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JOURNAL ASIATIQUE

TROISIÈME SÉRIE. , TOME IX.

JOURNAL ASIATIQUE

OU \

RECUEIL DE MÉMOIRES,

D'EXTRAITS ET DE NOTICES

RELATIFS X L'HISTOIRE , X LA PHILOSOPHIE , AUX LANGUES ET X LA LITTÉRATURE DES PEUPLES ORIENTAUX;

RÉDIGÉ PAK MM.

BIANCHI, ÉD. BIOT, BORE, BDRNOUF, GAUSSIN DE PERCEVAL,

LODIS DUBEDX, D'ECKSTEIN, GARCIN DE TASSY, GRANGERET DE LAGRANGE,

DE HAMMER, HASE, A. JAUBERT, STAN. JULIEN, MAC GUCKIN DE SLANE,

J. J. MARCEL, J. MOHL, S. MUNK, 6. PAUTHIER,

qcatremère, reinadd, de schlegel, sÉdillot, STAHL,

ET AUTRES SAVANTS FRANÇAIS ET ÉTRANGERS,

ET PUBLIÉ PAR LA SOCIÉTÉ ASIATIQUE.

TROISIÈME SÉRIE, TOME IX.

PARIS.

IMPRIMÉ PAR AUTORISATION DU ROI

A L'IMPRIMERIE ROYALE.

M DCCC XL.

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JOURNAL ASIATIQUE

JANVIER 1840.

CHARTE DES TURCS.

NOTE PRELIMINAIRE.

Le grand acte dont Constanlinople vient d'être le témoin , le 3 novembre dernier, à Gulkhanè \ est de tous les pas fails vers la réforme , celui qui est le plus heureux pour Thuma- nité, et le plus honorable pour le haut génie qui Ta conçu. Jusqu'à présent les réformes dans l'empire ottoman s'étaient bornées au costume , à la manœuvre et à l'organisation des troupes ; mais ces améliorations n'étaient que le prélude de celle qui vient de s'opérer aujourd'hui, et qui fera briller d'une véritable gloire, jusqu'à la fin des siècles, le nom du sultan qui l'a exécutée.

* ^Iâ» J^ Gul-khank {mot à mol: la maison des roses), est le lieu la lecture solennelle du Khatti-chèrjf a été faite par S. Exe. Rechid-Pacha. Gulkhanè est la troisième cour du sérail. On y tenait^ autrefois le divan, et c'est que l'empereur reçoit, à la4ête du Baïram, les hommages des grands de sa cour.

Le nom de Gulkhanè est donné à ce lieu parce qu'il y a un office immense, uniquement destiné à la préparation des sucreries, et principalement à celle de la conserve de roses.

6 JOURNAL ASIATIQUE.

Certes, la chrétienté doit se réjouir de ne plus voir ses^ frères de Constanlinople oser à peine avouer leur culte et leurs croyances, êlre marqués du stigmate de l'ignominie, et racheter pour ainsi dire leur vie par la honle d'un tribut permanent. Un changement comme celui qui vient d'avoir lieu était difTicile à opérer : il a fallu toute la sagesse de Sultan-Mahmoud pour en préparer les voies , et amener pa» à pas, jusqu'à ce point, une révolution si grande dans le» idées musulmanes.

Cependant, dans les siècles passés, l'empire ottoman a possédé des hommes expérimentés, qui, à dilTérentes épo- ques, le dotèrent de lois sages, dont l'établissement fut la cause de sa prospérité pendant de longues années; mais cet empire devait se soumettre à la loi commune , c'est-à-dire que, toute sa puissance consistant dans les armes, l'auto- rité militaire dut y dominer l'autorité judiciaire. Les janis- saires, qui devinrent, sinon les auteurs, au moins une des principales causes de la splendeur ottomane, furent aussi celle de sa destruction par leur nombre incessamment aug- menté, leur puissance, et leur insolence envers la religion et le souverain.

Les premiers chefs de la dynastie ottomane n'avaient pas d'armée permanente; lorsqu'une expédition militaire était décidée, ils étaient obligés de convoquer, quelque temps à l'avance, des cavaliers turcomans nommés ^5^^^^! akindjj, ou aqindjy (coureurs), seules troupes alors en usage. Un tel mode de recrutement nécessitait naturellement beaucoup de lenteurs, et mettait le souverain à la merci du caprice de ces recrues. Pour y remédier Sullan-Orkhan créa d'abord une milice organisée de pyadèh û:>U^ (fantassins) , qui recevaient une solde d'un aktchèh Ajil (asprc) par jour, somme consi- dérable pour le temps. Mais l'insubordination et les préten- tions orgueilleuses de cette milice s'élevèrent à un tel point, que leur licenciement devint indispensable. Ce fut alors que Sultan-Orkhan , suivant quelques historiens, ou, suivant d'autres, son successeur, iSultan-Mourad 1", institua une

JANVIEU 1840. 7

milice nouvelle , composée entièrement de jeunes chrétiens , enfants de tribut ou prisonniers de guerre , que l'on instrui- sait dans la religion musulmane. Les janissaires t^^-^i^V^Sî yeny-tchèry (nouvelle troupe), dépassèrent en peu de temps les espérances de leur instituteur : ils apprirent, sous des maîtres habiles, à vaincre et à obéir; ils établirent sur des bases formidables, par leur courage et leur bravoure, la puissance de leur maître, et lorsqu'ils eurent renversé à Constantinople l'ombre du colosse romain , ils vinrent plus d'une fois faire trembler la chrétienté jusque sous les murs de Vienne, après l'avoir refoulée continuellement vers l'Occi- dent. Mais à ces prodiges de valeur venaient se joindre des séditions incessantes ; habitués à regarder leur prince comme leur égal , puisque le Grand-Seigneur recevait sa solde comme un simple janissaire, ils lui imposaient leur volonté, mani- festaient hautement leur mécontentement, et si, dans les actes par lesquels le Sultan voulait montrer une apparence d'autorité, se trouvait une disposition qui leur déplût, ils se révoltaient, brisaient ou renversaient leur marmite ^^ incen-

* Les grades des chefs des janissaires étaient désignés par des noms dérivant des emplois de la cuisine. Le sultan étant regardé comme le père nourricier de ses sujets , ceux qu'il préposait à veiller à leurs besoins étaient décorés de titres culinaires. Ainsi, l'officier le plus élevé en grade fut appelé ^L ^. H^jys^ tchorhâdjy-hâchy (premier distributeur de soupe) ; après lui venaient le ygiûL» /<^t

âchdjy-hâchjr (premier cuisinier) , et le ^l* \jum saqqâ-hâchy (pre- mier porteur d'eau. Les divers régiments même des janissaires étaient désignés par le nom de (^^-£>'^\ ôdjâg (fourneau de cui- sine). Par une conséquence rationnelle, la marmite (/j>5 qazan) qui servait à la distribution de la nourriture fournie par le souverain était, pour les janissaires, l'objet d'une vénération particulière. C'était autour de cette marmite qu'ils tenaient leurs conseils, et sa perte était pour eux la plus grande humiliation qu'ils pussent éprou- ver. Lorsqu'ils se révoltaient contre les ordres du souverain , ils re- tournaient leur marmite sens dessus dessous, ou la brisaient devant le palais. (Voyez Tmqaie, par M. Jouannin, p. 26.J

8 JOUKiNAl. A^lAligi Iv

diaienl quelques quartiers de Coustanlinoplc , et veiiaieul jusque sous les murs du palais dicter des lois à leur maître.

Les pachas , janissaires eux-mêmes , unirent par se placer dans une position presque indépendante de leur souverain ; ils gouvernaient leurs provinces en despotes , et pressuraient leurs sujets, pour être pressurés eux-mêmes à leur tour par le sultan, lorsque les plaintes des opprimés parvenaient jus- qu'à son trône, ou bien lorsqu'il jugeait ces pachas assez gorgés d'or pour s'emparer de leurs dépouilles. Les peuples , cependant, n'étaient pas mieux traités à l'arrivée d'un autre gouverneur, et le commerce , l'agriculture , tout restait dans l'anéantissement.

Au milieu de ces exactions si universellement répandues , les chrétiens n'étaient pas ceux qui souffraient le moins , quoique déjà, à plusieurs époques, on eût tenté d'améliorer leur position. « Kupruli-Muslafa- Pacha, entre autres, fut « aussi jusle envers les sujets chrétiens qu'il l'était envers les «musulmans, et par son nizami-djedyd «^^«X^ -Uâi (nou- « veau règlement) ', il voulut délivrer les premiers du joug « avilissant qui pesait sur eux^. » Mais ce grand acte de tolé- rance et d'équité était réservé à Sultan-Mahmoud', qui, ayant nourri son fils dans ses principes réformateurs , a légué à ses peuples un continuateur de ses grandes vues régénératrices.

D'aprèslesnouvellesinslilulionsproclamées dans \eKhatti- chéryf^^ar le jeune mooaitjue, à peine assis stirlo (rône, non

•Ml VU] :

' Vers 1691 de fère chrétienne, sous le règne de Sultan-Ahuied- Khan II, fils de Sullan-Ibrahim-Khan.

' Voyez rUnivers Pittoresque; Turquie , ^àr M. Jouauniu, p. Zo/i.

' Il y a à peine quelques mois, Sultan-Mahmoud publia un firman dans lequel la liberté du culte était garantie, et qui mettait les chré- tiens à fabri de la juridiction musulmane, en les plaçant exclusive- ment sous celle de leurs patriarches; mais jiar ce Kkatti-c}i£ryJ, ce n'est pas seuleraeut la sécurité des cbrétiens qui est assurée, c'est celle de tous les sujets de l'empire ottoman.

* Personne n'ignore que le Khatti-chéiyf est l'expression la plus Auguste et la plus vénérée de la volonté souveraine du prince. Deu»

JANVIER 1840. 9

seulement une protection égale est assui'ée à tous les sujets de l'empire , quel que soit leur culte , mais encore la tyrannie des gouverneurs de province reçoit un frein salutaire ;les opprimés cessent d'être livrés à la merci de l'arbitraire ; une sage comp- tabilité empêche toute spoliation cupide et illégale , et fait re- fluer au trésor de l'empire l'or des tributs , jusqu'alors destiné à gonfler les trésors particuliers ; la justice du trône surveille et punit les injustices particulières ; l'égalité devant la loi est établie pour tous ; les abus de l'administration , sévèrement interdits, deviennent presque impossibles; les travaux de l'industrie et du commerce sont encouragés , protégés , et ne serviront plus de prétexte aux avanies les plus oppressives. Une ère nouvelle vient donc de commencer pour la Tur- quie; l'empire des lois et de la justice vient de s'établir par le concours de ministres habiles ; espérons que leur vie sera assez longue pour consolider les monuments qu'ils viennent d'élever à la postérité.

autres dénominations sont aussi employées pour exprimer les lois ou décrets des autorités gouvernementales : celles defetva, dont nos écrivains ont fait, en raltérant,/ct/a, et celle àefirman, plus vul- gairement connue ; mais il y a entre elles cette différence :

hefetva]^3 est une décision religieuse ou juridique, émanée, soit du mufti, soit du qadj-l-cjodat ou qady-'l-a'sher, c'est-à-dire du chef de la religion ou du ministre de la loi.

Le firman i^\^yi est une décision politique et administrative émanée du divan suprême, c'est-à-dire du corps gouvernemental.

Le hhatti-chèryf v.Jij ww li-^ au contraire, acte de la volonté personnelle du sultan, émane de sa personne auguste elle-même, est ordinairement souscrit par sa propre main, et porte sa signa- ture impériale, accompagnée d'une formule exécutoire autographe, composée des mots : ôJvÂ^L z**^»! J%i ^.^V.Ar*-»-» moudjibin- djkha'mel olounmacf babindhh, ou feulement du mot /jj^jimâJj^ olonn- soun. C'est ce qu'indique la dénomination elle-même du décret ou (ïe l'ordonnance, hhatti-chér^f {écrliurc noble ou auguste).

10 JOURNAL ASIATIQUE.

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JANVIER 1840. U

KHATTÏ-CHERYF.

Ceci est la copie du rescrit auguste et impiérial (auquel est attachée la puissance), qui a été ma- nifesté et proclamé comme un accroissement de justice.

Emanation de la volonté auguste renfermant le bonheur, relative au renouvellement de la disposi- tion et des bases des Canons sacrés \ purement dans l'intention sincère et le but bienveillant de raffer- mir la religion et le gouvernement, et de rétablir les usages du royaume et de la nation, conformément aux bonnes intentions de clémence et de justice auguste, impériale et bienfaisante, qui sont les qua- lités innées de Sa Majesté, fasile du khalifat, qui possède les insignes de la puissance souveraine.

Ainsi qu'il est connu de tous , la puissance et la force de notre gouvernement, ainsi que la tran- quillité et la prospérité de nos sujets, étaient parve- nus au plus haut degré , à raison de ce que , depuis le rommencement de l'apparition de notre monarchie

* Voyf z ci-après la noie placée au bas de la page 1 3.

12 JOUKiNAL A61A11QUE.

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CXa3\.>>j^ iÎJ^j»!^ il.iv.fil Aj^^ji» cy^jwix^. cxjljLfi^ (j^

* Le mot que nous traduisons ici p&r sujets, est ifjuS labaah.Ce mol n'existe pas dans les dictionnaires ; il est le pluriel de «jli* tâbi'. On i a employé ici pour qualiiier tous les sujets de Tcmpire musul- man; ce qui cQace corapléteraeol la distinction qui existait jusqu'à présent entre les musulmans ^jv^wt^Jt! él-mushmjn , et les \j\sj rajcu (peuples conquis et infidèle»).

JANVIER 1840. 13"

auguste, on avait observé avec une entière soumis- sion les décrets sublimes du Roran et les Canons légaux. Il y a i5o ans que, d'api^ès des malheurs successifs et des causes diverses, et comme on ne se conformait et ne s'attachait plus ni à la Loi sacrée, ni aux Canons augustes^, la puissance et la prospérité primitives se changèrent en faiblesse et en pauvreté : cela est une preuve évidente que la stabilité d'un état ne peut se maintenir lorsqu'il n'est point administré d'après les lois.

Depuis le jour fortuné de notre avènement au- guste, nos pensées impériales (qui répandent les traces du bonheur) se sont portées exclusivement vers les moyens de faire prospérer les contrées et les provinces , et d'amener la tranquillité des peu- ples, ainsi que l'amélioration de la position des pauvres.

En considérant la situation géographique des lieux de notre empire , la fertilité des terres, la capa- cité et l'intelligence des peuples , il est évident que , dans le cas l'on emploierait les moyens néces^ saires, l'on obtiendra, dans l'espace de cinq ou dix ans, avec le secours du Dieu très-haut, les ré- sultats que l'on cherche à atteindre.

Or donc , après nous être confié dans le secours et la bienveillance du Dieu très-Haut , après avoir imploré la médiation de notre grand Prophète , et

^ Mouradgea d'Ohsson nomme ç. >-w t^^^^' îa législation reli- gieuse, et Q^b qanomi, la législation civile et politique.

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14 JOURNAL ASIATIQUE.

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JANVIER 1840. 15

mis notre appui clans son assistance spirituelle ; nous avons regardé comme nécessaire et indispensable d'instituer et d'établir quelques règlements nouveaux, dans le but de donner une bonne administration à nos provinces et à notre gouvernement auguste.

En conséquence les bases fondamentales de ces règlements importants sont relatives à la sécurité de la vie , à la conservation de l'honneur, de la réputa- tion et de la propriété , enfin à l'établissement de l'impôt. Pour ce qui regarde les troupes, ces règle- ments ont rapport au mode de recrutement et au temps de la durée de leur service.

En effet, comme il n'y a rien dans le monde de plus précieux que la vie , l'honneur et la réputation , lorsqu'un homme se verra sur le point de les perdre , il s'attachera certainement à quelque mauvais parti pour conserver sa vie et son honneur, quand même il n'aurait pas eu , dans ses inclinations naturelles et dans ses goûts innés, de penchant qui le portât au mal; et par cette raison il deviendra certainement nuisible au gouvernement et à l'empire.

Tandis qu'au contraire dans le cas il serait en sûreté pour sa vie et son honneur, il ne s'écar- tera pas de la droiture et de la loyauté, et il est clair et évident que toutes ses actions seront une suite de bons services envers le gouvernement et la nation.

Dans le cas cet homme serait privé de toute sécurité pour ses biens, il ne s'intéressera ni au

16 JOURNAL ASIATIQUE.

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^ («Iv^t £Uiz4m. Ce mot, nom d'action de la huitième forme en verbe 1^, n'a pas, dans ies dictionnaires.lesensqu il a ici. fi signifie, suivant M. Bianchi, concessions intéressées ou vénales, accordèti par tautonté; affermage. M. de Sacy, dans sa Chrest, ar. t. III, p. 369, traduit ce mot par ferme, et le mot multezim (•sJJL« ^SiV fermier; il ajoute : La dénomination de multezim équivaut à celle de proprié-

JANVIER 1840. 17

gouvernement, ni à la nation , et ne s'occupera point à faire prospérer l'état , parce qu'il ne pourra être exempt de troubles et d'inquiétudes continuelles. Mais , au contraire , s'il a une sécurité parfaite pour sa fortune et ses propriétés , s'occupant alors seule- ment de gérer ses affaires et d'élargir le cercle de son revenu, il est hors de doute qu'il se livrera à des entreprises louables, et que, d'après cela, le zèle pour le gouvernement et la nation , ainsi que l'amour de la patrie, s'augmenteront en lui de jour en jour.

Quant à ce qui regarde les impôts , puisqu'il est absolument nécessaire, pour la conservation des états d'un empire, d'avoir des troupes, des armées, et de faire toutes les <lépenses nécessaires; comme ces choses s'effectuent au moyen de l'argent , et que cet argent lui-même provient des impôts établis sur les sujets, il devient très-important de s'occuper de régler convenablement îeur mode de perception.

Bien que , depuis peu de temps , les habitants de nos provinces, bien gardées, aient été délivrés (grâ- ces en soient rendues à Dieu!) du fléau du mono- pole , qui était regardé autrefois comme une source de revenus annuels ^ ; cependant le principe nui-

iaire, en Egypte; mais c'est par une suite d'abus et d'usurpations consacrés par une sorte de prescription.

Ces iltizâm ou affermages de certaines portions du revenu public ressemblent beaucoup aux anciennes fermes générales, qui, moyen- nant une somme convenue , percevaient à leur profit la plus grande partie des contributions du pays.

' Le mot t^\^j\^ vâridât, est l'opposé de cylss^jlô». khâridjàt (dépenses annuelles).

is JOURNAL ASIATIQUE.

^ b\!>jS\ âr**^?^ OJj*^^' ^^-^ j^nJ^*«o xÂjj^jjj!.sm. i(^so AJbj^Xj^ vi):iK^I cl):>^ ^ ^j*N^U liUI ^jl «>s*^

bjjp ^S ojjjjl CiJ^^^ Jso^X^ aJoÎAjoW?^ CiJS»^^ îs^

* iUttf memlekét (priocipauté). Ce mot, d*après M. Quatremèrc, désigne une grande province , gouvernée par un prince indépendant, ou par un vice-roi, qui, en l'absence du sultan, exerce toutes lei fonctions inhérentes à la souveraineté. (Voyez la note des pages 98 et 99 de l'Histoire des Mamlouks, a* partie.)

' On trouve dans le Canon de Soleîman, représenté à Mourad IF (p. 13), les mêmes règlements au sujet de l'établissement de l'im- pôt, pour qu'il soit réprti d'une manière égale et proportionnée WT tous l&i sujets.

Depuis l'établissement de la religion musulmane, les sujet

JANVIEI\a840; 1^

$ihle des iltizâm est encore aujoui'd'hui en vigueur, et en aucun temps on n'a vu le fruit de leur utilité , car ce sont des éléments de destruction. En effet, c'est pour ainsi dire livrer à l'arbitraire et à la main de la violence et de la brutalité d'un homme les affaires administratives et financier es d'une pro- vince , quand même il ne serait pas un homme es- sentiellement loyal, et que, s'qccupant seulement de son avantage , toute sa conduite et tous ses actes ne seraient composés que de tyrannie et d'exac- tions.

Il devient donc nécessaire pour l'avenir d'établir un imipôt convenable , en rapport à la richesse et aux propriétés de chaque individu de nos états, bien gardés, et de ne rien demander en sus.

Il convient aussi que les dépLçnscs pour i\o$ ar- mées de terre et de mer, et pour toute autre ma- tière , soient effectuées d'après les lois spéciales qui auront été établies et déterminées.

Bien que les affaires relatives aux armées soient des plus importantes, ainsi qu'on l'a dit plus haut, et que, pour conserver le sol sacré 4^; la patrie, donner des soldats soit une dette obligatoire pour les sujets, on s'occupait pas , suivant la manière employée jusqu'à présent, du nombre de personnes

asservis noi) i^us^im^s, nomiwé^ du ixo)pri,^ériqùe.de rajf^s l^U^., étaientsoumisau payement de la capitation, nommée if^ws»' djezjéh éi ^j^ hkaradj. Cet impôt ne pouvait se ^ercevbit sût les musul- mans. Quant à ceux-ci, ils étaient seulement astreints aux diverses tUwi«» établies par l«wr rçligion.

M JOURNAL ASIATIQUE.

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JouA^ aJLoU.jÎ jMidL». Ax^Uô» (^I^ ^ JusLit^

' Le commence et l'agricaltare sont au nombre des choses ap- prouvées et encouragées par ie Prophète, car il 4it '.y r>»LJLJl

Ïj-aJI f-Ujiî %j^ ^ ft*XAûJI «le commerçant droit et juste est au rang des âmes les plus élevées par la piété. » Et dans un autre endroit : ^9>a\ ya^\i ^âjy-^' L agriculteur est récompensé par son «Dieo.» (Mouradgea d'Ohsson, tom. IV» 1" partie, p. 197.)

' Le mot AjtfVh»' djnnhah, traduit ici par éiUt, ne se trouve fMs

JANVIER .1840. 2t

existant dans chaque province; on pouiTait même dire que ce qui fut la cause, soit du désordre de l'empire, soit des atteintes portées aux laffaires im- portantes du commerce et de l'agriculture, était le mode de recrutement des troupes , par lequel on prenait tantôt plus, tantôt moins de personnes que cette province ne pouvait en fournir.

Comme pour ceux qui venaient à l'armée, l'o- bligation de servir jusqu'à la fin de leur vie était une cause nécessaire de dégoût et d'empêchement à la multiplication de l'espèce humaine ^ il devient nécessaire de poser et d'établir quelques règlements convenables aux soldats , qui seront demandés de chaque province, conformément au besoin, dans le but de fixer le temps du service à quatre ou cinq ans, à tour de rôle.

En résumé, tant qu'on n'aura pas acquis ces rè- glements organisateurs, on ne pourra obtenir ni force, ni prospérité, ni repos, ni bonheur, parce que le fondement de toutes ces choses est basé sur les articles qui ont été énoncés.

Or donc,, à l'avenir, les procès des prévenus seront examinés avec soin, publiquement, et sui-

ainsi écrit dans les dictionnaires; c'est probablement le mot siiJ^ gunah persan , qui signifie péché, faute, crime. On trouve des exem- ples de permutation de lettres du même genre dans ïës mcits CJ^Vs»- pour cj>) J^<^ eau de rose ; ià^^^S^ pour .^1^ " '" ^ '^^ douane, etc.

^ La plupart des janissaires vivaient dans le célibat; on ne les empêchait pas cependant de se marier; mais ceux qui se mariaient

22 JOURNAL ASIATIQUE.

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De devaient plus préteadre k être élevés à aucuae charge, parce qu^on pensait que rattachenieat jK)ur leur famille ne leur permet- trait pas de s'appliquer avec le même zèle à la guerre et au service du Grand-Seigneur. (Charte turque, par M. Grassi, 1. 1, p. 63.)

' Le mot ijKKKMé^ yj>té ser-bestjryet est un des mots que les Turcs ont introduit nouvellement daiïs leur langue, quoique le primitif y exislAtdéjà. Il dérive de c.am>j j^ ser-best, adjectif composé per-

JANVIER 1840. 2J

vant les préceptes sacrés. Tant que le jugement n'aura pas été prononcé, il ne sera permis d^em- ployer aucun moyen pour faire périr ou empoison- ner, d'une manière cachée ou ostensible, quelque personne que ce soit.

11 ne sera dirigé d'attaque de la part de personne contre l'honneur et la réputation d'un autre.

Chaque individu sera possesseur et disposera de ses biens et de ses propriétés avec une entière li- berté; on ne s'y interposera en aucune façon.

Dans le cas , par exemple , une personne serait coupable d'une faute ou d'un crime , ses héritiers , étant innocents de ce délit, ne seront pas privés de leurs droits d'héritage par la confiscation ^.

Gomme les musulmans et les autres peuples qui sont sujets de ma Sublime-Porte sont fobjet, sans exception, de ces concessions impériales, une sé- curité parfaite pour la vie, l'honneur, la réputation et la propriété a été accordée par notre volonté impériale à tous les habitants, de nos états, bien gardés, conformément à la loi sacrée.

san, qui signifie libre, auquel on a ajouté le ^ pour en faire un nom abstrait; puis les Turcs l'ont, pour ainsi dire , arabisé , en ajoutant un iechedyd sur le je, et le faisant suivre d'un hé.

' La confiscation des biens de tous les officiers disgraciés ou mis à mort était un des revenus du ^'*'r^ hhaznè (trésor particulier) du sultan, ainsi que le droit qu'avait ce prince d'hériter des officiers du sérail, et de ceux de la Porte ou de l'empire, à l'exclusion de leurs enfants et de leurs parents; il n'y avait que corps des ulémas qui fût exempt de cette loi de spoliation. (Tableau de Tempire otto- nlan, par W. Ktnn, t. I, p. 63.)

24 JOURNAL ASIATIQUE.

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' L^i cfa/ui est ici mis pour .

' Le mot t)%«M chourâ (conscii militaire), écrit de cette manière , n'est pas dans le dictionnaire de Meninski; mais on le retrouve dan» celui de Castell, écrit (^jj-û consulendi achu, ou bien (^yym

JANVIER 1840. 25

Pour les autres points , comme il est devenu né- cessaire de les établir par le concours des conseils , les membres de l'assemblée des décisions juridiques (Conseil de justice), qui seront portés au nombre requis par le besoin, ainsi que les ministres et les grands de l'état , se rassembleront au Conseil , dans certains jours qui seront indiqués, et parleront en toute liberté, en ne retenant aucune de leurs réflexions ni aucun de leurs avis. Ils s'efforceront, d'un commun accord, à établir les règlements im- portants concernant la sécurité de la vie, de la propriété , et la fixation de l'impôt ; les affaires rela- tives à l'organisation de l'armée seront débattues au Conseil militaire, séant au palais du sèrasker.

Lorsqu'une ordonnance aura été arrêtée, on la présentera à notre Trône Impérial , afin que la tête de cet acte soit sanctionnée et revêtue de notre visa impérial, pour qu'il soit regardé comme un ordre auquel on devra se conformer à jamais, sui- vant la volonté Dieu.

Comme ces règlements sacrés n'ont été établis que dans l'unique but de faire revivre la religion, le gouvernement, la nation et l'empire, un pacte et un engagement seront contractés par nous , afin qu'aucune atteinte n'y soit portée par notre pouvoir impérial.

En conséquence , un serment sera prononcé par

consilium. On le trouve aussi écrit 4$j » ^ dans le Dictionnaire turc de M. Bianchi. <

20 JOURNAL ASIATIQUE.

#u^l j>Jjî l^j^ cUUt^ u^b:>3^ U^ «j^l^i cA^Ui ciJ^JjJvi «->5^ i>JU^ ajaaê^ cjvil^ iày^y^

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' Les musalmans sont dans l'usage habituel de prendre l>ieu à témoin de ce qu'ils avancent. Ils emploient alors la formule 4MU ouallak qui est une sorte de serment. Lorsqu'ils afTirmenl une chose, ils ajoutent le mot aWL billah et souvent celui de Jfiilj tillnh . ponr donnera leur assertion un dernier de*gré d'aflirmation. (Mouradgea d'Ohsson, IV, 2' p., pag. ii66 ; Dictionn. fran(;.-ar. de M. Marcel.)

Ce qui donne au présent Khatti-chéryf le caractère d'uue charte, est l€ serment par lequel le Grand-Seigneur s'engage à maintenir 1m garanties qu'il donne à ses sujets.

Le manteau du Prophète dont il est question dans ce même pa- ragraphe, se nomme tf^w torJa/i. C'est aussi le nom d',un poème composé par Cherif-eddyn êl-Boussyry en l'honneur de Mahomet, par lequel il prétendait avoir été guéri en songe de la cécité, (Contes du cheykh Ei-Mohdy, III, Sôg-, voyez aussi d'Herbclot.)

' t^y^j richvét. Ce mot signifie les présents qui servent à cor- romjire les juges, et qu'on leur donne en sus des droits qu'ils pré- lèvent légalement. M. Marcel m'apprend quf le mot By^^j richoaét

JANVIER 1840. 27

Nous, en prenant Dieu même à témoin, lorsque tous les ulémas et les ministres d'état seront réunis dans la salle qui renferme le manteau glorieux du Prophète. Puis, ensuite, on fera prêter aussi ser- ment aux ulémas et aux ministres d'état.

Conformément à cela , un Code pénal sera rédigé, dans le but spécial de faire exécuter (sans avoir aucun égard pour le rang, la considération et le crédit) les châtiments mérités par le ddit constaté de ceux qui commettraient des actes contraires aux lois sacrées, quand même ils seraient ulémas , vizirs, et en somme quelque personne que ce soit.

Les traitements de tous les administrateurs sont, en ce moment, d'une quotité suffisante; si par hasard il y avait encore maintenant des fonctionnaires qui ne fussent pas rétribués d'une manière convenable , ils seront régularisés ; puis on s*occupera à établir fermement, au moyen d'une loi sévère, Tabolisse-

s'emploie aussi au Kaire pour indiquer le présent que l'on fait à tout administrateur, vizir ou autre, dans le but d'en obtenir une place. Ce mot est pour les supérieurs ce que le yjj.jVuA j^ . ^nhlnhyrh (pour- boire) est pour les inférieurs.

Dans le Canon de Suleïman , représenté à Murad IV, le vizir, s'adres- sant à l'empereur, lui tient un langage en tout semblable au para- graphe ci-dessus, lorsqu'il dit, page 2 5 : «Les kadis ont leur temps d'exercice et de non-activité. Lorsqu'il y a cinq ou six concurrents à «la poursuite d'un kadilik. on les examine, et selon les canons, on «devrait donner la préférence au plus savant; mais très-souvent les kadileskiers la donnent à la sollicitation ou à l'intérêt, saii!> avoir «aucun égard au mérite, congédiant celui qui ne doone point de «présents, et le remettant à une autre vacance (ce qui est très- « punissable) , lorsque V. M. en sera avertie. »

Plus loin , on lit (p. 202 ) , au sujnl de la complaisance des grands

28 JOURNAL ASIATIQUE.

u^rjy^ c^>* isy**^* (Sj^j^^^^ J^>çj yt^

xMl j^«X^I c>^=»^.jfc. AÂi^Xj^ sidjAAMU4w^ (:5VÏy ^^

dignitaires: fLes hadileshiers , de crainte d'être disgraciés injuste- «ment, ceux qui sont possédés d'ambition et d'avarice, entraînés par «le génie du temps, vendent les kaddiks à des j)ersonnes indignes, tDepius,la vénalité s'était introduite parmi les mulazims, qui ne tmontent plus par degrés; de simples kiatips. des voïvodes. des sou- t hachis et autres personnes du commun , se font mulazim (professeur «dans le droit, aspirant au kadUik) pour de l'argent, et en peu de «temps deviennent muderris et hadis, tellement que ces abus ont « donné lieu àl'ignorance qui règne aujourd'hui , sans qu'on distingue «les bous des mauvais sujets. De vienneDt les injustices et lei tïoin- « eussions. »

* AassitM l'apparition de cet acte si important, les journanx

JANVIER 1840. 29

sèment complet à l'avenir de l'usage honteux du richvet, qui est la cause principale de la destruc- tion de l'empire , et qui est repoussé par la loi.

Comme les dispositions qui viennent d'être ex- pliqués sont , pour ainsi dire , un rétablissement et un renouvellement total des anciens usages, notre volonté impériale sera proclamée et notifiée aux ha- bitants de Constantinople , ainsi qu'à ceux de tous nos états, bien gardés; on en donnera aussi con- naissance, d'une manière officielle, à tous les am- bassadeurs qui résident à notre Cour de félicité , afin que les puissances amies servent de témoins pour la durée de ces institutions , jusqu'à la fin des siècles , s'il plaît au Dieu très-Haut.

Que le Dieu Suprême daigne nous être favorable à tous !

Que ceux qui agiront contrairement à ces Canons fondamentaux, soient f objet de la malédiction de Dieu, et qu'ils ne jouissent d'aucun bonheur jusque dans féternité ! Amen !

français se sont empressés de le faire connaître au public, les uns par des extraits, les autres par la reproduction de la traduction, insérée dans le journal de Smyrne. La haute importance de cette pièce fondamentale pour le droit politique de Tempire ottoman nous a fait penser que nos lecteurs verraient avec plaisir la publication du contexte authentique lui-même, accompagné d'une nouvelle version , faite le plus littéralement possible sur l'original.

Pour garantir l'exactitude de notre travail , il nous suffira de dire que nous nous sommes fait un devoir de le soumettre à Texamen de M. Bianchi, qui a bien voulu en faire la révision avec son obli- geance ordinaire.

Belin.

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RELATION

D*un voyage en Chine, par M. l'abbé Ricoenet. ( Smte et ^n. )

Le 8 un mandarin bon homme et chargé de nous accompagner vient nous faire visite. Comme il y a très-peu d'eau dans la rivière, il faut de petites bar- ques; mais, de crainte que nous ne soyons gênés par nos effets, on nous en donne une troisième pour en porter une partie. Ces barques sont longues , mais fort basses; il y au milieu un endroit de six ou sept pieds dans lequel on peut se tenir debout, mais qui n'a pour plancher que des bambous mal unis. Devant et demère cette place sont nos malles, et par-dessus un plancher pour coucher et s'asseoir. Point de chaises, point de tables; mon bureau, placé sur ce plancher, est ma seule table pour manger et pour écrire; et pour m'en servir il faut me tenir debout dans l'endroit creux qui est à côté. Pour porte et pour fenêtre , c'est une partie de la couver- ture qu'on avance ou qu'on retire ; s'il pleuvait on ne pourrait pas l'ouvrir, et l'on ne verrait presque pas clair. Au reste, une demi-heure après que nous avons été partis, nous avons commencé à éprouver com- bien il était nécessaire de ne pas avoir de plus grandi bateaux. Nous avons rencontré des bancs de cailloux

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qui laissaient un passage si étroit et si peu profond , que nous avons eu de la peine à nous en tirer; et depuis nous avons touché fréquemment le fond , ce qui occasionne un cahotement tout au plus agréable. Néanmoins , comme nous descendons la rivière , nous allons passablement vite, quoique nous n'ayons que deux bateliers pour chaque barque , tandis qu'il y en avait sept ou huit dans la dernière que j'ai quittée. Les rivages sont forrnés quelquefois par des mon- tagnes, et quelquefois des terres cultivées. Le peu de villages et le peu de population que l'on y voit indique assez que ces terres ne sont pas bonnes.

Le 9 nous passons par Koan-ding-fou.

Le 1 o au matin , nous nous arrêtons à Yu-kao , port de Yuen-chang-hien , qui en est à une demi- lieue. On nous donne d'autres barques plus grandes, parce que la rivière devient plus navigable ; sans être ni fort grandes, ni brillantes, elles sont suffisam- ment commodes, et deux nous suffisent. Nous ne partons que le 1 1 . Hautes roches sur le bord de la rivière; plusieurs jolies maisons bâties dans des espaces que laissent ces roches, espaces si petits que les maisons touchent les deux roches ; puis pe- tites plaines; ensuite rpches, dont une carrée comme un château fort, une autre élevée en forme de py- ramide : les plaines bien cultivées, les roches cou- vertes en grande partie de broussailles et petits ar- bres; une cinquantaine d'arpents couverts de joncs. Cette variété, ces roches surtout forment un aspect pittoresque et agréable. A deux heures et demie

32 JOURNAL ASIATIQUE.

nous arrivons à Ye-yan-hien , ayant fait six lieues.

Nous nous arrêtons pour prendre l'étape, et nous

partons.

Le 1 2 nous couchons près de Koue-ki-hien. Ce jour et le i3, quelques gros rocs, quelque terrain inculte, quelque autre meilleur, quelques maisons, mais point de villages.

Le 1 II nous passons à Ngan-gin-hien , qui paraît peu de chose, ainsi que les autres villes des jours précédents. Le 1 5 nous passons près de Iliu-kan- hien; on nous y donne l'étape pour jusqu'à Nan- tching, parce qu'il n'y a plus de ville jusque-là. Belle campagne bien cultivée et boisée ; néanmoins peu de villages : quelques marécages ou espèces d'étangs annoncent que l'on n'est pas loin du lac.

Le 1 6 pluie. Nous nous arrêtons pendant deux heures près d'un beau village , pour la laisser passer. Grandes prairies l'on coupe maintenant le foin , et on le transporte dans des barques. Ce sont les premières prairies que je vois en Chine. A onze heures nous entrons dans le lac Po-yan, ou plutôt nous le voyons à un mille de distance de la rivière ou du canal que nous suivons. Le terrain près du canal est couvert, en grande partie, d'un petit jonc que l'on fauche actuellement; dans quelques endroits c'est du foin ou regain; ailleurs c'est du padi (riz d'une inférieure qualité), blé noir, etc. A quatre heures et demie nous arrivons à un joli village nous nous arrêtons pour la nuit.

Le 17, la pkiic avec un fort vent, qui a com-

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mencé au milieu de la nuit et duré tout le jour, nous empêche de quitter notre mouillage.

Le 18, la pluie ayant cessé le matin, nous par- tons à six heures. Grande difficulté d'avancer à cause du vent fort et tout à fait contraire ; thermo- mètre, 5li°. A midi nous nous arrêtons près d'un joli petit village en attendant que le vent change ou s' affaiblisse , et nous y restons tout le jour. On joue la comédie tout près de nous. On y accourt en affluence des villages voisins : elle cesse à cinq heures et recommence à six heures et demie. Cette campagne est belle : on peut juger de sa richesse par le grand nombre de jolis villages bien bâtis , bien boisés, dont elle est couverte; ils sont petits, mais si rapprochés, que l'on pourrait presque jouer à la raquette de l'un à l'autre.

Le 19 nous partons à six heures, avec un vent fort et froid; thermomètre, 46°. A dix heures du matin nous arrivons à Nan-tching-fou , capitale du Kiang-sy , et nous n'en partons que le lendemain à quatre heures et demie de l'après-midi.

Le 2 2 , à sept heures du matin , nous arrivons à Fou-tching-hien. Le mandarin étant absent, les commis refusent de donner l'étape et de payer les bateliers.

Le 28, à trois heures huit minutes , nous arri- vons près de Ling-kiang-fou. Le 2 5 nous passons Sin-gan-hien; le 26, Hia-kiang-hien; le 2-7, Ri-choui- hien, et nous couchons à Kin-gan-fou.

Le 28, en partant de Kin-gan-fou, je m'aper- IX, 3

34 JOURNAL ASIATIQUE,

çois que mon domestique n'est pas rentré dans la barque. J'en avertis les bal(4iers : ils s arrêtant vers les dernières maisons du faubourg. J'envoie un ba teïier ert ville pout* le cbercbér : il t^evient sans l'a- voir trouvé; j'en ériVoie un antre qui rte réussit pa*i mieux, et nous partons. Deux heures aptes, le do- mestique nous joint, ayatit pris un petit bateau pour courir après nous. Il a donné la preuve que tout Chinois ne vole pas toutes les fois qu'il le peut. Il était occupé au moment du départ i\ changer en piastres de i'argent en pains, que je lui avais confié pour cela. Ses gages étaient payés en partie d'avance. H aurait pu impunément nous laisser courii% et s'en venir tranquillement, en bourgeois, avec la somme assez considérable qu'il avait en main. A sept heures je m'arrête près de notre mandarin , qui était anê- depuis quelque temps. Notre autre mandarin et M. Dutnazel étaient allés plus loin. Comme le vent est fort, il est difficile de rester ensemble. Pendant la nuit k force dit vent cesse.

Le 29 nous partons à six heures : beau temps, bon vent frais. A midi nous arrivons vis-à-vis Tai- ho-hien, qui est à une demi-lieue. Je fais Une agréable promenade de trois heures sur le gazon , puis à travers la campagne, qui est charmante par le mélange de champs de légumes, les uns plus, les autres moins élevés, au milieu d'un grand nom- bre de tombeaux, dont queltjues-uns de pierres et ornés, et le plus grand nombre de sitnples monti- crtlès de gazon. Des champs de cannas à sucre, des

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arbrisseaux eu forme de haies, le loug des sentiers, plusieurs arbres superbes, quelques jolis villages, quelques maisons isolées, dans cette jolie campagne de jardins en vue de la ville. Nous ne partons que le lendemain. Rivages pittoresques. . jJLe i" déceipbre, à onze heures, nous arrivons à Ouang-gan-hien. A midi arrive à côté de nous un nouveau Tsian-kian (général des troupes) de Can- ton , avec cinq barques. Les mandarins du lieu vien- nent le visiter avec l'appareil ordinaire. Musique , décharge de canons; grande foule de spectateurs. Ce Tsian-kiun, pour aller plus vite et pour éviter les huit bancs de sable que nous avons à passer, quitte ses barques et va par terre. Ses barques le suivent. Ayant reçu l'étape, nous partons, et nous nous arrêtons de nouveau à six heures ; vent fort et violent toute la nuit.

Le 2 nous partons à sept heures-, beau temps; thermomètre, Zi/i*'. Écueils; hautes montagnes sur le rivage. Ma barque ayant heurté contre un rocher prend eau, et quelques-unes de mes malles sont mouillées. Nous nous arrêtons à cinq heures et de- mie; temps tranquille et moins froid.

Le 3 continuation de beau temps. Rivière pleine de rocs, courant rapide, difficile à surmonter. Au milieu du jour les barques du Tsian-kiun de Can- ton nous joignent près d'un village nous nous lii^niêtons pendant trois heures. [, Le il temps et chemin comme hier. Nous voyons des pêcheurs avec des pélicans, sur de simples pe-

3.

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lits radeaui. A ti*ois heures, thermomèU'e , 6r. A quatre heures et demie nous arrivons à Kan-tcho- fou.

Les 6',* 7s 8 et 9 nos barques vont si lentement, à cause du défaut d'eau, que je fais de longues ex- cursions dans la campagne , quelquefois à une grande dislance de la rivière. Le terrain est pres- que tout glaiseux. Environ une moitié est de champs de cannes è sucre que l'on coupe maintenant. Je me suis aiTeté à quelques maisons on les presse. Ces pressoirs consistent en deux cylindres de pierre placés perpendiculairement, et qu'un, quelquefois deux bufïles font tourner : on fait passer les cannes entre ces deux cylindres; le suc tombe dans une rigole qui est sous terre, et le conduit à dix douze pieds de distance dans les chaudières , qui sont dans une grande fosse l'on fait bouillir ce suc.Cest comme une mélasse claire. 'J'ai passé par plusieurs plantations alignées de petits pins. Le terrain , de terre glaise , forme des ailées et un chemin durs et unis comme une aâre à battre, ou plutôt comnte une seule pièce de roc. On voit quelques arbres à suif. On rencontre peu villages, mais beaucoup de hameaux et grosses fermes isolées. Les femmes, dans ce quartier, paraissent n'être pas renfermées comme ailleurs. On en rert- ccmtre un grand nombre qui vont et viennent; on n'en voit aucune qui ait de petits pieds, suivant la coutume chinoise. La campagne est entrecoupée de plusieurs collines, à peu de distance et quelquefois

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près de la rivière. Le y nous passons par Naii-kan- hien. Le 9 je traverse une campagne dont les champs sont en amphithéâtre , mais une heure après les montagnes viennent sur le bord de la rivière. La difficulté, le danger de grimper ces rocs escar- pés, la crainte de perdre la rivière et nos barques en prenant des chemins moins difficiles , mais dé- tournés, me déterminent à rejoindre les bateaux et à rentrer dans ma solitude. A la nuit nous mouil- lons près de Nan-gan-fou.

Le 1 o au matin nous avançons jusqu'à la hau- teur de l'auberge, l'on nous conduit en chaises à porteurs, quoique nous n'en soyons qu'à quelques minutes. C'est la même nous avons logé en al- lant. Les gens de cette auberge sont de bonnes gens, mais extrêmement importuns, surtout le chef et son neveu, jeune hamme d'environ vingt ans, qui est bachelier. Ils voudraient être toujours avec nous , tout voir, tout examiner.

Le 1 1 , à sept heures et demie , après un bon dé- jeuner ordonné par le gouverneur de la ville, ainsi que le dîner et le souper de la veille , nous entrons en chaises à porteurs pour passer la montagne de Méline. Nous avons cent-dix hommes, tant portefaix que porteurs de chaises. Le montant de leur salaire, dit notre mandarin, va à plus de 3o,ooo sapées, c'est-à-4ire environ 280 francs. L(; bagage du Tsian- kiung que nous rencontrâmes il y a quelques jours partit hier de Nan-gan. Il fallut, nous a-t-pji dit, sept cents hommes pour le porter à Nan-hiuug. La

38 JOURNAL ASIATIQUE,

procession prodigieuse d'allants et venants, surtout de portefaix, rend la route un peu lente et moins agréable. Le chemin est le plus souvent si étroit, qu'il faut aller h ia file. Un seul qui s'arrête retarde toute la procession. Il serait difficile de dire com- bien de milliers de portefaix nous avons i^nconti'ës. A midi un quart nous nous arrêtons dans le plus gros village de la route. Le dîner était prêt ; on était allé auparavant pour le faire préparer. Après trois quarts d'heure nous nous remettons en route. Le chemin devient plus large et plus facile. Je crois que l'on rencontre au moins cent villages sur la route de cette journée. Deux des porteurs de ma chaise étaient si petits et avaient l'air si faibles, que ce Rit pour moi une raison (outre celle de prendre de fexercice et de mieux voir) de marcher plus de deux heures, afin de les soulager. Malgré cette apparence de faiblesse , ils firent la route sans prendre d'autre repos que celui du temps du dîner, et (excepté sur la montagne ils ne pouvaient passer par-devant la file non interrompue de cou- lis) ils allaient si vite que j'avais peine à les sui- vre. A cinq heures nous arrivons à l'entrée de Nan- hiung-fou, et un peu avant six heures, à notre au- berge sur le port, la même nous avons logé en allant.

Le la on nous procure des barques. J'observe que celle que Ion me destine a une couverture si mauvaise, que fon y serait exposé au vent et à la pluie : on m'rn donne une âittre ; feUe est neuve et

V.

JANVIER 1840. 39

grande, mais incommode, parce quelle est si basse qu'on ne peut y marcher sans se baisser, et ses portes joignent fort puai. Il est difficile de se garan- tir du froid. Nous ne partons qu'à six heures du soir, et nous nous arrêtons bientôt après. Il y a si peu d'eau , qu'il faut presque continuellement sou- lever les barques.

Le 1 3 , eau également basse. Forte gelée blanche. A huit heures, theruiomètre , /io°. Le soleil com- mence à paraître. A trois heures , thermomètre, 68°. Je m'arrête à huit heures et demie du soir, sans avoir atteint ni vu de tout le jour les barques de M. Dumazel et du mandarin. Gomme elles sont plus petites que la mienne , elles marchent rnieux , c'est-à-dire se traînent plus aisément sur ce sable couvert de deux ou trois pouces d'eau.

Le i Ixy gelée blanche. A huit heures , thermo- mètre, kh°i et à trois heures, -yi"; beau.

Le i5, temps obscur. A huit heures, thermo- mètre , 6o°, et à trois heures , 63°. Rochers immenses , de plusieurs centaines de pijgdsde haut, et ressem- blant à une forteresse. A quatre heures , brume. Je m'arrête à sept heures sans avoir atteint M. Du- mazel et le lïiandarin.

Le i6 je pars avant six heures, et arrive au port de Cho-tcheu à sept heures et demie. Il a fait une petite pluie toute la nuit, et elle continue. Il .est questixDXî de changer de baïques. On nous en amène qui sont petites et fort mauvaises. Je refuse ceJle qui m'est destinée; on m'en aqr^ènie ijne au^ro qui

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ne vaut pas mieux , et l'on me dit qu'ii n'y en a pas^ d'autre. Je la refuse encore. Un orage conimence et dure jusqu'au milieu de la nuit. Le lendemain ma- tin on m'amène une barque qui est propre, com- mode et suffisamment grande. Celles de notre man- darin et de M. Dumazel sont pitoyables. Il est aisé de nous apercevoir que nous sommes dans la pro- vince de Canton. Les égards envers nous ne sont plus les mêmes et notre mandarin timide n'ose lien dire; car je n'ose attribuer son silence et son inac- tivité à aucune connivence avec les commis des tribunaux. Quoi qu'il en soit, le 1 7, après avoir reçu une mince étape, moindre pour M. Dumazel et pour moi qiie pour notre mandarin seul, nous partons à neuf heures et demie. Aussitôt que nous avons quitté la ville, n6us voyons la ri\'ière qui con- duit au Hou-kouari. Montagnes , hauts rochers; beau temps; pèches avec des pélicans et de petits radeaux de bambous. Nous nous arrêtons à six heures et demie.

Le 18 nous partons à six heures et demie. Boit vent frais. Aujourd'hui ainsi qu'hier les rochers sur le rivage sont si fréquents qu'on ne peut guère s'y promener; il faudrait bientôt et trop souvent ren- tref dans les barques. Dans les endroits cultivés, nous voyons des champs de petites cannes à sucre. A dix heures nous passons le miao qui est dans un trou de rochers, et que nous avons visité en allant. Point de soleil tout le jour, brume sur le soîr. Now notis arrêtons k six heures et demie; peu après

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vent violent ou petit orage , qui dure la plus grande partie de la nuit.

Le 19, après midi, le rivage devenant praticable, je fais une promenade. Ma barque ayant le vent en poupe, je ne puis la suivre que des yeux. La vitesse avec laquelle je suis obligé de marcher m'empêche d'examiner la campagne. Au reste j'y perds fort peu, on n'y voit à présent que des cannes à sucre, des raves et quelques autres légumes, outre un peu de blé nouvellement ensemencé. Cette campagne n'est pas à beaucoup près brillante; elle n'est éloi- gnée que de quelques portées de fusil d'horribles montagnes : sur quelques-unes il y a beaucoup de gros arbres; le long des champs il y a pour dé- fense une grosse forte plante de trois ou quatre pieds de haut, en forme de chandelier à sept ou neuf branches, et qui a des pointes partout. Ce que nous avons parcouru de la province de Canton me donne lieu de croire que c'est la plus monta- gneuse, la moins riante et la moins belle de toutes celles que nous avons vues. Je n'en excepte pas même le Tche-kiang , dont une partie est pire que le Canton , mais dont la partie nord est beaucoup plus belle. Quant à la fertilité ou utilité, la province de Canton produisant beaucoup plus de riz, est, je pense , préférable. On fait dans le Canton beaucoup de sucre blanc et de sucre candi, mais les cannes que j'ai vues dans le Kiang-sy ne peuvent produire, me dit-on , que de la mélasse.

A quatre heures et demie nous arrivons à Tsin-

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yoen-hien. J'y suis arrivé à pied, traversant un très- long faubourg. J'ai eu soin de tenir mon mouchoir de manière à cacher ma barbe et ma figure autant que je le pouvais. Je me félicitais ))endant quelques oiinutcs de ne point entendre les expressions fan- kouei, quoique je fusse dans la province de Canton; niais bientôt j'ai cessé de m'applaudir, entendant cinq à six fois l'inévitable apostrophe. Elle n'a été cette fois ce}>endant prononcée qu'à voix médiocre, et il n'y a eu que cinq à six jeunes gens qui coumient en avant, puis s'arrêtaient pour mieux me voir.

Le 20, montagnes couvertes d'une petite herbe, et paraissant d'un vert bleuâtre. Quelques langues bien étroites de terres cultivées; collines sur les- quelles quelques petits carrés de quelques toises cultivés par -ci par- là. Fours à briques. A neuf heures beau village et une plaine de quelques milles. A deux heures nous arrivons à San-chouien ou plutôt au corps de garde qui en est éloigiié d'un quart de lieue. La ville n'est ni grande, ni belle; la campagne est fort indifférente; je n'y ai aperçu que les restes d'un pauvre riz ou padi, indice de la pauvreté du terrain. Le domestique du mandarin va en ville et revient avec la nouvelle qu'il n'y a point d'étape à nous donner.

Le 2 1 nous trouvons la campagne plus belle. L'on ne voit .plus de montagnes, mais seulement quelques collines. A mesure que nous avançons, les rivages sont mieux peuplés, les .villages mieux Wtif. liC terrain est bas, presqu'au niveau de la

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rivière : il paraît très-fertile ; mais , étant en grande partie couvert d'eau, il a l'air de marécages. Il y a si peu d'eau dans la rivière que nous ne pouvons- avancer, et nous sommes obligés d'attendre la ma- rée : elle monte à treize lieues au-dessus de Canton. A neuf heures du soir nous passons Fou-chen , et une demi-heure après nous nous arrêtons pour la nuit.

Le 2 2 nous partons à six heures, et nous arri- vons, à dix heures et demie, près des factoreries européennes de Canton. Nous prévoyons que, con- formément aux ordres de l'empereur, l'on ne nous permettrait certainement pas de rester dans cette place. Nous ne nous soucions pas de nous y arrêter pour peu de temps, parce qu'un tel séjour serait inutile, nous occasionnerait des dépenses, et pour- rait nous exposer à quelque désagrément. Les man- darins nous ayant sous les yeux, tenteraient peut- être de nous faire embarquer pour l'Europe , ce que nous avons à cœur d'éviter, désirant rester le plus près possible , jusqu'à ce que nous ayons reçu des nouvelles des instructions de Pékin. Pour ces raisons nous ne quittons point nos barques, nous tâchons de sonder quelles sont les dispositions du gouvernement à notre égard : et avant que d'avoir quelque renseignement à ce sujet, nous croyons ne devoir faire aucune démarche pour obtenir notre but , qui est de ne pas nous éloigner. Quoique à cer- tains égards nous désirerions rester à Canton , nous nous gardons bien de le témoigner. Nous restons

liU JOURNAL ASIATIQUE.

ainsi plusieurs jours sans rien apprendre de rinteii lion des mandarins. On nous dit ne pouvoir les trouver, pour leur |)arler de notre afl'aire. Eniin le chef des marchands nous demande si nous voulons aller demeurer dans telle maison (celle d'un Euro pécn). Je lui réponds que nous n'avons rien de par- ticulier avec cet Européen, et que nous n'avons rien à lui demander; que si les mandarins nous indiquent cette maison ou toute autre, et assurent de nous y procurer tout ce qui nous est nécessaire, suivant la promesse qu'on nous a faite à Te-tcheu , qu'ici comme dans la route on nous fournirait tout ce dont nous aurions hesoin , nous étions prêts à y aller. Mais comme je sais que toutes les dépenses que les man- darins ordonneront de faire à notre occasion seront immanquablement payées par les Hanistes et sur- tout par le chef, je profite de l'occasion pour ta- cher de mettre ce chef dans notre sens et l'amener à appuyer notre plan, en le prenant par son propre intérêt. Je lui représente que si nous descendons à Canton ce seront de grandes dépenses pour le gou- vernement (je feins de ne pas soupçonner qu'elles tomberont sur lui); qu'outre les frais de la maison et de notre subsistance pendant le temps que nous y resterons , les frais de notre passage en Europe seront considérables; qu'il ne suffira pas de payer le capitaine qui nous transpoilera ; que, comme il ne pourra nous condiure qu'en Angleterre , nous aurons hesoin d'argent pour aller de dans notre patrie; qu'on nous a promis , en nous faisant retoivrner sur

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tios pas, de défrayer entièrement noire retour; qu'il faudrait bien pour cela 4 ou 5,ooo piastres (je mettais la chose à haut taux, parce que je me proposais , en cas que les mandarins voulussent nous faire embarquer pour l'Europe, d'engager le chef de la compagnie anglaise à prévenir les capi- taines, et leur recommander de demander un prix exorbitant pour notre passage , afin de déconcerter les mandarins, et les disposer à nous laisser tran- quilles) -, que nous serions fâchés d'être ainsi à charge au gouvernement, mais que nous voyons un moyen de l'éviter; qu'on peut nous envoyer à Macao, en nous donnant seulement ce qui est nécessaire pour nos premiers frais, habillements européens, etc. que nous avons deà amis , et nous trouverons moyen de nous arranger. Cette proposition, ainsi que je l'espérais, est fortement goûtée. Il dit qu'il va la communiquer aux mandarins. Le lendemain , 2 8 décembre , il vient nous dire qu'elle est acceptée ; mais qu'il faut faire un écrit pour attester que c'est nous qui faisons cette demande. Il nous présente cette pétition toute faite, et nous engage à la signer, en nous promettant 3oo piastres pour aller à Ma- 'cao. lendemain matin, 29 décembre, le man- darin qui nous avait accompagnés dans tout le voyage vient nous rejoindre , et nous annoncer qu'il a ordre de nous accompagner encore , que nous pouvons partir dès aujourd'hui. Des barques fournies par le gouvernement arrivent : on y transporte nos effets, et nous sommes prêts à partir le 3o au matin.

46 JOUHNAL ASIATIQUE.

Mais les baleliers ont quelques arraugenieiUs à faire peureux; nous wv |>;nioiis (pir lo .\ i ;\ trois heures après midi.

Peu après que nous lûmes arrivés à Canton , quelques Européens vinrent nous voir dans nos ba- teaux. Je fis visite à quelques-uns le soir; je ne vou- lais pas le faire ouvertement, pour les raison que j'ai insinuées ; mais lorsque notre affaire fut arran- gée avec les mandarins, j'allai sans précaution dans plusieurs factoreries. Le 2 a décembre et quelques jours après il y a eu à Canton de la glace de l'é- paisseur d'mi liard. Le thermomètre dans ma bar- que n'a cependant pas été plus bas que ào°. Le plus bas que j'aie appris qu'il ait été dans les factore ries est 38°, échelle de Fahrenheit.

La première demi- lieue du rivage de la rivière qui conduit à Macao est assez johe. Ses collines couvertes de tombeaux, les arbres, la verdure, quel- ques maisons et forteresses agréablement situées, forment un assez joli coup d'œil; mais après, c'est un terrain si bas, qu'il parait tout marécageux. Il ressemble beaucoup à celui du lac Po-yan; ici, comme sur les rivages du lac Po-yan, point de chemias; la différence est qu'ici le terrain s'ense- mence de riz^ et dans le lac de Po-yan il y a peu de terres cultivées, ce n'est presqi^ que du jonc. 11 y a une grande différence entre les jachères d(; iliz que nous. voyons ici, dt celles que nous avons vuiis dans les autres provinces. I^à les champs sont arrangés par petits compaitiments de différenles

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formes, tous séparés pài- de petites élévations de verdure qui servent à retenir les eaux que l'on y introduit. Ici l'on ne Voit point de telles sépara- tions, mais comme un seul vaste champ, ce qui donne un coup d'œil désagréable. Malgré cela cette campagne est bien supérieure à l'autre partie que nous avons traversée de la province de Canton. L'on voit ici beaucoup de villages : ils ne sont pas grands , mais les maisons sont plus hautes et mieux bâties que dans les autres provinces que nous avons vues.

Après avoir fait quatre lieues nous nous arrêtons près du corps de garde de Cho-pe, pour y passer la nuit. Vers les onze heures , les voleurs bordent une barque de marchands assez près de nous. On en- tend le bruit, les cris des assaillis, etc. Notre man- darin et nos gens prennent l'alarmé (pour moi je ne sais de quoi il est question que lorsque le danger est passé). Les soldats du corps de garde y courent: ils sont que tinq, mais il tirent du canon; lès Voleurs fuient. Ils étaient trente, dit-on, et peut-être plus. Cette alerté détermine notre mandarin à se détourner un peu, afin de passer à Chou-te-kien, et d'y ^demander un convoi pour nous protéger.

Nous partons au poôftdti jour, le i" janvier 1 806. La riviè^*e fait tant de coudes, tant de détours, qiie nous n'aiTÎvons à Chou-te qu'à une heure. Notre mandarin va aussitôt au tribunal ; on lui accorde sa pétitioh , mais il faut attendre au lendiemain matin. Pour eittpêcher l'approéhe des pirâtéSV il y a près

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de Chou-te et en plusieurs autres endroilb plus lum * des espèces de barrières formées de plusieurs rangs de pieux de huit ou dix pieds de haut, qui coupent la rivière, et ne laissent d'espace que pour passer un bateau à la fois. Il y a deux rangs l'un près de l'autre, puis à vingt ou trente toises, deux autres r^ngs pareils, et ainsi quatre ou cinq doubles rangs. Dans un endroit il y a, en outre, de grosses cordes tendues entre chaque pieu, excepté entre ceux du milieu.

Le 2 , nous partons à cinq heures trois quarts. , Aj.huit heures nous entrons dans une petite rivière qui passe à travers le village Aouei-tcho , et nous trouvons beaucoup de bateaux aimées. C'est un d'eux qui a ordre du gouverneur de Ghou-te de nous accompagner. Il est plus petit que les nôties, et n'est point couvert; il a environ vingt-cinq hommes. Leurs piques.sont à l'extrémité du bateau, et tous (excepté deux, qui sont sajis doutes les ofli- ciers), rament pour le conduire. Il y a une flamme neuve et un pavillon dont les lettres annoncent sa destination ou commission. Quelque temps après, uu autre semblable, mais plus petit encore, et armé seulement de. quinze homjïies, vient le joindre. Nous passons un pout-levis de bambous. A neuf heures, grande plaine qui i^'étcnd, d'un coté, aussi loin que rhprizoja , et de Ji'^u^e , à plusieurs milles. Belle campagne bi<?iji bfp^sé^; beaucoup d^, villages tli^, bâtis ^ peu de distance. A dix heures e|^ demie nous ai'riv^oi)* à une grandi;, ^vière. A oi^a^ heures

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et demie nous la quittons pour entrer dans une petite. Nous voyons beaucoup de cultivateurs oc- cupés, dans les champs, à couper la terre en gros quartiers lozanges, et les apporter sur des traîneaux au bord de la rivière. Je soupçonne que c'est pour remplacer cette terre par une meilleure, afin d'y planter des mûriers, tels que nous en voyons fré- quemment de petites plantations. Tous ces mûriers ne sont que des arbrisseaux comme des framboisiers , tandis que ceux du Tche-kiang sont de véritables arbres.

Aujourd'hui, ainsi qu'hier, nous avons passé près' de plusieurs endroits l'on fait de la chaux avec de grosses écailles d'huîtres qui paraissent avoir huit ou dix pouces de long.

Près du village Siao-wen-pou, nous avons ren- contré plusieurs canots de pêcheurs d'environ quinze pieds de long et d'un pied et demi de large seule- ment, excepté à la poupe qui a environ un demi-pied de plus de largeur; et est un endroit couvert le pêcheur fait son habitation. Les bords du canot sont presque à fleur d'eau; il est peint en blanc, ainsi que deux planches que l'on place dessus des deux côtés , de manière à couvrir les deux tiers de sa lar- geur. Le poisson, trompé par cette couleur, saute de lui-même dans le canot.

A sept heures du soir nous passons par un vil- lage bâti sur pilotis, et à huit heures nous arrivons à Hiang-chan-hien. C'est l'extrémité septentrionale ou nord-ouest de l'île, h laquelle la presqu'île de

IX.

50 JOUHNAL ASIATIQUE.

Macao est jointe. Le lendemain matin , 3 janvier, notre mandarin conducteur va au tribunal. On met en délibération si nous irons à Macao par eau ou par terre. Les mandarins craignent de nous envoyer par eau, à cause des pirates qui croisent fréquem- ment par ces parages. Par terre il faudrait plus de cent coulis pour porter nos elFets; d'ailleurs la dispo- sition soupçonneuse des Chinois les rend extrême- ment scrupuleux à ne laisser aucun Européen passer par cette île. Jamais les Européens allant ou venant de Canton à Macao n'y entrent. Cette raison, bien plus que la crainte des pirates, me fait plus forte- ment désirer de la parcourir. Je n'ose le demander directement, crainte de donner des soupçons et de manquer plus sûrement mon but.

On décide que nous irons par eau. Il faut des barques un peu fortes à cause du passage de l'em- bouchure du fleuve. On nous en amène une qui paraît grande et forte, mais la couverture est si basse que l'on ne peut pas s'y tenir debout. D'ail- leurs il n y en a qu'une : elle pourrait bien contenir nos effets, mais il ne resterait plus de place tant soit peu décente pour nous. Je déclare aussitôt que nous ne pouvons aller dans une pareille barque, que nous attendrons plutôt jusqu'à ce que l'on ait pu en faire venir une autre d'ailleurs. La circons- tance me paraît favorable pour demander et obtenir ce que je désire. Je fais observer que puisque l'on ne peut trouver assez de coulis pour porter nos effets , et qu'il n'y a pas de barque convenable pour

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nous conduire , on peut prendre un parti moyen , qui est de faire aller nos effets par eau, et de nous transporter par terre , avec seulement les petites choses nécessaires pour le voyage. La proposition est acceptée.

Le 4 on nous amène des chaises à porteurs. Nous laissons nos effets sous la sauve-garde du tri- bunal, qui promet de les envoyer en bateau, et nous partons à midi. Les chaises qu'on nous donne sont plus que modestes, faites de simples bambous, et si petites qu'il y a à peine assez de place pour se tenir. Point de choix entre celles qui sont pour nous et celles qui sont pour nos domestiques. Hors de la province de Canton on n'eût pas osé nous les présenter; mais ici on est accoutumé à voir les Européens, on nous traite plus lestement. J'ai cru inutile de témoigner aucun mécontentement. Gomme nous avons obtenu notre point principal , il convient de passer sur ce petit défaut. Notre man- darin de Canton nous a fait ses adieux, et s'en est retourné. Aucun mandarin de Yan-chan, mais seu- lement iinpan-cJiai (commis du tribunal ) vient nous accompagner. Nous nous met^tons fort peu en peine de cette différence, ou plutôt nous en sommes fort contents.

Nous traversons le faubourg et nous longeons une partie des murs de la ville, mais sans y entrer. En quittant les maisons nous voyons pendant quel- ques moments un peu de terrain cultivé passable. Bientôt après ce ne sont que des montagnes arides,

Vi. JOURNAL ASIATIQUE.

avec tant soit peu terre assez mauvaise, cultivée dans les valiées. Le chemin est, en grande partie, le long des penchants des montagnes, et ce ne sont quelquefois que des sentiers sur le hord de préci- pices très-profonds. A trois lieues les vallées culti- vées deviennent un peu plus larges; à cinq lieues Ton trouve une petite plaine. A six heures nous nous arrêtons dans un petit village assez joli, et nous logeons dans un miao. On nous dit qu'il n'y a point d auherge passahle dans ce village , ^le c'est dans ce miaa que les mandarins qui passent ont cou- tume de loger. Le pan-chai nous traite, mais on dit que l'on ne trouve rien à acheter. On nous sert un plat de poule bouillie et un petit plat d'œufs. Comme c'est un samedi, ce dernier fait tout notre souper, qui est en même temps notre dîner, k l'ex- ception de quelques fruits que nous avons achetés sur le chemin, et que nous avons mangés en nous promenant.

Nous avons rencontré dans la route plusieurs villages, mais a^sez petits, et quelques corps de garde. Nous avohs fait six lieues, suivant quelques- uns»; ou sept, siiivant d'autres, et il nous en reste autant à faire, dit-on, pour arriver à Macao.

Le 5 janvier on nous donne des tieii-sin (petits gâteaux) et des œufs durs pour déjeuner, et nous •partons un peu avant sept heures. Le >chemin est dans des vallées tortueuses inégales et tout à côté des montagnes. A dix heures nous voyons la mer, et un instant après nous passons par un petit endroit

JANVIER 1840: ^3

que les Portugais apellent Casa-branca; c'est de- meure le mandarin qui est spécialement chargé des Européens de Macao. A onze heures et demie nous passons le corps de garde, puis le petit mur (fait d'écaillés d'huîtres) qui coupe l'isthme et fait le nec plus ultra pour les Européens de Macao. A midi nous arrivons à la ville. Notre pan-chai nous con- duit dans sa petit chambre (comme il vient sou- vent à Macao, il y tient cette chambre meublée pour se loger), puis fait appeler l'interprète de la ville , et lui remet l'écrit par lequel le mandarin de Hiang-chan annonce au sénat de Macao les ordres que nous avons eus de retourner, et demande qu'on lui fasse savoir quand nous nous embarquerons pour l'Europe. Nous allons avec le pan-chai et l'in- terprète chez ie procureur du sénat , auquel on remet ledit écrit. M. Letondal, procureur de messieurs des Missions étrangères, vient nous trou- ver, et nous conduit chez lui. Nous allons ensuite au collège oii monseigneur le coadjuteur de Pékin, M. Leite,' supérieur du collège ,' et nos autres con- irères, nous' acciioiilont avec la plus grande cordia- lité.

A...A

5/i JOURNA.I. ASIATIQUE.

MÉMOIRE

Sur ta série des médailles indiennes connues sons la déno" mination d'indo-scythique, par fen M. Jagqubt.

Dans l'ensemble des diverses ctud<is dont une an- tique civilisation peut devenir l'objet, celle des mo- numents qu'elle a laissés comme pour lui servir de témoignage , l'archéologie , vient toujours la dernière , et ce n'est certainement pas dans l'ordre de son importance , mais bien plutôt suivant les conditions de son utilité, qui ne se découvre que par les pro- * grès des autres études , lorsqu'on commence à com- prendre leur insuffisance et qu'on cherche les moyens d'y suppléer. Le témoignage que les n^onuments peuvent rendre à l'histoire d'une civilisation n'est pas celui qu'on consulte le premier, parce que, s'il est le plus sincère et le plus authentique , il n'est pas le plus facile à interpréter, et qu'on est d'abord aussi embarrassé de lui trouver un sens , qu'on peut l'être plus tard de choisir entre tous ceux auxquels il pa- raît se prêter : ce n'est pas d'ailleurs la seule diffi- culté qui en retarde l'usage; isolés, les monuments resteraient sans signification et sans utilité , mais les déplacer, les réunir, les rapprocher dans des collec- tions, c*est , pour ne point parler du temps qui donne seul les occasions, l'œuvre de pénibles efforts et le résultat de dispendieuses explorations; aussi n'entre-

a

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prend-on une pareille recherche que lorsque Tin- térêt de l'étude qu elle doit servir est déjà pressenti, et au moins préparé par celui des autres études, littéraires et historiques , dont elle est destinée à de- venir le complément. L'archéologie a en effet le mérite de donner une fcH^me certaine aux images que l'esprit a conçues de l'antiquité , aux idées qu'il a rapportées de la lecture de ses textes, réparer quelques-unes des lacunes qu'ils offrent, de fournir à leur interprétation des moyens de critique ines- pérés, de développer de la comparaison des monu- ments de l'antiquité figurée certaines traditions re- hgieuses et héroïques dont l'antiquité écrite n'avait pas révélé le mystère ou conservé le souvenir, d'in- troduire par le témoignage , d'ailleurs si difficile à apprécier delà forme matérielle de ces monuments, des distinctions d'âge et des époques relatives dans la succession de ces diverses traditions, et enfm de reporter souvent même notre étude jusqu'à des temps dont il ne nous reste point de monuments historiques écrits, et sur lesquels on ne pouvait re- cueillir de ceux des siècles suivants que de vagues et incomplètes légendes. Tels sont les services qu'a rendus à fantiquité classique l'archéologie moderne, étude des monuments , qui ne se contente plus de les décrire matériellement, mais qui en interprète toutes les intentions; étude dont les progrès ont été rapides parce qu'elle est née pour ainsi dire de la force même des autres études d'érudition, et lorsqu'il paraissait déjà presque impossible de don

56 JOURNAL ASIATIQUE,

ncr aux textes plus de correction et de valeur qu'ils n'en avaient acquis par le travail de la critique pen- dant près de trois siècles. Mais comme tout est lié dans la science de l'antiquité, non-seulement par les rapports qui commencent à se découvrir dans le lointain des âges passés entre les traditions et les doctrines de tant de peuples, mais encore par l'a- nalogie des moyens d'étude qu'on peut appliquer à leur recherche, la perfection qu'ont acquise ces moyens depuis un demi-siècle a profité à une nou- velle érudition pour laquelle ils n'avaient pas été préparés; l'antiquité orientale s'est éclairée des lu- mières qui ont été répandues sur l'antiquité hellé- nique; et comme la critique s'est appliquée, avant qu'on eût pu l'espérer, à l'étude de ses textes , l'é- tude de ses monuments a aussi devancé le temps qui semblait lui être fixé, suscitée par les exemples de l'archéologie classique, par le sentiment de l'u- tilité dont avait été cette étude pour une connais- sance plus intime des anciens mythes de la Grèce; par la découverte des rapports qu'elle avait récem- ment signalés dans le simple rapprochement des monuments entre ces mythes et quelques-uns de ceux qui, sous différentes formes, ont été com- muns à tous les peuples de l'Asie antérieure, et enfin , par les heureuses circonstances qui , ouvrant l'Asie centrale à toutes les recherches de la science européenne, ont depuis moins de dix années livré à notre admiration et à notre étude un nombre si ronsidérable de monuments orientaux , et partiru

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lièrement de ceiix dont l'existence n'était pas même encore soupçonnée , que les richesses acquises , quelque merveilleuses qu'elles paraissent, ne sont déjà plus que les encouragements de nos espé- rances.

C'est dans ces dernières et récentes découvertes que j'ai pu rappeler par une simple allusion , parce qu'elles occupent l'attention de tous les savants, que se sont produits plus évidemment que partout ailleurs ces rapports entre l'antiquité hellénique et l'antiquité orientale que j'indiquais comme un im- portant complément de l'étude de la première, et . comme une utile introduction à celle de la seconde. Je ne désigne pas ainsi ces analogies d'un ordre gé- néral qu'un esprit juste, pénétrant, d'une puissante conception , et qui dispose des ressources d'une éru- dition étendue, peut pressentir, ou bien même re- connaître avec conviction et faire admettre avec autorité entre certaines traditions héroïques ou cer- tains mythes rapprochés des contrées les plus éloi-; gnées après avoir expKqué par les témoignages de l'antiquité les transformations successives qu'ils ont subies en traversant tant de siècles et tant de contrées ; car je sais que d'autres esprits moins ou- verts aux rapprochements, et mieux disposés par leurs habitudes ou par leurs préventions à apprécier les différences de détail que les grands traits de res- semblance , peuvent contester ces analogies avec un égal succès, parce que l'évidence matérielle est la seide qu'on ne puisse nier. Les rapports que je signala,

58 JOURNAL ASIATIQUE

et qui me paraissent dignes de toute lattention des archéologues, m'apparaissent clans l'influence de ia civilisation grecque sur la civilisation des nations ariennes au temps de la domination des Grecs et des Scythes dans la Bactriane et dans l'Inde, influence qu'il est impossible de méconnaître, et dont les preuves se conservent dans les monuments mêmes de cette époque; ils m'apparaissent surtout dans cette application de l'art grec à l'expression des croyances bactrienncs ou indiennes, qui suppose dans les Grecs une connaissance au moins superfi- cielle des traditions religieuses de la haute Asie, et dans les peuples de cette contrée une intelligence suffisante des mythes grecs et de leurs représenta- tions pour en avoir emprunté quelques symboles, et en avoir fait une judicieuse attribution à quel- ques-unes de leurs divinités.

Deux civilisations sorties d'une commune origine , qui s'étaient développées à de grandes distances, sous l'influence de rapports et de contacts différents, avec le secours d'idées nouvellement acquises, et d^s loi's avec des conditions inégales de progrès et en suivant des directions opposées, mais qui avaient toutes deux conservé quelques-unes de ces antiques traditions héroïques et religieuses que les peuples perpétuent avec respect, qu'ils gardent précieuse- ment comme une espèce d'héritage, et (ju'ils ne perdent ordinairement qu'avec le caractère même de leur nationalité , ne pouvaient , au moment donné pour leur rencontre, rester tellement distinctes, ni

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si étrangères l'une à l'autre , que , dans le rapproche- ment violent auquel les avait entraînées la conquête d'Alexandre, elles ne fussent souvent appelées, par la nécessité de commander et par celle d'obéir, à se mêler sans se confondre , à s'observer mutuellement avec curiosité, bientôt avec intérêt, à faire, sans doute avec des principes très-différents, une étude réciproque de leurs mœurs et de leurs croyances religieuses.

Je ne doute pas que , dans le cours de cette étude, quelque peu régulière qu'elle fût, elles ne dussent reconnaître la ressemblance de plusieurs de leurs anciennes traditions , ressemblance qui se produisait d'elle-même à l'étonnement des uns et à la satisfac- tion des autres déjà préparés à accueillir de sem- blables rapprochements : je ne doute même pas qu'une si importante révélation n'ait susciter quelques esprits à rechercher, comme on pouvait le faire à une pareille distance, quelles avaient été dans l'origine les traditions communes aux deux ci- vilisations; à reconnaître et à déterminer avec le plus de précision possible ce qui s'en était conservé; à renouveler celles de ces traditions qui étaient le plus effacées en réparant habilement leurs nom- breuses lacunes avec le secours de versions plus récentes des mêmes traditions; à restituer enfin l'en- semble de ces anciens rapports , comme on restitue toutes les ruines, c'est-à-dire avec .des 'matériaux étrangers et sur des données en partie conjecturales. Mais, indépendamment dp cette étude qui était ré-

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servée à quelques esprits distingués, il dcvail se faire dans ce rapprochement, qui devenait chaque jour -plus intime, un échange d'opinions, de con- naissances, de croyances même, qui ne pouvait pas toujours rester une simple spéculation, qui devait par la force même des événements et presque sans le concours de l'autorité, se réaliser dans les mœurs, de telle manière que le peuple le plus puissant par les armes et par la civilisation fit recevoir et adop- ter publiquement son culte avec les images et les symboles qui lui étaient propres, empruntant seu- lement, par curiosité ou par condescendance, quel- ques vieilles ti*aditions h une antiquité qui en avait conservé le souvenir plus fidèlement que la sienne , et que le peuple qui avait fait l'épreure de l'infé- riorité de sa puissance et de son état social, modi- fiant la forme extérieure de quelques-unes de ses croyances, demandât à l'autre civilisation le secours et le prestige des arts qu'elle avait apportés , |X)ur la représentation de ses divinités et de ses personnages héroïques, quelquefois encore les éléments de l'é- criture, peut-être même ceux de la littérature étran- gère, pour l'expression de ses mythes nationaux ^

' Les Indiens, si pou soucieux d«' leur histoire i^olitique, ^: laissent néanmoins avoir conservé un souvenir vague de la civilisa- tion mixte qui se forma à cette époque dans l'Inde occidentale dés concessions récipl-oqnes des deux peuples. On lit dans le Vlchmi- pùnuia (liv. IV, cbap. .\xiv) que le fondateur d'une de ce» dynastie» donf la chronologie n'est sans doute si dillicile à Oxer que parpc que' les Pâurânika les «»ôl étendues 'dans 1c temps au lien de les difelribnor dans l'espace, ([iio \v roi Vindin v .It. ^rÎMo-iS,. dp

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C'était une grande conciliation qui se faisait à l'avantage des deux peuples, qui paraissait profiter plus aux habitants de la Bactriane et de l'Inde, mais qui, dans l'ordre politique, était d'une bien plus haute utilité pour la domination des Grecs déjà s'attachant au sol et s'associant aux mœurs, et qui, dans l'ordre intellectuel , n'était pas non plus sans importance , parce que , dans la recherche de ce qu'ils pouvaient s'appliquer des antiques traditions de la civilisation arienne , les Grecs devaient recueillir sur celles de leur propre antiquité d'utiles enseigne- ments , dont quelques-uns sans doute ont passé dans leurs livres, et ne sont peut-être pas entièrement perdus aujourd'hui même pour la science. Si nous possédions l'ensemble de ces études, la tâche de l'archéologie serait ici facile; elle exposerait un sys- tème, au lieu de présenter des conjectures; elle trouverait dans un gxand développement de faits le sujet d'une critique aussi variée qu'étendue, au lieu de s'arrêter à la discussion de quelques notions moins incertaines encore qu'incomplètes; elle pour- rait, dans une richesse si abondante et si mêlée,

région aujourd'hui inconnue de Kilahila, adopta les mœurs des Yavana; or les Yatana. à une époque inférieure à l'expédition d'A- lexandre, mais de beaucoup supérieure à la première invasion des rinde par les Arabes, ne peuvent représenter un autre peuple que les Grecs. On doit regretter que des témoignages aussi précieux soient à ce point compromis par les extravagances d'une chronolo- gie systématique qu'on ne puisse en aifirmer absolument l'authen- ticité , et qu'il soit au moins difficile d'en faire quelque usage dans une élude comparative des documents d'ailleurs si rares de l'his- toire aiK;ienne de f Inde.

62 JOURNAL ASIATIQUE,

sépaier par un choix facile les éléments antiques de ceux qu'y ont sans doute ajoutés les âges sui vants, au lieu d'être réduite à rassembler tous les fragments qu elle recueille dans un nouveau syn- crétisme qui ne manque pas de vérité, mais qui n'est pas non plus sans confusion. Tels ne sont pas nos avantages; l'étude que les Grecs faisaient sur une inépuisable variété de documents , en présence des traditions originales, avec le secours d'une in- terprétation qui ne lui manquait jamais, nous la re- commençons aujourd'hui, à plus de vingt siècles de distance, sans secours étrangers, avec quelques dé- bris de la restauration qu'ils avaient exécutée, ne songeant encore qu'à amasser et à décrire, réser- vant l'ordre et la méthode pour le temps ou ils pourront s'appliquer; mais assurés du moins que rien ne saurait être dans cette étude qui n'ait été autrefois dans celle des Grecs; car les monuments qui, dans notre recherche, par un renversement des conditions ordinaires de la critique , sont des- tinés à expliquer et à élucider les textes épars et peu nombreux qui sont parvenus jusqu'à nous , sont le produit et le témoignage irrécusable de cette pre- mière étude qui s'appliquait dans ses résultats, en même temps qu'elle se développait dans son prin- cipe, et qui s'est réalisée, on doit le présumer, dans divers ordres de monuments, bien qu'elle ne se soit encore retrouvée que dans un seul.

Les médailles , ces monuments peut-être les plus précieux de tous , puisqu'ils datent souvent les autres

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monuments et quelquefois même leurs ruines, sont les seuls encore qu'ait pu recueillir la science dans une exploration aussi zélée qu'intelligente, mais dont les premiers efforts n'ont pu jusqu'à ce mo- ment qu'effleurer un sol riche de tant de ruines , qu'il faudrait profondément fouiller pour y décou- vrir des restes de fantiquité , sinon d'une plus grande importance , au moins plus considérables par leurs proportions. Car je ne doute pas que ce sol sur le- quel ont passé tant de civilisations diverses , et qui en garde encore les débris comme pour les réserver à la généreuse curiosité de notre âge, ne rende un jour à notre étude, dans des inscriptions sur les- quelles doivent être réunies les langues des deux peuples , les titres les plus authentiques de l'histoire de la Bactriane et de flnde occidentale, et dans des marbres , les uns mutilés , les autres mieux protégés par les ruines mêmes qui les ont recouverts, les productions d'un art qui, sans avoir la grandeur ni l'originalité de l'art purement grec , doit néanmoins avoir retenu quelque chose de la beauté de son type primitif.

Jusqu'à ce que cette attente , suscitée par le zèle de la science, soit remplie par les persévérantes recherches des voyageurs, les médailles restent pour nous l'objet d'une importante étude dans laquelle des découvertes, qui se multiplient chaque jour, viennent successivement éclaircir ou étendre nos doutes et promettre encore de longs travaux à notre activité. Bien que mon intention soit de traiter éga-

iSk JOUHNAL ASIATIQUE

leineiii de toutes les séries qui forment Tensenihli* des médailles recueillies depuis quelques années dans la Bactriane et dans l'Inde , et que chacune présente un genre nouveau d'intérêt qui, en la dis- tinguant des autres , la signale plus particulièrement à l'attention , j'ai réserver spécialement la mienne aux monuments qui présentaient, en preuve de mon opinion sur l'alliance des deux civilisations, des légendes orientales autom^ de types grecs, ou des légendes en caractères grecs à côté de types orientaux. J'ai consacré à l'examen des premiers, et particulièrement de leurs légendes, une étude sui- vie dont les résultats plus étendus peut-être qu'im- portants ont été réunis dans un mémoire particu- lier et seraient depuis longtemps publiés, si je n'avais désiré les compléter par quelques faits nouveaux qui se sont produits dans les plus récentes décou- vertes. C'est l'autre série de médailles que je me propose d'examiner et de décrire dans cette notice : l'intérêt historique, il faut l'avouer, n'en est pas le même que celui de la série précédente, mais elle sollicite une haute curiosité par les nombreuses difficultés que présente l'interprétation de ses types et de ses légendes , et par les importantes questions que cette interprétation peut susciter ou faire avan- cer vers une solution; l'attention devra plus d'une fois se reporter des types qui mériteraient de l'oc- cuper tout entière sur des discussions philolo- giques, qui se lient d'ailleiu's trop intimement à Texplication de ce» types, et qui offrent, j'ose le

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croire, quelques aperçus trop importants s ils sont trouvés justes , pour ne pas être reçus avec faveur. Pour moi je n'attends pas de cette étude si com- plexe un plus important résultat que celui qui, en fixant l'âge relatif de ces monuments , leur assignera une place certaine dans la suite des médailles si nombreuses et si diverses qui sortent chaque jour des ruines de la Bactriane et de flnde; cette série, qui, à en juger par les singuliers contrastes de per- fection et de barbarie qu elle présente sous le rap- port de l'art, doit s'étendre à plusieurs siècles ne se rencontrent d'ailleurs ni une seule date, ni un seul nom de roi, à l'exception de celui de Kanerkès, nen est pas moins destinée à marquer, avec toute l'exactitude que réclame jusqu'à présent l'intérêt de nos recherches, une époque à laquelle viendront pour ainsi dire mesurer leur âge tous les autres monuments qui se découvriront dans la suite et dont les types s'éloigneront de plus en plus de l'art grec ou de son imitation; les variations de l'art, si faciles à suivre dans un continuel progrès de déca- dence , marqueront à leur tour dans fétendue de cette série , et pour futilité de la comparaison , des degrés proportionnels d'altération qui deviendront des limites de temps vagues d'abord, mais auxquelles les découvertes et les études qui se succèdent sans cesse donneront un jour une précision aujourd'hui inespérée. Je ne me dissimule pas combien dans de si grandes difficultés et au milieu des incertitudes répandues sur tout le sujel, j'ai laisser d'imper-

66 JOURNAL ASIATIQUE,

fections et de lacunes; j*aurais pu espérer en faire disparaître quelques-unes, en attendant quelques mois encore l'arrivée ou la publication de nouveaux monuments entre lesquels il pouvait s'en trouver d'un intérêt considérable, dont les types ou les lé- gendes, jusqu'alors inédits, confirmassent des véri- tés seulement pressenties ou rendissent évidentes des erreurs inaperçues; mais je n'ai pas voulu diffé- rer plus longtemps de satisfaire à l'appel obligeant d'un savant archéologue dont je n'ose dire cepen- dant que je continue ici l'intéressante notice, moins encore à cause du temps que j'ai laissé s'écouler depuis sa publication , que parce que j*ai le senti ment de tout ce qui me manque pour imiter un si heureux emploi de l'érudition et de la critique.

( La saite dans un prochain numéro. )

NOTICE

Sur Ibn-Nobata, le plus grand prédicateur des Arabes.

Abou Yahya ^ Abd ar-Rahîm bin Mohammed bin Ismaïl bin Nobata iLjs'\^ al-Hodaki «sî«X:fi^ célèbre prédicateur, naquit à Mayafarekein , ville de sopotamie, l'an 335 de l'hégire (9/16 de J. C).

' Voyez mon édition d'fbn Kballikan, p. Sgô du texte arabe. Hodak était une brancbe de la grande tribu de Kodaé.

îJ JANVIER 1840. 67

Après avoir' ^étudié à fond la littérature arabe , il se rendit à Aiep , Seif ad-Dewlet , prince de la famille ^ de Haindan , tenait le siège de son gouvernement. Déjà, depuis quelque temps, la puissance tempo- relle des khalifes avait reçu de rudes atteintes de la part des gouverneurs des provinces : plusieurs de ces fonctionnaires, qui s'étaient trouvés investis d une autorité presque illimitée, avaient réussi à se rendre indépendants de la cour de Bagdad , et à transmettre leurs pouvoirs à leurs descendants : la famille d'Ah- med bin Touloun^ avait déjà régné sur l'Egypte et la Syrie pendant cinq générations successives, et bien que la domination des Abbasides eût été rétablie dans ces pays, elle ctéda de nouveau et fut remplacée par celle d'Ikhschîd et de sa famille. Vers la même époque, Seif ad-Dewlet , s étant emparé de ia plus grande partie de la Syrie, s'établit à Alep, d'où il faisait une guerre presque continuelle aux Grecs devenus encore une fois maîtres de l'Asie aaineure. De retour de ses expéditions, il cherchait à se délasser dans la société des poètes et des litté- rateurs qu'il avait attirés i sa coUr par ses libéralités. Les poètes Abou-Feras, an-Nami, al-Babegha, al- Wawa, al-Motenebbi', et àl-Farabi le philosophe, formèrent une brillante pieïade qui jeta un vif éclat sur le règne de Seif ad-Dewlet, et ce fut de' la chaire d'Aiep qu'Ibn-Nobata , le Bossuet dos Arabes , pr.o- nonça ces discours qui lui ont valu la réputation de

*■ Ce nom est aussi protiodoé Tawioan ou Tailoan. C'est de cette dernière manière {{u'Abou iféda l'Êcril dans sa g^:ographie.

68 JOUBNAL ASIATIQUE,

premier prédicateur de l'islamisme. Etant revenu plus tard dans sa ville natale, il continua ses exhor talions et ses enseignements, et ce fut qu'il fit ce sermon de la vision, qu'on a toujours regardé comme un chef-d'œuvre. Des historiens racontent ' qu'Ihn-Nobata, après l'avoir composé, vit en songe le prophète Mohammed, qui se tenait debout au milieu des tombeaux, et qui les lui montrait de la main en disant : « O prédicateur ! qu'en dis-tu ? n Ibn- Nobata répéta aussitôt son discours, et Mohammed l'entendit avec tant de plaisir qu'il l'embrassa sur la bouche qui avait dit de si belles choses. Ibn-Nobata se réveilla dans le ravissement; il parut à ses amis la figure entourée d'une auréole de lumière; pen- dant dix-huit jours il resta sans boire ni manger, en se vantant de l'honneur qu'il avait reçu : u Moham- « med , dit- il , m'a appelé prédicateur A la suite de cette vive exaltation d'esprit il succomba, et fut enterré à May afarekein, l'an 37/1 (98/1 de J. C). Avant que de donner le texte et la traduction du sermon de la vision , il sera bon de faire une obser- vation sur la superstition générale des musulmansi, au sujet des visions et des songes. Selon eux, toul songe dans lequel paraît un prophète ou autre saint personnage, doit être regardé comme véridique et mérite une foi complète. Plusieurs traditions de Mo- hammed autorisent cette croyance; ainsi ]1 a dit':

^ Man. arabe, ancien fonds, n" A5i, fol. 56.

>n* \oyei Mfsabih, man. arabe , fonds Ducaurroy , n* S, fol. ao3 v. €l Ibn-Siriij, man. arabe, ancien fonds, n**i2^o, fol. a r.

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^ ÇL Celui qui m'a vu en songe m'a vu en réalité, « parce que Satan ne peut pas prendre ma figure. « Les songes saints »> il-^aJl l^ Jl proviennent de «la grâce de Dieu, et les mauvais songes viennent «de Satan. Celui qui ne croit pas à un songe saint, «ne croit pas en Dieu. Les songes saints sont le tt seul genre, de prophétie qui restera après moi. » Tous les musulmans croient donc aux rêves; c'est pbiir eux'un principe de religion; ainsi on ne doit pas être étonné de voir certains auteurs arabes citer sérieusement des songes pour des faits , et résoudre deé doutes historiques au naoj^il de vi- sions : c'est une branche de littérature qui. n'existe pas, comme on sait, en Europe.

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70 JOURNAX ASIATIQUE

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JANVIER 1840. 71

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72 JOURNAL ASIATIQUE.

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Traduction, SERMON SUR LA MORT, INTITULÉ SERMON DE LA VISION.

Louange soit k Dieu qui s'élève , dans la hauteur de sa gloire , au-dessus de la conception (derhomme), et qui est hors d'atteinte de (tout) soupçon par la grandeur de sa libéralité; (qu'il soit loué cet être) qui a purifié les cœurs de ses saints aux sources de la sagesse , et qui les a dirigés par la lumière de son élection^ dans le sentier le plus étroit (le sen- tier du salut)! Je le loue de ses nombreux bienfaits, avec un sentiment que les lettres des mots de notre langage (dans toutes leurs combinaisons) ne sau- raient exprimer; je témoigne qu'il n'y a pas d'autre dieu que lui seul, et qu'il n'a pas d'associé son pouvoir); témoignage qui guérit les cœurs de la maladie (du doute ^ ), et qui empêche ce Dieu redou-

* On voit que fauteur admet, comme tout musulman orthodoxe, la doctrine de la prédestination.

' Le Koran parle souvent de la maladie des cœurs; selon les

JANVIER 1840. 73

table d'exercer ses vengeances. Je témoigne qu'il a placé ^ Mahomet le béni, dans le sein et les flancs les plus purs ; qu'il l'a distingué par les qualités et les marques^ les plus belles; qu'il l'a envoyé aux Arabes et aux étrangers , et qu'il a fait du peuple de son Prophète la meilleure des nations: c'est ainsi qu'il a guéri les oreilles qui avaient été sourdes; qu'il a rempli les engagements et les pactes par lui contractés ^, et qu'il a dissipé les profondes ténèbres (de l'infidélité) par la lumière de son envoyé. Que Dieu verse ses bénédictions sur lui et sur sa famille pleine de mérite et de noblesse !

0 hommes ! avec quelle docilité on se laisse conduire quand la mort tient la bride ^ ! Combien il s'éloigne de la bonne voie , celui qui a pour maître ses passions ! Comme on se sèvre promptement quand on a le monde pour nourrice ! Quelle sûreté est celle de l'homme qui a pris la crainte de Dieu

commentateurs, cette maladie est le doute, lequel conduit à l'infi- délité, qui est la mort de Tâme.

* Le texte arabe dit : il a transporté; ceci indique la préexistence des âmes, doctrine enseignée dans le Koran et le Sunna.

' Ces marques étaient la lumière prophétique ou auréole qui entourait, selon les musulmans, la ligure du Prophète, et le sceau de la prophétie qui se trouvait imprimé sur son corps entre les deux épaules.

' Les musulmans disent que Mahon:et est le paraclet annoncé par Jésus-Christ de la part de Dieu,

* Selon le commentateur, le mot w v£>- signifie non-seulement la bride, mais aussi celui qui la tient; le sens du passage est donc: «que celui que la mort entraîne se laisse emmener sans résistance»

74 JOURNAL ASIATIQUE,

pour compagne et protectrice? Craignez donc Dieu comme vous le devez, ô serviteurs de Dieu! crai- gnez-le comme le craint celui qui sait que Dieu le voit I Préparez - vous aux assauts de la mort , car elle se cache en tous lieux ^ !

On voit l'homme joyeux de sa jeunesse; l'amour de soi-même l'égaré; la contemplation de vastes ri- chesses qu'il a acquises l'absorbe , et les choses qu'il recherche avec ardeur lui cachent le but pour lequel il a été créé. Mais voici les maux qui allument en lui leurs feux; pour lui , le temps rend trouble le breuvage de la vie ; autour de lui la mort fait vol- tiger son ministre ailé 2, qui va le saisir de son bec et de ses griffes ; des douleurs mortelles parcourent son corps ; sa constitution s'altère , et il ne la reconnaît plus ; le moment du départ et des adieux arrive , (moment) qui se laisse bien peu retarder ou reculer. Le lendemain le trouve les yeux égarés, le cœur tremblant; il pousse de profonds soupirs et il tourne dans le tourbillon du trépas. Il sent qu'il lui faut quitter famille et demeure , et se résigner au destin qui arrache la vie à son corps ; il voit qu'il n'y a plus d'espoir, maintenant que la terreur et les souffrances se sont établies dans son cœur. Il fait signe à l'ami, qui est venu le visiter, pour lui recommander ses

' Liuéralement : dans la moûon et dans le repos: c cst-à-dire dans chaque chose animée ou inanimée.

* Le texte dit : son aigle; c'est évidemment une métaphore; mais il ne faut pas croire que le prédicateur ait voulu désigner par ce mot Tange de la mort; car relni-ri , sHon le Koran, ne reçoit ses ordres que de Dieu.

JANVIER 1840. 75

enfants encore jeunes; son âme cède à la force qui l'entraîne ^ ; le raie de l'agonie annonce l'approche de la mort. Pendant que les yeux (des assistants) fondent en larmes devant les terreurs de ce lit de douleur, et que sa famille retrace ses vertus et dé- plore sa perte imminente, l'ange de la mort se dé- voile aux yeux du mourant et exécute l'ordre dont il a été chargé. L'aspect de cet homme répugne maintenant à ses compagnons et repousse ses amis; de toutes ses richesses, un linceul seid lui reste pour faire son voyage , et lui se trouve consigné dans la tombe pour répondre des œuvres de sa vie. Seul, malgré de nombreux voisins , loin (du monde) , bien qu'il en soit proche , il doit rester , entre des gens qui ont vécu et qui ne sont plus, qui ont subi les vicissitudes (de l'existence), et qui ont plié (sous leur poids). Ils ne disent pas ce qui leur est arrivé, et s'ils pouvaient parler, ils le diraient. Ils ont bu la coupe amère de la mort après avoir accompli leur destinée '^, et le temps a fait un serment solen- nel 3e i^e Içur'^jàmàis accorder le retour au monde. (Ils sont là), comme si jamais leur présence eût réjouilesyç.ux (de leurs amis) , comme s'ils n'avaient jamais été comptés au nombre des vivants. Certes , celui qui leur avait accordé la parole les en a privés;

' On lit ilans le commentaire : çj^ T-?/"^^ dy-^ ,jjLa-^I

^ Tel paraît être le sens du texte a^abe ; >lé> commentateur ne *est pas arrêté sur ce passage, qui signifie à la lettre : il ne leur a pas manqué un atomç de leurs ouvrages , ce qui peut signifier qu'ils ont entièrnnrven% accortipffi iéi œutlres qu'il» étaient ^édestinés à faire;

76 JOURNAL ASIATIQUE,

celui qui les avait créés leur a donné le trépas ; iliais iJ les renouvellera de même qu il les a usés ; comme il les a dispersés, ainsi il les rassemblera au jour Dieu rétablira le monde par une nouvelle créa- tion, et donnera les méchants pour aliment au feu de l'enfer; en ce jour vous serez témoins contre les autres hommes, et le Prophète témoin contre voas^\ au jour chacjue âme se trouvera en présence des bonnes et mauvaises actions qu elle-même aura faites, et quelle voudra mettre entre elle et ces dernières un espace immense^. Que Dieu nous mette, ainsi que vous , au nombre de ceux dont il a apprécié le mé- rite' et agréé les œuvres; de ceux dont il fait durer la mémoire *, et à qui il a donné un trésor précieux : la crainte de celui qui sait tout ce qui est caché ! Je prie Dieu tout-puissant d'accorder son pardon à moi, à vous et à tous les musulmans^.

' Koran, sur. II, vers 187. ' * Ibid. sur. III, vers. 28.

' On lit dans le Koran, sur. VI, vers. 91 ^J,^^ aM) Uj«XJ> U ft;«XJ», ce qui ne laisse subsister aucun doute sur le sens de cette expression.

* Il y a ici dans le texte arabe le mot c:>Î^AiâL, qui ne se trouve ni dans les lexiques ni dans le Koran -, il se peut que le copiste s'y soit trompé, mais je nose y faire aucune correction; il faudrait savoir la juste valeur de' ce mot, pour fixer le sens de ce passage.

^ Le texte arabe de ce sermon a été tiré du manuscrit de la Bibl. du roi, ancien fonds, 45 1. Voyei fol. 55 et suiv. Ce manuscrit, qui date du vu* siècle de l'hégire, est très-correct et bien écrit; on remarque seulement, vers le commencement, quelques passages qui sont presque illisibles, des mots ayant été effacés par la vétusté. Il renferme le recueil complet des kkotha d'Ibn-Nobata; ils ont pour

JANVIER 1840. j : H

sujets les grandes fêtes musulmanes, la mort et la résurrection, le jour du jugement dernier, etc. Il y en a plusieurs dans lesquels le prédicateur excite son auditoire à la guerre sainte contre les infi- dèles ; quelques-uns aussi ont été prononcés pour célébrer les vic- toires de Seif ad-Dawlet, et alors une courte introduction en expose le sujet, en fournissant quelquefois la date de l'événement auquel ils se rapportent. Vers la fin du volume, qui renferme 228 feuillets, petit in- 4°, on trouve les khotbas d'Abou-Thabir, fils d'Ibn-Nobata. Tous ces discours sont, pour la plupart, assez courts, et bien qu'ils soient écrits en prose rimée, et avec une certaine recbercbe, le style en est assez clair; ils ne paraissent pas indignes de la haute répu- tation dont ils ont joui chez les musulmans.

Le manuscrit arabe de la même bibliothèque , ancien fonds , 4 5o , renferme une espèce de commentaire pour servir d'explication des mots et des passages difficiles du recueil des sermons d'Ibn-Nobata; mais c'est un travail qui laisse beaucoup à désirer, et le manuscrit, quoique bien écrit, est déparé par des fautes de copistes. Le nom de l'auteur n'y paraît pas.

M. G. DE S.

78 JOURNAL ASIATIQUE.

NOUVELLES ET MÉLANGES,

NECROLOGIK.

M. Augusle-Louis-Armand Loiseleup des Lo\gchamps, membre du conseil de la Société asiatique, et employé au département des manuscrits de la Bibliothèque royale, fst mort, après une courte maladie, le lO janvier i84o. Plu- sieurs des membres de la Société et des personnes attachées à la Bibliothèque ont assisté à ses funérailles ; M. Reinand a l^rononcé les paroles suivantes :

Messieurs ,

«Au moment de dire un dernier adieu à celui dont nous pleurons perte , qu'il me soit permis de prononcer quel- «ques mots sur les qualités qui nous le faisaient chérir. «Loiscleur des Longchamps, le i4 août i8o5, à Paris, «au sein d'une famille honorable, se livra de bonne heure « à Télude de la langue sanscrite, sous feu M. de Chezy. En « i833, il fut admis comme employé au département des «manuscrits de la Bibliothèque royale, et consacra tous « les instants que lui laissaient ses fonctions et les soins « d'une santé délicate , à la composition d'ouvrages qui lui « avaient procuré une place distinguée parmi les indianistes « en Europe. Il n'est pas besoin de vous rappeler ces ou- « vrages. L'édition du texte sanscrit du Code de Manou, ac- « compagnée d'une traduction française et de notes, l'édition « annotée de la traduction des Mille et une Nuits, par Gal- « land , et des Mille et un Jours, par Pétis de Lacroix , et l'Essai « surles fables indiennes et leur introduction en Europe «jouis-

JANVIER 1840. 79

« sent de l'estime qui leur était due. Loiseleur des Long- « champs venait de livrer au public la première partie de «son édition du dictionnaire sanscrit intitulé Amarakocha, « accompagnée d'une traduction française , lorsqu'il fut saisi «par la maladie qui devait le conduire au tombeau. En lui « se trouvaient réunis le goût et le savoir, l'amour des études « sérieuses et l'aménité. A ces précieuses 'qualités se joi- « gnaient un caractère droit et ferme et beaucoup de mo- « destie. Quelle source de regrets pour nous qui avons été « à même de l'apprécier ! Quels regrets surtout pour un « père et une mère dont il était le fils unique, et qui avaient « concentré en lui toutes leurs affections ! Ce sont des dou- « leurs contre lesquelles la philosophie humaine est insuffi- a santé , et qui ne trouvent leur consolation que dans la pensée « toujours présente de la vie à venir \ »

BIBLIOGRAPHIE.

Société Foi et Lumières, de Nancy. Règlement constitutif , suivi du discours d'ouverture , et précédé de considérations sur les rapports actuels de la science et de la foi , br. in-8°. Prix :

I fr. 5o c. et par la poste , i fr. 90 c. Paris , chez Debé- court, rue des Sainls-Pères, n" 69.

II n'y a encore d'académie catholique que dans deux villes au monde : Rome et Nancy. Cette brochure fait connaître les vues de la société de Nancy. Nous les trouvons exposées dans

^ Le manuscrit de la seconde et dernière partie de V Amarakocha est prêt et ne tardera pas à être mis sous presse. Dans cette partie les mots seront reproduits dans l'ordre alphabétique, avec les ren-- vois au texte.

80 JOURNAL ASIATIQUE

son règlement et développées dans des coiisicléralion:) préli- minaires sur les rapports de la science et de la foi , et dans le beau discours d'ouverture du président M. G. de Dumast, un des membres fondateurs de notre Société asiatique, qui, pour me servir de l'heureuse expression d'un de nos anciens confrères, joint les connaissances du savant et de l'érudil aux talents de l'orateur et du poêle. De l'Orient nous vient, avec la lumière intellectuelle ,1a lumière spirituelle , ex Oriente lux. Il ne nous est pas interdit à nous , qui faisons nos eflbrls pour propager la première , de nous occuper aussi de la se- conde. La brochure de M. de Dumast nous la fait connaître sous un nouvel aspect, et nous y trouvons des réponses satisfaisantes aux objections nouvelles de la science humaine conire la science divine.

G. T.

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JOURNAL ASIATIQUE.

FÉVRIER 1840.

5lOfn

RECHERCHES

Sur la hauteur de quelques points remarquables du territoire chinois, par M. Ed. Biot.

Les compilations de géographie chinoise que pos- sède la Bibliothèque royale ne présentent comme cartes que des esquisses approximatives et plus ou moins grossières des diverses provinces et districts. La topographie géométrique de la Chine n'a été établie qu'au xviii^ siècle par les opérations des mis- sionnaires , et toute recherche de géographie chinoise doit nécessairement être basée sur leurs cartes , seul cadre exact que nous possédions. Cependant les ou- vrages chinois sont très-utiles à consulter pour les détails topographiques, et ils ont ainsi fourni à M. KJaproth les matériaux de plusieurs de ses plus curieux mémoires. Je me suis proposé de conti- nuer ce genre d'études , relativement à la Chine pro- prement dite, en m'occupant de la rédaction d'un

IX. G

82 JOURNAL aHaTIQUE

vocabulaire complet des noms anciens et modernes des diverses villes et provinces chinoises , travail fort long, et aujourd'hui à peu près terminé.

Le premier point sur lequel j*ai dirigé mon atten- tion est la hauteur des diverses chaînes de montagnes^ à l'intérieur de la Chine. Les missionnaires ne nous ont transmis aucun document à cet égard , et on ne peut employer qu'avec beaucoup de défiance les nombres donnés par les Chinois pour certaines mon- tagnes, parce qu'ils sont ordinairement d'une exa- gération manifeste, et ne sont fondés sur aucune opération régulière ; mais on peut au moins relever dans les textes celles de ces montagnes qui sont couvertes de neiges perpétuelles , et cette indication donne une limite inférieure de leur élévation. Avant moi M. Klaproth s'est occupé de cette étude, et il a consigné ses principaux résultats dans ses belles cartes de l'Asie centrale. J'ai ajouté quelques faits à son travail, et j'ai examiné spécialement les docu- ments fournis par les textes sur les principaux seuils ou points de partage traversés en diverses parties de la Chine par des lignes de navigation ou par des routes de commerce. J'ai réuni ainsi quelques détails qui pourront peut-être offrir quelque intérêt aux per- sonnes qui s'occupent de géographie générale.

M . Klaproth , dans son mémoire descriptif du grand canal impérial, d'après les ouvrages chinois, expose la manière dont les eaux d'alimentation se trouvent divisées au point de partage ou seuil que ce canal franchit auprès de Thsy-ning, ville de la province

FÉVRIER 1840. 83

de Chaii-toiig. Ce point de partage est très-bien dé- terminé par les détails que M. Klaproth a reproduits et par son nom chinois de fen-choui, division des €aux. M. Klaproth ajoute que les Chinois, pour établir leur canal , ont mesuré exactement les pentes de chaque côté du seuil; qu'ils ont trouvé, du côté du fleuve Jaune ,116 tchang ou toises chinoises de 1 o pieds , jusqu'à Kou-teou (district de Pei-tcheou); «et du côté de l'Eu-ho, 90 tchang jusqu'à Lin-tsing du Pe-tche-ly; ce qui donnerait, en mesures euro- péennes, d'une part 355 mètres, et de l'autre 2 y 5, en portant le pied chinois à sa moindre valeur, o,3o6 mètre; or une telle élévation du point de partage au-dessus des extrémités du canal serait tout à fait extraordinaire, et plus considérable que celle d'aucun canal de France ou d'Angleterre.

M. Klaproth n'a pas cité le texte qu'il a traduit, et comme les chifFres précédents sont contraires aux récits des voyageurs européens qui ont suivi le canal impérial et représentent sa ligne comme peu acciden- tée, j'ai fait quelques recherches à cet égard. J'ai fini par trouver, dans l'ouvrage intitulé Khun-chou-pi-khaOy ou Extraits de divers ouvrages (Fourmont, 355), le passage dont s'est servi M. Klaproth, et j'ai reconnu qu'il avait commis une erreur en écrivant tchang au lieu de tchy, pied, qui est dans le texte de l'édi- tion de la Bibliothèque royale. Ainsi, d'après ce texte , la hauteur du point de partage est simplement de 116. tchy ou pieds chinois, soit 35, 5 o mètres, en allant vers le fleuve Jaune; et de 90 tchy, soit

6.

8/i JOURNAL ASIATIQUE.

ay.Ôo mètres, en allant vers Lin-tsiiig. Comme les nombres donnés par M. Kiaprolh pourraient être reproduits dans des géogi^aphics générales , d'après sa réputation méritée en fait de géographie asia- tique, je crois devoir rapporter ici le texte même du Khun-chou-pi-khao ; il y est dit kiv. n, pag. 76 :

«La rivière Wen se rend dans le lac Nan-wang, « et divise ses eaux au temple du Loung-wang ( Sei- n gneur dragon) . Par cette division , quatre dixièmes ude son volume d'eau coulent au midi, de manière « à rejoindre Pey, du pays de Siu; six dixièmes cou- (( lent au nord , de manière à rejoindre Lin-thsing. (i La terre a été endiguée , baissée , élevée. On a dis- «posé des écluses (tcha), qui sont tantôt ouvertes, (( tantôt fermées, pour retenir et ménager convena- « blement l'eau. Depuis la division des eaux ( point de (( partage Jen-choni) jusqu'à Lin-thsing, la pente totale (( est de 90 ichy. On a fait dix-sept écluses, et les eaux se « rendent à la rencontre du Tchang-ho. Au midi jus- ce qu'à Kou-teou (district de Pey-tchou), la pente totale « est de 1 1 6 ichy. On a fait vingt-et-une écluses, et les « eaux se rendent dans le Hoang-ho et dans le Hoay. »

La faible hauteur du point de partage se peut vé- rifier par le nombre des écluses qui est indiqué ici. Ces écluses étant formées de madriers superposés, que l'on enlève pour le passage des bateaux, elles ne peuvent avoir que quelques pieds de haut. En effet , en divisant 90 par 1 7, et 1 1 6 par 2 1 , on trouve que chaque écluse du canal a une hauteur moyenne de 5,33 pieds, au lieu du nombre fabuleux de 53,3

FÉVRIER 1840. 85

pieds que donnerait l'erreui^ échappée à M. Klaproth. En outre j'ai consulté une série d'observations ba- rométriques faites, jour par jour, par M. Abei, l'un des Savants attachés à l'ambassade anglaise de 1 8 1 y , et rapportées par lui à la fin de son ouvrage. Les observations, correspondantes aux jours M. Abel naviguait sur le grand canal , ne présentent que des variations très-faibles dans la hauteur du baromètre , ce qui montre que la ligne suivie par le canal est très-peu accidentée. Ici, comme dans toute série faite en passant dans des lieux de hauteur absolue peu différente, l'influence des circonstances atmos phériques est trop sensible pour donner lieu à un calcul rigoureux de hauteur; et ainsi le jour le baromètre s'est trouvé le plus bas n'est pais celui M. Abel passait devant le temple du Loung-wang et parle point de partage. Quoi qu'il en soit, en pre- nant les nombres les plus éloignés de la série faite pendant la traversée du canal , le calcul donne une différence absolue de niveau de 54 mètres environ; nombre qui n'excède que d'une quinzaine de mètres le nombre chinois le plus élevé. Au surplus on peut douter de l'exactitude rigoureuse des nombres du Khun-chou-pi-khao, en considérant l'imperfection extrême des procédés de nivellement que les Chinois emploient , procédés qui se lisent dans le Souan-fa- tong-tsong (kiv. v, p. 5 ^). Mais on peut les adop ter en attendant mieux , et , d'après les considérations

^ Voyez la table analysée que j'ai donnée de cet ouvrage chinois dans le cabier de mars iSSg.

S6 JOURNAL ASIATIQUE.

que je viens de présenter, on voit que leur erreur,

dans ce cas particulier, ne peut être que de quelques

mètres.

Je dois faire remarquer encore que la position de ce point de partage est indiquée, non-seulement par la division des eaux de la rivière Wen , mais en- core par la direction de la rivière Wei, qui, sur les cartes mêmes des Chinois, coule en sens contraire du grand bras de la rivière Wen, et rejoint la rivière Ta-thsing-ho, ancienne rivière de Tsy : de sorte que les deux cours de ces deux rivières Wen et Wei sont disposés conformément aux principes de géo- métrie descriptive établis pour les points de partage par MM. Dupuis de Torcy et Brisson \ et vérifiés sur les principaux canaux d'Europe et d'Amérique. La rivière Wen se jette dans celle de Sse, qui re- joint le fleuve Jaune à peu de distance de son embouchure actuelle , et celle de Wei paraît être l'ancienne rivière de Thsou, du Yen-tcheou, cha- pitre Yu-kong du Ghou-king. Telle est l'opinion d'un auteur chinois très-savant qui a fait un com- mentaire spécial sur le chapitre Yu-kong, sous le titre de Yu-hong-tchif et l'a accompagné de cartes repré- sentatives de chaque province. La disposition de ces cours d'eaux me paraît expliquer assez bien le pas- sage du chapitre Yu-kong, article du Yang-tcheou, il est dit que du Kiang on va , par la mer, dans le Hoai, du lloai dans le Sse, et du Sse dans le Hoang-

' Eissai sur Tari de projeter les canaui à point de partage. Joarn. df t Ecole poljlecfwi(jne , 1 4*^ cahier.

FÉVRIER 1840. 87

lio, c est-à-dire dans l'ancien bras principal qui se jetait d^^ns le golfe de Pe-tche-iy. Une navigation plus ou moins pénible, mais sans portage par terre, a pu exister autrefois par cette voie. Elle devait seu- lement être interrompue parles sécheresses. « Ainsi, <( dit l'auteur du Khun-chou-pi-khao au passage cité , (( dans les anciens temps on voit des transports de <( blé ou vivres du pays de Thsin dans celui de Tsin , <( du pays de Yong dans celui de Kiang , du Kiang au « Hoâi. Mais ces communications ne se faisaient pas

« d'une manière régulière ; » et , plus loin , il

remarque que , dans les premiers temps des Thang , la grandeur diverse des bateaux employés sur les différentes rivières nécessitait des transbordements très-incommodes .

Les cartes descriptives du grand canal que l'on voit dans les ouvrages chinois représentent en cer- tains points des écluses très-rapprochées , et ceci prouve que les Chinois ont reconnu depuis long- temps l'utilité des écluses à sas, pour l'économie de l'eau. Ceci a déjà été remarqué par les Anglais qui ont navigué sur le canal impérial; mais on ne peut dire si les Chinois ont eu cette notion avant les Ita- liens, qui ont établi les premières écluses en Europe. D'après le Thoung-khien-khang-mou, le canal fut d'a- bord établi par les Mongols avec trente écluses , au lieu de quarante et une notées dans le Khun-chou-pi-khao.

Puisque le point de partage du grand canal est très-peu élevé , la grande plaine qui part des environs de Pékin s'étend sans interruption jusqu'aux mon-

88 JOURNAL ASIATIQUE

tagnes du Fo-kien. Elle est bornée i\ l'ouest par les monts Tai-Hing, jusqu'à Hoai-khing-fou , et ensuite par les montagnes assez basses ^ qui séparent le Hoai du Riang; à l'est, par la mer et les montagnes duChan-tong , dites Thay-chan , Mong-chan,Yu-chan , et qui forment une sorte de plateau isolé. Toute cette plaine a été fréquemment bouleversée par des trem- blements de terre. Hoai-khing-fou est placé comme à son sommet occidental. C'est de ce point que par- tent le Wcy-lio, le Tchang-ho , qui se rendent au nord , et les affluents du Hoai qui coulent vers le sud. Entre deux est le lit actuel du fleuve Jaune ; les cours d'eau précédents en sont comme dérivés par infdtration dans ce terrain d'alluvion. Le Wey coule même pa- rallèlement à l'ancien lit suivi par le fleuve Jaune jusqu'à la fin du xii* siècle. '

Dans le midi de la Chine il existe , depuis Kouang- tcheou-fou (Canton) jusqu'au lac Thoung-tse-hou et au Kiang , une ligne de navigation naturelle qui passe par Kouey-lin, capitale du Kouang-sy, et franchit la chaîne des monts dits Kouei-ling ou monts des Can- neliers. J'ai étudié le point de partage de cette ligne , et je vais rapporter les renseignements que j'ai trou- vés à ce sujet dans le Rouang-yu-ky et dans la grande géographie des Thsing , principalement à l'article de Kouey-Un-fou.

En partant de Canton la navigation remonte vers l'ouest le Ta -kiang jusquà Ou-tcheou-fou ce fleuve reçoit le Kouey-kiang , rivière qui descend de

* Voycx un Voyagr du P. Bouvet. Du Halde, tome I"..

ii< FÉVRIER 1840. 89

la ville même de Kouey-iin. Cette seconde rivière porte d'abord le nom de Ly-kiang. Dans i'énu- mération des montagnes et rivières du département de Kouey-lin, le Kouang-yu-ky dit, à l'article Ly- kiang : «Il coule au-dessous du chef-lieu, et s'appelle « aussi Kouey-kiang. Ses bords sont très-escarpés et « sa vallée profonde. Quand les Han soumirent les (( Nan-yue , l'histoire dit que des bateaux et une ar- ec mée sortirent de Yun-ling (ancien nom de Kouan- uyang, ville située à l'ouest de Kouey-lin), et des- (( cendirent le Ly-chouy. C'est cette même rivière. »

Sur cette même ligne , de l'autre côté des monts Ling , la rivière qui coule au nord vers le lacThoung- tse-hou s'appelle d'abord Siang-chouy, et plus loin Siang-kiang. A l'article du Siang-chouy, même description du département de Kouey-lin ,1e Kouang- yu-ki dit : « Cette rivière est dans le district deTsuen «(par 2 5o' de latitude). Ses eaux se divisent au « bas d'une montagne (Jen-chouy-ling-hia). Auip3fa.Y suit «le Siang et le Ly coulent à l'est en venant du mont « Hay-yangjusqu'à ce point, ils se séparent au midi « et au nord. Le Siang va au nord et le Ly va au midi. » Ce passage est assez précis pour que l'on puisse fixer la position du point de partage à quelques lieues en amont de la ville de Tsuen. D'après le Kouang-yu-ky» même chapitre , le mont Hay-yang est sur la limite des deux arrondissements d'Hing-ngan et de Lin- tchuen, tous deux dépendants du département de Kouey-lin.

On lit encore dans le même recueil deux articles

90 JOURNAL ASIATIQUE,

qui se rapportent à des travaux de canalisation au- tour de ce point de partage , et qui font partie de la description du département de Kouey-lin. A l'ar- ticle Ling-yen-chan , mont du souterrain de l'Esprit céleste, il est dit : « Ce mont est dans le district de « Ling-tchuen. Au-dessous de la montagne est un ca- « nal : du midi au nord on l'a ouvert et on y a intro- « duit l'eau ; on peut y passer les bateaux et y ramer. » A l'article Ling-ka^ canal de l'Esprit céleste, on lit: u Ce cariai se trouve dans l'arrondissement de Hing- ((Ugan; sa source est à la rivière Ly. Thsin-chy- u Hoang-ty, voulant soumettre les cinq montagnes du *( midi (Ou-ling) , ordonna à Sse-lo de creuser sur ce t( point un canal pour faire passer les bateaux. Sous «les Han ce passage fut fréquenté et devint tête « de route pour les envois de chevaux , de troupes et « de vivres dans le midi. »

Sur la carte du Kouang-sy, jointe à l'ouvrage de Duhalde, le Kouey-kiang est encore relié au Siang et à une autre rivière du Nord par deux autres lignes qui franchissent deux seuils voisins de celui que je viens d'examiner. L'une de ces lignes ou cours d'eau s'étend de Phing-lo, du Kouang-sy, à Tao- tcheou , du Hou-kouang; l'autre part de Lieou-tcheou, du Kouang-sy, passe près de Young-ning, ville dépen- dante de Kouey-hn, et aboutit à la rivière qui passe à Tsing, du Hou-kouang. Une troisième ligne, par- tant de cette dernière rivière, rejoint encore le Kouey-kiang au-dessous de Kouey-lin.

Les recherches que j'ai faites dans le Kouang-

,h; FEVRIER 1840. 91

yù-ky et la grande géographie des Thsing ne m'ont pas confirmé parfaitement l'existence de la pre- mière de ces lignes de jonction. Dans ces ouvrages la rivière de Phing-lo est appelée Ky, torrent, et celle de Tao-tcheou reçoit le même nom. Dans l'atlas de Martini, carte du Hou-kouang, le Siao- chouy, rivière de Tao-tcheou, prend sa source au sud-est de Ning-youen; une autre rivière, dite Tsin, part aussi d'un point situé à fouest de Kiang-hoa pour se jeter dans le Siao. Dans la carte du Kouang- sy, même atlas, la rivière Phing-lo-choiry, au lieu de se joindre au Siao comme dans la carte de Du- halde , se termine au nord dans des montagnes elle prend sa source; une autre petite rivière part de ces mêmes montagnes pour se jeter au nord-ouest dans la rivière de Kouey-lin. Enfin les esquisses qui sont jointes comme cartes au Kouang-yu-ky ne représentent même pas le torrent de Phing-lo.

La ligne de jonction ou de communication de la rivière de Lieou-tcheou à celle de Tsing, et celle qui se dirige par Y-ning sur Kouey-lin, ne sont pas men- tionnées dans les textes , mais elles sont reproduites dans les cartes de V Atlas Sinensisj et on peut même dire que leur existence est confirmée par les cartes chinoises du Hou-kouang et du Kouang-sy dans le Kouang-yu-ky : car les deux rivières du nord et du sud sont assez prolongées sur chaque carte pour qu'on en infère leur réunion. Le point de partage paraît être sur la limite du Kouang-sy et du Hou- kouang, au midi deThoung-tao, ville dont le nom

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(chemin de passage) indique un passage fréquenté. Au surplus, sur ce point des monts Ling, une seule ligne dont je viens de parler est bien notoire- ment ouverte à la navigation. Cest celle qui passe par Kouey-lin ; et si on relit dans les textes des- cription des cours du Ly et du Siang , d'abord pa - raiièles, et s'inflécbissant ensuite l'un au sud, l'autre au nord , on y reconnaît précisément la seconde dis- position topographique signalée par MM. Dupuis de- Torcy etBrisson^ comme indiquant une dépression du seuil. On peut même estimer approximativement la hauteur de ce seuil en calculant, du côté du midi , la pente des deux rivières que parcourt la navigation jusqu'à la mer. La première, le Ta-kiang, est re- montée jusqu'à Ou-tcheou, à loo lieues environ de la mer, et, d'après toutes les données sur la confi- guration plate de cette partie de la Chine, on ne peut lui supposer plus de j de millimètre par mètre , ou un 1 y mètre par lieue: ce qui donnerait i33 mètres pour la hauteur de Ou-tcheou au-dessus de la mer. De au point de partage il y a près de 5o lieues, et si l'on suppose au Kouey ou Ly-kiang une pente d'un millimètre par mètre , ou 4 mètres par lieue , ce qui est un maximum pour les rivières na- vigables sans écluses , le point de partage sera élevé de 2 00 mètres au-dessus de Ou-tcheou, ou de 333 mètres au-dessus de la mer. Il me paraît très-pro- bable que cette évaluation ne doit pas différer sen- siblement de la vérité.

' Voyez leur mémoire cité plus haut.

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•La chaîne des monts Ling, qui sépare les pro- vinces méridionales de la Chine de celles du centre, est formée, comme me l'a montré M. Elie de Beau- mont, d'une série de chaînes parallèlement dirigées du sud-ouest au nord-est et reliées entre elles par des contre-forts assez courts. Sous cette forme elle s'étend des environs de Kouey-lin jusqu'aux frontières du Fo-kien, elle se rattache à une grande arête dorsale qui se dirige exactement du sud-ouest au nord-est, et va finir auprès de Ning-po, du Tche- kiang. Dans toute cette étendue , le seuil n'est fran- chi par aucun cours d'eau naturel ou artificiel; seidement il devient très-étroit aux environs de Nan- ngan-fou, du Kiang-sy, et de Nan-hiong-fou, du Kouang-tcheou , entre le Tchang-choui , qui rejoint la vallée du Kan-kiang, affluent du grand Kiang au lac Po-yang , et le Tching-kiang , qui aboutit à Canton sous le nom de Pe-kiang, fleuve du nord. La dispo- sition de ces deux cours d'eau, coulant en sens op- posés, indique encore ici un seuil assez bas, et c'est en effet par ce col, nommé Mey-ling, mont des Pruniers , que passe la route ordinaire du commerce de Canton jusqu'au grand Kiang. Les marchandises remontent en bateau la rivière de C*iton ou Pe- kiang jusqu'à Nan-hiong, elles sont déchargées et transportées , par des hommes et des chevaux, par- dessus la montagne jusqu'à Nan-ngan; elles sont rembarquées de nouveau et descendent le Kan- kiang jusqu'au lac Po-yang et au grand Kiang. Ce col fut un des premiers points occupés par les Chinois

n JOURNAL ASIATIQUE.

lorsqu'ils conquirent le^ pays méridionaux. \Le Kouang-yu-ki dit dans la description du département de Nan-ngan-fou , kiv. xiir, article Ta-yu-iing: «C'est (d'une des cinq montagnes appelées Ling. Lorsque « Han-wou-ty soumit définitivement les Nan-yue , û « fit établir sur ce point une colonie militaire et un «magasin. De vient le nom de Ta-yu (grand gre- «nier). Au commencement ceux qui passaient par «ce col avaient beaucoup de peine. Plus tard on « ouvrit le passage et on tailla le roc ; on commença « à pouvoir y passer avec des cbariots et des che- (( vaux. Au sommet il y a beaucoup de pruniers <( (mey). De vient le nom de Mey-Ung. »

Ce travail a été exécuté sous les Thang, et l'on voit en effet , dans l'appendice siu* les esclaves , au kiv. x du Wen-hian-thoung-khao , qu'à cette époque beaucoup d' esclaves de l'état ou condamnés furent employés h ouvrir les passages des montagnes du midi. La distance totale entre Nan-hiong et Nan-ngan n'est que d'une huitaine de lieues; et finterruption de la navi- gation pourrait donc être supprimée par un canal en partie souterrain : mais une telle entreprise serait trop hardie pour les Chinois.

Les voyagturs anglais ont estimé la hauteur du «euii franchi par la route à 3ooo pieds anglais, en- viron 900 -mètres. Je ne puis dire que cette estima- tion résulte d'une hauteur barométrique. La série d*Abel se termine au lac Po-yang, et je ne crois pas qu'aucune autre série d'observations baromé- triques ait été exécutée par les savants attachés aux

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diverses ambassades européennes qui ont traversé la Chine.

En examinant les cartes du Kouang-sy et de l'Yun- nan dans Duhalde , on voit la chaîne qui sépare les provinces centrales et méridionales de la Chine , se prolonger vers l'ouest avec des sinuosités assez con- sidérables. Elle se rétrécit fortement aux environs de Kouang-chun, ville du troisième ordre, par 26*^ de latitude et 10 de longitude orientale, l'on remarque deux cours d'eau, coulant d'abord l'un vers l'autre et s infléchissant ensuite, l'un au nord, l'autre au sud. Plus loin l'arête redescend au sud devant le grand coude du Kin-cha-kiang, et présente un nouvel étranglement entre le lac de Yun-nan- fou , dont les eaux coulent vers le nord au Kin-cha- kiang, et le lac Min-hou, dont les eaux se déversent au midi dans le Pa-ta-ho, rivière qui passe à Ou- tcheou et se rend à Canton. Enfin, à l'est du grand lac de Ta-ly-fou, les cartes de Duhalde marquent une ligne de jonction entre le Kin-cha-kiang et le fleuve Ho-ty qui se rend en Cochinchine. Cette ligne passe par Yun-nan-hien , et porte le nom de Pao- kiang. Le Kouang-yu-ky ne dit rien à cet égard. Mais, dans la grande géographie des Tsing, la carte du Yun-nan, moins défectueuse que celle des autres provinces, indique une jonction par Yun-nan-hien entre le Kin-cha-kiang et la rivière du Tong-king. Dans la description des montagnes et rivières du département de Ta-ly-fou , le texte ne parle pas en termes exprès de cette communication. A l'article

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du Pao-kiaiig , il est dit que cette rivière prend sa source au mont Pao-tsuen , entre dans le lac Tsing- loung, à Test de \un-nan-hien, côtoie Tie-sy-yng, et se jette dans le Kin-cha-kiang. Un lac Tsing-hou est indiqué aussi par le texte, au sud-ouest de Yun- nan-4iien, comme étant d'une profondeur incom- mensurable. — Un autre lac, nommé Ye-kien-hou, est également cité comme étant proche de la ville de Yun-nan-hien. Il est remarquable qu'aucun de ces trois lacs ne se trouve reproduit sur la carte des missioimaires. L'un d'eux, celui de l'ouest, existe sur la carte particulière du district de Ta-ly-fou , dans la grande géographie des Tsing. On pomrait pré- sumer que les localités ont changé par l'effet d'un de ces tremblements de terre si fréquents et si dé- sastreux en Chine , et que la réunion des lacs a donné lieu à la jonction du Pao-kiang avec la rivière de Tong-king.

Le Kouang-yu-ki et la grande géographie citent, dans la description de diverses provinces , des fen- chouy-ling ou monts-partages des eaux, et ces déno- minations indiquent la séparation en ces points des affluents de diverses grandes rivières. Ainsi, h l'ouest du Ghen-sy, près de Ti-tao, une chaîne dite fen-choui'ling sépare les affluents du fleuve Jaune et ceux de la grande rivière Wei. Sur la limite sud du Ho-Nan, une chaîne de même nom divise les affluents du fleuve Jaune et ceux de la rivière Hoai. Sur la frontière méridionale du Kouang- sy, Aine grande chaîne du même nom sépare les

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cours d'eau qui se rendent dans la mer méridionale de ceux qui rejoignent la grande rivière Yu-kiang, coulant à Test vers Ou-tclieou,-fou et Canton. Sur ia limite occidentale du Fo-kien, auprès de Tsong- ngan, ia rivière Teng, affluent du grand Kiang, et la rivière Youen , qui se rend à la mer orientale , sont séparées par un mont fen-chouy. Au sommet se trouve une inscription gravée sur un roc. Les textes ne présentent, du reste, aucun détail parti- culier qui puisse faire présumer la hauteur de ces montagnes.

M. Klaproth a marqué sur les troisième et qua- trième feuilles de ses belles cartes de l'Asie centrale plusieurs montagnes neigées , Siae-chaUy lesquelles se trouvent indiquées sous ce nom, par la grande géographie chinoise , dans les provinces de Chen-sy, de Sse-tchuen et de Yun-nan. Le texte dit que ces montagnes sont perpétuellement couvertes de rïeige , et que de leur vient le nom de neigées. La limite des neiges perpétuelles vers cette latitude , s'arrêtant à 1900 toises, on a ainsi une limite inférieure de hauteur. D'autres montagnes, désignées par le nom dePe-chan, montagnes blanches, se voient aussi dans les descriptions des diverses provinces. Ce nom est vague , et peut être donné à des montagnes calcaires aussi bien qu'à des montagnes neigées; mais certains Pe-chan sont indiqués par le texte comme ayant con- tinuellement de la neige sur leur sommet, et l'on peut donc ainsi estimer leur moindre hauteur. Voici , sur ce sujet intéressant, quelques faits que j'ai ren- IX. 7

M JOURNAL ASIATIQUE

contrés dans mes recherches, et qui me paraissent devoir être joints au travail de M. Klaproth.

La chaîne dite Tfi-pe-chan, grande montagne blanche, auprès de M«y-hien , dc^'partement do Fong- tsiang-fou du Chen-sy, est indiquée, dans le texte du Kouang-yu-ky, comme devant son nom à la neige qui la couvre toute Tannée. Elle forme un véritable prolongement vers Test de la grande chaîne des Nan-chan, qui vient de l'Hindou-kho. Une fraction de cette grande chaîne est citée sous le nom de Siue-chan, près de Hoei-ning, du Chen-sy, par 36® de latitude. Suivant le texte, pendant le printemps et l'été, la neige accumulée n'y fond pas. Dans le même département de Kong-tchang-fou , la chaîne Ta-pe-chan, près de Wen-hien , conserve tou- jours (tchang B. 2439) de la neige pendant l'été. Dans le département de Ping -leang- fou, sur la chaîne Loung-chan , près de Hoa-tching, il y a beau- coup de neige accumulée pendant le printemps et l'été.

Bien plus au midi, un mont Siae-fong^ pic neigé, est cité par le Kouang-yu-ky au nord de Fou-tcheou- fou , capitale du Fo-kien , lat. 2 2'. Le texte dit que pendant l'été il reste au sommet un amas de neige. La hauteur de la montagne, évaluée à lio ly ou 4 lieues , est aussi exagérée que celle de plusieurs autres montagnes chinoises. Ainsi un pic non neigé, près de Kouey -lin-fou, est cité comme s' élevant à une hauteur de plus de 5o ly ou 5 lieues, tandis que les plus hautes montagnes du globe , celles de l'Hi-

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malaya , n'atteignent pas une hauteur de 8000 mètres ou 2 lieues au-dessus du niveau de la liier. Peut-être le nombre de ly doit-il s'appliquer à la distance lon- gitudinale que Ton parcourt en montant au sommet, bien qu'il soit précédé du caractère hao B. 1 2,656, élevé, ou bien il est déduit du nombre d'heures de marche nécessaires pour atteindre le sommet. C'est ainsi que les habitants de Chamouny soutiennent que le Mont-Blanc a 18 lieues de haut, parce qu'il faut 1 8 heures pour atteindre sa cime. Au surplus, comme Fou-tcheou est sur le bord de la mer, on pourra facilement obtenir par les marins des rensei- gnements sur la hauteur approximative du Siue-fong qui l'avoisine.

Le nom de Siae, neigé, a lui-même besoin d'être expliqué par le texte , pour s'appliquer à des mon- tagnes à neiges perpétuelles. Ainsi dans le Hou- kouang; auprès de Ngan-lo-fou, se trouve une mon- tagne dite Pe-sim-chan, montagne à neige blanche, et dont le nom indique simplement, d'après le texte de ia grande géographie, qu'au printemps elle est couverte de neige. La végétation des pins monte jusqu'au sommet. ^ Auprès de Kho-lan du Chan-sy, auprès de Yen-tcheou-fou , du Ghan-tong, le Kouang- yu-ky note des monts neiges, Siue-chan. Celui de Kholan est nommé sans explication; celui de Yen- tchéou offre un miao à son sommet, ce qui donne une limite de sa hauteur.— Au midi de Han-tchong- fou, du Chen-sy, la chaîne de Han, Han-chan, que traverse le fleuve de Han, paraît fort élevée. Le

7-

100 JOURNAL ASIATIQUE.

texte dit que le sommet; a beaucoup de neige < au printemps et en été.

Je terminerai ce petit mémoire en rappelant un fait noté par Martini dans son Atlas Sincnsis , et qui montre le peu d'inclinaison de la plaine centrale chinoise. Martini dit que les marées des pleines et nouvelles lunes se font sentir sur le Kiang jusqu'à Rieou-kiang, au-dessus du lac Po-yang, et que fon prend devant cette ville beaucoup de poissons de mer. .Or Kieou-kiang est environ h \ ko lieues de la mer, et la hautem: des hautes marées dans le golfe du Pe-tche-ly est estimée à lo pieds par les voyageurs anglais (Voyage de Barrow). En adoptant un chiffre supérieur, i 4 ou i5 pieds, pour la hau- teur des fortes marées dans la mer comprise entre la Chine et la Corée, la pente du Kiang, dans la partie inférieure de son cours, serait environ, de 1 pied par i o lieues ou de 3 centimètres par lieue. Elle est donc comme insensible. Dans le golfe du Pe-tche-ly, le flot dépasse Tien-tsing et remonte, suivant Barrow, jusqu'à trente lieues dans les terres. La pente du Pei-ho doit donc être à peu près celle de la Seine, du Havre à Rouen. La pente du fleuve Jaune doit être plus considérable d'après la rapi- dité de son cours.

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m I - - ■-.... . . , , ....

LE LIVRE

DU COURANT ÉTENDU,

Traitant de tout ce qui a rapport à l'heureux Nil , traduit de l'arabe en français par M. l'abbé Barges, membre de la Société asiatique de Paris , etc.

SECTION II \

Du temps pendant lequel le Nil opère sa crue et son décroissement ; des diverses opinions des savants sur la cause matérielle de cette crue et du débordement dont elle est suivie; de ce que devien- nent les eaux du fleuve après leur retraite.

I. Le temps que le Nil met à croître et à décroître est constamment de trois mois huit jours; ces mois sont Abyb , Mesri et Taut; les huit jours de surplus appartiennent au mois de Babih^. Massoudi, dans

Voir un premier extrait de ce livre dans le Journal asiatique, 111* série, tome III, cahier de février 1887.

* Les noms de ces mois appartiennent à l'ancienne année civile des Égyptiens. Voici les noms de ces inois et leurs rapports avec les mois romains , depuis que Tannée des Coptes ou Egyptiens est de- venue fixe : ,

Toth ou Tojth de 3o jours, commence le 29 ou 3o d'août-,

Paojjhi ou Phaophi, id 28 ou 29 de septembre ;

Athor ou Athyr, id *. 28 ou 29 d'octobre ;

Khoiak. id 27 ou 28 de novembre ;

Tôbj ou Tyhi, id 27 6u 28 de décembre;

Mekhir, id 26 ou 27 de janvier;

Phamenôth, id 2 5 ou 26 de février;

Pkarmouihi, id 27 de mars -,

102 JOURNAL ASIATIQUE

ses Praiiûes dorées, remarque en ellet que le Nil com- mence à s*eniler vers la fin du mois de Baounih; quil continue à croître durant ceux d'Abib et de Mesri, et que cela dure encore tout le mois de Taut. Son obser\^Mîoh 'a été citée par Cliebab-bén-Amad , dans la pai'tie de son ouvrage que nous avons déjà pientioijuiée dans la premièi'e section de celte liis- toire^

La crue et le décroissement des eaux du Nil ne s'opèrent point brusquement, mais peu à peu, et d'une manière tout à fait régulière; le témoignage de Massoudi là-dessus est clair et précis : «Il n'est «pas, dit-il, sm' la terre, de fleuve qui, comme le « Nil , croisse et décroisse avec une constante régu- « rite. » L'on pourrait donc , avec raison , comparer

Paschons ou Pakhon^ de 3o jours, comihence le uC davril;

Paoni ou Payni, id 26 de mai;

Epip ou Epiphi. id 25 de juin ;

Mesori^ id 26 de juillet.

Complémentaires : cinq jours.. 24, .26, 26, 27, 28 d'août pour les années communes, et pour les années qui précèdent la bissex- tile, 6 jours, i. e. aA, 25, a6, 37, 28, 29 d'août.

Les Arabes, devenus maîtres de l'Egypte, jugèrent convenable d'adopter le calendrier de ce pays pour régler les travaux de l'agri- culture; ce calendrier était d'aulant plus commode pour cet objet, qu'il faisait toujours répondre les mêmes mois jux mêmes saisons, au lieu que dans le calendrier musulman l'année commence tantôt dans une saison, tantôt dans une autre.

En passant dans la langue arabe, les noms des mois égyptiens ont snbi une altération assez sensible; il est néanmoins facile de les reconnaître dans le tableau que nous venons d'en donner.

* H résulte de ces observations que le Nil commence à croître vers le solstice d'été, ri qu'au 5 ou G d'octobre, il est entièrement rentré dans son lit.

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le mouvement périodique des eaux, de ce fleuve à la comse toujours uniforme que la lune, dans son nouveau croissant , ne cesse de recommencer ; c'est ce qui a été fait par un poëte arabe dans les vers suivants :

Quelle merveille se manifeste dans l'état du fleuve qui féconde la terre de Misraïm ! En avez-vous jamais entendu raconter de pareille? Rival de l'astre de la nuit, il varie le mouvement de ses bienfaisantes ondes ; comme lui , il a son croissant, comme lui, il éprouve un déclin.

Un autre poëte, Nasr-eddin-ben-an-Naquib , a dit aussi en parlant du Nil :

Oui, ce fleuve a reçu la raison et le discernement eti par- tage: si vous en demandez des preuves, il vous en donnera d'éclatantes ; ne vient-il pas visiter les mortels quand il les sent dans le besoin , et ne se retire-t-il pas du milieu d'eux quand leurs champs enrichis et fécondés peuvent se passer de sa présence ?

L'époque à laquelle le Nil parvient à son plus haut degré d'accroissement arrive toujours au mois de Mesri.

Les Égyptiens sont pleinement convaincus que , lorsque le 1 2 dudit mois les eaiix atteignent douze coudées et douze doigts de la douzième coudée du Mékias, la crue du fleuve est complète; lors donc que cela arrive, on l'annonce solennellement au peuple et l'on fait partout des réjouissances ^ A par-

^ Suivant l'ingénieur Le Père, qui a examiné lui-même le Mékias de Raoudah dont il s'agit ici , et qui Ta mesuré après avoir fait opérer

104 JOURNAL ASIATIQUE,

tir de là, les eaux vont toujours croissant; il arrive néanmoins quelquefois qu'elles cessent de monter ou même qu elles baissent pendant un certain temps ; mais elles ne tardent pas à remonter, et cela con- tinue jusqu'au 8 du mois de Babih, époque elles commencent à diminuer, mais d'une manière presque insensible et graduelle! Durant le reste de ce mois, les terres achèvent de s'abreuver; mais dans le mois suivant , qui est celui de Hathôr, le laboureur se hâte de préparer son champ, et il y dépose la précieuse

le cureinent du puit» dans lequel il se trouve, ceUe colonne a une hauteur de 16 coudées, dont la valeur moyenne est de o,54o mill. Il a remarque que, hors le temps de la crue, le Nil ne descend ja- mais «-dessous de la 3* coudée, et que, pour atteindre le tennc de 1 abondance, il doit monter de 24 doig.ts au-dessus de la i6' coudée ; il s ensuit qu une bonne crue est de 1 3 coudées 3/A ou de 2 3 pieds.

Les auteurs arabes ne paraissent pas d'accord entre eux sur la hauteur de cette colonne; suivant Abd-ar-Rachid eî-Baliouyè, céîèlîrc géographe, cette hauteur est de 2.4 coudées; chaque coudée est di- visée en 24 doigts et chaque doigt en 6 lignes. Cet auteur veut sans doute parier de l'échelle fictive dont les crieurs publics se servent au Caire pour proclamer les crues du Nil; cette échelle a effective^ ment 2 4 coudées de o,36i chacune, et par conséquent moindre que les autres qui, d'après Le Père, sont de o,54o, et suivant M. Jo- mard, de o.SSg. (Voyer Exposition du système métrique des anciens Egyptiens, eh. IX ^pa^ 23*4.) ; . m";

Zin-eddin de Rosette, auteur compilé par Ahmed, fils de Mo- hammed al-Menoufi, nous apprend que la colonne du Mékias est seulement haute de 19 coudées, et que ces coudées se divisent en 28 doigls jusqu'à la 12*, et en ai jusqu'à la 19". Alkhoday, cité par Kalkascndi, nous assure la niôrae chose. (Voyez le tom, II du Voyage de Shaw, pag. i54.) «De nos jours, dit M. Jomard (loco il prœcitalo) , les dernières coudées de la colonne nilométrique, qui «servent au\ criées, se divisent aussi en 24 parties; mais cltes^sont nM>indrc9 que celles qui étaient autrefoi"» en usage. » '' '•'>

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semence qui doit plus tard remplir ses greniers. Les semailles durent encore tout le mois de Koyhak; passé ce mois on ne sème plus' nulle part, excepté dans le Fayyoum l'on sème alors le sésame , les fèves et autres légumes de ce genre K ( ■.

IL Les sentiments des auteurs sur la cause de la

crue du Nil et smÉ^origine des eaux qui alimentent

cette crue ne sont pas les mêmes; l'on en compte

plusieurs : le premier que nous transcrivons ici a été

adopté par Ibn al-Hekm dans son histoire ; il est appuyé

sur la réponse suivante qui le fera connaître , et que

fit un jour Caab al-Ahbar à Moawiah, qui lui avait

demandé s'il ïi' était nulle- part fait mention du Nil

dans le livre de Dieu : « J'en atteste , dit Caab , le

u bras tout-puissant qui sépara jadis les flots de la mer

{{ Rouge devant la verge de Moyse; il est parlé de ce

(( fleuve dans le livre sacré et j'y trouve que, chaque

v< année , le Dieu béni et très-haut se mon tre à lui

«deux fois, l'une, à l'époque de son débordement,

«pour lui dire: Nil, franchis tes digues; c'est le

«Puissant, c'est le Glorieux qui te le commande;

{( ordre auquel le fleuve se soumet aussitôt en gros-

«sissantle volume de ses ondes, suivant la mesure

« qui lui a été prescrite ; et l'autre , quand le moment

({ du décroissement du fleuve étant arrivé , il vient

«lui faire entendre ces paroles : Voici l'ordre du

■ni 1 ]i {)',) io ')'0< j ' Le mot (iliiXt, que je traduis par fèves, ne se trouve clans aucun dictionnaire avec ce sens-, c'est peut-être une faute du copiste, qui aurait écrire JlîWI , fèves égyptiennes.

106 JOURNAL ASIATIQUE

«Puissant, de celui dont la gloire est souveraine: a in renUeras dans tes anciennes limites , fier d'avoir « l'empli ses éternels desseins. »

Deuxième sentiment. Watwat le libraire, dans son livre intitulé: les Voies de la pensée, a dit: «De « tous les fleuves du globe terrestre , le Nil seul s'enfle «et déborde dans le même temps que les autres « bcdssent et décroissent. Parmi|^s auteurs qui ont «liraité des singularités de ce fleuve, quelques-uns « ont avancé qu'il est redevable de sa crue périodique «aux autres fleuves qui viennent régulièrement «toutes les années le grossir de leurs eaux, par « l'ordre de l'Eternel (puisse-t-il en cela manifester « dans tous les temps sa force et sa puissance infi- whies!). Ils citent à l'appui de leur assertion des tt paroles consacrées par la tradition , et qui montrent (tque telle était fopinion d'Amrou, fils d'al-Ass. En uejl'et, disent-ils, dans la lettre dans laquelle ce gé- ijliéral rend compte à Omar, fds de Khattab (que «*Dieu soit satisfait de ces deux grands hommes ! ) , tide l'état dans lequel il avait trouvé TEgypte, il lui u écrit, en parlant du Nil : Ce fleuve grossit ou baisse « à des époques déterminées par la marche du soleil et de la lune , et il y a un temps de l'année les « sommées et les fontaines de la terre viennent lui « prêter le secours de leurs eaux ; c'est une tâche u qu eUes sont forcées de remplir; c'est un tribut que « le Créateur leur a imposé et dont elles ne sauraient « s'affianchir. »

Kortoubidans son commentaire , et Ibn-al-Hekm

: i FEVRIER 1840. 107

dans son histoire, invoquant, à l'appui de cette opinion , le témoignage du même Amrou , fds d'ai- Ass, rapportent qu'il a dit: «Le Nil d'Egypte est le «souverain de tous les fleuves du monde; son « empire est universel : depuis les régions les plus K orientales jusqu'aux extrémités de l'oecident, il « compte des sujets qui sont contraints de reconnaî- (( tre ses lois. Lors donc que le Très-Haut veut ré- « pandre sur les terres arides les eaux fécondantes « du Nil il commande à tous les fleuves du monde «d'aller le grossir et de joindre leurs forces aux c( siennes et il lui amène les eaux de toutes les «sources; mais dès que le Nil a atteint l'exhausse- « ment marqué par les décrets éternels , ces mêmes (i fleuves reçoivent l'ordre de leur Créateur, béni (( soit-il! de retourner dans les lieux qui leur donnent u naissance. »

Cette tradition se trouve rapportée dans les mêmes termes dans le commentaire de Mahdawiyi , et c'est de que l'auteur du Saccardan , qiii la mentionne aussi, l'a tirée mot à mot. Dans ses Prairies dorées Massoudi a dit : « Au rapport des Arabes , lorsque le (( Nil vient à grossir, les fleuves , les fontaines et les « sources baissent ; et lorsqu'il baisse et qu'il rentre «dans son lit, tous les autres courants d'eau gros- <( sissent. Ce phénomène indique que le Nil doit sa « crue à l'abaissement des autres fleuves et son abais- « sèment à leur crue. »

Une observation grammaticale que je ne dois pas omettre ici, c'est que le mot ghaid (abaissement) est

108 JOURNAL ASIATIQUE

formé des lettres ghaîn, et dhad; le verbe qui en dérive fait au prétérit ghâda, à l'aoriste yégUdoa et èklïinfinM ghaldan; il signifie, en parlant de l'eau, baisser, s enfoncer dans la terre; la septième forme inghâda a la même signification; la voix objective de la première forme est ghida: voilà ce que les grammairiens nous apprennent sur ce mot.

Si nous en croyons Ibn-Amad , dans la partie de son ouvrage que nous avons déjà citée dans la pre- mière section de ce chapitre, Al-Kendi l'apporte comme tradition que le Nil n'a rien qui le distingue dés autres fleuves et rivières, mais que, lorsqu'il commence à s'enfler, tous les autres baissent pour aller le grossir. ;

Troisième sentiment. Suivant Al-Hendi, la cme du Nil est formée par les eaux de pluie : w Ce qui « le prouve , dit-il , c'est qu'à l'époque de celle cioie « les ondées ne cessent presque pas, les pluies sont «très-abondantes et l'atmosphère est constamment u chargée de niiages^.»

^ Dans la vie de Schafêi (que Dieu soit satislàit dé' lui et de ceux qui adoptent ses opinions!) par Aboul-Kassem Abd-al-Mohcin Ibn-Othman Ibn GMnem al-Moqdessi, ce biographe s'exprime en ces termes :

Cl Voici , dit-il , ce qui a été avancé par l'imam Scha- « fêi ou plutôt par Rebiâ : l'on trouve sur les bords

' Cet auteur veut sans doute parler des pluies tropiques qui tom- bent en Abyssinie; car il ne pouvait pas ignorer que de son temps il pleuvait rarement en Egypte.

1 [(FEVRIER 1840. ;i 109

(( du Nil des balisiers et des cannes ; cela indique que «ce fleuve vient du pays de Hend^ »

La manière dubitative dont s'exprime Abou'l- Rassem dans ce passage montre qu'il est également permis d'attribuer ces paroles à l'imam Schafêi , ce qui n'a rien d'invraisemblable, ou à Rebiâ, ce qui, à mon avis, est encore plus probable. Au reste cette tradition a déjà été rapportée dans la première section de ce chapitre.

^ L^e^^eu^ de cet écrivain est peut-être fondée sur ce que ies anciens donnaient le nom d'Inde à toute la partie méridionale de l'Afrique. Virgile a dit en parlant du Nil :

«Et viridem yEgyptum nigra fecundat arena,

«Et diversa mens septem discurrit in ora tlOOlJnO'VCsqiie coloratis amnis devexus ab Indis. .K .'^ '-■', \'* Georjf. liv. IV, vers 291 et suiv.

. Le. savant P. de la Rue, commentant ces vers dans notre sens, se moque d'un certain auteur (Nicolas Abram) qui, faisant venir le Nil des Indes, il coule d'après lui sous le nom de Ganges , lui creuse, pour ce long passage, des canaux souterrains que personne n'a jamais vus. Ceux qui ont lu Arrien n'accorderont pas même le mérite de l'invention à Nicolas Abram. Avant lui Alexandre le Grand avait eu cette singiilière idée, et ce qui est remarquable , c'est qu'il la fondait sur des conjectures qui ne sont pas moins frivoles que celles qui ont paru victorieuses au docteur Schafêi ou à Rebiâ : «Comme Alexandre, dit Arrien, avait remarqué que de tous les « fleuves rindus est le seul l'on trouve des crocodiles ainsi qu'aux «bords du Nil, et vu des fèves semblables à celles de l'Egypte sur «le bord de l'Acesinès qui se décharge dans l'indus, il s'imagina «qu'il avait trouvé les sources du Nil. Il supposait que ce fleuve, «prenant sa source dans les Indes, traversait des déserts immenses, «y perdait son nom, et qu'arrivé enfin aux plaines cultivées de l'É- «tbiopie et de l'Egypte, il recevait celui de Nil ou, selon Homère, « d'./Egyptus , et se jetait dans la Méditerranée.» (Voyez Arrien, Histoire des expéditions d'Alexandre, traduction de P. Chaussard, iiv. VI, ch. I, p. 212 et 21 3.)

UO JOURNAL ASIATIQUE

Quatiième sentiment. Suivant ies autours grecs, les eaux du Nil n'ont jamais ni crû, ni baissé; mais c'est le vent du nord qui, soufflant avec continuité et violence, est la cause véritable de leur déborde- ment : « Lorsque l'aquilon , disent-ils , souffle avec «violence, la mer, venant h s'enfler, repousse liés « eaux d|i fleuve dans leur cours , et les fait déborder « dans les terres; au contraire, lorsque c'est le vènl « du midi qui règne , la mer devient cahne et tran- «quille, et les eaux du Nil, qu'elle avait refoulées, «ne rencontrant plus d'obstacle, reprennent leur « cours ordinaire ^. »

Mais cest un sentiment dont la fausseté est évidente et qui mérite d'être rejeté; il contredit ^ d'une manière formelle les paroles du docteur Caab ai-Ahbar, celles d'Amrou, fils d'al-Ass, et d'autres illustres personnages qui étaient très-versés dans la science des traditions, dans l'étude de l'bistoire, et dont nous avons déjà invoqué et nous invoquerons encore le témoignage lorsque nous exposerons les opinions qu'il nous reste à mentionner. Au reste il peut se faire que ce sentiment soit propre à quel- ques Grecs, et que le plus grand nombre de leurs savants admettent aussi les diverses opinions que nous venons de citer, et celles que nous exposerons plus bas, sur la manière dont s'opèrent la crue et l'abaissement des eaux du Nil, et qu'ils soient là-

* Ce sentiment , qui reconnaît |>oiir auteur le célèbre Thaïes de MUet, n6 vaut guère mieux que les deux premiers cités par notre 'compHatear.

FEVRIER 1840. 111

dessus partagés d'avis comme nos auteurs. Quoi qu'il en soit , l'opinion précitée ne saurait être admise par les compilateurs éclairés , ni par ceux qui font usage d'une saine critique.

Cinquième sentiment. Si nous en croyons les Coptes , la crue du Nil est produite par des sources situées sur les bords de ce fleuve, et que peuvent reconnaître les voyageurs qui le remontent jusqu'aux endroits les plus reculés ^.

Sixième sentiment. L'on a assigné pour cause à cette même crue la fonte des neiges, qui a lieu à l'époque des chaleurs de l'été; la crue est plus ou moins forte suivant la quantité de neige qiii fond : un fait qu'apporte en sa faveur fauteur de ce sen- timent, c'est que, lorsque les chaleurs sont plus fortes , la crue est aussi plus abondante : « Or, dit- «il, cela ne saurait être occasionné que par faction « du soleil sur les neiges qu'il fond ^. »

^ Ce sentiment ne paraît pas nouveau chez les Coptes; le savant égyptien qui s'entretient avec Socrate dans le Timée de Platon re- marque que les inondations du Nil ne sont pas causées par les pluies comme autrefois le déluge de Deucalion, mais par les eaux qui sortent du sein de la terre , et que c'est à cela que Ton doit attribuer la conservation des anciens monuments en Egypte. Voyez le texte dans Âiravra THdiuvos xrX. [Basileœ, apud Henricnm Pétri, 1 556. ) Tifiaios, pag. 475.

^ Anaxagore a été le premier qui ait cru que le débordement du Nil était causé par la fonte des neiges. (Voyez Diodore de Sicile, 1. XXXVIII.) Euripide, disciple de ce philosophe, a consigné cette opinion dans sa tragédie d'Archélaûs :

^va6s 6 vevtriJcôpia QrvyaTépcûv naii^p , Ne/Xoy T^iitôSv xéXkKnov ex yalas iiSœp ,

112 JOUI^NAL ASIATIQUE

Chehab Ihn-Aniad fait valoir la même raison à l'appui du scnlimont que nous citons; jo m'étonne que CCS clcu.> auteurs iaicnt donnée avec tant de confiance. Ils ont sans doute voulu dire que la fonte dds neiges qui a lieu pendant les fortes chaleurs de l'été, et qui continue jusqu'au moment de Ja crue, est la cause matérielle de cette crue; que celle-ci est plus ou moins abondante suivant la quantité de neiges qui ont déjà fondu, et, qu'à l'époque elle doit avoii^ lieu les eaux provenant de cette fonte se rendent dans le Nil, suivant le volume que le Très-Haut a réglé dans ses desseins immuables, et non, comme il semble le faire entendre, que la fonte des neiges s'opère durant la crue même du fleuve, et que cette crue est plus ou moins abon- dante, suivant le degré d'action que le soleil exerce sur les neiges, à cette époque. Deux faits m'auto- risent à penser de la sorte; le premier est que la crue est peu sensible et quelquefois nulle, à l'é- poque de l'année les jours sont très-chauds, le second , que le temps de la plus haute crue con- corde avec celui des nouvelles dattes , temps les grandes chaleurs sont passées.

Peut-être ces deux auteiu-s ont-ils fondé leur sen-

Ôf èx \Leka\iQp6Toio ir^vpovrm pàài Aîdtonlèos yrjs évW iv Toxrjî yiwv , Tedpimou 6vros ifklov xar' mdépa.

Danaûs, porc de cinquante filles, abandonna l'ciccUcnte eau du Nil qui, coulant de la noire Ethiopie , s enfle lorsque la neige vient à fondre sous le char rapide du soleil qui travene Téther.

FÉVRIER 1840. 113

timent sui' celui d'Abou Aly ibn-Sina dont nous ci- terons le témoignage dans la section suivante, en traitant des singularités surprenantes du Nil; quoi qu'il en soit, ce que nous venons de dire prouve suffisamment qu'il n'est pas admissible.

Septième sentiment. Abou Mohammed abd-Allah, fils d'Ahmed al-Osswani, dit dans son Histoire de la Nubie : «A partir de là, c'est-à-dire du pays d'Ol- «wah, le Nil se divise en sept branches, et il vient a du côté de l'est un fleuve dont les eaux sont trou <(bles. Durant l'été il baisse tellement qu'il finit par «être à sec, et que son lit n'offre plus de courant; « mais lorsque le soleil entre dans le signe du bélier, « et que l'époque de la crue du Nil approche , des «sources jaillissent du lit du fleuve; les gouffres «qu'il renferme, se remplissent; les eaux des pluies «€t celles des divers courants qui arrosent les con- « trées voisines viennent le grossir, et telle est l'ori- «gine de la crue du Nil. L'on dit aussi que, dans le « fleuve dont nous parlons, il y a une source extraor- udinaire qui vient d'une montagne ^ »

* On voit par ce qui suit qu Abou Mohamed al-Oswani a consigné dans son histoire la véritable cause du débordement du Nil. Parmi les Grecs, Homère paraît en avoir eu le premier connaissance; il dit en parlant du Nil : ^

A-^ ê'eïs kîyiTtToto èiiisexéos itota^oto.

Odyst. vers 58 1.

Rursus ad ^gypti cœlo delapsa fluenta.

Selon Apollonius [Lexicon Homericum, edente Villoison, in-4', verbo Stïiteréoç), le mol hHexéoç signifie grossi par les pluies. Après IX. 8

n/| JOUKNAL ASIATIQUE.

Cet auteur se tronipo quand il prétend que son opinion est génci^lement admise par les savants; pour le montrer, il suffirait de citer les noms de ceux qui ont embrassé le second ou le cinquième sentiment; j'ignore comment il a pu avancer une assertion si évidemment fausse.

Le même historien ajoute ; « Ce que don doit ({ mettre au nombre des phénomènes remarquables (( que le Nil olïVe à nos méditations , c'est que la crue « de ce fleuve a lieu aussi dans les divers afiluents qui ((l'alimentent; quelle arrive simultanément dans les « lieux et les contrées qu'il arrose , comme le Caire , (des provinces voisines de cette ville, le Saïd, le (( territoire d'Osswan , la Nubie , Olvvah et les autres ((régions qui s'étendent au delà, vers le sud; qu'elle ((va toujours en montant d'une manière très-sen- ((sible, à partir de la fête de la Croix jusqu'au 17 ((du mois de Taut, et qu'à dater de rottr époque,

Agatharcèdes de Gnide et plusieurs autres philosophes, Strabon dit formellement que la crue du Nil est causée par les pluies abondantes qui tombent dans rÉlhiopie durant Tété. Voici ses paroles : 0/ fxèv 5v dp^aïoi <noyaLa\iM i6 itkéov, oi è' iicrrepov axiToiilai yevrjdévTes ija- dovTO VTtà 6(iSp(i)v Q-eptvôSv Tzkrtpé^LCvov tov NeîXoj;, Tfjs KiOto-nlag rijç ivui xKv^o^évTDS y xaî iiaXiata èv roTs è(jy(jxiois ôpear iiavaafiévuv êè rëv 6{iëpù)v, Ttavofiévriv xœt' oXiyov rifv ■n'ky^yi.yLVpièa.

tUn fait dont les anciens avaient à peine osé conjecturer Texis- tence, mais qui jouit aujourd'hui d'une pleine certitude, attendu «quil a été constaté par le récit des voyageurs, c'est que la crue du t Nil a lieu à une époque de l'été les pluies sont très-fortes dans «la haute Ethiopie, surtout dans les mojitagnes située» aux extré- « mités de cette région, et que l'inondation ne commence h. dispa- »raître dans l'Kgypte , que lorsque les pluies ont fini dans ces contrées « toiotaines. >

FEVRIER 1840. 115

« les eaux baissent dans toute l'étendue du fleuve , ude la même manière qu'elles étaient montées, « c'est-à-dire simultanément. Louanges infinies soient « rendues à celui qui seul connaît parfaitement la « cause mystérieuse de ce phénomène ! »

Ce témoignage est encore contraire à ce que la plupart des auteurs que j'ai consultés nous ap- prenent; car, suivant eux, il arrive quelquefois que l'exhaussement des eaux a lieu à Osswan, tandis qu'il est md à Kous, il ne paraît que plus tard.

« Quant aux causes auxquelles est due l'abondance ((OU l'insuffisance des crues, continue l'auteur que « nous citons, les peuples du sud savent que, lorsque <( chez eux les pluies sont fréquentes et non inter- (( rompues, les terres de l'Egypte seront suffisam- (( ment abreuvées , mais que l'on doit s'y attendre à ((une année de sécheresse, si ces mêmes pluies ((viennent à manquer dans leurs contrées méridio- (( nales. »

Schehab ibn-Amad , dans la partie de son ouvrage qui. a été mentionnée dans notre première section, dit : (( Une personne qui a séjourné dans le Habesch , ((m'a appris ce qui suit : A l'époque de la crue ((du Nil, le ciel ne cesse d'être nuageux, et la pluie ((ne discontinue ni jour, ni nuit, vers les endroits (( voisins des sources du fleuve ; il y a pourtant des (( années ces pluies sont très-abondantes , tandis (( que dans d'autres elles manquent presque totale- <( ment : aussi les habitants de ces contrées savent

116 JOURiNAl. AiiJATigLJl':

« ils d'avance si en ligypte rinondation sera forte ou

u trop faible, w

L'auteur que je compile dit, dans la seconde partie de son ouvrage : « Voulez-vous connaître le (( Nil , c'est-à-dire quel sera l'état de sa crue dans une «année quelconque? ayez soin, quand le soleil en- a trera dans le bélier, de faire sur la lune les obscr- « vations suivantes : si ce satellite parcourt alors le «bélier ou le lion, ou le sagittaire, vous pouvez vous (( attendre à un débordement insuffisant et presque « nul, attendu que l'influence de ces signes est ignée. «La crue sera moyenne si la lune passe pai' le « taureau , ou par la vierge , ou par le capricorne , « car ces signes exercent une influence terrestre; si « c'est le cancer, ou le scorpion , ou les poissons , qui ((Sont visités par l'astre de la nuit, un débordement « efli'oyable vous est annoncé, et vous devez craindre (tpour le pays qu'il ne soit entièrement submergé « par la quantité d'eau que le fleuve y apportera , «parce que ces signes ont une influence aqueuse; « si la lune décrit les gémeaux ou la balance , ou le «Verseau, signes dont l'influence est aérienne, la « crue la plus heureuse vous est promise. » Tels sont les termes de cet auteur.

Remarquez que, si je cite ici son sentiment sur la crue du Nil, ce n'est pas que je l'aie lu dans la partie de son ouvrage que je compile actuellement, mais bien dans une autre que j'ai déjà abrégée. Du reste, j'ignore sur quelle autorité il le fonde; l'on doit re- garder ici les paroles de cet auteur comme l'une de

FEVRIER 1840. 117

ces mille assertions que l'on met en avant pom- ex- pliquer, d'une manière quelconque, des mystères dont Dieu seul possède la clef. La religion, d'ail- leurs , n'autorise nulle part ces calculs astrologiques opérés dans l'intention de connaître la crue future du Nil, et les faits sont venus maintes fois démentir ce que notre auteur a bien voulu nous donner comme une règle infaillible ; entre autres nous ci- terons le suivant qui est très-autbentique : dans la 906^ année de l'hégire, le soleil entra dans le signe du bélier le 1 1 du mois de Schaaban; la lune dé- crivait alors le sagittaire , l'un des trois signes dont l'influence, à ce que prétend notre auteur, est ignée; or, à la fm du mois de Tant , la crue était montée , cette année-là, à vingt coudées et un doigt. Toute- fois, quand elle eut atteint dix-neuf coudées et quinze doigts, elle baissa de huit doigts, puis elle monta d'autant , plus de deux doigts ; et ce fut alors que le crieur public cessa de l'annoncer. En tenant compte des huit doigts que le fleuve atteignit de nouveau en remontant, l'on trouve que la crue s'éleva à la hauteur qui a été marquée ci-dessus. Louanges soient donc rendues à celui qui seul connaît parfaitement les causes secrètes des opérations de la nature !

Au nombre des choses merveilleuses qui peuvent aller de pair avec celles que nous venons de citer, Ton doit mettre le fait suivant que l'auteur du Suc- cardan a pris la peine de nous décrire.

« li y avait autrefois , dit cet écrivain , un prêtre «connu sous le nom de Silam; il avait fait faire un

118 JOURNAL ASIATIQUE,

u bassin de cuivre, sur le bord duquel deux aigles «étiiient fixés, l'un mâle, l'autre femelle; dans le a fond du bassin était contenue une certaine quan- « tité d'eau. Quand le commencement du mois qui «voit grossir le Nil était arrivé, les prêtres, réunis « autour du bassin , se mettaient à prononcer cer- « taines paroles qui avaient la vertu de faire chanter (( fun des deux oiseaux ; si c'était le mâle qui faisait «entendre sa voix, la crue du fleuve devait être «on ne peut plus heureuse; mais l'on était me- «nacédune année de sécheresse, si par mallieur (( c'était la femelle. Telle était la persuasion de ces « prêtres. »

Il faut avouer que c'est vraiment du mei^eil- leux. S'il plaît à Dieu nous reviendrons au prêtre Silam dans la cinquième section de ce chapitre; que le lecteur en soit averti.

Dans un autre endroit, le môme auteur écrit que Ton n'est point d'accord sur la cause de la crue et de l'abaissement des eaux du Nil, et que, selon quelques-uns , cette cause est tout à fait inconnue aux mortels.

Quant à ce que deviennent les eaux après leur retraite , voici ce qu'on lit dans la partie de l'ouvrage de Schéhab ibn-Amad que nous avons citée dans notre première section : « Si l'on en croit les savants, «dit cet auteur, lorsque le Nil s'est jeté dans la Mé- «diterranée, il coule encore jusqu'à certains en- « droits; puis, passant à l'état de vapeurs, il s'élève «dans les airs; réunies au-dessus des flots, ces va-

FEVRIER 1840. 119

« peurs attendent que les nuages et les vents les ((transportent ailleurs, dans les localités Dieu a «jugé à propos de faire pleuvoir; c'est pour cela, «ajoutent-ils, que les pluies sont plus fréquentes « dans les contrées maritimes , et que l'on voit tou- « jours quantité de nuages à Damiette, et dans d'au- «tres lieux situés le long de la mer; or ces eaux, «réduites en pluies, se rendent de nouveau à la (( mer par la voie des fleuves et des autres courants , (( et elles se transforment encore en pluies de la ma- « nière qui vient d'être dite. C'est dans ce sens que « Zamakhscharia expliqué ces paroles du Très-Haut : ((et le ciel qui reçoit l'élément (jui retourne. Par le ciel, « dit-il, il faut entendre les nues, et par Vêlement qui «retourne, la pluie; celle-ci est ainsi appelée, ajoute- « t-ii , parce que c'est une opinion reçue parmi les « Arabes , que les nues tirent de la mer l'eau qu'elles «transforment en pluie; que cette eau retourne en- « suite à la mer, quelle revient après sur la terre, « quand elle a été puisée de nouveau dans la mer «par les nues, et que cela n'a point de fin. »

Suivant Wahédy, l'eau est appelée l'élément qui retourne, parce qu'elle ne fait jamais que monter dans l'atmosphère et descendre ensuite sur la terre. « Au reste , dit-il , les savants s'accordent à dire que « les substances animales, et tout ce qui, sur la terre , « tient de la nature du bois, ou de la pierre, ou du «cuivre, ou du plomb, se réduit en atomes pour « reparaître après sous une forme nouvelle, et que ce « mouvement perpétuel et ces transformations de la

120 JOURNAL ASIATIQUE,

«matière auront lieu jusqu'au jour solennel de la « résun'ectiou. Ils soutiennent aussi que les astres « sont des globes qui tournent. »

Sur ces paroles du Très-Haut : a Nous envoyons «les vents qui portent la fécondité; nous faisons «couler l'eau des nuages pour vous désaltérer \ » les commentateurs disent que les vents dont il est ici question fécondent réellement les nuages, en leur apportant un élément qu'ils n'ont pas.

Suivant les lexicographes on appelle vents fécon- dants^ ceux qui apportent aux nuages les exhalaisons de la terre dont l'agglomération nécessite la pluie. Mais sur ce point il est permis de croire , soit avec ces derniers auteurs , que le vent, enlevant de dessus la surface de la mer les vapeurs qu'il amasse en- suite dans l'atmosphère, en féconde les nuages, et dire à l'appui de cette opinion que l'on trouve d'or- dinaire à l'eau pluviale un goût salé, qualité qui ne saurait lui venir que de la mer d'où l'on tire en elFet le sel, et que, dans les temps froids, l'on voit des vapeurs couvrir d'abord la surface de la mer, s'élever ensuite dans l'atmosphère, s'amasser au point qu'on les prendrait à vue d'oeil pour de grands nuages, et être enfin enlevées par les vents; soit avec d'autres, qu'une partie des nuages que nous voyons sont destinés à se résoudre en pluies, et que la main du Créateur les conduit il lui plaît de

* Coran, surate xv, pag. 218, édition stéréotype de Maurice Redslop, 1837.

» L'arabe dit : j^'j «^^^ -s^^J ^

FEVRIER 1840. 121

faire pleuvoii^ ; soit enfin , que la pluie vient du ciel de la même manière que la grêle qui, selon les pa- roles du Très-Haut, se détache de montagnes célestes qui en sont toutes formées ^.

Ici finit ce que je m'étais proposé de traiter dans cette section ; j'y ai fait entrer, autant qu'il m'a été possible , les propres termes d'Ibn-Amad que j'a- brège; au surplus, Dieu est le plus savant.

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^ CeUe singulière idée nous décèle le véritable état des connais »a>nces physiques chez, les Arabes , du temps de Mahomet.

122 JOURNAL ASIATIQUE.

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FÉVRIER 1840. 123

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124 JOURNAL ASIATIQUE.

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126 JOURNAL ASIATIQUE.

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128 JOURNAL ASIATIQUE

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150 JOURNAL ASIATIQUE.

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9-

132 JOURNAL ASIATIQUE.

CRITIQUE LITTÉRAIRE,

Rapport sur les dictionnaires cochinchinois de M. Taberd , imprimés à Sirampour, et offerts par l'auteur à la Société asiatique de Paris '.

. Les dictionnaires cochinchinois offerts à la So- ciété par M. Taberd, évêque d'Isauropolis , vicaire apostohque de la Cocliinchine , du Camboge et du Ciampa, forment deux volumes in- 4**, et ont pour titre, le premier, Dictionarium anamitico-latinum , et le second, Dictionarium latino-anamiticum; ces deux volumes ont été imprimés à Sirampour, par les soins désintéressés de M. Marshman.

Le Dictionarium anamitico-latinum est, pour une faible part à la vérité , Tœuvre posthume d'un homme qui avait acquis une connaissance très-approfondie des idiomes anamitiques, et dont la mémoire sera toujours chère aux amis de la reUgion et des lettres, du vénérable M. Pigneaux, évêque d'Adran et vicaire apostolique de la Gochinchine. Un événement mai- heureux ajourna pour longtemps la publication du grand ouvrage de M. Pigneaux. En 1778, le ma-

* Chez Benjamin Duprat, libraire de la Société asiatique de Londres» rue du Cloîire-Saint-Benoit, n' 7.

FEVRIER 1840. 133

nuscrit autographe de l'auteur disparut dans l'in- cendie du collège fondé en Gochinchine par des missionnaires français. M. Taberd, qui remplaça M. Pigneaux dans ses fonctions apostoliques, re- cueillit, avec un zèle qui l'honore, les débris du travail de son prédécesseur, composa un nouveau dictionnaire et le publia, après y avoir ajouté une dissertation sur les procédés grammaticaux de la langue, un petit traité de la prosodie, une Flore cochinchinoise et deux index de caractères. Le Dic- tionariam latino-anamiticam tout entier, avec l'ap- pendice , est à la laborieuse activité de M. Taberd.

J'examinerai successivement ces deux ouvrages.

L'idiome , ou si l'on veut , le dialecte anamitique est dérivé de la langue chinoise vulgaire. Une no- tice historique sur la Gochinchine, extraite des livres chinois par le P. Gaubil et insérée dans le XIP vol. de l'Histoire générale de la Ghine, fixe l'époque à laquelle des Ghinois expatriés^ au nombre de plus de cinq cent mille , vinrent s'établir, par ordre de l'empereur Tsin-chi-hoang-ti, dans le Tong-king et la Gochinchine, qui avait alors le nom de Lin-y. La colonie , dit l'auteur de la notice , fut fondée l'an 2 1 4 avant notre ère. On ne s'étonnera pas, malgré cela, que les habitants de ce pays, qui a souvent secoué le joug de la domination chinoise, conser- vent encore quelque chose du jargon de leurs an- cêtres, un accent particulier héréditaire et des nuances d'articulation qui leur sont propres, comme les habitants des provinces de Ganton et du Fo-kien-

13A JOURNAL ASIATIQUE,

incorporées dans le même temps à Tempire chinois. Presque tous les mots de la langue primitivement introduite ont éprouvé des altérations euphoniques plus ou moins graves; ce phénomène na rien non plus qui doive nous surprendre, puisquà la Chine ia prononciation populaire des mots varie d'une province à l'autre, et qu'il y existe, comme en Eu- rope , près des tribunaux ou cours de justice , des

interprètes officiels , appelés ^S- "fit Tclikouen-lxong,

habiles dans la connaissance des idiomes provinciaux et chargés de traduire fidèlement les questions du juge, les réponses ou les discours des accusés et des témoins, dans les cas le juge, les accusés et les témoins n'entendent pas ou ne parlent pas le même dialecte provincial. Mais ce qui distingue particu- lièrement le dialecte anamitique de tous ces idiomes locaux, c'est que dans le premier beaucoup de mois chinois ont disparu tout à fait du vocabulaire ana- mitique , et que d'autres , qui appartiennent ou appar- tenaient, suivant toutes les probabilités, aux idiomes des contrées voisines de la Cochinchine, s'y sont in- troduits successivement. Ces mots nouveaux sont presque tous de la classe de ceux qui expriment des idées secondaires ou bien des ternies propres aux arts mécaniques, au commerce, aux métiers. On en trouve aussi une grande quantité dans le Hortus floridas Cocincinœ de M. Taherd. Quant à ces termes primitifs qui prouvent la descendance d'une même souche i la communauté d'origine , et dont fexistence ,

FEVRIER 1840. 135

comme l'a dit M. Abel-Rémusat dans ses Recherches sur les langues tartares, est inséparable de celle de l'homme en société , on pourra se convaincre , par le petit vocabulaire suivant, que les Chinois et les Co- chinchinois prononcent à peu près et écrivent les mêmes mots de la même manière.

ProDonciatloa chinoise.

Prononciation cochincliiuoise.

Ciel.

^

Thîen.

Thiên.

Terre.

it

Ti.

Dia.

Homme.

A

Jtn.

Nko'n.

Solea.

^

K

Nhat

Lune.

n

Youeï.

Ngayêt

Étoiles.

&

Sing.

Tinh.

Prince.

^

Kiun.

Quân-

Sujet.

s

Tchhîn.

Thân.

Père.

X

Foà.

Phu.

FAs.

■^

Tseà.

Ta.

Marî.

k

Foû.

Phu.

Femme.

i^

Fou,

Phu.

136 JOURNAL ASIATIQUE.

PronoDcùtioD chinoito.

ProDonci«(ioi» cochiuchinoi»*

Eau.

*

Choàî.

Thuy.

Feu.

:><.

Hà.

Hoa.

Bois.

*

Mou.

Moc.

Métal.

èr

Kîn.

Kim.

Terre.

i

Thoù.

Tho.

Le dialecte anamitique , comme tous les dialectes dérivés de la langue cliinoise, est monosyllabique; mais il y a plus de douceur et moins d'aspirations gutturales dans Tidiome des Cochinchinois; ces der- niers ont apporté d'ailleurs plus de variété dans les sons qui leur servent à exprimer leurs idées. M. Ta- berd y distingue , au moyen des accents , douze voyelles simples, trente et une diphtongues, vingt et ime triphtongues , vingt-six consonnes initiales et huit consonnes finales. On concevra très-bien que ce n'est pas uniquement avec des lettres latines que M. Taberd a pu écrire les mots anamitiques et tracer les règles de la prononciation cochinchinoise. Force lui a été de recourir à des accents particuliers , à des signes de convention pour indiquer, avec autant d'exactitude et de fidélité que ces lettres européennes, ces accents et ces signes le permettent, des sons mixtes et des nuances d'articulations qui nous sont inconnus. Dans son système orthographique, une vir- gule placée à droite de la voyelle o indique que cette

FÉVRIER 1840. 137

voyelle est brève et a un son difficile à imiter, mais analogue à celui de eu dans le mot français eax; la même virgule placée à droite de la voyelle u an- nonce que cette voyelle a un son guttural. La pro- nonciation du d, du g devant T/i; de ïh, du j, du k devant le, l'Ti, Ti; du n^,'du tr, ne peut s'acquérir que par un séjour plus ou moins long au milieu des naturels. Il faut remarquer que les consonnes initiales, simples ou doubles, comme b, hl, d, S, ml, r, tr, x, et que les consonnes finales, comme c, ch, nJiy p, t, manquent dans la langue chinoise : d'où il suit que les Anamites, en lisant et en écri- vant, ne doivent pas défigurer, autant que les Chi- nois , la plupart des termes étrangers , et qu'il est plus facile, dans l'idiome cochinchinois , de ramener les noms propres à l'orthographe européenne.

M. Abel-Rémusat supposait que les dialectes des provinces du-Kouang-tong et du Fo-kien pourraient donner lieu plus tard à des rapprochements curieux avec les langues du Thibet, d'An-nam et des petits royaumes situés au sud-ouest de la Chine. M. Abel- Rémusat avait raison de présenter cette conjecture; son opinion était fondée sur les rapports qui existè- rent entre les tribus anamitiques et les habitants de la province de Kouang-tong, province d'où dépen- daient originairement le Tong-king et la Cochin- chine.Mais on peut se tromper dans les conjectures les plus vraisemblables , et M. Taberd, ou plutôt son ouvrage, car notre estimable auteur n'a pas voulu se jeter dans une digression étrangère à l'objet de

138 JOURNAL ASIATIQUE

ses travaux , démontre que ie dialecte cochiuchinois n'a pas la moindre analogie avec les dialectes du Fo-kien et de Canton. Je choisis pour exemples les noms de nombre qui suivent :

Chinois.

Cochinchinois.

Caaloo.

IVkiw.

Un.

/.

Mât.

Yat.

Tchit.

Deux.

Ealh.

Hài

Ni

No.

Trois.

San.

Ba.

Sam.

Sa.

Quatre.

Sssé.

Bân.

Si.

Sy-

Gnq.

Ou.

Nam.

Ong.

Ngou.

Six.

Lou.

Sau.

Loh.

TéOg.

Sept.

Thst

Bay.

Thout.

Tchhit.

Huit.

Pà.

Tarn.

Pat.

Pé.

Neuf. Kieoà. Chin. Kaou. Kao.

Dix. CKi. Mabi Sep. Tchap.

La ressemblance n'existe pas plus entre les mots qui désignent dans le dialecte anamitique et les dia- lectes du Fo-kien ou de Canton les premiers princi- pes , les éléments, les vertus ou les vices. Assurément si les tribus qui habitaient le sol du Tong-king et de la Cochinchine, dans le temps la colonie fut fondée, eussent été pourvues d'un système de si- gnes, d'un langage moins imparfait, on pourrait supposer que ce langage de la population aborigène et celui des colons se mêlèrent à la longue , et que de ce mélange naquit l'idiome actuellement usité, sauf quelques différences de prononciation , dans tout l'empire d'An-nam. Mais ces tribiis n'étaient pas tout k fait sorties de l'état nomade et savaient à

FÉVRIER 1840. 139

peine articuler quelques sons, s'il faut en croire le témoignage des écrivains chinois; et, pour mon compte , je serais tenté d'y croire : car l'identité dans les deux langues de mots qui expriment les notions les plus A^ilgaires de la sociabilité, semble indiquer que ces notions étaient nouvelles pour les tribus anamitiques quand elles furent soumises au joug de la langue et des institutions de la Chine. La conjecture la plus probable est donc que l'idiome anamitique se compose en partie de termes emprun- tés et corrompus du chinois, et en partie aussi de termes appartenant aux idiomes que parlaient les peuples étrangers, avec lesquels les Anamites ont pu avoir des rapports commerciaux ou des relations d'un autre genre.

Les Cochinchinois se servent, pour écrire, de ca- ractères idéographiques que l'on prendrait au pre ' mier coup-d'œil pour des caractères chinois, mais qui en diffèrent à tel point, que les Chinois et les Cochinchinois ne s'entendent guère mieux en écri- vant qu'en parlant. Ce n'est pas que la forme exté- rieure des traits dont se composent les caractères dans l'écriture chinoise et l'écriture cochinchinoise ait éprouvé la plus légère altération : la différence des deux écritures vient uniquement de ce que les caractères anamitiques présentent des combinai- sons particidières d'images ou des associations qui n'existent pas dans l'écriture chinoise, a II arriv(î^ «souvent, dit M. Tabcrd, que des caractères venu.v «de la Chine n'ont conservé ni la prononciationi

140 JOURNAL ASIATIQUE

«chinoise, ni le sens qu'on y attache dans le céleste «empire. D en est qui ont la même signification, «mais qui se prononcent autrement, comme le ca-

« ractère /\^ homme ^ que les Chinois prononcent j m

« oujeriy et les Cochinchinois nho'n. B en est d'autres « qui ont la même prononciation et qui ne repré- « sentent pas les mêmes idées, comme le caractère

« rîp. , que les Chinois et les Cocliinchinois pronon-

«cent tchha, et qui signifie dans la langue des pre- «miers, s irriter, se mettre en colère , et dans fidiome « des seconds, père. »

Il est encore des caractères qui ont la même prononciation et le même sens dans les deux idiomes et qui, d'après un procédé originaire de la Chine, mais singuhèrement perfectionné par les Cochinchi- nois, changent de sens en changeant de prononcia- tion. Par exemple, le caractère BH que les Ana-

mites prononcent minh et les Chinois ming signifie clair, clarté, dans les deux langues; mais les Ana- mites se servent aussi de ce caractère pour indiquer le son mâng ou mang, en français , /<^/ia7er; d'où il suit qu'on ne peut connaître exactement le sens et la prononciation de ce caractère que par le sens gé- néral et la contexture de la phrase il se trouve, par ce qui précède et ce qui suit. Si les Anamites

écrivent flH ^^ minh-ldnh (miroir hrillant) , le mot

feinfc,. placé après le mot minh, indique suffisamment que le premier de ces caractères doit conserver avec

FÉVRIER 1840. 141

la prononciation chinoise le sens primitif; mais si les Anamites écrivent dans une lettre ^k^n^ l'usage

alors et la coutume veulent qu'on prononce ces deux mots kinh-mung (civilités respectueuses), et non kinh-minh. Du reste , les caractères cochinchinois proprement dits ne sont, en définitive , suivant M. Taberd, que des caractères mixtes, de la classe

de ceux que les Chinois appellent j\^ f§^ Mng-

chîng, ou figurant le son. Ces caractères se compo- sent de deux parties , dont l'une , qui est ordinaire* ment un radical chinois , détermine le sens , et l'autre, qui est un groupe phonétique, indique le son. Ainsi, pour écrire le mot anamitique miêng,

boudiCf on se sert du radical chinois )pt keou (bou- che), à la droite duquel on place le groupe jg^ï?.

mirih pour indiquer la prononciation. Généralement il règne une grande confiision dans l'usage que font les Anamites des caractères chinois. Il n'est pas rare qu'un caractère se prononce de quatre , et même de cinq manières différentes, suivant l'idée qu'il ex- prime, ou le signe graphique auquel il est joint, en sorte que tous les mots de la langue cochinchinoise ont, au moyen de ce procédé, des équivalents dans la langue écrite , avantage dont ne jouissent pas les dialectes des provinces du Kouang-tong et du Fo- kien; mais M. Taberd a bien raison de dire, inde opuSf inde lahor. Comment venir à bout de ces diffi- cultés quand on ne sait pas la langue orale , ou

i42 JOURNAL ASIATIQUE.

même lorsque, sachant cette langue, on n'a pas en- core acquis la véritable prononciation et saisi l'ac- cent des naturels? C'est un fait devenu évident pour moi , depuis que j'ai en ma possession les diction- naires de M. Taberd , que l'étude de la langue co- chincliinoise , étude fort curieuse d'ailleurs, ne peut être entreprise avec succès que dans le pays même. Ces observations ne sauraient diminuer en rien la reconnaissance que l'on doit A M. Pigncaux et sur- tout à M. Taberd; je n'insiste sur ce fait que pour épargner des mécomptes pénibles à ceux qui se- raient tentés d'étudier la langue cochinchinoise à Paris, sans l'assistance d'un maître habile.

M. Taberd nous révèle encore l'existence de deux langues dans la Cochinchine, d'une langue sa- vante et d'une langue vulgaire. On sait que ce phénomène existe à la Chine depuis un temps im- mémorial; les Chinois ont une langue savante, idiome de convention, il est vrai, et qui n'a jamais été parié; puis une langue vulgaire, admirable sous beaucoup de rapports, et dont, malgré ses beautés, les pédagogues de la Chine ne parlent jamais qu'a- vec un orgueilleux dédain, tant on a de peine à se défaire d'une vieille habitude. Ce qu'il y a de plus curieux dans le fait révélé par M. Taberd , c'est que la langue des Chinois est la langue savante des Co- çhinchinois. Dans tous l'empire d'An-nam, les jeunes gens qui ne veulent pas exercer les professions de la vie commune, qui se livrent aux études classi- ques ou qui s'y préparent , étudient avec ardeur la

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langue et les livres de la Chine. C'est dans cette langue que sont rédigés et libellés les documents relatifs à la politique et à l'administration , les édits , les décrets, les jugements des tribunaux et tous les actes de la procédure civile ou criminelle. Il n'y a pas longtemps que la Cochinchine a reconquis son indépendance ; si l'on réfléchit, d'une part, aux idées que le cabinet de Péking se forme du droit de la nature et des gens, aux singulières maximes qui règlent les rapports diplomatiques des Chinois avec les pays tributaires et les nations du dehors; si Ton songe, d'autre part, qu'un placet, si humble qu'il fût, mais écrit en langue anamitique, ne pou- vait être mis sous les yeux de celui qui représentait l'empereur de la Chine, sans que le suppliant en- courût des châtiments sévères , on ne verra dans cette coutume, toujours subsistante chez les Ana- mites, qu'un reste de l'ancien vasselage des vice-rois de la Cochinchine et du Tong-king.

