-o ■O e o o !i- - _ t tv ,1a, 1 ^ "t— f •■ ?=co f À ==r^ à 1 1- oo ■ ». :' ; riSSB? te««7fc,. "V _"^_3'_aji_. Handie with EXTREME CARE Thjs volume is BRITTLE and cannot be repaired Photocopv only if necessarv GERSTEIN SCIENCE INFORMATION CENTRE EL JA^^^ ^fl, h. SCIENCES MATHÉMATIQUES ET PHYSIQUES CHEZ LES BELGES, AU COMMENCEMENT DU XIX'- SIÈCLE. SCIENCES MATHÉMATIQUES ET PHYSIQUES CHEZ LES BELGES, AU COMMENCEMENT DU XIX^ SIÈCLE, L^-fee-f-t A Do\^Q U ET Ë L E T , DIRECTEUR DE L'OBSERVATOIRE ROYAL UE BRUXELLES; Secrétaire perpétuel de PAcadcmie royale de Belgique; Président de la Commission centrale de statistique du royaume ; Correspondant de l'Institut de France ; de l'Institut d'Egypte; des Sociétés royales de Londres, Edimbourg, Gottinguc, Copenhague, Breslau, Prague; des Académies des sciences de Berlin, Turin, Saint-Pétersbourg, Moscou, Lisbonne, Boston, Naplcs, Palerme, Madrid, Dublin, Munich, Stockholm, Vienne, Amsterdam, Florence, Rome, PestU, Venise, Milan, Padoue, Genève, Rio- Janciro, Batavia, etc., Commandeur de l'ordre de Léopold, etc. BRUXELLES, H. THIRY-VAN BUGGENHOUDT, IMPRIMEUR-EDITEUR, 22, rue de l'Orangei-ie, 22. 1866 Q PRÉFACE J'ai publié récemment Y Histoire des sciences mathéma- tiques et physiques chez les Belges. J'ai dû, pour la com- poser, en recueillir péniblement les documents dans de nombreux ouvrages anciens et modernes, ainsi que dans de vieux manuscrits, dont plusieurs appartenaient à des bibliothèques particulières. Mon intention, ici, n'est pas de continuer ce même tra- vail pendant le cours de ce siècle; mais j'ai tâché de pré- parer d'avance des documents, qui, plus tard peut-éire, pourront aider à l'écrire. Quel que soit le désir de rester dans le vrai, nous sommes trop près des événements pour pouvoir les juger avec tout le discernement et toute l'impar- tialité nécessaires ; je me suis donc borné à réunir des ma- tériaux pour la composer et pour faire disparaître, au moins en partie, les lacunes que je signale. — II — Dans le jiremier livre, j'appelle l'allenlion sur un sujet qui ne paraît pas avoir été suffisamment étudié. Par suite de l'avancement des sciences, il devient facile aujourd'hui de s'entendre avec d'autres savants et de concerter ensemble ses recherches pour élucider un même point scientifique, contre lequel venait échouer autrefois toute la capacité d'un seul homme, quelle que fût son ardeur au travail : je citerai, par exemple, les perturbations simultanées du magnétisme sur les différents points du globe et leur mode d'action dans un instant donné. Il faut évidemment substituer à un seul observateur, quel que soit son mérite, une réunion d'obser- vateurs actifs, répandus sur les différentes parties du globe^ qui, avec toute l'attention possible, constatent les mêmes faits d'après les mêmes méthodes et avec les mêmes instru- ments. Notre Belgique, si ralentie dans sa marche, par plu- sieurs causes indépendantes d'elle, a été l'une des nations qui est entrée avec le plus d'ardeur dans cette voie. J'ai tâché de faire comprendre ensuite quels ont été les princi- paux travaux exécutés dans ce pays, soit individuellement, soit collectivement et en dirigeant l'attention de plusieurs savants à la fois vers une difficulté qu'il s'agissait d'étudier et de surmonter. Je me suis attaché, dans le deuxième livre, à présenter un aperçu des ouvrages scientifiques de plusieurs de nos compatriotes, dont j'avais pu apprécier les heureux travaux et rappeler les circonstances qui devaient le mieux les carac- tériser. 11 a fallu par ce motif abandonner la gravité de l'his- toire, et me borner à reproduire, dans de simples esquisses, les principaux traits de leur physionomie. — III — Des moyens analogues ont été employés, dans le troisième livre, pour rappeler le souvenir des littérateurs, qui, dans nos provinces, se sont relevés en même temps que les sa- vants et qui avaient partagé leurs habitudes et leurs pensées. Il eût été difficile de séparer les uns des autres : dans un pays qui, comme le nôtre, recommençait en quelque sorte sa vie intellectuelle, ces rapprochements étaient nécessaires. Enfin un quatrième livre présente quelques-unes des physionomies les plus imposantes de l'époque moderne, dont les relations avec notre pays ont pu opérer sur son état in- tellectuel avec le plus d'énergie : tels étaient Alexandre de Humboldt, Arago, Bouvard, Gauss, Schumacher, Malthus, parmi les savants ; Gœthe, Gioberti, Droz, parmi les litté- rateurs, et particulièrement Falck, cet homme d'État éclairé pour lequel notre pays a conservé peut-être plus de sou- venirs que son pays natal. L'estime que ces hommes dis- tingués ont montrée pour notre Belgique prouve assez que les anciens litres de nos aïeux ne sont point oubliés par les illustrations étrangères. Je serais heureux si cet écrit pou- vait en offrir la preuve et témoigner la reconnaissance que l'ancienne Belgique nous inspire (*). (') Cet écril et VHistoire des sciences mathémaliques et physiques chez les Belges, auquel il fait suite, seivent en quelque sorte d'introduction à trois ouvrages que je publierai successivement avec l'aide de mon fils, attaché depuis onze ans à l'Observatoire royal de Bruxelles. Les trois ouvrages sur V astronomie, la JVé- téorologie, et la Physique du globe comprendront les résultats des travaux d'olt- servalion faits, chez nous, pendant les trente-cinq dernières années. SCIENCES MATHÉMATIQUES ET PHYSIQUES CHEZ LES BELGES, AU COMMENCEMENT DU XIX^ SIÈCLE. LIVRE PREMIER. ÉTAT GÉNÉRAL DES SCIENCES Après la chute des républiques de la Grèce et la ruine de l'école d'Alexandrie, les sciences et les lettres descen- dirent des régions élevées où elles étaient parvenues à se placer. Plus tard, les Arabes cherchèrent à conserver et à développer les importantes découvertes de leurs prédéces- seurs; mais, à la suite des croisades, les chrétiens d'Occident voulurent montrer qu'ils n'avaient à leur céder ni pour la puissance du glaive, ni pour la force de l'intelligence. On vit alors les lumières se répandre dans les différents pays et les peuples belliqueux aspirer à l'honneur d'étendre leur domaine. Les plus illustres combattants de l'Europe furent les premiers à se ranger sous les drapeaux déployés par les sciences. La Belgique, si petite par son éteçdue, mais qui toujours avait marché au premier rang depuis les temps de Mérovée et de Charlemagne, la Belgique mit har- diment le pied sur les terrains nouveaux qu'il s'agissait de conquérir. i 9 Déjà pendant que ses guerriers, avec Godefroid de Bouillon, faisaient la conquête de la terre sainte, les études historiques et les sciences avaient fait leur apparition. La carrière de l'intelligence s'ouvrait devant elle, après celle des combats, et les Belges furent des premiers à se distin- guer parmi les champions qui s'y présentèrent. Non-seule- ment les sciences se montrèrent avec éclat, maison vit bientôt se développer les lettres sous les auspices de Jean le Bel, de Froissart, de Philippe de Commines et de tous ces bril- lants chroniqueurs dont la plus grande partie appartenait à nos provinces; la peinture à l'huile s'illustra par les talents des frères Van Eyck et des Memelinck; la musique, par cetle merveilleuse école dont Tinctor fut un des premiers maîtres à la cour de Naples, et ensuite par cette série de musiciens célèbres qui fireni, pendant près de deux siècles, le charme de toutes les cours de l'Europe. L'industrie réalisait des progrès non moins rapides, et le Belge devra de la recon- naissance à celui de ses compatriotes qui retracera cette époque brillante où le pays se plaçait en première ligne à côté des régions les plus florissantes. Nos aïeux, dans la carrière de l'intelligence, se montrè- rent avec tout autant d'éclat pendant les progrès immenses qui marquèrent le quinzième siècle : on les trouve parmi les plus ardents promoteurs de la précieuse invention de l'im- primerie (1439). Leurs services ne sont pas moins marqués au moment de la découverte de l'Amérique (1492); déjà, dès 1446, Vandenberghe avait fait connaître les Açores, que l'on nomma les îles flamandes : on trouve aussi chez eux et chez les ducs de Bourgogne les premiers vestiges du changement dans la nature des armes de guerre. L'époque fameuse de la Renaissance se distingue par les grands noms de François P' et de Charles-Quint. Ce dernier prince, surtout dans son active jeunesse, méritait sous Ions les rapports de briller comme l'un des restaurateurs des sciences et des beaux-arts. Quand il quitta le ciel de sa patrie, il voulut, en Espagne, s'entourer de ses compatriotes les plus illustres, et donner à son pays, même de loin, des témoignages de son estime affectueuse. Le grand analomiste Vésale avait toute sa confiance; Mercalor, Ortelius et les au- tres géographes de son époque attirèrent ses généreux encou- ragements, de même que les mathématiciens nombreux que produisaient alors ses Étals. La fin de son règne ne répondit malheureusement pas à des commencements aussi beaux. La Belgique continuait cependant à s'illustrer par une série d'hommes que les décrets funestes de son successeur Phi- lippe II chassèrent successivement de leur patrie, et parmi eux se distinguait Simon Stevin, un des plus célèbres mathé- maticiens de son époque et le grand maître de l'artillerie de Guillaume de Nassau. Privée de ses hommes les plus marquants par les cruelles proscriptions de l'Espagne, la Belgique cependant sut mon- trer, malgré ses malheurs, qu'elle n'avait point perdu devue la culture des sciences qui avaient tant ajouté à sa gloire. Un coup fatal lui fut porté au moment même où les sciences exactes produisaient leur plus belle découverte^, où le calcul infinitésimal faisait sa première apparition : le géomètre DeSluze,qui avait pris une part active à ces brillants travaux et qui jouissait de l'estime de Pascal, de Descartes, de Newton, de Huyghens, mourut quelques mois après la pre- mière publication de l'ouvrage de Leibnitz sur le calcul dif- férentiel. A partir de cette féconde découverte, les mathé- matiques marchèrent à pas de géant, aidées par une réunion desavants des plus distingués que les sciences aient produits; mais la Belgique n'était plus de force à y prendre part. On trouve encore de loin en loin quelques hommes de mérite, mais vivant en dehors de ce milieu plein d'activité : _ 4 — ils étaient comprimés par la domination étrangère. Marie- Thérèse chercha, plus tard, à rendre la Belgique à elle-même; mais la révolution française arrêta tous les plans concertés à cet égard. Les terribles mouvements politiques qui agitaient alors la France et les guerres qui suivirent durent ajourner tous les projets, lorsque enfin^ après 1814, les esprits se cal- mèrent et se tournèrent vers des travaux plus paisibles (*). Réunie à la Hollande, la Belgique put alors songer à re- venir librement à ses anciennes habitudes et à ses goûts de science et de splendeur. Comme sa noble alliée, elle reçut trois universités; elle s'enrichit de bibliothèques, de mu- sées pour l'histoire naturelle et pour les tableaux, de jardins pour la botanique, d'une Académie royale pour les sciences et les lettres, d'un observatoire et de tout ce qui pouvait favo- riser le développement de l'intelligence. Après quinze années d'existence commune, cette union fut fatalement rompue, et les deux Etats se séparèrent. Mais déjà la Belgique, dans un intervalle aussi court, avait pu remonter à son ancien état et se refaire à ses premières habitudes, dont un à deux siècles de malheurs ne l'avaient pas entièrement dépouillée; sous quel- ques rapports même, les malheurs qu'elle avait subis avaient retrempé sa force et lui avaient donné une vigueur nouvelle. Elle se releva donc avec plus de confiance, et les peuples lui tendirent une main affectueuse : ils lui témoignèrent une bienveillante amitié qui lui rendit son ancienne ardeur. Pour apprécier le chemin que laBelgiqueavailà parcourir, afin de se mettre au rang que semblait lui marquer son passé, il faut jeter les regards en arrière et voir la marche qu'avaient suivie les arts, les lettres et les sciences. Un pays, s'il mérite véritablement ce titre, s'il est animé d'une vie qui (') Voyez, pour ce qui précède, L'Histoire des sciences mathématiques et physiques chez les Belges, par Ad. Quetelel, un vol. grand in-8". Biiixellc;, chPzHavez, 1864. lui est propre, doit aussi avoir sa biographie qui retrace son origine et ses progrès, l'esprit qui l'a dirigé et les tra- vaux qu'il a exécutés en dehors des travaux particuliers de chacun de ses concitoyens. Au moment où la Belgique dut quitter le champ de la science, il s'opérait une innovation intellectuelle d'une grande importance, innovation qui peut- être n'a pas été assez remarquée. L'homme de talent, dans certains cas, cesse d'agir comme individu et devient fraction d'un corps qui permet d'atteindre aux résultats les plus im- portants. A toutes les époques, sans doute, les hommes instruits ont senti le besoin de se réunir pour s'aider et s'éclairer mutuellement sur l'objet de leurs études communes. Au siècle brillant de la Grèce, nous voyons, à Athènes, les savants les plus illustres se grouper ensemble au Portique, au Lycée, à l'Académie, lieux célèbres dont les noms sont devenus caractéristiques dans nos temps modernes. Nous retrouvons, plus lard, une réunion semblable dans la fa- meuse école d'Alexandrie. Rome ne semble pas avoir ambitionné les palmes de l'in- tellio-ence, comme s'il lui avait suffi de dicter des lois au reste de l'univers. Cependant, sous Auguste, une société litté- raire aussi brillante que polie s'était formée autour de Mé- cène; et, sans titre officiel, elle a illustré à jamais le siècle qui l'a vue fleurir. Ces réunions, toutefois, annonçaient l'esprit élevé et la délicatesse du souverain bien plus que l'harmonie combinée des hommes éclairés qui se trouvaient autour de lui. 11 est intéressant de suivre ce mouvement nouveau de l'esprit humain et d'étudier les phénomènes qui lui ont donné la preuve des ressources immenses qu'il porte en lui et dont il n'avait fait aucun usage jusque-là. C'est à Charle- magne qu'on doit, parait-il, la fondation de la première académie, organisée d'une manière régulière. Ce grand — 6 — homme, par cette création, ne poursuivait pas une vaine illusion, mais il cherchait à atteindre un but utile, à donner l'essor aux sciences et à soumettre la langue parlée de son temps à des principes fixes qui lui manquaient encore. Son académie, par ses premiers essais, exerça la plus heureuse influence : elle a servi de modèle à celles qui ont été créées depuis. Néanmoins, ce ne fut que vers le milieu du dix-septième siècle que l'on vit .se développer l'esprit d'association et plu- sieurs savants se dépouiller de leur individualité pour pen- ser et agir ensemble comme un seul homme doué d'une seule et même intelligence. C'est alors que l'on vit naître, presque en même temps, la plupart des académies et des corps savants qui ont rendu le plus de services aux sciences : l'Académie del Cimento, fondée à Florence en 1657, par Léopold, grand duc de Toscane, la Société royale de Lon- dres, créée en 1659, par Charles II, et l'Académie royale des sciences de Paris, créée en 1666, par Louis XIV. Quel- que illustres que fussent ces sociétés dès leur origine, quelque appui qu'elles aient donné aux sciences, elles ne comprirent cependant pas également la puissance infinie qu'elles pouvaient puiser dans l'esprit d'association. Ici commence pour les sciences une ère nouvelle, qui n'a peut-être pas assez frappé l'esprit des observateurs ; ici prin- cipalement les savants ont cessé d'agir comme individus, et plusieurs d'entre eux ont appris à réunir leurs connais- sances pour en déduire des conclusions utiles. L'Académie de la Crusca mit tous ses soins à composer un dictionnaire qui fait encore loi en matière de goût, et elle s'attacha parti- culièrement à fixer les principes de la langue. L'Angleterre et la France sentirent également l'influence que jjouvaient exercer sur les sciences et les lettres les corps savants qu'elles venaient de créer. Ce fut particulièrement en 1735 — 7 — que l'Académie des sciences de Pans entreprit la solution d'un des problèmes les plus difficiles et les plus délicats que l'on puisse avoir à résoudre. Elle conçut le hardi projet d'apprécier directement la An. 1735. courbure de notre globe, et entreprit à cet eflfet de par- tager en deux sections les astronomes et les physiciens les plus célèbres qu'elle renfermait, pour aller mesurer un degré du méridien, les uns en Laponie et les autres au Pérou. Ainsi, comme le fait observer Delille, qui remplaça à l'Académie française l'auteur de ce projet gigantesque : « Tandis que MM. Maupertuis, Clairaut, Camus et Lemon- nier allaient, pour le môme objet, braver les frimas du Nord; MM. Godin, Bouguer et Lacondamine allaient af- fronter les ardeurs du Midi. Jamais les souverains n'avaient rien fait de si beau pour l'honneur de la philosophie, jamais la philosophie n'avait médité un plus grand effort, et la vé- rité allait se trouver poursuivie du pôle à l'équateur ('). » Cette expédition, qui fut entourée de tant de dangers et de gloire, restera à jamais dans l'histoire comme un des plus beaux monuments élevés à la science, et comme le premier exemple de ce que peut l'association pour le domaine de l'intelligence. Dans un siècle plus poétique, ces nouveaux Argonautes eussent trouvé des interprètes éloquents pour célébrer leur brillante conquête. Déjà, avant cette époque, on avait vu les savants des pays les plus éclairés unir leurs recherches communes et partager en quelque sorte leurs pensées, pour arriver à la solution d'un grand problème qui semblait se révéler à tous et que tous attaquaient de différentes manières, mais dont la solution finit par appartenir à deux des plus puissants génies que les sciences aient vus naître, à Newton et à Leibnilz. Déjà du (M Delille, Discours de réception à V Académie française, le 1 1 juillet 1774. — 8 - temps de Pascal et des grands matliématicieiis ses contem- porains, on sentait le besoin d'appréciations nouvelles dans les méthodes mathématiques : chacun faisait un secret de la marche qu'il suivait dans ses travaux; des prix étaient proposés pour la solution des problèmes les plus diffi- ciles; on voyait une arène nouvelle dans laquelle entraient les rivaux les plus puissants : la lutte, en effet, s'établissait entre Pascal, Descartes, Huyghens, Fermât, Newton, Leib- nitz. De Sluze ('), Roberval, Hudde, les frères Bernouilli, Maclaurin, le marquis de Lhôpital, et tous les savanls qui signalèrent à jamais ce siècle remarquable. C'est alors aussi que commencèrent les grands travaux pour la détermination des heures et des hauteurs des marées, auxquels Newton prit une part si active, et qui, plus tard, furent repris avec une activité nouvelle par Laplace et par les nombreuses investigations faites dans les différents ports de mer. Ces recherches furent revues ensuite et don- nées avec plus de développements pour les côtes de l'Europe, par MM. Whewell et Lubbock, dans les Mémoires de la Société royale de Londres. En voyant ces travaux immen- ses , exécutés sur les différents points du globe par les voyageurs et par les savants de tous les pays, on sent, mieux peut-être que par tous les autres exemples, les avan- tages qu'on peut retirer de travaux combinés entre eux et dirigés vers un même but. L'histoire nous apprend que déjà le problème des marées avait fixé l'attention d'Aristote, dans les limites de la Méditerranée; mais elle ajoute que le phi- (') Il De Sluze, en mourant, put saluer le grand siècle qui s'ouvrait aux con- naissances mathémaliques et se rendre cette justice qu'il avait brillé parmi les princes de la science à qui l'on devait la voie nouvelle dans laquelle on allait entrer. Il mourut au commencement de l'année (|ui suivit celle dans la(iuelle Leibnilz publia, dans les Actes de Leipsick (oct. 1684), son écrit à jamais remar- ({uable. n Histoire des sciences mathématiques et physiques chez les Belges, page 264; in-S", 1864. losophe, ne pouvant en apprécier les causes, s'était noyé de désespoir. Cet exemple, s'il était vi-ai, tendrait à nous mon- trer, mieux que tous les raisonnements, la supériorité de l'association d'une réunion d'hommes sur les efforts du génie humain le mieux organisé, abandonne à ses forces individuelles au milieu des grandes œuvres de la création. Dans la dernière partie du siècle précédent, la petite ville de Mannheim, de son côté, avait formé une association assez vaste pour étudier les phénomènes atmosphériques; mais cette association ne fonctionna que pendant quelques années. Différentes sociétés cherchèrent à atteindre le même but, sans arrivera des résultats plus précis. On a senti la néces- sité d'y revenir depuis avec des moyens plus puissants et avec un nombre d'observateurs plus considérable et mieux pourvus d'instruments pour apprécier les grands phéno- mènes de l'atmosphère. Sir John Herschel, pendant son séjour au cap de Bonne- Espérance, avait demandé à plusieurs savants de l'Europe de faire, pendant trente-six heures continues, des observa- tions météorologiques aux époques des solstices et des équi- noxes, et de les prolonger dans l'intention de recueillir des données sur plusieurs problèmes importants. Mais ces ob- servations horaires étaient généralement faites à des dis- tances trop grandes entre elles pour pouvoir donner toutes les indications de l'air et en montrer les mouvements. En quit- tant le Cap, cet illustre savant voulut bien engager notre Bel- gique à continuer ces études, du moins dans leurs rapports avec les points les plus rapprochés. Pour répondre à ses vues^ des demandes furent faites aux différents pays, et la Belgique parvint à réunir sur la surface de l'Europe les observations de plus de quatre-vingts stations ('), (') Elles fureiil itubliées par l'Acadéinie royale de Kiiixelles; elles ont été dis- cutées ensuite dans un travail spécial Sur les Ondes atmosphériques en général^ - 10 - qui, de 1838 à 1843, durèrent pendant près de six ans. Aujourd'hui, par les puissants moyens de la télégraphie électrique, on réunit sur les différents lieux du globe, de nombreux documents qui nous manquaient à peu près com- plètement, malgré leur importance. 