ouvrages relatifs aux écoles italiennes. Cette col- lection est destinée à enrichir la bibliothèque du Musée pédagogique de Paris. Nous citerons/ parmi les publications que vient de recevoir ainsi notre Biblio- thèque centrale de riostruction primaire, la série complète du BoiletUno vfjiziàle du ministère italien de l'instruction publique, et un choix de rap- ports et de brochures concernant les écoles de la ville de Gênes.

Du rapport adressé par M. Le Bourgeois à M. le ministre de l'instruction

Ï publique, nous donnons ci-dessous deux extraits, en regrettant que l'espace imité dont nous disposons ne nous permette pas d'en publier davantage.

LE MUSÉE PÉDAGOGIQUE DE GÊNES

La création du Musée pédagogique de Gènes (Civico Afuseo pedago- gico e scolastico) date de trois ans, et Tinauguration en fut faite par le ministre de rinstniction publique. Cet établissement, qui fait le plus grand honneur à M. rinspecteur Innocenti Ghini, sous la direction duquel il est placé, et à Tadjoint au maire de la cité, délégué à Tinstruction cçmmunale, contient déjà de remar- quables collections, mais plus utiles encore que rares, et particuliè- rement propres à initier les maîtres aux procédés intuitifs appli- cables aux différentes branches de renseignement élémentaire.

On n'y a rien négligé, d'autre part, pour populariser les appareils scientifiques de Tusage le plus facile dans les écoles, les meilleurs types de constructions scolaires, de mobiliers et d'accessoires variés dus au génie inventif des maîtres italiens.

Les principales collections, réparties dans trois vastes salles, ont été classées, dit M. le directeur Ghini avec une modestie qui fait son éloge, d'après les indications des musées du même genre de Saint-Pétersbourg et de Paris, et elles ne comprennent pas moins de vingt-quatre sections, savoir :

L'instruction religieuse (cartes, atlas, albums et gravures); . 2^ L mstruction et Téducation dans la famille et les jardins d'enfants (tout le matériel Frœbel de fabrication italienne et étrangère);

dP L'enseignement par Taspect (insegnamento oggettivo) ;

Â^ La lecture et l'écriture;

5<> La calligraphie;

6* L'arithmétique, le système métrique, la géométrie, etc.;

1^ Le dessin ;

8^ L'histoire (tableaux, costumes anciens, armes, modèles ▼aisseaux, etc.);

9^^ La géographie (cartes muettes et en relief, etc.) ;

10^ et ii<^ Les sciences physiques et naturelles;

48 RXVUE PÂDAGOGIQUI

i2<> L'agriculture et l'horticulture;

13^ L'industrie et la technologie;

14® La marine;

15<> Les travaux pour les écoles de filles;

i6<> et 170 i^s constructions scolaires et le mobilier scolaire;

18* L'hygiène;

19» La gymnastique et les exercices militaires;

20» Le chant ;

210 et 220 Les bibliothèques pédagogiques et scolaires;

230 Les journaux et périodiques;

2^0 La bibliothèque circulante.

Cette énumération rappelle assurément, par plus d'un côté, les collections de la rue Lhomond ; nos éditeurs français ont été souvent aussi mis à contribution par les pédagogues génois ; ceux-ci ne font du reste nulle difficulté de reconnaître qu'ils prennent leur bien ils le trouvent, et ce n'est pas leur moindre mérite d'en faire l'aveu.

Il serait injuste de ne pas constater, à notre tour, qu'il y a dans ridée qui a présidé à la formation du Musée de Gênes quelque chose qui est particulièrement propre aux fondateurs. On n'est pas seu- lement ici en présence d'objets fort méthodiquement classés, d'une valeur incontestable, et se rattachant de plus ou moins près a un système d'enseignement élémentaire et supérieur bien combiné; le directeur Ghini s'est, avant tout, préoccupé du milieu il se trouve; il a tenu à rendre les instruments d'éducation familiers à un personnel encore peu exercé, et, pour atteindre ce but, il a fait du Musée un centre d'expérimentation les instituteurs de la circon- scription viennent, chaque mois, par groupes distincts, apprécier, de visu, les procédés qu'on leur soumet et discuter, sous les yeux de leur chef (car M. Ghini est, en outre,* inspecteur des écoles municipales), le mérite des appareils dont le Musée s'est enrichi.

Sous le titre : Instruction et éducation enfantines (section 2 du classement), il semble qu'on se soit plu à multiplier les jeux in- structifs qui sont, à la fois, des exercices d'adresse et d'intelligence. L'Allemagne a fourni un large contingent.

Si complètes qu'elles soient, les collections relatives à renseigne- ment de la lecture, de l'écriture, des mathématiques et du dessii\ témoignent plutôt du soin qu'on a apporté à leur composition que du souci d'innover en ces matières (n** 4, 5 et 6). M. Ghini et ses coUaborate urs en ont réuni la majeure partie avec des ressources presque insigniGantes.

Les sections de l'histoire et de la géographie renferment, en plus du matériel ordinaire dont nos bonnes écoles sont pourvues, quel- ques spécimens qui dénotent une louable initiative. 11 y a derrière les vitrines peu de cours complets d'histoire italienne (1); la collec-

(i) L'histoire popalaLrc de Tltalie reste à faire, et Toq comprend combien

FRAGMKKTS D*UiN RAPPORT SUR UNE MISSION EN ITALIE 49

tion des livres de cette catégorie répond toutefois suffisamment aux besoins des écoles primaires où, avec raison, à mon sens, on a jugé qu'un cours complet d^hfstoire serait pour le moins superflu. On s*est attaché à des notions succinctes sur la vie des personnages qui ont illustré leur pays et, au Musée comme dans les écoles, on a accordé la préférence à la biographie, en laissant aux maîtres la tâche de combler les lacunes et de relier entre elles et en peu de mots les grandes époques historiques et les principaux événements quUls remplissent.

Le livre se complète par les tableaux reproduisant les person- nages de la leçon, les costumes^ les modèles d'armes, les engins de {(uerre, etc., etc.

A côté des cartes muettes et en relief que nous connaissons, on remarque un appareil peu répandu et qui serait d'un grand secours à nos instituteurs pour l'enseignement de la géographie physique. Cet appareil d'une extrême simplicité se compose d*une table ronde d'un mètre de diamètre, recouverte d'un papier bleu mat ayant l'as- pect de la mer telle qu'on la figure sur nos cartes en couleur. Les seuls accessoires se bornent à une boite de la capacité d'un litre à peu près, remplie de sable jaune assez fin, d'une brosse recourbée, d'un pinceau, et de quelques rubans très étroits.

Le sable répandu en bloc sur la table forme une montagne; étendu d'une certaine façon avec la brosse, qui sert aussi à réserver les bleus, il peut donner aussi l'idée d'un continent, d'une île, d'une' presqu'île; un coup de pinceau adroitement appliqué sur le tout creuse une vallée au tond de laquelle un bout de ruban bleu, jeté dans une direction convenable, représente le fleuve ou la rivière; quelques jouets de construction feront les villages ou les ports de mer et se prêteront à une foule de combinaisons qui apprendront aux enfants rangés autour de la table ronde la géo- graphie physique comme un délassement.

Cette très ingénieuse invention est due au professeur Belluzzi de Bologne; elle est désignée sous le nom de Tavola per esercizi geo- grafici; la table et les accessoires coûtent environ 10 francs. Des maîtres inteUigents la fabriquent eux-mêmes avec économie.

La table géographique aurait été, mVt-on dit, introduite, il y a peu de temps, à l^École La Marlinière de Lyon par le directeur de cette institution après une visite faite au Musée de Gènes.

L'administration génoise, qui a doté son Musée de tous les instru- ments et produits nécessaires pour composer un cabinet de physique et un laboratoire de chimie appropriés ù dos cours complets d'en-

ii eût été difficile d'obliger les instituteurs italiens, mal préparés à cette tâche, à enseigner l'histoire d'un pays dont l'unité est au nombre des événe- ments contemporains et dont les différentes fractions ont elles-mêmes subi tant de vteisaitades.

IIVUI FiDAOOCIQOB 1885. 1*' SIX. h

80 RIVUE PÉDAGOGIQUI

geignement supérieur, a reçu de la Società Galileo de Florence d'intéressants petits modèles de cabinets de physique à prix réduiU (300 et 400 francs), qu'on apprécie dans les localités qui ne pour- raient, vu rinsuffisance de leur budget, acquérir des appareils de dimension ordinaire.

Les collections d'histoire naturelle, d'agriculture, d'horticulture, de technologie ont été tirées du sol même, pour ainsi dire, ou empruntées aux industries de la région (Prodotti alimentart e okiferi, profumi, filigrane, corallOy marmi e in générale tutti i prodotti principali dell* indtMtria ligure.)

Les modèles de navire, les travaux de femme (1), les ustensiles de ménage occupent une division importante.

Enfm une salle entière a été consacrée aux constructions d'écoles et au mobilier classique. A côté des plans en relief de dimensions diverses que chacun connaît, on en remarque une série dont les types sont construits sur échelle assez réduite pour pouvoir être adressés, sous forme de colis postaux, aux municipalités qui en demandent communication . On a réalisé, de cette façon, au Musée de Gênes, le matériel scolaire « roulant » de même que la bibliothèque roulante» et rendu ainsi effective l'application d'un principe qui avait paru d'abord irréalisable.

Les tables-bancs qu'on tend à propager dans les écoles de la Haute- Italie sont à deux places et à dossier. La tablette formant pupitre est ar- ticulée au milieu, et, quand la partie inférieure de cette tablette serelève et se renverse, elle recouvre l'encrier et le serre-plumes. Cette com- binaison a le double avantage de faciliter le passage entre les tables et de prévenir les accidents si communs avec les modèles qui lais- sent les encriers à découvert. La table dont il s'agit est surtout en faveur dans les écoles de filles, l'on a imaginé d'y fixer de plus un coussinet servant à retenir le travail de l'élève, et qui rentre dansle pupitre quand la tablette est rétablie. Ce détail vaut la peine qu'on s'y arrête. C'est un perfectionnement inventé par le directeur du Musée et qui n'augmente pas sensiblement le prix des tables.

Notons à ce propos un autre appareil dont M. Ghini est également l'auteur et a Taide duquel on peut déterminer avec précision les proportions des tables-bancs selon la taille des enfants qui doivent les occuper. Cet appareil, qui a été justement distingué a l'Exposition nationale de Turin, n'est pas encore livré au commerce, mais il aurait sa place marquée dans nos grandes écoles.

Les registres du )Iusée accusent 4655 visiteurs du i^' septembre 1881 au septembre 1882, et 780 prêts de livres à domicile. Ces

(1) Parmi les travaux de femme spéciaux à la ville de Gènes, il convient de citer les ouvrages d'orfèvrerie en filigrane dont s'occupe une grande par- tie de la population féminine et auxquels les jeunes filles sont exercées avec on remarquable succès à l'école Galllera.

FRAGMENTS d'uN RAPPORT SUR UNE MISSION EN ITALIE Si

nombies avaient été dépassés pendant les 8 premiers mois seulement de Taimée dernière.

L'établissement est essentiellement communal. Les habitants de Gènes ont concouru à sa fondation, et à leurs souscriptions sont venus s'ajouter les subsides du gouvernement, de la province et de la municipalité. L'ancienne et somptueuse église San-Sylvestre, très intelligemment aménagée, a abrité sous ses voûtes imposantes le Musée pédagogique et le gymnase qui y est annexé. Les admirables fresques du monument ajoutent encore à la splendeur du cadre un charme qui n'est certes pas a dédaigner.

LE POUVOIR CIVIL ET LE POUVOIR RELIGIEUX EN ITALIE

J'étais à Rome au moment fut tranchée contre les prétentions du Saint-Siège la question des biens de la Propagande. Des jour- naux de la ville, qui ont des rédacteurs français dévoués au Vatican, faisaient grand bruit de cette affaire; mais il fallait bien reconnaître que leurs doléances, reproduites par une fraction spéciale de la presse française, ne trouvaient pas d'écho parmi les paisibles et in« différentes populations italiennes. C'est qu'en ce pays on se garde de confondre ce qui est du domaine de la politique avec ce qui ressortit à la religion, et les mesures fiscales appliquées à un établis- sement ecclésiastique laissent absolument froids tous ceux qui ne se sentent pas directement atteints dans leurs intérêts : aussi peut-on espérer que l'antagonisme qui natt si souvent, chez nous, dans les localités un ordre d'enseignement a été substitué à un autre, ne créera jamais chez nos voisins de ces rivalités ardentes dont nous sommes parfois les témoins attristés.

L'esprit italien admet des tempéraments qui l'aident puissamment à résoudre les questions ardues, et il a même trouvé un mot pour caractériser la situation.

J'ai dît ailleurs que les plus belles écoles de Palerme, précédem- ment occupées par les Jésuites, étaient confiées à des laïques et libéralement ouvertes aux enfants du peuple. J'étais tenté de sup- poser que c'était de hautelutte qu'on avait pu obtenir un semblable résultat. NuUement, me répondit-on; le décret du prodictateor a été rendu exécutoire (1) ; quelques indemnités ont facilité la transformation, et tout a été dit: Accommodazxioneî »

Le directeur d'une importante école m'accompagnait dans ma yisile ; les maîtres étaient laïques moins un qui portait l'habit ecdé- ftiastique. C'était peut-être le maître chargé de l'enseignement religieux? En aucune façon. On m'apprend qu'il a concouru pour obtenir son emploi, qu'il enseigne au même titre que ses collègues laïques et obéit aux mêmes règles; l'autorité ecclésiastique ne s'en émouvait pas plus que le pouvoir séculier. Accommodazzicmel

(!) Décret da 17 octobre 1860.

Si RKVUE PÉDAGOGIÛUS

Aux termes de la loi italienne, le service militaire est obligatoire pour tous ; les séminaristes eux-mêmes y sont soumis. Les dispenses de fait sont bien nombreuses, il est vrai, me dit-on, mais le prin- cipe est respecté; il y a, en effet, des séminaristes sous les dra- peaux. Accommodazzione !

La famille royale est frappée, comme on sait, d'excommuni- cation. Le fils du roi atteignait, il y a quelques années, Vkge il devait recevoir le sacrement. Le Saint-Père envoya un de ses arche- vêques à la résidence royale, et la cérémonie se fit discrètement et sans tapage. Accommodazzione!

Quelques-uns pensent qu'il n'y a pas à craindre que les associa- tions congréganlstes dissoutes se reconstituent (i), et s'imaginent même qu elles se laissent, peu à peu et a leur insu, pénétrer par les idées du jour; d'autres affirment, au contraire, que leurs membres épars se tiennent sur une réserve prudente, prêts à se réunir à nouveau si les circonstances étaient favorables, mais satis- faits, en attendant, de toucher Tindemnité, en somme fort onéreuse pour le trésor, que TElat paie à chacun d'eux.

Je crois voir encore les moines siciliens mendiant à bord des navires qui entraient dans le port de Messine et souhaitant le Buon Camevale à ceux qui laissaient tomber une pièce dans leur escar- celle. Les vicissitudes du sort n'avaient pas diminué leur gaieté. La population no se montrait pas hostile à ces vieux religieux (il y en a de jeunes aussi}, flânant sur les portes des fruiteries» se tenant curieusement au courant de la chronique locale, et rappelant les traditions d'un autre fige.

Il en est, dans le nord de l'Italie surtout, qui, à ces divers moyens d'existence, ajoutent la rémunération de services rendus, extraction de dents à bas prix, vente de « simples » destinés à guérir les alTcctions peu graves, etc.

Tout cela est très inolTensif en apparence. Le clergé italien, plus circonspect que le nôtre, n'a pas fait campagne contre la laïcité, et l'obligation de l'enseignement primaire. Il s'est contenté du maintien de l'instruction religieuse dans les écoles ; il est peu de villes d'ail- leurs qui aient encouragé les instituteurs laïques a enfreindre, à cet égard, les prescriptions légales (2).

Même sur ce point, le clergé se monli'e en somme peu exigeant : les heures d'instruction religieuse a l'école sont réduites à un ninimum (une demi -heure par semaine).

(1) Je dois la plupart des renseignements relatifs aux congrégatioDS à M. le tJéputé CorleO) l'éminent rapporteur do la loi du 7 juillet 1866, l'un des hommes d'Italie le mieux au courant des questions de ce genre.

(2) La ville de Gènes avait supprimé l'enseignement religieux dans ses écoles; !o Conseil d'État, saisi de la question, l'a tranchée en faveur du rétablissement.

DEUX ÉCOLES S3

La conciliation est une force avec laquelle on compte; d'un bout à l'autre de l'Italie^ on a vu les représentants les plus autorisés du régime déchu voter, dans les assemblées publiques, les subventions proposées pour l'érection du monument du comte de Cavour et pour les frais des funérailles de Garibaldi.

Le souverain pontife venait de lancer une encyclique oCi les institutions universitaires n'étaient guère ménagées. « Les ency- cliques, m'expliquait un honune politique mêlé aux choses de l'enseignement, passent la frontière; elles ne nous efOeurent pasi » Autres pays^ autres mœurs!

Henri Le Bourgeois.

DEUX ECOLES (note d'inspection)

t Voyes^TOUS, me disait an jour un honorable délégué can- tonal, comme nous sortions ensemble d'une école rurale aux trois quarts vide, il n'y a que les bonnes auberges qui soient fréquentées, celles qui offrent à leurs clients une bonne nour- riture, du bon vin, des soins attentifs. »

Je me suis rappelé cette parole du spirituel campagnard, en quittant hier la commune de X..., j'avais inspecté deux écoles.

En arrivant dans l'école du chef-lieu de la commune, à 9 heures du matin, je trouve l'instituteur assis à son bureau, son chapeau sur la tête (en juin !;, faisant la dictée à la première division, en présence de deux femmes du village qui, leur tricota la main, attendent que l'instituteur leur a fasse la lettre » qu'elles viennent lui demander. Pendant ce temps, les élèves des deuxième et troisième divisions sont censés copier une page, mais ils découpent du papier et entaillent les tables. L'état dans lequel se trouve la salle de classe ne dispose guère favorablement le visiteur. La maison date de dix à quinze ans. Le plancher n'a sans doute pas été lavé depuis cette époque, ni balayé dans les derniers jours ; il est couvert de poussière et de petits papiers. Le plumeau n'a jamais passé sur le bureau du maître, ni sur les tables inoccupées; des toiles d'araignées tapissent les coins du mur et du plafond.

54 BBVUB PÉDAGOGIQUE

Les enfants, un peu intimidés d'abord, ne tardent pas à sou- rire, à nous regarder d'un air moins sauvage, à répondre à nos questions. Ils paraissent intelligents, mais peu habitués à réfléchir. L'inspection de propreté doit être oubliée souvent, si j*en juge par Taspect des mains et des figures. Il faut dire qu'il n'y a pas d'épongé dans la salle pour effacer l'écriture à la craîe : les enfants crachent sur le tableau noir et effacent de la main. Ils retournent chez eux plus malpropres qu'ils ne sont venus.

Allons, monsieur l'instituteur, habituons donc ces enfants à se servir de la belle eau, fraîche et limpide, qui coule à travers vos rues; à enlever le badigeon sous lequel disparaît le coloris de ces bonnes petites joues, et à peigner cette chevelure en broussailles qui cache le front et les yeux.

Voyons le cahier mensuel? Il est inconnu dans l'école. Les autres cahiers ne contiennent que d'interminables <k copies » d'une, de deux, jusqu'à deux pages et demie, prises à tort et à travers dans les livres d'arithmétique et de géographie, c Gela occupe les élèves », me dites- vous; mais quel profit voulez-vous qu'ils tirent de ce travail tout mécanique? Pas de devoirs méthodiquement gradués. Pas de traces de la correction du maître, pas de notes marginales. Pas de préparation de la classe. Nous sommes en pleine routine.

Le ministère a donné une armoire-bibliothèque à cette école, mais elle est vide ! Il y a cependant dans la ville voisine une Société d'encouragement qui distribue des livres aux écoles qui en manquent, a Personne ne lit dans le pays », me dit l'insti- tuteur. C'est une raison de plus pour donner l'habitude de lire à vos jeunes élèves, et pour leur en donner t exemple.

On se figure aisément quels résultats peut donner une école ainsi tenue, et je ne suis pas surpris de ne trouver à l'école que la moitié des élèves.

4^

Quelle différence avec la jeune école du hameau voisin, qai fait partie de la même commune ! Toutes les places sont occupées, toutes les tables pleines. La maison est vieille, louée; mais la salle est proprette et riante, les murs sont ornés de tableaux d'images et d'inscriptions; au plafond se trouve une rose des

DEUX ÉCOLES 85

t^glU qui oriente la salle; les enfants sont propres, bien lavés, bien peignés, souriants. On est favorablement disposé en entrant dans cette classe.

Je trouve le maître au milieu de ses élèves, tenant un morceau de houille dans une main, un tableau d'images (produits de la houille) dans l'autre, et faisant une leçon de choses; c'est intéressant, attrayant^ vivant; il sait se mettre à la portée des enfants qui sont suspendus à ses lèvres, qui prennent part à la leçon; c'est à qui répondra le premier à la question du maître. Quaod la leçon est terminée, il demande aux élèves ce qu'ils en ont retenu, ce qu'ils écriraient main- tenant s'ils avaient à faire une rédaction sur la houille; et chacun de dire ce qui l'avait le plus frappé, u Maintenant, écrivez cela pendant que je m'occuperai du cours supérieur. » Voilà certes un excellent exercice d'invention et de rédaction. Je vois sur le bureau du maître un carnet dans lequel se trouvent indiqués les leçons et devoirs de la journée, les uns laconiquement par un mot, les autres d'une façon plus déve- loppée. Les cahiers sont revus avec soin, les devoirs courts et gradués; on trouve sur chaque page la trace de la correction du maître. Tous les enfants, depuis le premier jusqu'au dernier, savent Ure plus ou moins couramment; presque tous comprennent ce qu'ils lisent et écrivent. Leur intelligence est éveillée, leur jugement exercé. Ils sont attachés à leur maître, ils viennen à l'école avant l'heure. II y a chez toute cette petite population une tenue, une bonne humeur, une activité, un désir d'apprendre et de plaire à l'instituteur qui fait plaisir à voir.

La bibliothèque renferme une centaine de volumes placés sur une planche fixée au mur : l'école n'a pas d'armoire, comme celle du bourg, mais les livres circulent, a Enfants et parents les lisent », me dit-on.

Ces deux écoles m'ont mis sous les yeux deux types bien différents d'instituteurs. L'un est l'instituteur qui sait attirer les enfants. L'autre est l'instituteur qui les éloigne de l'école.

G. J.

L'ENSEIGNEMENT PRIMAIRE A LONDRES

LA JEWS* FHEE SCEOOL '

La plus vaste école primaire d'Angleterre^ et vraisemblablement d'Europe, est la Jew$* free school a Londres ; elle contient aujourd'hui environ 3,200 élèves, en chiffres ronds, 1,950 garçons et 1,250 filles. J*ai eu dans ces derniers temps l'occasion de la visiter et je crois être agréable aux amis de renseignement primaire et aux lecteurs de la Revue en leur donnant quelques renseignements sur celte école ^ modèle, trop peu connue.

Dans un des quartiers les plus humbles et les plus pauvres de la Qté, dans une de ces nombreuses rues étroites et sans air pullule une population misérable, à Bell Lane, dans Spitalfields, s'élève un immense édifice de briques rouges, d'architecture sévère, à quatre étages, ayant 18 mètres de front. Sur la façade on lit une inscription hébraïque signifiant Etude de la loi et instruction de9 enfants^ et au-dessous :

JEWS' FAEB SCHOOL, FOUNDED 5577-18 17, REBUILT 5643-1883,

« école gratuite Israélite fondée en 5577 (1817), reconstruite en 5643 (1883) ».

Ce bâtiment fait un singulier contraste avec les misérables maisons qui Tavoisinent. il semble qu'on ait voulu installer ce foyer d'in- struction en plein raih'eu d'ignorance et de misère: c'est attaquer l'ennemi au cœur même de son empire et atteindre le mal à sa source.

Cette école est l'œuvre d'un seul homme, le directeur, M. Angel. Il y a consacré toute une vie d'intelligence, de dévouement et de sacrifice.

Quand M. Angel reçut du comité israélite la direction de cette école, le 2 janvier 1840, c'était une école mutuelle qui végétait depuis un quart de siècle.

Elle contenait 216 garçons et 120 filles, et il y avait place pour 600 garçons et 300 filles. Frappé des inconvénients nombreux de l'enseignement mutuel, M. Angel résolut de le transformer et se mit à créer un personnel de maîtres. 11 annexa de sa propre autorité à l'école primaire une école normale dont il était à la fois le direc- teur et le maître unique. Après les heures de classe, il prit à part quelques jeunes gens et quelques jeunes filles, choisis pai*mi les

LA JEWS' FREE SGROOL 57

meilleurs de ses élèves, pour leur donner une solide inslructlon qjaï leur permît d'affronter les divers examens de renseignement.

II forma ainsi nm état-major de professeurs auxquels il sut in- spirer la passion de dévouement et de sacrifice qui l'animait, et au bout de quelques années le système mutuel put être abandonné. L'é- cole cependant prospérait et voyait chaque année grandir le nombre de ses élèves. En 1853, elle était assez importante pour être placée sous l'inspection de l'Etat (under inspection). Cette situation lui impo- sait de nouveaux devoirs, en même temps qu'elle lui permettait d'es- pérer des subventions ministérielles. Elle devait se soumettre au programme de renseignement officiel et à la législation régissant le personnel enseignant, admettre les visites et subir les examens mi- nutieux des inspecteurs ; elle perdait une partie de sa liberté pour recevoir en revanche le concours de l'Etat.

Quand le premier inspecteur se présenta (c'était le célèbre publl- ciste M. Mathew Arnold), l'école avait déjà son cadre complet de professeurs. Depuis elle ne fit que s'étendre, et, étouffant dans le bâti- ment qui lui était affecté, elle s'est fait construire récemment le nouvel édifice de Bell Lane dont M. Angel lui-même a dressé les plans.

L'enceinte forme un immense rectangle occupé par des construc- tions sur trois côtés, le quatrième bordant en partie une cour ou préau qui laisse ainsi de droite et de gauche deux vastes ailes et en avant une salle rectangulaire. Le préau est la cour de gymnastique et de récréation des garçons, dont Técole prend Taiie gauche ; l'aile droite, qui a aussi sa cour centrale, esfc-l'école des filles. La salle de lace, bordée par les deux ailes, le préau et la façade, est la salle de séances du conseil de l'école, qui se transforme à l'occasion en salle de concert (l'école donne de temps à autre des concerts de charité au profit des familles des élèves pauvres) et, aux jours de solennités reb'gieuses, en maison de prière. Elle peut contenir de 1,800 à 2,00() personnes.

L'école comprend 73 salles de classes, 45 pour les garçons, 28 pour les filles. Actuellement 66 de ces salles sont occupées, 43 par les garçons et 23 par les filles.

Les sept divisions (standards) entre lesquelles le programme ofii- ciel répartit l'enseignement primaire se partagent inégalement les salles. Les premières divisions, c'est-à-dire les plus faibles, ont natu- rellement le plus grand nombre d'élèves. . Voici du reste la statistique :

GARÇONS

i*^ division (7 ans au moins) 13 classes de 40 élèves en moyenne. 2* -- (8 ans), 11 classes de 40 élèves. 3* (9 ans), 8 classes dont 5 classes deOO élèves et 3de40. 4* ~ (10 ans), 5 classes de 60 t^lèves.

LA »W8' IfOUB «CHOOL 69

se prâieater^ aux examens de décembre i88i i les antres se pré- parent. Les professeurs ont à leur disposition une bîblioihà^e d*6a?iron 7,000 Tolumes.

La salie des séances renferme en outre une petite bibliothèque d'usage journalier^ contenant les grands dictionnaires et les princi- paux ouvrages relatifs à la pédagogie.

Toutes les maîtresses reçoivent sans distinction chacune une robe par an : elles déjeunent ensemble à Técole aux frais de l'école. Tous lesaoua-maitres qui le demandent reçoivent de l'argent pour s'acheter on haUdlement comj^et.

En général chaque classe est tenue par un maître, sauf les classes supérieures le maître est assisté par un maître auxiliaire ou moniteur, en anglais pupil ttacher, élève-maître (1).

L'enseignement comprend deux sections, l'enseignement obliga- toire, qui reproduit exactement le programme officiel de renseigne- ment primaire et prend par jour les quatre heures exigées par la loi, et renseignement facultatif, qui est renseignement religieux, hétodu et histoire sainte, et prend deux heures de plus par jour.

Les six heures de cours journaliers se répartissent en deux classes d'inégale durée. La classe du matin va de 9 heures à 1 heure, la classe du soir de 3 heures à 5 heures. Les vacances sont de six semai- nes, une quinzaine à la fêle de la Paque juive, et quatre semaines aux fêtes religieuses de l'arrière-saison.

Tous les ans, on fait passer aux élàves des examens officiels très strictB, Comme ces examens jouent un rôle capital dans les subven- tions accordées par l'Etat, il est utile de nous arrêter sur ce point. Il y a M un mécanisme original, particulier à l'Angleterre, que nous devons expliquer à nos lecteurs. L'Etat subventionne les ^oles proportionnellement aux progrès qu'elles réalisent. Ces progrès ^(kt coDBiaiéB par des inspecteurs qui viennent une fois par an, à ^^B époqu^^ fixes, faire passer des examens minutieux, oraux et ^titsB' ^^"* les élèves sur toutes les parties de renseignement. 1 Pour iB Jews'freestÀool l'inspecteur en chef est le célèbre orientaliste 4t ^.pa^e-R&'i^' ^«^ ^t assisté de trois sous-inspecteurs nommés

.-. a^firAOt fe chapitre lU du Code of régulations, les élèves-maîtres sont

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^^ ^^'^^r Bméigner pendant les heures de leçons sous la direction du

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02 REVL'fi PÉDAGOGIQUE

cette générosité du public israélile de Londres. Un négociant de la Oté, feu M. Alfred Davis, ami personnel de M. Ang6l, a donné de son vivant £ 30,000 (750,000 francs) à l'école à diverses reprises, et lui a légué a mort une sonmie de m^me valeur. Sir Anthony Rothschild, pendant trente ans président du comité, a donné régu- lièrement chaque année d'importantes sommes. Chaque année du reste, la famille Rothschild apporte discrètement des contribu- tions qui s'élèvent en moyenne à £ 10,000.

Telle est cette école, fondée, on peut le dire, par l'énergie et le dévouement éclairé d'un seul homme. Depuis quarante-quatre ans, M. Angel lui a dévoué toutes les forces de son intelligence et de son cœur. Tout en élevant une famille, il a su et pu fonder cette école qui est maintenant l'orgueil de l'Angleterre. Il y a quelques mois le chef du département d'éducation, M. Mundella, la visitait dans tous ses détails, et inscrivait sur le registre des visiteurs, à côté de son nom, les mois suivants que me montrait avec une légi- time fierté M. Ange! : May 42, Visiied this school and fotmd U in ail rapects admirable ; « J'ai visité cette école et l'ai trouvée sous tous les points de vue admirable, o

A. Darmesteter.

LES RAPPORTS DES CHEFS D^ÉCOLE

AVEC UEURS COLLABORATEURS

Cette délicate question est traitée dans une circulaire adressée par H. Godin, inspecteur d'académie de Seine-et-Oise, aux inspecteurs primaires de son département; nous la repro- duisons ci-dessous :

MotisnsuR l'Hspecteur,

Le nombre des instituteurs-ac^oints et des institutrices-adjointes du département do Seine-et-Oise s'est accru depuis quelques années dans une proportion considérable; il atteint aujourd'hui 334. ^ 11 y a donc uo intérêt de premier ordre pour Tavenir de nos écoles et le progrès de Tinstruction primaire, à ce qu'un personnel aussi nom- breux et, sauf de rares exceptions, aussi jeune et aussi inexpéri- menté, soit surveillé avec vigilance, dirigé avec méthode et fermeté. Ce ne sont pas moins des directions morales que des directions pédagogiques qui lui sont indispensables.

Parmi ces jeunes maîtres, les uns sont sortis de nos écoles normales, les autres ont conquis leur brevet dans des écoles publi- ques ou privées de Seine- et-Oise ou d'autres départements. Des conseils judicieux, d'excellents exemples sont donnés aux premiers pendant leur séjour au chef-lieu ; mais ils débutent presque tous dans renseignement public avant leur vingtième année et ils ne sauraient se passer encore des conseils de maîtres expérimentés. Quant aux adjoints des deux sexes qui n'ont pas appartenu à une école normale, leur instruction professionnelle, leur conduite privée, leur tenue même exigent une surveillance quotidienne, une direction vigilante.

La grande majorité de ces jeunes maîtres s'acquitte convenable- ment des fonctions qui leur sont confiées, et la plupart des titu- laires des deux sexes comprennent également leurs obligations a regard de leurs collaborateurs ; mais quelques difificultés m'ont été signalées et je crois devoir vous prier de rappeler au personnel inté- ressé de votre ressort ce que doivent être les rapports des institu- teurs et des institutrices titulaires avec les adjoints et les adjointes qu'ils ont à diriger.

Les obligations de chacun pourraient être exposées d'une manière précise dans un règlement analogue à celui des écoles ; mais les rapports qu'il s'agirait de réglementer sont si multiples, si variés, si délicats qu'il est bien difficile de tout prévoir dans une sorte de code impératif, qui pourrait faire surgir des conflits auxquels on

02 REVUE PÉDAGOGIQUE

cette générosité du public israélile de Londres. Un négociant de la Gté, feu M. Alfred Davis, ami personnel de M. Angel^ a donné de son vivant £ 30,000 (750,000 francs) à l'école à diverses reprises, et lui a légué a mort une somme de m/^me valeur. Sir Anthony Rothschild, pendant trente ans président du comité, a donné régu- lièrement chaque année dMmportantes sommes. Chaque année du reste, la famille Rothschild apporte discrètement des contribu- tions qui s'élèvent en moyenne à £ 10,000.

Telle est cette école, fondée, on peut le dire, par l'énergie et le dévouement éclairé d*un seul homme. Depuis quarante-quatre ans, M. Angel lui a dévoué toutes les forces de son intelligence et de son cœur. Tout en élevant une famille, 11 a su et pu fonder cette école qui est maintenant l'orgueil de TAngieterre. Il y a quelques mois le chef du département d'éducation, M. Mundella, la visitait dans tous ses détails, et inscrivait sur le registre des visiteurs, à côté de son nom, les mois suivants que me montrait avec une légi- time fierté M. Ange! : May 42, Visiuk this school and found U in ail retpects admirable ; « J'ai visité cette école et l'ai trouvée sous tous les points de vue admirable, o

A. Darmesteter.

LES RAPPORTS DES CHEFS D^ÉCOLE

AVEC LEURS COLLABORATEURS

Cette délicate question est traitée dans une circulaire adressée par H. Godin, inspecteur d'académie de Seine-et-Oise, aux inspecteurs primaires de son département; nous ia repro- duisons ci-dessous :

MOHSIBUR L*H8PECTEUR,

Le nombre des instituteurs-ac^oints et des institutrices-adjointes du département de Seine-et-Oise s'est accru depuis quelques années dans une proportion considérable; il atteint aujourd'hui 334. ^ Il y a donc un intérêt de premier ordre pour l'avenir de nos écoles et le progrès de Tinstruction primaire, à ce qu'un personnel aussi nom- breux et, sauf de rares exceptions, aussi jeune et aussi inexpéri- menté, soit surveillé avec vigilance, dirigé avec méthode et fermeté. Ce ne sont pas moins des directions morales que des directions pédagogiques qui lui sont indispensables.

Parmi ces jeunes maîtres, les uns sont sortis de nos écoles normales, les autres ont conquis leur brevet dans des écoles publi- ques ou privées de Selne-et-Oise ou d'autres départements. Des conseils judicieux, d'excellents exemples sont donnés aux premiers pendant leur séjour au chef-lieu ; mais ils débutent presque tous dans renseignement public avant leur vingtième année et ils ne sauraient se passer encore des conseils de maîtres expérimentés. Quant aux adjoints des deux sexes qui n'ont pas appartenu à une école normale, leur instruction professionnelle, leur conduite privée, leur tenue même exigent une surveillance quotidienne, une direction vigilante.

La grande majorité de ces jeunes maîtres s'acquitte convenable- ment des fonctions qui leur sont confiées, et la plupart des titu- laires des deux sexes comprennent également leurs obligations à regard de leurs collaborateurs ; mais quelques difficultés m'ont été signalées et je crois devoir vous prier de rappeler au personnel inté- rim de votre ressort ce que doivent être les rapports des institu- teurs et des institutrices titulaires avec les adjoints et les adjointes qu'ils ont à diriger.

Les obligations de chacun pourraient être exposées d'une manière précise dans un règlement analogue à celui des écoles ; mais les rapports qu'il s'agirait de réglementer sont si multiples, si variés, si délicats qu'il est bien difficile de tout prévoir dans une sorte de code impératif, qui pourrait faire surgir des conflits auxquels on

6i REVUE PÉDAGOGIQUE

n'eût pas pensé et qui ne saurait présenter une solution pour une discussion inattendue et pour tous les faits de la vie scolaire.

Rien ne vaut d'ailleurs en pareille matière les règles que dicte à chacun une raison droite, la conscience du devoir, la volonté de bien faire. C'est au sentiment que chaque fonctionnaire doit avoir de ses obligations qu'il faut nous adresser pour que notre personnel sache ce qu'il doit être dans la vie privée et dans la vie profession- nelle et ne s'écarte pas de la règle qu'il doit se tracer lui-même.

C'est à ce sentiment que je vous prie de faire appel. Je crois que nous devons renoncer à une réglementation étroite, qui ne saurait, sans aller jusqu'à la minutie, prévoir tous les détails de la vie quo- tidienne, et que nous devons préférer les directions générales, puis, sur chaque point particulier, les conseils qui seront écoutés avec déférence et ponctuellement suivis, j'en ai la conGanoe, par un personnel généralement docile et dévoué.

Pour comprendre et pour remplir leurs obligations réciproques, les institutrices et les instituteurs titulaires et leurs collaborateurs doivent bien connaître le rôle et la nature de la mission de chacun.

11 convient de les rappeler à tous.

Quand ils ont pris la résolution de se consacrer à l'enseignement et qu'ils ont accepté la direction d'une classe, les adjoints des deux sexes ont contracté à l'égard de l'administration, des familles et d'eux- mêmes des engagements dont quelques-uns oublient parfois la gravité.

Une conduite privée irréprochable, la conscience et l'application dans l'accomplissement de leurs devoirs, à l'égard du directeur de l'école une docilité affectueuse qui rend la tâche plus facile pour tous, et le dévouement, qui donne sans compter, pour la bonne tenue do Técole et les progrès des élèves, non seulement les heures de travail nécessaires et 1& présence matérielle, maïs le meilleur de l'âme, la volonté de bien faire et le cœur tout entier : voilà ce que nous sommes en droit d'attendre d'eux ; voilà les sentiments qui doivent animer un instituteur public.

Que les jeunes maîtres et les jeunes maîtresses qui sont dans nos écoles ou qui désirent y entrer, ne croient pas que c'est un idéal rêvé par un moraliste, qu'il est facile de leur proposer dans un traité de pédagogie, mais qu'il n'est pas possible de réaliser dans la pratique. 11 importe qu'ils soient convaincus au contraire que leur tâche sera moins pénible, leurs fonctions moins ingrates, leur labeur plus supportable aussi bien que plus fécond, s'ils y apportent ces dispositions, que s'ils dirigent leur classe sans goût et sans ardeur, sans souci du progrès, sans intérêt pour l'école et es élèves qui la fréquentent.

On ne se donne pas à demi à l'enseignement : ne nous lassons pas de répéter à notre jeune personnel qu'il ne faut pas venir à nous sans faire abandon de la vie facile, sans être résolu à accepter une règle sévère, à s'imposer une conduite austère, une vie de labeur.

TITULAIRES ET ADJOINTS 68

Ceux qui ne peuvent ou ne veulent point renoncer à la mollesse, ^ FindifFérence, au désordre, doivent sortir des rangs sans tarder.

L'expérience d'ailleurs leur apprendra bien vile que la vie de rinstituteur est non seulement plus digne, mais plus douce même, pour ceux qui suivent ces conseils que pour ceux qui les croient inapplicables.

Si ces sentiments doivent être ceux des instituteurs adjoints, à plus forte raison les instituteurs titulaires doivent-ils en être péné- trés. Nous attendons d'eux qu'ils en fassent la règle de leur conduite. Ceux-là seuls ont sur les autres une action moralisatrice, qui con- naissent et remplissent leurs devoirs : ce sont nos actes qui donnent à nos conseils l'autorité ; c'est l'exemple et la vie de l'homme qui rend sa parole persuasive et en relève la valeur.

Pour obtenir de leurs adjoints la docilité et la déférence, les titu- laires doivent donner eux-mêmes l'exemple des qualités qu'ils exigent de leurs collaborateurs. Puis, qu'ils n'oublient pas que l'aflection appelle la confiaiice ; qu'ils n'abusent point de la docilité et du dévouement que leur doivent les jeunes maîtres et que nous exigeons. L'autorité s'établit plus sûrement par une fermeté affectueuse, qui sait être concilian:e à propos, indulgente pour les légèretés et l'inex- périence, que par u;ie rigueur inflexible, dont un sentiment amical ne tempère pas la sécheresse.

Veuillez leur rappeler surtout qu'ils n'ont pas seulement à répri- mer les écarts, à vous signaler l'inexpérience du jeune maître, mais à l'éclairer, à le diriger. Leur fonction à leur égard n'est pas seu- lement une mission de surveillance, elle consiste surtout à conseiller, à prévenir les fautes, à initier à l'enseignement.

Le devoir du maître plus âgé est de faire profiter de son expé- I ience l'adjoint plus jeune qui ne saurait débuter dans une école avec toutes les qualités de l'instituteur consommé.

Tel est le rùle de chacun : s'il est bien compris, les difficultés seront plus rares dans les rapports réciproques et celles qui surgi- ront seront plus vite et plus facilement aplanies.

Dites bien d'ailleurs aux uns et aux autres que nou-; sommes résolus, vous et moi, à soutenir avec fermeté l'autorité du titulaire et que, dès qu'il y aura conflit, nous commencerons par exiger que Padjoint se soumette d'abord et complètement ; mais, d'aulre part, nous engageons les instituteurs et institutrices titulaires à n'avoir que des exigences légitimes.

Telles sont les directions et les règles générales que je vous prie de rappeler aux maîtres de votre ressort et dont vous aurez à vous inspirer vous-même chaque fois que vous devrez intervenir. Mais, afin de donner plus de précision à ces instructions, je crois devoir y ajouter quelques recommandations sur un certain nombre de points particuliers :

i^ L'un des devoirs les plus importants de l'instituteur titulaire,

RKTBB PiDAGOOIQUS 1885. l**" SESf . 5

6 i REVtË PÉDAéOGIQtJE

c'est de dontiei* <ies conseils et des directions pédagogiques au jeane maître dont il lui appartient de faire l'instruction prof^icmnelle.

Qu'il ne croie pas tju'il s'est acquitté de ses obligations quand il Ta installé dans la petite classe, qu'il lui a remis le registre d'appel et le bulletin qui contient l'organisation pédagogique.

Il doit avoir de fréquents entretiens avec lui sur la manière d'enseigner chaque matière, sur la discipline, sur le système des punitions et des récompenses. Pour être plus précis, prescrivez que tout instituteur qui a un adjoint lui montre chaque semaine comment il doit répartir par leçon les matières du programme indiquées pour le mois, comment il doit s'y prendre pour appliquer remploi du temps et préparer chacune de ses classes.

Le titulaire qui a plusieurs adjoints devra les réunir au moins une fois par semaine pour leur donner ces indications et s'entretenir avec eux de ce qui s'est passé dans chaque classe et de ce qui inté- resse toute récole.

^0 Ces entreliens, si profitables qu'ils soient, ne sauraient dispenser le titulaire d'une surveillance presque incessante de la classe confiée à l'adjoint. A ce sujet, je vous prie d'appeler l'attention de xm maîtres sur la répartition des élèves et sur celle de l'enseignemefit entre les fonctionnaires d'une même école.

Ne serait-il pas bon, dans certains cas, de ne pas confier, au moins exclusivement, les plus jeunes enfants à l'instituteur adjoint? Si la direction d'une classe existe de la maturité et de Texpérience, c*est surtout quand elle est composée de très jeunes élèves. Les instituteurs qui ont déjà quelques années de services s'acquitteront en général mieux de celte tâche que l'élève-maître le plus instruit et le plus zélé au sortir de l'école normale. Je voudrais, au moins, non seulement que le titulaire fît de fréquentes visites dans la petite classe, mais qu'il y donnât souvent l'enseignement et que l'adjoint fît, s'il est possible, quelques leçons aux élèves plus avancés. Veuillez donner des mslruclions dans ce sens et les faire exécuter partout elles pourront l'être avec fruit.

^ Je n'ai pas besoin d'ajouter que la surveillance de l'cnsei-

Jnèment donné par le jeune maître doit, de la part du directeur e l'école, être vigilante sans cesser d*être discrète. Ce serait mal Comprendre le rôle de l'instituteur titulaire et nos instructions que d'enlever toute initiative à l'adjoint et surtout de ne ménager ni son amour-propre, ni son autorité sur les enfants, en lui adres- sant, en leur présence, des reproches ou même des observations. Le tact de nos maîtres saura éviter ces écueils.

Ils ne manqueront pas non plus de s'interdire toute exigence excessive; l'instituteur adjoint leur doit son concours, et nous Texigerons de lui pour le service de l'école; mais il ne convient de lui demander ni la surveillance d'un dortoir de pensionnaires, ni celle d'une étude supplémentaire, sans que l'instituteur titulaire

TITULAIRES ET ADJOINTS 67

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partage avec son collaborateur les émoluments qu'il reçoit de ce chef. Les uns et les autres sauront, je n'en doute pas, régler ces questions par une entente amiable.

5*^ Si l'instituteur adjoint a l'obligation stricte de corriger les devoirs des élèves qui lui sont confiés, le titulaire ne saurait lui imposer, à moins de circonstances exceptionnelles, la correction des devoirs de ses propres élèves.

ti** 11 comprendra également qu'il doit laisser à ses collaborateurs quelque loisir, soit pour leur travail personnel, soit pour le repos même, qui est indispensable à tout âge, mais surtout au jeune homme, si l'on veut que le maître ait quelque vigueur et exerce une action personnelle.

7»* Les titulaires ne doivent pas se désintéresser de la conduite des adjoints en dehors de l'école; ceux qui ont quelque souci du bon renom et de la dignité du personnel ne sauraient être indifférents sur ce point. Mais gardons-nous d'une surveillance humiliante et tracassière. C'est en donnant à propos d'utiles avis et en cherchant à développer le sentiment de la responsabilité personnelle que nous préviendrons les écarts plutôt que par une inquisition soupçonneuse.

8^ Je n'ajouterai pas ici un grand nombre de recommandations spéciales que vous auriez à rappeler aux instituteurs adjoints. S'ils ont bien compris ce qui a été dit précédemment sur leur mission, ils sauront que leurs devoirs à l'égard du directeur de l'école peuvent se résumer en peu de mots: docilité loyale, œn fiance affèclueuse. J'appellerai seulement votre attention sur deux points.

En aucun cas l'instituteur adjoint ne doit entretenir directement et sans l'assentiment du titulaire des relations officielles avec les autorités communales et les familles.

D'autre part les adjoints des deux sexos, mais surtout les jeunes filles, doivent s'interdire les sorties trop fréquentes et les rentrées tardives.

Tels sont, Monsieur l'inspecteur, les principes dont vous devrez vous inspirer, pour régler, dans votre circonscription, les rapports entre les maîtres et les maîtresses des diverses catégories, pour pré- venir les difficultés et résoudre celles qui pourraient surgir et ren- draient votre intervention nécessaire.

C'est d'ailleurs sur votre autorité et sur votre tact que je compte avant tout pour rappeler à chacun ses devoirs et pour obtenir que les titulaires donnent l'exemple du dévouement et que les iustitu- teurs adjoints se forment à leur école, pour que les premiers usent de leurs droits avec modération et que les seconds remplissent leurs devoirs avec ponctualité et en conscience.

Agréez, Monsieur l'inspecteur, l'assurance de ma considération la plus distinguée.

LHnspecteur de racadémie de Paris en résidence à Versailles,

Edme Godin.

LA PRESSE ET LES LIVRES

Les i»hogrammes de l'enseignement secondai iie ; l'enseignement SECONDAIRE FRVNçvis, par M. Charlcs Bigot {Revue politique et litté- raire, n^ du 3 janvier 1885). Dans plusieurs numéros de la Revue politique et littéraire, notre collaborateur M. Charles Bigot vient de soulever un grand nombre de hautes questions relatives aux |)rogrammes d'études des lycées et des collèges, à renseigne- ment classique et à l'enseignement spécial ; de toutes ces questions nous n'en voulons prendre ici qu'une seule, qui nous paraît inté- resser notre enseignement primaire normal et même, d'un peu plus loin, si Ton veut, jusqu'à l'humble école primaire. M. Bigot la pose ainsi : « Est-il possible, sans le grec et le latin, de donner à des jeunes gens un véritable, et solide, et fécond enseignement litté- raire ? » Et, pour sa part, il n'hésite pas un moment à répondre : Oui, cela est possible. »

L'objet de l'enseignement littéraire, c'est « d'abord d'apprendre à la jeunesse à manier correctement sa langue, à s'exprimer clairement et nettement, à dire ce que l'on veut dire » ; c'est ensuite « de faire acquérir à celui qui le reçoit ces idées générales que l'humanité a conquises lentement, et dont les livres des poètes, des historiens et des moralistes sont les dépositaires » ; enfin, « le plus grand bienfait peut-être de l'éducation littéraire, c'est de développer chez la jeunesse le goût de l'admiration, de placer devant ses yeux les images de la beauté ; d'élever son cœur et son esprit vers un idéal supérieur au plaisir des sens. »

Eh bien, pour tout cela l'élude de l'antiquité peut beaucoup, mais ce privilège ne lui appartient pas exclusivement. Notre langue est aujourd'hui émancipée et majeure; qui Ta bien étudiée et qui la connaît bien « ne sera embarrassé pour exprimer aucune nuance du sentiment ou de la pensée x>. D'autre part, le trésor d'idées générales que possédait l'antiquité, nos écrivains classiques nous l'ont transmis tout entier; ils y ont même ajouté: « ils ont élargi, en la complé- tant, la pensée antique ». S'il est vrai enfin qu'au xvP siècle les seuls modèles littéraires à proposer fussent les livres des Grecs et des Romains, depuis lors nous avons marché, et \Taiment nous n'avons pas perdu notre temps, a Depuis lors, nous avons eu Corneille et Racine ; nous avons eu Pascal, qu'un bon juge et un fervent admirateur de l'antiquité, Boileau, osait égaler aux plus excellents des anciens; nous avons eu Molière, que le même Boileau appelait le plus beau génie de son siècle et 'qui passe à coup sûr Térencc et Piaule, puisque nous ne pouvons le comparer à Ménandre ;

LA PRESSE ET LES LIVRES 09

nous avons eu La Rochefoucauld, et M™^ de Sévigiîé, et La Fontaine, et Bossuet, et La Bruyère ; nous avons eu Voltaire et Montesquieu, et Jean-Jacques Rousseau, et Beaumarchais, et Chateaubriand, et Victor Hugo, et Lamartine, et Alfred de Musset, et Augustin Thierry, et Thicrs, et Mignet, et Michelet, et Ernest Renan: la liste de nos grands écrivains n'est pas close I Prétendre qu'avec une telle suite de merveilleux écrivains dont les uns ont laissé des ouvrages accomplis, qui tous ont écrit certaines pages incomparables soit en prose, soit en poésie, on ne saurait, môme à la fin du xix^ siècle, sans l'aide du latin et du grec, exciter l'enthousiasme des jeunes gens et les initiera la beauté litlérairo, c'est là, nous nous permet- trons de le dire, un véritable blasphème ! Rendons-nous mieux justice: notre littérature française est magnifique. Elle a, au point de vue de - l'éducation, ce grand mérite encore, qu'elle e^l plus accessible à la jeunesse que la littérature grecque et latine ; elle est plus près de nous par les idées, par les sentiments; elle on csl ])lus rapprochée surtout par la langue. Ce n'est qu'après un loni^^ travail qu'on arrivera à pénétrer le génie de l'antiquité. On l'a dil juste- ment :

C'est avoir profilé que de savoir s^y plaire.

» Qui peut métne se vanter do jamais bien saisir dans une langue morte ou la délicatesse des nuances ou l'harmonie du nombre? Au contraire, l'harmonie des vers français, le rythme d'une période en prose sont dans toutes les oreilles, même les plus jeunes: il n'y a point ici d'effort à faire pour sentir, pour comprendre, pour admirer: il suffit de s'abandonner au charme. pour le subir. »

S'il est donc vrai, continue M. Bigot, qu'on puisse, à l'aide de la seule langue française, offrir à la jeunesse un enseignement littéraire digne de ce nom, c'est un devoir de le lui offrir, et il examine dans quelles conditions cet « enseignement secondaire français » devrait être organisé. Ici les vues de M. Bigot s'adrossent plutôt aux sommets de renseignement qu'aux modestes essais d'initiation auxquels tout au plus nous pourrions prétendre. 11 est telle de ses observations dont nous pouvons cependant faire notre protit.

Ainsi, il veut que cet enseignement du français soit « philolo- gique ». « Non pas, dit-il, au sens que Térudilion donne à ce mot, et qui fait volontiers la grosse part à l'étymologie, mais au sens véritablement utile ; c'est-à-dire que son premier souci serai! de définir tous les termes que l'enfant rencontre ou dont il fait usage, de le forcer à ne jamais se servir d'un mot sans en connaître le sens exact, à distinguer les acceptions diverses d'un même mot et à s'expliquer comment elles ont procédé l'une de l'autre. Ce dont on est le plus frappé quand on lit los travaux des écoliers, ou même quand on entend causer les hommes faits, c'est combien peu ils connaissent, en réalité, cette langue ils s'expriment depuis renfance. Il n'y a pas d'étude plus attrayante, quand elle

70 REVUE PÉDAGOGIQUE

est faite avec intelligence, pour les enfants» que celte philologie. J'oserais dire qu'il n'en est pas de plus profitable, car c'est l'igno- rance du détail, c'est le vague de l'expression qui fait aussi le plus souvent la pensée elle-même vague et flottante. Un peuple qui déclame et se paie de mots est un peuple qui ne sait pas suffi- samment sa langue. »

M. Bigot voudrait encore que cet enseignement fût « grammatical ». —«11 s'appliquerait, dit-il, à faire connaître à l'élève tous les tours de la phrase française, depuis la construction la plus simple jusqu'à la période la plus compliquée, il l'exercerait à s'en rendre noiaître et à les manier tour à tour suivant les nuances de la pensée ou les mouvements du sentiment. Et je dirai ici encore que bien peu, même parmi ceux qui ont reçu aujourd'hui l'éducation litté- raire la plus complète, sont réellement maîtres de leur langue maternelle. On compte les écrivains, aussi libres que variés, qui ont pris possession, pour ainsi dire, du clavier grammatical tout entier. Presque tous, nous avons une demi-douzaino de tours de phrase que nous répétons sans cesse et d'où nous ne sortons pas; nous exécutons toutes nos variations sur deux octaves. C'est à notre éducation qu'en est la faute.

» La grammaire, en outi'e, est, elle aussi, un admirable instru- ment pour former des esprits justes. Si, au lieu de s'arrêter aux subtilités et aux curiosités, on porte dans cette étude l'attention surtout vers l'analyse logique; si l'on fait bien comprendre que le sens même de la pensée se modifie suivant que telle ou telle proposi- tion devient la proposition principale ou la proposition incidente, qu'un mot prend une toute autre importance suivant qu'il est mis en une place ou en une autre; si Ton montre bien que c'est toujours la raison et l'intelligence qui président à la construction d'une phrase comme à la suite d'un développement, je ne sache guère pour l'esprit de gymnastique plus saine que la syntaxe française. »

M. Ch. Bigot insiste plus loin sur la nécessité pour le maître et pour les élèves, dans l'enseignement tel qu'il le comprend, de lire, d'étudier, de commenter ensemble nos chefs-d'œuvre nationaux. Et il n'aurait pas de répugnance à ce que, pour commencer cette étude, on débutât par les écrivains modernes, i C'est ceux dont la langue est le plus accessible aux enfants, parce qu'elle se rapproche davantage de la langue qu'ils ont appris à parler ; c'est eux aussi qui expriment les sentiments et les passions ils entrent le plus aisément; c'est en leur société qu'ils prendront le plus facilement ce goût des choses de l'esprit qui, une fois éveillé, devient un charme irrésistible. Et, au lieu de descendre le cours des siècles, comme on le fait volontiers, peut-être serait-il plus sage de le remonter. »

M. Bigot indique aussi, à un autre point de vue, l'ordre logique des lectures à faire. < On conunencerait par les poètes, qui répoa-

PRKSSK ET LES UVRES li

•dent nûeux au caractère de Tenfant» qui parlent davantage à son imaginatioiiy qui font entendre à son oreille une musique pk^» simple, plus facile à saisir que le rythme délicat de la prose» Lm conteurs, les historiens, les poètes dramatiques jqui ont mis en jeu les diverses passions, étalé le tableau de la vie et la lutte ou tragique ou comique des caractères, occuperaient tour à tour l'attention; les moralistes et les philosophes de Thistoire viendraient à la fin. On les lirait les uns après les autres, ou tout entiers ou du moins dans les parties essentielles de leurs œuvres. Alors on connaîtrait véritablement la littérature française, et il faudrait bien du malheur pour n'avoir pas en même temps appris à l'aimer. »

Il nous semble qu'il y aurait à prendre bonne part de toutes œs excellentes indications aussi bien dans nos écoles que plus haut^

Des PRINCIPALES DIFFÉRENCES ENTRE LES ÉCOLES DE GARÇONS ET LES

ÉCOLES DE FILLES, par M. le professeur W. NœWeke, directeur de l'Ecole supérieure des filles de Leipzig (Revue internationale de Te»*- seignement, numéro du 15 décembre 1884). Quelle différence spécifique doit-il y avoir entï'e renseignement qu'on donne au^ garçons et celui qu'on donne aux filles, telle est la question qu'exa- mine M. le professeur Nœldeke, avec toute la compétence de quarante années de pratique dans les écoles supérieures de filles. Celte diffé- rence, selon lui, n*existe, en ce qui concerne l'école primaire, ni pour les matières, ni pour la méthode, a L'enseignement de la lec- ture suit des procédés si exactement conformes à son objet qu'on aurait peine à concevoir deux méthodes différentes à l'usage de chaque sexe. 11 en est de même pour les éléments de calcul et de géométrie, pour l'écriture, l'orthographe, etc. Ces premières con- naissances ne sont, pour ainsi dire, que la porte du véritable savoir; il n'y a qu'une clef qui aille à cette porte, et quiconque veut entrer doit s'en munir; elle est la même pour les garçons et pour les filles, de même que le maître et la maîtresse de maison ne se servent pas d'une clef différente pour entrer chez eux. N'étaient d'autres motifs qui font juger opportune la séparation des sexes même dans l'enseignement élémentaire, du moins à partir de Tâ^ de dix ans, on pourrait sans inconvénient donner l'enseignement en commun aux enfants des deux sexes, comme c'est, du reste, Fusage dans maint et maint pays. »

M. Nœldeke pense de môme que, dans les écoles normales d'io- siituleurs et d'institutrices, l'enseignement doit ^tre identique, c Appelées à enseigner dans les écoles primaires les nkêmes chosM que les instituteurs, les jeunes filles doivent recevoir la même m- struction professionnelle. Les maîtres de l'un et de l'autire sexe ont à acquérir la même soname de connaissances, la même préparation méthodique qu'il serait difficile de leur donner de deux manières différentes, et à se munir enfin des mêmes principes psychologiques

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et pédaj^ogiques pour être à la hauteur de leur noble lâche. Il est vrai quo certaines disciplines peuvent paraître plus difficiles à ac- quérir pour les jeunes filles, comme la logique, par exemple; mais les lois de la pensé) humaine ne varient pas avec le sexe, et le môme enseignement doit suffire dans les deux cas. »

Que s'il convient aux femmes d'aborder les écoles spéciales, artistiques, scientifiques, littéraires, il faut encore qu'elles y trouvent le même enseignement que les hommes. Et M. Nœldeke ne leur refuse aucunement l'aptitude intellectuelle nécessaire pour recevoir cet enseignement, à quelque degré que ce puisse ^tre. Tout bien pesé, il croit « pouvoir allirmer qu'à ne considérer que la ca- pacité intellectuelle des deux sexes, l'enseignement des écoles supérieures des filles devrait être l'équivalent de celui des écoles correspondantes de girçons. Aucune dillerence introduite dans le programme ne saurait en ellet s'autoriser d'une différence dans le. développement intellectuel des élèves. » Au contraire, la jeune fille, physiquement et intellectuellement, est plus précoce que le jeune homme, « et cette précocité à l'âge des études indiquerait plutôt qu'il serait sage d'utiliser ces années à enrichir et à orner leur esprit ».

M. Nœldeke n'en est pas moins d'avis que l'éducation féminine doit être essentiellement distincte de l'éducation de l'autre eexe, aussi bien dans son étendue que dans son contenu, dans ses principes que dans son objet. C'est qu'à côté de l'égalité intellectuelle vien- nent se placer d'autres conditions qui motivent cette distinction en vertu desquelles la femme, sans être inférieure à l'homme, reçoit, tant dans la maison que dans le milieu social, une destinée et un rôle qui lui sont propres et qui ne peuvent être ceux de l'homme.

I^ constitution phj^sique de la femme est autre, en effet, que celle de l'homme, la femme étant moins fortement musclée et charpentée, étant aussi plus nerveuse, surtout dans les classes de la société oi'i se recrutent les écoles supérieures de jeunes filles. Cette différence de constitution physique explique « une opposition de nature souvent présentée comme la caractéristique des deux sexes, l'un étant essentiellement actif (Productivitàt), l'autre essen- tiellement passif (Receptivitàtj. A cela correspond chez l'homme une plus grande spontanéité, chez la femme une certaine malléabilité qui la rend plus sensible à l'action du milieu, plus docile en bien et en mal à la puissance de l'exemple, tandis que l'honmie tend au contraite à faire prévaloir son influence. Bien que cette différence apparaisse surtout dans le mariage, l'initiative appartient à rhomme, tandis que la femme s'accommode d'ordinaire à son mari sous le rapport du caractère, cependant Técole doit déjà en tenir compte dans l'éducation et renseignement. » Ce serait, d'ailleurs,- se faire une notion trop étroite de la vocation de la femme que de donner pour but unique à ou éducation les devoirs du mariage et

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ceux de la maternité. « On exclurait de la sorte, dit M, Nœldcke, \os centaines de filles que les conditions actuelles de la société vouent au célibat. Il sera plus exact de dire que rhomme trouve le champ de son activité dans la vie publique, au service immédiat de la commune, de l'État, de l'humanité; et que la vocation de la femme. le théiitre de sa bienfaisante activité est le foyer et la famille. Le rôle de la femme vis-à-vis de celui do l'homme est dans un rapport non de subordination, mais de corrélation; tous deux se complètent mutuellement, car seulement oii les devoirs domestiques sont fidèlement accomplis, la prospérité de la commune et de l'Etat est assurée. Or, ces devoirs sont assez nombreux et étendus pour four- nir un beau champ d'activité à toutes celles qui ne se marient pas. J'entends par les devoirs qui leur incombent non seulement dans leurs propres familles, mais aussi dans des familles étrangères, et en partie aussi au service de la commune : éducation, gouvernement domestique, soin des malades et des pauvres, et, d'une manière ana- logue aussi, certaines fonctions qui, dans le train de maison que comportent les aflFaires, sont confiées à des femmes. Au lieu de se préoccuper sans cesse d'ouvrir do nouvelles carrières aux femmes soit dans le commerce, .soit dans les services publics, il serait plus sage de s'appliquer à faire disparaître les fâcheuses conditions so- ciales qui font naître ces préoccupations. Je maintiens que la tache de l'éducation féminine est de former la jeune* fille de manière qu'elle réalise parfaitement l'idée de son sexe ; ce qui suppose deux conditions essentielles : la vie de famille et la tendresse maternelle. étant bien entendu que vie de famille ne siprnifie pas économie do- mestique. Si l'art de diriger une maison exige déjà une bonne cul- ture générale, à plus forte raison celle-ci est-elle nécessaire pour réaliser l'idéal de la vie d'intérieur et les devoirs de la famille. »

C'est l'école publique, l'école de l'Etat ou de la commune, sur- veillée par les représentants de l'Etat, qui peut le mieux, suivant M. Nœldeke, atteindre le but de l'éducation féminine telle qu'il l'entend. « La famille n'a rien à redouter de la commune ou de l'Etat; au contraire, elle ne réalise sa fin idéale que dans la mesure elle se rattache étroitement aux grands intérêts de la commu- nauté. Le temps que la jeune fille passe à l'école doit avoir pour effet de nouer et de resserrer les liens qui la rattachent à la petite et à la grande patrie. Car nul ne peut se faire une idée juste d'une grande association et en apprécier les avantages, sans s'être mêlé à sa vie et sans avoir appris à se soumettre à son régime En finissant, M. Nœldeke expose à grands traits la méthode et le programme d'études qui conviennent à l'école nationale destinée aux jeunes filles.

« La méthode analytique y est, dit-il préférable à la méthode syn- thétique. La tournure d'esprit de la femme, qui s'intéresse surtout à ce qui frappe les sens, réclame un procédé d'exposition qui aille du

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phéûomèae à la loi. Tel est principalement le cas pour les sciences naturelles ainsi que pour les branches philosophiques qu'on ne saurait supprimer, et qui doivent toujours être traitées empirique* ment; l'histoire, la géographie, les langues peuvent aussi être easei* gnées de la même manière. De bonnes gravures, des tableaux synoptiques doivent soutenir l'exposition.

» La place principale doit être donnée à la langue maternelle et à la littérature nationale. Tandis que les garçons ont besoin d'être exercés a la parole et à un usage très étendu de la langue écrite ainsi qu'à la composition de discours et de dissertations, les jeunea filles, au contraire, excellent dans le récit, dans la conversation, e4 dans leur équivalent littéraire, c'est-à-dire le genre épistolaire. C'est dans cette direction qu'elles doivent être exercées...

» L'étude d'une langue étrangère est indispensable, ne serait-ce que comme moyen d'arriver à une intelligence plus parfaite de la langue maternelle, et les effets sont d'autant plus sensibles que la différence entre les deux langues est plus grande. Les jeunes fiUei de race latine étudieront une langue germanique, et réciproquement. Une langue parente de l'idiome national, et par suite plus facile, peut être ajoutée au programme des classes supérieures. 11 faut aussi tenir compte dans ce choix des conditions locales et de l'utilité per^ sonnelle. Les langues anciennes ne sont point faites pour les jeunei filles. Du moment que celles-ci ne restent pas à l'école au-delà de la durée ordinaire des études, ce laps de temps ne leur permet pas d'obtenir des résultats satisfaisants. Les langues modernes répondent d'ailleurs mieux aux besoins de la vie pratique et omirent une littéra- ture plus goûtée des jeunes filles. L'enseignement de la grammaire sera analytique et réduit au strict nécessaire ; il faudra ameaer aussi vite que possible les élèves à une lecture intéressante...

» L'histoire et la géographie doivent avoir pour objet immédiat une claire connaissance du sol natal et du développement de la nation, et ce n'est que lorsque ce résultat aura été atteint qu'il sera temps d'élargir le cercle. Un enseignement pragmatique de l'histoire ne convient pas à des jeunes filles ; au contraire, des biographies, un exposé des progrès de la civilisation, éveillent un vif intérêt. De dates, aussi peu que possible; juste ce qui est indispensable pour empêcher la confusion des diverses époques.

» Dans l'enseignement des sciences naturelles, qui comprend nécessairement l'hygiène, il faut éviter toute systématisation inutile, et prendre toujours pour point de départ l'observation de Tindi-vid», du phénomène particulier ou de l'expérience.

y Point de mathématiques ; des exercices de calcul sur des données de la vie pratique, et en particulier le calcul de tête; ajoutons encore quelques théorèmes de géométrie dont la solution est utile pour les besoins journaliers; l'écriture {et, si possible, la sténo- graphie), des travaux à l'aiguille; en fait d'art, le dessin et bi

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musiqae... L^esseniiel dans cette branche est d'amener Télève a Tin- telligence de la musique; Técole, le pùt-elie, n'a pas à former des virtuoses. C'est ce que ne comprennent pas les parents peu sensés qui obligent leurs filles à gaspiller d'une manière impardonnable leur temps, leur force et leur banté. Ces leçons de piano commen- cées dès le jeune âge comme une chose indispensable et ces exercices journaliers dont la régularité est si diilîcile à obtenir, exigent une tension des muscles et des nerfs telle que ne le comporte aucun tra- vail de classe...

Les jeunes filles montrent une certaine répugnance pour les travaux qui exigent un effort intellectuel, et préfèrent un travail machinai. On utilisera cette disposition pour leur enriciiir la mémoire d'un trésor d'idées saines, en les obligeant, malgré leur répugnance, à réfléchir sar ces idées et à les relier entre elles dans un raisonne- ment rigoureux.

» Si ïon se bornait à développer chez les jeunes filles le sentiment et l'imagination, elles courraient le danger d'être plus lard comme ces navires mal lestés qui, n'obéissant plus au gouvernail, deviennent le jouet des vents et des flots. L'habitude du raisonnement mettra du lest dans ces jeunes têtes et leur permettra plus tard de gou- verner contre la tempête des passions et de ne pas faire naufrage dans la vie. »

M. Nœldeke ajoute que, bien qu'il sache que sur ce point « il est en contradiction a?ec l'opinion actuellement dominante en France », U. ne peut se représenter une école de filles sans un enseignement religieux « qui pénètre et vivifie le cœur, en habituant la jeunesse à rattacher toute sa conduite et sa vie à ce qui demeure éternellement et à considérer les devoirs terrestres comme le service de Dieu. »

Méthode pratique de conjugaison française et premiers exercices DE rédaction, a l'usage des écoles primaires et des cours primaires dans tous les établissements denseignement public ou privé, par P. Wissemans, ancien professeur de TUniversité ; Paris, Paul Dupont, 1 vol. iQ-i2 1884. M. Wissemans expose ainsi qu'il suit, dans la préface, l'objet de son livre : a Cette métbode consiste à suppri- mer la conjugaison récitée et à prendre successivement chaque mode et chaque temps dans le même mode pour texte de rédaction écrite. Un mode et un temps de ce mode étant indiqués comme sujet de de- voir, l'élève devra formuler une série de petites phrases, analogues à celles qu'il trouvera dans notre livre, ce temps de verbe sera employé aux trois personnes du singulier et du pluriel. On répé- tera cet exercice en l'appliquant successivement aux différentes espèces de verbes, et l'on ne passera à l'étude du temps suivant qu'après s'être assuré que l'enfant comprend parfaitement et ne risque pas d'oublier ce qu'il doit savoir sur ce point. »

M. Wiseemans croit que par ce moyen tout enfant de bonne

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volontr'; oj crinlclligcnce moyenne saura, au terme de sa carrière «colain*,, « réellement conjuguer un verbe, employer chaque mode et cha(|ue temf)H à propos, analyser avec assurance toutes les formes verbal«*s que la lecture fera passer sous ses yeux, et, comme toutes les particH rlu discours se rattachent plus ou moins étroitement à l'emploi des verb(*s, on fieut dire que l'enfant arrivera sans grands offorls à Hfivoir la grammaire. » M. Wisscmans fait remarquer, en Hccond liiîu, que cette méthode offre un moyen commode d'habituer l'enfant à exprimer sa pensée.

L(^ procédé que préconise ici M. Wissemans n'est pas absolument nouvcîau ; il so rattache, au moins d'une manière générale, aux doctrines du P. Girard; il a déjà été recommandé, et il est déjà, croyons-nous, plus ou moins mis on pratique dans les bonnes écoles. M. Wissemans convient lui-même qu'il est long, et, en effet, nous no voudrions pas, pour notre part, employer ces exercices de conjugaison sans les interrompre, sans les couper par d'autres de llièmes différents. Mais, à ces réserves près, le livre de M. Wissemans fournir aux leçons une disposition rationnelle et une grande qiumtitd d'exemples bien choisis ; nous remarquons aussi, à la fin du volume, des notes sur différents points de grammaire, dont une, concernant la définition des « passés», est intéressante.

(louus ni: dessin des écoles puimaiues, enseignement gradué conci»rilaut avec les articles dos nouveaux programmes officiels : dessin linéaire, dessin d'ornement, dessin d'imitation; cours supérieur, livre du maître, avec 07 ligures dans le texte, par L. tVHemivty ; Taris, Hachette et C'^ 1 vol. in-12, 1885. Ce livre du n\aîln^ pour le cours supérieur complète le Cours de dessin des éivlcs pnnuuiYs, de M. L. d'Honriel. aujourd'hui populaire dans nos iVolos. I.a méthode tout entière compn^nd, sans parler des quatre albums de modèles du Dessin des petits enfants^ un livre du maitro, ot tn>is albums d'élève, pour le cours élémentaire ; un livre du maitro et cinq albums, pour le cours moyen; un livre du maître et si\ albums, pour le cours élémentaire. Cest un ensemble «gradué et rationnel, le dessin n'est pas considéré comme un art d'agré- ment, mais comme une véritable initiation à celle « écriture des forn\es » qui ne devrait pas nous être moins familière que récriture des caractères. M, d'Henriet no se contente pas d'être un homme do iivnM ol un dossîualcur habile, c est par des procédés scientifiques qu'il prvv^do à l'éducation do l\oil ol de la main. Aussi ne sera-t- on jvMul ôtiMUîé de trv^uvor dans ses livres du maître, très simple- ment ol tK*s clairenoont expos<H\j. les règles de la perspective, per- s|Hvti\o cavalière dans le cours moyen, perspective rraie dans le CvHïrs sujvriour, l-ii doniièrx^ partie de co cours est consacrée à IVtudo do U tîirure humaine, dv>nl Tauteur examine les parties et les pn^v^riîvHis on le> mltachant toujours à un enscmMe« c afin«

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dit-il, d'habituer l'élève à l'idée des relations inséparables de posi- tion, de grandeur et de formes qui unissent toutes les parties Tune à Vautre. » On y trouvera également, dans la deuxième partie, celle qui a pour objet le dessin d'ornement, à propos des « ordres d'ar- chitecture », tout un choix de modèles et un œdre de développe- ment qui permet au maître de montrer le classement historique de ces ornements. Ainsi compris, l'enseignement du dessin, sans pré- judice pour rélémenl technique sans lequel il ne serait pas, s'agran- dit et s'élève. Si nous ne craignions pas que l'expression ne dépassât notre pensée, nous dirions qu'il y a des vues philosophiques d'autant plus profondes qu'elles semblent ne vouloir pas se montrer et qui ne peuvent que contribuer puissamment, sans qu'il y paraisse, non seulement à l'éducation esthétique spéciale, mais au dévelop- pement 'général de Tenfaiit.

Compte-rendu du ix« congrès scolaire de la société des lnstitu- TEURS DE LA SUISSE ROMANDE réuui à Genèvc, les 5, 6 et 7 août 188i; Genève, imprimerie faponnier etStuder, 1 vol. in-8<» de 118 p., 1884. Notre collaborateur M. Defodon a rendu compte dans la Revue de cette très intéressante réunion; nous extrairons seulement du docu- ment officiel que nous avons sous les yeux un passage de M. Daguet sur la marche de ï Éducateur pendant l'année scolaire 1883-1881, passage relatif aux doctrines de YEducaieur en ce qui concerne la discipline, surtout les châtiments corporels, parce que ce passage a clé diversement commenté dans plusieurs journaux pédagogiques.

« La question des châtiments corporels, dit M. Daguet, n'a jamais été carrément abordée par VÈducaleur. Les instituteurs (jui en sont partisans n'osent pas en prendre ouvertement la défense, non qu'ils croient avoir tort, mais parce qu'ils craignent le blâme de l'opinion pubhque qui s'est prononcée si fortement contre les corrections ma- nuelles, en France particulièremenl, où, par une contradiction étrange, on tolère les brimades (1).

» Il serait cependant utile de savoir ce qui se passe à cet égard sous l'empire delà loi qui prohibe ce genre de châtiments. Les peines corporelles ont-elles complètement disparu? La persuasion suffit-elle? A-t-on suppléé aux châtiments corporels par d'autres peines plus conformes au but pédagogique? L'embarras du maître le plus hostile

(1) 11 ne faudrait pas croire qu'en France les brimades soient d'un usage général, ni qu'elles soient « tolérées ». Il n'y a guère que deux ou trois grands établissements spéciaux de l'État, comme l'école de Saint-Cyret rÉcolo polytechnique, le bon sens et l'autorité des chefs n*ont pu avoir toujours raison d^une ancienne et absurde tradition. Dans les établissements d'ensei- gnement secondaire, les sévices, même les taquineries à l'égard des « nouveaux ^d, sont très sévèrement réprimés, et rien de ce genre n'a jamais existé à l'école primaire. La Rédaclion,

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en principe aux châtiments corporels doit être cependant assez grand, si j'en juge par quelques faits qui se sont passés sous mes yeux,

» J'en citerai un : Un élève de quinze à seize ans ne savait jamais ses leçons, le maître lui dit : « 11 faudra que j'en parle à votre maître de pension. Voulez-vous son adresse? » lui demanda le jeune homme. Le maître feignit de n'avoir pas entendu, bien que le mau- vais rire de quelques-uns des condisciples de l'élève lui prouvât que ses impertinentes paroles n'étaient pas tombées sur un terrain stérile. Mais l'insolent, décidé à pousser sa pointe, sortit un calepin de sa poche et réitéra sa question; cette fois, la patience du professeur était à bout, le jeune homme reçut un soufflet soigné, après lequel, estimant son honneur atteint, l'élève jugea à propos de quitter la salle, pour y reparaître, il est vrai, deux jours après, en balbutiant une espèce d'excuse. Mais si, au lieu de faire amende honorable, le jeune homme eût porté plainte, il est probable qu'au désagrément d'être vilipendé par un mauvais garnement se fût jointe, pour le professeur, l'humiliation d'être encore l'objet d'une mercuriale de la part de ses supérieurs hiérarchiques.

» Nous aimerions à voir une rubrique spéciale de VÉducateur s'ou- vrir aux cas disciplinaires, et les instituteurs s'exprimer en toute franchise sur les difficultés que leur ofl're la discipline. Elle ne serait certes pas la moins intéressante ni la moins instructive. Qu'on ne croie pas pour tout cela que l'Éducateur se constitue jamais l'apo- logiste des imitateurs modernes, trop nombreux encore dans diverses contrées de l'Europe, de cet « Orbilius plagosus » dont parle Horace et dont le code disciplinaire se résumait en corrections manuelles qui l'ont rendu tristement célèbre. Bien loin de favoriser le système des peines corporelles, nous devons le combattre comme un danger et un fléau, en même temps que nous attaquons l'hypocrite optimisme sentimental qui voit dans les élèves des anges dont il est si aisé de se faire aimer et obéir. Une pédagogie qui tend à l'ennoblissement de l'humanité a toujours été, de Pestalozzi à Frœbel, l'idéal des hommes de cœur voués à l'art éducatif, et ce n'est certes pas par une discipline orbilienne qu'on y parviendra jamais. Intimider n'est pas synonyme d'améliorer. Se faire aimer sera toujours plus beau que se faire craindre. Et cependant il n'est que trop avéré que la bonté sans la fermeté expose à la familiarité et au mépris. »

La question que pose ici M. Dague t est fort importante, et nous aimerions, nous aussi, non pas peut-être à ouviir dans la Revue pédagogique une rubrique spéciale aux cas disciplinaires, mais à accueillir les vues de quelques maîtres dévoués et expérimentés « sur les difiBcultés que leur oflre la discipline », aujourd'hui surtout que l'obligation légale de l'instruction primaire interdit à l'instituteur la ressource suprême de l'exclusion, comme une tradition dont l'école française s'honore lui interdit non moins absolument l'emploi des peines corporelles.

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Les SAVANTS délaissés, par M. E. Frémy, membre de TAcadémie des sciences, directeur du Muséum, i brochure in-i de 4 pages, Paris, Gauthier- Villars, 1884. Dans ces quelques pages, M. Frémy propose la création a d'un comité d'encouragement en faveur des savants qui se vouent avec succès au culte de la science pure ».

A côté des professeurs qui appartiennent à TUniversité, dit M. Frémy, il est toute une pléiade de travailleurs ardents et désin- téressés, qui ont souvent renoncé à des carrières lucratives et cer- taines pour se livrer entièrement à la recherche dos vérités scientifiques. S'ils ne professent pas, ils donnent à l'enseignement public ses principaux éléments; en publiant leurs recherches, ils abandonnent généreusement des découvertes qui pourraient souvent assurer leur fortune: s'il était possible d'exprimer en argent l'importance des travaux de science pure qui ont donné lieu à des applications industrielles, on arriverait à des sommes considérables.

« Que fait-on pour ces hommes généreux lorsqu'ils se trouvent en présence des difficultés de la vie qu'ils n'avaient pas prévues ? Hélas ! bien peu de chose : si en effet on jette les yeux sur la liste des familles secourues par la Société des amis des sciences, on y trouve avec douleur les noms de ces savants dont les brillants travaux ont enrichi la science ou l'industrie et qui sont morts en laissant leurs enfants dans une profonde misère.

» Le pays commet une grande faute et une véritable injustice en n'assurant pas un certain avenir à ceux qui font avancer la science par leurs travaux; il perd ainsi des savants éminents qui se trouvent, faute de ressources, dans la nécessité d'abandonner leurs recherches. »

M. Frémy ajoute qu'il s'était d'abord adressé à l'État, mais que les charges du budget ont empêché de donner suite à sa proposi- tion. Confiant dans la justesse de la cause qu'il défend, il fuit appel aujourd'hui à l'initiative individuelle. Le comité dont il propose la création réaliserait par souscription un capital dont l'intérêt serait consacré à l'œuvre scientifique qu'il s'agit de fonder. Les savants qui seront choisis par le comité pour recevoir ce que M. Frémy appelle « la rémunération du travail scientifique 0 seraient partagés en trois classes : ceux de la troisième classe rece>Taient 2,000 francs par an, ceux de la deuxième 4,000 francs, ceux de la première 6,000 francs. Pour entretenir chez les lauréats une ardeur constante, les nomina* tions ne seraient faites que pour un an, mais elles seraient renou- velées tant que le savant se montrerait digne, par ses travaux, de la position qui lui aurait été donnée.

Prêchant d'exemple, le directeur du Muséum s'inscrit sur la liste de souscription pour une somme de 5,000 francs. Nous applaudis- sons A cette noble initiative, et nous espérons que l'appel de M. Frémy trouvera de l'écho chez tous les amis de la science.

CHRONIQUE DE L'ENSEIGNEMENT PRIMAIRE

EN FRANCE

L'achèvement des maisons d'école. Nous avons déjà dit (Rmmc du lo avril et du 15 juin) que le ministre de l'instruction publique a ouvert l'an dcniier une vaste enquête sur la situation des écoles primaires. La première opération a été le recensement nominatif de tous les élèves inscrits et présents le 5 avril dans toutes les écoles publiques primaires et maternelles. Nous dirons dans notre prochain numéro quel en a été le résultat. Les autres opérations concernaient non plus les élèves, mais les bâtiments scolaires. Tous les institu- teurs et toutes les institutrices ont dressé à la même échelle le plan de leur école et répondu au questionnaire qui leur a été envoyé. Ces questionnaires aujourd'hui réunis et reliés forment au ministère une collection des plus intéressantes et des plus utiles à consulter. Une autre collection non moins précieuse, c'est celle des cartes scolaires exécutées par chmiue inspecteur primaire pour sa circonscription. Mais, comme on le sait, le but du ministre n'était pas seulement de recueillir des documents, des plans, dos cartes et des tableaux ; son intention était de «■ faire mesurer aux Chambres retendue des sacrifices qui peuvent rester à faire » pour l'achèvement des mai- sons d'école dans toutes les communes, sections de communes ou hameaux. A cet eft'el, il a été déposé sur le bureau de la Chambre au mois de décembre un important projet de loi qui embrasse tous les établissements d'instruction publique : Facultés, lycées et collèges, écoles primaires de toute nature. C'est de ces dernières que nous nous occuperons ici.

11 résulte de l'enquête qu'il y a encore 24,000 conmiunes ou hameaux il y a lieu soit de créer, soit de restaurer des écoles ou des groupes scolaires, et que de ce chef la dépense s'élèverait à un peu plus de 390 millions. C'est un chillre respectable sans doule, mais nous sommes loin des 720 millions reconnus nécessaires en 1882 : la ditïérence s'explique par le grand nombre de créations qui ont été faites dans ces dernières années et aussi par le mode d'évalua- tion de la dépense. Le ministre en effet a fixé à l'avance le prix moyen de chaque construction :

12,000 francs pour une petite école de hameau;

io,000 francs pour une école communale à une seule classe;

28,000 francs pour un groupe scolaire simple, c'est-à-dire ne com- prenant qu'une école spéciale de garçons et ime de filles, chacune à une seule classe, avec un supplément de 12,000 francs pour chaque classe en plus.

CHRONIQUE DI l'£NS£IGM£MBNT PRIMAIRE £N FRANGE 81

U va de soi que les communes pourront dépasser Jes frais, mais c'est d'après ces prix que sera calculée la subvention de TÉtat, et elle le sera d'après un système rationnel qui ne laissera aucune place a Tarbitraire. En effet, cette subvention sera divisée en deux parties dont Tune sera inversement proportionnelle à la valeur du centime communal, c'est-à-dire d'autant plus forte que la commune sera plus pauvre, et l'autre directement proportionnelle aux centimes addi- tionnels, c'est-à-dire aux charges qui pèsent sur la commune. Tou- tefois la subvention totale ne pourra être en aucun cas ni supérieure à 80 ®/o, ni inférieure à 10 Vo» excepté dans les communes qui comme Paris et autres peuvent et doivent se suffire avec leurs propres ressources. 11 est établi en outre que l'ensemble des sub- ventions de l'État ne pourra pas dépasser la moitié de l'ensemble des dépenses totales.

Il reste à trouver de l'argent. Comment s'en procurer ? La caisse des écoles est épuisée et on ne la remplirait à nouveau que dans des conditions onéreuses pour le trésor public. Le ministre invite donc les communes à emprunter directement aux établissements de cré- dit qui voudront se prêter à ce genre d'opérations, et le Crédit Fon- cier est tout indiqué. Le remboursement des sommes prêtées $e fera en 40 annuités, mais les travaux de construction devront se faire en 12 ans. Quant à l'État, il fournira sa subvention au moyen de crédits que le Parlement mettra annuellement à sa disposition.

Le ministre ne pouvait oublier ni les écoles normales primaires, ni méme^ bien qu'elles n'aient pas de caractère obligatoire, les écoles primaires supérieures et les écoles maternelles : de plus il est indispensable de laisser au budget de l'instruction publique une certaine élasticité pom* une entreprise aussi considérable : c'est pourquoi la dépense totale est évaluée à 460 millions, dont 12 mil- lions de réserve, ou, si l'on aime mieux, de prévision.

Des règles analogues seront appliquées aux constructions de l'en- seignement supérieur et de l'enseignement secondaire.

Telle est l'économie générale du projet; nous faisons tous nos vœux pour qu'il reçoive promptement l'approbation des Chambres.

Décret et arrêté du 30 décembre 1884 sur les titres de cvp agité DE l'enseignement PRIMAIRE. Le Conscil supérieur a terminé le 29 décembre sa deuxième session ordinaire de 1884, commencée le 22 du même mois. Les deux questions les plus importantes portées à son ordre du jour étaient la révision des programmes de l'ensei- gnement secondaire, qui ont été sensiblement allégés, et la réforme des titres de capacité, dont nous avons souvent entretenu nos lec- teurs. La commission chargée d'étudier cette dernière question, déjà étudiée fort sérieusement par la section permanente, s'est réunie huit fois sous la présidence de M. Gréard et a partagé la tâche du rap- port entre MM. Armbruster et Leoient. Ses conclusions ont été

RITUB PiDAflOGIQUI 1885. 1*' SBM. 6

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adoptées avec très peu de modifications, dont une seule vraiment importante, portant sur la correction de Tépreuve d'orthographe. Dès le 30 décembre, le décret et Tarrêté sanctionnant les résolutions du Conseil supérieur ont été signés par le président de la République et par le ministre de Tinstruction publique. Ils ne seront exécu- toires qu'à partir du 1**" janvier 1886, et, en ce qui concerne Fépreuve obligatoire d'une langue vivante pour le brevet supérieur, qu'à partir de 1888. Il n'y aura donc rien de changé à Tétat actuel des choses pour Tannée 1885, pendant laquelle tous les examens continueront à se passer conformément à la réglementation actuelle.

Voilà pour les dates d'exécution. Passons maintenant à la réforme elle-même. Elle est telle qu'on devait l'attendre et qu'on pouvait" l'espérer dans les conditions se trouvait placé le Conseil supérieur par la loi du 16 juin 1881 sur les titres de capacité exigibles de tous ceux, qui, d'une manière quelconque, dirigent une école ou une classe primaire ou maternelle. La loi ne permettait au Conseil ni de décréter l'obligation du certificat d aptitude pédagogique pour tous les institu- teurs et pour toutes les institutrices titulaires, ni de supprimer le certificat d'aptitude à la direction des écoles maternelles en le fondant avec le brevet élémentaire. La commission du Conseil et le Conseil lui-même étaient favorables à ces deux mesures et ont fait tout ce ce qui était en leur pouvoir pour qu'elles puissent être prises le plus tôt possible, sans un nouvel et complet remaniement des n^glements rela- tifs aux titres de capacité. Les jalons sont posés et la voie est ouverte: ce n'est plus qu'une question de temps. Le Conseil n'a pas voulu non plus, pour des raisons d'ordre légal, se prononcer sur les droits d'exa- men qui avaient été presque unanimement réclamés au cours de l'en- quête sur les brevets et qui seraient si légitimes. Il est à désirer que tous les Conseils généraux rémunèrent les examinateurs sans recourir à l'État, comme cela se fait déjà dans un certain nombre de dépar- tements. Mais certainement une mesure générale et obligatoire serait préférable.

Les principales modifications apportées au régime en vigueur depuis 1881 sont les suivantes :

Le décret et l'arrêté visent à la fois les deux brevets et les deux certificats d'aptitude (certificat d'aptitude pédagogique et certificat des écoles maternelles). C'est une heureuse simplification qui n'est pas seulement une question de forme, car elle tend à rapprocher, en attendant la fusion, le brevet élémentaire et le certificat d'aptitude à la direction des écoles maternelles.

Les limites d'âge arrêtées pour les divers examens sont : seize ans révolus le i^ janvier de Tannée Ton se présente pour le brevet élémentaire ; dix-huit ans révolus pour le brevet supérieur ; vingt et unans révolus au moment se passent les examens, pour les deux certificats d'aptitude, avec cette restriction toutefois que cette dernière condition d'âge ne sera pas imposée aux aspirantes, pourvues

CHBONIQUI DE L MABiamiiEHT PROUIRE EN FRANCK 88

da brevet élémentaire, qui veulent obtenir le certificat des écoles maternelles. Il est inutile d'insister sur le sens et sur la portée du privilège accordé aux jeunes brevetées.

9* La session de mars, qui portait tant de trouble dans les études, est supprimée pour les brevets élémentaire et supérieur ; les deuic sessions normales auront lieu en juillet et en octobre pour les deux brevets et pour le cer(ificat d'aptitude des écoles maternelles. Il n'y aura qu'une session, en avril, pour le certificat d'aptitude pédagogique.

Le programme du brevet élémentaire est mis en harmonie avec la loi du 28 mars 1882; toutes les anciennes matières sont donc conservées, mais il est stipulé que rexerclco de composition française pourra porter sur « Texplication d'un proverbe, d'une maxime, d'un précepte de morale sur l'éducation. » Dans l'examen oral, l'annlyse grammaticale est rattachée à la lecture expliquée. L'instrurtion civique s'ajoute aux éléments de l'histoire nationale. Le tracé d'une «arte au tableau noir devient obligatoire. Le programme porte en outre : t Questions et exercices très élémentaires de solfège; questions sur les notions les plus élémentaires des sciences physiques et natu- relles dans leurs rapports avec l'agriculture et l'horticulture; exécu- tion d'un dessin au trait, d'après un objet usuel; exécution des exercices les plus élémentaires de gymnastique. » 11 n'y a que le mot c géométrie usuelle » qui manque au programme, et la morale n'a aucune place à l'examen oral.

5** Le brevet supérieur est allégé du chant et de la gymnastique qu'on a reportés au brevet élémentaire. Il n'y a rien que de naturel. On pourra trouver plus contestable que les candidats à ce brevet ne soient plus interrogés sur l'histoire de France et sur les éléments de l'histoire générale qu'à partir de 1610. Ne sommes- nous pas obligés de remonter constamment à nos origines gréco- latines, et n'est-îl pas indispensable que les candidats au brevet supérieur se soient fait une idée de la marche de la civilisation dans le monde entier? Il est évident qu'en limitant à la période moderne les matières d'examen du brevet supérieur, le Conseil n'a pas voulu dispenser les candidats de l'étude des périodes antérieures, mais il a tenu d'une part à éviter les trop grands eiTorts de mé* moire, et d'autre part à bien marquer la nécessité d'une étude spé- ciale et approfondie de l'histoire moderne et de l'histoire contem- poraine. Les langues vivantes (anglais, allemand, italien, espagnol ou arabe, suivant la région habitée par le candidat) deviennent obli- gatoires, mais à l'examen oral seulement, à partir de 1888.

6^ U n'y a plus de « certificat d'aptitude pédagogique à la direction d'une école à plusieurs classes ». Le nouveau certificat est délivré à la suite d'un examen « destiné à constater Paplitude à la direction d'une école publique ». Cest assez dire que cet examen s'imposera comme une sorte d'obligation morale, en attendant qu'elle se traaal(Nrme en obligation légale, à tous les adjoints et adjointes des

84 REVUE PEDAGOGIQUE

écoles publiques, sinon des écoles libres. Les épreuves, essentielle- ment pratiques, ne sont plus subies en présence des élèves dans une école publique. Elles comprennent: une composition française sur un sujet relatif à la tenue et à la direction d*une école; une leçon très simple dans les limites du programme des écoles élémentaires; la correction d'un devoir d'élève et l'appréciation d'un cahier de devoirs mensuels ; des questions de pédagogie pratique et élémentaire.

1^ La correction des épreuves se traduit en chiffres et non en notes : c'est ce qui était demandé unanimement. Le système des coefficients a été écarté. Il a seulement été admis que le chififre 5 serait le chiffre le plus élevé pour le chant et la gymnastique, la valeur des autres épreuves, tant orales qu'écrites, étant exprimée par des chiffres allant de 0 à 10. Pour l'épreuve d'orthographe les commissions ne sont plus liées comme auparavant par un nombre éliminatoire de fautes trois ou cinq; elles jugeront en toute liberté : telle est la solution adoptée, et nous croyons que c'est la bonne, après une discussion assez animée. 11 a été décidé en outre que les épreuves écrites pourront être corrigées par des commissions de deux membres, et que les épreuves orales pourront être subies devant des sous-commissions de trois membres.

Ces diverses réformes ont une importance qui n'échappera à personne : elles ont été mûrement élaborées, sérieusement discutées. Elles seront accueillies avec faveur par tous les amis de l'instruction primaire.

Les bourses de séjour a l'étranger. La question des bourses de séjour à l'étranger a donné lieu, lors de la discussion du budget de l'instruction publique, à un intéressant échange d'explications entre M. Jules Roche, rapporteur général, et M. le ministre. Nous reproduisons in-extenso le compte-rendu du Journal Officiel :

M. LE PRÉSIDENT. a Chap. 56. Enseignement primaire. Matériel. Encouragements, 2,087,000 francs. y>

M. Jules Roche, rapporteur général. Je désire adresser à M. le ministre de l'instruction publique une simple question.

Vous SHvez, messieurs, qu'un grand nombre de maisons de banque et de maisons de commerce sont dans l'obligation de prendre comme employés des jeunes gens étrangers, allemands, suisses, anglais^ parce qu'elles ne trouvent pas, dans les conditions elles en auraient besoin, des jeunes gens français ayant reçu une éducation commerciale et possédant suffisamment la connais- nance des langues étrangères.

Le conseil supérieur de l'enseignement technique, section du commerce, a émis plusieurs fois^ et très récemment encore, le vœu que les bourses de l'enseignement primaire supérieur pussent éire appliquées h. des jeunes gens se destinant au commerce et à l'industrie, sortant de l'enseignement primaire supérieur ou de l'enseignement secondaire spécial, et qui seraient envoyés pendant un temps plus ou moins long on a indiqué un an à l'étranger

Sour y apprendre les lanirues étrangères. On permettrait ainsi aux maisons e commerce de recruter des employés capables, distingués, dans la jeunesse française. Je prie M. le ministre de l'instruction publique de vouloir bien déclarer

H;| (DvKl II

DE l'eNSBIGNIMSNT PRIMàIBB in FRANCE 85

si, eomme je le suppose, il est de mon aris, qui est en même temps celui à» beaucoup de nos collègues, et s'il pense que le crédit dont il s'agit en ce moment peut s'appliquer daus les conaitions que je viens d'indiquer. J'aurai ainsi complète satisfaction. (Très bien! très bten!)

M. LE MINISTRE DE L'msTRUCTioN PUBLIQUE. MessieuTS, la quostiou que rbonorable M. Jules Roche vient de porter à la tribune nous préoccupe déjà depuis quelque temps. Nous avons reçu, en effet, les réclamations du com- merce et de l'industrie, dont les repréisentants sont quelquefois forcés d'em- ployer des étrangers, alors qu'il leur serait particulièrement agréable de donner la préférence à des jeunes gens français, qui connaîtraient les langues étrangères.

ÂQ ministère du commerce, on s'est préoccupé également de cette question ; j*ai même été saisi, hier, d'un vœu spécial, formulant les indications que l*honorable M. Jules Roche vient de fournir.

Noos inclinons à croire qu'il est légalement possible de prendre sur le diapitre des bourses les crédits nécessaires pour envoyer k 1 étranger, dans des conditions déterminées, des jeunes gens qui auront fourni la preuve de leur capacité.

J*ai seulement une réserve à faire.

La bourse de renseignement primaire supérieur en France est de 500 francs , or, d'après les renseignements que nous avons pris, il ne serait pas possible: avec cette somme, qu'un jeune homme pût vivre à l'étranger ; je crois qu'il faudrait doi^ler le chiffre.

M. Letdet. Ces jeunes gens pourront se placer dans des maisons de commerce et recevoir de petits appointements.

M. LE HINISTEE. Déjà des propositions nous ont été faites. D'honorables négociants de Baie nous ont fait des ouvertures à ce sujet ; nous avons fait étudier la question sur place, et la demande nous a paru pouvoir être accueillie, an plus grand bénéfice du commerce et de l'industrie de la France. (Très bien ! très bien!)

M. LE RAPPORTEua gânAral. Il cst entendu que le crédit sera appli- cable dans les conditions dont nous venons de parler ?

M. LE MUfiSTEE. Parfaitement I

M. LE FEisiBENT. Je mets aux voix le chapitre 5G.

(Le chapitre 56, mis aux voix, est adopté.)

En conséquence de la décision indiquée ci-dessus, un arrêté du ministre de rinstruction publique, en date du 9 janvier 1885, a an- noncé pour le mercredi 19 août prochain l'ouverture d'un concours pour les élèves ou anciens élèves des écoles primaires supérieures qui désireraient obtenir une bourse de séjour à l'étranger pendant Tannée scolaire 1885-1886.

Les candidats devront remplir les conditions suivantes : i^ Avoir seize ans accomplis et moins de dix-neuf ans au moment du con- «coiirs ; aucune dispense d'âge ne sera accordée; 99 être pourvus du certificat d'études primanres supérieures; 3^ adresser au ministre, par rintermédiaire de l'inspecteur d'académie, une demande écrite ou signée par le père ou le tuteur.

Les épreuves consisteront en un thème et une version allemands <ra anglais; elles auront lieu au chef-lieu du département.

Lis CONFÉRENCES PÉDAGOGIQUES A SoissoNs. ~ G'est uue excellente institution que celle des conférences pédagogiques : il s'y dit de fort bonnes choses qui élèvent d'année en année la valeur des maîtres. Mais trop souvent les travaux des instituteurs et les discus-

86 RIWE PÉDAOOGlQIIf

sions auxquelles ils ont donoé lieu ne laissent pas de trace imprimée et par suite pas de trace durable. C'est pour remédier à cet încon- vénient que les instituteurs de Tarrondissement de Soissons ont fait imprimer à leurs frais depuis 188â les rapports qui résument les conférences auxquelles il ont pris part et qui ne sont mis sous presse qu'après avoir été approuvés par les vice-présidents, les secrétaires et les 60us*secrétaires des réunions cantonales. Nous avons donc aous les yeux le résumé des conférences de 1882 sur les exercices de rédaction dans les écoles primaires, celui des conférences de 4883 sur l'application des nouveaux programmes de renseignement pri- maire, celui des conférences de 1884 sur la méthode à suivre dans les leçons orales et sur l'importance de ces leçons pour Feoseigne- ment collectif. Ces mémoires font grandement honneur aux institu- teurs qui les ont rédigés. Nous ne pouvons les analyser ici : cela nous conduirait trop loin; nous n'aurions d'ailleurs qu'à nous associer aux conclusions généralement très sages et fortement motivées des auteurs. C'est certainement un bon exemple à suivre : nous tenions à le signaler et à y applaudir.

Enseignement di: dessin. L'inspecteur d'académie des Vosges informe les instituteurs et les institutrices de son département que des conférences gratuites sur l'enseignement du dessin à l'école pri- maire seront faites mensuellement à Épinal, à Mirecourt et à Rémi- remont, et deux fois par mois à Neufchàteau et à Saint-Dié. Les conférences de Neufchàteau seront suivies d'un cours de solfège fait par M. Ferry, délégué cantonal.

Enseignement de l'agriculture. A l'occasion de Finauguration des maisons d'école de Montaigu, M. Uervé-Mangon, membre de l'Institut, député de la Manche, a prononcé un discours fort applaudi sur l'enseignement de l'agriculture à l'école primaire.

« Ou m'a raconté, a-t-ildit, que certains de nos adversaires, quand on leur demandait : Qu'est-ce que ce M. Mangon, membre de llnsUtut ? répondaient dédaigneusement : « C'est un vieil instituteur. s> se trompaient du tout au tout, s'ils croyaient me blesser. Je vou- drais être instituteur, et voici comment je tâcherais de faire naître chez mes élèves le goût de l'agricullure et de la campagne.

» Les musées scolaires sont, en principe, une exoeUente cboae; mais, quand ils arrivent tout faits de chez un marchand de Paris, ils restent trop souvent lettre morte et personne ne les regarde. Pour faire la collection de mes leçons de choses, je ferais ramasser, par les enfants, quelques fleurs, les herbes des herbages, les plantes des marais, et je leur en indiquerais les propriétés ; le nom botanique viendrait plus tard, quand *la chose serait connue* A chaque récolte, les enfants m'apporteraient une pincée des diverses graines, obtenua» par leurs parents, on discuterait sur leurs qualités, och dirait le prix de venle* on jugerait de rînfluAnee à^ iMan eft do

CHRONIQUE DE l'eNSEIGNEUNT PaiMÀIAE EN FRANCE 81

mauvais temps, j'expliquerais Futilité et les ioconvénients des insectes.

s Je ferais aussi ramasser les pierres du pays; celle-ci est propre à Mtir^ cette autre a faire de la chaux, la troisième à battre le briquet, etc. Au fils du maréchal, je demanderais de petits mor- ceaux de fer, d'acier, et je lui ferais expliquer comment on durcit par la trempe ce dernier métal; du fils du menuisier, j obtiendrais des échantillons du bois du pays. Ma collection serait bien vite montée, sans aller loin, et les enfants s'y intéresseraient d'autant plus qu'ils l'auraient faite eux-mêmes, chacun pour sa part.

» Mais ce n'est pas tout, je voudrais montrer à mes élèves les merveilles du développement des plantes, qu'ils ne regardent même pas, je ferais germer de grosses graines, des glands, des haricots, des amandes, par exemple; je leur ferais voir que la racine tend toujours à descendre, que la tige retourne au soleil.

» Par un simple lavage, je leur montrerais combien sont nom- breux et variés les éléments de ce merveilleux produit, la terre arable qui est notre nourrice et que nous foulons aux pieds, sans même la connaître. Sans appareils, sans livres de théorie, vous voyez que mes enfants pom*raient beaucoup apprendre, en s'amu- sant, et comme conclusion, ils adopteraient la profession de culti- vateur, la plus belle, la plus utile, celle qui donne la vie la moins dure, la plus heureuse et la plus morale. »

Impôts dvs par les lnstituteurs et par les institutrices pouh les LOCAUX affectés A LEUR LOGEMENT. « Des difficultés SUTgir^Sent quelquefois, hsons-nous dans le Bulletin de l'Aisne, entre instituteurs ou institutrices qui changent de résidence, au sujet du paiement des impôts à leur charge pour les logements qu'ils quittent.

» En cas de changement de résidence, il convient que le nourel instituteur ou la nouvelle institutrice se substitue à son prédécesseur- pour le paiement des contributions de la maison d'école à partir du jour de l'entrée en fonctions dans la commune. Cette conduite, conforme à l'équité, aurait pour effet d'éviter des différends qui ne peuvent que nuire à la considération des membres du corps enseignant. »

11 serait bon que cette règle fût toujours suivie.

Prépaiution au rrevet supérieur. Des cours normaux pour la préparation au brevet supérieur et au certificat d'aptitude pédagogique se sont ouverts à Arras le H décembre, l'un à l'école normale d'instituteurs, l'autre à l'école normale d'institutrices. Ils auront lieu tous lies jeudis avec le concours gracieux du directeur et de la directrice et des écoles normales, des professeurs du collège et des inspecteurs primaires d' Arras.

Les cours dureront le jeudi de 9 heures du matin à 4 heures 1 1% avec une interruption d'une heure et demie pour les instituteurs et d*ime heure seulement pour les institutrices; il y a par mois un

88 RIVUE PÉDAGOGIQUE

jeudi consacré plus particulièrement au certificat d'aptitude péda- gogique, et le cours ce jour-là ne se terminera qu'à 6 heures.

Ce sont des journées bien remplies, trop remplies peut-être.

Des cours semblables sont en voie d'organisation à Boulogne-sur-Mer.

Les cahiers de devoirs mensuels. Nous devons revenir sur la tenue des cahiers de devoirs mensuels, vu le très grand profit qu'en peuvent et qu'en doivent retirer les écoles primaires. Les BuUeting départementaux renferment de nombreuses circulaires adressées aux inspecteurs primaires et aux instituteurs par les inspecteurs d'acadé* mie, qui tiennent à ce que les instructions ministérielles que nous avons fait connaître soient suivies partout le plus tôt possible.

Le vice-recteur de la Corse pose les trois règles suivantes :

1* Tous les élèves, à quelque cours qu'ils appartiennent, devront avoir un cahier de devoirs mensuels ;

2* Ce cahier recevra, au commencement de chaque mois, un spécimen de chacun des exercices écrits afférents à chaque cours. Pendant que les élèves auront entre les mains le cahier de devoirs mensuels, l'usage du cahier journalier sera suspendu. Par exemple, le cahier mensuel sera, je suppose, employé le 1*' et le 2 de chaque mois dans les cours moyen et supérieur et Je 1*' de chaque mois dans le cours élémentaire.

Dans ce cas, le cahier journalier ne sera repris dans les deux premiers cours

Sue le 3* jour du mois et le 2* jour dans le cours élémentaire. On procéderait 'une manière analogue pour un délai plus long. Ceci est une simple indi- cation.

3* Chaque devoir {)orté au cahier mensuel sera corrigé à la marge par l'instituteur ou l'institutrice, sans aucune rature ou altération dans le texte, qui doit être r œuvre prcpre de l'élève livré à ses propres forces et travaillant en classe i sous la surveillance ^ mais sans Vaide du maître. Les résultats de la correction donneront lieu à un classement exprimé par une note comprise entre les chiffes 1 et 10. Cette note sera inscrite an bas du devoir, et recevra le visa de l'instituteur ou de l'institutrice.

Messieurs les inspecteurs primaires examineront et viseront ces cahiers dans les tournées. Ils s'en feront adresser à leur résidence un certain nombre de chaque canton à des époques indéterminées. Je me réserve d'en demander moi-même des exemplaires (^ue j'examinerai avec un grand intérêt. Â partir du 1*' décembre, je publierai dans le Bulletin les noms des maîtres qui n'auraient pas exécute les présentes prescriptions ou qui les auraient exéeutees avec négligence.

L'inspecteur d'académie du Doubs écrit dans le même sens aux inspecteurs primaires.

Désormais, dit-il, chacun de vos rapports d'inspection devra porter une note résumant votre impression après 1 examen des cahiers de devoirs men- suels.

Vous voudrez bien vous en faire adresser par la poste un certain nombre de dlflR§rentes écoles dans la seconde quinzaine de chaque mois et les retourne ensuite avec vos observations. L'inspection à distance suppléera à l'insuffi» sanee des visites.

Je ferai la même chose de mon côté.

Je proposerai à la caisse des écoles de décider l'achat d'un certain nombre de prix à distribuer dans chaque canton aux élèves du cours supérieur, et même du cours moyen, dont le cahier spécial de devoirs mensuels permettra de constater les efforts et les progrès les plus soutenus et les plus marqués.

CHROHIQDK DE L'iNSBIGNIMBHT PEIMAIRV Bll FRANCE 89

l'espère que beaucoup de municipalités, de personnes crénéreuies et dévouées à Tenseiniement donneront aussi des récompenses analogues.

Enfin, Monsieur l'inspecteur, je vous prie de consigner vos observations sur l'emploi du nouveau cahier et sur les résultats que vous pourrez con- stater, ann que vous soyez en mesure de m'adresser à ce sujet, dans la der Bière semaine de juillet,* un rapport très détaillé et très complet.

Les mêmes recommandations sont faites par l'inspecteur d'académie de la Savoie, qui ajoute :

Vous voudrez bien, dans votre rapport trimestriel, me donner les noms des deux instituteurs qui, dans le courant du trimestre, auront déployé le plus de zèle dans la mise en pratique du cahier mensuel. 11 s'agit bien entendu des écoles que vous aurez personnellement inspectées et qui vous offriront toutes garanties, quant à l'authenticité des devoirs et à la sincérité des cahiers.

Enfin, dans votre rapport annuel, un paragraphe spécial sera consacré à l'introduction et k l'emploi du cahier mensuel dans les écoles, aux eflbrts du personnel et aux résultats obtenus* Vous rassemblerez dans une liste unique tes noms des Instituteurs et des institutrices que vous m'aurez signala dans vos rapports trimestriels. Ces renseignements seront pris en très sérieuse considération quand nous dresserons la liste annuelle de mérite et que nous ferons des propositions pour les récompenses et pour les distinctions hono- rifiques.

La plupart des inspecteurs désirent qu*un seul modèle de cahier soit adopté par département. Ce serait le moyen d'arriver à une imiformité qui plaît aux élèves, qui facilite le travail des maîtres, qui faciliterait aussi le classement des travaux d'élite dans les expositions scolaires. Mais, fait justement observer M. l'inspecteur d'académie de Rar-le-Duc, si l'on ne peut pas obtenir cette unifor- mité désirable, on ne doit pas se refuser à employer comme cahier mensuel le premier cahier venu, ne fût-il que de quatre ou cinq feuilles. On le renouvellerait plus souvent, et, en conservant les cahiers successifs, on n'en obtiendrait pas moins le résultat poursuivi par le ministre, c Les cahiers mensuels corrigés par les maîtres pourraient, dît-il encore, être communiqués aux parents, tous les trimestres par exemple, et seraient ensuite replacés dans l'armoire de la classe pour y être conservés jusqu'au jour l'élève quitterait définitivement l'école. Ce serait peut-^tre le meilleur des bulletins scolaires. Le père de famille aurait ainsi le moyen de constater par lui-même, à des époques assez rapprochées, le travail et les progrès de ses enfants. » C'est tout à fait notre avis.

Le cahier de devoirs mensuels serait ainsi, en quelque sorte, le ^rand carnet de correspondance entre l'école et la famille. Sur ce point, tout le monde sera d'accord, croyons-nous. Mais ce cahier doit-il avoir pour effet de supprimer celui qui dans certains dé- partements renfermait mensuellement les compositions d'après lesquelles étalent décernés les prix en fin d'année? Ici les opinions ^nt partagées : Dans llndre-et-Loire et dans le Morbihan ce dernier ^sabler est supprimé, il reste facultatif dans la Savoie, il est conservé dans Seine-et-Marne et dans d'autres départements. 11 faut laisser à œt égard la plus grande liberté aux inspecteurs et aux instituteurs:

90

EKVUB PÉDÀGOGIOUK

mais nous croyons que le mieux serait de distribuer les prix d'après les indications fournies par le seul cahier de devoirs mensuels, surtout si ces devoirs comprenaient généralement une récapitulation de ce qui a été vu dans le mois. Ce serait un moyen très pratique d'encourager l'assiduité, la justice n'y perdrait rien, et les familles ou les caisses des écoles feraient une petite économie.

En général on a été d'avis que la gymnastique, le chant et les travaux manuels ne donneraient pas lieu à des épreuves mensuelles. Cependant rien n'empêche l'instituteur de donner une note à chaque élève pour la gymnastique et les exercices militaires. Une petite dictée musicale peut trouver place tous les trimestres dans le cahier, du moins pour le cour moyen et pour le cours supérieur. Enfin, pour les travaux à l'aiguille, il n'est pas impossible d'annexer aux cahiers ordinaires un cahier d'ouvrage qui permette de constater les progrès des élèves et la suite méthodique de l'enseignement selon le programme réglementaire, comme cela se pratique utilement dans l'école de filles de l'ancien observatoire à Marseille.

La question qui peut diviser le plus les instituteurs, c'est celle de savoir combien de devoirs les élèves auront à inscrire sur le cahier mensuel d'après la division à laquelle ils appartiennent. Elle a déjà été discutée par les instituteurs de l'arrondissement d'Abbeville dans les conférences pédagogiques d'automne. Nous croyons intéressant de faire connaître les résolutions adoptées. On a d'abord écarté l'idée de faire faire mensuellement un devoir sur toutes les matières, à cause de l'étendue des programmes et parce que ce système impo- serait aux maîtres un surcroît excessif de travail au détriment de la préparation des leçons et de la correction des autres devoirs journa- liers. Pour tout concilier, il a paru opportun d'établir huit groupes de devoirs ; les quatre premiers comprennent les matières les plus impor- tantes, et donnent lieu à une composition mensuelle; les quatre autres à une composition revenant tous les deux mois. Le tableau suivant indique Tordre dans lequel les différentes branches du progranmie figureront au cahier mensuel :

l»»- MOIS

l»'» SEMAINE

SBMAI7IR

s* SBSATNB

4* SBMAIXK

2 devoirs

1 devoir

2 devoirs

i devoir

1* Orthographe

RédactioQ

1* Arilhmétiqoe

Hislûire

oueiercicede

ou

ou géométrie

de France

fniDçais.

instruction

et système

on notions

morale.

métrique.

d*histoire

!• Géographie

générale.

oa instmction

fr Écriture ou

civique.

dessin.

CHRONIQUE DE l'ENSEIGNEMENT PRIMAIRE EN FRANCE

91

2* MOIS

!«»• SEMAINE

si: MAINE

3' SKMAINE

SEMAINE

2 devoir;!

i devoir

2 devoirs

1 devoir

!• Orthographe ou exercice de

Rédaction ou

!• Arithmétique ou Géométrie

Histoire de France

français.

S* Sciences naturelles.

instruction morale.

et système métrique

Agriculture

et horticulture

ou

ÉcoooDue domestique.

ou notions

d'histoire

^nérale.

Cette organisation n'est pas mauvaise. Elle peut, sans doute, ^tre plus on moins modifiée et il n'est pas nécessaire que le même nombre de devoirs soit demandé à chaque division de l'école primaire. Mais le tableau ci-dessus reproduit montre assez bien, selon nous, dans quel esprit doit être appliquée la circulaire du ministre.

On nous pardonnera d'avoir insisté sur la tenue des modestes cahiers qui s'introduisent dans les écoles. Ccst parce que nous les croyons destinés à rendre les plus grands services à Tinstruction primaire que nous n'avons pas craint d'entrer dans tous ces détails.

Transfert du Musée pédagogique. Un décret en date du 30 décembre i884 a ordonné que le Musée pédagogique et la Biblio- thèque centrale de l'enseignement primaire, actuellement installés iS, rue Lhcmiond, seraient transférés, 10, rue Louis Thuillier, dans les bâtinotents précédemment occupés par l'éoole normale spéciale de travail manuel.

La prise de posssssion par le Musée de ses nouveaux locaux aura fieu probablement dans le courant de février.

COURRIER DE L'EXTÉRIEUR

Angleterre. La sous-commlssîon chai^^ée par le School Board de Londres d^examiner si i'ot>erpreMurf existe réellement dans les écoles de cette ville, a présenté son rapport. Voici la conclusion de ce document : La sous-commission est d avis qu'il v a parfois excès dans le travail demandé aux élèves; mais ces cas de surcharge sont relativement peu nombreux, et le mal n'est pas très répandu. Elle reconnaît que beaucoup a été fait par le nouveau Ck)de scolaire pour

{prévenir cette overùresiure\ mais elle pense que, si l'on veut obtenir es résultats désirés, il faut que le Code soit appliqué selon Tesprit aussi bien que selon la lettre, ce qui n'est pas le cas à présent. Elle fait en conséquence les reconmaandations suivantes : i^ Sup- pression générale des devoirs à faire à la maison : 2* interdiction aux maîtres et maîtresses de retenir les élèves à l'école (c keeping in 9) excepté dans le cas de punition (1); 3<^ il v aurait lieu de rappeler expressément à tous les administrateurs d écoles (managers) qu'us ont le droit, et aussi le devoir, d'écarter de l'examen tous les enfants dont la santé pourrait souffrir soit de l'examen lui-même, soit de la préparation a l'examen ; et d'insister sur ce point, qu'une surveillance exercée pendant toute l'année sur l'école et les élèves est nécessaire pour raccomplissement de ce devoir ; i^ le School Board devrait se préoccuper de placer l'administration des écoles entre les mains de managers plus compétents.

Le Journal of Education de Londres, qui a l'habitude d'ouvrir de temps en temps des concours à l'usage de ses lecteurs, leur avait proposé dernièrement un sujet assez original. Il s'agissait de répondre à cette Question : c Quels sont, classés par ordre d'impor- tance^ les sept plus grands éducateurs anglais vivants ? » Une centame de lecteurs ont envoyé au journal des listes de noms; et voici comment se sont répartis les sufl^ges :

Herbert Spencer, 72 voix; Alexandre Bain, 50; Huxley, 38; £. Thrinff, 36; miss Beale, 34; miss Buss, 33; R. H. Quick, 32; E. A. Abbott, 31; A. J. Mundella et J. G. Fitch, chacun 29; J. Ruskin etMathew Arnold, chacun 28; S. Laurie, 24; miss Shirreff, 22; Oscar Browning, 18; F. W. Farrar et James Sully, chacun 15; M"* Grey, 13; F. Temple et W. E. Forster, chacun 12; J. M. D. Meiklejonn, James Wilson, H. M. Butler, chacun 10; M"'® Bryant, B. Jowett, F. G. Fleay, chacun 8 ; Max MûUer, H. C. Bowen, ■J. Stuart, chacun 6; P. Magnus, 5.

Sur ces trente noms, la moitié environ sont parfaitement inconnus ^e ce côté-ci de la Manche.

(1) Si nous comprenons bien, la sous-commission admet la retenue, à titre de punition, mais elle proscrit Vétude en classe, c'est-à-dire l'usage de faire

COURRIER DE L'EXTARIEUR 93

Voici la liste qui a obtenu le prix, et que le journal a faite sienne en la couronnant :

1. Herbert Spencer.

2. Huxley (enseignement pratique de la zoologie ; géographie phy- sique}.

3. J. Wilson (enseignement des sciences à l'école).

4. E. Thring (réformes dans l'administration intérieure des collèges).

5. Miss Buss (collèges pour les jeunes tilles).

6. S. Laurie.

7. R. H. Quick (notre seul historien).

le. Le Moniteur belge publie une circulaire du ministre de l'intérieur et de Tinslruction publique prescrivant le mode de subsides scolaires. Le crédit porté au budget est de 6,3:25,000 francs.

La répartitioD de cette somme, dit le ministre) se fera, sauf les exceptioos, d'après les règles saivaotes :

La base de la répartition sera un subside proportionné à la population de la commune, calculé k raison d'un franc par habitant.

Cette base sera modifiée, en plus ou en moins, de la façon suivante :

Aucune commune ne recevra ni moins des trois cinquièmes (60 0/0) de ce qu'elle a reçu en 1883, ni moins de 600 francs.

Toute commune qui, en 1883, a reçu moins d'un franc par habitant, recevra un subside égal à celui de 1883, sans cependant qu'il puisse être inférieur ni à un franc par deux habitants ni à 600 francs.

Pour bénéficier de la garantie du subside minimum de GOO francs, il faut que la commune ait au moins une école primaire communale ou adoptée, à son usage exclusif.

Enfin, en règle générale, le subside de l'Etat ne peut dépasser le double de la part d'intenention de la commune dans les frais du service ordinaire de l'instruction primaire.

568 communes (un )>eu plus du cinquième des communes belges) conti- nueraient à toucher des subsides au moins égaux à ceux qu'elles re^*oivent aujourd'hui ; les autres communes toucheraient moins que leur subside de 1883, sans néanmoins que l'intervention de l'Etat puisse être inférieure à GO 0/0 de ce subside.

Le Brabant et le Luxembourg sont les i)rovinces dont les communes verront le plus réduire les subsides qu elles reçoivent de l'Etat.

En terminant, le gouvernement rappelle aux communes, comme iiche de consolation, que si elles doivent recevoir moins, la loi clé- ricale leur permet aussi de dépenser beaucoup moins pour Tinstruc- tion primaire :

Les communes pourront, sous le régime de la législation actuelle, réaliser des économies considérables. Elles y trouveront une compensation à la réduc- tion des subsides de l'Etat.

I^ conseil communal de la ville de Gand, usant de la faculté donnée aux communes par l'article i de la loi du 20 septembre 1884, a décidé que l'enseignement de la religion et de la morale serait porté au programme des écoles primaires de cette ville. Le collège des bougmestre et échevins s^est adressé à Tévêque pour lui deman- der s'il consentirait ù ce son clergé donnât cet enseignement aux élèves catholiques des écoles communales. L'évéque a répondu affir- mativement, en mettant toutefois à son consentement les quatre con- ditions suivantes:

94 BIVDX PiDAGOGlÛIJI

1^ Que le caractère des ecclésiastiques qui se rendront aux écoles sera respecté par les élèves;

2<» Que les instituteurs ne contrecarreront en rien les instructions données par les ecclésiastiques ;

3** Que les livres employés dans les écoles ne contiendront jamais rien qui soit contraire aux enseignements de la religion ;

4^ Que les instituteurs auront soin que leurs élèves sachent par- faitement par cœur la leçon de la semaine.

Ainsi l épiscopat belge, qui, pendant qu'un ministère libéral était au pouvoir, refusait de faire donner renseignement religieux dans les écoles communales, sous prétexte que le prêtre ne pouvait pas entrer comme simple professeur de religion dans me école ne relevant que du pouvoir civil, cet épiscopat tronve mainte- nant que sa conscience lui permet de faire ce qu'elle lui interdisait il y a cinq ans. Il est vrai qu'il exige, comme prix de son concours, Fassurance que « les livres employés dans les écoles ne contiendront jamais rien qui soit contraire aux enseignements de la religion ». Le conseil communal de Gand a accepté cette condition : il nous sfimble

Sj'il a pris un engagement bien imprudent. Cest accorder au ergé le droit de mettre à Tindex tous les li\Tes qui lui déplairont ; et Ton sait ce que doit être un livre d'histoire ou un livre de science pour trouver grâce devant lui.

Canada. Un journal bas-canadien, V Enseignement primaire de Québec, nous apporte rhistorictte suivante, qui pourra donner une idée de la façon dont sont dirigées les écoles de notre ancienne colonie.

M. Archainbault, surintendant des écoles catholiques de Montréal,

de la conférence de la circonscription de Técole normale Jacques Cai-tier, à Montréal », Ces requêtes demandaient au Saint Père la bénédiction apostolique, et, en échange de cette faveur, contenaient des engagements ainsi conçus :

(Première requête). « En reconnaissance d'une si grande faveur, nous prenons l'engagement solennel de continuer a soumettre notre enseignement à la naute surveillance de l'Eglise catholique, afin qu'il ne soit jamais entaché de l'erreur moderne appelée laictsme, mais qu'il porte toujours l'empreinte de l'esprit chréten. »

(Seconde requête) « En reconnaissance d'une si grande faveur, ils prennent l'engagement solennel de soumettre toujours leur ensei- gnement à la haute surveillance de TEglise catholique, de former le cœur et de cultiver l'intelligence de leurs élèves de manière à en faire des chrétiens fervents et des citoyens vertueux. »

Le pape a accordé les deux bénédictions demandées. De retour an Canada, M. Archambault, muni des deux parchemins apostoliques, les a fait revêtir de Yapprobatur de l'évêque de Montréial ; puis il les a fait imprimer avec le texte des deux requêtes afin d'en pro- curer une copie à tous les intéressés.

N'est-il pas singulier de voir des instituteurs laïques, dirigés par un surintendant laïque, répudier avec tant de solennité « Terreur moderne appelée ktiscisme » ?

COURRHBR VK l'sXTÉRIEUR 95

Hem Hafwaï. Nous extrayons les détails qui suivent du rapport biennal présenté en 1884 à r Assemblée législative des îles Hawaî par le président du Board of Edxication. Ce rapport est rédigé en anglais et imprimé à Honoloulou.

Les écoles hawaïennes sont de trois catégories : les écoles ordi- naires (common schœh), les écoles supérieures (êeiect schools), et les écoles libres (independent schools).

Les common scMols sont entretenues par le gouvernement; l'en- seignement, qui est gratuit, y est donné en langue hawaïenne, par des instituteurs hawaïens : les branches d'étude sont la lecture, récriture, l'arithmétique, la géographie et parfois le chant. Ce3 écoles laissent beaucoup à désirer; les instituteurs sont peu capables, la fréquentation des élèves est très irrégulière. Il y avait en 1883 114 common schools, avec 2,841 élèves (1,627 garçons et 1,214 filles).

Les sdect schools sont aussi entretenues par le gouvernement; renseignement s'y donne en anglais; il compreml les mêmes matières qu'à la common school^ et quelquefois en outre le dessin et les sciences naturelles. Ces écoles sont ouvertes aux deux sexes; la plupart ne sont pas gratuites. 11 y en avait en 1833 44, avec 109 insfituteurs et 3,489 élèves (2,124 garçons et 1,365 filles). La sta- tistique range au nombre de ces écoles le séminaire d'instituteurs (seminary), installé à Lahainalouna; le cours d'études de ce séminaire est de quatre ans; les branches d'enseignement sont Talgèbre, la géométrie, la trigonométrie, Farpentage, la conoptabilité, l'histoire, Ïbl physique, la morale, Téconomie politicfue, la physiologie, la composition anglaise, la musique, les exercices militaires, la péda- gogie théorique et pratique. Les élèves, au nombre de 70, sont en outre exercés aux travaux agricoles.

Les independent schools sont au nombre de 42, avec 2,393 élèves (i^^^ garçons, 1,215 filles); onze d'entre elle&sont des pensionnats. La plupart de ces écoles relèvent d'une église ou d'une association religieuse. Quelques-unes d'entre elles sont subventionnés par le gouvernement.

Italie. Le Sénat italien a discuté en décembre dernier le projet de loi sur les traitements et la nomination des instituteurs déjà voté par la Giambre, et il l'a adopté avec Quelques modifications. Le projet est revenu devant la Chambre des députés, et le ministre Coppino en recommande le vote immédiat sans nouveaux charge- ments.

Russie. Nous avons parlé (numéro de mars 1884, p, 286) d'un projet de fondation d'écoles ecclésiastiques, destinées à faire concurrence aux écoles primaires laïques et à donner aux enfants des paysans un enseignement strictement orthodoxe tant au point de vue politique qu'au point de vue religieux. Le projet s'est réalisé, et l'empereur, qui parait avoir pris celte question fort à cœur, a exprimé l'espoir c que le clergé paroissial se montrerait digne de sa haute mission dans cette importante afiaire ».

Voici les principales di^posUioBa du statut des écoles paroissiales ecclésiastiques, sanctionne le 13 juin 1884 :

Les c écoles paroissiales ecclésiastiques > sont des écoles éiémen-

96 RIVUl PÉDàGOGIQUI

taires établies par le cierge orthodoxe. Leur but est d'aiîermlr dans le peuple les principes de l'orthodoxie et de la morale chrétienne et de communiquer les premiers éléments des connaissances utiles. Ces écoles peuvent être, soit des écoles à une classe avec un cours de deux années, soit des écoles à deux classes avec un cours de quatre années . Outre la reliffion et le chant d'église, on y enseigne la lecture du russe et du slavon d'église, l'écriture, les éléments de Tarithmétique ; dans les écoles à deux classes, on enseigne en outre les éléments de l'histoire ecclésiastique et nationale. Aux écoles paroissiales ecclésiastiques peuvent être annexées: des classes complemenlaires ; des classes d'adultes; des classes de travail manuel; des écoles du dimanche. Sont chargés de la direction inmiédiate des écoles paroissiales ecclésiastiques soit les prêtres de la paroisse, soit des personnes qui, dans les <:as exceptionnels, seront designées à cet efifet par Tévèque. Les évêques nomment, parmi les prêtres les plus capables et les plus dignes de confiance, des inspecteurs qui doivent présenter chaque année un rapport sur les écoles de leur circonscription. Il y a dans chaque aiocèse un conseil établi pour délibérer sur les questions relatives aux écoles paroissiales ecclésiastiques; le président et les membres de ce conseil sont nommés par Tévêque. L'administration générale des écoles parois- siales ecclésiastiques appartient au Saint-Synode.

Le comité de statistique du ministère de l'intérieur vient de

Î)ublier des renseignements relatifs aux écoles primaires rurales dans es 30 goubernies de la Russie d'Europe et les 10 ^oubernies de la Pologne. L'empire possède en tout 22,770 écoles primaires rurales, avec 1,140,915 élèves (904,918 garçons et 235,997 filles) et 36,955 maîtres (12,566 ecclésiastiques, 19,511 instituteurs, 4,878 institu- trices). Ces écoles sont réparties de la manière suivante entre les dix circonscriptions académiques : Saint-Pétersbourg, 1,598; Moscou, 3,919: Kharkov, 2,219; Kiev, 3,635; Odessa, 1,365; Kazan, 2,535; Orenbourg, 1,238; Vilna, 1,5U; Dorpat, 2,460; Varsovie, 2,287.

Le gérant : H. Gantois.

IMPRIMBRII GINTKALI DIS CHEMINS Dl VER. UfPRUflKII CBAIX. •UI BIMÊKI, 20, PARIS 310t8-4*

Iimlk lérie. Tom VI. 2. <5 Péuier m'y

REVUE PÉDAGOGIQUE

LETTRES INÉDITES DU PÈRE GIRARD

A M. J.-J. RAPET (Suite el fin}.

\IV

Fribourg en Suisse, le 5 novembre \x'\\ Très cher et respectable ami,

4e viens de lire votre dernière avec mon beau-frère Sprenj;er que vous avez appris à connaître dernièrement. Elle nous a vivement touchés par la noblesse des sentiments quelle exprime. J ai eu des amis dans ma vie et je ne sais si j'en ai eu un que je puisse vous comparer. Longtemps je n'ai vécu que pour Téducation des généra- lions naissantes, et je vois, dans la joie de mon cime, que j'ai trouvé en vous le même dévouement, le même désinlércssemenl.

Vous trouverez à Paris, chez notre ami, M. Michel, la procuration que vous demandez pour traiter en mon nom avec un imprimeur ou un libraire ou avec tous les deux, s'il le faut. Vous, mes amis, vous voudrez bien vous entendre sur les conditions à faire et prendre ensuite les mesures que vous croirez les plus convenables pour la publication de mon travail dès à présent et dans l'avenir. Je sais que la loi frantjaisc accorde un privilège qui ne finit que trente ans après le décès des auteurs.

Il y aura ensuite un arrangement à prendre entre nous, puisque la reconnaissance ne me permettrait pas de vous exclure des béi/é- fices, si la justice pouvait s'entendre à une semblable exclusion. Il faut que vos soins soient reconnus, et ils le seront.

Vos noms doivent figurer sur les titres du cours de langue, ne serait-ce que pour ôter aux Français toute méfiance à l'égard d'un travail fait et rédigé par un étranger. Vous aurez donc tous deux la bonté de corriger les fautes de langage qui auraient pu échapper à l'auteur et a ses copistes. C'est pour cela que les manuscrits ont de grandes marges.

RIYUB Fi^DAGOOIQUl 1885. ^ 1«' SM. 7

98 REVUE PEDAGOGIQUE

Quant à l'ouvrage même je dois insister auprès de vous de n'y changer que les définitions et les divisions qui seraient directement contraires à celles de lAcadémie. Cela se réduira à bien peu de chose. Je vous prie d'observer que l'introduction du cours de langue a été approuvée par l'Académie et que par conséquent les définitions et les divisions grammaticales exposées dans mon livre depuis la p. 78 à 8S n'empêcheront pas que le Conseil Royal n'approuve le cours de langue qui les renfermera.

Quant à Varticle, je vous prie de voir la note que j'ai ajoutée à la preiiière partie de la syntaxe. Tous les grammairiens, y compris Noël et Cliapsal, disent qu'il détermine le nom, ce qui ne peut s'entendre que de son étendue. Ainsi, si l'on veut être conséquent, il faut faire rentrer dans cette classe tous les mots que j'y ai placés. Vanicr et Ch. Martin m'ont précédé en cela et je n'ai fait qu'adopter la classification la plus simple et la plus marquée pour l'enfant. Si vous croyez cependant nécessaire d'en adopter une autre, que la mienne paraisse au moins en note, coume une pierre d'attente.

J'en dirai de môme des locutions aimant et ayant aimé dont j'ai fait un second inliuitif, attendu que ce sont la aussi des formes imper- sonnelles du verbe, par conséquent des infinitifs, comme aimer et avoir airuë.

Jo ne suis sans doute pas d'accord avec telle ou telle grammaire; mais il faut se rappeler que les grammairiens français ne sont point d'accord, mrme ceux dont les ouvrages ont obtenu l'approbation du Conseil Uoyal. Cette autorité laisse donc de la latitude à la liberté, et je ne vois pas pourquoi je ne devrais pas en jouir aussi. Inneces- tiriis unitas, disait Saint Augustin, in dubiis libertoi, in omnibus autcm charita'<.

La langue fraii<;aise est faite, l'Académie en a consacré les loca- tions qu'elle a jugées convenables, voilà le nécessaire à respecter. Les détinitions et les divisions grammaticales souvent très variâmes et très dilTérenles sont ce qu'il y a de douteux, puisfiue la seule autorité compétente n'a pas pris de décision là-dessus.

J'enverrai à M, Michel la nouvelle rédaction du premier cours de syntaxe, en sorte que la première est mise de coté.

Je fais copier à mesure et je compte pouvoir envoyer mon tra- vail les premiers jours de décembre. Il faut donc commencer l'ia- pressian par la deuxième partie de la syntaxe, les deux parties de la conjugaison et le premier cahier du vocabulaire.

Au second cahier du vocabulaire, il y aura les quatre premiers numéros à changer, en conséquence de la nouvelle rédaction de la première partie de la syntaxe. J'enverrai prochainement ces quatre nouNeaux numéros à M. Michel.

Si vous obtenez la permission de venir à Fribourg, je désire que vous ne veniez que plus tard, puisque je suis à travailler po«r la publication prochaine.

LETTRES IMÉ0ITE8 DU PÉRfi GIHARD 99

Agréez, mon cher ami, Texpression de toute mon estime et de

mon atUcbemeni. Veuillez me renouveler au souvenir de M"*« Rapel

q ue je ne sépare pas de vous.

A la hÀle.

Grég. Girard, cordelier.

P. S.— M. Bonjour devait avoir aujourd'hui la Iroisième séance (1); mais Tarrivée d'un prince de Moldavie me prendra Taprès-midi.

XV

Jo n'ai que le temps de vous écrire deux lignes à Pérîgueux vous avez l'air de vous trouver encore. Grâce au bon sens de M. Dezobry (2), l'orage est dissipé (3) et l'impression du cours de

(1) Il s'agit d'un peintre qui faisait le portrait du P. Giiard pour M. haywl.

(2; L'un des chefs de la maison Dezobry et Magdelaine, avec laquelle MM. Rapet et Michel avaient traité au nom du P. Girard pour l'impression du Cours de langue.

(3i L'orage auquel il est fait allusion provenait de ce que MM. Unpet et

Xichel avaient demandé ta P. Girard d'assez nombreux changemcnis dans

son ouvrage, en vue de l'approprier aux besoins des écoles françaises. Le

P. (iirard se montra très mécontent. Après.un premier raccommodement,

celui que constate la présente lettre du ii février 1845 il y eut une nouvelle

crise plus aiguë dans l'été de 1845. Nous ne possédons pas les lettres du

1*. Girai-d relatives à ce pénible incident; M. Rafict les asait probablement

«létniites : mais nous avons les brouillons de deux^ K'ponses faites par

M. Rapet au P. Girard, à la date des 6 juin et 19 septembre 18i5. L'extrait

suivent de la première de ces réponses fera connaître suffisamment la

nature des griefii du P. (îirard :

c C'est avec un véritable sentiment de douleur, écrit M. Rupet, que nous avons lu aujourd'hui la lettre que vous nous avez fuit l'honneur de nous écrire le !•' de ce mois... Permettez-moi de vous exprimer tout mon regret de ce qfue ma lettre à M. Naville est arrivée entre vos mains. M. Na ville m'ayant écrit qu'il avait envoyé ma lettre à M. Werro, «fin qu'il en prit connaissaoee, et que s'assurant par lui-même de nos dispositions à l'égard de votre ouvrage et de nos sentiments pour vous, il piU dissiper les nuages qui s'étaient élevés dans votre esprit sur notre compte, je me suis empressé de lui répondre le lendemain de la réception de sa lettre, c'est-à-dire avant- hier, que j'avais vu sa démarche avec un grand regret... Je lui ai dit que nous désirions vivement qu'on ne troublAt plus votre repos et qu'on ne vous importunât jamais à notre sujet. J*ai ajouté que maintenant que nous cooiMissioBS votre ferme résolution de ne rien changer au Cours de langue, nous étions déterminés à ne plus vous adresser aucune demande de change- ment et à donner votre pensée tout entière. Je lui marquais même qu'ayant reconnu qae voas étiez peu satisfait des notes que M. Michel, avant mon arrivée à Paris, avait cru utile d'ajouier avec la désignation de No(es des éditeurs f doua regrettieas beaucoup, et M. Michel le [premier, que nous en eussions introduit aucune : aosti loi disaia-je qne nous les avions supprimées

iOO REVUE PÉDAGOGIQUE

langue va commencer. Ne tardez pas, mon ami, d'aller à Paris donner des soins à une édition qui demande une exactitude dont vous êtes capable, et qui est étrangère à votre collègue. Il n'a pas correspondu régulièrement avec vous. Je le vois par une correspondance qui m'a bien détourné de mon travail.

Je n'ai jamais douté de votre amitié pour moi et de votre zèlf pour la chose, mais vous avez trop tenu à une routine qui croulf et qui va tomber. Voilà ce qui a fait ombrage à ma confiance sans nuire à mon attachement. Je croyais qu'il fallait prendre toutes aulres mesures pour la publication, ce qui me contrariait beaucoup dans mon travail. Cependant je ne vous oubliais point dans la circon- stance quelque pénible qu'elle fût pour moi, et je vous en aurais fourni la preuve. Laissez-moi la partie systématique, moi seul, jusqu'ici, j'en tiens les fils.

Dites bien des choses à M"»^ Rapet. Je n'ai point cessé de la distinguer.

Votre ami, G. Girard, cordelier. Fribourg en Suisse, le 12 février 1845.

P.-S. M. l)ezobri vous communiquera les réflexic^ns que je lui ai adressées et qui ont mis lin à Torage. Donnez-moi votre adresse à Paris car j'aurai à vous écrire en particulier. Veuillez aussi deman- der à M. Michel tout plein do renseignements que je lui ai envoyés.

dans le reste du Cours de langue, bien déridés à donner votre œuvre iniacte, sauT les corrections de slvle. Euûn je lui disais que nous étions convdincus que lorsque vous verriez que nous nous sommes ainsi conformés à vos désirs et que nous publions votre pensée tout entière, vous nous rendriez de vous- même celte confiance et cette aifection qui étaient à la fois pour nous un honneur et un bonheur. Voilà ce que je lui disais il y a deux jours....

<f Ces explications franches que je vous donne au nom do M. Michel et au mien vous feront sans doute revenir, mon très Révérend Père, de votre intention d'arrêter l'impression du Cours de langue. Nous la laisserons donc continuer, à moins que vous ne nous disiez le contraire, ou que vous r.e l'ayez déjà écrit à MM. Dézobry. En effet, la crainte que vous pouviez constrver de vous voir continuellement en opposition avec nous, la crainte aussi de voir cette divergence d'opinion aller en croissant à mesure que le travail avance, et entraîner des discussions snns fin, tout cela a disparu. Ainsi que je l'avais déjà écrit à M. Naville, nous avons reconnu la convenance d'imprimer votre ouvrage en entier, tel que vous l'avez conçu et sans vous proposer dorénavant aucune modification. Pour vous rassurer même complè- tement à cet égard, j'ajouterai que nous avons achevé il y a deux jours U révisiou du manuscrit des deux premières parties, nous bornant exclusivement à cori'iger les fautes de style. Vous n'avez donc plus à redouter d'être dans la nécessité de lutter avec nous pour l'impression exacte de votre œuvre. Cette con- sidération vous fera sans doute revenir de votre intention et vous déterminera à ne plus différer une publication que la société n'a que trop attendue. »

LETTRES INÉDITES DU PÈRE GIRARD 101

XM

Observations de M. Rendu sur l ouvrage du Rév. P. Girard, De l Enseignement régulier de la langue maternelle (1).

Page 23L « Les tendances naturelles ne peuvent être que bonnes, puisqu'elles sont Tœuvre du Créateur, et qu'elles sont destinées à •retracer en nous son image. A notre naissance, elles ne sont que des germes, et il faut que ces germes se développent bien pour pro- duire la vertu. Celle-ci ne peut pas naître avec nous, cor elle doit devenir ce produit volontaire d'un être intelligent qui sait distinguer le bien du mal, et qui, au milieu de toute espèce de séduction, s'at- tache fortement à tout ce qui est honnête et bon. »

Ces paroles rappellent le prindpe de Jean-Jarques : « Tout ce qui sort des mains du Créateur est bon. » On y fail abstraction de la dé- pravation originelle qui se manifeste aussi par des tendances qui ne sont que trop naturelles.

Page 236, « De quoi s avisent donc ces moralistes qui, sous prétexte d'une haute sainteté, nous conseillent de refuser tout ce qui est agréable aux sens? lis insultent en même temps à la nature humaine et à son auteur. Ils prétendent aussi corriger TÉvangile dont ils se disent les disciples : car l'Évangile veut en général que rhomme prenne soin de son enveloppe et que, goûtant les plaisirs innocents que le Créateur lui olTre dans sa bonté, il en relève le prix par la reconnaissance (V^ Épître de Saint Paul à Timothée, chap. IV, 2-8) ».

L'Évangile ne dit-il pas au contraire, et ne répète-t-il pas : « Faites pénitence, portez votre croix; renoncez à tout, etc. ? » Le P. Girard ne parle nulle part de l'obligation de faire pénitence. Les paroles que nous venons de citer semblent accuser d'exagération et d'erreur tous ces grands exemples de pénitence et de mortification que l'Église nous met chaque jour sous les yeux, et le passage de siiint Paul auquel il renvoie ne contient certainement rien qui puisse venir à l'appui de sa doctrine.

Page 27 L « Ce n'est pas que l'enfant naisse hostile à la vertu et hostile au bien, puisque comme nous venons de le voir, il porte au fond de lame l'amour indélébile de la vertu et l'amour indélébile du bien, comme deux traits saillants et ineffaçables de ressemblance

(1) Les ob8er>'ations qu'on va lire avaient été remises à M. Hapet de la part de MM. Ambroise Rendu et Guéneau de Mussy ; M. Rapet les fit par- venir au P. Girard. Le digne cordelier rédigea aussitôt la réponse qu'on trouvera plus loin, et l'adressa à M. Rapet par l'intermédiaire de ses inli- leurs, MM. Dézobry et Magdelaine.

102 RI VUE PÉDAGOGIQUE

avec le Créateur qui a grave en lui sod imago. Mais... s'il est esprit^ il est chair en -même temps, et c'est la partie animale qui se déve- loppe premièrement en lui...

» Il arrive- de que la partie basse de la nature humaine a déjà gagné de l'extension et pris de l'empire sur Tenfant, tandis que la partie noble à qui revient Tempire sommeille encore, ou ne se mon- tre que rarement et faiblement. C'est cette priorité et cette prédomi- nance de la sensualité que nous appelons le péché originel, ou la tache originelle, avec laquelle naissent tous les enfants d'Adam. »

Comment concilier cette théorie avec ce que la foi nous apprend que tous ont péché en un seul, que, comme enfants d'Adam, nous naissons enfants de colère, sujets à la concupiscence, à l'ignorance, à la mort? Comment Tauteur n'a-t-il pas vu que cette opposition qu'il signale entre l'esprit et la chair, entre la partie noble et la partie basse de la nature humaine, atteste déjà une altération de l'œuvre de Dieu, qu'elle est une suite du péché originel, et par con- séquent ne peut pas le constituer?

P. 3j6 et 557. Il est question des maux de la vie, de la ma- nière dont nous devons les envisager, les accepter; mais pas un mol qui tende à nous les faire considérer comme des moyens d'expiation et de pénitence.

P. â23. « Les arbres, sans la culture de l'homme, ne produi- sent que des fruits sauvages pour la dent des sangliers, et c'est nous qui leur donnons la saveur et le parfum. Le Créateur a chargé l'homme d'achever la création terrestre, et pour ce noble travail, il lui a prêté une partie de son intelligence et de son empire. »

Le Créateur, à cause du péché de l'homme, a fait produire à la terre des ronces et des épines, et a condamné l'homme à la cultiver péniblement, à manger son pain à la sueur de son front.

Les phrases qui suivent celles que nous venons de citer me parais- sent également empreintes d'exagération.

P. AU, « Faites luire dans l'esprit de vos élèves la lumière de vérilé que le divin Sauveur a apportée sur la terre, et l'ordre s'éta- blira dans leurs penchants. »

Suffit-il donc de connaître la vérité pour en faire la règle de ses penchants et de ses actions?

En général, il m'a semblé teconnautre dans l'ouvrag^^, si estimable d'ailleurs, du révérend Père Girard une tendance au rationalisme, une atténuation des vérités de la foi, une exaltation sans contre- poids de la raison humaine. Les passages que j'ai cités sont ceux cette tendance me paraît se manifester davantage.

M. Rendu regrette aussi que dans l'ouvrage il ne soit question de TEglise nulle part.

LETTRES INÉDITES DU PÈRE GIRARD 103

RÉPONSE Wi P. 6IRARD AUX OBSEKYATIOKS DE M. RENDU

En Usant mon livre, il y a deux choses. Monsieur, qu'il ne faut pas perdte de vue. D'abord îl n'est pas le Cours éducatif de langue maternelle destiné aux enfants, mais simplement son introduction, il ne s'agissait que d'exprimer les principes, sans ajouter leurs développements. Ce serait donc ne pas être juste envers l'auteur que de lui reprocher l'omission de détails dans un livre qui n était pas fait pour les recevoir.

D'un autre côté, si le Cours de langue s'est mis au service de l'éducation chrétienne, il n'a pas eu et il ne devait pas avoir la prétention de l'achever. 11 s'est placé entre la mère et le saint ministère pour perfectionner ce qu'a fait l'une, et préparer, sans anticiper sur lui, ce que l'autre devra faire. C'est ce que mon livre déclare fréquemment, p. e. pages 149,283, 290,305. Les bornes que je me suis prescrites sont un mérite de mon travail. Ou devais-je peut-être, en développant l'instruction religieuse, la soustraire au catéchiste, pour la confier à des instituteurs et à des institutrices qui n'ont pour la donner ni la qualité ni l'autorisation nécessaires?

J'ai beaucoup développé la morale, comme cela devait être dans un Cours éducatif de langue maternelle. Quant au dogme, je m'en suis tenu aux premiers éléments. Dans les deux premières parties de la syntaxe j'ai tâché de fonder dans la raison, la conscience et le cœur des élèves le premier article du symbole chrétien : Je crois en Dieu, le Père tout puissant, créateur du ciel et de la terre. Puis la troisième partie établit le deuxième article : Je crois en /. C, son fils unique, etc. Le cours de langue laisse au catéchiste le soin d'enseigner le reste de la doctrine chrétienne. Il imite en cela M. Nicole dans son livre Les fondements de la foi que sans doute l'on n'accusera pas d'avoir par cette réserve trahi la religion.

Vos réflexions sur mon livre se terminent, Monsieur, par une conclusion qui m'a causé une surprise bien vive. La voici : En génértU il me semble reconnaître dans l'ouvrage du P. Girard une ten- dance au rationalisme, une atténuation des vérités de la foi, une exal- tation sans contrepoids de la raison.

Si ]^r rationalisme vous entendez l'abnégation de la foi en J. C, comme le comporte l'acception ordinaire de ce mot. je me bornerai, Monsieur, à vous dire : Ouvrez mon livre, lisez l'article Le Sawveur des hommes (p. Ii2 à 152), et devenez juste à mon égard, car vous ne Têtes pas.

Si par rationalisme vous entendez le soin de fonder en raison les premières vérités de la foi, alors j'accepte de grand cœur le reproche que vous pensez me faire, et je m'en fais un mérite. Je s^iis en cela l'exemple du divin Maître (voyez p. 153). J'imite les apôtres qui toujours raisonnent dans leurs épitres, qui voulaient que les fidèks fassent capables de rendre raison de leur foi (1 Petr. III, 15) et que sous

lOi R£VU£ PÉDAGOGIQUE

ce rapport ils ne fussent pa§ des enfants sans intelligence, mais des hommes parfaits en sagesse. (I Cor. I, 30) Au surplus je fais en cela ce que la théologie a fait en tout temps; puisque de tout temps elle s'est étudiée à mettre en harmonie la raison avec la foi. EnGn je fais en cela ce qu'exige impérieusement l'esprit de notre temps, depuis que le matérialisme et l'incrédulité ont marché tête levée sur notre Europe et y ont laissé des traces profondes môme Ton n'irait pas les chercher. L'éducation <loit prévenir la contagion du mal, et j'ai lâché de le faire.

Je crois, Monsieur, vous avoir édifié sur le fond des reproches que vous avez adressés à mon livre, et jo vais passer aux détails.

Vous m'accusez de n'avoir pas fait mention de l'église, et pour- tant elle paraît déjà deux fois dans l'article Le saurcur des hommes.

^^ Vous m'accusez de n'avoir pas donné le vrai sens au m)t de Péché originel, et >ous me citez en preuve l'expression de la Vulgate (Rom. V, 12) m quo onmes lyeccaverunt, que Sacy a traduite En qui tous ont péché. Mais cette traduction n'est pas exacte, car if <î> icdvxe; fiaaptov signifie quoniam omnes peccaverunt, comme Bergier a traduit ce passage En ce que tous ont péché {D'iciion. de théologie, Tome VI, page 135). Dans la basse latinité m quo (neutre) veut dire en ce que, quo- niam. La traduction de Sacy est d'ailleurs contraire au contexte, car au \erset li l'apùtredit expressément : La mort a régné aussi sur ceux qui n'ont pas péché à l'imitation de la prévarication d'Adam. Je pourrais justifier en bonne théologie catholique l'idée que j'ai don- née en passant du péché originel; mais pour ne pas vous blesser et les personnes qui pensent comme vous, j'ai supprimé le mot dans la nouvelle édition, et j'ai laissé la chose qui est de toute vérité, puisque nous l'aNons toujours sous les yeux.

3^ Vous trouvez, Monsieur, que j'ai trop relevé la dignité de l'homme ; or c'est de ce que le Créateur a fait de lui que je parh, et non de ce qu'il fait de lui-même dans ses égarements. Parlant de sa nature, l'Kcriture nous dit que Dieu l'a créé à son image et res- semblance et qu*<7 est de race divine. Peut-on dire quelque chose de plus grand de la nature humaine? Mes paroles au reste ne sont <iue le commentaire du huitième psaume ; commentaire que vous retrouverez dans /^(T^eer (Traité de la religion, Tome il, chap. Vi). C'est dans l'intérêt de l'éducation que je rends l'élève attentif à la dignité de sa nature, afin de donner à l'instinct naturel qui nous porte à nous estimer, la direction convenable, loin de la vanité et de l'orgueil, tout comme de la bassesse.

i<» Eu parlant de nos tendances naturelles (page 231) je prends ce mot à la rigueur, comme cela doit être dans un traité d'éducation il s'agit de faire le triage des penchants que l'homme manifeste dans la vie. Or les tendances primitives, qui seules sont naturelles, ne peuvent être que boiuies, puisqu'elles sont l'œuvre du Créateur. L'une d'entre elles, la tendance personnelle, bien que bonne aussi

LETTRES INÉDITES DU PÈRE GIRARD 105

dans son principe, est sujette à des déviations à côté de la liberté et dans la vie. Ces déviations ne sont ni générales, ni uniformes, ui constantes comme le sont les éléments constitutifs de la nature humaine. C'est donc par abus qu'on les appellerait naturelles^ ou du moins par une extension qui s'écarte du langage de la science, et que Ton ne devrait pas se permettre dans une discussion.

Si j'ai dit (p. 44i) Faites luire dans Vesprit de vos élèves la lu- mière de la vérité que le divin Sauveur a apportée sur la terre, et V ordre 9^ établira dans leurs penchants, j'ai résumé tout mon livre dans ces paroles. Il est bon, si elles sont vraies; il ne vaut rien, si elles sont fausses. C'est sur leur vérité que repose le ministère de la parole, établi par le divin Maître et conservé depuis dix-huit siècles dans son église. Le passage que vous avez inculpé, Monsieur, exprime en d'autres termes ce que le Sauveur a dit un jour à ceux qui croyaient en lui (Jean VIII, 31, 34): Si vous demeurez dans ma parole^ vous serez véritablement mes disciples, et vous connaîtrez la vérité, et la vérité vous rendra libres. Avoir entendu la parole du Sauveur et en con- server quelque souvenir dans la mémoire, ce n'est pas y demeurer. Pour cela il faut l'avoir habituellement devant les yeux et dans le cœur, ou bien, selon mon expression ci-rlcssus, il faut qu'(;llo luise en notie àme, et qu'elle soit la lumière à laquelle nous marchons. Alors l'ordre s'établit dans nos allections comme dans nos pensées, et, exempts de toute mauvaise passion, produit de l'ignorance et de Terreur, nous jouissons de la liberté des enfants de Dieu.

t}^ Vous trouvez mauvais, Monsieur, que mon livre ne parle pis de pénitence. Si le mot n'y est pas, la chose s'y trouve grandenicnl. Au chapitre 3 du livre IV il y a une indication des défauts que les élèves apportent plus ou moins aux levons régulières de langue, et tout le reste du livre n'est occupé que des moyens de cultiver les tendances primitives de la nature humaine de manière à prévenir ou à guérir le mal dans lo cœur de la jeunesse. Le caléchisle parlera du sacrement de pénitence. C'est sa lâche, et sans doute qu'il aura soin de dégager ce mot de toutes les fausses idées «jui ne s'y attachent que trop souvent. Le Cours de langue qui n'a devant lui (jue des enfants, doit leur parler autrement qu'on est obligé de parler à de vieux pécheurs qu'il faut d'abord épouvanter pour les détacher du mal, et les préparer ainsi à se tourner vers le bien. Quant à ce que vous appelez du nom de mortification, voici la règle de l'apotre {l Tim. iV, d) : Exercez-vous à la piété, car les exercices corporels servent à peu de chose; mais la piété est utile à tout, puisque c'est à elle que les biens de la rie préiente et de la vie future sont promis,

Enfm, Monsieur, vous trouvez mauvais que je ne relève dans la nature que les bienfaits du Créateur H que je ne dise pas qu'à cause du péché de l'homme, il a fait produire à la terre les ronces et les épines, pour en rendre la culture plus difficile et plus pénible.

D'après le récit de la Genèse, il paraît que dans le premier séjour

lOi R£VU£ PÉDAGOGIQUE

ce rapport ils ne fussent pas des enfants sans intelligence, mais des hommes parfaits en sagesse. (I Cor. I, 30) Au surplus je fais en cela ce que la théologie a fait en tout temps; puisque de tout temps elle s'est étudiée à mettre en harmonie la raison avec la foi. EnGn je fais en cela ce qu'exige impérieusement l'esprit de noire temps, depuis que le matérialisme et riitcrédulité ont marché tête levée sur notre Europe et y ont laissé des traces profondes même l'on nuirait pas les chercher. L'éducation doit prévenir la contagion du mal, et j'ai lâché de le faire.

Je crois, Monsieur, vous avoir édifié sur le fond des reproches que vous avez adressés à mon livre, et jo vais passer aux détails.

Vous m'accusez de n'avoir pas fait mention de Vêglise, et pour- tant elle parait déjà deux fois dans l'article Le sauveur des hommes,

2<* Vous m'accusez de n'avoir pas donné le vrai sens au m)t de Péché originel, et vous me (ilez en preuve l'expression de la Vulgale (Rom. V, 12) in qud oinnes peccaverunt, que Sacy a traduite En qui tous ont péché. Mais celle traduction n'est pas exacte, car If v ««ivxe; fijjiaftov signifie quoniam omnes peccaverunt, comme Bergier a traduit ce passage En ce que tous ont pcrAc (Diction, de théologie. Tome VI, page 135). Dans la basse latinité m quo (neutre) veut dire en ce çue, quo- niam. La traduction de Sacy est d'ailleurs contraire au contexte, car au verset li l'apôtre dit expressément : La mort a régné aussi sur ceux qui n'ont pas péché à l'imitation de la prévarication d'Adam, Je pourrais justifier en bonne théologie catholique l'idée que j'ai don- née en passant du péché originel ; mais pour ne pas vous blesser et les personnes qui pensent comme vous, j'ai supprimé le mot dans la nouvelle édition, et j'ai laissé la chose qui est de toute vérité, puisque nous l'aNons toujours sous les yeux.

3<» Vous trouvez, Monsieur, que j'ai trop relevé la dignité de l'homme; or c'est de ce que le Créateur a fait de lui que je parb, et non de ce qu'il fait de lui-même dans ses égarements. Parlant de sa nature, l'Ecriture nous dit que Dieu Va créé à son image et res- semblance et qu'<7 est de race divine. Peut-on dire quelque chose de plus grand de la nature humaine? Mes paroles au reste ne sont que le commentaire du huitième psaume : commentaire que vous retrouverez dans /ier^eer (Traité de la religion. Tome II, chap. VI). C'est dans l'intérêt de l'éducation que je rends l'élève attentif à la d'gnité de sa nature, afin de donner à Tinstinct naturel qui nous porte à nous estimer, la direction convenable, loin de la vanité et de l'orgueil, tout comme de la bassesse.

Eu parlant de nos tendances naturelles (page 231) je prends ce mot à la rigueur, comme cela doit être dans un traité d'éducation il s'agit de faire le triage des penchants que l'homme manifeste dans la vie. Or les tendances primitives, qui seules sont naturelles, ne peuvent être que bonnes, puisqu'elles sont Tœuvre du Créateur. L'une d'entre elles, la tendance personnelle, bien que boime aussi

LETTRES INÉDITES DU PÈRE GIRARD 105

dans son principe, esl sujette à des déviations à côté de la liberté et dans la vie. Ces déviations ne sont ni générales, ni uniformes, ni constantes comme le sont les éléments constitutifs de la nature humaine. C*estdonc par abus qu'on les appellerait naturelles, ou du moins par une extension qui s'écarte du langage de la science, et que Ton ne devrait pas se permettre dans une discussion.

50 Si j'ai dit (p. 444) Faites luire dans Vespril de vos élèves la lu- mière de la vérité que le divin Sauveur a apportée sur h terre, et V ordre Rétablira dans leurs penchants, j*ai résumé tout mon livre dans ces paroles. Il est bon, si elles sont vraies; il ne vaut rien, si elles sont fausses. C'est sur leur vérité que repose le ministère de la parole, établi par le divin Maître et conservé depuis dix-huit siècles dans son église. Le passage que vous avez inculpé, Monsieur, exprime en d'autres termes ce que le Sauveur a dit un jour à ceux qui croyaient en lui (Jean Vill, 31, 3i2): Si vous demeurez dans ma parole^ vous serez véritablement mes disciples, et vous connaîtrez la vérité, et la vérité vous rendra libres. Avoir eiitendu la parole du Sauveur et en con- server quelque souvenir dans la mémoire, ce n'est pas y demeurer. Pour cela il faut Tavoir habituellement devant les yeux et dans le cœur, ou bien, selon mon expression ci -dessus, il faut qu'elle luise en notie àme, et qu'elle soit la lumière à laquelle nous marchons. Alors l'ordre s'établit dans nos alTections comme dans nos pensées, et, exempts de toute mauvaise j>assion, produit de l'ignorance et de Terreur, nous jouissons de la liberté des enfants de Dieu.

ti^ Vous trouvez mauvais, Monsieur, que mon livre ne parle pis de pénitence. Si le mot n'y est pas, la chose s'y trouve grandenicnl. Au chapitre 3 du livre IV il y a une indication des défauts que les élèves apportent plus ou moins aux leçons régulières de langue, et tout le reste du livre n'est occupé que des moyens de cultiver h;s tendances primitives de la nature humaine de manière à prévenir ou à guérir le mal dans le cœur de la jeunesse. Le caléchisle parlera du sacrement de pénitence. C'est sa lâche, et sans doute qu'il aura soin de dégager ce mot de toutes les fausses idées qui ne s'y attachent que trop souvent. Le Cours de langue qui n'a devant lui que des enfants, doit leur parler autrement qu'on est obligé de parler à de \ieux pécheurs qu'il faut d'abord épouvanter pour les détacher du mal, et les préparer ainsi à se tourner >ers le bien. Quant à ce que vous appelez du nom de mortification, voici la règle de l'apùtre {l Tim. IV, 8) : Exerces'vous à lapiété, car les exercices corporels servent à peu de chose; mais la piété est utile à tout, puisque c'est à elle que les biens de la vie préiente et de la vie future sont promis.

1^ Enftn, Monsieur, vous trouvez mauvais que je ne relève dans la nature que les bienfaits du Créateur «t que je ne dise pas qu'à cause du péché de l'homme, il a fait produire à la terre les ronces et les épines, pour en rendre la culture plus difficile et plus pénible.

D'après le récit de la Genèse, il parait que dans le premier séjour

106 REVUE PÉDAGOCIfQDE

de rhorame il n'y avait pas de plantes épineuses, mais elles existaient hors de celte petite localité. Elles avaient été créées le troisième joui- avec le règne végétal dont elles sont une partie intégrante, et le Créateur, comme dit la Genèse, a vu que l'œuvre de ce jour était bonne. Si les ronces et les épines demandent de l'homme un travail pénible, le travail lui est en général utile à tous égards pour son déve- loppemenL Quant aux plantes épineuses elles sont les berceaux dt's forêts et de l'agriculture divine. Elles produisent des baies que riiomnie utilise, et dont les oiseaux font leur nourriture, tandis que les épines défendent leurs nids et leurs cx)uvées. Tout ce que le Dieu de toute bonté a fait est bon, et l'instituteur chrétien, dont la tâche principale est d'amener les élèves dans les bras du Père céleste, a le devoir de leur faire trouver dans toutes ses œuvres les traces de sa sollicitude paternelle. Ce ne sont pas des x juifs qu'il est appelé à former en eux, en leur inspirant la crainte servile. Il doit au con- traire leur inspirer l'esprit d'adoption de l'enfant qui dit: mon Père, mon Père (Rom. Vlll, lo).

Je viens. Monsieur, de répondre à tous les reproches que vous avez adressés à mon livre couronné [)ar TAcndémie. J'espère que vous trouverez m(»s réponses satisfaisantes et il ne me reste plus qu'à vous prier d'agréer l'expression de etc.

Frihourg en Suisse le 13 juin 18^6.

XVII

Monsieur et cher ami,

Je suis fArlié do n'avoir pas corrigé convenablement la table de mon livre, puisque je vous ai laissé la peine de le faire. Vous pouviez l'entreprendre sans m'en prévenir.

Au moment je vous écris MM. Dézobry et Magdeleine doivent avoir reçu la troisième partie de la syntaxe qui pourra de suite être livrée à l'imprimeur, si ces messieurs le jugent à propos.

Ils ont aussi reru ma réponse aux observations de M. Rendu. J'ai usé de tous les ménagements, quoique ses observations ne les aient pas toujours mérités. Elles sont quelquefois si erronnées et si tranchantes ! Je serais tenté de croire qu'elles ont été dictées par un intérêt tout autro que celui de la vérité et du bien à faire dans le domaine de l'éducation.

Je vous ai prié, par l'entremise de MM. Dézobry et Magdeleine de faire tirer trois copies de ma réponse à M. Rendu pour les présenter vous-même à MM. de Salvandy, Villemain et V. Cousin. J'ai pensé que dans votre position il pourrait vous être agréable d'avoir une occasion particulière d'entretenir ces messieurs sur un sujet qui ne manquera pas d'avoir quelque intérêt pour eux.

LETTRES IKÉDITES DU PÈBE GIRARD lOT

Dans la préface de la troisième partie de la syntaxe, je vous adresse publiquement mes remerciments pour les soins que vous avez donnés et donnez encore à mon tntvail, et il ne me reste plus qu'à vous prier de me renouveler au souvenir de M^ Rapel.

Votre tout dévoué,

(t. Girard. Fribourg en Suisse le 17 juin 18^H.

Monsieur et cher ami.

xvm

PrU)ourg, le 27 juillet 184G,

J'ai reçu avant-hier votre dernière avec l'incluse de M. Rendu. Cet homme respectable et son vieux ami ont compris qu'ils s'étai/*nl aventurés dans les observations qu'ils vous ont remises. Une lerfure plus attentive de mon ouvrage les aurait rendus plus circonspects et plus justes, comme vous avez le voir par ma réponse. Ce petit écrit pourra devenir utile avec le temps, car mon travail s'éloigne trop de la routine et de ceux qui ont quelque intérêt à la conser\'er. pour qu'il échappe à des attaques dictées par quelque passion.

M. Rendu et son ami ont été de bonne foi, et c'est la bonne cause qu'ils ont cru défendre. D'ailleurs ils ne se sont adressés qu'à moi- même sans mettre le public dans leur confidence. C^ci demande de ma part toute espèce de ménagements, et je ne veux pns y man- quer. Ainsi ne remettez pas les copies de ma réponse aux trois personnes que j'avais désignées, et veuillez garder le secret sur cet incident. Je réi)ondrai bi<»nl(M à l'obligeante lettre de M. Rendu: veuillez le lui faire savoir, si vous en avez l'occasion.

Je ne suis point surpris des obstacles que l'introduction du cours de langue éprouve en France. Je vous en ai prévenu ainsi que MM. Dézobry etc. Mais cela changera j>eu à peu: j'en suis sûr. Les Frères des écoles chrétiennes à Paris attendent le Manuel de Vèiève avec impâlicnre pour le traduire aussi en italien d'aprrs le génie de cette langue.

Je vous remercie du soin que vous donnez à l'édition do mon travail et je sais l'eslinier, moi qui ai été souvent dans «-as th^ soigner des éditions plus ou moins étendues.

Je suis maintenant occupé des compositions qui doivent accompagner le troisième volume de la syntaxe. L'ébauche en est faite depuis quelque temps: mais c'est un travail à retoucher une ou deux fois et à loisir. 11 se compose de deux cents sujets de compositions. Ce sont d'abord des letti-es familières, puis des ntrratinns. puis des descriptions, puis de« petits discours et enfin des dialogues. Le livre ne donne pas seulement les sujets, mais encore les canevas des

i

108 REVUE PÉDAGOGIQUE

compositions, comiiK' «.'da doit (Hrc, quand on a devant soi des commençants.

Je suis maintenant à l'ébauche du Vocabulaire qui me donne beau- coup de travail, parce qu'il s'aj^it de donner aux élèves la connais- sance du langage poétique et de la versification, tout en ne perdant jamais de vue le grand but du cours de langue qui est la culture des facultés de la jeunesse dans l'intérêt de la morale religieuse. La dernière partie (lu vocabulaire a principalement la culture de l'im iginalion en vue au moyen de la poésie, et marche à côté de la syntaxe qui entre dans la logique qui cultive la froide raison.

Veuillez communiquer ces idées à MM. Dézobri etc., tout en les remerciant de ma part des envois qu'ils ont eu la bonté de me faire depuis ma dernière. J'ai depuis cette époque reçu un exemplaire de la nouvelle édition de Touvrage couronné, puis les quatrains de Morel do Vindi et de François (de Neufchàleau), et le Rapport de M. Marmier.

J ai regretté qu'ils n'aient pas pu m'envoyer Mollevaut que je dé- sirais tout particulièrement. J'ai appris à connaître son travail (sans doute tout dilTérent de La Fontaine, Fiorian, etc.) par la Grammaire nationale de MM. Bescherelle imprimée chez Bourgeois-Maze, quai Voltaire, 21. Peut-être que MM. Bescherelle auraient la bonté de me céder leur exemplaire de Mollevaut ou du moins de me le prêter pour une quinzaine, wyage compris; ils m'obligeraient beaucoup. Vous seriez bien aimable, si vous m'arrangiez cette affaire.

M. Louis Naville est ici depuis quelques jours, et je le reverrai aujourd'hui, veille de son départ pour Genève. Nous avons déploré ensemble les deux pertes que nous avons faites coup sur coup sa famiflo et moi. Je lui ai communiqué vos lettres, et ce qui concerne les observations do M. Rendu.

Veuillez dire bien des choses à M. Michel. Je ne lui écris pas parce que je n'aurais rien de particulier à lui dire, sinon que j*ai vu so:i ami Challey et que je le reverrai encoie avant son départ pour Marseille, il est intéressé à la construction d'un môle.

En vous saluant de cœur et d ame, je vous prie de me renouveler au bon souvenir de M"»® Rapet.

Tout à vous,

Grég. Girard.

XIX

Monsieur et cher ami.

Knfm il est temps que je réponde à vos trois lettres. A tout péché miséricorde. Et si je sens vivement une faute, je sais aussi la par- donner. Ce n'était pas une rancune, car grâce à Dieu, jamais passion

LETTRES INÉDITES DU PÈRE GIRARD 109

hostile n'a souillé mon cœur. C'était simplement désapprobation dt* ma part, car je dérirais que vous obtinssiez ce que vous cher- chiez. Votre non-succès m'a fait de la peine. Vous espérez, et je désire qu'il en arrive selon vos vœux.

Je n'ai reçu que le commencement de votre Manuel. Cela m'a suffi, car j y ai vu dans l'avant propos ce que je désirais qui fût dit à ma décharge. La mémoire jouit, par malheur, en Piémont du crédit qu'elle a dans les écoles de France. Elle devrait venir après l'intel- ligence et non pas la précéder. Les Frères de la doctrine chrélienne de Paris qui se sont mis en correspondance pour me demander la permission de traduire le Cours de langue en italien, attendaient ce Manuel avec impatience. J ai vu par est encore leur méthode d'enseignement. Le général de leur ordre est à Paris, et c'est de France qu'ils sont sortis.

Un professeur de philosophie à Domodossola vient de m'écrire une lettre qui ne pouvait que me faire le plus grand plaisir. Il a saisi ma pensée tout entière et me l'a développée avec autant d'âme que d'intelligence. Si sa lettre n'était pas trop longue, je vous la trans- crirais. Elle est écrite en français.

Je m'occupe maintenant très sérieusement de la rédaction du troi- sième et dernier cahier du vocabulaire qui achèvera le Cours de langue. Tous les matériaux étaient prêts depuis longtemps; mais j'ai changé d'idée. Comme mon travail est destiné à l'enseignement pri- maire supérieur des classes aisées, j'ai du y faire entrer non seule- ment le langage figuré de la poésie, mais encore la mythologie, c.-à-d. ses éléments. Ainsi tous mes exemples sont en vers, et pour les recueillir à ma convenance, j'ai travailler longue- ment. Il fallait aussi une introduction sur la versification. Je ne me suis décidé à ce changement, qu'après m'être assuré que j'avais le moyen de favoriser le but que poursuit le Cours de langue du commencement à la fin et d y mettre, pour ainsi dire, la couronne. Vous verrez cela, et peut-être en serez-vous surpris. Mon travail avance, mais il ne pourra être livré à l'impression que dans trois mois au plutôt, comme je l'ai marqué à MM. Dézobri et Mag- delaine.

Nous venons d'échapper ici à un bouleversement politique. Notre gouvernement a eu dernièrement la maladresse de se joindre à rassociation catholique qui s'est formée entre les cantons de Lucerne, Un, Schwitz, Unterwald, Zug et Valais, cantons qui se touchent et dont les derrières sont en sûreté. Celui de Fribourg est enclavé dans les grands cantons protestants de Berne et de Vaud. Celui de Vaud en occupe une partie. Au surplus Fribourg renferme un district protestant, celui de Morat, qui ne pouvait qu'être très mécon- tent de se voir attaché à uneallîance catholique. Quelques membres du Grand-Conseil se sont joints aux députés Moratois pour faire sentir l'inconvenance et les dangers de l'alliance que proposait le

110 R£TCE PÉDAGOGIQUE

gouvernement, mais la masse ignorante et scrvile n'a point écouté les remontrances de la sagesse.

Dès ce moment des meneurs dans notre ville et celle de Morat ont formé le projet de renverser le gouvernement, à Faide de soi-disanls corps-francs bernois et vaudois, ainsi que des mécontents de notre canton. Ceux-ci formèrent trois colonnes pour surprendre le gouver- neioent, Tune partant de Morat, l'autre dEstavayer et la troisième de Bulle. Elles se mirent en marche. Le gouvernement en eut vent assez tôt pour armer les citoyens, et faire airiver de la cam- pagne les différents corps de métiers, qui formèrent en quelques heures une masse considérable de combattants de toute arme. De forts détachements marchèrent au devant des trois colonnes qui, trompées dans leur attente, se dissipèrent sans coup férir. Nos colonnes allèrent occuper les villes de Morat, Bulle et Estavayer, et remplirent à leur retour toutes nos tours de prisonniers. On en a aussi fait à Fribourg même. On est à faire leur procès. Nous avons ici la terreur comme dans votre révolution de 1789. Notre gouver- nement vient ])ar un coup d'état de casser le conseil municipal à la nomination des bourgeois de la ville. Cette mesure illégale vient de nous procurer un nouveau Conseil municipal à la dévotion du gouvernement. On s attend à vuir chasser de mon ancienne école ie directeur et les instituteurs pour faire place aux Frères de Marie, créés dit-on par les jésuites, en sorte que ces hommes feront seuls l'éducation chez nous I

Jamais je n'ai cru à la souveraineté du peuple. Cette souveraineté est pour moi le souveraiiî besoin d'être gouverné. Je suis vieux, j'ai vu plusieurs révolutions en Suisse, et chacune m'a prouvé la vérité de mes principes. Les idéologues parlent, senible-t-il, des hommes comme ils devraient être, et ne sont jamais; tandis qu'ils ne devraient pas oublier les hommes tels qu'ils sont partout et toujours.

Veuillez communiquer ces nouvelles à M. Michel et à la maison Dézobry, en leur disant bien des choses de ma part.

Votre ami,

G. Girard.

Fribourg le 2 février 1847.

1*. S. H y a chez nous une grande pénurie de vivres qui aug- mentera avec la saison. Il faut que ceuv qui ont quelque chose par« tagent avec ceux qui n'ont rien. Je désire donc que MM. Dézobry et Magdelaine veuillent faire le compte de la première partie du Cours de langue et me fau*e parvenir ce qui m'en revient jusqu'ici. Il ne faudra pas me donner une traite sur leurs tailleurs à Fribourg ({ui dans nos pénibles circonstances ne ])ourraieDt rien me donner. M. Challey, ami de M. Michel et propriétaire de notre | ont suspendu, pourrait avec un mot arranger cette allai re.

LETTRES INÉDITES DU PÈRE GIRARD iil

XX

Rassurez- vous, mon cher ami, je ne me suis point casse une jambe, je n'ai pas de membre paralisé, et ma sanlé est encore telle que vous i*avez vue, lorsque j'ai eu le plaisir de vous voir ici avec M. Ernest Naville.

J'espérais de pouvoir envoyer en fin de mai le dernier cahier de mon ouvrage. Les deux premiers tiers étaient définitivement finis sur la fin d'avril et ils étaient en copie, comme je l'ai marqué à MM. Dézobri et Magdeleine; mais mon copiste a été mis en retard parles soins qu'il a été obligé de donner à son père qui a été dangereu- sement malade pendant plusieurs semaines. De mon côté je suis encore à rédiger le dernier tiers de ce vocabulaire qui est un travail absolument neuf. Qaund vous Faurez vu, vous serez surpris que j'aie employé si peu de temps à le faire.

Il est divisé en deux livres. Le premier passe en revue les hcut/ons impropres ou figurées, dans un ordre iout diiïérent de celui que Dumarsais a introduit, et sans les dénominations qu'il a employées, qui, outre qu'elles sont grecifues et par con^éfiuent barbares pour la jeunesse française, ont encore un grand dêlaut, celui de ne pas dire ce qu'elles devraient. Son travail d'ailleurs n'est point gradué, et par conséquent radicalement mauvais. Chez moi vous trouverez, ici, comme dans toutes les autres parties, une rigoureuse graduation. J'ai pris mes exemples dans les poètes français, et je les ai choisis comme il convenait pour un Cours éducatif de langue maternelle, (^es extraits en %ers devaient être précédés d'une notice sur la versification fran- çaise. Je l'ai mise en tête, et elle aussi est mise au service de l'édu- cation par le choix des exemples.

Le second livre a pour titre : Éléments de mythologie pour scrrir à l'int:Uigence des poètes français. Mes élèves voudront lire Conieille, Kacine, Boileau, Delille, Fénelon, etc., etc., figurent les déités du paganisme : je devais donc les mettre à même de les comprendre, autrement mon vocabulaire eût été incomplet. Je n*ai pas puisé ma mythologie dans les ouvrages de mes devanciers, mais je me suis adiressé immédiatement aux sources, dont je cite les paroles. Pour cela, j'ai lire et extraire Homère et Virgile, afin de donner une idée claire et exacte de l'idolâtrie de la Grèce et de Rome; ce que nos ouvrages eonnus ne font pas. Or donner cette idée, c'était en faire la censure, et faire sentir à la jeunesse les obligations qu'elle a contrac- tées envers celai qui est la lumière du monde. Vous voyez i[{\"\r\ encore j'ai rempli la belle tâche que je me suis imposée.

Les détails que vous me donnez sur l'écoulement si lent et si entravé duCovrs de langrie, ne me surprennent point. Je m'y atten- dais, et j'en ai préreftu dès le commencement MM. les éditeurs. Peu à peu cela changera. En Allemagne montrarail fera plus de for-

112 REVUE PÉDAGOGIQUE

lune, parce que les e-iprits y sont mieux disposés à accueillir une réforme de ce genre. C'est Messieurs les éditeurs trouveront des débouchés. Je leur indiquerai M. Bekker^ chef d'institution a Offenhach, près de Francfort sur le Mein. 11 est auteur d'une nou- velle grammaire allemande et jouit d'une grande réputation en Allemagne, et il y aurait peut-être moyen de l'intéresser à la pro- pagation du Cours de langue. 11 apprendra à le connaître dans deux ou trois mois, par un professeui* de l'école de Fribourg qui doit entrer dans son institut pour y enseigner lo français.

Vous avez bien fait de ne i)as attendre le dernier cahier pour de- mander l'approbation du Conseil royal, puisque si l'on veut examiner l'ouvrage l'examen sera long. Quelle sera son issue? Je le saurais, si les examinateurs avaient un intérêt ^wur, comme il est probable qu'ils en ont œnire.

J'ai lu avec plaisir votre écrilsur mon ami M. Naville que je regrette tous les jours ainsi que Rose son admirable fille, quin'a vécu que ce que vivent les roses, quelques jours. Votre mémoire sur l'enseignement primaire a fait sensation à l'Institut et en particulier chez M. Mignel qui l'insère en entier dans son compte-rendu. Espérons que ce ne sera pas en vain pour la bonne cause à laquelle vous vous dévouez. .Ne vous appitoyez pas sur moi ; si je n'obtiens pas de succès de mon \ivanl, mon Maîlre n'en a pas eu non plus, tant qu'il a vécu ici bas.