Le Grammaticœ compendium est un travail qui fait honneur à la sagacité de M. Taberd. Quand on compose un traité grammatical on peut, comme l'a fait M. Abel-Rémusat, s'attacher plus à l'analogie des mots avec les choses qu'à l'analogie des mots entre eux; on peut encore, comme Morrison, par une méthode d'analyse moins philosophique, mais qui conduit à de bons résultats, rechercher dans la langue dont on veut exposer les principes les équivalents des formes grammaticales européennes» et indiquer le rôle que joue chaque mot dans la

144 JOURNAL ASIATIQUE,

phrase. C'est un travail analogue à celui de Morri- son, que M. Taberd a exécuté sur la langue co- chinchinoise. On y trouve, réunis en trente-huit pages, tous les préceptes qu'on peut désirer sur cette matière. Ceux qui liront le Grammaticœ compen- diam de M. Taberd ne tarderont pas à reconnaître que l'idiome anamitique a été formé primitive- ment sur le type du chinois vulgaire ou de la lan- gue commune, dont la phraséologie diffère tant de celle du Kou-wen, qui n'a presque pas de formes grammaticales. C'est un fait de la plus grande importance. Les formes grammaticales d'urxe langue ne sont pas au nombre des modifications que le temps amène toujours. Pour mon compte je ne concevrais pas comment et sous quelle influence des procédés d'expressions aussi savants et aussi in- génieux que le sont en général les procédés gram- maticaux , auraient pu s'introduire chez les Tonqui- nois et les Cochinchinois. La structure particulière de l'idiome anamitique annonce que cet idiome est dérivé du chinois vulgaire et si Ton peut fixer véritablement, par des recherches idtérieures et des documents tirés du Pien-y-tien (Histoire des peuples étrangers), à fan 2i4 avant J. C. l'époque de la colonisation du Tong-king et de la Cochinchine, on sera induit à conclure que la langue chinoise moderne était déjà parlée sous la dynastie des Thsin. Bien que les grammairiens cliinois , comme presque tous ceux de l'antiquité, n'admettent que trois espèces de mots, le nom, le verbe et la par-

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ticule, M.iTaberd a retrouvé les neuf parties du discours daïis l'idiome anamitique. Il a soumis à l'analyse la plus minutieuse les particules cochinchi- noises, véritables connectifs, pour me sei^vir d'une expression de Harris , qui jouent un si grand rôle dans une langue les mots ne s'unissent pas d'eux-mêmes et sont strictement monosyllabiques. M. Taberd a cité beaucoup d'exemples. Les a-t-il recueillis dans ses lectures ou de la bouche des naturels ? Y a-t-il des écrivains anamitiques qui fassent autorité? Les Gochinchinois ont-ils une littérature? Voilà ce que j'aurais désiré apprendre de M. Taberd, et comme il n'a pas jugé à propos d'aborder ces questions, je suis obligé de m'en tenir aux relations des anciens missionnaires, qui ne parlent que des Annales ton- quinoises , du Code du royaume , et de quelques ver- sions anamitiques des livres de Confucius.

Le corps du Dictionarium anamitico-latinum n'a pas moins de six cent vingt pages in-Zi.°, et renferme un nombre très-considérable de caractères rangés alphabétiquement. L'auteur a parfaitement compris que dans ]a plupart des cas, les monosyllabes de la langue anamitique ne sont pas significatifs par eux- mêmes , mais par relation. Il a donc formé de tous les caractères autant d'articles particuliers , et rangé sous chaque article ceux des caractères de la langue cochinchinoise avec lesquels peut s'unir le caractère principal qui fait le sujet de l'article. Il n'y a pas dans tout le Dictionarium anamitico-latinum un seul mot qui n'ait son article , c'est-à-dire qui ne se trouve

1/46 JOURNAL ASIATIQUE.

eu eouiposition avec d'autres mots , et il y u beau coup d'articles qui occupent seuls deux colonnes ÛVL dictionnaire. Ce beau travail satisfait à tous les besoins; le Dictionariam anamitico-latinum de M. Ta- berd est incontestablement au-dessus du Diciionar'mm anamiticnm du P. Alexandre de Rhodes, qui est d'ailleurs devenu fort rare.

;0n trouve à la suite du dictionnaire un Hortus florùhis Cocindnœ , travad entrepris sous la direction du docteur Voigt, qui a fait pour M. Taberd ce que M. Reeves avait fait à Canton pour Morrison. Mal- lieureusementje suis hors d état d'apprécier le mérite de ce travail , encore plus de reconnaître si les au- teurs sont parvenus à établir des synonymies exactes. Ëlnfin deux index terminent le Dictionariam anami- tico-latinum; le premier est une table des caractères expliqués dans le vocabulaire alphabétique et arran- gés suivant l'ordre des radicaux , table qui forme un complément si utile au Dictionariam anamitico- latiAim, que, sans cette table, les commençants n'au- raient jamais pu faire usage du livre de M. Taberd. L'auteur a distingué par un astérisque les caractères cochinchinois des caractères chinois; ie second est une table des caractères qui ont conservé la pro^ nonciation chinoise; l'auteur a marqué pareillement d'un astérisque ceux des caractères qui changent de prononciation, suivant les idées qu'ils expriment. < f. J'arrive maintenant à la seconde partie du travail de M. Taberd.

Je dirai peu de choses du Dictionariam latinoana-

FÉVRIER 1840. 147

miticam, non que ce dictionnaire se recommande moins à l'attention des savants que ie dictionnaire cochinchinois-latin ; ce travail fait encore plus d'hôiv neur à M. Taberd , et prouve jusqu'à l'évidence que le respectable prélat sait écrire le cochinchinois comme un naturel. Il fallait , on l'avouera , une con- naissance bien approfondie de l'idiome anamitique pour trouver dans cet idiome des équivalents à pres- que tous les mots de la langue latine. Le Dictiona- rium latino-anamiticum occupe sept cent huit pages in-4°; mais enfin c'est un dictionnaire inversé du premier, et les particularités curieuses qu'il offre la grammaire et de la phraséologie cochinchinoises se rencontrent dans le Dictionarium anamitico-la- tinum et ont déjà été signalées par votre rappor- teur. Dans un court avertissement placé à la tête du dictionnaire cochinchinois-latin , M. Taberd pres- sente un résumé très-succint de l'histoire du Tong- king et de la Cochinchine depuis le xvf siècle, c'est^ à-dire depuis l'indépendance de ces protinces. Je pense que M. Taberd a puisé tous ces renseigne- ments dans le tome VI des Nouvelles lettres édi- fiantes publiées par Leclère. Je ne m'arrêterai donc pas à des détails , qui ne sont pas absoluments neufs pour des Européens, mais je recommanderai à l'at- tention des voyageurs et des commerçants l'appen- dice qui termine le deuxième volume. Il y a dans cet appendice , avec une magnifique carte de fempire d'An-nam que nous devons aux soins de M. Taberd, et qui mériterait d'être reproduite dans le Journal

10.

148 JOURNAL ASIATIQUE.

de la Société, un vocabulaire polyglotte des mots les plus communs et des dialogues familiers en an- glais, en français, en latin et en cochinchinois.

On y trouve encore une histoire écrite , dans ces quatre langues , du martyre d'une jeune femme con- vertie au christianisme. Cette histoire offre une lec- ture attachante, mais qui afflige fâme. Du reste, que M. Tabcrd en soit convaincu , on ne se lassera jamais d'admirer le zèle, le courage à toute épreuve et la noble persévérance des missionnaires français dans le Tong-king et la Cochinchine. Les annales de la propagation de la foi nous apprennent que ces contrées renferment aujourd'hui plus de trois cent mille chrétiens. Si la persécution cesse ou si la fer- veur du prosélytisme anime les nouveaux convertis , les Anamites trouveront dans la doctrine des catho- liques une synthèse supérieure, qui s'applique par- faitement à l'intelligence , et Ton sait que ce qui manque à la pensée chinoise en général , c'est l'ordre et la synthèse. Peut-être c.eux qui viendront après nous verront-ils se réaliser la prédiction de de Mais- tre, qui savait jusqu'à quel point les institutions re- ligieuses des peuples, quand elles sont mauvaises, arrêtent, limitent ou circonscrivent les progrès de r esprit humain , et qui ne craignait pas d'affirmer que 51 l'Asie venait à recouvrer quelques-unes de ses anciennes prérogatives , elle nous passerait en un cUn,

Qùôî qu*il arrive, Messieurs, on ne peut refuser

* Exiiinen de la philosophie de Bacon, tom. II, pag. 369.

FÉVRIER 1840. U9

beaucoup d'intérêt, plus d'estime encore à ces tra- vaux de philologie, maintenant inséparables des grands travaux apostoliques, et je crois que l'auteur des ouvrages dont je viens de vous rendre compte, indépendamment des titres qu'il avait depuis long- temps à la vénération de tous les catholiques , s'est encore acquis des droits à la reconnaissance des savants.

Bazin aîné.

150 JOURNAL ASIATIQUE.

NOUVELLES ET MÉLANGES.

SOCIÉTÉ ASIATIQUE.

OUVRAGES OFFERTS À I^ SOCIÉTÉ.

Séance du lo décembre iSSg.

Par la famille de l'auteur. Voyage dans l'Inde , par Victor Jacquemont, in-4'*, 2 3* livraison.

Par l'auteur. Dissertation sur les Ting-ling dont parlent les Chinois, ou sur la véritable nation à laquelle on donnait le nom de Centaures dans t antiquité. Brochure in-8°, avec figures , par M. de Paravey. Paris, iSSg.

Par l'auteur. Sketch of a hieroglyphical Dictionary, by Sa- muel Birch. Londres, i838, in-^".

Par l'auteur. A Letter to major gênerai John Briggs on the discovery ofpart of the second volume , of the Jami-al-tawarikh of Rachid al-din, by W. Morley. Londres, iSSg.

Par l'auteur. Prospectus du Dictionnaire arabe-français des dialectes vulgaires africains, par M. Marcel. Article extrait du Journal asiatique, par M. Belin.

Par les éditeurs et rédacteurs. Bulletins de la Société de géographie. Numéros d'octobre et de septembre.

Plusieurs numéros du Moniteur ottoman, du Journal de Smyme, de Y Écho de l'Orient et du Journal de Candie.

Séance du i o janvier iSSg.

Par l'auteur. De l'esprit philosophique. Discours prononcé le a 5 novembre 1 889 , à l'ouverture du cour» de philosophie

FEVRIER 1840. 151

de ]a faculté des lettres de Montpellier, par M. l'abbé Flottes, in-8°, 1839, 2^ pages. *

Par l'auteur. Archéologie égyptienne ou recherches sur l'ex- pression des signes hiéroglyphes et sur les éléments de la langue sacrée des Égyptiens, par J. A. de Gollianof, membre de l'Académie russe. Leipsick, 1889, in-8°, 3 vol.

Par la Société asiatique du Bengale. Second part of the twentiéth volume of Asiatic researches , or Transactions of the Society instituted in Bengal for inquiring into the history, the antiquitiesj, the arts and sciences, and literature qf Asia. Cal- cutta., 1889, in-4°.

Par les éditeurs. Bulletin de la Société de géographie. 2" Sé- rie, lom. XII. Novembre, n" 71, 1839.

LETTRE DE M. TH. PAVIE À M. GARCIN DE TASSY.

Bombay, 27 novembre iSSc). Monsieur,

L'bindoustani n'est point un mythe, ni une chimère. Il existe , et vous ne l'avez pas inventé. Dès en embarquant à Suez, à bord du steamer, j'eus la satisfaction d'entendre les domestiques hindous parler la langue que vous nous avez apprise avec tant de zèle et de complaisance. Les règles posées dans la grammaire se retrouvaient dans la bouche de ces Khidmatgar. Ainsi, quand l'eau douce était trop rare pour la prodiguer, ils répondaient : Mithâ puni ho chukà, kal Sâhib na rnilèga ^ ; la loi des verbes int^nsitifs étant donc suivie. Ce que vous dites aussi dans votre grammaire de l'extension de la langue hindoustani , s'est confirmé sous mes yeux ; un pauvre

' 1XaX« Aj c<v^lo tK^» ^^^ J-^ àr^ W*-* «L'^a» douce «est finie-, demain, Monsieur, il n'y en aura plus.»

152 JOURNAL ASIATIQUE.

arabe d'Aden , qui venait vendre des coquilles k bord , me comprit quand je lui dis : Kitné ek roupaîké wâsté \ et levant les doigts, il me dit das*.

Mais, monsieur, ce qui est plus intéressant pour vous, cVsl que le docteur Bird, secrétaire de la Société asiatique, m'a promis de trouver une bonne partie des livres que vous m'avez chargé de demander. J'ignore le temps que je dois rester à Bombay, cela dépend d'une réponse à la lettre que j'ai écrite hier au major Jervis, actuellement à Pounah; mais contre mon attente, je trouve ici beaucoup plus de livres que Je n'avais pensé, surtout en sanscrit. Une chose étrange, c'est que le nom des rues est écrit en caractères nagari. La biblio- thèque est assez riche ; en feuilletant le catalogue et les ma- nuscrits, j'ai rencontré tout de suite le Daça Icumara, dont je vais demander une copie immédiatement. J'oserai vous prier d'annoncer celte nouvelle à M. Langlois. Dès aujourd'hui je vais m'occuper de faire une note détaillée des manuscrits de la bibliothèque qui sont inscrits dans le catalogue sans aucune observation. Une collection nombreuse de \i\res jaïna est sans douté ce qu'il y a de plus important ; et comme le paquebot part demain , c'est par le prochain ou par toute autre occasion que j'enverrai celte note à M. Burnouf ; je serais si content de découvrir quelque chose qui pût lui être agréable ! Les manuscrits jarna, accompagnés d'un petit commentaire interlinéaire, sont en gudjaratî et d'une écriture toute- sem- blable à la copie du Tchand que j'avais eue sous les yeux.

Contre mon attente encore j'ai trouvé ici beaucoup de catholiques portugais; et c'est une grande consolation en pays étranger, musulman, parsi , idolâtre et protestant, de pouvoir assister à la messe. Au reste , grâce à la tolérance et au libéralisme du pacha, les couvents dy Caire sont assez florissants, et on y entend l'humble cloche sonner YAngelm

' Jfauvi^ S (iyj ^} (S'^*^ «CH)mbien pour ane roupie?

(cest-à-dirc 3 fraiirs Tm rpnlirnr~'..n

' ^^^ «Dix.

FEVRIER 1840. 153

à l'heure même les muezzins crient en haut des mosquées leur Allah akhar. Le Caire m'a aussi offert bien de belles choses ; ruines ou architecture du moyen âge. Mais la plus élégante ville est Moka , plus légère et plus gracieuse que les villes égyptiennes un peu lourdes, en exceptant toutefois les monuments qui datent des sultans mamlouks. Je ne connais rien de plus remarquable que la mosquée et la tombe du sultan , dont le nom , écrit sur le mur, porte : El-Faquîr Haçan Barcoc^. Des inscriptions, à demi coufiques, s'enlacent et s'enroulent le long des murailles et tout autour du monu- ment... J'ai rencontré fréquemment au Caire la légende hism- aïlah, etc. écrite en rond sur les portails, en pur et beau coufique

Je ne suis arrivé à Bombay que samedi 23 , m'étant arrêté un mois en Egypte. M. Fontanier m'a accueilli avec la plus aimable cordialité. C'est un homme profondément instruit dans tout ce qui touche à l'Orient; mais il a habité trop long- temps ces pays pour n'en être pas ennuyé et même dégoûté. Du reste il connaît tout aussi bien les orientalistes de Paris que s'il n'avait jamais quitté cette ville ; il est au fait de tout , et a tout lu. La lettre que M. Toulousan avait eu l'obligeance de me donner pour lui a donné plus de poids à celle dont j'étais déjà porteur

Mais , monsieur, ce n'est pas maintenant que je suis dans l'Inde que je dois oublier vos bontés Tout ce que j'en- tends, tout ce que je vois, n'est-ce pas vous qui me l'avez appris ? Car il faut, avant de passer jusqu'à l'Inde sanscrite, briser l'écorce hindoustani, qui enserre complètement la surface.

Les nouvelles sont mauvaises pour M. Julien : la guerre est décidée contre la Chine, et l'escadre anglaise, mouillée à Bombay, doit, dit-on, faire voile contre Canton. Tout cela nuira beaucoup aux relations si utiles qui existaient entre les missionnaires et le professeur La bibliothèque de Bombay

0^y>> i^y^^ ^AJiÀ^i .

154 JOUHNAL ASIATIQUE

possède au piu» ij volumes chinois. Le Pé-mei-jin et le Slie- tpisk'low ( titre que je ne comprends pas) , sont les seuls ou- vrages avec les classiques et les Marshnian.

Mon itinéraire n'étant pas encore fixé, je ne puis savoir quels lieux je visiterai ; mais soyez sûr, monsieur, que partout je m'occuperai de recueillir pour vous des lettres et des chants

populaires Malheureusement, si l'hindoustani est facile a

lire» à écrire, et même à parler, il est didicile à entendre, les natifs ne veulent ni ouvrir ni fermer la bouche , de sorte que les sons sortent avec tant de monotonie , qu'il est rare qu'on n'en perde pas la moitié. Knfm l'habitude et la pratique feront beaucoup ; le principal est de bien connaître les règles.

LETTRE À M. LE PRESIDENT DE LA SOCIÉTÉ ASIATIQUE DE PARIS.

Paris, 13 décembre iSSg. Monsieur,

Personne plus que moi n'applaudit à tous les travaux sé- rieux et consciencieux qui se font sur les livi*es anciens et très-importants que nous possédons sur la Chine; mais il me sera permis, par des faits positifs, de réclamer la part que l'on voudrait mi'ôter dans ces travaux.

Le 2 mars i835, et d'après le conseil de M. Arago, j'ai lu à l'Académie des sciences une note sur les satellites de Ju- piter, retrouvés , non-seulement dans les livres du Japon , mais encore dans le Jupiter-Àmmon du Panthéon égyptien de M. Champollion le jeune.

Cette note a été reproduite avec les figures japonaises et égyptiennes, et les textes orientaux, dans l'Echo du Monde savant; et \p I XV, p. .S9/4 , 3' série, du Journal asiatique de

FEVRIER 1840. 155

Paris , mentionne le don que j'en ai fait à la Société , dans la séance du 6 avril i835.

X J'ai donc lieu d'être surpris que M. Biot fils, dans son utile et intéressant mémoire sur les noms des minéraux reçus de la Chine S attribue la première publication de l'ar- ticle relatif à Jupiter, dans l'Encyclopédie japonaise , à M. Li- bri, dont l'Histoire des mathématiques en Italie s'imprimait seulement alors , et n'a paru que longtemps après.

Sous -inspecteur de l'Ecole polytechnique, dès i8i8 et 1820, j'y puisais, dans l'Encyclopédie japonaise , mes tra- vaux sur les constellations de la Chine , constellations servant à expliquer celles de l'Egypte.

Publié en 1821, le rapport de MM. Cuvier, Ampère et Delambre, en fait foi, et je ne sache pas qu'alors M. Libri ait songé à s'occuper des livres de la Chine ou du Japon.

A l'une des leçons lumineuses et claires que donnait M. Arago à l'Ecole polytechnique , je montrai la figure de l'Encyclopédie japonaise se voit Jupiter, avec deux de ses satellites; M. Arago me dit que M. Rémusat lui avait déjà parlé de cette figure , et qu'il présumait qu'on avait aperçu ces satellites à la vue simple, parce qu'on citait, en Alle- magne, des personnes qui assuraient les voir sans aucune lunette.

Cette réponse m'empêcha d'en parler alors dans ce que je publiai sur l'astronomie chinoise et japonaise; car je savais que certains peuples de la race mongole ont la vue d'une portée infiniment longue.

Mais en i835 retrouvant, non plus deux, mais quatre satellites autour de la tête du Jupiter égyptien , ce nouveau rapport de l'Egypte et du Japon me frappa, et je demandai à M. Arago si je devais en faire l'objet d'une note à l'Acadé- mie, ce qu'il approuva.

Que M. Libri examinant ensuite, et longtemps après moi ,

' Journal asiatique, 3* série, tom. VIT, septembre 1829, p. 2io ei 211.

156 JOURNAL ASIATIQUE.

rEncyclopédie japonaise , ait été frappé, comme M. Rémusal, comme moi , comme M. Klaproth , d'y voir ligurer auprès de Jupiter deux satellites, je le conçois parfaitement; qu'il ait fait calquer cette planche et l'ait imprimée, je l'admets encore, puisqu'il a été la chercher, et l'a présentée tout humide dans la séance du 2 mars ; mais qu'il ait prétendu que c'était par lui que j'avais eu connaissance de ce fait, voici ce qui ne peut se comprendre, puisque dès 1819 , je le répèle, j'avais eu l'Encyclopédie japonaise pendant longtemps entre les mains, et qu'à Londres encore, en i83o et i83i, j'y ai calqué tous les peuples étrangers à la Chine, et dont je fournis une des figures , celle des Centaures , en ce moment.

J'ignorais même, à cette époque, que M. Libri eût un ouvrage sous presse; et d'ailleurs je disais précisément le contraire de ses assertions dans cet ouvrage, car j'attribuais à la connaissance ancienne des télescopes chez les Égyptiens , et chez les Japonais, la figure de ces satellites donnés par les monuments de ces peuples à la planète ou au dieu Jupiter; je faisais observer, et M. Arago,en effet, le répéta devant toute l'Académie, que Galilée avait, par le télescope, connu im- médiatement l'existence des quatre satellites de Jupiter, et que si les Japoi^nais avaient puisé dans les écrits des anciens jé- suites astronomes de Péking, ils auraient attribué aussi à Jupiter quatre satellites ou aides de camps, et non pas seu- lement deux , comme le dit la note qui accompagne la figure dans l'Encyclopédie japonaise.

D'autres notes ont été ensuite remises par moi à l'Acadé- mie, et publiées dans l'Echo , sur l'anneau de Saturne , et sur l'existence antique des télescopes et des lunettes en Chine et en Egypte, en Assyrie ; mais j'ignorais alors , et c'est M. Libri qui a eu le mérite de la citer de nouveau dans son ouvrage , l'existence de la lunette célèbre qui fut placée à Raguse, et qui , provenant peut-être du phare d'Alexandrie , permettait d'apercevoir les vaisseaux à plusieurs lieues de distance, en pleine mer.

Cette lettre , publiée par M. Libri , confirme donc mes idées

FEVRIER 1840. 157

sur la connaissance qu'ont eue les Egyptiens ( et par eux les Japonais) des satellites de Jupiter, et peut-être même de l'anneau de Saturne, planète nommée Sew en égyptien, et qui, suivant des textes antiques copiés à Gournah , et cités par M. Rosellini, répand l'incendie dans l'ardeur de son ciel rayonnant. Ces idées sont entièrement opposées à celles de MM. Ed. Biot et Libri ; je suppose qu'on ne voudra pas les étouffer, et je demande que cette lettre soit insérée dans le Journal asiatique.

Chevalier de Paravey.

BIBLIOGRAPHIE.

OUVRAGES DE M. LE CHEVALIER DE PARAVEY

ACTUELLEMENT SOUS PRESSE.

Illustrations de l'astronomie hiéroglyphique et des planisphères et zodiaques retrouvés en Egypte, en Chdldèe , dans l'Inde et au JapoTL, ou Réfutation des mémoires astronomiques de Du- pais, de Volney, de Fourier et de M. Biot; ouvrage enrichi de caractères orientaux, accompagné de planches nom- breuses offrant les principaux zodiaques et planisphères comparés entre eux , et qui forme une suite nécessaire au grand ouvrage sur l'Egypte. 3o fr.

Ce volume se compose des mémoires suivants, sur lesquels s'est appuyé M. le baron Cuvier dans son Discours sur les révolutions de la surface de la terre :

Aperçu des Mémoires que nous avons lus, en 1820, à rAcadémie des sciences, précédé d'un extrait rapide des auteurs qui ont traité de l'antiquité des zodiaques égyptiens.

158 JOURNAL ASIATIQUE.

a" Rapport de M. Delambre sur nos mémoires, précédé d'un avant-propos.

Jugements divers portés sur i'apcrc^u de nos mémoires et sur le rapport de M. Delambre, auquel ils ont donné lieu.

W Nouvelles considérations sur le planisphère de Dendérah , transporté enfin à Paris; sur la projection qui y est suivie et sur les noms romains que Ton y trouve aussi bien qu'à Esné ; considérations précédées de deux articles insérés par nous dans les journaux, et relatifs à ce monument.

Réfutation des anciens et des nouveaux mémoires de M. Biot sur les zodiaques et monuments astronomiques de TEgyptc ; suivie d'un appendice , qui aussi a été détaché et publié séparément, et qui complète cette ré£utation.

6* Preuves directes, nouvelles et nombreuses, que l'an- tique astronomie hiéroglyphique était la même pour tous les anciens peuples du monde, et spécialement pour les Chal- déens , les Égyptiens et les peuples qui ont civilisé l'Inde , le Japon et la Chine.

•7° Tableau général et comparatif des vingt-huit constella- tions lunaires, et des douze mois de tous les anciens peuples.

8" Lettres adressées à l'Académie des sciences sur la con- naissance qu'ont pu avoir les anciens de l'anneau de Saturne , des satellites de Jupiter et même de ceux de Saturne, des télescopes et des planétaires , et des paratonnerres.

Des hiéroglyphes égyptiens comparés à ceux des anciens Chinois , ou Essai sur les trois chapitres d'Horapollon relatifs au Cynocéphale, chapitres retrouvés dans les dictionnaires to niques de la Chine; essai suivi de notes traitant de l'écri- ture hiéroglyphique en général, et des peuples qui l'ont inventée.

De la sphère et des constellations de l'antique astronomie hiéro- glyphique, ou preuves directes, nouvelles et nombreuses »

FEVRIER 1840. 159

que cette astronomie primitive était la même pour tous les anciens peuples , et spécialement pour les Chaldéens , les Egyptiens, et pour les peuples sémitiques qui ont ci- vilisé rinde, la Chine et le Japon. Mémoire formant la se- conde partie de notre Réfutation des anciens et des nou- veaux écrits de M. Biot; terminé par un grand tableau synoptique des systèmes astronomiques conservés, eh Chine et chez les Mongols; dans les Indes; chez les Parses modernes; en Arabie et chez les Turcs mahomé- lans; 5" cliez les Égyptiens anciens. Prix : 6 fr.

.i).';c*.v^'Y;'io

Documents hiéroglyphiques, emportés d'Assyrie et conservés en Chine et en Amérique , sur le déluge de Noé , les dix générations avant le déluge, l'existence d'un premier homme , etc. ouvrage orné de planches et de trois tableaux à caractères orientaux, et terminé par des notes siir les quifize chefs de peuples après le déluge, cités daii's la Bible, dans Zend-Avesta , dans le Ly-tay-ky-sse chinois, el chet le* Aztèques du Mexique. Prii^^ fiK' . - '-^ f

PUBLICATIONS DIVERSES.

The History of Christianity in Indiafrom the commencement of ihe Christian era, by J. Hough. 2 vol. in-8°. (Prix : 24 sh.)

Journal of an expédition from Sincapore to Japan, with a visit ta Loo-choOy by Parker. Londres, i SSg ; in-8°. (Prix : 2 sh. 6 p.)

160 JOURNAL ASIATIQUE.

Practical PhUosophy of the Muhammedan people, being a trans- lation from the Persian ofthe Akhlak'i-Jalaly, by Thompson. Londres , i SSg ; in-8* ( prix : 1 5 sh.). Publié par la Société de traductions.

Catalogue of the Syriac Manascripts in the Btitish Muséum. Londres, iSSg; in-fol. (prix; 12 sh.).

Ce catalogue est Touvrage de feu M. Rosen, si nous sommes bien informés.

Correspondance de M. E. BorÉ; Rapports à l'Académie des ins- criptions et belles -lettres, et Notice sur l'état actuel des Chaldèens, 1 vol. in-8°. (Paraîtra incessamment.)

■or mu «5.». ml '- >i,; , ■;•. ' . '. 'l>^ ■■ ^' ^

, |il Po^syi dans une.lettre en date du 6 février, il adresse à M. Burnouf le résultat de la collation d'un manuscrit que M. Burnouf lui avait demandé, lui annonce que M. Wilson vient de faire paraître sa traduction du Vichnou-pourâna , ouvrage considérable dans lequel le savant auteur du diction- naire sanskrit a consigné le résultat de ses vastes lectures.

ï>^^J^^^€^-

JOURNAL ASIATIQUE

MARS 1840.

EXAMEN MÉTHODIQUE

Des faits qui concernent le Thien-tchu ou l'Inde, traduit du chinois par M. Pauthïer.

( Suite et fin. )

VIII. NATUREL DES INDIENS.

Quoique le naturel des Indiens soit ennemi de Faction, qu'ils soient timorés, leur volonté est ce- pendant fortement attachée aux principes de sincé- rité et de droiture. Ils ne se livrent pas à la pour- suite des richesses par des moyens illicites ; quand ils en acquièrent, c'est par des moyens conformes à la justice. lis ont de la déférence et de la soumis- sion plus qu^il ne leur conviendrait d'en avoir. Ils

IX. 11

162. JOURNAL ASIATIQUE,

craiglieiit beaucoup les chàtiuieiits d'une transmi- gration enveloppée de ténèbres; ils font assez peu de cas des occupations mondaines de la vie, qu'ils regardent comme de fausses ei ïisidieu^s décep- tions. Us ne font point de déclarations publiques en prenant les dieux à témoins -, et cependant ils gardent religieusement leur foi promise. Leurs principes po- litiques et d'éducation sont fixés et déterminés dès une haute antiquité. Leurs usa^jes et coutumes sont comme la concorde et Tharmonie elles-mêmes.

IX. DES DÉLITS ET DES CRIMES; DES PUNITIONS ET CHA- TIMENTS DIVERS. ÉPREOVES JUDICIAIRES.

Les actions perverses commises dans le but de nuire à la société, par un nombre quelconque de personnes, sont jugées parles magistrats du royaume aux époques la lune est dans son plein ^. Si des complots sont tramés contre le prince, on en re- cherche avec soin les traces, et si ces complots se produisent au grand jour, alors les conspirateurs sont communément renfermés dans une prison sûre , sans supporter la peine de mort; ils y pasiént leur vie , mais la mort ne leur arrive pas à un âge avancé. Les hommes qui violent les lois, qui trànsgresseni les rites de la justice , dont la perversité les fait agir contrairement à la droiture et au respect qu'ils doi- vent à leurs parents, alors on leur coupe le nez.

^m

Chi-ki

MARS 1840. 16S

les oreilles, les maiiis, les pieds, ou bien on les expulse au delà des frontières du royaume (on les condamne à la déportation), ou bien encore on les envoie dans des contrées désertes et malsaines. Les autres fautes ou transgressions des lois se rachètent par des amendes , que ies coupables sont obligés de payer. La raison de cette coutume est que la dé- tention dans une prison, la séquestration n'ajoute- raient rien, selon eux, au châtiment. Dans ies inter- rogatoires que Ton fait subir aux prévenus, et pour trouver des preuves à leur charge, on emploie une pièce de bois plate, unie et creuse dans le milieu. S'il y a opposition de la part des prévenus et que leur hon*e se manifeste à un haut degré \ ils se re- connaissent coupables, et ils ne désirent pas que l'on pousse plus loin les investigations sur leurs in- tentions et les circonstances qui ont accompagné le crime , en pratiquant sur leurs personnes les épreuves prescrites. Ces épreuves se divisent en quatre es- pèces^ : ce sont celles de Yeau, du fea, de la pesée et du poison. Si on emploie Vépreuve par l'eau , dans ce cas, l'homme accusé d*un crime doit, avec une pierre destinée à cet usage ^, aller immédiatement

' Cobférez Maiiou, liv. VIII, si. 26-26.

* Le texte chinois porte trois, par erreur sans doute, puisqu'il y en a quatte d'énumérées.

{jun tchefan yeou san tiao : chonî, ho, tching, thou. ^ pH/A-^ft Jtt chi cking.

164 JOURNAL ASIATIQUE,

se plonger dans le fond d'une eau courante , et y rester jusqu'à ce que la vérité ou la fausseté de lac- cusation soit reconnue. Si rhomme reste au fond de feau et que la pierre surnage, alors il y a cul- pabilité démontrée; si au contraire l'accusé surnage, tandis que la pierre descend au fond de l'eau, alors la cul])abilité n'est pas démontrée.

Quant à Yéprçave par le feii\ elle se fait avec une barre d'acier rougie au feu. L'bomme accusé d'un crime doit mai'chcr dessus à plusieurs reprises ; cela fait, il prend l'acier rougi entre ses mains pour les éprouver. En outre on lui ordonne de le léclier avectSia langue. S'il est innocent, alors aucune des parties de son corps mises à l'épreuve n'est atteinte et brûlée; si, au contraire, il est coupable, elles se trouvent fortement atteintes.

,^[ t.'accusé ayant été jugé trop faible pour suppor- ter la chaleur ardente ( de facier rougi ) prend en mains des fleurs non encore écloses et les disperse sur l'acier ardent; s'il est innocent, alors les fleurs

^ iDans les Indes, loraqu un homme en accuse un autre de «quelque crime qui mérite la mort, c'est la coutume de demander « à Taccusé s'il soutiendra bien Vcprcuve dajca. S'il répond que oui, «alors on fait chauffer un morceau de fer jusqu'à ce qu'il soit tout «rouge. On lui dit ensuite d'étendre sa main, et on met dessus sept « feuilles d'un certain arbre qu'ils ont dans les Indes, et le fer rouge « par-dessus les feuilles. Il marche ensuite de côté et d'autre pendant «quelque temps, et après cela il jette le fer. Aussitôt on lui met la «main dans une poche de cuir, qui est en même temps cachetée «avec le sceau du prince-, au bout de trois jours, s'il vient pour com- « paraître en disant qu'il n'a souffert aucune brûlure, on lui ordonne «de tirer sa main ; s'il n'y paraît aucune impression du feu, il est «déclaré innocent. ( Anciennes relatioas des Indos et de la Chine. )

MARS 1840. ' 165

s'épanouissent; s'il est coupable, alors les fleurs brûlent et se dessèchent^.

Dans V épreuve par la pesée, le prévenu est mis en équilibre dans une balance avec une pierre, pour savoir, par cette expérience , lequel de l'accusé ou de la pierre est le plus pesant ou le plus léger. Si le prévenu est innocent , alors celui-ci descend et la pierre s'élève ; s'il est coupable , alors la pierre est plus pesante et le prévenu plus léger.

Dans Yépreuve par le poison on se sert d'un mou- ton à laine blanche et noire , que l'on divise par le milieu ; la cuisse droite est donnée à l'accusé , qui doit manger immédiatement cette portion , dans la- quelle on a fait entrer plusieurs sortes de poisons. Si l'accusé est réellement coupable , alors le poison se manifeste et il meurt; s'il est innocent, alors le poison n'agit pas et il se dissipe. Les règles de ces quatre^ sortes d'épreuves judiciaires défendent tout autre moyen que ceux qui sont prescrits.

A. DES REGLES DE LA POLITESSE ET DE L'URBANITE.

FORMULES DE SA^^UTATIONS.

Nous arrivons maintenant aux règles prescrites pour témoigner le respect ; ces règles sont de neuf sortes^. La première consiste à exprimer des pa-

' Conf. Manou, liv. VIII, si. ii4-ii5.

^ Le texte porte ici quatre : V^\i^ ssc i'iao.

' On nVn compte ordinairenieut que rinq.((lics firliens, dit

166 JOURNAL ASIATIQUK.

rôle:* de déférence et à faii e des questioiis qui té- moignent des sentiments dont on est pénétré; ia seconde consiste à incliner la tête en signe de res- pect ; la troisième consiste à élever les mains jointes jusqu'à la hauteur de son front et à s'incliner en- suite^ ; la quatrième consiste h joindre les paumes des mains et à les porter en avant horizontalement; la cinquième consiste à s'incliner sur ses genoux ; la sixième consiste à s'agenouiller en faisant une profonde révérence; la septième consiste à avoir les mains et les genoux abaissés jusqu'à terre; la

« l'abbé Dobois , ont plusieurs manières de saluer; dans quelques «contrées, le salut se fait en portant la main droite sur le cœur; «dans d'autres, en l'étendant simplement vers la personne connue « qu'on voit passer... Lorsque la personne que l'on salue est d'un rang c élevé, on touche quelquefois la terre avec les deux mains et on les « porte ensuite au front, ou bien on s'approche d'elle et on lui touche « trois fois les pieds.

«Les Indiens qui n'appartiennent ytoïnt à la caste des Brahmes « saluent ceux-ci en leur faisant le namasiuîra, qui consiste à joindre «les mains et à les porter ensuite au front ou au-dessus de U tête, t Cette espèce de salut suppose une grande supériorité dans celui à «qui il s'adresse... On se borne quelquefois, en saluant un Brahme, «à élever les mains jointes jusqu'à la poitrine.

« Une autre manière de saluer fort respectueuse consiste à étendre « les deux mains vers les deux pieds de celui qu'on veut honorer, ou «même de les saisir en se jetant à ses genoux...

«Cependant, de tous les saluts, le plus solennel et le plus res— pectueux, c'est le sachtanga, ou prostration des six membres, qui «consiste à se coucher, le visage contre terre et les bras étendus au « delà de la tête. Dans cette posture , les pieds , les genoux , le ventre ^ «l'estomac, le front et les bras doivent toucher la terre. On se pros- « terne ainsi devant les grande personnages, les roi», les (jourous et «autres magistrats revêtus de quelque haute dignité.» ( Mqsurs, Institutions cfcoutumcs des peuples de l'Inde, par l'abbé Dubois.)

C'est le rr^rf^Mi nam<i%kàra. ' ' '

MARS 1840. 16*7

huitième consiste à avoir les cinq roues inclinées ensemble ^ ; la neuvième consiste à avoir les cinq membres prosternés à terre ^. Voilà les neuf façons de témoigner le respect. La plus haute, la plus dé- monstrative est celle qui consiste à saluer, les ge- noux en terre, en faisant l'éloge des vertus de la personne à laquelle on témoigne ainsi son respect ; on l'appelle témoignage de respect accompli^. Lors- qu'on se trouve éloigné de la personne que l'on veut saluer, alors on incline la tête vers la terre en sa- luant avec la main ; lorsqu'on se trouve à proximité, alors on embrasse les genoux , que l'on baise , et on presse les talons. Tout Indien à qui il arrive de solliciter un emploi et de recevoir une mission , doit se prosterner aux pieds de son supérieur, en lui relevant un peu son vêtement en signe de respect. Le sage qui reçoit cette marque de déférence doit faire à celui qui la lui donne des compliments de congratulations. Quelques-uns lui posent les mains sur le sommet de la tête, d'autres lui frappent lé- gèrement de la main sur le dos, en lui parlant affectueusement, et en lui donnant de salutaires instructions pour se conduire convenablement dans toutes les circonstances de la vie, lorsqu'il sera

' /C ~h Sm J-^ Jï^ pa ou lun kiu kiiih. Nous ignorons ce que c est que les cinq roues.

* Cest le q^li- pantchânga, salut consistant dans le prosteruc- meni des cinq membres, à savoir: le front . les deux joues et les drax mains.

y^rt CT-W Thsin-hniij.

168 JOURNAL ASIATIQUE,

sorti de sa famille. Les Cha-men (ou religieux boud- dhistes) qui ont reçu de pareilles marques de respect, ne font qu'y ajouter des vœux de bonheur et de bien-être; et sans s arrêter à faire toutes ces génu- flexions, ces actes de politesse, ceux qui prennent ainsi congé de leurs supérieurs se rendent leur devoir religieux les appelle; un grand nombre d'entre eux ayant des tournées à faire dans l'intérêt de leur ordre. Il en est qui ne font qu'une tournée, d'autres répètent trois fois la même tournée.- Si au premeir stage ^ leur cœur défaille , ou s'ils deman- dent à n'en fah e qu'un certain nombre , alors on les laisse faii'e ce qu'ils désirent.

XI. DES MALADIES ET DE LA MORT; DES DIVERSES ESPECES

DE FUI^ÉRAILLES.

Toute personne qui tombe malade se prive de nourriturependant sept jours, dans l'intervalle des- quels il en est un grand nombre qui entrent en convalescence et guérissent; mais ils doivent, s'ils ne se trouvent pas mieux après ce laps de temps, envoyer un exprès dans le pays pour chercher un ingrédient, espèce de gâteau, dont la nature et l'es- pèce se nomment tchoung '^, différent des médica-

' /fS" *ou. C'est uft endroit les pèlerins lonl liallc et passent la nuit; on le nomrae ordiuairemeqt coravcuuérm/. Les caravansérails se trouvent à une distance Tuo de l'autre d'environ trois lieues.

» ;^ %^ mincj Ichoung. Tchoung, en chinois, signifie semence, classe, espèce. Discipuli bonzioruni [Dicl. annam.). *

MARS 1840. 169

ments préparés par les gens de Tatt, et sur lequel cependant ils comptent beaucoup; mais le résultat est souvent bien différent de celui qu'ils espéraient.

Quand leur fin arrive, alors commencent les cérémonies des funérailles et du deuil, qu'ils sur- nomment état de pleurs mutuels et silencieux ^. On dé- chire ses vêtements , on s'arrache les cheveux , on se presse le front , on se frappe la poitrine ; on assiste à la cérémonie sans rien entendre. Le temps de ces démonstrations est indéterminé ; on les observe jus- qu'à ce que les funérailles soient achevées. Le céré- monial pour les funérailles est de trois sortes : la pre- mière sorte se nomme funérailles ou enterrement par le feu- . On entasse du bois pour cet usage, et on y met le feu en différents endroits.

La seconde espèce de funérailles se nomme fu- nérailles par Teau^. On plonge le corps du défunt dans une eau profonde , et on le laissé aller à son courant, qui le transporte au loin et l'engloutit.

La troisième espèce s SLppeWe funérailles des lieux infréquentés ^. On abandonne le corps du défunt dans une forêt, il est dévoré par les bêles sauvages.

Quand le roi du royaume vient à mourir ^, on

^ 7rC Se. (^houl-tsang.

'' ff^Yai-isang.

' /M ^^5* hou-lo, Htléraleineni «scfarfù ai descendit Cg sont les

176 JOURNAL ASIATIQUE,

coninieiice d'abord par établir à sa place ie prince qui doit lui succéder, afin qu'il préside , comme chef de fétat, aux cérémonies des fnnéraillos du roi dé- funt, et qu'il fixe, en les tranquillisant, le sort dos supérieurs et des inférieurs. Il.établit les qualités du défunt en proclamant tout haut ses vertus, sans lui donner des titres* honorifiques posthumes (comme on en donne en Chine aux souverains décédés), f.e chef de famille qui a présidé aux funérailles ne prend aucune espèce de nourriture. Lorsque ces cérémo- nies sont terminées, il est d'un usage constant de ne pas renvoyer ceux qui ont accompagné le mort dans ses funérailles, et qui, par cela même, sont

termes dont se sert le Chou-king (chap. Chun-tien) ,• pour exprimer ia mort de Yao. Ils sont très-remarquables dans cet ancien et admi- rable livre, parce qu'ils caractérisent parfaitement la croyance des anciens Chinois concernant la nature de Thomme et les deux prin- cipes dont il est formé. « Ces deux caractères y H ^^ tsoa-lo , dit

«Tsaî-chin, élève du célèbre Tchou-hi, et l'un des commentateur» «du Chou-king, signifient mourir: par la mort, Tespril immatériel , ou

tie principe intelligent de la vie ^^ <^f hoan-hlù. retourne au «ciel; c'est pourquoi on l'exprime par y H isou. aascendit; » le «principe matériel PW thi-pi. retourne à la terre; c'est pour-

«qaoi on l'exprime par ^^ la, «descendit.* Il faut cependant ob- server que cette expression composée, employée parles anciens et les modernes Chinois, pour désigner l'acte de mourir, nest appli- quée par eux qu'aux rois ou empereurs, et non pas aux simples indi- vidus, comme si, à leurs yeux, les premiers étaient d'une nature supérieure, d'une autre nature. En eflel, ils 1rs ro^ardcnl comme tenant leur mission du ciel ; comme ses prépo- qui ,

lor^qu'il^ nienrenl . von' 1"' •riirltr ««m innii<1nl

MARS 1840. 171

considérés comme impurs, sans ieur faire à tous prendre un bain hors de l'endroit le mort a été enterré; après quoi ils rentrent chacun chez eux.

XII. DU SUICIDE VOLONTAIRE DES VIEILLARDS.

Quand les Indiens arriA^ent à l'âge de soixante ans (âge les devoirs de chefs de famille sont trans- mis à d'autres) , ou à soixante et dix et quatre-vingts , et que la mort est attendue à chaque instant, le temps fixé de la vie paraissant écoulé , l'homme re- tombe en enfance et il s'affaisse ^ous le poids des infirmités. Arrivé sur le bord de la vie , à une époque les terreurs sont portées à l'extrême , il se résigne à quitter le monde , à se séparer de sa poussière. Il est d'usage qu'il désire être, rejeté du milieu des hommes; il fait peu de cas de la vie et de la mort qu'il regarde avec indifférence. Il fuit autant qu'il peut les voies. du monde, même avec ses proches. C'est pourquoi il fait savoir à ses amis qu'il désire les réunir pour se réjouir avec eux dans un festin, à la suite duquel il monte sm- une barque, se rend, accompagné par des instruments de musique, au milieu du fleuve King-kia (le Gange), et s' aban- donnant à son courant, il se noie dans ses flots. On dit alors qu'il a conquis le dixième ciel. Il en est qui, ne paraissant pas encore avoir épuisé toutes^les humiliations , toutes les conditions méprisées de la vie , sortent de leurs familles , se font admettre dans la foule des religieux bouddhiques, sans titres hono-

172 JOURNAL ASIATIQUE.

liiiques, pour y déplorer hautement la perle d'un père ou d une mère, eu récitant à haute voix et avec mesure les louanges de celui qui leui' a accordé un pareil bienfait, en éloignant de leur esprit tous les soucis du monde, jusqu'à ce qu ils trouvent à la iin les véritables richesses , les biens réels dans une licite obscure.

XIII. DE L'ÉDUCATION DE LA JEUNESSE.

Quant à la direction de l'enseignement , il y a de grands établissements publics Ton s'efforce de donner de l'instruction à la jeunesse, et ccpendanl, même dans les plus grands de ces établissements, on ne fait point usage de livres. Les habitants ne payent point de taxes ou d'impôts pour les écoles.

XIV. DISTRIBUTION ET REVENUS I>ES DOMAINES ROYAUX.

Dans l'intérieur des champs ou propriétés terri- toriales qui appartiennent au roî\ les grandes divi- sions sont au nombre de quatre. La première est destinée à subvenir aux besoins du royaume (ou de l'état), et à fournir les grains que l'on office dans les sacrifices et autres cérémonies; la sc^coùde est assi- gnée en jouissance aux ministres et aux autres grands fonctionnaires de l'état pour les aider occuper dignement leur emploi); la troisième est donnée en jouissance aux hommes qui ont des luihièrcssupé

♦" 3E m ^''"s

tien.

MARS 1840. 173

Heures , qui sont doués d une intelligence profonde, et qui, parleurs études et leur savoir, ont acquis des talents sublimes ^ ; la quatrième est destinée à pro- curer du bien-être à la foule de ceux qui ont reçu ces mêmes propriétés territoriales pour les faire valoir; manière d'agir bien différente de celle de ces hommes qui se livrent à toutes sortes, d'exac- tions. i^ ; ■,'/.' .'

XV. DES iMfÔTS ET CHARGES PUBLIQUES.

Les charges publiques , les impôts fonciers que les habitants sdnt obligés de payer sont très-légers ; ils sont très-modérés dans les provinces. Chacun, dans les temps de paix et de tranquillité, est suffis samment pourvu dans ses besoins par la cidturè des terres. -5\t^v;oi\ vuni ;■ v^^^-io-^^^

XVI. DE L'ENTRÉE DES ^™)\BtW^iW CAMP.

AGNE.

. Lorsqu'on entreprend une campagne pour mar- cher contre les barbares, les palais, les chaumières, tous les lieux de stations sortt employés à loger les troupes, s'ils sont reconnus propres à cet usage. On appelle aux araies les divers districts, ou bien on leur permet d'attendre l'issue de la campagne et

chih hio hao tsaî. Cette classe est probablement celle des Brahmanes qui, selon leur» lois, doivent être entretenus aux frais de l'étal et des particuliers.

17/i JOURNAL ASIATIQUE,

de centrer dans l'intérieur pour aider les minisires et la foule des magistrats, ainsi (jne ceux qui les assistent dans raccomplissement de leurs devoirs.

XVII. PROPRIÉTÉS TEBRITORIALES ; PRODUITS DO SOL.

Chaque Ind 1(1 1 a une portion de terre avec la- quelle il pourvoit à sa nourriture et à son entretien ' . On donne des cités en apanages, on distribue des terres, à condition de partager les profils du sol, y compris même les fleurs, les herbes, les fruits et les. arbres de toiit^ nature. Les produits du sol sont très-variés; ils portent différents noms, tels que fruit gançuio-lo^-^ fruit gan-mi-lo^., fruit mo-tou-kia '^ \ fruit /)0^-/o^; ÏTxnt kie-pi-tha^'r fruit ho-nio-lo'^ ; fruit tchin- toU'kiçi^; fruit ou-tkan-po-lo^; fruit meou-tche ^°; fruit na-li-ki-lo ^^; fruit pouan-lo-so ^^; fruits dont il serait

' ^ ^ ^ ê ^ ^^^ ^^^^ ^^'^ '''^ '*^" ^^* ^^ ^®'""

bum : Unusquisque hahet p'artitarn terram [ad) sàpsuni nntriendum. ' IFUrfr gambhârl? nom d'un arbre, rrirh" ^fû^ni^im? le citron (Wilson).

* ïTUcfî madhoàha? nom d'un arbre. '' m^ paiala? nom d'un arbre.

*^ î^i-MIch kimpâka? pladte cucurbitacée.

^ 5j^c?f oimi/o? phyllanlbus emblica (Wilson),

* dJ^iS djambouka? pomme d'api.

' M^^ i oudoumbara? figuier sauvage.

'<• n^ moundja? espèce d'herbe. Sac< Itanim intmdja (Roxb.).

" rjibiie^i ndUha? sorte de pianle.

'* Qr^nr palâs'a? butea frondosa.

MARS 1840. * 175

diflicile de déterminer l'espèce et la nature, mais qui paraissent précieux et excellents dans leur genre. Les hommes de notre siècle en parlent avec beau- coup d'éloge.

Quant aux fruits tsao ( espèce de cannarium ) , à châtaigne, aux fruits pi et chi, l'Inde n'en a jamais enlendu parler. La poire, la prune, la pêche, la prune acide , les raisins et autres fruits , viennent du royaume de Kachemire^ ils croissent en abon- dance^. La grenade, les oranges, viennent d'autres royaumes^. Toutes les plantes et les arbres à fruits

* Il y a dans le texte J[/JP Y>|S hWi ^^^ kia-king-mi-lo , au lieu

de kia-chi-mi-lo , qiii est la bonne leçon, comme la transcription exacte de ce nom ethnique dans le même texte, reproduit dans les Considérations générales sur les contrées occidentales de l'Asie [Pian-i-tian , liv. XLIII, fol. Sg), ne permet pas d'en douter. Il serait bien à soubaiter, pour apporter une plus grande exactitude dans les traductions, que Ton eût toujours d'autres éditions du même texte à consulter, afin de servir de contrôle; on serait exposé à moins d'erreurs.

* « Tout y est parsemé (dans le Kachemire) de nos plantes et de « nos fleurs d'Europe, et couvert de tous nos arbres, pommiers, poi- Tiers, pruniers, abricotiers et nojers, cbargés de leurs propres fruits, «et de vignes et (lîe raisins dans la saison.» (Bernier, Lettre sur le Kàchemife.]

^ «Il y a véritablement Déhli) un marché de fruits qui a « quelque apparence ; on y voit l'été quantité de boutiques pleines «de fruits secs qui viennent de Perse, de Balk, de Bokara et de «Samarkande, comme amandes, pistaches, noisettes, raisins, pru- «neaux, abricots et autres; et dans l'hiver on y voit d'excellents «raisins frais, noirs et blancs, qu'on apporte de ces mêmes pays, « bien enveloppés dans du coton ; des pommes et des poires de trois «ou quatre espèces, et de ces admirables melons qui durent tout «l'hiver.» (Bernier, I>eh1i et Agra.)

17§ JOURNAL ASIATIQUE,

q^ui produisent ceux dont on viertt de parler, sont cultivés dans les champs. Les agriculteurs les plantent et en recueillent les fruits avec soin. Ils commencent par bien nettoyer la terre des mauvaises herbes qui la couvrent, et ils sèment ou plantent ensuite quand la saison est propice. Chacun retire de son labeur du bien-être et de l'aisance. Ce que le sol produit < plus naturellement, c'est le riz, l'orge ou le blé barbu; les herbes fourragères croissent en grande abondance. Quant aux herbes potagères , on trouve dans rinde le gingembre, la moutarde, le melon, la pastèque ou melon d'eau, les oignons., les poi- reaux , et autres plantes potagères de la même es- pèce. Quoique les oignons et les poireaux soient rares, on en mange cependant jusqu'à satiété, mais dan3 un petit nombre de familles.

îfUn. DES DIVERSES ESPECES D'ALIMENTS; DES BOISSONS SPIRITUEUSES.

-»» \I1 est une espèce d'aliment qu'il est ordonné de tSfe préparer qu'en dehors des faulDÔurgs des villes, par la pression, jusqu'à ce que l'on ait extrait ime matière sucrée, douce et onctueuse, très-agréable shi goût , et qiiè Ton mélange avec sa boisson, l^e miel en pierre, l'huile ou le beurre clarifié, sont des Mibstances onctueuses , qui servent habituellement à 1^ préparation des aliments. Lc poisson, le mouton , Ijçs, daims , et les cejrfs sont préparés en aliments dans les saisons convenablos. r! forment de& pro-

MARS 1840. 177

visions. Le bœuf, le mulet, l'éléphant, le cheval, ie cochon, le chien, le renard, le loup, le lion, le singe, tous ces animaux à poils et à crinière, classés ensemble dans la même catégorie , sont sans saveur, ou n'en ont qu'une très-fade ; ils sont insipides et nauséabonds. La lie du peuple, qui est regardée par les classes supérieures comme souillée et dé- gradée par toutes sortes de vices , qui habite en dehors des faubourgs, et paraît très-rarement au- milieu de l'autre population , si elle boit des liqueurs fermen- tées, elle les distille pendant une nuit à la dérobée , et la saveur la plus 'Succulente se perd et se dissipe. On distingue cependant le vin fait de grappes de raisins, et la liqueur produite par la canne à sucre, que boivent les Cha-ii-li (Kchatriyas); les Fei-tche (Vaisyas) boivent une liqueur composée de subs- tances fermentées ; les Cha-men (Samanéens boud- dhiques), et les Po-lo-men (Brahmanes), boivent du vin fait de grappes de raisins et du sirop de canne à sucre, mais ils ne boivent point de ce que l'on ap- pelle des liqueurs distillées pendant une nuit^. Les classes mêlées, les classes viles n'ont rien qui les distingue entre elles. Ceux qui ont de l'aisance se servent de vases et d'ustensiles de ménage formés dune substance travaillée avec art; lorsque ces us- tensiles de ménage ^nt endommagés, ils ne s'en laissent pas manquer, selon les circonstances. Quoi- que ce soient des vases de métal, sans pieds, dont

't

Tsieou-li.

178 JOURNAL ASIATIQUE.

ils se servent, et qu'ils prépai'cnt leurs aliments dans des vases en terre cuite, ils ne connaissent pas ces noijnbreux vases en poteries (dont les Chinois font usage); ils se servent rarement de vases en cuivre rouge pour prendre leurs aliments. Ils goûtent de tous les mets avec les doigts de la main; ils prennent ou distribuent les aliments sans cuiller ou bâton- nets (dont se servent les Chinois), et ce n'est que, lorsqu'ils deviennent malades ou soulTrants , qu'ils se servent de cuiller de cuivre.

XIX. DES MÉTAUX, DES MONNAÎES ET ACTRES OBJETS

D'ÉCHANGE.

Si nous arrivons aux métaux : l'or, l'argent, la pierre de ja ou le jade, le jaspe, les perles de feu ou la nacre sont produits par le sol ( de l'Inde) ; on en rencontre partout l'on se trouve et en grande abondance ; c'est comme si on y avait entassé les choses les plus précieuses, les plus extraordinaires, les plus variées et les plus rares ; mais tous les noms m'échappent. Ces objets précieux et rares viennent des golfes de la mer ; on s'en sert dans les relations commerciales pour se procurer des objets d'échange. Ces objets précieux sont employés dans le commerce au lieu de monnaies d'or ou d'argent dont ils ne font pas usagée Les perles, girandes et petites, se re-

yoQ/ig hiao tsian yeou won kin tsian , jrin Uian.

MARS 1840. 179

cueillent sur les rivages et les frontières du Yin4ou ( Inde ) , dans des contrées particulières des hommes sont envoyés exprès pour les chercher. Le plus souvent ces perles sont enfdées ensemble et par ordre dans un même fd. Généralement parlant, une administration politique différente , des mœurs également très-différentes (de celles des Chinois), appartiennent à ce royaume dont nous venons de nous entretenir.

Après ces Considérations générales sur l'Inde, le Pian-i-tian donne une notice de sept pages d'éten- due, tirée du Tlioung-tien de Thoa-clii, sur la situa- tion, les mœurs et habitudes de la même contrée, mais se rapportant à une époque beaucoup plus moderne, l'Inde est nommée Pang-ho-la (Ben- gale ) , et occupée par les Hoeï-hoeï ou Musulmans ; nous croyons inutile de fajouter ici après ce qui a été dit du Bengale dans la notice historique que nous avons entièrement traduite et publiée dans ce joui;nai, et pai^ce que l'Inde musulmane peut être mieux connue par les écrivains mohammédans que par les écrivains chinois. Il est dit toutefois dans cette notice « que dans la langue de l'occident ( de «l'Asie), les monnaies d'argent dont on se sert sur «les places de commerce se nomment thang-kia^,

* Voyci le cahier de décembre 1889 du Journal asiatique, p. 437.

im JOURNAL ASIATIQUE

«pesant Uois^ tnen (^ d'once chinoise), dont le dia- « mètre est de un tlisun (~ du pied chinois), et deux ((û'actions (^); la face présente des caractères em- «preints^. » Il*y est encore dit «que dans ce pays «tous les gens d'art, ou artisans, sont très-ingénieux « et très-habiles; qu'ils ne se servent pas de pinceaux « (comme les Chinois) pom^ écrire sur des planchettes « en bois, mais que c'est avec un stylet qu'ils tracent « leurs caractères sur des feuilles d'arbres , dont ils « font leurs livres. Les femmes se couvrent la tête « avec leurs vêtements, qui leur descendent jusque « sur les pieds. C'est une coutume chez eux que les «militaires, les laboureurs, les artisans et les mar- « chauds fassent de leur état leur occupation hérédi- « taire. Parmi eux les plus honorés sont les Po4o- « Tiien (Brahmanes ); ensuite viennent les Nai-le, qui «ont reçu leurs croyances et leurs institutions re- « ligieuses de Fo-to ( Bouddha ) , auquel ils rendent «un culte ^. Maintenant tous les royaumes qui na- « viguent sur les mers suivent la doctrine véritable (f du seigheur du ciel *. »

^^Tels sont les renseignements de diverses natures que donne le Pian-i-tian sur le Thien-tchu ou l'Inde, prise dans son acception la plus générale. Lés deux

Le texte indiqué ci-contre porte deuà:.

^ Gelaient évidemment les monnaies des souverains mongols.

nai le . Joung fo-to chi tchaî tsiao,

* tP jT Tp ^jf ihien ichou tching kiao.

MARS 1840. 181

textes que nous avons traduits forment soixante-six pages in (x° dans ce grand et important ouvrage dont le Si-yii, ou les Contrées occidentales de l'Asie oc- cupent (juarante-quatre livres, comprenant des no- tices plus ou moins étendues sur trois cent trente et un états qui ont existé simultanément et succes- sivement dans ces contrées pendant seize siècles , c'est-à-dire depuis 126 ans avant notre ère, jusqu'à la fin de la dynastie des Ming, ou du xv® siècle de notre ère. On comprendra facilement de quelle im- portance serait pour l'histoire, si imparfaitement connue de ces belles et historiques contrées, traduction complète des quarante - quatre livres du Pian-i-tian qui y sont consacrés , surtout maintenant qu'elles sont ou vont devenir le théâtre de nouveaux et importants événements. Mais comme un pareil travail , à cause de son étendue beaucoup trop con- sidérable, ne pourrait trouver place dans le Journal asiatique, nous nous bornerons à donner successi- vement ta traduction complète , ou seulement l'ana- lyse des notices historiques du Pian-i-tian qui pour- ront présenter un intérêt immédiat, telles que celles sur Kao-fou, ou Kaboul; sur les Youë-chi, ou Indo- Scythes (V. octobre, p. 2 63); sur les i4ri-5i, ou Parthes (p. 278); sur l'ancien royaume de Kipin, ou Kopliène (p. 2^79); sur celui de Mo-kia-to, ou Magadha (novembre, p. 383); sur le Ni-po-lo, on Népal (p. 399); sur Oa-tcha (p. /i 06); sur le royaume Kia-che-mi-lo, ou Kachemire, etc. Quant aux autres notices, nous nous bornerons à en offrir une courte

182 JOURNAL ASIATIQUE.

analyse , qui sera le dépouillement des dates princi- pales et des principaux faits, si toutefois la traduc- tion qui vient d'être offerte aux lecteurs du Journal asiatique peut la leur faire désirer.

G. Pauthier.

critique\ïttéraire.

Notice sur f ouvrage intitulé ; Etudes géographujnes et histori- ques sur l' Arabie j accompagnées d'une carte de l'Asyr et d'une carte générale de l'Arabie, suivies de la Relation du voyage de Mohammed Aly dans le Fazoql, avec des observations sur l'état des affaires en Arabie et en Egypte; par M. Jomard , membre de l'Institut de France, etc. Paris, 1889, in-8"*.

Tous les regards sont aujourd'hui fixés sur l'E- gypte; il semble que les hautes destinées qu'on peut croire réservées au souverain de ce pays sont à la veille de s'accomplir, et M. Jomard, qui a donné tant de preuves de son zèle éclairé pour la régéné- ration de notre ancienne conquête , ne pouvait choi- sir des circonstances plus favorables pour publier l'important ouvrage dont nous nous proposons de rendre compte à nos lecteurs , ouvrage rempli de documents précieux, qui contribueront, sans aucun doute, à faire connaître sous son véritable point de vue la question d'Orient.

Bien que le nouvel écrit de M. Jomard porte le

\

MARS 1840. . 185

titre d'Etudes géographiques et historiques sur l'Arabie^ Mohammed Aly apparaît toujours au premier plan; c'est à lui que la pensée se reporte sans cesse, et si l'auteur n'expose pas dans leur ensemble tous les développements qu'il a réunis sur la situation géné- rale de l'Egypte et les progrès de la réforme opérée dans ce pays au xix® siècle, du moins les aperçus qu'il présente suffisent assurément pour en donner une idée très-exacte. Il appartenait à l'un des membres les plus actifs de l'expédition de 1798, qui, après avoir dirigé la publication du grand ouvrage de l'Institut d'Éypte pendant plus de vingt ans , a présidé en France , avec un zèle admirable et un désintéressement bien rare, à l'instruction des jeunes Égyptiens confiés à ses soins ^; il apparte- nait, dis-je, à un savant aussi distingué, placé de manière à pouvoir consulter les pièces authentiques, à correspondre avec les premiers personnages de l'état, à se trouver continuellement en contact avec les principaux acteurs du drame qui se dé- roule au delà de la Méditerranée , de rassembler les matériaux d'une œuvre de cette nature. Au milieu des événements qvii se préparent , le public ne sau- rait manquer d'accueillir avec un vif empressement un livre écrit, il est vrai, par une personne engagée à la cause de Mohammed Aly, mais respirent les sentiments les plus élevés et le patriotisme le plus

* Le Nouveau Journal asiatique a plusieurs fois rappelé au sou- tenir du public les succès remarquables de l'Ecole égyptienne. Voyez particulièrement tom. II, pag. 96, année i8a8.

184 JOURNAL ASIATIQUE

pur. « Je ne puis , dit l'auteur dans son introduction *, laisser passer l'occasion de toucher ici plusieurs points de la politique égyptienne, particulièrement en ce qui concerne les intérêts de la France et ceux de ses relations dans le Levant; la France , qui a sou- mis et possédé l'Egypte pendant plus de trois an- nées , dont le nom y est populaire et prononcé avec admiration, n'a cessé depuis la paix d'y envoyer, pour ainsi dire comme députés, des ingénieurs, des généraux, des savants et des artistes, pour l'organi- sation du pays et l'exploitation du sol;- elle a reçu et rendu en Egypte des services innombrables; elle a ouvert libéralement ses écoles aux jeunes Arabes que leur prince lui a confiés, et nulle puissance n'est plus intéressée à soutenir et à favoriser une contrée la civilisation de l'Occident a pénétré sous ses auspices. L'importance acquise maintenant par fEgypte dans la balance des affaires générales de fEurope est tout à fait hors de doute; l'Inde anglaise y a tracé une route nouvelle pour ses com- munications avec la métropole; TAmérique du nord , qui lui porte déjà ses productions, trouve en elle, à certains égards, une rivale pour son commerce; l'Autriche , comme la France , y entretient des rap- ports suivis; la Russie et la Prusse elle-même s'oc-

* Cette introduction sert ;a«asi.de préliminaires h l'Histoire de rÉgyple depuis Tannée iSaS, par M. Félix Mengin. On sait que M. Jomard a fait suivre la première partie de cette histoire , publiée en 1823, de notes intéressantes et d'un appendice qui renferme plusieurs mémoirf^s sur \c A>J/rf et sur les JVohahis. , . .•

; MARS 1840. 185

cupent de ses progrès ; l'Italie , la Toscane surtout , y commercent très -activement, et il n'y a pas jus- qu'à la Belgique qui ne veuille avoir une part aux avantages de ces relations; c'est qu'en effet, on l'a dit avec raison , il suffit en Egypte de gratter la terre poar en tirer de l'or, Mohammed Aly a su mettre à profit les enseignements de la science , et il a en- tièrement changé l'aspect du pays qu'il gouverne. L'activité infatigable de ce prince , son génie inculte , mais élevé; sa prudence consommée et sans fai- blesse, en font un personnage à part, et le placent, non-seulement au-dessus de tous les princes de l'Orient, mais encore sur la ligne des hommes les plus remarquables du siècle. Il a formé une armée nationale il n'y en avait plus depuis vingt siècles, pas même le souvenir; il s'est créé une ma- rine , pi près des arsenaux et des fabriques de tout genre qu'il a fait élever, des écoles ont été organi- sées, des hôpitaux ont été construits.

(( Les services que Mohammed Aly est appelé à rendre sont incalculables; Maître de l'Egypte, de la Syrie et de la péninsule Arabique , il assurerait la protection des villes saintes , garantirait les cara- vanes des pèlerins de la Mecque , et livrerait à nos voyageurs le libre accès des contrées qui bornent ses états; bien plus, il nous ouvrirait Ig commerce de ; l'Afrique centrale , en obtenant ^l'une partie des caravanes du Soudan, qui aujourd'hui se sont détournées de la route ordinaire , et qui se rendent au Darfour, à Sennar el en Nubie, reprît la direc-

186 JOURNAL ASIATIQUE.

tion sur l'Algérie, direction qui ne sera point réta blie , tant qu'une paix douteuse nous liera avec Abd-el-Kader. Enfin une entreprise qui payerait avec usure les gouvernements de l'Europe de tous les sacrifices qu'ils pourraient faire , et comblerait les vœux de tout ce qu'il y a d'esprits éclairés, atta- chés au progrès des idées sociales et au développe- ment des institutions modernes chez les nations extra-européennes , ce serait l'ouverture du canal des deux mers, avec la liberté du commerce et le pas- sage libre pour tous les peuples occidentaux. »

Nous ne suivrons pas M. Jomard dans les déve- loppements qu'il ajoute à ces importantes considéra tions; qu'il nous suffise de dire qu'elles se trouvent déjà en partie justifiées par les témoignages des Anglais eux-mêmes. Dans la circulaire ^ qu'il vient d'adresser aux chambres de commerce de Calcutta , de Geylan et de Canton , ainsi qu'à celles de Liver- pooi, de Glasgow, de Sheffield, etc. finfatigable M. Thomas Waghorn, celui-là même qui a établi les communications avec flnde par l'Egypte, ex- prime hautement la crainte que cette dernière puis- sance ne soit privée de l'ascendant qui lui avait été cédé par le sultan Mahmoud sur la Syrie , l'Arabie et file de Candie ; il serait , au reste , presque impos- sibe auj ourdît ui de restituer la Syrie à la Porte ot- tomane. Personne n'ignore que cette contrée n*a jamais été complètement soumise auxOsmanlis, et

' CeUe circulaire i datée d'Alexandrie, 7 oclobrc 1889, a été in- %h6e dans tous les journaux du 1" novembre.

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que l'administration des pachas turcs y a été de tout temps déplorable; Mohammed Aly, au con- traire , sait y faire respecter son autorité. Il existe en Syrie, à ce qu'il paraît, un pouvoir civil aussi étendu que celui d'Ibrahim Pacha; un intendant général s'occupe avec sollicitude des affaires de chaque province, ainsi que le général Edhem Bey, ministre de l'instruction publique en Egypte, l'a affirmé lui-même à M. Jomard; et ce poste élevé est maintenant occupé par un chrétien, Hannâ Bahry Bey, qui passe pour un Jiomme aussi loyal et aussi équitable que distingué par ses vues d'amélioration. Il ne faut pas oublier, d'un autre côté, que l'Egypte n'a pas d'autre barrière au nord-est que le mont Taurus ; lui ôter cette frontière , serait la livrer à toutes les chances d'une invasion. La Syrie est véritablement le boulevard de l'Egypte.

Quant à l'Arabie, elle ne peut retrouver son unité que sous le gouvernement protecteur de Mo- hammed Aly; ses tribus errantes n'ont jamais été sub- juguées; elles ont résisté aux Turks depuis quatre siècles, comme elles avaient résisté jadis à l'empire romain; jalouses de leur liberté, elles ne pourront jamais s'associer qu'à un pouvoir dont les agents parlent leur langue, qu'à des hommes ayant avec efles une origine commune , « et les habitants de la moderne Egypte ont eu les Arabes pour ancêtres ; » cette opinion , mise en avant et soutenue avec au- torité par M. Jomard, mérite un examen attentif, et l'on comprend aisément quelles conséquences

188 JOURNAL ASIATIQUE,

elle entraînerait, si elle était adoptée; ceux (jui an jourd'hui , sur les bords du Nil , se livrent avec succès- à la pratique de tous les arts , qui traduisent des livres de sciences, qui font ou suivent des cours- d'histoire , de géographie , de mathématiques ; qui élèvent des monuments , creusent des canaux , ex- ploitent les mines , dirigent des établissements d'a- gricidture, etc. seraient de la même espèce que ces Arabes, qui, au xi* siècle, donnaient des leçons de civilisation en Sicile , à Naples et en Espagne , tandis que les sciences et 1^ lettres llorbsaient en- core , par leurs soins , aux rives du Tigre , du Nil et de TEuphrate. Mais faudrait-il admettre que les Arabes, maîtres de l'Egypte, dix ans après la mort de Mahomet , eussent anéanti l'ancienne population qu'ils auraient remplacée par des colonies tirées ie leurs déserts , c'est ce que l'histoire ne permet point de supposer, et ce n'est pas ainsi , d'ailleurs , que- l'entend M. Jomard; dans sa pensée, l'Arabie a été de tout temps et elle est encore de nos jours l'aliment de la population égyptienne; la race pri- mitive n'est pas éteinte; mais elle n'est représentée ni par les Coptes modernes , ni par les peuplades nubiennes ou éthiopiennes ; elle existe encore in- tacte aux limites de l'Egypte supérieure et elle n'est autre que celle qui peuple l'Arabie orientale et mé- ridionale.— Cette hypothèse, aussi ingénieuse que* hardie, semble au premier abord devoir soulever de nombreuses objections ; mais M. Jomard les pré- voit et leur oppose, par une arguninilation savante,

* MARS 184jOaiK)l 189

des faits et des documents qui tendent à justifier ses inductions. «Si l'on considère, dit- il, l'ensemble de la région tropicale , à l'ouest du golfe Persique , on est frappé de l'analogie qui existe entre les contrées composant ce vaste espace. Cette zone, à prendre du dixième au trentième parallèle nord , est pres- que homogène, et n'est interrompue que par la mer Rouge et par la vallée du Nil ; ce sont , à deux ex- ceptions près , ou des montagnes plus ou moins stér riles, ou des déserts qui en occupent la surface. Dans cette immense zone , il n'y a que la vallée du Nil qui présente un grand territoire fertile, et elle a toujours été comme le point de mire et le rendez- vous des populations arabes; aucun obstacle na- turel ne s'opposait à leur marche, et le mouvement de migration , qui a commencé à une époque im- mémoriale, a ne jamais se ralentir.

(( Si , de plus , on étudie la physionomie ou le ca- ractère physique des habitants, on reconnaîtra sans peine que les traits des cheykhs , dans la plus grande partie des villages de la haute Egypte, ou des fel- lahs , à Esné , à Edfou , à Ombou, rappellent le type arabe. Si l'on cherche ce même type au Caire ou parmi les Egyptiens du pays inférieur, on trouve qu'il y est plus rare , mais non point absent tout à fait. Les plus anciennes familles des ulémas le por- tent visiblement, et ce caractère de physionomie est également identique avec celui qui distinguait les anciens habitants de TEgypte , ainsi qu'on peut s'en assurer par l'examen des momies de la Thébaïde. A

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Taspect des hommes du terriloifb d'Esiié ou des en- virons de Selséleh, on dirait que les figures des monmnents de Latopolis, d'Omhos et (^ Apollinopolis magna y se sont détachées des murailles et sont des- cejidues dans les campagnes. Si , d'un autre côté , on considère les peintures de hatailles qui couvrent les tombeaux des rois et autres hypogées, on voit que les Egyptiens y sont distingués, par une teinte rouge, de tous les autres peuples* figurés dans ces composi- tions. Or le mot Hémiar, origine du nom des Home- rites , qui habitent la partie méridionale de la pénin> suie Arabique , a le sens de rouge dans l'ancien dialecte arabe, comme ahmar y^\, dans le dialecte actuel; « n'est-ce pas une preuve que l'Arabie méridionale a été plus spécialement que l'Hedjaz et les pays du cen- tre, le berceau et la souche de la race égyptienne. » A ces considérations, M. Jomard joint quelques remarques curieuses; ainsi plusieurs des jeunes Égyptiens qui, par leâ soins de l'illustre savant, ont reçu une éducation fi'ançaise , et qui ont déployé des qualités vraiment singulières, offrent des points de ressemblance frappants avec les figures dont nous avons parlé plus haut, et leurs portraits, con- servés à Paris, en sont un témoignage irrécusable. M. Jomard compare ensuite les Egyptiens mo- dernes avec les Arabes , sous le rapport moral , et il retrouve chez eux les mêmes caractères : l'intel- ligence, la facilité, la mémoire, l'esprit ouvert, beaucoup d'imagination, et ce désir de connaître, qui tient à une curiosité native ; ils ont un penchant

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à l'observation, en même temps que de la sagacité, du goût pour les sciences physiques; ils affection- nent la géométrie dont ils ont besoin dans les arts de construction, surtout depuis le progrès des étu- des, mais qui leur a toujours été familière; ils ont encore une dextérité et une|>adresse particulière à imiter les ouvrages des étrangers; enfin les autres qualités qu'ils réunissent à toutes celles que nous venons d'énumérer, telles que la patience, la fer- meté , le courage , l'abnégation , feront sans doute de ces Égyptiens, que M. Jomard appelle lesJrabes d'Egypte, le modèle et les instituteurs des autres peuples de fOrient. «Je n'ai jamais vu, écrivait «encore récemment un ingénieur français au ser- «vice de Mphammed Aly, de peuple plus soumis, « plus résigné , plus actif que le peuple arabe ; avec « de tels hommes et une tête intelligente , on peut «arriver aux plus grandes choses; mais pour cela « il faut absolument la paix et la stabilité du gouver- « nemçnt : deux choses qui n'existent pas. »

M. Jomard ne se borne pas aux aperçus que nous venons d'exposer, pour prouver que les Arabes et les Égyptiens sont sortis d'une souche commune; il établit plusieurs rapprochements eïitre le degré de civihsation des deux peuples aux diverses périodes de leur histoûe : monuments des arts, architecture, usages, religion, tout est passé en revue avec un soin extrême par l'habile écrivain ; quant à la ques- tion du langage, elle ne peut encore être résolue; les recherches ne sont pas assez avancées sur ce point.

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Toutefois M. Jomard paraît croire que io copte, tel que nous le connaissons , n'a pas été la langue pri- mitive de l'Egypte, et nous devons entrer à ce su- jet dans quelques détails. Déjà plusieurs savants, tels que Vossius et le fameux P. Hardouin, ont con- testé l'antiquité de la^langue copte, qu'ils ont re- gardée comme un jargon composé de mots grecs, arabes, etc. et qui n'aurait rien ou presque rien de commun avec la langue des anciens Égyptiens. L'abbé Renaudot, Jablonski, l'abbé Barthélémy, et plus récemment le savant M. Quatremère, ont réfuté cette opinion , et les raisons qu'ils y opposent méritent une attention particulière.

On ne peut douter que sous les Ptolémées la langue égyptienne n'ait continué à être, en tendue et parlée comme auparavant; ce fait, attesté par l'ins- cription de Rosette , est d'ailleurs confirmé par un passage de Plutarque , ainsi que nous l'apprend M. Quatremère dans son excellente dissertation sur les manuscrits coptes, dissertation qui a trouvé place dans ses Recherches critiques et historiques sur la langue et la littérature de l'Egypte^. Si un grand nombre de mots grecs, ajoute l'illustre orientaliste, s'introduisit dans la langue copte , on ne peut en conclure que cette langue n'est qu'une corruption du grec; il serait tout aussi raisonnable de soutenir avec Kircber, que la langue grecque est dérivée de l'égyptienne, ou de prétendre que la langue persane

* M. Quatremère, Recherches criti(jues et historiques sur la langue et la littérature de l'Égyjpitc. Paris, 1808, in-S"; pag. 5 et soiv.

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nest qu'un dialecte de l'arabe; il n'est point d'ailleurs étonnant que les Égyptiens , soumis aux Ptolémées , puis aux Romains, aient emprunté à la langue de leurs maîtres beaucoup de termes nouveaux; la tra- duction des livres fondamentaux de'la foi clirétienne dans l'idiome copte en augmenta considérablement le nombre; mais à quelle époque les Égyptiens renon- cèrent-ils à leur ancien alphabet pour adopter celui que nous connaissons, c'est-à-dire l'alphabet grec, avec fadjonction de quelques lettres égyptiennes? c'est un problème que les savants n'ont pu résoudre jusqu'au moment M. Zoega , s'appuyant sur un passage d'Aristide, en conclut que les caractères grecs ne furent employés en Egypte que vers le III*' siècle de notre ère \

Suivant Athanase, évêqiie de Koiis ^, la langue copte était divisée en trois dialectes , savoir : le dia- lecte copte de Misr, qui est le même que le saï- dique; le bahirique, qui tire son nom de la province de Bahirah , et le baschmourique en usage dans la contrée de Baschmour. De son temps il n'y avait

* M. Quatremère, Recherches critiques et historiques sur la langue et la littérature de l'Egypte , pag. 19.

» Ibid. p^g. 2 1 : Aj^Xj ^^ iLayjéJui iUiâAxJî iCx>îî fj\ Lxj

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\M ' JOURNAL ASIATIQUE,

plus d*usités que le bahirique et le âaïdique; ces différents dialectes dérivaient d'une même langue, hc bahirique ou memphitique est celui sur lequel nous avons le plus de renseignements, quoiqu'ils soient loin d*être complets; quant au saïdique, nous ne \v connaissons que fort imparfaitement , attendu que les monuments écrits dans ce dialecte et recueillis en Eu rope sont en petit nombre; pour le baschmourique, on en avait h peine une idée avant les nouvelles recherches de M. Qualrcmère. L'étude approfon- die des seuls manuscrits qui nous soient parvenus a convaincu ce savant maître ', que la langue égyp- tienne est une langue mère, n'ayant de rapport avec aucune autre, et que cette langue, échappée à tant de révolutions et aux invasions des Perses, des Grecs, des Romains et des Arabes, s'est conservée juscpi'à nos jours dans les livres des coptes dont quelques- uns remontent à une assez haute antiquité. M. Jo- mard , comme nous fa vous dit , ne croit pas qu'on puisse établir que la langue copte, dans son état ac- tuel, est celle des anciens Égyptiens; il serait beau- coup plus porté à supposer qu'elle est sortie d'une souclie commune à d'autres dialectes arabes et éthiopiens, et il espère que les recherches actives des voyageurs pourront jeter quelque jour sur cette question. Quant <^ la population copte moderne, elle lui paraît offrir une altération profonde du type égyptien ou arabe; et, comme depuis la conquête

' M. Quatremère, Recherches critiques et historiques sur la langue et hiiéralurf de l'Egypte, pag. 4,5,9, 16, î5 et suiv.

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d'Amrou, cette nation est restée compacte, fidèle à son culte, et qu'elle s'est toujours perpétuée dans le pays sans perdre ni gagner beaucoup de force et d'influence, M. Jomard pense que , dès le vu* siècle, elle était telle qu'on la voit maintenant, et qu'il faut chercher son origine dans des circonstances qui ont modifié la population égyptienne , lors de rétablis- sement du christianisme.

Quoi qu'il en soit , et s'il ne nous est pa» encore tout à fait démontré que les Arabes aient, les pre- miers, peuplé l'Egypte, on ne peut mettre en doute qu'ils n'aient exercé, par leurs invasions successives et par leurs fréquentes migrations sur les bords du Nil, une influence remarquable sur le mouvement général de la population égyptienne; cette influence s'est manifestée principalement au vif et au xf siècle ; elle se révèle encore aujourd'hui, et si du xiv*' au xix* siècle, les Arabes de fEgypte sont restés comme ense- vehs dans une espèce de torpeur, cette dégradation n'est considérée par M. Jomard que comme le fruit amer de la servitude et comme un accident passa- ger; f invasion d'un peuple civilisé devait être le signal du réveil de fEgypte ; c'était le choc élec- trique qui devait précéder sa transformation ; le temps fa opérée et développée dans ces quarante dernières années.

Nous avons fait connaître les vues nouvelles de M. Jomard sur les rapports nombreux qui existent entre l'Arabie et fEgypte; ces deux pays, que tant de iiens semblent unir, doivent avoir désormais une

.3.

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destinée commune , et c*cst à Mohammed Aly qu'est sans doute réservé Thonneur de reconstituer l'u- nité et la nationalité arabes. Déjà plusieurs expédi- tions ont été conduites avec succès au sein même la péninsule et elles ont contribué à répandre quelques lumières sur l'état d'un pays que les voya- gem*s n'ont jamais exploré d'une manière complète. M. Jomard a recueilli avec soin tous les documents récemment mis au jour; il les a comparés avec les résultats obtenus antérieurement, et les recher- ches qu'il vient de publier sous le litre d'Ètades historiques et géographiques sur t Arabie sont du plus haut intérêt; nous diviserons ces recherches en trois parties : dans la première nous comprendrons tout ce qui se rattache à l'histoire des anciens Arabes; nous donnerons dans la seconde le résumé des travaux de M. Jomard sur la géographie gé- nérale de l'Arabie, et la troisième sera consacrée aux détails curieux et tout à fait neufs que le savant académicien a rassemblés sur la province de l'Asyr, dont jusqu'à présent on connaissait à peine le nom. Nous arriverons ensuite à la relation des progrès que les Egyptiens ont faits en Arabie, et des obsta- cles que les Anglais leur opposent, et nous montre-^ rons avec quelle habileté Mohammed Aly est par- venu à étendre sa domination dans un pays qui n*a jamais été subjugué. ; '

«hI. C'est une question que de savoir si, avant que les Arabes fussent maîtres de l'Egypte, de la Syrie

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et de l'Espagne , il y avait dans leur patrie originelle quelques livres de sciences; sous ce rapport, les monuments nous manquent; s'il en a existé, les vestiges ont disparu; aussi l'opinion le plus géné- ralement répandue, est que les hommes qui ont cultivé les lettres à Bagdad et à Damas, au Cair^ et à Grenade, ont tiré tout des Grecs; on prétend qu'ils n'ont fait que traduire les mathématiciens , les historiens , les astronomes et les philosophes des écoles d'Athènes et d'Alexandrie , et l'on affirme qu'ils n'ont rien ajouté aux anciens; mais cette opinion trop exclusive, comme le fait sagement observer M. Jomard, ne saurait être adoptée dans le moment même la plus grande impulsion est donnée aux études orientales : déjà même plus d'un démenti a été donné à cette assertion. Nous savons que, dans les arts mécaniques, les Arabes avaient été beaucoup plus loin que leurs devan- ciers \ et M. le chevalier Am. Jaubert a démontré d'une manière incontestable, qu'ils faisaient usage de la boussole dès l'année 12/12 ^; géomètres ha- biles , ils ont perfectionné les méthodes de calcul ; substitué les sinus aux cordes; simplifié, par l'intro- duction des tangentes, l'expression des rapports circulaires, d'abord si longue et si embarrassée ^.

* Voyez notre Mémoire sur les inslrumeuts astronomi([ues des Arabes, qui s'imprime dans le tome F' du recueil des Mémoires des savants étrangers, publié par l'Académie royale des inscriptions et belles-lettres.

' M. Klaproth, Mémoire sur 1 origine de la boussole,

' Voyez nos Recherches nouvelles sur Tastronomie des Arabes. ,

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En algèbre, leurs progrès nonl pas été moins re- marquables ' ; enfin l'aptitude scientifique du génie arabe s'est aussi révélée dans leui's découvertes as- tronomiques, ainsi que nous lavons éta])li nous- meme ^; mais comme on ne peut, sous aucun rapport , attribuer à la nature môme du dogme ma- hométan les services que les Arabes ont rendus à la civilisation au vin* siècle de notre ère , et l'influence qu'ils ont exercée, même en Europe, sur le déve- loppement des esprits, il faut bien reconnaître qu'ils possèdent des qualités natives qui ont existé de tout temps et qui ont les porter de bonne heure à rechercher la culture des arts et des lettres.

On sait fort peu de choses, il est vrai, sur le degré de civilisation des anciens Arabes , mais aussi ne doit- on rejeter aucune des traditions qui s'y rapportent. M. Quatremèrc nous a conservé , dans ses mémoires sur les Nabatéens et dans ses notices sur le Kitab al-Aganiy des indications précieuses à ce sujet; on trouve aussi des renseignements assez

p. 6 ; notre Introduction au Traité d'astronomie dWbou l-Hbassau » p. 2 et suiv. et Chasles, Aperça Mstoriqae des méthodes en géométrie, pag. 494 et suiv.

*■ Voyez notre Notice sur les connues géométriques de Hassan ben-Haithem, pag. 2; ic Mémoire que nous avons inséré dans le tom. XIII des Notices et Extraits des manuscrits, pag. 126, notre Introduction aux Tables astronomiques d'Oloug Beg, p. 66 et suiv et Cbasles, Aperçu historique, etc. pag. 499.

* Voyez nos Recherches sur la découverte de la variation 00 troisième inégalité lunaire, et les Comptes rendus des séances de l'Académie des sciences, i4 et 98 mars i836, i3 mai et 10 dé- cembre i838.

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nombreux dans le grand travail de M. de Sacy sar les anciens monuments de la littératare des Arabes; on y lit que le roi Tohba ^ était profondément versé dans la connaissance des livres anciens, et M. Jo mard conclut de ce passage, que la littérature an- cienne ne se bornait pas, chez les Arabes, aux poé- sies traditionnelles transmises par le chant, d'âge en âge, ou à quelques monuments lapidaires; mais que l'on écrivait beaucoup; que l'on avait des ma- nuscrits, et qu'on appréciait leur importance. Sans parler du brillant tableau qu'Eratosthènes et Aga- tharchides , Pline et Arrien , Strabon et Diodore de Sicile nous tracent de la civilisation de l'Arabie méridionale, plusieurs faits particuliers semblent attester que le reproche d'ignorance ne pouvait s'a dresser à ses habitants. Une inscription du second siècle de l'ère chrétienne, publiée en lyyS, fait mention d'un certain M. Ulpius Castoras, écrivain ou copiste pour la langue arabe, librarias arabicas; ne prouve-t-elle pas qu'il y avait au second siècle , et par conséquent bien avant, des livres arabes, et que les Romains avaient des hommes chargés de rédiger ou de copier des textes écrits en cette langue? Gom- ment, ajouterons-nous, Néron aurait-il envoyé cher- cher des philosophes magiciens en Arabie, si les sciences y avaient été tout à fait inconnues. Isaac Vossius croit que les Arabes, jusqu'au temps de Mahomet, avaient toujours vécu dans une sorte de

' Le nom de Tobba paraît avoir été commun aux anciens rois de l'Ycmcn on hémyarile», comme ceiui de Pharaon en Egypte.

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barbarie; Hottinger et Stanley soutiennent ie con- traire ' ; ee qui est incontestable , c'est que la naviga- tion des Arabes de l'Yemen dans les mers de l'Inde remonte à une époque si éloignée , qu'il serait impos- sible d'^n assigner l'origine; que de temps immémo- rial ils faisaient usage d'instruments d'astronomie nautique , imparfaits à la vérité et même très-gros- siers, si on les compare à- ceux des modernes, mais ingénieux et suffisants pour leurs opérations com- merciales. Parmi ces instruments , les uns donnaient la latitude par la bauteur de la polaire et des étoiles circumpolaires; d'autres servaient à mesurer la hau- teur du soleil ; et tous avec l'approximation nécessaire pour guider les navigateurs dans leurs excursions^. ^ D'un ' autre côté , les voyageurs modernes ont

' Minwifes de t Académie royale des inscriptions et hcllcs-lettres, loin. IX, pag. 5i, art. de M. de Lanauzc.

' Plus tard les astrolabes, dont le nom seul pcut-àtrc appartient aux Grecs, .furent perfectionnés; ils étaient déjà d'une exécutioo très-soignée et Jrès-bien divisés dès le m' siècle de l'hégire, sous Moctaû billah et même avant, sous les premiers Abbassides (as- trolabe de Masallah. décrit par Oroncc Finée dans les suppléments de la Margarila philosophica de Keisch). On possède aujourd'hui dans les collections publiques des instruments de ces époques re- culées, que les cosmographes européens des xv' et xvi' siècles n'ont fait que copier fidèlement et traduire de l'arabe; nous avons donné la description de quelques-uns de ces instruments dans notre Mé- moire sur les inslrunienls astronomiques des Arabes. Voyez aussi notre édition -des Tables astronomiques d'Oloug Beg, t. 1", p. 47 et suivi M. Jomard se propose de publier un catalogue fai^ôhné des Collections géographiques la Bibliothèque royale , et dans cet intéressant travail seront compris les instruments d'astronomie qui font partie de son-départemertt, branrhe spéciale el fontl»'n6u- velle dont no.Ls lui devons la formation. < ^ 1

I

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rencontré dans l'Arabie méridionale des débris d'an- ciens monuments qui attestent une civilisation avancée ; des hypogées remarquables , de vastes constructions en partie renversées, des ruines dis+ persées çà et , une muraille en marbre d'un demi- mille de longueur ; les traces d'un canal creusé dans une montagne entre l'Yemen et la mer, suffiraient certainement pour justifier les récils des écrivains grecs et latins, si nous n'avions pas à mentionner la merveilleuse digue de Mareb (Mariaba), ouvrage de Balkis, cette reine de Saba, qui parut à la cour de Salomon, et dont tous les auteurs arabes parlent avec admiration. Aboul-féda, Ebn el-Ouardi, Alfer- gan, KazAvini, font une même ville de Mareb Vj^ et de Saba U^ ; M. Jomard la place à quatre journées de distance de Sana'a Ix^o. Il y avait anciennement non loin de de grands torrents qui coulaient entre deux montagnes et se perdaient darls les terres; selon le Djihan numa, fentre-deux de ces montagnes était de deux lieues; on éleva une digue (.v^ît) de pierres et de bitume pour retenir les eaux de ces torrents, et on ne laissa à la digue que trois ouvertures qui se fermaient, et que les habitants ouvraient lorsqu'ils voulaient arroser leurs terres, de sorte que le pays fertilisé devint un des plus beaux du monde. Reiske , Niebuhr, Silvestre de Sacy sont entrés dans de grands détails à ce sujet, particulièrement d'après M eïdani, Masoudi, Nowairi, etc. et on peut voir la description que nous en donne Edrisi, dans la savante traduction de M. Je

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chevalier Jaubert (tome 1", page 1^9)^ M. Joinard passe en revue les divers lécits de ces auteurs el ies commente judicieusement; il détermine la posi tien du lieu était construite la digue de Mareb , et fixe, d'après une opinion moyenne, à Tan i5o de J. C. l'époque de la rupture de cette digue et de l'inondation (Jui en fut la suite, et qui donna naissance à une ère nouvelle chez les Arabes.

Poursuivant la recherche des faits qui peuvent démontrer l'antique puissance du royaume de l'Ye men, M. Jomard rappelle l'opinion de Pococke sui* les dynasties des rois de ce pays ou Hemyarites; puis il cite, en terminant, M. Fresnel et plusieurs autres voyageurs, dont les travaux récents ont déjà jeté quelque lumière sur la langue, la religion, l'histoire et les monuments anciens de l'Arabie mé- ridionale; et les considérations qu'il y ajoute leur impriment une valeur nouvelle. Ces considérations comprennent de curieux détails sur les tribus de l'Arabie, et sur plusieurs villes importantes; ils trou- veront place dans l'analyse des Etudes géographiques de M. Jomard , dont nous allons nous occuper.

II. La division de l'Arabie en trois parties paraît avoir été tracée par Ptolémée d'une façon toute arbitraire; les Arabes ne l'ont jamais adoptée ou même connue. Ce qu'il appelle kpoêla eùSaifxcov, Y Arabie heureuse, par opposition avec V Arabie déserte, kpa^ioL êpïifxos j comprend de vastes espaces qui , de to\it temps comme aujourd'hui, ont été on '^h'cpii'.

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ou stériles. Les géographes arabes ont donné le nom d'Yemen à une très-petite partie de l'Arabie heureuse des Latins. M. Jomard, dans l'exceilenle carte qu'il vient de dresser, conserve au nord du mont Sinaï V Arabie pétrée; le nom d'Arabie déserte s'applique toujours au pays compris entre l'Arabie pétrée et la Syrie au nord , l'Euphrate et Bagdad à l'est , et la pres- qu'île arabique au sud. Cette presqu'île, ou Arabie proprement dite , est bornée par la mer des Indes au sud, par la mer Rouge à l'ouest, par le golfe Persique à l'est , et au nord par une ligne tirée de la mer Rouge au golfe Persique , ou du Ras Mohammed à l'embouchure de l'Euphrate. Ce pays immense, qui s'étend depuis le 12" de latitude jusqu'au 28**, et qui , dans sa plus grande largeur, prise sur le tro- pique du Cancer, û'a pas moins de 2 de longitude , est divisé par M. Jomard en huit parties distinctes, qui sont, en procédant de l'est à l'ouest, El-Oman y Ut, près du détroit d'Ormus; Mahrafi oj-^ et El-Hadramaut ku^^^jj^iÂ, sur la mer des Indes; El- Haça \.*éé>^^\ ou U*it ( Bahreyn {^j-^ ou Hedjer j^), le long du golfe Persique; El-Ahqâf ôlx&-^5 au nord d'El-Hadramaat ; El-Nedjd «X-^i , avec la province d'Iemamah a^UJî ou de A'road (jb^^ au centre; enfin le long de la mer Rouge El-Hedjaz jjUâ?', et plus au sud El-Yemen (j^^ qui comprend YAsyr y:m^ ^

' Ces divisions se trouvent indiquées dans TEdrisi; voyez la tra- duction de M. le chevalier Jaubert, toni. T', pag. i3o et suiv. 1/17 cl suiv.

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Déjà, en 1823, M. Jomard a publié une notice géographique du pays de Ncdjd ou Arabie centrale, avec une carte sont très-exactement indiquées les diverses provinces et les villes principales de cette contrée; une partie de THedjaz s'y trouve com- prise. Dans la carte générale de l'Arabie que le sa- vant académicien nous donne aujourd'hui, quelques positions ont été modifiées; c'est ainsi que les dis- tricts du Ncdjd appelés Oaâdy Chahrdn y^;^ ^:>t^ et Oiiâdy Soubey ç^x»*» ^:>i^ sont moins rapprocliés de la Mecque; la latitude offre aussi une différence sensible; la Mecque seule est restée invariable; la ville de Tayef elle-même est placée un peu plus au nord-est. M. Jomard est arrivé à ces rectifications en étudiant avec soin de nouveaux documents qui lui sont parvenus sur la géographie de l'Arabie in- térieure; car, on le croirait à peine, cette vaste étendue de pays, qui équivaut à peu près en super- ficie au double de la France, est demeurée jusqu'à ce jour presque entièrement inconnue aux Euro- péens, et l'on sait seulement qu'elle a toujours con- servé les mêmes caractères, les mêmes divisions. 11 n'en est pas, en effet, delà géographie ancienne de l'Arabie comme de celle d'un grand nombre de con- trées de Vorbis vetas, qui ont été subjuguées par les Grecs ou par les Romains; des villes grecques, des cités romaines, ne se sont point élevées à la place des villes indigènes , n'ont pas contribué à leur ruine , n'en ont pas effacé le nom et le souvenir; les incur- sions des Perses et celles des Ethiopiens, pas plus que

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les marches des légions d'Auguste et les menaces d'Alexandre, n'ont rien changé à la face du pays, à ses mœurs, à sa civilisation. Ptolémée nous donne à la vérité de l'Arabie une nomenclature complète et trés-é tendue-, mais on ne doit pas chercher la vraie position de tous les lieux compris dans la des- cription: de ce géographe; ce serait une tentative inii'uctueuse; on est comme confondu en lisant dans cet auteur, pour la seule Arabie heureuse , l'énuméra- tion de cinquante-six peuples différents , cent soixante et dix vilks, ports et bourgs, dont six métro- poles et cinq villes royales , treize montagnes , quatre fleuves ou rivières ^ sans compter trente-trois îles et les promontoires et les golfes secondaires; aucun secours ne peut suffire à débrouiller cette sorte de chaos, et quant aux chiffres des positions géogra- phiques , ils ne peuvent servir qu'à fausser toutes les recherches, un grand nombre étant vicié par les copistes au point de sembler jetés au hasard. D'Anville, Reichard et d'autres ont se borner à dé- terminer seulement quelques points isolés , et encore s'est-on souvent trompé , pour Mariaha, par exemple» Maraba, Sabe, etc. qui répondent assurément au même lieu de Mareb. Il n'y a que les noms auxquels les Romains se sont contentés d'ajouter une dési- nence latine, et qui sont aujourd'hui connus, qui peuvent offrir quelque certitude; ainsi les Homeritœ, les Hadramitœ, les Maranitœ, etc. ne sont autres que les tribus de VHemyar, de Hadramauty de Mahrah, etc. il en est de même des villes d'Iatrippa (ïathrib),

9M JOURNAL ASIATIQUE.

d*Oboda (Obeida), d'Adane (Aden) '. M. Jomard, voulant réunir tous les éléments d'une bonne carte de l'Arabie , soumet à un examen critique les récits des anciens auteurs avant de se servir des docu ments nouveaux qu'il a rassemblés avec une si ho- norable persévérance; on sait que Strabon comptait, d'après Ératosthènes , parmi les cinq peuples prin- cipaux qui occupaient l'Arabie heureuse , les Gabéens, que Saumaise appelle GazéenSf et Gasaubon Ger- rhœens. M. Gossellin avait trouvé cette dernière confection très-judicieuse; mais notfe savant auteur étabUt avec raison qu'il faut lire les Sahœens, EA- BAIOI, au lieu de TABAJOI. Puis, pour faciliter ia comparaison des marches récentes des troupes égyptiennes avec celles d'^^lius Gallus , il nou5 montre le général romain partant de MoUah (Leuce Gome ) , à l'extrémité nord-est de la mer Rouge , parvenant à Marsyaba ( Mariaba ou Mareb ) , après six mois de fatigues et de privations de toute espèce , et commençant alors cette retraite désastreuse qui, pendant deux mois, menaça l'armée d'une ruine complète. M. Jomard regrette que nous n'ayons que des renseignements fort incertains sur le véri- table itinéraire d'^filius Gallus; il fait ressortir les contradictions dans lesquelles s'est jeté M. Gossellin,

' M. Jomard remarque que, d'après un rapprochement fait par M. Fresnel entre les tribus arabes qui nous sont connues et celles que la Bible mcationne, neuf à dix noms à peine ofifreni de l'ana- logie (voyez pag. 109). Parmi les tribus du nord, la Bible cite les Leoummîm. aujourd'hui (himayyim. qu'il e^t difficile de ne pas reconnaître dans kXkov^teuôrrtu.

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en comparant le passage de Strabon et les cartes modernes; il indique de quels secours peuvent être Diodore de Sicile et Pline pour la géographie de la péninsule arabique, et en rappelant que le dernier de ces auteurs place k Caripeta le terme de l'expé- dition d'.^lius Gallus , il fait observer que l'armée romaine a , pour gagner la mer, traverser la pro- vince d'Asyr. Comme la description de cette pro- vince, qui était restée entièrement inconnue jusque dans Ces derniers temps , est la plus importante des rectifications que le savant académicien a su apporter à la carte générale de l'Arabie, nous allons lui consacrer un chapitre spécial.

III. A vingt-cinq lieues de la mer Rouge s'étend, du nord au sud, une vaste chaîne de montagnes, qui traverse dans toute leur longueur l'Hedjaz et l'Yemen; à la hauteur à' El-Qonfodah 5«>w-jUJiiî , cette chaîne s'entrecoupe obliquement, et donne nais- sance à une vallée qui peut servir de passage dans l'intérieur de l'Arabie. Ce Tehamah ^ « «\ g :> n'appartient ni à l'Yemen ni à l'Hedjaz, qui ont leur Tehamah particulier, mais à la province de ïAsyr j. A M*. M }\ j restée jusqu'à ce jour à peu près ignorée , et dont on chercherait en vain la descrip- tion dans les ouvrages de géographie comme dans les relations de voyages. Or l'Asyr est aujourd'hui

* Tehamah X«L^^ signifie pays plat, tendant vers I9 mer, par opposition à neâjd Js-:^, lieu élevé et montueux, reculé dans les terres. ^*

JOURNAL ASIATIQUE, ieithéâtre de ia guerre que Mohammed Aly fait aux tribus de l'Arabie; ce sont ses dernières expéditions i^ui ont mis en lumière le nom de ce vaste terri- taire , qui ne comprend pas moins de dix mille lieues carrées; M. Jomard, aidé des notes de quelques voyageurs qui viennent de parcourii' cette contrée , nous en donne une esquisse assez exacte pour que l'on puisse suivre la maiche de» années , et saisir distinctement les positions relatives des lieux com- pris entre la Mecque a X au nord , et tChamys

M^icheyt W-ûw* fj**'^ au sud; la carte que le savant académicien a tracée de ces pays est extrêmement curieuse, et jette un jour tout nouveau sur la géographie de la péninsule arabique. Cette carte se rapporte à celle de Moresby pour la côte; à celle du Nedjd, que Ri. Jomard a publiée en 1823, pour lès positions de la Mecque, AOuâdy Bycheh ^ A A y 4^:>î^, de Tokniah aaâÙ», et de Tabalah ^Uï ; et, en dernier lieu, à celle de M. Jules Planât (1829) pour la position méridionale de Micheyt. Ainsi, prenant pour bases : 1" toute la côte de la

Dtier Rouge depuis Djeddah o*^^^, pai' 22° de lati- tude, jusqu'à Abou A'rych (f^^ ^^ , par 1 f de la- titude ; une ligne oblique tirée d'Ouâdy Bycheh à Rhamys Micheyt; les positions de quelques villes principales, et les grandes chaînes de mon- tagnes, il a été possible à l'auteur, au moyen des procédés usités, de distribuer dans ce cadre les ac- ciderfts de terrain , les cours d'eau , les défilés de

MARS 1840. '209

montagnes , etc. et les routes des expéditions laites par les Egyptiens. Après avoir expliqué, par l'élé- vation des plateaux, les froids très-vifs que les troupes de Mohammed Aly ont été obligées plusieurs fois d'affronter \ il nous montre ensuite les nom- breux torrents se précipitant des montagnes de l'Asyr, et allant se réunir dans la vallée de Bycheh; si f on rapporte cette ligne d'eau, qui se continue ré- gulièrement dans une étendue d'environ soixante et quinz§ lieues, sur une carte de l'Arabie, on voit qu'elle se dirige sur VYemameh <îi-«Wî, à Test, vers fendroit même les auteurs arabes font passer leur rivière principale d'Aftan yUiî (ou Afnan yUiî , selon Édrisi , traduction de M. Jaubert, p. i54 et i55), qui se décharge dans le golfe Persique, près d'El-Qatif otkiiiî (ou oU^liil selon Édrisi, traduc- tion- de M. Jaubert, pag. 363, 3 71, 372), après avoir arrosé la province d'El-Haça. Si cette jonction avait lieu en effet, nous connaîtrions dès aujourd'hui la source de cette rivière d'Aftan, dont on ignorait complètement f origine, et l'on saurait aussi quelle est fissue de la rivière de Bypheh , qu'on croyait se perdre dans les sables.

Cette opinion, qui n'est qu'une simple conjec- ture, tire cependant un certain degré de probàbi-

' M. Jornard a lui-même observe en Egypte de la glace superfi- cielle dans le désert, à peu de distance de Syout, par le 27" degré de latitude. Voyez le mémoire lu par M. Jomard à l'Académie des sciences le i8 avril i$25, sur la communication du Nil des Noirs (ou Niger) avec le Nil d'Egypte, contenant des remarq[ues sur la hauteur et la leiripérature du lieu a péri le D"^ Oudney, etc. '

II. 1 /i

210 JOURNAL ASIATIQUE.

lité d'une circoaslance particulière ; c'est que cette rivière de Bycheh reçoit trois afllucnts considéra hles : le tondent de Ranych, le torrent de Tabalali et \p torrent de Thery. N'est-il pas possible que cette masse d'eaux, ainsi accrue dans son cours, surtout pendant la saison des pluies, continue sa marche au nord est, au lieu d'hier se pcrdr^^o entier dans les sables? L'absence d'obstacles connus entre les diverses parties de ce courant, depuis l'Asyr jus qu'aux îles Balireïn dans le golfe Pcrsiquof^ peut jus^fier à certains égards cette hypothèse.

M. Jomard s'occupe ensuite de la détermination des limites de l'Asyr, et il montre de quelles difli- cuUés un tel sujet se trouye hérissé; on ne peut que tracer approximativement la ligne qui sépare l'Hedjaz du Ncdjd, à plus forte raison celle qui sé- pare l'Hedjaz de l'Asyr; quant à la partie du nord de l'Yemen qui correspond à cette dernière pro- yWïce, elle n'est décrite nidle part, et s*ii en est quççtion dans VAsia de Berghaus, et dans VArahia un4 dàs Nil-Land dp MM. Ehrenberg et Ruppel (Gptha, i835), elle y est seulement nommée ou indiquée d'une manière incomplète; le Djihan nama, I4 potice jde M. Silvestre de Sacy sur l'ouvrage inti- tula Barq el-Yemani (la Foudre de l'Yemen) ne sont pas plus explicites.; on ne trouve rien dans la géo- grQ|)hie d'AJ^oul-féda ou dans ses Annales musul- manes, ni dans l'extrait qui nous a été donné de Mâsoudi, ni dans Abdallatif, ni dans Ebn-Batouta. Ce serait en vain que l'on consulterait VHûtoria ante-

MARS 1840. 211

islamiticay tTQ.àmte par Fleischer; VHistoria lemanœ de Johannsen, ou l'ouvrage tout récent de M. Rut- gers \ qui fait suite au Barq el-Yemani. Le diction- naire géographique de Soyouty ne fait pas même mention de l'Asyr, et M. Reinaud ne i'a pas trouvé dans le dictionnaire des tribus arabes de Kalkasendi. Dans la traduction que M. le chevalier Jaubert nous a donnée d'Édrisi, il n'est point non plus question de cette province , et d'Herbelot , d'Anville , Niebuhr, Aly B^y, Seetzen, Burckhardt, etc. n'en parlent point. Malgré cette absence de matériaux, M. Jomard est parvenu à déterminer aussi exactement que possible les bornes de l'Asyr; cette province com- mence vers le nord au torrent de TabalaJi ^Ui> , et finit du côté du sud au Khoulan (j^y^ ; du nord-est au sud-ouest elle est limitée entre le torrent de Bjcheh et la mer. Les districts portent les noms des principales tribus, et sont appelés Hamdân yl*>^^, Mohayl Jw)Ls2 ^^^î^ , Bell-akmar, ou Belhamr j.^$>sÀ<> , Telimana ou Teliamah, Djanfour j^i^, Redjal el- ^\iiis^j,Djera[^^,Khamys Micheyt Ioaàm^ (j^^^f^, Kharef ô;^*- , O'beydah » J^_jv>^ , et Dar beny Seba ou Darb beny cJia'bah »j^ <^ t^j^ . La population de ces districts est considérable et très-belliqueuse.

M. Jomard donne ensuite, d'après lefcheykh A'ous, individu de la suite d'Abou Noqtah , chef du pays d'A- syr, une nomenclature géographique qui comprend , non-seulement l'Asyr, mais la partie contiguë de l'Ye-

* Historia lemanœ suh Hasano-Paschà. ouvrage publié en i838 à Leyde.

212 JOURNAL ASIATIQUE,

men et THedjàz ; cette iiomenclaturo écrite en arabe ' et en français , et revue par le savant M. Reinaud , est divisée en six séries ; la première contient les noms des provinces et arrondissements répartis ainsi qu'il suit :

Pour riledjaz, onze'-;

Poui' l'Asyr, neuf;

Pour le Téhamah de l'Hedjaz, neuf'; . Pour le Téhamah de TAsyr, scpt^;

Pour le Téhamah de l'Yemen , neuf' ;

^ M. Jomard a rendu un vrai service aux études géographiques en donnanl dans ses écrits la nomenclature arabe aussi exacte que possible; déjà il avait adopté ce système dans sa Description géo- graphique de l'Egypte, dans ses Remarques sur le cours du Séné- gal, dans sa Description du Kaire, etc.

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MARS 1840. 213

Pour la partie contiguë à rYemen, dix-huit ^. La seconde série contient les noms des tribus au nombre de soixante-quatre ^ ;

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Partie du Teliamah el-Hasheh : X^ys^ jÂa»î / w1 c.aJ /^maA£ ^«>

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Partie du Tehamah Asjr . ^--:^ i^-^yJ (^ {J^.J^^ ^f^J^

214 JOURNAL ASIATIQUE.

La troisième, les noms des villes et def villages au nombre de soixante-trois ^;

La quatrième offre l'indication des soiu^ces et des torrents au nombre de seize ^ ;

Partie contiguè à VYemen : «Xc^ (S^^ l5^l>j (à^^ ^^*^

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' Partie du Tehamak de la Mecque : y^yv^ %^t oiXjUJ» otX.s>>

Hedjaz : Kfjjj^m AaJIxÎI H^Ij (^^ <>^j j^ ;S^ ç£ji ^)^

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Tehamah : Jl>. «Uj Ajyui Ay^ A»^ AjLm v^U? JoÇm»

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MARS 1840. 215

La cinquième, celle des montagnes au nombre

de soixante-sept ^ ;

La sixième, celle des lieux à eau au nombre de

dix-sept -, et de quelques lieux particuliers au

nombre de trente-deux ^.

Yemen : h^ -^ j^ ,<ft * X Î5 A-^-^

» fîZ-i4'9a6at: «*Xxî j.^1 tfJsjUl AAlkkIÎ j«:>î Î^Jac^

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Hedjaz : \ JjJî Ax)U». ft«Xx> A^Ju^JI î^j ^j**^^! ^4/^

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* Lieux omis : Jlj4>JI iUïft Ul^ail %X%1\ j^ô^Xa "^^

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216 JOURNAL ASIATIQUE.

i* Ce tableau servira de point de départ pour la géograpliie d'une partie presque inconnue de la pé- mnsuie arabique et s'augmentera chaque jour des indications nouvelles fournies par les voyageurs^ ; cette publication est donc utile à la science , et M. Jomard, pour compléter son travail et faciliter les vérifications, a fait suivre cette première nomen- clature d'une table par ordre alphabétique des lieux dont il est question dans son ouvrage.

Tel est le résumé des études géographiques et historiques de M. Jomard sur l'Arabie, résumé bien incomplet sans doute, mais qui peut donner une idée des pénibles et laborieuses recherches aux- quelles a se livreï* le savant académicien.

Il nous reste à faire connaître les rapports établis par Mohammed A\j entre l'Egypte et l'Arabie, et à montrer par^ quel enchaînement d'évAicments re-

^ntre mé^ne el \ai Mecque : ^jo—aJ^-^ ^^j^ (*^bj*^^ Entre Àwz et Mcdine : lf^^s>'yJ] j. q .4 %M-x-Jk^ h^^ ^^

Lieux sur le chemin de VYemen : ^.v ^^ ^ /j\A.r>> SÔX^

"^IDéja M. Tamisier a pu commuDiquer à M. Jotuard les norns d*une partie des villages du district de Bycbch. Voyez pag. 77 de roittvrage de M. Jomard.

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marquables, ce prince est parvenu à fonder un commencement de domination dans un pays aussi jaloux de sa liberté. Disons d'abord quelle était sa situation politique à l'époque de la première inva- sion des Égyptiens, en 1810.

La Mecque et Médine venaient de tomber au pou- voir de So'oud, et ce chef redoutable paraissait devoir étendre son autorité sur toutes les tribus de la pénin- sule ; l'origine de la puissance de sa famille remontait à l'année 1 720. Mohammed ben So'oud, son aïeul, commandait alors, en qualité d'émir, dans la ville de Derayeh ^^j^^ ^J| , chef-lieu du pay s de Nedj d ; il accueil- lit auprès de lui Mohammed ben Abd-al-wahab , qui exposa sous ses auspices les principes de la réforme dont il s'était fait l'apôtre, et qui allaient remuer profondément l'Arabie ^ Mohammed ben So'oud avait calculé qu'à la faveur d'un changement de re- ligion, il pourrait accroître son influence, et il ne s'était pas trompé. De tous côtés des sectateurs ar- dents venaient offrir leurs, services au cheykh ins- piré, et, en même temps qu'ils le proclamaient leur chef spirituel, ils recoiinaissaient Mohammed ben So'oud comme leur clief politique. Les villages à'El- Ayeynéh aJUj^^I , de Horeymla ^^>.*^, d'El-Ammaryeh ^ yjjj^, et de Manfouhali ^^^yiJU, embrassèrent la nouvelle doctrine , et Mohammed ben So'oud , se por- tant sur le pays de Nedjd , reçut la soumission des

* Voyez, sur les progrès de la secte dep Wababis, le travail in- séré par M. Jomard dans l'histoire de TEgyptede M. Mengin, iSaS, elles ouvrages de MM. Rousseau (1809) et Corancez (1810).

218 JOURNAL ASIATIQUE,

provinces voisines. Il mourut en 1766, laissant un pouvoir afFermi à son fiis Abd-oi-aziz, qui déji\ sVtait signale dans plusieurs exp(^ditions, et qui se rendit entièrement maître du Nedjd (de 1763 à i8o3). Son fils So'oud comnTandait les délachetnents en- voyés au loin , et, après avoir établi son autoritié dans l'Hedjaz, il s'avança dans le pays d'Asyr; les Bény Cfcehr, Belgarn et Chomran, Ghâmed et Zahralfi reconnurent ses lois; il en fut de même de Tayef, de Mecque, de Médine et de Djeddah; et tandis que, d'un côté, Bagdad même était menacée, la ville d Abou Arych , dans TYemen , se soumettait à la suite d'une guerre longue et périlleuse (de 1 8o3 à 1 8 1 o ). Parmi les contrées qui avaient embrassé la doctrine des Wahabis, et sur lesquelles Sooud avait imposé sa" domination, onr comptait le pays d'El-Haça, Bas- sorah ij-^A^ , Ras el-Kheymeh, Bahreyn (j^j^ , O'neyzeh »>AÂ*, Alrassa, Boureydeh, El-Ryad ija\jjl\ ^ la mon- tagne de Choamer et A'neyzeh. Le chef militaire des Wahabis régnait jusque dans le Hauran , entre la Mecque et Damas , ainsi- que dans le Nedjd et l'Yemén , jusqu'à Sana'a. C'est au milieu de ces cir constances que Mohammed Aly résolut de com- battre cet ennemi puissant, et en i8n une pre- mière expédition eut lieu sous le commandement de son second fils, Toussoun pacha; deux autres expéditions devaient être dirigées plus tard contre l'Arabie, l'une par Mohammed Aly lui-même, en i8<ir3; faiitnç par Ibrahim pacKa son fils aîné, en

MARS 1840. ^W

Toussoun pacha commença par vS emparer d'Ianbo et de Soueyq ; puis , vainquem^ près de Bedr , il se porta en avant de Safra ; mais les Wahabis occu- paient les défilés et le haut des montagnes, et pro- fitant habilement des avantages de leur position , ib mirent l'armée égyptienne en pleine déroute. Tous- soun pacha retiré à lanbo reçut bientôt des renforts de son père, et reprenant l'offensive, il Se rendit maître en 1 8 1 2 de Médine et de Djeddah d*X->- , de la Meccjue, de Bessel J-w«o , et de Tayef. So'oud jusqu'a- lors n'avait pris que des mesures de défense ; mais , au commencement de l'année 181 3, il déploya une activité qui fit proihptement changer les affaires de face. L'armée égyptienne fut complètement défaite devant Tarabeh ; Médine fut assiégée par So'oud en personne, et la garnison à' El-Henakyeh XfSlxs»^ pas- sée au fil de l'épée; les Arabes de l'Yemen, secrète- ment excités par le chef des Wahabis , se répandirent jusque dans les environs de la Mecque et de Djeddah , et coupèrent toutes les communications ; les Égyp- tiens se trouvaient dans une position presque déses- pérée lorsque Mohammed Aly résoïut de se rendre kii-même en Arabie.

Le 28 août 181 3 le vice-roi débarquait à Djed^ dah; maître de la Mecque, il se porte rapidement SOT Tayef, pendant que So'oud reste à Derayeh, et sie contente d'éclielonner ses troupes entre Bjcheh »^âUi'' Jianyek et Tarabeh aj^j; un échec éprouvé pires de cette dernière ville est bientôt réparé par la prise de Qonfodah ««XjUî; mais les Égyptiens ne sont

JOURNAL ASIATIQUE.

pas lotigtemps maîtres de cette place importante; assailiis par les Wahabis et les Arabes Bédouins, ils se trouvent réduits à une retraite désastreuse-, la diversion tentée sur la province de Zahran , pour oblige» les Arabes de l'Yemen à ^éloigner, n'obtient pas un plus beureux succès, et Tayef est bloque de toutes parts par les Wababis.

Sur ces entrefaites arriva la mort de So oud ; il lais- sait douze fils; mais aucun d'eux n'était capable de le remplacer. Mobammed Aly s'empressa de délivrer Tayef, et faisant occuper les défilés de Safra , il pour- suivit la. guerre àveScr vigueur; vainquem- desWaha- bis, le 10 janvier ,i 8 1 5 , près de Koiilakh, il mar- cha rapidement sm^ Tarabeb, Bycheh et Ranyeli, pénétra dans l'Asyr et prit sams coup férir Qoii fodah, d'où il .revint par mer à Djeddah,. profitant habilement de l'impression j^roduite par les avanta- ges qu'il venait de remporter pour alfermir l'obéis- sance des tribus soumises. En même temps Tous- soun pacha marchait sur El-l\ass dans le Nedjd, et dictait au pusillanime Abdallah, fik de So'oud, un traité de paix honteux pour le nouveau chef des Wahabis. Le 1 8 juin 1 8 1 5 Mohammed Aly était de retour en Egypte, nourrissant le projet do ren- verser bientôt entièrement la puissance d'Abdallahl; une occasion ne tarda pas à se présenter. Le fils de So'oud n'exécutait pas fidèlement les conditions du traité, et tandis que ses émissaires, au Caire, et à Gonstantinople , protestaient de ses bonnes inten- tions devant le vice-roi et le sultan, il organisait d<

MARS 1840. ^21

nouvelles troupes, faisait secrètement des prépa- tifs de guerre , parcourant les provinces , visitant les villes fortifiées et ne négligeant rien pour réveiller l'enthousiasme religieux des Wahabis. Au mois de septembre i 8 1 6 Mohammed Aly résolut une troi- sième expédition dont le commandement fut confié à Ibrahim pacha. Ce prince , en moins de dix-huit mois, soumit la plus grande partie du Nedjd. 11 s'em- para d'abord d'Henakyeh et d'El-Maouyeh'; puis, après avoir assiégé inutilement El-Rass, il occupa successivement El-Khabra, Aneyzeh, Boureydeh, Chakra , Dorama , et le 2 2 mars 1818, il campait sous les murs, de Derayeh; Abdallah ne se rendit qu'au mois d'octobre suivant, et il reçut de son vainqueur un accueil favorable. Ce malheureux prince partit bientôt après pour Gonstantinople ; le vice-roi avait demandé sa grâce ; mais la politique du divan fut implacable, et le fils de So'oud, après avoir été promené pendant trois jours dans toute la ville, fut décapité sur la place de Sainte-Sophie.

Ibrahim pacha ne quitta l'Arabie qu'en 1820; les Wahabis paraissaient entièrement soumis , mais fes- prit remuant des peuplades belliqueuses de l'Ara- bie devait susciter plus tard au vice-roi de nouveaux embarras ; les années 1 82 7 et 1828 furent marquées par la révolte de la tribu de Harb ; Ahmed Pacha , battu près du mont Arafat, ne parvint qu'avec beau- coup de peine à pacifier le pays; en 1882 un soulè- vement plus redoutable, suscité par Turkché Bilmès, menaça l'autorité de Mohammed Aly; ce chef rebelle

222 JOURNAL ASIATIQUE,

se fit reconnaître par le sultan, cl, pendant dix-huit mois, intercepta le commerce dirTInde; mais enfin , forcé dans Moka, il prit la fuite et trouva un refuge^ à bord d'un nawe anglais. Les troubles qui éclatèreut dans les années 1 836 et 1 837, ne furent pas compri- més par la prise de Derayeh , et par l'installation de i;^n des fds d'Abdallah benSo'oud comme gouverneur de cette ville; mie expédition dans l'Yemen amena, il est vrai, la soumission des districts de Beny Cher et de Tenouma, mais le Nedjd restait en armes, et les hostilités continuaient; oblige d'entretenir à grands frais des armées dans le sud de l'IIedjaz, Mohammed Aly devait chercher à mettre fin à des incursions sans cesse renouvelées; la prise de Dalam ^<>^\ , (au mois de décembre 1 838) par Khourchid pacha, sa marche sur El-Haça et sur El-Qatif ont contribué à rétablir une apparente tranquillité parmi les tribus du nord de l'Arabie.

Nous avons analysé très-succinctement tout ce qui se rattache aux diverses entreprises de Moham- med Aly sur le Nedjd, THedjaz et TAsyr, dans l'on vrage de M. Jomard; mais c'est qu'il faut cher- çHer l'intérêt des détails et le tableau animé des événements. La relation du cheykh Aous, traduite par M. Reinaud, les rapports de Khourchid Pacha, sont réunis et commentés par M. Jomard, et les excellentes cartes qu'il y a jointes ajoutent un nou- veau prix à son livre, en permettant d'y suivre les progrès des armées égyptiennes. Nous devons faire ici remarquer, aver le savant académicien qui

MARS 1840. 223

nous sert de guide, que les Wahabis ne furent pas les seuls ennemis que Mohammed Aly rencontra en Arabie; une puissance qui s était montrée jalouse des conquêtes de So'oud, l'Angleterre, n'aurait pu voir sans inquiétude le vice-roi d'Egypte étendre suc- cessivement son empire de la Méditerranée à la mer des Indes , touchant à l'Europe par Alexandrie , do- minant l'Arabie du golfe Persique à la mer Rouge , maître du cours du Nil et des embouchures de l'Eu- phrate. Le gouvernement anglais sait fort bien que l'Egypte et l'Arabie sont une des clefs de ses vastes possessions dans les Indes; il voudrait que toute la ligne qui joint Gibraltar et Malte à Bombay fut sous sa dépendance ou son influence directe, qu'il n'y eût pas un prince puissant et indépendant sur cette direction, avec une flotte, une armée de terre et de mer et des places fortes; il souhaiterait, en yn mot, pouvoir présenter un vaste front à la Russie depuis Alexandrie jusqu'au delà des sources de l'Indus : aussi sa politique tend-efle constamment à rendre l'Angleterre maîtresse des deux routes de l'Inde, le golfe Persique et la mer Rouge. S' at- tachant à mettre à exécution les vastes projets que le génie du grand Albuquerque avait conçus et ré- vélés à l'Europe , au commencement du xvi^ siècle , il s'est déjà emparé d'Aden , et quoique la ville seule lui soit soiunise , il s'approprie d'avance plus de trente lieues de territoire, ainsi que nous l'apprennent les cartes récemment dressées ; la possession d'Aden lui permet d'intercepter la navigatiqA 4 fç^t^-ée de la

224 JOURNAL ASIATIQUE,

mer Rouge, et ses agents à Moka, à Djeddah, à Suez, àCosseir moine et à Qenoh, ])resscnt l'Egypte de toutes parts. ^

Plus à l'est, la conquête de l'île de Kharek J^U^ livre à l'Angleterre le golfe Persique et les embou- chuiesde l'Euphrate; car « c'est aussi pat l'Euphrate (ainsi que l'a remarqué un savant publiciste) qu'elle a cherché, dans ces derniers temps, à ouvrir une route vers les Indes. On se souvient du voyage d'ex- ploration du colonel Chesney; il s'agissait d'intro- duire sur l'Euphrate la navigation des bateaux à va- peur. A l'aide de ces navires, l'AngleteiTe semble en ce moment commencer, pour ainsi dire, une nouvelle conquête de l'Asie; sa puissante marine lui a donné accès sur toutes les côtes; de l'île de Kharek elie menace l'Oman , et déjà son influence domine à Mascate kw-*, et s'étend jusqu'aux îles Bahreyn sur les cotes d'El-Haça. Non-seulement l'Euphrate et la Perse méridionale, mais encore l'Arabie sont l'objet de son active surveillance; cl

' D'après les dernières nouvelles recrues du Kaire , l'un des neveux d'Ibrubim Pacha aurait remporté une victoire complète sur Timam <Jela province de laVjsseb, danslTcmen. Celte conquête.rendrait Mo- hammed Aly voisin des établissements anglais d'Aden , à Tentrép du golfe Arabique, et pourrait devenir une nouvelle cause de collision. On ajoute que la villcile Sana'a allait tomber au pbuvoir du général égyptien; ce dernier fait ne serait qu'une prise de possession, car dtjà, au mois d'avril dernier, l'imam de Sana'a, effrayé du voisinage des Anglais, s'était donné à Mohammed Aly, et avait abdiqué en sa faveur, en se contentant d'une dignité spirituelle £t d'une pension. A cette «époque, les cara\ane^ entre Moka et Sana'a avaient étédécla rée» libres, ce pays devam être considéré comnjc partie intégrante du t<lrritoire de Mohammed Aly.

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l'on se rappelle que, sui' le bruit de la marche de Khourcbid pacha sur El-Qatif et sur Bassora , après la prise de Dalam, le gouverneur de Bombay ofFrit des secours au pacha de Bagdad; ainsi les Anglais, qui gênent et contiennent le vice-roi d'Egypte du côté de la mer Rouge, sont prêts aussi à l'arrêter du côté du golfe Persique. Curieux spectacle que de voir le régénérateur de l'Egypte concevant toute la grandeur des destinées réservées à son empire , faisant effoxt pour atteindre aux mers qui servent de ceinture à ses états, parce qu'il sait que, de notre temps , plus on a de points de contact avec la mer, cette grande communication entre tous les peuples, plus on est puissant, et l'Angleterre, de son côté, faisant effort pom^ le refouler au sein du continent ! »

r On voit par ce qui précède combien l'ouvrage de M, Jomard contient de faits intéressants et de considérations nouvelles ; on a peine à comprendre comment le savant académicien a pu traiter des sujets si divers , et réunir tant de matériaux impor- tants dans un volume de trois cents pages, et ce- pendant nous n'avons pas encore rendu compte de- l'appendice qui le termine, et l'on trouve un mémoire rempli de recherches curieuses sur l'Etat de la propriété en Egypte ; un mémoire sur la peste de

i835; et enfin la relation du Voyage de Mohammed Aly dans le Fazoqlo, voyage de treize cents lieues, entrepris ii y a un an à peine , et qui fera époque dans la vie -de cet homme extraordinaire. Les sables aurifères de Fazoqlo, dh M. Jomard, avaient été IX. i5

226 JOUHNAL ASIATIQUE,

signalés depuis longtemps au gouvernement égyp tien; le vice-roi voulut juger par lui-même du parti qu'on en pourrait tirer, et, malgré son gi'and âge, sans écouter aucune représentation, il se mit en route, n'amenant avec lui qu'un petit nombre de personnes pour arriver plus rapidement. Il quitte le Caire le i5 octobre i838, toucbe à Syène, et remonte à Dongolah en quatorze jours; amvé il s'éloigne du Nil , monte h cheval , et traverse en sept jours les déserts montagneux qui s'étendent au midi; le q3 novembre il est e\ Khartoam ^jUajÂ, au con- fluent du Nil blanc et du Nil bleu, et se voit obligé d'y attendre pendant vingt-cinq jours IcsTjarques de l'expédition; il. part le i5 décembre, aborde le 20 à Sennâr Jj^^ , le a 6 à Reseyrès ^j-jf^-^j ; et quinze jours après il gagne à cheval la montagne de Fy- zouly d^y^ ou de Fazoqlo; six jours de fatigues nouvelles sont suivis de six jours de repos; enfin il atteint le 1 *' varier Djebel Fazanqoro j^y» , par 1 d€ latitude; c'est le terme de sa course : ii y séjourne onze jours. Puis il revient par Barbar j^j^, monte un dromadaire, traverse Ouady Hamad «x^ ^^^1^ et Ouady Halfa}i'»S}A ^^:^^ , s'embarque pour Syène, et renti^e au Caire le 1 5 mars 1 839 , trente et un jours après son départ de Fazanqoro.

Ainsi, en cinq mois, le vice-roi avait parcouru d'immense scontrées; il avait trouvé le temps de s'ins- truire' dn véritable état du pays, et de se concilier les populations; de porter son attention sur les af- faires de l'Abyssinie et sur les caravanes du Darfour;

MARS 1840. 227

de s occuper des questions de commerce comme des questions d'agriculture, qui intéressent directement l'Egypte. Les lettres rapportées par M. Jomard ne peuvent laisser aucune incertitude à cet égard ; avec son infatigable activité , Mohammed Aly avait réalisé une entreprise réputée tout à fait impraticable; le Courrier de l'Egypte Journal arabe , du 2 i avril 1 83() en a donné tous les détails, et M. Jomard a joint à son travail une traduction abrégée de cette relation , due à l'obligeance de M. Reinaud. Assurément ce sera l'une des pages les plus intéressantes de la vie du pacha d'Egypte, qui, au milieu des obstacles de toute sorte que lui suscite la politique de l'Angle- terre, ne néglige rien pour étendre la civilisation, la puissance et les richesses du pays qu'il gouverne. Le livre de M. Jomard ne sera pas seulement considéré comme un ouvrage d'érudition, mais bien comme un véritable et important service rendu à la cause égyptienne, qui devient de plus en plus celle de la France ; et il est à désirer, ainsi que l'exprime si bien notre savant académicien . que le gouverne- ment anglais, comprenant mieux ses intérêts, re- nonce à cet esprit d'hostilité qui le porte à voir d'un œil jaloux les progrès du pacha d'Egypte, et se fasse un allié solide et fidèle d'un souverain -disposé à lui ouvrir ses ports, et à faciliter, par tous les moyens possibles, les communications de l'Europe occiden- tale avec l'empire des Indes.

SÉD^LLOT.

i5

228 JOURNAL ASIATIQUE.

CRITIQUE LITTÉRAIRE.

Oie Celtischen Spracheii in ihren Verliàltnisse , etc. Les Lan- gues celtiques dans leurs rapports avec le sanscrit, le zend , le grec, le latin , le germanique , le lithuanien et le slave, par Franz Bopp; mémoire lu à TAcadémie des sciences 'de Berlin le i3 décembre i838. Berlin, F. Dûnàmler, i839,in-/i', 88 pages. ' '

Ce nouveau travail de Bopp est d'un haut intérêt pour 4'histoire des langues indo-européennes. L'au- teur y donne de nouvelles preuves de cette sagacité pénétrante, de cette finesse d'analyse, qui, appuyées sur de vastes connaissances philologiques, l'ont placé au premier rang parmi les linguistes. L'objet plus spécial de ce mémoire est l'étude de cette portion des idiomes celtiques qui, au premier coup-d'œii, semble les séparer de la famille sanscrite, et que Bopp cherche à y rattacher également. Il -en vient même à conclure que dans cet ordre de faits se trouvent les affinités indo-européennes les plus re- marquables «et les plus caractéristiques. Si nous n'arrivons pas tout à fait au même résultat , si quel- ques-unes des conclusions du savant auteur nous semblent encore contestables, nous devons du moins reconnaître que ce travail est singulièrement riche en conjectmes heureuses, en aperçus ingénieux,

MARS 1840. 229

ainsi qu'en rapprochements neu£s et frappants d'évi- dence.

Dans un mémoire sur les pronoms des deux pre- mières personnes, lu en 1823 à l'académie de Ber- lin, Bopp avait classé les langues celtiques parmi celles qui offrent bien quelques traces d'affinités indo-européennes, mais sans se lier à la famille sanscrite d'une manière aussi intime que les autres idiomes du nord et du midi de l'Europe. Mainte- nant il reconnaît pleinement que cette affinité est aussi complète, aussi étendue pour les langues celtiques que pour toute autre branche de cette grande famille. Cette thèse que j'ai développée dans mon mémoire : De Vaffmité des langues celtiques avec le sanscrit \ se trouve donc maintenant à l'abri de toute contestation , appuyée qu'elle est par l'autorité décisive de Bopp.

Le but de l'illustie linguiste en revenant sur ce sujet, a été moins de confirmer une thèse désormais évidente , que de traiter la question de son propre point de vue , soit en rectifiant quelques-uns de mes rapprochements qui lui ont paru douteux , soit sur- tout en cherchant à soulever le voile sous lequel se dérobe encore à nos yeux toute cette partie énig- matique des idiomes celtiques qui paraît étrangère à la famille indo-européenne. Je me propose de rendre compte principalement de cette dernière portion du travail de Bopp , qui concerne surtout

^ i*ublié en 1837 ^ Paris, chez Bcnjamiiri Dupràit; Aie du Cloître Saint-Benoit , n' 7 .

230 JOURNAL ASIATIQUE

i*eniploi de la permutation des consonnes initiales comme moyen de déclinaison dans les dialectes gaéliques. Je discuterai aussi quelques points relatifs, soit au système phonique, soit aux formes gram- maticales, en m'empressant de signaler et de recon- naître les rectifications souvent heureuses que l'examen de mon mémoire a suggérées à lauteur.

Je commence par une observation générale sur la méthode appliquée par Bopp à l'analyse du sys- tème vocal irlandais, particulièrement en ce qui concerne les diphtongues et les triphtongues. Cette méthode me paraît pécher quelquefois par un excès de subtile précision relativement à l'état si imparfait encore de la philologie irlandaise. Ce qui est une qualité précieuse lorsqu'il s'agit de l'examen de langues fixées depuis longtemps jusque dans leurs moindres détails, comme le sanscrit ou les idiomes classiques, devient un défautMorsqu'il est question d'une langue dont les nombreuses variations gra- phiques n'ont point encore été étudiées systémati- quement, n semble voir appliquer à un grossier minerai les procédés délicats parlesquels on éprouve l'or raffiné. Ce n'est pas que l'orthographe irlandaise actuelle ne soit parfaitement fixée , et aussi régulière que celle de toute autre langue européenne, mais les révolutions successives qu'elle a subies avec les modifications de Tidiome même, sont encore enve loppées d'obscurité. Les grammairiens et les lexi- cographes irlandais nous offrent trop souvent pêle- mêle les formes d'époques tout à fait différrnffs,

MARS 1840. 231

et si quelquefois ils distinguent l'ancien irlandais de l'irlandais moderne, ils comprennent, sous la pre- mière de ces dénominations, toutes les formes de la langue diurant un espace de huit à dix siècles, sans s'embarrasser de ce qui est plus ou moins ancien. C'est à peu près comme si l'on voulait faire entrer dans un même dictionnaire, ou dans une même grammaire toute la masse du haut allemand ancien , moyen et moderne, depuis Kero jusqu'à Adelung. Un simple coup-d'œil jeté sur les monuments de la langue irlandaise suffit cependant à faire voir qu'elle a subi de grandes modifications, soit grammaticales , soit glossologiques , soit surtout graphiques. Une foule de mots anciens sont devenus tout à fait étran- gers à l'idiome moderne; par suite de nouvelles exigences euphoniques, des voyelles simples ont été remplacées par des diphtongues, et celles-ci par des triphtongues , tandis que des combinaisons vocales autrefois usitées se sont perdues entièrement. Tant que l'histoire de ces variations n'aura pas été faite d'une manière complète, il sera impossible de se livrer avec quelque sûreté à des recherches compa- ratives sur le système phonique irlandais, exposé que l'on sera toujours à prendre l'accessoire pour V essentiel, et vice versa.

C'est ainsi, par exemple, que la discussion élevée par Bopp (p. 8) , sur la vraie nature de la diphtongue ea, qu'il croit devoir rattacher au principe dn gouna sanscrit, me paraît prématurée,, tant que les origines très-diverses de cette diphtongue n'auront pas été

232 JOURNAL ASIATIQUE,

poursuivies dans les langues celtiques aussi loin qu'il est possible de remonter. Dans mon mémoire, j'avais en vue exclusivement de prouver la question de l'affinité avec le sanscrit, j'ai laissé de côté ce problème compliqué, et que je crois inabordable tant que le travail préparatoire indiqué plus haut n'aura pas été fait.

"En comparant le sanscrit avec les dialectes gaéli- ques, j'avais trouvé que l'a primitif était fréquem- ment remplacé par ea, et que fréquemment aussi cet ea, dans les anciens textes, se trouvait représenté par Ve simple. J'en ai conclu que dans ce cas-là l'a sanscrit s'était d'abord affaibli en e, et que plus tard , par des circonstances propres au système graphique et euphonique irlandais , un nouvel a avait été ajouté de manière à former la diphtongue. Les influences qui 'ont amené l'addition de l'a sont de plus d'un genre. Il y a d'abord la loi de la concordance des voyelles, reconnue comme comparativement mc^ deme, et par laquelle deux voyelles de' nature dif- férente (forte et faible), ne peuvent se* succiéder immédiatement dans deux syllabes consécutives d'un même mot. (Voyez le § /i de moïi mémoire.) Ainsi, pom' prendre l'exemple cité par Bopp , mot gean- mhuÎTiy naissance (sanscrit sî^=^ g'anman), ne doit sa diphtongue ea quh finfluencc de cette loi, l'a ne se trouvant que pour rétablir la concordance de IV faible du radical avec Vu fort du suffixe. Ce qui le prouve c'est qur d^rts les anciens textes, 0(1 ia Imm I . T, (.l'véo, la diphtongue m

MARS 1840. 233

est remplacée par ïe simple. Les Annales de Tigher- nach , publiées par O'Connor d'après un manuscrit du xn^ siècle, offrent à la page ii la forme gene- mairiy laquelle répond au sanscrit srf^ri^^amTnaw, avec une voyelle de liaison entre la racine et le suffixe. Dans l'orthographe moderne, et avec la loi de concordance, cette forme devient geineamhuin, parce que ïe de liaison s'adjoint un a pour concor- der avec l'a du suffixe. Dans la même page des An- nales on trouve deux fois le mot genair, « natus est ; » maintenant on écrit geanair. L'authenticité de cet e simple, affaiblissement de Y a primitif, est appuyée par le cymrique geni, « engendrer; » genid, ((naissance; « genilU ((progéniture,» etc. à côté de la forme g an, (( naissance, » l'd long correspond au vriddhi sans- crit, comme dans les mots cités au paragraphe 2 5 de mon mémoire. Il est à peine besoin de rappeler encore ici les formes grecques et latines yévcj, ysvos, generOy genus, gens, etc. Ve simple remplace éga- lement l'a.

La descendance fréquente de la diphtongue ea d'un e simple est surtout évidente dans les noms propres étrangers , et dans les mots empruntés au latin: Ainsi maintenant on écrit Eahha, eahhra , Ceasar, Easpain, greagach, teampoll, f eahhra, etc. pour Eve, hébreu, César, Espagne, grec, février. Dans tous ces cas , et dans bien d'autres , la langue parlée ne recon- naît pas la diphtongLie; ïe seul se prononce, et l'a ne joue qu'un rôle purement graphique.

Une autre cause du changement d(^ a on ca, cL

234 JOURNAL ASIATIQUE,

en général de la formation de plusieurs diplUongues , se trouve dans une particularité relative à la pro nonciation des consonnes, dont O'Rcilly ne parle point, mais que d'autres grammairiens ont signalée, et que Stewart [Gaelic. Grammar, p. 5 et suiv.) énonce très-clairement pour l'erse. Les voyelles, suivant qu'elles sont fortes ou faibles, modifient la prononciation des linguales et des palatale^ qui les précèdent ou les suivent , d'une manière analogue à leur propre nature-, c'est-à-dire que les voyelles fortes donnent à la consonne une prononciation forte, et les voyelles faibles une prononciation affai- blie. Ces nuances, plus ou moins marquées, ne se trouvent point représentées par le système graphique très-imparfait que le gaélique a emprunte à l'alphabet romain. C'est pour obvier à cet inconvénient que sou- vent on ajoute à la voyelle radicale une autre voyelle forte ou faible, afin de qualifier, comme dit Stewart, la consonne qui précède ou qui suit. Ainsi, par cxom pie , pour en revenir à notre diphtongue ea, l#»'mots fsar, homme , et hean, femme , se prononcent comme ils se trouvent écrits dans les anciens textes, fer et ben. La entièrement quiescent ne se^ trouve que pour déterminer la vraie prononciation des lin- guales finales. L'e, en effet, étant une voyelle faible, r et n devraient avoir ce que Stewart appoUe leur son faible (small sound) , lequel pour n se rapproche de Vn espagnol , et pour r consiste en une espèce de grasseyement très-difficile à décrire et h rendre. Mais dans 1rs mots fer et ben , les linguales doivent

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avoir leur son fort, et c'est ce qu'indique l'a ajouté à l'e radical. Si maintenant, comme je le crois, y^ar est le sanscrit sr^ vara, «mari, » et si hean se lie à Ja racine ôtt^ han ou ôft^ van, «désirer,» d'où dJHHi'vanifd, «femme, «nous aurons encore, comme dans geanmhuin, un a sanscrit affaibli d'abord en e, et auquel plus tard, mais par une autre in- fluence graphique, l'a de la diphtongue a été ajouté. En tout ceci, il n'y a donc aucun principe qui ait la moindre analogie avec l'emploi du gouna sanscrit.

Jusqu'ici nous avons vu ea se former d'un e pri- mitif par l'addition de l'a. On conçoit que, par l'effet des deux lois indiquées , celle de la concordance des voyelles, et celle de la qualification des consonnes, le contraire a avoir lieu tout aussi fréquemment; c'est-à-dire qu'à un a primitif Ve a été préfixé , soit pour rétablir la concordance, soit pour déterminer la valeur de la consonne antécédente.

Maintenant, à quelle époque a-t-on commencé à substituer ea à Ve ou à l'a simple? Quels sont les mots cette substitution s'est opérée le plus an- ciennement? La diphtongue ea ne se trouve-t-elle point aussi dans un certain nombre de formes, in- dépendamment de l'influence de l'une des deux lois graphiques? etc. etc. Toutes ces questions, je le répète, ne pourraient être éclaircies que par des recherches approfondies sur l'histoire de la langue ' irlandaise. Il est certain que, dans les poèmes et les chroniques des x', xi* et xu* siècles, et, sans remonter aussi haut, dans les Annales des quatre Maîtres de

236 JOURNAL ASIATIQUE,

la fin du xvi' siècle, une foiiie de mots qui ne s*é- cri vent maintenant qu'avec la diplitongue se trouvent écrits avec un c simple. Les quatre Maîtres , par exem- ple, ont toujours ced ou cet, « cent; » deg^^i dix; )) fi- che t o\x fiche, « vingt, )) pour cead, deag ci fichead, que je ne me souviens pas d'y avoir rencontrés une seule fois; mais d'un autre côté l'orthographe varie pour secht, sept, qui s'écrit aussi seacht. Cette hésitation de l'orthographe entre la voyelle simple et la diph- tongue se retrouve, pour beaucoup de mots, dans la chronique de Tighernach du xn* siècle. Un texte plus ancien encore, le poème sur Saint-Patrice at- tribué à Fiech , que Colgan a publié le premier, ex pervetusto codice qui liber hymnorum inscribitar, et qu O'Connor a reproduit dans son premier volume des Rerum hibernicaram scriptores veteres ( Prolégom. p. xc) , présente aussi un bon nombre de mots avec la diphtongue. Malheureusement l'âge du manuscrit n'est point déterminé, et bien que le poëme lui- même, d'après l'opinion d'O'Connor, puisse remon- ter au VII siècle, il me paraît fort douteux que le manuscrit soit aussi ancien. Je ne saurais dire s'il existe des textes Ye simple se rencontre exclusi- vement. Il serait important pour cette question, comme pour toutes celles qui intéressent la langue irlandaise, de rassembler les gloses fort anciennes de quelques manuscrits apportés sur le continent par quelques moines irlandais, à des époques très- reculées. Eckart a donné un échantillon de ces gloses, extraites d'un manuscrit du ix' siècle con-

"l!^A!lS 1840. 237

serve à Wiirtzbourg \ et je dois faire observer que la

diphtongue ea ne s'y trouve pas une seule fois, bien

.qu'il s'y rencontre plusieurs mots avec l'e simple.

Enfin la comparaison du cymrique , qui doit en- trer en ligne de compte, vient appuyer tout à fait ma manière de voir, puisque Ve simple y correspond presque toujours à Yea moderne des dialectes gaë- ii^efsi et que cette diphtongue y est d'ailleurs extrê- mement rare.

D'après tout ce qui précède, je persiste à croire que l'origine de la diphtongue ea est due à des in- fluences particulières à la branche gaélique , et que , loin de se lier au principe du gouna sanscrit, elle remonte à peine jusqu'aux premiers monuments écrits de la langue irlandaise.

Au sujet de la déclinaison gaëliqhe, l'auteur pré- sente plusieurs conjectures ingénieuses qui la rat- tachent plus intimement encore au système sanscrit. Je citerai en particulier la manière dont il ramène la flexion en e des génitifs féminins irlandais à l'i, qui, en sanscrit, caractérise un grand nombre *de formes féminines (p. i3 du mémoire). Cette des- cendance est d'autant plus probable que , comme je l'ai remarqué déjà dans mon mémoire 46, 3), on trouve souvent dans l'ancienne orthographe un i à la place de l'e final moderne. Une autre conjec- ture plus problématique est celle d'une trace qu'au- rait laissée du dalif sanscrit dans un certain jt^pmbre de datifs irlandais (p. 1 8), par son influence

' Eckart,'(/e Rébus Franciœ orientalis, tom. I, pag. 452.

238 JOURNAL ASIATIQUE.

rétroactive sur la voyelle du thème. Toutefois, je crois qu'ici il faut laisser entièrement de coté far gument tiré d'un datif 501^ /i^e (du nominatif sot^^/ei, attaque), qu'O'Reilly a placé dans son tableau des noms hétéroclites, et qui se trouve d'ailleurs tout à fait isolé, comme l'observe Bopp lui-même. D'al)ord le sens propre de ce mot, qui s'écrit aussi saigheaxlh e%sag}iaidhf n'est pas atta(ja€y mais trait, Jlèclie. J^^ verbe soighim, «j'attaque,» que donne O'Reilly, et qui devrait s'écriie soigkidim, est un dénominatif, et signifie, à proprement parler, je mf élance comme une flèche. Le dictionnaire erse, publié par la Société des Highlands, traduit VimpévdiûÇ saighead par instar sagittœ prosili ^ Or ce mot soighidJi, saigheadK etc. que l'on trouve sous la forme de sagit dans un an- cien texte des lois Brehon, avec un génitif 50^ iVi (voyeïî O'Reilly, Dict. v. cit.), me paraît emprunté au latin 5a^ ifto, comme aussi le cymrique saeth. \Je final de soighthef ainsi que celui du génitif erse saèghde, ne serait ainsi que la terminaison du thème suj)priiné au nominatif, et n'aurait rien de commun av«c ïé du datif sanscrit.

J'arrive maintenant à la partie la plus importante du mémoire de Bopp, celle il cherche à ratta- cher, en ce qui concerne la déclinaison, au système des flexions sanscrites, les singuliers phénomènes de la permutation des consonnes initiales, que les grammairiens irlandais désignent sous les noms

' Diction, scoio-cellicum, etc. compiled and published undeh thé direction of the Higbland Society of ScoUand; a vol. io-i'. 1628.

MARS 1840. 239

à éclipse ei d' aspiration , et que dans mon travail (§3, 5, des conclusions, p. 1 63» et jaote à la page 1 70) j'avais signalés comme tout à fait particuliers au groupe celtique. J'avoue qu'ici , malgré les rappro- chements fort ingénieux de l'illustre auteur, il m'est resté bien des doutes sur sox\ mode d'explication. Ces doutes viennent surtout dej ce que Bopp me paraît s'être trop exclusivement préoccupé des faits relatifs à la déclinaison gaélique , faits qui n'eiii- brassent qu'une portion bien restreinte de ce sys- tème de permutations , devenu général dans tous les embranchements des idiomes celtiques. Il y a M ^ ce me semble, tout un ordre de phénomènes trop complet, trop étendu, trop intimement lié à la portion la plus vivante de ces idiomes , pour pouvoir s'expliquer par l'influence qu'auraient exercée quel- ques débris des suffixes de déclinaison. Mais il faut^ avant tout, suivre Bopp dans ses conjectures tout jours pleines de sagacité.; J'exposerai à mesure les objections qu'elles me paraissent soulever.

C'est à l'occasion des génitifs pluriels des noms gaéliques que l'auteur aborde la question de ïèclipse. Dans ce cas-là, en effet j les consonnes initiales des noms sont éclipsées par .leurs Tttizaè /es correspon- dantes, telles qu'on peut les voir dans mon tableau des mutations, à la page 5 de mon mémoire ^ Ainsi

. ' Je profite de f occasion de ce renvoi po^r rectifier une erreur qui s'est glissée dans cette page 5, ligne 4 d'en bas. Au lieu de : ainsi f et d immuables en gallois, etc. il faut lire f ainsi t ék" immua- bles en gallois sont muahles en irlandais. . ' : » )

240 JOURNAL ASIATIQUE.

on fait précéder ies initiales c, p, t, /, de leurs

inuablcs correspondantes (j, b, d, h ou bh; el cçs

dernières, à leur tour, quand elles sont initiales, de

la nasale de leur classe, savoir : è de m, ^ et (i de n.

Quand le nom commence par une voyelle, on la

fait précéder d'une n. Ainsi, pour citer avec Bopp

un exemple de chaque cas :

', 'i

Clwits, oreille , forme au génitif pluriel na gcïuas.

Ploc, joue na hploc.

Taras , voyage na dlaras.

Flaith, héros na bhflaith ou h fiai th.

Gluc, main nu nglac.

Bar^^ fils na mbar.

Drahh, ahixr na ndrabh.

îasg, poisson na niasg.

•^94i'aiiteur a cherché d'abord la caiiise de ces mu- làtkins dans une influence euphonique de la voyelle finale de l'article sur la consonne initiale du nom ; mkis> il a "bientôt abandonné cette explication, en obseï^ an t que ces mêmes mutations sont occasion- nées par les noms de nombre seaclit, ocht, naoi et deich (7, 8, 9, 10). Ce dernier fait l'a conduite une autre conjecture plus spécieuse. Ces quatre noms de nombre qui occasionnent l' éclipse se terminent tous en sanscrit par 71, saptan, uschtan, navan , daçan. Ne devient-il pas très-probable que la nasale préfixée aux consonnes g, b, d, dans l'éclipsé, n'est que cette noiêine terminaison primitive, perdue pour les for- mes isolées, mais qui reparaît dans leur liaison avec les noms? Ainsi seacht ndaga, «sept poissons, i) se-

MARS 1840. 241

rait pour seachtan daga; deich mbliadhna , u dix années, » pour deichan hliadhna, etc. Cette même nasale s assi- milerait aux ténues {c,p, t), soit complètement par la réduplication de la consonne (car on écrit aussi na cclaas, na pploc, na ttaras, pour na gclaas, etc.), soit sous la forme des mediœ correspondantes. Ceci une fois accordé, il n'y a plus aucune difficulté à l'explication des génitifs pluriels; car en sanscrit, comme aussi en zend, en grec et en latin, ces gé- nitifs se terminent par une nasale qui a exercé la 0iême influence que celle des noms de nombre. L'article gaélique aw, en effet, se lie au démons- tratif sanscrit ^ft ana, lequel, si sa déclinaison était complète , formerait au génitif pluriel ^^^it^ ané- schâm. Par une contraction analogue à celle du grec TÔjv (de TouTÔJv ^GTFT^ téschcim) , firlandais aurait eu autrefois anâm, puis narriy puis enfin na avec l'éclipsc , c'est-à-dire la nasale combinée avec l'initiale du nom suivant.

Dans la supposition de l'exactitude complète du fait relatif aux quatre noms de nombre , il y aurait néanmoins à s'étonner de deux choses. L'une , que le nombre cinq, en sanscrit q^^ pantchan, terminé aussi par une nasale, ne produise pas également l'éclipsé, du moins à ce qu'affirme O'Reilly, p. 2 3, 9. L'autre, c'est que la nasale ne se soit pas conservée comme telle devant les ténues et Vf, aussi bien que devant lesi mediœ. Car l'assimilation partielle ou complète des nasales âui ténues qu'elles précèdent est un fait anormal dans les langues indo-européennes.

IX. 16

242 JOURNAL ASIATIQUE.

Ordinairement les nasales se conservent ou dispa- raissent purement et simplement : cela est si vrai que Bopp (p. q5) ne trouve d'autre exemple à l'appui de cette assimilation que celui de l'article hébreu, lequel encore se termine par l, et non par une nasale.

Mais il y a plus; la règle donnée par O'Reilly, comme beaucoup d'autres du même auteur, ne pa- raît ni complète ni parfaitement exacte, surtout en ce qui concerne l'ancien irlandais qu'il faut toujours consulter de préférence ^. Dans les poèmes et léH chroniques du moyen âge, on trouve beaucoup d'exemples d'éclipsé par les nombres 3, 6, 5 et 6, dont les deux premiers et le dernier ne se terminent point en sanscrit par une nasale. Ainsi je remarque dans l'hymne de Ficch (O'Conhor, Prolég. loc. cit. strop. 1 ) se mbliadhan âecCy « six années et dix , » pour seize années. Dans la chronique de Tighernach, p. Al, teora mhliadhna, «trois années;» p. 261, tri naidciy « trois nuits. » Dans le poème de Giolla Mo- dudha du xii* siècle [Prolég, p. cxlvii, stn h^)j'tn mbliadhnay n trois années; n str. h 1 , ceithre mhliadhna, «quati'e années». Dans la série métrique des rois d'Alban du milieu du xi' siècle (Pro/.p. cxxvi^^tr. 1 o), càig mhliadhna, « cinq années , )> etc. etc. Il est vrai que

' Un jugement très-sévère a été porté sur la grammaire d'O'Reilly par James Sourry, dans les Transactions of ihe royal Irish Aeademy, vol, XV, pag. 44 et suiv. Après avoir relevé une partie des erreur» de cette grammaire, le critique se résume en disant : i On the whole « I may prononce this the mosl erroneous Irish grammar ever com- « pHéH. »

MARS 1840. 243

l'on trouve aussi ces noms de nombre sans éclipse, de même que quelques-uns de ceux qui , d'après l'usage moderne, la produisent toujours. Ainsi Ti- ghernach , dans un fragment de vieux poëme (p. 1 3 4), a naei cairptliiu, ((novem cohortes,)) sans éclipse; et dans le poëme sur le Grianan d'Aileach (probable- ment du xn" siècle , publié par MM. Peter et O'Don- novan dans le premier volume de YOrdnance sarvej oflreland (p. 228, str. yS) , je trouve seacht hliadhna, {( sept années , » également sans éclipse. De sem- blables variations se rencontrent dans les annales des quatre Maîtres , et même dans la version irlan- daise moderne de la Bible. Ainsi le nombre cinq, cuig, que nous venons de voir produire l'éclipsé, se trouve au cbap. v de la Genèse, v. 17, sans au- cune influence, càig bliadhna, tandis qu'au.cb. xi, V. 1 2, il occasionne l'aspiration cûig hhUadhna, et de même au cbap. v, v. 82, cûig chéud, « cinq cents. » Toute cette question de l'influence des noms de nombre exigerait donc un examen beaucoup plus approfondi, avant de pouvoir servir de ba&e à une tjiiéorie sur l'origine de féclipse. -u

Ceci, en ébranlant la coïncidence invoquée .pàt^ Bopp, jette déjà du doute sur sa manière d'expliquer l'éclipsé des génitifs pluriels. Uft autre fait plus di- rect la reijid, ce me semble, plus incertaine ençoj^ei D'après Bopp, l'éclipsé des génitifs dépendrait en- tièrement de l'influence de l'article; or dans l'ancien irlandais on trouvé' asisez souvent le génitif pluriel exprimé sans l'article, et cependant avec l'éclipsé.

iG.

244 JOUHNAL ASIATIQUE.

Ainsi fTioHa Modudha {(oc. cit. str, 6a) dit : Banba mbrath ruaidh, « lUimha (soil. Hibernia) vexilloram m- brium.yï Le poijine sur la forteresse d'Aileach, dc^jà cité, offtù'{^tTii2i) airdrigh nGaeidel, urex supremus Gadelioram ; vi [sir. 55) timth nfjraidech, itrcgio gre- <( gium, etc. » Dans quolcfiirs cas, comme celui du mot righ, en sanscrit ^nr^ râg'an, on pourrait en appeler h l'influence d'une nasale perdue , mais bien souvent cette ressource manquerait tout à fait. Encore fau- drait-il observer, et ceci s'appliquerait également aux noms do nombre terminés en an, que le nominatif de toute cette classe de noms, en sanscrit, laisse tomber la nasale, et se forme en â ou a j anomalie dont on retrouve la trace dans l'irlandais aussi bien que dans plusieurs autres idiomes indo-européens *. Un second fait de déclirtaison qui échappe encore à la tbéorie proposée par Bopp, et que nulle part je n'ai vu signalé par les grammairiens irlandais , c'est que les anciens textes présentent aussi de* fréquents exemples du génitif singulier accompagné de l'éclipsé, et sans l'article. Dans Tighernach , on rencontre sOti- vent les mots mac et hua, «fils, descendant,» avec l'éclipsé de la consonne initiale du nom suivant , ou ïn intercalée , si ce nom commence par une voyelle; parexepnple: mac nDiarmata (p. 3o2), mOc mBriain (p. 294), mac nEnda{p. l\ i), hua nDanlaing (p. 3oâ), 1uuimBnuin(p. 3o3) ^. D'autres substantifs produisent

* De l'affijiitè,des lanyucs celtiques avec le sanscrit. S,57, p. 5. ' Le mot hua. devenu plu» tard ua, et enfin a , et qui revient si souvent dansiés noiins irlandais, nie paraît se lier à la racine ^sû.

MARS ISaO. 245

le même effet, comme ma^ nAirb (p. 296), a campus Arbii; ))cenelnEogain (p. 2 90), « clientelaEogani; » righe nErean (Giol. Modud. str. 78) , « regnum Hiberniœ ; » cond mBreg mbrisghn (quatre Maîtres, p. kj 1 , citât, d'un vieux poëme ) , « héros Bregiœ victoriarum illas- trium, etc. etc.)) Je dois dire aussi que souvent, et dans les mêmes conditions, l'éclipsé manque. est la règle? est l'anomalie? Cet emploi de l'éclipsé provient-il, chez les anciens auteurs, d'une application irrégulière de ce principe, ou d'un usage traditionnel, qui déjà se perdait et tombait en désué- tude ? C'est ce qu'une étude approfondie des vieux textes permettrait seule de décider^

Si l'examen des faits relatifs à la déclinaison se trouve déjà peu favorable à l'bypothèse notre auteur, celle-ci paraîtra bien plus douteuse encore, si l'on considère les nombreuses applications de l'éclipsé à d'autres parties de la langue. L'éclipsé, en effet, accompagne un grand nombre de prépo- sitions, incomplètement énumérées par O'Reilly (p. a 5); les possessifs ar, «notre,» bhur ou bhar, « votre, )) a, « leur, » soit à l'état simple, soit coinbi nés avec les prépositions; les interrogatifs devant les verbes au présent et au futur, et plusieurs conjonc- tions quand elles précèdent les verbes actifs. Dans la

«engendrer,» comme le grec vlos, qui lui est tout-à-fait analogue. Hua est une modification de ÇTST savà, « descendance, progéniture , » et ceci prouverait que ïh initiale, qui a entièrement disparu, comme lettre radicale, de l'irlandais moderne, tenait sa place à bon droit dans le vieux langage comme dans l'ancien alphabet; car, dans ce cas-ci, elle répond à Vs du sanscrit et au spiritns asper du grec.

2^6 JOURNAI. ASIATIQUE,

fonnation des composés, l'irlandais n'admet l'éclipsé que pour 1/ initiale du second composant. Com- ment ramener tous ces cas variés à l'hypothèse de Bopp, et à l'existence primitive dune nasale dans les terminaisons de ces diverses catégories de mots?

La difficulté augmente encore si , sortant du gaé- lique, on porte ses regards sur le cymrique, les phénomènes de l'éclipsé se reproduisent sous un autre nom, dans des circonstances souvent très- différentes, et d'une manière encore plus complète. J'ai observé ailleurs ^ que les faits compris dans l'irlandais sous Je nom déclipse se trouvent séparés dans le cymrique en deux catégories, qu'Owen ap- pelle forme légère et aspirée, et qui me paraissent mieux désignées par les expressions de forme douce et nasale. La forme douce des ténues c, p, ty consiste dans leur changement en mediœ g, b, d, exactement comme dans ïécUpse de ces consonnes; et la forme nasale des mediœ g, b, d, qui est respectivement ng, m, n, correspond à l'éclipsé de ces mêmes mediw par /t, m, n, avec cette différence que le cymrique dis- tingue graphiquement la nasale gutturale de la den- tale. Ce en quoi \^ cymrique est eh outre plus com- plet que rirlandais, c'est qu'il possède également les formes nasales des ténaçs c, p, t, qu'il exprime par les groupes ngli, mh et w/i, mais pour lesquels l'an- cien aljîhabet appelé Coelbren y beirdd présente .des caractères particuliers , tandis que l'irlandais ne fait

' Drl'aginHé, etc S 3.

MARS 1840. 247

subir à ces ténues d'autre mutation qiie leur éclipse par les mediœ respectives.

Si l'on compare maintenant les conditions qui déterminent en cymrique les formes douce et nasale, avec celles qui occasionnent i'éciipse en irlandais , on est aussi frappé de la différence des détails que des analogies générales de tout le système, et on sent bien mieux l'impossibilité d'en expliquer l'ori gine par une hypothèse aussi restreinte que celle de Bopp. En premier lieu les conditions qui détermi- nent la forme douce des ténues en cymrique ne sont point, comme en irlandais, les mêmes que celles qui amènent la forme nasale des mediœ; et ces deux ordres de mutations, confondus dans féclipse irlan- daise, obéissent au cymrique à des lois distinctes. La forme douce, en effet, ne correspond à féclipse que pour les ténues c, p, t; pour les mediœ fexcep- tion de ^ qui s'élide purement et simplement) et pour m, la forme douce s'assimile à ï aspiration irlan- daise de ces mêmes consonnes. Ainsi h, m, se chan- gent en Vy et d en dd ou z,(égal au th doux, anglais ou au o barré anglo-saxon), dans les mêmes con- ditions où c, p, t, se changent en ^, h, d; et l'aspira- tion des ténues ch, ph, th, a sa règle à, part. Dans l'irlandais, au contraire, les mediœ b, d^ g et l'm, en devenant hh, dh, gli, mh ^ obéissent à la même loi d'aspiration qui transforme c, p, t, en ch, ph, th,

^ L'irlandais hk et mh se prononcent comme v , et correspondent entièrement au v cymrique-, le dh est identique étymologiquement au dd ou z gaélique, bien que sa prononciation soit différente.

248 JOURNAL ASIATIQUE.

tandis que Téclipse des ténues ( forme douce cymrique) suit les mêmes règles que l'éclipsé des mediœ (forme nasale cymrique). Il résulte de que les faits de réclipse, ramenés par Bopp à une origine commune , se scindent en cymiique en deux classes distinctes , qu'on ne saurait en aucune manière rapporter à un môme principe; et c'est une grande objection à son hypothèse. Les exemples que nous donnerons plus tard, après avoir parlé de Y aspiration, feront mieux comprendre la nature de ces rapports et de ces différences, que leur complexité rend quelque peu obscurs ' .

On peut voH' dans la grammaire d'Owen , au cha pitre III, les règles nombreuses qui régissent les formes douce et nasale^ qu'il désigne lui par les noms de light et aspirate; et un simple coup-d'œil suffit à montrer les divergences et les analogies de ces règles avec celles de l'irlandais. La mutation nasale y est d'une application syntactique beaucoup plus res- treinte , car elle n'est amenée que par le possessif my (en irlandais mo est accompagné de Y aspiration),

' Les tableaux comparés des lettres muables» en cymrique et en irlandais, que j'ai donnés dans mon Mémoire de l'aflinité (pag, d et 5), ne sont point propres à éclaircir la question que nous ve- nons de traiter, parce que, n'ayant en vue que leur classification phonique, je n'ai tenu aucun compte de leur valeur grammaticale. Ainsi pour le cymrique les mutations de b, d, m en v, z. v ont été placées, à cause de leur identité, avec les aspirées irlandaises, bh, dh, mh, sous la même division que ch. ph ouf, et th, bien que les circonstances grammaticales qui les déterminent soient diffé- rentes. A cet égard, il aiirait fallu les ranger sous la rubrique inti- tulée/wm^rfoacf.

MARS 1840. 249

et par la préposition jn, «dans, » comme en irlan- dais par ann, a ou i. Des trois possessifs pluriels ein, «notre,)) eich, «votre,)) en, «leur,)) le dernier seul est comparable à l'irlandais a; et tandis que celui-ci produit l'éclipsé , eu n'a d'autre effet que de faire précéder d'une h les noms qui commencent par une voyelle. Dans la composition des mots, la forme nasale, au contraire, est d'un emploi plus étendu que dans la branche gaélique. Les préfixes an et cy l'exigent toujours pour les ténues c, p, t, et pour les mediœ h, d. Ainsi cy avec -+- cân, « chant, )) forme cynghan., «harmonie; » an, «négatif; )> -+- pe//, « lointain, » anmhell, .( contigu ; )) an h- ter, « pur, )) annher, «impur, ^) etc. En irlandais, an, ain, préfixe négatif, n'éclipse uniquement que / par hh , comme ainbhjios, «ignorance,» de ^05; ainbhfeik, «impu- dence, » de f elle; dans tous les-autres cas, et comme tous les autres préfixes, il occasionne Y aspiration. Une comparaison approfondie des deux rameaux cel- tiques sous ce rapport exigerait, au reste, un examen nouveau du cymrique comme ;de l'irlandais; car Owen, malgré ses formes tranchantes et systéma- tiques, me paraît loin d'avoir épuisé ce sujet. C'est ainsi, par exemple, que l'influence des noms de nombres n'est indiquée que d'une manière fort in- complète.

Owen, en effet, ne parle que de dau, m. dwy, f. « deux , )) qui exigent la forme douce ( en irlandais aspire les consonnes muables) , et de tri, « trois, » cJiwe, « six , )) qui provoquent ïaspiration des ténues.

«D JOURNAL ASIATIQUE

(Nous avons vu que l'iriandais tri et se produisent sou- vent lVc/ip5e.) Mais il passe entièrement sous silence les nombres saith, a sept, w wyth, «huit,» et naw, «neuf, » qui, par une coïncidence remarquable avec l'irlandais, déterminent la forme nasale des mediœ b, dy et probablement aussi de g, quoique je n'en aie su découvrir aucun exemple , et la forme douce des téàueSf p, tf c. Ainsi dans la version cymrique de la Bible, le mot hlynedd ou blwydd, «année,» de- vient constamment mlynedd ou mlwydd après sailh , ivyth, naw, de même que hliaghan, après seachd, ochd, nom, devient mbliaghna. Le mot diwmod, «jour, » se change en niwrndod; saith niwrnod (Juges, xrv, 17), ivyth niwrnod (Saint-Luc, ix, 2 3), comme on dirait en irlandais seachd ndé, ochd ndé. Pen, «tête,» de- vMitt^en, saith ben (Apocalypse, xii, 3); coron, » cou- ronne, » devient goron, saith ^oron, irlandais seachd gcoronacha, [ibid. l. c); taran, « tonnerre, » devient daran, saith daran (Apocal. x, 3), en irlandais, ibid. seachd dtoirnighe^ etc. etc. Dans cette coïncidence avec firlandais , d'autant plus digne d'attention que les formes douce et nasale sont ici , comme dans l'é- ciipse, produites par finiluence des mêmes mots, on trouverait assurément un argument en laveur de l'hypothèse de Bopp, si un trop grand nombre d'autres faits ne lui étaient pas contraires. 1 Dans les exemples cités on a pu remarquer que le cymrique remplace entièrement la lettre per- mutée, au lieu de la faire précéder de sa forme modifiée comme dans fcclipse. Il q'y a 1^ au fait

MARS 1840. 2ôî

qu'une différence de méthode graphique, puisque» dans la prononciation irlandaise , la consonne primi- tive devient entièrement quiescente, éclipsée qu'elle est par la lettre prosthétique. Bopp semble avoir oublié cette circonstance lorsqu'il s'étonne (p. 28 ) que l'on puisse prononcer gc ou ce , ou nd immé- diatement à la suite d'un mot finissant en t. Dans l'exemple qu'il cite, na mhrat ndaire, a vestimentorum ruhromm,)) le h elle d sont quiescents, et on pro- nonce na mrat naire, exactement comme on écrirait en cymrique dans un cas analogue. Le procédé ir- landais n'a été évidemment adopté que pour ne pas défigurer la forme primitive des noms ; mais la mé- thode graphique cymrique, d'accord dans les deux branches avec le langage parlé , prouve que la per- mutation est bien une substitution complète, et non pas seulement une prosthèse. Ceci n'est pas sans importance relativement à l'hypothèse de Bopp, car c'est évidemment la forme prosthétique de l'éclipsé irlandaise qui l'a conduit à en chercher l'origine dans les débris d'anciens suffixes. Ici éga- lement se trouve la réponse à l'argument qu'il a cru pouvoir tirer du génitif pluriel de l'article erse , qui s'écrit et se prononce narriy pour revendiquer l'm en faveur de cet article (voyez la note 2-7, à la fin du mémoire ). Ce n'est , en effet, qu'un faible dé- bris du système de l'éclipsé , perdu d'ailleurs dans l'erse qui n a conservé que Y aspiration, et qui, n'étant plus compris, s'est modifié de cette manière. Au lieu de 71a mhard (prononcez na mard) , on a

262 JOURNAL' ASIATIQUE.

écrire et prononcer nam hard, du moment la per- mutation du 6 en m n'a plus été exigée par les lois du langage.

Dans un prochain article nous verrons comment Bopp explique l'origine de ï aspiration initiale , dans la déclinaison irlandaise par l'article. Cette question , qui se lie intimement à celle de V éclipse, n'a pas mie importance moindre pour l'histoire des langues celtiques. Il importe donc de ne résumer nos con- clusions qu'après l'examen complet des ingénieuses hypothèses de l'illustre auteur.

A. PiCTET.

MARS 184(XiJilOl, 253

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M. le conseiller commandeur de Mâcedo écrit au Conseil en lui envoyant, de la part de l'Académie royale des sciences de Lisbonne , le seconde partie du Tome V, de la Collecçâo deNoticiaspara a historia dasnacôes ultro^marinas, in-A". Les re- mercîments du Conseil seront adressés à M. de Macedoi^'^'^^

M. le comte de Tolstoy écrit au Conseil pour lui adresser un exemplaire de l'ouvrage qu'il vient de publier sous le litre de Coup-d'œil sur la législation russe, grand in-8°. Les remercîments du Conseil seront adressés à M. le comte de Tolstoy.

M. de Saint-Dizier, écrit au Conseil pour le remercier de l'avoir admis comme membre de la Société.

MM. Brockhaus et Avenarius adressent au Conseil un exemplaire du Kathâ Sarit Sâgara, recueil de fables indiennes publiées en sanscrit et traduites en allemand par M. Broc- khans, et! expriment le désir que cet ouvrage soit annoncé déms le Journal la Société.

M. Dulaurier écrit au Conseil pour exposer que le nombre des caractères javanais qu'il serait nécessaire de graver pour l'impression des textes Javanais s'élève à soixante-deux poin- çons. La lettre et la demande de M. Dulaurier sont renvoyés à la commission des fonds , qui en fera un rapport au Con- seil dans une des prochaines séances. '

M. Eichhoff fait au Conseil un rapport verbal sur l'ou- vrage que M. Benfay vient de publier sous le titre de Grie-

254 JOURNAL ASIATIQUE.

chische gramniatick , h vol. iu-S". M. ElicliKoiï esl invité à inetire par écrit un extrait de ce rapport, et à l'adresser à la commission du Journal.

M. Molli y au nom de la commission du Journal « demande que la commission soit autorisée à faire faire un tirage des inscriptions du docteur Schulz, qui sont gravées depuis long- temps, pour qu'elles soient insérées dans le Journal asia- tique, avec le mémoire du docteur Schulz relatif aux loca- lités où ces inscriptions ont été découvertes. Cette proposition est adoptée, et l'on arrête que les inscriptions du docteur Schulz , avec le mémoire y relatif, seront insérées dans un des prochains numéros du Journal, sans préjudice de l'édi- tion que la Société se propose de faire Ju voyage et des inscriptions découvertes et copiées par M. le docteur Scliulz.

M. Bailleul fait au Conseil un rapport verbal sur l'Expé- dition des Français en Egypte , par Tourki , ouvrage tra- duit par M. Desgranges. M. Bailleid reçoit les remercîments du Conseil pour cette communication.

OUVUAQES o^frEBia A LA spçjpï;£.

Mil \i:)inoi} un iti yi'nbh ijin !)•/ 10 fiUCf]

j^j^j f ' ' Béance du ifi février i8i4o,'

-OC'!

:, |?ar 1^ famille de Vauteur. Voya(fe dam l'Inde, par Victor Jacquemont, pendant les années 182^ à i83a, ^4>^Jivjf^inçy!;|. P^|i#,;j333, in-J(<4,xo „j(, irruffia .M

Par routeur. Coup-d'œil sur la législation r^i^isse, suivi d^ un lé^ aperçu (ur tadministrfilipn de ce pays, par J- Toi^tqy. P«sri^, 1839, iu-8*. h\u(^ M. -Ai l.(/r.rriyl> oHv •?!'•<.; ,. ' mm

. ; Par l'auteur. KatH^orit Sâgara, parSoirApâvA, pujblié en sanscrit et en allemand, par M. Bbockhaus. Leipsick, i,Xol. in-8% i84o.

Par l'aulrur. Calalnrfue des manuscrits orifinlavur dt: lu ht-

MARS 1840. 255

bliothèque de l'Université de Tubingen, par M. Ewald (en al- lemand), in -4°, 1839.

Par l'Académie des sciences de Lisbonne. CoUecçâo de noticias para a historia e geografia dos nacoes ultro-marinas que vivem nos dominios portuguezes ou Ihes sào visinhas, puhli- cada por academia real das sciencias. Tom. V. Numéro 11. Lis- boa, 1839, in-4*.

Par les éditeurs et rédacteurs. Bulletin de la Société de géo- graphie. Numéro 72. Décembre 1839.

Madras Journal of littérature and science. Numéro 28. April- July 1839.

Plusieurs numéros du Journal et du Conservateur de Smyrne, du Moniteur ottoman et de la Gazette de Candie.

Par Tauteur, Mémoire sur divers minéraux chinois apparte- nant à la Collection du Jardin du Roi, par M. Ed. Biot.

Par l'auteur. Notice de Chan-haï-king , cosmographie fabu- leuse attribuée au grand Yu, par M. Bazin aîné.

BIBLIOGRAPHIE.

Travels in western India, by the late lieut. col. Todd. Lon- dres, i839>; in-A" (prix : 31. i3, 6).

L'objet de ce voyage était une visite aux temples des Jaînas, sur la montagne d'Abou, et l'examen des ruines de Nehrwalla, ancienne capitale du Guzzerat. Toute cette partie de l'Inde était entièrement inconnue aux Européens avant M. Todd , dont l'ouvrage sera reçu avec un vif intérêt par toutes les personnes qui s'occupent de l'histoire de l'Orient

256 JOURNAL ASIATIQUE.

Archives israèlites de France, par une société de gens de letties, vsous U direction de S. Cahen, traducteur de la Bible. Nu- ..fxxé'rn i .lanviçr,i84o,in-8°.

Ce .èi.iiivio contient: Un mot sur 1 opportunité de ce recueil. I*rojet d ordonnance du Consistoire centi'al ; ob- servations sur ce projet;^ adresse aux Israélites du Ilaut-Rhin. Raboins de Metz; biographie de M. de Cologna. De la littérature hébra^ue et juive en France.^ Lettre sur un monument à élever a Mendelsolin. Sur des manuscrits hébreux des archives du royaume. Bulletin bibliogra- phique.

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JOURNAL ASIATIQUE

AVRIL-MAI-JUIN 1840.

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MÉMOIRE

Sur le lac de Van et ses environs \ par M. Fr. Edl. Schulz. (Envoyé à Paris 8 juin 1828.)

D'après les annales de l'ancienne monarchie assy- rienne, Sémiramis, à son retour d'une expédition dans nord contre Arah, roi d'Arménie, traversa les hautes plaines de ce pays pour regagner Ninive. « Ayant vu la pureté de son air, la clarté de ses fori- « taines , la plénitude de ses ruisseaux : Construisons ,

^ La gravure des inscriptions cunéiformes découvertes par feu M. Schulz étant terminée, le conseil de la Société asiatique a bien voulu permettre à la commission du Journal de les y insérer préa- lablement, sauf à les reproduire dans la publication entière des pa- piers relatifs au voyage de M. Schulz. Les découvertes de MM. Bur- noaf, Lassen et Rawlinson ont trop attiré l'attention du public sur tous les monuments de cette espèce pour que la commission du Journal ait pu hésiter un seul instant à profiter de l'occasion de livrer aux savants 'ciE^s.'iititrVèattx'inatériaux pour Tbistoire ancienne de l'Orient. J. M. ' ' ;r!U| ;i> h

IX. l'j

258 ÎOl'BNAI \SIAT1(^)K

u s'écria- 1 elle, daiiî» luie cuulrée dont l'air est si bon , «dont l'eau est si pure, une ville pour passer l'été udanâTAi^mé^ie^ ei \&f aptreS|Saisoii^ V^^iniv^.J)| ' LoTscpf Ai^eÂt (Molcmki k4è» des liëik, l]kl*ir- rêta sur la rive orientale du lac salé (de Van) , pour y faire cabris trOire unç su fx^be vijle, a;t^^c un châ- teau admirable, s'élevant, non loin du lac, sur une longue colline , dans la direction de l'est à l'ouest.

Ce récit de l'historien asiatique ressemble singu- lièrement à ce que nous raconte Diodore de Sicile (liv. II, chap. xii)..Qr, Piodore, en écrivant son histoire, avait sous les yeux les Assyriaca de Ctésias, composées, comme tout le monde le sait, d'après les annales persanes et assyriennes. Ses rapports remontent donc en partie à la même source prin- cipale pi^ avait puisé Maribas,,aulem^ qui.i malbeu- reusement, n est pas encore retrouvé , et dont I'qu- yrage savait été mis à profit par Moïse de Khor^e que je viens de citer. Les auteurs arj^xéniens jnçio- dernjes npus ^pprqnuent que» 4*^^^ ^^s icnviroriçyde Van, nommé par eux la ville de Sémiramis (^c^- miram-gher) , il existe beaucoup de monuments an- tiques, portant des inscriptions inintelligibles aux habitants du pays.

J*âi toujours vu à regret que , malgré toutes ces in- dications, aucun voyageur n'ait encore voidii braver âes inconvénients inséparables ^'une excursion dans le CiiftflSlàiî,' pour vérîfiéf; dés fait sat;iiSi gf aVes et aussi mteressan,ts; et je suis parti dLrzetpi^m ^\^ fin de juin 1 827, avec la ferme résolution de tenter

AVRIL^ MAI- JUIN 1840. 259

tout ce qui pp^urrait çouti'il^uer à répandre quelques lumières sur une question qui me patraissaitiêtDe d'une grande importance historiqu0.; ^ pf^V-Arih-httr Api'ès avqire^^erGbé eh v.mn: des traces de monu- ments d'une haute antiquité dans les villes curdes de Ghunus , de Mpucjiî , de Bitlis et dans leurs environs , je me suis dirigé, de cette dernière ville , par la plaine de ^ouwatie^l^ long du. Nenirod, sur ce lac mysté- rieux, qui) célèbrp. déjà dans'la plus haute antiquité, est en Europe presqu aussi peu connu encore aujour- d'hui , qu'il l'était du temps des Grecs et des Romains ; chose étrange si Ton considère que , malgré toute la barbarie des hordes qui font de ses bords le théâtre de leurs guerres éternelles , les dangers d'un voyage dans le Curdistan sont inférieurs à ceux que pré- sentent tant d'autres pays, déjà bien souvent ex- ploités , quoique , outre les habitants , il faille y com- battre tous les inconvénients d'un climat meurtrier. Si j'ai pu prendre, pendant la visite des rives du lac de V?A^i bien des renseignements sur la géographie physique et politique du pays, je ne parlerai ici de cette excursion que sous le point de vue principal dans lequel; elle a été entreprise. Mon but était de auivrieia recherche des anciens monuments qui pouvaient se trouver sur les bords de ce lac et dans ses environs, et de relever soigneixsement toutes leurs inscriptions. Sans, parler de T, L , G , O , D , L ^ , .où

^; -■'- '.,:n {• '/];•[-" "'\-)Uv\] r^ ■ud'bM

' Ces lettres se rapportent à la carte de M. Sjchulz, que la Sor

ci été a -fait Jitho^aphier , tiiais qui 'peut paraître quavec le

Voyage. J.M. ' np

»7-

2f>0 JOURNAL ASïATtOtJR

je iiVn ai tronvr aucun, je me tianspovlcrai de suite sur les lieux qui offrent des monuments avec des inscriptions cunéiformes. La carte des environs de Van a ét^ dressée d'après le plan que j'en avais re- levé sur iesiieux, et d'apW*s des notes prises peii dant mes excursions. Je l'ajoute à ce mémoire comme représentant le district de la côte orientale du lac j'ai découveiH le plus d'inscriptions, et sur lequel je dois revenir fe plus souvent dans la suite (le mes observations.

INSCRIPTIONS TROUVEES DANS "LA VILLE' DIT TAN : ""'

La ville de Van, résidence d'un des cinq pachas H deux qiieues qui relèvent immédiatement du se- raskicr-pacha d'Erzeroum , se compose aujourd'hui de dix à douze mille maisons turques, curdes et ar- méniennes; elle s'élève à la distance de trois quarts de lieue du lac, dans une grande plaine, bornée à Touest par ce même lac , et entourée à l'est , au sud et au nord, de plusieurs séries de montagnes et de collines calcaires, arides et absolument nues. La triste monotonie de ces stériles collines, et celle des maisons de la ville, sans aucune exception, mal construites en terre et sans goût , se trouve agréa- blement variée par la fraîche verdure d'une grande quantité d'arbres fruitiers et de hauts peupliers, qui, arrosés par une multitude de petits ruisseaux.

AVRIL-MAI-JUIN 1840. 261

doiuient à la plus grande partie de Van l'aspeG-t d'un

vaste verger.

Les habitants appellent cette partie non fortiliëe de leur ville , les jardins ( Baghlar ) , la distinguant par cette dénomination de la ville proprement dite (Van schehri)y qui est enceinte, de trois côtés, d'un double rang de murs crénelés , flanqués de distance eo distance par des tours, et entourée d'un fossé sans eau , mais large et profond , tandis que son côté nord s'appuie sur. un énorme rocher de la même massez calcaire , extrêmement dure et compacte v qui entre dans ia . composition^ de toutes les collines et des montagnes qui environnent le lac, des îles qui en sortent, et, de son lit qui est profond comme la mer. Toutes les maisons dé, cette ville révèlent, par leurs formes comme par leurs miatéyiaux, qu'elle ne saurait être la création ni d'un grand siècle,! ni des temps antiques. Aussi, à l'exception de plusieurs églises arméniennes et de quelques mosquées , n'iy existe-t-il absolument aucun édifice qui remonte seulement à deux ou trois cents ans. En satisfaisant aux premiers besoins d'une seule génération, elles auraient rempli largement le but de leurs construc- teurs. Si donc cette ville qui , chez les Arméniens , outre le nom de Van et d'Ani (Van Kayhak, Ani Kaj haji), porte, çnçor,ç. celui de la ville de Sémirami? , contient encore des ouvrages d'une haute r^^anti^ quitéjtiis doivent se trouver ^ur le rocberMcxtràor- din^ire qui, isolé dans la plaine, etd'waaifî circoià férence de plus d'une . d^milieuç; , : sert d'appui ,

m MOlil^ÀL ASlATl<>tJ(::

codbnÉe j^ vie#isAle'ie()ire, à nnf^ ^l^hde jydMiede la ville proprement dite, et remplace les miii's dont elle eist entourée des- auti^fe Icôték Cet ^e^iiorme \'o- èh«rira^e \^ vtioy«tî^M4)ih. U lofait 'remJiitf^uèr àidné'distancp de plus rfedix-liuii lignes, t:nirlis (^ùie Ift bandip verte des jai^ins aCsl ap» k ik! qu(» trois à quatre. Dominant toute la belle plaitte 'OÙ ert -située la viUe'de Van, <et joui^aht M ^rUe magnifique d'une gri«^>]p^rrïe d»i I;h dorit Taittr * contï»astè fort agr€»abl^me¥i»t'aVéc la nt ige i'\eiti^!é du Sepiat (montagi^^e a 'environ seize diiéttes VerS 1^ nord-oue»t de Van) , ceirotthefr Sértible ê^tré'ftlit pètti* servir d'emplacemieht ^des palaife ide^ litité Ou à ê^ fortifications inacçessibkis ^ l'ernïémi. Brtôotfe îttt^ jourd'hui, entre les lïïailfe d'i^é rtaiièh'dds pltls terbqres de l'Asie, èe*T<ich«<r j^it-^la î^liié'^r^ttd^ c< If'hi itô, et tout le Curdistâtt vous parlera du Gh^- ruL [ comme on l'appelie ) , ou du <*hâtë^u de Van , de ses rochers inaccessibles, Sies caVemeST, 'de SOS trésora et de! 'ses talismans-, îtttfispèi^solnîicf'dttfti iMttiie Curdistan ne saurait VOttB' ai dtttthe^^la inièindre notion satisfaisante. On ïirôit'âvoit' tè- pondu à toutes les iqucstions que vouls poiirriiei! feii^ à ce sujet, ert voils vantat^t èar]là'CeSSe>lfe^1rochèrfe escarpés de ce chaltcau, les ^ndrdhs mystéril^tix qu'iiiTenfenne et irs riches^e^ <|tt4>Q0f ti^tiyertt'^dÉi- -<thées. - ?i; ou fi:) ^ih M'îOMfr jfjM.hfO)

-ïoijés gouvemeiirs'de Van, dâris'ité'tnisérable état odse trouvent les r^^sourices militaires de Temp^i^e ottoman , bien aises Idé s^ ménager uhe retraite silre

AVBILI-MM/JUI^ÎS< 1840. ^63

enl «as de daHger, ont toujours eu la politique de iWïèjMsser approcher qui que ce soit de ce, çliâteauni les personnes mêmes qui y.' mnX de seryiçe, nie pettr, yeot y eûtr^rssansan billetsigilé du pacha, etoïM^ni:: de son cachet. C'est ainsi que les habitants, àyai^it tous les jours sous les yeux c^. polps^e deiVQçh^>r sans jamais avoir pu y mettre ies^piçd^MM^Q.Utia^l point ique les pièc^, 4«^tilJfei'i^ qu'ils Yoiçn,t d'en bas i dans les endroits les moins difficiles , ne soient toutes prêtes à les écraser ,; ainsi que leur ville ,; à, la moindre désobéissance contre les ordres (Je; lejiif: gouvernement. J'ai fait tout mon possible pour pou- voir examiner ce rocher dans le plus grand détail ; ce n'est qu'aux lettres les plus fortes de recomman- dation du seraskier-pacha d'Erzeroum , pour Isaac , pacha isl|s Vansiiet pour Hiinoux^bey, son fils, adoptif, honxode de grand talent et «chargé de la gestion de,^ alïaires les plus importantes du Gurdistai(iw c<î iXè'^XA dis-je, qiîfcà-cés recommandations que je dois d'avoiï/ réussi ^dâns une entreprise qui, dans l'état ou[i$e trouvait alors la politique du Curdistan vis-ài-vi^; d/^î la corn- de Perse et du divan de Gonstanli90gJ^i aurait pu échouer coniplétement. Je, fuis reçuiijVêfit die la manière la plus brillante,; et â(y 00 cettje.xîj:^] dialité fi^ncke et cette; politesse délicat-e que fe/ Européens isidmirent ciuez les Turcsi;4'ftUtaîit p^!*^^ qu'ils ont ordinairement beaucoup de peinexi,.»^ d^'i; faire des fausses idées que l'ignorance et les passions entretiennent dans leur pays contre cette riàtïbh. La ccMifiance et l'intinie amîtfé qui s'éta,b|irent,

264 JOlJRiNAL ASIATIQUE.

pendant ' mon séjour à Va»», entre moi et le paclia de cette ville , m'ont pennis de faire dans cette même ville et dan^ ses environs les reohciches les plus sciiipuleu^es; que, dans >t6ute autre cireanstaiicei'/ jose le dire, il aurait été bien difficile de vouloiè seulement essayer. Je me borne ici à en exposer iout simplement les résultats. Je ne réclamerai, pour la sécheresse de ma relation, pas même de l'indul- gence, car je sais trop que l'importance de l'objet justiiierà une exactitude qui, sous d'autres rapports; pourrait' sembler minutieuse. MiUnioiii

Le Ghourâb, ou le château de Van ' ,.'J8««i 1U(K^ .mito) .M,H1' •- il 1»;'

!iNt)U8 avons déjà fait remarquer que ce que l'on

ap^Ue aujourd'hui le château de Van {Van Kalasi ou

Kalieh Van), n'est qu'un énorme rocher, vif, d'une

masse : calcaire extrêmement dure, très- escarpé et

taMlé' à "pic du côté sud , un peu en talus des cétés

nord et nord-ouest, rocher couronné de plusieurs

rangs de niurs , et de diverses fortifications turques

modernes : il s'étend dans la direction à peu près de

Test à l'ouest. J'en ai relevé les deux côtés que l'oû

voit en face , celui du sud d'un pavillon de l'ancien

Serai de Timour^pacba, celui du nord de la pjaine

d'Arwanz.''ii'ïq '>b mio^umal ' fibjo Ino eii'up

'iiKM'-v.iif, < J I , - •fiii'ion;»!'! r.iu ■>■■■.{' .■ il -nu-

» Voir les dessins I et II *, cl les n** i ^ xti cjcs inscriptions.