11 reste cependant un point essentiel à régler : pour arriver sûrement et plus vite à ses fins, il faut viser au même but avec des moyens par- faitement comparables. La France a commencé et publie ré- gulièrement ses résultats; l'Angleterre, l'Allemagne, l'Italie et plusieurs autres Élats suivent cet exemple ('); mais ces moyens, au lieu de se simplifier, tendent au contraire, par le trop de zèle des observateurs, à se gêner et à se paralyser mutuellement. Il faudrait, avant tout, oublier l'individualité et du savant et de la nation : il faudrait être entièrement à la science. Aujourd'hui chaque pays éclairé recueille et publie ses observations; mais les méthodes d'observer et les instru- ments sont différents, les unités de mesure sont dissembla- bles, presque tous les moyens de comparaison manquent. Il faudrait plus que jamais que des délégués des différents pays, unis par la science, pussent se voir et s'entendre à une époque donnée et dans un lieu déterminé : on conviendrait des méthodes et des heures d'observation, ainsi que des instruments à employer et des réductions à faire pour rendre dans l'ouvrage |)ublié par l'Observatoire i'wr le climat de la Belgique, lome II; 111-4", 1857, 4« partie, pages 73 et suivantes. De nombreux tableaux montrent la marche et la vitesse des ondes atmosphériques au-dessus de l'Europe et de l'Asie. (') La France publie, avec ses propres observations météorologiques, les observations les |)lus importantes des autres pays européens; mais ce travail peut s'étendre encore, et, sans détruire les travaux des différentes nations, on peut chercher à obtenir les documents des points les |)lus essentiels recueillis sur le globe en général; suilout si, comme on a lieu de l'espérer aujourd'hui, les loin- tains climats pouvaient communiijuer avec l'Europe parvoie delà télégraphie élec- trique. Plus les comparaisons s'étendront, plus elles seront fécondes, et surtout pour la marine: la météorologie, si longtemps dédaignée, deviendrait une des sciences les i)lus utiles! - 11 — les valeurs immédiatement comparables. Chaque pays serait dirigé par un délégué ; et,^armi ces représentants des nations, on ferait choix d'un directeur pour conduire l'ensemble. Cette unité est le seul moyen d'arriver promptement à un résultat utile. Une publication unique, pour les grands phénomènes, pourrait ainsi tenir au courant des différents travaux de la météorologie et en favoriser singulièrement les succès. Les avantages d'une pareille unité de vue seraient immenses pour la science, pour le commerce et pour l'État en général. On pourra voir plus loin ce que la science a fait pour la marine et pour la statistique : on comprendra mieux ainsi les résultats heureux qu'on a recueillis déjà, en posant net- tement lesmoyens d'arriver à un but général que des obser- vateurs particuliers ne peuvent jamais atteindre. Ce fut aussi en 1841 que la Belgique entreprit un travail considérable qui avait principalement pour objet la direc- tion et la vitesse des ondes atmosphériques au-dessus de l'Europe et de l'Asie. En même temps, des travaux horaires à peu près semblables s'exécutaient en Angleterre, par M. Birt, et dans les États-Unis d'Amérique, par M. James P. Espy. Ces savants voulurent bien communiquer leurs résultats à notre Académie, et par leur secours et celui des nombreux météorologistes qui les aidèrent de leurs obser- vations, on put former un travail qui fut complété par un grand nombre de planches ('). {') Les résultais auxquels on est parvenu furent exprimés dans les termes suivants : 1" L'atmosphère est généralement traversée par plusieurs systèmes d'ondes différents. Ces ondes interfèrent et produisent, pour chaque lieu de la terre, un état spécial de pression. 2° Au milieu de tous ces mouvements particuliers, il se prononce un système d'ondes prédominant qui semble rester à peu près constant pour un même climat. 3" Les ondes atmosphériques, tant en Europe qu'en Asie, se propagent du nord au sud, sans avoir toutefois la même vitesse; elles marchent plus rapidement — 12 — Ces travaux simultanés, faits dans ditTérenls pays, d'après des principes arrêtés, ont surtout pour objet de connaître et d'étudier complètement des phénomènes spéciaux que des dans le système asiatif|ite et dans le système de l'Europe centrale (m'en Russie ou dans les montagnes de l'Oural. 4° Les ondes atmosphéiiciues seml)lcnt se propager avec moins d'obstacles à la surface des mers (|u'à l'intérieur des terres. En généi'al, les aspérités du globe, el Itarliculièremenl les chaînes de montagnes, diminuent leur vitesse et modifient aussi leur intensité. 5° L'inégalité de vitesse sur le continent, d'une pari, el dans le voisinage de le mer, de l'autre, ex|)ii(|uenl les inflexions qu'éprouve, dans toute son étendue, la ligne (jni figuie la marche générale de l'onde dans notre bémisplière. Celte ligne se rejïlie de manière à être [loussée en avant dans le sens de la plus grande vitesse : ainsi l'onde pénètre pres(|ue en même temps sur le continent européen par les différentes côtes de la mer du Nord, de l'Océan et de la Médi- terranée; d'une autre part, elle vient aboutir. pres(|ue en même temps aussi, le long de la chaîne de l'Oural et de celle des Al|ies tyroliennes. 6° La vitesse avec laciuelle les oniles barométriques se propagent est très- variable; elle peut être estimée moyennement de six à dix lieues de France à l'heure : elle est un |ieu plus grande dans rEuro|»e centrale et moindi'e en Russie. Au reste, celle vitesse varie d'une onde à l'autre; elle varie même pour les dif- férentes parties d'une même onde. Comme nous l'avons déjà fait remar(|uer, elle est plus granrle vers les côtes el dans Ions les endroits où la propagation du mou- vement paraît |)lus libre. Au contraire, dans le voisinage îles monlagnes el des plateaux, celle vitesse diminue nolablenient ; dans l'Oural, elle se léduit parfois à moins de deux lieues par heure. 7» Les directions des vents n'ont [las de rapports apparents avec les directions des ondes barométriques. Ce fait important semble favorable à l'hypothèse de courants compensateurs marchant dans le bas de l'atmosphère el dans les direc- tions oi)posées à celles des courants qui vont du i)ôle vers l'équateur. Remar(iuons, du reste, <|ue l'air peut aussi se condenser par des pressions latérales, sans qu'il y ait ries affluents d'air nouveau et, par suite des vents sensibles dans les direc- tions de ces pressions. Au contraire, les vents dominants peuvent fort bien sub- sister sans altération pendant que les masses d'air qu'ils déplacent changent sensiblement de densité. Il doit en être de cerlaines ondes barométriques comme des ondes sonores, qui se transmettent dans toutes les directions, malgré l'obstacle des vents, lesquels peuvent, à la vérité, en modifier l'intensité et la vitesse. Voyez l'ouvrage Sur le Climat de la Belgique, IV"= partie, Des Ondes atmosphéri- ques, pages 91 el suiv., tome II, in-4°, 1857. Les systèmes d'ol)Servations météorologitlues (lu'on emploie aujourd'hui, el spécialement celui (jui reçoit l'indication des données fournies par les divers pays, au moyen de la télégraphie éleclri que depuis peu d'années ('). Le commencement de ce siècle a offert, à son tour, un exemple curieux d'une association semblable pour l'astro- nomie. L'étude du ciel et de la subordination des planètes, quant à l'ordre des distances, avait fait concevoir à priori qu'il devait exister une planète encore inaperçue : on allait jusqu'à désigner sa distance au soleil, le temps de sa révolu- tion et plusieurs autres circonstances de son cours. Six astronomes allemands se réunirent à Lilienthal et résolurent de la chercher; ils formèrent à cet effet une association d'ob- servateurs expérimentés, qui devaient passer en revue toutes les étoiles télescopiques du zodiaque, pour recon- naître parmi elles la planète rebelle qui se dérobait à leur poursuite. Leurs premiers efforts furent infructueux; mais ils apprirent bientôt qu'un astronome plus heureux avait aperçu l'astre tant cherché : Piazzi en avait fait la décou- verte à Palerme, le premier jour de ce siècle. L'association prit une noble revanche, et deux de ses membres, Olbers et Harding, découvrirent trois planètes presque aussitôt après. En cherchant la dernière, Olbers avait reconnu que les trois planètes nouvelles présentaientplusieurs caractères communs qui pouvaient les faire considérer comme ayant appartenu (') On a cherché à [nésenler les résultats des vingt et une années d'obser- vations, de 1809 à 1800, dans louvrage Sur la physique du globe, chapitre VI Sur les phénomènes périodiques des plantes et des animaux, pages 32-3 à 409; 1 vol. in-4"; Bruxelles, 18(j1. — M.Cli. Fritsch, de Vienne, et M. Linsser, aide à l'OI)servatoire s plus élevé, placé même à une certaine distance, pour obtenir les valeurs les plus différentes. Voyez à cet égard les Jnnales de l'Observatoire, tome VII, pages 1 et suivantes, 1849; tome X, pages 47 et suivantes, 1854; et, dans l'ouvrage Sur la physique du globe, in-4", 1801, le chapitre II, De Vélectricité de l'air, pages 80 à 124. (') Voici les dnles aiixiiuelles ont commencé les publications des BnllPlins, - 20 - Dans les associations nouvelles, on procéda néanmoins avec une certaine symétrie et l'on prit des mesures qui parurent concilier tous les partis; nous citerons en particulier l'exem- ple de l'Angleterre. Depuis longtemps, la Société royale existe comme une des gloires de la nation : cette institution est en- tièrement libre et ne reçoit du gouvernement que le lieu où se tiennent ses séances. L'admission pour les régnicoles est peut-être moins difficile que pour les étrangers : on exige cependant des conditions qui sont assez rigoureusement ob- servées. Avec la profonde estime que ce corps a méritée des hommes les plus distingués, il est resté au milieu de toutes les sociétés spéciales qui se sont formées successivement, comme le représentant de la science en Angleterre, et il a jugé à propos de prendre en quelque sorte la direction de l'Association britannique, qui peut être regardée comme le premier degré conduisant à l'association supérieure. En France, l'Institut impérial a non-seulement le local où se tiennent ses séances, mais reçoit une dotation considé- rable, et, de plus, les membres reçoivent encore une pension (les Comptes rendus, etc., etc., des princiiiaux corps savai)ls «le l'Europe: Proreedings de la Société royale de Londres, 1830. Bulletin de la Société géologique de France, 1830. Bulletins de l'Académie royale de Belgique, 1832. Rendiconto de l'Institut de Bologne, 1833. Compte rendu de l'Institut de France, 1835. Geschichts Anzeigen de l'Académie royale de Munich, ISôii. Bulletin de l'Académie impériale de Saint-Petershourg , 183:'». Bericht, etc., de r.\cndémie royale de Berlin, 183G. Proceedings de l'Académie de Dublin, 183G. Bulletin de la Société impériale des naturalistes de Moscou, 1837. Proceedings de la Société royale d'Edimbourg, 1838. Giornale de l'Institut de Milan, 1841. Geschichts Anzeigen de la Société royale de Gotlingiie, 1842. Compte rendu de l'Académie royale des sciencps morales et politiques de l'Institut de France, 1842. Rendiconto de l'Académie royale de Najdrs, 1844. Rendicnntn de l'Académie des Lincées de Rome, 1848. ~ 21 - annuelle et des jetons de présence, de façon que la position n'est pas la même que celle de l'Angleterre. Il en est résulté aussi que l'Institut, corps national, n'a pris aucune part aux ditTérents congrès libres qui se sont formés. Ici l'on trouve une indépendance complète dans ces corps, qui se forment successivement; tandis qu'en Angleterre, il y a en quelque sorte fraternité et subordination ('). Les autres États ont généralement suivi la marche indiquée par la France : les conférences scientifiques et les congrès s'éloignent communé- ment, par leur forme et la nature de leurs travaux, des acadé- mies constituées dans les divers pays. Ils s'organisent pour suivre une même pensée et en réaliser l'exécution, et dès que le but est atteint, leur mission est remplie, ils cessent d'exister, excepté cependant en Angleterre, où l'Association britannique est véritablement un corps scientifique, avec des séances annuelles d'une durée à la vérité fort courte. Dans le monde matériel, comme dans le monde intellec- tuel, l'esprit d'association se révèle sous toutes les formes: le point essentiel est de savoir ce qu'on peut lui demander avec chance de succès. Ce qui constituera toujours un des principaux avantages des académies et des grands corps sa- vants, établis sous les auspices des différents peuples, c'est leur caractère de permanence : c'est à eux qu'appartient l'exécution de ces immenses travaux auxquels la vie et l'acti- vité d'un seul homme ne pourraient suffire; c'est à eux qu'est (') L' Association britannique pour l'avancement des sciences est un véritable corps savant, composé de membres publiquement reconnus, payant une cotisa- tion, se réunissant à des éiio(iues déterminées, faisant exécuter des travaux spé- ciaux et publiant annuellement leurs actes sous une forme régulière. L'Associa- tion, d'ailleurs, se compose exclusivement d'Anglais, bien que les étrangers y soient reçus avec courtoisie et qu'elle en admette, à titre A'associés, comme dans les autres sociétés savantes. C'est un véritable corps, disons-nous, mais qui ne se réunit qu'une fois l'an, pendant huit jours et dans des lieux différents. Après chaque session, il parait un volume in-octavo de ses procès-verbaux et des com- munications (jui ont été reçues. i90 contié le soin d'entretenir le l'eu sacré dans une nation; de sti- muler le goùtdes sciences par leur exemple et par leurs encou- ragements; d'opposer avec énergie une digue au débordement des fausses théories et des erreurs, et de faire aimer et res- pecter la science, en se faisant aimer et respecter soi-même. Depuis des siècles, les mers sont sillonnées en tous sens par les diverses nations, et chaque vaisseau, pour sa propre sûreté, recueille les faits scientifiques les plus importantsobservés pen- dant ses voyages. Les recueils qui les renferment étaientrestés à peu près sans usage pour la science: un officier américain, l'ingénieux et savant M. Maury, sut en tirer parti et féconder son heureuse pensée. En compulsant un grand nombre de registres de la marine, il réussit à se former des idées plus justes sur la nature des courants, soit de l'air, soit de la mer, et les premiers fruits de ses études amenèrent bientôt des simplifications considérables dans quelques traversées : ainsi, le voyage des États-Unis à la Californie, qui se faisait en cent (jualre-vingts jours, fut réduit à cent jours seulement. Un résultat aussi remarquable fit naturellement penser aux avan- tages immenses qui proviendraient de la comparaison des registres de bord, non pas de quelques vaisseaux seulement, mais de tous les vaisseaux, quel que fût leur pavillon, sur- tout si ces registres étaient tenus d'une manière parfaitement uniforme et si les observations étaient comparables entre elles. Pour arriver à un accord aussi désirable, le gouverne- ment américain fit un appel à toutes les nations maritimes et les invita à envoyer des représentants à une conférence générale dont le lieu fut fixé à Bruxelles. Cet appel fut ac- cueilli avec faveur, et dans la réunion qui eut lieu au mois de septembre 18o3, presque toutes les nations maritimes étaient représentées par des officiers distingués ('). (') Plusieiiis Étals firent connaître, plus lard, leurs rei^rels de n'avoir pas eu If temps nécessaire pour se faire représenter à la réunion. - 23 — L'esprit de conciliation et de fraternité qui domina dans les discussions doit, en outre, être remarqué comme un des faits caractéristiques de notre époque. Après quinze jours de délibération, on parvint à un système uniforme d'observa- tions sur mer qui obtint l'assentiment de tous les membres et qui, depuis, a été adopté par la plupart des gouverne- ments ('). Le succès de cette première réunion a prouvé qu'on peut tenter un pas de plus et arriver au plus vaste système d'ob- servations que l'esprit humain ait jamais conçu : celui de couvrir le globe entier, dans toutes ses parties accessibles, d'un vaste réseau d'observateurs, espacés de manière qu'aucun phénomène naturel de quelque importance ne puisse se ma- nifester sans avoir été vu et observé avec soin, sans qu'on ait le moyen de le suivre et de l'étudier dans sa marche; en sorte que l'œil de la science reste pour ainsi dire incessam- ment ouvert sur tout ce qui se passe à la surface de notre planète. Pour arriver à l'exécution d'un pareil plan, il faudrait, cette fois, non-seulement le concours des navigateurs, mais encore, sur terre, celui des observateurs les plus exercés. Déjà la plupart des nations ont organisé des systèmes d'ob- servations météorologiques et en ont confié la direction à des hommes spécialement versés dans ce genre de connaissances. Ce seraient donc ces hommes surtout qu'il s'agirait de réunir : ils devraient étudier en commun quelles sont les lacunes que présente le réseau d'observateurs actuellement existant pour aviser au moyen de les combler, et rechercher s'il n'y aurait pas quelque utile réforme à introduire, soit dans les (•) Voyez : Conférence maritime tenue à Bruxelles pour l'adoption d'un sys- tème uniforme d'observations météorologiques à la mer, etc., 111-4»; Bruxelles, 1853, chez Hayez. Voyez aussi VHistoire des sciences mathématiques et physi- ques chez les Belges, pages 397 el suivantes. Bruxelles, in-8"; 1864, chez Hayez. — u — instruments, soit dans la manière de les observer. On arrê- terait ensuite quels résultats doivent être publiés et sous quelle forme il convient de les présenter pour les rendre comparables. Les gouvernements devraient intervenir dans une entre- prise d'une étendue aussi considérable. Le moyen le plus sûr d'écarter l'esprit de rivalité serait qu'ils fussent repré- sentés tous et qu'on discutât librement et sur le pied de l'égalité, dans une conférence qui aurait la plus stricte neu- tralité. Les conférences des nations s'écartent essentiellement par leur forme et par la nature de leurs travaux des aca- démies : elles s'organisent, avons-nous dit, pour suivre une même pensée et en réaliser l'exécution, et dès que le but est atteint, leur mission est remplie, elles ont cessé d'exister. C'était dans la prévision d'une réunion prochaine des offi- ciers des différentes marines et des savants des différents pays que M. Maury, avant la rupture du nord et du sud des États- Unis, écrivait à l'un de ses anciens collègues une lettre con- cernant le projet d'une nouvelle conférence internationale, pour étendre au globe entier le système des observations météorologiques adopté pour la mer{^). « La conférence, disait cet habile marin, recommandait un programme dans lequel étaient spécifiés tous les genres d'observation qu'exige la bonne conduite des vaisseaux. Ce plan a été encouragé par toutes les nations commerçantes et généralement adopté par les marins les plus intelligents naviguant sous les divers pavillons, de manière que la mer est maintenant couverte d'observatoires flottants, qui tous agissent de concert et qui observent avec un intérêt philosophique les phénomènes des vents et des ondes L'avantage d'avoir à terre des météo- rologistes, pour coopérer avec les navigateurs dont la con- (') Voyez ce [irojet dans les Bulletins de l'Académie royale de Belgique, ' « me IX, 2^ série, page 415, 1860. Lettre de M. Maury à M. Quelelel. — 26 - terence réclamait l'appui, est rendu si évident que tout progrès ultérieur de la science nnétéorologique demande absolument que ce système s'étende à la terre ('). » Au moment où se formait le congrès maritime, s'assem- blait, également à Bruxelles, un congrès formé par les diffé- rents États de l'Europe pour la classification et la coordi- nation de certains faits dont eux seuls possèdent en général les éléments; je veux parler de la statistique des nations. C'était pour la première fois que l'on voyait les gouverne- ments concourir entre eux, au moyen de délégués spéciaux, à la confection de travaux qui intéressent à la fois tous les peuples. Les deux réunions nationales, pour la marine et pour la statistique, eurent lieu à un mois de distance et dans la même yille. Toutefois à ce dernier congrès, on jugea à propos d'appeler également des statisticiens libres, afin de recueillir tous les suffrages : les gouvernements s'engagèrent à publier les volumes des documents produits el à faire ré- sumer tour à tour les principaux travaux entrepris dans ces assemblées, qui eurent lieu à deux ou trois années de dis- tance. Le congrès statistique, commencé en 1853, s'est jus- qu'à présent tenu successivement à Bruxelles, à Paris, à Vienne, à Londres et à Berlin : les gouvernements n'ont pas négligé de lui donner toute la splendeur qu'ils jugeaient nécessaire et de recevoir les membres effectifs comme des délégués des autres nations. La représentation était généra- lement confiée à l'un des ministres de chaque Etat, et, en (') On sait qiriiiie immense association se préparait au moment même où la guerre d'Amérique a suspendu tous ces travaux, qui méritaient, à tous égards, d'exciter l'attention [lublique par leur tendance à élaigir les liens de l'amitié et des sciences entre les différentes nations. M. Maury a l'ait paraître successivement neuf éditions de son ouvrage, qui a été traduit en plusieurs langues. Depuis, les malheurs de son pays ont sus- pendu la marche des sciences qui, d'ailleurs, n'est (|ue ralentie, il faut du moins l'espérer, dans une nation aussi énergique. - 26 - Angleterre, à l'excellent prince Albert, enlevé trop tôt aux sciences politiques ainsi qu'à sa nouvelle patrie. Au congrès de Londres, on sentit le besoin de réunir, avant la séance générale, les délégués des nations, pour con- venir des travaux qui pouvaient intéresser les peuples. On comprenait que les statistiques officielles forment un travail différent de celui des statistiques spéciales, où chaque auteur peut considérer sous son point de vue les documents dont il veut faire usage ('). Mais, pour une statistique officielle, les besoins sont les mêmes chez tous les peuples : ils doivent être réunis de la même manière et autant que possible en adoptant les mêmes divisions, les mêmes mesures, la même langue : ce n'était qu'en admettant une identité pareille que l'on pouvait parvenir à économiser un temps considé- rable aux statisticiens et aux hommes d'État : on leur évitait la peine de rechercher les documents de tous les pays et de comparer les nombres exprimes sous différentes unités et sous les formes les plus dissemblables. L'essai du travail fut décidé à la conférence de Londres. Chacun des délégués qui formaient le congrès des nations prit l'engagement de fournir un aperçu des travaux statisti- ques officiels qui s'opéraient dans son pays et celui d'en pré- senter les éléments numériques. Toutes ces données furent recueillies par un même pays, que désigna l'association pour (') Voici la dislinction <|irélal)lissait à cet égard l'un des délégués au congrès (le Londres : . 1794. Avant son entrée à l'Académie, M. De Vaux, aujourd'hui inspecteur général des mines, s'était également occupé de la solution d'un problème qui concernait ses travaux habi- tuels : il s'agissait de déterminer le mode le plus avantageux d'élever l'eau à des hauteurs de plus de cent mètres par le moyen de l'air atmosphérique. Il composa un travail sur ce sujet important, et par son Mémoire sur l'épuisement des eaux dans les mines, qui a été inséré dans le tome XII des Mémoires couronnés, année 4837, il remporta le prix du concours. On trouve encore plusieurs autres ouvrages de ce savant dans les Annales des mines, recueil intéressant que publie le ministère des travaux publics ('). N. I80G. M. Lamarle, professeur à l'Université et à l'École du génie civil de Gand, a publié, de son côté^ différents travaux qui ont été imprimés dans les Mémoires de l'Académie {^). Dans (') Il exisle actuellement 16 volumes in-S" de celle collection dont la publi- cation remonte à l'année 1843. (•) Les Mémoires de l'Académie contiennent de ce savant les travaux sui- — 57 — ses Notions fondamentales sur plusieurs points élémentaires de géométrie et de dynamique, il blâme, et avec raison, la tendance manifeste et peu raisonnée qui existe parfois à sim- plifier l'enseignement mathématique et à lui imprimer une marche plus rapide. « Considérée en elle-même, dit-il, cette tendance peut être légitime, et pourvu qu'on n'y sacrifie rien d'essentiel, elle mérite qu'on tente quelques efforts pour lui donner satisfaction. Tel est, en partie, l'objet du travail que je viens soumettre au lecteur. » On conçoit que l'objet que se propose M. Lamarle est, en effet, d'une grande impor- tance, surtout dans sa position de professeur, car rien ne tend plus à donner le goût et l'aptitude à des études approfon- dies que des explications nettes et précises des vérités ma- thématiques. On doit, dans l'enseignement, avoir soin de combattre ces démonstrations insuffisantes qui conduisent souvent, sans qu'on s'en aperçoive, sur le terrain de l'ab- surde. On voit, par les travaux de M. Lamarle, qu'il aime à se placer dans la voie qu'affectait Newton, et qu'il se plaît principalement à faire sentir, par de simples constructions géométriques, les vérités qui n| sont que trop souvent ca- chées sous des formules embarrassantes. On a tort, croyons- nous, de faire peu de cas de la méthode géométrique, même au sortir du beau siècle où l'analyse a produit des progrès si brillants ; on doit reconnaître ses avantages en s'appuyant sur le jugement même de Newton, du savant qui lui a fait faire les pas les plus assurés. L'analyse, sans doute, marche généralement en avant et fait les plus heureuses con- quêtes; mais la géométrie lui vient en aide comme un auxi- vanls : Emploi de V infini dans l'enseignement des mathématiques élémentai- res, l. XXVII, \n-A", (les Mémoires de V Académie. Récréation mathématique.