La tentative révolutionnaire que quelques étourdis ont faite dans notre canlon en janvier, a très mal réussi pour eux et poui le public. Le système ultramontain qui était en perte, a gagné le dessus. 11 triomphe, et il poursuit sa victoire sans ménagement comme sans pudeur. Nos tours sont plehies de prisonniers depuis cinq mois. Fribourg est devenue une ville de guerre que l'on en- toure de fortitications. Le gouvernement a cassé l'ancien conseil commuuhl de sou bon plaisir et contre les lois. Le nouveau est dans le sens des Jésuites qui se montrent en chaire les apôtres non de l'évangile, mais de la superstition la plus grossière. Ils gagnent les femmes, et par elles ils espèrent gagner les hommes. Vi omnia, a dit Jouvency dans son ouvrage sur l'instruction, ut omnia ad ma- jorem Dei institltique nostri gloriam fiant. Le résultat de leurs menées est que le conseil municipal renvoie tous les instituteurs des écoles de la ville pour les remettre aux Frères de Marie que les Jésuites ont introduits et qu'ils tachent de mettre en la place des Frères de la doctrine chrétienne. Tout cela est si triste que je m'exilerais encore une fois, si je n'avais pas quatre-vingt deux ans. On s'attend icA à un siège de la part des voisins qui nous en- tourent et qui occupent même notre canton. Notre gouvernement a eu l'imprudence de se rattacher à l'alliance que Lucerne a formée avec les petits cantons. C'était pour le moins une faute en géogra- phie dont les conséquences peuvent nous devenir très funestes. Dans peu elles se développeront.

LETTRES INÉDITES DU PÈliE GIRARD [['S

Veuillez faire mes remerciements à Madame Rapet pour son bon

souvenir et ne manquez pas de saluer cordialement de ma part

Messieurs Dézobri et Magdeleine ainsi que M. Michel doot je n ai

rien appris depuis bien longtemps.

Tout à vous.

Grégoire Giuahd. Fribourg en Suisse le 20 juin 1847.

P. S. Mon beau-frère Sprenger me charge de vous présenter ses respects. A la suite des éléments de mythologie il y a un appen- dice où je cite un passage que M. Victor Hugo a mis dans la Préface de ses Odes et Ballades, édition de 1834. J*appuie son opinion et MM. les éditeurs feraient peut-être bien de lui communiquer le der- nier cahier dès qu'il sera imprimé. Veuillez vous en souvenir dans le temps.

XXI

Fribourg en Suisse le 19 août 47.

Monsieur et cher ami,

Hier matin j'ai reçu votre lettre comme j'étais occupé à faire les dernières dispositions pour renvoi du dernier cahier du Cours dv langue maternelle. Comme à présent je puis sortir un peu, je lai porté dans Tnprès midi au bureau des postes et ce matin à 8 heures il est parti pour la France par Neuchàlel. Je suis enchanté qu'il suit parti de Suisse avant les troubles dont nous sommes menacés. Le gou- vernement démon canton a eu la maladresse de se joindre par une alliance particulière a Lucerne etc., et s'il y a guerre, c'est nous qui en souffrirons les premiers. Notre position géographique nous t»rdun- nait la neutralité, et nous devions, nous qui prétendons avoir plus de religion que d'autres, paraître en diète comme médiateurs. Mais respritqui règne ici est tel qu'un homme sensé et chrétien s'y trouve presque en enfer. Ah ! si je n'a\ais pas 82 ans, je ne pourrais plus m'y soufl'rir.

J'ai lu et relu le projet de lettre que vous vous proposez de pré- senter avec M. Michel au Ministre de Tinstruction publique. Toute- fois j'ai fait ce long travail pour la jeunesse de France des deux sexrs, et avec le désir bien sincère et bien ardent qu'il fût mis à son usai,'e. J'oserai même dire que j'ai travaillé avec la conviction que mon ouvrage, vi-aiment original en son genre, est précisément ce que l'état actuel de la société exige impérieusement de nous dans l'éducation de la jeunesse.

Cependant je puis désirer ce que vous pensez demander du Minis- tère; mais il me serait contre nature d'en former moi-même \f*

aimi PÉDAOOGIQUB 1885. 1*' sui. s

il4 REVUE PÉDAGOGIQUE

demande. Vous, Messieurs, \ous êtes franijais, vous êtes reconnus comme des hommes de l'art, sans être les auteurs du Cours dejan- gue, vous pouvez donc faire une démarche que je n'oserais me per- mettre.

Si je pouvais me décider à demander quelque chose, ce serait l'approbation de l'ou^ra^e pour les écoles de demoiselles. Je lésai eues spécialement en Mie, car elles doiendront mères! Vous êtes pères de famille; je n'ai pas besoin d'ajouter un commentaire à ces deux mots.

Si le Ministre de l'instruction publique vous accorde votre demande, il faudra faire un extrait de mon travail pour les écoles primaire.s inférieures <*t nous entendre sur sa rédaction. Je vous donnerai mon idée, mais c'est aous qui ferez tout; d'abord parce que vous seul avez la connaissance de la portée des élèves etde ce qui peut être fait dans cette espèce d'institution. Ce que je sais, c'est que c'est l'unique movcn d'amener dans votre belle France cette harmonie de penser et (ie\presssion qui n'y est pas encore. Vos populations protestantes pourront, tout comme les catholiques, sv servir de l'extrait comme de î'cjrijiinal, et ce sera un brau rapprochement sous le rapport reli- gieux. Vous pourriez peut-être en parler au Ministre de S. M.

Dans le manuscrit que je viens d'expédier, il manque une note à ravaut-dernière page. La voici, veuillez l'insérer:

Dans les Mémoires de la Société morale de Paris 1821 ou 18ii on a inséré un discours que j'ai prononcé à Fribourg à la disti'ibutlon des prix de mon ancienne école: Sur fa nécess île de développer r intel- ligence des enfants pour en faire des chrétiens. Les instituteurs y trouveront sur ce point des renseignements et des réflexions qui mériteraient d'être plus connus qu'ils ne le sont.

P.'S. Mille choses à M. Michel, MM. Dézobri et Magdeleine.

Quand vous m'écrirez, n'alfranchissez pas, mais donnez-moi votre adresse (jue j'ai égarée parmi mes papiers. Mes airtitiés à M. Naville que vous allez revoir.

XXII

I riliouig le !'.♦ noveiiibi*e 1847. le matin. Mon cher et digne ami.

Je viens de recevoir ^otre letlre. et je prends la plume pour y répondre, bien que ma réponse ne puisse partir que demain matin par Neuchàtel.

Assiégé par :J0 mille hommes de divers cantons, amenant une formidable artillerie bien servie, le gouvernement de Fribourg s'est vu dans la nécessité de rapituler lundi matin, el peu de temps

LETTRES INÉDITES DU PÈRE GIRARD 415

après les 24 heures nous vîmes entrer de divers côtés une quin- zaine de mille hommes de toute arme dans nos murs. Dans toute autre circonstance nous amûons aimé à les voir, car rien n'égale la beauté martiale et la tenue de ces troupes vraiment suisses. Nous a\ons logé deux cent quarante hommes au couvent. Ils apparte- naient à i'Argovio catholique, et Tun des capitaines a été l'un de mes élèves en philosophie à Luceme. Le disciple et le professeur se sont reconnus et embrassés. Nous ne pouvons que nous louer de la bonne conduite de cette troupe qui nous a quilles mercredi malin pour marcher, malgré elle, contre Lucerne. xNotre ville est aussi contente de la conduite des Genevois et des Yaudois, dont une partie forme maintenant la garnison de cette place, sous la direction de trois com- missaires de la Diète^ encore assemblée a Berne.

Des bataillons de Zuric et de Berne ont commis bien des excès, dans les campagnes et dans la ville. Le commandant Rilliet-Constant. et le corps d'officiers de Vaud et de Genè\e sont occupés à recueillir les renseignements nécessaires pour faire punir les coupables. 11 y a dans notre population, comme partout, des gens de pillage, et d'autres que la vengeance anime. Ils ont excité des militaires bernois et se sont joints à eux pour entrer dans des caves et d»^s habitations. I/C collège des Jésuites, leur grand pensionnat, le couvent des Ligoriens sont dévastés, et les religieux sont en fuite. Les pen- sionnaires ont été emmenés à l'avance par un envoyé du Ministre de France, par le Ministre d'Angleterre, etc.

Le tort du gouvernement déchu a été d'entrer, contre l'avis d'une respectable minorité de ses membres, dans le Sonderbund, dont notre canton est absolument détaché par sa position géographique. Des mécontents se sont révoltés sur divers points, et ont marché sur Fribourg le 6 janvier d«Tnier. On sonna le tocsin, et une foule d'hommes armés accoururent. On en conduisit une partie sur la ville de Morat, une autre sur Bulle. Ces deux villes furent arbi- trairement rançonnées par le •gouvernement, qui en surplus remplit, sur de simples soupçons, toutes nos tours de prisonniers. Se sentant assez fort, le gouvernement cassa illégalement le conseil municipal de notre ville sous prétexte qu'il n'était pas dans ses intérêts, il en fil nommer un à sa guise, et celui-ci, renvoya les instituteurs de mon ancienne école et les remplaça par les Frères de Marie qui sont une création des Jésuites. Ces frères allaient commencer leurs leçons dans le bâtiment qu'ils ont eu le temps de gj'iter en partie, mais ils n'ont point enseigné, parce que l'on a l'employer comme caserne. Maintenant, ils sont en fuite comme les Jésuites.

Le gouvernement provisoire a rétabli l'ancien Conseil municipal qui à son tour rétablira les anciens instituteurs et leur chef que vous connaissez. Voilà une fiche de consolation pour les amis de l'éducation et pour un très grand nombre de parents qui ne voulaient pas con- fier leurs enfants à ces frcTCS dont la mine leur déplaisait, outre

tl6 REVUE PÉDAGOGIQUE

qu'ils ont fait preuve d'insuftîsance dans l'école particulière qu'ils avaient ici depuis quelques années.

Je n'ai pas encore reçu le cahier qui vient d'être imprimé. Je ne doute pas des soins que vous avez mis à éliminer tout ce qui ne devait pas se trouver dans un ouvrage pareil. J'ai cité des passages d'auteurs que je ne connaissais que par l'ouvrage de M. Moustallon intitulé !ji morale des Poètes. Je n'ai lu en entier que les principaux, Boileau, Delille, Lamartine, Victor Hugo, Molière, Racine et quelques autres.

Quelque temps après que ma lettre a été remise au ministère de l'instruction publique, Tun des secrétaires, M. Morin, m'en a accusé kl réception au nom de son principal, en m'assurant que l'on s'occu- perait de son contenu, dès que le Conseil royal aurait envoyé son pré- avis. Il parait donc que ce préavis est en retard. Veuillez le dire à MM. Dézobri et C'®, en leur disant mille choses amicales de ma part.

Quant à vous mon cher et respectable ami, je devrais vous faire mes excuses pour le grillbnnage que je vous en>oie à la hàto, mais la circonstance je me trouve m'excusera, j'espère, suffisamment. Voilà longtemps que j'ai le cœur gros. De proches parents et de bons amis se trouvaient sous les armes et en face de l'armée fédérale. Tous ont couru de. grands dangers de la part de nos milices, qui forcées de se rendre malgré elles accusaient leurs officiers de trahison et menaraicnl de les faire périr. Je suis d'ailleurs honteux pour ma patrie fribourgeoise et triste des pertes qu'elle a essuyées et qu'elle va subir encore.

Une autre chose m'affiige encore. Comme j'étais curé à Berne je voyais s'opérer un rapprochement religieux. Maintenant mes espé- rances sont évanouies. Le Sonderbund a fait une guerre de reUgion de cette difficulté politique. C'était le seul levier politique qu'il pùl employer pour soulever les masses ignorantes et les mettre dans ses intérêts. Il a réussi et il a éloigné plus que jamais les deux confes- sions qui divisent la Suisse. Au seizième siècle, on s'est divisé par la tête; on ne se réunira que parle cœur et cette réunion est à présent [)lus éloignée que jamais.

Les catholiques accusent les protestants d'en vouloir à leur reli- gion, et pourtant ils tolèrent chez eux quantité d'églises catholiques ; ils se sont même aidés à les bâtir ! ! !

Adieu, je vous embrasse et vous prie de me renouveler au bon souvenir de M""- Râpe t.

Tout à vous. G. GniARD.

LKTTUES INiDlTEi» DU PÈRE GIRARD 147

XXIII

Fribourg, le 13 janvier îHin.

Mon cher ami,

La personne qui vous remettra ces lignes de ma part me touctie de près; car c'est mon neveu Edouard Girard. H est à Paris pour faire un établissement convenable à ses élèves les jeunes princes Ghika de Moldavie. Je vous prie de bien vouloir l'aider de vos conseils et de vous entendre sur ce point avec MM. Dézobri et Magdelaine auxquels il est aussi recommandé. 11 vous donnera snr notre pays le? renseignements que vous désirez. C'est une véritable révolution que nous subissons, et les frais de la guerre que nous avons à payer pour expier la sottise de notre adhésion a l'alliance particulière en sont la raison, sinon le prétexte. Les couvents avec les anciens gouver- nants paieront la faute que nous avons commise. L'ancien gouver- nement s'est servi de la religion pour levier, le nouveau se sert de l'intérêt.

Vous désirez, mon cher ami, que je fasse imprimer ce que vous appelez mes petits livres. Vous les avez sans doute, mais votre copie est>elle exacte? En tout cas, il faut que je revoie ces écrits qui ont été rédigés à la hàto, et jamais revus, parce que je n'en ai pas eu le temps. Vous savez, je pense, qu'ils étaient en usage dans la première classe, dont les élèves ne savaient pas encore lire, et toute l'instruction était orale.

Mon neveu doit retourner à Paris dans un mois. Jusqu*alors j'aurai vu ces petits livres et vous aurez ma décision.

Adieu^ je vous embrasse.

Tout à vous.

G. Girard.

P. S. MM. Dézobri et C*^ me demandent un abrégé du Cours de langue pour les écoles primaires inférieures. Vous en savez sûre- ment quelque chose. Veuillez bien prendre connaissance de ma réponse.

Bien des choses à M'"^ Rapet dont le souvenir m*est bien agréable.

XXIV

Fribourg le 20 mars \f<\K

MOIfSIErR ET CHER AMI.

Tout est bien changé autour de nous depuis votre dernière ! C est à ne pas s'y reconnaître. Une chose reste la même au milieu de toutes ces transformations, c'est la loyale et franche amitié.

1 18 REVUE PÉDAGOGrQIJE

Mon neNCu Kdonard, à son retour de Paris, s'est beaucoup loué de Taccueil que vous lui avez fait et des oifres obligeantes de M"»* Rapet. Veuillez lui faire agréer mes remerciements, et en prendre pour vous la part qui vous revient.

J'apprends que votre ami, M. Michel, a été promu, et j'espère que votre position dans renseignement public sera aussi améliorée.

Quant à la proposition que vous m a> ez faite touchant la rédaction du Cours de langue, j*y souscris de lout mon cœur, et je vous donne tout pouvoir. Vous seul ^tes à même de prendre la mesure et de faire le choix qui peut convenir à vos écoles. Si dans votre rédaction vous désiriez peut-être connaître mon avis sur quelques points, je m'empresserai de vous le donner.

Veuillez présenter mes hommages à M"»® Rapet et recevoir pour vous les assurances de mon inviolable amitié.

Tout à vous.

G. Girard.

P. S, Mon neveu amène à Paris un jeune Français, Charles S. de la Franche-Comté, en Moldavie il a encore son père et sa mère. Il doit entrer à l'École centrale, et il lui faut, dit-on, un cor- respondant à Paris. Veuillez vous intéresser à ce jeune compatriote qui jusqu'ici a été confié aux soins de mon novcu.

\\V

Je vous remerftie, mon cher ami, des services signalés que vous ne cessez de rendre à mon neveu Edouard Girard. C'est à moi-même que vous les rendez et je vous en ai toute l'obligation.

M. Ernest Naville est venu me voir en juin, et il m'a fait part des nouvelles qu'il avait reçues de M"»<* Rapet. Je vous ai vu six jours sous les armes, vous homme de plume et de paix. J'ai assisté à la terrible lutte, et si les insurgés m'ont inspiré de l'horreur, j'ai admiré et j'admirerai toujours le noble et héroïque dévouement des défenseurs de l'ordre. Deux victimes me touchent surtout bien vive- ment: l'archevôque de Paris et le général Bréa.

Votre gouvernement provisoire commence à comprendre le besoin de l'éducation qui est le seul moyen de salut pour les peuples comme pour les individus.

Adieu, je vous embrasse vous el les vôtres.

Votre ami,

G. Girard.

Fribourg le 20 juillet ^8.

LETTRES INÉDITES DU PÈRE GIRARD li«)

Le V. Girard vécut imicofc près de doux ans; mais sa corn^s- |X»ndanco avec M. Rapot s'arrête ici. Il mourut le G mars 1850, et la nouvelle de sa mort fut transmise à M. Rapet par M. Edouard Girard, ce neveu dont il e^t question dans les trois lettres fjui précèdent.

« J'ai la douleur, écrivit ce dernier, de vous faire part de la mort du Révérend Père Girard, qui a succombé ce matin à son ;iraud âge et à de grandes souffrances. Il est inutile de vous dire que la plus grande résignation ne* Ta pas abandonné un instant. Quelques heures avant sa fin, la sentant approcher, il lit appeler tous ses confrères du couvent |)our prendre congé 4'eux. Vous partagerez assurément micMix que personne, Mon- -iieur, la douleur de sa famille rt de srs véritables amis. »

L\ SITUATION DE L'ENSEIGNEMENT PRIMAIRE

[Nous publions ci-dessous la partie relative à l'enseignement primaire du rapi)ort fait sur le budget du ministère de l'instruction publique par M. An- tonin Dubost, député. La direction de l'enseignement primaire oyant bien Toulu nous communiquer un certain nombre de rectiûcations relatives à des chiflTres inexacts, qui proviennent pour la plupart d'erreurs de copie ou de fautes d'impression, nous avons placé ces rectifications de détail en note au ba? des pages. La Rédaction.]

Nous venons de voir ce que le gouvernement de la République a fait, depuis huit ans, pour le développement de renseignement supé- rieur et de l'enseignement secondaire, dans ce pays. On sait assez (ju'il n*a pas moins fait pour renseignement primaire. Mais il est utile de s'en rendre compte d'une manière précise, et de constater aussi les résultats obtenus, afin de pouvoir déterminer ce qui reste à faire pour que chaque Français reçoive tout au moins une sérieuse instruction primaire.

L'instruction laïque, gratuite et obligatoire était l'un des points du programme de la démocratie auquel il était le plus urgent de donner satisfaction. 11 fallait donc le faire passer dans les lois et le réaliser complètement dans la pratique. Mais c'était une tâche immense. 11 était indispensable de former des maîtres, de construire des maisons d'école, d'augmenter dans une proportion considérable le nombre de celles existant déjà, de mettre ainsi rinstruction à la portée de tous, de refondre les programmes, de réorganiser tous les services, et, par des mesures financières efficaces, de rendre pos- sibles et fructueux de tels efforts.

C'est la loi du 9 août 1879 qui prélude à cette grande réorganisa- tion, en ordonnant la création, dans chaque déparlement, d'une école normale d'instituteurs et d'une école normale d'institutriecs. La loi du IG juin 1881 établit la gratuité absolue dans les écoles primaires publiques. La loi du 28 mars 1882 rend l'enseignement primaire obligatoire et laïque. Puis viennent une série de lois, de décrets, d'arrêtés et d'instructions, ordonnant la création des écoles de hameau, organisant les écoles primaires supérieures, les écoles- maternelles, les écoles manuelles d'apprentissage, les cours normaux préparatoires à l'enseignement du travail manuel dans les écoles normales et dans les écoles primaires Supérieures, rinstruction mili- taire, fondant des bourses dans les écoles primaires supérieures,, réorganisant les cours d'adultes, instituant les caisses des écoles» etc. Enfin, vous avez adopté, le 18 mars dernier, un projet de loi^

LA SITUATION DB l'eISSKIGNEMENT PRIMAIKE \il

en ce moment soumis au Sénat, sur Torganisation de renseigne- ment primaire. Dans cette vaste réorganisation, vous n*avez laissé en suspens, par des raisons exclusivement budgétaires» que la régu- larisation et Taugmentation des traitement des instituteurs et des institutrices. Le plan complet de votre enseignement primaire natio« nal se trouve ain^û tracé.

Il faut voir maintenant Tapplication qui en a été faite, au fur et à mesure que les crédits volés par vous Font rendue possible, et les résultats eiTectifs qui en ont été la conséquence.

Les écoles normales d'instituteurs et d'institutrices étaient complètement insuffisantes. Elles étaient impuissantes à fournir à renseignement primaire le nombre de maîtres qu'allait exiger l'application des lois nouvelles. Le tableau suivant fait connaître les résultats obtenus, en quatre ans, au double point de vue du nombre des écoles et de 1 augmentation du nombre des élèves-maîtres :

Tableau du mouvement dans les t'-coles normides primaires d'instituteurs et d'institutrices (1).

1878-79

ifftnei auirll<>t. 4eN fMes-aaltr'4

Écoles d'instituteurs 78 3.393.420 37 3.551

Écoles d'insUtulrices 17 508.711 71 691

Totaux ... 95 3.902.132 08 4.242

c

1883-84

Écoles installées (instituteurs) . 85 4.052

En construction

().75i.350 » Ecoles installées (institutrices; . 57 2.487

En construction 17

Totaux. . . 164 6. 75 i. 3^)0 » 7.439

Les communes manquaient d'écoles; les écoles manquaient de maîtres. 11 était évident qu'avant tout, et pour pouvoir accueillir les enfants qui jusque-là ne recevaient aucune instruction, il fallait cn^r des écoles et augmenter le personnel enseignant. Nous allons voir quels ont été, depuis un certain nombre d'années, les progrès réalisés à ce double point do vue :

(1) Nous corrigeons dans le tableiu qui suit deux ou trois légères fautes d'impression qui se sont glissées dans le document sorti des presses de la Chambre des députps; il en résulte dans les totaux des modincntions sans im- portance. — Rédaction.

122 REVUE PÉDAGOGIQUE

Xombre des écoUs publiques,

1867 1876-77 1881-82 1882 83

Écoles de garçons ou

mixtes ;J8.8!)8 39.764 41.493 42.286

Ecoles de filles 15.099 19.257 24.50i 22.22i

Totaux. . . 53.957 59.021 62.997 64.510

Mais nous n'aurions aucune idée de Tétat général de renseigne- ment en France, si, au fur et à mesure que nous faisons connaître le mouvement dans les écoles publiqties, nous ne le faisions sui\Te du mouvement qui se produit aussi dans les écoles libres,

Nombre des écoles libres.

1867

Ecoles de garçons ou

mixtes :{.5y9

Ecoles de filles i:M15

Totaux. . . 16.714

1876-77

1881-82

188283

2.657

2.8i2

2.93S

9.869

9.796

9.a*i4

1-2.526

12.638

12.792

Si on récapitule le nombre des écoles publiques et libres, pour avoir la progression du nombre des écoles en France depuis I8<)7, on arrive aux résultats suivants :

Récapitulation des écoles ptibliques et libres,

1867 1876-77 188182 1882-83

70.671 71.5*7 75.635 77.302 Nous arrivons maintenant au personnel enseignant.

Personnel enseignant dans les écoles publiques,

1863 1876-77 1881-82 1882-83

Instituteurs 42.778 46.400 50.708 52.779

Institutrices 27.663 33.663 37.512 40.421

Totaux. . . 70.441 80.063 88.220 93.200(1)

il) Lo total des institutrices publiques pour 18.^2-1883 est de . . 39.521

au lieu de 40.421, ce qui, avec les instituteurs 52.779

donne comme total des maîtres des écoles publiques 92.300

au lieu de 93.200. Rédaction. "

LA SITUATION DE l'iLNSEIGNEHENT PRIMAIRE 133

Dans les écoles libres le mouvement est représenté de la manière suivante :

Personnel enseignant dans tes écoles Ubres,

1863 187677 1881-82 1882*83

Instîtoteurs

0.807

5.317

7.429

7.8i5

Institutrices

. 31.531

25.329

i9.3i6

20.512

Totaux. .

. 38.358

30.046

36.745

37.357

Si nous récapitulons les chifTres du personnel enseignant dans les écoles publiques et libreSy nous obtenons la progression suivante :

Récapitulation du personnel enseignant dans les écoles publiquei

et libres,

1863 1876-77 1881-82 1882-83

108.799 110.709 124.965 130.557 (i)

Au même point de vue, il nous reste à établir une comparaison identique, relalivemeni au nombre et au personnel dirigeant des salles d*asile.

Nombre des salles d'asile ou écoles maternelles publiques et libres, et personnel dirigeant de ces établissements,

1863 1876-77 1881-82 1882-83

... . .ue. ...r îî;;::^ ^S ~î^ ^ î^- S =

Publiques 2.;m) ^ ^..^ 2.785i ^ ^^., 3.161 4.997 3.3io 5.359 Libres... 073^ ^'^^ 1.36^1 ^''^"'^ 1.891 2.574 2.035 2.727

Totaux. .9.308 4.147 5.052 7.571 5.380 8.086

. On voit à quels résultats nous sommes arrivés, en un petit nombre d'années. Sans remonter au delà de 1877, on voit que le nombre des écoles publiques s'est élevé jusqu'en 1883 du chilfre de o9,02i à celui de 64,510; et si on fait le compte de toutes les écoles publiques ou libres, du chiffre de 71,517 à celui de 77,302.

Si on ajoute à ces chiffres ceux des écoles maternelles ou salles d'asile, on constate qu'en 1883, 8^,682 écoles ont été ouvertes a la population enfantine de France. 11 nous a été impossible de savoir le nombre des écoles créées depuis 1883; mais il ne saurait ôtre inférieur à 1,000. D'où il suit qu'à cette heure, il y a certainement

(IJ Par suite de la rectitication du nombre des institutrices publiques, le total du personnel enseignant des écoles publiques et libres pour 1882-1883 est ramené à 129.657 au lieu de 130,557. Rédaction,

124 RE^TE PÉDAGOGIQUE

plus de 83,500 écoles ouvertes sur le territoire de la République pour le service de TenseigTiement primaire.

Pour faire face aux nécessités de l'enseignement, le personnel enseignant des écoles publiques a été porté de 80,063 à 93,200 (i). Si on y ajoute le personnel enseignant libre et le personnel dirigeant des salles d'asile, on arrive à constater que 138,643 (2) personnes ont pris part en 1883 à renseignement primaire. Ce n est rien exagérer que de dire que ce nombre atteint aujourd'hui celui de 140,000 environ.

Mais c'était là, il importe de le remarquer, la condition sine quâ non de l'application des lois des 16 juin 1881 et 28 mars 1882 sur la gratuité, l'obligation et la laïcité de l'instruction primaire. Les éléments de succès de la grande réforme inscrite dans ces lois sont maintenant créés. Il faut voir comment cette réforme elle-même a été réalisée. Pour s*en rendre compte, il suffit, d'une part, de mon- trer la progression constante du nombre des élèves, admis chaque année dans les écoles primaires, f n le comparant au chiffre de la population à instruire en France, et, d'autre part, d'observer le mouvement de décroissance du personnel enseignant congréganiste, qui se manifeste parallèlement au mouvement de croissance très jnarqué du personnel laïque.

D'après le recensement de 1881, le nombre des enfants qui sont dans r»ge scolaire, c'est-à-dire de six à treize ans, s'élève, pour toute la France, à 4,586,349.

Prenant ce chiffre pour point de départ, et admettant qu'il n'a pas varié depuis un certain nombre d'années, les tableaux suivants nous permettent déjà une comparaison intéressante :

Nomhi^e des élèves dans les écoles publiques,

1867 1876-77 1881-82 1882 83

Kcoles de garçons. 2. 114. 088 2.197.652 2.442.581 2.455.390 Ecoles de filles . . 1.422 721 1.625.696 1.916.675 1.953.920

Totaux. . . 3.537.709 3.823.348 4.359.256 4.409.310

; : ; :

Voyons maintenant le chiffre des élèves dans les écoles libre» ; et nous établirons ainsi le compte général des eu-^ants recevant en France renseignement primaire :

(1) ISous avons dit que le personnel enseignant des écoles pabliques était

de 92.300

Si l'on y ajoute celui des écoles libres . 37.857

et celui des écoles maternelles 8.086

On obtient un total de 137.743

au lieu de 138,643. Rédaction.

(2) 137,743. Rédaction.

LA SITUATION DE l'eNSEIGNEMBM PUIMAIIΠUS

Nombre des élèves dans Us écoles libres,

1867 1867-77 1881-82 1882-83

Ecoles de garçons. i28.793 203.230 263.929 288.174 Ecoles de fiUcs . . 749.465 690.357 716.026 734.667

Totaux. . . 978.258 893.587 981.955 1.022.841

Récapitulation du nombre des élèves datis les écoles

publiques et libres,

1867 1867-77 1881-82 1882-83

4.515.967 4.716.935 0.3H.2-21 5.432.151

A ce« chiffres il convient d'ajouter ceux des élèves admis dans l6s écoles maternelles. Leur nombre a suivi la progression suivante :

Nombre des élèves admis dans les écoles maternelles

publiques et libres,

1867 1876-77 1881-82 1882-83

Ecoles publiques . 356 . 421 420 .110 180 . ()02 497 . 1 II Ecoles libres . . . 7.-i.T20 111.967 163.788 181.941

Totaux. . . 132.111 532.077 614.384 679.085

De telle sorte que, si on ajoute aux 5,132,151 enfunls admis dans les écoles primaires, les 679,085 admis dans les écoles matcnielles, on arrive à constater qu'en 1883 les services de l'enseignement pri- maire ont pioGlé à six millions cent onze mille deux cent Irente-sLv enfants, alors que, sans remonter plus haut que 1877, ces mômes services n'avaient profité qu'à o,2i9M^2; c'est près d'un million d'enfants qui ont bénéficié dos efforts faits, dt'puis quel(iues années. pour développer l'enseignement primaire. 11 sutfu, pour justifier pleinement les sacrifices faits par les pouvoirs publics, d'observer que, dans ces chiffres, les écoles publiques entrent dans la propor- tion écrasante d'environ les cinq sixièmes à la fois de la totalité des enfants admis dans les écoles et de l'augmentation constatée dans le nombre de ces enfants.

Mais, comme on le voit, les chiffres que nous venons de donner dépassent de beaucoup (exactement de 1,524,887 enfants) ceux que nous avons donnés comme représentant le nombre des enfants qui sont dans l'âge scolaire, (^est donc, évidemment, que pour un grand nombre d'entre eux les familles jugent qu'ils ont mieux à faire qu'à quitter l'école à l'âge réglementaire. Si nous déduisons de ce chiffre de i,524,)^87 celui de 679,085, représentant le nombre des élèves des écoles maternelles, qui, naturellem<^nt, ne sont pas dans l'âge

lâO ^ R£VL£ PEDAGOGIQUE

scolaire, nous voyons qu'au moins 815.802 enfants sont dans la situa- tion favorable que nous venons d'indiquer. En réalité, ce chiffre doit èlTC légèrement augmenté ; car les stalistiques dressées per- mettent d'établir que le nombre des enfants, dans Tâge scolaire, qui sont admis dans les écoles primaires, s*élève à 4,5iG,030, inférieur de 40,319 à celui qui nous est fourni par le recensement de 1881. D'autre part, si nous comparons lo nombre des enfants dans l'âge scolaire, qui ont été admis en 1882-1883 dans les écoles pri- maires, à celui de 1881-1882, nous constatons une augmentation considérable, qui, évidemment, doit être mise aussi à l'actif des nouvelles lois sur la gratuité et l'obligation de l'instruction primaire. En 1882-1883, le nombre des enfants dans l'âge scolaire admis dans

les écoles est de 4.546.030

en 1881-1882, il n'était que de 4.:^2.293

d'où une augmentation de 163.737

Mais la lui do 1882 n'établissait pas seulement l'obligation : elle aflirmaît aussi la nécessité de confier la direction des écoles pri- maires à des maîtres laïques. 11 faut examiner les conséquences de l'application de la loi, à ce i)oiat de vue. Nous rechercherons, en même temps, si le mouvement dont les pouvoirs publics ont pris l'initiative ne se serait pas aussi manifesté, de la même manière. dans les écoles libres, tant il est vrai de dire qu'un tel mouvement correspond à une tendance profonde du i>ays.

Examinons d'abord comment se sont réparties, à ce point de vue. aux diverses époques antérieures, et comment se répartissent, maintenant, les écoles publiques existantes. Le tableau suivant con- tient la division des écoles pubhques et du personnel enseignant eu laïques et conjrréganistes :

1867 ,{ 1876-77 1882-83

KCOI.CS. R*abrp Ppr^nncl ytmkrr PerMuiM ■•■Irt P«nMi>(

in fftl^s. dirifeail if^ M«le> 4irif'»t èM éMln. ItrifMBl

Laïques de gar- çons et mixtes. ;fô. 771 :^t).io7 :m..wj :^).5:u 40.042 49.015

Laïques de tilles. t>.509 8.4rit> î*.417 13.707 13.652 21.012 Totaux. . . 42.343 41.910 45.810 5;{.240 53.094 73.027

Congréganistes de

gart;. et mixtes. 3.08i 6.321 :\.'Mio 6.867 2.241 3.76i Congréganistes d(^

filles 8.ri{(» 19.204 9.840 19.ftû6 8.572 15.501>

■> m > V.

Totaux. . . il. OH 25..52r> 13.205 26.823 I(L816 19.273

3

(l^ r>ans les <lou\ premières colonnes d«' gauche des trois tableaux sui- vants, les chifl'res des Ecoles " appartiennent bien à la statistique de 1867 ; mais les chiffres da « Personnel » sont extraits de la statistiqae 1863, celle de 18t»7 ne les ayant p«9 relevés. Rédaction.

LA SITUATION l'CXS£IGM£M£KT PRIMAIRE iH

Donc, du chiiïre de Hyiili écoles publiques laïques, nous sommes arrivés à celui de 53,694: du cljnrre de 1 1,611 écoles publiques eongréganistes, nous sommes descendus à celui de 10,810. Ln mou- vement analogue et proportionnel s'est naturellement manifesté dans le personnel enseignant : du cliillre de 44,Î)IG maîtres laïques, nous sommes arrivés a celui de 78,0:27; et du chilTre de 45,5^0 maîtres congréganistes, nous sommes descendus à celui de 19,;27:i.

Nous allons faire maintenant un calcul analogue pour les écoles libres.

Division des écoles libres et de leur personnel dirigeant en laïques et congréganistes.

1867 (I 1876-77 1882-83

Kcui.rs loHbrc de« Pcrsanoi^l ^olllbrr di-s Ppr%«BOfl Sanbn* é^^ Ffr>(»uBp|

erdtes Ukr(>> dirijrul rr«k* libre^i iinjPinL erolr» libr>-v diriion:

Laïques de gar- i.044 4.300 1.750 2.710 1.349 4.iir>

çons et mixtes. La/çtiea de filles. 7.079 12.550 4.091 8.069 2.87:{ 7.281

Totaux . . 10.023 16.910 5.841 10.785 4.222 li7m

i ongrèyan istes de

garç.etmixtes. 655 2.247 907 2.001 1.589 5.630

Congréganistes de

tilles ().030 19.001 5.778 17.260 6.981 22.231

Totaux. . 0.691 21.418 (i.085 19.801 i.rÏTÔ 27.801

En groupant et récapitulant tous ces chiirres, nous obtenons la progression suivante qui montre le mouvement général de rensei- gnement laïque et de renseignement congréganiste en France, au point de vue du nombre des écoles et du personnel enseignant :

1867 I 1876-77 1882-83(2

/o Enseignement laïque. 52.360 61.826 51.657 01.525 57.îH(i 8:M27

2^ Enseignement congréganiste.

18.305 46.873 19.890 46.081 19.380 47.131

Nous passons maintenant aux salles d'asile ou écoles niatern«*lles.

(1) 1867 pour les écoles, 18(>J pour le persouuel. Hédaction.

(2; En 1B82-18S3 le total du {personnel enseigouot Inique, dans les écoli^s pnbliqaes et daas les éiolcs libi-es. était de 82,523 au lieu de 83,4iT. Hé- daction.

128

R£VI]E PÉDAGOGIQUE

Dichion (Us écoles maternelles, ou salles iVasile^ et de leur penonnel

dirigeai} t, en laïques et congréganistes.

1867 (f>

1877

its rratr» 4irifr«il

1883 (j.

SMkc PwMurI

4es M«lft 4iriff»l

Laïques . . . Congrt'ganistes

Laïques . . . . Congréganistes .

1" Écoles tnaternelles publû^ues.

mi, 582 581 781

2.027 3J10 2.204 3.542

Écoles maternelles libres.

3()3 373 257 395

eio 1.175 1.105 1.605

i.442 i.903

250 1.785

2 803 2.296

329 2.398

Mais pour avoir une idée exacte du mouvement de renseignement htïque en France, il faut Tétudier encore au point de vue du nombre des élèves. En effet, ce qu'il importe de connaître, c'est le nombiv d*élèves qui échappent de plus en plus à la direction congréganiste.

Nous avons vu plus haut, par la progression du nombre des enfants admis dans toutes les écoles de France, que ce nombre s'élève pour 1883 à six millions cent onze mille deiw cent trente-six élèves.

La progression que nous avons donnée et qui aboutit à ce chiffre, se répartit de la manière suivante dans les écoles publiqties et libres entre l'enseignement laïque et renseignement amgréganisle :

Division des ('lèves garçons et filles en laïques et congréganistes.

/• Ecoles publit/ues primaires.

Aniu'e>.

1867

1881-82

\ Garc^'ons /

t Filles ^

Totaux. . . i (iarrons

1 a

I Filles

Totiiux. . .

ijiiques.

2.386.711 2.386.711

2.188.487 1.161.286

Congrt'^aniNlf».

1.150.998 1.150.998

254.091 7?>5.389

3.349.773 (3) i.300.*l94

1) 1867 pour les écoh^s, 1863 |K)ui' le |)ei'8oiinel. Hédaction. (2) Kn 1882-83, le personnel dirigeant des écoles maternelle.4 publiques et Kbres était réparti comme suit : laïques, i,4% ; congréganistes, 2,863. Ré- daction.

3) Cette addition est erronée : 2.54,094 gardons + 755,389 filles == 1,009,483. et non pas 1,300,991, comme le texte ci-dessus l'indique. 11 y a lieu d*iiis!sler sur cette erreur. En effet, apr«>s la classiilr^ition par c Laïques » et c Congn''- gauistes j> des élèves des écoles primaii'es, vient (p. 130) une récapitulation le nombre tolal des élèves congnganistes, pour 188I-188i, est indiqué comme

LA SITUATION DE L*EiNi>£IGNEMËNr PRIMAIRE Hd

A •ntfcs. Laïques. Congrèganislcs.

,^. ^.. S Garçons 2.222.292 233.098

iw.-M ; pjjjçg 1.228.942 724.978

Tolaux. . . 3. 451. 23 i 958. 076

étant de 2,074,8UI, au lieu de 1,773,330 (somme des nombres 1,300,994 -f- 763,867). Celle erreur devait nécessairement donner lieu aux déductions suivantes:

Si lenooibredes élèves des écoles congréganislci en 1881-82 élu il de 2. 074 .861 celui des élèves des écoles laïques étant de 3.597.861

le total général dei élèves serait de .'>. 642.722

supérieur par conséquent de 210.571

à celui de l'année suivante (188i-83} qui n'a été que de 5.432.151

Or, les documents officiels publiés par le ministère de rinstrucliç>n publique portent :>

Pour 18811882

( iaïaues ^ Publiques. 3.34'). 7:3 \ Elevés des écoles ^. .,. ^ ,^^ , ' 5.341.ill

Pour 1882-1883

bïniiPs ^ publiques. 3.451.234 \

^^^''î"®^ t libres . . 203. K)l /

kl- ck'o A-/» / •'>.432.151

contf romanistes ^ P»*>ï»q«es. 9o8.0/6 C .

congroganisies ^ ^.^^^^ 819.140)

Différence en faveur de l'année lî=82-1883 Îi0.4i0

Élèves des écoles

A la Chambre dei députés, dans la séance du 15 décembre 1884, M. Freppel, s'appuyant sur l'erreur matérielle que nous venons de reclKier, avait tenu ee langage:

« Je prétends, les chilFres de M. le rapporteur en mains, que vous avez en ce moment ci dans vos écoles primaires deux cent mille enfants de moins qu'avant la loi sur l'instruction obligatoire. (Exclamations au centre et à gauche. Très bien ! très bien! à droite.) Par conséquent, vous avez créé 5,000 écoles nouvelles, 1*,000 suivant M. le rapporteur, et vous avez dépensé près d'un milliard pour avoir dans vos écoles 210,571 enfants de aïolns. {Exclamations diverses.) Ce sont là, je le répète, les chiffres mêmes de M. le rapporteur. Nous les ferons connaître au pays, iK>>'ez-en bien con- vaincus. (Très bien! très bien ! à droite.) Je n'ajoute pas un seul mot et je descends de la tribune. »

Il importait, comme on le voir, de corriger une faute d'impression dont on prétendait fkire « devant le pays » un argument décisif contre la cau^c de renseignement obligatoire. Rédaction.

BBfUB riDAOOOIQUI 1885. ^ 1*' BBK. 9

130 REVUE PÉDAGOGIQUE

t* Écoles libres primaires,

1867 j YmlT.^'. '.'.'.['.'.) ^^^-"^^^ 579.000

Totaux

. .. ^ ( Garçon '««•-«^ Filles .

S

1882-83 j ^r^J4

Totaux. . . Garçons

Totaux. . .

398.793

579.000

65.997 152.091

«18.088

J 99. 932 563.935

763.867

63.759 140.042

224.415 594.625

203.801

849.040

Le mouvement de croissance de l'enseignement lalqne. dans Fen- bemble des écoles, n'est donc pas douteux. Si nous groupons les deux tableaux précédents, nous aurons exactement le nombre des éli'ves dépondant de l'un et do l'autre enseignement, savoir:

Réôapilulalion,

1867. 1881-82. 1882-83.

Laïques 2.785.504 3 567.861 3.65.->.035

Congréganisles 1.729.998 2.074.861(1) 1.777.11(>

On voit que le mouvement total des enfants admis dans les écoles dirigées par les laïques est supérieur de un milii on huit cent soi xante- (li.v-sept mille neuf cent dioo-ntuf k celui des enfants admis dans les écoles dirigées par des congréganisles; qu'il est ainsi de plus du double, alors qu'il n'élait que d'un tiers en plus il y a quelques années. Mais on aperçoit aussi en mùme temps que dans les écoles publiques cette proportion est beaucoup plus considérable, et que le mouve- ment de croissance de renseignement laïque y est très marqué. Il n'est pas douteux que le chiffre de 958,076 élèves, souinis encore a une direction congréganiste, s'atténuera rapidement (2).

Si on se reporte à ce que nous avons dit à ce point de vue, au sujet de l'enseignement secondaire et de TenseigiiemeQt supérieur, on constatera que co mouvement d'aHranchissement de la tutelle congréganiste s'accentue au fur et a mesure que reoseigncmeut

(l) Comme l'explique la noie précédente, le chilfre exacl est 1,773.330. ^ Héddcliun.

^i\ Dans les écoles malemenes, le mouvement est un peu dilTérent, mais no saurait rien changer au caractère du mouvement qui se manifeste dans le pays. Il n'en est pas moins nécessaire d'appeler sur ce fait l'atteotion de

LA SITUATION DE L*BNSEIGXEMENT PHIMAIRE 131

s'él^ve. Dans renseignement primaire, la direction congréganiste participe à Tinstruction de la jeunesse dans la proportion de moins de moitié; dans l'enseignement secondaire, cette proportion s'affai- blit, elle n'est que d'un quart à peine; dans renseignement supérieur, elle n'est pas d'un quinzième.

Tels ont été, jusqu'à ce jour, les résultats des efforts faits par les pouvoirs publics, et notamment des lois des 16 juin 1881 et 28 mars 1882, sur Tiustruclion primaire laïque, gratuite et obliga- toire, ils peuvent se résumer ainsi : il y a dans les écoles de France un million cent soixante-trois mille cinq cent quatre- vingt- treize élèves de plus qu'auparavant; et dans ces mêmes écoles, il y a un million quinze mille enfants de plus qu*autrefais, dont l'enseignement est dirigé par des laïques.

Institutions complémentaires et auxiliaires.

Mais, pour permettre de se faire une idée plus compK'te de ce qui a été fait, il nous faut dire encore quelques mots des progrès réalisés parallèlement dans les diverses institutions complémentaires et auxiliaires de renseignement primaire.

M. le ministre de rinstruction publique. Le tableau suivant nous fei*a mieux comprendre :

Nombre d'élévei dans les écoles materneileSj taiques et congrégantstes,

publiques et libres.

Années. Laïques. Congréf^anisles,

5 ^<^^^ publiques 73,067 283.356

'^ i Ecoles libres 16.090 5i.l98

Totaux 89.I57(*) 335.554

S Écoles publiques 189.091 291.511

1881-8i I Ecjjiçg libres 15.326 148.456

Totaux 204.417 439.967

_ \ Écoles publiques in. 712 275.432

1882-83 j Ecoles mj^gg 13.913 168.028

Totaux 233.625 443.460

{yote du rapporteur.)

{*) D'après lesdocuments officiels pour I8<7,les chiiïtes relatifs aux élèves reçus dans les écoles matei nelies doivent être rétablis comme suit :

Laïques. Congrégaaistes.

Écoles publiques. . . . •• 73.U65 saa.ase

Ecoles libres * . 17.108 58.ftH

Totaux. . . 90. 174 841. M7

fRédaction.)

132 R£VUE PÉDAGOGIQUE

Erueignenienl primaire supérieur, La loi de 1833 avait créé Ten- seigaemenl primaire supérieur. Sous Tempire de celle loi, des éta- blissements en assez grand nombre s'élaient créés. En 1830, il y avait quatre cent trente six établissements qui renfermaient â7,159 élèves.

La loi du 15 mars 1850, en supprimant la division de l'enseigne- ment primaire en deux catégories distinctes, l'enseignement élémen- taire et renseignement supérieur, avait naturellement interrompu ce mouvement de développement. Vers 1870, on enseignait ce qu'on appelait les matières facitUatives dans 264 écoles primaires seule- ment, et à 4,000 élèves environ.

L'enseignement primaire supérieur a été rétabli par la loi de finances du 10 mars 1878. Il a clé dcfinilivemont réorganisé par un décret du 15 janvier 1881.

Depuis ce moment, il a élé créé (l), savoir :

Ecoles primaires supérieures de garçons 308

- de filles 172

Cours complémentaires de garçons (écoles supérieures qui

ne comprennent qu'une année d'études) 22i

Id. de tilles 70

Total (2) 861

[1) 11 n'est pas exact de dire que toutes les écoles primaires supérieures qui existent aujourd'hui ont élé créées depuis le 15 janvier 1881. Un certain nombre d'entre elles avaient survécu à la loi «ie <850. Rédaction,

(2) Le nombre total des élablissomenls d'enseignenienl primaire supérieur, d'après la slalistique de Jb84, est non de 8<jl, mais de 570. Ce chiflre se décompose uin^i :

Ecoles primaires supérieures publiques de g.in;ons H5

de lillf/s . . . m

libres de garçons i5

de lilles i9 i46

Cours complémentaires publics de garçons . . . i21

de lilles 70

libres de gnrçons 7

(le lilles i6 3i*

Tuliil 570

Etablissements primaires supérieurs pour les garçons 398

_ _> « lilles 172

Total "57Ô

L'erreur, qui est de 291 (8(>l 576), provient de ce qu'on a donné comme indiquant le nombre des écoles proprement dites le chiffre représentant le total des étoblissements d'enseignement primaire supérieur, icoles et cours* Les nombres 221 et 70 ont élé comptés deux fois. Hédaction.

LA SITUATION DE l'eNSEIGNEMENT PRIMAIRE 133

Le nombre des maîtres ou maîtresses employés dans ces établisse* menls s*élève à trois mille six cent quatre-vingt-huit (3.688) (1), et le nombre des élèves à trente mille cent quarante (30,1^0).

Dans ces chiffres ne sont pas comprises les écoles municipales de Paris, qui emploient 465 maîtres ou maîtresses, et renferment quatre mille cinquante-six (4,056) élèves (2).

Enfin, des bourses ont été créées pour permettre à un certain nombre de jeunes gens de recevoir l'enseignement primaire supé- rieur. Le crédit voté par vous s'élève à 774,000 francs. Avec ces res- sources, rËtat entretient, à divers titrer, dans 158 établissements, neuf cent quarante-neuf jeunes gens (3j.

Cours (Tadaltes. Le tableau suivant permet de juger du mouve- ment qui s'est produit dans les cours d'adultes pendant ces der- nières années :

(1) Il parait nécessaire de faire ici la distiocdon entre les maîtres Internes (directeurs et adjoints) et les maitres spéciaux et auxiliaires (langues vivantes, dessin, gymnastique, travail manuel, agriculture, etc.] ; les premiers touchant des traitements fixes soumis à retenue, les seconds ne recevant que des indemnités.

Directeurs et adjoints.

Cours complémentaires publics de garçons, 401, de ûlles, 131 532

libres

H, -

87

101 633

Ecoles supérieures publiques

470,

181

651

libres

171

149

321 97-2 1605

municipales publiques de Paris,

433,

3i

465

Total .

2070

Maîtres spéciaux et auxiliaires.

Cours complémentaires publics de garçons, 260, de filles, 109 36!)

libres 10. de filles, 190 110 479 Ecoles supérieures publiques 483, 226 709

libres 220, 210 430 1139

Total 1618

(Rédaction.)

*

(2) On peut voir d'après la note précédente que le nombre des maitres et maîtresses des écoles municipales de la ville de Paris est compris dans le total de 3,688 maitres..

Le nombre des élèves des écoles municipales de Paris est également com- pris daas le total de 30,140. Il est : pour les écoles de garçons de 4,056; pour les filles, de 295. Rédaction.

(3] Ce chiffre d)it être modifié. En effet, la statistique a éli^ faite dans le courant de Tannée 1883, à un moment le crédit des bourses n'était que de 500,000 francs. L'augmentation de 274,000 francs inscrite dans la loi de finances du 29 décembre 1883 a permis d'élever en 188i à 1,580 le nombre (les bonrsieri nationaux dans les établissements d'enseignement primaire supé- rieur. — Rédaction.

134 RfiVU£ PÉDAGOGIQUE

/<* Coun publics.

1867(1) 1882-83 <S}

Laïques (hommes). . . . 21.126 i3i.6ll 2a.C34 377.376

Uïques (femmes). . . . 3.4U 60.122 4.466 46.^72

Congrégaaisles (hommes) 8i7 52.680 636 32.699

Congréganistcs (femmes). 1.592 38.63(i 1.065 28.002

Totaux. . . 27.009 586.055 29.791 484. 349-

i* Cours libres.

Laïques (hommes) ... 106 9.311

Laïques (femmes). ... 111 3.621

Congréganisles (hommes) 54 3.435

C^ongrégani' les (femmes). 137 3.331

126

8.794

66

2.140

65

2.202

33

1.706

Totaux. . . 408 19.098 290 i4.84i

On voit que pendant que le nombre des cours d'adultes augmente, qu*il va du chiffre total de 27,417 à celui de 30,081 (3) , le nombre des élèves diminue, descendant du chiffre total de 005,753 à celui de 490, iOl. Maïs ici la diminution du nombre d'élèves est un bon symptôme, puisqu'elle est la démonstration catégorique du déve- loppement général de l'instruction primaire, qui, à mesure qu'elle

(1) I>jns la série des documents oUiciels publiés par le ministère de Tin- stmclion publique, les chiffres de celte première partie du tableau sont donnés sous la dale de 1876-1877. Rédaction,

(2' Depuis la réorganisation des cours d'adultes, conformément aux pres- criptions de l'arrêté ministériel du 4 avril 1882, le recensement de ces cours et des élèves qui les fréquentent ne se fait plus de la même mAJuère.

Le Résumé des états de situation pour i'année scolaire 18'8t-tS83, publié pur le ministère de l'instruction publique, le présente sous la forme suivante, san^ diâtinctioD entre les laïques et les congiéganistes:

Xoakrf 4fi uin Umïn 4 Vif tes

.. , ,. . |. ( Hommes 2i.î30

(.ours daduUes publics j p^^^^^ ^^^

410.375

74.27f

Totaux. . . 29.689 484.649

r ^ 1. ^'^.^ i Homme? 191 10.986

Cours d adultes libres < p^^^^^ ^ 3.846

ToTALT. . . 290 14.H42

Les chitrres réels des totaux pour les cours publics sont donc diflRkeat» de ceux que donne le rapport. Rédaction.

|3) Il faut lire âO,979 au lieu de 30,081, à cause de l'erreur relevée diaos la note précckionte. Rédaction,

LA SITUATION DE L*ENSJUCNKME.NT PIUVAIRE 135

s'applique à un plus grand nombre d'enfants, diminue d'autant le nombre des adultes, qui, ne Payant pas reçue, se présentent aux <^ours institués pour eux.

Bibliothèques populaires des écoles et bibliothèques pédagogiques. L'augmentation du nombre des bibliothèques pédagogiques est un indice certain du goût de l'étude, du progrès des éxoies. En 1877, il n'y avait que 19,i34 bibliotiièquos populaires. £n 1883, on en compte 28,8Îo, renfermant trois millions cent soixante mille huit cent vingt-trois volumes, et 2,500 bibliothèques pédagogiques ren- fermant 663,878 volumes.

Caisses des écoles, On sait que la loi du 28 mars 1882 a rendu obh'gatoire pour toutes les communes l'établissement d'une caisse des écoles. Cette prescription de la loi a été exécutée déjà dans un grand nombre de communes. Pendant le courant de Tannée 1883, les 19,436 communes chez lesquelles fonctionne cette institution ont fait face à 4,254,176 francs (1) de dépenses.

Elévation du niveau des études. L'élévation du niveau des études dans les écoles primaires peut se constater par le nombre croissant des certificats d'études et par les examens pour l'oblcnlion des bre vêts élémentaires et des brevets supérieurs de capacité, dont Taug-. mentation a sans doute pour cause principale la loi qui a rendu le brevet obligatoire pour l'enseignement primaire, mais (jui, pour un nombre de jeunes gens, de plus en plus important, deviennent comme le couronnement des études prim.'»ires. Les deux tableaux suivants établissent, à ce double point de vue, une progression assu- rément fort intéressante :

1<» Certificats d'études (2).

1877 1882 1883

_. *1 . Oit élé ainii. . ? . Onl ^lé idnis. , ** ,^ Oui i\^ iim\%.

iM( pi^9«it««. sont pi^sei. s. tant p^^^eDlé$.

38.277 20.2>-2i 134.439 o3.io6 161). OOi 60.115

ll)Ce chiffre de 4,254,176 francs n'est pas celui des d6|)eDse^î, mais celui des recettes. Voici comment se soldent Iç§^ opérations des caisses des écoles p)en- dant l'année 1883, d'après le Résumé des états de situation publié par 1 ministère de l'instruction publique :

Eïereice 1883 j ^'"'"^ ^'- ^'^^M;^

j Dépenses. . , 2.630.528

Rbste en caisse a la CLOTURE de l'exercice. Ff. 1.623.648

(Rédaction.) (2) Les document» ofiicieU doanent les chiffres suivants :

iM7% 1882 t888

55.566

liais.

F 1 f wBirs ,

Haii.

PrtNfil«9.

k4m\t

36.841

134.439

01.153

160.006

107.060 , Rédaction.)

13G RXVUK PÉDAGOGIQUE

2^ Brevets élémentaires et supérieurs de capacité (I).

1877 1882 1883

Ont le Mil tal SriMl •■!

ilé adais prvMilé» éle«dai< fttmmUs aiai«

Hrevels élémentaires. 6.?)37 45.605 21.^16 56.064 26.!9t Hrevets supérieurs. . 93-2 7.761 2.704 8.737 3.338

ToTAi'x 7.469 53^366 iTîiÔ 64.801 29.5iîl

Nous terminerons cet exposé des résultats obtenus par le déve- loppement de l'enseignement primaire en France, par Tindicalion des progrès constatés dans Tinstruction des conscrits et des conjoints, en comparant la moyenne d'instruction en 1881 avec la moyenne constatée en 1870 :

Instruction des conscrits et des conjointe,

CON«. HlTa SAtmNT LIRK KT Kl.BIHK «:0NJOI»iT> iiAMiAM LIKK ET SCBIHI': (i

1870 1882 1870 1882

78.6 puur 100. 86.09 pour KM». 68.9 pour 100. 79.7 pour KMI.

Charges financières, Mais de tels résultats n'ont pas été obtenus, on le sait assez, sans de grands sacrifices d'argent. 11 n'est pas sans intérêt de s'en rendre compte et de déterminer approximative- ment les sacrifices qui nous restent encore à faire pour la réorga- nisation complète de notre enseignement primaire.

Les dépenses faites par IKtat peuvent se diviser en deux parties distinctes : celles qui proviennent des sommes mises à lu dispo- sition des communes pour la construction de leurs maisons d'école: :2" celles ([ui constituent des dépenses permanentes annuelles. Nous

(1) Les chi Ares exacts sont les

suivants :

1877

1882

1883

OdI

Sr Mit tel

8r SMl Oat

t>:e idffli»

pr«(>atés é[t Um\%

prfsfitrs éie a^ai^

llrevets élémentaires

. 9.625

56.064 26.191

45.610 21.156

n revêts siipérieui's

. 1.447

8.737 3.338

7.761 2.704

11.102

<>%.801 20.529

53.371 24.220

(Rédaction.

(2 Les statistiques publi'^es par leminislère de l'instruction publique disent : " Conscrits s.icbantfl»/nioin5/t're», «• Cnxïjoïnis ayant signé leur acte de mariage».

Les chillres publiés sous ces titres par le ministère de linstruciion publique sur le (Je^Té a instruction des conscrits et des conjoints sont les suivants :

Conscrits sachant au moins lire. Conjoints ayant signé leur acte de mariage.

1871 1882 1870 1881

83 pour 100 86.0 pour 100 CWl'H pour 1(K» 86 pour lOrt

[Rédaction.

LA SITUATION DE l'kNSEIGNEMENT PKIMAIKE 137

parlerons des premières dans un chapitre spécial relatif à la caisse des écoles. Pour les autres la prop^ression suivante, i{uï fait connaître l*»î5 sommes successivement alTectées par TKtat au service do l'ensei- gnement primaire, en donnera une idée suffisante :

Budget de VÉtat pour le service de l'enseignement primaire.

1870 1875 1880 1882 1883 1885

S.75i.7O0 iO.?>4-2.GOo -28.383.i5i &LUOmi\ 8i.-23o.5lt) l)7.i80.40o

Maïs, si nous nous bornions à citer ces chilïres, nous ne donne- rions qu'une idée fort insuffisante des sommes quo le pays consacre, chaque année, aux dépenses de renseignement primaire. Il faut y «jouter celles qui sont fournies par les départements, les communes, les familles et par de généreux donateurs.

Avant la loi du itj juin 1881, établissant la gratuité de renseigne- ment primaire, les ressources qui lui étaient affectées se composaient de ; !<» les dons et legs; 2<» la rétribution .«scolaire payée par les familles; les contributions de la commune; 4<» les subsides dépar- tementaux ; les subventions de l'Éfat.

Depuis la loi du 1(5 juin 1881, qui a supprimé la rélribulion srolairo, ces ressources se composent de : les dons et legs: 2" la valeur des quatre centimes additionnels votés par le.s communes: 3<> le cin- quième de certains revenus ordinaires des communes, diminué d'une subvention de ii millions volée chaque année tu budget, pourdéifre- ver les communes de tout ou partie de cette contribution; 4*» des subventions de TÉtat et des sommes que TKtat emploie directement.

Cela étant, nous pouvons comparer les dépenses de renseignement primaire en 1870 et en 188i avec une suffisante approximation :

Dépenses de renseignement primaire :

1870

Dons et legs Fr. 1,000,000

Contribution des communes 17,127,i43

Contribution des familles (rétribution scolaire), . . . 19,169,476

Contribution des départements 4,9i4,3i9

Contribution de l'État 8,751,700

Total.. 50.992,(>3S

1884 """

bons et legs Fr. 668,000

Contribution des communes 26,887,283

Contribution des départements 11,992,700

Contribution de TÉtat 94.258,r)!5

Dépenses effectuées par les caisses spéciales des éco- les dans chaque commune, environ 4,500,000

Total. . 141,306,498

138 il£VU£ PÂDAGOGIÛUE

Ainsi, les dépenses de l'enseignement primaire public en France se sont élevées graduellement, de 1870 à i884, de 50,992,638 francs à 141,306,498 francs, soit une augmentalion totale de QUATaE-viwGT-

DIX MILLIONS TROIS CKNT TJIEIZE MILLE HUIT CENT SOIXANTE FRANCS. 11

est même certain que ce chiffre est encore au-dessous de la réalité, car il ne comprend pas une foule de dépenses pour suppléments de traitements, cours spéciaux, etc., etc., faites par les communes et notamment par certaines grandes villes.

Mais les sommes que nous venons d'indiquer ne représentent que les dépenses de l'enseignement primaire public. Pour avoir la somme approximativement exacte de ce qui est dépensé en France pour renseignement primaire, il faudrait donc y ajouter le chiffre repré- sentant les dépenses de l'enseignement primaire libre. 11 est assuré- ment fort difficile d'établir les bases d'un semblable calcul. Cependant nous croyons qu'en établissant entre les dépenses de l'enseignement primaire public et celles de l'enseignement primaire libre une pro- portion basée sur celle du nombre des élèves dépendant de Tun ou de l'autre enseignement, on arriverait à établir des chiffres se rap- prochant sensiblement de la vérité. Comme on l'a vu, en i870, le nombre des élèves de l'enseignement primaire libre représentait environ le cinquième du nombre total des enfants recevant en France l'enseignement primaire et, en i883, ce nombre n'en formait plus que environ le sixième. Dès lors, en ajoutant, pour 1870, le cin- quième et, en 1884, le sixième de la dépense de renseignefnent public aux chiffres que nous avons donnés, nous arriverons à établir que les dépenses générales de l'enseignement primaire public et libre sont représentées par les chiffres suivants :

1570

Dépenses de l'enseignement public Fr. 50,992,(KW

Dépenses de l'enseignement libre iO,19S.5i7

Total.. 01,i91,t()o

1884

Dépenses de l'enseignement public Fr. 141,306, i98

Dépenses de 1 enseignement libre . 23,551,083

Total.. 164,857,581

La dépense totale de l'exercice 1881 serait donc approximativement de 164,857,581 francs, au lieu de 01,191,165 francs en 1870, soit une augmentation totale de cent trois millions six cent soixante-six

MILLE quatre CENT SEIZE FRANCS.

Les dépenses de l'enseignement primaire étant connues, nous avons cherché à établir la moyenne de ce que coûtait en France, chaque année, l'éducation d'un enfant de Técole primaire, aux deux époques de 1870 et 1881. En 1870, cette moyenne était de 12 fr. 36 c; elle est montée à 26 fr. 70 c. en 1S84.

LK SITUATION DK l'£NSB1«NEM£NT PRIMAIRE 139

Gependank, pour si considérables qu'aient été jusqu'à ce jour les sacrifices de l'État, des départements et des communes, pour le senrioe de renseignement primaire public, personne ne saurait soateiiir que nous sommes arrivés au terme. Nous disions plus haut qoe, pour achever la réorganisation de l'instruction publique en France, TÉtat devrait inscrire au budget ordinaire, en une période d'annéea indétennioée, des suppléments de crédits s'élevant à plus de 100 millions, sans compter, bien entendu, les dépenses extra- or^naires de constructions. Peut-être sommes-nous resté furt au* dessous de la vérité, en indiquant ce chiflre. En effet, si \&n consi- dère seulement le service de l'enseignement primaire, il paraît établi que Tapplication régulière des lois en vigueur ou en prépa- ration, et parmi ces dernières la loi relative au traitement de» instituteurs et des inslitulrices, conduirait a des augmentations de crédits s'élevant à près de 130 millions, en se plaçant dans Tliypo- thèse la plus favorable, en se basant sur les projets les plus réduits (1).

Les lois sur la gratuité et Tobligation sont loin d'avoir produit déjà tous leurs effels, au point de vue financier. Toutes les écoles nécessaires n'existent pas encore. Le nombre des instituteurs et instituiffices est insuffisanL Tous les enfants ayant Tàge scolaire ne reçoivent pas encore l'enseignement primaire. 11 faudra créer près de trente mille postes d'instiluteurs ou institutrices. Toutes les écoles normales, rendues obligatoirea pour les départements par la loi de 1879^ ne sont pas encore créées ou installées. Les caisses des écoles, obligatoires aussi pour les communes depuis la loi de 1882 et pouc le»4uelles l'État doit des subventions, n'existent pas partout. Enûn, il y a lieu, de prévoir une augmentation dans Le montant des annuités à foarnir par l'État pour le service de la caisse instituée pour la construction des maisons d'école. On a calculé que les augmentations de crédits résultant de cette série de mesures attein- dj»ieat, dans un délai relativemenit très rapproché,, la somme de ci 48.026.400

D'autre part, l'application du projet de loi sur l'orga- nisation de l'enseignement primaire et la nomination et le traitement des instituteurs et institutrices, con- duira, à supposer que le projet primitif soit trèsrestreint, aune dépense supplémentaire de, ci. ....... . 81.060.500

On a donc, comme total des augmentations de crédits, 121). 0112. 1>60 Cent vingt-neuf millions quatre-mngtniouze mille neuf cents ffxmcs.

Et si ce dernier projet était voté tel qu'il a été primi- tivement proposé, il faudrait ajouter encore , ci. . . . 36.657.500

ToUl i65.7oO.400

(1) Voir le n< 2629, annexe au procès- verbal de la séance du 14 févriâc 1884,

140 REVUS PÉDAGOGIQUE

Ce sont des chifTres qu'il importe de connaître el de replacer sans cesse sous vos yeux. Sans doute, il ne s*agit pas d*ane aug- mentation de dépenses immédiate. Mais, chaque année, les pouvoirs publics seront sollicités par les nécessités du service d'accroître les charges du budget. Déjà, cette année même, il a été reconnu néces- saire d'aggraver les charges pour l'amélioration du traitement des instituteurs et institutrices. Il est donc indispensable d'y réfléchir e*: do se demander par quels moyens il sera possible de faire face à de telles augmentations do dépenses; s'il convient que l'État continue à en supporter seul le poids, ou si, au contraire, il n'y aurait pas intérêt pour tous à y faire participer d'autres collectivités, dans une juste proportion. Nous croyons qu'il est temps de mettre à l'étudo une pareille question.

Comptabilité des dépenses de renseignement primaire. Après avoir énuméré les sommes mises à la disposition du service de l'enseigne- ment primaire, nous ne pouvons pas ne pas dire un mot de la manière dont elles sont réparties, d'autant qu'on a très vivement critiqué, et peut-être non sans raison, l'emploi qui en est fait. 11 y a donc lieu d'appeler sur ce point l'attention du gouvernement.

Au point de vue de la comptabilité, la part de l'Etat dans les dépenses de l'enseignement primaire se divise en deux catégories bien distinctes : celles que le ministère de l'instruction publique ordon- nance directement, comme les frais d'inspection, des écoles normales, ceux de matériel scientifique, des bibliothèques, les secours, etc. : ^ celles qui consistent en subventions allouées aux communes pour l'entretien de leurs écoles. Ces dernières font l'objet d'ordonnances de délégation au profit des préfets, qui restent chargés d'en elTecluer la répartition entre les communes sur les bases indiquées par la loi.

La grande différence entre ces deux catégories de dépenses, c'est que pour les premières, celles qu'il ordonnance directement, le mi- nistère de l'instruction publique procède dans ses bureaux à des vérifications toujours préalables à la dépense, tandis que pour les autres, dans l'organisation actuelle, l'intervention du ministère est toujours postérieure à la dépense.

Or, pour toutes les dépenses que le ministère ordonnance directe- ment ou qui sont l'objet d'un contrôle préalable, aucune critique n'a jamais été faite. H en est ainsi pour toutes les dépenses de l'ensei- gnement supérieur, de l'enseignement secondaire et pour une partie de celles de l'enseignement primaire. La comptabilité des dépenses

Avii de Ifl Commission du budget sur le projet de loi relatif à rorganisation de renseignement primaire, par M. Jules Roche. (Note du rapporteur;.

Ce document se trouve à la page 153 du volume contenant les délMits sur ce projet de loi à la Chambre, publi*' par la Hevue pédagogique en 1884. Rédaction.

LA SITUATION DE L'EMSËlGiNEMKiN T PHIMAIRE 141

des grands établissements scientitiques, des facultés, des lycées, des collèges, des écoles normales, offre, par la, plus de régularité et de clarté, et rend ses justifications plus correctes.

11 n'en est pas de même, il faut bien le dire, pour les dépenses des écoles primaires supérieures, des écoles primaires élémentaires, des écoles maternelles, etc., etc., dans lesquelles la paît contributive de TEtat reprécsente la plus grande partie du budget de renseigne- ment primaire, puisque, dans le budget qui vous est soumis pour l'exercice 1885, elle se rapproche sensiblement de 80 millions. On a signalé souvent des erreurs et des abus, se traduisant en des excé- dents de dépenses qui grèvent indûment le budget de TEtat, ou qui, clans tous les cas, pourraient recevoir, dans le service même de ren- seignement primaire, un emploi plus utile et mieux justifié.

Votre Commission a pensé qu'il était nécessaire de vous soumettre le résultât de ses investigations. Hàtons-nous de dire que le zèle et la bonne foi des bureaux du ministère est au-dessus de toute alleinte et qu'ils n'ont pas cessé de faire preuve de la plus louable énergie pour lutter contre les demandes exagérées dont le budget de Tin- struclion publique est l'objet. Toutes les erreurs commises, tous les abus signalés proviennent d*une insuffisance absolue de contiùle, au moment on procède à rétablissement des budgets scolaires dans chaque commune. Le profit en revient à un certain nombre de com- munes^ qui mettent tout en œuvre pour se décharger, le plus pos- sible, des dépenses scolaires qui leur incombent. Elles n'aperçoivent pas qu'en agissant ainsi, elles préjudicient gravement à un plus grand nombre d'autres qui, faute des ressources que TEtat ne pourrait mettre à leur disposition qu'en grossissant outre mesure les charges déjà si lourdes du budget, manquent souvent encore d'écoles et de maîtres.

Il est facile de se rendre compte des résultats de ce système.

En principe, rentrelien des écoles primaires publiques est à la charge des communes. L'Etat n'intervient qu'après épuisement de leurs ressources, pour parer à leur in;ufïiî>ance et pour le paiement des dépenses obligatoires seulement.

Les communes sont tenues d'entretenir des écoles publiques de gar- çons et de filles, et celles de moins de 500 habitants, des écoles mixtes. Elles peuvent être autorisées à créer dos écoles prima rcs supérieures, des écoles manuelles d'apprentissage, des écoles de hameau, des écoles maternelles et des écoles enfantines, et celles de plus de iOO habilauls, des écoles de filles.

Les dépenses obligatoires pour les communes, dans ces divers éta- blissements, sont: le traitement des instituteurs et institutrices; ^ les loyers de maisons d'école, quand elles n'en sont pas proprié- taires. (Art. 37 de la loi du 15 mars 1850.)

Aux termes des dispositions combinées des lois du 15 mars 1850 et du 16 juin 1881, les ressources (jue les communes doivent affecter à ces dépenses sont :

149 RBVCE PÉDAGOGIQUE

Quatre centimes additionnels au principal des quatre ccmtribn- lions directes, ou une somme égale au produit de ces centimes, pré- levée soit sur les dons et legs qui peuvent leur être fails pour rentretîen de leurs écoles, soit sur des res9(mrces ordinaires on extra- ordinaires ;

2<> Les dons el legs on leur excédent suivant les cas;

3** Dans les communes le centime produit plus de 26 francs, le cinquième des revenus ordinaires énumérés en l'article 3 de la loi du 16 juin 1881. Toutefois, depuis la loi de finances de iS8!, les Chambres votent, chaque année, un crédit de 14 millions destiné à allé^'er de ce chef les charges municipales résultant de la gratuité dos écoles, de telle sorte que le prélèvement du cinquième des reve- nus est diminué de la somme que la commune reçoit dans la répartition de ce crédit. Mais il importe de remarquer que, ce cré- dit ne s'appliquant qu'aux charges de la gratuité, la dépense résul- tant de la location des maisons d'école, quand les connmunes n en sont pas propriétaires, doit ôtre payée, à due concurrence, sur le cinquième des revenus des communes.

L'Etat n'intorvient que quand toutes les ressources sont insuffi- santes pour faire face aux dépenses obligatoires. L'article 5 de la loi du 16 juin 1881 décide que, dans ce cas, la différence sera couverte par uno subvention de l'Etat.

Telles sont les bases précises sur lesquelles le budget «scolaire de cha- que conmame doit ("^tre établi. A première vue, le compte des dépenses obligatoires paraît facile à faire, puisqu'il ne doit comprendre que deux articles au plus, un seul dans la plupart des cas : le traitement des instituteurs et des institutrices, et le loyer des malsons d'école, mais au cas seulement la commune n'est pas propriétaire.

Cependant, ce sont des points qui soulèvent fréquemment des contestalions et donnent lieu à des erreurs, qui sont la cause de dépenses indûment mises à la charge de l'Etat. On réclame des trai- tements, qui ne sont pas ceux auxquels ces instituteurs ont droit, ou augmentés de suppléments volés par les conseils municipaux et qui sont à la charge exclusive de la commune. Dans certains budgets, on porte en dépense les traitements de professeurs parti- culiers de dessin, de musique, de gymnastique, qui, ne représentant pas de> dépenses obligatoires, ne sauraient être payés par l'Etat. En ce qui concerne les loyers de maisons d'école, on a vu, paraît-îl, des communes réclamer le concours de l'Etat pour la location de maisons dont elles sont propriétaires, ou qui tout au moins sont employées à des usages qui ne se rapportent que fort indirectement au serNice scolaire.

La fixation des ressources que les communes doivent consaicrer entiè- rement aux dépenses des écoles soulève des contestations analogues.

La valeur des quatre centimes additionnels est facilement établie. Mais il n'en est pas de même du produit des dons et 1^^ que les

LA SITUATION DE l'EN^^EICNEMENT PRIMAIRE 143

communes ont reçus ou reçoivetit pour Tentretien de leurs éceles. Il y a urgence de procéder à des vérifications rigoureuses. En 4880, les dons et legs figuraient dans les statistiques pour un revenu annuel de plus d'un million ; ils n'y figurent plus Tnaintenant que pour six cent soixante-huit mille francs. La cause principale, mais non pas unique, en est dans une fausse application de la loi du 10 juin 4881. L'article 'i de cette loi dispose que « les communes auront la faculté de s'exonérer de tout ou partie des quatre centimes obligatoires, en inscrivant au budget, avec la même deslinalioo, une somme égale au produit des centimes, somme qui pourra être prise soit 9ur le revenu des dons et legs, soit sur une portion quelconque de leurs ressources ordinaires ou extraordinaires ». On est allé jusqu'à conclure de que l'excédent du revenu des dons et legs sur la valeur des quatre centimes devenait libre entre les mains des com- munes, tandis qu'il est manifeste qu'il doit servir à faire face aux dépenses scolaires obligatoires.

En ce qui concerne le cinquième des revenus ordinaires, depuis la loi de finances de 1881, qui a volé un crédit de 14 millions pour alléger les charges résultant pour les communes de la gratuité des écoles, beaucoup de communes ont émis la prétention de ne consa- crer aucune partie de leurs revenus ordinaires aux dépenses scolaires obligatoires. C'est une préleolion évidemment insoutenable. Dans la lettre comme dans l'esprit de la loi de finances de 1881, il ne s'agit pas de supprimer totalement le prélèvement du cinquième, mais seulement d'en alléger la charge, en fournissant aux communes une subvention spéciale, égale à la part proportionnelle à laquelle elles ont droit dans la répartition de ce crédit. Cependant, on n'a pas toujours su résister à une telle prétention, et le crédit de li mil- lions a été augmenté plusieurs fois pour donner satisfaction à cette partie des réclamations des communes. Mais quelques-unes vont plus loin encore. Malgré la destination très précise et très spéciale de ce crédit, qui s'applique exclusivement à la gratuité scolaire, elles refusent de prélever sur le produit du cinquième de leurs revenus ordinaires aucune somme pour payer les prix de location de leurs malsons d'école. La loi de 1881 ne peut pourtant laisser aucun doute à cet égard. Quand les ressources provenant des centimes addition- nels, des dons et legs ou de leur excédent, de la pai-t afférente à la commune dans le crédit de 14 millions dont nous venons de parler et enfin du cinquième des revenus ordinaires diminué de cette part, ne suffisent pas pour couvrir à la fois la gratuité scolaire et le loyer des maisons d'école, les sommes nécessaires pour payer celui-ci doivent être prises sur le produit du cinquième des revenus ordi- naires. C'est seulement dans le cas d'insuffisance du cinquième des revenus ordinaires que l'Etat doit intervenir poui* parfaire la diffé- rence. Cependant, le plus souvent, la totalité du loyer est imputéit sur le budget de Tinstruction publique.

144 REVUE PÉDAGOGIQUE

Nous nous sommes demandé comment de telles interprétalions avaient pu prévaloir, comment de semblables abus avaient pu per- ^iste^. Ce sont les préfets, de concert avec les inspecteurs d'acadé- mie, qui règlent et approuvent les budgets scolaires. Or, il est indubitable (|ue, dans la pratique, ils se sont montrés très favo- rables aux exigences des communes. Les sommes nécessaires pour faire face à toutes les dépenses, telles qu'ils les approuvent, sont mises à leur disposition. Quand Texercice est clos, les comptes sont envoyés au ministère de Tinstruclion publique, qui procède à des vérifications. Mais il est trop tard. Quand des erreurs ou des abus sont relevés et signalés, on répond qu'il est impossible de rien réclamer aux communes, parce que les exercices sont clos, les comptes de gestion approuvés; que les communes n*ont pas de res- sources disponibles; qu'on jetterait la perturbation et le désordre dans leurs finances, si on les contraignait à rembourser les sommes dont elles ont indûment profité. El les abus se perpétuent et l'Etat continue do payer !

Il est difficile d'apprécier, même très approximativement, les sommes qui, chaque année, sont ainsi payées indûment par le budget du ministère de l'instruclion publique. Nous avons déjà parlé de la différence constatée dans les revenus des dons et legs. En une seule année, on a relevé au ministère de l'instruction publique une somme i^upérieure à 100,000 francs, réclamée sans droit par un certain nombre de communes pour la location de leurs maisons d'école. Mais en ce qui concerne le traitement des instituteurs, les suppléments de traitement, la foule des dépenses accessoires et facultatives aux(iuelles nous avons fait allusion, les documents manquent le plus souvent au ministère de Tinstruction publique pour procéder à des vérifications rigoureuses.

Il est indispensable de mettre un terme a une telle situation, en organisant un contnMe plus otïicace. C'est pourquoi votre Commis- sion appelle sur ce point toute la vigilance de M. le ministre de l'instruction publique. Nous ne saurions trop le répéter, de telles pratiques ne profilent à quelques-uns qu'au détriment de l'intérêt général et des progrès de renseignement primaire. Le service de l'enseignement primaire ne peut pas faire davantage. Si des écoles manquent encore, dans bien des localités elles seraient nécessaires, la raison en est bien plus, peut-être, dans les causes que nous venons de signaler que dans l'insuffisance des ressources mises par vous à la disposition de l'administration. Ce sont i,000, 5,000, 0,000 écoles de plus qui seraient ouvertes sur le territoire de la Républi- que, si l'on évalue seulement à 4 ou o ou G millions les sommes que, chaque année, l'État paie ainsi indûment à un certain nombre de communes!

Antonin Dubost.

DIRECTEURS ET ADJOINTS

(note d'inspection.)

Ne restez pas toujours entériné dans votre propre salle. Le directeur d'une école doit connaître par le détail toutes les classes, tous ses élèves. Vous vous plaignez d'ailleurs de ne pouvoir assez suivre et contrôler vos trois collaborateurs.

Donnez une leçon au moins chaque jour, à heure fixe, à une autre classe, de manière à passer deux heures par semaine dans chacune des autres salles, et confiez pendant ce temps votre classe à celui de vos instituteurs-adjoints dont vous prenez la place. Chargez l'un de la géographie ou de l'histoire au cours supérieur; l'autre, de l'écriture ou du dessin; le troisième du calcul ou de la géométrie ou de telles autres matières, en tirant parti de leurs aptitudes spéciales. Cet enseignement donné à la première classe les relèvera aux yeux des parents et des grands élèves, qui souvent considèrent les instituteur.s-adjoints comme des sortes de moniteurs. Vos adjoints auront la satisfaction de faire la classe au cours supérieur, de voir ce que Ion peut demandera cette première section dans une bonne école, au lieu de rester confinés dans leur cours élémentaire, jusqu'à ce que l'administration les appelle au titulariat.

Quant à vous, directeur, vous verrez, mieux que par une visite rapide, comment vos adjoints donnent leur enseignement et dirigent leur classe, s'ils sont trop vifs ou s'ils s'attardent, s'ils se sont pénétrés des recommandations de l'organisation pédagogique, si leurs leçons sont bien préparées et méthodi- quement graduées, si les cahiers sont tenus avec soin et régu- lièrement revus et corrigés. Vous apprendrez à connaître les élèves.

En prenant vous-même périodiquement la direction de ces classes, considérées souvent comme secondaires, vous montrerez en outre quelle importance vous attachez à l'enseignement élé- mentaire ; et les parents sauront gré au directeur de l'école de s'occuper avec la même sollicitude des petits et des grands.

ABTUl FiDAOOGIQUI 1885. I**" SBM. 10

146 REVUE PÉDAGOGIQUE

*

Voici bien le type de Técole urbaine, l'école à six classes que nous devrions rencontrer dans toutes les villes.

Commençons par la dernière classe du cours élémentaire, la sixième : c'est la plus intéressante de toutes. Il faudrait la con- fier au meilleur instituteur-adjoint de Técole, et non à ce débu- tant encore inexpérimenté. Ce maître ne sait pas donner de Tattrait à son enseignement de la lecture, de récriture, de l'orthographe, qu'il faut faire marcher de front et rattacher aux leçons de choses ; il ne fait pas voir, toucher du doigt, manier les poids et mesures ; il fait une place beaucoup trop petite au calcul mental. Les élèves répètent que le nord est en haut, le sud en bas, et ne savent trouver les points cardinaux, parce que le maître n'a pas songé à coucher la carte sur le plan- cher en l'orientant pour faire trouver aux enfants la véritable direction de l'est, de l'ouest; et ainsi des autres matières.

Vos élèves sont mal commencés^ et je ne suis pas surpris d'apprendre que les autres classes s'en ressentent. C'est que cette petite classe exige de la part du maître des qualités toutes parti- culières : de l'activité, une humeur égale, une parfaite connais- sance du caractère de l'enfant, et surtout l'amour de ses fonc- tions. Il faut Savoir occuper et intéresser ces petits élèves remuants et mobiles, leur rendre le travail atti'ayant, les habituer à la règle, obtenir d'eux un petit effort personnel proportionné à leur âge pour apprendre une leçon, pour faire un devoir.

La tâche de l'instituteur-adjoint chargé du cours élémentaire est plus délicate, plus difficile que celle des autres. Pourquoi ne pas reconnaître ses efforts et son savoir-faire, s'il réussit, par une rémunération plus élevée ? Cela se fait dans l'un des arrondis- sements de Paris, la caisse des écoles alloue des gratifi- cations de cent francs alix meilleurs maîtres et maîtresses des petites classes. G. J.

DE L'INSTRUCTION DE LA FEMME

A LA CAMPAGNE

Urne Caroline de Barrau vient de publier une intéressante brochure sur les femmes de la campagne à Paris. Elle s'élève avec beaucoup de force contre cette folie de l'émigration de la jeunesse de nos villages et nos fermes, qui dépeuplera bientôt la campagne. Folie est bien le mot, car la jeune paysanne qui se propose de venir faire fortune dans la grande ville n'y trouve trop souvent que la misère d'abord et le déshonneur ensuite. La preuve irrécusable que les femmes pauvres étrangères à Paris viennent s'y perdre dans les conditions les plus effroyables se trouve dans le relevé des entrées à Saint-Lazare. En 1883, les condamnées de droit commun éUiient au nombre de 4,768, dont 925 de la Seine et 3,318 venues des départements, le reste appartenant aux nationalités étrangères. Une seconde section comprend les femmes arrêtées sur la voie publique pour cause de mœurs: on en comptait, toujours dans la môme année, 4,099 dont 1,226 de la Seine, 2,621 des départements et 252 étrangères. M"*» de Barrau conclut en ces termes : « On ne saurait trop le dire : une jeune fille étrangère et abandonnée à Paris, une jeune fille isolée et sans protection, est une jeune fille perdue. Mieux vaudrait pour elle, cent fois, rester au pays avec les siens, dût- elle y manger du pain noir toute sa vie! »

D'après l'auteur, Tune des principales causes delà dépopulation des campagnes, qui entraîne comme conséquence fatale la démoralisation de tant de paysannes, est le défaut d'harmonie de l'éducation donnée aujourd'hui à la campagne avec les moeurs et le milieu pour lesquels elle devrait être faite. Nulle part l'éducation n'est rurale; ni à l'école primaire, ni après^ la jeune fille des champs ne reçoit aucune instruction profes- sionnelle; elle va plutôt à l'école apprendre à oublier ou même à mépriser les travaux de son père et de sa mère. Elle ne saura pas traire les vaches, tirer parti du lait, semer, planter,

148 RlVra PÉDA600IQUI

arroser. D'ailleurs, voulût-elle s'associer aux occupations de la famille qu'elle ne le pourrait pas. « Les enfants ont emporté de récole, pour les heures de la soirée et du matin, des devoirs de grammaire, d'histoire, etc., à préparer, à apprendre Ou à écrire, des problèmes d'arithmétique à résoudre. Lorsqu'ils sont éloignés de l'école et que la course est un peu longue, c est à peine s'ils ont le temps de terminer ces devoirs. » Ce n'est pas tout : pendmt les années de scolarité, « grâce au régime presque exclusivement intellectuel de l'école et faute d'exercice, les muscles s'atrophient, les mains s'alanguissent, tout l'être matériel s'amollit et s'énerve. » A l'incapacité physique se joint le dégoût de la vie champêtre: de au désir d'aller à la ville il n'y a qu'un pas, qui est bientôt franchi.

Les couleurs de ce tableau nous paraissent un peu chargées : il y a encore de robustes jeunes filles dans nos écoles rurales, u( elles n'emportent pas assez de devoirs à faire chez elles pour nv pas pouvoir aider leurs mères dans les soins du ménage el les travaux de la ferme. Il n'en est pas moins vrai que les eampagnes se dépeuplent beaucoup trop, et qu'il y a lieu de réagir contre ce mal à la fois social et moral. Mais comment y remédier ?

M""** de Barrau est loin de nier les bienfaits de rinstructiou : elle la veut etfectivsmcnt obligatoire pour tous et pour toutes. Seulement elle trouve que l'école primaire a le tort de saturer d'exercices intellectuels des enfants qui passent ensuite à un régime professionnel non moins exclusif. « C'est le manque de simultanéité dans les deux enseignements qui les rend anta- gonistes et qui fait tout le mai. » Il faudrait donc partager le temps entre l'enseignement scolaire et l'enseignement profes- sionnel.

11 y a deux moyens d'atteindre le but. Le premier, que notre auteur ne fait qu'indiquer, consisterait à adjoindre à l'école même un champ de culture ou les enfants feraient des exercices de jardinage, eu même temps qu'on leur donnerait quelques eonnaissances pratiques d'agriculture et d'élève du bétail et (les animaux de basse-cour. Nous avons entendu défendre plu- sieurs fois cette méthode : l'institutrice aurait sinon une vache, du moins une chèvre, quelques poules, quelques lapins, deux

DB l'instruction DE LA FEMBIE A LA CAMPAGNE 149

OU trois couples de pigeons; etc. Ce système ne nous plaît guère : l'introduction de ces animaux dans les annexes de Técole ser- virait plus à l'amusement qu'à l'instruction technique des enfants. Les vrais travaux de la ferme, du jardin et des champs seront mieux appris par les élèves dans de vraies fermes, de vrais jardins et de vraies cultures sous l'œil de leurs parents. Nous comprendrions toutefois la création de fermes-modèles pour les femmes et l'annexion d'un grand champ cultivé à une école primaire supérieure de filles. Mais dans l'école primaire éléjneii- taire il suffira d'un peu d'horticulture agréable et facile.

D'après la seconde méthode, que M"»** de Barrau expose avec plus^de détail, on organiserait les études de façon à ne garder à l'école que la moitié de la journée les enfants destinés par leurs familles aux travaux des champs. Laissons ici la parole i l'auteur:

e Les parents qui voudraient utiliser leurs enfants chez eux {et ils sont presque tous dans ce cas) pourraient ainsi les garder une moitié de la journée; Tautre demi-journée seulement appartiendrait à l'école. Il en résulterait dès lors pour les enfants un apprentissage tout naturel des travaux champêtres, par conséquent Véducation professionnelle et, en môme temps, Fentraînement normal nécessaire aux exercices qui demandent de la force physique. Pour les enfants comme pour les parents, cette organisation offrirait les avantages les plus sérieux. Mais le plus grand avantage serait encore pour les enfants, car ils s'attacheraient inévitablement à un genre d'existence qui entretient et favorise les liens de la famille, tout en constituant une des fonctions les plus essentielles de la vie sociale. De leur côté, l'École et l'État y gagneraient. L'École, parce que l'insti- tuteur ou l'institutrice pourraient faire deux divisions de leurs élèves, l'une du matin et l'aulre du soir, chacune formant environ la moitié du nombre total des élèves : l'enseignement ne pourrait que gagner considérablement à ce partage. L'État y verrait quelque matière à économies, car les locaux scolaires, souvent trop étroits pour le nombre total des élèves, devien- draient suffisants, les élèves n'y étant reçus, à la fois, que par moitié; Thygiène, pour le dire en passant, n'y perdrait rien, et les maîtres y gagneraient de pouvoir s'occuper plus efficace-

15U JŒYUE PÉDAGOGIQUE

ment de chacune des séries, au lieu de négliger, comme Us y sont forcés aujourd'hui, quelques-uns des élèves les plus faibles (c'est-à-dire ceux qui auraient le plus besoin de secours), acca- blés qu'ils le sont par le trop grand nombre des enfants qu'ils ont à surveiller et à stimuler à la fois.

D Enfin, sans parler davantage des bienfaits de l'enseignement professionnel ainsi obtenu par le concours des enfants dans la ferme et aux travaux de leurs parents, on trouverait encore, grâce à cette organisation, l'occasion et le moyen de faire continuer aux enfants les exercices scolaires après l'âge de treize ou quatorze ans, alors qu'ils conunencent à peine à en profiter. Au lieu d'une seule année supplémentaire accordée aujourd'hui aux élèves qui veulent encore fréquenter l'école, la loi pourrait autoriser la prolongation de cette période, sans qu'il en résultât aucun inconvénient par défaut de place aux nouveaux arrivants et sans préjudice de l'usage des travaux manuels, menés de front, depuis l'origine, avec les travaux intellectuels. De la sorte, ceux qui en sentent le prix pourraient entretenir plus longtemps et même perfectionner les connaissances acquises. »

Les écoles de demi-temps demandées par M*"^ de Bàrrau pourraient rendre de grands services dans nombre de localités agricoles, et nous verrions avec plaisir tenter cet essai, qui serait certainement profitable à la santé physique des paysannes et les retiendrait peut-être en plus grand nombre à la campagne.

A. B.

RAPPORT

SUR LK PROJET DR DÉCRET RELATIF AUX TITRES DE CAPACITÉ

DE l'enseignement PRIMAIRE (1)

Messieurs,

La commission que vous avez désignée pour la révision des règle- ments relatifs aux titres de capacité de renseignement primaire avait deux projets à examiner: un projet de décret devant remplacer le décret du 4 janvier 1881 et un projet d*arrôté réglementaire des- tiné à remplacer l'arrêté du 5 janvier 1881. * J'ai rhonneur de vous soumettre le résultat des travaux de la commission en ce qui concerne le projet de décret.

Vous savez, messieurs, que Tétude à laquelle nous nous livrons actuel- lement a été précédée d'une grande enquête ouverte par une circulaire ministérielle, en date du 8 mai 1884, et à laquelle ont pris part les rec- teurs, les inspecteurs d'académie, les inspecteurs primaires, les di- recteurs et directrices d'écoles normales, les membres des commissions d'examen. Vous avez reçu le volume qui contient, avec les rapports des recteurs, les réponses faites aux questions posées par M. le ministre, dans sa circulaire, les diverses solutions proposées par les fonctionnaires consultés. De l'ensemble de ces documents, certaines tendances générales se dégagent, certains désirs se trouvent exprimés presque partout : voir relever le niveau de l'examen du brevet élémentaire, mettre le règlement des brevets en harmonie avec la loi du 28 mars 4882 et avec les nouveaux programmes des écoles primaires et des écoles normales; n'admettre dans les écoles, au moins comme instituteurs titulaires, que des maîtres qui auront fait preuve de leur aptitude à l'enseignement.

Votre commission, messieurs, s'est constamment inspirée dans son travail de ces vœux exprimés; elle s'est efforcée de leur don- ner satisfaction toutes les fois que la loi le lui permettait.

(1) Nous avons consacré l'an dernier une série d'articles à l'imporUinle question des titres de capacité de l'enseignement primaire, et dans notre der- nier numéro noua avons analysé [p. 81) le décret et l'arrêté du 30 décambre * 1884, qui ont réglé à nouveau la matière. Nous complétons aujourd'hui les renseignements que nous avons donnés à nos lecteurs en publiant le texte des deux rapports présentés au Conseil supérieur par MM. Lenient et àrmbruster, au nom de la commission chargée d'examiner le projet de décret et le projet d'arrêté. La Rédaction,

\S^ RITT7B PÉDAGOGIQUE

I

Le projet de décret arrêté par la section permanente comprend trois parties : la première a pour objet les titres de capacité.

L'article l®*" énumère ces litres :

Le brevet élémentaire,

Le brevet supérieur,

Le certificat d'aptitude à la direction des écoles maternelles.

Beaucoup d'entre nous auraient voulu supprimer ce dernier diplôme.

Les écoles maternelles, en eiïet, exigent autant de connaissances au moins de celles qui doivent y enseigner que les écoles primaires élémentaires en exigent des institutrices. De plus, les programmes et les méthodes, dans les écoles maternelles, diffèrent bien peu des programmes et des méthodes en usage dans les classes enfantines et dans le cours élémentaire des écoles primaires. Nous désirions donc assimiler les directrices d'écoles maternelles aux institutrices primaires. Celte assimilation, du reste, réalisée déjà, au point de vue des traitements, par le décret du 10 octobre 1881, a été préparée, au point de vue pédagogique, par le décret du 14 juin 1884, qui dit que les écoles normale'^ d'institutrices assurent lerecrutement du personnel enseignant, non seulement pour les écoles primaires, mais encore pour les écoles maternelles et pour les classes enfantines.

Deux titres donc subsisteraient seulement : le brevet élémentaire et le brevet supérieur. Puis, a ces deux titres qui ne constatent que le degré d'instruction des candidats et ne peuvent être que des diplômes d'étude, viendrait se joindre un véritable titre de capacité profession- nelle, le certificat d'aptitude pédagogique; et c'est dans les épreuves imposées pour l'obtention de ce diplôme professionnel que se place- raient naturellement alors une ou plusieurs épreuves pratiques, spéciales aux directrices et aux sous-directrices d'écoles maternelles.

Malheureusement, ces propositions, messieurs, ne pouvaient être accueillies, à cause des dispositions formelles de la loi du 16 juin 1881 sur les titres de capacité, dont l'article 2 dispose que « nulle ne peut exercer les fonctions de directrice et de sous-directrice des salles d'asile publiques ou libres sans être pourvue du certificat d'apti- tude à la direction des salles d'asile institué par le décret du ^ mars 1855 ».

Ces propositions, soutenues par un grand nombre de membres, ont donc être abandonnées. Elles seront reprises sous forme de vœu et présentées à M. le ministre, pour qu'il veuille bien les transmettre "^ au Sénat, actuellement chargé de l'examen du projet de loi sur l'organisalion de l'enseignement primaire voté par la Chambre des députés le 18 mars 1884.

L article 4^^ a donc été adopté tel que l'avait présenté la section permanente.

LES TITRES DE CAPACITÉ DE L*BNSEIG>RMENr PRIMAIRE 15-{

VarticU2 du projet établit un examen pratique complémentaire de l'un ou de l'autre brevet et destiné à constater l'aptitude à la direc- tion d'une école publique. C'est ce diplôme professionnel dont il vient d'être parlé et que nous aurions voulu, en le rendant obliga* toire, étendre à tous les fonctionnaires de l'enseignement primaire public. La loi nous a contraints de lui garder son caractère facultalif.

Après une discussion sur la nature de ce certificat d'aptitude pédagogique, les uns voulant en faire un titre élevé, accessible seulement à l'élite du personnel enseignant; les autres, au contrain% désirant qu'il put être imposé dans l'avenir à tout instituteur titu- laire et voulant, par suite, qu'il restât accessible à tout maître un peu expérimenté, de capacité moyenne, mais consciencieux et dévoué, la rédaction proposée par la section permanente n'a subi qu'une légère modification de forme, et l'article a été voté à l'unanimité moins deux voix.

Il

Le titre du projet de décret a trait aux conditions d'admission aux examens.

Actuellemeilt, pour se présenter aux épreuves du brevet élémen- taire, le candidat doit avoir 16 ans à l'ouverture de la seijision. Le projet porte 16 ans au 1*^' janvier de l'année dans laquelle le can- didat se présente : la limite d'âge minimum se trou>e ainsi recu- lée de six mois au moins. Beaucoup de membres de la commission auraient voulu la reculer davantage : les uns proposaient 17 ans au 1** janvier, les autres 17 ans à l'ouverture de la session.

Mais après avoir entendu M. le directeur de l'enseignement pri- maire exposer quelles pouvaient être, au point de vue du recrute- ment des instituteurs, les conséquences de l'élévation trop consi- dérable de l'âge minimum dans les circonstances actuelles, la commission, se rendant à ces considérations, a voté le texte pro- posé par la section permanente.

Les mêmes difficultés no se présentaient plus à l'article 4, qui rè^'le les conditions d'admission aux examens du brevet supérieur. La possession de ce brevet, en effet, n'est pas indispensable pour entrer dans Fenseignement, pour débuter dans la carrière. La commission, désirant diminuer la surcharge imposée aux candidats par la prépa- ration hâtive et précipitée d'épreuves nombreuses et difficiles, a reporté à 18 ans révolus, lors de l'ouverture de la session, l'Age exigé des aspirants et des aspirantes au brevet supérieur. La section permanente avait proposé 17 ans au \" janvier précédant l'ouver- ture de la session.

D*aprè8 VaHicle 5 projeté, « les candidats au certificat d'aptitude pédagogique doivent avoir au moins vingt ans révolus au moment de leur examen et justifier de deux ans d'exercice dans l'ensei- gnement public ou libre ».

154 EEVUE PÉDAGOGIQUE

Quelques membres de la commission youlant, comme je Tai dit plus haut, faire du certificat d'aptitude pédagogique un litre d'une valeur tout à fait exceptionnelle, demandaient que la limite d'âge fût reculée jusqu'à 25 ans.

Cette proposition n'a pas été accueillie.

Dans l'enseignement secondaire et même dans l'enseignement su- périeur, cette limite n'est imposée ni pour la licence ni pour l'agré- gation ; il a paru excessif de l'exiger des maîtres de l'enseignement primnire. En outre, comme il est désirable que l'administratiou puisse bientôt n'accorder le titulariat qu'aux instituteurs pourvus de ce certificat professionnel, il serait à craindre, avec la limite de 25 ans, que beaucoup de communes ne restassent longtemps sans titulaire.

Toutefois, comprenant que cet examen bien que devenant acces- sible à tous les bons maîtres doit révéler une certaine maturité d'esprit, qui ne se rencontre que bien rarement chez des candidats trop jeunes, la commission a porté la limite d'âge à 21 ans au moment de l'ouverture de la session.

Une proposition tendant à exiger trois ans d'exercice au lieu de deux, a été repoussée.

Varticle 6 énumère les conditions imposées aux. aspirantes au certificat d'aptitude à la direction des écoles maternelles.

Une longue discussion s'est engagée sur la condition d'âge de 21 ans, exigée des aspirantes au moment de leur examen.

Plusieurs membres de la commission, par analogie avec ce qui a été décidé pour les brevets de capacité élémentaire et supérieur» voudraient voir cette limite abaissée à 18 ans. lis exposent la diffi- culté que les administrations éprouvent pour recruter le personnel des écoles maternelles, difficultés si grandes que, dans certains départements, on est obligé d'autoriser des postulantes pourvues du brevet élémentaire à enseigner dans les écoles maternelles, ce qui n'est pas régulier, la loi du 16 juin 1881, qui prescrit pour les directrices et sous-directrices la possession du certificat d*aplitude à la direction des écoles maternelles, ayant en même temps supprimé toute espèce d'équivalence de titres.

Des exceptions ont pu être autorisées en vue de circonstances sans doute tout à fait spéciales, mais ces exemples ne sauraient prévaloir en face d'un texte aussi positif que celui de la loi de 1881. 11 est donc à craindre que les aspirantes à la direction et à la soua- direction des écoles maternelles no deviennent de moins en moins nombreuses, .les conditions pour subir le certificat d'aptitude étant plus rigoureuses que celles du brevet élémentaire.

A l'appui de leur proposition, les n;iembres de la commission qui demandent l'abaissement de la limite d'ftge citent l'article 42 du décret du 2 août 1881, qui fixe justement à 18 ans l'âge auquel les aspirantes à la direction des écoles maternelles peuvent se pré- senter à l'examen, lis proposent le maintien de cette disposition.

LES TITRES DE CAPACITÉ DE l'eNSKIGNEMEMT PRIMAIRE 155

M. le directeur de l'enseignement primaire répond que le décret du i août 1881 a été rendu pour pourvoir à des besoins nombreux, mais momentanés, créés par la loi sur Tobligation des titres de capacité. Cette période transitoire est aujourd*ui terminée; il con- vient donc de rendre à Tarticle 29 du décret du 21 mars 1855, visé dans rarticle 2 de la loi du 16 juin 1881, son caractère obligatoire; et cet article dit expressément que a nulle n'est admise devaat une commission d'examen avant Tâge de 21 ans ».

M. le directeur ajoute que, la mcgorité de la commission désirant voir disparaître ce certificat de notre législation scolaire, il vaut mieux, jusqu'à ce qu'une disposition législative donne satisfaction à ce désir, le conserver tel qu'il est. La faveur qui dispense de la condition d'âge toute aspirante pourvue du brevet élémentaire, lui paraît suffisante pour obvier aux inconvénients administratifs qui ont été signalés.

' M. le directeur de l'enseignement primaire dans le département de la Seine fait observer que, la loi reconnaissant deux sortes d'écoles, les écoles maternelles et les écoles primaires, il faut se préoccuper avec le même soin, avec la même sollicitude, du recrutement des unes et des autres : il propose donc un amendement fixant à 18 ans, au moment de l'examen, l'ùge d'admission des aspirantes au certificat d'aptitude à la direction des écoles maternelles. Cet amendement est repoussé par 9 voix contre 7.

La condition du stage de deux mois exigée des aspirantes par la dernière partie de l'article (5 est supprimée à l'unanimité, comme étant insuffisante et inutile.

Vcurtick 7 est adopté sans discussion.

111

Le titre 111 du projet de décret a pour objet les sessions d'examen.

L'article 8 règle le nombre de ces sessions pour chaque ordre d'examen. Le projet portait qu'il y en aurait dettx chaque année pour le brevet élémentaire et le brevet supérieur, et une au jnoins pour le certificat d'aptitude pédagogique et le certificat d*aptitude à la direction des écoles maternelles.

La commission a modifié ce texte. Elle a réuni l'examen des aspirantes au certificat d'aptitude à la direction des écoles maternelles avec' les exaniens du brevet élémentaire et du brevet supérieur : il y aura donc deux sessions par an pour chacun de ces examens.

Quant au certificat d'aptitude pédagogique, il n'y en aura générale- ment qu'une. Si ce titre, dans les conditions il va être Institué désor- mais, était sollicité par un trop grand nombre de candidats, l'admi- nistratioD pourrait organiser plusieurs sessions. La rédaction proposée par la conmiission le lui permet. Le second paragraphe de larticle

156 REVUE PÉDAGOGIQUE

8 est en olVot ainsi conçu : « 11 y aura, chaque année, une session au moins pour le certificat d'aptitude pédagogique. »

Variicle 9 règle la composition des commissions d'examrn pour les certificals d*aptitude pédagogique et d'aptitude à la direction des écoles maternelles.

D'après le projet élaboré par la section permanente, la présidence de ces commissions appartient à Tinspecteur d'académie et elles com- prennent nécessairement : deux inspecteurs primaires, 2> le direc- teur ou un professeur de Técole normale, et deux intituteurs publics pourvus du brevet supérieur, pour les aspirants ; la directrice ou une maîtresse de Técoie normale et deux institutrices ou directrices d'écoles maternelles, pour les aspirantes.

La commission a cru devoir apporter quelques modifications à la rédaction de cet article.

Elle a d*abord décidé que les commissions se composeraient de einq membres au moins et seraient nommées annuellement.

Puis, voulant indiquer combien il est désirable que l'inspecteur d'académie préside effectivement, et le plus souvent possible, ces diverses commissions, elle a proposé qu'un paragraphe spécial por- tât cette disposition : « En cas d'empêchement de l'inspecteur daca- démie, le recteur désigne un suppléant pour la présidence de la commission. »

Attachant de même beaucoup d'importance à la représentation des fonctionnaires de l'école normale dans ces examens et, pensant que le représentant le plus autorisé de ces écoles est naturellement le directeur, elle a modifié ainsi la seconde partie de l'article : « !2^ le directeur ou, à son défaut, un professeur de l'école normale. »

Quant à la présence des instituteurs au sein de la commission d'exa- men, celte disposition n'a pas été admise.

Si les instituteurs, en effet, sont généralement heureux et fiers de voir leurs collègues siéger dans certaines commissions, à coté de leurs chefs hiérarchiques, ils n'aiment pas à être jugés par eux. En outre, il est à craindre que les écoles ne souffrent d'une absence trop prolongée de leur directeur.

Si d'ailleurs la présence des instituteurs est désirable dans cer- tains examens, comme ceux du certificat d'études primaires ils sont tout à fait à leur place, cette présence n'a plus la même nécessité dans les commissions pour le certificat d'aptitude pédago- gique. Les garanties que doivent présenter ces commissions, c'est-à- dire la supériorité des connaissances et l'expérience professionnelle, sont suffisamment assurées par la présence des inspecteurs primaires et du directeur de l'école normale.

L'élimination des instituteurs, mise aux voix, est prononcée par 7 voix contre 5.

Toutefois, il sera toujours possible de donner à un maître dis- tingué, à un ancien instituteur d'élite, cette preuve, ce témoignage

LES TITRES DE CAPACITÉ DE l'eNSEIGNEMENT PEIMAIRE 157

d'estime et de confiance que le projet de la section permanente ▼oulait accorder aux Instituteurs.

Le recteur, aux termes du premier paragraphe de Tart. 9, doit nommer cinq membres au moins et quatre seulement sont désignés de droit: si les circonstances le permettent, le cinquième membre pourra être un ancien fonctionnaire de renseignement primaire, directeur d'école normale, inspecteur primaire ou instituteur public en retraite.

Le 1* paragraphe deV article 10 du projet est supprimé comme inutile, le nombre des membres de chacune des commissions d'examen étant Indiqué par la loi du 15 mars 1850 et par les dispositions spéciales du présent décret. Le reste de l'article 10, ainsi que les articles 44, ,42 43 et 4i du titre IV du projet de décret sont approuvés, sans dis- cussion, et à Tunanimité.

Une seule modification a été apportée au 1®' paragraphe de Varticle 44. La commission a décidé que les épreuves écrites ou orales ne dépasseraient, dans aucun cas, le niveau moyen des programmes du cours supérieur des écoles primaires pour le brevet élémentaire, ni des propnrammes des écoles normales d'instituteurs et d'institutrices pour le brevet supérieur. C'est, messieurs, la réalisation du vœu que je vous signalais en commençant : mettre le règlement des brevets en harmonie avec la loi du 28 mars 188:2 et avec les nouveaux programmes des écoles primaires et des écoles normales.

29 décembre 1884.

A. Lemknt.

RAPPORT

SCR LE PROJET d'aRRÊTÉ PORTANT RÈGLEMENT DES EXAMBNS RELATIFS ADX TITRES DE CAPACITÉ DE l'eNSEIGNEMENT PRIMAIRE

Messieurs,

J*ai rhonneur de vous reiidi*e compte du travail de lu commisbiun que vous avez chargée d'examiner le projet d'arrêté portant règle- ment des examens relatifs aux titres de capacité de l'enseignement primaire.

De l'enquête faite sur la réforme des brevets de capacité de l'en- seignement primaire, enquête dont les procès-verbaux vous ont été soumis, il résultait que le corps enseignant était d'accord avec M. le ministre pour reconnaître qu'il y avait lieu d'apporter des modifica- tions plus ou moins profondes aux examens, aux programmes, aux

i58 RKVUS PÉDAGOGIQUE

conditions d'inscription et d'admission des candidats et au mode de jugement des épreuves.

On était presque unanime à reconnaître qu'il y avait lieu de rele- ver le niveau du brevet élémentaire et d'alléger, au contraire, l'exa- men du brevet supérieur.

Les avis étaient plus partagés sur la nature des mesures à prendre pour rendre utiles et pratiques les réformes demandées. Le projet de la section permanente donnait sur la plupart des points satis* faction aux désirs exprimés, d'une part par M. le ministre, et de l'autre dans l'enquête générale.

Votre commission a donc pris pour base de son travail le projet de la section permanente ; elle vous propose cependant d'y apporter un certain nombre de modifications.

TITRE PREMIER

DES SESSIONS d'eXAMEN

Article premier. Par l'article premier, votre commission a décidé que les sessions réglementaires, pour les deux brevets de capacité et le certificat d'aptitude à la direction des écoles mater- nelles, auraient lieu, chaque année, et dans chaque département, aux mois de juillet et d'octobre, et pour le certificat d'aptitude péda- gogique, au mois d'avril. En adoptant le mois d'octobre, au Jieu du mois de mars, pour une deuxième session, votre commission a pensé subordonner les examens aux intérêts des études qu'elle redoute de compromettre en les interrompant. Elle a aussi préféré au mois de juin le mois d'avril, pour les épreuves du certificat d'aptitude pédagogique, afin d'éviter la simultanéité des examens.

En raison de la situation du département de la Seine, le nombre des aspirants et des aspirantes a dépassé 2,000 à chacune des ses* sions de 1881, elle fait une exception pour Paris et décide que la première session réglementaire, pour le brevet élémentaire, y com- mencera dans la première quinzaine de juin.

Art. 2. "La section permanente proposait de faire choisir les sujets de composition par l'inspecteur d'académie. La commission a préféré maintenir l'ancienne rédaction. Les sujets de composition étant envoyés, sous pli cacheté, par M. le ministre, donneront une force plus égale aux examens qui se passent à la fois dans tous les départements.

Art. 3. Les épreuves écrites, au lieu d'être examinées et jugées par la commission d'examen réunie, pourront être corrigées, pour arriver plus rapidement à un résultat, par des sous-commissions de deux membres au moins; l'admission sera toujours prononcée par la commission réunie. On gagnera ainsi beaucoup de temps, sans rien enlever à l'autorité des décisions prises.

LES TITRES DE CAPAaTÉ DE l'eNSEIGNEBIENT PBIMAIRE 150

Enfin, lorsque le nombre des candidats dépassera 80, il peut être formé plusieurs commissions composées de sept membres, procédant sépai^ment et successivement, s'il y a Heu.

Aux examinateurs spéciaux, pouvant être aciyoints à la commis- sion pour les épreuves de langues vivantes, de dessin, de chant et de g3rmnastique, la commission, faisant droit à la pétition des professeurs départementaux d'agriculture, et sur la proposition du plus compétent de ses membres en cette question, a décidé d'ad- joindre un examinateur spécial pour l'agriculture.

Art. 4 et 5. Rien de changé au projet.

TITRE II

DE L*n«SCRIPTION DES CANDIDATS ET DE LA SURVEILLANCE DES EXAMENS

Art. 6. L'article 0 est adopté tel qu'il est présenté par la section permanente. On avait proposé d'igouter, aux pièces exigéesjusqu'ici pour les femmes mariées, leur acte de mariage; pour les veuves, l'acte de décès de leurs maris; pour les mineurs, l'autorisation de leur père. La commission a repoussé cette proposition, pensant qu'il était inutile de compliquer les formalités d'inscription.

AftT. 7. Cet article a été modifié par votre commission. Elle a décidé que tout candidat, désireux de subir les épreuves des deux brevets dans une même session, devrait en faire la demande au moment de son inscription. Elle a voulu prémunir des aspirants, trompés par le succès trop facile du premier examen, contre le danger d'aborder sans préparation suffisante Texamen du brevet supérieur.

Art. 8. La commission décide que les aspirants et les aspirantes au certificat d'aptitude pédagogique devront produire, en dehors du brevet de capacité, un certificat de Tinspecteur d'académie, attestant qu'ils ont enseigné, au moins pendant deux ans, dans des établisse- ments publics ou libres.

Art. 9. Adopté sans observation.

Art. 10. Votre commission n a pas cru devoir maintenir cet article; elle a pensé qu'on devra admettre aux ejiamens tous les candidats, sauf à ne pas recevoir plus tai'd dans renseignement les incapables ou les indignes auxquels s applique l'article :26 de la loi du 15 mars 1850.

Art. H, i2 et i3. Adoptés sans observation.

TITRE 111

DE l'examen du BREVET ÉLÉMENTAIRE

Art. 14, 15, i6, 17. Votre commission décide, conformément au projet delà section permanente, que l'examen du brevet élémen- taire comprendra trois séries dépreuves :

1(K) BBVUI PÉDAGOGIQUI

Première série.

Les épreuves de la première série pour l'examen des aspiranU et des aspirantes au brevet élémentaire sont au nombre de quatre, savoir :

io Une dictée d'orthographe d^une page environ ; le texte, lu d'abord à haute voix, est ensuite dicté posément, puis relu. Dix minutes sont accordées aux candidats pour relire et corriger leur travail :

±^ Une page d*écriture, à main posée, comprenant une ligne eu ;(ros, dans chacun des trois principaux genres (cursive, bâtarde ot ronde), une ligne de cursive en moyen, quatre lignes de cursive en fin ;

3^ Un exercice de composition française (lettre ou récit d*un genre très simple, explication d'un proverbe, d'une maxime, d'un précepte de morale ou d'éducation);

A^ Une question d'arithmétique et de système métrique et la solu- tion raisonnée d'un problème comprenant l'application des quatre règles (nombre entiers, fractions, mesure des surfaces et des volu- mes simples).

11 est accordé une heure et demie pour chacune des épreuves de composition française et d'arithmétique, trois quarts d'heure pour la page d'écriture.

DetÀirièim série.

Les épreuves de la deuxième série (épreuves orales) sont au nombre de cinq :

i^ Lecture expliquée; la lecture se fera dans un recueil de mor- ceaux choisis en prose et en ver^ ; des questions seront adressées aux candidats sur le sens des mots, la liaison des idées, la construction et la grammaire;

è^ Questions d'arithmétique et de système métrique;

3^ Questions sur les éléments de l'histoire nationale et de l'in- struction civique ; sur la géographie de la France avec tracé d'une carte au tableau noir ;

Questions et exercices très élémentaires de solfège;

o^ Questions sur les notions les plus élémcnlaires des sciences physiques et naturelles dans leurs rapports avec l'agriculture et l'hor- ticulture.

Dix minutes au maximum sont consacrées à chacune de ces

épreuves.

Troisième série.

Pour les épreuves de la troisième série, les aspirants devront : \'* Exécuter un croquis à main levée d'uu objet usuel de forme

très simple (plan, coupe, élévation»: durée de l'épreuve, une heure

au maximum:

LES TITRKS DE CAPACITÉ DE L'eNSEIGNEMENT PRIMAIRE 161

^ Exécuter les exercices Ic^ plus élémentaires de gymnastique, prévus par le programme des écoles primaires ; durée de Fépreuve, dix minutes au maximum.

Les aspirantes devront exécuter, sous la surveillance de dames désignées a cet effet, les travaux à Taiguille prescrits par l'article i^ de la loi du 28 mars 1882 ; durée de l'épreuve, trois quarts d'heure au maximum (i).

I>ans les discussions qui ont amené l'organisation des séries ci- dessus, votre commission a poursuivi un double but : renforcer les principales épreuves déterminées par l'arrêté du 5 janvier 1881, et Ajouter quelques matières nouvelles à l'examen, afm de mettre le programme du brevet élémentaire en harmonie avec la loi du 28 mars 1882 et l'organisation pédagogique du 27 juillet de la même année. Ainsi, pour assurer à l'enseignement de la langue française la place qu'il doit occuper à l'école, il a paru nécessaire d'exiger du candidat non seulement qu'il connaisse l'orthographe, maisqu'il s'exprime avec correction, clarté et aisance. Aussi votre commission a- t-elle insisté sur la nécessité de préférer aux exercices, trop minutieux, d'analyse et de terminologie, des interrogations sur le sens des mots, la liaison des idées, la construction des phrases et la grammaire. De même, pour unir plus étroitement l'instruction à l'éducation, elle a ajouté, au paragraphe des sujets de composition à proposer aux candidats, un précepte d'éducation.

Préoccupée enfin de donner a l'épreuve d'arithmétique une valeur plus réelle, votre commission a décidé que cette épreuve compren- drait, outre la solution raisonnée d'un problème, une question d'arithmétique. Elle espère ainsi faire juger mieux de l'intelligence des candidats.

Voire commission a été fort divisée sur le choix des matières qu'il serait nécessaire d'ajouter aux épreuves du brevet élémentaire, afin d'assurer à l'enseignement primaire de tous les degrés l'am- pleur que le législateur du 28 mars 1882 a voulu lui donner.

En ce qui concerne spécialement l'instruction morale, inscrite à Tarticle i«' de la loi nouvelle, votre commission est d'avis qu'il serait bien délicat et bien difficile, sinon impossible, de faire des interro- gations spéciales sur la morale, sans se répéter et sans tomber dans des banalités, sans risquer surtout de réduire la morale à un for- mulaire d examen qui, étant appris par cœur, comme une leçon, perdrait rapidement tout sens et toute valeur. C'est ce qu'elle a voulu éviter à tout prix.

Votre commission se contente donc de la mention « d'instruction civique «, mais, comme elle attache une importance capitale à un ensei-

(1) Le Conseil supérieur a décidé, lors du vole délinilif de i'arrélé, que les aspirantes devront en ouirc « exécuter un dessin au trait d après un objet atœl (dorée de l'épreuve : une demi-heure). Rédaction.

IITUB PÉDAflOOIQUB 1885. 1*' Al«. 11

16^ MMYUK FÉAA60GIQUK

gnement bien entendu de la morale ii récde,^lle souhaite tiue sou- vent les sujets de compositions écrites appellent les aspirants et -ies aspirantes à s'expliquer sur des questions de morale à leur fMrlée.

Ensuite, après avoir entendu les observations et les expUcaii^ns de M. le directeur de renseignement primaire, et en vue 4e VeoÊÂ- cution de la loi du 15 juin 1879 sur renseignement de UagriculUiie, elle a adopté, comme nouvelle épreuve, une question sur -les no- tions les plus élémentaires des sciences physiques^ et naturelles, idans leurs rapports avec l'agriculture et Thortioulture.

Votre commission, reconnaissant, comme la section permanente, les efiets bienfaisants de renseignement du chant, «dopte le para? graphe relatif aux questions et eotercices très élémentaires lée ^sol- fège.

Outre les épreuves fixées par la section permanente en son article 17, relatives au dessin pratique pour les aspirants, et aux iraraux à raiguille prescrits par Tarticle i^' de la loi du 28 mars 1^2, pour les aspirantes, votre commission a ajouté les exerotees les plus élémenlaires de gymnastique, prévus par le progvaoBune des écoles primaires. £lle n'a pas pensé augmenter la Dattgue de la préparation; -on a voulu, par l'obligation, rendre da»s les écoles les exercices physiques plus fréquents.

TITRE IV

DE I/EXAMEN du brevet SCPÉRlEtJR

Aet. -18 et 19. Votre commission, en cela 'd'acoord avec le sentiment unanime qui s'est manifesté pendant l'enquête du brevet supérieur, a décidé dans une de ses premières séances qu'il y avait lieu d'apporter de notables réductions aux connaisMnces exigées pour l'obtention de ce titre, tout en ne portant aucun préjudice à la culture morale et intellectuelle .des candidats aux fonetions de l'enseignement.

On a proposé la division de Texamen. Cette scission en deux parties du brevet supérieur, par la création d'un 4»re7etH(tépatre et d'un brevet scieuatifique, n'a pasiparu à la oommissi«o tme mesure conforme au but qu'elle désire atteindre. En scindant Texamen, la commission aurait craint de séfMtrer d'une façon artificielle IWnde des lettres et celle des soîobcss; elle aurait craint austi d'ajouter à la difficulté d'obtenir le brevet supérieur, en«ubstituant«tf fait 'deux examens à un seul. Elle a donc, à une grande ma>«ri4é, maintenu l'unité de l'examen.

épreuves écrites,

La commission adopte, en principe, la proposition. de < la section permanente, en ce qui concerne les épreuves ,de' niantiM, avec

LES TITRES DE CAPACITÉ DE l'eNSEIGNEMKM PRIMAIRE 163

la réserve suivanfe : le calcul algébrique, la géométrie, ragriculture «l rhorUculture senmt écartés des épreuves à faire subir aux aspi- rantes.

Poar la composition française, votre commission, d accoid avec fat section permanente, a cru qu'il fallait se contenter de cette indication générale : litléralure ou morale. Quand le sujet pouvait être emprunté, soit à Thistoire et à la géographie, soit à l'instruc- tion morale et civique, des candidats, craignant toujours que leur mémoire ne fût prise au dépourvu, passaient la plus grande partie "ée knr temps à npprendn^ par cœur des manuels d'histoire, de géojgraphie, d'instruction morale et civique. Ne vaut-il pas mieux ▼otr ce temps consacré aux lectures et surtout aux n'flexions ^TBonnelIes?

Si les procédés artificiels doivent être écartés de touto préparnlioii aux examens, ne faut-il pas les bannir surtout de la composition française, qui doit montrer si le candidat est capable de dégager ses idées, de.les exprimer correctement dans un style clair et naturel?

Epretti^s orales.

Art. 20, 21 et 2-2. Pour montrer Timportance qu'elle attache à la culture générale do Tesprit, et en même temps le cas qu'elle fait des connaissances pratiques et précises, la commission projxise june nouvelle modiQcation. Jusqu'ici l'étude de la langue française cédait en quelque sorte le pas à l'arithmctiquo, à In physique et à la gécgraphie. Cet ordre est remplace par le suivant :

10 Questions sur la moralo et sur réducation murale (1);

.2'' Langue française, lecture expliquée d'un auteur français, pris sur une liste qui sera dressée tous les trois ans par le miniiilre de rinstruction publique el publiée une année à t'avance; des jquestions d'histoire littéraire, limitées aux prijicip<iux auteurs du xvi*^ au xix'^ siècle, seront posées aux candidats a l'occasion de cette lecture;

3<^ Eléments d'histoire générale depuis IGIO, géographie de la France et notions de géograpliie générale (2) ;

^ Arithmétique appliquée aux opérations pratiques, tenue des livres, et en outre, pour les aspirants seulement, notions de calcul Algébrique (3), éléments de géornétrie, arpentage et nivellement:

(llLeGonsairsiipéHeinra suppriim> l'adjectif moreth comme faisant double gBpioi, et a -rédigé eet alinéa ainsi : «1* Questions lar la morete et sur Té- dMlieD.» Mdëciion.

(2) Le texte adopté par le Conseil supérieur porte : « 3* Histoire de Fnnoe depuis tSiO et éléments d'iiistoire générale depuis la môme date; géographie de la France et notions de géographie générale. » Rédaction,

(3) Le leile «dopté par le Gmseil supérioor porte : «r Notions très élémen- tairet de calcul algébrique. » Rédaction.

16 i REVUE PÉDAGOGIQUE

5^ Notions de physique^ de chimie et d'histoire naturelle, et en outre, pour les aspirants seulement, notions d'agricultun> et d'horticulture;

6<> Traduction à livre ouvert d'une vingtaine de lignes d'un texte (1) anglais, allemand, italien, espagnol ou arabe, au choix du candidat.

En ce qui cjncernc le paragraphe 1®', le projet préparé par la section permanente portait : « Questions sur la morak et la psycho- logie dans leurs rapports avec Téducatioa. » Ce tait toute la péda- gogie. Pour simplifier, on a demandé la radiation du mot psychologie. Restait: « la morale dans ses rapports avec l'éducation ». Celte formule, trop vague, a été remplacée par celle-ci : « La morale et l'éducation morale, » Par la force des choses et en l'absence de notions scien- tifiques et définies, il est certain qu'en fait toute l'interrogation portera sur la morale : c'est le Vœu de la commission.

Votre commission a pensé encore que, si les élèves doivent être capables de replacer dans leur époque et dans leur milieu les principaux écrivains français, il serait superflu de leur faire apprendre par cœur une série de biographies littéraires. On a cru parer à cet inconvénient, en adoptant la formule : « Interrogations sur le mouve- ment littéraire du xvi® au xix« siècle. »

Votre commission a aussi modifié le projet de la section permanente en ce qui concerne Tinterrogation sur l'histoire de France et les notions d'histoire générale. Tout le monde reconnaît que cette for- mule est trop vague et que cette sorte de revue, même sommaire, de l'histoire universelle constitue une surcharge écrasante pour la mémoire, sans utilité pour la culture générale. Après avoir discuté diverses propositions, la commission s'est arrêtée au texte suivant : «Eléments d'histoire générale depuis 1610; géographie de la France et notions de géographie générale » ; c'est celui du programme d'his- toire dans la troisième année des écoles normales. Ce qu'il faut en eflet demander aux aspirants, ce n'est pas un savoir général, et par mémo superficiel, mais un savoir réel et approfondi ; ce ne sont pas non plus toutes les matières, mais tous les ordres essen- tiels d'enseignement qui doivent être représentés dans les pro- grammes du brevet supérieur. Votre commission ne croit pas d'ail- leurs amoindrir cette importante épreuve, en lui traçant un champ limité, l'esprit pourra se mouvoir avec tout autant d'activité et plus de profit.

Elle estime qu'il faut réserver aux seuls aspirants les notions de calcul algébrique, les éléments de géométrie, d'arpentage et de nivel- lement. Elle a réuni en une seule épreuve les mitières comprises dans les paragraphes 2 et 3 du projet.

\1) Le texte adopté porte: « d'un texte facile anglais, allemand, etc. Rédaction.

LES TITBES DE CAPACITÉ DE l'eNSEIGNEMENT PBIMAIRE 16â

Les questions sur l'agriculture et Thorticulture ont été réservées aux aspirants seuls, mais la commission y attache la plus grande importance et compte que partout ce seront des professeurs spéciaux d'agriculture qui seront chargés de les poser.

Votre commission supprime ensuite les épreuves sur le solfège, le chant et la gymnastique, qui ont été représentées au brevet élé- mentaire.

La commission a longuement discuté le paragraphe relatif à répreuve de langues vivantes. Une partie de ses membres deman- daient qu'on laissât à cette épreuve le caractère facultatif; ils insis- taient sur les difficultés de toute sorte qu*il y aurait pour les aspi- rants, m^me élèves des écoles normales, à acquérir les connaissances nécessaires; mais on a fait valoir d'autre part, avec beaucoup de force, des raisons d'un ordre très élevé.

Cest d'abord un intérêt national ; il ne faut pas accepter et per- pétuer l'état d'infériorité nous place, à l'égard des peuples voisins, notre ignorance trop générale des langues étrangères ; il importe de faire cesser l'isolement auquel nous semblons nous résigner.

De plus, l'introduction des langues vivantes au brevet supérieur aura pour effet d'abaisser la barrière entre renseignement primaire et rensei.i;nement secondaire. Celui-ci, en reculantjusqu'à la sixième l'élude du latin, a laissé ses portes ouvertes aux enfants de nos écoles ; mais il leur demande, comme à ceux qu'il a préparés lui- même, des notions des langues étrangères. C'est donc rendre un grand service à l'enseignement primaire que d'y introduire l'étude d'une de ces langues.

La commission a voulu marquer, par son vote sur cette question, qu'il y va des intérêts de notre pays. Mais pour laisser à cette impor- tante réforme le temps de se préparer, elle a fixé le 1®»^ janvier 1888 comme la date l'épreuve deviendra obligatoire.

TITRE V

CERTIFICAT d'APTITUDE PÉDAGOGIQUE

Art. î23 et 24. Quelques membres, préoccupés du désir de dimi- nuer le nombre des diplômes aujourd'hui réclamés dans l'enseigne- ment primaire, proposaient la suppression du certificat d'aptitude pédagogique.

Avec beaucoup de force, on en a demandé le maintien, mais à condition que son caractère serait désormais plus nettement fixé. Le certificat d'aptitude n'est pas en réalité un nouveau diplôme, il n'exige des candidats aucune instruction nouvelle, aucune prépara- tion spéciale; il se borne à constater qu'ils ont acquis, par l'exer- cice même de leurs fonctions, l'expérience qu'on est en droit d'exiger d'un futur directeur d'école. On tenait tellement h ce que cet examen

166 R£VU£ PÉDA60GIQU&.

fût tout à fait pratiqua, que la. section permaoente proposait de le faire passer aux instituteurs dans une classe, devant des élèves^ mais plusieurs membres de la commission se sont élevés avec vi* gueur contre celte proposition, ils ont démontré qu'un. pareil examen serait impraticable. Peut-on désor^niser les clafises? Seraitril conveaablc d*exposer un instituteur à rester court devant les élèves?

On a proposé encore de f.iire venir devant le jury q^elques élèves auxquels le candidat s'adresserait. La commission a. pensé qu'en face de ces figurants le candidat ne serait pas du tout dans la même situation que dans sa classe avec ses élèves.

Par toutes ces considérations, elle a donc réduit l'exatten à des épreuves passées, comme les autres, en dehors de la classe^ hors de la présence d'élèves, devant un jury ; mais il reste bien enteuAu que ces épreuves seront aussi simples que possible, uniquement destinées à montrer Texpérienco acquise par Tinstituteur. Ainsi- la compositioa française est limitée à un travail fort simple sur un sujet xelAlif à la tenue do l'école et à l'enseignement.

Cette épreuve sera éliminatoire, afin de ne pas obliger à se pré- senter inutilement devant le jury les candidats dentelle aurait déi- montré Tincapacité.

TITRE Vi

DU CERTIFICAT D'APTITUDE A LA DIRKCTION DBS ÉCOLES aATEffNBLLfiS'

Art. 25 et 26. Le certificat d'aptitude à la direction' de» écoles maternelles a donné lieu à une diseassion dans laquelle^on ar expri- mé le désir, en vue de réduire le nombre des litres de capacité et de» relever le niveau de l'examen des directrices d'écoles maternelles; de voir ce titre remplacé par le brevet de capacité élémentaire, suivi d'une épreuve pratique. Cette proposition a être écartée, le cer- tificat d aptitude à la direction des écoles maternelles existant en vertu du décret du 2i mars i85o qui vise la. loi du 15 mars 1830. En conséquence, votre commission adopte les deux articles du titre VI, en supprimant au paragraphe 4 des épreuves écrites la.menUen « et de petits ouvrages de la méthode Ri'oebel. » ; elle- a décidé ea outre que les aspirantes déjà pourvues du.hvevet.de capEuntétâerooi. admises à Texamcn pratique, sous la condition d'avoir suhii avee succès une épreuve de desskU'au trait (1).

(1) Ija^dause rdntive k l'épreufede deuiti a été suppvènée' parle QeMeil su4iériour comme su perflae^ par suite de l'iolroduciieiiv mentionnée * pèiA: luMt^. d'une, épreuve de deseia au trait, pour le^espisantes) daaei'eeaenBdtt bievet' élémentaire. Hédaction.

LES TITRES DE CAPACITÉ DE l'eNSEIGNEMENT PRIMAIRE 167

TITRE Ml

DU JUGEMENT DES ÉPREUVES

*

Art. â7. Après avoir rais en présence les deux propositions qui se soDt produites au coramencement du débat relatif au jugement des éprenines, et dont l'une avait pour objet d'admettre des coefficients et' Taatre d'exclure la compensation des notes atlribuées aux éprefiTes, votre commission, s'appuyant sur ce (}ue les matières do programme de l'enseignement primaire forment ensemble une série de connaissances nécessaires, indispensables, et que pour bien les enseigner il faut bien les posséder- a adopté le système de compensation et Tarticle de la section permanente, sauf une légère modlûcalion en vertu de laquelle la note très bien correspondra aux chiffres 10 et 9. La mention médiocre est remplacée par la mention fat'ble, comme plus claire.

La commission a rétabli ensuite Tarlicle réglant les conditions de rejet et d'admission de l'épreuve d'orthographe, en décidant qu'un tolai de trois fautes entraînerait la nullité de cette épreuve (1). Votre commiseton s'en rapporte d'ailleurs au pouvoir discrétionnaire des jurys d*examen pour* l'appréciation de la gravité des infractions à la grammwre et à la langue.

Elle considère qu'un mode de correction uniforme sera un élé- ment de relèvement de l'examen du brevet élémentaire.

AUT. î^ et 29. Adoptés.

Art. 30; Le» conditions d'admissibilité aux épreuves orales et d'admission définitive sont réglées par cet article. La commission 96 conforme à l'équité en exigeant que pour être admissible aux examens oraux, onaitobtenu la moitié du chiffre maximum des points.

Bo conséqoenee, votre commission a l'honneur de vous proposer dMopter le programme qu'elle vous présente.

Ruris, 1er 29 décembie 1884. Bàpportettr,

A. Armbruster.

(1) Après une discussion approfondie, le Conseil snpérieur a décidé de ne pn- maintenir cet article. MM* Renan, Béclard et Bernés ont signalé les abus q^ réBultent de l'applicatioii d*nn tarif inflexible, pouvant entraîner des exchi- tktmm îÉyotleti et l*«nnjorHé &m Conseil (19 voix contre 18)- s'est rangée è* leor avis» uâfjuigrBid'eianMDappiéoiercMlidésoffiiiais réprwtve d'orthograpl» en I— lemfcartè, oomjntdlaappréeieiu l«»autnDBé|irattvea;deraam0a. ^ MdâHim'

LA PRESSE ET LES LIVRES

Questions d'enseignement national, par M. Ernest Lavisse (Revue internationale de Renseignement, numéro du 15 janvier i885). C'est renseignement supérieur, tel qu'il est donné dans les facultés de l'Etat qui fait l'objet de cette étude, préface d'un livre qui vient de paraître; mais nous y trouvons un passage intéressant pour nous.

« Quiconque enseigne Thistoire, dit M. Lavisse, dans un collège ou dans une école, est le disciple do ceux qui travaillent au progrès de la science historique. »

Et en ce qui concerne Técole, il insiste sur f>a pensée.

ff Dans un collège ou dans une école, ai-je dit : il faut, en effet, ne pas oublier l'école. 11 ne s'agit pas de faire les superbes et les dédaigneux^, et de s'estimer si haut placé dans sa chaire que Ton n'aperçoive point, tout en bas de la hiérarchie, le maître d'école avec les fils des paysans et des ouvriers, car ces fils de paysans et d'ouvriers, c'est la plus grande partie de la France. Il ne s'agit pas non plus de s'isoler dans sa dignité intellectuelle et morale, et de croire ou de faire semblant de croire que la force morale ne se transmet pas. De même que les sciences positives ont leurs appli- cations dans rindusirie, les sciences morales ont leur application dans la vie nationale. Ou pardonnera à un professeur d'histoire cette conviction qu'il est utile de verser jusqu'aux profondeurs intimes de la nation la connaissance élémentaire de noire histoire, le sentiment de ce que nous avons été, de ce que naus sommes dans le monde. Sans doule, la transmission se fera souvent par des maîtres insuf- fisants à des écoliers incapables ; beaucoup de temps sera perdu ; des mots inutiles ou inintelligibles sei*ont jetés dans des mémoires qui ne les garderont point; mais c'est un mal que nous pouvons atténuer, si nous ne dédaignons pas de diriger, de conduire par la main les maîtres de ces écoles; ce faisant, nous serons récom- pensés de la peine, car il y a, dans ce monde aujourd'hui si actif de l'école populaire, une grande vertu : on a le courage d'y être bon Français et de le dire. Vous n'y rencontrerez pas cette détestable crainte du ridicule, qui nous fait hésiter devant les grands roots qui expriment les grands sentiments. On prononcera le mot de patriotisme avec quelque emphase, mais cela ne vaut-il pas mieux que de le dire tout bas, avec une hésitation de la langue, comme si on voulait se faire pardonner cette hardiesse à offenser le bon goût? Je dirai plus encore. J'ai peur que ce ne soit pas seulement l'expression qui manque au sentiment dans une certaine partie de la nation, mais que le sentiment même n'y ait pas cette vigueur

LA PRESSE BT LES LIVRES 169

qu'il lui faut pour posséder les âmes. Les hommes qui ont la vie à la fois la plus occupée et la plus facile ne sont pas ceux qui res- sentent le mieux certaines douleurs et sont le plus prêts à certains sacrifices. Les ftmes et les vies plus simples sont plus sensibles. On trouvera dans les rangs élevés d'une société des âmes fières, que le sentiment même de leur dignité préservera contre les bassesses et conduira sans efforts aux actions héroïques, mais il faut à la France la foule des héros inconnus; elle est dans les ateliers et derrière les charrues. Parlons-lui en soignant notre parole, et comme la plus lourde part de devoirs pèse sur elle, donnons les faisons capables de lui faire comprendre ces devoirs et de les lui faire aimer.

» Je dirai seulement à ceux qui trouveraient extraordinaire cette relation entre renseignement supérieur et Técole primaire, entre la science et le patriotisme : Re^^ardez FAllemagne. J'ajouterai : Il ne se passe pas de session de baccalauréat des examinateurs ne soient emportés par l'indignation, en constatant que des jeunes gens ne savent point l'histoire de nos défaites de 4870, ne connaissent pas le tracé de notre frontière de l'est, ont oublié Metz ou bien donnent Nancy à TAllemagne. On se demande dans quel milieu ils ont vécu. Ce sont, dira-t-on, des exceptions monstrueuses : je le souhaite. U faut travailler à les faire disparaître : sans doute, mais il faut peut-être aussi chercher dans un autre milieu. »

Dubois-Crancé; la première bibliothèque populaire (La Justice du t février 1885). Dans une étude sur Dubois-Crancé signée Sari" thonax, et publiée à propos du livre récent que M. le colonel lung a consacré à ce conventionnel, nous trouvons la page suivante, qui nous a paru mériter d'être reproduite dans cette Revue :

« Aux derniers jours de la République, Dubois-Crancé fut ministre de la guerre pendant un peu moins de deux mois. On lira, dans les écrits posthumes publiés par M. hmg, l'intéressant compte-rendu qu'il râigea pour la postérité. Notons surtout son attitude républicaine en face de Bonaparte : il proposait au Directoire les mesures les plus sévères contre le général de l'armée d'Egypte et il parlait de préve- nir ses projets liberiicides en Tarrêlant. Cette attitude était d'autant plus louable chez ce patriote que, comme militaire, il admirait passionnément l'homme d'Arcole et de Rivoli. Mais, quoi qu'en dise un de ses biographes, il se garda bien de rendre de plats hommages , le lendemain du 18 Brumaire, au destructeur de la République, et il quitta simplement le ministère pour rentrer dans la vie privée. La rancune de Bonaparte l'y suivit sous la fofme des tracasseries les plus mesquines et les plus basses. Quand il demanda un congé comme général de division, son successeur Berthier le fit descendre au grade d'a4judant-général qu'il avait avant son élection à la Convention, n eut beaucoup de peine à obtenir de la malveillance des bureaux

170 REVUK PÉDA6061iHK'

la liquidation de sa modeste peiision de retraite et véculdès. lor&y ohscuv et bien faisant,, dans sa. propriété de Balham.

» Aicetle heure critique de la. retraite, il moi^a de la dignité^ diL boa.seast UQ^ modestie iiàre, comme si.rexpécience et le spectacle do tant d'événements tragiques avaieiit dissipé en lui ce grain de vanité que noua lui. avons peutrêtre trop reproché, et il éorivil noble* ment en. tête de sas Mémoires :

« Si' j'easso' encore été à 1 époque je croyais bs hommes meil- » leurs qu'ils ne le sont, j'aurais regretté peut-être de ne-pouvoir »-plu8 les servir; mais l'expérience m'a< convaincu, et.je me féli- » die do n'avoir plus d'autre occupation; que celle de cnltiver* le »> champ patriarcal que mon piTe m'a laissé. » Et, sans insister davantage sur lamertume de ses désillusions, il ajoute, avec l'em- phase du temps: < Comme ils sont, grands, ces boisl comme ils » sont-, devenus épais» ces couverts que j'ai perdue de vue depuis dix. » ansi. Qu'ils sont délicieux! Hais en me rappelant que c'est moi i> qui les ai plantés, ils m'avertissent du déclin de ma vi«(.. Eh ! > >qu'imporie ? Ne vieillitHMi pas également au milieu de la. tour» » mente des cour^, comme dans les déserts? Dois-^je moins jouir de» V dons» de la: nature, parce qu'il faudra un jour en être privé?.. . » Adieu donc, honneurs, puissances, crédit, adieu tout; je reprends- » ma; bêche et mon râteau, et ne suis plus qa^un jai'dinier. »

D C'est alors que, naïvement, il se fait peindre par DeneuTilleen jardinier: il a une bêche à la main, et sa femme est debout près de lui.

» 11 finit donc sa carrière agitée en cultivant son- jardin comme Candide, mais c'est un Candide sensible, un. Candide humain, et hieniaisanL Ainsi que tant d'autres révolutionnaires il avait, dan» le cœur comme sur les lèvres, le culte et le goût de la fcaternUé. Dans sa carrière militaire, toute morgue professionnelle est absente de sa parole et de ses actes. Non seulement il se rit du prestige du galon et veut qu'on soit sobre d'épaulettes^ maia.il. traite réellement les soldats qu'il commande commo des camarades et comme dès frères* il leur disait :

« Le mot de fratemiié est-iLun vain mot? N'esi'Ce>p^C€i.q4|LiiBLit ». notre force? Les vertus sociales sont si douces 1 » De leur, côtà^.ses soldats le traitent en père. A l'armée de Bretagne,, en.. mai 17d4v dan» une heure de grande détresse morale j. ils lui avouent ingénu* méat leurs défaillances, intimes et sollicitent de lui dea^ rasiôdea: contre leurs propres faiblesses. Un. d'eux, un simple stfgiantf^Hiaior^ en ganiifioaiàiFougèrcs,.a.reça..de sa feomie des lettres qi^iamellis^ sent sou courage, et. il sent faiblir son patnntisœo. Quo'ftti^il akMft? ; Ui envoie toute cette corireapondance à son général et lui demaade-: ottaseiL Le général,. à< qui une reaponsabiiitâ infinie ne laiseotmâm»- ppade tomps- de dormir^ trouMe uni moment poue lire, s'émouveir. el répudie r à son . canaarade >: « Je te renvoie .t&cerrespaodance- C'est» «^mbdé^ôteacré/etije taremenie de^ ta confiance. Tu.ea.:nai bnuvet

LA PAfiSSS. £1. LBft UVAES 171

homme. Tu. sera bien la République. Tu ne tarderas paa viaisem- « blablement a être fait, officier. Tu doil dooc faire pasâor daoa

> Fine. de ton épouse. le sentiment qui tanime et la fortifier cootce

> une faiblesse qui, pour être due à sa tendresse, n*ea nuirait pas » moins à ton avancement et peut-être à tes devoirs. C'est un mou- » vement bien naturel que celui qui nous rapproche par la pensée » de ce que nous chérissons; mais nous devons tout à la patrie i » Commençons par la sauver pour jouir en paix des fruits de sa. » reconnaissance. > N'êtcs-vous pas émus de cette belle et simple leçon de morale civique, donnée par un général à son soldat, et l'aceent de tendresse fraternelle qui tempère la gravité do ces con«r jseUs n'a-t-il pas comme une naïveté sublime ?

» Le même esprit philanthropique lui inspira une généreuse entrer prise, dans sa retraite de Balham. IL avait une belle bibiiotht'que, d'environ 6,000 volumes. Il eu. ouvrit laccès à ses concitoyens et fit apposer dans tout le canton d'Asfeld, il demeurait, une affiche il les informa qu*ils pouvaient se présenter chez, lut « avec confiance^

> tous les jours et à toute heure, de huit heures du matin jusqu'à

> six heures du soir, à dater du i*^ germinal de chaque année jus-

> qu^u i^*" vendémiaire, ils y trouveront sans aucune gêne une table, » des chaises, de Tencre, du papier, et le citoyen Dubois-Crancé V leur procurera, tous les livres dont ils désireront prendre connais-

> sance. Tout ce qu'il demande à ses concitoyens, c'est le respect » d£Lauz propriétés. » C'est ainsi qu'un d3 ces conventionnels répu- tés barbares et sanguinaires ouvrit, dans un coin perdu de la France, sous le despotisme de Bonaparte, la première bibliothèque populaire. II n'oubliait pas avec quelle sollicitude l'ancien régime favorisait rigoorance, et lise rappelait avoir lu dans le Roussillon, avant 1789y une ordonnance de l'intendant qui défendait aux maîtres d'école d apprendre à lire à leurs élèves ! »

Notions usuelles ûe droit civil répondant aux progi'ammes de l'eiiMigiiement primaire et de l'enseignement secondaire spécial, par. M* /. R^. Chassaing^. Ucancié en droit, rédacteur au. ministère da rinstruction publique ; I^ris, Delalain frères^ 1 volume in-t-iî.. Dan& notre dernier numéro, M. Acollas demandait que la connaissance des notîoos élémentaires du droit fût vulgarisée au moyen d'un enseignement populaire: Voici un livre qui nous parait répondre à ce àésu. Ce n'est pas, comme l'auteur le dit dans sa préface, un taité sommaire ni encore moias un manuel de législation civile; c'est- «-un. livre. absolument pratique^ mis au courant des lois nour velles,. se trouvent exposées, en termes pour ainsi dire faoûr liées, tottiesr les règles dsidroit qui sont d!une application fréquente^. ^.qfiliLio^iorte de connaître. » Des notes explicatives en grand' nombfe, et» chaque fois que celai a. paru nécessaire,, des exemple»! d'application font saisir le sens et la portée des règles exposées.

172 EBVUI PÉDÀ606IOU1

Les Notiom usuelles de droit civil conprennent trois livres. Le premier traite de l'état et de la capacité des personnes, des droits civils et politiques, du domicile, de la résidence, des actes de Fétat civil, du mariage et de ses conditions, des différents régimes qu'il comporte, des droite et des devoirs des époux, du divorce et de la séparation de corps, de la paternité et de la filiation, de la minorité ()t de la tutelle, de la majorité, de Tinterdiction, du conseil judiciaire, etc.

Le second livré est consacré aux biens et à leur distinction, meubles, immeubles, droit, action, propriété, possessions. L'auteur y étudie aussi l'usufruit et les droits do Fusufruitier, l'usage, l'Iia- bitation, enfin les servitudes, leur origine, leur nature, leur ex- tinction.

Le troisième livre a pour objet les différents modes d'acquérir et de transmettre la propriété et les droits : occupation, successions, donations et testaments, contrats et obligations, preuve des obli- gations et des paiements, vente, contrat de louage, voies et moyens accordés aux créanciers pour assurer le paiement de leurs créances. Le volume se termine par un chapitre sur la prescription et un autre sur les moyens offerts par la loi pour mettre fin aux contes- tations entre particuliers : transactions, arbitrages, compétence des tribunaux de paix et des tribunaux d'arrondissement.

L'ouvrage de M. Ghassaing se présente aux maîtres sous les auspices d'un savant professeur de la faculté de droit de Paris. « 11 me paraît difficile, écrit à l'auteur M. Bufnoir, de mieux con- denser dans un si petit volume, ou d'analyser plus clairement et dans un sens plur. pratique les règles essentielles de notre droit civil. Votre langue, sans cesser d'être juridique, est bien appropriée au public spécial et pourtant si étendu auquel vous vous adressez. »

Le livre de l'élève soldat, à l'usage des écoles, collèges et lycées, des sociétés de gymnastique et des bataillons scolaires, par M. Edm. Pascal, lieutenant d'infanterie territoriale, affecté au service d'état - major, licencié en droit; i vol. in-12, 1884, Hachette et O*. Les vertus militaires et ce qui peut en provoquer dans l'enfance le déve- loppement, tel est l'objet de ce livre. Le patriotisme et le dévoue- ment, l'honneur, le drapeau, le courage et la bravoure, la discipline : voilà les titres des principaux chapitres. L'auteur a eu recours à l'artifice d'une légère fiction pour dramatiser, si l'on peut dire, ses leçons de morale civique : il a multiplié les exemples et les anecdotes. Son livre pourrait être un bon livre de lecture courante pour les élèves un peu avancés, pour les classes d'apprentis et d'adultes ; il a surtout sa place marquée parmi les ouvrages que l'on donne comme récompense dans les écoles et sur les rayons des bibliothèques sco- laires et populaires.

PRISSE £T LES LIVRES 175

L'AVENIR VISUEL DES ENFANTS DANS LES ÉCOLES, par Emile Grand, membre et lauréat de l'Institut ophthalmologique européen, auteur de YHygiène de la vue et de plusieurs ouvrages appliqués à la vul- garisation de Toplique physiologique; chez Fauteur, a Nancy (30, rue Saint-Dizier), broch. in-8^ de ^5 p. et un tableau. Dans cette brochure destinée et dédiée « aux instituteurs et aux institutrices », M. Emile Grand décrit les défauts les plus ordinaires de la vision, dont peuvent être atteints les enfants, myopie, hypermétropie, astig- matisme, etc., et il indique les moyens de les reconnaître. Il ne veut pas, dit-il, apprendre aux instituteurs l'optique ophthalmolo- gique; — il faut vingt ans pour faire un opticien expérimenté, mais il veut les prémunir contre des apparences qui les trompent souvent sur telles ou (elles dispositions morales de leurs élèves, les- quelles ne sont que le résultat d'une infirmité physique, et particu- lièrement d'une infirmité de Toeil ; il leur enseigne des correctifs facilement applicables dans certains cas, lorsqu'une infirmité légère de l'organe visuel est bien reconnue et distinguée; et, quant aux affections qui sont du domaine spécial de rophthalmologie, il les met en mesure, sinon d'en établir les causes, du moins d'être les premiers à donner un avertissement salutaire .

M. Grand, s'adressant à un public peu familiarisé avec le langage médical, aurait pu, suivant nous, reprendre les choses de plus haut et user un peu moins des termes techniques; tel qu'il est toutefois, son travail sera utilement consulté par les maîtres et les maîtresses.

Le certificat d'études primaires, choix de compositions écrites : orthographe, calcul, rédaction, par M. B. Subercaze, inspecteur de l'enseignement primaire, officier de l'instruction publique, troisième année, à l'usage des maîtres ; 1 vol. in-i2, Paris, Delalain frères. Le titre de ce livre dit assez ce qu'il contient. A la suite des docu- ments relatifs à l'examen du certificat d'études primaires, M. Suber- caze donne 200 types des compositions écrites exigées pour cet examen : orthographe, problèmes, rédaction. Ge sont, d'ailleurs, de simples textes : les dictées ne sont pas expliquées, les sujets de rédaction ne sont pas suivis du corrigé ; pour les problèmes, l'auteur se borne à donner la réponse, sans indiquer les opérations. Ce volume vient à la suite de deux autres le même plan a été suivi et qui ont eu plusieurs éditions.

Petit traité d'ornements polychromes, manuel de poche à l'usage des écoles et des personnes qui désirent s'instruire seules, avec des applications'aux beaux-arts et aux arts industriels, par Mld. /. Hàusel- mann et R. Ringgery album in-i2 oblong, Zurich, Orell, Fussli etC^*. Manuel de pocbe de l'instituteur pour l'enseignement du dessin, 400 motifs à dessiner au tableau noir, par M. /. Hduselmann^ édition, album io-IG oblong, mêmes éditeurs. Nous nous bornons à signaler

174 RSYDK PÉDAGOGIQUE

ces manuels, qui peuvent à tout le moins fournir aux maîtres, sous un format commode pour eux, un très grand nombre de modèles variés et intéressants. Le Pelil traité d'ornements polychromes est le complément du Ètanuel de fodîe. Les auteurs pensent que les dessins ombrés donnent eouTont lieu à de grands abus, que Tétude deTombre c ne détient fnictuaise que lorsque Ton peut expliquer les Jeux d*ombre et de lumière sur des modèles plastiques 9. Au lieu des ombres, Técole, selon eux, doit introduire dans l'enseignement remploi des couleurs, et de leur second manuel. C'est une idée dont nous ne nous portons point garants, mais qui mériterait, dans tous les cas, d't^tre soumise à Texpérience. Nous aurions aussi des réserves à faire sur les germanismes qui émaillent les préfaces de ces éditions françaises ; mais ici la forme est moins importante -que iefoad.

Langue allemande.

La stiECHARGE DES ÉLÈVES. Cette question semble avoir perdu un peu de son importance en Allemagne. Les discussions sont moins tives et la presse en semble moins préoccupée depuis la publication des rapports si considérables de la commission d*enqu^te constituée par le ministère prussien et de la commission médicale. Pendant bien des semaines, aucune des feuilles qui jetaient feu et flammes contre l'excès de travail sous lequel on écrasait les écoliers alle- mai.ds n'a publié ni mentionné ces importants rapports. Mais Ils ont fini par Hre connus; les faits et les statistiques qu'ils contien- nent ont ramené les plaintes à leurs justes proportions, et l'on a reconnu qwî s'il y a çà et des abus, des intempérances, le mal n'est pas si grave ni si inquiétant qu'on l'avait cru d'abord.

Le hujet n'est pourtant pas épuisé pour cela, et pasplustard que le mois dernier plusieurs des revues et journaux pédagogiques de l'Allemagne s'en entretenaient encore.

LwMagtleburger Zeitung propose son remède. C'est dénommer, parmi les pères de famille qui envoient leurs fils au eollège,'oa parmi les citoyens de toute commune qui entretient des écoles supériettresou secondaires, un comité qui ait la charge de veiller sur'k *distrilra- tion du travail aux écoliers, et de s'entendre à cet effet avec -les di- recteurs et professeurs des établissements. Ceux-ci aeréient mis en état de mesurer leurs exigences sur les possibilités otles'cireoBslaDces de la vie de famille. Un bon maître y trouverait l'appui nécessaire, un maître inexpérimenté y rencontrerait les directions ou les barrières dont il aurait besoin, et de eette délibération commune sortnaitie bien des< enfante.

Pourquoi, ditiF«uteuT de cette proposition, lopemniielonBfifnMnt seittit^il) blessé ie celte collaboration des pères de famille? ifiêUte qsie ied théologiens ne «uiiisaent «pas les conseils 'preabyténuix*^ sy»o(knx,. le juriste ie tribunal ées échevins et'éas'îuféSyile «ié-

LA PRESSE ET LES LIVRES 175

éechi les autorités de police communales et nationales, et ainsi de «Qite? L'éducation et l^instruction de nos enfants, à laquelle «oiis -tfons tous un si grand intérêt, ne comporterait pas Tadjonction 41i9mmes d*expérienee, bien qu'ils n'aient pas qualité pour ensei- ^er?D*ailleurs, l'expérience se fait dans le paysdeBade et y Témeit parfaitement.

lyautres feuilles demandent la création d'une inspection médi- cale constante et de médecins attachés spécialement à chaque établissement pour y surveiller la santé des écoliers et le degré de travail qu'ils peuvent supporter, il paraît évident que ces précau- tions risquent de tomber dans l'excès opposé à celui qu'on veut eombaltre.

Les Rheinische BUitter contiennent une intéressante étude de 41. J.<^Merz sur ia surcharge de travail dans les Reakchulcn, ou écoles d'enseignement spécial* M. Merz pense que les méthodes ne €Qnt fias bonnes, et qu'avec de bonnes méthodes on arriverait àaou- iag«r singulièrement les élèvts. Les travaux de composition alle- nuiiide sont trop difficiles; lesiaujets sont r trop élevés pour Tâge •ées enfants, dépassent trop le cercle de ieur expérience. 11 faudrait ■f?en tenir, pour les sujets qu'ils doivent traiter par écrit, à ce -qu'ils connaissent déjà à fond, à ce qui est réellement devenu leur -fropriété intellectuelle ; il serait bon qu'ils eussent déjà développé eralement le sujet avant de le coucher par écrit, de façon à n*avoir :pas besoin dd brouillon. Kn écrivant immédiatement au net on sup- prime autant d'écritures inutiles.

Quant aux élèves plus jeunes, des dictées ou de petits exercices de style seraient suffisants.

L'enseignement des langues étrangères gagnerait également à être donné dans un meilleur esprit : de nombreuses et correctes traduc- tions dans la langue maternelle, plus de lecture et moins de gram- . maire, des exercices pratiques au tableau noir, devant toute la elM6e,'et peu de travaux écrits pour la maison, tout au plus deux ou tn»B phrases qu'on fera ceilainement avec facilité et 'avec plaisir.

M. Merz s'élève contre les longues préparations au logis à coup de dictionnaire; il préfère les lectures en classe à livre ouvert, qui permettent aux élèves de mesurer leurs forces, de s'intéresser à leurs auteurs, et qui permettent au maître de supprimer ou de diminuer les travaux à faire à la maison. Ces travaux, d'après son pkn, se'Védulsent aux proportions les plus nH)destes ; il ne veut pas- de rédactions religieuses, de rédactions d'histoire, de cartes de féograpiiie ; il ne fant tracer ces dernières qu'en classe, et encore «foc une certaine modération. De même pour l'histoire naturette, la ti^mie, la physique : les travaux écrits, les exercices domémoine, les longues nomenclatures ne sont d^auoune utilité .dans ee genre d'études.

176 REVUE PÉDAGOGIQUE

M. Merz redoute également les examens écrits qui terminent le trimestre, le semestre ou Tannée, et qui peuvent être l'occasion d'études fatigantes, de répétitions, de travaux excessifs qui consti- tuent précisément la surcharge dont on se plaint. Les examens oraux, pour les matières qui donnent lieu à narrations ou à descriptions, produisent assez souvent les mêmes inconvénients.

Peut-être qu'à force de craindre la surcharge et de diminuer les ti'avaux des écoliers en dehors des classes, on comblerait les vœux de ceux qui ne demandent qu'à ne rien faire; mais habituerait-on bien la jeunesse au travail, à l'effort, à la recherche ? Nous en dou- tons. Le travail personnel, solitaire, réfléchi, est un des éléments les plus considérables de l'éducation. A le supprimer ou à l'afifaiblir, on perdrait plus qu'on ne gagnerait.

M. le D"* H. Schiller, directeur du p;ymnaie de Giessen, ne va pas aussi loin. Dans une longue cl substantielle étude que publie la Zeitschrift fiir dos Gymnasialwesen^ il réduit à leur juste valeur les plaintes hyperboliques sur la surcharge dont seraient victimes les écoliers de l'Allemagne. Il constate que le nombre des heures de classe et d'étude n'a pas augmenté et que les générations anté- rieures en avaient davantage ; qu'en 1837 déjà on trouvait plus d'in- capables au service mili^laire parmi les étudiants que dans la jeu- nesse artisane ou commerçante. Il redoute l'établissement d'une inspection médicale qui imposerait aux écoles et aux collèges des exigences peu fondées, peu pratiques ; mais il pense qu'il serait bon de donner aux jeunes maîtres des notions précises et sûres d'hy- giène scolaire qui leur ont fait défaut jusqu'à présent, et qui suffi- raient à écarter les défectuosités signalées dans la dislribulion de l'air, de la lumière, de l'espace et des <.'xcrcices corporels.

A ce propos, le directeur du gymnase de Giessen se déclare par- tisan de la suppression des classes d'après-midi. 11 parle par expé- rience, ces classes ayant été supprimées complètement dans réta- blissement qu'il dirige. Les classes du matin sont plus nombreuses, prennent cinq heures de suite, mais ne durent pas une heure entière et sont coupées par de lé^'ers repos, de 10 à 15 minutes. La dernière classe ne dure que 40 minutes, afin que les élèves qui demeurent loin aient le temps d'arriver chez eux à l'heure du repas. Cette dernière classe est suivie avec autant d'attention et d'intérêt que les précédentes. Dans le semestre d'hiver, elle est de 52 minutes, et Ton n'a remarqué aucun inconvénient à cette prolongation.

Le D^ Schiller déclare que son expérience de plusieurs années lui a démontré que trois quarts d'heure de travail énergique valent mieux qu'une iieure de présence inerte, et qu'il est facile d'obtenir des maîtres et de la jeunesse ce travail actif pendant toutes les classes de la matinée. Les intervalles peuvent être remplis par quelques exercices de gymnastique, sous la direction d'un maître, mais facul- tativement.

LA PRISSE KT LES LIVRES 177

L'après-midi reste donc libre, est consacrée à la vie de famille, aux exercices de natation pendant l'été, de patinage pendant Thiver;

Il ne faut pas oublier que l'Allemagne ne connaît pas d'internats, ou qu'ils y sont des exceptions dont on ne tient pas compte. H faut avouer que, dans ces conditions, les écoliers ne paraissent pas trop à plaindre. Mais les exigences des études et des examens ne leur permettent certainement pas de jouir de toute la liberté que semble leur donner cette organisation, et le D' Schiller reconnaît que sur certains points, on peut avec vérité parler de surcharge.

A quoi cela tient-il? Jadis, au xvi« siècle par exemple, les éco- liers étaient bien plus accablés de classes, de devoirs, de leçons à apprendre par cœur; les méthodes étaient plus mécaniques, les salles plus étroites. Néanmoins on entend des plaintes sur le zèle des élèves, jamais sur leur santé. La cause en est peut-^trc dans une moindre préoccupation de cet intérêt si considérable, dans des habi- tudes de vie plus dure, plus tranquille, moins agitée, moins ner- veuse- Il faut y joindre aussi les ébats tumultueux au grand air; on vivait dans des villes relativement petites, dont on sortait en peu de minutes pour se trouver en pleine campagne; les remparts, la place de l'église ou du marché offraient à tout instant l'espace libre nécessaire aux jeux. Los promenades d'aujourd'hui dans les grandes cités et les heures de gymnastique ne fournissant pas un équiva- lent. C'est à ce point de vue que l'auteur de cette étude insiste sur la nécessité de laisser libres les après-midi.

Mais ce qui le frappe surtout, c'est le lait (ju'il y avait, jusqu'à notre siècle, unité profonde et simplicité dans le cycle des études. Un même maître enseignait tout; le latin était le centre et le lien commun de toutes les sciences; l'éducation que recevaient les éco- liers avait souvent pour objet de les habituer au travail, de leur donner un caractère ferme et bien trempé; les rapports entre les maîtres et les élèves étaient plus étroits, les classes moins nom- breuses, les objets d'étude moins compliqués que de nos jours. De une sorte de calme des esprits, de sérénité, de force qui con- traste avec la fièvre, la hâte, la multiplicité, souvent la confusion et la surcharge dont les établissements modernes offrent l'exemple.

Le D' Schiller reconnaît qu'on ne peut songer en aucune façon à revenir à ces temps passés, et qu'un autre siècle a d'autres besoins: mais il cherche, par une étude attentive des programmes actuels, si l'on ne pourrait élaguer les branches parasites ou trop touffues, établies dans ces matières nombreuses, dans ces disciplines multiples qui font tour à tour appel à l'attention des enfants, une sorte de hié- rarchie, d'ordre, de lien, d'unité. 11 voudrait ramener lesétudes à deux types: les lettres, contenant la littérature proprement dite, nationale, antique, étrangère, l'histoire, la religion, et d'autre part les sciences naturelles, les mathématiques, la physique, la chimie. Chacune de ces deux séries de branches serait enseignée par un seul professeur ; la

tIVUB PÉOAGOOIQOB 1885. 1" S«K. 12

178 IISYU&. PÉDAG06iaU£

géoi^raphie, qui particif>e ces deux ordres, . passerait tour à tour, d'un professeur à Tautre, chacun l'enseignerait une années son point de vue spécial, soit historique, soii naturel. C'est tout au plus dans les hautes classes qu'<m devrait admettre \m plus grand nombre de professeurs, et encore avec la plus grande réserve.

Nous no pouvons entrer ici dans le détail des réformes^ des sup^ pressions et déplacements que Tauleur énumèro et justifie. Bornons- nous à la remarque sur laquelle il insiste avec beaucoup de raisoa : c'est que Téducalion des gymnases s'adresse à. des enfants et non à des étudiants, qu'elle ne devrait jamais perdre son caracU'Te scolaire élémentaire, pédagogique, jamais empiéter sur la spécialité scîen- tiUque, sur les éludes universilaires. Ce sont des enfants qu'il s'agi de former, de préparer à la vie, à Télude, au travail^ et non des savants en herbe qu'on doit bourrer des plus nouveaux résultats de la science. Au lieu de disperser, d'étonner, d'étourdir leurs esprits, il vaut mieux les concentrer, les fortifier, les confier à des maîtres moins nombreux, mais mieux préparés à élever des enfants.

La conclusion pratique de ce travail, c'est qull convient de donner aux futurs maîtres une éducation pédagogique, de modifier les examens qui donnent entrée dans la carrière, de faire des professeurs capables de discerner ce que demande l'enseignement de la jeunesse, plutôt que des spécialistes voués sans distraction à une seule étude, et qui accablent les enfants de fardeaux disproportionnés à leur âge et à leur vocation.

Soirées a la campagnk. Le Pœdagogmok rend compte des efiforts qui sont faits par un certain nombre dlnstituteurs da la Haute^ Aiutriche pour répandre l'instruetlon parmi les habitantsi des caflft- pagnesi. Sous le titre de c Soirées de paysans >, ils ont organisé des réunions dans les villages, l'on fait des lectures de poésies^ des conférences, des causeries familières, entre-coupéea par des chante patriotiques ou populaires.

M. Frantz Sehlinkert, instituteur à Vienne, a pris avec quelques* uns de ses collègues l'initiative de pareilles réunioos. Voici la tca* duction d'une affiche annonçant une de ces réunions poar ua dimanche de rautomne dernier :

« Invitation à: un entretien gratuit pour les gens de la campagne dans l'auberge de M. Koppendorfer, à Pcrwadrt.

»« Le manger et le boire tiennent unis le corps et l'âme, et le: faravaii ajoute par dessus un cercle de fer; mais il faut aussi un amusemeoty sans cela le cœur se moisirait dans la poitrine et l'on finirait par ressembler à un tronc d'arbre dans la forêt, atlaqué par la pourriture^

> Cest pourquoi nous avons décidé de nous réunir dimanobe à 3< heures de l'après-midi dans l'auberge, etc., eic Oa y entendra toutes sortes d'histoires amusantes et instructives et difers chantei Prendront part MM... »

LA* PBlftSft ET LKS UVRES 179

Suit le-pngKavmid^: intiroductioQt, c'est-àrdice. courte aliociUion, chant, récils et poésie» tirésT de Hebal, Rosegger, . peliie . ccoXérencd sur le télégrapiHi< et le téiépàone, avitre chanta autcc caufierie sur 168 ongines de^ Tenfirc d'Autrkhe, encore qudi<|iie8 récits et vers, un dernier chant et des paroles d'adieu.

Le maire, qui signe l'affiahe^ ajoute : « Ghaouo est aaicalam^nt prié de se rendre à rinvitation; les homme» feront bien de venir tous et da:nener les femmes, les domestiques et lest servaotes, puisqu'il n'y a a ce moment aucun travail et que l'eniréeioet Jilre, ne oÔ4te par conséquent que la peine d'écouter. »

Cette réunion fut, parait-il, des plus iotéressantes; on s'amusa franchement desi partie» gaies, et un profond et religieux silence accueillit les paroles graves et patriotiques qu'on eut Toccasion Hl'eni^dre. Les chants coupèrent agréablement le temps, et Ton se prooÉt l»en: de répondre ù da nouvelles invitations du même genre»

D'aulre»<fois, ces- réunions, ont eu: lieu dans^ des salles d'écolev Vbiei quelques-uns des sujets qui ont été traités devant des assis*- tances de paysans, tant maîtres que domestiques, pendant l'hiver dernier::

La circulation du sang dans les mammifères, les amphibies et les poissons.. Les effets de la chaleur. ]jx nutrition chez rhoaune et chez les ruminants, etc. Diverses conférences sur les DMàediefr de» animaux; sur Télève des abeilles^ sur la culture» des arbra»! fruitiers.» Des entreliens sur les diverses parties de la con- stitutioii politique, le fonctionnement des corps élus» la responsabilité ministérielle, les droits de l'Htal et des citoyens. Des exposés d'hibtoire, etc. Chaque fois, les conférenciers avaient soin de se munir de cartes, de dessins, d'instruments propres à faciliter l'inteUigCDce des leçons, et de las faire courtes, pour ne pas fatlguei des espirlts mal préparés.

Ces tentatives, combattuci par le parti réactionnaire, ont trouvé appui auprès de quelques hommes éclairés, aclifs, et sont en voie de progrès et de succès. Leurs auteurs se félicitent des résultats déjà acquis, et en espf'rent de bion.plus considérables lorsque l'Etat consentira à leur venir en aide.

LsS'SomiDS-MUBTS. Lbi, Pddagogiecha.Hufiikchau résume-les travaux du. Congrès des institoteursde sourds*nuiets, qui a. eu lieu, récem- meai à Berlin. Environ S^O maîtres etaieai venus, non seulement de «toule l'Allemagne, mais d'AuLriohe, de France, d'Angleterre, de SuÉsse, Le rapport du délégué do ministère constate qu'en 18i5 il y avait en Prusse 170 enfants sourds-muets qui jouissaient des bieniaits dei l'instruction ; il y en a aujourd'hui 3,99i qui sont instruits par 4l&{irolesseurs. La méthode parlée est la seule en usage, .et a fuù p(ar èlre saUititaée, après de longs eiforka, à la méthode .deasignes,. I^e

180 REVUE PÉDAGOGIQUE

royaume de Prusse a dépensé en 1882 une somme de 1,557,452 marcs pour les sourds-muets (environ deux millions).

Le directeur Rossler a présenté les thèses suivantes :

L'instruction des sourds-muets doit être obligatoire à partir de ia septième année ;

^ Elle doit comprendre huit années de classes;

Le nombre maximum des élèves pour une classe et pour un maître ne doit pas dépasser dix ;

4<» 11 faut mettre à part ceux des enfants qui ne sont pas doués suffisamment pour atteindre le but normal de l'école et leur donner un enseignement proportionné à leurs besoins;

5' 11 faut préparer les jeunes maîtres solidement et autant que possible d'une manière égale.

Ce n'est que lorsque ces exigences seront satisfaites qu'on pourra arriver à des résultats sérieux dans le domaine de l'instruction des sourds-muets. 11 est de leur intérêt que l'enseignement se donne d'après une méthode plus systématique que jusqu'à ce jour. Il est donc urgent que le Congrès insiste auprès des divers gouvernements (le l'Allemagne pour réaliser les réformes demandées.

1/assemblée a adopté, après une longue et intéressante discussion, les thèses de M. Rossler.

Il en a été de môme des conclusions de M. Gulzmann, directeur à Berlin, relativement à l'enseignement de la gymnastique dans les <Hablissements de sourds-muets. C'est surtout dès l'entrée des jeunes enfants qu'il convient de les initier à ces exercices, absolument nécessaires pour les développer et leur ôter la gaucherie qui leur ost si naturelle.

L'ame du peuple et l'éducation politique de la nation, par le D»" Schmidt-Warneck. Berlin, chez Puttkammer et Mfihlbrechl. Voilà un livre dont nous ne conseillons pas la lecture à ceux qui n'ont pas un penchant prononcé pour les casse-lête chinois. L'auteur . st un véritable patriote, quia tout fait pour conserver, en ce qui le rogarde, à la littérature allemande son renom d'obscurité, de com- plication inextricable et de mauvais goût.

Sa thèse est d'une simplicité extrême. Un peuple n'est pas une agglomération d'individus: il doit être une unité vivante, pos- séder un génie national, avoir dans le monde son caractère, son c;ichet particulier. Or, ce génie national, cette âme du peuple, qui •iît cachée dans les profondeurs de la foule, a besoin d'être tirée MU jour, de prendre conscience d'elle-même, de recevoir une édu- cation. De là, la nécessité d'une éducation politique, d'un ensei- fjnement civique.

L'auteur reproche à son peuple de n'avoir pas suffisamment con- science de sa nationalité, et il oppose le génie français, le génie russe, le génie anglais, si nettement caractérisés, à la fluidité ger-

LA PRBS8£ ET LES LIVRES 181

manique. Enfin, il donne, comme spécimens d'enseignement civique, tels sans doute qu'il en voudrait pour son p&>s, deux manuels suisses et un manuel français, celui de M. Steeg pour la France, ceux de MM. Maillard et Vincent pour la Suisse. 11 insère en français dans son livre d'assez nombreuses pages de ces volumes, et termine en exprimant le vœu que Téducation politique de TAUemagne sélève ù la hauteur et à la perfection de sou éducation militaire.

Mais si la thèse est simple, la façon dont elle est développée n'est pas simple du tout, et Ton jetterait le livre dès les premières pages, rebuté de tant de ténèbres insignifiantes, de tant de prétentions vides, de tant de logogriphes et de rébus accumulés pour dire en termes boursouflés et en longues périodes philosophico-mystiques les choses les plus ordinaires, si la curiosité n'était réveillée de temps à autre par des traits piquants que l'auteur décoche à ses compa- triotes.

11 leur est dit tout net que la nation allemande est la seule qui soit absolument et universellement antipathique a toutes les autres. nations. C'est là, dit-il, un phénomène unique dans l'histoire, mais on ne peut pas ne pas le constater. Cela tient à ce que les Allemands ne sont rien par eux-mêmes, n'ont pas de consistance, imitent aveu- glément et sans choix tout ce qui est étranger, s'accommodent sans cesse aux mœurs et aux habitudes d'autrui, n'ont pas d*art qui leur soit propre. Le genre allemand, c'est de n'en pas avoir (Deutsche Artykeine Art),

De l'opinion générale qui, exprimée ou sous-ontendue, peut se traduire ainsi : « H n y a pas d'homme sur toute la surface du globe qui soit aussi horriblement ennuyeux que l'Allemand. » Ou ne sait à quoi se prendre en lui ; il n'a rien de personnel, de solide, il est inconsistant, fluide, imitateur; c'est l'éternel Frère-out ! L'étranger s'éloigne de lui avec une sorte de dégoût. Et ce ne sont pas quelques glorieux faits d'armes qui changeront celte disposition; on dira tout simplement qu'une poule aveugle peut bien trouver parfois un bon grain.

N'ayant pas de valeur intrinsèque, ne possédant pas un type national caractérisé, l'Allemand sacrifierait tout à l'apparence, sa santé, ses biens, son honneur. Paraître, se donner des airs, faire du fracas, porter de beaux habits, « dût-on se serrer le ventre et se passer de chemise », éblouir d'un faux luxe, avec de l'imitatioa, du plaqué, du factice, du mesquin, tel est le goût de l'Allemand. A ce trait, il faut joindre, dit notre auteur, l'amour de l'argent, le respect profond pour la fortune ; l'Allemand s'incline devant les écus, et met les « affaires » au-dessus de tout autre intérêt.

On comprend qu'un patriote déterminé comme le D*" Schmidt- Wameck souffre d'un tel état de choses, et cherche les moyens d'y mettre un terme. 11 raconte les douloureuses impressions qu'il a ressenties dans un voyage à Strasbourg, « cette vieille ville

1 82 MBY OE '«iDdkGOQIQIII

allemande », où, malgré tous les efforts d'une genMnîMitîon '>atrance, il reiDuve [xariout les mots, les noms, les (eniieB, les sages de la France, jusque dans f hôtel allemand il est descendu, aliume son cigare dans la salle commune. « Vous pouTez fcraier, i dit le garçon, il n*y a pas encore de Français dans la saUe. * L'indignation du Toyageur ^t à son comble, il se fait conduire ailleurs. Mêmes ennuis. 11 n'y pent |»lus tenir et quitte TAlsace. c Nous avons enfin commencé à respirer librement, dit-il, q«afid nous fûmes arrivés dans les montagnes de la Suisse. » Singulier aveu d'un vainqueur se hâtant d'éohapper à sa conquête. Il ajoute: «c Involontaire rnenc nous nous posions cette question : Pouninoi les Suisses ont-ils un am<>ur de la patrie plus fortement accentué que les autres peuples? » Kt W en attribue une grande part aux mon- tagnes. 11 aurait bien fait d'y joindre aussi la lîberlé. C'est elle, docteur, qui fournit le plus substantiel et le meilleur de l'éducatimi civique; c'est elle qui constitue réellement « l'âme du peuple «.

J. S.

CHRONIQUE DE UENSEIGNEMENT PRIMAIRE

EN FRANCE

'Recensement de la poptlatiosî scolaire iïes écoles pnfMAiitEs PUBLIQUES EN 1885. L'année dernière, le 5 avril, le mmlstre de Tinstruction publique a fait procéder au recensement de tous les élè?es appartenant aux écoles primaires publiques (supérieures, élémentaires et maternelles). Comme ces recensements à jour fixe échappent à la plupart -des causes d'erreur qui peuvent se rencontrer dams les états de situation, la môme opération vient de se faire le '10 férrier dernier pour Tannée 1885; seulement on n'a plus demandé aux instituteurs les listes nominatives de leurs élèves.

Choix de sujets de coMPOsmoN pour les différents concours et

EXAMENS DE L'ENSEIGNEMENT PRIMAIRE. Qui doit donUCT IcS SUJekS de

composition pour les examens de renseignement primaire? Est-'ce Trnspecleur d'acHdémie, le recteur, le ministre, c'est-à-dire le ministère? Cette délicate question est revenue à l'ordre du jour à Toccasion de la réforme des brevets de capacité. Pour donner aut?uit que possible la même valeur aux oxamens, il est préférable que tous les sujets de composition soient choisis à i*aris, pour toute Ja Franœ, par une commission compétente possédant une incontoslable auio- rite. Désormais tous les sujets seront soumis a rapprobation diu ministre après avoir été préalablement examinés par une commis- sion prise d«ns le sein du Conseil-supérieur et du Comité consullatif de l'enseignement primaire. A cette commission, dont font pwtie ^de droit le vice-recteur de Paris et le directeur de renseignement -primaire, s'adjoindront des membres spéciaux pour los langues étrangères, la musique, la gymnastique, le travail manuel (arrêté -nilnlïstèriel du 2i janvier *885). Ce système est, selon nous, le meil- knr qarpût être adopté.

La DIBKCTION des 'PETITES CLASSES DANS LES ÉCOLES PRIMAIRES.

Nousuvons reproduit dans notre dernier nwnéro l'excellente citeu- iaire^e M. Godin, inspecteur d'académie de Seinc-el-Oise, «ir^s Tspports des chefs d'école avec Iwirs collaborateurs. Son collègnoMe 'Calîors, M. Gaees,a consacré phisieurs articles intéressants à la niâme «(uesiioa dans le Bulletin fédagogique du LoL II insiste iiotanMiient

arec beaucoup de force sur l'obligation qui s'tmpese- au ^ titulaire .nde i^iKCtaper luinméme, le plus souvent qu'il peut le ftiire, des classes

de débutants. 11 résulte des bulletins d'inspection que les mtees sont toujours faites for les mêmes maîtpee, que le titulaire

i84 REVUE PÉDAGOGIQUE

8*adjuge toujours la classe supérieure, que la classe élémentaire revient immanquablement à Tadjoint qui débute. C'est là, d'après M. Gazes, une très mauvaise et très fâcheuse habitude.

« Le premier devoir d'un directeur d'école, dit-il, est de connaître tous ses élèves, non pas uniquement par leurs noms et leurs notes, mais surtout par l'enseignement qu'il leur donne. C'est au directeur à mettre, au début de l'année scolaire, le travail sur le chantier, à distribuer les matières du plan d'études et à prendre en main successivement chaque classe pour l'entraîner, lui donner, si j'ose dire, le diapason ; établir partout l'harmonie ; créer enfin une sorte d'atmosphère morale de Técole ; faire un tout dont les parties, inti- mement liées entre elles, obéissent à la môme impulsion.