. I ' ' j > - ! ' '!''■• j V J !'•'.! '

*^Çm ' " iithograpbi^i. nui» Jenr f.>iin« ue psrmel DM dft les f«ir« pa-

raîtra ivec jourmi; il» ue ponrreat 4be pnWw» fju'âvtc le Voyif».' J. W.

AVRIL-MAI-JUIN 1840. 265

lin (Dans son état actuel, le château n'a qu'une seule entrée; elle est du coté d'ouest, près de la troisième porte de la ville ; nommée Iskele-Kapoassi, ou porte de l'échelle, parcie qu'elle conduit aune des échelles du lac près d'un village portant chez les Arméniens ie nom d'Arwanz, chez les musulmans celui de vil- lage à l' échelle, (mlskeh'Kùi, 'Mm %hû\i^ùm\ ^imh ' De 'ce côté, ie rocher ne s'élève que peu* se^isi- blement; c'est pourquoi divers pachas ont* tâché d'opposer ici aux attaques ennemies des fortifica- tions que, dans plusieurs autres endroits, la nature rendait fort inutiles. Ils l'ont couronné, tout le long de ce côté, de plusieurs rangs de murs , flanqués , de distance en distance, de bastions et de tours. La plu- part de ces fortifications se trouvent, comme celles de presque toutes les villes et de tous les châteaux de la Turquie d'Asie , dans un état de délabrement et de ruine qui fait pitié, et les pièces d'artillerie curde, dont on voit l'élite ici et chez le pacha de Mouch, ne sont absolument bonnes que pour an- noncer la fête du Baïram, et pour inspirer de la frayeur à des nomades aussi barbares que le sont les

habitants du GurdlStan. ... n,f îr;p ,an7ohi,c3i

ottirir Jih '') rtob<5

"'IrfébK^tion prise sur une pierre des ruines de Téglise de^iSaîiiV-' Jeàri. (Inscr. n" I.) 'l ' ' '^ '!!

tii.P^ur nous occuper en détail du rocher châf- iéâu, nous nous dirigeons d'abord Vjsrs le côté sud- ouest, que l'on nomme géupralemeni à Van le Khar-

JOt)iRNAL ASlATfOOK.

fâior. Nous y liioiitonîspiBtr le seul ohomin qui coitduit à 1 intérieur duchàUatir'Ot qui se trouva, coimnte flous l'a voiw remarqué, près delà porte de réchètte. Dl3» restes d'ancâeiis escaliers , taillés dafls le i^oïU que l'on rencontre çk et en grimpant le roch^ir de c€ côté , semblent prouver qu'il y avait ici , déji dans l'antiquité, une entrée ^principale. (Jn assee iailge emplacement^ à peu près rofid et visiblefaienf •iltofaiUé avociliie^ucoup de peine ida^s le roc v que l'Oii'a à sa droite en montant; pourrait bien^voir «u quelque rapport avec cette ehjtréev mais la ibaiw j^adede Timourc^ et ies cliangensekkls opérés paisses successeurs sur oe rocheri'onttélietï^eiil ruiné, qu'y «tte paraît , dans sôii état actuel , toutà fidt impossible de'deAdner seulement quelle en a étéia destiiktio». La 'même barbarie et la étiéme ipolitique sembleiit avoir détiiuit pluMeurs degrés dont les restes j)arais)- sent un peu plus haut sur le rocher, d'une iorn^e presque am|)hitbéâtraie, bordés des deux côfcés d'une espèce de Fftmpe taillée dans ie.r6c. D'aprèb i'iso-

. : .{;'■■ ■; . ;:: ■;;: ^ !;" ' ' ;;• '!•!•, -ioiJ ^ jLa tradition du jif^ys ei ie» bls^orie*^ orienta lu. saot parfait^ ment d'accord sur les efforts faits par Timour p<^ur détruir» teau de Van, qui lui avait opposé une tcsîstàhcè dc^ jpluâ bpiii..iUc^. Selon Chérif-eddin, on n'avait pas employé moins de dix miNe bom|n^ pour en pç^eyer la destruclionimais, lajjolidité de pÇ3.fu- perbes restes de la plus baute antiquj^é ayant lassé la patience de Tofficier cbargé par le conquérant de les détruire, il dut se conten- ter d'abattre plusieurs murs et quelques constructions modernes. Det habitants dusdea et araaémens de V^g^ve soudant égaié^ient j^^i| de quelqpe^a^9pb|*pi>i9me^ m'ont monln q u^j^ujp^c^i;^ ^un. ^^j^n caiipq de gros calibre dont la culas>^' ir e^portée^ sdon

fiiï\ 'îvar un coup dé^rabrc Àz Tibiour . ' ' " "^

AVRIL-MAI-JL^IN 1840. 267

lement cfcesidegrés dont on rencontre et ilà piu;- siéiirs .groupes, on îdirait qu'on les eût pratiqués poiu^ servir de bancs , d'où Ton jouissait de; dausiB perbe vue d'ivne piartie du lac .^t' de la plaine.: Tcjuit à fait au pied du xocher, à gauche du chemin qui conduit en haut et hors des fctifications , on ce- marque les fondem^rits d'un -éjlifioeiantique que les habitahts : du. pays font remonter aux tempB les pèus Reculés : ce sont trois Ou quatre ooubheâxie ^'ossés pien'és carrées , de quatre à èînq |)ieds de l^Migisui^ trois à quatre pieds de large , posées Tune sur Taiitipe «ans awcufiîcinsrenty mais non pliis entrelacées^ séu- iÈiwite8i;setdement par iefurigrand poids. Ceis foiidje- Mant^fisiont couverts d'iine misérable bâtisse | en flcrrè iqui. s. autirefois &)rmé l'réglise d«e ' ISaint-Jea» , et^ contraste sMgulièrement avec k base solide «ur laquelle on Ta construite: Une inscription en caractères cunéiformes, que ij'ai trouvée siir une 'd'DeUtes^ fprofurwie haufte antiquité ide icesjipierres. L/édificè estientQ«ré d'im petitimaïkis produit par à'eaw diune fontai-^e qui sort immédiatement de des- sous les fondements et idf; dessous; la ; pierre jqui eoirtieM llinsoriptioriBioe ooxjp r ^^Tl^i^ ob ë^d/* y f lOti la pierre 'qui porte l'inscription îa soùffectl/idt ses îcaraëtères âont bien moins ) conservés) que nfelci^ sont la iplupârt de cerox que j'ai trouvée à Vanv £ie^ pendant j'ai /tâché' de releiver l'inBcription iesplus exactement possible : elle se compose de huit lignes. Sa mauvaise conservation la rend très-difficile à lire ; ia forme de son écriture diffère un peu de celle des

268 JOURNAL ASIATIQUE

autres inscriptions. On y rcnianjiic des caractères qui ne se trouvent dans aucune autre, comme le y^. Pour ne pas induire en erreur ceux qui 's'occuperont d'en: déchiffrer le texte, je. fais observer que , dans la copie que j'en ai i prise, j'avais ajouté dans les lignes six et sept un signe dont j'ai oublié la des- tination; cependant je crois l'avoir mis pour indi- cpier qu'en copiant ces ligneàvje les ai déplacées, et qu'à partir de ^^^ de la sixième ligne jusqu'à la fin de cette ligne, il faut y placer la septième à pautir de ^ jusqu'à >-Y^y. On pourrait douter aiirue manque rien ara < commencement des pre- nnères lignes, car l'inscription ne remplit pas toute la pieiTe ; mais il est probable qu'elle n'était com- posée i réellement que de huit ligne», tcar elle se trouve au milieu deia pierre, de manière à laisser libre uh espace égal en haut et en bas. La lec- ture de cette inscription jettera probablement plus de lumières sur ia destruction des fondements de l'édifice dont la pierre elle se trouve fait pai^- tie^ que toutes les hypothèses qu'une imagination vive et fertile pourrait former sur quehpies cou^ ches de pierres, qu'on serait contraint de (fixer d'abord à leur place) actuelle, par lune nouvelle hy- pothèse aussi hardie , en supposant qu'elles n'au- raient fpoint été, dans les temps postérieurs, em- pruntées à quelque ancien édifice assyrién.idKba'Mi

AVR11/-MA1-JUIN 18/10. 269

Le Khorkhor avec ses monuments. Zendan-Kapoussi. , (Inscr. II-VIII.)

'Après avoir suivi pendant qtielque temps les tra- ces de l'ancien escalier dont j'ai parlé plus haut, oh se tourne à droite en grimpant contre des rocSj sans aucun chemin ; on en sort en haut par une feinte qui aboutit au côté extérieur du rocher, immédiatement au-dessus du jardin et du kiosque du pacha.

Ici un escalier de vingt marches , tellement dé- truites qu'en plusieurs endroits il n'en reste plus que six pouces de large , conduit d'ici en pente (Je- vant ime petite grotte et le long d'une masse de rocs taillés à pic, bien polis et couverts d'inscrip- tions, à la grande porte d'entrée des cinq chambrés du Khorkhor (Khorkhor mugaralari). '^ > ''^ ^''■' La petite grotte , au commencement de l'escsîliëi* (taillée dans le roc comme tous les monuments dont nous allons nous occuper) , est carrée et a trois pieds de largeur sur quatre et demi de longueur et autant de hauteur. A gauche de son entrée il y a un petit banc, d'où l'on jouit d'un superbe coup d'œil sur la ville et la plaine coule le petit ruisseau de Sémi- ramis (Schamiram-sou), sur le lac majestueux, avec les vergers d'Artamit , et sur les montagnes arides et pointues de Vartan , qui bornent à l'ouest ce beau panorama. A droite de cette grotte, et au-dessuà de l'escalier, l'on voit sur même plan les trois ins- criptions (n"II, m, ÏV), séparées l'une, de l'autre par de simples lignes verticales. La première de ces

iSrO JOURNAL ASIATIQUJ!].

inscriptions se compose de quarante-trois lignes, la seconde de cinqiianle-sept, la troisième de soixante et onze: elles ont , la J)remière cinq pieds, la seconde ciaq pieds quatre pouces, la troisième neuf piec)| dix pOi|ces de haut ; chacune a cinq pieds neuf ponces do lai^. Des lignes horizon taiement traoées sépaii^nt dfto» chacune d'elles les lignes l'une d«i l'autce,. Ceci estii' usage constant dams toute3 les iixscriptioaâ cu- néiformes que j'ai relevées, ainsi que, si je, ne me trQ^j>en dans toutes celles de la Perse. Leurs carac- tères, taillés dans ie.^iKM^ à une profondeur d'en- vit^n trois lignes, sont d'un travail. fini et d'une ré? gularité que l'on défierait nos meilleurs artistes de surpassei\ Malheureusement ces inscriptions ont été en plusieurs endroits endommagées pai' des bour lets de canon qui les ont fr^appées pendant différéuts sièges que le château a eu à soutenir. J'en donne, spus les n°* 11, m, IV, une copie, je crois on ne peut plus, Q^cte, que j'ai colla tionnée deux fois avec l'original ; seulement je remarque que la contraintje du heu j'étais, sur des marches de moins d'un |xied de largeur et au-dessus d'un ahimede plusieuA'S centaines de pie As, m'a empêché 4e reconnaître aV0^ la, «lême pi'écision les premières lignes de la qu^- trièine inscription, que j'avais presque, perpendicu* laidement axndessu^ et devant moi. ;

Tournant un angle au bout de l'escalier doat les derniers degrés sont presque entièrement détruits , on se trouye devant la porte d'enlxée des chambres dn Khrukhor. A gauche et au-dessus de <?fttte porte,

AVmLrMAI-JUIN \M0. 271

le roc est uni tel cbuvt?rt ^inscriptions ; à droite , on lui a. conservé, sa forme naturelle, à l'exception d'uire mâssesaillsâite tout à fait inaccessible aujour-» d'hui , (yh Ton voit une' tablette de vingt lignes par- faitement conservée (n° VIII). hei inscriptions k gauclie sont au nombre de deux ; elles couvrent chacune un côté du ^oc âè dix pie^s et demi de haut; celle de l'angle, n" V, a trois pieds quatre pouces de large; l'autre , VI, est d'une largeur de trois pieds huit pouces; elle touche immédiatement la première, et se; trouve sur le même plan avec la porte. Chacune de ces deux inscriptions se compose de quatre-vingt-une lignes , malheureusement gâtées en plusieurs endroits ; les caractères en sont exécutés dans ia même perfection que nous avons admirée dans les trois colonnes au-dessus de l'escalier. Dans le V on remarqiie que les lignes , à partir de la quinzième jusqu'à la trente-deuxième, sont moins larges que celles du haut et du bas, ce qui forme (voy. le dessin n'* III) un espace vide et parfaiteçaent lisse qui, comme il est facile à reconnaître encore aujourd'hui, n'a jamais été occupé par aucune sculp- ture. Au-Jdesï^s te cette inscription il y a unseéond espace vide et poli d^environ un pied de hauteur.? La partie supérieure de l'inscription que Ton vOit au-dessus de porte (n" VII) a beaucoup souffert de f injure du temps; il n'en reste plus que vingi lignes, parmi lesquelles il y en à plusieurs qui sont presque détruites. Ayant passé parla porte du Khorkhor, qui atroife piecjsijleiiarge sur cinq pieds

272 J-OUKISAL ASIATIQUE.

et demi de long et six pieds de haut, outre un en- cadrement d'environ deux pieds de large, on se trouve dans un grand appartement carré , de trente- deux pieds de long, sur dix-neuf de large et de dix et demi de haut. i , .

Tous les murs du roc y sont uftis et polis avec le même art qui a présida à l'exécution des inscrip- tions; leur poli prouve qu'il n'y a eu nulle part m des ornements ni des inscriptions, que l'on paraît avoir tous réservés pour l'extérieur. Dans les murs de cet appartement, on a pratiqué dans le roc, à une profondeur d'un pied et demi , dix niches car- rées, hautes chacune de trois pieds sur deux de lai'ge; elles sont à trois pieds et demi de terre, et ont chacune un encadrement de troifi pouces de large, liuji'.'.if

En entrant par la grande porte, on a en face deux de ces niches entre les portes A et B, deux à droite à côté de la porte C, deux dans le mur opposé À) côté de la porte D, et quatre du côté de la grande porte même , deux à gauche et autant à droite. Entre chaque couple de niches (distantes Tune de l'autre d'environ deux pieds), il y a taillé dans le roG,iiJi peu de profondeur, une espèce de carré de la former ci-jointe 1^ , qui a de chaque côté un pied de large J et un petit trou rond, au milieu, d'environ six pouces de profondeur.

A côté de la porte A, qui se trouve presque en' face de l'entrée, on voit deux carrés par terre ^ taillés dans le roc à quelques lignes de profondeur^jl

AVRIL-MAI-JUIN 1840. 273

Celui qui est à droite de la porte touche immé- diatement le mur, et a environ huit pieds de long sur six de large; il est loin d'être parallèle avec un second plus petit, parfaitement carré (de chaque côté de trois pieds cinq pouces), qui se trouve à gauche de la porte , et à cinq pieds de distance du mm\ A gauche et au-dessus de la porte A, on voit six marches qui , visiblement , ont été destinées pour y placer quelque chose , non pas pour monter.

Quatre portes (A, B, C,D), chacune de six pieds de haut sur trois de large et autant de pro- fondeur, ayant chacune un seuil d'un pied de haut , conduisent du grand appartement dont nous venons de parler, dans autant de petites chambres , toutes taillées dans le roc, toutes de la même forme , de la même grandeur et de la même distribution; elles sont carrées et ont chacune huit pieds huit pouces de haut sur dix pieds de long et neuf de large. En entrant par leurs portes respectives , on se trouve , comme dans le grand appartement, en face de deux niches carrées, distantes l'une de l'autre de deux pieds , et dont chacune a trois pieds deux pouces de haut, sur deux pieds quatre pouces de large et un pied trois pouces de profondeur. On en voit deux autres , absolument de même dimension : l'une au miheu du mur à gauche , l'autre tout à fait en face , dans celui de la droite; elles ont aussi, comme les niches du grand appartement, un carré taillé dans le roc entre elles.

Ces quatre petites chambres, à présent totale-

IX. 18

274 JOURNAL ASIATIQUE

ment vicies, n'ont aucunement soutlert des eflbrta des barbares qui, comme nous l'avons dit plus haut, ont sévi contre les monuments du château. Leurs murs, leur sol et leur plancher, comme ceux du grand appartement, font, dans toute leur simpli- cité, admirer la persévérance et l'art de ceux qui ont jeu la hardiesse de transformer un roc dur en ap- partements faits pour l'éternité.

Les quatre petites chambres sont, à deux excep- tions près, absolument égales. Dans celle qui est presque en face de la grande porte d'entrée , il y a plusieurs marches pratiquées dans le roc, et sem- blables à celles que nous avons remarquées dans le grand appartement, du côté gauche de la porte A. Dans la chambre à gauche du grand appartement B, j'ai trouvé dans le coin du mur une ouverture qui est assez grande pour qu'un homme puisse y des- cendre, et qui ressemble, au premier aspect, k un puits. M'ayant fait attacher une corde autour du corps , j'y suis descendu : à peu de profondeur j'é- tais au fond, je remarquai un trou fort étroit conduisant en bas. Le résonnement du sol me fit supposer que, sous cet endroit, il y avait «un creux très -profond; la lampe dont je nie servais pendant cette visite s' étant éteinte dans le trou à plusieurs reprises, si je ne me trompe * à cause d'un courant d'air qui venait d'en bas, je n'ai pu rien y distinguer en tâtonnant. Le pacha, à qui je parlais de cette ouverture , me rendit assez vraisem- blable qu'elle a communiqué avec une source d'eau

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qui sort du pied du rocher, au même endroit est son jardin et son kiosque d'été. Et réellement, après avdii' vu cette source, j'ai reconnu quelle se trouve presque immédiatement au-dessous des grot- tes du Khorkhor. A peu de distance , dans le même jardin du pacha, j'ai trouvé dans les broussailles au pied du rocher plusieurs marches d'un ancien escalier taillé dans le roc , qui pourrait avoir con- duit aux appartements d'en haut; du moins il m'a paru assez probable qu'immédiatement devant la grande porte du Khorkhor, il descendit autrefois des marches, à la vérité tellement détruites aujourd'hui avec toute la masse du roc elles se trouvaient, qu'on aurait de la peine même à en reconnaître les traces si l'on n'en voyait pas quelques-unes plus bas, environ au milieu du rocher.

A droite du rocher t[m contient l'inscription VIII, et à une quarantaine de pas au-dessous d'une des tours des fortifications turques qui occu- pent le sommet du Khorkhor, on voit taillées dans le roc plusieurs marches isolées de tou^ côtés. A leur droite et plus bas il y a un grand trou sans aucune communication ni avec l«e haut, M avec le bas. Un des pachas précédents i'ayafit fait visiter par un sol- dat attaché à une corde , celui-ci y trouva une frotté artificielle, mais absolument vide et sans aucun raHsman; ce qui signifie jsatts aucune inscription.

Tout le côté sud du Ghourâb , à partir d'ici , ne présente aucune trace d'antiquité : la masse du roc est extrêmement escarpée et difficile par sa nature

.8.

276 JOURNA<L ASIATIQUE,

cl par les efl'orls que I on a laits pour le rendre inac cessible partout il y aui^ait eu (juelque possibilité d*e9calade. Plusieurs pachas, dans leur lif)p grande méfiance , ne se sont pas contentés de tout cela; ils ont fait construire, dans deux endroits un pou sail- lants du rocher, des fortifications dont l'accès même ,€st tellement difficile, qu'on les a abandonnées de- puis longtemps, et que probablement elles seront bientôt tombées en ruines, si le pacha actuel de Van ne les comprend pas dans le grand nombre de réparations qu'il fait exécuter sur le l'ocher.

Il existait autrefois, de ce côté-ci, un très-large escalier près d'un groupe de rocliers saillants de la jnasse principale, tout à fait pointus et s' élevant ics un». au-deSsus des autres presque en forme de pyra- mide. Peu satisfait d'avoir entièrement détruit cet escaher, et défendu par dès fortifications un passage qui n'était plus accessible , on a construit encore une maison sur l'ancien emplacement de l'escalier, au- dessus du groupe des rochers de forme pyrami- dale ; sur le chemin détruit il y a une petite caserne qui, sous plusieurs pachas, servait de prison, et qui, pour cette raison, porte aujourd'hui le nom de Zendan-Kapoussi, ou porte de prison. Un vieux ser- viteur du pacha , qui l'a vue quand elle était encore accessible, m'a assuré qu'elle est ass^z petite, sans cbandîres, sans ornements et sans inscriptions. A partir de ce Zendan-Kapoussi, le rocher atteint sa plus grande hauteur. Son côté méridional , qu'il pré- sente à la ville, est en grande partie taillé k pic,

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presque sans pente, et nulle part accessible. On na qu'à le voir de ce côté-ci pour comprendre la con- fiance qu'il a pu inspirer aux gouverneurs du châ- teau qui, en plusieurs endroits, y ont négligé de couvrir son sommet de murs et de bastions; cepen- dant c'est ce sommet que l'on regarde comme le point le plus essentiel de tout le Ghourâb, parce qu'il contient ce qu'on appelle VItch-Kalah, ou le château intérieur, dont nous avu'ons bientôt occa- sion, de parler en détail. ; . ..i .: ..;; . -'ii'> '^tiA') 'tf. ^fiiîoBl î/ïB'r^ ^aii'b La table trilingue de Xerxès, fils de Darius. (Inscr. IX-XI.) *'

l'on admire d'en bas l'énorme hauteur de ce rocher, il est le plus escarpé et avec le plus de soin taillé à pic, on voit, à peu près à soixante pied^' au-dessus du niveau de la plaine, une grande tabiç carrée taillée dans le roc , divisée par des lignes per- pendiculah^es en trois colonnes, dont la première est presque aussi large que les deux autres ensemble. Les caractères cunéiformes dont elle est couverte sont de la plus grande beauté ; à quelques légers dégâts près, dans la seconde et dans la troi'sième colonne, ilsr ne pourraient être mieux conservés si on les avait exécutés hier. Ces trois colonnes se composent chacune de vingt-sept lignes. Cette ins- cription est celle du Khorkhbr Vni, laquelle je n'ai pu approcher; je f ai copiée, à faide d'une très- bonne lohgùe-vue , de la maison la plus près d'elle, du kiosque d'un mollah. Vu son excellente conserva-

278 .îOUWNAt.' ASIATIQUE,

lion et la netteté de ses caractères, il uy aurait pas eu, dans ce mode de copier, le moindre inconvé- nient, si la terre qui s'est accumulée au pied de la table n'avait pas couvert les dernières lignes des deux premières colôniîes, tandis que la troisième était visible en entier.

Malheureusement defe cjauses majeures dnt empêcher le paoha die faire nettoyer cet endi^it» comme ii me l'avait promis, par un homme que l'on s'était proposé de dcsccnclre d'en haut, à l'aide d'une grande corde. La lacune causée par cette cir- constance «en sera une que sons le rapport philo- logique , et non pas une perte pour l'histoire ; car la troisïèihe colonne nous fixera toujours sur le sensde cë'qiri tudnquc dans les deux premières. Rien de si feicile; que de voir au piremier abord qu'une inscrip- tion en trois langues, dont l'une est zcnde, ne sau- rait dater du temps de Sémiramis. Du moins une setii^ ligne persane , mise par ordre de la reine de Ba- bylonc , renverserait par elle seule toutes t^oi' idées rerués sur les anciens idiomes de l'Asie;' voilà pour- quoi, j'ose le rémâricpier en passant, il m'a toujours paru frivole de slrp^^oser dans les tables trilinguesjde Hamad an des tnonuments exécutés par ordre de cette reine. ' ' 'îut)/'; i,,h. .•>! ia

J'ai vu pleiiKiiH^nt justifier cet<«"Ofirnion par ics copiés qii'én a' prises à Hamadau M. Stuart^, voya-

^é'It îMîiiO '»i'f«l /; .*i'lif|0'> u; f •'! ; » ';! >o1<{'i. j;,j ;i.;' f; Lfs iii8Ci;iptiop8 fiipx<|u«|lM H eajt (à^t allunon ici se Irooyaieni parmi les papiers de M. Schuli; elles ont été compribes dans les pîanrfiP!( rjne nous puHionw'avec rc mémoire. J. M. '

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g«ur anglais, et qui m'ont convaincu de suite qu'il n'y a rien de Sémiramis, que tout y appartient, au contraire, à l'ancienne monarchie persane; et c'est à cette même monarchie que nous devons attribuer la belle inscription de Van dont je viens de parler, et qui nous présente en sept endroits différents le nom de Xerxès, fils de Darius, avec plus d'épithètes encore qu'il n'y en a sur les monuments trouvés en Perse.

g'Illi' Le château intérieur C/tc^ Kaia^).

p Jiov no il Pour arriver au plus haut point du rocher que ion appelle, avec ses édifices, Yltch Kalah, ou le château intérieur, nous suivons le seul chemin tracé qui subsiste encore, et qui, comme nous l'avons dit, se trouve du côté d'ouest. Laissant à notre droite le Khorkhor avec ses grottes, nous montons dans une direction à peu près nord-est, entre un double rang de murailles élevées par les Turcs pour défendre ce côté-ci contre des attaques ennemies. Ces murs sont construits en grande partie en terre. Aussi modernes que tous les édifices du rocher, ils ne méritent pas que nous y fassions la moindre at- tention . Après les avoir suivis pendant quelque temps, on se trouve devant une grande porte de bois, so- hde, parsemée de gros clous et de barres àe fer, qui ferme l'entrée du château , et ne s'ouvre jamais sans un ordre exprès du pacha. Quand on l'a passée, on se voit de nouveau entre des murs, mais d'une

280 JUUH-NAL ASIATIQUE,

consti'uction pins solide et plus haute que ne le sont ceux du dehors ; surtout à dmitc , ils sont d'une hauteur assez considérahle , fort épais et cons- truits en pierres. Dans leur enceinte il y a une quantité de bâtiments, tous modernes, comme des habitations pour les janissaires qui servaient au- trefois de gardes du château, une petite mosquée, et un ample magasin de poudre nouYellement construit, après l'explosion terrible qui détruisit, il y a plusieurs années, tous les édillccs du rocher, sans exception, avec -une grande partie des murs qui le couronnaient ; çà et on voit quelques mau- vaises pièces de canon, la plupart crevées, dont le Curdistan a hérité des expéditions des sultans Mourad et Soliman. Pour les servir, ii n'y a plus personne. Les petites cabanes l'on entassait au- trefois quelques centaines de janissaires restent aujourd'hui vides, et dans tout ce château intérieur, que les habitants de Van croient occupé par une forte garnison, il n'y avait, au moment jlg'»M visité, que deux êtres vivants, un vieux janissaire chargé du service de la gi^ande porte , et un ours apprivoisé qui court librement bon lui semblé. Dans l'enceinte des. murs on remarque un grand morceau de roc travaillé, qui présente sa face à la ville, et s'appuie immédiatement sur la partie la plus élevée du rocher, sur celle qui, au sommet',' porte le grand magasin de poudre , et en bas la table d'inscription trilingue de Xcrxès. Ce morceau est taillé à pic , d'une hauteur d'environ soixante pieds.

AVKIL-MAI-JUIN 1»40. 'm

Presque dans le milieu , il y a une porte qui conduit dans l'intérieur du rocher. Un trou , ^ que l'on voit auTdessus d'ellev semble avoir été^dèstiné à donner de la lumière. L'une et l'autre, la porte et ce trou, ont également soufFert; ils ont été gâtés, comme on le voit assez bien, par des forces humaines et à dessein. Leui's .grands carrés oblongs, occupant presque toute la largeur du roc,, ont eu le mêiWe soit. Ils sont tellement maltraités qu'on n'y îrecoii- naît plus aucune trace des ornements ou des ifiS- criptions qui pourraient y avoir existé. De porte de i'extérieui' on passe dans une grande chambre, dont la partie supérieure est taillée en forme de voûte. Cette chambre est haute envirori de vingt- cinq pieds sur quarante-cinq de longueur. •> fi ^^^b Le roc y est moins poli , et , à ce qu'il paraît , tra- vaillé avec moins de soin et de régularité que dans les chambres dui Khorkhor. On remarque la même chose dans toutes les autres. chambres et grottes dont nous avouas encore à parler. Presque en face de l'entrée, une seconde porte (de cinq pieds de haut) nous conduit dans un petit appartement de dix pieds de large sur vingt de long, qui est nommé le Neft Koïou, ou le puits de bitume, à cayse de son odeur de naphte , qui y est tellement forle , qu'on a de la peine à s'y tenir quelques instants sans chan- ger d'air, i Cette petite chambre était presque! tout entière, et de haut en bas, occupée pai' une cons- truction fort solide en briques cuites., incrustées de mortier. La forme de cette maçonnerie était à peu

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IM iUlJRNAL ASUTIQDK.

fUlfiti celle d'un pieu V appii^anl sa b^sa stirle»ro6i 4ciAU«be d«. rentrée. Son exlréinité la moiwsi krj^ fifcAèKetqui; 69 trouvait à la base. On avait pratiqué, ^jjairoe. dl'y lenfoocer plusieurs briques , xm peÛX ^Mv > assez liarfçc < < ndant pour qu'un homiw» couché sur le vtiilrt put s'y introduire. Autrefois le trou aboutissait à une espèce de niche voûtée; I ()eino rt ( < m 1 1 1 1 1 ssable apuès. led eûort^^ qiif

lion a laits pour y aitriver à travers les briques. Giettc uiclir était rempAie d'un naphte noir et giutineux, qui >()! laiteiiabondaiaee de plusieurs- endroits d entre \m( ihriqbesii et i jatm pestait , commet je l'ai déjà dil s tout cet) appaiieihen t; Le roci, au-dessus du mt)nU' ment, était; oa plusieurs endroits noirci par la iumée des lampes; i> .' p.n

-fi'ii^ ! ^cha ;ile Van m'avait idQJours supposél de prdfondes conïîaissanccs dans \k scâmoe des liàUs^ inatiâ;; il s'impatientait d'attendi-el le moment je lui livrGi*ais la «lef des trésors immenses que les habitants ;(^u pa'y s croient cachés dans ce chàteaii. Dans les viaiies que lui-même avait faites , à plusieuits reprises V à ia chambre du Neft Koiou, il ne liu avait i>a6 échappé que; le» monument quq l'on y voit n'a été probablement aiitre chose ^'unu tombeau^ Il ae me faiiait; donc qiie deux mots sur les lichesses des anciens rois du pays, sur leurs enterrements et Miri leurs tombeaux, pour lui faire tout de suite ooRcevoir i^espoir de devenir, à bien peu de frais, leur héritier. L'ouverture faite dans la partie supé- rieure du monument, et la petite niche elle

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AVRlL^MAl-JUm 1840. 283

aboutissait, et qui, en vérité, aurait pu être destinée à recevoir un cercueil, étaient loin de fournir une preuve suffisante cpie l'on «ût netiDé dé; cet; endroit tout ce qu'ilpouYaiii renfermer de précieux* Au contraire, la maçonnerie, tout à fait intacte jus- qu'à l'ouverture, et le résonnant de la chambre, nous firent supposer quelque! payitésecjt'ète échappée à l'attention ceux . qui avaient - enrichi ce t<)int

beau, , . ': . ■.. *ji; ; •;; ;' ■. ;hii; \ :

Les otivriers! quer iie; pa^ba a^ait >employé!s pour faire des fouilles n'arriv-èfent qu(avec beaucoup de peine et de lenteur : presque tous leurs outils s' étaot brisés contre la dureté des briques^, .on imagina^ pour aller plus vite, d'y faire des mines; mais l'eix^ plosion et ia détonation qui sien rlirent entendre dkns k' ville , donnèrent lieu à toutes sortes de bruits mxÈ cette opération mystérieuse , et c'est ce qui déter^ mina le pach«a à faire suspendre; cette manière de travailler. Les ouvriers reprirent leurs outils de fer, ei^ H l'époque de mon départ, après yavoir travaiBé près d'un, mois entier, ils n'avaient pas encore réiassi à déblayer les briques j usqu au fond dp la chambre. Quel que soit le résidtat de cette opération, 'je doute fort que jamais personne ert soit instruit. Taut ppès.du Neft Koiou^et dans la; grande .mass^

^ ^ Le' ciment ces briques les lie bien lès unes avec les au- tres que, malgré toUte la peine pbssibîe,'6tl n'eri peurt détaéhèr une seule sans la casser. Chaque brique est carrée de huit pouices de long sur deux pouces d épaisseur. Elles ne portent nulle part de majrques particulières, ni dès inscripiions; j'en ai rappo'ril une fifmr qu'on paisse la comparer ayec ceHes de Babylonë. ■>■"f^)^

JOURNAL ASIATIQUE.

du rocher qui 9'éiève à sa gauche, et qui porte eti bas l'inscription trih'ilgue de Xerxès, et en haut la poudrière, il y a un trou de forme irrégulière d'en- viÉ'on trois pied& de haut et d'autant de large. Cette ouverture sert d*enti^ée à une suite de cinq chambres , distribuées de rtianière que la plus grande (de trente . piejds de long sur vingt de large ) se trouve la pre- mièi^e, ayant à ses* côtés deux petites chambrés, l'une à gauche et l'autre à droite, avec leurs portes ■«qpectives, tandis que deux autres chambres, égale- fliënt petites , se trouvent sur le même plan , derrière la (première, et l'une derrière l'autre. Leurs portes sont «n face, de i'ouvertube qui sert d'entrée à la grande chambre.

Les murs de ces ciiambi^s sont négligemment ti'availiés, sans aueuiie 'sorte d'ornements,' sans niches et même sani poli; elles sont toutes parfaite- ment vides; seulement j'ai trouvé dans la chambre à. gauche heaucoup de poussière accumulée et d'os- «étoients humains. J'ai examiné ces os avec attert- iienv^et, comme ils ne présentaient rien d'extraor- dinaire ni dîyis leur forme, ni sous le rapport de lem- conservation, je les ai remis à leur place. Je me rap])elais l'inscription sépulcrale de Gyrus^^^rfl !«' ft'envîais plus leur modeste repos, à des os ^qui peut-être sont les seuls restes de la race royale de Sémiramis ou d'une des antiques dynasties qui , après elle, ont [x>ssédé cet admirable rocher. *»""

•Nous allons quitter le château intéri<Mii ([ni m contient pas d'autres monuments Hnii^jn pnur

AVRIL-MAÏ-JUIN 1840. 285

nous occuper d'une grotte taillée dans le rocher, et non moins remarquable que celle dont, nous venons de parler. Elle se trouve à quelques centaines de pas à droite du Nefl Koïou, sur le sommet du rocher, mais hors des murs et des foi'tifications qui fo«*r ment l'enceinte de i'Itch Kalah. 'H

Pour y parvenir, on grimpe à rextrémité orientale du rocher, près de la porte de Tébris , dans un en- droit où il est moins rapide ; puis , arrivé en haut , on suit , dans la direction du sud-ouest , le long mur qui, de ce côté-ci, défend l'entrée du château. Sur ce passage on rencontre çà et des traces d'anciens escaliers ou de bancs taillés dans le roc , tels que nous en avons remarqués aussi sur le chemin du Khor- khor et sur celui de I'Itch Kalah; mais ici ces restes sont trop rares , trop isolés pour donner la moindre idée du rapport dans lequel , autrefois , ils ont se trouver avec l'ensemble du château; toutefois ils montrent, nlême dans leur état actuel, que sur ce rocher tout était exécuté dans un style grand et noble. Après avoir longé, pendant quelques centaines de pas , le mur qui nous sépare de l'intérieur , nous ar- rivons devant un grand escalier se composant de vingt-cinq marches assez bien conservées, et ayant chacune dix pieds de large ; on l'a pratiqué dans le rocher, de manière que le morceau du roc qui ren- ferme les appartements dont nous allons parler sert d'appui à sa droite , tandis qu'un autre gros morceau de roc, qui descend rapidement et se joint en bas aux masses du château, forme, en quelque sorte , sa

286 JOURNAL ASIATIQUE

rampe à gauche, et empêche que l'on ne tombe dans l'abîme, qu'on 'a ici à ses pieds. ^ i<;De l'escalier nous descendons sur un plateau de soixante-quatre pieds de long sur dix-huit pieds de large, taillé dans le roc, devant la grande poii« d'entrée. A gauche et à droite de cette porte on voit encore des morceaux (l'un long de trente - quatre, l'autre de dix^ept pieds) d'un banc qui pa- raît avoir entouré tout cet emplacement, et dont on reconnaît quelques faibles restes dans les autres endroits de son enceinte. Seulement la marge de ce plateau, qui est du côté de la ville, n'en conserva plus de trace, et est sans la moindre défense immé- diatement sur l'abîme.

) Nous n'oublierons pas de remarquer qu'aussi de cel endroit on jouit d'une vue superbe sur toute la plaine est située la ville, sur les rochers du Warrak-Dagh et sur les colline^ et les montagnes qui, du côté de l'est, s'étendent vers la Perse. 'H •'»<ljaissant derrière nous cette vue, nous montons, iphiv six marches larges chacune de trois pieds et demi , à la porte d'entrée, ayant quatre pieds et demi de large sur neuf pieds de haut , qui est exécutée avec le plus grand art dans un rocher de soixante pieds de large, taiHé à pic et s'élevant, du plateau dont nous venons de parier, à une hauteur d'en- viron quarante pieds. Il n'est pas invraisemblable que tout ce grand morceau de roc était autrefois couvert, de ce côté-ci, d'ornements et d'inscriptions. Du moins on voit encore qu'il était partout travaillé

AVRIL-MAI-JUIN 1840. tSt

et même avec beaucoup de soin. Malheureusement des mains barbares n'ont que trop bien réussi dans leurs efforts pour effacer ici jusqu'à la trace de l'art antique. Le premier objet qui nous frappe dans l'intérieur du roc est un grand appartement carré (A), de vingt-cinq pieds de long sur vingt et un de large, et vingt-cinq environ de haut. Il est complètement vide , sans niches et sans aucu» or- nement ; mais le poli du plancher, les encadrements de ses portes , tout y est vraiment d'un travail ad- mirable. ')i

Trois portes, chacune de sept pieds de haut sur trois pieds et demi de large, l'une en face en en- trant, la seconde à gauche et la troisième à droite, conduisent, de ce grand appartement, à autant de petites chambres. j>

La chambre I se trouve derrière i' appartement A. Elle a douze pieds en carré , et , comme les deux autres (II et III), quinze pieds de hauteur. Elle est séparée de l'appartement A par un mur de deux pieds et demi d'épaisseur. En entrant, on voit de- vant le mur» à gauche, occupant toute sa longueur, une espèce de banc de trois pieds et demi de haut sur cinq et demi de large , devant lequel on a pra- tiqué trois marches, comme tout le reste, taillées d»is4eroc. tfj

lia chambre II, ou celle qui est à gauche ide r.appartement A , est longue de vingt-trois pieds sur neuf^pieds de large. Un banc semblable à celui du numéro I , haUit de trois pieds et* demi, mais saii$

JOUBNAL ASIATIQUE, marches, occupe tout le long du mur ^ droite en entrant. En l'ace de ce mur, la cliambre se prd- longe presque en forme d'alcôve. A droite de rajp4 partement A, et ea face de la chambre II,.iltyf.Éi une troisième petite chambre (III) de seize pieds de long sur huit de large; le mur qui la sépare d^ a trois pieds d'épaisseur. »l> nu

Dans toutes ces chambres, il iî?y à aucun orne-» ment, et, à en juger d'après leur poli, il n'y en a jamais eu. Si je pouvais avancer une opinion sur leur destination, je les croirais faites pour servir de tombeaux. Les bancs qui se trouvent dans- les numéros I et II me paraîtraient avoir été destinés à recevoir des. cercueils. Toutes ces chambres res- tent aujourd'hui tout à fait vides, et, n'étant fré- quentées de personne, servent de retraite à une quantité prodigieuse de chauves-souris et de hibous. A leur aspect, on aurait de la peine à ne pas se rappeler le fameux vers de l'auteur du Schah Na-

L'araignée a soin des rideaux dans le château des Césars. Le hîbbû pousse ses plaintes dans le palsas d'Afrasiab.

r, jPas très-loin , à droite du roc qui renferme ces chambres, l'on voit, entre les fentes de la colline, une petite ouverture d'un accès assez difficile. La partie du rocher elle se trouve étant très-escar- pée , on ne peut y approcher qu'en profitant d'une grande fente pour descendre du batit du sommet. On voit facilement cjue jamais il n'y a eu ici de

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chemin tracé. Le trou même qui se trouve à peu près au milieu du rocher, à distance égale de son sommet et de sa base, est carré de trois pieds de haut sur deux de large et sur cinq de profondeur. On a pratiqué au-dessus une espèce de niche voûtée , à peu près dans le genre de celles que l'on remarque sur r Akkirpi , près de la caverne du Zemzem-Dagh. M'étant introduit par cette ouverture, je me suis trouvé dans une chambre carrée de vingt-trois pieds de long sur quatorze pieds de large et sur environ douze pieds de haut. Le long de ses murs s'étendent des bancs dans le genre de ceux des chambres I et II que nous venons de décrire ; ils sont hauts de trois pieds et larges de deux pieds et demi. Sur chacun de ces bancs il y a un double rang de trous ronds , assez grands et assez profonds pour contenir un boulet de douze. Cette grotte se trouve , comme les autres, entièrement vide.

Côté nord du château. Table hors la porte de Tébris. Khazânè-Kapoussi.

Quittant le côté sud du rocher qui, à partir de la dernière grotte que nous venons d'indiquer, jusqu'à son extrémité orientale, ou jusqu'à la porte de Té- bris , ne nous présente plus aucun reste d'antiquité, nous nous occuperons du côté opposé , ou de celui nord et nord-ouest, et nord du château. Nous ferons le tour, en nous dirigeant par la porte de Tébris à celle de l'échelle. s i i

Immédiatement à, côté , et en dehors de la portée de

IX. 19

290 JOURNAL ASÎATÎOUE.

T(^bris , on reconnaît encore les traces d'une table (îarrée taillée dans le roc, à environ dix pieds de hauteur au-dessus du niveau de la plaine ; elle est tellement détruite , que je n'ai pu même distinguer si autrefois elle contenait une inscription. Tout près de cette table , on m'a assuré qu'il y en avait eu une autre portant une inscription en caractères cunéi- formes. Une maison construite sur cette partie du rocher l'a fait tout à fait disparaître.

La ^oUe nommée Khazânè-Kapoussi. (Inscr. XIL)

A peu de distance de la porte de Tébris , sur le chemin qui conduit de cette porte au lac, on voit deux grottes dans le rocher, au-dessous et en de- hors des fortifications qui les défendent de ce côté. Elles se trouvent l'une à vingt pas de distance de l'autre , sont taillées dans le roc avec beaucoup de soin, et ont chacune sept pieds de largeur sur huit et demi de longueur, et environ autant de hauteur. La partie supérieure en est travaillée en forme de voûte; les murs sont unis et polis, et n'ont, dans celle de gauche, rien de sculpté. Celle de la droite parte sur le mur , à gauche en entrant , une ins- cription de vingt-neuf lignes (n°XII). ¥lie se trou- vait à moitié sous la terre, qui, à ce qu'il paraît, avait encombré cet endroit depuis bien longtemps. Les caractères en sont grands , d'un beau dessin et d'une parfaite exécution , très-lisibles, et pour la plu- pl^rt bien conservés. Il n'y a que deux endroits

AYRIL-MAI-JUIN 1840. 291

cfiie a souJOFert. En bas , une fente dans la masse du roc paraît, en s'élargissant , avoir emporté plusieurs caractères; mais la lacune que cette circonstance aura causée est moins considérable qu'elle ne paraît au premier abord. H est facile de voir que la fente est ancienne, et qu'elle avait déjà forcé celui qui plaçait finscription de laisser un blanc près d'elle pour ne pas gâter encore davantage un endroit qui ne lui offrait guère la possibilité d'y mettre des ca- ractères. Une observation que j'ai eu occasion de faire plusieurs fois sur ces inscriptions , c'est que la nature cassante de la pierre a bien souvent guidé l'artiste dans l'arrangement des caractères, et qu'il les a quelquefois éloignés ou rapprochés les uns des autres , ou rendus plus minces et plus petits , seule- ment parce que des fentes ou des cassures l'y ont forcé.

La seconde lacune que l'on remarque sur cette inscription a été causée par une croix très-grossiè- reinent gravée, par laquelle les Arméniens chrétiens en ont^âté plusieurs lignes. On voit encore sotis la dernière ligne de l'inscription quelques caractères arméniens qui sont également mal exécutés.

Encore aujourd'hui cette grotte jouit d'une égale vénération chez les chrétiens et chez les musulmans.

Les premiers , comme nous venons de le i^mar- quer, ont donné la sanction de l'Eglise à cet endroit , probablement déjà sacré chez les Assyriens , et que tes musulmans , à letpr tout", regardent Commis un lieu de pèlerinage [Zixtret). Ge sont surtout les fenrmes musulmanes qui le fiéquentent, et qui,

'9-

29*2 JOURNAL ASIATIQUE,

plusieurs fois, ont voulu me contester le droit d'ar- racher, des caractères , les petits morceaux de hail- lons qu'elles ont l'usage d'y mettre comme autant de dons votifs, mais dont il me fallait débarrasser le mur pour pouvoir èopier l'inscription.

La tradition du pays place dans cette grotte de très-grands trésors ; d'après elle , il y a sous terre , bien au-dessous de cette porte du trésor [Khazànë- Kapoussi), une grande grille en fer, pour défendre l'entrée d'un vaste appartement tout rempli d'or et de diamants. Deux hommes aux épées de flamme la gardent si bien, qu'aucun mortel ne saurait y péné- trer. Chaque nuit un grand serpent vient.se coucher devant l'inscription; il se retire à l'aube du jour dans un trou du rocher, à droite de la grotte. Plusieurs fois des habitants de la ville ont voulu confondre mon incrédulité , en me faisant voir les itraces lais- sées par le serpent; mais ces traces m'ont paru fort douteuses : quoique je me sois trouvé dans cet «ndroit quelquefois plus de deux heures avant le le- ;Vfir du soleil , je n'y ai jamais rien vu de ce serpent.

Les trois tables. ( Inscr.; XU-^V.)

En suivant les contours du rocher dans la direc- tion du Khazânè-Kapoussi , nous remarquons , à quel- ques centaines de pas à droite de cette grotte, une partie dn rocher travaillée dès les temps antiques. Xilest un morceau de roc taillé à pic, de. cinquante six pas de largeur sur, environ cinquante pieds de

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hauteur, dans lequel on a sculpté trois tables carrées, répétant toutes les trois une seule et même inscrip- tion en caractères cunéiformes. Ces tables sont dis- tribuées de sorte que deux s^ trouvent en haut, à une distance d'environ douze pas Tune de l'autre. La pre- mière (A) est un peu plus élevée que l'autre (B) , qui est à vingt pieds au-dessus de la plaine , tandis que la troisième (C)' se trouve tout à fait au bas du roc ,' à dix pas à droite au-dessous de la table A , et à quatre^ pas environ à gauche et au-dessous de B. ' >

Chacune de ces trois tables est entourée d'un en- cadrement d'un pied de profondeur sur environ au- tant de largeur. La première a, en outre ,^ cinq pieds de haut sur cinq pieds trois pouces de large. L'ins- cription qu'elle porte se compose de dix-néuf lignes , hautes chacune de deux pouces deux lignes. Sous la dernière ligne il y a un blanc de qpiatorze pouces , et il est facile de s'apercevoir qu'il n'y a eu jamais rien de sculpté. ^fob "in /n:) il'-

La table B , <jui se trouve tin peu moins élevée , et à douze pas- environ distante de la première , est exécutée exactement dans les dimensions de la pre- mière, et répète , à quelques légères différences près, ia« même inscription. La troisième table C est de quelques poiices plus grande que les deux autres. Moiïïs heureuse que celles-ci , puisqu'elle se trouve tout failieni bas du Tochei*, elle n'a j)u échapper, cèifimé les ^etix autres, à la destruction. L'insctip- tion «n est presque entièrement ruinée; mais les ca- ractères qup.en restent au commencement et à la lin

L

294 ' JQUliNAL Aiî^lATlQUJB.

de plusieurs ligues suffisent pour faire voù* qu elles ue portaient que le texte des tables A et B. Les carac- tères dont se composent ces inscriptions sont abso- lument dans le genre de ceux que nous présentent les autres monuments du château; mai« ils» sont exé- cutés ici dans de plus grandes proportions, et environ d un pouce plus gi'ands que ceux du Kborkhor. On a de la peine à concevoir comment on a pu les graver dans cette partie dti rocher, q«i, outre sa» dureté extrême , est tdlement cassant , qu il paraît presque impossible d'y sculpter la moindre chose.

6! )'-*U|4' grande caverne eàté norddn ch&teau. (Inscipi, XYI.)

Le derniei^ monument du château dont nous ayons à dire quelques mots ici est une grande ca- Terne taillée dan^4e rocher, sur: W partie supérieure de la colline , à une.ceptaine de pas à droite des trois tables. Cette caverne, dont l'entrée, cachée derrière les rochers , est tout à fait inaccessible d'en bas , est un carré obiong de soixante-dix pieds de long sur quinzie environ de large et à peu près huit pieds de^ haut; je dis à peu près, parce qu'elle est partoutt tellement encombrée de pierres et de terre , que ne aamais indiquer la hauteur exacte* Les murs et te'piaibnd, quoique assea; bien unis, sont sans la moindre sculpture; mais à droite de l'entrée on a gi:avé , sur w^e éjaûnence du roc , l'ijoscription n" XVI qMJ m çiumposie de dixrsept ligneft, et oocupe un e^ace de quarante-sept pouces de long sur vingt-

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neuf de haut. A en juger diaprés le fort résonuement de cette caverne , il doit y avoir des souterrains ca- chés quelque part sous la masse des pierres dont elle est encombrée. Le pacha avait l'intention d'y faire faire des fouilles, mais il attendait, pour les commencer, qu'on eût achevé le travail dans le Neft Koiou , qui n'était pas encore déblayé à l'époque de mon départ.

A partir de cette dernière grotte jusqu'à l'Iskek Kapoussi, je n'ai trouvé, sur ce rocher, aucun mo nument ancien, à l'exception de quelques niches carrées, semblables aux trois tables, et taillées en deux ou trois endroits dans le roc , sans porter la moindre trace d'une inscription. Nous avons déjà remarqué que, de ce côté-ci, le rocher, peu rapide, est en talus , et que , par cette raison , on a tâché de le défendre par plusieurs rangs de murs, avec des fortifications turques. Dans ces constructions, j'ai distingué quelques grandes pierres anciennes appar- tenant la plupart à l'Arménie chrétienne, comme l'attestent les grandes croix et les ornements dont on les a chargées , et qui sont toutes du *style de ceiles que l'on voit sur les anciens tombeaux et les églises arméniennes. Quelques autres pierres, que j'ai remarquées dans les fondements, pomraient peut- être remonter à une époque plus reculée ; ce sont d'énormes blocs de basalte et d'une espèce de mar- bre, creusés et travaillés en forme de tuyaux. J'en ai vu plusieurs dans les fondements d'une des tours rondes du château, que les Turcs ont construites

596 JOURNAL ASIATIQUE.

entre Ja caverne du nord et la porte de l'échelle. Ces pierres pourraient bien appartenir à quelque ouvrage colossal de haute antiquité; mais elles n'offrent nulle part les restes de caractères ou d'autres sculptures.

Si les auteurs arméniens , tant anciens que mo- dernes , nous parlent de statues , de bas-reliefs et d'autres ouvrages de sculpture du temps de Sémira- mis, qui devaient se trouver dans le château de Van et'dans ses environs , je crois pouvoir affirmer qu'au- jourd'hui il n'existe plus rien, ni sur le rocher du château, ni dans la ville, ni même dans ses environs. J'aurais attaché beaucoup de prix à la découverte de quelque monument de ce genre; mais toutes mes recherches , à cet égard , ont été infructueuses.

Personne à Van , ni chez les musulmans , ni chez les Arméniens , n'a entendu parler de statues ou de figures sculptées. Le seul objet que j'aie pu décou- vrir était ie tronc d'une petite figure humaine, très-mal exécuté en relief; sur une pien^e qui se trouve dans un des murs du fossé de la ville, près de rOrta-Kapoussi. Je ne compte pas non plus deux pierres murées, au-dessus de la portç tout à fait moderne de féchelle , pierres qui présentent le com- bat d'un lion avec un taureau. Sur une d'elles le taureau est renversé , sur fautre le lion se tient avec beaucoup de gravité debout. Ces sculptures sont tellement grossières et détestables, sous le rapport du dessin et de l'exécution, qu'on ne me persua- dera jamais qu elles appartiennent à des temps qui owl vu' exécuter les inscriptions du Khorkhor, dont

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chaque caractère, sous le rapport de l'art, est un vrai chef-d'œuvi'e.

Malgré toute l'analogie du suj et avec des représen- tations symboliques fort connues, il faudra proba- blement attribuer ces pierres k une époque musul- mane, dont l'art grossier se plaisait quelquefois à imiter les ouvrages grecs et anciens persans : témoin tant de médailles de plusieurs dynasties Seldjouki- des , et les pierres des murs de Diarbekir-Baiburt.

Ce manque total de monuments antiques saurait- il paraître étonnant dans un pays aussi barbare et en même temps aussi rigoureusement sunnite que l'est le Curdistan? Si la religion chrétienne , et plus tard l'Islam, ont donné une égale sanction à bien des endroits qui, d'après la tradition unanime du pays, ont été déjà, dans les plus anciens temps , destinés au culte des divinités; si encore aujourd'hui vous voyez sur des rochers et dans des grottes , couverts d'inscriptions assyriennes , les femmes arméniennes et > musulmanes «confondre leurs prières adressées, par les unes à Sourb-Kirkor et à l'Astyatzatsin , et par les autres à celui qui est seul et n'a point de com- pagnon; enfin, si tous les habitants du pays res- pectent ces endroits , dont ils prennent les inscrip- tions pour des talismans gardiens et protecteurs de leurs contrées, vous ne devez jamais^attendre, de la barbarie et de l'ignorance stupide de la population actuelle du Curdistan, les moindres égards pour une production quelconque de sculpture. Car,' à 'coup sûr, chaque figure humaine d'un bas-relief ne serait

2ira JOURNAL ASIATIQUE,

pour les uns que le portrait du diable et de i'ante- christ , tandis que les autres s'empresseraient de les détruire en honneur des préceptes du Coran et des traditions cju prophète.

Inscriptions prises dans les églises de Sourb-Bogos et de Sourb-Pétros à Van. (XXXTII-XXXVIL)

Les deux églises arméniennes de Saint-Pierre et de Saint- Paul, à Van, sont regardées comme re- montant à une très-haute antiquité, et comme les plus anciennes des huit églises de la ville. La pro- fonde ignorance des prêtres arméniens de ce pays, parmi lesquels il y en a beaucoup qui ne savent ni lire ni écrire, ne m'a pas permis d'apprendre, même approximativement , l'époque de leur cons^ truction, et c'est le même cas pour presque toutes eelles du Curdistan. Celles-ci ne se font remarquer, dans leur extérieur, par aucun ornement , les chré- tiens du pays ayant soin d'éviter ou de cacher tout ce qui pourrait blesser le fanatisme des Curdes ou exciter leur cupidité. Comme la plupart des églises armé niedcines , elles sont construites en forme de croix , et ne nous intéressent ici qu'à cause de deux pierres cunéiformes que l'on y a tians portées.

Dans une espèce de souterrain de l'église de Saint Paul , à droite en entrant , il y a dans le mur une pierre grisâtre, longue de quatre pieds deux pouces, sur un pied quatre pouces de haut , qui porte une inscription de dix lignes , parfaitement bien conser- vée, à l'exception de la fm de la troisième ligne,

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il y manque déjà trois caractères. Les lettres sont bien formées , les clous verticaux sont hauts de dix lignes, les 5^y>:r, longs de dix-huit lignes, et les autres caractères en proportion; les lignes sont distantes lune de l'autre de dix -huit lignes (n" XXXIX). Cette inscription date, d'après le dire d'un des prê- tres de cette église , de Schamiram, qui, ajouta-t-il , fut une grande princesse russe de l'antiquité.

La pierre d'où j'ai pris l'inscription n*" XXXVIII , forme la partie supérieure d'une petite porte dans l'intérieur de l'église de Saint-Pierre. Elle a> trente- cinq poucefr de long sur quinze de large. Ses carac- tères sont assez petits, et même plus petits que tous ceux que j'ai vus. J'ai remarqué v dans ma copie , l'ei^r droit gâté où, dans le commencement de la neuvième et de la. onzième ligne, se trouj^re uiafif entaille faite dans la pierre pour pouvoir mieux la placer. Cette inscription se compose de trente et une lignes.

Le XXXVII présente l'inscription d'une pierre qui se trouve auhdessus d'une porte du bazar de Van , longue de trois pieds sur huit pouces de large. Eu ar- rangeant cette pierre pour la place qu'elle occupe ac^ tuellement, on a tout à fait gâté l'inscription , au reste très-petite et assee mal conservée; il n'en reste qile le fragment de vingt et une lignes , conMne on le voit dans le précité. t.

JOURNAL ASIATIQUE. 11.

ENVIRONS DE VAN

Meher-Kapoussi. (Inscr. XVII.)

A une petite demi-lieue à l'est du château de Van s'étend, presque en forme de demi-cercle, une longue colline sèche et stérile , se composant de la même masse de roc, dur et calcàii'e, qui forme le ciiâteau de Van. D'après une des traditions du pays que le pacha m'a souvent citée^ ces rochers, en grande partie très-escarpés et d'un accès fort diffi- cile, auraient autrefois formé urte seule masse avec le château , dont une violente révolution volcanique les aurait séparés. Oh appelle cette sériei de collines le Zemzem-Dagh

1 La, partie occidentale, q|i celle qui regarde la ville, porte V chez les habitants de ces contrées, le nom d'Akkirpi' (le Hérisson blanc), nom qui serait ti^s-mal choisi, s'il s'agissait d'indiquer, par lui, la forme ou ia coideur de la colhne , mais qui peut- être renferme des éléments de quelques mots an- dans changés et estropiés à la turque) comme cela est arrivé si souvent en Asie. »i > c . ^ <.i

Près du haut de cet Akkirpi , on a taillé , dans le roc , une grande table carrée de quatorze pieds sept pouces de haut sur six pieds de large , couverte de haut en bas de caractères assyriens. Le double en

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cadrement de cette table , les deux marches qui s'é- lèvent devant elle l'une sur l'autre , et enfin toute sa forme qui, vue de loin, lui donne assez l'aspect d'une porte , ont donné dans ce pays , l'on croit tout sans rien examiner , naissance à l'absurde idée que cette table n'est qu'une entrée, qu'une porte de la montagne; et l'imagination. des Gurdes, au^i vive qu'elle est active, n'a pas manqué d'ajouter à cette première supposition un amas de fables dont on pardonnerait volontiers la sottise , si elles ren- fermaient du moins quelque chose qui pût rap- peler une tradition. Cette porte, disent les habitants du pays , cache l'entrée d'une grande ville souter- raine, habitée par 'des Divs. Il n'y a que deux moyens pour l'ouvrir: ou il faut savoir lire le talisman que l'on y a inscrit, ou bien attendre, ajoutent les chrétiens du pays, le septième jour après Pâques, ou la fête de saint Jean; car la porte mystérieuse ne .s'ouvre d'elle-même qu'une fois par an, le jour de Saint-Jean. Dans l'intérieur de la montagne on entend de temps en temps chanter un coq ensorcelé : vous appelle-t-il le jour s'ouvre la porte, c'est un bon signe, vous pouvez essayer d'entrer; mais, quand il se tait,! gardez-vous bien de vouloir pénétrer dans cet endroit, car alors vous vous y perdriez; il vous arriverait ce qui est arrivé à un habitant de. Van , qui, d y a quelques années, assez hardi pour s'a- vancer jusque dans la demeure de$ démons, n'a ja- mais été revu, etc. etc. Quant aux cavernes que ces contes supposent être dans cette partie de la

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colline, je puis assurer que les recherches les plus scrupuleuses m'ont convaincu qu'il n'y en a aucime. Mais je vais avoir occasion de parler de celles qui "se trouvent à plusieurs centaines de pas à droite de rAkkirpi, stiT Textrémité orientale de la colline; ce so(it probablement ces dernières cavernes pour les- quelles on a voulu trouver une entrée de l'Akkirpi.

Le nom sous lequel on désigne à Van la grande tà^bie de l' Akkii-pi , qui y est asset généralement con- nue, est celui de Meher ou Mîhr-Kapoussi , mot qui semble nous rappeler de suite Mithra. Mais il faut re- marquer que si Ton peut traduire ce nom par la porte de Mithra, ou du soleil, ce n'est plus dans la langue actuelle du pays que le mot persan meher <;onserve le sens de soleil. Ni les Curdes , ni les Turcs, ni les Arméniens ne sauraient vous dire que Meher-Kapoussi signifiait la porte du soleil. Meher ou Mihr n'est pour eux qu'un mot vide de sens, conservé seulement par une tradition d'autant plus respectable qu'elle n'a nullement pu être effacée par la tendance, cependant très-naturelle et commune à tous les •j)euples du monde , de substituer à uil an- eien nom, dont on ne connaît plus la signification, un autre ordinairement d'un son semblable, mais significatif dans la langue du pays. Car, si Ton entend quelquefois appeler cette table Demir-Kapoassi (porte de fer), cela est extrêmement rare, tout le monde ne la connaissant que sous la dénomination de Meher-Kapoussi.

L'inscription de la taMe de l'Akkirpi est la plus

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grande de toutes celles que j'ai trouvées. Elle se compose, comme on le voit XVII, de quatre- vingt-quinze lignes. Son texte, à ce qu'il me semble, forme plusiem-s inscriptions différentes ; du moins cette supposition donnera , si je ne me trompe, l'ex- plication la plus simple des lignes que l'on y a lais- sées en blanc, et par lesquelles toute la table est divisée en quatre sections , savoir :

Jja première , de vingt-cinq lignes ( i -2 5 ) , au bout desquelles on voit deux lignes en blanc ;

La seconde , de six lignes ( 2 6-3 1 ) , après lesquelles il n'y a qu'une seule ligne en blanc;

La troisième, de cinquante-deux lignes (32-8/i), qui, de même , se trouve séparée par une seule ligne en blanc de la quatrième section , qui se compose de dix lignes.

Quoiqu'on ne puisse arriver à cette inscription qu'avec beaucoup de difficultés (il faut grimper dans des fentes de rochers fort rudes il n'y a eu jamais de chemin tracé), toute sa partie inférieure a beau- coup souffert de la barbarie de ceux qui y ont monté. En plusieurs endroits, dans le bas, il n'en reste, comme on le voit dans ma copie , que bien peu de fi^agments. J'ai mis pourtant toute l'exactitude pos- sible pour rendre et copier les inscriptions telles qu'elles sont sculptées , et ce n'est que la première section qui en est tout à fait conservée , parce qu'elle se trouve , par sa grande élévation , mise à l'abri de tout outrage. Ici il est très-visible que plusieurs défe fentes et des cassures que l'on y remarque aujour-

i

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d'hui y existaient déjà lorsqu'on y traçait les carac- tères. Pour s'en convaincre, on n'a qu'à comparer le commencement des lignes quarante et quai'ante et une avec celui des lignes quarante-huit et quarante- neuf, etc. etc. Les caractères de cette inscription sont assez grands (chacun d'eux a environ deux pouces de hauteur) et bien exécutés; son écriture se distingue de celle du Khorkhor par les »^>- , les teïyr et les ^fff^ , qui, avec une légère différence sur la table de Meher-Kapoussi, ont la forme suivante: ^^^ , ^^\ cette forme se retrouve constamment dans les inscriptions XXIII, XXIV, XXVU, XXX, circonstance qui pourrait peut-être indiquer deux dif- férentes époques de cette écriture. Déjà, en exami- nant et en copiant les inscriptions du Khorkhor, je m'étais aperçu , en quelques endroits, d'un enduit d'ime couleur jaunâtre, formant une espèce de peau fine et ridée, comme on en voit d'ordinaire sur les objets peints à l'huile et exposés à l'air et au soleil. Ces endroits me semblaient alors être trop rares en comparaison de ceux il ne se trouvait au- cune trace d'un tel enduit, et la supposition qu'une couleur exposée à l'air se soit conservée pendant des milliers d'années , me paraissait trop hasardée pour que je ne voulusse pas attribuer plutôt cette circons- tance à quelque hasard ou à quelque cause douteuse, que d'y voir un procédé technique de l'antiquité. Depuis que j'ai vu la table du Meher-Kapoussi, il ne me reste plus de doute qu'en effet ces inscriptions ont été enduites primitivement d'un vernis d'une

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couleur jaunâtre, qui, quoiqu'il ait assei s'oufFellde l'impression de T air, ne saurait être méconnu sur cette inscription, sui'tout dans ses premières lignes, qui se trduvent assez abritées par le double enca- drement de la table. Plus bas que cette grande table , et h sa droite, l'on voit, taillé dans le roc, un en- foncement semblable à celui dont nous avons parlé à l'occasion du Khoi'kbor, et de la petite grotte sé- pulcrale du côté sud du cbâteau.

Comme il ne s'agit ici que d'une description fidèle de tous les monuments anciens qui se trouvent sur les bords du^lac de Van et de ses environs , je n'ose- rai hasarder aucune hypothèse, ni sur la destination de la table , ni sur cet enfoncement; la meilleure explication nous en sera donnée probablement le jour Ton lira les inscriptions qui accompagnent ces monuments : je me borne à observer que ce Meher-Kapoussi est encore aujourd'hui un lieu de pèlerinage fort respecté, fréquenté également, comme le Khazânè-Kapoussi', par les femmes musul- manes et arméniennes, tiiiaë fii>

Environ à dix minutes k fest de Meher-Kàp^ôussr, sur le plus haut point du côté nord-est du Zemzem- Dagh, on se trouve, après avoir pénétré par une fente de ces hauts rochers , devant une grande masse de roc l'on a pratiqué une large entrée, à peu pijès carrée et voûtée , de six pieds de haut sur huit pieds de large, immédiatefnènt au bout d'un long corridor av^ec un escalier 'de cinquante marchëé, eri beaucoup <f endroft^ presf [no ontièremerit 'd«truïte»^, IX. 20

d06 JOURÎNAI, ASIATIQDE

qui conduit dans l'intérieur du roclier. Sur le côté «gauche, et au-dessus de cette entrée, il y a une dizaine de degrés taillés dans le roc vif, les uns au- dessus des autres : en les voyant de loin , on les pren- drait pour les marches d'un escalier aboutissant au sommet du rocher; mais, si l'on fait l'observation qu'ils n'ont que quelques pouces de large, qu'ils sont placés perpendiculairement l'un au-dessus de l'au- tre, et que ceux d'en haut sont loin d'atteindre le sommet, on voit bien que leur destination primitive a être tout autre. Le corridor ou chemin souter- rain par lequel on arrive à la caverne , est assez bien éclairé par deux trous ronds pratiqués dans le roc , à une certaine distance l'un de l'autre, qui donnent en même temps la vue pittoresque de la plaine au pied du Zemzem. Dans ce corridor, qui est assez large pour que deux personnes puissent s'y tTviuver l'une à côté de l'autre, on ne voit ni inscription, ni autre ouvrage de sculpture. L'ayant suivi jusqu'à son issue, on se retourne un peu à droite, pour entrer de suite dans une caverne carrée et irrégulière, tel- ' lement encombrée de pierres, qu'on ne peut la par- courir qu'en rampant sur les genoux. Le roc de cette grotte n'est nulle part ni poli, ni même uni; de tous côtés on y voit des pointes irrégulières, comme c'est ordinairement le cas dans les cavernes formées tout simplement par la nature. Du haut du plafond dis- tille, ça plusieurs endroits, une eau limpide gui, en ^ coi^solidant, forme partout des stalactites. A droite de cette grotte , qui a environ vingt-cinq peda carrés,

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on aperçoit un conduit étroit et bas ; je ne pus y faire que cinq ou six pas , tant je le trouvai obstrué par une grande masse de pierres. Le Turc qui m'accompagna dans la visite du Zemzem na'assura que ce conduit communiquait avec une grande série, ou avec un véritable labyrinthe de grottes semblables à la pre- mière, mais d'une bien plus grande étendue, dans lesquelles plusieurs personnes , qui voulaient les par- courir, s'étaient perdues, jusqu'à ce qu'enfin Un des derniers pachas fit défendre la visite ces cavernes , et boucher le seul passage qui y aboutit.

Le grand peuple qui a possédé ce pays dans l'an- tiquité, et dont les rochers seuls nous attestent encore l'art et le génie, semble avoir été ifcpiré et guidé dans le choix des lieux propres à recevoir de ces monuments , par un goût exquis de la beauté des sites imposants et pittoresques. Gela est si vrai, qu'en partant de cette idée, je me suis rarement trompé, quand je me disais, dans mes excursions aux environs de Van : « Voilà un groupe de rochers (( duquel on doit jouir d'une vue magnifique; c'est «que doit se trouver quelque trace du temps de « Sémiramis. » C'est ainsi que le sommet de Zemzem- Dagh est f endroit d'où f on jouit du plus beau coup d'oeil sur la ville et le lac; aussi porte- t-il encore, en assez d'endroits , les empreintes de fart antique : tantôt ce sont quatre ou cinq degrés que l'on a pra- tiqués dans des endroits desquels il est impossible d'approcher,- ni d'en haut ni d'en bas; tantôt on y trouve d^s pUceis travaillées comme des bancs, et

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visiblement faites pour? y jouii de la vue ravissante de la contrée que Ton a sous ses pieds. > |> , ,

La tradition du pays place sur le sommet du Zemzem un ancien château dont je n'ai pu décou- vrir 4U,çune trace. Cependant la grande quantité de fragments de tuiles et de poteries que l'on trouve accumulés sur la colline et dans les fentes de ses ro- chers rend assez vraisemblable qu'il y a eu autrefois quelque bâtiment.

Il y a outre cela > tout à fait au sommet des ro- chers, des endroits qu'il serait bien diflicile de prendre pom* autre chose que pour l'emplacement de quel- que bâtiment. Il est très-rare de rencontrer chez les habitants de Van quelques-uns des objets d'antiquité, qu'ils découvrent assez souvent en parcourant les ro- chers de Zemzem et en labourant les champs au pied de cette montagne. L'appréhension des vexations de la part du fisc, à qui, d'après la justice turque, ap- partient, tout objet de valeur trouvé sous la terre, et surtout la crainte d'être dénoncés au gouverne» meat.comnçie possesseurs de trésors immenses au premier bruit de la moindre découverte; ces cir- constances, jointes à l'ignorance complète de la va- leur, de cette sorte d'objets, contrarieront toujours dans ce pays les vqei^de ceux qui voudraient re- cueillir de ces précieux restes de l'antiquité.

Des enfants turcs que j'ai rencontrés sur le Zem- zem nie Racontèrent avoir ramassé , un jour, près de l'eij^trée de la caver^^» une petite pierre noire, Bonde, trouéçej; marquée,v,d^ ces talismans comme il y en a

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a sur le Meher^Rapoussi.» C'était apparemment un cylindre , mais les enfants i'aVaient perdu et ne pâl^ rent plus le retrouver.

Villages et églises des environs de la ville de Van.

La ville de Van est entourée d'une quantité de villages, la plupart arméniens- chrétiens. Il répugne à la grande masse de population curde de s'atta- cher à des demeures fixes. Rarement ils quittent les montagnes et les hauts plateaux de ce beau pays, couverts de leirrs innombrables tentes; tandis qu'eux-mêmes descendent rarement dans les plaines cultivées , tant bien que mal , par les malheureux Arméniens , dont tous les villages , et par leur 'cons- tiniction et par la condition de leurs habitants, offrent la triste image de la misère la plus profonde la barbarie puisse réduire une nation entière. Si je considère que les Curdes , dans les guerres féroces qu'ils ne cessent jamais de se faire les uns aux autres, ne savent rien ménager,, et que toutes leurs inva- sions sont marquées par la destruction , il ne saurait être étonnant que, dans presque aucun des villages curdes et arméniens que j'ai parcourus, jciii'aie pas vu d'-édificës d'uiïe haute antiquité. Seulement les petites églises de ces villages conservent encore de bien précieux restes de l'antiquité assyrienne, je veux parler des pierres aux inscriptions cunéiformes , la plupart trouvées sous terre , ou empruntées, il y à des siècle»', h quelque ancien édifice, et transportées dans

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ces égîKses, qui s'en sont servies pour la constmctioii des ixiurs ou des autels. Dans de fréquienles excur- sions aux environs de Van, j'ai été à mêmie de faire à ce sujet des recherches continuelles, et de relever toutes les inscriptions que j'ai rencontrées , et en voici quelques détails.

Artamit. (Inscr. XVHI, XIX. )

A deux lieues sud-ouest de Van il y a un village, uioitié musulman , moitié arménien , nommé géné- ralement dans le pays Artamit, ou quelquefois aussi, par une transposition de lettres qui rappelle un nom fort significatif da ns l'ancienne my thologie orientale , Atramit.

La plaine fertile est située la ville de Vani s é- lève insensiblement vers le sud et sud-ouest dans la direction d' Artamit, elle est bornée par une série de plusieurs hauts mamelons d'un roc dur et nu, sur lesquels on a bâti quelques centaines de misérables huttes habitées par les Arméniens, tandis que les maisons , non moins misérables , des musulmans , occupent les bords fertiles , mais malsains , du lac , le long duquel leurs superbes vergers forment le plus agréable contraste avec la parfaite nudité des en- virons. Au milieu des habitations arméniennes on voit, sur le sommet du rocher, quelques bien faibles pestes de murs d'un ancien édifice qui, suivant la tradition arménienne, était autrefois la résidence de», rois du pays. Au pied; de ce rocli«r (côté nord),

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ii sort une eau limpide et abondante. La fontaine principale est l'abreuvoir du village. D'après ce que l'on m'a assuré , cette eau , dont la source est cachée sous les rocs , a été autrefois conduite au village de très-loin et sous terre. Peut-être était-ce pour l'y con- tenir que l'on à taillé dans le roc ce long conduit , extrêmement étroit, que l'on découvre au-dessOus de l'emplacement regardé comme celui d'une ancienne résidence royale, et dont l'entrée est aujourd'hui ca- chée dans une cabane arménienne. Il est tellement bas et étroit , qu'on ne peut y avancer, au travers de la poussière, qu'en se couchant sur le ventre. C'est un passage tout à fait sec aujourd'hui, qui, en quelques endroits, porte encore les empreintes du ciseau. De grosses masses de pierres qui se sont détachées du roc principal, en ont bouché toute issue, et m'ont empêché d'en suivre le cours jusqu'à l'endroit il aboutit, c'est-à-dire jusqu'à une vingtaine de pas au- dessus de la fontaine , soit que ce passage ait eu au- trefois une communication secrète avec les édifices du haut du rocher, ou qu'il se soit trouvé, comme nous favons supposé , en rapport avec la fontaine d'en bas; la tradition du pays n'a pas manqué de le re* garder comme un des principaux dépôts de tant de ti^ésOrs qui, suivant elle, sont cachés partout dans ces contrées. Près de la fontaine on m'a montré ce que l'on appelle le Telsem ou le Talisman, qui, mis action par un esprit assez intelligent , rendrait de suite accQissibles tous les trésors du rocher. Ce pré- tendu talisman n'est qu'wie espèce de gouttière ou de

pelit.canal de la fonme' d'uu O, oreasé dam.la p^itie supérieure d'un énorme bloc délaclxéi, à ce <ju il pa- raît, de la masse du rocher. Si parmi -mille proba- bilités je devais en cboisii^ une, je dirais que, dans l'antiquité, ce bloc était une espèce d'autel, qtquel^i canal que l'on y voit servait à récoulemept du sang des victimes. J'ai vu une pierre tout à Tait semblable dans un des vergers à droite à l'entrée d,u vill^ige. Les sommets des colliitts qui bordent le Ji^c à r0uest d'Artamit sont tellement couverts de largos couches de pierres calcaires, qu'en plusieurs endroits on les dirait enduites ou parées d'énormes rochers plats et lisses. A une demi-lieue ouest d'Artamit ^ et environ à une centaine de pas au-dessus du laq, on yoit un charmant petit vallon arrosé par l'eau de quelques fontaines, et rempli d'une quantité de grands blocs délaclïésde la haute colline qui le sèpar0 d'une se- conde terrasse , un peu plus élevée, dont nous allons parler, de suite. Sur un de ces blocs, j'ai trouvé une ifjscription (cunéiforme) de six lignes, dont les trois dernières sont, à quelques petites modiilca- tions d'ortliograplie près^la répétition des premières. Elle est d'une assez bonne conservation. La hauteur de cette inscription est de dix pouces; sa largeur est: celle de la partie inférieure du bloc dans laquelle elle est taillée , et qui a^ quarante-cinq pouces de haut sur quarante-sept de large. -A quclqUe distance de cette inscription, il y en avait une autre à peu près dei.Ja iiétne dimension, mais, t^leititeut ^^lirjaiic ruijouni'hui par l'air et l'humidité » qu'il .^st difficile

AVRIL-MAI-JUIN. Jl^SAOi 3\^

de. , L:econjîaîti e , seulenaent quelquet XraiX des , çar^py tères dont elle se , pomposait. ;ÇHe; se trouvait sif^jj*, ime grande pierre à gauche d'un ancien conduit d'€i<iiWi fofmé dcjpii^sieups couches de grosses, pierres d'urfe fcfrijae irrégujière, do^nt plusieurs çnJt plus des cinq six pieds carrés de ha-^t. Ces masses, sont sans joipt et sans aucun cirnsent, posées. Içs unes sur les autrqs, soutenues uniquement par leur, propre poids. .Le çoiiduit qui,^p,tvpuye .§pti"e cej^ masses est carr4 assez large et ^se^ .haut poiu* qu'on puisse se tenir debout; cependant Jie n'y. ai pu ftire qu'une^ ving- taine de;pas^u,£^yant,, parce qu'un gros bloc , tombé de ce mur çqJq^^, enj obstrue Iputà fait l'issue. ; Immédiatement au-dessusde ce petit vallon ,, |lje$ rochers forment comme une seçQnde terrasse sur laquelle pass^.k chemin de Van jà.\(^^t^,n,, à trayerfi de ; grosses ms^g^es ,de^ pierres rpuléejs An \ b^ut des collines que l'on y^pit partout dispersées. C est ici, au milieu 'de ces rocs, que coule ver^ Iq nord -vm petit ruisseau f^'um^e^u fort limpide - spn Ut,, à la v^j rite,, j est peu profond et peularge;; il a^euxpic^d^^c profondeur sur trois ou quatre de large, mais il ,^st assez régulier e^ne^t creusé : en quelques, endrqits sablonneux, en , d'autres rempli,, de pierres; ,m^s^ autant que j*en ai suivi le cours , ûuIIq part e^atouré de, maçonneria -.,;. ,,, ,, s ;o.ri . ,;. t,., .,,j,^i| , . ,Ç,9. , petit, , ^ui^^aw , prqnd sqn originel à e|;^viro;> npuf , lieues au ;^ud de Yan; on l'a conduit, ^de au- dessus des; rj^cjl^çrs jusqu'à Ar^aA/^i, .dout;,i(,traYerse les jardins, \\\,^ç lîujfusque jto,u|; près.Ae.laviJJe, de

iH JOURNAL ASlATlQUli'

Vàri, il se jette dans le lac. On Tàppeile encoi*ë aujourd'hui l'eau ou le ruisseau de Sémiramis , ScfMf^ Miram-sou.

'^'L'inscription tf XÏX est taillée sur un roc de on«e pièdi^ de lai-'ije èûr environ quattorze pieds de haut', c(ai se trouve imnîédiatemeiit à côté de ce Schan^i- ram-sou , sur le chemin d'Artamit à Vasten , ou sur la terrasse au-dessus du vallon dont nous venons de pàrfer, à une demi-iieue au-dessus, sud-ouest d'Artamit. La pierre elle se trouve est fort rude, poreuse comme de la pierre ponce etrougeâtre. Elle est cënnue dans le pays sous le nom de Kiziltasch, la pierre rougé.' 'Les Cttrdes prétendent qu'elle fet*me l'entrée d'un souterrain dont je n'ai pu trou- ver la moindre trace. Un petit trou' de deux pieds de large et d'autant profondeur, que Ton voit ail feàs de cette pierre, entré elle et le Schamiram-sou , a sùfFi à l'imagination des habitants de ces contrées pôtif y plaéer de grands trésors , et hppeler ce pré- tendu souterrain le trésor de Sémiramis^ Mali Scha- mirarh: comme de raison, l'inscription du Kizîltasèîi ^âsse pour le talisriiafii la clef de toutes ces ri- cliesses. Elle se compose de quatorze lignes bien conservées ; sa hauteur est de vingt-cinq pouces sùi* ôinquante - deux de lai-gf^ur^ ' Lil distanc'ô SéB lignes est de vingt lignes. Au delà de ces rochers, Vers le sud et vei's Test, je n'ai rehconti^é aucune trace d'antiquité. On m'avait beaucoup parlé à Van d'une grande pierre portarit'une inscription qui de- vait iif* trouver i'Vér^ii (six liVurs oùèst diE^ V'àn^]f;

AVRIL-MAI-JUÎN 1840. 315

résidence du fameux chef des Curdes Mahmoudis. Mais, ni à Vartan même, ni dans ses montagnes escarpées et stériles, je n'ai rencontré la moindre trace d'anciens monuments.

Agthamar. (Inscr. XX, XXI.)

Le seul objet que j'ai trouvé dans mes excursions au sud et à l'ouest d'Artamit est une pierre grisâtre, ronde , d'un diamètre de deux pieds sut* un pied de hauteur, qui est confondue parmi d'autres pierres, dans un co£tl la cour de l'ancienne église armé- nienne, à rîlé d' Agthamar. On prendrait ce petit bloc de basalte, au premier abord, pour le tronc de quelque ancienne colonne; mais la double inscrip- tion qui en dccupé le haut et l<^ bas montre clait^è- ment que cette pierre , quelle qu'ait été sa destina- tion, a toujoiii-s fôrrfié un seul ensemble. L'une de ses inscriptions se compose de dix lignes (hautes dhacune de deux pouces), dortt plusieurs sont ith peu gâtée*, aÙ' commencement 'et à la fm, par des petites cassures. Sous la ligne dîx, la pierre a telle- ment souffert de l'injure du temps, qivjjj est Impos- sible de distinguer s'il y en a eu encore rnie onzième. Linscription qui se trouve du côté opposé est illi- sible à partir de la neuvième ligne , la pierre est trop gâtée pour qu'on y puisse seulement dire s'il y manque plus d'une l:^ne. Au commencement de la première ligne il y a une petite lacune. H e^ facile t}€ voir qu'il faut y ajouter la lettre »^ .

i\§ JOURNiL ASIATKJUE.

^fit^uWXés 4^MiOftte' pierre sont iisaes €t /bien pofoj mais sans leg moindres ornements et san» aù- qv«t€ insciiption. Personne, dans Tiie, n'a pu m'in- diquer d'où on a retiré ce bloc, ou qui l'a l'ait porter dans la coiu» de l'église , il se trouve de mémoire d'homme. ,

Inscriptions de IVglis»! du Warrak-Ibgli. (Iiiscr.-lULYJiIvXXlX.)

^|. La plus haute chaîne des montagflLe? qui bornent àj'est la plaine de, Van est comprise sous le nom géfli^ral de Warrajç-Dagh. Elle ne, ^e compose que de PP^^heç palcaires., fort esc£^:pées. et trèç^hautes , do^i^t I,^ Cfme est presque toujours couverte ,4e; neige. .)(,if|

, ..C'est dans une petite église située à peu près au Ujijiic^u de ce Warrak'Dagh, et nomf^éepour ccl^ \Ji(aj]rak-Kilisa,o,i?, Y,edi-Kilisa, quie j'ai jl^piuvé le&i^Sj çriptions poi'tées sous les i^" XXV JI-XXIX,, , ,^/, »

L'inscription n*? XX VU est prise sur une pierre gri- s^tr^^ de dix pouces de largeur siu: environ trois pou- çç^ s^^ignes e\ (J.emiç de hautem% qui , dans une petite c](iapelîe à gauche dç,la nef de féglise , porte la pierre d'a^J:^!. Jl y. a , .au-dessus et au-dessous des six lignes doi]t-elle s% compose, un espace laissé en blanc, c|^ j qiii. prouvç qvi'4 np manque n^n pji avapt la première, ni après la dernière ligne. Pne piqrre semblable , de quatre pieds de haut sur un pied ç^rré,^ qui sert d'a^ tel dans une autre chapelle de l^T^èmeé^ise, à droite en entrant^ pprte f inscrip- tion n** XXVIII. Rllç est gâtée en plusieurs endroits.

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La troisième inscription (n° XXIX) de l'église du Warrak-Dagh est taillée dans un€ pierre de quatre pieds neuf pouces de long sur un pied de large , que Ton a employée dans la construction du mur de Té-' glise, et qui se voit à droite de la porte principale'

> i r. I \ >

Inscriptions des pierres de Sikké et de iSchouscnanz.

(Inscr. XXII, XX Vï.) ' ^■'' '^•^M ^i^^'^^

■AVJÏlhi if; lïiii.k»*j^<:

Parmi les petits villages arinéniens situés dans la plaine qui s étend vers le nord-est entre le Warrak- Dagh et le Zemzem , il y en a trois dont les églises m'ont fourni des inscriptions.

Au-dessus de la porte de la petite église de Sikké (pauvre village arménien à une lieue et demie est de Van), on voit sur une pierre grisâtre , pratiquée dans le miu*, longue de trois pieds quatre pouces sur un pied quatre pouces de large, ce fragment d'une ins- cription en caractères assyriens assez petits , et qui est d'une exécution inférieure à la plupart de celle» des autres monuments. Cette inscription est gâtée, non- seulement parce qu'on a taillé la pierre pour s'en servii^ dans la construction de l'église, mais encore davantage: par une croix d'un bien mauvais travàU^J que la dévotion arménienne y a placée.

En creusant, 'il y a environ quinze ans, les fon- dements d'un édifice appartenant à féglise de la Sainte-Vierge, isituée à dix minutes nord-est au-des- sus du village de Schoaschanz, on trouva une pierre grisâtre , ronde , d'un diamètre de vingt-trois pouces

318 JOURNAL ASIATIQUE,

sur dix- huit de liaul , qui poi le une inscription en caractères cunéiforxnes , non comme la pierre d'Ag- thamar, sur sa partie supérieure ou sur celle d'en bas .\ mais sur son tour, il y a un triple rang de caractères. On voit par la première ligne , dont il rno reste que des fragments , que cette pierre est muti- lée, et qu'il est même impossible de dire s'il n'y avait pas, au-dessus de ces trois lignes , d'autres lignes cpi'on aura fait disparaître en taillant cette pierre, qui elle-même ressemble presque à un tronc de co- lotine. Il ne manque rien au-dessous de la troisième ligne. Les caractères y sont petits (la hauteur d'un <îlou est de neuf lignes , la longueur d'un ^fyy- d'un pouce ) , séparés les uns des autres par d^assez larges intervalles, et d'un assez beau travail. Les lignes, hautes de dix lignes, ont entre elles un espace vide d'autant de large. Les n" XXIV-XXVI sont trois frag- ments d'inscriptions copiées sur des pierres que j'ai trouvées dans la cour de la même église. ^ La première se trouve sur un morceau de pierre long d'un pied sui^ six pouces de haut , que l'on a inséré dans le mur, à côté de la porte. Les deux autres occupent deux côtés d'un fragment de pierre faisant partie du pavé de la cour, dont je l'ai fait re- tirer pour eavoyer en Europe un échantillon de cette écriture.

' S^ la partie supérieure de ce roc oo voit des caractères ar* méhiens très-mal gravés.

AVRIL-MAI-JUIN 1840. 319

Inscriptions de l'église de Kochbanz.

(lùscr. XXX-XXXV.)

L'église de Saint-Georges, à Kochbanz, située au pied d'une chaîne de rochers du Warrak-Dagh trois lieues de Van) , est , d'après les Arméniens , une des plus anciennes du pays. J'y ai trouvé trois pierres antiques portant six inscriptions en caractères cunéi- formes.

La première de ces pierres (n°XXX) se trouve au- dessus de la porte d'une chapelle , à droite de la nef de Féglise ; elle est grisâtre , de la même masse que celles de Sikké , de Schouschariz et d'Agthamar. Elle a trois pieds de long sur un pied et demi de large. L'inscription qu'elle contient est parfaitement bien conservée; elle se compose de dix lignes, ou, pour mieux dire, de cinq lignes deux fois répétées. >

Le n" XXXI n'est qu'un fragment de cinq lignes pris sur une pierre semblable ( longue de trois pieds sur un pied et demi de large), que l'oïi a insérée au- dessus de la porte de la chapelle de Somb-Carabel , à gauche en entrant dans féglise. Les caractères en sont grands et, bien éloignés les uas^des autrçs, m^s gâtés au commclncement et ila fm, près le mu;'.r

La pierre portant les inscriptions n"* XXXlLXXJi^V a deux pieds cinq pouces de carré sur un pied d&^\ pouces de hauteur, et sert de pi^rye d'autel dans la même chapellp. La figure ci-jointe servira à repré- senter la distribution de Qest inscriptions qu'on y, a taillées, et la manière dont les caractères y sont placés.

.^20

fOCBMAL! ASIATIQUE

i>7 ii«^ii(i-if{'l'lJi

. , Ç(^ n'est quç le coté a i et la bas(^ ^,^ la pien^e qui lî|o^t aucune inscription. L'inscription XXXIV, qjifi^ occupe le bav^t dcj^ t^^Ws» .f\, souffert par ^iue entaille qu'on a faite à cette table poi,ir l'arrêter ;sjU|: une autre pierre qui lui sert de pied.,, , ,, . s ^ Le XXXII ne compose que de sept lignes , tan- dis que les n" XXXIII-XXXV en ppt.douz.q chacun.

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Inscription de \a pierre ronide àKalatchik. (loscr. XXXVl.)

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A'iq

î>ur les rochers au nord de la- Ville je n'ai troufé aucune trace d'un monument antique. Un roc bien escarpé; isolé et de forme pyramidale, tout près du village arménien de Kalatchik, qui porte aujour- d'hui sm* son sommet une petite église , est regardé dans le pays comme un endroit consacré, dans la plus haitte' 'antiquité, au culte dés divinités'. H y avait là, dit la tradition, un temple et une idole fort célèbres, que le christianisme a fait disparaître jus- qu'à la moindre trace. Tout près ce rocher on m'a indiqué un endroit^ oàcl'oh' a trouvé-'il' y àiqud^^s

AVRIL-MAI-JUIN 1840. * 321

années, sous la terre, une grande pierre ^que Ton a transportée dans l'église nouvellement construite du Alliage, Ton s'en sert de pierre d'autel.

C'est un grès rougeâtref rond et travaillé comme une pierre à moulin. Il a un diamètre de deux pieds et demi sur six pouces de hauteur. Sa partie supé- rieure et celle d'en bas sont unies et sans inscriptions, mais sur bord elle est 'entourée d'un double rang de caractères cunéiformes ,. gâtés en plusieurs en- droits par des croix que l'on y a gravées il n'y a pas encore longtemps. Les deux lignes de cette inscrip- tion , comme celles de la pierre ronde de- Schou- schanz, sont séparées l'une de l'autre par un vide de dix-huit lignes.

LHantasch. (Inscr. XL, XLI.)

Nous quittons les environs de Van pour parler de deux inscriptions qui se trouvent à douze lieues au nord de cette ville , sur une chaîne de rochers éloi- gnés d'une lieue et demie d'Ardish^ Ces rochers, nommés , à cause de leur couleur sombre et noire , Karatasch (c'est-à-dire la Pierre noire), bornent au nord-est la plaine marécageuse sont situés les villages arméniens-curdes de Karghin, ^e Siourman et de Yekmâte , ainsi que la petite ville d'Ardish. On les connaît dans tout le Curdistan aussi sous le nom de rilantasch, ou de la pierre aux sei'pents, parce

' J'écris Ardish, suivant la prononciation générale du pays, quoi- que, chez les géographes musulmans et dans les pièces officielles turques, ce nom se prononce Ardjiz.

IX. 21

322* JOURNAL ASIATIQUE.

qu'il y aT selon ce que prétendent les habitants de ces conti'ées , dans toute saison de Tannée , des serpents pernicieux et ensorcelés en même temps. Quoique je n'aie pu découvrir nulèe part , dans ces montagnes , quelque édifice antique, je crois cependant avoir trouvé des traces indubitables d'une grande quantité d'emplacements de maisons situés sur le plateau du Karalasch, dans un endroit bien plus sain et bien plus commode que ne l'est la pfeine humide l'on a construit Ardish, bourg tout à fait insignifiant, et non moins misérable que la plupart des petites villes et des villages du Curdistan.

Au pied des montagnes , sur le côté nord-est qu'elles présentent à la plaine, on voit, en trois en- droits différents , trois tables carrées , taillées dans le roc à une profondeur de six pouces , et à huit pieds au-dessus du niveau du sol. Toutes ces tables sont à peu près de la même dimension, £iyant chacune en- viron trente-huit pouces de large sur un pied et denii de haut. Il n'y en a que deux qui portent des ins- criptions; la troisième ne conserve pas même un seul caractère de la sienne.. Une de ces inscriptions, qui se composent toutes les deux de onze lignes chacune, est d'une assez bonne conservation; mais, sur l'au- tre , il y a une lacune considérable dans la quatrième jusqu'à la neuvième ligne. Les Curdes vous mon- trent, près de ces inscriptions, dans un trou des rochers, un grand nombre d'animaux qu'ils pren- nent pour des serpents , entre les fentes des pierres , et tellement entrelacés les uns avec les autres, qu'il

AVRIÈ-MAI-JUIN 1840. 323

m'a paru presque impossible d'en retoer un seul. Ces animaux sont regardés che» les Gurdes comme fixés à leur place par enchantement. Tous les efforts que j'ai faits pour m'en procurer un n'ont servi qu'à me convaincre que ce ne sont point des serpents , mais une fort grande espèce de lézards aux écailles très- dures et très-fortes. Cependant il y a, en d'autres endroits de ces rochers , de vrais serpents en grande quantité ; ils sont seulement regardés par les Curdes avec moins de surprise, parce qu'ils ne gardent pas toujours, comme les lézards du rocher, la même place sans bouger.

Inscription de Yazlutasch. (Inscr. XLII.)

Cette inscription , une des plus belles de toutes celles que j'ai vues dans le Gurdistan, est taillée dans un gi^and bloc de pierre du côté méridional d'une montagne pleine de rochers, a deux lieues nord-ouest de Daher , et à quelques minutes d'un petit village curde, qui lui doit le nom de Yazlutasch (c'est-à- dire la Pierre écrite). Elle jouit dans le pays d'autant de célébrité que la montagne elle se trouve y est mal famée à cause des brigandages et 'de la férocité des Curdes qui ont Thabitude de la fréquenter. La. table dans laquelle on l'a sculptée est taillée dans le roc, à un pied de profondeur sur environ sept pieds de carré. Les trente-neuf lignes dont elle se com- pose sont un tout petit endroit près, elle est gâtée) dune conservation et d'une beauté qiii ne laissent rien à désirer.

324 JOURNAL ASIATIQUE.

CRITIQUE LITTÉRAIRE.

Notice sur le second volume de l'Histoire des Sultans mam- louks de l'Egypte , écrite en arabe par Taki-eddin Makrizi , traduite en français, et accompagnée de notes philologi- ques, historiques et géographiques , par M. Quatremère, membre de l'Académie des inscriptions et belles-lettres.

Nous avons déjà rendu compte, dans le Journal asiatique \ du premier volume de l'Histoire des Sul- tans mamlouks de Makrizi, publié par M. Quatre- mère , et nous avons fait ressortir, autant qu'il était en nous , l'importance de ce beau travail ; le second volume^, qui vient de paraître, offre les mêmes richesses et le même intérêt :

Uno avulso non déficit aller

Aureus . . .

*

Et les personnes qui le parcourront seront fi^ap- pées des précieux résultats que fauteur a su re- cueillir avec cette sagacité rare dont tous ses écrits portent le cachet. M. Quatremère, en poursuivant la tâche qu'il s'est imposée, reste fidèle au précepte d'Horace :

Nouveau Journal asiatique . août iSSg.

* Ce second volume, dont la pagination est tout à fait distincte de celle du précédent, porte sur son titre: Deuxième partie du tome premier.

ÂVRIL-MAI-JUIN 1840. 325

Servelur ad imum

Qualis ab incœpto processerit ac sibi constet.

C'est toujours la même exactitude de traduction et la même élégance de style ; tout ce qui présente quelque difficulté dans l'interprétation, tout ce qui peut donner lieu à des observations intéressantes, à des aperçus nouveaux, est signalé avec un soin particulier; et, comme nous l'avons déjà fait re- marquer, ce n'est pas seulement aux lecteurs cu- rieux que ce livre s'adresse, c'est au philologue, à l'historien , au géographe , qui viendront y puiser tour à tour d'utiles renseignements.

Dans la première partie de son ouvrage , M. Qua- treopière nous avait fait connaître les événements qui ont marqué les quatre premières années du règne de Bibars, de 1261 à 12 65; la seconde partie comprend le récit des faits qui se sont passés en Egypte pendant les dix-neuf années suivantes, c'est- à-dire jusqu'à la fin du règne de Melik-Adel Sela- mesch, fils de Bibars; les notes qui accompagnent la traduction forment un commentaire aussi ins- tructif que varié , et les extraits que donne M. Qua- tremère, de divers manuscrits orientaux, dont il a fait un examen approfondi, servent à expliquer plu- sieurs passages obscurs de Makrizi. Mais ce n'est pas tout : notre savant maître a joint à sa nouvelle publication un appendice de plus de cent pages , se trouvent un grand nombre de documents du plus haut intérêt. Ne pouvant commencer le règne , si

326 JOURNAL ASIATIQUE.

fertile en événements, du sultan Melik-Mansour Re- iaoun, sans morceler l'imposant tableau que nous oifre «ette période, il sf pensé qu'il valait mieux le renvoyer au tome second, interrompre momenta- nément sa traduction, et remplir la fin du volume par des morceaux de différents genres , ayant pour objet d'éclaircir divers poin|p controversés qui se rapportent à l'histoire des sidtans mamlouks de rÉgypte: c'est à cette heureuse inspiration que nous devons cette série de dissertations qui complètent si brillamment les notes multipliées dont M. Qua- tremère a orné le cours de son outrage. Pour faire connaître aussi exactement que possible toutes les parties de ce grand travail, nous commencerons par dire quelques mots des événements qui ont si- gnalé le règne de Bibars et de ses deux premiers successeurs; puis, arrivant aux obsci*vations et re- marques critiques de fillustre traducteur, nous di- viserons notre analyse en trois sections : dans la première seront indiquées toutes les questions qui se rattachent à la philologie proprement dite; la seconde comprendra la partie géographique du livre de M. Quatremère, et la troisième , les détails biogra- phiques qu'il a puisés dans les manuscrits orientaux sur les principaux écrivains cités à chaque page de son commentaire, et qui lui ont fourni l'occasion de réfuter, avec autorité, des opinions erronées qui jusqu'à présent avaient obtenu quelque crédit. En adoptant cet ordre, nous avons espéré qu'on aurait une idée plus nette de fensemble de cette vaste

AVRIL-MAl.JUIN 1840. 327

composition, et nous aurons réussi au delà de nos vœux, si notre exposition peut faire apprécier à sa juste valeur le monument élevé- par M. Quatremère à la gloire des lettres orientales.

Nous avons vu précédemment que le sultan Bi- bars, dans les premières années de son règne (de 1260 à 1 264), avait fait la guerre avec succès aux Mongols, aux Francs et aux Arméniens; ce prince, depuis 1 2 6d jusqu'en 1 2 79, maintint tous ses avan- tages. 11 fortifia les bords de TEuphrate et fit gar- der les passages de ce fleuve afin d'empêcher qu'au- cun des Tartars ne pût pénétrer en Syrie, et le successeur de Houlagou ne livra au sultan que des combats sans gloire. Si , dans ses guerres conti- nuelles avec les Francs, Bibars éprouva quelques revers, s'il échoua plusieurs fois devant Saint-Jean d'Acre , il enleva cependant aux' chrétiens un grand nombre de villes importantes , et la lettre qu'il écri- vit à Boëmond après la prise d'Antioche, en 1267, montre avec quelle audacieuse fierté il traitait ses ennemis. Cette lettre, modèle curieux de l'arrogance et de l'emphase musulmane, a été reproduite par M. Quatremère dans une version aussi élégante que fidèle. Bibars , après avoir tracé un tableau effrayant des désastres qui avaient accompagné la prise de la ville, terminait ainsi sa missive à Boëmond : «Tu «sauras que, grâce à Dieu, nous avons repris les

328 JOURNAL ASIATIQUE,

«forteresses de rislamisme , dont tu t'étais emparé, « savoii' : Der-Kousch Schakif-Talmis , Sebakif-Kafr- « denin , et tout ce que tu possédais dans le district <( d'Antioche ; nous avons contraint vos soldats à des- « cendre des châteaux; nous les avons pris parles che- « veux et les avons dispersés , soit au loin , soit près ((de nous; il n'est plus rien resté à quoi puisse s'ap- «pliquer l'expression de résistance, si ce n'est la ri- (( vière, et, si elle le pouvait, elle cesserait de porter «le nom d'Asi, le rebelle (l'Oronte): elle verse des (( larmes de repentir. Auparavant ses pleurs n'étaient « qu'une eau limpide; mais elle roule aujourd'hui du i( sang, par suite de celui que nous y avons répandu. «Cette lettre contient une nouvelle heureuse « pour toi ; elle t'apprend que Dieu a voulu veiller «sur ta vie et prolonger tes jours, puisque, dans le « temps qui vient de s'écouler, tu ne t'es point trouvé « à Antioche. Si tu avais été dans cette ville , tu se- «rais aujourd'hui ou tué, ou prisonnier, ou blessé, « ou mutilé. L'homme vivant goûte le plaisir de voir «ses jours en sûreté lorsqu'il contemple un champ « couvert de morts : peut-être Dieu n'a-t-il prolongé « le terme de ta vie qu afin de te donner le temps « de réparer la négligence que tu as mise à lui obéir, « à le servir. Gomme il n'était personne qui pût t'in- « former des faits , c'est nous qui avons pris ce soin ; « puisque personne n'était en état de te faire savoir «que ta vie était en sûreté, mais que tous les autres «avaient péri, nous t'en avons fait part dans cette «dépèche, afin que tu connaisses les choses telles

AVRIL-MAI-JUIN 1840. 329

« qu elles se sont passées. Après avoir reçu une pa- « reille lettre , tu ne dois plus nous taxer de men- (( songe, et tu n'as plus besoin de demander aucun ((renseignement à personne ^ » Boëmond, en re-

(i3^>j6^ dL-jb iU^U-^ i^j^^ 4^^^ ^^"^^^ J*^ (^ j^^\ (^JL^Od (^b^^^ iùô^UJLI tf4>v^ ^b^L \A)yAkt u

830 JOURNAL ASIATIQUE,

cevant cette dépêche, fut vivement irrité: c'était, en effet, la première nouvelle qui lui apprenait la perte d'Antioche.

Bibars , poursuivant ses succès , se rendit maître de Safad \ du château de Karak, de Tibériade, etc. il* ravagea la petite Arménie, fit prisonnier le fris d'Haithon qui en était roi, et lui enleva Derbesak, Der-Kousch, Belmesch, Kafrdenin, Rahan ij^j et Merzeban u^jj^\ plusieurs forteresses des Ismaéliens tombèrent en son pouvoir : le château de Kahf iUU v-x^î , celui de Khawahi j}y^ , Mounikah iou^Uî ou ipluidîMaïnakah , Olaikah iuuUll , Kadamous (j*.^4>oiJI et Rasafali AiU©^!. D'un autre côté, les armées de Bibars pénétrèrent dans la Nubie; l'émir Al-Sonkor Farekani, chargé du commandement de l'expédition , s'avança au delà d'Asouan, prit d'assaut la forteresse de Daw; j«3Jî iUi5, arriva jusqu'à l'île de Mikail , située à feutrée des cataractes, renversa du trône le roi David et installa à sa place Meschker, qui s'enga- gea à livrer au sultan la moitié des revenus annuels du royaume (isyS). Nowaïri nous a conservé la formule du serment prêté par le nouveau roi de Nubie; c'était, dit f historien, le plus solennel qui fût en usage dans cette contrée. En voici les pre-

^^ «AAà^ jojîî <J^\ î *xjft aJI J^^ ^3 J^ !rî^

* Ccst la ville qti'on appelle aujoufd'htii SafH.

AVRIL-MAI-JUIN 1840. 331

mières lignes : «Par Dieu, par Dieu, par Dieu, au (( nom de la Trinité sainte , du respectable Evangile , « de Notre-Dame, cette vierge pure, mère de la lu- ({ mière, du baptême, des prophètes envoyés de Dieu , » des apôtres, des saints, des martyrs vénérables; et «je consens^ si je suis infidèle à mon -serment, à re- « nier le Messie comme le renia jadis Judas , à dire « contre le Sauveur tout ce que disent les Juifs, et à u partager leurs opinions , à imiter Judas, qui perça le H Messie avec une lance : je m'engage, à dater de ce u moment et de cette heure , à montrer les disposi- (( tions les plus ftutiches et les plus loyales à l'égard i(du sultan Melik Daher Rokn-eddaunia-w-eddin « Bibars , et à faire tous mes efforts pour mériter sa «bienveillance, ete. ^w

La Nubie n'attira pas seule l'attention de Bibars.

' ' J<^^\yfj*.^yjd\ ci>^LîJl (>^j M^ 4M!^ aWÎj Aji^.^! ^ ^^î J pî^jsjtîl »^Uaiî »*XamJI^ j^UûJî

U Ajvj Jyjî^ cr^^ »*x^ ^ ^.^U *5^^t ^\^j\^^\

332 JOURNAL ASIATIQUE.

Ce prince, en 1268 , se rendit dans l'Hedjaz, reçut les hommages des émirs arabes , fit son entrée dans Médine et à la Mecque il s'acquitta des devoirs d'un pieux musulman , et il ouvrit des relations avec le souverain de l'Yémen, qui, redoutant sa puis- sance, lui envoya des présents. Makrizi entre dans les détails les plus circonstanciés sur les diverses ex- péditions de Bibars \ et sur les gi'ands événements contemporains de son règne, tels que la dernière croisade de saint Louis contre Tunis, l'occupation de Fez et de Maroc parties Benou-merin, etc. Pour les indiquer d'une manière complète, il faudrait ci- ter chaque page de son livre; nous nous contente- rons de rapporter un fait qui prouve que notre his- torien n'est pas toujours très-impartial. On sait que le prince Edouard d'Angleterre, après la mort de saint Louis, se dirigea vers la Palestine, et que, pendant deux ans , il signala son nom et celui de sa patrie par des exploits aussi brillants qu'inutiles. Les Sarrazins , -dont il était la terreur, voulurent s'en dé- faire par un assassinat; il échappa à ses meurtriers, mais il fut grièvement blessé en les combattant. Makrizi paraît ignorer ces détails : « Bibars , dit-il , «ayant reçu la nouvelle que le roi d'Angleterre était «arrivé à Akka avec trois cents cavaliers, huit na- « vires, des galères et autres bâtiments, formant un

^ M. Quatremère, Histoire des Mamlouks, ii' partie, nous donne quelques développements curieux sur l'expédition entreprise contre file de Chypre, pag. 88. Voyez aussi, sur quelques autres faits qui ne sont pas sans intérêt, pag. 90, 116, 119, i3i et 142.

AVRIL-MAI-JUIN 1840. 333

«total de trente embarcations, et qu'il avait l'inten- (( tion de faire le pèlerinage de Jérusalem , vint cam- «per à Tarabolos (Tripoli); après divers événements, (( les Francs demandèrent la paix et obtinrent une (( trêve de dix ans. » 11 ajoute cependant que le sultan envoya deux de ses officiers, avec trois mille dinars égyptiens , pour racheter les prisonniers.

Makrizi nous donne des détails curieux sur les relations de Bibars avec les princes ses voisins , sur les diverses ambassades qu'il reçut , et qui lui per- mirent d'étaler toute sa puissance aux yeux des en- voyés des cours étrangères ^; le caractère du sultan est tracé avec talent, et on ne peut s'empêcher d'ad- mirer l'infatigable activité d'un prince qui allait sans cesse inspecter les forteresses et examiner par lui- même ce qui se passait dans ses Etats; ce qui fai- sait dire à un poëte du temps : Un jour en Egypte , un jour dans le Hedjaz, un jour en Syrie, et un jour à Alep. En 1268, tandis que son armée le croyait indisposé dans sa tente près d'Orsouf , il montait se- crètement à cheval, se rendait en Egypte, réglait les affaires du pays, puis reparaissait à point nommé aux yeux de ses soldats , qui ne supposaient même pas qu'il eût pu les quitter. En 12-77, ayant appris, par les prédictions des astrologues, qu'un grand personnage devait mourir dans Tannée, Bibars, superstitieux comme tous les Orientaux , voulut dé- tourner ce malheur de sa personne et fit prendre

^ M. Quatremère, Histoire des Mamhuks, ii* partie. Voyez par- ticulièrement les pag. 24. 4o, 83, 88, 122.

334 JOURNAL ASIATIQUE,

à un prince de la maison àe Saladin, Melik-Kaher, un breuvage empoisonné; mais on oublia d'enlever le vase qui le contenait, et le sultan , s'en étant servi lui-même, éprouva bientôt les atteintes du poison et expira dans les plus cruelles souffrances, après un règne de dix-neuf ans. Si ses exploits justifièrent son surnom d' Aboul-foutouh , le Père des victoires, d'éminentes qualités, bien nécessaires au bonheur des peuples, lui méritèrent celui de Melik-Daker et celui de Rokn-eddin, Colonne de la religion. 11 fai- sait annuellement distribuer aux pauvres cent mille mesures de blé, et prenait soin des veuves et des enfants des soldats tués à l'armée ^ ; il fonda au Caire le collège Daherieh, fit construire un cara- vansérai à Jérusalem, jeter des ponts magnifiques sur le Nil ^, creuser le canal d'Alexandrie et celui de Tanah, et il éleva un grand nombre de mos- quées ^. Par une coïncidence singulière, dit en ter- minant Maimzi , la première conquête de ce prince avait été la ville de Césarée du Sahel (de la Pales- tine ou côte maritime), et la dernière, celle de Cé- sarée du pavs de Roum (de l'Asie Mineure). Ses deux fils, Melik Said Naser-eddin Mohammed Be- rekeh-khan et Melik Adel Bedr-eddin Selamesch,

' M. Qualremère, Histoire des Mamiouhs, ii* partie, rapporte plu- sieurs traits caracl^ristiques de Bibars. Voy., pag. 35, la conduite de ce sultan à l'égard des habitants de Kara Ijl*, et pag. 20, 5 A, etc. Voyez aussi, pag. 58, l'histoire de l'anachorète clirélien.

* Ibid. pag. i53. Voyez aussi ce qu'il dit, pag. 26, d'un pont jeté Mjr le Jourdain.

' Ihid. pag. 2 5 et 91. -

AVRIL-MAI-JUIN 1840. , 335

n'occupèrent ie trône que pendant deux ans. Le premier, ayant irrité les émirs par ses caprices ty- ranniques , fut déposé , et son frère , proclamé sul- tan, subit le même sort cent jours après. Cette double révolution avait été habilement préparée par l'ambitieux Kelaoun, atabek des armées, qui s'empara de la couronne en 1279.

Nous arrivons maintenant au savant commentaire de M. Quatremère.

Les notes qui se rattachent à la première des divisions que nous avons adoptées , sont de vérita- bles mémoires qui jettent un jour tout nouveau sur plusieurs points controversés de l'histoire ou de la philologie orientale : l'ordre que nous allons suivre pour les faire connaître à nos lecteurs pourra pa- raître quelque peu arbitraire et prêter à la critique ; mais, si l'on considère les difficultés sans nombre qui se présentent lorsqu'on veut classer d'une ma- nière régulière des remarques et des dissertations sur mille sujets divers, on aura, nous l'espérons, quelque indulgence pour notre travail. Nous nous occuperons d'abord des développements auxquels s'est livré M. Quatremère sur la charge de naïb <-^b^ dont les attributions n'ont jamais été bien définies, et sur la halkah iuds^ '^, terme qui se ren- contre à chaque pas dans l'histoire des Mamlouks de Makrizi, et dont nous n'avions point d'explica- tion satisfaisante. Le verbe c^b» suivi de la prépo-

' M. Quatremère, Histoire des Mamlouks, ii' partie, pag. 93. ' Ihid. page 197, et notre première notice, page 2 5.

336 JOURNAL ASIATIQUE,

sition (j^ , signifie « remplacer quoiqu'un , être son « lieutenant, son délégué; » le mot 4-v»b désigne « un «lieutenant, un délégué, un substitut,» et le mot ii^l^, a les fonctions que l'on remplit comme délégué «du substitut d'un autre. » Aujourd'hui le naîb est tout simplement le substitut du cadi; mais l'on voit dans Makrizi que le terme naïb indiquait (( celui qui «remplissait, comme délégué du sultan , les fonctions « les plus éminentes de l'administration : » on disait en ce sens naîh assaltanak iUlaLJî v^b, ou seulement naîb <-^b ; chaque gouverneur d'une des grandes villes de l'Egypte et de la Syrie prenait ce iitre et y ajou- tait celui de kajil J<j^ ((gouverneur; « la Syrie, en particulier, était considérée comme une principauté AjCif , et le naïb de Damas s'intitulait : kafil al-me- maUk dUUrI J^^. Il faut lire dans l'ouvrage de M. Quatremère toutes les citations que ce savant maître a réunies pour justifier l'opinion qu'il met en avant; jamais peut-être il n'avait fait preuve d'une érudition plus profonde et plu5 variée : nous ne pouvons indiquer ici tous les textes qu'il a con- sultés ou traduits; mais nous ne pouvons résister au désir d'extraire de cette monographie mi passage de l'auteur du Mesâlek al-Absar S qui montre très- exactement quelle était la puissance du naïb. a Le inidib, dit- il, était un petit sultan; car il exerçait (( sur tous les points une autorité absolue. C'était à (( lui que l'on s'en référait pour tout ce qui concer-

' M. Quatremère, Histoire des Mamlouks. ii* partie, pag. 94. Voyer aussi notre première notice, pag. 20.

AVUIL-MAI-JUIN 1840. 337

«nait l'armée, les finances et les renseignements, u^^xil , c est-à^ire laposte, *>o;-sJî', chacun des fonction- wnaires n'agissait que d'après ses ordres, et ne déci- « dait aucune affaire difficile sans le consulter. C'était (( lui qui organisait les troupes et qui nommait aux «( emplois , et il prenait quelquefois le titre de roi des u émirs ^\j^^\ ^iLU. Le naïb qui tenait le rang le plus c( élevé était le naïb aïhadrah iijj^ t^b (représen- a tant de la couronne); tous les naïbs du royaume (( correspondaient avec lui dans la plupart des cas (( pour lesquels on écrit au sultan , et s'en référaient à «lui comme au prince; il enrôlait les soldats, sans « avoir besoin d'autorisation. Lorsqu'il se présentait '( devant le sultan , il se tenait debout près du pilier u de la salle, et, dès que l'audience était terminée , il « retournait à sa maison , escorté des émirs ; il donnait « des audiences tout le monde était admis, et ceux « qui remplissaient des charges uâjI^^Î oLjÎ ne man- « quaient pas de s'y trouver. Tant que la dignité de « naïb se maintint sur ce pied, le sultan se dispensait «de lire par lui-même les placets et d'écouter les « réclamations , et laissait ce soin au naïb. Lorsque «celui-ci avait entendu un placet, si l'affaire ne de- «iiiandait qu'un rescrit émané de lui, il fexpédiàit «aussitôt; s'il fallait un ordre du sultan, if faisait tt copier et expédier façte au nom du prince , en ayant «,soin d'indiquer, d'une manière expresse, que la (( chose avait été décidée sur sa proposition. Les em- « pi oy es bureau des fiefs , atitrement ditdè l'atTiiée, ^ aallaieitf faire leur cour que chez cet officier, ne

IX.

338 JOURNAL ASIATIQUE.

« communiquaient qu'avec lui el n'avaient sur aucun « point de rapports directs avec le sultan. »

Quant à la halkah iuib»- \ c'était un corps de milice égyptienne qui composait la garde du sultan. (( Le nombre des soldats de la halkah victorieuse, dit « Khalil Daheri ^ s'élevait jadis à vingt-quatre mille: <( chaque millier d'hommes est sous la direction d'un «des émirs, appelé commandant de mille; chaque «centaine a un basch (chef) et un nakib. Quelques- «uns de ces soldats sont appelés bahris et cantonnés «dans la citadelle. D'autres, en l'absence du sultan, « occupent des postes qui leur sont affectés tant à « Misr qu'au Caire; d'autres enfin sont envoyés

^ M. Quatremère, Histoire des Mamlouks. n' partie, pag. 198 et suiv. Le mot iLjLJL>> signifie : un cercle, un groupe, une réunion quelconque; une réunion commerciale; 3" ia salle un homme en place tenait des réunions, des conférences; une sorte de collège, d'académie, une réunion qui se formait autour d'un professeur célèbre, et qui avait pour objet l'étude de la théo- logie, des sciences, de la littérature; enfin un corps de troupes qui entourait le prince et composait sa garde. Voyez la première partie de l'ouvrage de M. Quatremère, pag. 7 et 246, et notre pre- mière notice, pag. 2 5.

' Ibid. pag. 200 : ^i^«X^ ^j^ ïjyaj^] »Sk âU>i Ui

iL»U J^^>3 ôp^5 4^JoU AjSi\ ysaJ\ Jl (jj^Lkà^ ^UxJUmJ) iUuu^ ^ y^syi, (^ fi-'i^'^ 'ijyaLjX\ iUUJL

AVRIL-MAI-JUIN 1840. 339

(des affaires du sultan réclament leur présence. » On. lit, dans le Diwan al-inscM \ que leur nombre ne dépassait pas douze mille, et qu'ils avaient qua- i^ante commandants qui s'étaient distingués par de longs services. Le mot halkah était en usage , non- seulement en Egypte, mais dans plusieurs autres contrées de l'Orient; M. Quatremère le démontre aisément par des citations de Nowaïri^ de Boha-eddin, etc. H nous donne ensuite des détails curieux sur les Khassekis i^^ls^ (au pluriel x/X^U^ ^), qui devaient ce nom au privilège dont ils jouissaient d'accompagner le sultan aux heures il recher- chait la solitude ; ils montaient à cheval en même temps que le souverain, le jour comme la nuit, et, lorsqu'ils lui présentaient leur hommage, ils con- servaient leurs épées : sous le règne de Melik Naser Mohammed ben-Kelaoun , ils étaient au nombre de quarante ; mais , du temps de Melik Aschraf Borsebai , on en comptait plus de mille. Nous signalerons en- core les intéressantes remarques de M. Quatremère

* M. Quatremère, Histoire des Mamloaks. Ii* partie, pag. 201 :

^XjlJ UjU) ^ éiS^Â «XÂï». (j^ (^jv^Joitî ^ o^AaiUj

^^\J^ » -jS^%«>vJ ^^ U'^^,.».»w U<XJU (J^^jî |0-^*K*

j. ^ <^ K Il i iCiSU>.^^ àîk**^

» Ihid. pag. i58.

3/iO JOURNAL ASIATIQUE,

sur le zimam des palais j:>^\ r.U) \ sur le chambel- lan dbljN^-î^I ou principal ministre ^, sur le visir assohbah »uf.j^\j^j^^, chargé spécialement d'accom- pagner le sultan dans ses voyages ; sur les tawascJiis Xjuil^JaJl *, etc. M. Quatremère nous explique aussi ce qu'on entendait par maschaélis f^Ui>^ ^, classe d'hommes qui exerçaient des fonctions complète- ment analogues à celles que remplissent encore au- jourd'hui, dans l'Orient, les Bohémiens ou Remadis iù^U; ^. Le mot SxjSj^ désignait un fanai de cam- pagne qu'on portait, pendant la nuit, pour éclairer les caravanes "^ : c'était une sorte de réchaud auquel on adaptait un long manche , et Ton mettait du bois résineux. Après les maschaëlis viennent îes harfousch (>y/^ (au pluriel, ,J*j^\^Y, qui For- maient ce qu'on appelle la lie da peuple. Plus loin , M. Quatremère nous indique la véritable significa- tion du mot jl* ^, qui doit se traduire par valet, et

' M. Quatremère, Histoire des Mamlouks, ii* part. pag. 65, et sur \e mot t^U), pag. 65 et 66. ' Ihid. pag. 57 et i63. ^ Ihid. pag. iSg.

* Ibid. pag. i32. ^ Ihid. pag. 4.

<* Ibid. pag. 5.

' Cet usage se pratique encore aujourd'hui. M. le cnévalier Am. Jaubert nous a plusieurs fois racouté que l'armée française, loi-s de l'expédition de Syrie . ne s'éclairait, dans ses marches de nuit, qu a\i moyen de maschâls.

* Ihid. jpag. 195. Ihid. pag. 194.

AVRIL-MAI-JUIN 1840. 341

non point par portier; celle d'iladj dar *jjî«>e»*5*^ , maîtres d'escrime \ et de j$jV v^ ^ > joueurs d^nstraments ^. MileuTS nous trouvons de nouveaux renseignements sur le titre de J-xa donné à des souverains ^, sur les surnoms de Kelaoun * y^^ , de Derfil J^j^ ^, et sur i'épithète de mamlouk td^Xtf ^, que prenaient les sultans d'Egypte lorsqu'ils écrivaient à un personnage qui leur inspirait ou une haute con- sidération ou de la crainte. Parmi les expressions employées par Makriii, et qui sont, de la part de M. Quatremère, Tobjet de commentaires partieu liers, nous citerons «l^ le sabre ou poignard royaV »sMai pic ou instrument tranchant^, j^^ guerre, com- bat ^; t^Jio bataillon ^^ y jj<.s>^ portion de terrain accordée à un émir ^\ J^^ sorte de génujlexion par laquelle les

* M. Quatremère, Histoire dès Mamlouks . if partie, pag. 27.

* Ibid. pag. i43. Voy. aussi, pag. 33, sur (^V« ^'^ barbier. ' Rid. pag. 49, et dans notre première notice, pag. 23.

* Ibid. pag. 23.

^ /fcic/. pag. 119. Voy. aussi sur le mot ^^Âllk^- étourdi, incon- sidéré, pag. io5.

® Ibid. pag. 49. Voyez aussi, pag. 273, sur rexpression de liAoUÎ^, tes dames (cxjjîwo ^)^ dame Marguerite); et pag. 19a, sur celle de : ^jLûj-* maréchal ( <,.•» ,* .^ -«XjU t^b ^US^I /yli/I jIaauwI ) le maréchal vice-grand-maître de l'ordre dés Hospita- liers allemands.

', Ihid. pag. 205.

« Ibid. pag. 3.

' Ibid. pag. 18 et 122.

'" Ibid. pag. 271, et dans notre première notice, pag. 2.3|'

" Ibid. pag. lâg.

lia JOURNAL ASIATIQUE.

infériears témoicjnaient à leurs supérieurs leur soumission et leur respect ^ .

A la liste des verbes qiie nous avons rapportés dans notre première notice, nous joindrons les ver- bes suivants, dont le sens n'était pas exactement déterminé : i** o>»^r^ ^, promener ignominieusement; viJiP^ ^, à ia quatrième forme, et avec v punir; J^à *, avec ^^ç ou v » ^e marier; i^j ^, à la cin- quième forme , chercher à fléchir quelcjuun; 5** (^j ^, respecter les droits que donne à quelqu'un un acte mé- ritoire; 6° ^^J "^j accuser; y** ^^î^.-iJî ^^J ^, lancera l'eau les galères; J^f^^,.à la seconde conjugaison, ac- corder une chose gratuitement; J— w ^°, i la première et à la quatrième forme, empoisonner quelqu'un en lai faisant boire un breuvage mortel; 1 o** *>^ ^\ à la hui- tième forme, /aire, effectuer une chose; 1 i" jç^*^ ^^, par- tager les murs d'une place de guerre, en assigner une portion à chacun des émirs, afin de Mter les travaux de démolition; 1 IxUj^^, calfater, cimenter; 1 3" (j**aJ^^, se revêtir d'une cuirasse; 1 4 <^*Jtî ^^, se livrer à des exercices guerriers; 1 5°(^^^y à la huitième forme, appliquer an homme à la torture; 1 (ji^ ^^, avec ^^ , se précipiter sur quelqu'un; 1 'J° (Sj:^ ^^> ^ 1^ deuxième forme , et avec cj, simuler une chose, s'en servir pour simuler une autre

' M. Qualremère, Histoire des Mamlouks. ii* part. p. 109 et 1 1 2.

' Ibid. pag. 5o et io5. ^ Ibid. pag» io5. * Ibid. pag. 23.

^ Ibid. pag. 112. « /fcirf. pag. i34. ' Ibid. pag. 168. Ibid. pag. 89. Ibid. pag. 7 2 ; voyei aussi notre première notice, pag. 24. Ibid. pag. 149. " Ibid. pag. 99. '* Ibid. p. 7.

Ibid. pag. 43. '* Ibid. pag. 78. '=^ /&«/. pag. i36. »• i6i</. pag. 81. " Ibid. pag. 63. '' /6«rf. pag. 10/i.

AVRIL-MAI-JUIN 1840. 343

chose; 18" ^^^ ^ à la quatrième forme , inspirer à quel- cjuun des craintes, etc. Si maintenant nous passons en revue les divers termes expliqués par M. Qua- tremère dans ses nombreuses et savantes notes, nous signalerons particulièrement : isjyo, soari, dinars souris, monnaie deTyr^; cyî^i -*, plaques de métal qui décoraient les harnais du cheval^; -xlc , ambre gris, et, par extension , couleur noire ^ ; »^^jio , pièce de mousse- line (jui entourait le turhan (jûU;^; LiU-, jonc, roseau ^\ jy , bière faite avec du froment'^ ; c:>bUl, les cabarets ^ ;

' M. Quatremère, Histoire des Mamlouks , 11" partie» pag. iSy.

' Jhid. pag. 4a.

' Ihid. pag. 137; et le mot ^'j^ signifiant des chevaux, p. 126.

* Ibid. pag. 1 33.

* Ibid. pîig. 2 1 . Voyez a;ussi * ux abah , sorte de vêtement , p. 73 ; (^uaAxj , espèce de veste, p. 76; ^^W**-* > pièce d'étoffe, p. 76, etc. M. Quatremère fait aussi observer, p. 137, que le mot v^i^uîiîio ne veut pas dire fwusses, mais les bandes qui serrent la poitrine du cheval.

' Ibid. pag. 16. Voyez aussi les mots i^^U^j, plaine, p. i4o; ljiyfi>*o etcy^Aj ^tentes, ^. 29 et 14.2 -, *-**»Jaj, navire, p. 86 et 272. C'est de A-w-Jaj qu'Albert d'Aix a fait Basa : navis qaœ dicitar Basa. Le mot A>xJâù» , dont nous avons donné l'explication dans notre pre- mière notice, p. 2 4, a produit Kazh et Kattus; on lit dans fhistoire d'Albert d'Aix : Galea (juœ dicitur Kazb-, trirèmes quas dicunt Kattos.

' Ibid. pag. 6. Voyez aussi les mots^)4 et (j^^'j^, espèces de boissons, p. 147; V*^» une coupe, p. 111; etc.

' Ibid pag 67 . Voyez aussi '^'^^ . meubles , ustensiles , p. i 38 ; i^^si^ , paquet , p. 2o4, et ^^-S*, réuni dans un paquet, renfermé dans une serviette ; jMÀKiê, cintré, voûté, p. 43; (j<»jJUr, révéré, consacré par la dévotion, p. 282 ; etc. M. Quatremère , toujours guidé par l'amour de l'exactitude et de la vérité , revient , p. 2 7 4 , sur une erreur qu'une faute de copie lui a fait faire : au lieu de iuil^, poutre, il

le cop

faut lire Kk» ijJUI. Voyez notre première notice, p. a 5.

i

3M JOURNAL ASIATIQUE

Kjàsémm, une estrade ^ ; j-»****- , nne digae *^, e^c. Nôtf« trouvons aussi, dans l'ouvra^j^e de M. Ouatrenière , des détails curieux sur les cérémonies funèbres''^ et sur \sL prière de l'absent (.^^\ »^U» \ expression qui s em- ploie'«n parlant d'un homme mort dont le corps a été enseveli dans un endroit éloigné : malheureu- sement nous ne pouvons , dans cette nomenclature , racheter la séchei^sse de nos indications par cette variété si riche de remarques judicieuses et d'exem- ples tirés des manuscrits les moins connus, qui donne surtout de la vie et du mouvement au commentaire de notre illustre philologue, lln'est point | en effet, d'événement, important ou non, raconté par Ma- krizi, qui ne lui fournisse l'occasion d'étaler les tré- sors de son érudition : entre mille faits de ce genre, il nous suffira de citer quelques passages d'une note fort curieuse , suggérée par une anecdote rapportée dans l'Histoire des Sultans mamlouks, au sujet d'une girafe ^. Déjà M. Quatremère a traduit et publié , dans ses mémoires sur fEgypte, la description faite de cet animal par Masoudi, le premier auteur arabe qui en ait parlé. L'histoire orientale fait souvent mention de girafes, qui étaient ordinairement au nombre des

' M. Quatremère, Histoire des Mamlouks. il" partie, pag. 60. On lit dans la table générale Aa^ao^ .

* Ihid. pag. 1 52.

^ Ibid. pag. 1 64, sur le mot *|>^, compliments de condoléance. Voyez aussi les mots AiftLft, maladie contagieuse, p. 36; ^jio^ un cadavre abandonne , p. 1 5 1 .

* Ibid. pag. 1^7

* ÏUd. pag. 106 et ■?73.

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présents que les souverains d'Egypte envoyaient à des princes étrangers : au rapport de Nowaïri et de l'auteur de la vie de Bibars, parmi les présents^ que ce prince adressa à l'empereur d'Allemagne , an 1261 de J. C, se trouvait une girafe; l'année sui- vante, plusieurs de ces animaux furent envoyés par Bibars à Berekeb , khan du Kaptchak; probablement un des motifs qui déterminèrent ce choix fut la curiosité témoignée précédemment par le souverain mongol , qui avait fait à des ambassadeurs égyptiens de nombreuses questions sur les productions de l'E- gypte, et sur les éléphants et les girafes. Lors du traité de paix que le sifltan Bibars conclut, en 1275, avec le roi de Nubie, ce dernier prince s'engagea à livrer chaque année, entre autres présents, trois éléphants, trois girafes et cinq panthères; en 1286, un ambassadeur envoyé par Ador, prince du pays d'Alahwah v^^^^ » situé au delà de la Nubie , présenta au sultan Relaoun plusieurs éléphants et une girafe. Enfin, dans l'expédition que les Egyptiens entrepri- rent cinq ans après contre la Ntibie, ils s'avancèrent vers le sud jusqu'à un désert affreux qui servait de retraite aux girafes et aux autruches. Nous ne suivrons pas M. Quatremère dans l'énumération de tous les faits qu'il a recueillis sur les girafes , en li- sant les manuscrits mis à sa disposition ; disons seu- lement que Ruy Gonzales de Clavijo, qui résida comme ambassadeur à la cour de Tamerlan, étant arrivée la ville de Khoï, rencontra l'envoyé égyp- tien qui conduisait les présents destinés pour le

JOURNAL ASIATIQUE, souverain tartare, et parmi lesquels se trouvait une girafe, que l'ofFicier espagnol désigne par le nom dejoruufa. Schiltberger donne à la girafe le nom de sumosa; mais ce voyageur se trompe évidemment lorsqu'il assure que l'Inde est la patrie de cet ani- mal. Nous lisons dans la description de l'Egypte, de Makrizi, que, pendant la fête solennelle célébrée par le khalife Aziz, an 990 de J. C, on conduisit devant lui des éléphants et une girafe , et que , dans maintes occasions, des girafes marchaient devant le khalife : cet auteur ajoute que l'on fabriquait, pour l'usage du prince , des vases d'or qui offraient la figure de girafes, d'éléphants et autres animaux; que, lors des réjouissances qui avaient lieu à l'époque le Nil parvenait à sa plus grande hauteur, le trésor faisait faire des statuettes qui représentaient des éléphants et des girafes. Baidensel ou Boldensleve, suivant Ganisius, Frescobaldi, Sigoli, Baumgaiten, Belon , Villamont, etc. , ont décrit les girafes {zira- phus) qu'ils avaient vues dans leurs voyages : mais il serait trop long d'énumérer les noms des écrivains qui en ont parlé, et qui se trouvent mentionnés dans l'ouvrage de M. Quatremère; nous terminerons donc ici nos citations.

On voit que M. Quatremère embraisse tous les sujets et leur imprime un cachet particulier par la nouveauté de ses aperçus et l'étendue de ses re- cherches, n est impossible d'analyser des remarques philologiques, il faudrait les transcrire dans leur pnher, et les bornes de cette notice ne nous le

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permettaient pas ; nous n'avons donc fait que les in- diquer, et nous n'avons présenté qu'un tableau assu- rément fort incomplet du travail de notre illustre philologue; c'est au livre même qu'il faut recourir pour apprécier dignement toute la science de l'au- teur.

IL La pai'tie géographique du tome ÎI de l'His- toire des Sultans mamlouks n'est pas moins riche en documents utiles. L'étude spéciale que M. Quatre- mère a faite de la Palestine et de la Syrie, ce théâtre de gueiTes qui semblent éternelles, lui a permis de recueillir un très-grand nombre d'observations tout à fait neuves sur plusieurs villes de ces deux provinces. Gaza\ l'une des places les plus méridio- nales de la Palestine, attire d'abord son attention, et, après avoir retracé à grands traits les diverses révolutions qu'elle a subies depuis le temps d'A- lexandre jusqu'à nos jours, M. Quatremère^ nous fait connaître quelques passages des auteurs du Me- salek al-Ahsar, de l'Histoire de Jérusalem, du Dkvan al-inschâ et de Khalil Daheri, d'Abou'l-Mahasen , de Makrizi, etc., qui rapportent des particularités in- téressantes sur cette ville célèbre. Gaza, qu'on sur- nommait Dehliz al-Mulk, le vestibule du royaume, était la capitale d'une province considérable ; elle avait un territoire étendu et de nombreux villages ;

' *yi* OU r^ . M. le chevalier Am. Jaubert, dans sa belle édition d'Édrisi, t. T* p. 33o et 36o, écrit ijè-.

' M. Quatremm, Histoire des Mamlouhs, ii" partie, p. 328.

348 JOURNAL ASIATIQUE.

ses monuments attiraient les étrangers par iem* ma- gnificence , et ion y avait établi , dit-on , des relais pour la poste des pigeons et pour le transport de la neige en Egypte. La description la plus complète qui ait été donnée de la ville de Gaza est celle que Ton trouve dans les mémoires du chevalier d'Ar- vieux; le P. Mariano Morone de Maleo nous offre aussi des détails curieux sur les antiquités que Ton avait découvertes de son temps, dans des fouilles faites au bord de la mer, sur l'emplacement avait existé le port de Gaza. Dans la relation du voyageur portugais Antonio Tenreiro , cette ville est désignée, comme chez plusieurs écrivains du moyen âge, par le nom de Gazara.

Parmi les bourgs et cantons qui dépendaient de la même province, nous mentionnerons Badous (j**^*x^, AdjoazjyJ^ *j , Djedidah »*)s?*Ki^, labna Uaj »^Ji, l'ancienne Jamnia; Barbara \j^j^ *^r*' ^^ Castetlum Beroart, d'Albert d'Aix et de Sanuto; Amouria ^j\ \fj^y Tell-assafiah iUiUoil Jj (la colline de Safia), que Guillaume de Tyr appelle Telle-Saphi [collis Claras), et qu'il ne faut pas confondre avec un autre Safiah iUiUaJI , entre Hébron et Rarak ; Adjlan io^ y^SX^, Madjdal-Hammamah iC_*Lç- J«X-jfiî, Zakah *JU)JI , entre Kharoabah i^j^ et Rafah ^j , le long de la mer de Grèce ^^^J\JJ^\ ; Bedras o-j^^^v ou Beit-Diras (jtà\j^ ^-ii^-iS?» Ansar jj>aMt}\ , etc.

D existait une autre ville nommée Tell-ahdjoal J^^l Jo* , située non loin de Gaza ij^ iU>«>s.*^Uà, et qui se trouve plusieurs fois nommée dans l'His

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toire de Makrizi; plus au midi était Daroum rjjï^, appelée aussi y;>;î*>JL Jacques de Vitry, d'accord avec Guillaume de Tyr, explique le mot Daroum par domus Grœcorum; mais cette étymôlogie n'est point exacte , car, si la chose était vraie , on aurait écrit Dar-arroum (•^îj^^, et il vaut mieux, avec Schultens , reconnaître dans ce mot le terme hébreu Darom, qui désigne le midi. Le voyageur Baldensëi ou Boldensleve nous apprend que le bourg de Da~ ram était le dernier endroit habité qu'il rencontra sm" sa route , lorsqu'il se rendit de Syrie en Egypte : l'on pourrait croire, d'après ces détails, et telle est l'opinion de M. Poujoulat, que Daroum était située au lieu fut depuis construit Khan-Younes; mais M. Quatremère établit , d'après un grand nombre de témoignages , qu'il faiit la rapporter au village d'Eldeir, à trois lieues au sud de la ville de Gaza. Après quelques observations nouvelles sur Djatin (j^T*S- ou Habnin (^jvJU^ , et sur Sakkariah iu JC«JI , l'illustre philologue nous donne une notice histo- rique du plus grand intérêt sur la ville d'Hébron {j^A-*^»- ou KJialil Jh4^ «>^ ; non-seulement il ra- conte, d'après les auteurs orientaux, les principaux événements dont elle a été le théâtre, mais encore il entre dans les détails les plus circonstanciés sur l'intérieur de cette ville , appelée aussi Beït-Hehron U^j^^^ <^i*^ , et Mesdjid-Ibrahim |«^j^t «X-a^N^ J , la

* M. Quatremère, Histoire des Mandonks, n* /partie ^ p, 289, -r- M.* Am. Jaubert, Géographie d'Ediisi. t. I", p, 338, nomme cette ville KVAÎ^!^^.

y

350 JOURNAL ASIATIQUE,

mosquée d'Abraham. C'est ainsi qu'il indique hs rues «jl»- les plus remarquables, les diverses mos<fuée$ , Us collèges et les nombreux couvents ^^^> ouverts h la piété des fidèles. La ville est arrosée en tous sens par plusieurs sources , dont la plus belle et la plus abondante , la source de l'Eunuque ^l^kil (^y^ , sort de terre, dans le bourg de Madjdal-Fasil J<fj^ J*>^tf2, situé non loin de , près du quartier des tombeaux. Hébron , enclavée entre les montagnes , est à une demi-journée de chemin de Jérusalem. Entre ces deux villes , se trouvent le bourg de Hatman KtJi ^^UJoiL et celui de Siir jMtx^ , qui renferme une mosquée dans fintérieur de laquelle est, dit-on, le tombeau d'Esaû; aussi cet édifice est-il le but d'un grand nombre de pèlerinages. Mais le monument le plus curieux que décrit M. Quatremère est, sans contredit , la mosquée sont réunis les tombeaux d'Abraham, d'Isaac, de Jacob et de leurs femmes : les chrétiens et les juifs avaient anciennement obtenu le droit de la visiter moyennant une rétribution pécu- niaire; mais le sultan Bibars, ayant séjourné dans la ville d'Hébron, leur en interdit formellement l'entrée^ et nos voyageurs modernes n'y ont jamais pénétré^ si l'on en excepte le faux Aly Bey. Balden- sel , Sigoli , Breidenbach , Hanswerli von Zimber, parlent des instances inutiles qu'ils firent pour être admis dans fintérieur de la mosquée, et ils durent se borner à quelques indications fort incertaines recueillies çà et là; il en est de même de Tuchern de Nuremberg, Rudolph von Suchen, de Baumgar-

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ten, etc. D'autres voyageurs, tels que Regnaut, Gi- raudet, Quaresmius, ne furent pas plus heureux dans leurs tentatives, et M. Quatremère, en puisant dans les manuscrits orientaux qu'il a à sa disposition des détails authentiques sur im monument que l'on regrettait vivement de ne connaître que d'après des récits contradictoh^es , a su compléter avec succès les relations de voyagCïS il était question de la ville d'Hébron.

Nous allons maintenant passer en revue les diffé- rents points géographiques qui ont été l'objet de quelques discussions entre les savants , et que M. Quatremère est parvenu à éclaircir au moyen de textes irrécusables : c'est d'abord le lieu nommé Aoudja *U*^l ^ , qui est souvent cité par les histo- riens arabes; la rivière de ce nom, sur laquelle était située la ville d' Aoudja, répond à celle que Makrizi appelle, dans la Description de l'Egypte, Nafir-Ahi- FetroSy la rivière d'Abou-Petros ,.ou Nahr-al-Tawahin (jj%d^îjJaiI ^^^ , la rivière des Moulins : elle traversait le territoire de Ramlah iiL« . A peu de distance de cette ville , sur la route qui conduit d'Egypte en Syrie, se trouvait Kakoan ^^ib^ que les écrivains occidentaux ont désignée sous le nom de Kato ou plutôt Kaco, de Chaco, de QuaqaOy etc. A l'époque de l'expédition frîinçaise en Syrie, un combat fut livré près de Kakoun, et il en est fait mention dans le rapport du général Bonaparte au Directoire exécutif.

* M. Quatremère, Histoire des Mamlouks. il' partie, p. 2 53. ' Ibid. pag. 4o et a54.

35â JOURNAL ASIATIQUE.

Après Kakoun vient Kalkiliah iUUiii*, la Calcalia de Guillaume de Tyr, la Kalkileh de M. Scholz; Ou- tariah Aîîj^K située au nord de Jafl'a aussi bien que Djaldjouliahif^yJ^ , qu'il ne faut pas confondre avec le bourg de HaUioul J^jA.»- ou Djaldjoul J^ai^fi*- , près d'Hébron , la tradition j^laçait le tombeau du pro- phète Jonas-, puis Orsouf ou Arsouf Oy^j^ '^, appelée Arsim par Willebrand d'Olûenhorg, Munitio-Arsur par Brocard, Assur par Jacques de Vitry, Arzuffam et Arsiir par Sanuto, Arsicl par Albert d'Aix, etc. Guilla<ume de Tyr parle de la ville 'd'/4n<i/>a^'w ou Àt$ur} que Foucher de Chartres nomme ArsatJ^j Dans le voyage de Sœwulf , publié tout récemment, on lit : {( Pivxime Joppen vocatar Atsuf vulgariter, sed latine Azotum; » aumot Atsuf, il faut substituer celui d'Arsuf : du reste, la prétendue identité établie entre Arsuf et Azote ^ n'est due qu'à une erreui' de l'au- teur de la relation. Le sultan Bibars s'était emparé d'Arsouf sur les Francs en 1264, et, après cette expédition, il avait donné à ses émii^ en toute propriété, comme une marqué éclatante de sa satis- faction, plusieurs villes ou villages dont Makrizi nous a laissé la nomenclature : parmi ces diverses places se trouvent comprises Atil J^^a^ , Zeita bb) , Tour- Kerm p^j^ , Afrasin (:5v-»-jy J , Nameh x*b , Tàibat- y4f/5/ri rày^r^ÎAxL, Omm-al-Fahm #i.^î pi, qui fai-

' M. Quatrem^re i Histoire des Mamlouks , \\* partie , pag. 2 56. * Ihid. pag. 267.

^ Azote porte aujourd'hui le nom à'Ezdoad ^y^j^ , ainsi que nous l'apprend M. le chevalier Am. Jauberl.

AVRIL-MAI-JUIN 1840. 353

sait partie du territoire de Kaïsarieh; Taban ^Ui* ou Bathan ^^Uj , Bourin (jo^^ , Kalansouali «^-^As , Te- brin (^./^ ou Tirin (^j-^ , Bourdj Alimar ^^^ ^*^Vi, Djelmah ^^^ ou Helmah ^.^^a-, Tarna Ur, Deïr aZ-Os/bur jyuàjJî -j:> , Scfiouwaïkah *X>_^JI , Tar^ (j**^ ou Tabros (j^j-^ , yl/arj^>^, 74rarjJt;^ ou Arara SjS-^, Faroun (j^yJ, Estaba LlJ«Uwl , Saicla t*>vxAw, Sair-Fouha bytlî j-y^Jî , Artahh ^hj\ , Kosaïr j^j^\ , Ahhsass ,joUià.î , Fa/îm (^jviii , Kafr-Raï ^^Sj jx^=> , K^e5/a liuwS', Berdikah i^A^ , Khanouta byU^ , ^racZ Nesifa UaamJ iî^l , Djeblah »^^>^ , etc. M. Quatre- mère a réuni de nombreuses observations sur cette nomenclature , d'ailleurs assez obscure ^ , et nous rappellerons seulement que plusieurs de ces villes , Artakh, Atily Kafr-Raï, Toar-Kerm (Toul-Kerem), sont indiquées dans les écrits de MM. Scholz , Berg- gren et Robinson ; Kalan-Souah y est appelée Kek- nesweh et Kalensaue^ ; Schouwaïkah devient 5aa^fca et Aschwikijeh; Taibat- Alism , El-Thajbe, etc. Au lieu de Bourin et d'Estaba, M. Quatremère pense qu'il vaut mieux lire Boudin (^.^^ , et Estaia UkAwl ; dans Omm-al-Fahm i] retrouve la Fahmeh de Khalil Da- heri , placée entre Kakoan y^ib et Djinin (JïÂa^ (et non pas (j>Jv&-), et dans Taban, le lieu que Guil- laume de Tyr désigne sous la dénomination de Fons TabanÛB^.

* M. Quatremère, Histoire des Mamloahs, u' partie, p. i3 et sui- vantes.

« Ibid. p. 2 58 et 27/1. ^ Ibid. pag. 2 58.

IX. 23

354 JOURNAL ASIATIQUE.

Quant au viliage fortifié de KosairjAAoiJl \ il était situé à peu de distance de Baïsan yU-^ ^ jg l'autre côté du Jourdain, et, selon Makrizi, il faisait partie du canton de Gaarjyiil; au rapport d' Abou 1-féda , on lui avait donné le surnom de Moïn-eddin (ji^t^ (jj^»>JI, parce qu'on y voyait le tombeau de Moïn- eddin Ataz, personnage célèbre, naïb ou délégué du prince de Damas. Dans l'histoire de Guillaume de Tyr, ce lieu est appelé Castelletum, qui est la tra- duction latine du terme ambe. Il existait un autre Kosair diu nord de Damas, sur la route de Birah.

Nous venons d'offrir à nos lecteurs un aperçu très-succinct de recherches considérables, et nous regrettons bien vivement d'être obligés de les mor- celer ainsi; il faut parcourir soi-même fouvrage de M. Quatremère pour comprendre toute la variété, toute la profondeur de cette érudition , dont nous ne pouvons donner qu'une faible idée , et qui est le fruit de veilles et de lectures sans nombre. Nous som- mes encore bien loin d'avoir épuisé tout ce qui se rattache à la géographie dans le second volume de l'Histoire des Sultans mamlouks. Les remarques de M. Quatremère sur le lieu nommé Fawarj\^\^, près de Rosaïr, sur le défilé de Fik (^ iUii* \ si- tué à l'est de Tibériade , qui , par suite d'une erreur

' M. Quatremère, Histoire des Mamlouks . u' partie , p. 2 59 et 2 66. » Voyez sur Baïsan M. Am. Jaubert, traduction d'Edrisi, t. I", p. 337, 339, 346 et 36o.

' M. Quatremère, Histoire des Mamlouks, n' partie, p. 260. * Ihid. pag. 260.

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de copiste , avait été appelé défilé de Kabak (^ iUiU ; sur le nom de Merdj ^^^ ^ , donné aux vastes plai- nes qui environnent la ville de Damas, et l'on trouve les bourgs de Dariia l»jî:> et de Djeroud ^^/-^ , offrent plusieurs particularités intéressantes; nous ne nous y arrêterons pas , afin de pouvoir donner plus d'étendue à l'analyse d'une dissertation surl'O- ronte^, qui termine l'appendice nous avons déjà fait une si riche moisson. Les géographes grecs et latins ont désigné par le nom à'Oronte la rivière sur les bords de laquelle est située la ville d'Antio- che ; mais cette dénomination paraît avoir été peu connue des Orientaux : les Arabes s'accordent pour donner à cette rivière le nom de Asi ^^a^IxÎÎ (le re- belle), et l'on peut croire que chez les Syriens elle portait un nom analogue , celui de Atzoïo , qui a la même signification , et qu'on peut expliquer par la rapidité de ses eaux; ce qui confirme cette opinion, c'est le témoignage de Sozomène , qui atteste que la ville d'Apamée était située sur le fleuve Axias , Trpos TÔJ A|«V T^o-rayLw. L'Asi est aussi appelée par

* M. Quatremère, Histoire des Mamlouks, ii" partie, pag. 261. Masoudi parle de Merdj Rahet h^]j ». y^ , et de Merdj Adhrâ ^ wo *ïjOs^ , situé à 1 2 milles de Damas, qu Abou Schamah désigne parle nom de ijiX-ft iJJZ) ' ®° trouve dans AbouM-féda ( AAJûyj) XfJ^jyj)

TJff^f et Merdj Âssafar ^^>À.^) ^j-* ou Merdj Assofar ^j^

j jijeuS dans Tbistoire de Tabari , qui place cet endroit entre Wa- kousah et Damas; ce lieu n'a pas été inconnu aux historiens occi- dentaux des croisades, qui rappellent -Mtfi^ijap^ar. ilfeî^iMop^ar et Megisophar.

' Ihid. pag. 363.

a3.

356 JOURNAL ASIATIQUE.

Abou'l-Mahasen, Makloub v>^, renversé, à cause de ia bizarrerie de son cours; et les historiens des croisades , s'appuyant sur un passage du Livre des rois , la nomment Farfar, Fern, etc. Pour compren- dre cette assertion , il faut se souvenir que , de nos jours encore , une rivière qui vient se jeter dans celle d'Asi est désignée par la dénomination d'Aphrin et de Vaffrino.

On lit dans l'histoire de Djemal-eddin ben-Wasel que Melik Moudjahid, prince de Hems, résolut de détourner la rivière d'Asi, pour l'empêcher d'arriver à Hamah. Cette rivière, dit l'écrivain, sort d'une di- gue placée près du lac de Kadas; puis il ajoute ^ : « Le « prince ayant fermé par une digue le passage d'où «sort l'Asi, cette rivière cessa pendant deux jours « de couler vers Hamah. Les moulins et les roues hy- «drauliques ne purent plus être mis en mouve- (( ment; les eaux se répandirent dans les vallées ; mais (( bientôt, ne trouvant point d'issue, elles se repor- « tèrent en arrière avec une extrême violence , ren- te versèrent les constructions que le prince de Hems « avait fait élever à l'endroit de la digue , et reprirent

iyJL^ 2>Lft léaJL^ *i 0^ ^ IX ^ »^,:x^^\ i *UI

AVRIL-MAI JUIN 1840. 357

«leur cours habituel^.» Le Diwan al-inschâ porte que rOronte est la même rivière que ïAsi la^^î -^ ^^-loUJî yû^ , et le Kamel d'Ebn-Athir : que la forte- resse de Burziah ^.jy^ ^^*^ est située vis-à-vis la ville d' Afamiah que , dans l'intervalle qui sépare ces deux places, est un lac formé par les eaux de l'Asi , ainsi que par des sources qui prennent nais- sance dans la montagne de Burziah et ailleurs.

Non loin d' Antioche , sur la limite de la province d'Alep, se trouve le pont de Fer Os?*^^r^*'^=?- , pons Ferreus ou pons Ferri (le pons Pharphareus , de l'abbé Guibert), qu'il ne faut pas confondre avec une for- teresse appelée Hisn Aldjisr j. ^4 (^;f*^-^ (le châ- teau du Pont) , qui fut bâtie pour tenir en bride et pour resserrer la ville de Schaïzar; un peu au delà, du côté de l'orient , était Harem -jU- , célèbre par sa longue , mais inutile résistance contre le farouche Houlagou , et qui est devenue , dans les récits des his- toriens des croisades, HarenCy Aregh, Arechy Areth, Harich, Haram, etc. : c'est pour M. Robinson Kha- reïm. KosaïrjM>aJÔ\ (Gœsarea) était aussi sur l'O- ronte ou TAsi, et le passage de Nowaïri, relatif à cette forteresse, que M. Quatremère a traduit en entier, renferme des indications curieuses sur le siège qu'elle soutint contre Bibars ; elle était voisine de Bagras (jté\jÀi , et du port de Basit Iia-»*^ , qui sont contigus au Djebel Akra p-y^'^^ cX^il, la montagne chauve ( r Anti-Liban ) ^

Si nous passons maintenant aux détails géogra- * M. Quatremère, Histoire des Mamlouhs, n* partie, p. 266.

I

358 aOURNAL ASIATIQUE,

phiques répandus dans les nombreuses notes que M. Quatremère a ajoutées à sa traduction, nous mentionnerons des observations intéressantes sur Koraîn {^^^ ^ Maînakah xiijudl '^, place située dans la montagne de Rawadif Uu^^^J^ cX^»-; Masisah^, l'ancienne Mopsueste; Kasr jmià1\ *xX?*, Derb-Besak d)L^ c^:> ou Derbesak d)Lojà ^ et le défilé iXJoj jJI ^, le terrain de Scheîha U^-^i (jjo ou Scheïhan q^U^uî'', nom d une montagne située près de Jérusalem, Dje- roud ^^^ ^, bourg du district de Maloula ^^^-U^, etc. Nous trouvons encore une description fort exacte du palais de Damas ou CMleau- Blanc (^AjVI s^*aà}\ , élevé par Bibars dans l'hippodrome vert tjt<)vdï ^.At^âi^t ; le mur extérieur était depuis le haut jusqu'en bas composé de pierres noires et jau- nes^, disposées de manière qu'une assise tl)U<>^ d'une couleur était suivie d'une assise de couleur différente; le travail avait été exécuté avec un art et ime symétrie admirables. Pour arriver dans ce palais, on entrait d'abord dans un édifice *\(>2) placé sur un pont établi au-dessus de la rivière. On pé- nétrait dans une salle y|^^ extérieure , puis dans ie vestibule jyxU:> , qui comprenait plusieurs cham- bres »:yUb' d'une magnificence royale; le plancher

' M. Quatremère, Histoire des Mamlouks, ii* partie, pag. 87. H existé \iû lieu de ce nom en Egypte, entre Bilbeis et Salahieh; voyer la carte jointe à rouvrage du général Reynier. ' Ibid. pag. 112. ^ Ihid. pag. 124. ' Ibid. pag. 128. * Ibid. pag. 33. * Ibid. pag. 124. ' Ibid. pag. 32. * Ibid. pag. Zà- ' Ibid. pag. 44; voyez l'anecdote que raconte k ce sujet M. Quatremère, daprè» Nowaïri.

AVRIL-MAI-JUIN 1840. 359

et les murailles étaient formés de marbres de di- verses couleurs , revêtus d'or, d'azur, de mosaïques dorées; mais ce qu'il y avait surtout de remarqua- ble, c'étaient les pavillons d'où l'on découvrait la ville entière et la vallée de Goutah.

Le sultan Bibars donna aussi tous ses soins à la reconstruction des tours et de la citadelle de Safad, et une longue inscription en consacra le souvenir ^ ({ Cette citadelle, y est-il dit, a été rebâtie, fortifiée, achevée , embellie par le sultan Melik-Daher-Abou'l- Fétah-Bibars, après que ce prince a délivré cette place des mains des Francs maudits , et l'a remise au pou- voir des musulmans ; qu'il l'a transportée du domaine des Templiers iu^jJI à celui des vrais croyants. »

Ici s'arrête la partie géographique des nombreux documents dont M. Quatremère a enrichi le tome second de l'Histoire des Sultans mamlouks^; il nous reste à parler des détails biographiques que notre illustre philologue a réunis sur les divers écrivains qu'il a mis à contribution , et nous en ferons l'objet de notre troisième section'.

* M- Quatremère, Histoire des Mamlouks, if partie, p. 48.

' 1\ faut ajouter à cette analyse les remarques de M. Quatremère 5»r te» AscKirs jJfà»^ et ^\jm^^ p. 273*, et sur les Curdes appelés Gozzesyxj] , p. 274.

' Dans lés additions que M. Quatremère a placées à la fin du volume, la biographie de Makrizi (voy. notre première notice, p. 1 29 et suiv. ) se trouve complétée par quelques observations intéressantes sur le degré de confiance que Ton doit accorder à ses écrits, et sur la secte des Daheris, jJ^UàJî |ç^t Js.^, dont notre historien était soupçonné de partager les opinions. Un passage d'Abou'l-Mahasen

I

360 JOURNAL ASIATIQUE.

111. Dans les notes jointes à sa traduction , M. Qua- tremèrc cite souvent un chroniqueur arabe qu'il dé- signe sous ce nom : le prétendu Hasan hen-lbrahim. D. Berthereau avait, en effet, admis comme certain que l'auteur d'une histoire arabe , qui fait partie des manuscrits non catalogués, portait le nom de Ha- san ben-Ibrahim, et cette opinion était justifiée par les premiers et les derniers feuillets du volume , on lisait que Hasan ben-lbrahim ben-Mohammed lafeï avait écrit cet ouvrage l'an 679 de l'hégire \ et qu'il avait commencé sa relation à l'année 621. Ces détails étaient précis, positifs; on ne pouvait mettre en doute leur authenticité ; mais se rappor- taient-ils au corps de l'ouvrage , c'est la question que M. Quatremère a s'adresser, en s'apercevant que l'auteur parlait d'événements bien antérieurs à l'an- née 621, et il a bientôt reconnu que le premier feuillet placé en tête du volume, et qui renfermait le titre et la préface, avait été ajouté par une

rapporté par M. Quatremère prouve aussi que Makrizi s'abandonnait quelquefois à des préventions que ne justifie que trop l'espèce d'iso- lement où il vécut.

' M. Quatremère, Histoire des Mamîouks. 11" part. p. 176 : Jjii^

(JVAi^^ ^amJ iuuw Jlxit (jT>«^^ (i iUw^^^i jJiAJS^ wiU^

AVRIL-MAl-JUIN 1840. 361

main beaucoup plus moderne que celle qui avait copié le reste du volume. Le propriétaire du ma- nuscrit , voulant vendre d'une manière plus avanta- geuse un volume incomplet, y a cousu un titre et une préface sans s'inquiéter de leur divergence avec la suite du récit, et la dernière page du livre a été aussi ajoutée dans le même but, avec la même in- tention. M. Quatremère montre clairement que le manuscrit n'a pu être composé l'an 679 de l'hégire, puisqu'il contient un grand nombre de faits qui ap- partiennent au siècle suivant, et les nombreuses citations sur lesquelles il s'appuie prouvent que l'auteur, vers l'année 800 de l'hégire, était con- temporain de Makrizi, Aboul-Mahasen, Kotb-eddin- Aïni, Ebn-Radi Sehobbah et autres chroniqueurs, dont les productions volumineuses et estimables sont encore aujourd'hui sous nos yeux. Nous ne doutons pas que M. Quatremère, dont l'érudition orientale embrasse un horizon si vaste , ne découvre le véritable noim de l'auteur du manuscrit dont il est ici question; mais la comparaison qu'il a faite de son contenu avec les divers recueils de nos bibliothè- ques pubhques ne lui a pas encore permis d'asseoir définitivement son opinion à cet égard.

Cette intéressante dissertation , dont nous n'avons pu donner qu'un résumé fort incomplet, se trouve suivie d'une notice sur la vie d'Ebn-Khallikan\ dont le Dictionnaire biographique , digne , à tant de titres, de la juste célébrité dont il jouit, a été mis

' M. Quatremère , Histoire des Mamloaks , n* partie , p. 1 80 et 27 » .

362 JOURNAL ASIATIQUE,

à contribution par tous ceux qui se sont occupés de l'histoire littéraire de l'Orient. Schehab-eddin Ahmed ben-Mohammed ben-Ibrahim ben-Abi Bekr ben-Khallikan Barmeki, le Schafeï, appartenait ou prétendait appartenir, ainsi que l'indique son sur- nom, à l'illustre et malheureuse famille des Bar- mécides. en 608 (1 2 1 1) à Arbel, il perdit deux ahs après son père, qui était professeur au collège de Modaffer-eddin , et se rendit en 626 à Alep, il suivit les leçons du scheikh Mouwaffik-eddin , le prince des littérateurs de ce temps-là , et celles d'A- bou'l-Mahasen Beha-eddin Ben-Scheddad ; l'histo- rien Ebn-Alathir encouragea aussi ses premiers ef- forts. De retour à Arbel en 632, Ebn-Khallikan quitta bientôt cette ville qu'il ne devait plus revoir, pour aller à Damas, il se concilia la bienveillance des deux princes Melik Aschraf et Melik Kamel ; puis il prit la route de l'Egypte, son mérite ne tarda pas à être généralement apprécié. Il fut choisi jpolir remplir dans la ville du Caire les fonctions de naîb (substitut) du kadi al-kodat Bedr-eddin Abou'i- Mahasen lousouf ben-Hasan, qui avait sous sa ju- ridiction l'Egypte entière ; il occupait cette place en 6/i5, et quinze ans après il fut nommé aux fonctions éminentes de kadi al-kodat (kadi suprême) de la ville de Damas. Il avait commencé, pendant son sé- jour au Caire, son grand ouvrage biographique qui a pour titre : y4>îi *^^ ^W^^ y^^' ^^ AJ3 , « les « Morts des hommes distingués et les histoires des <' enfants du temps , » et ne put le continuer au milieu

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des nombreuses occupations que lui imposèrent ses nouvelles attributions; mais, après dix ans de magis- trature, se trouvant rendu à la vie privée et étant revenu habiter le Caire, il eut l'occasion de lire ou de consulter quantité d'ouvrages qu'il avait cherchés en vain auparavant, et il termina son travail en 672 (1273). C'est le seul monument qui nous reste des compositions de cet homme célèbre , dont les der- nières années devaient être troublées par de cruel- les vicissitudes; réintégré deux fois dans les fonc- tioiis de kadi al-kodat, et deux fois destitué, dégoûté des honneurs et fatigué d'une vie aussi orageuse, Ebn-Kliallikan rentra dans l'obscurité et se livra en- tièrement à la culture des lettres : ce fut alors qu'il forma le projet d'écrire une chronique étendue tous les faits de l'histoire de l'empire musulman au- raient été racontés chronologiquement; mais la mort, qui vient si souvent arrêter les entreprises les plus utiles , l'empêcha de réaliser ce plan. Il ex- pira en 681 , dans le collège Nedjibiah, à Damas, à l'âge de 78 ans.

Tous les écrivains de l'Orient se sont plu à vanter le mérite éminent, les rares qualités qui distinguaient Ebn-Rhallikan; suivant le témoignage de Nowaïri, «c'était un homme savant, un magistrat plein d'é- «quité, un httérateur brillant, un historien cons- «ciencieux; » il avait pour la poésie un goût très- vif , et M. Quatremère cite de lui quelques pièces de vers qui attestent un talent élevé. Nous avons passé rapidement sur les détails que rapporte l'il-

364 JOURNAL ASIATIQUE,

lustre traducteur de Makrizi, au sujet de plusieurs circonstances particulières de la vie d'Ebn-Khallikan , afin de pouvoir faire connaître avec quelque déve- loppement la biographie qu'il donne de trois histo- riens arabes souvent mentionnés dans son savant commentaire ; ces historiens sont Hasan ben-Omar, auteur d'une histoire de l'Egypte et de la Syrie, Ahmed ben-Hadjar Askalani, et Bedr-eddin Mah- moud Aïntabi ou Aïni ^

Bedr-eddin Hasan ben-Zein-eddin Omar ben-Ha- san ben-Omar ben-Habib florissait dans le vni'' siècle de l'hégire; il avait eu pour aïeul paternel fécrivain Abou Mohammed Bedr-eddin Hasan , qui avait laissé deux ouvrages historiques fort estimés : « la Perle

« des colliers concernant la dynastie des Turcs, » «j^ é\yi'i\ a3j5 i »i):iU-^î ; et « TAvis donné à l'homme '((éveillé, sur le règne de Mansour et de ses fils,» iLM^ jyajX\ Jj j^iojJ^) «^.^3 «X3. Poète et histo- rien , Hasan ben-Omar quitta de bonne heure Alep , sa ville natale , pour parcourir la Syrie , visiter Jé- rusalem, la Mecque, Alexandrie, tantôt célébrant dans ses vers l'expédition faite ewjio dans la petite Arménie, ou retraçant le tableau de la peste de 769, tantôt se livrant à des travaux de longue ha- leine, faisant des extraits des plus habiles historiens composant en prose rhythmique cjuelques traités intéressants. Parmi ses compilations , on doit mettre

^ M. Quatremère, Histoire des Mamïouks, 11' partie, p. 2o4 , 209, 2I9 et 371.

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au premier rang une petite chronique tirée de la grande histoire d'Alep de Kemal-eddin. . . ebn- Aladim , publiée sous le titre de : « la Présence du (( commensal ,)) ^^^.<y^^ (jjjt g-jb (^ /o-j«3s^Î a^Aii^; un recueil biographique extrait d'Ebn-Khallikan : « les Sens des hommes éloquents , tirés de la vie des n hommes distingués,)) c:»^^ a-J^ tj^ (jW^Î J^^ jU^ yU^^Î ; et (( la Direction de l'auditeur et du lecteur, i( d'après le Sahih d'Abdallah Bokhari,)) ^LJî i>lwj^ ^jl^l 4Ml Jy^ ^^^ (j^ <sj^^^ ' Nous ajouterons à ces divers ouvrages «les Compliments de celui « qui salue , extraits des poésies d'Ebn-al-Moallim , » LjlH] ^^\ -juû (j^ l^\ ILk^ , etc. Hasan ben-Omar écrivit aussi un opuscule intitulé : « les Prairies des n plantes, concernant la révolte de Beïbagarous,)) ^^^ ^^j\ X s-A-î ^^r^ i Or^r*^'» il choisit dans la collection des ouvrages poétiques ij^y^t^ d'un litté- rateur célèbre, Abou-Ishak Ibrahim ben-Othman Gazzi, un recueil abrégé qui comprenait trois sec- tions, savoir: ^JuJI ^jJI, «la Perle unique; » oObJI l<f>JàÂJl , « le Collier enfdé ; » et ea^ji^ d^^j^^ ' ** ^^ «Jardin bien tracé; » et qu'il intitula : « les Lois fon- « damentales d' Ibrahim, » /«(s-i^l -?i «x^l^ . Enfin il réu- nit dans un seul livre : i " le commentaire explicatif ^-»y sur le hawi c^^UL de Rotb-eddin Fali; des additions à l'ouvrage de l'imam Scherf-eddin ebn- Barezi, «l'Exposition des décisions juridiques , » et donna à ce recueil le titre de : « Broderie des éclair- i( cissements , )) ^^-«ô-yJt ^^y - Parmi les autres pro-

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diictions de Hasan ben-Omar, nous indiquerons « le Vent d'orient , » UaxÎÎ ^t\^^ , qui renfermait trente chapitres consacrés h la littérature, et (de Pendant « d'oreilles concernant la description de la mosquée , » { ■*^> v-ùo» i ^mi v-Ax^i , ouvriage qui contenait les louanges de la Syrie, l'histoire et la description de Damas , l'éloge de la grande mosquée des Orp- miades, et le détail des peintures et des couleurs qui couvrent ses mausolées; mais, de toutes les compositions de notre auteur, la plus importante , sans aucun doute , est l'histoire que contient le ma- nuscrit arabe 688, et qui renferme le récit des évé- nements dont l'empire musulman a été le théâtre depuis l'année de l'hégire 648 jusqu'en 678 (de 1 5j5o à 1 279 de J. C.) : c'est une suite de l'histoire composée par Abou Mohammed Bedr-eddin Hasan; elle porte le même titre , Ai)l^^l 'â]^:> ^ ^d^X^Vt «Jà- M. Quatremère l'a souvent mise à contribution , et l'opinion favorable que ce savant maître paraît avoir conçue de Hasan ben-Omar est pour cet écrivain un véritable titre de gloire. Il mourut à Alep l'an 779, à l'âge de 70 ans.

Les deux autres écrivains dont il nous reste à parler vécurent à la même époque : Ahmed ebn- Hadjar Askalani de 778 à 882 , et Bedr-eddin Mah- moud Aïntabi ou Aïni de 762 à 855. Le premier, constamment occupé d'études sérieuses , de travaux consciencieux et opiniâtres , acquit mie science pro- fonde de la langue arabe et de la jurisprudence; il

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devint le plus habile hafid iô^À^ ou JâiUw (celui qui sait par cœur le Coran et les hadith, u traditions ») de tout l'empire musidman; il excellait dans la con- naissance des hommes, sachant les citer à propos et distinguer ceux qui avaient un mérite éminent d'avec ceux qui leur étaient inférieurs; il possédait à fond les causes qui avaient produit chaque tradi- tion ; c'était lui qui sur cette matière faisait autorité et était universellement vanté ; il était le phénix des savants, l'oracle de l'islamisme, celui qui avait res- suscité la sunnah; tous les amateurs de la science venaient s'instruire auprès de lui, et c'est à son école que se formèrent, pour la plupart, les juris- consultes célèbres de l'Egypte.

Le second, également remarquable par son sa- voir, obtint de bonne heure l'estime de ses contem- porains; sa mémoire était ornée d'une foule de faits historiques et d'observations grammaticales dont il faisait toujours un emploi heureux; favori des sultans Melik Mouwaïad Scheïkh et Meiik Aschraf Borsebaï , et comblé d'honneurs par ces princes , il lut à la fois kadi , mohtesib et inspecteur des fonda- tions pieuses; il avait été nommé mohtesib en rem- placement de l'historien Makrizi, qui devint son ennemi irréconciliable, et lui-même fut plusieurs fois destitué des charges qu'il remplissait , puis réin- tégré dans toutes ses dignités. 11 est fort intéressant de suivre dans le récit animé de M. Quatremère les phases diverses de la vie publique d'Aïntabi ; les mutations continuelles que le caprice des sultans

368 JOURNAL ASIATIQUE,

opérait parmi les agents du gouvernement révèlent assez les vices d'une semblable administration. Ebn-Hadjar Askalani ne ftit pas non plus à l'abri de ces revers subits de la fortune ; après avoir été mufti de la maison de justice, scbeikh du Khanikah (su- périeur du monastère) de Beibars Djascbenkii% il fut choisi par le sultan Melik Aschraf Borsebaï comme kadi al-kodat (kadi suprême) des schafeïs de toute l'Egypte ; sept fois disgracié , sept fois il dut repren- dre les hautes fonctions auxquelles il avait été ap- pelé; ce ne fut qu'en 85o qu'il se retira définitive- ment des affaires publiques, pour se livrer, dans la retraite, à des recherches littéraires et pour mettre la dernière main à ses nombreux ouvrages. Abou'l- Mahasen nous apprend que les titres seuls suffiraient pour remplir un volume tout entier. Ses principaux traités sont le Talik al-talik (^ iv^^ (9 * ^ ^ 3 , qu'il joignit à l'ouvrage du même nom cyUxU:> com- posé par Bokhari; un commentaire sur Bokhari in- titulé : Fath alhari <^j^\ ^; le livre intitulé : Kitab fawaïd alihtifalji beian ahwai arridjal *^-j|y cjLxS' JU-yi JÎ^^I ^jlo i JljUr^^i ; le Tahakat al-hoffâd \ô\jJl cyliuia, le Kitah kodatmisr ^.^aa «Iw&j v^--"^^^; (( les Perles cachées concernant le vin" siècle , » iU^ljJ! ibLli i ioUl<JI jj*>Jl ; et «le Livre qui fait « connaître ceux qui ont gouverné l'Egypte sous Tis- « lamisme , » ^"^^ *-VI ^ ya^ J^ ^^ -^K^i^I oU^> ; mais, sans contredit, l'ouvrage le plus important d'Ebn-Hadjar est sa grande histoire écrite en arabe , et qui a pour titre : j««jJt *UjI Xj-^^ ^WK «le*

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« Récits de Thomme ignorant concernant les hommes «vivants.» Ce livre, qui a fourni à M. Quatremère d'utiles documents , comprend l'histoire politique et littéraire de l'Egypte et de la Syrie , depuis la nais- sance de l'auteur jusqu'au milieu du ix^ siècle de l'hégire ; il se compose de deux volumes in-A" , placés sous les n"* 656 et 667 du catalogue des manuscrits de la Bibliothèque royale. C'est un ouvrage fort développé et fort instructif, et, comme l'observe très-judicieusement M. Quatremère, si Abou'1-Ma- hasen n'en fait pas mention, on peut croire que cet écrivain, ayant souvent mis à contribution le livre d'Blbn-Hadjar, n'aura pas été empressé de faire con- naître une des sources qui lui avaient fourni son érudition.

Quant à Bedr-eddin Mahmoud Aïntabi , ses pro- ductions ne sont pas moins nombreuses; il com- menta, ainsi que nous l'apprend M. Quatremère ^ 1 ° le Sahih de Bokhari : ce commentaire , qui portait pour titre c^^jUJl «*)s^ , « f Appui du lecteur , » se com- posait de vingt et un volumes ; « le Sens des paroles «remarquables de Tahawi, » jb^î <3^, en dix vo- lumes; 3° une portion des Sanen d' Abou-Daoud , en deux volumes ; une portion considérable de la vie du prophète, ^.yjù<i\ «^juJi , d'Ebn-Hescham , sous le titre de Keschf allithâm ^^^\ v-.ÀÂi5", « l'Enlè- «vement du voile; » le Kelem taïb <^ iv-^' |b^î , d'Ebn-Timiah; le Tohfet al-mobÀ vfi^JUl iuU? (ie Don des rois); le Kenz r*^^ (le Trésor) : il donna à son travail le titre de : « l' Indication des

370 JOURNAL ASIATIQUE.

« vérités concernant l'exposition da trésor des idées H subtiles, ^y ^^^lïoJI ^^^-^ i (^\X!lj^j; ie Toh- fah et le Hedaïah en onze volumes ; le Bihar za- khirah (les mers Enflées), deux volumes : cette ex- plication avait pour titre: « la Pleine lune brillante , » j^-AÎ)JI j«xJî ; 1 les témoignages cités dans les di- verses explications de l'Alfiyah, trois volumes; 1 1* «le Repos des âmes, » ^^j^^ z^J^' ^^^^ ^^ *^^^^ de çï^j^J C"^^' "'^ Matelot des âmes;)) 12° nies Cent régents, » i^\M Js^l^l , d'Abd-al-Kaher Djor- djani; 1 le poème de Sawi sur la prosodie, ij^^r*^^ ; 1 le traité de prosodie d'Ebn-al-Hadjeb. Il abré- gea (des Décisions juridiques de Dabir, » ^^^UàII Aj^^jç^JûJl , et le Mollit Ioa^I en deux volumes; il commenta le Taadih ^L*c?ycJi, l'éclaircissement, et l'explication de Djarberdi sur la conjugaison; il ré- digea des développements utiles suf le commentaire du Lobab , la grammaire , etc. Il composa « les Vies «des prophètes,» *Lxô^I^^hv*»', une grande histoire en dix-neuf volumes , et une moyenne en huit, dont il fit ensuite un abrégé. Il écrivit l'histoire des Chos- roës en langue turque; «les Classes des poètes,» *t^juiJI «oUuId ; « les Classes des hanefis , » c:>lJi-«Ll3 iLlixril; leMoadjam (histoire par ordre alphabétique) de ses scheïkhs en un volume; les voyages de Ta- hawi en un volume , et un abrégé de la chronique d'Ebn-Khallikan. Il est également auteur d'un ou vrage en huit volumes sur les prédications et les questions subtiles, intitulé : j^J^^aJl ^j\a^^ ula il Dilatation des poitrines , » ou (j*(JL«iî ^^j , « l'Or-

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(( nement des conférences ; » un autre traité sur les u questions rares, » ;:>l^-ÂiJ ; « la Vie de Mouwaïad, » «K-j^il ïfjffMé , en vers et en prose ; u la Vie d'Aschraf, »

ô^^î V"^^' ^*^* ^^^' ^^"^ ^^ possédons de cet écrivain si fécond qu'un volume dépareillé de son histoire, contenant, sous la forme de journal, les annales de l'Egypte et de la Syrie, depuis l'an -799 de l'hégire jusqu'en 882.

Nous avons indiqué , avec quelques détails , les ouvrages des divers écrivains dont M. Quatremère nous a donné la biographie , afm de montrer com- bien la littérature orientale devait être riche et va- riée; il n'est point, pour ainsi dire, d'auteur arabe auquel on ne puisse attribuer plusieurs productions , intéressantes à différents titres ; et , quand on songe au petit nombre de manuscrits que renferment nos bibliothèques, on doit vivement regretter que le gouvernement n'impose pas aux jeunes voyageurs qui visitent f Orient sous ses auspices, fobligation de recueillir et de rapporter ces livres , se trou- vent les dernières traces d'une civilisation presque éteinte , au lieu de se borner à des descriptions de lieux qui toutes se ressemblent. Colbert avait bien mieux compris , dans les instructions qu'il avait adressées à Vansleb, quel devait être le principal objet de ces missions , entreprises au profit des scien- ces et des lettres.

On a vu avec quel soin M. Quatremère s'était attaché à nous laisser des notions aussi exactes que possible sur les historiens orientaux qu'il avait con-

372 JOURNAL ASIATIQUE.

snit<5s. Mais ne s'est pas borné le travail de l'il- lustre philologue; à chaque page de son livre on trouve des détails curieux sur les hommes éminents qui se sont distingués sous le règne de Bibars, soit par leurs écrits, soit par leur amour pour les tettres : c'est d'abord Naser-eddin Hosaïn ben Aziz Kaïmeri, fondateur du collège Kaîmeriah à Damas ^; le scheïkh Schehab-eddin Abou'l-Kasem Abder- rahman ben-Ismaïl ben-Ibrahim, plus connu sous le nom d'Abou-Scliamah iUlw ^1 , professeur au collège de Rokniah , et que nous avons eu occasion de citer plus haut^; le poète Sibouaih ben-Magrebi'; le chef des médecins de Damas , Scherf-eddin Abou'l Hosaïn Ali ben-Iousouf ben-Haiderah Rahbi, pro- fesseur au collège Dakhwariah iu;l^*>JI \ etc. Puis viennent Ebn-Abi Osaïbah aaax*»»I j^Î, auteur d'une histoire des médecins dont nous possédons quelques fragments^; Arbeli, homme de lettres

' M. Quatremère, Histoire des Mamlouks. ii" partie, p. 45.

' Pag. 356. M. Quatremère , Histoire des Mamlouks, u* partie , p. 46, nous donne des détails intéressants sur le meurtre de cet écrivain, qui était en 1 267 chef du collège Âschrajiah; on cite parmi ses ouvrages deux abrégés, Tun en quinze volumes, l'autre en cinq, de Thistoire de Damas, écrite par Ebn-Asaker et qui se composait de huit cents parties réunies en quatre-vingts volumes. Nous ne possédons d'Abou-Schamah que le Kitah arraoudataïn C->1 V ^p iU»-iLkâJî^ i<}jy^\ (jjjaJ^jJI ^ (^jOUôj^K le livre des deux jardins concernant l'histoire des deux règnes, celui de Noradin et de Saladin.

■'' M. Quatremère, Hlitoire des Mamlouks. 11* partie, pag. 78.

* Ibid. pag. 73. Voyez aussi , p. 74 , ce que dit M. Quatremère sur le grand émir Izz-eddin Aïdemur ben-Abdallah Halebi Salehi.

' Ibid. pag. 83. Nous avons parlé de Ben-Abi Osaïbah dans notre

AVRIL-MAI-JUIN 1840. 373

►t et poète ^ ; Ebn-Khaianisi ^^wJ^Î (^^P . ^^_ sir-eddin Tousi, le fondateur de l'observatoire de Maragah^; Ebn- Abdallah Mohammed Schatibi^, etc. Nous sommes loin d'avoir fait ressortir tout ce que l'ouvrage de M. Quatremère contient de neuf et d'intéressant , car c'est un de ces livres auxquels on a souvent recours et qui offrent à l'esprit une mine inépuisable de réflexions; plus on l'étudié, et plus on y découvre de nouvelles richesses : si nous n'a- vons pu en rendre compte aussi complètement que nous l'aurions désiré , en restant dans les limites qui nous étaient tracées, nous aurons du moins réussi, si notre espoir n'est pas trompé , à montrer que , sous le rapport de l'érudition orientale, la France est toujours au premier rang. M. Quatremère suit dignement l'exemple de ces hommes illustres qui ont donné l'impulsion à TEurope savante, et qui

Notice sur le maDuscrit arabe iio/i. [Extraits et Notices des manus- cri6, t. XIII, p. 128).

* M. Quatremère, Histoire des Mamlouhs, if partie, pag. 108. ^ Ibid. pag. 120.

^ Ibid. M. Quatremère s'exprime ainsi: «Le savant Nasir-eddin «Mohammed ben-Mohammed ben-Hasan Tousi, l'imam célèbre, «mourut dans la ville de Bagdad en 1278 : il avait été au service du «prince d'Alamout; ensuite il s'attacha à celui de Houlagou, auprès « duquel il obtint le plus grand crédit. Ce fut pour lui que cemonar- « que éleva un observatoire à Maragah. Il est auteur d'un grand nom- «bre d'ouvrages. Il était au mois de djoumada premier, l'an ^77 « ( 1 1 8 1 de J. C). Nous avons eu plusieurs fois l'occasion de citer Nasir-eddin Tousi dans notre mémoire sur les instruments astrono- miques des Arabes; voyez aussi la notice que M. Jourdain a publiée sur ce savant, d'après Casiri.

* Ibid. pag. 120.

37(1 JOURNAL ASIATIQUE

ont fait rejailliiv une gloire si vive sur notre pays; l'admiration pleine d'enthousiasme * que sa traduc- tion de l'Histoire des Mongols de Raschid-eldin et de l'Histoire des Sultans mamlouks de Makrizi a excitée en Angleterre, trouvera de l'écho parmi nous, et le seul regret que nous puissions exprimer, c'est que le gouvernement français ait laissé à la munilicence du Comité des traductions orientales de Grande- Bretagne la publication de travaux qui, doivent être considérés copnme un véritable monument national.

* Voyez la notice récemment publiée par M. Ntoriey.

SÉDILLOT.

AVRII.-M4I-JUIN 1840. 375

:VCTE''DEr^^VENTË-

Passé à Tombouctou. Manuscrit arabe venu de Tombo«clou.

'Le manuscrit . ara^Ji^e de ia j^ibliothèque royale 480, ancien fonds, offre cette particularité bi- zarre qu'il fut, il y a deux cent cinquante-cinq ans, déjà vieux et usé, vendu à Tombouctou par un étu- .^diant qui 1 avait apporté de Maroc. Le fait nous est révélé par l'acte de la ve^te^ qui fornqe 1^ derni^e page du volume, et dont je donne ici le texte et ia traductipq. Malbeureusement , tout d'ailleurs, dfins le pauvre livre, atteste trop ses fatigues et la lojigue carrière qu'il a fournie , car des feuillets en ont dis- paru, d'autres sont altérés, couverts de tacliçs, amoindris par l'usage, et l'écriture y est devenue, en beaucoup d'endroits, illisible. Nous ne savons à quelles nouvelles vicissitudes il dut ensuite de trou- ver asile dans nos collections ; la trace de ses péré- gi'inations commence et finit pour noiis avec l'acte de vente.

H contient un commentaire d'un recuçil de tra- ditions appliquées à la jurisprudence selon le rit de Malpk, rangées sous la rubrique fie chacun des chapitres 4p lois auxquels elles 3e ratta;chei;it; et l'acte de vente nous apprend que ce commentaire a pour titre Charhh el-Àhhkam, que l'ouvrage entier

376 JOURNAL' ASIATIQUE.

se compose de huit volumes, et que notre manus- crit en est le dernier.

Un ouvrage qu'un titre aussi vague en lui-même que celui de Charhh el-Ahhkam ^ suffisait pour dési- gner, ne pouvait être qu'un ouvrage éminemment classique, et, sous ce rapport, nous devons déjà re- gretter de n'en posséder qu'un fragment. Nous tire- rons en même temps de une raison de conclure que c'est, sans aucun doute, un commentaire du recueil de traditions que composa Abd el-Hhakk, docteur de Séviile , qui vivait au vi* siècle de l'hé- gire , et qu'il publia en deux éditions , savoir : l'une sous le titre d'Ahhkam cobra, grand Ahhkam, et l'autre sous le titre di Ahhkam soghra, petit Ahh- kam. En effet, ce recueil de traditions d'Abd el- Hhakk jouit d'un grand renom dans le rit de Ma- iek, et c'est le. seul ayant pour titre El- Ahhkam et pour 'auteur un Maleky, dont ait parlé Hhadjy Khalfa dans son Dictionnaire bibliographique. Voici la mention qu'il lui a consacrée :

« Le petit Ahhkam , par le docteur Abd el-Hhakk «ben-Abd er-rahhman ben-Kharrât, de Séviile, «mort en 882 à Bidjaya. Le scheïkh Sadr ed-din « Mohhammed ben-Omar l'Egyptien , mort en 716, «Ta commenté en 3 volumes.»

Et plus loin :

<( Le grand Ahhkam sur les traditions, par le doc- « teur Abou- Mohhammed Abd el-Hhakk ben Abd

* Charhh el-Ahhham signifie: commentaire des dispositions de la loi.

AVRIL-MAI-JUIN 1840. 377

«er-rahhman el-Azdy, de Séville, mort en 682. « C'est un grand ouvrage d'environ 3 volumes. 11 l'a <( composé de traditions qu'il a choisies dans les re- « cueils ^. ))

%. ces indications de Hhadjy Khalfa, nous ajou- terons celles que nous fournit El-Makkary dans le deuxième volume de son Histoire d'Espagne, où, citant les savants espagnols qui se sont illustrés dans la science des traditions , il dit :

(i Le livre d'El-Ahhkam , par Abou-Mohhammed « Abd el-Hhakk, de Séville, est un ouvrage classique, u dont l'étude est répandue. Il consiste en un grand «Ahhkam, en un petit Ahhkam, et aussi, suivant (( quelques-uns , en un moyen 2. »

^b^{ A^^jJi i^S^^i ô^t" iCJuw (lydtl Jlaxw^Î ls\jÀ, ^ ^ Jh^ j^ ^ufiJJ ev,*>Jl i i^jjSi\ ^Kd-^I

jyY^ JhW^^Î (^ «>H^ *>^ a^ j.l<»-^l V^^ ' Ja^^^ M. A. dcfa B. R.'n" 705, v. fol. 43.