— Sohn\oti d'un coup sini;ulier du jeu de dames, 76/rf. Étude approfondie sur deux équations fondamentales, t. XXIX. Notions fondamentales sur plusieurs points élémentaires de géométrie, de dynamique, etc., t. XXX. — 58 - liaire inséparable qui aplanit les terrains conquis, y répand facilement ses lumières et sait, dans bien des cas, prendre lar- gement sa part sur les terrains nouveaux dont il s'agit de ga- rantir la possession. C'est voir incomplètement la marche de ces deux sciences que de vouloir anéantir l'une pour suivre uniquement l'autre : toutes deux ont leurs avantages réci- proques, et un esprit éclairé sait les apprécier et les suivre. L'analyse mathématique et l'application qu'on peut en faire ont beaucoup occupé les jeunes mathématiciens dans ces derniers temps : dans leur nombre, nous nous plaisons à citer M. Smith, l'un des professeurs à l'Université de Bruxelles; nous indiquerons aussi différents mémoires qui ont été présentés à l'Académie par MM. Folie, répétiteur à l'École des mines de Liège, et ceux de MM. Vander Mens- brugghe et Delbœuf, attachés à l'Université de Gand. 11 a paru, à Bruxelles, en 1849, sous le titre d'Encyclopé- die populaire, une série de traités sur les différentes par- ties des sciences, des lettres et des beaux-arts : cette création nouvelle était dirigée par un homme intelligent qui chercha à en faire bien moins une spéculation commerciale qu'une entreprise utile à laquelle il pût intéresser ses lecteurs. La plupart des écrivains du pays aidèrent à cette publication, et ce qui prouve le mieux son utilité, c'est que plusieurs de ces traités ont été accueillis avec plus de faveur encore à l'étranger qu'à l'intérieur du royaume; quelques-uns mémo reçurent deux ou trois éditions successives (*). (') Voici ceux des ouvrages scientifiques de l'Encyclopédie de M. A. Jamai- qui concernent plus spécialement l'objet de nos études. Plusieurs autres, qui avaient été annoncés, n'ont pas été publiés ensuite : Principes de la science du calcul, par Ed. Mailly. Notions de la mécanique générale, par Lefrançois. Physique, par J. Plateau et Ad. Quelelet. (Cet ouvrage, en trois volunnes, a été publié presque entièrement par M. Plateau.) astronomie et Théorie des probabilités, par Ad. Quetelet. Physique du globe et météorologie. — Règles de climatologie, par J .-H. Houzeau . - 59 - Parmi les savants qui s'intéressèrent à ce travail, M. Le- françois, professeur à Gand, qui venait d'être couronné par l'Académie royale, pour la Solution d'un problème de calcul intégral ('), s'occupa spécialement de la mécanique géné- rale; M. Mailly, connu par divers écrits et par la discussion des observations sur la hauteur des marées en Belgique, fai- sant suite à l'ouvrage anglais de MM. Whewell et Lubbock sur ce point important, donna un exposé des Principes de la science du calcul, science dont il s'était spécialement occupé ; M. Plateau composa, sur la physique, un traité qu'il n'acheva pas entièrement, mais qu'on pourrait placer, pour la clarté, à côté des élégants ouvrages d'Euler et assimiler à ses Lettres à une princesse d'Allemagne; M. A. Brialmont, dans une série d'écrits pleins de savoir et d'élégance, présenta un précis intéressant de l'art militaire qui servit de prélude aux ouvrages qu'il a publiés depuis. Le vénérable M. D'Omalius ne dédaigna pas non plus, malgré son grand âge, de prendre part à ce travail, et il pu- blia un excellent manuel de géologie et de minéralogie ('). M. Houzeau, de son côté, s'occupa de la physique du globe ('); et M. Gh. De Brouckere, malgré ses travaux admi- nistratifs comme bourgmestre de Bruxelles, sut trouver le Éléments de géographie et de topographie, par J. Liagre. Précis d'art militaire, par A. Brialmont. Économie politique, par Ch. De Brouckere. Géologie et minéralogie, par D'Omalius d'Halloy. Anatomie, par Van Beneden. Physiologie, par Gluge. (') Mémoires couronnés, lome XXII, année 1846 à 1847. {') En 1862, il a paru une nouvelle édilion de l'ouvrage de M. D'Omalius sous le litre : Abrégé de Géologie, in-8» : c'est la septième; elle a continué à mériter un grand succès dans le monde savant et elle a placé son auteur parmi les géolo- gues les plus illustres de celte époque. On doit à ce savant encore plusieurs autres ouvrages sur les sciences, et en particulier des recherches sur la grandeur de la population du globe. (') M. Houzeau a produit différents ouvrages et entre autres les deux sui- - 60 - temps nécessaire pour répandre les principes de l'économie politique, science qui avait particulièrement attiré son atten- tion.D'une autre part, MM. Van Beneden, Gluge, Spring, Fallot, Burggraeve, donnèrent tous leurs soins à l'anatomic et à la physiologie, pour tâcher de placer ce recueil à la hauteur convenable. Il nous est impossible de suivre tous les détails de celte grande entreprise et d'énumérer les tra- vaux qui furent exécutés avec succès dans les différentes parties. Cependant nous avons cru ne pas devoir lui re- fuser notre attention, pour mieux éclairer l'entrée de l'édi- fice dont nous tenions à faire connaître l'ensemble. On a pu voir, dans V Histoire des sciences mathématiques et physiques chez les Belges, les essais qui ont été succes- sivement faits pour obtenir une carte exacte du sol de la Belgique, et apprécier les causes qui ont porté chaque fois obstacle à son achèvement. Dans ces derniers temps, des travaux nouveaux ont été entrepris par le gouvernement et N. 1804. ont été exécutés par M. le général Nerenburger-et par le nombreux personnel qui opérait sous ses ordres. Espérons que le passage récent de cet officier supérieur à l'École mi- litaire ne suspendra que provisoirement ces travaux géodé- siques, et que nous verrons conduire à bonne fin celle carie importante qui manque encore à notre royaume (M. Si nous avions à parler des ouvrages qui ont rapport au service des armes, nous devrions citer avec élosje un srrand vaiils, (|ui paiiiieni dans les Mémoires de V Académie royale de Belgique : Sur les étoiles filantes périodiques du mois d'aoïU, t. XVIII, If/émoires cou- ronnéSf 1845. Méthode pour éliminer simultanément la latitude, la longitude, l'heure et l'azimut, par des passages observés par deux verticaux; t. XXV, Mémoires couronnés ; 1834. {') En parlanl (le la géodésie, nons ne devons pas ometlie de citer l'élahlisse- menl géographique de M. Vandermaelen. Bien (|ue formé sous le rapport com- mercial, il prend sa source dans le désir de pouvoir répondre à la t'ois au besoin du commerce et de la science. — 61 — nombre d'écrits produits par notre École militaire, qui mé- rite de figurer parmi les institutions les plus belles que ren- ferme notre pays, M. Arago, en visitant la Belgique, en 1839, prit plaisir à l'examiner avec détail et à interroger les jeunes gens sur les résultats de leurs études; il ajoutait même que cette école rivalisait dignement avec l'École polytechnique de France; et le jugement porté par la courtoisie ne fut, du reste, pas démenti par les résultats des examens de trois jeunes officiers belges qui furent envoyés, plus tard, à l'École d'application de la marine française, et auxquels le con- cours assigna un rang distingué. Plusieurs professeurs de l'École militaire belge sont con- nus par des ouvrages scientifiques que nous avons eu occa- sion de citer déjà. On doit distinguer dans leur nombre le major Fallot, qui est auteur d'un excellent Cours d'art mi- litaire; ce traité a été revu et augmenté par son gendre, le colonel Lagrange, officier d'un grand mérite à qui l'on doit plusieurs autres écrits et que le monde savant vient de perdre. J'en dirai autant du Cours de construction qui était professé à l'École militaire par M. A. Demanet, colonel du génie, et qui se compose de deux volumes in-8° avec un atlas. Ce qui prouve surtout en faveur de cette institution, c'est le grand nombre d'officiers de mérite qui y ont achevé leurs études et qui se sont distingués successivement dans les diverses bran- ches de leur service par des travaux spéciaux qui témoignent de leurs talents. Je citerai en particulier : i° le Traité descriptif et raisonné des constructions hydrauliques à la mer et dans les eaux courantes, avec application aux tra- vaux militaires^ par M. E. Roffiaen, capitaine du génie, 3 volumes in-8°, Bruxelles, 1863 (*); 2° Electricité et magnétisme sur le globe terrestre, par M. R. Briick, capi- (') La science vient de perdre également ce jenne officier, vers le milieu d'oc- tobre 1863. — H2 — laine du génie, 4 vol. in-8% Bruxelles, 1851-1858 ; 3° Des Substances militaires, de leur qualité, de leur falsification, par M. J. Squillier, capitaine du génie, 1 vol. in-S»; An- vers, 1858. On doit, d'une autre part^ à M. le major Brial- mont ditTérents ouvrages sur l'art militaire et sur la vie de lord Wellington, qui ont également obtenu, dans ces derniers temps, un succès mérité. Je dois citer encore plusieurs des officiers déjà mentionnés précédemment et en particulier : MM. le major Liagre, directeur des études à l'Ecole mili- taire ('); Vinchent, directeur du service télégraphique; Hi- ver, directeur d'une exploitation dans le midi de la France; Blondiau, auteur de divers ouvrages géométriques; Ernest Quetelet, actuellement astronome à l'Observatoire et qui, depuis dix ans, s'occupe d'un catalogue étendu d'étoiles à mouvement propre qui ne lardera pas à paraître, etc. Il convient de rapporter aussi aux sciences mathématiques et physiques les travaux nombreux qui ont été faits en Belgi- que pour perfectionner la théorie de la ballistique, et parti- culièrement pour régler la justesse du tir. M. le général Bor- mans fut un des premiers à entreprendre des essais à cet égard : MM. le colonel Leurs, le major Navez, le lieutenant Boulengé, ont essayé, par leurs efforts heureux, de donner ih nouveaux développements à la théorie et de régulariser de plus en plus la marche des projectiles. Tout récemment ( ) Les Mémoires de l'Académie renferment de lui différents écrits qui se ia|ii»ortent, il est vrai, moins à des sujets nouveaux qu'à l'emploi de certains instruments ou de certaines méthodes de calcul. Ces écrits sont : Sur les corrections de la lunette méridienne, l. XVIII des Mémoires des savants étrangers; 1845. Sur la détermination de l'heure, de la latitude et de l'azimut au moyen des doubles passages d'une étoile par différents verticaux, t. XXIII, Mém. des savants étrangers; 1850. Problème des crépuscules, t. XXX, Mémoires des savants étrangers; 1857. De l'influence des phases lunaires sur la pression atmosphérique, t. XXX, Mém.: 1857. — 63 — encore, M. Coquilhat, lieutenant-colonel d'artillerie, a fait paraître un travail d'un grand intérêt sur les Percussions initiales produites sur les affûts dans le tir des bouches à feu ('). Les études historiques eurent des représentants non moins actifs dans l'armée : nous citerons en particulier le général Renard, qui a su se faire un nom par ses savantes recherches (^), de même que le général Guillaume. Les mathématiques ont généralement servi d'armure com- plète quand il s'est agi de conquérir le terrain de l'astrono- mie et de prendre la position qui convenait à cette science. Pendant longtemps, on s'était borné à l'étude des faits et on avait tâché de les enregistrer avec le plus d'ordre possible; mais quand, après avoir vu et observé les phénomènes cé- lestes^ on a senti le besoin de les expliquer et d'étudier la nature et les lois des forces qui les produisent, on a égale- ment compris la nécessité de recourir aux sciences mathé- matiques : la mécanique céleste est devenue, dès lors, la science la plus belle et la plus complète que le génie humain ait conçue. En moins de deux siècles, on vit se former et se développer ce magnifique monument. L'astronomie aujour- d'hui, par son importance et son étendue, se divise en deux parties principales : celle de l'observation et celle des lois mathématiques. Cette division se remarque en général dans toutes les sciences qui ont pris leur développement com- plet. Déjà, pendant notre union avec la Hollande, le gouver- nement avait ordonné la construction d'un observatoire et l'avait fourni des instruments dus aux premiers mécaniciens de cette époque. On a pu voir, dans V Histoire des sciences (') Un volume in-4'', avec planches; Liège, chez H. Dessain, imprimeur- libraire; 1863. {') Bulletin polilique et niHilaire de In Belgique, 1 vol. in-8"; Bruxelles, 1847. — u — mathématiques et physiques chez les Belges, tout ce qui se r^ipporte à la construction de cet établissement et aux instru- ments qui le composent. Nous nous bornerons ici à rappe- ler, en quelques mots, quels sont ses principaux travaux pour l'astronomie. Les premiers eurent naturellement pour objet la détermination des éléments géodésiques de l'établis- sement : la latitude fut déterminée par différentes méthodes, mais plus spécialement au moyen du cercle méridien de Troughton etSimms. La longitude fut également estimée par rapport à différents observatoires, soit par l'observation méridienne des étoiles de même déclinaison que la lune, soit par les éclipses, soit par le transport des chronomètres, soit enfin par la méthode plus précise des télégraphes élec- triques. Cette dernière épreuve fut faite par Bruxelles, avec Greenwich.et avec Berlin, pendant les années 1853 et 1857, et par le concours de deux des astronomes les plus habiles^ MM. Airy et Encke, qui échangèrent successivement deux de leurs principaux assistants, MM. Dunkin et Br-uhns, avec MM. Bouvy et Ernest Quetelet ('). Dès l'origine de l'Observatoire, on avait commencé un tra- vail qui fut interrompu plusieurs fois pour des ouvrages spéciaux faits dans ce pays sur la météorologie et la physique du globe, dont nous parlerons bientôt. Mais le travail sur les étoiles à mouvement propre fut repris avec plus d'activité et d'une manière continue à partir de 1835, par M. Ernest Quetelet, qui en a publié un spécimen dans le tome XXXIV (') Ces deux opérations imporlanles donnèienl lieu à deux mémoires ; le pre- miei', par M. Aiiy, directeur de rOhservaloire de Greenwich, parut dans le lome XXIV des Mémoires de la Société royale astronomique de Londres, sous le litre de ; On tlie différence of longitude between the Observatories ofBrussels and Greenwich, Londres, 1855, brochure in-^", -53 pages; et le second, de M. Encke, fut imprimé dans les Mémoires de l'Académie royale de Berlin, année 1858, in-4° : la traduction en a paru dans le tome XIII des Annales de l'Observatoire de Bruxelles, 1861 ; il renferme .54 pages in-4». - 65 — des Mémoires de l'Académie pour 1864 (*). « Bruxelles a déjà fourni deux catalogues d'étoiles, dit l'auteur, ayant pour but principal la détermination des mouvements propres. L'un, qui date de vingt-cinq années, est publié; l'autre est encore entre les mains des calculateurs. Le troisième cata- logue, en cours d'exécution, a été conçu sur un plan plus vaste : il a pour objet la révision de tous les mouvements qui atteignent la grandeur d'un dixième de seconde d'arc par an, et de plus l'observation des étoiles des anciens catalogues qui n'ont pas été réobservées jusqu'ici par les astronomes moder- nes. Ce travail, commencé en 1857, se poursuit activement. Sept mille étoiles sont déjà en observation, dont trois mille peuvent être regardées comme convenablement détermi- nées {^). » Les travaux de météorologie et de physique du globe pri- rent d'abord un développement très-grand, et occupèrent, pendant un temps assez long, la première place dans les tra- vaux de l'Observatoire, parce que notre pays ne possédait à peu près rien sur ce sujet. Non-seulement il fallut tâcher d'ob- tenir avec exactitude ces éléments pour Bruxelles, considérée comme point central, mais encore les déterminer pour les stations les plus importantes du pays. Près de trente années (') Les publicalions de M. Ernest Quelelet, dans les Mémoires de V Académie , sont les suivantes : Recherches sur les médianes, t. XXV des Mém. cour.; années 1851 à 1853. Mémoire sur les foyers, t. XXVI, des Mém. cour.; année 1855. Essai sur le mouvement propre en ascension droite de quelques étoiles, t. XXXII des Mémoires; 1861 . Sur le mouvement propre de quelques étoiles, t. XXXIV des Mémoires; 1864. M. Ernest Quelelet quilla le génie militaire dont il était lleulenanl, pour passer, en 1855, comme aide, à l'Observatoire royal de Bruxelles. Pendant les dix années qui suivirent, il s'est spécialement occupé d'un catalogue des étoiles à mouvement propre, qui ne tardera pas à paraître. (') Toutes les observations des ascensions droites sont faites par M. Ernest Que- lelet; il partage, de plus, l'observation au cercle mural avec M. Hooreman, et les calculs de réduction avec M. Mailly. N. «825. — 66 — furent employées à ce soin. Le gouvernement et l'Académie voulurent bien activer ces travaux par tous les moyens qui dépendaient d'eux. Grâce à ce concours et au soin de plu- sieurs de nos physiciens les plus habiles, qui consentirent à nous aider de leur coopération ('), la Belgique se trouve aujourd'hui dans la situation la plus favorable. Pendant six à sept ans, les travaux horaires de la météoro- logie et de la physique du globe exigèrent des soins extra- ordinaires ; il fallut, par conséquent, recourir au gouverne- ment et au zèle des amis des sciences pour obtenir les obser- vations pénibles qui restaient à faire (^). Depuis un quart de siècle, les recherches sur les épo- ques principales des plantes, telles que la floraison, la feuil- laison, la maturité des fruits et la défloraison, ainsi que sur les phénomènes du règne animal , se font avec une grande régularité pour toute la Belgique, et, en général, pour plu- sieurs stations étrangères : elles sont consignées annuel- lement dans les Mémoires de l'Académie royale (^). Elles ont été développées avec quelque détail dans le volume que l'Observatoire a publié récemment sous le titre de Physique du globe. On a proposé d'ajouter à ces différentes recherches une partie non moins intéressante qui complète l'ensemble de ces travaux : c'est le tableau de la végétation et du règne (') Nous rappellerons ici avec une vérilaMe reconnaissance les noms de ces habiles physiciens : MM. Crahay, à Loiivain; Duprez, à Gand ; DewaUiiie, à Sla- velol; Leciercq, à Liège; Monligny, à Namiir; Maas, à Alosi, puis à Namnr; Germain, à Baslogne; Van Oyen, à Saint-Troiitl ; Parent, à WalefTe; l.oppens, à Arlon; Parent et Cavalier, à Ostende, etc. (') Nous devons particulièrement remercier MM. Uoiivard, Pellier, Herschel, Wheatsloue, Haidinger, de Martius, Hansteen, f,amont, Herrick, Newton, etc., |)onr l'obligeance avec laquelle ils ont bien voulu seconder les travaux spéciaux de l'Observatoire. (^) Voici les ouvrages i|ue l'Académie a insérés snccesivemcnt dans ses Mé- moires : Recherches sur r intensité magnétique de différents lieux de l'Allemagne et des Pnys-Rns (?Iém.. t. Yl); id. en Suisse et en /dilif ( Vém.. I. VI). Ifagné- — «7 — animal, le 21 mars et le 21 avril, de même que de la chute des feuilles, le 21 octobre, quand arrive l'instant opposé à celui que l'on avait observé six à sept mois plus tôt ('). Le tome XXXIII des Mémoires académiques renferme un tra- vail qui résume en quelque sorte tous les travaux qui ont été faits sur ce sujet intéressant; depuis, on a vu paraître aussi des observations sur le même sujet par M. Fritsch, de Vienne, et par M. C. Linsser, aide à l'Observatoire impérial de Pulkova(^). Ces divers documents tendront à faire mieux comprendre le mode d'action qu'impriment aux plantes et aux animaux la température et la nature du climat, la lon- gueur des jours, l'espèce des terrains, l'humidité plus ou moins grande du sol, etc. Le magnétisme terrestre avait été si peu étudié en Belgique, que, malgré tous les soins mis à rechercher ce qui se faisait pour cette branche importante de la physique, on ne trouvait lisme à Bruxelles, 1827 à ]SZ9 {Mém., t. XII). Deuxième Mémoire sur le Ma- gnétisme en Italie [jVém., t. XIII). Sur la longitude de l'Observatoire de Bruxelles (Mém.. i. XXII). Sur la latitude de l'Observatoire de Bruxelles [Mém., t. X). Sur la différence des longitudes des Observatoires royaux de Greenwich et de Bruxelles {Mém., t. XVI). Catalogue des principales observations d'étoiles filantes {Mém., t. XII). Nouveau catalogue des principales apparitions d'étoiles filantes (Mém., l. XV). Sur les variations des températures de la terre (Mém., l. X). Sur les variations périodiques et non périodiques de In température à Bruxelles (Mém., l. XXVIII). (') Celle addilion aux phénomènes périodiques annuels a été faite dans les Mémoires de l'Académie; paiJVI. de Selys-Longchamps, à i»arlir de l'année 1849. Les deux volumes in-4'', Sur le climat de la Belgique, et le volume in-4», Sur la physique du globe, pul.liés par l'Observaloiie, ont paru successivement et ils complètent à peu piès les recherches qu'on pouvait espérer pour noire pays dans l'état actuel de la science. II s'agira maintenant de les réduire à leur forme la plus utile et la plus substantielle. (') Voir un aperçu que ces savants ont présenté de leurs recherches dans les Bulletins de V/fcadémie royale de Bruxelles, pour avril 180ri, pages ^m et suivantes. — 68 - pas même une seule observation pour Bruxelles, qui, cepen- dant, a été longtemps le siège d'une Académie impériale. Différents mémoires insérés dans les recueils (') permettent de croire qu'il est aujourd'hui peu de points en Europe dont les éléments magnétiques soient déterminés par un plus grand nombre d'observations : les vérifications faites par plusieurs physiciens distingués, MM. le général Sabine, Forbes, Rudberg, Lamont, Bâche de Philadelphie, Langberg de Christiania, Angstrôm, Mahmoud du Caire, etc., tendent à prouver que ces éléments ont toute la précision désirable. «: Le magnétisme terrestre est devenu un monde, disait Arago dans un rapport à l'Institut de France ; il faudra des siècles d'observations pour éclaircir les centaines de phéno- mènes qu'il embrasse déjà, pour les mesurer avec toute la précision