» Cela fait, que le directeur prenne en main la classe supérieure et qu'il en fasse plus spécialement son domaine, nous n'y contre- dirons pas ; et cependant, quel plus grand mérite, et plus digne de tenter son ambition, que de bien faire la classe élémentaire! Y a-t-il donc sur elle une soi te de défaveur ou de dédain pour qu'elle soit toijgours confiée à un jeune adjoint débutant, c'est-à-dire à celui qui est, à de rares exceptions près, le moins apte à la faire sérieu- sement ?

» Le normalien débute après avoir fait trois années d'études qui ont plutôt trdit à renseignement des classes supérieures des écoles ; il faut lui fournir d abord les moyens d'appliquer ses connaissances et de les mettre en pratique. A part quelques exceptions, la classe élémentaire lui convient moins que toute autre ; ce n'est que par une préparation toute nouvelle et les conseils fréquents du directeur, qu'il devra plus tard s'y essayer.

Nous connaissons l'objection : « Que ne nous sommes-nous » directeurs de fait, c'est-à-dire affranchis de toute classe, ce serait » le meilleur moyen de les voir toutes ; mais en l'état actuel que » dirait-on si on voyait le directeur ou la directrice d'une école » importante faire la classe élémentaire et confier à ses adjoints 9 les cours supérieurs ? On croirait que nous nous inclinons devant » plus capables que nous, nous y perdrions notre autorité au dedans » et notre influence au dehors. C'est un préjugé que ne nous sen- » tons pas la force de vaincre, »

» Nous répondrons : Essayez. 11 n'est pas de classe plus difficile que la classe élémentaire. 11 n'en est pas il faille plus de soin, de patience, de connaissance des méthodes, de réflexion et d'expé- rience, il n'en est pas plus de talent et de cœur soit néces- saire. Quelle anomalie de faire embarquer des débutants dans une pareille entreprise et d'espérer tirer quelque bon résultat du contact de deux inexpériences.

» Tant vaut le germe déposé dans la classe élémentaire, tant vaut Técole I

» Que les titulaires des écoles dont nous parlons ne craignent

CHBONIQUE DE l'eNSEIGNEMEMT PRIMAIRE £M FRANGE 18â

donc pas de commencer à instruire les plus jeunes enfanls et de créer eux-mêmes la pépinière dont ils tireront les plus beaux fiuits. Ils ne s^y spécialiseront pas, bien entendu, et la petite classe leur servira seulement d'axe autour duquel ils pourront se mouvoir dans toute rétendue de Técole. Ce sera comme une base d'opération. Tantôt une classe, tantôt l'autre, pendant une durée fixe, sera entre leurs mains ; les adjoints et les adjointes, sans poste fixe permanent, devront être prêts aux mêmes manœuvres. C'est tout le plan d'études adapté aux divers âges qui devra être connu de tous, en théorie et en pratique. Ce roulement, que nous ne voulons certes pas verti- gineux, mais réglé et pondéré, produira, croyons-nous, un effet certain, c'est de nous donner des maîtres cl des maîtresses plus travailleurs, plus instruits, mieux trempés, plus aptes à juger les enfants par la connaissance et la comparaison de leur âge et de leurs aptitudes.

» Combien d'adjoints qui se consument sans plaisir et sans ardeur dans la classe élémentaire jusquau jour l'administration les nomme titulaires ! Les voilà appelés à la direction d'une école à une seule classe vont se trouver probablement les trois cours. En ce moment l'instituteur titulaire n*aura-t-il pas quelque remords et pourra-t-il se porter garant de leur préparation complète ?

» Nous livrons ceci à leurs méditations.

> Si j'étais directeur d'école à plusieurs classes, je mettrais autant d'ardeur à former des maîtres qu'à former des élèves ; je tiendrais à grand honneur qu'aucun adjoint ne sortît de mes mains pour passer titulaire sans être armé de toutes pièces, sans posséder les qualités d'observation et de méthode, de prudence, de douceur et de fermeté, qui font les bons éducateurs. »

Récompenses scolaires dans les écoles de Paris. D'après un nouveau règlement, applicable dès cette année, il est alloué à chaque école primaire publique de Paris, pour la distribution des récom- penses scolaires, une somme calculée d'après le nombre moyen des élèves fréquentant l'école, à raison de 1 fr. 40 c. par an et par élève présent. Les récompenses scolaiiTS sont délivrées aux élèves en échange des bons points qu'ils ont obtenus. La livraison des récompenses est faite aux écoles en deux fois par les soins du magasin scolaire en octobre ou novembre et en février ou mars, et l'échange des bons points contre ces récompenses se fait dans chaque école le premier samedi de chaque mois, dans la proportion suivante: un cinquième des récompenses pour le cours supérieur; deux cinquièmes pour le cours moyen; deux cinquièmes également pour le cours élémentaire. Le jour de l'échange, les récompenses attribuées à .chaque école pour le mois sont placées en vue des élèves, soit dans la classe, soit dans le préau. Les élèves sont appelés, en suivant l'ordre résultant du nombre de bons points

186 asvuE rtûÂGomijfBK

dont ils sont possesseurs, à choisir à leur -^ré iearrrécompease.. fin cas d'insuffisance de bons points, on garde ceux qu'on ta pour Its joindre à ceux que Ton obtiendra, en vue d'une dktribution ulté- rieure; toutefois à Pâques et la fin do Taiiiiée'SMlaiaeleB i)oiM pointe qui ne peuvent être échangés contre des TéoMnpeBBes soat retirés aux élèves. Chaque maître et chaque maîirevsseiiefit un carnet sur lequel est indiqué, en regard du imm ée ciiaque élève, le nombre de bons points «alloués a cet 'élève. Ccoarnet, qui d«&t toujours être tenu au courant, sert oimtr61er, mn naoneat dB& échanges mensuels, le nombre de bons points dont les élèves doiveat être en possession.

Ce nouveau système d'encouragement produiva sans doute d excellents résultats. 11 pourrait être utilement appliqué dans toutes les villes les caisses des écoles ont des ressovrces suffi- santes.

Congrès international d'instituteors au 'Hatre. 'T:es journaux de ia Seine-lnférieuro annoncent qu'on -prépare en ce inoment, au Havre, un congrès pédagogique international d'instituteurs primaires. Ce sera le premier de ce genre qui sera organisé en Vrance.

Le conseil municipal du Havre a voté une somme de HOjOOO francs pour faire face aux dépenses d'organisation.

Nous suivrons les travaux du congrès havrais avec le plas vif intérêt.

ExposinoN scoLAjRE DE MoNTAUBAN. L'adminî^tratîon acadé- mique a le projet d'organiser une exposition scolaire comme annexe au concours régional qui doit s'ouvrir à Montauban à la fin du mois de mai prochain. Elle restera ouverte pendant toute la durée du concours régi?nal. Les travaux seront répartis en cinqsectieBS : >!'' tra- vaux des maîtres (ouvrages pédagog-iques, méthadcB, traités de calcul, cours d'enseignement agricole, herbiers, releré'^dts ioœrîp- tions remarquables qui peuvent exister sur les ^mottnmentB, -princi- paux faits des histoires locales, traditions tin -paysy^etc);^ travaux des écoles normales et des écoles primaires supérieurs; 3*^ travaux des écoles publiques; 4^ travaux des écoles libres; ^ tnnrwix à raiguille tant des inetltutrioes 'que de leurs élèves.

En ce qui ooncerneles travaux des mfaîtres, outre -la 'psriie €aoai- tative laissée à Tinitiative de chacun^d'eux,radniin»6tiiitionfleniBflde obligatoirement aux institHleors «et aux iniAitutmces, titulwBS et adjoints, ia carte de la eonrmune ils cKercMit lewrs'fantilioRS. Cette carte sera dressée sur une feuille de papier imiforBie (OSiSur 48 centimètres), à l'échelle de'1/t0,O00. Au veyso «em jcnate ^vœ courte -monographie ide la commune, tpii ponfva,'ft^il'y iieii,'étpe développée dans un travail à part.

Lestravaux des élèves cempreildreiit 6bH|jcrkmreineat Hes

CHRONIQUE DE L'KHSEIGlimENT PRIMAIRE EN FRANGE f87

éa cours: supérieur et feuxtlu cours moyen, cahiers faits à Técole au jour le jour, et portant la date des devoirs et les corrections du maître.

Exposition scolaire de Toulouse. Toulouse aura également une exposition au mois de mai prochain. II y sera présenté ponr filiaque commune de la Uaute-Garonne une monographie et une «arte dont l'exécution est confiée à Tinstitiiteur . Los travaux préparés ou exécutés par les maîtres seront examinés dans les conférences .pédagogiques du printemps.

Les instituteurs devront donner les indications suivantes:

i^Situalion géographique, orographie, hydrographie, eaux potables, sources thermales, météorologie;

.^o Population, division de la commune en sections, cultes, postes •et télégraphes, valeur du centime, revenus ordinaires;

,3^ Productions, procédés do culture, manufactures, voies de commiuiicaiion, commerce, mesures locales encore en usage;

Etymologje. probable du nom, histoire municipale, traditions et iégOAdes, personnages célèbres, idiomes, chants, mœnrs, coutumes, moDuments, archives;

&* Historique de renseignement et.des écoles d^ms la commime. aux .diverses époques, description de Técole ou des écoL?s existantes, plaBS 468 locaux à un centimètre par mètre, bibliothèque, caisse des écoles, traitements, etc.

Ce seront là, on le voit, des monographies très complètes et qui seront aussi utiles qu'intéressantes.

Conférences pédagogiques. L'inspecteur d'académie de l'Aube a reçu de M. Roy, inspecteur primaire à Bar-sur-Seine, un rapport intéressant sur la première série des conférences pédagogiques d<> 1884-1885; nous croyons utile d'en donner l'extrait suivant à titi«e de document :

tt Ju§qu'alors, dans Tarrondissement de Bar-6ur-8eine, les maîtres lavaient teu à rédiger un mémoire sur la question théorique proposée. JUneomité, composé de deux ou trois inslitu tours choisis par Tm- mpedeÊtt primaire, était chargé de condenser ces mémoires en un «•pi^ort unique qui était lu en conférence. Il était difficile de disou- ^-.AHT ce rapport. Aussi, généralemeat. la discajussion n*avait pas iîeii*<et Fen se contentait d'adopter (quand il y en; avait) les oonolu- sions du rapport ou celles que proposait l'inspecteur. Les maîtres étaient à peu près auditeurs passifs de la conférence : ce n'élail ■pas^miiRsamt . '»fFoiir'éonner plus de w à nos coniférewces, «pour décharger moîas provisoirement les instituteurs •du'^mémoire écrit qui ^pèse^et aboutir* à des «conclusions dîscatées et pratiques,- -voici «iM'Mogrefis que jfei employés :

'J'ai-ÔBVité les 'iHftHres à se munir d'un xwmet'dewitfértnces, à étudier sérieusement la question 'théorique proposée, à* écrire

188 n£VU£ PÉDÀ60G1QDB

sur Je carnet, sous une forme brève, les résolutions qu'ils se pro- posaient de soutenir verbalement avec les arguments convenables.

« Puis, en conférence, j'ai indiqué le plan à suivre dans la discus- sion et invité les instituteurs et institutrices à prendre la parole. Cette manière de faire, nouvelle pour eux, leur plaît ; mis je dois dire qu'elle présente des difficultés, prévues, du reste, et que la pratique, je l'espère, fera surmonter. Beaucoup de maîtres n'osent prendre la parole. Je suis obligé de les stimuler, 'de les encou- rager, de leur indiquer les points sur lesquels ils pourraient parler; d autres voudraient parler sans cesse. La plupart font des digres- sions, bonnes en elles-mêmes, mais en dehors de la question. I/es- prit de suite et d'orrlre dans la discussion est di (licite à maintenir. Dorénavant, je me propose d'indiquer, s'il n'est indiqué déjà, le plan do la question au moment celle-ci sera mise à l'étude. Souvent je résume la pensée de l'orateur après qu'il a parlé et j'invite à faire des observations s'il y a lieu. Au besoin, je les fais moi-môme, soit pour combattre ce qui est avancé, soit pour le compléter.

» Enfin, je résume les débats et les dires, j'en extrais les conclu- sions, que l'on discute, sommairement cette fois, surtout pour en arrêter le rang et la forme. Ces conclusions sont alors écrites au tableau noir et tous les membres de la conférence en prennent copie sur le carnet. Ils sont invités à les mettre en pratique dans leurs écoles. »

Exercices militaires. Le Bulletin départemental du Calvados rapporte que l'enseignement militaire est de plus en plus en honneur dans ce département, et il relate à ce sujet plusieurs faits intéressants.

A Toccasian de l'inauguration du monument élevé à la mémoire des jeunes gens de Livry morts pour la patrie en 1870-7i, la Ligue de l'enseignement a donné 25 fusils pour armer le bataillon scolaire. Le maire a fait placer dans la classe un râtelier pour les fusils, et un délégué cantonal, M. Maubanl, a offert un très beau drapeau à l'école.

Dans le même département, un instituteur de Saint-Jouin, M. Roger, a organisé à ses frais un tir à la carabine Flobert qui est ouvert à tous les jeunes gens de la commune et des communes environnantes, mais spécialement aux élèves du cours d'adultes et de la classe du jour. Chaque adulte qui n'a pas plus de deux absences pendant le mois peut tirer gratui:ement cinq coups de feu, et des prix sont décernés aux meilleurs tireurs. Nos félicitations à M. Roger.

Baux a loyer pour maisons d'école. Des difficultés s'étant élevées dans les Hautes-Alpes entre des communes et les proprié- taires pour l'exécution des baux à loyer de maisons d'école en cas de changement ou de suppression d'école, d'appropriation, d'acqui- sition, ou de construction scolaire, le préfet du département a décidé pour en éviter le retour qu'à l'avenir les maires inséreront dans les baux écrits la clause suivante :

CHRONIQUE DE l'eNSEIGNEMEMT PRIMAIRE EN FRANCE 189

c £acas de changement ou de suppression d'école, d'appropriation, d'acquisition ou de construction scolaire, le bail sera résilié de plein droit sans indemnité pour le propriétaire. »

Cette mesure est fort sage et pourrait utilement être généralisée.

Un bon exemple de confraternité. Nous sommes heureux de signaler un fait touchant de bonne confraternité :

Les instituteurs et les institutrices de Tarrondissement de Melun se sont cotisés en faveur de deux de leurs collègues éprouvés par une longue maladie; ils viennent de recueillir le produit d'une double collecte qui s'est élevée à la somme totale de 970 francs.

Nécrologie. Une brave et digne femme vient de s éteindre à Nantes, à l'âge de 92 ans. M'"<^ Moreau avait été institutrice publique et institutrice entièrement dévouée à sa tâche. Cette femme aussi infatigable que désintéressée ne connut d'autre joie que d'instruire les filles du peuple, et n'eut d'autre récompense que l'afl'ection et la reconnaissance des enfants dont souvent les mères et les grand'mèrcs avaient été ses élèves. Quand elle prit sa re- traite, elle ne jugea pas que sa mission fût fmio; elle soigna et instruisit les enfants infirmes et souflreteux sans aucune rémuné- ration, bien qu'elle fiU loin d'élre dans l'aisance. Son nom mérite de n'être pas oublié.

Un discours de M. Chazal. Nous avons parlé de la caisse can- tonale de Rebais, nous avons dit combien elle était prospère {Revue du 15 décembre i88i). M. Chazal, conseiller général du canton, a profité de l'inauguration de la belle école du chef-lieu cantonal pour rendre hommage à l'activité et à la persévérance du maire et du conseil municipal et pour faire un nouvel appel en faveur de la caisse des écoles. A ce propos, il a fait longuement l'éloge de la loi du 28 mars 1882; citons seulement quelques-unes de ses paroles: « S'il est une loi juste, a-t-il dit, une loi profondément humaine, c'est incontestablement celle qui assure à l'enfant le pain de rinteliigence; c'est la loi qui défend au père lui-même de priver ses enfants, filles ou garçons, de l'instruction qui leur est indispen- sable pour devenir des membres utiles de la société française; c'est la loi qui, respectueuse des jeunes intelligences, chasse le merveilleux de l'école et défend aux maîtres d'enseigner ce qu'ils ne peuvent expliquer. Ceux qui se dévouent à l'exécution de cette loi sont vos amis, vos grands amis et encore plus ceux de vos enfants. »

Il y a une chose que M. Chazal n'a pas dite, mais que nous savons, c'est que nul plus que lui n'a contribué au mouvement qui s*est produit dans tout le canton en faveur de l'instruction populaire.

COURRIER DE L'EXTÉRIEUR

AUèmagnBï On annonce ]a mort<le deux éducatears distin- gués, le D*^ Kehr à Erfurt (18 janvier) et le professeur Sloy à léna (28 jaovier).

Charles Kehr, en 1830 dans le duché de Saxe*>Gotha» aYait- débuié commo simplerinstiluteux ; il était devenu eneuile maîlce à récole normale de GoLha, puis directeur de celte école^ après le " t de Ditles pour V= ^- '— ' '-• --

la à la direction é échangé ce poste

d'Erfurt. Parmi les ouvrages de Kehr, le principal est son Histoire des branches d* enseignement de ïécole primaire en plusieurs volumes. La revue (ju'il dirigeait, ]e8 Pcidagogische Biatter, est Fundes organes pédagogiqu(>s les pluH estimés de l'AUemagnei.

Charles -Volkmar Stoy, eu 1815 à Pe^au (Saxe nwala), étiidâi* la théologie^ devint plus tard Privatdozent a la faculté phAlosqphie de runlversilé d'iéna il fonda un « séminaire pédagogique » eti un institut d eduuation^. En 1845 il fut nommé professeur de philo- sophie à la même université. Stoy appartenait à la secte hcrbartienne,. dont il a exposé les doctrines dans son Encyclopédie de l'éducation,

Belgique. Le ministère de Tintérieur vient de publier, trcie* documents qui achèvent l'œuvre de réaction calholiqua- daaft le- domaine do 1 enseignement primaire : ce sont le nouveau profi^ramme d*^tudes des écoles normales et sections normales>de TEtat, le règle- mentriype des écoles primaiies communales et le programme-type, des écoles primaires communales. Nous en reparlerons dans notre prochain numéro.

E^agne. On. nous écrit de Madrid :

« Le pai'ti conservateur, depuis son arrivée au. ppuvoir en janvier 1884, s'est signalé par une série de mesures destinées à faire rétro- grader l'enseignement primaire.

» Un décret du 4 juillet dernier a supprimé le cours normal pour les institutrices d'écoles enfantines, quelenrinistre libéral, M.'Albareda, et l'ancien directeur de l'instruction publique, Bffc Riafko, avaient créé par le décret du 17 mars 188% dans Tintenlion de remettre- Féducution de la première enfance aux mains des femmeSk Pendant les deux années à peine que ce- cours a fonctionné, il avait donné ies meilleurs résultats. Les cleux professeurs placés à sa tèle, hommes de renseignement supérieur, avaient mis avec le plus grand dévoue- ment leur science et leur expérience au service de cette œuvre, et exerçaient la plus heureuse influence sur le développement du caractère des élevés. L'enseignement, objectif et rationne^ était accompagné d'exercices pratiques à l'école Frœbel*, le* cours- avait été installé dans un IochI aménagé conformément aux* phEis* réeenti progrès de Thy^iène scolaire. Une commission de patronu^ev formée des personnes les plus distinguées et les plus compétentes, était chargée d'examiner les élèves à la fin de leurs études et de faire les nominations aux postes vacants dans les écoles enfantines : c'était

COUBBUn.AB I**EXXÉ]I1IUR 191

ua premier pas fait dans la voie de la décentialisaiioB adminiat- IraliveetàreneoDlre du fâcheux système-de concours (oposiciones) qui prévaut eDcore partout en Espa^gne. Les municipalités accueillaient avec satis£acttofi les institutrices préparées au cours normal, et se montraieiii disposées à concourir a la réformo des écoles enfantines, enlreprise dans un esprit de véritablo propres Tout cela a été détruit par le décret de M. Pidal, le ministre conservateur. La con^ mission de paironage a été dissoute et remplacée par un comité^ ôm damea, présidé par Tinfante Isabelle et complètement étranger aux qu€)sUona d*ei saignement ; on est revenu au système des concours, et àrl'aneien usage de remettre les écoles enfantines à des instituteurs au liea de les confier à des femmes ; on a supprimé le cours normal, eonune si les institutions destinées à la culture inicllectuelle et BMcale de la famme étaient trop nombreuses en Espagne.

» Un autre décret du 3 septembre dernier a ieté le truble et la défloraanisation dans Técole normale centrale d'institutriece, à la<pieJie MM. Albareda et Riafio avaient donné une vie nouvelle par le-dteret du 14 août 188*2. La durée des études avait été augmentée, 1m programmes élargis et développés ; renseignement était donné par les professeurs de récolo normale d'instituteurs, par ceux du cour» normal des écoles enfantines, et par un certain nombre de pro- inaflfflMi^ libres, choisis au concours, d'après ce principe, que Tensei- goement primaire normal ei^ige, de la part de ceux qui le donnoni, une culture égale à celle qu'on réclame des professeurs de Tensei»» guement anpérieur, et. que c'est seulement par un personnel de ce genre que des réformes sérieuses peuvent être accomplies dans Yin- struotion priiuaire. On avait organisé un local nouveau, avec un DOuveAQ niAbilier; on s'était procuré le meilleur matériel d'ensei- f/àsamoU, des appareils de projection, des microscopes, des cartes murales, des cartes en relief, etc.; on avait créé des laboratoires, nue bibliothèque pourvue des md Heurs livres, des meilleures- revues pédagogiques de Fétranger, etc. L'école a fonctionné deux ans sous celiouveau régime. Le décret de M. Pidal ne s'est pas attaqué direc- tement aux principes de cette réforme. Miis il a supprimé la qua- trième année d'études, et un certain nombre de branches d*ensei- gncmeot, par exemple les notions de droit et la langue française, cinsi que les excursions scolaires, qui avaient pris un grand dévelop- pement. Et surtout, il a rendu impossible la réalisation du plan ae iWif en éloignant de Fécole normale tous les professeurs et en les remplaçant par des femmes, insuffisamment préparées et incapables de donnera leur enseignement un caractère élevé et scientifique.

> Nous sommes donc en présence d'un arrêt de développement subi- tement imposé à rinsttuction primaire. Les ultramontains ont voulu, par ces décrets, se débarrasser d'un personnel enseignant intelligent et capable, mais qui leur était suspeci, non par sa couleur politique il est resté complètement étranger aux luttes de partis mais par ses idées libérales en matière d'éducation, et par les liens qui le rattachaient à un établissement d'où est parti tout le mouvement pédagogique moderne en Espagne : nous voulons parler de la Insli- tucion libre de ensefianza,

9 C'est en vain que les ultramontains espagnols, comme les ultra- montains belges, ont essayé de donner à leurs mesures de réaction

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un caractère pseudo-libéral: leur véritable but appeiraît clairement à tous les yeux: c'est de remettre renseignement entre les mains des congrégations religieuses. Ainsi, ^ne des dispositions du décret du 3 septembre porte que les élèves de Técole normale centrale d'institutrices passeront leur examen devant un jury formé d'un certain nombre d'institutrices de Madrid élues par leurs collègues. Celte disposition semble au premier coup d*œil éminemment libérale. Mais, pour qu'une institutrice puisse poser sa candidature, le décret exige que son école compte au moins cent élèves; or, ce chilTre d'élèves ne se rencontre à Madrid que dans les écoles catho- liques et dans celles des congréganistes. Et en effet, sur 22 candi- datures qui se sont produites, 13 émanaient d'institutrices d'écoles catholiques, toutes écrites de la même main: 8 émanaient d'insti- tutrices congréganistes, toutes également de la même main ; une seule émanait d'une institutrice d'école publique. Le scrutin a offert des î-:r(>nes bizarres: les bonnes sœurs, peu accoutumées à la libre pratique du suffrage, venaient demander naïvement à la présidence " quels bulletins elles devaient déposer dans l'urne », attendu que « la personne qui les leur avait remis avait oublié de leur expliquer ce qu'elles devaient faire ».

> Autre imitation du libéralisme des c^itholiuucs belges. Un décret récent indique aux municipalités la marche a suivre pour adopter des écoles privées pouvant tenir lieu d'écoles publique^ C'est la loi de 18j7 (jui a établi le principe, mais M. Pidal a déterminé la con- dition à laquelle une école libre doit satisfaire pour mériter l'adop- tion. Celle condition n'est pas, comme on pourrait être tenté de le croire, d'offiir des garanties suflisantes au point de vue de l'édu- cation el de rinstruction ; non : ce que le mmistro exige, c'est que l'école enseigne la doctrine chrétienne conformément au catéchisme diocésain. Do la sorte, ceux des Espagnols qui ne professent pas la religion catholique, apostolique et romaine ne pourront prétendre a vuir c adopter » les écoles privées qu'ils seraient tentés de fonder. Voir': comm«;nt on entend la liberté aujourd'hui en Espagne.»

Italie. Dans la séance du 28 janvier, M. Merzario a présenté à la (Chambre des députés le rapport do la commission chargée d'examiner le projet de loi sur les traitements et la nomination des instituteurs, revenu du Sénat. Le rapport conclut à l'acceptation des niodifications de détail introduites par le Sénat dans le projet déjà discuté par la Chambre. En conséquence, on peut espérer que le mois de février ne s'achèvera pas sans que la loi si impatiemment attendue ne soit définitivement votée.

Le Suoix) Educatore de Rome propose une fédération générale des "sociétés pédagogiques existant en Italie. L'idée paraît accueillie avec faveur par la plupart des autres journaux d'éducation.

Le gérant : H. Gantois.

IMPKIMrUIK CR.NTR.M.B DFS CUBXIN< DE FER. IMPRIMERIE CHAIX. lirB DEItaÈRB. SO. TARIS. 2464-4.

iMmBe léric. Imt VI. N* 3. 15 lan MK.

BEVUE PÉDAGOGIQUE

LES QUESTIONS D'ENSEIGNEMENT AU TONKIN

Les Tonkinois sont d'une aulre race que nous ; il ne faut pas que rinfatuation de notre propre civilisation nous les fasse regarder comme de simples barbares; leur infériorité capitale tient à leur manque presque absolu des qualités d'énergie et de fierté qui ont leur principe dans le sentiment de l'honneur individuel et qui sont le grand ressort de l'Européen ; mais ils n'en sont pas moins un peuple d'une culture très avancée qui, à quelques égards^ n'est point autant au-dessous des sociétés européennes que l'on serait porté à l'imaginer.

Uo des étonnements les plus vils du voyageur français qui débarque au Tonkin est de voir à quel point Tinstruclion pri- maire y est répandue. Une foule d'observations viennent d<''s les premiers jours le convaincre que le nombre des habitants qui sont restés complètement étrangers à l'art de lire et même d'é- crire est très restreint. Les inscriptions sont répandues avec une profusion dont rien ne nous donne une- idée en Europe, inscriptions gravées sur des tablettes de marbre à la porte des pagodes, inscriptions laquées sur des planchettes à l'intérieur, inscriptions gravées sur les poutres de la charpente, inscriptions peintes au fronton et sur les chambranles des portes des rues, inscriptions à la porte des maisons riches, inscriptions sur papier rouge collées sur les murs des paillotes les plus pauvres à Té- poque du jour de l'an. Les caractères chinois tout en barres et en grifies, tout hérissés et crispés, vous tirent l'œil de tous les côtés. Dans les villages saccagés par la guerre, en pleine cam- pagne, les maisons ne sont point rares oii Ton trouve des livres. Très souvent le papier dans lequel le marchand enveloppa votre achat est estampillé de caractères à sa marque. Les pipes à eau sont couvertes de sentences. Les boutiquiers ont tous des ca- ABTVB piDAGooigui 1885. !•' sra. 13

194 aCTUI FÉDÀGOGIQUl

biers sur lesquels ils notent leurs ailkires. Il n'est pas jusqu'aux misérables revondeiirs qui courent las rues, un bambou sur l'é- paule v^MX eitrémilés duquel comme des plateaux de balance pendent deux paniers, qu'on ne voie tirer de leur souquenille trouée un bout de papier sur lequel ils griffonnent quelques signes. On sait que dans le royaume d'Annam, comme «n Chine, les emplois se donnent au concours. Tous les deux ans, avant notre installation à Hanoï qui a profondément troublé la vie indigène», trois à quatre mille candidats ayant déjà subi victorieusement une première épreuve dans leur province y venaient de toutes- les parties du Tonkin s'enfermer dans une vaste enceinte que nous avons appelée depuis le Camp des lettrés, et là, emprisonnés dans de très étroites cellules, ils faisaient des compositions pour un examen suprême. Les candidats malheureux pouvaient se représenter deux ans après au concours suivant; il n'y avait pas de limite d'âge; mais beaucoup se lassaient pressés par le besoin, et, désespérant d'arriver aux fonctions publiques, ils cher- chaient d'autres moyens d'existence; c'est parmi eux que se recrutaient les petits maîtres d'école qui s'en allaient enseigner dans les villages. J'ai visité quelques-unes de ces écoles ton- kinoises; je les ai toujours trouvées malpropres et d'une instal- lation passablement rudimen taire, comme du reste toutes les habitations du pays. Un petit autel domestique se dresse au fond de la salle, brillant de laques rouges et de papiers dorés; de vastes estrades sont recouvertes de nattes sur lesquelles les écoliers s'accroupissent. Ils apprennent à lire et à écrire dans le mémo livre, le Tam-tu-kinh, composé de vers représentés chacun par trois signes, lequel renferme un résumé populaire de la morale chinoise, de sorte qu'en même temps qu'il apprend les signes l'enfant apprend ses devoirs. Le Tam-tu-kinh contient les signes les plus usités, et l'instruction pour les enfants qui ne se des- tinent pas au concours se borne ordinairement à le savoir par cœur. Le maître prend un vers, il explique la valeur de chaque signe aux élèves, le leur fait répéter, puis, avec un pinceau trempé dans un godet est délayée de l'encre de chine, il leur lait reproduire les signes sur des cahiers d'un papier gris fort commun, que nos plumes de fer déchireraient, mais sur lequel glissent les poils du pinceau.

LKS QUESTION D'tMItdNKMSIfr AU TONKIN 1^5

Totrt le monde «ih ce qtt*est Vècriture chitiofee, ttHHée ttx)ti BttilemeDt en Chine, mais encore danii It» pïtys <)Ui t)m stibi rinfiaence du grand empire asiatique isotntùt rAnnam^ fe Siàtn, h Corée et le Japon. Chaque mot cil représenté par tme lettre particolière on, pour mieux parier, par tm àighfe particulier* Ce tigne représentant une idée déterminée, il pé\xi se lire dans lontes les langues, de sorte que les Annamites se servent des signes chinois sans pour cela être obligés de savoir le chinais. On peut se faire une idée de ce système d'écriture par nos chiffres. Le signe 3, par exemple, représente pour tous lès peuples de l'Europe la même idée, et cependant chaque peuple en partant le traduit par des sons différents. Les Annamites em- ploient donc les signes chinois sans pour cela parler le chinois. Chaque signe représentant une idée, acquérir la connaissance d'un certain nombre de signes, c'est acquérir la même quan- tité d'idées. L'instfuclion d'un homme se mesure à la quantité de signes qu'il possède. Avec les signes contenus dans le Tarh- /u-lftnfc, les gens du peuple peuvent pourvoir à leurs bcsoîûs quotidiens. Ceux qui veulent pousser leurs éludes plus loin passent à d'autres livres qui contiennent des signes nouveaux, et peu à peu ils parviennent à pouvoir lire couramment les ouvrages lît- térrtres du genre élevé.

An premier abord ce système nous parait le comble de l'ab- surde. On a dit que jamais un Chinois et par conséquent Jamais Un Annamite ne peut se vanter de savoir complètement lire. Le dic- tionnaire dcLittré contient environ quarante-cinq mille mots; en admettant que la langue chinoise n'en contienne que la moitié, ce serait encore vingt-cinq mille cinq cents signes h apprendre. Quel prodigieux effort de ménwJre! N'est-ce pas une folie que dépanner sa vie à apprendre h lire? Cependant, à y regarder de bien près, absurdité et folie ne sont phïs aussi évidentes. Le chi- nois et rannamitc sont des langues monosyllabiques, c'est-à-dfre que les mcks n'ont qu'une syllabe ; comme la série de cortibi- fiaiaans syllabiques que foù peut fottner avec les sons est rcs- tnrinte, et qtve le nombre en est très inférieur à la quantité d'idées qne ces kngves ont à exprimer, elles ont multiplié letrrs mots eB changeant la signification (les syllabes sulv^int le ton smr equd on les prononce. La même syflêrbe proâmcée sur ^x

196 R£VUE PÉDAGOGIQUE

Ions différents représente six sens différents et complètement indépendants les uns des autres. C'est même la difficulté que les étrangers éprouvent pour apprendre la langue ; leur oreille ne saisit pas toujours ces nuances d'où le sens du mot dépend cependant. Un interprète français qui a vingt-deux ans de pratique me disait au Tonkin que quand il avait une déposition très im- portante à traduire, il n'osait encore s'en fier absolument à la sienne, et qu*il se faisait toujours assister d'un lettré indigène pour lui soumettre ses scrupules quand il doutait du sens. Comment rendre ces différences de ton avec nos lettres? L'avantage de récriture chinoise est ici incontestable. Elle attribue à chaque sens particulier d'une syllabe un signe qui lui est propre; s'il y a six sens, elle a six signes, et toute confusion est impossible à la lecture.

Et puis en apprenant les signes, les élèves n'apprennent pas seulement à lire, ils apprennent aussi la signification des mois que ces signes représentent, ils s'assimilent pour ainsi dire la portion de science que chacun d'eux contient. Supposez mi jeune Français ignorant l'anatoinie : l'étudier consistera pour lui, en somme, à apprendre la valeur d'un certain nombre de mots. Quand il voit pour la première fois les mots sternum, fémur, cubitus, ils sont aussi vides de sens pour lui que le serait un signe chinois ; le jour il comprend la signification de tous les termes anatomiques, il sait que tel mot désigne un os placé à tel endroit, tel autre un nerf qui fonctionne de telle façon, il sait l'anatomie. Et bien, Télùve annamite opère d'une manière à peu près semblable quand il apprend les signes; plus il en connaît et plus son savoir est étendu.

Les missionnaires ont été frappés comme tout le monde de rénorme travail qu'impose le système d'écriture chinois. Aussi ont-ils essayé de supprimer la difficulté. Ils ont, en modifiant de diverses manières les lettres de l'alphabet latin, formé un alphabet appelé le Quoc-GneUy à l'aide duquel il est possible de ren- dre non seulement les sons des syllabes, mais encore le ion sur lequel elles sont prononcées. Mais à quoi sertie Quoc-Gneu? Four qu'il fût réellement utile, il faudrait traduire dans cet alphabet la littérature chinoise et la littérature annamite écrite et impri- mée de iuis trente siècles dans le système idéographique. L'Anna-

LSS QUKSTIOIIS d'eNSKIGNEMINT ÀU TONKIIf 197

mite qui ne saurait lire que le Quoc-Gneu n'aurait à sa dispo- sition que les quelques livres imprimés avec cet alphabet et qui se réduisent à très peu de chose ; il ne pourrait déchiffrer ni les livres nationaux ni les inscriptions répandues partout en si grand .nombre; il serait comme étranger au milieu de la civilisation de son pays.

Je crois donc que le mieux que nous puissions faire, c'est de nous désintéresser de cet enseignement. Cela nous est d'autant plus facile qu'il est dépourvu de tout fanatisme soit religieux, soit politique. La morale qui en fait le fond et le principal est telle que nous pouvons la désirer ; les deux grands principes qu'elle enseigne sont le respect des parents et l'amour de la paix. On n'y trouve pas trace d'un sentiment patriotique dont nous puissions avoir à craindre la diffusion et la surexcitation. Nous aurions tout à perdre et rien à gagner à troubler des mœurs tant de fois séculaires. C'est cette éducation qui a formé ce peuple tonkinois si humble, si résigné^ si facilement gouvernable, que la cour de Hué contenait avec une poignée de soldats. L'initiative du gouvernement doit se borner à créer à Hanoï un collège semblable au collège d'Adran à Saigon, pour former des interprètes français et répandre la connaissance de notre langue. Mais laissons à l'Annamite la seule éducation morale et littéraire dont il soit capable.

Il est un autre enseignement sur lequel, en revanche, il me semble que notre attention ne saurait trop se porter. C'est l'enseignement professionnel. En nous chargeant du protectorat du Tonkin, nous nous chargeons de ses destinées, nous con- tractons l'obligation de pourvoir à ses intérêts. Or, par l'ensel - gnement professionnel, à fort peu de frais, comme j'espère le montrer, nous pouvons rendre à la population tonkinoise d'immenses services, Taire faire à sa civilisation en cinquante ans plus de progrès qu'elle n'en a accomplis en dix siècles de sommeil sous le plus dur et le plus stupide des despotismes, et justifier ainsi non seulement à ses yeux, mais encore devant i'hamanité même, la conquête dont nous avons assumé la respon* sabilité.

Actuellement, il n'y a pas d'enseignement professionnel pro- prement dit au Tonkin. Los artisans prennent des apprentis et

leur Iraasmetteût te secret de leurs pyrocédés et les dea^us sur lesquels ib travaillent* Géoéralement les fils appreaoeat le métier de leurs pèrea^ et une industrie ne sort pas de U même famille. Les. empereurs anoauûtesy sauf uoe exception, ont toujours eu pour premier principe de leur politique extérieure qu'il élait indispensable d'éviter que teur peuple entrât en contact^avec le» peuples étrangers. Us ont fait autant que possible de leur ejn- pire un empire complètement fermé. Le Tonkin a donc reçu fort peu de lumières des pays voisins et, en dépit d'aptitudes remarquables, les arts industriels y sont restés dans lenfance.

Ces aptitudes ne font doute pour aucune des personnes qui ont TU les Tonkinois de près. Elles se sont manifestées en des circonstaoces tout à fait caractéristiques. En voici une. Il y a un siècle Tart des incrustations de nacre était inconnu dans VAnnam. Un souverain, ayant pris goût pour des incrustations venues de Canton, appela k Hué des ouvriers de cette ville et y fit installer quelques ateliers. De Hué, des ouvriers vinrent au Tonkin, à Hanoï et à ^am-Dmh, et dans ces deux villes cette industrie est allée sans cesse s'affinant uniquement sous Fin- fluence du goût naturel des artistes tonkinois. Les vieilles incrus- tations, celles qui datent d'une soixantaine d'années, ressemhlcui beaucoup à celles de Canton, les nuances de la nacre en sont mal assorties, les dessins lourds, l'exéculion manuelle peu soi- gnées. Aujourd'hui Hanoï possède quelques artistes qui font les plus jolies incrustations de nacre de l'Extième OrienL

On voit par cet exemple que l'enseignement professionnel ne tomberait pas en terrain stérile au Tonkin. Il faut ajouter qu'il trouverait des élèves très dociles. Les Tonkinois sont extrême^ ment curieux de se perfectionner dans leurs professions, et j'en ai eu bit'n souvent des preuves toucliantos pendant mon séjour à Hanoï. Sitôt que leurs rapports avec les Français leur iai&aieni tomber antre les mains un objet pouvant leur servir de modela, ils s'empressaient de le copier et de le passer à leurs amis pour qu'ils le copiassent eux-mêmes. Le plus grand plaisir que ïon puisse faire à un ouvrier est de lui donner quelque dessin non* veau qu'il utilisera dans sa profession. Le fait m'a tellement frappé que, en passant plus tard au Japon, je choisis quelques- uns de ces albums de dessins pour les industries d'ail qui sont

LÏS QUASTIOMS o'eNSSIGNBMKNT ÀU TONKIN 199

si mullipliés daas ce pays et je les envoyai à notre résident à fianoiyea le priant de les distribuer à quelques-uns des meil- leurs^ artistes de la ville, afin de leur en apprendre Texistence et de leur faixe savoir oir ils pourraient s'en procurer d'autres.

Âa cas le gouvernement se déciderait à cultiver d'aussi rittZian}uables dispositions, la questioAquise poserait serait celle- ci: Queb midtres convient-il de donner aux Tonkinois? Quel 4irt Caut-il leur enseigner ? Pour nK)i on ne saurait hésiter sur la réponse. Avant tout, il ne laut pas leur donner de maîtres européens. Cela pour toute espèce de raisons que je n'ai point le loisir de développer. U me sufiSra d'exposer les deux ou trois principales,

En premier lieu, la vie des populations dans l'Extrême Orient est très simple. L'industrie a toujours gardé parmi elles un carac» tère domestique. Elles répugnent absolument à la grande industrie, vers laquelle tendent au contraire de plus en plus les nations européennes. Un artisan travaille sous quelque auvent dans la rue on dans sa petite cour, entouré de sa famille qui Taidt' à sa besogne; an outillage un peu compliqué lui dépendrait impos- sible avec ses habitudes. Nos grands fondeurs ont jusqu'à douze •cents outils différents pour ciseler le bronze; un artiste japonais qui fabrique ces merveilles que Ton n'est pas encore parvenu à imiter en Europe n'en possède que quatre ou cinq, ii supplée à l'abondance par la patience et l'adresse. Des maitres habitués à nos fabrications dispendieuses et savantes ne sauraient donner aucun enseignement pratique à des gens qui fondent un vase de prix sur le même foyer oii ils cuisent leur soupe. On a essayé à Hanoï de remplacer les mauvais ciseaux des incrusteurs par d'excellents outils de fin acier qu'on a fait venir de France; lesiocrusteurs ont parfaitement reconnu la grande supériorité de ceux-ci, mais ils éprouvaient tant de peine à les entretenir en bon état qu'après un court essai ils ont repris les anciens.

Ensuite notre art, le seul qu'un maître européen soit capable d'enseigner, notre art restera toujours complètement fermé aux artistes de l'Extrême Orient. Pour nous en tenir à l'art décoratif, il est sensible que les motifs qui nous sont familiers sont incon- nus an Tonkin, de môme que les motifs familiers au Tonkin sont ignorés du mattrc qu'on y enverrai t et, quoiqu'il fasse, lui resteront

900 RXVUB PÉDAGOGIQUE

toujours étrangers par essence. Prenons d'abord la figure humaine, qui peut jouer un certain rôle dans la décoration. Un Tonkinois au nez épaté, aux pommettes saillantes, aux yeux bridés et relevés, à la bouche largement fendue et aux dents noires, à la peau jaune, au corps grêle et sans hanches, ne parviendra jamais à se faire entrer dans le cerveau notre idéal de beauté, qu'un maître européen sentit fatalement poussé à lui enseigner ; il a lui aussi son idéal de beauté, le seul qu'il puisse sentir et traduire, mais il est tiré des traits constitutifs de sa race, et il sera aussi impossible au maître européen de le comprendre et de l'enseigner qu'il est impossible au Tonkinois de comprendre celui du maître européen. Prenons ensuite les fleurs, les feuillages, les fruits, les animaux, éléments plus fréquents encore que la figure humaine dans la décora- tion. Un maître européen n été élevé à combiner dans ses dessins des fleurs, des feuillages, des fruits et des animaux dont il ne retrouvera plus rien au Tonkin. Ou il enseignera aux Tonkinois ce qu'il sait, et alors les Tonkinois ne comprendront rien à des formes qui ne correspondent à rien de vivant dans leur pays; ou il se remettra à étudier la nature du pays dans lequel il se trouvera transporté, mais alors il redeviendra lui-même élève, et il y a de bien grandes chances pour qu'anfvant avec un esprit tout formé dans un milieu entièrement neuf, il ne reste toujours gauche et maladroit pour l'interpréter. Il sera comme ceux qui apprennent tardivement une langue ; il gardera tou« jours l'accent de la langue primitive, et fera un mauvais maître. On peut voir dès maintenant quel produit un enseignement européen donnerait au Tonkin. Les officiers et les soldats de notre armée, pour rapporter un souvenir du pays, ont fourni aux incrusteurs et aux brodeuses des dessins pour des objets qu'ils désiraient voir décorer. Ces modèles français sont néces- sairement remplis de formes ignorées au Tonkin. Ils ont été copiés comme on peut copier ce qu'on ne connaît pas, c'est-à- dire servilement, avec des erreurs de copiste ignorant qui en font généralement de fort laides choses.

Les maîtres européens écartés, c'est dans l'Extrême Orient, parmi des peuples de civilisation semblable, qu'il en faut chercher. Et du moment que la question est ainsi restreinte, elle est résolue. C'est évidemment chez le peuple les arts brillent du plus

LIS QUESTIONS D'KNSIIGNKMINt AU TONKIN 201

vif éclat qu'il faut aller, et ce peuple est incontestablement le peuple japonais. Bien que le pays soit incomparablement plus pittoresque et le peuple japonais d'une civilisation qui n'est pas loin d'égaler la nôtre, de grandes similitudes existent entre le Japon et le Tonkin. L'un et l'autre sont habités par des man- geurs de riz, ^1vant au milieu de rizières inondées, dans un pay- sage où domine le bambou. Les deux peuples ont des ressem- blances physiques et morales, la petitesse de la taille, l'agilité, la bonne humeur. Certaines pièces du costume des classss populaires sont les mêmes; le grand chapeau rond que les pèlerins promènent sur les pentes du Fusiyama n'est pas autre chose que le salaco des gens du peuple tonkinois. Il y a un fond d'usages empruntés à la Chine et de légendes religieuses bouddhiques commun aux deux pays. L'usage de l'écriture chinoise est répandu au Japon comme au Tonkin, et sans savoir leur langue un maître japonais pourrait déjà communiquer avec des élèves tonkinois rien qu'au moyen des signes. La simplicité de la vie est la même chez les uns et chez les autres. Un maître japonais partagerait l'existence des Tonkinois sans avoir à en souffirir, ce que ne pourrait jamais faire un maître européen. Bref, il n'y a point entre l'esprit japonais et l'esprit tonkinois l'infranchissable abîme qui rendra toujours l'esprit tonkinois inassimilable à l'esprit européen.

J'ai parlé à quelques Japonais de ce projet d'aller chercher au Japon quelques maîtres artisans pour développer les industries d'art au Tonkin. Tous en paraissaient fort honorés. Le Japon demande depuis vingt ans des instructeurs à toutes les nations européennes; il serait très lier, je crois, de fournir à son tour des instructeurs à l'une d'elles pour une de ses possessions. Si l'on voulait procéder officiellement, il est donc probable qu'on rencontrerait le meilleur accueil auprès du gouvernement japo- nais.

Il n'y aurait pas lieu, à mon avis, de créer une école propre- ment dite à Hanoï. Il suffirait d'ouvrir quelques ateliers les artistes japonais recevraient des apprentis et les initieraient à leur art. En premier lieu, il conviendrait de demander des charpen- tiers et des menuisiers, car ces deux professions, qui répondent à des nécessités quotidiennes si urgentes, sont encore bien peu

ttvauies Toûkia, L'ébéaisterle des belles iBcrastatiaos de Hanoï e&tdéptorable, etcetie infériorité déprécie considérableaxLuU leur valeur; il n'est pour ainsi dire pa^ un meuble tonkinois qu'il ne faille faire niparer par un ouvrier en France si on veut le placer dans un salon. La réputation des xmenuisiers japonais est aujourd'hui umiverseik. Qui n'a admiré l'habileté de la coupe et rextrôme justesse des assemblages dans les meubles qu'ils nous envoient? mais ce qu'on ne sait pas, c'est que les temples japonais les plus vasles sont eux-mêmes en bois et sont des chefs-d'œuvre de charpente uniques au monde.

Pour la fonte des métaux, bornée actuellement à la tabrica- tion d'ustensiles en cuivre très simples, poiur les incrustations de pierre et d'ivoire qui y sont aujourd'hui encore inconnues, pour le travail de la laque resté jusqu'à présent tout à taii gros- sier, pour la broderie qui est déjà pratiquée avec succès à Hanoï par des imitateurs des brodeurs de Canton, pour le travail de l'ivoire, pour la fabrication des nattes, nous poofrions deman- der d'autres maîtres au Japon, qui a porté ces industries au plus haut point de perfection. Supposez dix ou douze ateliers, fonctionnant à l'indigène* et voyez de quelle faible somme l'or- ganisation et l'entretien de cet enseignement professionnel grèverait le budget du Tonkin le jour où, le pays étant enEm pacifié, nous devrons remplir nos devoirs de protecteurs. Je suis certain que leur installation causerait une émotion profcmde dans cette population d'un esprit si éveillé pour tout ce qui concerne son développement industriel. Et ce bienfait ne con- tribuerait pas peu à nous l'attacher davantage encore. Ai-je besoin de faire remarquer que pour nous, le résultat ne se bornerait pas à ce bénéfice politique? notre commerce en, recueil- lerait rapidement d'autres.

Paul BotmDi.

HE LA CORRECTION DTN DEVOIR

A L'EXAMEN DU PROFESSORAT DES ÉCOLES NORMALES (LETTRES)

Panai ks épreuves de l'examen du professorat des écoles noitxuJes, il en est une dont les candidats ne se méfient j)as toujours assez, a Corriger un devoir d'élève^ qu'est-ce que cela? Je le fais tous les jours. r> Il arrive cependant qu'à Theure décisive l'assurance diminue ; les difficultés qu'on n'avait pas prévues apparaissent; elles surprennent, faute d'y avoir réfléchi, et déconcertent.

Il faut dire que les conditions ordinaires sont modifiées. En classe le maître a devant lui l'élève dont il corrige le devoir ; il lui parle; déjà d'ailleurs il le connaît; il sait si habituelle- ment il fait mieux ou plus mal, ce qu'il peut ou ce qu'il ne peut pas; il le noU^, il le conseille en conséquence: tout cela lui donne le too, l'aide et le soutient ; tout cela, au jour de réprenve, lui fait défaut. Il en est toujours ainsi : transporté iâns un examen, l'exercice le plus fréquent de la vie scolaire, quelque soin qu'on prenne de le tenir aussi rapproché que possible de la réalité, prend un air un peu nouveau.

Je note ces différences pour qu'on en soit bien averti et point dérouté : au fond la correction d'un devoir, qu'elle se fiasse en classe ou à Texamen, est la même, présente les mêmes difficultés très réelles et redoutables, exige les même qualités, des connaissances (car comment être prêt sur des sujets très divers sans des connaissances acquises de longue main, sans un fonds d'instruction générale déjà suffisamment large?), delà neiteié et de la décision d'esprit, un disoerncment sûr, des habitudes d'ordre et de méthode, une certaine souplesse de langage, l'art de rester dans la mesure, de n'outrer ni l'éioge ni le blâme, de louer sans enorgueillir, de critiquer sans humilier ou décourager, de tout dire enfin et de faire accepter tpui ce qu'on dit, parce qu'on a su montrer qu'on n'est guidé que par le seul inté/ét de* celui à qui on s'adresse

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ces dernières qualités étant non moins morales qu'intellec- tuelles.

Hais, sans nous attarder davantage, entrons dans le détail, et suivons le candidat du commencement à la fin de l'épreuve.

Un devoir d'élève lui est remis, et il est en même temps pré- venu qu'il a une demi-heure à lui avant d'être appelé devant ses juges. Son premier soin sera évidemment de lire ce devoir : mais dans cette lecture s'arrètera-t-il dès le début, à renoncé du sujet, recherchant comment ce sujet doit être compris et traité? Quelques-uns le voudraient : qu'est-ce que corriger un devoir, disent-ils, si ce n'est le comparer à une sorte de type que nous avons conçu et arrêté dans notre esprit? Je me ran- gerais volontiers à cet avis, si le candidat disposait de plus de temps; mais qu'il songe combien il est pressé! A sa place, je lirais d'abord tout le devoir^ lentement, doucement, mais à la suite, d'un bout à l'autre, marquant seulement d'un léger trait de crayon les passages sur lesquels je sens que j'aurai à revenir afm de pouvoir les retrouver plus facilement: ce serait une première connaissance d'ensemble. Alors viendrait cette médi- tation sur le sujet dont nous parlions tout à l'heure; j'y aurais été préparé, ce me semble, par la copie elle-même; cette copie, si faible qu*on la suppose, a toucher le sujet, au moins par certains côtés; ce que j'y trouve est déjà autant de trouvé pour moi ; ce qui ne s'y trouve pas me met sur la trace de ce que je devrai moi-même trouver; car il est impossible que certaines omissions, les plus graves, ne me frappent pas, et sur le champ je suis conduit à les réparer. Ainsi cette lecture m'a été un profit, elle m'a fait gagner du temps; elle a fourni à ma pensée des aliments, un point de départ; elle a donné à mon esprit comme un premier branle, elle l'a mis en mouvement; les idées, appelées les unes par les autres, se sont présentées; je n'ai eu qu'à les ordonner. Voici donc mon sujet vu et compris.

Je puis maintenant revenir à ma copie et la considérer. Y a- l-il un plan? lequel? Esl-il complet? (je répondrai à cette ques- tion et à d'autres qui vont sui^To grâce à la méditation qui a précédé) est-il logique? S'il n'est pas complet, que faut-il y

DE LA CORRECTION d'uN DEVOIR 205

ajouter? s'il u'est pas logique, commenl convient-il de le dis- poser? Toutes les parties en ont-elles été bien mises en lumière? Toutes ont-elles reçu un développement qui réponde à leur importance? L'expression a- t-elle toujours bien traduit la pensée? N*a*t-eUe pas été parfois au delà, c'est-à-dire est-elle ambitieuse, gonflée, déclaniatoire, de mauvais goût? \*est-ellc pas parfois restée en deçà, c'est-à-dire est- elle faible, plate, commune, vulgaire? Que vaut la langue? est-elleau moins correcte? J'avoue que je ne m'arrêterais pas trop dans cette préparation aux défail- lances de la forme ; j'en soulignerais quelques-unes à tilre de preuves, s'il était nécessaire, et je m'en remettrais à l'habitude que je puis avoir de l'enseignement pour expliquer au jury en quoi consiste chacune d'elles. Mais je me réserverais du temps, les différents défauts étant notés, pour rechercher celui qui est le plus grave, le plus marquant, celui qui parait caractériser la copie; c'est à celui-là que s'attacherait surtout ma correc- tion, et elle en prendrait unité, clarté, fore»'. Ce défaut tient-il au fond ou à la forme? L'élùvc n'a-t-il pas assez réfléchi à son sujet, n'en a-t-il fas su trouver les idées principales ? Ou, les ayant Irouvées, ne s'est-il pas donné la peme de les exprimer ? Quelles qualités lui manquent? Quels gros défauts trahit-il? Et partant quel conseil capital lui donner? Enfin je ne voudrais pas risquer d'arriver au terme de ma demi-heure sans avoir formulé et écrit, à tète reposée, en termes brefs, mais précis, mon appré- ciation, et même sans l'avoir traduite en son expression la plus brève et la plus rigoureusement précise, le chiffre. Le reste du temps, si j'en avais de reste, je l'emploierais à éclaircir avec moi- même quelques points, les principaux, sur lesquels j'insisterais d'autant plus volontiers devant le jury que je m'y sentirais plus à l'aise, y ayant réfléchi plus à loisir.

Avant d'aller plus loin, je tiens à prémunir nos candidats contre certaines impressions du premier moment, delà première lecture, qui pourraient avoir pour eux des conséquences fâcheu- ses; ces impressions viennent d'idées préconçues dès longtemps caressées. « Hoi,. dit l'un, je voudrais une copie faible ; elle laisse plus à faire à celui qui est chargé d'en rendre compte ; elle lui permet de mieux montrer ce qu'il sait. Et moi, dit l'autre, je ne voudrais que d'une bonne copie ; elle porte le correcteur; de

!06 RtVUt PEDAGOGIQUE

rien on ne peut rien tirer; avant toat il faut une matière qaî prête. » Décider entre ces opinions, chacune ayant sa part de vérité, me parait diflScile, à coup sûr fort oiseux. Le sort ne nous consulte guère s; il nous sert souvent contre nos préfé rences. Quoi donc! Irons-nous bouder contre lui, à nos dépens? Ou simplement éprouverons-nous un mouvement de contrariété et de trouble qui pour un instant (ce serait encore trop) para- lyserait nos efforts? L'examen, ainsi que la vie, a de ces sur- prises qui ne sont pas toujours agréables; il tntt savoir les accepter, ou mieux encore il faut savoir n'être pas surpris. Celuî-là a eu tort de se mettre sur les rangs qui pour courir a besoin d'un terrain qui lui convienne et qu'il ait choisi; la victoire est c\ qui aborde franchement et vaillamment, sans sourciller et s'inquiéter, tous les obstacles.

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Le candidat est devant le jury; que va-t-il faire? Lire la copie, puis la reprendre phrase par phrase? Que ce procédé est d'un art enfantin, ou plutôt manque d'art! Que cela d'ail- leurs prend du temps ! Mais on dirait que c'est ce à quoi visent beaucoup de candidats. Ils paraissent croire qu'on les jugera à la longueur de la course qu'ils auront fournie et veulent employer jusqu'à la dernière minute que leur alloue le règle- ment : aussi ils s'étendent, ils s'étalent de leur mieux. Comme ils comprendraient mieux leurs intérêts, s'ils clierchaient à faire tenir, non pas peu de choses en beaucoup de temps, mais beaucoup de choses en peu de temps ! Lire et relire, voilà qui était fort bon pour vous Icxrsque vous vous préparies seul avec vous-même ; mais le propre de la préparation est précisément de garder pour soi ces longueurs et lenteurs et de les épargner aux autres. Vous avez appris à connaître la copie : apprenez- nous maintenant à la connaître. Dites-nous comment elle a pris le sujet, le plan, les idées principales. Ces idées sont-^es justes ou ne le sont-elles pas? Si elles sont justes, en quoi? Si elles ne le sont pas, en quoi? Que faut-il en retrancher, ou y ajouter ? Comment les rectifier ? Tout cela à grands traîts, sans perdre de vue le travail de Télève, sans vous étendre

DE LA GOARICmON d'UN DEVOIR m

trop longaement, trop complaisamment, comme il arrive parfois à propos de sujets historiques, une exposition personnelle, une Tériteble leçon se substituant à une correction. Ce premier tratail achevé, serrez de plus près la copie; vous nous avec annoncé du bon, lisez-nous un bon passage ; vocts nous avez annoncé du mauvais, lisez-nous un passage mauvais : et ici ne craignez plus d*enlrer dans le détail, de prendre les choses par le menn. Si même l'expression était trop défectueuse, relevez-la rapidement en passant. Mais d'ordinaire avec ces copies d'élèves tous êtes obligé d'en venir à parler particulièrement de la forme; parlez-en alors avec beaucoup de précision ; ne vous contentez pas d'une appréciation générale, allez au particulier, à la preuve: aux citations courtes, mais caractéristiques. Ne croyez pas que ce soit assez de dire : « Cette phrase est lourde, embarrassée; elle est trop longue; » montrez comment on aurait pu la couper, Talléger. Ne dites pas seulement: « Ce terme est impropre; » rem- placez-le par le terme qui, selon vous, convient.

Finissez en donnant le jugement que je vous ai conseillé de fixer par écrit. Quelques-uns commencent par ; c'est un pro- cédé qui peut se soutenir; toute la correction nVf^t alors que la justification du jugement. J'aimerais mieux, quant à moi, le garder pour la fin; il résume et conclut; il laisse Tesprit de ceux qui joutent stir quelque chose de parfeitement net et ferme, d'arrêté et de définitif; c'est une impression à laquelle vos juges ne devront pas, ce me semble, être indiff^érents.

Il arrive quelquctbis que le sujet du devoir n'est pas bien choisi, que la question n'est pas bien posée; ne craignez pas de l'indiquer; on vous saura gré de l'avoir vu et même d'avoir osé le dire; mais ne risquez cette critique qu'après y avoir bien réfléchi et avec mesure.

Certes il ne faut pas que le correcteur soit trop facilement content; on pourrait l'accuser de manquer de clairvoyance et de pénétration. Il ne faudrait pas non plus qu'il fût trop diffi- cilement content. Entre ces deux excès, l'optimisme et le pes- simisme, la roule n'est pas aisée à tenir. Certains candidats ne voient dans le travail de l'élève qu'une proie à déchirer, à déchiqueter; ils s'en donnent à cœur joie; ils mordent à belles dents. Ils inventeraient plutôt des fautes (cela s'est vu) pour

208 RKVUE PÉDAGOGIQUE

avoir le plaisir de les corriger et de triompher. Ne nous forcez pas à prendre le parti de votre victime contre vous.

Surveillez votre ton, quoique Télève ne soit pas là. Soyez sévère, et ne passez rien ; j'y consens : mais ne soyez dans la forme ni dur, ni amer, ni blessant. Qu'il ne vienne pas à la pensée d'un de vos juges de se dire : a Ah ! je ne voudrais pas être son élève ! »

Sachez entrer dans les raisons de celui que vous corrigez, même quand elles ne vous paraissent pas justes, et montrez que vous les comprenez. Sachez deviner ses bonnes intentions, même quand il ne les a pas menées à bien, et faites-les valoir. Sachez Jouer enfin, dès que l'occasion s'en présente. Louer, quand on est invité à critiquer, n'est pas du premier venu. La louange est d'ailleurs si puissante sur les jeunes esprits. C'est un cordial généreux; n'en abusez pas sans doute; car alors il tourne les tètes, il grise; mais usez-en: il réconforte, anime, réchauffe, rend Tefforl facile, double la vigueur et Télan.

Surtout inspirez-vous de la copie qui vous aura été remise. Plus j'avance en ce sujet, plus je m'aperçois que les conseils, si précis qu'on les veuille faire, laissent toujours place à un vague redoutable; il s'agit de savoir s'en servir, de discerner quand il faut appliquer chacun d eux et dans quelle mesure. Correction de devoir, affaire moins encore de science que de tact: c'est ce qui fait la difficulté de l'épreuve et aussi son importance. E. À.

LES ECOLES REGIMENTAIRES DE L'INFANTERIE

DE MARINE

On ne sait pas assez lout ce qu'il a été fait d efforts généreux et heureux pour dévelopf>er l'instruction des soldats et des sous-officiers de nos armées de terre et de mer depuis 1835, mais surtout depuis 1866 et plus particulièrement encore depuis 1872. Nous ne voulons écrire ici qu'un chapitre de celte instructive histoire, en nous atta- chant uniquement aux écoles régimentaires de Tinfanterie de marine, qu'il n'était rien moins qu'aisé d*organiser.

L'idée de la création des écoles régimentaires remonte au début de la Révolution française. Le règlement du 24 juin 1792 sur le service intérieur de l'infanterie portait qu'il serait établi dans chaque régiment une école gratuite d'instruction; mais les grandes guerres que la France eut à soutenir sous la République et sous TEmpire firent foi cément ajourner cette réforme.

Sous la Restauration, le règlement du i3 mai 1818 contenait, au point de vue de Tinstruction dans les régiments, de fort bonnes dis- positions, qui ne furent pas appliquées par suite des nécessités budgétaires.

La loi du 21 mars 1832 a^ant prescrit que les jeunes gens appelés au service recevraient, dans les corps, « l'inslruclion donnée dans les écoles primaires », le ministère de la guerre, pour se con- former au vœu de la loi, publia le règlement du 28 décembre 1835, et c'est à partir de celte date que renseignement élémentaire fut réellement introduit dans l'armée de terre ; il le fut peu après dans rinfanterie de marine et dans les équipages de la flotte (ordonnance flu 11 octobre 1830i.

Nous allons suivre les phases principales de Torganlsation des ôcoles régimentaires dans Tinfunterie de marine depuis 1835 jusqu'en 1881. Il y en a quatre : la première s'étend de 1835 à 18ri3; la s^Hîonde, de 1853 à 1860 : la troisième, de 18(>6 à 1872 ; la quatrième de 1872 à 188 i.

En conformité du règlement du 28 décembre i83«*>, chaque corps ou portion de corps de l'infanterie de marine devait a>oir deux écoles : Tune dirigée d'après le mode mutuel» sous la dénomination d'école de premier degré, et destinée aux caporaux et aux soldats; l'autre dirigée suivant le mode simultané, sous la dénomination d'école de second degré, et destinée aux sous-ofliciers. L'enseignement de la première comprenait la lecture, d après la méthode Peigné, Técri-

ElfUI piOAOOGIQUB 1885. 1*' SEV. 14

210 RKVUB PÉDAGOGIQUE

ture, d'aorès la mélhode Taupler, et rarithcnélûiue réduUe. aux quak» ràgibv wafxcès h^ méthode Lapogs. Okii de H^ seoondie portait sur lU grammaire de Lhomond, Tarithmétlque de Ducros, la comptabilité des compagnies, la géographie de Delapalme, niisloire militaire de France (traité spécial), les éléments de géométrie de Bergerey, le cours de fortification, les levés de plans. Le cours du second degré compor- tait 180 leçons de deux heures, et le règlement entrait dans les détails lea plu3^ loiouUeuji sui* la corroction des devoirs. L'éeole du prmnier degré s^ ^bdi^ûsait en six clasaes, dirif^ cbacune par ua mosi-

teiiK..

U ftewoAoel ensQigiiant était «om^sè é'm diracteur^ du grade de lieuUos^L ou de siaasp^lieutMafii,. d*ua nuoitear généiPai du grade de sargeot-maiov, de six sionitAurs particuliets, dont iMisous-olBcier et cinq caporaux ou soldats. Oa aa8li^o^ et nons le croyoof sans peine, quA Icis mooiieucs ne néimssiieiit pi» toujours à an» inalnietion suft^aAte une aptitude parilQuUèK» pour l'enseignemealL Mus enfin 00^ avaijt coima^ncé à faire quelque chose : c'était beaucoup.

«

Un nouveau règlement parut le 17 septembre 1833 et n'apporta auoune mo^fication à l'Àsote du premier degré, maïs donna un programme détaillé pour lèo différentes matières de renseignement du second degré, qui étaient réparties en deux années. La première année avait 10 leçons de grammaire française, 14 d'arithmétique, 10 as géométrie, 15 d'administration militaire. La seconde année avail 12 leçons de géographie, « d'histoire, M de fbrtificatîon, 3 d'étude de carle^^; soit au total, 40 leçons par an pour la première aaaée et 5S povr la seconde, les leçons étant chacune de deux heares. Il n'était pkrs question de levés de plans; en revanche, c«nme eni vîeiil de le voir, il y avait un cours d'adkDinistratlûn mlHtaire en première année et un de cartographie en seconde année.

L'étude de la grammaire française allait jusqu'à la construction de laphraseï

A l'arithmétique (nombres entiers et fractions décimales) s^'ajou- taient le système métrique et les proportions.

La géométrie devait consister surtout eu définitions et en mesures dont tout le monde peut faire usage : angles, perpendiculaires et obliques ; triangles ; polygones ; mesure des surfaces ; solides.

Le programme de géographie perlait : notions générales, mappe- manie, !»s cinq parties du monde, la France physique,, adminis- tsalfve et' mUilarre.

En bistoftre, if y «^«* ""•' graitdte carrière a parcourir i histoire db* Wrance et histoire générate' depuis les temps lea plus reculés jttsqtfeH 1818. L'ftwteire gén^te cotoprenait : traditions bibUq^ea 8«r lés premiers hommes; Moïse, P^avid, Salomon; E^ptiens,. Aas^- rlena, Perses ; histoire de la Grèce: âge héroïque; histoire romaine :

LBS ÉCOLES RÉGIBISMTjUAIS DE l/lUFAlITERIE DE MARINE Ml

conunencftmant de Rome» guéries puniques. Dans rhîsttthre de BiMU» oa; mnonte jji»qu*à la OMiquét» de la Gaule- par iales Gésar pour s'arréler a la chute de Louis-Philîppe.

Goornie, pour dee raisons de senriœ dans lesquelles il nous aeiait dificilo. d^eatrer» reaseigoement du secoué degré n'a jainats pa toe scindé en deux ou trois années avant les nouveaux règiementi dont nous parlerons plus loin, les programmes dei853f(irauientanttDp vaste ensemble pour qu*il fût possible de les suivre fructueusement^ surtout pour 1 histoire.

D*auire part une seule école du premier degré pur régiment était insuffisante : le local affecté à cette école était partout trop exigu ; les élèves étaient entassés dans les plus mauvaises conditions pour leur instruction. Cet état de choses était très préjudiciable au succès de renseignement» qui n'était d'ailleurs suivi que par des hommes de bonne volonté.

Le mouvement des es|MritA qui,eni866, commençait à seporterverslei développement et la diffusion de renseignement dans toutes les cte^s de la société, eut son effet dansFinfanierie de marine. Le règlement du Sft QCtoJJMr» 1866 qui ne fut mis en vigueur que le 13 mars 1909 - pvésente sui' les précédents une amélioration sensâUe. D'abord, el e^eet le point capital, il rend obligatoire Tàcok da premier degré pMViloas les soldats illettrés à rexception de ceux qui sont arrivés à UBkâge l'étude n'est plus possible. Les cours profSessés à celte école oamportant les mêmes matières que celles contenues dans le* pro»* grwnme du 28 décembre 1835. Biais le personnel ens^nant ainsi que le local mis à la disposition des élèves restent insuffisants. Toutelèiii, let règlement de 18ë6 inaugure une excellente mesure: il met entre lea mains de tous les élèves du deuxième degré des livres écrits spé- cialement sur les matières des cours, ce qui leur permet d'étudier sealt et de se tenir au eourant des leçons, malgré les ialermptiiHM qpialeai nécessités du service imposent à un certain nombre d'entr'euDi.

La règlement de 1866 prescrit, en outre, pour les cours du second degré, auxquels doivent assister tous les sous-officiers, de former quatre classes ou sections qui sont parcourues en quatre périodea de six mais. Un élève ne doit passer de la classe inférieure à la classe supérieure qu'après constatation de Tinstruclion acquise. Mais la dififlion en quatre classes ou sections n'a pu être adoptée à causa du relèvement fréquent des garnisons coloniales et parce que rea«> seîgnement diff^alt trop d'un cours à un autre cours pour qu'on pàl le reprendre dans un nouveau régiment juste au point il afvaftt été li^sé dans celui que le militaire venait de quitter.

Aussi, malgré le» louables efforts tentés^ l'insuffisance des résultats oMmua dans lea éeoies régimentaires était notoire. Les causes de eatte iaaufltoance peuvent se résumer eonune sait :

Pevaonnel enseignant trop restreint et surtout trop m(^le :

214 «UrUB JPÉDA006IQUI

aux besoins de rinfànterie de marine. C'est oe quen langage mili- taire lon appelle souvent renseignement primaire, renseigoemeiit secondaire, renseignement sup^ieur, expressions qui pourraient être quelquefois mal comprises. Mais ne nous attardons pas aux nuits» arrivons aux choses et procédans par ordre, en envisageant aaocessivement : i^ le prognunme; â* k direction et le personnel soseignant; d^ les élèves,

* *

Pour les écoles du second degré le règlement de 1872 ne fait qae confirmer celui de i853 quant aux matières à enseigner, et ces matières sont réparties dans les quatre sections du cours suivant Taptitude et Tinstruction primaire des sous-officiers, mais les sous- officiers de la quatrième section doivent avoir vu en fin d'année scolaire :

i^ La grammaire française complète;

L'arithmétique jusqu'au système métrique inclusivement;

d9 La géométrie jusqu'à la mesure des surfaces inclusivement;

L'administration militaire jusqu'aux détails sur l'administration, intérieure des compagnies inclusivement;

5<» La géographie générale et celle de TEurope en détail ;

L'histoire de France, jusques et y compris Louis XIU, en pas- sant très sommairement sur la période gauloise et sur les deux premières dynasties;

7^ Les notions de fortification jusqu'à Tattaque et la défense;

S^ L'étude des cartes topographiques, quelques notions sur leur constmctlon, mais surtout Thabitude de les lire couramment.

Les écoles du troisième degré institués par le règlement de 1874 comprennent le cours supérieur et le cours spécial.

Le cours supérieur devait être, aux termes du règlement, profe^fsé par le directeur de l'école régimentaire sur les matières du programme de 1853, mais le programme développé en ce qui concerne :

La langue française (discours et narration) ;

L'histoire de France jusqu'à nos jours;

L'administration et la législation militaires;

4^ La forlification appliquée au terrain, aux lieux babités ;

5<> La levée des plans topographiqu^s et l'établissement des rapports militaires ;

6<^ L'art militaire au point de vue des petites opérations, c'esi-Â- dire l'ordonnance des armées en campagne commentée et expli- quée.

La géographie, dans sa partie physique et politique, a été «îovtée au programme du cours supérieur par une circulaire du 14 novem- bre 1873. Cette modification a paru nécessaire, pour ne pas séparer cette étude de celle de l'histoire. En outre, en 1884, afin de faciliter les préparations des sous-officiers aux examens d'entrée à l'école mi- litaire de Saint-Maixent, on a élargi le programme d'histoire, et

LES ÉCOLES RÉGIIIJEMTAIAES »E L'iNFANTERIE DE MARINE SIS

ajouté les matières suivaiites : furifioipeB élémentaires d'artillerie; cours du service ea campagne af^pliqué ; cours da service iiltériesr des oorp« de troupe, du service des places de guerre et filles de garnison; cosmographie, partie théorique du tir; cours de compta- bUité. Les sous-ofïicîers ont ainsi tous les moyens de commencer ou de parfaire leur instruction sur toutes les matières qui peuvent leur ^tre utiles dans la carrièfe militaire ou dans les emplois civils.

Le cours spécial, institué comme ie cours supérieur par le règle- ment de 1872, devait porter et porte emcore sur l'arithmétique, la géométrie, la partie mathématique de la fortification et de la topo- graphie, le dessin linéaire et panoramique,, dit à vol d'oiseau. -Le règlement du 18 avril 1878 dit que le cours spécial porte sur Tarith- métlque, la géométrie plane et Tarpentage, la géométrie dans l'es- pace et les plans cotés, plus des notions de cosmographie.

Ck)mme on le voit du reste, les deux cours supérieur et spécial ne forment en réalité qu'une seule école qui ne se distingue pas toi^'ours bien nettement de la quatrième section de l'école du deuxième degré, si on considère que ce sont les mêmes élèves qui suivent les leçons des différents maîtres. Ce qu'on veut, c'est que ces élèves, qui aspirent à devenir des lieutenants, aient une somme suffisante de connaissances générales et pratiques, et c est dans cet esprit qu'a été conçu le ri'glement du 18 avril 1878, qui résume et complète tout ce qui avait été fait auparavant : il a notamment étendu et précisé les programmes des écoles du deuxième et du troi- sième degré, de manière à mettre l'enseignement aussi complète- ment que possible "en liarmonie avec les exigences du service spé- cial de rinfanterie de marine.

Ajoutons qu un cours d'allemand est professé dans tous les régi- ments pour les élèves de Técole du deuxième degré (règlement de 1872). Tou^ les élèves de l'école du degré sont obligés de le suivre (règlement du 18 avril 1878).

De ce que nous venons d*exposer, il résulte que les études sont aussi bien échelonnées qu'on pourrait le désirer dans nos éodes régimcntaires. liais il importait grandement que toas nos soldats pmssent en tous lieux profiter des avantages que leur offrait ce sys- tème si bien combiné, après de si longues expériences, noa exemp- tes de tâtonnements inévitables. Or, les excellentes mesures adop- tées par le règlement de 187:^ se heurtaient à une tr^ (grosse diffi- culté que nous avons déjà signalée en parlant de lapplication du règlement de 1866: la fréquence des mutations était un obstacle presqu'insurmontabie à la bonne et régulière tenue des cours, sur- tout dans les trois premières sections de l'école du deuxiènne degré. On a heureuiement remédié à ce mal, ie ministre ayant décidé (dr- culaiiie du 14 novemlM'e 1^73) que les études seraient dirigées par- tout exsàcteaaeRt de la »êi»e façan, c*eflt-<à-cUre que les différentes nMrtièrci semLeoi commencées et parcourues dans le même ordre et

21^3 ILEVUI PÉDAGOGIQUE

dans des limites nettement déterminées. De la sorte on peut chan- ger de corps ou de garnison en retrouvant toujours partout les mêmes cours à peu près au même point. C'est une mesure qu'on ne saurait trop louer.

Plus la Marine a développé ses programmes, plus elle a tenu ù la bonne direction des écoles. De 1835 à 1872 le directeur de l'école régimentaire était un lieutenant ou un sous-lieutenant secondé par quelques moniteurs. A partir de I87i c'est un capitaine qui est chargé de la direction de l'école, et il est aidé dans cette tâche par deux lieutenants ou sous-lieutenants, qui prennent le titre de directeurs- adjoints, par le professeur d'hydrographie et par le professeur d'wlle- mand. Le directeur professe le cours supérieur, et le professeur d'hy- drographie le cours spécial.

Une circulaire du 18 avril 1878 recommande aussi aux vice- amiraux et aux préfets maritimes d'exercer une action directe sur le service de l'enseignement. De plus il y est dit que chaque annexe le général inspecteur d'armes, lors de la revue qu'il passera de lu portion centrale d'un régiment d'infanterie de marine, choisira h* capitaine directeur et les lieutenants directeurs-adjoints sur une liste de candidats que lui remettra le chef de corps avec ^n appré- ciation sur chacun d'eux; les candidats présentés doivent être choisis autant que possible parmi les officiers qui ont plus d'un an de séjour h accomplir en France. Il est établi que le colonel détermine les heures des différents cours, que la suryeillance des écoles appartient au lieutenant-colonel, qui est secondé par les chefs de bataillon, et que tous les trois mois il rend compte au colonel de la marche de l'instruction et lui remet une copie du classement des élèves. La circulaire du 6 avril 1883 va encore plus loin, tant l'im- portance du i^ervice scolaire se f.iit sentir de plus en plus : elle ordonne que les élèves seront interrogés devant le lieutenant-colonel une fois par trimestre et les colonels sont priés d'assister de temps en temps à cette constatation trimestrielle de l'instruction des sous-offi- ciers. Les bons élèves sont dispensés du service colonial.

De nouvelles et importantes modifications au régime des écoles d'infanterie de marine ont été apportées par le règlement du 4 avril i88i, relatif à la direction des cours et à la composition du personnel enseignant. Elles constituent une amélioration des plus notables.

Pour chaque portion centrale, un chef de bataillon qui reçoit le titre de « chargé du service des écoles » est appelé à diriger et à surveiller, sous l'autorité du lieutenant-colonel, les écoles du deuxième et du troisième degré. L'action de cet officier s'exerce en outre sur les écoles du premier degré. Il est l'intermédiaire obligé entre les professeurs des écoles régimentaires et le lieutenant-colonel. U assista inopinément aux séances, et dans celles consacrées aux Interroga-

LES ACOLES RÉGfMBNTAIRES DE l'iNFA?«TER1B DE MARINE 217

tioDS il questionne fréquemment les élèves sur les matières qui leur ont été enseignées.

Un capitaine qui prend le titre de « professeur militaire » est chargé des cours de fortification passagère, de topographie théo- rique et pratique, des principes élémentaires d'artillerie, des cours de législation et d'administration militaire.

Un capitaine adjudant-major est chargé des cours du service en campagne appliqué, du service intérieur des corps de troupe, du service des plans de guerre et villes de garnisons, des petites opéra- tions et manœuvres sur le terrain : écoles de compagnie, do bataillon (théorie et pratique).

Le capitaine de tir fait des conférences sur la partie théorique du tir.

Le lieutenant-adjoint au trésorier professe un cours spécial- de comptabilité.

Sous la dénomination d' « adjoints au professeur militaire «, des lieutenants ou sous-lieutenants secondent le professeur militaire dans tout ce qui concerne la tenue des classes et professent les cours de l'école du deuxième degré .

Le professeur d'hydrographie continue, comme par le passé, ù faire les cours de sciences (arithmétique, géométrie, cosmographie).

Le cours d'allemand est fait soit par un officier, soit par un pro- fesseur civil.

Deux professeurs du lycée sont chargés, l'un, du cours de langue française, l'autre des cours d'histoire et de géographie.

Grâce au régime que nous venons d'indiquer, les écoles rcgimen- taires sont très bien surveillées et dirigées aujourd'hui. Voyons maintenant quelles mesures ont été prises au sujet des élèves.

On sait que depuis 1866 les écoles du premier degré ont été rendues obligatoires pour les illeltrés : elles le sont toujours. Les écoles du second et du troisième degré n'avaient été créées d'abord que pour les sous -officiers, qui étaient tenus de suivre tout au moins les cours du second degré par le règlement de 1866. L'école du second degré devint obligatoire en 1878 pour tous ceux qui pouvaient en suivre les cours, sous-officiers ou soldats.

L'obligation de l'école du second degré ne fui pas maintenue et voici pourquoi. Les résultats obtenus dans le cours du deuxième degré n'étaient pas toujours en rapport avec les elTorts des professeurs, surtout dans les trois premières sections. Les progrès n'étaient sensibles que dans la quatrième et pour les chefs de file des trois autres. La majeure partie des élèves opposait une force d'inertie contre laquelle venaient échouer le zèle des professeurs et les puni- tions. Il y avait dans les cours du deuxième degré deux .catégories d'élèves. Les uns, sortant, en général, de l'école communale avec

21 C MKVUI PÉDAGOGIQUE

dans des limites nettement déterminées. De la sorte on peut chan- ger de corps ou de garnison en retrouvant toujours partout les mêmes cours à peu près au même point. C'est une mesure qu'on ne saurait trop louer.

Plus la Marine a développé ses programmes, plus elle a tenu à la bonne direction des écoles. De 1835 à 1872 le directeur de Técolc régimentaire était un lieutenant ou un sous-lieutenant secondé par quelques moniteurs. A partir de i87i c'est un capitaine qui est chargé de la direction de l'école, et il est aidé dans cette tâche par deux lieutenants ou sous-lieutenants, qui prennent le titre de directeurs- adjoints, par le professeur d'hydrographie et par le professeur d'wUe- mand. Le directeur professe le cours supérieur, et le professeur d'hy- drographie le cours spécial.

\jae circulaire du 18 avril 1878 recommande aussi aux vice- amiraux et aux préfets maritimes d'exercer une action directe sur le service de l'enseignement. De plus il y est dit que chaque année le général inspecteur d'armes, lors de la revue qu'il passera de la portion centrale d'un régiment d'infanterie de marine, choisira le capitaine directeur et les lieutenants directeurs-adjoints sur une liste de candidats que lui remettra le chef de corps avec ^n appré- ciation sur chacun d'eux; les candidats présentés doivent être choisis autant que possible parmi les officiers qui ont plus d'un an de séjour h accomplir en France. 11 est établi que le colonel détermine les heures des différents cours, que la surveillance des écoles appartient au lieutenant-colonel, qui est secondé par les chefs do bataillon, et que tous les trois mois il rend compte au colonel de la marche de l'instruction et lui remet une copie du classement des élèves. La circulaire du 6 avril 1883 va encore plus loin, tant l'im- portance du service scolaire se fait sentir de plus en plus : elle ordonne que les élèves seront interrogés devant le lieutenant-colonel une fois par trimestre et les colonels sont priés d'assister de temps en temps à cette constatation trimestrielle de Tinstruction des sous-offi- ciers. Les bons élèves sont dispensés du service colonial.

De nouvelles et importantes modifications au régime des écoles d'infanterie de marine ont été apportées par le règlement du 4 avril 1881, relatif à la direction des cours et à la composition du personnel enseignant. Elles constituent une amélioration des plus notables.

Pour chaque portion centrale, un chef de bataillon qui reçoit le titre de « chargé du service des écoles » est appelé à diriger et à surveiller, sous l'autorité du lieutenant-colonel, les écoles du deuxième et du troisième degré. L'action de cet officier s'exerce en outre sur les écoles du premier degré. Il est l'intermédiaire obligé entre les professeurs des écoles régimentaires et le lieutenant-colonel. U assiste inopinément aux séances, et dans celles consacrées aux interroga-

LES ÉCOLES RÉGIMENTÀIRES DE l'iNFAMTERIB DE MARINE 217

tioDS il questionne fréquemment les élèves sur les matières qui leur ont été enseignées.

Un capitaine qui prend le titre de c professeur militaire » est chargé des cours de fortification passagère, de topographie théo- riqae et pratique, des principes élémentaires d'arlillerie, des cours de législation et d'administration militaire.

Un capitaine adjudant-major est chargé des cours du service en campagne appliqué, du service intérieur des corps de troupe, du •errice des plans de guerre et villes de garnisons, des petites opéra- ti(m8 et manœuvres sur le terrain : écoles de compagnie, de bataillon (théorie et pratique).

Le capitaine de tir fait des conférences sur la partie théorique du tir.

Le lieutenant-adjoint au trésorier professe un cours spécial- de comptabilité.

Sous la dénomination d' « adjoints au professeur militaire », des lieutenants ou sous-lieutenants secondent le professeur militaire dans tout ce qui concerne la tenue des classes et professent les cours de l'école du deuxième degré.

Le professeur d'hydrographie continue, comme par le passé, à faire les cours de sciences (arithmétique, géométrie, cosmographie).

Le cours d'allemand est fait soit par un officier, soit par un pro- fesseur civil.

Deux professeurs du lycée sont chargés, l'un, du cours de langue française, l'autre des cours d'histoire et de géographie.

*'*

Grâce au régime que nous venons d'indiquer, les écoles régimeii- taires sont très bien surveillées et dirigées aujourd'hui. Voyons maintenant quelles mesures ont été prises au sujet des élèves.

On sait que depuis 1866 les écoles du premier degré ont été rendues obligatoires pour les illeltrés : elles le sont toigours. Les écoles du second et du troisième degré n'avaient été créées d'abord que pour les sous -officiers, qui étaient tenus de suivre tout au moins les cours du second degré par le règlement de 1866. L'école du second degré devint obligatoire en 1878 pour tous ceux qui pouvaient en suivre les cours, sous-officiers ou soldats.

L'obligation de l'école du second degré ne fut pas maintenue et voici pourquoi. Les résultats obtenus dans le cours du deuxième degré n'étaient pas toujours en rapport avec les efforts des professeurs, aurtout dans les trois premières sections. Les progrès n'étaient sensibles que dans la quatrième et pour les chefs de file des trois autres. La majeure partie des élèves opposait une force d'inertie contre laquelle venaient échouer le zèle des professeurs et les puni- tions. Il y avait dans les cours du deuxième degré deux .catégories d'élèves. Les uns, sortant, en général, de l'école communale avec

918 aivuB MoMoeio»

quelques notions bien élémentaires de graimaaire et de €Aloiil,oUe- naient bientôt grâce à leur bonne conduiteet à cerieîiMe aptitudes mUi- taîres le grade de caporal ou de seus-oScier; mais leur ambition n'allant pas plus loin, il leur manquait Je furemier des stimolaaia : Tespoir d'avancer, La plupart d'entre-eux ne cMapreoaieint pa8,4*«it- leurs, tout l'avantage qu'ils pouvaient retirer plusUrd d^s la vie civile des connaissances compiémentaipeg qu'on lev donnait ie mq^en d'acquérir au régiment. Us avaient en joutre 'entièrement pwdu, depuis Tenfance, Tbabitude de tout travail întellectHeL Leur iige «et leur intelligence les rendaient peu aptes à comprendre les lagons, quelque élémentaires qu'elles fussent et quelques efforts que Ton fit pour les mettre à leur portée. Aus£ assistaient-ils aux cours comme à une corvée qui leur enlevait les heures de liberté dont ils jouis- saient autrefois. 11 était impossible, dans ces conditions, de remédier à la mauvaise volonté de la majeure partie des élèves : les consigner n'y faisait rien et Ton ne pouvait songer à instruire des hommes malgré eux.

A côté de cette catégorie d*élèves, il en est une autre qui, presaée par le désir de s'instruire et d'arriver, &it aa contraire les pltts grands efiforts : ce sont ceux qui aspirent à l'épauletle et parmi lesquels se recrutent les élèves de l'école du troisième degré, dès leur nomination au grade de sous-officier. Pois viennent tous ceux qui, sans viser aussi haut, ont le désir de profiter de leurs années de service pour compléter rinstructlon qu'ils possèdent en vue de concourir plus tard aux services civils et militaires réservés aux soui- officiers par lu loi du ii juillet 1873. Cette loi, disons-le en passant, a été pour les sous-ofliciers un encouragement dont on a pu con- stater les excellents effets.

Ces considérations ont porté le ministère de la marine, en juin 1883, à rendre l'école du deuxième degré facultative. Il ne reste d'obligatoire que la partie essentiellement militaire, c'est-à-dire les notions pratiques pour les petites opérations de la guerre. Il y a par suite moins d'élèves dans les écoles régimentaires, mais il n'y a plus que des élèves vraiment désireux de profiter des leçons qui leur sont faites : les cours ont gagné en homogénéité et leur valeur n'en e^t que plus grande.

Pour donner une idée suffisante des progrès accomplîa, il nous reste à dire quelques mots de ce qui a été fait pour l'outtllage des écoles de marine. Jusqu'en i87i les écoles n'avaient aucun local qaî leur fût affecté. Cette lacune fut comblée par le règlement du 3 avril 1872, portant qu'un local est mis à la disposition du prefea- seur, soit dans la caserne, soit dans un bâtiment de la marine À proximité de la caserne. La question du mobilier fut réglée par >la circulaire du 18 avril 1838. Les élèves eiu^nt dès lors les Uvjee 6t les cartes nécessaires.

LES ÉCOLES RÉGimiiTAIfiJESJIE l'uIFANTERIK DE MARINE Sl(^

lis il £uit aussi des biUloUièques régiraentaires. Oa y pensa dès lin. .L'année suivante décision ministérielle lit connaître aux peéfote maritimes qu'il devait être formé dans chaque arsenal et iaosdiaque colonie une bibliothèque, d'après un ca|alogue arrêté^ m vtte d'instruire et de récréer les troupes. En 1870 des collections i'ottvnges reliés sont envoyées en Cochlachine. En 1876 une somme MUUielle de mille francs est affectée aux biblîotbèques de chaque régiment En 1878, le ministère de l'instruction publique apporte MO précieux concours pour la formation des bibliothèques régimen- Uhm et obtient de la nms<m Paul Dupont une remise de 10 0/0 pour tous les ouvrages portés au catalogue de cette maison : il a fait Biieax encore en dotant les bibliothèques d'un certain nombre de volumes provenant du service du dépôt légal. Aucun ouvrage ne peut figurer dans les bibliothèques régimentaires s'il n'a été admis par mie commission permanente instituée au ministère et dans laquelle tous les services intéressés de Farmée de mer ee trouvent représentés. Les livres qui traitent de questions politiques ou reli- gieuses sont rigoureusement exclus, comme pouvant porter atteinte à la discipline générale de l'année. Par le choix judicieux qui est fait des ouvrages, les bibliothèques régimentaircs otTrent aujourd'hui aux sous-officiers et aux soldats les moyens de développer leur intelli- gence, d'augmenter leurs connaissances scientifiques et littéraires. Ceux des livres qu'elles renferment et qui contiennent le récit des glo- rieuses actions dont notre histoire abonde grandissent chez leurs lecteurs les sentiments de courage, d*abnégation et d attachement au drapeau. Les rapports adressés au ministre de la marine témoi- gnent que toutes les salles de lecture sont assidûment fréquentées. Le ministère de la marine, qui montre tant do sollicitude pour rinstruction des soldats et des sous-officiers dans la métropole, n'a garde de ,les oublier dans les colonies ou à bord. Toutes les mesures ont été prises pour que partout et toujours, sauf aux jours de combat, nos braves soldats aient des maîtres à écouter et des livres i lire. Si Ton se rei>orte au commencement d'organisation de 183o, on reconnaîtra qu'un grand pas a été fait et qu'il y a lieu de se féliciter des résultats acquis.

* *

if ministère de la marine ne se contente pas d'instruire ses troupes soit sur terre, s;oit sur mer. 11 crée aussi des écoles pour les indigènes dans les colonies. Ainsi on lit dans le Journal officiel du 4 mars courant que le résident général de France à Hué s'est déjà préoccupé d'organiser le service de l'instruction primaire. Il est créé a Hanoï une école française acceptant des internes et des internes. Des écoles de même nature seront organisées à Nam-Dinh et À Haîphong, et dans toutes les grandes villes du Tonkin. Ultérieu- rement on procédera a la création d'écoles pour les filles : en atten- dant des salles d'asile sont ouvertes à Hanoï, à Haîphong et à Nam-

no REVUE PÉDÀGOGIQUI

Dinh. Le personnel enseignant est recruté parmi les professeurs et les maîtres qui sont chargés de l'instruction primaire en Cochlnchine et qui sont déjà accoutumés au climat. 11 sera complété au besoin par un personnel mis à la disposition du ministère de la marine et des colonies par le ministre de Tinstruction publique. Le résident général est également en pourparlers avec Tévêque du Tonkin pour rétablissement^ dans chacune des paroisses de Tintérieur, de petites écoles indigènes pour la propagation de l'enseignement français.

Nous devons une profonde reconnaissance au ministère de la marine pour tant de créations si diverses, mais toutes si utiles et si fécondes : il montre ainsi que les œuvres de paix, de progrès et de civilisation ne lui tiennent pas moins a cceur que les conquêtes coloniales. A. B.

LES COMMISSIONS SCOLAIRES

La lettre suivante a (Hé adressée |>ar M. Edmond Dreyfus* Brisac, directeur de la Revue internationaU de renseignement, à M. le directeur de renseignement primaire au ministère de l'instruction publique :

Monsieur le Directelr,

Permettez-moi de vous soumettre quelques observations su sujet de la loi sur l'organisation de l'enseignement primaire déjà adoptée par la Chambre des députés et qui va être soumise au Sénat. Je ne sais quelles modifications la commission du Sénat a pu introduire dans le projet voté par la Chambre^ mais j'aurais désiré^ quant à moi, que le chapitre sur la commission scolaire eût subi d'assez profonds changements. Je considère notamment Tarticle 55, qui décide que la commission scolaire se réunit une fois au moins tous les trois mois, comme très dangereux. Le nombre des manquements à la loi est si con- sidérable déjà, dans des petites villes comme Villers-Gotterets,où jesuis membre de la commission scolaire, alors qu'on réunit la commission tous les mois, qu'il deviendra presque impossible de faire un travail utile si la commission ne se réunit que tous les trois mois. D'autre part, comment sera-t-il possible à la commission d'apprécier au bout de trois mois les motifs d*excuse ? Si l'on combine les dispositions de la loi nouvelle avec celles de la loi sur l'obligation, on acquiert la conviction que la répression deviendra absolument impossible. 1!

LES C03IMISSI0NS SCOLAIRES 324

soflfira que les parents envoient leurs enfants de temps à autre à récolo pour qu*ils puissent se soustraire a tout contrôle et à toute répression.

Si je ne craignais de vous fatiguer de mes observations, je résume- rûs ainsi tes conclusions auxquelles m'a conduit une expérience de plusieurs mois, et la connaissance de fait antérieurs à ma nomination comme membre de la commission scolaire (alors que celle-ci ne se réonissait plus) :

î^ 11 faudrait que la commission scolaire fût présidée par un délégué cantonal, ou par un membre de la commission désigné par rinspecteur primaire dans toutes les communes;

^ Que la commission se réunît tous les mois, une fois au moins;

9* Que la moitié au moins des membres désignés par le conseil municipal fussent choisis en dehors de ce conseil;

4^ Que le conseil put lui-môme, dès la seconde fois, prononcer une légère amende:

5<^ Que les cas d'appels fussent limités autant que possible ;

Que les pouvoirs des commissions fussent aussi étendus que possible, en tout ce qui touche l'assiduité, la confection de la liste scolaire;

1^ Que la commission scolaire adressât tous les ans un rapport à l'inspecteur primaire;

Que des imprimés fussent envoyés dans toutes les communes pour les réunions mensuelles des commissions et fussent renvoyés avec les signatures requises;

Que les fournitures scolaires fussent livrées gratuitement par récole à tous les enfants qui en feraient la demande ;

iQ9 Que la commission scolaire fût appelée à donner son avis sui- tes secours à donner aux indigents pour leur permettre 4'envoyer régulièrement leurs enfants à Técole (nourriture àTécole, chaussures, etc.), et qu'elle disposai môme d'un fonds spécial a cet effet.

Quand on compare ce qui se fait en Allemagne à ce qui se fait en France sous ce rapport, on est vraiment humilié. Je suis convaincu que si l'on ne prend pas des mesures énergiques, l'obligation restera dans nos écoles à Télat de lettre morte.

Je vous prie d'agréer l'assurance de mes sentiments respectueuse- ment dévoués.

Edmond Dreyfus-Rrisac.

CONSEILS PRATIQUES

ENTRETIENS d'uN DIRECTEUR d'ÉGOLE AVEC SES ÀDJOIttT&

X^111»0BB9«

Un élève s'approche de vous, soit dans le préau, aoii dans Ift cour de réen^tkm, et se met à vous parler la tète eouverte. Brasquement, vous enlevez sa coiffure en lui tirant peut-être ie& cheveux, et cela pour lui apprendre à être poli. Voua vous y prenea mal pour donner une toile leçon. Coimnencez vous- même par donner Texemple en proeédani avec modération. Faites comprendre à votre petit interlocuteur, sans voua émou- voir, qu'il doit se découvrir chaque fois qu*il adresse la parole à un supérieur. Et vous le verrez ôter gentiment sa toque ou sa casquette. La leç^on, je croia, sera tout aussi profitable» et rélève, en se la rappelant, n'aura point à y associer le mamrait souvenir de votre brusquerie.

Soyons polis nous-mêmes pour bien apprendre à nos élèves à être polis.

Visite et correction des cahiers .

Soignez la rédaction et la disposition des notea que vous consignez sur les cahiers à la suite de vos correelion&, ou sur les carnets des élèves. Prenez bi«i garde d'y fttire des fimtss de construction ou môme d'orthographe. Ne jetez pas vos obsorvalions en travers de récriture du cahier : elles y sont moins visibles et cette façon d'agir est loin d'embellir les pages. Tel élève sera contrarié de voir les ligne» qu'il a soignées, oovpéea par quelques mots en rouge, flatteurs peut-être, mais qui gâtent réellement son travail.

Donc, mettez les notes dans la marge ou dans le bas de la page, autant que possible à l'endroit s'est arrêtée votre visite, mais jamais dans le texte^du cahier.

Indiquez par un trait dans la marge le point de départ de votre examen. Si le temps vous manque, ne voyez que deux pages, qu'une seule même, à chaque cahier. Mais qu'il ne reste aucune faute vous avez passé. Que votre Vu de la fin soit une vérité. Agir autrement, ce serait commettre une sorte de

fans, el preciiFer aux èlè^m et à leurs, himlles l'occaeion d'ime crilique fort légitime.

Giurdes-Toas des HicoDséc|aenMs de ce genni : •- Ecriture nêgHgfée »; et eellede voire note esl presque iUîsible; « CMtfT' d'fcfi petit stmillon; it y a des tache9 à toutes leê fmges w; et vous-même avee^ oublié, en retournant les feuilles^ que Tenepe de vos corrections était encore humide, et de petite taftfl lougee se sont imprtmés sur les pages d^en face.

Que dira le bonhomme ainsi tancé, pour peu qu'il ait, comme tons ses congénères, uo grain de malice à ^adresse de aoa nurflre?* Vous savez bien que

Cet âge est sans pitié.

Um mottm on tecA. de» élèvea quand on lerur parleu

Quand nous feisons des expKeations, il f^mt nous mettre eo face des élèves afin de les voir tons el d'Otre vus de tous. Sur«> tout, gardons-nousde nous promener en cadeuoe de long en large.

Quand nous assistons à une conférence, nous eh(Msissous de [Hiélérence une place ni colonne ni eamdélabre ne nous empêche de distinguer la phy^onomie et les gestes de celui qui parle. L'entendre sans le voir ne nous procurerait pas la même satisfaction. Et le conférencier se sentirait, lui aussi, bien refroidi, si la vue de son auditoire lui était dérobée par un rideau, ou s'il devait adresser la parole aux assistants en leur tournant le dos.

La même chose se passe entre nos éeoliers et nous. L'ensei- guement pénètre autant par les yeux de Félève que par ses oreiltes. Aussi Télève n'entend et surtout ne saisit, ne comprend qit*ft demi-, s'il ne se trouve pas on face du maître qui lui parle. Et si le maftre ne domine du regard ceux qui l'écoutant, sa leçon est froide et sans vie.

Enfin, parler à un auditoire, quel qu'il soii, avec un mouve- ment continuel de va-et-vient, donne un air dédaigneux, ennuyé ou pédant qu'un instituteur doit éviter.

Retardataires.

C'est aujourd'hui lundi et il fait bien froid : deux raisons qui expliquent pourquoi il n'y a que la moitié des élèves au

^224 R£VUE PÉDÀGOGfQUI

moment de rentrée en classe. Les absents vont arriver les uns après les antres durant une demi-heure.

Qu'allez- vous faire en commençant? Vous asseoir à votre bureau, ranger ceci, ranger cela, pour donner à toute la bande des traînards le temps d'arriver? Ce serait une singulière façon d'encourager les élèves exacts. Demain, ils seront autorisés à venir aussi en relard puisque l'exactitude ne leur est pas pro- fitable : on ne s'occupe pas d'eux plus tôt; ils y gagnent, tout au plus, de n'être ni grondés ni punis. Quant aux lambins, ils seront moins émus ; ils ne manqueront pas de penser et peut- être de dire : a Je suis arrivé à temps : la classe n'était pas encore commencée. »

Ou bien allez-vous, tout en entrant, vous mettre en colère contre les négligents qui ne peuvent jamais venir à l'heure ? Ferez-vous un sermon en règle sur les inconvénients de l'inexac- titude? A quoi bon? Ceux qui en ont besoin ne sont pas là, et vous Tatigueriez bien injustement les seuls élèves qui peu- vent vous entendre.

Que faire alors? Dites un mot aimable à ceux qui sont pré- sents. Distribuez-leur des bons points. Commencez votre classe immédiatement. C'est la leçon do lecture. Toutes les places sans exception sont munies d*un livre. Les retardataires les y trou- veront. Habituez-les d'abord à se présenter au moins sans bruit^ à ne déranger personne, à ne sourfler mot, à ne pas venir vous expliquer le motif de leur retard ou vous remettre leur billet d'excuse. N'interrompez aucunement votre leçon à cause d'eux ; continuez comme si tous avaient été présents dès le début. Autrement, il faudrait vous arrêter dix fois, vingt fois. Ciî seraient des explications interminables, très fatigantes pour tout le monde. La fm de la leçon arriverait et vous n'auriez. pas fait lire.

Mais à un moment déterminé, de préférence à la sortie de dix heures, et dans la cour, demandez les billets, écoutez les excuses et voyez conment vous devez agir avec les retarda- taires.

D. C.

L'ENSEIGNEMENT DES SOURDS-MUETS

ET SES PROGRÈS RECENTS

Depuis quelques années seulement, renseignement des sourds-muets a été transformé: le langage mimique, depuis longtemps en usage, a céder la place à la méthode orale ; le principe de l'obligation de renseignement prifuaire a été inscrit dans la loi pour le sourd-muet comme pour Tentendant- parlant ; enfin, on a institué un certificat d'aptitude à rensei- gnement des sourds-muets (1). Si insuffisantes que soient encore ces améliorations, elles n'en constituent pas moins un progrès considérable. Pour s'en convaincre, il suffît de voir ce qu*cst encore aujourd'hui le régime des institutions de sourds-muets.

Actuellement une école de sourds-muets peut être ouverte sans que la loi exige, comme pour les établissements primaires, une déclaration d'ouverture, et sans qu'une enquête soit faite pour savoir si le local est convenable. 1^ directeur n'est pas

(1) C'est à un heureux concours de circonstances qu'on doit les impor- tantes améliorations introduites dans l'enseignement des sourds-muets. Une personne qui avait la passion du bien, M** Uenr^- Thuret, ayant visité, dans It eoan d*an voyage en Suisse, ïlnstitut canlonal de (îenève, dirigé par M. Magnat, fonda, à son retour, en 1873, une modeste institution de jeunes fioiirds-maets, aux portes de Paris, à Levallois-Perret.

L'année suivante, en 1874, M. Magnat venait à Paris, et avec le concours de M"* Thuret et de la famille Pereire, dont un anctHre, Jacob-Rodrigue Pereire, est le premier instituteur des sourds-muets en France, nous fondions one école devait être mis en pratique, non sans un certain éclat, l'ensei* gnenent de la parole.

A partir de cette époqur^, je ti^, avec l'aide de M. Magnat, qui produisait ses élèves, de nombreuses conférences publiques et gratuites, afin de faire connaître la méthode ; je publiai des brochures, je fis des articles dans le même bat. Une Société de patronage fut fondée par nos soins; elle eut un organe hebdomadaire. I)cs cours furent institués en faveur des instituteurs et des institutrices, un certificat d'nptitude fut créé et les instituteura qui robtinrent reçurent des récompenses pécuniaires de la famille Pereire.

Enfin, en 1878, au moment de l'Eupositiou universelle, après une conférence que je fis au Trocadéro, nous inaugurions avec M. Magnat le premier Congrès international pour l'amélioration du sort des sourds-muets. Congrès qui a été le point de départ de tous les autres.

UTUI PiOAGOGIQOI 1^^5. l*' SIX. 15

â'2C REVUE PÉDAGOGIQUE

lion plus l'objet d'une enquête destinée i^i constater sa capacité et sa moralité.

Les établissements libres se partagent en deux catégories : les uns sont payants et conviennent aux familles aisées; les autres sont entretenus par des dons qui suffisent à peine à leur en- tretien. Le nonil)ro des établissements est d'ailleurs insuffisant.

L'État n'admet dans ses établissements conune boursiers que des enfants qui ont dix ans au moins et treize ans 9Ui plus; il en résulte que les sourds-muets pauvres sont forcés d'attendre dans une ignorance forcée et funeste le moment ils pouj - ront entrer dans les institutions nationales.

Les écoles de l'Ëtat, au nombre de trois, sont seules iaspec- tées; encore l'inspection ne porte-t-elle pas sur les études. Daas aucun établissement l'enseignement n'est l'objet d'un contrôle. Il n'y a pas d'inspection pédagogique.

Enfin, il n'existe pas de moyens réguliers d'assuré le recru- tement du personnel enseignant.

On voit par ce qui précède tout ce qvu reste encore à faiiY.

■A -.l-

La grosse question qui devait d'abord être résolue était le choix du procédé à employer pour mettre le sourd-muet en communi- cation avec la société. Déjà discutée au Ck}ngrès international de Paris, en 4878, elle fut définitivement résolue à celui de Milan, en 1880. Le langage mimique fut irrévocablement condamné. Par un volt.' unanime, le Congrès adopta la résolution suivante:

« Le Congrès :

D Considérant l'incontestable supériorité de la parole sur le^ eignes pour rendre le sourd-muet à la société et lui donner une plus parfaite connaissance de la langue,

» Déclare que la méthode orale doit être préférée à celle de la mimique pour l'éducation et l'instruction des sourds-muets. »

Deux cent trente membres, hommes et femmes, laïques et religieux, appartenant à toutes les nationalités, avaient pris part à ce vote.

Dans son rapport au ministre do l'intérieur, M. Franck, de l'institut, dont le savoir, l'expérience et la compétence ne sau- raient faire l'objet d'un doute, reconnaissait qu'en 1861 il

i/eNSEIONUIBNT 0B8 SOVMDS-MCËTS 227

•'était jttOBlré peu sympathique à renseignement de la parole, fÊKe qu'il ne lui avait pas été donné de constater des r^ltate iatiafaiaants. Son opinion se ttouvait profondément mofiitiée ^n 1880; il appelait de tons ses voeux renseignement de la méthode orale, t Au reste, ajoutait-il avec une franchise qui l'honore, il est permis de changer d'opinion quand c'est pour faire le bien ot ^oiir servir la vérité. »

La propliétie de Pereire va s'accomplir : « 11 n'y aura plus de aourds*muets ; il n'y aura que des sourds-parlants. » Dès lors, la sourd-muet n'est plus isolé dans la société humaine; il vit de la vie commune grâce à la parole qui lui est rendue. Toute méthode autre que la méthode orale l'aurait laissé à l'écart, incompris de tous, sauf de ses semblables en infortune. 11 s'agit donc moins, encore d'une question de méthode que d'une 4|uestion d'humanité. C'est ce qui donne à la question une importance bien autrement considérable que si elle eût été simplement pédagogique.

C'est dans la loi du 28 mars i882, relative à l'obligation de l'enseignement primaire, qu'il est question pour la première fois de renseignement des sourds-muets dans une loi rraiiraise relative à l'enseignement primaire.

L'article 4 est ainsi conçu :

a L'instruction primaire est obligatoire pour les enfants des deux sexes âgés de six ans révolus à treize ans révolus; elle peut être doanëesoit dans les établissements d'instruction primaire ou secon- daire soit dans les écoles publiques ou libres, soit dans les familles, par le père de famille lui-môme ou par toute personne qu'il aura choisie.

» Un règlement déterminera les moyens (tassvrer Finstruction primaire aux en/ants soui'dn- muets et aux aveugles. »

Cette addition relative aux sourds-muets et aux aveugles est due à M. Jules Philippe, député de la Savoie. Il n'est pas douteux que Tobligation contenue dans les termes du premier paragraphe s'étend au second. D'ailleurs, du moment la loi assure rinsiruclion primaire aux sourds-muets, on ne com- prendrait pas qu'elle n'en imposât pas l'obligation.

228 RIVtJE PÉDàGOGIQUI

L'importance de cette additioa n'échappera à personne : elle entraine comme conséquence la création d'écoles de soards-muets en nombre suffisant pour répondre aux besoins, et l'application à ces écoles des règlements concernant les écoles primaires, soit en ce qui touche aux conditions matérielles, soit pour ce qui est relatif aux conditions d'âge, de capacité et de moralité des maîtres, soit encore pour ce qui est de l'inspection. Aucune de ces mesures protectrices que la loi a jugé nécessaires pour les entendants- parlants ne sauraient, à plus forte raison, manquer aux sourds-muets; aucun de ces gages de sécurité pour les familles ne peut faire défaut aux familles plus légitime- ment exigeantes des sourds-muets.

Le ministre de l'intérieur semble l'avoir compris ainsi : il vient de faire un premier pas dans cette voie en instituant, par un arrêté pris à la date du 3 septembre 1884, « des certiflcats d'aptitude de deux degrés pour les personnes qui se destinent ou qui sont employées à l'enseignement des sourds-muets élèves-boursiers des départements et des communes (1). »

(1) Voici le le\te de rarrèié :

Le ministre de l'intérieur,

Sur la proposition du conseiller d'Etat, directeur de radmioistratiuii départementale et communale,

Arrête :

Art. l*^ Il est institué des certificats d'aptitude de deux degrés pour les personnes qui se destinent ou qui sont employées à l'enseignement des sourds-muets élèves-boursiers des départements ou des communes.

Le certifîcat du premier degré constate l'aptitude à exercer le professorat dans les établissements sont reçus ces élèves-boursiers.

Le certificat d'aptitude du degré supérieur constate l'aptitude à former des aspirants professeurs pour ces mêmes établissements.

Art. 2. Le certiflcat du premier degré ne pourra être délivré qu'aux personnes qui, pendant deux années scolaires an moins, auront pris un«^ part effective à l'enseignement des sourds-muets et qui auront suivi, soit dans les institutions nationales, soit dans une outre institution, sous la direelion d'un professeur pourvu d'un cerlificat de degré supérieur, des «H)uri normaux portant sur les méthodes et prt;cédés d'enseignement à l'usage des sourds- muetj.

Art. 3. Le cerlificat du degré supérieur ne pourra élro délivré qu'aux personnes munies du certificat du premier degré et qui, en sus du premier

l'enseignement des sourds-muets 229

L'arrêté définit le caractère do chacun des certificats, les con- ditions de l'obtention^ la nature des épreuves, etc.

stage mioimam de deux ans, auront, pendant deux autres années scolaires au moins, dirigé soit une classe, soit une éducation particulière.

Art. 4. La condition de fréquentation des cours normaux ne sera eiigéc des aspirants au certiGcat du premier degré qu'à partir du !*'• octobre 1888. Jusqu'à la même époque, la collation du certiûcat du degré supérieur ne sera pas soumise à la condition de production du certiûcat du premier degré; mais elle sera toujours subordonnée à la justification du stage minimum de quatre années dans les conditions énoncées à l'article 3 ci-dessus.

Abt. 5. Les épreuves à la suite desquelles les eertificats d'aptitude pourront être délivrés seront tout à la fois théoriques et pratiques. Elles por- teront sur les procédés de l'enseignement de la lecture sur les lèvres et de rarticulation, sur les éléments d'anatomie et de physiologie des organes de la voix, sur la méthode à suivre pour enseigner aux sourds-muets les idées, les mots et les formes de la bngue maternelle, ainsi que sur les connaissances générales dont le programme doit être développé dans le cours d'instruction proprement dite fait aux élèves (calligraphie, principes d'éducation morale et 4*iTique, éléments d'arithmétique, de géographie, d'histoire, leçons de choses).

n sera tenu compte, pour la justification des connaissances générales, des brevets ou diplômes que les candidats auraient précédemment obtenus, en telle sorte que ces candidats n'auraient plus à être interrogés à cet égard que sor l'ordre et le mode d'exposition que réclame particulièrement l'enseigne- ment donné à des élèves sourds-muets.

Les aspirants au certificat d'aptitude du degré supérieur devront, en dehors de la connaissance plus approfondie des matières spéciales relatives à l'ensei- gnement des sourds-muets et comprises dans l'examen du premier degré, être en état de donner des explications sur l'histoire et sur la comparaison des méthodes, sur le choix des notions usuelles et pratiques à faire entrer dans r<^ducation des élèves.

Art. 6. ^ Les candidats attachés à une institution de sourds-muets feront connaître au ministèi'e de l'intérieur, par l'intermédiaire du préfet du dépar- lement où se trouve située cette institution, leur intention de subir les épreuves organisées par le présent arrêté.

U sera procédé à l'appréciation des candidats et des classes qui leur auront été confiées par un jury composé de deux membres choisis par le ministre de l'intérieur, et d'un membre du Conseil général désigné par le préfet. Ce jory se transportera dans les institutions d'où émaneront les demandes, et dont l'inspection sera faite à cette occasion.

Art. 7. Les candidats qui ne seraient pas attachés à une institution de sourds-muets feront connaître directement au ministère de l'intérieur leur intention fl*^subir les épreuves. Il sera statué par voie de décisions particu- lières sur le lieu à choisir pour ces épreuves, qui seront subies devant un jury de trois membres désignés par le ministre de l'intérieur.

Art. 8. Il n'est point dérogé, par le présent arrêté, aux dispositions qui régissent l'organisation des concours et examens pour l'accession aux divers grades du professorat dans l'Institution notionale des sourds-muets de Paris.

Fait à Paris, le 3 septembre 188i.

Le ministre de Vintérieur,

Waldbcr-Roussiau .

230 RSVUl PJftDÀGOGIQUB

A la même date. Je ministre adressoiC aux pnâfei» une cireu- laire explicative contenant des instructions pour Papplica^îoir des nouvelles mesures.

Nous espérions trouver un article contenant des dispositions analogues à celles des articles 2S, 26 et 27 de la loi du 15 mars 18S0 : « Tout Français âgé de . . ans accomplis peut exeroer dana toute la France la profession d'instituteur de sourds-muets, s'iT est muni du certificat d*aptitude et s'il ne se trouve dans aucun^ des cas d'incapacité prévus par l'article 26. Tout instituDmir qui veut ouvrii^ une école libre de sourds-muets doit préalablement déclarer son intention au maire de la ccmmume. il veut s'établir, lui désigner le local et lui donner l'indication dics lieux il a résidé et des professions qu'il a exercées pendant te» dix années précédentes, etc.; ou plus simpleiiieui encore : a Les articles 25, 26 et 27 de la loi du 13 mars fSSO sont applicables aux écoles de sourds-muets. »

Enfin, nous voudrions un article ainsi conçu : « Est applicaMe aux instituteurs de sourds-muets Farticle 20 de la loi du2Tjuiiret 1872 qui dispense, à titre couditionnel, du service militaire lea^ membres de l'enseignement public qui auront pris l'engage- ment de se vouer pendant dix ans à la carrière de l'enseigne- tnent national. ï>

SI le certificat d'aptitude n'est pas obligatoire, pourquoi les maîtres de sourds-muets s'expoae raient-ils aux chances d'un examen et ambitionneraient-ils un titre qui ne leur conftre aucun avantage, aucun droit, dont ils n'ont h tirer aucun bénéfice?

* *

Il nous reste à exprimer un vœu : e'est qu'il soîi eséé inspection pédagogique. Jusqu'à présent^ nous Pavons dit, lès établissementa de l'État sont à foct peu près les seuls qjai soient soumis à l'inspection. Quant aus établiseemento liiipe», 8»mM libres sous tous les rapports : point d^inspection ni con- ivMe d'aucune sorte. Les iospeoteurS' actuels sont dea adaiL* nistrateurs et non des maf(;res; ils exercent sanv dmHUe une surveillance efficace sur la tenue et l'hygiène des établisse- mentSw sur la gestion, elc; mais ils ne peuvent en général

L't.NSEIGiNKMEM DKS SniHDS-Ml'ETs îl'Si

juger les méthodes el les procédés d'enseignemenl, les apti- tudes des maîtres, les résultats obtenus, etc. Us ne sauraient donner des conseils, dos directions aux maîtres. Les directeurs mêmes ne peuvent contrôler un enseignement auquel la plu- part sont initiés seulement h partir de leur entrée en fonc- tions. Il importe donc de créer parallèlement à Tinspection administrative, et sans «aucun préjudice pour celle-ci dont Tuti- lité est incontestable, une inspection pédagogique. Nous atten- dons avec confiance ce dernier progrès.

Félix Hément.

UN MAITRE D'ECRITURE AU XVIIP SIÈCLE

Ce n'est pas d'aujourd'hui qu'on se préoccupe d'une méthode expéditive et rationnelle pour renseignement de l'écriture.

Dom Calmet, dans sa Bibliothèque lorraine (page ^78), nouti transmet le nom d'un religieux de son ordre et de la congrégalioB de Saint- Vanne qui passa, de son temps, pour avoir résolu le problème.

Il s'appelait Dom Uuchesne (Vincent), natif de Besançon, ardiitecte de son état. Un le trouve, en 1710, maître d'écriture da petit roi Louis XV, alors âgé de six ans et demi. Duchesne se faisait fort d'enseigner l'écriture en six leçons d'une demi- heure chacune. Il ramenait tout notre système d*écriture fran- çaise à deux éléments, le C et 11.

Une estampe du temps le représente dans le cabinet de travail du petit Louis XV, dont il surveille l'exercice calligraphique. Le précepteur du monarque et sa gouvernante, Madame de Ven- tadour, sont assis à la droite du roi, Duchesne à gauche. Suit ce mauvais quatrain:

En trois heures de temps, le roi sait bien écrire, Pnr nn secret nouvean qae tout le monde admire. fEtI le seul Dom Duchesne, enfant de Besançon, dut faire ce prodige en moins de sii leçons.

ORGANISATION DES ÉCOLES ANNEXES

[Nous empruntons les lifi^nes qui suivent h une communication que nous adresse M. le directeur de l'école normale du Mans. La Rédaction J]

Voici, brièvement résumée, Torganisaiion adoptée dans notre école annexe.

Le directeur est constamment secondé par trois élèves-maîtres, pris un dans chaque année, conformément à Tarticle 2 de Tarrêté du 3 août 1881. I^ présence de ces jeunes gens à l'école annexe est d'une semaine chaque fois, et, pour une raison que nous verrons plus loin, leur service commence toujours le vendredi.

L'élève-maître de première année s'occupe spécialement du cours moyen; celui de deuxième année, du cours élémentaire; celui de troi- sième année, en même temps qu'il s'adresse aux enfants du cours supérieur, prend une part aussi large que possible à la discipline et à la direction générale de toute la classe.

Le directeur obser^e et surveille; il donne discrètement à chacun de ses jeunes collaborateurs les conseils pratiques dont il reconnaît la nécessité et l'urgence. De temps en temps, il fait lui-même la leçon afin de prêcher d'exemple et d'ajouter plus d'autorité à ses conseils.

J'aurais bien voulu confier les enfants du cours élémentaire à rélève de troisième année, attendu que c'est que l'on rencontre le plus de difficultés pour se faire comprendre; et aussi pour bien convaincre les élèves-maîtres que, dans une école à plusieurs maîtres, la direction de la petite classe ne doit pas être considérée comme une situation inférieure d'où un instituteur-acyoint doit essayer de sortir au plus tôt. J'ai renoncer à ce projet, pour per- mettre à rélève de troisième année de prendre une part efficace à la direction de toute la classe, ce qu'il ne pourrait faire efTectivement s'il conduisait la division élémentaire, composée d>.nfants encore incapables de tout travail personnel.

Dans le but d'habituer les élèves-maîtres à faire acte d'initiative propre, chacun d'eux remet chaque jour au directeur de l'école annexe la série des leçons et des devoirs qu'il a choisis pour le lendemain. Mais, en même temps, pour assurer l'ordre et une cer- taine uniformité dans l'étude des matières à enseigner, ce choix ne devient définitif qu'après avoir reçu l'approbation du directeur.

Enfin, immédiatement après la classe du soir, celui-ci, dans une causerie qui se prolonge plus ou moins, sans pourtant dépasser un quart d'heure ou vingt minutes, rappelle aux élèves-maîtres

ORGANISATION DES ÉCOLES ANiNBXKS 233

les remarques qu'il a faites a leur sujet pendant la journée el leur adresse les recommandations qu'il croit nécessaires.

Tel est le travail de chaque jour, et cette organisation me parait avoir au moins le mérite de rehausser moralement la situation du directeur de Técole annexe. Ce n'est plus un simple instituteur, tou- jours occupé par un enseignement direct et personnel. 11 peut saisir la marche de la classe dans l'ensemble comme dans tous les détails, et il se trouve dès lors dans les conditions les plus favorables pour pouvoir donner à ses collaborateurs successifs et inexpérimentés les conseils dont ils ont besoin. 11 exerce véritablement une direction.

EofiOy pour maintenir en éveil l'attention do l'élève de troisième année, pour faire appel à son initiative personnelle, une épreuve spéciale l'attend à la fin de son séjour à l'école annexe. Le jeudi matin, ce jeune maître doit diriger «eu/, devant les condisciples de son année, les trois cours de Técole primaire. Il doit faire, avec ces enfants tout ce qui constitue le travail d'une demi-journée de classe, désignée à lavance par le sort, et combiner son emploi du temps de manière que les trois divisions soient constamment occupées.

Mais, afin de n'imposer à personne une fatigue trop longue, la classe ne doit durer qu'une heure et demie, c'est-à-dire que tous les exercices sont abrégés de moitié. A neuf heures et demie, les enfants sont donc congédiés, et les élèves-maîtres présents, qui ont prendre des notes, sont invités à formuler leurs appréciations et leurs critiques. Ces observations sont toujours faites avec bien- veillance et souv?nt avec beaucoup de justesse. Les erreurs qui peuvent être commises sont redressées par l'un des maîtres présents, soit le directeur et: un professeur de l'école normale, soit le directeur de l'école annexe, qui résume également la discussion et termine par des conseils. Un compte-rendu de la séance est rédigé et transcrit sur un registre spécial.

Afin de montrer toute l'importance de cet exercice, je me fais une loi absolue de toujours y assister, ainsi qu'un des professeurs de l'école normale, pris à tour de rôle, et le directeur de l'école annexe. M. l'inspecteur d'académie lui-même veut bien venir nous encourager de sa présence et de ses conseils aussi souvent que ses fonctions lui en laissent le loisir.

Je n'ose pas prétendre que ce soit la meilleure organisation que Ton puisse donner à une école annexe; mais je puis au moins affirmer que les résultats déjà obtenus paraissent absolument satisfaisants et même dépassent ce que l'on pouvait légitimement espérer. Les élèves-maîtres comprennent la valeur de ce qu'ils font à l'école annexe ; ils s'y intéressent ; et, loin de considérer leur temps comme perdu, ils se montrent réellement heureux et fiers des progrès qu'ils peuvent faire en pédciifoyie pratique.

Je ne me fais pas Tillusion de croire que ces jeunes gens seront tous pour cela en état de diriger habilement une classe à leur sortie

^^ REVIC PÉDAGOGIQUB

de récole normale; je sais forl bien que pour en arriver là, hen peut tenir lieu d'one longue expérience et d'efforts soutenus. Maû^ de ce que la tache est difficile, s'eosuit-il qu'elle ne doit pas être commencée dès Técole normale? Je pense que personne n'oserait Taifirmer. Je crois, au contraire, qu'il importe essentiellement de commencer au plus tôt l'éducation pratique du jeune maître; j'estime même que c'est le rôle principal et presque l'ooiqne raison d'être des écoles normales. Si les écoles annexes ne devaient pas être des f^les pratiques dans toute l'acception do ce root^ il n'y aurait qu'à les fermer !

Depuis la rentrée, une dernière innovation a eu lieu, mais je n'en ai nullement Tinitiative ; je n'ai fait qu'appliqpier ce que M. Ë. A., auteur d'un article dans la Revue pMaçiogique du 45 sep- tembre dernier, a constaté dans l'école normale de N. L'élève de troisième année de service à l'école annexe est chargé d*observar particulièrement un enfant.

J*espère que cette innovation produira aussi d'excellents résultats.

A. RrCHARD,

Directeur de l'école normale du Mans.

LE REGISTRE DE L'INSPECTEUR PRIMAIRE

M. Dorget, inspecteur primaire à Limoges, fait appel à la publi- cité de la Reviéc pour soumettre à nos lecteurs diverses observa- tions relatives à l'inspection des écoles primaires. L'inspection, dit-il, est indispensable aux jeunes maîtres pour les diriger et aux maîtres expérimentés pour les encourager ; elle doit se préoc- cuper de la bonne installation des écoles comme de la bonne direc- tion pédagogique des classes. De de multiples devoirs inGom * bant à l'inspecteur primaire, devoirs qu'il remplit assez aisément lorsqu'il est resté longtemps dans le lùême poste et que sa circon- scription n'est pas trop étendue. Mais combien de tâtonnements, de fausses manœuvres chez celui qui arrive nouvellement et ae trouve en face d'un nombre très considérable de communes et d'écoles ! Pour lui faciliter la tâche, M. Dorget propose la création d'une aorte de registre qui résumerait pour chaque inspecteur et pour ses sucée»* seurs les résultats de son inspection. Voici comment il dévelopi^» son idée :

« Dans les conditions actuelles, il ne reste guère de rinspection

LE KKGlblUE DE L*LNSPKGT£UR l'Hl.HAIKK ^'ôt>

que le rapport adressé à Tinspecteur d académie et dont la copie constituerait un trayail assez long. Pour les rapports spéciaux, le temps ne permet pas toujours de faire une minute, et les archives de l'inspection primaire ne contiennent généralement que des ren- seignements fort incomplets. 11 faut ajouter que les archives trop volumineuses et souvent déplacées constitueraient un souci et une éépeDëe pour 1 inspecteur primaire. Je me suis demandé si, dans ces conditions, il ne serait pas possible d*établir, pour chaque circon- scription d'inspection primaire, un registre présentant d'une manière très simple, et sans grand travail, une sorte de situation de l'instruc- tioQ primaire dans chaque commune, qui montrerait ce qui a ét<' M pour les écoles, ce qui est à faire encore et ce qu'on peut •■pérer. Ce registre, dans lequel chaque école occuperait une feuille ipéciale et qui pourrait servir pendant un assez grand nombre iukoées, contiendrait les renseignements statistiques sur la corn- Maoe, sa population, se surface, la valeur du centime, le nombre ëes hameaux, la distance moyenne au chef-lieu.

» Ou y établirait le plan de la maison d'école avec la cour et le jndia à une échelle très réduite. Le nom de rinstilutcur ou des losUiuteurs y serait indiqué avec une sorte de notice personnelle. Chaque visite pourrait faire l'objet d'une note sommaire montrant ainsi les fluctuations de Técole. On y consignerait également tout •a. qui intéresse 'école, au point de vue matériel, les amélioralionsr lèaliaéesy celles qu'il y a à réaliser encore.

» Il est fisLcile de comprendre les services que rendrait un semblable tnvaii. L'inspecteur nouvellement nommé serait, eu quel({ues heures, mis au courant des questions les plus importantes qui ligardent sou service: il connaîtrait Tappréciation portée sur les BMÎtres, la faveur dontjouitTécoledans la commune, les démarches qBi ont été faites en vue des améliorations désirables et leurs^ lésultaia. il constaterait les résultats obtenus dans les écoles, les bêotB et les bas des maîtres qui les diri};ent ou les ont dirigées, F«prit de la population, etc., etc.

9 Combien de semblables indications, présentées sous une forme •eneise et pourtant sutfisamment claire, faciliteraient les débuts d'un inspecteur primaire dans une circonscription et diminueraient les dlifficultésde sa tache quotidienne I 11 trouverait une foule de ren- seignements que souvent il ne peut obtenir qu'à grand*peine et fgfêee à une correspondance laborieuse.

» Je ne parle pas, parce qu'il frappe les yeux, de l'avantage que ce registre ofl'rirait à l'administration supérieure do pouvoir toujours lûre faire facilement, à un moment donné, un travail de statistique, imposer de longues recherches et un travail pénible aux in- ira primaires ».

La proposition de M. Dorget nous semble mériter d'être étudiée.

DE LA LANGUE FRANÇAISE EN SUISSE

Quatre langues sont parlées en Suisse :

VaUemand par 2,030,792 habitants d'après le recensement de 11880, soit 71.4 0/0:

Le f rôtirais par 608,007 habitants, soit 21.4 0/0;

Vitalien par 161,923 habitants (Tessin et Grisons):

Le romanche par 38,705 habitants (Grisons).

D'après la superficie, 9,000 kilomètres carrés sur il,400 sont 'Occupés par les habitants de langue française. Ce sont les cantons de Genève, Vaud et Neuchfttel en entier, et une partie des cantons .Berne, Fribourg et Valais. Cependant, dans les trois premiers cantons, la population allemande tend à s'accroître. D'après le recensement de 1860, les rapports étaient plus favorables au français : 23.6 0/0 contre 69 0/0 d'habitants parlant l'allemand. On ne possède pas de documents antérieurs offrant des garanties suffisantes pour établir une comparaison. L'allemand gagne aussi sur le romanche» qui, en 1850, était parlé par 42,000 habitante.

Si nous disons qu'on parle français dans les cantons de Vaud, Fribourg, Valais, il faut encore faire une restriction: à la campagne on parle encore un jxitois qui n'a que peu de ressemblance avec le français littéraire. Cependant le patois disparaît rapidement.

Les examens des recrues que la (^.onfédération fait subir à tous les jeunes gens de dix-neuf ans (en même temps que la visite sani- taire) fournissent des observations intéressantes. Les travaux écrits * faits par les recrues de langue française sont en général inférieurs à ceux faits par les recrues de langue allemande. Sans doute Tin- fluence du patois y est pour une grande part; mais je suis convaincu que lea difficuUés de ^orthographe franraise et ienseiifttement du fran- çais tel qu'il a été donné jusqu'à ces derniers temps ^ y contribuent beaucoup. Cet enseignement a été trop abstrait; on a toujours eu en vue l'orthographe ; on a consacré un temps précieux à faire apprendre ce que M.F.Sarcey a appelé les chinoiseries de l'orthographe. Dans les écoles allemandes, l'orthographe n'offrant que peu de difficultés, on peut consacrer le temps qu'on perd ici avec les dict*^ à des lectures analytiques, a de nombreux exercices de composition, •etc., et tout cela est plus profitable à l'esprit des écoliers que les exercices d'orthographe.

Si V Alliance française pouvait peut-être travailler aussi à amener

■non pas « une rnxÀution qui bouleverserait toute notre orthographe,

mais une simple êix)lution, > elle faciliterait non seulement l'étude

du français aux étrangers, mais elle aurait bien mérité aussi de la

jeunesse française.

DE LA LANGUE FRANÇAISE EN SUISSE 237'

Encore un mot sur l'étude du français dans les écoles de la Suisse allemande. En général on y consacre passablement de temps. Dans eertaîns établissements d'instruction moyenne du canton de Zurich^ il y a 5, 6 et m^me 7 heures de français par semaine. Puis, beau- coup de jeunes gens et de jeunes filles viennent passer une année oa deux dans la Suisse romande ou française. Dans les deux classes supérieures de rÉcoIc industrielle de Lausanne, par exemple, il y a plus d'élèves d'origine allemande que d'élèves indigènes. En outre il y a dans toute la Suisse romande un nombre infini de pen- sionnats. Les jeunes filles ou les jeunes gens dont les parents ne sont pas assez riches pour payer le prix de pension viennent comme volontaires, comme bonnes, etc. N'exigeant pas 'de gages, ils demandent seulement un peu de temps libn^ pour étudier le fran- çais. Très souvent les parents font aussi des échanges: on envoie sa fille dans la Suisse allemande et Ton reçoit dans sa maison un enfont des bords de TAar ou de la Limmat. Le résultat de tout cela est que, dans la Suisse allemande, presque tout le monde sait on peu de français. D'ailleurs, ces jeunes gens se donnent en géoàral beaucoup de peine et, dès qu'ils savent vingt mots de fran- çais, ils ne manquent jamais une occasion de les faire entendre, tandis que les élèves de nos écoles, après avoir eu des leçons d'allemand pendant plusieurs années, ne se décident que diffici- lement à faire usage de ce qu'ils ont appris.

(Extrait du deuxième Hullelin de YAlliance frmifmse.)

PRESSE ET LE PROJET DE LOI

KEIATIF AUX BUliYENTIONS DK l'ÉTAT POUR INSTALLATIONS

SCOLAIRES

Le projet de loi que discute en ce moment la Chambre des députés, et qui déterminera le mode et La quotité des subven- tions allouées par TËtat aux communes pour leurs installations d*écoles, a donné lieu, dans la presse, à des appréciations très diverses qu'il nous paraît intéressant et utile de faire connaître aux lecteurs de la Revue, C'est une occasion toute naturelle d'exposer nettement la situation, de relever bien des erreurs, de dissiper i)ien des préjugés et de présenter une si importante question sous le point de vue le plus juste et le plus impartial.

Nous provenons d'abord du parti que nous avons pris de ne tenir nul compte des objections et des attaques qu'a évidem- ment inspirées la passion politique. 11 est un camp, tout le monde le reconnaît, une loi, la meilleure, la plus nécessaire, la plus lé^'ilime, la plus populaire, est assurée de ne rencontrer que des agressions violentes, que des dépréciations calomnieuses. Pourquoi? ("est très aisé à trouver. La loi est fatalement exé- crable parce que c'est le gouvernement de la République qui Ta préparéo, mûrie et édictée. Certes, les adversaires n'avouent pas toujours ce mobile unique de leurs jugements ; mais on sent circuler dans leurs phrases comme une sorte de venin et de liel. A quoi bon répondre et réfuter? lis sont prévenus. Leur siège est fait.

El cependant, s'il fallait les confondre, le mot déoisif viendrait facilement aux lèvres : Qu'avez-vous fait, vous? Vous avez eu près de cent ans de pouvoir. Qu'est-il sorti de vos mains? « Dans quelle misérable situation, dit très justement le Siècle, (io décembre 1884), les régimes antérieurs à la République avaient-ils donc laissé tomber l'enseignement primaire et tout ce qui s'y rapporte, qu'il a fallu s'engager dans des frais aussi considérables pour le mettre dans un état correspondant aux hesoins d'une grande nalion? Cette réflexion a depuis longtemps frappé les esprits; mais, puisque nos adversaires prennent soin.

LES SUBVENTIONS DE l'ÉTAT POUR INSTALLATIONS SCOLAIRES 230

(Mur leurs attaques inconsidérées, de lui rendre son actualité» il 6St utile de la rappeler. Ils parlent d'un gouffre les ressources financières du pays disparaissent. D'abord^ elles ne disparaissent pas. Les écoles qui peu à peu s'élèvent sur toute la surface du territoire témoignent du bon emploi qu*on en a fait. » Aussi la Petite République, relevant le reproche si rebattu d'élever des palais pour les enfants des écoles primairesç a-t-ello pu dire : c Notre église à nous, républicains démocrates, c'est l'école, qui est en même temps la mairie, qui est la maison Ton vote, l'on se marie, Ton élève les jeunes essaims de la ruche natio- nale ; qui est, en un mot, Je centre de la vie communale, poli- tique et sociale, la maison des riches et des pauvres, la maison de tous. Et on se plaint de sa magnificence ! Ëh bien, je dis, flooi, que dans vingt ans, quand Tinstniction populaire portera fies fruits, quand chaque école aura son enseignement profes- si(Minel, je dis que ces maisons paraîtront à nos enfants chétives, étroites et misérables, et qu'ils ne reprocheront à leurs pères qu'une chose, c'est leur parcimonie. »

Le projet de loi qui nous occupe a pour' objet d'as- surer au\ communes les ressources dont elles ont besoin pour satisfaire aux prescriptions légales en ce qui concerne les établissements destinés au service de l'enseignement supérieur, de l'enseignement secondaire et de l'enseignement primaire. Depuis le i*'^ juin 1878, une caisse spéciale avait été instituée dan?, le but de fournir pour les bâtiments scolaires dos avances et des subventions. Nous n'avons pas à présenter ici l'historique de cette institution. D'abord exclusivement consacrée aux écoles primaires, elle avait peu à peu été étendue aux écoles normales primaires (9 août 1879), puis aux lycées el œllèges commu- naux (3 juillet 1880), enfin aux lycées de jeunes filles (2 août 1881). Seul renseignement supérieur c.lait resté élrangtr aux bénéfices de la Caisse des lycées, collèges et écoles primaires. Prévues d abord à 1^20 millions de subventions et d'avances, les ressources affeclées à l'institution par le Parlement se sont pro- gressivement élevées à o42 millions de francs, dont !à47 millions pour avances, et 5:95 millions pour subventions. Or, comme le constate ÏExpoaé des motifs du projet de loi, « la combinai- son financière de la loi de 1878, déjà très sensiblement moiifiée

240 BBYUB PÉDAGOGIQUE

depuis 1883, en ce qui concerne les subventions, ne peut recevoir d'extension nouvelle,... on ne pourrait imposer à la dette flottante un supplément de charges sans dépasser les limites que la prudence assigne aux engagements à court terme du trésor public ». Il a donc fallu recourir à un système nou- veau qui permit à l'État de continuer à prendre une part con- tributive proportionnelle danslesdépenses scolaires descommunes. Ce système est précisément toute l'économie du projet de lof actuel. Nous l'exposerons très brièvement.

En premier lieu, l'administration a eu soin de faire procéder à une enquête qui établit exactement les besoins à prévoir. Elle a fixé ensuite, en ce qui concerne l'enseignement primaire, un devis uniforme pour chaque catégorie d'écoles. Sans ces bases premières, aucune évaluation n'eût été sûre, aucun calcul certain. Plusieurs journaux ont reproché au gouvernement d'avoir négligé à l'origine d'installer ces assises fondamen- talcH. Vous n'aviez rien prévu, disent-ils, et vous avez jeté le pays dans des dépenses ruineuses, indéfinies, insensées. < En 1878, s'écrie l'un d'eux, la caisse des écoles promettait de faire le nécessaire avec 130 millions, et aujourd'hui le ministre... avoue que le gouvernement a marché de l'avant sans avoir évalué avec un degré de précision suffisante les dépenses aux- quelles il avait à fain* face. »

Sur quoi nous remarquerons que jamais homme sensé n'a pu croire que la caisse des écoles répondrait, avec sa première dotation, à tous les besoins scolaires de la France. II ne s'agis- sait alors que de subvenir aux demandes les plus impérieuses et les mieux, nous devrions dire les plus douloureusement motivées. Il était fort naturel aussi de procéder par tâtonne- ments à une époque la loi prenait son premier essor, aucune prévision n'eût été possible, tous ignoraient quelles seraient la force et l'étendue de l'impulsion que l'on essayait d'imprimer. V Exposé des motifs contient en outre ces observa- tions fort judicieuses : c II manquait d'abord, pour fixer le nombre des constructions à élever, un texte de loi qui posât la limite entre les constructions obligatoires et les créations facultatives. Cette distinction n'a été faite que par les deux lois des 38 mars 1883 et 20 mars 1883, qui ont établi, l'une, l'obli-

LES 3UBVKNT10N» DB L'ÏTAT POUR INSTALLATIONS SCOLAIRES 241

gatioii de l'enseigiiemeiit primaire, l'autre, l'obligation de créer une école de hameau dans des conditioQS dctermiaées de distance et de population. Pour fixer ensuite avec certitude le montant des évaluations, il fallait que l'État pût arrêter une sorte de devis uiiiformc el rcruser son concours à toute dépense dépassant le taux nonrial. L'établissement de cette sorte de tarit' général ne pouvait prendre place dans la loi avant qu'une longue pratique eût permis d'en réunir et d'en contrôler tous les éléments par nature de construction, par départements et par catégories de CMnmuaes. » Aussi, bien qu'une enquête sérieuse eiU été laite. dès 1882, le gouvernement a réuni, en 188{, des documuals plus complets et plus j^récis, « au moyen d'un relevé direct des besoins signalés, comniune par commune, sous le double con- trôle de l'administra tiuii j)réfecloriiIe et de l'administration aca- démique 1.

Les chiffres que donnent toutes ces previsions soigneusemont calculées sont les suivants : Les dépenses qu'exigent les éta- blissements destinés à l'cnseigiiement supérieur sont de 49 millions de francs ; l'enseignement secondaire a besoin de ISO millions de l'rancs ; enlln l'enseignement primaire de 460 millions de francs. Le total général est de 3{}^ millions de francs, une l'ois déduite la somme de 'Ai inillioas de francs qui restait disponible sur le fonds d'avances de la caisse des écoles et que le projet de loi aHecte pour 22 millions de francs en subventions aux établissements d'enseij^nement supérieur, pour 12 millions de friucs aux établissements d'enseignement secon- daire. Le nombre des établissements d'enseignement primaire que vise le projet est de 2o,0d7, en y comprenant les écoles primaires su|>érieures el les écoles maternelles.

Pour fournir k la dépejise. lus communes emprunteront à un établissement de crédit la somme dont elles ont besoin. Elles auront la faculté d'amortir leur emprunt en 40 ans. La part que prendra l'État aux cliarges contractées par les communes sera une allocation représentant une partie des annuités d'in- téiél et d'amortissement de l'emprunt. Le clnlfre moyen maxi- mum de ces subventions ne devra pas dépasser 50 0/0. En ce qui concerne l'enseignement primaire, la proportion dans laquelle l'État contribuera au paiement des annuités ne pourra,

■ITUt ptDAOOGiqUE ISSb. 1" SEa. IG

!242 MSVUC PÊDA«OGtQirt

en avciin ofts, éire supérieare à 80 0/0 si ÎDférkHire à •ô/i» La valeur du «ealwc comonmal et les cbaî^ges 4e la cosnMia^ dôtennhieront^ d'après des données «fiiforraes et inficxibtes., la part de subvention snr laqueMe pourra compter la maiiicîpatlté.

Cette ekposîiion sommsûre suffira, nous l'espérons, pour (lonnier un aperçu des dispositions et des innox'afions de latoi. Nous ne cheroherons pas àdérnoottrer 4es avuntat^ qU'oUefiié^ sente, nous renvoyons nos lecteurs à TJS'jnpo^p des m^Hfr dont les mirnstres ont fait accompagner )e projet, il nous eût été iinpossiMe de roproduire ou même d'analyser octte |Nèoe si intéressante, au cours de ces pages succinctes et 'rapides.

Toute la presse française a remanrqué que reoseigoement supérieur avait été introduit dans les prévisions du projet, alors que jusqu'ici 4e8 libéralités de TË^t en sa faveur avaient «eu un caractère plus aléatoire. Ce n'est pas que les villes et èes départements eussent seuls pourvu à l'instaHation de leurs faoul- tés ou de leurs grandes écoles. En l'espace de quinze ans ^'ÉUt a dépensé ou engagé plus de 30 millions au profit -de ces étaUis- semcnts. Mais aucune loi n'avait assuré des ressources spéoialeiB )>our celte fraction importante, capitale de l'enseignement. Aussi la commission du budget ayant résolu d'exclure l'enseignemeflÉt supérieur du projet de loi présenté par le gouvernement, les voix les plus autorisées ont énergiquement protesté oontie cette <iécision. Il n'est aucun de nos lecteurs qui ne se rappelle la lettre si vigoureuse, si noble et, nous dirons, si indignée que M . Berlhelot adressait au directeur du Temps.

<n Sommos-'nous donc condamnés, disait-il, à tme infériorité sans remède dans la haute culture de l'esprit ? Sommes-nous destinés à manquer à jamais, sinon d'hommes ils ne «font certes pas défaut mais d'outils dans le haut enseignement ? i\otif*e jeune démocratie est^lle jalouse de itester dans «une infé- riorité intellectuelle définitive vis-à-vis des empires et des mo- narchies qui nous entourent? Veut-elle rompre sans retour avec la tradition intelleotuello, scientifique ot artistique de la Fcance?

» La question est aujourd'hui posée et va être (résolue pour de longues années. On s'obstioe donc a ignorer, de parti ptie, que renseilfaement primaire et l'enseignement secooÂiîfe tirent leur sobstanoe et leurs tnélliodes de i'enseîgneBienK «upériour^

LES SUfiVEMloNS liK l/ÉTAT POUR liSSTAlXATlONS SCOLAIRL'S fi^

On s'obstine à i^i^norer que la prodactioQ mdustrîeTle -6t agriocrie d'un pays dépend de la façon la plus directe des déoouTcrtes scientifiques qui se font dans les laboratoires de ses hautes écoles et de ses facultés. L'exemple de la puissance doMfae jour croissante de l'Allt^magne, dans Tordre matériel iuuii bien que dans Tordre industriel, n'a-t-il pas ouvert les yeiH? L'enqurte mrmc si laborieuse à laquelle la Chambre vient de se livrer sur la crise que nous traversons n'a-t-éFle pas montré que les causes on tiennent à notre défaut d'éducation scientifique autant qu*à des raisons économiques? J'aurais bien long à vous en dire sur cette matière, navré que je suis par tanl d'imprévoyance et d'aveugicraertt sur les conditions qui rt^glenl la grandeur des peuples et le développement de la civilisation. Mais le temps presse, le danger est imminent; un nouvel «ffort va être tenté, e( y dois me borner aujourd'hui à j^•ter <^e cri d'alarme et à réclamer votre aide dans cette œuvre patriotique. » Ces paroles ont eu un grand rotenlisseinent, et il e.<t peu de joarnavx qui n'aient félicité la commission du budget d'avoir renoncé à sa résolution première et de s'être rendue aux argu- ments que M. Fallièn>s a développés devant elle. La Jitslice, entre autres, a publié dans son miméro du 6 février dernier un remarquable article elle fait ressortir l'importance qu'ont attribué 11 Tenseif^nement supérieur tous les grands hommes de la Révolution. <^ Tous les décrets des aâseinblées révolutionnaires sur l'instruction publique, dit-elle, ceux des 3-14 septembre 1791, il avril 1792, âO octobre 1793, etc., respectèrent ce grand principe: que le domaine des études devant s'étendre indëffi- niaient au fur et à mesure que s'accroît le trésor du savoir humam, Tenseignement supérieur, gr<Yce auquel les connais- smces s'étendent et Thorizon des découvertes et des sciences s'agrandit, doit ^tre l'inspirateur, le régulateur et le guide des enseignements primaire et secondaire. »

il est vrai « qu'il ne pouvait entrer dans la pensée de la com- miBgion c'est le Temp^f qui parle de refuser & Tenseignemeflt supérieur les inslallations et les outils dont il a besoin. Elle se ppofosnit d'y subvenir par des Icris spéciales. Mais, du moment qd^OB se voulait pas refuser les crédits, pourquoi refuser 4e les prtvoir, et surtout, « la combinaison imaginée par Ye gmi-

2i4 R£VL*£ PÉDAGOGIQUE

vernement pour les dépenses des deux euseignemeuls priuiairo et secondaire est avantageuse à l*£tat, pourquoi ne pas user du même mode financier pour payer celles de l'instruction supé- rieure ? Toutefois, ce qui nous paraissait le plus fâcheux, c'était que, par cette exclusion, le projet de loi se trouvait dénaturé dans son essence. Ce qui nous y plaisait avant tout, en effet, c'était le caraclère universel et complet du programme établi. Par cela même ce programme était limitatif. S il impose de lourdes charges au pays, du moins il les détermine exactement et permet de mesurer Teiforl à faire. En finance comme en politique, ce que le pays redoute le plus, c'est Tinconnu. Or, dans le projet du gouvernement... tout est calculé sur des données précises. Une enquéle minutieuse a été faite, les devis ont été dressés et l'on se trouve en présence d'une tâche consi- dérable sans doute, mais strictement limitée. »

Nous ne saurions, au cours de cette étude, dédaigner deux objections que le projet de loi a soulevées. La première a trait aux dépenses du personnel enseignant qu'entraîneront les installations scolaires de l'avenir. « Les cages construites, dit le Moniteur Univerae/y il faudra y mettre des oiseaux, et ces oiseaux. Ton devra les nourrir. »

Une confusion a certainement été faite entre la création et la construction des écoles. Un très grand nombre des édifices à élever recevront les enfants, très mal logés, d'écoles dès long- temps existantes et pourvues de leurs maîtres. L'objection n'est donc pas même spécieuse et elle ne tombe que sur la loi de /'o6//- gation de l'enseignement primaire, laquelle loi n*estpas en cause.

Mais, demandt^-t-on d'autre part, « parmi les écoles primaires à bâtir, nous en notons 3^318 qui se sont contentées jusqu'à présent de locaux prêtés ou loués. Est-ce qu'avec quelques améliorations partielles on n'en pourrait pas conserver le plus grand nombre dans leur logement actuel? »

Que l'on veuille bien ne pas oublier le laps de temps consi- dérable qui s'écoulera avant l'installation complète et définitive de toutes les écoles dans des locaux appartenant à la commune. VExposé de.s motifs reconnaît qu'il s'agit d'un « ensemble d'opérations qui ne peuvent évidemment être menées toutes de front et réalisées à bref délai. Quelles que soient les ressources

LES SUBVENTIONS DE l/ÉTAT POUR INSTALLATIONS SCOLAIRES ^2\i)

que le pays puisse consacrer à uq aussi vaste travail, on se tromperait assurément si l*on admettait qu'il soit possible de l'achever en moins de douze à (juinze ans. » Et encore ce n'est là, fait remarquer le Temps « qu'une indication théorique. Le projet de loi lui-même, fort sagement du reste, ne pose aucun délai. » Il en résulte que les communes ne seront point harcelées pour construire des maisons d'école si les enfants sont convenablement installés dans des locaux à bail. Mais on avouera que l'intérêt des communes, celui des écoles et des enfants, le vœu de la loi et Tentrainement même auquel obéissent les municipalités désireuses de bien faire, tout promet que, dans un avenir plus ou moins rapproché, les locaux des écoles appartiendront aux communes. On favorise le mouve- ment, mais on ne songe pas à le précipiter.

0 nous semble avoir sutBsamment indiqué les diverses appré- ciations qui se sont produites à l'occasion de la loi aclucile. Nous ne saurions terminer plus heureusement ce bref aperçu qu'en citant les réflexions suivantes empruntées, l'une à VExpwté des motifs du projet de loi, l'autre au journal le Temps, a Intéressés désormais, remarque le premier, aux conditions des emprunts à contracter pour subvenir aux dépenses^ les départements et les communes tiendront d'eux- mêmes compte des nécessités qu'impose à certaines époques le renchérissement de l'argent et de la main-d'œuvre et seconde- ront l'action du gouvernement qui doit préserver de toute atteinte l'avenir de la fortune publi(|ue, sans interrompre l'œuvre de moralisation et d'enseignement que le Parlement a entreprise. /> Quant au journal, il déclare l'opération excellente pour ri'^^tat, mais il craint que les communes n'aient moins sujet de s'en féliciter. Toutefois il leur suggère une raison sérieuse et élevée de se consoler : « Du moment qu'on les charj^e de contracter les emprunts nécessaires, il est impossible qu'ayant plus de responsabilité on ne leur accorde pas égale- ment une autorité plus grande. Elle viseront à l'économie ; elles feront l'emprunt le moins lourd possible, et, en ce faisant, elles serviront les inténHs de l'État comme les leurs propres. »

Alphonse Martin.

NOTE EN RÉPONSE A CETTE QUESTION :

Ul bonne tenue et du saiuoir-i:ivre danê les écoles normales de filles. Comment enttndre cette partie de V éducation? quelle ànporlance lin attribuer ? H quels sont les meilleurs itioyens à employer ?

Le programme de nos écoles, si abondant et détaillé qu'il soit,

t résierve aucun paragraphe spécial à l'enseignement de la bonne tenue et du savoir-vivre. Cest que dans la pensée des rédacteurs de ce programme, qui est aussi celle de tous les gens sen>és, si la bonne tenue et le savoir-vivre peuvent être enseignés, ils doivent l'être autrement que Thistoire ou la littérature, la géométrie ou la chimie* Il n'y a point et ne doit point y avoir de cours suivi dr bonne tenue et de savoir-vivre, parce que ni la bonne tenue ni le ■avoir-vivre ne sauraient se reluire à l'observation de quelque.- règles simples et faciles que la logique aurait comprises et la mémoire retenues. Le savoir-vivre et la bonne tenue sont la mani- festation extéiicure de notre âme tout entière. Au lieu de faire l'ob- jet d'un eours, ils doivent être le souci perpéiuel de la directrice et des proiVsseurs. Pour s'en convaincre, il suffît de se demander en quoi consistent la bonne tenue et le savoir-vivre.

La bonne tenue est plus extérieure que le savoîr-vivre ; elle dé- signe surtout la miie, les manières, ce qui fra()pe à première vue dans une personne et qui fait qu'on la juge déjà suc son air sans même l'avoir entendue parler. Le savoir-vivre a quelque chose de plus intime : c'est la manière dont nous comprenons et réi^^lc ns nos rapports avec autrui, et, pour préciser notre sujet, il s'applique airx rapports qu'une élève d'école normale doit avoir avec ses compagnes, ses professeurs, sa directrice.

La bonne tenue est le sij^ne extérieur du rrspect de soi-même. Nous sent(ms notre propre valeur, nous avons le souci de notre dignité personnelle, nous rougin >ns d'ôlre vêtus avec négligence, d avoir des manières brusques ; nous voulons que notre extérieur nous désigne, aux regards d'au truiy comme une personne bien élevée, digne d'es- time ; ainsi l'amour-propre et le besoin de considération s'ajoute au respect de soi-même et contribue à nous donner le dé.sir et le goût de la bonne tenue.

Le savoir-vivre a son origine dans le respect d'autrui. L'estime que nous éprouvons pour nos semblables be manifeste par noUe amabilité à leur égard, par la politesse de notre langage. La déli- catesse des sentiments est la condition essentielle de tonte prévenance, la vraie politesse, on l'a dit, est celle du cœur. Mais le savoir-vinre exige aussi la prudence et la finesse, le tact et la discrétion^ qua- lités qui s'acquièient en partie par l'expérience de la vie, par la pratique du monde. Trop de précipitation nuit, apprenez à vous tenir sur la réserve, agissez avec circonspection ; elle parole ([ue

LA BONNE TENliB ET LK SAVtrlK-VlYKi: !MT

-voMft «trayez inolTensive ou même bieiiveillanle déplaira peut-èire. tmioÊï caractère de la persoime à qui vous ladressez et la ailuation ^espril 011 elle se trouve ; retenez voire langue : ainsi voiui ferez preuve de savoir- vivre.

Le sa>oir-vi>re rend la vie en commun larih^ et u^Tôable; sans lui, elle serait insupportable. Dans une école normale, combien sont firéqueats les rapports do compagne à compagne, d élève à maîtresse. de professeur À directrice, et, dans ces rapports, que d'occasions la vanité peut se froisser, la susceptibilité jalouse s*éveiller! (inice .au savoir*>ivre, Texcès est évité, les bonnes apparences conservées: une fois la Icmpôte apaisée et le cahne reconquis, il en coûte moiins de revenir et de se muntnT au debors telle qu'on a pas ce.'^sé d'être. Ceci s'applique surtout aux maîtresses, dira-l-on; j*en convienh, mais les (4èvcs ont l>esoin aussi du savoir-\ivro. l/école nonnale est pour elles l'image de la socict'. Du ie«.ie. ne devons-nous pa»^ les préparer à la vie publique à laquelle elles sont destinée^? Voyez rélève-maîtrosse devenue in>titutrice : de ']uvA prix inestimable sont fMNir elle la bonne tenue et le savoir-vivre! La femme e>t le roprr- «entant de ce que la civilisation a de |)lus doux et de plus fm. A «-île la noble làehc de rendre à ceux qui rt'iitourent la vie douce et heureuse, à elle le soin de polir les aspérités et d'adom^'r 1b> angles, à elle «lone le souci de la bonne tenue et du savoir-vivre. qualités féminines avant tuut. t'ne in^tilutriee devrait les posséder an plus haut de^ré, parce que nou-seiilenitMit elle e^l femme mai^ elle doit élever îles femmes.

Nos élèves, il faut bien l'avouer, sont assez loin de cet idéal ' se complaît rolre imagination. Nous sommes du peuple, nos élèves tUMit les enfants du peuple. Klles peuvent êlre franches, sincères. bonnes, dévouées, mais leurs manières sont un peu rustiques et leurs fa<;OQS «Tai^ir parfois grossirres. Comment letir apprendre la bonne tenue et le savon-vivre, comment leur infuser ces qualités, féminines sans doute, et conciliables avec leurs précieuses qualités natives, mais un peu aristocratiques/

Y a-t il un ensemble de règles lixes auxquelles nous puissions re- courir au besoin/ La première règle à établir, c'est qu'il ne faut point d*étiquelie inviolable, point de. cérémonial rigoureusement im- poeé. Les élèves sVn tiendraient à la lettre sans cher< liera pénétrer l'esprit; elles pourruieul acquérir une sorte de polites>e formaliste, un veruis de bonne tenue et de savoir-vivre, utile sans doute, mais qui na de valeur qu autant qu'il est l'image fidèle des idées et des sentiments, sans quoi il n'est qu'alfectalion et hypocrisie. Qu'on laisse aux élèves la lil»erté nécessaire à la manile^tation de leur caractère, de leurs goût»* et de leurs préférences. Ou'elli^s soient ou- vertes et contian tes, (qu'elles se montrent telles qu'elles sont, mémi; un peu rustiques. Nous pardonnons volontiers une iinpoliiesse due a rignorance, nous serions sans pitié pour une fausse démonstration d*amitié, pour une (laiterie intéressée: nous n'admetlons pas le savoir-vivre et la bimne humeur indépendants de rélévalion de l'esprit, de la noblesse du cu^ir.

Ccfiendant la bonne tonne et le savoir-vivre s'enseignent dans une

•certaine mesure. Reconnaissons d'abord que dins toute communauté

de femmes, il s'établit un courant d'urbanité et de pnliiiv^se qui gagne

S48 RKVUK PÉDAGOGIQUE

peu à peu les plus revéches. (lerlaines natures d'élite, délicales et douces (il en est dans toutes les conditions) agissent sans le savoir, influent sur leurs compagnes. Le frottement journalier adoucit les aspérités du caractère, on se polit par le seul fait qu'on vit en so- ciété.

Ajoutez à cela les petites soirées récréatives que les élèves- maîtresses donnent ies jours de grandes fêtes. KUes invitent leur directrice, leurs professeurs; elles se font un honneur de les bien traiter; elles s'ingénient à les satisfaire. Pour un soir, on oublie la iittératurc et rhistoire : point de chronologie qui perce à Fhorizon et rembru- nisse les visages épanouis. On est en famille, on est heureux : élèves et maîtresses se rapprochent davantage, se connaissent mieux, et de ce contact résulte pour les élèves un progrès moral réel et un pas de plus dans l'apprentissage de la bonne tenue et du savoir-vivre.

11 est bon, eu effet, que nous voyions nos élèves autrement quVn professeurs. Du haut de la chaire, interrogeant notre auditoire, ou exposant notre leçon, nous nous sentons en communication avec nos élèves, mais surtout avec leur esprit. Leur caractère ne se révé- lera vraiment à nous que si nous les suivons de près dans leur vie quotidienne. Voyons-les pendant leurs récréations, mêlons-nous leurs jeux et à leurs causeries. Nous les obligerons ainsi à une tenue convenable, à des manières respectueuses en même temps que familières. En outre, plus nous verrons de près nos élèves, plus nous aurons l'occasion de leur donner tantôt un bon conseil, tantôt un avis charitable, tantôt une réprimande. Quelquefois il suffira de dire à l'élève : « Votre action est indigne d'une enfant bien élevée » ; mais souvent il sera bon de porter le doigt plus avant, de désigner à rélève coupable le défaut de cœur ou d'esprit que sa faute révèle. Car nos élèves pourraient se persuader que si elles n'ont pas la poli- tesse extérieure, le savoir-vivre, elles ont du moins la politesse du cœur; prouvons-leur ouelquefois que c'est précisément celle-là qui leur a manqué dans telle ou telle circonstance. Elles en seront frap- pées à coup sur. Mais comment savoir le moment il faut répri- mander et de quelle manière il convient d'adresser la réprimande ? Le grand secret, c'est de vouloir bien faire. Que l'éducation de nos élèves soit notre unique souci; alors notre vigilance sera incessante, nous profiterons des moindres occasions pour travailler à réformer le caractère des élèves et pour leur apprendre aussi que les dehors ne sont pas à dédaigner. Ce sera pour nous une récompense parti- culièrement attrayante de voir nos jeunes filles se perfectionner en ce sens et devenir non-seulement meilleures, mais plus aimables.

Une maUresse-adjof'nte.

LE CLASSEMENT DES MOTS DANS NOTRE ESPRIT

Dans Ja dernière séance publique des cinq Académies, M. Michel Bréal a donné lecture d'un mémoire fort remarqué sur le classe- ment des mots dans notre esprit. C'était d'ailleurs plutôt un essai qu'un travail définitif, de Taveu mémo de l'auteur, qui avait eu sur- tout en vue d'appeler Tattention des philosophes, des philologues et des pédagogues sur un fécond sujet d'étude. Ce mémoire, qui a paru dans la Herur liftera ire, pose donc plutôt la question qu'il ne la résout. M. Michel Bréal est surtout frappé de la facilité avec laquelle Tesprit trouve, dans les diverses acceptions d'un môme mot (le mot titre par exemple), ri'lle qui répond à Tordre d'idées il est entré. D'après M. KerckholTs, qui a publié un article à ce sujet dans VHommc, journal des sciences anthropologiques, cette facilité s'explique tros simplement par l'association des sons et des images.

Les mots, dit-il, peuvent se présenter à notre esprit sous un double aspect, comme signes graphiques et comme signes vocaux. Ils se présentent généralement comme signes graphiques lorsqu'ils appartiennent au vocabulaire d'une langue étrangère que nous avons apprise par les livres et que nous ne savons qu'imparfaitement : si je songe, par exemple, à un temps d'un verbe sanscrit, il me semble voir en quelque sorte l'image du mot écrit devant mes yeux. Les mots de la langue maternelle, au contraire, ont été perçus et fixés dans notre esprit sous la forme de phénomènes acoustiques et r'est comme tels que la mémoire les reproduit ordi- nairement. Or l'image de l'objet et son signe vocal ont été perrus en môme temps, les deux signes se sont associés et je ne puis évoquer l'un sans faire, en même temps, apparaître l'autre. Mais si un mol a plusieurs acceptions, si à un môme signe vocal se sont successi- vement associées des images dilTérentes, qu 'arrivera- t-il? Le seul énoncé du mot évoquera-t-il toute la série de ces dernières? Non. A moins de faire une élude lexicologique, nous ne rencontrons jamais les mots isolés; les différents sens attachés à tel ou tel terme DO peuvent donc se présenter à notre esprit qu'autant que quelque cause vient à rompre l'association présente et accidentelle entre l'objet et son signe. />

M. Kerckhoffs entre ensuite dans d'intéressantes considérations sur les maladies de la mémoire. On oublie plus facilement le nom que la figure d'une personne parre «lue, dans la représentation du nom, de la figure et des qualités d'un individu, ce sont les deux derniers éléments qui sont le plus fortement liés entre eux. Dans les amnésies partielles, la mémoire des noms concrets se perd avant celle des noms abstraits : ce sont les adjectifs et les adverbes que nous oublions le moins facilement. Beaucoup d'idiots, au dire des aliénistes, n'ont même de mémoire que pour les adjectifs. « Cela ne doit pas nous surprendre, si nous considérons que les connexions

2B0 uvux PtoMoaiQVX

organiques qui lient Tobjel à son signe sont bien plus nombreuses pour ridée abstraite que pour Fidée concrète. »

Tout cela est Tort juste. Ce qui ne Test pas moins et ce qui mérite plus particulièrement les réflexions des instituteu^'s portés à multi- plier les explications étymologiques^ c'est ce qu*fijout£ notre auteur en terminant :

« M.. Michel Bréal rappelle fort à propos que nous ne sentons jamais dans le discours le sens étymologique des mots. J'ajouterai qu'il est essentiel qu'il en soit ainsi, et que c est mônue une des premières conditions de tout progrès intellectuel. Ce point a acquis une impor- tance capitale, depuis que la linguistique a établi que la signification primiiive des racines aryennes est essentiellement concrète: sans remonter bien haut, ne savons- nous pas aujourd'hui que dieu n'est autre chose qiio lo (soleil) brillant, que rdme et ïespril sont un veut, un souffle, ({ue sublini' s'appliquait primitivemeui, aux objets sus- pendus au-dessous du linteau de la porte et qii être n'c&t autre chose que se tenir debout? Je crois même qu'il n'y a lien d'exagéré à affirmer que la longue enfance de rhumanité, enfance dont tes découvertes anthropologiques semblent reculer tous les jours les débuts, ne trouve une explicaliou plausible que dans la difficulté qu'o/it éprouver nos ancêtres à se détacher de la signification con- crète des premiers signes vocaux.

s Dans quel embarras d'esprit, en effet, ne se trouverait pas au- jourd'hui celui qui sentirait en parlant le sons étymologique d'une simple phrase telle que; Jetais cmLent? et que serait-ce, s'il lui fallait faire l'analyse et la synthèse des éléments contenus dans le néologisme enfanté par M. Raoul Duval, au Congrès de Versailles, DÉcoNSTiTCTioNNALiSATioN Ic scus du thème vcrbal sti (sta) a été complété et modifié une douzaine de fois par l'addition succes- sive d'autant de préfixes et de suûixcs!

» Aussi n'appellerai-je pas, comme M. Michel Bréal, une lancjue bic^n fu'le « une langue se réfléchit en traits nots et distincts la f> réalité, telle qu'elle s'est montrée aux esprits les plus vifs et les » plus clairvoyants n, est le peuple qui ait jamais saisi le rap- port entre la chose et son symbole? mais toute langue l'as- sociation du mot et de Tidée est si intimement établie que les deux éléments se reproduisent mutuellement, avec une égale netteté, chez tous les esprits cultivés qui la parlent.

» Kt pour résumer en un mot mes objections à la thèse soutenu** par le savant linguiste, je dirai; U n'y a pas de classement (ks diverses acceplkms des mots dans notre esprit^ pas plus par ordre historique que par ordre d'acituisition ou autre, mais simplement association 4lf! suns et d'imayes, »

Concluons que dans l'enseignement primaire surtout, il faut user avec prudence et mesure des étymologies et des exercices lejdcogra- phiques. A^ B.

UN AHÉCEDAIRE HKRKTIQUE

Puisque ia Revue pédagogique provoque les recherches des curieux et des érudits sur les vieux livres scolaires, je voudrais lui en signaler un que j'ai longtemps cherché et dont je n'ai trouve que des réimpressions. Peut- être quelqu^un des lecteurs de la Uevu4if plus heureux que moi, sera-t-il en mesure de résoudre ce petit problème bibliographique.

Dans le catalo^^ue des livres censurés par la Sorbonneeu 1544. on trouve, entie autres livres de classe, outre la Doctrine des Bans En/ans, le fameux et introuvable Calon chreslien d*Ëtienue Dolet, une Introduction famiiiairc a facilement et en peu de temps apprendre la grammaire latine^ etc., un simple abécédaire sous ce titre : ABC des rhrestiens, La réimpression plus ou moins fidèle faite à Charcnton chez Pierre des Hâves en 1620 est un très petit in-8" d(» 1 16 pages renfermant :

P. 3 à 6, Fabécédaire ; p. 17 à 24, 1 oraison dominicale, les dix commandements, le symbole et diverses prières; p. 25 à 44, le catécliisme proteslant réformé; p. 45 à 58, sous le titre Mi- roir de la jeunesse, une série de poésies à Tusage des jeunes enfants; p. 59 ;\ 64, diverses prières; p. 65 à 98, le Vrai/ som- maire de tonte la religion chrestienne; enfin, p. 99 à 116, diverses exhortations et prières.

Une autre réimpression faite à Londres ;iu xvnr siècle pouv les églises françaises du Uefuge ne renferme que 4K pages el s'arrête après le Miroir de la jeunesse.

Dans le catalogue des livres réprouvés de 154t, louvrage que nous cherchons est ainsi désit'né :

c ABC pour les enfans contenant ce qui sensuyt: L'oraison dominicale, etc., monstrant ia manient de soy confesser, pour laquelle spécialement a esté condamné. t>

lo Musée pédagogique ne possède pas dans sa collection de livres scolaires ce précieux spécimen d'un des rares abécédaires qui aient eu les honneurs du bûcher, peut-élreaura-t-il du moins quelques indications à fournir aux chercheurs (1).

>'. Weiss,

Hibliothcraire de In Soch'lc d'Histoire du l^rotestantismff français,

(f) Le Musée pédagogique ne possède pus le curieux volume en question ; OMi» Ifr réiiaclioD de la Retme accueillerait avec reconnaissance les comniu- •leaduos- qu» pourraient lui ôtre adressées à ce sujet. Em Hédacliom.

QUESTIONS

REIATIVES A LA PUÉrAUATKJN AUX EXAMENS DES BREVETS DE CAPACïïÉ

Les réformes que le décret du 30 décembre 188 i a appor- tées dans les examens relatifs aux titres de capacité oui répondu à l'attente générale, et elles ont être arcueillies avec laveur par tous les amis de l'instruction. Néanmoins, il me semble qu'elles soulèveront, dans leur application, surtout en ce qui concerne les écoles normales, un certain nombre de questions sur lesquelles il serait bon d'appeler l'attention des personnes compétentes.

La première qui s'offre à mon esprit et qui me paraît avoir une réelle importance, c'est celle-ci : L'article 23 du décret du 29 juillet 1881, qui oblige les élèves-maîtres à se présenter aux examens du brevet élémentaire à la fin de la première année, sera-t-il maintenu?

Dans l'affirmative, il faudrait modifier les programmes du 3 août 1881 et consacrer, comme je l'ai demandé précédemment au sujet de la préparation aux écoles normales (Reruc jyt^dagofpqnc, numéro du 15 octobre 1883), la première année à revoir et à approfon- dir le programme des écoles primaires et à Initier les jeunes gens aux études réservées pour la ±° et la année. Ce serait peut-être la meilleure des solutions; mais dans Tétat actuel des choses, il y aurait de graves inconvénients à remanier un plan d'études dont l'application complète ne fait guère que commencer.

Ce qui est certain, c'e?t que désormais nous ne devrons plu^ considérer notre première année d'études comme une préparation suffisante au brevet élémentaire tel que Ta établi le décret du 30 décembre. II y a entre le programme de Tune et les épreuves de l'autre une différence qui ne permet pas de les faire concorder. Le jury d'examen pourra poser des questions sur telles parties de nos programmes que nous ne voyons qu'en 2* et en 3* année. Rien ne serait plus préjudiciable à l'enseignement en général, et aux écoles normales en particulier, que de présenter nos jeunes gens à un examen pour lequel ils ne seraient préparés que d'une manière incomplète.

Il ne faut pas d'ailleurs se laisser induire en erreur par des appa- rences trompeuses et croire qu'au moment de leur admission à à l'école normale les jeunes gens pourraient subir avec succès les épreuves du brevet élémentaire.

Cela devrait être, mais combien nous sommes encore loin de compte! Que nous apportent le plus souvent les candidats, sinon des connaissances vagues, mal digérées, parfois erronées? En suppo- sant même qu'ils connussent parfaitement les programmes du cours supérieur, à leur arrivée à l'école normale, les posséderaient-ils

LA PIIÉPARATIUN AUX EXAMENS DU BREVET 283

aussi bien à la fia de la première année, pendant laquelle ils n'en auraient approfondi qu'une partie et négligé le reste ?

On dira peut-être qu'il ne s'agit que de notions tr(»s élémentaires, à la portée de tout le monde. Je l'admets, mais je n'en crois pas moins que ces connaissances, si élémentaires que nous les suppo- sions, devront et m sures, précises dans Tespril du candidat, à Tabri de toute hérésie. Les commissions d'examen ne demanderont, par exemple, que les premiers éléments des sciences: mais se conten- teront-elles de notions vagues, peu éclairées, peu comprises, que le candidat ne posséderait pas assez p(mr pouvoir les enseigner?

D*ailleurs, avec l'organisation actuelle des écoles normales, l'examen du brevet élémentaire à la fin de la première année, s'il a poureiïet d'alléger dans une certaine mesure la tilche des élèves-maîtres, n'est guère fa>orable à la préparation générale du futur instituteur. Qui ne conviendra ([ue les matières sur lesquelles l'élève-maître ne sera plus interrogé au brevet supérieur cessent d'être «Hudiées avec autant de goût? Les preuves ne manqueraient pas.

En deuxième année, l'exercice d'écriture est fait par acquit de conscience, mais non plus a\ec cette application qui produit des progrès. En troisième année, on n'écrit plus pour apprendre à écrire. Aussi, qu'arrive-t-il .'c'est que l'écriture de nos élèves sortants laisse trop souvent à désirer.

L'étude de la grammain*, de la syntaxe, de l'orthographe d'usage et de règle n'occupe plus en deuxième el en troisième année qu'une place trop petite dans l'emploi du temps. Qu'en résulle-t il:* C'est qu'à cliaque instant, «lans Irurs rédactions, uoi jeunes ^tus sont embairassés pour la construction d'une phrase, l'accord d'un parti- cipe, l'orthograplnj d'un mot. Il n'est guère permis d'espérer qu'ils augmenteront leurs connaissances sous ce rapport lorsqu'ils seront livrés à eux-mêmes. Mtîssieurs les inspecteurs d'académie auraienf peut-être des révélations très curieuses à taire au sujet non seulement de la rédaction, mais «'ncore de l'ortlioi^Taphc de la correspondance administrative de leur personnel.

Je sais bien qu'on peut être un bon maître, avoir une excellente école et ne connaître ni les subtilités de la syntaxe, ni les curiosités de rorthogra|)he : muis j'estime qu'un instituteur doit posséder assez bien les règles essentielles de notre langue et l'orthographe courante pour les appliquer aisément en parlant ou en écrivant.

Une bonne écriture n'est pas moins indispensable. Un instituteur ne peut pas a\oir une écriture absolument mauvaise. Il n'est pas nécessaire d'avoir vécu longtemps à la campagne pour savoir ce qu'un simple billet mal écrit peut faire perdre de considération au maître le plus dévoué.

Ce que j'ai dit de l'orthographe et de l'écriture, je pourrais le répéter de la musique et de la gymnastique si l'élève-maître en était débar- rassé dès la tin de la première année. Il suivrait ces cours un peu

par devoir etïiurU>ul pai* bou mission, mais saus ce goût, cet cnlruiii et cette attention que donne seule la préoccupation d*un examen à subir.

A uu autre point de vue, je crois même ne pas tomber dans Texagération en disant que la disposition légale qui place Texamen du brevet élémentaire au bout de la première année a pu exercer une fâcheuse influence sur la vie morale de l'école normale. La majeure partie des jeunes gens mal doués ou paresseux, qui déses- pèrent d'arriver au brevet supérieur à la fin du cours d'éludés, se contentent, une fois qu'ils ont obtenu le brevet simple, d*un travail moins opiniÂlre que celui qu'on serait en droit d'exiger d'eux.

Les inconvénients que je viens de signaler so. reproduiraient pour la plupart si l'examen du brevet élémentaire était remis au bout de la deuxième année.

Est-ce à dire qu'il n'y aurait que des avantages à reporter con¥B»p autrefois cet examen à la fin de la 3* année? Non, assurément. Dans ces questions qui touchent à tant de points, la perfection n'est pas à espérer. Cependant, d'excellentes raisons militent en faveur de ce système.

Toutes les matières seraient étudiées avec une application égale jusqu'à la fin du cours d'études et cela, sans qu'il en résullàt un biim grand surcroît de travail. En effet, la plupart des matières du brevet élémentaire, la morale, l'instruction civique, les sciences, les expliciitioos de lecture, etc., ne se retrouvent-elles pas au brevet supérieur ? Quoique n'étant plus exigibles au brevet supérieur, la musique et la gymnastique, qui constilueat une diversion si utile et si agréable aux autres études, seraient-elles retranchées deTiioraire de la i^ et de la 3<^ année en supposant que l'élève-maître fût pourvu du brevet élémentaire a la fin de la première année?

Quant aux épreuves d'écriture et d'orthographe, elles auraient pour effet de contraindre les jeunes gens à ne point perdre de vue ces importantes matières ; mais dès la i,'^ année, elles n'exigeraient plus qu'un léger travail de préparation. Elles n'entraîneraient aucune modification des programmes. Fallùt-il, pour leur donner une place plus grande, opérer quelques retranchements dans les autres branches, que je n'hésiterais pas à le faire. Car ce qu'il imporlc que nos jeunes gens sachent le mieux, c'est ce qu'ils auront à enseigner aux enfants qui leur seront confiés.

Cette mesure aurait encore pour avantage de permettre de laisser intacts nos programmes de 1881. 11 est aussi incontestable qu'elle contribuerait puissamment à élever le niveau du brevet élémentaire.

Ces diverses considérations m'&mèneronlnelles à demander dr renvoyer à la fin de la 3^ année les deux examens du brevet élé- mentaire et du brevet supérieur? J'avouerai en toute ainoécité qw^ je lie sais pas me décider à formuler une conclusion. A^ant d'arrêter mon opinion sur ce point, je voudrais cannaiire celle de mes coUègues qui ont vu appliquer les deux systèmes et 4)ui. par «onsài^uent . peuvent en parler avec plus de eompétenee.

LA PHÉPAKATIU.N AL\ ^:XA.VIE^^ DU BKKVEl "io^i

Une autre; question, (jui n'a ^ubve a\ec la précédente que des rapports assez éloignés, préoccupe vivement les élèves-maîtres les plus laborieux. Elle a trait à la difficulté qu'ils éprouvent de conti- nuer leur préparation au brevet supérieur lorsqu'ils n'ont pas conquis ce diplôme en sortant de l'érole. Dans la LoziTe, comme dans la plu- part des déf)arlemenls, nous avons formi- un comité àp correction pour la préparation ù distance au certificat d'aplitudc pédagogique cl au brevet supérieur. Nous venons ainsi on aide au\ candidats dans la mesore du possible pour Fétu de de certaines matières : mois il est une branche pour laquelle nous ne pouvons ri<'a. Cela est d autant plus regrettable qu'ils sonl eux-mr*mcs dépourvus de tout moyen 4ie travail. 11 s'agit du dessin d'après le reliei*.

Le choix exclusif d'une collection déterminée de modMcs écarte, clwque année, un certain nombre de jeunes gens du bi'evet ««upérienr. LeB adjoints des grandes villes ont encore la ressource des écoles spéciales de dessin. Mais les pauvres instituteurs da campagne, trouveront-ils un modèle et un maître pour corriger leurs essais ?

Je demandais à Tun de nos anciens élèves, qui se présentait un an après sa sortie de l'école normale, ce qu'il avait fait en des>in? « J*ai dessiné mon armoire ?>, me répondit-il. Frépanition bien insuffisante, il faut l'avouer, pour venir, à Texaroen. dessiner, on trois heures, une feuille d'acanthe ou une amphore.

Cerles, il convient de reconnaître le service qu'on a rendu aux aspi- rants en limilant lo nombre dos modèles parmi lesquels l'épreuve sera choisie. Personne ne conteste la nécessité de développer chez les futurs instiluleurs le goût et le sentiment du beau. Cependant, n*y Burait-il aucun moyen de rendre l'épreuve de dessin moins reidoutable pour les cand dats qui ne sont [dus sur les bancs de l'école normale .* A la première composition prise dans la collection réglementaire ne pourrait-on en ajouter une seconde sur le dessin graphique, dont on fondrait la note avec celle de la première épreuve? Ou bien encore, ne serait-il pas possible d'ôter à l'épreuve de dessin son caractère éliminatoire en la joignant à une autre s^ie d'épreures écrites, celle des sciences exactes, par exemple?

A mon avis, quelque modilication utile pourrait être opérée sous ce rapport. 11 serait malheureux qu'une fois sortis de l'école normale, los jeunes maîtres perdissent l'espoir d'arriver au brevet supérieur.

Ces deux questions ont, à mes yeux, une telle importance, que j'ai cru devoir soumettre à l'appréciation des lecteurs de la lieimr fM^lagoglqiœ les réflcxi ons qu'elles m'ont suggérées. Elles provoque- ront, sans doute, un échange d'idées, qui ne pourra éti-o que très prdfitable aux intérêts de renseignement primaire.