378 JOURNAL ASIATIQUE.

On sait que rieiA n^st plus fi^éqUent que de voir airisi les docteurs musulmans, surtout les juriscon- sultes , publier à la fois le même livre , et sous une forme étendue, et sous une forme moins dévelop- pé^, et «eus Une forme abrégée. Us cherchent en <ieia<J en retidrelHitilité plus générale, l'usage plus pratique, à fournir les moyens d'en graduer l'étude, à en faciliter l'accès à tous les degrés d'instruction, d*intelligence et de mémoir^ew r .

Maintenants est-ce à un commentaire du grand Ahhkam d'Abd el-Hhakk qu'appartient notre ma- nuscrit, ou à un commentaire de son petit Ahh- kam?

Si les textes épai^s. dans chacune des sept autres parties de l'ouvrage y occupent, et nous devons le présumer, une place é^ale à celle .gui leur est ré- servée dans la huitième, ils excèdent <Je beaucoup lés limites d'un volume ordinaire, limites dans les- quelles Abd el-Hhakk a, sans doute, entendu renfer- mer son petit Ahhkam; ce n'est, par conséquent, qu'à un commentaire du grand Ahhkam que notre manuscrit ^ôtirraat appartenir. ,., Mi^^'laiar^, quel ser^. l'auteur de Tce commen- taire?

Hhadjy RhalFa nous laisse,' sur "ce "point, réduits ^4 -errer dans le champ de conjectiures fort vagues : d'un côté, il ne cite qu'un seul commentateur des Ahhkams d'Abd el-Hhakk, et, en cela, il nous au- torise à croire qu'il n'en existe pas d'autre ; ce com- mentateur, c'est, comme on l'a vu, Sadr ed^din

AVRIL-MAI-JUIN. ia40 379

Mohhammed ben Omar; d un autrç côté, il se con- tente d'attribuer à Sadr ed-din un commentaire du petit Abhkam en trois volumes; de sorte qu'il aurait ignoré l'ej^stençp çju commentaire du grand Abh- kam, commentaire, suivant toute apparence, clas- ''^que au rfiêmë' degré , et d'une împortanice plus grande que le^çommentaive du petit Ahbl^^m.Jln cette absence ,de toute donnée précise, si l'on con- sidère que lies'- deux Ahhkams forment en réalité le même ouvrage , . et ne^ diffèi-ent que par l'éteadue ; que le commentaire de l'un rentrait dès lors natu- 'Tëllementtlanj^rordre;le plan et l'objet dos travaux ,dç^,celvii qui ay^it commenté l'autre, il n'y aura pas d'invraisemblance à supposer que les deux com mentaires ne comptent, ate^'que. les deux textes, qu'un seul aiat^Aig; gue tqu^ les i^^jnx §pj^t ro^u)rre de Sadr ed-din Mohhammed ben-Omar : en un mot, que ce Sadr e'd-din e^ïî'aiitRUi' de notre contitmn- laire.^^i A>y;i^ .^^^^ ^ .

Voici l'acte de vente; il m'a semblé un document curieux à plttsî^urs'égard^ -.<. "

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380 JOURNAL ASIATIQUE.

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AVRILMAI-JUIN 1840. 381

(j^^ O».:^ A^^ «l^ij^ ^,K=*.^Î (jvj^^ju^î ^UL «jU.

aj .<<MÎ oiiaJ jJLfj:> 0j (^ ^^jj^^A

{Le reste est effacé.)

TRADUCTION.

Louanges de reconnaissance à Dieu \

Que d'abondantes louanges de reconnaissance soient offertes à Dieu jusqu'au jour du jugement!^ que ses bénédictions et sa paix les plus parfaites soient sur Mahomet son prophète, sur sa famille, sa postérité et ses compagnons ! ' Ahhmed ben-End Ghakk Ahhmed ben-Mahh- moud ben-el-Fakih End Ghahhmed a acheté ce vo- lume , grand , usé , vieux , écrit en caractères gharbis, qui est le huitième volume du Charhh el-Ahhkan), et termine les huit volumes de cet ouvrage , car il en est le dernier volume, d'un homme jeune, étu- diant la science, folany, au teint basané, mince de corps, de taille un peu élevée sans cependant être fort grand , natif de Bolala , c'est-à-dire de la ville de Bolala , nommé Malek ben-Mohhammed , le fo-

' Le reste de cette ligne est effaro dans !e n>anuscril.

382 JOURNAL ASIATIQUE,

lany, l'étudiant, le Bolalien. Ce jeune homme a dér claré qu'il était parti de sa ville de Bolala et était allé dans le Gharb, aux villes de Fez et de Maroc et autres, villes du Gharb , et qu'il y était demeuré cinq années pour y étudier la science ; qu'ensuite il était arrivé dans la ville de Tombouctou avec la cara- vane d'Akaber, apportant avec lui ce volume, qui est le dernier volume du Charhh el-Ahhkam , et qu'il était descendu à Tombouctou dans le quartier de la grande mosquée. Ahhmed ben-End Ghakk Ahbmed ben Mahhmoud ben End Ghahlimed l'a alors acheté de lui moyennant quatre mitcals d'or et un sixième de mitcal d'or, au poids de Tombouctou ; et ledit ache- teur Ahhmed ben-End Ghahhmed a livré toutes ces pièces audit vendeur Malek le folany, arrivé du Gharb avec la caravane d'Akaber, lequel les a re- çues toutes , suffisantes , complètes , bonnes , et l'en a déchargé pour la totalité. En conséquence, ledit acheteur Ahhmed ben End Ghahhmed s'est trouvé quitte, et ce volume, objet de la vente, est devenu sa propriété sans conteste , en se référant aux règles que suivent les musulmans pour leurs ventes et les garanties à exercer ^ . Tout cela a eu lieu à la date

' viKiXJl , dans \o langage technique des juriscortsultes du ril de Malek, c'est proprement la garantie; et Ton en compte deux espèces principales, savoir : c^ogJi ifA^, la garantie des vices de làicbose, et ^Ul^Lm*.^! Sj:>y la garantie de la revendication, que Ton appelle encore ^^'^K¥t^] i^j^-

iiKjsJl ne représente pas exactement la même idée dans l'école hhanefye; car voici la définition qu'en donne le Kitah et-taarifât

AVRIL-MAI- JUIN 1840. 383

de chewal de l'an 988, le vendeur et l'acheteur susdits se trouvant en état de santé, de libre con- sentement, de pleine raison et de capacité de con- tracter. Dans ces lignes, la place du renvoi: et qu'il était descendu à Tomhouctou dans le quartier de la grande mosquée, est entre le mot ^/%^^^\ et celui- ci dî^JUîU, et ce renvoi doit y être compris. Au si- gnalement du vendeur on ajoute qu'à la partie gauche de son front est la trace d'une blessure gué- rie, mais dont la cicatrice subsiste. A été témoin de la reconnaissance faite , par le vendeur et l'ache- teur, de toutes ces choses, celui qui se recommande humblement à Dieu, Abou-Bekr ben-Aly ben- Denbassil : que Dieu lui fasse éprouver sa bonté, etc. (Le reste est effacé.)

(M. A. de la B. R. 1826, v. f.) qui appartient à cette école :

«iii)j«XJ) c'est (que ion me pardonne cette expression plus

« arabe que française ) que l'acheteur reçoive du vendeur un gage

« du prix qu il a payé, de peur de revendication de la chose vendue. »

B. Vincent.

384 JOURNAL ASIATIQUE.

NOTES.

[M. d'Avezac, dont tout le monde connaît les précieux travaux sur l'Afrique , et à la science duquel j'avais demandé des éclaircissements touchant divers mots de cet acte, a bien voulu m'adresser lés explications suivantes, que je crois essentiel de publier. ]

Le vendeur était un jeune étudiant qui avait voyagé dans le Gharb, et qui en revenait avec laj^\^| Mij, c'est-à-dire avec une caravane spécifiée par le mot wjl^î. M. Vincent a cru remarquer sous le ï final de iUiij l'indication d'un kesr simple, qui dénoterait dans ^jl^l un régime à l'égard du mot précédent: à ce compte, il s'agirait ici de la caravane d'Akâ- ber, et Akâber pourrait être le nom propre du lieu d'où serait partie la caravane.

Je ne pense point qu'il en soit ainsi. Outre que je ne con- nais pas de lieu appelé Akâber dans le Gharb (ce qui, à la vérité, ne serait pas un argument bien concluant) , il est cer- tain qu'il se rassemble annuellement à la frontière du désert, au sud de Marok, de grandes caravanes formées de la réunion de plusieurs caravanes particulières; et, bien qu'on les ap-

pelle plus communément iUi^ 'Aqqahah ou iôUfc 'Aqâhah (parce qu'elles marchent, suivant une expression triviale, mais qui fait image, à la queue leu leu), on leur donne aussi la dénomination d' Akâber, ainsi que je le retrouve dans une note prise par moi sur une lettre écrite de Mogador, le 2 fé- vrier 1887, par M. Delaporte père, qui aune connaissance si parfaite, si intime, de la langue arabe.

«M. Davidson, écrivait l'honorable consul, voulut, pour continuer son voyage, profiter de l'acabar [multitude, cara-

AVRIL-MAI-JUIN 1840. 385

^vane, en idiome idupay^^'q^^^^ préparait pour se rendre à «TomboctOUUi»,..^'! ■niy.i'^iUb ji.'>'-j : o^^j^\iAvis\ - u .i!

Voilà, quant au point de dépayjTi quant au lieu de desti- nation, quant à l'emploi du mot lui-même, une similitude trop complète pour qu'il puisse rester le moindre doute. Le vendeur du livre avait donc fait route avec la caravane akàher, c'est-à-dire dc^ecï association qui constitue la grande caravane.

Ainsi akâher, pluriel du mot akhar, serait ici considéré comme un singulier, susceptible par conséquent d'avoir lui- même un pluriel, tel, je suppose, que akâberah ou akâ~ èery/i, sous une forme vulgaire. . ,

Cette observation peut , au premier abord , sembler étrange, etjesujs si loin d'être expert en ces matières, que je me trouve bien hardi d'oser dogmatiser ainsi sur un point de philologie arabe. Mais un autre mot , employé dans l'acte de M. Vincent, va me fournir un exemple propre, je l'espère, 4 justifier complètement mon assertion sur la double fonction grammaticalQ d'un seul et même mot, tantôt pluriel, tantôt siiïgulier, sous une seule et même forme. ; .

ffhe moi belêd ^"^ est précisément dans ce cas: il est le pluriel bien avéré du singulier beled lyj^ , et il est le singulier non moins certain du pluriel boldân JsJb

Voilà, si je ne m'abuse, la clef de la double signification que M. Vincent a remarquée dans l'emploi du mot beled, pour désigner tantôt un pays , tantôt une ville, orijjè pourrais faire observer qu'en français même , du moins à 'Paris et dans sa banlieue, le mot pays a pareillement la double acception de contrée et de village; mais ceci tient à des raisons étymologiques tout autres . m

En arabe, beled jj^ est une ville, un village, Un hameau , en: lUk mot un lieu peuplé d'habitants ; belêd ^^ , qui dé- signe au pluriel, d'une manière générale, les villes, les points habités d'un pays, désigne tout naturellement ainsi le pays lui-même; et l'on pourrait, jusqu'à un certain point» en poussant encore plus loin l'analogie, dire que boldân ^l«xXj, qui exprime d'une manière collective les pays, est susceptible

IX. 25

386 JOURNAL ASIATIQUE.

à son tour d'être considéré comme un singulier, dans î accep- tion de la terre habitable : c'est ainsi que l'emploie Abou-el- Féda , quand , au titre d'un de ses livres , il traduit par Te- qouym el-Boldân ^] «xJLJt ^^J^ ^c i^ot grec Veùrypa^ia. ; mais il ne s'agit, en ce cas, que du sens, et non de la grammaire.

La double acception de pays et de ville ne coexiste en réalité dans le même mol, sous une forme unique, qu'à l'égard de belêd i^, signifiant à la fois des villes au pluriel, ou un pays au singulier. La forme beled JvX> ne doit se tra- duire que par ville, et non par pays; et c'est ainsi qu'avec M. Vincent, je n'hésite pas à reconnaître dans iiiJ^JLj «XÀj, la ville de Bolâlah, dans ovXaa3 i^, la ville de Tonbokto.

La première de ces deux villes est la patrie du vendeur, que l'acte déclare d'ailleurs être ^^ FôMny nation , et avoir le teint w^vwl basané.

Evidemment il s'agit ici d'un homme de la nation que nos colons du Sénégal appellent des Poules ronges, que les Anglais de Sierra Leone appellent des Foulahs, qu'on nomme Fellâ- tahs au Bornou, et Félân (en arabe) dans les pays qu'ils oc- cupent sur le haut Sénégal comme dans le Haoiisâ : j'ai reçu , en 1829, quant à la dénomination de Félân, le témoignage oral de Ferdinand Duranton, qui avait si longtemps vécu parmi les Félân du Rasso; et Clapperton, à son deuxième voyage, a recueilli dans le Haousâ un document arabe trai- tant de l'origine de la triba des Félân. Quant au nom que ces peuples se donnent eux-mêmes, c'est celui de Penl, ainsi que je le tiens de la propre bouche d'un jeune individu de cette nation. A ne citer, entre les voyageurs qui en ont paiié, que ceux qui les ont le mieux fait connaître , je désignerai seule- ment ici Mollien et Caillé.

Le document recueilli par Clapperton est assez court et assez curieux pour être transcrit ici en français :

« L'origine de la tribu des Felân est établie ainsi qu'il suit: « Quand l'armée des Ssehhabat pénétra dans le Gharb sous le •« régne d'Omar ben-el-Rhathab , ils arrivèrent d'abord à Ter- « mes : le peuple lauroud, les ayant vus, se mit immédiatement

AVRIL-MAI-JUIN 1840. :i87

SOUS leur protection , et devint musulman avant les Juifs et « les Sarankalis. Quand les Ssehhabat voulurent retirer leurs « troupes du Gharb , le prince des Taurouds leur dit : « Vous « êtes venus à nous avec une religion que nous ne connais- « sions pas, et vous vous en allez maintenant sans nous laisser « personne pour nous «n enseigner la doctrine et les pré- « ceptes. » Les Ssehhabat, écoutant leur prière, laissèrent, pour «les instruire, 'Oqbah ben 'Aâmer. Celui-ci épousa la fdle «du prince, appelée Gbagjma', et en eut quatre fds, Dytâ, « Nasser, Ouâyâ et Rereby. Il retourna ensuite en E;iypte , « laissant après lui ses quatre fds avec leur mère. Ils gran- « dirent, et parlèrent une langue différente de celle de leur « père qui était Tarabe , et de celle de leur mère qui était « l'ancit n lauroud appelé ouakoury. Ils se marièrent , et eurent « des fds et des filles d'où les Félân sont descendus ; ainsi le « père des Félàn était un Arabe , et leur mère uneTauroude. »

L'étendue des pays occupés par cette race est très-considé- rable, puisqu'elle est répandue sur une longue zone qui se prolonge depuis l'Océan occidental jusqu'au Bornou : il est même à remarquer qu'elle forme un des éléments principaux de la population du Bornou , ainsi que l'énonce le solthân Mohhammed b-Ellah dans la première section de sa curieuse iiistoire du Takrour. C'est donc sur un vaste espace que peut être cherchée la ville de Bolâlah, notre jeune folâny avait reçu le jour. Aux deux extrémités de cet immense territoire, mais en dehors de ses limites, on voit figurer sur les cartes un nom analogue: Bolala, à l'embouchure de la rivière de Cachéo, chez les Feloupes, et Bolalo, sur la rive orientale du lac Tchad, au pays de Rânem. Il est hors d'apparence qu'il puisse être question ici de l'une ou de l'autre de ces villes.

Il y aurait intérêt , sans doute, à relever les autres lieux ainsi dénommés dans le domaine des peuples Felân, autant du moins que la connaissance nous en est parvenue ; mais j'avoue que ma mémoire est en défaut sur ce point, et le temps me manque pour des recherches. Mollien a traversé un village de Pellale dans le Fouta-Gjalo; le nom de Billala

a5.

388 JOLIHNÀL ASIAH-QUE.

me revienl aussi à l'esprit V' mats sans attèuii'^é6trfvi»V»iÉ* p'i^écis de sa position

'•<Juanl à la ville île cxJ-aâj Tonbokto, l'aclc ilc venle a été passé, elle est trop connue pour qu'il soit besoin d'aucune explication à son sujet: on peut seulement observer que dans cet acte, qui paraît d'ailleurs écrit avec assez de correclion , ce nom se présente sous une forme orthographique un pçu écourtée. On le trouve, il est vrai, tr. s-diversement (et sans doute très-incorrectement) exprimé dans beaucoup de docu- ments arabes qui proviennent d'i<]^noranlsmarabouths nègres, comme i^j^xJc Tsomhokto , c:aJuâ3 Tonboqto , o-co Tonbolo, o^JCiu^' Tymbokto; mais Ebn-Balhouthah , le savant voya- geur, qui le premier a parlé de celte ville qu'il avait visitée , la nomme jJcXaJo* Tonbakloii, ]ySjiXi Tonbaktoue, et λa5o t^i Ton-Baktoue en deux mots, orthographe qui m'a paru devoir être adoptée, par la raison que, d'après le dire des gens du pays, ce sont en réalité deux mots dont le second est un nom propre.

Voici, d'après une lettre de feule baron Rousseau, consul général de France à Tripoli de Barbarie, l'étymologie rap- portée dans V Histoire de Ten-Boktoiie , écrite en arabe par Sydy Ahhmed Bâbâ el-Araouàny :

«Une femme de la horde des Touariks, nommée Buktou, (• était établie sur les bords du Nil des Nègres , dans une ca- ( bàne ombragée par un arbre touffu ; elle possédait quelques «lirëbis, eï'âimàit à exercer l'hospitalité envers les voyageurs 0 de sa nation qui passaient par là. Son humble habitation ne a tarda pas à devenir un asile sacré, un lieu de repos et de « délices pour les tribus circonvoisines qui l'appelaient Tin- ^Baktou, c'est-à-dire propriété de Buktou, Par la suite cèi « tribus vinrent de tous côtés s'y grouper à l'envi , et y firent « un vaste camp retranché , qui fut plus tard transformé en « une grande et populeuse cité. »

M. Rousseau considérait le mot Ten comme un pronom possessif de la troisième personne; mais on le rencontre dans plusieurs autres noms de lieux du Ssahhrâ, entre autres

AiVRlL- MAI* JUIN 1640. 389

Ten-Gacen (le puits du mouton), Ten-Yakkeii (le puits de Yakken), Tenon- tmellen (les puits blancs), avec la valeur expresse du mot arabe 6jr oo ; d'où je conclus que Ten- Boktoue se traduit raisonnablement par le puits de Boikloue.

La prononciation des voyelles de ce nom est loin d'être bien déterminée. Généralement les voyageurs et les écrivains modernes affectent la première syllabe d'un kesr ; Cocbelet a même transcrit Timectoii sous la dictée de son informateur arabe. Cependant les manuscrits d'Ebn-Bathouthab , les motions sont indiquées, portent Ton-Baktoue , se rapprochant ainsi de la leçon adoptée dans l'acte de M. Vincent.

Mais la leçon de cet acte trouve une confirmation bien plus entière dans l'orthographe de Tombutto, qui nous est fournie par le livre deîla Descrittione delV Africa, du célèbre maure El-Hhasan ben Mohhammed el-Gharnâthy, appelé , depuis sa conversion , Giovan Lioni Africano.

Je devrais terminer cette note ; mais le dernier nom que je viens de citer me suggère une remarque que je me per- mettrai d'insérer occasionnellement ici, quoique étrangère à ce qui précède , parce qu'elle vient à l'appui d'une opinion énoncée naguère dans le Journal asiatique, à propos d'une monnaie gréco-arabe de Damas.

Dans la secondé de ses intéressantes Lettres a mon savaiil ami M. Reinaud, Sur quelques points de numismatique arabe, M. de Saulcy propose ingénieusement, en désespoir de cause , dit-il , d'expliquer le nom grec AEO , qu'offre la médaille dont il s'agit, par le surnom de 4^1 *X-kwl, Ased Allah (le Lion de Dieu ) , donné au khalife 'A]y bcn Aby-Thâleb , et dont ce nom de AEO serait une simple traduction.

Cette conjecture me paraît complètement justifiée par une traduction inverse du nom italien de Giovan Lioni en la forme arabe «y^u^VI ^^.a-^j , Youhhannay el-Ased, adoptée par cet écrivain lui-même dans un ouvrage conservé en manuscrit a l'Escurial, et décrit par Casiri sous le n" 696 dans sa Biblio fheca arabico-hispana Escurialensis.

D'AvrzAC.

\

390 JOURNAL ASIATIQUE.

NOUVELLES ET MÉLANGES,

SOCIETE ASIATIQUE.

Séance du i3 mars i84o.

M. de Hammei écril au Conseil pour lui adresser un exem- plaire de l'ouvrage qu'il vient de publier sous le titre suivant: Falknerklee , etc. Vienne, i84o, in-8°. M. de Hanimer adresse en même temps au Conseil un manuscrit contenant des ex- traits du Fihrest sur la religion des Sabéens, et un fragment d'un poëte arabe. On arrête que les remerciements du Con- seil seront transmis à M. de Hammer-Purgstall , et que les deux manuscrits adressés pai' lui au Conseil seront renvoyés à la commission du journal.

M. le professeur A. VuUers adresse au Conseil un exem- plaire de la grammaire persane qu'il vient de publier sous le titre suivant: /. A. Vullers, Institutiones linguœ persicœ, cum sanscrila et zendica lingua coniparatœ , Giessen, i84o. Les lemerciemenls du Conseil seront adresses à M. Vullers.

M. Laureus, professeur de philosophie à Montauban, écril au Conseil pour demander qu'il soit rendu compte de sa tra- duction de Job et des Psaumes dans le journal de la Société. On arrête que M. l'abbé Bertrand sera prié de faire au Con- seil un rapport sm* la traduction de M. Laurens.

M. Guerrier de Dumast communique au Conseil des frag- ments de sa tiaduction des Psaumes en vers français. M. de Dumast reçoit les remerciements du Conseil poui celle com- munication.

AVRIL-MAI-JUIN 1840.

391

Séance du lo avril i84o.

On lit une lettre de M. W. Mackread par laquelle il an- nonce la prochaine arrivée d'une caisse de livres adressée à la Société par le secrétaire de la Société de Calcutta.

M. A. Mayer, docteur en philosophie , est présenté et ad- mis membre de la Société.

M. Bertrand , curé d'Herblay, envoie au Conseil le rapport qu'il a rédigé sur la traduction de Job et des Psaumes par M. Laurens. Il est donné lecture de cet article, qui est ren- voyé à la commission du journal.

M. Mohl présente au Conseil le compte des recettes et dépenses de la Société pour l'année 1889; on arrête, con- formément au règlement, que le compte sera renvoyé à la commission des censeurs. M. Mohl soumet en même temps au Conseil le projet du budget des recettes et dépenses de la Société pour l'année 1 Sào.

M. Reinaud , en son nom et au nom de M. de Slane , com- munique au Conseil une partie de la notice sur Aboulféda qui fait partie de l'introduction destinée à l'édition de la Géo- graphie arabe d' Aboulféda qu'ils publient aux frais de la So- ciété. M. Reinaud reçoit les remerciements du Conseil pour cette communication.

Séance du 8 mai i84o.

On lit une lettre de M. Ram Comul Sen qui remercie le Conseil de sa nomination comme membre honoraire de la Société.

M. Marcella écrit au Conseil pour lui adresser la seconde paftie de sa Méthode systématique de l'enseignement des langues, appliquée au grec ancien et moderne. Paris, i84o, in -8°. M. Marcella demande en même temps à communi- quer au Conseil quelques-uns des résultats de ses études sur l'enseignement des langues. Le Conseil entend M. Mar- cella, qui reçoit les remerciements de l'assemblée pour cette

communication, el qui remet à une prochaine séance la lecture d'un mémoire sut le perfectionnement des méthodes d'enseignement. . , , ,^

Le Conseil s'occupe c(e fixer l'époque de la séance gé- nérale annuelle de la Société, el arrête qu'elle aura lieu le 18 juin i84o.

Le secrétaire expose au Conseil que l'état de sa santé le met hors d'état de présenter à la Société le rapport sur les travaux du Conseil pendant le cours de l'année dernière. Il demande en même temps que le Conseil veuille bien dési- gner une personne pour remplir, à son défaut, les fonctions de secrétaire pendant la séance générale. Le Conseil désigne M. Mohl , qui veut bien se charger de faire le rapport sur lés travaux du Conseil.

Le secrétaire communique au Conseil, conformément au règlement, le manuscrit de la préface que M. le capitaine Troyer se propose de placer en tête de son édition du Râ- djataranginî.

OIJVRAGKS OFFERTS A LA SOCIETE.

Séance du i3 mars i84o.

Par la famille de l'auteur. Amarakocha, ou Vocabulaire d'Amarasinha, publié en sanskrit avec une traduction fran- /çaise, des notes et un indev, pai' M. Loiseleur -Deslong- champs. Paris, I" partie. Imprimerie royale, iSSg.

Par l'auteur. Falknerklee , bestehend in drey unrjedruckien Werken ûher die Falkerey. Ausdcni TurliisçhenundGriechischen

. verdeutscht j und in Text und Ucherselziing herausgegeben^von W^MMER-PyRGSTALL. Vienne, i84o.

ifiéFw, raujleur..i,./oc«u4w Augusli Vuîlers Instituùones Ungufe persicœ cum sanskrita et zendica linyuu f.ompara/éç, Gf^Mp, , i84o,in-8°. ,, ,. ;,/ . ; , ,; „,

j\i^^àiiïaute\nf5pecime^fi UiterU omntnlil\m,,exhibens diver-

AVïl'ïl-MAI-JUI]>f 1840. 393

soruni locos de regia Aphtasidarum Jamilia et de Îhn-Abduno poe- ta, quod annuente summo numinej prœsideviro clarissimo Henri co Engfilim Weyers, ad publicam disceptaiionem proponit Mavmus HooGVLiET. Lugduni Batavorum , 1889, m-4°.

Parrauleur. Spécimen e litteris orientalibus , exhihens Soytiti lihrum de interpretibus Korani , quod annuente summo numine, prœside viro clarissimo Henrico Engelino Weyers, ad publicam disceptationem proponit Albertus Meursinge. Lugduni Bata- vorum, 1889, 10-4°. v.n\ ■(> . .V.^^xV- ^, \l .;.(;:

Par la Société de géographiei Bulletin de la Société de géo- graphie, n", 73, janvier, u* série.

Séance du îo avril k? 840.'

Par Tauleur. Mémoires du bureau topographique de Véiat- major de S. M. l'Empereur de Russie, lom. III, contenant une description de l'Asie Mineure dans son état actuel , par ie colo- nel VVrontchenjco. Saint-Pétersbourg, i838, in-4° de 329 pages. (En russe.)

Par l'auleur. Notice sur la vie et les ouvrages du baron SU-, vestre de Sacy , rédigée d'après celle de M. Reinaud, par M. Sawelief. Saint-Pétersbourg, 1839, 49 pages in-8°. (En russe.) I

Par l'auteur. Notions sur les Kalmouksdii Volga, par M.'Po- POFF, professeur de mongol à l'université de Kasan, Siainjt- Pétersbourg, 1889, in-8° de 82 pages. (En russe.)

Par l'auteur. Sur la prononciation des lettres qui forment les sons chinois, par le R. P. Hiacynthe (supplément à sa Gram- maire chinoise). Saint-Pétersbourg, iSSg, 4 pages in-8°. ( En russe. )

Par l'auteur. Notice sur deux monuments antiques arméniens trouvés dans la ville de Nakhitchevan sur le Don, par M. Tigj\a- NiAN. Saint-Pétersbourg, i838, 6 pages in-8°. ( En russe.)

Par la Société. Transactions of the American Philosophical Society held al Philadelphia, for promoting use fui knowledge , vol. VI, new série, part. ni. ïn-4".

311^ JOURNAL ASIATIQUE.

Séance du 8 mal i84o.

Par l'auteur. Grammaire polyglotte , ou tableaux synoptiques comparés des langues modernes avec la langue hébraïque, par le ly S. JosT, membre de la Société asiatique. Un vol. in-12.

Par l'auteur. Méthode systématique de l'enseignement des langues. Mécanisme du grec ancien, par M. E. Margella. Seconde partie. Un vol. in-8**.

Par l'auteur. Dissertation sur les Amazones', dont le souvenir est conservé en Chine, ou comparaison de ce que nous apprennent les monuments indiens et les livres chinois sur le^ Niu-mou-yo, avec les monuments que nous ont laissés les Grecs, par M. de Paravey. In-8°. ( Extrait des Annales de philosophie chré- tienne.)

Par l'auteur. Réclamation adressée à M. le président de la Société asiatique de Paris, etc. par M. de Paravey. (Extrait du Journal asiatique.)

Par l'auteur. Examen méthodique des faits qui concernent le Thian-tchu ou l'Inde, par M. G. Pautiiier. (Extrait du Jour- nal asiatique.)

Par l'auteur. Notice sur l'ouvrage intitulé : Etudes géogra- phiques et historiques sur l'Arabie, etc. par M. Jomard, par M. SÉDiLLOT. (Extrait du Journal asiatique.) '-ni

Par l'auteur. Charte des Turcs, accompagnée d'une tra- duction par M. Belin. (Extrait du Journal asiatique.)

Par l'autetir. Le livre du courant étendu, traitant de tout ce qui a rapport à l'heureux Nil, traduit de l'arabe par M. l'abbé Barges. ^Extrait du Journal asiatique.)

Par l'auteur. Becherclws sur la hauteur de quelques points remarquables du territoire chinois, par M. Ed. BiOT. (Extrait du Journal asiatique.)

Par l'auteur. Rapport sur les dictionnaires cochinchinois de M. Taherd, par M. Bazin. (Extrait du Journal .asiatique.)

..'^\ . ...

FIN DU TOME IX.

TABLE

DES MATIÈRES CONTENUES DANS LE IX* VOLUME.

MEMOIRES ET TRADUCTIONS.

Pages.

Charte des Turks. (Belin.) . . 5

Relatiqp d'un voyage en Chine. (Richenet.) Suite et fin.. .3o Mémoire sur la série des médailles indiennes connues sous la

dénomination d'Indo-scythiques. (Feu Jacquet.) 5i

Recherches sur la hauteur de quelques points remarquables

du territoire chinois. (Éd. Biot.) 8 1

Le livre du courant étendu, etc. traduit de l'arabe. (Barges.) ici Elxamen méthodique des faits qui concernent le Thien-tcku ou

ITnde, traduit du chinois. (G. Padthier.) Suite i6i

Mémoire sur le lac de Van et ses environs. (Fr. Schulz.).. . . 257 Acte de vente passé à Tombouctou; manuscrit arabe venu de

Tombouctou. (B. Vincent.) . 875

CRITIQUE LITTÉRAIRE.

Rapport sur les dictionnaires cochinchinois de M. Taberd.

(Bazin.) 182

Notice sur l'ouvrage intitulé : Etudes (jéographiques et historiques

sur l'Arabie, etc. par M. Jomard. (J. Sédillot.) 182

Die Celtischen Sprachen in ihren Verhàltnisse , n. s. w. von Franz

Bopp. (A. PiCTET.) 228

Notice sur le second volume de l'Histoire des SuUans mam- louks de l'Egypte, traduite en français par M. Quatremère. (SÉDILLOT.) 324

396 TABLE DES MATIERES.

NOUVELLES ET MÉLANGES.

P.ges.

Notice sur Ibn-Nobata^ le plus grand prédicateur des Arabes.

(M. G. DE S.) ! ....'.... 66

Lettre à M. Garcin de Tassy. (Th. Pavie.) 1 5 1

Lettre à M. le Président de la Société asiatique. (De Paratey.) 1 54

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JOURNAL ASIATIQUE.

TROISIÈME SÉRIE TOME X.

M.-

KM

JOURNAL ASIATIQUE

OU

RECUEIL DE MÉMOIRES,

D'EXTRAITS ET DE NOTICES

RELATIFS X L'HISTOIRE , X LA PHILOSOPHIE , ADX LANGUES ET X LA LITTÉRATURE DES PEUPLES ORIENTAUX ;

REDIGE PAR HM.

BIANCHI, ÉD. Bl'oT, BORE, BURNOUF, CAUSSIN DE PERGEVAL,

LODIS DUBEUX, D'EGKSTEIN , GARCIN DE TASSY, GRANGERET DE LAGRANGE,

DE HAMMER, HASE, A, JAUBERT, STAN. JULIEN, MAC GUCKIN DE SLANE,

J. J. MARCEL, J. MOHL, S. MUNK, G. PAUTHIER,

QUATREMÈRE, REINAUD, DE SCHLEGEL, SÉDILLOT, STAHL,

ET AUTRES SAVANTS FRANÇAIS ET ETRANGERS,

ET PUBLIÉ PAR LA SOCIÉTÉ ASIATIQUE.

TROISIÈME SÉRIE, TOME X.

PARIS.

IMPRIMÉ PAR AUTORISATION DU ROI

A L'IMPRIMERIE ROYALE. M DCCC XL.

I JOI! nMf I//H KM.

Il*,

JOURNAL ASIATIQUE.

JUILLET 1840.

.-^H^O^H»-*

ÉTUDES

Sur la langue et sur les textes zends, par M. E. Burnouf.

AVERTISSEMENT.

Je me propose d'examiner, dans une suite d'observations détachées , un certain nombre de termes zends qui par leur importance , soit pour la connaissance de la doctrine du Zencl Avesla, soit pour l'étude comparative des langues de la fa- mille arienne, me paraissent mériter l'attention des orienta- listes. La plupart de ces termes sont obscurs , et Anquetil en a rarement saisi le véritable sens; souvent même la tra- dition des Parses , qui a servi de base à son travail , se tait sur leur signification précise, et l'analyse philologique peut seule en faire soupçonner l'origine et l'application. Ici , comme dans mon Commentaire sur le Yaçna, je ferai ample- ment usage de ce dernier moyen ; mais j'aurai l'avantage d'y joindre les secours que fournit la connaissance plus avancée aujourd'hui du dialecte védique. Grâce aux travaux d'un sa- vant à jamais rep;rcUnble, nous pouvons maintenant étudier

6 JOURNAL ASIATIQUE

une portion assez étendue du Rïgvcda , cl mettre à profit, pour l'intelligence des livres zends, un texte qui n'était pas acces- sible au moment j'ai publié le commencement de mon Commentaire sur le Yaçna. Les analogies nombreuses qu'of- frent les Védas avec ce que nous possédons du Zend Avesta sous le rapport du langage et des idées, ne seront, je le pense, méconnues de personne, et par sera mis hors de doute un fait que, dans le principe, je n'avais pu que soup- çonner, limité comme je l'étais à quelques piirases et à quel- ques mots isolés des Védas. '^

J'aurais voulu pouvoir présenter le résultat de mes études d une manière systématique et suivie ; mais je n'ai pu dé- couvrir d'ordre qui me satisfît complètement. Les remarques qui vont suivre portent, en général, plutôt sur le lexique que sur la grammaire, et sous ce rapport, l'ordre alphabé- tique serait celui qu'il conviendrait d'adopter. Je ne l'ai ce- pendant pas suivi, parce que mon intention n'est pas de donner aujourd'hui un dictionnaire zend pour lequel j'ai rassemblé des matériaux nombreux, mais qui n'est pas en- core assez achevé pour être livré au public. Il m'a semblé que des remarques détachées, distinguées les unes des autres par un numéro qui en marque la succession, assuraient à ce travail quelques-uns des avantages d'un dictionnaire. D'ailleurs, lorsque j'aurai parcouru le cercle des termes qui me paraîtront les plus propres à jeter du jour sur quelques- unes des parties encore obscures du Zend Avesta , je réunirai dans un index alphabétique tous les faits et tous les mots qui auront été expliqués ou examinés dans ces remarques. Les lec- teurs familiarisés avec les travaux lexicologiques qui ont été exécutés sur les langues grecque et latine me pardonneront, j'ose l'espérer, d'avoir adopté cette méthode ; et en se rappelant qu'un homme aussi éminent par le talent et le savoir que Butt- mann n'en a pas suivi d'autre clans son Lexilogus, ils se ton neront moins de la voir appliquée à un idiome dont l'étude ne date encore que de quelques années.

JUILLET 1840.

l. .)(9fMjjt{Mt»M)i(9 •K)»^)19' Yavê j yavatâitê.

Quand on parcourt le Zend Avesta d'Anquetil, on rencontre assez fréquemment la mention du dogme de la résurrection , dogme qui forme un des traits les plus frappants de la doctrine morale et religieuse de Zoroastre. C'est, en effet, une tradition constante et universellement admise parmi les Parses, que la croyance à la résurrection est indiquée en termes exprès dans les textes zends dont se compose le re- cueil du Zend Avesta. Anquetil, en ce point, n'a fait que se conformer à l'opinion de ses maîtres , et son témoignage n'est que f expression du leur. Il est aisé de comprendre de quel intérêt sont , pour l'his- toire de la religion des anciens peuples ariens, les textes est exposé un dogme de cette importance. C'est sans contredit le plus remarquable de tous les caractères par lesquels le Zoroastrisme se dis- tingue du Brahmanisme. A quelque époque en effet que Ton prenne ce dernier culte, qu'on fétudie sous sa forme primitive dans le naturalisme antique des Vêdas, ou qu'on en suive les développements dans la mythologie polythéistique des Purânas, on n'y trouve que la doctrine purement indienne de la transmigration , doctrine qui est jusqu'à un certain point contradictoire avec celle de la résurrection. Il m'a donc paru utile de rassembler tous les textes zends qui ont rapport à ce dogme , et d'en faire l'objet

8 JOURNAL ASIATIQUE,

d un travail spécial, que j'avais annoncé dans le pre- mier volume de mon Commentaire sur le Yaçna^ Tous les passages Anquetil a cru reconnaître l'idée de résurrection ne sont malheureusement pas éga- lement intelligibles; et, s'il en est un assez grand nombre sur lesquels il m'a été possible d'arriver à une certitude complète , il en reste plusieurs dont l'incorrection des manuscrits ou la difficulté intrin- sèque du langage m'a jusqu'à présent dérobé le sens véritable. Je ne puis donc, en ce moment, remplir que d'une manière partielle l'engagement que j'avais pris d'examiner tous les textes il est question de la résurrection. Peut-être serai-je en état plus tard de reprendre cette question curieuse; je ne veux pas cependant retarder plus longtemps l'examen de plusieurs passages dont l'analyse jette un grand jour sur quelques points obscurs du Zend Avesta.

En comparant entre eux les textes zend s An- quetil a cru pouvoir retrouver le dogme de la ré- surrection, on n'est pas longtemps sans reconnaître qu'il a donné une interprétation uniforme de locu- tions ou de termes très-variés. Cette circonstance, sur laquelle Anquetil ne s'est pas suffisamment ex- pliqué, conduit immédiatement, ce me semble, à cette double conclusion : ou bien la langue zende possédait un grand nombre de mots ou de locutions pour rendre l'idée de résurrection , ou la tradition , et d'après elle Anquetil , ont eu tort de voir tou- jours cette même idée dans un aussi grand nombre ^ *{(àdàmétit shr Yaçnai'ÎJ^i^p. lo'i , note 75.

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de textes fort ditFérents ies uns des autres. C'est à cette dernière conclusion que j'avais été conduit à l'égard du terme zend fracha, qu'Anquetil traduit très-fréquemment par résurrection. Aujourd'hui, je vais examiner une locution différente, qui n'exprime certainement pas davantage l'idée qu'y voient les Parses , mais qui renferme une notion de durée sur la valeur de laquelle ils se sont mépris.

On rencontre , à la fm du chapitre xxix du Yaçna , une expression qui est rare dans ce livre, mais qui se représente beaucoup plus fréquemment dans le Vendidad Sade, elle est accompagnée d'un mot qui sert à l'explication de celui que nous allons citer. Je donne ici ce passage, qui ne doit paraître que dans une portion encore très-reculée de mon Com- mentaire. Voici comme le lit le Vendidad Sade :

Le n" VI S. lit le dernier mot de ce texte comme le Vendidad Sade ; mais il est évident que la sépara- tion est fautive, et qu'il faut écrire, au moins quant à l'unité du mot, yavaêtâitê, comme font les deux Yaçnas zend-sanscrits. L'édition de Bombay a yavaê- tâitiy avec une désinence qui se présente comme celle d*un verbe : nous verrons tout à Thcure que cette leçon est fautive. Quant au sens qu'Anquetil assigne à ce passage : « Conservez les saints et purs «de cœur jusqu'à la résurrection'^,» il s'éloigne d'une manière notable de celui de Nériosengh ; mais

' Vendidad SoiU , p. 169; édit, de Bombay, p. 167. * Zend Avesta. t. I, 11* part., p. 162.

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ici l'interprète indien s'est manifestement trompé, ainsi que je le démontrerai plus tard. Le seul terme de sa version qui ait, en ce moment, de l'intérêt pour nous , c'est celui par lequel il représente le der- nier mot du texte zend précité; ce terme est ^t^ «c^-a^. Si maintenant, à la traduction que fournit l'analyse philologique des autres termes de notre passage, nous joignons celle que nous suggère riosengh pour le seul mot de ce texte qui nous soit inconnu , yavaêtâité , nous devrons l'interpréter ainsi : « Toi qui conserves par eux la pureté et le cœur ((bienveillant pour l'action à toujours, n Quoique ces derniers mots soient encore vagues, il est déjà possible de reconnaître qu'ils forment une expression destinée à indiquer une longue durée, un temps au- quel on ne fixe pas de terme. Une conclusion plus positive encore qu'on en peut déduire, c'est que Nériosengh , ou plutôt la traduction pehlvie sur la- quelle a été rédigée sa glose sanscrite, n'y voyait pas l'idée de résurrection. Mais, je dois me hâter de le dire, l'inexactitude manifeste de la version de Né- riosengh inlirme gravement l'argument négatif que je me crois en droit de tirer de son texte.

De la comparaison de ce texte même avec celui d'Anquetil, il résulte toujours que, pour traduire le mot javaétâitê , nous avons le choix entre ces deux idées : celle de résurrection, et Vaction (ou la àarèe) pour toujours. Ce sera à l'analyse étymologique de dé- terminer laquelle de ces deux significations convient le mieux au terme encore obscur qui nous occupe.

^f Avant de tenter cette analyse , il importe de si- gnaler un mot qui se rencontre quatre fois dans le Yaçna, sous des orthographes diverses, et qui offre, avec celui dont je viens de parler, une ressemblance extérieure que l'on ne peut méconnaître. C'est le mot \fi>i*»Yi^yavé, que nous trouvons dès le chapitre vu du Yaçna , précédé de j^mcj»^!? , et formant la locution viçpâiyavê, que Nériosengh remplace par ÇRôrmôrg; ^; dans ce passage, nos trois Yaçnas manuscrits lisent )e»l»A.).o yaovê, et l'édition de Bombay hj-V»*^ yavôaê^. Le même terme se représente, et dans le 4 même passage, à la lin du chapitre xl du Yaçna, les manuscrits le lisent diversement : le Vendidad Sade, }o»*>Yiiyavê; l'édition de Bombay et les deux Yaçnas zend- sanscrits, h3»1»*)H5 yaovê; le rf yi S., ^y^MYii yaové ^ . Ici encore Nériosengh traduit ce mot par toujours, et en ce point Anquetil s'accorde avec lui d'une manière remarquable, puisqu'il le rend par continuellement. Le chapitre xlv du Yaçna nous présente encore la même expression, mais avec une différence d'orthographe qui n'est pas sans in- térêt, parce qu'elle ne laisse aucun doute sur la forme véritable de ce terme; c'est J^»*>Y(i yavôi, qui, au lieu d'être précédé de vîçpâiy est suivi de ce mot. Nériosengh n'a pas, ici encore, d'autre traduction que celle de toujours; la version d' Anquetil, au con-

' Vendidad Sade, p. 36; édit. de Bombay, p. 38; n" ii F., p. 72; n" VI S., p. 3i; n" m S., p. 45.

' Ibid., p. 3i2; édit. de Bombay, p. 3i3; n" 11 F., p. 266; n' m S., p. 169; n* vi S,, p. i5o.

VA JOURNAL ASIATIQUE.

traire, est un peu confuse, et je n'y trouve que aussitôt qui réponde ou yavôi viçpâi du text(î zcnd ^ Cette nouvelle orthographe est suivie, dans ce passage, par tous les Yaçnas; l'édition de Bonihay, seule, lit par erreur V»*ro javo. Enfin , cette même orthographe se rencontre encore au chapitre l du Yarna, les trois Yaçnas manuscrits lisent, comme dans le Ven- didad Sade, i'^n^y^ yavôi , tandis que rédiliond(* Bom- bay a encore ^^My^yavâ^^.

Du rapprochement de ces textes il résulte, pour le mot sur lequel je désire appeler l'attention du lecteur, trois orthographes différentes dont la com- è paraison favorise singulièrement la recherche du thème duquel elles partent; ce sont yavé^ yaovê, yavôi. Premièrement, yavôi revient hyavê; car nous savons que la diphthongue dé, à la (in d'un mot , re- présente la voyelle é, employée comme désinence dans les noms substantifs : je ne rappellerai ici que jWe<*c maidhyôiy pour le sanscrit madhyé (dans le milieu). D'une autre part, javc ctyaovê se présentent l'un et l'autre comme le datif d'un nom monosylla- bique en a, et ils sont entre eux dans le même rapport que les orthographes /c/iart^ ctfchaovê, qav j'ai rattachées avec certitude au ihbmc f chu ^ . Si ce rapprochement est fondé, il en résulte que jav^ et yaovê sont deux formes (la première, à mon sens,

' VendUlad Sadé . p. 362-, ctlit. de Bombay, p. 367; vi S., p. 1 7 1 ; 11° II F., p. 3 1 3 ; 11° m S. , p. 1 98,

^ Ibid., p. /i73; cdil. de Bombay, p 5oo; n \i S., p. 197; 11' Il F., p. 356; nNii S., p. 2.î6.

•"' On !rouvpr« plus bas un article spcciaraiir <o rant.

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plus régulière que la seconde) du datif d'un subs- tantif jw, que je n'hésite pas à comparer au sanscrit âyns, me fondant en cela autant sur ie témoignage de la version de Nériosengh que sur la convenance du sens qui résulte de ce rapprochement, et sur l'analyse étymologique. L'explication que les gram- mairiens indiens donnent du sanscrit djo5, qu'ils tirent du radical i (aller), avec un suffixe us, ne rend sans doute pas compte du zend jw, dans le sens de bngue vie, durée, que je lui donne; mais, sij« n'est pas formé des mênies éléments que âyus (où j'aime- rais à voir avec M. Pott^ le préfixe d, plus le radical i modifié par le suffixe us), c'est du moins un substan- tif d'une origine analogue. Car, si l'idée d'aller, avec celle Ôl addition, d'accession, fait le fonds du sanscrit âyus, du latin œvum , ainsi que de œtas et du grec a/<yv, celle de joindre, c'est-à-dire la notion de continuité et par suite de durée , forai e la base du substantif zend que je viens d'analyser, \6/rftrj<'

De tout ceci je me crois en droit de conclure que r expression zende vîçpâi yavê doit se traduire avec certitude par pour toute la vie; mais je suppose en même tçmps qu'on peut prendre ici vie dans un sens plus étendu que celui qui s'attache à ce mot, en tant que désignant la vie de f homme, et que, d'accord avec Nériosengh , il faut regarder cette ex- puession comble synonyme de toujours (tous jours), et comme répondant au latin in omne œivum. ; ,

' Etyviol. Forschanij., t, I, p. ii'4 Pt 20i,<Btit. îî, i). 3o6. Voyez cependant Benfey, Griecli. Warzellemic. t. 1, p; 7. h!

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Si maintenant nous faisons l'application de ce résultat à l'examen du mot que nous avons cité le premier, yavaêtâitê, nous y reconnaîtrons sans peine deux parties parfaitement distinctes, savoir ijrtvae et tâitê. Les passages du Vendidad proprement dit, que je vais indiquer tout à l'heure, prouvent que l'ortho- graphe la plus fréquemment usitée est H5fj-'fH5*»«ro yavaêtâitê, ou }o^»^^M»MY^yavatâitê.5e pense queyavaê n'est autre chose que \e yavê du Yaçna, devant la voyelle finale duquel s'insère la voyelle a, à cause de l'addition des deux syllahes tâité, qui rendent mé- dial de yavé : c'est, comme je l'ai déjà remarqué ailleurs, une particularité orthographique qui se ren- contre régulièrement, quand les datifs en ê sont sui- vis de tcha. Quant aux syllabes tâitê, ^e n'y puis voir autre chose que le datif du suffixe tât, lequel , comme on sait, sert à former des noms abstraits qui se re- présentent fréquemment en zend. En réunissant ce suffixe tât au primitif javae (datif de jw) , on obtient un substantif féminin qui doit signifier littéralement « l'état de vie ou de durée , » et par suite la durée , et qui répond, du moins pour le suffixe, au latin œtas [aetât). H y a cependant ceci à remarquer, que yu', devant le suffixe tâf, ne devrait pas se présen- ter avec une désinence de cas, et qu'il en devrait être de ce dérivé comme de haurva-tâi, amèrèta-tât , paoarva-tât, mots dont les divers primitifs sont, comme cela est nécessaire , à la forme absolue. J'en conclus que la leçon yavaêtâitê est moins ré- gulière que celle de yavatâité, qui est cependant

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moins commune. La première vient, ce me semble, de l'analogie qu'offre ce mot avec yavaê, duquel il est très-souvent rapproché, ainsi que nous i'al- lons voir tout à l'heure. Les copistes , accoutumés à écrire jave, et, avec la conjonction tchay yavaê tcha, ont pu se laisser aller à transporter cette ortho- graphe à un mot qui offrait avec yavê une analogie aussi frappante. Quant à la leçon yavatâitê, il faudra regarder yava comme un substantif dérivé de yu , au moyen du suffixe a, de sorte que nous aurons le substantif auquel jtt donne naissance, avec le sens de durée, sous une double forme : la première, qui est identique au radical même, yu, datif jave; la seconde , qui dérive de ce même radical , à faide du suffixe a, et qui figure dans le dérivé yavatât, àdiùî yavatâitê (aetate).

Les deux expressions que je viens d'analyser se trouvent réunies dans divers passages du Ven- didad, et je dois rappeler ici ces passages, non- seulement pour justifier les assertions que j'ai avancées dans le cours de cette discussion, mais encore pour montrer jusqu'à quel point Anquetil a eu tort d'y vouloir retrouver, peut-être avec les Parses, la notion de résurrection.

Un de ces passages , qui se représente quatre fois dans le Vendidad, forme une sorte de refrain qui est exprimé toujours dans les mêmes termes, à la fin de textes il est question des diverses espèces d'impureté. Voici comme je crois pouvoir le lire d'après la comparaison des manuscrits :

16 JOIJKNAL ASIATIQUE.

^ •*f»w*'r

Ânquelil traduit ce texte de deux manières ttès- diflVreiîtes Tinie de l'autre, d'abord au fargard m du Vendidad : a Le mort môme sur lequel le Daroudj «rNèSosch se promène, élèvera la voix contre cet « homme , qui ne sera ensuite purifié de ce crime « qu'à la résurrection '-^ ; » et ensuite au fargard vu : (f Cela n'empêcherait pas le Daroudj Nesosch de s'en «•emparer depuis la tête jusqu'aux pieds. Il sera eh '«^suite îiiiput', tant que les siècles couleront*.» Ce même passage , qui se représente aussi au fargard vu et au ix'^\ y est, sauf un ou deux termes qui n'ont pas d'importance ici , traduit conformément à la seconde version d'AnquetiP. On voit, par la com-

* iVendidad Sade, p. i Ixo et î36 ; édit. de Bombay, p. i38 et 235. I^es seuls mots de ce texte sur lesquels il y ait quelque intérêt A comparer entre elles les variantes des manuscrits, sont d'abord çrui, qufe le Vendidad Sade Ht fradi et praôui, l'édition de Bombay, çraoÎQA çraovi; les n°' i F. et v S., çraoê, dans les deux passages; le n' ii S., çruyê et çrui. Le Vendidad Sade lit yavaêicha ycwaêiâtaêtcha d^njs les deux passages, ainsi que Tédit. de Bonibay , le i F. et le v S. : ce dernier a, dans le second passage, yavactiâtaélcha ; le n** ii S. a javaêtâtaêtcha , et, en deux mois ^ yavaêtâ laêtcha.

* Zend Avesta, t. I, ii" part., p. 282, ' Ibid. p, 320.

* Zrnd Avesta, t. 1, ii'part,, p. 32 1 ot 36i.

^ Vendidad Sade, p. a37 et 333*, édil. de Bombay, p. 236 et 535. JLe Vpndidad Sade lit ici çraôi; Tédit. de Bombay, çraoui; le i F. et V S., çmoc ; le n" 11 S., çrui. Le Vendidad Sade lit encore jawo^- (chajravaéiâtaêtcha: Pèdit. de BomhOi), jacvatcha yaêvaiâtaêtclià : If n" V S. est le seul qui ne atifve pas le Vendidad Sade, p\ qui lisf

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paraison de ces deux traductions d'un seuî et même texte, combien la tradition des Parses, qu'Anquetil a prise exclusivement pour guide , est incertaine et flottante : Vexipression y avaêtcha y avatâtaêtcha signifie dans un cas, selon Anquetil, «jusqu'à la résurrec- « tion ; » dans un autre , « tant que les siècles coule- «ront:» deux notions qui sont, jusqu'à un certain point, contradictoires, ou du moins dont la conci- liation ne paraît pas facile; car, tant que les siècles couleront, c'est-à-dire éternellement, est une formule qui embrasse , et la partie de la durée qui précède , et celle qui suit l'époque de la résurrection. Pour moi,. après l'analyse que j'ai donnée de chacun de ces deux mots en particulier, il me semble que je puis les représenter approximativement en latin par et in œvum, et in œtatem, ce qui forme une ex- pression indiquant la plus longue durée , et rendant l'idée de toujours avec une certaine emphase.

Quant au sens qu'il faut donner à ce texte qu'An- quetil traduit de deux façons aussi différentes, il n'est pas facile de le déterminer d'une manière pré- cise, à cause de l'obscurité d'un mot qui s'y trouve, mot dont il serait cependant intéressant de possé der la forme et le sens véritables. Notre premier soin doit être d'examiner si les passages au milieu desquels se présente ce texte sont de nature à l'é-

yaévaiâ taétcha. Dans le passage du fargard ix, \e Vendidad Sade et redit, de Bombay lisent çrui; le i F. et le n" ii S., çraoê, et le V S., çraoi. Le Vendidad Sade et Tédit. de Bombay W^eniyavaêtcha

yavaétàtaêtcha ; le i Y.,yav(dc}ui; le ii S., y aêvatâiaétcha, et le n* V S., yavaêtâ taétcha.

18 JOURNAL ASIATIQUE,

claircir; puis ensuite de rendre compte des motifs qui onl pu décider Anquetil à proposer deux inter- prétations aussi éloignées l'une de l'autre.

Au fargard ni du Vendidad, Ormuzd, auquel Zoroastre avait demandé quel est le moyen de se rendre la Terre favorable, répond qu'on fait une chose agréable à la Terre , en détruisant les édifices sur lesquels ont été déposés les morts ^ 'Ormuzd défend ensuite au Parse de porter seul un mort, parce que le démon des cadavres s'emparerait des

Je suis ici la tradition conservée par Anquetil, quoiqu'il ne fût pas impossible de trouver dans le texte un sens différent : par exemple , de le regarder comme recommandant Vérection des Dakh- mas (édifices consacrés à recueillir les cadavres), sur le sommet desquels on sait que les Parsessont dans l'usage d'exposer les morts. Ce qui m'empêche d'adopter cette dernière siijjposition, c'est le verbe j^»j^*»^^^, qu'Anquetil nous apprend avoir été traduit en pehlvi par il détruit [Zend Avesta. t. I, ii' part,, p. 283). Je trouve, en effet, le radical \*t^ (le sanscrit hhan et le grec ^«^rw) avec les trois préfixes j), *> et i\f, et recevant de ces additions les diverses acceptions de : creuser pour enfouir; creuser pour extraire; creuser pour détruire. Voici, au reste, le texte en question; le lecteur pourra en juger par lui-même : ♦^^■uç .V^>4)»i» .jA>*»1g .m«m

.Mii^^My^j .i^^*>»^^\^ ^^i^> .*tçjy^ •6fï»-X3K5*'^W ♦•»«••»*« ;j^ "t^ [ Vendidad Sade , p. l'iO.) .)yç»j*ij)(3jj«(5jj .^ç»j^jj^j .^^jjj

« Ahura Mazda dit alors : C'est certainement lorsqu'on détruit, en « aplanissant le sol, les Dakhmas construits sur la terre, au sommet « desquels on dépose les morts. »

L'adverbe paitifraéstèm, que je traduis comme s'il représentait le sanscrit pratipraif^am, peut signifier aussi «dans chaque endroit tuni;» l'interprétation que j'ai adoptée a pour elle la tradition des Parses. J'avoue cependant que je ne saisis pas encore la raison de rorthographe/raé5fapour/)r(M(/ia; existerait-il en zend un préfixe /rar. espèce d'adverbe de fra [sansc. pra) ? Je suis encore l'autorité de la tradition pour le mot uzdaéza, de uz (s. ut ) et de daéza (s. «i^), que

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diverses parties de son corps; et c'est après rénumé- ration de ces parties que vient le texte que j'ai transcrit tout à l'heure.

Au fargard vu, Ormuzd déclare à Zoroastre que ceux qui ont mangé de la chair d'un animal mort ne peuvent être purifiés de cette souillure; et aus- sitôt il ajoute le texte qui fait fobjet de la présente discussion. Le même texte est répété pour le cas des hommes ont souillé feau en y portant un cadavre. Dans le fargard ix, Ormuzd insiste sur la nécessité de satisfaire le purificateur; car, s'il ne se retirait content, le Dêv Naçu s'emparerait des di- verses parties du corps de celui qui n'aurait pas satis- fait à ce qu'il doit au prêtre; et l'énumération de ces parties, qui est la même que celle du fargard ni, est immédiatement suivie du texte en question ^

J'avoue que je ne trouve rien dans ces passages

je traduis conjecturalement par construction, du radical dih, pris dans le sens SCaccamuler, amonceler. Je conviens cependant qu'à s'en tenir à la signification du sanscrit dêha, on traduirait bien uzdaêza par « le lieu d'où les corps ont été enlevés. » Les autres mots de ce texte ne présentent pas de difficulté; je suppose que amj est le mot qu'on rencontre souvent écrit bât, et que c'est le védique hat, dont le t final est tombé et la voyelle allongée, comme cela se voit fré- quemment dans les monosyllabes zends. Le Nigbantu (ch. m, art. lo) place le monosyllabe bat au nombre des sat/yanâmâni ; il si- gnifie donc véritablement, en effet, et c'est dans ce sens que je crois qu'on doit traduire le zend et bât. Je n'ai pu, jusqu'à présent, dé- couvrir d'une manière certaine la synonymie sanscrite du zend mç^ma dahhma, à moins qu'on ne dérive ce substantif du radical sanscrit dhakk (détruire) et qu'on ne le traduise par «l'endroit se dé- o truisent les corps. »

' La partie du fargard ix à laquelle est emprunté notre texte

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qui jette du jour sur notre texte. H est cependant de quelque intérêt de remarquer qu'il est, jusqu'à un certain point, lié à une énumération des princi-

renferme des détails curieux, qui ne sont malheureusement pas toujours parfaitement intelligibles, à cause du peu de correction des manuscrits. Je crois utile cependant de signaler ici quelques traits relatifs à ce passage, sur lesquels l'examen attentif du texte permet d'arriver à une précision plus grande que ceile dont An- quetii s'est contenté dans sa traduction. Immédiatement après le passage transcrit au commencement de cette discussion , on lit le paragraphe suivant, que je corrige d'après la comparaison de nos trois manuscrits et de l'édition lithographiée de Bombay.

••»twi»-){^(^ .i^3»*>\u>)è •CÇf-^'»^-» ♦•»ç»J^O «CÇfKÎ*» •CJM13 •V''»^O^tbi»*)^5

[Vendidad Sodé , p. 333, 33^; éd. Bombay, p. 334.)

Anquetil traduit comme il suit ce passage : « Le soleil, ô Sapet- tman Zoroastre, la lune, les étoiles, sont fâchés de luire sur celui «qui meurt en cet état. Faites en sorte de plaire au feu, de plaire ta l'eau, de plaire à la terre, de plaire aux bestiaux, de plaire aux «arbres, de plaire h l'homme pur, de plaire à la femme pure.» \^Zcnd Avesta, t. I, ii* part., p. 36 1.) Anquetil ne s'est pas aperçu qu'il avait omis la partie du texte comprise entre les mots .^wjj^j* m\ et jfAj»|5^j^-, mais, comme cette proposition se représente plus bas dans le même fargard, nous ne sommes pas privés de l'opinion d'Anquetil, qui la traduit ainsi la seconde fois qu'elle paraît : «Cet «homme qui a été (souillé par) un mort, et dont le Daroudj Ne- «sosch se sera emparé (de nouveau).» Je crois qu'on peut traduire plus exactement tout le passage comme il suit : a Maigre' lui, en «effet, ô Spiiama Zarathustra, le soleil éclaire ceux qui ont été en I contact avec un cadavre; malgré elle la lune, malgré elles les I étoiles les éclairent. En effet, le purificateur, ô Spitama Zarathustra,

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pales parties du corps , sauf dans deux passages il n y a pas d'énumération de ce genre. C'est vrai- semblablement cette cii'constance qui a suggéré à

«lorsqu'il délivre de Naçu celui qui a été en contact avec un cada- « vre , satisfait l'eau ; il satisfait le feu , il satisfait la terre , il satisfait la « vache, il satisfait l'arbre, il satisfait l'homme pur, il satisfait la femme «pure.» Quelques mots de ce texte méritant une attention particu- lière. Premièrement anuço, que plusieurs manuscrits lisent à tort anachô, et dont le sens n'a pas échappé à Anquetil, nous offre un exemple de la contraction du radical vaç (vouloir) en , contrac- tion qui est tout à fait dans le génie du langage védique, ainsi qu'on peut s'en convaincre en se reportant aux observations que ce fait a fournies à Rosen [Rigvêda, lib. I, adnot. p. v). Ce mot garde sa forme de nomin. sicg. masc. dans toutes les propositions il se trouve, et quel que soit le genre du terme auquel il se rapporte: on serait tenté d'en conclure que c'est un adverbe, si déjà on n'était accoutumé aux graves incorrections de la syntaxe des textes zends. Une forme plus rare et plus anomale, au moins du point de vue de la grammaire sanscrite, est l'emploi du pronom aêcha, pour l'accusatif plur. masculin et neutre; mais cette anomalie n'est, en réalité, qu'un des restes d'une déclinaison ancienne du pronom êchn, dans laquelle ce thème passait par tous les cas. Le langage védique offre un fait analogue dans la déclinaison du pronom plur. de la première personne. Le mot ja, qui suit aval, est une irrégu- larité beaucoup plus grave qui vient du fait des copistes ; il faudrait iciyal au neutre , en rapport avec le nom ht are ( soleil ) et avec le pro- nom avat (cela). Le mot liâo est la modification zende de sâu, l'an- cienne forme du pronom classique sanscrit a-sâu: nous le trouvons également en zend, écrit châo. Je tradtiis par «celui qui a été en contact avec un cadavre,» le composé paiti iristem, et au pluriel paitiirista: il signifie peut-être seulement «celui qui s'est trouvé «en face ou en présence d'un cadavre. » Quant à frânaçûm, j'y vois le préfixe fra (s. pra) , dont la voyelle est vraisemblablement aug- mentée par l'accent : c'est, en effet, sur la préposition que l'accent devait porter dans le composé possessif/ranap um , puisque c'est la préposition qui en constitue presque à elle seule le sens. Je ne puis admettre avec Anquetil que cet adjectif désigne celui dont le Daroud j .Nesosch s'est emparé; il est plus confonne au sens général du pas*

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Anquetil la seconde de ses traductions , celle qui est ainsi conçue : « Le Daroudj Nesosch s'en empare de- « puis la tête jusqu'aux pieds. » Quant à la première, qu'il exprime ainsi : « Le Daroudj Nesosch élèvera « la voix contre cet homme, » il est probable qu'elle l.Vii a été inspirée par la grande ressemblance que le mot frai ou çraoê ofl're avec plusieurs des dérivés du radical cru (entendre). J'épargne au lecteur l'ex- posé des tentatives que j'ai faites pour arriver, dans cette direction, à une explication satisfaisante, et je passe immédiatement à l'indication des motifs qui m'engagent à croire qu'il est ici question d'une par- tie quelconque du corps humain.

Je rencontre, au fargard xvii du Vendidad, les deux propositions suivantes : ^^-o/i .-ei> .-(«hî*»-^» ^ i^^tMs» , et «o'>j**6^*«^i ••-«> .-(U)o«»«>a»- , sur le sens des- quelles Anquetil ne s'est pas mépris; il a bien vu qu'il s'agissait des précautions à prendre quand on se coupe les ongles, pratique à laquelle un Parse donne toujours de l'attention, à cause de l'impu- reté à laquelle elle l'expose ^. Or, le mot qu'avec Anquetil je traduis par on^le est écrit fort diverse- ment par nos divers manuscrits, savoir : j«»1a. çrvai, par le Vendidad Sade , par le ii S. et par le i F. ; 44.»-1» gravai, par le v S. ; »o»-^» çravê, par le Ven-

sage, comme à l'analyse étymologique, de croire qu'il caractérise celui duquel s'est retiré Naçu , le démon des cadavres. Le préfixe fra exprime, en effet, un mouvement en avant.

' Vendidad Sade, p. 45o-, éd. de Bombay, p. i-jo.

^ Ibid. p. 450 ; éd. de Bombay, p. ^71.

•'' Zend Àvesia. t. I, il* part., p. 4oo.

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didad Sade, par l'édition de Bombay, par le 11° n S. et le 11° V S.', eniin hj*»-)» cravaé, par le iî°i F. J'omets à,d,esseia l'enclitique *>^ tcha, qui force les finales )o é' et 4 i à s'augmenter d';un a. Si maintenant je choisis la leçon çravê, c'est que je trouve au ch. ij de i'Ieschtde Behram l'épitliète de hjo»*»»*»^*»*- ^«}*»i^^ qu'Anquetil traduit par : u qui a des cornes d'or, » et qu'il appiique au taureau sous la figure duquel appa- raît Behram '. Je n'hésite pas à regarder la leçon ça- ravahê comme légèrement fautive, et à lire çravahê ; et de cette leçon, qui est un gén. singul. masc, je déduis le thème çravUy auquel je rattache la forme çrapê du fargard m du Vendidad. En effet, si çra- vahê est bien le génitif de çrava, la forme çraoê en peut être le locatif, puisque la voyelle zende ao est la contraction du sanscrit ava. Je dis que çraoê est plutôt un locatif sing. qu'un nom. ou un ace. plur. , parce que les variantes que donnent pour ce mot nos autres manuscrits indiquent toutes un locatif. Je n'insiste pas sur celle de çraoiy parce qu'elle est rare et suspecte; mais je cite en preuve de ce que j'a- vance l'orthographe çrul, qui se représente plus souvent qu'aucune autre , et qui nous oflVe la dési- nence du locatif i jointe immédiatement au thème çrUj sans qu'il subisse aucune modification. Nous nous trouvons ainsi en possession d'un thème nou- veau, çra, auquel je rattache la leçon çruyé, qui existe non^seulement ♦dans un de rios maïiUsGi'it& du

VJn^UAvv ^r\«v)^^

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Vendidad , mais aussi au ch. ii de i'Iescht de Beh- ram , dans le passage qui suit : ,^mm .ww>1» ,j)iMoi .^^^ «H le frappa en haut à la corne. » Il est clair que çrayé est, quant à la forme, un datif de çra, dans le- quel ê est joint au thème par l'intermédiaire d'un j de liaison. Nous arrivons donc, en résumé, à deux substantifs, grava et cm, qui, de l'aveu d'Anquetil, signifient corne et ongle; et, sans rechercher si ces deux thèmes ne doivent pas se ramener à la forme unique çra, dont çrava ne serait qu'un développe- ment, nous sommes en droit de conjecturer que, dans les passages du Vendidad relatifs à Naçu, ce mot a la même signification que dans le far- gard XVII et dans I'Iescht de Behram. 11 suit de que , si l'on réunit au locatif çrai la préposition dis- tributive paiti, on traduira ce composé par «sur « chaque ongle , » expression qui vient bien à sa place après fénumération des diverses parties du corps dont s'empare le Dew des cadavres. Je pense donc, dans l'absence de tout autre moyen d'interpré- tation , que le texte qui a donné lieu à la discussion précédente signifie : « La cruelle Naçu les envahit «jusqu'au bout des ongles; ensuite ils sont im- «purs pour toujours et à jamais. » Cette traduction rend compte, si je ne me trompe, de la seconde version d'Anquetil; car elle revient à dire que le Dew Naçu s'empare de la totalité du corps des cou- pables. On pourrait même aller jusqu'à dire que, si çra signifie corne, il peut avoir aussi le sens d'ex- trémité, sommet, comme le cornu latin et le '\i'p hé-

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breu; de sorte que le composé paiti çrai signifierait peut-être « sur chaque extrémité. » Quoi qu'il en soit de la tradition qui a guidé Anquetil , il faut conve- nir qu'elle n'est pas assez clairement indiquée dans sa traduction pour que nous renoncions au sens que nous fournit l'étude des passages parallèles çra se présente avec le sens de corne et d'ongle. Je n'hé- site pas à considérer ce sens comme définitivement acquis à ce monosyllabe , et j'y vois le radical sans- crit ^ çra (aller) qui, devenant le substantif zend >1j» cru, désigne probablement «ce qui va en haut, «ce qui s'élève, » comme le conjecture M. Pott du sanscrit ^ çrî§go. (corne), c'est-à-dire «ce qui part «de la tête^ » Je pense encore que ce monosyllabe est la base de tous les mots qui, soit avec une gut- turale, soit avec une aspirée h, désignent la corne dans les langues européennes , comme le grec né^as , le latin cor-nu, le gothique haur-ns, peut-être même le sémitique |-ip. Je remarquerai, en passant, que c'est de ce radical cru (plutôt que de ^ÇTttrr çrôiia) que dérive le sanscrit ^fm çrôni, le zend «jî»*^» çraona (hanche) et le latin clunis.

Je reprends maintenant la suite des textes je trouve l'expression qui représente , suivant Anque- til, l'idée de résurrection, et, suivant moi, celle de durée. Après un passage qui est indiqué deux fois, Tune à la fin du fargard m du Vendidad, l'autre dans le vu*, et qui se termine par ces mots : « Il n'y

' Eiymol. Forschung. t. I, p. 129.

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((a pas pour lui d'expiation, » passage que j'ai am- plement expliqué dans le premier volume de mon Commentaire \ on lit ce qui suit :

1 Anquetil traduit encore ici : « Cette action i'em- « péchera de passer le pont jusqu'à la résurrection^; » mais, si je ne me suis pas trompé dans l'analyse que j'ai donnée du commencement de ce passage, et si j'ai saisi le véritable sens du mot ju, tant sous sa forme primitive que sous sa forme dérivée , il fau- dra traduire : « A cause de cette action qui est inex- « piable pour toujours et à jamais, n

On rencontre , aux fargards m et ix du Vendi- dad , un texte qui termine la description d'une peine indiquée comme servant d'expiation pour diverses fautes; ce texte se retrouve encore au fargard v, mais après un morceau différent. Le voici tel que •la comparaison des manuscrits me permet, si je ne me trompe, de le corriger :

^ .«(U)^«|MM|i4i»Ai)i(j .«^)0''»^ra '*0^*'\ •WW* 'CCff •"'tt

' Comment, sur le Yaçna, t, I, p. ^99 et 5oi.

' Vendidad Sade, p. 147 et 263; édit. de Bombay, p. i46 et 262. Le Vendidad Sade sépare une fois en deux mois javaê tâtaétcha; le V S. Ht yavaétâtactcha avec Tédit. de Bombay, le n" 11 S.,jawaeMi- laêtcha: le i F.,yavaêtâ taêtcha. Dans le second passage, le Vendi- dad Sade lit yavatâtaêtcha : le n" v S., en deux mots, yauaM taétcha. et le n" 11 S.^ javaétàitaétcha.

^ Zend Avesta, t. I, ii' part., p. 286, 334 et 335.

* Vendidad Sade, p. i43, i85 et 336; cdit. de Bombay, p. lio, i83 et 337. Les variante» que fournissent les manuscrits sont ici

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i i)Anquetil traduit ce texte comme il suit : « Si cet u homme avoue ainsi ie mal qu'il a fait, (cet aveu) uce repentir en sera l'expiation : mais, s'il n'avoue «pas le mal qu'il a fait, il aura lieu de s'en repentir u jusqu'à la résurrection ^. » Le sens littéral me pa- rait devoii' être : «Et si, ayant commis d'autres ac- « tions coupables, il avoue qu'il les a faites, c'est «son expiation; mais si, ayant commis d'autres ac- tions coupables, il n' [avoue pas qu'il] les a faites, « il s'en repentira pour toujours et à jamais. » Placé à la suite d'un texte indiquant la punition qui doit être infligée à de grands crimes , notre passage veut dire que , pour les autres actions coupables qu'aurait pu commettre le condamné, il suffit d'un acte de pé- nitence , mais que , dans le cas il ne les avouerait pas, ces actions sont pour lui l'objet d'un repentir perpétuel. Je n'aurai besoin , pour justifier cette in- terprétation, que d'un petit nombre de remarques.

sans intérêt ; je remarquerai seulement que Védition de Bombay lit partout, en un seul mot, jêzisê, considérant le pronom se comme enclitique, ce que fait aussi le manuscrit v S., p. 67, tandis que les autres man user., avec le Vendidad Sade, écrivent en deux mots yêz'i se, excepté le i F.,p. 543, le 11 S., p. 3o5, le n? v S., p. 8/1.7, qui ont tous trois chê, orthographe toute védique, qui, seule, est régulière, et que j'ai suivie. Les mots qui font Tobjet de cette discussion offrent toujours les variantes ordinaires. Le Yendidad lit une seule foi s jawafc/ia, et a partout javaétdtaêtcha. L'édit. de Bom- bay litune fois, p. i8'6,yavatcka yavêtdtêtcha :\e n'iF., p. 99, litune foisjo^vaettcha ; le n" 11 S., p. 49 , dans le même passage , yvaitâtaêtcha ; le vS., p b'] yjavatchayavaétâtaêtcha ; le n" 11 S., p. 1 0'], Vit y vaêtcha . et le n" V S., p. 1 22>^yaèvalcha yaêvalA taétcha, et p, ^ fiS , yavaétcha yavaétâ taétcha; le n" n S., p. Zob , a yavaàtclia yavaêtdiaêtcha. ' ZendAvesla, t. I, 11* part,, p, 288, 3o2 el 363.

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Les premiers mots, jusqu'à paitita, ont déjà paru plusieurs fois dans mon Commentaire; il faut seu- lement observer que agha est pris ici comme un ad- jectif, et non exclusivement comme un substantif, ainsi que cela a lieu en sanscrit. Quant à paitita, je n'hésite pas à y voir, avec Anquetil, l'idée de repentir; seulement on peut être en doute sur la manière dont cette idée est exprimée par ce terme : premièrement, paiiita, pour le sanscrit patita, qui se présente comme le participe passé passif du ra- dical pat, peut avoir en zend le sens de repenti, qui éprouve da repentir, si l'on suppose à pat ce sens de se repentir, en le comparant au latin puclere ( avoir honte); secondement, paitita, pour patita, peut, comme le mot sanscrit qu'il représente, signifier tombé, et au figuré dégradé, et ce n'est peut-être que par extension que l'idée de repenti se joint au sens primitif de ce mot, soit que, en partant de l'acception propre, l'expression du repentir con- siste à se jeter à terre, et que l'homme tombé soit un pénitent, soit que , en partant de l'acception fi- gurée, on suppose qu'un homme tombé et dégradé éprouve du repentir des causes de sa chute. Pour ma part, je pense que paitita, qui a primi- tivement, en zend comme en sanscrit, signifier tombé, n'a pris le sens de repenti que par extension, et sans doute parce que le coupable se jetait à terre devant le juge qui lui reprochait son crime. Quant à l'emploi que font les textes zends de paitita, pris dans le sens de repenti (qui éprouve du repentir),

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il me suffira de faire remarquer, en ce moment, qu'on le fait rapporter au nom de la chose sur la- quelle porte l'acte de pénitence. Dans le passage précité, il est également vraisemblable que paitita se rapporte à skyaothna, c'est-à-dire qu'il est, comme ce nom , au nominatif pluriel neutre ; car il me semble que la traduction littérale revient à ceci : « Si de lui d'autres coupables actions faites repen- « ties, [c'est] pour lui l'expiation, » pour dire : u Qu'il «en fasse l'aveu avec repentir, c'en est l'expia- « tion. )) Dans la seconde phrase qui termine le texte , paititëm est au neutre sing., et le participe représente ainsi un substantif, « le repenti de cet homme. » Cette construction est peut-être un peu hardie , elle l'est moins cependant que l'ellipse de paitita, que je suis obligé de suppléer; mais je ne puis retrouver autrement un sens analogue à celui d'Anquetil.

L'expression de yavaêtcha yavatâtaêtcha se repré- sente encore dans un texte curieux du fargard v du Vendidad, où, non plus que dans ceux que je viens de citer, elle n'a pas le sens de résurrection. Voici ce texte, corrigé d'après la comparaison des mss. :

1 .*t^^*t^Ut^M))MYf^

^ Vendidad Sade. p. 189; édit. de Bombay, p. i86. Les manus- crits donnent les variantes suivantes; je ne reproduis que celles qui portent sur les mots importants. Le Vendidad Sade lit dâmàn; tous les autres, avec l'édition de Bombay, ont dâmanàm. Le Vendidad Sade lit une fois raêihwayaéti , et une autre fois rathwayaéti ; \e i F.

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Anquetil traduit ce texte comme il suit : « f.e «chien Oropesch, dans le monde de l'Etre caché «dans l'excellence, ne (rendra rien impur de l'im- « pureté ) Hamrid : quelque chose qu'il frappe , à « quelque chose qu'il s'attache, cette chose (durera) «toujours et jusqu'à la résurrection ^ » Le sens paraît devoir être : « Ce chien, qui est VUrapiSf ne (( souille , ne corrompt aucune des créatures do l'Etre ((intelligent qui est saint; bien différent de celui «qui blesse et qui aboie, il s'attache à ceux-ci et à « ceux-là pour toujours et à jamais. » J'avoue que je ne donne cette traduction qu'avec défiance; Ife^ texte contient quelques mots qui sont encore obs- curs pour moi. Anquetil, rappfochant.du nom zend urupich le persan »^^j rnbah, considère le chien j qu'il appelle Oropesch, comme un renard. Tout ett consei^vant le nom d'arupich comme la désignation d'une espèce de chien, je n'hésite pas à admettre le rapprochement proposé par Anquetil, et parcfe qu'il est très-naturel de croire que le renard a pu être compris sous le genre du chien, et parce que fexplication qu'il est possible de donner du zend unipich s'accorde bien avec le rapprochement sug-

lit raêtkwayêiti : le ii S., ratkwajrêtê. et le n" v S., raêthivyéti; Tédit. de Bombay a toujours raélhwyéiii. Je lis kuchaiti avec les trois Ven- didads mss,; l'édition de Bombay et le Vendidad Sade ont kusaiti. Je lis hahhti avec Tédit. de Bombay, le Vendidad Sade et le v S.; le 1 F. lit kikhti, et le n" ii S., hikhta. L'édit. de Bombay, le Ven- didad Sade, le n"* v S., ont yavaétcha yavaétâtaéicha : le n" i F. , va- viUtataéicka ; le tt S. , yvaétcha jvaélâtaêtcha. ' Zrnd Avesfa. t. I, ii* part., p. 3o4 et 3o5.

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géré par Anquetil. Je pense , en effet, que le zend ura- pich dérive du radical sanscrit lup (enlever, dérober) : car, comme le zend ne possède pas la liquide /, lup peut se présenter dans cette langue qu'avec la lettre r; et, quant à la voyelle u, qui ouvre le mot ii-riip-ich, elle résulte seulement de la facilité avec laquelle cette voyelle se déplace, quand elle suit la liquidé r, de manière à l'envelopper en quelque sorte, comme fait aussi la voyelle brève ë. Il résulte de que n-rnp-ich doit signifier le ravisseur, épitliète qui s'applique aussi bien au loup qu'au renard, mais que je propose de réserver pour ce dernier, car nous avons déjà en zend vëlirka pour le sanscrit vnka (loup). L'application qu'on peut faire de cette épithète au renard, permet de croire que c'est à ce même radical qu'appartient le latin vulp-es , par suite d'un déplacement de la voyelle analogue à ce- lui que je viens de remarquer dans nrupich pour nlupis, c'est-à-dire uulpis (lat. uulpes^).

J'ai lu , avec le plus grand nombre des manuscrits', raêthwayéiti, parce que je considère ce verbe comme appartenant à la conjugaison qui est la dixième dans la classification des grammairiens indiens : ce mot a, en effet, une forme trop développée pour ne pas être dérivé; mais j'ignore encore le sens de son pri- mitif, et c'est uniquement par conjecture que je traduis ce verbe, joint aux préfixes hàm et paiti, par souiller, corrompre. A ne considérer que les prépo-

' M. Pott tire vulpcs de vi-lup. ( Elynol. Forschuncf. t. F , p. i /19, 258, et t II, p. 485.)

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sitions hâm et paiti (con-greditur, pro-pugnat), on pourrait croire que le mot attaquer, pris dans son acception la plus générale, est celui qui convient le mieux aux divers passages je rencontre raé- thwayéiti. Anquetil le transcrit plutôt qu'il ne le tra- duit, quand il dit : «Il rend hamrid, il rend pitrid;)y expressions qui signifient, selon lui: «Il rend im- « pur, » et qui diffèrent entre elles, en ce que hamrid est l'impureté que produit l'attouchement d'un être impur par lui-même, comme le cadavre d'un homme, tandis que pitrid est l'impureté communiquée par un être devenu hamrid^. Je n'ai pas de raisons pour contester ces données qu' Anquetil doit, sans con- tredit, à ]a tradition; mais, sauf la forme causale du verbe, je n'ai encore trouvé que le persan ^^«XjJs?; (corrompre) qui les confirme. Comme ces expres- sions sont le plus souvent employées dans des pas- sages où figurent des êtres impurs , comme Nesosch (Naçu), par exemple, il est possible que l'idée de souillure ne se soit attachée à ce mot qu'après coup , et que celle de contact, au contraire, soit primitive: c'est cependant un point que je ne puis encore affir- mer. Il m'a semblé que, dans l'ignorance nous sommes touchant la signification primitive de ce verbe, il valait mieux respecter la tradition des Parses. Quant à la forme même du verbe raéthwa- yéiti, après en avoir retranché la caractéristique verbale et la désinence, il reste raêthw, qui est très- probablement un substantif dont le thème est raétu,

^ Zend Avesta, t. I, u* part., p. 3o3, note i.

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thème qui d'ailleurs m'est inconnu en sanscrit. Je dis que raêtu doit être un substantif, parce que ce mot se présente comme formé par le suffixe ta, d'un radical ri (aller, blesser) ou ri (blesser, hurler). 11 résulte de que le verbe raêthwayêiti signifie : « Il «met un être dans l'état de celui qu'on nomme (( raêta. » Je ne connais,. dans les langues congénères, que le persan y«x^«y^ (corrompre) et les mots ger- maniques, island. ryd (rouille), angl. rot (pourrir), qui ressemblent à raêta. Peut-être retrouverons- nous, quelque jour, ce mot dans les Vêdas.

On remarquera encore zanaiti ( il blesse ) , au lieu de zaiiitl pour lianti; c'est le radical zan pour han, conjugué sur le thème de la première classe. Je donne au verbe kachaiti un sens que n'ont pas les racines sanscrites kaç et kach; je le suppose sy- nonyme de kraç : la convenance du sens est ici pour moi la raison décisive, dans le silence complet des listes de radicaux sanscrits ^ Anquetil me paraît avoir bien rendu le sens distributif de la locution âdim, âhis, que les manuscrits écrivent le plus souvent ainsi en deux mots, quelquefois en quatre, âdim,âhis : je remarquerai seulement qu'elle doit se traduire lit-

^ î\ s'est passé peut-être ici même fait que celui que' je crois remarquer dans le sanscrit védique dhichtjâ que Rosen traduit par illustres, et que le commentateur Sâyana propose de rendre encore par doaès d'audace. Quelque orthographe qu on adopte pour ce mot, qu'on le lise dhichtya ou dhichnya, il est toujours certain que, dans l'opinion des Brahmanes, il dérive du radical dhich qui manque dans les listes actuelles, mais que Wilson, sans doute d'après le témoignage des grammairiens originaux, regarde comme ayant été substitué à âhrickf (\oy. Rï()vêda, lib. I, adnot. p. xi.)

x'. ' 3

M JOURNAL ASIÀtiQUE.

téi alcmenl pur ad hune, adhos, hi$[ou plutôt /115 ) étaiU l'acrilsatif pluriel fémitiin du pronom M, le ïi des V^dasv j(? n'ai pas cm n^ècessaire de conserver cette dift(^renîce de genre dadS lïia traduction. Le préfixa a se rapporte au vei'bë hakkti, qui dérive du radical sanscrit satch (se joindre, s'attacher), radical qui, dans le style védique, signifie cultiver, aimer ^\ il est ici ^ôttj ligué sur le thème de la deuxième dasse.

On rencontre elicore deux fois l'expression qui fait l'objet principal de cette discussion , dails mI! passage du fargard vn du Vendidad, qui renferme quelques détails intéressants; je le donne corrigé d'après la comparaison des hianuscrits :

.V»)>J*«^ .^jjjj)(3Ji}js«jjj*»)(}^ .ju»A^4ig , )sf))iy*» ♦yJtAilg «j»^**» .jmI^

.MJ(UJ»it(>Mlgjl^ .4l)»ilJJitA^«( .«^j(j«^JOJI^ .■M(U.tM( .i»|tf)()Ai^^»J*)liQ

*<S^€-»!? .^(waiJU(»AM6j^ .jjja»A)jj4»^j»6 .ai^^^ai^^ji^ ^^^^ -y <*»>■» j^ •KJO»*r-i3^*'l^ 4(5^j^ ■y-*»-»J^VN -CE^HJ--^ •Vt'^Cî^'»^'» -HJO» ••"^«tt .^m^MU 4o» •*'6* -^f^^^fl «Vl»* -»•»*• »)0tl5 -fi^fiJ T-^yO ♦;*J*»J»^w

' Rosen, Rigvéda. lib. I ,adnot. p. vu.

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Anquetil traduit ce texte de la manière suivante : uUn Mazdéïesnan qui rend la santé, qui prolonge ula vie, sur qui apprendra- t-il d'abord (l'effet de

^ Vcndidad Sade. p. 24o et 24 1 ; édit. de Bombay, p. 238 et 289. J'indique ici les variantes ies plus importantes des manuscrits. L'édit. de Bombay Wtfravazâonti ; ^e préfère la désinence du moyen ( ntê ] avec le Vendidad Sade et les n°* i F. et v S. ; le n" 11 S, liifrava- dhâontS.he Vendidad Sade lit âmajâoTiti; les n°' i F. et v S. diffèrent p-îu ; réd. de Bombay, âmjdorui; le 11 S. préfère le moyen âmûjâontê. La seconde fois que ce verbe se présente, le Vendidad Sade et le i F. lisent âmayajaîiîa: le v S., âmajânta ; le 11 S. , âmajctyanii , et Téd. de Bombay, âmayâonti. La même incertitude existe à Tégard du verbe mairyâiti que lisent de cette manière le Vendidad Sade, Tédit. de Bom- bay, le II et le v S., tandis que le i F. lit deux fois niairyâiiê, le- çon que suit deux fois le n" 11 S, Ce dernier ms. lit seul j'ataê^a; le Ven- didad Sade a. yavatcha javaétàtaétcha : le i F., yavaêtcha, etc., et le n" V S.^yavaêtcha yaévatâtaêtcha. Les deqx passages marqués cba- cun par deux étoiles manquent dans tous les Vendidads manuscrits; ils ne se trouvent que dans le Vendidad Sade et daiis l'éd. de Bombay, Vendidad Sade lit la première fois vimâdhajanta ; les rf^ i F.et vS. lisent, le premier deux fois, le second une, kêrëtu;\e n°ii S. akêrethu. Je suis pour irichjât, Tortbographe des n°' i F., 11 S., v S, ; le Vendi- dad Sade a irisjât , ainsi que Téd. de Bombay, qui a une fois seule- ment irisayât. Je donne irichentô, d après le n" i F. : le Vendidad, Sade a irisêhto; le 11 S., arichihlô; le v S.yirichehtu, et rédit.deBona- bay, irisêntu. Je lis raêchêm avec i F. et 11 S.-, le Vendidad Sade , Tédit. de Bombay et le v S. ont raêsem. L'édit. de Bombay, le n" i Fi, et le d' Il S., ont ichikayal ; le Vendidad Sade , tchikayât, et le \ S., tchakajal. ie lis âmâtô avec l'édit. de Bombay et le v S.; le Ven- didad Sade et b s n°' i F. et 11 S. lisent anâniâiô. Le n" v S. et l'édit. de Bombay lisent la seconde îois yavaêtâlaétcha ; le Vendidad Sade, yavaêiâtaitclia ; le i F.^yavaéiâtaéitcha; le 11 S. , yavaetê yàvaiétâ- taétcha. Le Vendidad Sade lit vîmâdhayanlu ; le 11 S., vi mâdayahtu; les n"* 1 F, et V S., vîmâdhayàîita; l'édit. de Bombay, vitnâdhyanti. Je lis haêchazyàt avec le n" 11 S.; le 1 F. et l'édit. de Bombay ont baésazyât; le n" v S., baésaziât, et le Vendidad Sade, biszyâi.

3.

y

36 JOURNAL ASIATIQUE.

M ses remèdes ) ? Sera-ce sur les Mazdéïesnans ou sur «les adorateurs des Dews? Ormuzd répondit : Qu'il «apprenne (son art en l'exerçant d'abord) sur les «Dewiesnans, et qu'ensuite (il traite) les Mazdéïes- « nans. S'il traite une fois un Dewicsnan , et que le (( malade vienne à mourir ; s'il en traite un second , « et qu'il vienne à mourir; s'il en traite un troisième, «et qu'il vienne à mourir, ne sachant pas son mé- « tier, il ne doit jamais l'exercer : qu'il n'aille pas (( ensuite traiter les Mazdéïesnans et leur faire du « mal. S'il traite après cela les Mazdéïesnans et leur « fait du mal, pour le mal qu'il leur ama fait , il sera «lui-même puni du Bodoveresté. Mais, si le méde- « cin traite d'abord un Dcwiesnan , et qu'il le gué- <( risse ; s'il en traite un second , et qu'il le guérisse ; «s'il en traite un troisième, et qu'il le guérisse, il « sait son métier et peut toujours l'exercer : son de- « voir ensuite est de traiter les Mazdéïesnans. Qu'il « se perfectionne et se rende encore plus habile : «son état est de rendre la santés » Ce passage, qui est généralement bien entendu dans la version que je viens de transcrire, peut, si je ne me trompe, être encore plus exactement traduit de la manière sui- vante : « Les Mazdayaçnas qui s'appliquent à la mé- « decine, quels sont ceux sur qui ils s'essayeront d'a- «bord , les Mazdayaçnas ou les Daêvayaçnas? Ahura u Mazda dit alors : Qu'ils s'essayent d'abord sur les « Daêvayaçnas , comme si c'étaient des Mazdayaçnas. << Si, Ja première fois qu'un Daêvayaçna eipploie [le

* ZendAvesia, t. I, ii* part., p. 32 2 et 323. >' "

JUILLET 18/iO. 37

'X médecin], il [le malade] vient à momûr; si, la se- uconde fois qu'un Daêvayaçna l'emploie, il vient à « mo*urir; si, la troisième fois qu'un Daêvayaçna l'em- « ploie, il vient à mourir, celui-là [le médecin] est «inhabile pour jamais et à toujours. Qu'ensuite les « Mazdayaçnas [ * ne se servent d'aucun de ses re- «mèdes, que les Mazdayaçnas ne remploient pas*], «ne l'emploient pas-, le malade mourrait. Si, après « cela , les Mazdayaçnas [* se servent de quelqu'un de «ses remèdes; si les Mazdayaçnas l'emploient*], «l'emploient, [et] que le malade meure, que la « mort soit infligée [au médecin] en retour de cette « mort , comme châtiment d'une action faite sciem- «ment. Si, la première fois qu'un Daêvayaçna em- « ploie [le médecin], il en échappe; si, la seconde «fois qu'un Daêvayaçna l'emploie, il en échappe; « si, la troisième fois qu'un Daêvayaçna l'emploie, il « en échappe , celui-là [le médecin] est certainement « expert pour jamais et à toujours. Qu'ensuite les « Mazdayaçnas se servent volontiers de ses remèdes , «que les Mazdayaçnas l'emploient volontiers, qu'ils «l'emploient volontiers, il pourra [les] guérir.»

La traduction que je viens de proposer peut en- core, sur deux ou trois points, laisser quelque doute dans l'esprit du lecteur. Je regrette de n'avoir pu trouver, dans les textes zends qui sont à ma dispo- sition, le moyen d'arriver, sur ces divers points, à une détermination positive. Les observations sui- vantes ont pour but de justifier le sens proposé.

Je n'hésite pas d'abord à prendre dans le sens d'art

38 JOURNAL ASIATIQUE.

de la îriédecine le mot haêchaza, qui, d'ordinaire, ne signifie que médicament; la vraisemblance de ce sens me paraît une raison sufTisante pour le faire adopter. Je regAvde fravazâohié comme la troisième personne pluriel du présent du conjonctif du radical vaz, pour le sanscrit vdh ; la a oix moyenne , que suivent ici le plus grand ncmbre des manuscrits , donne à ce verbe le sens de se porter en avant. On remarquera ensuite katârô, que je considère comme le nominatif plu- riel masculin d'un thème katâr, répondant à un sanscrit hypothétique katrî, et au sanscrit réel ha- tara (lequel entre deux ?). Cette formation est digne d'attention en ce qu'elle fait passer un mot dérivé d'un pronom primitif dans la catégorie«des noms en târ^ et qu'elle nous indique un moment le sufiixe du comparatif f ara, qu'on a déjà rapproché juste- ment du radical tri ( traverser ) , cédait sa place au suffixe d'agent trï, et avec vriddhi, târ, qu'on doit, selon toute vraisemblance, rattacher à ce même ra- dical, en vertu de l'intime connexion cpi unit les idées de traverser et d'instrument. L'analyse que je donne de katârô a pour elle l'existence de l'accusatif singulier masculin katârêm , qui part du même thème katâr (lequel entre deux?) ; quoique, je dois l'a vouer, on puisse regarder l'allongement de la voyelle do târ comme une particularité propre au zend, et dire, conséquemment, que târô est un nominatif singulier masculin du suffixe tara. Mais la tendance bien connue du zend à abréger la voyelle d, étymo- logiquement longue en sanscrit , m'engage à rejeter

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cette seconde interprétation. Au reste, que l'on re- garde katârô comme un singulier ou comme un pluriel , ce sera toujours un nominatif. Or, ici le nominatif trouble toute la syntaxe de ce passage ; ce semit le datif qui serait nécessaire ici connue complément du verbe âmayâofitê : mais nous ren- controns dans^ le Vendidad assez d'irrégularités de ce genre, pour ne pas être surpris de celle que nous constatons en ce moment. L'anomalie de notre texte se retrouve , en partie , au commencement du second chapitre du Vendidad , dans un passage sur le sens duquel il ne peut cependant exister aucun doute, malgré la confusion qu'on remarque dans l'expression des rapports grammaticaux:

Anquetil le traduit ainsi : u Quel est le premier «homme qui vous ait consulté, comme je fais, o «(VOUS qui êtes Ormuzd? A qui avez- vous montré « clairement la loi du dieu de Zoroastre^ ? » Mais je crois qu'on peut traduire plus littéralement encore : « Quel est le premier entre les honimes , autre que <( moi, qui suis Zoroastre, que tu as interrogé, toi « qui es A^ura Mazda ? A qui as-tu enseigné la loi «qui est celle d'Abura, celle de Zoroastre?» On remarquera que la différence qui distingue le pas sage précité du chapitre u du Vendidad, de celui

' Vendidad Sodé , p. i23; édit. de Bombay, p. 120. ' Zend Avesta. t. I, ii' part., p. 271.

ko ^ JOURNAL ASIATIQUE,

qui nous occupe, c'est que le pronom inleiTOgatif est, dans le premier, au datif, tandis qu'il est au nominatif dans le second. Cette différence donne cette double traduction : «Auquel le premier... as- (( tu adressé des questions ? » et u Quels sont ceuK «[sur] lesquels ils s'essayent, sur les adorateurs de M Mazda , ou sur les adorateurs des Daevas ? »

Entre les variantes qui nous laissent le choix de l'actif ou du moyen pour le verbe âmayâohtêy je préfère celles d'où résulte le moyen, parce quelles s'accordent mieux avec l'analyse que je vais donner de ce verbe. Le sens que j'adopte pour ce terme me paradt ressortir assez clairement de l'ensemble du texte , outre que c'est celui qu'a choisi Anquetil , d'accord avec la tradition des Parses ; cependant ce n'est pas le sens qu'il faudrait assigner à ce verbe s'il existait en sanscrit. Dans cette dernière langue, en effet, âmaya signifie maladie, et c'est seulement avec la négation que ce mot prend la signification de santé (anâmaya). Cette contradiction si manifeste m'a longtemps mis en doute sur la question de sa- voir si je devais attribuer le sens d'essayer, s'exercer, à un verbe qui, d'après le dictionnaire sanscrit, de- vrait signifier être malade. Mais f impossibilité je me suis trouvé de tirer un sens satisfaisant du com- mencement du texte que j'examine en ce moment, dans la supposition que âmayâofitê devrait se tra- duire par 1/5 sont malades, m'a décidé d'une manière définitive en faveur de l'interprétation que je pro- pose. Je suis frappé, d'ailleurs, du peu de certitude

' JUILLET 1840. U

que présentent les étymologies données , pour substantif âmaya, par les grammairiens indiens, qui tirent ce mot , tantôt de ama ( rendre malade ) , tantôt de âma (cru), et de ya pour jd (obtenir). L'analyse du verbe zcnd âmayâofitê conduit, ce me semble, à un autre résidtat étymologique. Si l'on retranche, en effet, la désinence âonté (où la voyelle âo est le déve- loppement de d, qui doit ici indiquer le conjonctif, et qui se trouve fréquemment devant n), on ob- tient âmay^ dissyllabe d est manifestement le pré- fixe d (vers). Je pense que may est le radical ma, conjugué suivant le thème des verbes sanscrits de la quatrième classe, c'est-à-dire amplifié par f addi- tion de la semi-voyelle j, qui entraîne l'abrègement de la voyelle primitivement longue. L'existence du participe âmâtô, et avec la négation anâmâtô, met cette dernière analyse à l'abri de toute contestation. Nous pouvons donc affirmer avec certitude que le verbe dmajdo^fe dérive du radical ma (mesurer); et ce qui ajoute à la valeur de cette observation, c'est que ce radical, en sanscrit, se conjugue aussi sur le thème des verbes de la quatrième classe.

Reste maintenant à déterminer le sens qu'il faut donner à ma, précédé de d. J'ai dit tout à fheure que la vraisemblance de la signification que je pré- fère était à mes yeux l'argument le plus décisif. J'en tire un autre, qui est également de quelque force, des participes âmâtô et anâmâtô, mots dont le pre- mier est employé dans le passage- il est permis au Mazdayaçna d'exercer la médecine, tandis que

^ JOURNAL ASIATIQUE,

le second' l'est dans la partie du texte xléfensc lu^^est faite de l'exercer. Il me semble que âmâta ne peut signifier, dans ces deux passages, autre chose que exercé, expert y signification qui, outre qu'elle convient au texte, n'est pas incompatible avec I9 fprme du participe en ta, qui, dans cas actuel, est celui d'un verbe moyen , et répond ainsi au par- ticipe des verbes déponents latins. J'ajouterai que le radical ma, transformé en mû, et précédé du préfixe aZy forme en persan le verbe ij^y^j^ âzmâ- den, qui signifie essayer^ expérimenter, comme l'a bien fait voir M. Pott^ Enfin, la considération qui me paraît appuyer le plus la signification de essayer, donnée à a-md, c'est que nous allons reconnaître tout à rheure une autre transformation du radical ma, qui ne peut, selon toute vraisemblance, signi- fier autre chose que m^dicamenter, employer des re- mèdes. On ?iura donc ainsi deux significations dis- tinctes de la racine m«, significations marquées par la différence du suffixe, et par la modification du radical /Tid, lequel veut dire, avec d, s'essayer, expéri- menter, littéralement, se mesurer à; et avec vi, plus uue certaine modification du radical, médicamentcr, trOf^ter en médecin.

La seconde modification du radjical ma, que j^ viens d'annoncer, nous est offerte par verbe vin^a- dkayanli, qui revient deux fois dans le texte que j analyse, sous la double forme d'un verbe çt d'u,u swbslautil,. Je crois nécessaire do i\e p^,s attendre?,

Kiymol. ForschutKj. \. 1, p. 194.

JUILLET 1840. 43

pour examiner ce mot, que j'aie traité de la totalité de ceux qui le séparent de celui que j'ai analysé tout à l'heure. Je n'hésite pas à regarder vi-mâdh-ayanti comme un verbe conjugué sur le thème de la dixième classe , et dérivé du radical mâdh , qui est manifeste- ment, avec ma, dans le même rapport que le zend çnâdh ( laver) avec le sanscrit snâ ^ . Anquetil donne à ce verbe le sens de traiter, quoique , à vrai dire , on ne voie pas bien clairement dans sa version ce qu'il fiait de vimâdhaçtchit, qui précède le verbe vimâ- dhayanti. Il est très-probable que la signification ce verbe est générale, et qu'il veut dire exercer la médecine, soit pour les autres, soit pour soi-même. Je montrerai tout à l'heure les avantages et les in- convénients qu'il y a dans l'adoption exclusive de Tune ou de l'autre de ces deux nuances de la même signification. Je me contente en ce moment d'insis- ter sur la signification de traiter à l'aide de médica- ments, que j'assigne au radical mâdh, précédé du préfixe vi, radical qui est pour moi un développe- ment de ma, et que je regarde comme idehtique au latin mederi et au grec fxv%(iai. On voit, par ce qui précède, quels motifs j'ai de rattacher ce dernier verbe au radical ma, à l'aide d'un rapprochement sur la certitude définitive duquel M. Pott hésite en- core ^. J'ajouterai que, quant à l'analogie qu'on re- marque entre mederi (guérir) et meditari (méditer), elle part de Vidée primitive commune <^ ces doux ne

' Ohserv. sur la Gramm. comp. de M. Bopp , p. 3-. ' Fjymoï, Forsrkunff. I.T, j>. i<)5

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ceptions distinctes, celle défaire attention; et quelle se retrouve également dans le verbe dérivé sanscrit tchikits (guérir) , qui n'est autre chose que la forme désidérative du radical kit, dont le sens primitif est connaître, penser, quand il se conjugue sur le thème de la deuxième classe, et qui signifie guérir, quand il se conjugue sur celui de la première.

Je ne m'arrêterai pas à justifier la traduction de « comme si c'étaient des Mazdayaçnas , » que je trouve dans la conjonction jaf/id, et aussi dans tchi(, qui suit mazdayaçnaéibyaç, et qui ajoute la nuance de sens suivante : a comme si c'étaient des Mazda- uyaçnas quelconques. » La signification de kèrën- tât, que je regarde comme la troisième personne de l'impératif de kérèt, qui répond au sanscrit krït, avec la désinence tât au lieu de ta, me paraît plus difficile à préciser. Anquetil traduit les mots yat paourvim daêvayaçnô kërëhtât par : « s'il traite une fois « un Dewiesnan. w Mais il est manifeste que daé- vayâçnô est le sujet du verbe kérëntât, et on doit conclure de que la signification de traiter ne con- vient pas , dans ce passage , au radical kêrët. La seule manière de concevoir que kërëhtât puisse avoir pour sujet un Mazdayaçna sous-entendu, en un mot le médecin , serait de supposer une très-grande irré- gularité de construction , savoir, que daêvayaçnô est à tort au nominatif, mais que le véritable complé- ment direct de kërëhtât est paourvim, de 5orte qu'il faudrait traduire : usi [quem]primum sanet, [is sit] « Daevarum cuUor. » Mais je pense que le lecteur

JUILLET 1840. 45

trouvera, comme moi , cette supposition beaucoup trop forte. Les acceptions diverses que possèdent en. sanscrit les différentes conjugaisons du radical knt (couper, envelopper, célébrer), ne fournissent pas une interprétation satisfaisante de la propo- sition qui nous occupe : si krit pouvait exprimer simplement fidée de appeler, ce serait la seule qui conviendrait ici; mais alors il faudrait, ce me sem- ble , un complément direct , un pronom désignant le médecin. Il faut donc admettre que kerèntât a un sens très-général, et que le radical kerëi (krït), d'où il dérive, n'est ici qu'un développement d'une racine plus commune encore, de krî, comme tchit paraît fêtre de tchi. Je propose, en conséquence, de traduire kërëhtât par cjail emploie, en sous-enten- dant, pour plus de clarté, le médecin.

Après ce que j'ai dit sur le verbe âmayâohtê, je n'ai pas besoin d'insister beaucoup sur la significa- tion de inhabile, que j'assigne au participe anâmâté, qui est le contraire de dmdfd. Cette phrase signifie manifestement que le médecin est déclaré inhabile pour toujours, et à jamais incapable de se livrer à la pratique de la médecine. Remarquons, en ce qui touche l'expression yavaêtcha yavatâtaêtcha , qu'ici Anquetil , d'accord sans doute avec la tradition des Parses , renonce à chercher dans cette formule fidée de résurrection, et qu'il la traduit très-exactement, mais un peu hrièvement, p^r jamais.

Dans le paragraphe suivant, j'ai marqué de deux étoiles plusieurs mots qui ne trouvent que dans

46 JOURNAL ASIATIQUE,

le Vrrididnd Sade et dans l'cditioii de Bombay, tan- dis qu'ils manquent dans les trois autres manuscrits du Vendidad. Je ies ai reproduits dan i ma traduc- %kmv mais en les enferitian t entre des crochets , palrcè quje' ije suppose qu*ils feont interpolés ; cependant cette certitude n'est pas telle que j'aie cru pouvoir lep retrancher tout à fait : ils allongent certainement la phrase sans aucun avantage pour l'idée principale ; mais nous sommes accoutumés à rencontrer dahk les textes zends des répétitions qui lie sont pas moiûfc frappantes qbe celle dont il s'agit ici.,; r ? ^:o- nn C'eèt par une conjecture qui s'appuie sur! lanï*- lyse que j'ai donnée de vimâclhayahti, que je traduis vimâdhaçtchit par médicament (jaelcon(jae. Ce mot, qui ne peut être qu'un substantif, est ou l'ablatif d'un nom terminé par une' consonne, ou, ce qui me paraît plus vraisemblable, l'accusatif singulier d'un nom neutre dont le thème est en as. Il n'est pas rare de voir en zend l'action qu'exprime le verbe, répétée sôùs ia forme d'un substantif placé comme complé- ment direct du verbe lui-même :aci cette expres- sion revient à « medicamen quodcunque medican- « tup; » Au reste , il n'est pas facile de reconnaître dans ce passage si cette -expression s'applique au malade qtii prend pom' lui le médicament, ou au médecin qui le donne. Au premier coup d'œil, la seconde supposition paraît la plus satisfaisante, à cause de la voix active du verbe vimâdhayahti; mais je trouve que la marche du texte est plus embarrassée dans cette supposition que dans la première. Voici, en

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eflfet, comment il faudrait traduire tout ce morceau : u Qu après cela les Mazdayaçnas [médecins] ne don- anent aucun médicament; que les Mazdayaçnas un exercent pas, qu'ils n'eiLercent pas, il [lé ttîfé»?-^ uiade] mourrait. Si, après cela, les iVîazdayaçnàs (([médecins] donnent quelque médicament, si les u Mazdayaçnas exercent, s'ils exercent, et que le (( malade meure, etc. » Or, toute satisfaisante qu'elle paraît être, cette version a le désavantage de rompre le parallélisme qui doit, si je ne me trompe, exister entre les deux parties de ce morceau. Dans la pre- mière partie, le législateur Ordonné au médecin de s'essayer sur les adorateurs des Daêvas, et il déclare que celui-là est pour toujours un médecin inhabile dans les mains duquel sont morts trois de ces ma- lades. Le texte nous montre le Daêvayâçna s'adres- sant au médecin, l'employant, si toutefois je* ne me suis pas trompé sur le sens de hêrentâ/. Cela posé , il paraît assez naturel que seconde partie notis montre les adorateurs Mazda s'adressant de même au médecin et l'employant à leui: tour-, et ce qui achève de donner une grande vraisemblance à cette supposition, c'est que verbe principal de cette seconde partie, kerèntu, est le même, sauf le nombre , que celui de la première. Cette considéra tion m'a paru décisive en faveur du sens que fdi adopté, et elle m'a fait renoncer aux avantages que je voyais d'ailleurs à faire porter la défense sur les Mazdayaçnas exerçant la médecine, plutôt que sur les Mazdayaçnas qui en réclament le secours. On

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remarquera que l'on sort plus aisément de cette difficulté si , avec les trois manuscrits du Vendidad de la Bibliothèque royale, on regarde comme in- terpolés et répétés à tort par le copiste les mots que j'ai enfermés entre deux étoiles; car alors on traduira : « Qu'ensuite les Mazdayaçnas se gardent « d'employer [ce médecin] ; le malade mourrait.;» , Quant à l'expression par laquelle le texte indique le châtiment qui doit être infligé au médecin entre les mains duqitel est mort le malade, elle présente des difficultés que je me suis déjà engagé à exami- ner à part. Je ne donne pas en ce moment le ré- sultat de la compaiaison des textes Anquetil reconnaît la punition qu'il nomme Bodoveresté, parce que la discussion à laquelle je serais obligé de me livrer détournerait trop longtemps l'attention du lecteur de l'objet principal de la recherche présente, qui est l'analyse d'un texte se rencontre deux fois l'expression yavaêtcha yavaiâiaêtclia» J'omets donc à dessein, en ce moment, les mots du texte qui com- mencent à para hé, et qui finissent à tchithaya; je les analyserai ailleurs en détail, en les comparant aux autres expressions semblables que l'on rencontre dans le Vendidad. >..>:> . aiu.

Au second paragraphe dfe hôtrie texte, je crois trouver une justification satisfaisante du sens que je donne à kérèntâf, dans la facilité avec laquelle s'expliquent les deux propositions yat paoarvîm daê- vayaçnô kèrëntât apa djaçât, a si un Daêvayaçna «emploie [le médecin] une première fois, qu'il

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((échappe. » Il n'y a pas ici lieu de douter, pas plus que dans le cas de mort, que le véritable sujet de kèrêntât ne soit l'adorateur des Daêvas. Remarquons en outre un tact heureux dans le choix des préfixes ava et apa, qui modifient de part et d'autre les deux verbes mairyâitê (prés, du conjonctif moyen) et dja- çât (imparf. du conjonctif actif) : ava exprimant le mouvement de chute dans un lieu inférieur; apa, au contraire, indiquant la marche d'un être qui s'échappe et sort d'un lieu.

Après la troisième et dernière de ces proposi- tions, qui sont répétées ici comme l'est, dans le premier passage, la phrase qui indique le cas de mort du Daêvayaçna, je lis âmâtô, quoique, comme on a pu le voir à la note des variantes que donnent les manuscrits pour notre texte, quelques copies lisent anâmâtô. Cette dernière leçon me paraît une faute manifeste , qui vient de ce que le copiste a vu dans le premier passage anâmâtô, et qu'il s'est trouvé ainsi porté à répéter ce mot, sans comprendre qu'il exprime ici le contraire de ce que veut dire le texte. Je n'hésite donc pas à lire âmâtô, quoique cette leçon ne soit pas la plus commune, et je tra- duis ce mot par expert, habile. Quant à l'expression yavaêtcha, etc., nous voyons encore ici Anquetil, fi- dèle sans doute à la tradition des Parses, renoncer à l'idée de résurrection, et la traduire par toujours, comme il l'a fait plus haut, loi^sque, dans la phrase négative du commencement, il l'a rendu psv japiais.

On remarque encore , dans l'emploi du singulier X. 4

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vafo (voulant) avec le pluriel mazdayaçna, une irrégu- larité de syntaxe qui nous reporte à un état presque bai'bare de la langue zende. On pourrait croii-e que vaçô est un adverbe sous forme d ablatif , dérivant d'un tbème vaç; mais, comme vaçô se représente as- sez souvent dans les textes zends avec le rôle d'un ad- jectif (nomin. sing. masc.) signifiant le voulant bien, consentant, j'aime mieux lui conserver ici cette va- leur et admettre firrégularité syntac tique que je viens de signaler , que d'en faire un adverbe : j'ai cru seulement nécessaire de faire cette remarque, parce que, dans ma traduction, j'ai, pour plus de clarté, choisi l'adverbe volontiers.

Le dernier passage du Vendidad se trouve l'ex- pression jat;afdiïe termine fénumération des moyens à prendre pour purifier les soucoupes qui ont tou- ché à un cadavre. Je donne ce texte pour ne laisser aucun doute sur le sens du terme qui nous occupe :

Anquetil iraduit ainsi cette phrase : « Si cette u (soucoupe) est de terre, ou (faite) de poussière

' Vendidad Sade, p. 2 53 ; édil. de Bombay, p. 25 1. Voici les va- i^pntes les plus importante» des manuscrits: le ir S., p. 196, lit seul zëmênus et drvaenus; mais les deux lettres 4 et > se confondent quelquefois, suivant que le trait inférieur de j est plus ou moins relevé. L'éJit. de Bombay lit daravaêniss ci fravdhhsanacs ; ]e Vis fra- vâkhchaciùs avec le n"i F., p. 385 ; le Ji S. a fravâhhsaenis. ce qui rentre dans la précédente leçon; le Vendidad îSadé lit plus faulive- men\frai;âhhséni5 , et le V S.Jravâhhsanis. Je dcd uis \a\ei^onyavatâitr des variantes de l'édit. de Bombay, javacVdfi; du n" it S.,javaétâité: ànycnd\àai\Sai{éoidnu'{\E.,yavaétâiti:\o v S. a fautivement

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d'arbre ou de plomb , elle ne sera pure qu'à la fin «des siècles ^ » Il n'y a, dans ce texte, qu'un seul mot sur lequel il puisse rester quelque incertitude : oesX fravâkhchaênis, qu'Anquetil traduit par fait de plomb; mais son interprétation n'est pas tellement sûre , que , dans un passage du chapitre vi du Vendi- dad se trouve Vdidjeciiî 6i\)o*>^é^^»*')è fravakhsaê' nêm (lisez ...Mlicliaêném), il ne propose encore de le traduire par plomb ou par la dernière [des matières) ^. En traitant le mot fravakhchaêna d'après les lois de l'étymologie, on trouve que c'est un adjectif dérivé, au moyen du suffixe aêna, de fravâhhcha , je vois fra et vâkhcJia , de vaklich ( croître) . Il semble donc que fravâkhcha ne puisse signifier autre chose que crois- sance; mais ce sens est très-vague, et il ne donne pas une interprétation satisfaisante de l'adjectif/z^ava/c/i- chaêni, qui détermine le substantif 50«cow/)e. En s atta- chant strictement à l'étymologie , on pourrait croire que fravâkhcha désigne «ce qui croît en avant, une « pousse; » en un mot, les jeunes branches deis arbres avec lesquelles on tresse des corbeilles. Dans cette supposition , on traduirait fravakhchaêna par « fait «d'osier.» Cependant, quelque vraisemblable que paraisse cette explication, l'autorité de la tradition des Parses, reproduite par Anquetil, m'engage à me

yavatâili. Les mss. varient considérablement sur Torthographe du dernier mot: l'édit. de Bombay et le ii S. ont ayaojdaya; le Ven- didad Sade, ayaojdaya; le i F., ayaojdyân, et le v S.^yaojdyàn.

' Zend Avesta, i. I, ii* part,, p. 329.

"^ Vendidad Sade, p, 208; Zend Avesta. t. I, 11' part., p. 3i5, note 4.

4.

52 JOURNAL ASIATIQUE,

l'approcher du sons qu'il propose, et à conserver à fravâkhchaéna la signification de fait de plomb, si- gnification que possède vraisemblablement ce mot en vertu du principe, assez obscur d'ailleurs, qui du radical sanscrit vrït/Zi (croître) tire vardhra ou vardha, un des noms du plomb'. En effet, l'ana- logie de formation du zend fravâkhcha et du sanscrit vardhra est complète, puisque le teVme zend dérive du radical vakhch qui a, comme le sanscrit vridh, le sens de croître. Les autres adjectifs sont plus faciles à expliquer : zemaênis signifie faites de terre, et drvaênisy dont Anquetil a donné cette traduction singulière : « faite de poussière d'arbre , » doit se rendre littéralement par «venant d'un arbre; » mais je crois pouvoir prendre dru comme le nom de ce qu'on tire des arbres, c'est-à-dire du bois. Enfin, il reste le mot principal, yavatâitê, dont j'ai donné dans une note les diverses orthographes. Ici An- quetil renonce à la sobriété de ses précédentes traductions [toujours, jamais), pour adopter l'ex- pression «jusqu'à la fin des siècles. » Je ne vois pas de raison pour abandonner la traduction que m'a fournie l'analyse grammaticale, celle de pour tou- jours, à jamais; je traduis donc le texte dont je viens d'analyser les divers termes, de la manière suivante : «Alors, si elle est de terre, de bois ou «de plomb, elle est à jamais incapable d'être pu- «rifiée. ))

' ÀmaraJtôcha, p. 237, éd. Colebrooke; Wilson, Sanscr. Dict. au mot varddha.

JUILLET 1840. 53

CATALOGUE

Des manuscrits malays appartenant à la Bibliothèque de la Société royale asiatique de Londres (Royal Asiatic Society of Great-Britain and Ireland), par M. Ed. Dulaurier.

Le public savant, auquel ces pages s'adressent, excusera sans doute l'imperfection du travail qui en forme l'objet, lorsqu'il saura les circonstances dans lesquelles furent recueillis les documents qui le composent. Chargé de recherches archéologiques et littéraires, en Angleterre, il me restait, après avoir rempli la mission qui m'avait été confiée, quelques heures dont je pouvais disposer avant de quitter le sol britannique; j'en profitai pour trans- crire les titres des manuscrits malays et javanais que possède la Société royale asiatique , me promettant bien de revenir un jour examiner à loisir cette riche collection, sont consignées les notions les plus précieuses sur l'histoire , sur les institutions religieu- ses , sur la littérature , sur les productions naturelles d'une partie du monde encore si peu connue parmi nous, et qui mérite tant de l'être ^

' Ce vœu que je formais à l'époque de la rédaction de mon article s'est aujourd'hui réalisé. Pendant qu'on le composait à l'Imprimerie royale, M. le Président du Conseil, ministre des affaires étrangères, et M. le ministre de l'instruction publique m'ont chargé de la mis- sion d'aller visiter les belles collections malayes de la Société royale asiatique de Londres et de King's collège.

54 JOUHNAL ASIATIQUE.

Il sulTit d une simple lecture du catalogue re- tracé ci-dessous , pour voir tout ce qu'il y a d'inexact dans le jugement qu'a porte, sur la littérature ma- laye, l'un de nos collaborateurs les plus distingués par son érudition, et que la Société a eu le malheur de perdre encore fort jeune; je veux parler de M. Jacquet. Dans un article inséré aux mois de fé- vrier et de mai i832, article qui, sous le titre de Bibliothèque malaye^ offre, avec de nombreuses ad- ditions, une reproduction en français du catalogue de livres malays, de Werndly ^; M. Jacquet a signalé dans la littérature malaye ce qu'il appelle les formes timides et rétrécies de ses conceptions, et celles non moins exiguës des volumes qui les renferment. Il n'est pas besoin sans doute de dire que ce savant orientaliste n'eut jamais émis une pareille assertion en présence des in-folios énormes qui existent dans la collection malaye de la Société asiatique de Londres, et la nature si variée des ouvrages dont elle se compose. Encore même cette collection peut-elle être considérée comme ne reproduisant guère que cette partie de la littérature malaye qui est cultivée à Java, tandis que celle de M. W. Mars- den, déposée à King's Collège, représente, suivant la remarque très-juste de M. Jacquet, l'île de Su- matra. La mienne , formée par les soins de M. Hutt- mann à Malaca, comprend plus spécialement les ou- vrages que Ton peut se procurer dans la péninsule -tînt lii '

' Maleische Sprachhunst, Amsterdam, i73fi, in-8^

JUILLET 1840. 55

malaye; je me propose de la faire connaître plus tard par une notice détaillée.

Les titres des ouvrages énumerés dans la liste suivante ont été publiés déjà, en partie, par M. Jac- quet dans sa Bibliothèque malaye; mais, comme ia plupart de ces titres ne lui avaient été communiqués que d'une manière inexacte ou incomplète , et que , par conséquent, ses traductions ont se ressentir de ce défaut de renseignements, j'ose croire que mon travail paraîtra encore neuf après le sien.

La nomenclature que je donne ici, ainsi que celles publiées par Valentyn\ Werndly ^, le D"* Ley- den', W. Marsden^ et M. Jacquet^, est sans doute beaucoup trop incomplète pour permettre de juger du haut intérêt qui s'attache à la connaissance du malay; mais du moins elle suffira à prouver que cette langue possède une littérature qui mérite de fixer l'attention et les études des érudits comme celle des hommes de goût.

D'autres considérations en recommandent l'é- tude; je ne puis que les indiquer pour le moment, en quelques mots. Dans ses applications à la marine et au commerce, le malay présente, suivant le té- moignage de fun de nos plus savants navigateurs,

* Dans les liiflférentes parties de sa Description de Tarchipel asia- tique, 4 vol. in-fol. Amsterdam, 1724.

^ Maleische Spiachkunst.

' On. ihe langua(je and iiteratare of the indo-chin€se nations; Asiatic Researches, t. X, p. i56.

' Bibliotheca Marsdeniana. in- 4°. Jonmal asiatique , février et mars i832.

56 JOURNAL ASIATIQUE.

M. de Freycinet, dont l'autorité ici a d'autant plus de poids qu'il a voyagé longtemps dans les pays on le parle , le malay présente un caractère d'utilité pratique incontestable. Il règne dans toute la mer des Indes, et il n'est point parlé comme idiome national , il est employé de la même manière que la langue franque dans les Echelles du Levant, comme moyen de communication dans toutes les transactions commerciales ^ La famille des dialectes qui en dé- rivent et dont il est la clef étend ses limites, comme cela est prouvé aujourd'hui , jusqu'aux dernières îles du grand océan , embrassant dans cette immense circonscription la plus étendue des cinq parties du monde ^. De quelle utilité ne serait pas pour notre navigation au long cours l'explication des termes de marine dont ces idiomes fourmillent, la connais- sance des notions de géographie qui se trouvent dans les livres malay s et javanais !

Le lecteur me saura gré sans doute de lui com- muniquer la note suivante , que je dois à l'obligeance de l'illustre académicien dont je viens d'invoquer le témoignage :

^ Leyden nous explique la raison pour laquelle Je malay est de- venu la langue générale dans les mers de l'orient: oThe malayu «language is exlremely well fitted for being a Unguafranca, or ge- « neral médium of communication among the eastern isles , by the «smoothness and sweetness of its tone, and the simplicity of its « structure and construction. » On the lanjuages and literature . etc. p. 175.

' Voyez les savantes recherches de M. Dumont d'Urvillc, Voyage de l'Astrolabe, Philologie ; Paris , 1 833 , in-8°.

JUILLET 1840. 57

« Ayant navigué à diverses époques dans les pa- « rages lointains l'on parle la langue malaise \ j'ai « pu me convaincre que cette langue est pratiquée «depuis le cap de Bonne-Espérance jusques et com- « pris la Nouvel 'î-Guinée , dans un espace de plus (( de 1 1 o degrés en longitude , et que seule elle suffit « pour se faire parfaitement entendre et établir toutes «les relations désirables avec les naturels des îles «indiennes Timor, Ombay, Solor, Flores, Java, Su- «matra, Bornéo, les Moluques, Banda, Amboine, «Célèbes, etc.

« Dans ma navigation au milieu des îles peu fré- « quentées de Guébé , qui nourrissent le muscadier, «de Rawaïk, Vaigiou, qui se rattachent à la Nou- « velle-Guinée , terre encore vierge, le malais m'a «toujours bien servi pour toutes mes relations, et «même pour me procurer des renseignements sur «les parties je ne pouvais pénétrer.

(( A Madagascar, les dialectes qui s'y parlent sont « dérivés du malais , et Ton peut en dire autant des «langues sandwichiennes , de Tahiti, etc. dans le «grand océan, ainsi que de celles de la Nouvelle- «Zélande, île si intéressante aujourd'hui par ce lin « fameux, le phormittm tenax, qu'elles produisent, et « qui formant une des branches les plus importantes

' M. de Freycinet, en écrivant malais, malaise, suit lorthographe ia plus généralement reçue. Je me suis conformé à celle déjà adoptée dans le Journal asiatique, et employée par M. Jacquet dans ses divers mémoires.

58 JOURNAL ASIATIQUE.

« du commerce anglais , commence à fixer aussi les « regards de nos spéculateurs ' .

« Je ne crains donc pas d'avancer ici que la pro- upagation parmi nous de la langue malaise, écrite n en caractères romains et à laquelle on rattacherait (des idiomes polynésiens, serait un des services les «plus éminents qu'on pût rendre au commerce et « à la navigation des mers orientales ^. »

Nos grands établissements industriels de la Nor-

* Le témoignage de M. de Freycinet sur rimmense étendue de l'espace le malay est en usage vient à l'appui de ce que dit W. Marsden sur le même sujet : «The malay language is a branch «or dialect of the widely extended language, prevailing tbroughout « ihe islands of the archipelago, to which it gives names (which may fbe understood to comprehend the Sunda, Philippine and Molucca « islands) , and those of the south sea, comprehending between Ma- « dagascar on the one hand and Easter Island on the other, both t inclusive, the space of full 200 degrees of longitude. » Àsiat. Research, loc. cit. t. IV -, cf. VArcheelogia du môme auteur.

Valentyn rend le même témoignage de l'universalité du malay dans les pays indo-chinois. Voici comme il trace les limites de celte langue: «Van het Koniugkryk Pegu af, langs de geheele Maleytsche *kust, tôt in Siam, Cambodia, Sumatra, Java, Bornéo, Celebes, tôt «in aile de Oostersche Eyland en van Indien, ja zelfs tôt in de Phi- «lippines, doorgebrooken, en van een algemeyn gebruyk of byna « even eens, als de latynsche of fransche taal in Europa geworden is. » BcscJiryviny van Amhoina, t. II, p. 2 44.

* C'est dans des vues semblables que M. Roorda van Eysinga, professeur de malay à l'Académie royale militaire de Breda, a pu- blié, pour l'usage de ses compatriotes qui se livrent au commerce et à la navigation des mers de l'Inde, un vocabulaire manuel malay vulgaire, sous le titre de : Noodzahelijk handboeh der laay Maleische taal, in-18; Kampen, chez Van Hulst, 1837.

Notre commerce maritime attend une semblable publication, dont l'utilité est reconnue par toutes les personnes qui ont voyagé dans les parages se parle le raalay.

JUILLET 1840. 59

mandie et de l'Alsace tendent, depuis plusieurs années , à s'ouvrir dans ces contrées des débouchés qui pourront devenir de plus en plus considérables. Parmi nos villes manufacturières, je citerai Mulhouse et Sainte-Marie qui exportent annuellement, tant par Marseille , Bordeaux, le Havre , que par Rotterdam , plusieurs milliers de pièces de toiles peintes, de calicots et de filés. Quel immense développement la plus fé- conde industrie des temps modernes, celle des co- tons, n'est pas appelée à prendre dans des pays dont tous les habitants, hommes et femmes, vont vêtus de tissus de cette matière ! En retour, les îles aux épices ont à nous offrir leurs précieuses productions , qui figurent depuis la plus haute antiquité parmi les ob- jets les plus lucratifs du négoce européen. On sait avec quels soins jaloux fut toujours cultivée cette branche de commerce par les peuples qui en étaient les maîtres et qu'elle enrichissait. Il appartient à la France de prendre un rang digne d'elle dans ces marchés d'où la Hollande chassa le Portugal, et dont l'Angleterre s'efforce avec son habileté ordi- naire de saisir le monopole ^ . Pour connaître toute

* M. le maréchal duc de Dalmatie, lorsqu'il était président du conseil, avait conçu la pensée vraiment nationale d'étendre le com- merce français dans cette partie du monde, sentant avec raison qu un immense avenir l'y attend. C'est dans les mêmes vues que plusieurs de nos premiers armateurs de Bordeaux et de Nantes ont fuvoyé, dans ces parages, des expéditions entreprises à leurs frais. VIM- Hippolyte Raba etBalguerie Bordeaux, MM. Toché, Noguet et Arnous-Rivière de Nantes , ont armé le navire le Cotnle de Pùris destiné à transporter une colonie dans la petite île de Bancks qui fait partie de la Nouvelle Zélande, et dont la propriété a été acquise

ÔO JOURNAL ASIATIQUE.

l'importance de nos relations commerciales avec cette partie de l'orient et ce qu'elles pom^raient de- venire , il suffît de consulter les documents officiels publiés par l'administration des douanes et les sta- tistiques du ministère du commerce ^ Dans l'état actuel de ces relations et dans l'avenir immense qui leur est réservé, on conçoit tout l'intérêt qui s'at- tache à la connaissance d'un idiome sans lequel on ne parviendra jamais à acquérir des notions exactes sur les ressources des pays il est en usage, sur | ceux de leurs besoins qui y appellent d'une manière plus particulière tels ou tels produits de notre in- dustrie nationale.

Les services que le malay est appelé à rendre aux investigations de la philologie comparée et à la | science ethnographique ont déjà été signalés par \ d'excellents esprits. Quoique devant beaucoup aux idiomes de l'Inde, il a néanmoins sa physionomie propre, ses origines à lui, qui le relient à la gran4e famille des langues polynésiennes, dont il est un des rameaux les plus féconds et les plus étendus. Le docteur Leyden 2, S. Rallies ^, Guillaume de Hum-

par les armateurs de ceUe expédition. [Journal des Débats, aS mai i8lio.)

' Tableau général des importations et exportations de 1826 à i836, publié par Tadministration des douanes , et les Statistiques du com- merce général de la France pour la môme époque, publiées par le Ministère du commerce. In-folio.

* On the languages and literature of the indo-chinese nations, by J. Leyden, M. D. Asiatic Res. t. X, p. lôg.

' History of Java. On the malaju nations; Asiatic Res. t. XII, p. 102.

JUILLET 1840. 61

boldt \ ont déjà cherché à fixer les limites dans lesquelles s'exerça l'influence du sanscrit sur le sys- tème de ces langues et celle de la civilisation hin- doue sur le monde maritime ^>

Mais c'est dans l'île de Java cette action de l'indianisme se manifeste dans toute sa puissance et son intensité. Le kawi, qui était autrefois la langue littéraire et liturgique de cette île, sur dix mots en contient neuf d'origine sanscrite, et qui sont moins altérés que ceux que nous offre le pâli, tel que nous le connaissons aujourd'hui^. A côté du kawi, mais de formation comparativement récente, est le haut javanais (Basa krama), dans lequel abondent aussi les mots sanscrits; et au-dessous, sur cette échelle linguistique, se trouve le langage populaire (Basa ngaka), qui s'éloigne d'autant plus de la source hin- ^ doue et conserve plus fidèlement le type polynésien primitif, que l'on descend plus avant dans les classes de la nation vierges de tout contact étranger. .

Le malay a reçu, lui aussi, l'action fécondante ou régénératrice du sanscrit; il lui doit un grand nombre de mots qui rappellent des idées morales ou intellec- tuelles, une foule de termes de la langue religieuse ^.

* Uber die hawi Sprache auf der Insel Java , von Wiihelm von Hum- boldt; r Band. Berlin, i836, in-4°.

' Cf. W. Marsden, On the traces of the hindu languages and lite- ratare. Asiatic Res. t. IV, p. 2 2 3.

' «Nine out of ten are of sanscrit origin, and less corrupted than ithe présent pâli of Siam and Ava appears to be.» St. Railles, History of Java, t. I, p. 367.

* D'après Leyden , le Bhâsa djawi ou malay littéral paraît dériver

62 JOURNAL ASIATIQUE.

A mesure q\ie l'on s'éloigne de Jawa, foyer de civilisation polynésienne , la connexion des dialecte* océaniques avec le sanscrit devient moins étroite et s'efface. Ce fait paraîtra dans toute son évidence, si l'on prend, par exemple, pour terme de comparaison avec les langues malaye et javanaise, le madécasse et le néozélandais , idiomes qui appartiennent évidem- ment à la même famille, quoique les pays on les parle soient situés à un intervalle immense Fun de l'autre et à une extrémité toute opposée.

En étudiant les affinités si frappantes qui existent entre les nombreux dialectes de la langue polyné- sienne , la philologie apprendra à remonter jus- qu'aux origines des peuples disséminés sur ces îles innombrables qui sèment le grand océan , et à suivre les traces de leurs migrations au travers de cette vaste étendue de mers qui occupent plus de la moitié de la surface du globe.

Ce n'est pas tout : l'histoire du monde maritime

dans son état actuel de trois branches principales. La première, qui a fourpi ie plus grand nombre de mots usuels au langage de la con- versation, peut être regardée dans Télat actuel de nos connais- sances comme originale, quoiqu'elle se lie non-seulement aux dia- lectes polynésiens (insular languages) , mais encore à plusieurs des idiomes monosyllabiques comme le birman et le t'hay: la seconde branche est le sanscrit qui a donne au nialay une quantité de mots moins considérable que la première, mais beaucoup plus grande, eu ce qui concerne du moins le langage usuel , que celle que le malay doit à l'arabe , qui est la troisième source de formation. On the languayes and litc rature oj the indo-chinese nations, p. i64. Le malay s'est encore accru des emprunts qu'il a faits aux dialectes populaires de l'Inde, au bengali, et h ceux surtout qui sont parlés sur la côte de Coromandel, au Tamoul , au Malayalam , au Telinga. Ibid, p. 1 7 1

JUILLET 1840. 63

recèle encore bien d'autres sujets d'étude curieux ou d'un haut intérêt. J'indiquerai, entre autres et d'a- bord , l'influence exercée sur la primitive civilisation du monde océanique par les doctrines du boud- dhisme, s'implantant sur les croyances brahmani- ques; et, à une époque postérieure, l'alliance des dogmes de l'Alcoran avec ces premiers éléments re- ligieux, alliance qui se montre à nous plus ou moins intime suivant les localités; en second lieu, l'action des peuples de l'archipel indien sur le mouvement commercial de l'antiquité, du moyen âge et des temps modernes; puis, et enfin, les pérégrinations maritimes dirigées vers ces contrées depuis le voyage d'Iamboule, voyage réel au fond, quoique fabuleux dans la forme des récits qui le retracent, jusqu'aux expéditions si hardies ejjsi dramatiques des Portugais au XVI® siècle, jusqu'auîfsavantes explorations des na- vigateurs français qui ont parcouru ces parages au de^nier siècle ainsi que dans le nôtre.

Il est temps que les langues polynésiennes con- sidérées non point une à une et isolément, mais ^ans l'ensemble du système dont elles font partie , prennent dans les études philologiques le rang qui leur appartient; qu'elles entrent dans le cercle au- jourd'hui agrandi de l'érudition orientale et quelles soient rattachées aux études asiatiques dont elles forment le complément obligé et naturel.

Simple dans ses formes grammaticales, claire et facile dans sa phraséologie, la langue malaye per- met, au bout d'un temps comparativement fort court

64 JOURNAL ASIATIQUE,

d'application, de lire, dans les nombreuses traduc- tions quelle possède, les grandes épopées hindoues, les chroniques et les poèmes javanais, dont l'original, pour être compris, exigerait plusieurs années d'ef- forts^. Toute une partie du monde qqi, depuis le commencement de notre siècle , et par suite des dé- couvertes dont notre marine peut revendiquer une part si glorieuse , a pris rang parmi les quatre autres parties, est restée jusqu'ici en dehors de la sphère d'activité dans laquelle se meut l'érudition euro- péenne. L'y faire entrer, tel est l'objet que l'étude des langues polynésiennes est destinée à remplir, en même temps qu'elle est appelée à satisfaire à toutes les nécessités politiques , commerciales ou littéraires que je viens de signaler.

Les numéros d'ordre dufcatalogue suivant sont ceux que portent les ouvragis qu'ils désignent dans la classification des livres et manuscrits de la So- ciété royale asiatique de Londres. Ils y forment un fonds particulier.

' Ce que je dis ici de la lecture facile des ouvrages malays ne s'applique qu à la prose ; il en est tout autrement de la poésie, dont rintelligence présente souvent de très-grandes difficultés.

JUILLET 1840. 65

COLLECTION DE SIR THOMAS STAMFORD RAFFLES , DONNEE X LA SOCIÉTÉ PAR LADY RAFFLES, SA VEUVE.

L Grand in-fol. Copie faite sur papier anglais, x^ cxj\i^ i:jyjy^ fjj<sX^ ^^j2 (jiii a^j^ *^ {jy-^i*^**' c>»«i xj 5Lj 1^^ *xJl5^(jvJJu5^ Histoire de Hang-touah, qui se montra

plein de fidélité envers son maître, et qui lui rendit les plus grands services. (Cf. B. M. AS.— B. M. add. p. 83 \)

D'après le ^"^^ '^^4^ > Hang-Touah était un des per- sonnages de distinction attachés à la cour de Sultan-Man- sour-Schah, roi de Malaca, et le plus illustre de tous par ses lumières et par sa valeur. Aussi chacun était-il habitué, ainsi que le roi, à lui donner le titre de Laksamana, qui en malay désigne l'un des grands officiers d'état, et signifie commandant en chef, amiral. Les aventures et les exploits de Hang-Touah racontés dans les Annales malayes ^ ont ce ca- ractère naïf et merveilleux qui distingue les hauts faits des paladins dans nos romans de chevalerie. (Cf. le chap. xiv, p. i6o de l'ouvrage précité; voy. encore le combat de Hang- Touah contre Hang-Castoury , ainsi que des détails curieux sur l'étiquette suivie à la cour des monarques malays , dans le chap. XVI, p. i84.)

2. In fol. ^^.^ :,) ^U- ^tXJiJ Lc-j ^ «-i^l^ {^\

* Je désigne par les deux initiales B. M. le mémoire de M. Jacquet qui a pour titre: Bibliothèque malaje. et qui a été inséré- dans les cahiers du Journal asiatique de Tannée 1882 : la première partie, n** 1 à 77, dans le cahier de février; la deuxième partie, n*" 78 à 172, dans le cahier de mars. J'indique par B. M. add. les additions k ce mémoire qui font partie du cahier de janvier i833, p. 84.

' Malay annals, translated from the malay language by the late ly Leyden, with an introduction byTh. St. Raffle». London, in-8°, ,33, .'ni>.iii^..

X. 5

66 JOURNAL ASIATÏQLE.

^^^\ {j»*j^ itM^i Cette histoire, qui a pour titre: Pandawa Dj'aya (Histoire des Pandous), se compose de quinze divisions (B. M. 133.— B. M. add. p. 84.)

Marsden traduit ^j^jS' ou (j^»3 par sillon, ligne tracée sur la terre ou le sable; il est évident que ce mot ne peut s'entendre ici que des divisions tracées entre les différentes parties d'un livre. Le Pandawa-djaya, ainsi que le Pandawa- lima et tous les ouvrages qui contiennent le récit des des- tinées de la famille des Pandous, forment un cycle de com positions prises, soit comme imilation, soit comme traduc- lion, dans le Mahabliarata. ^

On lit à la suite du titre de ce volume :

A i ^, L^

«Cette histoire, dont les récits sont très-célèbres dans les pays situés au-dessus et au-dessous du vent (l'occident et l'orient) , et qui a été racontée dans les livres des Maharischi et des Brahmanes» est une continuation du Pandawa-pan- dja-klima. »

^JM^y^> Cette histoire , dont le titr^ est : Hanga aria kouda nestapa, se compose de treize divisions. L'original est écrit e^^ kawi ; toutefois je ne rép^ncjlrais pas que cette traduction n'eût été faite sur junç vprsiop en j^avanais n>oderne.

^*'\i**ji^Lf*^ ff^f5foire du éojcje perroquet, composée de treize divisions. V. B. M. ao.

JUILLET 1840. m

^ 5 et 11. Mince in-fol. ^^yi j^\:> U-j ^ «■^^i^^»- {^\ Cette histoire a pour titre: Dâmar Boulan, lejlamheau de la lime. Dâmar Boulan était le mari de Prabou-Kanya , prin- cesse hindoue de Majapahit, et la trente- cinquième dans l'ordre des souverains qui régnèrent à Jawa, d'après l'auto- rité des manuscrits recueillis dans la partie orientale de cette île, dans celle de Madoura (district de Soumenap), ainsi que dans l'île de Bali par Nala Kesouma , actuellement Pa- nambahan de Soumenap. (Raffles, t. II, p. 8i.)

Les aventures de Dâmar Boulan forment un des sujets favoris des wayancj ou drames javanais. [Ihid. t. I, p. SSq.)

6.

{jiéjy^s ^Um) iS^yi ^^ ^i yJiS) ^ ^JCiZ C:Ao\^ah. /yjî

Cette histoire j qui a pour titre: Schéïvwe'l-Kamar, renferme vingt et une divisions.

7. In-fol. Ce manuscrit contient quatre poëmes réunis. Voici leurs tilres :

^ >Uw i*XwAj jjttu Poème de Bida Sâri. L'hétoîne de ce roman poétique , qui se compose de six mille vers , était la fiUe du roi de iC»Ui.

/y-fÉ>yb.^JU^3 yjtM^i Poème de Kéni Tambouhan. On peut voir, dans la Praxis qui termine la grammaire de Marsden , des fragments de cette simple et pathétique histoire. Elle suffirait seule pour donner la plus haute idée du mérite littéraire des compositions malayes.

L'auteur de Notre-Dame de Paris , si riche lui-même de ses propres inspirations, n'a pas dédaigné d'en emprunter plusieurs à la muse malaye. C'est un Pantoun traduit presque mot pour mot, que cette délicieuse pièce de vers qui se trouve dans les Orientales :

Les papillons voltigent vers la mer Qui du corail baigne la longue chaîne: Depuis longtemps mon cœur sent de la peine , Depuis longtemps j'ai le cœur bien amer, etc.

3" îj-juç /jio^ j-"^ Poème d'Ikan Tambra.

5.

\

68 JOURNAL ASIATIQUE.

8 el 17. j-j^L« (j*.l4J (^^xis^^-^-Jï \J^^^**^? c^US'Livre rfu jardin des sultans, en langue malaye.

9, 37 el 55. Infol. LjlS jJOÎ Indra Poutra. (B. M. i8. B. M. add. p. 88.)

10. B. M. 147. j:> JLjly» ^j\^ ^, (js*^^*^?:^ j^5^ ^JÀ:> Hy^ ^Ip (jjj*>Jl ^^J**,:>^' (j'dalw f^yM «i):>U *X*

<ySj^ j^\ma ^jjiltXifti» ^jÂÂi (jwl^jS' JJk-u. ji jivUi fj\^

A i Akk,j:ij:iS^ ^\:> rj^0t»i ôj^l yi^j^^ ^jjJCulS^Lc

« Arlicle du traité qui est intervenu dernièrement de la part « du Padouka Sri Sultan Hassan eddin Carayng Gouwah , ainsi « que de tous les radjas du pays de Mangkassar, d'un côté ; et «de la part de Cornélius Spielman, ancien gouverneur de la «côte de Coromandel, commissaire de toutes les Moluques, «capitaine de la mer (amiral), commandant des forces de «la Compagnie (hollandaise) devant Mangkassar, au nom du « capitaine Moor et des principaux habitants de Djakalra, du « côté de la Compagnie. »

C'est le traité qui eut lieu entre le radja de Mangkassar et Tamiral Spielman, après la campagne que celui ci dirigea contre le prince malay, et qui fut si désastreuse pour ce der- nier. L'histoire de cette expédition a été retracée dans le poème malay intitulé : ôrang Batawi. Cf. n" 78.

On sait que Djakatra, dans l'île de Jawa, est la ville sur l'emplacement de laquelle Batavia a été bâtie en 1629.

- 12. Infol. ordinaire. ^|«Xjt-5 U^ Lc^ ^ owUCa- ^^\ Cette histoire est intitulée : Brama Sckaédan.

JUILLET 1840. 69

14. In-fol. très -épais. lôjS^èjla. Kjèj^ ^ ^^^S^ {^^ Histoire nommée Tcharang kounia. Cf. Catal. Werndiy, et Jacquet, B. M. ^9 , ce nom est écrit /j>_jjXftwr^ Tcharang holina.

15. Uj^ Uto xj oo\X»- /wjÎ Histoire intitulée : Bouma. L'histoire du maharadja Bouma, de Pourichou Nikassan, est, suivant Leyden, un récit de la dispute survenue entre Brahma et Vischnou , et la traduction d'un ouvrage kling (ta- moul ) , composé par l'auteur dramatique Murigakarta Nigara (dissert.précitée,p. 178).

16. j^*L» çtyjJ\ c:aoIX5»- /ol Ceci est l'histoire de Isma Vor-

phelin. (B. M. i4. B. M. add. p. 89.) Voyez l'analyse de cet ouvrage dans le tome X des Mémoires de la Société de Batavia , par M. Roorda van Eysinga : Verhandeling over het Maleisch werk getiteld Hhikajat Isma Jâtiem.

Le texfe malay du Isma latym a été publié par le même savant à Batavia en 182 1. M. Jacquet en a donné le titre qu'il n'a accompagné d'aucune traduction; je supplée à cette la- cune: «Histoire de Isma l'orphelin, ou règlements concer- « nanties princes, les ministres et les officiers publics, ainsi «que tous les sujets. Ouvrage composé par Ismayl , revu « avec soin et rectifié dans ses divisions par M. Roorda vah «Eysinga. Imprimé à Batavia, à l'Imprimerie royale holian- «daise, l'an de l'hégyre 1287 (1827). »

18. (jMjy^ /jXçv^Nw :i\ Y ^U J^-ol bo^j.^ l:^À>>s^ ç^\ Ce livre contient des récits sur l'origine des rois; il se compose de neuf divisions.

Une des parties de l'ouvrage commence ainsi : j tj^.^

(^Le c5>> j-6^ ^^^} fi^ (Sy^ " ^^4i^ ^^^™ ^^^^^ •' de raconter ces histoires du temps passé ; la capitale de ses ' états portait le nom de Schaher Nawi. »

/^

QO JOURNAL ASIATIQUE.

19, 20 el 51. In-fol. :,^^U ^b U^ 5, «S?iXa^ ^^t J^XJti ^i :>\ (^jUwî C^'/e histoire, qui a poar titre : Ddlang Pangouda Asmâry, se compose de deux parties.

^ 21. Infol. énonne. ^:» ^ ^^X^ Lc^ ^ ^-i*-»^^ (^î ^^>JL^t *Xâ Cette histoire a pour titre: Pandawa lima, d'après l'original d'an elle est traduite. (B. M. 24. B. M. add. p. 8/1.)

22. Gros in-fol. ^^t ^j ^^y^ Lj^ ^ os>l^ (j^l Histoire de Sri Rama. C'est la version malaye du Ramayana. Marsden en a inséré quelques extraits dans la Praxis qui se trouve à la fin de sa Grammaire malaye. [A dictionary and grammar of the malayan language, London, in-V, 1812 p. 169 et suiv.)

f^:>\ ij^jy-^-> A-iy» j^ OVy^' (^^ ^^'^^ histoire est inti- tulée : Tchekel waning pâty, et le nombre de ses divisions est de vingt-sept. C'est la traduction de l'une des parties du grand ouvrage javanais moderne nommé Angréné. V. 65. (B. M. 120. B. M. add. p. 86.)

24 el 25. In-fol. ^l> «jl»:> V r^U xXumJLw Généalogie des rois du pays de Java. On lit à la suite ces mots: cxj|^C>. /yjî

y^y!yXM /wj^iAMMW AKwlMOU^ ^^JtÇVW AXxXà i:jiJ^yjL« ijJ^^tMMlM .

Cet ouvrage va depuis le rè^ne du Sousounan ^ Mangkoural jusqu'à la fin de celui du Sousounan Man<;koubouama.

Dans la table chronologique des souverains de Java qui ont régné depuis la destruction du gouvernement hindou , il existe quatre princes du nom de Mangkourat. Le premier, appelé plus ordinairement Séda Tégal Aroum , régna à Ma- tarem de 1659 ^ ^^77' second, Mangkourat, occupa le Ir^ne jusqu'à l'année 1701 ; le troisième, Sousounan Mang-

' Sonsouhounan . en javanais du dialrt te basa krama, signifie em- pereur, monarque. <Ht ^ '' ;; Toq '

JUILLB:T 1840. 71

kowat Mas, jusqu'en 1 701 ; quatrième , Sousounaii Prabou Amstfigkourat , de 1717 à 17A6. Sous le règne de ces trois derniers , le siège de l'empire était à Rerla Soura.

N'ayant pas actuellement sous les yeux le f ^\j ^V^.IUw »l>- Ajb:> ije ne puis dire auquel de ces quatre souverains com- mence cet ouvrage ni déterminer auquel des quatre souve- rains du nom de Amangkoubouama il se termine. L'empire ayant été divisé en deux parties sous le règne du sultan Pa- koubouana, le troisième de ce nom, celui-ci et son succes- seur, ont continué jusqu'à présent de régner à Kerta Soura, tandis que le sultan Amangkoubouama I" alla s'établir à Yougia Kerta en 1756. Le quatrième souverain de ce nom occupait le trône en 181 5. Cf. St. Raffles, History of Java, t. II, p. 23l.

Le premier volume de cette chronique se termine par la

note suivante du copiste : ^jUû ouut «Xjl^ cxj\^^ ouË 0-Ab JoL^s ^^\:> (j^-^'î <sj^^ *xjb^ J^^l ^\^ (J^y

^*^^j,tJi\ ^ j^àÀf -^VJÎi oof ^J^:>^ ojUw^!^ âyu.^»

<' (La copie de) cette histoire a été finie le quatrième jour du «mois de djoumady premier, un lundi, dans l'année 1227 « (1812). Celui qui l'a transcrite est Intchy (monsieur) Abbas « ebn-Ahmed, du quartier des Malays à Samarang, etc. » Voici la date du second volume : ^^Ltf> oJLoI «XJî^s

/O^i *i^ ^:> . « Le quatrième jour du mois de muharrem , «l'an 1229 (i8i3). »

25. (^J9>téj c;*JU ^*>wî ow\^ /ol Ceci est l'himire (h la mère de Mâlat RasTuy.

72 JOURNAL ASIATIQUE.

26. U^^M^li^^ ^ U^ ^ *^^1^ (j^^ Histoire inti-^ tnlée : Pandji Wila Kesouma^; c'est une traduction de l'une des parties de l'Angréné. Voy. n* 65.

Dans la B. M. (Zi3), ce livre porte le titre de Misa Tamon Pandji Wila Kesouma; peut-être est-ce encore le même ou- vrage qui est désigné sous le litre de Pandji Indra Wila. B. M. add. p. 86.

27 et 28. Uy^jô^] ^î:> ^U ool<=- (^î Histoire ayant pour titre : Dalang Indra Kesouma. Cf. l'Hikayat de Kesouma Indra. B. M. ii6. B. M. add. pag. 87.

29. ^jf^é*u t2)b cxjK^ Histoire de Naga Besrew. Leyden a indiqué ainsi le sujet de cette composition :

Histoire de la fille d'un roi de Daha, qui fut reléguée dans «un lac et transformée en serpent.» (Dissertation précitée, pag- 179-)

30. «x^ ^^ aLmJLaw cyjjS^ Arbre de la généalogie du prophète Mahomet.

31. oUs «Li. Histoire du schah Kohat, ou histoire de la guerre avec les singes. B. M. 11 5.

32. Y 9-^^^^ Recueil de lois. 2 vol. in-fol.

\ 33 et 34. V ^^y^^^ Recueil de lois. In-fol.

35, 68 et 80. ^^y^ c:,^. B. M. 56. Traduit par le docteur Leyden sous le titre de Malay Annals, avec une in- troduction par sir Th. St. Rallies. Composé en l'an 1021 de l'hégire (1612). Conf. St. RalHes, History of Java, tom. II, pag. 108.

' Kesoummo, noble, illustre, magnifique, en kawi.Cî. Algemeen Javaunsch en Nederduitsch TVoordenhook in de Kromo-ngoko , Moâjo en Katoische iaal, etc. door P. P. Roorrla van Eysinga, Kampcn, chmt K. van Hulsi, i835, 2 vol. in-S**.

JUILLET 1840. 73

Le fcj^JL* cy*.:^^ est un recueil de traditions historiques relatives aux radjas et aux princes des différentes parties de l'archipel indien et de la péninsule malaye. L'auteur com- mence au règne du radja Iskander (Alexandre), lils du radja Darab de Roum , originaire de Macédoine , et finit à l'arrivée des Portugais : me réservant de faire connaître plus tard ce livre, qui, bien que renferniant quelques légendes, est au fond d'un haut intérêt historique, je me bornerai, pour en donner une idée, à citer les titres de quelques-uns de ses chapitres :

Du radja de Palembang, Sur le radja du pays de Kling nommé Adi Bernilam radja Moudeliar. Du Bitara de Madjapahit. Du radja de Pasay. Récit du règne du sultan Melek el-Mansour, de Sumatra. Du radja de Siam, nommé Scheri Nawi. Relations du radja de la Chine avec celui de Malàca. Récits sur la contrée de Harou. Sur le roi des Moluques, qui s'enfuit lorsque Castela (Castille ou l'Espagne) envahit son pays. Du sultan Mohammed, radja de Pahang. Sur le radja Nizzam el-Mulk Akber- Schah, roi de Pahali dans le pays de Kling; etc. etc.

Il est fâcheux que Railles , qui connaissait si bien la géo- graphie et l'histoire des pays se passent les scènes décrites dans le^"^ <^Y^y ^it publié ce livre dans l'état d'imper- fection où Leyden l'avait laissé.

36. ^^jUw «Xjy; jjUm Poème de Bida Sari. Cf. 7.

37. Voy. n** 9.

38 et 71. aJUô ^jià AaXê» Calilah et Dimnah. B. M. 39. B. M. add. pag. 89. 'r.

39. ^^^JL^ owléa». Histoire malaye; je pense, avec M. Jacquet, que c'est le même ouvrage que le y>>KA c^j^

40. \ T. w'^ 1 V U-US-* (îY^^b ^^^^"^ ' ^^^^ ^^^^ kesoumâ.

' Radin, fils d'origine princière, en basa krama ou haut javonai».

74 JOURNAL ASIATIQUE.

U\. Wakon di Pindeh pada Bhâsa malayou.

42. r ^K j3^ o»^âx« La coaronne de tous les rois. Voy. n"* 64. Publié à Batavia par M. Roorda van Eysinga; in-4**. M. Jacquet a cité le titre inalay de cette publication sans en donner la traduction. La voici : Kitab tadj es-sela- tin, c'est-à-dire (en malay) la couronne de tous les rois, ou- vrage composé par Bokhary de Djohor, et traduit par M. Roorda van Eysynga, interprète de S. M., membre de la Société des sciences et arts de Batavia. De l'Imprimerie royale de Batavia, l'an de Thégyre i243.

43. Hikayat Pangeran ' kesuma agung *. C'est *ine tra- duction du Pandji ang'ron akang, l'une des parties de l'An- grènè. Voy. 65 '.

44. Hikayat chahut tangul, trad. du javanais. Voy. Sang yang tunggal, dans le Kanda. St. Raffles, History of Java, tom. I, pag. SyS.

45. Voy. n* 2 3.

46. ^«XÂ^ »^i CAol^^ Histoire de Dèwa Hindou,.

y 47. \j»ytS^ yj^ j*>sjî ^Jt*,lt * Mas Indra dewa kesoumâ.

' Pangngeran, prince, seigneur, dieu, en basa krama. Marsden nous apprend que c'est le titre qu'on donne dans l'île de Java , et dans les parties méridionales de Sumatra qui se rattachaient autre- fois au territoire de Bantan, à certains chefs feudataires, qui, en plusieurs endroits, sont aujourd'hui des princes indépendants. Le même nom s'applique aussi dans l'île de Java aux personnages distin- gués, qu'ils possèdent ou ne possèdent pas de fiefs. [Dictionary oj the malayan langimge, au mot /•wuiul.

' Adjoung. titre de souverain, roi, en basa krama.

' Les titres de manuscrits transcrits dans le précédent catalogiM en caractères romains, sont ceux que l'on lit en tête ou sur la cou. verture des volumes, et dont je n'ai pas eu le temp-s de vérifier la transcription malaye dans le corps des manuscrits. "*♦' Mr». tîlrr que portant les fils de familles nobles javanaises.

! JUILLET 1840. H 75

48. tX^a-. »jJt wkAxî^ Traité abrégé de r unité de Dieu^.

49. 5feeir karangan Banten. M. Jacquet a rendu ce titre par : «Poème sur la fondation de Banten. » Cette traduction n'est fondée sur rien.

50. ^ji*xJî /fluf oo\^^ Histoire de Temim el-Dari ou Tamam al-Dari, nom d'un des compagnons de Mahomet , qui fut transporté miraculeusement dans une des îles de l'Océan , il vit des choses merveilleuses ^.

51. Voy. n°' 19 et 20.

' 52. Hikayat raâja Babi. M. Jacquet lit J5a/i jL, et tra- duit « Histoire du radja de Bali. » J'adopte volontiers cette leçon.

53. 3^:> (j«L^3-ftî ocw Poëme d'Angkasa Déwa. j*^ ^Sj} Poème d'Ikan Tatnbra; c'est l'héroïne d'un roman poé- tique, que je crois d'origine javanaise. M. Jacquet a traduit, par une méprise évidente , ce titre par « Poëme du poisson. » B, M. iSa. ^ajI ys»-\ yjtMkt Poëme destiné à l'instruction des enfants. B. M. i3o.

54. yt^^^ \jj ool^C^- Histoire des Awatars de Vischnou.

' Il existe en arabe plusieurs auteurs qui ont écrit sur l'unité de Dieu. J'ignore auquel d'entre eux doit être attribuée la rédaction originale d'où a été tiré notre manuscrit 48. L'un, qui a traité de l'unité de Dieu et de ses attributs divins, a pour nom Aboubekr Mohammed ben Ischak ben Hazimeh; un second s'appelle Abou Mansour Mohammed ben Mohammed el Mathery; un troisième, qui a donné simplement à son ouvrage le titre à'El-tawhid (l'unité) , se nomme Abd el-GaCfar ben Nouh el-Koussi ; un (juatrième est Abou Hamed el-Gazali.

* Voyez sur Témim el-Dari les récits des Contes orientaux de M. de Caylus, La Haye, 1748, in-i 2, tom, I", pag. 180. La Biblio- thèque royale possède l'histoire de Temim el-Dari, en turk, avec une traduction faite par un jeune de langues. Cf. d'Herhelot, Biblinth. orient, au mot Temim d-Dari.

l

76 JOURNAL ASIATIQUE.

55. Voy. n^* 9 et 37.

56. »y^ ^^I yU)Jlj«X^ Bedr el-Zéman, file du roi Hamzah. Cf. B. M. 26. B. M. add. pag. 39.

^^ Ô7. Indra layangan,

^ 58. (XjU^^^r>- fj\:> (j^js*- 0U2 ovjI^»- Histoire du roiDjohon et de Djohor ManikamK

59. Voy. n' 38.

60.

61.

60. j^Us- j«Xj! Histoire des victoires d'Indra. B. M. 88.

62. jS^j^ ^^ fj\:> /<vL» Uwl owl^a:»- Histoire de Isma l'orphelin, (cf. n" 16.) et du prophète Bar Tchakar (?).

63. Jilft —ij I-e J?oi Juste j célébré par les poètes java- nais. Conf. Raffles, History of Java(t.l)\ traité de la versifi- cation javanaise , mètre sèkar-sepoh, variété palou-gangsal.

64. ^^jvJ^^lLwMtJI «j-b obc^ï Le livre de la couronne des sultans; même ouvrage, sous un titre arabe, que le n" /i2.

* Jowar manikam est une des pro luctions les plus estimées de la littérature javanaise moderne. L'ouvrage malay a-l-il élé traduit du javanais, ou bien celui-ci est-il une version empruntée au malay ? c'est ce que je ne saurais affirmer pour le înoment. D'après les extraits qu a donnés Raffles ( History of Java. t. I, p. SgS ) du Jowar manikam javanais, ce poème doit être jugé comme ayant un mérite littéraire très-remarquable. On en trouve une imitation abrégée dans l'histoire de 'r- ^y^ (s^^'^'' ^'" ^^^^ partie d'un manuscrit malay in-i", très-miuce, appartenant à la Bibliothèque royale. Ce manuscrit a reçu du donateur, M. Langlès, un titre évidemment inexact, Histoire du capitaine Kurgou; ce titre désigne seulement, ainsi que l'a fait remarquer avec raison M. Jacquet, le propriétaire

du livre qui s'appelait J j^^s /JUJi^s le capitaine Carlo. Mais ce dernier s'est à son tour trompé en lisant ce nom Karkou, KerrkPCf. B. M. 39.

JUILLET 1840. 77

^' 65. \y^ ystJiiiVoème ^An^rènè.

Voici les détails que nous a donnés Raffles {Uni. of Java, tom. I, pag. 392) sur l'ouvrage javanais qui porte le titre diAn^rknè. C'est un ouvrage historique qui commence avec le règne de Sri Jaya Langkara, souverain de Medang Ka- moulan et grand père du célèbre héros Pandji\ et qui se termine à la mort de ce dernier. C'est le plus long ouvrage existant dans la littérature javanaise moderne. Il renferme la partie de l'histoire de Java qui présente le plus d'intérêt, celle des temps qui précédèrent immédiatement l'introduc- tion de l'islamisme. La versification de ce poëme se com- pose des diverses variétés du mètre sekar-gangsal. Il se divise ordinairement en plusieurs parties formant chacune un pe- tit ouvrage auquel estattaché le nom de Pandji, ainsi qu'il suit:

Pandji niordanîngkung. CeslVhisioire de la partie de la vie de Pandji, pendant laquelle sa femme Sékar Tadji fut en- levée par un dieu, et le récit de ses exploits guerriers. Une portion de cet ouvrage est écrite dans le mètre sékar-sépoh (versification ancienne), et une autre dans le mètre sêkar- gangsal (versification moderne).

Pandji magat-kung. Cette partie de l'Angréné raconte l'histoire des poursuites amoureuses de Pandji.

Pandji-ang'ron akung. Récit des cérémonies du mariage de Pandji.

4' Pandji priamhada. Récit des succès et de l'issue des amours de Pandji , qui se terminent par son mariage.

5* Pandji jaya kasoama. C'est un des noms que prit notre héros lorsqu'il eut perdu sa femme Sékar Tadji. Cet ouvrage contient le récit de l'expédition qu'il entreprit contre l'île de Bali, lorsqu il l'eut retrouvée.

Pandji tchekel waning paty. Récit des exploits de la jeunesse de Pandji.

7* Pandji norowangsa. Histoire de cette partie de la vie

^ Pandji, en kawi. officier, puissant, beau jeune bomme. Titre d*un héros célèbre dans les traditions historiques javanaises.

78 JOURNAL ASIATIQUE.

de Pandji, pendant laquelle la princesse de Daha se méta- morphosa en homme.

Il est question de la princesse Angréné dans un pada ou itanze cité par Rafïles comme exemple du sckar-gangsal , l'un des cinq mètres de la poésie javanaise moderne, de la va- Hété nommée sinom sri nata ou perdapa ( History of Java , tom. I, pag. /»o4).

66. Hikayat radja Mah Mouden. Histoire du roi Mah Mou- den. B. M. io5 et 106. Cet ouvrage est sans aucun doute le même que celui dont Lçyden a donné le titre ainsi : Hi- kayat radjah Shah Murdan. De ces deux transcriptions, ïa première de Rafiles, la seconde de Leyden, j'ignore quelle est celle qui doit être conservée, n'ayant pour le moment aucun moyen d'en vérifier l'exactitude. '

67. ^^Lâ ^U ocjfeC:^ Histoire du roi de Pasay. Pasay, capitale d'un état autrefois très^puissanl , est situé

sur la côte septentrionale de l'île de Sumatra, non loin d'A- tcheh. Sultan Malek el-Salih en fut le fondateur, et son fils Malek el-Dhaher le premieç roi, suivant les Annales malayes (pag. 71). On peut voir ce que j'ai rapporté, d'après les écri- vains portugais , des relations qui existèrent entre les sou- verains d'Atcheh et ceux de Pasay (Pasem).

68. Voy. n"* 35 et 80.

69. Vj.,^ è^j^\ jJCw JoiS' Jouit ljI Le chapitre de la sagesse, adressé aux grands. B, M. iSg.

C'est sans doute le nom de l'un des chapitres de Tou- vrage ; peut-être même du premier, qui aurait ainsi servi k désigner ce manuscrit.

70. /^jl*jl /jljUo Le jardin des savants, c'est-à-dire de ceux qui possèdent la connaissance réelle des choses , r) yvœaris.

Hadji-Khalfa, dans son Dictionnaire bibliographique et encyclopédique, a mentionné deux ouvrages qui portent le

JUILLET 1840. 79

titre de ^jjUiî yU**^ « Le premier, composé par le «scheikliTImam le jurisconsulte Abou'ileits ben Moham- « med, de Samarkande, hanéfite, mort dans l'année 87 5. Le 1 second, composé par l'imam Mouhy eddin Yahya ben « Schéréf, de Nawa^ le schaféyte , mort en l'année 676'. »

72. Jfc^JI oU^j Ce livre de l'envoyé de Dieu, c'est-à- dire, le Prophète. B. M. i4o.

73. Voy. à.

74 et 75. t- ^«XJji Code de lois. In-4'.

76. ^wKjiUi r ^j aKmJ^ ^^J*^ Histoire généalogique des rois de Mangkassar (Macassar).

^ 77. r 9-^^^^ Code de lois. In-4**.

78. ^jUô pj^^j*^ Poëme des Hollandais. In-d°.

C'est le même ouvrage qui, dans la B. M. 77, porte, d'a- près Marsden, le titre de /w^^ (^jsÂà» pantoun (poëme) de Spielman. Il contient la description de la conquête de l'île Mangkassar (Macassar) par les forces combinées des Hollan- dais, des habitants de Bali et des Boughis, sous le com- mandement de l'amiral Cornélius Spielman et du radja Palaka en l'année 1667'; l'auteur est Intchy Amboun. (Cf. Mars- den , Biblioth. Marsden. )

^ Nawa , ville de Syrie aux environs de Damas. Cf. Aboulféda , Géographie, texte arabe , p. a 53 de rédition donnée par MM. Reinaud et de Slane.

' Manuscrit arabe n' 675. ancien fonds, Bibliothèque royale.

* L'énumération des forces qui concoururent à cette expédition se trouve au commencement de ce poëme :

I

80 JOURNAL ASIATIQUE.

M. Jacquet à lorl a fait deux ouvrages séparés (B. M. 77 et 173) de ce qui n'en forme qu'un seul, sous deux titres différents. C'est ce que je puis affirmer, après avoir com- paré le poème de Spielman, qui est conservé, ainsi que tous les livres de VV. Marsden , dans la Bibliolheca Marsde- niana de King's Collège à Londres, avec le Shéir orang Ba- tawi, dont je possède une copie et qui fait parlie des livres que St. Rafllcs a donnés à la Société royale asiatique.

79. j,KtêtJ3 (JI) oU^>. Traduction interlinéaire de l'Al- coran avec le texte arabe au-dessus de chaque ligne. C'est la forme ordinaire de ces sortes d'ouvrages, tels qu'on les trouve dans toutes les parties de l'archipel indien l'islamisme est professé, ainsi qu'à Madagascar. La Bibliothèque du roi pos- sède plusieurs manuscrits écrits sur des feuilles de palmier, et regardés jusqu'ici comme étant d'origine madécasse. Le

J^ ^ :>\ ^b ^ 2>

«Le général commandait à des hommes de toute sOrte , ainsi qu'à ia milice «de Baly et des Boughis ; tons avaient répondu à l'appel de guerre, les «grands comme les gens des classes inférieures, les riches comme les pauyres. «Chaque chef du pays avait levé des troupes dans les pays soumis à sa donii- u nation , et tous avaient fourni leur contingent , les uns plus , les autres «moins ; leur réunion formait une armée innombrable. »

JUILLET 1840. 81

texte arabe y est tracé d'une manière très-élégante et accom- pagné d'une version interlinéaire. Le mérite calligraphique de ces manuscrits m'aurait fait penser qu'ils ne pouvaient être de Madagascar, qui n'a fourni jusqu'ici que des manus- crits écrits en . caractères arabes très-grossiers, lors même que la présence de ^ , articulation étrangère à la langue madécasse, n'aurait pas exclu toute idée d'une semblable provenance. Ces soupçons se sont pleinement confirmés lors- qu'à un examen plus attentif j'ai découvert que la version interiinéaire est en javanais écrit avec des caractères arabes. Suivant St. Raffles , les Musulmans de Java se servent quel- quefois des caractères arabes pour transcrire les livres qui ont pour objet des matières religieuses, et ces sortes d'ou- vrages, ajoute le savant anglais, sont assez rares. Au nom- bre de ceux que possède la Bibliothèque royale , est l'ouvrage intitulé /jLc-i^i loj^- Je ferai connaître dans un article spé- cial ces manuscrits et le dialecte javanais dans lequel ils sont écrits.

80. Voy. n" 35 et 68.

COLLECTION DE M. LE COLONEL FARQUHAR, OFFERTE A LA SOCIÉTÉ ROYALE ASIATIQUE LE 3 NOVEMBRE 1827.

1- iJsjXuiÎ /jUaJUw ^>-s»« Histoire du sultan Alexandre. Quatre exemplaires, dont trois sont de format in-4° et un de format in-8°. C'est une de ces histoires d'Alexandre si ré- pandues dans l'Orient.

2. ufj^ ^\j ^\ ^ JOïXawÎ «.Ij <^i^îl^ Histoire du radja Alexandre, fils du radja Foraè (Darius). In-4°.

3. l A.,v^ (:)-^^ hrh^ o<jJ^\ '^^■j'^ (j^^ ^^^^ ^^^ '^

récit des guerres soutenues par les Hollandais contre les Chinois. Poème formant un épais volume in-4'.

X. 6

ai JOURNAL ASIATIQUE.

y 5. k^^X^ ^j^ Annales malayes. Voy. n" .^5 , 68 el 8o , coHecl. Railles.

6. ocw. Poëme snns titre. En voici le premier sloka :

U3y ' ^3 -* cr '^ ^. y^^^

(j^^ M- % :«? ^^J\ ^y^ ^))

7. ucmI- Autre poëme, dont il existe deux exemplaires, également sans titre. Je donne ici le premier sloka :

l =»-j d ^^i:> ^y » J. -»f >iU-k«i

8. Traité de théologie scholastique, contenant un exposé des dogmes de la secte schaféyte, par Mohammed Zéîr, fils de Djélal-eddin , d'Atcheh (dans l'île de Sumatra); offert le U juillet i832 par M. le colonel Colebrooke, qui l'avait reçu du sultan de Paleiibang*.

A cette nomenclature j'ajouterai le titre d'un ouvrage malay publié à Londres en 182 1, el dont M. Jacquet a donné

' Sous le titre de /ytiUw c^ljC^a , il existe un grand ouvrage en »5 volumes de l'imam Schafey, chef d'une des quatre sectes ortho- doxes de l'islamisme, dans lequel ses sentiments, qui ont été et qui sont encore aujourd'hui suivis par ceux de sa secte, sont expliqués fort au long. Il l'a composé en F^gypte. Cf. d'Herhclnt, Biblioth. orient, au mot Ketab Schaj'ti.

JUILLET 1840. 83

déjà le titre anglais (B. M. 78) : -4 code ofLaws, as estahlished hy the Pangerans court at Fort-Marlborough , collected by H. R. Lewis. In-li". Voici le titre malay :

^:> ^\j ^^t S^ <^:? y^"^ «2Jls€J cy:>lfi r ^«Xj^t fjS^XAs^ :> ^ \j,aX^ t^^^s J^«^5jb i^j^ /oJî^ <JW**

« Lois , coutumes et constitutions malayes , adoptées par les « radja de concert avec les chefs de service public dans le ter- «ritoire de Bangkawl (Bencoulen), au Fort-Marlborough , et « approuvées par H. R. Lewis , esquire. »

LETTRE

Sur la géographie de l'Arabie, par M. Fulgence Fresnei,.

A M. LE RÉDACTEUR DU JOURNAL ASIATIQUE.

Suez, 20 mai iSSg.

Monsieur,

J'ai profité de l'occasion qui m'a été offerte der- nièrement pour ajouter quelques observïitions à mes premiers essais de géographie ancienne. B y a déjà longtemps que mes idées sont tournées de ce côté, et, en attendant que les circonstances me permettent de continuer mon travail sur la langue hhimyarique, je vous prie de vouloir bien insérer

6.

84 JOURNAL ASIATIQUE.

dans votre journal mes dernières remarques sur

quelques points de la géographie gréco-romaine de

l'Arabie.

Le principal objet de ce mémoire est la déter- mination du lieu s'arrêta l'invasion des Romains en Arabie, sous le commandement d'^Elius Gallus.

A part les fables d' Agatharchide , et son Eldorado, qui n'est, après tout, que l'exagération d'un fait très-réel , l'opulence des Sabéens , il est certain que les anciens connaissaient beaucoup mieux que nous l'intérieure de l'Arabie heureuse, au moins de toute la région comprise entre Oman et le Yaman occi- dental. Par exemple, nous savons aujourd'hui qu'ils avaient entendu parler du puits de Barhôt (Bara- hoût), les âmes prédestinées à l'enfer attendent le jugement dernier dans une atmosphère fétide, car ie Stygis aquœ fons de Ptolémée correspond exacte- ment, de notion et de position, avec le puits dont me parlaient à Djeddah mes amis du Hhadramaut (II" lettre sur l'hist. des Arabes, p. i5). Or, je ne sache pas que l'existence de cette source infernale ait été révélée aux modernes avant la publication de la lettre que j'écrivais de Djeddah à M. Jules Mohl, en i838. Comme les anciens étaient merveilleuse- ment prompts à saisir les moindres analogies, et que le Styx appelait Minos et Rhadamanthe , Pline ne manque pas de nous avertir, dans sa description de l'Arabie (lib. VI, vol. II, p. 728,729, edit. Lip- siae , 1778), que les Minœi et les Rliadamei , peuples du Yaman , descendaient en lignes directe ( ut exis-

JUILLET 1840. 85

timant) des deux frères Cretois. Ainsi les touristes qui ont visité le Styx de la Campanie , dans le royaume de Naples , ensuite le Styx d'Arcadie , dans le Péloponnèse , n'ont point encore complété leur tour classique; il leur reste à visiter le Styx des Mi- néens ou des Rliadamei , le plus ancien des trois , dans l'Arabie heureuse.

Les leçons varient pour le nom du second peuple [Rhadamei), qui se lit encore Rhamnei et Rhammeiy et que j'identifie avec les Rhamanites dont parle Strabon (lib. XVI, p. 1 128, edit. Amstel. 1707) à propos de l'expédition d'^^lius Gallus, et dont il nomme la ville Marsyahœ. Ce fut, selon son rapport, la dernière, sans doute, la plus méridionale de villes attaquées par le général romain. Je vais plus loin , et j'identifie les Manites de Ptolémée avec les Rhamanides de Strabon.

D'abord , il me paraît impossible que la ville de Marsyabae , la dernière de celles qu'^^lius Gallus in- vestit, selon Strabon (selon Pline c'est Caripeta), et dont il fut obligé de lever le siège , ne se retrouve ni dans Pline ni dans Ptolémée. Le nombre des villes et villages dont ils nous donnent la liste est trop considérable pour qu'une cité aussi importante y ait été omise; or, il est certain que le mot Marsyabœ ou MapavaËal, tel que je viens de l'écrire, ne se ren- contre ni dans le texte de Ptolémée ni dans celui de Pline. Nous sommes donc réduit à chercher dans ces auteurs un nom approchant de Marsyahœ.

Ainsi que je viens de le dire, Strabon parle de

86 JOURNAL ASIATIQUE.

Marsyabœ à l'occasion de rexpédition d'^f^ius Gal- ius; et ce nom, ainsi écrit, ne se revoit plus dans son texte : c'est un êl-ira^ T^eySfisvov ; mais Pline dit aussi quelques mots de cette expédition, et nous donne une liste des villes arabes attaquées, et, s'il faut l'en croire, démantelées par le général romain. Vers la fin de cette liste, au pénultième rang , figure la ville de Mariaba ou Mariba. Pline, ayant fait men- tion ailleurs de trois villes du même nom , nous avertit ici que celle qu'il a en vue est « la Mariaba de six mille pas de circuit,» c'est-à-dire, comme l'observe le P. Hardouin, « Mariaba Calingioram, » la plus petite des trois. ( Les deux autres sont : Mariaba liRegia omnium , » capitale des Sabéens et des Atra- mites (p. 726), et Mariaba Baramalacum, ville des Minéens, de quatorze mille pas de circuit (p. j-iS-

7^9-)

Nous voici arrêtés dans le début.

S'il n'y a que « la main , » comme on dit , de Marsyabœ à Mariaba , en revanche il y a fort loin des Rhamanites de Strabon aux Calengii de Pline, et je ne trouve même pas, aux environs des Calengii, c'est-à-dire parmi les peuplades dont Pline fait men- tion immédiatement avant ou immédiatement après, un seul nom qui approche des Rhximanitœ, un seul renseignement qui puisse nous mettre sur la voie de la [vérité!

J'espère qu'on ne m'accustM a point de pédantismc, si j'ajoute ici qu'en pareil cas il n'y a de salut que dans lune idée à priori. Je me suis dit: F^a peuplade

JUILLET 1840. 87

qjii^ seule d'entre toutes les tribus arabes, a eu l'hon- neur insigne d'opposer une barrière aux Romains , barrière qu'ils n'ont point franchie , ne peut pas être une peuplade obscure; et il n'est pas probable que la ville dont ^lius Gallus fut forcé'de lever le siège au bout de six jours fût une ville du troisième ordre. Voilà donc les Calingii et leur Mariaba exclus du concours; car les Calingii ne se retrouvent ni dans Strabon, ni dans Ptolémée. Au contraire, les Rhamanites semblent avoir été connus des trois au- teurs, et nommés par eux avec de légères variantes. J'ai déjà parlé des Rhadamei ou Rhammei, ou Rham- nei que Pline fait remonter à Rhadamanthe. Voilà du moins une origine illustre; vraie ou fausse, elle prouve en faveur de la nation à laquelle on fattri- bue. La dernière leçon, Rhamnei, nous rapproche beaucoup de RJiamanitœ, en sorte que l'on peut dire que RJiamnei ou Rhamanei est la forme latine du nom de peuple, dont Rhamanitœ est la forme grec- que. Quant à Ptolémée, il n'a point les Rhamanites, mais les Manites et les Arahanites, entre lesquels il nous faudra choisir.

Voilà pour le nom de la peuplade, sur lequel nous allons revenir.

Quant au nom de la ville, j'ai déjà dit que Pline na point de Marsyahœ , mais nous offre trois Ma- riaba :

i" Mariaba Regia omnium (p. 725);

2" Mariaba Baramalacum (p. 729);

?>" Mariaba ^^alin^iorum (p. 73o).

88 JOURNAL ASIATIQUE.

Ptolémée n'a point non plus de Marsyabœ, mais nous offre une Maraba MetropoUs , par 76° long, est et 18° j lat. nord, et, en outre, une ville nommée Mariama , qui ne porte ni le titre de métropole , ni celui de Regia^ et dont il fixe la position par 78® -J- long. et 1 I lat.

Enfin Strabon a connu, outre Marsyahœ, une ville du nom de Meriaba Mep/a^a, capitale des Sabéens (lib. XVI, p. 112/1).

Il ne peut y avoir aucun doute sur l'identité de la « Maraba Metropolis » de Ptolémée avec la «Ma- riaba regia omnium » de Pline, et la u Meriaba mé- tropole des Sabéens » selon Strabon. Il n'y en pas davantage sur l'identité de cette ville avec la Marih ou Maârib des géographes arabes, dont nous con- naissons la position approximativement.

Quant à la ville [Marsyabœ) , qui fut, selon Stra- bon, la pierre d'achoppement et le terme de l'ex- pédition romaine, il est évident qu'on ne peut pas l'identifier avec la métropole. Le texte de Pline s'y oppose aussi bien que celui de Strabon. Si ^lius Gallus avait assiégé la capitale des Sabéens, Pline et Strabon n'auraient pas manqué de nous le dire.

Reste donc la Mariama de Ptolémée d'une part, et la Mariaba Baramalacam de Pline d'autre part; car nous avons exclu la Mariaba Calingiorum du même auteur. On sait que le b et Ym se permutent très-souvent en arabe : on dit i^ et icÇ , Makhah et Bdkkah (la Mecque); ^U^ et ^U» , etc. Ainsi Maria- ma et Mariaba ne sont pas deux noms différents.

JUILLET 1840. 89

Que conclure de tout cela, sinon l'identité de Marsyahœ avec Mariama, et Mariaha Baramalacum?

Mon raisonnement peut se ramener à ceci : La ville nommée dans Strabon Marsyahœ doit se re- trouver dans Pline et Ptolémée; c'est-à-dire Pline et Ptolémée ont la connaître et en parler. Or, ce nom, ainsi écrit, ne se rencontre ni dans l'un ni dans l'autre. Le nom le plus semblable à celui-là, que nous offre le texte de Pline, est Mariaba; mais cet auteur distingue trois villes de ce nom , une pe- tite, une grande et une très-grande , ou métropole. De son côté , Ptolémée nous offre les nom de Ma- raha et Mariama, et applique le premier à une mé- tropole. Mais Ptolémée est géographe, et s'il n'a inscrit dans sa géographie que deux villes du nom de Mariaba, pu d'un nom approchant, tandis que Pline en met trois dans son catalogue, il faut croire qu'il a donné les deux plus considérables. Or, nous avons vu que Marsyabee de Strabon ne peut pas être la métropole ; c'est donc la Mariama de Ptolé- mée, la seconde des Mariaba de Pline, Mariaba Baramalacum de quatorze mille pas de circuit.

Remarquons ici que la difficulté que nous avons rencontrée au début ne tient qu'à un chiffre, et que si le secrétaire de Pline, ou le copiste qui nous a transmis son texte, avait écrit XIV au lieu de VI (page ySi de notre édition), nous n'aurions pas eu besoin de nous occuper des Calingii et de leur Mariaba.

Jl nous reste à déterminer approximativement la

90 JOURNAL ASIATIQUE,

position de la ville que Strabon nomme Marsyabae probablement avec deux lettres de trop (ot>), et à faire connaissance avec le peuple qui l'habitait, si la chose est encore possible à la distance nous en sommes.

La position de cette ville est donnée par celle de la Métropole, que nous connaissons t^i peu près. On conçoit que je n'ai point égard aux longitudes et aux latitudes absolues de Plolémée; je n'ai égard qu'aux intervalles qu'elles supposent entre les différents points dont il cherche à fixer la position. Ainsi que nous l'avons dit, il donne pour Maraba Metropolis, qui est la Marib des Arabes : .; 76° long, et i8°| lat.

et pour Mariama . . 78° | et 1 y

Différence. . . . | et -^^ f ''

T)*après la carte que j'ai sous les yeux, carte pu bliée à Gotha en i835, ces différences placeraient Mariama (ou Marsyahœ), dans le pays de Yâfè, à vingt-cinq lieues environ au nord de Hhissn Ghorâb

c_>l^ (j^k^a^ ou de i^ -wj^.^ MadjdihJiaJi (c'est le le point de la côte qui est marqué Caua-Canim sur toutes nos cartes). Première approximation.

Passons maintenant à l'examen des textes anciens sur cette portion de l'Arabie. Voici le passage de Pline il est question de Maria ba Baramalacuni :

(( Minaei à rege Cretai Minoë (at existimant) origi- « uem trahentes : quorum Charmaei : oppidum xiv "mijl. pass. Mariaba Baramaianmi . rt ipsum non

JUILLET 1840. 91

({ spernendum; item Carnon. Rhadamei; et horum uorigo Rhadamanthus putaturfrater Minois. Home- u ritae , Massala o ppido , e te . n

N. B. Rhadamei se lit encore Rhammei et Rham- nei.

Les Minéens étaient une des quatre grandes na- tions qui occupaient le midi de l'Arabie , selon Stra- bon, qui met dans le plus grand jour l'ordre de succession de ces différents peuples pour l'époque dont il parle , car les mêmes dénominations n'ont pas la même valeur dans tous les temps.

« Ac ultima quidem regio, de quâ ante diximus, « à quatuor maximis nationibus inhabitatur : à Mi- unaeis in parte ad Erythrseum mare sitâ; maxima « eorum civitas Carna sive Carana. Hos sequuntur <( Sabaei quorum metropolis est Mariaba ; tertii sunt (t Cattabanenses, qui ad angustias et Arab ici sinus t( transitum pertinent; eorum regio dicitur Tamna : «ad orientem maxime sunt Chatramotitse urbem <( Cabatanum habentes (lib. XVI, p. i i 1 2-1 1 1 3). »

Scholie. Il faut observer que/cçs mots de la tra- duction latine : ultima re<jio de quâ ante diximus ne signifient pas «la dernière région dont nous avons parlé, » mais u la région extrême. » Ultima est ici pour èa-yjxTY^v . Homère a dit: 'éa-^aTOi àv^pôîv [ceux qui babitent aux extrémités de la terre), en employant cet adjectif dans le même sens.

Strabon ne nomme pas les Hom,érites, quoique Pline en parle d'après i^lius Gallus, qui parait avoir révéiéce nom aux Romains (pag. y!^ i-y.H?. ). Mais

92 JOURNAL ASIATIQUE.

Hhimyar ou Homeyr, étant fils de Saba , suivant les généalogies arabes, les Homérites se trouvent com- pris sous la dénomination de Sabéens. Quant aux autres, s'ils ne sont pas Sabéens dans l'acception arabe , c'est-à-dire fds de Saba , il faut bien admettre qu'ils sont Cbusites , au moins dans le système de ceux qui font remonter à Saba ou Abd-Schams toute la population joctanide du Yaman; et c'est celui de presque tous les généalogistes arabes. Mais cela n'est qu'une observation faite en passant.

Voici donc Tordre de succession des quatre grands peuples du Yaman, en allant de fouest à l'est, à partir de'Mokha, ou, si l'on veut, de Mau-

schi (^^\ qui est fancienne Meschâ x^TD (Mov-

Ça), la limite occidentale des Joctanides: les Cat- tabaniens, les Sabéens, dont la longitude centrale est donnée par leur capitale, Marib; les Minéens; et enfin les Chatramotites ou Hliadramites.

Selon Pline, la ville de Mariaba Baramalacum (Marsyabœ) dépendait des Minéens; et Strabon, dans sa relation de l'expédition d'i^lius Gallus, dit que Marsyabae était la ville des Rhamanites; mais ceci n'est plus une difficulté réelle, parce que les Minéens sont une grande nation: « Minœi magna gens , » dit le traducteur de Ptolémée ; et il est pos- sible que les Rbamanites en fissent partie : cela est même extrêmement vraisemblable; car, ainsi que nous l'avons vu, les Rbamanites ne peuvent être assi-

* Et non Maaschid, comme Ta écrit Niebuhr.

JUILLET 1840. 93

miles (sous le rapport verbal) qu'aux Rhadaméens ou Rhamnéens de Pline; et ceux-ci , dans le texte de Pline , suivent immmédiatement les Charmœi, pre- mière division des Minéens ; en sorte qu'on pourrait soutenir qu'ils forment la seconde division , et que le pronom conjonctif quorum, qui précède Char- mœi, étend son influence sur Rhadamei. D'ailleurs , les Rhadaméens ne constituent point une grande nation. Fils de Rhadamanthe, et par conséquent cousins des Minéens , fds de Minos ( selon la tradi- tion), ils ne peuvent pas être séparés de ces derniers; ils ne peuvent pas s'écarter des sources du Styx, je veux dire du puits de Barhôt , qui est à deux pas de la ... . Si donc Pline avait rapporté Mariaba à la division des Rhadamei, au lieu de la donner à la division des Charmsei (que nous ne retrouvons nulle part) , il ne resterait plus un nuage sur la ques- tion d'identité.