requise et pour découvrir les lois qui les régissent. » De pareilles assertions doivent calmer un peu les inquié- tudes des personnes étrangères aux sciences, qui pourraient craindre que les fonctions des observateurs ne devinssent des sinécures. Depuis les années 1828 et 1829, on a observé annuelle- ment, à Bruxelles, l'état absolu de la déclinaison et de l'in- clinaison magnétique, de même que l'intensité horizontale et verticale de cette force. Des observations horaires ont été faites ensuite pendant la période de six à sept ans; on les continue encore d'une manière régulière quatre fois par jour. De plus, des observations absolues ont été recueillies sur plusieurs autres points du pays, et l'on peut en déduire des éléments pour rattacher la Belgique aux cartes magnéti- ques des pays voisins (^). (') Tomes VI, XII et XIII des Mémoires, et les Bulletins de l'académie. {') On Irouve les résultats de ces observations, pour chaque jour de l'année, dans les annales de l'Observatoire. Les résultats mensuels sont donnés, de plus, dans les Annuaires de l'Observatoire royal, et des cartes magnétiques pour la - 69 - II est une autre branche des sciences physiques qui mé- riterait peut-être un intérêt plus spécial, parce que les tra- vaux qui la concernent sont encore peu nombreux, et que les renseignements obtenus jusqu'à ce jour diffèrent telle- ment entre eux, que le physicien ne sait auxquels s'arrêter et semble, dans l'état actuel des choses, disposé à les rejeter et à repousser entièrement ce genre d'observations. Il se pré- sente, en effet, des difficultés très-grandes pour mesurer l'état habituel de l'électricité de l'air : nous avons eu l'occa- sion d'en parler plus haut (page H). Ces difficultés tiennent, croyons-nous, surtout au manque de précautions employées. D'après de longs travaux et d'habiles observations, M. Pol- tier, en France, était parvenu à reconnaître les principaux obstacles contre lesquels la plupart des physiciens ont jusqu'à présent échoué, sans en soupçonner les motifs. Lui-même, après de longs travaux, avait renoncé à observer l'électricité de l'air dans Paris, à cause des anomalies nombreuses que lui présentaient la hauteur des bâtiments et l'état de l'atmosphère. Son invincible ardeur pour la Belgique, en rapport avec les autres pays de l'Europe, ont été données dans les Mémoires de V Académie, tomes VI, XII, XIII. On a reconnu, dans ces derniers temps, qu'il existe à Bruxelles, pour la déclinaison magnétique, une variation ac- cidentelle par rapport aux points avoisinant la capitale. D'après un ancien instrument construit à Louvain, en 1568, la déclinaison magnétique était alors, dans celte ville, à 15 degrés environ à l'orient du méri- dien; et, d'après Kircher, elle était, à Anvers, vers 1600, à 9" 0' également à l'orient; mais M. Hansteen, dans son grand ouvrage sur le magnétisme, croit celte observation plus ancienne. Ces déterminations ont totalement manqué ensuite. L'abbé Mann, en 1773, observait que la déclinaison était occidentale à Nieuport et il l'estimait à 19» 50'. On n'a plus fait d'observations ensuite; mais il paraîtrait assez que l'aiguille, à Bruxelles comme à Paris, atteignait, vers 1815, son plus grand écart du méridien. Quand elle fut observée à l'Observatoire pour la première fois, en 1827, son écart du méridien, était de 22° 28', 8. Cet écart a l>rogressivement diminué depuis celle époque; et, le 9 avril 1864, il n'était que de 18° 49' 52". D'après M. Hansteen, sa valeur sera nulle vers 1924 ; ce qui don- nerait plus d'un siècle pour le retour de l'état maximum à zéro. (Voyez VHistoire des sciences, elc, pages 356 et 404, ainsi que l'ouvrage Sur la Physique du globe, page 1-34, 1 vol. in-4"; Bruxelles, 1861. — 70 — science, malgré son âge, le détermina à venir faire ses expériences sur une des tourelles de l'Observatoire de Bruxelles, qui n était dominée par aucun des bâtiments ni des arbres qui V entourent. Les succès qu'il obtint dépas- sèrent ses espérances, comme on peut le voir dans ses écrits publiés à ce sujet. Depuis 1844 jusqu'à ce jour, c'est-à- dire depuis plus de vingt ans, en usant de ses conseils et de son expérience, on a eu la constance d'observer l'état sta- tique et l'état dynamique de l'air, et les résultats annuels s'accordent avec une précision tout aussi remarquable que ceux du thermomètre ou du baromètre. Ainsi, pour ne citer que quelques exemples, la quantité d'électricité statique donnée en été, est dix à douze fois moins grande qu'en hiver; l'électricité est généralement positive et ne devient néga- tive qu'accidentellement , pendant les pluies ou dans leur voisinage. Durant les pluies orageuses l'électricité est consi- dérable et peut varier rapidement de l'état extrême positif à l'état contraire ('). Le même changement s'observe dans l'électricité dynamique, quoique ses variations soient faibles dans d'autres circonstances, et particulièrement pendant des jours sereins. Nous ne citons que quelques-uns des résultats de l'électro- mètre statique et de l'électromètre dynamique pour faire comprendre le désir que dut avoir l'Observatoire de Bruxelles (') Cet étal Wanomalie de i aiguille pendant les orages n'est point entré dans le calcul des moyennes, parce que ces charges considérables, soit positives, soit néga- tives, donnent des étals tout exceptionnels à l'inslrument. Prend-on les mêmes précautions à Kew et à Munich? nous l'ignorons. De là pouvaient provenir peut- être les différences que produisent les orages de Tété. Il nous a paru ((ue cet état de perturbation ne devait point être piis en considération dans le calcul des moyennes : c'était aussi la pensée de Peltier. Cet état ne se manifeste générale- ment que pendant quelques instants et pendant qu'éclate un orage : c'est une espèce d'anomalie dont il faut tenir compte, mais sous un autre rappoi t. Voyez les derniers volumes des Annales de l'Observatoire royal de Bruxelles, et VHistoire des sciences mathématiques et physiques, pages 409 et suiv. I vol. — 71 — de comparer ses valeurs observées à celles des autres obser- vatoires. Malheureusement le nombre en fut très-faible : Bruxelles ne put mettre en comparaison avec ses résultats que les valeurs des électromètres statiques de Kew et de Munich. Les maxima et minima de l'électricité tombèrent aux mêmes instants du jouretaux mêmes instants de l'année, mais les valeurs absolues étaient bien différentes pour ces mêmes époques. Afin de pouvoir faire la vérification des résultats avec plus d'assurance, M. Duprez, professeur à n««'J7- l'Athénée de Gand, a eu la complaisance, depuis 1855, d'observer de jour en jour, à l'heure de midi^ l'électricité statique de l'air, avec un des électromètres (fe Peltier com- paré à ceux de l'Observatoire. Ses observations, continuées avec la plus grande constance, ont produit des résultats semblables à-ceux de Bruxelles : les valeurs relatives étaient les mêmes ; mais les valeurs absolues étaient beaucoup plus faibles à Gand. Les nombres des degrés observés en janvier et en juin étaient, pour Bruxelles, 422 et 44; tandis que, pour Gand, ils étaient 85 et 8 seulement, c'est-à-dire en- viron respectivement cinq à six fois moindres; et il en a été de même pour les nombres correspondants des divers mois de l'année. Nous n'avons pu trouver d'autre explication à ces différences que dans la position des observateurs : à Bruxelles, le physicien est placé sur une tourelle qui domine tout ce qui l'environne ; et à Gand, il se trouve sur un toit, par lequel il est dominé ainsi que par une cheminée. On voit combien cet obstacle, léger en apparence, produit cependant d'effet sur les valeurs observées (*). Voici comment M. Duprez s'exprimait lui-même, après quatre années d'observations continues {^) : « Cet instrument (') Voyez les mêmes Annales, l. XIII, année 1861, et l'ouvrage Sur la phy- sique du fjlobe, [taiîe 107, chapitre De l'électricité de Pair. (') Voyez Histoire des sciences mathématiques et physiques^ page 4l!2. - 72 — (réleclromèlre de Pellier) est placé sur une tablette qui est fixée à i mètre 3 décimètres au-dessus de la base d'une ou- verture rectangulaire, pratiquée dans un toit dont la pente est telle, que la hauteur du sommet est à cinq mètres au-dessus de cette base horizontale, dont la longueur est de six mètres ; ce même toit est surmonté d'une cheminée d'environ un mètre de hauteur. Aucun autre objet environnant ne domine la tablette; et celle-ci est élevée de 10 mètres 8 décimètres au-dessus du niveau du sol. Il résulte de cette disposition que l'électricité atmosphérique n'agit point librement sur l'électromètre et que, par conséquent, les nombres obtenus sont trop petits : aussi ne faut-il considérer que les valeurs relatives de ces derniers. » Nous donnons ici les nombres recueillis à Bruxelles de 184-5 à 1851, et ceux des trois autres localités, Gand, Kew et Munich. Pour permettre les comparaisons, les valeurs, dans chaque station, sont réduites en prenant pour unitr la valeur moyenne d'un mois de l'année. Nombres proportionnels de l'électricité statique. MOIS. BRUXELLES. 1845-1851. GAND- 1855-1858. KEW 1845-1847. MUNICH. 1850-1851. Janvier 2,82 1,81 0,92 0,57 0,44 0,22 0,25 0,54 0,40 0,76 1,25 2,24 2,21 1,56 0,93 0,34 0,21 0,26 0,95 0,34 0,51 0,78 2,31 1 82 2.40 2,55 0,76 0,54 0,55 0,35 0,42 0,38 0,41 0,85 1 ,34 1,65 1,48 1,39 1.21 0,71 0,60 0,72 0,73 0,71 0,66 0,83 1,28 1,68 lévrier ... Miirs .Avril. . . Mai Juillet Aoùl Septembre Octobre Novembre Décembre 12,00 12,00 12,00 12,00 — 73 — Les observations de Bruxelles et de Gand sont encore continuées aujourd'hui, et confirment les mêmes différences : les deux appareils employés sont exactement les mêmes. L'appareil de Munich était aussi un électromètre de Peltier, mais surmonté d'une petite boule n'ayant qu'un centimètre de diamètre, tandis gue les appareils de Gand et de Bruxelles ont des boules d'un diamètre dix fois plus grand. L'appareil de Kew était l'ancien appareil de Saussure ('). Quant aux effets dynamiques, nous ne connaissons pas d'observations imprimées auxquelles nous puissions recourir pour en comparer les résultais avec les nôtres : cependant elles méritent l'attention la plus grande. Nous croyons que, pour les étudier avec fruil,il faut nécessairement deux instruments, l'un qui permette d'observer les petites déviations périodi- ques pendant la journée, et l'autre qui aide à mesurer les déviations extraordinaires, produites pendant les orages. (') Avant de se servir de réleclromètie, il est une aulie précaiilion à laquelle il faut prêter l'attention la pins grande, car c'est d'elle que doivent dépendre la comparabilité des instruments, à différentes époques, et la valeur absolue des degrés observés : il faut à un bâton de cire (toujours le même) donner le plus d'électricité possible, puis le mettre pendant un instant en contact avec la boule de l'électromètre. Quand l'instrument est en bon élat et sulTisamment sec pour fonctionner convenablement, on voit dévier l'aiguille d'une quantité générale- ment la même. Dans notre appareil, l'aiguille dévie de 82 à 83 degrés : c'est son écart maximum. Il faudrait une force infinie pour écarter l'aiguille jusqu'à 90°. Après avoir acquis ainsi la certitude que tout est dans le même ordre, l'expé- rience peut être faite avec sûreté. On conçoit sans peine qu'il faut une table spé- ciale pour chaque électromètre et que les degrés ne sont pas immédiatement com- parables entre eux. Quand l'aiguille, par exemple, s'écarte de sa position d'équi- libre de 40 degrés, sa charge est plus que double de celle qu'elle aurait dans la jiosilion où elle n'indiquerait que 20 degrés : la théorie des forces le montre sulTi- samment. Les degrés réels s'écartent des degrés observés dans un rapport qu'on peut déterminer soit par le calcul, soit par l'expérience. Il faut que chaque observateur ait eu soin de déterminer sa table de réduction, avant de se livrer à de semblables observations. Nous avons donné la description de l'instrument et des différents calculs à faire dans notre ouvrage : Sur le climat de la Belgique, 3« partie, chapitre De V Électricité de Vair, 1" volume, pages 4 et suivantes, in-4»; 1849. - 74 — Nous avons déjà fait remarquer que ce n'est, généralement, que pendant les pluies et les orages que l'on observe l'élec- tricité négative; hors de ces causes accidentelles, l'élec- tricité demeure positive. Pendant que le tonnerre se fait en- tendre, on voit l'électricité de l'air varier de l'état positif à l'état négatif; et, dans ses termes extrêmes, l'aiguille, avec la rapidité la plus grande et en moins d'une minute, passe du point extrême maximvm au point extrême minimum ('). Nous sommes loin encore de connaître les causes qui produi- sent ces grands phénomènes de la physique du globe. Ce que nous avons de mieux à faire, dans l'état actuel des cho- ses, c'est de constater soigneusement les faits, en attendant, que nous puissions mieux apprécier les forces qui les font naitre. Si des grands phénomènes de la nature nous descendons à ceux qui se produisent sur une échelle moindre, nous y rencontrons des sujets qui ne sont pas moins dignes de fixer notre admiration. En parlant des êtres microscopiques qui habitent les plantes, l'auteur des Etudes de la Nature a dit : « Une goutte de rosée qui filtre dans les tuyaux capillaires et diaphanes d'une plante, leur présente des milliers de jets d'eau ; fixée en boule à l'extrémité d'un de ses poils, un océan sans rivage ; évaporée dans l'air, une mer aérienne. Ils doivent donc voir les fluides monter au lieu de descendre; se mettre en rond au lieu de se mettre de niveau ; s'élever en l'air au lieu de tomber.... Ils ont une autre chronologie que la nôtre, comme ils ont une autre hydraulique. » >. iM.li. C'est celte hydraulique dont M. Plateau est parvenu à rendre sensibles les phénomènes les plus délicats, en les produisant sur une grande échelle. 11 a été conduit à ces résultats remarquables en partant d'une idée aussi simple (') Voyez le cliapilre II de l'ouvrage : Sur la physique du globe, publié en 1861, pages 61 à 124, in-4o; Biuxelles. - 75 - qu'ingénieuse. 11 a l'ail voir qu'il était toujours possible de soustraire une masse liquide à l'action de la pesanteur, et d'opérer sur elle comme si notre globe étyit anéanti, comme si nous nous trouvions isolés dans les espaces planétaires en présence de la masse liquide soumise à l'expérience. Nous voyons alors cette masse se disposer en globe, ou se mettre en rond, au lieu de se mettre de niveau, pour me servir des expressions de Bernardin de Saint-Pierre. Les phénomènes capillaires subissent à leur tour les transformations les plus curieuses : ce qui n'était appréciable que par le calcul se montre avec toute évidence à l'œil de l'observateur; et l'ex- périence vient prêter ainsi à la théorie un appui inespéré jusqu'alors. Combien l'auteur des Etudes de la Nature eût été émerveillé, en voyant des lames liquides s'étendre et s'amincir au gré de l'expérimentateur, se placer sous toutes les inclinaisons, s'entrecouper et donner lieu aux figures les plus régulières, aux formes les plus inattendues. Tous ces phénomènes si curieux ne sont pas seulement des déduc- tions ingénieuses d'un principe d'hydrostatique dont on n'avait pas tenu compte jusque-là, ce sont encore des expé- riences du plus haut intérêt pour différentes branches de la physique ('). En parlant des travaux faits en Belgique avant 1830, nous avons eu l'occasion de citer les nombreuses expériences que M. Plateau avait exposées sur les phénomènes lumineux, soit dans les Mémoires et les Bulletins de l'Académie de Belgique, soit dans la Correspondance ^yiathématique et physique de Bruxelles. Ses recherches ingénieuses sur l'optique annon- çaient dès lors un des hommes les plus habiles dans cette partie délicate des sciences physiques. Plein de ses idées fé- condes, il ne s'aperçut malheureusement pas qu'il abusait (') Page Ô57 de V Histoire des sciences mathématiques et physiques. — 76 — de cet organe précieux, qui prétait tant de charmes à ses curieuses expériences : il finit par perdre la vue ; mais sa force intellectuelle, sans souffrir de cette perte dou- loureuse, lui donna en quelque sorte une force nouvelle pour continuer ses travaux : ses recherches ne furent ni moins nombreuses ni moins remarquables. 11 publia suc- cessivement différents écrits qui fixèrent sa place parmi les physiciens les plus méritants qui se sont occupés des phénomènes de la vision. Il donna, dans les Mémoires de l'Académie royale de Bruxelles, l'essai d'une théorie géné- rale comprenant l'ensemble des apparences visuelles qui succèdent à la contemplation des objets colorés, et de celles, qui accompagnent cette contemplation, c'est-à-dire la per- sistance des impressions de la rétine, les couleurs acciden- telles, l'irradiation, les effets de la juxtaposition des cou- leurs, les ombres colorées, etc. (t. YIII, 1834), et un mémoire sur l'irradiation (t. XI, 1839), dans lequel il s'est proposé de faire disparaître les incertitudes qui régnent encore au- jourd'hui parmi les astronomes et les physiciens sur l'exis- tence même de l'irradiation, et de substituer aux notions vagues que l'on possède maintenant des idées plus précises sur la cause du phénomène, sur l'influence qu'il peut exercer dans les observations astronomiques et sur les lois qui le régissent. Ce qui caractérise surtout les écrits de M. Plateau, indépendamment du mérite de ses travaux scientifiques, c'est cette extrême netteté d'aperçus, cette grande précision de langage qui peuvent servir de modèle à bien des écrivains qui suivent avec plus ou moins de succès la carrière des sciences. Ses écrits sur l'optique, et particulièrement ses idées sur leur théorie, ont rencontré sans doute des opposants parmi les hommes les plus exercés dans les connaissances scientifiques; il suffirait de nommer Arago et Brewster pour le prouver; mais tous se sont accordés à reconnaître l'élégance et la nou- — 77 — veauté de ses recherches et à citer même ses écrits parmi les plus remarquables qu'ait produits l'optique moderne. Ce n'est pas seulement dans cette branche intéressante des sciences physiques que M. Plateau s'est placé sur une ligne avancée parmi les physiciens modernes, il ne s'est pas fait moins remarquer par ses ingénieux travaux sur les phéno- mènes que présente une masse liquide libre et soustraite à l'action de la pesanteur. Voici principalement le point de vue très-simple d'où l'au- teur est parti et d'où il a déduit les résultats remarquables aux- quels il est successivement parvenu par plus de vingt années d'études constantes (') : « Les liquides étant doués d'une ex- trême mobilité moléculaire, ils obéissent avec facilité à l'action des forces qui tendent à modifier leur forme extérieure. Mais parmi ces forces, il en est une qui prédomine tellement sur toutes les autres qu'elle en masque presque complètement l'action : cette force est la pesanteur. C'est elle qui oblige les liquides à se mouler sur la forme intérieure des vases qui les renferment; c'est elle encore qui rend plane et horizon- tale la portion de leur surface demeurée libre. A peine peut-on reconnaître, le long du contour de cette surface libre, une légère courbure qui révèle l'action des forces com- binées de l'attraction du liquide pour lui-môme et de son adhérence pour la matière solide du vase. Ce n'est qu'en observant des masses liquides très-petites, et sur lesquelles l'action relative de la pesanteur est ainsi atténuée, qu'on peut voir se manifester d'une manière bien prononcée l'influence d'autres forces sur la figure de ces masses : ainsi les goutte- (') Pendant ce long espace, il n'a cessé de s'occuper d'une série de phéno- mènes relatifs à la capillarité, et dans une continuité de travaux qui ont donné lieu à sept mémoires, dont cinq sont déjà insérés dans les recueils tie l'Académie de Bruxelles, il a présenté une succession d'expériences curieuses sur la capilla- rité. Voyez tomes XVI, 1843; XXIII, 1849; XXX, 1857 ; XXXI, 1859; XXXIII, 1861 des Mémoires de l'Académie. — "S — lettes de liquide posées sur des surfaces qu'elles ne peuvent mouiller, s'arrondissent en sphères plus ou moins parfaites. A part ces qualités minimes, si l'on veut observer des masses liquides qui ont pris librement une figure propre, il faut quitter la terre, ou plutôt considérer le globe terrestre lui-même et les autres planètes comme ayant été primitivement fluides et ayant adapté leur forme extérieure à l'action combinée de l'attraction et de la force centrifuge. Alors la théorie in- dique que ces masses ont dû prendre la forme de sphéroïdes plus ou moins aplatis dans le sens de leur axe de rotation, et l'observation confirme ces déductions de la théorie. L'ob- servalion nous montre aussi, autour de Saturne, un corps de forme annulaire, et la théorie trouve, dans les actions com- binées de l'attraction et de la force centrifuge de quoi satis- faire à l'équilibre de celte forme singulière. Mais si nous pouvions, par un moyen quelconque, soustraire à l'action de la pesanteur l'une de ces masses liquides sur lesquelles il nous est donné d'opérer, tout en la laissant libre d'obéir à l'action des autres forces qui tendraient à en modifier la forme, et si notre procédé permettait de donner à celte masse des dimensions assez considérables, ne serait-il pas bien cu- rieux de lui voir prendre une figure déterminée et de voir cette figure varier de mille manières avec les forces dont elle dépend? Or, je suis parvenu, en effet, par un moyen extrê- mement simple, à constituer, dans les conditions ci-dessus, une masse liquide considérable. « Dans ce premier travail, l'auteur montre, en effet, le moyen de parvenir, par un mé- canisme très-simple, à étudier en grand les phénomènes de capillarité et d'équilibre qu'on n'étudiait avant lui qu'avec des difficultés extrêmes : ses expériences sont aussi simples qu'ingénieuses. Dans les Mémoires qui ont suivi ce premier ouvrage, l'auteur continue à développer ses idées : il n'a pas rompu - 79 - avec ses premiers travaux : on le voit, chaque fois que ses expériences le lui permettent, rattacher à ses prin- cipes les phénomènes curieux de l'optique et de la symé- trie des corps. « Dans la deuxième et la quatrième série de ce travail , dit-il en commençant son cinquième mé- moire, j'ai appliqué mon procédé de l'immersion d'une masse liquide dans un autre liquide de même densité et avec lequel elle ne peut se mêler, à la réalisation d'une partie des figures d'équilibre en nombre infini qui appar- tiennent à une masse liquide supposée sans pesanteur et à l'état de repos. Dans la série actuelle, j'indiquerai un pro- cédé tout différent, bien plus simple et plus commode, qui permet d'atteindre le même but, et j'exposerai une partie des nombreuses conséquences que m'ont fournies son emploi et les principes théoriques sur lesquels il repose. » On voit que l'auteur, uniquement occupé de son objet, cherche à donner à ses idées la plus grande clarté possible. Quant à la troisième série des recherches de M. Plateau, elle se rap- porte à la théorie des modifications que subissent, sous l'in- fluence des mouvements vibratoires, les veines liquides lan- cées par des orifices circulaires. C'est donc plus spécialement cette influence qu'il a en vue de reconnaître dans son travail. (( En partant, dit-il, d'une idée émise par M. Savart, nous ferons voir comment ces mouvements combinent leurs effets avec ceux des forces figuratrices qui déterminent la transfor- mation graduelle en masses isolées, et dès lors tous les phénomènes dont il s'agit s'expliqueront d'une manière na- turelle. » Nous n'avons pu donner, dans ce qui précède, qu'une idée des principaux travaux de M. Plateau, sans prétendre indiquer les recherches nombreuses auxquelles il s'est livré : nous ne pouvons cependant nous dispenser de dire quelques mots d'un mémoire plus intéressant, peut-être, sous le rap- N. 1807. - 80 - port de la curiosité que sous celui de la science (*). Ne serait-il pas possible, s'est-il demandé, de soutenir en l'air une aiguille aimantée, sans aucun point d'appui et dans un état d'équilibre stable, par les actions émanées d'autres aimants convenablement disposés? L'auteur, après avoir exa- miné attentivement le problème, a compris que la solution était impossible, car il fallait supposer, comme il le fait ob- server, absolument quelconques le nombre de centres magné- tiques agissant sur l'aiguille, leur distribution, enfin l'espèce et l'intensité de leurs magnétismes respectifs; « mais heu- reusement, ajoute-l-il, la forme des expressions algébriques a fait disparaître la complication, et je suis parvenu à une démonstration générale et relativement simple de l'impossi- bilité don! il s'agit. » Au milieu de ses travaux dans lesquels il est aidé par plu- sieurs de ses collègues et par son jeune fils, qui s'est déjà fait connaître par des essais heureux, M. Plateau continue avec une ardeur toute spéciale les recherches délicates qu'il s'est imposées. 