J. SlON.

L'EXPOSITION FRANÇAISE D'EDUCATION

A I.A NOUVELLE-ORLÉANS

La section française d'éducation à l'Exposition de la Nouvelle-Orléans a été ouverte le 8 février dernier par le directeur général M. Burke, bien que les envois de la ville de Paris n'eussent pas encore pu prendre place dans la grande salle qui leur était réservée. A cette occasion, le consul général de France, M. d'Abzac, qui a organisa notre exposition avec un zèle et un dévouement dont on ne saurait lui savoir trop de gré, a tenu à réunir la colonie française pour remercier officielle ment, avec elle, le directeur général et toutes les personnes, présentes ou absentes, qui lui ont apporté le concours de leur bonne volonté soit à Paris, soit en Amérique. Cette manifestation, dont l'Abeille de la Nouvelle-Orléans pubUe un compte-rendu In^s intéressant, trop étendu pour pouvoir être reproduit ici, a été aussi touchante qu'imposante. Toutes les sociétés françaises (et le nombre en est grand, depuis les sociétés de bienfaisance jusqu'aux sociétés savantes, jusqu'à l'orphéon et aux francs-tireurs), avaient répondu à l'appel du consul pour donner une nouvelle preuve de leur vieil attachement à la France ; toutes les boutonnières portaient la cocarde tricolore.

De nombreux discours ont été prononcés. M. d'Abzac a tout d'abord rappelé les noms de tous ceux chez lesquels il a trouvé un cordial et énergique appui: MM. Laf argue, le D** Castellanos, le D^ Turpin, les professeurs Alcée Fortier et de Montluzin, les membres du comité franco-américain de Paris, entre autres M. le comte Dillon, son président, et M. Nicolopoulo, l'un de ses membres les plus actifs: les directeurs et rédacteurs des journaux de la Nouvelle-Orléans et surtout de r Abeille ; M. Mackay, l'un des propriétaires du câble transatlantique Mackay-Bennet. Nous ne pouvons citer tous les noms: mais nous devons un témoignage particulier de reconnaissance au général Eaton, directeur du Bureau d'éducation de Washington, et à son assistant, M. Smith, pour le concours qu'ils ont prêté à M. Ben- jamin Buisson, commissaire spécial du ministre de Tinstruction publique.

i4!) maisons françaises, a dit M. d'Abzac, ont répondu à mon appel et sont représentées à l'Exposition universelle de la Nouvelle-OrléaDS. la majorité sur notre section, quelques-unes dans les c Collective Exhibits » des sections américaines. La présence de ces exposants, venus pormi nous au prix de dépenses considérables, atteste ce que peut l'initiative individuelle s'nppuyant sur une cause juste et aidée do la svmpathie publique. Dans, mes efforts pour amener nos producteuri à la Nouvelle-Orléans, j'ai été cordialement et ener-

l'exposition de la DiOUVELLE-ORLiAllS 257

giquement aidé pur an grand nombre de Français et d'Américains qui ont «ODMDti à faire partie de nos comités d'études et d'oi]ganisation.

Pour la première fois, depuis l.i découverte du Nouveau-Monde. rAmc- rique anglo-saionne et l'Amérique latine se rencontrent, devant les représen- tants de toutes les grandes puissances commerciales de la terre, afin de sceller un traité d'amitié qui pourra i)eut-étre, comme toutes les œuvres humaines, subir des agressions, mais que rien ne pourra désormais ri>mpre dans sa substance. L'œuvre de paix dont nous sommes tous les collaborateurs, par le Ciit de notre action et de notre présence, repose sur l'esprit des temps modernes, qui ont substitué le gain par le travail au sain par la violence.

L'Exposition universelle que vous avez orgai;isée a la Nouvelle-Orléans. Ifonsleur le Directeur général, se distingue de toutes les expositions uni ver- seiUes qui l'ont prcci'dt'e par un caractère et une supériorité inconlesUibles. Elle est la première qui mette les producteurs en face de mnrchés nouveaux. Elle est lo première qui montre aux capitalistes et auv travailleurs du monde <entier les incalculables ressources, les enances puiss/intes de richesse que les deux Amériques otTrent à toutes les activittis, à toutes les intelligences, a toutes les énergies.

M. Burke a répondu à M. d*Abzac en faisant un grand éloge de l'exposition française^ et il a ajouté, aux applaudissemen's de l'as- semblée :

Pour nous autres Américains qui savons chérir notre pavset ressentir tous les sentiments d'orgueil que nous inspire notre histoire, nous ne pouvons oublier que nous sommes dans une certaine mesure des Français... Sachons ■apprécier Timporlance caractéristique de ce fait que sur ce soi demi-français, voici rassemblés dans cet espace les représentants d'une grande République, réunis, la main dnns la main, avec ceux d'une République sœur, dans la marche en avcmt à la conquête dii progrès.

M. Flatteau, au nom des exposants français, et M. le jugeSambola, au nom des Sociétés orléanaises, ont aussi prononcé de chaleureuses paroles, après quoi Ton se transporta daus la section française d*éducation, M. B. Buis.son, dans un discours très applaudi, rappela les liens qui unissent toujours la Louisiane à la France et résuma en ces termes l'œuvre accomplie en France depuis 1877, c'est-à-dire depuis que la République y a été délinitivemcnt consolidée :

Par une heureuse inspiration, les Chambres et le gouvernement ont tout de suite abordé comme le problème vital celui de la réorganisation de l'instruc- tion à tous les degrés, mais principalement de l'instruction primaire. De grands changements, encore peu connus, et qui n ont pas encore eu le temps de porter tous leurs fruits, ont eu lieu. L'esprit qui a présidé aux réformes dont je vous parie est toujours cet esprit fr<mçais que je n'ai pns besoin de définir ici, qui a dicté à nos pères la Déclaration des droits de Vtunnmc et qui nous porte à vouloir fiiciliter, de plus en plus, au plus grand nombre possible, les moyens de rendre la vie plus digne d'être vécue, et d'avoir accès, dans une certaine mesure, aux jouissances intellectuelles et artistiques.

Cette tendance, un peu utopiqut; peut-être, mais généreusement utopique, de nos réformes récentes de renseif|[ncment ne sera certainement pas jugée ave; sévérité par la démocratie américaine. Je ne vous retracerai pas dans le détail toutes les réformes dont le mérite revient surtout à notre Parlement et à des ministres clairvoyants et actifs, secondés par une sorte de Parle- ment universitaire vraiment représentatif du corps enseignant, le Conseil

BRTni PinAGOGIQUB 1884 1*' 8M. 17

258 REVUE PÉDAGOGIQUE

supérieur de l'instructiou publique. Elles ont consisté surtout à rendre Tin- struclion publique gratuite et obligatoire, à multiplier les écoles, et les écoles salubres, a doubler le nombre des écoles normales et à en fonder plusieurs d'un caractère plus élevé, destinées à former un personnel spécial de profes- seurs d'écoles normales; À ajouter k Técole primaire des cours d'études com- f>lémentaires, à organiser une instruction primaire supérieure qui achève 'instruction générale tout en préparant pratiquement à une profession; à disséminer et à rendre plus efficace renseignement du dessin et des arts décoratifs.

Qu'il me suffise de vous dire que la troisième République a repris les traditions de la première, en accomplissant toutes ces réformes, et que nos nouveaux programmes ressemblent beaucoup à ceux qu'avait esquissés autre- fois un homme qui est venu en cette ville môme, qui a travaillé à vos propres écoles, Lakanal. 11 est remarquable, je crois, que la France, au lendemain de ses désastres et quand son trésor était si épuisé, ait su néanmoins faire pour rinstruclion publique, et aussi bien dans 1 ordre secondaire et supérieur que dans l'ordre primaire, plus de sacrifices qu'elle n'en avait januiis fait au temps de sa prospérité.

Après ce discours, M. le directeur général Burke prend de nouveau la parole.* 11 est heureux, dit-il, de voir se développer renseignement des deux côtés de TAllantique à l'ombre de la liberté. Il félicite la France des progrès merveilleux qu'elle a accomplis dans renseigne- ment primaire, secondaire et supérieur. Il félicite M. Buisson de sa magnifique exhibition, de Tart, du goût exquis avec lequel tous les objets sont disposés, et il déclare ouverte la section française d'éducation.

La cérémonie s*est terminée par la visite des principales salles de l'exposition scolaire. Une salle réservée à la ville de Paris contient aujourd'hui un intérieur d'école et un type de salle de dessin avec des travaux d'écoles primaires et de cours- d'adultes : nous avons dit qu'elle n'élait pas encore aménagée le 8 février. Les visiteurs ont beaucoup remarqué les cahiers mensuels et les cahiers journaliers des élèves, les plans d'écoles maternelles, primaires, normales, etc., les reproductions à bon marché des chefs-d'œuvre de l'art, les spécimens du travail des écoles primaires supérieures ou profession- nelles, la collection des modèles en plâtre de TÉcole des Beaux-Arts.

L'impression générale est que nos écoles font très bonne figure à la Nouvelle-Orléans et que notre exposition scolaire fait grand honneur à notre pays. Les Français de France n'oublieront pas l'accueil si sympathique et si chaleureux qui a été fait en Louisiane à nos exposants.

LA. PRESSE ET LES LIVRES

L'enseignement commercial en France, par M. Arthur Mangin (y Économiste Français, du 31 janvier). Dans celte élude, M. Arlhur Mangin commcnle un rapport présenté au Conseil supé- rieur de reaseignoniçnl technique par M. Jacques Siegfried, au nom de la sous-coinmissionde renseignement commercial. M. Mangin, d'accord avec M. Siogfricd, établil très pertinemment que « le com- merce — le grand commerce s'entend ne peut désormais, non plus que rindusirie ou Fagricullure, d'en tenir aux procédés tradi- tionnels : il a, lui aussi, tout un outillage, tout un ensemble de méthodes et de moyens d action, une sorte de stratégie à combiner, à perfectionner et à mettre en œuvre. Le commerce est une lutte de chaque jour la victoire appartient au plus actif, au plus habile» au plus savant; car il y a maintenant une science du commerce comme il y une science des fiuances ou une science agricole, et il y a un art commercial comme il y a un art militaire. L'art est surtout le fait d'une aptitude, d'un génie qui n'est pas donné à tout le monde : c'est un privilôge de nature et c'est une très grande force; mais il ne peut tenir lieu de savoir. Sans doute, la science commerciale ne ressemble point aux sciences proprement dites, telles que la physi- que, Taslronomie, la physiologie ou même Téconomio politique ; c'est une science composite et complexe qui comprend plusieurs ordres très dislincls de connaissances; elle n'en est peut-être que plus difficile à acquérir, justement parce que celte variété de con- naissances suppose une variété correspondante d'aptitudes. L'ensei- gnement commercial bien entendu, rationnel et harmonique, n'est donc point chose facile à instituer et à pratiquer. x>

En fait, il ne se donne, chez nous, que dans neuf établissements, dont quatre à Paris, et encore ces neuf établissements ne sont-ils pas très prospères. « Neuf écoles en tout, dit M. Mangin, réunissant en- semble un millier d'élèves, c'est bien peu pour une population de 37 millions d'âmes; ce n'est pas cela qui relèvera notre commerce d'exportation, qui le mettra à même de lutter victorieusement contre ses concurrents étrangers. » 11 reste donc beaucoup à faire, mais M. Mangin ne veut pas que ce soit l'État qui prenne ici la place des particuliers, des villes, des chambres syndicales, des chambres de conmierce. « L'État, en vérité, se mêle de trop de choses ; ne lui demandons pas de se mêler encore de celles qui, par bonheur, sont restées jusqu'ici en dehors de son action. » M. Mangin n'est même pas trop inquiet de celte pénurie d'écoles commerciales spéciales. « Un homme qui veut faire de son fîls un bon commerçant si le

S60 RIVUS PÉDAGOGIQUE

jeune homme a dugoûtetde Taptitude pom: cette carrière, trouve cent moyens de lui donner cette instruction sans recourir aux écoles spéciales de commerce; et^ si le goût et les aptitudes manquent, ce n'est pas l'école de conmierce qui les fera naître. Quant à TÉtat » 11. Mangin en revient toujours « il ne lui appartient pas lus de pousser la jeunesse vers le commerce que vers Tindustrie ou vers les beaux-arls. »

Pousser, non ; mais pourquoi l'État ne guiderait-il pas, pourquoi n'ouvrirait-il pas ou n'élargirait -il pas les voies? Si le conmierce est une science, comme le dit M. Mangin, l'État, ce semble, a com- pétence pour faire enseigner une science; autrement il faudrait fer- mer toutes nos écoles. Les écoles d'arts et métiers en particulier, les écoles d'agriculture, l'École centrale, certaines autres écoles techni- ques sont des écoles de l'État : voit-on que l'industrie en pâtisse? Sans doute le commerce est affaire personnelle, ou encore affaire locale, régionale, si l'on veut, et il semble que l'école commerciale regarde tout d'abord à ce titre les particuliers et les différentes institutions auxquelles M. Mangin veut en réserver l'initiative. Mais si elles ne la prennent pas? Nous sentons le besoin de développer notre commerce, de. l'établir sur des données scientifiques, puisque science il y a, nous souffrons de la concurrence, et, en général, nous ne manquons pas de faire retomber sur l'État la responsabilité de celte souffrance. Pour la conjurer d'ailleurs, en dehors d'efforts individuels que personne ne peut constater, nous avons créé tant bien que mal neuf établissements, contenant en tout mille élèves. Et nous voudrions contester à l'Etat le droit et le devoir de subve- 1[iir à cette insuffisance! Il nous semble que c'est tout au moins trancher bien vite une très grosse question.

L'instruction primaire aux États-Unis en 1883, rapport présenté au ministre de l'instruction publique, par M. Paul Passy, professeur de langues vivantes à Técole normale d'instituteurs de la Seine et au collège Sévigné; 1 vol. in-12, Paris, Delagrave, 1885. Les lec- teurs de la Revue connaissent déjà un fragment de ce livre ; l'étude sur l'éducation des races de couleur dans l'Amérique du Nord, que nous avons publiée (1), en forme le dernier chapitre. Chargé, au moins de juin 1883, d'une mission ayant pour objet « de visiter les principaux centres d'éducation des États-Unis et d'en étudier les ressources et les procédés intellectuels, financiers, agricoles et indus- triels », M. Paul Passy ne se pique point d'avoir pu répondre, en deux mois et demi, à toutes les exigences de ce trop vaste pro- gramme; il s'est borné à étudier ce qui rentrait le plus directe- ment dans ses aptitudes personnelles, c'est-à-dîre les questions d'enseignement et en particulier d'enseignement primaire, ce qui

(1) Voir le numéro du 15 octobre 1884.

LA PRISSE ST LIS UVRSS 961

justifie le titre de son rapport. Et même réduit à ces proportions, le champ était, dit-il, tellement vaste qu'il a se borner à indiquer les traits les plus essentiels du systî'me d'éducation américain; encore le tableau qu'il en donne est-il nécessairement incomplet, étant fondé presque exclusivement sur des observations recueillies dans les Étals du Nord.

En dépit de ces modestes déclarations, le 'rapport de M. Paul Passy n'en est pas moins d'une lecture fort intéressante, même aprèis celui de M. Buisson, qu'il confirme sur beaucoup de points, auquel il ajoute, sur certains autres, des détails qui ont leur prix.

Dans une suite do vingt chapitres, qui forment autant de résu- més courts et substantiels, M. Paul Passy étudie successivement le free ichool system, qui est la base de Torganisalion scolaire aux F.tats- Unis, puis les points les plus importants de cette organisation sco- laire : administration, organisation pédagogique, discipline, person- nel, gratuité, obligation, plans d'études et emplois du temps, matériel scolaire, organisation financière des écoles. Il explique ce caractère si parliculierde l'éducation américaine, la « coéducation » des deux sexes. 11 entre ensuite dans les écoles, à commencer par celle des petits enfants, le Kindergarien^ et, arrivé aux écoles d'enseigne- ment primaire des ditTérents degrés, 11 en examine les méthodes d'enseignement et les résultats qu'elles produisent. Un chapitre sur les écoles normales, les cours normaux, les examens de capacité, nous montre comment se prépare le personnel enseignant; un autre sur les écoles primaires libres dit quelques mots des efforts tentés en Amérique par Tinitiative individuelle en dehors de l'école publique, soit pour contrebalancer Tinflucnce de cette école, soit pour la compléter à des points de vue particuliers. Le dernier cha- pitre, comme nous Tavons dit, est consacré aux races de couleur.

Nos maîtres trouveront, ce nous semble, dans ce rapide tableau des institutions scolaires américaines, bien des sujets d'utiles ré- flexions. Voici, au Iiasard des pages, quelques traits que, pour notre part, nous avons notés.

Par exemple, dans le chapitre sur la coéducation : < L'éducation américaine, nous dit M. Paul Passy, suit, au point de vue de la préservation morale de l'enfant, une méthode tout à fait opposée à la nôtre. Tout l'art que nous employons à éviter les tentations aux enfants des deux sexes, elle le dépense à les rendre capables d*y résister. Notre éducation ne leur inspire aucune confiance. « Voua aurez beau faire, disent ils, vous ne pouvez éviter absolument les occasions de mal faire; et vos enfants s'y trouvent d'autant plus en danger qu'ils y ont été moins préparés. Et puis, il faudra bien, un jour ou Tautre, qu'ils cessent d'être gardés à vue. Ces jeunes gens qui sortent du collège, ces jeunes filles émancipées t jut à coup par le mariago, comment seront-ils trempés pour les luttes de la vie? Ne vaut-il pas mieux les y préparer en leur donnant, au^itôt

983 REVUJB f6DA6061QU£

qie possible, une grande indépendance, et en Taugmenlant à me» sure qu'ils grandissent, de façon à ce qu'ils arrivent insensiblement à être des hommes? *

. II est possible nous croyons qu'au fond M. Paul Passy le pense un peu que les Américains poussent trop loin ce principe; mais n*ont-ils pas raison de dire que nous poussons, nous, beaucoup trop loin le principe contraire?

Quelques pages plus bas, M. Paul Passy nous donne une idée de la quantité de travail que Ton impose d ordinaire aux jeunes Améri- cains et aux jeunes Américaines. Celles-ci, à ce qu'il paraît, sont souvent maladives, surtout quand on les compare aux jeunes Anglaises, et plusieurs éducateurs distingués des Ètats-l'nis croient trouver la raison de celte disposition fâcheuse dans Texcès de fatigue qu'exige d'elles, les écoles étant presque partout communes aux deux sexes, la concurrence avec les garçons. Mais, dit M. Paul Passy, « si les enfants, les jeunes gens américains travaillent trop, que sera-ce chez nous? 11 ne faut pas oublier qu'à l'école élémen- taire, à l'école de grammaire, et souvent à l'école supérieure, presque aucun travail ne peut être imposé en dehors des cinq heures passées en class(ï; et le travail facultatif n'est jamais bien considérable. A l'école normale, on demande un peu de travail au dehors, mais d'une manière qui n'a rien d'abusif. A Saint-Louis, par exemple, en dehors de cinq heures d'école (qui comprennent 40 minutes données au travail personnel), les élèves doivent travailler une heure et demie ou deux heures chez elles; et, pour éviter tout excès de travail, on les prie de noter elles-mêmes le temps qu'elles y passent (1); si ce temps est trop long, on en fait l'observation aux professeurs... » Ainsi, sept heures au plus de travail par jour pour de grandes élèves d'écoles normale, et encore, en Amérique, on trouve que c'est trop; nous dirons comme M. Paul Passy, « que sera-ce chez nous? »

Citons, pour terminer, les conclusions du livre:

« I/école publique américaine est une institution éminemment populaire, à la lois nationale et locale. Elle est dirigée par des autorités municipales élues par le peuple, soutenue en grande par- tie par dos taxes locales, soumise à un contrôle d'État modéré; eUe échappe absolument à la direction de l'Union. Gratuite à tous les degrés, elle présente à tous iodistiiictement, riches et pauvres, élrangers et indigènes, garçons et tilles, une éducation complète en soi et généralement très solide, allant de l'école enfantine à l'école normale; seule la distinction de race entre les noirs et les blancs est une infraction à cette égalité parfaite, infraction qui ne peut, du reste, tarder à disparaître. Strictement non confessionnelle, l'école

(1) On s*en rapporte à leur simple déckiratlon, comme toujours en Amé- rique. P. P.

LA PRESSE ET LES LIVRES 363

m'en est pas moins chrétienne dans ses tcndauces: mais elle est également ouverte aux catholiques et aux protestants, aux croyants, aux sceptiques et aux incrédules. Aimée du peuple, qui s'en occupe directement et la surveille lui-môme, elle exerce une influence immense sur la formation deFesprit national. Elle tend de plus en plus à détruire toute concurrence et à ne laisser subsister en dehors de renseignement primaire, compris dans le sens le plus large, que renseignement supérieur et professionnel.

Y Le principal défaut, le danger le plus sérieux du système amé- ricain est ïinéyalUé qui résulte du plus ou moins de richesse des diverses régions, inégalité qui se montre dans l'ensemble de l'Union entre le nord et le sud, et, dans chaque Etat, entre les villes et les campagnes. De la résultent dans les campagnes des traitements d'instituteurs tout à fait dérisoires et en conséquence une faible valeur du personnel enseignant et des changements par trop fréquents, La trop courte durée de l'année scolaire dans les campagnes provient de la même cause. Le remède proposé consiste en subventions accordées par les Etats aux écoles rurales et par l'Union aux Etats du Sud.

Tous les moyens sont employés pour rendre Técole attrayante et pour qu'elle serve à développer les facultés naturelles des enfants ; de l'emploi des méthodes intuitives et de l'enseignement par les yeux, en paiticulier des leçons de choses et du tableau noir....

» L'école pratique en tout le plus grand respect de la liberté indi- viduelle. L'instituteur est libre d'exprimer ses opinions eii matière controversée, et les élèves sont libres de le contredire. On accoutume de bonne heure les enfants à se considérer comme des êtres indé- pendants, placés entre le bien et le mal et responsables de leur choix. Les principaux moyens employés pour assurer le travail et la discipline sont ceux qui s'adressent à leur conscience et à leur honneur. En toute chose, on leur témoigne la plus grande confiance.

» Les mulièn.'S qui paraissent le mieux enseignées sont la lecture, la géographie^ ïinstruction ciriqne, et ïinstruction religieuse dans les écoles du dimanche. Celles dont l'enseignement semble le plus défectueux sont les mathématiques, Yortfiographc, la gymna8ti([ue et le- travail îtianucl. Les langues vivantes et les arts ont été introduits dans beaucoup d'écoles à la suite d'expériences qui ont donné d'excellents résultats. Les langues mortes occupent encore dans l'en- seignement primaire supérieur une place qui ne devrait pas leur revenir.

> Le personnel enseignant se compose en très grande majorité de femmes tion mariées,

» L'instruction pubUque a coûté, pendant Tannée 1882, une somme de 91,158,039 dollars et employé 293,2:)4 instituteurs. Sur environ 12,500,000 enfants de 6 à 16 ans, 10,013,820 étaient enrôlés dans les écoles publiques, et la fréquentation moyenne était de 5,164,356.

264 RKVUE PÉDAGOGIQUE

Malgré tous les efforts qu*attestent de pareils chilTres de la part de la nation, la proportion d'illettrés était encore considérable, puis- qu'on i880, sur 11,840,171 personnes de 10 à 20 ans, 2,035,595 ne possédaient aucune instruction. On en trouve la raison, d'une part, dans le grand nombre d'étrangers ignorants qui arrivent chaque année aux Etats-Unis; d'autre part, dans l'impossibilité se trouve le Sud, et surtout la population de couleur, de pourvoir à l'éducation de ses propres enfants.

» En contemplant dans son ensemble l'édifice des écoles publiques américaines, il est impossible, malgré toutes ses imperfections et tous ses vices, de ne pas se sentir pénétré d'admiration pour cette jeune nation qui, a peine sortie des luttes de la colonisation et des déchirements de la guerre civile, a su, par la sagesse de chacun de ses groupes de population pris individuellement, élever sur des bases inébranlables un système aussi complet, aussi vivant, aussi éminem- ment démocratique et libéral d'instruction populaire. Nous ignorons ce que la Providence réserve aux États-Unis, nous ne savons par quelles transformations politiques et sociales doit passer ce peuple encore en formation ; mais une chose nous paraît certaine, c'est que, s'il reste fidèle aux traditions que lui ont léguées ses pères et qu'il a soigneusement conservées jusqu'à ce jour, il est appelé à une destinée glorieuse, à un avenir d'une grandeur incomparable. *

Nous n'ajouterons qu'un mot, que nous emprunterons au livre de M. Buisson, et qui doit être, suivant nous, la mesure de toute étude comparative des institutions scolaires de l'étranger et des nôtres :

« L'école n'est pas une institution qui se puisse étudier à part et en soi comme un système de chemins de fer ou de télé- graphes. L'école n'est rien par elle-même, elle n'existe que par et pour le peuple qui la fait à son image et qui y met son esprit. Elle vit de sa vie, elle en a les défauts, les qualités, le génie pro- pre. C'est une institution sociale, inséparable de la société elle-même, impossible à transporter toute faite d'un pays ou d'un régime à un autre.

» Eussions-nous vu en Amérique la perfection du système scolaire, il n'en serait pas moins chimérique de notre part de conclure à l'importation de ce système : appliqué a d'autres mœurs, à d'autres traditions, à d'autres conditions sociales, il pourrait se trouver détes- table, et il le serait probablement, car on n'en aurait que le cadavre, l'âme n'y serait plus. La nature- vivante ne se laisse pas calquer servilement : des causes semblables pourront produire des effets analogues ; mais vouloir les imiter artificiellement, c'est n'avoir pas même soupçonné comment ils s'obtiennent. »

Ce qui ne veut pas dire que nous ne puissions pas chercher à nous assimiler ce que le système américain peut nous présenter de véritablement assimilable, et c'est à quoi le livre de M. Paul Passy pourra souvent nous servir. C. D.

LA PRESSE ET LES LIVRES Vi&

La Gymnastique, notions physiologiques et pédagogiques, applica- tions hygiéniques et médicales, par M. A. CoHineau, docteur en médecine; Paris, J.-B. Baillière, 188i. —Voici un livre qui paraîtra d'heureux augure à ceux que préoccupe la question de l'éducation physique et qui espèrent que le développement de la culture de Tesprit ne fera pas oublier combien celle du corps est nécessaire, et à quel point, sans celle-ci, la première est chose instable et incomplète. Un ouvrage de près de mille pages, tout consacré à une seule des branches de Téducatiou du corps, c'est l'indice que de telles questions, dont nul ne se préoccupait il y a quelques années, sont devenues aujourd'hui un des pnncipauz objets de l'attention publique.

M. le D^ Collincau a conçu son œuvre avec des proportions imposantes. Il ne s'est pas borné à donner au public un traité aussi complet et détaillé que possible des exercices gymnastiques de tout ordre. Il a voulu que les notions précises d'anatomie et de physio- logie fissent pénétrer le lecteur dans le mécanisme intime des effets de la gymnastique sur l'organisme humain. Il a tenu également à faire précéder son étude d'un résumé de l'histoire de la gymnas- tique à travers les âges et les peuples.^En un mot, c'est à la fois un ouvrage d'ensemble et une étude de détail que l'auteur offre à ceux qu'intéresse la culture des forces physiques par l'exercice réglé et méthodique. Ajoutons que ces parties diverses sont fortement reliées par Tunité d'inspiration: une inspiration vraiment libérale, qui donne à tout le livre beaucoup de vie et d'intérêt.

Nous ne pouvons que recommander auprès de nos lecteurs le livre du D*" Collineau. Ils y trouveront en même temps les vues d'ensemble qui élôvcnt la question et la mettent son vrai rang, et les indications techniques les plus précises exposées avec une excel- lente méthode. E. P.

La vérité sur la gymnastiqte, ce qu'elle doit être, par M. Picquarty auteur de la Gymnastique vraie et de la Gymnastique médicale. Une brochure, chez J.-B. Baillière, Paris, 1883. M. Picquart est loin d'être l'ennemi de la gymnastique, mais il la veut rationnelle, scientifique et surtout hygiénique. Il s'élève contre l'abus des agn^s et des machines, car on doit assouplir les membres et non leur faire violence. H combat surtout « l'entraînement » que l'on fait subir à des natures trop débiles pour supporter des exercices pénibles et dangereux. 11 voudrait que les maîtres de gymnastique fussent des méde- cins ou que tout au moins on exigeât d'eux des preuves certaines d'apti- tude vraiment sp^^ciale. 11 conclut en demandant l'obligation d'épreuves officielles très sérieuses pour tous ceux qui font de la gymnastique leur profession, la création d'inspecteurs spéciaux pour cet ordre d'enseignement, la fondation d'une école spéciale de gymnastique. M. Picquart écrit avec vivacité et souvent avec indignation, ne pouvant

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supporter qu*on fasse trop souvent d'un art sérieux, salutaire, et respectable, une industrie plus ou moins lucrative. Retenons de ses éerils qu'il faut approprier les exercices a Tâge et à la santé des élèves, avec le moins d'appareils possible et avec les appareils les moins dangereux. Cette recommandation est fort sage, surtout pour les écoles primaires. « Cest une vérité d'expérience, dit M. Picquart, que le nombre des appareils est en raison inverse du savoir, de l'expérience, de l'habileté du directeur. » Suivre la nature et ne pas la forcer, tout est là. A. B.

Le livre de l'Ecole, choix de lectures expliquées à l'usage des écoles primaires, par Ch. Lcbaigue, ancien membre du Conseil supérieur. Cours préparatoire. Paris, Belin, 1883. Ce petit livre complète mie série d'ouvrages qui ont fait leur chemin dans le monde scolaire ; c'est le premier degré dans un ensemble qui en comporte quatre. Selon nous, c'est le plus important. De la pre- mière impression reçue dépend, pour beaucoup d'enfants, le goût plus ou moins vif qu'ils montrent pour la lecture.

L'ouvrage n'est pas banal, et M. Lebaigue avait son idée en le composant. Il veut enseigner la morale par la lecture. Chaque page du petit livre est une leçon de conduite. Chaque « morceau choisi », prose ou vers, sert à combattre un défaut, à faire connaître un devoir, aimer une vertu. La raison et le goût sont également satis- faits du choix des morceaux, de leur gradation, de leur association.

L'auteur ne s'en tient pas là. 11 fait suivre chaque passage de questions et d'explications qui développent, éclaircissent, fécondent le texte. Pour écrire ces développements, qui ont leur charme, l'auteur se fait père de famille et converse avec ses enfants. 11 y a plus qu'un rôle bien compris et bien soutenu ; il y a une sollicitude vive et sincère pour le perfectionnement intellectuel et moral de l'enfance.

M. Lebaigue a bien raison lorsque, dans sa préface, il recommande aux maîtres d'habituer leurs élèves « à comprendre et à sentir ce qu'ils lisent ». Tout le secret est là.

Nous permeltra-t-on de rappeler à ce sujet une jolie anecdote 'Contée par M"°« d'Épinay dans ses Mémoires ?

L'héroïne est sa fille Pauline. Celle-ci, encore enfant, assistait aux leçons de son frère plus âgé qu'elle. Un jour on fit passer au jeune garçon un examen en famille, Rousseau étant présent. « Si mon frère se trompe, dit Pauline d'un air malin, je pourrai peut-être l'aider, car je n*al pas laissé que de retenir bien des choses de ses leçons. C'est-à-dire, mademoiselle, lui répondit son père, que vous ne retenez que ce qu'on ne vous apprend pas. Papa, reprit- elle, je retiens bien ce que je comprends, mais pas le reste. »

Son frère ayant hésité deux fois sur l'histoire romaine dans deux endroits, la petite qui le guettait se leva et répondit pour lui en

LA PRESSK ET LES LIVRES 267

riant. « Pourquoi avoz-vous retenu cela? lui demanda Rousseau. -^ Monsieur^ c'est que c'est beau et que cela me fait plaisir. » Un de cea traits concernait Régulus, lorsqu'il exhortait les Romains à rejeter les propositions de paix qu'il apportait à Rome et dont le refus devait lui coûter la vie. Conclusion : Pauline retenait plus que son frère, parce qu*elle comprenait mieux et sentait davantage.

H. D.

Histoire de Charly-slr-Marne, par M. le docteur A. Corlieu, bibliothécaire adjoint de la Faculté de médecine de Paris, avec cartes et dessins; I, vol. in-8'\ Paris, II. Champion, 1881. Nous parlions dans un récent numéi'o des Vieux papiers de mon village^ de M. Charles Sentupéry, contenant la curieuse histoire d'une * communauté » de la Franche-Comté.

Uflistoire de Charlff, qui est un bourg du département de l'Aisne, d'environ 1,700 liabilants, ne présente pas moins d'intérêt, à toutes aortes de points de vue. C'est sur des pièces d'archives qu'a été faite cette monographie, et l'auteur dit ce que nous croyons sans peine qu'il y a travaillé plus de quinze ans.

Si nous nous tenons exclusivement au chapitre qui porte pour titre: instruction publique, nous y trouverons ce portrait du maître d'école de Charly avant la Révolution.

« Le maître d'école, dit M. Corlieu, n'avait besoin ni de cer- tificat de capacité, ni de brevet pour enseigner. 11 devait être agréé par le curé et nommé piir lui en présence des notables habitants de la paroisse. On lui demandait une belle voix pour chanter au lutrin et une belle main pour enseigner l'écriture, car c'était lui qui traçait les modèles à la première ligne de chaque page du cahier de rél(>ve. Quant à la grammaire et à l'orthographe, il n'en était pas question; on laissait deviner aux élèves le mot et la chose. Le maître était aidé par sa femme ou par un sous-maître, qu'il choi- sissait lui-même, et comme il voulait, et qui devait toucher Porgue de la paroisse. Quelques bancs, quelques tables placées sans régularité constituaient tout le mobilier scolaire. Chaque élève apportait pour sa lecture le Uvre qui lui convenait : il y en avait un en français et un autre en latin, puis quelt^ues vieux parrhemins ou contrats pour apprendre à lire l'écriture. L'introduction d'un livre imprimé en caractères gothiques du xvr siècle et ayant pour titre La civilité puérile et lumneste fut un grand progrès. L'élève lisait quatre ou cin<] lignes devant le maître, autant devant le sous-maître et on le laissait libre de son temps, pourvu qu'il ne fit pas de bruit dans la classe. A un degré plus avancé, il s'exerçait à l'écri- ture en répétant sur son caliier le modèle tracé par le maître. Il n'y avait jamais ni dictées, ni correction de devoirs. La géographie et riiistoire étaient complètement inconnues. Quant à l'arithmétique, le maître d'école enseignait à faire les quatre premières règles, la

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règle do trois, autrement appelée un Si, à cause de l'énoncé du problème qui commençait par ce mot. La classe ouvrait à neut heures du matin et finissait à onze heures; elle reprenait de une heure à quatre heures. Cependant il était loisible aux élèves d'arri- ver quand bon leur semblait. La classe terminée, le maître pi énon- çait la phrase consacrée : « Que tous ceux qui ont lu deux s*en re- tournent y>, et alors tous les élèves s'échappaient en désordre, pas- sant devant le maître, qui se tenait à la porte et lui montrant les deux doigts, pour lui indiquer qu'ils avaient lu deux fois.

» La rétribution était de cinq, dix, quinze sous, selon que l'élève apprenait à lire, à écrire ou à calculer.

9 Le maître d'école vivait d^ ce maigre produit. Aussi joignait-il quelques petites fonctions à la sienne. Il était le premier chantre au lutrin, balayait l'église ou la faisait balayer par ses plus grands élèves, était sacristain, sonnait V angélus ^ assistait le curé dans tous les mariages ou enterrements, l'accompagnait quand il portait le viatique aux malades. Le dimanche matin, il parcourait toutes les maisons de la localité pour les asperger d'eau bénite; les fermes de Beaurepaire, La Masure, etc., recevaient, malgré leur éloignement, sa visite matinale ou celle du sous-maître. Chaque habitant lui 'donnait une rétribution de quelques sous pour cette aspersion. Dans tous les pressoirs, le maître d'école allait donner son coup d'épaule au moulinet et emportait, en échange, du vin nouveau dans son seau. Dans les bonnes années, il pouvait ainsi récolter cinq ou six pièces de vin. 11 était logé gratuitement dans la maison d'école et exempt de la taille et des autres impôts. >

Ainsi se passaient les choses à Charly, comme il appert en grande partie du texte d'un procès-verbal de la nomination d'un maître d'école en 1746, et il est probable qu'elles devaient se passer d'une façon analogue dans beaucoup d'autres localités. Et la situation reste telle, dit M. Corlieu, jusqu'en 1832.

Sur l'époque de la Révolution même, les documents concernant l'école sont rares à Charlv ; nous voyons cependant que l'instituteur national, dont le nom était André Leroi, « cessa de porter un nom qui rappelait la tyrannie, et prit celui de Drouet-la-Montagne ». Drouet, sans doute, en souvenir de l'arrestation de Varennes.

M. Corlieu cite un règlement, émanant du conseil municipal de Charly, en décembre 1831, et qui spécifie les droits et les devoirs de l'instituteur : on y sent un notable progrès, quoique le maître soit encore chargé de remonter tous les jours l'horloge de la com- mune, de sonner la cloche trois fois, et qu'en qualité de premier clerc il doive exécuter les ordres qui lui seront donnés, à cet effet, par M. le curé.

Ces études rétrospectives sont, nous le répétons, extrêmement intéressantes, et il semble que les instituteurs sont mieux désignés que personne pour s'en occuper. C. D.

LA PRISSE £T LIS UYRES 269

La production agricole en France, son présent et son avenir, par M. Louis Grandeau, 1 vol. grand in-8® avec deux cartes et deux diagrammes, Paris, Berger-Levrault, i885. Nous sortirions du cadre de cette Revue en suivant l'auteur dans les savants détails il entre sur la production du blé en France et dans l'analyse appro- fondie qu'il fait des causes multiples de la crise agricole. Disons seulement que, d*après M. Grandeau, le principal remède au mal dont nous soufl'rons sera dans l'application de plus en plus répandue desméthodeséconomiquesdeculture: nuiis pour appliquer les méthodes il faut les apprendre; delà la nécessité de développer renseignement agricole a ses divers degrés et tout d'abord d'utiliser les éludes et les expériences faites dans les stations agronomiques. « Les professeurs départementaux d'agriculture, dit M. Grandeau, sont, à côté des directeurs de stations, les vulgarisateurs naturels des résultats obteous dans les stations agronomiques. L'ensci^^nement local dont ils sont chargés trouvera dans les travaux des laboratoires, dans les champs d'expérience, dans les essais sur l'alimentation du bétaU, entrepris et dirigés par les stations, sa base la plus certaine, les exemples les plus utiles, les indications les plus sûres concernant les améliorations à signaler au public agricole. » Ajoutons que les élèves-maîtres de nos écoles normales seraient les premiers à pro- fiter de ces précieuses indications. A. B.

Horace Mann, promoteur de l'éducation populaire aux États-Unis, par M. Gaufrés, ancien chef d'institution, conseiller municipal de Paris, deuxicme édition ; in- 12 de 33 pa^^es, Paris, Librairie centrale des publications |)opulaires, 1884. Cotte brochure vient à son heure, puisque le principal des ouvrages d'Horace Mann qui ont été traduits en français vient d'être proposé à 1 étude spéciale des can- didats aux dipl(^mes pédagogiques. Ce portrait du grand « promo- teur de l'éducation populaire aux États-Unis » réalise un vœu de M. Laboulaye, qui espérait que quelque jour on nous ferait « pénétrer dans l'intérieur de cette belle Ame p. L'élude de l'homme ne peut aller d'ailleurs sans celle du pays, et la brochure de M. Gaufrés pn'sente une analyse exacte et animée de cette réforme scolaire l'Amérique nous a devancés, et pour laquelle nous pouvons lui prendre encore quelques bons exemples. C. D.

Carnet pour la préparation quotidienne des leçons, par M. Chauineil, cahier grand format, Paris, l'aul Dupont, 188 i. Les instituteurs ont été dispensés de résumer leur travail quotidien sur le journal de classe, mais beaucoup ont conservé l'habitude de résumer en quelques courtes notes journalières la préparation de leurs leçons. Pour faciliter le travail des maîtres, M. Chaumeil, inspecteur primaire à Paris, a publié un carnet pour la préparation quotidienne des leçons. 11 comprend autant de doubles pages qu'il y a de semaines dans l'année scolaire. Chaque double page est

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divisée en colonnes verticales et en colonnes horizontales, de manière qu'en suivant les premières on se rend compte de toutes les leçons de chaque jour de la semaine et qu*en suivant les secondes on trouve toutes les leçons faites sur la même matière pendant toute la semaine. Nous signalons cette publication aux instituteurs parce que nous attachons, comme M. Chaume il, une grande' importance à la tenue du carnet de préparation, qui peut d'ailleurs flifecter bien des formes : la meilleure sera certainement celle que choisira lai-même l'instituteur; mais le travail de M. Chaumeil peut utilement guider les maîtres et les maîtresses.

A. B. Langue allemande.

Wanderungen, Turnfahrten und Schulerreisen. (Excursions de gymnastes et voyages d'écoliers), par Théodore Bach, directeur du Falk-Real-Gymnasium à Berlin. Leipzig, 1885, chez Strauch. 11 est certain que les Allemands ont l'humeur voyageuse. Ils s'en vantent et font remonter cette tendance au mouvement, à la promenade et même à l'expatriation jusqu'aux temps les plus reculés, jusqu'à l'époque des grandes invasions des Cimbres et des Teutons. Aujourd'hui un Allemand qui se respecte ne peut pas traiter le plus modeste des sujets sans en aller chercher les racines dans les origines mêmes de la race germanique, au plus bas mot jusqu'à rillusti*e Arminius.

C'est ce que ne manque pas de faire non plus l'auteur de ce volume. 11 raconte les habitudes de marche des Allemands pendant les croisades, au moyen âge quand les écoliers erraient de ville en ville, des Alpes à la mer, plus tard lorsque les compagnons circulaient d'un bout à l'autre de l'Allemagne pendant les guerres, chcrciiant plus bouvcnt les occasions de bataille et de pillage que de travail.

Goethe était un grand voyageur, qui a chanté sur tous les modes la joie de courir, de changer de climat et d'horizon.

Tous les pédagogues célèbres ont recommandé le mouvement, la marche, les excursions, les voyages. M. Bach fait montre à ce sujet d'une érudition complète, minutieuse, impitoyable, qui parfois ne manque pas d'intérêt et qui prouve avec quelle passion il a adopté son sujet. Il est du reste un des hommes qui ont le plus fait pour perfectionner, généraliser et rendre vraiment pratique et utile l'usage des voyages scolaires.

Il consacre, comme de juste, une bonne part de son historique à la Suisse, le terrain classique des voyages d'écoliers, au docteur Guillaume, légitimement appelé « le père des courses scolaires >. n mentionne les in-folios publiés à Neuchâtel, chez Delachaux et Sandoz, intitulés : « Courses scolaires, dédiées à la jeunesse de la Suisse Romande. » Le premier livre : Trois jours de vacances, raconte une excursions faite dans le Jura en 1864, dans «n moment nous ne songions guère à de pareils procédés d'enseignement.

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Le docteur Guillaume dirigeait l'expédition ; on avait choisi Tuni- forme des cadets, qui est pratique et facilite beaucoup le maintien de la discipline en conservant Tosprit de corps. Un médecin accompap^nait les jeunes voyageurs pour la tranquillité des familles. Partout ils reçoivent le meilleur accueil. Les conseils municipaux leur font fête. Parfois il faut se contenter de peu» le bon air assaisonne tout. Voici la carte d'un menu qui leur a été servi dans une auberge de la monta^me :

c Première, seconde et troisième entrée : Soupe à la farine, cuite au beurre avec pain trempé, la ration 0,10. Beignets de la veille cuits dans le beurre, la ration 0,15. Le pain est à discrétion, à raison d'un crDÙton par tote. » Le trésorier de l'excursion jubilait, les autres ne perdaient pas leur belle humeur.

« Ces courses scolaires, disait fort justement M. Guillaume, et les visites auxquelles elles donnent lieu, finiront par devenir pour nos enfants ce que nos fêtes nationales sont pour les adultes, les occasions de se voir, d'apprendre à se connaître, à s'aimer, tout en provoquant et en développant chez eux l'amour du pays dont ils sont l'espoir et dont ils sont appelés à diriger un jour les destinées. »

M. Bach est assez impartial pour mentionner en passant, d'un trait rapide, le Club Alpin français, le discours de M. Durier à la Sorbonne et les caravanes scolaires parties de Paris, de Bordeaux, Dieppe, etc.

Au reste, pour faire connaître et apprécier les courses scolaires, Pauteur a pris le meilleur moyen; il entre dans d'infinis détails, reproduit les récits complets d'excursions, récits parfois enfantins, mais (jui n'en oflrent que plus d'intérêt.

Il est arrivé souvent que les maîtres dos écoles de Berlin donnent à ces courses un caractère militaire, organisant de véritables grandes manœuvres, préparant des plans de batailles, qui ajoutent aux plai- sirs de la marche, de la course, du grand air, de l'excursion dans les bois, le plaisir si cher aux garçons, et qu'on s'efforce do surex- citer chez les jeunes Berlinois, de la lutte et des actions guerrières. 11 y a des règles particulières pour ces courses et jeux militaires, guerre d'assaut ou guerre de rase campagne, auxquels des cen- taines d'écoliers prennent part sous la conduite de chefs expéri- mentés. L auteur reproduit des rapports circonstanciés, avec plans à l'appui. 11 donne également les règles complètes de ces jeux mili- taires, qui sont un agrandissement considérable de ce que nous appelons le jeu de barres.

Après cette étude très complète sur les excursions des écoliers, soit d'établissements d'enseignement secondaire, soit surtout de classes primaires, l'auteur passe aux excursions, naturellement plus fatigantes et plus complètes, des sociétés de gymnastique. Il paraît qu'à cet égard c'est Berlin qui réclame la prééminence. Des rapports annuels rendent compte des excursions et des exercices et jeux de toute nature qui les accompagnent. 11 en est de courtes,

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celles qui ont lieu presque tous les dimanches; elles comportent des distances de trois à six lieues, parfois de sept a neuf, comme lorsqu'on va jusqu'à Potsdam; on revient à pied, en rang, avec ordre et régularité, jusqu'aux portes mêmes de Berlin; on tienlà conser- ver à ces marches leur caractère gymnastique et quasi militaire.

Tous les ans, aux fêtes de la Pentecôte, on entreprend une tour- née de quatre à cinq jours; on va dans le Riesengebirge, dans le Harz, etc. Les excursionnistes se divisent en plusieurs groupes, prennent des routes diiTérentes, mais se donnent rendez-vous à la même heure sur un point déterminé; l'heure de la rencontre est joyeuse; tous se mêlent, se racontent leurs aventures, puis les différents corps repartent daostous les sens jusqu'au retour définîiif.

Tout est déterminé dans ces excursions: les heures de marche, de repos, de repas; il y a des chefs, des règlements ; on chante en chœur des chants destinés à alléger la marche, à entretenir la bonne humeur, à élever les esprits. Les excursionnistes sont de jeunes apprentis, des commis, de jeunes ouvriers qui ont tout ensemble pour objet de sortir des rues poudreuses ou boueuses des villes, de respirer le bon air des champs, et de se fortifier par des exercices gradués de marche et de course, ils font de temps à autre des marches forcées, des marches de unit, des haltes nocturnes en plein air.

Les Allemands du Midi se rendent volontiers dans les Alpes, faites à souhait pour le bonheur des touristes de toute condition et de tous pays; les caravanes de gymnastes y trouvent mille occasions d'exercer leurs forces, de lutter contre les difficultés de la nature.

A la fin de son chapitre sur les excursions de gymnastes, le docteur Bach confesse que l'Allemand se laisse trop tôt et trop facilement déshabituer de ces excellents exercices. « Sortez de vos coussins, faut-il leur crier; comment pouvez-vous savoir comme il fait beau dehors? Vous ne vous souciez pas de la douce haleine du printemps et n'avez jamais vu les splendeurs de l'aurore! » « On a beau vanter aux jeunes gens l'excellence, les merveilles de ces courses, le bien extraordinaire qu'elles font au corps et a Tesprit, le délassement, la joie qu'elles procurent, il n'y a pas pour cela beaucoup plus de courses- de g>'mnastes; c'est en Allemagne qu'il faut aller pour les rencontrer telles qu'elles doivent être. » Ainsi écrit un Américain; et le docteur Bach déclare que ces plaintes peuvent être proférées en Allemagne aussi bien qu'en Amérique. Chacun sait le bât le blesse ; ne soyons pas trop prêts à admirer les autres sans restriction ils ont aussi leurs misères.

Les jeunes filles peuvent également tirer bon parti de courses et de voyages en commun ; la Suisse a su les organiser avec intelligence. MM. Guillaume, Desor, Ayer, Berthoud ont publié à ce sujet d'intéressantes notices. « Un jour au Creux du Vent » est le récit d'un voyage des écoles supérieures de filles de NeuchiUel. La gare de la ville vit se réunir, pour le départ, une centaine de personnes.

LA PRESSE ET LES LIVRES 273

des maîtres, des maîtresses, des parents, des mères, et des « jeunes ftUes blondes, brunes, roses, fraîches, épanouies, radieuses comme le jour qui les éclairait ». Le récit de leurs excursions est gai et attrayant. Les Allemands organisent aussi parfois de ces courses de pensionnats ou d'école ; mais c'est une tâche difficile, qui demande du soin, du tact, et que ceux-là seuls peuvent mener à bonne fin qui aiment réellement l'enfance et savent la diriger.

Une bonne partie de ce volume, la dernière, est consacrée à des détails pratiques du plus haut intérêt pour les amateurs de courses scolaires : programmes de voyage, règles de conduite, usage de la boussole alidade de M. Peigné (i), règles des jeux, irais, dépenses, conseils et renseignements de toute nature, spécimens d^excursîon^ d'invitation, de rendez-vous, etc.

Il est à désirer que le goût de ce; voyages se répande parmi notre jeunesse. La France n'est pas restée étrangère à ce mouvement, comme le reconnaît l'auteur ; il nous reste encore beaucoup à faire pour le généraliser.

n ne manque pas chez nous de sites pittoresques, de régions attrayantes, de buts d'excursions, il ne manque pas non plus d'ardeur, de santé, de curiosité dans notre jeunesse. Ses conducteurs réussiront sans peine à lui faire comprendre qu'il y a pour elle une source de plaisirs en même temps qu'un devoir patriotique. C'est bien ainsi que les Allemands l'entendent : nos Français certainement rentendront à demi-mot.

La place et l'importance de l'école populai œ dans la civilisa- tion MODERNE, par A, Hackenberg; Neuwied et Leipzig, chez Heuser 1884. Ceci est une conférence qui a été prononcée a l'école normale d'Ottweiler devant un congrès d'instituteurs prussiens.

L'orateur passe d'abord en revue les prétentions des différents partis vis-à-vis de l'école, et il est intéressant de les comparer à celles qui se produisent chez nous.

Il y a d'abord les partisans de l'ancien système, qui mettait l'école sous l'absolue dépendance de l'Église. On ne peut, disent-ils, contester que TÉglise ait été la fondatrice de Técole ; elles pour- suivent toutes deux le même but. L'école est le vestibule de l'Église, et l'Église est l'achèvement de l'école ; les ecclésiastiques sont les inspecteurs-nés de l'école, qui n'est légalement qu'une annexe de l'Église, et qui doit être, comme elle, soustraite à la direction de rÉtat. Parmi les partis politiques, c'est l'extrême droite et le centre (2) qui revendiquent, dans ce sens, ce qu'ils appellent « l'école libre ».

(1) Boussole alidade avec carton planchette, par P. Peign*, chef d'escadron d'artillerie, ancien professeur de topog aphie à l'éc le milita re dj Sai.it* Cyr. Librairie Dela:;rave.

(2) Dans le Reiehstag allemand, le centre est le parti catholique, VôxtréiM droite est le parti féodal.

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D'autres, en opposition absolue avec ces derniers, veulent dénouer le dernier lien qui rattache l'école à rÉglise, et en faire exclu- siyement une Institution d*État. La msgorité de ce côté se contente- rait de la suppression totale de Tinspection ecclésiatique; plusieurs voudraient enlever à TÉglise jusqu'à la surveiUance de renseignement religieux; quelques-uns poussent le radicalisme jusqu'âr vouloir écarter toute influence de l'Église sur l'école et y supprimer tout enseignement confessionnel. De ce côté, tous tombent d'accord pour demander que l'État devienne plus qu'auparavant maître de l'école.

U paraît que la presque totalité des instituteurs se range à ce parti, et attend toute espèce de progrès et de prospérité de la réforme qui ferait d'eux exclusivement des fonctionnaires de l'État, subventionnés par les finances de l'État.

D'autres personnes voudraient soustraire l'école non seulement à 'Église, mais encore à l'État, et la mettre uniquement dans la dépendance des familles : l'école du peuple, disent-ils, doit appar- tenir au peuple.

Le conférencier ne donne pas d'explications complètes sur ce point ; il se borne à faire remarquer que TÉglise et l'État ne sont pas autre chose que le peuple lui-même, que des formes de l'orga- nisation du peuple en société. 11 s'élève avec force contre l'idée, exprimée aussi par quelques-uns, que l'école doit appartenir à elle- même, c'est-à-dire que le corps enseignant doit seul décider de toutes les questions qui la touchent.

Quant à lui, il pense que les trois facteurs de la vie sociale, également intéressés à l'école populaire, doivent y avoir chacun leur part d'influence : l'Eglise, l'Etat, la famille. 11 cherche à faire la part équitable de chacun, et ne cache pas que c'est à TEiat qu'il convient d'attribuer la plus considérable. Il appelle de ses vœux la loi scolaire organique qui mettra fin à l'état de choses actuel et qui est impatiemment attendue en Prusse depuis la constitution du 31 janvier 1850. Les retards môme qu'elle a soufferts, dit-il, auront pour résultat excellent d'avoir mieux préparé les solutions, en lais- sant plus de champ au choc et à la discussion des idées.

L'importance de l'école dans la civilisation moderne est immense. On l'a dit, et c'est devenu banal : qui a l'école à l'avenir. Toutefois il ne faut pas exagérer. Les uns exaltent l'école, et les instituteurs comme la source de tout bien, de toute lumière, l'instrument de tout progrès, de la régénération du peuple, la panacée universelle. Les autres y voient la cause de tous les maux, de la démoralisation, de l'empoisonnement du peuple par les doctrines les plus funestes, de l'envahissement du nihilisme, etc.

Le conférencier croit que l'école n'a pas une action si prépondé- rante; d'autres influences agissent sur les esprits et souvent avec beaucoup plus d'efficacité ; il y a les influences de la famille, de la camaraderie, de l'opinion du monde ambiant. L'enfant sort bien

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jeune île Técole ; il oublie vite les impressions morales qa'il a reçues; il suffît souvent d'une heure^ d'une mauvaise rencontre, d'mie mauvaise lecture pour idétruire Teffort de plusieurs années, il eon<*> vient donc de parler de l'école avec une certaine modestie si Ton: «n veut parler avec justice et vérité.

L'orateur expose en fort bons termes l'utilité, la nécessité, les bienfaits de l'école; nous passons rapidement sur ces idées, qui sont familières à nos lecteurs. Que faut-il faire, ajoute-t-il, pour que l'école populaire réponde encore mieux à sa destination ? Quels pro- grès restent à accomplir?

Ce n'est pas de diminuer la quantité des matières qui y sont enseignées ; plusieurs se plaignent de la trop grande place accordée aux sciences, qui empiètent môme sur l'enseignement religieux; celui*ci n'a pas besoin d'un plus grand nombre d'heures; il n'en sera pas plus eilicace pour cela ; ce qui importe, c'est qu'il soit bien donné. Et s'il n'est pas nécessaire de restreindre, il ne l'est pas davantage d'élargir et d'enrichir le programme. L'économie rurale, l'économie politique, par exemple, sont médiocrement à leur place dans l'école ; ce sont instructions techniques qui viendront pins tard, à leurs heures. Ce qui importe, dans l'école, ce n'est pas la multitude des objets, c'est la sûreté de la méthode, et la meilleure des méthodes est celle qui ne s'attarde pas à un seul côté des facultés, mais qui vise le développement complet de la raison, le développement de l'homme tout entier.

L'administration de l'instruction publique, dit-il encore, vise trop à l'uniformité, à la centralisation ; elle abuse des ri*glements et des décrets, elle ne laisse pas assez de place à l'initiative individuelle, à l'originalité régionale.

On n'intéresse pas assez les familles a la bonne organisation et aux progrès de l'école. Souvent on rencontre dans les familles plus que de l'inertie, une certaine opposition qui contrarie les efforts du maître; il faut que les pères de famille, par l'organe des comités scolaires, puissent agir pour la réforme d'abus ou de défauts dans l'enseignement, pour le déplacement de mauvais instituteurs, etc.; qu'une plus étroite relation soit établie entre les pores et les maîtres, que l'école s'appuie solidement sur la famille.

Un autre grave danger signalé par l'orateur, c'est la création d'écoles préparatoires dans les établissements d'enseignement secondaire.

Ces petites écoles, destinées à enseigner aux enfants des familles aisées les premiers éléments, font tort à l'école primaire, détournent d'elle l'intérêt de la bourgeoisie, préparent trop tôt la séparation des classes, réduisent l'école primaire à n'être qu'une école de pauvres^ inculquent de bonne heure les préjugés de fortune et do naissance. L'école populaire ne répondra vraiment à sa destination et n'aura toute son importance que quand elle réunira indistinctement tous les enfants de la nation.

276 ftfVtJI PÉDAGOGIQUI

Celte pensée, que réalisent les républicains des États-Unis d'Amé- rique et de la Suisse, et que les républicains de France ne doivent pas perdre de vue, fait le plus grand honneur à Fauteur du traité que nous analysons. Il termine son discours en exprimant et en justifiant le vœu que la loi impose aux adolescents qui sortent de récole à quatorze ans Tobligalion de suivre des cours complé- mentaires jusqu'à dix-huit ans. C'est au moment la discipline à la fois intellectuelle et morale est le plus nécessaire à la jeunesse qu'elle fait tout à coup défaut aux enfants du peuple.

Ils sont absolument livrés à eux-mêmes et à toutes les mauvaises influences de la vie, dans un âge ou les fils des familles aisées sont encore soumis à la direction de leurs maîtres. De une dififérence fâcheuse à tous les points de vue. L'école populaire ne portera ses fruits que si son action peut se prolonger au delà de l'âge scolaire tel qu'il est déterminé aujourd'hui. J. S.

Langue anglaise.

PrOCEBDINGS OF THE INTERNATIONAL CON KRENCE ON tlOUGATION,

LoNDON, 1884. Edited by Richard Cowper, secretary to the Committee of organisation. Londres, 1883. Le compte-rendu du congrès pédagogique international tenu l'été dernier à Londres à l'occasion de l'Exposition d'hygiène et d'éducation vient de paraître en quatre beaux volumes, dont le premier est consacré à l'enseignement pri- maire, le second à renseignement technique, le troisième à l'ensei- gnement des universités, le- quatrième à l'enseignement intermédiaire ou secondaire et à la préparation des maîtres. Les mémoires lus devant chacune des sections du congrès sont imprimés in-extenso; les débats sont résumés d'après la sténographie. Ceux de nos lecteurs qui désireraient avoir une idée précise du contenu de ces quatre volumes pourront se reporter au résumé que la Revue a donné des travaux du congrès (numéro de septembre 1884, p. 246) : ce résumé forme une sorte de table des matières de la publication que nous signalons.

Chacun des quatre volumes renferme des pages qui seront lues en France avec intérêt. Nous avons retrouvé avec plaisir, dans le pre- mier volume, les mémoires de M. Heller et du rev. H. Roe sur Tep- seignement primaire, et le compte-rendu de la discussion qu'ils ont soulevée: on peut y étudier le système anglais et les critiques qui lui sont adressées. Signalons aussi une série de mémoires très instructifs sur les diverses méthodes en usage pour l'enseignement du chant dans les écoles primaires. J. G.

CHRONIQUE DE L'ENSEIGNEMENT PRIMAIRE .

EN FRANGE

ElAMBNS POUR LB CERTIFICAT D'ÉTUDBS PRUfAIRBS SUPÉRIEURES ET

RÉSULTATS EN 188^3. Od Sait qu'un décret et un arrêté du 23 dé- cembre 1882 ont institué et organisé des examens pour l'obtention du certificat d'études primaires supérieures. Cette mesure était la conséquence naturelle de Textension qu'ont prise depuis quelques années les écoles supérieures.

L'examen a eu lieu pour la première fols au mois d'août 1883 ; 1.239 candidats des deux sexes y ont pris part; 494 ont été jugés dignes du certificat, soit (en chiffres ronds) 40 pour cent. ,

Sur ces nombres, la part des écoles de garçons a été de 951 can* didats et de 370 réceptions, soit 39 pour cent; 57 déparlements ont fourni leur c«)ntingent.

Pour les filles, 27 départements ont envoyé 288 aspirantes, sur lesquelles il y a eu 124 réceptions (43 pour cent).

Les académies de Paris, Douai, Bordeaux tiennent la tête pour le nombre de candidats présentés. Puis viennent Besançon, Dijon Lyon, Grenoble, Toulouse et Nancy. Rennes clôt la liste, n'ayant que deux départements représentés sur sept.

Hâtons-nous de dire que cette année 1883 est une année d'essai. Ni les maîtres, ni les élèves n'ont eu le temps de se familiariser avec les programmes. Le nouveau diplôme est à peine connu dea familles.

Nous publierons prochainement le résultat pour Tannée 1884.

Les écoles de hameau. Du !«' octobre 1802 au 31 décembre 1884, il y a eu dans la Loire 102 nouvelles écoles installées, dont 40 écoles mixtes de hameau.

Les iO écoles de hameau étaient fréquentées au mois de décembre 1884 par 1,503 élèves, soit en moyenne 37 élèves par école.

L'école do hameau la moins fréquentée est celle de Chez, com- mune de Saint-(ieorges-en-Couzan, avec 15 élèves. L'école de hameau la plus fréquentée est celle de Sardon, commune de Saint-Genis- Terrenoire, avec 72 élèves.

Cette population scolaire qui se groupe dans les écoles nouvelle* est elle-même tout à fait nouvelle. Elle est composée d'enfants qui, avant l'ouverture de ces écoles, ne recevaient pas d'instruction. Cette prospérité des écoles mixtes de hameau est le résultat non d'un déplacement, mais d'un accroissement de la fréquentation scolaire.

C*est ce que l'inspecteur d'académie établit chiffres en mains par

278 EIVUK PÉDAGOGIQUE

la comparaison de la fréquentation des écoles pendant les années i88Ma88^a84.

On ne saurait mieux montrer combien il est utile et nécessaire de répandre Tlnstruction dans les hameaux.

Comités de correction. Le comité de correction chargé d*aider, par la correction des travaux mensuels, les instituteurs et les insti- tatri^es du département des Hautes-Alpes dans leur préparation au brevet supérieur et au certificat d*aptitude pédagogique, a pensé qu'en dehors des remarques dont chaque copie a été l'objet, il y avait lieu de faire dans le Bulletin départemental des remarques générales sur la valeur d.es devoirs qui lui ont été soumis. C'est de cette même façon d'ailleurs qu'on procède dans plusieurs autres dépar- tWQsents, et nous ne pouvons que féliciter bien sincèrement les ocmiités qui prennent si sérieusement à cœur une tâche si sérieuse.

Le comité de correction des Hautes-Alpes trouve que les travaux pédagogiques manquent en général d'orientation, de netteté et d'or- dre, f Les raisons sont peu solides, les analyses superficielles, les idées confuses, la discussion incomplète et mal digéfée. On em- prunte à la mémoire et à l'imagination beaucoup, plus qu'on ne demande au bon sens et au raisonnement. On prend trop souvent «la paille des mots pour le grain des choses >•

I^s travaux littéraires montrent l'absence des fortes lectures; on •fen tient trop aux manuels et aux traités de composition.

Dans les sujets d'histoire^ on doit dédaigner les vaines déclama- t&CNQs et ne pas s'en tenir à un simple amoncellement de faits : on tombe souvent dans l'un ou dans l'autre défaut. On voudrait que les instituteurs comprissent mieux les lois de la perspective en histoire.

Ils réussissent mieux dans les sciences mathématiques et dans les sciences physiques et naturelles : il leur est cependant recommandé, el^ très justement, de bien ordonner leurs calculs et de suivre un •évère mode d'exposition.

Les bibliothèques scolaires et populaires. M. Roux, directeur . de l'école normale primaire de Clermont, se demande comment il aérait possible de renouveler périodiquement le fonds des biblio- thèques. Comme le recteur de l'académie, il est partisan de l'œuvre du « Sou des Bibliothèques » ; il fait en outre appel aux concessions ministérielles, à la libéralité des Conseils généraux, des conseils municipaux. On a des ressources, généralement de faibles res- sources ; mais il faut les utiliser, c'est-à-dire qu'il ne faut pas se ooûtenter d'acheter les meilleurs livres aussi économiquement que possible, mais de les faire lire et par suite de les faire circuler au moyen de « bibliothèques cantonales roulantes ». Laissons M. Roux exposer son système :

CHRONIQUE DE L'BNSBIGNSMSNT FRIMAIRE EN FRANCE 279

Supposons, dit-il, un canton de 15 communes, peuple de 12,000 habitants Chaque commune fournirait une cotisation de 3 francs par 100 habitants. C'est one somme si minime ^u'il n'est pas une commune qui ne puisse. la fSournir. La somme totale serait, par conséquent, de 360 francs, avec laquelle on achèterait au moins lôO volumes.

De plus, les communes seraient autorisées à détacher de leurs biblicthôques respectives de 5 à 15 volumes, selon leur importance, de manière à ajouter 150 autres volumes aux 150 qu'on acquerrait, comme il est dit plus liant. Soit un total de 300 volumes qui constitueraient, pour commencer, la biblio- thèque cantonale roulante.

Pour dresser le ctitaloç^ue de cette bibliothèque, les instituteurs, munis dn catalogue de leurs bibliothèques communales respectives, se réuniraient au chef-lieu de canton, à l'occasion d'une conféreuce pédagogique, et là, sous la présidence de linspecteur primaire, ils arrêteraient le cliDix des ou- vrages à .'icqu(>rir et de ceux à détacher des biblioth^ues communales.

Les 300 volumes seraient ensuite divisés en 15, parts égales. 20 volumes seraient confiés pour six mois, à chacun des instituteurs du canton.

Les 15 communes auraient un numéro d'ordre et seraient classées dans une série circulaire suivant la position topographique qu'elles occupent dans le canton, de manière que le numéro 1 lùt voLin du numéro i, celui-ci du numéro 3. etc.

A l'cvpi ration des six mois, la commune n** 1 passerait ses 20 volumes à la commune n* 2 et recevrait ceux de la commune n* 15, et ainsi de suite.

La bibliothèque cantonale roulante pourrait ainsi pendant sept ans, même avec une première mise de fonds de 3 francs seulement pa> 100 habitants, procurer, chofjnc année, 40 volumes nouveaux à chacune des 45 communa au canton.

Que serait-ce si les cotisations étaient plus fréquentes et plus importantes ? On pourrait ainsi constituer, dans chaque canton, une bibliothèque dont le fonds serait rehitivement très riche.

L'inspeclear d'académie de rAUier recommande de son côté l'œuvre du Sou des Bibliothèques et donne à ce sujet les indica- tions suivantes:

Il pourra paraître difficile d'obtenir une cotisation, si minime qu'elle soit, dans certaines écoles. La caisse d'épargne scolaire, dira-t-on, absorbe les petites économies des écoliers ; de plus, les familles, se fondant sur la gra- tuité de renseignement, se déshabituent en beaucoup d'endroit; d'acheter à leurs enfants des livres, C'ihiei's, plumes, etc.. et le plus souvent il faut avoir recours à la générosité des communes pour obtenir les fournitures scolaires. Cependant, que MM. les instituteurs nous prêtent leur concours, qu'ils fassent comprendre aux parents l'intérêt qu'ont leurs enfants à l'entretien d'une bi- bliothèque, l'utilité qu'ils en peuvent retirer eux-mêmes, puisqu'elle prête des ouvrages k tout le monde : ils parviendront, j'en suis sur, à déterminer, je ne dis pus tous les élèves, mais «incertain nombre à apporter leur contingent. Peu à neu les enfants en prendront l'habitude et nous aurons ainsi une source ae plus pour contribuer à ralimentition de la bibliothèque, source faible d'abord, mais qui ira grossissant ; et, d'ailleurs, quand on a un but aussi louable, il ne faut dédaigner aucun des moyens d'y arriver, si précaire qu'il paraisse au début.

Voici le mode de fonctionnement one l'on pourrait adopter : une boite fermant à clef serait installée dons la classe à côté de l'armoire-bibliothèqoe; l'inspecteur primaire, gardien de la clef, ouvrirait cette boite à chacune de ses visites h l'école, et, en présence de l'instituteur, inscrirait le montant sur le registre des recettes. Quand la somme atteindrait 5 francs, l'inspecteur, de concert avec l'instituteur, désignerait les ouvrages à acquérir, lesquels seraient achetés immédiatement. Mention en serait faite au registre des dé- penses et au catalogue de la bibliothèque. Si le produit de la cotisation était

S80 AIVUK PÉDÀ606IQUX

inférieur à 5 (hincs au moment de la yisite de l'inspecteur, il la laisserait dans le tronc jusqu'à sa tournée suivante.

quelque miers i à en faire l'avance.

U est à présumer que, le tronc une fois installé, nombre de lecteurs ne refuseraient pas de contribuer pour leur part en y déposant eux-mêmes leur eotisatlon chaque fois qu'ils viendraient prendre un livre à l'école.

La bibuothèque scolaire dx Saint- Vaurt. Nous lisons dans le Bulletin de la Creuse:

M. Sauvanet, instituteur public à Saint-Yaury, vient d'obtenir en faveur de sa bibliothèque scolaire un résultat qui nous parait devoir être porté à la connaissance du personnel.

Cet instituteur parle souvent à ses élèves, dans les leçons de lecture, de Futilité de la bibliothèque scolaire et des moyens d'assurer la prospérité de cette institution.

Dernièrement, les élèves de la classe de M. Sauvanet, après avoir consulté leurs parents, sont venus spontanément offrir à leur maître de souscrire à l'œuvre du Sou des Bibliothèques scolaires. Ils ont dressé eux-mêmes un petit acte d'adhésion par lequel ils s*cngagent à verser un sou par mois non seulement pendant la durée de leur scolarité, mais encore après leur sortie de l'école.

De pareils engagements font le plus grand honneur aux élèves qui les pren- nent et au maître qui les provoque par son enseignement.

La fréquentation scolaire a Yialas. La commission scolaire de Vialas (Lozère) a pris une heureuse initiative dont il y a lieu de la féliciter. Afin d'encourager la fréquentation scolaire, elle a décidé de récompenser par des bons points géographiques et des bons points d'histoire naturelle les élèves qui auront fréquenté assidûment Técole, c'est-à-dire qui en fin d'année n'auront jamais figuré sur l'extrait mensuel du registre d'appel. L'an dernier 137 élèves de la commune ont été récompensés.

Une « exécution en massi » a Cormicy. Il s'est trouvé à Cormicy

près de Reims un certain nomi)re d'enfants qui n'ont pas fréquenté

l'école. Le maire a écrit à ce sujet à l'inspecteur primaire, à la date

du 14 décembre 1884:

Pour répondre à toutes les excuser possibles, j'ai fait prendre par le bureau de bienfaisance et le conseil municipal une décision par laquelle nous laissions

f)leins pouvoirs à un certain nombre de dames de notre ville pour mener 'affaire vite et bien . . ,j.

Le nerf de la guerre étant l'argent, j'ai pu disposer immédiatement d une somme de cinq cents francs pour subvenir à tous les besoins. M. le préfet n'a pu que signer des deux mains ces projets philanthropiques.

J'ai convoqué ces dames. Dix ont répondu à l'appel. Beaucoup d autres se mettent à leur disposition. , ^ . ,.. i. *x

Sabots, chaussons, bas, souliers, vêtements de toutes sortes ont été achetés immédiatement. La confection de beaucoup de ces objets a été répartie enU*e toutes les personnes de bonne volonté (et il n'en manque pas).

CHRONIQUE DK l'kNSEIGNKMBNT PEIMAIRE EN FRANGE 281

Dans quelf^ues jours, monsieur l'inspecteur, 40 enfants au moins auront de -quoi passer 1 hiver, sans trop souffrir du froid.

J'ai supposé que cette exécution en masse de tous les défaillants des écoles de Cormicy ferait peut-être plus d^eflTet que les paroles sévères que nous pour- rions leur adresser, assis a côté d^unbon feu.

Les élèves hospitaliers du Doubs. Il était difficile dans le Doubs, comme il Test dans d*auLres départements, d'obtenir que les enfants assistés d'âge scolaire fréquentassent l'école jusqu'à treize ans confor- mément à la loi du 28 mars 1882. Pour obvier à ce mal, le Conseil général a décidé que la pension mensuelle de 12 francs, qui cessait d'être payée aux nourriciers des élèves hospitaliers dès que ceux-ci avaient atteint leur douzième année, sera continuée jusqu^à la trei- zième année d'âge des élèves. C'est une fort bonne mesure qui devrait être prise dans tous les départements.

Exposition scolaire de 1889. Le conseil d'administration de l'Alliance française, dans sa séance du 22 décembre 1884, sur la proposition de M. P. Foncin, secrétaire général, a décidé de faire figurer a TExposition universelle de 1889 :

1<* Une statistique de toutes les écoles françaises du globe;

2<' Des exemplaires de tous les livres de classe en usage dans ces écoles;

:io Des spécimens de devoirs, dessins, travaux manuels, etc., envoyés par les élèves.

Un règlement ultérieur indiquera dans quelles conditions doivent avoir lieu ces envois.

Exposition scolaire de Beauvais. Les établissements d'instruc- tion publique ou libre de l'Oise sont invités à prendre part à l'ex- position scolaire qui aura lieu à Beauvais du 28 mai au 28 août. Les travaux ou objets à exposer seront divisés en trois catégories: 1<> les travaux d'élèves (cahiers, dessins, travaux manuels); les travaux des maîtres (méthodes, tableaux, mémoires ayant trait à l'éducation, musées scolaires, historique de l'enseignement, monographies loca- les, travaux relatifs à l'agriculture; caisses d'épargne, cours d'adul- tes, etc.); 3"^ le mobilier et le matériel scolaires ( tables— bancs, appareils de chauffage, matériel pour renseignement de l'arpentage, de la géométrie, des sciences physiques et naturelles, du modelage, du travail manuel, delà gymnastique; tableaux et cartes).

Exposition scolaire d'Angouléme. Une exposition scolaire aura lieu au mois de mai prochain à Ângoulême à l'occasion du concours régional . Les envois des exposants seront répartis en quatre sections : l'* section, travaux d'élèves; 2^ section, écoles maternelles; 3* section, travaux des instituteurs et des institutrices; 4^ section, matériel d'enseignement. Les instituteurs sont en outre invités à produire les plans des bâtiments scolaires.

Exposition scolaire agricole a Tours. Comme l'année dernière, l'Union des Comices agricoles d'Indre-et-Loire a décidé que l'expo-

:S63 . . iUEVCK PÉDAGÛGiaCI

.siUon annuelle ocganisée par ses soins comprendrait une partie scolaire. Les instituteurs et institutrices qui désirent y prendre part devront adresser le plus tôt possible au secrétaire de l'Union des Comices les objets destinés à l'exposition, à savoir : travaux pers(Hi- nels sur l'agriculture, travaux des élèves, collections relatives à l'en-

•■ seignement agricole, en un mot tous les documents de nature à montrer les efforts du maître et les résultats obtenus par lui dans la partie agricole du programme des classes primaires.

Le bureau de l'Union a décidé, en outre, qu'il y aurait, à l'occasion de l'exposition, un concours entre les instituteurs lauréats désignés

' par les Comices d'arrondissement.

Cette exposition aura lieu à l'école du Musée les 4, 5 et 6 avril prochain

Les sourds-muëts du Rhône. La question de l'enseignement oral des sourds-muets est plus que jamais à l'ordre du jour. La ^Société d'assistance et de pdtronage des sourds-mnets de Lyon vient * d'adopter la méthode orale; xîette société, qui n'a été fondée qu'en ' novembre 4883, est déjà très prospère; eUe étend son patronage aux sourds-muets pauvres du département du Rhône et des déparlements voisins. Les sourds-muets sont instruits dans l'institution de M. Hu- gentobler ; ils étaient déjà l'an dernier au nombre de 29, dont 16 boursiers. A la distribution des prix, le directeur a montré les résultats obtenus, qui sont vraiment surprenants. Il a fait faire aux plus jeunes élèves des exercices d'articulation sur des mots simples ou composés que les élèves répètent avec facilité en lisant sur les livres du professeur. A la division moyenne, M. Uugentobler fait une leçon de choses : les questions et réponses s'entrecroisent, et la conversation prend une tournure très naturelle. La division supé- rieure fut questionnée sur l'histoire et la géographie. Un des élèves .invité à faire oralement le tour du monde a montré par des à-propos imprévus avec quelle sûreté il savait manier la carte du globe. Un autre enfant de la divisioa moyenne a récité le Lion et le Rat de La Fontaine, et un troisième la Patrie de V. de Laprade.

Les sourds-muets de Curièrb. Le Bulletin de l'Isère rend compte d'une excursion faite à l'établissement des sourds^muets de Curière, près Saint-LaurentHiu-Pont, par les instituteurs et les institutrices de ce canton. aussi l'on emploie la méthode orale, aussi les pro- grès ont été très extraordinaires : l'école compte 40 élèves répartis en quatre divisions; le professeur parcourt avec les mêmes élèves tout le cycle des études. Ce qu'il y a de plus difficile, au début, dit le direc- teur, c'est de faire perdreaux sourds-muets Thabitude de respirer par la bouche. On voit en effet généralement que ces malheureux ont la bouche ouverte; les enfants, en arrivant à Curière, ne peuvent pas éteindre une bougie placée tout à fait devant la bouche. «Il faut donc commencer par leur apprendre à respù'er par le nez, véritable voie que doit parcourir Tair pour arriver aux poumons. Mais, pour son bon fonctionnement, il faut que cette voie soit déblayée. Aussi,

CHRONIQUE DE L'ENSEIGNEMENT PRIMAIBE EN FKÀNGE 283

sur un signe du professeur, tous les élèves se mouchent-ils avec un ensemble parfait. La voie respiratoire étant libre, il faut habituer rélève à s'en servir : on le fait soufQer et respirer par le nez et on ne craint pas de répéter ces exercices. Les leçons* suivantes ont pour but Texercice des muscles de la langue, des lèvres et des joues. » On comprend qu'il faille une extraordinaire patience pour arriver «nfin à faire parler distinctement les sourds-muets : leurs -profes- seurs n'en ont que plus de mérite.

Une souscription dans les écoles du Pas-de-Calais. —Vingt-huit ou- vriers ont trouvé la mort il y a peu de temps dans les mines de Liévin. ils laissaient des femmes et des enfants. 11 y a eu aussitôt un grand sentiment de pitié suivi d'un grand mouvement de charité pour les veuves et les orphelins des victimes de la catastrophe. Une souscrip- tion ouverte dans les écoles primaires universitaires en leur faveur a produit plus de 10,000- francs. Le lycée de SaintrOmer, les collèges, les cours secondaires déjeunes filles ont tenu également a s'intéresser à cette bonne œuv/^. Le montant total de la souscription est de I2,S00 francs. Le Journal pédagogique du Pas-de-Calais dit à ce sujet . « Tous les établissements universitaires à tous les degrés ont voulu affirmer u.ie fois de plus les sentiments de fraternité, de solidarité qui sont le fondement de notre éducation nationale. On est d'autant plus heureux d'enregistrer un tel résultat que la somme ainsi recueillie représente bien Téconomie de l'enfant, le sacrifice qu'il s'est volontairement imposé pour soulager une cruelle infortune. Que tous, élèves et maîtres, reçoivent nos cordiales félicitations. »

Les comptes-rendus des conférences pédagogiques. Nous avons dans notre numéro du 15 janvier félicité les instituteurs de Soissons de la bonne idée qu'ils ont eue de publier les procès-ver- baux de leurs conférences pédagogiques. On nous prie de faire remarquer à nos lecteurs que les instituteurs savoyards rédigent aussi des comptes-rendus de ces réunions : c'est ce qui se fait d'ailleurs dans nombre de départements, et assez souvent l'inspec- teur d'académie fait un compte-rendu d'ensemble qui paraît dans le Bulletin départemontiil. Le recteur de Chambéry, M. Brédif, adresse depuis 1880 une circulaire semestrielle aux inspecteurs d'académie à* l'occasion des conférences d'hiver et d'été : publiée dans les Bulletins de la Savoie et do la Haute-Savoie, elle peut donner une idée des travaux des maîtres et de l'influence exercée par les réunions d'instituteurs sur les progrès de l'enseignement. A défaut de publi- cations spéciales, comme celles qu'on fait à Soissons, le moyen employé par M. le recteur de Chambéry est excellent. 11 ne faut pas seulement que les maîtres discutent entre eux les questions de méthodes : il importe qu'il reste une trace durable de ces discussions.

à

œURRIER DE L'EXTÉRIEUR

Angleterre. L*LJnioQ nationale des institateurs primaires se prépare a descendre dans Tarène électorale avec Tespoir d'obtenir pour ses candidats, lors du prochain renouveUement du Parlement, un ou deux sièges à la Chambre des Communes. Le secrétaire de rUnion, M. Heller, a adressé aux sections de l'association une cir- culaire à ce sujet. Il rappelle que le congrès dlnstituteurs réuni à Shefideld en 1882 a voté une résolution portant « qu'il était dési- rable que des démarches fussent faites en vue d'assurer une repré- sentation directe des instituteurs au Parlement ». Le moment d'agir est venu : le comité exécutif de l'Union a décidé la création d'une caisse spéciale pour les élections, et a résolu de présenter deux candidats au moins, qui seront officiellement soutenus par l'Union.

« Je dois ajouter, dit M. Heller, que le comité exécutif s'est mis en relations avec les chefs de différentes associations politiques, en vue d'une entente relati rement à la candidature fie deux instituteurs lors des prochaines élections. Le comité exécutif espère qu'en cette circonstance les instituteurs sauront oublier toutes les divisions po- litiques, et s'uniront sérieusement pour obtenir l'entrée à la Cham- bre des Communes d'au moins deux membres familiers avec la pratique de l'enseignement, et connaissant les difficultés qui font obstacle aux progrès ultérieurs de l'éducation nationale. »

Autriche. Les instituteurs autrichiens ont à plusieurs reprises protesté contre l'article du règlement scolaire général qui interdit l'emploi des punitions corporelles. Récemment, une association des instituteurs de Vienne, qui se donne le nom de Société Diesterwegy avait résolu d'adresser une pétition 'au ministre de rinstruction publique pour obtenir l'abrogation de cet article; mais die a dij renoncer à ce projet en présence du communiqué suivant, qui a paru dans les journaux officieux :

a On prête à la Société Diesterweg l'intention d'adresser au minis- tère une pétition pour demander l'abrogation de l'article 24 du règlement scolaire général, article qui interdit l'emploi des punitions corporelles. Son Excellence M. le ministre des cultes et de l'instruc- tion publique a prié le gouverneur de la Basse-Autriche de faire savoir au conseil scolaire provincial que toutes les pétitions concer- nant ledit article qui pourraient lui parvenir devront, non pas être transmises au ministre, mais retournées purement et simplement à leurs auteurs comme sans objet, attendu qu'il n'entre pas dans les intentions du ministre de l'instruction publique de modifier dans le sens indiqué le règlement scolaire général. »

Ce n'est pas sans quelque étonnement qu'on assiste, de loin, à cette singulière interversion des rôles : une association se disant libérale, qui demande le rétablissement des punitions corporelles; et un gouvernement conservateur, qui défend contre ces instituteurs « libéraux » les idées modernes en matière d'éducation.

COURRIER DK L'eXTÉRUUR 28S

BelgicTue. Nous avons sous les yeux le nouveau programme- type des écoles primaires communales, publié le mois dernier par le ministère de l'intérieur. Ce programme est resté, en substance, le même que celui du ^0 juillet 1880, mis en vigueur par le fi^ouverne- ment linéral. Mais renseignement de l'histoire est moins &velojppé; il ne commence qu'au degré moyen et ne comprend plus que rnis- toire nationale. En outre, l'étude des formes ^géométriques et celle des éléments des sciences naturelles sont rejetées dans les branches facultatives. En somme, appliqué i>ar de bons maîtres, ce pro- gramme reste excellent. Mais c^ue devient le meilleur des prosrammes entre des mains inhabiles ou ignorantes? Tant vaut le maître, tant vaut l'école. Or, à quels maîtres le ministère catlioliquo a entrepris de livrer l'école primaire, c'est ce que fait voir clairement la dis- cussion qui a eu lieu le mois dernier à la Chambre des représen- tants à l'occasion du budget de l'instruction publique. Nous en reproduisons quelques fragments ci-dessous.

Le rapporteur du budget de l'intérieur et de l'instruction

Sublique, M. Melot, député de Namur, a fait connaître le résultat es modifications introduites dans l'organisation scolaire jusqu'au janvier dernier par 1,060 communes. En voici le résumé:

1,136 écoles communales sont maintenues, 836 écoles communales sont supprimées ; la population des écoles supprimées comprenait i4,39i enfants; 792 instituteurs et institutrices sont mis en dis- ponibilité;

/7/ écoles gardiennes (salles d'asile) sont supprimées ; la population décos écoles comprenait 5,063 enfants; —144 institutrices d'écoles gardiennes sont mises en disponibilité:

77/ écoles d'adultes sont supprimées; la population de ces écoles comprenait 13,431 élèves.

Par contre, /,/é?0 écoles libres ont été adoptées; sur ce nombre, 417 sont dirigées par des congréganistcs.

Les chllTres ci-dessus se rapportent à 1,060 communes seulement, et la Belgique compte en tout 2,581 communes. Nous ne sommes donc qu'au commencement, et l'on peut s'attendre à bien d'autres suppressions encore.

Dans les explications c[u'il a données à la Chambre, le ministre, M. Thonissen, s'est exprimé de la manière suivante au sujet de l'enseignement religieux, que les communes, d'après la nouvelle loi, ont la faculté d'introduire désormais dans le programme des écoles publiques :

« La chute de la loi de 1879 a pris, dans toutes les provinces, même dans celles Topinion libérale possède la majorité, le caractère d'une véritable délivrance.

» Partout les conseils communaux se sont empressés de répudier l'enseignement neutre, d'inscrire l'enseignement religieux au nom- bre des matières obligatoires du programme. Et cependant, je m'em- presse de le dire, le gouvernement n'a exercé aucune pression quelconque.

> L'administration manque de renseignements positifs pour Quel- ques communes; mais, dès à présent, il est permis d'affirmer, d'une manière générale, qu'à part Bruxelles et ses faubourgs, Anvers,

286 B£VU£ PÉDAGOGIQUK

Louvaiû, Charleroi, Liège, Huy et un petit nombre d'autres localités, runanimité des communes se sont volontairement prononcées contre Fenseignemeot neutre. Le système de la loi de 1879 est répudié par le pays. » A celte affirmation, M. Magis, meipbre de la gauche, a répondu : « Le ministre s'est appesanti sur ce fait qu'un grand nombre de communes ont inscrit au programme de leurs écoles primaires Feaseignement de la morale et de la religion. Mais M. ThoDisscn oublie que la loi de 1879 permettait de donner cet enseignement, et qu'il était donné dans toutes les écoles communales du pays, je le

Sensé, du moins; en tous cas, il n'y avait quie de très rares excei^ ons (1).

» En inscrivant aujourd'hui l'enseignement religieux au programme de leurs écoles, les communes n'ont fait en râdité que cont>acrer un état de choses existant.

» Et pourquoi ont-elles inscrit cet enseignement au programme? Est-ce par réaction contre la loi de 1879? Nullement. Dans le plus grand nombre des communes, à Gand, entre autres, cela n'a été fait que pour éviter l'adoption d'office, par le gouvernement, des écoles fibres (2).

» C'est contraintes et forcées que plupart des administrations communales ont insicrit renseignement de la morale et de la reli- gion dans le programme de leurs écoles. C'est contrainte et forcée que la ville de Gand a adopté pareille mesure. Mais, en le faisant, elle a maintenu le caractère neutre de renseignement scientifique de l'école.

de

de la faculté que lui donnait la loi de 1879, d'enseigner

dans les locaux scolaires; il y consent sous la loi de 1884, parce

qu'il y a au banc ministériel des ministres catholiques (3). >

Un autre orateur de la gauche, M. Cailler, a indiqué un fait bien caractéristique : dans un grand nombre de Communes le clergé est tout puissant, le conseil communal n'a pas jugé à propos d'inscrire la religion au programme de l'école. « Cest, dit5LCallier,

f>arce que ces communes veulent, d'accord avec le clergé, ruiner 'enseignement public. Nous voyons cette étrange situation que dans une foule de communes cléricales le prêtre et l'adminislration communale se liguent pour maintenir la neutralité de l'école

( 1 ) La loi de 1879 disait : « Un local dans l'école est mis à la disposition des mi- nistres des culU'S pour y donner, soit avant, soit après l'heure des classes, l'enseignement religieux aux enfants de leur communion fréquentant l'école. » Et comme les curés avaient refusé de venir à l'éoole donner les leçons de religion, ces leçons étaient généralement données par l'instituteur.

(2) La loi nouvelle dit en effet: «Si, malgré la demande de vingt pères de famiUe, la commune met obstacle à ce que renseignement d? leur religion fasse partie du programme ci soit donné par les ministres de leur culte ou des personnes agréées par ceux-ci, le gouvernement peut adopter et subsidier tme ou plusieurs écoles privées, pourvu qu'elles réunissent les conditions ro-. quises pour, être adoptées par la commono. »

(3) Voir dans. notre numéro de janvier, p. 93, la réponse faite par révèque. de fiand au conseil municipal de cette ville.

COURRIER DE L'SXTÉRISUR 287 * '

communale afin d'en écarter la population. Mais, d'autre part, lorsque le clergé a alTaire à plus forte partie, nous voyons un autre : spectacle, nous voyons ce qui se passe a Gand; le clergé lui-même accepte la neutralilé scolaire; là, nous voyons le clergé accepter d'entrer dans les écoles, d'y enseigner la religion dans des conditions absolument identiques à celles qui lui étaient faites par la loi de 1879; nous le voyons entrer à l'école alors que l'enseignement reste neutre. Voilà le spectacle qu'il nous est donné de voir d'un côté et celui que nous voyons do l'autre. Aujourd'hui, sous la loi 1884 comme sous la loi do 1879, nous sommes en face d'un clergé qui fait litière de sa religion, qui en fait marchandage au profit de sa domination politique.

> Les honorables membres qui protestent voudront sans doute nous expliquer comment il se fait que le clergé entre dans les écoles : il refusait d'entrer en 1879. Ils nous expliqueront encore conmient le clergé, .qui a aujourd'hui la liberté absolue d'entrer dans les écoles de campagne soumises à son autorité, l'enseignement peut être donné comme il l'entend, refuse d'y venir. »

On sait qu'à teneur la loi de 1884, les conununes ne sont plus ohUgées qu'à l'entretien d'une seule école. Cette école communale . unique sera nécessairement mixte quant aux sexes. Par contre les écoles libres congn^ganistes sont spéciales aux garçons ou aux filles. . Dès lors, la tacitique des cléricaux est bien simple : dans toutes les communes ils sont les maîtres, ils suppriment les écoles communales de g.irrons et de filles pour ne laisser subsister qu'une école mixte : on espère ainsi que les filles quitteront l'école communale pour se rendre à l'école libre les élèves des deux sexes sont séparés.

Rien de tristement instructif comme la longue énumération faite par les orateurs de la gauche des décisions prises par les conseils municipaux pour la suppression d'écoles communales et l'adoption d'écoles libres; il faut lire ces détails pour saisir sur le vijf les'- habiletés de la stratégie cléricale. Le véritable but de la nouvelle loi était de mettre à la charge des pouvoirs publics les écoles libres créées par le clergé; et on y réussi. Les communes suppriment les écoles publiques, sauf celle que la loi les contraint à garder; et aussitôt elles adoptent une ou plusieurs écoles libres, prenant à leur charge le traitement du personnel enseignant libre. Quelquefois elles laissent subsister les écoles communales, mais elles rognent d'un tiers ou de deux tiers les traitements des maîtres; et les instituteurs officiels se trouvent ainsi payer en réalité les traitements des congréganistes. Enfin, conclusion inattendue, les communes se sont accomplis ces exploits, loin d'avoir diminué le chiflre de leurs dépenses, se trouvent avoir à payer beaucoup plus qu'auparavant, car les instituteurs congédiés ont droit à un traitement dit d'attente, et les congréganistes sont exigeants. Les catholiques sont arrivés au pouvoir en promettant des économies, et ils ont fait sur-le-champ augmenter de 20 0/0 les dépenses scolaires des communes! C'est ce qu'a prouvé chiffres en mains M. Callier pour la province de Flandre orientale ; le budget scolaire des communes de cette province (la ville de Gaud exceptée) s'élève à près d'un million, au lieu de 800,000 francs, chiffre de l'année précédente; « sur cette somme,

288 UVUE PiDÀGOGIQUB

ajoute Torateur, il y a 450,000 francs consacrés aux écoles adoptées, pour une seule province du pays 1 et j'ose dire que de ces 450,000 francs il y en a au moins 300,000 qui vont aux écoles de filles adoptées, c'est-à-dire droit aux couvents! >

Espagne. Il a été présenté le mois dernier, par M. Victor Ralaguer au Congrès, et par M. Merelo au Sénat, une proposition tendant à la création d'un ministère de l'instruction publique et des beaux-arts. On sait qu'aujourd'hui la direction oe l'instruction publique est rattachée au ministre du Fomento (travaux publics, commerce et agriculture).

Hollande. Le parti conservateur demande la révision de Tar- ticle 194 de la constitution, relatif à l'instruction publique. Cet article porte « qu'il est donné dans tout le royaume, par les soins de Tau-

insuffisant.

Italie. La loi sur le paiement des traitements et sur la no- mination des instituteurs a été votée par la Chambre le 26 fémer dernier.

Le ministre de l'instruction publique aura maintenant à s'occuper, selon sa promesse, d'un projet de loi relatif à l'augmentation des traitements du personnel enseignant primaire.

Le budget de 1885 prévoit une augmentation du nombre des inspecteurs primaires. 11 y en a actuellement 147, savoir 10 de !>'<' classe 3,000 fr.), 20 de classe 2,500 fr.), 40 de classe 2,000 fr.) et 77 de classe 1,500 fr.). Il y en aurait désormais 238 : 25 de l'^e classe, 35 de 2*, 87 de et 91 de classe.

Le gérant : IL Gantois.

UÉPRIMEIIII CINTRALR OIS CRIMIXS 01 PIR. IHFRIIIIRIB CHAIX Rll BIROàu, tO, PAIU. 4854-5.

iNnHc (érie. Ttae VI. N<> 4. IS Avril ISSS.

REVUE PÉDAGOGIQUE

LE SENTIMENT DU RESPECT

Oq ne refait pas les hommes, mais on peut les former. Si la génération qui maintenant est entre nos mains en sort sang porter dans la société elle va se répandre des principes sûrs, des idées saines, et la ferme volonté de les faire prévaloir, si elle ne donne pas à la République des mœurs vraiment républicaines^ c'est-à-dire vertueuses, elle accroîtra le mal qu'elle est appelée à combattre, elle en rendra la guérison plus difficile encore.

Hais pour former cette génération en qui reposent nos espé- rances, ce ne sont pas seulement les idées fausses qu'il faut rec- tifier, et lesidôes justes qu'il faut implanter, ce sont les bons sentiments qu'il importe de réveiller et de répandre ; car ces sentiments n'ont pas moins d'action sur la volonté que les idées elles-mêmes ; et dans un pays comme le nôtre les mouvements de la sensibilité causent plus d'entraînements que l'intelligence ne dicte de résolutions.

Voyons donc parmi les sentiments qui font vivre la famille et prospérer l'État, qui sont le gage de la santé morale chez les particuliers et dans les sociétés, voyons quels sont ceux que nos bouleversements politiques, que les changements produits dans nosmcB'.irs par l'accroissement de la richesse, le développement de l'industrie, la liberté de la presse, la vulgarisation des lettres et des arts, ont pu affaiblir ou dessécher et qu'il faut vivifier et raffermir.

Au premier rang de ces sentiments appauvris, je placerais le respect de l'autorité. Il est aussi inutile d'en nier raffaiblissement qu'aisé d'en trouver les causes. Dans un pays qui, en moins d'un siècle, a été remué jusqu'en ses dernières profondeurs par cinq révolutions prévues ou imprévues, et mâle à plusieurs reprises par des réactions violentes et des coups d'État sanglants, toutes les autorités, politiques, judiciaires, civiles, religieuses, militai- res ou autres, ont été successivement et inévitablement compro- mises par leurs faiblesses ou leurs défections, leurs complaisances

RBVUB PiDAGOGIQUK 1885. l^r SBll. J9

390 RIVUE PÉDAGOGIQUE

OU leurs complicités. Ajoutons à cela qu'entre les partis victo- rieux, et les partis vaincus a toujours régné une déplorable émulation de dénigrement réciproque ; si bien que la rage de la défaite et Tabus de la victoire ne laissant intacte aucune répu- tation, même la plus pure, ont conspiré à détruire dans les âmes le respect de Taulorité. Et cependant, dans celte période agi- tée de notre histoire, s'il v a eu des défections fameuses, il v a eu bien des fidélités glorieuses, et, au-dessous des trahisons retentissantes, bien des obscurs dévouements, bien des vertus muettes. Mais la gloire fait moins de bien que la honte ne fait de mal, et d'ailleurs toute l'attention de la foule se porte vers la scène, sur les grands acteurs. Or l'autorité n'est pas un prin- cipe purement abstrait, que sa nécessité évidente mette à l'abri de toute atteinte. Ce principe prend un corps, il s'incarne, et les hommes qui le représentent ne sauraient faillir sans que le principe lui-môme ait à souffrir de leurs défaillances. Et quand ces défaillances se multiplient, quand elles se renouvellent à des intervalles fréquents, l'estime diminue, la défiance augmente, et le respect s'en va. Il y a donc une sorte de fatalité historique dans l'affaiblissement de ce sentiment vital ; mais puisque Tin- stabilité de tant de gouvernements caducs lui a été si funeste, on peut raisonnablement espérer que la stabilité des institutions républicaines lui rendra sa force et sa vertu.

L'enfant, par cela même qu'il est enfant, est enclin au res- pect. C'est dans la famille (\\xe ce sentiment prend naissance et qu'il se déveioppe mê!é à la piété filiale. Mais il ne reste pas enfermé dans le cercle de la famille, il s'étend d'abord à toutes les personnes qui, à un titre quelconque, représentent l'auto- rité paternelle et enfin, quoique à un degré moindre, à toutes les grandes personnes. C'est qu'en effet, dans son essence, le respect n'est que le sentiment et l'aveu de notre infériorité et de notre dépendance, et l'enfant a conscience de son infériorité vis-à-vis de ceux qui l'entourent; chaque instant lui démontre qu'ils le surpassent en force, en savoir, en expérience; il est donc naturellement porté à le reconnaître et à le témoigner. Cependant peu à peu, à mesure qu'il grandit et que décroît la dislance qui le sépare des hommes faits, il s'enhardit à la com- paraison qu'il trouve quelquefois à son avantage. Tout à l'heure.

LE SENTIMENT DU RESPECT 29t

le voilà leur égal et peu disposé à accorder aux autres ce qu'on lui refuserait à lui-même. Hais daas cette t*volution qui modifie insensiblement le caract<>re de ses sentiments à Tégard de ceux dont il se rapproche chaque jour davantage, il faut prendre garde de laisser s'affaiblir et se perdre le respect de Taulorité. Et pour cela, il faut de bonne heure transformer ce sentiment instinctif en sentiment réfléchi; si on réussit à faire comprendre à l'enfant que ce sentiment est à la fois une obligation morale et une nécessilx5 sociale, il deviendra respectueux par devoir cl par raison comme il l'était par instinct.

Sans doute, pour être respecté, il faut c^lre respectable, et les sentiments s'inspirent bien plus quils ne s'imposent. Aussi les gouvernements doivent-ils ne conlier les fonctions publiques qu'à des hommes qui commandent l'estime, et les électeurs doi- vent-ils n'accorder leurs suffrages qu'à des citoyens dont la réputation soit intacte. Mais si scrupuleux que se montrent gouvernants et gouvernés, ils ne sauraient éviter des méprises et des surprises ; car, d'un côté, la vérité n'est pas facile à démê- ler, et, de Taulre, un passé irréprochable n'est pas une garantie d'une certitude entière. Les fonctions publiques offrent des tenta- lions inconnues à la vie privée, et auxquelles ne résistent pas toujours des hommes réputés jusque-là im[>eccables.

11 importe donc qu'eu dehors de l'estinic qui tient à ia per- sonne, et que nous ne pouvons pas plus refuser à ceux qui la méritent qu'on ne peut nous Timposcr pour ceux qui ne la méritent pas, il importe, dis-Je, que nous soyons de bonne heure habitués à res[>erter les fonctions en elles-mômes et l'auto- rité qu'elles confièrent. Ce respect à la fonction, à raison de sa nature, ne nous rendra que plus sévères pour ceux qiii s'en montreront indignes, et plus circonspects dans nos choix; de plus, il rendra plus facile une obéissance nécessaire et restituera à l'autorité un prestige qui ne peut s'affaiblir sans danger pour les premiers intérêts du pays.

11 y a dans toute autorité un principe de respect qu'il faut dégager et mettre en lumière. Ce principe a sa racine dans le caractère et l'importance des fonctions dévolues h l'autorité et dans la valeur intellectuelle et morale qu elle réclame de ceux qui en sont investis. Civile ou militaire, poUtique ou judiciaire.

i

292 RIVUI PÉDAGOGIQUI

morale ou scolaire, elle représente Tinlérêt public, TÉlat, la pairie qu'elle a pour mission de défendre. Il n'y a pas d'assimi* lalion possible entre rexercice de ces fonctions et les professions ou les métiers qui n'ont pas d'autre objet qu'un intérêt purement privé. D*autre part, pour rendre la justice, pour commander une armée ou une partie de l'armée, pour administrer un départe- ment ou une commune, pour instruire et former la jeunesse, il faut des qualités de caractère et d'esprit que n'exige point l'exercice d'un métier. Mais de même qu'une société ne peut vivre sans le secours de l'autorité, de même l'autorité ne peut être réelle et efficace que si elle est secondée par le respect.

Appliquons-nous à faire comprendre aux enfants ces vérités élémentaires, et à faire naître en eux les sentiments dont elles contiennent le germe. S'il est une forme de gouvernement qui en ait plus particulièrement besoin, c'est assurément la forme républicaine ; car un gouvernement absolu, sûr d'inspirer la crainte, peut à la rigueur se passer du respect, ou se contenter de l'apparence ; mais une république, qui ne demande rien à la force, a du respect un besoin absolu. Il est plus nécessaire ■encore aux fonctions électives qu'à toutes les autres ; car le. mépris de l'élu retombe sur l'électeur, et l'on se rabaisse soi- même en rabaissant son choix ; aussi respecter ceux qu'a élevés le suffrage, ce n'est pas autre chose que se respecter soi-même.

C'est malheureusement une habitude de traiter plus que familièrement, et de juger sommairement les hommes revêtus de fonctions publiques et surtout de fonctions électives. On croit se grandir de toute la liberté qu'on prend à leur égard ; c'est un mal à guérir : car ce ne sont pas seulement les hommes qui y perdent, c*est la fonction elle-même et par suite la société. Habituons donc les enfants à parler respectueusement de tous les hommes que la confiance de l'Ëtat ou des électeurs ont investis de fonctions publiques, ou que leur mérite, leurs succès, leurs services ont portés à un rang élevé dans les diverses carrières ; habituons-les à juger les hommes, non sur les défauts dont aucun n'est exempt, mais sur les qualités dont ils font preuve et les services qu'ils rendent.

Il est un autre sentiment qui devrait, ce semble, avoir besoin (]u frein plus que de l'aiguillon : c'est le respect de la gran-

LE SENTIMENT DU RESPECT 293

deur intellectuelle ou morale. En effet; les peuples sont natu- rellement portés à Torgueil, et cet orgueil des peuples trouve sa meilleure excuse ou pour mieux dire sa légitimité dans la gloire des grands hommes, qui rejaillit sur la nation entière. Ce senti- ment parait si naturel et il est en réalité si puissant chez cer- tains peuples qu'il y engendre parfois des exagérations ridicules. Admirer ses grands hommes, les exalter, les surtaire, c'est presque de Tégoïsme. Cet égoïsme patriotique et respectable jusque dans son excès n'est pas un défaut français. Soit que la passion de Tégalilé nous égare, soil que Thabitudo de la critique nous domine, nos grands hommes n'ont guère à se louer de nous, et, à la façon dont on les traite, il leur est difficile de croire à Tamour de leurs concitoyens.

Et dans l'objet aimé tout leur devient aimable,

dit Molière en parlant des amants. Ce n'est pas ainsi que nous en usons avec nos gloires. Nous ne nous laissons guère aveugler par l'affection, et, à travers l'éclat qui les environne, nos regards scrutateurs et jaloux savent souvent percer jusqu'aux défauts qui les déparent ; et malheureusement on peut dire des hommes illustres ce que Malherbe dit des rois :

Pour grands que soient les rois, ils sont ce que nous sommes ; Tous ils ont leurs défauts, comme les autres hommes.

Ces défauts inséparables de la nature humaine, au lieu de les voiler ou de les taire par un sentiment bien entendu de patrio- tisme et de reconnaissance, nous prônons plaisir à les mettre en lumière, à les grossir môme et à en triompher. Pauvre et misérable triomphe qui rabaisse nos grands hommes sans nous relever nous-mêmes, car la distance entre eux et nous n'en est pas diminuée, et, si notre dénigrement les rabaisse, il nous fait descendre d'autant. 11 est vrai que cet acharnement cesse avec leur mort; que la réaction du sentiment public est pres- que instantanée, et qu'à ce tapage de la jalousie et de la calom* nie succède sans intervalle un concert de louanges et d'admi- ration. Une fois l'homme tombé, sa statue s'élève.

Notre tempsaen effet ceci de particulier qu'il est prodigue d'hon- neurs envers les morts illustres et d'outrages envers les vivants. De tous côtés sortent des statues pour réparer ces injustices et ces injures; mais ces réparations tardives n'ont pas encore

à

294 IIB¥UK FÉDA60GIQUB

adouci les mœurs, et Ton conlinue à faire expier aux hommes éminents la célébrité dont ils jouissent et à leur faire acheter chèrement les honneurs qui les attendent. Et cependant quoi de plus contradictoire et de plus anti-démocratique que d'exi- ger le respect pour les derniers des hommes, parce qu'ils sont citoyens, et de le refuser à ceux qui, citoyens aussi, ont tant d'autres titres à nos hommages ?

Quel honnête homme n'est saisi de dégoût à voir des follicu- laires rouler dans la boue les gloires les plus hautes, et des pygmées insulter aux géants de la pensée et de Vaction ? Mau- vaise est assurément l'idolâtrie des noms, et la République a raison d'y substituer le culte de la loi; mais qu'est-ce doncque la loi, sinon une image plus ou moins parfaite de la justice, et qu'a de commun la justice avec cette rage de dénigrement et d'injure qui s'acharne sur les supériorités de tout genre, avec ce ravale- ment de toute grandeur intellectuelle ou morale? Ce nest pas de l'égalité républicaine, c'est, qu'on me passe un barbarisme pour une chose vraiment barbare, c'est de l'égalisation.

Que l'instituteur ne néglige aucune occasion de déposer dans le cœur de l'enfant les semences de ce sentiment sain et vivi- fiant de l'admiration; qu'il voile par une sorte de pudeur respec- tueuse et rUiâle les quelques faiblesses qui sont comme l'alliage mêle aux plus précieux métaux, qu'il apprenne à l'enfant h respecter l'humanité dans ses types les plus glorieux, à respec- ter la patrie dans ses plus dignes représentants. La critique à outrance ne peut que dessécher la source des émulations fécondes et des nobles ambitions.

Il est un sentiment délicat entre tous et que je voudrais voir fleurir dans l'âme de nos enfants; ce sentiment, qui^ suffi à lui seul pour faire l'honneur de certaines républiques anciennes, c'est le respect de la vieillesse. Nous sommes sur ce point moins Spartiates qu'Athéniens, et plus enclins à rire des vieillards qu'à es plaindre. Chez nous non plus on ne se lève pas volontiers Ipour faire place à la vieillesse, et plus d'une fois dans la rue j'ai eu le cœur serré à voir des enfants, des jeunes gens même, pousser droit devant eux, forçant des vieillards à se détourner pour leur livrer passage. La belle et sévère leçon donnée par r^ Fontaine aux trois jouvenceaux moqueurs n'est que trop sou«

LE SENTIMENT DU RESPECT ^5

vent méritéa de nos jours. Quel honneur pour nos modestes écoles si nous pouvions y faire renaître ce sentiment exquis!

Aujourd'hui les enfants sont devenus Tobjet de la sollicitude nationale, et il faut s'en féliciter; mais, de la part dos parents, ils sont souvent aussi l'objet d'une tendresse complaisante et d'une vanité déplacée et ruineuse; on ne les élève pas, on les gâte; on ne les habille pas, on les pare; c'est presque de l'ido- lâtrie. Par contre la vieillesse n'est pas en faveur; notre temps a pour elle des termes durs, et il entre moins de pitié que de dédain. Il y a sans doute des vieillesses imposantes et glo- rieuses, devant lesquelles tout s'incline, et notre pays en a sa bonne part; mais los vieillards eu général, le commun des vieillards, ceux-là ne sont-ils pas traités avec indifférence et parfois avec mépris, comme objets de rebut? Et cependant, sans parler de notre intérêt bien entendu qui devrait nous faire songer à l'avenir et à ce qui nous attend, sans parler des pres- criptions de la morale et des injonctions de nos codes, le vieil- lard n'a-t-il pas droit, comme tout ce qui est faible, triste et menacé, à une sympathie attentive et affectueuse? Quel homme vraiment homme peut voir un vieillard sans songer à tout ce qu'il y a peut-être de misères et d'infirmilés dans ce pauvre corps qui va s'affaiblissant, à tout ce que renferme de regrets amers, de souvenirs douloureux et funèbres, ce pauvre vieux cœur qui va se refroidissant, et enfin à cette menace perpé- tuelle de la mort suspendue sur cette tête blanchie? Il n'y a pas matière à plaisanterie. Le vieillard est chose sacrée, comme l'onfant; que celui-ci apprenne donc à respecter son grand aillé. Du reste la nature nous aidera dans cet enseignement. IVinslinct, l'enfant aime le vieillard, qui le lui rend bien.

Je ne sais rien de plus touchant que ce rapprochement des extrêmes, que ces deux bouts de la \ip. qui se relient, que ce fM'and-père menant son petit-fils par la main.

Ai Ions à notre tour la nature et prenons garde que la gros- sièreté du langage ou la sécheresse du cœur ne viennent flétrir cet instinct délicat.

\a vieillesse m'amène tout naturellement à songer à la mort. Il est bon d'expliquer aux enfants pourquoi les hommes se découvrent silencieusement devant le corbillard qui passe; car

296 REVUE PÉDAGOGIQUE

les enfants ne s'associent pas spontanément à ces marques de respect. Sans doute il ne faut pas assombrir de pensées funè- bres Taurore de la vie, mais serait-il sage de tenir systémati- quement Tenfance dans une ignorance ou une indifférence complètes sur cette grande affaire de la mort qui remplit la vie? S'il est dangereux d'éveiller et de développer prématurément en lui une sensibilité énervante, on serait coupable de le laisser s'endurcir dans une insensibilité égoïste. Le mieux est de Fini- tiei virilement et progressivement à rintelligence de la destinée humaine, à ses caprices, à ses rigueurs, de l'habituer à sortir de lui-même, à se mettre en pensée au lieu et place des autres, à se sentir en autrui, à vivre dans ses semblables. C'est pres- que là tout le secret de l'éducation.

Ne craignons pas d'attacher un moment ses regards et son attention sur ce cercueil qui passe, sur ce père en larmes qui conduit son enfant à la dernière demeure, sur ces orphelins qui suivent les restes d'un père ou d'une mère enlevés à leur amour. La légèreté naturelle et nécessaire à l'enfant aura bientôt repris le dessus; mais une pensée salutaire aura traversé son esprit et y laissera un souvenir que les circonstances feront par la suite renaître utilement. Il en aura ou plus d'attachement pour ses parents, ou plus de pilié pour les orphelins.

Oserais-je dire que le respect des enfaats pour les parents est moindre qu'il n'était autrefois, et cela non seulement dans les familles pauvres, mais dans les familles aisées et même dans les familles opulentes? Cet affaiblissement d*un sentiment si nécessaire s'explique par le changement profond qui s'est opéré dans les esprits et qui n'a pas tardé à s'opérer dans les mœurs en tout ce qui touche à l'éducation du premier âge.

Montaigne a été l'un des premiers à pousser un cri de pitié pour les enfants qu'on martyrisait dans les écoles ; les philoso- phes du xvHi® siècle, J.-J. Rousseau surtout, ont éloquemment plaidé la cause de l'enfance, les pédagogues formés à leur école ont contribué à changer en une bonté attendrie la dureté des âges passés, et le mouvement profond de ces derniers temps en faveur de l'éducation populaire a achevé la conversion. Les en- fants ne sont plus battus, et ils ne doivent pas l'être; ils sont entourés de soins et nul ne saurait s'en plaindre. Mais ne

LE SKl^TIMKNr DU RESPECT 297

s'est pas arrêté ce retour de sensibilité à Tégard de Tenfance; si dans notre pays les changements d'tiabitude sont difficiles à provoquer, les régler est plus difficile encore. Nous passons vite et volontiers d'un eiLtrême à l'autre extrême, et les gens qui résistent à ce mouvement précipité, ceux qui essaient de l'enrayer, ceux-là perdent souvent leur temps et leur peine.

Dans la famille des siècles passés les enfants n'étaient rien ou pas grand' chose; dans la famille moderne ils sont tout ou peu s'en faut. Autrefois les enfants étaient traités avec sévérité, pour ne pas dire avec rigueur; on les tenait à l'écart, on les élevait dans la crainte, et la crainte est gardienne du respect. Autrefois ii table l'enfant ne parlait pas, aujourd'hui non seu- lement ou le laisse parler, mais on l'y invite, on l'écoute, et volontiers on l'admire. Il a, comme on dit, voix au chapitre, et souvent c'est son avis qui prévaut ou au moins sa volonté et parfois son caprice. Autrefois ce qu'il y avait de plus mau- vais était bon pour lui, en fait d'aliments comme de vêtements; aujourd'hui, entre lui et ses parents pas de différence pour la nourriture, ou, s'il y en a une, elle est en sa faveur; et pour l'habillement, elles ne sont pas rares les familles l'enfant est mieux vêtu que les parents ; ceux-ci y mettent presque de lorgueil ; la mère porte bonnet, la fille porte chapeau, et la famille voit dans cette différence la marque de son ascension dans l'échelle sociale. S'il y a encore dans le peuple des parents qui rudoient leurs enfants, c'est l'effet d'une brutaUté naturelle ou des colères alcooliques, mais en général les enfants sont traités avec une douceur et des égards que leurs aînés n'ont pas connus.

Dans leur langage, le t^ous traditionnel et respectueux qui maintient les distances a cédé la place au tu familier; les enfants traitent d'égal à égal avec leurs père et mère; ce sont de petits personnages, qui prennent de jour en jour une plus haute idée de leur importance et dont la volonté fortifiée par la fai-* blesse paternelle finit par ne plus rencontrer de résistance. Je n'apprendrai rien à personne en disant que l'émancipation an- ticipée des enfants est passée en habitude, que l'autorité pater- nelle compose avec eux et abdique avant l'heure, et que ni le bonheur domestique, ni les mœurs publiques n'ont rien gagné à cet affranchissement prématuré et à ce renversement des rôles.

296 IIIVUÏ PÉOAGOGlOtË

Mais alors, comment s'étonner que les enfants^ qui sont si habiles à pénétrer les caractères, à surprendre les faiblesses et à en tirer avantage, perdent aussi prématurément quelque chose du respect filial, et que ce sentiment s'en aille avec Taulorité qa'on abandonne? Le contraire aurait lieu de surprendre. Ajouterai-je que les parents ne se gênent guère en présence de leurs enfants, qu'ils abordent souvent devant eux des sujets délicats et scabreux, qu'ils les habituent aux jugements som- maires sur les personnes et les choses, qu'ils ne se méfient pas assez de leur pénétration naturelle et de leur penchant si fort à l'imitation, que leurs réticences maladroites ou leurs regards d'intelligence ne font qu'aiguillonner la curiosité ardente et active du jeune âge, et qu'enfin une association trop intime et trop précoce des enfants à la vie des grandes personnes les rend témoins de scènes qui ne sont pas toujours exemplaires.

Concluons donc que si le respect filial a diminué, la faute 0n est surtout à l'imprévoyance et à l'imprudence des parents eux-mêmes. Comme toujours, un changement excellent en principe, mais poussé trop loin dans la pratique, a produit des conséquences fâcheuses.

C'est une raison de plus pour que nos mattres inspirent de bonne heure aux enfants les sentiments qui conviennent à leur âge, pour qu'ils s'efforcent de lutter contre les habitudes r^nanles^ et de soutenir l'autorité paternelle qui se désinté- resse et s'abandonne. Et dans cette luUe contre le courant du jour, ils ne doivent pas songer seulement au présent qui pourrait les décourager, mais à l'avenir, qui doit soutenir leur courage. Dans l'enfant qu'ils élèvent, ils doivent envisager le futur père de famille, et soûger que les leçons d'aujourd'hui porteront leurs fruits plus tard. Devenu père à son tour, l'en- fant irrespectueux aujourd'hui se rappellera peut-être alors ses droits et ses devoirs ; les souvenirs de l'enfance sont comme ces germes qui peuvent dormir longtemps dans la terre, mais que des influences et des circonstances favorables viennent féconder et faire éclore. Il ne faut donc pas croire à l'inuti- lité des leçons parce qu'elles semblent perdues. Vienne le

moment propice, et la semence lèvera.

A. Vkssiot.

POESIES

[Nos lecteurs connaissent les Poèmes de Provence et la Chanson de Venfant, ces charmants recueils qui ont obtenu de l'Académie française une distinction bien méritée. Leur auteur, avec une bonne grâce dont nous le renercious vivement, offre à la Revue pédagogique la primeur de quelques beaux vers qui trouveront leur place dans un nouveau volume de poésies destiné à paraître prochainement. Il a pensé avec nous que les sentiments généreux et patrio tiques dont il s'est inspiré auront un écho dans le cœur des maîtres de nos écoles primaires; il a voulu qu'ils fussent les premiers à lire ses vers. Les instituteurs de France sauront gré au poète de cette pensée délicate. La Râlartion.

LA LÉGENDE DU FORGERON

Un forgeron forgeait une poutre de fer,

Et les dieux, les esprits invisibles de Tair,

Les témoins inconnus des actions humaines,

Tandis qu'autour de lui, bruissant par centaines.

Les étincelles d'or faisaient comme un soleil,

Les dieux voyaient son cœur, à sa foî^e pareil,

Palpiter, rayonnant, plein de bonnes pensées,

Etincelles d*amour en tous sens élancées!

Oir tout en raarlclant le fer, de ses bras nus.

Le brave homme songeait aux frères inconnus

A qui son bon travail serait un jour utile...

Et donc, en martelant la poutre qui rutile,

11 chantait le travail qui rend dure la main,

Mais (juî donne un seul cœur à tout le genre humain.

Tout il coup, la chanson du forgeron s'arrête:

« Ahî dit-il tristement, en secouant la tête,

» Mon travail est perdu, la barre ne vaut rien :

» Une paille est dedans; recommençons. C'est bien. »

Car le bon ouvrier est scrupuleux et juste ;

11 ne plaint pas l'eflort de son torse robuste;

Il sait que ce qu'il doit c'est un travail bien fait,

Qu'une petite cause a souvent grand effet,

Que le mal sort du mal, le bien du bien, qu'en somme

Un ouvrage mal fait peut entraîner mort d'homme.

Los étincelles d'or faisaient comme un soleil. Et de ce cœur vaillant, à la forge pareil. Étincelles d'amour en tous sens élancées. Jaillissaient le courage et les bonnes pensées.

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300 IŒVU£ PlDÀGOGIQUE

Et la poutre de fer, dont Touvrier répond.

Sert un beau jour, plus tard, aux charpentes d'un pont,

Et sur le pont hardi qui fléchit et qui tremble

Voici qu'un régiment six cents hommes ensemble

Passe, musique en tête, et le beau régiment

Sent sous ses pieds le pont fléchir arfreusement....

Le pont fléchit, va rompre. . . et le^ six cents pensées

Vont aux femmes, aux sœurs, aux belles fiancées,

Et dans le cœur des gens qui voient cela des bords

La patrie a déjà pleuré les six cents morts !

Chante, chante dès Theure ta forge s'allume. Frappe, bon ouvrier, gaîment, sur ton enclume î Le pont ne rompra pas ! Le pont n*a pas rompu ! Car le bon ouvrier a fait ce qu'il a pu, Car la barre de fer est solide et sans paille.... Chante, bon ouvrier, chante en rêvant, travaille. Règle tes chants d'amour sur l'enclume au beau son I Ton cœur bat sur l'enclume, et bat dans ta chanson l .... Les étincelles d'or, en tous sens élancées. C'est le feu de ton cœur et tes bonnes pensées.

L'homme n*a jamais su, l'homme ne saura pas

Combien d'hommes il a soutenu de ses bras

Au-dessus du grand fleuve et de la mort certaine î

Et pas un seul soldat, et pas un capitaine

Ne saura qu'il lui doit la vie, et le retour

Au village, l'attend le baiser de l'amour.

Nul ne dira : « Merci, brave homme, » à l'homme juste

Qui fît un travail fort avec son bras robuste....

Mais peut-être qu'un jour, quand ses fîls pleureront

En rejetant le drap de son lit sur son front.

Quand la mort lui dira le secret à loreille.

Peut-être il entendra tout à coup, ô merveille!

Il verra les esprits invisibles de l'air

Lui conter le destin de sa poutre de fer,

Et lorsqu'on croisera ses pauvres mains glacées.

Lui, vivant immortel dans ses bonnes pensées,

Laissant sa vie à tous en exemple, en conseil,

Sentira rayonner son cœur comme un soleil!

LE LIERRE DU LYCÉE LAMARTINE 301

LE LIERRE DU LYCÉE L.VMARTL\E

A M. NAVARRE

J'ai voulu revoir le lycée mon enfance pleura tant; Cest bien laque je Tai laissée; Elle m'accueille en sanglotant.

C'est aujourd'hui Pâque-fleurie : On a lâché les écoliers ; Je remonte, l'âme attendrie, Mon passé, par ces escaliers.

Loin de mon pays de lumière. rhiver môme est réchauffant, Entre ces murs de froide pierre, Il fut dur, mon exil d'enfant.

« Voyez- vous, dis-je au nouveau maître. Qui me reçoit en vieil ami, Chaque détail, par tout mon (Hre, Réveille l'enfant endormi.

>) Il s'éveille, il sort de moi-même ; Hélas ! il ne me connaît pas ; Moi, je le connais et je l'aime, Co ])etit qui pleure tout bas.

>) Pour un moment il veut revivre ; Ses yeux sont grands ouverts, voyez ! Si nous marchons, il va nous suivre... Oh ! comme ses yeux sont noyés !

) Sur ses traces, la petite ombre Remet ses deux pieds, pas à pas.... Il pleut ; au fond du hangar sombre, Elle regiu-de vers là-bas!

' Le ciel rit ; dans le libre espace Le pauvre petit spectre, en pleurs. Suit des yeux chaque oiseau qui passe El qui peut aller voir des fleurs !

« 11 s'assied au banc de la classe son chiffre est encor gravé ;

302 RIVUB PÉDAGOGIQUE

Il retrouve partout sa trace. Et refait - ce qu'il a rô\é î

» Mauvais rêve, dis-je au bon maître: (Et je sentis mon cœur serré. . . .) J'étais grondé, puni peut-être, Seulement pour avoir pleuré! »

Puis, honteux, après un silence : tt Je n'apprenais pas ma leçon Pour rêver du ciel de Provence, Et du lierre de ma maison ! . . .

» Certes, il faut lire dans un livre, Mais aussi dans les fleurs des bois, Et si Virgile nous enivre. C'est qu'un oiseau chante en sa voix !

» Quand nous disons rosa, Ui rose. Montrez-nous les rosiers aimés, Ou n'apprenez que de la prose A l'enfant que vous enfermez!

» Cetlc muraille, ali ! qu'elle est haute î . . .

« Oui, nos petits ne l'aiment pas, Dit le maître, bon comme un hôte :

Ils jouent mieux sous ces murs plus bas . .

Alors, mon enfance oubliée Revint vers nous et lui parla.... a Oh! mumiura sa voix mouillée. Monsieur, plantez un lierre, l »

« Monsieur, me dit le jeune maître, Si vous revenez dans dix ans,

Vous ne pourrez plus reconnaître Ce mur en horreur aux enfants

9 Un lierre en couvrira la pierre, Verdure d'hiver et d'été.... Les oiseaux viendront dans le lierre. Car le lierre sera planté. . . »

Je crus voir, en passant la porte Du lycée aux murs étouffants, L'ombre de mon enfance morte Qui jouait avec des enfants.

LES PAYSANS 303

LES PAYSANS

Pour planter la nouvelle vigne, il faut d'abord caver profond, Mais la terre est dure, et s'indigne Contre les hommes qui le font; Elle se défend, la rebelle I Elle dit qu'elle ne veut pas! ... A coups de pioche, zou, contre elle!

Les paysans sont des soldats.

C'est Tété, quand le soleil plombe, Qu'il faut caver, pour faire bien; Le pic tombe, et la sueur tombe. Car la terre ne donne rien! Ah! la gueuse! il faut qu'on la force! il lui faut des bras et des cœurs Pour frapper son cœur sous Técorce.... Les paysans sont des vainqueurs.

Ils descendent dans la tranchée.

Et s'eiilerrant jusqu'aux genoux,

Le dos lors, la tète penchée,

ils vont piochant, ceux do chez nousl

Toujours avant, jamais arrière,

A chaque coup, à chaque pas,

Le pic fait fumer la poussière !

Les paysans sont des soldats.

Si vous croyez que c'est pour rire.

Soupesez leurs outils pesants!

Ali! la terre pourrait vous dire

S'ils sont braves, nos paysans!

l'n seul contre elle en >aul bienjiualre.

Et laissez causer les moiiueurs,

La conquiert qui sait la comballre!

Les paysans sont des vainqueurs.

Et (juand le « bien », d'un bout à l'autre. Motte après motte est retourné. Alors, le a bien » est vraiment nôtre : Il est conquis, il s'est donné ! Alors, c'est fini lasouH'rance! Au beau mitan du champ, là-bas. On plante le drapeau de France !

Les paysans sont des soldats.

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304 REWB PÉDAGOGIQUE

Cette chanson me fut payée, Argent de France, six écus, Pauvre somme, bien employée. Car les sixécus seront bus! Je les ai donnés avec joie, Un jour d'août, à des paysans Qui savent comment on emploie Au soleil, les écus luisants I

Ils les boiront, face allumée, La main haute, comme il faudra, A la Vigne leur bien-aîmée, À la mort du phylloxéra ! Ils les boiront à ITspérance, A tout ce qui ne mourra pas, A la Vigne, au Vin, à la France! Les paysans sont des soldats.

Jean Aicard.

LES COLONIES DE VACANCES

ET LES ÉCOLES DU ÏX® ARRONDISSEMENT DE PARIS.

C'est la Revue pédagogique qui la première, croyons- nous, a fait connaître en France Tinstitution, aujourd'hui populaire à Paris, des colonies de vacances. Daùs le Courrier de Textérieur du numéro de novembre 1879, nous avions publié Tinformation suivante, que nous demandons la permission de reproduire, parce qu'elle aura sans doute passé inaperçue de beaucoup de nos lecteurs actuels :

« Une innovation qui semble devoir être féconde en heureux résul- tats pour ravenif a été expérimentée en Allemagne depuis quelque temps. 11 s'agit de l'envoi à la campagne, durant les vacances sco- laires et aux frais de la ville ou d'une société qui entreprend cette bonne œuvre, d un certain nombre d'enfants maladifs, appartenant à des familles pauvres. Cette institution, qui a pris naissance dans la Suisse allemande (I), est désignée sous le nom original de colonies de vacances ( Ferien- Kolonien), C'est Francfort-sur-le-Mein qui en a essayé tout d'abord en Allemagne. Les villes de Dresde et de Stuttgart ont suivi cette année l'exemple de Francfort, et ce double essai a pleinement réussi. Les colonies de vacances de Dresde, au nombre de six, chacune sous la direction d'un instituteur ou d'une institutrice, et composées d'un nombre total de 76 enfants des deux sexes, sont rentrées en ville le 16 août, après trois semaines de séjour dans diverses résidences. L'air salubre de la campagne avait exercé la plus heureuse influence sur la santé de ces pauvres en- fants. 11 existe un moyen, en quelque sorte mécanique, de s'assurer du résultat obtenu : c'est de peser les enfants au départ et au retour. On a constaté chez les 76 enfants une augmentation de poids variait de 3 livres d/2 à 13 livres.

» Les cinq colonies de Stuttgart (quatre de garçons et une de filles;, comprenant 55 enfants, sont restées vingt-cinq jours à la campagne. L'augmentation totale de poids, pour une colonie de 12 garçons, a été de 56 livres; Fun d'eux avait à lui seul gagné 8 livres.

» Le chiffre des dépenses a été de 5,300 marks à Dresde, et de 4,000 marks à Stuttgart.

(1) C'est le pasteur Bion qui, k Zurich, en 1870, a pris l'initiative de cette ijeuvre philanthropique.

RKYUI PÉDAQ06IQDB 1885. l«r BIH. 20

à

306 REVUE PÉDAGOGIQUE

D autres pays encore songent à introduire chez eux les colonies de vacances. A Vienne, un premier essai a été tenté celte année : une colonie assez nombreuse, sous la surveillance de M™® la baronne Clémentine FouUon et de M. Kaiser, instituteur à Weissenbach, s'est rendue dans ce village, et y a séjourné plusieurs semaines. Les frais ont été couverts par une société fondée sous le patronage de la princesse Hohenlohe. La ville de Bruxelles a résolu de son côté de fonder, à l'occasion du cinquantième anniversaire de l'indé- pendance de la Belgique, qui se célébrera Tan prochain, un asile au bord de la mer, et d*y envoyer à tour de rôle, pour y fortifier leur santé, durant les vacances, tous les enfants pauvres des écoles communales. y>

Depuis ce moment, la Revue pédagogiques signalé à différentes^ reprises les résultats obtenus à l'étranger et les progrès accomplis.

D'autre part, en janvier 1882, nous appelions Tattention, dans dans un article du Bulletin administratif du ministère de rinsti*uction publique (n^ 477, p. 300), sur la conférence réunie à Berlin, en novembre 1881, sous la présidence du D»^ Falk, ancien ministre de rinstruclion publique du royaume de Prusse, et à laquelle assistaient des délégués des comités et des asso- ciations qui se consacrent, en Suisse, en Allemagne et en Autriche, à l'œuvre des colonies de vacances. Les renseignements contenus dans cet article n'ont rien perdu de leur actualité, et il ne sera peut-être pas inutile de les placer également sous les yeux de nos lecteurs.

ft Dans son discours d'ouverture, disions-nous, le D"" Falk a rap-

ne possède pas moins de seize colonies de ce genre, qui, pendant les vacances d'été de 1881, ont permis à 228 enfants de familles peu fortunées de jouir des bienfaits d'un air salubre. Tous les ans, à Berlin, des centaines d'enfants sont la proie de l'anémie, du dépé- rissement et des maladies qui l'accompagnent, et ne grandissent que pour devenir do malheureux infirmes, incapables d'aucun travail, qui vont peupler les hospices et tombent à la charge de la com- mune, et qui, chose plus grave, incapables de résister aux influences morbides, offrent un terrain tout préparé aux épidémies et contri- buent à les entretenir et à les propager au sein de la population valide. Si ces enfants étaient transplantés à temps, tie fût-ce que durant quelques semaines, dans un milieu pins hygiénique, il

LES COLONIES DE VACANCES ^^7

serait possible de fortifier leur constitution d'une manière durable, et de prévenir ainsi leur déchéance physique et intellectuelle : on remédierait par à beaucoup de misères, et nos établissementg hospitaliers et charitables se trouveraient en môme temps déchargés d'un fardeau souvent très lourd. Il n*est pas nécessaire d'insister 8ur la haute signification sociale et sanitaire des colonies de vacances» dont le but est d'envoyer, pendant les vacances d'été, les écoliers maladifs prendre des forces dans un séjour salubre et bien choisi. La rapidité avec laquelle cette institution s'est propagée dans la plupart des grandes villes, comme Francfort, ï>rcsde, Hambourg, Brème, Breslau, Bâle, Vienne, etc., les succès incontestés qu'elle a obtenus, témoignent déjà en sa faveur. C'est là, de l'aveu de tous, ajoute M. Falk, un terrain sur lequel la bienfaisance publique peut et doit s'exercer d'une manière utile et lé^ûtime.

V La discussion s'est ensuite ouverte sur cette question ; Est-il préférable de constituer des « colonies » proprement dites, placées sous la direction d'un instituteur ou d'une institutrice et r('»unis8ant sous le m^rne toit un certain nombre d'enfants ; ou vaut-il mieux confier les enfants, isolément ou par petits groupes, aux soins de quelques familles dans lesquelles ils seraient placés comme pension-

Berlin se sont prononcés pour le principe des colonies. MM. Schoost de Hanibourjî et Ueddersen de Brème préfèrent, au contraire, le système du placement dans les familles qui donne à l'enfant plus de liberté, tandis que dans les « colonies » il se trouve constamment sous la contrainle de la discipline scolaire. M. Bion, qui était pré- sent, a dit qu'il avait, pour son compte, essayé de l'un et de l'autre système et ([ue tous deux avaient donné des résultats satisfaisants; aussi croit il qu'il ne faut pas se montrer exclusif dans un sens ni dans l'autre. Rivalisons de zèle, a-t-il ajouté, non pas pour faire prévaloir telle méthode particulière, mais pour le bien commun. Si. Schoost a donné des détails intéressants sur ce qui s'est fait en Danemark, par le système du placement dans les familles ; dans ce pays, sept mille enfants environ ont été envoyés à la campagne durant les vacances de l'été dernier, sans qu'il en soit résulté aucune dépense : les journaux ont fait gratuitement la publicité nécessaire, les chemins de fer ont accordé le voyage gratuit, et il s'est trouvé un nombre suffisant de familles pour recevoir, à titre entièrement gratuit, les enfants en pension. Le D^ Falk a résumé la discussion en faisant, ressortir que le point essentiel est de pro- curer aux enfants malades ou cliétlfs le bienfait d'un séjour à la campagne, et que les moy^is employés ne forment qu'une question accessoire qui peut être résolue d'une façon différente suivant les circonstances locales, d

à

308 REVUE PÉDAGOGIQUE

La France a attendu quelques années avant d'entrer à son tour dans la voie plusieurs pays étrangers l'avaient précédée. Enfin, en 1883, un comité d'initiative s'est organisé dans le IX* arrondissement de Paris, et les deux premières « colonies » parisiennes ont été envoyées passer un mois à la campagne, k Chaumont et à Luxeuil. Nous avons analysé. Tan dernier (n^ de juin 188i, p. S61), l'intéressante brochure dans laquelle M. Cottinet, administrateur de la caisse des écoles et du comité des colonies du IX^ arrondissement, a rendu compte du succès de celte tentative ; nous avons reproduit (n® de juillet 1884, p. (j6) une partie du spirituel plaidoyer publié par M. Abraham Dreyfus dans la Revue politique et littéraire en faveur des éco- liers pauvres et souflroleux.

Aujourd'hui, M. Coltinet vient de faire paraître un second rapport, et nous nous empressons de lui emprunter le récit des faits et gestes des colonies scolaires de 1884. Au lieu de dix- huit élèves seulement, comme la première année, c'est une cen- taine d'enfants pauvres du IX^ arrondissement qu'il a été pos- sible de faire participer cette fois au bienfait d'un séjour à la campagne.

« UŒuvre des Colonies scolaires de vacances, dit M. Cottinet aux souscripteurs, a touché, dès sa seconde année, le double but qu'elle se proposait: elle a fait participer à son bienfait toutes les écoles primaires du neuvième arrondissement et elle y a associé les deux établissements d'instruction secondaire qu'il renferme.

La campagne de 1884 n'a pas été moins favorisée que la première. Chez cent colons, élèves ou maîtres, garçons ou tilles, aucun accident ne s'est produit, et des résultats excellents ont été obtenus. Avant de vous les exposer, laissez-moi vous entretenir de la grande alliance et des secours particuliers qui nous ont permis de les atteindre.

En frappant à la porte du lycée Condorcet et du collège Rollin, nous ne voulions pas seulement de l'argent, nous prétendions établir un lien entre des écoliers de conditions différentes, rapprocher encore, par leur intermédiaire, les familles déjà moins divisées chez nous qu'ailleurs et apprivoiser, par un fraternel contact, une population scolaire destinée à se fondre plus tard sous les drapeaux. Que nos collégiens, assurés presque tous de pleines vacances, en procu- rassent les avantages à des camarades moins heureux, c'était pour eux un rachat volontaire des faveurs de la fortune ; pour nos ifanls, c'était une marque de cordialité plus encore qu'une assis-

LES COLONIES DE VACANCES 309

tance, quelque chose comme une étrenne enveloppée dans une poignée de main.

Cette visée fut comprise. Hautement favorisée par M. Gréard, vice-recteur de l'académie de Paris, elle fut adoptée avec chaleur et soutenue avec efficacité par ceux auquel il appartenait de la faire aboutir. Le proviseur du lycée Condorcet, M. Girard, distribua dans ses classes notre rapport de Tannée dernière, et 1,200 francs répon- dirent à rappel qui raccompagnait, somme considérable eu égard à Tépoque elle fut sollicitée. De son côté, M. Roguet, directeur du collège Rollin, n'hésita pas à verser dans notre caisse tout ce qui restait à la bourse de secours qu'alimentent ses pensionnaires. Remercions profondément ces maîlres libéraux et remercions les élèves qu'ils forment au bien. Que ceux-ci sachent que, par eux seuls, vingt de leurs pauvres camarades sont allés réparer leurs forces à lair des champs, et qu'ils se demandent dès maintenant combien ils en veulent envoyer cette année-ci.

Et tandis que nous nous efforcions ainsi pour obtenir le concours' de ces jeunes gens, les jeunes filles du collège Sévignénous offraient spontanément le leur. Elles nous adressaient le premier fonds de leur bourse charitable en formation. Réponse topique aux doutes malveillants dont les collèges de filles sont Tobjet, et surtout gracieuse surprise pour nous ! Qui donc avait intéressé à nos colonies ces donatrices d'un arrondissement éloigné ? Une lecture de W^^' Salomon, leur directrice. Dans la Revue politique et littéraire, M. Abraham Dreyfus avait lancé à notre profit un de ces appels heureux dont il possède le secret, et dont la bonhomie malicieuse a des vertus irrésistibles. Le collège Sévigné n'y avait pas résisté, Et combien d'autres souscriptions allaient suivre celle-là, à la voix de cet admirable auxiliaire î Elles vinrent de tous les points de la France. »

Les garçons furent tous réunis à Chaumont, dans le bâtiment de l'école normale d'instituteurs, située on dehors de la ville. Les filles furent divisées en quatre groupes : à Chaumont, à Luxeuil, à Pompey /"Meurthe-et-Moselle) et à Saint-Dié. Comme l'année précédente, les enfants étaient tenus à la rédaction d'un journal individuel quotidien; on y avait ajouté une autre exigence : l'exécution d'un croquis topographique pour chaque jour, le plan sommaire de chaque promenade, et, à la fin, une carte récapitulatrice des pays parcourus.

Voici comment les garçons employèrent leur mois de vacances .

9 Levés à six heures, nos garçons, comme des soldats, cirent leur chaussure, brossent leurs habits, balaient le dortoir, le lavabo, les

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escaiiers, la salle d*étude, à Texemple et sous la direction des femmes des instituteurs, puis, leur toilette achevée, des pieda à la télé et afiL savon, ils font leors lits. Bien des parents nous ont remerciés de: leur avoir donné ces nouvelles habitudes. Les Colonies de va- cances, on s'en souvient, ont été conçues en partie comme une école de propreté. Aussitôt après le déjeuner, viennent les prome- nades, qui sont la grande affaire : elles ont remplacé toute Técole.

Et là, quelle nouvelle pédagogie se produit I C est la Nature qui

tient la classe et, quand les cahiers mentionnent la rencontre de * deux superbes petits cochons avec la queue en trompette », ou « d'un dindon qui gonflait ses ailes «, nous cueillons ce texte avec plus de satisfaction qu'un extrait copié dans Bulfon. Sauf quand il a plu trop fort, pas une journée ne s'achève sans qu'on ait suivi la con- férence des champs et des bois, la leçon de la vache et de Tàne, le solfège de tous les oiseaux. Les poissons qui figuraient hier au repas du soir, on les a péchés soi-même dans la rivière Ton se baigne. Demain l'on formera des herbiers avec les fleurs cueillies, cm suivra les bêtes jusqu'à la ferme ; on les suivra un autre jour jusqu'au marché, l'on s'instruira de leur vente, enfin jusqu'à Fabaltoir, le fonctionnement de leurs divers organes sera expliqué par M. le vétérinaire Desnouveaux, dans une leçon d'analomie très goûtée. Quant au grain qu'on a vu vanner au fermier, le voici arrivé au moulin ; le meunier lui-même montre ses transformations et les enfants sortent de chez le complaisant M. Friesenhauser tout blancs de farine et de science.

Aux champs, que rencontrent-ils encore ? les soldats à la petite guerre. Voilà une leçon attachante I Dirai-je celles qu'ont offertes à leur curiosité une foule d'établissements publics ou privés? On en trouvera la liste à la suite de ce rapport. Quelle richesse d'infor- mations, quels développements de l'esprit de telles visites, com- mentées par les bouches les plus compétentes, n'ont-elles pas assurés à nos écuL'ers I Et tout cela figure au journal, avec la carte quoti- dienne où chaque chose est marquée à sa place. Est-ce assez? Non. Le soir, après le dîner, un cercle se forme. Les récitations, les jeux d'esprit, les chansons, les lectures à haute voix de quelque belle poésie donnent, pour ainsi dire, le dessert à Tinte lligence, ou bien, si le ciel est pur, un maître y fait épeler aux enfants l'alphabet dts étoiles.

Pour une telle direction, pour les résultats que constatent les journaux souvent très étendus et soignés de nos chers garçons, de chaudes félicitations sont dues à nos trois instituteurs et particu- lièrement à leur vétéran, M. Lécart.

Résultats physiques. Augmentation moyenne du poids : i,644 grammes.

De la taille : 10 millimètres.

Du thomx: i7""i. »

LES COLONIES DE VACANCES 311

A propos de la rédaction des journaux quotidiens, M. Cottiiiet ajoute cette observation, qui a son intérêt pédagogique :

a Parmi ces garçons, plusieurs, qui appartenaient aux sixièmes classes, n'avaient jamais pu rédiger quoi que ce fut à Técole, sur de3 sujets dictés. Us ont très passablement rédigé leur journal, sur des sujets vus. Le l'ait a beaucoup frappé leurs maîtres. »

Quant aux liiles, nous choisirons, ne pouvant pas tout repro- duire, la narration des aventures du groupe installé à Saint-Dié, Le rapporteur s'est arrêté avec quelque complaisance sur ce chapitre de son récit : mais nous sommes assuré qu'après l'avoir lu, on nous saura gré de n'avoir point essayé de le rac- courcir.

« A Saint-Dié, sur la recommandation du préfet, M. Bœgner, j'avaig introduit nos jeuoes filles dans un pensionnat protestant. Pourquoi pas? J'avais bien failli les introduire dans un pensionnat de Soeurs, et ce n'est, sans doute, que partie remise. Notre admirable neutra- lité religieuse nous permet ces salutaires liberlés, (juand les précauf tions voulues sont prises, et ici, elles l'avaient été. Nos filles, je le savais, n'avaient à craindre aucune propagande indiscrète et, au besoin, elles eussent été préservées par la seule présence de leur directrice, M™« Deulin. De fait, elles n'ont connu ce qui les séparait de leur hôtesse que par l'invitation qui leur a été adressée de s'abstenir de chansons le dimanche. Nous allons voir comment nos habitantes de la Chaussée-d'Antin, les paroissiennes de l'élégante Trinité, se sont comportées dans cette austère maison, avec les Vosges pour prome- noirs et leurs sapinières pour boulevards.

Je pourrais laisser la parole à Marthe Savantré (13 ans); son remarquable journal, de près de cent pages, est un témoignage sans lacunes, la déposante dit à merveille ce qu'elle a fort bien vu; mais nos lecteurs aimeront mieux entendre le caquet de toute la volière, et je ferai parler chaque oiselet à son tour.

Donc, le 23 août, après seize heures de route, la colonie écarquiUe les yeux devant un spectacle inouï, absolument neuf pour tout le monde : les montagnes ! « Vous ne pouvez vous figurer, dira Viclorinc Roussel, l'émotion que ça m'a produit de voir ces hauteurs énormes On est arrivé à Saint-Dié.

A la gare, M>^^ Jaeglé attendait les voyageuses. « M^^^ Jaeglé, écrit Marthe, est la maîtresse de la maison qui nous reçoit; bonne vieille dame avec un bonnet un peu drôle; la parole douce, la figure aimable. Cependant, elle vous impose, tant que personne devant elle n'ose dire un mot ni tourner la tête. Ses élèves doivent être sages... »

W^'^ Jaeglé, qui est Alsacienne, se fait aider par sa nièce,

312 REVUE PÉDAGOGIQUE

jeune femme d'origine écossaise, qui résume en elle tout ce que sa race sympathique à la France a de bonté cordiale, de hauteur d'âme et de grâce enjouée. Nos fillettes sont donc parfaitement accueillies, mais elles sont fatiguées; on ne tarde guère à leur servir leur dîner et on les couche.

22 août. « Ce matin, quand je me suis réveillée, je me suis aperçue que j'étais sur la descente de mon lit et que j'avais très froid. » (Lucie Gomperlz,) « En nous levant, nous avons mangé le déjeuner de madame (1), car nous avons été assez sottes, quand M"" Jaeglé est venue nous demander si nous aimions le café au lait, pour répondre oui, lorsque je savais très bien, et Lucie aussi, qu'il nous rend malades. Je l'ai dit à madame, qui m'a répondu : Buvez mon chocolat (Viclorine Roussel,) On voit qui est M"™^ Deulin. On verra de mieux en mieux qui sont ses élèves.

Le premier jour, la colonie parcourt la ville : « Deux seules rues y sont remarquables, assure Marthe. Les autres sont à peine pavées et ne peuvent viser qu'au titre de ruelles. Toute la ville est très propre; mais ce n'est pas étonnant, nous y avons à peine rencontré quatre personnes. »

« Nous allons au parc, reprend Gabrielle Lachaud, mais à quoi jouer? Nous n'avons ni raquettes, ni ballons. Si nous achetions une corde? dit madame. -- C'est cela, c'est cela! Et nous entrons chez un marchand. Mais il n'en a que de la trop grosse ou de la trop fine. 11 nous envoie chtz un cordier. Là, nous en trouvons comme il faut. Vite, allons sauter. Aux doubles?— Non, à la pour- suite. — A la poursuite, c'est cela. Et nous voilà sautant depuis chou-blanc jusqu'à dix... Mais la pluie commence à tomber, llélast nous ne pouvons plus jouer à la corde ce soir. Tiens! mais il ne pleut plus; tant mieux! nous allons pouvoir jouer. Tournez, tournez plus vite donc! Mais, à force de sauter, nous voilà revenues à la maison. »

Gabrielle a dix ans et demi, et elle est de la première classe. Je n'ai pas changé une syllabe à ce morceau. En veut-on un autre de la même main?

/3 septembre. « Dans l'après-midi, nous irons à Robach et dans 'le bois du Chàtel, nous lirons, nous ferons du crochet et nous nous reposerons. Arrivées au bois, nous ne faisons pas de crochet, nous ne lisons pas et ne nous reposons pas ; mais nous courons, nous nous balançons sur des arbres coupés, nous faisons des bou- quets. En repassant dans le village, nous buvons du lait chez une femme bien drôle, qui, d'abord, pense que madame est la mère de nous toutes, puis nous fait une foule de questions pour savoir d'où nous venons, qui nous sommes, pourquoi nous sommes là. Presque tous les gens de la campagne chez qui nous entrons sont pareils.

(t) L'inslilutrice, M*« Deulin.

LES COLONIES DB VACANCES 313

lis VOUS demandent des masses d'explications et finissent presque toujours par dire : Ah! vous êtes de Paris; moi, j'ai une sœur à Paris ; une autre fois, c'est une tante ou une cousine ; elle est domestique chez un épicier près du chemin de fer. Vous la connais- sez peut-être. Elle s'appelle... Et ils vous disent son nom. Ah! qu'ils sont drôles ! » Après cela, ne serait-on pas tenté de s'écrier, avec Arnolphe :

Héroïnes du temps, mesdames les savantes, Pousseuses de tendresse et de beaux sentiments, Je défie à la fois tous vos vers, vos romans, Vos lettres, billets djux, toute votre science De valoir cette honnête et ndive ignorance.

Naïve, pas précisément, si nous pesons l'observation suivante rap- portée d'une visite à la chapelle du bienheureux saint Dié : « L'autel est surmonté de peintures sur bois très fines; c'est madame qui nous l'a dit, mais je crois que son Guide l'aide beaucoup à trouver ce qu'il y a de fin. ^

Pas trop naïve non plus cette conclusion de Lucie Gomperlz, à la suite d'une course dont l'objectif était un groupe fameux de rochers, baplisé du nom de « Chaise du Roi ». On s'est follement amusé; « mais, ajoute la fillette, avons-nous vu la Chaise du Roi? Je n'en suis pas encore bien sûre. Rien ne ressemble moins à une chaise, que cet amas de roches. Pourtant, si cela fait plaisir aux gens de Saint-Dié, ils peuvent bien l'appeler une chaise, et même une chaise de roi, je n'y vois pas d'inconvénient. »

Les gens de Saint-Dié!.. dans cettç appellation, l'oreille ne perçoit- elle pas une vibration de rancune? C'est que des gamins ont jeté des pierres à ces demoiselles, un polisson a enfoncé le chapeau d'Angèle, même un homme lésa poursuivies une fois, le balai haut, en l(*s traitant de sales protestantes. 11 les prenait pour les pension- naires ordinaires de la maison hérétique qui olTusque certains yeux dans la vieille ville épiscopale. Ce qui dépite surtout les nôtres, c'est la badauderie populaire. Quand, dans une rue, elles arrêtent, pour la dévaliser, quelque paysanne qui porte son lait au marché, on s'attroupe autour d'elles et on les dévisage. Cette indiscrétion leur inspire à toutes une réflexion que Gabrielle formule ainsi : « H faut croire que les gens de Saint-Dié n'ont pas grand'chose à faire s'ils s'arrêtent pour voir boire des petites filles! »

Ah! elles ont leur franc-parler, nos petites filles! et ce n'est pas leur directrice qui l'étoufTera. Elle entend trop bien l'une des plus grandes parties de sa vocation, le respect des intelligences. La liberté de celles-ci s'exprime sans réserve, ce qui m'amène à un point délicat, que voici.

Le groupe, si libéralement accueilli par M"® Jaeglé (avec une réduction de deux cinquièmes sur le prix ordinaire de la pension), n'a pas toujours été enchanté de la nourriture qu'il a reçue. Pourquoi

â

314 REVUE PÉDAGOGIQUE

le dissimulerais-je, si j'espère tirer une leçon utile des doléances que j*ai lues? Ces doléances sont aigres-douces. « L'air des montagnes et l'odeur des sapins ne remplacent pas la côtelette d, dit Tune de ces demoiselles. £t cette autre : « A dîner, nous avons eu du bœuf et des pommes de terre. Le bœuf et les pommes de terre réglementaires. J'en aurai assez pour le restant de mes jours, du bœuf. 11 paraît que les gens de Saint-Dié mangent du bouilli tous les jours. Eh bien, je peux grandir et vieillir, jamws je ne me marierai avec un homme de Saint-Dié. J'aurais trop peur qu'il eût conservé un amour malheu- reux pour le bouilli quotidien. »

Eh oui, mesdemoiselles, les gens de Saint-Dié mangent du bouilli tous les jours I et aussi les soldats français, et tout l'Est de l'Europe, jusqu'au fond de la catholique Autriche I Priez seulement le ciel qu'il vous en garantisse autant, et, pourvu qu'il y joigne un mari, ne vous plaignez pas si celui-là vous nourrit de bœuf. Il n'en manque pas qui gardent le bœuf pour eux et qui régalent leur moitié de pain sec, quand ils ne remplacent pas le pain par des gourmades.

Vous étiez mieux fondées à accuser la pluie, qui vous a trop sou- vent éprouvées. « Que la pluie des vacances est insupportable! » s'écrie Jeanne Chauvin. Le travail du crochet ne vous en consolait qu'à moitié. « Je suis sûre, dit Lucie, que le crochet a été inventé im jour de pluie par une enfant en vacances qui trouvait le temps long. y>

Mais le soleil est revenu et la colonie achève joyeusement ses vacances. Une belle excursion au lac de Gérardmer, en voiture à gre- lots, s'il vous plaît 1 un riche goûter à la BoUe, oiTert par M. et M"^ Sclafler, une soirée de musique chez M"® Henry Jaeglé en demeu- reront les points brillants, sans compter d'innombrables ascensions au Kemberg, au bois d'Ormont, aux Mollières, à Etival, à la Pierre- d' Appel, etc. Jamais nos Parisiennes n'auront tant marché.

Et c'est à qui, des gens de Saint-Dié, s'ingéniera pour leur ôtre agréable. M»»^ la baronne Boyer oublie ses 87 ans poUr leur montrer ses jardins, la famille Ditterlin les traite comme des amies; le bibliothécaire de la ville, M. Gherlach, leur ouvre feuille par feuille le précieux missel de Saint-Dié, un des beaux manuscrits à enlu- minures qu'on connaisse, et M. le capitaine Aubry le musée dont il est le fondateur et le conservateur. « Encore un homme, dit Marthe, qui nous prend au sérieux et qui nous croit capables d'apprécier ses explications. »

Même gratitude et même intérêt pour les utiles enseignements, donnés sur place par les propriétaires eux-mêmes, à la filature de M. Marchai, à la fabrique d'apprêts de M. George Bleck, au tirage de M. Achille Feltz. La description de Marthe donne vraiment une idée lumineuse de cette dernière usine. Un bon élève de l'Ecole Cen- trale ne l'eût peutrêtre pas mieux réussie. Presque toutes ses com- pagnes se sont efforcées d'égaler son zèle et toutes oAt raf^orlé des

LES COLONIES DE VACANCES 31S

échantillons pour le musée scolaire fond^ depuis longtemps dans leur école.

Enfin, pesées et mesurées la veille du départ, elles avaient con- quis au retour, en moyenne, 2,055 grammes. Celle qui avait le plus geint sur la nourriture avait gagné 4 kilos 1

Pour le thorax, l'augmentation était de 17"^.

Voilà les ravages du bouilli de Saint-Dié. J'ai hâte d'ajouter que nulle n'avait attendu ces résultats pour rendre pleine justice à ïhÇh tesse généreuse qui les avait préparés.

J'ai fini. Nos souscripteurs savent maintenant l'emploi qui a été fait de leurs deniers. Ils ont vu les Colonies de vacances sur leur champ d'expérience, dans leur variété, dans leur indépendance, dans leur succès. J'ai fait passer devant eux leur petit peuple; ils ont pu lire quelque chose comme un chapitre inédit des Voyages en Zigzag, dont Tôpffer aurait abandonné la rédaction à ses élèves. Si, ainsi que je l'ose croire, les Colonies s'y sont montrées des écoles de santé et d'éducation sans pareilles, on ne leur ménagera pas les subsides qui les ont fait naître, on en augmentera la puissance à la mesure des besoins qui restent à satisfaire. Entre le bien accompli et les maux qui subsistent récart est encore immense : Aux braves gens de le diminuer. »

Nous ajouterons : Ce que M. Cottinet et ses collègues, avec Taide de généreux souscripteurs, ont fait pour le IX® arrondis- sement de Paris, il faut arriver à le faire pour les vingt arron- dissements de la capitale, pour toutes les grandes villes de France. J. G.

LE CAHIER DE DEVOIRS MENSUELS

Nos lecteurs connaissent le nouveau cahier de devoirs mensuels iustilué par l'arrêté du 27 juillet 1883, et introduit dans un grand nombre d'écoles.

Pour faire pénétrer facilement ce cahier partout, il fallait qu'une abondante fourniture de librairie le mît à la portée de toutes les mains. La chose est faite. Nous avons sous les yeux, envoyés par différents éditeurs de Paris et de la province, une douzaine de spécimens bien conditionnés et dignes de leur destination.

Nous allons les passer en revue. Peut-être les instituteurs trouve- ront-ils dans ces quelques notes des indications propres à guider leur choix selon la convenance et les intérêts bien entendus de leur enseignement.

Ce qui se recommandait à l'attention des éditeurs, après la qua- lité du papier, c'était la disposition intérieure : les notes indicatives, la marge, et la réglure.

Considérés sous ces divers aspects, les spécimens se distinguent les uns des autres par des dispositions qu'il est important de faire bien connaître.

L'Imprimerie Nalionale (i), la librairie Lebrun fils, la maison Hachette, la hbrairie Delagrave offrent, conformément au modèle, des cahiers à pages blanches (2), ne portant qu'un seul trait, la marge.

Les éditeurs Colin, Delalain, Paul Dupont, Gauguet, Mont-Louis, Mathieu, Weill-Maurice, présentent des cahiers à réglures diverses.

Voici d'abord le cahier de l'Imprimerie Nationale, papier de choix, bâti solide, impression nette, perfection matérielle à tous les points de vue. Si on ouvre ce cahier, on se sent pris du désir d'y tracer quelques ligues. 11 contient 64 pages. C'est assez d*un exemplaire pour le cours élémentaire et une partie du cours moyen. (Nous revien- drons sur la question du volume des cahiers.)

Le spécimen qui se rapproche le plus du modèle type est fourni par M. Lebrun fils (3). Même format, même papier, même poids, corn-

ai] L'Imprimerie Nalionale a édité des cahiers modèles qui ont ete envoyés aux inspecleurs d'académie, aux inspecteurs primaires et aux libraires ; ces cahiers ne sont pas en vente.

(2) La librairie Delagrave a fourni un second cahier avec réglure; nous en parlerons ailleurs.

(3i Rue de Rennes, 167, Paris.

LE CAHIER DE DEVOIRS MENSUELS 317

position absolument semblable sous tous les rapports. Ce que nous avons dit de Tun peut se dire exactement de l'autre.

La librairie Hachette (1) reproduit le modèle officiel en fac-similé. Mais comme ce modèle n'a pas de réglure, l'éditeur a eu la bonne idée de joindre un transparent à son spécimen. Il n'y a qu'à le féli- citer de cette attention ; il montre par qu'il connaît bien les exigences de l'enseignement chez les plus jeunes élèves. Le cahier de la maison Hachette est consolidé par un double point d'attache des feuilles. C'est à remarquer.

Vient ensuite le cahier fourni par la librairie Delagrave (2). Les pages en sont blanches comme celles des cahiers examinés jusqu'ici; maison a joint un transparent. 11 convient de remarquer qu'avec le même nombre de pages, ce cahier a moins de poids que les précé- dents. L'expérience peut seule nous dire s'il fera le même usage.

Les cahiers avec réglure sont au nombre de huit.

Celui de M. Armand Colin (3) est très bien soigné au point de vue matériel : fort papier solidement attaché, impression des plus nettes, réglure fine et légère. L'auteur a orné les pages de la cou- verture de maximes choisies avec à-propos : « Fais bien ce que tu fais » ; de notions utiles sur les moyens de compléter son instruction en sortant de l'école primaire, sur les avantages que présente la Caisse des retraites, sur nos devoirs envers la pairie. Peut-être a-t-il été moins heureux dans la rédaction de la dernière feuille blanche, rédaction due également à son initiative. Étant donnée en effet l'idée fondamentale du cahier, qui est de ne comparer l'enfant qu'avec lui-même, il nous est difîicile de comprendre l'utilité de la page 65 (i). La page GG pourrait se borner au portrait du bon écolier.

M. Delagrave, qui a déjà présenté un cahier à pages blanches, nous en fournit un second de la plus fine réglure. Une disposition heureuse sous ce rapport, et qui se reproduira dans beaucoup d'autres cahiers, c'est celle du quadrillé. Il est évident que les exer- cices de calcul, de géographie et surtout de dessin y trouveront leur corapt»?.

Le cahier de M. Delalain (5) est la reproduction fidèle du modèle officiel avec toutes ses bonnes qualités. Le trait de réglure a de la finesse ; il est soumis à un espacement gradué qui paraîtrait répon- dre à la marche progressive de l'enfant si les trois cours pouvaient être contenus dans une seule livraison, c'est-à-dire dans 64 pages. Mais nous ne pensons pas qu'il en soit ainsi, en fait. De sorte que l'espacement des lignes, dans les premières pages, ne répondrait

1) Boulevard Saint-Germain, 79, Paris.

(2) Rue Soufnot, 15, Paris.

(3) Rue de Mézières, 5.

[4] Rang de mérite ; 3 tableaux, un pour chaque cours. (5) Rue des Écoles, 55, Paris.

318 RfiVUE PÉDAGOGIQUE

point aux besoins d'un élève avancé. Il est vrai qu'on y suppléerait facilement au moyen d'une ligne intercalaire tracée au crayon.

Le cahier de ki maison M. Paul Dupont (1), celui de M. Élie Gau- guet (2) et celui de MM. Weill et Maurice (3) reproduisent fidèlement les dispositions -du modèle officiel.

M. Mathieu (4) édite ceux cahiers, l'un de 40 pages, l'autre de 80. il les destine sans doute, le premier au cours élémentaire, le second au cours moyen et au cours supérieur. Nous croyons, en effet, que les 120 pages que renferment les deux cahiers sont près de répondre à la durée des trois cours. Cette pensée a conduit Téditeur à un système de réglure assez compliqué et à une autre disposition qui ne se trouve point ailleurs. On a imprimé les titres mêmes des devoirs selon les matières du programme. Les instituteurs qui aiment un ordre rigoureux dans la succession des devoirs s'accommoderont de ces cahiers ; ceux que peut séduire une certaine liberté d'allures ne pourront pas les accepter parce qu'ils se verraient obligés de laisser par ci par des pages en blanc. Matériellement les cahiers de M. Mathieu sont irréprochables et reproduisent, aux marges près, le modèle officiel.

Un autre éditeur, M. G. Mont-Louis, de Clermont-Ferrand, inspiré par le désir de rendre le cahier annuel, s'est écarté du modèle quant au volume. Le cahier, sans pagination indiquée, compte 40 pages au lieu de 64. il en diffère d'ailleurs sur beaucoup d'autres points. Les recommandations adressées aux élèves dans les pages intérieures de la couverture modèle sont remplacées, d'un côté, par un cadre spécial destiné à tenir lieu de carnet de correspondance, de l'autre par un extrait de la loi du 28 mars; enfin une note sur les prhici- paux devoirs envers la patrie occupe dignement sa place à la 4^ page. La couleur mate du papier est favorable à l'hygiène de la vue.

Tels sont les spécimens parus jusqu'à ce jour. Nous remercions MM. les éditeurs d'avoir si évidemment pris pour objectif l'intérêt de l'école et celui de l'élève.

Ils ont pour la plupart cherché à pei fecUonner le modèle fourni par l'administration. Ont-ils complètement réussi ? Nous ne le pensons pas. Il nous reste donc à indiquer ce qui, d'après nous et d après l'expérience que nous avons faite dans les écoles, pourrait sérieuse- ment améliorer le cahier, l'amener vers sa forme définitive et en rendre l'usage facile et commode.

Considérons d'abord le volume qu'il convient de lui donner.

Nous estimons que chaque exemplaire doit servir pendant une année seulement, sauf à réunir à la fin de la scolarité les cinq ou six exem-

Mia^i^^i^^ia

(1) Rue J.-J. Rousseau, 41, Paris.

(2) Rue de Seine, 36, Paris.

(3) Boulevard Saint-GermaÎD, 169, Paris.

(4) Libraire à SaiDt-Mihiel (Meuse).

LE CAHIER DE DEVOIRS MENSUELS 319

plaîrcs en un seul volume. Lui doimer une plus longue durée, ce se- rait Texposer à une usure compromettante, surtout si on lui faitfalre quelques voyages de l'école à la famille, comme nous le conseillons.

Ce principe admis, remarquons bien que le cours élémentaire n'est tenu qu'à peu de devoirs écrits : quelques lignes d'écriture, une dictée d'orthographe composée de trois ou quatre phrases des plus simples, une ou deux opérations de calcul, un peu de dessin, de petits exercices de langue pour initier les élèves à la rédaction: en tout cinq matières d'enseignement. En supposant que les devoirs sur ces cinq matières se répètent à chaque mois, ce qui n'est pas de rigueur, on arrive à 50 devoirs par année ; comptons une demi- page pour chaque exercice en moyenne, et nous auroTis 25 pages employées. On voit qu'un cahier de 30 pages est largement suffisant pour un élève du cours élémentaiie dans le courant d'une année.

Nous sommes donc fondé à demander, pour le cours élémentaire, un cahier do 80 ou 32 pages au plus.

Dans les cours moyen et supérieur, les devoirs augmentent comme étendue et comme nombre. Il faut en effet ajouter aux ctnq que nous venons d'énumérer pour le cours élémentaire, les devoirs sur la géographie, l'histoire, la géométrie, les sciences physiques et naturelles, ce qui en porte le nombre à neuf. Ici, le cahier mensuel destiné à une durée d'un an devra donc être double de ce qu'il était dans le cours élémentaire et compter par con^équent 64 pages, soit l'étendue exacte du cahier modèle.

Après le volume, passons à laréglure; mince objet en apparence, alïaire de goût plutôt que de méthode, dira-t-on. Nous sommes d'avis (ine, quand il s'agit de tout jeunes enfants, les plus petites choses prennent une grande importance. Les familles le savent bien, lar mère surtout. Nous penchons donc pour la disposition suivante, qui a l'assentiment d'un grand nombre de maîtres. Le cahier destiné au cours élémentaire porterait la réglure ordinaire de-8 millimètres, si connue, en bleu ou violet pâle, jamais en noir, à moins que le trait ne fût d'une extrême finesse. Il serait même quadrillé à traits perpendiculaires de 4 millimètres, afin de faciliter à cet âge inex- périmenté les exercices de dessin et la disposition régulière des chilTres dans les opérations de calcul.

Pour le cours moyen, on s'en tiendrait à la réglure ordinaire sans quadrillage.

Le cahier destiné au cours supérieur resterait blanc, car il con- vient d'habituer les enfants à se passer de réglure. Us n'en auront pas toujours une à leur disposition, plus tard.

Comment les devoirs seront-ils corrigés? L'office du maître, sons ce rapport, se trouve tout indiqué par la circulaire du 25 août 188^4. « Les devoirs seront corrigés à la marge », yest-t-ll dit. C'est assez, en eOet, si Ton^eut laisser au travail tie !'enftmt son caractère personnel. Les annotations, les surcharges tendraient à

320 RSVUB PÉDAGOGIQUE

TalTaiblir ; elles seront rigoureusement écartées. Le rôle de Finsli- tuteur se borne donc à indiquer l'erreur en faisant un simple trait à la marge, ou, ce qui est mieux, en la soulignant dans le corps du devoir, sans surcharge ni rature. Le résultat est apprécié par une note comprise entre 1 à iO.

Dans ces conditions, la tenue du cahier est loin de devenir un surcroît de travail pour le maître. C'est un point très important qu'il faut examiner de près.

Le jour les enfants sont occupés aux devoirs mensuels, le cahier journalier n'est pas employé. La compensation semble donc natu- rellement s'établir. Il est vrai cependant que la correction de ces devoirs, cahier par cahier, demande plus de temps que la correc- tion des devoirs ordinaires. Il y aurait effectivement perte pour le maître. Mais faisons attention que, pendant le travail spécial men- suel, l'instituteur n'a qu'un rôle de surveillance, l'élève devant travailler seul, sans secours étranger. Pourquoi, pendant cette demi- journée, le maître ne verniit-il pas une composition faite la veille, ou ne préparerait-il pas des sujets de devoirs pour les jours sui- vants ?

A la place de l'instituteur, je choisirais donc, pour les exercices mensuels de la classe, le lendemain d'une composition. La chose est facile, puisque rien n'oblige à prendre un jour plutôt qu'un autre. Pendant que les élèves feraient ces devoirs spéciaux, je corrigerais les compositions de la veille et j'aurais non seulement compensation, mais bénéfice net de temps et de travail.

Il y a plus. Dans les nombreuses écoles le directeur est déchargé de classe, c'est lui-même qui, pour plusieurs raisons, doit ^préparer ces sujets spéciaux et présider aux devoirs. Autre circon- stance évidemment très favorable à l'allégement de la tâche de l'instituleur adjoint.

Il reste donc établi, à notre avis, que la tenue du cahier mensuel n'est pas une charge nouvelle dans les écoles.

On s'est demandé si le cahier mensuel peut remplacer les com- positions. Nous ne le pensons pas. Généralement l'attribution des récompenses est basée sur les compositions hebdomadaires ou de quinzaine. Or le cahier n'est que mensuel.

En outre, si on transforme le cahier mensuel en cahier de com- position, on lui ôte son caractère spécial, qui est la spontanéité, la traduction fidèle et pour ainsi dire la photographie de l'état intel- lectuel de l'enfant aux différents degrés de sa vie scolaire. La com- position en effet a toujours un peu d'apprêt ; les élèves savent qu'ils luttent avec leurs camarades , c'est au fond un concours pour les premiers rangs. Il est évident que le cahier, tel qu'il est défini dans les documents officiels, n'est point institué dans ce but. Ce serait l'opposé. N'altérons pas sa destination d'origine.

Il y aurait sans doute beaucoup à dire encore sur ce modeste cahier.

UNE ÉCOLE PRIMAIRE FRANÇAISE A LONDRES 331

Mais nous pensons que MM. les instituteurs sauront aplanir les pe- tites difficultés d'application qu'il pourra soulever, et, si nous de- vons en parler de nouveau, ce ne sera sans doute que pour en louer les résultats.

G. Maillé. Inspecteur primaire à Paris.

PROJET DE CRÉATION

D'UNE ÉCOLE PRIMAIRE FRANÇAISE A LONDRES

La colonie française de Londres poursuit la solution de deux grandes questions : la première et la plus importante est la création d'un lycée; la seconde, et la plus urgente, c*est Touverture d'une école primaire. L'un des promoteurs de celte double entreprise, M. Hamonel, est surtout frappé de ce fait que les enfants nés en Angleterre de parents français entrent promptement en fusion avec les cléments de la race britannique et qu'ils sont et demeurent per- dus pour la France dès la première génération. 11 doute que l'An- glais et l'Allemand se transforment aussi vite dans le Français par le seul fait de leur naissance et de leur résidence dans le pays' adoplif. Ce résultat, d'après lui, devrait être attribué au manque de pré\oyance, d'organisation et de surveillance administrative des intérêts français en pays étranger. Nous croyons qu'il y a quelque exagérati n : on voit les Espagnols, les Italiens et les Mallais se franciser de plus en plus en Algérie, et l'on parle encore français à Québec et à la Nouvelle-Orléans.

Quoi qu'il en soit, c'est faire œuvre patriotique que d'ouvrir une école primaire aux enfants de nos compatriotes de Londres, car celui qui oublie sa langue oublie forcément sa patrie, et quelle tris- tesse pour les [ières et mères de ne plus pouvoir être compris de leurs enfants ! Madame Hamonet, qui s'est associée à l'œuvre de son mari, rapporte à ce sujet quelques faits touchants.

«J'ai souvent rencontré, dit-elle, dans les magasins du quartier fran- (jais, des enfants à l'œil noir, au tempérament nerveux, à rex])ression tant soit peu goguenarde, dont \h type, en un mot, me révélait instinctivement la nationalité. Je leur parlais français. Ils souriaient sans me répondre. L'individu présent hochait la tête en me disant : « Je crois qu'ils vous comprennent, mais ils ne peuvent pas répondre. »

RKVUl PÉOAGOGIQUI 1885. !«>' SU. 21

ââS REVUS PÉDAG06IQUK

» Une mère française, un jour, le cœur gros» les yeux remplis de larmes, m'entretenait de sa fille : « Maintenant qu'elle grandit, » me disait-dle, c elle ne parle presque plus français, elle répond en au- » glais à tout ce que je lui dis, et je la comprends à peine ; c'est » bien triste. Pendant la semaine, nous nous voyons peu ; mais, le » dimanche, cela me ferait du bien de bavarder avec ma fille. Oh I » madame, c'est un grand crève-cœur pour moi de penser qu'il n'y » a rien de commun entre nous, puisque nous ne pouvons pas con- f verser. »

"J'arrive maintenant aux ouvriers français mariés à des Anglaises. Dans ces ménages, la langue du père est odieuse ; non seulement on ne la parle pas, mais on se croirait déshonoré de la comprendre. Nous avons connu un chef d'établissement qui avait durement tra- vaillé pour élever honorablement une nombreuse famille. Son grand chagrin était de voir ses enfants grandir sans comprendre un mot de français ; toutes les fois que le brave père parlait sa langue, les enfants riaient et prenaient leur volée ; c'était un enfantement systé- matique chez eux de ne pas vouloir entendre un seul son fran(;ais. »

M™® Hamonet voudrait voir ajouter un ouvroir à l'école des filles, pour conserver et développer parmi elles « l'aptitude à façonner toutes ces choses élégantes, cette lingerie d'une finesse sans pareille, ces mille riens si recherchés de la mode, parce qu'ils portent toujours le cachet de notre pays. Les mains de la Française sont un composé d'adress?, de promptitude, de légèreté et de bon goût. »

M. et M"« Hamonet ont raison : il faut que l'école et Touvroir s'ou- vrent le plus tôt possible^ Il y a lieu d'espérer que ce résultat ne se fera pas longtemps attendre, car la Société nationale des profes- seurs de français a déjà pris Fînitiative d'un appel public à la colo- nie, et recueilli trois cents adhésions ; de plus, notre ambassa- deur et notre consul général ont bien voulu se mettre à la tôte du mouvement. A. B.

RAPPORTS SUR L^EXPOSITION DE LONDRES

A 1 occasion de rExposition internatioDale d'hygiène et d'éducation de South Kensiugton et du (.longrès pédagogique qui Ta accompa- gnée, un certain nombre de fonctionnaires de notre enseignement primaire avaient été envoyés à Londres. Nous avons sous les yeux les rapports qu'ils ont adressés, à leur retour, à M. le ministre de rinstruction publique; et, avec rautoriaaUon de M. le directeur de renseignement primaire, nous allons essayer de résumer briève- ment, pour les lecteurs de la Revue, la substance de ces intéressants documents. Faire un choix restreint dans une abondance de choses €j:cellentes ; sentir que tout ce qui, faute d'espace, doit être laissé de côté, était cependant bon et digue d'attention, telle est la tâche ditlicile qui nous est échue, tel est aussi le sentiment avec lequel nous l'abordons. Aussi réclamons-nous l'indulgence tant des auteurs dont nous sommes forcés de condenser les travaux en si peu de pages, que des lecteurs auxquels nous présentons cette très sommaire analyse.

1

Nous commencerons par le rapport collectif de M'"'^» Dillon, Ker- gomard et Penel,

Ces dames ont visité Londres au moment les écoles fonction- naient. Regrettant de ne pouvoir consacrer à leurs intéressantes descriptions qu'un espace aussi restreint, nous nous bornerons à citer les passages les auteurs ont signalé quelque amélioration à introduire chez nous, ou même quelque point il leur a semblé que nos voisins feraient bien de nous imiter; car, en effet, si la France, dans le Congrès pédagogique de Londres, a reçu quelques leçons, elle a donné, de laveu de tous, de bons exemples à suivre. Nos inspectrices des écoles matemeUes se sont occupées avant tout des Kindergàrten et des Infant tchooU. A première vue, on serait tenté de leur reconnaître uae supériorité sur nos écoles maternelles. Personnel d'élite et nombreux (ujoe malirease pour ii élèves), mobi- lier complet (piano dans le préau pour exiécuter les marches et les rondos), matériel abondant et varié pour tous ces petits exercices <ies doigts qui dévelopfient le petit eofiaot, Tanaclient à l'inertie, et font l'éducation de son goût : voilà ce qu'on trouve daos les Kin- dergàrten des quartiers riches. Mais dans les quartiers pauvres et misérables, les écoles de petits enÛLuto attristent par la pénurie, par les hailloas, par la Boufitenoe dont elles offrent le spectacle.

324 REVUK PÉDAGOGIQUK

« Nous les avons vus, ces enfants de raères ivrognes, le petit corps portant les traces d'odieuses violences, les pauvres petits bras labourés de coups de corde. Ce petit peuple de souffre-douleurs arrive en classe ayant faim, il y reste ayant faim, et en sort sans être rassasié. Car, jusqu'ici, le School Board, dans la pensée louable, il est vrai, de décourager la paresse des parents, n'a pas voulu créer dans ces écoles de cantine gratuite. On n'y voit pas de cou- chette pour les petits qui s'endorment; il n'y a pas de femme pour donner les soins si nécessaires à cet âge tendre. » Une observation nous a particulièrement frappé, et ici, nous avons, je croîs, un exemple à suivre : il s'agit de la co-éducation des sexes dans les écoles du premier ^ge.« Ces écoles mixtes sont réellement mixtes, et aucune préoccupation pudibonde ne vient augmenter les difficultés du système, ni en paralyser l'action éminemment éducative. Les enfants, arrivés à l'école par groupes, s'asseoient côte à côte; nous dirions au hasard, si nous n'avions constaté un ordre remarquable dans tous les établissements que nous avons visités; ils travaillent ensemble, jouent ensemble, jouissent d'une liberté d'ailleurs toute fraternelle. Nous avons vu de petits couples dansant et s'embrassant le plus gentiment du monde. Cela repose de nos clôtures et de nos terreurs qui vont totalement à rencontre de leur but. »

D'autres remarques, non moins importantes, s'appliquent à l'orga- nisation et à rinstallation matérielle des écoles normales; le rapport attire notre attention sur le bien-être et la liberté dont jouissent les élèves, placées ainsi dans les conditions les plus favorables au développement non seulement de la santé physique, mais du sentiment de la dignité personnelle. « Les dortoirs à com- partiments distincts assurent aux jeunes filles l'indépendance et la dignité du chez soi. Chacune orne selon son goût, et aussi selon son cœur, son petit box (suffisamment aéré, les clôtures de bois ne s'élevant qu'à mi-hauteur de la grande salle), si bien qu'un simple coup d'œil suffit à l'observateur pour que celle qui l'habite ne soit pas tout-à-fait une inconnue. Quatre escaliers extérieurs, escaliers en fer, descendent des dortoirs dans la cour; en cas d'incendie il suffi- rait de briser une vitre pour fuir le danger. Chaque chambre est dans ce but pourvue d'une .hachette. Des salles à lavabos, des chambres de bain^ répondent, dans d'excellentes conditions, aux besoins de propreté et d'hygiène. Au réfectoire, les tables sont recouvertes de nappes bien blanches, les couverts sont reluisants, le cristal des verres est limpide. La liberté s'étend à tout, depuis le costume jusqu'à la promenade. » Une citation encore : « A Stock- well, pas d'uniforme. L'école n'a pas de livrée. Chaque élève a le droit de s'habiller selon son goût, de se faire jolie ou de s'enlaidir à son gré. Et déjà, cette liberté donne aux maîtresses des indications précieuses sur les goûts, les tendances, nous dirions presque sur la qualité intellectuelle et morale de chaque jeune fille. Cette respon-

RAPPORTS SUR l'eXPOSITION DE LONDRES 335

sabilité individuelle à Tégard du costume 8*étend, s'élève à la conduite même. Il n'y a pas à Stockwell de surveillance des classes, ni du dortoir. Cest un professeur qui assiste aux études. Tous les jours, pendant une demi-heure, les students peuvent aller, par groupes de deux, se promener au dehors. Le samedi et le dimanche, c'est-à-dire les jours de congé, elles vont seules à l'église, à la promenade, chez leurs amis ou leurs correspondants. » Voilà des différences notables, et des mœurs libres qu'on pourrait pratiquer chez nous si nous commencions par une éducation plus libre du premier âge.