Nous connaissons , à très-peu près , la position de la capitale des Sabéens , Mariaba. Si nous connais- sions également bien la position de la capitale des Minéens , nous aurions , par cela même , une donnée de plus sur l'expansion de leur territoire à l'est et à l'ouest , et sur la situation de la ville qui dit au gé- néral romain : « Non ibis ampliàs. »

Strabon l'appelle Corna ou Carana; et les com- mentateurs de Pline n'ont pas eu de peine à la re- connaître dans le Carnon du passage que j'ai cité tout au long : après avoir parlé de notre Mariaba Bara- malacum, «ville de quatorze mille pas de circuit,

94l JUUHINAL ASIATIQUE.

et qui n est point à dédaigner, j> i'auteur romain

ajoute : w Item Carnon. »

f»'iÇ'est un item fort important ; c'est la capitale des

Minéens «tt^^X/j dvrcàv »i fxeyiçn Koipva, "^ Kapara, » dit Strabon dans le texte dont nous avons donné plus haut la version latine. N'est-il pas évident que Pline. a, d'un côté^ exagéré à dessein la ville de pro- vinocf ïoppidumr (Jui avait humilié les aigles ro- maines « et ipsunt non spernendum , » et de l'autre , rapetissé, dissimulé la capitale des Minéens: iiitem

Carnon Mariaba Baramalacum n'avait que

quatorze mille pas de circuit; et pour une autre ville de vingt mille pas, qui n'est cependant point une capitale , il n'a pas jugé à propos d'ajouter : net ipsum non spernendum)) (pag. ySo). Pourquoi donc cette précaution oratoire en parlant de Mariaba? Pour- quoi cette ville est-elle , entre toutes les villes d'Ara- bie , la seule qu'il honore d'une réflexion semblable « et ipsum non spernendum ? » Enfin , ne serait-il pas possible qu'il eût substitué sciemment les Channœi aux Rhadameiy pour enlever aux Cretois une petite satisfaction d'amour-propre? Strabon, ami d'^Elius Gallus, nous dit positivement, et sans détour, que le général romain fut obligé de lever le siège de Marsyabœ. Pourquoi donc Pline met-il Mariaba dans la liste des villes détruites ou démantelées par Gallus? « Gallus oppida diruit non nominata auctorihus

qui ante scripserant, Negram et supra dictam

Marrntam? » Est-ce ignorance ou mauvaise foi? La capitale des Minéens est connue de tous les

JUILLET 1840. 95

géographes anciens. On lit dans Etienne de Byzance :

Kdpvava, ttÔT^is Mivaiœv, 'iOvos lik-ncriov èpvBpàs B-a-

Ptolémée a une Cannan (Garnan) Regia, que ses commentateurs ont reconnue pour la Carna de Strabon, mais à laquelle il donne, ainsi qu'aux Minœi, une latitude beaucoup trop haute. Il semble qu'il ait voulu peupler le Grand-Désert.

Gette ville , mentionnée par tous les géographes anciens, existe encore de nos jours dans l'Arabie méridionale, sous le nom qu'elle portait autrefois.

Si .je ne faux, c'est Al-Ckarn [(j. Ji-H), dans la

vallée de Doàn ou Dawàn [^^^:>) , à cinq ou six journées au nord de Moukallah, suivant un témoi- gnage , et à l'ouest-nord-ouest, suivant un autre; car, selon ce second témoignage , Doàn serait plus près de Madjdihhah, que ce dernier point ne fest de Moukallah, ce qui nous reporte vers le lieu indiqué par la première approximation, déduite des positions relatives de Mariama et Maraha Metropolis, selon

* Etienne de Byzance met , ainsi que Strabon , le pays des Minéens vers les rivages de la mer Erythrée, c'est à-dire de l'océan , et quoique cette nation s'étendît fort avant dans l'intérieur, il y avait entre elle

et Mina ou Mouna ^^wo toute la largeur du plus grand désert qui soit en Arabie. Je ne conçois pas comment on a pu identifier les Minéens avec les habitants de Mina. Il est vrai que Ptolémée ne leur donne point la portion de littoral que Strabon leur attribue. Pto- lémée y place les Homérites ; mais il est visible que dans son système les Homérites ne sont que les habitants de la côte, ce moi de côte étant pris ici dans le sens le plus étroit.

96 JOURNAL ASIATIQUE.

Ptoiémée. J'ai déjà dit que Madjdihhah, voisine de Hissn-Ghorâb , est dans la baie qui porte, sur nos cartes, le nom de Caaa-Canim , et que les Arabes connaissent encore sous l'ancien nom de Ckouna ou Ckana (^— *-*) : c'est qu'il faut chercher le Cana emporium de Ptoiémée.

La suite dans un prochain numéro. )

JOURNAL ASIATIQUE.

AOUT 1840. ^

PROCÈS-VERBAL

De la séance générale de la Société asiatique du 18 juin i84o.

La séance est ouverte sous la présidence de M. Amédée Jadbert, président de la Société.

Le procès-verbal de la séance du 17 juin 1889 est lu; la rédaction en est adoptée.

Les personnes dont les noms suivent sont pré- sentées et admises comme membres de la Société :

M. dEichtal (Gustave),

M. FoucAux (Ph. Edouard),

M. Arakh el-Dadian,

M. le docteur Benêt.

MM. Reinaud et Mohl présentent M. Flijgel, professeur à Meissen, en Saxe, comme membre honoraire de la Société. Cette proposition est

98 JOURNAL ASIATIQUE.

renvoyée à l'examen d'une commission formée de

MM. Reinaud et Mohl, à laquelle s'adjoindra le

bureau.

Les ouvrages suivants sont déposés sur le bureau par leurs auteurs :

Géographie arabe d'AhoulJèda , publiée par MM. Reinaud et de Slane, aux frais de la Société; 2* et dernière livraison, i vol. in-/i° de /i6 feuilles.

Râdjataranginî; Histoire des rois du Kachmîr, tra- duite et commentée par M. A. Troyer, et publiée aux frais de la Société asiatique. Paris, Imprimerie royalej i8/io, 2 vol. gr. in-8°.

La vingt-sixième feuille de la traduction anglaise d'Ibn-Kbâllican , dont le texte arabe est parvenu à la page 676, par M. le baron de Slane.

Le Bhâgavata Parâna, oa Histoire poétique de Krïchna, traduit et publié par M. Eug. Burnouf; tom. I", in-fol. de 766 pages, faisant partie de la Collection orientale publiée par l'Imprimerie royale.

Les ouvrages suivants sont offerts à la Société :

Par l'auteur. The Vishnu Purâna, a System of hinda mythology and tradition; translatedfrom sanskrit, and illastrated by notes derived chiejly froni other Pu- rânas, by H. H. Wilson. London, 18/10, in-A°.

Par l'auteur. Essai sur les médailles des rois de

AOUT 1840. 99

Perse de la dynastie sassanide, par Ad. de Longper- RiER. Paris, ïSlio, in-Zi".

Par l'auteur. Les symboles des Egyptiens comparés à ceux des Hébreux, par Fréd. Portal. Paris, i8/io, in-8^

Par la Société. The journal of the Royal Geographi- cal Society ofLondon, vol. IX, et partie ; vol. X, i'* partie.

Par la Société. Hie journal ofthe Asiatic Society of Bengal, n°' -79 à 91.

Par la famille de M. Jacquemont. La 2 5* et la 26* livraison du Voyage dans l'Inde, par Victor Jac- quemont. In- 4°, 18/10.

Par l'auteur. Fragments sur l'histoire littéraire et politique de Raguse et sur la langue slave, extraits de VEcho du monde savant, par M. de Paravey. 3 pages.

Par la Société. Le XIX^ vol., 2^ partie, des Asiatic Researches, partie physique. Calcutta, 1839, in-4°.

Par l'auteur. On the Monkeys known to the Chinese from the native authorities, by Samuel Birch; extr. from the Magazine of natnral history. In-8*'.

Par l'auteur. The Saint and the Sinnèr,from the Bos- tan of Sadi (avec plusieurs autres extraits de V Asia- tic Journal), par M. Forbes Falconer. Brochure in-8^

Par l'auteur. Exercices polyglottes, 1'" partie,

7-

100 JOURNAL ASIATIQUE.

thèmes anglais-, parle docteur Jost. Brochure in-8",

i8/io.

M. MoHL donne lecture du rapport sur les tra- vaux du Conseil pendant les six derniers mois de Tannée iSSg et les six premiers mois de l'année iSlio.

M. Eviuès, au nom de MM. les censeurs, rend compte de la comptabilité de la Société durant l'an- née 1839, et il propose de l'adopter telle qu'elle a été arrêtée par la commission des fonds. M. Eyriès demande en môme temps que des remercîments soient adressés à MM. les membres de la commis- sion des fonds, au trésorier et à l'agent de la So- ciété , pour le soin avec lequel ils ont bien voulu s'occuper des intérêts de la Société. L'assemblée , consultée par M. le président, adopte ces diverses propositions.

M. Garcin de Tassy lit la traduction de plusieurs chants populaires hindoustanis.

M. le docteur Benêt communique la notice d'un voyage à Lahore , et il dépose en même temps sur le bureau un grand nombre de dessins originaux, exécutés dans l'Inde, d'armes, d'étoffes et d'ancien- nes médailles recueillies par lui dans le Pendjab. M. Benêt reçoit les remercîments de l'assemblée pour cette communication.

On procède, conformément au règlement, au

m

AOUT 1840. 101

remplacement des membres sortant du Conseil , et le dépouillement du scrutin donne les nominations suivantes :

Président : M. Amédée Jaubert.

Vice-présidents : MM. le comte de Lasteyrie et Cadssin de Perceval.

Secrétaire : M. Eugène Burnouf.

Secrétaire-adjoint : M. Stahl.

Trésorier : M. F. Lajard.

Membres composant la Commission des fonds : MM. WiJRTz, Feuillet, Mohl.

Membres du Conseil : MM. Audiffret, l'abbé DE Labouderie, Boré, Burnouf père, le baron Mac GucKiN DE Slane, Hase , Landresse, Marcel, Bazin

et RÉGNIER.

Bibliothécaire : M. Bailleul. Censeurs: MM. Eyriès, BiANCui.

La séance est levée à trois heures.

Pour copie conforme :

EoG. BURNOUF, Secrétaire.

)

102 JOURNAL ASIATIQUE.

TABLEAU

DU CONSEIL D'ADMINISTRATION,

CONFORMÉMENT AUX NOMINATIONS FAITES DANS L'ASSEMBLEE GÉNÉRALE DU i8 JUIN l84o.

PROTECTEUR.

S. M. LOUIS-PHILIPPE,

ROI DES FRANÇAIS.

PRÉSIDENT.

M. Amédée Jaubert.

VICE-PRÉSIDENTS.

MM. le comte de Lasteyrie. Caussin de Perceval.

M. Eugène Burnouf.

SECRETAIRE.

SECRETAIRE- ADJOINT.

M. Stahl.

TRÉSORIER.

M. F. Lajard.

COMMISSION DES FONDS.

MM. WiJRTZ. Feuillet.

J. MOHL.

AOUT 1840.

103

MEMBRES DU CONSEIL.

MM. Eyriès.

DUBEDX.

Garcin de Tassy. Stanislas Julien. Etienne Quatremèr^. Reinaud. Fadriel.

BlANCHI.

Grangeret de Lagrange.

ElCHHOFF.

Troyer.

Langlois.

Hase.

Bdrnouf père.

L'abbé de Labouderie.

Le baron de Slane.

Landresse.

Marcel.

Addiffret.

Bore.

Bazin.

Régnier.

MM. Eyriès. BiANcm.

CENSEURS.

iVt. BÀILLEUr>

BIBLIOTHECAIRE.

10(1 JOURNAL ASIATIQUE.

AGENT DE LA SOCIETE.

M. Cassin, au local de la Société, rue Taranne, n' 12.

N. B. Les séances de la Société ont lieu le second vendredi de chaque mois , à sept heures et demie du soir, rue Taranne , n** 1 3 .

RAPPORT

Sur les travaux du Conseil pendant les six derniers mois de Tannée 1889 elles six premiers de l'année i8do, fait à la séance générale de la Société, le 18 juin i84o, par M. Jules MoHL.

Messieurs ,

Le conseil de la Société m'a fait , dans sa der- nière séance, l'honneur de me charger de vous rendre compte de ses travaux pendant l'année qui vient de s'écouler. Les occupations de M. Burnouf et l'absence de M. Stahl n'avaient laissé au Conseil que le choix , ou d'ajourner encore la séance , ou d'im- poser ce devoir à un autre de ses membres. Je n'ai pas hésité à me rendre aux ordres du Conseil, quoi- que ma tâche fût devenue bien difficile par le désir que plusieurs de vous ont exprimé , que le rappor-

AOUT 1840. 105

teur ne se contentât pas de vous parler des travaux de la Société , mais qu'il vous donnât une esquisse de ce qui s'est fait, en général, pendant l'année der- nière, en Europe et en Asie, pour les progrès des études orientales. Le temps m'a manqué pour la tracer aussi complètement que je l'aurais désiré; mais j'ose espérer que vous ne me refuserez pas votre indulgence pour les lacunes que vous y re- marquerez sans doute.

Le Conseil éprouve une vive satisfaction en met- tant entre vos mains la Géographie d'Aboulféda entièrement achevée. Vous savez que cette publica- tion a été entreprise sur la demande de M. de Sacy, que les curateurs de la bibliothèmie de Leyde ont bien voulu nous confier le manuscrit de l'ouvrage corrigé de la main même de l'auteur, que MM. Rei- naud et de Slane y^ont consacré tous leurs soins, et cju'ils se sont servis de tous les secours que la Bi- bliothèque royale leur offrait. Ils ont eu à leur dis- position trois différentes rédactions de fouvrage, la plupart des sources Aboulféda a puisé , et , par un heureux hasard, le manuscrit de la Géographie d'Ibn-Seïd qui avait appartenu à Aboulféda , et dont il a fait grand usage. Il leur a été possible de pu- blier, à l'aide de ces circonstances favorables , une édition dont la fidélité ne laissera rien à désirer. Vous trouverez dans la préface plusieurs morceaux relatifs à la vie d'Aboulféda et jusqu'ici inédits, et, à la fin de l'ouvrage , des tables très-complètes qui en

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faciliteront l'usage. Il ne nous reste plus qu'à remer- cier les curateurs de Leyde de leur lil)éralité , et les éditeurs, du dévouement qu'ils ont montré.

Nous mettons également sous vos yeux les deux premiers volumes de la collection des Mémoires , tra- ductions et textes orientaux publiés par la Société. Ils contiennent les six premiers livres du Râdja- tarangini ou de l'histoire du Kachmîi' par Kalhana, publiés, traduits et commentés par M. Troyer. Vous vous rappelez avec quel plaisir le Conseil a accepté l'olTre que M. Troyer lui fit de publier le Râdjata- ranginî au moment le gouvernement anglais de rinde venait d'en abandonner l'impression. L'é- dition de Calcutta a été reprise et achevée , grâce à la générosité de M. Prinsep; mais la vôtre n'en perd rien de sa valeur. M. Troyer a eu des manuscrits dont les éditeurs de Calcutta n'^^aient pu se servir, et sa traduction , ses commentaires et sa dissertation sur la géographie du Kachmîr rendront cet im- portant ouvrage accessible , pour la première fois , au public européen. L'impression des deux volumes est achevée, à fexception des tables qui sont entre les mains des compositeurs.

Le Conseil aurait vivement désiré pouvoir vous annoncer au moins le commencement de f impres- sion des voyages de feu M. Schulz; mais il avait compté pour cela sur la souscription du ministre de l'instruction publique, laquelle n'a pas pu nous

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être allouée à cause de l'état des fonds. Nous avons l'espoir fondé d'être plus heureux cette année-ci, et nous nous empresserons de commencer la publica- tion de ces papiers importants que nous avons en- tre les mains depuis trop longtemps. La Société n'a pourtant pas été inactive , les planches sont en- tièrement achevées , et la commission du Journal a obtenu du Conseil la permission de faire paraître dans notre recueil celles qui contiennent les ins- criptions cunéiformes du château et des environs de Van, avec le mémoire qui s'y rapporte. Elles paraîtront de nouveau avec le voyage dont elles font partie; mais nous avons cru devoir les livrer le plus tôt possible aux études des savants qui, dans ces derniers temps , ont fait faire des progrès si sur- prenants à l'étude de cette classe de monuments. Les soins qu'exige le tirage de ces planches ont été la cause d'un retard involontaire dans la publication du Journal ; mais elles seront entre vos mains avant la fin du mois.

Le Journal a continué à recevoir, depuis votre dernière séance , des travaux nombreux , parmi les- quels vous aurez remarqué le voyage inédit du père Richenet en Chir^e , dont nous devons la communi- cation aux pères lazaristes ; les travaux de MM. Ba- zin, Biot et Pauthier sur la Chine, de MM. Barges, Hammer, Perron, de Slane et de Saulcy sur diffé- rents points de l'histoire et de la numismatique des Arabes, ^de M. Dulaurier sur Sumatra, de M. Pictet

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sur les langues celtiques. La correspondance du Journal s'étend tous les ans , et nous avons entre les mains des mémoires de MM. Fresnel de Djiddah, Perron du Caire, d'Abbadie en Abyssinie , et un mé- moire fort curieux sur les zodiaques indiens, qui vient de nous arriver de l'Inde et que nous publie- rons aussitôt que la gravure des dessins qui l'ac- compagnent sera achevée.

La Société a fait , dans le cours de l'année der- nière, des pertes douloureuses. Le Conseil a perdu un de ses membres , M. Loiseleur-Deslongchamps. Il s*était voué à l'étude du sanscrit, et particulière- ment à l'histoire des contes populaires : son Traité sur les contes indiens et son Introduction aux Mille et une Nuits montrent combien cette branche inté- ressante de la littérature orientale avait à attendre de lui. Il est mort fort jeune; sa santé avait tou- jours été délicate, et n'a pu résister à son ardeur pour le travail. J'aurai plus tard quelques mots à dire d'un ouvrage qu'il avait commencé, mais que la mort ne lui a pas laissé le temps d'achever. Tous ceux qui l'ont connu regretteront en lui la perte d'un homme studieux, intelligent, et d'une grande aménité dans tous les rapports de la vie.

M. Habicht, professeur à Breslau et membre étranger de la Société, est mort au commencement de cette année. 11 était connu par une Collection de lettres en arabe moghrebin et une édition des

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Mille et une Nuits, à laquelle il avait consacré une grande partie de sa vie.

Mais la plus grande perte que la Société, et, en général , la littérature orientale, aient faite pendant l'année dernière, est celle de M. James Prinsep, secrétaire de la Société asiatique de Calcutta. M. Prinsep vint très-jeune dans l'Inde, il fut em- ployé à l'hôtel des monnaies de Benarès. 11 s'y prit bientôt de passion pour les antiquités indiennes, étudia sans cesse les monuments de la^ville sainte des Brahmanes, les mesura, les dessina, et s'em- ploya activement auprès du gouvernement pour en assurer la conservation. C'est lui qui restaura, par des moyens mécaniques très-hardis , les minarets de la grande mosquée qu'Aurengzib avait fait bâtir au cœur de Benarès pour insulter les Hindous. Il pu- blia plus tard les résultats de ses recherches dans un ouvrage intitulé : Illastrations de Benarès. Il fut appelé à Calcutta et nommé maître de la Monnaie de cette ville; mais cet emploi laborieux et d'une grande responsabilité ne suffit pas à son activité. Lorsqu'en i83i M. Wilson partit pour f Europe, les membres de la Société asiatique de Calcutta, qui connaissaient le zèle de M. Prinsep, lui con- fièrent les fonctions de secrétaire, que le départ de M. Wilson laissait vacantes. Voyant que fétat des fonds de la Société l'avait forcée de ralentit la publication des Asiatic Researches , il fonda, à ses frais, le Journal de la Société du Bengale, dont il

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fit le dépôt de tous les faits relatifs aux. sciences historiques et aux sciences exactes, qu'on découvrait dans rinde. Il suffît non -seulement à la correspon- dance extrêmement étendue qu'exigeait la publica- tion de ce recueil, mais il écrivit une grande par- tie des articles les plus importants; il grava de ses propres mains plusieurs centaines de planches, de médailles et d'antiquités dont il l'enrichit, et en fit sans contredit un des journaux les plus riches en faits nouveaux et en renseignements curieux qui aient jamais existé. En i836, lorsque le gouverne- ment anglais, sur l'instigation du parti anti- orien- tal, abandonna brusquement les impressions du comité d'instruction publique , M. Prinsep proposa à la Société de Calcutta de se charger de tous les ouvrages commencés, et il s'engagea, sur sa fortune personnelle, à payer une somme de cinquante mille francs pour en assurer l'achèvement. La Société ac- cepta cette offre généreuse. Le gouvernement lui jeta avec mépris les ouvrages commencés, et elle acheva les Fetawa Alemguiri, le Râdjataranginî, le Susruta, le Naishada et, avant tout, le Mahabha- rata, M. Prinsep payant toutes les dépenses jus- qu'en 1 889 , la cour des Directeurs (soit dit h son honneur) accorda à la Société une subvention pour des impressions orientales et poui* la liquidation des dépenses faites jusqu'alors. C'est ainsi qu'on trouva M. Prinsep toujours prêt h favoriser de tous ses moyens ce qu'il croyait utile au bien public; toujours actif, désintéressé et entièrement

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au-dessus des petites vanités et des jalousies trop communes parmi les gens de lettres. Je dis cela, non pas en style d'éloges, mais avec la conviction que m'a donnée une longue correspondance avec M. Prinsep , conviction que partageront ceux d'en- tre vous qui ont eu l'honneur d'êtli en rapport avec lui. L'excès de son activité mina la santé de M. Prin- sep ; il tomba tout à coup , en 1889, dans un état de langueur qui le força de s'embarquer précipitam- ment pour l'Europe , mais il était trop tard : il fut frappé, sur le vaisseau, d'une paralysie qui ne lais- sait plus de ressources à l'art médical et dont il mou- rut, le 26 avril dernier, n'ayant pas accompli sa quarantième année. C'est à la Société de Calcutta de rendre plus amplement justice à cette vie si belle et si bien remplie; mais je suis sûr de votre appro- bation en me rendant l'interprète de vos sentiments sur la grande perte que les lettres orientales ont éprouvée par la mort prématurée de M. Prinsep.

Vous apprendrez sans doute avec plaisir que le conseil de la Société asiatique a demandé à M. Hodg- son , ambassadeur anglais à Kathmandou , de faire continuer les copies des livres bouddhistes sanscrits qu'il a découverts dans le Népal et dont il vous a déjà envoyé quatre-vingt-un volumes. Cette décou- verte est une des plus importantes pour l'iiistoire de l'Orient qui aient été faites, parce qu'elle nous donne les livres sacrés et (si je puis me servir de cette expression) la bibliothèque des pères de l'église

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bouddhiste. Nous possédons maintenant la base com- mune à toutes les branches du bouddhisme , et nous n'avons à rechercher, dans les littératures bouddhis- tes locales, que les développements locaux de cet événement, qui a exercé une si grande influence sur l'histoire de l'humanité. Vous connaissez la libéralité avec laquelle M. Hodgson nous a aidés à acquérir pour la France ce riche trésor ; nous avons la satis- faction de vous annoncer que la croix de la Légion d'honneur, que le ministre de l'instruction publique avait demandée au Roi, sur la proposition de la So- ciété asiatique , est maintenant entre les mains de M. Hodgson : car elle était arrivée l'année dernière à Calcutta, le secrétaire d'Etat du gouvernement indien avait fait part à la Société du Bengale de l'honneur que le Roi des Français venait de faire à un des membres de la Société.

Les autres sociétés qui se proposent, comme la vôtre, le but de favoriser le développement des études orientales, se sont maintenues pendant l'an- née dernière , et leur nombre tend à s'accroître. La Société asiatique de Calcutta continue à publier, sous la direction de MM. O'Shaughnessy et Malan, le journal fondé par M. Prinsep. Elle vient de faire paraître la seconde partie du volume XIX de ses Recherches; et l'allocation annuelle de quinze mille francs que la Compagnie des Indes lui a récem- ment accordée pour des impressions orientales, lui donnera les moyens d'agrandir encore le cercle

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de ses travaux. La Société de Madras a augmenté le volume de son Journal, et les derniers cahiers montrent un progrès très-réel. On y a donné à des communications originales une place beaucoup plus , considérable qu'au commencement du Journal , et ce recueil promet de devenir, avec le temps, pour le midi de l'Inde , ce que le Journal de la Société de Calcutta est depuis longtemps pour le nord et *ies pays voisins. La Société de Bombay ne publie malheureusement plus ses Transactions; mais il s'est formé dans cette ville une Société de géographie , qui a publié deux volumes de mémoires que l'on dit très-intéressants, mais qu'il est encore impossible de se procurer en Europe , comme presque tout ce qui se publie à Bombay. La Société royale asiatique de Londres prend évidemment, de plus en plus, une direction pratique; elle est naturellement ap- pelée à servir de foyer à tous les renseignements qui se rattachent aux grands intérêts politiques et commerciaux de l'Inde, et la création de son co- mité d'agriculture prouve qu'elle sent cette position. Il est singulier que le gouvernement anglais n'ait jamais rien fait pour une société qui contient tous les éléments d'une académie orientale, et qui pour- rait rendre les plus grands services à l'Angleterre. Au reste, la Société n'a point abandonné ses pu- blications littéraires, et le onzième cahier de son Journal vient de paraître. Le Comité des traduc- tions , fondé par lord Munster, continue ses publi- cations avec plus de zèle que jamais; et les grands

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ouvrages qu'il a commencés dans ce moment, et sur lesquels je reviendrai plus bas, sont en même temps une preuve de la force qu'il se sent et d'un sentiment véritable de ce qu'il faut aux progrès de la littérature orientale. Il vient de se constituer, en . Angleterre, sous la présidence de lord Munster, une nouvelle société, dont le but est d'imprimer des textes orientaux, et qui servira de complément au Comité des traductions. Il fatit espérer qu eil^ trouvera dans ce pays, si ardent pour toutes les œuvres d'utilité publique, assez de soutien pour pouvoir rendre accessible au reste du monde une partie des manuscrits qui depuis longtemps se sont accumulés dans les bibliothèques publiques et par- ticulières de l'Angleterre , en j)lus grand nombre que dans aucun autre pays. Il s'est formé au Caire une Société égyptienne , qui se propose de faciliter l'exploration des pays soumis au pacha d'Egypte et d'en faire connaître les résultats. Elle peut contribuer puissamment à l'accroissement de nos connaissances sur l'Asie occidentale; mais il paraît qu'elle n'a en- core rien publié. L'Allemagne, à laquelle le manque d'un centre commun ne permet guère la forma- tion d'une Société asiatique, possède maintenant un journal exclusivement consacré à l'Orient [Zeit- schrift fur die Kande des Morgenlands)'. Il ipar kit isous la direction de MM. Lassen, Ewald, Cabelenz , Neu- mann et Roediger. La HoRartdé va, dit-on, avoir le sien, qui, sous la direction de M. Weyers, sera l'organe des travaux de l'école de Leyde, laquelle,

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depuis si longtemps , s'est illustrée dans les lettres arabes, et continue à soutenir son ancienne re- nommée.

L'existence et le nombre toujours croissant de ces sociétés prouvent certainement, d'un côté, que les lettres orientales sont en voie de progrès et qu'elles attirent plus que jamais l'attention des esprits éclairés en Europe ; mais elles prouvent , en même temps, que les associations sont encore né- cessaires à la culture de la littérature orientale, et que celle-ci n'a pas encore entièrement conquis la position qui lui est nécessaire pour son libre déve- loppement. Vous ne savez tous que trop bien quelle est encore la difficulté que cbacun de nous trouve à faire paraître des textes orientaux, et même des ti^aductions , et que partout l'Etat, les compagnies savantes et les auteurs eux-mêmes sont obligés de faire de grands sacrifices pour que les travaux les plus importants puissent voir le jour. On ne voit pas que des sociétés se fondent pour la publi- cation d'auteurs grecs ou latins , parce que ces lit- tératures sont assez entrées dans les études, et parce que leur connaissance est assez générale pour que tout homme qui veut en parler au public puisse le faire sans patronage et sans autre secours que la valeur de son travail. Mais la littérature orientale n'est jusqu'à présent qu'une plante exo- tique, cultivée artificiellement ou au moins insuffi- samment acclimatée; et pourtant ce n'est que quand

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elle aura jeté des racines assez profondes pour croître spontanément, quand elle aura un public suffisant pour que tout ouvrage oriental qui a une valeur réelle puisse paraître sans autre secours que l'in- térêt qu'il inspire, ce n'est qu'alors qu'elle pourra donner au monde tout ce qu'on doit attendre d'elle sur l'histoire et la condition passée et présente de tant de peuples , sur l'origine et le développement des idées q«i régissent encore toute l'humanité , et qui sont nées en Orient; «ur l'histoire des langues et des littératures, et sur tant de questions qui restent des problèmes, parce que les matériaux dont on aurait besoin pour les résoudre sont encore enfouis dans les bibliothèques.

Mais chacun des événements qui de nos jours multiplient les points de contact entre l'Europe et l'Asie contribue à hâter l'arrivée de ce moment d'indépendance, et dès aujourd'hui beaucoup de choses pourraient être infiniment plus faciles, si les efforts que Ton fait de tout côté dans un but commun étaient mieux combinés, et si les com- munications entre l'Europe et l'Asie étaient plus régulièrement établies. Il se publie au Caire, à Conslantinople , en Perse , dans l'Inde et à Canton , une foule d'ouvrages dont nous apprenons à peine l'existence, et dont beaucoup n'arrivent en Europe que par accident. trouverait-on, par exemple, à acheter en Europe l'édition des Mille et une Nuits qui a paru à Boulak, le Vendidad Sade publié par

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les Guèbres de Bombay, leurs ouvrages sur le Ca- lendrier zoroastrien, le Bhagavata Pourana de Cal- cutta, VAmara Koscha réimprimé à Serampour, la grande Encyclopédie sanscrite de Radakanda Deva, le Commentaire sur TAlfiah imprimé à Bou- lak , les Tarifât publiés à Constantinople , l'Histoire des Rhadjars imprimée à Téhéran , et tant d'autres ouvrages qui ne devraient manquer dans aucune bibliothèque publique en Europe? Ce besoin de communications plus faciles est réciproque entre les savants de l'Europe et les lettrés de l'Asie; car ces derniers commencent à ne plus dédaigner les travaux des Européens. J'ai des raisons pour croire qu'on a vendu cinq mille exemplaires du Koran de l'édition de M. Fliigel, en grande partie en Orient. Il y a trois ans, un cours sur le Hamasa s'est fait à la mosquée al-Azher, au Caire, sur l'édition de M. Freitag, et, plus récemment encore, un effendi, personnage considérable au Caire , s'est adressé à un membre de votre Conseil pour lui proposer de publier, à frais communs avec la Société asiatique , des éditions du Kamous , du Kitab al-Aghani et d'au- tres ouvrages classiques, dont il aurait envoyé la moitié à Paris et l'autre moitié à la grande foire qui se tient à la Mecque au temps du pèlerinage, pour les répandre, de ce centre du monde musul- man, en Orient et en Barbarie. Des raisons parti- culières, et qui ne touchaient en rien le fond du projet , en ont empêché l'exécution ; mais c'est une idée remarquable, et qui montre ce qni pourrait

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se faire par une meilleure combinaison de tous les éléments de succès qui existent déjà.

Les lettres orientales ont fait, malgré toutes les difficultés contre lesquelles elles ont à lutter, de grands progrès, et dans une direction de plus en plus saine. On s'attache aux ouvrages fondamen- taux, aux origines des langues , aux véritables sources de l'histoire ; on suit avec une sagacité surprenante les migrations , les mélanges et le sort des peuples dans les traces que leurs langues ont laissées, et l'on arrive aujourd'hui, avec les méthodes perfec- tionnées de la grammaire comparée, à une certi- tude de résultats qui a droit d'étonner ceux qui n'ont pas réfléchi sur la durée des langues. Chaque découverte en amène une autre, chaque ouvrage publié en nécessite un autre, parce qu'on procède régidièrement , méthodiquement, et parce que les vastes théories fimagination avait plus de part que les connaissances positives sont, pour le mo- ment, hors de mode. Leur temps reviendra sans doute quand la masse des matériaux accumulés provoquera de nouveau les esprits philosophiques, qui oseront reconstruire le passé avec les fragments dont il a couvert le sol. C'est même le but réel et légitime de toute étude historique et philologique , et tous nos efforts ne sont utilement dirigés qu'au- tant qu'ils tendent à avancer le moment son ac- complissement sera possible. La position de la lit- térature orientale est, aujourd'hui, à peu près

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même qu'était celle des littératures classiques au moment de la résurrection des lettres. Les Aides ont bien senti que la première chose à faire était de rendre accessibles à tous ] es restes de l'antiquité classique, et que la publication de textes encore inédits importait plus à la science que des systèmes nécessairement imparfaits aussi longtemps que les auteurs antiques restaient en manuscrits et disper- sés dans cent bibliothèques. C'est également la tâche de notre temps en ce qui touche les lettres orien- tales; elle est seulement plus difficile par la plus grande étendue et le plus grand nombre des litté- ratures qu'il s'agit de faire connaître.

La littérature arabe est en voie de grands progrès; on voit entreprendre la publication de beaucoup d'ouvrages dont depuis longtemps on désirait, plu- tôt qu'on n'espérait, fimpression, ou la traduction. L'étude de fancienne histoire des Arabes , qu'a- vaient cultivée, à de grands intervalles, Pococke, M. de Sacy, et, dans les derniers temps , M. Fresnel , est dans ce moment l'objet des recherches les plus sérieuses. Le texte du Kitab al-Aghani, ouvrage qui, sous la forme de biographies des poètes, contient les sources les plus authentiques de fancienne his- toire des Arabes avant fislamisme , va être publié par M. Kosegarten, à Greifswalde, et le premier volun>e âe l'ouvrage est presque achevé. M. Perron, direc- teur de l'école de médecine au Kasr al-aïn , au Caire , dont vous connaissez les Icttrefirsurie naême sujet,

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annonce une traduction de cet ouvrage , et il a envoyé à Paris une traduction de la collection complète des Ansab ou généalogies des anciens Arabes, accom- pagnée d'une longue introduction sur l'ancienne histoire de l'Arabie. Ces généalogies sont un élément important pour la chronologie des Arabes et pour fixer la suite des événements de cette histoire en- core si obscure. On en a fait depuis quelque temps un grand usage; mais elles doivent être contrô- lées avec un soin infini pour ne pas induire en er- reur ceux qui s'y fieraient sans critique. On attend de M. Caussin de Perceval la publication d'un grand travail critique et historique sur les Arabes avant fislamisme, dans lequel il a réuni, aux matériaux fournis par le Kitah al-Aghani, toutes les données sur ce temps qui nous sont accessibles. M. Arri, de Turin , fait imprimer, aux frais du roi de Sardaigne , le texte de l'ancienne histoire d'Ibn-Khaldoun , en raccompagnant d'une traduction italienne. Cet ouvrage formera trois volumes in- 4°, et contien- dra toute la partie d'Ibn-Rhaldoun qui traite de l'his- toire antéislamique et de celle des quatre premiers khalifes. Ibn - Rhaldoun , qui était sans doute le plus grand historien musulman, est peut-être, de tous les auteurs arabes, celui dont la publication est le plus à désirer dans l'état actuel de la science ; aussi s'en occupe-t-on de plusieurs côtés. M. Qua- tremère fait espérer une édition des Prolégomènes, et M. Lee, de Cambridge, annonce la traduction de l'Histoire des Berbers , qui forme le troisième

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volume d'Ibn-Rhaldoun , et dont les lecteurs du Journal asiatique connaissent un extrait fait par M. Schulz.

L'histoire du khalifat s'est enrichie de plusieurs ouvrages importants. M. Kosegarten a publié la se- conde partie du second volume des Annales de Thabari. On sait que le texte original de cet impor- tant ouvrage passait, même en Orient, pour perdu, et que M. Kosegarten en a découvert, à Berlin, un manuscrit, qui malheureusement est imparfait et offre des lacunes extrêmement considérables. Mais on a droit d'espérer qu'on parviendra à le complé- ter. On a trouvé, à Oxford, plusieurs parties qui manquent dans le manuscrit de Berlin; et, outre une partie de la vie de Mahomet que l'on savait existW à la Bibliothèque de Paris , on vient d'y dé- couvrir un volume qui contient l'histoire des années 80-100 de l'hégire, et qui, selon toute apparence, est une partie de Thabari. H serait fort à désirer qu'on retrouvât au moins toute la partie qui traite du khalifat, laquelle a, par sa forme, une valeur toute particulière pour l'histoire littéraire r, car elle nous donne un exemple parfait, et, je crois, unique par son étendue, de la manière dont l'histoire passe de la tradition orale au récit écrit. La traduction persane de l'ouvrage, quelque fidèle qu'elle soit quant aux faits et au fond , ne peut, sous le rapport que je viens d'indiquer, nous dédommager de la perte de l'original. M. Quatremère a publié le se-

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cond volume de sa belle traduction de l'Histoire des sultans mamelouks de Makrizi, imprimée aux frais du Comité des traductions de Londres; et M. Sprenger va commencer, pour la même société, la publication de la traduction des Prairies d'or de Masoudi, ouvrage confus, mais rempli des rensei- gnements les plus curieux , et que l'on ne connaissait jusqu'à présent que par une notice de Deguignes et par quelques extraits.

L'histoire des Arabes d'Espagne, un des côtés les plus beaux, mais jusqu'à présent les plus négli- gés, de l'histoire arabe, commence à attirer l'atten- tion qu'elle mérite. M. Hoogsvliet, de Leyde, a com- mencé la publication du poome d'Ibn-Bedroun , sur la chute de la dynastie des Benou'l-Aftes, poëme célèbre surtout à cause du commentaire historique qu'y a joint Ibn-Abdoun. Le premier volume de ce travail remarquable a paru sous le titre de Pro- légomènes, et contient la vie du poëte et du com- mentateur, et l'histoire détaillée de la conquête d'Espagne par les Almoravides. M. Tornberg a pu- blié, à Upsala, le commencement de l'Histoire de la dynastie des Almoravides, d'après les Kartas d'Ibn-abou-Zera, et M. de Gayangoz, orientaliste espagnol, imprime à Londres, aux frais du Comité des traductions, l'Histoire des Arabes d'Espagne, par Makarri.

L'Académie des inscriptiorts, c(ui a ehtrepris h

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Collection des Historiens des Croisades, a chargé M. Reinaud de la série qui doit contenir les histo- riens orientaux. Le premier volume , qui se compose d'extraits des Annales d'Ahoulféda, revus et complé- tés sur le manuscrit autographe de la Bibliothèque du Roi, et des parties de la grande histoire d'ïbn- Alathir, qui se rapportent à ce sujet, et qui sont tirées d'un manuscrit que l'Académie a fait copier à Constantinople , est imprimé en grande partie. M. de Hammer, dont le zèle infatigable ne cesse de servir la littérature orientale, vient de publier le sixième volume de sa Galerie de Biographie ( Ge- màldesaal). Il a choisi cinquante vies des plus grands princes musulmans des sept premiers siècles de rhégire, et en a fait une suite de tableaux dans lesquels il a mis en œuvre beaucoup de matériaux nouveaux et inédits. On annonce la publication pro- chaine d'un ouvrage qui ne traite pas directement de l'histoire du khalifat, mais qui jette une vive lu- mière sur une partie de cette histoire : c'est le Kitab Yemini, ou Vie de Mahmoud le Ghaznévide, par Otbi, traduite, pour le Comité des traductions, par le révérend J. Reynolds. L'ouvrage d'Otbi n'est connu jusqu'à présent que par une notice écrite par M. de Sacy, sur la traduction persane faite par Abou Schérif Djerbadécani.

La géographie des Arabes , qui avait été si long- temps négligée a pris tout à coup un dévelop- pement extraordinaire. La publication du texte

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d'Aboulféda sera suivie immédiatement de celle de la traduction que M. Reinaud a achevée , et pour laquelle il fait graver dans ce moment des cartes. M. Muller, de Gotha , a publié, il y a quelques mois, un très-beau calque d'un manuscrit d'Abou Ishak al Faresi, géographe du quatrième siècle de l'hégire, et en promet la traduction; l'Académie des sciences de Lisbonne vient de faire paraître le premier vo- lume de l'ouvrage complet d'Ibn-Batouta , traduit en portugais par le père Moura, ouvrage impor- tant dont on ne possédait jusqu'alors qu'un abrégé, traduit par le docteur Lee. Enfin, M. Jaubertfait pa- raître dans ce moment le second et dernier volume d'Edrisi , qu'il publie sous les auspices de la Société de géographie de Paris , et Ton annonce une édition du texte du même auteur, que M. Reay prépare à Londres : de sorte que cet important géographe , dont on a publié depuis deux siècles des extraits et des fragments dans toutes les parties de l'Europe, sera, à la fin, complètement accessible au public savant.

L'histoire littéraire des Arabes s'enrichit , dans ce moment, des deux ouvrages classiques de Hadji Khalfa et d'Ibn-Khallikan. M. Flûgel, à Meissen, a entrepris , pour le Comité des traductions de Lon- dres , la publication du texte et d'une traduction la- tine de Haàyi Khalfa, et deux volumes sur cinq ont déjà paru. C'est im dictionnaire bibliographique, contenant, par ordre alphabétique, les titres des

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ouvrages , accompagnés d'indications très-succinctes sur les auteurs. On peut se faire une idée de la richesse de ce recueil en remarquant que les deux premiers volumes contiennent des notices sur 4,362 ouvrages. Les Biographies des hommes illustres d'Ibn-Khallikan forment un ouvrage analogue , mais conçu sur un autre plan. C'est un dictionnaire, suivant l'ordre alphabétique des noms propres, composé de notions plus ou moins étendues sur la vie et les ouvrages des hommes les plus marquants du monde musulman. Il est moins complet que Hadji Khalfa, mais plus détaillé dans ce qu'il con- tient; il indique moins de titres, mais il donne plus d'extraits. M. Wustenfeld, à Goettingen, commença, il y a quelques années, à en publier une édition lithographiée , dont il a paru jusqu'à présent sept livraisons; presque en même temps, M. de Slane entreprit de publier à Paris une nouvelle édition du texte, dont le premier volume est achevé. Le riche dépôt des manuscrits de la Bibliothèque du Roi lui fournit les moyens de distinguer les diffé- rentes rédactions que fauteur lui-même avait faites de son ouvrage, et un manuscrit autographe que M. Cureton, conservateur des manuscrits du Musée britannique, vient de découvrir à Londres, et qu'il a bien voulu confier à M. de Slane, donnera en- core plus d'autorité à cette édition. Le Comité des traductions de Londres, qui avait, dès le commen- cement, placé cet ouvrage sur la liste de ceux dont il s'occuperait, s'est chargé de la publication de la

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traduction anglaise faite par M. de Slane, et accom- pagnée d'un commentaire. Ce beau travail est sous presse et ne tardera pas à paraître.

L'histoire de la religion musulmane va recevoir quelques nouveaux secours. M. Kazimirski a laissé à Paris, en partant pour la Perse, une traduction française du Koran, qui est sous presse, et M. Ull- mann vient d'en faire paraître une en allemand, imprimée à Gréfeld. M. Waenhrich , à Vienne , prépare une édition des traditions de Bokhari, et M. Flûgel imprime, à Leipzig, une Concordance du Koran. On sait qu'il en avait paru une à Cal- cutta, sous le titre de Nonjoani al-Fourhan; mais fédition était épuisée depuis longtemps, et elle était d'ailleurs peu commode pour l'usage , de sorte que c'est un véritable service que M. Flûgel rend aux orientalistes, qui ont sans cesse besoin d'un dic- tionnaire de cette espèce pour vérifier les citations et les allusions au Koran qui abondent dans tous les livres musulmans. M. Meursinge a publié , à Leyde, le livre de Soyouthi sur les interprètes du Koran. Ce petit livre contient les biographies décent trente-six commentateurs du Koran, que M. Meur- singe a accompagnées de quelques pièces fort cu- rieuses sur la vie de Soyouthi lui-même. M. Freitag achève dans ce moment son édition du Dictionnaire des proverbes de Meidani, entreprise dont l'impor- tance a été sentie par tous ceux qui se sont occupés des lettres arabes, et qui avait été annoncée de

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plusieurs côtés. Il se publie à Lcyde, sous la direc- tion de M. Weyers, une édition du Luh al-Luhah de Soyouthi : c eist un dictionnaire des dénominations sous lesquelles les auteurs arabes sont connus. Tout le monde sait que ceux-ci sont ordinairement cités sous des appellatifs autres que leurs noms propres et tirés de leurs lieux de naissance , ou quelque circonstance accidentelle; et l'on comprend qu'un dictionnaire qui nous aide à identifier les noms vé- ritables avec les dénominations usuelles , sera d'un grand secours pour les recberches littéraires.

D'autres branches de la littérature arabe vont prochainement recevoir des accroissements impor- tants. M. Sédillot annonce une nouvelle édition des Tables d'Oulough Beg, précédée d'une introduction sur l'histoire de l'astronomie arabe. Un médecin allemand fort distingué, M. de Sontheimer, à Stutt- gardt, a mis sous presse une traduction allemande du Canon d'Ibn-al-Beithar, ouvrage du xnf siècle, qui est d'un haut intérêt pour fhistoire de la mé- decine, de la matière médicale et de la botanique chez les Arabes. M. Munk prépare une édition et une traduction du texte arabe de More Nevochim de Moïse Maimonide , ouvrage important «pour fhis- toire de la philosophie , et qui n'est connu jusqu'à présent que d'après la traduction en hébreu. M. Des- granges a publié à Paris le texte et la traduction de FHistoire de f Expédition française en Egypte , par Nakoula le Turc, et lord Munster a fait lithogra-

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phier à Paris un volume fort curieux, rédigé en arabe et adressé aux savants dans tous les pays musulmans, dans le but de leur soumettre des questions sur différents points de l'art militaire en Orient, dont l'histoire l'occupe depuis beaucoup d'années. Il y a joint une liste des titres de deux mille ouvrages historiques , qui peut servir de ma- nuel pour diriger les voyageurs européens en Orient dans la recherche des manuscrits qu'il serait utile d'acheter.

Mais, de toutes les parties de la littérature arabe, il n'en est aucune qui soit cultivée dans ce moment avec plus de zèle que les Contes arabes ; et les Mille et une Nuits , qui avaient été si longtemps les dé- lices du public et l'objet du dédain des lettrés, trouvent des éditeurs et des traducteurs dans toutes les parties du monde, et dans toutes les langues. Pendant que M. Habicht imprimait son édition à Bresiau , on reproduisait , par la lithographie, le texte incomplet de l'ancienne édition de Calcutta, et le scheikh Abdourrahman al-Safti al - Scharkawi im- primait (en i835) son excellente édition à Boulak, en deux volumes in-Zi°. En i836 a paru, à Madras, une traduction en hindoustani ; en iSSg, parut, à Calcutta , le premier volume de l'édition arabe de M. Macnaghten, d'après un manuscrit qui avait ap- partenu à feu M. Macan. Cette édition a servi de base à la traduction anglaise de M. Torrens, qui paraît aussi à Calcutta, pendant que M. Weil imprime une

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nouvelle traduction en Allemagne, et M. Lane pu- blie à Londres sa belle traduction anglaise, dans laquelle il suit principalement le texte de Boulak. On avait droit d'attendre de lui un travail excellent, car sa Description de l'Egypte moderne avait prouvé que jamais j^ropéen n'avait mieux comm la langue , les coutumes et la manière de penser, des Arabes d'aujourd'hui. Cette attente n'a pas été trompée; sa traduction est aussi fidèle qu'elle est élégante, et ses notes sont un trésor d'observations sur les mœurs des musulmans.

J'aurais désiré pouvoir vous annoncer la conti- nuation des découvertes de la langue et des ins- criptions himyarites, qui ont excité depuis quel- ques années la curiosité des savants à un si haut degré. Mais, quoique, pendant l'année dernière, cette étude n'ait pas fait de progrès, on peut néan- moins en espérer prochainement. M. Fresnel, étant fixé à Djiddah,y aura retrouvé les moyens de conti- nuer sa grammaire, et M. Pries, peintre allemand, qui est parti de Djiddah, il y a deux mois, pour visiter les hypogées de Hedschr, y trouvera proba- blement de nouvelles inscriptions himyarites. On doit aussi espérer que M. d'Abbadie rapportera d'Ethiopie des inscriptions qui pourraient aider au déchiffrement des inscriptions du midi de l'Arabie, et à éclairer les rapports qui ont subsisté pendant si longtemps entre les Himyarites et les rois d'E- thiopie.

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L'étude de la littérature éthiopique promet d'ac- quérir en Europe un certain degré d'importance. M'. d'Abbadie a laissé entre les mains de la Com- mission du Journal asiatique un riclie vocabulaire comparatif de quatre dialectes étliiopiques et de la langue des Gallas, et nous n'attendoii| que l'achè- vement d'uu nouveau caractère éthiopien pour le publier. M. Roedi^er, k Halle , travaille depuis long- temps à une Chrestomathie éthiopienne, et il a publié l'année dernière la traduction de quelques anciennes inscriptions historiques découvertes à Axoum. L'étude de cette langue facilitera les rap- ports entre l'Abyssinie et l'Europe, qui a commencé à y envoyer de nombreux voyageurs et mission- naires, et qui établit dans ce moment un commerce direct avec la côte de Zeilah et de Berberah; elle aidera l'Europe à arracher l'Abyssinie à une barbarie qui fait honte à la religion qu elle professe. Le reste des dialectes sémitiques n'a pas donné lieu à des publications importantes , à l'exception de la Chres- tomathie syriaque de M. Roediger, qui comprend des échantillons de cette langue depuis les temps les plus anciens jusqu'à nos jours.

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Les études sur les anciennes langues de la Perse continuent à se rattacher aux études classiques avec un sucées, qu'on aurait > à j>eine pu espérer il y a quelques années. La lecture des inscriptions cunéi- formes, coiHmencée avec beaucoup de bonheur par Grotefend, a dû, dans ces derniers temps, aux

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progrès qu'a faits l'étude des anciens dialectes per- sans, un développenlent qui promet à l'histoire les résultats les plus précieux. A Paris et à Bonn^ MM. Burnouf et Lassen ont publié presque en même temps des mémoires sur les inscriptions cunéiformes recueillies à Persépolis par Niebuhr, dans lesquels les deux auteurs sont arrivés à des résultats en gé- néral presque identiques, surtout en ce qui touche la valeur des consonnes, résultats qui leur ont per- mis de lire dans une des inscriptions persépolitai- nes des noms géographiques marquant l'étendue de l'empire persan sous la dynastie de Cyrus. M. Behr, à Leipzig, en rendant compte de ces deux mémoi- res, a déterminé quelques valeurs nouvelles. Ce qui manquait pour faire de nouveaux progrès , étaient des copies de nouvelles inscriptions : les papiers de Schulz fournissaient celles de Hamadan ," la nouvelle édition de Rich complétait celles de Persépolis; mais le grand désir de tous ceux qui prenaient part à ces travaux était de posséder la grande inscrip- tion de Bisoutoun. Beaucoup de voyageurs en avaient parlé, et le but du voyage de Schulz était en partie de la copier; mais la mort l'en empêcha, et les difficultés de l'entreprise décourageaient les autres. A la fin , M. Rawlinson , colonel anglais au service de la Perse*, est parvenu à copier trois des quatre colonnes de cette immense inscription. M. Rawlin- son a quitté l'année dernière la Perse ; il est pro- bablement dans ce moment en route pour l'Europe , avec les nombreuses inscriptions qu'il a recueillies

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dans toute la Perse occidentale , et qu'il se propose de mettre à la disposition de Société asiatique de Londres. Ces copies méritent d'autant plus de con- fiance qu'elles sont faites par un homme qui s'oc- cupe depuis plusieurs années, avec le plus grand zèle, des antiquités persanes, qui a fait des pro- grès très-considérables dans la lecture des inscrip- tions, et qui a montré, dans tout ce qu'il a publié jusqu'à présent sur ces matières, une sagacité et une exactitude parfaites. 11 est probable que nous serons bientôt en possession non-seulement de ces inscriptions , mais de toutes celles qui subsistent en- core en Perse; car l'éveil est donné, et les nom- breux voyageurs français et anglais qui parcourent dans ce moment ce pays seront tous jaloux de rap- porter des monuments qu'ils savent être l'objet d'une grande et légitime curiosité pour l'Europe savante.

Aucun travail considérable sur la langue zende n'a paru pendant l'année dernière; mais vous re- cevrez dans le prochain numéro de votre Journal le commencement d'une série de monographies de M. Burnouf, sur différents points des livres de Zo- roastre. L'influence que la langue zende doit exercer sur les études grammaticales se fait sentir dans tous les travaux récemment publiés en Allemagne sur la grammaire comparée, et M. Vullers a essayé de la mettre à profit dans une grammaire persane qu'il vient de faire paraître.

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L'étude de la langue pehlevi n'a pas fait de pro- grès dans l'année; mais M. Longperrier a fait, dans son Mémoire sur les médailles des rois Sasanides, qui vient de paraître à Paris , une application heu- reuse des travaux récents sur le pehlevi à l'explica- tion des légendes de la série complète des médailles de la dynastie Sasanide , dont la plus grande partie était inédite.

La littérature persane moderne a perdu derniè- rement une protection, qui lui avait été extrême- ment favorable , et dont l'absence sera sentie pen- dant quelques années: c'était celle du gouvernement anglais dans l'Inde, qui, en continuant à tenir les écritures des tribunaux et de l'administration en langue persane, comme avaient fait les musulmans, avait forcé tous les employés européens et indigènes à apprendre cette langue. Ce singulier usage de gou- verner une nation dans une langue également étran- gère aux conquérants et au peuple conquis a été abandonné récemment, et les dialectes provinciaux ont été substitués à la langue persane dans tous les actes publics. Il en résultera nécessairement une diminution dans le nombre des ouvrages persans imprimés dans l'Inde , car la plus grande partie de ceux qui ont paru depuis le commencement du siècle étaient destinés aux besoins des employés anglais. Mais on peut prévoir, presque avec certir tude, que cette littérature n'en souffrira que tem- porairement , et qu'elle est une de celles qui doivent

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recueillir le plus davantage des progrès que fait dans tous les pays musulmans Fart d'imprimer. La population musulmane de l'Inde, qui s'accoutume rapidement aux livres imprimés et lithographies, continuera à multiplier les livres persans. On a com- mencé à imprimer en Perse , et les presses de Cons- tantinople et du Caire publient un assez grand nombre d'ouvrages en persan, parce que la con- naissance de cette langue et de sa littérature fait partie de ' l'éducation savante et polie de tous les pays musulmans. C'est ainsi que l'imprimerie du pacha d'Egypte, à Boulak, a publié récemment, entre autres ouvrages classiques persans, une édi- tion du Mesnewi de Djelal eddin Roumi, accompa- gnée d'un commentaire turc fort étendu, en cinq volumes in-folio. Je dois citer ici 1 édition persane de Tarilîhi Ferishta, rédigée par le général Briggs, et publiée à Pounah par le gouvernement anglais en deux volumes in-fol. Il est vrai que cet ouvrage a paru en 1882 ; mais il est nouveau pour nous, parce qu'il n'est arrivé en Europe que depuis peu de temps, à cause 4^ manque presque entierde communications entre l'Europe et Boiiibay. C'est une excellente édition d'un des auteurs persans les plus importants, et du meilleur historien des mu- sulmans de l'Inde. La chute de l'empire des Mogols a égalen>ent trouvé un historien, qui mallieureuse- ment a employé une forme fort étrange : c'est Molla Firouz, fils de Kaous, ancien grand prêtre de l'une des deux sectes gucbres dans l'Inde, et connu comme

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éditeur et ti^ad licteur du Desatir. Il a composé, sous le titre de George namehy un poëme épique en pej- san, dans lequel il raconte, dans le mètre et sur le ton de Firdousi, la conquête de l'Inde par les An- glais. Son ouvrage est un singulier pastiche du Livre des Rois, l'on trouve Rustem remplacé par le major Lawrence, et Kei Kaous par George III. Il a été publié l'année dernière à Bombay , eil trois vo- lumes in-;8°, par les soins de Rustem , fds de Kei- kobad , neveu de l'auteur. Le colonel Miles annonce à Londres un ouvrage qui traite aussi de l'histoire de rinde. C'est la traduction du Nischani Heideri, histoire de Hyder Aii et da Tipou Sahib , compo- sée après la chute de la dynastie musulmane du Mysore, par un ancien serviteur de la famille dé- posée, Mir Hoseïn Ali Khan. Le fds aîné de Tipou avait remis le manuscrit à la reine d'Angleterre, et le Comité des traductiGnS;s'est chargé d'en, publier la traduction. Le second volume du Livre des Rois, que publie un membre de votre Conseil, et qui fait partie de la Collection orientale, est sous presse; il conduira fouvrage jusqu'à la fm du règne de Kei Kaous. M. Kazimirski a publié , sans y mettre son nom, une édition lithographiée du Bakhtiarna- meh. Ce livre de contes avait déjà été publie par sir W. Ouseley, et se recommande auï écoles par la simplicité du style. L'édition anglaise étant de- venue rare, M. Kazimirski a voulu offrir aux com- mençants un texte facile et correct , en prenant pour base de son édition un manuscrit qui appar

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tient à votre président. M. Thompson a traduit en anglais et publié, aux frais du Comité des traduc- tions, le célèbre système de morale intitulé : Akhlaki Djelali, et composé au quinzième siècle par Djani Mohammed Asad. C'est; en général, une étude peu attrayante que celle des philosophes musulmans, qui se sont rarement élevés au-dessus d'une faible imitation d'Aristote dans les principes, et de Pla- ton dans les sentiments, et l'ouvrage d'Asad ne sort pas de cette catégorie; mais les ouvrages reconnus comme classiques parmi un peuple ont toujours droit à notre attention, parce qu'ils marquent la limite qiiil a atteinte. Il s'attache d'ailleurs à toutes ces questions , aujourd'hui que l'Europe réagit si puis- samment sur l'Orient, un intérêt non-seulement de curiosité, mais de civilisation; car les musulmans ont commencé comme nous à se former par l'étude des littératures classiques , mais ils se sont arrêtés en route. 11 devient aujourd'hui très-important à connaître le point le plus avancé qu'ils ont atteint dans chaque direction, parce qu'il serait possible de s'en servir pour exercer une influence salutaire sur le développement de leur civilisation. M. Thomp- son a accompagné sa traduction d'un commentaire très-bien fait, et qui place l'ouvrage dans son véri- table jour, par des éclaircissements tirés, tantôt des autres moralistes musulmans, tantôt des écrits des anciens auxquels ils avaient emprunté leurs opinions.

La littérature turque est peu cultivée en Europe,

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et c'est ordinairement comme langue d'affaires plutôt que comme langue savante quon;s'en occupe; aussi la^plus grande partie des ouvrages qui se publient en turc ont-ils pour but de faciliter les rapports diplomatiques et commerciaux entre l'Europe et la Turquie. Le grand vizir Khosrew a fait imprimer, à Constantinople , une grammaire française en tur<î, pour servir à l'enseignement du, français dans les écoles du gouvernement, et M. Berswordt a pu- blié , à Berlin , une grammaire turque écrite en allemand. M. Blanchi a fait paraître un Guide de la Conversation en français et en turc , et a commencé rimpression de son dictionnaire français-turc, pen- dauit que le prince Handscheri publie, à Saint- Pétersbourg, un grand dictionnaire du même genre , pour base duquel il a pris le dictionnaire de l'Académie française. L'année dernière ne nous a valu que peu d'ouvrages qui touchent la littérature des Turcs, et je ne saurais citer que le Baznameh, ouvrage de fauconnerie que M. de Hammer avait découvert à Milan , et qu'il vient de publier à Vienne en turc et en allemand. C'est un livre curieux, comme étant le plus ancien texte de turc oriental que l'on connaisse, et M. de Hammer s'en est servi pour éclaircir, dans un savant commentaire , beaucoup de termes techniques relatifs aux chasses des Orientaux. Jl est plus que probable que les presses de fimpri- merie impériale de Constantinople auront mis der- nièrement au jour des ouvrages de quelque impoi' tance; mais ils ne $ont pas parvenus à la Société, et

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ifl serait à désirer qu'un des membres ou des corres- pondants de \a Société en Turquie veuille bien noi^s tenir au courant, au moins, des titres et du sujeit •des ouvrages qui y paraissent.

. '^^e'i>é''puis quitter les littératures musulmanes sans dire un mot du Trésor des langues arabes, persane et turque, que M. Quatrcnière annonce. On sait que tous nos dictionnaires de ces langues ne sont, à p^u prè«, que des traductions de diction- naires indigènes, 'qui nécessairement ne remplissent que fort imparfaitement les besoins des savants d'Eu- rope. €e (ju'il faudrait, ce serait des ouvrages qui offriraient ie dépouillement des pcipcipaux auteiars de chaque littérature, comme Henri Estienne et Forccllini en ont coniposé pour les langues grecqHc et latine, et les exemples, tirés des auteurs dt classés systématiquement, indiquent tous les sfens dans lesquels chaque mot s'emploie, ot toutes ks nuances que le temps et l'usage y ont introduites. C'est ce que nous promet M. Quatremère, qui a condensé les résultats d'une lecture de quarante ans dans un Trésor de langues qui formera trois volumes in-folio, et dont la publication sera^ un taimenee service rendu à la science. ' ■■■ ir i i

En passant à l'Inde, on est frappé d'abord pai' les grandes découvertes qu'a faites M. Prinsep au moyen des inscriptions et des médailles anciennes que l'on a trouvées depuis; quelques années, en si

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grand nombre^ tant dans l'Inde que dans l'Afghanis- tan etaudelà du Hindoukousch.Ces inscriptions soïit* de différentes espèces : les unes , et ce sont les plus récentes, sont écrites en sanscrit, avec des variétés très-considérables du caractère dévanagari. M. Prin- sep en rassembla un grand nombre, les publia dans son journal, et mit ainsi M. Mill, indianiste fort habile, en état de les déchiffrer et de publier la traduction des plus importantes et des plus éten- dues. Les autres sont écrites dans un caractère re- gardé pendant longtemps comme indéchiffrable : elles proviennent des provinces de l'Inde centrale , depuis rOrissa jusqu'au Guzzerate, elles cou- vrent des rochers et des colonnes fort anciennes. M.Prinsep a eu le rare mérite découvrir à la fois l'alphabet etja langue de ces inscriptions , qui se sont trouvées être des monuments bouddhistes doùt les plus anciens datent, suivant toute apparence, de trois siècles avant notre ère. Cette découverte lui a permis de ramener à un type commun les inscrip- tions , en apparence si différentes , des temples sou- terrains d'Ellora, de Carli et d'autres, des Kutub Minars de Dehh et d'AUahabad, et des rochersdë Guirnar; elle a fixé d'une manière certaine plusieurs points importants de l'histoire ancienne de la pénin- sule, et nous a fait entrevoir des détails infiniment curieux sur lies rapports qui ont existé entremîtes Séleucides et les rois bouddhistes de l'Inde. Le dé- chiffrement de ces inscriptions a conduit également M. Prinsep à la lecture des légendes dites barbares des

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médailles bactriennesl Ces médailles ont été trou- vées par milliers, et presque simultanément , dans le nord de l'Inde et au deh^ de l'Indus, dans le centre de l'Afghanistan et surtout dans la Bactriane. Jus- qu'alors elles allaient se perdre, à mesure qu'elles étaient découvertesj dans le creuset des orfèvres , et même dans la forge des chaudronniers, qui en fai- saient des ustensiles de ménage, tant elles étaient abondantes. M. Prinsep a été le premier qui en ait publié des séries considérables. Pendant qu'il les déchiffrait à Calcutta, M. Lassen, à Bonn, arrivait, par une coïncidence honorable pour ces deux sa- vants, au même résultat. Cette découverte a ajouté non-seulement des noms nouveaux à la série des rois grecs de la Bactriane , mais elle nous a fait connaître plusieurs dynasties appartenant h des races qui n'ont pas laissé d'autres traces dans l'histoire; elles ont confirmé ce que nous avaient déjà appris les voyageurs chinois sur la grande extension du bouddhisme à l'ouest de l'Indus; elles ont montré qu'un dialecte dérivé du sanscrit était, sinon la seule langue, au moins la langue officielle d'un pays il était naturel de chercher exclusivement des dia- lectes d'origine persane. Elles nous ont donné des noms grecs écrits en caractères palis, des légendes sanscrites aux revers de médailles grecques; et elles peuvent nous guider dans l'étude de l'his- toire obscure de l'Asie centrale , le mélange des races et des religions a produit de si étranges phé- nomènes pendant l'époque qui s'est écoulée entre

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Alexandre le Grand et la chute de l'empire des Sa- sanides.

La publication des textes sanscrits a repris dans l'Inde son cours naturel. On annonce que la Com- pagnie des Indes a ordonné que le texte des quatre Védas serait publié à Calcutta par les soins des brahmanes du collège hindou et d'après les meil- leurs manuscrits de Benarès. C'est une grande et magnifique entreprise, qui fera honneur au gouver- nement anglais , et qui livrera aux études des sa- vants de tous les pays un monument littéraire dont il est difficile d'évaluer fimportance pour l'histoire de la civihsation. Le gouvernement français, de son côté, a commencé, il y a quelques années, à faire copier dans rinde les Védas, pour faciliter cette étude pour laquelle on manquaitjusqu'à présent de ressour- ces sur le continent de TEurope. Vous apprendrez avec plaisir qu'il est arrivé hier de Calcutta la seconde caisse de ces manuscrits , en partie achetés , en partie copiés à Benarès par fentremise de feu M. Prinsep, qui s'était prêté au désir du gouvernement français avec le zèle et le désintéressement qu'il a montrés dans toutes les occasions il s'agissait de rendre service à la science. M. Stephenson, à Bombay, avait commencé, il y a quelques années, une édition du Rigveda accompagnée d'extraits du commentaire de Sayana, et de traductions en anglais et en mahratte : fl l'avait interrompue lorsque l'édition de Rosen fui annoncée; mais il va la reprendre sur le même

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plan, en laissant seulement de côté; sa traduction mahratte, qui en effet est peu nécessaire. Il a égale- ment ti^aduit le Samaveday et a envoyé son travail à la Société des traductions de Londres, qui le pu- bliera. :

Le quatrième et dernier volume du Mahabha- rata, auquel la Société asiatique de Calcutta a joint, sous forme d'appendice , le Ilarivansa , que vous connaissez par la traduction de M. Langlois, est achevé, et, au départ des dernières lettres de Cal- cutta, on était occupé à l'impression de l'Index que M. Ram Comal Sen y a joint. Pendant que M. Schle- gel continue à Bonn sa belle édition du Ramayana, M. Gorrezio, de Turin, en préparc à Paris une autre, qui doit être accompagnée d'une traduction italienne. On avait espéré qu'on trouverait dans les papiers du colonel Tod un travail sur Tcband, le poëte épique des Rajpouts, dont M. Tod a fait si souvent usage dans son histoire du Rajpoutana. On a effectivement trouvé des parties considérables traduites en anglais , mais qui ne paraissent pas êtri^ dans un état tel , qu'on pourrait les publier après 1^ mort du traducteur. Il serait de la plus haute im- portance pour l'histoire de flndc d'avoir une tra- duction fidèle de ce grand poëme , et il est fort à djésir^r qu'un des officiers anglais stationnés dans le Rajpoutana entreprenne ce travail , au milieu de toutes les facilités que lui donneraient la langue et les traditions encore vivantes, les mœurs encore

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les mêmes, et tous les moyens rémiis pour sentit*; le sens et l'esprit d'une œuvre toute nationale.

Les Pouranas, qui par leur masse paraissaient: défier les efforts des indianistes, et que l'on ne con- naissait que par quelques extraits , ont fini par trou- ver des éditeuïTset des traducteurs. M. Wilson, qui s'en était beaucoup occupé dans l'Inde, vient de pu- blier à Londres la traduction du Vichnoa Pourana. C'est un travail digne , en tout point , du talent et du savoir de son auteur; la traduction est exacte et com- plète, et est accompagnée d'un commentaire dans lequel l'auteur discute , à l'aide des autres Poura- nas, tous les points qui exigent des éclaircissements. M. Burnouf publie dans ce moment le premier volume du Bhagavata Pourana, accompagné d'une traduction française pour laquelle il a fait usage du commentaire sanscrit de Sridhara. Ce volume contient les trois premiers livres du Pourana, qui en a douze. Il fait partie de la Collection orientale publiée par le gouvernement français et imprimée magnifiquement à l'Imprimerie royale. On annonce de Bombay la publication d'une autre édition du Bbagavata Pourana, accompagnée d'un commentaire et lithographiée ; et M. Ram Gomal Sen , secrétaire indien de la Société de Calcutta, est sur le point d'entreprendre une édition complète de tous les dix- huit Pouranas.

>Le savant Radhakanta Dev^ continue à Calcutta

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l'impression de son Trésor de la langue et de la lit- térature sanscrite, et le quatrième volume de cet important ouvrage vient d'arriver à la Société. On attend de même de Ceylan la continuation de l'édition et de la traduction anglaise du Ma- havansa, publiée à Colombo par M. Turnour, et destinée à remplacer la , traduction fort imparfaite publiée , il y a quelques années , par les soins de M. Upham. Le premier volume de cet ouvrage est arrivé en Europe, il a vivement excité l'intérêt des personnes qui s'occupent de l'état du boud- dhisme. Cet intérêt s'accroît encore par la décou- verte des inscriptions en pâli que l'on a trouvées dans le centre de l'Inde. M. Turnour a pris une part active à l'explication de ces monuments , et a enrichi le Journal de la Société asiatique de Cal- cutta de plusieurs mémoires importants sur l'his- toire d'Asoka et sur la propagation du bouddhisme tant dans llnde qu'à Ceylan. M. Burnouf a com- mencé l'impression de la traduction d'un des ou- vrages sanscrits bouddhistes envoyés à la Société par M. Hodgson. Il porte pour titre : « Le Lotus de la bonne loi, » et est également curieux par la forme et par le fond , car il jette de vives lumières sur le mode d'enseignement dont se sont servis les anciens pré- dicateurs du bouddhisme, qui, poussés par le besoin d'être compris par la masse , ont adopté une ma- nière diamétralement opposée à l'obscurité calculée des écoles brahmaniques. Le fait est naturel et com- mun aux réformateurs de toute espèce et de tous

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les temps; mais il est curieux à observer, quand -il s'agit d'un événement immense comme la réforme bouddhiste.

On doit à M. Lassen un utile recueil de textes sanscrits sous le titre dlAnthologia sanscrita, qui est accompagné d'un lexique et de savantes notes grammaticales. Son école se livre à des travaux va- riés sur la langue et les textes sanscrits. M. Délius publie dans ce moment une collection de Racines pracrites, qui fait suite à l'excellente Grammaire pra- crite de M. Lassen. M. Boethling a mis au jour le premier volume des Axiomes de Panini, dans le- quel il n'a reproduit de 1! édition de Calcutta que les gloses indispensables pour l'intelligence des règles si concises du texte original. On attend prochaine- ment le second volume, qui contiendra le com- mentaire et l'explication de ces énigmes gramma- ticales. On annonce aussi une nouvelle collection des racines sanscrites par M. Westergaard, qui don- nera les racines avec les signes dont les accompa- gnent les grammairiens indiens , en les faisant suivre d'un grand nombre d'exemples tirés des textes im- primés depuis la publication des Racines de Ro- sen. M. Brockhaus a publié, à Leipzig, le premier volume du Katha Sarit Sagara de Somadeva : c'est un recueil de contes indiens , dont il a accompagné le texte d'une traduction allemande. Ce curieux re- cueil fait connaître une branche de la littérature sanscrite dont le Hitopadésa ne donne qu'une idée

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incoiiipiète, et qui a exercé une influence immense sur la littérature populaire de tous les peuples de race indo-germanique. Il a paru à Leipzig un ou- vrage posthume de M. de Bohlen, mort au com- mencement de l'année actuelle; c'est le texte sans- crit, accompagné d'une . traduction allemande, du Rithusanhara ou du Cycle des saisons , attribué à Ka- lidasa. M.. Loiseleur-Deslongchamps avait publié, peu de jours avant sa mort, le texte de ïAmarako- cha avec mie traduction française, dans laquelle il s'était attaché à reproduire le plus fidèlement pos- sible le travail de Colebrooke. Il est à désirer que l'on s'occupe à publier le second volume , qui doit contenir l'index alphabétique, et dont M. Loiseleur a laissé le manuscrit.

Les dialectes populaires de l'Inde sont peu cul- tivés en Europe , quoiqu'ils contiennent les éléments d'un travail ethnographique très-important , s'ils étaient mis en œuvre comme M. de Humboldt a su mettre en œuvre le dialecte kawi, pour l'éclaircis sèment de l'histoire des races des îles de l'archipel Indien. Il n'y a qu'un seul des dialectes de l'Inde' qui ait donné lieu, pendant Tannée dernière, à une publication considérable : c'est l'hindoustani. M. Gar- cin de Tassy a publié le premier volume de^on Histoire de la littérature hindie et hindoustanie. Cet ouvrage est le résultat de longues recherches, et l'on ne peut qu'être surpris en voyant que le sarvant auteur a pu réunir des données biographiques et

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bibliographiques sur plus de huit cents poètes hih- doustanis.

Les difïicidtés contre lesquelles la littérature chi- noise a à lutter, en cherchant à se naturaliser en Europe , sont fort grandes. La formation grammati- ' cale de la langue ancienne, qui lui donne, pour les commençants, une apparence de facilité, et qui la rend , au fond , plus laborieuse à acquérir qiie toute autre ; la formé et le nombre de ses caractères , qui se prêtent si peu à notre manière d'imprinier : tout, dans cette littérature, jusqu'à sa richesse mçme, nous fait obstacle ; mais c'est tout un' mondé à con- quérir, et les progrès faits pendant les vingt dëi*-^' nières années nous donnent la garantie que riert n ai^rêtera le zèle et la persévérance des savants de TEurope!. ^^'^

M. Marcellin Legrand continue sa courageuse entreprise de graver, sous la direction de M. Pau- thiér, uîï côtps Complet de caractères chinois dont vous' avez des spécimeris très-satisfaisants dans la première livraison du Tao-te-hing de Lao-tseu, publié par M. Pauthier, et dans les pasâages cités par lui dàiîs votre Journal. L'Itnprimerie royale a fait, il y a quelque tenips, f acquisition de deux cotps com- pietk de caractères, gravés, sur la demande de M. Stanislas Julien, dans la province de Se-tchoiien. Ob est Ôëcupé dans ce moment à en fondre lin , dbrit le premier emploi sera une édition de Lao tseu

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par M. Julien, accompagnée du plus ancien com- mentaire qui existe en Chine sur cet ouvrage fon>-f damentai pour la métaphysique chinoise.

Un membre de votre Consieii a publié le second et dernier volume de la traduction latine de YY-king, par le P. Régis. Vous avez bien voulu encourager, par une souscription, cette publication, qui est un hommage rendu à la mémoire d'un des meilleurs esprits de Tancienne Compagnie de Jésus. Uegis avait composé son ouvrage pour placer sous son vrai jour ce livre mystérieux, dont les Chinois ont si souvent abusé, et qui avait commencé même^^ servir de base aux théories fantastiques de quelj ques missionnaires catholiques. Régis envoya son travail à Freret , qui s'en servit, mais sans le publier. Plus tard , la langue dans laquelle il est écrit l'exclut de la grande collection des Mémoires sur les Chi- nois, et la mauvaise fortune qui paraissait s'attacher à ce livre, ne l'abandonna pas même lorsqu'il fut entièrement imprimé; car le second volume était à peine achevé, lorsqu'un incendie dans l'impri- merie le détruisit entièrement , et ce que vous ayez devant vous est la seconde édition d'un ouvrage dont la première n'a pas pu paraître. VY-king est le troisième des cinq livres de Confutsé , qui est maintenant accessible au public européen; le qua- trième, le Li-ki, le sera probablement bientôt. M i Sta- nislas Julien doit en publier, pour la Société de Lomlres-, une traduction française, pour laquelle il

AOUT 1840. 140

a réuni, depuis quelques années, tous les secours que les travaux des Chinois pouvaient lui offrir, et qui pourra être mise sous presse très-prochaine- ment. Le même savant annonce la traduction du voyage fait dans l'Inde, vers la fin du vn^ siècle, par le prêtre bouddhiste Hiouen-tsang. C'est un ou- vrage qui fait suite au Foë-kouë-ki de M. Rémusat, qui a si bien prouvé quel parti il y avait à tirer des ouvrages de cette classe pour l'histoire politique et religieuse de fïnde et de l'Asie centrale. M. Ed. Biot annonce un Dictionnaire des noms anciens et modernes des villes et arrondissements de l'empire chinois. On sait que les différentes dynasties chi- noises ont sans cesse changé les noms des villes de l'empire, ce qui rend indispensable, pour l'étude de fhistoire de la Chine, un ouvrage comme celui de M. Biot, dans lequel il donnera l'histoire des noms de toutes villes des premier, second et troi- sième rangs. '

La littérature chinoise moderne a fait un grand progrès pendant l'année qui vient de s'écouler. M. Bazin , traducteur du Théâtre chinois , et auteur de plusieurs mémoires consignés dans votre Journal , a ouvert, à fécole des langues orientales, un cours de chinois moderne , qui a eu le succès le plus com- plet. Il faut espérer qu'il continuera à attirer fatten- tion vers cette branche de la littérature chinoise, qui a un intérêt tout particulier. On apprend à con- naître les autres pays par les voyages ; mais la Chine

150 JOURNAL ASIATIQUE.

nous exclut, et nous sommes réduits aux romans et aux drames pour nous former une idée de la vie journalière de ce singulier peuple. On trouve dans la littérature classique des Chinois les principes" et la Jbase de leur civilisation et de leur vie intellec- tuelle , mais on voudrait en connaître les résultats réels, leur manière de penser et de sentir; et c'est ce que nous ne pouvons apprendre que par leur lit- térature populaire. M. Pavie a publié l'année der- nière, à Paris, sous le titre de Choix de contes et de nouvelles , une petite collection qui, en général, est bien choisie; elle nous donne la traduction française de sept contes , en partie fantastiques , en partie his- toriques , dont quelques-uns sont d'une grâce parfaite et telle qu'on ne la chercherait pas chez les Chinois, selon l'idée que l'on se fait ordinairement de cette nation. M. Robert Tom, qui se cache sous l'étrange pseudonyme le Paresseux (Sloth), vient de faire imprimer, à Canton, la traduction anglaise d'une nouvelle entremêlée de vers , et qui porte le titre de : La Colère persistante de mademoiselle Louan Kiao Ouang. Il a aussi voulu rendre aux Chinois l'emprunt qu'il leur a fait, en publiant en chinois les fables d'Esope. Il serait bien à désirer que M. Tom consentît à abandonner son pseudonyme et à nous faire connaître quelques-uns des romans chinois les plus célèbres.

Les dialectes du chinois ont été peu étudiés par les Européens, et tons les travaux récents sur ce

AOlJT 1840. 151

sujet se bornaient au Dictionnaire du dialecte de Fokien, publié par M. Medhurst, et à un petit vo- cabulaire du dialecte de Canton, par M. Morrison, imprimé, en 1829, à Macao; mais Tannée dernière a vu paraître deux ouvrages considérables sur cette matière. Le premier est la Gbrestomathie cliinoise dans le dialecte de Canton , imprimé, en 1 829, en un volume .m-lx°, aux frais d'une société dont le but est de répandre les connaissfinces utiles en Chine. Il ne porte pas de nom d'auteur, et indique comme lieu d'impression seulement la Chine. Il contient des conversations sur différents sujets dans le dia- lecte de Canton , accompagnées d'une transcription eifi cai'actères latins et d'une traduction en anglais. On a ajouté, au bas des pages, un commentaire sur les mots ou les allusions qui en exigeaient. Le se- cond ouvrage est le Dictionnariam anamitico-latinam et latino-anamiticum y par M^"^ Tabert, évêque d'Isau- ropolis «t vicaire apostolique de la Cochinchin^, imprimé à Serampour, en deux volumes in-/i°. L'au- teur, ayant été obligé de quitter son siège momen- tan^ent, i cause des persécutions qu'exerce le .roi dp, Gpchinchine contre les chrétiens, a profité de son séjour à Calcutta pour faire paraître ce dic^ tiounaire, auquel il a joint des dialogues fauii fiers, un abrégé de l'histoire, une grammaire, ui>e flore cochinchinoise et une carte du pays, très-su {>érieure à toutes celles qu'on possédait. La Com- pagnie des Indes en a fait les frais, et les mission- naires protestants de Serampour ont prêté leurs

152 JOURNAL ASIATIQUE,

presses et donné leurs soins de la manière la plus désintéressée , ce qui leur fait d'autant plus d'hon- neur que l'ouvrage était destiné, avant tout, aux be- soins des missions catlioliques, et que les relations entre les missions des différentes sectes chrétiennes ne sont malheureusement pas toujours aussi ami- cales. Il n'est pas probable que la littérature co- chinchinoise soit prochainement cultivée en Eu- rope; mais ce travail n'en est pas moins important sous le rapport ethnographique , parce qu'il prouve que la langue cochinchinoise n'est qu'un dialecte chinois , et sous le rapport de la philosophie des langues, parce que le cochinchinois offre des phé- nomènes grammaticaux auxquels on ne s'attend point dans un dialecte chinois.

M. Schmidt, à Saint-Pétersbourg, qui a déjà rendu tant de services à l'étude des langues de la haute Asie , a publié une Grammaire tibétaine , et a fait faire un progrès remarquable à l'étude du mon- gol par un autre ouvrage qui vient de paraître. Il avait fait imprimer, il y a trois ans, le texte des Hauts faits de Bogda Guesser khan, en mongol vulgaire, mais sans l'accompagner d'une traduction. C'était, comme il dit, une espèce de défi porté aux savants d'Europe , qui n'ont pas relevé le gant , ce qui était assez naturel; car la littérature mongole ne peut encore être cultivée avec succès qu'en Rus- sie. A la fin , M. .Schmidt se détermina , l'année dernière , à publier sa traduction allemande de cet

AOUT 1840. 153

ouvrage, qui est, comme le titre l'indique, une es- pèce de tradition épique mêlée de légendes boud- dhistes. C'est la production d'un peuple barbare, qui n'a pris du bouddhisme que ce qu'il avait de plus grossier dans sa mythologie ; et presque toutes les aventures qui sont racontées dans ce livre roulent sur des coups de fouet et des tours de sorcellerie. Néanmoins cette production n'est pas sans intérêt, même abstraction faite de son importance philolo- gique; car le fond de ces contes paraît être plus ancien que l'introduction du bouddhisme parmi les Mongols , et l'on y trouve le germe ou peut-être le reflet d'un certain nombre de contes qui se sont convertis, entre les mains des Persans et des Arabes, dans les récits les plus gracieux des Mille et une Nuits. La Russie nous promet encore d'autres ou- vrages qui devront faciliter l'élude 'du mongol. M. Kowalew«ki, professeur à Kasan, va publier en deux volumes une nouvelle édition de son ex- jcellente Chrestomathie mongole, avec une traduc- tion française au lieu de la traduction russe qui accompagnait le texte dans la première édition, et l'on dit que le même savant prépare un diction- naire mongol.

Ce rapport, messieurs, est déjà bien long, et pourtant je ne vous ai pajié, et bien incomplète- ment encore, que des éditions et des traductions d'ouvrages orientaux qui ont paru pendant l'année qui vient de s'écouler, ou dont la publication pro

l5/i .îOURî\A4. AiidATlQUlv

chaîne est attendue. U me resterait à vous rappeler les services que d'autres sciences, comme T^rchéo- logiç, la grammaire comparée et la géipgr^pbie, ont rendus i\ la littérature orientale. J'aurais désiré vçtus parler des recherches de «M. Lajard sui* les monu- ments du culte de Vénuç et de Mithra; des travaux de grammaire compajréç de M. Bopp^ e^ de bqiï école; de l^ géographie de l'Asie par M- lUtter; de la géographie de l'Asir par M. Jamard; du mémoire M. Rawlinson sur Ja géographie de la Perse jpçcidentale ; des progrès qu'a faits le |prand ouvrage ^e M. Siebold sur le Japopj de 4'ouvr^ge de M. Lew chine sur les Kirghis-Ks^is^ks; des monuments d'A \)QU découverts par M. Tod dans le Gw?erat; de la j^ç^cription de la presqu'île naalaye par M- Ne>vbol(j,; djçç magnifiques ouvrages de M. GQjM{?/!sur l'archi tecture du Caire, de M, Jones sur celle de TAlham- bra, de M. Giraud de Prangey sur 1^ monuments maures de Cordoue , de Séville et de Grenade , de M. Kittoe sur les [monuments architecturaux de rinde, et d'autres encore que je ne puis mêmp énui^érer, tant les études sur l'Orient se sont mul- tipliées. Mais cet embarras même de richesses doijt être , pour tous ceux qui prennent intér,êt au progrès des lettres orientales, un encouragement pour per- sister dans leurs études , et leuf donnei^ la conviction qnei malgré tontes les difficultés qu'ils rencontrent ^nQpre , ils np se sont pas égarés dans la rpute qu'ils suivent, et que leurs efforts répondent h Ain. besoin de nofre tjçflaps^

AOUT 1840. 155

SOCIÉTÉ ASIATIQUE.

1. ,,._ .

LISTE DES MEMBRES SOeSGRIPTEURS,

PAR ORDRE ALPHABÉTIÛÙK J'JOD S

S. M- LOUIS-PHILÏlPPl,^^^^^^^^

PROTECTEUR.

Académie royale des Inscriptions et Belles- Lettres (r).

MM. Abbadie (Théodore Antoine d»), à Axum.

Ampère , professeur de iittérature française au

Collège royal de France;iiiïofKi ] Antoine (l'abbé Joseph), prêtre du diocèse de

Besançon. Arakh el-Dadian, attaché à l'ambassade turque. Arnaud de Villeneuve, orientaliste. Arri (l'abbé), membre de l'Académie de Turin. AuDiFPRET, employé au cabinet des manuscrits

de la Bibliothèque du Roi.

Bach (JuUen). , •"» ; uu/ii »'»

Badiche (l'abbé), trésorier de ia métropole.

156 JOURNAL ASIATIQUE.

MM. Bailleul fils, bibliothécaire de la Soc. asiatique. Barges (l'abbé )-, professeur suppléant d'arabe

au collège royal de Marseille. Barthélémy de Saint-Hilaire, professeur au

Collège royal de France. Barucchi, directeur du musée, à Turin. Bazin, professeur de chinois à TÉcole spéciale

des langues orientales. Benary (le docteur Agathon) , à Berlin. Benary (le docteur Ferdinand), à Berlin. Belgiojoso (M'"" la princesse). MM. Belin (François- Alphonse).

Benêt, docteur en médecine , ancien médecin

du Mahâradja de Lahore. Bertrand (l'abbé), curé, à Herblay (Scine-et-

Oise). Bergmann, docteur en théologie. Bianchi, secrétaire-interprète du Roi pour les

langues orientales. ''" '

BiOT (Edouard). Bland, membre de la Société royale asiatique

de Londres. Brière (de), homme de lettres. Bonnety., directeur des Annales de philosophie

chrétienne. BoRÉ (Eugène). BoiLLY (Jules).

Brockhaus (le docteur Herman). Bdrnodf père, membre de l'Institut, professeur

au Collège royal de France.

AOUT 1840. <y- 157

MM. BoRNOUF (Eugène), membre de l'Institut, professeur au Collège royal de France.

Caussin de Perceval , professeur d'arabe à l'E- cole des langues orientales vivantes, et au Collège royal de France. . . li

Charmoy , conseiller d'JÉtât , ancien professeur à l'université de Saint-Pétersbourg. . ?

Chastenay (M""^ la. comtesse Victorine de). MM. CiRiER, correcteur d'imprimerie. !

Clarac (le comte de), conserv^ttfljiK-^es An- tiques du Musée . : « »{>«> ^ / / a î . l ] x^î?» ^' ¥ '

Clément-Mdllet (Jean-Jacques).

Clermont-Tonnerre (le marqliis d?)^ POlonel d'état-major. < i*

CoHN ( Albert ) , docteur ; enij philosophie , à Presbourg.

CoLLOT, directeur de la Monnaie.

CoNON DE Gabelenz , Conseiller d'État , à Alten- bourg.

Coquebert de Montbret (Eugène).

Cor, drogman de l'ambassade de France à Constantinople.

CoTTiN, élève de l'Ecole spéciale des langues orientales. {iqgi^c

Cousin 1 pair de France, membre de l'Institut.

Delessert (le baron Benjamin), membre de

. la Chambre des députés. ./ii/ I

Dernbdrg (Joseph), docteur. nhijj;!

158 JOIJRNA^L ASIATIQUE.

MM. DisAUGtÉR$ âîhé, chef de division att tïiihistèVe des affaire* étrangères . Desforges, propriétaire. .'"I"» Desgrangïs ( Aiix) , professeuf de tare au Col- lège royal France. Desnoye^s (le docteur), membre de la Société iii'i^r asiatique' de Calcutta. *

DestAjppe (Adolphe). Dèsvergërs ( Adolphe-Noël ) . DfiACH (P. L. B.), bibliothécà^t^e de la' Propa- -l'A -"''gâiidë. -''^ •";'^"'-

Dubedx (J. L.), conservatéui^-adjbintà la Bi- bliothèque du Roi. DulaurieR (Edouard), orientaliste. Bureau de Lamalle, membre de l'Institut, DuRivAu (Lucien) , élève de l'École spéciale des langues orientales.

EcKSl^rw (le baron d).

EicHHOFF, bibliothécaire de S. M. la reine des

Français. EiCHTAL (Auguste d')- <

Elliot ( Charles-Boileaui)i; ttifertlbrë de l'Aca-

déiAiie royale de Londres. Eyriès, géographe, membre de flnélitut.

Falconer (Forbes), professeur de LL. 00. au

Kings-GoUege de Londres. Fadriel, membre de l'Institut, professeur à la faculté des lettres.

>fr.

AOUT 1840. -^ 1%9'

MM. Feuillet, bibliothécaire deriiistifiit. ^^i --^î^ Fleischer , professeur, à Leipzig. ' Flottes, professeur de philosophie, à Mont-

, pellier. Flourde SÀiNt-GENis, inspecteur des domaines,

Flïjgel, professeur, a MeissenfSaxeJ. FoRTiA d'Urban (le marquis de). , FoDCAUx (Ph. Edouard). Fresnel (Fulgence).-^

GadY, juge au tribunal civil de Versailles.

Garcin de Tassy, membre de l'Institut, pro- fesseur d'hindoustani à l'École spéciale des

, langues orientales vivantes.

Gildemeister , docteur en philosophie.

Glaire (l'abbé), professeur d'hébreu à la fa- culté de théologie.

Gorresio (l'abbé), professeur à Turin.

Grangeret de Lagrange, conservateur de la '^'' bibliothèque de MrSënâl.

GcERRiER de Dumast ( Augustc-Frauçois-Pros-

per), secrétaire de l'Académie, à Nancy. ''ÔumNiA'nT, membre de l'Institut.

Handford (M"*^ Sarah), Cheyne Walk Chelsen

près Londres. '

Hase , membre de llnstitut. ' ' ^^"*

HasslbïI '(•Conrad-Thierry), à Ulm. ' ' '-^ HoEFFER (le docteur).

l

160 JOURNAL ASIATIQUE.

MM. IloLMBOE, conservateur de la bibliothèque de Christiania.

Jaubert (A.), membre de l'Institut, profes- seur de turc à l'Ecole spéciale des langues orientales vivantes.

JoMARD» membre de l'Institut, l'un des conser- vateurs-administrateurs de Ik Bibliothèque royale.

JosT (Simon), docteur en philosophie. ,.

JOUENNE d'EsGRIGNY (dë).

Julien (Stan.), membre de l'Institut, professeur de chinois au Collège royal de France, con- servateur-adjoint à la Bibliothèque du Roi.

Kazimirskt, drogman de l'ambassade de France en Perse. 1/ ( j >>

Kersten (de), conseiller de légation de 'S. A. le prince régnant de Schwartzbourg.

Kiriakoff, à Odessa. ^

Labouderie (Fabbé de) , chanoine honoraire de ^ <^. Saint-Flom-, vicaire général d'Avignon. Lajard (F.) , membre de l'Institut. Landresse, sous - bibliothécaire de l'Institut. Langlois, membre de l'Institut, inspecteur de . l'Université. Lanjuinais (le comte), pair de France. Lasteyrie (le comte de). Laurens , professeur de philosophie au collège de Montauban.

AOUT 1840. 161

MM. Le Bas, membre de l'Institut.

Lenormant (Gb.), conservatem'-admiiiistrateiir de la Bibliothèque du\Roi.

Lerambert (Charles-François) , élève de l'Ecole des langues orientales.

LiBRi, membre de l'Institut, professeur à la facidté des sciences.

LiTTRÉ, membre de l'Institut.

LoEWE ( Louis ) , docteur en philosophie , à Londres.

LoNGPERRiER (Adrien de), membre de la So- ciété royale des Antiquaires.

Mac Guckin de Slane (le baron). Marcel , anc. direct, de l'Imprimerie royale. Maury (A.) , employé à la Bibliothèque du Roi. Mayer, docteur en philosophie. Merlin, libraire. ;

Methivier (Joseph), propriétaire, à Bellegarde

(Loiret). Meyendorff (le baron de). Mignet, membre de l'Institut , conseiller d'Etat. MiLON, sénateur, à Nice. Mohl (Jules).

MoHN (Christian). :;,:

Monrad (D. g.), à Copenhague. - î MooYER, bibliothécaire, à Minden. Mdller (l'abbé Jean).

MuNK (S.) , employé aux manuscrits de la Bi- bliothèque royale.

IÔ2 JOUKNAL ASIATIQUE.

MM. Munster (le comte de) , pair d'Angleterre.

NèvE, orientaliéte.

Nicolas (Michel ) , docteur en théologie.

Noël (Vincent), agent consulaire dans Tile de Zanzibar.

Ndlly ( de) , secrétaire-interprète de la direc- tion d'Alger au ministère de la guerre.

Olloba d'Ochoa (Charles). OusELEY(sir Gore), vice-président de la Société royale asiatique de Londres.

PAoès (Léon).

Palon (de la), consul de France en Amérique.

Paravey (de), membre du corps royal du génie.

Parthey (le docteur) , à Berlin.

Pasquier (le baron), chancelier de France.

Pastoret (le comte Amédée de), membre de

l'Institut. Pauthier, homme de lettres. Pavie (Théodore), élève de l'École spéciale

des langues orientales. Perron, professeur à l'École de médecine du

Kaire. Pictet (Adolphe), à Genève. Platt (William). PoRTAL, maître des requêtes. PoRTALis (le comte), pair de France, premier

président de la Cour de cassation.

AOUT 1840. 163

MM. QuATREMÈRE, lïiembie de l'Institut, professeur d'hébreu au Collège royal de France , et de persan à l'École spéciale des LL. 00. etc.

Radzan (le duc de).

REGNIER , professeur au collège royal de Char-, lemagne.

Reinaud , membre de l'Institut , professeur d'a- rabe à l'École spéciale des langues orientales.

Reuss, docteur en théologie, à Strasbourg.

RicHY, à Calcutta.

RoEDiGER, professeur à l'université de Halle.

Rœth, docteur en théologie.

RoMEY (Ch.), homme de lettres, à Paris.

RoYER, orientaliste, à Versailles.

Saint-Dizier (de), au château de ,]L»angeac (Gi^:'onde).

Salle (le docteur E. de), professeur d'arabe, à Marseille.

Santarem ( le vicomte de ) , membre de l'Aca- démie royale de Lisbonne.

Saulcy (de), correspondant de l'Institut, capi- taine d'artillerie et professeur de mécanique à l'École d'application de Metz.

Sawelieff (Paul), attaché à l'Acadépiie impé- riale des sciences, à Saint-Pétersbourg.

ScHCLz (le docteur), de Kœnigsberg.

SéDiLLOT, professeur d'histpive.auiOpUége royal de Saint-Louis.

164 JOURNAL ASIATIQUE.

MM. Segond, docteur en théologie, c^ Genève.

Sernin , docteur-médecin de l'hôpital , à Nar- bonne.

SiONNET (i'abbé).

SiVRY (de).

Smith, attaché au cabinet de M. le Ministre

de l'instruction publique. SoLVET, substitut du procureur du Roi, h

Alger. SoMxMERHAusEN ( Hcury ) , à Bruxelles. SoNTHEiMER (de), chcf d'état-Hiajor médical, à

Stuttgardt. SoRGo (le comte de). Stahl , professeur. Staunton (sir Geo. Th.), membre du Parlement.

Theroulde, voyageur dans l'Inde.

Théimouraz (le prince), à Saint-Pétersbourg.

Tolstoï (le colonel Jacques).

ToRNBERG, docteur en philosophie à l'univer- sité d'Upsal.

Troyer (le capitaine).

ToLLBERG, docteur en philosophie à l'université d'Upsal.

Uhlemann (Frédéric) , docteur en philosophie , à Berlin. ' '^''J- '^'^^^^

Van der Maelen , directeur de l'établissement géographique, à Bruxelles.

AOUT 1840. 165

MM. Vaucel (Louis), à Ghampremont (Mayenne). ViLLEMAiN, pair de France, membre de l'Institut. Vincent , orientaliste.

Warden , ancien consul général des Etats-Unis, correspondant de l'Institut.

Weil, bibliothécaire de l'université, à Hei- delberg.

Wetzer (Henri-Joseph) , professeur de litté- rature orientale , à Fribourg. S. A. le comte Wilhelm de Wurtemberg. MM. WoLFF, docteur en philosophie, à Rottweil (Bade).

WÛRTZ, négociant, à Paris.

IL

LISTE DES MEMBRES ASSOCIÉS ÉTRANGERS,

suivant l'ordre des NOMINATIONS.

MM. le baron de Hammer-Purgstall (Joseph), con- seiller actuel aulique.

Ideler, membre de l'Académie de Berlin.

Le docteur Lee, à Gambridge.

Le docteur Macbride , professeur, à Oxford.

WiLsoN (H. H.), professeur de langue sans- crite , k Oxford .

166 JOUhNAL ASIATIQUE.

MM. Fr.4;Hn (le docteur iCharies-Mardn), membre do : .îj 1 ^dj " 1 f Académie des sciences, à Saint-Pétersbomg.

OuwAROFF, ministre de rinstruction publique de Russie, président de l'Académie impé- riale, à Saint-Pétersbourg.

Van der Palm (Jèan-Henri) , professeur à l'uni- versité de LeydeJ ' '

Le comte Gastiglioni (Carlo-Ottàtlè^M Milan. •»f» ' RicKETS, à Londresl-*«<>^'-'i '^^^^i .laxraV,

De SchleôieL' (Â. t¥.), professeur à l'univer- sité de Bonn. ; . i - ;.! / r ' '' ''^'G^îsENius (Wilbélm) ,' préfe§sëtir àf iW<reHitè de Halle. ^*>^'^^ ^

WiLKEN, bibliôthécaii^''dié'^^8^. M-. le roi de Prusse, à Berlin.

Peyron (Amédée) , professeur de langues orien- tales, à Turin.

Freytag, professeuif de langues orientales à l'université de Bonn.

Démange, attacbié au ministère des affaires étrangères de l'empire de Russie.

Hartmann, à Marbourg.

Delaporte, consul de France, à Mogador.

Kosegartew { iFeah-&odeiroi-Loui^'}^, p^ofèsi^Af à l'université GrèisWaldèi ''"^'^''^^

BoPP (*Fr. ) , tî>èTribr« de f Acadétniè «fe'Berlin.

DOhsson, atelbfàikideùr déSùèd'é'â^'liè'tetur de

Sir Graves Chamiie^' HACGir^cSii ,' i4t»''i1*listitut de France.

AOUT 1^40. 167

MM. \\ YNDHAM Knatchbull, à Oxl'oid.

ScHMiDT (L. J. ), de l'Académie impériale de Saint-Pétersbom^g.

Haughton (R.), professem' d'hindoustani au sé- minaire militaire d'Addiscombe , àCroydon.

HuMBERT , professeur d'arabe , à Genève.

MooR (Ed.) , de la Société royale de Londres et de celle de Calcutta.

Jackson (J. Grey) , ancien agent diplomatique de S. M. Britannique , à Maroc.

De Speranski , gouverneur général de la Sibérie.

Shakespear, à Londres.

GiLCHRiST (John Borthwick), à Londres.

Othmar Frank, professeur à l'université de Munich.

LiPOVzoFF, interprète pour les langues tartares, à Saint-Pétersbourg. 'uoi.

Elodt, secrétaire de la haute régence ''des Indes, à Batavia. V

De Adelung (F.) , directeur de J'insti^wt oxien taL de Saint-Pétersbourg. r. V

Le général Briggs. j, ,

GrAiNT-Duff , ancien résident à la cour de Satara.

Hodgson (B. h.) , résident à la cour de Népal.

Radja Badhacant Deb, à Calcutta.

Radja Kali-Krighna Bahadour , à Calcutta. '■

Managkji-Cdrsetji , membre de la Société asia- tique de Londres, à Bombay.

Le général Court, à Labore.

Le général Ventura, à Lahore.

168 JOURNAL ASIATIQUE.

MM . Lassen (Ghr.), professeur, à Bonn. Le major RAWLiNsbN, h Téhéran. VuLLERS, professeur de langues orientales, à Giessen. .(iot)/RowALEWSKY ( Josepli-Étienne ) , professeur, à

Kasan. Monseigneur Tabert, vicaire apostolique dans les royaumes de Siam et de Gochinchine.

5)iJ|

IIL

LISTE DES OUVRAGES

PUBLIÉS PAR LA SOCIÉTÉ ASIATIQUE.

Journal asiatique, seconde ^én'e, années i828-i835, 16 vol.

,,^« .in-8*', complet; i33 fr., el pourJes membres de la Société, 100 fr. Chaque volume séparé l'exceplion des vol. 1 el II, qui ne se vendent pas séparément) coûte 8 fr., et pour les nièmbres 6 fr. ' ' '''

Troisième série, vol. I à VIII, 1 856- 1889; 100 fr.

Choix de Fables arméniennes du docteur Vartari , accom- '• ' pagné d'une traduction littérale en français , par M. J. Saint- îî 'Martin. Un volume in-8''; 3 fr. 5o c, el 1 fr. 5o c. pour les membres de la Société.

Éléments de la Grammaire japonaise, par le P. Rodriguez, traduiU du portugais par M. Landresse; précédés d'une explication des syllabaires japonais» et de deux planches contenant les signes de ces syllabaires, par* M. Abel-Ré- musat. Paris, 1825, 1 vol. in-8°; 7 fr. 5o c, et A fr. pour les membres de la Société.

AOUT 1840. ; i 169

Supplément à la* Grammaire japonaise, par MM. G. de Humboldt et Landresse. In-8°, br. ; 2 fr., et 1 fr. pour îes membres de la Société.

Essai sur le Pâli , ou langue sacrée de la presqu'île au delà du Gange; par MM. E. Burnouf et Lassen. 1 vol. in-8°, grand-raisin , orné de six planches; 12 fr., et 6 fr. pour les membres de la Société.

Meng-Tseu ou Mencius, le plus célèbre philosophe chinois après Confucius; traduit en latin, avec des notes, par M. Stan. Julien. 2 vol. in-S" (texte chinois lithographie et traduction); 2^4 fr., et 16 fr. pour les membres de la So- ciété.

Yadjnadattabadha, ou la Mort d'Yadjnadatta, épisode extrait du Râmâyana, poëme épique sanscrit; donné avec le texte gravé, une analyse grammaticale très-détaiUée , une traduction française et des notes , par A. L. Chézy, et suivi d'une traduction latine littérale par J. L. Burnouf. 1 vol. in-4°, orné de i5 planches ; i5 fr, et 6 fr. pour les membres de la, Soc^e'té. j,^ -'vjjifî i

Vocabulaire géorgien, rédigé par M. Klaproth. 1 vol.'in-S"; 1 5 fr., et 5 fr. pour les membres de la Société. u^

Poëme sur la prise d'Édesse, texte arménien, revu par MM. Saint- Martin et Zohiab. i voj. inS°'-, 5 fr., et 2 fr, 5o c. pour les naembres de la Société. , > i

La Reconnaissance de Sacountala, drame sanscrit et pra- crit de Kâlidâsa, publié en sanscrit et traduit en français par A. L. Chézy. 1 fort volume in-A", avec une planche; 35 fr., et 1 5 fr. pour îes membres de la Société.

IChroniqoe géorgienne , traduite par M. Brosset. Impri- merie royale, 1 vol. grand in-S"; 10 fr., ei(6 fr. pour les membres de la Société. ; :; o-

Chrestomathie chinoise. 10 fr., et 6 fr. pour les menpbres de la Société.

170 JOURNAL ASIATIQUE.

fiLÉM£Nrs DE LA LANGUE GEORGIENNE, par M. Biossel, membre adjoint de l'Académie impériale de Bussie. i vol. grand in-8°. Imprimerie royale; 12 fr., et 7 fr. pour les membres de la Société.

GfiOiîuApriiE d'Abou'lféda, texte arabe, par MM. Reinaud et le baron de Slahe. In-^'; 5o fr., et 3o francs pour les membres de la Société.

Chronique de Kachemire, en àaoscntet en français, publiée par M. le capitaine Troy^r. Ip-Ô*.

'.fi'jif <^ï "îiMfj .-i' h I I') . Il i' ouvrages encouragés.

ïaraf/e Moallaca; eum Zuzenii scbolus, edid. J. Vuliers. y 1 vol. in-A* ; ^ fr. pour les membres de la Société.

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Lois DE Manou, publiées en sanscritV avec Une traduction française et des notes , par M. Auguste Loiseleur-Deslong- champs. 2 vol. in-8°; 21 fr. pour les membres de la So- ciété'.

Vendidad-Sadé, l'un des livres de Zoroa&lre, public d'après le manuscrit zend de la Bibliothèque du Roi, par M. E. , iPurnouf, en 10 livraisons in-fol. de 56 p. Livraisops i-i>; <ii. Aftfr-M Uvraispn,.p9jir,,lcs membres de, la Sqciétér r ,

Yto - Kl AO-Li, roman chinois, traduit par M. Abel-Réniusat, texte autographié par M. Lcvasseur.'Edition'dans laquelle . pn donne la fcwme régulière des caractères vulgaires, tl des variantes; i" livraison. InrS'; L'ouvrage auna 10 livrai sons, à 2 fr. 5oc. '

Y-KING, e< latina intèrprelatione P. Régis, edidit J. Mohl. 2 vol. in-8°; 1^ fr. pour les membres de la Société.

AOUT 18/10. 171

CoT«TES ARABES DO Cheykh el-Mohi>y, traduit5 par J. J. Mar- cel. 3 vol. in-S", avec vignettes; 12 fr. ><■ li '" r ^-"i

-, ! •-./;/. 7-i/!T.;A/j MÉMOIRES RELATIFS A LA Georgie^ |)ar M, Brosset, 1 ,Yq1.

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Dictionnaire fhakçais-tamodl et TAMOGL-FRANÇAiSy'piii- M. A. Blin. 1 vol. oblong; 6 fr. ^M

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:"i\-nj .!<) i .)iji(; .'Z DmoT

Nota. MM. les membres de la Société doivent retirer fés ouvrages dont ils veulent faire l'acquisition à Tagetipe-de la Société,, ru^e Ta- ranne, n" 12. Le nom de lacquéreur serd pprté sur uu registre et inscrit sur la première feuille de rexeinplalre qi^i ly^,ayira..çté déli- vré, en vertu d^ règlement. ; j^^«;^x ^U^U

lîJT ;-to ..îA ;iûol.

«o«. /^-. ,,f^_;\i:y,,"

IV.

LISTE DES OUVRAGES

MIS EN DÉPÔT PAR LA. iofel^tÉ^ AfifÂtl^QUE DE CALCUTTA, POUR LES MEMBRES.

Raja Tarangini, Histoire-de Cachemire. 1 vol. in-^°; -27 li

Moojiz el-Qdanoon. i vol. in-S"; i3 fr

Basha Parichheda. î'vol. in-8** ; ';^ fi".

L1LAVATI (eu. persanj. 1 vol. in-8°; 7 fr,

I^ERsiAN sélections.' l'visl. inî-S*; IcV ^.*' ^ i(y

KifrAYA.^ol. m et IV. p vol. Îri4*; 38'fi' viliitfië'

IwAYAH Voli Wfrti^ (^ v6l.'(in4/î'';l38lfr: ief iokimfi >'

172 JOURNAL ASIATIQUE.

Anatomy, description or the heart. (En persan.) i vol.

in-8° ; 2 fr. 5o c. RAGHU-VfNSA. 1 vol. in-S'; 18 fr.

ASHSHURH OOL-MOOGHNÉE. 1 VOÎ. 10-4"; 38 11.

TuiBETAN DiCTiONARY, by Csoma de Kôrôs. i v. in-4"; 27 IV. Thibetan Grammar, by Csoma de Korôs. 1 vol. in-^"; 22 fr. Mauabhàrata. Tomes I, Il et III. In-à"; ào fr. le voh Sdsruta. 2 vol. in-8°; 26 fr. Naishada. 1 vol. în-8*; 22 fr.

AsiATic Researches. Tomes XVI et XVII. 2 v. in-A"; 34 fr. le volume.

Tome XVIII, 1'^ et 2' part. 1 vol. in-li"-, 22 fr. cbaque partie.

Tome XIX, 1" partie. 1 vol. in-4°; 26 fr.

Tome XX, 1" partie. 1 vol. in-/i"; 22 fr.

Index. 1 vol. 10-4"; 20 fr. UsEFUL Tables, by J. Prinsep. 2 vol. in-8°^ 16 fr. JoDRNAL OF THE AsiATic SociETY OF Bengal. Les année»

1836-39. ^^ ^^- l'année.

RÈGLEMENT

RELATIF

AUX PUBLICATIONS DE LA SOaÉTÉ ASIATIQUE.

ARTICLE, PftEjyiIÇR.

Tous les ouvrages que la Société publiera ( à Tex- ception du Jourual asiatique) seront imprimés dans le même format , de manière à former une collée-

AOUT 1840. 173

lion intitulée : Mémoires, textes orientaux et traduc- tions , publiés par la Société asiatique.

ART. 2

Une commission permanente est chargée de l'exé- cution de cette mesure. Elle est composée du pré- sident, du secrétaire, des deux vice-présidents et de trois membres élus. Elle est renouvelée par le Conseil, dans sa séance du mois de janvier de chaque année. Les trois membres sortants sont rééligibles.

ART. 3.

La commission des publications examine tous les travaux présentés pour être insérés dans la collection, et fait sur chacun un rapport dans son sein. Elle propose au Conseil la composition de chaque vo- lume, et le Conseil vote sur l'adoption ou l'exclu- sion de chaque travail proposé pour l'impression par la commission.

ART. Ix.

La commission ne peut proposer pour l'impres- sion que des travaux qui sont entièrement achevés et déposés entre ses mains. Mais la priorité de pré- sentation n'entraîne pas la priorité d'impression.

ART. 5.

La commission est chargée de tous les soins qu'exige l'exécution matérielle des impressions.

I7a JOURNAL ASIATIQUE.

ART. 6.

La commission peut proposer au Conseil d'accor- der aux auteurs des exemplaires gratis, dont le nombre ne pourra dépasser cinquante par volume. Si un volume se composait de travaux différents, ces exemplaires seraient répartis en raison de l'éten- due de chaque travail.

■M^^^^

AOUT 1840. 175

NOUVELLES ET MÉLANGES.

EXTRAIT D'CNE LETTRE DE M. LESSON A M. DULAURIER. (Communiqué par M. Dulaurier. )

Rochefort, ce 24 janvier i8^o.

Je vous avoue , Monsieur, que je regarde la langue malaye comme d'une utilité première pour un peuple navigateur, et que j'ai toujours été étonné qu'on ne l'ait pas professée à Paris. Généralement parlée sur tous les rivages de ces grandes terres de l'est, depuis la Sunda jusqu'à la Nouvelle Guinée, depuis les Philippines (rivages et ports seulement) jusqu'à la presqu'île de Malacca et à Timor, elle intéresse au plus haut point nos relations commerciales. Par elle, et surtout par les écrits répandus sur ces îles , nous pourrons débrouiller les entreprises de cette variété de races humaines si remar- quable par la hardiesse de ses excursions lointaines , par ses migrations ou ses colonisations, et qui nous est si peu connue. L'histoire de l'homme a tout à gagner à approfondir les an- nales de ce peuple essentiellement maritime et navigateur, chassant les indigènes et les refoulant dans l'intérieur des terres, et s'asseyant sur les fleuves et sur les baies pour maintenir sa possession et se réserver le monopole des tran- sactions commerciales. Il n'y a pas jusqu'au génie de cette langue si simple et en même temps si sonore qu'il serait curieux de suivre dans une foule de dialectes légèrement al- térés. Le malay est l'espagnol de l'Océartie: avec cette langue nous déchirerons le vOile qui couvre encore l'histoire de Bor- néo, de Sumatra; par elle nous apprécierons mieux les pro- ductions naturelles si riches de ce sol fécond et, disons-le, si mal connu. Nos commerçants, à l'aide du malay, opéreront sûrement des transactions trop souvent interrompues par le

176 JOURNAL ASIATIQUE.

meurtre et le pillage , nés parfois de malentendus. Marsden , Crawfurd et Legden ont rendu à la philologie de grands ser- vices, et do plus grands encore peut-cire au gouvernement anglais. Si les autres nations l'emportent sur nous par les spéculations lointaines, elles le doivent à leur possession de moyens de communication plus sûrs, à des idées plus arrê- tées sur les mœurs , les habitudes , les préjugés , toutes choses qui naissent de la connaissance de la langue d'un peuple et de ses productions littéraires qui en sont le reflet.

Des travaux étrangers aux langues m'ont distrait de recher- ches sur le malay, que j'ai parlé autrefois pour les besoins usuels de ma navigation ou de mes relations journalières avec ces peuples. Mais je ne saurais rester étranger aux pu- blications qui auront ces études pour objet.

Veuillez agréer, etc.

Raja Kalikrishna s'occupe, dans ce moment, à publier à Calcutta le texte sanscrit du drame intitulé Ma/ia«a/a/ra (c'est- à-dire le Grand Drame). Il a réuni plusieurs manuscrits qu'il s'est procurés principalement à Benarès, et qui lui ont servi à former un texte critique de cet ouvrage. Il accompagne son édition d'une traduction anglaise.

On dit que M. Arri, à Turin, va publier une vie d'Ibn- Khaldoun. On sait combien la vie de ce grand historien a été agitée, et qu'il a été mêlé aux plus grandes affaires d'État de son temps. Rien ne saurait être plus intéressant que des vies détaillées des hommes les plus marquants du khalifat, et rien ne pourrait nous initier mieux à la connaissance de la vie réelle et du génie du peuple arabe qu'une collection un peu considérable de biographies.

JOURNAL ASIATIQUE

SEPTEMBRE 1840.

*9^0^^*

LETTRE

Sur la géographie de l'Arabie, par M. Fulgence Fresnel. (Suite et fin.)

Comme les villes de Garnon et de Mariaba Bara- malacum dépendaient, selon Pline, non-seulement de la même nation des Minéens, mais de la même province , on peut admettre que la seconde ville était située, ainsi que la première, dans la vallée de Doàn, qui fut le terme de l'expédition romaine..

Ainsi les Romains ont pénétré dans le-Hhadra- maut, en prenant ce mot dans son acception la plus large.

Ce ne fut que dans le Hhadramaut qu'ils rencon- trèrent des ennemis dignes d'eux. Pline dit, enparr lant d'ifllius Gallus : « Cœtera explorata retulit ..... Cerhanos et Agrœos annis prœstare maxime Chatramo- TiTAS. » Encore à présent, les Hhadramites (ouHha- dramautites) sont la portion la plus belliqueuse et la plus estimable de toute la population arabe,

178 JOURNAL ASIATIQUE.

(i Minœis fertiles agros palmetis arhustisque, in pé- core (livitias.)\ (P. 732.)

Rien de mieux cultivé et de plus peuplé , dans l'Arabie méridionale , que cette vallée de Doàn , se- lon ce que m'a rapporté le Schaykh Aly, petit mar- chand établi depuis plusieurs années à Djeddah^

Et il faut bien admettre que les Romains ont pé- nétré jusque dans l'intérieur du Hhadramaut, pour comprendre la durée de leur retraite. Au retour, ils ne furent point trompés par leurs guides , comme ils l'avaient été dans leur marche du nord au sud, et ils n'en mirent pas moins soixante jours à rega- gner le port de Leucé-Comé (Hawrâ), d'où ils s'em- barquèrent pour Myos-Hormos. La fixation deCarna dans 4a vallée de Doàn nous donne à peu près l'ex- pan^on du territoire des Minéens, entre les Sa- l3éens et le Hhadramaut. La région des Minéens devait comprendre la moitié orientale du territoire de Yâfè, et la moitié^ occidentale du Hhadramaut actuel. Ainsi, Schibâm, et Férîm, et le tombeau de Hoûd, et le puits de Barhôt (la source du Styx), (pli font aujourd'hui partie du Hhadramaut, appar-

* Jrt est bon d observer ici que, chez les Arabes, les noms de Iteux sont toujours Irès-dislincts des noms de peuples ou de races; mais les Romains paraissent les avoir confondus quelquefois. Ainsi Pline range les Toani (p, 728) parmi les peuplades qui occupent Tinté- rieur de l'Arabie méridionale-, or ce nom de Toani me rappelle Doàn. nom de lieu, et je suis très-porté à croire que ceux qu'il appelle ici Toani sont précisément ceux qu'il appelle ailleurs. -Afmœi d'un nom plus compréhensif, et Charmm ou Bhadamei d'un nom plus restreint.

SEPTEMBRE 1840. 179

tenaient aux Minéens [Mtvaioi, fxéya iOvos; Minœi, gens magna).

Mais nous n'avons pas encoi^e vu ce que Ptolé- mée dit de ses Manites, et ce qu'ils ont de commun avec les Rhamanites de Strabon et les Rhadaméens de Pline.

Ptolémée semble placer les Manites dans la par- tie moyenne et occidentale de la Péninsule, abso- lument comme si Jlil ^j , ou plutôt Jlil ^J^\ , Ar- rabà Ikhâlî, « la demeure vide , » eût été habité de son temps ; mais il ajoute : a Et suh Manitis interior Myrrhifera. Posteà Minœi, gens magna, n Je ne lui en demande pas davantage. 11 faut observer que Pto- lémée nous présente toutes les peuplades d'Arabie, grandes et petites , comme indépendantes les unes des autres. On remarque çà et là, dans Pline, quel- ques velléités de classification : nEx Minœi

quorum Charmeei, » mais pas la moindre dans Ptolé- mée. Il me suffit donc que ce dernier place les Mi- néens à côté des Manites : nous avons vu que Pline met aussi les Rhadaméens à côté des Minéens.

D'autre part, Strabon nous apprend qu^Elius Gallus , parvenu sous les murs de Marsyabae , la ville des Rhamanil^s, n'était plus qu'à deux journées de la région des Aromates. Ceci cadre bien avec le passage de Ptolémée que nous venons de citer : « Et sab Manitis interior Myrrhifera. » Ptolémée divise la région des Aromates en trois parties : la Myrrhifère intérieure, la MyiThifère extérieure et la Libanoto- phoros, ou région thurifère proprement dite. Dans

180 JOURNAL ASIATIQUE

l'état actuel de nos connaissances sur l'encens , la myrrhe, le Hhadramaut et le pays de Mahrah, il y aurait, je crois, de la témérité à vouloir rendre compte de cette division : cette question est d'ailleurs assez intéressante pour réclamer un mémoire à part; et je me borne à observer ici qu'en admettant, avec moi, que les Manites de Ptolémée sont les Rhama- nites de Strabon, on trouve ces deux géographes d'accord entre eux sur la fixation de la limite inté- rieure (occidentale) de la région des Aromates.

Quant aux Arahanites, « Et usque ad CUmacam Ara- bariitœ,)) ils n'ont rien à faire ici, attendu que le mont Climaque est dans le Yaman occidental. C'est la montagne du Café.

Le lectem' qui aura eu la patience de me suivre jusqu'ici, comprendra qu'il me sera difficile de résu- mer en quelques lignes la série de raisonnements et d'inductions sur laquelle mon opinion se fonde. Je me crois d'ailleurs dispensé de le faire, ayant tou- jours écarté de la discussion les nombreuses ques- tions incidentes qui voulaient se jeter à la traverse , et renoncer à fappui de toutes les considérations secondaires ou de médiocre valeur; enfin à tout ce qui n'allait pas droit au but. Tous ceux qui ont écrit peu ou beaucoup savent qu'il est bien pkis facile de délayer que de concentrer la matière que f on traite, et que la concision demande plus \de temps et de travail que la prolixité. j <

i Je tenhine cette dissertation en rappelant que la position indiquée par Ptolémée, pour la source du

SEPTEMBRE'1840. 181

Styx (78° long., i5° lat.), coïncide (eu égard à Ter- reur générale, dont je tiens toujours compte, mais qui n'affecte pas sensiblement les distances entre \e$ différents points de la Péninsule) avec la position qui me fut indiquée à Djeddah pour le puits de Barhôt, sont les âmes prédestinées à l'enfer, et que les Minéens, fils de Minos, et les Rhadaméens, fils de Rhadamanthe , devaient être aux environs de cette source.

APPENDICE.

A propos de la Mariaha Calingiorum, Pline observe que le mot Mariaha signifie « dominos omnium. )) En cela, il se trompe probablement, et je crois qu'il n'est pas impossible de remonter à forigine de sa méprise. Avant de nommer Mariaba Calingiorum , il a fait mention d'une autre Mariaba, Mariaba Ba- ramalacam (celle que nous avons identifiée avec Marsyabae de Strabon). C'est, ainsi qu'on fa vu, la plus grande des deux : elle a quatorze mille pas de circuit, «etipsum (oppidum) non spernendum , » comme il le dit lui-même et avec raison; car cette ville aurait eu plus de cinq lieues de tour, à raison de deux mille sept cent trente-neuf pas géométriques ( de cinq pieds chacun) par lieue commune de deux mille deux cent quatre-vingt-trois toises. Mais, comme nous l'avons dit, il est probable qu'il a magnifié à dessein cette Mariaba, qui n'était pas la capitale des Minéens, et rapetissé d'autant la capitale de Carnon.

Or, le génitif pluriel Baramalacum , que Pline

182 JOURNAL ASIATIQUE.

ajoute au nom de cette Mariaba pour la distinguer de ses homonymes , est visiblement composé de bar, qui veut dire « fils » en hbimyarique comme en chai- déen , et de malak ou malik, qui veut dire « roi » dans toutes les langues sémitiques. Ainsi Mariaha Bara- mahcum signifierait « la Marib des Princes. » Mais , comme vous le voyez, ce n'est pas le premier mot, Mariaha y c'est le second, c'est l'annexe, dont on peut dire qu'il signifie «dominos omnium.»

Quant au mot Marib ou Maârib, il est naturel d'en chercher la signification dans l'hébreu , qui , de toutes les langues connues , est celle qui oflVe le plus de ressemblances avec le hbimyarique, non pas sous le rapport gi affunatical , mais sous celui du diction- naire. Job (xxxviii, l\o) emploie le mot ereb T)H dans le sens de latibalanif « repaire de bêtes fauves; » et l'on peut très-bien admettre que le nom de liea ({j^ l^^-î) marâh nnxD doit avoir le même sens, outre celui d'embuscade [hinterhalt) qui est commun à tous les deux. D'après cela, Maârïb si)^ signifierait latibala ou «halliers)) (gebûsch)^ si l'on adopte la forme plurielle de ce mot; et, comme Strabon nous apprend que « Meriaba , » ville des Sabéens , ou plus exactement « la ville des Sabéens , » H J'e Tzé'Xis tôHv ^a^aicov, >) Mep/aêa , était sur une colline bien boisée, èir* 6povs evSévSpoVf l'étymologie que je propose et le sens que je donne à Maârib n'ont, ce me semble, rien de forcé. Voici donc comment je m'explique l'interprétation vraisemblablement erronée de Pline :

SEPTEMBRE 1840. 183

il aura d'abord confondu les deux Mariaba, et en- suite, dans le nom complexe Mariaha Baramalacam, attribué au premier des deux mots le sens qui ne pouvait convenir qu'au second.

Dans la récapitulation des villes et peuplades de l'Arabie Heureuse , Pline a déployé un certain luxe de philologie orientale , chose fort rare (malheureu- sement) chez les auteurs grecs et romains. Sa tra- duction de Mariaba est le troisième essai de ce genre. Le premier est sa traduction de Riphearma ; oppi- <( dum, quo vocabulo hordeum appellant. » (P. -y 2 9.) Il est singulier que le P. Hardouin ait écrit là-dessus un commentaire ainsi conçu :

(k [Hordeum appellant) vocabulo prorsùs barbaro, «quod nec hebrœos fontes nec arabicos sapit, uti (( et ea quœ proximè sequitur Emischahales, «

Car, si vous réunissez les deux mots hébreux , dont l'un signifie « gruau » et l'autre veut dire « orge , » mots qui s'emploient tous les deux au pluriel , vous aurez Riphôth-scheôrîm nni^^Ç^ niDn, et, en observant que la voyelle d du second mot appartient à un y (àyn) , Riphôth-scheârim, Supprimez la désinence plu- rielle du premier mot, il restera Riph-scheârim , et, avec la terminaison obligée en a, Riph-sclieârima , d'où il n'y a plus qu'un pas à Riphearma. Quand deux mots coalescent d'une manière intime, il est tout naturel que la queue du premier et la tête du second disparaissent dans la coalescencc.

Dans la seconde partie du vocable barbare Emis- chahales, on reconnaît tout de suite le mot arabe

\SU JOURNAL ASIATIQUE.

Js?î ibil, qui veut dire « chameaux : » il n'est donc

pas impossible que ce mot signifie «Camelorum « oppidum, » et il ne serait pas difficile de compléter la restauration d'une manière passable. Mas'hkâou 'lihil (cK?^l ^^^^:^i*^), par exemple, signifierait «l'es-

«planade des chameaux; » Maçahhou libil {J<i^\ ^), (( le torrent ou la cascade des chameaux : » et , comme Pline lui-même nous avertit que Emischabales n'est pas une «ville des chameaux, » mais une fontaine, ma chute d'eau présenterait un sens plus satisfaisant que son oppidum.

Un peu plus loin , Pline nous dit que le nom de peuple ou de ville Cauranani signifie « ditissimos ar- «mento.» Il s'agit ici d'un peuple du Nadjd; il faut donc chercher à Cauranani une racine arabe , non hé- braïque ou hhimyariquc. Or, je lis dans le Ssahhâhh,

SOUS la racine {jji ckarn :

S^y y 3 >^ 3 ^ 3 j y(i y jQy y y a y ^ C ^ Q^ j y O j y

j y jy ^ f..'-' -»'' 0 '''' y^^y jy y J yy

y y^ y ^ ^

« Le moukran est celui qui se trouve débordé par « ses propriétés rurales , qui possède chameaux et Jé^moutons, mais na personne pour l'aider à les «garder; qui mène ses chameaux à l'abreuvoir, et « n'a personne pour les conduire. » Le mot mouk- ran fait au pluriel moacfera^o«n et mouckranîn, ou mckranin. H n'y a donc que le mim ^ initiai à sup-

SEPTEMBRE 1840. 185

primer pour avoir les lettres (consonnes) du nom de Pline , avec le sens précis qu'il lui attribue.

Je suis loin d'attacher à ces dernières étymologies plus de valeur qu elles n'en ont réellement. J'ai voulu faire voir que les mots prétendus barbares , relevés par le P. Hardouin, peuvent, sans beaucoup d'efforts , se rattacher à des racines hébraïques ou arabes, et rien de plus.

Mais , en montrant que Pline s'est probablement trompé sur le sens de Mariaha, et qu'il a attribué à l'une des deux villes secondaires de ce nom ce qui ne convient qu'à l'autre, j'ai rendu, ce me semble, encore plus probable l'erreur du secrétaire ou co- piste qui, dans le passage relatif à ^Elius Gallus, détermine la Mariaha en question par le chiffre VI au lieu du chiffre XIV, toujours diaprés cette idée mère, que la ville dont les Romains furent obligés de lever le siège devait être une ville du second ordre, non d'un ordre inférieur, puisque nous savons po- sitivement que ce n'était point une capitale.

C'est une chose bien digne de remarque que, dans f empire ou les royaumes du Yaman , presque tous les noms de métropoles aient été appliqués à des lieux différents; et je ne puis m'expliquer cela que par le morcellement de ces royaumes , et les rivalités de ceux qui s'en disputaient la possession. J'ai dit ailleurs qu'il y a eu au moins deux Zhafâr; nous venons de voir qu'il y a eu au moins deux Marib. D'après les tables de Ptolémée, il semble qu'il y aurait eu au moins deux Saba et deux Carna.

0 ^ 3 O

186 JOURNAL ASIATIQUE.

Aboulfeda dit que Maiib est la ville de Saba , et cite un auteur arabe d'après lequel Saha représente- rait la ville même de Maiib , ainsi appelée Saba du nom de son fondateur.

Ici, je crois que les Arabes ont confondu deux villes. Marib a bien succédé à Saba comme ville royale des Sabéens , mais non pas sur le même em- placement : car Ptolémée nous donne la position de Maraba Metropolis par 7 de longitude et 1 8 de latitude, et ensuite celle de Sabé Regia par 76 de longitude et 1 de latitude , c est-à-dire beaucoup plus au sud quoique à la même longitude. Or, la position qu'il assigne à cette dernière ville s'accorde parfaitement avec celle des ruines que Niebuhr place près de Yérîm (en ayant égard à l'erreur de plus d'un degré que l'on remarque dans les latitudes basses de Ptolémée). Selon Niebuhr, les gens du pays donnent à ces ruines le nom de Zhafâr. Mais je crois avoir démontré ailleurs ( quatrième Lettre sur l'histoire des Arabes) que l'antique Zhafâr est bien loin de là.

Il semble résulter de tout ceci que, sous les der- niers rois homérites, le nom de Zhafâr jUlà, ")DD,

aurait été appliqué à Saba Uw, K3U^, et celui de Saba à Marib. Mais, lorsque Ptolémée écrivait, cha- cun de ces trois points remarquables avait encore conservé sa dénomination primitive, quoiqu'il y eût déjà plusieurs Mariaba; et cela par une bonne raison , c'est que , dès l'époque de Strabon , mais sur-

SEPTEMBRE 1840. 187

tout au temps de Pline , Marib était la capitale du plus grand empire yamanite : u Regia antem omnium (( Mariaba. » Il n'en fallait pas davantage pour donner naissance à des Marib rivales de cette Regia omnium. Il paraît cependant quelles n'arrivèrent jamais à un haut degré de splendeur, ou disparurent bientôt de la scène du monde, puisque les Arabes n'en ont gardé aucim souvenir.

Les tables de Ptolémée pourraient faire croire à l'existence antique de deux Saba ou Sabé; mais je ne considère point les deux Sabé de Ptolémée comme deux villes de même nom. Il me paraît très-probable que la Sabé (distincte de Ssihé Regia) dont la posi- tion est déterminée dans ses tables par 7 y de longitude , et 1 -^ t Ti" ^^ latitude , est celle qui s'écrit en hébreu kdd, par un samech D (Genèse, X , 7 ) , et dont le nom figure dans la Genèse parmi ceux des fds de Chus ou Khoûsch; car tous les autres noms des Chusites se retrouvent et en Arabie et en Ethiopie, de part et d'autre du golfe Arabique, ab- solument comme les mêmes noms se retrouvent en Angleterre et aux Etats-Unis d'Amérique , et par la même raison. Il est donc tout naturel que l'on ren- contre encore, dans l'Arabia Félix de Ptolémée, et la Sabé des Chusites xno , et la Sabé des Joctanides

T i

Quant aux trois villes principales des Joctanides, elles avaient encore, au temps de Ptolémée, leurs noms originels : Sapphar Metropolis^ par 88" de lonr

188 JOURNAL ASIATIQUE.

gitude; Sahé Regia et Maraba Metropolis, par 76^ la première au sud, la seconde au nord.

De ces trois villes, l'une a disparu , Sabé , et a été confondue par les Arabes, d'une part avec Marib, qui lui a succédé comme Regia, et à laquelle elle transmit son nom , s'il faut en croire Aboulfcda ou les auteurs qu'il a suivis ; d'autre part avec Zbafâr "iDD , dont elle emprunta le nom pendant le dernier période de son existence. Ainsi que je l'ai dit, c'est ti'ès-probablement la ville dont les ruines se trouvent dans le voisinage de Yérîm. Marib, la plus moderne des trois , a conservé son nom , ainsi que Zhafâr, qui la précède immédiatement dans l'ordre des temps. Mais, relativement à cette dernière métropole, il faut observer que Ptolémée ne la met point sur le rivage de fOcéan; il est donc possible que le point

X O X

appelé Bélîd ou Hharikam ^j-s^ , sur la portion de côte qui porte encore aujourd'hui le nom de Zhafâr (voyez ma quatrième Lettre), ne fût, dans les temps antiques, que le port de la métropole orientale. Ce point coïnciderait alors avec Mosca portas , et il fau- drait chercher les ruines de la plus ancienne Zhafâr à douze ou treize lieues au nord-ouest de Bélîd.

Du temps de Mahomet, on ne savait plus, au moins dans le Hhidjâz, siSaba était un nom d'homme , de femme ou de lieu. Voici une tradition authen- tique relative à cette question :

Ibn-Louhayàh rapporte, sur l'autorité d'Ibn-IIou- bayrah, qui s'appuyait sur Alckamah, fils de Wàlah,^

SEPTEMBRE 1840. 189

qui s'appuyait sur Ibn-Abbâs, qu'on demanda un jour au prophète si Saba était homme ou femme, ou ville. Le prophète répondit : Saba était un homme qui eut dix enfants, dont six s'établirent dans le

midi {(j^,y(iTnan), et quatre dans le nord (pU scham). Les méridionaux ( y^Ur yamâniyyoûn) sont Kindah , Madh'hhidj , Al-Azd , Anmâr, Hhimyar et les Ascharides (y^^**w«yî). Les septentrionaux

( ^^3-c«U; ) sont Lakhm , Djoudhâm , Ghassan et Aâ- milah.

Le même Louhayàh ( Ibn-Louhayàh ) raconte qu'Abou-Hourayrah étant venu trouver le prophète, celui-ci lui demanda : De quelle famille es-tu? Il ré- pondit : De la tribu de Djoudhâm. Sur quoi le pro- phète lui dit : Bienvenus soient les beaux-pères de Moïse! bienvenue soit la famille de Schouàyb ! (On sait que Schouàyb est identifié avec Jéthro , beau- père de Moïse.)

Ces deux citations vont servir de texte à quelques nouveaux rapprochements.

D'après la seconde tradition, il est bien évident que la tribu de Djoudhâm occupait, au temps du prophète, le pays se trouvent aujourd'hui les Hhouwaytât (les plus mal famés de tous les Bé- douins modernes), à l'est du golfe de l'Ackabah, c'est-à-dire la région des anciens Madianites. D'ail- leurs, cette tradition, qui place les Banou-Djoudhâm dans le nord de la Péninsule , est d'accord avec celle

190 JOURNAL ASIATIQUE,

que j'ai rapportée ailleurs \ à propos des Banizo- mènes de Diodore de Sicile, que j'identifie avec les Banou-Djoudhâm. Dans cette autre tradition, le

prophète parle de la montagne de Hhismâ ^5<w^»

comme appartenant aux Djoudhamistes; or, j'ai re- connu cette montagne dans le Tôr-Hesma du voi- sinage de l'Ackabah. C'est, je crois, le Hhaschmô- nâlî (Nomh. xxxni, 29) de la Bible, Tune des stations des Israélites. Voyez le Stahhâhh aux articles i^ôvr». et ycwwk»-.

Mais, du temps de l'auteur cité ou plutôt copié par Diodore de Sicile, cette contrée (la côte orien- tale du golfe Elanite) appartenait aux Nabatéens, et les Banou-Djoudhâm, originaires du Yaman, né- taient pas encoi-e parvenus sur les bords du golfe Elanite. Aussi Diodore place-t-il les Banizomènes du côté de Mouwaylahh , tout près du territoire qu'ils devaient occuper plus tard. Ils sont aujourd'hui aux

environs de Bilbeys sous le nom d'Ayâïdeh (H^yJZxs- ) ,

ainsi que je viens de m'en assurer, car il existe des courants dans le genre humain comme dans l'O- céan , et la haute Asie n'est pas la seule officina gen- tiam. n y en a une autre dans les montagnes du Hhadramaut, vers les sources du Styx, d'où part un courant d'hommes qui va du sud au nord, et se divise en deux à la latitude de Suez, un oriental et un occidental. Le courant oriental n'a jamais été

* Voyez la suite de l'Arabie [Revue des Deox-Mondes).

SEPTEMBRE 1840. ^ 191

bien loin depuis l'époque de Nemrod ; mais le cou- rant occidental s'est, de tout temps, fait jour en Afrique à travers la Barbarie et le grand désert jus- qu'aux extrémités de l'occident.

Il m'est impossible , en ce moment (car j'écris en voyage) , de présenter tous les rapprochements qui me restent à faire avec les développements qu'ils comportent. Je me bornerai à dire que j'identifie les Elesari de Ptolémée avec les Ascharides [Ahi- schary-yoûn) des Arabes, les Gassanites avec les Ghas-

sânides ( yVJl^ Jï), qui n'étaient pas tous dans le désert de Syrie; les Ginédocolpites avec Kindah (et Kalb?). Il est probable que les Gasandes de Dio- dore sont les Gassanites de Ptolémée , et n'ont rien de commun avec Djézân, comme je l'avais cru après d'Anville.

Les positions données par Ptolémée, pour Mac- cala et Sachiez correspondent parfaitement à celles de Moukalla et Schehhr, deux ports du Hhadra- maut moderne; et la transcription grecque du mot Schehhr (Sa^^»?) nous donne la clef d'un autre mot : Sa^a^iTai. Je ne doute pas aujourd'hui que les Sa- chaiites ne soient les habitants de la montagne de

j ^ S'hhèr (avec le (^ hhimyarique qui se pro- nonce du côté droit), lesquels portent encore le nom, de i^r-^ dans la langue parlée à Mirbât et

Zhafâr, S'hhari: c'est le nom de la race subjuguée, par conséquent de la plus ancienne des deux races

192 JOURNAL ASIATIQUE.

qui occupent cette montagne; or, dans les deux

mots2ax^»7 (j ^) et 2ax,a^<Ta< [ç^^ ^), le >

lambda remplace un^ succédant à un ^ hhâ.

Je crois que d'Anviile s'est trompé dans la déter- mination du promontoire Syagros, en le mettant à Râs-al-Hhadd , à l'extrémité orientale de la péninsule arabique. Le P. Hardouin se trompait en sens con- traire lorsqu'il identifiait ce promontoire avec Ras Fartak; la vérité est entre ces deux points. Syagros

est la transcription grecque de Sawckirah ij %y m

OU Sangra, qui est, encore à présent, le nom d'un cap situé à deux journées au delà de Hhâcik, vers la région du meilleur encens que produise l'Arabie.

Remarquons ici que la position assignée par Pto- lémée à la métropole de Sapphar [Zhafâr), le Se- phar de la Genèse, le Tsfôr des modernes Homérites, cadre parfaitement avec celle du promontoire Sya- gros, supposé Râs Saugra. Eln effet, la longitude orientale de ce cap surpasse d'environ deux degrés celle de Zhafâr dans nos meilleures cartes. Or, je vois , dans Ptolémée , la longitude de Sapphar mar- quée 88 degrés, et celle de Syagros extrema 90 de- grés, ce qui nous donne précisément la différence voulue de 2 degrés dans le sens voulu. Je ne puis donc comprendre pourquoi d'Anviile a mis Sapphar du côté d'Aden, et rejeté le promontoire Syagros à Râs-al-Hhadd.

Pour fintérieur de la Péninsule, il est remarqua- ble que la position qu'il assigne à ïa^pis (labris ou

SEPTEMBRE 1840. 193

lahri) correspond à peu près à celle de la vallée de Djabrîn ou plutôt Yabrîn (jjjj-^j, située au milieu du désert entre Oman et la Mecque.

Suivant Hhamzah d'Ispahan, la très - ancienne tribu de Djadîs occupait le Yamâmah (au sud du Nadjd), et fut exterminée par un roi du Yaman nommé Hhassân-ibn-Taubba. Or, la position que Ptolémée nous donne- pour les Io^ictitoli répond à celle du Yamâmab. Je suis, en conséquence, porté à croire que, l'on trouve écrit I0AI2ITAI, il faut lire I0AI2ITAI avec un A delta. J'ai déjà parlé des Tbamudini ou Thamybitae , des Banabari et des Alumdotae, comme représentant respectivement Thamoûd , Wabar et Oumayym : ce dernier nom , comme je l'ai dit, se lit dans l'bébreu ainsi que celui de Tasm jcwyjo. Si donc l'on admet ma restauration de la forme grecque de Djadîs, tout sera retrouvé, à l'exception de Djâcim; car, pour Ssoulihâr, tribu qui fut exterminée en même temps que Djâcim (selon Nouwayriyy), c'est bien évidemment le Soc- chor de Ptolémée.

(N, B. Ne confondez pas cette ancienne tribu avec Ssouhbâr, capitale d'Oman, dont le nom s'écrit de la même manière. )

Du reste, ne demandez pas aux Grecs ce que c'était que Aâd. Comment l'auraient-ils su? Aâdhâh (ou Aâd) est l'aïeule antédiluvienne « des pasteurs a et de ceux qui vivent sous les tentes.)) (Genève, chap. VI.)

La recherche qui aurait pour but de reti^ouvè?,

194 JOURNAL ASIATIQUE,

dans l'Arabie moderne et les livres arabes, tous les noms de peuples et de lieux que nous ont transmis les Grecs et les Romains pour leurs trois Arabies , Pétrée, Déserte et Heureuse; cette recherche oflre, on le sent, de très-grandes difficultés , dont la plupart ne peuvent être résolues que par les voyages. Mais, s'il nous manque une infinité de détails, les princi- paux tiaits sont connus tant pour le présent que pour la haute et la moyenne antiquité; et je conçois, par exemple, que Ton me demande, dès aujourd'hui, ce que c'était que cette grande nation des Minéens que les Grecs et les Romains ont connue. Se peut-il que les Arabes, qui ont conservé le souvenir de Saba, n'aient rien à nous dire touchant les Minéens ? Faut-il se contenter provisoirement de i'étymologie donnée par Pline; rattacher les Minéens à Minos, et les Rhadaméens à Rhadamanthe ?

' Non , certes : j'aimerais mieux faire venir Minos du Yaman par la voie de Tyr, que les Minéens de Minos, et dire que c'est lui qui apporta aux Grecs la première notion du Styx. Cela, du moins, ne choquerait pas le bon sens. J'aimerais mieux dire que les Minéens étaient les adorateurs de Menî "•JD [Isaïe, Lxv, 11), c'est-à-dire de la fortune ou de la planète Vénus.

Il n'y a rien de plus facile que d'établir des rap- prochements très-plausibles entre des mots qui n'ont point une origine commune. J'ai déjà dit que

les Minéens n'ont rien à démêler avec Mina (s--^

SEPTEMBRE 1840. 195

près de la Mecque. Ils n'ont pas plus de rapports

avec Manâh «Li^», idole des Houdhaylides et des Khouzâïdes , entre la Mecque et Médine.

Mais il ne tient qu à moi de dire que les Mineens sont les habitants du Yaman ou Yemen, c'est-à-dire les méridionaux par excellence. Et, en effet, ils oc- cupaient le centre du pays appelé Yaman ou Yemeii par les anciens habitants du Hhidjaz, c'est-à-dire le pays de la droite ou du sud. Je pourrais soutenir, et prouver jusqu'à certain point, que la dénomina- tion de Yemeriy qui paraît aujourd'hui restreinte à la partie occidentale de l'Arabie méridionale , s'ap- pliquait autrefois plus particulièrement à la partie centrale , qui est celle des Minéens. Je pourrais même rendre compte de la disparition de la première syl- labe de Yemen dans Minœi, en observant que les Grecs l'ont confondue avec leur article pluriel mas- culin.

01 lAivahi, hi Minœi, Yemenœi^.

Mais, comme il n'est pas probable que les Mi- néens se donnassent à eux-mêmes le nom de Mé- ridionaux, ou que les Grecs aient appris ce nom des Arabes du Hhidjaz, j'aime mieux confesser que je ne sais pas encore à quoi m'en tenir sur les Mi- néens et sur beaucoup d'autres, et que plusieurs

' Rdativement aux Rhadamei, cousins germains des Minœi » je dirais que la vraie leçon (et j'ai le choix entre trois, sans compter les Rhamanites de Stfabon et les Manitcs de Ptolémée) , je dirais que la xraic leçon est Rhammei, qui vient de Ràmâh riDi^'l, nom d'un iU» de Chus.

i3.

W6 JOURNAL ASIATIQUE.

des assimilations que j'ai liasardées dans cet appendice

sont simplement conjecturales.

Je demande la permission de consigner ici , ppur mémoire, un rapprochement dune autre espèce. Les Arabes pêcheurs des environs de Râs-al-Hhadd en sont encore au point les trouvèrent les Grecs du périple Erythréen, relativement à la navigation. Comparez ce que rapporte le lieutenant Weilsted (Travels in Arahia, vol. I, pag. 79) avec ce que dit Pline des Arabes Aschœ, c est-à-dire « utriculaires , » qui employaient, en guise de canot, une planche aux deux bouts de laquelle étaient ,attacliées des outres pleines de vent. (Lib. VI, 34.)

Agréez, Monsieur, l'assurance de ma considéra- tion très-distinguée.

F. Fresnel.

P. S. Étant à Djeddali , j'avais écrit, sous la dictée d*uii homme de Doàii, la liste des bourgs et villages de celte val- lée ; mais il m'a été impossible de la retrouver dans mes pa- piers. Je viens d'interroger ici, à Suez, un marin de Mouk- allah , qui dit avoir été à Doàn , mais n'a pas pénétré fort avant dans cette vallée, car il ne se rappeUe distinctement que les noms des villes ou bourgades les plus voisines de l'entrée du côté de Moukallah. Ce sont Rouhât ( \^\ *j ) , Khourayhah (iùo-jà*.), Ckarn (/jJi), Ckourayn (/w> J») ou Grén selon la prononciation vulgaire , en supprimant l'article arabe de chacun de ces noms. Or, je ne puis m'empêcher de remarquer que Khoarayhah ou Khoréhet ressemble beaucoup à Caripeta, qui fut, selon Pline, le terme de l'expédition d'/EHus Gallus. On sait qu'en Orient ceux qui ne peuvent

SEPTEMBRE 1840.

197

pas prononcer le ^ khâ remplacent toujours cette articu- lation par un tJ kâf, et que le D des Hébreux se pronon- çait tantôt ka et tantôt khâ. J'ai dit ailleurs que le a ou plutôt le s final des Arabes devenait un (o / dans la langue de Hhimyar. Caripeta peut donc être considéré comme la transcription de ouu>j«^ ou iUj v^ Enfin , le marin qui m'a donné le nom de cette bourgade assure qu'elle est fort ancienne et presque déserte.

Un autre nom, que je n'avais pas entendu prononcer avant ce jour, est celui de Hhalaboân ( f., .t, 1^ -^) , ville située dans le voisinage de Doàn, vers la firontière occidentale du Hhadramaut. Ce nom rappelle les ^4 ?a/7e/if de Ptolémée, qui dit, au livre VI, chap. vu :

A meridie Catanitœ; posteà Thanuitœj et ah occasu horuni Manitœ. Suprà quos Alapeni.

Si les Alapeni sont les anciens habitants de Hhalaboiin , ils devaient efî'ectivement se trouver au delà des Manites, et dans le voisinage des Manites, supposés une peuplade de la vallée de Doàn.

Voilà, ce me semble, un concours de témoignages et de coïncidences qui laisse bien peu de doutes sur le terme de l'expédition romaine.

Encore deux rapprochements, et j'aurai fini. Je lis dans Ptolémée : « Posteà Mincei, gens magna. Suh qaibus Doreni ; » et dans les généalogies du Kitâh-al-ickd :

\ ivi .1 >l «îjii/I A-cJ JUu «x5j ui>j*^^ /"^^ (jy^ <J^^

Enfin, l'auteur de ces généalogies nous explique dans quel sens les dénominations d'Homérites et de Sabéens se trouvaient employées concurremment dès le temps d'Au- guste. Voici ce qu'il dit :

« Tous les descendants de Saba sont appelés Sabéens , à l'exception des enfants de Hhimyar et de Kahlân, dont les tribus se séparèrent de la grande famille. » Si donc vous demandez à un homme : « De quelle nation es-tu et qu'il

198 JOURNAL ASIATIQUE.

vous réponde : « Sabéen, vous devez en conclure qu'il n'est ni Hhimyaride ni Kahlânide.

^\j>Mt JUi owl ^ J^yt uJUii lâti I4JU 0^2^ «y^

Les renseignements de ce genre sont malheureusement fort rares dans les livres arabes.

Du Caire, » mai 1839.

Je n'ai pu me décider à vous envoyer cette disser- tation avant de l'avoir complétée autant que la chose dépendait de moi. J'ai donc cherché dans les unsâb, ou généalogies arabes, s'il n'y aurait pas un nom propre d'homme qui pût me mettre sur la voie des Minèensy et j^e crois l'avoir trouvé dans une généa- logie apocryphe du Hhadramaut.

Hhadramadt est im nom de pays qui remonte à la plus haute antiquité. Selon son usage, la Genèse l'a personnifié , et nous donne Hhaszermâweth pour un fds de Joctan. Dans le langage ethnographique de la Bible, cela veut dire que le Hhadramaut faisait partie du territoire des Joctanides, et rien de plus. A l'exemple de l'écrivain sacré, certains généalo- gistes arabes ont personnifié le Hhadramaut; mais ils interpolent dix-sept générations entre Ckahhtan

>

SEPTEMBRE 18^0. 199

et ce prétendu patriarche : car ils nous donnent Hhadramaut pour un fils d' Amr, fils de Ckays , fils de Mouâwiyah, fils de Djouscham, fils de Abd- schams, fils de Wâil, fils de Ghawth, fils de Djay- dân , fds de Ckoussay, fils d'Arîb, fils de Zoumayr, fils d'Aym'an, fils de Hamaysà, fils de Htiimyar (fils de Saba).

Je suis loin d'accepter cette généalogie; et, s'il y avait lieu à personnifier le Hhadramaut, je le décla- rerais oncle et non pas^Z^ de tous les personnages ci-dessus, moins Saba : car, selon la Genèse, Saba est frère de Hhadramaut. Or, la Bible nous parie bien des Sabéens Joctanides, mais non des Homé- rites ou descendants de Hhimyar, fils de Saba ; et , quoique Edom signifie rouge , on ne peut pas sou- tenir que les Edomites ou Iduméens représentent les Homérites. Edom est aux Abrahamides ce que Hhimyar est aux Joctanides : Edom est le pendant ou la contre-partie de Hhimyar; mais Edom n'est pas Hhimyar, pas plus que l'Idumée n'est l'Arabie Heureuse. Cela posé , puisque Hhadramaut est dans la Bible, et que Hhimyar ne s'y trouve point, je déclare Hhadramaut plus vieux que Hhimyar, et ne tiens aucun compte de la généalogie arabe, en tant que généalogie; mais je crois que l'on peut en tirer parti sous un autre point de vue. Les deux ou trois noms qui précèdent immédiatement celui de Hhimyar, fils de Saba, doivent représenter des personnages anciens, ou des tribus anciennes; on peut donc espérer de retrouver ces noms, soit dans

200 JOURNAL ASIATIQUE.

la Bible , soit chez les auteurs grecs ou romains. Or, je remarque:

i** Que Zoumayr peut être identifié avec Zimrân, l'un des fi3s de Cétura. On sait qu'en hébreu la dé- sinence an (]t) est purement adjective, pure- ment serviie.

Que Hamaysà est le nom moabite ^p^^ Mééschày avec addition de l'article hébreu (sauf le redoublement de la consonne). Voyez le second livre des Rois, III, 4; et la Genèse, XIX, 3 7.

Que ce personnage est donné comme père d'Ajman (^l), de la môme racine que Yaman; et qu'Ayman se trouve ainsi placé etitre Saba, d'un côté, et Hhadramaut , de l'autre.

Or, les Minéens étaient situés entre les Sabéens et les Chatramotites , selon Strabon.

Il suffit donc de prendi^e cette généalogie dans un sens géographique pour être autorisé à considé- rer Ayman comme le représentant des Minéens , ou, en d'autres termes, ^^} comme la racine de Mivouoi. Nous savons, en effet, que les Minéens formaient une grande nation , distincte des Sabéens et des Hhadramites et placée entre ces deux peu- ples ; mais , comme la Bible ne nous, en parle point du tout, et que les Arabes n en parlent point dis- tinctement, il est difficile de dire si cette nation était chusite ou joctanide.

Je viens d'identifier Zimrân , fils de Cétura , avec Zoumayr, fils d' Ayman. Je crois que Ton peut éta- blir un rapprochement semblable entre Ayfer, fils

SEPTEMBRE 1840. 201

" ^ -* de Midyân, fds de Cétura, et Oufayr jhv-**, père

de Kindah. ( Voy. ma quatrième Lettre sur l'Histoire

des Arabes, p. 72.)

Ainsi que je l'ai dit ailleurs, le nom de Wabar figure pai'mi ceux des plus anciennes tribus arabes , et j'ai identifié cette tribu avec les Banubari de Pto- lémée. Mais quelques auteurs arabes considèrent Wahar comme une région située entre le Yaman oc- cidental et les sables de Yabrîn, fort loin par consé- quent de la latitude assignée aux Banubari. « Ce pays de Wabar, dit fauteur du Ckâmoûs, était autre- fois occupé par le peuple nommé Aâd; mais, après que Dieu feut exterminé, les Djinn (Génies) héri- tèrent de sa demeure , et , de nous autres hommes , nul ne met le pied sur le territoire de Wabar. » C'est dans ce pays qu'un aventurier musulman trouva, sous un des premiers califes, la ville merveilleuse dont parlent certaines géographies arabes , à propos des Ahlickâf. Ce récit avait été considéré jusqu'à ce jour comme fabuleux de tout point; mais nous sa- vons aujourd'hui , grâce aux explorateurs anglais, que la partie centrale de l'Arabie méridionale offre des ruines et des monuments de la plus haute antiquité.

Il y en a aussi dans l'Arabie septentrionale , mais d'une date plus récente : je veux parler des monu- ments de Thamoûd , tribu dont la splendeur est bien postérieure à celle de Aâd. Dieu lui dit, dans l'Alcoran, par la bouche du prophète Isâlihh :

202 JOURNAL ASIATIQUE.

Effectivement, les Grecs, qui n ont point connu Aâd, ont connu les Thamudeni; et la Bible , qui ne connaît pointlesThamudeni, parle de Aâd en deux endroits, sous le nom de Aâdhâh mv , ainsi que je crois ra- voir démontré.

MÉMOIRE

Sur la série des médailles indiennes connues sous la déno- mination cVindo-scyihiques fipdLT feu M. Jacquet.

{ Suite et fin. )

On pourrait s'étonner qu'une série qui comprend un si grand nombre de pièces, et qui paraît , par cela même, si facile à attribuer et à nommer, n'ait pas encore reçu de la science une désignation précise qui marque irrévocablement sa place dans la chro- nologie et dans la géographie numismatique, si je n'avais déjà annoncé que cette suite, si riche en notions d'un autre ordre, était complètement dé- pourvue de noms et d'indices historiques, et si je n'avais déjà fait pressentir que nous devons attendre, de l'interprétation des légendes, les plus sûrs et peut-être les seuls moyens de rapporter à son ori- gine probable, je n'ose dire, aux limites précises de sa première circulation , cette monnaie si abon- dante et répandue à de si grandes distances, soit

SEPTEMBRE 1840. . 203

par la puissance des princes qui la faisaient frapper, soit par la facilité et la sécurité des rapports com- merciaux dans des temps de paix et de prospérité. Aucune monnaie, en effet, de celles qui ont été frappées en Asie, à en juger par la diversité des lieux on la trouve aujourd'hui, n'a eu un cours plus étendu, une circulation plus rapide et plus lointaine : c'est des contrées arrosées par la Yamunâ qu'ont été rapportées par le colonel J. Tod les pre- mières de ces médailles qui aient été vues en Eu- rope. De plus récentes explorations en ont fait dé- couvrir dans des parties de l'Inde plus avancées au midi, dans les limites de l'antique royaume de Ma- gadha et de la puissante république de Vâiçâli; quel- ques-unes même avaient été portées par le com- merce jusque sur les bords du Gange inférieur, dans l'ancien pays do Tâmralipti. J'ai des motifs de croire qu elles doivent se trouver fréquemment dans la ré- gion , autrefois si florissante , de l' Uttarakôçala : c'est du moins en remontant au nord que l'on se rap- proche des contrées elles se recueillent en plus grand nombre et les plus variées dans leurs types et dans leurs légendes , je veux dire la partie supé- rieure et occidentale du Pendjab et les diverses ré- gions de l'Afghanistan. Les ruines de ces contrées ont, depuis ces dernières années , rendu à la lumière et à la science, dans cette série seulement, d'ines- timables trésors, qui ont enrichi les collections déjà si précieuses des docteurs Honigberger et Gérard , du cheikh Keramat Ali , des généraux Allard , Court

204 JOURNAL ASIATIQUE,

et Ventura, et de l'intrépide voyageur C. Masson. Je n'hésite pas à croire que ces médailles doivent également se découvrir en quantité considérable dans l'ancienne Sogdiane, et cette opinion se con- firme pour moi par ce seul fait que plusieurs pièces, dont quelques-unes d'or, ont été trouvées aux en- virons de Boukhara ^ et d'Ouch , et rapportées , les unes par le docteur Honigberger, les autres par des voyageurs russes. C'est déjà une heureuse circons- tance que la principale provenance de ces médailles soit au moins indiquée, et que la science, restrei- gnant ses incertitudes dans de plus étroites limites , puisse, avec une grande vraisemblance, reporter toutes ses conjectures sur les contrées qui s'éten- dent des deux rives de l'Indus supérieur à l'extré- mité du Paropamise d'un côté, et, de l'autre, aux bords de l'Hypbasis. Je dois, d'ailleurs, observer expressément que le fait de la provenance , quelque importance qu'il puisse recevoir de la rareté ou du défaut des autres témoignages , ne saurait fournil' les éléments d'une détermination même seulement approximative, ni satisfaire à la précision de la science , qui ne doit recueillir que des preuves : ce n'est pas qu'il ne soit souvent facile de tirer de ce Élit des inductions vraisemblables ; mais il n'est pos- sible ou utile de leur, donner toute leur valeur que lorsqu'elles s'accordent avec les autres indices que

* Voy. ma Notice sur les découvertes archéologiques faites dans l'Afghanistan par le docteur Honigberger. {Journ. asiat., IIP série, tom. II, pag. 256.)

SEPTEMBRE 1840. 205

peut produire une sévère et consciencieuse étude de tous les caractères archéologiques des médailles dont on essaye de déterminer l'attribution.

Ce n'est donc que dans le résumé des recherches dont ce mémoire doit contenir l'exposition, qu'il me sera permis de présenter, peut-être alors même avec une extrême réserve, une opinion sur la patrie, sur l'âge si singulièrement varié de ces médailles, et sur la dynastie à laquelle elles appartiennent : aussi toute discussion sur la désignation qui doit s'appliquer à cette série serait-elle ici inopportune , peut-être même impossible. J'imiterai donc la dis- crétion de M. J. Prinsep; j'adopterai comme lui, dans tout le cours de mon mémoire, la dénomina- tion d'indo-scjthiqae , qui a été imposée à cette suite par le colonel J. Tod , et. à laquelle on n'a pas en- core essayé d'en substituer une plus exacte; mais je dois avertir en même temps que je ne l'adopte que comme un terme connu , qui a le mérite d'éviter à l'esprit toute incertitude, et que je fais exception de sa signification même en l'employant, parce que je ne saurais donner mon assentiment à fopinion que l'historien duRâdjasthân s'était formée des rapports de cette intéressante série avec une dynastie à la- quelle a été spécialement appliqué le nom à'Indo- ScytheSy et dont le siège était établi dans les contrées situées à l'ouest des embouchures de l'Indus ^ Cette

' An account of greck, etc., medals found in India by major J. Tod, dans les Transactions of thr hojal Asiatlc Sociely of Lonâon, t. I, pag. 3i3, pi xiT.

I

206 JOURNAL ASIATIQUE,

opinion a pu être défendue tant qu'on n'a connu de ces médailles que quelques exemplaires, presque tous frustes; mais elle peut aujourd'hui se soutenir en présence des plus récentes découvertes , qui nous permettent de reporter dans l'Inde supérieure l'ori- gine, d'ailleurs encore indéterminée, de cet en- semble de médailles. Aussi ne m'arrêterai -je pas à réfiiter par d'autres motifs une opinion déjà con- tredite par les faits. Qu'il suffise de ce peu de mots pour faire connaître mon sentiment sur l'attribution faite par le colonel J. Tod , et pour me dispenser de citer, dans la suite de la discussion , les dévelop- pements de son mémoire, je ne pourrais guères trouver que des erreurs à reprendre. Je dois une autre attention à d'autres travaux exécutés dans ces dernières années, sur les mêmes monuments, avec un zèle et un succès qui ne seront pour personne un sujet d'étonnement , lorsque j'aurai nommé l'au- teur, M. J. Prinsep. Ce savant, aux premières re- cherches duquel j'ai déjà eu occasion de rendre hommage, a signalé par d'importantes découvertes, qui suffiraient à honorer la vie scientifique d'un archéologue, des études accidentelles, auxquelles il avait été appelé d'une manière imprévue, mais qu'il a embrassées avec ardeur et développées avec un succès inespéré, leur donnant de jour en jour plus de suite et d'intérêt. S'il est cpielquefois per- mis de regretter que M. J. Prinsep n'ait pu s'aider, dans ces études, de ces connaissances philologiques spéciales qui leur assurent seules le mérite d'une

SEPTEMBRE 1840. mj

parfaite exactitude, on n'en doit que plus admirer l'ingénieuse sagacité et la courageuse persévérance qui l'ont dirigé et soutenu au milieu de tant de difficultés ; et il n'en faut pas attacher un moindre prix à ses succès.

Je n'hésite pas à reproduire ici ce que j'écrivais il y a deux ans , lorsque cette notice était destinée à prendre place à la suite du travail que j'avais entre- pris sur la série des médailles greco-bactriennes de ]a collection de M. le général Allard : « Jai profité « avec un grand empressement, pour l'interprétation (( des types et des légendes des médailles indo-scy thi- « ques , du rassemblement de faits que me présentait (( un mémoire de M. J. Prinsep , publié dans son in- « téressant journal. Lorsque mes conjectures se sont ((accordées avec les siennes, je n'ai pas négligé de «m'autoriser de cette heureuse rencontre d'opi- (v nions, et lorsque j'ai eu le regret de ne pouvoir «admettre ses interprétations, je me suis fait un « devoir d'exposer les motifs qui ne me permettaient «pas de les accepter. » Depuis le temps je m'ex- primais ainsi, deux autres mémoires, aussi riches de faits et d'observations, sont venus s'ajouter au premier, et ont, sur différents points, modifié ou étendu les résultats des recherches antérieures en introduisant de nouveaux types et de nouveaux noms, en même temps que de nouvelles conjec- tures ^ Je ne pense pas que cette suite, si récem-

* Journal ofihe Asiatic Society oj Bengal. t. III. Remarks on thfi coins and relies of the Mânikyàîa Tope by J. Prinsep. p. M\ : voyez

208 JOURNAL ASIATIQUE.

ment ajoutée à la numismatique orientale, ait été l'objet d'un autre travail spécial.

Qu'il me soit permis d'observer que M. J. Prin- sep , par la forme même de ses mémoires , a échappé i\ une grande difficulté, qu'il n'a peut-être pas même soupçonnée, celle de classer, pour la décrire, une semblable matière numismatique. Une étude qui, comme celle-ci, s'applique à un sujet qui n'a ni limi- tes ni divisions précises , est nécessairement difficile à régler; les éléments de l'étude se rassemblent, ap- pelés par de patientes recherches, mais sans suite, sans destination, attendant un ordre qui n'est point suffisamment préparé par leur rapprochement , et dont l'esprit doit suppléer presque tous les motifs, quelquefois arbitrairement et par conjecture. Mon exposition reproduira sans doute trop difficilement quelques-unes des incertitudes qui s'attachent au sujet; elle conservera plus d'une trace des difficultés qu'éprouve l'étude : ce sont des inconvénients qu'il est à peine possible d'éviter, mais que je tâcherai du moins d'atténuer par la précision et la clarté des explications, lorsque je n'aurai pu les prévenir ab- solument par une heiu'euse disposition des diverses parties du sujet, qui me permette de les éclairer l'une par l'autre, en développant successivement leurs rapports, et qui me dispense, car c'est une cause fréquente de confusion, de faire trop

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aussi pag. 564. On Indo-Scythic and tlindu coins, t. IV, pag. 629. New varieties of the Mithraic or Indo-Scythic séries of Coins and Oieir unitations, by J. Prinsep, l, V, pag. 689.

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souvent appel , soit aux faits qui ne sont pas encore exposés , soit à ceux qui le sont à une trop grande distance. Je pense que rien ne saurait plus contri- buer à introduire Tordre dans cette recherche , que de reconnaître, entre les divers faits auxquels elle s'applique et entre les questions qui s'y rattachent, une distinction qui semble indiquée par la compo- sition même des médailles. Il suffirait de la cons- tante uniformité avec laquelle certains types se re- produisent dans toute l'étendue de la série, pour avertir l'esprit qu'ils doivent donner lieu à des con- sidérations d'un ordre général, qui s'appliquent à tous les monuments numismatiques de la même description. Ces types ne sont pas, d'ailleurs, les seuls caractères communs des médailles indo-scy- thiques , car elles présentent toutes invariablement le même symbole et l'emploi de la même langue asiatique exprimée par des lettres grecques. Or, ces circonstances , si importantes par elles-mêmes , mais plus encore par leur constante répétition, sont de nature à n'être appréciées que d'ensemble , et à n'appeler que des observations générales. Lors même que d'autres observations du même ordre ne se produiraient pas dans un sujet si étendu, celles que j'ai indiquées suffiraient pour faire reconnaître dans l'étude une classe de considérations générales qui peuvent se détacher facilement de l'ensemble du sujet, sans cesser de lui appartenir, et qu'il est utile , pour une meilleure division de l'étude même , de traiter séparément, en la distinguant avec soin

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des observations particulières et de détail : or, cette distinction ne serait pas réalisée, ou ne serait pas, du moins, exempte de confusion, si les observa- tions générales dont j'ai parlé venaient, dans le cours de la description, fastidieuscment se répé- ter sur chaque pièce, et s'ajouter, avec une fa- tigante continuité, aux observations particulières dont chaque variété de type ou de légende peut fournir le sujet. Il est donc nécessaire de séparer dans fétude les faits généraux des faits particuliers , autant du moins que cette distinction peut s'accor- der avec l'intelligence de ces faits. Cette distinction , je ne saurais mieux ni plus nettement la marquer dans mon travail qu'en divisant ce mémoire en deux parties , dont la première réunira , présentées dans le meilleur ordre , les questions générales que peut faire naître l'examen de cette suite numismatique , et servira , pour ainsi dire , de cadre à la seconde , dans laquelle seront décrits avec un soin particulier, et expliqués avec toutes les ressources d'érudition qu'il m'aum été possible de rassembler, les types et les légendes des pièces les plus remarquables. Les faits généraux, qui sont les plus évidents et souvent les plus faciles à expliquer , se produiront les premiers avec la masse imposante de leurs témoignages, et dégageront ainsi, en se retirant, pour ainsi dire, de la discussion, les faits particuliers, moins apparents, qui doivent être sollicités par plus de recherches, qui semblent se réserver aux efforts d'une critique plus pénétrante , qui présentent souvent de grandes

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difficultés dans de petits détails, et souvent aussi un intérêt considérable dans des circonstances presque inaperçues. Ce sera sans doute quelque chose d'in- solite dans la numismatique que cette description qui divise régulièrement chacune des médailles de toute une série en deux parties , savoir, les deux ou trois types et le symbole constamment répétés sur leur ob- vers , et les types variés, accompagnés de légendes di- versement tracées, dont leur revers est empreint. Mais cette suite elle-même est un fait si insolite dans la numismatique orientale, qu'on ne s'étonnera pas de trouver, dans la notice consacrée à la décrire, plusieurs de ses anomalies reproduites avec une fidé- lité dont je me suis fait un devoir, et dont on ne me fera sans doute pas un reproche.

Je pourrais terminer ici cette introduction , si je ne devais aux lecteurs une indication succincte , mais précise, des monuments que j'ai décrits en présence des originaux ou de leurs empreintes, et de ceux dont la description n'a d'autre autorité que les gravures ou les esquisses qui sont venues entre mes mains. Si je fais cette distinction, ce n'est pas sans dessein: car l'exactitude de l'explication des types et de l'inter- prétation des légendes, dans le dernier cas, dépend de l'exactitude du dessin original reproduit par la gra- vure, exactitude qui est toujours présumée, mais qui n'est jamais garantie. Une ou deux pièces, d'ailleurs, m'inspirent à peine quelques doutes, qu'il suffirait d'un second dessin ou d'un nouvel examen pour dissiper complètement; car je ne pense pas qu'ils

a.

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doivent se vérifier: mais encore ai-je cru devoir ins pirer aux autres la confiance que je concevais moi- même , non pas en la leur imposant par ma simple assertion, mais en leur fom'nissant les moyens de reconnaître si elle mérite d'être partagée. Lors même que cette série ne se serait pas, dans ces dernières années, enricliie au delà de toutes les espérances, je renoncerais à faire usage des premières de ces mé- dailles qui ont été publiées en Europe , de celles qui ont été si luxueusement et si inexactement gravées sousla direction du colonel J. Tod, dans le tome I*^ des Transactions de la Société asiatique de Londres ; les types y sont presque tous défigurés et les légendes absolument méconnaissables. Les planches qui ac- compagnent le mémoire de M. le professeur Wilson , inséré dans le tome XVIÏ des Asiatic Researches, con tiennent, au milieu de beaucoup de pièces frustes, quelques médailles intéressantes ; mais la représen- tation, qui en a été confiée à une main inhabile, n est rien moins que satisfaisante sous le double rap- port de l'exactitude et de la netteté : la science n'a d'ailleurs rien à regretter, car ces médailles ont été reproduites ailleurs d'une manière moins impar- faite, et les empreintes de deux ou trois sont aujour- d'hui entre les mains des savants. Mais , eussent-elles été placées toutes sous mes yeux, je n'aurais pu en- core leur emprunter qu'une idée incomplète de fim- portance et de l'étendue de cette suite numisma- tique, qui ne devaient se révéler pour moi qu'à la vue de la riche collection formée par M. le docteur

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Honigberger. L'usage qui me fut libéralement ac- coi'dé de cette collection pendant le séjour de son propriétaire à Paris , et la permission qui me fut donnée de prendre des empreintes des médailles les plus rares et les plus intéressantes, furent pour moi un encouragement à commencer une étude spéciale et suivie de la numismatique indo-scythique , et à es- sayer mes premières conjectures sur des légendes dont r interprétation eût peut-être paru moins diffi- cile si les caractères en avaient été aussi inconnus que la langue. Je devais bientôt continuer cette étude, avec plus d'avantages encore, sur la collection incom- parablement plus ricbe rapportée de l'Inde par M. le général Allard ; la série indo-scythique y est représen- tée par des exemplaires en si grand nombre et d'une si belle conservation, qu'il semble difficile de conce-; voir un ensemble plus complet et plus satisfaisant de ces monuments d'une civilisation inconnue. Aussi ces deux collections , aujourd'hui réunies dans le Ca- binet du Roi, rassemblent-elles les principales pièces de la série, celles qui sont les plus remarquables par leurs types , par leurs légendes , par leur exécution , par leur métal : à peine signalerait-on dans les plus récentes découvertes trois ou quatre médailles d'un grand intérêt qui manquent à cette suite, destinée sans doute à s'enrichir encore des plus précieuses acquisitions. C'est dans cette suite que j'ai choisi la plupart des pièces décrites dans ce mémoire; j'ai emprunté exclusivement les autres aux planches qui accompagnent les mémoires de M. J. Prinsep, et aux

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communications de M . Masson, insérées dans le Jour- nal de la Société asiatique de Calcutta ^ On sait que le crayon de ce zélé voyageur n est toujours ni très- net ni très-exact, mais j'ai m'attacher plus en- core à ses esquisses rapidement tracées qu'aux élé- gantes reproductions dues au talent de M. J. Prinsep : les caractères et les symboles distinctifs des types sont à peine indiqués; je présume par cela même que , lorsqu'ils le sont distinctement , c'est qu'ils étaient assez saillants sur le monument original pour qu'il fût impossible de s'y méprendre. Composées de caractères grecs , les légendes , bien que le sens en restât d'ailleurs inconnu à M. Masson, ont être copiées aussi exactement que pouvaient l'être celles des médailles greco-bactriennes. Ces heureuses pré- somptions en faveur de la fidélité de ces esquisses me paraissent d'ailleurs acquérir le caractère de la certitude , lorsqu'un examen attentif reconnaît, entre les types et les légendes des médailles nouvelles que M. Masson livre à notre étude, une analogie et un accord parfaits, et qu'avertie par le sens connu de la légende, une observation exercée trouve la confir- mation inattendue de ce sens dans des détails du type assez peu nettement exprimés, cependant encore

^ Journal of the Asiatic Society ofBentfod, tom. III. Memoir on the ancient coins discovered ai Begkram in Kahul, tom. V, p.i 78. Second memûir on ihe ancient coins foand at Beghram, etc., p. 27. Third me- moir on ihe ancient coins discovered at the site called Beghram. etc., daté de Kaboul, mai i836, pag. 537 ^^y- ^^ P^g* ^^7> ^^ ^st exposé, sous forme d'inventaire et année par année, le résultat des recherches de M. Masson dans une localité qa il a rendue si célèbre.

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faciles à reconnaître. Mais bientôt la science n'aura plus rien à désirer sur ce point : l'admirable collec- tion formée par tant de soins , au milieu de tant de dangers et de fatigues , cette collection si ricbe qu'elle semble avoir épuisé le sol de l'Afghanistan, bien qu'elle soit sortie d'une seule de ses ruines \ le plus précieux trésor que l'Orient nous ait encore envoyé, la collection de M. Masson, après avoir échappé aux périls d'une longue traversée, a enfin touché cette terre d'Europe qui recueille les monu- ments de l'antiquité de toutes les nations. Déposée dans le musée de VEast-India House, bien que visitée avec empressement par un petit nombre d'archéo- logues et d'orientalistes, cette collection, échappée à des causes nombreuses de destruction, échappait à peine à l'oubli, car elle enrichissait un musée sans enrichir la science. Pour la rendre complètement à la lumière , il fallait la multiplier en la faisant graver par des artistes habiles , en la faisant décrire par des savants distingués. La générosité de la €our des direc- teurs de l'honorable Compagnie, toujours prête à ai- der les études utiles, n'a pas voulu laisser son œuvre imparfaite : un fonds considérable a été consacré par les directeurs à la publication d'une description des monuments numismatiques recueillis dans l'Afgha- nistan. On apprendra avec une égale satisfaction que

' M. Masson a , dans îe coure de trois années , recueilli environ 7,000 médailles de toute description ; mais ce n'est qu'un choix fait habilement dans^iette masse indistincte qui est entré au cabinet des antiques de VEast-India House.

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c'est aux pressantes instances de M. H. Wilson , le sa- vant directeur du musée , que cette généreuse réso- lution a été accordée , et que c'est à son érudition si variée qu'a été confié le soin de l'exécuter, on n'en peut douter, à son honneur et à lavantage de la science numismatique.

PREMIERE PARTIE.

Dans un sujet si étendu, entre tous les faits qui se présentent à mon observation et qui sollicitent mon examen, on ne s'étonnera peut-être pas que celui qui me frappe le plus soit, si je puis ainsi m'expri- mer, le plus extérieur de tous, sans doute le plus matériel. J'avoue , en effet, que ce qui appelle d'a- bord mon attention est le choix et la proportion relative des métaux de cette série, proportion qui ne peut d'ailleurs être évaluée que conjecturalement et par analogie, puisque toutes les collections ne nous sont pas accessibles; aussi ai-je, dans ce cas, comme dans quelques autres , pris pom* terme de comparaison la collection de M. le général Allard, qui contient une suite si riche et si bien composée de médailles indo-scythiques ^ C'est après avoir non- seulement examiné cette suite , mais après avoir, par

* Cette suite se trouve décrite avec soiu dans le catalogue que j'ai publié de la collection rapportée par M. le général Allard : voy. le Journal asiatique, IIP série, tom. I, pag. 172.

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un effort de mémoire , réuni sous mon observation tout ce qui est aujourd'hui connu de médailles appar- tenant à cette série, que j'ai reconnu , avec moins d'é- tonnement encore que d'intérêt, deux circonstances remarquables et qui ne peuvent être sans va]eur dans la détermination de la patrie antique de ces monu- ments : la proportion considérable de l'or, et l'absence absolue du métal des drachmes. Dans cette série, en effet, il ne se rencontre pas une seule médaille d'argent, les monnaies d'or se trouvent en assez grand nombre, quelques causes qui aient pendant tant de siècles en amener l'absorption , pour que la collection rapportée par M. le général Allard en con- tienne onze, toutes de coins différents^. Si quelque chose est propre à faire ressortir la richesse métal- lique de cette série, c'est assurément le contraste que présente la classe des monnaies gréco-bactrien- nes, n'apparaît encore qu'une seule médaille d'or, rare et précieux monument, qui est une exception aux usages monétaires des contrées situées à focci- dent du Paropamise. Un témoignage qui ne s'appli- que directement qu'à la dernière des dynasties per- sanes, mais qui se confirme par les faits mêmes pour des temps antérieurs , le témoignage de Pro- cope , nous apprend , en effet , qu'une coutume natio- nale, commune aux Persans et à tous les peuples bar- bares, coutume qui, pour être si répandue et si respectée, devait être de la plus haute antiquité, défendait aux rois de frapper dés médailles d'or à * Deux doubles avaient déjà été cédés à M. J. Prinsep.

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leur coin ^ : on sait que les derniers Sassanides vio- lèrent cet antique usage comme les autres institu- tions nationales 2. On ne connaît pas encore une seule exception à la règle dans toute la série des Arsacides. Il est remarquable que les dynastes grecs de laBactriane, et, à leur imitation, les dynastes grecs de rinde , qui copiaient la moimaie des rois de Sy- rie , aient eu la réserve de préférer aux exemples de royale magnificence qu'il leur eût été si facile d'imi- ter, l'observation des antiques coutumes qu'ils trou- vaient établies dans les contrées conquises. Qu'un usage semblable ait anciennement interdit chez les Indiens l'emploi de l'argent dans la fabrication mo- nétaire, c'est ce qui n'est nullement probable; c'est ce que ne permettent pas du moins de supposer dés

* Voici le passage même de Procope : Kalroi vâyna^ia (lèv àpyvpouv à TLepawv Bao-jXews, e/ ^ovXono, itoieTv claOe. XapaxTrjpa Se tSiov e'/x- SdXketTOai crrairipi X?^^V ^"^^ o.'ù'xov défiti, érc Se éi'XXov Svttva oZv jSa- (jiléa TÛv "KOLvtoiv |3apêap6W xai Tavra ftôXXoi; yf^aoU xépiov iirei ovSè Tots ^(xêoXXouCTt -npoieaBan ib v6fii(T(ia tovto oJolre eMv, xàv /Sap- €cipovs Tovs ^vfiSaXXàvtas elvai ^vfiSaivei. Je suis convaincu que Tin- terdiction dont Procope fait mention était une des plus anciennes institutions traditionnelles des peuples orientaux, et qu'elle existait dans la Perse dès avant la dynastie des Achéniénides : aussi suis-je disposé à croire que, dans le dessein qu'avait conçu Darius de se si- gnaler par une manifestation de sa puissance qui n eût encore été égalée par aucun autre roi, dessein quil exécuta en faisant frapper des etatères de l'or le plus épuré, ce qu'il y avait d'insolite n'était pas seulement Textrême pureté du métal , mais bien encore l'audace avec laquelle Darius violait un antique usage, religieusementobservé par les rois ses prédécesseurs.

' Sir William Ouseley a , le premier, publié, dans ses Onental coins and genis, une médaille d'or des Sassanides; plusieurs autres ont été recueillies et signalées'depuis ce tempe.

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textes nombreux d'anciens législateurs qui font men- tion de poids , la monnaie primitive de l'Inde , d'or, d'argent et de cuivre. J'ignore si les invasions étran- gères ont modifié ces anciennes coutumes, ont intro- duit de nouveaux usages monétaires en même temps que de nouveaux principes politiques, ou, ce qui est plus vraisemblable, si l'exubérance des richesses métalliques amassées par le commerce extérieur de plusieurs siècles ne s'était pas accrue à un tel point, vers une certaine époque, que, l'excessive abon- dance de l'or ayant amené sa dépréciation et réduit sa valeur presque à celle de l'argent, on ait jugé inu- tile de frapper deux monnaies de métaux différents, dont l'évaluation devait à peine différer dans le cours intérieur, et qu'un choix devenant nécessaire , on ait accordé la préférence à l'or, qui devait conserver dans le cours extérieur, pour des peuples moins opu- lents , toute la supériorité métallique et extrinsèque qu'il avait perdue dans f Inde. Ce n'est qu'une simple conjecture , que je me propose néanmoins d'entourer bientôt de citations qui me paraissent propres à la jus- tifier ; mais, ce qui est un fait constaté et qui n'est pas d'ailleurs en opposition avec mon opinion , ce sont les vicissitudes d'émission et de suppression de l'argent monnayé dans l'Inde centrale. Les plus anciennes monnaies indiennes d'argent, d'ailleurs si rares, tou- tes empreintes de légendes en caractères yavanâni ou en caractères indiens des Laih, et, ce qui est éga- lement remarquable , toutes frappées par des princes bouddhistes, comme le témoignent les types et la

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langue des légendes , ces anciennes monnaies d'ar- gent sont rapportées, par tous ces caractères archéo- logiques et philologiques h la fois, les unes peut-être aux temps de la domination des derniers dynastes grecs, les autres certainement à la période qui suit immédiatement la chute de la puissance grecque dans rinde^ Au-dessous de cette période, nos re- cherches les plus avancées ne rencontrent plus dans cette contrée que la monnaie d'or et de cuivre des dynasties des Aditya et des Gapta, laquelle rappelle, et pour la proportion de l'or, qui est encore plus

^ Je ne parle pas d'une petite monnaie d'argent, d'autant plus re- marquable cependant qu'elle porte, comme les médailles indo-scy- thiques, une double légende en caractères grecs, trop souvent al- térés, lorsqu'ils ne sont pas efifacés, par la circulation antique, pour qu'il m ait encore été possible de reconnaître la langue des légendes. Ces médailles, qui ne se rattachent à la série que je décris, ni par la fabrique, ni par la présence du symbole si connu, ni par aucune autre particularité numismatique, ne me paraissent pas même ap- partenir à rinde : car elles se trouvent communément dans la Bac- triane, dans la Sogdiane et même dans les contrées situées au delà du Jaxartes. Elles peuvent sembler néanmoins avoir servi de modèle aux médailles des anciens rois Sdurâchtra. Serait-ce la monnaie des véritables Indo-Scythes? je n'ose même le soupçonner sur un si fai- ble indice. Ces médailles, presque toutes frustes et d'un flan moing large que le coin , portent d'un côté une tète royale sénile et barbue, presque toujours remarquable par l'expression du front , la cheve- lure disposée à la manière médique et retenue par un diadème; der- rière la tête, une légende en caractères grecs, qui, lorsqu'elle est complète, doit se lire KûAOT, mot qui paraît être un nom propre ou un nom de dynastie , et qui rappelle immédiatement le nom scy- thique de Kwtus ou Cotjs, si fréquent dans les auteurs grecs. Elles présentent au revers, tantôt ur\e proiome de clieval enharnachéc , tour- née à gauche, avec quelques caractères aussi indistincts qu'inconnus ; tantôt UD guerrier debout, s'appoyant de la main droite sur une lance.

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considérable , et pour l'absence complète de l'argent, la monnaie indo-scythique, à laquelle elle est d'ail- leurs liée par des affinités numismatiques , et qu'elle semble continuer sur vm autre sol. Ce n'est qu'après la fin de la dynastie des Gupta, sur laquelle nous possédons d'ailleurs si peu de notions historiques que nous ne la soupçonnons que par l'interrup- tion de la série de leurs médailles, mais sans doute après de grands désastres causés par des guerres civiles et après l'épuisement de tant de trésors , que nous voyons paraître, avec quelques pièces en elec- tram ( car l'or est d'une extrême rareté ) , quelques

portant suspendu par-devant à la ceinture un carquois de forme scy- thique, figure dont les épaules paraissent supporter deux traits in- distinctement tracés qui, s'ils étaient un peu plus courbés à leur extrémité supérieure, pourraient représenter les deux pointes du croissant de la lune s'élevant derrière les épaules du guerrier, exactement comme dans le type du Lunus phrygien reproduit par tant de médailles, et comme aussi dans le type du Lanus bactrien ou MAO, représenté sur les médailles indo-scythiques. L'intention de ce symbole, si ma conjecture se confirme, ne peut être que de réclamer, pour le personnage royal dont nous possédons le portrait, l'honneur d'appartenir par son origine à la race lunaire. La légende en caractères grecs qui accompagne le type du revers ne présente rien qui puisse servir à l'expliquer; elle se trouve plus complète et plus exactement tracée qu'à l'ordinaire sur deux exemplaires d'une assez belle conser- vation, qui ont été recueillis par Mohan Lai, et qui appartiennent à la collection de M. J. Prinsep ; elle s'y lit -PAHePOT MAKAP., dont le premier mot doit sans doute représenter APAH0POT, nom d'une forme véritablement scythiquc , dont le second est beaycoup plus difficile à restituer, bien qu'il présente une grande analogie avec un mot grec, qui ne ferait d'ailleurs ici aucun sens. Quant au mot apSrj- dpov^ c'est à tort, je pense, que M. J. Prinsep a essayé de le comparer à l'APAOXPO des médailles indo-scythiques, avec lequel il n'a qu'une vaine ressemblance de son.

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médailles d'argent qui deviennent plus nombreuses à mesure que l'exécution en est plus étrangère à l'art , et que l'Inde avance dans son moyen âge. Ainsi, sous deux dynasties d'une longue durée, et qui ne sont sans doute pas très-éloignées l'une de l'autre dans la succession du temps , l'argent est complète- ment retiré de la circulation monétaire dans l'Inde : l'or suffit à toutes les transactions qui dépassent la valeur du cuivre; l'or est, à l'exclusion de l'argent, le moyen de tous les échanges; l'or est le seul mé- tal qui ait de la valeur, et cependant il n'a sans doute pas toute celle qui lui appartient. J'ai attribué la dépréciation que je suppose à l'exubérante abon- dance de l'or dans l'Inde pendant les premiers siècles de notre ère : je pense que cet excès d'opulence ne saurait se prouver par des témoignages plus authen- tiques ni plus décisifs que les monnaies mêmes que nous recueillons encore aujourd'hui; mais les té- moignages historiques ne manquent! pas non plus à ce fait, qui réunit toutes les preuves nécessaires pour le constater. Nous devons à des voyageurs chi- nois , qui ont visité l'Inde dans l'espace de temps que paraît occuper la dynastie des Gupta, des renseigne- ments curieux sur l'état de prospérité de plusieurs parties de cette contrée: je ne les produirai pas tous ; je me contenterai de rapporter, d'après le témoi- gnage de ces voyageurs , que l'on trouvait dans les grandes villes de l'Inde des familles très-opulentes et que, dans la ville de Fallahhi, pour ne citer qu'un exemple , on comptait plus de cent maisons qui pos-

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sédaient une fortune de cenilakcha (de pièces d'or)^ : je supplée par ces derniers mots à l'insuffisance de l'original, car il est certain que la pièce d'or, à cette époque , était l'unité monétaire. Si l'on consulte les seuls recueils de traditions indiennes dans lesquels on puisse espérer de puiser quelques notions sur l'histoire ancienne de l'Inde, les ParânaSy on est étonné d'y voir cette période représentée ou plu- tôt prophétiquement annoncée comme la plus cala- miteuse de toutes , comme un temps de crimes et de malheurs qui s'enfantent les uns les autres, comme un temps fatal pour la destruction des vieilles races de Brahmanes et de Kchattriyas, pour l'anéantissement des anciennes institutions, pour la domination de l'Inde par les trihus barbares des montagnes et des frontières. Ces insidieuses prophéties s'expliquent fa- cilement pour ceux qui savent que les Gupta, sortis de la classe des Çûdras, ont éteint, en même temps que d'anciennes races royales, d'anciennes institu- tions brahmaniques injurieuses pour leur propre race, et ont contribué, plus qu'aucune autre dy- nastie , à affranchir le pouvoir royal de la tutelle des Brahmanes. La prospérité de leurs règnes ne pou- vait qu'être odieuse à ces Brahmanes, compilateurs des Purânas; aussi ont-ils réuni sur ces règnes, avec

* Cent lakcha équivalent à dix millions de souvarna ou à'aarei. Cétaii sans doute pour ces opulents personnages qu'avait été inventé le mot sanskrit si expressif, et, on peut le reconnaître aujourd'hui, si vrai, de sthàlalakcha , un millionnaire, un messer milione , en pre- nant ce mot dans son sens original , comme lorsqu'on l'appliquait ironiquement h Marco Polo.