11 trouve surtout un affectueux appui dans M. Du- prez, dont le concours intelligent lui est tout naturellement acquis pour ses expériences. M. Duprez, professeur de phy- sique à l'Athénée de Gand, s'est fait connaître, en 1843, par un excellent mémoire sur le magnétisme. L'Académie royale de Bruxelles, dont il est devenu membre, plus tard, avait mis au concours une question par laquelle elle deman- dait un examen de l'état de nos connaissances sur l'électri- cité de l'air, et l'indication des moyens employés jusqu'à ce jour pour apprécier les phénomènes électriques qui se pas- sent dans l'atmosphère. Le travail qu'il présenta dans cette circonstance fut jugé digne du prix, en 1843, et a été inséré dans le tome XVI des Mémoires couronnés de l'Académie. (') Sur un problème curieux de magnétisme, par J Plateau ; lome XXXIV (les Mémoires de l'académie royale de Belgique^ in-4''; 1864. - SI - Depuis cette époque, l'auteur a suivi avec ardeur ce genre de recherches et a produit des renseignements utiles, suj'- lout en publiant un catalogue où il a énuméré le nombre de fois que les paratonnerres ont été atteints par la fou- dre, et particulièrement en cédant à des défauts de con- struction (*). Depuis i838^ M. Duprez continue avec ardeur une série n.m?. de recherches météorologiques, qui est une des plus éten- dues et des plus précieuses que l'on ait pour les Flandres; non-seulement il s'est attaché à recueillir ces documents, mais il publie encore avec un soin particulier les résultats des observations électriques qu'il a rassemblées lui-même. Il a eu également en vue de faire, avec l'Observatoire royal de Bruxelles, pour chaque jour et à l'heure de midi précis, au moyen de l'électromètre de Peltier, des expé- riences suivies qui présentent un grand intérêt, puis- qu'elles tendent à faire voir quelle est l'influence des bâti- ments avoisinants sur cet élément météorologique, si im- portant et en apparence si capricieux. Ces recherches font naturellement suite aux travaux intéressants que l'auteur a publiés sur les effets des paratonnerres, et spécialement à son mémoire contenant la Statistique des coups de foudre qui ont frappé des paratonnerres ou des édifices, et des navires armés de ces appareils (^). On doit encore à M. Duprez deux mémoires, insérés dans les tomes XXVI et XXYIII des Mémoires de l'Académie royale de Belgique, Sur un cas particulier de téquilihre des liquides. Il fait observer que les physiciens se sont peu occupés de la suspension du liquide quand le tube qui le (') Tout récemment, l'Académie s'est occupée de la construction des para- tonnerres. M. Melsens a garni l'hôtel de ville de Bruxelles d'un appareil disposé d'après des vues spéciales qu'il a fait connaître, dans un travail publié à ce sujet. (») Voir Mém. de VAcad., t. XXXI, 1859. G N. 18U). — 82 — renferme est étroit, et de l'écoulement de ce liquide lorsque le tube est large. Ceux qui en ont parlé, dit-il, semblent n'avoir vu dans le phénomène qu'un effet de la pression atmosphérique, pression qui, s'exerçant sur la surface libre et mobile du liquide, en refoulerait toutes les parties de ma- nière à déformer et à diviser cette surface quand elle pré- sente quelque étendue. M. Ch. Montigny s'est également occupé de recherches sur la lumière, sur le magnétisme et sur les phénomènes du globe en général. Les Mémoires des savants étrangers à l'Académie, tomes XXIV et XXVI, renferment, pour les années 1852 et I800, deux écrits qu'il a donnés sur les phé- nomènes de la persistance des impressions de la lumière sur la rétine, et un essai sur les effets de réfraction et de disper- sion produits par l'air atmosphérique. On a du même auteur différentes notices qui ont été insérés dans les Bulletins de l'Académie et qui se rapportent, en général, aux propriétés de la lumière et de la physique du globe. Au nombre des travaux publiés récemment, nous mention- nerons aussi un traité sur l'électricité de l'air, que M. Gloe- sener a fait paraître : c'est un sujet dont il s'est toujours occupé avec constance et qu'il a pris particulièrement soin d'appliquer à la télégraphie électrique. Nous citerons encore M. B. Valerius, auteur d'un écrit sur les séries et de diffé- rents travaux sur les sciences chimiques et physiques, dans lesquels s'est également fait connaitre avec avantage son frère, M. H. Valerius, professeur à l'Université de Gand, qui a publié un ouvrage élémentaire remarquable sur les sciences physiques. ^xi^/s M. Gruyer, à qui l'on doit depuis longtemps de nom- breux ouvrages sur la philosophie, a porté plus loin ses tra- vaux, et il a spécialement composé un traité dans lequel il s'est attaché à examiner la partie métaphysique des sciences. - 83 — Celte partie est peu cultivée par les physiciens, qui recher- chent plutôt le fait en lui-même que les motifs métaphysi- ques qui peuvent en faire varier les circonstances. Les mémoires de l'Académie royale de Belgique renferment des recherches assez nombreuses et des catalogues intéres- sants sur les tremblements de terre que M. Alexis Perrey, pro- fesseur à Dijon, lui communique régulièrement depuis plus de vingt ans. Ce savant s'occupe, avec une ardeur et un soin remarquables^ de réunir, pour les différents points du globe, les phénomènes de ce genre qui s'y manifestent. Sa patience éclairée a mérité l'attention de tous les physiciens, qui lui trans- mettent avec activité, non-seulement les observations qu'ils parviennent à recueillir sur tous les points du globe, mais encore les indications des phénomènes anciens, afin de com- pléter autant que possible nos connaissances sur ce point important. D'une autre part, on doit savoir gré à l'Aca- démie de Belgique d'avoir toujours réservé une place dans ses recueils pour des recherches aussi intéressantes : c'est un véritable service rendu aux sciences. Les com- munications de M. Perrey, ainsi que celles de MM. Bravais etMartins, tiennent surtout à l'accord qu'ils avaient trouvé entre leurs idées, partagées aussi par quelques savants belges, sur la composition du globe et sur l'origine des volcans. Le savant physicien Bravais , que les sciences ont perdu depuis peu, s'était chargé de résumer les opinions de ses collègues à cet égard, de faire apprécier le peu d'épaisseur de la couche déjà solide de notre globe, et l'élat de fluidité intérieure qui souvent se fait passage par les ouvertures volcaniques : il se proposait d'examiner l'hypo- thèse d'un double mouvement de rotation dans ces deux parties du globe, qui seraient séparées l'une de l'autre et qui auraient des mouvements de rotation différents. L'état actuel de la science permettait, nous semble-t-il, l'examen rai- — 84 — sonné d'une hypothèse semblable, et personne ne l'eût sou- tenue avec plus de mérite que M. Bravais. Parmi les sociétés qui, dans ce pays, s'occupent de l'étude des sciences exactes, nous devons signaler surtout la Société royale des sciences de Liège. Les différentes pu- blications qu'elle a faites concernent plus particulièrement, il est vrai^ les sciences naturelles et physiques; mais elle s'est efforcée de soutenir avec honneur le nom brillant que lui ont laissé ses prédécesseurs, dont plusieurs étaient aussi membres de l'Académie royale. Quoiqu'il n'entre pas dans nos vues de traiter de l'histoire de la chimie, nous avons eu l'occasion de citer les travaux de Van Mons : plus tard, les recherches deMartens, Stas, Mel- sens, De Hemptinne, De Koninck, Donny, Mareska, Kes- teloot, etc.^ ont fait connaître que cette belle science a trouvé de dignes soutiens dans nos provinces. Leurs différents écrits prouvent qu'ici encore la Belgique peut marcher avec les autres pays, même les mieux partagés. A ces travaux nombreux, il convient de joindre les ré- sultats obtenus pour les sciences médicales, qui se déve- loppent de la manière la plus heureuse. On peut men- tionner spécialement les recherches produites par l'Aca- démie royale de médecine, qui représente cette partie que les Belges ont cultivée à toutes les époques avec une sorte de prédilection, ainsi que les sociétés diverses pour le service sanitaire qui couvrent tout le pays et tendent à multiplier leurs bienfaits dans les provinces. L'art de guérir, qui a toujours eu, chez nous, des représentants de distinc- tion et qui cite avec fierté le nom de Vésale, ne tardera pas à trouver de dignes historiens pour rappeler l'ensemble de ses mérites, comme nous l'avons pu voir déjà par d'heu- reux essais tentés par des hommes habiles. Nous sommes fiers de proclamer, dès à présent, que les anciens souve- — 85 — nirs recueillis dans le pays s'assemblent avec soin par des écrivains capables qui sauront les mettre sous leur véritable jour. La théorie des probabilités n'a commencé à fixer l'at- tention des savants que depuis deux siècles : Pascal en fut un des premiers promoteurs ; et cette science nouvelle prit des développements assez rapides pour fixer l'attention des mathématiciens les plus habiles. On a vu, dans ces der- niers temps, Laplace, Gauss, Fourier, Poisson, Baily et la plupart des grands mathématiciens faire marcher de front, avec les travaux les plus épineux de l'astronomie, les prin- cipes des probabilités et y chercher des règles pour mesurer les chances des événements et calculer la probabilité de leurs retours ('). Cette théorie mathématique a, par les difficultés qu'elle présente, exercé les esprits les plus profonds : les ré- sultats auxquels ils ont été conduits ont dû modifier les idées sur bien des points. On a compris qu'en étudiant les chances d'un événement, on peut calculer les probabilités de son retour et aborder un problème, lors même que ce retour présente des incertitudes plus ou moins grandes. Pendant que les savants approfondissaient cette partie dif- ficile du champ des recherches, les hommes d'expérience et en particulier ceux qui s'occupaient pratiquement de la théo- rie des chances, des jeux, des assurances et de tout ce qui appartient aux probabilités, leur présentaient des problèmes {■) Nous citerons en particulier un ouvrage intéressant de sir John F. W. Her- scliel, sur plusieurs des sciences modernes, et intitulé : Essaijs from the Edin- burgh andquarterly Reviews^ 1 vol. grand in-S", 1857 : dans un des chapitres, le célèhre auteur anglais a consacré une centaine de pages à examiner l'imporlance des principes de la théorie des probabilités sur les sciences en général et en parti- culier sur rastronomie. Les idées, développées dans ';ette partie intitulée : Quetelet on ProhabiUiies, prennent la question plus haut que leur titre ne semble l'in- diquer et exposent, avec une grande clarté, l'importance de la théorie des proba- bilités, appelée en quelque sorte à devenir la régulatrice des sciences d'observa- tion. Cette partie importante ne pouvait être confiée à de meilleures mains. - 86 — à résoudre et éveillaient leur attention par des questions d'un intérêt pressant. La pratique ici vint après la théorie, dont les conseils lui servirent de guides. On suivit une roule à peu près opposée à celle qu'on observe ordinaire- ment. Il se développa alors une vaste science dont les lois mvstérieuses sont encore entourées de bien des nuas;es : la statistique, qui s'était formée sous le patronage des probabi- lités, prit les développements les plus rapides et finit par croire qu'elle pourrait se passer du concours de la science qui devait tracer sa marche. La statistique, si brillante et si riche pour l'avenir, crut pouvoir s'appuyer de ses propres forces, et donna parfois prise aux erreurs les plus déplora- bles , erreurs d'autant plus fâcheuses que souvent elles n'étaient pas comprises par ceux mêmes qui les faisaient. Ces abus, dont les causes n'étaient pas directement connues du public, finirent par relarder les progrès de cette science fé- conde : ils arrêtèrent ses pas au moment où, pour se dévelop- per, elle avait besoin de la plénitude de sa force. On comprit alors que la science qui explique les faits sociaux et la probabilité de leur retour ne doit pas être con- fondue avec la simple connaissance de ces faits recueillis d'une manière plus ou moins vague et qui constitue la sta- tistique pratique. Comme on l'entend aujourd'hui, celle-ci est bien difTérente de la statistique mathématique, qui ne procède que d'après les principes les plus sévères et que l'on peut classer à bon droit parmi les sciences rationnelles les plus utiles, ajoutons en même temps les plus difficiles. En effet, les phénomènes qu'il s'agit de considérer ne dépendent pas seulement de toutes les forces physiques que l'on est ha- bitué de rencontrer dans les phénomènes étudiés jusqu'à présent; il faut encore savoir tenir compte de faits pure- ment personnels et qui semblent dictés par le vouloir ca- pricieux de l'homme. 11 intervient ici un ordre spécial de — 87 — forces que, jusqu'à présent, l'on n'avait pas eu à considérer. Des esprits éclairés ont entrepris déjà de reconnaître leur influence et oui pu apprécier, malgré les préjugés reçus, que cette nouvelle nature de forces n'était pas dans le cas de devoir opposer un obstacle à l'étude de ces faits intéres- sants. Notre pays a pris part à ces pénibles travaux : il n'a pas vu sans intérêt les essais entrepris pour régulariser la marche de l'expérience et en connaître les écarts probables : on s'égare parfois, il est vrai, dans des théories dont on peut facilement occasionner les abus dès qu'on veut en franchir les limites. Sur bien des choses, il a fallu marcher avec hésita- tion, parce que les principes sur lesquels on devait se baser échappaient à toute appréciation bien déterminée. Mais les sciences font chaque jour des progrès nouveaux ; il est néan- moins des parties qu'il a fallu abandonner jusqu'ici, parce qu'on ne possède pas encore les moyens de les soumettre à des principes calculables ('). (') Voyez, dans les Mémoires el les Biillelins de l'Académie royale, différenls écrits de MM. Vei'liulsl et Qtietelet sur le même sujet. Ce dernier a donné aussi les ouvrages suivants : Sur l'homme el le développement de ses facultés, ou essai de physique sociale; 2 vol. in-8"; 1835, Paris, chez Bachelier. Théorie des probabilités appliquée aux sciences morales el politiques. 1 vol. grand in-S"; 1846. Bruxelles, Ilayez. J)u système social el des lois qui le régissent. 1 vol. in-8"; 1848, Paris, chez Guiliaumin et comi). Sur la statistique morale et les principes qui doivent en former la buse, mémoire inséré dans le tome XXI de l'Académie royale, in-4'', 1848, avec les rapports de MM. De Decker el Van Meenen, qui ont traité chacun la même ques- tion philosophi(|ue sous des vues spéciales différentes. Ces ouvrages ont été traduits dans plusieurs langues, et spécialement celui Sur l'homme et le développement de ses facultés. W.enlài paraitia une édition nouvelle de celui-ci, avec des additions nombreuses puisées surtout dans les deux ouvrages suivants. Il sera précédé de l'aperçu remar(|uable sur ces travaux que sir John Herschel a publié dans la Revue d'Edimbourg, n° 185, pour juil- let 1850, et qu'il a produit plus tard dans l'ouvrage Essays from the Edinbourgh — 88 — Sans s'arrêter à cette partie élevée de la science, diiï'é- rentes personnes, lancées dans les affaires politiques et admi- nistratives, ont, de leur côté, tourné leurs pensées vers des recherches purement spéculatives. M. Ch. de Brouckere, malgré ses occupations nombreuses, comme bourgmestre de Bruxelles, trouvait le temps de diriger la partie administra- tive et politique de l'Encyclopédie belge et de publier des écrits intéressants sur l'économie politique en général. Cette science a trouvé également de dignes représentants dans MM. le comte Arrivabene, de Molinari ('), le Hardy de Beaulieu, F. Laurent, Brasseur, Herry de Cocquiau, et dans plusieurs autres économistes qui ont su faire aimer la science et lui donner, en Belgique, un intérêt toujours croissant. Nous avons eu l'occasion de parler déjà, dans un autre ouvrage {'^), des développements que la statistique avait pris pendant le règne précédent, et de la formation des commis- sions provinciales de statistique qui avaient été rattachées à la Commission centrale établie auprès du ministère de l'intérieur; nous avons rappelé en même temps que le gou- andquarterly Reviews, du même auteur ; in-S», 1 vol., chez Longman, en 1857. On verra sous quel point de vue élevé la science de la statistique a été considérée par cet astronome, l'un des plus remarquables de cette époque. La statistiiiue mathématique a été traitée par M. Verhulst, dans deux mémoires : Becherches mathématiques sur la loi d'accroissement de la population. Nous en parlerons dans le livre suivant. M. J.-E. Horn a publié un excellent manuel de statistique, pendant son sé- jour en Belgique : Bevolkerungs wissenschaftliche Studien aus Belgien, 1 vol. in-8°. Leipzig, chez Brockhaus, 1854. Voyez aussi : Die Gesetzmàssigkeit, etc., par A(loli)he Wagner, 1 vol. in-S". Hambourg, chez Boyes elGeisler, 1864. On doit aussi à M. Liagre un traité élémentaire Sur le calcul des probalités et la théorie des erreurs. Bruxelles. 1 vol. in-12, 1852, el à M. Quetelet, Des in- structions sur le calcul des probabilités. 1 vol. in-18; 1828. (') M. de Molinari publie depuis longtemps, avec succès, le journal périodique L'Économiste belge, organe des intérêts politiques et économiques des consom- mateurs, qui parait deux fois par mois; on lui doit aussi un gi'and nombre d'ou- vrages sur l'économie ()olili(iue, et son frère, M. E. de Molinari, a publié le |tremier volume d'unesérie d'^nnuairesqu] paraîtront annuellementsur la même science. (') Histoire des sciences math., pages 362 et suivantes. 1 vol. in-8"; 1864. — 89 — vernemenl actuel avait adopté, en 1841, le même système, mais en le modifiant et en y ajoutant des améliorations importantes par les soins de M. Liedts, alors ministre de l'intérieur. C'est peut-être ici le lieu de signaler les princi- paux services que cette organisation nouvelle a pu rendre au pays, soit pour aider les travaux administratifs, soit pour faciliter les travaux scientifiques, car la Commission devait opérer à la fois comme branche administrative et comme corps savant chargé de la publication de documents divers, et de sa mise en relation avec les corps savants de même nature qui existent dans les divers pays (^). Elle doit être, sous ce rapport, une véritable société savante pour les sciences administratives. (') Voici, d'après son règlement d'ordre, l'indicalion de ses altribiitions prin- cipales : 1» Dresser un plan complet de la statistique du pays ; 2" Signaler les lacunes ou les détails superflus que présentent les publications statistiques; 3° Donner son avis sur les modèles des tableaux dans lesquels les renseigne- ments recueillis doivent être classés, qui lui seront remis de la part des diffé- rents départements ministériels, et, le cas échéant, de proposer elle-même ces modèles; 4" Veiller à ce que tout double emploi soit évité dans les demandes de rensei- gnements et dans les publications elles-mêmes; 5° Donner un avis motivé sur les projets de rapports au Roi, relatifs aux tra- vaux statistiques des divers départements, lorsque ces rapports doivent être rendus publics; G" Diriger les publications de statistique générale au ministère de l'intérieur; 7» Faire toutes les propositions qui lui paraîtraient propres à introduire de l'unité ou des améliorations dans les travaux statistiques. Le même règlement statue que des membres correpondants peuvent élre nommés par la Commission centrale avec l'ai»probalion du ministre. Voici quels furent les membres de la Commission au moment où elle fut orga- nisée, il y a un quart de siècle : MM. L. Veydt, Visschers, Malou, Ed. Ducpe- tiaux, Sauveur, Ed. Smits, V. Misson, Quetelet, préaident ; Scblim, C. Delournay, Perrot, X. Heuschling, secrétaire. Généralement, tous les membres ont pris part à la rédaction des Bulletins; mais plus particulièrement M. Heuschling, à qui l'on doit encore plusieurs autres ouvrages statistiques. La Commission centrale de statistique se compose actuellement de quatorze — 90 - Au premier abord, l'organisation nouvelle peut parailrc la même que l'organisation ancienne; mais elle est dans le fait bien différente. Ici, tous les travaux principaux se font par la Commission centrale du gouvernement, et les com- missions provinciales n'interviennent que pour fournir des renseignements relatifs à leur localité, et très-rarement pour publier des documents spéciaux, qui alors prennent place dans les Bulletins de la Commission centrale. Il a paru suc- cessivement dix volumes de ces bulletins, qui, outre les procès-verbaux des séances, renferment les rapports et les actes officiels concernant la statistique, et de plus une série de mémoires et de communications qui forment une partie distincte. Cette manière de travailler donne un intérêt nouveau aux recherches des membres; mais ce qui a surtout imprimé membres, en y comprenant son président et son seci'élaire. Les commissions provinciales, présidées par les gouverneurs, ont douze meml)res, et, de i)lus, la Commission centrale peut avoii- jusqu'à nualre-vingls memiii-es correspon- dants parmi les savants éliangers à la Belgique. Ses principales publications sont : 1* Dix volumes ia-i" de ses Bulletins, destinés à recevoir : a, les mémoires el communications; 6, les procès-verbaux; c, les rapports; d, les actes officiels; e, la bibliographie de la statistique. 2" .llouvement de rélal civil pendant les années 1841 à 1850 inclusivement, 10 volumes. ô» Recensement général de la i)opulation, de l'agriculture, de l'industrie, exécuté en 1846. G volumes. 4" Exposé de la situation du royaume i)our la période décennale de 1841 à 1850. 1 volume. 5° Exposé de la situation du royaume pour la période décennale de 1851 à 1860, û volumes in^"; 1804. 6" Recensement général de la population et de l'agricultuie exécuté en 1856. 