Dans le rapport serré et complet de M"® Gautier ^ inspectrice des écoles maternelles de la Seine, nous trouvons, à côté d'ap- préciations justes et intéressantes, bon nombre de faits dont nos écoles peuvent tirer un profit immédiat. En parlant des con- structions scolaires, elle remarque que, dans chaque école, il y a pour les maîtres vestiaire, lavabo et parloir. Dans les salles de classe, elle a vu les murs décorés de collections d'animaux, de tableaux de botanique, de gravures et de photographies des chefs- d'œuvre des maîtres, destinés à former le goût des enfants, et elle ajoute : « Celte idée, née en France, a été accueillie avec empresse- ment par nos voisins qui font venir même de Paris la plupart de ces gravures ». A propos de la couture. M"® Gautier a vu les enfants de l'école maternelle exercées au maniement de l'aiguille sans aiguille ni dé, ni fil, c'est-à-dire qu'on les exerce à placer, au commandement militaire, les mains dans les différentes positions exigées pour le point d'ourlet. On continue à les faire travailler au commandement lorsqu'elles cousent réellement, et l'on obtient d'ex- cellents résultats. Voilà une gymnastique utile et amusante. Une autre bonne idée pour le dessin : « J'ai vu employer un appareil destiné à démontrer comment on représente un solide sur une surface plane. Cet appareil se compose d'une surface en verre der- rière laquelle ou dispose le solide à dessiner; puis on trace sur le verre des traits qui s'adaptent exactement aux arêtes du solide vu en perspective, et on obtient ainsi la forme apparente du solide. » Ce que dit M"*® Gautier de l'enseignement de l'art culinaire nous paraît mériter une attention spéciale : « S'il est, dit-elle, un emprunt qu'il y aurait lieu de faire à nos voisins, ce serait, sans contredit, l'inlroduction d'un cours de cuisine pratique dans nos écoles de filles. Il en sort des couturières et surtout des institutrices : le nombre toujours croissant des aspirantes aux brevets de capacité, et les trois mille demandes d'emplois qui attendent dans les bureaux de la Préfecture de la Seine, en font foi. Je crois qu'il y aurait avan- tage à mettre un peu en honneur l'art culinaire et à former quelques cuisinières. Les Anglais, si pratiques, ont reconnu avant nous l'utilité de cet enseignement, et le succès de ces cours à Londres répond à l'avance de leur succès à Paris. »

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Nous arons maintenant à passer en revue les rapports rédigés par MH. les inspecteurs primaires, directeurs d'écoles supérieures et professeurs d'école normale qui avaient reçu du ministère la mission de visiter l'Exposition et d'assister aux séances du congrès. « Laissez de côté les questions générales, leur avait dit M. le directeur de l'enseignement primaire : n'oubliez pas que, par la nature même de vos fonctions, vous êtes habitués à juger les détails; ne sortez pas de voire rôle ordinaire, mais rapportez-nous une provision plutôt saine qu'abondante de faits pratiques et d'idées justes^ que nous puissions mettre à profit. »

C'est dans cet esprit que les auteurs de ces rapports se sont attachés à étudier chacun une ou plusieurs questions spéciales; évitant les généi-alités vagues, ils ont cherché non à voir beaucoup en peu de temps, mais à bien voir la chose particulière sur laquelle ils con- centraient leur attention.

M. Desgranges, professeur à l'école normale de Savenay, a étudié à fond les Kindergàrten ou écoles de la Société Frœbel. Il n'en a pu voir, à cause de l'époque de son séjour à Londres, que le beau côté, l'école maternelle modèle: mais, après tout, c'est de ce qui est le meilleur qu'on doit tirer des idées. M. Desgranges signale le grand nombre d'école normales établies par la Société Frœbel chez nos voisins pour former les institutrices. Les brevets pour les écoles maternelles sont de deux degrés : le brevet simple et le brevet supé- rieur. L'obtention de ce dernier surtout exige des connaissances sérieuses. « De tous les enseignements, dît M. Desgranges, celui de l'enfance est certes le plus difficile ; il demande de la part du maître ou de la maîtresse une étude approfondie de la pédagogie, une pra- tique intelligente des meilleurs procédés. Aussi voyons-nous, dans les programmes d'examen de la Société Frœbel, les questions péda- gogiques et les connaissances pratiques tenir la plus large place. » Le matériel d'enseignement, les balles, les cubes, les bâtonnets, etc., se trouvent dans quelques-unes de nos bonnes écoles maternelles urbaines; mais on serait heureux de voir pénétrer cet enseignement Jusque dans nos communes les plus reculées. L'emploi des bâ- tonnets pour enseigner l'écriture, le calcul, le dessin, serait surtout facile à vulgariser. Quel enfant n'apprendrait pas avec plaisir la géographie enseignée à l'aide de plans élémentaires, tracés par la maîtresse au tableau et imités par les petits élèves, « plans de la dasse, du jardin, du village, des cours d'eau ou des étangs voisins ; les îles sont figurées par de petits amas de sable sur fond de papier bleu; les arbres de ces îles sont de petits rameaux, et la maison, des bâtonnets plantés dans le sable. Une rivière est représentée sur fond de papier bleu avec du sable qui en forme les rives; les ponts sont de petits bâtonnets. » Pour le dessin également, nous avons

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peut-être quelque chose à imiter. « Une grande part est laissée à rinitiatire indifidoeUe. Ncww voyons exposés sous le titre d'inveniién de petits dessins sur papier quadrillé, oh l'enfant a d'abord tracé des lignes droites en différents sens, des lignes courbes, puis a* réu«i les lignes droites et les lignes courbes. - Les premiers essais sont informes ; mais, en feuilletant ce» cahiers, nous voyons rimaginaliofn s'étendre peu à peu, et les figures^ tout en se compliquant, prendre une disposition agréable à la vue. »

Arrivons à ce qui parait être l'idée maîtresse de cette intéressante étude. Cette idée se dégage d'elle-même de Taveu suivant fait à M. Desgranges par des institutrices anglaises : « Les enfants qui ont été élevés d'après le système Frœbel ont l'intelligence plus ouverte; ils suivent avec plus de fruit les leçons de l'école élémentaire. * Toutefois, îl convient de remarquer que l'éducation et Tinstruction reçues au Kindergarten ne peuvent porter tout leur fruit que si l'en- seignement du degré élémentaire à l'école primaire sait mettre à profit ce qui est déjà acquis et tenir compte des procédés employés jusqu'alors. Hélas I combien de fois la dissemb)|Guice qui existe chez nous entre la méthode des écoles maternelles et celle des écoles primaires n'a-t-elle pas fait échouer les meilleures disposition»! Essayons, nous feronâ bien, d'atténuer cette dissemblance, de faiie de l'école primaire un lien entre l'école maternelle et réoole pri- maire supérieure.

M. Doinel, directeur de l'école primaire supérieure de JoinviUé, nous a transmis un rapport riche en renseignements utiles sur V internat, le dessin et les travaux manuels dans les écoles primaires supérieures. Nous voudrions pouvoir reproduire toute sa plai- doirie en faveur du travail manuel considéré comme favorisant non seulement les aptitudes physiques, mais portant son action éducative sur l'individu tout entier. « Il s'agit de relever aux yeux de tous la dignité du travail manuel : aux yeux du riche qui croirait se déclasser en se servant de ses mains pour travailler; aux yeux de l'ouvrier qui s'imagine être seul à la peine, qui hait, par le seul fait de la souffrance et du danger matériels de chaque jour, ceux qui, d'après lui, ne travaillent pas, et cependant il rêve parfois pour les siens la prétendue sinécure d'une profession libérale. » L'internat des autres pays, dans son installation matérielle, ne semble pas a M. Doinel devoir nous servir de modèle, si ce n'est dans la plus grande liberté laissée aux élèves, dans l'absence d'une surveillance exagérée, et dans l'organisation, pour développer l'ac- tivité physique, de jeux de force, de course et d'adresse. Quant à la surveillance blessante à tous les instants de jour et de nuit dont on se dispense avec tant d'avantage chez nos voisins, nous croyons» avec M. Doinel, qu'elle ne fait qu'écraeer l'initiative individuelle chez les faibles, et développer chez ceux qu'elle ne dompte que momentanément un esprit de haine et de révolte. Toute classe,

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toute école, tout pays soumis à ce régime ressemble à une chaudière dont on a vissé la soupape. D'une étude minutieuse des spécimens de dessin exposés à South Kensington, M. Doinel conclut que la France semble avoir mieux compris que ses voisins la nécessité de cultiver le goût en même temps que la correction. Il approuve surtout remploi, par les enfants de Técole élémentaire, des couleurs vives. « L'enfant aime les couleurs; pourvu qu'on le dirige dans le choix, l'emploi des couleurs lui fera aimer le dessin.» Dans cette exposition de dessins» d'objets en bois, en fer, en plâtre, fabriqués par les élèves, une grande honnêteté semble avoir présidé au choix. 11 y avait cependant un penchant visible à choisir l'œuvre du meilleur élève et le meilleur travail de celui-ci. S'il fallait, parmi tant d'exposants, décernei* des éloges particuliers, on citerait peut-être le Japon, à cause des progrès immenses faits depuis Tcxposition de 1878, et la Belgique, pour avoir exposé un grand nombre de dessins à main libre et un dessin ^invention, genre d'exercice qu'on n'a rencontré nulle part ailleurs, excepté dans l'école enfantine et que M. Doinel nous engage à cultiver chez nous. « Dans l'enseignement primaire supérieur, les devoirs de rédaction pouvaient porter sur l'interprétation, par écril, d'un dessin de. machine, d'un plan de maison, d'une coupe de pont, etc. Rien ne sert de copier les lignes, les couleurs, si l'on ignore à quelles intentions elles répondent, si l'on ne peut, constructeur, entrepreneur ou propriétaire, les interpréter. Il est vrai que cette lecture se fait oralement dans la plupart des cas, que les explications préalables d'un professeur préviennent les erreurs, et initient à la compréhension de l'ensemble; mais il nous semble quon gagnerait à aller au delà de cette habitude de procéder. » Quant à l'invention,, sauf ce qui a élé constaté çn Belgique, elle est presque nulle après l'école enfantine. C'est un fait digne de remarque. On pourrait donner à traiter des sujets sur canevas préparé par le professeur, puis en laisser le choix : procéder en dessin rt)mme en composition française. Peut être ferait-on naître Tinitiative et disparaître notre habitude de la copie. II y aurait au point de vue de l'art industriel le style dix-neuvième siècle, comme il y a le style Renaissance, le style Louis XV, etc.

M. Bouffandcau, inspecteur primaire à Melle, a fait sur ïensei- gnemcnt de la lecture et les livres de lecture de nos voisins une étude approfondie et très intéressante. « C'est par la lecture surtout que les inspecteurs jugent de la culture intellectuelle des élèves et de la valeur pédagogique du maître. Aussi, des trois matières fonda- mentales de l'enseignement élémentaire, la lecture, l'écriture et le calcul, la lecture est celle qui, depuis quelques années, préoccupe le plus les inspecteurs des écoles anglaises. Des programmes précis ne laissent rien au hasard, règlent l'examen de chaque classe ; l'in- struction du nouveau Code scolaire, enjoignant aux inspecteurs de se

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rendre compte par des queslions si les élèves ont bien saisi le sens du texte lu, a rappelé partout aux maîtres que de bonne heure il fallait éveiller Tesprit de Tenfant, et que la leçon de lecture devait être autre chose qu'une simple répétition monotone de sons et de mois. » Il est impossible de trop insister sur ce principe, car, malgré les efforts soutenus de Tinspection, malgré Tabondance des bons livres mis entre les mains des élèves, renseignement de la lecture aux petits enfants n'est ce qu'il doit être que dans une petite minorité d'écoles. En France, nous pouvons faire le même aveu. Et la cause du mal est la même chez nos voisins que chez nous. « La leçon de lecture, la plus difficile de toutes, est considérée comme la plus facile, et confiée le plus souvent à de jeunes maîtres qui no savent pas eux-mêmes ce que c'est que de bien lire ! » Quant à la méthode suivie aujourd'hui par les bons maîtres, on remarque le soin d'éviter l'ennuyeuse épellation des petits mots familiers qu'un enfant peut facilement saisir et prononcer avec une seule émission de voix. Les livres de lecture entre les mains des élèves sont de deux sortes, ceux de la leçon de lecture proprement dite, et ceux, faits ad hoc, dont la lecture doit suivre l'exposé oral de la leçon d'histoire ou de géographie faite par le professeur. La leçon reprise ainsi immédiatement sous une autre forme, celle d'un récit intéressant ou d'une description bien faite, grave bien dans l'esprit de l'élève les faits de l'histoire ou de la géographie. Cet emploi de livres de lecture historique, géographique et scientifique a produit chez nos voisins les meilleurs résultats. L'idée nous paraît bonne à suivre; il faut seulement que les livres soient bien faits. En somme, conclut M. Bouffandeau, nos voisins, les Anglais, souffrent comme nous des défauts d'une mauvaise lecture, et si, comme il est incontestable, ces défauts tendent à disparaître peu à peu chez eux, c'est grâce a l'incessante et minutieuse surveillance des autorités et à l'encoura- gement, sous forme de subventions, accordé par l'Etat aux institu- teurs qui réussissent à faire bien lire. Les mêmes moyens réussiront chez nous.

M. Cottin, inspecteur primaire à Coulommiers, s'est occupé de l'organisation de Vinspection et des examens. Il explique d'abord comment le besoin d'assurer le bon emploi des subventions votées pour encourager la bonne direction des écoles a fait naître en Angleterre l'institution toute moderne de l'inspection des écoles par l'Etat.

Le rapport signale plusieurs détails de règlement qui ont une grande importance, et qui méritent d'être relevés. En ce qui con- cerne l'inspection : « A la suite de chacune de ses visites, l'inspectenr «^st tenu de dresser un rapport au Département d'éducation ; le résumé de ce rapport, avec les observations qu'a pu y joindre le Département» est communiqué aux administrateurs de l'école, et transcrit aussitôt sur un registre spécial qui reste entre les mains de rinstituteur; »

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29 Au sujet des conditions pour Tobtention du brevet d'instituteur: « A l'encontre de ce qui se p&isse en France, les candidats au bravet n'ont pas à justifier d un stage dans renseignement, les examens sont ouverts exclusivement : a) aux élèves qui ont passé aa moins une année dans une école normale; b) aux candidats qui, étant âgés de plus de vingt ans, ont deux ans de services comme instituteurs provisoires ou douze mois comme maîtres adjoints dans une' école subventionnée et dirigée par un instituteur breveté, et qui ont, dans Tune ou Tautre situation, été l'objet d'un rapport favorable de l'inspecteur primaire, constatant leur aptitude à enseigner la lecture ou (pour les femmes) les travaux à l'aiguille. Le brevet n'est délivré aux candidats qui ont réussi dans leurs examens qu'après qu'ils ont été l'objet, dans les écoles ils exercent, de deux rapports favorables de Tinspecteur faits au moins à une année d'intervalle. » Et plus loin : « Un brevet peut être retiré complètement ou pour un certain temps, ou ramené à une classe inférieure. Cette mesure, toutefois, ne peut être appliquée qu'après que le Déparlement a informé l'instituteur des charges qui pèsent SOT lui et lui a donné les moyens de s'expliquer. » En ce qui touche aux matières d'examen, nous voyons des connaissances sérieuses de pédagogie exigées des aspirants et aspirantes au brevet élémen- taire. Cela est bon. Une autre exigence pour les épreuves écrites de calcul, d*une utilité capitale ceux qui ont à corriger les compo- sitions de calcul seront de mon avis —, est celle-ci : « Les chiffres seront bien formés, le travail sera disposé avec goût comme s'il devait servir de modèle aux enfants. » En effet, il est beaucoup plus important d'avoir des chiffres lisibles que des lettres lisibles.

Encore une bonne idée déjà signalée par M«»« Gautier : l'examen des aspirantes touche à tous les détails pratiques de l'économie domestique, depuis sa nourriture et sa préparation jusqu'aux soins d'hygiène, et, chose capitale, à la tenue d'une chambre de malade.

M. Briand, inspecteur primaire à Saint-Calais, dans son rapport sur les bâtiments et mobiliers scolaires, résume en quelques lignes la première séance du Congrès dans la section chargée de cette matière.

L'avis unanime y fut exprimé que l'école doit être agréable pour l'enfant et pour le maître; que la santé des enfants à l'école dépend d'un bon éclairage, d'une bonne ventilation et d'un bon enseigne- ment, et par un bon enseignement il faut entendre celui qui s'adresse à l'intelligence et non celui qui consiste à charger la mémoire.

Un orateur, en particulier, a insisté sur l'influence du beau pour le développement (ft l'intelligence et du cœur de l'enfant. Il deman- dait que sur les murs des classes les copies de 5 œuvres d'art occu- passent la meilleure place. Lord Reay a réclamé pour l'enfant des fleurs et des gravures ; nous ajouterons, pour notre part, et c'est un conseil que nous ne cessons de donner aux instituteurs qu'on

RAPPORTS SUR l'eXPOSITION DE LONDRES 33t-

ferait bien de planter dans toutes nos cours d'école, pour réjouir la vue et donner des leçons utiles, des arbres fruiti^s d'espèce et de floraison aussi variées que possible, au lieu des platanes et til- leuls si chers à la routine. De ses visites aux maisons d'école, mal- heureusement vides à cette époque, M. Briand a tiré quelques utile» enseignements. A chaque étage, dans les écoles à trois étages, se trouvaient des lavabos. Dans la plupart des classes, on voyait un tableau contenant des instructions sur les soins à donner aux en* t'ants en cas d'épidémie. Voici un registre de présence bien sim{^ : un cadre, contenant une feuille de papiw pouvant ôtie remplacée chaque semaine ou chaque mois, porte pour chaque jour de semaine ou du mois le nombre des inscrits, des présents et des absents. Quant au mobilier scolaire, M. Briand pense que nos voisine* n'ont guère de leçons à nous donner. Cependant, il signale une éè ces innovations si simples qu'on s'étonne de ne pas y avoir pensé plus tôt : « Pour empêcher, dans les classes nombreuses, le bruit des couvercles des pupitres qui se ferment, on place sous chaque coin da< couvercle une petite rondelle de cuir ou de caoutchouc. » C'est simple et c'est bon. Mentionnons enfin, dans ce rapport si riche en détails utiles, ia description d'un double boulier-compteur : le premieary connu de tous, pour les nombres simples ; le second, composé de médailles représentant les diverses pièces de monnaie, suspendues aux vergettes de fer fixées horizontalement aux montants de l'appareiL Ces monnaies sont groupées en quantité déterminée, pour en rendre l'aspect famiUer aux élèves, leur en faire connaître la valeur respec- tive, les habituer à calculer rapidement et à effectuer avec facilité un paiement ou un recouvrement.

n y aurait bien des choses à prendre dans les trois études co»- sciencieuses de M. Hmnofi, inspecteur primaire à Saint-Malo, sur renseignement en A ngleterre, en BelgiqtAc et au Japon. Ici, comme ail- leurs, nous ne pouvons que choisir un peu au hasard. Vwci un prôjupré qu'on devrait combattre de toutes ses forces, chez nos voi- sins comme chez nous : « Le brevet de classe ne donne à l'insti- tuteur que le droit de diriger une école inférieure ou école maternelle. » Quel pédagogue digne de ce nom ignore que la tâche qui exige )e plus de savoir et de tact est l'enseignement des petits enfants f Un jour viendra les meilleurs de nos maîtres et mattresses dirn gèrent les écoles maternelles, et, si on fait un avantage pécuniaire à quelques-uns, ce sera pour eux. A propos de constructions sco- laires, « les Sehool Roards anglais, dit M. Hamon, exigent que la construction de ttmte école soit étudiée en prévision du terrain qu'elie* (If)it occuper, au lieu, comme cela se pratique trop souvent^ de donner d abord le plan et ensuite de rechercher le terrain. » La ques- tion des traitements a été touchée en passant, et nos institutemrs français qui, soit dit à leur honneur, n'accordent à cette question qu'une importance secondaire, peuvent se dire que si, chez nos

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voisins, on est mieux payé pendant qu'on travaille^ en revanche, lorsque Tàge ou la maladie arrête le travailleur, le traitement cesse aussi, car il n'y a point de retraite de droit.

Dans renseignement primaire belge, ce qui semble le plus frap- per M. Hamon est 1 école gardienne (jardin d'enfants), dont il décrit le système, le but. a Le jardin d'enfants n'est pas une école dans le sens propre du mot. L'institutrice s'y occupe peu d'instruction; mais elle travaille, à l'exemple de la mère, à faire la première éducation des enfants qui lui sont confiés. Cultiver les forces phy- siques et contribuer à assurer aux enfants une santé robuste; don- ner par l'exercice des sens un premier développement à la faculté de perception, à l'esprit d'observation; favoriser l'instinct d'imitation et l'éveil des facultés inventives, apprendre aux enfants, dans les limites du possible, à exprimer clairement leurs observations, leurs jugements ; les habituer à la propreté, à l'ordre, à la politesse ; leur inspirer le goût du beau, les former à l'obéissance, à la véracité, à l'activilé, chercher par-dessus tout à les rendre bons, aimables, généreux ; telle est l'œuvre confiée à la sollicitude de f institutrice du jeune âge. »

L'enseignement primaire au Japon suit de près le modèle français ; là, comme chez nous, les châtiments corporels sont interdits. Les progrès réalisés depuis quelques années sont immenses. Un nouveau pas a été fait tout récemment par la création, sous l'impulsion de l'impératrice elle-même, d'une école normale de filles.

M. Robin, directeur de l'orphelinat Prévost, a porté son attention sur les institutions, les procédés et les produits dont l'introduction pourrait être utile dans le grand établissement philanthropique confié à sa garde. Ce rapport est un trésor de précieux renseignements. Comment faire un choix ? L'espace manque pour exposer ici, à la suite du rapporteur, le système de filtrage Teau se fillre du bas en haut (bien plus avanta- geux que le procédé ordinaire), le système des earthclosets de Mould, qui économise, tout en ménageant notre odorat, le plus précieux engrais pour nos agriculteurs, etc., etc. Arrivant à travers champs aux questions d'enseignement, M. Robin, esprit essentiellement pratique, ne peut s'empêcher de gémir sur le temps perdu par les enfants de tous les pays à se bourrer la mémoire des bizarreries de construc- tion grammaticale ou d'orthographe, au lieu de s'assimiler les faits delà science.

M. Robin a visité plusieurs orphelinats anglais, et, tout en admi- rant l'installation matérielle et la liberté accordée aux enfants, il regrette que la discipline repose sur deux moyens que nous réprou- vons avec lui : les châtiments corporels et les terreurs religieuses imaginaires. Il a examiné sérieusement les produits fabriqués par les élèves des écoles professionnelles et industrielles, et il se plaint que presque toutes exposent des objets fabriqués par de véritables ouvriers, des jeunes gens au terme de leur apprentissage

RAPPORTS SUR l'exposition DE LONDRES 333

qui semblent n^avoir cultivé qu'un seul métier, au moins à demi- temps, le plus souvent toute la journée. Ce regret a été formulé par presque tous ceux qui ont visité cette section importante de l'Ex- position scolaire.

M. Paul GuUhot, professeur à Torphclinat Prévost, a pris pour sujet de son étude Venseignement populaire de la musique dans les écoles, au double point de vue de l'hygiène et de l'éducation. Les bienfaits physiques et moraux de cet enseignement, dit M. Guilhot, ont été conslatés par les célébrités médicales et philosophiques. Les premières ont reconnu que l'étude de la musique assouplit, dé- veloppe, adoucit la voix et allonge la respiration; elle exerce même une heureuse influence sur les poumons, en les dilatant (quand cet enseignement est donné dans une juste mesure et ne va pas jusqu'à la fatigue). Les autres trouvent dans l'enseignement musical un puissant élément d'inspiration, « un salutaire dérivatif aux mauvais penchants, un moyen sûr de développer les sentiments nobles et généreux ». Mais d'où vient qu'un enseignement promettant de tels résultats soit si lent à se propager dans nos écoles? A TExpo- silion de Londres, toutes les branches de l'enseignement populaire étaient si largement représentées, on remarquait peu de documents relatifs à la musique et surtout peu de devoirs musicaux. Pas de statistique du nombre des écoliers des différentes nations suivant des cours réguliers de cet enseignement. Le chant, il est vrai, s'est beaucoup répandu depuis quelques années dans les écoles, mais la plupart des chants scolaires sont appris par Taudition, plutôt que par principes. D'où vient donc le mal? Les professeurs distingués abondent; les institutions spéciales ne font pas défaut, et les ouvrages de va- leur sont nombreux. C'est le temps qui manque; c'est l'application d'une méthode rapide qui fait défaut. est le remède? D'après M. Guilhot, il est dans la mise en pratique d'un système simplifiant renseignement de la musique, et permettant de lui faire une place obligatoire dans nos programmes scolaires sans porter atteinte aux branches essentielles de l'enseignement scientifique, grammatical et littéraire; et ce système n'est autre que celui de Galin-Paris-Chevé, autrement dit le système modal, substitué au système tonal. Un système analogue appliqué en Angleterre y a produit partout les meilleurs effets, et a obtenu à l'Exposition une médaille d'or, dans la personne de M. John Curwen, directeur du collège anglais dit du Tonic sol'fa. Dans l'enseignement musical scolaire anglais, a la part du système modal est des quatre cinquièmes, conquis sur l'ancienne école tonale ». Après avoir constaté ces beaux résultats, M. Guilhot se livre à une longue appréciation de la théorie du système modal, de ses avantages, et fait l'histoire de son introduction en Suisse, en Hol- lande, en Russie, et surtout en France par ses propagateurs Galin, Paris et Chevé. L'école anglaise» dite du Tonte sol-fa, et l'école française, partant du même principe et visant au môme but, ne différent

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^ère que par récriture. Le Tonic sol-fa emploie des lettres, et la méthode Galin-Paris-Chevé se sert de chiures. M. Guîlhot croit pou- i^ir espérer la création prochaine à Paris d'un établissement ana- logue au collège du Tonic sol-fa^ et consacré à la vulgarisation de la méthode Galin-Paris-Chevé, dont la circulaire ministérielle de juillet 1883 a autorisé l'emploi dans nos écoles.

Le rapport sur le calcul mental fait par M. Véùez, inspecteur pri- maire à Vervins, présente, sous une forme attrayante, Texposé, plein d'intérêt, des méthodes suivies en Angleterre. Elles ne durè- rent pas de celles qui sont pratiquées dans nos écoles; mais ce qu'il convient de relever, c'est Timportance primordiale que les Anglais attachent au succès de leurs élèves en ce genre d'exercices. Ce n'est point d'une façon en quelque sorte incidente, et a l'occasion 4e calculs amenés par la solution de problèmes qui n'avaient pas été choisis dsms ce but, que les Anglais exercent leurs élèves au calcul mental; mais ce calcula pris ckez eux les proportions dune science particulière, cultivée pour elle-même et ayant ses professeurs spéciaux. On conçoit tout le bénéfice qu'un peuple de marins el do négociants doit retirer d'un pareil enseignement. Au point de vue pédagogique, nous nous bornerons à dire que cette marche a l'a- vantage de déblayer le terrain et de permettre ensuite aux élèves à& porter dans des cours plus élevés tous leurs efforts et toute leur attention sur la solution théorique dos ques lions qui leur sont pro- posées.

Nous demandons pardon aux auteurs de ces rapports de n'avoir pu donner qu^une idée aussi incomplète de leurs travaux. Si l'espace nous eût été moins étroitement mesuré, nous eussions aimé à con- aigner ici, à noire tour, quelques-unes de nos observations; mais il ne saurait en être question. Nous n'ajouterons à tout ce que nous ^eaouB de résumer qu'un seul fait emprunté à nos souvenirs per- sonnels. C'était pendant la diiicussion sur la gymnastique et les exercices physiques dans les écoles. M. Wilson, du School Board de Sheffîeld, venait de protester contre la tendanoe moderne de n'intro- duire dans les écoles, soit de garçons, soit de filles, que les exercices imilitaires, dont la désespérante monotonie fait de la gymnastique un iinnui plutôt qu'un délassement, et il ajouta : a Mon but est d ap- .prendre à sauver la vie plutôt qu'à la détruire. Nous savons qu'un «grand nombre de personnes se noient, chaque été, aux bains de mer, Mdans nos fleuves, nos canaux, nos étangs; en hiver, par la rupture ée la glaee; et cela, souvent à deux ou trois mètres du rivage, en pré- sence de nombreux témoins incapables de leur porter secours, ou parce qu'ils ne .savent pas nager, ou parce qu'ils ne peuvent pas nager avec ieurs vêtements, il est facile d'apprendre aux i;arçoQs ou aux filles de &ire en peu d'instants une chaîne avec leurs mouchoirs ou leurs cravatas; on les tord autour des poignets doutas mains se joignent et on forme ainsi ime chaîne qu'il eat presque impossible de rompre.

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DansTeau, les mains se séparent sous une tension forte; mais jointes et liées, elles se séparent difficilement, et les premiers de la chaîne peuvent s'aventurer dans Teau ou sur les bords de la glace pour retirer sans risque une personne en danger de se noyer. Voilà un exercice auquel on pourrait facilement habituer nos élèves des deux sexes, soit dans leurs cours de récréation, soit pendant leurs pro- menades à la campagne. On n'aura pas besoin pour cela de jeter à Teau un des leurs ! Une pente quelconque dans une prairie ou au bord de la route peut remplacer la berge en pente rapide du fleuve, et le sauvetage peut s'opérer au milieu des rires joyeux des enfants. »

III

Nous nous reprocherions de passer sous silence, en terminant, le compte-rendu du voyage et du séjour à Londres des élèves^maîtres de l'école norriiale d'Amiens, sous la conduite de leur professeur d'is- glais, M. Liégaux. L'allure de ces pages est vive et gaie: c'est la jeunesse heureuse qui tient la plume. L'impression produite sur ces jeunes gens par le voyage, par la visite des monuments et des environs de la plus grande, sinon de la plus belle ville du monde, est bonne; elle sera durable et féconde. Elle se résume en ces mots, les seuls que je me permette de citer: a Que d'idées jmhi- velles nous avons acquises! Combien de faits vérifiés par robanr- vation ont pris un autre aspect! Un préjugé entre autres a disparu : les Anglais sont chez eux très empressés pour les étrangers, très serviables et très aimables. »

Jamais emploi des deniers publics n'a été plus fructueux. £n fai- sant assister à cette réunion firatemelle de toutes nations quelques- uns des futurs maîtres de notre jeunesse française, M. le ministre de l'instruction publique a eu une grande et généreuse pensée. Ces jeunes gens sont revenus débarrassés de certains préjugés à Tégard de leurs voisins. Ce sont les pr^ugés qui divisent les peuples fidts pour vivre en paix. Partout ces jeunes maîtres iront, ils porte- ront la lumière avec eux; ils seront, non seulement des instructeuss, mais des éducateurs. « Le peuple dont l'éducation est la plus par- faite, a dit lord Reay dans son discours d'ouverture, sera toujours celui qui cimentera le plus entre les nations la paix et l'amilié. » C'est le but le plus utile qu'on puisse se proposer. Le CoB^rès international de Londres a £ail faire vers ce but un pas impodant.

East, Inspecteur d*académie.

LES NIDS DES PETITS OISEAUX

DOUCEUR ENVERS LES ANIMAUX

(note d'inspection)

Voici une petite école perdue dans les montagnes. Nous sommes en plein été (30 juin), et je trouve vingt-trois élèves. garçons et filles, présents, sur les vingt-six enfants d'âge sco- laire du petit hameau. La classe est installée dans une petite maison louée, mais elle est bien tenue et proprette. Les en- fants sont de bonne humeur. La jeune institutrice est contente de son sort, et se plaît au milieu d'une population qui lui est très attachée.

On est à la classe de travail manuel : les petites filles font de la couture; les garçons, avec quelques instruments bien primitifs, font des échelles, de petits chars,* des jougs de bœufs, des chaises, des ridelles, des araires pour le musée scolaire entièrement formé par les élèves. C'est à qui fera le plus beau travail pour mériter un compliment de l'institutrice.

Que signifie ce carton suspendu au mur, avec Tinscription « Gendarme : Privât, Jules » ? C'est le nom de l'élève chargé , pendant le mois, de l'exécution du règlement de la Socj^/é pro - tectrice des nids et des animauXj formée par les élèves de l'é- cole. C'est lui constate le délit qu'il ne peut empêcher : enlève- ment d'un nid, mauvais traitement envers un animal domestique. Il traduit le délinquant devant le tribunal composé de deux élèves et présidé par l'institutrice. Mais, depuis deux années déjà, cette fonction est devenue une sinécure. Il n'y a plus de délinquants, le gendarme n'a plus personne à arrêter. Aussi les oiseaux se multiplient-ils, et remplissent-ils les arbres d'alen- tour de leurs chants, et délivrent-ils les jardins des insectes qui autrefois détruisaient les fleurs et les fruits. Deuxième profit : l'exemple des enfants est contagieux; les parents traitent les animaux avec plus de douceur. G. J.

M. PHILBRICK ET LES INSTITUTEURS AMÉRICAINS

M. John Philbrick, ancien surintendant des écoles de la ville de Boston, vient de faire paraître une courte brochure sur la durée de remploi d'instituteur aux États-Unis.

Partant de celte idée qu'en pédagogie la question capitale est, partout et toujours, la question du maître, et que le meilleur critérium d'un système scolaire se trouve dans le caractère et les qualités des maîtres qu'il emploie, il examine, au point de vue de la durée et de la stabilité des fonctions, la situation des instituteurs en Amérique •et la compare avec celle des maîtres des autres pays.

Quelle était, dit-il, il y a cinquante ans, aux États-Unis, la situa- tion des employés au service de la nation, de l'État, de la munici- palité? Nos institutions politiques sont fondées sur ce principe que les fonctionnaires publics sont les serviteurs du public et, à ce 'moment plus qu'à aucun autre de notre histoire, l'opinion dominante tétait que les fonctionnaires et employés ne (levaient avoir aucun intérêt, aucun droit de propriété dans les emplois qu'ils occupaient. »De cette opinion vint la pernicieuse habitude qu'on a appelée la « rotation des offices », toutes les fois que la durée des fonctions n'était pas déterminée parla loi. S'appuyant sur ce sentiment général, que l'on considérait alors comme le véritable esprit de J a démocratie, le Président Jackson introduisit la coutume de retirer aux fonction- naires leurs emplois sans se préoccuper des titres qu'avaient pu leur acquérir l'accomplissement de leurs devoirs et leur conduite.

Depuis ce temps il s'est fait un changement considérable dans ropinion publique. L'idée qui domine aujourd'iiui est que la justice |)our les serviteurs est essentielle au bon service, et que la justice est incompatible avec un emploi qui ne donne à celui qui l'occupe .ni intérêt ni possession assurée.

Appliquant ce principe général au personnel enseignant en parti- culier, M. Philbrick se propose de soutenir dans sa brochure la théorie suivante : La permanence des emplois d'instituteur les rendrait beau- coup plus désirables. 11 ne coûte rien au public d'accorder celle per- manence, et pour les maîlres ce serait un bienfait inestimable. La sécurité qu'ils y trouveraient serait pour eux l'équivalent d'un salaire plus élevé, en les alTranchissant d'une incertitude qui les décourage et .les dégoùle souvent de leurs fonctions. C'est donc pour le public, en premier lieu, une question d'économie. Mais les résultats au point de -vue de l'éducation seraient bien plus considérables, car la permanence des fonctions, jointe à une rémunération convenable, est la condition indispcRi^able pour obtenir un corps enseignant réellement capable.

M. Philbrick résume ses idées sur ce point dans les deux para- graphes suivants :

Partout et toujours la stabilité d'une situation compte largement, avec le salaire, dans l'estimation des avantages de cette situation,

REVUE PÉDAGOGIQUE 1884.— i<^r SBM. 22

LA CHANSON DE ROLAND

COMME LIVRE DE LECTURE POUR LES ENFANTS

La Cha?(8o?i db Roland, traduclion noa?elle à l'usage des écoles, précédée d'une Introduction sur Cimportance de la Chanson de Roland pour VédU' cation de la jeuneue, par M. Edouard Rœhrich(Pari8, chez Fischbacher, in-18).

Riea n'est plus délicat, aux yeux de ceux qui ont à cœur la grande œuvre de l'éducation, que le choix des livres de lecture pour la jeunesse. Ceux qui écrivent spécialement pour les enfants, avec le dessein bien arrêté de former leur cœur et ieiu* esprit, manquent souvent le but vers lequel ils tendent avec tant de soins. Les uns font du livre un complément raisonné de la classe, et le chargent de leçons directes à l'adresse de jeunes intelligences auxquelles nous en donnons déjà trop; les autres, pour captiver l'attention des enfants, s'ingénient à se faire plus petits qu'eux et mêlent l'instruction et Tamusement dans des combinaisons puériles, quelquefois presque niaises, qui compromettent l'une et l'autre. Ûuant à la morale, on oublie que la plus profitable est celle qui ne se professe pas, mais qui se dégage naturellement des faits et de la manière de les expo- ser. Pour les enfants, comme pour les hommes, les meilleurs livres ne sont pas ceux qui prêchent le bien, mais qui le font •aimer, et l'on peut dire de tous ce que M"" de Staël disait des romans, qui sont pas bons ou mauvais par ce qu'ilsjenseignent, mais par ce qu'ils inspirent. Et à ce point de vue il en est de la vie comme des livres; les exemples valent mieux que les leçons; il y a dans les actions dont l'enfant est le continuel témoin, une contagion des principes honnêtes et des bons sen- timents à laquelle il est d'autant plus accessible qu'il éprouve plus de plaisir à se faire homme avec nous qu'à nous voir nous faire enfants avec lui.

Ces réllexions peuvent conduire à essayer de mettre entre les mains des enfants et des jeunes gens des livres qui n'ont pas été écrits pour eux, mais pour les hommes eux-mêmes, surtout ceux qui représentent la vie et l'histoire dans leur spontanéité

LA CHANSON DJB ROLAND 3il

et leur naïveté primitive. Il faut songer, en effet, que chaque homme, dans son développement successif, est, en raccourci, l'image de l'humanité; il passe par les mêmes phases. L'enfance de l'individu ressemble à celle des peuples, et une indéfinis- sable sympathie les unit Tune à l'autre. Ceux qui font leurs premiers pas dans la vie aiment à voir les premiers pas de l'homme dans le monde. De l'attrait que ne manquent pas d'avoir pour le jeune âge ces antiques histoires fabuleuses, ces poétiques légendes la foi et l'imagination transforment également les phénomènes de la nature et les actes de l'homme en une suite continue de merveilles. Et je ne parle pas ici des fables inventées à plaisir, des contes de fées et de géants qui, lors même qu'ils sont écrits pour les enfants, peuvent encore charmer les hommes Jes plus graves :

Si Peau-d'Ane m'était conté, J'y prendrais un plaisir extrême,

dit La Fontaine (Ii\Te VIII, fable 4). Je parle de ces récits merveilleux et inconscients qui transfigurent l'histoire primitive ou qui en tiennent lieu ; par exemple, de cette brillante mythologie grecque qui a peuplé le ciel et la terre de tant de dieux et de héros, dont elle raconte les métamorphoses et les exploits, en fournissant à la poésie et à l'art, tant ancien que moderne, un aliment inépuisable. Je parle, toute question reU- gieuse à part, de ces naiTs et attachants tableaux bibliques qui nous font assister à la genèse du monde, à la oAissance de l'homme, à ses premières fautes et à ses malheurs, à la forma- tion des familles humaines et à leur dispersion, aux destinées singulières de ce peuple élu dont toute l'histoire a Dieu lui- même pour principal acteur. Étranger à toutes les questions de cosmogonie, d'exégèse, aux polémiques thédlogiqucs, aux intérêts religieux, qui auront ou n'auront pas, dans sa vie, leur heure à leur tour, l'enfant suit d'un œil ému ce drame épique dont le fond est la lutte du bien et du mal, personnifiée dans des figures bien viyantes, franchement sympathiques ou odieuses; malgré le scepticisme ambiant qui nous gagne tôt ou tard, il n'est guère d'histoire sur laquelle il ait été versé plus de larmes que celle de Joseph ou de la pieuse Esther, dont le dénoue-: ment, grâce à une intervention supérieure, donne à la conscience

342 VÈVm »ÉDA«061QUB

enfantine, coomie avx sen^imenfeB populaires, uoe entiène satisfiao tioa. Les préjugés, s'il y en a, les sentiments trop généreus, les idées ezcessÎTes, sinon fausses, que ces légendes primitives peuvent favoriser, s'évanouiront au souffle de l'expérienoe, au ooDtact de la vie moderne, et il n'est pas aussi dangereui <{u'on Je croit, pour la jeunesse, de les traverser. L'homme, encore une fois, n'est complet qu'autant qu'il a fait toutes les étapes de Thumanité.

L'intérêt, Témotion, le mouvement intellectuel et moral que le jeune Hige a « longtemps trouvés dans les poétiques créations du génie grec ou dans les merveilleuses traditions de la toi judaïque et chrétienne, un pédagogue d'initiative, M. Edouard Rœhrich, croit qu'on peut les demander aux légendes épiques du moyen âge, à celles surtout qui ont enveloppé les premiers temps de notre propre histoire d'un genre particulier de mer\eilleux, le merveilleux chevaieresqae. Pour en montrer la vertu éducative, il a choisi, à titre d'essai, la plus caractéris- tique des chansons de geste, la Chanson d^ Roland, cette sorte d'Iliade romane d'une société encore barbare, quoique déjà chrétienne, l'héroïsme domine ci modifie le caractère du peuple et sa foi. Tout le monde sait aujourd'hui quelle place tient, dans notre histoire littéraire et dans celle même de notre évolalion nationale, oc grand poème anonyme (car le nom de ThérouWe ou Turold n'est que celui du copiste ou du trouvère qui le récitait), plusieurs fois remanié ou refait chez nous, du IX* au nm^ siècle, avant de passer dans les diverses contrées de l'Europe, en s'appropriant au génie de chaque peuple, d'est le type par excelleoce de cette sorte d'épopée spontanée, con- tinue et collective; qui jaillit de l'imagination populaire, chan- geait de jour en jour de forme, comme la langue elle-même, vecevant de boudie en bouche, suivant les temps et les lieux, des développements nouveaux, se mettant sans cesse en harmonie ÈPfet les idées, les mœurs, les sentiments, les passions de la foule à laquelle elle s'adresse.

Dans son texte classique éa xn« siècle, qui est loin d'être le texte primitif (4), la Chanstm €e Roland ou de Roncevaux ou

\l) Ihie Chanson de Roland à Ronceyavx était si populaire au aièole

LA GUANSOM BS nOLAIiD 34^

encore des Dmtze Pairs développe ud sujet d'un graud intérêt national et religieux, le dernier acte de Texpédition de Ctiar- lemagne contre les Sarrasins d'Espagne, et a pour principal épisode la défaite éprouvée, en 778, par Tarrièrc -garde de son armée dans les défilés de Roacevaux Rohnd et les pairs qui l'accompagnaient trouvèrent une mort héroïque.

Le poème, qui compte iO,QOO vers et sd divise en cinq cliants, nous présente, au début, Charlcmagne ayant conquis l'Espagne entière,

Fors Saragoce ?u chef d'une montai gne : est Marsilles.

9

L'empereur désigne, d'après le conseil malveillant de Roland^ le beau-père de celui-ci, le Mayençais Guene ou Ganelon, pour aller traiter de. la paix dans cette ville. Uans le second chant, Marsille feint de se soumettre. Ganelon combine avec lui la destruction des troupes commandées par Roland dont il brûle de se venger. L'armée reprend le chemin des Pyrénées. L'arrière- gai'de, composée de vingt mille combattants, est assaillie par les Sarrasins et sans doute par les Vascons, leurs auxiliaires; mais le poêle jette un voile sur la trahison de ceux-ci et laisse au fait le caractère exclusif d'une lutte de religions et de races. Roland consent trop tard à avertir Tempereur de sa situation en sonnant du cor. Au troisième chant, il reste seul debout au milieu du champ de carnage ; (lénin, Gérer, Gauthier, Béranger, Atuin, le vieux Gérard de Roussillon, Ânséis, Tarchevéque Turpin,. Olivier, sont tombés autour de lui. Les sons des 60,000 clairons de Charlemagne répondent enfin aux £m>pols de Roland. Mais la mort gagne le héros : sa poitrine s'est briâée dans le sMprôme effort qu'il a fait pour se i'uiire entendre de l'empereur. 11 veut rompre son épée, « Durandal la louée », pour que les païens ne s'ea emparent pas. lien frappa

précédent, que, suivant le trouvère Robert W'acc, un jongleur de rarmée d^. Guillaume le Conquérant la disait aui soldats pour les animer, avaot la bataille d'Hastings (1066).

Taillefer, qui moult bien caïUok, Sut un cheval qui tost aloit. Devant aus s'en aloit cantant De Xarleroainc et de RoUant. .Et (l'Olivier et des vassaux Oui ouirarent à.HatasçaMaua<

344 ftIVUI PÉDAGOGIQUE

ea vain les rochers, la trempe de Tarme résiste. Alors Roland s*ét€nd sur llierbe, cache sous lui son épée, tourne le visage du côté de Tennemi et meurt. Le quatrième chant raconte la vengeance que tire Charlemagne. Un nouveau combat plus terrible s'engage à Roncevaux. Baligan, sultan de Babylone, accouru d'Afrique au secours de MarsiUe, est vaincu et frappé mortellement de la main même de Charlemagne,

Et Raligaos adoacqaes s'aperçoit Que il a tort et Karlemaine a droit.

Conclusion qui rappelle I05 « jugements de Dieu ». Le cin- quième chant est consacré à la mort de la belle Aude, fiancée de Roland, et au châtiment de Ganelon.

Voilà le poème auquel M. Rœhrîch voudrait ouvrir une nou- velle ère de popularité. Pour l'approprier à son but pédago- gique, il en donne une traduction toute spéciale et, comme il dit, a à l'usage des écoles 9. Il y introduit des modifications do fond et de forme que ses préoccupations expliquent, mais qui ne sont pas toutes heureuses. C«omme s'il doutait de l'in- térêt soutenu de l'œuvre originale ou de la force d'attention de- ses jeunes lecteurs modernes, il supprime ou abrège deux chants, qui, sans intéresser la gloire héroïque de Roland, relè- vent le prestige de Charlemagne et complètent la peinture des mœurs du temps. A ne considérer que l'intérêt du récit, la Chamon de Roland ne peut que perdre à ne pas être présentée dans son entier développement.

Les suppressions de détail, qui ont pour objet de rendre la lecture plus morale et plus saine, ne sont pas toujours faciles à justifier. Il ne peut être question de ramener à Texactitude historique un récit légendaire l'imagination populaire, si elle n'a pas créé de toutes pièces le héros, en a fait à plaisir, et sans le moindre souci de l'histoire, le type, l'idéal de toutes les vertus qui constituaient, au début du moyen âge, l'héroïsme guerrier et chrétien. Autant Roland tient de place dans les traditions de la postérité, autant il en tient peu dans les témoi- gnages contemporains; une seule chronique mentionne, en une ligne, son nom et sa mort dans la funeste retraite d'Es- pagne, et la poésie n'a pas craint de faire de lui non seulement le plus vaillant des soldats, mais le plus heureux des conque-

LA CHANSON DI BOLAND 345

rants. Grâce à sa claire et blanche épée, Durandal, que Char* lemagne lui a remise par ordre d'un ange, il se glorifie d'avoir soumis et donné successivement à son souverain l'Anjou, la Bretagne, le Poitou, le Maine, la Provence, l'Aquitaine, la Lom- hardie, toute la Romagne, la Bavière, la Flandre, toute la Lor- raine, Conslantinoplc, la Saxe, l'Ecosse, l'Irlande, l'Angleterre :

. . . terres si grandes Qui sont à Charles dont la barbe est si blanche.

Si l'histoire du règne de Charlemagne n'a rien à démêler avec toutes ces fantaisies, celle du siècle elles se produi- sent en est vivement éclairée, et les moindres détails du récit mettent en relief les idées et les mœurs des populations qui Taccueillent avec tant de faveur. Il en est toujours ainsi : en racontant et décrivant le passé, le présent se raconte et se dé- crit lui-même. M. Rœhricli, qui croit que a les idées religieuses exprimées dans la Chanson de Roland peuvent exercer une profonde et salutaire influence sur l'esprit de ses lecteurs », se montre trop préoccupé d'en épurer le christianisme, « qui n'est pas précisément, ajoute-t-il, celui du pur Évangile id. Il oublie que c'est celui des contemporains mêmes des Théroulde et autres trouvères qui le mettaient en œuvre, et que c'est ce christianisme-là et non pas un autre, même supérieur, que le poème doit nous montrer. Il avoue qu'il a retranché, à propos du sac de Cordoue, cette phrase : « En la cité, il n'est pas un païen qui ne soit tué ou devenu chrétien, ï> parce que le fana- tisme féroce qu'elle exprime nuirait à l'impression générale que doit faire le poème, a Même l'enfant, dit-il. Unirait par prendre parti pour les malheureux Sarrasins contre leurs op- presseurs. )» C'est, à mon sens, outrepasser les droits de l'é- diteur, et dénaturer l'œuvre en voulant l'améliorer. La même bonne intention lui fait supprimer dans une des harangues que Roland adresse à Durandal un détail bien caractéristique. Ténu- mération des reliques contenues, suivant Tusage, dans le creux du pommeau de cette glorieuse épée, reliques sur lesquelles le guerrier prêtait serment et dont la vertu le soutenait dans le combat. Celles que portait Durandal étaient : « une dent de saint Pierre, un cheveu de saint Denis, du sang de saint Basile et un morceau du vêtement de sainte Marie. » En retranchant

348 AlVUI PÉDAGOfilQUS

ce détail, H. Rœhrich veut a sauver du ridicule s> une haraogue qui s'en sauve elle-même par Téloquence et qui ne cessera pas d'être belle, parce qu'elle portera, comme l'œuvre enliùre, le cachet du temps. En expurgeant ainsi dans le sens de nos idées morales, religieuses ou pédagogiques la Chanson de Roland^ ou risque de n'avoir bientôt qu'un héros modernequi ne sera plus le Roland de la chanson. Si nous jugeons utile, en définitive, de mettre nos vieux poèmes entre les mains de la jeunesse, il faut qu'elle y trouve, dans sa vérité naïve, l'image que nos pères y ont tracée d'eux-mêmes, de leur état social, de leur manière do. sentir et de penser.

La question de la forme est secondaire dans celte tentative de vulgarisation l'intérêt littéraire est primé par l'intérêt pédagogique. Je ne dirai que quelques mcUsde l'exécution. La Chanson de Roland est écrite en vers de dix syllabes d'uue allure très vive, coupés par une césure après la quatrième syllabe, et réunis en couplets inégaux, qu'on nomme laisses^ par la répétition d'un son final, qui n'est pas notre rime mo- derne, mais une simple assonance. Cette sorte de rime rudi- mentaire, tour à tour masculine ou féminine, est la même pour le couplet entier, dont la longueur très variable est, en moyenne, d'une quinzaine de vers. Les diverses traductions (car il ne peut être question, pour la grande majorité des lecteurs français, d'aborder le texte roman) respectent les divisions pro- sodiques du poème, au moins la division en laisses; quelques- unes marquent même la coupe du vers et conservent ainsi à la prose une marche rythmée, très sensible et, sans la rime, encore agréable à l'oreille. M. Rœhrich n'a eu recours qu en partie à ce procédé. Il traduit en prose libre le récit, les des- criptions, les entretiens plus ou moins indifférents ; mais pour tous les discours qui ont de l'importance ou que la passion anime, il s'astreint à rendre le texte vers pour vers, ou plutôt ligne pour ligne, car les libertés de la versification romane et rabsence ou l'iusiilfisance de la rime, au regard de notre pro*- sodie moderne, ne nous donnent souvent, sous l'apparence de vers, qu'une prose rythmée. Voici, dans une courte laisse, un exemple de ce mélange :

LA CHANSON DE ROLAND 347

CXLVl

Quand Roland voit ces gens maadits qui sont plus noirs que l'encre, et qui n'ont de blanc que les dents,

Le comte dit : Oui je le sais vraiment, 11 faut mourir aujourd'hui, c'est certain! Frappez, Français! C'est moti commandement! Olivier dit : Malheur pour les plus lents 1

A ces mots, les Français se jettent dans la masse ennemie.

Je ne chicanerai pas M. Roehrioh sur oe qu'il peut y avoir d'arlificiel et d'arbitraire dans ce procédé; j'avoue que j'eust^ mieux aimé que tout le poème fût traduit dans un seul sys- tème, soit en prose libre, soit en vers ou en prose rythmée* Mais ne nous faisons point d'illusions : sous quelque forme que nous présentions la Chanson de Roland à la jeunesse, il y aura peu d'enfants dans nos écoles, il y en aura peu, dans les classes des lycées et des collèges, pour se plaire à la lire dans nos abrégés et nos adaptations pédagogiques, {inamt aux esprits vifs, curieux, qui lisent tout, dévorent tout et s'assinulent à leur manière tous les aliments intellectuels, il ne leur faut point d'éditicHis spéciales pour s'attaquer aux œuvres les plus diverses les siècles, les peuples, les hommes ont laissé leur empreinte; prêts à prendre leur bien partout ils le trouvent, ils id)ordenft les monuments de toutes les époques, sinon dans les texlBi^ du moins dans les traductions les plus complètes et les plus fidèles; ils lisent, dans leur intégrité, et non par extraits, les poèmes anciens et modernes, le tfaé&tre de toutes les nations, les grandes chroniques et les ouvrages classiques d'histoire, les romans qui, par la vérité des peintures, ont mérité de survivre aux mœurs qu'ils ont décrites. Ils liront aussi nos chansons de geste et les autres poèmes da moyen âge, reniis en faveur par Térodition moderne, mais ils y trouveront d'aiir tant plus d'intérêt et de profit qu'ils y verront mieux, da» leur vérité et leur contraste avec les nôtres, la vie, les iiées let les sentiments de nos aînés.

G. VAMaaAU.

DEUX AMIS INCONNUS DE L'INSTRUCTION

Les amateurs de vieux livres et d'éditions rares font parfois des trouvailles auxquelles ils ne s'attendaient pas, ni le public non plus, En remuant la poussière des bibliothèques, ils trouvent souvent les documents qu'ils cherchaient, mais ils rencontrent aussi quelquefois des choses qu'ils ne cherchaient pas et qui ne leur font pas moins d'honneur auprès des profanes. C'est ce qui vient d'arriver à « un vieux bibliophile dauphinois r> qui, dans ses recherches bibliographiques sur sa province natale, a découvert, avec toute ime série d'ouvrages très anciens et curieux, une bonne action jusqu'alors ignorée, un service en quelque sorte anonyme rendu à des inconnus, deux existences obscures, mais généreusement et utilement remplies. Les érudits se réjouissent de la première de ces découvertes, les lecteurs de la Revue ne sauraient rester indiffé- rents à la seconde.

Ayant remarqué dans divers livres datant de la fin du \\^ et du commencement du xvi® siècles, c'est-à-dire des premiers temps de l'imprimerie, le nom de deux de ses compatriotes, qui n'étaient cependant ni auteurs ni libraires, notre « vieux bibliophile » sentit sa curiosité s'éveiller et, après de patientes investigations, il parvint à réunir ou à connaître vingt-cinq ouvrages ayant la môme origine et à faire quelque lumière sur la vie et sur l'œuvre de ces deux Dauphinois. Antoine et Pierre Bacquelier, tel est le nom de ces deux « citoyens de Grenoble », comme ils aimaient à s'appeler. Tous deux furent prêtres et vécurent à Paris ; mais quoique éloignés de leur patrie d'ori- gine» ils ne l'oublièrent jamais. Ils étaient de la môme famille et probablement frères. Ce dernier point n'est pas établi, mais s'ils ne furent pas frères par le sang, ils le furent assurément par la communauté des sentiments et des goûts, par leur amour pour la jeunesse et par l'emploi qu'ils firent l'un et l'autre de leurs loisirs et leur argent. De l'aient, ils semblent en avoir eu en suflisance; de plus ils étaient gens économes,

DEUX AUIS INCONNUS DE l'iNSTRUGTION 340

^i Ton ea juge par leur devise favorite : « Ménage ton bien, si tu veux n'avoir pas à recourir à celui des autres o (Sic utereluo ut non alieno egeas). C'est grâce à leur fortune et à leur vie rangée qu'ils purent donner carrière à leurs inclinations généreuses. Ils étaient lettrés aussi, car s'ils ne composèrent pas de livres, les préfaces de ceux qu'ils publièrent témoignent d'un goût très vif pour la science, et à l'une d'elles P. Bac- quclicr ajouta un index très complet, qui prouve une rare patience et une grande érudition. Hais s'ils ne furent ni auteurs ni libraires, ils furent, ce qui vaut bien autant, des hommes de bien, et voici comment. De 1491 à 1530 environ, ils firent imprimer une série d'ouvrages classiques à l'usage des éco- liers d'alors, et cela à leurs frais, sans aucune pensée de spé- culation, dans la seule pensée de venir en aide aux étudiants, à une époque les livres n'étaient point communs et ils <X)ûtaient fort cher. Des éditeurs à ce point désintéressés, c'est chose rare et méritoire,, même au xvi® siècle, et qui vaut la peine d'être signalée ! Ce n'est pas que les vingt-cinq volumes publiés par les soins des deux Bacquelier offrent par eux-mêmes un très grand intérêt. Ils étaient destinés aux étudiants de l'Université : c'est dire que la plupart étaient des livres de piété, de théologie et de droit canon. On trouve cependant dans la série une édition de Pline, celle-là même qui était accompagnée du copieux index dont nous avons parlé, une édition de Virgile, un traité de botanique, et même un manuel d'hygiène. L'édition de Virgile une véritable édition de poche, ce qui indique bien le but que se proposaient les éditeurs est ornée de nombreuses figures, et, dans une préface latine, en forme de lettre adressée aux étudiants, Tun des Bacquelier, expliquant la raison de ces illustrations, s'exprime ainsi : a Quel meilleur moyen de venir en aide à la mémoire que de rassembler dans une petite page, à l'aide d'images qu'un seul coup d'œii suffit pour embrasser, la matière de toute une églogue ou de tout un livre? Lorsque nous voyons, en effet, représentés dans le même cadre, Rome et Mantoue, Tityre et Mélibée, la muse, le hêtre, les brebis, les chèvres et leurs chevreaux, le chêne et son feuillage, noire intelligence conçoit sans effort et retient sûrement tout ce qui fait l'objet de la première églogue. » Un

880 ABTUI PÉDAG06IQUX

BQanuel d'hygiène, renseignement par l'aspect et les livres îMustrés, recommandés dès le commencement du xti^ siècle» cent ans avant la publication de YOrbis pictus, n'est-ce pas un l'ait curieux à noter ? Et n'y aurait-il vraiment rien de nou- yeau sous le soleil ?

Au mérite d'éditeur désintéressé, que son frère partage avec lui» le second des Bacquclier en joignit un autre qui lui appartient en propre et ne lui fait pas moins d'honneur. Par un acte eu date du 15 mars i53&, il lit donation d'une ]nai- son, sise à Paris, rue des Layandières, pour servir d'habitation aux étudiants dauphinois qui viendraient suivre les cours de l'Université de Paris. Cette donation ne resta pas longtemps morte, car nous connaissons le nom du premier directeur de cette maison collégiale et nous avons la liste des premiers « escholiers d dauphinois qui l'habitèrent.

Pour avoir ainsi généreusement consacré leur fortune et leur vie à l'avancement des études, et pour être venus libérale- ment en aide anx étudiants pauvres de leur temps, Antoine et Pierre BacqueJicr méritaient de voir sauver leur nom de l'oubli, et il faut remercier le « vieux bibliophile dauphinois > de nous avoir révélé leur existence et leurs bonnes œuvres. Ajoutons qu'une bonne partie des renseignements réunis sur eux sont dus aux savantes recherches de M. Léopold Delisle, directeur de la Bibliothèque nationale, qui, avec une obligeance et un désintéressement bien rares, a mis ses notes à la disposition de l'auteur de la brochure dont nous nous occupons.

E. J.

UNE CONFERENCE SUR LA DICTION

L'art de la diction, que M. Legouvé a popularisé en France, a conquis le droit de cité dans nos écoles noi'males primaires. Il y a quelques semaines, un professeur dévoué, M'"e Cécile Ga^', faisait devant les élèves du Cours normal des écoles mnternelles dirigé par M"» Delabrousse, à Paris, une conférence sur cet intérossant sujet. Une conférence est destinée à être parlée : c'est lui faire perdre beaucoup de son charme que de la reproduire sous la forme d'un ailicle de rev\ie. Cependant nous- creyons être* agréables à dos lecteuns en leur offrant quelques passn^s de l'aimable causerie de M™» Gay, ofi les anecdotes s'enlremélent aux sages préceptes et an\ conseils pratiques. 3(ous en donnons l'cxorde. et un morceau sur la prononciation expressive et sur la mémoire. La Rédaction.]

<f Si le Créateur nous a distingués du reste des aaimaux, c'est surtout par le don de la parole; les animaux nous surpassent en force, en patience, en grandeur du corps, on durée, en vitesse, en mille autres avantages et surtout en celui de se passer mieux que nous de tout secours étranger. Guidés seulement par la nature, ils apprennent bientôt, et d*eux-mômes, à marcher, à se nourrir, à nager. Us portent avec eux de quoi se défendre contre le froid; ils ont des armes qui leur sont naturelles; ils trouvent leur nourriture sous leurs pas; et pour toutes ces choses que nVn coùte-t-îl pas aux hommes! La raison est notre partage et semble nous associer aux immortels; mais combien elle serait faible sans la faculté d'exprimer nos pen- sées par la parole, qui en est l'interprète fidèle î C'est ce qui manqui» aux animaux, bien plus que l'intelligence dont on ne saurait dire qu'ils soient absolument dépourvus. Donc, si nous n'avons rien reçu de meilleur que l'usage de la parole, qu'y a-t-il que nous devions perfectionner davantage? Et quel objet plus digne d'ambition que de s'élever au-dessus des autres hommes par cette faculté unique qui les élève eux-mêmes au-dessus des bétes? »

Savez-vous, mesdemoiselles, qui parlait ainsi? Quintilien, l'an Ai de Jésus-Christ. C'est le cas de dire qu'il n'y a rien de nouireau sous le soleil. Mais ce ne sont pas les vérités les plus éclatantes qui ont le don de se faire jour et d'être généralement admises. Rien n'est vivace comme l'erreur, et si la vérité, comme le liège, dit William Temple, finit toujours par surnager, elle reste quelquefois des siècles sous l'eau.

Je n'en donnerai pour preuve que l'abominable routine qui a régné, je crois, dans nos écoles, dans nos collèges, dans nos lycées, depuis Cliarlemagne jusqu'à nos jours. Tout le monde connaît l'atroce ren- gaine qui, il y a peu de temps encore, servait de type aux lectureset aux récitations dans tous les établissements d'instruction publique.

Et c'est qu'il ne s'agissait pas de s'en alîranchirl

Zga ftCfXX rtMàCOOQgCE,

fermeitezrmfA ât fous donner on exemple de cet esprit de roatîne onWersfteîre.

Un jeane élè? e de prorince, prescfoe on ealant, tenait de famille on godt pour la bonne diction. Il récitait sans emphase, mais arec netteti^, inteIJigence, faisant jaillir les idées des mots qa'il pronon- '^it ; et, son tour rena de répéter one laMe de La Fontaine, il la dît.,, comme il la comprenait. « ADez toos rasseoir, monsieur, s*écrie le professeur, vous vous moquez du monde. » PouTez-Tous vous Imaginer quelque chose de plus ridicule que la conduite de cet édu- cateur de la jeunesse?

t'n orateur disait : « Les sourds m'entendent et les étrangers me fomprennent, * Cétait vrai, et cela indiquait un grand talent, une prononciation si clftire, si nette, si élégante en même temps, que l'ouïe et la compréhension en étaient rendues aisées, mt^me pour les oreilles les plus dures, et pour ceux qui n'étaient pas familiari- sés av^3C les beautés de notre langue.

11 y A cfïpendant, soit pour la diction, soît pour la lecture, des règles si simples, si élémentaires, qu'elles me semblent à la porté* > de tout le monde. Si on voulait seulement donner un peu plus d*im- portance à la chose, dans Téducation, si, dès lenfance, on voulait bien enseigner h bien dire, à bien lire, Tenfant consentirait à marcher dans cetle voie.

Le m/^rne oraleur dont je vous parlais tout à Theure disait que pour orriver à bien parler en public, il s'était toujours appliqué à Lien pnrlcr dans le langage privé, pour ainsi dire. 11 était d'accord en cr;Ia avec M. Régnier, qui m'a dit Tavoir toujours recommandé à so« élèves. Ne pas avaler les mots, ni la fin des phrases, observer les règles do la ponctuation : cela nWre pas cependant une grande •dlfllcullé. Le tout est do s'y habituer, de le faire de bonne heure, tout do suite en apprenant à lire. So corriger d'une mauvaise habi- tude est ensuite beaucoup plus difTIcilo.

a \ji ponelualion est la lumière de la diction », a dit M. Legouvé. 11 a parlailcmont raison. « Apprendre à lire un morceau », dit-il encore, « c'est apprendre à le juger. L'étude des intonations devient forcément l'étude des intentions. On ne peut arriver à bien expri- mer la pensée de l'auleur qu'en s'en pénétrant profondément, et on •'on pénètre d'autant plus, qu'on cherche à la bien exprimer. Il y 41 dcH beautés cachées (ini ne se révèlent qu'à celui qui les lr<iduit par (les sons; les sons donnent une nouvelle vie aux mois et la ■^•olx les revêt comme d'une lumière qui les fait mieux voir. »

En génércU, on dit les vers comme une leron apprise. Dans le récit •ùrlout, r'ejil une faute énorme. 11 faut les débiter comme si les Idées vous survenaient à la suite les unes des aulres. On ne doit jamais avoir l'air de savoir les choses par cœur. Le comble de l'art est de parailro quelquefois chercher une idée, tandis que l'on sait

UNI CONFÉRKNGB SUR LA DICTION 3S3

parfaitement d'avance ce que Ton va dire. Le naturel est une des premières qualités de la diction.

Une prononciation juste et expressive est presque aussi essentielle pour les chanteurs que pour ceux qui récitent. Ne pas comprendre, comme ne pas entendre les paroles de ce que l'on chante, diminue votre plaisir.

Delsarte a le premier donné une grande importance à la diction dans le chant. Darcier, qui a été son meilleur élève, en chantant la clianson de Pierre Dupont :

II faut du pain, du pain, du paio!

faisait frémir la salle autant parla manière de dire, que par le chant lui-même.

La musique gagne à être composée sur de belles paroles. Le iMCy le Vallon de Lamartine n'ont-ils pas merveilleusement inspiré Niedermeyer et Gounod? Lorsque Rachel déclamait, plus qu'elle ne chantait, la Marseillaise, elle atteignait les plus hauts degrés de Tart et du patriotisme réunis.

Un exemple frappant m'est resté dans Tesprit de celte réunion, de cette triple alliance du chant, des paroles et de la diction. C*est la manière dont M«° Pauline Viardot interprétait dans Orphée Taîr si justement célèbre :

J'ai perdu mon Eurydice....

II s'y trouve trois couplets semblables, presque sur les mêmes paroles, et, en tous cas, avec le même refrain:

J'ai perdu mon Kurjdice, Rien n'égale ma douleur.

Hé! bien, la grande cantatrice disait, chantait ces trois strophes d'une façon absolument différente. Dans la première, elle exprimait le doute, Tlncrédulité, la stupeur. Non! il ne se pouvait pas qu'elle eût perdu son Eurydice. Dans la seconde, c'était le comble de la fureur : la chose était certaine, évidente ; elle avait perdu son EurjF- dice, et la rage contre les hommes, contre les dieux, contre l'univers tmtier, éclatait au suprême degré. Dans la troisième, c'était la dou- leur la plus navrante, le plus complet désespoir; la colère même n'existait plus, elle n'éprouvait qu'une désolation immense.

Ne pensez-vous pas que Tart de la diction était poussé à ses dernières limites^ aussi bien que le chant et la musique à leur plus sublime hauteur?

Le phénomène de la mémoire est aussi une chose bien curieuse. Pourquoi les vieillards se souviennent-ils toujours de ce qu'ils ont appris dans leur jeunesse et ne peuvent-ils que difficilement appren- dre quelque chose de nouveau? C'est qu'en avançant dans la vie, le cerveau de l'homme se durcit en quelque sorte. Il semble que celui de l'enfant encore tendre et malléable reçoit les impressions

ABfUB FiDAQOQIQUB 1885. t*' SIK. 13

954 RKVUK PÉDAC06IQVJI

pins profondécaent. Les ehoses se grareat, littéralement, dans son jeune cerveau en traits ineffaçables. C'est pour cela que les exer- eices de ménooire sont si précieux dans réducatloci de la jeunesse. Plus tard, le raisonnement vient à rencontre; il efface d'une main ce que la force mécanique y trace de Tautre. La preuve en est fournie par Tétude des langues. Pourquoi Tenfant est-il plus apte à les apprendre que Phomme fait? C'est qu'il s'assimile les sons, les ' mets, presqu a son insu, sans se livrer à aucun travail intellectuel pour en pénétrer la signification. Quand on avance en âge, c'est autre chose. On veut comprendre, on discute, on ne s'assimile plus inconsciemment les idées. Et, quant aux vieillards, ce qui est simple exercice de mémoire ne laisse sur le ceiTeau qu'une empreinte si légère, qu'elle s'effacera bien vite, comme ces caractères tracés sur le sable et qu'un coup de vent emporte. Il n'en est pas de même des impressions anciennes, elles sont toujours là.

Aussi, je ne saurais trop engager les jeunes gens à meubler de bonne heure lour mémoire; ils auront fait des provisions pour l'avenir.

Et quelle chose charmante que d'avoir toujours k son usage une bîbDôthèque ambulante, pour ainsi dire, de pouvoir occuper les longues heures de voyage, ou les moments pris par la promenade et les occupations purement matérielles de la vie de tous les jours! On feuillette à l'aide jde ses souvenirs tous . les poètes bien aimés. Voyons, que me dii"ai-je ce matin? du Victor Hugo, du Musset, du Lamartine? Et, selon la situation d'esprit Ton se trouve, on donne audience, tour à tour, sans perdre une minute de son temps, à ces grands enchanteurs de Pesprit. Ils vous suivent partout, au fond des bois, devant les beautés de la nature qu'ils célèbrent, et se retrouvent à vos côtés pendant les nuits d'insomnie, au chevet d'im Ut de douleur, ils bercent et calment la souffrance.

Pour en arriver là, il n'y a qu'un moyen bien simple: ne jamais oublier ce qu'on a appris, une fois, par cœur ; et il n'y a qu'une chose à faire pour atteindre ce but : se le répéter de temps en temps. Par un effort d'esprit qui n'est pas sans charme, on parvient quel- quefois à se remémorer entièrement un morceau qui était resté par iiiadvertance dans un coin reculé du cerveau, et qui on sort, non pas tout à coup, armé de toutes pièces, comme Minerve, mais peu à peu et reconstruit petit à petit, sans l'aide du livre, comme l'an!- niai antédiluvien par le naturaliste.

Phénomène bizarre et intéressant, on arrive à réciter tout bas, avec les temps d'arrêt, les intonations mêmes que l'on avait en récitant à haute voix. J'ai souvent travaillé à voix basse, le matin, \éL morceau que je devais dire à haute voix le soir.

Cécile Gay.

LES SUPERSTITIOJSS DU JLOt

M. CazeS; inspecleur d'académie du Lot, publie dans le Bulletin nédagoyûfue de ce département une série d articles fort bien faits sur l'enseli^nement moral à l'école primaire. Au cours de son étude il aborde la question des superstitions populaires; il donne une longue liste, qu'il ne déclare pas complète, de celles qui aujourd'hui encore ont cours dans le pays: il y en a qu*on rencontre partout (être treize à table, engager une entreprise ou se marier un vendredi, etc.); mais il en est de bien curieuses et moins connues.

Relevons en quelques-unes :

« Lorsque les dents d'un enfant se montrent de bonne heure, cala prouve qu'il aura bientôt des Irères.

a Si une femme dit exactement le nombre de dindons qu'elle poe^ srde, ils mourront tous.

K Le vent qui souffle le jour des Rameaux soufflera souvent dans Tannée, parce que le prêtre le bénit ce jour-là.

<( Les chiens qui mangent du pain bénit deviennent enragés.

<( Lorsqu'il y a d(?8 revenants dans une maison, mettre macérer dans un vase des feuilles de lierre, une pour chacuu des dcrojare membres défunts. La première feuille qui se décompose est celle dv celui qui demande des messes.

« Celui qui naît à minuit le jour de Noiil est sorcier.

« Le septième enfant m^Ue d'une famille a le pouvoir de guérir les fièvres, si la succession des naissances des frères n'a pas été déiiio- gée par la naii^saiice d'une sœur.

<( En mettant une clef au feu on guérit les malades ensorcelés.

« Le mal aux dents étant causé par de petite vorniisseaux qui se trouvant dans l'intérieur, si on met à la bouche un morceau de cette extroissaiiro (lui apparaît sur l'églantier sous forme de mousse* les insecl(3S niallaisants se transportent dans cette petite touffe cotonneuse et la douleur cesse.

tt Lorsqu'on a des verrues, mettre un morceau de viande de boeuf dessus, puis l'enterrer en disant : « Terre, mançe ma verrue. »

« Ne pas perdre les dents qu'on fait arracher ou qui tombent naturellement, car cHes sont réclamées après la mort.

" Lorsque (|uel(iu'un est mort d'un cancer, mettre un vase plein d'eau pour que le cancer aillé s'y noyer.

« Lorsque quehju'un meurt les yeux ouverts, une autre personne mourra bientôt dans la maison.

et Si on rêve d'eau, de serpents ou de raisins, malheur.

« Si un pâtre tue une bergeronnette, une de ses brebis mourra bientôt.

« Lorsqu'on fait couver des œufs au moment de la pleine lune, les petits ne peuvent pas éclore. »

Toutes ces sottises sont, comme le dit M. Gazes, des restes de l'état barbare.

L'on peut dire aujourd'hui qu'elles ont fait leur temps : il n'en faut pas moins hâter Thenre elles auront complètement ceftsé d'apeurer des esprits ignorants. Seulement, prenons-y garde, la «u- perstiiion a bien des foniies et bien des tniveetifiiements.

é

CONGRÈS INTERNATIONAL D'INSTITUTEURS

AU HAVRE

Nous recevons de M. le maire du Havre une brochure contenant le programme du Congrès international d'instituteurs dont nous avons déjà parlé il y a deux mois. Ce Congrès, organisé sous le patronage de la ville du Havre, et avec la naule approbation du ministère de rinstruction publique, aura lieu du 6 au 10 septembre

Srochain. Un comité de Quarante membres présidé par le maire, [. Siegfried, est chargé de l'organisation; ce comité comprend douze membres du Conseil mumcipal, inspecteur d'académie en résidence à Rouen, l'inspecteur primaire, onze directeurs et six directrices d'écoles, et huit citovens notables.

Le Comité d'organisation a déféré la présidence du Congrès a M. Gréard, vice-recteur de l'académie de Paris; et pour accentuer nettement le caractère international que doit prendre celte grande réunion d'instituteurs, il a choisi pour vice-présidenis des person- nages de distinction appartenant à des nations étrangères et amies : ce sont : M. Mundella, chef du département d'éducation de la Grande- Bretagne; M. Couvreur, ancien vice-président de la Chambre des représentants de Belgique; M. Numa Droz, membre du Conseil fédéral suisse; M. Dittes, ancien directeur du Pcedagogium de la ville de Vienne; et M. Eaton, chef du Bureau national d'éducation de Washington.

Le Congrès sera divisé en trois sections, présidées respectivement par M. Jost, inspecteur général, par M. Lenient, directeur d'école normale, et par M. Brouard, inspecteur général. Les questions que chacune des sections aura à traiter sont les suivantes :

Section A, .

1* De l'utilité des Congrès nationaux et internationaux d'instituteurs;

2* Du travail manuel à l'école primaire comme complément de l'enseigne- ment primaire. De l'organisation des écoles profeMsionnelles et d'appren- tissage.

Section B.

Du traitement des instituteurs et institutrices dans les différents pays. Dans quelle mesure l'État et la commune devraient-ils y contribuer?

Seclioti C.

Écoles normales. Part à faire à Téducation générale et à la préparation professionnelle des instituteurs et institutrices.

Les personnes qui se proposent de prendre part au Congés devront étudier ces questions a l'avance; si elles désirent traiter une ou plusieurs d*entre elles, elles devront envoyer, avant le i5 juillet, au secrétaire général du Comité d'organisation, des mémoires écrits, terminés par ae3 conclusions précises. Ces mémoires qui, faute de temps, ne pourront être lus aux séances du Congrès ou des sections, seront dépouillés par le Comité d'organisation : les conclusions en seront classées, imprimées et remises à chaque membre à l'ouver- ture du Congrès.

CONGRÈS INTERNATIONAL d'iNSTITUTEURS AU HAVRE 3^7

Sont invitées à prendre part aux travaux du Congrès toutes les personnes faisant partie du corps de renseignement primaire : instituteurs et institutrices titulaires ou adjoints, publics ou privés, directeurs et directrices d'écoles normales, inspecteurs primaires et inspecteurs généraux.

Les personnes ci -dessus désignées qui désirent participer au Congrès devront adresser leur demande, avant le 1®^ juillet, au secrétaire général du Comité. Une carte d'admission leur sera immédiatement envoyée.

La ville du Havre prend à sa charge les frais de logement des instituteurs. Les frais de nourriture seront supportés par les mem- bres du Congrès, mais les indications nécessaires sur les restau- rants et les hôtels ils pourront prendre leurs repas dans de bonnes conditions et à des prix modérés leurs seront fournies. Pour faciliter le voyage, des trains spéciaux à prix réduits seront organisés de Paris au Havre et du Mans au Havre.

Voici le programme du Congrès :

Dimanche 6 septembre 4885.

A 2 h. Ouverture du Congrès Discours du maire Discours du mi- nistre — Discours d'un des membres étrangers Répartition du Congrès en sections Nomination des vice-présidents et des secrétaires des sections.

A 4 h. Inauguration du lycée de filles.

A 9 h. Punch à l'Hôtel-de-Ville Musique.

Lundi 7 septembi-e,

A 8 h. Réunion des commissions dans les locaux indiqués.

A 2 h. Nouvelle réunion 'des commissions.

A 5 h. Visite d'un Transatlantique.

A 8 h. Conférence pédagogique.

Mardi 8 septembre,

A 8 h. Réunion des commissions.

A 2 h'. Réunion générale Discussion des rapports.

A 8 h. Représentation au Grand-Théâtre.

Mercredi 9 septembre,

A 0 h. Visite à l'École d'apprentissage de garçons, à l'École d'apprentis- sage de filles, à l'Ecole primaire supérieure et à une école élé- mentairc de garçons.

A 2 h. Réunion générale Discussion des rapports Discours du ministre Clôture du Congi*ès.

A 7 h. 1/2. Banquet.

Jeudi 10 septembre, A 8 h. Promenade en mer : Trouvilie, Ilonfleur, etc.

La représentation au théâtre, la conférence pédagogique, la pro- menade en mer, le punch, le banquet, prévus au programme, sont offerts par la ville.

Pour tous renseignements, s'adresser au secrétaire général du comité d'organisation, M. Garsault, inspecteur primaire, à THôtel-de- Ville, Havre.

LA PRESSE ET LES LIVRES

Manuel d*instruction nationale, par M. Emmanuel Touches ; ouvrage contenant 21 grarures; I vol. m-12, Paris, Hachette el C»% 1883. Ce manuel ne se rapporte point directement aux pro- grammes officiels, il ne prétend point guider le maître pour ses leçons de morale ou d'instruction civique ; mais les huit chapitres qui le composent, d'inégale longueur, d'inégale importance aussi,^ forment un recueil de lectures pour les cours élevés de Técole primaire et pour renseignement primaire supérieur, recueil plein d'intérôl, de tact et de cœur, digne de la vaillante plume et de riiommc excellent qui, avec Jean Macé et quelques autres hommes de mérite et de dévouement, a fait de la Ligue de l'ensei- gnement une véritable institution d'éducation nationale. M. Vauchez cela va de soi est de son temps ; il en préconise tous les droits comme il en accepte tous les devoirs; mais il n'est pas de ceux qui n'ont pour le passé qu'un injurieux mépris. Son chapitre intitulé La patrie, qui est le chapitre capital du petit volume, est, nous pouvons bien le dire, une admirable leçon de ce patriotisme français qui ne dénigre rien, qui sait tout comprendre, et se fonde sur le respect de tout ce qui mérite d'être ^respecté.

« La terre que le souvenir des ancêtres a rendue sacrée, dit M. Emmanuel Vauchez, la nation qu'on aime parce qu'elle paraît la meilleure et la plus grande, le peuple auquel on est fier d'appar- tenir, voilà ce qui est vraiment la patrie. Celte patrie-îà, on peut mutiler son territoire, changer la couleur de ses drapeaux : on ne saurait ranéautir dans le cœur de celui qui s'est donné à elle. Quelles que soient les tristesses de la destinée, celui-là peut dire eu regardant les pouvoiFS qui le tiennent en servitude : « Ils ont tt enchaîné le corps, mais l'àme se rit d'eux : elle est libre. * Notre patrie à nous, c'est la patrie française ; nous l'aimons dans ses grandeurs, dans ses soulTranccs, dans les manifestations si diverses de son génie. Le sentiment d'admiration et d'amour qu'elle nous inspire a été partagé par bien des hommes qui n'étaient pas nés sur son territoire. N'est-ce pas un étranger célèbre qui a dit : « Tout » ôlre humain a deux patries, celle il est et la France? »

» L'affection qu'elle nous inspire s'augmente à mesure que nous cttonaîssons mieux son histoire. Comme elle a souffert, comme elle a lutté pour devenir indépendante et forte! De Vercingétorix, l'un de ses premiers héros, aux morts de la défense nationale, quelle iacomparable suite de martyrs, de combattants glorieux ou obscurs, royauté, noblesse, tiers-État, ont travaillé, avec des mérites di>ers, j\ créer son unité politique! La reconnaissance nationale ne doit pas

LA PRXS6& KT LIS UYEES âSd

être exciasite et ne s'attacher qu'à un parti ou à une classe da citoyens. Elle salue, elle honore, elle aime quiconque a servi le pays français. Elle estime que, malgré leurs erreurs ou Leurs fantes, Louis XI, qui nous déllyra des deroiers vestiges de la puissance féodale, Richelieu, qui écrasa la noblesse au profit de Tunità royale et nationale, sont de très grands hommes d*État. Elle sait gré à la noblesse d'avoir généreusement et sans compter répandu son sang sur les champs de bataille. Elle s'incline avec respect devant le clergé, lorsque, au moyen âge, il protège les lettres et la science; lorsque, plus tard, avec saint Vincent de Paul, il s'inquiète de recueillir et d'élever les orphelins. »

M. Vauchez ne veut pas davantage que le culte que nous ressen- tons pour la France ne soit qu'une forme du . dédain que noua éprouverions pour les autres peuples» Pour lui^ v le patriotisme qui se complaît exclusivement dans L'humiliation d'autrui est un médiocre patriotisme ».

Très saines, très élevées, très vibrantes, toutes ces leçons, et les nombreux exemples anecdotiques, que des souvenirs originaux fournissent très souvent à l'auteur tempèrent ce qu'elles pourraient avoir de trop abstrait et les approprient au jeune public auquel elles sont destinées. C. D.

L'histoire de france racontée par les contemporains:' L'EmpÎFe^ français d'Orient; la iv« croisade (H99-1205); extraits de yilleha^- douin, de Robert de Gari, etc.; Philippe VI et Robert d'Artois, les commencements de la guerre de Cent ans (1328-1345); extraits ées grandes chroniques de France, de Froissart, du procès de RobeK d'Artois, etc . ; publiés par M. B. Zeller, maître de conférences à la Faculté des lettres de Paris, répétiteur à l'Ecole polytechnique*; 2 vol. in-18, Paris, Hachette et 0«, 1885. Les manuels d'histoire que les maîtres ont entre les mains et il y en a, hâlons-nous da^ le dire, d'excellents offrent le grand avantage de présenter les événements dans un ordre logique et dironologique, en donnant à chacun d eux la mesure exacte et la proportion qu'il doit avoir dans, un ensemble suivi et gradué. Mais ils sont nécessairement loit abrégés. Les meilleurs sont sans contredit ceux qui sont le plus rapprochés des sources, c'est-à-dire qui ont le plus directement puisé, pour chaque période qu'ils exposent, non seulement leurs données^ mais la forme même de leur récit dans les ouvrages contemporains, dans les écrits de ceox qui ont va ks événements, qui y ont |^bs ou moins participé, qui en ont reçu Fimpression et peuvent transmettre fidèlement le souvenir. C*est, en définitive, ' chez les contemporains qu'il tant chercher ce je ne sais quoi au maytat duquel Thistorlexi ou le professeur fait renaître la réalité, conditioit sine qua non pour qu'un développement historique soit int^eaaant,. vivant, comme on dit. Seulement, ceux-là seuls qui qêA mia

«^60 HfiVUK PÉDAGOGIQUK

à une pareille œuvre savent ce qu'il faut de temps et de peine pour trouver, pour choisir, pour classer et oiettre en lumière ces docu- ments de première main, que les autres ne remplacent jamais. M. B. Zeller, soit seul, soit avec Taide de quelques collaborateurs, a entrepris ce grand travail sous la forme tout à fait économique et populaire de petits recueils à 50 centimes ; il a eu ainsi la pepsée de mettre à la disposition du plus humble enseignement, et dans des conditions accessibles aux plus humbles bourses, un tableau suivi, quoique emprunté à des auteurs différents, des événements, des mœurs, des institutions de chaque époque importante de notre histoire nationale.

Il a paru une quinzaine de volumes de cette collection, dont voici les titres : La Gaule et let Gaulois, La Gaule romaine, La Gaule chrétienne, Les invasions barbares. Les Francs mérovingiens. Les fils de Clotaire, Les rois fainéants, Charlemagne, Louis le Pieux, Charles le Chauve, Les derniers Carlovingiens, Les premiers Capétiens, Les Capétiens du xii« siècle : Louis VI et Louis VII, etc. Tous sont com- posés d'après le même type. Nos annalistes des premiers siècles ont écrit en latin : M. Zeller et ses collaborateurs en donnent une tra- duction, qui se tient aussi près que possible du texte original; lorsqu'apparaissent les premiers textes français, ils ne font à ces textes que les changements absolument nécessaires pour les rendre compréhensibles, renvoyant, au besoin, à un lexique spécial pour les termes de la vieille langue qui présentent quelque difficulté d'inter- prétation. De courtes notes explicatives, des analyses succinctes font connaître les auteurs cités, et rattachent les uns aux .autres les mor- ceaux qui leur sont empruntés. Un certain nombre de gravures accompagnent chaque volume : le choix de ces gravures est inspiré du même esprit; on s'est attaché à ne donner que des images authentiques, tirées aussi, autant que possible, des documents con- ' temporains.

Nous avons sous les yeux les deux dernières publications de la la collection : L empire français d'Orient; la iv® croisade, et Philippe VI et Robert d'Artois; les commencements de la guerre de Cent çins, par M. B. Zeller seul. Villehardouin,, d'abord, puis un autre témoin el acteur moins connu de la iv« croisade, le picard Robert de Clari (Le Histoire de chiaux qui conquisent Constantinoble) et enfin la Chronique de Gunther font les frais du premier volume; Froissart, le second continuateur de Guillaume de Nangis, les Grandes Chro- niques de Saint-Denis, la chronique de Walsingham et des documents authentiques sur le procès de Robert d'Artois remplissent le second.

11 nous semble que les professeurs d'écoles normales, les profes- seurs d'enseignement primaire supérieur, ceux aussi des cours les plus élevés des écoles primaires élémentaires peuvent trouver dans ces petits livres un complément précieux de leurs leçons et d'utiles lectures a indiquer.

LA PRISSE ET LES LITRES 361

Les enfants malheureux, par Edouard Siebecker ; un vol. in-iî, Paul Dupont, 1885. L'auteur raconte dans sa préface que cet ouvrage a paru pour la première fois vers la fin de TEmpire, à un moment c'était la mode, dans les journaux mondains, de citer des mots d'enfants, de rendre compte des bals d'enfants, de décrire d'élégants costumes d*enfants. Lui a regardé les choses par l'autre bout de la lorgnette, et il a étudié la vie « des enfants malheureux », bien plus nombreux, hélas ! que les privilégiés de kl vie, regardant l'enfant dans la rue, le photographiant dans l'atelier, le suivant aux champs, ne s'arrêtant même pas devant la porte de la prison. Et il a trouvé partout de lamentables histoires, qu'il se garde bien d'accompagner de commentaires et de plaidoyers, dont il a même, dit-il, adoucir fréquemment les tons, que la réahlé luî montrait trop noirs.

Ce sont ces tableaux que l'auteur présente nouveau au public, refaits, renouvelés, formant, dans leur ensemble, un livre qui par son format, ses illustrations, paraît devoir s'adresser aux enfants eux-mêmes.

Est-ce bien un livre d'enfants? L'auteur convient lui-même qu'il est triste; mais qu'importe, dit-il, s'il est vrai et utile? * H ne faut pas mentir à l'enfant et lui faire croire que la vie est uniformé- ment rose. » Assurément, mais n'est-il pas à craindre que la leçon, telle que M. Siebecker la donne, ne dépasse l'enfant et qu'il ne s'y intéresse point ? Il faudrait tout au moins qu'il y ait un père ou un maître pour l'expliquer. A ce titre, c'est dans la bibliothèque populaire que nous voudrions de préférence le voir placer; c'est qu'il peut produire l'effet qu'en attend l'auteur : « Riches et pauvres, dit-il très justement, trouveront ici un enseignement. Les premiers comprendront que le xemède à l'envie et à la haine des classes sociales est dans la justice et la loyauté des rapports; que l'arbre dont on hâte la végétation paie toujours sa précocité, et que l'apprenti malheureux produit presque inévitablement l'ouvrier débauché.

» En yoyant le sort des enfants pauvres, ils Véfléchiront aux navrants caprices de la fortune, surtout au temps nous vivons ; ils reporteront leurs regard» sur les têtes blondes qui se pencheront auprès d'eux sur ces pages, et se diront que demain le hasard peut jeter dans ces enfers les créatures aimées auxquelles ils ont voué toutes leurs pensées.

» Qu'ils songent alors que les lacunes de la loi peuvent, jusqu'à un certain point, être comblées par l'initiative particulière, et que le salut des sociétés ne dépend ni des gouvernements, ni des tribu- naux, ni de la police, ni des gendarmes, mais simplement de la sob'darité de tous les intérêts, quels qu'ils soient.

» Les pauvres verront que la misère et la corruption sont les fruits de l'ignorance; que, sous peine de mort morale, l'enfant

à

30S BKVUt FɻA606IQn

appartient, pour un certain temps, à l'école, comme le nouveau-né, sous peine de mort physique, appartient à la noorrice; qu'ils pour- ront peut-être tirer un maigre salaire de ce petit être, en le trans- formant hâtivement en machine ; mais que la corruption engendrée par le contact avec des hommes leur fera perdre le soutien, la* consolation et, peut-être, 1 honneur de leur vieillesse.

j> Enfin, patrons et ouvriers pourront également en tirer un profit.

9 Les uns, en se rappelant que l'enfant deviendra un jour un homme et un citoven.

9 Les autres, en songeant que l'exemple mauvais donné par eux à l'apprenti qui leur est étranger, un étranger peut le donner à à leur enfant, apprenti autre part. »

Sur ces données, M. Siebecker dit qu'il a conscience d'avoir fait « un livre d'honnête homme », et il a raison. C D,

Manuel du natiralistb préparateur, ou manière d'empailler les oiseaux et quadrupèdes, à l'usage des instituteurs et des écoles primaires, par P.-^. Doussardy instituteur à Giponville (Seine- Inférieure) ; in-S*» de ;]o pages et 8 figures explicatives tii*ées hors- texte, chez l'auteur, avril 4883. On a préconisé Tintituteur cul- tivateur, l'instituleur menuisier et forgeron, l'instituteur tourneur, rinstiluteur relieur, sans parler de l'instituteur organiste ou chantre, de l'instituteur collectionneur et antiquaire, de l'instituteur géomètre, etc., etc. : allons-nous, par surcroît, réclamer l'instituteur empailleur? U est certain que l'instituteur ne doit être exclusivement rien de tout cela, et qu'il doit être avant tout et par dessus tout instituteur; mais quand il aurait, sans en abuser, les goûts de l'esprit et les liabi- letés de la main que tout cela suppose, et quand il ferait servir au profit de sa classe des occupations et des distractions qui n'ont en soi rien que d'honnête et d'utile et qui peuvent s'élever, suivant l'occasion, à une très haute portée, serait véritablement le mal? Les musées scolaires sont à l'ordre du jour dans nos écoles, et non sans raison, à ia condition qu'on veuille et qu'on sache s'en servir. Mais les musées scolaires coûtent souvent très cher à remplir. Un merle empaillé, nous dit M. Doussard, coûte 15 francs; une pie, 18 francs. M. Doussard apprend à ses collègues la manière de faire ces préparations à peu près pour rien; ses procédés sont simples et clairement expliqués; ils seront certainement utiles aux débutants. Z.

La nooelle galerie de paléoktolocie au Muséum d'histoire natu- eelle; Paris, Gauthier-Villars, 1885. Cette plaquette de 8 pages reproduit une note lue à l'Académie des sciences, le 9 mars dernier, par M. Albert Gaudry, professeur de paléantologie au Muséum. La nouvelle gaieiie qui vient d'être Quverte au publk jmt l'adminisdraH

PRESSE ET LES UVRBS 363*

tioD du Muséum, et qui contient les squelettes des grands animaux fossiles, mérite d'être visitée. Sans doute, Tinstallation en est encore bien insuffisante; mais c'est un premier pas fait vers la réalisation d'une grande idée. « Il faudrait, dit M. Gaudry, avoir un musée l'on classerait les êtres époque par époque, et Ton pourrait suivone- la magnifique histoire du développement de la vie, depuis le mo- ment où nous en trouvons lespremièrestraces jusqu'au temps mar- qué par la venue des hommes. Nous devons espérer qu'un jour la France, Cuvier a fondé la science des fossiles, aura un musée de^ paléontologie digne d'elle. En attendant, la nouvelle salle qui vient d'être construite rend déjà un service, car elle donne quelque idée do la majesté de la vieille nature. » G.

Notice sur Arnold Gcyot, par Charles Faure; Genève, imprimerie- Schuchardt, 1884. Nous avons rappelé (numéro de mars 1884, p. 287) les services rendus à la science géographique par Arnold. Guyot. La notice de M. Faure retrace, d'après des documents inédits, la carrière de l'éminent professeur : c'est un travail intéressant et utile.

Langue allemande.

Les devoirs a la maison. Faut-il donner aux élèves des écoles primaires des devoirs à faire à la maison ? Cest une question qui» se débat assez vivement en Allemagne. On s'en occupe dans VAU^ (jcmeine dcutsrhf* Lehrerzeitung, dans la Schweizerische Lehrerzeitung^ dans les Padago(jisdic BUitter, dans le Pœdagogium^ etc. On cite- une décision de la haute cour d'Angleterre (Queen's bench division) qui déclare que l'école n'a pas le droit d exiger des enfants des* devoirs faits à la maison. Le juge Mathew dit dans ses considé* rants que l'obligation scolaire étant une limitation de la liberté- personnelle, il ne convient pas de l'interpréter en Téteadant; l'in- stituteur qui retient au delà des heures prescrites pour l'enseignement un enfant qui n'a 'pas fait ces devoh-s du dehors, se rend coupable. (Voir notre numéro de juillet 1884, p. î>2-93.)

C'est également l'opinion qu'exprime M. Otto Leisner dans le Pœdagogium, d'accord en cela avec un lapport publié par M. Willms, inspecteur des écoles et directeur de l'école supérieure des filles à Tilsilt. Ce n'est pas une quantité modérée, une atténuation, une mesure que M. Leisner demande, c'est la suppression pure et simple des devoirs à faire hors de l'école.

On parle beaucoup, dit-il, de la surcharge des études, de l'enva- hissement des programmes, de la nécessité de réformes. Eh bien ! il y en a une très simple, très utile, d'un effet immédiat, c'est de supprimer les devoirs en dehors des classes. Les heures de classe ne sont pas trop nombreuses» les travaux qui s'y accomplissent ne

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peuvent fatiguer ni surcharger Tenfant: mais elles doivent suffire. Les devoirs extérieurs sont de trop; il faut les bannir. M. Leisner donne cinq motifs de cette suppression.

i^ La santé des enfants. On ne peut nier, dit-il, que dans beaucoup d'écoles, les physionomies ne marquent un certain affaiblissement physique, une certaine indifférence morale; cela tient en partie à l'excès de travail imposé. Les enfants, au lieu d'arriver à l'école joyeux, gais, de bonne humeur, y apportent de l'inquiétude ; les devoirs ne sont pas faits ou mal faits; ceux des enfants qui sont chétifs, ou sensibles, sont facilement troublés par la perspective d'avoir à rendre leurs comptes. Il leur eût fallu après la classe un temps plus considérable de repos, de détente, de jeu.

2<> lis ne trouvent pas chez eux toutes les commodités désirables pour faire les travaux qu'on leur demande.

Il n'y a peut-être qu'une seule chambre pour la famille; on y fait le ménage, la cuisine ; c'est Tatelier du père ; les petits frères rôdent autour des cahiers ; il n'y a pas de place pour écrire ; on cause, on s'agite autour de l'écolier. H apportera à l'école des cahiers négligés, des livres tachés ; il sera grondé, puni. S'il est obligé de se faire aider, quel contrôle le maître apportera-t-il à ce travail non personnel?

il s'établit entre les classes une concurrence qui ne peut qu'être nuisible. Tel maître sera réservé dans les devoirs qu'il donne; tel autre, voulant briller, forcera la note, exigera davantage des entants, poussera aux devoirs écrits, qui sont plus faciles à produire aux yeux des supérieurs ou des parents. La comparaison entre la valeur des classes deviendra impossible ou injuste.

Le maître lui-même no- peut que retirer du dommage de cett<* pratique. Rien n'offre de plus fréquentes occasions de blàmc, d'irri- tation, de colère et de punition que les devoirs à faire hors de la classe. Ce qui se passe en classe, sous les yeux du maître, se fait régulièrement, avec calme ; les devoirs faits au dehors sont souvent négligés, ou même omis. Il faut se fâcher, il faut punir. Com- ment? Par de nouveaux devoirs? Par des rétenues? Le maître ne peut surveiller suffisamment les enfants qu'il garde. Par des reproches? Les reproches s'usent vite; on risque de tomber dans l'excès, dans la colère, dans l'outrage. C'est exposer le maître à la critique des enfants, au ridicule, à perdre de sa considération et de son influence morale. Supprimez les devoirs de la maison, et vous supprimez la majeure partie des occasions de se fâcher et de punir.

5<> Ces devoirs sont nuisibles à l'intérêt des parents, qu'on n'a pas le droit de négliger. Le travail des enfants est utile, indispensable à la famille dans beaucoup de maisons. même les enfants n'ont pas à travailler pour ajouter au gain des parents ou pour les aider dans les ouvrages domestiques, il arrive que les parents tien-

LA PUESS£ KT LES UVRCS 365

nent à leur faire faire des études ou des exercices auxquels ils attachent, à tort ou à raison, une grande importance pour Tavenir de leurs enfants, bis que le dessin, la peinture, la musique, les travaux d^aiguille, etc.

Si l'école ne laisse aucun temps libre ou trop peu de temps libre, il y a collision entre ses exigences et l'intérêt de la famille, d'où aussi des mécontentements dont les enfants souffrent.

Ënfm, 6^ au point de vue moral, les devoirs de la maison ne sont pas înoffensifs. II n'y a pas besoin qu'un enfant soit bien pervers pour recourir à un camarade et se faire donner le devoir qu'il n'a pas fait ; c'est une tromperie, et l'enfant se réjouit quand le maître se laisse prendre. Souvent aussi l'enfant recourt tout simplement au mensonge ; il invente des histoires, est obligé parfois de les com- pliquer, et finit par se laisser entraîner de mensonge en mensonge jusqu'à paraître un vrai mauvais sujet, alors qu'il n'avait cru d'abord que jouer un bon tour.

Un maître soucieux du bien de ses élèves doit tenir pour un devoir sacré d'éviter tout ce qui peut les induire à mentir, à tromper. Les devoirs de la maison offrent trop de tentations à ce point de vue pour qu'on n'ait pas le droit de les considérer comme un danger moral.

Das Strafrecht der deutschen Volksschulbn (Le droit de châti- ment dans les écoles d'Allemagne) par Auguste Top/f, pasteur à Kxdoif près Meiningen. Vienne et Leipsig, 1884. Les châtiments corporels à l'école, abolis en France, subsistent, comme on sait, en Angleterre, le fouet {Jogging) joue un rôle dans les établissements d'instruction secondaire de l'ordre le plus élevé; ils subsistent égale- ment en Allemagne, du moins pour l'école primaire, ils sont même l'objet de prescriptions légales. Le livre de M. Topff nous fait con- naître ces prescriptions.

11 nous montre que les chftliments corporels sont admis presque partout dans l'empire d'Allemagne, et que la plupart du temps ils sont gravement réglementés par des circulaires émanant des diffé- rents gouvernements. Le code pénal de l'empire du i "janvier 187Î établit la répression des abus et des excès dont le droit de châtiment corporel peut être l'occasion dans l'école primaire.

On peut lire dans maintes circulaires ministérielles que a le châ- timent doit se donner au moyen d'une mince baguette, et qu'il faut tirer cette baguette pour chaque cas particulier hors de l'armoire scalaire, en ayant soin que l'instituteur ne la garde pas à la main et ne la laisse pas constamment exposée à la vue >.

Au sens de l'autorité allemande, la baguette est l'instrument offi- ciel de supplice, et il ne faut évidemment ni en amoindrir l'in- fluence en la laissant sans cesse comme un objet banal sous les yeux des enfants, ni exposer le maître à s'en servir a tout instant, ou à chaque mouvement d'impatience.

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966 RIVUl PÉDAGOOfQDK

L'autear cite un grand nombre d'exemples vraiment effrayants des «uites que peuvent avoir ces châtiments corporels, lorsque le maître OB la maîtresse en fait usage avec colère et dans l'emportement de la passion. II se garde néanmoins de blâmer Tusage, il se borne à flétrir l'abus de ce moyen d'éducation, dont s'accommode, paraîl-il, le tempérament de nos voisins, et qui répugne à nos mœurs, à nos habitude, à l'instin-^t de notr^ peuple, et plus profondément -encore aux pédagogues vraiment soucieux du progrès moral et de la dignité de nos enfants.

L'auteur de l'ouvrai^e que nous signalons se contente de dire : « Plus rarement la nécessité de cliAtier, et de châtier avec force, se ftdt sentir dans une école, mieux elle se trouve en situation de résoudre le problème de l'éducation ; une école quand môme il y serait beaucoup enseigné et beaucoup appris, ne peut être regardée comme bonne, si c'est le bâton qui y rogne et si la ct-ainte <lu châtiment y est le stimulant principal. »

Ces paroles sont fort justes; mais franchement, le bâton y est de trop.

« Was soll der Junge WEaDES? * Ein liathgeher hei der W'ahl do 'Lcbemherufs auf dem gcicerblichen Gebiele. Fur hltern, Vormiindcr. Lehrer und Freunde von des Volkes Wokl. ( u Que deviendra ce garron / Conseils pour le choix d'un métier. Pour les parents, tuteurs, in- stituteurs et amis du peuple), par A. ton Fragstein. Berlin, 1885.

Deux Sociétés de Berlin, le Comité ^ pour le bien de la jeunesse sortie de l'école » et le Comité de la fondation Diesterweg se sont associées il y a quelques années pour proposer un prix au meilleur travail sur cette question : Du choix d'un métier. Le prix fut ac- cordé à l'unanimité par le jury au manuscrit de l'in^:éiiieur v(»n Fragstein, qui p.irut répondre entièrement au but que l'on se pro- posait.

Il est certain que lorsque l'enfant n'a pas une vocation décidée, ou lorsqu'il n'est pas entraîné naturellement, par habitude et par la force des choses, dans la carrière paternelle, il y a pour les familles et pour les jeunes gens un moment d'incertitude et d'inquiétude réelle à traverser.

Parmi tant de voies qui s'ouvrent, laquelle choisir? 11 y a des métiers qu'on connaît et qui ne plaisent pas, d'autres qu'on ignore et qui feraient peut-être Taffaire. Quels sont-ils? Quels sont les moyens de s'y instruire, les conditions de l'apprentissage, les exi- gences de l'établissement, les ressources à en attendre? Les parents s'adressent souvent à l'instituteur; il est lui-même fort embarrassé. Cest le hasard qui décide, une circonstance fortuite, un voisinage. Peut-être a-t-on laissé de côté une issue qu'on regrettera amèrement plus tard, quand il sera trop tard.

M. von Fragstein a réuni dans son volume tous les renseigne- ments qui lui ont paru de nature a éclairer et à décider les familles

niKSSB ET LES LI\RES 987

«t les eniiiiits. Son livre n'est pas un ouvragé ter;hnologique; il n'îa pas la prétention de fournir des manuels d'apprentissage pour chaque •métier. H se borne à exposer l'histoire, 1 importance, le caractère de chacun des métiers Touvrier peut employer utilement sa force et son intelligence. I/ouvrage est divisé en deux parties. La première contient des considérations générales sur le choix d'une carrière, sur la préparation intcllectaelle et physique, sur les sa- laires, les lois et règlements de rindustrie ; le jeune homme trouve la de bons conseils, dans un langage simple et populaire. La seconde pi^tie traite d'environ cent cinquante professions diflFérentes, dont Fauteur montre les bons et les mauvais côtés; il en indique les particularités, les difficultés, les. ressources ; il donne le chiffre des salaires, les moyens d'instruction, le titre des écrits spéciaux, bref, tout ce qui peut mettre en état de faire un choix aussi éclairé que possible. La tentative est ' ingénieuse, et peut rendre quelques ser\'ices.

Die praxis oEm elementauklasse. (La pratique de la classe élé- mentaire; — guiïle sur le terrain de l'enseignement élémentaire), par Robert Werpecke. Berlin, I880. L'enseignement le plus déli- cat, le plus difficile, dit l'auteur, est celui de la première enfance. Il faut la bien connaître, Tavoir étudiée de près, savoir quels points d'attache l'enseignement de l'école peut trouver dans ces jeunes esprits, quelle préparation ils ont reçue dans la famille pendant le temps qui a précédé leur entrée à l'école, quels conseils il convient de donner aux parents pour cette préparation.

L'auteur donne une série de leçons, toutes faites, non pour être adoptées toiles quelles, mais comme exemples. Ces leçons, graduées avec intelligence et tact, portent sur l'enseignement par la vue, l'enseignement de la lecture, de récriture, du calcul, de la religion, qui est restée obligatoire dans les écoles allemandes.

Elles sont accompagnées d'un nombre considérable d'historiettes, de poésies, de chants, d'énigmes, destinés à illustrer, à éclairer, à égayer l'enseignement, et dont un très grand nombre sont vraiment propres à charmer et à instruire l'enfance.

Deux idées nous paraissent dignes d'être relevées dans cet utile volume. Le première, c'est de rattacher autant que possible toutes les leçons à la connaissance de la langue maternelle, de donner à cette étude, sous les formes les plus diverses, la plus grande impor- tance. C'est en effet donner aux enfants l'instrument le plus sûr avec lequel ils acquerront peu à peu des notions claires et exactes, et les préparer fortement, sans qu'ils s'en doutent, aux études de l'avenir. La seconde idée sur laquelle insiste Pauteur, c'est que les leçons ^ux plus petites classes, aux plus jeunes enfants, ne doivent pas se donner sans préparation, qu'il est dangereux et tout aii moins stérile de se confier au hasard, et que tout doit être sdigneu-

966 RIVUl PÉDAGOGfQDB

L'autear cite un grand nombre d'exemples vraiment effrayants des «uites que peuvent avoir ces châtiments corporels, lorsque le maître <m la maîtresse en fait usage avec colère et dans l'emportement de la passion. 11 se garde néanmoins de blâmer l'usage, il se borne à flétrir l'abus de ce moyen d'éducation, dont s'accommode, paraîl-il, le tempérament de nos voisins, et qui répugne à nos mœurs, à nos habitude, à l'instinct de notre peuple, et plus profondément •encore aux pédagogues vraiment soucieux du progrt^s moral et de la dignité de nos enfants.

Lauteur de Touvrai^e que nous signalons se contente de dire : « Plus rarement la nécossilé de châtier, et de cliàticr avec force, se ftiit sentir dans une école, mieux elle se trouve en situation de résoudre le problème de Téducation ; une école quand même il y serait beaucoup enseigné et beaucoup appris, -- ne peut être regardée comme bonne, si c'est le bâton qui y règne et si la crainte <lu châtiment y est le stimulant principal. »

Ces paroles sont fort justes; mais franchement, le bâton y est de trop.

« Was soll der Junge werden? » Ein Jlathgeber bei dcr Wahl des 'Lcbensberufs auf âcm gcwerbUvIœn Gebiele. Fiir tiltern, Vormiindcr. Lehrer und Frcunde ivndes Fo/to WohL ( « Que deviendra ce gaicon? Conseils pour le choix d'un métier. Pour les parents, tuteurs, in- stituteurs et amis du peuple), par A. von Fragstein. Berlin, I880.

Deux Sociétés de Berlin, le Comité <^ pour le bien do la jeunesse sortie de l'école » et le Comité de ia fondation Diesterweg se sonr associées il y a quelques années pour proposer un prix au meilleur travail sur cette question : Du choix d'un métier. Le prix fut ac- cordé à r unanimité par le jury au manuscrit de l'ini^éiiieur von Fragstein, qui p.irut répondre entièrement au but que Ion se pro- posait.

Il est certain que lorsque l'enfant n'a pas une vocation décidée, ou lorsqu'il n'est pas entraîné naturellement, par habitude et par la force des choses, dans la carrière paternelle, il y a pour les familles et pour les jeunes gens un moment d'incertitude et d'inquiétude réelle à traverser.

Parmi tant de voies qui s'ouvrent, laquelle choisir? il y a des métiers qu'on connaît et qui ne plaisent pas, d'autres qu'on ignore et qui feraient peut-être l'affaire. Quels sont-ils? Quels sont les moyens de s'y instruire, les conditions de l'apprentissage, les exi- gences de rétablissement, les ressources à en attendre? Les parents s'adressent souvent à l'instituteur; il est lui-même fort embarrassé. Cest le hasard qui décide, une circonstance fortuite, un voisinage. Peut-être a-t-on laissé de côté une issue qu'on regrettera amèrement plus tard, qnand il sera trop tard.

M. von Fragstein a réuni dans son volume tous les renseigne- ments qui lui ont paru de nature à éclairer et à décider les familles

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^t les enfànU. Son livre n'est pas un ouvragé ethnologique; il n'a pas la prétention de fournir des manuels d'apprentissage pour chaque métier. Il se borne à exposer l'histoire, 1 importance, le caractère de chacun des métiers l'ouvrier peut employer utilement sa force et son intelligence. L'ouvrage est divisé en deux parties. La promi<>re contient des considérations générales sur le choix d'une carrière, sur la préparation intellectadle et physiqae, sur les sa- laires, les lois et règlements de l'industrie ; le jeune homme trouve de bons conseils, dans un langage simple et populaire. La seconde pi^tie traite d'environ cent cinquante professions différentes, dont l'auteur montre les bons et les mauvais côtés; il en indique les particularités, les difficultés, les ressources ; il donne le chiffre des salaires, les moyens d'instruction, le titre des écrits spéciaux, bref, tout ce qui peut mettre en état de faire un choix aussi éclairé que possible. La tentative est ' ingénieuse, et peut rendre quelques sen'ices.

Die praxis nim elementauklasse. (La pratique de la classe élé- mentaire; — guide sur le terrain de renseignement élémentaire), par Robert Werpecke, Berlin, 1885. L'enseignement le plus déli- cat, le plus difficile, dit l'auteur, est celui de la première enfance. Il faut la bien connaître, TavoU* étudiée de près, savoir quels points d'attache l'enseignement de lecole peut trouver dans ces jeunes esprits, quelle préparation ils ont reçue dans la famille pendant le temps qui a précédé leur entrée à l'école, quels conseils il convient de donner mux parents pour cette préparation.

L'auteur donne une série de leçons, toutes faites, non pour être adoptées toiles quelles, mais comme exemples. Ces leçons, graduées avec intelligence et tact, portent sur l'enseignement par la vue, l'enseignement de la lecture, de l'écriture, du calcul, de la religion, qui est restée obligatoire dans les écoles allemandes.

Elles sont accompagnées d'un nombre considérable d'historiettes, de poésies, de chants, d'énigmes, destinés à illustrer, a éclairer, à égayer l'enseignement, et dont un très grand nombre sont vraiment propres à charmer et à instruire l'enfance.

Deux idées nous paraissent dignes d'être relevées dans cet utile volume. Le première, c'est de rattacher autant que possible toutes les leçons à la connaissance de la langue maternelle, de donner à cette étude, sous les formes les plus diverses, la plus grande impor- tance. C'est en effet donner aux enfants l'instrument le plus sûr avec lequel ils acquerront peu à peu des notions claires et exactes et les préparer fortement, sans qu'ils s'en doutent, aux études de l'avenir. La seconde idée sur laquelle insiste Tauteur, c'est que les leçons ^ux plus petites classes, aux plus jeunes enfants, ne doivent pas se donner sans préparation, qu'il est dangereux et tout au moins stérile de se confier au hasard, et que tout doit être sbigneu-

368 AIVUI PiDÀGOGIQUI

Hemeni ordonné^ étudié, préparé d'avance. Les exemples qu'il four- nit lui-même à Tappul de sa thèse viennent prouver tout le parti qu'un bon maître peut tirer des leçons les plus simples, à la condi- tion d'y avoir lui-même mûrement réfléchi.

GoTTHOLD-EpHRAiM Lessing's Schuuahrk. Etn Beitrog zur deutschen KuUur-, LiteratuP' und Schulgeschichte (Les années d'école de Lessing. Pour servir à l'histoire littéraire et pédagogique de T Allemagne), par le D*^ J.-Ch.-G. Schumann. Trêves, 1884. Ces quelques pages sont extrêmement ingénieuses. Grâce à l'intérêt qui s'attache à tout ce qui touche un homme de la valeur de Lessing, poète, philosophe, théologien, critique, dramaturge, on s'intéresse aux traits les plus minutieux de l'histoire scolaire du xviii^' siècle.

L'auteur trace un tableau vivant de l'école des princes, à Meissen, décrit rinternat, la vie des écoliers, leurs occupations, les peines disciplinaires, l'emploi du temps, les leçons, les livres de classe, tout l'ensemble des conditions se trouvaient alors maîtres et élèves. 11 a mis a profit pour cette description les règlements sco- laires de l'époque, tous les documents qu'il a pu se procurer.

Après avoir décrit le milieu, il arrive plus spécialement au jeune Lessing, dont il a su retrouver les maîtres, les notes semestrielles; il recherche quelle a pu' être sur l'enfant, sur le jeune homme, l'influence de l'instruction, de l'éducation que lui donnait le collège, dans quelle mesure s'y est formé son esprit, son caractère, sa vocation.

L'auteur raconte ainsi les événements qui venaient traverser la vie paisible de Técole, les épisodes de la seconde guerre de Silésie qui eut lieu pendant que le jeune Lessing était encore sur les bancs, et les impressions qu'il a pu et en ressentir. Bref, c'est un petit coin de la vie scolaire du siècle dernier, qui est loin de manquer d'intérêt.

GoTTHELF Salzmann UND DER Philanthropinismus (Gotthelf Salz- mann et le Philanthropinisme), par Gotihold Kreyenherg. Francfort- sur-le-Mein, 1884. Cette brochure se compose d'études parues dans les Bheinische Blatter dans le courant de Tannée dernière. On sait que Gotthelf Salzmann fut un des successeurs et continuateurs de Basedow, fondateur de la célèbre institution connue sous le nom de Philanthropinum. Cette institution, fondée à Dessau en 1774,. eut l'honneur d'être signalée par Kant comme destinée à former non seulement d'excellents élèves, mais aussi une foule d'habiles pro- fesseur.

Basedow n'a pas laissé que de prêter le flanc à la critique et au ridicule. Le biographe de Salzmann prétend que ce pédagogue éminent a su éviter les fautes de son prédécesseur, qu'il a utile- ment développé, corrigé et appliqué les idées du fondateur du Phi-

PRESSE ET LES LIVRES 369

lanlhropinum et qu'il a su leur donner une influence considérable que Basedow seul eût été incapable d'obtenir pour elles.

D'après M. Kreyenberg, ce serait une grave erreur de vouloir enfermer toute la doctrine cl toute l'histoire du Philanthropinisme dans les tentatives de Basedow, de Wolke ou de Bahrdt, et de considérer l'autorité de Salzmann comme une simple annexe de la leur. Salzmann a le droit de revendiquer une part d'originalité, de bon sens et de sagesse qui lui est propre, et l'on devrait, pour être équitable, diviser rhistoire du Philanthropinisme en deux périodes, l'une caractérisée par les noms de Dessau, Marschlins, Heidesheim, l'autre qu'on pourrait appeler la période de Schnepfenlhal, du nom de la localité Salzmann a fondé son institution et exercé sa féconde influence à partir de 1784.

La brochure de M. Kreyenberg est intéressante et donne d'utiles renseignements sur un homme et une institution si étroitement mêlés à l'histoire de la pédagogie allemande. J. S.

Langues suédoise et norvégienne.

Le Musée pédagogique vient de recevoir de la légation de Suède et de Norvège à Paris une intéressante collection de documents imprimés relatifs à la législation et à la statistique de l'instruction publique de ces deux pays.

Celle colleclion comprend entre autres, pour la Suède, les lois et règlements concernant l'enseignement primaire et l'enseignement secondaire, les plans d'études des écoles primaires, les plans nor- maux de maisons d'écolo, les rapports des inspecteurs scolaires et le précis de la situation générale de l'enseignement primaire pour les deux périodes quinquennales i872-1876 et 1877-1881. On y a joint deux périodiques spéciaux : une revue de l'enseignement se- condaire, la Pedagogisk Tithkrift (années 1870-1883), et une revue de l'enseignement primaire, la Tidakrift for Folk-Undervisningen (années 1882-1884).

Pour la Norvège, la collection comprend toutes les lois et tous les règlements relatifs à Tenseignen^ent universitaire, de 1848 à 1884; la législation relative aux écoles primaires supérieures et aux écoles mtcrmcdiaires de filles ; Fa législation des écoles primaires et des écoles normales; la statistique scolaire des années 1867 à 1880; enfln les récents projets de réorganisation des écoles primaires, dos écoles intermédiaires et des gynmases.

REVUE PÉOAGOGIQIB 1885. l«r SBM. ±\

CHRONIQUR DE L'ENSEIGNEMENT PRIMAIRE

EN FRANCE

Le nouveau ministre de l'instruction publique. Par décret en date du 6 avril i885, M. René Goblet, député, a été nommé ministre de l'instruction publique, des beaux-arts et des cultes, en remplace- ment de M. Fallières, qui a suivi dans sa retraite le cabinet démis- sionnaire.

L'achèvement des maisons d'école. Dans sa séance du 26 mars, la Chambre des députés a voté, après une courte discussion, tous les articles du projet de loi présenté par M. Fallières au sujet de raclièveracnt des maisons d'école, projet dont nous avons parle dans le numéro de janvier dernier, il est certain que le Sénat le volera également. Nous ne saurions trop nous en féliciter.

Quelques données statistiques. Nous donnons ci-dessous la situation des caisses d'épargne scolaires, des caisses des écoles, des sociétés de secours mutuels des instituteurs et des institutrices au J«' janvier 1885, comparée avec la situation de 1884:

Cnissics d'épargne sœUiircs,

1885 1884

Nombre de caisses ^i.'ii^ ti.iHi

Nombre de livrets io8.62i 442.0-21

Sommes inscrites à ces li- vrets Fr. 11.285.046 i0.248.2iG

Caisse des ficolcs»

Nombre de caisses 18.903 19.436

Keceltes de rexercice. Fr. . . 4.-488.296 4.254.176 Dépenses de Texercicc 3.027.865 2.630.528

Reste en caisse 1.160.431 1.623. (148

Sociétés de secours mutuels.

Nombre de sociétaires 36.650 34.51)1

Actif général y compris les fonds

eu caisse, les versements à la

caisse de retraites pour la

vieillesse Fr. 3.805.116 3.506.257

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CHRONIQUE DE LEHSBICKEMENT FRIVAIRB EN FRANCE 371

CBRTincAT D*ÉTUB£S pxni AIRES. Noils lisons dans le rapport de l'inspecteur d'académie du Lot sur la situatioa de renseignement primaire dans le déparlement.

Il faut se préoccuper constamment de le tenir à un niveau élevé et lutter <ïontre la tendance des examinateurs étrangers à renseignement et qui sont trop portés à TindalgeDce. MM. les inspecteurs primaires n'y manquent pas.

Je ne sais si Ton peut dire encore que cet examen e^t une mesure exacte des progrès scoluirei. 11 ne porte en effet que sur certaines malicres du pro- grjmme d.s écoles primaires; or, comme il doit être le couronnement d'études régulières et la constatation exacte de l'enseignement donné aux iUèves du cours moyen, il devrait embrasser toutes les parties de ces pro- grammes et les épreuves orales pourraient en conséquence être augmentées de questions sur l'instruction morale et civique, sur le droit usuel et l'éco- nomie politique, sur les sciences physiques et naturel es, sur le chant, le dessin et la gymnastique.

La réforme proposée est sans doute rationnelle et ce n'est pas la première fois que pareille idée se fait jour. N'est-il pas à craindre cependant qu'en voulant trop élever et étendre Texamen du certificat d'études primaires on ne le rende difficilement accessible à la moyenne des élèves des écoles primaires pour laquelle il a été institué ? D'ailleurs il n'est pas absolument nécessaire d'inscrire dans le pro- gramme des questions sur l'instruction morale et civique, sur le droit usuel et l'économie polilique, sur les sciences physiques et nalurclies. Dans l'exercice de la lecture expliquée des interrogations [jcuvent êln; faites sur ces différentes matières. Quant à l'épreuve du dessin, qui est aujourd'hui facultative, il serait bon, d'après nous, de la rendre obligatoire. La môme mesure pourrait être prise pour les questions d'agriculture ; mais pour les filles ces questions seraient utilement remplacées par des interrogations sur la tenue du ménage et de la ferme : enfin, nous estimons qu'il serait désirable d'imposer, du moins aux gardons, l'obligation dune épreuve pratique de gymnastique sans agrès.

OUGANISATION PÉDAGOGIQUE DES ÉCOLES PIIIMAIRES DE SaONE-ET-

LoiRK. Nous venons d»? recevoir le « Vatlc-mccuni des insliluteurs du déparlement de Saône-el-Loire ». C'est une brochure facile à manier et à lire ; elle est sobre et substantielle et mérite son titre. Elle renferme les instructions ministérielles relatives à l'application des nouveaux programmes et les programmes eux-mêmes, les « direclions » de l'inspecteur d'académie sur chacune des matières à enseigner, la répartition mensuelle de ces matières, un emploi du temps, pour les écoles à un seul maîtie et pour celles à deux mailles, et les prescriptions concernant la tenue des cahiers men- suels. Les écoles de Saùne-et-Loire ont donc maintenant une organisation pédagogique complète, et c'est un grand point.

Il est à remarquer que dans ce règlement les matières sont répar- ties e.i huit mois, parce que la fréquentation scolaii^ n'est paa

372 UVC£ PÉDAGOGIQUE

régulière, ni uniforme, surtout à la campagne. C'est pour cette raisons qu'elles sont groupées sous les rubriques : !•' mois, 2«, 3«.... 8^, sans souci du nom des mois correspondants. 11 est vrai que dans les villes et les bourgs importants, dans les centres industriels, les écoles reçoivent à peu près le même nombre d*élèves pendant chacun des dix mois de Tannée scolaire, a Malgré cela, dit lin- specleur d'académie, la répartition des huit mois sera applicable dans ces écoles, en réservant deux mois de Tannée, c'est-à-dire juin et juillet, ou plutôt un mois au milieu et un mois à la fia de Tannée (mars et juillet) pour la révision. »

Tout cela nous semble judicieux et bien réglé, du moins dans les grandes lignes ; Texpérience fera voir si certaines modifications ne sont pas à apporter à la répartition mensuelle des matières et s'il ne serait pas préférable de s'en tenir à une répartition trimestrielle (1).

Dans Temploi du temps, nous voyons que l'instruction morale se donnera de 8 heures à 8 h. 25 du matin : nous trouvons la chose i&cheuse. 11 y a toujours au début d'une classe un certain désordre occasionné par Tarrivée des retardataires. Nous aimerions mieux commencer par le dessin et les travaux manuels, en reportant à une heure plus avancée l'enseignement moral, qui réclame le plus grand recueillement et qui le plus souvent devrait sortir des leçons ou des lectures qu'on aurait eu soin de choisir et de préparer avec soin.

Expositions scolmres. Le goût des expositions scolaires se répand de plus en plus. Nous avons déjà parlé des expositions qui se préparent ù Angoulême, à Beauvais, à Tours et à Toulouse. Celle de Toulouse promet d'être particulièrement brillante, car nous appre- nons que tous les départements du ressort académique y prendront part.

D'autres expositions nous sont encore annoncées : une exposition régionale de géographie à Nantes pour le mois d'août 1886, à l'oc- casion de la réunion aans cette ville du Congrès national des Sociétés de géographie ; une exposition scolaire départementale à Angers, à l'occasion du Concours régional de 1885; une exposition du même genre à Montpellier, une autre à Chartres, une autre encore à Lyon, enfin une exposition scolaire agricole à Valence.

Nous relevons dans le règlement de l'exposition d'Angers les dis- positions suivantes :

« La participation à Texposition est obligatoire pour toutes les écoles primaires élémentaires publiques de Maine-et-Loire.

» Les travaux d'élèves comprendront nécessairement, pour chaque école primaire publique :

il) Dons le Lot on vient d'opter pour la répartition trimestrielle. Cette question, fort importante, est très débattue; mais tout le monde est d'accord qu'il faut une répartition, qu'elle soit trimestrielle ou mensuelle.

CHHONI0U1& DE l'sNSKIGNKMVNT PRIMAIRE EN FRANOE 373

» i*^ Des cahiers de devoirs journaliers.

» 2<> Des cahiers de devoirs mensuels.

Le nombre des cahiers de l'une et l'autre série sera calculé, dans chacun des trois cours, à raison de 1/10 du nombre des élèves inscrits, sans qu'il puisse être inférieur à 5 dans aucun cours.

» Toute école primaire publique comptant 50 élèves au plus par division aura donc à présenter 15 cahiers de devoirs journalier-^ et 15 cahiers de devoirs mensuels.

» Les devoirs qui figureront dans les cahiers de la 1"*® catégorie ne devront porter aucune date antérieure au 1«^ mars 1885.

» Chaque école primaire publique de filles présentera, en outre, des travaux à l'aiguille exécutés par les élèves dans le cours de l'année scolaire 1884-1885. »

Toutes ces expositions dëparlemen taies ou régionales serviront d'excellente préparation pour la grande exposition nationale et inter- nationale de 1889, à laquelle il faut penser dès maintenant. On sait que la Commission présidée par M. Antonin Proust a déjà arrêté le programme général des constructions et décidé l'établissement de deux grandes divisions : l^la manffestation des idées; i2*^ l'exposition des produits. On disposera tout ce qui se rapporte à l'enseignement et à réducation autour du Palais de l'industrie, dont les salles seront utilisées pour les congrès et les conférences.

Monographies communales. Depuis 1875 la Société d'émulation de Lisieux accorde chaque année, lors du concours agricole tenu dans l'un des cantons de la circonscription, un certain nombre de récompenses aux instituteurs qui produisent les meilleurs mémoires sur l.'urs communes respectives. L'inspecteur d'académie du Calva- dos veut généraliser cette œuvre dans le département tout entier. On ne peut qu'applaudir à cette idée : il est bon que les instituteurs puissent apprendre à leurs élèves l'histoire de leur commune et la rattacher à celle de la patrie. Plusieurs départements ont déjà leurs monographies complètes.

Cartes communales. M. Baby, commis de direction des postes et télégraphes à Foix, vient d'entreprendre la publication des mono- graphies spécialement rédigées pour chaque commune du départe- ment avec cartes à l'appui. Pour répandre plus facilement la con- naissance de la géographie, il a eu l'idée ingénieuse de se servir des cahiers destinés aux devoirs journaliers des élèves : les couvertures portent d'un côté une carte de la commune aux 1/50,000® avec tous les détails topographiques, le chef-lieu, les hameaux, les écarts, les principales altitudes, etc. D'un autre côté est une note descriptive de la commune comprenant la situation, le relief du sol, la géologie, le climat, l'agriculture, le commerce, Tindustrie, les sources miné-

374 iXTUE PÉBÀfioaooi

raies, les voies de communication, radministration, la population, l'histoire, les curiosités monumentales, pittoresques et naturelles. . M. Baby, qui est un des collaborateurs de M. Joanne, complétera son œurre en réunissant sous forme d'atlas les monographies et les cartes déjà placées sur les couvertures des cahiers. Il y aura ainsi deux ouvrages distincts : les cahiers destinés aux élèves, les atlas pour les maîtres.

Tout cela est fort ingénieux, fort pratique et fort utile. C'est un exemple à suivre.

École normale d'institutrices de Naittes. Les écoles primaires annexées aux écoles normales fournissent souvent de bonnes recrues à ces dernières, mais sans cours préparatoire proprement dit. A Nantes un cours régulier de préparation à l'examou d'admission à récole normale d'institutrices a été créé au sein do cette école par un arrêté municipal du 5 février dernier et il a été ouvert à la fin du même mois. Il n'est admis au cours que des élèves externes, qu'on fait entrer au besoin dans d'honorables familles disposées à les recevoir moyennant un prix arrêté avec les parents. L'enseignement est gratuit. La durée régulière du cours préparatoire est d'une année scolaire.

La Société philomathique de Bordeaux. Il n'y a guère en pro- vince d'association qui fasse plus de bien et obtienne plus de résultais que la Société philomathique de Bordeaux, qui compte déjà 77 ans (f existence. EHe a été fondée en 1808, on pourrait même dire qu'elle est née en 1783, car elle n'a fait que reprendre les libérales traditions du Musée de Bordeaux, qui fut le berceau des Girondins, et qui. avant elle, avait fondé des cours gratuits et organisé des exposi- tions. En 1793 l'agitation révolutionnaire dispersa les membres du Musée : ce sont les survivants qui ont créé la Société philomatliique. La Gironde nous donne le rapport lu en assemblée générale le 10 janvier par le secrétaire de la Société, M. Eugène Buhnn. Nous croyons qu'il n'est pas inutile d'en extraire la partie relalivo à l.i créai ion des cours organisés l'année dernière:

A un plus haut degré encore que pour l'entretien des cours existants^ l'importance des travaux de la Société Philomathique s'est accrue pendant l'exercice écoulé, en ce qui a trait an développement donné à son enseigne nAcnt par la création de cours nouveaux.

En ouvrant trois cours de chauttage, conduite et entretien de machinas à vapeur, de dessin, de carrosserie et de langue espagnole, ce dernier pour les femmes adultes, nous nous sommes avancés résolument dans la voie dn l'ens^'ignement professionnel, tout en conservant à ces cours ce caractère qui dialingue la plupart de ceux que nous créons, de n'être pas encore professés dans notre ville.

l)è) la fin de l'année 1883, rétablissement d'un cours de chauffage, d'en- tretien et de conduite de machines à vapeur, et plus spécialement de machines è vapenr marioes, vivement désiré par la Chambre ae commerce, nécessaire

3

CHRONIQUE DE L'ENSUSKEMElfT PRIMAIRE EN FRANCE 375

au développement de notre marine et de notre industrie locale, voqs le savez, était mis à l'étude.

La libéralité de la Chambre de commerce, qui a bien voulu afTecter une somme de 2,000 francs aux dépenses exceptionnel les que des exercices sur des bateaux à vapeur devaient entraîner, la présence parmi nous de M. Ducos, ingénieur de l'Assotriation des propriétaires de machines à vapeur du Sud- Oues^ nous ont permis de mettre ce projet à exécution. Si ce cours était impatiemment attendu, le livre d'inscription, le livre de présence des élèves en font foi. Cent dix élèves se sont fait inscrire ; une centaine d'élèves suivent assidûment le cours. Le niveau de leur instruction générale est très satisfai- sant, leur professeur l'a constaté en les interrogeant tour à tour avant d'arrêter le programme de son enseignement, ce qui luji permellait de dire dans sa leçon d'ouverture:

«t Nous n'avons en vue que l'éducation des ouvriers intelligents qui ont déjà reçu un degré suffisant d'instruction pour pouvoir étudier avec fruit; de ceux' qui, jeunes encore et pleins d'espérance dans l'avenir, veulent sincè- renient acquérir les connaissances qui leur manquent et dont ils déplorent raljsencc; de ceux jduî avnncés en âge qui sont déjà pourvus de toute l'ha- bileté pratique d'une profession, qui dans leur vie d'atelier ont d bien fait des observations, mais qui n'ont pu saisir la cause des faits observés, et

ui viendront puiser dans ce cours les principes généraux qui sont la base

e toute pratique éclairée. )^

Vous venez d'entendre ce que le professeur d'un cours de chauffage pou- vait dire à ses élèves en 1884. Il y a une vingtaine d'années, un des plus importants ateliers de France ouvrait un concours dn chauffeurs : sur 31 caor- diaats, sept savaient lire.

Heureuse élévition du niveau d'instruction générale de la classe ouvrière, Messieurs, dont nous avons d'autant plus le droit de nou:î féliciter que nous pouvons revendiquer notre pirt dans l'œuvre accomplie.

Si à ce qui précède j'ajoute que le professeur se loue de ses élèves, de leur tenue, do leur assiduité et de leur attention ; que les membres de votre Comité .se louent du talent et de la méthode du professeur, qu'ils ont pu apprécier dans plusieurs de ses leçons ; que cet enseignement sera sans doute recueilli l'an prochain par un nombre plus considérable d'auditeurs, puis- qu'il comprendra alors deux années, la première consacrée au cours prati- que de chauff ige, la seconde au cours de conduite et d'entretien des macoine- à vapeur, voui penserez avec mol qne le but poursuivi sera pleinement atteints

Parmi les industries les plus intéressantes de notre n^gton, oo compte celle de la carrosserie, qui ne repond pas seulement aux besoins de la consomma- tion locale, mais encore pourvoit dans une certaine mesure la consommation étrangère. Cette industrie a été florissante ; comme beaucoup d'autres, aujour- d'hui elle souffre. Ne craignant aucune comparaison au point de vue de la qualité et du goilt, elle ne lutte que très péniblement contre la concurrence étrangère, au point de vue du prix. Que si l'on demande aux hommes tes plus compétents en cette matière la cause de celte infériorité relative, ils croient la trouver dans le d<^faut d'ouvriers capables et munis d'un ensei- gnement professionnel suffisant. Ceux-là mêmes oui sont arrivés à être de Bons ouvriers à force de persévérance manquent de ces preniers principes techniques qui leur permettraient de paiiaire à coup sûr une œuvre qu ils ne terminent qu'après maints essais et une grande perle de temps. En outre, l'absence des moyens d'instruction professionnelle, dans notre ville, pour les ouvriers carrossiers, amène ce déplorable résultat que les jeunes ouvriers les plus intelligents, désireux d'arriver et ne pouvant acquérir ici les éléments qui leur manquent pour atteindre le but qu'ils se proposent, abandonnent Bordeaux pour Paris. Telles sont les considérations qui nous ont déterminés à oovrirun cours de deaain de Garrosserie.

Nous avons été heureux de pouvoir confler à un ancien Itnrejt de nos classes, M. Barbreau, la dirocUoa de ce cours, qui compte déjà une quaran- taine d'élèves.

376 R£yUE PÉDAGOGIQUE

Enfin f nous avons fondé une classe de langue espagnole pour les femnaes adultes. L'Espagne est une cliente importante de notre ville, surtout pour les articles de modes et de fantaisie. II faut, pour faciliter encore avec cette clien- tèle espagnole des rapports fructueux pour notre commerce, que les personnes, le plus souvent du sexe féminin, appelées à diriger ces magasins ou à colla- borer à leur direction, se mettent en situation de répondre dans leur langage aux Espagnols de passage, et de correspondre au besoin avec eux. C'est surtout ce que nous avons recherché en instituant ce cours. Nous ne doutons

{>as que M. Fuentes-Hami, qui a déjà fait ses preuves chez nous, ne le pro- èsse de manière à obtenir ces résultats.

Le recrutement des instituteurs. Nous croyons devoir repro- duire la circulaire que l'inspecteur d'académie de Mendo vient d'adresser aux inspecteurs primaires delà Lozère:

« Les écoles normales suffisent dès maintenant au recrutement du personnel des écoles primaires.

» Je suis cependant obligé de m'adresser dans le courant de Tannée, pour assurer le service, à des candidats préparés dans les établissements particuliers d'instruction primaire et dont je ne connais pas la valeur pédagogique.

» Depuis le mois d'octobre dernier, je n'ai confié à la plupart de ces maîtres que des fonctions de suppléants ou des nominations à titre provisoire.

» Avant de leur donner une nomination définitive, je vous invite à inspecter leurs écoles le plus tôt possible et à m'adresser un rapport très détaillé sur leur tenue, leur zèle, leur dévouement et leur aptitude professionnelle. »

Bibliothèques et livres. Une armoire-bibliothèque est un meuble qui fait bonne figure dans une école et on a bien fait de l'introduire obligatoirement dans les écoles nouvellement construites : le meuble devrait appeler et appelle souvent les livres; mais quel- quefois les livres se font longtemps désirer avant de venir remplir les rayons. C'est ce qui est arrivé, dans la Lozère. Tan dernier, plus de eo armoires-bibliothèques étaient vides. Grâce à une subvention du Conseil général et à des dons de l'inspecteur d'académie, chacune d'elles est pourvue maintenant d'une dizaine de volumes au moins. C'est peu, mais c'est un commencement, et, nous ne saurions trop le répéter, surtout pour ce qui concerne les bibliothèques, il n'y a rien de tel que de commencer pour aboutir. Si les instituteurs de la Lozère le veulent bien, ces minuscules bibliothèques deviendront bientùt florissantes.

Le sou des bibliothèques scolaires. --L'œuvre du sou des biblio- thèques scolaires fait son chemin. M. l'inspecteur d'académie de Caen l'a chaudement recommandée aux instituteurs et aux institu- trices du Calvados. * c Je me mettrai, dit-il, à votre disposition pour tous les conseils

CHRONIQUE DE l'eNSBIGNBMENT PRIMAIRE EN FRANCE 377

de direction dont vous aurez besoin. Je recevrai avec plaisir toutes les communications que vous voudrez bien m'adresser, tant sur les efforts tentés et les résultats obtenus par vous, que sur les divers détails de la réglementation qu'il y aura lieu d'adopter. Quant aux points principaux de cette réglementation, les voici : j'appelle sur eux toute votre attention.

» 10 Perception des cotisations, Je désire qu'elle soit faite exclu- sivement par vous; si toutefois vous voyez des avantages à l'insti- tution d'un « Comité protecteur n formé de quelques élèves délégués à cet effet par leurs camarades ce Comité existe dans le Pas- de-Calais vous voudrez bien me donner vos raisons ; je ne demande pas mieux que de les examiner avec intérêt et de les approuver, s'il y a lieu.

» Emploi des ressources, Vous aurez à produire chaque année des propositions et à les soumettre au visa de M. l'inspecteur pri- maire, en y joignant un état faisant connaître le montant des fonds que vous avez recueillis. La liste des ouvrages devra être au préalable approuvée par moi. Ces ouvrages pourront être choisis dans le cata- logue officiel dressé par les soins du ministère de l'instruction publique.

» Écritures de comptabilité. Vous devez inscrire très réguliè- rement, sur un registre spécial, d'une part les recouvrements effectués, de l'autre les dépenses faites. Puis, afin que l'administration soit exactement renseignée, vous aurez à adresser, au commencement de chaque trimestre, à votre inspecteur primaire un extrait de ce registre indiquant la situation d'une manière nette et précise. Un extrait semblable devra être joint à toute proposition d'achat de livres. Enfin, vous aurez à produire, à la fin de l'année, un état général résumant toutes les opérations de l'exercice. »

En réponse à cet appel, l'inspecteur d'académie a reçu l'adhésion d'un certain nombre d'instituteurs. Les cotisations des élèves ont été déjà recueillies dans quelques écoles. Tout porte à croire que cette insti- tution recevra dans le département l'accueil favorable qu'elle mérite.

D'autre part, dans l'arrondissement de Castelnaudary, 73 écoles sur 112 ont déjà fondé Tœuvre du sou des bibliothèques; le nombre des élèves adhérents est de 1,890 et le m)ntant des sommes perçues s'élève à 186 fr. 90. Dans plusieurs écoles, les élèves ont spontané- ment offert de vei*ser des sous pour chacun des mois écoulés depuis la rentrée des classes.

Exercice de tir. Nous lisons dans le Bulletin du Calvados : « M. Trillée, instituteur à Livry, a établi à ses frais, dans son écoie> un tir à la carabine Flobert. Voici l'organisation qu'il a adoptée :

» Le tir a lieu tous les samedis, après la classe du soir de mars & novembre, et entre les deux classes de novembre à mars. Les élèves admis à y prendre part sont, dans chaque cours :

378 tlTDI VtDAGOGHQVE

9 Ceux qui ont obtenu la première place dans la composition hebdomadaire (ils ont droit à 5 cartouche^);

9 ^ Ceux qui ont obtenu la deuxième place (3 cartouches) ;

» 3^ Ceux qui ont mérité en moyenne, pendant la semaine, la note 8 pour l'application et l'assiduité (3 cartouches);

» 'i^^ Ceux auquels a été accordé un bon point spécial pour la gymnastique et les exercices militaires (une balle)

» Enfin, le dernier jour de chaque mois, un concours a lieu entre les tireurs qui n'ont eu aucune absence à V école et qui ^ont toujours arrivés en classe à l'heure précise.

» Des diplômes seront délivrés en fin d'année aux lauréats. »

Collection d'insectes pour les musées scolaires. Un assez j^and nombre d'instituteurs font d'utiles collections d'insectes et quelques- uns se mettent volontiers à la disposition de leurs collègues pour le classement et la détermination des insectes les plus communs : c'est ce que fait entre autres M. Fréville, instituteur à Epernay-sur- Orge (Seine-et-Oise). Mais il fait mieux encore; voici en effet ce qu'il écrit à Vlnstruction primaire :

« Dans nos promenades scolaires, nous nous occupons, je ne dirai pas d'entomologie, mais d'insectologie agricole, et, avec Taide des élèves, nous avons pu recueillir une certaine quantité d'insectes. Nous en avons fait une collection pour la classe, puis la collection que vous avez remarquée à l'exposition dlnsectes de 1883.

» Le zèle de mes petits collaborateurs ne se ralentissant pas, nous avons travaillé pour les autres écoles.

» En 1882, nous avons donné une collection de deux cents espèces environ à chacune des quatre écoles des chefs-lieux de canton de l'arrondissement de Corbeil; en 1883, une collection pareille aux six chefs-lieux de canton de l'arrondissement de Rambouillet; cette année nous en préparons six pour l'arrondissement d'Etampes; Tannée procbaine ce sera le tour de l'arrondissemrînt de Versailles; de sorte que, dans quelques années, tous nos collègues du département auront à leur disposition, à l'école du chef-lieu de canton, un type de col- lection qui leur permettra de classer et de déterminer d'une façon certaine les insectes les plus communs qu'ils auront recueillis. »

La Société de secours mutuels des Basses-Pyrénéks. Les gé- néreuses traditions de M. Tourasse ne se perdent pas dans les Basses- Pyrénées. M. Deville, délégué cantonal de Navarreux, a envoyé SOO francs à M. Piche, président de la Société de secours mutuels du département. M. et M"* Deville demandaient à être inscrits comme membres honoraires perpétuels de la Société : M. Piche leur ayant fait observer que 200 francs suffisaient pour cela, ils ont répondu par un nouvel envoi de 500 francs spécialement affectés à la caisse des orphelins. M. Piche a fait de son côté don d*ime pareille

CHRONIQUE DK l'ENSEIGNEMENT PRIMAIRE EN FRANCE 379

somme pour la même caisse. Voilà une heureuse émulation dausle bien.

Commissions municipales scolaires. Le Bulkiin départemental des Vosges reproduit une circulaire préfectorale du 28 novembre 188^ qpi pose et résout très bien une questioa d'ordre général, relative aux attributions des membres des commissions scolaires. Voici cette circulaire :

Monsieur le maire,

Je suis informé que des commissions municipales scolaires donneraient à chacun de leurs membres une délégation individuelle à l'effet d'accorder aux enfiints des dispenses de fréquentation scolaire.

Je crois devoir voas rappeler que si l'article 15 de la loi du 28 mars 188J autorise la commission scolaire à a accorder aux enfants demeurant chez leurs parents ou leur tuteur, lorsque ceux-ci en font la demande motivée^ deg dispenses de fré<]nentation scolaire i>, aucune disposition de cette loi ne permet à la même eommrssioa de délégaer tout ou partie de ses pouvoirs à un ou plusieurs de ses membres.

Jfc vous prie de vouloir bien rappeler ces dispositions de la loi à la com- mission scolaire, lors de sa première réunion, et lui faire connaître qu'& l'avenir, les instituteurs devront considérer comme non avenue toute dispeiase de fréqueatBtioQ accordée en dehors des réunions rég«iières de la corn* mission.

Travaux manuels et charité. A la suite d'une exposition de travaux manuels à l'école primaire supérieure de jeunes filles de Marseille, les élèves ont envoyé à la caisse des écoles, pour être distribués aux enfants pauvres, des chemises, des pantalons, des jupons, des tabliers, des robes pouvant servir à des enfants de 10 à 14 ans. Ces v^'lements ont été confectionnés par les élèves elles- mêmes d'après la méthode de coupe et d'assemblage de M"^ Scheffer. Voilà d'utiles travaux ! Voilà de bonne et vraie charité I Cet exemple pourrait être suivi ailleurs qu'à Marseille.

Une bonne pensée et une bonne action. Dans une commune des bords de la Cure, dit le Bulletin de l'Yonne, vit un vieillard très cassé, dénué de tout, mais digne et fier, et qui mourrait plutôt que de tendre la main. Par les froids rigoureux que nous venons de traverser, il était sans combustible et soutirait silencieusement dans sa pauvre chaumière. L'idée vint à quelques garçons de l'école d'emprunter un chariot, de s'y atteler et d'aller frapper pour un peu de bois à la porte des gens charitables. La récolte fut abondante ; ils firent cinq voyages. Le bûcher du vieillard est bien garni et son foyer ne s'éteindra pas cet hiver.

Nous disons à ces braves enfants : C'est très bien, d'autant qu'ils ont joint à leur bonne action la discrétion et la modestie, qu'on ne saurait trop recommander en pareille matière.

380 REVUE 1PÉDAG0GIQUE

Une lettre anonyme. Voici une lettre anonyme qui par excep- tion fait grand honneur à celui qui Ta écrite ; elle a été adressée à rinspecteur d'académie de la Drôme, président de la Société des secours mutuels des instituteurs, et elle est conçue en ces termes :

Monsieur le Président, jj'ai rhonneui* de vous adi*es8er un billet de 100 francs

Sue je vous prie de vouloir bien employer à accorder un secours de î5 francs chaque trimestre à l'instituteur ou à Vinstitutrioe. membre de la Société de secours mutuels, dont la situation parnllra la plus digne d'intérêt parmi ceux dont les demandes do secours auront été rejetees.

J'espère pouvoir continuer ce petit sacrifice tant que la position des insti- tuteurs ne se sera pas améliorée. Je vous prie d'agréer, etc.

Un instituteur ahé.

Congrès de la ligue de l'enseignement et exposition scolaire a Lille. Lille a vu s'ouvrir le 10 avril le cinquième Congrès de la Ligue de renseignement, dont le président est toujours le vaillant Jean Macé. Une remarquable exposition scolaire a été ori^'anisée à cette occasion au palais Rameau. L'ouverture du congrès a été des plus brillantes : M. Jean Macé a développé une fois de plus sa thèse favorite, c'est qu'on ne peut pas sépirer l'idée d'instruction popu- laire de celle de république démocratique. M. Géry-Legrand, maire de Lille, a dit tout ce que cette ville a fait pour renseignement à tous SCS degrés, et certes peu de cités ont attaché plus d'importance que Lille à la cause du progrès par l'école. M. le pasteur Dide, sénateur, a expliqué que la démocratie a toujours su être reconnais- sante pour les gouvernements qui ont travaillé à Tinstruction du peuple. « Que les ministres s(ûent debout ou qu'ils soient tombés, a-t-il dit, nous les saluons de nos respects quand ils ont servi glo- rieusement la cause de l'instruction nationle. » Ces paroles ont soulevé d'unanimes applaudissements.

Nous aurons sans doute à reparler du Congrès et de l'exposition de Lille.

Réouverture du musée pédagogique. L'installation du Musée pédagogique dans ses nouveaux locaux, rue Louis Thuillier, 10, est terminée, et l'établissement a pu rouvrir ses portes aux travailleurs et au public le 7 avril.

COURRIER DE L'EXTERIEUR

Angleterre. Oa s'est beaucoup plaint, dans le camp des ennemis de Tinstruction obligatoire, au travail prétendu excessif imposé aux écoliers ; des torrents d'encre ont été répandus au sujet de Vovet'pressure, 11 semble que le reproche qui pourrait être adressé à renseignement primaire anglais, tel que l'ont organisé les pres- criptions du Code scolaire, est plutôt celui d'insuffisance : il y a unaerpressure bien plus souvent qa* over pressure ! On travaille uni- quement en vue de l'examen et de la prime, et si les élèves paresseux ou lourds d'esprit se plaignent d'avoir trop à faire, les élèves intelligents pourraient se plaindre que la nourriture intel- lectuelle leur soit trop parcimonieusement mesurée. Dans un rapport tout récemment présenté par M. George Ricks au School Hoari de Londres, nous trouvons l'anecdote suivante, qui jette sur les procédés des instituteurs anglais un jour bien instructif:

« Dans une classe de soixante élèves, j'en trouvai dix à douze assis les bras croisés et silencieux pendant que leurs camarades travaillaient ou jouaient. Naturellement je voulus savoir pourquoi ces jeunes garçons étaient punis car c'était évidemment une puni- tion que j'avais sous les j^eux. » Ces élèves-lè, » me dit l'instituteur^ « sont complètement préparés pour l'examen (qui devait avoir lieu à quatre mois de là); ils n'ont plus rieo à faire; aussi je consacre maintenant mon temps à la préparation des autres. »

Voilà à quelles énormités aboutit le système mercantile et anti- éducatif du payment by results.

Bulgarie. Un correspondant obligeant, M. T abakov, nous envoie de Loni Palanka les renseii^^nements suivants, extraits d'un rapport prései^té au prince Alexandre par le ministre de l'instruction publique: ils indiquent l'état de 'l'instruction publique en Bulgarie avant et depuis la guerre de 1877-1878.

Lei écoh'S de la ville de Clioumen (Choumla) comptaient en Î876 11 instituteurs et institutrices, avec 1,^77 élèves (859 gardons, 418 filles): en 1880, 13 instituteurs et 10 institutrices, avec l.iSô- élèves; en i8Sl, 17 institutrices et 12 institutrices, avec 1,712 élèves (1,041 gan;ons, 671 filles).

Dans l'arrondissement de Vidin, il v avait en 187(î 59 écoles avec 50 maîtres et 1,319 élèves (1,256 garçons, 93 filles); en 1882, on comptait 97 maîtres et 4,026 élèves (3,587 garçons, 439 filles).

Dans celui de Kustendil, il n'y avait que 8 écoles en 1876; en 1880, il y en avait 24. avec 26 instituteurs et 2 institutrices, et 812 élèves (74:3 garçons. 09 filles).

Dans celui d'Izvor, 4 écoles en 1876; en 188!. 15 écoles averf 515 élèves.

382 REVUE PÉDÀ600IQUE

Dans celui de Trin, 16 écoles, 18 maîtres et 387 élèves en 1879; 52 écoles, 53 instituteurs, 3 institutrices, et 1,813 élèves (l,C05 gar- çons, 208 filles) en 1881.

Pour quatre autres arrondissements, la statistique indique* seule- ment le nombre des écoles en 1879 et 1881 ; le voici :

1878-1879 1880-1881

iults ëe fn<[ns. tn\n le Rites. É(»ln it fir^Ms. in\n le filin.

Lovetch 14 2 49 2

Tlrnovo 148 16 152 24

Varna 13 2 32 3

Baltchik 5 1 16 i

En 1880-1881, la Bulgarie avait en tout 1,271 écoles de garçons et 83 de filles, plus 55 écoles primaires avec une ou deux classes gymnasiales (44 pour les garrons et 11 pour le filles), soit en tout 1,409 écoles, c'est-à-dire 321 écoles de plus que deux ans auparavant; 1,580 instituteurs et professeurs et 180 institutrices enseignaient dans ces écoles.

En 1880-1881 il y a eu en moyenne un élève par 29.71 habitants. Pendant cette année scolaire, 58.37 0/0 de tous les enfants d âge scolaire ont fréquenté les écoles ; pour les filles prises à part, la fréquentation n*a été que do 18 0/0.

Depuis la guerre de 1877-1878 il a été construit en tout 307 maisjus d'école.

République argentine, On nous écrit :

« Le directeur do l'école normale nationale de Parana, M. .Tosr Tnrrès, vient de publier un rapport très étendu sur les insultais et le fonction- nement de cet établissement depuis sa fondation en 1871. Il peut être intéressant d'emprunter à ce d ;cument (jnelques indicahOns.

Depuis la fondation de l'école, elle a donné 119 piuresseui» diplô- més. L'un d'eux, sorti en 1874, est aujourd'hui ministre des rnumcc.s et de rinstructioii publique de l'Etat de Tucuman, IGsont eiuplo^és dans les conseils d'éducation oif comme inspecteurs primaires, S4 dans les diverses écoles normales, 5 dans les collèges nationaux d'enseignement secondaire, 11 dans les écoles primaires. 3 exeiceiit dans l'enseignement privé, IG sont sur le point d'être nommés, el 4 sont morts.

L'école compte, eette année 24 professeurs dont 12 ont fait leurs études el ont reçu leurs diplômes dans l'établissement mémo oîi ils enseignent actuellement.

Le total des bourses payées par le trésor fédéral pour les frais des élèves-maîtres est fixé par le budget de 1885 à 13,950 francs par mois répartis entre 90 bourses. Le nombre des élèves-rnaîli-es a été de 150 en 1884. Celui des élèves fréquentant l'école d'application a été de 627, répartis en six degrés. En 1883, il n'était que de 3Gri.

Le jardin d'enfants, qui n'a commencé à fonctionner que depuis Tannée dernière avec 35 élèves, a déjà donné de brillants résultats et en laisse espérer de beaucoup .plus satisfaisants.

COURRIEB DE l'eXTÉRIEUR 383

Tout récemment l'école a été considérablement agrandie pour mieux répondre aux nécessités de renseignement. Le trésor fédéral a dépensé pour les travaux la somme de 333,973 francs. Ces chiffres donnent une idée des efforts qui se font ici en vue de renseignement

Ï primaire et de la préparation d'un personnel de maîtres qui soient à a hauteur de leur mission. »

Roumanie. Nous avons reçu la statistique de Tinstruction publique pour Tannée scolaire 1882-1883, publiée par le bureau centrai de statistique, à Bucharest.

Le nombre des communes morales est de i,997; celui des écoles primaires rurales (qui sont mixtes quant aux sexes) est seulement de ^,470. Sur ce nombre, 1,933 écoles sont entretenues par TEtat^ les autres par les districts, les communes et les particafiers. Une somme de 1,796,400 francs était prévue au budget de l'Etat poor cet objet. Le nombre des maîtres des écoles rurales est de 2,504 (2,120 instituteurs, 373 institutrices), le nombre des élèves de 92,298 (70,913 garçons, 12,385 filles).

Les écoles primaires urbaines sont spéciales à un sexe. On compte U8 écoles de garçons avec 481 instituteurs et 24,060 élèves.; 12o écoles de filles avec 360 institutrices et 13,464 élèves. L'Etat entretient, sur ce nombre, 138 écoles de garçons et 118 écoles de filles, et dépense pour cet objet 1,934,840 francs; les autres écoles s^ont entretenues par les communes.

H existe 8 écoles normales primaires d'instituteurs, dont 4 sont entretenues [>ar l'Etat (la dépense annuelle a été de 242,142 francs), et 4 par des fondations particulières. Le nombre des élèves a été de 830.

On compte en outre en Roumanie 7 lycées (établissements de l'Etat), avec 160 professeurs et 2,3 il élèves; 18 gymnases (10 entre- tenus par l'Etat et 8 par les districts ou les communes), avec 181 professeurs et 2,188 élèves; 9 séminaires ecclésiastiques (dont 8 en- tretenus par l'Etat), avec 103 professeurs et 1,262 élèves; 15 écoles secondaires ou professionnelles de jeunes filles (dont 9 entretenues par l'Etat), avec 101 professeurs, 60 maîtresses, et 1,482 élèves; o écoles commerciales (dont 4 entretenues pvr l'Etat^, avec 59 pro- fesseurs et 717 élèves; 31 écoles spéciales (écoles de pnarmacie, d'art vétérinaire, d'arts et métier?, de beaux-arts, d'agriculture, etc.; 16 d'entre elles sont entretenues par l'Etat), avec 223 professeurs et i maîtresses et 2,513 élèves (dont 305 jeunes filles); 2 universités, avec 07 profe:>seurs et 705 étudiants; enfin 216 écoles privées, avec 710 maîtres et 427 maîtresses, et 13,799 élèves (7,851 garçons, 5,9 i8 fiU.'S.

Le budget du ministère de Tinstruction publique (cultes rais à part) s'est élevé à la somme totale de 8,660,690 francs.

Suisse. En 1882, dans le canton de Zurich, les dépenses des communes pour les écoles primaires ont été de 2,65i),203 francs, et pour les (T.olss primaires supérieures de 386,180 francs ; la subven- tion de l'Éiat sest élevée à 1,105,990 francs. Le chiQ're total des dépenses faites par le caûton de Zurich pour renseignement pri-

382 REVUE PÉDÀ600IQUE

Dans celui de Trin, 16 écoles, 18 maîtres et 387 élèves en 1879; 5i écoles, 55 instituteurs, 3 institutrices, et 1,813 élèves (1,605 gar- çons, 208 filles) en 1881.

Pour quatre autres arrondissements, la statistique indique* seule- ment le nombre des écoles en 1879 et 1881 ; le voici :

1878-1879 1880-1881

Èc4les ëe fir{M>. ^•I«i 4e Rites. É(*ln é« iii^mu. Éreln le (iUn.

Lovetch 14 i 49 2

Tirnovo 148 16 152 24

Varna 1:J 2 32 3

Baltchik 5 1 16 1

En 1880-1881, la Bulgarie avait en tout 1,!271 écoles de garçons et 83 de filles, plus 55 écoles primaires avec une ou deux classes gymnasiales (44 pour les garrons et 11 pour le filles), soit en tout 1,409 écoles, c'est-à-dire 321 écoles de plus que deux ans auparavant; 1,580 instituteurs et professeurs et 180 institutrices enseignaient dans ces écoles.

En 1880-1881 il y a eu en moyenne un élève par 29.71 habitants. Pendant cette année scolaire, 58.37 0/0 de tous les enfants d âge scolaire ont fréquenté les écoles; pour les filles prises à part, la fréquentation n*a été que de 18 0/0.

Depuis la guerre de 1877-1878 il acte construit en tout 307 maisuis d'école.

République argentine, On nous écrit :

« Le directeur de l'école normale nationale de Parana, M. .losi* T<nrès, vient de publier un rapport très étendu sur les i^sultats et le fonction- nement de cet établissomont depuis sa fondation en 187i. JI p(Mit rtre intéressant dVnipruiiler à ce d icunicnt (luelques indications.

Depuis la fondation do l'école, elle a donné 119 prolossours diplô- més. L'un d'eu\, sorti en 1874, est aujourd'hui ministre des linanco et de l'instruction publique de lEtat de Tucuman, 16 sont emploies dans les conseils d'éducation oif comme inspecteurs primaires, S4 dans les diverses écoles normales, 5 dans les collèges nationaux d'enseignement secondaire, li dans les écoles primaires, 3 exercent dans l'enseijjfnement privé, 16 sont sur le point d*êlre nommés, ol 4 sont morts.

L'école compte, cette année 24 professeurs dont 12 ont fait leurs études el ont reçu leurs diplômes dans l'établissement même ils enseignent actuellement.

Le total des bourses payées par le trésor fédéral pour les frais des élèves-maîtres est fixé par le budget de 1885 à 13,9o0 francs par mois répartis entre 90 bourses. Le noinbie des élèves-maîties a été de 150 en 1884. Celui des élèves fréquentant Técole d'application a été de 627, répartis en six degrés. Eu 1883, il n'était que de 305.

Le jardin d'enfants, qui n'a commencé à fonctionner que depuis Tannée dernière avec 35 élèves, a déjà donné de brillants résultats et en laisse espérer de beaucoup .plus satisfaisants.

COURRIEB DE L'eXTÉRIEUR 383

Tout récemment Técole a été considérablement agrandie pour mieux répondre aux nécessités de renseignement. Le trésor fédéral a dépensé pour les travaux la somme de 333,973 francs. Ces chiffre» donnent une idée des efforts qui se font ici en vue de renseignement primaire et de la préparation d'un personnel de maîtres qui soient à la hauleur de leur mission. »

Roumanie. Nous avons reçu la statistique de Tinstruction publique pour Tannée scolaire 1882-1883, publiée par le bureau centrai de statistique, à Bucharest.

Le nombre des communes morales est de i,997; celui des écoles

Primaires rurales (qui sont mLxies quant aux sexes) est seulement e :2,i70. Sur ce nombre, 1,933 écoles sont entretenues par l'Etat^ les autres par les districts, les communes et les particuliers. Une somme de 1,790,400 francs était prévue au budget de l'Etat pour cet objet. Le nombre des maîtres des écoles rurales est de 2,504 (2,120 instituteurs, 375 institutrices), le nombre des élèves de 92,298 ( 79,913 garçons, 12,385 filles).

Les écoles primaires urbaines sont spéciales à un sexe. On compte 148 écoles de garçons avec 481 instituteurs et 24,060 élèves-; 125 écoles de filles avec 3G0 institutrices et 13,404 élèves. L'Etat entretient, sur ce nombre, 138 écoles de garçons et 118 écoles de filles, et dépense pour cet objet 1,934,840 francs; les autres écoles sont entretenues par les communes.

H existe 8 écoles normales primaires d'instituteurs, dont 4 sont entretenues par TEtat (la dépense annuelle a été de 242,142 francs), ot 4 par des fondations particulières. Le nombre des élèves a été de 830.

On compte en outre en Roumanie 7 lycées (établissements de l'Etat), avec 100 professeurs et 2,314 élèves; 18 gymnases (10 entre- tenus par l'Etat et 8 par les districts ou les communes), avec 181 professeurs et 2,188 élèves; 9 séminaires ecclésiastiques (dont 8 en- tretenus par TEtat), avec 103 professeurs et 1,262 élèves; 15 écoles secondaires ou professionnelles de jeunes filles (dont 9 entretenues par l'Etat), avec 101 professeurs, (>0 maîtresses, et 1,482 élèves; 5 écoles commerciales (dont 4 entretenues pur TEtat), avec 59 pro- fesseurs et 717 élèves; 31 écoles spéciales (écoles do pharmacie, d'art vétérinaire, d'arts et métiers, de beaux-arts, d'agriculture, etc.; 10 d'entre elles sont entretenues par l'Etat), avec 223 professeurs et 4 maîtresses et 2.513 élèves (dont 305 jeunes filles); 2 universités, avec 07 |)rofe^seurs et 705 étudiants; enfin 210 écoles privées, avec 710 maîtres et 427 maîtresses, et 13,799 élèves (7,851 garçons, 5,948 fill.'S. . .,

Le budget du ministère de Tinslruction publique (cultes rais à part) s'est élevé à la somme totale de 8,609,090 francs.

Suisse. En 1882, dans le canton de Zurich, les dépenses des communes pour les écoles primaires ont été de 2,050,293 francs, et pour les écoles primaires supérieures de 386,180 francs ; la subven- tion de l'Éiat s*est élevée à 1,105,990 francs. Le chiffre total des dépenses faites par le caûtpn de Zurich pour l'enseignement pri-

>

384 RlVra PÉDAGOGIQUE

maire a donc été de 4,142,463 fraacs, ce qui fait une somme de 13 francs par tête de population.

Les instituteurs de ta ville de Saint-Gall ont adressé au Conseil d'éducation de ce canton une pétition demandant l'abolition du second examen nécessaire pour l'obtention du brevet définitif, exa- men qui a lieu deux ans après aue l'instituteur a obtenu le pre- mier brevet ou brevet primaire. Les instituteurs auraient voulu que le brevet définitif pût être obtenu dès la sortie de l'école normale. Le Conseil d'éducation a rejeté celle demande.

Le Conseil cantonal de Claris a été saisi de deux propositions à soumettre à la Landsgemeinde et sur lesquelles il a du donner son préavis. La première vise à rendre la fréquentation de l'école complémentaire obligatoire ; la seconde demande que les élèves des écoles primaires soient fournis gratuitement des livres classiques nécessaires. Le Conseil a émis un préavis négatif sur les deux propositions.

Union américaine. Dans la dernière semaine de févj ier s'est réuni à la Nouvelle-Orléans, à l'occasion de l'Exposition universelle, un Q)ngrès international de pédagogie. Naturellement les éducateurs des États-Unis se trouvaient eu très fi^rande majorité : aussi la plupart des questions traitées avaient-elles surtout un caractère local, et, malgré son titre, le Congrès était-il en réalité un meeting américain plutôt qu'une conférence internationale. Cependant, quelques représentants de pays étrangers à l'Union ont aussi pris part aux travaux du Congrès : M. Courge Hicks, inspecteur-adjoint des écoles à la Jamaïque, a pn^senté un rapport sur la situalioii de rinslruction publique dans cette colonie ; M. lluguos, de Toronto

Slanada), a parlé des jardins d'enfants de la ville de Toronto; . B. Buisson, commissaire du ministère français de l'instruction publique, a rendu compte des progrès réalisés en France depuis 1870 en matière scolaire; et M. Ichiso Haltori, commissaire du Japon, a communiqué quelques renseignements statistiques sur l'clat des écoles Japonaises.

Le Congrès a duré quatre jours. La bonne harmonie qui n'a cesst' d'y régner, les paroles de fraternité échangées entre les éducateurs accourus des eu vers points de l'Union, sont une preuve que la réconciliation entre le Nord et le Sud est définitivement faite cl bien faite.

Le gérant : H. Gantois.

IMPRIMERIE CENTRALE DES CHEMINS D2 EEE. IMPRIMERIE CHAIX. RIE BERGÈRE, 20, PARIS. 8698-5.

Htnelle iMe. T«m VI. 5. 15 lai iUtS.

REVUE PÉDAGOGIQUE

ÉDUCATION DE LA MÉMOIRE (l).

Importance de la mémoire, Il D'y a pas lieu de diss^ ter longuement sur l'utilité de la mémoire. Parce qu'où a abusé d'elle aulretbis, parce qu'on a eu le tort de lui sacrifier les autres facultés de l'esprit, dans des systèmes d'éducation' l'instruc^ tion lui était exclusivement confiée, des pédagogues se sont avisés de la décrier, de la tenir en suspicion, de la traiter presque ea ennemie. Ont-ils songé à ce que deviendrait l'éducation saoft elle? Ont-ils considéré qu'il n'est pour ainsi dire pas de moment l'enseignement puisse se passer de son aide? Elle enveloppe, elle accompagne les autres facultés; elle les approvisionne toutes.

a La mémoire, disait Pascal, est nécessaire à toutes les opéra- tions de Tesprit. > « Sans la mémoire, écrivait Guizot, les plus belles facultés restent inutiles. » La vie morale elle-même, aussi bien que la vie intellectuelle, repose sur la mémoire, et, conmie le dit Chateaubriand, a le cœur le plus affectueux per- drait sa tendresse, s'il ne se souvenait plus ».

Sans doute, il n'est plus question aujourd'hui de lui laisser prendre sur l'esprit un empire qui n'appartient qu'au iugement, à la réflexion personnelle. Pour la mémoire, comme pour les autres puissances de l'âme, une culture exclusive est dange- reuse. Mais il serait aussi absurde de renier la mémoire, parce qu'on a abusé de la récitation, que d'exclure le raisonnement, parce qu'on a fait trop de syllogismes. Infiniment utile pour tous les usages de la vie pratique, la mémoire est en même temps le plus précieux des instruments pédagogiques. Il n'y a pas de

(1) Cet article est extrait d'un ouvrage qui doit paraître prochaioemeiit à la librdirie Paul Delaplane, sous ce titre : Cours de pédagogie théoriquô et pratique,

REVUl PÉDAGOOIQUI 1885. l*r SIM. ' 25

386 EfiVCE PÉDAGOGIQUE

facultés dont réducaleur ail à rt'»clamer plus souvent le service : il n'y en a pas qu'il doive plus se préoccuper de développer et de former en vue de la préparation à la vie. Elle est la source directe d'un grand nombre de nos connaissances et la gardienne de toutes. Et M. B lin n'hésite pas à dire qu' « elle est la faculté qui joue le plus grand rôle dans l'éducation ».

La mémoire chez Venjanl, C'est précisément à l'âge l'on a tout à apprendre que la mémoire est le plus naturelle- ment forte. Les pédagogues sont d'accord pour reconnaître que l'enfance est l'époque privilégiée de la mémoire. M. Bain estime que la période la a plasticité du cerveau » et la puissance d'acquisition de l'esprit sont à leur maximum s'étend do la sixième à la dixième année. L'enfant en général est si heu- reusement doué sous le rapport de la mémoire, qu'il retient des mots et des phrases qui n'ont pas de sens pour lui, ou même qui n'en ont aucun.

C'est que la mémoire est en grande partie sous la dépendance des forces vitales ei du système nerveux. Cliez l'enfant, dont le cerveau croît chaque jour, dont les nerfs vibrent avec l'énergie qui n'appartient qu'à des forces jeunes et encore naissantis, dont la sensibilité n'a rien perdu de sa force et de sa vivacité pre- mière, la mémoire doit nécessairement se développer avec une merveilleuse facilité. Plus tard, chez l'adulte, chez l'homme mûr, les puissances rélléchies de l'esprit viendront en aide à la mémoire; mais elles ne réussiront pas à é«!aler cette mémoire spontanée du premier âge, ouverte à toutes les impressions, produit naturel et aisé d'organes jeunes et encore inem- ployés.

De plus, la force de la mémoire de l'enfant profile de la fai- blesse et de l'inaction des autres facultés. L'esprit est encore vide : par suite il s'emplit sans effort. Plus tard les préoccu- pations, les soucis, les réflexions personnelles obstrueront plus ou moins le chemin aux impressions du dehors. Les souvenirs nouveaux auront de la peine à trouver place dans une intelli- gence déjà encombrée de souvenirs anciens. Ils se brouilleront ol se confondront dans l'esprit, comme des caractères nouveaux qu'on voudrait graver sur un papier déjà couvert d'impressions.

ÉDUCATION DE MÉMOIRE 387

La mémoire do l'enfant est une page blanche tout s'imprime avec aisance, un miroir pur tout se reflète.

Opinions de Rousseau et de M^ Campan. Que penser alors (le l'opinion de certains pédagogues, d'après lesquels Tenfant, le petit enfant tout au moins, n'aurait pas de véritable mémoire?

« Quoique la mémoire et le raisonnement soient deux facultés différentes, écrit Rousseau, l'une ne se développe véritablement <|u'avec l'autre. Les enfants, n'étant pas capables de jugement, n'ont point de véritable mémoire (1). j>

Et, de son côté. M"»*' Campan déclare que « la mémoire ne se développe qu'à l'âge de trois ans (2) » .

Il suffit d'étudier de près l'opinion de Rousseau pour se con- vaincre que le désaccord avec lui est simplement apparent, qu'il dérive d'un malentendu qui porle sur les mots. La mémoire que Rousseau refuse à l'enfant est celle des idées abstraites; il est le premier à lui accorder la mémoire des sons, des figures et en général de toutes les notions sensibles.

Quant à l'affirmation de M™* Campan, elle se rapporte à ce fait d'observatiou générale que l'homme miir ne se rappelle pas les événements des deux ou trois premières années de sa vie. Ces premières années sont pour nous comme si elles n'exis- taient pas : une nuit noire les recouvre dans notre conscience, à peine coupée par quelques lueurs, par le souvenir de quekfue accident grave, de quelque catastrophe. Leibnitz cite un enfant (|ui, devenu aveugle vers deux ou trois ans, ne se rappelait plus rien de ses perceptions visuelles (3).

Est-ce à dire pour cela que, même pendant ces années de début dans la vie, la conscience est encore obscure, la mémoire de l'enfant n'agit pas, n'acquiert pas. Il suffirait, pour relu ter M""' Campan, de rappeler qu'à trois ans l'enfant sait généralement parler, et que la connaissance des mots de la langue maternelle suppose un déploiement considérable de la mémoire. Seulement les premières acquisitions du sou- venir sont frêles et fragiles : elles ont besoin d'être fixées, for-

(1) Emile, 1. H.

(2) De l'Éducation, 1. IH, ch. i.

(3) Leibnitz, Nouveaux essais sur l'entendement, liv. I, cb. m.

388 RXVUE PÉDAGOGIQUE

tifiées par le renouvellement des mêmes impressions ; comme des peintures délicates le pinceau doit repasser plusieurs fois pour maintenir les couleurs fugitives et toujours prêtes à 8'eifacer.

Caractères de la mémoire enfantine. La mémoire de len- fant a ses qualités propres et aussi quelques défauts.

Les qualités, c'est d'abord, chez les enfants bien doués, une rare puissance d'acquisition. Tandis que la mémoire fatiguée du vieillard se comptait à évoqver paresseusement les images du temps écoulé, celle de Tenfant est toujours en mouvement, toujours en quête de connaissances nouvelles, aussi facilement acquises qu'elles sont avidement cherchées. L'enfant voit tout, entend tout. Rien n'échappe à ses sens jeunes et vifs. Il distingue les objets, les personnes. Il a une merveilleuse aptitude à retenir les mots, à apprendre les langues; dans certaines conditions il en apprend deux et trois à la fois. Ce que Fadulte et l'homme mûr ne feront qu'au prix d'un travail pénible, alors que la mémoire surmenée sera devenue rebelle à l'enregistrement des notions nouvelles, l'enfant le fait avec aisance et sans y songer.

Un autre caractère de la mémoire enfantine, c'est la préci- sion littérale, l'exactitude rigoureuse du souvenir. M. Legouvé compare justement l'enfant à un commissaire- priseur qui note tout, qui n'omet aucun détail. Avec une ponctualité digne d'être citée en modèle à l'historien, l'enfant se rappelle les moindres particularités des choses. Quand vous lui racontez une fable, une histoire qu'il connaît, ne vous avisez pas de changer un seul trait, un seul mot: sans quoi vous entendrez ses cris, ses protestations: « Ce n'est pas cela 1 »

En revanche la mémoire de l'enfant a des faiblesses que le progrès de l'âge peut seul corriger. Elle pèche surtout en ceci qu'elle est peu apte à localiser exactement dans le temps k:^ souvenirs qu'elle a acquis. La mémoire complète suppose une appréciation de la durée dont l'enfant est incapable, parce que cette appréciation exige la coordination des souvenirs. Qui n'a entendu des enfants de deux ou trois ans raconter comme un événement d'hier un fait dont ils ont été les témoins plusieurs mois auparavant? Les souvenirs flottent trop souvent dans

ÉDUCATION DE LA MÉMOIRE 389

T'esprit de Tenfant comme des images sans liens et pour ainsi dire détachées de leur cadre.

Culture de la mémoire. Montaigne faisait remarquer avec raison qu'on fie s'occupe le plus souvent que de meubler la mé- moire, qu'on oublie de la former. L'essentiel en effet n'est pas seulement que l'enfant sorte de l'école, l'esprit bien garni de souvenirs et de connaissances : il importe aussi qu*il ait h sa disposition une mémoire souple et forte, en état de s'enrichir encore, de s'approprier des notions nouvelles et de se plier aux usages de la vie.

Il y a donc deux parties distinctes dans la culture de la mémoire. Il faut d'abord lui faire acquérir le plus possible de connaissances : ce qui est l'objet de l'enseignement tout entier. Il faut en second lieu la fortifier et l'accroître, en tant que faculté de l'esprit : ce qui sans doute résulte en partie de l'en- seignement lui-môme, mais ce qui exige aussi quelques pré- cautions spéciales, dont l'ensemble constitue ce qu'on peut appeler réducation propre de la mémoire.

Est-elle nécessaire? -^ Mais celte culture spéciale de lamé- moire est-elle nécessaire? Et, s'il est démontré qu'elle est néces- saire, est-elle possible?

Nous n'hésitons pas à répondre affirmativement, malgré l'opi- nion contraire de Locke.

Locke s'autorise présisément de l'emploi constant que nous faisions de la mémoire dans le monde et dans la vie pour contester l'utilité de Texcrcer à l'école.

a La mémoire, dit-il, est si nécessaire dans toutes les actions de la vie, il y a si peu de choses qui puissent se passer d'elle, qu'il n'y aurait pas à redouter qu'elle s'ail'aibiît, qu elle s'énioussàt, faute d'exercice, si rexorcico était véritablement la condition de sa force (1). »

Sans doute la vie sera une bonne école pour la mémoire ; mais à une condition, c'est que la mémoire ait déjà été assouplie, rompue au travail par les études de la jeunesse, el que l'homme la reçoive des mains de l'écolier comme un instrument déjà

l) Pensées sur létlucation, éd. Hachette, p. 281.

U$rfuk, Il n'y %, [fiiS /k na3ùs*t d'ëcole qui D»r soît aoUMÎsé i Atpuué^j nu Arîuhîiiï â i'opink^n Locke: car tous saTent {nr ex(/;ri^ri^:/^ que Je» fit^ftàfArfA ks plus heureuses oot besoin de Umi(% t:tfori% p^/uc atUriodre kor maxirnam de force, que les U}f^mh\f(t% îuosf,uu(> se rouiJieraieiU bieo vite si on ne les 4iXi'.r(;'.iA ('/fU*Uftifn<îUi^ et qu'enfin les mémoires ingraUs resie- rak-nl \4pu\h%ïTA sf/riles, ^^i on les cultivait pas de t>onne heiin;,

/Ul-fdU pouible ? Mai» I»cke va plus loin encore. Le fond de sa i^^nvre, ce luM pas que la culture de la mémoire est inutile, c/t'.^i qu'elle e<it impossible.'. En exerçant la mémoire sur tel ou tel o\f'y't, 'I Oïl ne la dispr>sr;p'js plus, dit-il, à retenir autre chose, que, en prravant une maxime sur une plaque de métal, on ne rend ce m^t'il pliiH rnpalile de retenir solidement d'autres empreintes (1) ». Ici i'îuu)Vi^ le (i/rdagogue anglais est en contradiction avec les ffiii*«. UiieJ(|ije idée (\w*. l'on se fasse théoriquement de la nature de la mérnoins ((u'on la rattache entièrement à des conditions or^'aniqneft, c^rnme MM. Luys et Ribot, ou qu'on la considère comme une piiissanœ indépendante de l'âme, avec tous les pliiioHophcH Hpiritualifttcs, il est pratiquement certain que la mémoire (^rof^resHe ^râco à des soins habiles et à un exercice iiilriij^'enl, <'t ([u'il n'est pas vrai de dire qu'elle dépend unique- ment d'une (( constitution heureuse ».

Un autre paradoxe serait de soutenir avec Jacotot, par une exagération contraire, que l'éducation peut tout, cpie les raé- moires sont égales h la naissimco chez tous les enfants, et que les inégalités proviennent exclusivement de la négligence, du nuui(|u<' do soins, de l'inattention et du défaut de culture. Sans parler dos nu^nioires extraordinaires et exceptionnelles qui se Jouent de toutes les ilifilcultés, comme celle d'un Villeniain, répétant un diseours après l'avoir entendu, d'un Mozart écrivant lo Mistreir do la Cha|H»lle-Sixline après deux auditions, d'un lloraee Vornol ou d'un Gustave Doré, peignant des portraits do souvenir, sans invoquer le témoignage de ces mémoires prtxligiouatM qui Attestent par leur éclat la puissance de la nuturo, il n'y a \\à$ d'humble écolo sur les bancs des élèves

nv

iVo^t^i uoln» UistiHTt de h pftUtgotjie, p. 17147i.

ÉDUCATION DE LA BCÉMOIRE 391

le maître ne distingue de notables différences dans les aptitudes naturelles à apprendre et à se souvenir.

« L'inégalité des différents esprits, dit M. Bain, au point de vue de l'assimila tion des leçons, dans des circonstances identiques, est un fait constaté; et c'est un <les obstacles que présente Tensei- çneraeiit donné simultanément à un certain nombre d'élèves groupés (fans la même classe (1). »

Exercice de la mémoire, Tenons donc pour établi qu'il est nécessaire et qu'il est possible de cultiver la mémoire : or il n'y a pas d'autre moyen de la cultiver que de Texercer.