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un mépris évident de toute chronologie , les diverses calamités qui avaient affligé l'Inde dans les six siècles précédents , particulièrement les invasions des Çâkas et des autres peuples barbares descendus des régions du. nord et de l'ouest. Les iriniptions au centre de l'Inde des tribus scythiques et hunniques furent sans doute, comme celles des Grecs eux-mêmes, un grand et irréparable malheur pour la civilisa- tion de rinde : elles efiacèrent presque entièrement son antique caractère national; mais elles n'eurent pas, à mon avis, de résultats désastreux pour sa prospérité matérielle; elles ne la spolièrent point au profit d'autres contrées; elles ne l'épuisèrent pas, comme plus tard les Arabes, par des exactions dont le produit devait être à jamais perdu pour cette contrée. Des gouvernements réguliers furent fondés dans la Bactriane et dans l'Inde par ces tri- bus, dont la civilisation se rapprochait beaucoup plus qu'on ne le pense de celle des races indiennes. Les tribus hunniques surtout portèrent leur domination aussi loin que les dynastes grecs , et établirent dans Sâkéta, la capitale du Kôçala, un centre de puis- sance, dont les dernières limites atteignaient peut- être celles du Madhyadéça. Dans un état de paix que ces tribus avaient assuré, au dehors par la terreur de leurs armes , au dedans par une sage administra- tion qui laissait aux Indiens une partie de leur auto- nomie, les esprits devaient se tourner avec confiance vers le commerce, et les fortunes retrouver, avec la sécurité publique , la hardiesse de leurs anciennes

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spéculations : le commerce extérieur pouvait , en ce moment , profiter d'avantages qu'il n'avait pas con- nus jusqu'alors. Des voies nouvelles avaient été ou- vertes par la conquête elle-même , à qui l'Inde a au moins ce service; elles furent fréquentées par les sârthas ou compagnies de marchands indiens , qui y recueillirent des bénéfices considérables, et qui trouvèrent partout une protection garantie par les conventions politiques de la grande famille des tri- bus hunniques , répandues alors dans la Bactriane , dans TArachosie , dans l'Inde et dans une partie de la Perse. Le commerce le plus lucratif pour flnde n'était pas, d'ailleurs, celui qu'elle allait chercher au delà de ses frontières , mais , si je puis ainsi m'expri- mer, celui que les nations étrangères lui apportaient sur ses rivages; et je désigne particulièrement ici le commerce avec l'empire romain par la voie de la mer Rouge. Ce commerce, le plus célèbre peut-être de toute l'antiquité , en a été le plus suivi et le plus con- sidérable; ses ressources étaient immenses, ses flottes encombraient les ports \ ses agents pénétraient, par des routes aujourd'hui encore non reconnues, au delà de rimaiis, dans la contrée des Sères; il atteignait les extrêmes limites du monde. Il semble qu'un pareil commerce dût être l'honneur et la prospérité de l'empire romain ; il ne fit cependant, dans mon opi- nion, que contribuer à sa ruine par son appauvrisse-

* Strabon fait mention -d'une seule flotte de cent vingt vaisseaux , destinée au commerce de Tlnde , qui de son temps sortit du port de Myos-Hormos ( 1 Il ) .

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mcnl. Ce commerce, qui procurait d'énormes béné- fices aux marchands qui le dirigeaient, était non-seule- ment stérile pour la fortune publique , mais l'épuisait réellement par d'immenses exportations de numé- raire faites sans retour, c'est-à-dire par de véritables pertes, que les marchands qui les consentaient répa- ment largement aux dépens des fortunes particulières que le luxe rendait leiu's tributaires. Le mal fut senli dès les premiers temps par les hommes graves; l'éten- due même en fut reconnue, les pertes furent estimées. Pline, toujours si exact quand il ne fait qu'exposer ses propres observations ou ses propres recherches au lieu d'essayer de concilier celles des autres, Pline, dans un passage célèbre ^ évalue modestement, dit-il, à cent millions de sesterces par an [22 ,Soo ,000 fr.), les sommes que le commerce de l'Inde, de la Sérique et de l'Arabie enlève à l'empire; et il déclare ail- leurs que le seul commerce de l'Inde produit la moitié de cette somme , qu'il n'y a pas d'année que l'Inde ne dévore cinquante millions de sesterces sortis de l'empire romain^. Je ne doute pas que Pline ne considérât le commerce de l'Inde comme aussi dé- sastreux que celui de l'Arabie , et que ce qu'il dit plus loin des relations commerciales suivies avec les tri- bus arabes ne s'appliquât également , dans sa pensée , à celles que l'on entretenait avec l'Inde : c'était , de

* Voici le passage de Pline : « Minimaque coraputalione mîllies « H-S annis omnibus India et Seres peninsuiaque illa imperio nosti-o «adimunt.f [Hist nat. 1. XII.)

* cDigna res, nulle anno minus H-S quingenties imperii nostri «cxbauricnte India, etc. » [Hist. nat. 1. VI, 26.)

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l'un et de l'autre côté, un commerce sans récipro- cité d'échanges , des peuples qui n'attendaient rien de l'Occident ni de sa civilisation refusaient presque tous ses produits , et , maîtres des trésors que le luxe de Rome leur enviait, n'admettait en payement de leur immense valeur que des masses de nmnéraire ^ H suffisait de percevoir pendant quel- ques années seulement ce tribut commercial , pour réunir dans Tlnde d'immenses valeurs métalliques; or, pendant un siècle au moins, Rome, épuisant peut-être les dépouilles de l'Asie Mineure et de la Syrie, livra son or à l'Inde pour obtenir d'elle des pierreries et des perles. Si à cet espace d'un siècle on applique l'évaluation annuelle de Pline, qui, pour les temps qu'il n'a pas atteints, est sans doute bien inférieure à la réalité , le calcul est prodigieux ; il s'élève à des sommes qui étonnent l'esprit, qui permettraient la défiance si chaque élément de ce calcul n'était prouvé : il en résulte que près de douze cents millions de monnaie romaine ont été absorbés par l'Inde pendant un siècle, que je considère, non

' Je rappelle encore ce texte de Pline digne d'être cité : « In uni- versum gentes ditissima3 ut apud quas maximae opes Romanorum tParthorumque subsistant, vendentibus quae e mari aut sylvis ca- « piunt, nibil invicem rcdimentibus. » [Hist. nat. \. VI, pag. 32.) Le Pé- riple de la mer Érytbrée fait, il est vrai, mention d'objets d'échange, que les Romains importaient dans l'Inde et qu'ils cédaient en retour de marchandises d'une égale valeur que leur livraient les Indiens; mais ce n'était là, pour ainsi dire, qu un commerce accessoire, d'une valeur peu considérable, qui était à peine porté en compte par les marchands romains, et auquel les Indiens auraient renoncé sans re- gret: le Périple ne contredit donc pas le témoignage de Pline.

i5.

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pas comme la limite de la durée de ce commerce, qui est incertaine \ mais comme la période de son plus grand développement. Je ne veux pas suivre ce calcul jusqu'à ces derniers temps , Tempiré , épuisé et succombant de toutes parts, payait, non plus son luxe, mais sa sécurité; et cependant, à cette époque, les deniers d'or et d'argent arrivaient encore dans l'Inde, mais par une autre voie , par celle de la Perse, qui, dans les^^succès divers de ses guerres contre l'empire romain, avait enlevé des sommes considérables, soit des villes de la Syrie, soit des camps ennemis. On a déjà remarqué que, suivant le témoignage de Procope, la monnaie d'or, introduite par la guerre ou par le commerce, n'était reçue en Perse que comme une monnaie de change et, si je puis ainsi dire, de passage : une monnaie qu'on ne pouvait présenter au trésor royal , puisque la refonte en étaîKnterdite , ne s'arrêtait bien long-temps dans aucune main ; elle était bientôt rendue au commerce étranger sur l'une ou sur l'autre frontière. Ce fut surtout l'Inde qui dut recueillir une quantité consi- dérable de cette monnaie , si embarrassante pour les sujets des Chosroès, et qu'elle recevait avec tarit de faveur. Le commerce que les rois de l'Iran et de i'A-

^ Les derniers temps de ce commerce sont fort obscurs; à peine pourrait-on recueillir dans l'histoire Auguste quelques indications vagues et sans suite sur cette époque , pour laquelle nous n'avons pas d'autre autorité : nous apprenons seulement de Cosmas Indico- pleustes que ce commerce se soutenait encore faiblement de son temps, et il est à présumer qu'il ne cessa entièrement que vers l'époque oii le commerce du Sind tomba aux mains des Arabes.

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oiran entretenaient avec Tlnde, et qui ne devait pas être moins inégal que leur fortune, ni peut-être moins magnifique que leur luxe , était l'occasion et la voie ordinaires de ces précieuses importations; mais plus d'une fois aussi, sans doute, l'Inde reçut des de- niers d'or de rapports moins légitimes avec les tribus hunniques de la Bactriane, qui épuisaient les pro- vinces supérieures de la Perse par leurs fréquentes incursions. Ainsi, de tous les côtés et par toutes les voies, vinrent, pendant six siècles, s'amasser dans l'Inde toutes les richesses de l'empire romain et de la Perse , presque constamment représentées par l'or romain. En présence de pareils faits, on ne sait quel sens donner, si ce n'est peut-être le plus éloigné de la pensée de l'auteur, à ce passage du moine Cos- mas, il exalte la grandeur des Romains : a Tous les (( peuples , dit-il, ne se servent que de la monnaie des «Romains dans leurs transactions commerciales; « elle est reçue en tous lieux jusqu'aux extrémités ((de la terre, elle est un objet d'admiration pour (( tous les hommes et pour toutes les puissances : (( c'est un avantage qui n'appartient à aucun autre u empire ^ . » L'ironie serait ingénieuse , fironie serait

^ Ùri èv T&j voiih^iati èyLiiopevovTai itivia êOvii] , holï èv Ttavii rô-KCf) dv'dxpov yijs Sexrôv èari, Qrav(iaZ6(ji,evov itapà itavTos dvOpûirov xai Ttourrjs ^aaïkzias, Ôitep érépa ^aaïKdcf. otî;^ uTtipyei toiourov. (ïopogr. Christ., pag. i48.) Bayer se trompe dans ses observations sur ce pas- sage, en supposant qu alors les Romains étaient le seul peuple qui frappât des pièces d'or; les rois de Tlndc en faisaient peut-être frap- per chaque année pour une plus grande valeur que les empereurs romaina.

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parfaite , si le passage se trouvait dans un autre écri- vain que Cosmas! Je crois avoir entouré de toutes les preuves qui peuvent lui donner autorité l'opinion que j'ai avancée plus haut, qu'à une certaine époque il y a eu dans l'Inde exubérance de valeurs métalliques et particulièrement d'or monnayé, et je crois n'avoir pas non plus laissé en doute que cet or ne fût, en très- grande partie, ior du commerce romain. Je ne puis néanmoins me dissimuler qu'il s'élève ici une grave objection* Il semble qu'une aussi grande dilîusion de la monnaie romaine dans l'Inde ait laisser dans cette contrée des traces plus nombreuses que celles qu'il a été possible d'en recueillir jusqu'à ce jour^ Ce n'est point assez de quelques monnaies romaines éparses dans les collections, comme sur le sol, au milieu des pièces d'or si nombreuses des princes indo-scythes et de la dynastie des Gapta; ce n'est point assez, dis-je, pour constater ce prodigieux dé- placement de richesses métalliques , cette immense circulation qu'on doit leur supposer dans l'Inde, ce long usage qui doit les avoir répandues , disper- sées , agitées entre mille mains , quelquefois égarées

^ Le nombre des médailles romaines recueillies dans Tf nde et dan» les contrées voisines pendant ces dernières années est si peu considéra- ble, qu'on peut compter et désigner les pièces : ce sont, outre les sept deniers de familles romaines découverts dans le tope de Mânikjâla. deux deniers d'or de Théodose, deux de Léon et un de Marcien. trouvé» aussi dans un tope à Hidda, un autre denier d'or de Maurice, trouvé par M. Burnes dans des ruines près de Boukhara, et enfin une mé- daille de Jalia Augnsta, trouvée par le général Court à Azerou sur les bords de ITndus.

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€11 partie , comme pour être retrouvées par les âges suivants. Il n'y a, il faut l'avouer, rien à opposer à ces objections, si ce n'est qu'elles manquent d'op- portunité. Cette monnaie romaine , dont le témoi- gnage est partout désiré, est partout présente; cette pièce d'or indo-scy tliique , c'est un denier romain; cette large pièce de bronze , c'est un sesterce : le fait est étonnant sans doute , mais il est certain ; les empreintes seules ont été effacées à la refonte , la médaille a disparu , la monnaie est restée , ayant le même poids , la même forme , le même titre , pres- que la même fabrique ; frappée de nouveaux types et de nouvelles légendes , elle porte seulement les insi- gnes d'une autre puissance, les symboles d'une au- tre croyance religieuse. Ainsi , les princes , quelle que soit leur origine, qui dominaient alors sur la con- trée d'où est sortie cette monnaie , ont fait plus que le roi de la Taprobane , qui se contentait d'admirer la monnaie romaine entre les mains d'Annius Ploca- mius; ils font adoptée pour type de la leur, ils l'ont reproduite tout en la démonétisant. C'est, si je ne me fais illusion , un fait important et qui n'avait en- core été observé par personne \ que le système mo-

^ M. Raoul-Piochette , en publiant de nouveau, dans sa Notice sur (quelques médailles (jrecques inédites appartenant à des rois inconnus de la Bactriane et de l'Inde, la première médaille indo-scythique qui soit parvenue en Europe, avait déjà remarqué que cette pièce reprodui- sait exactement, pour le poids , pour la fabrique , pour le choix du type même, les deniers d'or des premiers temps de Tempire; et, frappé de circonstances pareilles dans une monnaie barbare, il l'ecomraan- dait à la sagacité des archéologues la solution de ce problème nu-

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nétairc romain , à une époque que je ne puis préciser, mais qui ne doit pas être inférieure aux cinquante premières années de notre ère^ ait été adopté en principe et maintenu, pendant plusieurs siècles, dans une certaine partie de l'Inde , non pas , sans doute , par des motifs de supériorité scientifique , mais seu- lement afin de faciliter les transactions commerciales avec les Romains et avec les autres peuples qui fai- saient usage de monnaie romaine 2. D faut recon- naître que les princes qui rendaient cet hommage à la puissance ou à l'industrie romaines entretenaient des idées exagérées au sujet d'un des privilèges de leur souveraineté, en défendant, je dois du moins le supposer, la circulation dans leurs États de pièces à l'effigie de princes étrangers : ce n'est, du moins,

mismatique. Je crois avoir été assez heureux pour la trouver; elle se trouve exposée dans les pages précédentes.

^ Il faut remarquer que , sous le règne de Claude , à une époque les communications politiques entre Ceylan et Tlnde centrale étaient aussi fréquentes que rapides, le roi de la Taprobane, qui admirait comme une chose nouvelle et inouïe la régularité du système moné- taire romain , ne devait pas avoir encore eu occasion d'examiner une seule pièce de la nouvelle monnaie frappée dans l'Inde suivant ce sys- tème, car il n'eût sans doute pas témoigné le même étonnemcnt à Annius Plocamius. On doit peut-être induire de ce fait que ce fut seulement quelques années avant l'év^énement auquel je fais allusion qu'eut lieu dans l'Inde l'adoption du système monétaire romain.

* On trouve dans le Périple de la mer Erythrée la mention d'une espèce particulière d'échange dont je ne comprends pas l'intérêt , celui qui se faisait à Baiygaza des deniers d'or et d'argent contre la monnaie locale, é^ov aXXayiiv xal è-nixépSeiav uvà ispos xo èvrôinov v6- lufffia. Le profit que trouvaient les Romains à cet achat de monnaie, était-il dans une différence dans la proportion de l'alliage? je n'ose- rais l'affirmer.

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que par cette proliibition et par des ordres d une excessive sévérité , qui fissent un devoir d'envoyer, dans un délai pre&prit, au kôchagnha ou trésor royal, pour y subir une refonte, toutes les pièces ou les sommes de monnaie étrangère qu'on avait entre les mains; ce n'est, dis-je, que par ces mesures sévères et rigoureusement exécutées que je puis m' expliquer la suppression si exacte de la monnaie romaine dans l'Inde. Si quelques esprits, toujours prêts au doute et satisfaits de l'incertitude , hésitaient encore à re- connaître les deniers romains dans les pièces d'or indo-scythiques, je réserve, pour les convaincre, une dernière preuve, qui ne souffre aucune objec- tion, et qui doit ajouter à leur étonnement : les princes, par Tordre de qui était opérée la refonte de la monnaie romaine , ne se contentèrent pas de ren- dre aux pièces d'or leur première valeur monétaire , celle de denier; ils craignirent que le souvenir de forigine de cette monnaie ne s'effaçât un jour, ils résolurent de conserver également à ces pièces leur nom original, celui de denier. Le mot Srjvdptov fut dès lors reçu dans les idiomes de flnde, comme synonyme de souvarna (aureus) , et il passa en sans- krit avec fiotacisme qu'y avaient attaché les mar- chands grecs d'Alexandrie \ sous la forme de dinâra

* Les savantes recherches de Sturz sur le dialecte alexandrin ont prouvé que l'iotacisme était propre à ce dialecte: il en a produit un grand nombre d'exemples empruntés à la version des Septante; mais les papyrus et les inscriptions qu'on a découverts depuis ce temps en ont présenté des exemples bien plus nombreux et surtout bien plus remarquables. L'iotacisme est, si je ne me trompe, devenu po-

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5t^n^. Ce mot, que son origine étrangère a pres- qu entièrement exclu des textes , se rencontre plus fréquemment dans les actes publics ou particu- liers que nous ont conservés les monuments. Je le trouve dans ime inscription datée du règne de Tchandragupta , c'est-à-dire du commencement du vi' siècle de notre ère , gravée sur une des portes colossales du monument bouddhique de Pankhi près Bhilsa ^ , et dans un autre titre du même genre , recueilli h peu de distance du premier, mais d'une époque un peu inférieure^; il existe enfin dans un passage de la composition historique de Kalhanapaii-

pulaire en Egypte longtemps avant de l'être dans TAsie Mineure et dans la Syrie; au moins n'est-ce que que nous pouvons en re- cueillir des traces écrites avant le premier siècle de notre ère.

^ Le passage de cette inscription se rencontre le mot dinâra présente quelques difficultés, parce qu'il est interrompu par une

lacune; il se lit sur le monument [^[^Tf^] tmfàtsrf^ $RTJT

[il donne) encore vingt-cinq deniers. Le ^andit^kmaGoxïnda, qui a es- sayé de restituer l'inscription en en remplissant les lacunes, mais qui n a pas toujours assez respecté le monument, n'a tenu compte ni de Va long ni de Vanusvâra qui terminent le mot dinârân. et a proposé cette restitution du passage ainsi que de la lacune qui le hmi-.pan- chavinçatihtcha dînârasahasram , etc. Je pense que Râma Gôviiida avait écrit sahasrâni. Dans tous les cas, on ne saurait admettre ni çata ni sahasra après dtnârdn, qui est la véritable leçon : ce n'wt pas que dinârân ne puisse être dan^ des rapports syntactiques très- réguliers avec fafdni ou sahasrâni, bien que cette construction soit peu commune ; mais , dans ce cas , il n'y a point de raison pour séparer les deux termes formant l'ensemble du nombre par le nom de l'objet auquel ce nombre s'applique.

* Je suis encore obligé de différer d'opinion avec Râma Gôvinda sur le sens des deux passages de cette inscription, se lit le mol de ^vmra; voici ce passage :

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dita intitulée Râdjataramgini, qui a été écrite, sui- vant l'opinion reçue, au xif siècle de notre ère^. Ainsi , le mot a une existence usuelle , légale , litté-

Il donne un denier afin qu'avec l'intérêt produit par ce denier on entre- tienne cliaque jour une lampe allumée devant le siège de Çakya Bouddha.

RâmaGôvindaa commis plusieurs erreurs dans Tinterprétation de ce texte; il pense que tchakra doit désigner ici un nombre, non pas, dit-il , une quantité indéfinie (F. Wils. à. \oc.'tchakra) , mais peut-être 60 oa bien 12 par allusion aux cycles. Il ne peut être, cependant, un instant douteux que dinâraichakra ne signifie littéralement une pièce ronde de dinar, un dinar: tchakrata existe même dans quelques dialectes vulgaires avec le sens de dinar. Ce qui prouve d'ailleurs, d'une manière absolue , qu'il ne s'agit ici que d'un dinar, c'est que le donateur, qui avait consacré l'intérêt de trois dinars à l'entretien de trois lampes en l'honneur des trois Bouddhas, n'a pas en consacrer plus d'un au luminaire du quatrième Bonàdhsi , Çâkjamani , dont le pandit de Calcutta n'a pas su reconnaître le noiii.

^ Voici le texte de ce passage, sur lequel on peut consulter, dans le vol. XV des Asiatic Researches (pag. 37), une savante note de M. Wilson relative au mot dinar :

Ayant secrètement amassé une quantité suffisante de monnaies fi-appées au coin royal, le piince Tôramâna les convertit en dinars marqués à son propre coin et les mit en circulation. «Ose-t-il donc ainsi me mépriser? à «quel titre prend-il ces airs de roi.*^» Ainsi s'écria , dans sa colère , le roi , son frère aîné ; et il le fit jeter dans les fers.

Je n'ose encore attribuer au Yuvarâdja du Kachmir Tôramâna des médailles de bronze récemment reçues du centre de l'Inde et publiées par M. .1. Prinsep, lesquelles portent en ancien dêvanâgari les lettres rfr^.

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raire mciuc, pendant près de douze siècles, qui for- ment le moyen âge de l'Inde. Il est à peine néces- saire de remarquer que c'est au sanskrit que le persan a emprunté le mot Jfnar, qui est également le nom d'une monnaie d'or. Je n'insisterai pas plus longtemps sur ces divers détails; j'ai hâte de me résumer : le commerce romain a laissé dans l'Inde d'immenses richesses qui , réunies à celles qui y exis* talent déjà, ont produit une exubérance de valeurs métalliques; un des résultats de l'exubérance de l'or a être sa dépréciation, peut-être même sa ré- duction à une valeur à peine supérieure à celle de l'argent; de là, dans mon opinion, il arriva qu'on supprima ce dernier métal dans l'usage monétaire, et qu'on le compensa, dans la circulation, par une égale quantité d'or monnayé : or, c'est un fait qui s'est produit deux fois dans l'histoire monétaire de l'Inde , et dont on chercherait peut-être vainement des exemples dans celle des autres nations.

[Ici 3 arrête le manuscrit de M. Jacquet.)

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ÉTUDES

Sur la langue et sur les textes zends, par M. E. Burnouf. ( Suite, )

Pour compléter ce que j'ai dit précédemment sur la valeur de l'expression yavatâitê, je crois nécessaire d'ajouter ici deux passages desleschts, les seuls, à ma connaissance , elle se rencontre. Le premier fait partie de l'Iescht d'Ormuzd, morceau qui contient plusiem^s particularités intéressantes, tant pour le fond que pour la forme. Il se trouve au commence- ment d'un texte qui est fort difficile, parce que le plus grand nombre des mots qu'il renferme ne se repré- sentent pas dans d'autres portions des livres zends , et que j'ai ainsi manqué du précieux secours que fournit la comparaison des passages parallèles. Je n'ai pas eu non plus, pour ce texte, l'avantage de pouvoir me servir de la traduction sanscrite de l'Iescht d'Or- muzd, que je dois au zèle et à l'amitié de Manakdjî Cursetdjî, parce que ce passage manqué" dans le ma- nuscrit qu'il a bien voulu m'envoyer. Heureusement les termes eux-mêmes avec lesquels le mot qui nous occupe est en relation sont très-clairs, indépen damment de ceux qui les suivent; et cette circons- tance suffît pour la détermination du sens de yava-

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tâité. Voici ce passage, que les deux inaïuiscrits dos

leschts lisent exactement de la même manière :

Anquetil le traduit ainsi : «Je protégerai mon «grand ami jusqu'à la résurrection ^ » Les seuls changements que je fasse subir à l'orthographe des manuscrits portent sur le mot t^^-c, qui est lu avec un -^ dans les deux leschts , et )or**»»f *»*)n5 > q^î est lu ,{3fji«fX5*»«w» également dans nos deux exem- plaires. Il me paraît impossible de voir le futur je protégerai, dans nipâyaos. Si ce mot est un verbe, ce ne peut être qu'une seconde personne d un temps quelconque; mais alors même la forme en serait irrégulière. L'orthographe que donnent nos manus- crits annonce le génitif singulier d'un nom en «, nipâya, qui a certainement le sens de protecteur y et dont l'élément fondamental se trouve dans pâyns (le protecteur), que j'ai cité autre part d'après ce même lescht d'Ormuzd ^. Ce substantif est suivi, il est vrai, de deux mots qui sont à l'accusatif; mais on pourrait admettre que la racine (protéger), d'où dérive le substantif ni-pâynSy conserve son action verbale même sous la forme de substantif qu'elle reçoit du suffixe yii, et qu'elle exerce cette action sur les mots qui servent de complément à ce substan- tif. Dans l'hypothèse que la leçon nipâyaos soit cor- recte, il faudrait traduire le passage que je viens

* Ms. Anq. n" m S., p. A5o; iv F., p. 4io. Zend Âvesta, t. II, p. i5o.

* Observ. sar îa Gramm. comp. de M. Bopp, p. Sg , noie i .

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de citer : w de celui qui protège T homme son ami upour toujours, ô Zoroastre!)) Mais il me paraît beaucoup plus naturel de cliercher ici un verbe; et alors je proposerais de lire, au lieu de 1»^. ao, $«» «o, nipâyâos, qui serait la deuxième personne du po- tentiel d'un verbe de la seconde classe , dans lequel la désinence as du sanscrit aura conservé sa sifflante finale, quoique cette sifflante, unie à la voyelle a, ait déjà été changée en âo. Dans cette supposition, je traduirai cette phrase : c Puisses- tu protéger «à jamais l'homme qui est ton ami, ô Zoroastre! » Cette conjecture me paraît, je l'avoue, très-vrai- semblable; mais, quelque opinion que s'en fasse le lecteur, il me suffit de lui avoir signalé le mot java- tâitê, dans lequel je ne puis voir autre chose qu'une expression signifiant pour la vie, pour toujours.

Le second passage des leschts dans lequel se voit le terme qui fait l'objet de cet article est beau- coup plus étendu et plus intéressant que ceux que j'ai examinés jusqu'ici. Il renferme, sans doute, quelques mots obscurs; je n'hésite cependant pas à le trans- crire ici en entier, parce qu'il forme un tout com- plet, et que d'autres en expliqueront peut-être les parties sur lesquelles il se peut que je ne sois pas arrivé à une interprétation tout à fait satisfaisante. Il n'est d'ailleurs pas sans quelque utilité de montrer jusqu'à quel point le même manuscrit varie dans l'orthographe d'un morceau qu'il reproduit deux fois : la critique trouve , dans la considération de ces grandes incertitudes des copistes , des raisons excel-

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lentes pour agir plus librement avec les textes, et pour se laisser guider plus franchement par les lu- mières de l'analyse philologique. Le texte dont il s'agit fait partie de l' Afergan Gâthâ , et il forme en même temps le chapitre xiii de l'Iescht des Ferouers. Nos deux manuscrits des leschts le donnent donc chacun deux fois, circonstance qui nous met en possession de quatre copies assez différentes de ce morceau. J'ai, de plus, l'avantage de le trouver dans le petit recueil de textes zends que je dois à l'amitié de Manakdjî Gursetdjî, et il y est accom- pagné d'une traduction sanscrite qui, si elle n'est pas toujours parfaitement claire, répand cependant quelque jour sur des passages difficiles. Je transcris ici ce morceau, tel que je crois pouvoir le rétablir d'après la comparaison de ces cinq manuscrits, et je le fais suivre de la traduction sanscrite, telle que la donne le recueil de Manakdjî.

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* Ms. Anq. m S., p. 358 et SSg; p. hji et 576; iv F., p. 198 sqq et p. 740 sqq.; ms. de Manakdjî, p. 62. Voici les prin- cipales variantes des mss. précités. Le iv F. lit une {ois fravasyô: dans l'autre passage, il afravasajô avec le n** m S.; le ms. de Ma- nakdjî \\t fravachjô. Les deux mss. d'Anquetil, avec celui de Ma- nakdjî, lisent une fois vîçât, et une autre fois vîçâta: la première leçon est la seule correcte, et la seconde vient probablement de ce que , dans quelque copie , vîçât n était pas séparé du mot suivant , qui commence par une voyelle. Les deux mss. d'Anquetil lisent en- semble une fois âvaîinti; dans le second passage, le n" m S. a âva- vantai, le iv F. âvajanti, et celui de Manakdjî a âvayê^Titi. Nos deux mss. ont une fois hamaçpathmaidhem , et une autre fois bamaçpatha maidhem; celui de Manakdjî lit hamaçpathmaêdêm. Ils lisent tous deux une fois athra, avec celui de Manakdjî, et la se- conde fois ithra. he iv F. lit une seule fois vitcharenti , avec un n au lieu du n qui est généralement préféré dans les autres passages ainsi que dans le ms. de Manakdjî. Nos deux mss. ont une fois daç, et l'autre fois daça; celui de Manakdjî a dasa. Nos mss. ont d abord pairi avec celui de Manakdjî, ^puis paire; tous les trois lisent hhsafnô. Ils lisent une fois khsnâoghemanâo : dans le second passage, le n" III S. lit khsdnâu^hêmanâo , et le iv F. hhsnâoghemanâo ; celui de Manakdjî lit snâo^hem manâo. Dans le premier passage, nos deux mss. réunissent ensemble nôçtavât; celui de Manakdjî sépare ces deux mots. Ils lisent d'abord^af et ensuite ufjât, avec la copie de Manakdjî ;//jndi et ensuite /mdt (celui de Manakdjî afrtnât) ; hi paili et ensuite paiti. comme celui de Manakdjî; djanât et djaçta, comme la copie de Manakdjî, puis zanâl comme le ms. de Manakdjî, et zaçta; vaçtaravata, puis vaçirvat (Manakdjî lit vaçtra- vata)-^ açnâsë navaghat, puis usa nâça nema^ha; le ms. de Manak- djî lit achanâça nemagha. Le n" m S. lit, dans le premier passage, kahé nôit. comme le ms. de Manakdjî, et le iv F. haênôit; tous deux ont kenôit dans le second passage. Ils ont l'un et l'autre, dans le premier passage, nâma, et, dans le second, nâma, comme celui de Manakdjî : dans le premier, agaiiiyât; dans le second, le n" iv F. lit âghaiiyât, le n" m S. âghâryât; celui de Manakdjî lit âgharayâU Nos deux mss. lisent d'abord kahévô, et ensuite kaé vô; frâyô zyât X, 16

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et /rrî^ac^jdt , celui de Manakdji/ra jx z^dt; ndfat, ce que Ma- nakdjî sépare en deux mots, et nôit; djrât et dayât, comme Ma- nakdjî; hé. cotiimc ce dernier, et ahê; qareihêm, comme Manakdjt, et qarêitm; azyamanem et adjyamnêm , celui de Manakdjî ndj/ama- ncm ; yavatcha yavatâtaêlcha et yavaêtcha yavaêtâtaêtcha , celui de Manakdjî yavaêtcha yavaêtâitaétcha. Ce dernier ms. omet âat; ceux d'Anquetil ont d'abord nâts. et ensuite his^ celui de Manakdjî hùs. Ils ont tous deux djaçla , comme ce dernier, et zaçta. Dans le premier passage, ils ont vasiravat; dans le second, le lit S. lit vaçtravat, et le iv F. vaçtarvata; celui de Manakdjî lit vaçira- vata. Le n" m S. lit d'abord açnâsê , et le n" iv F. asnâsë: dans le second passage, le m S. lit aça hhsa, et le n" iv F. aça nd- hhsa ; celui de Manakdjî a achanâça. Nos deux mss. lisent d'abord nama^ha. puià nêma^ha. comme Manakdjî; âfrinanii et âfrayenti, celui de Manakdjî a âfrî nenti ; klisnutdo. comme celui de Manakdjt, et hhsnaotâo: aênatâo et anaitâo. celui de Manakdjî ht ainitâo; vgharâ et arjhrâo. comme celui de Manakdjî: dans les deux passages, fravasayô, celui de Manakdjî préfère avec raison c/i; namâné et nmânê, comme celui de Manakdjî; ghuçtcha, comme ce dernier, et geasa; darêzaçtcha et drëzaçtcha. celui de Manakdjî a darêzraçtcka: dans les deux passages, vâkhsa, celui de Manakdjî vdçô; nâçtâhyô. comme ce dernier, et açtâhyô ; vîdkhnô et vîâkhanô, celui de Ma- nakdjî vydhhanô ;y6 nô. comme ce dernier, eiyônô ; bât, comme ceUiî de Manakdjî, et bâta. Le m S. lit/rd/azd/fa, le iv F.frâyà- zâiti: dans le second passage, ils lisent ensemble JrâyazâHê. celui de Manakdjî lit frdyazdyataê . Ils lisent gumata et (jaomata, comme celui de Manakdjî; djaçta et zaçta, comme ce dernier; vaçtravata, comme ce dernier, et vaçtravat; a{;nâçnajna^ha et aça çanêmagha, celui de Manakdjî lit achanâça nêm gha, comme plus haut.

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244 JOURNAL ASIATIQUE

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Voici maintenant la traduction qu Anquetil donne de ce texte : « Je fais Izeschné aux forts , purs et (( excellents Ferouers des saints , qui viennent dans «les rues au Gâhanbar Hamespethmédem ; ils y «viennent pendant dix nuits (et disent:) L'homme «qui veut nous plaire, qu'il nous fasse Sétaesch, ((qu'il nous fasse Izeschné, qu'il nous célèbre, qu'il ((nous fasse des vœux, qu'il mette dans la main (du «prêtre) de la viande et un habit (neuf), pour que (( sa prière soit exaucée. Ne prenez pas notre nom ((avant que d'avoir prié pour votre propre âme,^-et «nous vous donnerons la pureté, nous vous (don- « nerons ) à manger une nourriture vivante et éter- « nelle. L'homme qui fait Izeschné en (mettant) dans «la main (du prêtre) de la viande et un habit (( ( neuf ) , pour que sa prière soit exaucée , nous ((faisons des vœux pour Im, nous lui sommes fa- « vorables , nous qui sommes éloignés du mal , forts ((et saints Ferouers. Qu'il y ait dans le lieu (qu'il «habite) des troupeaux de mâles et de femelles, « qu'il y ait des chevaux vifs , grands et prompts. « Qu'il soit loué dans l'assemblée , cet homme qui « nous fait Izeschné, à nous morts, en mettant dans « la main ( du prêtre ) de la viande et un habit , pour «que sa prière soit exaucée ^. »

* Zend Avesta, t. II, p. 256.

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Je crois qu'en s'aidant et de la version sanscrite et de l'analyse philologique, on peut traduire ce passage de la manière suivante , sauf quelques points encore obscurs que je discuterai tout à l'heure : « Nous offrons le sacrifice aux bons , aux forts et aux «saints.Ferouers des justes, eux qui descendent de « leur demeure vers le temps de Hamaspathmaêdha. «Alors ils se répandent ici-bas pendant dix nuits, « exprimant leur désir par les questions suivantes : « Qui nous louera ? Qui nous offrira le sacrifice ? «Qui répandra (pour nous l'offrande)? Qui nous <( plaira ? Qui nous invitera , en portant à la main «(le lait de) la vache et un vêtement, avec la « prière qui fait obtenir la pureté celui qui la pro- « nonce)? Quel est celui d'entre nous dont on pronon- « cera le nom ? Quel est celui d'entre vous dont l'âme <( sera l'objet d'un culte? Quel est celui d'entre nous <( auquel sera donnée l'offrande , pour qu'il ait à man- « ger une nourriture qui ne manque ni jamais ni «à toujours? Alors l'homme qui leur offre le sa- «crifice, en portant à la main (le lait de) la vache «et un vêtement, avec la prière qui fait obtenir la « pureté celui qui la prononce, ) ils le bénissent, sa- « tisfaits , favorables , bienveillants , les forts Ferouers « des justes (en disant : ) Qu'il y ait dans cette mai- « son un troupeau (formé) d'une vache et de ses « veaux ! Qu'il y ait un cheval rapide et un taureau « vigoureux ! Que ce soit ub homme respecté', un «homme sage, que celui qui nous offre sans cesse «le sacrifice, en portant à la main (le lait de) la

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« vache et un vêtement , avec la prière qui fait ob- « tenir la pureté ! »

L'analyse suivante est destinée à indiquer les rai sons que j ai de m'éloigner du sentiment d'Anquetil sur plusieurs points, et les motifs que j'ai de con- server des doutes sur quelques autres. Je prends vîçât dans son sens générique d'hahitation, et, comme ce mot est à l'ablatif, je traduis le verbe âvayahti (littéi^lement advolant), par 1/5 descendent. Il me sem- ble que le texte est tout entier consacré à indiquer les prières que les âmes des justes viennent, pen- dant les dix derniers jours de l'année, adresser aux vivantf , suivant la croyance encore subsistante des Parses : or cette remarque est décisive en faveur du sens que j'ai choisi pour le commencement de notre passage. La glose sanscrite, sans tenir compte du cas ablatif de viçâi^ traduit « qui arrivent dans «les maisons,)) et elle ajoute : «les Ferouers sont «ici présents pendant ces dix jours,» détail suivi d*un texte fort incorrect et fort obscur, duquel je crois pouvoir tirer le sens suivant : « ( ils sont pré- «sents) et dans tous les jours Farvardins, et dans «les temps qui leur sont consacrés; cependant, si « on les appelle autrement, alors ils arrivent. » Gela veut dire, autant que je puis le croire, que non- seulement les âmes des justes écoutent les in- vocations des hommes et se mettent en communi- cation avec eux pendant les dix derniers jours de l'année qui leur sont consacrés spécialement , mais qu'elles répondent à leur appel pendant chacun des

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jours de raiinée, et peut-être aussi pendant 4e mois qui porte leur nom. Pour obtenir cette interpréta- tion , j e lis ih(6iii^[^^farvardîn, écrit avec l'orthographe gouzaratie, au lieu de ^(si«(0'i fardjaràin, mot dont je ne puis rien faire. Mais, je me hâte de le remar- quer, cette glose, qui n'est qu'un souvenir du rituel , ne nous apprend rien sur le sens du passage qui nous occupe.

Les mots avat avô zîchnâogJiëmanâo offrent cer- tainement plus de difficulté que les précédents; toutefois la glose sanscrite, qui traduit, quoique avec un peu de confusion , ces trois termes par i upour connaître cependant cela,» fait, si je ne me trompe, cesser toutes les incertitudes dans les- quelles nous jettent les variantes des manuscrits relatives au dernier. En effet, si l'on retranche de ce long terme, manâo, que quelques manuscrits sé- parent par un point des syllabes précédentes, et qui annonce un participe présent moyen au no- minatif pluriel féminin, en rapport 2Lyecfravachayô (les Ferouers), on trouve zîchnâoghe ^ leçon que j'emprunte en partie au manuscrit de Manakdjî, sauf la suppression du m final, le changement du s en ch, à cause de l'influence du i précédent, et la réunion de zi aux syllabes suivantes. Cetteleçon, que je préfère à celle des autres manuscrits, khchnâu^he , laquelle nous conduirait au radical khchnii (satis- faire), me paraît être exactement la transform£|- tion zende du sanscrit djidjnâsa, forme désidérative du radical djàâ (connaître); de sorte que notre par-

248 JOURNAL ASIATIQUE,

ticipe zend signifie : « exprimant le désir de con- « naître.» En effet, zi, qui se présente d'ordinaire dans les textes comme la conjonction sanscrite hi .(car), est l'adoucissement de la syllabe de redou- blement dji, avec un allongement de la voyelle, qui n'est pas rare dans les formes redoublées; aussi, quoique tous nos manuscrits séparent ce zi du mot suivant, je n'hésite pas à fy rattacher et à le regar- der comme en faisant partie intégrante. De même chnâo^ha revient à djnâsa, puisque le groupe djn est inconnu en zend et que le sanscrit djnâtâ y devient jnâtâ ( connaisseur ) : or le j s'échange très-aisément avec son élément congénère ch, sous finfluence de la voyelle i, qui recherche particulièrement cette sif- flante ; âo est l'augmentation très-commune en zend du d sanscrit, lorsqu'il tombe sur une nasale, et enfin ghë représente la sifflante dentale précédée d'une voyelle et suivie d'un a bref.

Si l'on accepte le résultat de cette analyse, il faudra conséquemment admettre que avô est la pré- position ou plutôt l'adverbe sanscrit avas (en bas), dont j'ai déjà constaté l'existence en zend. Le choix de cet adverbe n*est pas indifférent ici : car les Fe- rouers, dont la demeure est dans le ciel, sont ainsi représentés descendant vers les habitations des hommes, et laissant tomber en bas les demandes qu'ils leur adressent. Or, ume fois avô rattaché au participe qui le suit, le mot avat, qui le précède, doit être reconnu comme le neutre du pronom avaf (tel, comme cela), sur lequel je me suis expli-

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que ailleurs en détail ^ Les trois mots que je viens d'examiner doivent donc se traduire littéralement comme il suit : « exprimant en bas le désir de con- « naître cela. »

Je ne m'arrêterai pas à relever les inexactitudes de la traduction d'Anquetil, et je passe de même les deux premières propositions, ayant la forme interrogative , que les Ferouers sont représentés comme adressant aux hommes. Après ce que j'ai dit dans mon Commentaire sur le Yaçna, touchant les formes verbales qui y figurent, je ne crois pas nécessaire d'y insister davantage ici. Tl me suffit de remarquer que çtavât est l'imparfait du conjonctif de çta (louer); yazâitê, le présent du même mode au moyen; /rmdf, fimparfait de ce mode du ra- dical fri ( satisfaire ) , et zanâl, le même temps et le même mode de la racine zan (frapper).

Dans la troisième proposition, il se trouve un verbe qui présente quelque difficulté : nos ma- nuscrits le lisent fyât ou ujyât, leçons dont la dernière seule est correcte; car je ne puis voir ici que le potentiel de vap, le radical souffre la contraction qui aurait lieu en sanscrit à ce mode même. Mais il n'est pas aisé de déterminer la signification qu'il convient d'assigner à ce mot. An- quetil le traduit par : « qu'il nous fasse des vœux , » et la glose sanscrite : « qui nous adoptera , nous pro- <( clamera?» J'ai déjà rattaché autre part le zend nf au radical sanscrit vap y à l'occasion d'un passage

' Comment, sur le Yaçna, t. ï, noie A, p. x sqq.

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ie fait n'est pas douteux ^ Ici les idées de semer, produire ( semen emitterc ) , ne me paraissent pas convenir, et c'est sans doute dans une autre accep- tion qu'est pris ie verbe ujyâl de ia prière des Fe- rouers. Cette acception se trouve peut-être dans l'emploi que font des textes sanscrits, incontesta- blement anciens, du radical vap, avec le sens de ré- pandre, puis déposer, quand il s'agit d'offrande et de sacrifice^; et, dans l'absence de toute autre auto- rité, je n'bésite pas à en faire ici l'application : seu- lement je sous-entends le mot offrande, qui était peut-être suffisamment indiqué par la seule force du radical vap, tel que je suppose qu'a l'em- ployer le zend. On peut, du reste, préférer le sens de la glose sanscrite , celui de proclamer, faire con- naître, si Ton accorde à cette glose, qui paraît ici composée avec soin, une autorité plus grande qu'au rapprochement avec le sanscrit vap que je viens d'indiquer.

J'étends encore un peu la signification de paiti zanât (imparf. du conjonctif), du verbe zan (sanscr. h,an), « tuer. » Littéralement interprété , ce verbe de- vrait se traduire par : « qui rendrait coup pour coup ; )> je ne crois cependant pas que cette acception puisse être admise en ce moment, et, si le participe sans-

* Comment, sur le Yaçna, t. I, il" part. p. 5oo, note, et p. 5o5, note.

* Voyez dans les Radiées de Rosen , au radical voj) , les passage» cités de Manu qui établissent cette signification , que conûrme la lecture des Sûtras de Kâtyâyana sur le Yadjurvêda.

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crit pratihata a, d'après M. Wilson, ie sens des mots anglais sent, dispatched, ce n'est pas faire une hypo- thèse trop hardie que de supposer que le même radical a pu signifier en zend « inviter, éveiller, en- « gager à paraître. » Dans un verbe précédé d'une préposition, il n'est pas rare d e voir la valeur de la pré- position l'emporter sur celle du verbe, et, comme ie préfixe zend paiïi, pour le sanscrit prafi, a le plus sou- vent la signification de : u en présence , en face , à l'en- « contre, vers, » l'interprétation que je propose n'est pas absolument sans vraisemblance. Il est probable qu'ici, comme dans tant d'autres passages, la glose sanscrite a traduit trop fidèlement l'original pehlvi; car le verbe qu'emploie cette glose , pratikuryât, ne signifie ordinairement en sanscrit que : « il rendrait « pour, )) comme quand on rend le bien pour ie bien, ou le mal pour le mal. Peut-être le traduc- teur parso-indien a-t-il eu en vue le persan ji*>s;«Nî. ^:>J^ exciter, faire lever.

Les trois mots suivants gaomata zaçta vaçtravata ne peuvent, quant à leur sens radical, faire la moindre difficulté; mais l'application précise n'en est pas moins sujette à quelques doutes. Anquetii pense qu'il s'agit de la viande et d'un vêtement neuf que l'adorateur des Ferouers met dans la main du prêtre; la glose sanscrite entend beaucoup mieux, du moins pour la grammaire , « avec une main qui «tient une vache, un vêtement ;w et, comme il ajoute : « avec le don d'une vache et d'un vêtement, » le prêtre a naturellement recueillir cette of-

252 JOURNAL ASIATIQUE,

frande. Mais la main dont il s'agit est, non plus la sienne, mais celle de l'adorateur des Ferouers; c'est un point qui ne me paraît pas douteux. Il n'est pas si facile de savoir si gaomata signifie « tenant une « vache , » ou tenant un produit quelconque de la vache, son lait, comme je le suppose, ou sa chair, comme le veut Anquetil. J'ai préféré le sens de lait, parce que c'est celui qu'a souvent, dans les Vêdas, le mot gô.

Vient ensuite le mot achanâça , terme sur la lec- ture duquel les manuscrits nous laissent dans une grande perplexité, et que j'avoue être encore assez obscur pour moi. Il est cependant à peu près cer- tain que ce mot doit être regardé comme un adjectif se rapportant à nemaglia ( avec une prière ) ; mais l'orthographe et le sens en sont fort douteux, et, si l'on fait attention que , sur le mot nemagha lui- même, terme qui doit être si familier aux copistes, il a pu exister assez d'incertitude pour qu'on ait écrit deux fois navaghat, on ne s'étonnera pas que j'é- prouve de la difficulté à retrouver, sous des variantes aussi nombreuses , la forme véritable du mot , qu'a- vec le. manuscrit de Manakdjî je hs achanâça. Si ce mot est un adjectif en rapport avec nëmaglm, sa finale doit être * a, plutôt que i e, comme le veulent quelques variantes. La présence de cette voyelle décide à peu près certainement du choix de la sif- flante qui doit la précéder : ce ne peut sans doute être -o5, comme le donnent les manuscrits d' An- quetil, parce que la sifflante dentale entre deux

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voyelles , dont la première est un à, est nécessai- rement changée en /i. Nous n'avons donc le choix qu'entre » f et ^ c/i ; or, comme nos manuscrits , une fois, et celui de Manakdjî, toujours, adoptent la première sifflante, c'est celle que je crois devoir préférer, d'autant plus qu'elle est recherchée de la voyelle a. Le reste du mot , dans l'hypothèse qu'il ne faut voir ici qu'un mot unique, est également justifiahle. Quelques variantes, il est vrai, peuvent nous laisser encore en doute sur la question de sa- voir si le commencement de ce mot doit être écrit achanây açanâ, ou açnâ: heureusement la glose sans- crite vient à notre secours ; car, en traduisant le com- mencement de ce terme par punya ( pureté, vertu) , elle ne nous permet pas de douter qu'il ne faille le lire acha, puisque c'est à ce dernier mot zend que répond d'ordinaire, dans la version sanscrite du Yaçna par Nériosengh, le mot punya. La glose dont j'invoque le témoignage ne semble pas faire du mot qui nous occupe un adjectif en rapport avec nema- gha: en effet, si je ne me trompe pas sur ce qu'elle veut dire, elle me paraît signifier littéralement : « avec une adoration destinée à donner la capacité «d'être pur,» c'est-à-dire, comme l'ajoute l'inter- prète parso-indien , « afin qu'il devienne digne d'une « grande faveur par une offrande quelconque. » Je ne m'arrête pas à remarquer qu'il faudrait lire «T^nmT^ plutôt que rr^Brar^ , que porte le manuscrit de Manakdjî; je n'ai à examiner ici que le sens de cette glose. Or le sens me paraît être que les

25Û JOURNAL ASIATIQUE.

Ferouers demandent que rofTrande du lait et celle du vêtement qui leur sont présentées , soient accom- pagnées d une prière capable d'assuter à leur ado- rateur le mérite de la pureté. De ce sens, il ne paraît clairement , dans le terme zend qui nous oc- cupe, que acha (pureté); les deux autres syllabes hâça me sont inconnues, et je ne vois que le radi- ical sanscrit ^rn^naç (qui, dans la langue classique, ne signifie que détruire et méditer, mais qui, dans le dialecte védique, a, suivant Sây an a, le sens d'obtenir, comme le latin nac-tas) auquel il soit possible de rapporter le zend nâça. Le Rïgvêda, liv. II, ch. i, h. 2 , st. 11, me fournit un exemple de naç ainsi employé , dans ce passage : ^ rTrr^^ îrtt s^r^ft ^m^ « les « autres aurores n*ont pas atteint à ta splendeur, n passage sur lequel Sâyana remarque ^an^sr^ nfùio^if^chifr, en renvoyant au Nighantu, qui, en ef- fet, donne, ch. ii, art. 18, naçat comme l'un des synonymes de vydpnôti (il obtient). J'ajouterai que, si on lit notre mot zend nâcha au lieu de nâça, il faudra le rapprocher, non plus de naç, mais de ït^, nakch, qu'on trouve au même article du Nighantu, et dans le Rïgvêda, 1. 1, h. 3o, st. 20; h. 33, st. 16; h. 66 , st. 5 ; h. 96 , st. 1 o , et h. 1 2 1 , st. 3 , avec la signification d'aller, obtenir, atteindre.

L'incertitude qui existe encore sur la signification précise de ce mot n'altère, du reste, èh rien le sens du passage. La proposition suivante n'en est pas moins intelligible , sauf le doute que fait naître la forme du verbe â^hairyât. La glose sanscrite

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traduit ainsi cette phrase interrogative : « Qui pro- unoncera ici notre nom, c'est-à-dire, qui, dans i'Izi- «chni (le Yaçna), fera la prise de notre nom?» Il résulte de la comparaison de cette glose avec le texte zend, que âghairyât est la meilleure des va- riantes de ce verbe, ou du moins celle qu'a eue en vue l'interprète pehlvi dont la version est l'original de notre glose sanscrite. En effet, âjhairyât^ d'où il faut retrancher le préfixe â , se présente comme le précatif d'un radical gliar, dans lequel il est à peu près certain qu'on a la forme première du sanscrit hrï, pour ghrï (prendre). D'une autre part, on ne peut nier que la variante âgairyât ne soit égale- ment justifiable, puisqu'on en peut faire le pré- catif du verbe gar, répondant au sanscrit gri ( pro- noncer ) ; mais , la première leçon étant appuyée par le plus grand nombre des manuscrits, je n'hésite pas à la préférer. Je pense que le sujet de ce verbe est sous-entendu, et que c'est celui même auquel les Ferouers se sont adressés en employant le pro- nom interrogatif M (qui); ils supposent que les offrandes qu'ils sollicitent leur seront présentées , et ils disent : « Quel est celui d'entre nous dont notre «adorateur prendra le nom?» Par il faut certai- nement entendre que les Ferouers demandent que les hommes prononcent ces invocations dont on a tant d'exemples dans l'Iescht des Ferouers, dont on trouve quelques-unes dans le Yaçna, et qui sont généralement ainsi conçues : « Nous offrons le sacri- ttfice au Ferouer de tel et tel.» C'est, je ne puis

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en douter, à de pareilles invocations que fait allu- sion le texte qui nous occupe.

11 en faut dire autant de la proposition suivante, que la glose sanscrite traduit d'une manière un peu confuse, quoique je n'hésite pas à y voir sens qui suit ; a Quel est celui d'entre vous qui rendra «un culte à son âme? c est-à-dire, nous sommes u nous-mêmes l'objet d'un culte de la part de celui « qui en rend un à sa propre âme. n Ce sens fait manifestement allusion à ces invocations fréquentes dans le Yaçna : « J'invoque le Ferouer de ma propre « âme. » Mais la construction du texte zend n'est pas très-claire dans ce sens , car la traduction à laquelle le texte se prête au premier coup d'œil est : « Quel « est celui d'entre vous dont l'âme offrira le sacri- « fice ? » Or l'accord de la version d' Anquetil et de la glose sanscrite , comme aussi la vraisemblance du sens, me paraissent démontrer qu'il faudrait dire : «Quel est celui d'entre vous dont l'âme est l'objet « du sacrifice ? » Pour obtenir cette traduction , il faut, ou supposer que frâyézyât est une forme pas- sive du conjonctif, dans laquelle « y est la carac- téristique du passif, ou que le complément defrâyé- zyât (au précatif actif) est sous-entendu, de cette manière : « Quel est celui d'entre vous dont fâme «offre le sacrifice elle-même]?» J'avoue que la seconde supposition me semble plus vraisemblable que la première ; mais, pour exprimer dans ma tra- duction le sens avec plus de netteté, j'ai, d'accord avec Anquetil et avec la glose sanscrite, traduit

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de manière qu'on voie clairement que les Ferouers expriment le désir que l'âme de celui qu'ils appel- lent soit, de sa part, l'objet d'un culte.

La glose sanscrite et l'analyse philologique sont encore mes guides pour la traduction de la pro- position suivante. La glose sanscrite signifie, il est vrai, littéralement : « Qui nous donnera cette «offrande [afin] qu'il existe pour lui une nourri- «ture éternelle, et toujours et à jamais?» mais, si Ton compare cette version avec le texte zend, on trouvera que ce dernier ne peut se traduire autre- ment que comme il suit : « Quel est celui d'entre «nous auquel sera donnée l'offrande, pour qu'il ait « à manger une nourriture qui ne manque ni jamais «ni à toujours? » Il me paraît à peu près certain que les mots tat dâthrëm se rapportent à yat, littéra- lement « cette offrande qu' [il ait....], » et que le pro- nom lié rappelle kahmâi. Ce sens me semble préfé- rable à celui qu'on obtiendrait en faisant rapporter Jiê au donateur, c'est-à-dire au sujet sous-entendu du précatif dayât (pour dâyât), ce qui produirait cette traduction : « Auquel d'entre nous donnera- « t-il cette offrande , pour avoir à manger une nour- «riture qui ne manque ni jamais ni à toujours?» Cette traduction est , sans aucun doute , gramma- ticalement et logiquement soutenable; je préfère cependant la première, parce que c'est seulement dans la seconde partie de notre texte que doit se trouver Findication des récompenses promises à l'homme qui honore les Ferouers.

X. 17

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Les mots qui composent la proposition que je viens de traduire sont généralement clairs , et ceux qui méritent plus particulièrement l'attention du lecteur sont ahé agha(. qairj'ân qarèthëm. Je remar- querai que tous les manuscrits lisent ici qaljjân, comme je l'ai fait d'après leur autorité; mais je pré- férerais une orthographo qui nous donnerait un ac- cusatif, comme qairyâm, car je suis à peu près convaincu que les mots aliê a^hat qairyàm qarëthëm forment ime expression figurent les éléments autrement disposés du temps passé péripbrastique qairyâm aghaty et je me persuade que cette locution revient à ceci : «huic sit in manducationem alimen- tttum. )) J'ai expliqué suffisamment, dans diverses parties de mon Commentaire sur le Yaçna, les mots dont cette locution se compose ; il me sera cepen- dant peut-être permis de faire remarquer ici l'heu- reuse confirmation qu'apporte le Nighantu védique aux conjectures que j'ai déjà émises sur l'origine du zend qavy pris dans le sens de manger ' . Je trouve , en effet, dans le Nighantu, à la fin des dix mots nommés attikarmânah ou « verbes exprimant l'action ude manger, n le présent ^jfn hvarati (il mange) ^, dont forthographe zende est exactement qaraiti. Quant au mot azyamanërriy j'ai expliqué autre part comment j'y reconnais la forme sanscrite du radical M (abandonner, manquer) au passif, et comment ce mot zend serait en sanscrit ahiyamâna. Enfin les

^ Comment sur le Yaçna., t. I, ii* part., p. 463-468. '^ Nighantu, ch, ii, art. 8.

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termes qui suivent ne peuvent , pas plus ici que dans les autres passages qui font l'objet de cet article, signifier autre chose que toujours et à jamais,

La seconde partie de notre passage offre , bien moins de difficultés, non-seulement parce qu'on y retrouve un certain nombre de propositions déjà expliquées dans la première , mais encore parce que les mots obscurs y sont isolés, et que, dût-on ne les entendre qu'imparfaitement , l'ensemble du discours n'en est pas moins tout à fait intelligible. Le pre- mier de ces mots difficUes /est aênatâo, ou, comme lit le manuscrit de Manakdjî, ainitâo. Il n'existe, à ma connaissance, dans aucun des textes zends que nous possédons à Paris; et, quoiqu'il se présente avec une forme tout à fait régulière , il n'en est pas d'une explication plus facile. Premièrement, il est impossible de reconnaître comment Anquetil a en- tendu ce terme, tant sa traduction est confuse. On pourrait croire que les mots : «nous qui sommes «éloignés du mal, » le représentent, si l'on ne trou- vait dans le texte l'adjectif a^èi^^do, auquel ce sens convient assez, bien. La glose sanscrite n'offre pas plus de secours, car le mot s^fer; n'a, du moins pour moi, aviçun sens, et c'est uniquement par conjecture q.ue j'y substitue advichtâh (non haïs), mot qui n'est autre que le zend atbistâo.

La leçon aênatâo fait penser au sanscrit ênas (pé- ché), que noUs avonà en zend sous la forme de aénd^k et avec le sens de nuisance; mais il faudrait une négation comme celle que l'on remarque dans

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2Ô0 JOURNAL ASIATIQUE.

le mot précédemment cité, afbistâo. Sous ce rap- port» la variante ainitâo paraît plus régulière, car il est facile d'y reconnaître un a privatif: soit que l'on divise ainsi ce mot, a-initâOf ou ainsi, ainitâo, de part et d'autre le premier i est épenthétique , mais le sens n'en est pas plus facile à découvrir. Je suppose , faute de tout autre moyen d'interprétation, que ce mot doit se couper ainsi an-itâOy et qu'il pour- rait se traduire en latin i^diT présentes , littéralement (( qui ne sont pas parties , » en d'autres termes , qui restent quand on les invoque et qui sont favorables. Le terme employé par la glose sanscrite , quoique très-vague, et quoique se rapportant mieux, si tou- tefois ma correction est fondée, au zend athistâo, ne contredit pas mon interprétation. Je dois cepen- dant avouer que c'est tout à fait conjecturalement que je traduis l'adjectif ainitâo ipdir favorables»

La proposition suivante , qui doit être placée dans la bouche des Ferouers, ne présente d'autre parti- cularité que l'emploi du mot g eus au singulier; aussi je ne crois pas qu'il faille traduire , avec la glose sanscrite, «un troupeau de vaches, » encore moins, avec Anquetil , « des troupeaux de femelles. » Je sup- pose que le texte désigne « un troupeau [formé] d'une « vache et de ses veaux , » car vira signifie souvent en zend , comme dans les Vèdas , « le produit mâle (( d'un animal. » Cette interprétation me paraît bien mieux convenir à la simplicité des idées exprimées dans tout notre passage , comme aussi à l'état de ci- vilisation qu'indiquent les vœux qui suivent.

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La glose sanscrite nous ofFre, dans la phrase qui vient ensuite, un sens nouveau pour un terme que, sans ce secours , il était facile d'entendre d une autre manière. Je veux parler de vâkhcha, que le manus- crit de Manakdjî lit vâçô. Analysé d'après les lois de comparaison qui doivent nous guider, on trouve que vâ^ô, dont le thème est vâça, répond au sans- crit vâha, par suite de la substitution de ç (rempla- çant de z) au /i dêvanâgari, et cette supposition de- vient presque une certitude, quand on voit notre glose sanscrite expliquer ce mot par j^ (char). On en peut conclure que le vâça zend signifie chariot, ou, plus généralement, «moyen de transport et , comme darëza (thème de darëzaç-tcha) est réelle- ment un adjectif dérivé du radical sanscrit drîli, et signifiant solide, il est permis de traduire, avec la glose sanscrite , « un chariot solide, n

Je dois dire cependant qu'en l'absence de cette glose, j'avais pris la leçon des manuscrits d'An- quetil vâkhsa (ou plus exactement vâkhcha) pour le nominatif singulier masculin d'un thème répon- dant au sanscrit vakchas, mot ancien qui désigne; le taureau considéré comme bête de somme. Malgré l'autorité de la glose sanscrite, j'avoue que j'aime mieux encore ce sens, auquel femploi de fadjectif darëza ne change absolument rien. J'ajoute que le vâjçô du manuscrit de Manakdjî se prête très-bien à cette explication : car, si ce mot est, comme j'^ai cherché à l'établir, le sanscrit vâha, il peut sans doute se traduire ^^r véhicule; mais il doit également

262 JOURNAL ASIATIQUE.

signifier tmireau, bœaf, ou, en général, toute bête

de ^onime.

La fin du passage que nous examinons ne contient plus que deux mots difficiles, et pour l'explication desquels la glose sanscrite et la version d'Anquetil n'offrent que de faibles secours. La glose sanscrite traduit comme il suit les mots huyât. nd çtâhyô vyâ- khnô : « qu'il y ait un bommc prononçant des «louanges,» et il ajoute un mot qui n'est pas sans- crit, et qui n'est que la transcription d'un terme zend. C'est liafiidjamaniy qu'il faut très-probablemcht lire hajîidjamanî, en le considérant comme un ad- jectif formé de hamdjamaiia, qui se trouve plus bas dans la suite de la glose. Ce terme , qui se présente assez souvent dans le Yaçna, y a, si je ne me trompe, le sens de entretien, conversation; de sorte que, si le glossateur indien a eu ce sens en vue, l'adjectif /la/nJ/aTMa/ii qu'il a employé, devra se tra- duire par « un homme avec lequel on a des entrer « tiens. » A cette traduction si vague , il ajoute cette glose qui ne l'est pas moins : « c'est-à-dire , un homme « qui sait faire une louange et un entretien excel- aleat. )) Il résuite cependant déjà de cette versicm que le souhait des Feroucrs est cpie leur adorateur possède les dons de la piété et de l'intelligence , et ce vœu me paraît bien placé après les souhaits d'un ordre plus matériel qui précèdent. La traduction d'Anquetil : a qu'il soit loué dans l'assemblée,» se compose, certainement des mêmes éléments; mais ^eséienïenls sont disposés d'une autre manière, et ie

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sens en est moins étendu; Cependant les deux mots loaé et assemblée y répondent aux mots de la glose sanscrite : « qui prononce une louange , qui a un en- «tretien, » et, par suite, aux termes de l'original zend çtâhyô et vyâkhnô. Maiâ, malgré cet accord de la glose et d'Anquetil, j'oserai proposer, pour le premier de ces deux termes, un sens différent de celui qu'ils indiquent. Je remarquerai d'abord que, pour voir le sens de huer dans çtâhyô, il faudrait admettre que ce terme appartient au radical sanscrit et zend sta et çtu (louer) : cela peut paraître vrai à un interprète parsi, et les mots «j**.^» çtâim, €H5*«f* çtâém (je loue), et jJ^**»^»^ çtâichni (louange), qui se rencontrent fréquemment dans les fragments pa- zends du Zend Avesta, offrent assez d'analogie avec çtâhyô pour qu'on croie que ce dernier dérive du même radical que les deux premiers. Mais, en suppo- sant même qu'il faille voir dans çtâhyô 3a transforma- tion d'une voyelle u primitive, ainsi que cela a lieu dans çtâim (je loue), de çta, et comme l'a déjà fait remarSquer M. Miiller S il restera le h àe çtâhyô, dont on ne donne pas l'explication. La présence de cette aspirée, qui ne peut répondre ici qu'à la sifflante ^s du sanscrit, me semble être un argument dé- cisif contre l'analogie qu'on voudrait établir entre çtâhyô et les formes parsies précitées ; aussi, jusqu'à ce qu'on produise un tbème comme çtâh, qui veuille diie louer, j'aurai de la peine à croire que le mot

» Essai sur la langue pehlvie. dan» )e Joprnr. ajsiat, III* sér., t. .VÏII , p. 3o/i.

26^ JOURNAL ASIATIQUE,

qui nous occupe ait cette signification. Si, dans i'in- sufFisance de la glose sanscrite et de la traduction d'Anquetil, nous nous adressons directement à la langue sanscrite, nous trouverons le radical ^?r^ sthas (habiter, résider), radical qui n'est, selon toute apparence, qu'une autre forme de la racine plus gé- nérale et plus commune, stiiâ (se tenir debout). De cette racine sthas peut très-bien se dériver, au moyen du suffixe a, le substantif 5f/ia5a (demeure, habitation); et de ce substantif, qui manque, il est vrai, dans le dictionnaire de M. Wilson, mais que je n'hésite pas à regarder comme parfaitement ré- gulier, peut se former l'adjectif 5(/idsja, que je pro- pose de prendre dans l'acception du sanscrit ^zr 5a- bhya, u homme digne de figurer dans une assemblée, «homme respectable, » de sabhâ (assemblée). C'est, jusqu'à présent, la seule explication que j'aie trouvée de notre mot zend çtâhyô, et c'est dans ce sens que je l'ai traduit par respecté.

Le terme suivant, et le dernier qui me reste à expliquer, vyâkhnô , n'est pas plus facile que le pré- cédent; il se trouve cependant répété dans un autre passage du Vendidad, et beaucoup plusfréquemment dans diverses parties des leschts. Dans le Vendidad, Anquetil le traduit par u chef de l'assemblée K » Dan» rAfi:*in de Zoroastre, il le développe plutôt- qu'il ne le traduit : « savant et intelligent dans l'assemblée ^. » La traduction de «chef de l'assemblée» reparaît

* Zend Avesta, t. I, 11* part., p. 429.

* Ibid., t. II, p. 93.

SEPTEMBRE 1840. 265

encore dans la portion du Néaesch du feu, qui fait partie du Yaçna ^ Ces deux versions se combinent sous cette forme , « la science de l'assemblée , » au chapitre xvin de l'Iescht de l'eau ^. Au chapitre XXIV de riescht des Ferouers, "cette épithète, qui est celle du feu, est traduite ainsi: «(principe) de w l'excellente assemblée ^. » Dans ce même lescht , au chapitre xxv, la traduction d'Anquetil est très- vague; on y retrouve cependant encore le mot d'assemblée; mais Anquetil n'est pas tellement sûr de sa version qu'il ne se croie obligé d'en indiquer une autre en note , de cette manière ,^^5 de Viâkhné ^. C'est encore , et d'une manière plus explicite , le mot assemhlée, qui est, selon Anquetil, la traduction de ce terme, dans un passage du chapitre xvi de l'Iescht de Mithra, que je citerai tout à l'heure^, puis au chapitre vn de ce même lescht®; au chapitre xv, Anquetil commente ainsi sa version : « germe de ({rassemblée"^;)) au commencement du Néaesch du soleil^; du Néaesch de Mithra^; à la lin de la prière intitulée Gâh Rapitan ^^, et au chapitre xxix de l'Iescht

1 Zend Avesta, t. I, if part., p. 236. 3 Ihid.. t. II, p. 174. 3 J6id., t. II,p. 263.

* Ibid., t. II, p. 269 et note 5. 5 I61U, t. II, p. 216.

« Ibid., t. II, p. 209.

' JJid., t. II, p. 2i5.

» itid., t. II, p. 10.

Ibid., t. II, p. i5. »« ifciU. t. II,p. 106.

266 JOURNAL ASIATIQUE

des Ferouers^ Dans les passages zeiids généralement très-brefs se trouve le mot dont je viens de rap- peler les diverses interprétations, il se présente inva- riablement avec le rôle d'un adjectif, excepté peut- être dans un setd endi^oit , celui de la prière au Gâh Rapitan ; mais même , si le terme en question paraît être un substantif, cette fonction n'est que secon- daire, et tie mot est, à proprement parler, un ad- jectif pris substantivement» Quant aux orthographes diverses sous lesquelles il se montre, je remarquerai d'abord qu'il ne sera pas question ici des désinences avec lesqudiles il paraît dans les passages auxquels j'ai renvoyé tout à l'heure, parce que ces désinences ne nous apprendraient rien de nouveau. Je réduis immédiatement les divers cas de ce mot au thème vyâkkna , que nos deux manuscrits des leschts écri- vent d ordinaire *>\è^^ viâkhna, ou ^-^-^m.^^ viâkhana, oiMhographes qui reviennent certainement à colles de vyâkhnay ou vyâUhana. Un seul manuscrit du Venr didàd^ lit ce moi M^^JymJif viâkhchna, pour wdfc^- chna. Au premier abord, c'est de cette variàiite qu'il paraît le plus facile de retrouver l'analogue en sanscrit: ce mot se présente, en effet, comme formé des deux éléments vi et âkhchna, il est possible de reconnaître les mots sanscrits vi et akchi (eeil), mot dont plusieurs cas se forment, comme on sait, du thème akchan. Le mot vyâkchna, selon cette exph- cation, semble être un terme analogue, pour le sens

Zend Avesta, l. II, p. 279.

* Ms, Anq., n°v S., p. 669.

SEPTEMBRE 1840. W7

comme pour la forme, au sanscrit ac^/ijafcc/irt (inspec- teur). Cependant, quelque vraisemblable que pa raisse être cette analyse , en ce qui toucbe la leçon vyâkhclina, je crois devoir l'abandonner, à cause de la rareté de cette leçon même, laquelle ne peut prévaloir contre l'orthographe ordinaire de vyâkhna. Je dis que c'est l'orthographe la plus ordinaire, parce que je n'hésite pas à y ramener la leçon vjâ- khana, dans laquelle l'aspiration de la gutturale est inexplicable, tandis que, pour vyâkhna, cette aspira- tion a sa source dans le voisinage de la nasale. Je pense, en résumé, que le zend vyâkhna réporid', sauf le suffixe na pour ta, au sanscrit vyakta, pris dans le sens de sage, intelligent, et que l'allongement de la premièr,e voyelle vient sans doute de l'accent qui, dans ce mot dissyllabe , ne pouvait, selon toute apparence, être mis qu'à cette place. J'abandonne donc les sens de chef de l'assemblée et assemblée, donnés par Anquetil, pour me rapprocher de ce- loir àei .'savant, intelligent, qu'il préfère lui.^ même quelquefois; et, par là, j'ai le double avantage m'appùyer sur la tradition des Parses, et de rame- ner le mot vyâkhna k ses éléments sanscrits, sauf la préférence accordée par le zend au sulExe na svu: le suffixe ta, préférence qui s'expHque par l'emploi bien connu qu'on fait en sanscrit de na, pour for- mer des participes parfaite passifs de même sens que ceux figure suffixe plus ordinaire td

268 JOURNAL ASIATIQUE.

NOUVELLES ET MÉLANGES.

SOCIÉTÉ ASIATIQUE.

Séance du lo juillet iSAo.

M. Méthivier écrit au conseil pour exprimer le désir de faire partie de la Société. M. Méthivier est admis comme membre de la Société , ainsi que M. Smith , attaché au cabi- net de M. le Ministre de l'instruction publique. .

M. Arakh el-Dadian écrit au conseil pour le remercier de sa nomination comme membre de la Société.

M. Dadian communique , en même temps , au conseil quel- ques détails sur Texistence d'un dauphin qui a été vu par son père dans la mer de Marmara.

M. le comte de Munster adresse au conseil une lettre écrite en latin , par laquelle il prie les membres de la Société de lui communiquer les détails et les renseignements qu'ils pos- sèdent sur l'histoire et la littérature militaire des Arabes. Il sera fait mention de cette lettre au procès-verbal. »;,

M. Eyriès communique au conseil des détails sur Texb- tence d'un lac situe vers les sources de l'Oxus et découvert par M. Wood en i838. M. Eyriès reçoit les remercîmentsdu conseil pour cette communication.

Le conseil, conformément au règlement, procède au re- nouvellement de la commission du Journal. MM. Grangeret de Lagrange, Mohl, Re.inaud, Landresse et E. Burnouf, sont nommés membres de la commission du Journal.

M. le chevalier de . Paravey communique au conseil un mémoire tendant à prouver que le Pou-sang des Chinois est le continent américain. M. de Paravey dépose sur le bureau

SEPTEMBRE 1840. 269

des dessins exécutés d'après ceux qui ont été recueillis en Amérique par M. Waldeck, et il les compare à d'autres mo- numents asiatiques tels que le temple de Buda à Java. M. de Paravey reçoit les remercîments du conseil pour cette com- munication

Séance du i4 août i84o.

On donne lecture d'une lettre de M. Méthivier par la- quelle il remercie de sa nomination comme membre de la Société.

On lit une lettre de M. le Président du conseil , Ministre des affaires étrangères , par laquelle il adresse à la Société un exemplaire de l'Histoire universelle traduite en hindoustani par M. Lewis Dacosta. Les remercîments du conseil seront adressés à M. le Ministre des affaires étrangères.

M. Mohl, au nom de la commission chargée d'examiner les titres littéraires de M. le docteur Flûgel, propose d'ad- mettre M. Flûgel au nombre des membres honoraires de la Société. Cette proposition est adoptée.

M. Eusèbe de Salles , professeur d'arabe à Marseille , com- munique au conseil des détails étendus sur le voyage qu'il vient d'exécuter en Arabie et en Syrie. Il expose , en parti- culier, le résultat de ses observations sur la différence qui existe entre l'arabe vulgaire parlé en Egypte et la langue lit- térale.

OUVRAGES OFFERTS A LA SOCIETE.

Séance du i4 août i84o.

Histoire anté-dilnvienne de la Chine, ou Histoire de la Chine jusqu'au déluge d'Yao, Van 2298 avant notre ère; par M. le marquis de Fortia d'Urban, de l'Institut: i" vol. contenant l'histoire delà Chine jusqu'à l'avènement de l'empereur Yao, l'an 2^58 avant noire ère. în-12.

270 JOURNAL ASIATIQUE.

Sahda calpa Druma , ou Trésor de la langue sanscrite , par le rajah lUoiiAkANT-DEii. Calcutta, in-4°; (orne IV.

Eléments of gênerai history, ancient and moderne, etc., trans- lated into hindoostani, by Lewis Dacosta; 3 tomes in-4° réunis en un volume.

Goihicœ versionis epistolarum divi PaiiU ad Thessalonicenses secundœ ad Timotheum ad Titum ad Philomonem qiiœ super- sunt ex Ambrosianœ Bihliothecœ palimpsestis deprompta cum adnotatiùnibus edidit C. O. Castilion^eus; in -4*. Mediolani, ■839.

De la colonisation militaire de l'Algérie, par M. R. Tho- massy; brochure in-8'.

The Journal of the Royal geographical Society of London, vol. X, pari. 2. Madras Journal and littérature and sciences, ïi" 24 1 july-seplember i83g.

Notice sur le deuxième volume de l'Histoire des sultans mamlouks de l'Egypte, de M. Quatremère, par M. Sédillol; in-S". Extrait du Journal asiatique.

EXTRAIT D'UNE LETTRE ADRESSEE A M. GARCIN DE TASSf PAR M. N. BLAND, MEMBRE DE LA SOCIÉTË ROYALE ASIATIQUE DE LONDRES.

Letherhead, Surrey, i8 mars i84o.

Je crois vous avoir dit, l'an passé , que j'avais

alors acheté récemment un beau^manuscrit de VAteschrKedeh ««xS'jiïo), ouvrage dont j'avais déjà un exemplaire en plus petit format. C'est la biographie des poètes persans qui est mentionnée par de Hammer dans son ouvrage allemand (sur le même sujet) , comme le Pyrée poétique du catalogue de Rousseau , et qu'il a regretté de n'avoir pu consulter pour

rendre son ouvrage plus complet Autant que j'ai pu

m'en assurer, elle ne se trouve pas à Paris, et j'ai toute raison

SEPTEMBRE 1840. 271

(le croire que mes exemplaires sont les seuls qu'il y ait en Angleterre. Elle contient huit cents notices, tandis que de Hammer, qui a puisé dans Daulestchâh , Sâm-Mirza et autres biographes originaux, n'en a donné que deux cents. J'ai écrit à M. le baron de Hammer à ce sujet, sachant que cette matière l'intéressait vivement il y a quelques années. Si j'apprends que l'ouvrage n'est pas connu en Europe, je tâcherai d'en rédiger une notice pour notre Société asiatique. ... Afin de vous intéresser davantage , j'ajouterai que cet ouvrage contient un chapitre sur les poètes de l'Inde (deux du Décan et douze de Dehli). Il y a aussi huit dames poètes , rivales de Jana Bégam et des autres has-hleus de votre Histoire de la littérature hindoustani.

N. B. V Atesch-Kedeh a pour auteur Hajjî Lutf Ali Beg, sur- nommé Azir. Cet ouvrage est considéré comme le plus inté- ressant et le plus complet des traités originaux sur les poètes persans. C'est feu M. Rousseau (correspondant de l'Académie des inscriptions) qui nous le fait savoir dans le catalogue raisonné de ses manuscrits. Malheureusement cette biogra- phie ne s'étend pas au delà de l'année 1770 de notre ère.

272 JOURNAL ASIATIQUE.

BIBLIOGRAPHIE,

Du divorce dans la Synagogue, par le chevalier P. L. B. Drach , bibliothécaire de la ProjDagande de la foi. Rome, i8/io, in-8°.

Alii Ispahanensis liber cantilenarum magnus ex codicihus manu- scriptis arahice editis.adjectaque translations adnotationihusque illustratus ah loanne Golofredo Ludovico Kosegarten. To- mus primus, fasc. I, in-^**. Gripesvoldiœ , i84o.

JOURNAL ASIATIQUE.

OCTOBRE 1840.

ÉTUDES

Sur les montagnes et les cavernes de la Chine , d'après les géograpliies chinoises, par M. Ed. J3iot.

Les compilations de géographie chinoise, telles que le Tliai-thsing-y-tlioung-tchi, et l'Abrégé de la géo- graphie des Ming , le Kouang-ju-My présentent, dans la description de chaque province , une section spéciale , les montagnes et les rivières de chaque départe- ment ou district sont citées avec les particidarités remarquables qui s'y rattachent. Dans cette section , appelée Chan-tchuen, « montagnes et cours d'eau , » on trouve des détails plus ou moins circonstanciés sur la forme des montagnes et* de leurs roches, sur leurs cavernes et fissures, sur les souvenirs tradi- tionnels de la localité, sur le cours des rivières, sur

rétendue des lacs, etc Ces détails peuvent donc

être très-utiles pour compléter le beau travail exé- cuté par les missionnaires du xviii' siècle, en atten-

274 JOURNAL ASIATIQUE,

dant le jour encore bien éloigné s'abaissera la barrière qui ferme la Chine à notre curiosité euro- péenne.

Martini, en composant son Atlas Sinensis, a fait de nombreux emprunts au Koaang-yu-ki; mais il a aussi omis un grand nombre de faits. M. Kiaproth a aussi réunir beaucoup de documents dans le grand ouvrage qu'il avait préparé sous le titre de Description générale de la Chine ; mais cet ouvrage est inédit jusqu'à ce jour. J'ai donc pensé que le champ était encore libre, et que je pourrais aussi faire, de mon côté, des études sur la géographie de la Chine intérieure. Déjà j'ai publié, dans le de février de ce Journal, un mémoire sur la hauteur des montagnes Aeigées de la Chine et des seuils franchis par les principales routes de navigation ou de grand commerce dans ce vaste empire. J'ai con- tinué depuis à m'occuper du même genre de re- cherches, en achevant uii vocabulaire des noms an- ciens et modernes des villes chinoises, dont la publication se prépare maintenant à l'Imprimerie royale.

Une traduction complète de la section Chan- tchueriy du Thai-thsing-y-thoung-tchi , serait un travail long, pénible, qui formerait près de deux vol. in-8°. L'examen que j'ai fait de cette 'section m'a d'ailleurs prouvé qu'une certaine masse des détails qu'elle contient serait peu intéressante à reproduire par ime traduction littérale. Elle ne donnerait même pas les éléments d'une orographie exacte de la

OCTOBRE 1840. 275

Chine : car l'on peut bien admettre dans certaines limites les mesures de longueur consignées dans le texte; mais on ne peut pareillement accepter les mesures de hauteur, qui présentent une exagéra- tion insensée, et ne sont, au plus ,.que l'expression vague du temps nécessaire pour atteindre le som- met. Cependant l'étude des noms des montagnes avec leur orientation peut certainement être très- utile pour perfectionner la carte de Chine ; mais ce travail n'est plus à faire aujourd'hui. Il a déjà été exécuté par M. Klaproth, et ses résultats sont re- présentés sur une nouvelle carte générale de la Chine que ce savant orientaliste avait dressée, et qui devait être jointe à son grand ouvrage. La planche est gravée : des épreuves ont été tirées et n'ont besoin que de quelques corrections. Il serait bien à désirer que MM. Treuttel et VVûrtz, proprié- taires au manuscrit de M. Klaproth, voulussent au moins faire paraître cette carte nouvelle , qui serait une utile et belle annexe aux cartes de l'Asie centrale publiées par M. Klaproth.

En abandonnant le projet trop vaste de traduire toute la section Chan-tchuen , je me suis occupé à en extraire les faits les plus saillants, relatifs aux montagnes et aux cavernes ou fissures. Je les ai classés département par département, en suivant Tordre habituel des géographies chinoises. J'ai ainsi formé deux catalogues, l'un pour les montagnes, fautre pour les cavernes ou fissures, de manière qu'on pût distinguer aiséjmont les localités celles-ci sont

18.

276 JOURNAL ASIATIQUE,

les plus nombreuses. Après cette sorte d'enregistré ment, j'ai réunie pour mieux fixer l'attention, les faits analogues qui s'observent dans les diverses provinces, et dont plusieurs me paraissent mériter quelque intérêt. C'est ce résumé rationnel de mes notes que j'ai l'honneur de soumettre maintenant à la Société asiatique, en conservant les deux cata- logues, qui seraient peut-être trop étendus pour les limites de son journal. Je serais heureux que mes notes, ainsi abrégées, pussent passer sous les yeux des hardis missionnaires qui se dévouent encore au- jourd'hui à pénétrer dans l'intérieur de la Cliine : elles leur indiqueraient divers points qui mérite- raient certainement une visite scientifique; et, une fois avertis, ils pourraient, au moins, recueillir de précieux renseignements de la bouche des Chinois chrétiens.

FAITS PRINCIPAUX, RELATIFS AUX MONTAGNES ET CAVERNES» EXTRAITS DES GÉOGRAPIIIES CHINOISES.

I. Blocs isolés ou erratiques.

Un savant et hardi missionnaire, M. Galiery, a observé, sur les côtes du Kouang-toung, un certain nombre de blocs erratiques, placés sur le haut des montagnes, et les renseignements qu'il a recueillis sur la configuration des montagnes du Fo-kien, du Sse-tchuen, du Yun-nan, font porté à présumer

OCTOBRE 1840. 277

qn'im grand nombre de blocs semblables devaient se trouver dans les diverses parties de la Chine ^

Il me semble que l'on peut, en effet, ranger dans la classe des blocs erratiques plusieurs des roches ou pierres singulières mentionnées dans les géographies chinoises. Telles sont les grosses pierres ou roches citées comme s'ébranlant aisément par l'effort de la main ou du vent, et qui se trouvent sur le mont Loung-pan , département de Péking , et sur le mont Ho-ming, département de Tchang-tcheou-fou du Fo-kien. Celles-ci ont, suivant le texte, un con- tour de cent quatre-vingts pieds. On peut encore faire une conjecture analogue sur les pierres isolées, dites tambours de pierre, qui se trouvent au som- met de diverses montagnes , et qui résonnent d'une manière particulière quand la guerre est près d'é- clater. On cite plusieurs de ces tambours de pierre au mont Kou-chan , déparlement de Tchang-te-fou , du Ho-nan ; au mont Chi-koû, département de Koung-tchang-fou , du Chen-si, et au mont Chin, département de Tsuen-tcheou-fou, du Fo-kien. On trouve aussi au mont Ki-chan, département de Tchang-tcheou-fou (Fo-kien), des grandes pierres isolées, aussi grosses, dit le texte, que des maisons.

Cette dernière indication confirme les récits des marins, cités par M. Callery.

* Voyez sa lettre à M. Const. Prévost, Bulletin de la Société géo- logique, i836.

/ 278 JOURNAL ASIATIQUE.

II. Indication de terrains primitifs.

Le granit paraît devoir exister dans les lieux le texte cite des pierres yan-moa (mère des nuages) , lesquelles sont, en général, du mica en grandes feuilles , d'après les échantillons de la collection du jardin du Roi, et dans ceux se trouvent des pierres à sable d'or, à étoiles d'or ou d'argent, ex- pressions qui désignent du mica en paillettes. Je noterai un mont h sable d'or, dans le département de Ta-li-fou (Yun-nan); un mont yun-mon , près de Tchang-cha-fou (Hou-kouang); des pierres jun- moa, au mont Fang-thay, département de Yo- tcheou-fou, et un lac à sable d'or, kin-chalioa, dé- partement de Hoang-tcb cou-fou (même province); des pierres à étoiles d'or, aux monts Thien-ling, dé- partement de Han-tchoung-fou (Chen-si); un mont aux pierres y an-mou, près de Ling-Hoai, départe- ment de Foung-yang-fou (Kiang-nan).

Les montagnes du Ghan-toung sont essentielle- ment granitiques, comme on le voit par les voyages récents des Anglais. Le grand Kiang, dans son cours supérieur au travers des provinces de Yun-nan et de Sse-tchuen, porte le nom de fleuve du sable d'or, kin-cha-kiang . Il me semble que ce nom in- dique la présence du granit décomposé, ou schiste micacé, dans le Ht du Kiang, plutôt que l'abondance des paillettes d'or roulées par ses eaux.

OCTOBRE 18^0.

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III. Indication de terrains secondaires et autres.

On sait, par le récit des missionnaires, que Je Pe- tche-li, le Chan-si, le Chen-si, sont remplis de mines de houille. Le texte des géograpbies chi- noises présente diverses indications à cet égard pour certaines montagnes du Ghan-si.

Ainsi, dans le département de Thai-thoung-fou, on trouve, à 5o U au nord-ouest de Kouang-ling, un mont dit Ho-yao, brûlant de feu, autrefois re- nommé. Ses pierres, selon le texte, sont actuelle- ment comme décomposées, et il y croît des plantes.

Le mont de Feu, Ho-chan, situé près de Ho-kio (Chan-si), sur le bord du fleuve Jaune, a été décrit par M. Klaproth ^ ; il présente, d'après le texte chi- nois, une fissure enflammée, sur le bord de laquelle on trouve du sel ammoniac.

Dans le département de Tliai-youen-fou , même province, le mont Jaune, Hoang-ling, 5o li au nord- ouest de Cheou-yang, présente des sommités toutes recouvertes de sable jaune. A 3o li au sud-est de Lo-ping, même département, on remarque le mont Hoang-cha-ling, ou mont du Sable jaune.

Dans le département de Ping yang-fou , il y a un mont aux Pierres brûlées , Tsiao-cM-chan ; le texte ne donne pas d'explication. Le mont Fan-chi-chan , ou mont aux 'Pierres vitrioliques , paraît offrir de

^ Voy. Fragments asiatiques, tom. I, à la suite du premfer mé- moire de M. de Humboldt.

280 JOURNAL ASIATIQUE.

l'alun ou des sels vitrioliques à sa surface , comme on en trouve dans le voisinage des houillères.

Toute cette partie du Ghan-si, voisine du fleuve Jaune, aurait besoin d'être visitée par des obser- vateurs européens pour constater si ces faits , men- tionnés par les textes, se rapportent simplement aux phénomènes habituels des houillères, ou s'ils sont la trace d'anciens phénomènes volcaniques. Chan-si occidental a été le théâtre principal de la grande révolution physique dont il est parlé aux premiers chapitres du Ghou-king , et divers passages sembleraient expliquer cette grande révolution par le soulèvement de la longue chaîne qui traverse la Chine du nord-est au sud-ouest, depuis Thai- thoung-fou, jusqu'au mont de Feu, département de Ou-tcheou-fou (Kouang-si). J'ai discuté ces passages dans un mémoire présenté en 1889 à 11' Académie des sciences : mais l'inspection des lieux serait nécessaire.

Dans le Ho-nan, département de Tchang-te-fou , près de Wou-ngan et de Tseu-tcheou, une mon- tagne a le nom de Tseu-clian , mont d'Aimant : il paraît qu'on y trouve beaucoup de pierres d'aimant.

Les puits de feu du Sse-tchuen et du Chan-si ont été décrits par M. Klaproth , d'après les géographies chinoises. Des dégagements de feu, conséquem- ment d'hydrogène phosphore, s'observent la nuit sur divers points du Kiang-si. Dans le département de Soui-tcheou-fou , près de Chang-kao, au mont Lin-foung, après les pluies de jour, on voit parfois,

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la nuit, une grande flamme : en temps sec, rien ne paraît. Dans le département de Nan-khang-fou (Kiang-si) , se trouve un mont dit Ye-kouang, brillant de nuit, et le texte ajoute : « La nuit, il brille comme (( un feu. )) Dans le département de Kan-tcheou- fou, à Test du chef-lieu, au mont Thien-tchu, la nuit , il apparaît une lumière semblable à celle des charbons allumés.

Les puits de sel, comme on le sait déjà par les rapports des missionnaires , sont très-nombreux aux environs de Kia-ting-tcheou du Sse-tchuen. Il existe aussi des salines ou mines de -sel naturel dans le district d'Yu-lin, au nord du Ghen-si. Des salines nombreuses se voient sur le bord de la mer orien- tale, principalement entre les embouchures du Kiang et du fleuve Jaune. Elles donnent lieu à une immense exportation ,. dont on peut voir le chiffre dans le relevé joint par M. Klaproth à l'Atlas du voyage de Timkowski. Dès les anciens temps, la consommation moyenne du sel en Chine se trouve évaluée par chaque individu adulte, homme ou femme, et par chaque enfant^. Dans le départe- ment de Ning-hia, au nord du Chen-si, on trouve

* Le Tcheou-li, cité dans le JVen-hian-thoung-kao , kiv. xv, p. a, estime la consommation du sel, par mois, pour chaque mâle adulte, à 5 chimj j ; pour chaque femme adulte , à 3 chincf i ; pour chaque enfant, à 2 ching i. Il ajoute que 100 ching de sel pèsent 76 Idn 1 2 leang. Si Ton donne au kin des Tcheou la valeur que je lui ai assignée dans mon mémoire sur de système monétaire des Chinois, savoir^ de kilogramme, les chiffres précédents représentent une consommation annuelle de 8,3 1 , 5,29 et 3,77 kilogrammes.

/

282 JOURNAL ASIATIQUE.

un mont de sable provenant des sables amassés, et

mi mont à charbon (mei-chan).

IV. Fissures et vicies dans la chal*pente des montagnes.

Il existe plusieurs fissures remarqtiables dans les montagnes du Pe-tche-li. Au mont dit de la Pleine-Lune, département de Péking, on remarque un passage souterrain percé à jour naturellement. Le texte porte : Si l'on regarde par l'ouverture, il semble qu'on voie la pleine lune ; de le nom de la montagne.

Dans le département de Pao-ting-fou , au mont Loung-tcbi-chan , près de Y-tcbeou, on voit slir le flanc occidental une caverne très-profonde, qui se divise à l'intérieur en quatre excavations distinctes.

On cite plusieurs autres cavernes dans les dépar- tements de Tchin-ting-fou et de Chun-te-fou.

L'intérieur de plusieurs montagnes du Gban-si présente aussi de grands vides. On cite trois cavernes remarquables dans le département de Thai-youen fou, près de Tseu-bong et de Cbeoii-yang.

Dans le département de Ping-yang-fou , au mont Koung-cban, 20 it au nord-ouest de Tbai-ning, il existe de grands vides qui se communiquent entr<î eux. Au sud de Ngan-y est la caverne dite du Vent, à cause du vent qui en sort à certaines époques.

H y a peu de cavernes dans le Cban-toung, dont les montagnes sont granitiques.

Le Gben-si a ses plus nombreuses cavernes dans

OCTOBRE 1840. 283

le département de Han-tchoung-fou ; les principales sont au mont Tse-pe-chan, au mont Loung-men, au mont Tse-yang, au mont Ta-ney, et enfin au mont Teou-chan. Au nord, dans le département de Yan- ngan-fou , et près de Yan-tchuen , se trouvent des somxes de pétrole.

La partie centrale de la Chine offre de nom- breuses cavernes, crevasses ou fissures de monta- gnes , dans le Kiang-nan , le Hou-kouang , le Honan , le Tche-kiang.

Dans le département de King-tcheou-fou (Hou- kouang), près de Tchang-yang, on trouve au mOnt Fang une caverne du Vent. Le texte dit : L'ouver- ture est grande comme la largeur d'un grand vase ; on y observe un courant d'air, sortant pendant l'été et entrant pendant l'hiver. Vers les équinoxes du printemps et de l'automne, on n'observe aucun mouvement.

Dans le département de Nan-king ( Kiang-nan ) , on cite, à3o li à l'ouest de Kiang-pou-hien , une ca- verne d'une profondeur incommensarable , et dite Puits du Ciel. Une autre caverne , près de Tchao- hien , département de Liu-tcheou-fou, peut contenir, dit-on, trois millions de décuples boisseaux.

Dans le Tche-kiang, département de Hang-tcheou- fou , beaucoup de grottes ou cavernes se trouvent à la montagne dite Pî-lai-foung. On remarque éga- lement plusieurs cavernes ou crevasses au sommet des montagnes du département de Tchu-tcheou- fou. En général, les divers départements du

^

284 JOURNAL ASIATIQUE.

Tche-kiang présentent des cavernes assez nom- breuses.

A l'ouest de la Chine , on remarque plusieurs ca- vernes ou excavations dans le Sse-tchuen, surtout dans le département de Kia-ting , près des puits sa- lants. — Une seule montagne de ce département, nommée Joung, en contient vingt-quatre.

Vers le midi, le Fo-kien présente plusieurs ca- vernes très-profondes, principalement dans les dé- partements de Tcliang-tcheou , de Fou-ning et de Tsuen-tcheou.

On cite plusieurs excavations ou fissures très- profondes dans le Kouang-toung et le Kouang-si. Huit sont notées comme ayant été ouvertes par un coup de tonnerre, au temps de Suen-kuen (220- 2 3o de J. C). Elles sont au mont Thsin, près de Fou-tchuen , du département de Ping-lo (Kouang- si). Ce coup de tonnerre rappelle évidemment le souvenir d'un tremblement de ten^e ou d'une com- motion volcanique.

Le Yun-nan oiïre piusiem's cavernes considé- rables, principalement dans les départements de Young-tchang et de Yao-kliing.

On doit remarquer que la plupart de ces ca- vernes ou fissures ont leur ouverture au sommet des montagnes et se prolongent souvent jusqu'à leur pied, comme si l'intérieur de ces montagnes était vide. Ce fait me paraît pouvoir concourir à expli- quer les nombreux affaissements rapportés dans l'histoire chinoise. Un gi^and nombre dos montagnes

OCTOBRE 1840. 285

chinoises paraissent composées de rochers agglo mérés , dont la charpente s écrase et s'affaisse à la longue, comme celle des montagnes de la Grande- Cordillière américaine.

V'. Éboulements et affaissements de montagnes.

Un catalogue spécial des faits de ce genre a été dressé par Ma-touan-iin , dans les 3oi*' et 3o3® ki- ven de son Wen-hian-thoung-khao , et j'en ai soumis la traduction à l'Académie des sciences , au mois d'a- vril 1 83 9^. On peut ajouter à ce catalogue quelques faits dont le souvenir s'est conservé dans les tradi- tions populaires, et qui se retrouvent mentionnés dans les géographies chinoises.

Dans le département de Thai-ming-fou (Pe-tche- li) , auprès du mont Feou-khieou, se trouve la viH,e de Seun. D'après le texte du Kouang-yu-ki, autre- fois cette ville était à l'ouest de la montagne. Vers l'an 1026, le sol s'enfonça subitement et fut rem- placé par un lac. La ville actuelle est au midi de la montagne.

Dans la même province , département de Tchin- ting-fou, un pic des monts Heng passe pour s'être autrefois ébranlé et transporté jusqu'à Youen-tcheou.

Dans le département de Hoai-khing-fou (Ho-nan) , une montagne de la grande chaîne Thai-hing, s'est autrefois ouverte avec un grand bruit , et a laissé à

* Cette traduction paraîtra cette année dans les ilnna/e5 de chi mie et (le physique.

286 JOURNAL ASIATIQUE.

découvert une caverne* profonde de iaquelle s'écoule

un liquide bitumineux.

Dans le Kiang-nan , département de Liu-tcheou , le lac Tsao-hou passe pour s'être formé subitement à la place d'une ville. On peut remarquer que, dans la carte des missionnaires , la figure de ce lac est presque carrée, et présente une certaine analogie avec la figure des cratères volcaniques.

Dans le département de Thai-tcheou(Tche-kiang), le mont Ling-chi a éprouvé un grand éboulemcnt vers la fin de la dynastie Tsin.

Dans le département de Rhioung-tcbeou, île d'Hai-nan, h l'article du lac oriental, Toung-hou, il est dit : ((Autrefois il y avait sur remplacement de «ce lac des bâtiments habités. Une nuit, le sol s'ef- « fondra, et il se forma un lac. » » Une tradition analogue est conservée sur la for- mation du lac Tchin-bai, département de Young- tcbang, province de Yun-nan.

VI. Colonnades basaltiques.

Une colonnade semblable à la Chaussée des Géants, en Irlande, paraît exister au mont dit des Portes de pierre ( Chi-men ) , département de Kio- tsing-fou (au nord-est du Yun-nan). Le texte expli- catif parle d'une sorte de nappe, ou chi-sse-sen-pou , ou cpijclie de pierres en forme d'arbres pétrifiés, chi-sun-sen-pou 1^ -SgC .^ :ffe" , qui s'étend près de Lo-leang-tcheou , sur une étendue' de plus de i o /i

OCTOBRE 1840. 287

(environ une lieue). Quand on l'aperçoit de loin, il semble qu'on voie un, bois; c'est un passage pour aller de l'orient à l'occident. Ce lieu n'étant pas très-éloigné des fi^ontières du royaume de Assam, il est possible qu'il puisse être , quelque jour, visité par des Anglais.

Dans le Ho-nan , près de Chen-tcbeou , au mont Chi-tchu-chan, ou des Colonnes de JDierre, quand on fend les pierres, elles se divisent en colonnes. Il serait à désirer que des Européens pussent visiter cette montagne.

VIL Fossiles.

On doit reconnaître des bancs de poissons fos- siles dans les pierres à paire de poissons (c/ioaTi^- yu-chi), que l'on trouve au mont Kan, départemetit de Soung-kiang-fou (Kiang-nan). C'est ainsi qu'aux monts Euganéens, près de Padoue, les pierres qui contiennent les poissons fossiles se divisent en deux , et chaque moitié présente un côté du poisson pé- tHfié.

Dans le Chen-si, département de Foung-tsiang- fou, 3o H à l'ouest de Kien-yang, on trouve aussi la source dite aux Poissons pétrifiés. texte ex- plicatif dit : « Quand on creuse la terre, et que l'on « casse les pierres, on trouve des formes de poissons. »

Dans le Ho-nan, département de Khai-foung-fou , au mont Ling-yuen, on trouve des fossiles appelés ossements pétrifiés des esprits célestes.

288 JOURNAL ASIATIQUE.

Dans le Rouang-toung , département de Loting- tcheou, ou recueille beaucoup d'ossements de dra- gon.

Dans le Kouaug-si, au mont Nan-chan, près de Khing-youen, une caverne contient des écailles de dragon pétrifiées.

, îDanslc \un-naii, département de Wou-ting-fou , à la caverne Wou-ting , on trouve des hommes et des animaux pétrifiés.

, .Dans le Pe-tche-li, département de Pao-ting-fou , on cite une caverne l'on voit des constructions en pierre et des hommes de pierre.

Il serait utile de vérifier ces diverses indications.

Certaines montagnes sont appelées Chi-yen-chan, montagnes aux Hirondelles pétrifiées, ou aux Hiron- delles de pierre. Ce même terme de Qii-yen est donné, par le Pen-tsao et par l'Encyclopédie japo- naise, à une espèce particulière de pierre. Un échantillon ainsi désigné dans la collection des mi- néraux chinois du jardin du Roi , et la figure même de l'Encyclopédie japonaise, démontrent que cette espèce se rapporte aux térébratules et plicatules fos- siles; mais le texte descriptif joint aux divers arti- cles Chi-yen-chan des géographies chinoises n'est pas assez explicite pour qu'on puisse en conclure qu'il s'agit aussi dans ces articles de coquillages fos- siles. Ce texte dit simplement que ces montagnes ont des pierres légères qui volent quand il doit pleuvoir : les principales se trouvent dans le dépar- tement de Nan-ning-fou ( Rouang-si ) , dans ceux

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de Heng-tcheou-fou , de Young-tcheou-fou (Hou- kouang), et dans celui de Pao-ting-fou (Sse-tchuen). D'après le texte des géographies , les pierres de ces montagnes sont employées dans la médecine chi- noise, comme le sont les pierres chi-yen du Pen- tsao.

VIII. Montagnes neigées ou à neige perpétuelle.

Jai fait un relevé spécial des montagnes dites neigées, sme-chauj dans mon précédent mémoire, inséré au numéro de février. Je n'en parlerai donc point ici.

IX. Empreintes remarquables sur des rochers.

Des empreintes de grands pieds d'homme sont citées sur deux montagnes : au mont Moung, dé- partement de Tsu-hiuong-fou (Yun-nan); au mont Fei-lun, département de Ou-tcheou-fou (Kouang- si). Le texte explicatif dit que ces empreintes sont longues de deux à quatre pieds chinois , ce qui représente en mesures métriques une longueur de 61 centimètres à l'^.s/i.

Des vestiges ou empreintes de pieds extraordi- naires se voient encore sur deux autres montagnes : au mont Loung-tchi, près de Y-tcheou, départe- ment de Pao-ting-fou (Pe-tche-li), et au mont des Sept Planètes, département de Kouei-lin-fou (Kouang-si).

Les Chinois appellent ces empreintes singulières

X. 19

JOURNAL ASIATIQUE.

des traces de dragon, ou des pieds de dragon. Les longueurs citées par le texte montrent évidem- ment que ces empreintes se rapportent à quelques animaux antédiluviens, comme celles qui ont été trouvées en Allemagne , au village de Hessberg, près de Hildberghausen ' et en Ecosse, dans le comté de Dumfries, et auprès de Storeton-Hill.„ .

«i:nU jp»n '.^rm rt uo i">*ja(t>.. '.;«j^fî!noi Jll '

X. Terre que les montagnards mangent habituellement.

Au mont Lo-pao, département de Lin-ngan-fou (Yun-nan), les montagnards font des boules avec la terre de cette montagne , qui est grasse et molle , et, suivant le texte du Kouang-yu-ki , ils s'en nourris- sent habituellement. Ceci est un nouvel exemple 4e la dépravation de goût observée pour la pre- mière fois par M. de Humboldt chez les Otto-

r>(;' .' XI. Stalactites.

Des stalactites , désignées sous le nom de chi- ïchonn^-jny gouttes ou cloches pétrifiées, sont citées dans le département de Thai-thoung-fou (Chan-si ) , à la grande Montagne blanche, Pe-chariy 20 /i au sud de Ling-khieou-hien ; dans le département de Thoung-khing-fou (Sse-tchuen), au mont Chl-tchoung- cfuLTi ou mont des Stalactites; dans le département de^ Chao-khing ( Kouang-toung), au mont Chi-yen;

^ Lettres sur les révolutions du globe, par Bertrand. -=— Note 17 èdû'i' édition.

OCTOBRE. 1840. 291

dans le département de Yao-khing (Yun-nan), k îa caverne de Tsing-hien.

XII. Observations générales sur les noms des montagnes.

Parmi les noms des montagnes citées dans les géograpliies chinoises , beaucoup sont dérivés de la position de ces montagnes , par rapport au chef-lieu du département. Ainsi, l'on trouve, pour la plupart des départements, un mont du sud, de l'est, de l'ouest , du nord , un mont du milieu. On lit fré- quemment le nom de mont Orphelin, c'est-à-dire isolé. D'autres montagnes, ou simples hauteurs, comparées deux à deux par leur position, sont ap- pelées la Grande et la Petite montagne, Ta-clian, Siao-chan.

Un grand nombre de noms se dérivent aussi de la forme des montagnes : ainsi l'on trouve plusieurs monts dits de la Pointe, Kien-chan, à cause de leur escarpement; des monts dits Cariés, Fang-clian, à cause de leur aplatissement à la partie supérieure ; des monts dits Surnageants, Feott-c/ian, parce qu'ils' dominent les hauteurs environnantes , ou parce qu'ils s'élèvent au milieu d'un lac, d'une rivière, d'un golfe. Quelques-un^' sont appelés monts Tête de Tigre, Tête de Cheval, Tête de Bœuf, Tête Poule ; quelques autres sont désignés par le nombre' de leurs pics : tels sont ceux que l'on appelle monts desSept et des Neuf Dragons , monts dë^Sept-ôù^ des Neuf Têtes de Cheval. Plusieurs montàgrieë^oftt

. 19.

I

292 JOURNAL ASIATIQUE.

le nom de Pan-chatiy monts du Bassin ou du Pla- teau. Cette expression, fréquente surtout dans les départements de Sse-tchuen , m'a fait rechercher le

sens exact que doit avoir ici le caractère Pan ^^ ;

mais je n'ai découvert aucune explication dans les textes, qui se bornent à compter le nombre des Pan pour chaque montagne. Il est présumable que ce terme désigne ces blocs isolés que les Chinois ont cités à M. Callery comme étant très-nombreux dans le Sse-tchuen. On trouve encore des monts du Boisseau, et ce nom leur vient, tantôt de leur forme analogue à celle d'un boisseau , tantôt de ce qu'ils présentent sept pics disposés plus ou moins comme les sept étoiles du Boisseau du Nord (la grande Ourse). On trouve aussi des monts Tliien- tchny Colonne du Ciel, nom hyperbolique, qui in- dique seulement qu'ils sont assez élevés.

Plusieurs montagnes sont désignées par la cou- leur de leurs roches. Il y a des monts Rouges, des monts Noirs , des monts Bleus , des monts Blancs. Comme je l'ai dit dans mon précédent mémoire, ce dernier nom désigne quelquefois , d'après l'expli- cation du texte , des montagnes couvertes de neiges perpétuelles; mais généralement il désigne plutôt des montagnes calcaires. Tels sont, par exemple, les monts Blancs, Pe-chan, qui se voient en divers départements dvi Ho-nan et du Hou-kouang. J'ai discuté dans le même mémoire la valeur du nom de siae^ neigées, applitjué par le texte à diverses

OCTOBRE 1840. èM

montagnes , et j'ai indiqué celles qui paraissent cou- vertes de neiges perpétuelles. :

Le nom de montagnes Bleues, Thsing-ling, est celui d'une grande chaîne qui s'étend du Ch en-si jusqu'à l'extrémité du Ho-nan, à peu près dans la direction de l'ouest à l'est. Cette dénomination me semble indiquer, avec beaucoup de vraisemblance, que cette chaîne n'est que de second ordre. Ses pics apparaissent bleus à l'horizon , comme ceux des Cévennes, des Vosges.

Quelques montagnes sont désignées par le nom des arbres qui y croissent. Ainsi le col qui sépare Nan-hioung de Nan-ngan , sur la grande route com- merciale de Canton à Péking , est appelé Mei-ling , mont des Pruniers sauvages. Kouei-lingy mont des Cannelliers, est le nom de la chaîne franchie à l'ouest, près de Kouei-lin-fou, par la seule ligne continue de navigation qui s'étende du sud au nord de la Chine. Un autre mont des Cannelliers, peu remarquable d'ailleurs, se voit près de Jin- khieou, département de Ho-kien-fou des Pe-tche-li, par 38° de latitude. On voit aussi dans le Ho-nan et le Hou-kouang plusieurs monts aux Mûriers,' Sang-chan, et d'autres désignés par le nom de l'arbre ihoung, qui produit une huile résineuse. 'Ciocn %h

Le nom de plusieurs montagnes rappelle, des circonstances météorologiques particulières au pays elles se trouvent. Ainsi, les montagnes qui se couvrent de nuages, lorsqu'il doit pleuvoir, sont appelées mont de la Pluie, mont des Nuages,, mont

294 JOURNAL ASIATIQUE,

de l'Esprit céleste. D'autres noms rappellent des faits conseiTés dans les souvenirs des habitants du can- ton ; le plus souvent ces faits sont insignifiants. Un bœuf, un cheval , ont été perdus sur une montagne , et celle-ci devient le mont du Bœuf, le mont du Cheval; ou bien, c'est le mont de la Maison du Rocher, le mont de l'Ermite, parce quun solitaire y vécu autrefois. -— Le long de la côte orientale , on trouve fréquemment le nom de mont de Thsin, mont de l'Homme du pays de Thsin. Le texte nous explique que cet homme de Thsin est le fameux conquérant de la Chine, Thsin-chi-hoang-ti. Tan- tôt il a gravi la montagne pour voir la mer ; tantôt il y a fait ouvrir ime route , ou encore il a navigué à fia ibase. Les Chinois conservent ainsi le nom de leur grand conquérant, comme le nom d'Alexandre s'est perpétué dans l'Asie Mineure et en Perse , comme celui de César subsiste encore sur beaucoup de points; de la France.

1' OnVoit aussi un grand nonabre de montagnes, diésignées par le nom de mont du Dragon ou des Dragons, Loung-chan. Ordinairement cette désigna- tion est insignifiante, et nest qu'un terme empha- tique i elle équivaut à celle de mont Dominant , de mont Supérieur. Quelquefois , le nom de dragon désigne des serpents qui existent sur ces montagnes On trouve des monts de la Caverne ou de la Grevasse, des monts de la Grotte; d'autres sont appelés mont du Lac, mont de f Etang. Quelques montagnes sont appelées simplement la Haute mon-

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OCTOBRE 1840. 295

tagne, pic Escarpé, ou le mont des Rochers. Ces noms peuvent toujours servir d'indiçatioB , pour fixer sur les articles Ton peut espéret de rencon- trer quelque fait. : i Tels sont les principaux renseignements que l'on peut extraire des diverses parties de la sectiojn Gharir tchuen, des géographies chinoises. Plusieurs me semr blent assez curieux pour mériter d'être vérifiés par les Européens qui pourront étudier la Chine sur son sol même. Ce serait tin! voyage d'observation bien autrement intéressant que celui que je viens de tenter en parcourant les livres de la Bibliothèque royale; mais, jusqu'à ce jour, il est beaucoup plus périlleux. i'rcf

Tffff

OBSERVATIONS

Sur un $ceau de Schah Rokh, fils de Tamerlau ,, et'^sur que^- . ques monnaies dçs Tipaourides de la Transoxiane ^ . ,

Dans ie Mémoire ^ sur les 'instrùménTs âsirphp- miques des Arabes, que nous avons eu 1 honneur de lire devant l'Académie royale des inscription^ et belles-lettres, et qui s'imprime ^n ce ijiomeijit d^^s l'un des recueils publiés^ sous les auspices de cette ilhisfife-^dmjîâgnieV'iiolrs àvbhs tâp|)fe!ê Wn"fàîi M^e

.;i;^ ;Lt^^JJ/lj^éi?jiç;rojfle,des inscriptions «t beUes7lç.Urçs , dans j^ <séancc\diiL,,i.5 inai lMp^,

29C JOURNAL ASIATIQUE,

nous avions déjà signalé à l'attention de l'Institut, et qui intéresse, à un très-haut degré, ceux qui s'oc- cupent de l'histoire des sciences, parce qu'il nous montre les travaux de l'École de Bagdad sous un jour entièrement nouveau : nous voulons parler de la détermination de la troisième inégalité de la lune ou variation^, faite, au x" siècle de notre ère, par l'astronome Aboul-Wéfa al-Bouzdjani ^. L'indication de ce progrès remarquable, justifiée par un passage du manuscrit arabe 1 1 38 de la Bibliothèque royale, change une opinion répandue généralement, depuis plus de deux cents ans, sur l'état des sciences, chez un peuple qu'on supposait n'avoir jamais été plus loin que les Grecs, sous le rapport des théories astronomiques; et, comme elle enlève, aux obser- vateurs modernes du xvii" siècle , la priorité de l'une de leurs plus belles découvertes, on ne doit point s'étonner qu'elle ait soulevé de graves discussions ', lorsque nous la fîmes connaître, en i836, par la traduction et la publication du texte de l'auteur arabe. Aujourd'hui l'on ne peut plus douter de la réalité d'un fait considéré par les savants astronomes de l'Académie des sciences comme incontestable * :

* Nouveau Journal asiaticfac, février i836.— Comptes rendus des séances de tAcad!ëmie des sciences, 1 4 et a8 mars 1 836 et 1 3 mai i838.

* Voyez, sur la ville de Bouzdjan (j^j^ , Aboul-féda (édit. de MM. Reinaud et de Slane) , pag. 454; et TÉdrisi (trad. de M. le chevalier Jaubert), tom. II, pag. 1862.

' Comptes rendus des séances de l'Académie des sciences, lac. cit.

* Rapport de MM. Arago et Mathiea sor le travail de M. Sédil- lot, intitulé: Mémoire sur les instruments astronomiques des Arabes.

OCTOBRE 1840. 297

les divers témoignages que nous avons réunis à l'appui de notre assertion n'ont point été réfutés; et, quant à l'idée d'une interpolation introduite dans le manuscrit même, elle s'est évanouie devant l'autorité de M. Silvestre de Sacy, de M. Quatremère, et de nos plus savants orientalistes. C'est ainsi que M. le chevalier Jaubert et que M. Reinaud ont constaté que la copie, à en juger par la nature du papier et les caractères de l'écriture, bien loin d'avoir été faite à une époque rapprochée de nous , devait remonter au moins au xi* siècle de notre ère : à cet égard, l'authenticité du manuscrit ne peut donc être attaquée; cependant, comme la dé- couverte que nous restituons à Aboul-Wéfa (mort en l'année 998 de J. C), au détriment de Tycho Brahé (mort en l'année 1602), est d'une très-grande importance pour l'histoire littéraire et scientifique du moyen âge, nous avons pensé qu'on accueille- rait avec faveur toutes les recherches tendant à la confirmer de plus en plus , et nous sommes heu- reux de pouvoir ajouter une preuve nouvelle à celles que nous avons déjà produites sur l'ancienneté du manuscrit dont nous l'avons exhumée. Un sceau se trouve sur plusieurs des feuillets de ce manuscrit, et porte pour légende : Ex thesanro librorum snltani snpremi Schah Rohh Behadur ^ Nous avons fait obser-

' Man. arabe n" ii38, fol. Zà, 55 et 106. On y lit : 4-U^> (j^

j^\^, Nous avons reproduit Tempreinte de ce sceau ci-après (voyez la planche jointe à ce mémoire, n" i ). On trouve, dans les

298 JOURNAL ASIATIQUE,

ver précédemment ^ que ce devait être le sceau ou cachet de Scliah Rokh , (ils de Tamerlan , qui régnait dans la Transoxiane au commencement du xv® siècle (de i/io5iâ 1447); maïs il fallait démontrer claire- ment la réalité de cette conjectm*e, et pour cela comparer le sceau dont notre manuscrit portait l'empreinte à des monnaies ou médailles du fds de Tamerlan, afin de constater l'identité des caractères. M. Reinaud avait déclaré, il est vrai, que ce sceau était conforme à une médaille de Schah Rokh, qui faisait partie de la collection de M. le duc de Bla- cas ^; mais cette médaille n'avait pu être retrouvée^, et on n'en connaissait aucune autre du prince Ti- mouride : les recherches auxquelles nous nous li vrâmés ai cet égard, restées longtemps infructueuses, nous conduisirent à. examiner les monnaies qui ont été conservées des Timourides de la Transoxiaue , et» ttouRJ allons indiquer. par quels rapprochements

Mines de t Orient, i, II, p. 4o5 [Cùntinuatio catalogi manuscriptorum orieutaUum Bihliothecœ Cœsareœ regiœ Vindohonensis) , le passage sui- vant : t c:>t jJi j-d^fi*- ESSEUTiA PERSONfi. Opus mysticum poetae «bersici Attar, quod 66 aureis veûundatum fuisse primo folio ins- « criplum est. Sigillura in medio libri impressuraindicat hune codi- «cfe^n exemplar fuisse sultani Schahroch. Legitur enim ibidem: "J^W t^ *^ iJûfi^î {sic) (^UaX*- i.XiiS'isic) XsjjÂ. ij^ « è thesauro iibrorum sultani ( sic ) Schahroch Behadir. » L'assertion de M. de Hammer à ce sujet n'a jamais été m^se ei doute.

' Comptes rendus des séances de l'Acad. des sciences. 1 4 mars i836.

> Ihid. '^)^l)yi ••* : ..- :- .".:

^ Au moment de mcnhî s«Ù9'^fe^$ tfoé» Apprenons que cette médaille se trouve de nouveau entre les mains de M. Reinaud, Nous en parlerons plus loin.' :q ui so^o/ ;

OCTOBRE 1840. 299

successifs nous sommes parvenu à jeter quelque lumière sur cette partie intéressante de la numis- matique orientale, et comment nous avons atteint, en dernier lieu , le but que nous nous étions proposé.

I.

On sait que Tameiian ou Timour s'empara de la Transo^ane ou Ma-wara-alnahar \ 3'an -771 de l'hé- gire.(i 369 de J. G.), sur le sultan Houssain^. SchaH Rokb, dont M. Quatremère écrit en ce moment l'histoire*, hérita de la plus grande partie des con- quêtes de son père, en 807 (ilioli de J. G.), et confia le gouvernement de Samarcande et des pays environnants à son fils Oloug Beg^, qui se.reiidit

^ Voyez ce mot dans la Bihl orient, de d'Herbeîot, p. 5&5. îi écrit Maoaarannahar ; nous avons adopté Torthographe suivie par M. Quatremère. Voyez Y Histoire des Mongols de Perse, i836; Vie de Raschid-eldin , p. 100; le t, XIII des Notices des Manuscrite, p; 262 (Analyse du Mesalek alabsar, etc.). •(' x-

' D'Herbeiot, Bihlioth. orient, art. Houssain Soltban, ^jL^^^^JUm /^jum<>>, p. 464. Ahmedis Arabsiadae, Vita Timnri, éd. Manger, t. I, p. 5 1 et 59. i'>i.«':rLv

' i-j sIkm- m. Quatremère, Mémoires historiques sur la vie du sultan Schah Rokb [Journal asiat. IIP série, t. If, p. 207 et suiv.). Assemani appelle ce prince Sciacroch [Catalogo di codici manoscritti orient, delta Bihlioth. Naniana. p. 3i). nom est écrit -f j q,^» dans ces vers donnés par M. Quatremère, loc. cit. p. 345 :

* (.6 ne fut qu'en 8i4 {»4i2 de J. C.) qu'OIoug Beg reçut le gouvernement de Samarcande, dévolu, après la mort de Timour, à

300 JOURNAL ASIATIQUE,

si célèbre par ses travaux astronomiques, et qui devint son successeur en 85 1 (i /i/iy de J. C.) ; mais, à partir de cette époque , la domination des Timou- rides devait rapidement décliner: Oloug Beg, plus habile dans les sciences qu'en politique, périt, en 853 {ililig de J. C.) ^ sous les coups de son propre fds Abdallatif, qui, six mois après, devait être rem- placé sur le trône par son beau-frè^^e et cousin Abd- allah 2. Celui-ci était déjà renversé en 855 (i/i5i de J. C.) : Abou Saïd, autre descendant de Tamer- ian^, s'était rendu maître de ses États, qu'il devait posséder jusqu'en 873 (l^6S de J. G.). Dans une guerre que ce prince soutint alors contre Ussum Gassan (Ouzoun Haçan Beg), nouveau conquérant de la Perse, il fut fait prisonnier et mis à mort, et

Mirza Khalil, fils de Miranschah. (Voyez d'Herbelot, Bihl orient p. 887.) Nous parierons plus loin (p. 3o8) des noms et surnoms d'CHoug Beg.

^ On lit dans Pococke, Suppl. Hist. Ahal-Faragii (Oxoniae, i663), p. 55 : tHic (Olugh-Beg), vivo adhuc pâtre, Samarcandae et regio- «nibus Mawaraalnahri seu transfluvialibus praefectus, Chorasano cetiam pulso Ala'ddaula Mirza, fiiio Baîsenkari, filii Schah Ruchi, canno octingentesimo quinquagesimo secundo hegirs potitus est. Interfectus est quinquagesimo tertio.» On peut voir, dans la Biographie universelle , à l'article Ouîoug Beig, le récit bien connu de la mort de ce prince.

* Abdallah était fils d'Ibrahim, autre fils de Schah Rokh.

' Abou Saïd était fils de Mohammed , fils de Miranschah , fils de Timour : ^UaX*»» ^^\ «X.«n^ yUaX*M y-;! ^J^Jy^:> «Xjucm yi\ (j^jy& jy-ff^S jj^] (^\ »Ui yV^jç^. (Voyez le tableau chro- nologique placé à la fin de ce mémoire.) Abou Saïd avait habilement profité de la division qui s'était élevée entre Oloug Beg et son fils Abdallatif, pour se faire un parti puissant.

OCTOBRE 1840. 301

avec lui disparut entièrement la puissance des Ti- mourides ^ : on les voit, il est vrai, se maintenir encore pendant près d'un demi-siècle dans la Tran- soxiane; mais ils régnent sans gloire au fond de leur palais, et c'est à peine si leur nom est parvenu jus- qu'à nous. Abou Saïd laissait onze fils. L'aîné, Ah- med^, occupa Samarcande pendant vingt-cinq ans; son frère Mahmoud lui succéda en 899 (1/193 de J. G.); puis, la même année, Massud, fds de Mah- moud, monta sur un trône qu'il paraît avoir con- servé jusqu'en 906 (1/199 ^^ J- C.)^. Pendant ce temps , Omar Scheikh , sixième fds d' Abou Saïd , pos- sédait le pays d'Andékan S et le laissait, en 899 (1 /i 98

* D'Herbelot, Bihlioth. orient p. 38.

' Frœhn [Recensio num. Muhamm. t. I, p. 434) nous donne la légende d'une monnaie de ce sultan, la seule remarquable que Ton connaisse des successeurs de Schah Rokh. On lit d'un côté :

^^» Ing^t yUa^AJ" Sultanus supremus

^j^j^^s «X^î yUal^ Sultan Ahmed Gourgan

A^-*i^ ^J„Jû aMI «xJiâi. Deus excelsus perpétuel ejus regnum

«XâS^.«w Ajl^JLw^ Et imperium, Samarkand.

Et de l'autre côté :

Non est Deus nisi Deus, Muhammed apostolus Dei.

Et aatoor de ce symbole, les noms des quatre premiers khalifes que nous retrouverons sur les monnaies de Schah Rokh, comme on le verra plus loin.

» Dllerbelot, Bihlioth. orient p. 38.

* ^ll^«Xjl. Ahm. Arabsiadae, Vita Timari, édition Manger, t. II,

302 JOURNAL ASIATIQUE,

de J. C.) , k son fils Baber, qu'il ne faut pas confondre avec un autre Baber, fils de Baisancor, fils de Schah Rokh, qui s'était établi dans le Khorasan, et qui mourut en 861' (i456 de J. C). Chassé en 90/1 (1 498 de J. G.) par les Uzbeks^, Baber, fils d'Omar

p. 762 : f yl^'tXjl îegitur in éd. Gol., sed id manifesta corruptum «est ex Domine urbis cujus auctor saBpiùs meminit: /.\^*Xjt Anda- tgun, qua; in Transoxianâ si ta est ade6que opportuna, in quam se, «relictâ Samarcandâ, reciperet Chodaidadus. Conf. cap. clxii sub einitium, uti rectè legitur ^j\<'«Xj|. » Voyez aussi le mémoire publié par M. Quatremère dans le t. XIII des Notices des Manuscrits, p. 234.

^ Les successeurs de ce prince dans le Kborasan furent : i"* son lîls Mirza Mahmoud Scbah, i456; son neveu ladighiar Mirza, fils de Mirza Mohammed, i468; 3"* Houssain Mirza Abou 1 Gazi, fils de Mansour, fils de Baicarah, fils d'Omar Scheikh, second fils de Tamerlan, qui s'empara de la ville de Hérat en 147Ô, et qni, vain- queur des Uzbeks, mourut l'an i5o5 de J. C, après un règne de trente-cinq ans.

' D'Herbelot, Biblioth. orient, p. i63, 456, 762, 916. On se ferait difficilement une idée de la confusion et des contradictions tombe à chaque instant d'IIerbelot, dans tout ce qu'il dit au sujet des derniers Timourides de la Transoxiane. On lit, pages 456 et 566 : «La postérité de Tamerlan fut dépouillée du Maouarannahar «par Schaïbek, sultan des Uzbeks, l'an 904 àe Thégire; Mirza Ba- «bur, fils d'Omar Scheikh et successeur de son oncle Ahmed, fils «d'Abou Saïd, fut le dernier de la race de Tamerlan qui y régna.» Et pag. 38 : «Sultan Massud (autre petit-fils d'Abou Saïd) jouit «paisiblement de Samarcande et de la Transoxiane, après la mort «d'Ahmed, et y régna jusqu'à l'an 905 de l'hégire.» On trouve aussi (pag. 752) que Schaîbeck-khan reprit sur les enfants de Ta- merlan la Transoxiane, l'an 904 de l'hégire, aprh la mort du sultan Mirza Houssain. et nous voyons (pag. 464) que le sultan Houssain régnait dans le Khorasan, il mourut en l'an 911 de l'hégire (i5o5 de J. C; voyez plus haut note ^). Les anachronismes ne sont pas moins fréquents; on lit pag. 6 et 7 : Année de l'hégire 85o, de « J. C. 1 48 1 ; de l'hégire 854 , de J. C. 1 485 , etc. »

OCTOBRE 1840. 303

Scheikh, fut obligé de se réfugier dans les Indes, il fonda une dynastie nouvelle , illustrée par son petit- fils Akbar.

Telle est la série chronologique des princes de la famille de Timour qui ont régné dans la Transoxiane ou Ma-wara-alnahar, et il est fort difficile, en étu- diant leur histoire, de percer l'obscurité qui entoure les descendants d'Abou Saïd. Il était nécessaire, pour l'intelligence de ce qui va suivre , que nous fissions connaître par une esquisse rapide ce que l'on entend par Timourides de la Transoxiane. Main- tenant nous revenons à Scbah Rokh, objet prin cipal de notre attention.

II.

Il est peu d'époques de l'histoire orientale , comme le dit si bien M. Quatremère, qui présentent une sé- rie de faits aussi multipliés et aussi intéressants que ceux du règne de Schah Rokh ^ Protecteur éclairé des sciences , il attirait à sa cour de Hérat ^ tous les hommes distingués par leurs connaissances, et les

^ M. Quatremère, Mena. hist. sur la vie de iSchah Rokh [Journal (uicdique, TII' série, t. Il, p. igS et suiv.). M. Price [Chronolog. rétrosp. t. III, p. 485) avait laissé tcut à faire à notre illustre orientaliste, qui s'est principalement servi , pcrtir ce tratyail^ du ma- nuscrit d'Abd-Errazzak. ' >»; •. ,,,t -_, ' ,

' *'M^ Quatremère, Rist. des Mongols de Perse. Vie de Raschid-el- din, p. 84. Voyez aussi Mém. sur la vie de Schah Rokh, loc. ciU p. 21 3. M. Quatremère indique à ce sujet Gonzalès de Clàvijo, Vida fleZ ^rrnrt Tomô/îan, 2* édit. p. 1 29.

304 JOURNAL ASIATIQUE,

comblait de bienfaits. La bibliothèque qu'il avait for- mée, montrait assez son amour des livres, et on sait qu'il entretenait des rapports littéraires même avec le sultan d'Egypte ^ à Samarcande en 779 de l'hégire (1377 de J. C.)^, il prit part de bonne heure aux conquêtes de son père, et, pendant un règne de plus de quarante ans, il sut faire respecter sa puissance , et maintenir l'union de ses vastes États par une administration vigoureuse. A l'exemple de plusieurs rois mongols , il reçut le surnom de Beha- dur^ (le vaillant), et ce surnom sert à le distinguer de deux autres Schah Rokh ^, qui vinrent après lui.

* M. Quatremère, Journ. asiat, îoc. cit. p. 196 et 197. Mé- moire sur le (joût des livres chez les Orientaux, p. 32 et 44. Histoire des Mongols de Perse, Vie de Raschid-eldin , p. 80; et voyez aussi p. 83 et 84.

* M. Quatremère, Journal asiatique, Ioc. cit. p. 207. On lit dans Pococke, Supplementam historiée Ahul-Faragii, i663, p. 54 et 55 : «/jl^JLuf J5L^^ j^j dLw. Obiit mense Dul Hajja anno hegirae « octingentesimo quinquagesimo, cum regnasset quadraginta très t annos et vixisset circiter septuaginta unum. » Par une coïncidence assez singulière, Schah Rokh, quatrième Jih de Tamerlan, fut le père d'Oloug Beg, que l'on peut à juste titre surnommer le prince des astronomes orientaux, et qui fonda, à Samarcande, un obser- vatoire rendu célèbre par ses travaux. Deux cents ans auparavant, Touli, quatrième fis de Tchenghiz-khan, donnait naissance à Hou- lagou-khan , protecteur des sciences , et auquel on doit 1 observa- toire de Maragah.

3 Voyez, pour les princes de TOrient qui ont pris ce surnom de j^L^, Fraehn, Recensio num, Muhanim. t. I, p. 721, et les renvois qu il indique. Lindberg, Lettre à Brônsted sur quelques médailles eu- jiques, injine; Copenh,, i83o.

* Le premier, Schah Rokh Mirza, quatrième fds d'Abou Saîd, mena une vie misérable jusqu'en 1 àg^ (voy. d'Herbelot, Bikl orient.

OCTOBRE 1840. 305

Ce nom de Behadur se trouve marqué sur le sceau dont nous nous occupons, et c'était un premier in- dice qui pouvait nous conduire à la découverte de la vérité. M. Reinaud avait vu, dans la collection de M. le duc de Blacas, une monnaie à demi effacée de Schah Rokh, fds de Timour, sur laquelle on lisait le mot Behadur; malheureusement ce savant orien- taliste ne l'avait plus à sa disposition \ et, comme on ne trouve l'empreinte d'aucune des médailles de Schah Rokh dans les ouvrages de numismatique publiés jusqu'à ce jour, il nous était impossible d'avoir un point exact de comparaison. Nous pen- sâmes que notre seule ressource était de rechercher si quelques-uns' des manuscrits de la Bibliothèque royale ne contenaient pas d'autres cachets ayant appartenu à des princes Timourides, et si la des- cription de quelques-unes de leurs monnaies ne sulHrait pas pour nous conduire à la solution du problème.

p. 38). Le second, petit-fils de Nadir Schah, fut épargné dans le massacre de sa famille, ordonné en 1747. {Biographie universelle, t. XXX, p. 536.) Fraehn a décrit une monnaie à demi efifacée de ce prince [Recensio nam. Muhamm. 1. 1, p. 496). Voyez aussi Erdmann, Nam. asiat. cas. t. II, p. 717; Tychsen, Intr. in rem numariam, p. 197, et Tychsen. additamenia. ip. 68. Nous avons fait remarquer ailleurs que le manuscrit arabe de la Bibliothèque du Roi, 1 138, avait été apporté en Europe par le voyageur Wansleb, près de cent ans avant la naissance du petit-fils de Nadir Schah. [Comptes rendus des séances de l Académie des sciences, 1 4 mars i836.) ^ Voyez plus haut, p. 298, note 3.

306 JOURNAL ASIATIQUE.

III.

On sait que chez les Orientaux, comme en Eu- rope , le principal usage des cachets est de constater la propriété^; aussi trouve- t-on presque toujours en tête de leurs livres l'empreinte de leurs devises. Sous ce rapport , les manuscrits que Ton a recueillis dans nos bibliothèques pourraient être l'objet d'un travail très-curieux, si le dernier propriétaire n'avait pas, la plupart du temps , le soin barbare de gratter minu- tieusement les cachets apposés sur quelques-uns des feuillets par ses devanciers^. D'un autre côté , il arrive quelquefois que l'inscription de ces cachets com- prend une louange adressée à Dieu , ou quelque éloge pour un homonyme que l'on choisit comme patron; mais le plus ordinairement, comme nous l'a fait ob- server M. Lajard, elle offre le nom de la personne qui a fait copier le manuscrit ou qui l'a acheté, avec une date qui indique l'époque elle vivait ^ On peut voir, à la Bibliothèque royale, de nombreux exemples de ces cachets de diverse nature; et nous avions l'espérance d'en découvrir quelques-uns qui se rapportassent aux Timourides de la Transoxiane : M. Reinaud avait eu la bonté de nous faire savoir qu'il existait, à la Bibliothèque royale, des manus- crits ayant appartenu au célèbre Oloug Beg, fils et

' M. Reinaud , Description du cabinet de M. le duc de Blacas, t. I , p. 118. Voy. aussi p. 49, 82, 84, 86.

* Le man. ar. n** ii38 en of&e même un exemple; ie cachet marqué au fol. 1 06 est presque entièrement gratté.

OCTOBRE 1840. 507

successeur de Schah Rokh, et que ces manuscrits étaient marqués d'un sceau particulier différent de celui de son père ^ Ce fait était fort important, parce qu'il prouvait qu'après la mort de Schah Rokh on n'avait point continué à imprimer son cachet sur tes livres dont on avait pu enrichir la bibliothèque qu'il avait formée; mais, le savant académicien n'ayant point pris note du numéro de ces manuscrits, il nous fut impossible de les retrouver. Nous eûmes cependant l'occasion d'examiner un manuscrit per- san qui paraissait avoir été copié pour Oloug Beg , et qui portait plusieurs empreintes d'un sceau à lé- gende : ce manuscrit avait à nos yeux d'autant plus de prix que, nous occupant en ce moment d'un grand travail sur les ouvrages d'Oloug Beg , le der- nier et le plus célèbre des astronomes de l'Ecole arabe , tout ce qui se rattache à l'histoire de ce prince devait être pour nous d*un vif intérêt; mais nous reconnûmes bientôt avec regret qu'il ne s'agissait pas d'Oloug Beg, fds de Schah Rokh. Les Annales mongoles font , en effet, mention de trois princes de ce nom : le premier, Oloug Beg Nowain ^, était le plus jeune des fds de Tchenghiz-khan; le second,

^ Sur cette indication , nous avons annoncé ( Comptes rendus des séances de l'Académie des sciences, 28 mars i836) qu'il existait, à ia Bibliothèque royale, des man. marqués du sceau d'Oloug Beg; on verra plus loin que ces manuscrits avaient été copiés pour un autre prince du nom d'Oloug Beg, postérieur dfe cinquante ans au fils de Schah Rokh.

' Abul-Faragii Hist. comp. dynast édition Pococke, p. 3o5-465, 3o6'466, 309-472, (^îy siL ^1.

308 JOURNAL ASIATIQUE,

fils de 3chah Rokh jCt petit-fiis de Timour ^ et le troisième , fils d'Abou Sagi4 ^, avait le gouvernement de Caboul et de Gazna dans les Indes, vers l'an 898 de l'hégire (1 487 de J. C.) : c'est à ce dernier que le manuscrit persan dont il s'agit appartenait '. Quant à la^ légende du sceau marqué sur plusieurs des feuillets , elle est partout grattée avec une sollicitude bien regrettable; il nous aété cependant possible de reconnaître que ce n'était point le sceau de Schah

^ M. Quatrchière, Mémoire historique sur la' vie de Schab Rokh [Journ. as. III' série, t. II, p. 209). Lan 796 de l'hégire (iSgSde J. C.) fut l'époque de la naissance d'Oloug Beg, fils de Schah Rokh, Po- cocke, SuppL hist. Abul-Faragii. p. 55, l'appelle i}\ tXxx^l dim ^jl b Vrw dL-j. Le nom est écrit tiXju f-y^ àdXi's, la Vie de Timour (Ahm. Arabsiadœ, V'iia Timuri, édit. Manger, t. II, p. 776 et 777). Hyàe y Tabulée Stellamm , etc.^ écrit dLu à}\ Ulugh Beigh; Gravius, Epochœ celehriores, etc., Ulug Beig-, Assemani, Caialog. di codici, loc. cit. p. 3i , L'iug Bcigh; enfin on le nomme Mirxa Mor hammed Taraghi Oulough Beyg dans la Biographie universeUe, t. XXXII, p. 267. Voyez aussi d'Herhelot, Biblioth. ornent, p. 914» Nous suivons l'orthographe adoptée par M. le chevaliet" Jaubert.

? D'Herbelot, BiiZ. oncftt. p. 38.

On lit en tête du man. pers. suppl. n' 16, fonds Polier [recueil de poésies persanes copiées pour le sultan Oloug Beg) :

L*njI iguM J^^t ^jj'ir^^ u^jy^^jy^j^^ t^Jr*V^^

Cette dédicace est répétée au commencement de chaque poêmc.

\ OCTOBRE 184â;^^'^ sM

Rokh, et même de déchiffrer une date positive,' celle de 967 (i55o de J. C.) ^, qui nous rè{)6rte*à la huitième année de la vie d'Akhar^: cette 'date' suffit pour montrer qu'à cette époque les princes Timourides n'avaient point conservé l'usage de mar- quer les manuscrits de leur bibliothèque du cachet de Schah Rokh , et on ne doit point oublier que ce n'est qu'en 1610 que, pour la première fois, la découverte de la variation a été signalée à l'Europe savante.

Pour compléter nos recherches , il nous restait à passer en revue les divers recueils de numisma- tique orientale qui ont été publiés; mais nous de- vions reconnaître bientôt qu'ils nous offriraient peu de secours : à peine çà et quelques monnaies des Timourides sont-elles indiquées, et c'est un fait qui mérite d'être signalé. Tandis que l'on possède presque toutes les médailles des Tchenghiz-khanides, on n'a jamais cherché, à ce qu'il paraît, à former une collection de celles de leurs successeurs; et il fallait qu'elles fussent d'une extrême rareté , pour qu'en 181 5 on considérât comme une véritable dé- couverte la mention que M. Fraehn faisait de deux

^ Man. perà. suppl..n* iC,iPoll'i6S( fonds Poliër);Notis Wons pris une empreinte exacte de ce cachet presque entièrement effacé; mais il nous a été impossible d y découvrir autre chose que cette daté 40V, 957 (i55o de J. C.)! "4 "■ >''PJ' '"

* Baber régna jusqu'en i53o ; Homaioun , de 1 53o à "iSÔî fAk- kar, de i552 à i6o5. Voyez d'Herbclot, Biblioth. orient. Tp. 456. •^— Langlès fixe ravénement'd'Akbar à Tannée i555 [Biogr. uhiverselte', i. l,p. 36o). '

310 JOURNAL ASIATIQUE.

monnaies de cuivre de Tameilan, dans son Numo- phylacium orientale pototianam, imprimé à Kasan ^ Ces deux monnaies portaient les trois ronds disposés en triangle que l'on marquait, au rapport de Ruy Gonzalez Clavijo et d'Ebn Arab-schah, sur les mon- naies et sceaux de Timour, et qui ont été signalés par M. de Sacy dans son mémoire sur le cachet de Tamerlan, placé à la suite de la lettre de ce conquérant au roi de France Charles VI ^.

M. Fraehn en indiquait, en même temps, une autre qui a été donnée dans le tome XIV des Mé- moii^es de la Société royale de Gœttingue, en 1778', pai' Tychsen, sans que ce savant l'eût décliiffrée; on n'y voit pas le type des trois ronds, et on doit l'attribuer, à proprement parler, au sultan ou plutôt au fantôme de sultan Mahmoud-khan, au nom du- quel Timour exerçait l'autorité souveraine, si nous en croyons Schérif-eddin. M. Marsden rapporte en effet, d'après cet historien ^, que la postérité de Tchenghiz-khan avait conservé le privilège de porter le titre de khan et de sidtan , et que Tamerlan n'osa

* Magasin encyclopédique» 18 15, t. II, p. 435. Fraehn, Nu- mophjl. orient, potot. p. 89, et dans les additions et corrections.

* Moniteur de 181 a, n** 226, et Mémoires de l'Académie des ins- criptions,

* Mag. encyclop. i8i5,t. II, p. 435. Les monnaies de Tamerlan indiquées par M. Fraehn, dit M. de Sacy, méritent d'autant plus d'attention qu'on n'en connaissait encore aucune de ce conquérant. M. Fraehn est revenu sur cette monnaie, dont parie Tychsen* Mo'^eiBeitrage zur Muhamm.. Munzkunde, p. 28.

* Marsden, Num. orient, t. I, p. 278.

OCTOBRE 1840. 311

prendre ce titre lorsqu'il eut fait la conquête de la Transoxiane, en 771^16 l'hégire (1369 de J. G.); qu*en conséquence il reconnut comme sultan, à la place d'Houssain^ mis à mort en 1867, Soyourgat- misch^, puis son fds Mahmoud^, en 790 (i388 de J. C), dont il ne se qualifiait que le visir ou le lieu- tenant, ajoutant à son nom Tépithète de Gourgan, qui signifie gendre ou proche parent'^, et qu'il ne négligea de nommer des khans de la famille de Tchenghiz- khan qu'après l'année 800 (1397 de J. G.). Mais ces diverses assertions ne sont point toutes exactes; les mémoires autographes de Timour, dont M. Ste- Avart a donné en partie la traduction en i83o, prouvent que ce prince avait pris, dès l'année 771 (1369 de J. G.), les titres de sultan et de hhakan (chef suprême) ^, et, s'il laissa quelques prérogatives royales à Soyourgatmisch et à Mahmoud, bien loin de se considérer comme le lieutenant de ces

' ^y».^ jyjf^. D'Herbelot, Bihliotk. orient, pag. 464.

' Np ^-^ Deguignes l'appeile tantôt Mahmoud Schah (Hist des Huns. tom. I, p. 286), tantôt Mahmoud-khan (t. V, p. 68). Ma^. encyclop. i8i5, t. II, p. 436.

* Voy. Hyde, Tabulée Stellarum, etc., pr3efatio,p. 4. FraBhn,i)e num. Balgharicoram . etc., 1816, p. 8.

* Slewart, The Malfuzat Timury or autobiographicdl memoirs of the Mogal emperor Timar, p. i3i, i33 et suiv. On lit, p. 137: «The « ( Khetyb) preacher commenced the Khutbeh in my name in thèse «words : ô Lord, assist the muselnian armies and camps wherever «they are or wherever they may be, whether in the east, or in the « west, by the good fortune of the just Sultan , the illustrions Khakan « (title of thcTurkish sovereign), the renowned emperor, the exalted

312 JOURNAL ASIATIQUE,

princes, il en fit ses mandataires. M. Fraehn nous fait connaître, mais sans en donner le dessin, une monnaie de Soyourgatmisch ^ et M. Marsden ne donne que la description d'une monnaie de Mah- rcoud-klian^; c'est la seule médaille que ce dernier ait trouvée des Timourides, et, si nous consultons les écrits de Clewberg, d' Aurivilius , de Hallenberg', ceux de Castiglioni et d'Assemani*, de Tychsen^ et d'Adler ^, nous voyons que ces savants n'ont pas

cpiÎDce, the khakan son of tbe khakaa amyr Timnr Gurghan, may iGod almighty perpetuate his dominions and government, and ex- ttend his beneficence and justice to ali Muselmans. » Ceci se rapporte à Tannée iSGg. On trouve, p. i38 : t The Khutbeh was tread for my success from the pulpit of Samerkand, being now the t capital of my empire , etc. »

* Frœhn, Novœ symholœ ad rem numar. Miihamm. 1819, p. 37. Voyez aussi Rec. num. Muhamm. 1. 1, p. 42 4. <^J>»» ij^^cif- jy.\,w ^Jéj^^^ jyjQ>3 j*ji^. Sujurghatmyschi Jarlikum (s. manda- tum) Emir Timur Gurekan. Ann. 785 (i383 de J. C). Voy. aussi Ërdmann, iVum. as. t. II, p. 671.

' Marsden, Numismata orient, illastr. t. I, p. 277. rj^ ]n^n fj^jy^ jy4\S jJu*\ (j^ ^jf f^ Fraehn, loc. cil. p. 42 5 et suiv., cite quelques monnaies de Mahmoud-khan de 796 (1392 de J. C). Voy. aussi Ërdmann, Num. a^iat. t. II, p. 673 et suiv.

' Hallenberg, Coll. num. cufic. Stockholmiae , i8oo. Il y rappelle un autre opuscule de sa composition, publié en 1796 sous ce titre : Disquisitio de nomine Gud ex occ. nummi cufici.

* Voyez aussi Descrizione di alcune moneti cujlche del museo Mai- noni, p. 93 et 94, et les observations sur cet ouvrage, publiées à Milan, en 1821. Assemani, ^a5. cujic. Naniano, p. 111. H s'arrête à Abou Saïd Behadur, vers Tannée 736 (i335 de J. C).

^ Tychsen, Introductio in rem numariam. Il ne parle que de Schah Rokh, petit-fils de Nadir Schah, p. 197, et p. 68 de ses Ad- ditamenta.

* Adler s'arrête, comme Assemani, à Abou Saïd Behadur, 736

OCTOBRE 1840. 313

été plus heureux. C'est à M. Frœhn et à Erdmann seulement que nous pouvons nous adresser pour avoir quelques documents malheureusement très- incomplets, puisqu'ils n'ont pu reproduire par la gravure l'empreinte des monnaies qu'ils ont eues sous les yeux. Chacun d'eux parle d'une médaille de Schah Rokh, fds de Timourila première, frap- pée à Samarcande en 83 o de l'hégire (1I126 de J. C), porte d'un côté : Sultanus supremus Emir Schah Rokh Behadur, perpetaet Deus regnum et impe- rium ejusy et, sur le revers, le symbole sonnite avec les noms des quatre premiers khalifes ^ ; la seconde , frappée à Samarcande en 822 (1/119 de J. C.) et à demi effacée, offre la même légende ^. Ces deux

( i335 de J. C). Collect. nova numoram cnficorum , p. 1 22, et Muséum cuficum Borgianum, p. 77.

* Frxhn, Rec. nnm. Muhamm. t. I, p. A3o.

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* Erdmann, Num. asiat t. II, p. b^ji. ....là^^î ..Ud...

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3U JOURNAL ASIATIQUE,

médailles ne pouvaient nous servir qu*à constater l'identité du surnom de Behadur adopté par le fds de Tamerlan, et, comme on ne trouve nulle part l'indication d'autres monnaies des Timourides de la Transoxiane, nous désespérions de pouvoir établir de comparaison matérielle entre le cachet de Schah Rokh et quelques-unes de ces monnaies. Le sceau dont parle Baber ^ dans ses mémoires n'était qu'un nouvel indice à ajouter à ceujc que nous possédions , sans nous fournir une preuve suffisante, lorsque nous avons été assez heureux pour nous procurer, par l'intermédiaire de M. Reinaud, deux pièces en argent de Schah Rokh, dont nous reproduisons ci- après le dessin ^, et qui présentent, sous le rapport des caractères, une conformité si parfaite avec le cachet du manuscrit 1 1 38 de Bibliothèque royale, qu'on ne peut conserver le moindre doute sur son authenticité.

IV.

La première de ces monnaies a été frappée à Hé- rat'; elle fait partie de la collection de médailles for-

* Man. pers. (fonds Ducaurroy), n*35, fol. 17 r. iig. 6. y^

^yj ^\ Jlfc-^-. Voy. aussi la traduction anglaise, p. 17, et la note. Chardin, Voyages, t. V, p. A6l.

' Voyez la planche ci-jointe, n"* a et 3.

* Fraehn, Rec. num. Muhamm. t. I, p. 116 et 607. Quatre-

OCTOBRE 1840. 315^

mée à la Rochelle par les soins éclairés de M. Guil- lemot, fils aîné. M. Reinaud, l'ayant eue quelque temps entre les mains , voulut bien me la communi- quer, et il me fut permis d'en prendre l'empreinte; elle porte d'un côté :

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Cusus est

^y^Jià^^\ /jUaJUJî Sultanus supremus

..il oJL^ «dL^ ^j oUw SchahRokhBehadur, perpétuel De us

ii\jj> Herat

....UûXaw^ xâxL* Regnum ejus et imperi....(um) ;

et de l'autre côté , en carré :

«X^ AMf ^t ^\ ^ Non Deus nisi Deus ; Mohammed

aMI Jyynj iegatus Dei ;

et, sur les bords du carré, les noms des quatre pre- miers khalifes :

..* ^Icvft «jS: ....I Aboubèkre, Omar, Othman, Ali.

La seconde de ces monnaies, achetée récemment par le cabinet des médailles de la Bibliothèque royale, provient de la collection de M. Schultz; elle a été frappée à lezd ^ en 1 4^5, et nous en devons

mère, Histoire des Mongols de Perse, Vie de Raschid-eldin , p. 8/i. PrinMp, The Journal of thé asiatifi Society of Bengal, Vol. III, paç. 9 et suiv. Ce fut en 8i8 (i4i5 de J, C.) que Schah Rokh releva la ville de Hérat, que son père avait détruite, et quil en fit sa capitale. La médaille est donc d une époque postérieul-e à i4i5. ' Voyez, sur la ville dlezd ( Jesda) , Abou 1-féda (éd. de MM. Rei-

316 JOURNAL ASIATIQUE.

le dessin à l'extrême obligeance de M. de Longpe- rier.

On lit d'un côté :

^jj Ljjji^ Cusus est lezd

^^Jôft^î (jUûJuJI Sultanus supremus

4MÎ JvJL^j:>L^ ^j «Ui Schah Rokh Behadur, perpétuel Deus

X»UaLw^ xâxL« Regoum et imperium ejus

:.^,, AM oJuM Anno 829 (i425).

De l'autre côté, comme sur celle de M. Guille- mot , dans un carré fort régulier ;

*il ^ Non Deus nisi 4M) tiy^j -^ »-f* M Deus, Mohammed legatus Dei;

et, sur les bords de ce carré : ^..^ yUvft >^ jS^ yj\ Aboubèkre, Omar, Othman, Ali,

V.

L'examen de ces monnaies nous permet de con- clure que le sceau marqué sur les feuillets du ma- nuscrit arabe 1 1 38 appartient évidemment à Schah Rokh , fds de Tamerlan ; il offre le même type sous le rapport des caractères et sous le rapport

naud et Mac Guckin de Slane) , pag. 33o et 332 ; et Frœhn, Bec, num. Muhamm. tom. I, pag, 426 et 5o2.— Fraehn, loc. cit., indique une monnaie du sultan Mahmoud frappée à lezd, Voyez auàsi les détails que donne, sur cette ville (Yezd), M. le chevalier Am. Jaubert, dans sa traduction de TÉdrisi, tome I, pages Sgi» &o3, 419, 436, 438, ' : . .

OCTOBRE 1840. 317

des surnoms donnés au fds de Tamerlan, et cette identité résout la question que nous nous étions proposée. Un fait récent est encore venu confirmer nos premières assertions. La médaille de Schah Rokh qui devait se trouver dans la collection de M. le duc de Blacas est revenue entre les mains de M. Reinaud, et l'empreinte que nous en donnons ci-après ^ justifie pleinement les indications que ce savant académicien avait eu Textrême obligeance de nous transmettre. D'un autre côté, les livres qui composaient la bibliothèque de Schah Rokh ont être estampillés de soa vivant , c'est-à-dire entre les années i4o5 et i/i/iy, chacun des succtcsseurs de ce prince ayant eu son cachet particulier; et, si Ton songe que la découverte de \b: variation pdiV Ty- cho Brahé ne fut rendue publique qu'en 1610, on reconnaîtra aisément que la priorité de cette dé- couverte , que nous avons restituée à Aboul-Wéfa de Bagdad (mort en 998 de J. C), appartient bien réelle- ment aux Arabes, puisque le manuscrit qui constate ce fait important, quelle que soit d'ailleurs la date

^ Voyez la planche ci-jointe 4. CeUe monnaie, presque entiè. rement effacée, faisait partie d'un collier. On lit d'un côté :

Et de l'autre côté :

318 JOURNAL ASIATIQUE.

exacte de sa copie, a fait partie de la bibliothèque d'un prince de la Transoxiane qui vivait près de deux cents ans avant lastronome danois.

Nous ne terminerons pas ce mémoire sans ex- primer de nouveau le désir que la collection de monnaies orientales que possède le cabinet des mé- dailles de la Bibliothèque royale, et qui est encore malheureusement fort incomplète, reçoive enfin tous les accroissements qu'on est en droit d attendre de la haute intelligence de MM. les conservateurs, et du zèle infatigable de ces nombreux voyageurs que l'amour de la science attire chaque jour dans les contrées les plus reculées de l'Asie ^

* Voir le tableau ci-après.

SÉDILLOT.

OCTOBRE 1840.

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TIMOURIDES DE LA TRANSOXIANE.

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320 JOURNAL ASIATIQUE.

ÉTUDES

;'Sur la langue et sur les textes zends, par M. El. Burnodf. ( Suite. )

Maintenant que l'analyse philologique , autant du moins que j'ai pu m'en servir, a mis au jqur le sens de chacune des parties de ce texte, le lecteur me permettra de ne pas le quitter avant d'avoir résumé en peu de mots les résultats les plus généraux qu'on en peut déduire. Relativement à l'expression qui fait l'objet spécial du premier article de ces Etudes , à celle de yavaêtcha yavatâtaêicha , on ne peut contester le résultat auquel je suis parvenu, savoir : qu'elle n'a aucun rapport avec l'idée de la résurrection. On peut ensuite affirmer avec une égale certitude que, si cette expression ne signifie pas à jamais et pour toujours, elle doit avoir une va- leur très -rapprochée de celle-là. Quant à ce qui re- garde le dernier texte cité , celui de flescht des Fe- rouers , il en résulte non moins évidemment que la fête des âmes , que les Parses célèbrent pendant les dix derniers jours de chaque année, c'est-à-dire pen- dant les cinq derniers jours du mois Sapandomad, et pendant les cinq jours épagomènes, est positive- ment indiquée dans un texte ancien et parfaitement

OCTOBRE 1840. 321

authentique, dans un texte qui ne porte aucune trace, à mon sens du moins , des réformes qui /peuvent 'avoir modifié l'ancien système de Zoroastre. Ce texte n'est pas, comme ceux que j'ai cités dans le pre- mier volume de mon Commentaire sur le Yaçna, noyé dans une glose pazende qui ne peut guère pré- tendre à une plus haute antiquité que l'époque des Sassanides ^ Et cependant la preuve que je tirais des textes auxquels je fais allusion, quant à l'existence, dans les livres zends , de la véritable forme de l'an- née persane, c'est-à-dire d'une année de 3 60 jours avec cinq épagomènes, était déjà tellement forte que personne n'avait été tenté de la contester. Main- tenant il n'est pas permis de révoquer en doute ce fait : qu'une portion importante de la prière aux âmes des morts fait mention de la dernière des époques de création dans lesquelles est divisée l'année reli- gieuse des Persans, époque dont le terme aboutit aux derniers jours du mois Sapandomad, et qui est suivie des cinq épagomènes , lesquels sont compris au nombre des dix jours rappelés dans le texte en ques- tion. Je me crois en droit de conclure de ces faits qu'on s'est trop hâté, quand on a dit que Quinte- Curce était le seul auteur de l'antiquité qui fournît le moyen d'établir que l'année persane ancienne était composée de 365 jours, et que rien dans les textes zends ne nous instruisait de la forme de cette an- née. Les deux données si importantes de la prière des Ferouers , savoir : le nom de l'époque dite Ha-

' Comment, sur le Yaçna, t. I, p. 333, sqq.

8Î2 JOURNAL ASIATIQUE.

maspathmaêdJiay et ia mention des cinq jours épago- mènes implicitement contenue dans l'indication des dix jours que dure la fête; ces deux données, dis-je, rapprochées des textes nombreux sont invoquées les six époques qui divisent l'année religieuse des Per- sans, et surtout des passages pazends est exprimée en nombre de jours la durée de ces époques, ne permettent pas de douter que l'année , telle qu'elle ressort des textes zends les plus authentiques , n'ait été réellement composée de 3 60 jours avec cinq cpagomènes. Ce résultat explique l'attention que j'ai apporter à interpréter le texte qui nous le donne : il fallait montrer que le passage de la prière des Fe- rouers que je viens d'analyser appartenait, par le langage et par l'exposition des idées, aux textes les plus incontestablement anciens que nous ait conser- vés le recueil du Zend Avesta. Je crois ce fait solide- ment établi parles précédentes recherches , et je pose comme un point qui est à l'abri de toute contestation, que la prière des Ferouers est du même âge que les vingt-deux chapitres du Vendidad ,. que les leschts les plus développés, ceux de Mithra, de Behram, d'Ormuzd et autres , et que la plus grande partie du Yaçna, tous morceaux sur l'authenticité et l'ancien- neté desquels il ne me paraît pas permis d'élever ie moindre doute.

Sous le point de vue religieux , je crois que le lecteur exempt de préjugés sera frappé du caractère pur et simple de cette naïve prière qu'adressent aux vivants les âmes des morts. Je sens bien tout ce que

OCTOBRE 1840. 323

ma traduction lui a enlevé de sa grandeur antique : le vague qui reste encore sur quelques termes du texte original s'est répandu quelquefois sur l'ex- pression française, qui n'est pas, par elle-même, la mieux faite pour la traduction d'idées aussi primi- tives. Mais ce défaut vient de la difficulté du texte et du peu de secours que j'ai à ma disposition, surtout quand il s'agit d'interpréter des mots aussi rares que quelques-uns de ceux qui se présentent dans ce passage. 11 est à peu près certain que ce culte des Ferouers est, pour l'ancienne Arie et pour la Perse proprement dite , ce qu'est , pour l'Tnde , le vieux culte des Pitris ou des Mânes. Nous ne con- naissons cependantjusqu'ici, dansies textes sanscrits, rien qui nous montre ce culte pieux sous un aspect aussi touchant que le fait la prière zende des Fe- rouers. Il est vrai que, tant qu'on ne possédera pas le rituel des Vêdas, on ne pourra pas affirmer que des prières semblables soient inconnues aux Brah- manes, et Ton devra d'autant plus soigneusement se garder sur ce point de toute conclusion trop pré- cipitée , que les mémoires de Colebrooke , relatifs aux cérémonies religieuses des Indiens, et que de nombreux passages du premier livre du Rïgvêda, nous ont révélé l'existence d'hymnes dont l'élévation et la pureté égalent ce qu'aucune religion possède de plus beau en ce genre. Il est toutefois permis de conjecturer, d'après ce qu'on connaît déjà des pro- ductions du génie brahmanique comparées aux rares débris de l'antique civilisation arienne, que le culte

324 JOURNAL ASIATIQUE.

des âmes a pu se présenter chez les anciens Persans avec un caractère plus individuel et plus moral que chez les Brahmanes. C'est un des traits les plus ap- parents et les mieux connus du système dont on rat- tache l'originel Zoroastre, que la place qu'y occupe le sentiment de la personnalité et de la moralité hu- maines. Les proportions de ce système , autant du moins que nous l'entrevoyons dans les fragments qui nous restent des livres zends , sont sans doute moins larges que celles du Brahmanisme , tel qu'il apparaît dans les vastes conceptions du naturalisme védique. Mais, en se détachant plus franchement de Dieu et de la Nature, le Zoroastrisme a certainement tenu plus de compte de l'homme que n'a fait le Brahmanisme, et on peut dire qu'il a, jusqu'à un certain point , regagné en profondeur ce qu'il perdait en étendue. Il ne m'appartient pas d'indiquer ici ce qu'un système qui tend à développer les instincts les plus nobles de notre nature, et qui impose à l'homme, comme le plus important de ses devoirs , celui de lutter constamment contre le principe du mal , a pu exercer d'influence sur les destinées des peuples de l'Asie, chez lesquels il a été adopté à diverses épo- ques. On peut cependant déjà dire que le caractère religieux et martial tout à la fois , qui paraît avec des traits si héroïques dans la plupart des leschts, n'a pas être sans action sur la mâle discipline sous laquelle ont grandi, s'il en faut croire l'antiquité classique , les commencements de la monarchie de Cyrus. Plus nous avancerons dans la connaissance

OCTOBRE 1840. 325

des textes zends , plus nous trouverons de motifs en faveur de cette conjecture , qui recevra peut-être une confirmation nouvelle des détails relatifs à l'état ancien de la Perse, qu'on ne peut manquer de dé- couvrir dans la grande inscription de Bisoutoun, monument précieux dont on devra bientôt l'expli- cation au zèle et au savoir de M. Rawlinson.

U. êi^MCttyi^^ Yazata.

L'analyse que j'ai donnée de ce nom , qui est , comme on sait, le titre générique des êtres divins auxquels s'adresse l'adoration des hommes, n'a laisser subsister aucun doute sur la nature des élé- ments dont il se compose ^ Je n'ai pas hésité à y reconnaître un suffixe ata, donnant au mot qu'il modifie le sens de cligne de. Mais j'ignorais encore qu'il existât en sanscrit, et notamment dans la langue des Vêdas, une formative qui ajoute au radical au- quel on la joint la valeur d'un participe grec en tos ou d'un adjectif latin en hilis; d'où il résulte que l'on doit traduire maintenant avec certitude jazafa, comme j'avais proposé de le faire conjecturalement, par « digne d'être honoré du sacrifice. » C'est ce dont on peut se convaincre en parcourant le livre I" du Rïgvêda de Rosen. C'est ainsi qu'on trouve au com- mencement du liv. I, ch. fy hymne 2 , st. 1 , ^^

* Comment, mr le Yaçna, t. I, p. 218 et 219.

326 JOURNAL ASIATIQUE.

darçata, que Rosen traduit par conspiciendus ^ Ce même mot se représente encore ch. m, h. 36, st. 9; ch. IV, h. 5o, st. 4; ch. vu, h. loa, st. 2; ch. vm; l«;>i 17, st. 5. Enfin on rencontre ir^nyadjata, c'est- à-dire le yazata zend même qui nous occupe, et Rosen le traduit par sacris celebrandus ^^. Dans le sa- vant commentaire auquel il n'a malheureusement pas pu mettre la dernière main, Rosen renvoie au Siddhânta Kâumudî de Bhattôdjî Dîkchita, pour la preuve de l'existence de ce suffixe, que les gram- mairiens indiens nomment atatchy ainsi que je l'a- vais indiqué. La règle de Bhattôdjî établit, en effet, que dix radicaux, parmi lesquels se trouve jacij (ho- norer par le sacrifice), prennent ce suffixe ata; et elle donne pour synonyme de yadjata le nom du prêtre officiant, ou le Rïtvidj '. L'application toute spéciale que les Brahmanes ont faite de l'adjectif ja- djata n'infirme pas le témoignage du Rïgvêda, ou plutôt des commentateurs qui , comme Sâyana , rem- placent le terme archaïque yadjata par n^sr u digne « qu'on lui offre le sacrifice '*. » L'existence de termes comme darçata, yazata, dans le plus ancien sanscrit,

* Cette traduction repose sur l'autorité du Nirukta de Yâska, cité dans Sâyana, sur le passage même du ch. i", que je rappelle en ce moment.

' Rïgvêda Samhitâ. 1. I, ch. m, h. 3d, st. 7.

^ Siddhânta Kâumadi, fol. 198 v. et 199 r. Cette règle doit être plus ancienne que Bhattôdjî , car elle se trouve déjà dans le com- mentaire de Sâyana, au ch. 1" et au ch. iv, dans le passage auquel renvoie la note suivante.

* Sâyana, sur Rïgvêda Saihhitâj 1. I, ch. m, h. 34, st. 7.

OCTOBRE 1840. ^7

est une preuve manifeste des rapports intimes qui unissent l'idiome védique avec celui du Zend Avestai Des exemples aussi frappants sont bien faits pour confirmer dans l'opinion qu'il n'y a presque aucune dénomination importante , parmi celles qui forment le fonds des croyances indo-persanes, qui ne se re- trouve également en zend et en sanscrit.

III. >e^d, Fchu.

La lecture des portions du Rïgvêda publiées par Rosen fournit, pour ce terme, un rapprochement du plus grand intérêt , en ce qu'on y trouve la coik firmation de la valeur assignée par la glose sanscrite de Nériosengh au composé zend >^è ^^^'^è frâdat fchuy c'est-à-dire, selon Nériosengh, u celui qui fait «croître les troupes de bestiaux ^ » Dans la discus- sion que j'avais consacrée à ce terme curieux, j'étais arrivé à cette conclusion que le fchu zend devait être le ^ ou le 5, su et chu sanscrit, et que ce mono- syllabe exprimait « l'action d'engendrer, la produc- « tion. » J'étais bien éloigné de m'attendre à trouver dans les Vêdas le moifchn, sous une forme indienne^, ^psu, et avec deux significations différentes. Il y a, en effet, premièrement celle de corps , dans l'épi- thète de «^h^HoI : ahratapsavak^^, par laquelle le Rïg- vêda caractérise les Maruts ou les vents , considérés

' CoMment. sur le Yaçna, t. I, p. 228 sqq. ' Rfgvêda Sarhhilâ, 1. I, ch. iv, h. 52, st. à-

328 JOURNAL ASIATIQUE,

comme les auxiliaires d'Indra dans sa lutte avec Vrîtra , et que Rosen traduit par « non curvata cor- ce pora hab entes , » d'après Sâyana , qui commente ainsi cet adjectif : ïi^fer^qT; îfHFnôriïôrr : u dont le «corps n'est pas de travers, c'est-à-dire dont les « membres sont beaux. » 11 a ensuite le sens de vache, dans l'adjectif ara(iap5ava/i de ce vers : o(^-fX3i^,muHoi 3^ rôTT Mlf^Hl ij^ (( vehunto rubicundae vaccae te ad liban- «tis domum^ » La première de ces deux significa- tions, celle de corps, est positivement donnée par le Nigbantu, qui cite le mot ^: (nomin.) comme synonyme de WJ forme ^. La seconde est établie d'une manière également positive par la glose de Sâyana, qui commente ainsi le composé védique arunapsavah «^uioiuM nrôr: «des vacbes de couleur «fauve,» et qui, pour donner l'étymologie de psu, ajoute cette glose : ^m ^rsrnt cçttImt irwrf^ ^tt^ fqsrmf^

c'est-à-dire : « Le radical psâ signifie manger; le mot upsâvah désigne les veaux (ou les génisses), parce « qu'on dit d'eux psânti, c'est-à-dire : ils mangent, ils « boivent à la mamelle. Ce mot psu est formé au «moyen de kn, suffixe de la classe unâdi, et par la «suppression de l'd long du radical psâ, laquelle a « lieu en vertu de la règle de Pânini (VI, 4,64), qui « veut que l'd final d'un tbème se supprime devant les « voyelles des suffixes des classes if, kit et gît. » Dans le passage de l'hymne 62, Sâyana donne kpsu le

' Rigvêda Samhitâ, \. I, ch. IV, h. 49» st. i. * Nighantu, ch. ii,art. 7.

OCTOBRE 1840. 329

sens de corps , il se contente de rappeler la première partie de cette explication : « le radical psâ signifie n manger; psu en est formé au moyen du suffixe a, u de la classe unâdi; » mais il ne dit pas comment le sens de corps , forme , peut, aussi bien que celui de génisse, sortir d'un radical qui signifie manger. Il est probable que psa, dans la première de ces deux acceptions, exprime la forme, le corps que les êtres animés reçoivent de la nourriture qu'ils pren- nent. Quoi qu'il en soit, le psâ sanscrit se re- trouve peut-être dans le grec ^cofiSs, qui ne peut être un mot premier, et Ton remarque le radi- cal \f'w (\|/a), psâ, et le suffixe bien connu mu. Mais, une fois établie fidentité matérielle du psu védique et du f chu zend , il reste à vérifier si l'explication éty- mologique des commentateurs indiens peut rendre compte du fchu zend; en d'autres termes, si ce der- nier substantif ne se prête pas à une autre explica- tion étymologique.

Avant de nous livrer à cette recherche, il importe d'examiner si les significations que les commenta- teurs assignent au védique psu sont de nature à je- ter quelque jour sur les textes zends se trouve le mot fchu; de rassembler toutes les formes sous lesquelles se présente ce mot.

Et d'abord je dirai que les rapports frappants qui se découvrent tous les jours entre le zend et le plus ancien dialecte sanscrit, nous autorisent certaine- ment à faire diu fchu zend fapplication de fun des deux sens, au moins, que les commentateurs indiens

330 JOUUNAL ASIATIQUE,

reconnaissent au védique psu. On peut donc tra- duire frâdaf fchu par : « celui qui multiplie les gé- « nisses , » comme le pensait Nériosengh lui-même , et il est facile de démontrer que cette traduction s'accorde bien avec l'ensemble des textes ce com- posé se présente. Quant à la forme première de fchu, je crois avoir établi, dans la discussion que j'ai consacrée à ce mot \ que son thème doit être fchu on fchû; mais, pour mettre cette assertion hors de doute, je vais réunir le petit nombre de formes que les textes nous fournissent pour ce mot. Je le trouve à lace. sing. masc. et en composition avec frâdat dans ^M^è -^^Aè frâdat fsaom, que le Ven- didad Sade et les n°' ii F. et m S. lisent de la môme manière, tandis que le vi S. le lit ç>m^èfchâam, et deux mss. de Londres, le n** n et le n*' ni, «^«t fsum^. C'est cette dernière leçon qui me paraît la meilleure, car elle sort directement du thhmefchu: seulement il faut l'écrire /c/ium: les leçons comme fçhaom etfchâum, au contraire, ne sont régulières que si l'on admet un thème/c/iava, qui sans doute est possible, mais auquel ne nous conduisent pas les autres cas de ce nom. Je le trouve encore au même cas dans le morceau adressé au Gâh Rapitan, et lu ç>^è '^^^'^è dans nos deux manuscrits des leschts', ce qui confirme la leçon des manuscrits

' Comment, sur le Yaçna. t. I, p. aaS, sqq. » Vendidad Sodé, p. if^; ms. Anquetil, n" ii F., p. 26; n" m S., p. i5; n* VI S., p. 1 1.

' M». Àaq. o'jiiSm p. An; n' iv F., p. 3i8.

OCTOBRE 1840. 331

de Londres. J'ai expliqué amplement le datif /cifiat;6' ou fchaové dans mon Commentaire sur ie Yaçna ^ ; j'en rencontre un exemple écrit w»*'^é .^*J\èfrâda( fsavêy que je lis fchavê dans ie Neaesch du Soleil ^, et un autre , au commencement de la prière au Gâli Rapitan, écrit fautivement H3«»'-oi -^^-^èfrâdalfsavaêf pour fchavê^. Le génitif singulier est ^'^*»^èt que je trouve diversement écrit dans les divers mss. du Yaçna, et qui est en composition avec *>>1^ drva ou V»^ drvô, comme il suit : -ol»i.^i«»1^, m S.; 4yV—o<J •*»!?> Vendidad Sade, page 72; ^^è -V»?^, dans les n°* H et III de Londres; ^"^^^è^»]^, dans ie vi S. d'Anquetii; ^^^è -Vw^ji^, dans l'édition de Bombay, p. 78, et enfin ^>^^è 4»î^, dans le v des mss. de Londres. Voici le passage même se rencontre ce mot :

•jj^Ç .*1>0»*» .€>*»»^* .JfJ*»eJ ♦H30'*)*iH3*6 ««^o/i •K5e(*6jl5*H5

Anquetii le traduit ainsi : « Je vous fais Izesclmé, <(pur Ormuzd, dont les pensées sont élevées, «qui de loin (conservez) tout, qui de loin veil- (dez (sur tout), qui de loin donnez aux corps de «pures productions ^. » Mais je crois qu'on doit traduire : « Nous te présentons l'offrande , ô Ahura

' Comment sur le Yaçna. t. I, p. 226, sqq. ' Ms, Anq, n" m S., p. 286; iv F., p. 29. 3 Ms. Antj. n'iii S., p. 4io; iv F., p. 3 16. * Vendidad Sodé, p. 72 ; ms. Anq. m S., p. 86-, n" 11 F., p. iSg; n* VI S., p. 71.

' Zend Avesta. t. 1 , 11* part., p. i33.

332 JOURNAL ASIATIQUE,

u Mazda, ô pur maître de [cette] demeure, qui con- « serves les bestiaux, qui conserves les hommes, « qui conserves les pures semences. » Néiiosengli qpi, si je ne me trompe, n'a pas saisi le vrai sens de ce passage , traduit le composé drvô /chaos par 5ïT(tnrrT^q^pm^i^ , « les troupes d'animaux en «bonne santé,» ce qui nous apprend que la tra- dition des Parses donne ici à fchu le sens d'animal domestique. Je n'ai pas besoin d'insister sur les formes /c/iao5 eifchèas, qui sont toutes deux des génitifs réguliers defcha, quoique la première me paraisse plus admissible en composition que la se- conde.

Enfin ce même mot se présente à l'accusatif plu- riel seul et avec le même adjectif drvô, sous les formes de ^»M^èfsavô et ^»^èfivô, dans le Vendidad Sade; ^»^èfsvô, dans l'édit. de Bombay, et V»*j^(i fchavô, dans le vi S. ^ De ces diverses orthogra- phes , la plus régulière doit être vraisemblablement celle defchvô, car elle nous montre d'une manière parfaitement visible tous les éléments de ce cas, sa- voir,/c/ia, thème, plus ô=as, désinence. Cependant la leçon /c/iavd n'est pas impossible ; car il n'est pas rare de voir la forme augmentée, qui ne sort pas en sanscrit du nominatif, s'étendre, en zend, jusqu'à l'accusatif. Quoi qu'il en soit, l'élément qui sub- siste sous ces formes diverses, c'est toujours /c/itt, que tout nous autorise à regarder comme un subs-

* Vendidad Sodé, p. 5a5 ; éd. de Bombay, p. 562 ; ms. Anq., n" vi S., p. 21 5.

l

OCTOBRE 1840 333

tantif auquel Nériosengh, c'est-à-dire une tradition déjà ancienne, donne deux fois au moins la signi- fication de « troupe d'animaux domestiques. )> Rap- prochée du témoignage des commentateurs indiens qui assignent au védique psu le sens de génisse , veau, la tradition parsie acquiert une très-grande autorité, et il semble que nous pouvons , sans trop nous ha- sarder, traduire les deux épithètes frâdat fchu et drvô fchu par : « qui multiplie et qui conserve les « bestiaux. »

Faudra-t-il conclure de qu'on doit aussi faire au zend fchu l'application de l'étymologie que Sâyana propose pour le psu védique, pris dans le sens de génisse? J'avoue pour ma part que cette éty- mologie me paraît fort contestable, et je crains qu'en la proposant , les grammairiens indiens n'aient cédé à l'habitude ils sont d'expliquer tous les mots sanscrits, quels qu'ils soient, par les seules ra- cines qu'ils possèdent. Il se peut que psu ne vienne pas de psâ, et que le rapport qu'offrent ces deux monosyllabes soit purement accidentel. Or, une fois mis de côté le radical psâ, les listes actuelles de ra- cines n'offrent plus aucun secours pour l'explica- tion de psu. Si nous nous adressons au premier sens de ce nom, celui déforme, que constate le passage cité du Nighantu, nous n'y trouverons aucune lu- mière nouvelle. Mais, en partant de celui de génisse, que donne Sâyana, on est conduit à cette supposi- tion que psu pourrait bien n'être qu'une contraction ancienne de paçn (bétail). Quelque singulier que

35l\ JOURNAL ASIATIQUE

ce résultat puisse paraître , il se présente cepeudant appuyé de quelques preuves. Premièrement, c'est un fait constaté par un grand nombre d'exemples, que le dialecte védique contracte souvent des mots au moyen de la suppression d'un a médial, et cela non-seulement dans la conjugaison, mais encore dans le corps des thèmes, et qu'il ne recule pas de- vant des accumulations de consonnes résultant de cette contraction , qui paraîtraient insolites et pres- que barbares au sanscrit classique. Le texte publié par Roseu, et les notes qui l'accompagnent, offrent trop de preuves de ce fait, en ce qui regarde la conjugaison, pour que je croie nécessaire de m'y arrêter : d'ailleurs, on pourrait objecter que la sup- pression d'un a médial dans la conjugaison tient ou à l'accent ou à quelque influence encore peu con- nue de la désinence sur le thème. J'aime mieux ci- tef des mots premiers, comme ceux par lesquels s'ouvre le Nighantu, savoir : nrr gmâ et wr kchmâf mots qui désignent la terre et qui sont manifeste- ment des contractions de gamâ (celle sur laquelle on marche), et de kchamâ (celle qui supporte), nom qui est encore employé dans la langue classique , et qui suffirait h lui seul pour établir le fait dont je parle. Je rappellerai encore rrr gnâ (femme), pour ganây de gan (et plus tard djan)^ engendrer, ainsi que ^^ sumna (approbation), il faut probablement rétablir le radiral man, et fytnnr dhichnya, qui est certainement pour dhichanya ^ Si de telles contrac-

> Ro$tn ad RhjvMa Saihhkà. t. I, annoU, p. XI.

OCTOBRE 1840. 335

lions existent déjà dans la langue védique, on peut, ce me semble, étendre par analogie le principe, quel qu'il soit, d'où elles partent, jusqu'au motp5«, pourpafH, surtout si l'on fait attention que ce mot, placé ainsi qu'il l'est en sanscrit et en zend , comme seconde partie d'un composé, se trouve dès lors soumis à la loi de l'accent propre de ce composé, loi qui doit ici passer avant toutes les autres, car elle résulte d'ordinaire de l'idée qu'on veut expri- mer par le composé même. La seule objection que Ton pourrait faire contre cette explication, c'est que la sifflante n'est pas la même dans psu que dans paça: cette objection n'est cependant pas aussi forte qu'elle paraît l'être; car, comme c appartient à une autre classe de consonnes que p , il était naturel que cette sifflante se transformât en s, lettre qui a beau- coup plus d'analogie avec p; et cela devait se faire d'autant plus facilement que, dans la langue classique elle-même, la distinction qui existe entre c et s est loin, pour quelques radicaux, d'être nettement tranchée. Je n'hésite pas à faire l'application de cette ana- lyse au zend fchuy qui est le védique psu avec la seule différence qu'on remarque dans la sifflante : car l'existence du /pour le p est un fait propre à l'orthographe zende; et, quand même on écrirait notre mot avec un -^ 5 , comme le font d'ordinaire les manuscrits, le/ serait encore nécessaire, et il faudrait toujours le lir^ fsu. Mais , avant d'adopter définitivement cette explication, il importe d'exa- miner s'il ne serait pas possible de trouver à fchu

336 JOURNAL ASIATIQUE.

une racine zende dans les parties qui nous restent du Zend Avesta.

La racine dont je parle se présente dans les textes sous des formes très-intéressantes, mais qui ne sont pas toutes également claires : je commence par celles qui appartiennent évidemment à un thème verbal. On lit, dans deux passages du Yaçna, une phrase qui termine une prière en l'honneur de la vache , prière qui forme le chapitre xx* de, Tlescht de Behram; elle est ainsi conçue^ : ,4méi'i*'t^ .^i «c^f 4»j>-oi» et traduite par Anquetil : «Ce sont eux [les «animaux] qui me (donnent) la nourriture et ce « qui est nécessaire à la vie. » Le Vendidad lit deux fois ce mot ^ay^èfsnyô, comme fait l'édit. de Bom- bay; le II F. le lit ^^^è fchyô et une fois ^j^è fsyôy orthographe qui est toujours celle du m S.; , enfin le n*' vi S. le lit deux fois '^i>^è fihuyô : d'autre part, les deux manuscrits des leschts l'écrivent avec une autre finale h5">-o^ fi^y^- Je ne crois pas que Nériosengh ait saisi le sens de ce passage , qu'il a tra- duit ainsi : « Il augmente pour nous la nourriture , « c'est-à-dire il augmente notre corps ; » mais ce qu'il nous importe de remarquer, c'est le sens qu'il donne au mot principal de ce texte, à celui qu'avec notre plus ancien manuscrit je lis fchuyô, 11 le remplace en effet, dans deux passages, par le verbe nominal Wi^H^Pi sphitayatif c'est-à-dire : « il fait grossir, il rend

Vendidad Sade , p. 53 et 387 ; éd. de Bombay, p. 67 et 893 ; ms. Anq., n" 11 F., p. 11a et 322; 11° m S., p. 70, 2o4 et 612; n" VI S., p. 52 et 177 ; n" iv F., p. SSg.

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« abondant, il fait prospérer. » Si Nériosengh a fidè- lement reproduit la tradition ancienne , et nous ver- rons que la vraisemblance est pour l'affirmative , il faudra traduire le texte précité de la manière sui- vante : «Tu l'as engraissée pour notre nourriture, » en considérant/c/iiijd comme la pers. imparf. de fchu, conjugué suivant le thème de la 4* classe des radicaux sanscrits, et privée d'augment, selon une habitude aussi fréquente en zend que dans le sans- crit védique.

Cette analyse s'applique au participe ■Hî,^">(^(i fchnyâSy dont j'ai cité déjà le nomin., le vocat. et l'ace, singuliers dans mes notes sur le Yaçna ^ Ces formes, qui sont ^t^j^^iy^è fchuyâs , ^ni^^èfclinya, et çi^^Mii>^è fchuyantëm ^, dérivent toutes du radical fchu, conjugué ( comme l'imparfait cité tout à l'heure) sur le thème de la classe. Le nomin., que je n'avais fait que rappeler en passant, sans indiquer les passages qui me le fournissent, se trouve dans le Yaçna et dans le Vendidad , dans des morceaux qu'il me paraît suffisant de rapporter en note, parce qu'ils seront en général expliqués ail- leurs^. Nos Yaçnas le lisent 3»^^*»^^^^ fsuyàç , excepté

* Comment sur le Yaçna, t. I, note A, p. xviii, n" 46; et note

K,p. CXXVII.

* Ce mot se retrouve à ce cas dans le Vendidad Sade, p. 56, 2ia et 458, et dans le volume des leschts, n" m S., p. 4i5 et 528.

^ Vendidad Sodé, p. 55; éd. de Bombay, p. 58; n"* vi S., p. 54. Vendidad Sade. p. 85 ; éd. de Bombay, p. 89 ; n" 11 F., p. 157 ; n** m S., p. 97; n" VI S., p. 82. Vendidad Sade, p. 186, 23i, 4io, 4i8; X. 22

338 JOURNAL ASIATIQUE.

le n" VI S. qui a ^j^44>^ fckuyâs , ce qui est la véri- table orthographe. Le datif est , ainsi qu'on doit s'y attendre, yo^^t^^i^^ jchnyahtê , comme cela est éta- bli par les passages que je rappelle en note^; je remarquerai seulement que, dans le premier des passages auxquels je renvoie, ce participe (que nos mss. lisent à peu près uniformément xjf ^«'«-^ji /^w- yahtê, au lieu de mf^^^**)^ fchujaàtê) , est employé seul et sans être accompagné du nom du laboureur j^44li>«^|^ vâçtryâi. Le génitif est Vf^«">i^J fchuyantô, que nos mss. lisent en général Vf ^*»">-oâ fsuyantô '^ : ces formes qui, en sanscrit, seraient irrégulièrea , sont moins anomales en zend , le suffixe aiit paraît avec sa nasale dans les cas indirects , qui la perdent en sanscrit. Il en faut dire autant de l'accusatif pluriel, qui est également ^^^Mm^è fchuyahtô ou, comme le lisent» nos mss., '^^^M^^y^ifsayahtô^. Enfin j'en trouve à la fois le nomin. et le locat. pluriels dans un passage du chapitre xlvii du Yaçna, dont je ne citerai en ce moment que les mots relatifs à

éd. de Bombay, p. i8â, «30, 420, 43o. leschts. ms. Anq., n" m S., p. 582-, IV F., p. 769. Ces deux mss. Msenl fasuyâs.

' Vendidad Sodé , p. 1 7 1 , 1 gS , 196, 2 34 *, éd. de Bombay, p. 169, 192, 193, 233. leschts. ms. Anq., n" m S., p. 582.

* Vendidad Sodé. p. 65, 171 , 4ïo, 4i8; éd. de Bombay, p. 70, 169, 421, 43o. Il faut seulement observer que dans le passage de la page 171, qui appartient au Yaçna, tous les mss., excepté le Vendidad Sodé, lisent avec raison au datif le mot qui nous occupe.

' Vendidad Sade, p. 58 et 65; éd. de Bombay, p. 61 et 71. Dan» ces deux passages, l'édition de Bombay lit par erreur >f jmi«m>4^c) Jsuy{nntu: je note cette variante pour montrer combien aisément les copistes confondent les voyelles ô et u.

OCTOBRE 1840. 339

la discussion présente, en les corrigeant d'après la comparaison de nos mss. du Yaçna ^ : '^^>5jo» -oj*>»i»l .'^^^*ioiy^^è^ •fe23*'»«»>^(i. Il n'est pas facile de voir com- ment Anquetil traduit ce passage , tant sa traduc- tion bouleverse les rapports qui paraissent unir entre elles les parties du texte auquel nous emprun- tons cette proposition; je suppose qu'il veut la rendre par: «et anéantit leur tour) ces violents « qui veulent tout détruire ^. » On retrouve en effet dans ces paroles quelques traces de la version de Nériosengh , qui signifie ; « Que la destruction qui «est dans sa langue soit la non destruction, c'est-à- «dii'e qu'il ne désire plus détruire. » Nous sommes, il faut l'avouer, jetés bien loin du sens que Nério- sengli lui-même assigne, dans les autres passages, au participe du radical fchu. H n'est cependant pas permis de douter que les deux formes dont il s'agit ici n'appartiennent à la même catégorie que celles que je viens d'examiner tout à llheure. En effet, le mot que le ni S. lit Vç«^j»">^^« afsuyahtô, le VI S., ^çijj^*«-^i* afcJiayaûtô , et l'éd. de Bombay, >f^«M>^J4i afsuyahta, mais dont la véritable ortho- graphe est certainement Vç»^**<»>^«)* afchuyantô, est exactement le nomin. plur. masc. fchuyantô, plus l'a privatif; et, de même, le mot que le Vendidad Sade, l'éd. de Bombay, le ii F. et le n" m S. li- sent f^fs^iuiè fchuyêsû , et le n** vi S. ^i^^^y^è fihaîa-

' Vendidad Sodé. p. Sgo; éd. de Bombay, p, 896; ms Anq., n" VI S., p. 180; n" II F., p. 329; n* m S., p. 208. ' Zend Âvesta, i. I, ii* }>art., p. 20t.

340 JOUUNAL ASIATIQUE.

chu, mais dont Torthograplie véritable doit être ^^mtiif^è fchuyachû (ou, si l'on admet l'influence du « y médial sur a suivant, qui alors se change en X) ê,fchuyêchâ) ; ce mot, dis-je , se présente comme le iocat. plur. masc. du participe dont il s'agit ici; car un mot dont le thème est terminé par ^a/ doit perdre en zend son ^^t final, le groupe ts ne se rencontrant pas dans cette langue : de sorte que de fchuyat-cM ïi est naturel que nous ayons fchuyacM. Si, maintenant, nous faisons à ces deux termes f ap- plication du sens que Nériosengh lui-même assigne aux autres dérivés jusqu'ici cités du radical /c/iu, il faudra traduire comme il suit la proposition qui nous occupe : u Empêchant par leurs langues [ c'est- «à-dii^e par leurs discours] la prospérité de ceux « qui prospèrent. » Quoi qu'il en soit de cette der- nière interprétation, nous pouvons toujoursaffu'- mer positivement : que les textes zends nous offrent des exemples du participe présent d'un verbe que Nériosengh traduit par : « il engraisse ; » que ce participe, joint (excepté dans deux pas- sages seulement) au nom du laboureur, peut se tra- duire , conformément à la donnée de Nériosengh , par : « celui qui engraisse [les bestiaux] , ou, qui fait « prospérer [ les biens de la terre ] ; » ^ enfin que toutes ces formes se laissent ramener par l'analyse au primitif /c/itt.

Le participe parf. pass. de ce même radical , ou tout au moins un mot qui rappelle bien cette forme, se trouve une seule fois, à ma connaissance , dans le

OCTOBRE 18^0. 3^

Vendidad Sade; c'est *>^)^é f chuta , quon lit à k fin du fargard vu. Voici ce passage même, tel que je crois pouvoir le corriger d'après la comparaison des manuscrits :

.jà»Y^ 2^^*€ •*»%o»'" '6>^f*o*> •IfO'i* «I^JJjj^ftb^-MVO •■*0>f(XL ****<• «y-^j "1^5 •€>^>H3-*' «iCoyi*** 'jj^JJ-M^dbJ» -M <»■»*» •i*^^'*i€ «^^>0''*' «hJ^^C «yj**»

Anquetil traduit ainsi ce passage : « Si , dans un « troupeau , une bête mange du cadavre d'un chien « ou de celui d'un homme , comment sera-t-elle «pure? Ormuzd répondit : Elle est impure, ô saint « Zoroastre. Dans le courant d'une année entière, «le prêtre tenant le Barsom ne pourra manger en

^ VencUdad Sade , p. 2 53 ; éd. de Bombay, p. 262. Je me contente d'indiquer ici les variantes des seuls mots qui peuvent faire naître . quelque doute. Les n°' 11 S., p. 1 96 , et v S., p. 2 26, lisent/ra^Aurat; le Vendidad Sade et Téd. de Bombay, fraguharât; le i F., p. 386, fragharât C'est un des mots sur lesquels on trouvera un article spécial dans ces Etudes. Je suis le v S., pour ayaojdayun , que les autres mss., y compris Téd. de Bombay, lisent sans Va privatif. Les n°* I F, p. 387, et V S., lisent/c^uta ; le 11 S., chutô; le Vendidad Sade et l'éd. de Bombay, fsuta. Je lis zaothrê avec le n" i F., qui a deux fois cette ortliographe , avec l'éd. de Bombay qui Ta une fois et Tautre fois zaothraê, tandis que le Vendidad Sade a zaôthre et zaoihraê; le v S. lit deux foiâ zaothra, le 11 S. une fois zuthra et l'autre fois zaothraê. Le Vendidad Sade, l'éd. de Bombay et le ii S. ont harêçmainê ; le i F lit barëçmaênê , et le v S., barëçmanê. La forme de ce mot est obscure, et il sera examiné en détail dans ces Études. Tous nos mss. lisent haraiti. excepté le Vendidad, qui a hairê; je préférerais herêtê. conformément à la formule du ch. m du Yaçna, ««f J^ .jfMne» •«I^C*^^!!)