2 volumes. Dans la Commission précédente, au moment où éclata la révolution de 1830, ou n'avait publié que deux volumes très-incomplets de documents statistiques, el l'on venait de faire un essai assez étendu sur le dénombrement de la popula- tion. La partie de ce recensement relative à la Belgique fut publiée par MM. Smils et Queielet, sous le titre : Recherches sur la reproduction et la mortalité. 1 vol. in-8''; 1832. — 91 - une puissante impulsion à leurs travaux, c'est l'espèce de fraternité qui s'est établie entre les délégués de tous les pays civilisés. Le gouvernement de la Belgique, en 1853, eut l'heureuse idée de demander aux différents Étals de réunir leurs statisticiens officiels pour chercher à introduire plus d'ordre et d'unité dans les travaux respectifs de chaque pays. Tous les États civilisés sentirent le but utile d'une pareille association, et dès lors se formèrent les congrès statistiques qui se sont successivement réunis à Bruxelles, à Paris, à Vienne, à Londres, à Berlin (*). Bientôt, il faut l'espérer, l'on ira plus loin, et l'on devra aux bienfaits de cette association une uniformité de rédaction entre les tra- vaux officiels de tous les pays éclairés, qui permettra de les comparer immédiatement les uns aux autres et de les juger d'une manière plus sûre. La discussion entre les personnes instruites des différents États donnera le moyen de choisir les méthodes les plus rigoureuses, et l'on sentira le besoin de les rendre uniformes, pour pouvoir les comparer immé- diatement et pour réunir, sous un format régulier et. dans quelques volumes, les résultats statistiques les plus géné- raux. Cette idée a été adoptée au congrès de Londres, chez le peuple qui apprécie le mieux peut-être l'économie du temps et la simplicité des administrations. Un plan y fut admis pour l'adoption de mesures communes à tous les pays et pour rendre les documents immédiatement comparables. Tous les États de l'Europe et l'Amérique du Nord apprécièrent l'avantage d'un pareil travail; tous s'obligèrent à donner des documents comparables, et tous surent exécuter rigoureu- sement leurs promesses. Le premier essai a donc été fait rela- tivement à la population : l'expérience prouvera, dans les {') Voyez plus haut, page 25. — 92 — séances du congrès qui suivront, si ce premier essai, sans doute défectueux encore, peut engager à persister dans la voie où l'association a cru devoir essayer le premier pas ('). Lors du premier congrès qui fut tenu à Bruxelles, les statisticiens s'étaient d'abord joints aux économistes pour traiter ensemble les problèmes de l'ordre social qui sem- blaient leur appartenir en commun ; mais il fut facile de remarquer, dès la première réunion et malgré le désir de plusieurs savants, que ces deux sciences n'étaient pas en- core assez avancées pour pouvoir se prêter un mutuel appui. La séparation eut lieu, en effet, sans froissement : l'union statistique, formée par les gouvernements, continua libre- ment ses travaux dans une voie plus resserrée que l'éco- nomie politique et en demandant à l'observation tous les résultats dont elle pouvait disposer. L'économie politique, plus hardie, et voyant les choses sous un point de vue plus élevé, mais peut-être moins sûr, entreprit de faire route séparément. Elle s'éloigna des gou- vernements, dont la statistique, au contraire, sentait le besoin de se rapprocher, pour y trouver l'objet de ses études. 11 se forma dès lors un congrès spécial, celui des sciences sociales (1861), dont les premières réunions eurent lieu suc- cessivement à Bruxelles, à Gand, à Amsterdam et en Suisse. Ce congrès, comme celui de statistique, publie le recueil de ses discussions après chaque session ; mais l'espace d'une session à l'autre ne se trouve pas rempli par les assemblées des commissions spéciales de chaque pays. On conçoit, du reste, l'intérêt que doivent inspirer de pareilles assemblées et l'avantage qu'elles présentent pour la science. Il est à (') Le volume a paru sous le tilre : Statistique internationale {population) publiée avec lu collaboration des statisticiens officiels de différents États de l'Europe et des Etats-Unis de l'Amérique, par A. Quetelel, président, et Xav. Heuschlini,', seciétaire de la Coramissiou centrale de statistique de Belgique. Bruxelles, 10-4°, chez Hayez. I vol. in-4°; 1803. - 93 désirer que des sociétés semblables s'établissent dans les différents pays et que, pour arriver à la vérité, elles puis- sent mettre en œuvre les propositions que la raison et l'ex- périence leur indiquent, en attendant qu'elles aient fait assez de progrès pour sentir leur véritable force et pouvoir se prêter des secours mutuels. Ces deux sciences, à la suite de leurs séances générales, ont publié des comptes rendus détaillés sur les objets qui y avaient été traités et sur ce qui tenait à leur formation. Elles ont produit plusieurs ouvrages remarquables, et elles donnent de nouvelles preuves qu'elles entrent sans peine dans les ha- bitudes d'ordre et d'industrie qui les concernent plus spé- cialement. Elles ont trouvé néanmoins de la peine à s'ouvrir un passage avant qu'on pût bien en comprendre le but et l'utilité. On citait, chez nous, depuis plus d'un siècle, il est vrai, quelques recensements partiels et des essais plus ou moins heureux pour constater les naissances, les mariages et les décès. C'était le clergé qui était spécialement chargé, comme dans la plupart des autres pays, de faire les relevés dans les provinces; mais la marche sévère de ces sciences restait à faire; et les premiers succès qui ont été obtenus prouvent assez que l'on apprécie leurs services et qu'on tiendra compte de leurs efforts heureux. Les beaux-arts, à leur tour, eurent, en 1863, un congrès solennel à Anvers. Cette assemblée,, espèce d'hommage rendu aux arts et à ceux qui les cultivent avec succès, ne paraissait pas avoir eu d'autre but spécial, en la considérant sous le point de vue des lettres. On y parla, il est vrai, des grandes questions qui se rattachent à son domaine, plutôt pour en éclairer quelques points que pour déterminer les mérites des différentes écoles, ou pour indiquer la marche qu'il convient de suivre, en ayant égard à la nature et aux usages des différents pays. — Pi — Si nous n'étions forcé de nous renfermer dans les limites que fixent les sciences physiques et mathématiques, nous pourrions, outre les trésors des beaux-arts, faire valoir les bienfaits que les lettres doivent à l'ancienne Belgique, et citer particulièrement les écrivains distingués qui font revi- vre les souvenirs glorieux de leurs pères. Nous mentionne- rons cependant les moyens, donnés aux sciences comme aux lettres et aux arts, de marcher avec plus de facilité et de grandeur. Plusieurs édifices scientifiques qui manquaient à la Belgique avaient été créés pendant les dernières années du règne précédent : ainsi, pour ne citer que les établisse- ments de Bruxelles, nous compterons, en premier lieu, l'Académie royale de Belgique et sa Commission spéciale pour Ihistoire du pays; le Jardin botanique de Bruxelles; l'Observatoire royal^ placé dès sa naissance au nombre des principaux établissements semblables de l'Europe; le Musée royal d'histoire naturelle, le Musée d'armures et d'anti- quités du pays, ainsi que le Musée d'industrie. Il eii est de même des collections anatomiques et des magnifiques hôpi- taux qui rappellent notre illustre Vésale; le long des boule- vards de la capitale, où se trouve la statue de ce grand ana- tomisle, se sont formés depuis l'un des plus grands hospices du pays et, en face. le magnifique Jardin Botanique de la même ville. De pareils établissements se sont élevés dans le reste du pays, qui jouit maintenant du nombre d'insti- tutions scientifiques le plus considérable que puisse mon- trer peut-être aucun autre pays dans un espace aussi limité. Après la révolution de 1830 se forma, au moyen de l'an- cienne bibliothèque des ducs de Bourgogne, ainsi que de la Bibliothèque de Bruxelles et de la riche réunion des livres de \an Hullhem, une bibliothèque nationale, qu'on peut placer aujourd'hui, pour ses richesses littéraires, à côté des plus belles collections modernes. On y trouve parmi ses ma- — 1)5 — nuscrits, une quantité de livres de la valeur la plus grande : nous nous bornerons à mentionner, pour la science, les pré- cieux manuscrits de Grégoire de Saint-Vincent. Nous devons citer aussi le magnifique Jardin Zoologique avec ses collec- tions, dont les fêles sont recherchées avec empressement par la population toujours croissante et par les étrangers nombreux qui affluent dans la capitale. Les arts ne se repro- duisent pas avec moius de magnificence : sous un maître habile, la nausique a repris Tancien rang qu'occupait l'école belge, et il en est de môme de la peinture. On voit ces deux arts se replacer au premier rang où ils avaient toujours brillé autrefois. Nous citerons encore, parmi les institutions consacrées aux sciences, aux lettres et aux arts, l'établissement géogra- phique de Vandermaelen, et la nouvelle université de Bruxelles, dont les bâtiments et les collections n'auront plus aujourd'hui à le céder ni aux établissements de l'État, ni à celui de Louvain ('). Certaines collections de la capitale, il est vrai, auront toujours, par leur but spécial, une im- portance moins grande : ainsi les collections géologiques, les appareils des usines et tout ce qui concerne l'exploi- tation du sol et les établissements métallurgiques présen- teront plus d'importance et plus de richesse dans les pro- vinces de Liège, de Hainaul et de Namur, qui peuvent lutter pour la magnificence avec les établissements indus- triels les plus beaux de l'Angleterre; les superbes musées (') Nous avons fait connaître, dans VHistoire des sciences mathématiques et phxjsiques chez les Belges, page 364, qu'en 1827, le gouvernement des Pays Bas, animé du age 364 de VHistoire des sciences mathématiques, et qui a été, plus lard, l'un des fondateurs de la nouvelle Université libre. - 9ti - d'Anvers et les richesses agricoles et manufacturières des deux Flandres , attireront plus spécialement l'attention sur chacune de ces provinces. Notre principale ambition, après deux siècles de malheurs, est de pouvoir marcher avec aplomb et dignité dans la voie où se sont illustrés nos pères, et de pouvoir reparaître avec quelque distinction au milieu des autres nations éclairées de l'Europe. LIVRE 11. SAVANTS BELGES. Nous avons tracé rapidement, dans le livre précédent, les efforts faits par les Belges, depuis le commencement de ce siècle, pour reprendre, dans le champ de la science, le rang qu'occupaient leurs aïeux : d'autres, plus tard, exposeront avec plus d'avantage cette partie intéressante de notre his- toire intellectuelle. Nous n'aspirons qu'à laisser des moyens d'appréciation, en donnant des esquisses de la plupart des savants de notre époque avec lesquels nous avons conservé, jusqu'à la fin, des relations qui nous ont permis de mieux rappeler leur position et leurs travaux. L'expérience nous apprend combien on oublie avec facilité les faits littéraires et scientifiques que l'on devrait connaitre le mieux : il im- porte donc de rassembler, dès à présent, les souvenirs qui pourront aider plus tard à se faire une idée juste des ser- vices rendus. 7 - 9« - Les notices qui suivent, dans le deuxième et le troisième livre, concernent à la fois les savants, les littérateurs et les artistes belges; de même, dans le quatrième livre, elles se rapportent à des hommes distingués de l'étranger dont les relations inlelleetuelles avec la Belgique peuvent offrir de l'intérêt et conduire au but que nous désirons atteindre. Ces notices ne forment pas l'histoire scientifique des temps présents, mais elles présentent des documents pour l'écrire. CHARLES-FRANÇOIS LE PRUD'HOMME D'HAILLY, VICOMTE DE NIEUPORT. « L'éloge d'un homme de lettres doit être le récit de ses travaux; mais, ajoute d'Alembert, il peut être utile aussi de faire connaître ce qu'il a été, et de peindre l'homme en même temps que l'écrivain ('), » Et en effet, ne rappeler que les travaux par lesquels il a servi la science, c'est le montrer d'une manière incomplète, le dépouiller de son individualité et ne satisfaire qu'imparfaitement la curiosité du lecteur. En général, ce qui nous intéresse dans une biographie, c'est de nous sentir plus près de celui qui en est l'objet; d'être en quelque sorte initié dans le secret de sa pensée; et, s'il s'est distingué par un talent supérieur, de reconnaître, par les détails de sa vie privée, qu'il appartenait à notre na- ture. Ces détails, d'ailleurs, ne sont pas sans intérêt pour l'his- toire générale des sciences et des lettres. Si l'on veut juger des progrès qu'un écrivain a fait faire, il faut nécessairement (') Réflexions sur les plngnu. p.i^ii' I:'»l, t. [l dos Œuvres de d' .4lembert, éili- lioii de Paris, 1821, — 100 — tenir compte des circonstances dans lesquelles il s'est trouvé et des obstacles qu'il avait à vaincre. C'est surtout à ceux qui ont vécu dans son intimité qu'il appartient de recueillir im- partialement les éléments d'appréciation qui manquent pres- que toujours quand arrive l'instant d'en faire usage. Par suite de cette conviction et à défaut d'autre mérite, je me suis attaché, dans les différentes notices des savants belges que la mort a frappés d'être véridique avant tout, mais non cependant au point de me permettre d'entrer dans tous les détails de leur vie privée, surtout en présence de tombeaux quelquefois à peine fermés. « Le but des éloges littéraires, dit encore d'Alembert, est de rendre les lettres respectables, et non de les avilir (*). » Le vicomte de Nieuport était issu d'une ancienne famille de la Flandre. Il avait reçu le jour à Paris, le 13 janvier 1746, pendant que sa maison paternelle, à Gand, était oc- cupée militairement par le maréchal de Saxe. Dès le berceau, il avait été reçu dans l'ordre de Malte, et, plus tard, il entra au collège de Louis le Grand, où il acheva brillanmient ses études. Au sortir du collège, il passa au service de l'Autriche, sous le règne de Marie-Thérèse, et fut nommé lieutenant au corps du génie. Quelque temps après, il obtint un congé, et alla faire ses caravanes à Malte. Il fut chargé, à l'âge de quarante ans, des affaires de son ordre, auprès de la cour des Pays-Bas : il rentra alors dans sa patrie, et^ décidé à s'y fixer, il échangea une commanderie qu'il avait obtenue dans la Brie contre celle de Vaillampont près de Nivelles (^). (') Réflexions sur les éloges, page 151, t. II. Pour élie plus sûr de resler dans le vrai, j'ai souvent emprunté, mais dans une juste mesure, à la correspondance intime des auteurs dont j'avais à retracer la vie, les particularités qui pouvaient le mieux les caractériser. (') Cette qualification de commandeur s'attacha tellement à sa personne qu'elle le désignait mieux que le nom qu'il tenait de sa famille. Il était né accidentel- — 101 — Ici, comme il avait l'habitude de le dire, commence véri- tablement sa carrière scientifique. Ses goûts et son extrême vivacité le portaient, au milieu de ses travaux, à faire de fréquentes absences et à revoir les lieux où il était né. Il fut souvent ramené à Paris, où se trouvaient des savants illustres qui pouvaient répondre à ses besoins intellectuels, et il obte- nait d'eux des secours qu'il était hors d'état de rencontrer en Belgique. Ces goûts passionnés pour les sciences l'avaient mis en relation avec d'Alembert, Condorcet, Bossut et la plu- part des savants illustres de cette époque. Quand, plus tard, éclatèrent les troubles révolutionnaires, le commandeur conserva ses anciennes traditions de famille et suivit le sort du parti vaincu. 11 parlait souvent de ces temps difficiles et de la manière dont il avait pu échapper aux dangers nombreux qui le poursuivaient; mais il le faisait sans humeur, et comme le soldat, quand la paix est rétablie, parle des dangers qu'il a su braver. Bientôt après, les commanderies furent supprimées. De Nieuport perdit la sienne sans obtenir aucune indemnité. Il supporta avec fermeté celte perte qui le laissait sans fortune, et chercha, dans le silence de la retraite, un noble soulage- ment à ses revers. Nous avons fait connaître les travaux que l'on doit à ce mathématicien distingué que l'Institut de France, ainsi que plusieurs autres sociétés savantes de l'étranger comp- taient au nombre de leurs correspondants ('). Lors de l'érec- tion du royaume des Pays-Pas, en 1815, il fut appelé à la seconde chambre des états généraux ; il rentra en même lement à Paris; mais, le commandeur aimail à témoigner, en parlant le flamand piiremenl gantois, qu'il appartenait à la capitale des Flandres. Sa maison pater- nelle était l'hôtel voisin de la grand'garde de la place d'Armes. (') Histoire des sciences mathématiques et physiques chez les Belges , pages 334 et suivantes. 1 vol. in-S"; Bruxelles, 1864. Il se trouve dans le même ouvrage quelciues détails que je reproduis ici ; mais je n'ai pas cru devoir revenir sur rénumération des travaux du commandeur. — 102 — temps à l'Académie royale de Bruxelles, qui venait d être réorganisée, et fui nommé membre de l'Institut des Pays- Bas. Il vit successivement son sort s'améliorer par les bienfaits du roi; et, avec le titre de chambellan, il reçut la croix du Lion belgique; mais, fidèle aux statuts de l'ordre de Malle, il ne porta point cette marque distinctive. «Nous devons chercher à les mériter toutes, mais notre devoir est de n'en porter aucune, i) disait-il, bien différent en cela de beaucouj) de gens qui aimeraient mieux les porter toutes que de cher- cher à en mériter une seule. Pour témoignage de sa reconnaissance , il dédia au roi son dernier ouvrage intitulé : Un Peu de Tout, ou Amuse- ments d'un Sexagénaire, depuis 1807 jusqu'en 1816 ('). Ce sont des entreliens sur la théorie des probabilités, des observations sur la littérature, la philosophie et les langues. On y trouve aussi des poésies grecques et latines de l'au- teur. On aurait tort de traiter ces délassements d'un vieil- lard avec trop de sévérité ou d'y attacher plus d'importance qu'il ne le faisait lui-même. « Mon unique but, disait-il, est de laisser, avant mon départ, un petit souvenir à mes amis et à mes connaissances. Si, cependant, quelques exemplaires parviennent entre les mains des personnes dont je n'ai pas l'avantage d'être connu, j'espère qu'elles y trouveront par- tout l'homme bon, juste et honnête : et c'est à quoi se borne mon ambition. » Ce sont des qualités qu'on ne lui refusera certainement pas après avoir lu ses opuscules, et si l'on n'y trouve pas le cachet d'un talent littéraire, du moins on doit être surpris de la grande variété de connaissances dont il faisait preuve. Je ne retracerai point ici tous* les événements de la vie du (') A Bruxelles, chez P.-J. De Maf, in-8»; 1818. - 103 — commandeur De Nieuport; ces événements ont trop peu d'importance, surtout ceux qui se rattachent à ses premières années. 11 répétait lui-même que sa carrière octogénaire avait été partagée en deux parties, dont la première avait été consacrée à l'oisiveté et l'autre au travail. Ce singulier par- tage est justement ce que la vie de notre compatriote offre de plus remarquable; et c'est dans la connaissance de sa per- sonne qu'il faut en chercher les causes. Peut-être les détails que je vais présenter pourront-ils conduire à celte connais- sance; on voudra bien m'excuser si je me trouve parfois dans le cas de citer des faits qui me sont personnels; j'écris de souvenir, et j'ai cru ne devoir mentionner au- tant que possible que ce que j'avais vu ou entendu moi- même. M. De Nieuport avait au delà de soixante-treize ans lors- que je le vis pour la première fois; je venais d'être appelé à Bruxelles pour occuper une chaire de mathématiques; mon premier soin fut de courir à la demeure de celui qui, depuis si longtemps, était pour ainsi dire le seul représentant des sciences exactes dans nos provinces méridionales. Je trouvai un beau vieillard, d'une taille élevée, d'un parler brusque, mais plein de franchise et de bienveillance. Il me reçut avec bonté: ma jeunesse et mon goût pour sa science de prédilec- tion l'intéressèrent en ma faveur; il avait commencé par me recevoir en père, et, peu à peu en causant de sciences, il finit par se mettre à mon niveau et à me parler en véritable ami des divers objets de mes études. Dans son âge avancé, il avait conservé toute l'ardeur, toute la vivacité de la jeunesse; quand la conversation s'animait, on s'apercevait facilement à ses mouvements d'impatience, au tremblement de ses mains, à l'agitation de toute sa personne, que sa langue ne suffisait plus à rendre toutes les pensées qui se présentaient presque en même temps à son esprit. Son parler était vif, — 104 — coupé, plein d'images: j'ai connu peu d'hommes qui eussent un langage plus pittoresque. Sa figure, dont les traits n'étaient pas sans noblesse, et dont la teinte brunie par les feux du midi contrastait avec la blancheur de ses cheveux, avait une expression animée; ses yeux étaient petits et bleus, mais pleins de vivacité. Quand la discussion s'échauffait, son geste même avait de l'éloquence, et il ne fallait jamais attendre sa réplique pour connaître le fond de sa pensée. Il occupait une petite habitation qui lui avait servi de re- traite pendant ses revers : un fidèle serviteur lui était de- meuré attaché dans toutes les circonstances de sa vie. Le rétablissement d'une partie de sa fortune ne paraissait avoir apporté aucun changement dans son intérieur. Il se tenait habituellement dans sa bibliothèque, qui était assez peu fournie, mais qui suffisait amplement à ses besoins; car il lisait peu de livres, mais il usait ordinairement ceux qu'il lisait, à peu près comme Euler, qui, dit-on, renouvelait annuellement ses tables de logarithmes et sa Bible. Un cabi- net voisin de la bibliothèque renfermait un lit sur lequel le commandeur se reposait d'ordinaire tout habillé. «Je fais ma toilette le soir, disait-il, je puis de cette manière me mettre au travail à toute heure delà nuit; en un instant je suis sur pied. » Cette habitude contractée dans ses caravanes avait été reprise pendant la révolution, époque à laquelle il fui contraint de se lenircaché : il l'avait conservée ensuite comme utile à son genre d'études. «Je vois mieux pendant la nuit, continuait-il; ma lanterne magique se déroule mieux sur un fond noir. » Il avait aussi l'habitude de travailler en se pro- menant; et il ne faisait guère dans son cabinet que les dé- veloppements de calculs qui nécessitent des écritures. C'était sur une ardoise qu'il faisait ses premières recherches; puis il consignait ses résultats sur le papier avec un soin vraiment minutieux. Du reste, on concevra cette précaution, si l'on — 105 " songe à quels désagréments expose quelquefois, en mathé- matiques, un seul caractère mal indiqué. M. De Nieuport portait loin l'amour de l'exactitude, et particulièrement dans tout ce qui était nombre. Je le trou- vai un jour très-mécontent d'un article biographique qui ve- nait de paraître et qui le concernait: c'était à une époque où les passions étaient encore vivement agitées. Il s'était tou- jours fortement exprimé contre la révolution qui lui avait été si funeste, et il avait cru voir une tendance aux mêmes excès dans le libéralisme, dont le mot alors était nouveau pour lui: je m'imaginai d'abord qu'on avait rudement froissé ses opinions. Je parcourus rapidement