Mais pour l'exercer utilement, pour arriver à des recomman- dations vraiment pratiques, il ne suffit pas de considérer la mémoire en général, dans son ensemble; il faut en analyser les éléments.

Diverses qualités de la mémoire. « Une mémoire heureuse, dit Rollin, doit avoir deux qualités, deux vertus : la première, de recevoir promptement et sans peine ce qu'on lui confie; la seconde, de le garder fidèlement ». Il faut en ajouter une troisième, la facilité à retrouver ce qu'on a vite appris et exac- tement retenu. Ma mémoire est mauvaise, si elle ne me permet pas de disposer avec aisance et promptitude de tout ce que je sais, si, selon l'expression de Montaigne, « elle me sert à son heure, non à la mienne ».

Ces diverses parties de la mémoire ne sont pas toujours réunies (2). Il arrive que qui apprend vite oublie vite aussi. Les mémoires les plus agiles sont parfois les plus infidèles. Leurs acquisitions ressemblent à des fortunes trop rapidement faites et qui n'ont pas de solidité. Bien qui vient aisément s'en va de même.

iUais ces qualités pourtant ne s'excluent pas: elles sont géné- raleinent solidaires l'une de l'autre. L'idéal est de les posséder toutes à la fois, et l'éducation de la mémoire do avoir en vue de perfectionner chacune d'elles par des soins particuliers et par une culture spéciale.

{\) La Science de r éducation, p. 10.

(î) n nous paraît tout à tait exagéré de dire avec M. Marion : « Les tro s qualités de la mémoire ne sont presque .. i

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Ku rl'anlrcf* i^TrneK, ménager les mémoires faibles, en ne leur (leruarMlant qii(! des eflbrls modérés cl gradués, ne pas les ilrroiiraKCT des l'aboni, les exciter au contraire en leur pré- piirant liîilMhtrneiit de petits succès, en leur inspirant quelque nii)(l;irn'(MMi elIcH-mArnes, tel est l'esprit des conseils pratiques

de lioliin.

AjiMitoiiH (|ue la faiblesse de la mémoire n'étant pas un fait ulliiin» de l'esprit, puisqu'cllo dépend et dérive de l'absence (io reilaliies eondilions, de ce (|ue les impressions manquent dnvivarllé, de ce que raltentiou e«^t rel)elle, on aura beaucoup liiil |M)ur di^Kourdir les mémoires lentes, si Ton a su éveiller la mMinildlilê et fixer l'esprit de l'enfant.

Kn |»;»rlieulier. tout co qui fortifiera l'attention aidera la nu^mtïire. Or il n'y a pas do meilleur moyen de rendre un vMf^o ull'nlif que do lui faire bien comprendre et de lui t»\pli(|Utr ni^tlemonl tout oo qu'on lui enseigne. La Conduite rfe.v ('»♦(»/( w ihv^tinuifs (i^dilion do 1860) déclare elle-même que . Wt( éh'^ves n'appivnnonl que t^^6 difficilement ce qu'ils ne

ÉDUCATION DE LA flÉMOlRE 393

comprcDDcnt pas (1) d. Pascal disait de lui-même qu'il n'oubliait jamais ce qu'il avait une fois compris. Il n'y a pas, quoiqu'on en dise, de désaccord entre la mémoire et le jugement. En rendant compte de tout ce qu'il enseigne, en multipliant les explications, le maître ne travaille pas seulement pour le juge- ment, il travaille aussi pour la mémoire.

Ce qui contribuera encore à développer la promptitude à apprendre, c'est l'ordre, c'est la liaison logique des connaissances que l'on propose à l'enfant.

« Il est indubitable, disait Port-Royal, qu'on apprend avec une facilité incomparablement plus grande et qu'on retient beaucoup mieux ce qu'on enseigne dans le vrai ordre, parce que les idées qui ont une suite naturelle, s'arrangent bien mieux dans notre mémoire et se réveillent bien plus aisément les unes les autres (2). »

2^ Ténacité des souvenirs, Des souvenirs méthodiquement acquis et dont la possession est garantie par l'attention qui les a fixés dans l'esprit, par l'intelligence qui en a compris le sens, défient en général l'oubli. En d'autres termes, tous les efforts qu'on a faits pour faciliter l'acquisition des souvenirs en assurent aussi la conservation.

Il y a cependant quelques règles particulières à observer relativement à la seconde qualité de la mémoire: la plus impor- tante est la répétition^ une des formes essentielles de l'exercice de la mémoire.

C'est un vieil axiome pédagogiiiue que la répétition est l'âme de l'enseignement, repetitio mater studiorum. Il faut revenir souvent sur les mêmes choses, ne pas craindre l'ennui d'un retour fréquent aux mêmes idées. « On ne retient, disait Jacotot, que ce qu'on répète. » Il en concluait, d'après l'adage mu/Zurn, non multa, qu'il suffit d'apprendre une chose, et de la savoir bien. La répétition continuelle d'un seul livre serait l'idéal de l'enseignement. Exagération bizarre, qui sous prétexte de for- tifier la mémoire aurait pour résultat de l'appauvrir. L'étendue des connaissances n'est pas moins précieuse que leur solidité. iMais il n'en reste pas moins vrai qu'affranchie des bornes étroites

(1] Conduite à V usage des écoles chrétiennes ^ p. 10.

2) Logique de Port-Royal, 4* partie, ch. x.

394 aKVCE PÉDAGOGIQUE

renfermait Jacotot, et employée sous toutes ses formes rappel pur et simple de ce qui a été dit, résumés, révision générale la répétition est une des conditions essentielles du développement de la mémoire.

« Il est rare, dit M. Bain, qu'un fait qui ne s'est produit qu'une fois laisse une idée durable qui puisse revenir d'elle-même. I^ fixation de l'impression oxige un certain temps : il faut ou prolon-

fer le premier cnoe, ou le renouveler à plusieurs reprises différentes, elle est la premii're loi de la mémoire {}). •>

Une autre condition importante de la fidélité des souvenirs, c'est la précision rigoureuse et exacte des idées que Ton confie à l'esprit. Jl ne faut pas se contenter d'à peu près, et voilà pour- quoi dans certains cas la récitation littérale, dans tous les cas rintclligence détaillée, minutieuse de ce qu'on lui apprend, doit être exigée de l'enfant. Dans le chapitre intéressant elle s'en prend à ceux qui ont prétendu remplacer V élude des moU par l'étude des choses, M™*^ Necker de Saussure fait remar- quer av<'C raison que ces deux études sont inscparabl(Mnent liées l'une à l'autre :

« On dit à l'élève de ne s'attacher qu'au sens des pniolos dans l'enseignement, sans porter son attention sur les termes, et quand il récitait sa loc^on, si l'on voyait qu'il en eût compris le sons, on était content, qu'elles que fussent les 'expressions dont il se servait pour en rendre compte. Néanmoins ces expressions étaient la plu- part du temps bien vagues, bien inexactes, car les enfants ne sont Sas de forts habiles rédacteurs. Celte compréhension dont on se attait restait en elle-nu^me confuse, et s'échappait \ite, faute iU*. s'être liée à des mots fixes et positifs ("2). »

S^ Promptitude à se rappeler. La précieuse et rare qualité qu'on appelle la présence d'esprit dépend en grande partie d«ï cette troisième forme de la mémoire. Les meilleurs moyens de la développer seront d'abord les interrogations fréquentes. Il faut par des questions imprévues obliger l'enfant à faire elTorl, et pour ainsi dire secouer ses souvenirs. Il faut l'habituer :\ rentrer promptement en lui-même, pour y saisir au milieu de tant d'autres le souvenir qu'on lui réclame. On dégourdira

(1) Science (le r<'duration^ p. 16.

(2) L'Éducation progressive^ t. II. p. 286.

ÉDUCATION DE LA MÉMOIRE 398

ainsi les mémoires endormies, qui ont des trésors, mais qui ne savent pas en user.

Une autre recommandation importante, c'est de combattre la routine et ce qu'il y a pour ainsi dire de mécanique dans Texer- cicc de la mémoire. L'enfant qui apprend vite est trop souvent disposé à répéter machinalement ce qu'on lui enseigne, dans l'ordre et dans la forme on le lui enseigne. Il débitera imper- turbablement une série chronologique de rois de France : il réci- tera, sans y changer un mot, un théorème de géométrie. Mais si on le dérange un peu dans cette opération toute machinale, il reste court. Il n'y a pas d'autre moyen de remédier à ce défaut ou de le prévenir, que de surprendre souvent Tenfant par des questions Tordre habituel sera interverti^ et aussi de l'obliger à répéter sous une autre forme, avec d'autres expressions, ce qu'il aura appris.

Mémoire et jugement. Une préoccupation dominante doit régler tous les efforts de l'éducateur dans celte" recherche déli- cate des moyens de cultiver la mémoire : c'est de ne pas la développer au détriment du jugement.

Un préjugé assez répandu veut que la « mémoire soit l'enne- mie presque irréconciliable du jugement » (Fontenelle) A force de cultiver leur mémoire, certaines gens en viennent à laisser leur jugement en friche. On a affaire alors à des pédants insupportables, qui ne pensent point par eux-mêmes, ou qui n'osent risquer leur propre pensée que sous le couvert d'une cita- tion, qui savent seulement ce que les autres ont dît et pensé. < Qu'est-ce, disait Kant, qu'un homme qui a beaucoup de mémoire, mais pas de jugement? ce n'est qu'un lexique vivant (1). »

Assurément il faut se défier, même à l'école, de l'excès de la mémoire. A cette faculté s'applique particulièrement la règle posée par Kant : « Ne cultivez isolément aucune faculté pour elle-même, cultivez chacune en vue des autres. » Développée outre mesure, la mémoire annule pour ainsi dire les autres

(1) On connaU l'épitaphe du P. Hardouin, jésuite du xvn* siècle, auteur i\e grands travaux d'érudition : < Bic iacet vir bonœ memorimj expecUmi judicium, >

396 RETUB PÉDAGOGIQUE

facultés, et, selon l'expression de Vauvenargues, « il ne faut avoir de la mémoire qu'en proportion de son esprit ».

Hais il n'y a rien à redouter de la mémoire, si on a soin de la tenir à son rang, et de la considérer seulement comme une faculté auxiliaire, « comme un merveilleux outil, selon le mot de Montaigne^ sans lequel le jugement fait à peine son office ». Confiés à un esprit vivant, actif, qui garde la liberté de ses jugements, les souvenirs, quelque nombreux qu'ils soient, animent l'intelligence et la vivifient, loin de l'engourdir et de l'étoulfer : ils la meublent, sans l'encombrer. Ils y sont d'ailleurs le point de départ de toute une floraison de pensées nouvelles. Comme le dit un peu emphatiquement M"® Marchef-Girard, « la mémoire n'est pas un tombeau; c'est un berceau l'idée grandit j>.

Mémoire et récitation, l^e discrédit est parfois tombée la mémoire provient surtout de la confusion qu'on a l'aile entre la mémoire proprement dite et la récitation, c'est-à-dire une forme particulière de l'exercice de la mémoire. Alors même que l'on proscrirait la récitation, et qu'on renoncerait à faire apprendre par cœur, il n'en serait pas moins nécessaire de développer la mémoire.

Il s'en faut d'ailleurs que la récitation elle-même mérilé toutes les critiques dont elle est l'objet.

Opinion de M, Herbert Spencer, M. Herbert Spencer est de ceux qui ont le plus résolument condamné la méthode des réci- tations littérales (1) ;

« L'habitude d'apprendre par cœur, autrefois universelle ment répandue, tombe tous les jours en discrédit. Toutes les aulorilés modernes condamnent la vieille méthode mécanique d'enseigner l'alphabet. On apprend souvent la table de mulliplication par la méthode expérimentale. Dans l'enseignement des langues, on sub- stitue déjà aux procédés des collèges d'autres procédés imités de ceux que suit spontanément l'enfant quand il apprend sa langue maternelle... Le système qui consiste a faire apprendre par cœur donne à la formule et au symbole la priorité sur la chose formulée ou symbolisée. Répéter les mots correctement sjffisait, lescomp.^endre

(l) M. Uousselot est tombé dans les mènes exagéraU.)DS : « Celte vieille habitude de faire apprendre pr cœur est un des plus fâcheux et des plus tenares préjugés de la pédagogie routinière : justement discréditée, tout le monde la répudie en théorie. » Pédagogie^ p. 178.

ÉDUCATION DE LA MÉMOIRK 397

était inutile, et de cette façon Tesprit était sacrifié à la lettre. Oo reconnaît enfin que dans ces cas comme dans les autres, plus on donne d'attbntion au signe, moins on en donne à la chose signifiée (1).

iSous retrouvons ici les défauts habituels de M. Spencer, ses affirmations hautaines, absolues, dépourvues de mesure et par suite de justesse. Qu'on ait abusé autrefois, qu'on abuse encore des leçonsy personne n'y contredit; nous nous rappelons encore quelles pénibles et lourdes heures d*étude nous passions au collège, à répéter à voix basse de longs textes grecs, latins et français. Mais parce qu'on a trop appris par cœur autrefois, au collège et même à Técole, est-ce une rai^son pour ne plus appren- dre par cœur du tout?

Arguments pour et corttre. Les adversaires de la récita- tion font valoir divers arguments.

Les pédagogues américains se distinguent par la vivacité de leurs attaques. Ainsi M. James Johounot préteyd que le système d'enseignement qui consiste à faire apprendre par cœur n'a plus sa raison d'être dans les sociétés modernes, il s'agit moins de maintenir des traditions aveugles et un respect irréfléx^hi (lu passé que de fortifier la raison et de favoriscM* la réflexion personnelle (2).

L'argument ne vaut évidemment que contre un système de récitation à outrance, l'on demanderait le mot à mot littéral dans tous les enseignements, même dans ceux qui le comportent le moins, comme les sciences et la morale.

D'autres pédagogues objectent que le résultat des exercices de mémoire ne vaut pas le mal qu'on se donne pour l'atteindre. Quel profit y a-t-il pour l'élève à réciter des phrases toutes laites, à acquérir une science purement verbale? Savoir par cœur n'est pas savoir, disait lUontaigne. De plus la récitation littérale exige un effort intense, et de grands sacrifices de temps. L'esprit se fatigue et s'use dans cet effort. Et pendant que l'élève &e tourmente et peine sur ses leçons, le temps passe, un temps précieux qui pourrait être mieux employé.

Nous répondrons que pour certaines choses au moins l'idée ne

(1) L'Éducation, p. 97.

(2) Principles and pracUve of teackiiigy New- York, 18H1, p. 171.

388 irVUK PÉDAGOGIQUE

peut se séparer des mots qui seuls rexpriment convenablement, et qu'il est par conséquent nécessaire de retenir exactement. Nous ne sommes vraiment maîtres de nos idées que quand nous avons trouvé les mots propres pour les exprimer. Dans un assez grand nombre de cas, savoir par cœur est le seul moyen de savoir. D'un autre côté, Teffort est nécessaire en éducation : il n'est pas bon de trop ménager Tenfant et de le tenir quitte de tout travail de mémoire verbale, parce qu'il aura compris et vaguement retenu !e sens de ce qu'on lui enseigne.

Les objections que nous venons d'examiner portent donc plutôt contre l'abus de la récitation, employée sans mesure et mal à propos, que contre l'usage discret et modéré de la réci- tation littérale dans les matières elle est indispensable.

Où' la récitation littérale est nécessaire. Un pédagogue anglais, M. Fitch, a nettement établi la règle qui détermine les matières la récitation lillërale est nécessaire.

« S'il s'agit simplement de faire retenir des pensées, des faits, dts raisonnements, laissez l'élève les reproduire à sa f<iiise et dans son lahffa^^e. Ce n'est pas le monrent de mettre en branle la pure ménuiirt* verbale. Mais si les mots qui servent à Texpression d'un fait ont par eux-mêmes une beauté propre, s'ils représentent quelqu(.' donné<' scientifique, ou quelque vérité fondamentale qu'on n«;pourraitexprimer aussi bien en recourant à d'autres termes, alors veiJIezàce que la forme aussi bien que la substance de la pensée soit apprise par cœur (1 j. -

D'après cela il est aisé de fixer la limite que la récitation ne doit pas franchir. En grammaire, les règles principales ; en arithmétique, les définilions; en géométrie, les théorèmes; dans les sciences en général, les formules; en histoire, quelques sommaires; en géographie, l'explication de certains termes techniques; en morale, quelques maximes, voilà ce que Tenfanl doit savoir mot par mot, Verbatim, Et encore, bien entendu, à la condition qu'il comprenne parfaitement le sens de ce qu'il récite, et que son attention soit appelée sur la pensée non moins que sur Texpression. Il ne faut confier à la mémoire que ce que l'intelhgence a parfaitement compris. Pour tout le reste, il faul

(1) Lectures on teaching^ Cambridge, 1881. Ce livre est le résumé d un cours de pédagogie professé en 1881 à l'université de Cambridge.

ÉDUCATION DE LA MÉMOIRE 399

s*en rapporter à la mémoire large des pensées, uoa à la mémoire stricte des mots : et il est aussi fastidieux quMiiutile, aussi dangereux que pénible, de faire réciter de longues pages d*histoire, de grammaire ou de physique.

Les exercices de récitation. H y^ a pourtant un autre emploi important de la récitation: c'est l'étude des beaux textes, des morceaux de prose et de vers, dont il convient d'enrichir et d'orner la mémoire des enfants. « Les exercices récitation littéraire ne sont pas assez pratiqués dans nos écoles (1) ». Il n'y a pas de meilleur moyen de former le goût des élèves, de leur apprendre à sentir et à goûter l'élo-. quence de la poésie, la force des belles pensées et le charme du beau langage. Une lecture même étudiée ne suffît pas tou- jours : il faul y joindre de temps en temps cet effort particu- lier d'attention que réclame la récitation verbale. Par vous obligez la mémoire à un effort particulièrement énergique, à une véritable concentration de Tatiention. Par vous obligez lenfant à parler. Par enfin Tenfant pénètre plus intimement les procédés et Tart des grands écrivains : il s'approprie leur style; il se fait un trésor intérieur de beaux modèles, que l'es- prit se remémore inconsciemment quand il est appelé à écrire à son tour. La récitation des auteurs n'est pas seulement un exercice de mémoire ; elle est un exercice de langue, un exer- cice de prononciation et une excellente préparation à la rédac- tion, à la composition personnelle. Nous ne nous dissimulons pas d'ailleurs la difficulté que présente le choix des morceaux de récitation. 11 faudrait, en effet, dans les pages qu'on fait apprendre par cœur, trouver réunis et le talent de l'écrivain et la simplicité d'une pensée juste et saine, populaire en quelque sorte, à la portée du jeune auditoire que l'on instruit.

Abus de la récitation. Qu'on prenne garde pourtant à l'ex- cès. Nous rappellerons à ce propos lo mot du littérateur anglais Johnson. Un jour qu'il rendait visite dans une maison florissait la mode de faire apprendre des fables, un jeune enfant se pré- sente à sa rencontre pour lui déclamer un morceau, tandis qu'à côté de lui son frère cadet se proposait à lui débiter un autre

\) Rendu, Manuel de l'easeùjneinent pHmuire, 201

400 BIVU£ PiDAGOGIQUfi

morceau. « Mes petits amis, leur dit Johnson, en interrompant celui qui parlait, ne pourriez-vous pas me réciter vos vers tous deux à la fois?... » Mais ce n'est pas seulement pour ce motif qu'ils sont insupportables aux autres, c'est parce qu'ils ne se rendent aucun service à eux-mêmes el qu'ils perdent leur temps, que nous proscrivons les récitateurs à outrance. Nous n'admi- rons en aucune façon ces prodiges de mémoire qui consistent, par exemple, comme le dit Rabelais eu s'en moquant, à réciter un livre d'un boot à l'autre, au rebours, en commençant par la fin.

« J'aimerais mieux, disait M'»<^ de Maiutenon, en parlant de ses élèves de Saint-Cyr, qu'elles ne retinssent que dix lignes et qu'elles les comprissent bien, que d'apprendre un volume entier sans savoir ce qu'elles disent. »

Choix des exercices. Peu et bien, telle sera donc la règle en fait de récitation. Ou choisira de préférence des morceaux intéressants, variés, tantôt en vers, tantôt en prose; en vers surtout pour les petits enfants. On les prendra courts. On aura soin de les lire à haute voix, avant, de les donner à apprendre : de sorte que l'exercice de récitation soit d'abord une leçon de lecture. On les expliquera avec soin. Nous ne sommes pas de ceux qui pensent que la mémoire doive jamais devancer l'in- telligence, etquil y ait intérêt à procéder à une sorte de culture mécanique de la mémoire, eu faisant apprendre des choses qui ne sont pas comprises. L'enfant, sans doute, avec sa merveil - leuse facilité de souvenir, se plierait à ce travailm achinal; mais il y contracterait une habitude funeste, et dont il souf- frirait toute sa vie, celle de répéter comme un perroquet des phrases dont il ne se rendrait pas compte.

Résumé des candi tions du développement de la mémoire.

Un pédagogue anglais, M. Blackie, a heureusement résumé

les conditions principales à remplir pour assurer la force de la

mémoire ou pour suppléer à sa faiblesse (l).X^s conditions sont

•les suivantes :

1^ La netteté, la vivacité, l'intensité de l'impression originale ;

(1) Blackie, p. !23 et suIy.

ÉDUCATION DE LA MÉMOIRE 401

L'ordre et la classification des faits ; La répétition ;

« Si le clou n'entre pas d*un seul coup, frappez deux fois, trois fois même. »

La force de la logique ;

« L'homme qui ne se rappelle bien que les faits qu'il s'explique» cherche sous les faits rencnaînement des causes. »

5* Les relations artificielles établies entre les souvenirs;

6<* L'usage des notes écrites. A défaut d'une bonne mémoire naturelle, disait dans le même sens Montaigne, a je m'en fais une de papier ».

Procédés mnémotechniques. Les pédagogues ont souvent recommandé l'emploi de procédés artificiels, qui, en établissant entre les souvenirs un lien factice, en garantissent la durée et en facilitent le réveil.

Mais les procédés mnémotechniques ont d'abord rinconvénient d'habituer Tesprit aux associations d'idées arbitraires et super- ficielles. Eussent-ils au point de vue du développement de la mémoire toute l'efficacité qu'on leur prête, il faudrait encore les condamner, à raison de l'influence fâcheuse qu'ils peuvent exercer sur le jugement et la raison.

Que faut-il en penser d'ailleurs au point de vue de la mémoire elle-même ?

« Il y a, dit M. Blackie, des relations artificielles qin ne sont pas sans utilité : l'élève peut se rappeler qu'Abydos est situé sur la rive asiatique de l'Hellespont, s'il se rappelle seulement que les deux mots Abydos et Asie commencent l'un et l'autre par la lettre A. Mais ce sont des trucs, plus appropriés ù la faiblesse de quelque insti- tuteur malhabile qu'à la virile éducation donnée par nos bons maîtres. Je n'ai pas grande confiance dans l'emploi systématique des procédés mnémotechniques : ils remplissent l'esprit d'une foule de symboles arbitraires et ridicules qui nuisent au jeu naturel des farultés. Les dates historiques, pour lesquelles on emploie généra- lement cette sorte de mécanique compliquée, se graveront plus aisé- ment dans la mémoire par leurs rapports de causalité (1). >

La véritable mnémotechnie est celle qui se fonde sur les rapports réels, sur les associations naturelles des idées, sur la méthode et l'ordre logique que l'on doit introduire dans Tenseî-

(1) Blackie, p. 24.

RBTUB PÈDAGOQIQUI 1885. l^r 811. 26

39S RXVUE PÉDAGOGIQUE

1^ Promptitude à apprendre. C'est par cette qualité surtout que la mémoire relève de la nature, des dispositions innées. L'art est impuissant à rétablir l'égalité entre ces intelligences dociles, malléables, aux impressions vives, qui s'imprègnent, pour ainsi dire, de tout ce qu'elles perçoivent, et ces esprits lents, paresseux et rétifs, qui n'apprennent que très difficile- ment le peu qu'ils apprennent. N'en concluons pourtant pas qu'il faille désespérer de corriger au moins en partie ces défauts de nature.

« Il ne faut pas, dit très bien Rollin, se rebuter aisément, ni céder à cette première résistance de la niémoire. que Ton a vu souvent être vaincue et domptée par la patience et la persévérance. D'abord on donne peu de V gîtes à apprendre à un enfant de ce caractère, mais Ton exiçe ({nil les apprenne exactement. On tache d'adoucir l'amertume de ce travail par l attrait du plaisir, en ne lui propesant que des choses agréables, telles que sont par exemple les Fables de La Fontaine cl des histoires frappantes. Un maître industrieux et bien intentionné se joint à son disciple, apprend avec lui, se laisse quelquefois vaincre et devancer, et lui fait sentir par sa propre expérience qu'il peut beaucoup plus qu'il ne pensait... A mesure qu'on voit croître le progrès, on augmente par degrés et insensiblement la tâche journalière. »

En d'autres termes, ménager les mémoires faibles, en ne leur demandant que des efforts modérés et gradués, ne pas les décourager dès l'abord, les exciter au contraire en leur pré- parant habilement de petits succès, en leur inspirant quelque confiance en elles-mêmes, tel est l'esprit des conseils pratiques de Rollin.

Ajoutons que la faiblesse de la mémoire n'étant pas un fait ullime de l'esprit, puisqu'elle dépend et dérive de l'absence de certaines conditicms, de ce que les impressions manquent de vivacité, de ce que l'attention est rebelle, —on aura beaucoup fait pour dégourdir les mémoires lentes, si Ton a su éveiller la sensibilité et fixer l'esprit de l'enfant.

En particulier, tout ce qui fortifiera l'attention aidera la mémoire. Or il n'y a pas de meilleur moyen de rendre un élève atVîutif que de lui faire bien comprendre et de lui expliquer nettement tout ce qu'on lui enseigne. La Conduite des écoles chrétiennes {édiiïon de 1860) déclare elle-même que .: les élèves n'apprennent que très diflScilement ce qu'ils ne

ÉDUCATION DE LA MÉMOIRE 393

comprennent pas (1) ». Pascal disait de lui-même qu'il n'oubliait jamais ce qu'il avait une fois compris. Il n'y a pas, quoiqu'on en dise, de désaccord entre la mémoire et le jugement. En rendant compte de tout ce qu'il enseigne, en multipliant les explications, le maître ne travaille pas seulement pour le juge- ment, il travaille aussi pour la mémoire.

Ce qui contribuera encore à développer la promptitude à apprendre, c'est l'ordre, c'est la liaison logique des connaissances que l'on propose à l'enfant.

« Il est indubitable, disait Port-Royal, qu'on apprend avec une facilité incomparablement plus grande et qu'on retient beaucoup mieux ce qu'on enseigne dans le vrai ordre, parce que les idées qui ont une suite naturelle, s'arrangent bien mieux dans notre mémoire et se réveillent bien plus aisément les unes les autres (2). »

^ Ténacité des souvenirs, Des souvenirs méthodiquement acquis et dont la possession est garantie par l'attention qui les a fixés dans l'esprit, par l'intelligence qui en a compris le sens, défient en général l'oubli. En d'autres termes, tous les efforts qu'on a faits pour faciliter l'acquisition des souvenirs en assurent aussi la conservation.

Il y a cependant quelques ri^^les particulières à observer relativement à la seconde qualité do la mémoire: la plus impor- tante est la répétition, une des formes essentielles de l'exercice

de la mémoire.

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C'est un vieil axiome pédagogi(jue que la répétition est l'âme de l'enseignement, repetitio mater studiorum. Il faut revenir souvent sur les mêmes choses, ne pas craindre l'ennui d'un retour fréquent aux mêmes idées. « On ne retient, disait Jacotot, que ce qu'on répète. » Il en concluait, d'après l'adage mu//um, non multa, qu'il suffit d'apprendre une chose, et de la savoir bien. La répétition continuelle d'un seul livre serait l'idéal de l'enseignement. Exagération bizarre, qui sous prétexte de for- tifier la mémoire aurait pour résultat de l'appauvrir. L'étendue des connaissances n'est pas moins précieuse que leur solidité. Mais il n'en reste pas moins vrai qu'affranchie des bornes étroites

[1] Conduite à V usage des écoles chrétteiineSy p. 16. (2) Logique de Port-Royal, 4* parUe, ch. x.

394 fiKVUK PÉDAGOGIQUE

renfermait Jacotot, et employée sous toutes ses formes rappel pur et simple de ce qui a été dit, résumés, révision générale la répétition est une des conditions essentielles du développement de la mémoire.

« Il est rare, dit M. Bain, qu'un fait qui ne s'est produit qu'une fois laisse une idée durable qui puisse revenir d'elle-môme. La fixation de l'impression exige un certain temps : il faut ou prolon-

fer le premier choc, ou le renouveler à plusieurs reprises diflérenles. elle est la première loi de la mémoire (1). >>

Une autre condition importante de la fidélité des souvenirs, c'est la précision rigoureuse et exacte des idées que Ton confie à Tesprit. 11 ne faut pas se contenter d'à peu près, et voilà pour- quoi dans certains cas la récitation littérale, dans tous les cas rintclligence détaillée, minutieuse de ce qu'où lui apprend, doit être exigée de l'enfant. Dans le chapitre intéressant elle s'en prend à ceux qui ont prétendu remplacer Vélude des mots par l'étude des choses, M"»® Necker de Saussure fait remar- quer av( c raison que ces deux études sont inséparablement liées Tune à l'autre :

pour en rendre compte. Néanmoins ces expressions étaient la plu- part du temps bien vagues, bien inexactes, car les enfants ne sont Sas de forts habiles rédacteurs. Cette compréhension dont on so attait restait en elle-même confuse, et s'échappait vite, faute (h) s'être liée à des mots fixes et positifs (2). »

Promptitude à se rappeler. La précieuse et rare qualité qu'on appelle la présence d'esprit dépend en grande partie do cette troisième forme de la mémoire. Les meilleurs moyens de la développer seront d'abord les interrogations fréquentes. H faut par des questions imprévues obliger l'enfant à faire effort, et pour ainsi dire secouer ses souvenirs. Il faut l'habituer à rentrer promptement en lui-même, pour y saisir au milieu de tant d'autres le souvenir qu'on lui réclame. On dégourdira

(1) Science île T éducation, p. 16.

(2) L'Éducation progressive t t. H. p. 286.

ÉDUCATION DE LA MÉMOIRE 398

ainsi les mémoires endormies, qui ont des trésors, mais qui ne savent pas en user.

Une aulre recommandation importante, c'est de combattre la routine et ce qu'il y a pour ainsi dire de mécanique dans Texer- cice de la mémoire. L'enfant qui apprend vite est trop souvent disposé à répéter machinalement ce qu'on lui enseigne, dans l'ordre et dans la forme on le lui enseigne. Il débitera imper- turbablement une série chronologique de rois de France : il réci- tera, sans y changer un mot, un théorème do géométrie. Mais si on le dérange un peu dans cette opération toute machinale, il reste court. Il n'y a pas d'autre moyen de remédier à ce défaut ou de le prévenir, que de surprendre souvent Tenfant par des questions l'ordre habituel sera interverti, et aussi de l'obliger à répéter sous une aulre forme, avec d'autres expressions, ce (|u'il aura appris.

Mémoire et jugement. Une préoccupation dominante doit régler tous les efforts de l'éducateur dans cette^ recherche déli- cate des moyens de cultiver la mémoire : c'est de ne pas la développer au détriment du jugement.

Un préjugé assez répandu veut que la a mémoire soit l'enne- mie presque irréconciliable du jugement » (Fontenelle) A force de cultiver leur mémoire, certaines gens en viennent à laisser leur jugement en friche. On a affaire alors à des pédants insupportables, qui ne pensent point par eux-mêmes, ou qui n'osent risquer leur propre pensée que sous le couvert d'une cita- tion, qui savent seulement ce que les autres ont dit et pensé. < Qu'est-ce, disait Kant, qu'un homme qui a beaucoup de mémoire, mais pas de jugement? ce n'est qu'un lexique vivant (1). »

Assurément il faut se défier, même à l'école, de l'excès de la mémoire. A cette faculté s'applique particulièrement la règle posée par Kant : « Ne cultivez isolément aucune faculté pour elle-même, cultivez chacune en vue des autres. » Développée outre mesure, la mémoire annule pour ainsi dire les autres

(1) On connaU l'épitaphe du P. Hardouin, jésuite du xvii* siècle, autaar Àe grands travaux d'érudition : < Bic iacet vir bonœ memoriœy expectam judicium, >

396 HfiTUB PÉDAGOGIQUE

facultés, et, selon l'expression de Vauvenargiies, « il ne faut avoir de la mémoire qu'en proportion de son esprit ».

Hais il n'y a rien à redouter de la mémoire, si on a soin de la tenir à son rang, et de la considérer seulement comme une faculté auxiliaire, « comme un merveilleux outil, selon le mot de Montaigne^ sans lequel le jugement fait à peine son office ». Confiés à un esprit vivant, actif, qui garde la liberté de ses jugements, les souvenirs, quelque nombreux qu'ils soient, animent l'intelligence et la vivifient, loin de l'engourdir et de l'étouller : ils la meublent, sans l'encombrer. Ils y sont d'ailleurs le point de départ de toute une floraison de pensées nouvelles. Comme le dit un peu emphatiquement M"« Marchef-Girard, « la mémoire n'est pas un tombeau; c'est un berceau l'idée grandit d.

Mémoire et récitation. l^e discrédit est parfois tomboe la mémoire provient surtout de la confusion qu'on a laite entre la mémoire proprement dite et la récitation, c'est-à-dire une forme particulière de Texercice de la mémoire. Alors même que l'on proscrirait la récitation, et qu'on renoncerait à faire apprendre par cœur, il n'en serait pas moins nécessaire de développer la mémoire.

Il s'en faut d'ailleurs que la récitation elle-même mérite toutes les critiques dont elle est l'objet.

Opinion de M. Herbert Spencer, M. Herbert Spencer est de ceux qui ont le plus résolument condamné la méthode des réci- tations littérales (1) ;

« L'habitude d'apprendre par cœur, autrefois universellement répandue, tombe tous les jours en discrédit. Toutes les auLnrilés modernes condamnent la vieille méthode mécanique d'enseigner l'alphabet. On apprend souvent la table de mulliplication par la méthode cxpérimentalo. Dans l'enseignement des langues, on sub- stitue déjà aux procédés des collèges d'autres procédés imités de ceux que suit spontanément l'eniant ^uand il apprend sa langue maternelle... Le système qui consiste a faire apprendre par cœur donne à la formule et au symbole la priorité sur la chose formulée ou symbolisée. Répéter les mots correctement sjffisait, lescomp.-endre

(l) M. Uousselot est tombé dans les mé.ni>s exagérati.ins : c Ce: te vieiUe habitude de faire apprendre pT cœur est un des plus fâcheux et des plus tenaces préjugés de la pédagogie routiniôre : justement discréditée, tout \e monde la répudie en théorie. » Pédagogie j p. 178.

ÉDUCATION DE LA MÉMOIRE 397

était inutile, et de cette façon l'esprit était sacrifié à la lettre. Oo reconnaît enfin que dans ces cas comme dans les autres, plus on donne d*attëution au signe, moins on en donne à la chose signifiée (1).

ISous retrouvons ici les défauts habituels de M. Spencer, ses affirmations hautaines, absolues, dépourvues de mesure et par suite de justesse. Qu'on ait abusé autrefois, qu'on abuse encore des leçons f personne n'y contredit; nous nous rappelons encore quelles pénibles et lourdes heures d*étude nous passions au collège, à répéter à voix basse de longs textes grecs, latins et français. Mais parce qu'on a trop appris par cœur autrefois, au collège et même à l'école, est-ce une rai:)()n pour ne plus appren- dre par cœur du tout?

Arguments pour et corttre. Les adversaires de la récita- tion font valoir divers arguments.

Les pédagogues américains se distinguent par la vivacité de leurs attaques. Ainsi M. James Joliounot préteyd que le système d'enseignement qui consiste à faire apprendre par cœur n'a plus sa raison d'être dans les sociétés modernes, il s'agit moins de maintenir des traditions aveugles et un respect irréfléx^hi (iu passé que de fortifier la raison et de favoriser la réflexion personnelle (2).

L'argument ne vaut évidemment que contre un système de récitation à outrance, l'on demanderait le mot à mot littéral dans tous les enseignements, même dans ceux qui le comportent le moins, comme les sciences et la morale.

D'autres pédagogues objectent que le résultat des exercices de mémoire ne vaut pas le mal qu'on se donne pour l'atteindre. Quel prolit y a-t-il pour l'élève à réciter des phrases toutes faites, à acquérir une science purement verbale? Savoir par cœur n'est pas savoir, disait Montaigne. De plus la récitation littérale exige un effort intense, et de grands sacrifices de temps. L'esprit se fatigue et s*use dans cet effort. Et pendant que relève &e tourmente et peine sur ses leçons, le temps passe, un temps précieux qui pourrait être mieux employé.

Nous répondrons que pour certaines choses au moins l'idée ne

(11 L'Éducation, p. 97.

(2) Principes and practicâ of teachiiig, New- York, 1881, p. 171.

388 IIVCB PÉDAGOGIQUE

peut se séparer des mots qui seuls rexpriment convenablement, et qu'il est par conséquent nécessaire de retenir exactement- Nous ne sommes vraiment maîtres de nos idées que quand nous avons trouvé les mots propres pour les exprimer. Dans un assez grand nombre de cas, savoir par cœur est le seul moyen de savoir. D'un autre côté, Teffort est nécessaire en éducation : il n'est pas bon de trop ménager l'enfant et de le tenir quitte de tout travail de mémoire verbale, parce qu'il aura compris et vaguement retenu !e sens de ce qu'on lui enseigne.

Les objections que nous venons d'examiner porlent donc plutôt contre l'abus de la récitation, employée sans mesure et mal à propos, que contre l'usage discret et modéré de la réci- tation littérale dans les matières elle est indispensable.

la récitation littérale est nécessaire. Un pédagogue anglais, M. Fitch, a nettement établi la règle qui détermine les matières la récitation littérale est nécessaire.

* S'il s'agit simplement de faire retenir des pensées, des faits, des raisonnements, laissez relève les reproduire à sa f^uise et dans son lahffai^e. Ce nVstpas le moment de mettre en branle la pure mémoire- verbale. Mais si les mots qui servent à TexjuTssion d'un fait ont par eux-ni^raes une beauté propre, s'ils représentent quelque donnée scientifique, ou quelque vérité fondamentale qu'on nepourraitexprimer aussi bien en recourant à d'autres ternies, alors veiJlezàce que la forme aussi bien que la substance de la j)ensée soit apprise parctrur ( I . *

D'après cela il est aisé de fixer la limite que la récitation ne doit pas franchir. En grammaire, les règles principales ; en arithmétique, les définilions; en géométrie, les théorèmes ; dans les sciences en général, les formules; en histoire, quelques sommaires; en géographie, l'explication de certains termes techniques; en morale, quelques maximes, voilà ce que reniant doit savoir mot par mot. Verbatim. Et encore, bien entendu, à la condition qu'il comprenne parfaitement le sens de ce qu'il récite, et que son attention soit appelée sur la pensée non ni.<ins que sur l'expression. Il ne faut confier à la mémoire que ce que l'intelligence a parfaitement compris. Pour tout le reste, il faut

(1) Leilures on teachingy Cambridge, 1881. (..e Mrrv est le résume d un cours de pédagogie proressé en 18St à runiversité de Cambridge.

ÉDUCATION DE LA MÉMOIRE 399

s*en rapporter à la mémoire large des pensées, uou à la mémoire stricte des mots : et il est aussi fastidieux qu*inutile, aussi dangereux que pénible, de faire réciter de longues pages dliistoire, de grammaire ou de physique.

Les exercices de récitation. " X * pourtant un autre emploi important de la récitation: c'est l'étude des beaux textes, des morceaux de prose et de vers, dont il convient d'enrichir et d'orner la mémoire des enfants. « Les exercices de récitation littéraire ne sont pas assez pratiqués dans nos écoles (1) ». Il n'y a pas de meilleur moyen de former le goût des élèves, de leur apprendre à sentir et à goûter Télo-, quence de la poésie, la force des belles pensées et le charme du beau langage. Une lecture même étudiée ne suffit pas tou- jours : il faut y joindre de temps en temps cet effort particu- lier d'attention que réclame la récitation verbale. Par vous obligez la mémoire à un effort particulièrement énergique, à une véritable concentration de l'alLention. Par vous obUgez l'enfant à parler. Par enfin l'enfant pénètre plus intimement les procédés et l'art des grands écrivains ; il s'approprie leur style; il se fait un trésor intérieur de beaux modèles^ que l'es- prit se remémore inconsciemment quand il est appelé u écrire a son tour. La récitation des auteurs n'est pas seulement un exercice de mémoire : elle est un exercice de langue, un exer- cice de prononciation et une excellente préparation à la rédac- tion, à la composition personnelle. Nous ne nous dissimulons pas d'ailleurs la difficulté que présente le choix des morceaux de récitation. Il faudrait, en effet, dans les pages qu'on fait apprendre par cœur, trouver réunis et le talent de l'écrivain et la simplicité d'une pensée juste et saine, populaire en quelque sorte, à la portée du jeune auditoire que l'on instruit.

Ahus de la récitation. Qu'on prenne garde pourtant à l'ex- cès. Nous rappellerons à ce propos le mot du littérateur anglais Johnson. Un jour qu'il rendait visite dans une maison fiorissait la mode de faire apprendre des fables, un jeune enfant se pré- sente à sa rencontre pour lui déclamer un morceau, tandis qu'à côté de lui son frère cadet se proposait à lui débiter un autre

1; Rendu, Manuel de l' enseignement onmaire, 201

400 BKVU£ PÉDA600IQUX

morceau. « Mes petits amis, leur dit Johuson, en interrompaat œlui qui parlait, ne pourriez-vous pas me réciter vos vers tous deux à la fois?... 9 Mais ce n'est pas seulement pour ce motif qu'ils sont insupportables aux autres, c'est parce qu'ils ne se rendent aucun service à eux-mêmes et qu'ils perdent leurtemps, que nous proscrivons les récitateurs à outrance. Nous n'admi- rons en aucune façon ces prodiges de mémoire qui consistent, par exemple, comme le dit Rabelais eu s'en moquant, à réciter un livre d'un bout à l'autre, au rebours, en commençant par la fin.

« J'aimerais mieux, disait U°^^ de Maintenon, en parlant de ses élèves do Saint-Cyr, qu'elles ne retinssent que cÙx lignes et qu'elles les comprissent bien, que d'apprendre un volume entier sans savoir ce qu'elles disent. »

Choix des exercices. Peu et bien, telle sera donc la règle en fait de récitation. On choisira de préférence des morceaux intéressants, variés, tantôt en vers, tantôt en prose; en vers surtout pour les petits enfants. On les prendra courts. On aura soin de les lire à haute voix, avant de les donnera apprendre : de sorte que l'exercice de récitation soit d'abord une leçon de lecture. On les expliquera avec soin. Nous ne sommes pas de ceux qui pensent que la mémoire doive jamais devancer Tiu- telligence, etquil y ait intérêt à procéder à une sorte de culture mécanique de la mémoire, eu faisant apprendre des choses qui ne sont pas comprises. L'eufant, sans doute, avec sa merveii - leuse facilité de souvenir, se plierait à ce travailm achinai; mais il y contracterait une habitude funeste, et dont il souf- frirait toute sa vie, cède de répéter comme un perroquet des phrases dont il ne se rendrait pas compte.

Résumé des conditions du développemetit de la mémoire.

Un pédagogue anglais, M. Blackie, a heureusement résumé

les conditions principales à remplir pour assurer la force de la

mémoire ou pour suppléer à sa faiblesse (l).jCes conditions sont

•les suivantes :

La netteté, la vivacité, l'intensité de l'impression originale ;

(1) Blackie, p. 13 et suiv.

ÉDUCATION DE LA MÉMOIRE 401

L'ordre et la classification des faits ; La répétition ;

<t Si le clou n'entre pas d*un seul coup, frappez deux fois, trois fois même. «

La force de la logique ;

« L'homme qui ne se rappelle bien aue les faits qu'il s'explique, cherche sous les faits rencnaînement des causes. »

5* Les relations artificielles établies entre les souvenirs;

L'usage des notes écrites. A défaut d'une bonne mémoire naturelle, disait dans le même sens Montaigne, <k je m'en fais une de papier ».

Procédés mnémotechniques. Les pédagogues ont souvent recommandé l'emploi de procédés artificiels, qui, en établissant entre les souvenirs un lien factice, en garantissent la durée et en facilitent le réveil.

Mais les procédés mnémotechniques ont d'abord l'inconvénient d'habituer l'esprit aux associations d'idées arbitraires et super- iicielles. Eussent-ils au point de vue du développement de la mémoire toute TeiBcacité qu'on leur prête, il faudrait encore les condamner, à raison de Tinflucnce fâcheuse qu'ils peuvent exercer sur le jugement et la raison.

Que faut'il en penser d'ailleurs au point de vue de la mémoire elle-même ?

a II y a, dit M. Blackie, des relations artificielles qui ne sont pas sans utilité : l'élève peut se rappeler qu'Abydos est situé sur la rive asiatique de l'Hellespont, s'il se rappelle seulement que les deux mots Àbydos et Asie commencent l'un et l'autre par la lettre A. Mais ce sont des trucs, plus appropriés à la faiblesse de quelque insti- tuteur malhabile qu'a la virile éducation donnée par nos bons maîtres. Je n'ai pas grande confiance dans l'emploi systématique des procédés mnémotechniques : ils remplissent l'esprit d'une foule de symboles arbitraires et ridicules qui nuisent au jeu naturel des facultés. Les dates historiques, pour lesquelles on emploie généra- lement cette sorte de mécanique compliquée, se graveront plus aisé- ment dans la mémoire par leurs rapports de causaUlé (1). «

La véritable mnémotechnie est celle qui se fonde sur les rapports réels, sur les associations naturelles des idées, sur la méthode et l'ordre logique que Ton doit introduire dans l'ensei-

(1) Blackie, p. 24.

RBVUB PADAGOOIQUI 1883. lor 8EH. 26

403 UVUI PÉDAG061QCI

gnement. Au contraire, la mnémotechniey qui a pour principe des rapprochements artiCciels et des rapports de convention, peut être utile pour assurer la conservation d'un souvenir parti- culier ; mais elle nuit à la culture générale de la mémoire. Tout ce qui aide la mémoire, en effet, ne la fortiCe point, et c'est lui donner de mauvaises habitudes que de lui fournir des appuis extérieurs, des étais artificiels, qui lui désapprennent de compter sur elle-même et sur la nature des choses.

Association des idées. L'association des idées est une des lois essentielles du développement de la mémoire : en ce sens que les souvenirs se lient les uns aux autres, que leur liaison les fixe dans l'esprit; et qu'une fois associés par un lien quel- conque, il suffit de l'apparition de l'un pour évoquer l'autre. Voilà pourquoi les études nouvelles qui par l'attrait de leur nouveauté même excitent l'attention, fatiguent et déconcertent la mémoire, parce que les idées qu'elles suggèrent à l'esprit n'y trouvent pas de points d'appui, d'autres idées analogues auxquelles on puisse les rattacher.

Dans la culture de la mémoire, le pédagogue aura donc à tirer profit de l'association des idées et de ses divers principes ; les uns fortuits et extérieurs, comme la contiguïté dans le temps et dans l'espace, les autres intrinsèques et logiques, comme le rapport de cause à effet. Plus on établira de rapprochements entre les connaissances, plus on associera les idées, et plus la mémoire sera vive et tenace. Saint François de Sales disait sous une forme piquante : « La bonne manière d'apprendre, c*est d'étu- dier; la meilleure, c'est d'écouter ; la très bonne, c'est d'ensei- gner? » Si le meilleur moyen d'apprendre est en effet d'ecsei- gner, c'est que précisément le professeur est obligé de classer, de coordonner les connaissances qu'il enseigne et de les sou- mettre à un ordre rigoureux et méthodique.

Différentes formes de la mémoire. « On dit la mémoire, fait remarquer M. Legouvé : on devrait dire les mémoires. » 11 y a en effet la mémoire des faits, la mémoire des mots, la mémoire des idées, la mémoire des dates, des lieux, d'autres encore. Et ces diverses mémoires, bien qu'elles ne s'excluent pas, s'unissent rarement chez le même individu. Tel qui

ÉDUCATION DE LA MÉMOIRE 403

retient imperturbablement une àérie de chiffres et de calculs, sera incapable de se rappeler les lieux, les formes des objets, les figures des personnes. Cest Tliabitude, c'est l'exercice fréquent et répété, qui plus que la nature contribue à déve- lopper ces dispositions diverses. Chaque profession, chaque métier tend à favoriser Tune ou l'autre. A l'école, le rôle du pédagogue doit être de combattre ces spécialisations de la mé- moire, de ne pas souffrir qu'elle se dévoue exclusivement à l'acquisition d'un seul ordre de connaissance.

La mémoire, en résumé, doit être développée dans tous les sens au profit des idées abstraites comme au profit des images et des notions sensibles. Elle doit être une puissance d'acquisition souple et générale, qui se prête à tous les travaux de la pensée, à toutes les occupations de la vie. Si elle n'est que la gardienne d'une catégorie privilégiée de souvenirs, elle rendra encore des services, mais des services restreints et particuliers. Elle ne sera plus la faculté universelle qu'il lui convient d'être, la servante de l'intelligence, servante d'ailleurs dont on ne peut se passer.

Gabriel Compayré.

APPEL AUX MÈRES (*)

A PROPOS DES COLOSIES DE VACANCES

II est des fleurs pâles et frêles Qui croissent entre les pavés, l>es oisillons qui n'ont pas d'ailes Pour s'enfuir vers les bois rêvés.

Des enfants qui n'ont pas d'enfance, Qui jamais n'ont cueilli des fleurs, Et qui vivent dans l'ignorance Des plus simples de nos bonheurs.

Petits enfants des grandes villes, Dans la rue et sur le trottoir lia vont, traînant leurs pas débiles, Depuis le matin jusqu'au soir.

Ils n'ont jamais marché dans Therbe, Sur la mousse au bord des forêts. Ou, joyeux, rapporté la gerbe D'épis glanés dans les guérets.

L'air pur, la joie et la lumière, Il en faut pour s'épanouir Aux plantes qui montent de terre, Aux enfants pour ne pas mourir.

(!) Les colonies de vacances^ dont nous nvons parlé dans notre dernier numôro, ont Inspiro à M™o de Pressensé quelques strophes émues, qu'elles bien voulu nous autoriser à reproduire, et qui toucheront assurément le cœur des mères auxquelles elles s'adressent. Ajoutons que M°ie de Pressensé a commencé par prêcher d'exemple : depuis plusieurs années, Tasile fondé à Vauglninl par un comité de dames protestantes pour recevoir des enfants dont les ni(*res sont à l'hôpital passe à la campagne les trois mois des grandes chaleurs.

Nous sommes heureux de pouvoir annoncer qu'on étudie en ce moment même, dans plusieurs arrondissements de Paris, la question de l'organisation de comités qui s'occuperaient de former de nouvelles colonies de vacances, sur le modèle de colles du IX*" arrondissement. Puisse cette bienfaisante initiative aboutir à quelques résultats pratiques 1 La Rédaction,

APPEL AUX MÈRES 40S

Mères, vous qui faites la vie Si belle à vos joyeux enfants, Vous dont la tendresse infinie Les veut si gais et si contents ;

Enfants pour qui l'été ramène Tous les boniieurs accoutumés, Qui retrouverez dans la plaine Les blés d*or, les prés embaumés,

Oh! pensez à ceux qui languissent Tout Tété dans nos murs brûlants» Et que des mères vous bénissent Pour avoir sauvé leurs enfants.

E. DE Pressensé

UN COIN DU MONDE SCOLAIRE A LONDRES

Il y a quelque temps je séjournai à Londres ; c'était pour affaires, et je n'avais aucun dessein de visiter les écoles. Mais de môme qu'un vieux cheval de guerre ne peut enten- dre le bruit du clairon ni sentir Todeur de la poudre sans hennir et dresser Toreille, ainsi un vieil instituteur ne sau- rait passer devant une école sans tenter d'y entrer.

Un jour donc que je revenais des docks de Wapping, sur la rive gauche de la Tamise, je m'égarai dans les ruelles étroi- tes et boueuses de ce quartier, l'un des plus pauvres de Lon- dres. Une rumeur de voix enfantines frappa mon oreille, je marchai dans la direction, et je me trouvai bientôt devant la porte d'entrée d'une école de garçons : « St-Johns of Wapping School », fondée en 1693. L'heure de la classe ramenait juste- ment les petits écoliers au bercail ; je gravis péle-méle avec eux un escalier d'une vingtaine de marches, et me voilà dans la grande classe. Le maître était à son poste. Il me re- çut avec une extrême courtoisie et me permit sans difficulté de visiter tout l'établissement.

La salle était vaste et bien aérée : pas un soupçon de mau- vaise odeur, mais quel pauvre mobilier ! des tables et des bancs vieux modèle, presque hors d'usage, remontant à l'é- poque où l'école était un lieu de « carcere duro ». Le maté- riel d'enseignement ne brillait pas davantage. Cartes de géo- graphie} médiocres et peu nombreuses. Presque pas d'images sur les murs, et des sujets peu attrayants. L'examen des livres m'amena, au contraire, à louer le choix intelhgent du maître, surtout en ce qui concerne le livre de lecture cou- rante, lequel est riche en illustrations d'un goût remarquable, et en historiettes amusantes, sans compter la typographie qui est superbe.

Le registre de classe, tout grand ouvert sur le bureau, est tenu avec soin. 11 est intitulé : « Class register of atlendance, absence and payments, » et renferme toutes les indications que son titre comporte.

UN COIN DU MONDE SCOLAIRE À LONDRES 407

Les enfants entrèrent en classe au son d'une cloche, si j'ai bonne mémoire. Ils étaient une centaine de jeunes garçons de sept à douze ans, tous vêtus décemment quoique pauvrement. Point de toile ni de coutil, bien que ce fût au cœur de Tôté et par une journée très chaude, rien que des vêtements de drap, tous de couleur sombre. La variété des chevelures et des yeuiL d'enfants introduisait seule des nuances gaies dans ce tableau à la teinte monotone.

Ils préludèrent par un petit chant religieux, puis se mirent au travail. La discipline ne me parut pas très ferme dans St-John of Wapping, non plus que dans les autres écoles que je visitai par la suite. Craint-on de comprimer trop tôt ces caractères vifs et fiers, et de briser en eux ce que l'Anglo- Saxon estime par-dessus tout, le ressort individuel, la volonté? Peutrétre. On m'assure que la punition du fouet figure tou- jours sur les règlements scolaires. Soyez certain que c'est de pure forme, et que jamais baguette ni lanière n'ont effleuré les mem- bres de ces petits gaillards.

Je dois à l'aimable et jeune peuple scolaire de St-John of Wapping la justice de dire qu'il usa à mon égard de la même courtoisie que son maître. Ni mon costume avarié par la pous- sière d'une longue route, ni mon air exotique, ni l'incorrection flagrante de mon langage, ni celle plus déplorable encore d'une prononciation à la française, ne les mirent en belle humeur à mes dépens. Ces petits yeux vifs et intelligents braqués sur moi n'exprimaient qu'une curiosité bienveillante, et au départ de l'étranger, sans attendre le signal du maître, on se leva spontanément pour im faire honneur. J en ai conçu une bonne opinion des principes éducatifs de ces jeunes a gentlemen »•

Mis en goût par cette première excursion dans le monde scolaire, j'en risquai d'autres, et je ne passai plus devant une école sans y entrer. Je trouvai partout le môme accueil de la part des maîtres, le même respect de la part des écoUers.

Dans le quartier de White-Chapel, plus pauvre encore et plus populeux que celui de Wapping, une inscription commémora- live en lettres d'or m'apprend que les écoles ont été fondées par le révérend Ralph Da venant, en 1680 (c'est un âge vé- nérable), et qu'elles sont exclusivement réservées, aux ternies de

408 RRVUB PÉDAGOGIQUE

l'acte de fondation, aux enfants nés ou résidant dans la pa- roisse de White-Cliapel.

Des soins très attentifs sont pris pour que la fréquenta- tion des élèves inscrits soit régulière. Voici le fac-similé d'un billet d'absence recueilli sur place et qui témoigne de la vigilance des maîtres en pareille matière :

IWliiteeliapel Society*s IVational

BOYS' SCHOOL, ST. MARY STREET, WHITECHAPEL ROAD.

Mr.<î

Your Son has been absent from Sciiool this Morning, without leave, contrary to the Rules of the School.

(Signature)

188 Please to rcturn an Answer on the bock of this Notice,

Dans les écoles du révérend Ralph Davenant comme à St- John, les locaux sont assez vastes, mais médiocrement appro- priés à leur destination. Le mobilier est défectueux. On ne paraît pas se soucier des perfectionnements actirellement re- commandés an nom de Thygiène et de l'expérience. Le mot comfort a beau être anglais, la chose n'a pas encore pénétré dans ces régions populaires et scolaires.

Pour la seconde fois, je suis surpris de la pauvreté du ma- tériel géographique. La géographie, nerf d'une nation colo- niale et commerçante, serait-elle dédaignée à l'école? Hypothèse bien invraisemblable. J'en veux avoir le cœur net et, avec la permission du maître, je demande aux écoliers de tracer séance tenante, à main levée, la carte de l'AngleteiTe. Tous aussitôt de tomber sur leurs ardoises et de crayonner rapide- ment le croquis demandé. Sur ma requête, un écolier s'ap proche du tableau noir et trace en grand le même dessin. Les contours tourmentés des côtes, les golfes, les embouchures

UN COIN DU MONDE SCOLAIRE A LONDRES 409

des fleuves, les ports naissent à Yue d'œil sous la craie du dessinateur. C'est fait de chic (comme disent les peintres) plutôt qu'avec méthode, et un pédagogue exigeant; aurait plus d'une critique à faire. Mais l'exactitude générale et relative est obtenue promptement et sans peine.

Arrivé au Northumberland et au Cumberland, quand il a indiqué la ligne de la Tweed et les monts Cheviots, Técolier s arrête, se retourne et cherche de mon côté un regard appro- bateur.

«

« Ce n'est pas fini, lui dis-je.

Si, monsieur, » répond d'un air décidé l'apprenti géo- graphe.

J'insiste, il tient bon. Bref, le maître intervient et m'ap- prend que, ayant demandé l'Angleterre, et pas la « Grande- Bretagne », je n'ai pas droit à l'Ecosse, qu'en conséquence l'en- fant a raison de s'arrêter à la Tweed et aux Cheviots.

Et voilà comment, à faire l'interrogateur et le pédagogue en pays étranger, on s'expose à recevoir une leçon d'exac- titude et de précision.

Je m'en consolai par la pensée que j'avais surpris sur le vif un trait bien marqué du caractère britannique : c'est l'atta- chement persistant à la nationalité primitive, à la petite patrie non entièrement confondue dans la grande. Être Anglais et être Ecossais, ce sont ici choses plus tranchées que ne sont en France l'état de Breton et celui de Normand, par exemple. Le natif d'Angleterre est deux fois Anglais, le natif d'Ecosse n'est Anglais qu'une fois. Voilà ce qu'exprimait, à sa façon et d'instinct , mon opiniâtre interlocuteur*

Je continue ma revue des livres de lecture courante, et j'en constate les brillanles qualités matérielles et morales. Ici, l'on ne met dans les mains des enfants que de charmants petits volumes au texte clair, bien composé, égayé de vignettes nom- breuses et intéressantes, empruntées au monde enfantin. Ce sont, pour la plupart, des scènes de la vie domestique, en- tremêlées de scènes de la vie des animaux, le tout exécuté par un crayon habile et consciencieux.

Un régime plus substantiel est réservé aux divisions supérieu- res. A l'école des filles de White-Chapel, on lisait, quand je

410 RKVCK Pr^DAGOG]QUB

suis entré , le Château de Kenilworth de Walter Scolt ; dans une autre classe, c'était la Case de Vomie Tom, Les garçons avaient en main Waverlef/. Garçons et filles seraient bien coupables de ne pas aimer la lecture.

Dans la classe des garçons on a dicté devant moi un pro- blème d'arithmétique à résoudre séance tenante. Pendant vingt minutes je n'ai plus vu que des fronts baissés et plissés, dans l'attitude de la méditation, que des doigts courant sur les ar- doises. Le délai légal expiré, il n'y a pas eu de correction simultanée, ni de démonstration au tableau noir. Le maître passe dans les bancs, examine de l'œil la solution, approuve ou condamne : on se serait cru à la fin d'une leçon d'écri- ture. Cette pratique, qui serait mauvaise si elle était coutumièrc, provient sans doute delà fâcheuse disposition du local : deux cents élèves, soit quatre classes, y sont réunis sons quatre ou cinq maîtres, lesquels, sous peine de ne pas s'entendre, sont tenus à beaucoup de sobriété en fait de paroles et d'explications. Et de fait, ils m'ont paru se dépenser moins que nos maîtres français, demander davantage au travail personnel, à l'initiative individuelle des écoliers : ce n'est pas un tort.

Je profite des vingt minutes de silence qu'exige la confection du problème pour feuilleter, sur le bureau du maître, quel- ques volumes de géographie et d'histoire qui s'y promènent en compagnie de beaucoup d'autres, dans un désordre extra- scolaire.

Voici une description de Paris que je note au passage, dans le Foncin ou le Cortambert de l'endroit :

« C'est une vaste, gaie et splendide ville, remplie de belles rues, de monuments, de jardins publics, environnée de char- mantes promenades, dans lesquelles les habitants prennent beaucoup de plaisir (in which the inhabitants take great delight) ; car c'est nn aimable peuple qui a le goût des amusements de toute sorte, et qui passe une grande par- tie de son temps en plein air (1)

C'est sur le même ton agréable, mais léger, superficiel, sans aucun effort pour serrer de près la réalité, que Tauteur parle

U) Descriptive Geography^ fouHh book of lestons for the use of school.

UN COIN DU MONDE SCOLAIRE A LONDRES 411

de Marseille, de Bordeaux, de Rouen, de Nantes, a Port de mer très commerçant », telle est la formule banale qui con- tente l'auteur. Pas un mot, presque pas un chiffre pour donner ridée de Timportance relative de chacun de ces ports, de ses relations, des sources de sa prospérité.

Même reproche, et plus grave encore, à l'égard de certains livres d'histoire. Voici ce que les enfants d'une des classes de While-Chapel apprenaient de la Révolution française et du règne de Napoléon I*»^ :

« Eo 1789, la révolution éclata en France ; elle mena à une grande guerre continentale les Anglais remportèrent beau- coup de victoires.

» Ijqs plus importantes batailles sur (erre furent la bataille d'Alexandrie, sir Ralph Abercromby fut mortellement blessé (1801) ; la Corogne, sir John Moore fut tué (1809) ; Salamanquc (1812), Vittoria (1813), et Waterloo (1815), le duc de Wellington se distingua grandement. A la bataille de Waterloo, Napoléon Bonaparte fut entièrement défait et l'armée française mise en pièces. Les pertes de l'armée an- glaise furent très grandes (1) «.

On remarquera, à propos de Waterloo, l'omission abso- lue du nom de Blûcher et des Prussiens, dont l'action empo- cha Wellington d'être écrasé et changea un désastre en triomphe. Cette élimination de tout ce qui n'e>st pas anglais parait systématique chez l'auteur que nous citons. Elle est pratiquée sur une grande échelle à notre égard. Témoin ce récit de la guerre de l'indépendance des colonies d'Amérique :

« Sous le règne de Georges III les colonies anglaises d'Amé- rique se révoltèrent à propos d'une taxe qui leur parut in- juste. Les généraux anglais durant cette guerre lurent Howe, Burgoyne, Clinton et lord Cornvirallis. Le général américain fut George Washington. L'Amérique fut déclarée indépendante en 1783. »

De l'intervention du cabinet français, des exploits de La- fayette, de Rochambeau et autres, des négociations qui abou tirent au traité de Versailles, pas un mot.

(1) Uislory of England^ by BarUara Bartlett.

4(2 REVUE PÉDAGOGIQUE

La justice qous oblige à dire que tous les manuels scolai- res ne sont pas rédigés dans un esprit aussi étroit. J'ai feuilleté à White-Chapel même une « Brief history of England », sans nom d'auteur, les faits sont exposés avec plus d'am- pleur, d'intelligence et d'impartialité. Ce livre appartient à la collection dite « Royal School Séries «, dont plusieurs vo- lumes se reconunandent par d'estimables qualités.

Il y a une manière fort commode d'étudier tout à son aise les livres classiques que l'Angleterre met aux mains de ses ^i fants, c'est d'aller à la « Bibliothèque d'éducation » qui fait partie des collections du Kensington-Museum. On y trouve une exhibition bien curieuse d'alphabets anciens, de livres illustrés remontant aux premiers temps de la gravure sur bois. Quelques-uns portent témoignage de l'esprit pratique qui, en poUtique comme en éducation, n'a presque jamais cessé d'in- spirer nos voisins.

Dans la salle de lecture de cette bibliothèque d'éducation, les éditeurs de Londres et du Royaume-Uni ont des casiers ils déposent leurs principales publications scolaires. Le pu- blic est par mis à même de comparer et de choisir.

En feuilletant la collection des livres destinés aux collèges, j'ai rencontré un petit volume intitulé « France moderne », par Oscar Browning, fellow de King's Collège, d'où j'ai extrait les lignes suivantes :

« La France a été appelée le laboratoire de la civilisiilioa, c'est-à-dire qu'elle est la contrée les expériences sociales et politiques sont tentées au bénéfice des autres pays et des autres générations. »

Pas mal jugé, n'est-ce pas ?

Les littératures étrangères sont en honneur dans les col- lèges anglais. Une publication bien entendue et bien menée en met les principaux chefs-d'œuvre à la portée des jeunes lecteurs (1). Dans chaque volume, l'auteur de l'édition passe en revue les principaux événements de la vie de l'écrivain, expose les caractères particuliers de son talent et y joint de nombreuses citations.

(1) Foreign classics for Ënglish reiden, edited by M. Oliphant.

UN COIN DU MONDE SCOLAIRE A LONDRES 413

La collection comprenait Dante, Voltaire, Pascal, Pétrarque, Goethe, Molière, Montaigne, Rabelais, Calderon, Saint-Simon, Cervantes, madame de Sévigné, madame de Staël ; elle a s'enrichir depuis.

Voici les titres des chapitres du volume consacré à Mo- lière :

« Sa jeunesse. Ses premiers essais dramatiques. Ses pre- miers succès. Son midi. Ses trois grandes comédies (Mi- santhrope, Tartuffe, Avare). La fin de sa vie. Ses der- nières œuvres. »

Le volume consacré à Saint-Simon comprend les divisions suivantes :

« Famille de Saint Simon. Saint-Simon à l'armée. Versail- les. — Princes et princesses. Madame de Maintenon. Saint-Simon à la cour. Jésuites et jansénistes. La suc- cession d'Espagne. Les provinces. Meudon et Monsei- gneur (le dauphin). Le duc et la duchesse de Bourgogne. Derniers jours de Louis XIV. Le Régent. Le cardinal Dubois. Saint-Simon dans la retraite. »

Il nous semble qu'avec de légères retouches, ces tables des matières fourniraient un excellent sommaire de cours de lit- térature pour nos écoles normales. L'esprit d'analyse et l'art d'abréger s'y montrent à un degré remarquable. Une collec- tion d'auteurs français conçue dans cet esprit rendrait en France de réels services.

H. D.

UNE ACQUISITION DE LA BIBLIOTHÈQUE

DU MUSÉE PEDAGOGIQUE {*)

La bibliothèque du Musée pédagogique vient d'acquérir un livre d'écolier du commencement du xvi« siècle, d'une édûtion extrême- ment rare, et qui est en même temps un document précieux pour l'histoire de l'enseignement à une époque de crise. C'est un mince in-quarto, imprimé en 1510 en caractères gothiques, à Cracovie, chez Jean Haller. Il contient deux opuscules de Lefèvre d'Etaples qui font partie de l'ensemble do ses travaux pour les candidats à la licence es arts, et qui font connaître sa méthode d'enseignement. Le premier est un Dialogue dont l'objet est d'expliquer une courte Introduction à la physique d'Aristote qu'il avait auparavant composée; le second est cette Introduction elle-même.

Je commencerai par donner la description détaillée que les deux pièces imprimées par Haller méritent à cause de leur rareté. II faudra dire ensuite quelques mots sur l'université Cracovie, pour les écoliers de laquelle a été faite l'édition qui nous occupe, et sur l'imprimeur Haller qui a rempli auprès de cette université un rôle considérable et qui n'en a pas moins été oublié dans la Biographie universelle et dans la Nouvelle Biographie générale. Enfin (et ce sera l'objet principal de cette étude), j'examinerai nos deux petits livres au point de vue pédagogique, en ne craignant pas de donner sur leur auteur et sur les études de sen temps les renseignements sans lesquels on ne pourrait avoir, une idée claire de son œuvre.

I

Le dialogue. Après un feuillet blanc : Dialoijus Jacobi/Fahrî Stapulensis in/phisicam introdu/ctùmem. Au-dessous de ce titre une gravure sur bois achève de remplir la page et en occupe au moins les trois quarts. La moitié supérieure de cette gravure présente l'aigle de Pologne sur un écu soutenu à gauche par un lion et à

( 1) L'arlicle ci-après sort un peu du cadre dans lequel la Revue pédago- gique s'est enfermée jusqu'à présent. Toutefois, comme la bibliothèque Musée pédagogique comprend des ouvrages scolaires de toutes les époques et de tous les ordres d'enseignement, il nous a semblé qu'une étude consaen^e à un livre classique du xvr siècle bien qu'il s'agisse d'un livre latin (il

n'y en avait pas d'autres alors) ne serait pas déplacée dans ce recueil.

La Rédaction,

UNE ACQUISITION DB LA BIBUOTHÈQUB DU MUSÉB PtDAGOGIQUB 415

droite par une licorne. La moitié inférieure se compose de deux écus de même grandeur, mais tout seuls, l'un à gauche sous le lion, l'autre à droite sous la licorne ; ils sont séparés par un vase noir, un peu plus petit, sur lequel se détache en blanc un monogramme et d'où sort un arbuste sans feuilles. On sait (1) que la marque da Ualler comprenait les armes de Pologne, de Lithuanie et de Cra- covie. En efifet, Técu de droite contient le cavalier lithuanien, et les trois tours sous une porte, herse levée, de Técu de gauche ne peuvent être que les armes de la ville de Cracovie. Quant au mono- granune en blanc sur le vase, c'est celui de Jean Ualler. 11 se coiq- pose d'une h terminée à son sommet par une croix et traversée par un I (i).

Au verso du même feuillet est le Prologus Jaoobi Stapulensis in Phisices irUroductorios dialogus (au lieu de diolo^). Puis vingt-quatre feuillets de texte avec deux figures. Pas de pagination, mais seule- ment des indications relatives aux feuilles d'imprimerie. A la fin : Dyalogus Jacobi Fabri Stapulensis In Phisicam introductionë Impressus regia in ciuitate Cracouiensi, Impensis spectabilis viri domini Johannis Ualler ciuis cracouiensis. Anno scUutis nostre, Millesimo quingeniesimo decimo. Un feuillet blanc.

^ L'introduction. Jacob» Scapulensis /introductiones in lUrot phisicorû/ et de aîa (anima) aristotelis Jodoci neo/ portuësis annota- tionibus déclara/ tib* (declarantibus) câdide dicta singula obscuriora tpr(ipsiu8) tn<roc/uc<ôt«(introductlonis). Au-dessous la même gravure sur bois. On remarquera que ce titre annonce deux Introductions, l'une aux livres d'Aristote sur la physique, l'autre à ses livres sur Tftme.

Au verso, une recommandation de l'ouvrage au lecteur, par un maître es arts de Cracovie. Gregorius Sthauischyn arciû Uberaltû magister studii Cracoiuësis lectori salutem. Celte recommandation remplit la page. Le leuillet suivant est rempli au recto par la pre- mière et principale figure du Dialogue.

Ce qui précède se rapporte aux deux Introductions. Maintenant, au verso du feuillet occupé par la figure, on lit les deux titres suivants, dont le premier se rapporte à l'Introduction à la physique seule, mais en y comprenant le texte de Lefèvre et les éclaircissements de Jodocus (Josse Clictou), tandis que le second n'a trait qu'au texte de Lefèvre : Introductio in phisicam aristotelis. /Introductoriû stapulen in phi/ sicam Aristotelis. Suit immédiatement le texte de l'Introduction, divisé en sept paragraphes, entre lesquels sont inter- calées, en caractères plus petits mais toujours gothiques, les expli-

(1) Panzer, t. IX, p. 230-1, n* 7 eipassim.

(2) Dans un autre livre de Ualler qui se trouve à la Bibliolhèque natio- nale et dont je parlerai un peu plus loin, la même marque est notablement simpUliée et réduite. Il est vrai qu'il est de 1532.

416 REVUE PÉDA6OGI0CB

cations de Josse Qictou. Texte et explications remplissent dix-sept pages et demie, et se terminent par l*avis suivant : Impresse sunt he inlroductioncs in libres phisicorum ArisioteUs regia in ciuitate cra- couiensi. Impensis spectahilis viri dni Johannis haller, Anno salutis nostre millesimo quingêtesimo decitno. Deux feuillets blancs.

L'Introduction au livre de l'âme, annoncée dans le titre général de ce second opuscule, manque dans notre volume. Mais, comme je l'ai déjà dit et comme on le verra mieux plus tard, l'Introduction a la physique et le Dialogue se correspondent et forment un tout.

Panzer ne connaît pas l'édition polonaise du Dialogue. Il signale les Introductions et en donne le titre général (t. VI, p. 452, n9 36). Vimpresse sunt final qu'il transcrit est évidemment celui qui se trouvait à la suite de l'Introduction aux livres de l'âme (1). La Bibliothèque nationale a récemment acquis une autre édition de l'Introduction aux livres de l'âme, publiée aussi à Cracovie et aux frais de Haller, mais seulement en 1522 (Réserve pR 202). Panzer ne la signale pas (2).

Les ouvrages de Lefèvre d'Etaples sont rares. Si j'ai bien consulté les catalogues, il n'existe aucune édition de notre Dialogue et de notre Introduction aux Bibliothèques de l'Université, Mazarine, de l'Arsenal, Sainte-Geneviève. La Bibliothèque nationale (3) les possède dans un petit et épais volume, publié à Paris en 1504 chez Henri Estienne premier, ils se trouvent avec d'autres traités de Lefèvre sur « la philosophie naturelle », et dont elle a fait récemment l'acqui- sition (4). Voyons maintenant comment ils ont pu être réimprimés si loin de la France, pour les écoliers de Cracovie.

(1) In fine : impresse sunt he inlroductiones in Ubros phisicorum et de anima Aristotelis regia in Civitate Cracoviensij impensis spectahilis viri domini Johannis Haller anno salutis nostre millesimo quingentesimo decimo. Sortite sunt felicem finem in vigilia gloriose resttrrtctionis Domini,

(2) M. Graf, dans le très utile catalogue des œuvres de Lefèvre d'Etaples qnUl donne à la lin de rédition allemande (1852) de sa consciencieuse mono- graphie de Lefèvre, mentionne une édition de in Aristotelis octo Physicos libros paraphrasis etc., k Cracovie, aux frais de Haller et par les soins de Sthavischya. Il se réfère à la Bibliothèque grecque de Fabricius. Celte indi- cation est bien générale. Je crois qu'il y a une confusion et que ce n'est pas de la paraphrase de Lefèvre qu'il s'agit, mais de ses introductions, ce qui est bien différent.

Outre Panzer, j'ai consulté l'ouvrage de Hoffmann sur l'imprimerie polonaise dont il sera question plus loin ; il n'y est rien dit de nos deux traités. J'aurais voulu aussi consulter l'histoire de l'imprimerie à Cracovie, en polonais, 1819, signalée dans la table de Brunet, et utilisée par Deschamps dans son diction- naire géographique, mais elle n'est pas à la Bibliothèque nationale.

(3) Je saisis cette occasion de renouveler mes remerciements à MM. les bibliothécaires des bibliothèques publiques de Paris, à l'obligeance desquels je suis depuis longtemps habitué.

(4) In hoc opère continentur totiw phylosophie naturalis paraphrases^ hoo

OHE ACQUISITION OS LA BIBLIOTHÈQUI DU MUSÉK PÉDAGOGIQUE 417

li

Cracovic, ville populeuse et commerçante, Ton avait attiré les Allemands par de grands privilèges, était au temps de notre édition polonaise, en 1510, la capitale de la Pologne et le siège d*uae uni- versité déjà plus que séculaire (1). Les Polonais continuaient sans doute à fréquenter les universités d'Italie et d'Allemagne, ainsi que celle de Paris ils étaient classés avec les hauts Allemands (2) ; mais, par un courant contraire, des étrangers, maîtres ou écoliers, dont quelques-uns ont laissé un nom, se rendaient aussi à l'univer- sité de Cracovie, qui était réellement florissante. L'étude de la phi- losophie d'Aristote et surtout celle la dialectique y tenaient, comme on va le voir, une grande place. 11 ne pouvait guère en être autre- ment, étant donnés le caractère et le programme de la faculté des arts, qui étaient à peu près les mêmes dans toutes les universités. Mais le mouvement littéraire de la Renaissance se fit sentir dans ce milieu d'assez bonne heure. Un des moyens les plus sûrs de se représenter la physionomie de cette université entre 1500 et 1510 est encore de prendre pour point de départ, dans les annales typo- graphiques de Panzer, les catalogues si instructifs et si vivants cause du nombre des livres et de l'ampleur des titres) sont énu- mérées, année par année, les productions de l'imprimeriede Cracovie(3).

ordine digeste: octo physicorum Arislotelis paraphroiis. Quatuor de celo et mundo completorum paraphrasis, Tfium de aninia completorum paraphrasis , Libri de sensu et sensibili paraphrasis. Libri de somno et vigilia paraphra- sis. Libri de tongitudine et brevitate vite paraphrasis. Dialogi insuper ad physicorum ium facUium tum difficilium inteUigentiam introductorii duo. In^ troduciio ntetaphysica. Dialogi quattuor ad metaphysicorum inteUigentiam introductorii. A la lin : impressum in aima Parhisiorum achademia per Henricum slephanum in vico Clausi Brunelliet regione Scolarum Decretjruin aano Christi^ piissimi saivatorisj entis enlium summique boni 1304^ serunda die decembris. Caractères gothiques, 348 feuillets numéroU>s. (Réserve de la Bibliothèque nationale, pR 197). Une édition déjà en 1501, Panzer, t. VI, p. 500, 5. La paraphrase sur la physique, 149Î, Panzer.

(1) Pour l'université de Cracovie, voir Tableau de la Pologne, par Malte-Brun, nouvelle édition par L. Chodzko; et J. D. Hoffmann, de Typographiis earum- que initiis et incrementis in regno Poloniœ et magno ducatu Lithuaniœ, Dantisci, 4740,4*, Ce dernier travail, quoique incomplet, parait solide et digne de confiance. Le tome 11 du Tableau de la Pologne contient des Fragments sur la Utlérature ancienne de la Pologne par M. Podczaszynski, Ton trouvera p. 344 ss., p. 441 ss., beaucoup de renseignements curieux; mais le patrio- tisme de l'auteur l'empêche quelquefois de voir juste. C'est ainsi qu'il réduit à rien l'intluence allemande sur la civilisation polonaise, et qu'il fait Tuai- versité de Cracovie beaucoup trop étrangère à la scolastique.

j(2) Du Boulay, lU, 560.

(3) Surtout t. Vi, depuis 1500.

aiVUB PiDAGOOlQDI 1885.— 1er SIM. 27

418 , RI VUE l*ÉDA«06IQUfi

Dans la facullé des arts, le grand nom étail alors celui de maître Jean de Glogow (i), membre ou collégial (2) du grand collège des artistes, magister alinœflorentiasimcBque universitalis sltidii Craooviensis ; majùrù ooUegii ariistarum œUegiatus. il publie des traités élémen- taires de grammaire, de logique et de philosophie naturelle, mais surtout de logique. Le franciscain Thomas Mûrner, à Strasbourg, maître es arts de Paris, bachelier en théologie de Cracovie, et qui devait se rendre fameux par ses prédications et ses poésies satiriques^ enseignait alors aussi la logique dans notre université. Pour faciliter à ses élèves Tintclligence ou plutôt la mémoire des plus subtils détours de la dialectique, il la leur enseignait au moyen d'un jeu de cartes. On le soupçonna de magie : il publia sa méthode, et c'est à Cracovle que parut la première édition de ce curieux ouvrage, en 1507: Chartiludium logice, seulogicapoeticavel memorativa cum jocundo pictasmatis exercitamento, pro communi omnium «tu- dânUum uUlitate (3). L'importance qu'on donnait dans ce temps à la mémoire est encore attestée par l'ouvrage suivant qui avait paru dans la même ville en i50i : Opusculum de arle memorativa longe utiliisimum in quo studiostts lector tam artificialibus pr^ceptis quam naturalibws medicinalibusqne documentis memoriam suam adeo fovere dimxt ut quecunque vel audita vel lecta ilU œmmendaverit tanquam in mlla penaria diutissime œnservaturus sit (4).

Les mathématiques et l'astronomie, qui faisaient partie de rensei- gnement de la faculté des arts, donnaient aussi lieu à un certain nombre de publications. Jean de Glogow faisait paraître une introduction sur l'abrégé de Pfolémée par Sacrobosco, qui devait demeurer si longtemps classique. Du maître de Jean de Glogow, Michel de Breslau, comme lui membre du grand collège des artistes, on imprimait et réimprimait un Introductorium astronomiœ, craœviense élu- cidons almanach, 150G et 1507. C'est à l'université de Cracovle que Copernic avait pris le goût de l'astronomie. Après y avoir passé cinq ans (1492-1497), 11 l'avait quittée, mais non oubliée, car s'il garda son système inédit jusqu'à sa mort, en revanche on le voit faire paraître à Cracovle en 1509, un an avant notre édition des opuscules de Lefèvre, une traduction latine des ÉpUres morales, rurales et amou- reuses de Théophylactc.

C'est précisément la logique, les mathématiques et la philosophie de la nature qui occupaient à Paris Lefèvre d'Etaples. Pour compléter le tableau de l'activité des études à Cracovle, il faut sans doute signaler la rhétorique à Herennius (1500), un Hortulus elegantiarum

(1) Mort en 1507.

(2) Voir eu CaDge à Collegiatus,

(3) Panzer, t. VI, Craeovie, n- 23.

(4) I^anzer, ibid. n* \\. Pour tout ce qui suit voir au même t. VI^ Craeovie.

UNfi ACQUISITION DK LA BIBLIOTHÈQUE DU MUSÉE PÉDAGOGIQUE 419

aeademiœ cracoviensis studenU'bus dicatus (1502), un Hésiode latin' (IS06), deux discours de Cicéron (lo07), un Eutrope (1510) et quelques traités ou modèles de Tart éplstolaire, si cultivé en ce temps-là. Mais à Craco?ie comme à Paris la place occupée par les bdlles-lettres était encore des plus modestes.

Celui qui faisait imprimer à ses frais ou qui imprimait la presque totalité de ces ouvrages, et se rendait ainsi tellement utile à Tuni- versité, le libraire Jean Ualler, était un riche et considérable person^ nage. On pourrait faire un catalogue des épithètes honorifiques dont il se gratifie et qu'il varie sans se lasser, a Aux frais de très excellente et très courtoise personne, messire Jean Haller, bourgeois de Cracovie, le parfait patron des savants » (ad impensas optimi huma' nmimique viri, doniini Johannis Haller, civis Cracoviensis virorum doC" torum fauloris excellentissimi). il est tantôt illustre f/amà<u5j, tantôt discret, avisé, sans doute ce qu'on appelait (n sage et discrète per- sonne > (circumspectus, providus) ; assez souvent a considérable « (spec- tabilis) comme dans nos deux opuscules. D autres fois, il a bien mérité de la cité (ejusdem civitatis cives admodum bene meritos), ou il est d'une honôteté éprouvée {spectatae inlegritatis). J'en passe. Ses imprimeurs ne s'oublient pas. « Par l'habile imprimeur Georges Stuchs » (per solertem Ubroruin impressorem Georgium Stuchs), « aux frais de très excellente et très courtoise personne, messire Jean Haller, o etc., « et par l'art d'habile homme Gaspar llocfeder » (arte autem solertis viri Casparis Hocfeder).

Quand la dépense lui paraissait forte, il le disait. Une fois au moins il prit un associé pour l'aider a la supporter (summa industria et impensa,,, non mediocri cura et impensa., tmpensis non modicis.. impensis sumptuet opéra,, impen sis autem Johannis U aller et Sebastiani Ifyber ejtisdem civitatis cives admodum bene merilos). D'ailleurs, non moins fidèle à sa qualification d'avisé qu'à celle d'honnête, il n'ou- bliait pas de se faire accorder des privilèges pour ces publications qui l'obligeaient à d'aussi grosses dépenses. On connaît un missel de lui, sans date (1), qui remonterait d'après M. Deschamps (art. Cra- covie) à 1475, ce qui est beaucoup. Défense est faite par l'évêque de Cracovie à tous autres de l'imprimer, sous une peine déterminée (sub certa indiria pena). Nous savons aussi qu'antérieurement à 1506 il avait obtenu, cette fois du roi de Pologne et de son conseil, un privilège en vertu duquel il était interdit sous une peine sévère de faire imprimer aucun de ses livres à l'étranger et de les introduire dans le royaume (quem quidem librumet alios quoscumque per pi œ fa- tum Ualler ea leje impre&sos quisque nossa débet : ut nemo illos alibi fjeatium exaratos : reijno introducat eosque vénales habeat gravi sub poena : ac eorundem libroi-um amissione vigore privilegii : ipsi Haller per sacram domini régis Pohniœ majestatem desuper gratiose ex con-

(Ij PaDzcr, t. IX, p. Î30, n* 7.

420 aiVUI PÉDAGOGIQUE

êilio sue serenitatis consiliariorum concept : prout fuK idem priviiegium lalius continet, Panzer, t. VI, p. i50 ea 1506). II lui fui d'autanl plus facile de poursuivre les contrefacteurs du dedans et la contrebande qu'on le trouve en 151 6 et 1 523 (1 ) consul (bourgmestre ?) et en 1524 (2) conseiller (ejusdem civitalis a consiliis). Même d'après Hoffmann (3) on le trouve déjà consul en 1508, et peut-être Tavait-il été aupara- vant. Avec sa fortune, son privilège et ses dignités, entouré des imprimeurs Georges Stuchs, Gaspar Hocfeder, Florian Ungler (ces deux derniers imprimant aussi pour leur propre compte) qu'il emploie, soit avant d'avoir lui-même des presses, soit comme auxi- liarres de ses presses; faisant avec candeur étalage de son impor- tance, Téditeur de Gracovie n'est pas sans garder une physionomie dlstinclive parmi ses grands confrèresdu commencement duxvi® siècle.

Faul-il lui accorder la gloire d'avoir introduit l'imprimerie à Gracovie et en Pologne ? ou bien y avait-il été précédé par Georges Stuchs ? Quoi qu'il en soit, on ne peut lui refuser le mérite d'avoir affermi et fait prospérer le nouvel art au moyen de ses capitaux, de son activité et de son habileté. Il était Allemand et de Nuremberg, comme ses deux premiers imprimeurs Stuchs et Hocfeder. Les marchands de Nuremberg, dit Hoffmann (4), affluaient alors à Gra- covie et y importaient les objets de première nécessité et de luxe. Sur le missel de 1475, Georges Stuchs est appelé le « concivis nurm- bergensis » de Haller. Après ce témoignage il est inutile de remar- quer avec Hoffmann (5) que les caractères employés par Haller sont semblables à ceux du Nurembergeois Krobinger qui conserva long- temps les grossiers caractères gothiques. Et d'ailleurs il faudrait alors établir une distinction entre les livres de Haller lui-même et ceux qui tout en portant sa marque et tout en ayant été publiés à ses frais sortaient des presses de ses imprimeurs.

Quant au gothique et à la grossièreté des caractères, la remarque de Hoffmann n'est que trop fondée, du moins à en juger par nos deux opuscules. 11 est fâcheux qu'en lolO un protecteur des lettres comme Haller se soit contenté de cet outillage. L'impression des deux petits livres de Lefèvre d'Etaples est Irrégulière et fatigante. De plus elle est défigurée, dans le Dialogue, par de nombreuses fautes, qui m'auraient souvent rendu difficile l'intelligence du texte si je n'avais eu comme moyen de comparaison l'édition parisienne de 1504. Sans doute elle est aussi en caractères gothiques et ses abréviations sont encore plus elliptiques que celles de Haller ; mais son aspect général est net et surtout elle confirme d'une manière heureuse ce qu'on

(!) Panzer, t. VI, Cracovie. (2: Ibid. 13) Page 5.

i*: ^ à.

CNI ACQUISITION Dfi LA BIBLIOTRÈQUI DU MUSÉC PÂDAGOGIQUI iH

sait de Tattention de Henri Estienne premier à donner avant tout des textes corrects (1).

On peut suivre dans les annales de Panzer la longue carrière de Jean Haller depuis la fin du xv^ siècle jusqu'en 15fô au moins (2). Cette année encore il parut un livre opéra domini Johannis Haller (3). De 1526 à 1528 les publications qui portent son nom ne sont pas formel- lement données comme ayant été faites par ses soins, mais seule- ment comme sortant de sa maison ou de sa boutique (ex cedibuiy ex officina). Cependant l'indication du n? 187 en i^SS : in œdibus spectabilis viri domini Johannis Haller, permet de supposer qu'il vivait encore, puisqu'il est traité de personnage considérable. Si l'on peut réellement faire remonter ses débuts jusqu'en 1475, il aurait présidé(4) aux destinées de rimprimerie polonaise pendant un espace de cin- quante-trois ans.

11 est naturel qu'une université florissante et pourvue d'un libraire habile et actif (qu'on voit réimprimer plusieurs ouvrages des meil- leurs auteurs étrangers) se soit enrichie d'une édition locale de certains traités d'un maître de Paris qui était alors en grande répu- tation. Jean Haller, qui détestait tant la contrefaçon et la contrebande, demanda-l-il à Henri Estienne et à Jacques Letèvre leur agrément? Quoi qu'il en soit, par ce qu'on sait des relations de Lefèvre avec un ou deux Polonais qui étaient correcteurs d'imprimerie (5), on peut soupçonner qu'il y eut des rapports entre le maître parisien et l'université de Cracovie. Je n'entreprendrai pas de percer ces obscurités. Arrivons à nos deux opuscules pris en eux-mêmes.

Je dirai d'abord à quelle partie du programme de la faculté des arts ils répondaient et comment ils en modifièrent avec bonheur la forme et non le fond, en rétablissant la véritable pensée d'Aristote, sans^ chercher à ébranler son autorité. Ensuite, après avoir constaté leur succès et essayé de montrer comment leur auteur était anîvé à sur- passer en science philosophique ses contemporains français, je ter- minerai par une courte exposition de sa méthode et par la traduc- tion du commencement de son dialogue.

(1 ) Voir l'éloge que lui donne à ce sujet Lefèvre d'Etaples dans la préface du Dialogue et que l'édition de Cracavio reproduit sans se douter de Tépi gramme qu'elle se décoche ainsi à elle-même. Voir aussi Renoaard, Annales de rimprimerie des Estienne.

(2) Et non jusqu'en 1521, comme le dit M. Desehamps dans l'article d'ail- leurs si intéressant Cracovie, nous avons trouvé des indications utiles.

(3) T. VI. Cracovie, 160.

(4) Non comme unique imprimeur. J'ai nommé ceux qu'il employait et dont les deux derniers, Ungler surtout, devaient de plus en plus rivaliser avec lai.

(5) L'un, Jean Solidus, signalé par Onif p. 11 de son Essai français sur lefèvre d'BUples, 1842. Je me demande si le Boleslai dont il est question dans la pré&ce du Dialogae adressée par Lefèvre à Henri Estienne ne serait pas un Polooais.

éSLi MVUI FiDAGOGIQUK

III

Nous n*avoos à considérer dans Lefëvre d'Ëlaples ni le précorseur de la Réforme, ni le traducteur des Écritures; même la plus grande partie de ses travaux sur Aristote doit nous échapper. Il ne s'agit ici que des plus modestes de ses écrits, à classer parmi les livres qu'il a composés pour les écoliers de la faculté des arts. On n'y retrouvera pas moins indépendance de son esprit et quelque chose de son àme tendre et mystique.

On sait que renseignement de la faculté des arts correspondait à peu près à notre enseignement secondaire. La licence es arts, pré- cédée elle-même d'un baccalauréat, équivalait pour Timporlance à notre baccalauréat es lettres : elle était exigée pour l'entrée dans les facultés de théologie et de médecine (i). L*étude principale dans la faculté des arts était celle des livres d' Aristote, à laquelle on se hâtait d'arriver après avoir tant bien que mal appris assez de latin pour être en état de suivre les cours et de participer aux exercices. La logique était la principale matière de l'examen du baccalauréat (2), qu'on pouvait subir dès l'âge de quatorze ans (3)^ Lefèvre a fait pour les écoliers qui se préparaient à obtenir ce pre- mier grade des introductions que nous devons mentionner en passant. Quant à l'examen de liceace, auquel on ne pouvait se pré- senter que si l'on était bachelier depuis un an et qui nous intéresse d'une façon particulière, puisque nos opuscules font partie d'une série d'ouvrages que Lefèvre avait composés pour les candidats à cet examen, il avait été longtemps purement logique (i). Mais depuis la Gn du xv« siècle, l'étude des traités d'Aristote sur ce qu'on appelait la philosophie naturelle y dominait, et les candidats à la licence étaient couramment désignés sous le nom de physiciens (o).

£n prenant leur programme tel qu'il existait en ii5â, depuis la réforme du cardinal d'Estoutevilie sous laquelle vivait Lefèvre d'Etaples, nous voyons qu'on pouvait le décomposer en trois parties : étude de la nature, morale et mathématiques. Chacune de ces parties a été l'objet des soins de Lefèvre (0). lit philosophie naturelle, la

(1) Thurot : De Corganisalion de l'enseignement dans tuniversité au moyen Age, p. 125 et p. 180.

(2) Idein, p. 51, ht. L'autre uiatièrd était la grammaire, ibid.

(3) Ideni, p. 37.

(4) Idem, p. 51.

(5) Idem, p. 101.

(6) Voir le catalogue de ses œuvres dans : Jacobus Faber Stapulensis, ein Beitrag zur Geschicfiie der Reformaiiûn in Frahkreich, par H. Graf, 1852, p. 222 ss. Cet eicellent travail se trouve dans la Zeitschrift fUrdie historische Théologie, J'avais renoncé à la possibilité d'en prendre connaissance, quand

UNE ACQUISITION DC LA BI»LI0TBÈQC1 DU MUSÉE PÉDAGOGIQUE 433

plus considérable de ces trois parties et la seule qui nous intéresse ici, compr^oi^t les livres suivants d'Arislote que les candidats k la' licence devaient avoir entendujs : la Physique, le De generatione et corruptione, le De coelo et mundOy le De semu et sensato, le De me^. moria et reininitcentia, le De longitudine et brevitate vitœ, et la méta- physique (i). Ouvrons maintenant le petit et épais volutne, d*iin format tout à fait maniable, qui parut en 1504 chez Henri Estienne pre* mier. Son titre nous promet a les paraphrases de toute la philosophie naturelle », et les 348 feuillets du volume contiennent en effet l'expli- cation ou l'analyse par Lefèvre des traités d'Aristote exigés pour la- licence. Il est vrai que le De generatione et le De memoria et remini^ scentia du programme de i452 y sont remplacés par le De anima et le De gomno et vigil a. Mais ces dilTérenccs, qui s'expliquent très probablement par une modification que Tusage avait pu introduire- en un demi-siècle, ne laissent aucun doute sur l'intention générale de Tauteur. Or, c'est dans le corps de ce livre que nous trouvons, - comme nous l'avons déjà dit, notre Introduction et notre Dialogue relatifs à la physique.

En général, on n'apprécie pas assez ce que le moyen âge dut à Aristote pour le développement des connaissances et de de la pensée. Cependant, de nos Jours encore, sans parler de l'ouvrage magistral sur sa métaphysique et de la traduction de ses œuvres complètes, qui contribuent à Thonneur de notre siècle, non seulement on main- tient l'étude de ses traités dans le programme de Tagrégation de philosophie, mais on n'a pas jugé inutile d'inscrire un de ses livres sur le programme actuel du baccalauréat es lettres. La Physique, dont on demandait la connaissance pour la licence es arts, n'est aucune- ment un recueil des opinions ou des erreui-s de l'antiquité sur les phénomènes de la nature. En suite d'une intuition dont on peut aujourd'hui mesurer la profondeur, elle n'est en réalité qu'une théo- rie du mouvement. On y trouve plutôt de la métaphysique que de la physique; c'est, dit M. Barthélémy Saint-Hilaire, une des œuvres d'Aristote les plus vraies et les plus considérables (2). Sans doute, ce qui rend pour nous la lecture Ae pareils ouvrages particulière- ment instructive, c'est qu'imbus de la méthode expérimentale et du. ses résultats, nous savons séparer dans l'étude des sciences le domaine des lois et celui des hypothèses métaphysiques. Nous pou- vons ainsi nous initier sans danger aux théories des quatre causes, de l'espace, du mouvement, etc., qui remplissent la Physique d'Ans-' tote et y discerner ce qui est véritablement solide de ce qui n'a pas pu résister k l'épreuve des siècles. Le malheur des contempora'ns

M. Weiss a eu Tobligeance de me le coiLmuniquer à la Bibliothèque du pro- testantisme français.

(1) Thurot, p. 51 ; du Boulay, IX, 390.

,2) Traduction de la Physique d'Aristote, t. I, préfacei p. iv ; cf. p. u.

éê \j^ft éiàki ék rirre cent ans anraot Racoo. MaU même alorsy il y tonul eo grand p^rofit à lire Ariatote ai c*éUit Ari<lole liriafiim f 0^011 araH la, ai an moifia m anûl été naîa en ra|iport arec aa vraie ptm%é« et ai on Tarait esarainée arec qoelqve indépendaiire. Gepro- frè» éUit r^liaé i^n Italie; la France le dol à Uterre.

Poor ta? Of r arec préâûon eo éiait aranl loi, daoa notre pays, la eonnaiaaaoce d#; la ? éiitable penaée d'Ariatote, ii faudrait af oir ki les Ufn^ d'éeole qoi étaient en laTeor lorsqoll fit paraître les aiens. La tempa me manque poor entreprendre ce trawi (1). 11 ne suffit paf de aafoir en fçr(f% qoe lea prindpauz oorra^es philrv^ophiqnes d'Afi<it/ite étaient c^innos par des tradoctiona latines de tradu«:tioQS arah^* r«ite<i elle^-mémea pour la plupart d*après des traductions ajrriaqfi^; ni qve lefi commentaires d'Averroès et d'Albert le Grand n'avai'-nt pas cea^é d'être en usage, en particulier pour la Physique. Il faudrait ana<ii d'un autre c/jté être en état de déterminer les progrè» de l'élude de la langue grecque depuis le xni« siècle et Fia- lluenc^. que ces progrès, peut-être plus grandi qu'on ne pense, devaient nroir eue [K>ur améliorer Tinterprétation des œuvres du Sta^

S rite. Sur ce second point je ne puis que renvoyer au mémoire de . Jourdain sur les traductions latines d'Aristote. On y verra (2) pour la FliyHique, le seul ouvrage qui nous importe en ce moment, qu'il en exiHlafl, longtemps avant Lefèvri d'Etaples, au moins une tra- duction faile sur In texte grec, mais elle est manuscrite, et de pareils travaux étaient probablement aus^i peu connus que rares. D'ail- leum, pour qui Hait ce que coûte de temps et de réflexion la lec- ture d'une œuvre philosophique d'Aristote; pour qui remarque combien peu encore aujourd'hui on a rei^ours aux écrits originaux. Il êf^rti clair que le commun des maîtres non seulement avait de mnuvAiKCH traductions, mais même ne s'en servait guère, se conten- tant de commentaires ou d'extraits de commentaires. Lefèvre réta- btit le flons d'Aristote. C'était beaucoup. Il fil mieux encore, au point de vue pratique, en vulgarisant ce vrai sens par ses analyses.

Ce n'était pas un rôvolulijnnaire comme Ramus. Il osait dans la mesure de co que la moyenne de aes contemporains pouvait comprendre; auHHi lui furent-ils reconnaissants. Je m'en tiendrai au témoignage dn notre édition polonaise.

Le mattro èH arlH Georges Slhavischyn, qui avait surveillé rimprosHion dos introductions à la Physique et aux livres de l'âme, toulut los recommander au lecteur. On aimera peut-être avoir une Idée de sa préface.

Il commence par célébrer los s Tvices rendus à la république des

(1) On trouvera lot titres d'unoortiln nombre de ces livres ou t. lU de la blblio(h6qu<i grecque de Kobrlcius, litrsqu'll arrive aux commentaires sur ArUtote.

(I) P. 107, 1* édition, 18^3.

UNI ACQUISITION DE LA BIBUOTHAqUE OU MUSiE PtDAGOGIQUI 43(f

lettres par Jacques d'Etaples, qui, non content d avoir paraphrasé rAristote grec avec une profonde science, a pensé à venir en aide aux débutants. Dans cette intention il a fait aussi sur chacun des principaux livres d'Aristote des Introductions qui conduisent, comme autant de chemins de traverse, au point culminant de la philosophie aristotélique. Court et net sans cesser d'être élégant, il a surpassé tous ceux qui ont publié des opuscules (Ubellos) sur les mêmes matières. Aussi quiconque veut s'initier à la vraie philo- sophie, c'est-à-dire à celle qu'on ne voit point gfttée par lacorrup» tion gothique (qtiae goihica lobe non sentitur esse infecta) doit éùe assez avisé pour ne pas dédaigner ce beau présent de Lefèvre d'Etaples. Dans les arts, comme le dit Quintilien, rien n'importe plus que les commencements. C'est pourquoi le musicien Timothée exigeait un salaire double de ceux qui avaient déjà pris des leçons d'un autre maître. Il est plus fâcheux d'avoir été mal instruit que de débuter avec la pure ignorance. Carbon se débarrasse très diffi- cilement de ce qu'on a appris lorsqu'on ne savait encore rien. Par conséquent, maîtres et écoliers ne peuvent mieux faire que d'adopter cette introduction de Lefèvre d'Etaples. Ce sera pour les uns le moyen de bien enseigner, pour les autres celui de s'instruire sans erreurs. Que le lecteur pèse donc ces Introductions à la balance de l'esprit et du bon sens. C'est sur cette invitation que Sthavischyn prend congé de lui.

Comment Lefèvre était-il parvenu à mériter cette réputation ? Avant tout, parce qu'il avait ce qui ne s'acquiert pas, l'amour du vrai qui ne prend point le change et qui fait de ceux qu'il anime des promoteurs. Quant aux circonstances qui purent le favoriser, elles sont mal connues. Les documents font défaut. Le meilleur de ses biographes a fait à deux reprises, en 1842 et 1852, des recherches minutieuses dans les écrits des contemporains et surtout dans les préfaces mêmes de Lefèvre. Il a ainsi glané des faits pré- cieux. Nous savons par lui que Lefèvre, qui devint maître es arts à Paris et qui ne paraît pas avoir pris d'autre grade, eut les directions d'Hermonyme de Sparte, mais nous ignorons si ce fut de bonne heure ou tardivement (1). Sans doute c'est surtout dans ses voyagea en Italie qu'il se perfectionna dans la connaissance de la langue grecque. Il assista dans ce pays aux luttes entre platonisants et péripatétlcicns. Parmi ces derniers se distinguait Hermolaus Barbarus, dont l't nseignement lui fut particulièrement profitable (2). C*esl en

(t) Graf, Jac. Faber Stap,, ein Beiirag, etc., p. 7. Renseignement tiré de la préface de Lefèvre in magna moralia. Mois la première édition connue de cette introduction est de 1494, quand Lefèvre avait une quarantaine d'années» Il dit d'ailleurs : c ut prœceptor est », ee qui n'indique pas que Hermonymo fut réellement son maître.

(2) Ibid, p. 9.

416 ftSTUI WtBÂGOeÊQOK

1491 qu'il alU pour la première fote en Italie (i). U avait alors une quarantaine d'années. De retoor, il importa cliez nous, pour et qui eonceme Aristote, lea traductions et les explications latines des savants grecs eC italiens. C'est surtout k Taide de ces ressoorees qall me semble avoir rédigé ses propres ouvrages, car je n'oserais ^nner qu'il savait assez bien le grec pour liîre Aristote dans le texte. On a tout lieu de croire qu'il enseigna dans le collège du cardinal Lemoioe et que c*est qu'il commença à former de nom- breux disciples (i) . Ses paraphrases s'adressaient aux plus avancés. U nous reste k voir par son introduction et son dialogue comment il s'y prenait avec les plus jeunes.

Quoique celui qui, très anciennement d'ailleurs, a relié notre volume, ait placé l'Introduction à la fin, c'est par elle qu'il faut com- mencer, car elle a été composée avant le Dialogue qui en suppose la connaissance.

Cette introduction aux huit livres de la Physique d' Aristote con- siste jnx)prement en sept paragraphes dont le plus long n'a pas plus de vingt-cinq lignes et dont le plus court en a six et demie. Chaque paragraphe contient une série définitions courtes, nettes, d'une

Srécision géométrique. Le premier a pour objet la nature, le second I cause, le troisième le mouvement, le quatrième l'infini, le cin- quième le Heu, le sixième le vide, le dernier le temps. Des expli- cations de Josse Qictou, disciple et collaborateur connu de Lefèvre, s'intercalent, comme on Fa déjà vu, entre les paragraphes. Elles les surpassent notablement en étendue et suppléent leur extrême conci- sion. Elles manquent dans l'édition de 1504, mais à leur place on trouve à la suite de l'Introduction une paraphrase relativement considérable. L'Introduction est elle-même résumée dans une grande figure qui représente la sphère terrestre, entourée des cercles concentriques de l'eau, de l'air et du feu. Cette figure con- tient dans sa circonférence sept petits cercles diversement disposés, dont chacun correspond à un chapitre de l'Introduction et en ren- ferme pittoresquement le sommaire. Je regrette d'avoir à dire que cette figure, ti^s nette dans l'édition de 1501, est ici, dans les cercles du mouvement et de la cause, un véritable barbouillage.

Le lecteur a sans doute deviné que l'élève devait apprendre par cœur les sept paragraphes sur lesquels il recevait ensuite les expli- cations du maître. Quant k rillustration par les cercles, elle rappelle les figures géométriques de toute sorte dont on se servait depuis longtemps en logique pour représenter la suite et les termes du raisonnement (3). On se souvient aussi du jeu de cartes de Mûmer,

(1) Ibid. p. 8.

(2) Graf, p. 12. .

(3) a. Monteil, BisU des Français des divers États, I, ép. A6.

UNE ACQUISITION DE LA BIBUOTBiQUI DU MUStE PtDAGOGIQUX 4S7

Lefèvre paraît avoir attaché nne véritable importance à sa figura (i). Ainsi, quant au rôle de la mémoire et aux procédés extérieurs, jusqu'à présent il n'a rien changé. La précision supérieure de ces résumés, qualité toute française, et- la réputation de science de Fauteur, pouvaient attirer miûlres et écoliers sans que leurs habi* tudes fussent choquées (2).

U ne s'en tint pas aux Introductions, même développées par Josse Clictou. Dans ses leçons orales il interrogeait, commentait, donnait des explications familières et proportionnées k Fâge ou à l'intellir gence de Télève : telle était évidemment une des causes de son succès. Ne pas laisser perdre des leçons aussi fructueuses ; composer sur les introductions prises comme thème des entretiens qui repro* duiraient lallure et la substance de son enseignement, c'était une idée bien naturelle. Cependant el!e ne vint pas de lui. Il nous apprend avec candeur (3) qu'elle lui fut suggérée par le jeune (jruillaume Gontier, qui l'avait accompagné dans l'un de ses voyages en Italie. En agissant ainsi ^ lui avait dit Gontier, vous apprendrez aux maîtres comment ils doivent diriger leurs interrogations, et ainsi vous serez utile en môme temps au maître et à l'écolier* Celui-ci devait d'abord apprendre rintrodiiction correspondante au sujet du Dialogue. Sur cette matière avait lieu i'interrogitoire, conduit non seulement dans Tordre des paragraphes de Tlntroduction, mais encore dans l'ordre de chaque paragraphe, de sorte que l'introduc** tion elle-même devait se retrouver tout entière (avec les dévelop- pements nécessaires) dans les réponses de l'élève. Pour plus de précaution, la tournure de chaque question indiquait (au moins dans les dialogues sur la métaphysique) si la réponse devait ôtre négative ou afiirmative. On voit qu'au lieu de se défier de la mémoire, rauleurne négligeait aucun moyen d'y avoir recours. 11 allait jusqu'à Texcès. Cependant, pour n'être pas trop surpris de ce qu'il y a de très simple, de très familier et même d'un peu mécanique dans celte méthode appliquée aux plus subtiles questions que puisse se poser l'esprit humain, n'oublions pas le jeune âge des élèves. On pouvait être licencié es arts à quinze ans : sans doute on ne l'était guère en général que deux ou trois ans plus tard ; mais dans le Dialogue sur la physique il s'agit d'écoliers qui jouent encore (^l):

(1) Il la décrit dans le dialogue.

(î) Ce qui vient d'éu-e dit sur l'Introduction à la physique s'applique d'une manière gi'nérale aui autres Introductions de Lefèvre, sans qu'il soit, néces^ taire de les énumérer.

(3) En tète des quatre Dialogues sur la métaphysique, p. 312, au verso, de l'édition de 1501 de Totiut philosophiœ tiaturalis paraphrases,

(4) Celui qui est Interrogé dans ce Dialogue n'aime pas à jouer parce quMt est d'une gravité exceptionnelle : On. Malles tamen modo aliqm fàco ctim

sto Nœro $t aliarwn adolesœntUm turba patrii recessum int«rcblM$ci.

4tt BlfUB rtMMOOQCB

éfoqoer fd l'idée des dia1ogoe9 de Ptateo lenit pu* tiop ambi-

Le bot def Dialogues de LeCHrre est dooc très net Ds soot ose Méthode poor faire eompreodre (en allaat do facile ao difteile, poisqne les diflleullés de la physique soot traitées à part daos on seeood dialogue; et poor faire retenir à des écoliers relatiTeoMot très Jeunes des notions qui devaient leur paraître fort abstraites. Leièrre les insinue à force de simplicité et d'agrément. On doit donc, malgré les rf^ssemblances de forme, éviter de confondre ces diaU^giies avec les colloques qui eurent poor objet de former à la conversation en langue latine. Cerlainement Lefèvre, par sa méthode, (acililait aux écoliers les moyens de faire à kurs maîtres des réponses qui, selon la coutume, avaient lieu en latin ; mais son inten- tion était de leur apprendre les éléments de la philosophie péripa- téticienne et non les élégances de la conversation en langue latine considérée en elle-même. Cest un philosophe, non un humaniste (t).

En lisant les premières pages de notre Dialogue, on est frappé de leur ressemblance avec la marche d'une comédie, l^fbvre, à son insu, ou pour donner un agrément de plus à son opuscule, y repro- duit la forme des comédies de collège qui étaient alors tellement à la mode. I^s noms de ses personnages représentent des qualités pures, des abstractions, contrairement à Tusage des colloques et con- formément À celui des moralités françaises ou de plusieurs comédies de RavisiuH Textor. Mais surtout il serait facile de diviser le com- mencement du Dialogue en scènes qui se passeraient sur un de ces théâtres du moyen ftge, des groupes d'acteurs éloignés les uns des autres et placés devant des décors dilTérents dialoguaient tour à tour. Voici, d'ailleurs, comment le bon Lefèvre, ?ans se presser, amène rinlerrogatoire sur la physique d'Arislote.

Nous sommes dans un collège, peut-èlre celui du cardinal Lemoine an supposant (lu'il eût un verger, car une partie de la scène (si on me passe cette façon do parler) représente un verger (3). Deux maîtres t'v promùnent. A quelque distance, une cour (4) jouent des écoliers. Le premier des maîtres a nom Hermeneus, c'est-à-dire l'interprète, le second Oneropolus, en latin Conjector, c'est-à-dire

Kl», hno diiici*ndo et audiendo^ nam pu.rilium jocorum oonsuetudinem non habfo fi<f7t40 me obUctant quicquam,

(1) H y a deui DUlogaes de Lefèvre sur la physique d'Àristote : le premier sur la physique engéniSral etcorrdspoadant à ootre latroduction, c'est celui

Îul NO trouve dans notre volume ; le second qu'il faut chereher dans l'édition 1504, p. S8I tu verio à 303.

(I) S'il f illalt àbiolument des analogies, c'est aui entretiens d'Alcuin et de P^pln, par e&emple, qu'on pourrait eo demander. (3) pamorio dêomMant (i* page du Dialogue). (k) Kile n'eit pas meatioiuiée, mais Joueraient-ils sinon dans une cour t

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rhomme qui sait expliquer les songes : le choix de ce second nom, qu'il ne faut pas prendre en mauvaise part, est assez singulier. Les appellerons-nous l'un le TradtActeur et l'autre le Commentateur? irons* nous plus loin? Verrons-nous dans l'un Jacques Lefèvre et dans l'autre Josse Clictoa? laissons-leur les noms grecs qui leur ont été donnés par l'auteur.

Hermeneus raconte à Oneropolus comme quoi Polypragmon (Nego- çiatOTy le Marchand) vient de le quitter après leur avoir laissé son tils dont il leur confie l'éducation (ce fils, Epiponus, Laboriosus^ le Laborieux, est en ce moment dans la cour avec ses nouveaux cama- rades). « Oneropolus, notre hôte Polypragmon nous a confié à tous les deux l'éducation et l'instruction de son fils. C'est son fils unique : il le chérit avec une extrême tendresse. Tout a l'heure il était ici ; tu t'étais absenté. Il m'a tiré à part et m'a dit sans être entendu de son fils : Hermeneus^ j'ai souvent entendu dire et avec raison que les philosophes qui sont si savants ne savent pas tromper, mais comme le travail des cultivateurs fertilise les champs stériles, ils cultivent les «esprits stériles des jeunes gens et les amènent à une vertu féconde. Tout ignorant que je sois des objets de leurs occupations (car mes parents ont dirigé ma jeunesse d'un autre côté), je n'en ai pas moins pour eux la plus grande sympathie. Je déplore souvent de vivre comme un aveugle et je ne trouve heureux que vous seuls (|ui êtes habiles dons les lettres; voilà pourquoi j'ai mis tout particu- lièrement ma confiance (i) en Oneropolus et en toi, vous priant de vous charger de mon fils pendant qu'il en est temps, afin qu'arrivé à la vieillesse il ne fasse pas conmie moi et ne maudisse pas une vie condamnée à Tignorance. 0 Hermeneus, c*est mon unique héritier, pourvu que Dieu me le conserve. Je suis vieux et ne puis plus espérer d'en avoir un autre. Je vous le recommande à tous les deux, afin que vous soyez pour lui des pères. Vous jugerez de son zèle. 11 n'aurait jamais cessé de m'obséder nuit et jour de ses prières si je ne vous l'avais amené. 11 est à vous, prenez soin de lui, je le mets sous votre protection. Alors il appelle son fils (S) : Epiponus, lui dit-il, Hermeneus que tu vois se charge de toi à partir de ce moment. Regarde-le comme un père; obéis-lui en tout; honore-le, il te rendra honnête et savant. Voilà les richesses que je ne pouvais te laisser : il peut t'en rendre possesseur. Et après avoir franchi le seuil, les yeux pleins de larmes : Adieu, Hermeneus, m'a-t-il dit: portez-vous toujours bien, Oneropolus et toi : salue-le de ma part. Je lui dis alors : Polypragmon, reste au moins aujourd'hui à dhier avec nous et tu recommanderas toi-m^me ton fils à Oneropolus. Tu ne pourrais nous faire un plus grand plaisir. Cela m'est impossible, n-t-il répondu; mes affaires me pressent et exigent ma présence.

(1) eam^ éd. de Cracovie. meaiiif édition de 1504.

(2) On a reconnu une rémiDiseence du commeucement de ÏAndrietme,

430 :• ftiruK PÉDAOOoiQuk

Quant à vous, pour eette éducation littéraire de mon fils, tous n'avez pas besoin de moi. Comme tu voudras, lui dis-je, pourvu qae tu nous promettes de revenir un jour nous voir et de rester avec nous quelque temps. Je le promets, dit-il, et je vous laisse mon tiÛs en otage. Et il s'en est allé. Veux-tu* donc que nous fas- sions venir l'enfant, pour le voir toi-même et le questionner? Oreropolus. Je le veux bien. »

Va-t-on philosopher? pas encore. Le jeune Epiponus, par Tinter- médiaire d'un camarade, est appelé auprès des deux maîtres. U arrive, et le dialogue suivant s'engage entre eux et lui :

Oneropolus. Aimable fils de Polypragmon, comment t'appelles- tu? Epiponus. Epiponus, mon excellent maître. On. Eh bien, dis-mo! dans quelle disposition tu te trouves. Ep. Je suis très heureux, puisque vous voulez bien tous les deux m'instruire dans les let- tres. — On. Voilà des dispositions excellentes. Et tu aimes vérita- blement les lettres? Ep. Oh ! beaucoup. On. Cependant tu aime- rais mieux jouer à quelque jeu avec Noerus et tous tes autres cama- rades pour oublier le départ de ton père. £p. Non, mais j*aimerais bien mieux l'oublier en apprenant et en écoutant, car je n'ai pas l'habilude des jeux d'enfant et ils ne me font aucun plaisir. On. Qu'est-ce qui te fait donc plaisir? Ep. Les livres et l'étude des lel- Jres. Herm. En vérité! voilà qui est très bien pour ton âge et qui témoigne d'un bon naturel. On. Mais que désires-tu surtout apprendre et entendre? Ep. La philosophie. On. Tu crois donc savoir raisonnablement la logique? (1) Ep. Mettez-moi quelque peu à l'épreuve, et si je ne réponds pas convenablement, je tends tout de suite la main à la férule. On. C^est bien. Noerus, donne une Introduction de la physique à ton camarade. Il la lira trois ou quatre fois pour l'apprendre par cœur. En attendant nous ferons quelques tours. Noercs. J'y vais. »

Les deux écoliers disparaissent. Restés seuls, les deux maîtres parlent de leur nouvel élève.

« Herm. Attendez un peu, ils ne tarderont pas à revenir. Mais, One- ropolus, que penses-tu de cet enfant? On. J'en espère beaucoup do bien. U a Tair ouvert, bon et loyal. Polypragmon chérit son fils. J'espère qu'il aimera mieux le laisser se perfectionner Tesprit que suivre le métier paternel... (2). Herm. Tu as raison, Polypragmon est très riche. Jamais il ne se relâche du soin d'amasser, et sou fils unique n'aura pas besoin de se faire marchand. Mais s'il sort de nos mains sage et savant, il fera convenablement, justement et libéralement usage des richesses que Polypragmon s'est acquises

(1) Te ergo in ralionabilibus diiciplinis mediocriltr ientis instilutum, On se souvient que l'étude de la philosophie était précédée de celle de la logique proprement dite.

[t] Le texte est t'aulif^ et je n'ai plus sous les yeux l'édition de 1504.

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par tant de soins^ de veilles^ de dangers et de fatigues. On. Oui» il en fera justement et libéralement usage. Mais voici l'enfant qui revient. »

Personne ne fera l'injure à Lefèvre de penser que ses maîtres veulent dresser dans leur intérêt un futur Mécène. Pour s'adonner plus librement à l'étude, il avait fait à ses frères et à ses neveux l'abandon de son patrimoine. C'était le désintéressement même, d'après Scévole de Sainte-Marthe (i).

c Me voici, dit ëpiponus de retour. On. Très bien. T'es -tu appli- qué a savoir par coeur ce que je t'avais donné à apprendre? Ep. Je le sais. ~ On. Maintenant, fais bien attention. Ep. Oui. On. Vois tu la figure qui est au commencement de notre Intro- duction? — Ep. Oui. On. L'ensemble de cette figure nous repré- sente le monde sensible, etc. »

La leçon commence. Elle se poursuit sur un ton aimable, avec de douces plaisanteries, des exemples, des citations de vers latins, qui l'empêchent de devenir sèche et ennuyeuse.

On peut maintenant se rendre compte du rôle qu'a joué Lefèvre d'Étaples dans l'histoire de la pédagogie française. Là, comme pour la Réforme (2) et pour la traduclion des Ecritures, il a été un de ces précurseurs modestes qui ouvrent le sentier les autres pour- ront s'avancer. S'il n'était pas un humaniste, il a facilité d'avance le développement de l'humanisme. De son temps les belles-lettres n'avaient encore pour ainsi dire aucune place dans l'enseignement secondaire. On passait sans transition de médiocres études gramma* ticales à la logique et à la philosophie. H n*a pas contribué à intro- duire dans la faculté des arts les auteurs profanes que sa piété n'aimait guère (3). Mais en rendant aux physiciens l'Aristote grec, surtout en l'expliquant avec simplicité et avec charme, il a fait pénétrer, dès la fin du xv^ siècle, dans un domaine qui semble avoir été jusqu^à lui bien barbare, le véritable esprit philosophique et lit- téraire. Aussi bien, on s'en souvient peut-être (4), ces deux mots sont pour lui synonymes.

11 va plus loin : pour lui philosophie, belles-lettres et bonnes mœurs, comme nous l'apprend le commencement de son dialogue, se fondent dans un ensemble il ne les dislingue plus les unes (les autres. Aussi, comme il voit tout a travers son cœur, les philo-

(1) Grof. Éludo allemande, p. 5 et 6.

{±} Je n'avaiâ pas k parler du uiysiicisme de Lelèvre d'ËUples. 11 m'a paru nu tiie de rappeler que ce resUui'ateur en France de la pensée d'Aristote était pénétré du néoplatonisme chn*tien du pseudo-Denys l'Aréopagite, qu'il édita en 1498. Je ne pouvais, dans un article de circonstance, déjà trop long, corn* prendre l'étude de la pensée philosophique de Lefèvre d'Étaples.

[3) Voir Graf, étude allemande, p. 10, ou l'Essai français du qiéme, p. 7.

(4) Voir ce que j'ai traduit da Dialogue.

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sophes au milieu desquels il vit» Tuniversité, tout lui paraît (et cependant il était arrivé à Tftge mûr) un modèle d*amabiiité et de concorde (i). Il est bon de passer quelques moments avec lui, de feuilleter encore ses modestes ouvrages. On regrettera peut-être que nos deux opuscules imprimés aux frais deHaller n'aient pas passé, à cause de leur rareté, à la réserve de la Bibliothèque nationale. Mais il est bien à sa place au Musée pédagogique, ce petit monument d'une réforme modérée dans l'histoire de nos études; de la méthode d'un maître à la fois habile et aimant; et enfin de l'influence fran- çaise en matière d'enseignement, par delà l'Allemagne, dans une université généralement mal connue de l'Europe Orientale.

L. Massebieau.

A PROPOS DU CONGRES DU HAVRE

Nous l'ecevons la communication suivante :

Le Comité d'organisation du Congrès international d'instituteurs du Havre a reconnu qu'une lacune regrettable existait dans 1 article premier du règlement. Il ^'est enipressé de la combler et a modilié comme suit cet article :

a Sont invités à prendre part aux travaux du Congrès, sur la présentation de leur carte d admission, toutes les personnes faisant partie du corps de renseignement primaire : instituteurs et iostitu- trices titulaires ou adyointes, publics ou privés; directrices et sous- directrices des écoles maternelles; directeurs, directrices et personnel enseignant des écoles normales; inspecteurs primaii-es, inspecteurà d'aaidémie et inspecteurs généraux ».

Le maire da Havre, Président du Comilé d'organisation du Congrès ^

Jules Siegfried.

(1) Voir la préface du Dialogue, et dans redition de 1504, une dédicace à UD dignitaire de l'université, que je ne puis désigner avec plus de préci- sioD, n'ayant pas le livre entre les mains.

LES COMMISSIONS SCOLAIRES

La rédaction de la Revive pédagogique a reçu la lettre suivante, qui nous est parvenue trop tard pour é(re publiée dans notre précédent numéro :

Ségalas (Basses-Pyrénées), 25 mars 1885.

Monsieur le Directeur,

J'ai lu avec beaucoup dlntérét la lettre de M. Ed. Dreyfus- Brisac sur les commissions scolaires, que vous avez insérée dans la Revue pédagogique du 15 mars. Les faits qu'il signale dans le Nord, je les constale dans le Itfidi, et cependant, quoique notre point de départ soit le même, je suis très loin d'arriver aux mêmes conclu- sions que lui.

Voici trois ans que je suis, comme lui, membre de diverses commissions scolaires, soit comme délégué de la commune^ soit comme délégué de TadmiDistration, et je n'hésite pas à dire, avec lui, que « si Ton ne prend pas des mesures énergiques, l'obligation dans nos écoles restera à l'état de lettre morte ». Dans la plupart des communes rurales de notre département, la commission scolaire ne se réunit pas plus de deux fois Fan, et dans un très grand nombre elle ne se réunit plus jamais. Quand une commission scolaire rurale se réunit, à moins que par hasard Finspecteur primaire n'assiste à la séance, ou que par un hasard plus rare encore elle ne compte dans ses rangs quelque personne animée d'un zèle ardent et résolue à se rendre impopulaire, la séance est parfaitement stérile : elle consiste dans l'enregistrement pur et simple des listes d'absences. De rappel des parents à l'exécution de la loi, d'affichage, d'amende, il n'en est pas question, ou il n'en est question que pour la forme. En effet, ces diverses sanctions étant échelonnées selon une gradation régulière qui va de la simple citation à l'amende^ il serait indispensable, pour qu'elles fussent appliquées, que les séances de la commission fussent régulières et fréquentes. On ne « cite » pas les parents à une échéance de six mois. On ne les « affiche » pas pour des absences vieilles d'une année.

Mais pourquoi la commission ne se réunit-elle pas? lié ! mon Dieu, pour une raison bien simple. C'est que son rôle, et particu- lièrement celui du maire, son président, est éminemment désa- gréable. Le maire, s'il le prend au sérieux, est assuré de se rendi*e promptement impopulaire, de revêtir aux yeux de ses administrés un personnage fâcheux, importun. Franchement, faut-il en vouloir

REVUE PÉDAGOGIQUE 1885. SEM. 28

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beaucoup à oot brares maire^de campagne de ce que, tout libéraux qu*ilf «oient et franchement dévoués au progrès , ils éludent cette corvée, ils hésitent à sacrifier à un intérêt tout spirituel leur popu- larité, TaiTection de leurs administrés? S'ils le comprenaient clairement, cet intérêt, à coup sûr ils seraient moins hésitants, ils rechigneraient moins. iU le comprendront un jour, je Tespère* je le crois fermement. Mais encore faudrait-il le leur expliquer, et c'est ce que personne jusqu'ici n'a pris soin de faire. La loi scolaire, ils n'en pensent pas de mal ; mais enfin quand elle est tombée sur eux un beau jour, il y a trois ans, elle les a brusquement investis d'une dignité nouvelle, fort honorable assurément, mais quelque peu enibarrasKante quand on n'y est pas préparé : elle a fait de chacun d'eux le p^^re spirituel de sa commune. £Ue lui a mis une férule en main, avec mission de ne pas l'épargner aux récalcitranls. Or la férule est parfois un instrument aussi désagréable a manier qu'à subir. Notre maire s'est empressé de déposer la sienne dans un coin, 011 il la laisse dormir. Il ne l'en tire qu'à son corps défendant, quand il est mis en demeure par l'inspecteur primaire, ou par quelque brouillon de délégué qull donnerait volontiers au diable : même alors il tâche de la manier pour la forme, sans faire de mal à personne.

Co que je diâ du maire est vrai de chacun des conseillers ou des notables qui TassisteDt. Chacun d'eux n'est là, en somme, que parce qu'il a su se concilier la confiance des gens de Tendroit. Il les connaît tous par leur nom ; 11 les rencontre à toute heure du jour. Vous le mettez dans un terrible embarras en lui demandant de frapper tels ou tels de ces braves gens, de s'exposer à les voir s'écarter de lui comme d'un faiseur d'embarras ou d'un tyran de village. Mais l'inspecteur primaire, direz-vous ? D'abord l'inspecteur primaire est dans Timpossibililé matérielle do visiter chacune de ses communes plus d'une ou deux fois l'an. Qn(iuante dimanches par an, la commune est donc à l'abri de son intervention. Et puis, quand il la visite, que voulez-vous qu'il fasse, je vous prie ? Son rôle est de pure prédication. Il n'a pas qualité pour commander, pour sévir. Il est, aux yeux du maire, le représentant d'une administration étrangère, qui n'a que faire de s'immiscer dans la politique municipale, qui ne peut qu'expliquer, conseiller, exhorter, mais dont la parole est dépourvue d'autorité parce qu'elle est dépourvue de sanction. Il faut l'avoir vu à l'œuvre, comme je l'y ai vu souvent, dans les communes indifférentes ou hostiles, pour se convaincre à la fois de son zèle infatigable et de sa parfaite impuissance.

11 a prévenu la commission qu'elle ait à se réunir tel jour; ii arrive, il exprime son regret que la commission n'ait tenu aucune séance depuis six mois; il montre le résultat, les listes d'absence bourrées de noms plus nombreux chaque mois; il commente la|loi.

LES COMMISSIONS SCOLAIRES 433

il fait appel au patriotisme, à Famour-propre des assistants, c Vods ne voulez pas que votre commune soit la dernière de France, se couvre de honte... Et puis Tinstniction du peuple, c'est la grande œuvre républicaine, messieurs, qui le sait mieux que vous?.«. Et enfin, c'est la loi, une loi dûment obligatoire, et vous devez la faire respecter, etc., etc. » Chacun des assistants reçoit l'averse avec une parfaite philosophie. Le maire même ne refuse pas les marques d'assentiment. < C'est vrai ; il a raison, messieurs, il faut que la loi soit obéie. Nous allons y mettre bon ordre. » On se sépare sur ren- gagement de convoquer « pour la prochaine séance » quelques-uns des parents les plus compromis, et de se réunir régulièrement tous les mois. L'inspecteur s'en va, et... rien n'est changé. Il n'y a pas de « prochaine séance », et les enfants continuent de manquer l'école avec le même entrain.

Quel est donc le remède à un pareil état de choses ?

Tout d'abord, à mon sens, la loi actuelle, toute défectueuse que je l'estime, n'a pu encore donner tout son fruit parce que personne je veux dire personne ayant autorité n'a pris soin d'édifier les mu- nicipalités sur le caractère obligatoire de cette loi. Ceci a l'air d'une naïveté, toute loi étant par définition obligatoire. Par définition^, oui ; mais en fait, c'est autre chose. Si l'administration préfectorale, la seule ayant compétence et autorité en matière municipale, laisse dormir la loi, n'invite pas les maires k la faire respecter, ferme les yeux sur les infractions de plus en plus fréquentes, paraît enfin se désintéresser de la chose, soyez assuré que rien ne vaincra l'inertie des commissions. Elles se sentent absoutes, sinon approuvées, par leur administration. L'autre, la scolaire, dans la personne de l'inspec- teur, peut se démener, discourir, faire du zèle : toute sa peine est perdue; on l'écoutera sans bouger.

Le fait est que la première année, les commissions ont montré beaucoup plus de zèle : c'est qu'elles ne savaient pas alors si la loi n'était pas pour de bon, si en l'éludant ou en la violant on ne s'expo- serait pas à quelque mésaventure. L'expérience les a rassurées. Elles ont reconnu qu'on en était quitte pour la harangue annuelle ou se« mestrielle de l'inspecteur : ce n'est pas la peine pour si peu de « se mettre mal » avec la commune.

Ainsi, à mon avis, une action énergique de la préfecture et de la sous-préfecture, des circulaires nettes et fermes de ton, l'interven- tion fréquente du sous-préfet, au besoin quelques exemples, quel- ques maires dûment admonestés, quelques-uns suspendus ou révo- qués, voilà qui vaudrait mieux que toute l'éloquence et la diplomatie de l'inspecteur primaire. Les autorités municipales ne se retran- cheraient plus derrière une incertitude affectée ou réelle sur le caractère obligatoire de leur action : elles se sentiraient mises en demeure, surveillées, elles comprendraient que le temps du confor- table laisser faire est passé et, comme on dit, elles marcheraient.

436 KEVDC PtDAÛOGkQVK

Il y aurait aussi, je crois, an meilleur parti à tirer d'un des prin- cipaux ressorts de la loi, à savoir la délégation cantonale. Cette idée de faire appel a tous les hommes de bonne volonté et de leur demander leur concours est juste et peut devenir féconde. Mai)» encore laudraitril stimuler, entretenir, récompenser de temps en temps ce zèle. Le meilleur d*enlre nous est toujours un peu comme le Pharisien de rÉvaogiie qui, lorsqu'il faisait le bien, aimait à être ▼u des hommes. Le délégué, absolument laissé à lui-même, finit par se lasser d'aller dans des communes presque toujours éloignées livrer cette bataille sans gloire contre une- inertie, une mauvaise volonté presque inviocibles; le découragement, puis la résignation ne tardent pas à faire place en lui au beau feu des premiers jours, et bientôt c*est tout au plus s'il visite ses communes une ou deux lois Tan, pour y tenir une séance qui n'est qu'une simple formalité. Quelquefois il renonce même à cette visite annuelle et se désintéresse d'une œuvre aussi ingrate. Son zèle serait bien autrement optimiste et persévérant, s'il se sentait soutenu, suivi par l'administration, appuyé par ses collègues. Que faudrait-il pour cela ? Peu de chose. D'abord une ou deux réunions générales au chef-lieu, l'inspec- teur d'académie et le préfet marqueraient aux délégués leur sym- pathie, rendraient témoignage aux eflorts des plus zélés, donneraient à tous le sentiment qu'ils travaillent non pas dans le vide, mais pour le bien et sous le regard au pays. Des réunions partielles, plus fréquentes, au chef-lieu d'arrondissement, seraient présidées par le sous-préfet et l'inspecteur primaire : le caractère de ces réunions serait tout pratique; on y comparerait les résultats; on discuterait les cas difficiles; on se consulterait mutuellement; enfin, pour employer une locution populaire, on se sentirait les coudes, ce qui est une des conditions indispensables de toute activité coUeclive. (Chacun retournerait dans sa chaumière ravitaillé, fortifié, prêt à recommencer le bon combat.

L'intervention énergique de l'administration préfectorale, un meil- leur maniement de la délégation auraient, je n'en doute pas, un résultat excellent. Cela suffirait-il pour que l'obligation cessât d'être une fiction et imssât d'abord dans les faits et puis dans les mœurs? h*, no le pense pas. La loi est selon moi défectueuse et il faudra en venir à la modifier. Je m'explique.

La pensée qui a manifestement inspiré le législateur est profon- dément respectable, généreuse, libérale au premier chef. On y sent la préoccupation de n'entreprendre que le moins possible sur la liberté individuelle et pour cela de confier l'exécution de la loi à ceux-là mêmes qui doivent la subir. On sent également l'esprit démo- cratique au meilleur sens du mot, dans ce désir d'intéresser les popu- lations à l'œuvre de leur éducation, de les y faire participer active- ment au lieu de la leur conférer d'en haut comme un don gratuit.

Cette conception, digne de tant d éloges, n'est malheureusement

LES COMMISSIONS SCOLAiaBS 437

pas pratique. Elle est entachée d'un excès d'optimisme. Elle a le tort fondamental de ne tenir aucun compte de l'égoîsme, ce vice humain par excellence qu'aucun progrès politique ou social ne pourra, je ne dis pas faire disparaître, mais même diminuer sensiblement. Elle part de cette' supposition chimérique qu'il existe dems chaque com- mune un groupe de personnes pleines de zèle pour le bien public, prêtes à lui tout sacrifier, et que c'est justement parmi elles qu'ont été choisies les autorités municipales.

En réalité, c'est une vérité incontestable, pour qui a vécu de la vie rurale, qu'il ne faut pas demander au maire et à ses conseillers un tel effort de désintéressement; ils préféreront toujours d'instinct, à l'œuvre toute idéale de l'éducation populaire, la paix de la commune et le soin de leur popularité. Ce n'est donc pas à eux qu'il faut conférer l'initiative; ce n'est pas entre leurs mains qu'il faut remettre la loi.

On le voit, bien loin de demander avec M. Dreyfus « que les pou- voirs des commissions soient aussi étendus que possible », que leur initiative soit encore agrandie, j'estime qu'il importe de modifier la loi dans un sens tout opposé. Il faut retirer à la commission tout autre pouvoir que celui de conseil et de contrôle, dont elle usera sagement, et porter aux mains de l'inspecteur primaire l'initiative, le pouvoir exécutif, dont elle refusera toujours d'user autrement que ad pompam et ostentationem.

L'inspecteur reçoit tous les mois un double des listes scolaires d'absence. Il choisirait, dans chacune, les noms de deux ou trois pères de famille, les plus fautifs, et leur adresserait, par le canal de la mairie, un avertissement imprimé, portant menace de citation devant le juge de paix en cas de récidive. La citation devant la commission, la réprimande et Taffichage seraient supprimés : ce sont des moyens de répression beaucoup trop paternels; je puis affir- mer par expérience qu'ils sont de nul efi'et, et tous mes collègues de ma connaissance ont fait la même constatation.

Que si le père de famille ainsi menacé ou frappé estimait avoir quelque excuse valable, être dans tel cas spécifié par la loi, il aurait recours devant la commission, qui remplirait alors son natu- rel office de juridiction locale, de contrôle et de protection.

Enfin, en cas de litige qui serait infim'ment rare entre la commission et l'inspecteur, il appartiendrait au préfet ou à son administration de décider souverainement.

Je crois qu'une telle modification de la loi aurait d'immenses avantages et fort peu d'inconvénients.

Le principal inconvénient serait le surcroît de travail imposé a Tinspecteur. Mais ce surcroît serait-il bien considérable? 11 faut déjà que l'inspecteur reçoive et parcoure les listes d'absence. 11 ne lui faudrait pas beaucoup plus de temps pour cueillir les noms les plus compromis et mettre sous bande les avertissements tout imprimés. Il s'épargnerait en revanche l'inutile et impuissante dépense de forces

438 RSVUE PÉDAGOGIQUE

qu'il fait en ce moment pour vaincre la résistance passive des com- missions. Je crois qu'il gagnerait au change.

L'objection tirée des dangers de l'ingérence de l'inspecteur dans la vie communale ne me paraît pas sérieuse. La commission sei-a pour contrôler, adoucir au besoin, arrêter cette ingérence, pour empêcher tout abus de pouvoir.

Voyez, en revanche, le bénéfice. L'exécution de la loi assurée, dans la mesure du possible, par un fonctionnaire impartial et com- pétent, qui la comprend sans doute mieux que personne. La com- mission municipale déchargée de l'office odieux de la répression, investie au contraire d'un mandat agréable et disposée, par conséquent, à tenir des séances aussi fréquentes qu'il sera nécessaire. Autant elle rechigne à présent devant l'ingrale corvée qui lui est imposée, autant elle mettra d'empressement et de bonne grâce à s'acquitter de fendions propres à lui concilier le respect et la reconnaissance de tous. . Telles sont en résumé, monsieur le directeur, les conclusions aux- quelles m'ont amené mon expérience et l'expérience de tous ceux de mes collègues qu'il m*a été donné d'entretenir. Vous ne jugerez peut-être pas inutile de les placer sous les yeux de vos lecteurs, en regard de l'opinion de l'éminent directeur de la Revue internationale de renseignement.

Je vous prie d'agréer, monsieur, l'expression de mes sentiments dévoués.

h' Élie Pécaut, Membre fie la délégation cantonale des Basses-Pyrénées,

LES COMMISSIONS D'EXAMEN

On nous écrit ce qui suit :

Toulouse, le 20 avril 1885. Monsieur le Rédacteur,

Permettez-moi, comme membre actif et dévoué des commissions chargées d'examiner les aspirants et les aspirantes aux divers brevets de l'enseignement primaire, de soumettre à votre apprécia- tion et à celle de vos lecteurs les inconvénients fort graves qui me paraissent résulter de la gratuité de ces fonctions. Je crois pouvoir le faire au nom d'un grand nombre de mes collègues qui, comme moi, n'ont pas reculé jusqu'ici et ne reculeront peut-être pas davantage à l'avenir devant la tâche qu'on Impose à leur dévoue- ment, mais qui, comme moi aussi, sont persuadés que ces examens seraient beaucoup mieux faits s'ils étaient rétribués.

Cette rétribution existe dans plusieurs villes, sans compter Paris mais elle est abandonnée à la bonne volonté ou aux ressources, souvent fort précaires, des Conseils généraux. A Toulouse, il n'y a

LES COMMISSIONS d'examen 439

même pas de fonds pour certaines nécessités matérielles de Texamen, et la préfecture se borne à nous donner des locaux, souvent même fort insuffisants.

Ne croyez-vous pas que des commissions uniquement recrutées en s'adressant à la bonne volonté de certains fonctionnaires risquent fort de n'avoir pas toujours ni le zèle, nirexactitude, ni Thomogénéité que l'administration serait en droit de leur demander si ceux qui en font partie recevaient une allocation quelconque? Il me semble que, même dans une société démocratique comme la nôtre, rien n'empêcherait de faire payer un droit d'examen, si minime fût-il, aux aspirants et aux aspirantes des brevets de capacité. Cela per- mettrait d'allouer des jetons de présence aux examinateurs, tout en couvrant certaines autres dépenses, sans grever le budget du minis- tëre ou du département, et le fonctionnement de ces examens, si importants et de plus en plus recherchés, serait beaucoup mieux assuré à l'avenir. Je crois que MM. les inspecteurs d'académie et MM. les inspecteurs primaires seront tous d'accord avec moi sur ce point. D'après l'enquête sur la réforme des brevets de capacité, publiée par le ministère, presque tous les fonctionnaires consultés ont élé d'avis qu'on doit imposer un droit d'examen aux aspirants, le moins lourd possible, à coup sûr, mais suffisant pour rémunérer les examinateurs.

Or à quoi sert d'émettre en pareille matière des vœux purement platoniques? Il faudrait que la commission du budget voulût bien introduire un petit article dans la loi de finances, puisqu'un droit d'examen constitue un impôt, et que tout nouvel impôt doit être voté par les Chambres. Il suffirait, ce semble, de prélever dix francs par candidat pour le brevet élémentaire, et vingt francs pour le brevet supérieur; on rembourserait, d'ailleurs, cette somme aux plus pauvres ou aux plus méritants, de façon à ne pas ôter a ces examens leur caractère démocratique.

Si vous approuvez l'idée que j'ai l'honneur de vous soumettre, je vous serai reconnaissant de bien vouloir insérer ma lettre dans votre excellent recueil : peut-être tombera-t-elle ainsi sous les yeux de quelques députés qui s'occupent de la question, et arriverons- nous, par eux, a convaincre MM. les membres de la commission du budget, et à entraîner, à leur suite, la migorité de la Chambre et du Sénat, puisque c'est de ces pouvoirs que dépend uniquement le sort de la solution que je propose.

Veuillez agréer, monsieur le rédacteur, avec mes remerciements anticipés, l'assm^ance de ma considération la plus distinguée,

E. Hallberg,

Professeur à la Faculté des lettres. Membre de la Commission du brevet supérieur.

LES ÉfyjLES ENFAXnXES EN SUISSE

Kn %knkn\f ômum iffuU: U SaiMêe, renfeignemeDl des écoles eoian- tineu ptrftH ^tre en vole de progrès. La direelioQ donnée à ce genre à'étjfU'M eftt hfrttne: les maîtresses, préparées à la pratique par un Umff stage, al^^rdeot honorablement une mission délicate et diffi- cile.

(}fktj* h Texp^^rience acqalse avant sa nomination, toute titolaire, mise en garde contre les préjugés qui circulent sur Técole enfan- tine, «ait garder un juste milieu entre Técole proprement dite et la garderie.

Tomber dans le [dernier excès est déplorable au point de vue de rintelllgence enfantine qui, trop faible eneore pour se livrer à des études prématurées, se fatigue d'abord et, par la suite, prend l'école an dégoût.

Dans le nocomï cas, ces établissements, si précieux pour la pre- mU*rn enfance, perdent de leur valeur en ce qui concerne le déve- lot)pement normal des forces physiques; l'Indiscipline règne dans rec(;le f't les facultés intellectuelles elles-mêmes courent grand risque d'Atre, en quelque sorte, atrophiées.

Clés diftéronts genres d'abus, vers lesquels les directrices des écoles maternelles françaises font si souvent écueil, me paraissent n'avoir eus auMMi HoigiiouMemont évités en Suisse, et particulièrement à Gonèvc, que par Tapplicalion d'une méthode ingénieuse, simple, blnn appropri<^e aux besoins de l'enfance et dont le personnel ensei- gnant imrau avoir parfaitement saisi l'esprit.

flimo f\Q porlugall, inspectrice des écoles enfantines du canton de Genève, dans des conférences nombreuses faites aux maîtresses, leur <lonne des conseils pédagogiques précieux, complétés par des cours très IntéresHants elle leur apprend à enseigner les occu- pations dr Fnrbel m\ n\(^me temps qu'à copier et à créer une quan- tlt(^ de petits ouvrages que chacune collectionne ensuite méthodi- qut^mont.

De plus, dans ses inspections, M»* de Portugall a l'habitude, lors-

1U0 In maitn^sse en témoigne le désir, de prendre elle-même la irertion do Tc^cole, procédé excellent à l'aide duquel elle montre la mise en pratique des théories exposées dans ses conférences.

Ainsi guid(W)s les dii\)ctriccs peuvent marcher rapidement et avec suivit^ vers lo succès. Leurs hésitations sont notablement diminuées au prolU du bon oniro et à l'avantage des écoliers. Quant aux résul-

LKS ÉCOLES ENFANTINES EN SUISS£ 441

tats obtenus, ils sont de nature à permettre aux élèves de suivre avec fruit, à l'heure venue, les cours de l'école primaire. J'oserai même dire qu'ils y deviennent les collaborateurs de la maîtresse, collaborateurs d'autant plus conscients et intelligents qu'on a su davantage exciter leur curiosité et diriger leur esprit dans la voie de la découverte de la vérité.

L'emploi du temps suivi dans chaque école enfantine est absolument le même pour tout le canton de Genève. Rédigé conformément au vœu de la nature, il assure aux organes l'exercice nécessaire à leur déve* loppement, sans négliger pour cela la culture des facultés intellec- tuelles et morales. Les écoles, du reste, bien pourvues en mobilier scolaire, ont en outre à leur disposition un matériel d'enseignement assez riche pour permettre aux maîtresses 'de faire exécuter, dans leur intégrité, les occupations frœbeliennes; elles gardent ainsi l'unité de la méthode et en respectent l'esprit pédagogique.

Une application ainsi entendue offre les avantages d'un enseigne- ment varié, condition fondamentale de succès à Técole maternelle il ne faut jamais perdre de vue l'extrême mobilité de l'enfant. Veut-on obtenir de lui une attention soutenue, non contrainte, mais naturelle et assurée, il faut lui fournir l'occasion de satisfaire souvent à ce besoin de mouvement qui chez lui est chose éminem- ment physiologique.

Partant, on fait de l'activité l'élément d'un système d'éducation dans lequel elle est utilisée en faveur des sens et ceux-ci eux-mêmes perfectionnés au profit de l'iutelligence.

Le sectionnement à l'école maternelle est ainsi opéré :

1"^ division: enfants de cinq à six ans,

2^ enfants de quatre à cinq ans,

enfants de trois à quatre ans.

Les exercices du matin durent de neuf à onze heures. Ils* recom- mencent l'après-midi à deux heures et se terminent à quatre.

Dans la première division, on fait régulièrement deux causeries par semaine : l'une traite de l'histoire naturelle, l'autre a pour sujet une question de morale. Le reste du temps se partage entre rensei- gnement de la lecture, de l'écriture et les occupations de Frœbel. Ces dernières sont toujours en rapport avec la causerie dont elles sont le développement concret.

Les travaux ordinaires pratiqués à l'école enfantine suisse con- sistent en pliage, découpage, tissage, collage, piquage,^ broderie, parfilage, jeux avec le sable, modelage, confection de chaînes, enfi- lage de perles, dessins sur cartons à l'aide de boutons ou de surfaces de couleurs différentes, constructions avec cubes, bâtonnets ou sur- faces, jeux de balles, entrelacement de lattes et combinaisons de cercles.

Les exercices du matin sont interrompus par le déjeuner auquel on consacre un quart d'heure. La rentrée s'effectue ensuite silencieu-

A# <A M^'p'M/^ €^^Urtn Xg^ Art4i>:. Shm wxj'.ûr ic?» mie f^/i4* fmUtf*^'>,, V;w yfi^^0TitA Ik let ittV>*^y.r fiai rîTcaeat, <a

mI(^ ou 6f, UêfffHUif fifé un W0ÎI %4ï«ikiiM«it pkfier les anhmgr, nuM^% Uc^ ttê^fn^, fX \<m prfi^ ffSuffÂ% utx ons ^t aux antres vn imi^Hif^ ^^rtfffffUft t\ià'î pt!rtf$à!l^ yu ^rzempk, â laDimal de tenir cod- ¥0ff%iitUffi it¥^A UiH \i^mtUi% #4 réelproqoeflieot. On ina même joaqv'à ipUf il/fi^ A$t lu rHï*i%Urti aux ré^Hàax ; on les i oppose coopables de i'ÀtriMUin Hé;iâm t$iMUftiin qti'fm leur fait commettre et poar lesqaels Ml Uur nitrUftên t^nnu'iU'. un fn//tivem^ot de repentir comme si les rUtumn MMti'Ui AnuhM A*uuti amncïtnce morale; tout cela, sans HiifMfm ^KplkMUtfi pr^IaMe ayant paur objet d'avertir l'enfant que 1'^ tMl ti't\ni qu'une fnhh* dont on veut tirer une conclusion, mais HU'ni rM\U^ \m i'hn%4m m na pa»»ent jamais ainsi.

(Jwmi k In curioull/t (k l'onfant, elle est assez habilement excitée pour qiin Mon l'fiprll rnnU* animé du désir , de connaître : on sait dvitlllAr rlMi/ lui lo Jugement en provoquant, à l'occasion, la donnée A'mrn il^llnlllon qu'il tire de l'aspect mémo des choses mises entre «MM innluM. Il tint contraint do trouver par lui-même et de faire MpliMJ |iluhU U Non IntnlUgenco qu'à sa mémoire.

l/iuifanl Nombln exclusivement pour agir ; pourquoi donc na pAA, ullIUtir rntlo nrlivité incessante pour orner son esprit dn (lonnAlNNiinons phu a^réablob et plus faciles à acquérir par le iihiréili^ hilulllf miti pnr U routine inintelligente à laquelle on Ta si iunKloiu|m (Mintnunt .'

l/hunniio (\prunv(t lo beiioin de tout transformer autour de lui : unit iihMuli'^h^ luUltiti(M) nu travail et à Tart s'oflhre à l'enfant dans Ion oooii|mll(iuii IVa^boUonnoM : exerçons-le de bonne heure à pro- ilulhs i\ lh\oii(or. ot nit^uio A apprtWier les avantages de Tordre et

1.0 Jou don ImlloM. |mr «i\omplo« appelle d*abord l'attention sur la t\mm \ Il fHll J«^llltr U himii''rt(i d<»s paroles; je veux dire qull peint loi \\\\\U ou\-iu<^n\0)i on obligt^nt Tenfant à se n^ndre compte de lour N^nllUMlUui i^ir U ooiui^urtison que le $eus de la vue lui permet 4'i^Ubhr onli"^ lo» oI\j|oIa ol lo« mois qui les désignent. CVst ainsi \)U'un oxoivl^v d'Ap|H^iviuv un |vu m^kanique peut ^tre transformé «^u \iuo loywu do lîivviuoirio (Kviil U maitn*$;s^ lait ensuite découler

LES ÉCOLES ENFANTINES EN SUISSE 443

Il ea est de même des constructions : Tenfant ne doit pas toijyours copier la maîtresse. Après quelque temps d'exercice, il atteint un cer- tain degré d'habileté ; alors on peut lui permettre d'essayer ses forces, de représenter, à sa façon, un objet désigné, en tenant compte de rembarras qu'il éprouve et en ne le guidant qu'en raison directe des dlfficuUés qu'il rencontre et de l'impossibilité dans laquelle il serait d'arriver à son but sans l'intervention de la maîtresse. Cependant, il est important de ne lever qu'à demi le voile afin de laisser k l'en- fant le plaisir de la découverte. Par ce moyen, on active d'autant plus rapidement les progrès que deux esprits sont à la recherche de la vérité, celui de la maîtresse et celui de l'élève.

Les exercices de pliage habituent l'enfant à faire avec soin, pro- preté et exactitude le travail qui lui est demandé.

Le découpage, dans lequel on ne voit souvent qu'une occupation Fécréative et gymnastique propre à faire acquérir l'adresse des doigts, ne sert pas seulement à donner de la dextérité à la main; il fournit encore le moyen de faire connaître à l'enfant les lois les plus élé- nientaires de la symétrie et, au point de vue du goût, il peut, dans une certaine limite, développer chez lui le sentiment de l'esthétique; il en est de même pour toutes les autres occupations. L'important est de savoir graduer les difficultés.

J'avoue néanmoins que le système d'éducation employé par Frœbel, pour être fructueusement appliqué, réclame de la part de la maî- tresse, outre une étude particulière et approfondie, beaucoup d'ini- tiative personnelle en même temps qu'une activité d'intelligence directement en rapport avec les vues du grand pédagogue, c'est-à-dire visant à faire à la fois de Fenfant un penseur et un travailleur. A ce double point de vue, il importe d'être animé du même esprit pédagogique que l'auteur afi^ de ne point laisser dégénérer l'ensem- ble de ces procédés intelligents en un froid mécanisme dans lequel disparaîtrait le fond de la méthode dont il ne resterait plus que la forme, c'est-à-dire le côté extérieur.

Eu paicourant les cantons de Zurich et de Lucerne, j'ai pu me rendre compte d'un genre d'organisation en réalité très différent de celui que je viens de décrire.

I^s procédés employés dans les écoles enfantines de la Suisse allemande, sont toujours ceux de Frœbel, mais ils ne sont point complétés par l'enseignement de la lecture, de l'écriture et du calcul. Ces sortes d'établissements sont plus spécialement désignés sous le nom de Jardins d'Enfants.

Ce nom, du reste, leur convient particulièrement bien et peint admirablement le milieu dans lequel se trouve l'élève. Ici se présente l'idéal de l'éducation première telle que l'entendait Frœbel, dont le rêve était de placer l'enfant dans un milieu il aurait la vue des champs, des jardins, et il pourrait même cultiver des Heurs. Tout cela, l'heureuse situation du pays l'offre à la profusion et la maîtresse

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sait en profiter. Lorsque le temps le permet, toute la bande enfan- tine, tambour en tête, fait joyeusement l'ascension d'une montagne ou se livre en pleine campagne à des jeux salutaires. On procède aussi parfois à une herborisation ; les plantes recueillies sont utilisées au décor des jeux de sable exécutés à l'école même et le plus souvent à la suite d'une causerie après laquelle l'élève représente avec du sable le lieu dépeint par la maltresse dans son histoire. Ce genre de travail, très intéressant, donne à l'élève une certaine ini- tiation artistique. Parfois on rapporte de la promenade quelques échantillons des produits de cette belle nature, des minéraux, de simples fragments de roche; tout cela collectionné dans une vibrine sert de complément à la leçon orale. Ces divers objets deviennent tour à tour les sujets d'entretiens familiers.

Le matériel d'enseignement à l'usage des jardins d'enfants est le même que celui des écoles enfantines du canton de Genève. L'ameu- blement seul diiTère en ce que les sièges, au lieu d'être des bancs, sont des chaises. Quant à l'estrade, elle est également supprimée. Durant la causerie, les élèves sont placés de façon a former un demi- cercle en face duquel s'assied la maîtresse. S'agit-il de procéder à quelque occupation, chaque enfant prend place auprès d'une table horizontale et non oblique, assez large pour être occupée des deux côtés à la fois.

J'ai constaté également, parmi les travaux des élèves les plus avancés, quelques solides géométriques en carton de couleurs variées et d'une forme rigoureusement exacte ; mais l'exécution de ces solides réclame une précision et une habitude telles que les petits artistes du jardin d'enfants ne s'en tirent honorablement qu'avec le secours de la maîtresse.

Tels sont les principaux faits que j'ai pu observer dans mon récent voyage en Suisse

C. Lapéry. Saint-Étienne, janvier 1885.

LES EXERCICES CALLISTHENIQUES

Dans l'ouvrage qu'il vient de publier sur Finstruction primaire aux Etats-Unis (1), M. Paul Passy indique que des exercices calUs- théniques sont pratiqués dans les écoles américaines. Il nous parai t intéressant de donner quelques explications au sujet de ces exer- cices.

* Nous empruntons au Rapport sur V Exposition de Philadelphie (2) les renseignements suivants : « Les exercices callisthéniques sont un usage propre aux écoles américaines. Ce sont des exercices analogues à ceux de notre gymnastique de mouvement, mais ils sont accom- pagnés de musique, quelquefois de chant, et entremêlés de jeux qui appartiendraient presque autant à Técole de danse qu'au gynmase. Plusieurs fois par jour, pendant les récréations, les enfants se réu- nissent dans la reception-^oom et, à son défaut, dans la salle de classe momentanément transformée en salle de gymnastique. La maîtresse se met au piano et joue un air. Garçons et filles se placent sur plu- sieurs rangs, entonnent les chants et commencent une série d'exer- cices rythmés dont le piano seul donne le signal et règle la cadence. Tantôt ce sont des exercices sur place : flexions des bras et de l'avant- bras, des jambes, du cou, positions diverses tendant à exercer les muscles de la poitrine, etc. ; tantôt des marches et contre-marches qui, pour pouvoir se faire avec un gi*and nombre d'élèves dans un local restreint, exigent autant d'ordre et de précision que les manœuvres de l'école de peloton.

» Les jeunes filles prenant toujours part à ces exercices avec les garçons, ou plutôt ces exercices étant essentiellement faits pour elles, on les a réduits aux mouvements les plus élémentaires, les plus doux, on en a banni tous ceux qui ne conviendraient qu'aux gar- çons. Comme le mot l'indique, c'est d'abord la beauté, la grâce, la souplesse élégante des mouvements que l'on a eues en vue dans cette gymnastique de salon, au moins autant que la vigueur et la santé. »

Telle est la nature des exercices callisthéniques. Sont-ils bien un <t usage propre » aux écoles des Etats-Unis? Constituent-ils un art nouveau imaginé par les Américains? En un mot, quelle est l'origine de la callisthénie? Comment a-t-elle pris place dans les programmes d'éducation physique?

Si nous consultons les ouvrages et documents relatifs à l'ensei-

(1) La Revue a inséré un compte-rendu de cet ouvrage dans sa livraison du 15 mars 1885.

i2) Rapport suri' Exposition de Philadelphie, par M. F. buisson; Imprimerie nationale.

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adoptée dans les écoles allemandes, ainsi que Ton en jugera par la description ci-dessous d'exercices exécutés devant M. Eugène Paz dans rAllemagne du Nord: a Les jeunes filles, correctement alignées, prennent gravement leur pas de distance ainsi que des conscrits qui se disposent à faire Técole du soldat ; on ouvre les rangs comme dans nos trois premières leçons de peloton ; les mignonnes travailleuses sont armées de la barrette de fer traditionnelle qu'elles meuvent en tous sens, tout comme les garçons leurs émules ; elles aussi exécutent avec la plus irréprochable ponctualité des demi-tours et des volte-faces dignes du meilleur de nos grenadiers ; mais insensiblement les distances se rapprochent, les mains s'enlacent, les bras s'élèvent comme des guirlandes de fleurs, les rangs se pressent, se croisent et se traversent avec une harmonieuse symétrie ; les pointes des pieds se dressent et effleurent à peine le sol ; le joueur d'harmonium indique le rhythme et le spectateur se trouve comme par enchantement transporté en pleines régions du ballet de l'Opéra. Les poses les plus gracieuses, les pas les plus hardis, les jetés-battus les plus imprévus, la valse, le galop, la mazurka, toutes les cadences se succèdent avec un entrain, un ensemble et une gi'âce char- mantes (1)... y>

Une description aussi séduisante n'engage-t-elle pas à demander l'introduction d'exercices analogues dans nos écoles de filles ? L'examen de cette question nous ferait sortir du cadre de ces simples observations. Nous avons seulement voulu montrer que notre système d'éducation physique contient peut-être une lacune entre la gymnastique et la danse. Nous appelons sur ce point Tattention des personnes compétentes.

R. Sabatié.

(1 ) Rapport sur renseignement de la gymnastique en Allemagne, en Au- triche, en Belgique et en Hollande, par Eugène Paz (1868).

ENCORE LES CAHIERS DE DEVOIRS MENSUELS

L'inspecteur d'académie des Basses-Alpes s*est fait envoyer par la poste les cahiers mensuels de 50 écoles. Nous croyons utile de résumer les principales observations auxquelles l'examen de ces cahiers a donné lieu.

« Dans un grand nombre d'écoles, dit-il, les maîtres et maitressen font inscrire chaque mois au cahier mensuel un devoir sur chacune des matières du. programme; il en résulte qu'au bout de très i;eu de temps le cahier se trouve rempli et l'élève est obligé de le renou- veler deux ou trois fois dans Tannée, ce qui n'est pas sans incon- vénients. Toutes les branches du programme doivent certainement être représentées, mais il faudrait que Ton s'arrangeât de façon à ce que le cahier mensuel pût suffire pour l'année entière ; il n'y aurait pour cela qu'à répartir les matières en deux groupes; le premier groupe comprendrait par exemple la grammaire, le calcul, la rédaction française, Thlstoire et la géographie ; le second groupe, l'instruction morale et civique, les sciences physiques et naturelles, l'écriture et le dessin.

» Les devoirs du premier groupe figureraient tous les mois et ceux du second groupe tous les deux mois.

» Le choix des devoirs laisse quelquefois à désirer, surtout pour la dictée et la composition française. Les dictées sont souvent trop longues et trop difficiles; nous en avons trouvé qui renfermaient jusqu'à 33 et 40 fautes. Les maîtres et maîtresses ne devraient pas oublier que lorsque l'élève fait plus de 8 à 10 fautes dans la dictée, il n'en retire aucun profit. Quant aux sujets de style, ils doivent en général être empruntés au milieu dans- lequel vit l'enfant. Celui-d ayant à parler de choses qui lui sont familières trouve plus faci- lement des idées et s'habitue peu à peu à les exprimer correctement.

» Quelques instituteurs et institutrices se contentent de souligner les fautes et ne donnent pas de note pour l'ensemble de chaque devoir ; il y a une véritable négligence en même temps qu'un oubli des instructions ministérielles contenues dans la circulaire du 25 août 1884.

» Toutes les fautes doivent être soulignées et corrigées à l'encre rouge ; elles doivent en outré être indiquées à la marge. »

L'inspecteur d'académie des Basses-Alpes recommande l'emploi du cahier modèle qui n'est aujourd'hui en usage que dans un certain nombre de classes. Les dispositions de ce cahier ne peuvent que rendre plus facile la tâche des maîtres et maîtresses.

Nous lisons d'autre part dans le Bulletin départemental de rVcnnê t

sBvui rÉDASoeiQui 1885. !•' sul f9

4S0 EEVUK PÉDAGOOIQUE

c Quelques maîtres ne s'occupent pas avec assez de soin des cahiers de scolarité. Nous ne saurions trop les engager à relire les instruc^ tiens contenues au Bulletin n<> 126 et à s'y conformer de leur mieux, surtout pour le choix, la gradation, le nombre des devoirs inscrits et le retour périodique et mensuel des exercices de chaque cours.

9 Personne ne méconnaît les grands services que cette modeste institution scolaire est appelée à rendre, il ne Oaut pas perdre de vue, en outre, que c'est avant tout par leurs collections de cahiers de devoirs mensuels que les écoles et les circonscriptions académiques seront représentées à TExposition universeUe de 1889. Ainsi on peut être certain que dans quatre ans tous ces cahiers seront recueillis et expédiés tels quels, pour être comparés à ceux des autres écoles, des autres départements, et même des autres nations. »

Disons encore, pour terminer, comment on a essayé de procéder méthodiquement, dans l'arrondissement de Saint-Quentin, à Texa- men des cahiers qui sont adressés chaque mois à Tinspecteur pri- maire par quelques instituteurs. Un comité spécial a rédigé un questionnaire qui se recommande à l'attention de nos lecteurs. Des notes correspondant aux diverses questions sont transmises aux intéressés par les soins de l'inspecteur primaire. Voici le question- naire en question :

< 1<> Suit-on l'ordre indiqué dans les conférences d'octobre 1884 et au Moniteur scolaire du 1«' décembre 1884?

2<* Les devoirs correspondent-ils aux indications des programmes mensuels ?

3^ L'initiative du maître se fait-elle sentir dans le choix des devoirs?

4^ Les devoirs dans chaque cours sont-ils toi^ours appropriés à la force des élèves ?

15^ Les devoirs sont-ils trop longs ou trop courts ?

ef^ Ont-ils pu être faits dans la durée fixée par l'emploi du temps pour une leçon correspondante ?

70 Ont-ils été précédés d'une préparation trop longue ?

S^ Paraissent-ils être le travail personnel de l'élève?

9* Les cahiers sont-ils proprement tenus?

10* Les devoirs sont-ils corrigés et suffisamment annotés par le maître ? 3

A. B.

LA PRESSE ET LES LIVRES

Les pensionnaires de collège chez les Oratoriens de Troyes av xviii^ siècle, par M. Gustave Carrée professeur agrégé d'histoire au lycée de Reims ; iii-8^ de 18 pages, Reims, Imprimerie coopérativot 1884. Cette brochure est la reproduction d'une lecture £aite par le jeune et spirituel professeur à la séance publique annuelle de l'Académie nationale de Reims, le 17 juillet de Tannée dernière* L'étude de M. Carré est viye, amusante, et nous donne des détails curieux sur l'intérieur d'un collège du xviii* siècle.

A quel r^me étaient soumis les pensionnaires des Oratoriens de Troyes? M. Carré nous le fait connaître par le menu, et il faut con- yem'r qu'au point de vue du bien-^tre matériel il égalait, s'il ne dépassait pas, nos internats actuels les plus aristocratiques. Voici, par exemple, le chapitre de la nourriture :

a C'est une idée généralement reçue, dit M. Carré, que les pen- sionnaires du temps passé n'avaient aucune idée des douceurs culi-- naires dont on gratifie le collégien d'aujourd'hui. N'en déplaise à nos économes et à nos chefs d'institution, la table des Pères du collège de Troyes était peut-être supérieure à la leur.

» Le déjeuner du matin se composait, non pas de l'inévitable panade et du classique morceau de pain sec, mais d'un petit pain moloiy bien frais et bien tendre, accompagné d'une tasse de lait pur au printemps et en été, de châtaignes, de pon[mies,de pruneaux et de fruits secs en hiver et en automne.

» Le fond du diner et du souper consistait, comme de nos jours, en viande de boucherie, en poisson, en œufs, en légumes. On forçait sur la morue et les harengs au saint temps du Oéiréme. Mais avec quel art consommé les Pères savaient faire prendre à leurs pension- naires leur mal en patience! C'était justement au temps de la morue et des harengs qu'on voyait apparaître le plus fréquemment sur la table du réfectoire les anchois, le thon mariné, le saumon, les tourtes maigres, les petits pâtés en poisson, les tartelettes en confitures, les échaudés, les beignets de riz et de figues, etc. (1).

» Chaque saison apportait, du reste, avec elle ses variantes dans la carte du jour. En hiver, la charcuterie troyenne se présentait avec honneur sous forme de boudins, d'andouillettes, de saucisses, de cervelats, de jambons, de hures, de langues fumées (2). En été, à

(1) Archives de TAube, D. 50, 53, 54, 55, 57, etc. [Mémoires des fimmi/fm seurt du coUège.)

(2) Archlfes de l'Aube, D. 66, 68, etc

4S2 ABTUS PtlIAfiOGIQm

l'époque des finit ^^ on te niait en cuisine. C'étaient des tourtes en raisins et en abricots, des tartes en prunes, des pâtés en cerises et en ijoires. Le chef mettait au feu toutes ses bassines, car la saison des fraise», des framboises et des groseilles était aussi celle des confitures (i). 11 ne se présentait pas dans le courant de l'année de jour quelque peu solennel, qoe les Pères ne se crussent obligés de le fêter par un plat qui sortît de l'ordinaire : par des pâtés de ?eau ou de dinde, d3s pétés chauds de côtelettes de mouton. Au besoin on s adressait à un pâtissier de profes>ion, et celuî-d four- nissait, par nombreuses douzaines, des petits pât^, des godiveaux, des choux glacés, des biscolios, des croquantes, des bi>cuits. Pour peu que le saint fût en grande vénération dans le diocèse, on ajou- tait à la carie des frangipanes, des plats de chinoises, des puits d'amour couverts de caramels filé, etc. 11 y avait cependant des (êtes dont la célébration restait à la charge des pensionnaires. Telles étaient la Saint-Nicolas et l'Epiphanie, qui se fêtaient à grand renfort de pâtisseries et le bon vin coulait autrement qu'^n abondance (2). »

Bien nourris, bien tournés aussi^ les élèves des Oratoriens, et formés à toutes les belles manières.

« Nous ne nous arrêterons pas, dit M. Carré, â cet article du vieux règlement, qui recommandait aux jeunes gens de changer de sou- liers tous les jours, de linge deux fois la semaine, de bas le plus souvent possible. C'est ce qui se passe encore aujourd'hui. La pro- preté est de tous les siècles. Mais le vieux règlement difiTère singulièrement du nôtre, c*est quand il ajoute : « Tous les soirs on met des papillotes, et tous les matins, pendant la première étude, » on se fait peigner et iguster. Les jours de dimanche et de fêtes, » et lorsqu'on doit sortir en ville, on s'habille plus proprement qu'à » Tordinaire; on se fait faire les cheveux par le perruquier de la » maison de la façon et toutes les fois que les Pères de la pension 9 le Jugent à propos (3). »

C'est que la mode n'était pas encore venue, dans les collèges, d'imiter les anciennes Têtes-Rondes de la Révolution anglaise. On ne tondait alors que les forçais et les mauvais sujets enfermés dans les maisons de correction. Tant que le siècle fut aux perruques, les collégiens qui se respectaient en portèrent (4). Plus tard, quand il fut de bon goût do porter des cheveux de son crû, ils se firent pou- drer à blanc avec une bourse, des boucles et des rouleaux pomma- dés. Le coiffeur n'était pas de trop pour mener à bien toutes ces tètes d'écoliers si promptes à s'ébouriffer. Aussi sa présence était-elle fort régulière au collège et, certes, il n'y perdait pas sa peine. A

(i) Archives de l'Aube, D. 68, 73. J2) Idem, D. 66, 73.

(3) RcgUmcnt, art. XXIV.

(4) Archives de TAube, D. 51, 55.

LA PBIS81 ST LIS LITRES 453

chaque séance, tout en déployant son art, il trouvait moyen d'écouler auprès de ses jeunes clients des allonges cordelées, des kalogans, des rosettes de rubans, des flacons d'odeur, des boîtes de poudre parfumée, de la pommade en bftton et de la pommade liquide (i).

Telle était la place qu'occupait au collège cet artiste indispen- sable, qu'on lui avait disposé un laboratoire spécial, un peignoir on, comme comme on dirait aujourd'hui plus élégamment, un salon de coi dure (2).

« C'était surtout aux jours de fête ou de sortie que les pension- naires se montraient dans toute leur gloire. Les plus élégants por- taient des souliers de castor à talons avec boucles d'argent, dés bas de soie blancs, des culottes de pluche ou des culottes de raffle gris-blanc, des vestes écartâtes avec boutons dorés ou d'argent, des habits à parements, des redingotes étoffées et richement boutonnées, des chapeaux en castor borda de velours avec boucles d'argent (3). Ces jours-là les gentilshommes recevaient leurs épée^, qu'ils avaient dû, en temps ordinaire, déposer entre les mains d'un des Pères de la pension. La précaution n'était pas inutile : car il parait qu'un jour un rhétoricien avait dégainé contre son professeur. Minitattu erat gladio prcKeptori (4).

» La plus grande urbanité devait régner parmi ces jolis petits mes- sieurs. Le règlement était formel à cet égard. 11 leur interdisait de se pousser, de porter la main les uns sur les autres, de se tirer par les vêtements, d'ôtor les redingotes sans permission, de débouton- ner les vestes à plus de moitié. Il défendait en outre « les termes » injurieux, les disputes, les querelles, les murmures, les menaces, » les jurons et autres mots de cette espèce ». Rien, soit dans les propos, soit dans les façons, ne devait faire passer l'élève de l'Ora- toire pour un rustre ou un mal appris (5). »

Parallèlement aux conditions du régime, M. Carré nous fait con- naître la carte à payer. En principal il faut convenir qu'elle n'avait rien de bien effrayant ; mais il y avait des accessoires. Cest on procédé qui n'est pas nouveau.

« Le prix de la pension du collège de Troyes a varié suivant les temps, tout d'abord les Oratoriens avaient cru pouvoir la fixer à 75 livres par an ; mais ils ne tardèrent pas à s'apercevoir que cette somme ne répondait pas aux frais que leur imposait l'entretien d'un jeune homme bien endenté, et ils rélevèrent presque aussitôt à 200 livres. Au commencement du xviii® siècle elle était de 300 livres, de 340 en 1740, de 360 en 1786, de 400 en 1787.

(1) Archlrei de TAube, D. 50, 51, 55, 66, etc.

(2) Idem, D. 57.

(3) Idem, D. 53, 54, 57, 67, etc.

(4) Catalog. icola$t., t. n.

(5) Règlement, art. IX et X.

446 REVUE PÉDAGOGIQUE

gnement de la gymnastique parus en France dans les dernières années, nous constatons qu'aucun d'eux ne fait mention des exer- cices caUisthéniques. Nous trouvons seulement, en remontant bien avant, un volume de la collection Roret, publié en 1830 sous le titre de Calisthénie (1) ou gymnastique des jeunes filles. Ce livre D*est lui-même^ que la reproduction d'un ouvrage anglais. En effet, ainsi que Fauteur 1 explique dans sa préface, la callisthénie, jusqu'alors complètement ignorée chez nous, était déjà connue en Angleterre depuis un certain temps. « A Londres, dit-il, elle est admise dans les principaux pensionnats ; les jeunes demoiselles que l'on y a sou- mises ont acquis de la grâce, de la force, une meilleure santé et une grande stalure. » (Calisthénie, préface, p. XI.) De quelle époque date l'introduction des exercices callislhéniques dans les écoles anglaises? Quelques recherches historiques permettent de répondre à cette question.

Vers 1820, deux des principaux propagateurs de l'enseignement de la gymnastique en Suisse, le professeur Vœlker et le capitaine Clias, quittèrent leur pays pour aller se fixer en Angleterre de belles promesses les attiraient. Vœlker est le fondateur du premier établissement gymnastique de Londres. Gias installa un gymnase npiodèle à Ghelsea et composa plusieurs ouvrages ayant trait à l'éduca- tion physique, parmi lesquels La Callisthénie ou Somascétique naturelle appliquée à V éducation physique des jeunes filles (2). C'était la première fois que le mot Callisthénie apparaissait en tête d'un volume, aussi Clias a-t-il cru bon de justifier son titre. Voici en quels termes : c Plusieurs dames de qualité, dit-il, en première ligne la duchesse de Wellington, modèle de toutes les vertus, frappées des avantages obtenus par l'usage des exercices gymnastiques que nous avons introduits à Londres en 1821, formèrent le projet d'en faire l'applica- tion à l'éducation des jeunes filles. Les médecins les plus distingués de la Grande-Bretagne donnèrent unanimement leur approbation à cette idée heureuse, qui fut fécondée avec zèle et persévérance. Nous fûmes chargé de la direction de ces exercices, et nous pûmes alors faire sur une grande échelle l'essai de notre méthode. Les succès dépassèrent les espérances. La gymnastique fut dès lors reconnue comme devant faire partie de l'éducation générale des jeunes filles, et, pour désigner cet art nouveau, ou employa le mot Callisthénie. * (Clias, Callistlwniey introduction, p. XIV.)

Ces explications seront utilement complétées par celles que nous fournit un article de la Revue britannique (1828) :

(1) Cette orthographe fautive indique que l'auteur se [)iquait de savoir le grec. 11 ignorait toutefois que si l'adjectif grec kalos s'écrit avec une seule /, cette consonne était doublée par les Grecs eux-mêmes dans tous les mots composés : calligraphie, callipédie, Calliopey Callinice, etc.

(2) Ce livre a été publié en allemand à Berne (18i8).

LES £]LERCIG£S CALLISTHÉNIQUES 447

(i ... Parmi les disciples du docteur Yœlker on compte quelques dames de haut rang auxquelles il enseigne des exercices convenables à leur sexe. Dès que le public en fut instruit, la mode s'empara de cette nouveauté. Ces exercices furent offerts aux nombreuses prosélytes qui voulurent y prendre part, les établissements furent multipliés, des livres furent imprimés pour guider les instituteurs et les élèves; on imagina qu'un art nouveau venait d'être créé ; il fallait un mot pour le désigner: on adopta celui de callistkénie... *

Les résultats très satisfaisants obtenus par la méthode de Glias sont constatés dans plusieurs documents officiels de l'époque. «Aussi, dit-il, ma méthode se répandit rapidement dans tout le royaume, et, tandis que depuis vingt-cinq ans on fait en France des efforts inu- tiles pour établir la somascétique sur des bases solides, six années et la centième partie des frais employés en France pour cet objet ojit suffi pour la nationaliser dans toute l'Angleterre ainsi que dans les États-Unis d'Amérique plusieurs élèves formés à Londres Vont importée. »

Cependant Gias ne désespérait pas de recueillir chez nous les mêmes succès. Dans ce but il était venu vers 1840 fonder un gym- nase à Besançon. 11 y put bientôt faire apprécier les avantages de sa méthode, qui furent signalés au mim'stre de l'instruction publique par le préfet et par le recteur. < Ce qui distingue surtout la méthode de M. Clias, écrivait le recteur (lettre du 8 avril 1842), c'est une simplicité de moyens qui la rend applicable même dans les écoles de village. Elle présente un système d'exercices gradués qui, sans danger, sans appareils dispendieux ni compliqués, favorisent le développement harmonique des organes, accroissent les forces musculaires, donnent aux membres la souplesse, au corps une con- stitution salue et robuste.

... Introduite dans les écoles normales primaires, elle exercerait la plus heureuse influence sur la santé des élèves-maîtres... >

Le ministre accorda-t-il l'autorisation ? il est certain que la so- mascétique fut enseignée en France pendant quelques années dans plusieurs établissements scolaires, ceux, notamment, de la ville de Paris. Mais il importe de remarquer qu'il existe une différence entre la callisthénie telle qu'elle est conçue dans rou\ rage de Clias et dans le traité Roret, et les exercices callisthéniques dont nous avons repro- duit plus haut la description. La callisthénie n'a été d'abord qu'une gymnastique réduite à des mouvements d'assouplissement et à des exercices simples convenant spécialement aux jeunes filles ; modi- fiée ensuite, elle s'est transformée en un art tout à fait particulier tenant à la fois de la gymnastique et de la danse, une sorte de combinaison de ces deux enseignements.

La callisthénie importée en Angleterre par Clias et Yœlker n'a pas cessé d'y rester en vogue. Nous savons qu'elle fait partie de l'enseignement dans les écoles américaines. Elle a été également

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adoptée dans les écoles allemandes, ainsi que Ton en jugera par la description ci-dessous d'exercices exécutés devant M. Eugène Paz dans rAllemagne du Nord: a Les jeunes filles, correctement alignées, prennent gravement leur pas de distance ainsi que des conscrits qui se disposent à faire Técole du soldat ; on ouvre les rangs comme dans nos trois premières leçons de peloton ; les mignonnes travailleuses sont armées de la barrette de fer traditionnelle qu'elles meuvent en tous sens, tout comme les garçons leurs émules ; elles aussi exécutent avec la plus irréprochable ponctualité des demi-tours et des volte-faces dignes du meilleur de nos grenadiers ; mais insensiblement les distances se rapprochent, les mains s'enlacent, les bras s'élèvent comme des guirlandes de fleurs, les rangs se pressent, se croisent et se traversent avec une harmonieuse symétrie ; les pointes des pieds se dressent et effleurent à peine le sol ; le joueur d'harmonium indique le rhythme et le spectateur se trouve comme par enchantement transporté en pleines régions du ballet de l'Opéra. Les poses les plus gracieuses, les pas les plus hardis, les jetés-battus les plus imprévus, la valse, le galop, la mazurka, toutes les cadences se succèdent avec un entrain, un ensemble et une grâce char- mantes (i)... »

Une description aussi séduisante n'engage-t-elle pas à demander l'introduction d'exercices analogues dans nos écoles de flUes ? L'examen de cette question nous ferait sortir du cadre de ces simples observations. Nous avons seulement voulu montrer que notre système d'éducation physique contient peut-être une lacune entre la gymnastique et la danse. Nous appelons sur ce point Tattention des personnes compétentes.