342 JOURNAL ASIATIQUE.

«Zourdii lait ni de la chair de cet animal ^ » Jo crois qu'on peut traduire plus littéralement ce texte ainsi qu'il suit : « Est-ce qu'elles sont pures , ô sain «Ahura Mazda, les vaches qui viendraient à tou- «cher à un chien ou à un homme mort? Ahura « Mazda dit alors : Elles ne peuvent plus être pures, ((ô saint Zoroastre, tant que dure l'année, ni «pour l'offrande de lait caillé, ni pour l'offrande « lait [ faite avec ] le Barsom élevé. » Je ne présente qu'avec réserve la traduction de ce texte difficile; plusieurs des mots qui en font partie reparaîtront, d'ailleurs, plus tard. Je remarquerai seulement que la version d'Anquetil est inadmis- sible , et qu'il y a un contre bon sens à dire que le prêtre restera pendant un an sans manger de la chair d'une vache souillée. Il me semble que par gèus zaoÛira, littéralement « offrande de la vache, » il faut entendre « offrande de ce qui vient de la (( vache, » c'est-à-dire, du lait: c'est de cette manière que , dans les Vêdas , le mot nt est synonyme de 1^ kchîra (lait) ^. Je voudrais être aussi sûr du sens de payô f chuta , mots qu'Anquetil propose en note de traduire, d'après le pehlvi, «du lait (devenu) «fromage.» Ma traduction repose en partie sur la tradition que cette glose pehlvie nous a conservée, et en partie sur le sens que, d'après Nériosengh, je crois devoir assigner au radical /c/in. En effet, si fchu a la valeur du sanscrit ^'Tîni^ sphây, comme le

' Zenil Avesta. t. I, ii" part., p. 3 3^.

' Rosen, Ri^vêâa. lib. I, annot., p. xviïi.

OCTOBRE ISao. 343

péiise Nériosengh, et si fchata vient de /c/iu, les mots payô fchuta, je ne puis voir qu'un composé de dépendance , signifieront : u la partie solide du « lait, » c'est-à-dire le caillé ou la crème; en un mot , le dadhi, ou caillé des Vêdas. Quoi qu'il en soit du sens de ces deux termes, il faut toujours admettre que, grammaticalement parlant , /c/iiita se présente comme le part. parf. passif de /c/itt.

C'est encore à ce même radical fchu que je rat- tache l'adjectif €,ijl»i<^â/c/iao7iim, que je trouve dans riescht des sept Amschaspands , et que les deux ma- nuscrits écrivent avec un ^o s ^ Ce mot est donné dans une invocation qui suit immédiatement une courte prière adressée à l'Amschaspand Amerdad (Amërétât), et il est manifeste quelle se rapporte à cette prière , observation qui est confirmée par ce fait, que fAmschaspand Amerdad passe pour le génie de la vie animale. Voici le passage même :

( .)fj^»4»,.<5 IV ) .V)«»*»)n5 ( .«^AMlJei»*» 1) •«^H*'ei*^ ^s^**)^

Anquetil le traduit ainsi : « Je fais Izeschné à «Amerdad Amschaspand ; lui qui (donne) tout, les «troupeaux, je lui fais Izeschné; lui qui multiplie «les grains, je lui fais Izeschné^.» Je crois qu'on doit traduire plus exactement ; « Nous offrons le (( sacrifice à Amërëtât, l'Amschaspand; nous l'of-

M». A«q. û" m S., p. kbb ; ir F., p. 424. » Zené Avfesta, t. II, p. i54.

344 JOURNAL ASIATIQUE.

ufrons au gras troupeau; nous l'offrons aux deux «jeunes cavaliers. » J'ajoute que ce même mot est encore écrit ç^\>^è fsanim au commencement de riescht de Gosch, mais dans une longue suite d'épithètes, relatives à Drvâçpa, qui ne nous en expliquent pas le sens ^

En disant que le second terme de l'énumération précédente se rapporte à l'Amschaspand Amerdad, j'ai particulièrement en vue un passage dc.riescht des sept Amschaspands » les mots que renferment les trois invocations précédentes se présentent au génit. duel, cas qui est appelé, par le mot mmmm)^ -(WKî-jj-f (et à la louange de), qui termine la célèbre prière commençant par j)^U»«1i (puissé-je prier, ou je prierai ^); par une invocation à l'Amschaspand Khordad (Haurvatât). Or, on sait que ce génie pré- cède d'ordinaire, dans les prières de la liturgie, le nom d' Amerdad, de sorte que ces deux Amschas- pands- marchent souvent ensemble dans les textes. Cela posé , omettant Imvocation relative à Khordad, qui ne nous apprendrait rien de nouveau, je trans- cris uniquement le passage qui contient le mot, objet spécial de cette discussion : J»-«»^e) 1.) .«w)jj>^é) «Vo/o*^ •Vf^fj^CC* ( ••»f»)(j*'»<»*f ^••«•"^e) )

* Manuscrits d'Anquetil, n" m S., p. 5 10; n" iv F., p, 566.

' Comment, sur le Yaçna, t. I, p. 37. J'indiquerai ailleurs les motifs qui m'engagent à modifier la traduction de cette prière, dont je n'ai pas assez marqué le rapport avec ce qui suit.

^ Ms. Anq. n" m S., p. /|53; n" iv F., p. 420. Ces deux mss.

OCTOBRE 1840. 5^

Anquetil traduit ainsi ce texte : « Amerdad, grand, « qui (produit) tout, les troupeaux, qui multiplie les « grains ^)) On peut, je crois, traduire avec certi- tude : (([Je prierai à la louange de Khordad et] ((d' Amerdad le chef, de ces deux [Amschaspands], ((maîtres des gras troupeaux, de ces deux jeunes (( cavaliers. » Je remarque, en passant, qu'Anquetil, après avoir omis le mot açpanibyŒf qu'on peut lire aussi açpinibya, et qui a certainement la signification que je lui assigne, (des deux cavaliers), s'est laissé tromper par l'analogie que présente le mot yavani- hya avec le substantif m>*>Y\iyava (orge). La compa- raison du présent passage avec celui que je citais tout à l'heure , et nos deux manuscrits lisent cor- rectement yavanô ( Y a étant abrégé devant ti par une règle d'euphonie zende ) , ne laisse aucun doute sur la valeur de ce terme. C'est également sur la com- paraison de ce passage que je me fonde pour lire fchaonihya, au lieu de/sunibyci^ que donnent les ma- nuscrits des leschts, et pour traduire les deux ad- jectifs/c/iao mi Jja vàthwânibya par : (( maîtres des gras (( troupeaux, » quoique, détachés l'un de l'autre, ces deux termes puissent se traduire : (( qui sont gras , <( qui possèdent des troupeaux. » La manière dont sont groupés les deux termes fchaonim vàthwâm me paraît démontrer que les adjectifs /c/iao7ii7)ja vàthwâ- nibya sont dans le même rapport l'un avec l'autre.

sont ici identiques ; j'ai cependant la certitude qu'ils ne sont pas la copie l'un de l'autre.

1 ZendAvesta, t. II, p. i53.

346 JOURNAL ASIATIQUE.

Je trouve encore ce même ietme fchaoni , modi- fiant le même mot vdthwa, dans une prière du cha- pitre II de riescht de Gosch, que Djemschid adrc^so à Drvâçpa, le génie des troupeaux. Voici le passage :

Anquetil traduit ainsi ce texte : a Accordez-moi , «que j'obtienne, ô pur et bienfaisarit Drouasp, de « porter une assemblée pure au milieu du peuple (( d*Ormuzd ^. » Mais le sens véritable de ce passage est le suivant : « Accorde-moi , pure , bienfaisante « Drvâçpa , cette faveur que j'apporte les gras trou- ce peaux pour les créatures de Mazda. » Ici encore les deux termes fchaoni vâthwa sont manifestement en rapport l'un avec l'autre , comme ils le sont dans le premier des trois passages que je viens de citer à Foccasion du moi fchaoni.

C'est encore le même mot , au même cas et au même genre, que je remarque dans une prière adressée par Djemschid à la source Ardouisour, dans le chapitre vu de l'Iescht de TEau ; le voici :

Anquetil le traduit comme il suit : « Accordez -

' Ms. Anq., m S., p. 5ii ; iv F., p. 669. Les deux mss. sVcordent complètement, éaufle iS* tv, ^m Ail çlniÈItle éi dàfna^j^ê. * Zend Avesta, t. II, p. 201. ^ Ms. Anq., n" ui S., p. 471 ; n' tt F., p. 466. î»d* àétti mss.

OCTOBRE 1840. 347

«moi cette grâce, pure et bienfaisante source Ar-

«douisour Lorsque j'élève (que j'offre) ce

«qu (Ormuzd m') a donné, que je fais un ïescht «enflammé, (que j'offre) tout ce que je possède, « mes troupeaux ^ » Voici comme je crois qu'il faut l'entendre : «Accorde-moi, pure, bienfaisante Ar- «dvî-çûra, [cette grâce...] que je puisse enlever aux «Daêvas, je dis les biens et les plaisirs, je dis les « gras troupeaux. « C'est à dessein que je ne m'arrête pas sur les mots ^i^'^-i, *>»!^*>ai, h3**>i que j'examinerai ailleurs en détail; je n'ai à discuter en ce moment que le terme manifestement fautif et presque illi- sible M^*^\>^è> dans lequel je n'hésite pas à rempla- cer 4« y par * i, et > u par iw. ao : j'obtiens ainsi Mé^fkM^ fchaonisa, mot dans lequel je regarde la voyelle finale * a comme une addition fautive, ap- pelée par la prononciation. Ainsi analysée, la leçon »^m),^^ revient à *i^i\)»M^è, fchaonisy ace. plur. fém. régulier, moins fabrégement de la voyelle i du thème en i dont nous avons l'ace, sing. fém. dans fchaonim. C'est exactement, plus la sifflante finale, le fchaoni (ace. plur. fém.) de flescht de Gosch cité tout à l'heure, cette sifflante manque pro- bablement par la faute du copiste.

Or, de ces quatre passages, il résulte que nous avons , dans les textes des leschts , trois formes dis- lisent exactement ce passage de la même manière: il me paraît résiihcr de qu'ils dérivent d'un même original. Les corrections qoe je propose sur le texte me semblent trop fondée» pour que je croie nécessaire de nj'y arrêter.

' Zend Avesta, t. II, p. 167.

348 JOURNAL ASIATIQUE,

tinctes de ce mot, savoir . fclmonim, ace. sing. fém.; Jchxwnihya, gén. duel fém., eifchaoni ou plutôt/c/iao- nis, ace. plur. fém. Je n'hésite pas à considérer ces trois formes comme appartenant à un thème fchaoni, terminé par i ou plutôt par i. Ce thème fchaoni est le féminin de fchaona, adjectif qui dérive de fchu au moyen du suffixe ana. Si fchu est bien traduit par Nériosengh, le mot fchaona devra signifier gras, ainsi que je l'ai supposé.

Le thème fchxwna, auquel nous conduit l'analyse précédente , n'est pas le produit d'une théorie arbi- traire; son existence est, au contraire, prouvée de la manière la plus positive par un terme du Yaçna, sur l'orthographe duquel nos manuscrits diffèrent considérablement, mais dont il est cependant pos- sible de saisir la véritable forme. Je le trouve au chapitre xi du Yaçna , écrit , par le Vendidad Sade , x90'K)<"'')V'"oé^ ^ ; }o^io*^*'\'^*»^è par le n'' ii des mss. zends de la Compagnie des Indes; H50'Hî"0'*l^*-^3i par le m S. d'Anquetil ; wo-w-^-o^ par le n P. d'An- quetil et par le v des mss. de Londres, et }o**\f*iiè par le m de ces derniers mss. : le n" vi F. de ceux d'Anquetil lit HîO'wo'-l^-taj)^ » leçon qui , sauf le r in- séré par l'inattention du copiste, me paraît être la véritable. Je lis donc fchaonakyéhé dans le passage du chapitre xi du Yaçna , que j'examinerai plus tard en détail, et dont je me contente en ce moment de donner le texte et la traduction. Il y est question des trois êtres qui ont à se plaindre de l'homme,

» Vendidad Sodé, p. 54.

OCTOBRE 1840. 349

et on y fait parler la vache, qui le maudit et sou- haite qu'il n'ait pas d'enfants , par la raison suivante :

>.m^ .»o»*^i>e» •*»»!? .i»Mjj1ji».j .H3ft>')o>»Jo»> ce qu'Anquetil tra- duit : « Vous qui ne me donnez pas les choses dont «j'ai besoin, je ferai mourir tout ce que vous avez , « votre femme, vos enfants ; » et ce qui signifie , selon Nériosengh : « Toi qui ne me donnes pas le bonheur, «mais qui m'engraisses, soit pour ta femme, soit « pour ton fils ^. » Il est facile de voir qu'Anquetil s'est tout à fait mépris sur le sens de ce passage : fcJiaonahyéhê est un verbe nominal (2® pers. indic. moyen), la désinence est (pour se), la for- mative liyê ( pour sya), et le thème /c/iao/ia; et, quant à la signification de ce verbe nominal , ce sera , si je ne me suis pas trompé sur le sens defchaona, celle de « rendre gras. »

Je n'hésite pas davantage à dériver de cette même racine fchu le mot fcMcha, que je trouve employé rarement seul , tandis qu'il l'est d'ordinaire en com- position avec le mot màthra (parole sacrée). En voici un exemple , que j'emprunte à une des invo- cations du Vispered^ .6£|*»itfj21" «cs^ij^c 4?yf^^ .kjmhî"»'»*' .ç^) .Kjo»*^*, qu'Anquetil traduit ainsi : «J'invoque «et je célèbre la parole, (source) de tout, sainte, « pure et grapde ^, » mais qui doit plutôt signifier : «Je glorifie la parole qui fait croître, pure, maî-

> Ms. Anq., n" 11 F,, p. 11 4.

' Ms. Anq., m F., p. i5. Vend. Sade, p. 20; éd. de Bomb., p. 21.

' Zend Avesta, 1. 1 , ii* part,, p. 86.

350 JOURNAL ASIATIQUE.

« tiTsse de pureté. » Le Vendidad Sade lit ^)*iiàfsasôf et l'édition de Bombay, ^^^iaèfsâsô; mais je crois que l'orthographe de ce mot est assez sohdement établie pour que je ne m'an^ête pas sur de telles variantes, qui ne sont que de simples fautes de co- pistes. Ce même composé est encore à l'accusatif dans deux autres passages du Vendidad Sade \ et au génit. sing. h30'«U#€ \i^^èfchûchô màthrahê, dans trois autres textes du Vendidad Sade ^. Si je traduis fchuchô mâthra par : « la parole qui fait croître , » et non par: «celui dont la parole fait croître,» c'est que je rencontre ce composé résolu, si je puis m'exprimer ainsi, dans ses éléments fondamentaux, i^ à l'ace, sing. masc. , ^yoe^i^^YO -cs^i^c -^^itt^f^y «Nous adorons la parole qui fait croître^;» au gén. sing. masc, .«f>HK>»*Uj^€ '^ft^o^y^^i^t^sè fchûchahê- tcha mâthrahêtcha'^, expression qui ne peut signifier autre chose que : « et de la parole et de celle qui fait « croître, » et vraisemblablement le second *>ft tcha est explétif. Enfin, ce qui met l'explication que je propose à l'abri de toute contestation , c'est le pas- sage suivant du chapitre lxh du Yaçna : .-(oj»«^^,ô •MMj^^if^*-^ 4w Pi^c ^, qu'Anquetil traduit ainsi : « la

' Vendidad Sade. p. 76 et 527; éd. de Bombay, p. 566.

^ Ibid., p. 8, 97 et 108; éd. de Bombay, p. 9.

' Ms. Anq., m S., p. 4ii ; iv F., p. 3i8. Ces deux mss. Wienl fasâchêmicha.

* Vendidad Sade, p. 3o3 et 52 2.

^ Ibid., p. 5i8 ; VI S., p. 208. Ce texte fait partie de llescht de Serosh, et H est répété dans le m S., p. 557 ; or les deux mss. des leschts oublient mâthrô et n'ont ([aefchâchaçtcha.

OCTOBRE 1840. 351

({ parole, principe de tout \ » mais qui signifie plutôt : « et la parole qui fait croître , laquelle est victo- u rieuse. »

Le seul passage j'aie rencontré ce mot isol^ , fait partie du chapitre lxvii du Yaçna, il est, si je ne me trompe, le complément direct du ré- duplicatif de jlj^ hère (faire), en rapport avec nemé, comme il suit : ^o»«€6^£i^^^J" ^w^i^è ^, « nous répétons « souvent les [adorations] qui font croître. » Le der- nier texte auquel je fais allusion est obscur, et je ne présente qu'avec défiance cette traduction, sur la- quelle j'espère pouvoir revenir plus tard. Quant à présent, l'existence du motfcMcha est suffisamment démontrée par les passages précédents, ainsi que sa qualité d'adjectif, et j'oserais presque dire sa si- gnification, laquelle repose non-seulement sur la traduction que , d'accord avec Nériosengh, j'ai don- née des dérivés précédemment cités de ce radical, comme fchaona (gras) et fchuyâs (engraissant ou faisant prospérer), mais encore sur la version d'An- quetil, d'après laquelle les notions de produire , être la source de, appartiennent à l'adjectif /c/idcZia. Je reconnais dans ce mot le suffixe sa (changé en cha par i'influence de la voyelle qui précède), suffixe qui ne paraît en sanscrit que parmi les formatives de dérivation secondaire, mais qui n'en doit pas moins être rangé, quoique plus rarement, parmi les suffixes qui se joignent immédiatement à un ra-

' Zmd Avesta, t. I, ii'part., p. 228. . ' Vendidad Sodé , p. 523; n" vi S., p. 214.

352 JOURNAL ASIATIQUE.

dical. Da.ns fchûcha, la voyelle û est vraisemblable- ment allongée par l'influence de l'accent. Je ne rappellerai le rapprochement que j'ai fait ailleurs entre ce mot et le grec ^v^v \ que pour exprimer quelques doutes sur son exactitude. La ressemblance, et Ton pourrait dire l'identité presque complète , de ces deux termes, n'est peut-être qu'accidentelle, ou du moins ie sens d'âme (anima) sort si bien de celui de respiration, qui est la signification première de ^vxrf (mot qui se présente comme une sorte d'onomatopée), qu'il n'est pas besoin, à ce qu'il semble, d'abandonner la langue grecque pour en rendre raison. Le rapprochement proposé ne pour- rait acquérir une valeur nouvelle que si l'on par- venait à démontrer que le radical zend fchu a le sens de respirer, souffler.

Le dérivé de fchu que je viens d'analyser se re- présente encore avec un autre adjectif qui est formé du même radical, comme je l'apprends par l'Iescht d'Ormuzd, dont je dois une traduction sanscrite à la bienveillante amitié d'un Parse plein de zèle, Manakdjî Cursetdjî, de Bombay. Dans le curieux passage Ormuzd énumère ses noms divins , on lit ces deux propositions : --o^-hj^ •••co»- -Cjël t-Cf-oi .-60»* --c^l «^ij^c ^, ce qu'Anquetil traduit : « Mon nom (( est fauteur de tout , mon nom est la parole ( prin-

Comment, sur le Yaçna, t. I, notes, p. xviii, n. 46, ' Ms. Anq., n" m S., p. 448; iv F., p. 4o5; ms. de Manakdjî, p. 47. Les deux manuscrits d'Anquetil lisent ce passage exactement de la même manière ; celui de Manakdjî ixt fsûsê màthrê.

OCTOBRE 1840. . 353

«cipe) de tout \ » et, suivant la glose sanscrite:

f%çiT ÎTrT^UMIUM 39^ rTT '^ HT 'ST E^ \[ . Cette gloSC n'est Vït^

correcte, ni claire ; je suppose qu'il faut lire rra" rTW'.' 11 me semble qu'on ne peut tirer de ce passage que le sens suivant : « Je suis nommé celai qui croît, «c'est-à-dire que je croîs abondamment pour les «bommes vertueux. Je suis nommé [celui dont] le (i commandement est h, croissance, c'est-à-dire que, (( quelle que soit la cbose que j'aie en vue , par mon « commandement je la fais croître. » De la compa- raison de cette glose avec le texte zend, il résulte, en ce qui toucbe fsûmâo (que je propose de lire fchûmâo), que c'est un adjectif dérivé du radical fchu (dont la voyelle est ici allongée peut-être à' cause de l'accent), au moyen du suffixe man, dont' nous savons que le nominatif est , en zend, mâo. Le traducteur parso-indien semble avoir eu le senti- ment de cette analyse, quand il a choisi viiddhimân pour remplacer le terme original. Nous retrouvons ici, comme je findiquais tout à l'heure, la notion de croissance, que j'ai assignée ci-dessus au dérivé/c/iM- cha. La version de Nériosengh me paraît confirmer ma conjecture: je remarquerai seulement qu'elle n'est intelligible que si l'on fait de ^: u^iui: un com- posé possessif comme il suit : dl^y^^jui:, lequel ne peut avoir un autre sens que celui que j'ai proposé. Mais cette supposition tend à maisquer le véritable

' ZendAvesta,t. II,'J!'j'4^. *'

X. 23

354 JOUÏ^NAiL ASIATIQUE,

rapport des deux mots zends/c/iac/irt mâthra qui sont ici au pluriel, comme l'indique encore la variante du manuscrit de Manakdjî, w^i^t •)o^'iièfsûsê mâ- thgéf et qiû sont dans 1? relation d'un adjectif à un substantif., , Je propose donc de traduire la seconde des propositions dont il s'agit on ce moment comme il suit : « Mon nom est les paroles (juifont croître; » et par j'entends la parole divine et les textes sacrés. Aussi pensé-je qu'en employant le mot u^iui (auto- rité), le traducteur parso-indien a eu en vue le persan {j^j^ (ordre). Cette épithète d'Ormuzd fait manifestement allusion aux passages du Vendidad et du Vispered que j'ai rapportés tout à l'heure, et dans lesquels « la parole qui fait croître » est invoquée directement; c'est exactement comme si Ormuzd disait : « Quand, dans les textes sacrés, on adore la « parole qui fait croître , c'est mon nom qu'on in- (( voque. »

Il n'est pas aussi facile de dire précisément quel est le sens de/c/iw/ndo, cet autre dérivé de f chu, qui ouvre le texte cité tout à l'heure, et dont l'ana- lyse ne peut donner lieu à aucun doute. Signifie- t-il au propre u celui qui croît , » à peu près comme on dit de Brâhma que c'est l'être qui se répand et se développe ; ou bien exprime-t-il cette idée d'une manière figurée, de la même façon que, dans le;^ Vêdas, on dit du dieu Indra qu'il croît par les hymnes qu'on chante en son honneur et par les sa- crifices qu'on lui adresse, c'est-à-dire que la jouis- sance des sacrifices dont il recueille les offrandes

OeTOiBRK 1840.; 355

l'enlève au-dessus des siutres Dieux j^ Giivbien en- core ce mot signifie-t-il simplement fortuné , heu- reux? Tous ces sens sortent bien du radical fchu, tel que je le déduis des exemples précités, et ce ne sont que des nuances d'une seule et même signifi- cation fondamentale. Pour dire quelle est exacte- ment celle qu'a eue en vue le texte de l'Iescht d'Ormuzd, il faudrait disposer d'un plus grand nombre de passages que ceux que je puis consulter. Je ne le retrouve que deux fois au cbapitre lxvii du Yaçna, dans un texte auquel j'ai déjà emprunté fchûchê \ toujours^ au nomin. sing. masc, c'est- à-dire sous la forme même qu'il a dans l'Iescht d'Ormuzd. Rien dans ce texte, d'ailleurs difficile, ne m'autorise à supposer que fchûmâo ait une autre signification que celle de «celui qui croit, » ou de «fortuné, prospère;)) on peut donc regarder ces sens comme établis, au moins d'après le témoignage de Nériosengh et d'Anquetil. Quoi qu'il en soit de la détermination précise dont on aurait encore be- soin, il n'en est pas moins constant que fchûmâo, comme fchûchay appartient au radical duquel j'ai déjà dérivé fchaona et les diverses formes qui s'y rattachent.

Dirons-nous maintenant que ce radical fcha, qnP se retrouve sous les dérivés divers analysés jus- qu'ici, n'est autre que le fcha qui figure à la fm de quelques composés , et que je crois devoir iden-

Vendidad Sade, p. 52 3 et 524; ms. Anq., vi S., p. 2i4; Zend Avala, t. I, p. 282 et 233.

23.

356 JOURNAL ASIATIQUE

tifier avec le sanscrit paçu? Cela est rigoureusement possible, quoiqu'on ne puisse pas affirmer que cela soit démontré. Rien n'empêche, au contraire, qu'on n'admette à la fois Texistence de fchu ( pour fça ) , contraction de paçu^ employée comme seconde par- tie d'un composé, et celle d'un radical /c/iw, n'of- frant avec/c/itt (pour paçu) qu'un rapport accidentel. Déjà, dans mon Commentaire sur le Yaçna , lorsque je ne connaissais pas encore le védique psu, signi- fiant vache, j'avais cru que le zend fcha, du com- posé/rdJaf/c/itt, signifiait la vie, et je le tirais dii sanscrit 5a et dm (engendrer). Mais aujourd'hui je renonce à cette explication pour deux motifs: le premier, c'est que le radical sanscrit su et chu existe dans quelques dérivés zends sous la forme régulière hu; le second, c'est que l'on trouve dans les Vêdas le psu que je rappelais tout à l'heure. Les grammairiens indiens, ainsi que je l'ai dit au commencement de cet article, tirent ce psu du ra- dical psâ (manger); mais, comme je l'ai encore re- marqué , ils peuvent avoir oublié la véritable origine de ce monosyllabe, sur la forme première duquel la comparaison du zend nous donne des lumières qu'ils n'avaient pas. Je n'en veux rien conclure contre l'existence du radical psâ (manger); je pense, au contraire, que ce radical (dont, pour le dire en passant, nous n'avons pas plus ici la forme primitive que nous n'avons celle des radicaux terminés par une voyelle longue ou composée), est, selon toute apparence, très-voisin du fchu, que

OCTOBRE 1840. 357

j'aimerais à reconnaître comme indépendant du fchu supposé identique à paçu. Ces deux radicaux se tiennent autant par l'idée que par le son , et la différence de leur voyelle n'est peut-être que l'in- dice de la nuance de sens qui les distingue, p^d si- gnifiant manger, et fchu (pour p5ii), engraisser, croître. Je ne dois pas non plus omettre de citer ici deux autres radicaux qui me paraissent des transforma- tions l'un de fautre, et qui ne sont probablement pas fort éloignés de ceux que j'examine en ce mo- ment; ce sont, i^'çqïï^ spMy (s'augmenter), radi- cal qui n'en est pas un à proprement parler, et qui revient à la forme causale d'un primitif sphi; f^ çvi (croître, prendre de la vigueur), radical dont nous n'avons probablement pas davantage ici la forme véritable. En effet, si ^^hW spliîta (grossi, prospère, part, parf pass. de ^^ïï^i sphây), qui se présente comme la contraction possible de 5jo/iajito, nous conduit à un primitif 5jo/ii, de même ^ çûna (grossi, accru, part. parf. pass. de %pi), qui se présente comme la contraction possible de çavana, nous conduit à un primitif p. Dans son état actuel, le radical çvi, que l'on dégage de la conjugaison de wnf^ çvayâmi, se rapproche assez de sphi, pri- mitif supposé de sphây, pour être regardé comme identique avec ce primitif, les significations étant d ailleurs absolument semblables. Quant à l'analo- gie que ces deux formes sphi et çvi (de çu-i) peu- vent avoir avec le psu védique , le fcha zend et le psâ du sanscrit classique, elle me paraît justifiable

358 JOlJl\N AL ASIATIQUE.

par la métathèse si facile de la sifflante, élément essentiellement mobile et aisé à déplacer. Si l'on transforme d'ajwès cette supposition psa et psâ, on a spa et spâ, thèmes bien voisins de spki et de çvi, qui n'en diffèrent que par les voyelles finales, et dont le développement a pu se faire , sous l'influence des antiques lois de la variation des radicaux, de la manière suivante : çu; 2* spa (et, par métathèse, psu), augmentation de la racine çu, opérée par le cliangement de la voyelle radicale a en sa labiale congénère p, laquelle continue d'être vocalisée par a; y fchu (métathèse de chfu), aspiration zende du précédent psu; li° spâ (et, par métathèse, psâ), aug- mentation de la racine çu, par le changement de u en la labiale p, mais en admettant une nouvelle voyelle, â; 5** sphi, augmentation de la même ra- cine par le changement de la voyelle u en la labiale p, qui s'aspire ici, mais en admettant une nou- velle voyelle, i. Je n'ai pas besoin de faire remarquer que ces transformations ne sont pas présentées ici comme historiques ; elles ont pu se produire toutes à la fois, lorsque s'opérait le travail de formation dont les plus anciennes langues de la famille indo- européenne nous laissent apercevoir de loin en loin de si curieuses traces.

( La suite dans an prochain numéro. )

OCTOBRE 1840. %%

CRITIQUE LITTÉRAIRE.

^j1*X-UjI /ooyb* <->U5 Géographie d'Ahoulféda (texte arabe), publiée par M. Reinaud et M. le baron Mac Guckin de Slane, aux frais de la Société asiatique de Paris. Paris^, Imprimerie royale, i834-i84o; i vol. in-^''\

L'impression du texte complet de la Géographie d'Ahoulféda, entreprise aux frais de la Société asia- tique de Paris, sur la proposition de M. le baron Silvestre de Sacy, et confiée aux soins de MM. Rei- naud et de Slane, est aujourd'hui entièrement achevée, et déjà cette publication a été annoncée dans le compte rendu des travaux de l'année, lu par M. Mohl à la dernière séance générale. Quel- ques mots d'examen , ajoutés à cette annonce , m'ont paru pouvoir trouver place dans le Journal asiati- que, tant pour appeler l'attetition des personnes qui se vouent aux études orientales sur un ouvrage dont lutilité est très-grande, que pour exposer coiri- ment les savants éditeurs ont rempli leur tâche et mérité les remercîments ,qui leur ont été adressée , au nom du Conseil, par l'organe de M. le président.

Ismàël Abouiféda, issu de Sehâhinsehah , frère

' L'ouvrage se trouve au bureatu de la Société asiatique, et à la librairie de madame veuve Dbndey-Dup/'é. Prix : 5o francs.'

360 JOURNAL ASIATIQUE,

du grand Saladin , appartenait à la branche de ia famille des Ayoubites qui régnait en Syrie sur la ville de Hamat et les places voisines. Il était en 12^3 de notre ère , à Damas , ses parents avaient cherché un refuge contre une invasion des Tartares. Il se distingua de bonn^ heure dans les guerres des musulmans contre les chrétiens d'Occident, qui étaient encore maîtres de quelques villes sur les côtes de Syrie. On le voit, à fâge de douze ans, figurer à la prise du château de Marcab sur les chevaliers de THôpital. En 1289 de J. C, il se trouve à la conquête de Tripoli; enfin, Tannée sui- vante, il contribue à la prise de Saint-Jean-d'Acre , et à l'entière destruction des colonies chrétiennes d'Orient. Au milieu de ses occupations guerrières, il se livrait à l'étude avec ardeur, et les témoi- gnages de ses contemporains s'accordent à le repré- senter comme ayant possédé à un haut degré tous les genres de connaissances cultivés par les musul- mans, la jurisprudence, l'interprétation du Coran, les principes du droit canonique et de la religion, la grammaire, la philologie, les belles-lettres, fhis- toire, l'astronomie, la logique, la philosophie et la médecine. Après diverses vicissitudes, Aboul- féda, en i3io, fut investi par Malik-Nâssir Mo- hammed, fils de Kélaoun, sultan d'Egypte et de Syrie, du gouvernement de fïamat, dont ses an- cêtres avaient joui à titre de principauté. Il obtint lui-même, en 1 3 1 2, le diplôme de prince de Hamat et autres lieux , comme récompense de ses services

OCTOBRE 1840. 361

dans une guerre contre le rebelle Cara-Sancor, et, en i3 19, il fut décoré du titre de sultan. Aimé de ses sujets, partageant son temps entre la société des gens de lettres, la composition de divers ouvrages et les soins de l'administration, il régna paisible- ment jusqu'en 1 33 1 . Il termina sa carrière âgé seu- lement de soixante ans, et fut enterré à Hamat, dans un mausolée qu'il s'y était fait construire.

Une notice moins succincte sur la vie d'Aboul- féda a été donnée par M. Jourdain dans la Biogra- phie universelle ^. MM. Reinaud et de Slane en ont inséré deux autres entièrement inédites dans leur préface : la première tirée du dictionnaire Alminhal assaji d'Aboulmahâcin^; la seconde empruntée à un chroniqueur nommé Hassan Ibn-Omar^. Elles font connaître le titre de quelques écrits d'Aboulféda, dont on ignorait fexistence , et montrent que ce prince joignait à ses autres mérites un talent poétique, dont Aboulmahâcin a conservé plusieurs échantillons. A la suite de ces deux notices , riches surtout de renseignements littéraires, les éditeurs en ont ajouté une troisième sur Nâssir-eddin Mo- hammad, fils d'Aboulféda, qui lui succéda, et en qui s'éteignit la branche de la dynastie des Ayou- bites, qui avait gouverné pendant près de deux siècles la principauté de Hamat.

MM. Reinaud et de Slane ont indiqué sommaire-

* Publiée par Michaud. v

* Man. arabe de la Bibliothèque royale (ancien fonds), n" 747. ' Id. n" 688.

362 JOURNAL ASIATIQUE

menl les événements delà vie politique d'Aboulféda , mais ils se sont abstenus d'en développer le tableau circonstancié. Ils ont craint, en traitant cette ma- tière , d'être entraînés dans des détails qui auraient pu paraître étrangers à leur sujet, et n'ont point d'ailleurs jugé à propos de reproduire des faits déjà publiés dans des livres auxquels chacun peut re- courir, notamment dans la version latine donnée par Reiske des Annales musulmanes d'Aboulféda. J'avoue que, pour mon compte, je regrette qu'ils aient cru devoir s'imposer cette réserve. Les parti- cularités politiques qui concernent Aboulféda et les princes de Hamat ses ancêtres, dont plusieurs ont jouer un rôle dans les guerres des musulmans contre les colonies fondées par les croisés en Orient, sont disséminées dans cette chronique et ailleurs; il est difficile d'en saisir l'ensemble. Réunies et co- ordonnées par deux savants , dont l'un surtout s'est occupé de recueillir tous les documents relatifs à l'époque des croisades fournis par les monuments arabes, elles auraient sans doute formé un morceau historique d'un trop haut intérêt et d'une étendue d'ailleurs trop modérée, pour qu'il pût venir à la pensée d'aucun lecteur de critiquer la longueur de la préface.

Les principaux ouvrs^es d' Aboulféda, ceux qui lui ont mérité la grande réputation dont il jouit comme écrivain parmi les Orientaux, sont : son Abrégé de l'histoire du genre humain , ^AAAigJt t^U^> j-àkAJl j^j^\ i ; sa Géographie intitulée

OCTOBRE 1840. 363

^i«>Ju]l. L'un et l'autre ont été depuis longtemps appréciés par les savants qui cultivent en Europe la langue et la littérature arabes.

Il y a environ dix ans que M. Fleischer a im- primé à Leipsick , avec une traduction latine et des notes , sous le titre de Ahulfedœ Historia anteislamica^ , la première partie de V Abrégé de l'histoire du genre humain, dont un fragment important avait déjà été donné par M. de Sacy, à la suite de la nouvelle édition du Spécimen historiée Arahum de Pococke,. La seconde partie avait paru dès 1789, à Copenhague, par les soins de M. Adler, avec une traduction et des notes savantes de Reiske, en cinq voîumes m-lx° intitulés Ahulfedœ Annales moslemici. Plus ancienne- ment encore , deux extraits de cette seconde partie de l'Histoire d'Aboulféda avaient été publiés, l'un, la vie de Saladin, par Alb. Schultens, en 1782 2; l'autre, la vie de Mahomet, par Gagnier, en 1723. Ce dernier morceau a depuis été réimprimé, en 1837, avec plus de correction dans le texte, et de fidélité dans la traduction , par M. Noël Desvergers ^.

Plusieurs chapitres de la Géographie d'Aboulféda avaient aussi été imprimés et traduits en Europe, de i65o jusqu'à présent, tels que les descriptions du Khawarizm et du Mawarannahr par Gravius *, de

> Un volume in-4°.

' A la swite de Vita et res (jestœ sultani Saladini , autore Boha-eddino, Lugduni Batavorum; ia-fol.

^ Un volume in-S", cbez Firmiu-Didot et Dondey-Dupré. * Londini, i65o:in-4°.

364 JOURNAL ASIATIQUE,

la Syrie par Koehler \ de l'Egypte par Michaelis^, de la Nigritie par Rink ^, du Maghreb par Eichorn *, de la Mésopotamie par Rosenmuller ^, de l'Arabie par Rommel^, de l'Inde par M. Giidmeister, etc. ^

Cependant des portions fort curieuses de la Géo- graphie d'Aboulféda restaient encore inédites. Les fragments isolés publiés jusqu'ici étaient difficiles à réunir, et quelques-uns n'avaient pas été soumis à toute la critique désirable. Dans cet état de choses, l'on sent aisément combien il était utile de livrer enfin aux orientalistes un texte pur et correct de l'ensemble d'un ouvrage aussi justement estimé.

Pour cette publication, MM. Reinaud et de Slane se sont principalement servis de trois manuscrits, dont deux appartiennent à la Bibliothèque royale de

^ Lipsiae, 1766; iii-4°.

* Gottingae, 1776; in-8°.

' A la suite de l'Histoire des rois musulmans d'Abyssioie; Leyde, 1790.

* Gottingae, 1791.

^ Dans le Nouveau Répertoire de la littérature orientale, vol. III.

« Gottingae, 1801; in-4°.

' Si je ne mentionne pas dans cette énumération la nouvelle édition de la description du Maghreb imprimée à Alger, eu iSSg, par M. Solvet, et accompagnée d'une bonne traduction française et de notes succinctes , mais intéressantes, c'est que cette édition n'est pas véritablement antérieure au travail de MM. Reinaud et de Slane, dont une première livraison contenant, entre autres chapi- tres, celui du Maghreb, avait déjà paru en 1839. ^- Solvet n'avait pas entre les mains de manuscrit d'Aboulféda; et, le texte de M. Ei- chorn étant en général défectueux , c'est d'après la partie alors im- primée du texte de MM. Reinaud et de Slane que M. Solvet a pu- blié le sien et fait sa traduction.

OCTOBRE 1840. 365

Paris; ce sont les n"* 878 et 679 de l'ancien fonds. Le troisième fait partie de la riche bibliothèque de Leyde, et a été mis à la disposition des éditeurs, avec ime obligeance parfaite, par MM. les curateurs de l'Université de cette ville. Ce dernier exemplaire a l'inappréciable avantage d'avoir été copié sous les yeux mêmes de l'auteur, et pour son usage particu- lier; l'on y trouve çà et des changements et ad- ditions de sa main.

Ces manuscrits , qui offrent des différences assez notables dans l'ordre des matières et la rédaction, sont considérés par MM. Reinaud et de Slane comme formant trois éditions successives qu'Aboul- féda aurait données lui-même de sa Géographie : la première, représentée par le manuscrit 879; la seconde, par le manuscrit de Leyde; la troisième, par le 678.

Les éditeurs ont sagement évité de s'attacher ex- clusivement à une seule édition, car chacune des trois contient des renseignements qui manquent dans les autres. Ils ont suivi pour l'ensemble Tordre / du 678, qui paraît avoir été adopté définitive- ment par Aboulféda; pour les détails de la rédaction, ils se sont conformés particulièrement à l'exemplaire de Leyde, qui, ayant été revu par l'auteur, présen- tait plus de garanties d'exactitude. En même temps, ils ont inséré, dans le texte de cet exemplaire (mais entre parenthèses, afin de les distinguer), divers passages qui ne s'y trouvaient point, et qui leur ont été fournis par les manuscrits 678 et 679; d'autres

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fois, ils ont mis en notes ces additions. De cette ma- nière, toiftcs les indications utiles, éparses dans les trois éditions, sont conservées et rassemblées.

La Géographie d'Ahoulféda se compose, en ma- jeure partie, de tables disposées sur des doubles pages. Dans tous les manuscrits, ces doubles pages sont divisées en sept bandes horizontales , dont cha- cuoe est consacrée à lieu particulier. La page du côté droit est partagée en dix colonnes, qui coupent verticalement ces bandes, et renferment le nom chi lieu, sa prononciation, sa longitude, sa latitude, les sources auxquelles l'auteur a puisé , etc. ; la page du côté gauche est rései^vée pour les descriptions. Mais, comme les lieux n'ont pas tous la même impor- tance, que les uns peuvent êti'c décrits en peu de mots , tandis que les autres exigent uïie place con- sidérable, les bandes des pages gauches sont quel- (|uefois presque vides; souvent aussi elles n'ont pu sidïire à contenir tout ce qui mentait d'y entrer, et des notices supplémentaires ont été inscrites sur les marges.

La typographie ne permettait point d'admettre cette disposition sans modification aucune. Aussi ^ plusieurs des personnes qui ont publié jusqu'ici des chapitres du texte d'Ahoulféda ont-elles décomposé ces tables en imprimant le contenu de chaque bande sous la forme de paragraphes successifs , dont le nom des lieux, leur longitude et latitude, etc., figurent le titre. MM. Reinaud et de Slane, pour ne point détruire les taWes, ni introduire une choquante i né-

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galité de largeur entre les bandes , ont réuni et mis en tête de chaque chapitre les notices marginales qui en dépendaient. A la vérité, ces notices, ainsi reti- rées de leur place primitive , se trouvent séparées des passages qui, dans les tables, se rapportaient aux mêmes sujets; mais cet inconvénient, léger en réalité, est compensé par la régularité typographi- que, et disparaît d'ailleurs , au moyen de l'index joint à l'ouvrage par les éditeurs, et qui relie ensemble tous les passages dans lesquels un mêngie nom est cité. -^^-^ :'f .-'rri^^r/iiîo^î

Cet index, &it avec une attention et une exaeti^ tude scrupuleuses, rendra l'usage de la Géographie d'Aboulféda aussi commode que le serait celui d'un dictionnaire. J'ajouterai, pour compléter la justice^ due au travail de nos savants confrères, que le soin apporté à la correction du texte, à l'indication des variantes , à la vérification des citations empruntées par Aboulféda à des auteurs , dont les écrits origi- naux se trouvent à la Bibliothèque royale , m'a pai^' ne rien laisser à désirer. Cette vérification demandait des recherches nombreuses : aucune bibliothèque de l'Europe ne présentait peut-être à cet égard de plus abondantes ressources que celle de Paris; mais il fal- lait, pour les mettre à profit, un zèle et des connais- sances spéciales qui n'ont point manqué aux éditeurs. Quant à l'exécution typographique, elle est digne de l'Imprimerie royale. Tolqo

Après avoir exposé ainsi le mérite en quelque ^ortf matériel et extérieur de cette pubhcation, il

368 JOURNAL ASIATIQUE.

convient de dire quelques mots du fond même de l'ouvrage.

Le Traité géographique d'Aboulféda est un abrégé fait judicieusement de traités plus anciens , enrichi d'un grand nombre d'observations person- nelles à l'auteur, qui avait vu lui-même la Syrie, l'Egypte, le Hedjâz, et les contrées qui s'étendent au nord de la Syrie, depuis Tarse jusqu'à Césarée de Cappadoce , et depuis Césarée jusqu'à l'Euphrate. Les ouvrages qu'il a mis le plus fréquemment à contribution sont ceux d'Ibn-Haucal et d'Ibn-Saïd , le Kitab elazîzi de Hassan el-Mohallebi, le Lohâb d'Ibn al Athîr, et la Géographie du chérif el-Edricy, bien connue aujourd'hui par la traduction française de M. Amédée Jaubert. Quelquefois, par exemple pour l'Inde, il a fait usage de renseignements que des voyageurs, ses contemporains, lui ont transmis. Aucun autre auteur arabe n'avait entrepris avant lui un travail géographique réunissant, à la des- cription des villes et des pays, la fixation de la pro- nonciation des noms, et l'indication de la position des lieux par les degrés de longitude et de latitude. L'idée de rassembler ces notions éparsos dans des écrits divers dénote un excellent jugement; mais il faut avouer que les positions de lieux marqués dans les tables d'Aboulféda ne sont point déterminées astronomiquement d'une manière assez certaine pour qu'on puisse les adopter avec confiance. Le n^érite principal de ce livre consiste dans des no- tices pleines d'intérêt sur l'état des pays et leurs

OCTOBRE 1840. 369

productions, sur les villes anciennes ou détruites, sur les monuments qui en subsistent, etc., et dans une foule de données historiques relatives soit au temps d'Aboulféda, soit aux temps antérieurs, qui se rencontrent dans ces notices.

Au reste, les personnes étrangères à la connais- sance de la langue arabe pourront bientôt elles- mêmes apprécier cet ouvrage dans la traduction française qu'en prépare M. Reinaud. Je n'ai point essayé de traiter plusieurs questions qui se ratta- chent à la Géographie d'Aboulféda, et dont M. Rei- naud annonce l'intention de s'occuper dans une introduction qui précédera sa traduction; je lui laisse cette tâche qui lui revient de droit, et dont il s'acquittera mieux que je ne saurais le faire.

A. Gaussin de Perceval.

370 JOURNAL ASIATIQUE.

NOUVELLES ET MÉLANGES.

SOCIÉTÉ ASIATIQUE.

Séance du 1 1 septembre 1 84o.

On dépose sur le bureau un exemplaire du Râdjataran- ginî publié par M. Troyer, aux frais de la Société, en 2 vol. in-S". M. Troyer, présent à la séance, reçoit les remercî- ments du conseil pour les soins qu'il a donnés à cet ouvrage. La commission des fonds propose de fixer le prix de cet ou- vrage à 34 francs pour les membres de la Société et à 36 francs pour le public; cette proposition est adoptée.

La même commission propose de fixer à 3o francs pour les membres de la Société et à 5o francs pour le public le prix de l'exemplaire de la Géographie arabe d'Aboulfédat pu- bliée par MM. Reinaud et de Slane, aux frais de la Société, en un volume in-4°. Cette proposition est adoptée.

OUVRAGES OFFERTS A LA SOCIETE.

Séance du 1 1 septembre i84o.

Ambassade en Boutan , journal abrégé du voyage du capitaine Pemberton en 1831 et 38, rédigé par Griffith, accompagné de notes et d'une carte, par Ch. Olloba d'Ochoa; in-8°. Exlr. des Annales des voyages.

Catalogue de la bibliothèque d'Edchmiadzin, publié par M. Brosset, académicien extraordinaire. Saint-Pétersbourg, i84o, in-8'. En français et en russe.

OCTOBRE 1840. 371

Le Koran , traduction nouvelle faite sur le texte arabe par Kasimirski, revue et corrigée, avec une préface par M. G. Pauthier, in-8°. Paris, i84o.

Bulletin de la Société géographique. N°' de juillet et d'août.

2' partie de la Géographie d'Edrisi, publiée par la Société de géographie.

An Account ofthe establishment of the Paternité dynasty in Africa, etc. With introduction and notes, by John Nicholson. Tûbingen, i8do, in-8°, i38 pages.

HHAMMAM MESKHOUTHIN (LES BAINS MAUDITS] .

Hhassan el-Meskhouth vivait , il y a bien des années , dans un lieu situé à deux heures de marche de M'djez el- Hhamar. Il était fds d'un Maure que le Seigneur avait ap-

^ (J?î*î^-=^*^^ r^" Hhammâm meskhouthin ( les Bains maudits) est une source d'eau minérale, ainsi nommée par les Arabes parce que , ne pouvant pas s'expliquer à eux-mêmes les phénomènes qui s'y présentent aux regards, ils ont imaginé la légende donnée ici.

Cette source est située à trois quarts de lieue environ de M'djez el-Hhamar, position militaire qui se trouve sur la route entre Bone et Constantine. Les ruines répandues sur le terrain ne permettent aucun doute sur leurs premiers constructeurs : Hhammâm meskhou- thin était un therme romain. On peut encore reconnaître la roche calcaire conique percée suivant son axe , et de laquelle devait sortir la source principale qui l'alimentait , ainsi que l'aqueduc qui , partant du sommet de cette roche, se développait à l'cntour des bains, par- courait des détours sans doute calculés pour abaisser la tempe'rature de l'eau, qu'il conduisait à un endroit couvert. On y remarque éga- lement un bain public et des bains particuliers, qui n'étaient point couverts, à l'exception d'un seul qui l'est encore par une voûte de moeiloos, soutenus par une chaîne en pierres de taille. Une cons- iructioo restée presque tout entière debout paraît avoir servir m même temps à la défense de l'établissement et aux logements des

372 JOURNAL ASIATIQUE.

pelé à lui au moment se sont passées les choses que nous allons raconter. Sa mère, d'origine turque, après le décès de son mari, était allée voir ses parents à Stamboul avec sa jeune fdle, sœur de Hhassan. El-Meskhouth était ainsi nommé à cause de sa mauvaise conduite, sujet de scandale pour tout le monde. Immensément riche , il n'employait ses trésors que pour faire le mal. Les habitants de la contrée le redoutaient d'autant plus, qu'avec son or il soldait une bande de méchants dont il était sans cesse entouré, et qui

employés. On y retrouve aussi des restes de bâtiments qui, par leurs dispositions intérieures, donnent à penser qu'ils pouvaient être em- ployés aux différentes dépendances d'un poste aussi important. Les fouilles qu'on doit entreprendre dans cet endroit feront probable- ment découvrir quelques inscriptions ou quelques médailles, qui indiqueront le nom que portait ce therme et Tépoque de sa fonda- tion. Hhammâm meskhoutbîn est situé sur une montagne dont les courbes sont interrompues de temps en temps par des lignes hori- zontales : la réunion de ces lignes donne naissance à divers plateaux; et c'est sur le plus bas de ces plateaux que l'ancien therme se trouve. Ses eaux ont une température moyenne de 76° Réaumur, lorsque l'orifice par lequel elles sortent est ouvert depuis quelque temps ; quand il est nouveau, elles y arrivent en bouillonnant à 80°. Quoique non encore analysées, on a reconnu qu'elles tiennent en dissolution certains sulfureux; elles renferment aussi, dissous dans l'acide car- bonique, de la chaux et du fer carbonates. Elles dégagent un peu d'hydrogène sulfuré. En coulant à la surface du sol, ces eaux ont formé des roches calcaires dont le principe de formation est unique, mais qui se sont présentées sous trois aspects : masses coniques isolées de différentes hauteurs, ayant pour bases des courbes de formes différentes; une roche d'environ 5oo mètres de longueur, 10 de hauteur et 4o de largeur à la base; une véritable cascade solidifiée de 3o mètres à peu près de hauteur sur 60 de largeur. Toutes ces roches sont formées par les sédiments et concrétions que les eaux sont obligées de déposer en se vaporisant, quand leur tem- pérature s'abaisse et qu'elles laissent dégager l'acide carbonique qu'elles contiennent. On remarque , dans les roches en formation , que les parties les plus voisines des orifices sont d'un blanc de neige , parfaitement homogènes et composées de chaux carbonatée pure;

OCTOBRE 1840. 373

auraient massacré leurs pères et mères même, si leur maître en eût donné l'ordre.

Bientôt sa mère mourut à Stamboul ; et les parents chez lesquels elle était, ignorant la scélératesse de Hhassan, lui renvoyèrent sa sœur, alors âgée de quatorze ans, jolie comme une rose fraîchement épanouie , et douée des plus belles qua- lités du cœur et de l'esprit.

plus loin elles sont grises , et enfin légèrement colorées de rouge aux extrémités.

Le plateau, sur lequel on voit sourdre les eaux de tous côtés, est terminé, au nord et à Touest, par un escarpement de roc de 20 à 3o mètres de hauteur, au pied duquel coule un ruisseau d'eau froide {loyiàf<>>9 àîj oued meskhouih) , qui, primitivement, devait couler dans une direction un peu oblique à celle de la roche en for- mation, mais qui, peu à peu, a été rejeté vers sa rive gauche par les concrétions qui se formaient dans son lit. Il coule aujourd'hui du sud au nord , parallèlement à cette roche, et, arrivé à l'endroit elle n'est encore qu'en formation, coule de nouveau du nord au sud pour aller reprendre son cours de l'ouest à l'est.

Entre Hhammâm meskhouthîn et M'djez el-Hhamar, sur la rive gauche de la Seybouz et en suivant les crêtes, on rencontre deux systèmes de roches nues, identiques de forme, de structure et de composition avec celles dont il est ici question. Nul doute qu'elles n'aient été produites par la même cause et de la même manière; mais à présent les eaux ne s'y montrent plus. Ce fait donne à penser que le point par où, dans le principe, les eaux sortaient, a été dé- placé. A une demi-lieue de Hhammâm, on voit les restes d'un autre therme qui a être assez considérable.

On retrouve les mêmes roches jusqu'à la hauteur de Maounah , point situé entre M'djez el-Hhamar et Guelma; cela fait une étendue de plus de quatre lieues.

On prétend que certaines de ces roches datent de plus de deux milleans. (D'G".)

Les Arabes, qui ont appelé ce lieu les Bains maudits, ont aussi donné un nom semblable au^éros de la légende, qu'ils nomment t>ji-sô*vJLl (^4M,A- Hhassan el-meskhouth , Hhassan le maudit; au moins cela est assez probable , quoiqu'ils disent que c'est sa mauvaise conduite qui l'a fe^it surnommer ainsi.

374 JOURNAL ASIATIQUE.

Mais les talents et les vertus de la jeune fille ne lirenl au- cune impl'cssion sur l'esprit farouche de son frère , incapable de les apprécier : Hhassan ne remarqua que son incomj)a- rable beauté ; et , loin de chercher à étouffer le feu de la cri- minelle passion qui s'allumait dans son cœur, il mit tout en ODuvre pour la faire partager à la charmante Yamina. Celle- ci, révoltée des abominables tentatives de son frère, ne vou- lut point y répondre , et le Qoroughly \ pour vaincre ses scrupules , l'enferma dans le château fort dont on voit encore aujourd'hui les ruines. Il lui déclara qu'elle n'en sortirait que lorsqu'elle aurait consenti à se marier avec lui ; que d'ici elle ne recevrait que du pain et de l'eau pour nourriture , et qu'elle devait se bien persuader que rien ne pourrait changer sa résolution.

Yamiina résista pendant plus de deux ans : mais, convain- cue que son méchant frère ne reviendrait pas à de meilleurs sentiments, et affaiblie d'ailleurs par les mauvais traitements dont elle était victime, elle se soumit enfin à ce qu'il vou- lait. Transporté de joie, Hhassan fit immédiatement les pré- paratifs de la cérémonie nuptiale. Le qâdhi et le moufli ',

, :■ •: y '. ^. rry tio ,i..ï . ■■: .:'

■' ' '^JL^3«3 Qôfoughly. fils d'unTurc et d'une Mauresque, ou d'un

Maure et d'une fename turque.

* Le moujli (JjJl*, chef de la religion , pourrait être comparé à nos évêques si les musulmans avaient un pape. Dans toutes les villes un peu considérables , il y a un moufti , sous l'autorité duquel sont placés des imams, prêtres desservant des mosquées.

Il a la haute main en matière de religion , et ne relève d'aucune autre autorité spirituelle (je parle du Maghreb). Pour tout ce qui regarde le temporel, il est soumis aux beys, amirs, pachas, etc. , ou tous autres qui gouvernent la localité.

Dans certains endroits, il est élu, sous l'approbation du prince, par les imams ; dans d'autres, c'est le chef de l'État qui le chobit à son gré parmi les prêtres.

C'est toujours à la grande mosquée, qui remplace notre église cathédrale , que le moufti prêche ou remplit les devoirs de son mi- nistère.

Le moufti, dans presque tous les lieux il y a un homme revêtu

OCTOBRE 1840. 375

appelés par lui, refusèrent d'abord d'entendre parler de cette union sacrilège; ils lui représentèrent que c'était une action condamnable aux yeux de Dieu et des hommes , que les lois s'y opposaient et qu'il ne fallait point y songer. Bientôt, vaincus par l'or qu'il leur prodigua et effrayés par ses me- naces de les faire périr dans les plus affreux supplices s'ils ne se rendaient point à ses désirs, ils se déterminèrent à passer outre. On procéda à la célébration.

Les prêtres et les magistrats vinrent de grand matin au palais d'el-Meskhouth pour dresser l'acte, unir les deux époux et prendre part aux réjouissances. Les gens des envi- rons y accoururent aussi, parce que le Qorougbly avait fait publier qu'il conviait tout le monde. Les instruments com- mencèrent à jouer ; les esclaves allumèrent d'immenses feux sur lesquels ils suspendirent des chaudières énormes , afin de préparer le couscoussou et le mhemsah ^ qui devaient être distribués indistinctement à tous ceux qui viendraient en demander, invités ou non, attirés par l'odeur des mets ou par les sons de la musique et la voix des chanteurs *.

de cette dignité, fait partie du diouân /j|»Ji , conseil d'Etat, 'tri- bunal supérieur, etc.

^ Plats nationaux qui se composent de petites boulettes roulées dans les doigts, et faites avec une pâte de semoule. On y ajoute du piment, du mouton haché, des tomates, des poules, etc. Les bou- lettes du couscoussou sont très-petites; celles du m'hemsah sont de la grosseur d'un pois. '

* La légende ne donne ici que des détails fort incomplets sur les cérémonies nuptiales des Maures. Je vais remplir cette lacune, en retraçant succinctement les faits qui s'accomplissent en cette circons- tance, faits qui sont encore à peu près inconnus des Européens, que les indigènes tiennent éloignés de leur intérieur avec beaucoup de soin, j

Lorsqu'un homme veut se marier, il prie une de ses parentes d'al- ler voir sa future et de prendre toutes les informations possibles sur elle. Si le rapport est favorable, il en fait la demande formelle au père, qui lui donne un rendez-vous, le futur se trouve accom- pagné d'un de ses parents ou amis qui lui sert de témoin. se débat

376 JOURNAL ASIATIQUE.

Bientôt les danseuses arrivèrent : elles commencèrent leurs pas cadencés et leurs poses voluptueuses, qui réjouissaient

Tarticle important de la dot , qui consiste ordinairement en efiets , auxquels on joint un peu d'argent. Avant de se séparer, le jeune homme donne à son beau-père futur, comme arrhes du marché, une bague destinée à sa fiancée.

Quand on est d'accord , les parents des deux côtés se rendent à la mosquée, se trouvent deux âdouls ( J^tXfi, conseiller du qâdhi] que Ion a avertis. Le témoin de la future leur dit : J'accorde ma fille. Le témoin du futur dit à son tour : Je l'accepte. Aussitôt après ce consentement mutuel et authentique, les articles du contrat sont lus et acceptés; si la bague n'a point encore été donnée, on la donne, et les âdouls terminent en prononçant une espèce de sermon; puis on se sépare.

A peine sorti de la mosquée , le fiancé est obligé d'envoyer à sa prétendue des bijoux, des robes, du henné (matière qui sert à teindre les ongles, les paumes des mains et les plantes des pieds en rouge) , ou tous autres objets qu'il croit devoir lui être agréables, et auxquels il joint des aliments non préparés. En réponse à cet envoi , la fiancée lui adresse, dans les plats d'étain qui ont servi aux pré- sents, des mets qu'elle a préparés elle-même, et qui doivent être servis dans un festin que font tous les parents.

Le jour fixé pour la cérémonie, toutes les amies des contractants se réunissent dès le matin dans la maison qui doit servir de demeure à ces derniers. Les danseuses (personnages indispensables de toutes fêtes de ce genre) se livrent dans la cour, convertie pour cette occa- sion en salle de bal, aux figures les plus voluptueuses et même les plus obscènes, aux sons d'une musique et d'un chant, tantôt graves et lents , tantôt vifs et en rapport avec leurs poses lubriques , mais toujours d'une cadence uniforme. Pendant ce temps, la fiancée, parée et chargée de bijoux , reste gravement assise entre deux ma- trones richement vêtues; elle ne doit pas bouger de sa place jusqu^à la fin^de la fête.

Quand arrive la nuit, le futur entre dans la chambre nuptiale, il trouve le témoin de sa fiancée, qui vient bientôt elle-même les rejoindre précédée des danseuses : celles-ci s'arrêtent sur le seuil. Le mari va au-devant d'elle, pose son pied sur le sien, et la fait asseoir à côté de lui. Alors, la femme qui remplit les fonctions de coiifeuse (*4sw«i>^) ei>tre , portant un flacon de fleur d'oranger; elle

OCTOBRE 1840. 377

les yeux des assistants. L'une d'elles cessa cet exercice peu après pour chanter les vers suivants, tandis que ses com- pagnes dansaient en mesure :

en verse quelques gouttes dans le creux des mains de la mariée, qui offre le breuvage à son époux en l'invitant à le boire ; mais , lorsqu'il va pour y porter les lèvres, elle écarte ses mains et le liquide tombe. La même chose se répète par l'époux , qui attrape la mariée de la même manière.

Alors, les femmes invitées (qui ont gardé leurs voiles depuis le commencement de la jfête ) viennent procéder au déshabillé de la mariée , qu'elles conduisent à la couche préparée avec le plus grand luxe. Enfin , on laisse les époux seuls : ils se voient à visage découvert pour la première fois.

La fête continue toute la nuit. Le lendemain matin, le marié sort pour se rendre au bain (ce qoi est indispensable); toutes les femmes se pressent sur son passage. Les mots à double entente, les plaisanteries , retentissent à ses oreilles; pour s'y soustraire plus vite, il jette aux pieds de ceux qui l'obsèdent la preuve muette et palpable de sa puissance.

Le mariage est consommé; chacun se retire, la fête est finie.

Nous ne terminerons pas cette note sans donner un aperçu des usages et coutumes (qui ont force de loi) qui régissent le mariage chez les musulmans.

Le mariage est valable, qu'il soit contracté devant le qâdhi ou simplement en présence de témoins (ce qui se fait quelquefois), sans l'assistance de ce magistrat.

2* Le mariage peut être rompu.

3" La fille est forcée de recevoir l'époux qu'il plaît à son père de lui imposer; mais celle qui n'a plus ni père ni mère ne peut être contrainte d'aucune manière dans son choix.

4" L'homme peut avoir légalement quatre femmes à la fois. Quand un homme a plusieurs femmes, il est forcé par la loi (que les femmes peuvent invoquer dans ce cas) de remplir les devoirs conjugaux avec chacune d'elles à tour de rôle. Si un homme avait des préférences pour une de ses femmes, et que les autres s'en plaignissent au qâdhi, juge de ces différends, celui-ci condamnerait le délinquant à agir plus maritalement avec chacune d'elles.

L'époux a le droit de frapper sa femme : si elle sort de la maison sans sa permission ; si elle ne se soiuuet pas à ses désirs; si elle ne

378 JOURNAL ASIATIQUE.

Que tou matin soit heureux ,

Toi dont ia main couvre mes yeux !

Tes cils font l'effet de la poudre ;

Ton œil est semblable à la foudre.

Ta joue ressemble à la rose de Turquie ;

Ta taille semble être un beau kcmari.

Ta jolie bouche est un anneau d*or ;

Celui qui l'a touchée veut la toucher encor.

Lorsque je te voii, que j'entends ta voix, je suis aux abois.

Ton signe noir fait mon désespoir, quand je l'admire le soir.

Etoile du rnaùn, heureux augvav, quand on te rencontre en chemin,

Ta chevelure, tu places \ejasrmn, à ton visage sert de bordure '.

Mais Dieu , qui ne voulait pas qu'un crime semblable se

veut point faire la prière; si elle laisse voir son visage à des étran- gers , etc. , etc.

6" Les deux parties peuvent demander le divorce. L'époux peut répudier sa femme le lendemain même de son mariage, et sans dé- cliner les raisons qui le font agir. Quant à la femme, il lui faut de nombreux témoins qui attestent de bien grands sévices , pour que l'homme de loi prononce la séparation.

L'homme peut répudier et reprendre la même femme jusqu'à trois fois; mais, entre chacune de ces séparations et de ces reprises, il doit s'être écoulé trois époques menstruelles.

8' S'il n'y a pas de dotation par acte exprès , la femme divorcée reprend tout ce qu'elle avait apporté dans la communauté; elle emmène avec elle les enfants provenus de l'union: cependant, si les deux parties sont d'accord , l'époux peut les garder.

Les époux divorcés sont libres : ils deviennent étrangers l'un pour l'autre. La femme et le mari peuvent se marier à d'autres, chacun de son côté.

^ Pour donner une idée de la versification des Arabes, j'ai tâché de reproduire eu français quelques métaphores et jeux de mots dont les poètes se servent habituellement dans leurs compositions. Leurs ghazals {Jiy^) et leurs qaçidas ( ff«Xjuâï) en fourmillent. Il existe aussi, chez les peuples de l'Orient et du Maghreb, un genre de prose poétique l'on retrouve à chaque instant des mots de même con- sonnance, bien qu'ils présentent un sens différent. Mais, mon but n'étant point de m'étendre à ce sujet, je renvoie le lecteur aux sa- vantes et judicieuses observations consignées par M. Grangeret de Lagrange dans son Anthologie arabe.

OCTOBRE 1840. 379

consommât , Dieu tourna sa face vers eux , au moment la fête était dans son plus bel éclat. Irrité , il fit gronder son tonnerre et punit, non-seulement les époux, mais encore tous ceux qui avaient participé, ne fût-ce que par leur présence , à cet hymen réprouvé. Il les foudroya donc d& sa malédiction. Les conjoints, les prêtres, le qâdhi, les dan- seuses, les principaux acteurs furent en un clin d'œil changés en pierres, dans la position même ils se trouvaient : ce sont eux que Ton voit encore , de nos jours , répandus à la surface des Bains maudits , sous les formes les plus irrégu- lières. A ce spectacle inattendu , la foule des esclaves et des conviés s'enfuit éperdue ; elle s'élance en désordre au dehors

de la maison maudite Le doigt du Seigneur la poursuit,

l'atteint ; tout est changé en pierres , en pierres que l'on dis- lingue toujours, traversant, comme un sentier, les flots de la Rivière maudite, laquelle fut nommée ainsi par suite de l'aventure qui se passa le long de sa rive. Les chaudières elles-mêmes qui avaient servi aux apprêts du festin, furent condamnées à bouillir éternellement : c'est l'eau qu'elles con- tiennent que nous entendons frémir sous nos pas ; c'est cette eau qui dégage les vapeurs que nous voyons s'élever du sol ; c'est le feu infernal qui la chauffe qui occasionne l'odeur de soufre dont notre odorat est frappé lorsque nous approchons de cet endroit.

Toutes ces choses nous préviennent que nous encourrons aussi la colère du Très-Haut si nous faisons usage de ces eaux qui s'échappent en gémissant des lieux il a manifesté sa puissance et sa colère, des eaux des Bains maudits.

( Extrait d'un ouvrage inédit et intitulé : Contes et Traditions du Mayhreb. )

380 JOURNAL ASIATIQUE.

ÔIBLIOGRAPHIE.

Note sur le Dictionnaire hexaglotte de la géographie de l'Asie centrale, intitulé : Si-jv-thong-wen-tchi S^ J^ 1^ , 24 livres en 8 cahiers in-S".

'^ •£* * 24 livres en 8 cahiers in-S".

La préface ne donne aucun détail sur les auteurs de cet important ouvrage ni sur la manière dont il a été composé. Le catalogue de la bibliothèque de Kien-long nous apprend qu'en 1763 cet empereur en confia la rédaction à Fou- heng, etc. , afin de faire connaître les noms exacts des pays , des montagnes, des rivières et des personnages remar- quables des contrées qu'il avait soumises , en totalité ou en partie, en 1765, et de faciliter les rapports des Chinois avec les diverses peuplades de Thicn-chan-pé-lou (les Dzoungars, les Kirghis et les Torgots), de Thien-chan-nân-lou (petite Boukharie), du Khoukhounoor et du Thibet.

Ces noms sont donnés: l'en tarlare mandchou ; en chi- nois , avec leur étymologie qui est souvent suivie de détails historiques et géographiques; en caractères mongols; à" en thibétain ; en œlet ou kalmouk; en turc oriental.

Cet ouvrage a été rédigé par une réunion de savants pos- sédant les six langues citées plus haut et bien versés dans la géographie et l'histoire de l'Asie. Indépendamment des notions intéressantes qu'il ofire sous ce double rapport, il pourrait fournir les matériaux nécessaires pour composer un tableau complet des caractères de convention adoptés par les Chinois dans la transcription des mots étrangers. Ce tra- vail ferait disparaître une des plus grandes difficultés que

OCTOBRE 1840. 381

présentent les relations de voyages et les notices historiques et géographiques composées en chinois.

Jusqu'à présent on ne connaissait en Europe qu'un seul exemplaire de cet ouvrage important. C'était celui du baron Schilling de Canstadt, dont M. Klaproth a pu faire usage, et d'où il a tiré une foule de renseignements précieux pour la connaissance de la géographie et des divers idiomes de l'Asie centrale.

Je dois la communication de l'exemplaire que j'ai entre les mains à l'obligeance de M. Robert Morrison , qui a bien voulu me l'envoyer de la Chine. Je me propose de le traduire et de le publier en entier, en l'accompagnant d'une table alphabétique de tous les noms de lieux, de personnes et de

choses qui y sont cités ou expliqués.

, .

Stanislas Julien , de rinstitut.

Rough notes on the campaign in Sinde and Afghanistan in 1838-39, hy major James Outram. Bombay, i SliO ; et réim- primé à Londres chez Richardson. 12° p. 260.

Le major Outram est un des ofliciers qui se sont le plus distingués dans la guerre contre les Afghans ; il raconte jour par jour ce qu'il fait et ce qui se^passe sous ses yeux. Ce livre est précisément ce qu'il prétend être, le journal d'un soldat; il ne contient point de recherches scientifiques, mais il n'est pas sans importance pour la géographie : le style est simple et très-convenable. L'auteur a suivi quelques routes entière- ment nouvelles ; il a traversé le Hindokousch jusqu'à Bamian , les montagnes des Ghilzis, entre Kaboul et Randahar, et le Beloudchistan , de Rhelat à Sonmeang.

382 JOUBNAL ASIATIQUE.

Narrative of a Tour irough Armenia, Kurdistan, Persia and Mesopotamia, hy Horatio Southgate. Londres, i84o, 3 vol. in-S*.

L*auleur est un missionnaire américain qui a voyagé dans le Levant en 1 836-37. C'est un homme de sens , qui a cher- ché à bien observer les mœurs des nations musulmanes. Il raconte un peu longuement , mais avec simplicité et avec le désir évident de ne dire que ce qu'il a vu. Sa roule l'a con- duit à Erzeroum, Mousch, Van, Ouroumiah, Tauris, Téhé- ran, Hamadan , Bagdad , Mosoul et Mardin. Il ne s'occupe'' pas d'antiquités , mais uniquement de l'état moral de ces pays et de la position des chrétiens d'Orient. Ce qui lui fait parti- culièrement honneur, c'est qu'il ne s'est pas cru obligé de présenter un plan pour la régénération de l'Orient.

An Account of the establishment ofthe Fatimite dynasty in Afri- ca, by John Nicholson. Tùbingen, i84o ; in-8°, i38 pag.

Ce livre est la traduction d'un fragment considérable d'un manuscrit arabe de la bibliothèque de Golha , qui a été attri- bué à Masoudi, mais, selon notre auteur, à tort. M. Nichol- son a choisi la partie qui traite des années 290-800 de l'hé- gire. Il fait précéder sa traduction d'une introduction dans laquelle il expose d'une manière fort claire et fort intelligente la position dans laquelle se trouvaient alors les deux grands partis musulmans et dont se servirent les Alides pour fonder un empire en Afrique. Tout le monde connaît la manière dont M. de Sacy, dans son Exposé de la religion des Druses, et M. Quairemère, dans le Journal asiatique, ont traité le même sujet; et on lira avec d'autant plus d'intérêt les renseigne- ments nouveaux que publie M. Nicholson, qu'il a accompagné

OCTOBRE 1840. 383

sa traduction d'un commentaire utile, dans lequel il discute avec savoir et mesure les questions qui se rattachent à son texte.

M. Noél Desvergers fait imprimer, en ce moment, l'His- toire de la dynastie africaine des Aglabites, extraite du grand ouvrage d'Ibn-Khaldoun. Le texte arabe^t la traduction fran- çaise sont accompagnés de notes et d'éclaircissements.

M. Freytag , professeur à l'université de Bonn , vient de terminer le manuscrit du troisième et dernier volume de son Recueil des proverbes arabes.

M. Weil, bibliothécaire à Heidelberg, prépare une nou- velle Histoire de Mahomet, en allemand, composée d'après quelques manuscrits arabes inédits de la bibliothèque de Gotha.

M. WuUers , professeur de langues orientales à Giessen , se propose de mettre sous presse, après la publication de la 2* et dernière partie de sa Grammaire persane , un nouveau Dictionnaire persan, plus complet que ceux qui ont paru jusqu'ici.

L'édition du Kitâb-alaghâni que prépare M. Kosegarten , et dont la i'* livraison a été annoncée dans le cahier précé- dent , porte en tête une dissertation sur la musique arabe et les termes de musique. L'auteur s'est servi particulièrement

38a

JOURNAL ASIATIQUE.

d'un traité d'Alfarâby, qui expose le système de musique des anciens Arabes. Déjà M. Villoleau avait inséré dans le grand ouvrage sur l'Egypte une dissertation étendue sur la musique moderne des Arabes d'Egypte; il y parle aussi des traités de musique qui se trouvent à la Bibliothèque royale de Paris : mais ces traités roulent principalement sur le système mu- sical des Persans, et M. Villoteau n'a pas suffisamment établi la différence qui exûte entre la musique de ce peuple et celle des Arabes. La 2* livhiison de l'édition de M. Kosegarlen est sur le point de paraître.

JOURNAL ASIATIQUE.

NOVEMBRE 1840.

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LETTRES

Sur quelques points de la numismatique arabe. A M. REINAUD,

Membre de l'Institut royal de France.

Monsieur, Lorsqu'un fait historique nouveau vient se placer de vive force en dehors du cadre qui jusqu alors avait compris tous les faits du même ordre, celui qui a le bonheur de le divulguer court, par com- pensation, le risque de voir révoquer en doute la petite découverte qu'il regarde comme sa pro- priété. Je savais que je m'exposais à cette, triste chance en publiant une monnaie latine de Musa- ben-Nasir; aussi n'ai-je point été surpris d'entendre attribuer au hasard seul les combinaisons de lettres qui m'avaient fourni la curieuse légende que j'ai

X. 25

.^86 JOURNAL ASIATIQUE.

interprétée et appliquée, je le crois, d'une manière convenable.

Le parti que j'avais à prendre dès lors était de rechercher avec ardeur des arguments' favorables à mon système, et ces arguments, je ne devais les attendre que des monuments eux-mêmes. J'ai donc mis à contribution les cabinets publics et privés, et j'ai pu recueillir les types d'une série de pièces analogues à la monnaie indubitable de Musa-ben- Nasir. Cette fois comme toujours, l'amitié du jeune et savant explorateur de la numismatique sassa- nide, M. Adrien de Longpérier, m'est venue en aide; et, grâce à ses secours, je suis en mesure aujourd'hui de prouver que je ne me suis pas trompé, que je n'ai pas été le jouet d'une illusion.

J'ai maintenant le droit d'affirmer que les Arabes, non-seulement à leur arrivée dans la Mauritanie, qu'ils venaient de conquérir, mais encore pendant un certain nombre d'années, ont frappé des mon- naies qu'ils munissaient de types byzantins et de légendes conçues en langue latine , pour leur don- ner plus facilement cours au milieu des popula- tions chrétiennes auxquelles ils venaient imposer le joug de l'islamisme. On ne fait pas subir bruta- lement en un jour à des peuples, même vaincus, des mœurs , des lois , une langue étrangères ; il faut des années pour qu'un changement aussi compliqué s'accomplisse; car, dans ce cas aussi, le progrès, pour être sûr et durable, doit être lent et graduel. Le fait numismatique que j'ai mis au jour prouve

NOVEMBRE 1840. 387

simplement que les Arabes étaient bien pénétrés de la vérité de cette immuable loi, qui régit tous les phénomènes physiques et moraux.

Toutefois, Monsieur, je me hâte de déclarer hau- tement mon insuffisance, et de confesser l'impos- sibilité absolue dans laquelle je me trouve d'expli- quer toutes les légendes des monnaies dont je viens vous entretenir. Gela tient à ce que ces légendes sont entachées d'une barbarie extrême, dans la forme comme dans le fond; presque toujours elles sont illisibles, et néanmoins elles se laissent assez comprendre pour permettre d'atteindre le but in- téressant que je me suis proposé; c'est-à-dire que leur analyse, tout incomplète qu'elle est, suffit pour constater irréfragablement les faits historiques que j'énonçais à l'instant.

Prétendre tout éclaircir, en numismatique comme dans la plupart des études humaines, c'est folie: l'on doit donc s'estimer heureux quand le peu que l'on parvient à expliquer établit des vérités qui se rattachent pour toujours au domaine de la science. A ce compte, je suis loin d'avoir à me plaindre; car le fait que je n'avais qu'entrevu demeurera désormais acquis et à l'abri de toute controverse. D'autres , plus habiles que moi , interpréteront peut- être ce que je n'aurai pas compris; personne, j'en ai l'intime conviction , ne pourra prouver que j'ai commis une erreur radicale.

Dans ma troisième lettre. Monsieur, j'ai cru de- voir vous rappeler brièvement l'histoire de l'éléva-

25.

388 JOURNAL ASIATIQUE.

tion et (le la chute de Musa-ben-Nasir, le conquérant de l'Afrique, de l'Espagne, de la Corse, de la Sar- daigne : je me dispenserai donc de vous reparler de ces faits, que vous possédez d'ailleurs beaucoup mieux que moi-même, et je me contenterai d'ins- crire ici quelques dates qu'il est indispensable de ne pas perdre de vue.

En 83 de l'hégire (702 de J. G.), Musa avait reçu le titre pompeux d'Emir-el-Moghreb. En 96 (février 71 5), il rentrait à Damas, il était ap- pelé par le khalife Ouaiid-ben-Abd-el-Malek, pour rendre compte de sa conduite en Espagne, et pour se disculper des griefs élevés contre lui par son rival de gloire Tharik-ben-Zyad.

En quittant l'Espagne et l'Afrique, Musa avait ' investi trois de ses fds du gouvernement des pro- vinces nouvellement conquises. Abdou'1-Aziz restait à Séville, il épousait Egilone, veuve de Roderic, le dernier roi des Wisigoths; il était gouverneur d'El-Andaios. Abdou'l-Aâla prenait le titre d'Emir- el-Moghreb et résidait à Tanger; enfin Merouan régissait la province de Caïroan.

Nous avons vu avec quelle barbarie le khalife Suleïman punit la désobéissance de Musa; les trois fils de cet infortuné furent enveloppés dans l'im- placable vengeance de Suleïman , et des émissaires chargés de les mettre à mort partirent de Damas en 97. Abdou'1-Aziz fut assassiné pendant qu'il ré- citait sa prière, et son cousin Ayoub, le fondateur de Calatayud, dont le véritable nom fut d'abord

NOVEMBRE 1840. 389

Calaat Ayouh, reçut la dignité d'émir, qu'il conserva jusqu'à l'avènement du khalife Omar II, c'est-à-dire jusqu'en 99 de l'hégire (vers décembre 7 1 7). Ayoub fut alors dépouillé de ses honneurs et de son titre , parce qu'il avait le malheur d'être neveu de l'illustre proscrit Musa-hen-Nasir.

Quant aux deux autres fds de Musa , qui s'étaient partagé le gouvernement de l'Afrique , ils succom- bèrent vraisemblablement sous les coups du hai- neux Suleïman à la même époque que leur frère Abdou'1-Aziz. Toutefois j'ignore les détails de leur chute.

Musa mourut de désespoir en Arabie, dans le courant de l'année 98.

De tout ce qui précède résulte évidemment la nécessité d'attribuer à d'autres émirs que ceux du sang de Musa toute monnaie qui porterait une date postérieure à l'année 97 de l'hégire.

Vous vous rappelez , Monsieur, que la pièce qui fait le sujet de ma troisième lettre présente les types suivants :

I.NOMENODN....OS. Deux têtes semblables à celles des monnaies de cuivre d'Héraclius, en so- ciété avec son fils Héraclius-Constantin, sauf que les diadènies des deux effigies sont surmontés d'une gerbe de pierreries au lieu d'une croix.

IV. MySEFNASIRAMIRA. Espèce de croix pla- cée sur des degrés, et dont la tête est supprimée.

Cuivre. Fig. 1 . Mon cabinet.

Je présumais que la légende du droit devait être

390 JOURNAL ASIATIQUE.

l'analogue de la formule (j^-^î i*>^ Vj*^ ^' ^% ^J qui se lit sur des felous arabes contemporains, et qui se termine ordinairement par une date ou un nom de ville : j'avais deviné juste; la pièce que je vais actuellement décrire, et dont j'ai la con- naissance à notre ami A. de Longpérier, vient lever tous les doutes à cet égard.

Mêmes types. Les légendes sont : du côté de la figure qui a remplacé la croix des espèces byzan- tines, INNANHVSSITMVSEAMIRA; du côté des deux effigies, NVMINTRIPOF AN...VXVNI.

Cuivre. Fig. 2. Cabinet du Roi.

La double légende de cette pièce me paraît de- voir se lire de la manière suivante :

IN Nomine DomiNI IVSSIT MVSE AMIR Africae NVMum INTRIPOLi [cvài sous-entendu) ANno.... VX DomiNL

Quant à la date, elle est ti^ès-probablement com- prise entre les années 90-96 de l'hégire. Comment cette année est-elle appelée annus Domini? il faut, pour expliquer cette étrange qualification, admettre un lapsus styli du graveur, qui, sans aucun doute, était chrétien et ne songeait pas que des formules religieuses bonnes pour ses coreligionnaires, ne pouvaient convenir à des musulmans.

Quoi qu'il en soit, les légendes de cette pièce offrent un sens indubitable , et l'on aurait mauvaise grâce à ne vouloir reconnaître cette fois encore qu'im simple jeu du hasard dans l'arrangement des lettres.

NOVEMBRE 1840. 391

Une troisième pièce de cuivre de la même classe se trouve dans le riche cabinet de M. le mar- quis de Lagoy, qui a bien voulu me la communi- quer avec son obligeance accoutumée. Malheureu- sement, cette pièce ne présente que des légendes incomplètes, ainsi qu'on en pourra juger par la fi- gure fidèle que j'en donne, fig. 3.

Je lis d'un côté ...SFVS IN NOMINO (sic) TV.... et je serais tenté de voir dans le mot FVS la trans- cription maladroite du mot arabe (jwwX». Dans l'autre légende, je ne vois que le mot MVSI, et encore douté-je un peu de cette lecture.

Voulant cette fois réunir sur une seule planche toutes les monnaies à moi connues, qui rentrent dans la classe des espèces latines frappées en Afrique par les musulmans, je donne ici la figure de la jo- lie pièce d'or que je n'avais que mentionnée dans ma troisième lettre, et dont les types ont été mal- heureusement imprimés assez excentriquement pour qu'il ne soit pas possible d'apprécier convenable- ment les légendes. Voici la description de cette monnaie :

Croix sans tête, sur deux degrés; GVSETA-

NrVS Peut-être ceci doit-il se lire : GVSus Est

TANgeriae IVSsu, etc.

ï^. Deux effigies, comme sur les pièces de cuivre. lEMOVSI.P....

Or. Fig. 4. Mon cabinet.

Je crois voir ici une monnaie frappée à Tanger par Tordre de l'émir Musa -, les mêmes types exis-

392 JOURNAL ASIATIQUE.

tent indubitablement à Tripoli; si donc on pouvait constater leur emploi h Caïroan-Afrikia , il n'y aurait plus de doutes à conserver sur l'uniformité des types adoptés par Musa-ben-Nasir dans les villes monétaires de la vaste province soumise à ses lois. Jusqu'ici, malheureusement, aucune des pièces de cette classe frappées à Caïroan ne porte la double effigie des monnaies héracliennes.

La pièce suivante se rapproche beaucoup de celle dont je viens de parler; elle est également d'or, comme toutes celles qui me restent à dé- crire.

Même type que sur les pièces de cuivre de l'émir El-Naâm, de l'année 80 de l'hégire; dans le champ, n : la légende est INNO...NETVObSO. Je lis bien IN NOmiNE TVO. mais j'ignore ce que veulent dire les trois dernières lettres.

IV. Les deux têtes ordinaires dés monnaies de Musa. La légende, étant rognée sur presque toute sa longueur, se prêterait fort difficilement à une explication que j'aime mieux ne pas tenter.

Or. Fig. 5. Cabinet du Roi.

J'aiTÎve actuellement aux pièces qui ont été monnayées k Caïroan.

Même type au droit que sur la pièce précédente, mais avec la légende INNDNINozMaaIaMOa.

I^. Dans le champ, une légende horizontale que je ne déchiffi'e pas , et que la figure reproduit fidè- lement; en légende circulaire, epiOFRriNAFRK- ANXCV.

NOVEMBRE 1840. 395

Or. Fig. 6. Cabinet du Roi.

Quel est le sens de ces deux légendes ? La pre- mière se lit en entier, suivant moi : IN Nomine DomiNI NoS MiSSI SuMOS {sic)K La seconde offre probablement un nom propre caché sous les trois premières lettres, qui sont de forme peu cer- taine; elle donne du reste FeRiT IN AFRiKiâ

ANno XCV. Cette pièce est donc certainement fa- briquée à Caïroan.

La suiA^ante sort du même atelier monétaire, ainsi qiie le prouvent ses légendes. Au droit, on lit dans le champ : GÎNO IIII, et, autour de la pièce, INNDNT...SLFRINAFR.

Le revers porte, dans le champ, MINNO, et, en légende circulaire: MAEMSR..SETIRNSOS.

Or. Fig. 7. Cabinet du Roi.

Je lis au droit : IN Nomine DomiNI.... SL FeRit IN AFRikiâ, et dans le champ, la date CentesIMO ïîn (quarto); mais je renonce prudemment à cher- cher l'explication des légendes du revers. Toutefois je présume que le mot placé dans le champ doit se lire anno.

Cette jolie pièce d'or est très-épaisse, ainsi que la suivante, dont fexislence est sans contredit le meilleur de tous les arguments que i'on puisse pré- senter en faveur de fattribution des pièces en ques- tion aux musulmans. Il serait difficile, cette fois, de révoquer en doute femploi de la langue latine

' L'emploi d'un 0 dans le mot suifuis na rien qui doive nous «Honner-, il tient à la prononciation de la lettre U.

394 JOURNAL ASIATIQUE.

sur les monnaies frappées par les Arabes à leur arrivée en Afrique.

Dans le champ, en deux lignes, M ^ ....t *11 ^; en légende circulaire : Ll OAFRTINAFRK ANXCVÏII.

I^. Dans le champ, en deux lignes, ...^*x,#*3ô ^1 ^y^ ; en légende circulaire : INNDNINOSMSSO- SMOSINO.

Or. Fig. 8. Cabinet du Roi.

Voici comment je hs les deux légendes latines : LIrOA FeRiT IN AFRiKiâ ANno XCVIII; et IN Nomine DomiNI NOS MiSSO (pour MiSSI?) SuMOS (51c) IN 0 (orbem? universum?).

Vous voyez , Monsieur, que ce précieux monu- ment vient bien à propos pour défendre ma thèse , et qu'il démontrerait à lui seul l'existence de toute une série de monnaies frappées avec des légendes latines par les émirs du Moghreb.

Cette pièce est frappée à Caïroan, et dès lors il y a lieu de s'étonner de la présence d'une double légende arabe inscrite sur les monnaies de l'an- née 98 de l'hégire, tandis que celles de la même ville et de l'année io4 sont encore purement la- tines. Je ne me charge pas d'expliquer ce fait bi- zarre, qui constate peut-être un premier essai d'in- troduction de la langue arabe. Dans tous les cas, les légendes latines employées à Caïroan de 96 à 98 étaient identiques de. forme, ainsi que le prouvent les deux pièces que je viens de décrire. Bin io4, le fond des légendes était changé. Du reste, je présume que les quatre lettres initiales de

NOVEMBRE 1840. 39â

la première légende latine cachent encore un nom propre que je n'ose chercher à deviner.

Les deux dernières pièces qui me restent à dé- crire présentent des légendes qui demeurent lettres closes pour moi.

La première offre les mêmes types que le 6 , quant aux légendes. Je dois me borner à en donner la transcription exacte sans essayer de les lire.

Or. Fig. 9 . Un exemplaire de cette monnaie existe au cabinet du Roi , et j'en possède également une fort bien conservée , mais dont , malheureusement, la moitié des légendes n'a pu porter faute de métaL C'est une pièce musulmane de ce genre que Mader, le plus habile des numismates allemands , considé- rait à cause de la légende du champ, comme un trien mérovingien frappé à Genève. (Mader, t. III, p. 9, fig. i8.)

Le rédacteur du catalogue intitulé Muséum Mân- terianum, imprimé à Copenhague en 1839, cite une pièce d'or qui faisait partie du cabinet du sar vant évêque de Séelande, et dont je reproduis textuellement la description, avec la note qui la suit :

« <5N sI^RTINAF REX AN ? In medio ilMIAs) « (....NIMENH In medio ÎH? CXHI.

«(Ined. perrar. Crassus.) Aur.

« Hic numus major et melior est quam quos ex- « posait Mader , in quibus describendis sine dubio '< errât. Quoniam numus Hispaniae repertus est, hos

396 JOURNAL ASIATIQUE,

«faciiius ad Hispaniam referimus, ad Andalusiam «forsitan pertinentes, quanquam lectio épigraphes « hiijus saltem numi dubia sit. »

La découverte d'une pièce de ce genre en Es- pagne est parfaitement naturelle et ne peut que confirmer ce me semble l'attribution que j'ai pro- posée. 11 y a même tout lieu de croire que les pièces de ce genre qui existent dans nos collections, lorsqu'elles ne viennent pas directement d'Afrique, arrivent de l'Espagne, les Arabes conquérants les auront apportées lors de leurs premières expé- ditions.

Quoi qu'il en soit, la légende de la pièce de i'é- vêque Miinter est mal reproduite, et, bien qu'il soit impossible de la rectifier, on ne déduit pas moins de sa transcription incorrecte , que la pièce qui la porte a été frappée à Afrikia ou Caïroan , dans l'an- née 1 1 3 de l'hégire.

Je ne devine pas mieux le sens des légendes de la monnaie figurée sous le i o , et le seul fait qu'il soit possible de déduire de leur examen, c'est que cette monnaie a été frappée dans l'an 1 1 i de l'hégire. Si les inscriptions dont elle se trouve mu- nie ne peuvent nous fournir de grandes lumières, en revanche le type nous présente un point de rapprochement qu'il est bon de ne pas négliger. En effet, cette pièce porte dans le milieu du champ une grosse étoile isolée que nous retrouvons iden- tiquement sur les felous arabes purs que M. ie comte Castiglioni a publiés le premier. {Man. cuf.

NOVEMBRE 1840. 397

11° ccLViii.) Ces felous, qui sont incontestablement frappés en Espagne, (j*J*Xj^L, l'ont été probable- ment vers l'année 1 2 o de l'hégire , c'est-à-dire quel- ques années après l'introduction du type de l'étoile sur les espèces monnayées dans le Moghreb.

Il n'est pas sans intérêt non plus d'observer que, sur dix exemplaires des felous andalous à l'étoile, six au moins sont surfrappés sur les felous si com- muns, d'un module voisin du MB, et qui n'ont d'autres types que les formules pieuses VI 2f\\ V et M J^j «x.«N^, inscrites, chacune en deux lignes, dans le champ. L'existence de ces surfrappes est un indice évident de l'âge relatif des deux espèces, et démontre que les felous aux légendes pieuses sont d'une émission antérieure à l'année 120 de l'hégire. Ceci, du reste, n'avait pas besoin de dé- monstration; car, d'un accord unanime, tous les auteurs qui se sont occupés de numismatique arabe avaient classé ces petits monurnents à une époque très- voisine de la première fabrication des mon- naies musulmanes.

En résumé, Monsieur, je crois fermement ne pas me tromper en affirmant que des monnaies mu- sulmanes-latines furent frappées en Afrique depuis l'année 96 jusqu'à l'année 1 1 1 au moins de l'hé- gire^; ou, en d'autres termes, que les Arabes con- quérants, pendant les vingt premières années de

> Je ne fais pas usagé de la date fournie par la pièce du cabinet de l'évêque Mûnter, parce que, en général, je tiens à ne m'appuyer ^ue sur de» faits observés par moi-même.

398 JOURNAL ASIATIQUE,

leur domination , n'inscrivirent les monnaies émises par leur ordre que de légendes latines, c'est-à-dire intelligibles pour les habitants du pays ; qu'ils em- ployèrent d'abord les types byzantins purs, parce qu'ils étaient familiers aux peuples de l'Afrique sep- tentrionale, et qu'ils n'introduisirent que petit à petit les types de l'islamisme, c'est-à-dire des types analogues à ceux que nous avons retrouvés sur les espèces de cuivre fabriquées en Syrie par le khalife Abdou'l-Malek ; que pendant ces vingt premières années la langue arabe ne fut employée que très- rarement sur les monnaies, peut-être comme essai et concurremment d'ailleurs avec la langue latine ; qu'enfin la fabrication des espèces musulmanes- latines eut lieu dans plusieurs grandes villes de la Mauritanie, comme Tripoli, Caïroan et, probable- ment, Tanger.

Je désire bien vivement, Monsieur, que les ré- sultats que m'ont fournis mes nouvelles recherches puissent vous paraître dignes d'occuper un instant fattention des hommes d'étude. Je m'estimerai sur- tout bien heureux si cette nouvelle lettre reçoit de vous l'accueil plein de bienveillance dont vous avez honoré celles qui l'ont précédée, et si vous voulez bien la considérer comme un faible témoignage de mon inaltérable attachement.

F. DE Saulcy. Metz, le à mai i84o.

NOVEMBRE 18-40. 399

CRITIQUE LITTÉRAIRE,

Die Celtischen Sprachen in ihren Verhàltnisse , etc. Les Lan- gues celtiques dans leurs rapports avec le sanscrit, le zend , le grec , le latin , le germanique , le lithuanien et le slave , par Franz Bopp; mémoire lu à l'Académie des sciences de Berlin le i3 décembre i838, in.4% 88 pages.

( Second article. )

Après avoir cherché à expliquer, comme nous l'avons vu, ie principe de Y éclipse dans la déclinai- son irlandaise, Bopp tente de ramener à une ori- gine analogue celui de Vaspiration, qui ne joue pas un rôle moins important. Les faits qui lui servent de point de départ sont les suivants :

Dans la déclinaison avec l'article, les noms mas- culins qui ont pour initiale une consonne suscep- tible d'aspiration aspirent cette consonne au génitif singulier seulement, tandis que les féminins, dans les mêmes circonstances, prennent l'aspiration au nominatif et à l'accusatif, lesquels d'ailleurs sont toujours identiques. Bopp , d'après O'Reilly, excepte de cette loi les noms qui commencent par t ou 5; il faut y ajouter ceux qui ont d pour initiale, et observer que ces trois consonnes J, t, s, s'aspirent au vocatif singulier et pluriel, aussi bien que les

tiOO JOURNAL ASIATIQUE.

autres consonnes muables, et Hins distinction de

genres.

Maintenant Bopp se demande quelle peut être la cause de cette singulière et, en apparence, si capricieuse distribution de l'aspiration; pourquoi l'homme et la femme s'évitent de manière que celui-là aspire quand celle-ci retient son souffle , et vice. versa, excepté au datif (et au vocatif), tous deux se rencontrent pour Yaspiration (ou pour ïé- clipse). Pourquoi, par exemple, dit-on au nomina- tif an cholam f. le pigeon \ et an eu m. le chien, quoique l'article soit le même , tandis qu'au génitif on dit an chuin, par opposition à na colaime? Bopp pense qu'il faut en chercher la raison dans une influence euphonique de l'article , non pas sous sa forme actuelle , mais avec les terminaisons qu'il a avoir anciennement, et qui se sont effacées tout en se survivant à elles-mêmes dans leurs effets. Or, le nominatif féminin de l'article an a se ter- miner autrefois par une voyelle, et avoir la forme de ana (comme en slave le féminin ona, celle-là, par opposition au masculin on). Ces formes celtiques et slaves, an, ana, on, ona, correspondraient au sanscrit 5f^, ana m. et 55^, anâ f. si ce thème pro- nominal était usité au nominatif. L'a bref du mas- culin serait tombé , tandis que Y a long du féminin se serait seulement affaibli. Or, c'est à cet a final

' L'exemple est mal choisi en ce que colan\^ou colum est un mas- culin, d'après le dictionnaire même d'O'Rcilly; mais on peut y substituer un féminin quelconque commençant par c.

NOVEMBRE 1840. 401

que Bopp attribue une puissance aspirante sur la consonne initiale du nom suivant.

Mais en ce cas, objecte-t-il, pourquoi le génitif féminin de Tarticle, qui est na, n'exerce-t-il point cette puissance? C'est qu'ici également il y a eu mutilation; c'est qu'en sanscrit, en grec, en go- thique, en lithuanien, les génitifs féminins au sin- gulier s€ terminent presque toujours par s, tandis que les masculins au contraire finissent par une voyelle. Le génitif féminin régulier de ana, serait ^^TmT\^ anasyâs (comme ^i^'M^, tasyâs), le génitif masculin 3^^^, anasya (comme ftw, tasya). Il est donc probable que le génitif féminin de l'article irlandais se terminait autrefois par une s. Or, cette 5 doit être tombée à une époque les voyelles n'exer- çaient plus sur les consonnes leur influence d'aspi- ration; de l'absence d'aspiration après l'a final de na. Le génitif masculin an, au contraire, tout en perdant sa voyelle finale, a conservé, comme le nominatif féminin , l'influence qu elle avait sur le nom suivant. Au datif, les deux genres s'accordent pour aspirer, parce que la terminaison ancienne du datif, était en ai, sans distinction de genre, et qu'en lithuanien on trouve encore une forme anamai cor- respondante au sanscrit inusité anasmâi. Au pluriel , ' tous les cas sont exempts d'aspiration, parce que, dans la déclinaison régulière , toutes les flexions se terminaient primitivement par des consonnes.

Il y a certainement dans cet ensemble de coïn- cidences quelque chose de frappant et de spécieux

X. 26

402 JOURNAL ASIATIQUE,

et cependant un examen approfondi fait naître un bon nombre d'objections à cette manière d expli- quer l'aspiration.

D'abord , Bopp se voit obligé ici comme plus haut , pour l'assimilation des nasales aux tenues, de soitir entièrement des analogies de la famille indo- européenne, pour attribuer aux voyelles une in- fluence d'aspiration dont il n'y a d'ailleurs pas d'exemples. Aussi a-t-il recours de nouveau à l'hé- breu, 011 le p depihel, hith-pahel, devient ph dans hi-phil, ho-phalf ni-phal. De plus, il est obligé d'ad- mettre que cette influence aspirante n'a eu qu'une durée limitée dans les langues celtiques, puisque actuellement elle serait éteinte ; et , comme le ra- meau cymrique ne la possède pas mieux que Tii'- landais, il faut supposer, ou qu'elle s'est éteinte avant la séparation des deux branches, ou qu'elle s'est développée et perdue dans l'irlandais depuis cette séparation. Une durée aussi peu prolongée pour un principe phonique, assez tenace cepen- dant pour avoir survécu dans ses effets aux con- ditions qui le déterminaient, semble fort impro- bable.

Ensuite, ici comme pour Téclipse , le permuta- tion de la consonne initiale ne dépend pas toujours de l'emploi de l'article. Le génitif, par exemple, s'exprime souvent sans l'article , et l'aspiration n'en a pas moins lieu. Déjà dans le poëme de Fiech on trouve : an innsibh mhara , « in insulis maris. » (O'Connor. Prolegom, p. xc et sqq. stroph. 6). La

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version irlandaise de la Bible en offre à chaque pas des exemples, bien que la règle ne soit pas cons- tante. Ainsi, on lit : (Gènes. III, 2I1) slighe chroinn na heatha^ « le chemin de l'arbre de la vie; » [ibid.X, 3), mie Ghomer, «les fils de Gomer;» (Jos. XVI, 1 ), crannchar chhinne loseph^ «le lot de la tribu de «Joseph; (ihid, XVII, 1), ceidghin Mhanasseh, «le «premier de Mannasé, etc. etc. » Le t et 1'^, ex- ceptés de l'aspiration par l'article, s'aspirent quel- quefois sans l'article. Ainsi, on trouve : clan Shem, «la race de Sem» (mais aussi : mao Sem):, a chailin Sharai ! « ô servante de Sara ! )> Dans le poëme d'Ai- leach, j'observe airdri thuaisceirt, «roi suprême du «nord, etc.» Les grammairiens irlandais que j'ai pu consulter se taisent complètement sur tout cet ordre de faits.

Enfin on peut objecter que l'hypothèse de Bopp, ne concernant que quelques spécialités de la décli- naison irlandaise, laisse en dehors tous les phéno- mènes de l'aspiration des consonnes initiales dans le reste du gaélique, et dans les autres idiomes celtiques. Cette objection , déjà présentée au sujet de l'écîipse, revient ici avec plus de force encore, parce que le principe de l'aspiration , surtout dans la branche gaélique , occupe bien plus de place que l'éclipsé. Les noms de nombre aon, un, et dà, deux (en cymrique tri, trois, et chwe, six); les possessifs rm, do, a; les interrogatifs , quand ils précèdent le prétérit des verbes; les négations, une foule de prépositions, de conjonctions et de particules, etc.

a6.

404 JOURNAL ASIATIQUE,

causent Taspiration , sans égard à leur terminaison actuelle ou ancienne, par des voyelles ou par des consonnes. Tout le système de la composition des mots, un seul cas d'éclipsé excepté, est régi dans les dialectes gaéliques par l'aspiration de la con- sonne initiale du second composant, tandis que, dans le cymrique, l'aspiration partage ce rôle avec les formes douce et nasale. Prétendrait-on que ces deux principes de l'éclipsé et de l'aspiration ont pris naissance dans la déclinaison, pour s'étendre ensuite peu à peu à tout le système de ces langues , sans égard aux conditions qui les auraient fait naître primitivement? Ce serait à coup sûr bien impro- bable , surtout pour les idiomes cymriques leur emploi dans la déclinaison est inconnu. Quant à démontrer que tous les mots ou seulement le plus grand nombre des mots qui occasionnent l'aspi- ration, se sont terminés anciennement par des voyelles, c'est ce qui certainement serait aussi diffi- cile que de retrouver partout la nasale h l'influence de laquelle Bopp attribue l'origirife^^ l'éclipsé.

Avant de résumer nos conclusions sur cette question importante, il faut dire quelque chose de deux faits qui s'y rattachent, et dans lesquels Bopp trouve une confirmation de sa théorie.

Le premier concerne la déclinaison des noms irlandais qui se terminent par des voyelles , et qui , dans certains cas, reçoivent la prosthèse d'une h par finfluence de l'article. Pour les noms féminins, cette prosthèse a heu au génitif singulier seulement ;

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et on dit, par exemple : na hoigh, avirgiiiis;» au pluriel elle s'applique, pour les deux genres égale- ment, au nominatif, à l'accusatif et au datif: na hogha «virgines)) (nomin. et accus.), dona hogaibh « virginibus ; » et de même pour les masculins ; na Masca d pisces » dona hiascaibh « piscibus. )> Au no- minatif et à l'accusatif singulier, les masculins su- bissent une autre modification initiale dont nous parlerons bientôt.

Bopp n'hésite pas à reconnaître dans cette h pros- tbétique Vs qui devrait être la finale de la flexion de farticle ; et il est à remarquer, en effet, qu'à une seule exception près, celle des masculins au nomi- natif pluriel, les flexions pronominales du sanscrit et du lithuanien se terminent par une s dans les mêmes cas l'irlandais intercale son Ji. Bopp observe de plus que ceci explique pourquoi Vh prosthétique ne se trouve précisément que dans les cas qui échappent à faspiration de la consonne initiale; car c'est lli de naJi oigh (comme il faudrait écrire pour na hoigli) , qui empêche qu'on ne dise na cholaime, Vs finale de l'article, disparue mainte- tenant devant les consonnes, ayant fait autrefois obstacle à faspiration. Par la raison inverse, c'est l'absence de Vh dans an eisc « du poisson , » qui fait qu'on doit dire an chon u du chien , » parce qu'ici l'ancienne voyelle finale du génitif de farticle cau- sait faspiration. Quant à f exception des nominatifs masculins au pluriel qui, en sanscrit, se terminent on e, Bopp l'écarté en observant que l'article ir-

406 JOURNAL ASIATIQUE.

landais a naturellement suivre l'analogie de Idt grande majorité des thèmes masculins en a, lesquels se forment en as au nominatif pluriel.

A l'appui de cette hypothèse sur l'origine de ïh prosthétique , Bopp aurait pu citer encore l'influence très-remarquable du pronom possessif a (son et sa), lequel correspond au génitif irrégulier du sanscrit ^5H. idam^. Ce pronom, en effet, suivant qu'il se rapporte à un masculin ou à un féminin , produit l'aspiration des consonnes initiales, ou intercale une h devant les voyelles, exactement dans les mêmes conditions que l'article. Ainsi on dit a chu, « son chien , » en parlant d'un homme , mais a cm en parlant d'une femme, tandis que , pour les mêmes rapports respectifs, on dirait : a aidh et a liaidh, «son visage.» Dans le premier cas, a correspond au génitif masculin ^[^ asya, dans le second au fémi- m*n 5^2rrH asyâs , ce qui coïnciderait à merveille avec l'explication de Bopp.

* Bopp me reproche (pag. 86, note 87), d'avoir donné le nom de pronoms possessifs dans les langues celtiques à des formes qui, en réalité, correspondent aux génitifs des pronoms possessifs sans- crits. Je n ai fait que suivre en cela le langage reçu , sans y attacher d'autre importance, car les grammairiens irlandais, à l'exception d'O'Reilly, considèrent mo. do, a, etc. comme des possessifs. Cette distinction me semble au reste d'autant moins essentielle que les deux premiers, même en sanscrit, ne sont des génitifs que de nom , et devraient, en réalité, être regardés comme des formes indécli- nables. jpT marna, n'est qu'une rédupUcation du thème personnel ma, et fTôT tdva (pour ivaiva] , peut-être un redoublement du thème tva. C'est une manière naïve et presque enfantine d'exprimer la pos- session : moi-moi pour mien , toi-toi pour tien ; et il n'y a aucune trace de flexion.

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Un autre fait semble l'appuyer encore. Plusieurs prépositions, comme a, go, le, re, tre, exigent Vh prosthétique devant les voyelles initiales. Or, pré- cisément ces prépositions ont une autre forme avec une s additionnelle, as, gus, leis, ris, très, qui ne s'emploie que devant l'article, celui-ci ne prenant jamais Yh prosthétique. Cette 5 finale ne serait-elle point ]a terminaison primitive de ces prépositions, conservée seulement dans un cas spécial, et qui se changerait en h comme Vs de la déclinaison ? Cette existence d'unes primitive serait appuyée, du moins pour la préposition tre, ires, par la comparaison avec le cymrique tros , le latin trans , le russe qpesb tchreziy etc. lesquels se lient probablement à une forme ft^^ taras, de la racine ^ tri, analogue à 5^ paras, de la racine ^i^; pur.

Nous n'avons rien dissimulé , comme on le voit , de ce qui peut venir en aide à l'ingénieuse expli- cation de Bopp; et cependant d'autres faits iui sem- blent tout à fait contraires. Ainsi, ce qu'O'Reilly n'observe point, le prétérit ha, «fuit,» détermine toujours la prosthèse de l'/i pour les mots qui com- mencent par des voyelles. Ainsi on trouve dans le poëme de Fiech : ha hemhra reatha , « fuit felix expe- « ditio » (str. 5); hahe, «fuitis» (str. 2I1 et 28); ha haisse, «fuit obedientior » (str. 3o). Dans la Chro- nique de Tighernach: ha hordan, « fuit honor » (Vet. Poem. p. 180); hahimda, «fuitinsignis)) (p. 207); dans les IV Magistri, dès le début, p. 1 , ha heside, «fuit occisa, etc. etc. Or ha ne peut être considéré

408 JOURNAL ASIATIQUE,

que comme un débris du sanscrit sm^tT^ abhavat, el a n'y a aucun moyen de supposer antérieurement l'existence d'une 5 finale , qui ne se trouve jamais à la troisième personne du singulier dans aucun temps et dans aucun mode.

Il y a plus; O'Reilly remarque (pag. 28), à l'ar- ticle des verbes auxiliaires, que ba aspire les con- sonnes muables ( à l'exception de J et de f ) des adjectifs masculins qui le suivent, mais qu'il est sans action sur les adjectifs féminins. Nous avons donc ici un double effet tout semblable à celui de l'article, sans que l'on puisse en appeler à une différence dans les terminaisons primitivement ca- ractéristiques des genres. Ce fait conduirait au con- traire, en accord avec plusieurs autres, à recon- naître dans les idiomes celtiques une tendance à appliquer le système des permutations initiales à la distinction des genres , pour remplacer les suffixes primitifs perdus.

Je passe sous silence quelques autres explications de ïh prostliétique en irlandais, dont la discussion m'entraînerait trdp loin, pour dire quelques mots encore de l'emploi qu'en fait le cymrique, et qui est loin d'appuyer l' hypothèse de Bopp.

En concordance avec l'irlandais, le cymrique fait précéder d'une h les mots qui commencent par une voyelle après le pronom féminin ei, « son, sa. » Ainsi on dit : ei hadav , « sa main , » en parlant d'une femme, mais ei adav en parlant d'un homme , exactement comme pour l'irlandais a. On pourrait donc attri-

NOVEMBRE 184C. 409

buer à cette h la même origine , en la rapportant à Y s finale du sanscrit ^*^i*i^ asyâs. Mais ainsi qu'en cymrique, cin, u nôtre, » et eu, «leur, » exigent éga- lement la prosthèse de l'/i , sans distinction de genres, tandis que eich ou awch, a vôtre,)) n'exerce aucune inflence sur le mot qui suit. Or, on se sou- vient qu'en irlandais les trois possessifs du pluriel, ar, hhur, a, produisent l'éclipsé, et Bopp (p. 38) s'appuie de ce fait pour y voir des débris de géni- tifs pluriels en âm, bien que ^ nos et sr^ vas, aux- quels se rapportent les deux premiers, soient sans flexion. Pourquoi donc ein (aussi an, yn), qui bien mieux que ar pourrait se ramener à une forme du génitif pluriel , à cause de sa nasale ( comparez le grec àfjLfjiécjv), détermine-t-il la prosthèse de Vh devant les voyelles ? Comment eu, «leur, )) si semblable à l'irlandais a, exerce-t-il la même influence que ein? Pourquoi enfin ces deux pronoms n'ont-ils aucune action sur les consonnes initiales des noms qui suivent? On voit comment il est difficile de ramener à un même principe des faits aussi divergents.

Cette difficulté paraîtra dans tout son jour par le tableau comparatif des permutations diverses occasionnées par les possessifs en irlandais et en cymrique. Je choisis de préférence cet ordre de mots, parce que toules les permutations s'y ren- contrent, et qu'ils sont très-propres à donner une idée complète de ce curieux procédé des langues celtiques.

410

JOURNAL ASIATIQUE.

IRLANDAIS.

CTMRIQUE.

Mo, mon, ma, produit Yaspimtion des consonnes muables. Ainsi on dit :

Mo chu, mon chien. (Thème eu.) Mo phohul, mon peuple. { pohul. Mo théine, mon feu. { teine). Mo ghort, mon jardin. ( (jorl.) Mo bhard, mon barde. ( bord.) Mo dhorn, mon poing. ( dorn.)

M

Do, ton, ta, exerce la fluence que mo. Ainsi dessus :

même in- comme ci-

Do chu, ton chien. Do phobul, Do théine, Do ghort, Do hhard, Do dhorn,

A, son, sa, quand il est question d'un masculin (angl. his), aspire les consonnes initiales , comme mo et do, et intercale une h de- vant les voyelles.

A , quand il se rapporte à un fémi- nin {her) , n'exerce aucune action sur les consonnes initiales, mais intercde une h devant les voyel- les.

Ainsi :

vy, mou, ma, produit \a forme nasale, qui correspond u l'éclipsé irlandaise des mediœ.

My nghi, id. (Thème ci.) My mhobyl, id. [—pobyl) My nhân, id. (— td^i.) My ngardd, id. [—gardd.) My mardd, id. ( bardd.) My nwrn, id. ( dwrn.)

Dy, ton, ta, produit li forme douce, laquelle correspond, pour c,p, t, à Y éclipse, et pour b, d, k V aspira- tion iiiandaise. Le g initial s'élide.

Dy gi, id. Dy hobyl, Dy dân,— Dy ardd, Dy vardd, Dy ddtvm, '

Ei, son, sa, quand il se rapporte à un masculin , produit la forme douce , comme dy, et n'a aucune action sur les voyelles initiales.

Ey, quand il est question d'un fémi- nin , aspire les tenxies c, p, t, laisse intactes les m^diœ g, b, d, et in- tercale une h devant les voyelles.

A eu, son femme). A pobal, A teine, A gort, A bord, ^ A dorn,— A hahhal, sa pomme

chien (en parlant d'une Ei chi, id.

Ei phobyl, Ei ihân, Ei gardd, Ei bardd, Ei dwrn, Ei haval,

NOVEMBRE 1840.

411

Ar, nôtre , produit Yéclipse des con- sonnes muables, ce qui corres- pond , pour les tenues c, p, t, à la forme douce cymrique , et pour les mediœ g, h, d, a. la. forme nasale. Devant les voyelles ar intercale une n. Ainsi :

CYMRIQUE.

Ein, an, yn, nôtre, n'exercent aucune action sur les consonnes initiales , mais intercale une h devant les voyelles.

Ar gou, notre chien.

Ein ci,

Ar bpohul,

Ein pohyl,

Ar dteine,

Ein tân,

Ar ngort,

Ein gardd,

Ar mhard,

Ein hardd,

Ar ndorn,

Ein dwm,

Ar nabhal,

Ein haval,

Bhur, vôtre, a la même influence

Eich, ach, ych, vôtre , n'exercent au-

que ar.

cune influence ni sur les conson-

nes ni sur les voyelles.

A, leur, produit les mêmes «fiets

Eu, leur, ne produit aucun eflet sur

que ar et hhur.

les consonnes , mais intercale une

h devant les voyelles.

L'examen de ce tableau fait surgir de nouvelles contradictions au système de Bopp. Ainsi, le cym- rique eij quand il se rapporte à un masculin et qu'il corpespond à ^sw, asya, éclipse les tenues qu'il devrait aspirer par l'influence de sa voyelle fi- nale; et, au contraire, quand il appartient à un féminin et qu'il équivaut à ^^?n^ asyâs, il aspire ces mêmes tenues qui devraient rester intactes après Vs primitive de la flexion.

On ne saurait échapper à ces contradictions en supposant que le cymrique s'est éloigné plus que l'irlandais du vrai et ancien système de permuta- tions qui a du régir ces idiomes avant leur sépara-

k\2 JOURNAL ASIATIQUE.

tion, car il n'y a aucune raison d'admettre cette conjecture. L'inverse même serait peut-être plus probable, puisque l'ensemble des permutations, ainsi que nous l'avons vu, est plus riche et plus complet dans le cymrique que dans l'irlandais, el qu il va s'appauvrissant de plus en plus dans les branches moins anciennes du groupe celtique, l'erse, l'armoricain et le comique.

n me reste à examiner l'origine qu'assigne Bopp au t prosthétique, qui éclipse, dans certains cas de déclinaison, Ys initiale des noms irlandais, et qui, dans d'autres cas, se place devant les voyelles ini- tiales. Voici les conditions qui déterminent cette échpse.

Dans la déclinaison par l'article, les noms qui commencent par s suivie d'une voyelle ou de l, r, n, au lieu d'aspirer cette 5, s'aspirent les au- tres consonnes muabks , la font précéder d'un t qui rend 1*5 quiescente. Ainsi, les masculins prennent le t au génitif et au datif, les féminins au nominatif, au datif et à l'accusatif du singulier. On dit : an sa- gart m. «le prêtre», mais an tsagairt (prononcez an tagairt), «du prêtre»; et, au contraire, an tsuil, féminin, «l'œil» (prononcez an tuil), mais na saile, « de l'œil » ; au datif don tsagart et don tsuil , sans distinction de genre. Quant aux noms qui commea- cent par des voyelles, les masculins seulement in- tercalent le t après l'article au nominatif et à l'ac- cusatif, comme dans an tiasg, « le poisson ».

Dans ceMe coincidence des cas qui prennent l'asr.

NOVEMBRE 1840. 413

piiation et le t proslhétique , Bopp voit un argu- ment décisif en faveur de la commune origine de ces deux modifications. Il pense qu'anciennement, au lieu d'être aspirée, 1'^ initiale a été redoublée, et cela par cette même influence des voyelles fi- nales qui causait l'aspiration des autres consonnes. La première s alors s'est changée en t, par fefFet d'un principe euphonique qui déjà se montre dans quelques formes sanscrites , par exemple : le futur oirbuifXi , vatsyâmi (pour vas-syâmi), de la racine «r^ vas, ou le prétérit îrôrrr^ , avâtsam (pour avâs-sam). L'ancien haut-allemand, qui au lieu d'aspirer le t le change en z=its, offre le fait inverse de la sibi- lante ajoutée au t. Dans les nominatifs masculins qui commencent par des voyelles , comme an tiag, le t serait également une transformation de Ys fi- nale du suffixe primitif de farticle, anas pour le an actuel.

On peut observer là-dessus que cette rédupli- cation de Vs initiale par finfluence des voyelles est tout aussi hypothétique que l'aspiration des autres consonnes par feffet de ces mêmes voyelles , et que cette supposition semble un. peu trop amenée pour servir de transition à l'exemple euphonique tiré du sanscrit. Quant au changement de 1'^ isolée en tf dans an tiasg pour anas iasg, ce serait cer- tainement un fait insolite, car le t s'affaiblit bien fréquemment en 5; mais le cas contraire serait dif- ficile, je crois, à démontrer par des exemples.

Si l'on voulait rattacher le t prosthétique irlan-

il4 JOURNAL ASIATIQUE.

dais h quelque principe euphonique sanscrit, on trouverait une analogie bien plus directe et bien plus frappante dans le t que le vieux dialecte védique in- tercale entre ïn finale d'un mot et Ys initiale du mot suivant, et, par conséquent, exactement dans les mêmes circonstances que l'irlandais. On en voit un exemple dans l'hymne IX du P' livre du Rig-Véda, an vers 6 (édit. Rosen, pag. i3): v^^T^ r^ "stx^r^ asmântsu taira tchôdayêndra! «Nos bene ibi dirige, « Indra, » asmântsu est pour asmân-sn. Rosen ren- voie pour cette règle , particulière à l'ancien dialecte, à Pânini, VIII, 3, 3o. Et cependant, quelle que soit l'analogie singulière de ces deux faits, je ne crois pas qu'ils se rattachent le moins du monde l'un à l'autre , parce que le t irlandais me paraît avoir une tout autre origine qu'im principe euphonique.

Ce qu'il importe avant tout, pour l'examen de cette question obscure, c'est de rechercher quelles ont été les formes anciennes de l'article irlandais. Or, on est bientôt conduit à reconnaître que la forme an est comparativement moderne. Employée exclu- sivement dans la version de la Bible , on la trouve déjà dans les Annales des IV Maîtres alternant avec les formes in, inn et ind; mais, à mesure que l'on re- monte vers les monuments plus anciens de la lan- gue, il faut, je crois, en chercher la cause dans la position toute spéciale de Vs vis-à-vis du principe de l'aspiration, et dans les combinaisons eupho- niques qui en résultent.

L'.ç, en effet, s'aspire comme les autres consonnes

NOVEMBRE 1840. 415

muables, quand elle est suivie d'une voyelle ou des liquides l, n, r, c est-à-dire précisément dans les cas se montre le t prosthé tique ; elle reste intacte devant les autres consonnes. Cette loi, que Stewart a énoncée expressément pour l'erse (GaeL gramm. p. 18), est également observée en irlandais. Or, Vs aspirée devient dans la prononciation complète- ment quiescente , et l'aspiration seule reste ; mo shuilj «mon œil,» se prononce mo hail, etc. On comprend dès lors que le d primitif de l'article a se maintenir mieux devant l'aspiration que de- vant les consonnes, et que l'aspiration même a tendre à s'effacer. Au lieu de ind huil, «i'œil,)) on aura bientôt prononcé ind uil; et le d ayant fini par se détacher de l'article, pour jouer le rôle d'une consonne éclipsante et remplacer l'aspiration, on aura écrit in dsuil ( maintenant an tsail) , en pronon- çant toujours in dnil ou an tail.

Devant si, sr, sn, la conservation du d de l'article, ou la substitution du t prosthétique à l'aspiration , était plus impérieusement encore commandée par l'euphonie. En aspirant 1'^ dans les nominatifs fémi- nins, ind shlat, «la verge, » ind shraid, «la rue, » ind shneachd , « la neige , » il aurait fallu prononcer ind hlaty ind hraid, ind hneachd. L'accumulation de ces quatre consonnes a faire supprimer l'aspiration, et on a prononcé ind ht, ind raid, ind neachd, en écrivant toutefois Y s devenue quiescente. De il n'y avait qu'un pas à faire pour considérer le d comme éclipsant Xs et le détacher de l'article, en écrivant

416 JOURNAL ASIATIQUE

comme aujourd'hui an t slat, ou an tslat, etc. Dans les nominatifs masculins des noms commençant par sly sr, sn, Vs ne devant point être aspirée, le d final est tombé comme avant les autres consonnes, et par cela même le principe de Téclipse par t n'a pas été appliqué. La coïncidence des cas d'éclipsé de 1*5 initiale dans la déclinaison avec ceux de l'as- piration des autres consonnes , coïncidence sur la- quelle Bopp s'appuie pour leur attribuer une com- mune origine , se trouverait ainsi pleinement expli- quée, et on comprendrait de plus pourquoi cet emploi du t prosthétique ne s'étend pas au delà de la déclinaison par l'article, tandis que l'éclipsé des autres consonnes s'applique , comme l'aspiration , à presque tout l'organisme de la langue.

Cette hypothèse , assurément , pour être solide- ment établie, exigerait une étude minutieuse de tous les faits relatifs à l'emploi de l'article sous ses formes diverses, et à celui du t prosthétique aux diverses époques de la langue irlandaise. Cette ques- tion ne saurait être convenablement traitée que par les philologues irlandais, auxquels les sources ori- ginales sont facilement abordables. Je me bornerai ici à citer un fait qui me semble appuyer cette hypothèse d'une manière assez remarquable.

L'article ind, comme on a pu le voir par les exemples précités , paraît s'être mieux conservé de- vant Vf initiale que devant les autres consonnes. Ainsi les IV Maîtres offrent encore : ind Fhocla. Or 1/, comme r5, devient quiescente par l'aspiration,

NOVEMBRE 1840. 417

et quelquefois même ne s'écrit pas du tout; et on trouve , par exemple : do aicsin (voir IVMag. p. à'] 2), pour dofhaicsin [ibid. p. 5o5). C'est là, sans doute, la cause du maintien du d de l'article. Cette quies- cence de / aspirée après ind , dans l'ancien irlan- dais, est prouvé par deux faits que je rapporte ici. Dans un codex des IV Evangiles de la Bibliothèque harléienne, écrit en 11 38 par un nommé Mael- brigta , on trouve une note en irlandais de ce même scribe, note dont O'Connor (Prolegom, cxLiv) a donné un fac-similé. On y remarque l'expression de mac ind ir dana, «fds de l'homme du chant ou «de la poésie.)) Ind ir est pour ind fhir, qui se prononçait ainsi. Le poëme de Fiech , qui nous fait remonter probablement à trois ou quatre siècles plus haut, offre un autre exemple de ce même fait. A la strophe onzième, on trouve : rofirad ind aitsine, « verificatum est vaticinium ^ )) Or, aitsine est pour Piaitsine [aujourd'hui faistine), substantif féminin aspiré au nominatif, et dont ïf par conséquent ne se prononçait pas déjà alors. On voit que si Yf n avait pas eu son rôle assigné dans le système de l'échpse, h le remplace, on aurait été conduit probablement à détacher aussi le d de l'article, et à lui attribuer sur Yf une influence éclipsante : si l'on découvrait, pour Y s aspirée après ind, des exem- ples graphiques analogues, ma thèse serait alors à peu près démontrée; mais cela est peu probable,

* O'Connor traduit: verificata sunt vaticinia : mais rien n'indique le pluriel.

418 JOURNAL ASIATIQUE,

parce que l'emploi du t prosthétique , au moins de- varvt les voyelles, se rencontre déjà dans le poëme de Fiech ^ et que la période de transition de l'as- piration à l'éclipsé remonterait ainsi au delà des plus anciens monuments de la langue irlandaise.

Pour résumer nos conclusions sur le système de la permutation des consonnes dans les langues cel- tiques , et sur la manière dont Bopp a cru* pouvoir en dévoiler l'origine , nous dirons qu'indépendam- ment des difficultés de détail et des objections qui surgissent de toutes parts dès qu'on sort du cercle étroit de la déclinaison ii landaise , ce système , dans son ensemble , nous paraît trop vaste , trop puis- sant, doué, en quelque sorte, d'une vitalité orga- nique trop grande, pour être ramené à une cause aussi mécanique et aussi restreinte. Si le t prosthé- tique seul (et peut-être aussi l'/i) nous semble avoir une origine de ce genre, c'est que cest un fait isolé, sans analogie réelle avec les autres permuta- tions , et d'un emploi , selon toute probabilité , rela- tivement récent. Quant au système lui-môme, nous voyons que c'est eu méconnaître la nature que de chercher à le rattacher par une filiation directe à des influences euphoniques, ou à des débris de formes grammaticales léguées au rameau celtique par la langue mère d'où sont sortis les divers idiomes indo-européens. Il faut laisser aux Celtes l'entière possession de ce curieux et puissant moyen

' Stroph. 19. Tn t armchosal. diabolus; stroph. 20. In t apstal . apostolus.

NOVEMBRE 1840. 419

par lequel ils ont suppléé d'une manière si ingé- nieuse aux formes grammaticales primitives plus ou moins détruites par le temps et les lointaines migra- tions. Ceci ne compromet en rien l'unité reconnue et désormais inattaquable â.e la grande famille indo- européenne. Il faut y voir, au contraire, un exemple frappant de cette continuité de puissance organique et créatrice qui s'est révélée dans tous les embran- chements de cette famille, et qui semble la carac- tériser avant toutes les autres. De ces résvy.Tec- tions spontanées , après des périodes de décadence , qui ont donné à toutes ces langues sœurs des phy- sionomies si variées à côté des traits ineffaçables d une commune origine. C'est dans ces époques de seconde création que se sont produits les caractères distinctifs des divers génies nationaux exprimés par le langage, et qu'il faut respecter comme le bien particulier de chaque peuple. Quant aux moyens par lesquels se sont opérées ces rénovations, ils se dérobent presque toujours pour nous dans la nuit des temps, et s'assimilent, par leur nature même, aux procédés mystérieux de la formation primitive des langues. 11 en est ainsi du système des permutations dans les idiomes celtiques. A part ce principe général qu'il a son origine à la recherche instinctive d'un équivalent pour les formes gram- maticales mutilées ou perdues, il serait aussi diffi- cile d'en expliquer la formation que de dévoiler celle de la langue primitive elle-même. Les faibles conjectures que l'on pourrait se permettre sur les

/t20 JOURNAL ASIATIQUE,

circonstances qui ont pu en favoriser le dévelop- pement , telles que l'influence d'un sacerdoce forte- ment constitué ( les druides ) , celle d'une poésie cultivée par un ordre privilégié (les bardes), et, dans cette poésie même, l'action de certains prin- cipes d'harmonie , comme la consonnance des lettres initiales, etc. etc. ces conjectures, dis-je, exigeraient d'ailleurs, comme tout ce qui tient à ce sujet, une étude beaucoup plus approfondie des anciens mo- numents du génie celtique.

Dans un dernier article, nous analyserons le reste de l'intéressant travail de Bopp, qui nous offrira bien plus d'occasions d'assentiment que d'opposi- tion.

A. PiCTET.

NOVEMBRE 1840. 421

SUR L'ENCHAINEMENT

Des trois règnes de la nature ; extrait de Kazwiny par J. J. Clément-Mullet, membre de plusieurs sociétés savantes.

Aujourd'hui que le goût pour les études de l'O- rient a pris un si grand développement, et que les esprits ont une tendance si prononcée vers les études comparatives, il m'a semblé qu'il ne serait pas sans intérêt de faire connaître la manière dont les philosophes ou naturalistes arabes comprenaient l'enchaînement des règnes de la nature , et par quels êtres, suivant eux, s'opérait la transition de l'un à l'autre. Le passage que je présente ici est extrait de Kazwiny ; il n'existe que dans le manuscrit arabe de la Bibliothèque royale, fonds du supplément 8, fol. 128; les autres ne le contiennent point, ni en entier, ni en partie. On est loin, sans doute, d'y trouver la précision philosophique qu'on pour- rait y apporter aujourd'hui, si on avait à traiter un pareil sujet; mais il faut se rappeler en était l'his- toire naturelle à cette époque , et combien étaient imparfaits les moyens d'ohservation , et combien aussi il était difficile aux savants d'entrer en com- munication d'idées.

Ce morceau est donné pour ce qu'il est, c'est-à- dire comme un monument destiné à montrer à quel point en était la science de la nature vers l'époque

422 JOURNAL ASIATIQUE,

il lui écrit. On y verra un spécimen des em- prunts que les Arabes avaient faits aux Grecs. En effet, si la théorie de Kazwiny n'est point exacte ment celle d'Aristote , ce foyer primitif s'al- luma ie flambeau des sciences de l'Orient, il lui doit son plan général et surtout ce qui regarde le passage des plantes aux animaux. On y observera en- core une communauté d'idées avec les latins très- curieù^, car je n'ose pas me servir d'autres expres- sions après ïe savant mémoire dans lequel M. de Sacy a prouvé que le Balinous des Arabes n'était point le naturaliste romain. Dans le but de faciliter les comparaisons je n'ai pas craint de multiplier les dtatîôiis.

Je n'entreprendrai point ici de discuter les théo- ries de Kazwiny : cet objet m'entraînerait trop loin; et, d'ailleurs, il n'entre point dans le but que se propose la Société asiatique de chercher la solution de ce problème difficile que chaque nouvelle dé- couverte paraît encore compliquer davantage. En effet, la limite des règnes de la nature a varier éh raison du perfectionnement des expériences; car, en raison aussi de ce perfectionnement, on a descendre plus bas dans l'échelle de l'organisation pour trouver les êtres mixtes intermédiaires. Si du téiiï^ps d'Aristote et de Kazwiny on s'arrêtait au mol- lusque et au ver, aujourd'hui, que le microscope es^ venu révéler des organisations dont alors on igno- Wlt f existence, on descend jusqu'aux infusoîrès et aux libly()é's (JÛ zôophytés. Ali sùrpîus, alors

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. comme aujourd'hui, et maiutenant comme tou- jours, les classifications des œuvres du Créateur et la recherche du point de contact dés règnes de la nature sont un travail de l'esprit humain; ce sont des théories destinées à mettre de l'ordre dans les idées; les êtres n'ont point été placés ainsi bout à bout; mais ils parurent alternativement ou simulta- tanément, suivant le besoin de la création et suivant le plan du divin ouvrier, sans que jamais on puisse supposer qu'un règne fût créé entièrement avant l'autre. La matière inorganisée dut sans doute paraître la première, puisqu'elle sert de base et de point d'appui aux êtres organisés auxquels elle fournit le principe matériel de l'existence.

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484 JOURNAL ASIATIQUE.

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/i26 JOURNAL ASIATIQUE.

<( Les premiers minéraux qui se présentent sont «le gypse ^ parmi ceux qui tiennent à l'élément ter- « réux, et le sel , parmi ceux qui tiennent à l'élément « liquide.

(( Le gypse est composé d'une terre sableuse , dé- ulayée par les eaux qui, ensuite, se consolidant, «devient un corps pierreux. Le sel est de l'eau (( mêlée aux parties salines de la terre et cristallisée « en masse salée.

«A l'autre point extrême des minéraux est un « corps qui doit son existence aux eaux pluviales et à la végétation, c'est la truffe et ses espèces. Voici « comment : cette sorte d'être se forme dans le sein «du sol comme les minéraux, et il se développe «dans des lieux frais, au printemps, à la suite des «pluies et des orages, précisément comme les M plantes ^. Puisque la truffe n'a point de tige ni de

' Une chose digne de remarque, c'est que Kazwiny ne parie nulle part ailleurs du gypse. Avicenne, qui Tappelle aussi /wu«aA£>>, en parle (t. I", p. i53) dans les termes les plus précis: /%jç»AfcX=>-

«C'est la pierre appelée aussi à^ezz; elle est feuilletée, elle est «translucide, et sa ténuité augmente quand on Texpose à Taction « du feu. » Cette description s'applique au gypse à texture feuilletée, et non aux variétés fibreuses ou saccharoïdes.

* Ce passage , qui prouve l'ignorance des anciens sur le mode de reproduction de la truffe, semble être la répétition de ce qu'on lit chez les Grecs et les Latins. Athénée dit précisément la même chose d'après Théophraste (I. II. p. 63, ao. cas.), que les truffes

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u feuilles , qu elle est un produit souterrain comme ules substances minérales, elle doit en faire partie; u ainsi, d'une part, elle ressemble au minéral, et, (( de l'autre , au végétal.

« Les végétaux touchent donc par leur base aux u minéraux, et par leur extrémité aux animaux; dans «la série des plantes, les plus viles tiennent à l'élé- «ment terreux, comme le vert de terreau; mais en (( tête est la plus noble des plantes , celle qui parti- » cipe de la nature animale , c est-à-dire le palmier. u En effet, le vert de terreau^ n'est qu'une substance ((pulvérulente produite par le sol; la pluie venant (( ensuite à tomber, on voit alors au matin le terreau ((briller d'un beau vert comme une plante; puis, (( l'ardeur du soleil l'atteignant , il disparaît pour se <( montrer de nouveau le lendemain , rafraîchi par la « rosée de la nuit et fhaleine embaumée de la brise. (( La truffe et le vert de fumier ne sont produits (( qu'au printemps , et ces deux substances sont , l'une (( végéto-minérale et fautre minéro-végétale.

naissent principalement lorsque tombent les pluies du printemps et qne se font entendre des coups de tonnerre répétés. Pline dit la même chose, HisL nat. 1, XIX, c. i3. Juvénal, Sat. v, vers 1 16, dit plus poétiquement :

Post hune tradentur tubera , si ver

Tune erit , et faciunt optata tonitrua caenas Majores

La truffe semble avoir fixé l'attention des Orientaux comme elle a fixé celle des gastronomes de l'Occident-, car plusieurs fois Kaz- winy, en traitant des mansions de la lune, se plaît à rappeler la naissance de la truffe. Avicenne en parle, t. I", p. 194.

' C'est le protococcus vindis des naturalistes modernes.

42a JOURNAL ASIATIQUE.

(( Le point le plus élevé dans les plantes est celui «qui touche aux animaux. Il est occupé par le pal- «inier^ Son organisation se distingue de celle des «autres végétaux; car, bien qu'il ait le corps d'un « végétal , les individus mâles sont distincts et séparés « des individus femelles, et la puissance fécondatrice « réside , comme chez les animaux, dans un appareil «particulier, le spathe. Quand on abat la tête du «palmier, il se fane, son fruit se flétrit et meurt, « comme il arrive chez les animaux quand on leur « coupe le cou. Ces comparaisons nous prouvent « que le palmier est une plante animalisée.

« Les animaux de l'ordre le plus bas ressemblent «aux plantes; en effet, les moins parfaits des ani- « maux, qui ne possèdent qu'un sens unique et qu'on «nomme vers [vermes)^, sont des espèces de ver- «misseaux renfermés dans des tubes pierreux. Ils « se trouvent sur quelques rivages : leur corps sort à « moitié du tube, et ils peuvent se mouvoir à droite,

* Tout ce qui est dit ici sur TexceUence du palmier est particulier aux Orientaux, et dérive sans doute de l'utilité qu'ils en retirent. L'histoire de sa fécondation se trouve aussi bien dans Théophraste que dans Pline.

* Ce sont les vernies de Linnée, Syst. nat. t. I", part. vi. L'être qui est cité pour exemple est sans doute une serpula. Aristote prend pour intermédiaire entre les plantes et les animaux les testacées, qui sont adhérents au rivage, l'éponge et les orties de mer (àxaXïf- Ças), [Hist. anlm. \. VIII, c. i). Les modernes n'ont point encore re- noncé entièrement aux idées de Kazwiny; car on lit dans le Monde primitif du docteur Link, professeur à l'université de Berlin, trad. franc, t. II, p. 6 : Le ver et Chomme . les deux exirêmes de la série du règne animal.

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« à gauche, en tout sens, pour trouver la substance « qui sert à leur nourriture. Tant qu'ils rencontrent « l'humidité et la mollesse ils continuent leurs mou- «vements : mais dès qu'ils sentent quelque corps «dur, la crainte les porte aussitôt à se contracter (( et à rentrer dans leur enveloppe. Cependant ces « êtres sont privés de l'ouïe, de la vue, du goût et « de l'odorat; ils sont réduits au sens unique du tou- «cher^. Il en est de même de la plupart des vers « qui sont engendrés dans les limons vaseux : certes « ce sont des espèces d'animaux-plantes , parce qu'ils (( végètent comme les plantes elles-mêmes.

(( La classe des animaux qui touche à l'homme de «( plus près , c'est le singe et ce qui lui ressemble ^ : «en effet, la forme de son corps se rapproche de « celle de l'homme , et son intelligence rappelle les «diverses nuances de l'intelligence humaine*. Il en

^ Aristote dit aussi [Hist. anim. 1. II, c. 3) que le sens du tou- cher répandu chez les animaux les aide à reconnaître leur nour- riture.

* On lit dans Arislote [Hist. anim. 1. II, c. 8) : «Quelques «animaux tiennent de Thomme et du quadrupède, comme les «singes.» Pline, 1. VIII, c. 54: Simiarum (jenera hominis Jic/urœ proxima.

^ Cette partie du texte est très-fautive dans Toriginal ; on y lit :

(j*«^..il J et^»-j! (^V.^ Xjm*JJ^ ^U^ji^î «Xa«a£^ (j^ *r*^î^

^J^êyXju\ t«XiJ^^ AjùUMJ<^t. Il m'a été impossible de trouver dans ces mots an sens raisonnable. En étudiant le texte et comparant la manière dont raulcnr enchaîne les idées, et surtout avec le secours des conseils de \IM. Reinaud et Munk, j'ai arrangé le

li'M) JOURNAL ASIATIQUE

«est presque de même du cheval, car il possède la ((fmesse, la bonté et la générosité. Souvent on le « voit s'abstenir de satisfaire à ses besoins physiques <( tant qu'il porte son maître ou qu'il est en sa pro- « se^îce; dans les combats , il l'assiste de son courage, « il montre de la patience quand on le frappe. Tel « aussi est l'éléphant, qui comprend ce qu'on lui dit «et qui obéit au commandement ou à la défense «aussi bien que l'homme dpué de raison.

«Les individus de l'espèce humaine qui se rap- « prochent des animaux en forment la classe la plus « méprisable. Ils ne connaissent que les choses sen- «suelles; ils n'ont de jouissances que celles de la ik^^re, et ne songent qu'à boire, manger, satisfaire « les plaisii:s des sens comme le pourceau oi; l'âne ; «ou bien ils entassent beaucoup au delà de leurs « bpsoins , comme la fourmi , ou bien ils se précipitent « avec voracité sur les choses viles et méprisables , « comme le chien , qui se jette sur les cadavres; si de «tels êtres ont une forme humaine, certes leur «conduite est bien celle des animaux sans raison.

{(Mais la portion du genre humain qui se rap- « proche des anges ^ se compose de cette classe

jlejte tel que je le présente, cest-à^ire, j'ai supposé Tabsence Jii mot Rxj\m*^^\ après Jlj, et celle de Xj\â après aKJCm, guidé par ia phrase analogue qu'on lit plus bas : i(jû!%ju^ /JU' 4^) ^jlj. Le second mot, ^j^ykj, a été remplacé par (j**vi, qui répond bien à la pensée de l'auteur, et qui, surtout, paraît comni^ndé par le mot \jjj^j. Ce passage rappelle quelques phrases de la belle description du cheval par BufTon.

' Ceci semble être la reproduction de cette pensée dw p^ipiste

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« d'hommes qui secouent Je sommeil qui engoui^- udissail leur esprit, de ces hommes pour qui s'est «ouvert l'œil de l'intelligence, et qui ont vu la u lumière cachée au fond de leur cœur par le voile « des sens, et qui brillent par la beauté de leur na- « ture. Êtres du ciel à qui se révèlent ses secrets et u ses béatitudes , ils y placent toute leur félicité en «même temps qu'ils repoussent les jouissances ter- « restres. De tels hommes participent vraiment de « la nature des anges , et , quoiqu'ils aient la forme « humaine , ils occupent un rang distingué , et ils sont « du commerce le meilleur pour leurs semblables. »

SAOPTIRA PARVA,

Episode du Mabâbhârata \

Samdjaya dit :

Ensuite ces chefs (de l'armée des Rourous), étant partis ensemble dans la direction du sud , arrivèrent au soir près du camp (de l'ennemi). Après avoir

(ps. VIII, V. lo : a^n'î'XD îoyD iîTiDtiM ^ '""'""'' ^"^P^"''' '"'"'"

abàntjelis. <n j:

' Mahâbhârata, t. Ilf , p. 307.

i!i32 JOUUNAL ASIATIQUE,

en grande haie dételé leurs chevaux , ils se rapj3ro- chent l'un de l'autre tout efTrayés , et s'avancent vers une foret sombre dans laquelle ils pénètrent d'un pas furtif. Parvenus non loin du lieu campe i'armée (des Pandous), ils s'arrêtent bientôt, déchi- rés par des armes acérées, et tout couverts de bles- sures. Là, poussant des soupirs longs et brûlants, ils songent encore aux Pandous; mais le bruit ter- rible des ennemis animés par la victoire frappe leurs oreilles; la frayeur les talonne de nouveau, et ils reprennent leur course droit devant eux ; après quelques instants de marche, leurs chevaux sont fatigués, la soif les presse : les trois guerriers eux- mêmes ne se contiennent plus ; dominés par la co- lère et la rage , dévorés de chagiin par la mort de leur roi (Doiu-yôdhana) , ils s'arrêtent quelque temps.

Dhritarâchtra dit :

Il est incroyable qu'un tel exploit ait été accom- pli par Bhîmaséna, ô Samdjaya! Que mon fils, fort comme dix mille éléphants , ait succombé, lui, jeune héros, au corps solide comme le diamant, et qui ne peut être tué par aucun être (terrestre); il est incroyable que mon fils ait péri dans le combat sous les coups des Pândavas! Qu'on ne redise pas qu'il ait pu être surpassé en force par des hommes , en sorte que lui, mon fils, ait succombé de la main des Pandous! Mon cœur serait de fer, ô Samdjaya! s*il ne se déchirait pas en cent morceaux à la non-

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velle du meurtre de mes cent fils! Que deviendront de vieux époux ainsi privés de tous lem^s enfants? Car je ne me hasarderais plus à habiter dans le pays gouverné par l'aîné des Pandous; père d'un roi et roi moi-même , ô Samdjaya! comment devien- drais-je un esclave soumis aux volontés d'un Pân- dava, de celui qui seul a détruit jusqu'au dernier mes cent fils, jadis maîtres absolus de toute la terre et placés au premier rang ! La prophétie du magna- nime Vidoura s'est accomplie par mon fds lui-même, qui ne suivait pas ses conseils. Gomment, réduit à cette fin déplorable, deviendrais-je l'esclave du vain- queur? comment pourrais-je, ô Samdjaya! entendre les ordres de Bhimaséna? Mais après que, contre la loi des combats, mon fils Douryôdhana eut été tué, ô Samdjaya! que firent Kritavarman, Rripa et le fils de Drona Açwatthaman?

Samdjaya dit :

Les tiens, ô roi! s'étant donc arrêtés dans leur marche, à une petite distance , aperçurent une forêt sombre , remplie d'arbres et d'arbustes grimpants : ils se reposent un peu, puis, avec leurs chevaux, qui s'étaient désaltérés, ils atteignirent, au coucher du soleil, la grande forêt, séjour choisi de diverses bêtes fauves, retraite de nombreuses troupes d'oi- seaux, assombrie par bien des arbres et des lianes, recherchée par une foule d'animaux féroces, abon danament pourvue d'eau, embellie de mille espèces de fleurs, jonchée de mille touffes de Ipti^s» et toute X. 28 '

154 JOURNAL ASIATIQUE,

briîîaniè de nymphéas bleus. Ayant donc pénétré dans ce bois terrible, ils tournent leurs regards «^ l'entour; un nyagrôdha^ couvert de mille rameaux épais s'offre à leurs yeux. Lorsqu'ils se furent appro- chés, ô roi! ces trois héros, les meilleurs d'entre les hommes, virent ce magnifique roi des forêts. Alors, descendant de leurs chars, ils détèlent leurs èhevaux, et, après avoir fait leurs ablutions du soir selon la loi, ils se couchèrent.

Cependant l'astre qui répand la lumière s'étant retiré derrière l'excellente montagne de l'ouest, alors s'avança la nuit, protectrice de toutes les créatures. Décoré des constellations, des planètes, des étoiles brillant toutes ensemble, le ciel, pareil à un tissu léger, s'éclaira et resplendit complètement. Alors érrétit à leur gré les êtres qui marchent dans les ténèbres, et ceux qui marchent au grand jour sont rentrés sous le joug du sommeil; alors aussi retentit le bruit terrible des animaux qui se meuvent dans l'obscurité: les bêtes fauves se réjouissaient; la huit, source de frayeurs, était complète. Or, à l'ar- rivée de ces redoutables ténèbres , accablés de souf- france et de chagrin , Kritavarman , Kripa et le fils deDrôna, s'asseyent tous trois ensemble dans la forêl?, et, retirés àti pied de ce nyagrôdha, ils songent aVec douleur au sujet qui les préoccupe , à l'immense désastre des deux familles de Kourou et de Pândou. Le sommeil se répand dans tous leurs membres ; ils ^e cofucheilt sur la tietre, excédés de fatigue et percés

' ' ^ Ficus indica. «^ ' *

NOVEMBRE 1840. ^^5

de bien des flèches. Kripa et Kiitavarman sont vain- cus tous les deux par le besoin de dormir, eux qui tînt vécu dans le repos et n'ont pas mérité tan| jj^ douleur; ils s étendent sur le sol, et sonimeillent ainsi tous les deux, grand roi! accablés de fatigue et de douleurs, couchés sur la dure, comme s'ils eussent été sur des lits précieux, pareils ^ d^s êtres sans protecteurs. Mais le fils de Drôna , dominé par la colère et la rage , ne se livra point au repos , car la douleur le consume, ô puissant guerrier ! il promène ses regards sur la forêt terrible à voir : il distingue l'épais fourré, retraite favorite de bien des animaux, il voit le nyagrôdha tout chargé d'oiseaux. Des mil- liers de corbeaux, qui sont venus y passer la nuit, dorment en paix chacun dans le lieu qu'il ^choisi pour asile. Mais comme les corbeaux dormaient ainsi sans défiance, Açwatthaman vit un hibou au vol rapide, hideux, s agitant à grand; bruit, gros oiseau aux yeux gris, tacheté de jaune et dejDrun, armé de longues serres et d'un long bcQ, agile comme un garouda (monture de Krichna); Ayant fait entendre un léger sifflement, ce hibou, , comme ^'il se fût évanoui dans l'espace »i prit sQ^'|i|çjl.|y;)ur atteindre la branche du nyagrôdha, et, après s'être abattu sur cette branche, l'oiseau qui extermine. lies volatiles tua un grand nombre de corbeaux qi^it se tfouvèrent à sa portée :^ux ups, il çQupa iiçç. ailes et arracha la tête ; aux autres , il brisa les pattes , lui qui porte des armes au itaJon. En un instiant^ le vigonreuîs oiseau ayaat tùé èeiix qui sje.t^n.aient^vr

28.

436 JOURNAL ASIATIQUE.

la voie de son regard, tout le tour du nyagrôdha fut complètement jonché de membres épars, et de cadavres (de corbeaux). Alors, quand il eut décimé ces oiseaux, le hibou fut satisfait de cette vengeance exercée à son gré sur les ennemis.

A la vue de l'exploit traîtreusement accompli dans l'ombre par le hibou, arrêtant sa détermina- tion d'après ce fait, Açwatthaman seul (éveillé) se 'liaH à réfléchir, et il se dit : « Cet oiseau m'a donné (ixxn avis (applicable) à la circonstance dans laquelle ((je me trouve. Voici le temps propre et convenable ((d'exterminer l'ennemi: telle est ma pensée. Je ne «* puis aujourd'hui tuer les Pândotis triomphants, « adversaires pleins de force, affermis par le succès, «• arrivés au terme de leurs désirs et munis de leurs (( armes; cependant, à la face de Douryôdhana (expi-

'^rant), j'ai promis de les exterminer. Si, choisissant uXme marche qui me conduise à ma perte, comme wle papillon courant à la flamme, j'attaque loyale-

''t lisent ces guerriers, ma mort est certaine: mais,

^«'p^ la ruse, le succès est assuré, et il y aurait «Un grand carnage parmi les ennemis. Le moyen « infaillible ( quel qu'il soit ) vaut mieux que le

"^i 'moyen douteux, car bien des gens Tout pensé, «même des gens versés dans la connaissance des «livres sacrés (et ils ont dit) : Ce qui, dans cette

"<i-même circonstance, serait une chose blâmée, ré- ^"^rouvée dans le monde, cela doit être fait, même

^1< sans blesser les devoirs du Kchatriya, par l'homme

'■*^qtii's'y trouve obligé. Tous les actes condamnés,

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« les actes de trahison , ont été commis à chaque pas « par les Pândavas à la merci de leurs passions , et , u sur ce sujet, on a entendu chanter par des hommes (( attentifs à leurs devoirs , observateurs fidèles de «la justice, habiles à discerner ce qui est bien, « des stances qui tendaient à établir ce principe : ((.^ Quand la fatigue l'accable, quand il est brisé (( de coups , quand il prend son repas , quand il est « en marche pour attaquer, quand il est rentré dans « son camp , l'ennemi doit frapper l'ennemi ; de « même aussi, quand, au milieu de la nuit, vaincue « par le sommeil, l'armée de l'adversaire n'a plus de «guide, et que les guerriers sont dispersés çà et là, « ou bien que ses forces sont réparties et occupées (( en deux endroits. )>

C'est de cette manière que le fils de Drôna, plein de puissance, se détermina à massacrer au milieu de la nuit les Pândous et (leurs alliés) les Pântchâ- iiens. Fixé dans son cruel dessein, après avoir réflé- chi à plusieurs reprises, il éveilla ses deux compa- gnons endormis, Kripa et Kritavarman. Mais les deux vaillants héros, tirés de leur sommeil, ne firent point de réponse favorable , car la honte les accable : enfin, après avoir quelques instants mûri son projet, Açwatthaman s'écria avec larmes et colère :

«11 est frappé à mort, Douryôdhana notre roi, « héros sans rival et plein de force , lui pour qui « nous avions contracté avec les Pândous. une ini- «mitié aehBrnée! Prince aux exploits héroïques- et

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« purs , seul contre tant de vils adversaires , il a été «tué par Bhîmaséna, lui qui commandait à onze (( armées \ C'est l'ignoble Pândava au ventre de loup (( qui a accompli cette œuvre d'iniquité, en souillant « de soh pied le front d'un Kchatriya qui avait reÇu (d'onction sacrée I Ils poussent des cris de joie, les « Pântchâliens ! ils se réjouissent, ils sont ràyon- (( nants , ils font résonner leurs conques par cen- « tain es ; dans leur ivresse, ils frappent les grands <( tambours de guerre , le bruit tumultueux et terri- « ble des instruments de musique , mêlé au reten- «tissement des conques, est renvoyé par la brise, «cet semble remplir l'espace. On entend le murmure «retentissant des chevaux qui hennissent, des élé- «phants qui rugissent, et des guerriers poussant «dès cris de victoire. Vers l'est, ils se sont reti- <<fé»r on entend, avec un frisson de terreur, le rou- ir lement de la roue des chars qui les emmènertt «dans leur marche joyeuse. Voilà le carnage qui a « été porté par les Pândous au milieu des fds de a Dhiitarâchtra ; nous trois ici sommes tout ce qui (( a survécu à ce grand désastre ! De tant de héros 0 immolés, les uns avaient la force de cent élé- aphants, les autres étaient exercés dans la pratique a de toutes les armes, et je regarde leur mort comme « un renversement des lois fixées par le temps. C'est «de cette manière qu'il faut agir en vérité pour «arriver à un pareil dénouement, même à l'aide « tfune action inique. Si votre jugement à tous les wd^nx ne fléchit pas par Teffet du trouble, re que

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« notre intérêt réclame le plus impérieusement dans «cette terrible et extraordinaire occurrence, cela « dites-le I »

IL

Kripa dit :

« J'ai entendu lune après l'autre toutes les paroles « prononcées par toi ; écoute donc maintenant ces «quelques mots de ma bouche, ô grand prince! (( Tous les mortels sont limités et restreints à deux u actions : l'une divine , l'autre humaine , et il n'en «existe pas une troisième. Le succès des œuvres ne «dépend pas du ciel seul, ni non plus de la seule « action humaine : mais il dépend de ces deux causes «à la fois. Tous, sans exception, sont emprisonnés « dans ces deux nécessités , les plus élevés comme «les plus infimes, ceux qui s'occupent activement « dans la vie , comme ceux qui se retirent hors de « la vie pratique. Si Indra pleut sur la montagne , le «fruit est-il obtenu? mais s'il pleut dans un champ «labouré, n'y aura-t-il pas production d'un fruit? «Qu'il y ait ou non elForl de la part des Dieux, «dans tous les cas, ce sera en vain (sans l'adjonc- «tion de l'effort de fhomme); c'est une chose re- « connue et admise il y a longtemps. Mais si le ciel M vgrse à propos la pluie , si le champ est bien pré- «paré, alors, que la semence réussisse à point, le «succès en est à faction humaine. De ces deux «éléments (concourant à la fois à la production « d'une œuvre), le ciel est celui qui décide et donne

440 JOURNAL ASIATIQUE.

«l'élan à l'action; mais les sages qui s'appuyent sur «l'habileté placent l'action dans l'effort humain. « Tous ceux qui , parmi les hommes , tendent vers « un but , ô grand prince ! même ceux qui s'abstien- «nent des œuvres pratiques, basent leurs efforts « sur ces deux moyens. Le ciel lui-même fait réussir «l'œuvre commencée par l'homme, et ainsi le fruit « de l'entreprise revient à celui qui a su agir. L'ef- « fort des humains doués d'habileté , s'il est privé du «secours d'en haut, reste aussi sans effet, bien qu'il «renferme toutes les conditions voulues. Ceux qui «sont, parmi les mortels, sans désir et sans cœur, «blâment tout effort vers un but, mais les sages h « leur tour condamnent en eux ce jugement. Le « plus souvent , on ne voit pas dans le monde d'ac- « tion accomplie qui soit sans fruit; mais pour celui ^Mtpii s'est tenu en dehors de toute action , de cette « chose même non accomplie sort une abondante «douleur. Ne pas faire effort et obtenir quelque « chose à son gré ; faire effort et ne rien obtenir, «sont deux cas difficiles à rencontrer. L'homme «habile sait profiter de l'existence; l'ambition est «faliment du bonheur, et généralement on voit «dans ce monde des vivants les gens habiles, affec- «tueux et désirant le bien. Si, dès le commence- « ment de son œuvre , fhomme habile n'en obtient «pas le succès, ou s'il arrive au but désiré, qu'on « ne le blâme pas ; mais le présomptueux qui , sans « avoir fait une action , en retire le fruit , celui-là en- « court le blâme , et le plus souvent il est haï; celui

NOVEMBRE 1840 441

«qui, méprisant cette règle, agit d'une manière « opposée , rend stériles les œuvres de sa vie : telle « est la loi des sages. Toute entreprise qui ne por- «tera pas sur ces deux moyens, l'un divin, l'autre ({ humain , ne sera qu'un impuissant effort ; privée « de l'action humaine , aucune œuvre ne réussit ici- ((bas. Mais l'homme qui, après avoir invoqué les «Dieux, doué d'ailleurs d'habileté et adroit à l'exé- « cution , cherche de toutes ses forces l'accomplisse- «ment de ses désirs, celui-là ne sera pas le jouet «d'un vain espoir. Cet autre encore qui, poursui- « vaut son but, recherche les conseils des vieillards, «les questionnera sur le meilleur parti à prendre, «et il suivra l'avis donné dans son intérêt, car, à «chaque entreprise, tout en agissant de son côté, « il faut interroger ceux auxquels l'âge a donné de «l'expérience, car ils sont, dans l'application des « moyens, la racine par excellence , et le succès est « dit avoir sa racine en eux. Celui qui adapte l'effort «à l'entreprise, après avoir écouté la parole des « vieillards , obtiendra à la longue le fruit complet «de ses travaux, mais fhomme qui poursuit ses « desseins avec le secours de la passion , de la colère , « de f inquiétude et de la cupidité , ne veut pas de «maître, et dédaigne les conseils, celui-là est bien «vite jeté hors de la voie qui conduit à la prospé- « rite. Le but auquel tendaient ses désirs ne pou- «vant être atteint par Douryôdhana agissant sous « l'empire de la cupidité , incapable de porter ses «vues dans l'avenir, et dirigé dans ses réflexions par

442 JOURNAL ASIATIQUE.

«la folie, méprisant ceux dont les intelligents con- «seils étaient salutaires, et ne consultant que les «hommes sans vertus, il a de son plein gré sus- «cité la haine des Pândous éminents en qualités. « Celui qui s'est toujours mal dirigé ne peut avoir «la fermeté d'esprit (qui résiste aux passions), et, « à la vue de sa ruine , il se repent de n'avoir pas « écouté la voix de ceux qui lui voulaient du bien ; « et nous, poiu* avoir ohéi à ce pécheur, nous «sommes aussi victimes de ce grand et temble « désastre. Aujourd'hui même, par T effet de cette ca- « lamité qui me consume de douleur et de remords , «mon intelligence, quand je me recueille, ne peut « me faire connaître le meilleur parti à prendre. M L'homme en proie avi trouble doit consulter ses « amis^ c'est qu'il retrouve l'intelligence; en cela il «agit convenablement, et discerne alors ce qui est «le meilleur. Ainsi, après qu'ils ont bien réfléchi «dans leur esprit clairvoyant, ces sages, qui sont «la racine des œuvres de celui qui agit, on doit «les interroger, et ce qu'ils diront doit être fait. «Nous donc, étant allés vers Dhritarâchtra et Gân- «dharî, consultons-les, ainsi que Vidoura dont les «pensées sont élevées; et ce qu'ils nous conseil- «leront, en répondant à nos demandes, sera ce « qu'il nous est le plus avantageux de faire immé- « diatement.

«Voilà ce que nous devons faire, telle est ma « pensée bien étabhe. Avant d'avoir mis la main à «l'œuvre, on n'obtient jamais un résultat; mais

NOVEMRRE 1840. 443

« ceux dont l'entreprise reste sans succès après qu'ils o.y ont employé leur effort, sont maudits par le « ciel. Et il n'y a là-dessus aucun doute, w

III.

Samdjaya dit:

En entendant cette belle parole, pleine de justice et de bons conseils prononcée par Kripa, Açwattha- man, accablé de douleur et de souffrance, consumé par le chagrin comme par un feu dévorant, arrêta son dessein pervers et dit à ses deux compagnons:

« Chaque homme admire l'intelligence dont il est «doué, et chacun en particulier applaudit à sa pro- « pre sagesse ; car chacun dans le monde se tient « pour le plus sage dans ses jugements. L'opinion «générale, universellement estimée, fe' applaudit elle- «même dans cette collection des idées de chacun, « car la sagesse de tout homme n'a d'autre base que usa propre approbation; et ainsi, le plus souvent « on blâme l'opinion d' autrui et on loue la sienne. « Souvent aussi , dans un cas donné , plusieurs hom- « mes se trouvent réunis par le hasard d'une cause «étrangère, et, satisfaits les uns des autres, ils se « mettent à s'estimer beaucoup; mais bientôt la pen- te sée de chacun en particulier prend une direction « opposée au temps décisif, et tous deviennent d'avis ^différent. C'est par la diversité d'opinions qui éclate « entre lès hommes , sans exception , que chaque pen- usée naît ainsi, respectivement frappée d'impuis-

fM JOURNAL ASIATIQUE.

« sance. De même qu'un médecin habile, après avoir «déterminé avec précision le cas d'un malade, em- a ploie le remède dans l'idée du soulagement (qui «résultera) de son application en temps propre; « ainsi les hommes se servent de leur intelligence « pour l'adapter à l'œuvre ; en cela , c'est sur leurs «propres connaissances qu'ils s'appuient, et alors « on les blâme. L'homme, dans sa jeunesse, est fol- «lement dirigé par cette pensée; au milieu de sa « carrière , c'en est une autre , et dans sa vieillesse « il se complaît dans une nouvelle manière de voir, <(car, selon qu'il éprouve de grands et terribles «désastres, ou arrive à une prospérité extraordi- « naire , il apporte des modifications dans ses idées. «Chez un même individu, en effet, il y a succes- « sivement plus d'une pensée, et c'est parce qu'elle «n'a pas amerté le succès de son entreprise, que « celle-ci lui déplaira. Après avoir réfléchi comme «le veut la sagesse, favis qui lui paraît le meilleur « est celui qu'il suivra dans l'accomplissement de « son entreprise, et c'est ce qui détermine l'eifort ; « car, ô Kritavarman ! tout homme qui a dit , après « de mûres réflexions , ceci est bien , met la main à «fœuvre avec joie, même dans des entreprises qui «le mènent à la mort, et cela, parce que chacun, « reconnaissant son intelligence et sa sagesse comme « supérieures à toutes autres , agit avec un eftbrt tf constant et multiplié quand il a cru trouver ce qui «convient. Ainsi, le dessein qui est en moi de «cette calamité même (dans laquelle nous sommes

NOVEMBRE 1840. 445

« plongés), je vais vous l'exposer à tous deux, dessein « qui doit détruire ma douieur.

«Pradjâpati, après avoir produit les créatures, « et déposé en elles la capacité d'agir, a , dans chaque «caste, réparti des qualités respectives. Au Brah- «mane il a donné le Véda et la suprématie; au «Rchatriya l'éclat suprême, au Vayçia l'habileté, «au Coudra l'obéissance dévouée envers toutes les «castes. Le Brahmane qui ne donne pas (et reçoit «toujours) est sans vertus; le Kchatriya sans éclat « est dégradé ; on blâme le Vayçia sans habileté et «le Coudra qui manque d'égards aux castes supé- « rieures. Moi, je suis dans la plus excellente des « castes , dans la caste vénérée des Brahmanes ; par «suite de l'infortune, je me trouve soumis aux lois «qui régissent les Kchatriyas. Maintenant, après «avoir connu les devoirs de la caste guerrière, si «j'entreprenais une grande action sous les auspices «des Brahmanes, ce serait de ma part une démar- «che déplacée, moi qui, portant dans la bataille « un arc divin et des armes divines , ai vu de mes « yeux mon père tué, que dirais-je dans leur assem- « biée? Mais, en adoptant selon mon désir la loi qui « régit les Kchatriyas, je vais suivre la voie des guer- « riers et celle de mon père , héros magnanime.

« Maintenant les Pântchaliens dorment sans dé- « fiance, dans l'ivresse du triomphe; ils ont dételé «leurs chevaux et détaché leurs armures; ils sont « au comble de la joie. Tandis que, croyant tenir la u victoire dans leurs mains, fatigués, épuisés parles

446 JOURNAL ASIATIQUE

«efforts du combat, ils dorment en pleine nuit, «bien établis dans leur camp, je vais les assaillir à «l'instant même dans leur retraite, d'une manière «terrible. Attaquant avec impétuosité, dans leur « camp, ces guerriers que le sommeil laisse comme «des morts, privés du sentiment, je les consume- « rai par ma violence , comme Indra dompta les Dà- «navas. Aujourd'hui même, tous ces guerriers, réu- « nis sous les ordres de Dhrichtliadyoumna, je les «consumerai par ma violence, comme un vent en- « flammé dévore l'herbe; et, après avoir massacré «les Pântchâliens , je goûterai aussi de la consola- « tion. Dans ce coup de main, je vais porter la mort « au milieu des Pântchâliens, comme, au milieu des

^A^oupeaux, Roudra lui-mêine, armé du trident et «transporté de colère. Aujourd'hui même, après « avoir tué, anéanti tous les Pântchâliens, j'immole- «rai avec une grande joie les fijs de Pândou. Aujour- «d%ui même, après si voir jonché la terre des cada-

'itJtrès des Pântchâliens et te avoir massacrés un â « un, j'aurai acquitté ma dette envers mon père! La « route qu'ont suivie Douryodhana, Karna , Bhichma

i M et le roi du Sindhi , je la ferai prendre aux Pântchâ- «lii^sv (cette ^route funèbre) et terrible à aborder. "Aujourd'hui même, leur roi DhricHthadyoumna, «je le broierai, au milieu de la nuit, en un instant, «comn&fe Giva broie uhe gazelle sous sa main pùis- Ksante. Aujourd'hui m«ême, ces fils des Pântchâliens « et des Pândous, qui dotaient en pleine nuit, je les M brisprai sur le champ de bataille avec mon ^aive

NOVEMBRE 1840. 447

u acéré. Aujourd'hui même, après avoir massacré, «dans le sommeil de la nuit, l'armée des Pântchâ- « liens, mon œuvre étant accomplie, je serai satis- « fait , ô magnanime guerrier ! )>

IV.

Kripa dit :

«Grâce au ciel, ta pensée s'est dirigée vers la « vengeance; le Dieu qui lance la foudre ne pourrait «lui-même mettre obstacle à tes desseins! Nous te « suivrons tous les deux, mais dès que le jour paraî- «tra; repose-toi donc cette nuit, puisque tu as laissé ■«de côté ton armure et ta bannière. Je te suivrai, «moi, et Kritavarman aussi; montés sur nos chars, «bien fournis d'armes, nous te suivrons dans ta «à marche contre l'ennemi. Accompagné de nous udeux , demain tu anéantiras les ennemis dans cette «rencontre, ô toi, le meilleur des héros! après <( avoir dompté par ta puissance les Pântchâliens et u ceux qui ont suivi leurs pas. Tu es plein d'héroïsme «t quand tu déploies tes forces; repose- toi cette nuit; « it y a bien longtemps que tu veilles , dors pendant le «reste de la nuit. Remis de tes fatigues, bien éveillé, «la pensée bien établie en abordant l'ennemi dans la '«r mêlée, itu l'anéantiras; le succès est certain. Non, ô «toi lie meilleur de ceux qui montent des chars, H quand tu as en main tes armes excellentes , Indra , « qui règne parmi les Dieux, ne pourrait te vaincre, «même par des attaques multipliées. Ainsi, accom-

448 JOURNAL ASIATIQUE,

upagné de Kripa, et protégé dans sa marche par « Kritavarman , le fils de Drôna , acharné au combat, (( serait-il défait par le roi des Dieux lui-même? Nous « trois, bien reposés, délivrés du sommeil qui nous (( accable , débarrassés de cette fièvre, dès que la nuit «fera place au jour, nous anéantirons les ennemis; «car tes armes sont divines, et les miennes aussi, «assurément; et Kritavarman Sâtwata est un héros «habile dans les batailles. Tous trois réunis, après « avoir, dans fattaque , détruit , par la violence de «nos coups, tous les ennemis assemblés, nous goû- «terons une joie suprême. Repose-toi donc avec «calme, dors en paix toute la nuit, et quand tu « paiiiras, ô toi! le meilleur des hommes, Kritavar- «man et moi, tous les deux munis de nos arcs, «dévorant f ennemi et bien armés, nous monterons « sur nos chars , pour accompagner le tien dans sa «course rapide. Alors, arrivé dans leur camp, et « proclamant tout haut ton nom sur le champ de « bataille , tu portes un grand carnage au milieu des « Pântchâliens en état de défense : après les avoir (( ainsi décimés à la clarté du jour lumineux, triomphe « alors comme Çakra , quand il a exterminé les grands « Asouras; car tu peux, dans la mêlée, vaincre far- « mée des Pântchâliens , pareil au Dieu vainqueur « des Dânavas, qui, dans sa colère, détruisit l'armée «des Daityas. Quand tu marcheras ainsi, soutenu « par moi et protégé par Kritavarman , le Dieu qui « lance la foudre n'oserait lui-même t'aifronter en «face. Car ni moi, ni non plus Kritavarman, ne

NOVEMBRE 1840. 449

«reviendrons jamais sans avoir vaincu les Pândous. «Mais, après avoir massacré, en combattant, les (( Pântchâliens furieux et leurs alliés les Pândavas, unous reviendrons alors tous trois ensemble, ou «bien, tués dans l'attaque, nous serons partis pour «le ciel. Par tous les moyens possibles, nous te se- <( couderons dans cette bataille livrée en plein jour; «et je dis en cela la vérité, ô grand guerrier dont « lame est pure ! »

A cette parole pleine de convenance dite par son oncle, Açwattbaman répondit, les yeux rouges de colère :

(( Pour l'homme malade , dévoré par la passion , «préoccupé par l'intérêt, possédé par l'amour, d'où « viendrait le repos? Tels sont aujourd'hui les quatre « maux qui m'assiègent, et chacun d'eux, pris à part, « suffirait pour détruire à l'instant le sommeil. Le cha- « gi'in qui s'élève en ce monde au souvenir de la mort « d'un père, consume mon coeur nuit et jour, et rien «ne le calme. Mon père a été tué par des traîtres, «^tu sais tout cela , et voilà ce qui torture tout mon « être. Est-il quelqu'un qui, en un pareil état, puisse u vivre, même un instant? Drôna est mort!... Tel est « le cri que j'entends sortir de la bouche des Pântchâ- « liens. Tant que je n'aurai pas tué Drichlhadyoumna , «je ne puis supporter la vie ; puisqu'ils ont tué mon « père , ils doivent périr, tous ces Pântchâliens , à la «fois! Ces cris lamentables de notre roi Douryô- «dhana, gisant les cuisses rompues, qui ont frappé « mon oreille, quel cœur sans pitié n'enflammeraient- X «9

Ub^ JOURNAL ASIATIQUE.

« y$ paàP Quel être sans compassion même lie verse- « rait des larmesde ses deux yeux en entendant les « paroles que prononçait le roi mutilé ! et ce senti- « ment de tendresse pour uri ami, qui subsiste invin- (( cihlement en moi, augmente encore mon chagrin, «comme Un tortent accroît l'océan. Quel sommeil, « quelle consolation possible pour moi , dont l'esprit k fest incessamment fixé sur un seul point ? Eux qui sont «sous la protection de Vâsoudéva et d'Ardjouna, «(Seraient de trop rudes adversaires pour le grand u Indra lui-même; telle est ma pensée, ô héros! «Mais ce Dieu ne pourrait non plus dompter la « colère qui s'est élevée en moi, et, dans ce monde, «je ne vois pas quel serait celui qui m'arrêterait « dans ma fureur.

W Donc , voilà ma détermination arrêtée , le Sage « dessein que j'adopte. Des envoyés m'ont annoncé « la destruction de ceux qui me sOnt chers et la vic- «toire des Pândavas-, mon cœur se consume de douleur; mais quand j'aurai massacré nos ennemis k avec un grand carnage , aii milieu de leur sommeil , îwaiors je pourrai me reposer et dormir; ma fièvre « sera passée. »

V.

Kripa dit:

«L'homme stupide, malgré sa docilité, malgré «son attention à réprimer ses sens, ne peut arri «ver à bien discerner le devoir et l'intérêt; telle «est îtiûn idée; de même aussi, celui qui, en dépit

NOVEMBRE 1840. 451

nde son intelligence, ne cherche pas à apprendre « la véritable règle , celui-là ne connaît point non « plus la ligne de démarcation de ces deux choses. ((Le guerrier sans esprit a beau fréquenter assi- « dûment un pandit, il ne connaît pas plus les (( devoirs que la cuiller ne distingue le goût des ((mets. L'homme habile, au contraire, après avoir (tune minute seulement écouté le pandit, a com- te pris bien vite les devoirs, comme la langue con- tenait la saveur des aliments; ainsi celui qui est ((docile aux leçons, doué de sagacité, maître de ses <(sens, peut savoir ce que prescrivent les livres sa- <( crés, et ne pas en violer la loi; mais l'orgueilleux (( impossible à diriger, cruel en ses desseins et cri- (( mine! en ses actions , sortira de la saipe voie , et «commettra bien des crimes. Celui qui n'est pas « sans appui dans ce monde, ses amis le détournent «du crime, mais c'est l'homme heureux, et non « l'homme en proie au malheur, qui s'abstient du « mal; au milieu des fluctuations de son esprit agité, (( celui qui a des amis peut être arrêté par eux dans «cette voie inique, mais celui qui ne peut user de ((ce secours périt infailliblement. Car aussi, fami, (( sage d'ailleurs , qui veut accomplir une action « perverse, les sages l'en détournent à l'envi, chacun «de leur côté, chacun selon son pouvoir. Donc, «ô prince, dirigeant ton cœur vers le bien, te ((domptant toi-même par ta propre force, agis sui- <(vant mes paroles, qui ne t'exposeront point à des H regrets.

452 JOURNAL ASIATIQUE.

u Non , dans le monde on n'applaudit point « comme loyale la mort d'un ennemi endormi , ou « qui a déposé les armes , ou qui a dételé les chevaux « de son char, ou bien qui dirait : Je suis à toi! ou (( qui se mettrait sous la protection du vainqueur, « ou qui aurait délié ses cheveux , ou dont les cour- u siers auraient été tués. Maintenant ils dorment , (des Pântchâliens , leurs cuirasses sont défaites, «ô prince! pleins de confiance dans la nuit, ils «sont tous comme des morts, privés de sentiment. « L'homme assez pervers pour les assaillir dans leur «retraite serait, sans nul doute, plongé au fond de « l'enfer le plus profond , dans le plus vaste abîme. « Tu es, dans le monde, renommé comme le meilleur «de ceux qui sont habiles à manier les armes; ja- « mais , non plus , dans ce monde , tu n'as commis «la plus légère faute, loi, dont l'éclat est celui du «soleil; demain, le soleil étant levé, à la face de « tous les êtres , tu triompheras des ennemis dans «un (véritable) combat, car une action blâmable « est incompatible avec jton passé ; ce serait comme «une tache rouge sur un tissu blanc; tel est mon « avis. »

Açwatthaman dit :

« Oui, il en est ainsi que tu l'as dit, ô Kripa, cela « est vrai; mais eux, ils ont jadis renversé cette bar- « rière de cent façons ! A la face des rois gardiens «de la terre, et tout près de vous, mon père, qui «jetait bas ses armes, a été renversé par Dhrichtlia-

NOVEMBRE 1840. 453

« dyounina ; Karna avait perdu une roue de son char, (( lui , le meilleur de ceux qui combattent sur des c( chars , et était plongé dans la dernière détresse , « quand l'a tué le Pândava qui porte l'arc Gândiva. (( Bhichma, fds de Çântanou, qui venait de déposer «son glaive et était sans armes, le même Ardjouna «Ta tué aussi, après avoir adoré Çikandî. Bhouri- (( rava , le grand archer, exténué au milieu de la lice, «a été, malgré les cris des rois, renversé par You- «youdhâna; Douryôdhana, atteint dans la mêlée, « a été aussi , sous les yeux des gardiens de la terre, « et contre toute loi des combats , assommé par la «massue de Bhîmaséna! Lui seul, entouré de beau- «coup de chefs ennemis, il a été frappé contre la « loi des Kchatriyas : les lamentations du roi qui «avait les deux cuisses brisées, je les ai entendues « de la bouche des envoyés , et elles torturent tout «mon être. De la même façon, ces pervers Pân- «tchâliens, qui foulent aux pieds les devoirs, ont «franchi les limites; et pourquoi donc, quand ils « ont ainsi brisé le frein , lie les blâme-t-on pas , ô « Kripa? Lorsque j'aurai tué, dans la nuit, au milieu «de leur sommeil, les Pântchâliens meurtriers de «mon père, que je renaisse sous la forme d'un ver

« ou d'un insecte , que m'importe ! J'ai hâte

«maintenant d'accomplir cette œuvre que je dé- «sire entreprendre, et, quand je suis ainsi pressé «d'agir, d'où me viendrait le sommeil, d'où me «viendrait le repos? Non, jamais il n'a existé dans «le monde, jamais il n'existera l'homme qui me

454 JOURNAL ASIATIQUE.

« ferait revenir sur le dessein que j'ai formé de les « massacrer I »

Samdjaya dit :

Après avoir ainsi parlé, ô grand roi! ie majes- tueux fds de Drôna attela ses chevau)^, tout seul de son côté, et se mit en marche dans la direc- tion de Tennemi. Alors ses deux compagnons, Kripa et Kritavarman , lui dirent : «Pourquoi ton «char est-il attelé, et que désires-tu faire? Partis (( nous-mêmes , dans le même but que toi , ô prince , «nous partageons ta douleur ou ta joie, tu ne dois «pas douter de nous!»

Mais Açwatthaman , plein de rage , poursuivi par le souvenir de la mort de son père , leur expliqua nettement le projet qu'il voulait accomplir. «Après «avoir tué mille et mille guerriers de ses flèches «acérées, mon père, désarmé, a été tué par Dhri- « chtadyoumna ; je le tuerai aussi tpiand il aura dé- «posé ses ai^mes; aujourd'hui même je le tuerai, ce « fds pervers du roi des Pântchâliens , par une ac- «tion inique. Car, comment pourrais-je égorger « ainsi qu'une gazelle ce Pântchâlien maudit qui , « avec ses armes , triompherait de tous les mondes ! «Ainsi donc, revêtant à la hâte vos cuirasses, sai- « sissant vos glaives et vos arcs , vous resterez près «de moi spectateurs, ô vous qui êtes invincibles!»

A ces mots, il s'élance sur son char et court droit vers les Pântchâliens; ses deux compagnons le sui- virent, et, dans leur marche, dirifçés tous trois vers

NOVEMBRE 1840. 45{>

l'ennemi, ils brilièr^pt ^omme dans le sacpfiçp étincellent les feux qui dévorent Toffrand^; ils exi- lèrent, ô roi, vers le camp, tout le monde dor- mait d'un sommeil profond, et, arrivé à l'entrée, le fds de Drôna s'arrêta.

VI.

Dhritarâchtra dit :

Quand les deux héros, Bhôdja et Kripa, virent Açwatthaman arrivé à la porte du camp , que firent- ils, ô Samdjaya?

Samdjaya dit:

Après s'être consulté avec Kritavarman et Kripa , le fils de Drôna, dominé par la colère, s'avança vers l'entrée du camp et, arrivé là, il aperçut un fantôme aux formes gigantesques, rayonnant comme la lune et le soleil , dont la vue faisait fris- sonner et qui se tenait debout à la porte. Il était couvert d'une peau de tigre; son corps, tout hu- mide de sang, était revêtu à la partie supérieure d'un cuir d'antilope noire, et portait le cordon brahmanique employé dans le sacrifice du serpent. Ses bras longs et énormes agitent dans l'air des des armes diverses; il est pareil à un gros reptile (secouant) ses anneaux, à un feu chargé de guir- landes et de flammes; sa gueule a des dents' ef- froyables et re3te béante , sa face est ornée de mil- liers d'yeux. On ne peut décrire ni son corps, ni

456 JOURNAL ASIATIQUE,

son costume, et, de toutes parts, h son aspect, les montagnes même se rompraient en éclats. De sa bouche, de son nez, de ses oreilles et de ses mille yeux à la fois sortent de grandes flammes, et les rayons qui jaillissent de cet éclat font voir par centaines de mille des apparitions de Vichnou por- tant la conque, le disque et la massue.

Quand il aperçut ce monstre épouvantable, effroi du monde, Açwatthaman, sans se troubler, l'accabla sous un torrent de flèches divines, et les flèches lancées par le fils de Drôna, le grand fantôme les dévora comme un feu sous-marin dévore les vagues de rOcéan. L'apparition absorba donc les traits dé- cochés par Açwatthaman qui , voyant ses masses de flèches sans effet, lança contre elle l'éperon du ti- mon, pareil à une pointe de feu brûlant. Mais, en hemHant le monstre, cet éperon à la fête enflam- mée se brisa, comme à la lin d'un Youga la des- truction d'un monde) un brandon en feu tombé du ciel, s'il vient à heurter le soleil. Alors ce fut le glaive divin à poignée d'or, étincelant dans l'es- pace, qu'il tira vite de sa gaine, pareil au ser- pent de feu tiré de son repaire, et il plongea dans le fantôme cette lame excellente, mais, en attei- gnant le monstre , elle s'y enfonça comme l'ichneu- mon dans son trou. Alors, transporté de colère, le fils de Drôna saisit sa massue enflammée, bril- lante comme la bannière d'Indra, et la lança contre son ennemi surnaturel qui la dévora aussi. En ce moment, n'ayant plus d'armes, Açwatthaman pro-

NOVEMBRE 1840. 457

mena ses regards tout autour de lui, et il vit tout le ciel obscurci par des apparitions de Vichnou.

A la vue de ce prodige si extraordinaire, le fds de Drôna, privé de ses armes, s'écria avec l'accent du remords, au souvenir de la parole de Kripa : (( Celui qui n'écoute pas le conseil sévère mais «utile de ses amis souffre quand il est tombé «dans le malheur; ainsi j'ai fait en méprisant leurs « avis à tous les deux. L'ignorant qui veut tuer son «adversaire au mépris des prescriptions de la loi « sacrée, glisse hors de la voie des devoirs, et périt «au contraire dans le sentier de l'iniquité; car voici « ce qu'ont déclaré aux hommes les brahmanes qui « sont leurs maîtres : Contre une vache , un brah- «mane, un roi, une femme, un ami, une mère, un « précepteur spirituel , un ennemi sans chef pour le « conduire, aveuglé par la fohe, endormi ou dominé « par la crainte , enivré par la colère ou la passion , « hors d'état de se défendre, on ne doit pas lever les « armes !

«Et moi, après avoir transgressé cette loi, sen- « tier éternel tracé par la tradition des livres sacrés, «moi, parti d'un principe faux et hors de cette « voie , me voilà tombé dans un terrible malheur ! «Et c'est le malheur que les hommes regardent « comme le plus cruel , lorsqu' après avoir com- « mencé une entreprise en ce monde , on s'arrête «par l'effet de la crainte; car fhomme ne peut ici- « bas accomplir son œuvre quand il est arrêté par «un plus puissant que lui, et l'œuvre d'un mortel

'i58 JOURNAL ASIATIQUE.

<( n'est pas dite plus pesante ( dans la balance ) que uTaction du destin. Si l'entreprise humaine n'est «pas menée à bien par l'influence des dieux, cet « homme, qui s'est précipité hors de la voie, tombe (( avec justice dans l'adversité. Fût-il plein de sagesse, M on l'appellera fou et insensé , celui qui , après avoir « commencé d'agir, s'arrête par l'eflet de la crainte.

«C'est par suite de mon dessein pervers que cet «obstacle efirayant a surgi devant moi, car le fds «de Drôna, sur le champ de bataille, ne recule ja- « mais! Ce fantôme si effroyable est comme un chà- «timent que les Dieux font paraître, et je ne puis «savoir ce que c'est, même en y réfléchissant de «toutes manières; cette pensée coupable que j'ar- « rêtais sur des œuvres iniques , voilà le fruit terrible « qui en a été produit pour mettre obstacle à leur « accomplissement. Si je m'arrête, ce sont les dieux « qui le veulent , car, si ce n'est le ciel , rien autre « n'a le pouvoir de me faire reculer en quoi que ce « soit.

«Donc aujourd'hui, ayant recherché pour asile « Mahadêva, le dieu suprême, il anéantira pour moi « cet effroyable châtiment du destin. A Çiva dont la « chevelure est nattée , au dieu des dieux , époux de «Dourgâ et impérissable, à (Çiva qui, sous le nom « de) Roudra porte un collier de crânes, à Hara qui « a enlevé l'œil du démon Dakcha , qui dort sur le « mont Kailaça et porte en main le trident , j'ai re- « cours aujourd'hui, car ce dieu l'emporte sur les «autres dieux par l'héroïsme et la mortification.»

NOVEMBRE 1840. 459

VII.

Samdjava dit :

Après avoir arrêté cette décision , le fils de Drôna, ô grand roi, descendu du siège de son char, resta debout et inclina son front.

Açwatthaman dit :

«0 Çiva, nommé aussi Ougra (formidable), «Sthânou (inébranlable), Roudra (terrible), Çarva (( (qui détruit); régulateur et maître qui dors sur la «montagne Kaïlaça et accordes les dons; maître qui « es la cause de ce qui existe ; dieu à la gorge noire, «qui n'as pas de commencement et qui produis; « toi qui as détruit le sacrifice de Dakcha , ô Hara ; «dieu à la forme multiple, aux trois yeux, aux ap- « paritions nombreuses , époux de Dourgâ , chef des «grandes troupes célestes, habitant des cimetières; « dieu fort et puissant , armé de la massue à la- « quelle pend un crâne ; Roudra aux cheveux nat- «tés, appliqué aux observances du Véda, je me « sacrifie à toi avec un cœur entièrement pur, trou- « blé dans ses pensées par la difficulté de son en- «treprise; je m'offre avec un entier abondon à toi, «destructeur des trois villes, dieu infaillible, loué « par les hommes , digne de louanges maintenant et «à jamais; à toi qui accordes le fruit (de la prière) «revêtu d'une peau d'antilope; à toi qui es rouge, «dont la gorge est bleue; Dieu irrésistible, que

460 JOURNAL ASIATIQUE.

«rien ne fait reculer; toi qui es Indra, créateur de «Brahma et Bralime lui-même, attentif aux obser- «vances du Véda (qui est brahme), toi qui prati- « ques des œuvres pieuses et t'appliques aux austé- u rites; Dieu sans fin, qui es la voie des ascètes; «dieu multiple aux trois yeux, chef suprême des «troupes célestes, cher à l'assemblée des Dieux, «dispensateur des trésors, maître de la terre, ten- « drement aimé de la déesse Pârvatî , père de Kar- « tikêya (Dieu de la guerre); dieu à la couleur jaune, «dont la monture est un excellent taureau; Dieu «terrible qui portes un vêtement léger; toujours «attentif à veiller aux ornements de Dourgâ; émi- «nent parmi les choses éminentes; si excellent « qu'il n'existe rien de supérieur; toi qui lances des « flèches invincibles ; toi qui es l'horizon et le gar- « dien du monde ; Dieu à l'armure d'or, dont la tête «est ornée d'un croissant; je me mets sous ta pro- « tection avec une profonde et sincère dévotion ; si «je suis délivré à l'instant de cette infortune ter- «rible qui met à mes desseins un insurmontable «obstacle, à toi qui es pur, je me donne en sacri- «fice, avec l'offrande pure et absolue de tous les « êtres. »

Lorsque le Dieu, par l'effet de la prière, eut connu le dessein d'Açwattaman, dont l'adoration était bien accomplie , un autel d'or parut devant le magnanime héros ; sur cet autel , ô roi , le feu bril- lait et tous les points de l'espace ainsi que le ciel furent remplis de la clarté de ses flammes : puis ap-

NOVEMBRE 1840. 401

Furent aussi les troupes des serviteurs de Çiva, lan- çant le feu par la bouche et les yeux, portant des pieds, des bras, des têtes de formes diverses, des bracelets ornés de pierres précieuses , levant leurs mains et pareils à des éléphants et à des montagnes. Ils ont des formes de chien, de porc et de cha- meau, des faces de cheval, de chakal et de vache, d'ours et de chat; d'autres portent des têtes de ti- gres et d'éléphants, des becs de corneille, de plon- geon et de perroquet; ce sont des apparitions pa- reilles à des boas gigantesques, des êtres à bec de cygne, jetant une blanche lumière, ou de pics des forêts et de geai bleu; des fantômes à têtes de tor- tues et de crocodiles, de dauphins, de singes, des becs d'oiseau aquatique et de héron, des faces de grenouilles, de pigeons et d'éléphants, de grand ma- kara et de baleines ; alors apparurent aussi des êtres ayant des mains et des oreilles avec des milliers d'yeux, très-corpulents; d'autres, privés de chair, ont des becs de corbeaux et de faucon; ceux-ci n'ont pas de têtes, ceux-là ont des têtes d'ours; on en voit dont les yeux et la langue sont enflammés, dont les oreilles lancent le feu; ceux-ci, le front couvert de flammes au lieu de cheveux, ô grand roi! ont tous les poils du corps incandescents et quatre bras comme Vichnou; ceux-là ont des faces de bélier, ces autres encore des figures de chèvre. arrivent des troupes nombreuses de sfsrviteurs du Dieu, pareils à des conques, ayant des conques au lieu de bouches et d'oreilles , des guirlandes do

mi JOURNAL ASIATIQUE

conques et rendant le son de la conque. Ceux-ci, les chevaux nattés on divisés en cinq. mèches ou bien t^asés, soht maigres; ils ont quatre dents, qualité langues, dos oreilles pointues et des ai- grettes; ceux-là portent la ceinture d'herbe du brahmane, la touflé de cheveux retombant sur le front, des turbans, des diamants, de gracieux vi- sages, de riches ornements: il en est qui tiennent à la main des guirlandes de lotus ; le front chargé de couronnes, ils vont par centaines de mille, pleins de dignité dans leur démarche : les uns encore sont armés de disques aux pointes aiguës ou portent à la main des pilons, des projectiles aux mèches en- flammées, des nœuds coulants et des hâtons; sur leur dos sont liés des carquois, des faisceaux de belles flèches; ils ont des bannières, des étendards, des cymbales et des haches; les autres lèvent dans leurs mains des nœuds tout prêts à saisir l'ennemi, des massues ferrées; ils brandissent des pieux énonnes, des poignards, et dressent sur leur front des crêtes de serpents : leurs bracelets sont de gros reptiles et ils pmtent des ornements brillants; leurs étendards sont souillés de poussière; eux- mêmes, tout salis, portent encore des vêtements blancs et des guirlandes blanches ; leurs membres sont hlexis el jaunes, leurs têtes rasées.