l'article, sans deviner le motif de son humeur. « Voici bien nos faiseurs, dit-il, ils m'ont fait naître le d4 au lieu du 13; et puis ça se répète : et puis c'est de l'histoire. Faire de l'histoire, répétait-il souvent, c'est faire des livres avec des livres. » Et il ne faut pas en conclure que ce fut chez lui faute de discernement. Peu d'hommes, avons-nous dit, lisaient moins de livres que le commandeur; et il paraît que, dans ses études historiques, il avait eu le malheur de n'employer que des compilations mal faites : son jugement ne portait donc que sur ces der- niers ouvrages. Ses amis lui reprochaient doucement ses pré- ventions; et, sur leurs instances réitérées, il se mit à lire quelques-uns des ouvrages modernes où l'histoire est consi- dérée sous un point de vue philosophique; il avoua dès lors ingénument qu'il s'était trompé. Mais il ne revint guère sur le compte des ouvrages d'érudition, quoique lui-même se fût livré à ce genre de travail, en étudiant les œuvres de Platon. C'est faire des livres avec des livres, était toujours son der- nier mot. 11 ne niait pas l'utilité de ces ouvrages, mais il les estimait peu. « Ce ne sont pas là des auteurs, disait-il; vous me donnez des manœuvres pour des architectes. » Le mot libéralisme l'effarouchait, et ceci tenait plutôt - 106 — à la nouveauté du mot qu'à la chose en elle-même. « Je ne sais vraiment ce qu'ils veulent, disait-il; de mon temps, libéral était synonyme de généreux, qui donne beaucoup. » Comme il n'avait pas l'habitude de dire sa pensée à huis clos, et que son humeur se manifestait toujours d'une manière âpre et souvent mordante, il s'attira, de la part des journaux, des articles qui n'étaient guère de nature à le cal- mer. Peut-être l'aurait-on mieux persuadé de l'idée qu'on doit attacher au mot libéralisme en montrant un peu plus de tolérance envers un vieillard d'une réputation intacte, d'un savoir profond et qui, dépouillé de tous ses biens, s'était montré ferme dans l'adversité; qui avait refusé les bienfaits de l'empire, mais sans jactance et seulement parce qu'il ne croyait pas devoir les accepter. Ces attaques contre sa personne et ses ouvrages littéraires produisirent sur son esprit une fâcheuse impression qui ne s'effaça jamais entiè- rement. Il s'aperçut que, sans modifier ses principes et sa règle de conduite, il pouvait fort bien s'entendre avec les hommes aux yeux desquels le mot libéralisme était quelque chose de mieux qu'un signe de ralliement pour les partis et les passions; mais il marqua toujours de la répugnance à se rapprocher de ceux qu'il croyait avoir eus pour enne- mis. Une chose étonnera sans doute, c'est son changement d'opinion à l'égard d'un homme qui tint longtemps dans ses mains les destinées de l'Europe. Pendant la toute-puissance de Napoléon, il avait constamment refusé ses bienfaits; après sa chute, il paya un tribut d'admiration à ce qu'il avait fait de grand. Je l'avais méconnu, disait-il pendant les dernières années de sa vie; et on le concevra facilement en considérant l'isolement dans lequel il vivait et les plaies récentes que la révolution lui avait laissées. A coup sûr, ces aveux n'étaient pas intéressés ; jamais savant n'est convenu — 107 — (le ses torts avec plus de candeur dès qu'il avait cru les reconnaître. Comme tous les hommes qui ont une imagination vive et un cœur aimant, M. De Nieuport avait une grande suscep- tibilité; il se prévenait souvent pour ou contre une per- sonne; mais ses retours avaient quelque chose de touchant; et la manière affectueuse dont il cherchait à faire oublier ses torts aurait presque fait regretter qu'il en eût été exempt. On veut que l'homme dont l'imagination est ardente de- meure constamment impassible; mais comment conserver toujours le calme nécessaire et ne point s'affecter en voyant juger avec légèreté ce qui a souvent été l'objet de longues veilles, ou présenter sous un faux jour les intentions les meilleures, surtout si l'on se sent froissé au milieu des par- tis et si l'on veut s'exprimer hautement et selon sa con- science? La vérité n'a de charmes pour le commun des hommes qu'autant qu'elle flatte leurs passions; elle se trouve honteusement répudiée, si elle ne peut s'accommoder à leurs caprices. L'honnête homme^ témoin de ces viles trans- actions, se replie sur lui-même et finit bien souvent par s'isoler : il trouve du moins dans sa retraite ses premières illusions. Peut-être le commandeur ne conservait-il pas toujours cette modération si désirable. L'impétuosité de son caractère lui arrachait quelquefois des mots durs et d'autant moins pardonnes qu'ils étaient presque toujours spirituels. « Ne m'en parlez pas »., disait-il d'un pharmacien qui avait l'habitude de se vanter de ses connaissances en physique, a ne m'en parlez pas, c'est un homme dont les idées sont rétrécies; il voit toujours la nature à travers la canule de sa seringue. »« Quel homme, disait-il d'un autre, il vous dés- espère par sa lenteur; ses phrases, sans en avoir le tran- chant, sont comme l'épée de Charlemagne, longues, larges et plates. » - 108 — Il est juste d'ajouter cependant que ces reparties ne deve- naient vives qu'autant qu'il se sentait blessé lui-même. 11 était surtout bienveillant pour les jeunes gens qui abor- daient la carrière des sciences. S'il parvenait à les animer, à les mettre à l'unisson avec lui, on le voyait radieux, et le cadeau de ses ouvrages était le résultat ordinaire de leur visite. S'il se trouvait, au contraire, frustré dans son attente, on s'apercevait facilement qu'il éprouvait un sentiment pé- nible. « Ça ne va pas, disait-il, je l'ai essayé, mais il n'a pas mordu. » Vers la fin de sa vie, M. De Nieuport avait entièrement cessé de s'occuper de mathématiques, non qu'il eût cessé d'aimer cette science, mais il ne se sentait plus ni l'énergie ni la force de tête nécessaires pour se livrer à de nouvelles recherches. « L'appétit n'y est plus, disait-il, c'est un signe de désorganisation. )> Il regrettait surtout de n'avoir pu suivre les recherches de la géométrie moderne. Il craignait l'oisiveté comme le plus grand fléau : aussi les études littéraires, qui exigent en général moins d'atten- tion que les sciences, l'occupèrent jusqu'au dernier instant. Il relisait ses livres favoris, y faisait des annotations, ou s'amusait à composer des vers que lui suggérait l'un ou l'autre passage ('). L'idée de la gloire qu'il pouvait acquérir par ses propres ouvrages semblait subordonnée chez lui à celle du plaisir qu'il retirait de leur composition, aussi passait-il facilement des sciences aux lettres et à la philo- sophie; mais il paraissait toujours cultiver les lettres et la philosophie comme une application des sciences mathéma- tiques. Depuis quelque temps, M. De Nieuport éprouvait des maux de poitrine et une gêne continuelle dont il se plaignait (') En mouianl, il laissa plusieurs ouvrages à la ljibliolhè(iue de l'Académie, et entre autres un bel exemplaire de Platon, couvert d'annotations de sa main. — 109 — fréquemment; ses facultés intellectuelles avaient cependant conservé toute leur force, et le physique n'avait pas éprouvé (l'altération bien sensible. Quand je le vis pour la dernière fois, c'était la veille de sa mort: j'étais sur le point de partir pour l'Angleterre; j'allais lui faire mes adieux, j'étais loin de prévoir qu'ils dussent être éternels. Je le trouvai assis à la même place et dans le même fauteuil où je l'avais vu lors de ma première visite : j'étais avec Dandelin, qui devait m'accompagner dans mon voyage. Le bon vieillard parut heureux de se retrouver avec nous; il nous tendit affectueu- sement la main, et nous parla de notre séparation, de l'objet de notre voyage, de nos éludes. Il reprit bientôt sa vivacité naturelle; puis, comme nous lui demandions quelle était la nature de son mal, « Que sais-je, dit-il gaiement^ il n'y a qu'une manière de se porter bien, et il y en mille d'être malade. C'est toujours la même oppression; c'est mon diable qui me tient là.... » et il montrait sa poitrine. Le lende- main, vers la nuit, je retournai avec mon ami à la demeure du commandeur pour avoir des nouvelles de sa santé, dont on venait de nous parler d'une manière alarmante. Une faible lumière brillait dans la bibliothèque où il se tenait habituellement; nous nous arrêtâmes quelques temps, évi- tant de sonner de peur de troubler peut-être son sommeil : c'était l'heure, hélas! à laquelle il venait de rendre le dernier soupir. Il fut sur pied jusqu'au dernier instant : son agonie fut courte. Le jour de sa mort il eut quelques accès de délire. Vers dix heures du soir (20 août 1827), son mal habituel parut agir avec plus de violence: il fut saisi d'un vomissement subit et expira au même instant. JEAN-BAPTISTE VAN MONS. Les hommes supérieurs sont comme les monuments : on ne peut bien les juger qu'en les voyant en place ; ils s'harmonisent avec les lieux et les climats qui les ont vus naître; si l'on vient à supprimer tous les rapports qui exis- tent entre eux et leurs alentours pour les isoler et ne les considérer que d'une manière abstraite, les idées qu'on pourra s'en former seront nécessairement incomplètes, et les jugements qu'on en portera seront faux. 11 faut tenir compte aux hommes des difficultés qu'ils ont eu à vaincre pour s'élever à une certaine hauteur, où peut-être ils au- raient été naturellement portés sans efforts, s'ils étaient nés dans d'autres temps ou d'autres lieux. Si de pareilles consi- dérations s'effacent aux yeux de l'historien qui retrace la marche progressive des sciences, elles doivent nécessaire- ment occuper l'écrivain impartial qui veut apprécier le savant et vérifier ses droits à l'estime publique, droits que l'on peut regarder comme ses litres de noblesse. Jean-Baptiste Van Mons naquit à Bruxelles, le 11 novem- bre 1765 ('), époque où commençait à se manifester en (') Son père, Ferd.-P. Van Mons, receveur du grand béguinage de Bruxelles, avaii encore deux autres fils et une fille, femme d'un grand mérite, qui fut ma- riée, plus tard, au docteur Curtet. - 111 — Belgique le mouvement intellectuel, qui bientôt après donna naissance à la Société littéraire, et trois ans après à l'Aca- démie impériale et royale de Bruxelles. En même temps s'opérait dans l'enseignement une réforme salutaire qui acheva de réveiller la Belgique et de la faire sortir de l'étal de torpeur où elle était plongée depuis longtemps ('). Ces sortes de secousses ont rarement lieu sans agir d'une ma- nière puissante sur déjeunes intelligences, et les premières années d'organisation produisent presque toujours les meil- leurs résultats. Yan Mons devait tout à lui-même. 11 avait appris dans un collège de la Campine le peu de latin qu'on enseignait alors, et il acheva de se former dans la modeste officine d'un pharmacien. Ses nombreux ouvrages font foi des connais- sances variées qu'il parvint à acquérir ; on peut voir, par sa volumineuse correspondance avec les hommes les plus dis- tingués de son époque, qu'il possédait à peu près toutes les langues vivantes de TEurope. En i785, il publia son premier ouvrage (^) : c'était un essai sur les principes de la chimie antiphlogistique, et, deux ans après, désirant exercer la pharmacie, il subit avec dis- tinction les épreuves de la maîtrise (^). (■) Les principales réformes t'iiienl inlroduites en 1777. C'est à celle époque ijiie remonle aussi l'élablissement lies écoles Ihérésiennes. (') Galerie historique des contemporains, édil. de Brux., arl. Van Mons. {^) Nous lisons ce qui suit dans une notice inédile sur Van Mons, par M. le pro- fesseur Hensmans : « Les progrès que fit le jeune apprenti dans l'art pharmaceu- lifiue furent tels que, lorsqu'il se présenta pour subir les épreuves de la maîtrise, le chef de la corporation des pharmaciens, étonné qu'il osât se soumettre à ces épreuves dans un âge si peu avancé, lui fit observer qu'il se trompait sans doute, el qu'au lieu d'une inscription pour subir ses examens, c'était luobablemenl celle pour son entrée en apprentissage qu'il venait solliciter. » Le diplôme que nous avons entre les mains porte la date du 3 septembre 1787; Van Mons avait donc à cette époque vingt-deux ans. L'étonnement du chef de la corporation des phar- maciens prouverait que nos pères étaient moins pressés que nous d'entrer dans les carrières scientifiques. — 11-2 - La vivacité toute méridionale de son tempérament et de son imagination doit faire comprendre assez qu'il ne resta pas étranger au mouvement révolutionnaire qui tendait à renverser l'ancien ordre des choses. Dès l'origine de l'insur- rection brabançonne, Van Mons s'était jeté dans le parti vonkiste avec une activité qui faillit lui devenir fatale : peu après l'arrestation du général Vandermersch, il fut incar- céré lui-même à la porte de Hal, comme fauteur de sociétés secrètes et coupable du crime de lèse-majesté ou de lèse- nation. Le procureur général insisia pour réduire celte affaire aux formes les plus simples et les plus expéditives : il fallait des exemples, disait-il ('). L'accusé demandait une défense qu'on persistait à lui refuser : cependant sa jeunesse parlait en sa faveur, et, malgré l'irritation contre le parti auquel il appartenait, il échappa à ce premier danger. La bataille de Jemmapes avait ouvert la Belgique aux armées françaises (6 novembre 1792). En même temps s'organisait l'assemblée des représentants du peuple; Van (') Le passage suivant, que nous extrayons textuellement de l'acte d'accusation du in'ocureur général du Bral)ant peut donner une idée de la manière dont la jus- tice s'administrait alors : « En outre, pour ce <)iii concerne la demande d'un i)ro- curenr et d'un avocat, l'accusateur fait remarquer que les faits imputés au détenu sont évidents et qu'ils établissent que le détenu est impliqué dans une conspira- tion contre le gouvernemput i)ar lequel le pays est légi ; que ce méfait est un crime de lèse-majesté ou de lèse-na(ion, crime qu'il importe de réprimer le plus promplement possible, autant pour le repos public, qui ne i)eut souffrir aucun retardement, que pour servir d'exemple à ceux qui seraient tentés de l'imiter. En conséquence, le demandeur pense que, dans les circonstances actuelles, le détenu ne peut être admis à plaider par avocat cl procureur, attendu que ces moyens jeltenl de la perturbation dans les délibérations de la justice et entravent gran- dement sa marche. Par suite de l'article 14 de l'ordonnance criminelle du 9 juillet 1570, et vu les dispositions qu'elle renferme, le demandeur conclut à ce (|ue la demande du détenu tendante à pouvoir se servir de procuieur et avocat, lui soit refusée, persistant de plus à ce que le détenu lui fasse connaître s'il a quelques moyens à faire valoir pour sa défense, et qu'il ait en outre à s'ex|)liquer sur les faits que l'accusation vient encore d'imputer à sa charge dans le présent procès-verbal, etc. » Cette pièce est datée du 13 septembre 1790. Le premier acte d'accusation est du 3 août. — 113 - Mons fui désigné pour en faire partie, quoiqu'il n'eût alors que vingt-sept ans (^). Ses relations avec la France prirent une nouvelle activité: qu'on ne croie cependant pas qu'en subissant l'influence de la fièvre révolutionnaire, Van Mons ait pu s'associer en aucune façon aux excès de cette époque; sa correspondance prouve, au contraire, que le crédit im- mense dont il jouissait à Paris était entièrement employé en faveur de ses compatriotes. Aucune époque de sa vie ne met mieux en relief la bonté de son cœur et la générosité de ses sentiments. La bataille de Nerwinde (18 mars 1793) avait rendu, pour un instant, la Belgique à la maison d'Autriche ; mais notre pays lui échappa entièrement par la défaite de Fleurus (26 juin 1794). C'est à cette dernière bataille que la science fit un premier essai de l'emploi des ballons pour observer les positions ennemies. A la suite de leur victoire, les Fran- çais transportèrent dans le parc de Bruxelles le ballon qui leur avait servi d'observatoire; et les savants chargés du soin de le diriger se mirent d'abord en relation avec notre célè- bre compatriote (^). Le vainqueur, dès lors, s'occupa sérieusement de partager sa conquête en départements français. Van Mons trouvait dans celte fusion des deux peuples de nouvelles facilités pour ses études; ses relations avec Paris s'accrurent de plus en plus, et les affaires politiques n'y demeurèrent point étrangères. Roberjot venait d'être envoyé en Belgique. A peine ce représentant du peuple fut-il à Bruxelles (7 jan- (') M. Bosc lui écrivait de Paris à ce sujet (24 novembre, 4 frimaire an I de la république) : « Vous êtes représentant du peuple! je vous en félicite, mon cher, et j'en félicite vos concitoyens. Il faut actuellement agir, et agir vigoureusement. Du moment actuel, du moins en partie, dépend de vous le sort futur d'un peuple nombreux pour la suite des siècles, etc. » {') Je liens ces détails de M. Hachette, qui se trouvait à la bataille de Fleurus et qui faisait partie de la compagnie chargée de la manœuvre du ballon. 8 — lu — vier 1795) qu'il s'empressa de s'adresser à notre concitoyen pour obtenir ses conseils sur divers objets d'utilité publi- que ('). Peu de jours après (le 22 janvier), Roberjot prit un arrêté par lequel il chargeait Van Mons de faire des recherches sur les mines de la Belgique, et de donner les résultats de ses opérations pour en connaître la nature et les richesses. Les considérants de cet arrêté sont très-hono- rables pour notre compatriote : ils donnent une nouvelle preuve de l'estime dont il jouissait auprès des savants fran- çais (^). Roberjot se lia de plus en plus intimement avec lui. Les opinions sur le caractère de ce représentant s'accor- dent généralement à lui être favorables; sa correspondance avec Van Mons prouve en effet en faveur de ses connais- sances et de son intégrité; on y voit que, pendant qu'il occupait les fonctions les plus éminentes, il était forcé de faire en petit le commerce des vins pour subsister; il s'élève avec force contre les malversations et contre les intrigants qui affluaient alors à Paris. A la veille de succomber sous (') Voici lextueUement sa lellre : a Bruxelles, 18 nivôse an III de la rép. une et ind. (7 janvier 1795.) » Le citoyen Lamélherie, auteur du /ournaZ de physique, m'a jjrévenu, citoyen, par une lettre que j'ai reçue de lui, qu'à l'amour de la révolution française vous joignez des connaissances Irès-élendues sur la chimie et l'histoire naturelle. » Empressé de conférer avec vous sur plusieurs objets d'utilité jinblique, je vous prie de venir demain auprès de moi, à six heures du matin, pour obtenir de vous des éclaircissements nécessaires à rendie ma mission fructueuse. Veuillez quitter un moment vos occupations pour causer avec moi; je le désire très- ardemment. » Sal. et frat. » Roberjot, représentant du peuple. » (') L'un des considérants porte : « Informé que le citoyen Van Mons, pharmacien de Bruxelles, déjà connu par ses mémoires et ouvrages sur différentes parties de la chimie, est en état de pro- curer ces renseignements, et que ce citoyen s'est déjà rendu utile en commu- niquant au comité de salut public des procédés pour obtenir à moindres frais une quantité considérable de potasse, etc. » — ii5 - un odieux attentat (/), il écrivit encore à Van Mons des pa- roles d'amitié. Je trouve dans la même lettre le passage sui- vant, qui, aujourd'hui même, peut encore présenter quelque intérêt, si l'on considère quelle main l'a tracé : « Ici, nous sommes à attendre la volonté de l'empereur d'autriche : il veut la guerre à tout prix ; il ne répond à aucune de mes notes et se prépare toujours, avec la plus grande activité, à nous attaquer. Je crois que toutes ces tètes privilégiées sont en démence. Rompre un traité comme celui de Campo, ruiner ses États, épuiser son crédit et ses finances, courir la chance de faire un bel acte d'abdication, tel est le plan qui se prépare pour l'Empereur. La diète imite son chef, pour l'indécision et les lenteurs, et nous ne savons quand elle répondra ni ce qu'elle répondra. Nous avons pris pour système de temporiser; il faut établir qu'on ne traite pas de plus mauvaise foi que ces gens-là, etc. » Cependant la question de l'indépendance de la Belgique venait d'être jugée à Paris, et l'on avait décrété que les neuf départements qui partageaient le pays seraient réunis à la France. On sait que cette réunion se fit particulièrement sur les notes et le rapport de ce même Roberjot, qui avait fait une étude spéciale de la Belgique et avait eu soin de pré- parer les esprits à un événement bien médité d'avance, mais auquel la Convention était charmée de donner tous les caractères de la légalité (^). Dès que son plan fut accompli, (') On sait que Roberjot fut assassiné avec Bonnier, à la suite du congrès de Rastadt, le 28 août 1799. Le troisième envoyé français, Jean de Brie, parvint à s'échapper. Après avoir séjourné longtemps en Belgique, il rentra en France à l'époque de la révolution de 1830, et y mourut le G janvier 1831, à l'âge de soixante-quatorze ans. Nous avons donné à la suite de notre première notice, dans le Trésor national., différentes lettres de Roberjot qui se rapportent à l'histoire de celte époque et |iarticulièremenl aux événements (]ui se passaient alors en Belgique. (") Qu'on me permette de citer encore deux lettres qui se rattachent à ce grand — 116 — Roberjot s'attacha à remonter l'enseignement en Belgique, et il s'adressa encore à son ami pour obtenir des conseils à ce sujet, ft Faites-moi l'amitié, écrivait-il, de me faire passer, par le prochain courrier, une liste des personnes que vous connaîtrez s'adonner aux sciences, aux études de tout genre et qui ont acquis une réputation ; ce choix doit être fait non- seulement à Bruxelles, mais dans toutes les villes et com- munes des neuf départements réunis. Vous voudrez bien désigner leurs noms, la partie qu'elles suivent et les ou- événemenl historique. Elles sonl surtout curieuses par les circonstances clans les- quelles elles furent écrites : « Paris, 28 thermidor an III de la rép. fr. « Je vous adresse, mon cher Van Mons, un exemplaire du rapport que j'ai fait à la convention sur le pays que j'ai parcouru dans l'exercice de ma mission : vous verrez que je soutiens, de toutes mes forces, l'opinion de la réunion complète jusqu'au Rhin. J'ai appuyé mon système de raisons assez fortes, pour me per- suader qu'il présentera beaucoup de facilité et beaucoup d'avantage dans son exé- cution. Je l'ai fait distribuer aujourd'hui. Plusieurs de mes collègues se rendent aux raisons que j'ai développées... » Adieu, conservez-moi votre bonne amitié; je suis tout à vous et aux bons habitants de la Belgique. Ne m'oubliez pas au ressouvenir de vos dames. » Salut et frat. n Roberjot. » « Paris, 10 vendémiaire de l'an IV. » Bonne nouvelle, vous êtes Français, mon cher Van Mons : la Convention nationale a décrété hier votre réunion, à l'acclamation générale et aux cris de Vivent les Belges, vive la liberté, vive la réunion ! » La discussion a duré deux jours, et les séances ont été prolongées jusqii'.i six heures du soir. Plusieurs orateurs ont défendu votre cause; deux seulement ont parlé contre la réunion. Mais leurs discours étaient si mal faits; ils étaient tel- ment contraires aux vérités et aux principes de la liberté, qu'ils n'ont pas fait fortune. » J'ai fait parla la Convention de mes observations; j'ai combattu ceux qui demandaient l'indépendance; je vous ferai passer mon