R. Sabatié.

(1 ) Rapport sur renseignement de la gymnastique en Allemagne, en Au- triche, en Belgique et en Hollande, par Eugène Paz (1868).

ENCORE LES CAHIERS DE DEVOIRS MENSUELS

L'inspecteur d'académie des Basses-Alpes 8*est fait envoyer par la poste les cahiers mensuels de 50 écoles. Nous croyons utile de résumer les principales observations auxquelles Texamen de ces cahiers a donné lieu.

« Dans un grand nombre d'écoles, dit-il, les maîtres et maîtressen font inscrire chaque mois au cahier mensuel un devoir sur chacune des matières du programme; il en résulte qu'au bout de très i;eu de temps le cahier se trouve rempli et l'élève est obligé de le renou- veler deux ou trois fois dans Tannée, ce qui n'est pas sans incon- vénients. Toutes les branches du programme doivent certainement être représentées, mais il faudrait que Ton s'arrangeât de façon à ce que le cahier mensuel pût suffire pour l'année entière ; il n'y aurait pour cela qu'à répartir les matières en deux groupes ; le premier groupe comprendrait par exemple la grammaire, le calcul, la rédaction française, Thistoire et la géographie ; le second groupe, l'instruction morale et civique, les sciences physiques et naturelles, l'écriture et le dessin.

■» Les devoirs du premier groupe figureraient tous les mois et ceux du second groupe tous les deux mois.

9 Le choix des devoirs laisse quelquefois à désirer, surtout pour la dictée et la composition française. Les dictées sont souvent trop longues et trop difficiles; nous en avons trouvé qui renfermaient jusqu'à 33 et 40 fautes. Les maîtres et maîtresses ne devraient pas oublier que lorsque l'élève fait plus de 8 à 10 fautes dans la dictée, il n'en retire aucun profit. Quant aux sujets de style, ils doivent en général être empruntés au milieu dans- lequel vit l'enfant. Celui-d ayant à parler de choses qui lui sont familières trouve plus faci- lement des idées et s'habitue peu à peu à les exprimer correctement.

» Quelques instituteurs et institutrices se contentent de souligner les fautes et ne donnent pas de note pour l'ensemble de chaque devoir ; il y a une véritable négligence en même temps qu'un oubli des instructions ministérielles contenues dans la circulaire du 25 août 1884.

9 Toutes les fautes doivent être soulignées et corrigées à l'encre rouge ; elles doivent en outré être indiquées à la marge. >

L'inspecteur d'académie des Basses-ÂJpes recommande l'emploi du cahier modèle qui n'est aujourd'hui en usage que dans un certain nombre de classes. Les dispositions de ce cahier ne peuvent que rendre plus facile la tâche des maîtres et maîtresses.

Nous lisons d'autre part dans le Bulletin départemental de rYonm :

aiVUl PiDAOOtlQDI 1885. 1*' SUL

4S0 EEVUK PÉDAGOGIQUE

c Quelques maîtres ne s'occupent pas avec assez de soin des cahiers de scolarité. Nous ne saurions trop les engager à relire les instruc- tions contenues au Bulletin n^ 126 et à s'y conformer de leur mieux, surtout pour le choix, la gradation, le nombre des devoirs inscrits et le retour périodique et mensuel des exercices de chaque cours.

» Personne ne méconnaît les grands services que cette modeste institution scolaire est appelée à rendre, il ne faut pas perdre de vue, en outre, que c'est avant tout par leurs collections de cahiers de devoirs mensuels que les écoles et les circonscriptions académiques seront représentées à FExposition universelle de 1889. Ainsi on peut être certain que dans quatre ans tous ces cahiers seront recueillis et expédiés tels quels, pour être comparés à ceux des autres écoles, des autres départements, et même des autres nations. »

Disons encore, pour terminer, comment on a essayé de procéder méthodiquement, dans Tarrondissement de Saint-Quentin, à l'exa- men des cahiers qui sont adressés chaque mois à l'inspecteur pri- maire par quelques instituteurs. Un comité spécial a rédigé un questionnaire qui se recommande à l'attention de nos lecteurs. Des notes correspondant aux diverses questions sont transmises aux intéressés par les soins de l'inspecteur primaire. Voici le question- naire en question :

< lo Suit-on l'ordre indiqué dans les conférences d'octobre 1884 et au Moniteur scolaire du 1«' décembre 1884?

2<* Les devoirs correspondent-ils aux indications des progranunes mensuels ?

3^ L'initiative du maître se fait-elle sentir dans le choix des devoirs?

A^ Les devoirs dans chaque cours sont-ils toi^ours appropriés à la force des élèves ?

5^ Les devoirs sont-ils trop longs ou trop courts ?

Ont-ils pu être faits dans la durée fixée par l'emploi du temps pour une leçon correspondante ?

70 Ont-ils été précédés d'une préparation trop longue ?

8^ Paraissent-ils être le travail personnel de l'élève?

9* Les cahiers sont-ils proprement tenus?

10* Les devoirs sont-ils corrigés et suffisamment annotés par le maître ? >

A. B.

LA PRESSE ET LES LIVRES

Les pbhsionnaires di collège chez les Oratoriens de Troyes av xviii^ SIÈCLE, par M. Gustave Carré, professeur agrégé d'histoire au lycée de Reims ; iii-8^ de 18 pages, Reims, Imprimerie coopérativot 1884. Cette brochure est la reproduction d'une lecture £aite par le jeune et spirituel professeur à la séance publique annuelle de r Académie nationale de Reims, le 17 juillet de Tannée dernière. L'étude de M. Carré est viye, amusante, et nous donne des détails curieux sur l'intérieur d'un collège du xviii* siècle.

A quel régime étaient soumis les pensionnaires des Oratoriens de Troyes? M. Carré nous le fait connaître par le menu, et il faut con- venir qu'au point de vue du bien-^tre matériel il égalait, s'il ne dépassait pas, nos internats actuels les plus aristocratiques. Voici, par exemple, le chapitre de la nourriture :

a C'est une idée généralement reçue, dit M. Carré, que les pen- sionnaires du temps passé n'avaient aucune idée des douceurs culi- naires dont on gratifie le collégien d'aujourd'hui. N'en déplaise à nos économes et à nos chefs d'institution, la table des Pères du collège de Troyes était peut-être supérieure à la leur.

» Le déjeuner du matin se composait, non pas de l'inévitable panade et du classique morceau de pain sec, mais d'un petit pain molot^ bien frais et bien tendre, accompagné d'une tasse de lait pur au printemps et en été, de châtaignes, de ponmies,de pruneaux et de firuits secs en hiver et en automne.

» Le fond du diner et du souper consistait, comme de nos jours, en viande de boucherie, en poisson, en œufs, en légumes. On forçait sur la morue et les harengs au saint temps du Carême. Mais avec quel art consommé les Pères savaient faire prendre à leurs pension- naires leur mal en patience! C'était justement au temps de la morue et des harengs qu'on voyait apparaître le plus fréquemment sur la table du réfectoire les anchois, le thon mariné, le saumon, les tourtes maigres, les petits pâtés en poisson, les tartelettes en confitures, les échaudés, les beignets de riz et de figues, etc. (1).

» Chaque saison apportait, du reste, avec elle ses variantes dans la carte du jour. En hiver, la charcuterie troyenne se présentait avec honneur sous forme de boudins, d'andouillettes, de saucisses, de cervelats, de jambons, de hures, de langues fumées (2). En été, à

(1) Archives de l'Aube, D. 50, 53, 54, 55, 57, etc. [Mémoires des foum^fm seurs du collège,)

(2) Archlfes de l'Aube, D. 66, 68, etc

4S2 ABVUI PtDAGOGIQUl

répoque des fruits, on te ruait en cuisine. C'étaient des tourtes en raisins et en abricots, des taries en prunes, des pâtés en cerises et en |K>ires. Le chef mettait au feu toutes ses bassines, car la saison des fraises, des framboises et des groseilles était aussi celle des confitures (i). 11 ne se présentait pas dans Je courant de l'année de jour quelque peu solennel, que les Pères ne se crussent obligés de Je fêter par un plat qui sortît de l'ordinaire : par des p&tés de veau ou de dinde, d3s pAtés chauds de côtelettes de mouton. Au besoin on s*adressait à un pâtissier de profes>ion, et celui-ci four- nissait, par nombreuses douzaines, des petits pâtés, des godiveaux, des choux glacés, des biscotins, des croquantes, des biscuits. Pour peu que le saint fût en grande vénération dans le diocèse, on ajou- tait à la carte des frangipanes, des plats de chinoises, des puits d'amour couverts de caramels filé, etc. Il y avait cependant des fêtes dont la célébration restait â la charge des pensionnaires. Telles étaient la Saint-Nicolas et l'Epiphanie, qui se fêtaient à grand renfort de pâtisseries et le bon vin coulait autrement qu'^n abondance (2). »

Bien nourris, bien tournés aussi^ les élèves des Oratoriens, et formés à toutes les belles manières.

c Nous ne nous arrêterons pas, dit M. Carré, â cet article du vieux règlement, qui recommandait aux jeunes gens de changer de sou- liers tous les jours, de linge deux fois la semaine, do bas le plus souvent possible. C'est ce qui se passe encore aujourd'hui. La pro- preté est de tous les siècles. Mais le vieux règlement diffère singulièrement du nôtre, c^est quand il ajoute : < Tous les soirs on met des papillotes, et tous les matins, pendant la première étude, » on se fait peigner et iguster. Les jours de dimanche et de fêles, » et lorsqu'on doit sortir en ville, on s'habille plus proprement qu'à > l'ordinaire; on se fait faire les cheveux par le perruquier de la » maison de la façon et toutes les fois que les Pères de la pension » le Jugent à propos (3). »

C'est que la mode n'était pas encore venue, dans les collèges, d'imiter les anciennes Têtes-Rondes de la Révolution anglaise. On ne tondait alors que les forçats et les mauvais sujets enfermés dans les maisons de correction. Tant que le siècle fut aux perruques, les collégiens qui se respectaient en portèrent (4). Plus tard, quand il fut de bon goût de iK)rler des cheveux de son crû, ils se firent pou- drer à blanc avec une bourse, des boucles et des rouleaux pommar dés. Le coiffeur n'était pas de trop pour mener à bien toutes ces tètes d'écoliers si promptes a s'ébouriffer. Aussi sa présence était-elle fort régulière au collège et, certes, il n'y perdait pas sa peine. A

(i) Archives de l'Aube, D. 68, 7i.

J2) /tfem, D. 66, 73.

(3) Hêglemsnt, art. XXIV.

(4j Archives de TAube, D. 51, 55.

LA P1188£ ST LIS LIYRKS 453

chaque séance, tout en déployant son art, il trouvait moyen d'écouler auprès de ses jeunes clients des allonges cordelées, des kalogans, des rosettes de rubans,. des flacons d'odeur, des boîtes de poudre parfumée, de la pommade en bftton et de la pommade liquide (i).

Telle était la place qu'occupait au collège cet artiste indispen- sable, qu'on lui avait disposé un laboratoire spécial, unpeignoir on, comme comme on dirait aujourd'hui plus élégamment, un salon de coiffure (2).

> C'était surtout aux jours de fête ou de sortie que les pension- naires se montraient dans toute leur gloire. Les plus élégants por- taient des souliers de castor à talons avec boucles d'argent, dés bas de soie blancs, des culottes de pluche ou des culottes de raffle gris-blanc, des vestes écarlates avec boutons dorés ou d'argent, des habits à parements, des redingotes étoffées et richement boutonnées, des chapeaux en castor borda de velours avec boucles d'argent (3). Ces jours-là les gentilshommes recevaient leurs épées, qu'ils avaient dû, en temps ordinaire, déposer entre les mains d'un des Pères de la pension. La précaution n'était pas inutile : car il parait qu'un jour un rhétoricien avait dégainé contre son professeur. Minitattu erat gladio prceceptori (4).

» La plus grande urbanité devait régner parmi ces jolis petits mes- sieurs. Le règlement était formel à cet égard. 11 leur interdisait de se pousser, de porter la main les uns sur les autres, de se tirer par les vêtements, d'ôtor les redingotes sans permission, de débouton- ner les vestes à plus de moitié. Il défendait en outre « les. termes » injurieux, les disputes, les querelles, les murmures, les menaces, » les jurons et autres mots de cette espèce ». Rien, soit dans les propos, soit dans les façons, ne devait faire passer l'élève de l'Ora- toire pour un rustre ou un mal appris (5). »

Parallèlement aux conditions du régime, M. Carré nous fait con- naître la carte à payer. En principal il faut convenir qu'elle n'avait rien de bien effrayant ; mais il y avait des accessoires. C'est nn procédé qui n'est pas nouveau.

c Le prix de la pension du collège de Troyes a varié suivant les temps. Tout dabord les Oratoriens avaient cru pouvoir la fixer à 75 livres par an ; mais ils ne tardèrent pas à s'apercevoir que cette somme ne répondait pas aux frais que leur imposait l'entretien d'un jeune homme bien endenté, et ils rélevèrent presque aussitôt à 200 livres. Au commencement du xviii^ siècle elle était de 300 livres, de 340 en 1740, de 360 en 1786, de 400 en 1787.

(1) Archirei de l'Aube, D. 50, 51, 55, 66, etc.

(2) Idem, D. 57.

(3) Idem, D. 53, 54, 57, 61, etc.

(4) Catalog. scola$t., t. II.

(5) Règlement, art. IX et X.

454 MYTC PtDàûOQSQOE

» Le prix était raisonnable pour Tépoque ; mais les frais géné- raux accessoires faisaient monter la pension à un chiffre hien autrement élevé. Plus d'un père de familie qui, sur la foi de VAl- fnanadi de Troyes, croyait n'avoir à payer pour la pension de son fils qu'une somme déterminée, devait assurément froncer le sour- cil quand, à la fin du trimestre ou de Tannée, on lui présentait la note, revue et considérablement augmentée ; quand il apprenait qu'il fallait, en dehors du prix de la pension, payer 3 livres poar l'association, 3 livres pour i'écu de la Saint-Luc, 3 livres pour Tannée du valet de pension, I livre 10 sous pour les étrennes du domestique, 3 livres pour les étrennes du fils, i livre 4 sous pour les expériences de physique, 2 livres pour les énig- mes, — i^ sous pour Tencre, 6 sous 6 deniers pour les chaises d'église, 4 livres pour les ports de lettres. Qu'était-ce quand, à la note officielle, se joignait celle du perruquier pour les cheveux, la queue, la poudre et la pommade, celle de l'apothicaire pour les médicaments et les clystères, celle du chirurgien pour les saignées et les pansements, celle du médecin pour les consultations, celle du libraire pour les livres et les fournitures de bureau, celle du maître à danser pour les leçons de maintien et de révérence, celles du tailleur, du ravaudeur, delà blanchisseuse, du cordonnier, du chapelier, etc. ? Et ce n'était pas tout: il arrivait parfois que toutes ces factures, qui formaient déjà dans leur ensemble un fort joli mémoire, se grossissaient d'une foule de d'îtails imprévus : 42 sous pour la Saint-Nicolas, 12 sous pour le gâteau des Rois, 10 sous pour une promenade à la campagne, ~ 15 sous pour « un carreau cassé avec du mastique », 4 livres pour un pupitre ferré a neuf, 12 livres pour un Virgile de Desfontaines, 8 livres pour un Virgile de l'Université, 10 livres pour un Traité des études <le Roliin, 7 livres pour les Hymnes de Santeuil (1), etc. »

En somme, conclut M. Carré, les maîtres du temps passé, à en juger par les Oratoriens du collège de Troyes, « se préoccupaient trop volontiers de faire des jeunes gens confiés à leurs soins des liommes du monde ; ceux d'aujourd'hui se proposent tout simplement d'en faire des hommes. »

Nous voulons croire qu'il a raison.

HisTOiRB DE France, rédigée conformément au plan d'études des écoles primaires du 27 juillet 1882. Cours élémentaire et cours moyen, Récits et entretiens sur l'histoire nationale depuis les origines jusqu'à nos jours par R. Jalliffier et H. Vast. Ch. Delagrave, éditeur, 1884.— Si, comme on Ta d;t avec autant d'esprit que de raison, un livré bien fait est un livre bienfaisant, le livre de MM. Jalliffier et Vast est un des plus bienfaisants qui soient. U est composé d'après un plan

(1; Archives de l'Aube, D. 50 à 74.

LA raiSSI IT LIS LITRES 48S

tout à fait réussi. Chaque leçon ^ y en a trente-trois pour le cours élémentaire et autant pour le cours moyen) est précédée d'un court sommaire très précis et très net qui doit être appris presque mot à mot par l'élève. Puis vient un récit destiné, selon le vœu du pro- gramme, a fixer l'attention tm les principaux personnages et les grands faits de notre histoire nationale. Un questionnaire divisé en deux parties termine la leçon ; la première, adaptée au résumé, demande à rélève des réponses littérales et en quelque sorte la récitation de chaque phrase de ce résumé ; la seconde, adaptée au récit, laisse à rcmfant plus de liberté, et lui permet de raconter plutôt que de réciter. A la fin de chaque livre (il y en a cinq dans le cours élé- mentaire et six dans le cours moyen) une leçon de révision donne au maître le moyen de revenir sur les faits déjà appris pour en reprendre et en souligner les points les plus importants. En outre, les auteurs ont igouté, à l'usage des élèves qui suivent le cours moyen, et qui sont déjà plus expérimentés et plus formés que leurs camarades du cours élémentaire, un certain nombre de sujets de devoirs appropriés à chacun des six livres dont se compose le cours. Des cartes et des vignettes d'exécution inégale, mais fort habilement choisies^ illustrent le récit et font revivre les événements et les per- sonnages. Tout cela nous paraît très pratique, très ingénieux, très judicieusement arrangé et distribué pour la plus grande utilité du maître et de l'élève et pour le plus grand bien de renseignement.

Quant à Tesprit général du livre, nous ne saurions mieux k faire connaître qu'en empruntant quelques lignes à la courte préface écrite par MM. Jallifiier et Vast:

« Nous nous sommes tracé, disent-ils, les règles suivantes :

» Sobriété dans le choix des faits et clarté dans l'exposition. Noms de rois, batailles, traités, dates, nous avons réduit tout cela au strict nécessaire. En revanche nous avons essayé de conserver aux hommes leur caractère, aux faits leur physionomie, tout en écartant les détails et les anecdotes dont l'authenticité nous paraissait trop contestable.

» indépendance et modération dans les jugements : nous nous sommes souvenus des paroles de M. le ministre dans son discours prononcé à la Sorbonne le 15 avril 1882: « Nous ne croyons pas

* qu'il soit bon de dire à la jeunesse : avant la date éclatante de 1789,

* il n'y a rien, rien que des tristesses, rien que des misères, rien que » des hontes. Cela n'est pas vrai d'abord, et ensuite cela n'est pas » sain pour la jeunesse. Cela même n'est pas bon pour la Révolution » française qu'on se flatte d'exalter par ce zèle imprudent. Je trouve « que la Révolution Irançaise a tout à gagner si on la présente aux ■» jeunes générations non comme une surprise, mais comme un » dénouement. »

MM. Jallifiier et Vast ont tenu parole. Il n'y a pas une ligne de leur livre qui mente à ce progranmie si simple et si patriotique. Ils

4S6 AEVUX PiDAMGIQDK

n'ont négligé aucune occasion de mettre en relief la portée morale d<fs événements et de rappeler à leurs jeunes lecteurs leur devoirs envers le pays et envers eux-mêmes. « Il (Harold) ne savait pas qu'un mrment est toujours sacré, qu'il y ait ou non des reliques et des ossements. « ii^ partie, p. 63). -* « Quand la patrie est menacée k premier devoir de chaque citoyen est de la défendre. » (^ partie, p. 38). « Il faut déplorer ces violences (de la Terreur) et flétrir les crimes qui rappellent les siècles de barbarie. Mais thistoire de la Révolution n'est pas tout entière dans ces crimes. > (^ partie, p. 162). c Ainsi tant de victoires, tant d'armées sacrifiées n'avaient servi (en 4815) qu'à rendre la France plus faible et plus menacée I Cest ia punition des peuples qui s'abandonnent à un homme, à un conquérant, au lieu de se gouverner avec sagesse et de se défendre avec modération. > (2* partie, p. 185). « Ne nous rappelons ces lugubres journées (de la Commune) que pour détester la guerre civile et en éviter à tout jamais le retour. « (2^ partie, p. 216). Vérités banales, si l'on veut, mais qu'il est toujours bon de rappeler aux enfants qui seront un jour des hommes et des citoyens, et qui se conduiront dans la vie d'après les enseignements qu'ils auront reçus à l'école.

Le mérite littéraire de ce petit livre nous plaît autant que la va- leur morale des leçons que l'on y, trouve à chaque page. Nombre de chapitres sont nouveaux, et nous savons des ouvrages de propor- tions plus amples et de prétentions plus hautes on les cher- cherait vainement. Telles sont notamment, dans la première partie, la leçon 17, Le seigneur et les serfs ; la leçon 27, Paris, capitale de la France; la leçon 30, Progrès de la France ; dans la seconde partie» la leçon 20, Les colonies françaises au xvu<> et au wiii* siècle, etc. Souvent les auteurs nous décrivent en quelques lignes de petits tableaux d'un relief et d'un pittoresque vraiment remarquables. Voyez par exemple cet intérieur d*un manoir féodal : « Le seigneur était comme un roi sur ses terres.... Mais sa vie était bien triste dans le château-fort il était renfermé. Sa chambre, située en général au premier étage, n'était accessible que par une échelle. Par les meurtrières qui tenaient lieu de fenêtres tous les vents passaient et le jour n'arrivait pas. Les troncs d'arbres qui fumaient dans d'immenses cheminées ne pouvaient pas réchauiler ce sombre intérieur. De la paille hachée menue tenait lieu de lapis. Le seigneur vivait toujours isolé, toiyours oisif ; il s'ennuyait profondément parce qu'il ne faisait rien. Aussi ne songeait-il qu'à sortir de son château pour aller chercher au dehors J'air, la lumière, la société. Il était toujours en quête de mouvement et d'aventures. » (1'^ partie, p. 57). Ce morceau n'est-il pas excellent ? Et les enfants qui le liront ne verront-ils pas se dresser devant eux ces durs barons dont l'existence était si monotone et si misérable ? Et ce court passage sur les terreurs de l'an mille : « On a appelé cette époque le siècle de fer. C'est le règne de l'épée. La misère plongeait les

LA PRESSE Kl LIS UYBES 487

iiommes dans le désespoir. On répétait que f le soir du monde appro- chait », c'est-à-dire qu'on allait être plongé dans la nuit éternelle. Peu de temps avant Fan mille, le bruit se répandit que le monde allait finir. Cette nouvelle remplissait les grands de terreur, les pauvres de joie. Mais Tan mille passa, le soleil continua de briller ; les hommes se reprirent à espérer. » (1^* partie, p. 73). Et plus loin, lorsqu'il s'agit de donner une idée de la nouvelle armée orga- nisée après la guerre de 1870, au lieu de lancer un chiffre qui ne parlerait guère à l'imagination, MM. Jalliffier'et Vast écrivent cette phrase : « Si l'on supposait que l'armée francise défilât par la porte d'une ville sans s'arrêter un instairt^i le jour ni la nuit, il's'écoulerait un demi-mois avant que le dernier homme eût passé. » (2* partie, p. t\l). L'expression n'est-elle pas plus vive que si les auteurs avaient dit simplement : La France peut mettre en temps de guerre 2,423,164 hommes sous les armes ?

C'est donc donc un tout à fait bon livre que ce petit volume, et nous ne saurions trop le recommander. Les quelques réserves que nous pourrions faire sur certains points de délail n'ont pas assez d'importance pour qu'il soit nécessaire d'y insister longuement. Nous en indiquerons rapidement deux ou trois. A )a page 18 (Impartie), il est dit dans le sommaire : « En 312, l'empereur Constantin adopta la religion chrétienne et mit fin aux persécutions. > Constantin n*adopta pas la religion chrétienne en 312. A cette date, il se borna à la reconnaître officiellement. C'est seulement en 337, dans les der- niers mois de sa vie, qu'il se fit baptiser et encore par un évêque arien, Eusèbc de Nicomédie. ~ Plus loin, à la page 41, nous trou- vons cette phrase : « Charlemagne avait l'iiabitude de tenir par an deux grandes assemblées des Francs fiour délibérer sur les expéditions à entreprendre, et pour faire approuver ses Capitulaires. » Il est douteux que les assemblées du Champ de Mars dont il est ici parlé aient été des assemblées délibérantes.

A la page 23 (2* partie), le sommaire de la quatrième leçon commence ainsi : « A la mort de Louis XI, Anne de Beaujeu exerce la régence pour son frère mineur^ Charles VIII. > Louis XI est mort le 30 août 1483. Charles VIII, le 30 juin 1470, était donc entré dans sa quatorzième année et par conséquent majeur, aux termes la fameuse ordonnance de Qiarles V, quand il succéda à son père. Page 126, nous lisons : « Frédéric II remporta sur les Français une de ses plus faciles victoires, celle de Rosbach. » Est- il bien exact de représenter Rosbach comme une défaite française? Soubise n'avait pas le commandement en chef à Rosbach. Il n'était que le subordonné du prince de Saxe-Hildburghausen, placé à la tête de l'armée à'exéctUûm ou armée des cercles allemands chargée ai' exécuter les décisions de la diète de Francfort qui s'était prononcée pour Marie-Thérèse, dans le conflit entre l'Autriche et la Prusse. Sur les soixante mille soldats qui composaient l'armée franco-im-

4S8 lEYin rÈMàMCÊOiaE

périAle, les deux tiers étaient allemands, on tien seolemmt Iria- çaiSy et ces Français n'y figuraient qu'à litre d'aoxiliaîres. Soubiae penchait à éviter la rencontre. Uiidbnrgtiansen Tooiat combattre. Cest lui qui prit toutes les di^Kwitions et qui doit porter la respoii' sabilité des événements. Les Impériaux s'enfuirent Jusqu'à Beixe lieues du champ de bataille. La cavalerie française sauva du- moins l'honoeur : 223 de nos officiers forent tués ou blessés. N'est>il pus juste d'en conclure que Rosbach est une défaite aUemande beaucoup ]dutôt qu'une défaite française? Page 172, nous trouvons cette phrase : < La phis grande ouvre du Consulat fut le Gode civil. » Penl- ètre eût-il été utUe de meationnièr ici que le Code civil n*est pas sorti de la tète de Bonaparte comme Minerve tout armée du cervean de Jupiter. Les grandes assemblées de la Révolution s'étaient vivement préoccupées de mettre nos lois civiles en harmonie avec les principes de 89. La Convention notamment consacra soixante séances à des intervalles plus ou moins éloignés à ces travaux législatifs. La Con- stituante avait posé le principe des successions. La Législative avait établi les actes de l'état civil. La Convention décréta successivement régalité des partages entre les héritiers, les dispositions relatives à l'adoption, à la paternité, à la tutelle, aux contrats. Cette tâche, poursuivie a travers les tempêtes Intérieures et la lutte contre l'Europe, était terminée en 1795. Mais Bonaparte voulait que tout désormais portât son nom et son empreinte. De la création da la commission qui de 1800 à 1803 reprit l'œuvre de Cambacérès, de Treilhard, de Merlin de Douai et réunit toutes les lois de la RévolutioB en trente-six ordonnances successives qui reçurent en 1807 le nom de Code Napoléon. Nous aurions souhaité qu'un mot n^ipelât que les partis révolutionnaires. Feuillants, Girondins, Montagnards, ont travaillé tour à tour à cette œuvre admirable qui allait fonder l'égalité sociale en France.

Mais nous l'avons dit, et nous tenons à le redire, ces quelques critiques de détail n'enlèvent rien au mérite et à l'intérêt de ce livre qui, avec ses qualités de mesure, de sobriété, de science et de conscience, rendra les plus grands services à nos maîtres et à leurs élèves. 9 Nous espérons que l'enfant en étudiant nos récits familters s'y fortifiera dans le dévouement à son devoir et l'amour de sa patrie. » Ce vœu par lequel MM. Jallifiier et Vast terminent leur trop modeste préface sera réalisé, nous leur en donnons l'assurance. En trur- vaillant à nous préparer dans l'école de bons citoyens et de bons Français, ils auront bien mérité de l'enseignement primaire et de tous ceux qui en ont la ciiarge devant le pays. A. Gazrau.

Madamk db Mainteron, institutrice, par Emile Paguet^ professeur au Lycée Charlemagne, 1 vol. in-16, H. Lecène et H. Oudin, éditeurs, Paris. Ce volume de 250 pages, et dont le prix broché n'est que de 1 fr. 50, contient une introduction M. Faguet a étudié dans

PRI86I WT Lit LIYRKS 400

Madame de Maintenon la femme, rinstitatriee, l'écrivain. Il a résu- mé à la suite les appréciations de la critique moderne (Sainte-Beuve, Gréard, Mézièrea) sur la véritable fondatrice de renseignement des jeunes filles en France. Vieot ensuite le texte, soigneusement col« lationné sur les meilleures éditions, des extraits, des lettres, avis, entretiens, conversations et proverbes de Madame de Maintenon sur l'éducation. Enfin M. Faguet a donné des notes explicatives et de nombreux éclaircissements il a fait entrer la substance du Trai- té de l'Education des filles de Fénelon, dont Madame de Maintenon s'est inspirée. Cette nouvelle édition est précédée d'un portrait, d'après Mignard (musée de Versailles), représentant Madame de Maintenon avec son élève Mlle de Blois.

Code sfANUEL des certificats, brevets, examens et concours de l'enseignement primaire, par Charles LhommCy Paris, H. Lecène et U. Oudin, 1885 i vol. in-12 de 445 pages. Depuis quelques années, les examens de l'enseignement primaire ont pris une telle exten- sion, intéressent tant de personnes, que les ouvrages de législation, les codes scolaires se multiplient. Chaque éditeur d'ouvrages classi- ques veut avoir le sien et c'est à qui aura le plus complet. Sous ce dernier rapport, on peut dire que l'ouvrage de M. Charles Lhomme atteint la perfection du genre et qu'il ne pèche point par défaut. Quiconque peut avoir besoin de connaître ce qu'est un examen d'enseignement primaire, depuis l'examen que l'enfant instruit dans la famille doit subir chaque année aux termes deU loi du 28 mars 1882, jusqu a l'examen du professorat dans les écoles normales, est sûr de trouver dans le livre de M. Ch. Lhomme les renseignements les plus complets. On pourrait désirer plus d'ordre dans la disposi- tion des documents, une division mieux marquée dans les divers ordres d'examens, enfin une codification plus parfaite. Mais l'auteur a voulu être complet, donner tous les textes officiels se rattachant à la matière (et l'on sait s'ils abondent !) ; aussi a-t-il fait un gros volume qui sera consulté utilement, sinon commodément, par tous ceux qui par besoin personnel ou par devoir professionnel ont à s'occuper des examens primaires. B. B.

De l'éducation a l'école primaire, professionnelle, supérieure et normale, par M. Vessiot^ inspecteur d'acadénue, membre du Con- seil supérieur de l'instruction publique. Paris, chez Ract et C**, éditeurs, 1885. Nos lecteurs connaissent déjà un chapitre d^ ce livre, que l'auteur avait bien voulu nous communiquer en épreuves, et qui a paru dans le dernier numéro de la Revue, On a vu avec quelle élévation d'esprit et avec quelle sûreté de jugement M. Vessiot a parlé de la nécessité de développer, surtout dans une démocratie comme la nôtre, le sentiment du respect. Les mêmes qualités se retrouvent dans tout l'ouvrage. La préface indique nettement le bot du livre:

MO AIVUI PÉSA«OaiQUK

« En l'état des croyances et des mœurs, sous un régime qui donne ]e droit au nombre, instruire est bien, moraliser est mieux. Si Fim est utile, Faotre est nécessaire, car une société a encore plus besoin de moralité que de savoir et d'honnêtes gens que de gens instruits. Nous n'apporlons pas un nouveau système; du reste, en matière d'éducation, les systèmes n'ont guère que l'apparence de la nou- veauté, et cette nouveauté même est à bon droit suspecte... Ce n'est pas de systèmes que nous avons besoin, ce ne sont pas les Inmiè- les qui nous manquent, mais les exemples et les hommes; il faut donc former des éducateurs. Le sentiment ' des besoins de l'heure présente, l'observation de l'état moral de l'enfance, des influences malsaines ou bienfaisantes auxquelles elle est actuellement exposée, des conditions favorables et défavorables dans lesquelles s'entreprend l'oeuvre de l'éducation nationale, du concours ou des obstacles que cette œuvre rencontre dans les institutions, les idées et les mœnrs, ont donné naissance à cet ouvrage ; il est aussi du désir sincère de venir en aide aux instituteurs dans la grande tâche que les cir- constances leur imposent. »

M. Vessiot ne se refuse pas d'envisager de haut les grandes ques- tions qui de tout temps ont préoccupé les moralistes, mais c'est aux instituteurs qu'il s'adresse surtout, c'est dans Yépo\e qu'il tient à se renfermer autant que possible. Signalons, entre autres, les excel- lents chapitres consacrés aux récompenses et aux punitions. Cest donc par son caractère essentiellement pratique que ce livre se distingue de toutes les publications antérieures : c'est ce qui en fait la valeur et le mérite; c'est ce qui en fera certainement le succès.

A. Bbueieh.

Langue allemande.

Uns école normale Israélite. Les Rheinische Blâtter donnent quelques renseignements intéressants sur la fondation de l'école normale Israélite qui va occuper les beaux bâtiments construits à Miînster à cet efifet, et qui portent le nom de Fondation Mark- Haindorf,

Il y a soixante ans environ, en Allemagne, en Prusse, les Israé- lites ne possédaient même pas d'écoles primaires ; ils ne pouvaient pas avoir d'instituteurs; on ne les recevait pas dans les écoles nor- males, du moins à titre d'élèves réguliers; ils ne pouvaient qu'y rester quelques jours en passant. Du reste, sauf le commerce, presque toutes les branches de l'activité humaine leur étalent in- terdites.

En 1825, un médecin, le D^ Heilbronn, fonda à Minden une asso- ciation ayant pour but de répandre la connaissance des métiers parmi les juifs; il s'agissait de procurer à quelques enfants abandonnés des moyens d'apprentissage.

La même année, cette même idée fut reprise et étendue par le

PRESSE ET LES UVRES 461

professeur Haindorf, qui constitua à Munster une association des- tinée non seulement à placer de jeunes apprentis, mais encore à fonder une école les plus intelligents des enfants Israélites orphe- lins'ou abandonnés recevaient l'instruction nécessaire pour les pré- parer à devenir instituteurs.

Celte association réussit pleinement, et son influence dépassa bientôt les limites des provinces de Westphalie et du Rhin pour lesquelles elle avait été primitivement fondée.

Le D' Haindorf, professeur de médecine et de chirurgie a la Fa- culté de Munster, devenu riche par un mariage avec la fille d'un' opulent habitant de Hamm, W^^ Mark, se consacra à son école normale avec un admirable et infatigable dévouement. Il réussit à écarter les difficultés, à vaincre les mauvais vouloirs, à réunir les fonds nécessaires, à gagner pour son œuvre la sympathie et le concours' de gens de toute religion. Il joignit à l'école normale une école annexe qui finit par acquérir une grande extension et une certaine renonmiée. Dans la classe supérieure, on enseignait le latin, le français et l'anglais; des enfants des divers cultes recevaient les mêmes leçons ; des fils de riches négociants venaient partager cer- taines études des jeunes normaliens. Des professeurs distingués, des spécialistes connus tenaient à honneur de venir enseigner dans l'établissement; plusieurs le faisaient sans rétribution.

La maison était une sorte de république, qui se gouvernait par les délibérations et l'entente des maîtres. Le D' Haindorf animait tout de sa vie, de son entrain. Il s'était réservé de faire des cours d'histoire naturelle et de déclamation, tout en continuant ses cours à la faculté et sa pratique médicale en ville; il venait fréquemment assister aux leçons des maîtres ; on le voyait souvent aux leçons de mathématiques, qui avaient lieu en été le matin de cinq heures à six, se glisser silencieusement dans la salle, s'asseoir derrière les élèves et écouter tranquillement. 11 se rendait souvent aussi au milieu des élèves, causait avec eux, les conseillait, les dirigeait, les encoura-' geait, et restait parfois avec eux fort avant dans la soirée.

La mort de Haindorf en 1862 fut une perte immense pour l'école» mais l'œuvre était fondée et ne périt pas. Un comité s'organisa, on directeuv (ut mis à la tête des maîtres, des fonds furent recueillis, des legs furent institués ; la belle-mère de Haindorf avait déjà fait une donation de près de cent mille francs qui ne fit que s'accroître par d'autres dons et par des souscriptions annuelles. Le comité se vit enfin assez riche pour construire une école neuve dont la pre- mière pierre fut posée le 2 mai de l'année dernière, centenaire de la naissance du D' Haindorf. L'avenir et la prospérité de cet établissement semblent désormais assurés.

Les ÉPRBirvBS publiques. Il est d'usage dans les écoles alle- mandes de faire passer tous les ans, à la fin de Tatoée, des examens

401 IKVUS PÉDÀ606IQU1

publics, qui ont lieu devant les familles, divers professeurs, un inspecteur, et un certain nombre de personnes qui à un titre quel- conque s'intéressent à Técole. Ces épreuves consistent en interro- gations faites par l'instituteur même de la classe, et durent pour cbaque classe une demi-heure. On discute en ce moment la ques- tion de safoir si ces épreuves publiques sont utiles ou non; elles ont leurs détracteurs et leurs partisans. Plusieurs articles de revues pédagogiques traitent ce sujet.

Les uns font remarquer que pour un grand nombre de classes, ces épreuves sont une pure comédie ; le maître prépare ses élèves à répondre par cœur à des questions déterminées d'avance; il désigne à la fois les questions, les réponses, les élèves qui répondent. On cite des faits probants, des maîtres qui se trompent d*élèves et qui obtiennent des réponses qui sont de vrais coq-à-l'âne; des classes inattentives parce que les enfants savent que ceux qui ont été marqués et stylés d'avance seront les seuls interrogés. II s'agit de jeter de la poudre aux yeux, d'étonner le public, de charmer les parents, de tromper sur la valeur de l'enseignement donné. Quelquefois le maître se propose uniquement de faire briller les enfants de famille influente et d'obtenir ainsi une gratification de la munificence du conseil scolaire.

Certains maîtres sont incapables de rien tirer de leurs élèves, et se décident à poser les questions et les réponses, se contentant d'obtenir de simples oui et non. Plusieurs n'ont qu'une préoccupa- ti(m, remplir la demi-heure obligatoire tant bien que mal, parlent lentement, répètent à plusieurs reprises les questions posées, les réponses données, et réusissent à ennuyer les auditeurs qui se pro- mettent de ne plus revenir.

La principale objection, ou du moins la plus sérieuse, qui est faite aux interrogations publiques, c'est qu*elles tendent à faire pré- dominer la recherche de la quantité de savoir acquis sur celle de la qualité, de la méthode. On vise à bourrer la mémoire des enfants plus qu'a développer harmoniquement leurs facultés, à les instruire plus qu'à les élever, parce qu'il est plus facile de ûdre apprécier à un auditoire de deux ou trois cents personnes les choses apprises que la manière dont elles <mt été enseignées et les résultats acquis plutôt que les germes féconds des résultats futurs.

Les partisans des épreuves publiques, qui correspondent jusqu'à un certain point à nos solennelles distributions de prix, y voient de sMeux avantages et en demandent énergiquement le maintien. Ces interrogations peuvent très bien faire vohr, disent-ils, non seulement ce qui a été enseigné, mais dans quel esprit, avec quelle méthode renseignement a été donné. 11 y a des abus possibles; il est f&cheox que les maîtres ne comprennent pas le devoir d'interrogations sin- cères, mais il appartient aux directeurs d'écoles, aux inspecteots de le leur faire sentir. On pourrait faire poser qualités questions

LA PRKSai ET LIS LITUS « 463

par une autre personne que rinstituteor habituel; mais ce serait dérouter les enfants; le mieuxest de déterminer les maîtres à donner autant que possible, pendant cette demi-heure, l'image de leur enseignemeat ordinaire.

La perspective de la séance publique est un stimulant pour tous; nul ne veut rester en arrière ; et si Ton a soin d'éviter une oon- Gurrence fiévreuse et malsaine entre les écoles, on obtiendra de bons résultats.

Ces séances publiques ont en outre l'avantage d'initier les parents à la vie scolaire, de les intéresser aux travaux de leurs enfants, de leur montrer sur le fait les bonnes méthodes d'enseignement, la manière de diriger les esprits, de les mettre sur la voie; elles sont un enseignement pour les familles. De plus, elles établissent un lien plus étroit entre la famille et l'école ; ces deux facteurs de l'éducation concourent ensemble, à ce moment, visiblement, à la même œuvre; les parents voient le maître à sa tâche, si difficile, si délicate, lui savent gré de ses efforts, comprennent mieux les difficultés qu'il rencontre, sont plus disposés à l'aider, à l'encou- rager.

Enfin, c'est Toccasion d^une fête scolaire qui élève les esprits et les cœurs, qui rapproche, qui réjouit, qui met l'école en lumière, qui contribue par conséquent à l'éducation morale du peuple.

En résumé, il en est de ces examens publics comme de tant d'autres procédés; ils valent par l'esprit qu'on y apporte, par le but qu'on y poursuit; on peut les ravaler au rang de simple rou- tine et de dangereuse comédie, ou les transformer en un excellent moyen de bonne et féconde pédagogie* Tant vaut le maître, tant vaut le procédé.

Lis DI8TRIBUTI01I8 DE PRIX. La Deutêehe Sehulseitung prend la défense des distribntlons de prix, dont la suppression a été deman- dée récemment au conseil municipal de Berlin.

Les théoriciens qui condamnent les prix, dit l'auteur de l'article, s'appuient sur Tautorité de Kant, d'après lequel les châtiments forment les c naturels servUes », et les récompenses les « naturels mercenaires », tandis que ceux qui ne sont pas récompensés regar- dent leurs camarades d'un air jaloux. Les enfants, dit-on, doivent apprendre à travailler par devoir et non par crainte ou par innbition; la curiosité chez les élèves, le talent chez le maître doivent suffire à entretenir l'attention et l'application; la recherche de^ récompenses et la crainte des châtiments constituent des mobiles immoraux.

L'auteur de l'article répond que ce n'est pas du premier coup que les enflants peuvent être âeyéi à ces hautes conceptions de monditè!} qu'on ne peut pas demander» même à des hommes, de renoncer i to^ute disUnctioa et récompense de leur mérite et de leurs eflèrta, qu'ils ont besoin d'être encouragés dans leur travail par des résultats

464 BIVUl VÉDÀ60CIOUS

visibles, quis'ajoutent utilement au sentiment du devoir; que le monde est ainsi fût et que les enfants vivent au milieu de ce monde.

La nature des côifants est plus portée encore que celle des hommes vers ce qui frappe les sens ; ce n'est que graduellement, par l'effet même de Téducation, qu'on peut arriver à les « spiritualiser ». Gomment doncexi;^er d'eux ce qu'on n'exige pas de nous, qu'ils fassent sans cesse le bien, sans penser ni à récompense ni à châtiment, uniquement par sentiment du devoir et pas amour du bien?

Kant, qui condamne les récompenses, se garde bien d'écarter les punitions. Le motif de la crainte est-Il donc plus noble que celui de l'honneur ou de l'ambition? L'un des deux principes est tout au moins aussi dangereux que l'autre et ne propose pas de meilleurs mobiles. Oui, les théoriciens ont raison; le but de toute éducation doit être d'amener les enfants à faire le bien par pur amour du bien; mais la récompense et le châtiment sont des moyens indispensables pour se rapprocher de ce but; il est seulement bien entendu qu'il faut les employer d'une manière intelligente, de moins en moins matérielle et grossière, jusqu'à ce que l'enfant, devenu homme, trouve les plus efficaces châtiments et récompenses dans sa conscience même.

L'auteur déclare expressément, du reste, que les distribations de prix doivent se faire sans une solennité et une pompe excessive, de façon à ne pas donner aux enfants l'idée qu'ils sont des person- nages en quelque sorte publics et importants. Mais il ne serait pas bon d'autre part de supprimer sans une nécessité absolue des habitudes populaires anciennes, profondément enracinées. Il faut à la vie un certain éclat, et surtout à la vie des enfants ; il faut sa- voir parler à leur imagination et imprimer d'heureux et utiles souvenirs dans leur mémoire.

Il peut sans doute y avoir parfois, par exception, des erreurs dans Tattribution des récompenses; mais est-il humainement possible de les éviter, même dans de simples louanges et blâmes? Quant à l'envie, à la jalousie qui pourront naître au cœur des^âlèires non récompensés, est-ce une raison pour refuser les laurier^ au mérite ? Peut-on supprimer les mauvais sentiments en les ménageant de la sorte? Les enfants sont habituellement justes, et ils ne s'étonnent pas qu'un plus grand honneur soit accordé à ceux qui ont plus de mérite, qui ont reçu de Dieu ou accru par le travail des dons privilégiés.

Le- muséb pédagogique de Berun. Le musée pédagogique qui vient d'être inauguré à Berlin, nous dit la Bayerisdie Ùkrerxeitung, h% eu les plus modestes commencements. Voilà neuf ans que des hommes de bonne volonté y travaillent avec zèle et intelligence. La bibliothèque n'a pas tardé à croître grâce à des dons importants, soit de partîeuiiers, soit de maisons de librairie; un généreux dons-

LA PRESSE ST LES LIVRES 46K

teur, nommé Wagener, fit don entre autres d*uae magnifique collec- tion de voyages comprenant 345 volumes, dont plusieurs ornés de belles et précieuses gravures.

La bibliothèque du musée pédogogique compte aujourd'hui plus de six millo volumes qui traitent de (Uverses matières, mais parti- cnlièrement de toutes les branches de la pédagogie. On y trouve des ouvrages de théologie, de philosophie, d*hlstoire, de géographie, de mathématiques et d^astronomie, d'histoire naturelle, de littéra- ture, de droit, de médecine, d'hygiène, d'art et d'industrie.

Outre la vaste salle de la bibliothèque, le musée contient d'autres chambres moins grandes l'on vient lire et écrire, qui servent de laboratoires, de salies de conférence. De plus, il renferme une très curieuse et complète collection de matériel d'enseignement.

sont rassemblés les objets en apparence les plus divers, mais reliés par une pensée commune : des cartes de géographie anciennes et modernes, des atlas, des tableaux, de magnifiques images, des cartes murales représentant des spécimens ou des collections d'his- toire naturelle, les insectes, les papillons, les végétaux, les minéraux, les métaux, etc.

On y trouve même des machines à lire et à compter, des tableaux anatomiques, ethnographiques, des animaux dont toutes les parties se démontent, bref, tout ce que la pédagogie moderne a imaginé pour faciliter l'enseignement par la vue.

Une salle spéciale expose une riche collection d'appareils de phy- sique et de chimie; ailleurs, c'est le modèle d'une petite machine è vapeur très minutieusement confectionnée ; ailleurs encore toute une collection de modèles et d'instruments de dessin, tout un matériel pour renseignement méthodique des travaux de femmes, etc.

La feuille bavaroise à laquelle nous empruntons ces détails fait remarquer que le musée pédagogique de Berlin est le seul qui existe dans l'Allemagne tout entière, et qu'il n'y a d'institutions analogues qu'à Londres, Vienne et Paris. Encore ces deux derniers sont-ils de création récente et n'ont pas eu encore le temps d'ac- quérir le développement auquel ils sont appelés.

L'usage des ardoises. —Le directeur de l'école normale de Stras- bourg, M. Largiadèr, communique, dans le Journal scolaire d* Alsace- Lorraine, des observations sur les inconvénients de l'ardoiie pour la vue des enfants. C'est Pestalozzi qui a introduit l'ardoise dans les écoles de Zurich; c'est dans cette ville aussi qu'on a examiné avec le plus d'attention les conséquences de ce système. Le professeur Horncr, dans un rapport qui date déjà de 1878, a condamnél'usage de l'ardoise, et la vûle de Zurich n'en distribue plus dans les écoles. £lle a remplacé l'ardoise et même le crayon noir, dont le tracé est gris, parla plume et l'encre. La dépense est certainement un peu plus forte. La ville fournit le matériel d'écriture et de dessin pour

IBVCB piDAGOOlQUB 1885. glS. 30

466 BIVUK PÉDAÛOGIQUK

environ i franc par an aux élèves do première année, 1 IV. 00 c. à ceux de deuxième aunéc, et 2 francs à ceux des années suivantes.

Le comité médical chargé par le gouverneur d'Alsace -Lorraine d'une enquête sur ce sujet déclare que le mal causé par les ardoises n'est pas si grand que certains auteurs le prétendent, surtout si i on se borne à les mettre entre les mains de tout jeunes enfants, chez qui il n'y a pas de disposition à la myopie. M . Largiadèr n'est pas de cet avis. 11 communique entre autres le résultat suivant d'ob- servations multiples. Etant donné les lettres £B écrites noir sur blanc, blanc sur noir, gris sur noir, même grandeur, même éclat- rage, les plus grandes distances auxquelles, l'œil les aperçoit sont respectivement figurées par ces nombres; 496 421 330. Il s'en suit donc que c'est le tableau noir avec la craie et l'ardoise avec le crayon (entre le crayon d'ardoise et le crayon de plomb il y n peu de dilîérence) qui exigent le plus grand effort de l'œil.

Le professeur Horner ajoute que le luisant de l'ardoise a encore pour filcheux effet d'obliger les enfants à tenir la tel e obliquement, et M. Largiadèr attribue également à ce système la difficulté d'obte- nir des enfants de classes élémentaires une bonne écriture.

Les classes spéciales pour les enfants peu doués. On a eu ridée, dans diverses villes d'Allemagne, de créer des classes spé- ciales pour les enfants médiocrement doués (schwach begabt), afin que les maîtres, se consacrant entièrement à eux, sans être absorbés par le soin d'élèves plus intelligents, leur fissent faire de plus réels progrès.

Cette institution soulève de sérieuses objections de la part d'un COI respondant du Pœdagogium,

Il pense que rien n'est plus difficile à tracer que la limite qui sépare des enfants médiocrement doués d'enfants imbéciles et d autre part aussi la limite qui les sépare d'enfants ayant des facultés nor- malos. Un instituteur peut facilement s'y tromper; qu'un enfant soit intimidé, loi^rd, mal disposé, on peut lui attribuer une incapa- cité qui n'est pas réelle.

Le plus grand nombre des enfants mis ainsi de côté, placés sous cette rubrique, le sont habituellement par des maîtres jeunes inex- périmentés.

Comenius estimait que la proportion des esprits incapables est à peu près la même que celle des corps dilîormes; or si l'on trouve dans une école deux enfants difformes sur 300, et en revanche des bancs entiers d'enfants déclarés ineptes, peut-être faut-il accuser i'ai»préciation un peu légère du maître plutôt que la nature.

Entre autres inconvénients de cette séparation, le correspondant fait valoir celui-ci : les parenls aisés no laisseront pas volontiers aller leurs enfants dans une classe marquée d'avance d'un tel "^igne, dpns « l'école des imbéciles »; et si on la réserve aux enfants des

LA PRESSE ET LES LIVRES 467

familles pauvres,* en ne fait qu'attiser la haine des classes et leur donner le plus spécieux sinon le plus légitime des prétextes. L'enfant qui sortira d'une telle classe en portera lourdement le poids; il ne trouvera pas de patron pour l'engager, et sa réputation d'in- capable le suivra longtemps.

11 va sans dire que de telles institutions seraient absolument impossibles en France ; nous estimons que l'émulation est une des conditions les plus avantageuses de l'éducation commune, et que les esprits lents, peu doués, ioattentifs ne peuvent que gagner au contact de camarades plus alertes.

Il serait du reste intéressant que les maîtres chargés des classes comme celles dont nous entretient le Pœdagogium fissent connaître le résultat de leurs expériences; sauf l'expression et la désignation, qui sont des plus malheureuses, ces classes peuvent représenter tout bonnement une divisiop iiiférieure, moins avancée, comme il s'en trouve partout, et qu'il dépend de l'intelligence et do l'activité du maître de pousser plus ou moins vite en avant.

Le travail intellectuel est-il ine fatigue? Un article du D"" WolOberg dans la Deutsclic Rundschau l'ait justice de ce préjuge qui menoce de s'introduire, sous prétexte d'hygiène, dans notre phi- l&mthropic scolaire, à savoir que le travail intellectuel est nuisible à la santé, qu'il est presque une « surcharge » en lui même, qu'il est un mal, nécessaire sans doute, mais un mal, au point de vue du développement du corps.

Bien loin de là, dit le D"" WoKï'berg, l'activité intellectuelle est un élément de santé et de vie. Les eil'orts de TintelUgence entretiennent utilement le fonctionnement de l'organisme humain, et lui fournissent de fécondes excitations qui manquent aux hommes d'esprit paresseux.

L'histoire de tous les temps est pour démontrer que la longévité la plus étendue s'associe à merveille aux plus énergiques travaux de l'esprit. L'ancêtre des médecins, llippocratc, est mort à 104 ans, Michel-Ange à 91, Platon à 82, Newton à 85, Voltaire à 80, Kant au même âge, Gœthe à 83 ans, Sophocle à 92. L'énumération est incomplète, mais suffit déjà à démontrer que la culture de l'esprit entretient la flamme vitale et semble communiquer une force par- ticulière aux organes épuisés par Tuge.

.1. S.

CHRONIQUE DE L'ENSEIGNEMENT PRIMAIRE

EN FRANCE

Bibliothèques populaires des écoles publiques. M. le ministre a fixé à six par département le nombre des instituteurs qu'il ré- compensera chaque année pour leur dévouement au* service des bibliothèques scolaires. Il en résultera une sorte d'émulation qui ne pourra que profitera Tinstitution des bibliothèques. MM. les institu- teurs comprendront lo caractère de cette mesure, et ne perd ont pas de vue que cette récompense aura d autant plus de valeur qu'elle ne sera accordée qu'aux plus dignes d'entre eux.

Les écoles du Creuzot. Le Bulletin départemental de l.i Somme ' contient un intéressant rapport adressé à l'inspecteur d'académie par MM. Mariin etSégard, instituteurs, sur un voyai^e d éludes qu'ils ont fait pendant les dernières vacances. Us ont visité Paris. Châlons, Dijon, le Creuzot, Bourges, Orléans, Chartres, Grignon, Ver-Cailles et Beauvaîs. On voit qu'ils ont su tirer bon parti des deux bourses de voyage que le Conseil général de la Somme a Texccl lente habitude de voler tous les ans. Nous extrayons de leur rapport ce qui est relatif aux écoles du Creuzot.

a Nous nous dirigeons vers l'usine. Nous rencontrons en chemin deux divisions d'élèves qui, sous la conduite de leurs professeurs, vont faire la promenade habituelle du jeudi. Nous sommes en face de l'école de l'usine; nous y entrons. Le directeur, M. Welter, nous re^'oit avec une grande affabilité, nous fait v(»ir les classes fort bien aménagées tous les progrès s'introduisent.

» Une amélioration que nous n'avons rencontrée nulle part nous frappe tout d'abord : c'est que chacune des six classes de l'école est garnie d'un tableau noir de plus de deux mètres de hauteur sur toute la largeur de la salle. Cette disposition offre un grand avantage pour l'enseignement. On peut disposer sur ce tableau toutes sortes de devoirs: dessin, musique, géométrie, arithmétique, «graphie, modèles d'écriture, etc. Pour passer d'un exercice à un autre, on n'est pas obligé d'effacer ce qui a fait l'objet do leçons précédentes.

» Les tables de la première classe sont larges et parfaitt*ment disposées pour la pratique du dessin. Le musée scolaire renferme une collection de minéraux et de plantes de la localité; on s'arrête avec plaisir dans une jolie salle de laboratoire pour le> «'xpénences de physique et de chimie. Les professeurs font un rajipon hebdoma- daire. Le directeur tient un cahier de notes mensuelles et avertit les parents en cas de faute grave.

GHBONIQUE DE L*ENSEIGNEMSNT PRIMAIRE EN FRANGE 469

» t)n ne fait pas de travaux manuels. Les maîtres exposent les principes de construclion de certains objets que les enfants exécutent chez odx, ce qui nous a paru être une excellente innovation.

» Tous les mois, les élèves de la première classe visitent quelque partie de l'usine, et font un rapport accompagné d'un dessin sur ce qu'ils ont vu. C'est là, croyons-nous, une excellente pratique.

» Chaque élève a entre les mains deux cahiers très bien tenus, un pour les sciences et un pour les lettres. »

L'exposition scolaire de Lille. Le Bulletin départemental du Pas-de-Calais contient d'intéressants renseignements sur l'exposition scolaire qui a été organisée ou plutôt improvisée à Lille, dans le Palais Rameau, à l'occasion du cinquième congrès annuel de la Ligue de l'enseignement dont nous avons parlé dans le dernier numéro de la Revue. Le local choisi donne à cette exposition, fort intéressante par elle- même, un cadre magnifique qui ajoute encore à son attrait; aussi les visiteurs y affluent-ils chaque jour. A l'extrémité de la salle s'élève une estrade pour les concerts; au milieu s'étend un jardin de ver- dure, et de chaque côté, à droite et à gauche de deux longues allées, se trouvent les objets exposés: les galeries du premier sont occupées par des cartes et des tableaux et aboutissent à une salle réservée au matériel scolaire de la ville de Lille. Cette disposition nous paraît des plus heureuses.

Nous ne relèverons que ce qu'il y a de plus intéressant dans le compte-rendu que nous avons sous les yeux:

Tableaux d'histoire et de géographie. Outre les tableaux de M"® Ker- gomardct ceux de CIceri, on trouve des portraits historiques sur étolTe exposés par la Société de décoration artistique et de tissus peints de Billancourt ^Seine); ces tableaux sont bien faits, mais ils n'ont pas encore reçu la consé- cration de rexpérienco.

Tableaux pour l'enseignement des sciences, L'importante collection

humaine de Blanchard et les tableaux d'animaux de Delagrave pour les écoles maternelles. La maison Delatain expose aussi des tableaux d'histoire naturelle; ils sont imprimés sur calicot blanc et peuvent au besoin être soumis au lavage. La collection n'a que 11 tableaux: les dessins sont bien faits et les couleurs août, parali-il, inaltérables. On remarque encore les tableaux d'enseignement par les yeux coloriés sur fond noir par Armengard, éditeur Delagrave; ils plaisent beaucoup à l'œil.

Tableiux not/w, ardoises. Ler tableaux noirs ne manquent pas à l'expo- siLion; presque tous sont ardoisés et ce sont les meilleurs. Ils sont montés sur ch3vulet ou bien fixés au mur. Plusieurs sont superposés et s'élèvent et s'abaissent à volonté: d'autres, également superposés, tournent sur gonds comme les feuillets d un livre. La maison Suzanne ex|)ose des ardoises factices, des cartes, des globes ardoisés et des tableaux ardoisés. La maison Nathan a voulu innover : elle oITre une ardoise factice blanche qui n'a aucuu des incon- vénients des ardoises noires naturelles ou factices. Celte ardoise est un verre dépoli; elle n'exige pas l'emploi d'un crayon spécial, ce qui est un avantage, nt on peut se servir du crayon de mine ordinaire ou même de la plume.

Dessin. La librairie Dioniojq a une belle exposition de méthodes, de

470 REVUE PÉDAGOGIQUE

cahiers et de modèles de dessins. Tout le monde connnit les cahiers; mais ce qui est nouveau, et surtout pratique, ce sont les modèles reliefs en carton bristol, remplaçant les ])lâtres. tes modèles sont légers, solides et surtout bon marché (6 francs la douzaine). Comme ils sont en relief d'un côté et creux de l'autre, ils peuvent être doublement utilisés. Nous aimons beaucoup aussi les modèles de dessin de Charvet et Pillet, chez Delagrave ; ce sont de grandes esquisses, bien aiTétécs, en noir sur fort papier bulle, et de grandes dimen- sions; ils remplacent avantageusement les cahiers et aussi les modèles au tableau noir qui exigent beaucoup de temps et une aptitude spéciale. Si ces tableaux, ou nu moins les premiers de la série, étaient quadrilles, ils seraient excellents de tout point.

Géographie. Les cartes géographiques sont très nombreuses; les insti- tuteurs les connais-^cnt toutes et sont fixés sur leur mérite relatif.

Mentionnons, cependant, la belle carte hypsométrique du Nord et du Pas- de-Calais, par M. Mille, de Douai; les cartes hypsométriques et statistimies de M. Wacquez-Lalo. M. Wacquez-Lalo est en oufre l'auteur d'une géographie du département du Nord ; elle est accompagnée d'un petit atlas, destiné à.rendre des services d^ns les écoles. La librairie Deloffre de Landrecies expose, 0ntre autres ouvrages, les atlas du Nord et de l'Aisne à l'usage des candidats au certificat d'études; ce sont d'utiles publications.

On rencontre aussi des globes, des reliefs, des appareils cosmographiques; ils sont généralement connus des maîtres.

Arithmétique, Système métrique^ Géométrie. Les compendiums métriques ne font pas défaut, ni les collections de solides géométriques en zinc, eu carton ou en papier. On voU aussi des mètres cubes démontables, des arith- inomètres. des numérateurs, des calculateurs et autres instruments dont il est difficile de deviner l'usage; il y a abus et les instituteurs auront raison de se passer de ces mécaniques compliquées.

D'autres machines, tout aussi inutiles que les précédentes, sont les tire-lire pour caisses d'épargne scolaires; nous ne les recommandons pas.

Musique. 11 y a peu de choses comme exposition musicale. Après avoir nommé les Chants pour écoles, de M. Danhauser, les Chants scolaires du Nord de la France par M. Ch. Manso, l'énumération est presque terminée. Comme instruments de musique, on trouve ceux de MM. Hel et Ikelmer.

Gymnastique. L'enseignement gymnastique n'est représenté que par les appareils de la maison Garcet et Nisius, et les fusils et équipements scolaires des maisons Spriet de Lens et Huart-Bender d'Argentenii.

Musées, Collections et Appareils. En fait de musées scolaires, nous avons remarqué, outre ceux que fournit le commerce, un musée cantonal exposé par la Société des écoles laïques (le Saint-Amnnd et une collection luxueuse, toute de curiosités, celle de M. Paternoster, fabricant de meubles à Baisieux (Nord). Le matériel pour l'enseignement de la physique et de la chimie à l'école primaire est encore à créer. Cependant de louables efforts sont faits en Tue de doter les é oies d'appareils sumsants et peu coûteux.

La Société anonyn c de fabrication de produits chimiques pour les sciences et l'industrie met en vente, au prix de 145 francs, un matériel complet de physique et de chimie, dressé suivant la méthode de M. Leblanc et permet- tant de faire environ 400 expériences. Le matériel réduit ne coûte que 70 francs; c'est un progrès.

Nous citerons aussi la belle exposition d'instruments de mathématiques et de physique de MM. Wanaclaere et Brunnerde Lille, mais ce sont des instru- ments coûteux, qui ne sauraient convenir qu'aux écoles urbaines richement dotées.

Concours d'enseignement agricole dans la Sarthe. Un concours d'enseignement et de pratique agricole vient d'être ouvert par la Société des agriculteurs de la Sarthe entre les institu- teurs de plusieurs cantons. Nous lisons dans le programme du con-

CHRONIQUE DE l'eNSBIGNBMENT PRIMAIRE EN FRANGE 471

cours : « Il sera tenu compte, en ce qui concerne le classement des directeurs d'école, du travdl personnel du maîlre, du travail écrit des élèves et de leurs réponses orales. L'enseignement pratique donné par les visites dans les champs, dans les jardins, dans les chantiers agricoles sera également pris en considération par la commission d examen .o Les récompenses consisteront naturellement en médailles, diplômes et livres; mais, en dehors de ces encouragements, la Société a décidé que deux prix seraient décernés aux élèves sortant de l'école normale du Mans qui auront le mieux profité de renseij(ne- ment agricole donné dans cet établissement. Enfin une médaille d'or de cent francs, oflerte par le directeur de la ferme-école, sera déli- vrée chaque année à Tinslituteur de la Sarthe qui aura dirigé vers cet établissement le candidat le mieux classé aux examens de sortie. Voilà de bons moyens de développer dans les écoles primaires l'en- seignement si utile de l'agriculture.

Les bataillons scolaires de la Charente-Inférieure Dans le courant du mois de mars a eu lieu l'inspection annuelle des ba- taillons régulièrement constitués dans la Charente-Inférieure. Cette inspection a été des plus satisfaisantes.

Nous croyons devoir reproduire l'extrait suivant du rapport de M. l'inspecteur primaire de Saintes :

a Les inspections des bataillons scolaires ont été partout de véri- tables fêtes scolaires et patriotiques, pleines d'entrain et de cordia- lité. A Eparçnes, à Gemozac, à Pons et à Saint-Porchaire toutes les fenêtres étaient garnies de drapeaux ; les musiques loc îles avaient partout offert leur concours ; à Gemozac, deux banquets avaient été préparés, au moyen d'une souscription, pour tous les élèves et les instructeurs du canton. Presque tous les maires et les délégués cantonaux ont assisté aux inspections ; ils ont été émerveillés du travail des élèves.

» Le transport des élèves s'est fait partout sans aucune difficulté, même pour les communes éloignées; des instituteurs m'ont dit qu'on leur avait offert, à titre gracieux, plus de voitures qu'ils n'en avaient besoin.

» Les officiers inspecteurs ont été fort satisfaits de Tinstruction des élèves dans les quatre parties du programme : gymnastique (avec oih sans armes), maniement d'armes, marches et école de tirailleurs; l'exa- men a porté successivement sur chacune de ces parties, et il a été fait une moyenne des notes pour le classement des écoles; l'école de compagnie est connue à fond par le plus grand nombre des élèves,

0 Si l'on considère que l'organisation et Tinstruclion militaire étaient à peu près nulles en 1884, on ne peut que féliciter les insti- tuteurs pour leur zèle et leur dévouement. *

Reckitement du personnel enseignant. D'après les renseigne^

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ments fournis au minislère au mois d'oclobre 1884, c'est-à-dire après Tapplication rigoureuse de la loi du 16 juin 188i,le personnel ensei- gnant primaire est actuellement au complet dans toute la France et en Algérie. Dans presque tous les déparlemonls, un certain nombre d'aspirants, et surtout d'aspirantes tous munis du brevet, quelques- uns même anciens élèves d*écoles normalei, sont en instance pour èlrct pourvus d*un emploi. Le nombre do ces candidats non placés s'élève environ à 10,000. Précisément en raison de cette situation, les demandes d'emploi affluent à l'administration centrale, qui, n'ayant ni le droit ni le pouvoir d'y satisfaire, se voit réduite à indiquer simplement aux solliciteurs les départements signalés comme ayant un moins grand nombre de candidats à pourvoir. Ces départements sont actuellement, pour les instituteurs : TAllier, le Cher, la Drôme, l'Eure-et-Loir, l'Indre, l'Indre-et-Loire, le Loir-et- Cher, la Loire-Inférieure, le Loiret, le Maine-et-Loire, la Marne, la Mayenne, le Morbihan, la Nièvre et la Savoie.

Pour les institutrices : l'Allier, le Cher, l'Eure-et-Loir, l'Indre-et- Loire, le Loir-et-Cher, le Loiret, la Marne, la Mayenne, la Meurthe- et-Moselle et la Savoie.

Une société bibliophile a Lucenay-les-Aix (Nièvre). A6n de répandre le goût de la lecture et de développer la bibliothèque popu- laire de son école, M. Débit, instituteur à Lucenay-lci'AiXf a établi une Société bibliophile.

Au 1®*" février dernier, soixante-trois élèves de son école et cin- quante-six personnes étrangères à l'école faisaient partie de cette société et avaient pris rengagement de verser chaque mois le sou des bibliothèques. Depuis cette époque le nombre des adhérents s'est accru dans une certaine proportion. Ce sont surtout les élèves de la première classe qui s'occupent de recruter les souscripteurs étrangers à l'école.

A cet effet l'instituteur, à l'aide d'un polygraphe, a tiré un certain nombre d'exemplaires de la liste des livres de la bibliothèque. Un enfant, muni d'une de ces listes, se présente chez une personne ne faisant pas encore partie de la société et lui demande si elle- désire lire un ouvrage de la bibliothèque. Si la réponse est affirmative, et c'est ce qui arrive généralement, l'enfant remet, le soir ou le len- demain, l'ouvrage choisi, et presque toujours après un prêt ou deux la personne demande à faire partie de la société et verse le mon- tant de la cotisation annuelle. 11 lui est remis alors un reçu de son versement et une liste de tous les ouvrages composant la biblio- thèque.

Le trésorier est l'instituteur: il est aidé pour tenir le registre des prêts et le livre de caisse par deux secrétaires choisis parmi les élèves et élus par leurs condisciples. Les volumes sont distri- bués deux fois par semaine. Six élèves sont chargés de porter les

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livres chez les souscripteurs et de les rapporter ensuite lorsqu'ils ont été lus.

Il va sans dire que si des habitants de la localité qui n'ont pas jugé à propos de souscrire demandent à emprunter des volumes de la bibliothèque, on les leur prête, mais ils n'ont pas de liste à leur disposition, et ils doivent venir chercher eux-mêmes les volumes et les rapporter.

On ne peut, dit avec raison M. l'inspecteur primaire, de qui nous tenons tous ces détails, que féliciter M. Imstituteur de Lucenay- les-Aix de cette organisation qui, outre l'extension qu'elle donne à la bibliothèque, a encore l'avantage d'habituer les enfants à la pré- venance, à Tordre, à la i^oViiesse, (Bulletin départemental de la Nièvre.)

Les instituteurs arpenteurs. Ce ne serait pas sans préjudice pour les arpenteurs attitrés et patentés qu'on pourrait permettre aux instituteurs de faire de Tarpentage une sorte de métier ; mais on ne saurait non plus leur interdire absolument de mettre au service des parents de leurs élèves les connaissances qu'ils possèdent sur l'arpentage et le levé des plans: il y a une question de mesure. M. le directeur de l'enseignement primaire, consulté à ce sujet par le préfet de la Marne, lui a répondu qu'il n'y avait pas lieu de modifier la jurisprudence suivie jusqu'à ce jour, mais qu'il importe de veiller û ce que les instituteurs ne fassent pas abus, au préjudice de leurs fonctions, des facilités qui leur sont accordées.

Les recommandations politiques. L'inspecteur d'académie de TÂriège a remarque depuis son arrivée dans le département que plusieurs instituteurs on! adressé leurs réclamations, en cas de changement ou de mesures administratives, non à leurs supérieurs hiérarchiques, mais à des personnes étrangères à l'administration. Quelques autres ont excité des manifestations dans les communes ou fait circuler des listes de signatures. « Cette façon d'agir, dit l'inspecteur d'académie, n'a obtenu aucun succès près de nous : elle est absolument contraire à la discipline et au respect hiérar- chique qui ont toujours été la force et l'honneur de l'enseignement primaire. Nous rappelons aux instituteurs que c'est à leurs chefs seuls qu'ils doivent adresser leurs demandes ou leurs réclamations. Ils peuvent être assurés, du reste, que l'administration agira toujours à leur égard avec justice et bienveillance. Non seulement il ne sera pas tenu compte des démarches faites en dehors de la voie régulière, mais es instituteurs qui, à la suite d'une décision administrative, s'adresseront à d'autres personnes qu'a nous, seront l'objet d'une mesure sévère. »

Ces recommandations ne s'adressent pas seulement aux institu- teurs de TAriège ; nos lecteurs peuvent se reporter à Yavis important

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que Icu directeur départemental de renseignement primaire du Nord s'es»t vu obligé d'adresser au personnel placé sous ses ordres. Nous Tavons reproduit dans notre numéro du 15 juillet 1884. On voit que la question conserve toujours malheureusement la même actualité.

^Alliance française. On nous prie de reproduire la note suivante que nous accueillons bien volontiers :

« L'Alliance française est une société fondée il y a un an environ, pour propager la langue et l'influence française dans les colonies et à l'étranger. Depuis longtemps, les Anglais, les Allemands et les Italiens ont créé des sociétés analogues qui, sous des prétextes religieux ou comn\erciaux, battent partout en brèche l'influence de la France.

» C'est pour rendre à notre langue son ancienne universalité, et rendre en même temps à notre pays la part d'influence qui lui est légitimement due dans le monde, que s'est formée l'Alliance française.

» Cette société, exclusivement patriotique, compte déjà plus de 6,000 adhérents et possède un budget de 70,000 francs.

» Toute question de politique irritante en est bannie, et tous ne songent qu'à l'intérêt supérieur de la patrie. Le secrétaire général est M. Foncin, dont les instituteurs connaissent les beaux ouvrages.

» Celte société fait appel au patriotisme de tous les Français, sans distinction d'opinions. Le minimum de la souscription, fixé à 6 francs, la rend accessible à tous.

» L'Alliance espère que MM. les instituteurs voudront bien lui prêter leur vaillant concours et l'aider dans sa noble tâche. »

COURRIER DE L'EXTERIEUR

Allemagne.— La Chambre des députés prussienne a adopté le 17 avril en troisième lecture une loi sur les pensions de retraite des instituteurs, émanant de l'initiative parlemcnlaire. Les auteurs de la proposition de loi, qui a élé présentée à la Chambre le 28 jan- vier dernier, sont les députés von Zedlitz, Neukirch et Schmidt. Voici les principales dispositions de la loi telle qu'elle a été votée après des débats qui n*ont pas considérablement modifié le projet primitif:

Ont droit à une pension de retraite les instituteurs atteints d'incapacité de travail, après dix années au moins de services dans une école publique. Si l'incapacité de travail est la suite d'une ma- ladie ou infirmité contractée par l'instituteur à raison ou dans l'exercice de ses fonctions, la condition des dix années de services n'est pas exigée. Lorsque l'instituteur a atteint soixante-cinq ans d'âge, il a droit à la pension sans avoir besoin d invoquer le motif d'incapacité de travail. Enfin, si un instituteur mis à la retraite et ne se trouvant pas dans l'un des cas prévus pour avoir droit à une pension, était dans un état d'indigence, le .ministre pourra lui accorder un secours temporaire ou viager.

Le taux de la peni>ion est calculé à raison de i5/60 du traitement, si la mise à la retraite a lieu après la dixième année de services et avant l'accomplissement de la onzième ; chaque année de service en sus augmente la pension de 1/60 du traitement. Le chiflre maximum de la pension ne peut pas être supérieur à 45/60 du traitement. Dans le cas d^incapacité ne travail venant d'une maladie ou infirmité contractée par l'instituteur à raison ou dans l'exercice de ses fonctions et motivant la mise à la retraite avant l'accom- plissement de dix années de services, le taux de la pension est de 15/60 du traitement.

L'État prend exclusivement à sa charge le paiement des pensions jusqu'à concurrence do 900 marks ; pour ce qui sera en sus de ce chiffre, les règles actuellement en vigueur relativement au paie- ment des pensions d'instituteurs seront appliquées.

D'après une statistique publiée dans le Centralblatt, l'enseigne- ment des tra\aux à l'aiguille se donnait en Prusse, à la fin de 1883, dans 27,274 écoles rurales : c'est une augmentation de 1,617 écoles sur le chiffre de 1880 et de i,02i sur celui de 1877. 11 restait, à cette date, 3,026 écoles publiques rurales cet enseignement n'était pas donné. Dans 1,959 écoles, l'enseignement des travaux à l'aiguille est donné par l'institutrice elle-même ; le nombre des maîtresses spéciales d ouvrage est de 25,301, dont 13,184 appartiennent à la famille de l'instituteur chargé de l'école. L'immense majorité de ces maîtresses d'ouvrage (23,080) ne sont munies d'aucun diplôme.

Dans une conférence faite récemment devant la Société des instituteurs do Leipzig sur l'état actuel de l'instruction primaire en

476 REVUE PÉDAGiJGlQUS

France, M. Hugo Weber est arrivé aux conclusions suivantes, qu'il peut être intéressant de reproduire comme spécimen des jugements portés à l'élrangcr sur notre pays :

« Quels que soient les éloges que mérite l'enseignement primaire français dans son organisation actuelle, on ne peut néanmoins dissi- muler qu'il offre certains wHés faibles ; on n*a pris à Tégard des congréganislcs que des demi-mesures ; S** les instituteurs ne sont pas altranchis des services du culto ; les nouvelles lois ont provoqué une lutte très vive entre l'école et l'Eglise ; on a dispensé de la rétribution scolaire les familles aisées qiji pouvaient la payer; 6** le manque d'instilulcurs bien préparés se fait encore sentir: 7** les exercices militaires des élèves ne sont pas une innovation avantageuse ; l'exclusion complète de l'ensei- gnement religieux de l'école peut entraîner plusieurs conséquences mcheuses ; c'est une bonne chose que l'enseignement de la morale, mais le fondement philosophique sur lequel on l'appuie est inutile et anti-pédagogique. »

Angleterre. L'Union nationale des instituteurs primaires a tenu sa contërencc annuelle à Norwich, du 6 au 8 avril. Le prési- dent, M. Wild, directeur de Técole de Byron and Bright streel, à Londres, a prononcé à celte occasion un discours très remar- quable.

Dans plu-'ieurs occasions, M. Mundella avait répondu aux plaintes des instituteurs anglais en leur affirmant que le situation de leurs confrères du continent était beaucoup moins enviable que la leur ; que les traitements des instituteurs étrangers étaient moins élevés, tandis que la somme de travail exigée d'eux était plus considérable. Et comme le journal le Schoolmaster avait cité le cas d'un insti- tuteur belge dont le traitement, d'après lui, était de 200 liv. st. (5,090 francs), le chef du département d'éducation s'était grande- ment diverti de la naïveté de ceux qui pourraient croire à de pa- reils contes, et les avait engagés à faire un tour sur le continent gour y chercher ce rara avis, cet instituteur avec un traitement de ^00 liv. st. « Je serais prêt, ajoutait-il, à prendre à ma charge une partie des frais du voyage. Si l'on trouvait cette béie curieuse, il faudrait l'exhiber d'un bout à l'autre de la Grande-Bretagne, et je conlesserais hautement mon ignorance. »

M. Wild a pris M. Mundella au mot. 11 est allé faire un tour sur le continent ; il a parcouru la Belgique, la Hollande, et une partie de l'ÂUemai^ne. En Belgique, il a trouvé l'instituteur phénoménal dont M. Mundella contestait l'existence : c'est un instituteur retraité qui touche non un traitement, mais une pension de 200 liv. st. (exactement: 4093 francs). A Amsterdam, il a constaté que les in- stituteurs des écoles de première classe ont un traitement de 200 liv. st. plus le logement; l'un deux touche môme 220 liv. st. A Berlin, 44 instituteurs ont un traitement de 495 liv. st., et sont en outre logés, éclairés et chauffés. A Dresde, le traitement des directeurs d'école est de 210 à 225 liv. st., avec logement; à Leipzig, il est de iSO à 210 liv. st., avec logement ou indemnité de logement; etc., etc. 11 ne reste plus à M. Mundella au'à s'exécuter, à reconnaître qu'il était mal informé. et à verser la contribution promise.

COURRIER DE l'eXTÉRISUR 477

Choisi cette année comme président par TUnion nationale des instituteurs primaires, M. Wild a profité de son discours d'installa- tion pour faire connaître les résultats de son voyage. Outre la ques- tion des traitements, il a étudié celle des pensions de retraite, des heures de classe, de l'amovibilité des fonctions d'instituteur, de Tobligation, de l'inspection et des examens. Il a conclu que le sys- tème anglais est le plus défectueux de tous, et que nuUe nation du continent ne consentirait à s'en accommoder.

Le congrès a décidé que le discours de M. Wild serait imprimé en brochure, et envoyé a tous les membres du Parlement.

Au nombre des résolutions volées par le congrès de Norwich figure la suivante, relative à la création d'un ministère do 1 instruction publiciue :

tt C est l'opinion de ce congrès qu'il devrait être immédiatement nommé un ministre de l'éducation, chargé de ce qui concerne Tinstruclion primaire et secondaire dans le Hoyaume-Uni de Grande- Bretagne et d'Irlande, et responsable devant le Parlement de l'emploi des subventions votées en faveur de rinstruclion publique. >

A l'occasion du débat parlementaire annuel sur le Code sco- laire (1), M. Talbot, député de l'université d'Oxford à la Chambre des communes, a fait la motion suivante :

<t Qu'une humble adresse soit présentée à Sa Majesté, pour prier Sa Majesté de daigucr gracieusement retirer sa sanction à rarticle 109, litt. a, du Code scolaire, afin qu'une plus large portion de la subvention accordée aux écoles primaires publiques soit distribuée sous la forme de paiements fixes proportionnels au chiffre de la fréquentation. >

La motion Talbot était une attaque directe au système du payment by résults. Le gouvernement, qui ne veut pas céder sur ce point, avait lancé un whip (2) pour convoquer ses partisans à la séance et empêcher qu'une majorité de hasard ne pût se former sur la motion. Aussi celle-ci a-t-elle été repoussée par 117 voix contre 33, après une discussion M. Talbot, M. Paget et lord G. Hamilton ont parlé pour, tandis que sir L. Playfair, M. Forster et M. Mundella ont parié contre.

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Autriche. On annonce que les évoques autrichiens, réunis en conférence à Vienne, se sont occupés de diverses questions rela- tives aux écoles. Ils ont adressé au gouvernement un mémoire pour lui demander, entre autres, qu'une éducation véritablement reli- gieuse soit donnée dans les écoles primaires et moyennes ; que dans les districts scolaires habités par une population catholique il ne soit point nommé d'instituteurs non catholiques; et qu'un cercle d'action plus étendu soit accordé aux ecclésiastiques chargés de l'enseignement religieux dans les écoles primaires et moyennes.

(1) Le gouvernement est tenu de présenter le Code scolaire tous les ans ao Parlement ; le Code n'entre en vigueur qu'après avoir été déposé pendant un mois sur le bureau des deux Chambres.

(2) On appelle whip (coup de fouet) une lettre de convocation spéciale adressée aux membres de l'une ou de l'autre des fractions de la Chambre, par le leader de la majorité ou de l'opposition, en vue d'un vote important.

478 REVUK PÉDAGOGIQUE

L'incident Rohrweck-Rudigier, dont nous avons à plusieurs reprises entretenu nos lecteurs, sVst lerminc par le déplacemeat de rinstituteur Rohrweck, qui a été transféré de la commune de Leonfelden dans celle d*Aigen pour « raisons de service ».

Un médecin autrichien, le D*" Netoliczka, qui s*est occupé de recherches sur le développement de la myopie parmi les élèves des écoles de Graz, prétend que les origines du mal se trouvent souvent dans la famille plus encore que dans l'école. « De combien d'abus, dit-il, les yeux tles enfants ne sont-ils pas fréquemment les victimes dans la maison paternelle! Combien peu de parents surveillent la tenue de leurs enfants lorsque ceux-ci lisent ou écrivent! Que de fois n'entend-on pas dire : « Les enfants peuvent voir même sans lumière ! Il arrive souvent que durant une maladie on laisse les enfanls lire bien plus que dans l'état de santé; il est bien rare que les parenls s'incjuiètent de savoir si les livres qu'ils donnent à leurs enfants ne sont'pas imprimés en caractères trop fins; on laisse les enfants copier pendant de longues heures des modèles de dessin, dessiner des cartes géographiques; on permet aux jeunes filles de travailler aux ouvrages les plus fins à lu lumière d'une chandelle ou d'une lampe. Nous avons trouvé dans les écoles tant de la ville que de la campagne plus de myopes parmi les filles que parmi les garçons, ce qui s'explique par le fait que les jeunes filles, outre les matières ordinaires d'études, s'occupent encore de travaux d'aiguille. La proportion des élèves myopes, dans les écoles de la ville de Graz, est de 9.87 0/0 chez les gardons, de 13.49 0/0 chez les filles; dans les écoles de la campagne elle est de 3.88 0/0 chez les garçons et de 7.69 0/0 chez les filles. »

Bulgarie. Voici encore quelques renseignements qui nous sont envoyés par M. Tabakov, et qu'il a extraits du dernier rapport officiel présenté au prince Alexandre par le ministre de l'insti'uction publique.

Dans les 97 villes et villages faisant partie de l'arrondissement de Tirnova, il y a 33 écoles primaires à 4 divisions, 43 à 3 divisions, 20 à 2 divisions et une à une division.

Dans l'arrondissement de Kustendil les 4 0/0 des écoles primaires ont 4 divisions, les 0 0/0 3 divisions, les Go 0/0 2 divisions et les 25 0/0 une seule division.

Dans les écoles entretenues par l'État, il y avait, en 1880, ol pro- fesseurs dont la plupart ont terminé leurs études soit dans des lycées, soit dans des écoles réaies. Ces professeuj^ sont de trois classes; ceux delà première classe, qui ont fait leurs études dans des universités, ont un traitement de 380 francs par mois; ceux de la deuxième classe, qui ont fait leurs études dans des lycées ou des écoles réaies, ont un traitement de 300 francs; ceux de la troisième classe n'ont que 250 francs par mois.

Le nombre des professeurs enseignant dans ces écoles a été de 62 en 1881 et de 7G en 1882.

La somme assignée pour envoyer en Kurope des jeunes gens pauvresy faire des étudcîi supérieures a été en 1880 de 60,000 francs.

Outre'les dépenses que l'État lait pour les écoles entretenues par lui (en 1879 276,116 fr., en 1880 319,420 fr. et en 1881 342,820 fr.),

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il donne aussi des subventions aux écoles communales, sans dis- tinclion de nationalité. Ainsi en 1879 il avait donné pour ce but 350,000 francs et en 1881 300,( 00 francs. Les écoles musulmanes pri- maires sont organisées d'une manière tout à fait primitive. Les hodjas et les mollas (professeurs turcs) n*y enseignent que le Koran et un peu d'écriture. Si Ton rencontre quelques écoles l'on enseigne l'ari- thmétique et la géographie, enseignement qui laisse beaucoup à désirer, c'est dans des cas très restreints.

Dans l'arrondissement de Silislria on comptait en 1881. 5i5 écoles primaires turques pour les garçons et 11 pour les filles avec 2,059 garçons et 1,059 filles.

Dans l'arrondissement de Razgrad, pour 12,990 maisons turques en 1881 il n'y avait cjue 123 écoles primaires avec un personnel ensei- gnant de 12i hodjas et 4,691 garçons et 3,022 filles.

Dans l'arrondissement de Kustendil, pour 093 maisons turques il il n'y avait en 1881 que 7 écoles avec 7 hodjas, 206 garçons et 98 filles. Sur rette population musulmane il n'y avait que 86 Turcs adultes sachant lire et écrire.

Espagne. En février dernier, M. Pidal, ministre du Fomente, a annoncé aux Cortès au'il préparait une nouvelle loi sur l'instruc- tion publique. D'après les renseignements que divers journaux ont publiés dernièrement, cette loi donnerait au clergé le droit de fonder des écoles et des universités sans qu'aucun titre de capacité soit exigé du personnel enseignant; elle attribuerait aux év6]ues le droit de contrôler les programmes et de surveiller l'enseignement. On dit que les bases du projet de loi ont été arrêtées par le ministre d'ac- cord avec le nonce, et qu'en échange de ces concessions le Vatican inviterait les évoques à soutenir le gouvernement.

Les récentes élections municipales, qui ont donné la majorité aux libéraux dans toutes les grandes villes, pourraient bien déranger les projets de M. Pidal.

Italie. L'adoption de la nouvelle loi sur la nomination des insti- tuteurs a eu pour résultat de faire donner congé par les communes à un très grand nombre d'instituteurs incapables. Antérieurement à cette loi, la nomination de l'instituteur se faisait pour le terme de six années, et ne pouvait pas être révoquée avant l'expiration de ce laps de temps. Mais l'article 7 de la loi nouvelle donne aux communes la faculté de congédier en tout temps un instituteur pour raison dHncapacité pédagogique: et les communes se sont empressées d'user du droit qui leur était conféré. Cette hécatombe de mauvais maîtres a un côté fâcheux, en ce qu'elle prive subitement de leur gagne- pain un grand nombre de pauvres gens; mais il faut reconnaître d'autre part qu'il était devenu indispensable de modifier la compo- sition du personnel enseignant primaire italien, en éliminant les incapables et en les remplaçant par des éléments plus jeunes et meilleurs.

Suisse. La Landsgemeinde de Glaris a rejeté la loi relative à l'obligation de fréquenter les écoles complémentaires; en revanche, elle a adopté la loi concernant la fourniture gratuite des livres et objets classiques aux élèves des écoles.

480 BBVUB PtDAGOGIQUS

Le grand conseil du canton de Genève discute en ce moment un projet de révision de la loi scolaire cantonale.

Union américaine.— VA beillc, grand journal quotidien delà Nou- velle-Orléans, publié en langue française, a consacré une série d'articles à Tétude de la section française d'éducation de rExposition universelle. L'espace nous manque pour essayer d'en donner même une courte analyse; mais les lignes suivantes, que nous empruntons au numéro du 12 avril, feront voir dans quel esprit ces articles ont été écrits :

c Dans ses numéros du 28 mars et du 2 avril, dit le journal louisianais, VAbeille a tenté de son mieux de payer la dette de gratitude que l'Exposition universelle de Ja Nouvelle-Orléans a con- traclce envers le ministère de l'instruction publique de France pour l'envoi de son admirable section d'éducation, la plus belle et la plus complète de toutes les expositions que contient le palais. 11 appar- tenait au plus vieux journal de langue française en Louisiane d'être le premier à accomplir ce devoir de reconncûssance. Nous terminons aujourd'hui cette tâche aussi étendue qu'agréable, et nous achevons l'examen que nous avions commencé des neuf salles d'é- ducation installées par les soins de notre hôte distingué de Paris, M. Benjamin Buisson.

On nous permettra de citer encore ces lignes, consacrées à notre publication :

0 Nous remarquons en particulier une collection intéressante de la Revue pédagonique, publiée par la maison Delagrave. Cette revue sert d'organe officiel au Musée pédagogique de Paris, établissement qui a de grandes analogies avec notre Bureau d'éducation de Washington, si justement populaire dans le monde scolastique. >

Le gérant : H. Gantois.

IMPRIIURIB CENTRALE DES CHK]IU(K DE WEE. IMPRIMERIE CHAIZ. R(.R RKROKRB M PARIS. ~ 10434-5.

iMnDe i<rie. T«m fl. N<> 6. \l Jùi 1SKS.

BEVUE PÉDAGOGIQUE

VICTOR HUGO AU PANTHEON

Victor Hugo est mort le 22 mai à l'âge de qualre-viugl-trois ans. A cette occasion, un décret du Président de la République, traduisant le sentiment national, ia consacré de nouveau le Panthéon à la sépulture des grands hommes. Il est ainsi conçu :

t Article premier Le Panthéon est rendu à sa destination pri- mitive et légale. Les restes des grands hommes qui ont mérité la reconnaissance nationale y seront déposés.

» Art. 2. La disposition qui précède est applicable aux citoyens à qui une loi aura décerné des funérailles nationales. Un décret du Président de la République ordonnera la transla- tion de leurs restes au Panthéon, d

Un vote des deux Chambres ayant décidé qu'il serait fait à Victor Hugo des funérailles nationales, le cercueil du grand poète, après avoir été exposé un jour et une nuit sous l'Arc de Triomphe de TÉtoile, a été transporté au Panthéon le lundi 1"^ juin.

On n'attend pas de nous un récit de cette imposante céré- monie, qui restera dans la mémoire des hommes comme la plus splendide apothéose dont l'histoire tiit parlé. Mais nous avons tenu à reproduire ici, à titre d'hommage à la grande mémoire du poète et du citoyen, quelques passages des discours prononcés devant le catafalque de l'Arc de Triomphe et sous la colonnade du Panthéon.

M. le ministre de l'instruction publique, désigné pour porter la parole au nom du gouvernement, s'est exprimé en ces termes ;

ftKTUI FÉDAGOGIQUI 1885. 1*^ SIH. 31

482 BBYUE PtDÀGOGIQUK

Je ne sais s'il est vrai aue noire siècle portera son nom et qu'où dira « le siècle de Victor Hugo » comme on a dit « le siècle de Vol- taire »; mais ce qui nous apparaît dès aujourd'hui avec une pleine certitude, c'est qu'il en restera la plus haute personnification, parce qu'il est celui qui résume le mieux l'histoire de ce siècle, ses con- tradictions et ses doutes, sos idées et ses aspirations.

Victor Hugo en a été le témoin attentif et passionné. Il en a vu et jugé les événements avec son çénie. il en a suivi toutes les évolu- tions, ébloui d'abord par les gloires éphémères des premières années, séduit par la i*ésurrection de la liberté que l'ancienne monarchie semblait ramener avec elle, progressant vers la démocratie avec la royauté de Juillet, maudissant et frappant d'une rondamnation inexo- rable l'Empire qui, pour la seconde fois, venait faire violence à ce grand mouvement, jaloux de demeurer exilé pour rendre sa protes- tation plus forte, trouvant enfin dans la République triomphante le refuge et le couronnement de sa vie.

Victor llu*(o est l'homme de notre temps qui a le mieux compris, le plus aime Thumaiiité dans l'ensemble et dans l'individu. Chari- table avant tout aux petits, aux humbles, aux opprimés, aucune misère morale ou physique, le vice même ni le crime ne peuvent rebuter sa magnanimité, et l'amélioration de la nature humaine, comme les destinées de l'humanité tout entière, font l'objet prin- cipal de sa conlemf)lation.

El malmenant, si l'on demande est le lien de celte œuvre et de cette vie, ce qui en fait l'unité, je répondrai, avec ses propres vers,

Qu il fut toujours celui Qui va droit au devoir dès que l'honnrte a lui, (Jui voul le bien, le vrpi, le beau, le grand, le jusle.

C'est par ce côté profondément humain de sa nature que Victor Hugo a mérité d'être considéré comme le citoyen de toutes les nations.

C'est par aussi qu'il s'est élevé à celle idée de Dieu qui emplit tout son ouvrage. Il croyait à l'àme immortelle. Le génie a des lumières supérieures. Peut-être a-t-il connu la vérité. Nous qui demeurons, nous savons seulement qu'il avait conquis l'immorta- lité sur la terre, et c'est pourquoi nous le conduisons aujourd'hui avec ce cortège triomphal dans le temple que la Révolution française avait consacré aux grands hommes.

N'élait-il pas juste el nécessaire, en elïet, qu'il fût rouvert pour lui ? La postérité, ratifiant nos hommages, l'y honorera éternelle- ment. iNon, en vérité, ses cendres ne sauraient redouter ces retours funestes dont on les menace. Après plus de cent ans, les noms de Voltaire et de Rousseau excitent encore les haines et les colères. Mais, depuis bien (le;s années déjà, Victor Hugo, revenu de l'exil, \ivait devant l'opinion dans une région sereine, bien au-dessus de nos passions et de nos disputes: le grand vieillard, sorti des « jours changeants «, représentait au milieu de nous l'esprit de tolérance et de paix entre les hommes, et le respecl universel de ses contem-

VIGTOU HUGO AU PANTHÉON 48^3

porains lui donnait Tavant-^oùt de la vénération dont sera entourée sa . mémoire.

Mais quelle que soit la gloire du poète, la postérité le connaîtra sous un plus haut aspect. Elle se rappellera surtout qu'il a dit :

Je suis celui qui hâte l'heure De ce grand lendemain, Thumanité meilleure.

Et s'il est vrai, comme il le croyait et comme nous devons le <;rûire, que ce monde, par une force dont il n'a pas conscience, marche invinciblement vers le progrès, Victor Hugo ira en gran- dissant dans la mémoire des hommes, et, à mesure que son image reculera dans le lointain des temps, il leur apparaîtra de plus en plus comme le précurseur du règne de la justice et de l'humanité.

Du discours de M. Madier de Montjau, parlant au nom des proscrits de i851, nous détachons ce passage:

Oui, tu nous protégeas et tu nous vengeas, maître ! Et en nous protégeant, tu protégeais, tu vengeais, tu sauvais plus grand, plus précieux que nous, ces proscrits de toiis les temps funestes, le devoir, la liberté, dont nous n étions que les soldats.

Ah ! ces œuvres sublimes, tilles de la vertu indignée, de la justice implacable, quel reconfort nous y avons trouvé ! Et quel sentiment ilu devoir dans l'exemple de ce stoïque> résigné à la solitude, renon- (;ant à cette cour d'esprits d*élite que faisait autour de lui, dans son pays, tout ce qu'avaient la France et l'Europe de plu* illustre, seul sur son roc, au milieu de l'Océan, impassible et inflexible, attendant que riieure de la justice et de la réparation vînt.

Qui ne se fût senti fier et presque heureux d'être proscrit quand, des hauteurs d'où il planait, il laissait tomber ces paroles : « Il y a de l'élection dans la proscription. Etre proscrit, c'est être choisi par le crime pour repré>enter le droit. » Qui aurait pu être inddèle à rinfortuiie et à Toxii, ((uand, parlant des exilés, il disait dans un de SCS vers immortels, gravé aujourd'hui dans toutes les mémoires, que s'il n'en restait qu'un, il serait celui-là ?

M . Leconte de Lisle, au nom des poètes, a glorifié en Victor Hugo liiicomparable artiste. Voici son discours :

Messieurs,

C'est avec le profond sentiment de mon insuffisance que j'ose ■adresser, au nom de la poésie et des poètes, le suprême adieu de ses disciples fidèles, respectueux et dévoués, au maître glorieux ([ui leur a enseigné la langue sacrée. Puisse ma gratitude infinie et ma rehgieuse admiration pour notre maître à tous me faire par- <lonner la faiblesse de mes paroles I

484 BIVUE PÉDAG06IQUK

Messieurs,

Nous pleurons sans doute le grand homme qui a daigné nous honorer de sa bienveillance inépuisable, de sa bonté d aïeul iudulgent; mais nous saluons aussi, avec un légitime orgueil filial, dans la sérénité de sa gloire^ du fond de nos cœurs et de nos intelligences^ le plus grand des poêles, celui dont le génie a toujours été et sera toujours pour nous la lumière vivante qui ne cessera de nous guider vers la beauté immortelle, qui désormais a vaincu la mort, et dont la voix sublime ne se taira plus parmi les hommes.

Adieu et salut, maître très illustre et très vénéré, éternel honneur de la France, de la République et de Thumanité.

Qu'on nous permette, pour terminer, de donner la parole à notre éminent collaborateur M. Félix Pécaut, qui, dans une lettre adressée au journal le Temps, a éloquemment exprimé de hautes et nobles idées :

D'autres, a-t-il dit, avec plus de compétence que je n'en saurais avoir, ont célébré le poète, sa prodigieuse puissance de pensée, d'imagination et de langage, l'étendue presque illimitée de son cla- vier, la fidélité avec laquelle il a rendu toutes les émotions humaines, aussi bien celles qui sont communes à tous les âges que les tris- tesses, les joies, les dcrtJtes, les ardeurs jamais les langueurs propres à notre temps. J'oserais seulement demander que l'on mar- quât à quel point cet écho puissant si puissant qu'on a pu le comparer à une grande force de la nature a été individuel, ori- ginal; combien ce prophète, emporté par Tinspiratiou, dispose libre- ment de lui-même; comme cette « force » ressemble peu a une force aveugle; et comme on découvre par delà cette imagination luxuriante, celte sensibilité frémissante à tous les souffles, une volonté ferme, toujours présente, toujours attentive, toujours maî- tresse. Si je no me trompe, ce trait lui vaudra, entre tous, de vivre dans la postérité et de devenir l'un de ces robustes ouvriers qui forgent de siècle en siècle l'esprit et l'âme de leur nation.

A ce caractère s'en rattache étroitement un autre par Victor Hugo offre à notre génération un exemple digne d'être médité. Ce qui me frappe le pins dans sa vie et dans son œuvre, c'est que le poète admiré, encensé, ne s'est pas réduit à être un poète, une lyre, la plus harmonieuse, la plus profonde, la plus riche conune la plus savante des lyres. Ce chantre, aux lèvres duquel se sont suspendue^ plusieurs générations successives, ne s'est pas contenté de chanter et de se faire applaudir: il a compris autrement la vie, l'honneur, le devoir, il a voulu être un homme. 11 est descendu pdrmi nous; il a pris rang dans la bataille de son temps; il n'a eu ni peur ni dédain de nos luttes; il n'a pas contemplé la tempête contempo- raine du haut des « temples sereins »: il s'est prononcé résolument, vaillamment, en lutteur et non en amateur, dans les questions poli- tiques, philosophiques, religieuses, sociales, qui troublent notre "îays. On peut disputer des opinions qu'il a soutenues; mais tous es hommes sincères et sérieux, amis ou adversaires, conviendront

l

VICTOR HUGO AU PANTHÉON 485

du moins que plus viril exemple ne pouvait être donné de plus haut. Quand le pays flottait incertain entre la liberté et la dictature, entre l'esprit théocratique et Tesprit laïque, entre la démocratie et le gouvernement des classes dirigcaotes, lorsque les plus difliciles

f)roblèmes étaient posés devant la conscience publique, s^abstenir, aisser à d'autres la peine d'avoir un avis et de le soutenir, ce rôla de dilettante ou de sceptique lui eût paru un rôle d'eunuque. 11 fit donc son choix, et, quand vint Tàge de la pleine maturité, il se montra de propos délibéré libéral, démocrate, républicain.

Ce n'est pas tout : dans un temps les idées religieuses sont en médiocre faveur, aussi peu goûtées de bon nombre de savants que des politi(iues, des publicistes et du peuple même, il osa être religieux; il le tut à sa manière, simplement, tranquillement, sans dogmatisme, comme on pouvait Tattendre d'un voyant du dix- neu- vième siècle, qui n'ignore rien de ce qui déconcerte aujourd'hui les intelligences les plus sincères, les plus avides do croire. Qui eut, en eiïet, plus que lui l'oreille ouverte à toutes les voix contradictoires de la nature, de l'histoire, de la science? Mais, au milieu de ces discordances, c'est la voix du dieu intérieur, écho du Dieu universel, qu'il se plaisait à écouter de préférence; et sous sa dictée il persis- tait à prêcher à notre génération désorientée le règne de la liberté, de la justice, de la fraternité humaine.

Ainsi a vécu^ Viclur Hugo : l'un des nôtres, ne désertant pas la responsabilité de penser et do prendre position. Rappellerai-je une fois de plus que, non content de penser librement, il a agi à ses risques et périls? Ce que peut un homme, même désarmé, même exilé, par la seule arme du vers, du vers proscrit et arrêté à la frontière, conlro une puis-ance établie qui h pour elle, avec tous les moyens matériels, police, administration, armée, l'Eglise, l'opinion publique elle-même, trompée, égarée, démoralisée, ce que peut un seul homme, jamais on ne le vit mieux que dans ce terrible duel entre l'auteur des Châtiments et l'empereur Nnpoléon 111.

Voilà ce que, à l'heure chaque Français tait son pèlerinage, au moins en e>pril, vers le poète, m'a inspiré ma visite dernière. Ce magicien du style fut un homme de conviction et d'action. Et c'est pourquoi je ne peux me défendre d'un sentiment d'espoir en voyant la fnule, je veux dire tout le monde, s'empresser vers la maison mortuaire. Ce n'est pas un « grand de cnair », comme dirait Pascal, quo l'on va saluer; ce n'est ni un général victorieux, ni un homme d'État, maîtres dans l'art de mouvoir les masses humaines ou les passions humaines : c'est un homme de l'esprit, çiui ne serait rien si l'Ame, si la dignité de l'âme et de sa destinée, individuelle ou nationale, n'était quelque chose. On croit donc encore à l'esprit parmi nous; on croit à sa souveraine excellence : ce credo en renferme bien d'autres!

La Rédaction

LEONARD ET GERTRUDE

HE PESTALOZZI

[Sous ce titre nous publions, en les rapprochaut de manière à en Toriûer ui> ensemble, un certain nombro d'extraits de l'ariicle Pestatozzi, qui parait en ce moment même dans les livraisons lôO et 151 du Dictionnaire de péda- aogie (1), sous la signature de M. J. Guillaume. Cet article, dont Téditeur a Bien voulu nous communiquer les bonnes feuilles, est un travail considérable, puisé aux sources ; nous nous abstiendrons de le recommander à nos lecteurs : rauteur est un des plus anciens collaborateurs de la Revues qui lui doit, depuis le début, la rédaction du Courrier de VExtérieur.

<r Jusqu'à ces dernières années, dit M. Guillaume dans l'introduction de son étude, des périodes entières de la vie du philanthrope de Neuhof étaient restées mal connues; plusieurs de ses écrits les plus importants avaient été défîg'ivrés dans des éditions remaniées, ou ét^iicnt demeurés inédits. C'est grâce auv travaux récents de quelques compatriotes de Pestalozzi, et tout particulière- ment de M. Mort', de M"** Zebndcr-Stadlin, de M. le l)** 0. lluoziker, que la lumière a été faite sur bien des points restén obscurs, en même temps que le texte authentique des écrits de Pestalozzi était de nouveau rendu accessiole par les éditions, complètes ou partielles, de Seyffarth, de Mann et du comité du musée peslalozzien de Zuri(îh. Nous avons utiîis»'» le résultat de» ces consciencieuse? recherches ; et l'esquisse que nous offrons à nos lecteurs leur présentera, d'une façon plus exacte qu'il n'avait été possible de le faire jusqu'ici en France, la figure du vrai Pestalozzi. » La Rédaction,]

1

Pestalozzi connut alors la misùre noire (t). Dans la solitude

de sa maison de Neuhof, il resta sans aident, quelquefois sans pain et sans feu. Mais ce qui fut plus dur à supporter pour lui que les privations matérielles, ce furent les souffrances morales. Les paysans du voisinage ne l'aimaieut pas; les innovations qu'il avait essayées leur avaient déplu, et ils s'étaient réjouis- de son insuccès et de sa ruine. Ils le lui témoignaient ouver- tement par leurs ricanements lorsqu'ils le rencontraient; les gamins le poursuivaient de leurs huées. On l'affublait de sobri- quets méprisants. On l'appelait Pestilence et ÉpouvantaiL Se»

(1) Dictionnaire de pédagogie et d'instruction primaire y publié sous la direction de M. F. Buisson. Paris, librairie Hachette et G**.

(2) En 1780, après l'insuccès de sa tentative pour créer sur son domaine de Neuhof un asile d'enfants pauvres,

LÉOMAKD &r G£lVrRi;i>L DE ffibTALOZZl 487

manières bizarres étaient J)icn faites d'ailleurs pour exciter la moquerie du vulgaire. On le voyait se promener dans les champs et sur les chemins, tantôt plongé dans de profondes rêveries, tantôt courant, gesticulant et parlant tout haut. La négligence extrême de sa toilette lui donnait Tair d'un mendiant. Uu jour, raconte Emmanuel Frohiich (1), il était allé au château de Wildenstein, pour y rendre visite à Fellenberg (le père); Mme ^Q Tellenberg, qui ne le connaissait pas, était assise sous un arbre devant la porte; comme il s'approchait d'elle pour la saluer, elle crut avoir affaire à un pauvre qui demandait Tau- mône, et lui tendit une pièce de monnaie; au même moment survint Fellenberg, et grande fat la stupéfaction de la noble dame de voir son mari embrasser avec effusion le prétendu pauvre, et le lui présenter ensuite comme sou ami le philan- thrope de Neuhof . La singulière habitude qu'avait Pestalozzi de tenir sans cesse entre les dents un des bouts de sa cravate prêtait aussi à rire : même à l'église, dit Hubcr, il allait régulièrement tous les dimanches et il avait une stalle ré- servée dans le chœur, on le voyait mordiller machinalement ce lambeau de batiste pendant l'office, et sa manie donnait des distractions aux fidèles.

Si les paysans n'avaient jamais eu pour IVstalozzi que des sarcasmes, la société cultivée ne le traitait pas mieux mainte- nant. Plus la coniiance qu'on lui avait témoignée un moment avait été grande, plus était sévère la condamnation^ plus le mépris donton l'accablait était profond. Il avait conservé quelques rares amis : mais ceux-là même, dit-il, « me regardaient comme un homme perdu sans remède, destiné à finir ses jours à l'hôpital ou dans une maison de fous d.

Le sentiment que cette sentence impitoyable était injuste, que les idées dont il avait tenté la réalisation étaient méconnues, remplissait son co^ur d'une indicible amertume. Il souffrait aussi de penser que sa femme, dont il avait dissipé la fortune presque tout entière, avait perdre maintenant la confiance qu'elle avait autrefois placée en lui. M""® Pestalozzi montra, durant cette longue période d'épreuves, une admirable résigna-

(1) Souvenirs f publiés dans les Pndagogische Blàtter de Kehr, 1881, n* 2.

468 mVIJI FÉDAGOGIQUI

lion; elle ne récrimina point; mais elle semble s*êlre déta- chée jusqu'à un certain point de son mari. Durant les années qui suivirent le désastre financier de Neuhof, et jusqu'au moment la révolution helvétique ouvrit à Pestalozzi une carrière nouvelle, l'altitude de M"« Pestalozzi reste la même. D^une santé délicate et fréquemment malade, il lui «îût été difficile d'ailleurs d'essayer d'intervenir activement pour amé- liorer la situation matérielle.

C'est à ce moment même (probablement en 1780) qu'entra au service de Pestalozzi une jeune servante dont l'activiU^ et le dévouement méritèrent la reconnaissance attendrie des deux (époux, pour qui elle fut pendant de longues années une véri- table providence. Elle se nommait Elisabeth Nàf, de Rappel. Née en 1762, elle avait servi déjà chez un membre de la famille (on ne sait pas lequel), et, son maître étant mort, elle vint à Neuhof offrir son aide. C'était une fille laborieuse, qui avait toutes les qualités d'une bonne ménagère; grâce à elle, il y eut de nouveau de l'ordre et de la ^propreté dans la maison, tout était à l'abandon ; elle cultiva le jardin, elle ramena un peu d'ai- sance au foyer domestique. « C'est cette fille, dit Nicolovius, qui ia vit en 1791, dont Pestalozzi a reproduit la figure, en l'idéa- lisant, dans sa Gertrude. ù

Ramsauer rapporte que trente ans plus tard Pestalozzi lui dit un jour : « Jo me retournerais dans la tombe et je ne pour- rais pas être heureux au ciel, si je n'élais pas certain qu'après ma mort elle sera plus honorée que moi-môme: car sans elle il y a longtemps que je ne vivrais plus. »

Les servantes, on le voit, jouent un grand rôle dans la bio- graphie de Pestalozzi; il semble que son imagination fût plus vi- vement frappée des vertus simples et actives de la femme du peuple. Dans ses souvenirs d'enfance, ce n'est pas sa mère qui tient la preniière place, c'est la servante Babeli; et plus tard, lorsqu'il écrit son roman populaire, ce n'est pas sa propre épouse qui lui fournit le modèle de la mère de famille idéale, c'est la servante Lisbeth.

L'isolement do Pestalozzi, qui lui fut si douloureux en ce moment critique, n'était cependant pas absolu. Deux hommes avaient conservé confiance en lui et lui prodiguèrent leurs encou >

LÉONARD AT GitaTRUOE DB PKSTALOZZI 4S9

ragcments dans son infortune : c'étaient Iselin (i) et le libraire Gaspard Fussli (frère du peintre Henri Fûssli). lis lui conseil- lèrent ^'écrire ; et Pestalozzi, qui « n'avait pas ouvert un livre depuis treize ans », et a qui ne pouvait plus écrire une ligne sans laute », résolut d'essayer du métier d'écrivain c comme il eût essayé, s'il l'eût fallu, de celui de perruquier, pour procurer quelques ressources à sa femme et à son enfant ».

Les deux premiers écrits qui sortirent alors de sa plume sont la Soirée d'un solitaire (Die Abendatunde eines Einsiedlers) et un Mémoire sur les lois somptuaires (Ueber die Aufwandgesetze). Ils passèrent inaperçus. La Soii^ée d'un solitaire parut dans le numéro de mai 1780 des Ephémérides d'Iselin : c'est une suite de pensées sur la morale et la religion. 1^ Mémoire sur les lois somptuaires Irai lait une question mise au concours en 1779 par la Société d'encouragement de Biile : « Convient-il d'imposer des limites au luxe des citoyens dans une petite république dont la prospérité repose sur le commerce-? » Le premier prix, qui était de 30 ducats, fut partagé entre Pestalozzi et sou compa- triote le professeur Meister ; lus écrits couronnés furent publiés à Bâle en une brochure, avec une préface d'Iselin datée du 14 décembre 1780. « Le second mémoire, y lisait-on, a pour auteur M. Peslalozz (sic)y de Neuhof, qui s'est acquis, par le plan excellent qu'il a formé pour l'éducation des enfants des classes inférieures, le suffrage et l'estime des vrais amis de l'humanité, mais qui a eu le malheur de voir ses nobles intentions échouer jusqu'à présent, faute d'un appui suffisant. » Ces bienveillantes paroles du chancelier bâlois durent ctre pour Pestalozzi comme un baume sur sa blessure.

C'est au commencement de 1781 que fut composée la pre- mière partie de Léonard et Gertrude, Pestalozzi se révéla au public étonné comme un écrivain d'un talent original et supé- rieur. Voici, d'après l'auteur lui-même, comment ce livre prit naissance. Se trouvant à Zurich (dans le courant de 1780), il s'était diverti à écrire une facétie inspirée par un incident local : l'adoption d'un nouvel uniforme pour la garde urbaine. Le

(1) Isaac Iselin, choncelier de la ville de Bâle (1728-1782).

'460 MVin PÉDAGOdfQUC

peintre Fussli vit ce manuscrit, qui traînait sur une table chez son frère le libraire, le lut, fut frappé de rorigioalité du style et des idées, et dit à son frère : « L'homme qui a fait cela a du talent : dis-lui de ma part qu'il y a en lui l'étofie d'un écri^'aiD, et qu'il ne tient qu'à lui de se tirer d'affaire au moyen de sa plume. j> Le libraire répéta ces paroles à Pestalozzi, qui n'en croyait pas ses oreilles. Eu rentrant chez lui, il se mit à lire les Contes moraux de Maniiontel, qu'il avait justement sur sa tible, et il lui parut qu'il ne serait pas très difficile d*en faire autant. Il essaya, et écrivit successivement cinq ou six historiettes dans ce genre; mais aucune ne le satisfit. Enfin il rencontra un sujet qui lui plut; sans qu'il se fût fait un plan à l'avance, le livre sortit de sa plume, chapitre après chapitre, et se trouva achevé en quelques semaines : c'était l'histoire de Léonard et de Gertrudc. « J'en sentais la valeur, dit-il, mais comme un homme qui dans le sommeil sent la valeur d'un bonheur dont îl rôve. Je savais à peine si je veillais ou si je dormais; cepen- dant une lueur d'espoir commençait à poindre en moi, l'espoir de pouvoir, comme écrivain, améliorer ma position matérielle et la rendre plus supportable aux miens. Je montrai mon essai à un ami de Lavater, qui était aussi le mien (Pfenninger). Il le trouva intéressant, mais déclara cependant que le livre ne pouvait pas être imprimé tel quel; il fourmillait d'incor- rections intolérables, n'avait pas la forme littéraire. Il offrit do le faire revoir par une personne ayant l'habitude d'écrire. Dans ma simplicité, je lui répondis que j'en serais bien aise, et je lui remis sur-le-champ, |)our être révisées, les trois ou quatre premières feuilles de mon livre. Mais quel fut mon étonnement lorsqu'il me rendit ces feuilles sous leur nouvelle forme. C'était un véritable travail d'étudiant en théologie, oii la peinture sincère de la vie réelle des paysans, telle que je l'avais faite, nue et sans art, mais fidèle et d'après nature, était remplacée par une religiosité de convention, et les paysans au cabaret parlaient le langage [>édaiitesque d'un maître d'école: il ne restait rien de ce qui faisait l'originalité de mon livre. » Mal- gré sa modestie, Pestalozzi se rebiffa : il refusa de consentir à la mutilation de son œuvre, et chercha un juge plus éclairé. Il se rendit à Bâie auprès d'Iselin. Celui-ci, après avoir entendu

LÉONARD ET GKRTRUDB DI PKSTALO/ZI 491

la lecture de quelques chapitres du manuscrit, dit à l'auteur que cet ouvrage n'avait pas encore son pareil, et que les idées qu'il contenait répondaient à un besoin réel du temps; il se chargea de corriger les fautes de style et d'orthographe, et de trouver un éditeur. L'excellent Iselin écrivit en effet à Berlin au libraire Decker, qui promit de payer le manuscrit à raison d'un louis la feuille, et encore une fois autant s'il y avait une seconde édition. Pestalozzi nageait dans la joie. « Un louis par feuille, c'était pour moi, dans ma situation, une grosse somme, une très grosse somme 1 »

La fable de Léonard et Gertrude est des plus simples. Dans le village de Donnai vit un ouvrier maçon, Léonard, avec sa femme Gerlrude et ses sept enfants. Léonard est bon et honnête, mais faible. 11 s'est laissé entraîner à boire et à jouer dans l'auberge que tient le bailli du village, le rusé et méchant Hummel ; il a fait des dettes. Honteux et désespéré, il avoue sa triste situation à sa femme. La pieuse et vaillante Gertrude le console et lui fait promettre de changer de conduite. Le lende- main, son plus jeune enfant sur le bras, elle se rend au châ- teau où réside le Junker Amer, le nouveau seigneur du village, qui vient de succéder à son aïeul; elle lui conte l'histoire de son mari. Amer est touché de la naïve confiance de Gertrude, et indigné dp ce qu'il apprend sur le compte du mauvais bailli. 11 fait une enquête avec l'aide du pasteur Ernst, homme vertueux et éclairé, et découvre une foule de malversations et d'injustices. Le bailli, qui se sent nienacé, essaie de conjurer l'orage en ourdissant intrigue sur intrigue ; mais ses machinations tour- nent contre lui, il est démasqué; et, au dénouement. Amer, siégeant comme juge, après avoir déposé Hummel de sa charge, l'oblige à restituer le bien mal acquis et prononce contre lui une sentence infamante.

Dans ce cadre, l'auteur fait mouvoir, à côté des personnages principaux, une quantité de figures secondaires, dessinées avec beaucoup de verve et ayant chacune sa physionomie bien mar- quée; les épisodes touchants ou comiques se succ<'»dent; pres- que chacun des cent chapitres forme un petit tableau frappant par la vérité des détails, le naturel du dialogue, la finesse de l'observation; quelquefois aussi des pensées fortes ou profondes

492 RIVUK PÉDAGOGIQUB

font deviner derriùre le conteur un philosophe, ou un rayon de poésie vient ennoblir les détails vulgaires.

Ce fut au printemps de 1781 que parut, sans nom d'auteur, Léonard et Gerlrude (la préface est datée du 25 février 1781). Le succès en fut très grand en Allemagne et en Suisse; tous les journaux en parlèrent, et non seulement les journaux, mais les almanachs. On sut bientôt que Tauteur était M. Pes- talozzi de Neuhof, qui se trouva célèbre du jour au lendemain. La Société économique de Berne lui décerna une récompense consistant en une somme de oO ducats et une mtklaille d'or, médaille que Peslalozzi, pressé par le besoin, vendit à un collectionneur.

Une seconde édition de Léonard et Gertrude fut faite la même année.

Une traduction française parut à Berlin en 1783, chez le même éditeur, en un volume in-12. Elle est intitulée: Léonard et Gerlrude ou les Mœurs villagoises, telles qu'on les retrouve à la ville et à la cour» Histoire morale traduite de V allemand : Avec douze estampes dessinées et gravées par D, Chodowiecki, Celte traduction est dédiée à M. de la Fléchère, « seigneur de Grens, capitaine d'une compagnie de grenadiers au service du louable canton de Berne ». Dans son épître dédicatoire, le traducteur, qui signe des initiales « P. de M. », aimonce que l'original est Tœuvre de a M. Peslalotz de Neuenhof » (au xviu® siècle, on rencontre fréquemment le nom de Pestalozzi écrit Peslalotz, Pestalutz, Pestalozz, Pestaluz, etc.); parlant de sa traduction, il ajoute : « 11 ne m'est pas permis d'en rien dire, sinon qu elle est fidèle, que même elle peut avoir quelque avan- tage sur l'original, quanta la pureté de la diction, en même temps que je reconnais qu'elle n'en apas toute la précision et la naïveté, quoique j'aie pris à tâche d'imiter le style simple et naturel de l'auteur. » Le traducteur est Pajon de Moncets, pasteur de l'église française de Berlin, qui a publié aussi des traductions des Leçons de morale de Gellert et de VElementarbuch deBasedow.

Les estampes de Chodowiecki ne sont pas sans mérite. Elles représentent les sujets suivants: 1** Léonard rentre chez lui et trouve sa famille en larmes* (ch. l*"") ; 2** Gertrude chez Arner (ch. 2); 3"* le chien du barbier dévoile une ruse du bailli, en

LÉONARD ET GERTRDDB DE PESTALOZZI 493

léchant Teau tombée d'une cruche celui-ci prétendait avoir mis du vin (ch. 10); la grand'mère de Rudi à son lit de mort (ch. 16); 5* dialogue entre le bailli et Marx (ch. 26); Marx gronde sa fiile Betheli qui a accepté un morceau de pain d'un des enfants de Gertrude (ch. 80); le bailli prend le coquetier Christophe pour le diable, et se sauve en hurlant (ch. 74); le bailli fait sa confession au pasteur (ch. li); le petit Charles, ftls d'Amer, embrasse le cocher Franz (ch.82); 10** Arner prononce la sentence du bailli (ch. 89); 11® le coquetier Christophe explique devant la commune assemblée que c'est lui que le bailli a pris pour le diable (ch. 92); 12® Léonard et Gertrude avec Arner et sa femme Thérèse chez Rudi (ch. 98).

II a été fait une réimpression de cette traduction, mais sans estampes, et avec l'indication Première par lie (parce que la seconde partie de Léonard et Gertrude avait déjà paru à ce moment). Cette réimpression porte la mention : « A Lausanne et à Paris, choz la vouve Duchosne, libraire, rue Saint-Jacques, au temple du Goût, 1784. »

Une autre traduction de la première partiede Léonard et Gertrude a été faite beaucoup plus lard pu- M™*» la baronne de Guimps, et imprimée à Genève chez J.-J. Paschoud en 1826 (seconde édition en 1832, Paris et Genève, Abraham Cherbuliez). M™* de Guimps dit dans son avertissement : « Léonard et Gertrude a déjà été traduit dans notre langue; je ne veux point faire ici la critique de cette première traduction ; je dirai seulement que Pcstalozzi en fut très mécontent, et qu'il me pressa d'entre- prendre celle-ci, qui a été commencée sous ses yeux et d'après ses avis. » A notre sentiment, M™^ de Guimps n'a pas mieux réussi que Pajon de Moncels, non que le talent lui ait manqué, mais parce qu'elle entreprenait une tâche impossible : Léonard et Gertrude est un livre intraduisible.

On s'est demandé si les personnages du roman de Pestalozzi étaient des portraits. Il a déclaré lui-même, en 1782, que les applications qu'on avait voulu faire étaient inexactes, en ce sens qu'aucun des caractères du livre n'est, dans tous ses traits, la copie fidèle d'un original. Mais il n'en est pas moins évident que pour chacun d'eux il a eu présenti> à l'esprit

40^ lULVUE PÉDAÛOGIUUE

UQ OU plusieurs modèles pris dans la réalité. Gertrude, d'après une tradition que Nicolovius a le premier accréditée, Pes- talozzi lui-même, il est bon de le remarquer en passant, n*a jamais rien dit pour la confirmer, serait faite à l'i- mage de la servante Elisabeth Niif; les gens de Birr et de Mûligen crurent reconnaître dans le bailli Hummel l'intrigant Miirki, de la mauvaise foi duquel Pestalozzi avait été la victime au début de son entreprise agricole; quant au pasteur, le choix de son nom, £rnst, indique que l'auteur a songer à son ami et voisin le pasteur de Birr, qui s'appelait Frohlich (Ertw/, en allemand « sérieux »; Frohlich, en allemand ce gai »); enfin Arner, l'idéal du seigneur humain, sage et bienfaisant, serait, de l'avis des biographes modernes, le patricien bernois Tscharner, dont nous avons déjà parlé, qui gouvernait le bailliage de Schen- kenberg; peut-tUre un autre noble Bernois, voisin aussi de Pestalozzi, le Junker Effinger, qui habitait le château de Wii- dcgg, et qui s'occupait avec beaucoup de zèle d'œuvres phi- lanthropiques, a-t-il fourni aussi quelques traits à cette figure.

Pestalozzi employa l'année 1781 à écrire un nouvel ouvrage, qui devait servir de complément et de commentaire à Léonard et Gertrude : c'est Christophe et Else, mon second livre pour le peuple, qui parut en 1782 (Dessau et Zurich, chez le libraire Fussli). Une famille de paysans occupe ses soirées à lire Léonard et Gertrude, et chaque chapitre fait le sujet d'une conversation les interlocuteurs développent les conclusions morales qu'ils croient pouvoir tirer des divers épisodes du roman. Ce livre didactique, auquel Pestalozzi attachait une haute importance, reçut un accueil assez froid. Il se compose de trente « soirées », dans lesquelles sont commentés les vingt- cinq premiers chapitres de Zéonard et Gertrude. L'auteur avait annoncé une suite; mais il ne jugea pas à propos de continuer son travail

Il

Ici se place un événement auquel la plupart des biographes n'ont pas accordé assez d'importance, et qui nous paraît le plus considérable à signaler dans cette première moitié de l'existence de Pestalo/zi : c'est son affiliation à l'ordre des Illuminés.

LÉONARD ET GERTBUDE DE PBSTALOZZI 495

L'IUuminîsme, fondé par Weissbaupt vers 1776, avait rapi- dement gagné de nombreux adeptes dans les pays de langue allemande; une foule d*hommes distingués, de hauts person- nages, étaient entrés dans la conspiration mystique qui se proposait pour but ia destruction des trônes et l'établissement d'une société égalilaire. Le plan des chefs des Illuminés était de se servir des souverains eux-mêmes comme d'instruments inconscients de l'œuvre d'émancipation sociale, et d'oblenir des gouvernements, grâce à l'influence occulte qu'ils sauraient exercer sur eux, les réformes préalables nécessaires à l'exécution de leurs projets. Mais seuls les hauts dignitaires de Tordre avaient la pleine connaissance de ce but mystérieux; les affiliés appartenant aux degrés inférieurs de la hiérarchie ne recevaient qu'une demi-initiation.

Quelle est la date exacte à laquelle Pestalozzi entra en rap- port avec les Illuminés? On l'ignore. Tout ce qu'on sait, c'est qu'en 1782 il était membre de Tordre, et qu'il y portail le nom à' Alfred. Le riiusée pcstalozzieu de Zurich possède une lettre adressée à Pestalozzi par Tun de ses supérieurs de Tordre, qui signe Epictèle; la lettre est datée d^Ulique^ S décembre 1782 (elle est reproduite dans les Pestalozzi- Blàtter^ 1885, p. 17). Mous apprenons par cette lettre que Pestalozzi désirait obtenir i\ Vienne, auprès de l'empereur Joseph lï, une situation dans laquelle il pût travailler au relèvement moral et matériel du peuple des campagnes, soit par la fondation d'un institut d'éducation professionnelle comme celui de iNeuhof, soit de quelque aulie façon. Il avait rédigé à cet effet un mémoire dans lequel il développait ses idces. Son (correspondant lui répond qu'il a trouvé ses propositions bonnes et ses théories justes, mais que son mémoire n'est pas écrit de façon à plaire à l'empereur. Il l'engage à s'adresser directement à M. deSonnen- fels à Vienne, homme d'État de grande réputation, possédant la confiance de Joseph II, et affilié liii-méine à TlUuminlsme. A cette lettre est jointe une note signée Machiavel, émanant d'un autre membre de Tordre auquel le mémoire de Pestalozzi avait été communiqué; « Machiavel » juge aussi que le mémoire est trop défectueux sous le rapport du style, de ia méthode et de la clarté pour être pouvoir présenté à l'empereur; il ajoute cette

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réflexion assez inatteodue, et qui en dit long sur ce que la syntaxe et Torlhographe de Pestaîozzi laissaient à désirer : t Si le fieur P., comme son style semble l'indiquer, manie plus facile- ment le français que Tallemand, il vaudrait mieux qu'il rédigeât ses pensées en français, et qu*il les fit traduire ensuite en alle- mand par quelque personne capable. »

Il nous paraît très probable qu'a Ëpictète » est un ami d'Iseliii et de Battier, peut-être Battier lui-même (i). 11 est avéré que le projet de Pestalozzi de chercher un établissement à Vienne lui avait été inspiré par Iselin. « C'est lui, raconte-t-il {Schweizer-Blatt, 33, 15 août 1782), qui m'a conseillé la publication de mon journal hebdomadaire; mais il désirait plus encore et travaillait à quelque chose de plus important; et si jamais je vais à V. (Vienne), et que j'y tente quelque chose de plus considérable, c'est à lui que j'en devrai la première pensée. » Ajoutons que dans la lettre d' « Ëpictète », il est question d'un cahier que Pestalozzi doit renvoyer k son cor- respondant, après l'avoir copié, « par Tintermédiaire de la librairie Serini à Bàlc ». Du rapprochement de ces diverses circonstances, il ressort qulselin appartenait à l'ordre des Illuminés, et que ce fut lui, selon toute proliabilité, qui y affilia Pestalozzi; Battier, leur ami commun, l'homme « plein de hardis projets », doit nécessairement en avoir aussi fait partie.

Le musée pestalozzien possède en outre un petit cahier, écrit de la main de Pestalozzi, et contenant une notice sur le but et l'orga- nisation de l'ordre des Illuminés (le texte en a été publié dans le Korrespondenzblatt des Archivs der schw. permanenten Schul- ausslellung, 1879, p. 8). C'est peut-être la copie du cahier dont il est question dans la lettre d' a Épictèle ».

On ne sait pas si Pestalozzi donna suite au projet qui lui était suggéré de s'adresser à M. de Sonnenfels. Mais, dès le mois de juin 1783, on le voit entrer en correspondance avec le comte Charles de Zinzendorf, ministre des finances de Joseph II. C'était M. de Fellenberg, comme l'indique la première des lettres

(1) tiatUerf négociant bàlois, était devenu l'ami de Pestalozzi par l'inter- médiaire d'Iselin. C'était, au témoignage de Nicolovius, < un homme plein de hardis projets, d'une grande énergie et d'une remarquable élévation de sen- timents >. Pestalozzi lui a dédié la quatrième partie de Léonard et Gertrude,

LÉONARD ET GERTRDDK DE PESTALOZZI 497

de Pestalozzi, qui l'avait mis en rapport avec Zinzendorf. Faut- il supposer que rintervention deslllumiaés y ait été aussi pour quelque chose ? ("ela pourrait être, mais iJ n'est point nécessaire de le supposer. L'origine des relations avec Zinzendorf s'explique très naturellement par l'envoi que Fellenberg avait fait à celuiKÛ de quelques écrits de Pestalozzi de la part de leur auteur. Nous apprenons par le Schwajiengesang que Pestalozzi espérait retirer de ses rapports avec Zinzendorf « de sérieux avantages matériels » ; mais son espérance fut déçue. La correspondance entre Zinzen- dorf et Pestalozzi dura jusqu'en 1790 ; les lettres de Pestalozzi et deux lettres de Zinzendorf ont été publiées dans le Pœdagogium de Dittes, numéros de mai et juin 1881.

Von Raumer dit, d'après Henning, que Pestalozzi parvint au grade de chef suprême de riliuminisme en Suisse ; mais que bientôt après, désabusé, il sortit des rangs de l'association. Rien n'indique qu'il y ait jamais eu rupture entre Pestalozzi et les Illuminés; la désorganisation de ïordre, arrivée à partir de 1784, à la suite du procès de Weisshaupt et des persécutions dirigées en Bavière contre les affiliés, suffit à expliquer pourquoi Pestalozzi cessa d'en faire partie. Il laut noter cependant un passage de la quatrième partie de Léonard et Gertrude (chap. 23), il traite assez durement les « sociétés secrètes », les « char- latans tt et les ce thaumaturges »; ce passage parait s'appliquer à certains chefs de Tllluminisme, tels que Cagltostro. Mais les rêves de régénération sociale dont Pestalozzi s'était bercé con- tinuèrent à fermenter dans sa tête; dans le législateur de la quatrième partie de Léonard et Gertrude, dans le politique des Aeusso^ngen iiber die burgerliche Stimmung der europàischen Menschheit (il93), dans le philosophe des Nachforschungen (1797), on retrouvera l'Illuminé de 1782, le coopérateur d' « Epictète et de Machiavel ».

III

La seconde partie de Léonard et Gertrude (i) fut écrite dans les premiers mois de 1783 (Pestalozzi annonçait à Zinzendorf, en

(1) Les trois dernières parties de Léonard el Gertrude, de beaucoup les plus importantes, n'ont jamais été traduites, et aucun biographe n'eo avait, jusqu'ici, donné même une analyse.

aivuB pAdaoooiqui 1885. !«' sbh.

498 RIVUB PÉDAGOGIQUE

juin, que le mauuscrit en était presque termiaé), et parut à la fin de Tannée (un exemplaire put en être envoyé à Zinzendorf le 30 décembre). L*auteur avait renoncé à renseignement direct, au procédé didactique employé dans Christophe et Else, et était revenu à sa première manière. Les personnages sont les mêaies dans la seconde partie de Léonard et Gertri^le que dans la première; il faut noter cependant que Gertrude y tient beaucoup moins de place : elle ne paraît que dans trois ou quatre chapitres sur soixante-dix; tout le reste du livre est consacré au récit des méfaits de divers complices de Hunmiel, et de la punition que leur inflige Amer, ainsi qu'à une biographie rétrospective de Tancien bailli. Peslalozzi s'en excuse: « J'aimerais tant, s'écrie- t-il, à parler beaucoup de cette femme, et je trouve si peu à dire d'elle, tandis qu'il me faut parler si longuement de la bande des coquins ! » Et c'est alors qu'il a recours à une belle comparaison, souvent citée ; « Lecteur, je voudrais pourtant chercher pour toi une image de cette femme, afin qu'elle appa- raisse vivante devant tes yeux, et que sa silencieuse activité te devienne à jamais inoubliable. Ce que je vais dire est beaucoup; mais je ne crains pas de le dire. Ainsi chemine dans sa voie, du matin au soir, le soleil de Dieu. Ton œil ne voit pas ses pas, ton oreille n'entend pas sa marche ; mais à son coucher tu sais qu'il se lèvera de nouveau et continuera à réchauffer la terre, jusqu'à ce que les fruits en soient mûrs. Cette image de la grande mère (1), qui vivifie la terre de ses rayons, est l'image de Ger- trude, et de toute femme qui sait faire de la chambre de famille le sanctuaire de la divinité. »

En avril 1184, Zinzendorf écrivait à Pestalozzi : « La seconde partie de votre roman populaire est écrite dans le même esprit que la première, et ne pouvait manquer par conséquent de me faire le m<}me plaisir... Je ne doute pas que vous n'ayez auprès de vous des amis avec lesquels vous pouvnz vous entretenir agréablement de vos idées philanthropiques ; ce doit être pour vous un encouragement à persévérer dans la voie utile vous marchez. S'il en est ainsi, vous êtes certainement plus heureux

(1) Le soleil, en allemand, est du genre féminin.

LÉONARD ET GERTEUDE DE PESTALOZZI 499

que bien des amis de rhumanité qui vivent dans une sphère plus brillante, d

La troisième partie de Léonard et Gertrude fut publiée au printemps de 1785. Cette fois, Pestalozzi avait élargi son cadre et abordé un sujet plus vaste. Dans la seconde partie, il s'était con- tenté d'ajouter de nouveaux chapitres à son récit primitif, pour compléter le tableau de Tétat d'ignorance et de misère vivaient les paysans. Maintenant il veut faire œuvre de réformateur, indiquer les remèdes qui doivent être apportés aux maux qu'il a décrits. Ce qu'il faut réformer en premier lieu, c'est l'école et l'église. Mais pour changer l'école, il faut changer le maître d'école, ff Quand j'y réfléchis bien, dit au Junker 1 homme le plus sensé du village, l'industriel Meyer, il me parait qu'avec toutce que vous pourrez faire, vous n'arriverez pourtant pas à votre but, à moins que vous ne chassiez l'individu qu'on appelle maître d'école, et que vous ne supprimiez l'école, ou bien que vous la réformiez complètement. Depuis cinquante ans, tout a tellement changé chez nous, que la vieille méthode de tenir l'école ne vaut plus rien pour les gens tels qu'il les faut aujour- d'hui... Vous savez quel maître d'école nous avons. Le mal- heureux n'a pas la moindre idée de ce qu'un homme doit savoir pour se tirer d'affaire avec honneur dans le monde. Il ne sait pas même lire; quand il Ut, il semble qu'on entende bêler un vieux mouton, et plus il veut être édifiant, plus il bêle. Et quel ordre dans sa classe! La puanteur vous fait reculer quand on ouvre la porte. Il n'y a pas une étable dans le village les veaux et les poulains ne soient mieux soignés que nos enfants dans une école pareille. » L'ancien magister de Bonnal est remplacé par un persoimage nouveau, en qui i^estalozzi a bien certainement voulu se peindre lui-même : c'est le lieutenant Glùphi, un militaire invalide, devenu l'ami et le conseiller d'Arner. A côté de lui apparaissent d'autres ligures nouvelles : le filateur de coton Meyer (Baumwollen-Meyerjj le représentant et l'apôtre du travail industriel et de l'économie qui doivent amener l'ai- sance dans la cabane du pauvre; sa sœur, l'énergique et sensée Mareili; et une paysanne de bonne et franche volonté, la jeune Renold, qui devient l'alliée de Gertrude et de Mareili dans la croisade contre le désordre et la paresse. C'est Meyer et sa sœur

SOO REVUE PÉDAGOGIQUE

qui doonent à Arner Tidée de réformer l'école; c'est Grertrudey avec sa chambre pleine d'enfants qui lisent, calculent ttchan^ tent tout en filant leur coton, qui lui fournit le modèle de ce que doit être la classe. « Croyez-vous, demande Glùphi, que Tordre que vous avez établi dans celte chambre puisse être introduit dans une école? Je pense, répond Gertrude, que ce qu'on peut faire avec dix enfants, on peut le faire aussi avec quarante. » Et elle promet d'aider à taire l'essai. Le lieutenant la prend au mot. La nouvelle école est aussitôt installée. Les enfants y tra- vaillent de leurs mains à Toccupation que leurs parents ont choisie pour eux, et en même temps ils apprennent à lire, à écrire et à calculer. Gertrude, après avoir présiié aux premiers arrangements, est remplacée dans la classe par une aide, la bonne Marguerite, qui surveille le travail des petites filles. Le lieutenant dirige renseignement et maintient une discipline paternelle, mais ferme et stricte. C'est à dessein que Pestalozzi a fait de son maître d'école un ancien militaire : il lui fallait, pour ce rôle, un homme préférant l'action à la parole, un homme qui incarnât en lui la règle inflexible, qui put enseigner avec autorité, par son exemple, toutes ces choses nécessaires, l'ordre, la ponctualité, la propreté, l'obéissance, l'assiduité au travail. Plusieurs chapitres sont consacrés à décrire les moyens employés par Glùphi pour asseoir la discipline, pour donner aux entants de bonnes liabitudes, pour les instruire dans les con- naissances élémentaires : ce sont autant de réminiscenees de ce que l'auteur avait tenté lui-même à Neuhof. Signalons en passant la valeur accordée par Pestalozzi au calcul comme moyen de fonner le jugement, d'habituer Tenfant à raisonner juste et à ne pas se payer de mots. « L'homme,dit-il, n'acquiert la sagesse que par une longue expérience, ou par des exercices de ccUcul^ qui peuvent en partie y suppléer. » Cette haute idée des vertus des quatre règles restera un trait saillant de son système d'en- seignement; serait-il téméraire d'ajouter qu'une partie du respect que lui iuspiraient les opérations de l'arithmétique venait pro- bablement de ce qu'il était incapable de les exécuter lui-même correctement^?

Le passage suivant résume nettement l'idée que Pestalozzi se fait d'une bonne méthode élémentaire ; on y trouve déjà en

LÉONARD ET GERTRUDX DB PESTALOZZI SOI

germe les principes qu'il développera une vingtaine d'années plus tard: « Tout en s'occupant du cœur des enfants, le lieu- tenant s'occupait aussi de leur tête: il voulait que ce qui y entrait fût aussi clair et visible que la pleine lune au ciel. Avant tout, il enseignait aux enfants à bien voir et à bien entendre, et exerçait en eux le bon sens naturel qui existe dans chaque homme... Quand on veut détourner les hommes de l'erreur, ce ne sont pas les paroles des insensés qu'il s'agit de réfuter, c'est l'esprit même de leur folie qu'il faut éteindre eu eux. Pour faire voir, il ne sert à rien de décrire la nuit et de peindre la couleur noire de ses ténèbres : c'est seulement en allumant la lumière que tu pourras montrer ce que c'était que la nuit; c'est seulement en enlevant la cataracte que tu feras comprendre à l'aveugle ce qu'était la cécité. Bien voir et bien entendre est le premier pas vers la sagesse de la vie ; et le calcul est le fil conducteur qui nous préserve de l'erreur dans la recherche de la vérité; c'est la pierre angulaire de la tranquillité et du bien- être que seule une vie de travail, réfléchie et prévoyante, peut assurer aux enfants des hommes. »

Le pasteur, qui voit la réforme accomplie par Glùphi dans l'école, se sent pris d'émulation. 11 y a un curieux dialogue (chap. 18) entre lui et le lieutenant : « Je ne veux rien avoir à faire, dit le soldat, avec le lirilavi des maîtres d'école, avec ce bavardage qui tourne les cervelles et gâte la raison. Je ne l'aime pas plus que vous, dit le pasteur. Mais je condamne tous les longs discours, reprend Glùphi, tout ce qui est verbiage, à l'école ou ailleurs. Irez- vous jusque-là? Oui certes: le bavardage est proprement la maladie ecclésiastique, dont nous avons si grand besoin de nous guérir. A la bonne heure. Des actes, voilà ce dout l'homme a besoiu. Foin des discours ! » Le digne pasteur, qui a fait pendant trente ans des sermons à son corps défendant, ne demande pas mieux que de ne plus prêcher. Il renonce même à faire apprendre aux enfants le c^itéchisme. « Il marqua de sa main dans leurs livres les quelques sentences sages et pieuses qu'il leur permit encore d'apprendre par cœur; de tout le reste, questions oiseuses, vains prétextes à disputes, qu'il voulait effacer de leur esprit, il n'en dit plus mot; et lorsqu'on lui demandait pourquoi il ne parlait pas plufi de

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ces choses que si elles n'eussent pas existé, il répondait: a Je vois » tous les jours plus clairement qu'il n'est pas bon pour » l'homme de se martyriser la cervelle pour y faire entrer tant » de pourquoi et de parce que; Texpérience montre que plus » les hommes se mettent de ces pourquoi et de ces parce que » dans la tête, plus ils perdent leur bon sens et l'usage pratique » de leurs mains et de leurs pieds. » Et après avoir expliqué en quoi le pasteur lait consister la « véritable religion humaine », la seule qu'il veuille désormais enseigner à ses paroissiens, Pestalozzi ajoute: a Mais le plus méritoire en lui, c'est qu'il déclarait franchement que s'il n'eût pas vu de quelle façon le lieutenant et la bonne Marguerite s'y prenaient à l'école avec les enfants, il n'aurait jamais essayé de lui-môme de rien changer à la vieille routine, et qu'il serait resté jusqu'à la mort l'ancien pasteur de Bonnal, tel qu'il avait été trente années durant. » C'est une chose caractéristique que la façon dont Pestalozzi fait incliner ici l'ecclésiastique devant h supériorité du laïque. « Ainsi, dit-il quelque part, parlait l'homme dont la force venait de ce qu'il connaissait le monde, au prêtre dont la faiblesse venait de ce qu'il ne le connaissait pas, » La différence du point de vue, entre la première partie de Léonard et Gertrude et ce troisième volume écrit quatre ans plus tard, est ici très sensible. Dans la première partie, le pasteur était le représen- tant par excellence de la sagesse ; nul ne lui était supérieur, il suffisait à tout. Maintenant, au contraire, en subordonnant le pasteur au maître d'école Gliiphi, Pestalozzi montre clairement que, dans l'œuvre de réforme sociale, l'initiative ne saurait appartenir à l'Église; le clergé ne doit plus jouer qu'un rôle d'auxiliaire ; et ce rôle même, il ne pourra le remplir qu'à la condition de renoncer à la religion formaliste, de laisser dormir le dogme et de ne plus enseigner que la morale.

Notons encore un curieux chapitre (chap. 77) l'auteur met dans la bouche de la vaillante et sensée Mareili une profes- sion de foi bien significative. Les bonnes femmes du village se plaignent à elle que, si le pasteur n'explique plus la parole de Dieu, on ne saura plus ce qu'on doit croire. Elle répond qu'il n'y a pas besoin de tant d'explications. <i Et comment fais-tu donc? lui demande-t-on. Comment je fais? Bonnes gens,

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je vais vous le dire. Il y a assez de choses dans le monde qui sont de Dieu même et qui nous disent clairement ce que Dieu veut de nous. J'ai le soleil, la lune, et les étoiles, et les fleurs du jardin, et les fruits des champs, et puis mon propre cœur et tout ce qui m'entoure; est-ce que cela ne me dit pas, mieux que ne le feraient tous les hommes, ce qu est la parole de Dieu et ce qu'il attend de moi ? Et tenez, quand je vous vois devant moi, et que je lis dans vos yeux ce que vous voulez de moi et les obligations que j'ai envers vous; et que je regarde les enfants de mon frère, pour qui je me sens responsable, n'est- ce pas une parole de Dieu qui m'est directement adressée, qui n'appartient qu'à moi, que personne n'a besoin de m'ex- pliquer et sur laquelle je ne puis me tromper? » Et les bonnes femmes durent convenir que le soleil,lalune et les étoiles, et le cœur de l'homme et tout ce qui l'entoure expliquent à chaque homme la parole de Dieu d'une manière infaillible et suffisante, ù

A côté de cette partie qu'on pourrait appeler théorique et technique, destinée spécialement à cette classe de lecteurs que leur position sociale pouvait mettre à même d'imiter l'exemple d'Arner et lie Glûphi, le troisième volume de Léonard et Gertrude contient bon nombre de scènes appartenant au roman propre- ment dit, et qui peuvent Cilre. placées à c6té des meilleures pages de la première partie. Tels sont les chapitres consacrés au récit de la visite d'Amer et du lieutenant chez le BaumtvoUen-MeyeT et sa sœur Mareili, à la description du cortège organisé par les fillettes du village en Thonneur d'Arner, et de la fête champêtre qui s'ensuit; et, dans le genre humoristique, ceux l'auteur nous tait assister aux péripéties amusantes des projets matri- moniaux que Gertrude a formés à l'égard d'une jeune paysanne dont elle voudrait faire la femme de l'honnête Rudi, et que sa famille destine à un gros aubergiste amateur de charcuterie. La note poétique se retrouve dans ce volume comme dans les précédents : il y a peu de figures plus touchantes que celle de la simple et naïve enfant a debout sous un jeune poirier en fleur, qui était son image », la fille du suicidé, qui veille avec tant de piété sur la tombe solitaire de son père, et dont la bonne Mareili fait la reine du cortège ; et c'est un tableau tracé de main de

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mattre que cette courte scène (chap. 27) Pestalozzi oppose TuD à l'autre la nature et l'homme. Arner est debout, le lieu- tenant à ses côtés, sur une hauteur dont le regard embrasse toute la vallée qui forme son domaine. « L'Itte limpide se déroulait à leurs pieds en un ruban d'argent. Le soleil se couchait, et l'onde miroitante de la sinueuse rivière brillait de Bonnal jusqu'aux montagnes bleues qui séparaient comme un rideau les terres d'Arner du reste du monde. 11 contempla ua moment, sans parler, la rivière et la vallée. « Ah ! que les hommes sont laids ! dit- il enfin; quoiqu'on puisse faire pour eux, ils n'égaleront jamais en beauté ce simple paysage. » C'était un spectacle admirable en effet que celui de la vallée dans la magnificence du soleil couchant. « Vous vous trompez, » répondit le lieutenant ; et en ce moment même un petit berger parut au-dessous du rocher sur lequel ils étaient, poussant une chèvre devant lui. Il s'arrêta à leurs pieds, regardant le coucher du soleil, appuyé sur son bâton, et se mit à chanter. Alors montagne et vallée, rivière et soleil disparurent à leurs yeux. Us ne virent plus que le petit berger drapé dans ses haillons, et Arner dit : « J'avais tort ; la beauté des hommes est la plus grande des beautés de la terre I »

Sous le rapport du style, il faut observer que dans cette troi- sième partie Pestalozzi fait un usage beaucoup plus fréquent des formes particulières du dialecte suisse, si bien que la lec- ture du livre en est rendue plus difficile. Est-ce de sa part simple négligence ? ou bien a-t-il voulu donner par plus de vigueur et d'originalité à son langage ? Il est difficile de se prononcer à cet égard.

Une lettre à Zinzendorf du 10 décembre 1785 fait connaître l'accueil que reçut en Suisse ce troisième volume. Il fut, dit Pestalozzi, beaucoup moins lu que le premier et obtint moins de succès, a 11 est possible, ajoute-t-il, qu'il soit réellement plus mal écrit; mais il est certain d'autre part que les vérités qui y sont exprimées ne sont pas de nature à produire uni- quement le genre d'impressions dans lesquelles j'avais jugé à propos de me renfermer en écrivant la première partie... Ce qui pourrait seul témoigner d'une influence réelle de mon livre, ce seraient des acte?, des tentatives pour réaliser quelques-unes

LÉONARD £T GERTRUDE DE PESTALOZZI SOS

des vérités qu^l contient; mais je n'en vois pas la moindre trace. Quoique j'aie pour amis beaucoup de nos honorables gouvernants, on ne m'a jamais demandé le moindre conseil, pas même pour l'organisation d'une école; sauf que, Tan der- nier, Lavater ayant proposé des réformes dans la législation consistoriale, le conseiller zuricois Biirkli m'invita à traiter ce sujet; je le fis, mais il trouva les principes de mon mémoire trop hardis pour le conseil des Deux-Cents. »

Pestalozzi se hasarde ensuite à faire entendre qu'il irait volontiers à Vienne: « L'approbation de Votre Excellence, con- tinue-t-il, m'encourage à travailler avec plus d'ardeur à ma quatrième partie. Mais ce qui m'occupe plus encore en ce moment, c'est le projet d'élucider la véritable théorie du gou- vernement par des rechercbes sur, les motifs réels d'action de la nature humaine. Je désirerais aussi avoir l'occasion d'étudier davantage le côté pratique de mon sujet par de nouvelles expé- riences... Voilà la raison qui parfois me fait trouver trop étroit le cercle de ma position actuelle d'ailleurs agréable et désirer d'habiter quelque temps dans le voisinage d'hommes appartenant à des cercles plus étendus et possédant de l'in- fluence sur le peuple; quoique dans d'autres instants je sente, comme Votre Excellence me l'écrivait l'an dernier, que je suis probablement plus heureux dans ma solitude que bien des amis de l'humanité vivant dans une sphère plus brillante: d'ailleurs, ce qui brille n'est pas ce que je recherche. La baronne de Hallwyl était justement chez moi le jour j'ai reçu la der- nière lettre de Votre Excellence; la noble femme avait les larmes aux yeux en voyant la joie que me causait cotte lettre venant de sa ville natile (M"'^ de Uallwyl était née à Vienne). Son voisinage est un des plus grands bonheurs de ma situation. Fellenberg a quitté son bailliage pour retourner à Berne, en sorte que je suis ici toujours plus seul... »

IV

La troisième, partie de Léonard et Gerlrude avait plu médio- crement; la quatrième et dernière partie, qui parut en 1787, plut bien moins encore. Cette fois l'auteur avoue sans détour

S06 MVUI PÉDAGOGIQUE

les plus hautes ambitions : il vise à une réformé profonde des lois et de la société, et il donne le modèle d'une législation propre à opérer les changements et les progrès qu'il médite.. Nous apprenons ce qu'on ne nous avait pas dit jusqu'ici que la seigneurie d'Amer fait partie d'un duché dont le souverain va devenir un des personnages du roman. Son attention a été attirée sur les réformes commencées à Bonnal. Un ministre du prince, Bylifsky, est l'ami d'Arner et encourage ses tentatives, tandis que le courtisan Helidor, sceptique et égoïste, cherche à les tourner en ridicule auprès du duc dont il est le favori. Long- temps le génie du bien et celui du mal, personnifiés en ces deux hommes, se disputent l'esprit du souverain, qui flotte irrésolu. Arner, cependant, continue son entreprise. Il y apporte tout son bon vouloir; mais c'est à Glûphi que Pestalozzi donne décidément le premier rôle. Dans le chapitre intitulé La philo^ Sophie de mon lieutenant et celle de mon livre, l'auteur indique les bases de la législation qui sera exposée dans les chapitres sui- vants; quoique cette législation doive s'appeler la « législation d'Arner », le militaire maître d'école en sera le véritable auteur : « car ce n'est ni d'un vieux pasteur ni d'un jeune gen- tilhomme qu'on pourrait attendre pareille œuvre, mais de l'ex- périence d'un homme comme lui ». Les institutions nouvelles dans le détail desquelles nous ne pouvons pas entrer ici et qui forment un code complet à l'usage des seigneurs éclairés désireux de faire le bonheur de leurs paysans portent bientôt d'heureux fruits malgré les résistances de la routine: les machi- nations de l'astucieuse Sylvia, l'alliée d'Helidor, sont déjouées; Bylifsky parvient à décider le duc à faire une enquête sérieuse et à se rendre lui-même à Bonnal; et au dénouement, nous entrevoyons le triomphe final du bien sur le mal, de la vérité sur le mensonge ; les réformes dont Amer et ses amis ont prouvé la possibilité et l'efficacité en les expérimentant dans un village, vont être étendues au pays tout entier par le duc désormais converti aux idées nouvelles.

La personnalité de Glûphi se confond avec celle de Pestalozzi dans ce quatrième volume plus que dans le précédent. Cet homme que l'orgueilleuse Sylvia dédaigne parce qu'il taille lui- même Us cheveux et les ongles des petits villageois; cet homme

LÉONARD ET GERTRUDE DE PESTALOZZI 507

qui a connu la mifsère, et à qui les paysans ont crié d'une toîx railleuse : Joygeli, hast Geld? Jopgeli, trilli Geld? (Joggcli, as-tu de l'argent? Joggeli, veux-lu de l'argent?); cet homme que des ingrats calomnient et bafouent, et qui pjarde une si fîère altitude, qui est-ce, sinon Pestalozzi lui-même? N'esl-ce pa< à Pi'stalozzi que s'appliquent ces paroles du pasteur parlant du lieutenant ; « Sa tournure d'esprit, qui dans toutes ses paroles, dans toutes ses actions, le fait se préoccuper des besoins de l'humanité, ne lui laisse de repos ni jour ai nuit; un tel homme ne peut aspirer qu'aux plus grandes entreprises, j'en suis certain. L'autre jour, comme il se croyait seul, je l'ai entendu dire, se parlant à lui-même: a Je leur ferai voir qui je suis; v et un instant après : « Quand les degrés de l'échelle seraient brûlants, j'y monterai. » Et lorsqu'au chapitre 36, après nous avoir montré Hylifsky visitant l'école do Gluphi et lui exprimant son admiration, l'auteur s'écrie : « Et c'est à cet homme qu'liier encore la canaille de Bonnal poursuivait de ses cris insultants : Joggeli, as-tu de rangent? Joggeli, veux-tu de l'argent? c'est à lui que le premier ministre du prince tient maintenant ce langage! » pouvons-nous ne pas songer au solitaire de Neuhof, naguère encore méprisé de tous, et devenu correspondant du ministre de Joseph II?

Les chapitres consacrés aux entreliens d'Amer avec sa famille et ses amis, lorsque, gravement malade, il se croit proche de sa fin (chap. 23-23), contiennent des passages intéressants sur i'immorlalilé de l'âme, sur la décadence de la société euro- péenne, sur l'éducation. « De l'eau froide, dit Amer, comme boisson et comme bain, la marche, le travail du jardin, de la cuisine, des champs, la table de multiplication et les mathé- matiques, voilà ce qui conservera chez nos fils et nos filles le sang allemand, le cerveau allemand et le courage allemand (deutsches Blut, deutsches Htm und deutschen Muth), » Plusieurs fois dans ce volume, Pestalozzi use de cette épithète « allemand » (liehe deutsche Frau, chap. 23; deutsche Trcue, ch. 24), qu'il n'avait pas employée jusqu'alors. On sent qu'il ne s'adresse plus à ses compatriotes des petites républiques suisses : il vise désor- mais plus haut, et c'est de l'empereur d'Allemagne qu'il espère la réalisation de ses rêves.

B08 ftIVUB PtDAGOGIQUK

Pour achever de caractériser la pensée de Peslalozzi et bi marquer la portée qu'il attribue lui-même à son œuvre, nous citeroDS un passage de la dédicace de cette qualrième partie, adressée, comme nous l'avons déjà indiqué, à Félix Batlier de Bâle. « Tout ce cpie je dis, je l'ai vu, dit Peslalozzi à son ami. Et une grande partie de ce que je conseille, je l'ai fait. J'a* renoncé aux jouissances de la vie pour me consacrera ma ten- tative d'éducation du peuple, et j'ai appris à connaître sa véritable situation, et les moyens de la changer, aussi bien dans l'en- semble que dans l'infini des détails, comme personne peut-être ne l'a fait. La voie je marche est inexplorée; personne encore n'a essayé de traiter le sujet à ce point de vue. Tout ce que je dis, dans son essence et jusque dans les plus petites parties, repose sur mes expériences réelles. Il est vrai que je me suis trompé dans ce que j'avais voulu exécuter; mais ces erreurs de ma vie pratique m'ont justement enseigné ce que je ne savais pas alors... Ami, l'image de ce que j'ai tenté est sans cesse présente à mes yeux; et je ne me sentirai pas satisfait, tant que je n'aurai pu recommencer à travailler activement à la réalisation des premiers rêves de ma vie. »

Après avoir achevé, dans Léonard et Gertrude, l'exposé de son plan de réforme sociale, Peslalozzi n'avait plus qu'un vœu : poser la plume et passer de la théorie à l'action. Il le dit à Zinzendorf, espérant que celui-ci lui en fournirait les moyens. Mais le ministre autrichien n'était pas prompl à s'enflammer : sans cesser de se montrer bienveillant, il ne se laissa pas gagner par l'enthousiasme de son correspondant. Pestaiozzi eut beau revenir à la charge, Zinzendorf lit la sourde oreille.

En envoyant au ministre de Joseph II la quatrième partie de Léonard et G^rtt^de, Peslalozzi lui écrit (:25 mai 1787) qu'il le prie « de considérer les pages consacrées à la législation popu- laire comme un mémoire qui lui serait directement adressé, attendu que le respect seul a empêché Tauteur de lui en offrir publiquement la dédicace ». Et plus loin il ajoute : « J'ai fait mon possible pour traiter convenablement un sujet qui intéresse l'amélioration du sort des hommes; mais je vois que pour aller plus loin, il est indispensable de faire quelques essais

LÉONAED ET GRRTRUDI DI PESTALOZZI 509

pratiques; et je serais si disposé à y contribuer pour mon humble part que, sans- considération pour mon bonheur parti- culier, si Votre Excellence ne trouve pas erronés les principes exposés dans cette quatrième partie, j'oserais lui exprimer un désir dont mon cœur me fait un devoir; peut-être sera-ce verbalement, car d'ici à un an j'espëre faire le voyage d'Allemagne que je projette depuis longtemps, et trouver ainsi l'occasion de m'entretenir avec divers philanthropes de la pos- sibilité de réaliser mes idées. J'ai pris la liberté d'envoyer aussi mon livre à Monseigneur le duc de Toscane. L'approbation et la bienveillance de Son Excellence le comte de Rosenberg me sont infiniment précieuses. Dans votre pays on voit se produire une foule de choses qui font concevoir les plus grandes espérances pour l'avenir. Chez nous, au contraire, tout va de mal en pis; les gouvernants les plus éclairés le reconnaissent; Fellenberg lui-nu^me m'écrit : t De nos républiques corrompues je n'espère aucun progrès pour le peuple. » C'est humiliant pour nous, mais vrai : le véritable progrès dans le gouverne- ment des peuples doit être préparé dans les cabinets de princes sages ; ce n'est plus de nous que ce progrès pourra venir, nous sommes finis. »

Ziuzendorf répond, sept mois plus tard, qu'il a lu deux fois le quatrième volume, et que la législation d'Arner l'a beaucoup intéressé, mais il ajoute que dans la plupart des États autri- chiens d'insurmontables obstacles empêcheraient la réalisation de semblables réformes; il indique à son correspondant quelques difficultés de détail : dans une seigneurie de la Basse-Autriche, par exemple, sur 158 paysans on n'en compte que 53 qui soient les sujets du seigneur du lieu; les 105 autres appartiennent à onze seigneuries différentes et éloignées.

A la lecture de cette lettre, Pestalozzi prend feu : il rédige aussitôt (janvier 1788) une longue épître il s'elforce de prouver au ministre le peu de solidité de ses objections; en même temps il annonce de nouveau son projet de faire le voyage de Vienne. Il informe Zinzendorf de la bienveillance que lui témoigne Léopold de Toscane : «Son Altesse Royale le grand- duc de Florence a daigné accueillir mon livre avec tant de laveur, qu'elle m'a donné, par l'intermédiaire, du comte de

810 RIYUl PÉDA606IQUI

Hoheiiwart, la permission de lui écrire directement sur tout ce qui concerne Téducation du peuple et l'amélioration de sa con- dition; et j'ai effectivement commencé à le faire il y a quelques semaines. » Le passage le plus intéressant de la lettre est rela- tif au jugement porté sur le dernier volume de Léonard et Gertrude par les concitoyens de l'auteur. « Dans mon pays, dit-il, quelques hommes d'affaires et quelques magistrats ont accordé des éloges à ma quatrième partie ; le commun des lec- teurs l'a trouvée ennuyeuse à partir de la page 164 (la page commence la « législation d'Amer »); la plupart de nos savants trouvent ma philosophie fausse, parce qu'elle ne ressemble pas à la leur; beaucoup d'entre eux l'appellent a grossière » et la qualifient de « philosophie de caporal id ; beaucoup de bons citoyens suisses, qui rêvent de liberté cl ne connaissent pas le peuple, trouvent Arner et ses principes despotiques; dans notre clergé, aucun des deux partis, ni le philosophique ni l'orlho- doxe, n'est tout à fait content de moi; et les amis de la routine disent que je rêve.'»

Lorsqu'en 1790 Léopold succéda à son frère Joseph sur le trône impérial, Pestalozzi s'adressa de nouveau à Zinzendorf (19 juin) : « Sa Majesté avait daigné, à Fioronce, me permettre de lui écrire directement; mais je pense que dans les circon- stances actuelles j'aurais tort d'oser le faire. Néanmoins j'ai l'in- tention, aussitôt que mon travail de révision de Léonard et Ger-- trude sera terminé, d'envoyer à Sa Majesté un mémoire sur l'union do l'éducation professionnelle et l'école. Votre Excellence me permettra peut-être de le lui faire parvenir. » Un mois plus tard (19 juillet), autre lettre il dit ; « La Providence aura rempli à ma complète satisfaction le vœu de mon cœur, de pouvoir soumettre à un examen décisif quelques idées sur l'éducation du peuple qui m'occupent depuis vingt ans, si Sa Majesté et Votre Excellence les jugent dignes de quelque attention. » Le 28 août il envoie le mémoire annoncé, et cette fois, abandonnant les voies détournées et les allusions indirectes, il se décide à faire une demande formelle d'emplpi : « Je ne crois pas devoir cacher à Votre Excellence, à propos de la question traitée dans mon mémoire, que je serais heureux d'être admis à offrir à Sa Majesté mes faibles services... « Zinzendorf ne répondit rien. La corres-

LÉONARD ET GERTRUDE DE PESTALOZZI 511

pondance entre Pestalozzi et lui s'arrête là, sans qu'on sache au juste pour quel motif.

A ce moment Pestalozzi travaillait à une refonte complète de Léonard et Gertrude, qui parut à Zurich, chez Ziegler, en trois volumes, de 1790 à 1792. Dans cette nouvelle édition de son roman, l'auteur chercha à donner plus d'unité aux diverses parties du livre, en préparant dès le premier volume l'entrée en scène des personnages nouveaux qui figurent dans la troi- sième et la quatrième partie ; il abrégea les deux premières par- ties, qu'il condensa en un seul volume. Mais l'œuvre a plutôt perdu que gagné à ces remaniements. Cette édition, bien que sous le rapport matériel elle fût supérieure à la précédente (elle est ornée de vignettes assez soignées), n'obtint qu'un médiocre succès. Cela n'a d'ailleurs rien de surprenant : l'attention publi- que était occupée ailleurs.

J. Guillaume.

LA CIRCULAIRE DU 30 AVRIL

ET LA REFORME DES PROGRAMMES d'eNSEIGNEMENT

DANS LES ÉCOLES NORMALES

Une récente circulaire a invité MM. les recteurs, les inspecteurs d'académie, les directeurs, directrices, et professeurs d*école nor- male à faire connaître leur avis sur diverses modificalions qu'il s'agirait d'introduire dans les programmes d'études des écoles nor- males, la question devant être soumise ensuite à la Section perma- nente et au (lonseil supérieur. Les modifications proposées sont peu nombreuses et, au premier abord, elles semblent assez iuofTensives. Mettre les programmes d'enseignement en harmonie arec les nou- veaux règlements des brevets de capacité, et, pour cela, remanier le programme de psychologie et de morale, prendre une heure à l'écriture et une heure à l'histoire, donner ces deux heures aux lan- gues vivantes et à l'enseignement des notions de sciences physiques applicables à l'agriculture et à l'horticulture, tout cela ne constitue pas un bien gros projet et ne semble pas, en somme, fort inquiétant. Cependant, à y regarder de près, on entrevoit, sous ce projet une préoccupation de médiocre aloi, celle de la préparation aux exa- mens, et une tendance alarmante à faire, sans qu'on s'en doute et sans qu'on le veuille assurément de la première année des études normales comme le prolongement et la répétition des études primaires. Cette préoccupation et cette tendance nous semblent égale- ment funestes, car, si elles s'accentuaient, elles n'iraient à rien de moins qu'à compromettre dans nos écoles normales la bonne disci- pline des études et des esprits. Et comme, d'autre part, nous sommes convaincu que les programmes actuels, pour peu qu'on y mette de bonne volonté et de savoir-faire, peuvent répondre à toutes les exigences du nouveau règlement des examens des brevets de capa- cité, nous sommes amené à considérer le projet de révision pro- posé comme inutile et comme dangereux. C'est cette opinion que nous voudrions soumettre aux lecteurs de la Revue, et, avant que la question soit définitivement tranchée, à ceux qui ont qualité pour la débattre et la résoudre.

I

Commençons par un aveu : nous n'avons pas la superstition des programmes; leur vertu ne nous a jamais inspiré qu'une confiance limitée. Avec u n excellent programme et l'on sait s'il est facile

CIRCULAIRE DU 30 AVRIL 513

de faire un excellent programme I un maître médiocre n'obtiendra jamais que des résultats médiocres; avec des programmes imparfaits un bon maître saura toujours se tirer d'affaire. C'est le professeui^ c'est la méthode, c'est Tintelligence des besoins des élèves et du but a atteindre qui font la valeur de renseignement. Quant aux programmes, ce sont lisières bonnes tout au plus à diriger des maîtres inexpérimentés, bonnes surtout à guider des candidats qui aspirent à conquérir un diplôme par les moyens faciles : avec elles, on n'ap- prend ni à marcher tout seul, ni à se conduire soi-même. Mais enfîn, puisqu'on a jugé bon, au moment l'enseignement des écoles normales était en voie de réorganisation et de renouvellement, de doter ces établissements de programmes d'études très complets et très détaillés, et puisque la plupart se félicitent d'être si bien pourvus, est-il sage de toucher a ces programmes alors qu'on a à peine eu le temps de les expérimenter? ou bien ne les réclamerait-on avec tant d'insistance que pour avoir le plaisir d'en médire et de les changer, oubliant que ce n'est pas en agitant un arbre à chaque heure du jour, qu'on l'aide à pousser des racines profondes et à porler des fruits ? 11 y a bien longtemps qu'on nous accuse d'être mobiles et inconstants; faut-il tant nous hâter de fournir un nouvel argument à ceux qui nous adressent ce reproche? Les programmes actuels datent de 1881; pour les remanier en 1885, il faudrait des raisons bien fortes et une nécessité clairement démontrée. Exami- nons donc si, dans le cas présent, cette nécessité existe, et si elle est aussi pressante qu'on semble le croire.

A en juger par les appréhensions qui se sont fait jour et que l'administration supérieure a accueillies avec sa bienveillance ordi- naire, on dirait que tout équilibre désormais va être rompu entre l'enseignement tel qu'il est actuellement donné dans les écoles nor- males, et les examens des brevets de capacité tels que les a réglés l'arrêté du :30 décembre i884; et l'on pourrait croire que nos écoles normales, si l'on n'y porte un prompt remède, deviendront prochai- nement impropres à préparera l'un et à l'autre brevet. Quelles sont donc ces exigences nouvelles auxquelles il serait impossible de faire face avec l'organisation actuelle des études normales, et quelles sont les réclamations que Ton formule? Pour le brevet supérieur, la con- naissance d'une langue vivante, anglais ou allemand, sera obliga- toire à partir de 1888, et l'on demande, non pas que l'enseignement des langues vivantes devienne obligatoire, ce qui va de soi et ne saurait souffrir de difficulté, mais qu'on donne à cet enseigne- ment une heure de plus que par le passé, soit sept heures par se- maine, au lieu de six. Au brevet élémentaire, les candidats auront à faire un exercice de composition française, qui pourra porter sur « l'explication d'un précepte de morale », et. a l'examen oral, ils auront à répondre à des questions sur « les notions les plus élémentaires des sciences physiques et naturelles dans leurs rapports avec Tagri*

REVUS PÉDAGOGIQUE 1885. l*' SEX. 33

514 REVUE PÉDAGOGIQUE

culture et Thorticullure » . Eo conséquence, on propose de rema- nier les programmes de psychologie et de morale, ceux de physique et ceux d'hisloire naturelle, de manière que la morale pratique soit enseignée en première année et que Ton puisse extraire des pro- grammes des sciences physiques et naturelles la matière d'un cours spécial qui serait fait dans cette même année. Et comme il faut trouver deux heures de plus pour ce cours spécial etpjur les langues vivantes, on les demande à l'écriture et à l'histoire.

Disons d'abord l'étonnement et l'inquiétude que nous éprouvons à voir pénétrer dans nos écoles normales cette préoccupation des exa- mens du brevet de capacité. Eh quoi I nos écoles normales seraient- elles donc destinées à devenir des maisons dont le principal objet se- rait do préparer à des examens et non plus de donnera ceux qui y passent trois années cette forte culture intellectuelle et professionnelle sans laquelle il n'y a pas de bons instituteurs, et à laquelle les titres de capacité viennent toujours s'ajouter par surcroît? Encore s'il ne s*aj;is<ait que du brevet supérieur, nous comprendrions jusqu'à un certain point ce souci de l'examen. Mais non: ce n'est pas le brevet supérieur qui est vi>é, puisqu'avec une heure do plus donnée aux langues vivantes, on croit pouvoir répondre du succès. C'est au brevet élémentaire au brevet élémentaire que Ton sait! qu'on songe surtout, et c'est pour cet intérêt d'ordre tout à fait inférieur et à peine défendable ([ue l'on propose de relondro des programmes et d'organiser un enseignement nouveau 1 Si celte préoccupation s'établissait dans nos écoles normales, il faudrait y prendre garde, car elle ne larderait pas à en changer le caractère, à y abaisser le niveau des éludes, et à les faire ressembler à ces éUibiissements de méchant ren m qui prépaient à d'autres eximiens. Aussi voulons- nous croire quii les appréhensions auxquelles nous faisons allusion ne sont que passagères et qu'elles disparaîtront devant un examen plus rétlochi de la situation. Que ceux qui ont pu concevoir de telles craintes se rassurent et qu'ils prennent une meilleure opinion deux- mêmes et de leurs élèves. Eux-mêmes ne sont-ils pas les meilleurs maîtres de l'enseignement primaire, et leurs élèves ne sont-ils pas entrés à l'école - normale à la suite d'un concours au moins aussi dillicile que l'examen du brevet élémentaire? Avant de se présenter à cet examen peu redoutable, ne vont-ils pas passer une année entière sous une discipline élevée et féconde? Sans suivre ser- vilemt nt les programmes du brevet, ne les côtoieront-ils pas sans cesse dans leurs études nouvelles et ne les dépasseront-ils pas sur beaucoup de points? Et c'est quand leur intelligence se sera afTermie» leur esprit étendu, leur culture générale accrue, qu'on redouterait de les voir échouer réussissent des candidats sortis des écoles primaires! Voilà une inquiétude que nous ne saurions partager. Les élèves-maîtres tieiment et tiendront toujours la tête parmi leurs concurrents du dehors et si, par hasard, il s'en trouvait quelqu'un

LA CIRCULAiriB DU 30 AVRIL 515

qui échouât à un tel exameu, et échouât deux fois de suite, il fau» drait s'en féliciter : on se serait trompé en TadmeUant à l'école.

Mais il faut serrer la question de plus près et voir ce que sont, au fond, les nouvelles épreuves (jui ont causé « une alarme si chaude ». Parlons d'abord de l'exercice do composition française qui pourra désormais porter sur * l'explication d'un précepte de morale ». Nous disons à dessein : qui pourra porter, car cette épreuve peut consister également en « une lettre, un récit d'un genre simple et dans Tex- plicalion d'un proverbe, d'une maxime ». On. voit que le choix ne manque pas et que les sujets de morale ne reviendront (ju'à leur tour, ce qui est di^à fuit pour rassurer. 11 n'y a d'ailleurs aucune nouveauté et il n'est pas sans exemple que, sous l'ancienne régle- mentation, on ait proposé de tels sujets aux candidats. Si l'on en doutait, on n'aurait qu'à consulter le relevé des textes donnés pen- dant ces quaire dernières années. Qui ne devine au surplus l'inten- tion toute bienveillante qui se cache sous la formule nouvelle? Le règlement de 1881 disait : les candidats feront « un exercice de composition française »: en énumérant et en précisant la nature des sujets qui pourront être donnés désormais, le nouveau règlement a voulu prémunir les maîtres et les élèves contre les vaines amplitica- tinns dont la banalité n'a d'égal que le vide et auxquelles on sacri- fiait encore trop volontiers dans certaines écoles. Pense-t-on qu'on va d-maiiderà ces candidats de quinze ou seize ans de traiter un sujft de haute morale ou de résoudre un des problèmes ardus que celte .science soulève? N'est-il pas évident, au contraire, que c'est une (luestion toute d»' bon sens, uiiî question de probité scolaire, pourrions-nous dire, qu'on va leur poser, et que ce qu'on attend d'eux, c'e^t de prouser ([ue, sur cette questi(jn, ils ont quelques idées justes et qu'ils sont capables de les exprimer corroctement en une pai*e ou deux*^ Kst-ce pour une telle épreuve qu'il serait nécessaire d'organiser une préj>aration spéciale à l'école normale? Oublie-t-on que ces notions élémentaires de morale, les élèves-maî- tres les ont reçues à l'école primaire? Oublie-t-r)n aussi que ces mêmes élèves ont écrit, lors du concours d'admission, une compo- tion sur celte matière, et que, s'ils ont été reçus, c'est qu'apparemment leur composition a été jugée suifisante? Oublie-t-on enfin que l'étude de la morale théorique les préparera, et au delà, à cette modeste épreuve, puisque Ton ne peut parler de morale théorique sans s'appuyer sur la morale pratique et sans conclure par elle?

Il n'y a donc, de ce côté, aucun péril en la demeure. Aussi, pénétrant plus avant dans la pensée de ceux qui réclament des modifications au plan d'études actuel, nous ne croyons pas nous tromper en disant que ce qu'ils souhaitent, au fond, c'est la révision d'un programme qu'ils jugent mal conçu. A leurs yeux, le prog amme de psychologie et de morale a le tort de placer, en première année, les parties lesplus délicates et les plus abstraites de cette science

516 RI VUE PÉDA60GIQDI

et ils déclarent que les élèves-maîtres, au moment lis entrent à recelé normale, sont mal préparés à recevoir un enseignement aussi élevé. A la bonne heure! C'est une question de méthode qui se pose et qui se peut discuter. Mais qu*on ne parle plus alors du brevet élémentaire! Cette question de méthode, notre incompétence nous interdit de la débattre. 11 nous sera bien permis de dire, cependant, que ce n'est pas sans de sérieux motifs que le Conseil supérieur a adopté Tordre que l'on critique, que la raison de cet ordre se discerne clairement, et que beaucoup de très bons esprits persistent à penser qu'à vouloir le renverser, on s'expose a deux dangers qui seraient, le premier, de dénaturer le caractère et par conséquent d'amoindrir la valeur de cet enseignement, le second, de recommencer sur de nouveaux frais, à l'école normale, ce qui a été fait déjà à l'école primaire. Que des professeurs d'école normale, encore peu familiarisés avec l'enseignement nouveau, aient, a leurs débuts, rencontré des difficultés sérieuses; qu'ils n'aient pas, du premier coup, trouvé la juste mesure; que, dans leur désir de bien faire, ils se soient crus appelés à enseigner la psychologie et la morale comme on l'enseigne dans les facultés, ou seulement dans les écoles normales supérieures d'enseignement primaire; qu'ils aient embarrassé leur esprit d'abord, et leur exposition ensuite, de théories compliquées, de formules abstraites, de définitions ambitieuses et de termes scientifiques; qu'ils se soient ainsi heurtés à des obstacles qui étaient bien plus en eux-mômes que dans leurs élèves : cela est possible et cela est fort excusable ; mais cela aussi a se corriger avec le temps, et nous aimons à croire qu'on est revenu aujourd'hui à une appréciation plus exacte de la réalité. Au surplus, s'il s'est rencontré des maîtres qui ne se sont pas mis tout de suite à la portée de leurs élèves, il en est d'autres qui, à force de simplicité, d'interrogations bien dirigées, d'appels discrets, mais réitérés, faits à la conscience et à l'observation intérieure, ont su rendre celte science accessible à leurs élèVes, et nous nous souvenons qu'ici même (1) une directrice d'école normale a prouvé, par son exemple, qu'avec de la sagacité et de la persévérance on pouvait, en cette matière délicate, obtenir des résultats satisfaisants. Ce n'est pas la première fois d'ailleurs que la question de la révision des programmes de psychologie et de morale se présente. Elle a été soumise, en 1883, au congrès des directeurs et professeurs d'école normale, et, si le vœu de la révision s'est retrouvé dans plusieurs « cahiers de doléances •, l'assemblée générale, éclairée par la discussion, n'a pas cru devoir le faire sien. Elle s'est bornée à demander que « les programmes de psychologie et de pédagogie, en première année, fussent fondus et ne formassent qu'un seul cours », ce qui n'est pas la même chose. Quant aux objections que font les partisans de la révision, les lec-

(1) Voir la Revue du 15 mai 1883.

LA CIRCULAIBK DU 30 AVRIL 517

leurs de la Reviie peuvent se rappeler qu*il y a été répondu avec beaucoup de force et une grande autorité par un homme compé- tent (1). Nous venons de relire celte réponse, et cette lecture n'est pas pour nous faire changer de sentiment et nous convaincre qu'il faille c commencer un syllogisme par la conclusion », ni pour nous faire accepter la perspective de voir les manuels en usage à Técole primaire reparaître à l'école normale.