Cette foule joyeuse, étincelante comme for, fit résohner les tambours, les conques; les tambou- rins , les grands instruments de musique guerrière 'et les cornes bruyantes : puis les uns se mirent à

NOVEMBRE 1840. W6

chanter, les autres à danser. Ces guerriers sautent, bondissent, s'élancent en l'air; ils courent d'un pas rapide; leur menton est rasé et leur chevelure flotte au vent ; ivres comme de grands éléphants furieux , ils poussent des cris à plusieurs reprises; effroya- bles, hideux à voir, armés de javelots et de tri- dents, parés de riches vêtements, ceints de belles guirlandes et portant au bras des bracelets pré- cieux, ils lèvent leurs mains en l'air. Ce sont des héros qui immolent leurs ennemis, dont la force et le courage sont irrésistibles , qui se nourrissent de sang et d'os et de graisse, qui se repaissent de chair. Ils portent des crêtes et des aigrettes; ivres de joie, ronds comme des pots, les uns très-petits, les autres longs et lents dans leur marche; tous sont effroyables à voir; les plus gros ont les lèvres noires et pendantes

D'autres, aux formes multiples et brillantes, por- tent leur chevelure nattée en tresses, ou la tête ra- sée. Ils feraient crouler sur la terre le soleil, la lune, les astres, les planètes; ils auraient assez de puissance pour anéantir les quatre collections d'êtres.

Ces êtres sans frayeur affrontent toujours la colère qui fronce le sourcil de Çiva, agissent toujours au gré de leurs désirs et sont toujours les maîtres du maître des trois mondes. Animés d'une joie éternelle, éloquents, dénués d'envie, ils ont acquis la puis- sance surnaturelle qui se compose de huit (facul-

464 JOURNAL ASIATIQUE.

tés) et ne sont plus sujets au trouble qui résulte de la surprise. De son côté, le bienheureux Çiva se réjouit sans cesse de leurs œuvres; ceux-ci hono- rent sans cesse le Dieu par la pensée , la parole et l'action bien accomplie, et, ces êtres qui l'honorent ainsi par ce triple attachement, il les soigne comme un père soigne ses enfants légitimes; il y en a qui boivent le sang et la graisse, toujours pleins de co- lère contre les ennemis des brahmanes. Ceux-là boivent sans cesse le soma composé de quatre élé- ments; par récriture, l'étude du Véda, la mortifica- tion et la restriction de leurs sens , ils ont vénéré le triple sceptre de Çiva et sont arrivés à l'identiilca- tion avec la divinité , et aussi , par ces êtres devenus de même nature que lui, par ces grandes troupes d'esprits surhumains , faisant résonner des instru- ments divers, chantant tour à tour, d'une voix riante , douce et éclatante , ainsi que la déesse Pâr- vati, se réjouit le dieu, maître du passé, du présent et de l'avenir

Alarmés (par révocation) , ils arrivèrent tous vers Açwatthaman, en célébrant les louanges de Mahâ- déva, pleins d'éclat et d'une splendeur qui se ré- pand au loin , désireux d'augmenter la splendeur du magnanime lils de Drôna, avides de voir jusqu'où peut aller sa puissance et de contempler le carnage nocturne, portant en main des massues aux pointes redoutables, des brandons ardents, des javelots et des haches; ces troupes épouvantables à voir se réunirent et s'avancèrent de tous côtés; et, ceux qui

NOVEMBRE 1840. /i65

feraient trembler les trois mondes en se montrant, il les regarda en face , le puissant guerrier, et ne fut pas même troublé. Tenant en main l'arc et le cuir qui protège le poignet , lui-même , et de lui-même , il s'offrit comme un holocauste. Dans ce sacrifice, l'arc remplace le bois qui alimente le feu, les flè- ches acérées, les divers ustensiles, et l'offrande est cette âme volontaii'ement présentée; ensuite, au moyen d'une prière, du Sôma, Açwatthaman, plein de majesté, s'offrit donc lui-même sur fautel, lui dont la passion était immense, et, après avoir cé- lébré les louanges du dieu terrible (Roudra) dont les armes sont terribles et qui est impérissable, il dit au magnanime Çiva , en joignant les mains :

Açwatthaman dit :

« Cette âme , qui est mienne , née dans la famille <( d'Angiras, je te foffre aujourd'hui dans ton propre «feu, 6 bienheureux! accepte mon tribut. Mahâ- (( déva ' après t' avoir honoré par une dévotion abso- « lue, ô Brahma, je t'ai servi en face, dans la grande « infortune qui m'accable ; en toi sont tous les êtres , «car l'ensemble de toutes les qualités qui consti- « tuent la nature réside en toi; ô toi, donc, maître, «qui es le refuge de tous les êtres, reçois -moi, «placé ici et devenu une offrande (reçois-moi) " puisque je ne puis t'offrir d'autre oblation! »

Après ces paroles, debout sur l'autel brille la flamme , faisant monter l'offrande qui est sa propre personne dont il fait l'abandon, il s'assied au-dessus X. 3o

me JOURNAL ASIATIQUE,

du feu. Kt dès que le bienlieuieux Çiva vit ce héros, immobile , pareil à uu ascète , ainsi déposé conune une ollrande, il lui dit, presque avec un sourire : «Par ia vérité, la pureté, la sincère pratique des ((observances, l'abandon de soi-même, la mortifi- « cation, la restriction des sens, la patience, la ré- u flexion, la fermeté, rintelligence et la parole, je «suis; autant qu'il convient, honoré par Krichna «dont les actions ne se ralentissent jamais; aussi, il «n'y a pas pour moi d'être plus cher que Krichna. «Moi; qui te rends hommage et qui désire te con- c( naître , j'ai sans cesse protégé les Pântchâliens et « fait pour eux bien des prodiges, je me rends à ton « évocation, moi qui protégeais les Pântchâliens, ils «sont déjà tombés en la puissance de Yama, et ne « doivent plus vivre. »

Ayant ainsi parlé , Mahadéva entra dans le corps du guerrier et lui donna un glaive brillant d'une vertu suprême : rempli du Dieu qui venait de pénétrer en lui, Açwatthaman resplendit d'un nouvel éclat et devint impatient d'aller au carnage , par l'elTet de ce feu divin. Les êtres invisibles, les Ràkchasas l'es- cOTlèrent dans sa marche, tandis qu'il s'élançait de l'autel vers k camp, pareil à Çiva lui-même.

Théodore Pavif. {La suite à un prochain numéro.)

NOVEMBRE 1840; /467

NOUVELLES ET MÉLANGES.

SOCIETE ASIATIQUE.

Séance du 9 octobre i8/io.

On donne lecture d'une lettre de M. Loopuyt , par la- quelle il annonce la mort de M. Van der Palm , professeur à l'Université de Leyde et membre honoraire de la Société. On arrête que le Secrétaire exprimera à la famille de M. Van der Palm les regrets de la Société pour la perte qu'elle vient de faire.

M. Dulaurier écrit au Conseil pour lui faire connaître que M. le révérend Jovvet, chargé du département des pu- blications de la Société biblique de la Grande-Bretagne, lui a annoncé que cette Société biblique avait décidé qu'elle en- verrait à la Société asiatique le complément des Bibles qui manquent à sa bibliothèque. On arrête qu'on remerciera M. Dulaurier de cette communication.

M. Lajard fait hommage à la Société de son Mémoire sur deux bas-reliefs mithriaques qui ont été découverts en Transylvanie; 1 vol. in-4°, i8/io. M. Lajard reçoit les remer- ciements de la Société.

M. de Paravey communique au Conseil deux Notes , l'une sur les tumuîus du Bosphore cimmérien, l'autre sur quel- ques passages de l'Edrisi, traduit par M. Jaubert. Ces deux notes sont renvovées à la Commision du Journal.

3o.

'l(if^ JOURNAL ASIATIQUE.

OUVRAGES OFFERTS À LA SOCIÉTK

Séance du 9 octobre i84o.

Mémoire sar deux has-reliefs mithria tiques qui ont été dé- couverts en Transylvanie, par M. Lajard; 1 vol. in-4°, i84o.

Des faux principes en philologie sanskrite, du D' Hoefer, de Berlin, par M. J. Gildemeister ; Bonn, i84o, brochure en allemand.

Extrait d'une lettre de M. le D*" Eusèbe de Salle,

MEMBRE de LA SoCIÉtÉ ASIATIQUE, ETC. X M. GaRCIN DE TaSSY, MEMBRE DE l'InSTITUT, ETC.

Marseille, 4 juin i84o.

,..) Vous savez que les monuments égyptiens res-

sënibîent par plusieurs points à ceux de l'Inde antique. L'hypogée , la colonne lourde , la pyramide , sont communes aux deux pays. Les races humaines représentées dans les monuments de la vieille Egypte ressemblent beaucoup à certaines races que j'ai vues vivantes dans l'Egypte moderne ; et celles-ci , à leur tour, m'ont frappé par leur ressemblance avec certaines races de l'Inde dont nous avons vu de nom- breux échantillons. Vous voyez que la pente de ces analogies rend excessivement curieuse l'étude des langues parlées par ces races diverses. La Nubie est occupée par des hommes dont le profd ressemble à s'y méprendre à celui des races royales de la dix-huitième dynastie ^ ; et ces hommes parlent une langue que personne n'a encore débrouillée : vous jugez que ce mystère a plus d'attraits pour moi. Les hiérogly- phistes n'y ont pas un moindre intérêt

Pendant le séjour que j'ai fait en Nubie , j'ai recueilli un

' Voyez à ce sujet le savant ouvrage de M. Jomard, intitulé: Etudes géographiques sur l'Arabie, etc. p. 162. G. T.

NOVEMBRE 18^40.01 469

fort mince vocabulaire de mots utiles et de pl^j^j^s usuelles ; j'ai profité de la conversation des plus intelligents de mes mariniers pour faire un essai de traduction interlinéaire. La peine, l'impossibilité d'arriver de prime-abord à quelque chose de précis , a laissé tous ces essais dans un état informe. Quinze jours passés entre Siène et Wadylialfa ne peuvent

suffire pour faire œuvre complète Mais des yeux plus

exercés que les miens y trouveront sans doute davantage , et voici d'abord le texte arabe avec la contre épreuve dans les deuxidiomes harherins. J'avais dans ma barque un exem- plaire du Robinson, traduit par un Chaldéen du Diarbekr, et publié par les missionnaires de Malte. Ce travail , quoique fort grossier, est encore ce que j'ai trouvé de plus avancé en fait de véritable arabe vulgaire ; les livres soit-disant vul- gaires sont à cent lieues l'arabe parlé.

Arabe. Wtl (j^ UjJaS U«Xx? J^^LmJÎ ^^/^^^ é>^ Noby. Oagrès gourgittyr bahry to kouz belsou.

Routana. Nahar gourgio nouka bahristo koazafaîsou. A. jiAAMj f^] IâxIax^Î U AJuI J<s>-^j

N- Gouan tain don andeguy teguar kemarossoa.

^' Abala taiguer leigua taiguar kamarsou.

A. J^ S ^Â^ut

N- Agarhi kabi you sou.

R- Ihr kievL akikfarïsou.

N. Agar teb sou nagar èminou.

^' Mengi soun na gar émina.

N- Tabbamagar ellegi tebsou koubli geliki tirgodo tebsoa ^' Agarka alamain giwn, sigrigela tedda mèn gi sou.

4J0 JOURNAL Aî^lATlQUE.

W^ Etian noutiki yoursy gelsou amaan di^ri gelson. ^^: NoutUjou gelsou ama talha dia.

ï^- ' ' Aïegorosy naïsi ke ruLory.

î^ , .1 . ,. Artighè dirgy konm natoara luisch, kira. ^pioij^J'm/Nûurkafidda sigry toiira batarina.

A.

^^à-^^^

N.

Tir barea osangy arsa.

R.

Bar égu awsan gavosa.

A.

- •" J^e ^j ^\i y^UJI ^yl\ i.

N.

Nahar idritty nahashi toarouk digry.

R.

Nahar idwonouka touroak dia.

A.

^^J^ '^'^^J3

N.

Zouba aer taimbou arasur kirou.

R.

Zoabar taingua fi ouagia agerou.

A.^

j:,^, r^M <jSji\ ^ Uà^ J^^^

N.

Koub kasar kiron bitogosi.

R.

Sigir ka giawouron fakar giosinga.

A.

JUib (^ UxAj

N.

Inagorato kmisonson.

R.

ïnagarotofa kouso^rou.

J^-

N.

'^- 'Smîama gaidi essir toua dya oojorinisroa.

R.

Snhma gaman nntmn fier firou.

NOVEMBRE 1840. fi7\

^- Anakouhlîïbudossoii.

^- ^^S^^f^ mirosj.

A. j^ ^^i^ i UXi^i^

^'' Vide seïala ouerato sou.

^- Widi seïala oiieïa tos.

N- Koubna mekdoam agah kirom dûsou.

R- ^^3^^ mékdoum agaha gosou.

A. Uj'Cîrjl Jmô ^^jXjUw 0j;^ U ,j^

N- Inagatnal sonaké négé koulour ùurbosou.

R- Inagiri nouskené logo sigouron fasso.

A. <ï)-^^^ t^^ ^ ^-^%4^ Of*^'

N- i4i vedé ognir komny audogar digrelgi.

^' Irhour koumôn andoro nadoka.

Maintenant, quelques mots d'explication.

Les Barberins se nomment eux-mêmes Nohi depuis Sièhe jusqu'à JVadi Séboua; de Séboua à Korosco on parle arafté. De Rorosko à Wadyhalfa les Barberins s'appellent RoutançL Le dialecte routana et iwbi, bien que de la même famille, n'est pas toujours compris par les deux populations. Les phrases que j'ai recueillies peuvent vous montrer que la construction est inversive. C'est pour cela que les traductions mot-à-motet la correspondances des mots a é*é inapossible à obtenir. 11 faut, dans la phrase entière, chercher comme on peut les correspondances en lisant le no6j et le routana de gauche à droite. Beaucoup de mots arabes se sont infiltrés dans ce langage; il est curieux de trouver dans les portions du système numéralif, mên^ç celles que l'araibe n'a pas envahi y Je système décimal tel qu'on le voit fond ionoaùfeafprès lO;

472 JOURNAL ASIATIQUE.

la dizaine invariablement reproduite avec le nom d*unité. li semble que les articles go, mé, hé, gué et les impératifs en o établissent quelque analogie avec les langues sanscrites ^ Voici maintenant des pronoms , avec la conjugaison du temps présent du verbe j^e dors (en dialecte noby) :

Ai hi ncrosry, je dors

Erbè nerosna, lu dors;

Ter neros. il dort;

Ë neros. elle dort;

Arby nerosrou , nous dormoDs ;

Irner bourou , vous dormez ;

Digreg nerbou. ils dorment.

FDTUR.

Asel giby nery, demain je dormirai.

PRÉTÉRIT.

Wilig ai nerbous, hier je dormis-

INFINITIF ET NOM D'ACTION.

Nalon. dormir et sommeil.

Voici quelques phrases usuelles :

Oui, éî. Non, iïla.

Assez comme cela,

Revenez au bateau ,

C'est bon ,

Ce n'est pas bon,

Donnez-moi à manger,

Vasr est passé depuis une heure ,

Changez cette pièce.

Donnez-moi de l'argent,

Merci, i^^xs^ M jji& , Faites cela ,

wi kefi.

koulké kousou.

seré,

adel mounoa.

ata kally.

asir osaha wer nok sov.

i heirié sarfo zé.

aigé dogou den.

arti ser ki ketfy reireh. in gao.

^ H me parait que les pronoms démonstratifs sont exprimés par les mots i et ou. En ce cas, ils ressembleraient tout k fait aux pronoms bindonstani iA rf^, et ouh «j.

G. T.

NOVEMBRE 1840.

473

Vite, vite! goa, goa!

Venez, venez! tare, tare!

Comment vous portez-vous ? eir oua zehonna ?

Avez-vous quelque chose à vendre? he cheir gion dana cheir dana?

Combien le vendez-vous ? eaîko take bigiano si?

Avez-vous du mouton ? dogvàr dana ?

FRANÇAIS.

NOBY.

ROUTANA.

Du pain ,

kal.

kabaoullo.

Lait et œuf,

itchi-gestaki.

Songo kombougo.

Viande,

kousou.

aritch.

Volaille,

darba .

dour.

Pigeon,

iminegy.

hamamga.

Eau,

ossy.

aman.

Beurre,

denkofoui

"ouk.

noigofourougo.

Dattes,

betty.

jMy-

Eau-de-vie de dattes,

aragyuaï,

aragyoullo.

Un brave homme,

iguid adelon ,

iguid massa.

Mauvais homme

'■t

iguid debbo ,

iguid oussa.

Enfant,

inafèto ,

inasarto.

Fille,

imbourto ,

ingourouga.

Vache,

iitiga.

ittyga.

FnANÇAlS.

I

«OBY.

FRANÇAIS. NOBY.

Feu,

yeky

Chat,

saubké.

Bois,

ygdj

Oiseau,

kourtè.

Charbon ,

oulottdkj.

Mouche,

koulti.

Maison ,

ikaagj.

Poisson ,

kaaré.

Saquié,

koulegy.

Chemise bleue, kade de se.

Chameau ,

kam(j

faj.

Draperie blanche, melain donlgy.

Cheval,

kaschky.

Grand ,

doulgy.

Ane,

anougv.

Petit,

kinnatog.

Bateau,

koubky.

Le jour,

ougrès, nahar.

Arbre ,

gaah

a.

La nuit,

ougou.

Radeau ,

gel

Le matin ,

Jégirkè.

Rivière ,

assi.

Le soir,

mogreb kè.

Ceinture de cuir,

, beîa.

Peu à peu

1 , kinnerkinnégué .

Cbieh ,

walg'

y.

f47li JOURNAL ASIATIQUE

NOMS DE NOMBRE.

NOUY. nOUTANA.

1 ouerou. Très - légères différences

2 oon. voyelles.

3 toscou. i kemsou.

5 (liiou.

6 gourdgoii. 20 ariy.

7 kourodou. 3o talatin.

8 iduou. io arbain.

9 wcoc?. 100 imiliverou.

10 dimnon. 1000 elf ou imil dinino.

11 demin de iveron. Année, dgeverou.

12 demin doovL. Mois, swaiwerou.

3 demin de toscou. Dimanche, /rira^i.

4 demin de kemsou, etc. Les autres jours comme l'arabe.

Quelque informes et incomplets que soient ces matériaux, ils sont plus amples que ce qu'à donné M. Coslaz dans le travail de la Commission d'Egypte. Le berber que M. Mar- cel a donné dans son nouveau vocabulaire est la langue cabile de l'Atlas , et ne ressemble en rien au barberin. M. de Laporte lils a envoyé une collection de dialogues ca- byles qui peuvent encore mieux établir cette différence

P. S. A Païenne, j'ai trouvé quantité de matériaux arabes et quelques arabisants. A Rome , j'ai vu plusieurs orienta- listes, et notamment Mgr, Molsa, le cardinal Mezzofanti et i'abbé Lanci. Ce dernier va publier une nouvelle édition de ses inscriptions arabes. Il m'a remis un exemplaire de pki- sieurs de ses ouvrages, et entre autres une histoire des rbis himyarites que ni M. Perron, ni M. Fresnel ne paraissent connaître

Un nouveau cours d'arabe vulgaire a été ouvert Mar- seille) à l'usage spécial des militaires ; une centaine d'offi- ciers et sous-officiers l'a suivi avec attention depuis son ou- verture

NOVEMBRE 1840. 471

BIBLIOGRAPHIE.

Job et les PsavmeSj traduction nouvelle d'après l'hébreu, les anciennes versions et les plus habiles interprètes, précédée de deux discours préliminaires et accompagnée d'arguments et de notes; par H. Laurens, professeur de phiiosophie, membre de l'Académie de Montauban et de la Société asiatique de Paris. Edition illustrée parPorret; iSSg. In-8°. Paris, chez Poussielgue-Rusand , rue Hautefeuille, 9. Prix : 7 fr. 5o c.

Job et les Psaumes forment, avec le Cantique et les Thréni, les quatre livres poétiques de la Bible, et les deux premiers sont ceux qui offrent le plus de difficultés. Ces dif- ficultés sont de deux sortes , celles qui tiennent à l'exégèse religieuse et celles qui ressortent du contexte grammatical. Nous examinerons l'ouvrage de M. Laurens sous ce dernier point de vue seulement , car, sous le rapport de la doctrine , il est revêtu de l'approbation de l'un de plus illustres prélats de l'Eglise de France, M. l'archevêque de Bordeaux.

Il est à observer d'abord que cette traduction offre une innovation pour les catholiques de France , c'est le tutoie- ment, qui est généralement banni des livres bibliques et re- ligieux écrits en notre langue. Il serait à désirer, peut-être , qu'on imitât cet exemple et qu'on exclût de la traduction de l'Ecriture sainte ces formules de politesse inconnues aux an- ciens , qui souvent otent aux discours des patriarches leur simplicité native et rendent la phrase pesante et embarras- sée. Nos voisins, même les catholiques, n'ont pas cru, en conservant le tutoiement, soustraire à Dieu «t à sa parole le respect qui leur est du. Le traducteur a cependant eu une distraction au chap. II de Job, il a conservé les expressions modernes dans l'entretien de ce saint homme avec sa femme.

476 JOURNAL ASIATIQUE.

M. Laurens a été plus hardi en retranchant du livre de Job les formules de transition qui lient les chapitres dans le texte, et en mettant un équivalent en tête, sous prétexte qu'elles ne font point partie des vers dont ils se composent. Mais connaît-on assez quelle est la structure du vers hébreu, pour assurer que ces formules n'entrent point dans sa compo- sition ? De plus, elles font partie intégrante du texte sacré et, comme telles , elles doivent être inviolables aussi bien que le discours soutenu ; enfin , c'est ôter à ce livre son cachet d'an- tiquité, son acte de naissance, pour ainsi dire. En effet, plus on approche des temps primitifs, plus on est assuré de ren- contrer une sorte de verbosité naïve qui n'est pas sans solen- nité. La société est déjà loin de ce siècle rien ne pouvait paraître en France qu'habillé à la française ; elle veut étudier les peuples sur leur propre sol. Au reste, la comparaison du style biblique avec celui des plus anciens auteurs profanes n'est pas sans intérêt, et l'Ecriture ne peut qu'y gagner. Ainsi, si nous lisons dans la Bible : ih^'û DK^ 2Vi( ^CT IDN^I, et Joh reprit sa parabole et dit, ou bien:Tl'?2 p^l "IDK^I Tl^n , et Bildad de Sué répondit et dit; nous voyons fré- quemment cette formule dans Homère :

Tov S' dTtafiei€6(jLevos itpoaé^n] xpeloùv kyafiéfivùiv.

Le souverain Agamemnon répondit en lui adressant la parole.

Dans les anciennes épopées sanscrites, on interrompt de même le discours pour remettre en scène le narrateur.

Le livre de Job est un des moins étudiés de toute la Bible, du moins parmi les gens du monde; il est cependant un de ceux qui renferment le plus de notions curieuses sur presque toutes les branches des connaissances humaines. Philosophie , astronomie, histoire naturelle, géologie, métallurgie même, rien ne lui semble étranger: on y trouve, sur tous ces objets, des passages qui indiquent l'état delà scieoce.à cette époque, et qui , de plus , sont écrits d'un style à désespérer ies imi- tateurs. La description du cheval , de Béhémoth (l'hippopo- tame) et de Léviathan (le crocodile) , est traitée de main ïI«

NOVEMBRE 1840. 477

maître; celle des travaux des mines présente des rensei- gnements du plus haut intérêt, et démontre que, quelques siècles après le déluge , la race humaine n'était pas aussi ar- riérée qu'on lexcroit communément. En fait d'histoire civile, on trouve le tableau suivant d'une peuplade étrangère et barbare qui avait fait irruption dans quelques contrées de l'Ara- bie, et qui pourrait bien être les Troglodytes, comme l'insinue le traducteur d'après plusieurs interprètes.

Et maintenant je sers de jouet à des hommes moins âgés que moi et dont je n'aurais pas daigné mettre les pères parmi les chiens de mes troupeaux.

A quoi m'eût servi le secours de leurs bras ? ils avaient usé leurs forces.

Desséchés de misère et de faim, ils se réfugiaient dans les con- trées arides , dans les lieux depuis longtemps solitaires et dévastés.

Ils arrachaient la plante amère d'entre les buissons; la racine du genêt était leur pain.

On les banissait de la société; on les poursuivait à grands cris comme des voleurs.

Ils habitaient les bords abruptes des torrents , les antres de la terre et des rochers.

Du milieu des broussailles ils poussaient des cris sauvages; ils se rassemblaient pêle-mêle sous les ronces.

Race impure, gens sans aveu, ils étaient le rebut de la terre.

On peut comparer ce morceau avec ce que Montesquieu rapporte des Troglodytes d'après les anciens auteurs [Lettres persanes, xi' lettre). On trouve aussi dans Job des extraits infiniment précieux de livres plus anciens et de chants po- pulaires.

M. Laurens a eu l'heureuse idée de diviser ce livre poé- tique en cinq parties précédées d'un prologue et suivies d'un épilogue. Ces cinq parties sont, d'abord les trois entreliens de Job avec ses amis, ensuite l'intervention d'Elihu, enfm le discours de Dieu. Celte division fait clairement ressortir la forme essentielleinent dramatique de ce poème, l'in- térêt va toujours croissant , et sont débattues les thèses les plus importantes à l'humanité. Le traducteur le compare

'j78 journal asiatique.

aussi, dans un discours préliminaire, à Flliade d'Homère, et démon Ire que l'avantage reste encore à l'écrivain sacré.

Le livre des Psaumes est plus répandu; c'est, dans l'Ancien Testament, celui qui a été traduit le plus fréquemment, mais nous manquait encore une traduction faite sur l'original et qui pût être mise entre les mains de toutes les classes de la société. Celle de Laharpe, fort bien écrite d'ailleurs, est rédigée d'après laVulgate. Quant à celles qui sont compo- sées sur l'original, elles traînent à leur suite un bagage scienti- fique qui ne saurait être apprécié que par les connaisseurs.

M. Laurens a évité cet écueil; on trouve dans son œuvre très-peu de notes, mais elles oflïent toutes de l'intérêt; on en désirerait un plus grand nombre, si Ton ne se rappelait que son intention a été, sans doute, d'écrire pour tout le monde. Un autre mérite qu'on ne saurait assez apprécier, c'est qu'il a su rendre sa traduction claire et concise en même temps. En effet, la plupart des traductions de la Bible , des Psaumes surtout, sont d'une prolixité qui en fait plutôt des para- phrases et des commentaires adaptés à l'esprit de chaque auteur, que la fidèle représentation du texte. Les protestants sont tombés dans un excès contraire: en voulant reproduire le texte purement et simplement, ils nousont donné un fran- çais barbare et à peine intelligible.

Le discours préliminaire sur les Psaumes renferme de courtes notions sur les auteurs de ces cantiques , sur leurs épigraphes, sur leur double sens, littéral et prophétique, sur leur division, sur le rédacteur de leur collection, sur les ins- truments de musique qui servaient à les accompagner. Chaque psaume est précédé d'un argument qui expose la circonstance certaine ou probable il a été composé , et sur l'application qu'on en peut faire.

La traduction qui nous occupe est donc destinée à popu- lariser le livre de Job et à faire lire les Psaumes ; son style est facile et s'élève souvent à la hauteur de l'original. On pour- rait cependant reprocher à l'auteur de s'être quelquefois un peu trop éloigné du texte et des autres versions authentiques ;

NOVEiMBRE 1840. 479

ainsi , chap. IX , il fait dire à Job en parlant de Dieu : « Re- «couiTai-je à la force: «Me voici « : dira-t-ïl; à la justice: » « Qui m'enseignera ? » Cette phrase est inexacte ; on lit dans l'hébreu : "•jl^rr ^D ^^m^l DN1 n:ïr\ y^DX Hd''? Ui< « Si je tt recours à la force; il est puissant, voilà! si à un jugement; « qui me citera? » M. Laurens a donc omis le mot yDK^rf, robuste; et n'a pas entendu le verbe T'^^in qui signifie faire une citation; Job veut donc dire : « Si je veux entrer en juge- «ment avec lui, qui est-ce qui se chargera de la citation?»

Psaume XIX. Le traducteur : « Seigneur, sauve le Roi ! « exaùce-nous au jour nous t'invoquons. » Hébreu : « Sei- « gneur, opère la délivrance î Le roi nous exaucera au jour «ou nous invoquerons. » Le mot "j^DH est le sujet du verbe suivant IjiS?"' qui est à la troisième personne et non point à l'impératif. Le mot nvVin n'a point ici de régime; c'est moins un verbe qu'une exclamation, ainsi que nous le voyons dans le Nouveau Testament.

Psaume XX. Le traducteur : « C'est pourquoi tu les a mis «en déroute; tu as dirigé tes traits contre leur face. » L'hé- breu porte : DDt!^ IDD'^ti/'n ""D , Vulg. Qiioniam pones eos dor- siim; il est certain qu'on ne peut décocher des traits sur la face de ceux qui tournent le dos. Aussi Sixtinus Amama re- marque que DD^ est ici mis pour monceau, comme Virgile a employé dorsum pour aggerem. L'hébreu signifie donc : « Tu « les placeras en monceau , tu prépareras sur les nerfs de ton «arc des traits contre leur face. » C'est de toutes les interpré- tations de ce verset la plus naturelle et la seule conforme au texte , s'il n'est pas corrompu.

Psaume LXXXIII. Le traducteur: «Le passereau trouve « une demeure et la tourterelle un nid pour déposer ses pe-

« tiis: tes autels 6 Dieu des armées! » M. Laurens voit

ici , avec plusieurs interprètes , une ellipse produite par un mouvement de l'âme; mais Silvestre de Sacy observe judi- cieusement [Chrestomath. arabe, tome II) que le Prophète fait ici allusion à la coutume des anciens d'élever des oi- seaux dans les temples ils erraient librement. David exilé

/i80 JOURNAL ASIATIQUE.

enviait donc le sort de ces petits animaux, qui avaient le bon- heur de construire leurs nids auprès des autels du Dieu des armées. DN est une préposition qui signifie auprès , chez , avec. C'est ainsi qu'ont entendu ce verset les versions syriaque et arabe , et R. David Kimehi dans son commentaire.

Psaume CXII. Le traducteur Qui fait asseoir dans sa « maison l'épouse stérile, mère joyeuse de plusieurs enfants. » La maison serait plus correct que sa maison ; le texte porte n''3n,sans affixe, la maison, la famille. Le psalmiste fait ici allusion à la facilité du divorce chez les Hébreux, surtout pour cause de stérilité. Un de nos collègues qui, comme le savant Gerson , ne dédaigne pas de consacrer ses talents aux enfant!^, a, dans un livre édité à leur usage, chez Curmer, traduit ainsi ce passage : « Il conserve à l'épouse stérile sa « place dans la famille en lui donnant des fils qui font la «joie de leur mère. »

On pourrait signaler aussi quelques anomalies dans cet ouvrage; ainsi l'auteur suit la division des Juifs, qui parta- gent les Psaumes en cinq livres , et cependant il les a numé- rotés d'après les Septante et la Vulgate. Le nom tétragrarnme est rendu indifféremment par Jéhovah, Adonaï, Dieu, Eter- nel , Seigneur ; quelquefois il est supprimé.

M. Laurens me pardonnera, je l'espère, ces observations, en se rappelant ce verset de Job, chap. XI: QDD >DiN D3

'>^î): nnn dd^d: v^ ih nnmî<.

L'abbé Bertrand.

ERRATA DU CAHIER D'OCTOBRE.

Page a 86 , ligne 26, supprimez les mots : ou chi-sse-sen-pou.

Page 287, ligne 9, om lieu de : quand on fend les pierres lisez : on cite

plusieurs rochers qui ressemblent à des colonnes.

JOURNAL ASIATIQUE

DÉCEMBRE 1840.

LETTRE SUR ANTAR,

Par M. A. Perron.

A M. J. MOHL, A PARIS.

Kaire, août 1889.

Monsieur,

Il y a deux ans M. Fresnel, dans sa Troisième lettre sur l'histoire des Arabes avant ITslamisme, vous adressa le récit des aventures et de la mort héroï- que et chevaleresque de Rabiyàh, fils de Moukad- dam. Puis , à la suite , il vous traça en quelques lignes la fin historique, mais peu dramatique d'Antarah.

Je veux vous donner aujourd'hui le complé- ment de ce qu'on sait de ces deux héros, d'après l'Aghâniyy, c'est-à-dire d'après les témoignages les plus authentiques que l'on possède aujourd'hui. L'Antarah réel est bien loin de l'Antar du roman, qu'on pourrait presque appeler un poëme héroïque , X. 3i

482 JOURNAL ASIATIQUE.

et bien loin aussi du fils de Moukaddam , le plus beau des héros arabes.

Aussi le nom de Rabiyàh resta cher à sa tribu; les vers qui rappellent ,1a journée de Kadiyd, il succomba, et expriment les regrets qu'il laissa , ont quelque chose d'un pathétique touchant. Telle est l'oraison funèbre que, longtemps après, improvisa un Ckorayschide en passant, monté sur sa cha- melle , près du tombeau de Rabiyàh , au défilé de Kadiyd. La chamelle eut peur et fit un écart;. . . . le Ckorayschide dit ces vers :

Ma chamelle bondit à l'aspect de la tombe élevée sur cette terre jonchée de pierres noircies par le soleil ; c'est la tombe d'un héros aux deux mains généreuses , aux bienfaits abon- dants.

Ne fuis pas , ma chamelle ; il savait boire, il savait chauffer une bataille.

N'était le long chemin que j'ai devant moi , n'était l'es- pace immense des sables que j'ai à franchir, oui, je lais- serais ici ma chamelle se traîner sur ses jarrets coupés et ex- pirer en sacrifice aux mânes de ce héros.

Quoil les cavaliers de Firâs ont abandonné Rabiyàh, lorsqu'il venait de les sauver des mains et de la fureur de l'ennemi !

Il appelait les enfants d'Aliyy à son aide, et ils se sont en- fuis; ils font laissé la face tournée vers l'ennemi. Rabiyàh, tu appelais des lâches qui ne surent pas te répondre !

Grâces soient rendues à ces enfants d'Aliyy! Hommes sans cœur, ils n'ont pas encore allumé vingt guerres, coup sur coup, comme les lapements du loup altéré.

Gloire au guerrier dont Noubayschah, ce Noubayschah, le fils de Hhabiyb, enleva la dépouille à la journée de Ka- diyd.

DECEMBRE 1840. 483

Ah! que Rabiyàh, fils de Moukaddam, ne quitte jamais noire pensée (qu'il reste au milieu de nous ! ) , et que les fraîches ondées des nuages du matin arrosent et rafraî- chissent sa tombe !

Tels sont encore les vers de la sœur de Rabiyàh, Oummou-Amr, déplorant la mort de son frère :

Pourquoi tes yeux pleurent- ils ? Pourquoi ces larmes tombant comme une averse ? Non , jamais elles ne dimi- nueront, pas plus qu'elles ne pourront augmenter \ (Ma douleur sera éternelle, et mes larmes seront toujours les mêmes. )

Je pleure un guerrier qui n'est plus, un héros mort, et qui, en nous échappant, m'a laissé un héritage impérissable de deuil.

Si la douleur pour un proche avait puissance de rappeler un mort à la vie , ma douleur et mon désespoir ranimeraient mon frère.

S'il était une rançon pour satisfaire la mort, oui, tout ce que j'ai de cher, tous les biens dont je jouis seraient sacri- fiés et me rendraient mon frère.

Mais la flèche du trépas, ah! celui qu'elle a couché en arrêt et frappé , nul médecin , ni puissance de médecin , ni puissance évocatoire , rien ne peut le rappeler !

Va , ô mon frère ! dors en repos séparé de nous ; mais

1 Je traduis mot à mot le second hémistiche de ce vers, que voici :

^Ij ^^ -k & vj^ ^ ^^*— » ^

Je crois que ce texte est exact; toute l'histoire du fils de Moukad- dam est répétée plusieurs fois dans ce que nous possédons de TA- ghâniyy : et dans une copie d'une écriture très-spignée, toutes les moixoiis sont marquées.

3i.

484 JOURNAL ASIATIQUE.

que Dieu jamais n'éloigne de nous ton souvenir; homme, tu as trouvé ce que trouvent les hommes , la mort ^ !

Je te pleurerai tant que gémira la colombe au brun col- lier, tant que mes jambes me conduiront avec ce qui marche sur la terre.

Rabiyàh m'a laissée inondée de pleurs , abîmée de douleur. Jamais sa pensée ne me quittera , et jamais le coin de ma paupière ne se desséchera.

Kàb , fils de Zohayr, et qui était Kinânide , de même que Rabiyàh, mais seulement par sa mère, fit aussi un éloge funèbre du fils de Moukad- dam; il y anime les Kinânides à venger leur frère; leur reproche d'avoir, en plusieurs rencontres, payé aux Soulamides le prix du sang , et de ne leur avoir pas encore demandé le prix de celui de Rabiyàh :

Le jeune âge s'en va; les amis passent; et moi aussi, ma jeunesse a pris voyage avec mes amis ; tout est parti.

Qu'as-tu donc ? me dit ma chère Oumaymah ; est ta vive gaieté ? tout en toi est changé. Je te vois accablé de tris- tesse; ce n'est pas ta vie habituelle.

Laisse ces plaintes , mon Oumaymah ; elles me réveillent dans l'âme une douleur, qui me semble ne devoir jamais iinir et dont les secousses m'cpuisent.

Allez, allez dire à tous les Kinânides, maigres et gras, à ceux, qui viennent prendre demeure parmi eux, tout comme aux enfants mêmes de la tribu ,

Allez leur dire à tous: La honte reste sur vous! car votre sang versé est demeuré sans vengeance; et le sang d'Awf (que vous avez tué à vos ennemis) est déjà garanti et sera payé de vos richesses !

* Notre poète Malherbe a dit :

Et rose elle a vécu ce que vivent les roses , L'espace d'un matin.

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Quoi! vos troupeaux seront livrés en rançon aux Soula- mides pour le sang que vous leur avez versé , et le sang du chevalier protecteur de vos femmes, le sang de Rabiyàh, qu'ils ont tué, n'est pas encore expié!

Le chef de vos ennemis vous a demandé le piacuhm pour ses hommes morts et l'a obtenu ; et ceux qui devaient exiger l'expiation du sang des hommes de votre tribu n'osent pas la réclamer !

Ceignez vous les flancs pour la guerre; prenez vengeance pour votre frère mort. Q'une noble indignation! . . . Toujours elle est payée d'une glorieuse récompense.

Ah! comment pourrais-je encore supporter la vie, mainte- nant que tu n'es plus, fils de Moukaddam! Puis-je désor- mais trouver de la joie aux accents du Mazhar (sorte de luth ou de mandoline) et des chanteuses I

Rabiyàh a été immolé dans les plaines du désert, et son frère Hhârith, débile plante des sables, (le vit succomber et) ne bougea pas !

Fils de Moukaddam! combien de veuves et de mères ont été sauvées par toi le jour de ta mort; par toi, qui es maintenant peut-être la pâture de l'hyène, et du vautour cramponné sur ton cadavre!

Je n'ai pas pu résister au plaisir de vous donner ces vers. Prenez-les en forme épisodique dans cette lettre, et arrivons maintenant à ce que je pensais vous écrire tout d'abord.

C'est une véritable joute de preux chevaliers pour de jeunes jouvencelles belles comme lei étoiles, et l'un des deux combattants, notre Rabiyàh, est un jeune guerrier, portant encore les cheveux à l'enfant, mais déjà fort et vigoureux, joutant d'a- dresse et de courage contre un des plus rudes ba- tailleurs connus avant l'Islamisme, Amr, fds de

486 JOURNAL ASIATIQUE.

Màdiykariba, qui ne savait, parmi les Arabes, que trois hommes assez hardis pour lui venir en face.

Cette joute singulière, racontée sous deux formes, est la représentation de la manière dont ces anciens chevaliers arabes faisaient leurs champs clos, en plein désert, avec une loyauté naïve et dramatique. C'est un tableau de mœurs et de ca- ractère qui m'a semblé frappant. Le voici tel que le donne l'Aghâniyy, sur plusieurs témoignages tra- ditionnels que je passe sous silence :

« Omar, fds d'Al-Khattâb , que Dieu lui donne M ses grâces! dit un jour à Amr, fds de Màdiykariba « le Zobaydide : « Quel est le plus brave adversaire « que tu aies jamais rencontré? Par Dieu! Prince «des Croyants, je veux te dire ce que j'ai trouvé «de plus rusé, de plus lâche et de plus brave. «Voyons. J'avais mis aux pâturages verts ma ca- « vale rousse , et elle en était sortie magnifique, bien «découplée, les membres élancés et vigoureux. «Vive et ardente, elle bavait l'écume comme un «vieux sans dent bave en humant un bouillon ou «de la sauce. Un jour je la monte et je pars en «course, jurant de tuer le premier que je rencon- «trerais. Ma jument va son train; j'arrive entre « deux monts et je me trouve en face d'un jeune «homme: En garde, lui dis-je, je te tue. Par «Dieu! mon cher Abow-Thawr, me répondit-il, ce «n'est pas agir selon la loyauté et les conve- «nances. Un moment : tu vois bien que je n'ai pas «ma lance en main, que je n'ai pas non plus mon

DÉCEMBRE 1840. 487

«sabre ni mon bouclier. Attends, qu£î je prenne au «moins ma lance. Contre moi, à quoi ta lance «te servira-t-eile? Je me défendrai. Voyons, «prends-la. Non, pas ainsi; je veux que tu me « fasses un serment qui me rafraîchisse et me tran- «quillise l'âme, c est-à-dire que tu me promettes de «ne pas me toucher avant que j'aie ma lance en «main. Je te le promets. Eh bien! par le «dieu des Gkorayschides , je te déclare que je ne «la prends pas, ma lance.»

«Le rusé m'échappa ainsi; fidèle à ma parole, «je le laissai, et nous partîmes chacun de notre « côté. Voilà pour la ruse.

« Je poussai plus loin ; la nuit survint. . . . J'allais « par un magnifique clair de lune , lumière presque «comme en plein jour. Je dépiste un cavalier, «jeune, amenant avec lui une dame à qui il disait (( ces vers :

Loudaynâ, ma belle Loudaynâ !

Que n'ai-je ici quelque ennemi à combattre ,

Pour lui donner échantillon de mon courage !

«Puis, pour montrer son adresse, il tire de sa «sacoche des pommes de coloquinte, les fait voler « en l'air, et de la pointe de sa lance les pique au «vol et les embroche à la fde. J'approche En «garde, faquin, tu es mort!» Déjà il chancelle sur «son cheval, il descend à terre. «Insolent, lui dis- «je alors, qui méprises ainsi les gens! » J'arrive sur «lui en ajoutant : «Je vais t'apprendre à vivre. » Il

488 JOURNAL ASIATIQUE.

«reste immobile, stupéfait; il n'a pins la force de «bouger de place. D'un seul coup je lui coupe la «peau des flancs; il tombe roide et reste sur place « comme s'il fût mort au moins depuis un an. Je «passe outre et le laisse là. « Voilà pour la lâcheté.

«Je marchai le reste de la. nuit. Au matin, j'étais «vers les sables de Harscha à Ghazâl (défdé près de «Djolîhfah). J'aperçois de loin des tentes; je vais «droit à ces tentes. J'arrive et je vois trois jeunes «fdles superbes, trois brillantes pléiades. A mon «aspect, les larmes leur viennent aux yeux. «Qui «vous fait pleurer, leur dis-je? Le malheur qui «f amène ici; et puis, nous avons encore dans la «tente là-bas, derrière nous, une jeune sœur bien «plus belle que nous (nous allons sans doute être «ta proie). »

« Emporté par la curiosité, je vais à l'autre tente, « et, de dessus un tertre, je regarde ... Je découvre «le plus beau visage qu'on puisse jamais voir, un «beau jeune homme qui cousait ses sandales. Ses «cheveux, encore à l'enfant, flottaient sur ses «épaules. Sa cavale était près de lui. Il m'aper-

« çoit il saute à cheval , part au galop , et

« avant moi il arrive aux premières tentes. Il voit «les jeunes filles tout émues et troublées;. ... et «je l'entends leur dire ces vers :

Attendez un moment , mes chères petites jouvencelles ; n'ayez pas peur.

DECEMBRE 1840. 489

S'il est femmes aujourd'hui qui doivent être délivrées d'un ennemi, c'est vous.

Laissez librement jouer le pan de vos vêtements , et pro- menez-vous tranquillement.

«Quand je fus près de lui: «Cours-tu sur moi «d'abord, me dit-il, ou bien courrai-je le premier «sur toi? Je cours sur toi, répondis-je. )> Il «pique des deux; je me précipite sur ses pas, et « bientôt j'eus la pointe de ma lance tout contre «son épaule. Je pousse le coup. ... il a disparu, «glissé sous le poitrail de son cheval. ... Il se «remet en selle. «Nulle, lui dis-je; et d'une.» «Bien, réplique-t-il ; à une autre. Charge.)) Je «pars, je le serre; j'avais le fer de ma lance sur «lui, entre les deux épaules. J'allonge le coup.. . . «mon homme est debout à terre et me regarde; «ma lance avait fdé sans le trouver. ... Il est en «selle. «Et de deux, lui dis-je. Charge.)) Je «fonds sur lui. . . . ma lance lui effleure les reins; «j'allonge le coup. ... Je le croyais enferré. . . Je «le vois à terre sous le ventre de son cheval; il « s'était glissé de sa sellé , et ma lance n'avait rien «touché. Il remonte à cheval. «Et de trois, me « dit-il; est-ce que, par hasard, tu en voudrais encore «une?. . . Allons, charge-moi! Que le diable t'em- <( porte!)) Mais je tourne bride et je pars devant lui «au galop. J'avoue que je n'étais pas tranquille. «H me suit, et j'entendais le vent de sa lance qui «jouait derrière moi. ... Je tourne la tête. . . Il « me chassait avec une lance sans fer. Il n'avait pas

490 JOURNAL ASIATIQUE.

u voulu me flipper. « Descends de cheval , me dit- ail.o Nous mîmes tous deux pied i\ terre. Et le « gaillard me coupa le toupet ; puis : u Tu peux « t'en aller, me dit-il ; c'eût été dommage vraiment «de te tuer.» Tout cela, Prince des Croyants, me (( fut vingt fois plus cruel que la mort même.

u Voilà ce que j'ai rencontré de plus brave et de v( plus impassible.

«Je m'informai, je demandai ensuite qui était ce «jeune Arabe: on m'apprit que c'était Rabivàh, fds « de Moukaddam, le Firàcide, de la tige des Banow- « Kinânah. >

La seconde version de l'encontre de nos deux cavaliers dilTère totalement de la première et re- trace une auti^e forme de duel. Le récit se fait égale- ment à Omar, qui donne, comme vous allez le voir, une singulière leçon d'islamisme au fils de Màdiykai^iba : c'est un coup de fouet sur les doigts pom* lui apprendre que la nouvelle foi change to- talement le passé, et consacre un nouveau caractère à l'autorité devenue religieuse et politique tout en- semble diuis les chefs qui en sont revêtus , c'est-à- dire consacre l'autorité qui veut le silence absolu et la soumission absolue des religionnaires ou sujets de la religion née à la voix de Mahomet.

Vous remarquerez ensuite dans le même récit mie autre circonstance curieuse des mœurs arabes antiques, et qui rappelle les mœurs des temps che- valeresques d'Europe. Une jeune fdle otîre succes- sivement sa main à trois hommes de sa tribu , et

DÉCEMBRE 1840. 491

ne la promet qu'à celui qu'elle juge à ses paroles, à son maintien, à son courage et à son dévouement, le plus capable de bien se battre et de bien défendre la tribu; ce fut notre Rabiyàh, fils de Moukaddam.

Il y a à conclure de qu'avant l'islamisme la femme pouvait avoir, en Arabie, une influence puissante sur l'homme; quelle avait une valeur sociale, pour ainsi dire, et que la religion nouvelle l'en a complètement dépouillée; en telle sorte qu'elle n'est plus, depuis lors, quun joujou domes- tique, un être qui doit, par vertu, se tenir loin de tous les mouvement de la société, de tout ce qui peut faire partie de la vie de l'homme public ou de l'homme agissant pour le bien de ses frères, même dans un cercle d'action très-limité. L'isla- misme a voulu la nullité de la femme; il l'a obtenue,

Il y aurait un long chapitre à écrire sur cette question; j'en dirai quelque chose ailleurs. Je viens à notre récit,

Amr, fils de Màdiykariba, alla un jour trouver Omar, fils d'Al-kattâb, et Omar lui dit: a D'où « viens- tu, mon cher Abow-Thawr? Je viens de « chez l'Arabe le plus recommandable des Banow- aMakhzowm, le plus haut de tête (de noblesse), le «plus grand de stature, le plus net de reproches, le «plus vénérable pour sa sagesse, le plus ancien «dans la foi islamique, le plus intrépide devant «l'ennemi. Quel est cet homme? Sayf- Allah uwa Sayf-al-Raçowl (l'épée de Dieu et l'épée de son «prophète, c'est-à-dire Aliyy). Et qu'as-tu fait

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« chez lui? J'allais simplement pour le voir, et il «me fit apporter par ses gens une buvée de lait «frais, un reste de dattes sèches qui étaient dans «un panier, et une jatte de lait caillé ('^'j* *^ï «j^5^ {j»*yi^ 4-*^ J U«xi). Et cela suffisait pour « se rassasier? Cela eût suffi pour toi ou pour « moi. Dis plutôt : Eût suffi pour toi et pour moi. « Moi, je mange un mouton entier, et je bois le « lait qui se présente , lait pur et frais , ou mêlé au « lait aigri ... Et . . . quelle est la meilleure et la « plus distinguée de vos tribus? C'est la tribu des «Mazhhidjides; mais toutes ont d'ailleurs leur mé- « rite , et leurs cavaliers braves et intrépides , gens « sachant vaincre et manier la lance. Qu'est-ce « que sont les Banow-Sàd-al-Aschiyrah ? Ce sont «nos plus rudes batailleurs, les plus nombreux en «guerriers, les plus élevés par leur générosité et par « la naissance de leurs chefs , les plus prodigues dans «leurs bienfaits, les plus durs sabreurs en bataille. « Maintenant, mon cher Abow-Thawr, te con- « nais -tu en armes? Moi! Tu as trouvé ton «homme pour ce chapitre-là. Parle; que veux-tu «savoir à ce sujet? Le javelot, qu'en penses-tu? « Arme redoutable, la mort, mais qui souvent « manque son coup. Et la lance? C'est un ami, « mais un ami qui n'est pas toujours sûr. Le bou- « cher? Le bouclier est une bonne protection, une « bonne défense sur laquelle se jouent les chances des « coups de la fortune. La cotte de mailles? Em- « barras pour le cavalier, fatigue pour le fantassin.

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« Et le sabre ? Ah! le sabre ! ta mère te l'a défendu. « Taïnère à toi te l'a défendu. Ta mère, te «dis-je, à toi.)) Omar prend un fouet en courroies et en frappe un coup sur les doigts d'Amr qui était assis , accroupi , les mains croisées sur ses deux genoux rélevés devant lui. Amr surpris se lève soudain, et d'une voix irritée dit à Omar ces vers:

Toi! me frapper! Te crois-tu donc par hazard un Zow- Roàyn, un prince de haut éclat, un Zow-Nouwâs?

Nous en avons vu d'autres que toi, rois à puissance et grandeur, rois autrement que toi, par la noblesse de leur langage et par leur abord imposant et grave;

Et tous ces rois, leurs familles sont éteintes (songez-y-bien); et leur empire a dix fois déjà passé en d'autres mains.

« Tu as raison , Abow-Thawr, reprend tran- «quillement Omar; mais l'islamisme a détruit tout « cela .... Je ne te demanderai plus maintenant «qu'une chose, c'est que tu veuilles bien t'asseoir

«encore Amr s'assit; puis Omar continua:

«Dis-moi, n'as-tu jamais eu peur d'aucun cavalier «arabe parmi tous ceux avec qui tu as eu affairé? M Prince , voici ce qui m'est arrivé. Et je dois te « dire d'abord que , ne m' étant jamais permis le men- « songe dans le temps de mon paganisme, je me le «permettrais bien moins encore étant musulman. «Un jour donc je dis à mes cavaliers, tous cava- « liers de ma tribu, les Banow-Zobayd : « Allons faire « une incursion chez les Banow - Bakkâ. C'est « aller faire incursion bien loin , me dirent-ils , chez «les Bakkâ. Alors, ajoutai-je, allons chez les Ba-

494 JOURNAL ASIATIQUE.

«now-Mâlik-Ibn-Kinânah. » Nous partîmes. Nous «arrivâmes à une tribu célèbre par son'nom et « sa richesse. Gomment reconnus-tu qu'elle était «si distinguée de nom et de richesse? Com- «ment? J'y vis des réserves de provisions pour «un nombre extraordinaire de chevaux; des mar- « mites au feu de tous côtés; des tentes en cuir. «Il me semble que voilà des signes de bien-être. «Je fis cacher mes cavaliers dans un bas-fond et «j'allai me poster, moi, assez près des tentes pour « entendre ce que disaient ces Arabes. (Il était nuit.) « Or voilà qu'une jeune fille sort de sa tente et vient «s'asseoir auprès de plusieurs de ses compagnes. «Puis elle appelle une de ses esclaves et lui dit: « Va me chercher un tel. » L'esclave lui amène un «homme de la tribu, et la jeune fille dit à cet « homme : « Certaine idée me dit qu'il hous vient «une troupe de cavaliers fondre sur nous. Com- «ment te comporterais-tu avec eux si je te promet- « tais de t'épouser? Je leur en ferais voir, répond- «il, de toutes les couleurs.» Et le voilà qui vante «et surfait son adresse et son courage. «Bien, lui «dit la belle Arabe, va-t-en; je verrai ce que j'ai à « faire. » Puis s'adressant à ses compagnes : « Ce «n'est rien que cet homme-là. Va me chercher un «tel,» dit-elle à son esclave. L'esclave obéit; et, « l'homme venu , la belle lui adresse le même dis- « cours qu'au premier. Elle en reçoit à peu près «même réponse. Elle le congédie de la même « manière et dit ensuite à ses compagnes : « Encore

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« un il n'y a rien. » Puis, à son esclave : «Va, dit- ce elle, me chercher Rabiyàh, fils de Moukaddam.» «L'esclave part. ... et revient avec Rabiyàh, au- «quel la jeune fille fait la même allocution qu'aux «deux autres. «Le suprême de la sottise, répond «Rabiyàh, est de se vanter soi-même; mais quand «je serai en face de l'ennemi, j'agirai de telle sorte «que, même si je suis vaincu, je sois encore ex- «cusé. Il a toujours fait son devoir, celui dont les « efforts ont mérité d'être approuvés. Je t'épouse, «dit la jeune Arabe; viens demain à l'assemblée de «la tribu pour sceller notre union. » Rabiyàh part.

«Je laisse passer la nuit. A faube du jour, je fais « sortir mes cavaliers de l'embuscade ; je monte à che- « val et je dis à ma troupe : « Marchez de ce côté de la «tribu. » Moi, je me sépare d'eux; je me dirige vers « le lieu les femmes étaient rassemblées la veille , «et j'arrive à la tente de la jeune Arabe. J'aper- «çois une fdle superbe. A mon aspect, elle prend «à deux mains son vêtement et le déchire en s'é- « criant : « Quel malheur est le nôtre 1 . . . . Mais ne « crois pas que je m'afflige de la perte de troupeaux, «d'héritages; non. Ce qui m'afflige, c'e^stle malheur «que je vois pour ma jeune sœur qui est là-bas, «derrière ce petit monticule. Et quand je serai «prise, elle va rester seule, abandonnée dans cet «endroit caché; elle y périra certainement.» Elle « m'avait njontré du doigt un monticule de sable, à «quelque peu de distance. «Très-bien, me dis-je «alors, capture sur capture.» Et je lance mon che-

496 JOURNAL ASIATIQUE,

«val vers le monticule. Mais, au lieu d'une jeune (( fille , j e découvre un homme vigoureux , bien taillé , «à la chevelure touflue, à l'encolure robuste. H (( cousait sa sandale. Près de lui étaient sa cavale et « ses armes. Il me voit, jette sa sandale , saute à che- « val , saisit sa lance et part sans m' adresser une «seule parole. Je pars à sa suite, d'abord au petit « galop , la lance en main et lui criant : « Holà î rends- « toi. ))I1 court sans daigner me répondre. Mais, voilà « qu'il découvre dans une vallée ma troupe ramassant « les chameaux qui venaient d'être enlevés. Il s'arrête; « de grosses larmes lui tombent des yeux , et il dit :

Elîe savait bien , quand elle me donna sa parole et me promit sa main ,

Que je la délivrerais de quiconque oserait penser à la prendre captive.

Que ne puis-je connaître celui qui est venu jusqu'à ellel

« Je lui réponds :

C'est moi, moi Amr, après l'épuisement d'une longue marche,

Avec des braves qui , malgré leur fatigue , sauront te la disputer ;

C'est moi, Amr, qui, pour l'enlever, suis allé jusqu'à la tente elle était.

«Alors mon adversaire me fait face en me di- « sant :

Je suis ému , mais c'est d'impatience de reprendre sur toi mes troupeaux , ma vie de ce monde de douleur.

Je verse des larmes, tu le vois, et plus elles coulent plus elles veulent s'accroître ;

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Je suis enfant du plus pieux serviteur de Dieu , révéré par ses hautes vertus;

Ma pensée est toujours pour l'absent, et je sais être fidèle à mes promesses ;

Je suis le plus généreux de tout ce qui foule la terre de son pied;

Mais je suis aussi le lion qui brise et broie ce qu'il lui plaît de briser et de broyer.

« J'avance sur lui en lui répondant :

Et moi , je suis«le fils de celui qui prend le quart des cap- tures à la guerre; je suis le fléau des braves.

Qui me rencontre, tombe roide mort, comme s'il était mort dès le temps des enfants d'Iram (fils de Sem) ;

Et je le laisse comme une viande abandonnée sur le billot du boucher.

« Lui se dispose à me charger, et me réplique :

Eh bien! voici l'arène je prétends sauver tout ce qui m'est cher. Ceux qui pourraient penser à nous séparer sont loin d'ici ( tu n'auras affaire qu'avec moi ) ;

Et puis la mort n'est qu'une source tous doivent aller boire.

«11 se lance sur moi; il m'adresse un énorme «coup de sabre. J'esquive, il me manque; mais le «sabre tombe sur la tête de ma selle, la coupe « ainsi que tout ce qui était dessous , et arrive jus- « qu'à la descente du garrot de mon cheval. 11 re- « double de suite par un coup de revers. J'esquive « encore , il me manque ; son sabre tombe sur l'ar- «rière-selie, la fend en deux et entaille mon cheval «jusqu'à la cuisse. Je suis démonté : « Holà ! m'écriai - «je, qui es-tu? Vie de Dieu! Je ne soupçonnais, en

X. 32

498 JOURa^AL ASIATIQUE.

«Arabie, que trois hommes capables de me tenir (( tête : Hbârith , fils de Zhâlim , à la fierté auda- «cieuse et insolente; \4mir, fils de Tofayl, vieux «roué plein de ruses; et Rabiyàb, fils de Moukad- «dam, jeune encore, mais connu par sa noble «fierté. Toi, qui es-tu? réponds. Mais toi, qui «parles si fier, qui es-tu? Je suis Amr, fils de « Madiykariba. Et moi, je suis Rabiyàh, fils de « Moukaddam. Écoute; je suis démonté. Voici « trois propositions , clioisis-en celle qui te plaira : «ou nous allons nous battre à coups de sabre jus - « qu'à mort du vaincu ; ou nous allons lutter, et « celui qui renversera son adversaire aura le droit « de vainqueur sur lui; ou bien faisons la paix. «Eh bien, la paix, j'y consens; si tu es utile à ta «tribu, moi, dansla mienne, je ne suis pas de ceux «qu'on dédaigne. Allons, soit, la paix. » Puis, je « le prends par la main et le conduis à mes cava- « liers. Ils avaient pris les chameaux de Rabiyàh et «les avaient près d'eux. «Avez-vous jamais ouï dire «ou vu, dis-je à mes compagnons d'armes, que «j'eusse jamais eu peur d'un cavalier, du plus brave-, «quel qu'il fut? A Dieu ne plaise! Jamais. -^-^ «Alors, écotitez-moi; ces chameaux que vous avez «pris, demain vous recevrez de moi en échange «an même nombre chameaux de n9tre tribu. «Gèux-ci sont à ce jeune guerrier; et je vous jure, «au nom de Dieu, que, moi vivant, rien de ce qui « peut lui appartenir ne passera entre nos mains. «Dieu te confonde, maudit cavalier; tu nous as

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«éreintés pour venir faire ici une chétivé capture, « et ensuite tu nous l'escamotes. ^ Je vous dis que (çje le veux. » Sur ma promesse réitérée d'échange, ({ ils me les abandonnèrent et je les remis à Rabiyàh. (( Puis : u C'est donc Rabiyah, me dirent-iii^? •f+*4 (( Lui-même. » Les chameaux furent rendus, je jurai « paix et amitié à Rabiyàh.

((Il n'entendit jamais menace de guerre de ma « part^ et jamais il ne fit levée d'armes contre ilous. )i

Passons maintenant à l'histoire ou khahar d'An- tarah, fils de Schaddâd, d'aprèsî'Aghâniyy; j y ajou- terai quelques lignes, ou plutôt quelques vers qui^ avec un court exposé du motif qui leur donna- nais- sance, composent tout ce qu'on sait sur le poëte Abd-Ciays, fib de Khoufâf. L'auteur de l'Aghâiiiyy n'a pas donné \m Idiahar particulier pour ce der- nier poète; il lui consacre simplement une sorte d'alinéa à la suite d'Antarah. Je ne vois, pour raison 4e cette place accordée à Abd-Ckays après l'his- t0ir^ du fils de Schaddâd, qu'un mot par lequel uqe tradition attribue à Abd-Ckays les vers dê'ii>a-f riette qui précède le khahar d'Antarah. s oq ooin;?

Il arrive souvent à l'auteur de l'Aghâniyy de con^ signer dan$ un chapitre des notices )épisodiques de noms qu'il a eu occasion de citer, < bien ^e ces i^mâ n aient auci^n r ap p or t direct a v ec l'hi stoirè principale . qiu'il raconte. Ce luxe d «f^udition , qui tr^p souvent îfj^it chaos-,! est. dépendant d'une im>

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mense utilité historique ; il a sauvé de Toubii , peut- -être pour toujours, des noms, des événements, des traits de mœurs, des parallèles d'époques, des origines de proverbes, et, par suite de tout cela, une foule de vers anciens.

L'époque d'Abd-Ckays , fils de Rhoufâf, je ne sau- rais la fixer par sa généalogie , car elle ne m'est pas connue; mais, comme le seul fait raconté de sa vie le met en nécessité de recourir à la générosité de Hhâtim-Tayy , par il se trouve de suite classé chro- nologiquement avec ce héros de la libéralité arabe.

Abd-Ckays était Bourdjoumide ou des Banow- Barâdjim, nom collectif donné aune coalition de quatre tribus secondaires, branches des Banow Hhanzhalah, tribu Moudharique des Tamiymydes.

Quant à Antarah , il était Abside ou des Banow- Abs, branche des descendants de Ckays, petit-fils de Moudhar. Son époque ^pourrait se fixer, seule- ment d'après les coévismes donnés par l'Aghâniyy. Généralement, et à peu près a priori, on avait tou- jours admis qu Antarah atteignit presque l'isla- misme. Ce qui paraît positif, d'après son genre de mort, c'est qu'il vécut assez vieux; et cette circons- tance pourrait aplanir quelques difficultés rela- tives à son époque juste, et qui résulteraient de certaines contemporanéités dont on l'environne. Ainsi Hhotayàh aurait raconté au khalife Omar que, dans une expédition, ils formèrent une coalition dont firent partie, comme chefs remarquables, Ckays , Antarah , Rabiy, fils de Ziy^d , et le poëte

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Orwak, fils de Ward ^ Cet Hhotayàh devait être très -vieux quand il faisait son récit à Omar. Maif, quel qu'ait pu être son âge, en se tenant, bien en- tendu, dans les limites de longévité rationnelles, il y a toujours ceci à conclure, qu'Antarah a tou- cher à fépoque de la prédication islamique ou à peu près.

En reprenant cette question sous un autre rap- port, c'est-à-dire sous la valeur chronologique que présentent les appréciations des généalogies, on trouve qu'Antarah est en ligne contemporaine juste

^ Je n'ai rien encore de particulier sur ce poète , fils de Ward. Mais pour lui comme pour plusieurs autres poètes antéislamiques, je rece- vrai d'ici à peu de temps , d'Alexandrie , les akhhar qui me manquent. Datis le voyage que je fis à Alexandrie il y a un an, j'allai voir le schaykh Mohhammad, fils de Mahhmowd , Al-Djazâyrliyy, ex- moufti d'Alger, et qui possède un exemplaire incomplet de TAghâ- niyy. Je lui demandai de me permettre de faire copier par un schaykh de ses amis, le schaykh Hhaçan Hhamzah, les akhhar dont j'avais besoin ; depuis lors j'en ai reçu quelques-uns.

Mais ce que j'ai obtenu jusqu'à présent, et ce que j'obtiendrai encore, je le dois à l'amitié et à la bienveillance active et infati- gable de M. Dantan, interprète en chef au consulat général de France à Alexandrie. M- Dantan, dont je me glorifie d'avoir l'ami- tié, sait vaincre par instances et par politesse, l'insouciance arabe du schaykh qui, sans lui, n'aurait pas encore fait pour moi les transcriptions que j'en ai déjà reçues. L'ardeur et la persévérance de M. Dantan sont l'expression Ja plus vraie et la plus nette de son amour pour les lettres arabes, et pour tout ce qui touche aux tra- vaux de M. Fresnel et aux miens

Dans ce que j'ai reçu de texte, d'Alexandrie, nous avons parfois des passages bien obscurs, bien altérés; mais il est merveilleux de voir comment notre savant schaykh Mohhammad Ayyàd sait, avec son microscope intellecluei , plonger et découvrir dans ces diffi- cultés.

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avec Abd-Allah, père de Mahomet. H est vrai qiie ce père du prophète de la péninsule arabique mou- rut lorsque son fils était encore tout enfant; il est Vrai aussi que Hâschim, aïeul d'Abd- Allah mou- rut à vingt-cinq ans; et dès-lors ces deux avitismes du prophète ne sembleraient pas devoir faire cha- cun un degré complet de génération, d'après l'exi- gence de l'Art de vérifier les dates. Mais si on se rappelle qu'Abd-al-Mouttalib, faycul de Mahomet, vécut un siècle, les trois cases Abd-Allah, Abd-ài- Mouttalib et Hâschim, se trouvent également rem- plies du chiffre d'années que chacune doit avoir.

On peut donc laisser ces trois noms comme ayant chacun une valeur représentative d'une gé- nération complète, et comme pouvant dès lors faire ligne exacte de correspondance et de parallèle pour toutes les autres lignées qui seront établies dans toutes les tribus et pour tous les noms conser- vés par l'histoire des événements et par fhistoire des généalogies. De , en reprenant notre Antarah, nous le considérerons , placé au rang que j'ai indi- qué, comme placé au point généalogique qui lui convient relativement aux autres lignes d'un ta- bleau complet des généalogies arabes, dressé comme base et moyen de chronologismes , soit absolus, soit synchronitiques.

Antarah étant au point d'époque qui correspond à oelui d' Abd-Allah , père du Prophète , il a ve- nir, comme je l'ai déjà dit tout-à-l'heure , assez près de l'islamisme, et Mahomet était certainement au

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monde en même temps que lui. Mais il est positif quAntarah n'entendit pas les premières paroles de la religion nouvelle; il mourut païen, ainsi que Ra- biyàh, fils de Moukaddam, qui naquit après Anta- rah; car Rabiyâb, quand il fut tué, était jeune en- core. — Amr, fils de Madiykariba , qui embrassa fislamisme, aurait pu rencontrer Antarab et briser quelques lances avec lui ; c'est du moins ce qu'in- dique, comme nous le verrons, un passage de l'histoire du fils de Schaddâd. Mais il est certain qu'Amr vit la jeunesse du fils de Moukaddam; il raconta à Omar, le khalife, son pas d'armes avec le héros Firâcide; et il ne paraît pas être encore d'âge très-avancé lorsqu'il reçoit le coup de fo««t d'Omar. . m ^nn

Antarah , dans fhistoire et dans le roman , esrt un hadjiyn, c'est-à-dire un homme de mère esclave noire et de père arabe de sang libre. Noir comme sa mère, il fat, pour cela et pour son courage; mis au nombre des trois corbeaux arabes du paganimie , tous hadjiyn comme lui et braves; auisi.*»''; ^^loî it{j.>

La figure d' Antarah, ou Antar par abt-ègé; est'un'^ des figures frappantes dont se compose, la galerie historique du désert av?ant l'islamisme: li sentait évidemment lui-même sa valeur d'homme, et la teinte de tristesse que nous verrons dans les pre- mières circonstances de son histoire beaucoup trop courte annonce une âme outragée du hasard de ia naissance* Du reste il était noblement disposé à se faire respecter et à se donner par la puissance

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du sabre ce que la nature lui avait dénié; témoin le vers il jette ce trait de satire : « J'ai de bon la «moitié de ma personne, comme fils d'un père de <( sang noble ; l'autre moitié , comme fils d'une mère «esclave, j'ai mon sabre pour la faire respecter, et « on la respectera. »

Antarah est encore posé dans l'histoire des dé- serts comme poète de premier ordre. Au milieu des physionomies dont se glorifie le plus le Djâhi- liyyah ou paganisme arabe, s'élève sa noire physio- nomie aux traits rudes et gros , à la lèvre fendue. Au milieu des batailleurs de ces âges, il marche prudent, prévoyant, calculant, loin de la témérité folle. Et peut-être même pourrait-on dire qu'il n'est pas aussi intrépide et sans détour de courage qu'on semble l'exiger de ces héros , vrais chevaliers an- tiques; car lui, selon ses propres paroles, il ne se prend pas d'abord aux plus braves dans une mêlée; ce sont les moins redoutables combattants qui les premiers reçoivent ses^ coups, ses coups terribles qui font pâlir les plus braves; et c'est lorsque ces braves sont tout émus de ses prouesses qu'il tombe sur eux , profitant ainsi de leur étonnement et de l'ébranlement de leur courage. En sévérité che- valeresque il y am-ait quelque chose à lui repro- cher..

Mais , le plus beau qu'il y ait dans le hadjiyn fils de Schaddâd , c'est qu'il arriva comme poëte au temple des grands poètes révérés encore à la Kàhak lors l'arrivée de l'islamisme. On vit encore sa

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noire face au milieu des poëtes à sang pur ; et seul de tous les hadjiyn de la péninsule arabique , il porta au temple un poëme qui brilla suspendu avec les poèmes dorés, les sept Mouàllackât : honneur magni- fique rendu au talent du poëte , laid esclave affran- chi, dans un temps et chez un peuple la pureté d'origine était la première valeur humaine!

L'auteur du roman d'Antar avait à choisir, dans la gentilité antéislamique , vingt autres noms plus brillants que celui du fds de Schaddâd; mais il est évident qu'il a choisi ce hadjiyn pour l'ériger en mo- dèle vivant : il l'a grandi de nombre d'illustrations possibles et impossibles, pour montrer ce que peu- vent la volonté, le courage, la force, l'amour; pour prouver que ni la couleur, ni le rang de fhomme, ni la tente qu'il habite, ni les outrages qu'il a bus, ni les coups qu'il a reçus, ni l'injustice et les tri- bulations qui l'ont saturé, ne sauraient fempêcher, lui homme de cœur et d'âme, de s'asseoir même sur la tête de ceux que les préjugés présents de son siècle placent au sommet de la colonne.

L'Antarah du roman est chevalier, on peut le dire, des temps chevaleresques de l'Europe; cela est presque entièrement vrai: mais cela est entière- ment vrai en Arabie; ce fut un chevalier arabe; de plus , il fut poëte.

Au désert des Arabes, on ne concevait pas bien un vrai /dm ou cavaher, et surtout un fâris al-fawâris, un chevalier des chevaliers , qui ne fût pas poëte , qui ne sût pas assaisonner de rimes et de vers un coup

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de lance et de sabre, et clianter ses gestes et faits en hémistiches cadencés. Aussi, combien eurent les honneurs de l'éloge funèbre dans les rimes animées et fraîches d une sœur, d'une mère , d'une amante ! car les femmes avaient tout naturellement le droit des poètes; et rimer étant pour elles chose simple et commune, elles n'en étaient ni plus fières ni moins tendres; elles étaient plus hommes sans être moins femmes .... D'ailleurs , de tout temps et de nos jours encore, les déserts et les tentes arabes ont été la patrie, la demeure aimée des vers. On avait les Tyrtées dans les combats aus^ bien que les Anacréons aux fes^ns et sous les flots de vin; les vers coulaient partout. Et tout ce vaste man- teau de sables, qui depuis l'Irâck et la Palestine s'al- longe jusqu'au Grand-Océàn, n'a peut-être pas autant de grains de silice qu'il est éclos de rimes et de vers sur sa vaste surface, sur ses monts et sur ses plaines. ^^ .

Toutefois , les chevaliers arabes n'étaient pas toujours d'aimables personnages. Il y eut nombre de ces joueurs de lances, des ces poètes guerriers ou détrousseurs qui se rendirent odieux à leurs propres tribus et s'en firent excommunier. Mais, tout brigands qu'ils étaient, ils ont des chants poé- tiques pleins d'un tendre amour, et souvent aussi en même temps la fureur y parle.

N'y a-t-il pas une couleur chevaleresque dans ces vers de Ckays, fils de Haddâdiyyah, poète inconnu en Europe?. . . . La tribu de son amante était par-

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tie pour uii temps indéterminé; et ce Gkays, qui fut chassé de sa tribu comme brigand, qui, plus tard, traqué comme une bête fauve, mourut la lance au poing, en cadençant et improvisant des vers, disait dans son amour :

Maintenant, ma chère Oummou-Mâlik, au lieu de tes douces et généreuses faveurs, j'ai les nocturnes soucis tou- jours assidus à mon chevet.

Je n'ai plus mon amie ... Je revêts ma cotte d'armes , et tous ces guerriers cuirassés , je vais les abreuver de rudes coups de lance.

Ehl j'ai deux jours dans ma vie: l'un, je suis bardé de fer; l'autre, j'ai les belles femmes blanches aux joueuses caresses.

Mais, non! Oummou-Mâlik est loin de moi; je ne trouve plus mes voluptés près d'elle; je n'ai plus de repos dans la vie : il me fauè mourir.

Vous , mes amis , qui êtes avec sa tribu , si le caprice du sort venait à frapper mon Oummou-Mâlik, envoyez, envoyez- moi le message de sa mort.

Ah ! ne m'oubliez pas alors ; car le cours de mon bonheur sera fini et vous ne me verrez pas lui survivre.

J'espérais d'Oummou-Mâlik . . . Espoir déçu I . . Les cheveux delà nuque m'en ont blanchi, et mon cœur bouleversé ne se connaît plus.

Que n'est-elle venue la mort, au matin de son départ, que n'est-elle venue m'immoler! Au moins je n'eusse pas entendu les crîs du chamelier entraînant la foule.

Je regardais encore la tribu de ma chère Oummou-Mâlik, et déjà étaient entre nous les monts Yazboul et Amâyah.... et mon œil plongeait encore de loin ; ,

Et je me plaignais à Dieu de l'éloignement de son nou- veau séjour, et du poids de mon amour, et de la perte de me» espérarnces.

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Je n'en puis plus» disais-je, ô Amr, fils d'Amir; la mort damour s'avance sur moi, car mon amie est déjà jusqu'à Rackmatayn.

Je savais bien , ce soir les tribus se séparèrent au fond du vaDon , que nous ne nous reverrions plus.

O Oummou-Mâlik, quand la mort t'aura enveloppée de son suaire, moi et la mort qui finit tout, nous ne ferons qu'un.

Je pourrais vous donner ici plusieurs traits de ces singuliers caractères. Le recueil historique des poètes arabes antéislamiques que je prépare, en of- frira de nombreux modèles. ressortiront avec plus de relief ces hommes poètes , ou rois , ou ré- pudiés, ou voleurs, ou esclaves, ou guerriers, ou coureurs, ou chevaliers, etc. véritable panorama de cette antiquité trop peu connue paraîtra dans ses couleurs natives et tracées par des mains arabes , la vie intellectuelle, matérielle, morale et littéraire de la péninsule.

Nécessairement ce qu'il y avait de chevalerie ou de penchants héroïques et rades viendra s'y mon- trer, et en dessinera les différences avec la cheva- lerie européenne, qui peut-être en est la sœur.

Tous nos héros arabes ont , comme les paladins d'occident, leurs dames d'amour. Vingt guerres en Arabie ont le nom d'une femme écrit dans leur cause ou dans leurs principales circonstances. Ce fut pour Ablah la Potelée, que notre Antarah joua sa vie dans les périls pendant nombre d'années. Ce fut pour mériter la judicieuse fille qui lui promit sa main, que Rabiyàh, fils de Moukaddam, défen-

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dit sa tribu contre l'escadron Zobaydide du cheva- lier errant, fils de Màdiykariba; et ce fut pour sau- ver un convoi de femmes que ce brave Rabiyàh, sentant se perdre son sang et sa vie, courut expirer à cheval, au défilé de Kadiyd. Un soufflet donné à Schanfara par une petite fille , soideva sa colère , et fit jurer à ce poëte aux os maigres et desséchés, à l'arc infaillible, de tuer cent de ses ennemis. Une des guerres dites guerres de Fidjâr, vers f époque de l'islamisme, eut pour motif un outrage fait à une femme assise à la foire olympique d'Okâzh, par de jeunes étourdis qui, avec une épine, lui attachèrent, sans qu'elle s'en aperçût, le pan de son vêtement vers le milieu du dos , de sorte qu'en se levant cette femme découvrit sa nudité aux yeux de la foule; . . elle cria vengeance et à sa voix la guerre s'alluma. Riyhhânah, mère de ce Dorayd, qui rendit un si bel hommage à la bravoure chevaleresque de Ra- biyàh, fils de Moukaddam, lequel, sous les yeux de sa dame montée sur un chameau, tua trois assail- lants qui vinrent le sommer de la leur livrer; Riyh- hânah, dis-je, ne laissa de repos à son fils que lors- qu'elle l'eut décidé à venger la mort de son frère tué par une tribu voisine. Une femme Tamiymide, appelée Baçows , et qui était chez les Bakridcs , sim- plement sous la protection de Djasçâs, eut sa cha- melle blessée d'un trait lancé par Kolayb , le chef de la tribu des Taghlabides ; elle cria vengeance dans la tribu de Djasçâs... Djasçâs la vengea en tuant Ko- layb... Et de s'alluma entre deux tribus sœurs,

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les Banow-ïaghlib et les Banow-Bakr, la fameuse guerre connue sous le nom de guerre de Baçows , qui ne s'éteignit qu'au bout de quarante ans ^ Dans des temps bien plus anciens, chez les Banow-Dja- diys , population née quelque peu après le déluge, selon les traditions arabes, une jeune fiancée fut la cause d'une révolution qui coûta la vie au roi des Djadiys et affranchit cette tribu du droit du seigneur. Il était d'usage , avant cet événement , que le roi dé- florât les iiouvelles épouses. Une jeune fdle, aprèi avoir subi cette loi, sortit tout indignée de cbea le roi; et à sa tribu, à son époux, elle cria ces vers:

Non , il n'y a rien de plus avili que les Djadiys. Quoi! lais- ser traiter ainsi vos fiancées ,. vos épouses !

L'homme libre, l'homme de cœur, qui a fait ses dons et ses présents à sa fiancée, qui de ses biens lui a payé son douaire, peut-il consentir à tant d'ignominie!

Oui, se précipiter lui-même dans les flots de la mort, est plus digne de lui , que de souffrir ainsi foutrage de celle qu'il a choisie pour épouse !

On se révolta, le roi fut égorgi^ y,^t 1^ 4roit abolji Je pourrais apporter une foule d'autres exemples; ils se trouveront aussi c^^inç mes histoires des poètes antéislamiques. Amour et gloire des armes, fenames et lances , reviennent presque parto.ut dans les mp-^ tifs des incursions, des coi;nbats, de to^t le mouve- ment des tentes arabes dans leur presqu'île païenne.

^ Voyez Première lettre de M, Fresnel sin^ i'hîstoine dèà ktûhèh avant rislamiame, pag. i5. i ! '; . '/il

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Ajoutons encore que les femmes savaient par leurs applaudissements, par leurs défis intellectuels , par toute la magie de leur sexe , et par la merveilleuse puissance de leur empire , remuer et chauffer la verve des poètes. Quelque temps encore après l'is- lamisme, ce feu sacré resta dans le cœur des femmes. La passion des beaux vers n'était pas encore devenue uniquement mâle; au moins les femmes approchaient encore alors du sanctuaire, s'y as- seyaient pour entendre les souvenirs et restes poé- tiques du passé. Ainsi Ayschah , fiUe de Tallihah , fils d'Obayd- Allah, était un jour entourée de plusieurs poètes et on récitait des vers. On vint à réciter un petit poème, ou le Ckassiydah de Gkays , fils de Hhad- dâhiyyah. (J'en possède quatre-vingt-huit hémi- stiches). Ayschah, tout émue et émerveillée de l'ex- pression passionnée et délicate de l'amour du poète, homme de proie et de sang, et de la couleur des. espérances et des craintes qui fagitaient, s'écria tout-à-coup, s adressant au\ poètes qui venaient d'entendre avec elle le Ckassiydah: «Celui de vous «qui sera capable d'y ajouter un seul vers qui soit «en harmonie juste avec sa nuance, et entre par- « faitement dans Ibn seni^ ^. je. lui donne toute cette «parure que j'ai sur moi. » Aucun n'accepta le défi. Ainsi les femmes, dans ces siècles, étaient une puissance morale dans les population^ arabes. C'était pour leur obéir, pour leur plaire , pourjes défendre, pour les mériter, pour les délivrer, pour les eniftr ver, qu'à tout moment brandissaient les lances, que

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se heurtaient les cavaliers, qu étincelaient au milieu des mirages du désert leurs sabres de l'Inde ou leurs lames yamaniques , que s'improvisaient et se chantaient les vers.

Ajoutez à cela l'implacable exigence du talion, la loi inexorable, et l'ancien point d'honneur im- prescriptible de prendre partout et toujours œil pour œil, dent pour dent, et vous aurez presque tous les motifs des guerres éternelles qui eurent lieu dans les contrées naquit plus tard l'isla- misme, qui n'y apporta pas de remède.

Mais, outre ces habitudes de combats de tribus ou de familles entre elles, nous voyons, par la des- cription du pas d'armes qui eut lieu entre Rabiyàh , fds de Moukaddam , et Amr, fds de Madiykariba, ' que , parmi les Arabes , il y avait des combats singu- liers, et que, sans inimitié, des chevaliers rompaient des lances pour conquérir ou défendre des femmes. Bien plus, par l'une des trois propositions adressées à Rabiyàh par le fds ds Madiykariba , il paraît que les luttes corps à corps et sans effusion de sang, étaient du nombre des épreuves chevaleresqlies : c'était la lutte grecque et romaine. Mais rien n'in- dique que le pugilat fût au nombres de ces épreuves, ou des exercices gymnastiques des Arabes.

Le goût de la chevalerie, sous la forme que j'ai signalée, se lie intimement à fhistoire du développe- ment des Arabes. Il fut comme il fut en Europe, mais d'une manière bien moins sensible. Selon que l'a si judicieusement remarqué pour l'Occident ,

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M. J. J. Ampère dans la Revue des deux mondes ( i^"" numéro de février 1 838) : « La chevalerie n'est « pas un accident , mais un résultat. » Et pour l'Orient , c'est en grande partie ce même résultat qui porta, peu après l'islamisme, les armes musulmanes par delà les Pyrénées et jusque près du Rhin.

En thèse générale, peut-être serait-il convenable de dire cependant que les mœurs arabes, sous le rapport des prouesses dont nous voulons parler, sont plutôt héroïques que chevaleresques; et en cela elles ont une énorme ressemblance, je crois, avec celles des guerriers et des chevaliers persans du Schah-Nameh. Nous avons dans notre pénin- sule, comme vous avez dans la patrie de Firdowsy, nos guerriers et nos chevaliers parfois couverts de fer des pied à la tête, armés de lances munies d'une pointe et d'un talon de fer, brandissant de longs et lourds sabres à deux tranchants; «Ils se précipitent « aussi les uns contre les autres, au galop , se portent (( de grands coups de lance comme dans les tournois « et les joutes de l'Occident. »

Et aussi , pour nos Arabes païens d'il y a douze à quatorze siècles , « la femme avait le rôle inspirateur (( de la vaillance, w Elle n'était pas pour eux , comme elle l'était pour Grecs, une créature de malheur. Celles qui furent causes de guerres , ne furent pas des Hélènes maudites par les poètes leurs frères, mais des femmes toujours aimées, des yeux toujours beaux comme les yeux des légères gazelles , des con- solations, des jouissances recherchées et exquises, v. 33

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«HtUène est bien la cause de la guerre de Troie; « mais ce n'est pas pour lui plaire, ni pour lui faire «honneur que Von combat; c'est pour la conqué- « rir et la rendre à son époux.... rien ne ressemble «à de l'amour chevaleresque... cet amour est tou- « jours une malédiction envoyée par les dieux.... «jamais la source de belles actions et de grandes «choses... l'amour est toujours un empêchement, «jamais une excitation à l'héroïsme.» Chez les Arabes il n'en fut pas ainsi. L'amour réel et la pas- sion de protéger la femme inspirèrent souvent des défis , des combats , des luttes.

Jamais t utefois ces sentiments ne suscitèrent et ne purent susciter de ces guerres meurtrières comme celle que célèbre l'Iliade. Mais aussi il faut dire que, chez les Arabes, qui n'étaient pas un peuple, mais seulement des populations, un simple voisinage de petites tribus d'hommes d'origine autochtone, éparses sur leur territoire, jamais aucun événe- ment, parmi des fragments aussi peu unis d'intérêts, au milieu de tentes nomades toujours prêtes à se plier et à partir chercher un autre gîte et d'autres eaux, ne put donner lieu à des grandes expéditions comme nous les comprenons. Ainsi la guerre de Baçows, guerre de quarçinte ans, coûta la vie en- viron à cinq cents hommes et à huit ou dix chefs de tribus.

Les guerres les plus meurtrières qui surgirent durant le paganisme sur le sol arabique paraissent être celles qui inaugurèrent l'islamisme et Mahomet.

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Les grsinàes journées ou encontres des Arabes, tellefe que la fameuse journée de Khazaz, qui affranchit le Hhidjâz de la domination des Yamanites, ne comptent peut-être pas plus de deux cents morts; et cepéU^ dant, à s'en rap^rter aux récits et légendes des écrivains, les deux moitiés, pour aingi dire,- djâ l'Arabie, se battii^ent l'une contre l'autre. ^^ - -'*>

nia

HISTOIRE D ANTARAH,

FILS DE SGHADDAD. (Traduite de l'Aghâniyy al-Kâbiyr. )

ARIETTE.

O demeure d'Ablah , demeure située sur la face orientale des mon Is Mâcil! hélas I ses murs sont détruits, ses traces sont perdues !. ,

Elle est devenue le gîte de la fauve gazelle , dont les crottins, par les jours ardents de l'été , y sont desséchés et durcis comme les grains du poivre. --^

Dans ces lieux maintenant déserts, l'autruche se pro- mène lentement, comme les chrétien? luarcbent en pon^i^e autour de leurs temples.

Passager, éloigne-toi de ces endroits de ipalbeur, fuis-les; quand le séjour d'un lieu t'est pénible, n'y reste pas.

... Ablah, garde la paix en cœur; il le faut, je t'en con- jure. Sache donc bien que je suis homme; que je ne suc- combe pas dans les périls de la guerre, n'en doi^-jje> jpfis moins mourir? i

îCes vei»s sont sur le mètre Itamit. Ï)'aprè5 Abow-

33.

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Mohammed Yahhyà , fils d'Aliyy , ils sont d'Antarab , fds de Schaddad l'Abside; mais je ne les ai pas trouvés dans les recueils des poésies d'Antarah; il paraîtrait qu'ils nous ont été transmis par quelque tradition maintenant inconnue. Dkutres prétendent qu'ils sont d' Abd-Ckays , fds de Khoufâf, poëte des Banow-Baradjim. Toutefois il est certain que le der- nier est véritablement d'Antarah.

Le chant de fariette précédente est de la com- position de Doulaf-al-Gkâsim, fds d'Iyçà l'Idjlide; il y en a un autre à Moukhdâr , sur le premier rythme thackiyl; on en rapporte un troisième à Màbad, etc.

Antarah est fds de Schaddad , selon d'autres , il est fdsd'Amr, fds de Schaddad. Généralement on donne ainsi sa généalogie: Antarah, fds de Schaddad, fds d'Amr, fds de Monâwiyah, fds de Ckourâd, fds de Makhzowm, fds d'Awf, fds de Mâlik, fils de Ghâlib, fds de Ckoutayàh, fils d'Abs, fds de Baghiydh, fds d'Al-Rayth, fds de Ghatafàn, fils de Sàd, fds de Ckays, fds d'Aylân, fils de Mondhar.

Antarah reçut le sobriquet ^Antaréh-al-Falhka, c est-à-dire la lèvre inférieure fendue.

Sa mère était une esclave abyssinienne appelée Zabiybah. Elle avait eu de son premier maître, avant Schaddad, des fds noirs, qui furent ainsi frères ma- ternels d'Antarah.

Longtemps Schaddad refusa d'appeler Antarah

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son fils ; mais il finit par le reconnaître et le faire entrer dans la lignée de sa famille légitime. L'ha- bitude des Arabes, aux époques du paganisme, était de ne considérer que comme leurs esclaves les en- fants qu'ils avaient de leurs femmes esclaves. Mais si ces enfants venaient à se distinguer et se faire un certain renom, leur père les avouait; sinon, ils restaient perpétuellement esclaves.

Avant qu'Antarah eût reçu de son père le nom àejils, Soumayyab ouSoubaynah, femme légitime de Schaddâd, cherchait à exciter la haine de son époux contre lui; elle accusa Antarah de vouloir la séduire. Schaddâd furieux tomba sur notre pauvre esclave et l'accabla de coups; il en vint même à le frapper de coups de sabre. Mais cette femme alors courut au secours d' Antarah , éloignant de lui Schad- dâd. Et voyant Antarah atteint de plusieurs bles- sures , elle se mit à pleurer. Antarah dit à ce propos les vers suivants qui sont passés dans les chants publics :

Quoi ! des larmes tombent des yeux de Soumayyah. Que n'ai-je eu plus tôt des preuves de ta pitié et de ta bienveillance !

Du jour elle détourna de moi ses regards et cessa de m' adresser la parole , elle me semblait être une gazelle de la vallée d'Osfân, à foeil en repos, à la paupière immobile (elle ne voulait plus me voir).

Et voilà qu'aujourd'hui elle est accourue pour me protéger quand le bâton de Schaddâd me tomba sur la tête ; alors elle me parut comme une belle statue que tous aiment et re- viennent sans cesse adorer.

Esclave! c'est de vous que je suis esclave; les troupeaux

518 JOURNAL ASIATIQUE.

que je fais paître sont vos troupeaux (je ne suis rien et je n'ai rien); de ce jour, puis-je l'espérer, Soumayyah, tu ne me tourmenteras donc plus!

Tu avais oublié mon intrépiditc^ quand les guerres s'élèvent, quand s'élancent aux combats les rapides coursiers;

Quand ils se ruent, et que leurs selles sont inondées de sueur sons les nobles dédaigneux et fiers qui les conduisent;

Cest alors que je leur porte d'énormes coups de lance, de larges blessures dans les flancs; et que, voyant couler leur sang par flots, les mains leur en jaunissent de peur \

Suivant Mohammad, fil» de Hharan, Ibn-lbra- hiym, fils d'Ayyowb, Ibn-Gkotaybah, et Ibn-ai-Kal- biyy , voici comment on raconte l'afFranchissement d'Antarah :

Schaddâd, dit-on, n'était que l'aïeul d'Antarah, et, bien que celui-ci soit dit généralement le fds de Schaddâd, il était réellement fils d'Amr, fils de Schaddâd. J'ai même ouï raconter que Schaddâd n'était que l'oncle paternel d'Antarah, qui, ayant grandi près de lui, fut pour cela appelé fXs de Schaddâd.

Quoi qu'il en soit, le père d'Antarah ne le déclara comme son fils que lorsqu'il fut déjà homme fait, car il était d'une esclave noire appelée Zabiy- bah. Voici à quelle occasion Antarah fut adopté dans la lignée hhre de son père.

Des tribus arabes vinrent foudre sur les Banow- Abs et leur enlevèrent des chameaux qu'ils emme- nèrent. Les Absides coururent à leur poursuite , les

' Ces vers sont sur le mètre haciji. La chantense Alawwiyah composa un air pour les deux premiers. ( Aj»hâniyy )

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atteignirent et les combattirent pour leur reprendre leur butin. Antarah était avec les Absides. «Va, «Antar, lui dit son père, va fondre sur eux. « Mais resciave comme moi ne sait pas fondre sur u l'ennemi ; il ne sait que traire les troupeaux et lier « entre deux bâtonnets les pis des femelles (pour em- u pêcher les petits de teter). Fonds-moi sur ces «Arabes, tu es libre. » Antarah se précipite aussitôt sur l'ennemi en prononçant ces vers :

Tout homme défend ses flancs ,

Noirs ou blancs ,

Et ses cheveux flottants.

Antarah combattit avec intrépidité et donna à l'ennemi la mesure de ce qu'il savait faire; puis son père l'admit au nombre de ses enfants et lui donna le nom de Jils,

Une autre tradition raconte ainsi la circonstance qui amena l'adoption d* Antarah.

Les Banow-Abs firent une incursion sur le terri- toire des Tayydes, et leur enlevèrent des troupeaux. Quand on en fut au partage du butin , les Absides dirent à Antarah : « Nous ne te ferons pas , à toi , « une part aussi grande que les nôtres; tu n'es qu'ion « esclave. » Les discussions se prolongèrent entre eux, et voilà qu'arrivent les Tayydes. Antarah se retirait et laissait les Absides faire face à l'attaque , en leur disant: «A vous l'ennemi! vous êtes aussi « nombreux qu eux. » Les Tayydes reprennent leurs chameaux. Schaddâd dit alors à Antarah : « Antar,

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«va fondre sur lennemi. Eh! l'esclave ne sait « pas fondre sui* l'ennemi. L'esclave ! tu n'es plus «esclave.» Et, par cette réplique, Schaddâd le dé- clara son fils. Antarah s'élança sur les Banow-Tayy et enleva les chameaux. C'est alors qu'il dit :

Je suis le Hadjiyn Antarah : Tout homme défend ses flancs^ Noirs ou blancs, El ses cheveux flottants.

(Nul impunément ne doit lui enlever un seul pheveu.)

Quand Antarah fut accepté pour fds par Schad- dâd , il dit :

Je suis un homme des Absides; j'ai de bon, à leurs yeux, la moitié de ma personne seulement (car mon père est de sang libre et ma mère esclave) ; l'autre moitié , j'ai mon sabre pour la faire respecter.

Quand nos guerriers pensent à reculer en face de l'enne- mi , quand au fort du danger ils se regardent stupéfaits, alors je vaux pour eux vingt fois mieux que ceux qui ont tous leurs oncles de haute et noble lignée.

Ces deux vers, je crois, font partie du ckassiydah se trouvent aussi les vers de l'ariette : « 0 demeure «d'Ablah!» etc. et Antarah les aurait composés à propos de la guerre de Dâhhis et de Ghabrâ.

Selon le récit d'Ibn-al-Kalbiyy , Antarah était un des trois Ghourâh ou mieux Aghribah, ou corbeaux arabes du paganisme. Le second fut Khoufàf, fils d'Amr-al-Schariydiyy, et sa mère fut Nadbah; le troisième fut Solayk, Tds d'Omayr le Sàdide, et sa

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mère fui Solakah. Chacun est distingué, comme Ghourâh, par le nom de sa mère.

Abow-Amr raconte que les Banow-Abs allèrent faire une incursion sur le territoire des Tamiymides. Ceux-ci, commandés par Ckays, fils de Zohayr, mirent en fuite les Absides et les poursuivirent; mais Antarah soutint la retraite de sa tribu , surtout au moment elle était atteinte par une troupe de cavaliers Tan|i|mides. Il la défendit si bien que pas un Abside ne fut pris. Ckays, fils de Zohayr, prince de la tribu des Banow-Tamiym , mécontent de voir que par l'œuvre seule d' Antarah sa proie lui avait échappé , répétait en regagnant sa tribu : « Par « Dieu! c'est le fils de la noire qui les a sauvés. » Ce Gkays était gros mangeur.

Lorsque Antarah eut connaissance de la parole méprisante du chef Tamiymide, il composa un Ckassiydah se trouvent les vers suivants dirigés contre Ckays et qui passèrent ensuitefdans le do- maine des chants publics.

Au matin accourut mon amante; elle me détournait de m'exposer à la mort; comme si, en me tenant à l'écart, loin des combats, je pouvais éviter la mort.

Eh ! lui dis-je, la mort est l'abreuvoir général; et il faudra bien que moi aussi j'aille y remplir et boire ma coupe.

Sache te modérer , aie quelque pudeur, je t'en conjure. Je suis homme; mourir en repos, ou être tué, il faut l'un ou l'autre.

Si jamais la mort paraît sous forme humaine, c'est bien moi qui suis la mort , lorsque je vois les Absides tombés dans le danger.

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Je suis homme des Banow-Abs; j'ai de bon, à leurs yeux, la moitié de moi ; l'autre moitié , le tranchant de mon sabre la fait respecter.

Quand les bataillons Absides tremblent, quand nos guer- riers inquiets et stupéfaits se regardent du coin de l'œil et hésitent, alors je vaux pour eux plus que tous ceux qui ont tous leurs oncles de sang noble et pur.

Les chevaux, les cavaliers ennemis savent que c'est moi qui, de mes coups décisifs et déroutants, disperse leurs escadrons.

Et puis, jn sais ne pas conduire noJ|^uerriers j'au- rais toutes les chances d'une déroute; je ne me jette pas (comme le chef des Tamiymides) aux premiers coups de ba- taille (quand la prudence le défend).

Quand nos soldats sont atteints, je vole à leur défense; quand la mêlée s'échaufiFe, je serre de près l'ennemi; quand Abs est en péril , j'accours le délivrer (je ne fais pas comme le'fils de Zobayr).

Aussitôt qu'apparaît le moment d'aller à leur secours, c'est moi qui me charge de les sauver; mais l'ignorant, le lâche ( comme le fils de Zobayr ) ne sait que prendre la fuite ,

Alors que l'œil des coursiers aux flancs élancés est stupé- fait d'épouvante, et qu'il semble que leurs cavaliers palis avalent en grimaçant une amèrc infusion de coloquinle.

Moi, je me couche, les entrailles contractées sur elles- mêmes par la faim ; puis , le jour encore , je reste à jeun , jusqu'à ce que se présente à moi une noble et digne pâture (une œuvre de gloire}; mais toi, Ckays, tu ne sais que manger \

D y a un long poëme , encore d'Antarah , et qui

* Ces vers sont sur le mètre kâniil. Les quatre premiers et le huitième ont été chantés par Ariyb (célèbre chanteuse, musicienne et poète) sur un air du rhythme ramai léger, d'après le thème de Hischâmiyy, dMbn-al-Moùtazz et d'Abow'-!-Obays.

A

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fut récité en entier au prophète. Dans ce poëme , qui commence par ce vers

0 demeure d'Ablah! tu as reparu à Tawwy, belle comme un joli tatouage sur la main d'une jolie fiancée,

Antarah raconte à sa tribu ses prouesses guerrières et les souvenirs de sa bravoure.

Al - Rourâwyy , Nadhr et Haytham rapportent qu'un jour on dit à Antarah: «Es-tu vraiment, «comme on le répète partout, le plus brave des « Arabes , le plus intrépide ? Non. Et pourquoi «donc as-tu cette réputation de vaillance? Voici : «Je cours sur l'ennemi quand je crois le moment «favorable pour fondre sur lui; je me retire ou «m'arrête quand la prudence le commande. Je ne «m'engage jamais dans un lieu sans avoir vu le «moyen d'en pouvoir sortir. En bataille, je me pré- «cipite sur le faible et le lâche; je fécrase de mes « redoutables coups; alors l'épouvante saisit au cœur «le plus brave; je fonds sur lui et le tue. »

Hhabiyb et Ahhmad racontent, d'après Omay, fils de Schabbah, qu'un jour Omar le khalife, fds d'al-Khattâb , dit à Hhotayah ; « Gomment étiez-vous «en chefs lors de votre expédition? Nous avions «mille cavaliers, tous intelligents et dociles. Do- « ciles ! comment ? Nous avions avec nous Gkays , «fils de Zohayr; c'est la prudence même; nous « r écoutions et lui obéissions ponctuellement. Nous «avions ie brave cavalier Antarah; quand il char- «geait, nous chargions; quand il s'arrêtait, nous

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«nous arrêtions. Nous avions Rabiy, fils de Ziyâd; «c'est la sagacité et l'adresse mêmes; c'est lui que « nous consultions , et ses paroles étaient des oracles « pour nous. Enfin nous avions Orwah , fils de War ; « nous marchions à la mâle et chaude cadence de « ses vers. Voilà comme nous étions. Parfaite- « ment, dit Omar. »

D'après une série de témoignages et de tradi- tions reçus successivement d'Ibn-al-Kabbiyy, d'Ibn- Hhabiyb, d'al-Moufadhdhal , d'Ibn-al-Arâbiyy, etc. Solaymân raconte ainsi la mort d'Antarah ;

« Antarah, déjà très-avancé en âge, alla faire une « incursion sur le territoire des Banow-Nabhân , tribu « tayyde (issue de Nabhân , fils d'Amr, fils de Ghawth , «fds de Tayy). Antarah leur enleva quelques cha- «meaux, et s'en revint chassant sa capture, tout en « prononçant ces vers sur le mètre radjaz :

Les Nabhân, ils ont de la poussière plein la bouche (ils sont déroutés).

Leurs pas , sur la face plane du désert ,

Sont comme la trace de l'autruche fugitive sur les plaines desséchées des sables.

«Mais Wizr, fds de Djâbir le Nabhânide était à « fairût sur le passage d'Antarah. Il lui lance un trait. «Attrape, lui dit Wizr; je suis le fils de Salmé. » «Antarah est frappé; le trait lui a coupé les reins. « Malgré la douleur du coup , il eut encore la force «d'arriver à sa tribu; et, quoique blessé à mort, il « dit encore ces vers aux Absides :

C'est le fds de Salmé, sachez-le, enfants d'Abs, qui vous

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doit le prix de mon sang. Hélas! peut-être ne lui deman- dera-t-on pas vengeance de ma mort.

Car, lorsqu'il franchit les monts Tayydes, Salmé et Adjà, ces monts élevés touchant aux Pléiades, nul ne songe à l'in- terpeller. (Là il ne craint plus personne; comment alors serais-je vengé?)

Il m'a frappé quand il n'avait pas à redouter les fers cou- pant des lances bleuâtres, le soir que nous descendions des monts Nàf et Makhram.

Abow-Amr le Schaybânide raconte autrement la mort d'Antarah. Il djt que le fds de Schaddâd, avec des hommes de sa tribu , partit en expédition contre les Tayydes. Les Absides furent mis en déroute. Antarah tomba de cheval, et, déjà vieux et débile , il ne put plus se remettre en selle. Il se blottit dans une cachette. Un éclaireur tayyde l'aperçoit dans son gîte; il court à lui; mais, n'osant pas le faire prisonnier, il lui décoche une flèche et le tue.

Voici une autre tradition encore rapportée par Abow-Obaydah : Antarah, devenu vieux, vivait mi- sérable, et souvent était sans ressources. Accablé par les années et infirme, il ne pouvait plus aller en excursions... Un Ghatafânide lui devait un jeune chameau. Antarah partit pour le réclamer; mais un vent brûlant d'été s'éleva lorsqu'il était entre Schardj et Nâzhirah (deux eaux appartenant aux Absides) , et il fut étouffé par la chaleur.

Abow-Khaliyfah rapporte qu'Amr, fds de Ma- diykariba disait : « Je m'inquiète peu de rencontrer «tous vos fameux cavaliers arabes; mais, quand je « me trouve en face des deux hommes libres ou des

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deux hadjiyn. . .!» Par les deux premiers, il dési- gnait Amir, fds de Tofayi et Otaybah, fils de Hhâ- rith, fds de Schihâb; et par les deux hadjiyn il vou- lait dire Aiitarah et Solayk, fds de Solakah.

Voilà (dit ici l'auteur de TAghâniyy) tout ce que j'ai trouvé relativement à l'histoire d'Antarah.

Quant à Abd-Ckays, fds de Khoufàf (auquel des traditions rapportent les premiers vers de fariette «O demeure d'Ablah, etc.»), je n'ai trouvé de lui d'autre histoire que le peu qi^ je vais exposer et que je dois à Djàfar, fds de Ckoudâmah, qui l'avait lu dans un livre d'Abow-Othmân le Mâzinide.

ABD-CKAYS LE BOURDJOUMIDE,

FILS DE KHOUFAF.

Abd-Ckays, fils de Rhoufâf, était Boudjoumide, cest-à-dire des Banow-Barâdjim. Il alla demander à Hhâtim-Tayy de quoi payer une amende expia- toire dont il s'était chargé au nom de sa tribu, qui s'était ensuite refusée de l'acquitter avec lui. Ne pouvant pas, par lui-même, en donner la valeur : (( Je trouverai , leur avait-il dit , qui payera ie prix de (( cette expiation. »

Abd-Ckays était renommé comme poète et

comme guerrier Il se rendit près de Hhâ-

tim : «J'ai à payer, lui dit-il, au nom de ma tribu, « un piaculum pour prix du sang. Chacun dans nos « tribus , s'en remettait à un autre pour l'acquitter.

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«Je m'en suis chargé, espérant que d'autres con- (( tribueraient avec moi. J'ai livré le premier ce que {(j'avais; pour les autres, mon espoir est déçu; nul «ne veut m'aider. Tu es, pour moi, le seul secours « sur lequel je puisse compter. Tu me débarrasseras « de ce fardeau ; car combien ta générosité n'a-t-elle « pas prodigué de pareils bienfaits ! combien de «soucis n'a-t-elle pas éteints! Cependant, situas « aujourd'hui quelque obstacle, je n'en appellerai pas «pour cela ce jour jour de malheur; je n'en ou- «blierai pas pour cela ta libéralité d'hier, ni je ne « désespérerai pas de son lendemain.» Puis, Abd- Ckays ajouta ces vers :

Cent fois j'ai pris sur ma foi le prix du sang versé par les Barâdjim ; mais aujourd'hui ils me refusent leur secours , et je viens à toi.

Ils n'ont pas eu honte de me dire : Pourquoi te chargeais- tu de nos expiations? N'importe, répondis-je, Hhâtim me suffit pour les payer.

J'irai à lui, et il me dira : Approche, sois le bienvenu; aie joâe et bonheur. La peine ne t'atteindra pas.

Jl payera pour moi, et même, si je le veux, il me donnera plus encore, comme un homme dont la libéralité est sans bornes.

Oui, la munificence vivra sur la teiTe tant que vivra Hhâ- tim-Tayy ; du jour il mourra, les pleurs publics feront le deuil delà générosité,

Et des cris de douleur diront de partout: La générosité n'est plus; plus de voix qui réponde aux demandes de qui est dans la gêne, tant que Hliâlim restera sous la tombe !

Des hommes nous ont dit: Cette année a dévoré, absorbé en bienfaits tout ce que possédait Hhâtim. Je le sais, leur ai-je dit , je le sais ;

528 JOURNAL ASIATIQUE.

Qu'importe I il donne des biens de sa Iribu, alors que ses devoirs rigoureux de générosité ont épuisé les siens.

Et puis, il donne jusqu'à enrichir celui à qui il donne, el il croit encore qu'il a refusé, tant il trouve qu'il' a peu donné.

Sublime vertu , magnifique héritage qu'il a reçu de ses pères, d'Adyy, de Hhaschradj, de Sàd, d'Abd- Allah, tous noms pleins de gloire et de souvenirs.

Hhâtim lui répliqua : « Tu es l'homme des Ba- « râdjim que je désirais voir venir à moi. Voilà mon « lot du quart des dépouilles que nous avons enle- «vées dans une expédition contre les Famiymides, (( prends-le tout entier. Vois s'il peut satisfaire à ta ((dette; sinon, je te compléterai ce qu'il te faudra. ((Il y a deux cents chameaux, sans y comprendre (( les petits et ceux qui sont encore avant l'âge de ((Service; cela ne se compte pas. Je ne veux, pas (( que tu sois obligé de gêner ta tribu et de lui de- (( mander de te donner ce qui te manquerait. »

Abow-Djobayl (surnom d'Abd-Ckays) sourit et lui dit: ((A toi, ce que tu as reçu de moi (les vers ((que je te viens d'adresser, tu en es digne). A nous ((ce que je reçois de toi (les chameaux). Tous ces (( chameaux dont tu me fais don , n'ont plus la queue ((dans la main de leurs maîtres (ils sont ta légitime ((possession), tu es libre d'en disposer.» Et Abd- Ckays les accepta. Hhâtim y en ajouta encore cent

autres Puis Abd-Ckays partit et retourna à

sa tribu.

C'est à propos de cette circonstance que Hhâtim dit les vers suivants :

DECEMBRE 1840. 529

Abow-Djobayl le Bourdjoumide est venu à moi , l'âme acca- blée d'inquiétude.

Prends , lui ai-je dit , prends ce quart de dépouiHes , et calme ton souci; je n'aime pas à donner peu

A qui que ce soit. J'ai des défauts, sans doute, mais je n'ai pas celui de l'avarice.

Prends-moi ces deux cents chameaux; emmène aussi ce qui s'y trouve en plus déjeunes chameaux, soit trop faibles pour les courses, soit fatigués;

Et ne te regarde pas, pour cela, obligé à la reconnais- sance : à mes yeux un bienfait rappelé a perdu tout son prix.

Et le Bourdjoumide part soulagé du fardeau qu'il devait porter pour son expiation ;

Il part, laissant traîner libre le pan de son vêtement (le cœur satisfait); il marche d'un pied dégagé et content, le dos déchargé du faix pesant qui le gênait.

i j ^

^ '' X

Agréez , Monsieur, l'assurance de tout mon atta- chement et de toute ma reconnaissance.

Perron ,

Directeur de l'Ecole de médecine du Kaire , médecin à l'hôpital de Ckassr el-Ayniyy , etc.

830 JOURNAL ASIATIQUE.

RECHERCHES

Sur la température ancienne de la Chine, par M. Éd. Biot,

Dans r Annuaire de i834, M. Arago a fait un très-habile emploi des observations du savant voya- geur danois M. Schouw sur les plantes cultivées actuellement et autrefois dans l'Asie occidentale, pour démontrer que la température moyenne de la Palestine n'a pas varié depuis l'époque de Moïse. Ce fait important est prouvé par la culture constante et simultanée, en Palestine, du dattier, dont le fruit exige pour mûrir une température moyenne d'au moins 2 1 degrés centigrades , et de la vigne , dont le raisin ne mûrit plus par une température de plus de 22 degrés centigrades. Ces deux limites ne diffé- rant que d'un degré, il en résulte que la tempéra- ture de la Palestine est restée sensiblement cons- tante et égale à 2 i,5 degrés. Dans d'autres pays, le climat a varié, depuis l'antiquité, par l'effet très- probable des travaux de l'homme , et cette variation a été examinée par M. Arago pour les différents pays de l'Europe, à l'aide de données physiques analogues aux précédentes , mais beaucoup moins précises, en comparant pour deux %>oques, ancienne et mo- derne , les phénomènes ae la végétation et les cir- constances météorologiques.

DÉCEMBRE 1840. , 531

J'ai cherché à fah'e un travail analogue pour la Chine , en me guidant sur le modèle que m'oflVait le travail de M. Arago , et j'ai réuni dans le mémoire que l'on va lire les divers documents que j'ai pu découvrir dans les textes originaux. Si je n'arrive point à des résultats aussi précis que ceux de M. Arago pour la Palestine, j'espère au moins que la publication de ces documents pourra être de quelque utilité.

Comme remarque générale , je rappellerai d^abord que, d'après l'ensemble des observations faites prin^ cipalement par les missionnaires, et discutées par M. de Humboldt dans son mémoire sur les lignes isothermes, la température moyenne de la Chine actuelle est plus basse , à latitude égale , que celle de notre Europe, et en même temps le climat actuel de la Chine est un climat excessifs à grandes chaleurs en été, à grands froids en hiver, d'où il résulte que les plantes annuelles qui se sèment au printemps et se récoltent en automne y peuvent fructifier dans des localités la température moyenne de l'année est plus basse que sous le climat tempéré de la France. Or j'ai extrait des trois cent unième et trois cent quatrième cahiers du Fren-hian-thoung-lûiao les catalogues des grandes pluies et grandes sécheresses^ notées par les annalistes chinois depuis une haute antiquité, et ils nous montrent la Chine entière ex- posée , dans les anciens temps comme dans l^es temps modernes, à des alternatives fréquentes de grandes sécheresses et de grandes pluies. Ceci me parait «ne

3'i.

532 JOURNAL ASIATIQUE,

première induction pour présumer que le climat ancien de la Chine était un climat excessif comme le climat actuel ; car ces grands et désastreux phé- nomènes physiques seraient nécessairement beau- coup plus rares sous un climat tempéré , et ainsi ils ne se rencontrent qu'à des intervalles bien plus longs dans l'histoire de notre Europe ancienne.

Pour imiter maintenant la marche tracée par M. Arago et comparer la végétation ancienne et moderne de la Chine, il faut nécessairement y choisir une zone spéciale, puisque cette vaste con- trée embrasse près de vingt degrés de latitude , de- puis le tropique jusqu'au /n^ degré de latitude bo- réale. Cette zone nous est indiquée par les Annales historiques. Jusqu'au m* siècle avant notre ère les parties méridionales de la Chine ont été occupées par des hordes sauvages. Le peuple chinois civilisé n'occupait, au xu* siècle avant notre ère, qu'un espace limité au midi par le SS** ou le 34* degré de latitude, au nord par les 3 7* et 38®. Le milieu de cet espace correspond à la vallée inférieure du fleuve Jaune, et, d'après un recensement de cette époque, sa population s'élevait à vingt et un mil- lions d'individus. C'est cette zone dont je vais exa- miner la végétation ancienne et moderne.

Les limites géographiques que je lui ai assignées se reconnaissent aisément dans les deux livres sacrés Chou-king et Chi-king. Le premier de ces ouvrages présente, au chapitre Yu-kong, un tableau des di- verses provinces de l'empire et de leurs principaux

DÉCEMBRE 1840. 533

produits au temps de l'empereur Yu. La date de cet empereur est, comme Ton sait, fixée au xxm* siècle avant notre ère par les historiens et commen- tateurs chinois, et cette date paraît très-admissible, bien que l'on n'ait pas encore pu calculer l'époque exacte de la célèbre éclipse solaire notée dans le texte du Chou-king. Le second ouvrage , le Qd-king ou Livre des vers , rapporte les chansons des divers royaumes dont l'empire se composait, depuis le xn® jusqu'au vu" siècle avant notre ère ; et ces chansons , images de la vie du peuple , citent pour chaque royaume les plantes d'un usage habituel et les détails géné- raux de la culture. Depuis les anciens temps, les noms et les limites des divisions de la Chine ont varié sans doute ; mais la détermination des localités citées dans les livres sacrés a été faite avec beau- coup de soin par les premiers commentateurs , dès le n* siècle avant notre ère , et par ceux qui les ont suivi jusqu'à nous. Les provinces citées au chapitre Ya-kong du Chou-king embrassent des espaces fort étendus, et les limites de plusieurs d'entre elles ne sont pas fixées bien nettement; mais, quant aux districts cités dans le Chi-king, il ne peut y avoir aucune incertitude ; car ces districts se rapportent à une zone peu étendue, et les noms qu'ils portaient alors se sont longtemps conservés dans les textes historiques.

Pour être plus précis, j'ai dirigé principalement mes recherches sur ce second recueil. J'en ai extrait diverses citations des végétaux assimilés à ceux de

534J JOl!)l\NAL ASIATIQUE.

nôtres Europe par le P. I^a Charme, qui traduisit lo Chi-fyiPig en Chine même , et par les autres mission- naires oit voyageurs européens. D'après les localités indiquées dans le texte chinois, j'ai distrihué ces végétaux sur une carte de Chine qui est jointe à ce mémoire. J'ai fait un relevé analogue pour l'époque actuelle dans deux ouvrages, savoir : l'Encyclopédie japonaise , qui présente aux livres LXIII et suivants l'état des produits commerciaux de chaque province chinoise, et le Kouang-yu-ky, abrégé de géographie chinoise, qui a servi de base à V Atlas Sinensis du P. Martini et à la Description génémle de la Chine par Duhalde. Enfin j'ai profité des notes insérées dans les mémoires des missionnaires. J'ai comparé les limites qui m'étaient données aux deux époques pour la culture du mûrier, du riz , de l'oranger et autres végétaux naturels à la Chine. Cette compa- raison m'a conduit aux résultats suivants.

A l'époque décrite dans le Chi-king , ou du xn" 'à\k vu* siècle avant notre ère , le mûrier était cul- tivé dans toute la vallée inférieure du fleuve Jaune, par 34 à 35 degrés de latitude. D'après les citations du texte chinois, la culture de cet arbre paraît s'ar- rêter au nord vers le 3 7* ou 38* degré de latitude, ^r versant septentrional de la vallée du fleuve Jaune, et dans les gorges du Chan-tong, province contiguë à la mer d'Orient ^

. ' Le mûrier est cité dans le Chi-kinij , part, i", Tcheou-fong , ciî.'v, ode 4;ch. ix, ode 2 (royaume de Wey, laiit. 3.')°). Même partie, ch. xi, ode 1 (royadme de Thsin, latît. 34 à 36 degrés);

DECEMBRE 1840. 535

Aujourd'hui la limite nord de la culture du mû- rier paraît encore la même en Chine ^. En France , la culture /acife et régulière du mûrier s'étend jusqu'au /i6' degré de latitude, la température moyenne est d'environ i 4 degrés centigrades. On espère en- core que les espèces dites multicaules pourront s'ac- climater assez bien aux environs de Paris , et même en Belgique. Mais on ne peut admettre leur culture habituelle dans le nord de la Chine, aux environs de Pékin, le thermomètre descend ordinaire- ment en hiver jusqu'à 1 5 degrés Réaumur, et reste pendant trois mois au-dessous de zéro. En 1 838 un froid de 1 5 degrés pendant quelques jours a détruit tous les midticaules des environs de Paris.

A l'époque décrite par le Chi-Mng, le riz était cul- tivé dans toute la vallée inférieure du fleuve Jaune , par 3/i à 35 degrés de latitude. Au nord de cette val- lée, il ne paraît plus dans le texte et est remplacé par d'autres espèces de céréales appelées chou et tsi ^.

id. ch. VII, ode 2 (royaume de Tching dans le Ho-nan, même lati- tude); id. ch. XV, ode 1 (royaume de Pin dans le Chen-sy, même latitude). Il y a trois autres citations dans la partie 11, Ta^^a, ch. II, ode 3; ch. v, ode 3; ch; vm, ode 4^ais, sans ipdicatipi:i des localités.

Le Chou-hing, au chapitre Yn-kong , attribue au district Yen. tcheou la culture des mûriers et Téducation des vers à soie. Ce district correspond à la partie centrale du Chan-tong (par 36 et 37 degrés de latitude), comme le prouve la citation de la rivière de Thsy, faite dans le texte,

•^ Voyez le Jfoua/i^f-ju-fcj, TEncyclopédie japonaise et Duhalde, Description générale de la Chine , articles des provinces du nord.

* Le riz est cité dans le Chi-king. par 35° de latitude . i" partie , Tcheou-fong. ch, x, ode 8, royaume de Wey. Id. ch, xv, ode 1",

530 JOURNAL ASIATIQUE.

Actuellement la limite de la culture habituelle du riz paraît encore la même dans les localités cor- respondantes aux districts ou royaumes du Gii-king. D'après la liste des produits du Chan-sy et du Clien- sy, cités dans le Koaang-ya-hi et l'Encyclopédie japo- naise , toute la partie septentrionale de ces provinces est trop froide pour la maturation facile du riz , et l'on n'y cultive généralement que les espèces de cé- réales appelées chou et tsi, que les voyageurs anglais rapportent à Yholcas sorgho. Il en est de même dans le Pe-tche-ly. D'après Timkowski, (t. II, p, 365 et suivantes de la traduction), au mois de mai, dans sa route de Peking à Suen-hoa , par à i degrés de lati- tude nord, il ne voyait que des champs de blé. Au surplus, le riz étant une plante annuelle et se semant à la fm du printemps , sa culture sous un climat ex- cessif ne peut sei^v^ir comme mesure de la tempéra- ture moyenne : mais les époques de sa semence et de sa récolte peuvent très -bien servir pour reconnaître la variation du climat. Je m'en occuperai plus loin.

L'oranger n'est pas cité dans le Chi-king; cepen- dant la Chine actuelle a, comme on le sait, des espèces d'orangers qui lui sont particulières, et les compilations chinoises d'histoire naturelle repré-

royaume de Pin. iv* partie, ch. ii, ode 4, royaume de Lau, par 34° de latitude. Les autres citations, dans les parties ii et m, sont sans indication de localité. Le royaume de l'empereur (en- virons de Fong-tsiang-fou , par 35° de latitude) cultive la céréale chou, à la gi'appe baissée, et la céréale tsj, T* partie, ch. vi, ode i". Le Chou-king ne parle pas du riz en particulier au chapitre Yu- hong.ll cite la culture des céréales en général.

DECEMBRE 1840. 537

sentent cet arbre comme natm^el à la Chine. Mais actuellement, suivant l'abbé Voisin, qui a séjourné huit ans dans le Sse-tchuen, la culture générale de Toranger ne dépasse pas, dans la Chine occiden- tale, le So" degré de latitude ^ Au centre, par 3 1 degrés , la capitale du Hou-kouang , Wou-tchang- fou, est renommée pour ses orangers; et, plus au nord vers l'orient, l'arrondissement de Kouey-te- fou ( 3 4 degrés de latitude ) cultive des orangers et des grenadiers qui donnent de bons fruits. Comme cette dernière latitude est à peu près la limite sud des localités citées explicitement dans le Chi-king, les oranges ne peuvent pas être comptées parmi leurs produits ordinaires , et il n'est pas étonnant que le Chi-king n'en fasse pas mention. Le Chou-^kingy au cha- pitre Yu-kong, cite les oranges [kan ou fruits doux) du Yang-tcheou. Ce district avait pour centre la ville actuelle de Yang-tcheou, située par 32 degrés de latitude, vers l'embouchure du grand fleuve Kiang^. Dans notre Europe, l'orange ne mûrit bien qu'à Malte, à Mayorque, en Sicile, la température moyenne est de 1 7 à 1 9 degrés centigrades. En Pro- vence , la température moyenne est de 1 5 degrés environ, les oranges d'Hyères sont beaucoup moins douceà.

^ Annales de la propagation de la foi, t. IX.

* Chou-hing, ch. Yu-kong, province d'Yang-tcheou. Le thé n^est cité ni dans le Chou-king . ni dans le Chi-king. Sa culture actuelle s'arrête à la rive droite du fleuve Jaune. D'ailleurs l'usage du thé ne paraît s'être répandu en Chine que vers le v' siècle de notre ère, sous les Tsin, comme M. Klaproth l'a remarqué [Asiat Journal, j835).

538 JOURNAL ASIATIQUE.

Le grenadier et le laurier, arbres naturels à la Chine, ne sont pas mentionnés dans le Chi-kimj ; mais actuellement leur végétation s'aiTete, comme celle de Toranger, au sud des pays dont les latitudes sont décrites dans ce recueil. L'arbre à vernis s'y trouve cité plusieurs fois, ainsi que dans le Ckou- làng. Celui-ci parie déjà de l'extraction du vernis par incision dans le Yen-tcheou , qui correspond au Cban-tong actuel (36 k 3 7 degrés de latitude). Cet arbre, transporté en France depuis le xvni* siècle, vit sans difficulté dans les environs de Paris, par 1 o degrés de température moyenne ; mais , sous cette température, sa végétation n'est pas assez active pour qu'il fournisse du vernis.

Le Chi'king cite fréquemment le pêcher, le co- gnassier^; et, d'après les observations de divers voyageurs , ces arbres s'élèvent sensiblement en ap- prochant du tropique. Ainsi encore, sur la côte d'Alger, les plaines dont la température moyenne est 21 degrés centigrades, présentent le dattier et le mûrier, et le pêcher ne commence que dans les montagnes le dattier cesse ^. Il lui faut donc moins de 2 i degrés. En France, la culture du pê- cher en plein vent à pêches hâtives s'arrête au nord vers Dijon, par 1 ^ degrés de température moyenne. En Amérique, le cognassier vit sur le plateau de

Cki-king, part, i, ch. 1, ode 6, Royaume de Tcheou. Pari, i, ch. t, ode 10, royaume de Wey (près du Honan, latitude 34°^ Part. I, ch. IX, ode 3 , royaume de Wey (district de Ping- Leang, latitude 36°).

= Voyages de Shaw, t. ]" .

DECEMBRE 18^0. 539

Bogota, par une température moyenne de 16,7 de- grés et à une élévation considérable au-dessus du niveau de la mer. Ces données limiteraient la tem- pérature des pays cités dans le Chi-king entre i5 et 2 1 degrés centigrades. Mais on ne peut affirmer que les espèces dont il parle soient identiques avec celles qui vivent dans notre monde occidental. Cependant l'histoire chinoise nous apprend que sous l'empereur Wou-ty des Han , environ cent vingt ans avant notre ère , les armées ckinoises rapportèrent le pêcher et la vigne de la Perse, et ces arbres furent cultivés avec succès dans les environs de la capitale, alors Tchang-ngan, par 3/i degrés de latitude, non loin du coude oriental du fleuve Jaune. La vigne pro- duisit du bon vin. De résulte, d'après les obser- vations de M. Léopold de Buch sur le climat de la vigne, que la température moyenne du 34^ parallèle chinois ne pouvait être alors de plus de 2 2 degrés centigrades. Notre pêcher [persica arbor) nous est venu également de Perse; et puisque cette espèce prospérait en Chine sous le 3 4* parallèle , nous trou- vons encore que la température moyenne de ce parallèle ne pouvait dépasser 2 1 degrés. Le mûrier et le riz n'étant pas indicpiés comme cultivés habi- tuellement dans les districts nord du Chi-king, non plus que dans les provinces nord de la Chine ac- tuelle , on peut prendre comme limite inférieure , pour ces districts nord, i3,5o degrés, température moyenne de Pékin, d'après les missionnaires. Pour resserrer ces limites, nous ])ouvons rap-

540 JOURNAL ASIATIQUE,

peler que l'orange est citée dans le Yang-tcheou du Giou-klng, par 82 degrés de latitude, et non citée dans les royaumes du Chi-ldmj situés au nord du 3 A* parallèle; et de suit, comme induction probable , que la température moyenne de la zone occupée par ces royaumes était au-dessous de 1 8", tempéra- ture moyenne des pays l'orange mûrit bien. Cette conjecture est appuyée par quelques faits phy- siques notés dans un registre météorologique de la ville de Khai-foung-fou , sise par 3 Megrés de latitude, lequel a été traduit du chinois par les missionnaires et inséré au tome XII de leurs mémoires. On y lit qu'en Fan 1 3 1 avant J. G. une gelée blanche fit périr les arbres et les plantes ; qu'en 1 1 5 il y eut cinq pieds de neige , et qu'un hiver très-froid , en l'an 307 de notre ère, fit fendre les mûriers. Ces grands froids se sont aussi fait sentir quelquefois au nord de l'Italie et dans notre Provence, dont le climat moyen varie de 16 à i5 degrés centigrades. La température moyenne de Khai-foung-fou ne devait donc pas différer sensiblement de ce chiffre.

Le même registre parle des jujubes récoltés à Khai-foung-fou, 168 ans avant notre ère. Cette ré- colte se trouve également citée en divers passages du Chi-king ^. La culture du jujubier s'arrête encore aux mêmes limites boréales en Chine et en Syrie. Les jujubes mûrissent aussi dans notre Provence; leur fructification s'arrête en remontant au nord. Le châtaignier se trouve cité en plusieurs passages

' Chi-hing, part. 1, ch. ix, ode 3. Chants du royaume de Wey.

DÉCEMBRE 1840. 541

du Chi-kiiig. La deuxième ode des chants du royaume deThang, situé vers les 36* et 87* parallèles, place le châtaignier dans la vallée, et l'arbre à vernis sur la colline. Cette même disposition se retrouve dans la première ode des chants du royaume de Thsin, dont la limite sud était le territoii'e actuel de Si- ngan-fou, par 34 degrés de latitude. Dans la strophe suivante , cette même ode place le mûrier sur des points escarpés, et le peuplier dans la vallée. De nos jours , le voyageur Timkowski ( 1. 1 , pag. 3 1 8 , trad. de Klaproth) cite entre Peking et la grande muraille des châtaigniers , des noisetiers , des vignes , des cy- près. En France, le châtaignier et le mûrier se tou- chent dans la vallée supérieure du Gardon, par 44 degrés de latitude, dans des localités la neige doit durer en hivej*.

Ces analogies , dans les phénomènes de la végé- tation, sont des indices en faveur de la constance sensible de la température , depuis les anciens temps, dans la zone chinoise que nous étudions. Je vais y joindre une autre preuve qui me semble encore plus concluante.

Divers passages du Chi-king montrent que l'édu- cation des vers à soie était habituelle dans cette zone, dès le X* ou xu* siècle avant notre ère ^. Une ode de ce recueil parle même des vers à soie sauvages qui vivent sur les mûriers : le passage se rapporte à une

^ Chi-king. i" partie, chap. ii , ode 7. Royaume det Tcheou (lal.35*'-36°).Ch. xv, ode 1, royaume de Pin (lat. 34°-35"). 111" partie, ch. m, ode 10.... Habits et fil de soie passim.

542 JOURNAL ASIATIQUE.

expédition de Tcheou-kong dans ia partie orientale de la Chine, qui est désignée actuellement sous le nom de Cban-toung, et s étend jusqu'au 38° degré de latitude ^ C'est aussi dans ces localités que se voient aujourd'hui les derniers vers k soie sauvages, en al- lant vers le nord. Quant aux vers domestiques qui font la soie fine, leur éducation habituelle s'arrête aujourd'hui vers le 36" ou 3 7* degré de latitude. Cette limite est indiquée par les* recueils qui traitent des produits des provinces , telles que la grande géo- graphie chinoise, le /i^ouan^-ju-fei, l'Encyclopédie ja- ponaise et la compilation de Duhalde. La production de la soie n'est pas citée comme un produit com- mercial des provinces boréales. Les citations du Chî- king se rapportent aussi à des localités moins boréales que le 36* degré de latitude, ^u chapitre Ya-kong, le Chou-king cite l'éducation des vers à soie comme possible dans le district d'Yen-tcheou (le Cban-toung actuel). Le texte n'explique pas s'il s'agit de vers à soie domestiques ou sauvages: en admettant qu'il parle des vers domestiques , ia limite nord ne s'élè- verait au plus qu'au 37* degré. Les annales de ia Chine, dans les temps demi-fabuleux, demi-histo- riques, citent aussi l'épouse de l'empereur Hoang-ty conmie élevant des vers à soie. La cour impériale était alors à Thay-yuen du Chan-sy, au-dessous du 38" parallèle, et encore on ne peut dire que cette éducation ne fût pas un simple passe-temps de l'im- pératrice.

' Chi-himj , T* partie, ch. xv, ode 3.

DECEMBRE 1840. 543

Les meilleures expériences faites en Europe ont prouvé que la température la plus favorable pour l'éducation des vers à soie était de 1 8 à 1 9 degrés au commencement, et de i5 à 16 vers la fin. Or, d'a- près les ouvrages chinois et les observations des missionnaires, en Chine, la majeure partie des édu- cations se fait sans chauffage artificiel, et, à plus forte raison , il en devait être ainsi dans les siècles décrits par le Qii-king. Donc, si nous trouvons que, pour une même partie de la Chine , ces éducations commencent dans le même mois , auj ourd'huiet dans les temps anciens , il s'ensuivra une probabilité très- forte que la température de ce mois est restée sen- siblement constante , et que ie climat n'a pas varié. Le Chi-king n'indique pas d'une manière précise l'époque commence l'éducation : il est dit dans i'ode première, chap. xv, chansons du royaume de Pin (voyez à l'appendice la pièce iv), qu'au prin- temps la jeune fille va cueillir les feuilles tendres du mûrier; et plus loin , même ode, que dans le mois Ton élève les vers à soie , on cueille les feuilles des mûriers. Mais cette époque est parfaitement fixée par un autre document très-ancien , par un calen- drier rural connu sous le nom de calendrier des Hia , et dont je donne la traduction complète dans l'appendice à ce mémoire , sous le i. Le nom de Hia désigne, comme on le sait, la première dynastie des empereurs chinois, et leur capitale était située dans le district montagneux de Thay-y uen , vers le 3 8" degré de latitude; mais la majeure* partie de la po-

bUk JOURNAL ASIATIQUE,

pulation était groupée au sud de cette ville , dans la vallée inférieure du fleuve Jaune , dont Tendiguement fut le principal travail d'Yu , le premier empereur de la dynastie Hia. La capitale était placée dans les montagnes du nord, comme poste de défense contre les invasions des nomades septentrionaux. Les di- verses circonstances de culture et d'irrigation con- signées dans le calendrier des Hia prouvent évidem- ment qu'il décrit les usages de la vallée inférieure du fleuve Jaune et de ses embranchements, depuis le 34" jusqu'au 36" degré de latitude. Les commen- tateurs doutent que ce calendrier des Hia remonte jusqu'à la dynastie de ce nom, parce qu'il n'en est question dans aucun texte ancien. Il fut môme re- trouvé au n* siècle de notre ère dans le tombeau de Gonfucius, qui passe pour l'avoir mis le premier en lumière. Mais on peut certainement dire que les levers et passages au méridien de diverses constel- lations qu'il mentionne , se rapportent à un état du ciel très-ancien , et ceci nous suffit : il ne nous est pas nécessaire de fixer ici la date précise de ce do- cument.

En prenant donc ce calendrier simplement pour ce qu'il est, pour un document très-ancien qui se rapporte à la vallée du fleuve Jaune, à la Chine cul- tivée par arrosement, entre les latitudes correspon- dantes aux royaumes cités par le Chi-king, nous y lisons qu'au milieu de la lune qui suit féquinoxe vernal, les vers à soie commencent à marcher, et que leur éducation se fait dans la lune suivante. La

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lune qui suit Téquinoxe vernal représente évidem- ment la fin de mars et le commencement d'avril. La lune consécutive représente la fin d'avril et le commencement de mai. Ainsi, suivant ce calendrier, l'éducation des vers à soie commençait autrefois aux premiers jours d'avril, et elle se continuait pendant ce mois et la première partie de mai, ce qui fait de trente à quarante jours. Or, c'est précisément à la même époque, dans les premiers jours d'avril, que commence actuellement l'éducation des vers, dans la partie centrale de la Chine , qui produit la plus grande quantité de soie, et s'étend du 3i* au 3 A* degrés Cette dernière latitude est à peu près la moyenne de celles les livres sacrés parlent de mûriers» de production de soie, d'éducation des vers à soie; de là, on peut conclure avec beaucoup de probabilité que du 3 1 ® au 3 6^ parallèle le climat de la Chine n'a pas sensiblement «varié depuis les temps anciens. Si nous voulons fixer ce résultat par des chiffres , les expériences faites en Europe nous indiquent que les meilleures conditions de tempéraj ture pour l'éducation des vers à soie sont i8 à igf degrés en commençant, 17 à i8 au milieu de fé-

* Ceci peut se vérifier facilement dans les traités chinois sur l'éducation des vers à soie et la culture des mûriers. (Voyez le Résumé de M. Stan. Julien.) Dans le catalogue des grandes pluies, iiv. ccciii du fVen-hian-thony-hhao, il est parlé au milieu du xii' siècle de longues pluies qui ont eu lieu à la troisième lune, et ont nui aux éducations de vers à soie dans le Tche-kiang, était alors la cour. Au xii" siècle, comme aujourd'hui, la troisième lune chinoise était la seconde après Téquinoxe vernal (fin )d^*avrU; commencement de mai ) . ';;''.

X. 35

546 JOURNAL ASIATIQUE,

ducation, i5 à i6 à la fin. La moyenne est sensi- blement 17,50 degrés, et, en appliquant ce chifiFre c^ l'éducation faite en avril dans le calendrier des Hia, nous en pouvons inférer que la température d'avril était alors de 1 7 degrés environ , dans la val- lée inférieure du fleuve Jaune, par 34 à 35 degrés de latitude. Or, les observations faites au xvni" siècle à Pékin {l\o degrés de latitude) parles missionnai- res donnent i3,9 degrés, pour la température d'a- vril dans cette capitale , et ce cbiflre peut se réduire au 3Zi* parallèle, en ajoutant o,5g degré de tempé- rature par degré de latitude , suivant la proportion approximative que donnent Pékin et Canton, dis- tants de 17 degrés de latitude, et différant de 10 degrés pour iem» température moyenne. En calcu- lant ainsi, nous aurons 1 7,44 degrés pour la tempé- rature actuelle d'avril, sous le parallèle chinois de 3/r degrés, ce qui s'accorde avec févaluation déduite du calendrier des Hia.

Les premiers indices que j'ai déduits des phéno- mènes de végétation ne nous ont pas présenté pour la Chine des limites aussi resserrées que celles que M. Arago à obtenues pour la Palestine. Mais l'iden- tité de fépoque de l'éducation des vers à soie me pa- raît une preuve très-forte en faveur de la constance du climat dans la zone chinoise que nous étudions. La probabilité de ce fait physique peut encore se con- firmer pour les divers mois de Tannée par l'identité des époques assignées aux principaux travaux de fa- griculture, dans les temps anciens et modernes, et

DÉCEMBRE ia40. 547

par la similitude des phénomènes indiqués comme spéciaux à chaque saison, par des documents rédi- gés à plus de deux mille ans d'intervalle.

Le calendrier des Hia donne pour chaque lune des indications sur les époques se récoltent les divers produits de la terre. Les noms des végétaux cités ne sont pas, en général, assez précis ou assez bien identifiés pour pouvoir servir à une évaluation de la température. On y voit cependant que les semences d'hiver se font dans la deuxième lune , avant le sols- tice d'hiver ou au commencement de novembre; que les labourages du printemps commencent à la première lune, avant féquinoxe vernai ou vers la fm de février; que dans les derniers jours de cette lune , ou vers le milieu de mars^ , les abricotiers et les pêchers fleurissent, et le saule jette ses chatons. Ces époques correspondent toujours aux époques actuelles. On peut avoir à cet égard des indications encore plus nettes, en consultant un quatrième document que l'on trouvera également à la suite de ce mémoire. C'est un cycle des saisons que la tra- dition chinoise fait remonter à la plus haute anti- quité, et qui est encore d'un usage constant pour les travaux de l'agriculture ^ . Il est cité dans tous les ouvrages modernes, tels que l'Encyclopédie japo- naise et les Compilations astronomiques. Ce cycïe

\Xia traduction de ce cycle, revue par,M. Stap. Juli,en, a^d^jà été publiée par mon père dans le second article de ses Recherche^ sur l'astronomie chinoise, insérées aux premiers cahiers du Journal des savants, iS4o.

35,

548 JOURNAL ASIATIQUE,

est divisé en vingt-quatre parties dont deux font une lune, et dont chacune est indiquée par un trait par- tant du centre. Les époques des solstices d'été et d'hiver , ainsi que des deux équinoxes , correspondent à quatre de ces signes , et les autres portent la no- tation des phénomènes naturels , ou des travaux qui sont particuliers à chaque saison. Dans le quadrant compris entre l'équinoxe vernai et le solstice d'été, à la cinquième ligne ou division , on lit : petite abon- dance oa plénitade, ce qui indique la première récolte ; à la sixième, on lit -.grains dans les épis, moung-tcJioung . Ces deux divisions comprennent évidemment la fin de mai, et le commencement de juin; les limites qu'elles établissent pour la première récolte et la deuxième semence sont assez resserrées. Aujour- d'hui, dans le centre de la Chine, cette première récolte se fait dans le courant de juin, et la seconde semence a lieu immédiatement après.

Le calendrier des Hia présente encore les époques dès arrivées et départs des oiseaux Voyageurs, tels que les cailles elles hirondelles; et ces époques, qui se lient nécessairement avec la température des saisons , sont restées sensiblement les mêmes , d'après les indications dés livres chinois modernes, qui ne font que copier les anciens. Les hirondelles se montrent dans la deuxième partie de la lune qui suit l'équinoxe vernai, et disparaissent au commence- ment de la deuxième lune qui suit l'équinoxe d'au- tomne. Les cailles paraissent dans la deuxième lune après l'équinoxe vernai, et cessent d'être vues, dans

DECEMBRE 1840. 549

îa première , après l'équinoxe d'automne. Les croyances populaires font descendre ]es hirondelles du ciel , et transforment les cailles en rats des champs pendant l'hiver; ce qui signifie que les Chinois igno- rent ce que deviennent ces oiseaux pendant la mau- vaise saison.

Des données identiques avec celles du calendrier des Hia se trouvent également dans un document intitulé : Chi-chan (Exposition des saisons), § 52 du Tcheon-chou, livre des Tcheou (Bibl. royale, Han- ouey-tsong-chou, Fourni. Sog); et dans le chapitre Yone-ling du Li-ki. J'ai traduit le paragraphe entier du TclœQU-choUy et je le donne dans l'appendice à la suite du calendrier des Hia, sous le ii.

Le Chi-king nous présente encore d'autres indi- cations climatologiques sur la Chine ancienne. Les chants du royaume de Pii , qui était traversé par le fleuve Ouey, et dont le centre correspond à l'arron- dissement de Tchang-te-fou par 36 degrés de lati- tude , au nord du Ho-nan , disent que le vent du midi favorise la germination; que le vent d'est, gé- néralement doux, réunit les nuages et amène la pluie ; que le vent du nord e^t froid , et amène la pluie et la neige. Dans les chants du royaume de Tching, qui était voisin de farrondissement de Khai- fong-fou , il est parlé de deux rivières du Chan-tong et du Ho-nan , le Tchin et l'Ouey, dont la glace se fond et qui commencent à couler. Ainsi alors ces deux rivières gelaient ordinairement pendant fhiver, ce qui arrive encore aujourd'hui. JU est également

550 JOURNAL ASIATIQUE,

parlé de neige et de glace dans l'ode première des chants du royaume de Pin, voisin du territoire de Si-ngan-fou, par 34 et 35 degrés de latitude. V Cette ode décrit les divers travaux du cultivateur dans les douze lunes de l'année, en la commençant par la lune du solstice d'hiver, selon le calendrier desTcheou, tandis que le calendrier des Hia com- mençait à la première lune avant l'équinoxe vernai. J'ai classé par lune ces travaux, et j'en ai formé un tableau que l'on trouvera à la suite de ce mémoire , après le calendrier des Hia , le chapitre du Tcheou- chott et le cycle rural. Enfin, outre la carte j'ai classé par latitude les différentes cultures citées dans le Chi-kincjf j'ai dressé une carte plus étendue qui re- présente la zone entière de l'Asie , comprise entre les 32" et 36* parallèles. J'y ai classé les différentes cul- tures anciennes , d'après Pline , Quinte-Curce , Stra- bon, pour la partie occidentale, et d'après le Chi- liing, la relation de Tchang-Jen sous Han-wou-ty (il* siècle avant notre ère), et le Foe-koae-ki ou Voyage de Fa-hien dans l'Inde, au v* siècle de notre ère, pour la partie orientale et centrale. On voit ainsi d'un seul coup d'oeil la similitude des cultures dans toute la zone représentée, et, d'après cette si- militude, on peut étendre à toute la zone la cons- tance sensible de la température depuis les temps anciens , constatée pour la Palestine rigoureusement, et pour la Chine centrale au moins d'une manière très-probable.

■.:)■ .iS .nul H'JIî-G*'.

DECEMBRE 1840. 651

PIÈCES

JOINTES AU MÉMOIRE PRÉCÉDENT.

ï*hi

T.

HIA-SIAO-TCHIiNG, OU PETIT CALENDRIER DES HIA.

D'après les commentateurs, le fragment intitulé Hia-siao-tcMng fut retrouvé dans le tombeau de Con- fucius, vers le \f siècle de l'ère chrétienne. Les uns disent que Confucius en est l'auteur, et qu'il le rédi- gea d'après les données qu'il avait sur l'état des sai- sons au temps des Hia. D'autres objectent que Confucius l'aurait intitulé Livre des Hia et l*aurait inséré dans ses autres ouvrages. Ils pensent que ce morceau n'est qu'un débris d'un ouvrage perdu, composé du temps même des Hia, de l'an 2/100 à l'an 1700 avant notre ère.

Le Hia-siao-tching présente la série des travaux du cultivateur et les divers phénomènes naturels qui ont lieu pendant les douze mois de l'année. Les données astronomiques qu'il fournit sont trop vagues pour assigner la date précise de sa composition; mais elles suffisent pour montrer qu'il se rapporte 'k une épocpie très-ancienne. Quelques passages du texte semblent tronqués ou altérés et leur interpré- tation varie extrêmement dans les divers commen- taires. J'espère donc que la difficulté de fentreprise fera excuser les imperfections de ma traduction.

552 JOURNAL ASIATIQUE.

La première lune du calendrier, au temps des Hia, était la lune qui précédait immédiatement i'équinoxc du printemps.

PREMIERE LUNE.

Commencement du mouvement des vers *. L'oie sauvage retourne vers son habitation du nord. Le coq crie et bat des ailes '. Les poissons montent et soulèvent la glace '. Le la- boureur attache les pièces de sa charrue. Au commencement de l'année, il consacre la charrue*. Il commence à s'en ser- vir pour la longue campagne.

Dans le jardin, il faut visiter les plantes potagères (littéral, la plante kieou, le porreau) ^. A cette époque on éprouve des vents violents, des jours froids, des variations de temps, des gelées, de l'humidité. Les rats des champs sortent de leurs trous. Les inspecteurs de l'agriculture divisent égale- ment les terres **.

L'animal ta (probablement la loutre) immole le poisson.

^ La même phrase se retrouve dans le Tso-ichouen, 5" année de Wan-kong. On lit : «toutes les avinées, quand les vers commen- «cçnt à remuer, on fait le sacrifice».

' Suivant le premier et principal commentaire, ces cris du coq tiennent à l'influence secrète du tonnerre et du principe actif, qui préside aux. six premières lunes de Tannée.

^ Suivant le même commentaire, cette métaphore indique que les poissons sortent en grand nombre.

* La consécration de la charrue se rapporte à la cérémonie du labourage, pratiquée par les anciens empereurs au commencement de Tannée.

* Cette phrase a été omise dans le texte de quelques éditions.

* Sous les dynasties antérieures au il* siècle avant Tère chré- tienne, il n'y avait pas d'autre propriétaire du sol que l'empereur, et, chaque année, Tinspecteur de Tagricullurc \<înait diviser les champs entre 1rs cultivalf urs. Le lo' ou le 9* des terres était cul-

DECEMBRE 1840. 553

L'oiseau de proie devient Toiseau kieoii (tourterelle) \ Les travaux de culture sont contrariés par la neige et l'humidité. Commencez par vous occuper du champ de l'état ^.

Cueillez la plante yun^ A cette époque Kie se voit*. Au commencement du soir, Tsan est au milieu du cieV. Le Manche du boisseau pend en bas ^.

Les saules jettent leurs chatons'. Le prunier, l'abricotier, le pêcher se couvrent de fleurs. On tisse la soie blanche. Les poules prennent ensemble leur nourriture, ou, suivant une autre interprétation, les poules couvent et nourrissent leurs petits \ I

DEUXIÈME LUNE.

On va recouvrir de terre les semences du grain chou^. On fait le sacrifice à la terre.

tivé par eux pour subvenir aux frais du gouvernement; c était le champ de l'état, le domaine du fisc.

* C'est l'époque ou il faut tuer ces auimaux nuisibles, avant la transformation.

' Voyez la note précédente.

' La plante jan est analogue au trèfle: ce même caractère paraît aussi pouvoir désigner une plante potagère.

* On ne sait pas précisément quelle constellation désigne i'asté- risme Kie. Ce nom ne s'est pas conservé. Il paraît probable qu'il s'agit ici de Kio, division stellaire dont la brillante est a de la Vierge.

* Tsan est la division stellaire déterminée par S Orion. Le texte indique que Tsan passe au méridien.

" Le mancbe du boisseau désigne les trois étoiles e, ^, rj, Grande- Ourse, qui forment ce qu'on appelle chez nous le timon du Cha- riot.

' Ceci est l'interprétation la plus probable de ce passage.

' Suivant cette seconde interprétation, le caractère fou, B. 3379 bis, du texte, serait en place de/o, B. i34, «couver».

^ Le caractère chu ou chou (B. i3i24) désigne une espèce de millet généralement usité dans le nord de la Chine. Suivant les voyageurs anglais, c'est Vholcus Sor(jh.o; suivant M, Rémusal (No-

554 JOURNAL ASIATIQUE.

Dès ce momenl, les grands agneaux soulagent leurs mères pour leur nourriture [ib commencent à ne plus teter).

On console beaucoup de femmes et de garçons. Au jour heureux ting-hay, nombre d'individus passent dans la condi- tion des hommes faits (s'établissent à part) *.

On immole le poisson oey^. Floraison de la plante potagère kin (B. 9010). On cueille la plante/an'. Tous les petits vers deviennent capables de marcher.

Arrivez et descendez, hirondelles. Alors on les voit en Tair.

On coupe ou on dessèche * l'anguille des lacs [pour faire des tambours avec sa peau).

On entend le chant de l'oiseau tsang-keng ^

A cette époque, la végétation est active, on doit visiter les plantes alimentaires et commencer à les cueillir*'.

tice sur l'Encyclopédie japonaise) , c'est le miliam glohosum, espèce très-peu connue. Il est probable qu'il désigne ici les céréales en général, car on retrouve plus loin, à la lune, les semailles du même grain chu. Ici le texte note les labours et hersages de mars.

' C'est l'époque des mariages.

« Le poisson oey (B. 12811) est aussi cité dans le Chi-hing, chansons du pays d'Ouey. Il est indiqué comme assez gros et ana- logue à un autre poisson appelé tchen (B. 12868). Le commentaire dit que ce poisson paraît à cette époque de l'année. C'est peut-être un scombre. (Encyclop. japon. Catalogue de M. Rémusat.)

' La plante /an (B. 9827) est aussi citée dans le Chi-hing. Ses feuilles se donnent aux vers à soie à défaut des feuilles de mûrier, qui ne sont pas encore poussées. C'est ce que disent Khang-hy, Basile et La Charme. Celui-ci indique que c'est une absinthe sau- vage [genus absinthii sylvesiris, notes su,r le Chi-king, éd. Mohl. p. 5). Le texte indique clairement que les vers à soie éclosent à cette époque de l'année.

* Po ( B- 808 ) a ces deux sens.

^ L'oiseau tsang-keng est cité aussi dans le Chi-king, et assimilé à celui qu'on appelle hoang-niao, l'oiseau jaune. Celui-ci paraît être un loriot.

'' Le 2' commentaire explique qu'il s'agit ici des jeunes pousses

DECEMBRE 1840. 555

TROISIEME LUNE.

Tsan alors se cache. Occupez-vous des mûriers. L'osier pousse ou fleurit \ Les bêtes à laine [vont aux champs).

La cigale commence son bruit. Distribuez la glace (pour l'offrir au préfet (ta-fou) comme boisson). Cueillez la plante tchy.

La femme du second rang et la jeune fdle soignent les vers à soie. Elles les prennent, les nourrissent et desservent leur maison *,

Demandez si le froment réussit. A cette époque il y a une petite sécheresse. Les rats des champs se transforment en cailles^. Otez les fleurs de l'arbre thoung* (arbre qui produit une sorte d'huile). Les oiseaux chantent ensemble.

QUATRIÈME LUNE.

Alors Mao [le groupe des Pléiades) se voit (le matin). Au commencement du soir Nan-men paraît ^

On entend le bruit de l'insecte tcJia ^ Dans le jardin, il

qni sont bonnes à manger. Le caractère tj (B. 7177) est inter- prété par Ty, B. 89^0, par Mâo, B. SSgS -.«plantes qui commen- «cent à pousser.»

^ C'est l'interprétation que le premier commentateur donne aux deux caractères oey-yang. Au lieu de oey B. iSgS, il lit oey B. 9o33, le même que le précédent avec l'addition de la clef des plantes. Elle est suivie par les autres commentateurs. Les deux caractères suivants, qui signifient bêtes à laine, ont exactement le même son, oey-yang.

* Les vers à soie sont éclos dans la lune précédente; leur éduca- tion suit immédiatement.

' Ceci est une croyance encore générale à la Chine.

* On diminue probablement le nombre des fleurs de cet arbre, pour que ses fruits soient plus gros.

^ On ne peut pas dire d'une manière précise à quelles étoiles répond le groupe Nan-men; l'opinion la plus probable l'assimile à a et ^ du Centaure.

' Suivant \n i" commentateur, l'insecte Icha (&. 4o64) est sem-

556 JOURNAL ASIATIQUE.

faut visiter l'abricotier. On entend le bruit de l'animal ap- pelé yu *. La grosse courge appelée wang-fou fleurit*.

Prenez la plante amère appelée tou^. L'ivraie croît, cachée. A cette époque il y a une grande sécheresse *. On prend les jeunes chevaux , on les monte ^.

CINQUIÈME LUNE.

Alors Tsan est vu (le matin). Sur l'eau il y a beaucoup d'insectes éphémères qui nagent. L'oiseati ku alors chante °. A cette époque sont les longs jours. Melon précoce ( il est

blable à la cigale, mais plus petit; il a quatre ailes et six pieds. Il cite le dictionnaire Eul-ya suivant lequel Tcha est l'espèce de sauterelle dite tsing-Ung. C'est probablement une espèce de grillon. ' (B. 9,486.) Les commentateurs ne savent pas bien quel est cet animal. Le dictionnaire Eul-ya dit que c'est un petit renard. Peut-être est-ce une espèce de loir.

* Le caractère du texte yeou (B. 8968) signifie l'ivraie; mais le commentateur en supprime la clef des plantes, ce qui le ramène à &\^mùer Jlcur, Jlcurir (B. 71 1 5). V. aussi Khang-hi.

^ La plante tou (B. 8948) est la chicorée sauvage, d'après La Charme, notes du Chi-hing.

* Suivant le commentateur, il faut sous-entendre ici : 0 l'ivraie paraîtra».

' Ceci indique le temps des promenades du prince.

* Ku (B. 12,902). Cet oiseau paraît être le coucou d'Asie, dont le cri est semblable à celui de notre coucou d'Europe. Le second commentateur dit : t Cet oiseau , appelé autrement pe-lao , vient au «solstice d'été et part au solstice d'hiver. Il suit le mouvement «du principe inerte, qui domine pendant cette partie de l'année. «Son nom vient de son cri ka-ka.9 Le Li-hi [Youe-ling) le place aussi à la 5' lune; le Chi-king à la 7' (P. I, ch. i5, ode 1), mais, dans ce dernier ouvrage, l'année commence deux lunes plus tôt^ suivant le calendrier des Tcheoa. L'Encyclopédie japonaise place l'arrivée du pe-lao à la li lune, et les voyageurs européens disent que le coucou paraît vers le 10 juin dans l'est de l'Asie. Le texte du Hia-siaa-tchinj dit que l'oiseau ku chante, et non yms qu'il commence à chanter : on peut donc le supposer arrivé depuis quelque temps.

DÉCEMBRE 1840. 557

hon à manger). Les cigales appelées lang-tiao crient. De leur sommeil elles se réveillent. Au cinquième jour elles se réu- nissent. A la pleine lune, elles disparaissent ^

Séparez [coupez) la plante lan-leao [l'indigo) qui est en pleine croissance ^.

Nombreux deviennent les oiseaux de proie. La cigale des étangs [tang-tiao) crie.

Au commencement du soir, Ta-ho , le grand feu , est au mi- lieu [du ciel) ^

On présente les abricots en offrande. On récolte la plante lân (B. gSSo). On recueille le blé rouge.

On sépare les chevaux (i) pour le service du préfet (Ta/oa).

SIXIÈMIÎ LUNE.

Au commencement du soir, le Manche du boisseau est droit au haut du ciel*.

On présente les pêches en offrande. L'oiseau de proie commence ses ravages.

* D'après le commentateur, ces cigales, d'une espèce particu- lière, se font entendre à cette époque de Tannée. Comme on ignore quand elles naissent, on suppose quelles se réveillent de leur sommeil. Au bout de cinq jours, elles se taisent au coucher de la pleine lune, ou bien simplement, à la pleine lune, elles disparaissent. Le caractère /o (disparaître) semble, d après le commentaire, se rapporter à la fois à la pleine lune et aux cigales.

' Lan (B. 9264 ) est le nom ordinaire de findigo. Dans le texte, il y a lan-leao, et ces deux caractères indiquent au second com- mentateur, que la plante est employée dans la teinture. 11 dit qu'elle donne une couleur verte.

^ Ta-ho est Antarès, a du Scorpion, qui se trouve alors près du méridien.

* Le mancliB du Boisseau désigne, comme on l'a dit, s, ^, tî, Grande-Ourse, qui forment le limon du Chariot.

■'■■} ».jv^\ '•■'

558 JOURNAL ASIATIQUE.

SEPTIÈME LUNE.

Floraison et accroissement de la plante kouan suc blanc), et des grands roseaux.

Le renard commence à s*approcher {des lieux habités).

L'humidité des lieux bas , l'eau répandue engendrent les herbes aquatiques. Nettoyez, vous ferez périr ces mauvaises herbes '.

La rivière Han est sur le bord de la porte' {le foir, la voie lactée se dirige du nord au sud).

La cigale du froid se fait entendre^. Au commencement du soir, la constellation de la Fileuse {tchi-niu) est droite du côté de l'orient*.

Dans ce temps, il y a des pluies abondantes et les mau- vaises herbes poussent en quantité.

Quand le Manche du boisseau ^ pend en bas , alors c'est l'aurore.

HUITIÈME LUNE.

Coupez les courges, leur couleur est noirâtre ^ Abattez les jujubes. Déjà ils tombent.

* Le caractère choarig (56o6), clair, est identifié par le commen- tateur avec le caractère sou (6264) , diviser, pénétrer, nettoyer, qui sert de verbe à la phrase.

^ Ceci est assez obscur; le sens que je donne est indiqué par le 1" commentateur. Han désigne généralement la voie lactée. La maison est orientée nord et sud.

^ C'est une autre espèce de cigale.

* La Fileuse, c'est a de la Lyre et les deux étoiles qui raccom- pagnent.

^ Le manche du Boisseau, e, Ç, rj, Grande Ourse.

^ Le caractère i;<^ hiao ou hiax> est ici fort obscur. Les com- mentateurs y voient un terme d'analogie. Ils l'expliquent par youen, B. 1940, ou par lo , vert, B. 7884.

DECEMBRE 18^0. 559

L'oiseau rouge [tan-lang] mange les oiseaux blancs [les moucherons et cousins) \

La constellation Chin se couche ^. Les cerfs mâles vont en troupes ^. Les cailles se transforment en rats des champs. Quand Tsan * est au milieu du ciel^ alors c'est le matin.

NEUVIÈME LUNE.

Le feu ( ia-hoy le groupe d'Antarès) est au dedans [il est dans le soleil).

Au loin on voit les oies sauvages qui arrivent. Le préfet ou prince ( Tchu-fou) sortie feu (permet l'usage du feu).

Montez, oiseaux noirâtres (hirondelles), et soyez nom- breux ^.

L'ours , le renard dormeur, le loir se terrent. .

En grande quantité semez le grain chou ®. ^

Le souverain commence le temps du deuil.

Le gi'oupe Chin ' est enveloppé dans le soleil. Les petits oiseaux [tsio) entrent dans la mer et deviennent des I^uîtres rondes.

* Ceci est i'interprétatiou donnée par le commentaire.

' Chin est un ancien nom de constellation qui paraît s'appliquer au groupe du Scorpion suivant les uns, ou à TEpi de la Viergje suivant les autres : cette dernière supposition semble la plus pro- bable. L'Épi se couche le soir, et le soleil s'en rapproche.

* Le commentateur dit qu'à cette époque les biches sont pleines. C'est le moment du rut.

* Tsan est la division stellaire déterminée par 8 d'Orion.

* Ceciindiqus clairementle départ des hirondelles. Tchi (B. 9671) a ici le même sens qu'à la première lune, en parlant des poissons.

** C'est l'époque des semailles d'automne. Comme je l'ai dit. Chou. désigne, suivant les voyageurs anglais, Yholcus sorgho, et, suivant f\émusai, \e milium globosum.

' Chin paraît désigner le groupe de l'Épi de la Vierge.

560 JOURNAL ASIATIQUE.

DIXIEME LUNE.

Le loup immole les animaux. Au commencement du soir les Nan-men paraissent V

Le corbeau noir se joue dans les airs. Alors sont les longues nuits*.

Le faisan entre dans les rivières et devient une huître de la grande espèce.

Quand la constellalion de la Fileuse ( Tchi-niu)^ est droite du côté du nord , alors c'est le matin.

ONZIÈME LUNE.

L'empereur va chasser. Il examine les armes *. Les olh- ciers préposés au service intérieur du palais ne le suivent pas dans sa tournée.

Chute des bois du cerf.

DOUZIÈME LUNE.

On entend le cri [y, y) des oiseaux de la pluie.

Les animaux noirs {les fourmis) disparaissent*.

On prend [on mange) les gousses d'ail. L'officier inspec- teur des jardins entre dans le lieu sont déposés les filets. Il examine l'état des filets , parce que le temps de la pêche ap- proche.

Chute des cornes du cerf.

' On présume que ce nom désigne a et |3 du Centaure. , * On est près du solstice d'hiver.

* Tchi-niu représente le groupe d a de la Lyre et des deux voisines.

* C'est l'époque des chasses impériales en hiver, usage qui existe encore aujourd'hui. Elles donnent lieu à de grandes revues.

' Les cornes du cerf tombent parce qu'alors commence la pé- node soumise à l'influence du principe actif.

* Celle disparition des fourmis paraît tardive.

DÉCEMBRE 1840. 561

N*^ 2.

EXPOSITION DES SAISONS.

(Extrait du Tcheou-chou , paragraphe 62. -Fonds Fourmont Sog, collection Han-ouey-tsong-chou. )

Au jour du îi-tchiin (commencement du printemps), le vent d'est dissout Ja glace. Cinq jours après, les vers cachés en terre commencent à se mouvoir. Cinq autres jours après, les poissons montent sur la glace.

Si le vent ne dissout pas la glace , les édits impériaux ne seront pas exécutés ; si les vers cachés ne se meuvent pas , le principe inerte résistera au principe actif; si les pois- sons ne montent pas sur la glace , les cuirasses et les casques seront cachés en secret.

Mêmes circonstances climatologiques, première lune du prin- temps, au chapitre Yue-ling du Li-hi : voyez Y-U de Tchu-hi, k. XXIX, pag. l'j V.

Au jour de ya-choui (eaux de pluie) l'animal ta (la loutre) immole les poissons. Cinq jours après, les oies sauvages vien- nent. Cinq jours après., les plantes et les arbres commencent à germer.

Si l'animal ta (la loutre) n immole pas les poissons, il y aura dans l'empire beaucoup de brigands, de voleurs; si les oies sauvages ne viennent pas, les hommes éloignés n'obéiront pas ; si les plantes et les arbres ne commencent pas à germer, les fruits et les légumes ne mûriront pas.

Les deux premiers faits se lisent au chapitre Yue-ling. première

lune du printemps, Y-U, kiv. xxix, pag. 17 v. Le troisième se

lit pag. 21.

Au jour de king-tchi (mouvement des vers), le pêcher commence à fleurir. Cinq jours après, l'oiseau tsang-keng (loriot) chante. Cinq jours après, l'oiseau de proie se trans- forme et devient l'oiseau kieou (tourterelle).

X. 36

562 JOURNAL ASIATIQUE.

Si le pêcher ne commence pas à fleurir, ceci indique qu<» le principe aciif sera mauvais; si l'oiseau tsang-keng ne chante pas , les sujets ne respecteront pas le souverain ; si l'oiseau de proie ne se transforme pas en l'oiseau kieoa, les ennemis paraîtront en force.

Mêmes circonstances ciimatologiques, Yue-Ung, dans le Y4id(i

Tchu-bi, kiv. xxix, pag. 23, deuxième lune du printemps.

Au jour du tchun-fen (moitié du printemps), les oiseaux noirâtres (les hirondelles) arrivent. Cinq jours après le ton- nerre commence à retentir. Cinq jours après on commence à voir les éclairs.

Si les hirondelles n'arrivent pas , les femmes ne ( caractère perdu ) ; si le tonnerre ne commence pas à retentir, les dignitaires (heou) (caractère perdu) le peuple; si l'on ne commence pas à voir des éclairs, les princes [kun) s'irrite- ront sans mesure.

Yue-ling, pag. 2 4 et 2 5, deuxième lune du printemps.

Au jour de tsing-ming (pure clarté), l'arbre thoung com- mence à fleurir. Cinq jours après, les rats des champs se trans- forment et djeviennent des cailles. Cinq jours après, l'arc-en- ciel commence à être vu.

Si l'arbre thoung ne fleurit pas , il y aura de grands froids cette année; si les rats des champs ne se transforment pas en cailles, il y aura dans l'empire beaucoup de cupidité et de mal; si r arc-en-ciel ne se voit pas, les femmes commet- tront de grands désordres.

Yue-liiig, troisième lune du printemps, pag. 27.

Au jour de ko-yu (pluie féconde), la plante aquatique {ping, B. 9083 ) commence à naître paraître au-dessus de l'eau). Cinq jours après, l'oiseau kieoa (la tourterelle) agite ses ailes en chantant. Cinq jours après, l'oiseau tai-ching s abat sur les mûriers.

Si la plante ping ne paraît pas, l'esprit du principe actif naîtra avec peine; si la tourterelle en chantant n'agite pas

DECEMBRE 1840. 563

ses ailes , les royaumes ne feront pas la guerre ; si l'oiseau tai-ching ne descend pas sur les mûriers, les instructions réglementaires n'atteindront pas leur but.

Mêmes circonstances climatologiques , Yue-ling, troisième 1ud« du printemps, pa g. 27 et 29.

Au jour de li-hia (commencement de l'été), on entend le bruit du leou-koii (frelon). Cinq jours après, les vers de terre sortent. Cinq jours après , les grosses courges naissent.

Si le leou-kou ne fait pas entendre son bruit, il y aura de grandes inondations ; si les vers de terre ne sortent pas , des misérables entraîneront un prince ; si les grosses courges ne naissent pas, il y aura disette parmi le peuple. Yue-ling, première lune d'été , pag. 3 1 .

Au jour de siao-man (petite plénitude), la chicorée {kou- pien) fleurit. Cinq jours après, les plantes nuisibles meurent. (]inq jours après, la petite chaleur arrive.

Si la chicorée ne fleurit pas, les hommes sages resteront dans l'obscurité; si les plantes nuisibles ne meurent* pas, l'empire sera en proie aux brigands et aux voleurs ; si la petite chaleur n'arrive pas, cela signifie que le principe inerte est caché.

Yue-ling, première lune d'été, pag. 3i et 34.

Au jour de mangtchoung (grains dans les épis), la saute- relle tâng-lang paraît. Cinq jours après , l'oiseau ku com- mence à chanter. Cinq jours après, \efan-che (langue chan- geante, l'éloumeaii) ne se fait plus entendre.

Si la sauterelle tâng-lang ne paraît pas , ceci indique que le principe inerte est en repos ; si l'oiseau ku ne commence pas à chanter, les édits seront dissimulés et contrariés; si l'étourneau se fai^entendre , les flatteurs seront auprès du prince.

Yue-ling. deuxième lune d'été, jp^g. 35.

An jour de kia-ichi (sommet d^été), les cornes de» cerfs hq

30.

564 JOURNAL ASIATIQUE.

dissolvent. Cinq jours après, la cigale commence à chanter. Cinq jours après, le phing-hia {draconiium) naît.

Si les cornes des cerfs ne se dissolvent pas, les guerres ne cesseront pas ; si la cigale ne commence pas à chanter, des hommes distingués seront exilés; si le phing-hia ne naît pas , il y aura beaucoup de maladies parmi le peuple.

Mêmes drconslances climalologiques, Yue-ling, deuxième lune

d'été, pag. 39.

Au jour de siao-chou (petite chaleur), le vent chaud arrive. Cinq jours après, le grillon [si-tso) se loge dans les murs. Cinq jours après , l'oiseau de proie s'instruit à voler.

Si le vent chaud n'arrive pas, dans l'empire, on ne res- pectera pas les instructions ; si le grillon ne se loge pas dans les murs . il y aura des vexations et de la misère ; si l'oiseau de proie ne s'instruit pas à voler, on ne domptera pas les brigands armés.

Yuc-ling. troisième lune d'été, pag, 4o.

Au jour de ia-choa (grande chaleur), les plantes décompo- sées [fou-tsao) se transforment et deviennent vers luisants. Cinq jours après, la terre est moite; il fait une chaleur hu- mide. Cinq jours après, la saison des grandes pluies arrive.

Si les plantes déconaposées ne se transforment pas en vers luisants, les fruits seront rares et tomberont; si la terre est moite et qu'il n'y ait pas une chaleur humide , les choses ne correspondront pas aux châtiments ; si les grandes pluies n'arrivent pas dans leur saison , il ne sera pas accordé de grâces dans l'empire.

Yue-ling, troisième lune d'été, pag. 4o et 42.

Au jour du li-isieou (commencement d'automne), le vent frais arrive. Cinq jours après, la rosée blanche tombe. Cinq jours après, la sauterelle de la saison froide chante.

Si le vent frais n'arrive pas, on n'obéira pas au gouver- nement; — si la rosée blanche ne tombe pas, il y aura beaucoup de mauvaises maladies ; -^ si la sauterelle de la

DECEMBRE 1840. * 565

saison froide ne chante pas , parmi les hommes tout sera dispute.

Mêmes circonstances climatologiques, Yue-Iing, première lune d'automne, pag. A5.

Au jour de tchu-choa (fin de la chaleur), l'oiseau de proie immole des oiseaux. Cinq joiirs après , le ciel et la terre com- mencent à être attentifs. Cinq jours après, les grains [de mars) mûrissent.

Si l'oiseau de proie n immole pas des oiseaux , les armées n'agiront pas ; si le ciel et la terre ne commencent pas à être attentifs, le prince et les sujets ne (caractère perdu); si les produits de la culture ne sont pas nombreux, il y aura des désastres.

Yue-ling, première lune d'automne, pag. 45.

Au jour de pe-ïou (rosée blanche), les oies sauvages vien - nent. Cinq jours après , les oiseaux noirâtres (les hirondelles ) partent. Cinq jours après, les oiseaux vont en troupes et cher- chent leur nourriture.

Si les oies sauvages ne viennent pas , les hommes éloignés se révolteront; si les hirondelles ne partent pas, des fa- milles se diviseront et se disperseront; si les oiseaux ne vont pas en troupes chercher leur nourriture, les officiers inférieurs seront orgueilleux et négligents. yae-Zin^, deuxième lune d'automne , pag. 48.

Au jour de Uieou-fen (milieu d'autoinne) , le tonnerre com- mence à retenir son bruit. Cinq jours après, les vers qui se sont terrés bouchent l'ouverture de leurs trous. Cinq jours après, les sources commencent à tarir (par la gelée).

Si le tonnerre ne commence pas à retenir son bruit, plu- sieurs dignitaires se livreront à la débauche; si les vers qui se sont terrés ne bouchent pas leurs trous ( caractère perdu) , il y aura des tromperies; si les sources ne com- mencent pas à tarir, les vers à cuirasse (les limaces) seront nuisibles.

Yae-ling. deuxième lune d'automne, pag. 5o.

560 . JOURNAL ASIATIQUE.

Au jourde/ian-/ou (rosée froide) , les oies sauvages viennent et s'établissent. Cinq jours après, les petits oiseaux entrent dans les grandes eaux et deviennent de petites huîlres. Cinq jours après, la plante kio (malricaire) a des fleurs jaunes.

Si les oies sauvages ne viennent pas, le petit peuple ne pourra pas se vêtir;— si les petits oiseaux n'entrent pas dans les grandes eaux, c'est Je signe d'un temps d'erreur; si la matricaire n'a pas des fleurs jaunes, sur la terre il n'y aura pas de récolte.

Mêmes circonstances climatologiques , \ac-Un(j. troisième lune

d'automne, pag. 52 v.

Au jour de choang-kiang (le givre tombe) , le loup immole des animaux. Cinq jours après, les plantes et les arbres jau- nissent et perdent leurs feuilles. Cinq jours après, les vers cachés en terre se ramassent et se replient

Si le loup n immole pas des animaux , les courges ( koua- ya) ne seront pas bonnes; si les plantes et les arbres ne jaunissent pas et ne perdent pas leurs feuilles, c'est que le principe actif est excessif; si les vers de terre ne se re- plient pas, il y aura panni le peuple beaucoup de gens errants et misérables.

Yue-ling^ troisième lune d'automne, pag. 52 et 55.

Au jour de li-thoung ( commencement de l'hiver) , les eaux commencent à geler. Cinq jours après, la terre elle-même cohimence à geler. Cinq jours après, le faisan [tchy) entre dans les grandes eaux et devient une huître de la grande espèce.

Si les eaux ne commencent pas à geler, cela signifie que le principe inerte est ingrat ; si la terre ne commence pas à geler, c'est un signe de malheur; si le faisan n'entre pas dans les grandes eaux , il y aura dans l'empire beaucoup de femmes lascives,

Yne-Ung, première lune d'hiver, pag. ^6.

Au jour de siao-sue (petite neige), l'arc-en-ciel n'est plu»

DECEMBRE 1840. 567

visible. Cinq jours après , l'esprit du ciel monte en haut, l'es- prit de la terre descend en bas. Cinq jours après, on ferme, on bouche : c'est l'hiver.

Si l'arc-en-ciel n'est pas caché, des femmes ne seront pas attentives à un seul homme ;#— si l'esprit du ciel ne monte pas en haut, si l'esprit de la terre ne descend pas en bas, le prince et les sujets se disputeront ensemble; si l'on ne ferme pas , si l'hiver n'arrive pas , les princesses mères auront une mauvaise conduite.

Mêmes circonstances climatologiques , Yue-ling. première lune

d'hiver, pag. 56 et 58.

Au jour de ta-sue (grande neige) l'oiseau de proie nyo ou ho ne parle plus. Cinq jours après, les tigres commen- cent à se réunir. Cinq jours après le li-ting (herbe odorifé- rante) pousse.

Si l'oiseau ngo parle (caractères perdus); si les tigres ne commencent pas à se réunir (caractères perdus); si le li-ting ne pousse pas, les officiers feront des désordres.

Yae-ling, deuxième lune d'hiver, pag. 6i. Ho-tan au lieu de ho,

pag. 63.

Au jour de thoung-tchi (sommet d'hiver) , les vers de terre se replient sur eux-mêmes. Cinq iours après, les cornes des cerfs tombent. Cinq jours aprèfl|lles eaux et les sources éprouvent un mouvement.

Si les vers de terre ne se replient pas sur eux-mêmes , les ordres des dignitaires ne seront pas exécutés ; si les cornes des cerfs ne tombent pas , les armes et les cuirasses ne seront pas déposées ; si les sources et les eaux n'éprouvent pas un mouvement, le principe inerte ne prête pas son secours au principe actif.

Yue-ling, deuxième lune d'hiver, pag. 63.

Au jour de siao-han (petit froid) , la grue retourne vers le nord. Cinq jours après, la pie commence son nid. Cinq jours après» le faisan commence à crier.

568 JOURNAL ASIATIQUE.

Si la grue ne retourne pas au nord, le peuple ne res- pectera pas son chef; si la pie ne commence pas son nid, l'empire ne sera pas tranquille ; si le faisan ne commence pas à crier, dans l'empire il y aura de grandes eaux.

Mêmes circonstances climatdiogiques , Yue-ling, troisième lune

d'hiver, p. 64.

Au jour de ta-han (grand froid), les poules commencent à couver. Cinq jours après, l'oiseau de proie est fort et rapide. Cinq jours après, les rivières et les lacs sont solides et durs.

Si les poules ne commencent pas à couver, des femmes ardentes troubleront les hommes ; si l'oiseau de proie n'est pas fort, dans les royaumes, on ne diminuera pas les troupes ; si les rivières et les lacs ne sont pas solides et durs, on parlera et on ne se conformera pas aux paroles. Yue-Uny, troisième lune d'hiver, pag. 6/i , 66.

DÉCEMBRE 1840. 569

On voit dans TEncyclopédie japonaise, kiv. v, pag. 2 , un grand tableau, analogue au précédent et plus complet. Il est formé de six cercles concen- triques, et dont chacun renferme des indications particulières. Chaque mois est représenté par un secteur circulaire compris entre deux rayons partant du centre commun, et l'intersection de ces rayons par, les divers cercles divise chaque secteur en six portions distinctes. Dans celle qui est la plus voisine du centre , on lit les noms des divisions stellaires [sa ou siu ) qui passent au méridien le matin et le soir. Dans la suivante , se trouve le nom de la division stellaire se trouve le soleil. Dans la troisième, on lit le nom des douze divisions ou signes de Tcheou- kong le soleil et la lune sont en conjonction. La quatrième présente les caractères des douze heures. La cinquième contient les noms des tchong-ki et tsie-ki correspondants à chaque quinzaine, et tels que je viens de les donner. La sixième présente l'indication des circonstances météorologiques ou climatologiques correspondantes à chaque mois ; et toutes ces circonstances sont , en grande partie , tex- tuellement extraites du Hia-siao-tching ou du para- graphe Chi-chun du livre des Tcheou.

Ainsi, à la moitié de la première lune (li-tchun), commencement du printemps , on lit : « Le vent « d'est dissout la glace. Les vers renfermés com- «mencent à se mouvoir, etc. » A la seconde moitié, on lit : « L'animal ta immole le poisson. L'oie sau- « vage se dirige vers le nord , etc. »

570

JOURNAL ASIATIQUE.

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DECEMBRE 1840. 571

NOUVELLES ET MÉLANGES.

SOCIETE ASIATIQUE.

Séance du i3 novembre i84o.

Sont présentés et admis membres de la Société :

MM. Casenove, peintre d'histoire du roi d'Aoude; De Fremery, élève de l'Ecole royale des jeune» de langues.

Il est donné lecture d'une lettre de M. Brosset, qui offre à la Société, en son nom et en celui de l'auteur, un volume in-^" intitulé Dictionnaire géorgien-russe-français , par David Tchoubinof. La lettre de M. Brosset, contenant en outre quelques détail sur les travaux relatifs aux études orientales qui se font en Russie , est renvoyée au comité du journal.

M. Gustave d'Eichthal communique le résultat de ses re- cherches sur l'histoire et l'origine des foulahs. Il conclut, de la comparaison des langues, que la race foulah est origi- naire de l'archipel indien. Le conseil renvoie au comité du journal un extrait de ce travail.

M. Pages donne lecture d'un extrait de sa traduction du Tchong-yong, et l'heure avancée ne permet pas à l'auteur d'achever la fin de son travail.

OUVRAGES OFFERTS A LA SOCIETE.

Séance du i3 novembre i84o.

Par i'auJeur. Rudiment de la langue syrjanienne, par M. H. C. D. Gabelentz. Altenbourg, iS^i; in-o".

572 JOURNAL ASIATIQUE.

Par l'auteur. Sur la haute importance et les progrès des études asiatiques en Russie; discours, par M. Dorn. 10-4". (Extrait des actes de l'Académie impériale de Saint-Péters- bourg. ) i84o.

Par l'auteur. Kitab-wafatat, Vies des hommes illustres de l'islamisme, en arabe, par Ibn-Khallikan ; publié par M. le baron Mac Glckin de Slane. Tome I", 4* partie. In-4°.

Par l'auteur. Lettre sur la géographie de l'Arabie, par Ful- gence Fresnel. In-8°. ( Extrait du Journal asiatique. )

Par l'auteur. Copie Jig urée de quelques cachets géorgiens, par M. Brosset; lu le 6 mars i84o à l'Académie impériale de Saint-Pétersbourg. Demi-feuille in-S", avec planche in-4°.

Par la Société. Actes de la Société philosophique américaine. In-8".

Par la Société. Bulletin de la Société de géographie. Numéro de septembre i84o.

NOTE relative AUX TVMULUS DU BOSPHORE C1MMER1EN , ANALOGUES AUX STOUPAS DE L'INDE OCCIDENTALE.

J'appelle l'attention de la Société asiatique sur les obos ou tumulus, décrits par le docte voyageur Clarke , soit à Kertchy, ancienne Panticapée , route de Caffa en Crimée , lieu l'on croit voir la tombe de Milhridate, soit àTaman ou Phanagorie, sur la côte opposée du Bosphore Cimmérien.

Le vaste tumulus de Kertchy (nous dit M. Clarke, t. II, pag. 270), nommé par les Tartares Altyn-obo ou Yobo d'or, est construit en murs cyclopéens et en pierres énomies à l'extérieur, et il est terminé , non point en pyramide ou en cône , comme les tumulus ordinaires de la Tauride ; mais par une calotte hémisphérique (c'est-à-dire comme plusieurs des grands stoupas de l'Inde, gravés dans le Journal asiati- que) , et Clarke doute avec toute raison que ce remarquable monument, d'une très-haute antiquité, dit-il, soil le tom- beau du célèbre Mitliridate.

DECEMBRE 1840. 573

Nous voyons donc ici une première analogie avec l'Inde ^

Quant au monument dont on lui parla à lénikalé , en Tau- ride, et qu'on lui montra, il provenait des fouilles faites à Taman ou Panticapée pour la construction de la forteresse, fouilles qui procurèrent aux Russes un nombre prodigieux de vases de terre et d'autres antiquités.

a En creusant près de l'église, dit ici le voyageur (t. II, «pag. 267, Voyages en Russie et en Tartarie , Turquie), on «déterra une pierre sépulcrale d'un bloc entier, pierre de a forme cylindrique, taillée comme la bouche d'un puits, et «couverte d'un carreau de marbre.

«Ce cylindre renfermait une espèce de pâte de forme «ovale, dont le dehors était enduit de ciment blanc, sem- « blable à du stuc ou du mortier.

« En levant cette croûte extérieure , on trouva un petit « vase de terre (qui fut montré à Clarke) ; il était rempli de d cendres et fermé par une pâte de stuc, offrant une repré- « sentation de la tête de Méduse.

« Plusieurs figures tracées en noir ornaient ce vase à l'ex- a térieur; mais les efforts que l'on avait faits pour le dépouil- «1er de la pâte qui l'entourait avaient altéré ces figures.

«Ces particularités , qui annoncent des usages si différents «de ceux des Grecs et des autres nations, rendent le degré «d'antiquité de ce monument impossible à déterminer, dit « l'auteur.

«Mais quand on pense que iZjoo ans avant notre ère on «commerçait déjà dans ces mêmes contrées, on a un espace «bien suffisant pour fixer la date reculée de ce monument « funéraire si remarquable. »

A l'époque l'auteur anglais écrivait ces lignes, il ne se doutait pas qu'un illustre général français, M. Allard, dont on regrette encore la mort si prématurée , et d'autres mili-

^ Le nom même d'o6o, ouba, donné en Tauride à ces monu- ments, n'est évidemment quune contraction du nom qu'ils ont dians rinde, st-onpa.

57/i JOURNAL ASIATIQUE.

taires européens non moins distingués , ouvriraient dans le Caboulistan dés monuments de même nature, puisque, dan» les stoupas de ces contrées, terminés aussi en dômes hémis- phériques, on a retrouvé, comme dans ce débris des antiques obos de la ville de Panticapée , des cendres de corps humain et des médailles plus ou moins précieuses renfermées dans des enveloppes cylindriques d'or et d'argent et de pierre.

Dans ces riches contrées de l'Inde, et à cette époque plus récente sans aucun doute, l'or était devenu plus commun: mais l'identilé d'usage est évidente; et, quand on se rappelle les rapports des Grecs de la Tauride avec les peuples de rindo-Perse, on s'explique facilement ces analogies de sé- pulture.

Déjà M. Jacquet, de notre Société asiatique, et le docte géographe M. Carie Ritler, ont écrit sur les stoupas du Pendjab et du Caboulistan ; j'ai pensé que celte note , publiée dans le Journal asiatique, pourrait donner lieu à de nou- velles réflexions sur les rapports des peuples de l'Asie et de l'Europe avec les Indes : je la livre à MM. les rédacteurs du journal de notre Société.

Chevalier de Paravey.

Paris, 8 octobre i84o.

FIN DU TOME \.

TABLE

DES MATIÈRES CONTENUES DANS LE X' VOLUME.

MEMOIRES ET TRADUCTIONS.

Pages ,

Études sur la langue et sur les textes zends. (E. Bdrnodf.) ... 5

Suite 237

Suite 320

Catalogue des manuscrits malays appartenant à la biblio- thèque de la Société royale asiatique de Londres. (Éd.

Ddladrier.) 53

Lettre sur la géographie de TArabie. ( F. Fresnel.) 83

Suite et fin 177

Mémoire sur la série des médailles indiennes connues sous la dénomination à'Indo-scythiques. (Feu Jacquet.) Suite

et fin 202

Etudes sur les montagnes et les cavernes de la Chine, d'après

les géographies chinoises. (Éd. Biot.) 273

Observations sur un sceau de Schah-Rokh et sur quelques

médailles des Timourides de la Transoxiane. (Sédillot.) 296 Lettres à M. Reinaud sur quelques points de la numisma- tique arabe. (Fr. de Sallcy.) Cinquième lettre 385

Sur l'enchaînement des trois règnes de la nature; extrait de

Kazwini. (J. J. Clément-Mdllet.) 421

Saôptika parva, épisode du Mahâbhârata. (Th. Pavie.) .... 43 1 Lettre sur Antar, adressée à M. J. Mohl. (A. Perron.) .... 48 1 Recherches sur la température ancienne de la Chine. (Éd. Biot.) 53o

CRITIQUE LITTÉRAIRE.

Compte rendu de la Géographie d'Aboulféda , publiée par la

.Société asiatique. ( A. Caussin de Perceval.) 35»

576 TABLE DES MATIERES.

P«gM.

Die Celtischen Sprachen in ikren Verhâltnissr , u. s. w. von Franz Bopp. (A. PiCTET.) Second article 399

NOUVELLES ET MÉLANGES.

Procès-verbal de la séance générale de la Société asiatique

du 18 juin 1840 gy

Tableau du Conseil d'administration 102

Rapport sur les travaux du Conseil io4

Liste des Membres souscripteurs 1 55

Liste des Membres associés étrangers . 1 65

Liste des ouvrages publiés par la Société asiatique 168

Liste des ouvrages mis en dépôt par la Société asiatique de

Calcutta ^ i-yi

Règlement relatif aux publications de la Société asiatique. ... 172

Lettre de M. Lesson à M. Éd. Dulaurier 175

Hammam Meskhouthîn , les bains maudits 871

Extrait d'une lettre à M, Garcin de Tassy. (E. de Salles.). 468 Note relative aux iamulus du Bosphore Cimmérien, analogues

aux stoûpas de l'Inde occidentale. (De Paravey.) 572

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