II

Restent, pour la question du brevet élémentaire, les notions de sciences physiques et naturelles que l'on exigera désormais des candidats. Ici encore, nous demandons est la nécessité, pour une telle préparation, de remanier des programmes sur l'étendue desquels on peut penser ce qu'on voudra, mais qui ont au moins le mérite de faire corps et de se présenter dans un ordre logique; nous nous demandons surtout est la nécessité d'instituer un cours spécial, l'on enseignerait ces « notions les plus élémentaires »? S'ima- gine-t-on que les candidats venant du dehors auront sur ces matières des connaissances bien complètes, et que, sur ce point encore, ce ne seront pas les élèves de l'école normale qui fixeront le niveau de l'examen? Ne trouve-t-on pas do quoi se rassurer dans les termes mêmes du règlement, et faut-il expliquer ce que l'on doit entendre par les « notions les plus élémentaires »? Ne sait-on pas, par avance, à quoi se réduiront les questions qu'on posera à l'examen oral et les réponses dont on se déclarera satisfait? Sans doute, il vaudrait mieux que les candidats au brevet élémentaire fussent bien préparés sur ces matières, car on ne saurait trop savoir, pour enseigner un peu. Mais, lorsqu'ils se présenteront à cet exa- men, les élèves-maîtres n'auront pas terminé leurs études, et ce qu'ils ne sauront qu'imparfaitement alors, ils le sauront bien a la sortie de l'école normale ; n'est-ce pas tout le nécessaire? Rappelons d'ailleurs que cet enseignement fait partie des pro- grammes des écoles primaires, et demandons de nouveau si, par cette voie encore, on entend faire des études normales le recom- mencement de l'enseignement élémentaire? Au reste, si Ion juge qu'il soit imprudent d'envoyer à l'examen des candidats dont iin- struction n'aurait pas été vérifiée sur ce point, ne suffîra-t-il pas, on le trouvera utile, d'organiser, en première année, non pas un cours qui entraînerait la refonte des programmes, mais des interro- gations, quelques causeries familières dans lesquelles le professeur de sciimces rectifierait et compléterait au besoin les connaissances acquises à l'école primaire? Qui donc songerait à blâmer le direc- teur d'une école normale qui prendrait une telle précaution? ^'est-

(1) Voir, dans la Revue du 15 mars 1883, l'article de M. Hérelle.

ce fAh Ainsi qij'âî^îi .'iu ;>^re •!«: fàmiie qai se propose de présenter un de «fr« eufiuius a l'examen di brcTe;? Dix on douze de ees «nlretkai feriieut auUot qc'tl en iaudrait poor munir les eao-iidats, et no'j-ï n'ftumns pa» le rej?ret de v«^r IVnseiâmement seientifique, déjà >i dtHorbiTit a l'éeoie normale, s'auomeater d'an cours ré^o- lier, a^ec mpû «rortêge oUîgé de leçons et de deToirs. On se plaint et n /fjs fieriv ns qu'on a rais^'^n que le* programmes de sciences v>nt irop tojfrus: on dem^mde qu'on les t-la^'ue. qu'on y fasse pénétrer plus dVr et plui de lumière, et «r'esl quand on s'est répandu en plair.les contre la dirficullé d'étudier utilement un tel programme que l'on pn^pos^- d'établir un nouveau cours et un cours inutile!

Apres ce qui Vi'ent d'être dit, nous nous croyons en droit de con- clure que leii appréhendions qui se sont manifestées au sujet du brevet élémentaire ne sont pas fondées, et qu'en donnant satisfaction aux réclamfi lions qui se sont produites on entrerait dans cette Toie très facheu.se de sacrifier les études normales à un intérêt absolu- ment négligeable. Voyons maintenant si les craintes qu'a fait naître le brevet suf>érieur sont mieux justifiées, et si le remède proposé aurait quelque efTicacilé.

m

O. remède rst Lien simple : qu'on donne une heure de plus à réludc des Inn^nes vivantes, en première année, et on se tiendra pour satisfait. On ne saurait être moins exigeant. Néanmoins nous trouvons qu'on l'est encore trop ou qu'on l'est trop peu. Sur l'enseignement des langues étrangères dans les écoles norma?es et sur le caractère obligatoire que le règlement de 18^i a donné à Tépreuve d'allemand ou d'anglais, nous aurions beaucoup à dire. Mais le procès que nous pourrions faire, nous neTcntamerons pas aujourd'hui, carnous serions trop sûr de le perdre, malgré les bonnes raisons que nous aurions à Taire valoir au cours de notre plaidoyer. Nous aurions mauvaise griïce d'ailleurs à parler de la révision d'un règlement qui date de lK8i, quand nous défendons celui de 1881. Laissons donc à l'avenir le soin de décider si l'on n'a pas cédé à une généreuse illusion en cspf'rant que la connaissance des langues étrangères, si désirable qu'elle soit, pourrait se répandre par les écoles primaires et par les écoles nfirmalcs, et si les six ou sept heures que nos élèves-maîtres vont désormais consacrer à l'étude de ces langues, dont ils n'auront Jamais qu'une connaissance insuffisante et bien vite oubliée, ne seraient pas mieux employées à l'étude delà langue et de la littérature française qu'ils ne connaissent encore que de si loin, hélas! lors- qu'ils quittent l'école normale. Mais, sans toucher au fond de la (|uestion, il nous sera bien permis de nous demander, dans Tintérét do notre discussion, non pas quels résultats l'easeignomenl facultatif

LA CIRCULAIRE DU 30 AVRIL 519

des langues vivantes a produits jusqu'à ce jour dans nos écoles nor- males, — la réponse serait trop certaine et trop décourageante, mais quels résultats on en peut légitimement attendre, mainte- nant qu'il va devenir obligatoire. Ce qu'on en peut légitimement attendre, le voici: nos élèves-maîtres étudieront l'allemand ou l'an- glais avec toute la docilité qu'ils mettent à leurs autres études; après trois ans d'efforts laborieux, à raison de cinq heures en moyenne par semaine, dans chaque année cause des devoirs et des leçons), ils sauront passablement les éléments de la grammaire et feront péni- blement un thème et une version faciles. Ne leur demandez rien de plus et surtout ne vous informez pas de ce que Ips neuf dixièmes d'entre eux auront conservé de cette science imparfaite au bout de quelques années. Si Ton nous accusait de pessimisme, nous rappel- lerions ce qui se passe dans renseignement secondaire où, il n'y a pas longtemps, c'était hier, on ne croyait pas pouvoir enseigner une langue vivante dans nos lycées à moins de trente heures par semaine. Aujourd'hui, il est vrai, on se contente de vingt-cinq heures : mais nous voilà encore bien loin de compte avec ce qu'on peut consa- rer de temps à cette étude dans les écoles normales. Aussi qu'on donne sept hpuros aux langues vivantes ou qu'on leur en laisse six, il n'en sera ni plus ni moins. Nous nous trompons, les élèves de première année auront chaque semaine deux ou trois heures de moins à consacrer à des études plus pressantes. Nous sommes trop loin du but pour que cette heure supplémentaire nous en rapproche sensiblement et nous ne partagerons jamais l'opinion de ceux qui croient que tout sera compromis si l'on continue à ne consacrer que six heures aux langues vivantes, et que tout sera sauvé si l'on , consent à leur en accorder sept.

IV

Au demeurant, nous prendrions encore aisément notre parti de celte surcharge inutile, si, pour trouver les deux heures que l'on se propose de partager entre les langues étrangères et les notions de sciences physiques et naturelles, on n'en prenait pis une à l'écriture et une autre à l'histoire. De l'écriture, nous ne dirons rien, sinon que le temps n'est pas encore bien éloigné où, dans les écoles nor- males et dans les réunions pédagogiques, on se plaignait, non sans quelque amertume, du discrédit immérité dans lequel tombait de plus en plus cette partie modeste, mais fondamentale, de l'ensei- gnement primaire. Ce qu'on pense aujourd'hui sur ce sujet dans le personnel enseignant, nous ne le savons pas au juste; mais, nous rappelant que le règlement de 18G6 accordait dix heures à cet ensei- gnement, tandis que le règlement de 1881 ne lui en a réservé que quatre, nous demandons grâce pour ce peu qu'on lui a laissé et qui nous parait le strict nécessaire, li portion congrue. Quant à l'histoire,

O30 BEVUE PÉDAGOGIQUE

notre résistance sera plus énergique, car nous consiilérerions comme une grave erreur pédagoprique, quand le programme à parcourir en première année s'étend de nos origines à nos jours, qu'on lui enle- vât une partie du temps qui lui est actuellement consacré. Ah ! certes, si Thistoire, à Técole normale, ne doit être qu'une vaine et aride nomenclature de faits, de dates et de noms, si elle ne cesse pas d'être descriptive et narrative pour entrer dans Texplication des événements, si elle ne fait qu'effleurer les questions sans pénétrer au vif de son sujet, si elle ne s'applique pas à la recherche des causes et ne montre pas l'enchaînement des effets avec ces causes, si elle n'est qu'un tableau froid et inanimé de nos efforts, de nos souffrances, de nos luttes, de nos progrès, si elle n'est pas une école de patrio- tisme et de morale, si elle n'est pas Tauxiliaire le plus utile de tout l'enseignement littéraire et l'instrument le plus puissant de la culture intellectuelle, si, parmi tous les enseignements qui sont donnés à l'école normale, ce n'est pas celui de l'histoire qui peut le plus, surtout en première année, pour inspirer aux élèves le goût de la lecture, pour éclairer leur intelligence et échauffer leur cœur, si l'histoire n'est pas tout cela ou ne peut pas tout cela, qu'on nous ramène à l'école primaire et à ses manuels! Ce n'est assez de lui ôter une heure : c'est une seule heure qu'il faut lui laisser, car cette heure unique suffira bien à cette tâche médiocre de revoir les programmes de l'écule primaire, et, puisqu'on se préoccupe tant des examens du brevet élémentaire, elle suffira bien aussi pour y conduire et y faire briller nos élèves î

Nous ne voulons pas insister davantage aujourd'hui. Si, comme nous l'espérons bien, le corps enseignant primaire consulté résiste à la tentation stérile de toujours changer, et si le Conseil supérieur estime qu'il n'y a pas lieu de modifier les programmes de 1881, nous essaierons, dans un autre article, de montrer comment un ensei- gnement historique, donné comme nous rentCâidons. peut facilement et utilement rempUr, en première année, les quatre heures qui lui sont accordées.

E. Jacoilet.

L'ECOLE PRIMÂIBE AU SALON DE 1885

Nous avons connu le temps pas très éloigné, la peinture n'entrait guère dans l'école que pour l'égayer, nous faire rire au dépens d'icelle. En a-t-on immolé à notre raillerie de ces roagis- ters outrés et ridicules ! En a-t-on exhibé de ces écoliers en rupture de ban, singes du maître, exécuteurs de charges au tableau noir sur les murs et jusque sur les parois de la chaire ! Tœpffer, le cher et digne maître, nous a-t-il assez livré son a Monsieur Pet-de-Loup, homme sévère, mais juste ! » Et nous, avons-nous assez battu des mains à Tœpffer !

Les temps ou plutôt les hommes et les choses ont changé. Les peintres ne se détournent pas de Técole, jamais ils ne l'ont tant fréquentée, mais ils l'envisagent par le côlésérieux. Ils en tracent une image deux fois aimable, puisqu'elle est sympa- thique et vraie. Bref, l'idée scolaire se relève dans le monde des arts de la même hauteur que dans le monde des faits.

Les sept ou huit toiles qui, au salon de 1888, représentent des scènes d'écolier, nous ont frappé par ce caractère de digniié qui leur est commun, par ce je ne sais quoi qui invile le regard, captive la pensée et la renvoie satisfaite.

Ce sont d'abord deux scènes de bataillons scolaires. L'une, par M. Frère, est intitulée le Bivouac et se passe en province. Le bataillon a mis les armes en faisceaux, rompu les rangs, et goûte sur l'herbe un peu trop verte, peul-ôtre un repos mérité. Il y a au second plan un gaillard, très agile et très pratique, qui apporte en courant une miche de pain des plu» appétissantes: il fera son chemin dans l'intendance, ce gnrçon-là.

M. Geoffroy a pris le sujet d'un point de vue plus élevé. Pour la France ! est le titre de sa toile. Elle représente le délilé des bataillons scolaires de Paris, sur la place de l'Hôtel- de- Ville, le 14 juillet. Au son des tambours qui battent aux champs, dos fifres qui percent l'oreille, sous le regard des^ ff pantalons rouges ï) alignés sur la gauche, ils marchent droit sur nous, ils vont sortir du cadre, les petits soldats. La lîèrc^

/S:22 REM7E PÉDAGOGIQUE

tournure sous la vareuse et le béret de laine bleue! Leurs pieds marquent la cadence, leurs coudes se touchent, leurs épaules sont à l'alignoment. Malheur à qui s'en écarte : certain caporal, grognard imberbe, qui sait rélTcl' d'une crosse de fusil bien placée, nous les y fait rentrer. Le porte-drapeau est beau à voir. Grand, svelte, bien découplé, œil brillant, ligure intel- ligente, il porte bien ses galons de sergent-major ; les trois couleurs sont en bonne main.

Et nous, pendant le défilé, redisons les jolies strophes de M. Chantavoiue ; elles expriment toute la poésie du sujet :

Nous sommes les pelits enfants Nous sonimf^s les petits sold.Us

De la vieille mère patrie; Du bataillon de l'Espérance,

Nous lui donnerons dons dix ans Nous exerçons nos petits bras

Une jeune armée nguerrie. A venger Thonneur de la France.

Et Bara, le petit tambour, Dont on nous a conté l'histoire, En attendant, bat chaque jour Le rappel dans notre mémoire.

Le même M. Geoffroy, un de nos amis décidément, nous conduit à l'école maternelle. C'est dans le vestibule, en plein lavabo. Les bambins accourent, dans un piLloresqiie désordre, vers l'ablution hygiénique et obligatoire. Accourent? pas tous, 11 y a lii un citoyen nerveux ou lymphatique qui redoute le contact de l'eau, et la jeune fille blonde préposée aux ébats de ces jeunes canards dépense pour le décider des trésors de persuasion. Un gros réjoui le nargue de loin. Une petite fille int».Troge avec anxiété la paume de ses mains pour voir si certaine tache d'encre compliquée de confiture commence à disparaître. Tout cela, pris sur nature, est finement observé et vivement enlevé. Deux notes graves sur ce fond joyeux : c'est d'une part la direcirice, digne et sérieuse dans sa robe noire; c'est de l'autre celte inscription sur la muraille : a Aimons-nous les uns les autres. ï> L'école maternelle est dans toute sa réalité.

A ce tableau nous rattacherons volontiers celui de M. Paul Delange : Un banc dans le jardin de Vasile pour l'enfance à SatnhValery, On y voit les sœurs de Saint- Vincent de Paul

L*ÉCOLE PRIMAIRE AU SALON DE 1885 523

dans leurs blanches corneltes s'empresser autour des nourrissons dont elles enveloppent de langes blancs et frais les membres délicats : mais c'est une scène plutôt hospitalière que scolaire.

Une leçon de dessin dans une école de plies à Paris nous replace en plein monde écolier. Le sujet est plus ingrat que les précé" dents à cause de la disposition parallèle et symétrique des gradins en amphithéâtre: l'artiste s*est interdit les groupes, par conséquent la variété. Sa peinture exacte et ingénieuse serre de près le côté technique des choses. Assises devant une rosace en plâtre biea connue des aspirantes, des jeunes iilles « très appliquées » s'étudient à reproduire le modèle « très compli- qué ». La maîtresse passe dans les rangs et semble dire : « Piochez, mesdemoiselles. Vous serez reçues au brevet supé- rieur, œ qui vous fera .beaucoup de plaisir, et à moi beaucoup d'honneur. »

Leçon de coupe et de couture à l'école de la rue Tombe-IssoirCy par M. Truphème. Elle est intéressante, cette petite toile, par le goût et la vérité des détails. Une bambine, montée sur une chaise, est bien en vue de toute la classe : c'est le patient. Une des grandes prend sur elle mesure d'un patron : c'est l'opéra- trice. Une troisième inscrit les dimensions au tableau noir ; c'est le secrétaire. En vedette sur la chaise comme un pilote sur son banc, la maîtresse surveille et dirige. Dans tous les coins, des groupes de travailleuses aux doigts agiles. Au centre, en pleine lumière, des mains armées de ciseaux découpent le calicot et la toile. « 0 sainte mousseline ! 0 doigts de fée! » diraient Sardou et Legouvé.

I^ foule s'arrête volontiers devant ces toiles et les couvre d'un regard approbateur. C'est justice. L'art ne crée pas le sen- timent public : il s'en inspire et s'en empare, mais en retour il l'épure, l'agrandit et le perfectionne. On le voit bien dans cette manière nouvelle de concevoir les choses scolaires. Elle est peut-être moins amusante que l'ancicmie, elle est plus digne, plus instructive et plus vraie. Souhaitons-lui le succès et la

durée.

G. D.

LE LIVRE DES SYMBOLES ET EMBLÈMES

DE JOACHIM CAMERARIUS

Symbolorum et Emblematum Centuriœ quatuor. In-12,

Mnyence, 1668 (avec vignettes).

C'est un ouvrage bien curieux au point de vue de l'histoire naturelle, comme à celui de la pédagogie, que ce volume illus- tré, acquis récemment par la Bibliothèque centrale de l'ensei- gnement primaire. L'auteur est un des membres de cette famille des Camerarius, qui a produit tant d'hommes distingués dans les lettres, la médecine, la théologie. Fils du célèbre humaniste ami de Mélanchthon, il naquit à Nuremberg en 1£{34 et mourut dans celte ville en 1598.

Après avoir étudié la théologie sous Mélanchthon et la méde- cine sous Jean Craton, il prit son grade de docteur en médecine à Bologne et revint exercer l'art thérapeutique dans sa ville natale. Joachim Camérarius ne se laissa pas absorber par sa clientèle, qui était pourtant nombreuse et compta même plu- sieurs princes; il entreprit une collection de plantes médici- nales, forma un jardin botanique Ton voyait les plantes les plus rares, et contribua à la fondation de l'Académie de médecine de Nuremberg. Enfin, non content d'avoir travaillé au soulagement de l'humanité souffrante, il voulut encore faire profiter la postérité de ses études et publia plusieurs ouvrages sur les plantes, sur l'agriculture, sur les préservatifs contre la peste et l'hygiène en temps d'épidémie, livres qui lui assurent un rang éminent parmi les botanistes et les hygiénistes. Hais par son livre des Symboles et EmblèmeSy il mériterait aussi une place d'honneur parmi les moralistes.

En effet, cet ouvrage, divisé en quatre centuries, c'est-à-diro séries de cent figures, n'offre pas seulement la description et les propriétés des plantes, dés quadrupèdes, des volatiles et insectes, des amphibies et reptiles les plus curieux. Il donne, en outre, comme le titre l'indique, à propos de ces types

LK LIVRE DIS SYBIBOLES ET EMBLÈMES DE GAMERÀRIDS 525

empruntés au règoe végétal et au règne animal, des leçons de choses et des préceptes moraux ou proverbes, d'une valeur plus durable que ses notions d'histoire naturelle en partie erronées ou dépassées. Nous voudrions en donner une idée aux lecteurs de la Revue t on décrivant quelques-uns de ces emblèmes.

La figure 3i de la première centurie représente un orme mort qui soutient une vigne luxuriante. C'est le symbole de Tamitié qui doit survivre à tous les accidoits de la fortune, même à la mort. Les vrais amis, dit Camerarius, sont ceux qui restent iidèles malgré l'adversité, malgré le temps écoulé, ou la dis- tance qui nous sépare. On ne pouvait trouver de plus gracieuse image. Le numéro 43 de la même centurie n'est pas moins curieux; il ligure une pomme de pin tenue par une main, avec cette devise : Nisi fregeris haxid licet esse (Si tu ne me brises, tu ne pourras me manger). C'est l'image de la vertu. De même que l'écorce de la pomme de pin est rude et piquante et qu'il faut l'enlever pour trouver Tamande douce et salutaire, ainsi c'est seulement au prix de bien des peines et des épreuves que l'homme parvient à la sagesse, et nous ajouterons à la science.

La deuxième centurie, consacrée aux quadrupèdes, nous offre une image un peu réaliste, mais bien expressive dans son genre. (]'est un porc couché sur le dos et auquel on a déjà enfoncé un couteau dans la gorge, avec cette devise : Ilaud aliter pro- dest (Autrement il ne sert pas). Le porc, dans la symbolique de l'Eglise, était l'emblème de la luxure, des voluptés de la chair; et on sait le rôle que joue cet animal dans la légende de la tentation de saint Antoine. Camerarius est plus hardi, il en fait l'emblème de Tavarice ; en effet, « comme chez le porc, ce que l'avare possède ne sert à personne de son vivant ». Espérons que les élèves de l'ingénieux médecin de Nuremberg n'étaient pas tentés d'appliquer la leçon à leurs clients trop parcimonieux.

La troisième centurie, celle des oiseaux, est riche en leçons morales ; en effet, quelle espèce est plus propre que les habi- tants de Tair à frapper l'imagination 1 Le péhcan, nourrissant ses petits de son propre sang, la cigogne soutenant de son aile son père ou sa mère fatigués par l'âge, servent tout natu- rellement de thème aux préceptes de lamour paternel et de la piété filiale. Nous pourrions encore citer le coq, symbole de la

Sis UVDZ PtDAGOGIQEE

ËnÛQ, bien qu'il ne te cile pas, Camerarius a connaître l'ouvrage de Jean Sambuc, méJecia bongrois, sur les Emblèmes el les monnaies, publié à Anvers la même anuée (|ue le livre d'André Juaius el qui se trojve souvent relié avec ce dernier.

Eu somme, Juacliim Camerarius, s'il n'a pas eu le mérile d'inventer le geare littéraire des lectures morales tirées de l'bistoire uaturelle, aeu le laleuL de le développer singulièrement el d'y introduire uq classement méthodique. Par sod livra des Symboles et Emblèmes, il a frayé la voie à Comenius, ut peul-Èlre lui a-t-il suggéré l'idée de son célèbre ouvrage, VOrbis pictus.

G, Bonet-Maurï.

SUR LES NOTICES CONFIDENTIELLES

Monsieur lk Rédacteur,

La Revue pédagogique a souvent fait appel à des communications de la part de ses lecteurs; elle s'est offerte à ouvrir le débat sur les points qui lui seraient signalés comme intéressant Topinion publique.

Serait-elle disposée à mettre à l'étude non dans ses généralités, mais sous la forme pratique, la seule qui soit intéressante la question des c notes (Tinspection « et des c notices dites confidentiel' les » sur le personnel de renseignement primaire à tous les déparés ?

La question se poserait ainsi : Ne serait-il pas possible de conser- ver à l'inspection toute son efficacité en supprimant ce qu'il y a de pénible et pour l'inspecteur et pour l'inspecté dans la confection, la transmission et la conservation toujours en secret de ces « notices confidentielles »?

Vous êtes instituteur ; l'inspecteur primaire se présente, examine votre classe, vous donne quelques conseils, dit quelques mots aimables aux enfants, à vous-même peut-être, et puis il s'en vn, emportant avec lui le secret de ies impressions. 11 va les écrire, les consigner en un rapport que vous ne verrez pas; l'inspecteur d'aca- démie ou son secrétaire le lira, en fera, peut-être, des extraits qui, en tout ou en partie, iront prendre place dans votre dossier que vous ne verrez pas davantage.

Vous êtes inspecteur primaire : vous savez que le recteur, que vous n'avez peut-être vu qu'une fois ou deux, en visite officielle, est appelé à remplir chaque année une feuille de renseignemen ts con- fidentiels qui s'en va à Paris grossir votre dossier. L'inspecteur gé- néral arrive: il a, lui aussi, une feuille semblable à remplir et à envoyer à la même adresse. Que disent de vous et comment vous dépeignent ces feuilles qui, peu à peu, constituent votre portrait au ministère? Vous le devinez quelquefois, vous ne le savez jamais bien.

De bons esprits se sont demandé à plusieurs reprises si vraiment il ne serait pas possible et équitable qu'à tous les degrés de l'échelle, instituteur, inspecteur primaire, professeur ou économe, celui qui est l'objet d'une inspection officielle en reçût une attes- tation officielle aussi.

Quel inconvénient y aurait-il à ce que chaque école conservât dans ses archives un registre qui contiendrait on quelque sorte les prin- cipaux faits de son histoire, une sorte de livre d'or s'inscrirait

RBfUi rtDAOOGiQUi 1885. !•' gu. 34

o30 RIYUK PÉDA60GIQUK

année après année le résumé des rapports d'inspection dont Técolc a été l'objet ? L'inspecteur primaire enverrait son rapport à Tin- specteur d'académie. Celui-ci, au lieu de le mettre au carton, en ferait faire copie, extrait ou résumé, suivant les cas, et l'enverrait à l'instituteur, qui serait tenu de le reporter sur le registre de récole. A qui cela pourrait-il nuire ou déplaire ? Ce n'est assuré- ment pas à l'inspecteur auteur du rapport : il sera le premier à se féliciter de cette sanction nouvelle donnée à ses appréciations.

A son tour l'inspecteur primaire ne pourrait-il pas, à la suite de rinspcction générale, ou de la visite du recteur, recevoir du ministère communication des notes envoyées à son sujet?

Chaque fonctionnaire se trouverait ainsi avoir dans ses niaîns le double de son dossier, j'entends de la partie communicable de son dossier. Ce serait une garantie pour lui dans le cas oii l'adminis- Irdtion se tromperait à son sujet, l'oublierait, méconnaîtrait ses mérites ; ce serait aussi une garantie pour l'administration, puis- qu'il n'aurait pas à prétexter ignorance du motif des mesures qui pourraient l'atteindre : il serait en quelque sorte toujours averti et toujours tenu au courant de sa vraie position. serait le danger?

J'ai ouï dire parfois que si les rapports étaient communiqués aux intéressés, ils ne contiendraient plus rien. Je ne puis le croire, ne pouvant le comprendre. De deux choses Tune : ou mon dossier ne contient que des appréciations dont l'auteur accepte la responsabilité, ou il en contient d'autres qu'il ose écrire, mais qu'il n'oserait pas soutenir en ma présence. *

Mais il y a telle critique délicate, telle appréciation sur le carac- tère, par exemple, que l'inspecteur doit à l'administration et qu'il n'est pas bon de communiquer brutalement à l'intéressé.

Distinguons : l'administration ne doit pas compte aux fonction- naires ou aux candidats de tous ses motifs de préférence dans les questions qui sont de pure appréciation, de choix ou même de faveur. Entre deux inspecteurs primaires, l'administration estime que celui-ci convient mieux que celui-là à telle résidence par des raisons d'âge, de caractère, d'origine, de famille, etc.; entre deux candidats à une chaire ou à une direction d'école, tous deux remplissant les conditions requises, l'un paraît présenter plus de garanties d'aptitude, plus de chances de succès, plus de titres que l'autre. On comprend qu'il soit impossible d'exiger que l'administra- tion justifie, démontre par a -f- b la justesse de cette appréciation, pas plus qu'on ne peut demander, dans un concours, aux examina- teurs de prouver que la copie classée la première est réellement supérieure à la seconde.

Que l'on se refuse à communiquer des rapports, des lettres, des propositions de cette nature, tout le monde le comprend; aussi n'est-ce pas de cela qu'il s'agit. H ne s'agit que du dossier régulier, du dossier réduit a ses éléments réglementaires, du dossier toi que

SUR LES NOTICES CONFIDENTIELLES o3

le ministre ou le préfet pourrait et devrait le produire en cas de contestation grave, pour répondre à une interpellalion par exemple. Ce qui est au dossier, c'est ce qui e^it connu non seulement du ministre, mais des bureaux du ministère ou, s'il s'agit des instituteurs, des bureaux de la préfecture et de l'académie. Or, est-il juste que tous mes chefs et leur entourage aient constamment sous les yeux et à leur disposition des notes que je serai seul à ignorer, des témoi- gnages qui peuvent m'accabler à mon insu, des allégations que je ne soupçonne pas et que j'aurais peut-être aisément réfutées ou recti- fiées si j'en eusse été informé à leoips? Songez donc qu'il suffît d'une de ces pièces que j'ignore, d'une seule de ces notes d'inspection, pour qu'on me Toppose encore ou qu'on la retourne contre moi victorieusement dans dix, dans quinze ans peut-être, car c'est le propre des administi-çitions d'avoir la mémoire longue, le dossier aidant.

Je n'insiste pas; je ne demande à la Revuf> que d'inviter les inté- ressés à exprimer librement leurs opinions sur la possibilité de per- fectionner à cet égard notre système d'inspection et de notes d'in- spection. On ne saurait faire trop d'efforts pour le mettre en harmonie complète avec l'esprit de franchise, avec les habitudes d'administration à ciel ouvert qui seules conviennent à la démo- cratie.

Veuillez agréer, etc.

in ancien inspecteur primaire.

Nous publierons avec plaisir les communications qui pourraient nous être adressées relativement à la question soulevée par notre honorable correspondant. La Rédaction.

LES LITTÉRATURES ANCIENNES

ET LES ÉLÈVES DES ECOLES NORMALES PRIMAIRES

Nous allons toucher à une question bien délicate, nous pou- vons craindre d'avoir contre nous tout à la fois ceux qui ont le culte des lettres anciennes, les humanisleSy et ceux qui appré- cient surtout la connaissance des choses réelles, et demandeot rinstruction pratique, les réalistes ou utilitaires. Nous n'hésite- rons pas cependant à diro toute notre pensée, sur une question qui nous a souvent préoccupé dans une pratique déjà longue de renseignement primaire. Notre opinion ne vient point d*uu engouement passager, mais elle est mûrement réfléchie, et l'ex- périence qui se fait de nos jours d'un enseignement de plus en plus scientifique n'est propre qu'à la fortifier. L'éducation la meilleure est celle qui suscite et développe les forces de l'esprit et non celle qui se borne à le charger d'un bagage encombrant. Il faut, pensons-nous, cultiver avant d^instruire, ou plutôt les deux choses doivent se l'aire simultanément : or, rien ne donne mieux cette culture générale dis facultés que l'étude des lettres,. et surtout des lettres anciennes.

En celte matiùre, nous pourrions invof(uer aussi l'exemple- de rAllemagne, des États-Unis, de l'Angloterre et en particulier de l'Écossc, l'on ne rencontre pas entre renseignement primaire et l'enseignement secondaire la démarcation bien tranchée qui existe chez nous, surtout pour la partie littéraire. On ne regarde pas, en ces divers pays, l'étude des langues anciennes comme spéciale au gymnase ou ail collège, et l'instituteur est souvent undergraduate d'une université. Il prépare quelquefois ses meil- leurs élèves à entrer de plain -pied dans les classes d'humanités, et rÉcosse compte bon nombre d'hommes distingués qui doi- vent lejr haute position dans la science ou dans l'administration aux études classiques faites à l'école de leur village.

En France, au contraire, l'instruction primaire est toute réale^ .et nos instituteurs ont trop souvent appris à l'école normale à dédaigner les éludes patientes qui ont pour objet les lettres, et

LES LITTÉBATUHES ANCIENNES 53^)

-surtout les lettres anciennes. Comme le bonhomme Jeaimot, dans le conte de Voltaire, ils trouvent ^u'il est inutile d'apprendre 'le latin, puisqu'on ne joue la comédie et l'opéra qu'en français, absolument comme, il y a quelques années, on disait que l'étude de la géographie n'était pas nécessaire pour connaître les che- mins de notre pays.

Lorsqu'il a été question, en décembre 1880, de reprendre les dispositions de la loi du 28 juin 1833 et d'établir deux degrés dans les diplômes d'instituteur primaire, on fut unanime à reconnaître la nécessité d'élever, soui le rapport littéraire, l'examen du brevet supérieur. On vit bien qu'à cet égard le règlement du 2 juillet 1866 présentait une lacune regrettable qu'il importait de combler. Des maîtres qui étudiaient les sciences à un degré assez avancé ne devaient pas ignorer les grandes œuvres littéraires à qui nous devons la meilleure partie de notre gloire nationale et notre influence dans le monde civilisé. On décida donc (règlement du 5 janvier 1881) qu'il y aurait désor- mais une composition comprenant une ou plusieurs questions sur la langue et la littérature, et que l'épreuve orale consisterait dans la lecture expliquée d*un auteur classique avec des notions ii'hisloire littéraire.

Les humanistes, qui regardent l'étude des lettres comme la meilleure discipline de l'esprit, applaudirent à cette mesure, mais beaucoup ne se tinrent pas pour satisfaits. Ils regrettaient que les candidats ne dussent pas, comme cela se faisait déjà à Paris pour le brevet de premier ordre des filles, connaître aussi les grands écrivains et les chefs-d'œuvre des littératures grecque et latine. Vous exigez, disaient-ils non sans raison, que les maîtres primaires du degré supérieur sachent les principaux faits de l'histoire ancienne, qu'ils n'ignorent pas les actions de Ramsès le Grand, de Cyrus, de Miltiade, d'Alexandre, de Scipion, d'Auguste, etc., et vous admettez qu'ils ne sachent pas qu'il a existé des génies comme Homère, Pindare, Sophocle, Platon, Virgile, Horace, Tacite, dont les chefs-d'œuvre font, depuis des siècles, ^admiration du monde civilisé! N'est-ce pas pourtant de ces chefs-d'œuvre que s'inspirent les littératures modernes? ne sont- ils pas les flambeaux que l'humanité se passe de main en main dans sa route à travers les siècles ?

S3i ASVUE PâOA«OitlOUI

f Nus pensées soiit née» des pensées de nos devanciers. Sup- posez que nous rayions.de notre cerveau toutes ies pensées que nous devons aux anciens, nous serons elTrayés du peu qui nous restera. L'humanité a beau vouloir parfois se séparer en plusieurs parties, et en plusieurs âges, dont le second ne devrait rien au premier, ni le troisièmeau second; cela est impossible. L'humanité fait corps; c'est un seul et même homme qui tra- verse plusieurs âges, et les pensées de son âge nmr naissent des pensées de sa jeunesse. Olez à l'homme sa mémoire qui lui sert de lien enti*e toutes ses penées; faites qu'à trente, ans il soit tenu de quitter ses pensées do la veille, et de recommencer sur nouveaux frais; il n'y a plus d'homme, il n'y a plus que trois ou quatre enfants, puisqu'à chaque nouvel âge l'horame redevient enfant. Otez à l'humanité l'élude de l'anliquilé, ôtez- lui ce lien entre les pepsécs des différents siècles; il n'y a plus d'humanité, il n'y a plus d'éducation continue, puisque chaque siècle est forcé de recommencer sa provision d'idées et que le travail des pères est perdu pour les .enfants (1). »

Ces considérations sont justes, répondaient les réalistes; mais comment, avec des progiamines aussi chargés pour l'his- toire et pour les sciences, trouver du temps dans les écoles^ normales pour une étude, qui ne fût pas trop insuffisante, des classi(|ue8 grecs et latins? Les aspirants au brevet supérieur ne pourront qu'étudier de courtes notices dans un abrégé d'histoire littéraire, et n'acquerront que des connaissances superficielles qui sortiront de leur mémoire après l'examen. Cela leur suffira peut- élre pour vouloir en parler, et ils révéleront leur ignorance en voulant faire étalage de leur courte érudition. i\e sera-ce pas se rendre coupable de profanation que de sortir du sanctuaire les œuvres des grands génies de l'antirpiité pour les produire au milieu d'une foule indifférente, beaucoup trop pressée pour pou- voir en prendre connaissance ?

, Les amis des lettres ne se tenaient pas pour battus. Il ne s'a- gissait pas, dans leur pensée, d'obtenir des candidats au brevet su- périeur une étude approfondie, minutieuse des grands écrivains

(1) Saint-Marc Girardin, De VimtrucUon intermédiaire dana ïr midi de Altcmagney p. 108. Paris, Levraull, 1835.

LES UTTÉJIATUE£S ANCIENNES S35

classiques, on n'y peul arriver qu'aprèn cinq ou six ans d'étu- des» — mais bien d'attirer Taltention sur les grands génies qui, en reparaissanl au xvi° siècle, ont produit Tépoque de la Ren^'s- sance et ont inspiré nos immortels écrivains du xvii« siècle.

Ne peut-on espérer d'intéresser les élèves des écoles normales par la lecture d'une bonne traduction d'un chant de l'Iliade ou de l'Odyssée, d'un discours de Cicéron, ou d'une page de Tacite? £st-il plus malaisé de sentir le charme des anciens que de goûter les beautés de nos classiques nationaux.

Toutes ces considérations n'ont pu triompher de la résistance faite à l'idée d'ajouter une nouvelle matière au programme déjà si encombré des écoles normales primaires; mais il n'en a pas été de môme quand il s'est agi de l'enseignement secondaire spécial et de renseignement secondaire des jeunes filles. Eu effet, les programmes du 28 juillet 1882 portent, pour l'enseigne- ment spécial, quatrième année ; Histoire sommaire des littératures grecque et latine; recueil de morceaux choisis des prosateurs et des poètes latins et grecs, avec cette noie : « Oa parlera surtout des écrivains et des œuvres qui ont fourni des modèles aux littératures modernes »; et pour l'enseignement des jeunes filles, dans la troisième année de la première période; Cours somr- maire sur les litléraiures anciennes : principales époques et principaux auteurs; et dans les deux années suivantes, cours supi'rieur ; Histoire de la littérature grecque. Lectures à l appui, Morceaux choisis d'auteurs gy^ecs tirés des meilleures traductions. (Mêmes indications pour la littérature latine.)

Cet enseignement exigeait des livres spéciaux, et ils n'ont pas tardé à paraître à nos grandes librairies classiques, sous le nom de professeurs distingués des lycées de Paris.

M. Lebaigue a publié, en 1883, à la maison Belin, des Morceaux choisis d'auteurs latins tirés des meilleures traductions^ avec un comment lire et des notices; 1 vol. in-12 de 432 pages.

A la même librairie, en 188i, M. J. Labbé a publié sur un plan identique des Morceaux choisis des auteurs grecs : l vol. in-lî de 446 pages.

Les écrivains sont rangés par ordre chronologique, en quatre périodes pour la littérature lalinc, et en sept périodes pour la littérature grecque. La notice sur chacun d'eux est gêné-

&36 RIVUB PÉDÀG06IQUS

ralement courte et précède les morceaux tirés de ses œuvres; en outre, des notes contenant des appréciations et des rappro- chements se trouvent au bas des pages.

Deux recueils semblables ont été publiés à la librairie Delà- grave (1884 et 1885) ; ils sont dus à la collaboration de M. F. Deltour, inspecteur général de Tinstruction publique, et de M. Ch, Rinn, professeur au lycée Condorcet.

Le volume des- auteurs grecs conliont deux cent trente-six morceaux empruntés à soixante écrivains. Toutes les notices bio- graphiques se trouvent, par ordre alphabétique, en tête du volume. M. Deltour a publié, seul, une Histoire de la Utiératurt grecque, de même format, dont Télude doit être faite parallèle- ment à la lecture des morceaux choisis.

Le volume des auteurs latins renferme deux cent soixante-dix morceaux tirés de cinquante-cinq écrivains. Ici la notice bio- graphique est placée en tête des morceaux de chaque auteur : c'est en effet la disposition la plus commode. Quant à V Histoire de la littérature latine, qui doit faire pendant au recueil des textes traduits, elle n'a point encore paru.

La librairie Hachette est arrivée la dernière. Sous ce titre : Études littéraires sur les classiques grecs (ou latins) et extraits empruntés aux meilleures traductions, elle vient de publier deux volumes dus à M. Gustave Merlet, professeur au lycée Louis-le- Grand. Le plan que l'auteur a suivi diffère de celui des autres publications similaires. 11 a résolument écarté a les écrivains qui ne sont qu'un fardeau pour la mémoire ou n'offrent que des exemples à fuir. En revanche, il produit en pleine lumière les génies ou les talents de premier ordre, c'est- à-dire tout ce que l'antiquité nous a légué d'impérissable, tout ce qui intéresse légitimement l'âme humaine par des vérités universelles, et l'imagination ou le cœur par des modèles de poésie ou d'éloquence (1). »

M. Merlet a suivi l'ordre chronolo^que dans chacune de ses deux séries : prosateurs et poètes. Il n'a donné place, pour les Grecs, qu'à vingt auteurs : huit poètes et douze prosateurs, et

(l) Extrait de la préface des Éludes littéraires sur les grands classigne$ latins.

LES LITTÉRATURES ANCIENNES USTl

pour les Latins, qu'à vingt et un : neuf prosateurs et douze poètes. Pour des raisons qu'il est facile de comprendre, il a présenté les deux séries dans un ordre inverse. Chaque écrivain est Tobjet non pas d'une simple notice biographique, comme dans les quatre recueils dont il a été question plus haut, mais d'une étude assez développée sur le caractère de son talent, la valeur de ses œuvres, les imitations qui en obt été faites. Nous ne craignons qu'une chose, c'est que ces études soient trop ache-. vées de forme, trop fines de ton, trop riches de renseignements pour les jeunes gens auxquels elles sont destinées (voir notam- ment les belles pages sur Eschyle, Classiques grecs, p. 145-15<^). Ces études ne font pas tort aux notes d'éclaircissement au bas des pages, qui sont abondantes et pleines d'intérêt.

Avec de tels ouvrages, Tétude de l'antiquité devient vraiment attrayante, même pour ceux qui n'ont pas la clef de ses langues.

Souhaitons de les voir placés, non comme manuels d'étude, puisque le programme s'y oppose, mais comme livres de délas- sement, entre les mains des élèves de nos écoles normales: nous sommes assuré qu'ils seront lus avec le plus vif intérêt, qu'ils seront goûtés presque au même degré que nos classiques du XVII® siècle, si difficiles à bien comprendre, et qu'ils garderont ensuite une place d'honneur dans la bibliothèque des instituteurs et des institutrices qui auront appris à aimerj comme nous, ces anciens toujours jeunes « dont les œuvres suffiraient encore à éclairer le monde, si toute autre lumière venait à s'éteindre ».

B. Berger.

EXCURSION DANS LES VOSGES

FAITE PAR LES ÉLÈVES DE l'ÉGOLE LAVOISIER

Le 16 août 1884, à G heures 1 /2 du matin, des jeunes gens de treize à dix-huit ans, choisis parmi les meilleurs élèves deFécole municipale supérieure Lavoisier, se rendaient à la gare de l'Est, pour effectuer un vovaffe dans les Yoscfcs. Ils avaient tous au dos un havresac semblable à ceux des militaires dans lequel ils avaient mis leurs effets de linge et de chaussures. A leur lôte se placent: MM. Filon, directeur, Bussy, surveillant général: Goursat, chef du laboratoire, et Lotlin, professeur de top">graphie de Técolo.

En mtifc ])()nr ydnrij. Laissons de coté les incidents de voyage» pour ne nous occuper que du côté utile. Nos jeunes gens sont silen- cieux ; ils n'osent pas manifester bruyamment leur satisfaction d'être partis. M. Lottin développe une carte de TÉtat-major, jette un coup d'œil vers la campagne et dit en montrant du doigt : « Voici le canal de rOurcq, qui alimente le bassin de la Villette. >> Toutes les jeunes tôte se penchent vers les portières pour regarder. Cela leur donne ridée do consulter aussi un Guide Chaix, dont ils sont munis, et de suivre sur la carte le clieinin parcouru par le train, et fait rompre le silence auquel succède un tohu-bohu de questions, de remarques, de lectures à haute voix à chaque fois que l'on rencontre quelque chose digne do remarque, à chaque station que Ton passe, g Tiens! voici Noisy ! rembrancliement de îa Grande Ceinture. Bondyl est le dépotoir ? Le Raincy ! l'ancienne propriété de la famille d'Or- léans, aujourd'hui couverte do maisons particulières.* Gagnyl etc, etc. Tiens, nous traversons une rivière. Laquelle?— C'est la Seine, disent les uns.— T\is du tout, nous ne sommes pas dans le dépaiiemenl de la Seine. donc somfnes-nous, alors? Dans Seine-et-Marne. » Tout le monde regarde la carte. « En elVot! Et cette rivière? Ce n'est pas une rivière ; c'est le canal latéral à la Marne qui aboutit à Vitry-le-Eranrois, que nous allons voir plus loin. » On questionne le professeur de topographie, car on trouve singuhcr qu'on ait créé une rivière artitlcicUe à côté d'une rivière naturelle. 11 explique le rôle que joue le can'il parmi les voies de navigation. A partir de ce moment-là, les élèves remarquent les écluses, les ponts, les aqueducs les barrages, etc. A chaque station, on consulte de nouveau la carte. Eponiay! cinq minutes d'arrêt. Voici le pays du vin de Cham- pagne. On jette un coup d'œil sur les coteaux croît la vigne, mais on ne pense pas à la liqueur enchanteresse. Un professeur gour- mand ou gourmet a cependant eu le temps de s'en procurer une

EXCURSION DANS UBS VOSGES S39

petite bouteille. On brûle les stations. Voici Chàlons-sur- Marne I est le camp? Ot sont les casernes? le collège? I ! Vitry-l^ François! Le canal finit en cet endroit, la Marne déparait à droite du chemin de fer. Cependant, après avoir continué la route pendant quelque temps, les élèves s'écrient : «Voici la Marne qui apparaît de nouveau, avec le canal. » Une discussion s'engage à ce sujet. On ton- suite le professeur, qui met tout le monde d'accord en disant: « Mes entants, vous ne reverrez plus la Marne pendant le cours du voyage. C'est romain que vous voyez ta. Cette rivière alimente le canal qui vient de disparaître aussi. Celui que vous voyez maiatenant est le canal de la Marne au Rhin : il conduit à Strasbourg. Vous allez le voir monter le versant de la Meuse et descendre le versant opposé. Voyez les rampes qui s'accentuent déjà. Au surplus, à chaque station, con-^ sultez les indications du tableau placé au-dessous de l'horloge, vous remarquerez que les altitudes se relèveront jusqu'au faîte séparatif des bassins de la Meuse et de la Meurthe. Ahl oui. Monsieur, nous voyons se vérifier ce que vous nous avez déjà dans le cour de topo- graphie; qu'un bateau chargé à Londres peut traverser la France en franchissant les montagnes, et, de là, aller jusqu'à Berlin sans rompre charge. »

A partir de ce moment-là, les élèves relèvent les altitudes. Vilry-le- Franrois, 157'" au-dessus du niveau de la mer, Bar-le-Duc,i83™ ; ils ne songent pas plus aux petits pots de conliture, qu'on leur pré- sente à la station de ce nom, qu'aux madeleines de Commercy. Ils se contentent de lire sur le tableau de la station : Commercy, à 295 kilomètres de Paris, à 210*" au-dessus du niveau de la mer.

La fatigue gagne nos excursionnistes; nous ne notons pfus ce qu'il y a de remarquable pendant les 58 kilomètres qu'il reste à par- courir; on brûle les stations, mais à Frouard tout le monde paraît surpris devoir comment les chemins de fer, le^ canaux, les rivières, les routes nationales et di^p.irtomentales s'onlre-croisent : ce qui dénote que la circulation y est très active en tous sens et que Frouard est le nœud du trafic entre les régions de l'Kst et de l'Ouest, puis du Nord et du Midi. L'immense quantité de marchandises disposées sur les nombreux quais, ainsi que les nombreuses fabriques, en sont le témoignage. Après cette ample provision do notes prises depuis le départ, maîtres et élèves mettent le sac au dos, car on arrive à Nancy.

Nannj. On couche dans celte ville que Ton doit visiter. Le len- demain matin notre petite troupe se réunît sur la place ; les pro- fesseurs prennent la tête de la colonne et la conduisent à travers la ville. Nancy se pique d'être l'Athènes française, parce qu'on n'aperçoit dans cetle ville que des arc-? de triomphe, des grilles monumentales, des portes fortifiées, des passages voûtés. Une chose n'est pas sans contribuer au cachet de ville historique, d'ancienne capitale qui appartient incontestablement à Nancy : c'est que, par quelque côté qu'on arrive, il faut, presque nécessairement, passer sous

^iO aSVUK PÉDAGC6I0UV

un arc de triomphe. La merveille de la vieille (fité, le chef-d'oeuvre 4e Turt lorrain, c'est la Porterie. Mansuy Gauvin, l'habile sculpteur du XVI» siècle, a taillé dans la pierre du monument toutes les «cènes de l'histoire des ducs de Lorraine : Toutes les figures ont une signification satirique; c'est ainsi que les adversaires des princes, sont représentés par des avocats, des moines, etc., qui apparaissent «ous la forme d'animaux prêchant ou pérorant. A chaque monument rencontré, on fait une halte, pour écouter les professeurs qui en racontent l'histoire. C'est la statue du général Drouot, c'est la porte Saint-Georges. C'est la porte de la Craiïe, spécimen d'architecture militaire, bâtie sur des remparts que les élèves visitent dans tous leurs détails ; les ponts-Ievis, les réduits, les bastions, les courtines, ^nt été visités l'un après l'autre. Le professeur de topographie a été mis fréquemment à contribution, pour expliquer l'usage de ces acci- dents topôgraphiques militaires.

On conduit la troupe devant la porle Masco. Ici on écoute le récit d'une petite légende. Masco était un ours protégé par le duc Léopold. Un petit Savoyard se réfugia un jour d'hiver, à l'insudes gardiens, <lans la niche de Masco. L'ours, très bien nourri, non seulement ne dévora pas l'enfant, mais lui laissa prendre une part de son repas. Il s'établit entre les deux élres une telle intimité qu'un matin que le petit Savoyard dormait, Masco fit un accueil des plus désa- gréables à ses gardiens, coupables de réveiller son ami. Le duc Léopold apprit la chose, s'intéressa à l'enfant et améliora encore la nourriture de l'ours, très chagrin se voir enlever son petit ami, La porte Masco rappelle toutes ces jolies 'choses. C'est par c^tte porte qu'on entre au Musée lorrain. Nous montons le magnifique •escalier sculpté, à marches larges et basses, qui conduit à la salle du conseil, maintenant transformée en musée et que gravissait, à cheval, le duc de Lorraine lorsqu'il allait présider les séances du conseil. Il pénétrait ainsi dans la salle jusques au fond, se trouve une cheminée monumentale contre laquelle son cheval s'adossait. C'est ainsi qu'il présidait, restant sur sa monture jusqu'à la fin de la séance, après laquelle les seigneurs ouvraient leurs rangs pour le laisser passer et descendre par la môme voie. Il est impossible <le faire ici la nomenclature des richesses et des curiosités qui s'éta- lent aux yeux ébahis des enfants, et parmi lesquelles on doit tout particulièrement citer les belles œuvres de Callot. A côté du Musée, l'église sont les restes des ducs de Lorraine, les épitaphes, les cénotaphes, les mausolées, etc.

On traverse, en zig-zag, la ville qui décidément est intéressante à visiter. C'est la place Stanislas, avec la statue du duc de ce nom, élevée en cet endroit pour perpétuer la mémoire de celui qui fit la Lorraine si belle et si florissante. C'est la fontaine d*Amphitrite et Neptune, avec de belles grilles monumentales dorées, se profilant ■sur des massifs d*arbres. C'est l'arc de triomphe qui ferme la place

EXCURSION DA.NS LES VOSGES 541

et qui ouvre sur la place Carrière ; c'est le jardin public, la cathé- drale, etc, etc. On ne peut ciler ici tout ce qu'on a vu. Fermez vos cahiers de notes^ mes enfants, vous n'êtes qu'au commencement du voyagé. Si vous allez de ce train-là, il vous faudra des in-folios.

On aurait bien voulu voir M. Barbier, le savant secrétaire général de la Société de Géographie de l'Est ; ce digne maître et ardent patriote se fût certainement mis à la disposition de la petite caravane scolaire, pour lui apprendre quelques-unes de ces choses qu'il connaît si bien sur la région de l'Est ; mais le temps manquait et il fallait repartir le lendemain pour Lunéville.

De Nancy à LunéviliCy Baccarat et Saint-Dté, Pendant le court trajet de Nancy à Lunéville, on remarque que le terrain devient plus accidenté et qu'on s'élève de plus en plus,à SMK), 250, 300 mètres au-dessus du niveau de la mer. On a déjà une idée vague des mon- tagnes. Par-ci par-là, on remarque des terrains ailouillés, desquels on a extrait la terre plastique, déposée dans d'immenses réservoirs inondés par les eaux de la rivière, pour former le patouillage qui devra servir à la confection de la poterie cuite dans des fourneaux que l'on voit le long du chemin de fer. Des salines, près Rozières-aux-Salines. La vigne a disparu des terrains cultivés et cède la place à de grands carrés plantés d'arbustes sarmenteux, longs et minces, se dressant le long de hautes perches. C'est le houblon ! En effet, on arrive dans le pays de la bière. Lunéville possède une brasserie importanlet Cette ville, habitée par une garnison composée en majeure partie de cavalerie, paraît triste ; la plus grande partie de sa population se compose de militaires en retraite. 11 est convenu qu'on se reposera à Lunéville, l'on couchera pour la première fois dans le dortoir du lycée. Une partie de la journée se passe dans le splendide parc des^ Bosquets, au bout duquel se trouve un très vaste champ de manœuvres. Si le repos dans les bosquets procure une agréable sensation, il n'en est pus de même lorsque, rentrant au nombre de trente-cinq per- sonnes,il faut se conformer à la règle austère que l'on doit observer dans un dortoir.

Le lendemain malin, on a hâte de quitter cette ville maussade ; le voyage ne présente rien de particulier; au surplus, le trajet est court, on arrive vite à Baccarat. En attendant le moment l'on pourra visiter son importante cristallerie, si justement renommée, on gravit un coteau boisé et, pour la première fois, on s'étale sur la mousse, à l'ombre des chênes de la forêt de Gramont, à 3i0 mètres au-dessus du niveau de la mer. Les senteurs du thym et du serpolet produisent une action bienfaisante sur les poumons.

A une heure, un des administrateurs de la grande cristallerie reçoit les excursionnistes et les conduit dans les ateliers. C'est M. Goursat, le chef du laboratoire de l'école Lavoisier, qui prend la tête de la colonne. C'est la matière première que l'on voit d'abord^ et ses divers mélanges. Puis ce sont les ateliers de soufflage, de

^2 REVUS PÉDA60GIQUK

taillerie, de polissage» de gravure, etc., etc. On ouvre une porte en fonte ; ou pénètre dans une pièce chauffée à la température de 60^, qui sert a sécher les moules en terre, pour faire des creusets. Au bout de deux minutes et demie, tout le monde demande grâce, car on commence à cuire. On va de salle en salie; on fait le tour de tous les ateliers ; on prend des notes, partout des notes. Ah I que de choses oh a vues, en trois heures, et sans janiais s'arrêter plus de deux minutes devant chaque groupe de travailleurs; et dire qu'on n*a pu tout voir que superficieilemeat. 11 est impos- sible de rester plus longtemps; juste le temps de goûter rexcellente bière du pays, à deux sous la chope, et le Iromage de Gérardmer, puis on s eutosse dans le wagon exclusivement réservé aux excur- sionnisles qu*on vient de rattacher au train partant pour Saiut-Dié.

Nous voilà partis encore une fois. On entre dans le massif des Vosges. Cette fois-ci, les montagnes et les vallées apparaissent avec leur caractère de grandeur. Ce ne sont que tableaux changeants qui se déroulent. On remonte la Meurthe que Ton cAtoie. Elle devient de plus en plus étroite. La voilà toute pierreuse, pleine de cascades; par-ci par-là elle est à sec.- A Kaon-l'Elape les montagnes sont hautes. On arrive à Saint-I)ié.

Saint-Dit', On séjournera plusieurs jours à Saint-Dié, ville située au pied de hautes montagnes qui Teiivironnent et que l'on visitera. De on fera, en tous sens, des excursions soit à pied, soit en voiture. La première ascension est celle du Gratin, sans doute appelé ainsi parce qu'il paraît comme une miette à côté de la montagne d'Or- mont. L'ascension du Gratin semble pénible; on n'est pas encore habitué aux grimpades. Du haut de ce mont, on a une belle vue sur la chaîne des Vosges, noyée dans une brume bleuâtre. on fait des orientements, à l'aide du soleil et de la boussole. On cherche sur le terrain comme sur la carte des points connus, le Hoheneck, le Ballon d'Alsace; on veut voir la frontière; on estime les hauteurs et les distances. Et dans tout cela, que d'erreurs, que de mécomptes : les effets de perspective aérienne, horizontale; la densité de l'atmos- phère et de certains milieux, tout cela déroute, embrouille; on sent qu'un peu de pratique serait le complément nécessaire des théories faites en classe à Paris. Délicieux temps, délicieuses odeurs des plantes balsamiques, délicieux points de vue; on renonce à gravir des sommets qu'on croirait toucher du doigt. Redescendons à Saint- Dié. On visite une éi<lise d'un pur style roman, bâtie en grès rouge. Les curieux, ne respectant rien, linissent par apercevoir une porte basse derricTC laquelle on découvre, ô surprise 1 un reste de couvent en style ogival, avec des voûtes en berceaux, des fenêtres à meneaux découpés à jour; un bijou de chaire à prêcher en pleine cour et tout à fait à l'extérieur du bâtiment. M. Goursat en prend la photo- graphie.

Le lendemain, on fait l'ascension du mont Saint-Martin, hauteur

EXCURSION DANS LSS VOSGES 543

730 mètres, duquel on a une vue spiendide, komense. Au sommet, il y a deux énormes blocs de roche rouge, dont Tun a servi de point trigonométrique : on en prend la pholographie. De ce point on fiait des orienlements a Tuide desquels ondécouvrc le Rossberg.

Le surlendemain matin, on part en trois voilures a deux chevaux pour Gérardmer et Retoumemer ; un soleil spiendide éc)aii*e le pano* rama qui changea chaque pas. Ce ne sont que suites ininlerrompues de montées et de descentes à flanc de coteau; l'horizon se rétré(Tit de plus en plus. On monte une rampe de plusieurs kilomètres, qui conduit à un col appelé le Plafond. Après un repos en cet endroit, on descend à fond de train pendant plusieurs heures. Ah ! que les pentes sont fortes et les coudes brusques et nombreux! A gauche on a un versant à 4o^ ([ui paraît monter jusqu'au ciel. A droite, la même Inclinaison descendant à des profondeurs insondables. Les deux côtés sont plantés de pins d'une taille gigantesque et si serrés que l'on ne peut voir à plus de dix pas de soi. L'allure des chevaux est vertigineuse; les cahots des voitures sont tellement précipités qulnstinctivoment les voyageurs se cramponnent les uns aux autres. Ah ! qu*une ciiule en pareil momeut serait terrible ! Des cumubiis frangent les crêtes des montagnes; en moins de temps (lu'il ne faut pour l'écrire, les nimbus se forment et la pluie tombe. Oh! comme la pluie mouille dans les montagnes! sur* tout quand on n'a pas de parapluie. Dans ces pays-là, l'orage ne s'annonce pas par des rirrus, il se forme et fond tout d'un coup ; après quoi le soleil le plus resplendissant éclaire un ciel d'azur. On longe le lac de Longemer, bordé de hauteurs dont les pentes, toujours à 45'^ et couvertes de forêts de sapins, baignent leur pied dans le lac. On continue cette course folle. Ouf! on est arrivé à Retoumemer se trouve un petit lac au fuad d'un trou dont les bords atteignent des hauteurs variables de 700 à 1,400 mètres. Le gi'and Hoheneck dresse son dôme majestueux au-dessus de toutes ces hauteurs. Les nuages folâtrent autour de lui; on assiste aux phénomènes de la vaporisation et de la condensation, et l'on com- prend mieux la précipitation des eaux de pluie que par les Ihéo* ries de physique, si bien faites en classe, mais qui laissent toujours du vague dans l'esprit de l'élève.

Pour ne pas trop allonger ce récit, renonçons à décrire les splen* deurs de ces belles régions ; ne parlons pas de Gérardmer et de tout ce que Ton voit dans les alentours, la Roche du Diable, le saut de la Cuve, etc., etc., et revenons à Saint-Dié, pour repartir dans une autre direction. Ne parlons pas de la visite à la fabrique de papier et arrivons au Thillot. Séjour.

Saint-Maurice, Bussang, Saint-Maurice, dans une impasse de plusieurs kilomètres bouchée par le col de Bussang. On visite la fontaine minérale. Son eau bi-carbonatée sodique, légèrement ferru- gineuse, est agréable à boire. Montant toiyours la vallée en côtoyant

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la Moselle, qui se rétrécit de plus en plus, on arrive à la source de cette rivière. Bavons en passant de son eau limpide et frûehe. On monte toujours la vallée, les bords deviennent de plus en dIus escarpés,, dénudés; les blocs de grès rouge émergent. On arrive au pied d'un contrefort 1res élevé qui barre le passage; c'est le col de Bussang. Un tunnel de 600 mètres de long le traverse et la route passe par- dessous. A rentrée sont des douaniers français. Juste a moitié du chemin une croix gravée dans le mur, un trait par terre, une borne portant sur une face ce mot ; Allemagne^ et sur l'autre : Frankretch^ C'est la frontière I Des recommandations sont faites aux enfants. Défense do manifester bruyamment son émotion. On arrive à l'autre bout du tunnel. C'est l'Allemagne, non... l'Alsace!... Tout le monde se découvre!

U Alsace. Nous voici en Alsace, entre deux montagnes : le Brennwald, altitude 1,192"», dont les flancs ont une pente si rapide qu'une pierre n'y peut rester en repos, et la Tête-des- Allemands, hauteur 1,004°>, dont les flancs sont tellement inclinés que les arbres abattus roulent d'eux-mêmes jusque sur le chemin que nous suivons. Nous sommes de l'autre côté des Vosges, dans une gorge très étroite dont l'aspect est imposant. Au sortir de cette gorge, le panorama le plus accidenté qu'on ait encore vu s'offre aux regards émerveillés. A GOO mètres de profondeur on distingue la petite ville d'Urbès, qui semble dormir au fond de la vallée. On voudrait y aller. On marche sans s'arrr»ter, comme si l'on voulait atteindre la frontière, non pas celle déjà franchie, mais l'autre, cette autre qui devrait être la véritable. Hélas! il faut s'arrêter. On est en pays conquis. Voyez ce nom : Tunnel-Warter ^ peint sur la façade de la maison du garde, et cet autre que voici : Slrassen-A ufseher, à la cas- quette du cantonnier. Il ne faut pas aller plus loin. On cueii)^ quel- ques fleurs sur cette terre, toujours chérie, en souvenir de ce pas- sage. A la dérobée, M. Goursat prend une photographie du tunnel près du Rossborg, puis de la vallée. On voudrait tout prendre, tant on se sent le cœur serré au souvenir qu'évoque ce nom : Alsace. Allons, un baiser d'adieu. Non! au revoir. Retournons chez nous.

En revenant sur ses pas, la petite troupe suppute les chances de succès dans le cas d'un retour offensif de l'étranger. « C'est impos- sible, disent les uns. Voyez ces flancs inaccessible de chaque côté de nous. -- C'est vrai! Mais par le tunnel? On le boucherait. » A ce moment les enfants demandent tout haut : « A quoi donc peuvent servir ces trois trous semblables à de petites entrées de cave, pratiqués de chaque côté du tunnel? il y en a six autres du côté de la France.» Le Tunnel-Wàrter, qui avait compris (car il faut dire qu'il avait suivi la troupe jusqu'à sa rentrée en France), ré- pondit ceci : Ça, c'est tes trus pour en cas le kerre, pour mettre te la tinamite, pour faire explosir la tinnel. » Réprimant une fu- rieuse envie de rire, les enfants se turent; mais au sortir du tua»

EXCURSION DANS LES VOSGES 545

ncl, ils songent avec edroi au terrible éboulement qui pourrait résulter d'une explosion en cet endroit. Toutes les vallées, dans celte région de la France, aboutissent à de semblables contreforts, et, de Bussang jusqu'à Belfort, il est impossible de franchir les Vosges. Parlant de là, elles ressemblent, vues en plan, a des ra- meaux ou plutôt à des bronches et, comme elles, sans issue au bout de le cavité. La trouée de Belfort est un passage. On comprend donc que ces passageii soient défendus par des forts. Ces explications deviennent concluantes dans la conférence topographique faite à Remiremont.

Après quelques autres ascensions, telles que celle du Ballon de Servance, puis celle du Ballon d'Alsace, pour donner un dernier adieu à celte province et voir le versant du Rhin, on eflectue le retour vers Paris, en s'arrêtant à Remiremont. On couche au lycée de celle ville.

Conférence topographique à Remiremont. Montés au sommet du Paramont, 640™, que domine un fort, les élèves et les maîtres s'asseyent sur un tertre. Là, M. Lotlin, après avoir passé en revue les divers accidents topographiques rencontrés au cours du voyage et, plus particulièrement, ceux observés sur la frontière et dUns toute l'é- tendue du massif des Vosges jusques au point la petite troupe est présentement assise, explique comment le fort de Remiremont prolège la ville en défendant, en même temps, le passage dans les vallées de la Moselotte et de la Moselle qu'il domine. Les élèves ont pu comprendre qu'une invasion est impossible, par-dessus les innombrables monts et montagnes dont les flancs sont, pour la plupart, inaccessibles; mais que des troupes peuvent passer par les cols, les défilés, les gorges, les trouées les tunnels, si l'accès n'en- est pas défendu par des forts tels que celui qui fait lobjet de la leçon sur le terrain où, de visu, Ton a pu juger des effets que produi- raient soit le tir du canon du fort,- soit un mouvement des troupes dans les vallées déjà indiquées, sous la protection des canons de ce fort. Le professeur termine sa conférence par cette conclusion ; B La topographie a pour objet d'apprendre à lire les caries, pour aider a se diriger en pays connu ou inconnu ; ce que vous savez déjà, mes enfants; elle a pour objet d'apprendre à utiliser les accidents du sol, pour l'attaque de l'ennemi et la défense du pays ; elle a pour objet d'apprendre aux particuliers à se servir des routes de terre, de fer et des voies de navigation, pour la circulation des marchan- dises; enfin elle a pour objet d'apprendre à mettre en valeur le terrain que l'on possède ou que l'on habite, par l'utilisation raison- née des cours d'eau, qu'on peut employer comme force motrice ou pour les irrigations. C'est ainsi que celle belle région que vous venez de visiter, bien que son sol n'ait pas deux centimètres d épaisseur de terre végétale sur la roche dure, possède tant de prairies et tant de bétail, parce que ses habitants savent utiliser l'eau pour les irri-

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gâtions que vous avez rencontrées par tout le pays. La force mo- trice des nombreuses usines que vous avez vues est empruntée à de nombreux cours d'eau naturels et artificiels et donne au r»ays cette richesse que vous avez remarquée dans bien des localités. Gardez donc de tout cela une bonne impression, et, quand le moment sera venu, faites aussi de bonnes appb'cations de la topo- graphie au mieux des intérêts du pays. »

Retour, Le retour s'effectue. On a hâte de revoir ses parents. Le cœur rempli de satisfaction et de reconnaissance envers le Conseil municipal de Paris, qui donne si généreusement tant d'argent pour ces voyages si inslructifs à tous les points de vue, on se sépare en se promettant de bien travailler pour mériter encore la faveur d'être admis à faire un autre voyage. E. L.

LA PRESSE ET LES LIVRES

Cours complet de pédagogie et de méthodologie rédigé conformé- ment au programme d'études officiel des écoles et sections normales primaires, par Th, Braun, inspecteur des écoles normales de Belgi- que. Bruxelles, Lebègue et C®, 1885; 1 vol. in-8° de 9oi pages. C'est une nouvelle édition d'un ouvrage remontant à 18i9, et que l'auteur a plusieurs fois remanié afin de l'adopter à l'esprit de l'en- seignement officiel en Belgique et au programme des études pédago- giques dans les écoles normales. La première édition formait un volume in -8° de 510 pages publié chez Deprez-Parent à Bruxelles; la deuxième édition, 1854, même éditeur, comprenait 3 volumes in 8** de 1034 pages (le double de la première); la troisième, 1872, chez Dessain, à Liège avait encore 3 volumes de 1188 pages, mais du format in-l:2. Ces trois éditions étaient revêtues du permis d'im- primer de l'archevêque de Matines ou de Tévêque de Liège. L'édition récente ne porte pas ce visa de l'autorité ecclésiastique, mais on ne saurait en suspecter l'orthodoxie, car l'auteur dit, dans un avis au lecteur, que « son livre est en tous points conforme à Tespritet aux dispositions de la loi du 20 septembre J881 », cette loi que les li- béraux belges considèrent comme une loi de réactiui: cléricale, et qu'il appelle, lui (p. 788), une loi de neutralité.

Le livre de M. Braun nous a paru pécher d'abord par un défaut de proportions entrt les diverses parties du sujet. Le chapitre 2, Mission de rinstituteur (pages 15 à 19), est fort sommaire et parle beaucoup plus des difficultés provenant de la négligence des familles que des obligations de l'instituteur, de spn rôle vis-à-vis de l'en- fant; mais le chapitre suivant (p. 20 à 49) s'étend longuement, par- fois avec trop de détails, sur les qualités morales et même sur les aptitudes physiques exigées de l'instituteur.

A propos de l'éducation physique, il y a des passages inexacts ou très confus. Nous nous bornerons à deux citations.

Sur l'importance attachée aux soins physiques dans l'éducation mo- derne, on lit, page 61 : « N'est-ce pas en 1782 (sic), alors que l'esprit philosophique remuait la France et préparait la grande Révolution, que J.-J. Rousseau publia son Emile, à Genève? » Tout le monde sait que ce qu'on a appelé l'époque des philosophes au XVUl® siècle remonte au moins à 1731, date de^lalpublication de l'Encyclopédie, et que VEmile a été publié en 1762, à Paris et à Amsterdam simul- tanément, et non à Genève.

Et page 91 : « Dans une leçon de gymnastique, chaque exercice a une importance spéciale et un but déterminé sans manquer aux

548 REVUE PÉDAGOGIQUE

lois de la physiologie et en répondant autant que possible aux règles de Teslbétlque. >

Ce mot d'esthétique, qui apparaît Ton ne l'attendait poinr, porte à rechercher ce que dit l'auteur sur ce sujet. 11 n'y consacre qu'un court chapitre, page 797, qui commence ainsi :

tf Une de nos plus nobles facultés est celle de sentir, c'esl-à-dire de nous rendre compte de nous-mêmes. Cette faculté se présente sous plusieurs formes : il y a le sentiment religieux, le sentiment moral le sentiment du beau, le sentiment se rapportant à notre nature et qui touche aux sens. »

lit plus loin : « Nous appelons beau tout ce qui, par l'bannonie des formes, des sons ou des couleurs, par l'élévation des idées et la noblesse des expressions, provoque en nous un élan involontaire d'admiration, qui n'est ni passager, ni fugitif, mais que la réflexion

confirme Mais avant le beau proprement dit, l'école s'attachera

à faire prévaloir le boîi et le vrai, qui sont le beau moral, ici se pré- sentent de suite les précautions à prendre pour l'ordre, laTpropreté la politesse, l'harmonie, dans tous les détails intérieurs de la classe' comme dans les relations des élèves entre eux. »

Vraiment, il aurait mieux valu ne pas parler d'esthétique que d'en donner une telle idée et de la faire consister à l'école dans la bonne tenue.

L'éducation intellecluelle occupe une plus grande place, mais on est surpris de trouver la culture du jugement et du raisonnement avant la culture de la mémoire et de l'imagination. aussi cer- taines affirmations sont contestables, comme celle-ci : « Il est établi que pour se graver quelque chose dans la mémoire il faut en avoir une intuition claire et précise ; il en résulte que, pour retenir, il faut comprendre ce qu'on veut confier à la mémoU'e. » Comment expliquer alors que de jeunes enfants apprennent très bien des prières en latin ou la table de multiplication?

Et cette définition de l'imagination peut-elle être admise : a L'i- magination est la faculté au moyen de laquelle nous conservpns et nous combinons les images des objets qui ont fixé notre attention. » Tout un ordre de faits appartenant à l'imagination ne restent-ils pas en dehors ; que diront ceux qui lui attribuent les créations du poète et du musicien comme les hypothèses du savant?

Mais nous ne voulons pas prendre une à une toute cette étude des facultés; elle nous a semblé faible, partout l'auteur ne se borne pas à ciler. Sans doute, la psychologie systématique est une chose un peu abstruse ; mais pourquoi ne pas se limiter, comme M™« Necker de Saussure, à l'observation des faits, à l'examen du développement de l'inlclligence chez l'enfant, afin d'en tirer des règles pratiques pour l'éducateur?

Ce qui nous semble surtout peu propre à faire aimer la péda- gogie et à former des maîtres ayant du bon sens et de la sagacité,

LA PRESSE ET LES LITRES 549

c'est Texlréme division, le luxe de distinctions apporté dans l'étude des moyens propres à varier les leçons tt à les approprier tant à l'aptitude moyenne des élèves qu'à la mati(»re enseignée, en un mot a les rendre aussi bonnes que possible du c(Mé subjectif comme du côté objectif, pour parler la langue de M. Braun.

A quoi peut bien servir cette première distinction de la forme acroamatique et de la forme érotématique, puis de cette dernière en catfchHique, socratique, euristique, répctitoire, examinatoire, analytique et synthétique, enfin dialojique? (pages 243 et 216). Plusieurs de ces catégories ne rentrent-elles pas Tune dans Tautre? et C[uelle lumière une semblable éhuméralion met-elle dans l'esprit du jeune maître qui étudie ce grimoire? Ce n'est pas tout : à la page 233, on trouve indiquées trois catégories de procédés, savoir : d'exposition, d'application et de correction. Puis, dans la première catégorie, on distingue les procédés intuitif, comparatif, d'opposition ^ étymo- logique, de raisonnement, descriptif, d*obseivation intérieure, répé- titoire, synoptique. C'est à s'y perdre. Nous croyons qu'une telle marche est propre à troubler les meilleurs esprits et à engendrer le pédantisme.

Nous n'aimons pas mieux les préceptes de morale ou règles de conduite par lesquelles s'ouvre le volume, et dans lesquelles l'au- teur développe les points ci-après :

« 1. Il faut que l'instituteur soit un homme grave;

» 2. L'instituteur doit être patient;

» 3. L'instituteur doit être prudent;

» 4. L'instituteur doit avoir de la douceur;

1) 5. Il faut que l'instituteur ail un véritable amour pour les enfants et pour son état;

» 6. L'instituteur doit avoir de l'intelligence; (sic!)

» 7. L'instituteur doit avoir une somme suffisante de connais- sances approfondies dans les diverses branches qu'il est obligé d'enseigner, p (pages 26 à 33.)

Ces règles gagneraient à être ramenées à un moins grand nombre et, dans tous les cas, elles devraient être autre chose qu'une sorte de civilité puérile et honnête. £n pareille matière, il importe sur- tout de suggérer, d'inspirer et de laisser ensuite à la responsabilité personnelle le soin des détails. Certaines de ces prescriptions nous rappellent le fameux règlement modèle du 17 août 1851, il était dit aux maîtres français :

« Art. 3. On ne le verra jamais (l'instituteur) dans les cabarets, dans les cafés, dans aucun lieu, dans aucune société qui ne con- viendrait point à la gravité et à la dignité de ses fonctions. Art. 5. Il veillera avec une constante sollicitude sur tout ce qui intéresse l'esprit et le cœur, les mœurs et la santé des enfants. Il n'aura point de familiarité avec eux; il s'abstiendra de les tutoyer et ne leur donnera jamais de noms injurieux. Il ne se laissera point aller

550 RSVUB PÉDAGOiilQUE

à ]a colère, et il saura toujours allier le calme et la douceur à la fermeté et à la sévérité. »

Nous nous rappelons qu'iln'y eut alors aucun instituteur digne de sa mission qui ne se sentit blessé dépareilles recommandations. 11 est douteux que les instituteurs belges soient satisfaits de s'entendre dire, par exemple, qu'il leur est nuisible de jouer avec le premier venu dans les cabarets ou sur les places publiques ; de chercher à amuser par des facéties de mauvais goût; de tolérer, pai* leur présence, des paroles ou des actes obscènes; de se présenter à quelqu'un sans être complètement vêtu ou dans un costume peu décent ; de coniler trop légèrement les secrets des ménages (page i4). Ce serait le cas de demander à nos voisins: A qui donc confiez- vous les fonctions d'instituteur pour qu'il soit nécessaire de donner à vos maîtres de tels avis?

Nous avons eu le regret de ne pas trouver dans le livre de M. Braun ce (|ue la compétence de son auteur nous faisait espérer. Ce n'est pas qu'il ne s'y rencontre de bonnes pages, notamment sur la pra- tique de l'enseii^nement, mais elles sont trop souvent perdues au milieu de détails mesquins. Knfin pourquoi M. Braun, qui cite sou- vent des autours fran<;ais (Jules Simon, Rendu, Gréard, Buisson, Marion, Brouard), ne nous donne-t-il jamais l'indication de la page ni même de l'ouvrage d'où le fragment est tiré? 11 vaudrait la peine de pouvoir s'y reporter, ne fût-ce que pour trouver dans le contexte la pensée exacte des auteurs ou pour suivre les développements qu'ils lui ont donnés. X.

David Livingstone, missionnaire, voyageur et philanthrope, 1813- 1873, par Rodolphe Reuss, Paris, Fischbacher, 1885, vm-118 p., in-S®. Parmi les voyageurs illustres du xix« siècle, il n'en est aucun dont le nom brille d'un éclat à la fois aussi intense et aussi pur que celui de Livingstone. C'est que chez lui la grandeur matérielle de l'œuvre accomplie est singulièrement rehaussée par la grandeur morale de l'ouvrier; qu'il ne fut pas seulement, comme ses rivaux de gloire, un explorateur de premier ordre qui par l'importance hors ligne de ses découvertes a puissamment contribué aux pro- grès de la géographie; qu'il a consacré sa vie entière, une vie toute de dévouement et de sacrifice, au service de la plus noble des causes, l'avancement du règne de Dieu sur la terre. D'autres investigateurs intrépides et sagaces ont, avant et après lui, pénétré dans l'Afrique intérieure et dévoilé ses mystères; nul ne lui dispute l'honneur d'avoir été par excellence l'apôtre, le précepteur, le champion des malheureuses populations du continent noir, auxquelles il a prêché l'évangile et la civilisation par l'exemple plus encore que par la parole, et en faveur desquelles il a soutenu, avec une ardeur que rien n'a pu lasser, sa sainte lutte contre la plaie hideuse de la traite des nègres. Missionnaire, voyageur et philanthrope/ tel est le

LA PRESSE ET LES LIVRES 551

triple titre de gloire que revendique pour Liviogstone rinscriplion qui se lit sur sa piorre tombale à Westminster, et la postérité rati- fiera ce triple éloge décerné par la voix unanime de ses contem- porains.

Retracer dans un mince volume la vie, laborieuse entre toutes, de ce fervent missionnaire, de ce voyageur audacieux, de cet hé- roïque pliilanthrope, était une tâche difficile; M. Reuss s'en est acquitté avec un rare talent dans le livre que nous nous plaisons à signaler à toute l'attention de nos lecteurs. Lui-môme il l'appelle modestement une esquisse, et il aurait raison si on jugeait les ouvrages d'après le nombre de leurs pages; en réalité, c'est un tra- vail achevé, d'une vérité frappante et d'un intérêt saisissant. Les divers aspects de l'activité, si multiple et pourtant si une, de Living- stone s'y trouvent mis en pleine lumière; mais surtout la physionomie éminemment sympathique du grand homme de bien s'y détache avec un relief remarquable sur le fond mouvant de son aventureuse carrière, humblement commencée dans une chaum^ière écossaise, pour finir, avec une auréole qui est presque celle du martyre, sur ie< rives d'un lac perdu dans les profondeurs de l'Afrique.

Ce sont naturellement les trois s(\jours de Livingstone en Afrique qui tiennent la plus grande place dans le livre de M. Reuss. H en a résumé les péripéties les plus importantes et les grands résultats géographiques d'après les relations officielles publiées par le voyageur lui-m^^me ou par ses amis ; mais il a de plus tiré un excellent parti des extraits de sa correspondance et de son journal intime, mis au jour par M. William Garden Blaikic. Grâce à cette heureuse combinaison, la narration gagne grandement en animation et en intérêt, la charmante naïveté des impressions personnelles du doc- teur tempérant ce qu'ont d'aride ses itinéraires compliciués. Au point de vue géographique on pourrait à la rigueur, dans le récit de ces pérégrinations, relever quelques inexactitudes de détail, regretter quelques omissions; en général cependant, ce récit est exact etaussi complet que le permettait l'étroitesse du cadre choisi. Les révélations successives de Livingstone sur le plateau de l'Afrique australe sont nettement exposées ; on suit le voyageur, sinon pas à pas, du moins dans les zigzngs principaux de ses courses entrecroisées, soit que, du lac Ngami et du haut Zambèze, ses premières découvertes, il gagne tour à tour Tocéan Atlantique à Loanda et l'océan Indien à Quilimané ; soit qu'il s'épuise en efforts infructueux pour faire du Zambèze la grande voie d'accès de l'intérieur, et explore entre temps le lac Nyassa au nord do son cours inférieur ; soit qu'enfin, dans cette troisième expédition dont il ne devait pas revenir, il croise en tous sens, pendant sept longues années, les pays inconnus à l'ouest du Nyassa et du Tanganijka, et y découvre une multitude de lacs et de fleuves lacustres, qu'il s'obstine à rattacher au Nil, alors qu'ils appartiennent au haut bassin du Congo. Mais, tout en faisant

S52 REVUS PÉDàGOOIQUB

ainsi la part suffisamment large à rhistorique des voyages el à Tana- lyse des découvertes de son héros, M. Reuss ne perd jamais de vue le vrai but qu'il s'était proposé, celui de faire comprendre, apprécier et aimer la noble personnalité et le grand caractère, Vàrac can- dide et la foi sublime de ce fidèle serviteur de Dieu. Profondément ému lui-même, il fait passer son émotion dans Tâme du lecteur et le laisse plein d'admiration en face d'une vertu qui ne s'est pas démentie un seul jour, à travers les labeurs et les faUgues indi- cibles, les misères et les dangers sans nombre dun apostolat de trente ans.

Rien ne serait plus facile que d'appuyer de nombreuses citations ce que nous venons de dire, et de Livingstone lui-même et de son biographe. Nous nous contenterons de transcrire quelques ligne» qu'à un des moments les plus critiques de sa vie, un an avant sa réunion providentielle avec Stanley, le missionnaire écrivait sur les feuillets de son carnet de chèques, seul papier dont il disposât dans la misérable hutte du Manyéma la maladie le tint confiné pen- dant trois mois. « Je n'ai rien reçu depuis plusieurs années, sauf quelques lettres, vieilles de trois ans, que j'ai trouvées à Oujiji. J'éprouve un désir douloureux d'en finir et j'espère que le Tout- Puissant me permettra de retourner dans mon pays. Mais je me remets aux mains de Celui qui dispose des événements. Si je meurs, je veux tomber en faisant mou devoir, comme un de ses courageux serviteurs. J'ai toujours eu l'assurance que mes amis voudraient me voir faire une œuvre complète et c'est un vœu que je partage en dépit de toutes les difficultés. Mon désir serait de donner à la jeunesse de mon pays l'exemple d'une persévérance virile. »

11 n'a pas été donné à Livingstone de revoir sa patrie et sa famille; mais ses deux autres vœux ont été amplement exaucés. Il est tombé en faisant son devoir, plus que son devoir, et il a laissé à la jeunesse non seulement de son pays, mais de tous les pays, un exemple éclatant de persévérance héroïque. Cet exemple est bon à méditer, de ce côté de la Manche non moins que chez nos voisins. Remercions donc M. Reuss de l'avoir proposé à la jeunesse française sous une forme capable de l'enflammer d'une émulation généreuse, et terminons par le souhait qu'il se trouve dans ses rangs beaucoup d'imitateurs de Livingstone, capables, sinon de l'égaler, du moins de marcher sur ses traces. Auguste Himly.

Le livre du soldat français, par le général Champimnet, publié par M,Marcellin Pellet, dépixié ; Paris, Quantin, éditeur, 1883; 1 vol. in-12 contenant 72 dessins à la plume, avec portraits de Cham- pionnet, frontispice, etc. Le général Championnet est l'un des plus glorieux parmi les soldats de la première République. Parti comme volontaire en 1792, il devint gàiéral de brigade en 1793, puis général de division dans l'armée de Sambre-et-Meuse. En 1798

LA PRESSK ET LES LIVRES bVS

il fut envoyé en Italie, reçut le commandement de l'armée de Rom \ et alla créer à Naples la République parthénopéenne. Après les dé- sastres de 1799 et la mort de Joubert, il dirigea la retraite des armées françaises d'Italie qu'abandonnait le gouvernement consulaire ; atteint du typhus, il mourut à Antibes le 9 janvier 1800. Il n*avflit que trente-huit ans.

Dans les loisirs du bivouac, 11 avait entrepris de composer un « recueil de faits héroïques », sous la forme de petits tableaux dessinés à la plume. Sans être un artiste hors ligne, Championnet dessinait avec élégance et naturel ; ses croquis sont pleins de vie et de vérité. Les deux cahiers qui les renferment se trouvent aujour- d'hui à la bibliothèque de la Chambre des députés. C'est que M. Marcelin Pellet a eu la bonne idée d'aller les chercher, pour les publier en fac-similé, avec une introduction et des notes. « Nous avons cru, dit-il, faire une œuvre de patriotisme en reproduisant et en publiant, comme livre d'enseignement civique, ces pages volantes, reliques d'un artiste et d'un héros. » Championnet lui-mémo avait indiqué en ces termes, dans une courte préface, la portée et le but de son travail: « En composant ce recueil de faits héroïques deno< jours, j'ai voulu mettre sous les yeux du soldat français tout ce qui peut donner de l'émulation à nos chers camarades et immortaliser la République. En compoîrant les petits tableaux dont j'ai recueilli les faits sous mes yeux, je ferai passer le nom de ces braves républicains à la postérité, et je fournirai aux historiens et aux peintres des matériaux inépuisables pour retracer les fastes de la France régénérée et victorieuse. » Ce petit livre respire un souffle ardent d'enthousiasme républicain : on comprend, en le lisant, pourquoi les armées de la Révolution ont vaincre l'Europe. Nous souhaitons, comme l'éditeur, qu'il trouve sa place dans toutes h s écoles, jusqu'au fond du dernier de nos hameaux. Nos enfants y apprendront, mieux que dans Plutarque, ce que c'est que l'héroïsme. G.

Petit traité d'économie domestique, d'horticultuhe et d'âgricil- TURE, à l'usage des jeunes filles suivant les cours des écoles pri- maires des campagnes, par A . de Lentilhac, fondateur de la ferme- école de la Dordogne. Ribérac, Jourdain, lib.-édlteur, 1883; 1 vol. in-i6 de 96 pages. 11 est bien rare aujourd'hui que des livres de classe nous viennent des départements ; presque tous sont édités à Paris, sauf quelques-uns employés dans des congrégations religieuses. En voici un qui nous arrive d'une petite ville de la Dordogne avec un titre très propre à attirer sur lui l'attention.

On se plaint, en effet, de plus en plus de la désertion des cam- pagnes et du manque de bonnes ménagères dans les exploitations agricoles. Les jeunes filles sans dot de nos villages sont attirées vers la ville par des gages élevés, par une vie plus douce, et par l'es-

5o4 BBVUB PÉDAGOGIQUE

poir de trouver un mari qui ne les obligera pas à aller travailler aux champs. Celles qui auront une certaine dot sont élevées le plus souvent dans des pensionnats, elles prennent en dégoût les devoirs de la fermière, les soins du ménage champêtre, et rêvent d'une vie bourgeoise ou citadine. Elles choisiront pour mari, non un cultivateur aisé, robuste, actif, mais quelque petit employé, un homme de plume comme on dit au village. Un riche fermier de la Brio disait plai- samment, il y a quelques mois, qu'il était fâcheux qu'on n'eût pas encore découvert une machine à traire les vaches, car les servantes do ferme deviennent de plus en plus rares.

Si l'on sent le besoin de retenir les hommes aux travaux agricoles, il faut chercher aussi à détourner les jeunes villageoises des villes, elles courent tant de dangers (i), et à les élever pour tenir une maison de cultivateur.

M. de Lentilhac, fondateur et directeur pendant vlngt-deùx ans de la ferme-école de la Dordogne, croit que c'est à l'école rurale qu'on doit préparer les jeunes filles au rôle de ménagère et, dans ce but, il a composé le petit traité que nous annonçons. Nous regrettons qu'il y ait adopté la forme de catéchisme avec des réponses qui parfois tiennent trois longues pages (comme à la page 12) ou même quatre (page ii). Celte forme par demandes et par réponses ne nous semble pas admissible pour un ouvrage qui est proprement un livre de lecture et qui ne doit pas être appris par cœur.

Nous forons un autre reproche au livre de M. de Lentilhac : c'est de nepis être divisé méthodiquement par chapitres, et de mêler dans une même réponse des choses trop différentes: par exemple, à la page 1 i, ùla suite de considérations sur la tenue de la basse-cour et sur l'utilité qu'il y a d'y intéresser la jeune fille en lui abandonnant, pour former son petit pécule, une part dans les produits, il a donné une recette pour faire une soupe au lapin, mêlant ainsi la zoo- technie, l'économie domestique et l'art culinaire. Il conviendrait aussi (jue l'auteur se montnU plus discret ou plus sobre d'indica- tions quand il s'agit de remèdes (voir ce qui regarde /'ai7, p. 41).

Ajoutons que le style de ce petit livre n'est pas toujours irrépro- chable et qu'on y trouve souvent des phrases longues, dont les membres sont mal agencés, comme à la page 52 un paragraphe de deux pages contient trois phrases dont la plus courte a 19 lignés. L'enseignement élémentaire demande une division plus nette des matières, et veut que chaque pensée se détache de celles qui ne s'y rapportent que de loin.

Bien que le livre de M. de Lentilhac soit loin d'être irréprochable et ne puisse servir que dans les écoles de la Dordogne et des régions limitrophes, nous avons cru utile de le signaler et d'attirer l'atten- tion sur une partie trop négligée de l'éducation des filles. Il faut

1) Voir Les femmes de la campagne à Paris ^ par M""" C. de Barrau.

LA PRISSE LT LES UVRES 555

que les instilutrices des écoles rurales se préoccupent de former de bonnes ménagères et de leur montrer tout ce qui en dépend ; la cuisine, la laiterie, la buanderie, la basse-cour, Télable, le jardin. Cet enseignement peut être donné sous une forme attrayante et non sans une certaine poésie propre à la vie champêtre bien comprise.

B. B.

L'ÉDUCATION ET L'INSTRUCTION considérécs dans leurs rapports avec le bien-être social et le perfectionnement de Tesprit humain, par C. Ilippeau, professeur honoraire de faculté. Paris, Delalain frères, 1885, i vol. in-12de xv-3i8 p. Cet ouvrage, publié environ doux ans après la mort de Tauteur par les soins de sa respectable veuve, est le * mémoire qui a obtenu le premier prix sur la question d'éducation dans le concours ouvert en 1880, en faveur des sciences sociales, par un généreux philanthrope, Isaac Péreire. On sait que M. Hippeau avait public peu de temps avant sa mort un recueil des rapports et discours auxquels la réforme de l'instruction publique avait donné lieu dans les diverses assemblées de 1789 à 1802, et qu'il avait fait paraître de 1860 à 1870 d'intéressantes études sur l'état do l'ensei- gnement aux États-Unis, dans les principaux États de l'Europe, Allemagne, Angleterre, Italie, Russie, Etats Scandinaves, et en der- nier lieu dans l'Amérique du Sud (République Argentine).

Comme le dit M. Eugène Talbot dans la courte préface du volume que nous annonçons, « M. Hippeau a étudié de près et comparé les divers systèmes pratiqués dans tous les pays du monde, et en môme temps il a suivi, avec une attention scrupuleuse, et comme par étapes, les phases ascendantes que l'instruction publique a traversées en France depuis la Révolution à l'heure actuelle. » Il avait une foi pro- fonde dans le progrès moral résultant de l'accroissement des lumières, et il se montre très sympathique à tout ce qui peut contribuer à rinstruction du plus grand nombre. Il accueille avec joie toute mé- thode qui s'inspire de ces principes, et il considère surtout comme un élément de progrès la place plus grande faite aux femmes dans renseignement. Après avoir exalté, comme on sait, leur rôle dans les écoles des États-Unis, M. Hippeau préconise en Fiance les écoles professionnelles dues à l'initiative de M"»« Elisa Lemonnier, comme il signale le progrès résultant de la création d'une école normale d'institutrices dans chaque département et l'institution des lycées et collèges de filles par la loi Camille Sée.

Ce que M. Hippeau souhaite avant tout, c'est que les écoles de tout ordre préparent des citoyens dévoués aux institutions sorties du mouvement de 1789, et établissent entre les deux sexes une commu- nauté d'idées, de discipliné intellectuelle, de connaissances générales.

Sur les voies et moyens d'ordre administratif, ou sur les méthodes, il est généralement peu précis et reste dans les indications générales. 11 se montre très bienveillant pour tous les novateurs et son éclec- tisme est poussé parfois un peu loin. 11 n'est point centralisateur et

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jaloux des droits de l'État, maïs il entend bien que le système d'instruction publique soit en harmonie avec les institutions sociales et politiques et avec l'esprit du temps. U repousse une cen- tralisation rigoureuse et routinière et demande que les établisse- ments d'instruction s'inspirent des progrès do la science et secondent l'activité nationale sous toutes ses formes.

En un mot, ce livre est l'œuvre d'un esprit généreux et il sera lu avec intérêt par quiconque s'occupe des questions si complexes de l'éducation nationale. On y trouve une chaleur communicative qui fait aimer l'auteur et honorer sa mémoire. C'est ce qu'a souhaité surtout M*^® Hippeau en poursuivant avec un soin pieux la publication des dernières pages de son mari. B. B.

Rapport sur les écoles publiques supérieures de jeunes filles EN Alsace-Lorraine, par une commission de docteurs en médecine, traduit de l'allemand par ^mi7c /Jot^, Gex, imprimerie Brocard, 4885; br. in-8® de 56 pages. On sait combien la question de la surcharge dans les écoles préoccupe l'opinion publique en Allemagne et en Angleterre. Le développement de l'enseignement est accusé de produire chez les élèves un alTaiblissement de la constitution phy- sique et d'amener au bout de quelques années l'étiolement de la race. Pour les jeunes filles, la question est d'autant plus grave que *ia vie est attaquée dans sa source et que la fécondité des mariages est compromise.

En créant, pour remplacer les pensionnats, des écoles supérieures de jeunes filles, ne ya-t-on pas accroître encore les dangers résul- tant d'un travail intellectuel excessif à l'âge la constitution de la jeune fille a besoin de soins particuliers? Telle est la question qui a été soumise par le gouverneur de l'Alsace- Lorraine à une commission de douze médecins.

Le rapport publié par cette commission a été traduit par M. Emile •Roth, receveur particulier des finances à Gex, et il mérite d'être pris en considération par tous ceux qui ont à diriger ou a surveiller les établissements d'instruction pour les jeunes filles.

Nous en extrayons quelques passages :

{^ Au sujet du besoin de restreindre Je nombre des heures de -classe et de les couper par des récréations : « A l'école comme à la maison, il faut que les fillettes soient protégées, à l'égal des garçons, contre l'excès d'heures de classe et d'heures de travaux manuels exisfeant la position assise ; il convient de leur donner, à elles aussi, entre les heures de travail pendant lesquelles elles doi- vent rester immobiles, une pause de récréation d'égale durée à celle accordée aux garçons et pendant laquelle elles pourront, autant que {>ossible9 se mouvoir en liberté; elles devront également, en réci- tant leurs leçons, se lever et se tenir debout ; on devra tâcher enfin que l'école elle-mémo leur procure l'occasion de se promener jour-

PRESSE ET LES LIVRES

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nellement au grand air, sous la conduite de femmes respectables, de rafraîchir el de fortifier le corps et Tesprit par des exercices de gymnastique spécialement choisis par elles, et par des jeux amu- sants adaptés à la grâce naturelle de la jeune fiUe. »

2"^ Sur nécessité d'avoir un matériel scolaire adapté à la taille des élèves : « Les déviations de l'épine dorsale ou bien sont la suite du rachitisme ou bien elles proviennent de mauvaises postures du corps adoptées par Thabitude ; dans cette dernière espèce viennent se ranger les inclinaisons du dos provenant d'habitudes prises, ou autrement dit les scolioses acquises. Celles-ci sont priHluites principa- lement par une mauvaise tenue du corps à l'école et sont, par suite, désignées sous le nom de scolioses scolaires. C'est une infirmité attaquant de préférence les jeunes fîl!e-i en voie de développement; les garçons en sont atteints moins souvent.

» Des bancs d'école d'une construction \ Itrîeuse sont l'une des prin- cipales causes pour lesquelles les enfants, afin de trouver un appui, recherchent des postures par lesquelles la colonne vertébrale est con- tournée et prend une inflexion latérale. »

Sur les dangers qu'offrent certains travaux manuels :

« Une déviation de la colonne vertébrale est beaucoup moins à craindre avec les travaux manuels féminins qu'avec l'écriture; mais on doit redouter bien plutôt, à cause du rapprochement considérable des yeux sur le travail et do l'inflexion en avant de la tête, l'appa-

riti'Mi d'un côté de la myopie et de l'autre de l'asthénopie Cette

infirmité est causée principalement par l'attention continue provo- quée par la fixation d'objets de petite dimension, parla lecture d'une

impression très fine, et par des travaux manuels fatigants Tous les

travaux manuels, en général, devraient être exécutas dans des salles spéciales éclairées très amplement, autant que possible par en haut, el seulement pendant les heures la lumière du jour est complète. »

-i*^ Enfin sur le nombre des heures de classe et des heures d'études: a Les occupations des écolières à l'école doivent, à notre avis, comporter tout au plus par semaine :

A«iE DES ÉCOLIÈRES

1

NOMBRE D'HEUHKS PASiBfi:» A LLCULS

y compris les (nivaux manuels

IIKLUE> POUit LKd DbVÛUls

1 7 et K ans

18

24 20

28

6 1/2 (!) () 1/2 6 1/i 6 G

î) ans

10 et il ans

12, 13 el i\ ans

15 el IG ans

(1) Nous croyons que cj chilIVe devrait être diminué do 2 heures pour les (rjis premiers âges.

558 REVUB PÉDAGOGIQUl

.) 11 y a lieu d'ajouter à cela une heure chaque jour pour les exer- cices de gymnastique ou pour les mouvements en plein air.

» Il ne pourra être donné, le malin, des devoirs à faire pour Taprès- midi du même jour. Le dimanche doit rester complètement libre. »

Dans les établissements français, il est bon, plus que jamais, d'apporter beaucoup de sollicitude sur les prescriptions de l'hygiène et de veiller à ce que notre population, qui s'accroît si peu, soit du moins vigoureuse et saine. Z.

Les Mkres des grands hommes, par Maurice Block, 1 vol. in-8\ Delagrave, éditeur, 1885. Ce volume est un hommage à la femme p.ir qui les hommes deviennent forts et grands, et par suite les peuples. « Telle mère, tel fils, » dit l'auteur, et Ton pourrait ajouter avec lui : « Telles mères, tels peuples. »

Quand tout devient petit, femmes, vous restez grandes,

a dit excellemment le poète dont la mort vient de consacrer Timmor- talité. L'idée de l'ouvrage qui vient de paraître est vraie et juste. Quant à l'exécution, elle n'est pas moins digne d'éloges. Pour faire la démonstration du principe posé, c Telle mère, telle fils », on par- court les siècles passés, on relit l'histoire des nations anciennes dans d'intéressantes biographies d'une éloquente simpUcité. Dans ces lectures, qui ne sont pas de ces historiettes banales avec des conclusions de bénigne et puérile morale, mais des faits authen- tiques, sérieux, l'enfant comme le jeune homme peut puiser les vraies règles de la vie et les immuables lois de la vertu. Des Gracques à Brizeux, de saint Augustin à Lamartine, de Marc- Aurèle à Napoléon I", dans tous les pays, chez tous les peuples, dans toutes les conditions il verra l'influence de la mère. Ce livre augmentera le respect du foyer qui tend à diminuer, et sera un excellent sujet de méditations pour la jeunesse de nos écoles.

Encore un mot: Le chapitre des secondes mères prouve bien que l'ouvrage est un hommage à la femme et démontre son influence salutaire en matière d'éducation. Que de femmes, tantes ou mar- raines, ont été de véritables mères pour leurs neveux ou leurs filleuls et ont donné à la patrie une illustration de plus et une nou- velle gloire!

J'ajoute en conclusion qu'un exemple récent corrobore l'idée que l'auteur s'efforce de démontrer dans tout son ouvrage. Victor Husço était dans son enfance

Si débile qu'il fut, ainsi qu'une chimère, Abandonné de lous excepté de sa mère.

Vérité, morale, style clair et précis, plan net et juste, telles sont les qualités du livre, auquel je reprocherai pourtant de n'avoir pas donné un plus grand nombre d'exemples. L. Mainard.

LA PRESSE ET LES LIVRES 559

Langue allemande.

Du CHOIX d'un métier. Nous avons eu déjà l'occasion de signaler un ouvrage (celui de M. de Fragstein) sur le choix des carrières. Les pédagogues allemands se préoccupent à bon droit de cette ques- tion, si importante pour les familles, pour les enfants, pour la société. Trop souvent c'est le hasard, un caprice qui décident, et la vie entière peut se passer à regretter un choix malheureux sur lequel il est plus tard difficile, sinon impossible de revenir.

M. Rudolph, directeur d'une grande école dans la ville manufac- turière et commerciale de Chcmnitz, a été frappé, par ses rapports avec la population ouvrière, de l'importance du problème qui se pose aux familles : Que ferons-nous de nos enfants ? 11 vient de publier, à Wittenberg, un livre qui ne manque pas de valeur, sous ce titre : Du choix d*une carrière pour nos pis. C'est pour la plus grande part un recueil de conférences que l'auteur a faites sur ce sujet et qui ont paru avoir de l'écho.

Dans le choix d'une carrière, dit-il, il y a plusieurs points impor- tants à considérer: l'éducation préalable de l'enfant, ses aptitudes personnelles, le développement ultérieur qu'il lui sera possible d'ac- quérir en vue de la carrière choisie. L'auteur insiste sur la néces- sité de se décider sérieusement, et pour des motifs réfléchis, sur la difficulté d'un bon choix. 11 insiste surtout sur la bonne préparation que l'enfant doit recevoir en vue de son métier, d'abord à la mai- son, ensuite à l'école. Nous ne pouvons ici analyser ce volume; nous nous bornons à indiquer les principales questions qui y sont traitées, parce qu'elles nous paraissent propres à attirer l'attention :

0 Qui doit choisir? A quelle époque ce choix doit-il se faire? Quels sont les motifs qui doivent déterminer, et quels sont ceux qu'il convient d'écarter? »

Comme l'avait fait avant lui M. do Fragstçin, l'auteur de ce volume entre dans de minutieux détails de statistique sur les diffi^rents métiers, dont il énumère plus de cent, en essayant de mettre en lumière les avantages, les inconvénients, les perspectives qu'ils offrent et la préparation qu'ils exigent..

De telles indications ne peuvent que rendre service; elles rentrent bien, par un certain côté, dans la vocation de l'instituteur, auquel les parents s'adressent parfois, et pas assez souvent, dans leur embarras. Le maître n'a pas charge des enfants pendant les heures de la classe seulement; s'il aime sa tâche, s'il aime ses élèves, il se préoccupe de ce qu'ils deviendront, il connaît leurs dispositions et leurs goûts, et il lui est bon d'avoir à sa portée des moyens d'information propies à éclairer à la fois les enfants et leurs fa- milles sur les diverses carrières qui s'ouvrent devant eux au sortir d'école.

560 RSVUB PÉDAGOGIQUE

L'herbartiamsme en Allemagne. La pédagogie de Taulre côlé du Rhin est engagée en ce moment-ci dans une lutte assez vive dont nous ne pouvons pas ne pas entretenir nos lecteurs.

Le monde des instituteurs germaniques, tant de rAUemagne proprement dite que de l'Autriche et de la Suisse, se partage à rheure actuelle en deux grandes catégories. D'une part, les disciples de Herbart, qui se subdivisent à leur tour en deux tendances. Tune modérée ou libérale, l'autre orthodoxe et intolérante; la première reconnaissant pour chef le D"" Stoy, la seconde se rattachant au D"" Zilicr. D'autre part, la grande masse des instituteurs et péda- gogues qui, pour des raisons diverses, n'ont pasjpris parti pour Her- bart, et que les fanatiques de ce philosophe traitent de «pédagogues vulgaires » ou de « simples praticiens ». Ceux-ci se rattachent assez volontiers ù Frédéric Dittes, l'ancien directeur de l'école normale supérieure de Vienne et le rédacteur en chef du Pœdagogium, l'une des meilleures revues pédagogiques allemandes.

Des deux côtés, c'est depuis quelques années un flot intarissable de brochures, de volumes, d'articles de revues et de journaux. Dittes conduit la bataille avec une grande énergie; il est vigoureusement attaqué h son tour, et peu d'instituteurs restent étrangers au con- flit; ils se croient à peu près tous obligés de se ranger sous Tune ou raulrc bannière.

Le nom de Herbart (1776-i8iJ) est à peu près inconnu en France; aussi conimeucerons-nous par dire quelques mots de ce philosophe. Précepteur en Suisse de 1797 à 1799, il y apprit à connaître Pes- talozzi, subit sjn influence et recueillit quelques-unes de ses idées. C'est à Pcstalozzi, par exemple, qu'il a emprunté sa théorie que Vintuitiou doit élre la base de l'enseignement, il a puisé ses autres doctrines chez les << Philanthropinistes » et dans les ouvrages de Niemeyer, principalement dans le livre classique : « Les principes do réducation et de V enseignement . » Devenu professeur de phi- losophie à Gœttingue et ta Kœnigsberg, Herbart a fait des leçons et publié des livres de pédagogie, d'abord peu lus, peu connus, qui n'avaient pas du tout attiré l'attention du public spécial de l'enseignement. Dix ans même après sa mort, on pouvait les croire tombés dans la mer de l'oubli. 11 appartenait à deux maîtres distingués de les retirer de cette obscurité profonde, et de provoquer en faveur des idées de Herbart un mouvement considérable.

Voici un court résumé de ces idées plus fidèle peut-être que clair:

1. L'éducation repose sur le double fondement de l'éthique ou nnorale et de la psychologie.

L'éthique propose le but de l'éducation, qui est la formation chez l'homme d'une volonté morale. *

La psychologie, en tant que doctrine des phénomènes, des lois et causes de la vie de Tame, indique les voies et moyens pour parvenir

LA PRESSE ET LES LIVRES 561

à ce but. C'est sur les lois psychologiques que doit reposer le choix des objets et des méthodes d'enseignement.

Nous nous garderons bien d'exposer ici la psychologie de Herbarl, dont le langage technique et obscur risquerait delTrayer nos lecteurs. Quant à sa morale, elle comprend cinq divisions, ce qu'il appelle les cinq idées pratiques : liberté intérieure, perfection, bienveillance, droit, et équit ;. L'homme de bien est celui qui est fidèle à ces directions; la pédagogie a pour objet suprême de mettre l'homme en état do s'y conformer et de lui en inspirer la ferme volonté.

â. L'éducation se divise en trois parties principales : A, le gouverne- ment (Regieruny)f ou la direction extérieure, la police scolaire; B, l'enseignement (Unlerricht) ; C, la discipline morale (Zucht), qui comprend la formation du caractère. Tout enseignement doit être éducatif, c'est-à-dire qu'il ne doit pas consister simplement à accu- muler des connaissances, mais avoir en vue de produire et de coordonner des idées, d'exciter l'intérêt, de créer le vouloir et de donner naissance au jugement moral.

3. Un des points cardinaux de la pédagogie de Herbart, c'est sa doctrine de la multiplicité de l'intérêt (V ielseiligkeit des Interesses), L'intérêt peut être empirique, spéculatif, esthétique, sympathique, social et religieux. L'éducateur doit se proposer d'éveiller et de déve- lopper régulièrement chacune de ces six formes, de façon à ce que chaque élève trouve dans l'enseignement quelque forme d'intérêt qui puiî^se l'attacher.

4. Pour parvenir à ce résultat, le maître doit diviser son ensei- gnement en quatre étapes successives, que nous croyons devoir indiquer mal^^ré la bizarrerie de la forme. Ce sont : A, la clarté, qui comprend : a) l'analyse, c'est-à-dîre la préparation à ce qui est nouveau; 6) la synthèse, c'est-à-dire l'exposition de ce qui est nouveau: B, l'association, qui rattache le nouveau aux 'choses déjà connues; C, le système, qui rassemble et coordonne les résultats obtenus afin d'en constituer un ensemble organisé; Z>, la méthode ou l'exercice, ou degré de l'application pratique.

La pédagogie do Herbart occupe une place si considérab'e dans les écrits et les polémiques du jour en Allemagne, qu'il nous a semblé utile d'en reproduire ici, malgré l'obscurité inévitable d'un lel résumé, les lignes principales. Longtemps inconnues, médio- crement appréciées, mémo par plusieurs de ceux qui s'y intéres- saient, les doctrines de Herbart n'acquirent une véritable notoriété que par les travaux de Stoy et de Ziller.

Le D^ Stoy fonda à ses frais une école normale à léna en 1843 pour y appliquer ses idées pédagogiques ; il Ta dirigée avec grand succès jusqu'au commencf^ment de celte année-ci, il est mort à l'âge de 70 ans. 11 a formé dans cet intervalle plus de 600 élèves, placés aujourdhui dans toutes les parties de l'Allemagne et do l'Autriche. Tojt en prenant pour base de son enseignement la

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L'herbartiamsme en Allemagne. La pédagogie de Taulre côlé (lu Rhin est engagée en ce momenl-ci dans une lutte assez vive dont nous ne pouvons pas ne pas entretenir nos lecteurs.

Le monde des instituteurs germaniques, tant de rAllemagne proprement dite que de TAutriche et de la Suisse, se partage à hieure actuelle en deux grandes catégories. D'une part, les disciples de Herbart, qui se subdivisent à leur tour en deux tendances. Tune modérée ou libérale, Tautrc orthodoxe et intolérante; la première reconnaissant pour chef le D' Stoy, la seconde se rattachant au 1)'' Zilicr. D'aulrc part, la grande masse des instituteurs et péda- gogues qui, pour des raisons diverses, n'ont pasjpris parti pour Her- bart, et que les fanatiques de ce philosophe traitent de « pédagogues vulgaires » ou de « simples praticiens », Ceux-ci se rattachent assez volontiers ù Frédéric Dittes, l'ancien directeur de l'école normale supérieure de Vienne et le rédacteur en chef du Pœdagogium, Tune des meilleures revues pédagogiques allemandes.

Des deux cotés, c'est depuis quelques années un flot intarissable de brochures, de volumes, d'articles de revues et de journaux. Dittes conduit la bataille avec une grande énergie; il est vigoureusement attaqué h son tour, et peu d'instituteurs restent étrangers au con- flit: ils se croient à peu près tous obligés de se ranger sous Tune ou l'autre bannière.

Le nom de Herbart (1776-i8il) est à peu près inconnu en France; aussi commencerons-nous par dire quelques mots de ce philosophe. Précepteur en Suisse de 1797 à 1799, il y apprit à connaître Pes- talozzi, subit sjn influence et recueillit quelques-unes de ses idées. C'est à Pestalozzi, par exemple, qu'il a emprunté sa théorie que Viniuition doit être la base de l'enseignement. 11 a puisé ses autres doctrines chez les 4 Philanthroplnistes » et dans les ouvrages de Niemeyer, principalement dans le livre classique : « Les principes de réducation et de renseignement, » Devenu professeur de phi- losophie à Gœtticgue et à Kœnigsberg, Herbart a fait des leçons et publié des livres de pédagogie, d'abord peu lus, peu connus, qui n'avaient pas du tGut attiré l'atlention du public spécial (le l'enseignement. Dix ans mémo après sa mort, on pouvait les croire tombés dans la mer de l'oubli, 11 appartenait à deux maîtres dislingués de les retirer de cette obscurité profonde, et de provoquer en faveur des idées de Herbart un mouvement considérable.

Voici un court résumé de ces idées plus fidèle peut-être que clair:

i. L'éducation repose sur le double fondement de l'éthique ou morale et de la psychologie.

L'éthique propose le but de l'éducation, qui est la formation chez rhomme d'une \olonté morale. '

La psychologie, en tant que doctrine des phénomènes, des lois et causes de la vie de Tâme, indique les voies et moyens pour parvenir

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à ce but. C'est sur les lois psychologiques que doit reposer le choix des objets et des méthodes d'enseignement.

Nous nous garderons bien d'exposer ici la psychologie de Herbarl, dont le langage technique et obscur risquerait d'ellrayer nos lecteurs. Quant à sa morale, elle comprend cinq divisions, ce qu'il appelle les cinq idées pratiques : liberté intérieure, perfection, bienveillance, droit, et équil ;. L'homme de bien est celui qui est fidèle à ces directions; la pédagogie a pour objet suprême de mettre l'homme en état do s'y conformer et de lui en inspirer la ferme volonté.

â. L'éducativ.n se divise en trois parties principales : A^ le gouverne- jnent (Rcgieruny), ou la direction extérieure, la police scolaire; B, l'enseignement (Unterricht) ; C, la discipline morale (Zucht), qui comprend la formation du caractère. Tout enseignement doit être éducatif, c'est-à-dire qu'il ne doit pas consister simplement à accu- muler des connaissances, mais avoir en vue de produire et de coordonner des idées, d'exciter l'intérêt, de créer le vouloir et de donner naissance au jugement moral.

,3. Un des points cardinaux de la pédagogie de Herbart, c'est sa doctrine de la multiplicité de l'intérêt (Vivlseiligkeit des Interesses). L'intérêt peut être empirique, spéculatif, esthétique, sympathique, social et religieux. L'éducateur doit se proposer d'éveiller et de déve- lopper régulièrement chacune de ces six formes, de façon à ce que chaque élève trouve dans l'enseignement quelque forme d'intérêt qui puisse l'attacher.

4. Pour parvenir à ce résultat, le maître doit diviser son ensei- gnement en quatre étapes successives, que nous croyons devoir indiquer malgré la bizarrerie de la forme. Ce sont : A, Isl clarté, qui comprend : a) l'analyse, c'est-à-dîre la préparation à ce qui est nouveau; 6) la synthèse, c'est-à-dire l'exposition de ce qui est nouveau; B, l'association, qui rattache le nouveau aux 'choses déjà connues; C, le système, qui rassemble et coordonne les résultats obtenus afin d'en constituer un ensemble organisé ; D, la méthode ou l'exercice, ou degré de l'application pratique.

La pédagogie do Herbart occupe une place si considérab'e dans les écrits et les polémiques du jour en Allemagne, qu'il nous a semblé utile d'en reproduire ici, malgré l'obscurité inévitable d'un lel résumé, les lignes principales. Longtemps inconnues, médio- crement appréciées, même par plusieurs de ceux qui s'y intéres- saient, les doctrines de Herbart n'acquirent une véritable notoriété que par les travaux de Stoy et de Ziller.

Le D^ Stoy fonda à ses frais une école normale à léna en 1843 pour y appliquer ses idées pédagogiques ; il Ta dirigée avec grand succès jusqu'au commencement de celte année-ci, il est mort à l'Age de 70 ans. H a formé dans cet intervalle plus de (KK) élèves, placés aujourdhui dans toutes les parties de l'Allemagne et do i'Autriche. Tojt en prenant pour base de son enseignement la

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pédagogie de Herbart, il a su montrer un esprit large, s'est attaché à l'esprit plutôt qu'à la lettre, insistant par-dessus tout sur la valeur personnelle de l'éducateur, plus importante de beaucoup à ses yeux que celle des méthodes. Ses disciples sont ce qu'on appelle les herbartiens modérés.

A côté d'eux s'est formée une école d'herbartiens plus rigou- reux et plus prétentieux. Ceux-ci ont Ziller pour chef. Le D»" Ziller fonda en 1862, auprès de l'université de Leipzig, un institut pédago- gique académique (academisches padagogischcs Seminar), avec une école primaire d'application, ou école annexe. Les auditeurs des cours étaient moins des étudiants de la faculté des lettres que des théologiens ou des instituteurs autorisés, après de bons examens, à suivre les cours de l'Université. Très actif, très ardent, d'une nature passionnée et intolérante, Ziller a voulu pousser Vherbartianismv à ses dernières conséquences, lui donner une terme qu'il croyait définitive et absolue. 11 nous serait difficile ici de donner une idée exacte de son système, qui nous paraît consister beaucoup plutôr en formules obscures qu'en idées neuves. Voici du moins ce qui le caractérise. 11 prétend que le dernier mot de la science pédago- gique, c'est la concentration de l'enseignement. 11 n'entend pas par cette sage méthode des bons maîtres qui cherchent à ratta- cher, à grouper, à réunir par un lien commun les difTérentes matières de renseignement, ou à mettre en lumière leurs points de contact; non, la concentration consiste, pour Ziller, à prendre une matière quelconque, et à en faire le centre de toutes les autres branches d'enseignement; aucune d'elles n'a plus d'existence parti- culière : elles ne sont que les rayons du centre commun plus ou moins arbitrairement choisi, et ne sont étudiées que dans la mesure elles sont nécessaires pour éclairer le sujet principal. Cet objet central de l'enseignement doit être pris soit dans l'histoire profane, soit dans l'histoire religieuse, et changer chaque année. Voici le plan d'études tracé par Ziller. Pour la première année, il avait choisi douze fables : j)Our la seconde, l'histoire de Robinson; pour la troisième, l'histoire des patriarches. Les cinq autres années devaient avoir tour à tour pour étude centrale l'époque des juges d'Israël, celle des rois d'Israël, la vie do Jésus, l'histoire des Apôtres, et celle de la lléformation. Ces huit objets répondent selon Ziller aux huit éta- pes, aux huit degrés de civilisation que l'humanité a traversés jusqu'à ce jour, et correspondent également aux degrés successifs de déve- loppement (le renfance pendant les huit années de la vie scolaire. De six à quatorze ans, dit Ziller, l'enfant parcourt ainsi avec rapidité toutes les étapes de la vie historique de l'humanité.

Nous n'entreprenons pas de discuter le plus ou moins de valeur de ces théories. Leur auteur les tenait pour la vérité même, pour le premier et le dernier mot de la science. En 1808, pour contribuer à leur propagalion.il fonda la société de la Pe(/a^Of//f scientifique, qui ne

PRESSE ET LES UVRSS 563

tarda pas?i avoir sa revue particulière. Après la mort de Zîller(1882), c'est le professeur Th. Vogt, de Vienne, qui en a pris la direction. Difficile à comprendre, hérissée comme elle est de termes techniques, écrite dans un langage spécial qui demande une initiation, c'est une revue plutôt philosophique que pédagogique, qui semble exercer une assez médiocre influence. En revanche, la Société de pédagogie scientifique compte un grand nombre d'adhérents, plus de 600, qui ne semblent pas tous absolument d'accord, et que le D^ Wesendonck (dans un article du Repertorium aucjuel nous empruntons ces détails) divise en quatr*i catégories. Ce sont d'abord les simples herbar liens, fidèles aux doctrines du maître. Ensuite les herbartiens modérés, comme nous les avons déjà désignés, dont la vénération n'exclut pas la critique; parmi eux, Stoy et ses élèves. Puis les Zilleriens ou néo-herbartiens, de la «stricte observance»; c'est le parti militant, agressif, qui n'admet pas do salut hors de sa chapelle, pas de péda- gogie en dehors de ses formules. Enfin, il y a, paraît-il, les herbartiens par mode, par imitation, qui aiment à voir leurs noms inscrits sur la liste des sociétaires, et se soucient médiocrement de la doctrine. L'exclusivisme et le langage hautain des disciples de Ziller ont soulevé depuis longtemps contre eux une antipathie bien compré- hensible.\ Un herbartien modéré, iM Frœhlich, n'a pas craint de protester lui-même contre des prétentions et des allures qui lui paraissaient injustifiées et dangereuses. De quelle mêlée la critique de Frœhlich a été le signal ! Pendant que les uns reprochaient aux disciples de Ziller leur esprit exclusif et batailleur, l'obscurité et les dangers de leurs théories, ceux-ci répondaient par l'expression (l'un souverain dédain pour ceux qu'ils appellent des dilettantes, des ignorants, des lêles bornées, etc.

Nous avons déjà nommé le plus considérable des adversaires de l'école de Herbart: c'est Dittes, qui combat infatigablement dans son Pœdagogium des prétentions et des doctrines qui lui paraissent com- promettantes pour une saine pratique de l'enseignement ; il plaide en faveur du bon sens; il montre que la pédagogie prétendue « scienti- fique » n'a rien de commun avec la science, puisqu'elle s'appuie non sur l'observation des faits, mais sur une théorie métaphysique; et que les quelques vérités qu'elle contient et qu'elle exprime dans un langage barbare sont de celles que les éducateurs ont toujours connues et appliquées.

La plus sérieuse défense de l'herbartianisme est présentée par le D"^ Rein, directeur de l'école normale d'Eisenach, dans son intéressant recueil Pœd(igogische Studien. Là, des écrivains de valeur, comme Rein lui-même, Gœpfert, Zillig et autres rompent des lances en faveur des doctrines de Ziller, expliquent et vantent la « concentration », repoussent les attaques, portent l'agression sur le terrain des adversaires.

Les herbartiens, qui ont plusieurs journaux et revues, ont fondé

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des cercles, font de la propagande, font du bruit, je crois même qu'on peut ajouter : font du bien, parce qu'ils attirent l'attention sur des questions intéressantes, et qu'ils forcent ainsi le personnel enseignant à réfléchir sur les méthodes d'enseignement, et à sortir de la routine.

Les conférences pédagogiques, soit d'instituteurs, soit de directeurs d'écoles primaires supérieures, s'entretiennent de ces sujets, mettent à l'ordre du jour les doctrines de Herbart-Stoy-ZIller, discutent sur leurs avantages et leurs inconvénients. Ce serait aujourd'hui ne pas savoir le premier mot du mouvement pédagogique de l'autre côté du Rhin que n'être pas au courant de cette graude querelle.

Peut-être ceux qui y prennent part de l'un ou de l'autre côté s'en exagèrent-ils l'importance. Quand la poussière du combat sera tombée, on s'apercevra qu'on a disputé beaucoup plus sur des mots que sur des choses; mais il restera sans doute quelques bons résultatsacquis, comme à la suite de toute controverse. On s'apercevra alors que ce qu'il y a de sensé, de rationnel, de pratique dans les théories des Herbart, des Stoy et des Ziller appartenait déjà au domaine commun de la pédagogie; et les bizarreries, les étrangetés, les points peut-être auxquels les disciples convaincus attachent le plus d'importance, disparaîtront comme ont disparu tant d'autres systèmes. Un mot qui a souvent été répété dans la lutte pourrait caractériser assez exactement la valeur de l'école de Herbart: « Ce qu'elle offre de nouveau n'est pas bon; ce qu'elle offre de bon n'est pas nouveau. » J. s.

Conférences pédagogiques pour i.e perfectionnement des insti- tuteurs (Padagogische Vortrdge zur ForthUdunq der Lehrer), par Fr, IVyssy inspecteur des écoles à Burgdorf (Suisse). Vienne et Leipzi'», 188 i. Dans cette brochure, l'auteur se propose surtout de réagir contre la tendance qui porte encore un grand nombre d'instituteurs a donner la première place à renseignement au détriment de l'édu- cation. Pour lui, le but de l'éducation est de former chez les élèves un mractèi'e à la fois moral et religieux , et tout ce qui se fait dans l'école doit tendre vers ce but. L'école agit sur l'enfant par l'ensei- gnement, qui est le plus puissant de ses moyens d'action, par la discipline et par la vie scolaire.

Toutes les parties de renseignement peuvent aider à la formation du cœur et de la volonté; cependant les matières qui s'adressent surtout à la mémoire sont celles qui poSi:èdent le moins d'influence. La condition essentielle à laquelle doit satisfaire l'enseignement, c'est de mettr3 en œuvre l'activité personnelle des élèves. En outre, il doit comprendre un ensemble de connaissances bien liées entre elles; la langue maternelle sera le lien, le centre commun de tout renseignement. L'auteur ne veut pas dans l'école d'enseignement religieux

LA PRESSE ET LES LIVRES S63

confessionnel ; mais il y maintient un enseignement religieux ayant pour base TAncien et le Nouveau Testament. Il nous semble ici manquer do logique, car, ainsi compris, cet enseignement ne serait neutre que vis-à-vis des diverses sectes issues du christianisme et risquerait fort de ne satisfaire personne.

M. Wyss estime avec raison que le plus efficace des moyens de discipline, c'est un bon enseignement ; il y ajoute la personnalité et Texcmple du maître et, ainsi qu*on pouvait s'y attendre, les châti- ments corporels.

La vie scolaire, c'est-à-dire les relations du maître avec les élèves et des élèves entre eux, a une extrême importance au point de vue éducatif. Un bon esprit, qu'on pourrait appeler esprit scolaire, par analogie avec Vesprit de famille, doit présider à ces relations.

L'auteur demande que Ton se préoccupe davantage d'exciter l'intérêt des familles pour l'école ; que, dans ce but, on forme dans toutes les communes des sociétés d'édmation et que l'on répande dans les campagnes de petits traités populaires d'éducation.

M. Wyss étudie également le rôle de l'Etat et de l'Eglise dans l'œuvre de l'éducation. Signalons simplement ce qu'il dit de l'in- fluence de l'Etat. Selon lui, l'Etat contribue beaucoup plus que l'école à la formation du caractère. Son influence est bonne ou mauvaise selon que dominent dans la vie publique les principes du droit et de la liberté ou au contraire ceux du despotisme. Des institutions libérales sont la condition indispensable du développement du carac- tère d'une nation.

L'un des chapitres importants de la brochure que nous étudions est relatif à l'éducation des instituteurs. L'instruction des instituteurs doit être étendue, mais surtout approfondie. On doit se borner dans chaque matière à l'essentiel. Pour éveiller chez les élèves-maîtres le goût du travail, on leur donnera le temps de se livrer à des études personnelles. Leur éducation professionnelle se fait à l'école modèle, ils vont tantôt en qualité d'instituteurs pratiquants, tantôt en qualité d'auditeurs; chacun d'eux y passe au moins deux demi-journées par semaine. L'éducation morale des élèves-maîtres résulte de l'enseignement tout entier, mais surtout de l'exemple du personnel de l'école normale. A. F.

Langue anglaise.

La fête DE l'arbre AUX Etats-Unis. Le 23 mars de cette année, les habitants des diverses villes de l'État de Pensylvanie pouvaient lire sur les murs de leur cité l'affiche suivante :

^Proclamation de la Fête de l'Arbre.

« Pour encourager systématiquement la plantation des arbres dans nos diverses communes; pour éveiller et entretenir dans la jeunesse

866 REVUI P£DA606IQUI

le goût de Tétude de la nature et faire connaître la nécessité, le profit et le plaisir des entreprises agricoles; pour attirer l'attention publique sur la nécessité de conserver et propager, dans une juste mesure, les forêts de TEtat, afin d'échapper au péril menaçant de leur destruction à la légère, et enfin pour appliquer la résolution conforme de l'Assemblée générale en date du 17 mars 1885 (suit le texte de la résolution),

» Moi, Robert Pattison, gouverneur de la République de Pensylvanie, fixe le 16™*^ jour d'avril 1883 pour célébrer dans tout l'Etat *^la FêU de l'Arbre. Et je recommande ce jour-là au peuple de la République: i^ de planter des arbres le long des rues et des routes, dans les parcs et les terrains communaux; de répandre des notions rela- tives aux arbres, bocages et forôts; et d'encourager la planta- tion des arbres par tous les moyens. »

Celte proclamation du gouverneur de la PenjsylvaQÎe est la sanction pratique donnée à une question qui préoccupe sérieusement depuis plusieurs années les hommes d'Etat et les forestiers des Etats-Unis. En effet, l'accroissement progressif de la colonisation a amené un défrichement colossal des Etats les plus riches en forêts, et nous savons par de récentes expériences quelles sont les conséquences funestes du déboisement illimité. Mais comment mettre un frein à ce mouvement destructeur? Quel rempart opposer à cette invasion de bûcherons et de sapeurs ?

Avec la sagacité et la prcvoyaiice de l'avenir qui n'est pas un des moins étonnants caractères de ce peuple adolescent, les Américains ont pensé que la force la plus vive à leuropposer, c'était la jeunesse des écoles. Et aussitôt tout le personnel des surintendants, des rédac- teurs de périodiques scolaires s'est mis en campagne pour enrôler maîtres et écoliers au service de la cause du reboisement. D'abord on a fait connaître par la voie de la presse les avantages des forêts et les conséquences funestes de leur destruction. Parmi les avantages, il en est qui sont connus de tous : ce sont ceux qui touchent au régime des eaux, à l'hygiène et à l'industrie; mais les Américains ne sont pas insensibles au côté pittoresque et religieux de la ques- tion. « Les forêts, dit l'un des apologistes de la mesure, sont un ornement pour les montagnes; elles protègent les oiseaux aux cou- leurs et aux chants si délectables; elles invitent à la méditation philosophique, en nous donnant l'idée de la grandeur et de l'infini de la nature, et, par la contemplation de ses œuvres les plus nobles, nous rapprochent du Souverain Créateur! » De à instituer une fête pour la plantation des arbres par la jeunesse, il n'y avait qu'un pas. On s'est souvenu de certains arbres qui avaient été con- sacrés par le souvenir des héros de la guerre d'Indépendance, ou bien d*arbres favoris des poètes ; et on a suggéré aux enfants l'idée de dédier l'arbuste qu'il plante à tel de ces héros ou bien de ces écrivains : ainsi l'un plantera en l'honneur do Washington, l'autre de

LA PRESSE ET LES LIVRES o67

Longfellow, tel autre de Liacoln, le grand martyr de la liberté des esclaves. Le terrain et l'essence des arbres sont choisis, chaque arbuste rangé d'avance à la place qu'il doit occuper. Au jour fixé, le maître ou l'institutrice se rend avec son école en cortège sur place. Apres la lecture d'un psaume et la prière, l'un des élèves récile un hymne sur les forêts, le maître prononce une allocution et les enfants se mettent à la plantation. Ensuite, ils forment une sorte de procession sous la conduite du maître devant chaque arbre, et le chef de file procède à un véritable baptême. Une coupe d'eau à la main, il prononce la formule que voici : « 0 arbre, je te nomme N. (ici il verse la coupe au pied de l'arbre). Croîs et fleuris pour réjouir les cœurs de génération en génération. Etends tes rameaux pour ombreiger les corps, pousse les feuilles pour réjouir les cœurs, de même que celui dont tu portes le nom fortifie leur vie par son noble exemple et embellit leur vie par ses pensées exquises! » La cérémonie se termine par la lecture d'un texte de Bryant sur la plantation du pommier et par le chant d'un hymne patriotique.

Et maintenant, deux questions se posent ; D'où est venue cette idée d'une fête de l'Arbre? quelle en est la valeur pédagogique? Nous [)ensons que les Américains l'ont empruntée, soit aux Anglais qui ont conservé la fête de la plantation des Mais et donnent même a celui qui plante le surnom de « Robin Hood » ; soit à l'usage de nos Arbres de la Liberté^ qui fut ratifié par un décret de la Convention du 23 janvier 1791, et renouvelé en 18i8; à ces deux époques il n'était pas rare de voir le clergé catholique prendre part à la béné- diction de l'arbre : notre peuple, qui choisissait de préférence des peupliers, en patois peuples (du latin 'i)opulus)y à cause de cettci liomonymie, aimait à voir donner une consécration religieuse à ces symboles de son affranchissement. Mais les Américains, nous l'avons vu, se sont placés à un point de vue différent, celui de la restauration des forêts menacées, et ils s'efforcent d'y intéresser la jeunesse, en rattachant la plantation des arbres aux grands noms delà littérature ou de leur histoire nationale. Cette idée nous paraît plus heureuse que notre « statuomanie ». Nous pensons aussi que rien n'est propre, comme la plantation, à éveiller et développer chez l'enfant la faculté de prévoyance : un arbre, surtout un arbre fruitier, planté vaut bien en moyenne un dollar placé à la caisse d'épargne.

Qu'on prenne garde seulement de ne pas tomber dans la vaine rhétorique, et (ju'on ne laisse pas la fête de l'Arbre dégénérer en dendrolàtrie ! B.-M.

S66 REVU£ PÉDA606IQUI

le goût de l'étude de la nature et faire connaître la nécessité, le profit et le plaisir des entreprises agricoles; pour attirer l'attention publique sur la nécessité de conserver et propager, dans une juste mesure, les forêts de l'Etat, afin d'échapper au péril menaçant de leur destruction à la légère, et enfin pour appliquer la résolution conforme de l'Assemblée générale en date du 17 mars 1885 (suit le texte de la résolution),

» Moi, Robert Pattison, gouverneur de la République de Pensylvanie, fixe le 16™« jour d'avril 1885 pour célébrer dans tout l'Etat la Fête de l' Arbre. Et }e recommande ce jour-là au peuple de la République: de planter des arbres le long des rues et des routes, dans les parcs et les terrains communaux; de répandre des notions rela- tives aux arbres, bocages et forêts; et 3^ d'encourager la planta- tion des arbres par tous les moyens. »

Cette proclamation du gouverneur de la Pensylvanie est la sanction pratique donnée à une question qui préoccupe sérieusement depuis plusieurs années les hommes d'Etat et les forestiers des Etats-Unis. Eu effet, l'accroissement progressif de la colonisation a amené un défrichement colossal des Etats les plus riches en forêts, et nous savons par de récentes expériences quelles sont les conséquences funestes du déboisement illimité. Mais comment mettre un frein à ee mouvement destructeur? Quel rempart opposer à cette invasion de bûcherons et de sapeurs ?

Avec la sagacité et la prévoyance de l'avenir qui n'est pas un des moins étonnants caractères de ce peuple adolescent, les Américains ent pensé que la force la plus vive à leuropposer, c'était la jeunesse des écoles. Et aussitôt tout le personnel des surintendants, des rédac- teurs de périodiques scolaires s'est mis en campagne pour enrôler maîtres et écoliers au service de la cause du reboisement. D'abord on a fait connaître par la voie de la presse les avantages des forêts et les conséquences funestes de leur desti'uction. Parmi les avantages, il en est qui sont connus de tous : ce sont ceux qui louchent au régime des eaux, à l'hygiène et à l'industrie; mais les Américains ne sont pas insensibles au côté pittoresque et rehgieux de la ques- tion, ti Les forêts, dit l'un des apologistes de la mesure, sont un ornement pour les montagnes; elles protègent les oiseaux aux cou- leurs et aux chants si délectables; elles invitent à la méditation philosophique, en nous donnant l'idée de la grandeur et de l'infini de la nature, et, par la contemplation de ses œuvres les plus nobles, nous rapprochent du Souverain Créateur! » De à instituer une fête pour la plantation des arbres par la jeunesse, il n'y avait qu'un pas. On s'est souvenu de certains arbres qui avaient été con- sacrés par le souvenir des héros de la guerre d'Indépendance, ou bien d'arbres favoris des poètes ; et on a suggéré aux enfants l'idée de dédier l'arbuste qu'il plante à tel de ces héros ou bien de ces écrivains : ainsi l'un plantera en l'honneur do Washington, l'autre de

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Longfellow, tel autre de Lincoln, le grand martyr de la liberté des esclaves. Le terrain et l'essence des arbres sont choisis, chaque arbuste rangé d'avance à la place qu'il doit occuper. Au jour fixé, le maître ou l'institutrice se rend avec son école en cortège sur place. Après la lecture d'un psaume et la prière, l'un des élèves récile un hymne sur les forêts, le maître prononce une allocution et les enfants se mettent à la plantation. Ensuite, ils forment une sorte de procession sous la conduite du maître devant chaque arbre, et le chef de file procède à un vérilable baptême. Une coupe d'eau à la main, il prononce la formule que voici : « 0 arbre, je te nomme N. (ici il verse la coupe au pied de l'arbre). Croîs et fleuris pour réjouir les cœurs de génération en génération. Etends les rameaux pour ombrïiger les corps, pousse tes feuilles pour réjouir les coeurs, de même que celui dont tu portes le nom fortifie leur vie par son noble exemple et embellit leur vie par SCS pensées exquises! » La cérémonie se termine par la lecture d'un texte de Bryant sur la plantation du pommier et par le chant d'un hymne patriotique.

Et maintenant, deux questions se posent : D'où est venue cette idée d'une fête de l'Arbre? quelle en est la valeur pédagogique? Nous pensons que les Américains l'ont empruntée, soit aux Anglais qui ont conservé la fête de ia plantation des Mais et donnent même à celui qui plante le surnom de « Robin Hood » ; soit à l'usage de nos Arbres de la Liberté^ qui fut ratifié par un décret de la Convention du 23 janvier 179i, et renouvelé en 1818; à ces deux époques il n'était pas rare de voir le clergé catholique prendre part à la béné- diction de l'arbre : notre peuple, qui choisissait de préférence des peupliers, en patois peuples (du latin populus)^ à cause de cetta liomonymie, aimait à voir donner une consécration religieuse à ces symboles de son affranchissement. Mais les Américains, nous l'avons vu, se sont placés à un point de vue dilTérent, celui delà restauration des forêts menacées, et ils s'eflbrcent d'y intéresser la jeunesse, en rattachant la plantation dos arbres aux grands noms de la littérature ou de leur histoire nationale. Cette idée nous paraît plus heureuse que notre « statuomanie ». Nous pensons aussi que rien n'est propre, comme la plantation, à éveiller et développer chez l'enfant la faculté de prévoyance : un arbre, surtout un arbre fruitier, planté vaut bien en moyenne un dollar placé à la caisse d'épargne.

Qu'on prenne garde seulement de ne pas tomber dans la vaine rhétorique, et (]u'on ne laisse pas la fête de l'Arbre dégénérer en dendrolàtrie ! B.-M.

CHRONIQUE DE L'ENSEIGNEMENT PRIMAIRE

EN FRANCE

KXAMENS d'admission ALX ÉCOLES NORMALES D'INSTITUTEURS ET d'iN-

MiTLTRicES. Les Candidats aux écoles normales d'instituteurs et d'institutrices, qui atteindront l'âge dequinzc ans avant le l"oc(obre prochain, ont été autorisés, par application du décret du 27 juil- let 1882, à se présenter au concours d'admission.

Le registre d'inscription a été clos le samedi 30 mai dernier, terme de rigueur.

In. l'ECTION DANS LES ÉCOLES PRIMAIRES SUPÉRIEURES DE PaRIS. Le

consi'il municipal de Paris a été saisi par un de ses membres, M. Delabrousse, d'une proposition tendant à la création d*un ser- vice d'inspection du collège Chaptal et des écoles primaires supé- rieures de la ville. Pour permettre à l'administration municipale de se rendre compte d'une manière suivie de Tétat de l'instruction dans ces établissements, trois postes d'inspecteurs seraient créés, un pour les lettres, un pour les sciences, un pour les langues vivantes. Ces délégués ne seraient pas des fonctionnaires, dit l'auteur de la proposition, mais les auxiliaires honorés de l'administration et du conseil municipal. Ils seraient choisis parmi les fonctionnaires en retraite de l'instruction publique, inspecteurs généraux, recteurs, etc. Ils adresseraient, tous les trois mois, à M. le préfet de la Seine, un rapport détaillé sur l'enseignement dans les établissements su»- indiqués.

La commission à laquelle celte proposition a été renvoyée en pro- pose l'adoption.

Délégués cantonaux. A l'occasion de la nomination des délé- gués cantonaux faite pour la période triennale 1885-1887, nous cri)yons utile de reproduire une note que M. le préfet de l'Indre a publiée au Recueil des actes de Ja préfecture pour rappeler leurs attributions.

I>e Conseil départemental de l'instruction publique désigne un ou plusieurs délégués résidant dans chaque canton, pour surveiller les écoles pubiiques^ et libres du canton, et détermine les écoles particulièrement soumises à la surveillance de chacun.

Les délégués sont nommés pour trois ans; ils sont rééligibles et révoca- bles. Chaque délégué correspond, tant avec le Conseil départemental, auquel il doit adresser ses rapporis, qu'avec les autorités locales pour tout ce qui regordc l'éiat et les besoi s do l'enseignement primaire dans sa circon- scription.

CHRONIQUE DE L ENSEIGNEMENT PRIMAIRK EN FRANCE 569

Il peut, lorsqu'il n'est Otis membre du Conseil départemental, assister h ses séances, avec voix consullaiive pour les aifaiies intéressant les écoles de sa circonscription.

Les délégués se réunissent au moins une fois tous les trois mois au chef- lieu de canton, sous la présidence de celui d'entre eux qu'ils désignent, pour convenir des avis à transmettre au Conseil départemental. [Art. 42 de la loi du 15 mars 1850.)

Sur la convocation et sous la présidence du sous-préfet, les délégués des cantons d'un arrondissement peuvent être réunis au chef-lieu de l'arrondisse- ment, pour délibérer sur les objets qui leur sont indiquée par le préfet ou par le Conseil départemental. (Art. 46, i/nd.)

Ils donnent leurs avis sur les demandes de créations d'emplois d'institu- teurs adjoints et d'institutrices adjointes, ainsi que sur toute demande de création d'école de hameau. (Circulaire du 9 aoiH 1870.)

Le local que la commune est tenue de fournir, en exécution de l'article 37 de la loi organique, doit être visité, avant l'ouverture de l'école, par le délé- gué cantonal, qui fait connaître au Conseil départemental si ce local convient pour l'usage auqut-l il est destiné. (Art. 7 du décret du 7 octobre 1850.)

liS doivent faire chaque année, dans la seconde quinzaine de mai et dans In seconde quinzaine de décembre, un examen détaillé de toutes les écoles publiques de la circoncription; les résultats de ces examens sont communi- qués aux inspecteurs de f instruction primaire par le président de la déléga- tion cantonale. (Cirjnlaire des 3 février 1854 et 16 mai 1855.)

Les délégués ont entrée dans toutes les écoles libres ou publiques de le\ir circonscription; ils les visitent au moins une fois par mois.

Jls communiauent aux inspecteurs de l'instruction primaire tous les ren- seignements utilesqu'ilsont pu recueillir. (Art. 45 du décret du 29 juillet 1850.)

Ils font partie des commissions municipales scolaires instituées par la loi du 28 mars 1882.

Un nrrét de la cour de cassation, en date du 16 avril 185!, reconnaît aux déli'gués cantonaux le caractère de fonctionnaires publics.

Les délégués cantonaux ont le droit, en visitant les pensionnats primaires publics cl libres, de se faire représenter le plan du local approuvé par le Conseil départemental, mentionnant le nombre des élèves admissibles, de) mailles et des surveillants nécessaires. (Art. 4 et 6 du décret du 30 décembre 18 ')0.)

D ajrèj l'article 11, ils doivent, en visitant les pensionnats publics et libreâ, se faire représenter le registre des élèves pensionnaires et celui des mnitres et surveillants.

L(^s personnes chargées de rinspeclion en vertu de l'article 18 de la loi organique dressent procès-verbal de toutes les contraventions qu'elles recon- naissent.

Si 1.1 contravention consiste dans l'emploi d'un livre défendu en vertu de l'article 5 de la même loi, l'ouvrage est saisi et envoyé avec le procès-vorbal nu préfet, qui soumet l'ail'aire au Conseil départemental. (Art. 42 du décret du 29 juillet 1850.)

MM. .es délégués cantonaux ont la correspondance en franchise, sous bandes, moyennant le contre-seing de leur qualité et de leur nom, avec le préfet du déparlement, le recteur de Tacadémie, l'inspecteur d'académie, les inspecteurs primaires du département, et, pour l'arrondissement cantonal, avec : les maires, les curés, les instituteui>s publics, les institutrices publiques et les directrices de salles d'asile publiques.

La Ligue de l^enseignement de Constantine. La distribution des^ prix aux élèves qui suivent les cours d'adultes organisés par la ligue de l'enseignement de Conslanline a eu lieu le 17 mai dernier, A celte occasion, M. Leroy, président, a prononcé un discours dans- lequel nous relevons le passage suivant :

570 REVUE PÉDAGOGIQUE

Noos avons pu remarquer^ les années précédentes, que rélément indigène fournissait un contingent sérieux d'auditeurs assidus à nos cours. Malheareu- sement, ces jeunes gens, Kabyles pour la plupart, étaient trop au-dessous des élèves illettrés européens pour participer avec fruit à leurs études. De li, l'idée de la création d'un cours les indigènes se trouvant entre eux [jourraient suivre les leçons du professeur sans que celui-ci fût obligé d'en- seigner en même temps à des élève? auxouels la connaissance de la langue franraisf^ donnait un avantage énorme sur les indigènes.

I^ succès obtenu par M. Gros fut merveilleux et démontra combien la tentative était opportun*». Quelques jours après l'ouverture du cours, il v avait 105 élèves inscrits, assidus ix)ur la plupart, qui venaient donner un éclatant démenti à ceux nui prétendent que l'élément indigène n'est pas susceptible de s'améliorer par rinstruclion française et qu'il la repousse avec cette force d'inertie orientale capable de trio'mpher des tentatives les plus opiniâtres.

Les indigènes se sont empressés à ce cours créé pour eux, et plusieurs nous ont dit que si l'on pouvait instituer des cours semblables dans le quar- tier arabe plus de quatre cents élèves les fréquenteraient assidûment .

Nous espérons que la situation améliorée de notre Ligue de Constintine j)ermettrn, l'hiver prochain, de reprendre ce mouvement généreux en avant, qui doit contribuer à l'établissement de notre civilisation et en même temps à Talfermissement de notre domination en Algérie.

\ji Ligue de renseignement s'est engagée dans une excellente voie. Nous ne pouvons qu'applaudir à ses eflbrls.

Promenades pédagogiques. Nous lisons dans le Bulletin du Pas- de-Calais q"e le nouveau règlement adopté pour les écoles primaires publiques du département décide que les instituteurs et les institu- trices feront faire à leurs élèves au moins une fols par mois une promenade pédagogique. Cette promenade doit avoir lieu le jeudi, l'n compte-rendu en est adressé à l'inspecteur primaire dans les huit jours.

L'inspecteur d'académie de la Loire recommande également iiu personnel enseignant de faire, le jeudi, aussi souvent que possible, des promenades scolaires, soit avec l'elTectif de l'école, soit a>ec quelques élèves pris parmi les plus méritants. Nous ne pourrions qu'applaudir aux tentatives qui .seraient faites pour généraliser une utile institution.

Carte de l'Etat-major. Pour les promenades scolaires que les élèves entreprennent sous ia conduite de leurs maîtres, une carte est indispensable. Aussi jugeons-nous à propos de reproduire la com- munication ci-dessous insérée dans le Bulletin déjKirteinenlal de la Haute-Marne:

a Le ministère de la guerre, pour vulgariser la carte d'Etat-niajor» a lait exécuter des reports sur zinc de quarts de feuilles qui se ven- dent au prix de dix centimes. Chacune de ces petites feuilles a 0"\iO sur 0°s2") et représente une superficie de Si kilomètres sur :20. Le bas prix de cette carte la met à la portée de toutes les bourses. »

CHRONIQUE DE L'ENSEIGNEMENT PRIMAIRE EN FRANGE 571

Les bibliothèques muniqpales de Paris en 1885. Les rensei- gnements que nous donnons ci- dessous sont extraits d'une brochure publiée par la préfecture de la Seine :

Les bibliothèques municipales de Paris ont pris, en 1881, un nouveau développement grâce aux crédits mis libéralement à la disposition du service par le Conseil municipal, et au concours de la Direction de renseignement primaire.

Le nombre de ces établissements qui était, au ;U décembre 1883, de 2 1, est actuellement de 42, et sera de K3 avant la fin de l'année 188.J. Cette augmentation est la conséquence du principe admis, il y a quelques années, par le Conseil municipal et ccnsacré dans des délibérations récentes (31 octobre 1883 et 10 avril 188 i), de créer une bibliothèque dans chaque quartier, en utilisant ù cet effet les écoles communales de garçons, dont les locaux sont disponibles le soir.

C'est ainsi qu'on a pu, sans grande dépense, multiplier les biblio- thèques, de manière à rapprocher le plus possible les livres des lec- teurs, condition nécessaire pour répandre le goût de la lecture. L'installation de bibliothèques dans les locaux scolaires a permis d'employer comme bibliothécaires les instituteurs communaux; les instituteurs sont, par leurs connaissances acquises, par leur habi- tude de l'enseignement, éminemment propres à ce genre de fonc- tions; ils trouvent dans leurs anciens élèves des lecteurs intelli- gents dont ils sont heureux de continuer l'éducation, à l'aide du livre, en dehors de l'école.

L'adaptation d'écoles communales à Tusage de bibliothèques n'a eu que d'excellents résultats et mérite d'être généralisée.

Généralement, les bibhothèqucs municipales ont le double service de la lecture sur place et du prêt à domicile. Toutefois, par suite de rinsuiïisance des locaux, ce dernier service existe seul dans quel- ques bibliothèques.

On remarque chaque année un plus grand empressement du public à fréquenter les bibliothèques municipales.

Pendant la période écoulée du le»* octobre 1883 au 30 septem- bre 1881, le nombre des ouvrages lus a été le suivant:

Livres lus sur place 117. 04G

prêtés à domicile 582.716

ToTAT 099.762

Pendant la période précédente (du 1^^ octobre 1882 au 30 septem- bre 1883), le nombre des livres lus avait été :

Pour les livres lus sur place 100. 108

prêtés à domicile .... 407.819

Total ol 1.287

ce qui constitue une augmentation :

Pour la lecture sur place de 9 0/0

à domicile, de 12 0/0

572 BMrtZ Ft»Afi06IQCB

VA p HT l'ens^mlrfe des serrices, de . . 36 9,0 Ijhn \i\rfti •*:r\^ii aU lectare sar place sont ao

norrihr*: de 40.741 voî.

0;ux senraot au prêt a domicile, aa nombre d«. 81.109

Soit un total de 133.850 v.>\

L'année d'îrnîère ce nombre était de 101. 8i5 vo!.

l/au^rmentation est donc de i».025

elle provient d'achats ou de dons dans les propor- tion» .suivant^-» :

Achats. 35.403 vol.

lions 3.022

Total égal 29.025 \ol.

!/; choix des livres est fait par des commissions locales; les mem- hre-i du 0>nseil municipal et de la municipalité de l'arrondissement en font partie de droit, ainsi que les chefs du service central des hiblioth(>ques.

La plupart des bibliothèques municipales ont un catalogue imprime d'jfit un exemplaire esl remis à chaque emprunteur, pour faciliter son choix et aussi pour faire mieux connaître dans le public les riche."j8cs souvent ignorées des bibliothèques. »

Association polytechnique des Pykénées-Orientales. Fondée en iHV.i houH J(^ patronage do l'Association polytechnique de Paris, cette (f'uvrc, ({ui a pour but le développement de Tinstruction des adultes des deux sexcM, a ouvert 30 œurs (2î) pour les hommes et 7 pour les fomni(;sj fréquenlés par î)ii élèves inscrits et de nombreux auditeurs. Les rour.H sont divisés eu trois groupes: instruction élémentaire et secondaire : sciences industrielles et commerciales ; 3^ art musi- cal. Pendant Tannée scolaire 1883-1884, 23 conférences ont été faites, en dehors dos cours, sur la littérature, Thistoire, la législation, etc. (les faits montrent la vitalité de Tassociatlon qui concourt si utilement nu développement dn l'instruclion dans les Pyrénées-Orientales.

S()(.ii:;tj^: d'éducation et d'instruction populaires des Basses- Pyré- NllKs. Il vient de se fonder sous ce nom, à Pau, une association <iul a pour préiiidonts d'honneur MM. Marcel Barthe, ancien député, (*t Félix Pécuut, inspecteur général de rinstruclion publique, et pour président M. Albert Picho, avocat, l'exécuteur testamentaire du regretté M. Tourasse. Kile a pour but de favoriser le progrès et la didusion de l'éducation populaire dans le département des Basses-Pyrénées. « Klle s clTorcora surtout, disent les statuts, de faire naître des cer- (*leH cantonaux (jui, groupant les hommes de bonne volonté, cher- cheront à réaliser autour d'eux le progrès social le plus opportun, par dos institutions cantonales ouvertes à tous : sociétés d*épargne^

CHRONIQUE DE L'ENSEIGNEMENT PRIMAIRE EN FRANCE 573

de secours mutuels, de relraite, caisses des écoles, bibliothèques, musées cantonaux, associations agricoles, etc. » Cette Société con- tinuera l'oeuvre entreprise par M. Toureisse, et disposera à cet effet des ressources qu'il a consacrées par son testament au développeineni de rinstruction dans le département qu'il habitait. C'est une ex- cellente création, dont nous félicitons les initiateurs.

Congrès des instituteurs de sourds-muets. Le troisième congrès national des instituteurs de sourds-muets s'ouvrira à Paris, le 4 août 1883, à neuf heures du matin.

Il se tiendra sous le haut patronage de M. le ministre de l'inté- rieur.

La session durera jusqu'au 6 août inclusivement.

Il y aura deux séances par jour.

Le congrès se réunira à l'Institution nationale des sourds-muets, 234, rue Saint-Jacques.

Le pro^amnne des questions qui seront l'objet des délibérations de l'assemblée a été définitivement arrêté ainsi qu'il suit :

1. Des moyens à mettre en œuvre pour arriver à Tunilé de mé- thode.

2. De l'instruction et de l'éducation des sourds-muets arriérés.

3. Dos moyens d'empêcher les communications par signes au début de l'enseignement, indépendamment de la séparation des élèves instruits par la parole d'avec les élèves plus anciens qui auraient été instruits par la mimique.

4. Do Tutilité que pourrait avoir pour des élèves un peu plus avancés la mise en communication avec des enfants parlants.

5. Quelles sont, par ordre de préférence, les professions ma- nuelles qui offrent le plus d'avantages aux sourds-muels se trou- vant dans des conditions ordinaires sous le rapport de Tintelligence et des force > physiques? Quelles sont celles de ces professions qui conviennent le mieux aux sourds-muets dont l'intelligence est peu développée, mais qui jouissent d'une bonne santé? Quelles sont enfin celles qu'il convient de faire apprendre aux sourds-muets d'une faible intelligence et d'une santé débile ?

Après la discussion des questions du programme, tout membre du congrès pourra en soumettre d'autres à l'assemblée. H lui suffira d'en déposer le texte, dans l'avant-dernière séance, entre les mains du président qui consultera la réunion sur l'opportunité de les mettre •en délibération.

L'enseignement public a l'île de la Réunion. Le dernier rapport publié par l'inspection académique de la Réunion nous fournit un aperçu sur la situation de l'enseignement primaire dans la colonie. Ce n'est pas un document de statistique, mais une sorte de leçon de pédagogie à l'usage des maîtres. Pour h préparalion des cours.

.j74 uvl'c fédagogiqck

la direction des classes, les rapport:^ eotre les familles et les maîtres, de sages conseils sont donnés. On pourrait peut-être les tr«*uver parfois minatieux. Mais il est visible que radministration obéit i une préoccupation : elle se sait en présence de maîtres pour la plu- part inexpérimentés et elle pense qu'il «rst bon de ne négliger aucune recommandation. L'enseignement pêche surtout par Tabsence de méthode. Jusqu'à ce jour aucune répartition mensuelle uniforme n'existait pour les différentes matières des cours. Aussi pouvait-on voir dans une même commune à la même époque des écoles qui, par exemple, achevaient un C'urs quand celle da côté le commeo- rait. C':t état de choses va d'ailleurs prochainement cesser. L*admi- nisl ration se disp' se à faire paraître un programme pour l'emploi du tenip^ dans toutes les écoles et compte le faire appliquer à la rentn'M; prochaine. Il serait d»*8irable qu'il fut calqué sur le pro- gramme métropolitain. L'administration s'efforce d'encourager les maîtres, de les diriger, de fortifier et d'étendre l'enseignement renf'Tmtj jusqu'ici dans un cercle assez étroit. Nous ne pouvons que l;i f»:liriter dT-lre entrée dans cj-lte voie et souhaiter que celte im- pulsion nécessaire produise à bref délai des progrès sensibles.

Co.NCOLRS DES SOCIKTÉS DE GYMNASTIQUE A BORDEAIX. M. Go-

blet, mnii.^tre d*t T instruction puhlique, a présidé, à Bordeaux, le dimanche ii mai, le concours des sociétés de gymnastique.

A midi, les sociétés de gymnastique et de tir, réunissant plus de trois mille membres, ont défilé avec un ordre et un entrain admirables devant la préfecture. 1^ cortège s'est ensuite rendu à la I»iace des (juinconces. devaient avoir lieu les exercices de gym- nastique. Les exercices ont été exécutés avec une discipline parfaite et une entente remarquable des mouvements d'ensemble.

Le soir, un banquet offert par l'Union des sociétés de gynmastlque et de tir réunissait plus de cinq cents personnes.

Au dessert, plusieurs toasts ont été portés. Répondant à l'un d'eux, M. le ministre a prononcé un discours dont nous extrayons les pas>aj;es suivants :

" !.•• ^oiJveriKîriieiil iv|uibli«!.jiii a toujour«î tenu à honneur de se faire repré- .■^cntcr :i vfi solcnnit/'S Je nie souviens d'avoir assisté, il y a trois ans, à h tV'ic (le itciiMs; i'> ndmirais (It^jù vos nombreuses sociétés, leur toD ne tenue, liMir discipline, Viinportanfe et la variété de leuri exercices; je les retrouve aujourd'hui à votre onzième lète fédérale, à Bordeaux, sinon plus nombreuses, plus disciplinées et plus exercées encore, et c'est avec une véritable joie nuire dune émotion patriotique (]ue je con>late la continuité de vos propres.

.Missieurs, le ministre de l'instruction publique avait )ieot-étre particuliè- rement qualité pour ctro déléf^ué auprès de vous. La gymnastique fait dé- sormais |)ariie d(> l'enseignement national. L Etat l'enseigne dans ses écoles ; il en fait une matière obligatoire. En continuant cet enseignement, eu le développant parmi la jeunesse, iMîndant le temps où, après avoir quitté les éliiblissemenls scolain;*», elle se préiKire ou service de l'armée, vous vous l.iiles les utiles naxiliaires de l'Etat.

CHRONIQUE DE L'£NSEIGN£MEiNT PRIMAIRE EN FRANGE 575

Et combien il m'est agréable d'applaudir à vos efforts et à vos succès, à moi qui pense que l'Etat ne peut ni ne doit tout faire dans ce monde ; qu'à part quelques services publics qui doivent lui être eiclusivement réservés, son rôle dans \i\ plupart des cas est simplement celui d'un initiateur et que son intérêt même lui conseille de favoriser l'action individuelle ou collective dea citoyens.

Ainsi vous a^^issez, vous grandissez par votre propre mouvement, et nous, nous encouraj,'eons vos efforts, heureux de voir qu'il est des tâches communes pour lesjjuelles le gouvernement et les citoyens peuvent désormais s'unir sans malentendu, que si les citoyens apprennent à poursuivre librement, l>ar leurs seules forces, le but qu'ils se proposent, l'Etat cesse de regarder d'un œil jaloux de semblables entreprises, et, loin de leur faire obstacle^ ne songe qu'à leur venir en aide. »

Prix Halphen. L'Académie des sciences morales et politiques avait à décerner cette année le prix triennal fondé par M. Halphen, et qui doit être attribué « soit à Fauteur de l'ouvrage littéraire qui aura le plus contribué aux progrès de l'instruction primaire, soit ù la personne qui, d'une manière pratique, par ses efforts ou son enseignement personnel, aura le plus contribué à la propagation de l'instruction primaire ». Le prix a été partagé entre M. Charles Dei'odon, rédacteur en chef du Manuel général de rinstruction primaire depuis 1805, ancien professeur à l'école normale d'instituteurs de la Seine, bibliothécaire du Musée pédagogique depuis la création de cet établissement jusqu'au mois d'avril 1885, et actuellement inspecteur primaire à Paris, et M. Félix Hément, délégué dans les fonctions d'inspecteur général de l'enseignement primaire, auteur (le divers ouvrages d'enseignement.

Une dispense pontifiCxVLE. On lit en tête du dernier numéro (13 juin 1885) do VEducaiion, journal des écoles primaires, parais- sant chez MM. Poussielgue, l'avis que nous reproduisons^ textuelle- ment ci-dessous, sans commentaires :

« Avis,

» Nous pouvons aujourd'hui préciser les renseignements que nous avons donnés sur la question des livres mis à l'index, et qui sont sur le programme des divers brevets.

» S. Em. le cardinal Guibert a reçu de Rome l'autorisation d'ac- corder les dispenses nécessaires à toute personne sure et compé- tente qui en fera la demande. Le même pouvoir a été donné à NN. SS. les évéques de France.

V Les personnes qui, pour se préparer à l'examen de capacité, ont besoin d'étudier ces livres, doivent donc en demander la permission à leur évêque. »

ENSEIGNEMENT PUBLIC EN TUNISIE

Nous apprenons de source certaine que la direction de renseigne- ment pubÛc en Tunisie a besoin d*un certain nombre de jeunes instituteurs pourvus du brevet supérieur. Nous engageons ceux de nos lecteurs qui désireraient aller en Tunisie à adresser, le plus tût possible, leurs demandes à M. Machuel, directeur de renseignement, à Tunis, en y joignant toutes les pièces nécef^saires. Les instituteurs dont les demandes seront favorablement accueillies seront appelés à bref délai à Fécole normale de Tunis, un cours de langue arabe leur sera fait pendant les mois de juillet, d'août et de septembre. A la fin de ce cours ils i>ubiront un examen à la suite duquel ils seront classés, puis noni'rés dans des écoles primaires, dans l'ordre de leur classement. Cos instituteurs seront considérés comme maîti-es surveillants à l'école normale, et jouiront, dès leur arrivée en Tuni- sie, d'un traitement annuel de 1,000 francs. Ils seront en outre logés, nourris et blanchis à 1 école. Nommés clans une école primaire, ils recevront un traitement de 2,100 francs.

L'abondance des matières nous empêche de donner ce mois-ci notre « Courrier de l'Extérieur ».

Le gérant : H. Gantois.

IXFlilAlDkil. LL.NTUALr: DE» CHEMi.NS DK FEK. IMPKIMBHIB CHAI\. R'F RKROKRF, 90, PARIS. i 3 iT^l-S.

TABLE DES MATIERES

DU TOME VI ,l)y: LA NOUVELLE SERIE

Pages.

Lettws inédites du P. Girard à M. J.-J. Rapet i . . . 1, 97

De rutilité qu'il y aurait à rendre la connaiâsance du droit populaire,

par M. Emile Acollas 33

A travers les écoles (notes d'un inspecteur), par M^ K. A 36

A propos des musées scolaires 39

Chanson de France ;.La dame de la Roche-Guyon (poésie), par M. Pont-

sevres * 42

Fragment d'un rapport sur une mission en Italie, par M. Henri Le Bour-

yeais , 47

Deux écoles (note d'inspection), par M. G. J 53

L'enseignement primaire à Londres: La Jeivs" FreeSchool, par M. A.

iJartnesteler * 56

Les rapports des chefs d'école avec leurs collaborateurs, par M. Edme

Go(lin 63

La situation de l'enseignement primaire (extraits du rapport lait à la Chambre sur le budget du ministère do l'instruction publique), par

M. Anlonin Dubosl, député 120

Directeurs et adjoints (note d'inspection), par M. G. J 145

De l'instruction de la femme à la campagne (d'après M"** de Barrau),

par M. A. 5 147

Rapport au Conseil supérieur sur le projet de décret relatif aux titres

de capacité de renseignement primaire, par M. A. Lenient 151

Rapport au Conseil supérieqr sur le projet d'arrêté portant règlement des examens relatifs aux titres de capacité de l'enseignement primaire,

par M. A. Armbruster 157

Les questions d'enseignement au Tonkin, par M. Paul Bourde .... 193 De la correction d'un devoir à l'examen du professorat des écoles nor- males (lettres), par M. E, A 203

Les écoles régimentaircs de l'infanterie de marine, par M. A. ^ . . . . 209 Les commissions scolaires, lettre de M. Edmond Dreyfus-Brisac. . . . 220 Conseils pratiques: entretiens d'un directeur d'école avec ses adjoints,

par M. D. C ...'..... 222

L'enseignement des sourds-muets et ses progrès récents, par M. Félix

Bernent 225

Un maître d'écriture au iviir siècle, par U. U. D. '231

Organisation des écoles annexes, par M. A. Hkhard 232

Le registre de Tinspecteur primaire (communication de M. A. Dorgel), 234 De la langue française en Suisse (extrait du Bulletin de VAUiartce fran- çaise] 236

REVUE PÉDAGOGIQUE 1885. 1*' SEM. 37

878 REVUE PÉDAGOGIQUE

Pages. La presse et le projet de loi relatif aux subventions de l'Etat pour instal- lations scolaires, par M. Alphonse Martin 238

Note sur l'enseignement de la bonne tenue et du savoir-vivre à l'école

normale, par Une maltresse-adjointe 246

Le classement des mots dans notre esprit, par M. A. J9 249

Un abécédaire hérétique, par M. N, Weiss 251

Questions relatives aux examens du brevet de capacité, par M. /. Sion. 252

L'exposition française d'éducation à la Nouvelle-Orléans. 256

Le sentiment du respect, par M. A. Vessiot 289

Poésies, par M. Jean Aicard 299

Les colonies de vacances et les écoles du IX' arrondissement de Paris,

par M. y. G 305

Le cahier de devoirs mensuels, par M. G, Maillé 316

Projet de création d'une école primaire française à Londres, par M, A, B. 321

Rapports sur l'Exposition de Londres, par M. Th.-J, East 323

Les nids des petits oiseaux : douceur envers les animaux (note d'inspec- tion), par G. y 336

M. Philbrick elles instituteurs américains, par M. L. A 337

La Chanson de Roland comme livre de lecture pour les enfants, par

M. G. Vapereau 340

Deux amis inconnus de l'instruction, par M. E. J 348

Une conférence sur la diction, par M"»' C. Gay 351

Les superstitions du Lot 355

Congrès international d'instituteurs au Havre 356

Éducation de la mémoire, par M. Gabriel Compayré 385

Appel oux mères, à propos des colonies de vacances (poésie), par

Mm* E. de Pressensé 404

Un coin du monde scolaire à Londres, par M. U. D 406

Une acquisition de la bibliothèque du Musée pédagogique, par M. L.

MasseOieau ^^^

A propos du Congrès du Havre 432

Les commissions scolaires, lettre du D' E, Pécaut 433

Les commissions d*examen, lettre de M. ^. Hallberg 438

Les écoles enfantines de Suisse (notes de voyage), par M***C. Lapéry, 440

Les exercices callisthéniques, par M. R. Sabatié 445

Encore les cahiers de devoirs mensuels, par M. A, B 449

Victor Hugo au Panthéon, La Rédaction 481

Léonard et Gertrude de Pestalozzi, par M. /. Guillaitme 486

La circulaire du 30 avril et la réforme des programmes d'enseignement

dans les écoles normales, par M. E. Jaooulet 512

L'école primaire au Salon de 1885, par M. G. D 521

Le livre des Symboles et Emblèmes de Joachim CamerariaS) par M. G. Bonet-

Maury 524

Sur les notices confidentielles, par Un ancien inspecteur primaire. . . 529 Les littératures anciennes et les élèves des écoles normales primaires, par

M. B. Berger ^2

Excursion dans les Vosges, faite par les élèves de l'école Lavolsier, par

M, E. L

TABLE DES MATIÈRES 579

La Presse et les Livres

Les programmes de l'enseignement secondaire; l'enseignement secondaire français, par M. Charles Bigot (Revue politique et lUléraire)^ p. 68. Des principales différences entre les écoles de garçons et les écoles de GUes, par M. W. Nœldeke {Revue interncUionale de Venseignetnentjy p. 71. Méthode pratique de conjugaison française et premiers exercices de rédaction^ de M. P. Wissemans, p. 75. Cours de dessin des écoles primaires^ cours supérieur, livre du maître, de M. L. d'Henriet, p. 76. Compter-rendu du /X" Congrès de la Société des instituteurs de la Suisse romande^ Genève, 1884, p. 77. Les savants dHaissés, de M. E. Fréray, p. 79. Questions d'enseignement national, par M. Ernest Lavisse (Revue internationale de l'enseignement), p. 168. Dubois>Grancé ; la première bibliothèque popu- laire, par Santhonax (la Justice) , p. 169. Notions usuelles de droit civil^ de M. J.-B. Chassaing, p. 171. Le livre de Vélève soldat, de M. Edm. Pascal, p. 172. L'avenir visuel des enfants^ de M. Emile Grand, p. 173.

Le certificat d études primaires, de M. B. Subercaze, p. 173. Petit traité d'ornements polychromes, par MM. J. Hâuselmann et R. Rlngger; Manuel de poche de l'instituteuj pour Renseignement du dessin, de M. J. Hâuselmann, p. 173. L'enseignement commerciul en France, par M, Arthur Mangin (Economiste français), p. 259. Ljnstruction primaire aux États^ Unis en 1883, de M. Paul Passy (C. D.), p. 260. La Gymnastique, de M. CoUineau (E. P.) p. 265. La vérité sur la gymnastique, de M. Pic* quart (A. B.), p. 265. Le livre de l'école, de M. Ch. Lebaigue (H. D.), p. 266. Histoire de Charly-sur-Marne, de M. A. Corlieu ^C. D.), p. 267.

La production agricole en France, de M. Louis Grandcau(A. B.), p. 269.

Horace Mann, de M. Gaufrés (C. D.), p. 269. Carnet pour la préparation quotidienne des leçons^ de M. Chaumeil (A. B.), p. 169. Manuel d'instruc- tion nationale, de M. Emmanuel Vauchez (C. D.), p. 358. L'Histoire de France racontée par les contemporains, de M. B. Zeller, p. Îfô9. Les enfants malheureux, de M. Edouard Siebeclier [C. D.), p. 361. Manuel du naturaliste préparateur, à l'usage des instituteurs, de M. P.-A. Dous- sard ^Z.), p. 362. La nouvelle galerie de paléontologie au Muséum d'hiS" toire naturelle, note lue à l'Académie des sciences par M. Albert Gaudry (G.), p. 362. Notice sur Arnold Guyot, de M. Charles Faure, p. 363.

Les pensionnaires de collège chez les Oratoriens de Troyes au xviii* siècle, de M. (iuslave Carré, p. 451. Histoire de France, cours élémentaire et cours moyen, de MM. R. Jalliffier et H. Vast (A. Gazeau), p. 454. If" de Mainlenon institutrice, de M. Emile Faguet, p. 458. Code manuel des certificats, brevets, examens et concours de l'enseignement primaire, de M. Ch. Lhomme (B* B.), p. 459. De Véducation à técole primaire, professionnelle, supérieure et normale, de M. Vessiot (A. Beurier), p. 459. Cours complet de pédagogie et de méUiodologie^ de M. Th. Braun (X.), p. 547. David Livingstone, de M. Rodolphe Reuss (Auguste Uimlv), p. 550. Le livre du soldat français, du général Championnet, publié par M. Marcellin Pellet (G.), p. 552. Petit traité d'économie domestique, d'horticulture et d'agriculture, à l'usage des jeunes filles, de M. A. de Lentilhac (B. B.), p. 553. L'éducation et linstruction considérées dans leurs rapports avec le bien-être social, etc., de M. C. Hippeau (B. B.), p. 555. Rapport sur les écoles publiques supérieures de jeunes filles en

580 REVUE PÉDAGOGIQUE

Alsace- Lorrainet traduit de l'allemand par M. Emile Rolh iZ.), p. 556. Les mères des grands hornme^^ de M. Maurice Block (L. Mainaru), p. o5S.

Langue allemande (J. S.)> La surcharge des élèves, p. 174. Soirées à la campagne, p. 178. Les sourds-muets, p. 179. L'ùme du peuple et l éducation politique de la nation^ du D'' Schraidt-Warneck, p. 180. Wan- derungen^ Turnfahrlen und Schiller reisen^ de Théodore Bach, p. 270. La place et l'importance de l'école populaire dans la civilisation moderne^ de M. A. Hackenberg, p. 273. l^s devoirs à la maison, p. 363. Le droit de chAtiment dans les écoles allemandes y de M. A. ToplT, p. 565. Was soU der Junge werden? de M. A. von Fragstein, p. 366. Die Praxis der Elément arklasse, de M. Robert Werpecke, p. 367. Gottlwld Ephraim Les- sing's Svhuljalire^ de M. Schumann, p. 368. Gotthclf Salzmann et le phi- lanthropinisme^ de M. Kreyenberg, p. 368. Une école normale Israélite, p. 460. Les épreuves publiques, p. 461. Les distributions de prix, p. 46:5.

Le musée pédagogique de Berlin, p. 46V L'usage des ardoises, p. 465.

Les classes spéciales pour les enfants peu doués, p. 466. Le travail intellectuel est-il une fatigue, p. 467. -— Du choix d'un métier, p, 559. L'herbarlianisme en Allemagne, p. 560. Conférences péilagogiques pour le perfectionnement des instituteurs, de M. Fr. Wyss (A. F.), p. 564.

Langue anglaise. Proceedings of the International Conférence on Edu- cation, London, 1884 (J. G.), p. 276. La fête de l'arbre (B.-M.), p.. THÔ.

Langues suédoise et norvégienne. Documents reçus par le Mu- sée pédagogique, p. 369.

Chronique de renseignement primaire en France.

L'achèvemtînt des maisons d'école, p. 80. Décret et arrêté du 30 décem- bre 1884 sur les litres de capacité de l'enseignement primaire, p. 81. Les bourses de séjour à l'étranger, p. 84. Les conférences pédagogique» à Soissons, p. 85. Enseignement du dessin, p. 86. Enseignement de Tagriculture, p. 86*. Impôts dus par les instituteurs et par les inslitu- trices pour les locaux affectés à leur logement, p. 87. Préparation au brevet supérieur, p. 87. Les cahiers de devoirs mensuels, p. 88. Transfert du Musée pédagogique, p. 91. Recenscmenl de la population scolaire des écoles primaires publiques en 1885, p. 183. Cliuix de sujets de composition {)our les différents concours et examens de renseignement primaire, p. 183. La direction des petites classes dans les écoles pri- maires, p. 183. Récompenses scolaires dans les écoles de Paris, p. 185.

Congrès international d'instituteurs au Havre, p. 186. Exposition scolaire de Montauban, p. 186. Exposition scolaire de Toulouse, p. 187.

Conférences pédagogiques, p. 187. Exercices militaires, p. 188. Baux k loyer pour les maisons d'école, p. 188. Un bon exemple de confraternité, p. 189. Nécrologie : M"" Moreau, p. 189. Un discours de M, Chazal. p. 189. Examens pour le certificat d'études primaires supérieures et ré- sultats en 1883, p. 277. Les écoles de hameau, p. 277. —Comités de cor- rection, p. 278. Les bibliothèques scolaires et populaires, p. 278. La bibliothèque scolaire de Saint -Vaury, p. 280. ~ La fipéqaestatioa sco-

TABLE DES MATIÈRES 58i

laire à Vialas, p. 280. Une « exécution en masse » à Cormicy, p. 280.

Les élèves hospitaliers du Doubs, p. 281. Exposition scolaire de 1889, p. 281. Exposition scolaire de Beauvais, p. 281, -— Exposition scolaire d'Angouléme, p. 281. Exposition scolaire agricole à Tours, p. 281. Les sourds-muets du Rhùne, p. ^82. Les sourds-muets do Curièrc>, p. 282. Une souscription dans les écoles du Pas-de-Calais, p. 283. Les comptes-rendus des conférences pédagogiqi^es, p. 283. Le nouveau ministre de l'instruction publique, 31. René Goblet, p. 370. L'achèvement des maisons d ecolf>s, p. 370. Données statistiques sur les caisses d'épargne scolaires, les caisses des écoles et les sociétés de secours mutuels des instituteurs, p. 370. Certificat d'études primaires, p. 371. Organisation pédagogique des écoles primaires de Saôiie-et-Loire, p. 371. Expositions scolaires, p. 372. Monographies communales, p. 373. Cartes communales, p. 373. Ecole normale d'institutrices de Nantes, p. 37^. La Société philomathique de Bordeaux, p. 37i. Le recrute- ment des instituteurs, p. 376. Bibliothèques et livres, p. 376. Le sou des bibliothèques scolaire», p. 376. Exercice de tir, p. 377. Collection d'insectes pour les musées scolaires, p. 378. La Société de secours mutuels des Baises-P> rénées, p. 378. Commissions municipales scolaires, p. 379. Travaux manuels et charité, p. 379. Une bonne pensée et une bonne action, p. 379. Congrès de la Ligue de l'enseignement et exposition scolaire à Lille, p. 380. Réouverture du Musée i)édagogique, p. 380. Bibliotlièques populaires des écoles publiques, p. 468. Les écoles du Creu zot, p. \jH. L'exposition scolaire de Lille, p. 469. Concours d'ensei- gnement agricole dans la Sarthe, p. 470. Les bataillons scolaires de la Charente-Inférieure, p. 471. Recrutement du personnel enseignant, p. 471. \]ne Socicté libliophih à Lucenay-lès-Aix (Nièvre), p. 472. Les instituteurs arpenteurs, p. 473. Les recommandations politiques, p. 473. L'Alliance frau(;aise, p. 474. Examen d'admission aux écoles nor- males d'instituteurs et d'institutrices, p. 568. Inspection dans les écoles primaires supérieures de Paris, p. 568. Délégués cantonaux, p. 568. La Ligue de l'enseignement de Constantine, p. 569. Promenades péda- gogiques, p. 570. Carte de l'Ëtat-major, p. 570. Les bibliothèques municipales de Paris en 1885, p. 571. Association polytechnique des Py- rénées-Orientales, p. 572. Société d'éducation et d'instruction populaires des Basses-Pyrénées, p. 672. (^lOngrès des instituteurs de sourds-muets, p. 573. L'enseignement public à l'île delà Réunion, p. 573. Concours des sociétés de gymnasti(|ue à Bordeaux, p. 574. Prix Halphen, p. 575.

Une dispense pontiGcale. p: 575.

Enseignement public en Tunisie (ap[)el aux jeunes instituteurs), p. 576.

Courrier de l'Extérieur.

Allemagne. Mort du D' Kehr et du D' Sloy, p. 190. Loi sur les pen- sions de retraite des instituteurs, votée par la Chambre prussienne, p. 475. - Statistique de l'enseignement des travaux à l'aiguille en Prusse, p. 475. Jugements d'un pédagogue allemind sur l'instruction primaire enFrancei p. 475.

ANGLBTEaRE. Rapport d'une commission du School Board de Londres sur

382 REVUE PÉDAGOGIQUE

Y overpr assure, p. 92. Les sept plus grands éducateurs anglais vivants, p. 92. Préparatifs faits par l'Union nationale des instituteurs primaires en vue de la présentation de candidats aux futures élections du Parlement, p. 284. V underpressure en opposition à VoverpressurOy p, 381. Dis- cours de M. Wild, président de l'Union nationale des instituteurs primairesi au Congrès de Nor\^'ich, p. 476. Vote du Congrès de Norwich en foveur de la création d'un ministère de l'instruction publique, p. 477. Débat à la Chambre des communes sur le système du payment Uy resullSy p. 477.

Autriche. Projet de pétition de la Société Diesterweg en faveur da réta- blissement des châtiments corporels; attitude négative du ministre, p. 234. Conférence des évoques autrichiens à Vienne, p. 477. Dénouement de l'incident Rohrweck-Rudigier, p. 478. Recherches du D' Netoliczka sur la myopie scolaire, p. 478.

BKLOiorE. Circulairc concernant le inmlc de répartition des subsides scolain.*s, p. 93. Décision du conseil communal de Gand inscri\ant l'enscignoment de la religion et de la morale au programme des écojiîs primaires, p. 93. Publication d'un nouveau programme d'études deiécol«»s normales, d'un règlement type des écoles primaires communales, et d'un programme t^pe des écoles primaires communales, p. 190. Le nou- veau programme des écoles primaires, p. 285. L'application de la loi du 20 septembre 1884 ; débats à la Chambre des représent^ints, p. 285.

Bulgarie. Statistique de l'instruction primaire, p. 381. Renseignements statistiques complémentaires, p. 478.

Canada. Les instituteurs laïques du Bas-Canada et le pape, p. 94.

Chili. Nomination d'un directeur allemand à l'école normale de Santiago, p. 288.

Espagne. Mesures rétrogrades édictées par le ministère conservateur, p. 190. Proposition de créer un ministère de l'instruction publique, p. 288.— Nouvelle loi sur l'instruction publique en préparation, p. 479.

Hollande. Demande de révision, faite par le {«rti conservateur, de l'article 194 de la constitution, relatif à l'instruction publique, p. 288.

Iles IIawaÏ. Rapport biennal (1884) sur l'instruction i>ublique, p. 95.

Italie. Projet de loi sur les traitements et la nomination des instituteurs, volé par le Sénat avec quelques modifications, p. 95. Rapport présenté à la Chambre sur ce projet de loi, p. 192. Proposition d'une fédération générale des sociétés pédagogiques, p. 192. Le projet de loi sur les traitements et la nomination des instituteurs est définitivement adopté par la Chambre, p. 288. Augmentation du nombre des inspecteurs primaires, p. 288. Conséquences de la nouvelle loi sur la nomiiuttion des institu- teurs, p. 479.

RÉPUBLIQUE Argentine. L'école normale nationale de Parana, p. 328.

TABLE DES MATIÈRES 883

Roumanie. Statistique do l'instruction publique en 1882-1883, p. 383.

Russii. Statut des écoles primaires ecclésiastiques, du 13 juin 1884, p. 95. Statistique des écoles primaires rurales, p. 9G.

SuissB. Dépenses pour l'instruction primaire dans le canton de Zurich en 1883, p. 383. Pétition des instituteurs de Saint-(iall pour l'abolition du second examen, p. 384. Propositions soumises à la Landsgcmeinde de Glaris, relatives à la fréquentation obligatoire de l'écoic complémentaire ot à la fourniture gratuite des livres classiques, p. 384. La Landsgemeindc de (jlaris rejette la fréquentation obligatoire de l'école complémentaire, et adopte la fourniture gratuite des livres classiques, p. 479. Nouvelle loi sur l'instruction publique discutée par le Grand ('onseil de Genève, p. 480.

Union américaine. Con^^rès international do pédagogie à la Nouvelle-Or- léans, p. 'SH^h. La sci-tioii française d'é<lucatiun à rkxposition internationale de la Nouvelle-Orléans, p. 480.

IMPKIMIBII CIMTUALI DES CHUINU OB l'KH. IHPRIMIHII Cil A IX. HDB BEHUKHB, SO, PABI8. 14154-5.

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