discours dont la Conven- tion a décrété l'impression. » Ainsi, mon ami, à la première entrevue, je vous embrasserai comme frère, en nous jurant amitié éternelle et fraternité. Donnez cette bonne nouvelle à vos amis, et veuillez me rappeler au souvenir de vos concitoyens. » Salut et frat, » Roberjot. » - 117 - vrages qui les auraient fait distinguer. Grégoire, membre de l'Institut national, m'a demandé cette liste; j'attends de vous ces renseignements pour les lui fournir, etc. » Van Mons s'empressa de répondre à ces demandes, et les résultats firent voir qu'on n'avait point eu tort de recourir à ses lumières. Notre compatriote reçut, dans cette circon- stance, une preuve éclatante de l'estime de l'Institut de France, dont il venait d'être nommé membre associé (le 22 mars 1796) (*). M. Lacépède, l'un des secrétaires, lui écrivit : « C'est avec une vive satisfaction que l'Institut a appris que vous ne négligez rien pour la prompte et entière organisation de l'instruction publique dans votre départe- ment; vous connaissez le grand intérêt qu'il prend au pro- grès des lumières, et l'on ne peut que féliciter vos conci- toyens de trouver en vous d'une manière aussi utile et le précepte et l'exemple. » Car Van Mons avait été nommé lui-même professeur de chimie et de physique expérimen- tale à l'École centrale du département de la Dyle, le 11 avril 1797 (^). (') Celle nominalion fui communiquée à Van Mons par plusieurs savants et entre autres par Berthollet : « Dans la dernière séance de l'Institut, écrivait-il, il s'est occupé de l'éleclion de six associés domiciliés dans la république, pour la section de chimie; et vous avez été nommé. » (') Nous voyons figurer ici le nom d'un autre compatriote qui, dans un rang fort élevé, soutenait les intérêts scientifiques de son pays. Lambrechts, d'abord commissaire du pouvoir exécutif près le département de la Dyle, puis ministre de la justice, s'était mis en relation avec Van Mons et lui écrivait ce qui suit au sujet du Musée de Bruxelles : « J'espère, citoyen, que vous aurez remis une lettre à mon ami Van Hulthem, et qu'il vous aura mis sur la voie pour obtenir tout ce qui peut être utile à notre École centrale. Vous savez qu'on nous a enlevé beaucoup de livres et d'instru- ments de physique, il est bien juste qu'on nous dédommage... >> Bruxelles, le 28 fructidor an V (14 sept. 1797), » « J'espère que vous continuez à soutenir l'École centrale avec courage. Le mi- nistre des finances m'a promis qu'il mettrait bientôt le corps législatif à même de statuer sur l'emplacement de la ci-devant cour. Aurons-nous de bonnes élec- — H8 - A la même époque, il recevait un témoignage d'estime non moins flatteur de la part des chimistes les plus distin- gués de France, qui l'invitaient à prendre part à la rédaction des Annales de chimie ('). Nous verrons bientôt avec quel zèle, avec quelle immense activité, Van Mons répondit à cet appel. On sait que, pendant longtemps, les communica- tions entre l'Allemagne, l'Angleterre et la France étaient de- venues très-difficiles, pour ne pas dire impossibles (^). Par sa connaissance des langues vivantes et par la position de la Belgique, Van Mons communiqua à l'Allemagne et à l'An- gleterre les travaux des chimistes français, de même qu'à ces derniers, il faisait part des observations et des découvertes faites à l'étranger (^). Pendant longtemps, il inséra dans les lions? Les vrais patriotes se serreront-ils? Choisiront-ils des honnmes sages, purs, inslruils, amants sincères de la liberté? — Salut et amitié. » Paris, le ôO ventôse an VI (20 mars 1798). » (') « Paris 27 nivôse an V (16 janvier 1797). » Les auteurs des Annales de Chimie à leur confrère Fan liions. » Assenablés aujourd'hui pour nous occuper des Annales, nous arrêtons de vous inviter à être notre coopérateur et à permettre que votre nom paraisse à la lête du premier numéro du 21« volume. Répondez-nous sur-le-champ si cela vous convient comme à nous. 0 Agréez l'expression de tous nos sentiments. h FoDHCROY, Pelletier, L.-B. Gcytoî», Vauqoelin, C,-A. PaiEUR, » La lettre est écrite de la main de Fourcroy. (•) Voici ce que M. de Humboldt lui écrivit en date du 30 avril 1797 (extrait des Annales de Chimie, t. XXII, page 64) ; « J'ai adressé récemment plusieurs lettres à MM.Dolomieu et Fourcroy, à Paris, » Je vois, par celles que le premier m'a écrites qu'elles se sont égarées. Per- n mettez. Monsieur, que je prenne la liberté de m'adresser à vous. Par votre « organe, je pourrai peut-être faire parvenir à Paris quelques éclaircissements » sur des faits qui, à ce que je sais, occupent l'Institut national. Agréez en même « temps l'assurance de la haute considération que depuis longtemps m'ont inspirée n votre zèle et vos découvertes chimiques. Les naturalistes de l'Europe ne de- n vraient former qu'une seule famille : on se rapproche facilement quand on suit » le même but, etc. •> (^) « Tâchez donc de nous envoyer quelques extraits ou quelques nouvelles en — 119 — Annales de chimie la traduction des mémoires que conte- naient les journaux allemands (Ann. von Crel), les journaux anglais, italiens [Briignatelli) ,\es journaux hollandais [Jour- nal de Casteleyn). Dès qu'une découverte était faite, le monde savant en était instruit par l'intermédiaire de Van Mons. « C'était une véritable sentinelle avancée, me disait un savant anglais : il criait aux armes dès qu'il voyait appa- raître quelque chose. » Loin de se refroidir, son ardeur ne fit que s'accroître, et il proposa à ses collaborateurs de donner, chaque mois, aux Annales de chimie, un cahier supplémentaire. Comme cette proposition ne put être ac- cueillie, il prit la résolution de publier lui-même un recueil scientifique à Bruxelles. Ses confrères lui donnèrent, dans cette occasion, une nouvelle preuve d'affection, et témoi- gnèrent leurs regrets d'apprendre qu'il renonçait à être un de leurs collaborateurs. La lettre datée du 19 brumaire an X (10 novembre 1801) est signée par Vauquelin, Four- croy, Chaptal, Parmentier, Deyeux, Bouillon-Lagrange, Guyton, Berthollet et Hassenfralz. chimie, pour noire journal de pharmacie, lui écrivait Bouillon-Lagrange en 1799. Votre correspondance, outre qu'elle me flatte infiniment, nous est très-utile pour nous mettre au courant de ce qui se passe chez vous. » « Nous avons hesoin que vous veniez un peu à notre secours pour les Annales de chimie, lui écrivait de son côté M. Adet, notre feuille commence à se vider. » Il lui demandait en même temps des renseignements sur les différents systèmes adoptés par les phlogisti- ciens d'Allemagne, pour les faire entrer dans sa réponse aux observations de Prieslley, sur le phlogistique et la décomposition de l'eau, et il ajoutait : « Per- sonne n'est plus au courant que vous de leurs opinions; personne ne connaît mieux l'état de la chimie allemande et personne ne sait mieux que vous me rendre le service que Je vous demande. » Non-seulement on avait recours à ses lumières mais on montrait encore la plus grande déférence pour ses avis et ses critiques. ■> Ce que vous me dites du dernier numéro du Journa". de pharmacie, écrivait Fourcroy, ne me surprend pas; j'ai trop d'affaires pressantes et on me seconde trop peu, pour que je puisse faire mieux pour le moment; mais j'espère prendre bientôt des moyens d'avoir des matériaux meilleurs et plus nombreux. Je compte aussi beaucoup sur vous, parce que je connais et votre zèle pour le progrès de la science et votre facilité dans le travail. « — 120 - Van Mons fit servir dès lors sa vaste correspondance à alimenter son recueil périodique et à l'enrichir des décou- vertes qu'on lui communiquait de toutes parts. C'est à la pensée à la fois noble et généreuse de faire tourner au profit de ses concitoyens la réputation qu'il s'était acquise à l'étran- ger^ que l'on fut redevable de la création de son Journal de chimie et de phijsiqiie, dont le premier numéro parut le 15 vendémiaire an X (7 octobre 1801). Nous ne parlerons pas de l'heureuse influence que ce re- cueil a dû exercer, non-seulement en Belgique et en France, mais encore en Allemagne et en Angleterre. 11 a puissam- ment contribué à répandre le goût des sciences physiques et chimiques, et à en entretenir le culte au milieu des trophées militaires qui préoccupaient alors tous les esprits. Si Van Mons n'a fourni qu'un faible contingent à son pro- pre recueil, en revanche il l'a enrichi des travaux qui ont immortalisé les Volta, les Vauquelin, les Fourcroy, les Che- nevix, les Brugnatelli ('), les Bucholz, les Trommsdorff, et tant d'autres ; ses relations avec ces hommes célèbres lui per- (') On lit dans VExposition des principales découvertes, etc., par Figuier, 4<^ édition, t. II, p. 257 :« Brugnatelli, élève et collaborateur de Voila, avait réussi, dès l'année 1801, à dorer l'argent au moyen de la pile, en conservant à l'or tout son brillant métallique. Mais le résultat obtenu par Brugnatelli n'avait à cette époque aucune importance scientifique, et l'intérêt que la galvanoplastie inspire de nos jours a pu seul conduire à chercher dans la poudre des recueils scienti- fiques de l'Italie les traces de cette tentative oubliée "Le recueil publiée Bruxelles par Van Mons, sous le titre de /owr/m/ de C/iî/nje et de Physique^ tome V, page 80, an. 1802, avait consacré quelques lignes au fait signalé par Brugnatelli : « La méthode la plus expéditive, dit Brugnatelli, de réduire à l'aide de la pile les oxides métalliques dissous, est de se servir, à cet effet, de leurs ammoniures : c'est ainsi qu'en faisant plonger les extrémités de deux fils conducteurs de platine dans l'ammoniure de mercure, on voit en peu de mi- nutes le fil du pôle négatif se couvrir de gouttelettes de ce métal : de cobalt, si l'on opère avec du cobalt; d'arsenic, si l'on opère avec de l'arsenic, etc. Je me servis de fils d'or pour réduire de cette manière l'ammoniure de platine, que j'ai dernièrement obtenu et examiné. Le platine ainsi réduit sur l'or a une couleur qui tourne vers le noir ; mais étant frotté entre deux morceaux de papier, il prend — 121 - mettaient de communiquer à ses compatriotes leurs décou- vertes les plus importantes, souvent même avant qu'elles fussent connues ou publiées dans les lieux où elles se fai- saient. On doit regretter qu'un recueil aussi utile ait été suspendu après deux années d'existence, et que l'heureuse pensée à laquelle il devait sa création ait été étouffée par des circon- stances majeures et indépendantes de la volonté de l'auteur. Peut-être a-t-on trop perdu de vue aujourd'hui plusieurs des écrits remarquables qu'il renferme. On pourrait y trou- ver encore des observations neuves pour la science. Certai- nement, lorsque M. De la Rive s'occupait de dorer au moyen d'un courant électrique, il n'avait pas sous les yeux la lettre que Brugnatelli adressait à son ami Van Mons; il aurait été frappé par la lecture de ce passage : « J'ai dernièrement doré, d'une manière parfaite, deux grandes médailles d'argent en les faisant communiquer, à l'aide d'un fil d'acier, avec le pôle négatif d'une pile de Volta, et en les tenant l'une après l'autre, plongées dans des ammoniures d'or nouvellement fait et bien saturé (*). » Pour se livrer plus exclusivement à ses études favorites, Van Mons avait renoncé à l'exercice de la pharmacie, et, en l'éclat de l'acier. Je fis usage de fils d'argent pour réduire l'or, ce qui réussit promptement. » « On trouve, dans une autre livraison du même recueil, le passage suivant, qui fait partie d'une lettre adressée par Brugnatelli à Van Mons : » Volta travaille toujours sur l'électricité; il a dernièrement construit diffé- rentes piles composées de seules substances salines de différentes matières, avec les solutions desi(uelles il imprégnait des disques d'or. Lorsqu'il aura terminé son travail, je vous le communiquerai. » J'ai dernièrement doré d'une manière parfaite deux grandes médailles d'ar- gent en les faisant communiquer, à l'aide d'un fil d'acier, avec le pôle négatif de la pile de Voila, et en les tenant l'une après l'autre plongées dans des ammoniures d'or nouvellement faits et bien saturés. » (') Ce i)assage est aussi rappelé par M. Boquillon, dans sa lettre à M. Quesne- ville, sur Vélectrotypie (Revue scientifique et industrielle). — 122 — 1807, il s'était fait recevoir docteur à la faculté de Paris. Presque en même temps l'Université de Helmstad lui of- frait spontanément le diplôme de docteur en médecine. Une pareille distinction lui avait déjà été accordée à Gœttingue. En prenant ce titre à Paris, Yan Mons avait suivi les conseils de son ami Fourcroy, qui lui écrivait : «Votre dernière lettre contient une question sur laquelle voici mon avis. Le titre de docteur en médecine de Gœttingue, quoique prouvant votre savoir pour les hommes instruits, n'a rien de légal en France; ce n'est qu'une valeur confidentielle à défaut de pos- sibilité d'obtenir un titre en France. Mais les lois une fois rétablies sur les réceptions, comme j'espère qu'elles le seront incessamment, il faudra vous faire recevoir chez nous. » Déjà, depuis longtemps, Van Mons faisait marcher de front l'art de guérir avec les soins de sa pharmacie. La tourmente révolutionnaire durait encore, qu'on le voyait passer tour à tour avec la plus grande facilité des affaires politiques à celles de la science: c'était encore là un des résultats' remar- quables de son heureuse organisation. L'intérieur de sa mai- son, sous ce rapport, méritait aussi bien l'attention de l'ob- servateur que celle du peintre : on le voyait recevoir dans la même chambre, ses amis et ses malades, mêler des causeries scientifiques à des consultations médicales , et dicter en même temps plusieurs lettres, quelquefois même en langues différentes. 11 savait, pour ainsi dire, se multi- plier et imprimer partout l'action puissante qui l'animait. Il est consolant pour l'humanité de trouver des idées d'ordre et d'organisation au milieu des grands bouleverse- ments politiques. C'est du sein même des ruines qui cou- vraient la France qu'on vit surgir la plupart de ses grandes institutions scientifiques. Notre pays aussi suivit cette im- pulsion organisatrice. La Société de médecine, chirurgie et pharmacie de Bruxelles se forma en 1795^ sous la devise — 123 — JEgrotantibus,el tint sa première séance le 30 septembre ('). Elle nomma dans son sein une commission chargée de lui présenter un projet de règlement pour son régime intérieur et extérieur, et Yan Mons fut l'un des quatre membres qui la composèrent; il fut en même temps nommé secrétaire de la société. L'on peut voir, par la liste des ouvrages qui furent lus dans les séances, qu'il paya très-généreusement son tri- but. Quelques-uns de ses écrits furent même imprimés dans le recueil des mémoires. Cependant la discorde qui se glisse partout vint s'asseoir aussi dans l'intérieur de cette modeste réunion. La société se réorganisa, le 3 juillet 1804, sous le titre de Société de médecine de Bruxelles, mais Van Mons n'en faisait plus partie (^). Toutefois il ne lui garda point rancune; car, dans le tome III des Actes de la société (1810), on trouve un mémoire de lui qui répondait à la question suivante, proposée au concours : « Quels sont les effets que produisent les orages sur l'homme et sur les animaux? de quelle manière ces effets ont-ils lieu? quels sont les moyens de s'en garantir et de remédier aux désordres qu'ils occa- sionnent? M II n'est point dit quelle distinction fut décernée à ce travail, qui obtint au moins celle d'être imprimé le pre- mier des trois mémoires que publia la société. (') « Bruxelles avait possédé une académie distinguée dans le monde savant: elle fut la première ville de l'empire qui fonda une académie de médecine, etc. « Discours d'int. au t. I des Jetés de la Soc. de méd. Bruxelles, p. vi, an. 1806. (') Il paraît que l'animosité fut d'abord assez grande et qu'elle eut du retentis- sement au dehors. M. Sédillot, secrétaire général de la Société de médecine de Paris, écrivait à Van Mons, le 51 août 1804 : « J'ai reçu votre circulaire en date du 1" thermidor (20 juillet); j'y ai vu avec peine qu'il s'était fait une scission dans votre Société de médecine de Bruxelles. J'ai reçu, depuis, des lettres de la division de la société dont M. Fournier est secrétaire, plus le tableau des membres de cette société; permettez-moi, monsieur, de vous exprimer mon vœu de voir cesser la cause de ces divisions pour l'honneur de l'art et de ceux qui le cultivent. La juste réputation dont vous jouissez dans le monde savant, et qui m'a toujours fait attacher un grand prix à votre correspondance, donne un grand poids au vœu que je forme et que je ne formerai peut-être pas inutilement. » - 124 — Vers cette époque, Van Mons s'occupait assez activement des phénomènes de l'électricité ordinaire. « Les physiciens- géomètres embrassent presque généralement l'hypothèse des deux fluides; les physiciens-chimistes donnent la pré- férence à l'hypothèse de Francklin ; avec quelques légères modifications. L'électricité positive prend le non d'électricité condensée, et l'électricité négalive celui d'électricité raréfiée. Dans ses Principes dt électricité , M. Van Mons tâche de fortifier l'hypothèse de Francklin, il fait plus, il attaque celle de ces deux fluides avec des armes maniées avec adresse, et qui seraient très-puissantes contre ceux qui ad- mettraient la réalité de ces fluides» ('). Cet ouvrage n'est pas un de ceux qui font le moins d'honneur à notre savant chimiste. Un des faits qui honorent le plus Van Mons dans sa car- rière médicale, c'est qu'il fut le premier introducteur de la vaccine en Belgique; et il était si persuadé de l'efficacité de ce préservatif contre un de nos plus cruels fléaux, qu'il en fit la première application à son fils aîné. Depuis son enfance, il s'était livré avec ardeur à la culture des fruits; il y avait apporté un esprit de pénétration qui devait le conduire aux plus brillantes découvertes. En 1795, BerthoUet le remerciait, au nom de la Commission d'agricul- ture et des arts, pour ses importantes communications. Plus lard, la Société d'agriculture du département de la Seine, sous la présidence du ministre de l'intérieur, lui décerna, en séance publique, une médaille d'or, « pour reconnaître le zèle et le succès avec lesquels il s'était occupé de la mul- tiplication des variétés d'arbres fruitiers. » De pareilles marques d'estime lui étaient décernées dans plusieurs autres (') A. Libes, Histoire philosophique des progrès de la physique, lorae IV, l)age 17Ô. Paris, chez V^ Courcier, 1815. — 125 — pays, et ses ouvrages étaient traduits dans les différentes langues. Lui-même, dans l'intérêt des sciences, avait souvent tra- duit les ouvrages des autres: c'était un témois;nao;e d'estime qu'il avait donné à Brugnatelli, à Swediaur, à Davy, etc. ; et, en général, il enrichissait les ouvrages originaux de notes et d'observations dont les auteurs le remerciaient. Ce ne fut cependant pas ce qui arriva, paraît-il, au sujet de la traduc- tion des Eléments de philosophie chimique de Davy, qui fut publiée en 1813. L'illustre chimiste anglais supportait fort impatiemment les contradictions, et Van Mons s'en était per- mis dans ses notes. Du reste, Davy n'avait pu revoir la tra- duction du premier volume, qui se fit sur une première édi- tion; il en exprima ses regrets à notre confrère, et lui fit l'offre de lui envoyer des rectifications; il lui adressait en même temps un exemplaire de ses Eléments de chimie agricole, corrigés pour une seconde édition. Van Mons reçut un accueil plus favorable au sujet de sa Lettre à Bucholz sur la formation des métaux qu'il avait adressée à l'illustre Berzélius. Le chimiste suédois lui répon- dit dans les termes les plus affectueux ('). Le voyage que fit en Belgique, pendant l'année 1813, le comte François de Neufchâteau, fut une ovation continuelle pour le savant littérateur, qui cependant, au milieu des (') « J'ai reçu avec bien du plaisir le l"" volume de voire Lettre à Bucholz sur les métaux, elc; el je vous en ai de grandes obligalions. Les nouvelles dé- couvertes chimiques demandent une réforme de la théorie de celte belle science, ou, pour m'exprimer plus juste, nous forcent à nous introduire dans des régions plus reculées, où nos prédécesseurs n'ont pu pénétrer, et aux frontières des- quelles l'illustre auteur de la théorie de l'oxydation a cru devoir s'arrêter. L'élec- tricité a commencé à jouer un rôle chimique, qui, chaque jour, nous révèle de plus en plus sa haute importance, et qui nous oblige à y porter, dans nos discus- sions théoriques, toute l'attention qu'elle mérite. Chaque essai pour gagner plus de lumière, dans une matière si difficile à pénétrer et si délicate, mérite une attention particulière des chimistes. L'essai que nous décrit votre lettre à Bucholz est peut-être le premier elle plus étendu, etc. » (Stockholm, 26 mars 1812.) — 126 — fêtes dont on le fatiguait, sentait le besoin de se rapprocher de notre confrère et de mettre à profit son expérience. 11 lui demanda d'abord une entrevue; puis il lui proposa d'aller diner à la campagne pour causer plus librement; et, en par- tant, il le remercia encore de ses bons conseils ('). Mais Van Mons avait aussi une demande à faire à son puissant ami, qui ne pouvait rien lui refuser. « Vous aurez du bitume de Tessel^ avec une prière officielle de vous en occuper, lui écrivait le savant français. Peut-être trouverai-je, chemin faisant, d'autres produits à examiner par la chimie, et eris mihi magniis Apollo. » On voit que si le noble voyageur savait distinguer les talents, il connaissait aussi l'art d'en tirer parti. On aura pu remarquer encore que presque toutes les missions en Belgique avaient implicitement pour but de faire produire au pays le plus possible à l'avantage de la république ou de l'empire. Lorsqu'après les événements de 1815, le roi Guillaume rétablit l'Académie royale des sciences et belles- lettres de Bruxelles, détruite par l'invasion française, le nom de Van Monsfut compris dansla première nomination (2juilletl816j; (') « Monsieur et cher confrère, il me peine beaucoup d'être déjà depuis deux ou trois jours à Bruxelles et de n'avoir pu encore aller vous chercher. Vous ne sauriez douter de l'empressement que j'ai de vous voir, de visiter votre pépinière et de conférer avec vous sur les moyens de mettre en valeur les bruyères de la Campine, ce qui est le principal objet de mon voyage. Nous causerons aussi des parmentiers ou pommes de terre, etc. Je vais ce malin à une cérémonie de la faculté de droit; je liine en ville, malgré moi et au préjudice de mon régime. Demain, vendredi, je serai à votre disposition ; mandez-moi à quelle heure vous serez libre. — A Bruxelles, 10 juin 181-3. » « Ne pourrions-nous pas, demain mardi, nous dérober ensemble et faire un pique-nique dans ((uelque guinguette rustique hors de la ville? ce serait la meil- leure manière d'emi)loyer une agréable soirée, à la vue de la campagne, objet constant de mes méditations, et dont la prospérité est la seule passion qui me reste; vous me ferez dire ce que vous en pensez; et demain dans la matinée, je vous recevrai avec plaisir pour prendre nos mesures, convenir de l'heure et du lieu du rendez-vous.... — Ce lundi. » Le sénateur comte François de Nedfchateau. » — 127 — et il avait, sous tous les rapports, les plus grands titres à cette distinction. Le collaborateur des Lavoisier, des Fourcroy, des Volta, des Berlhollet et de tant d'hommes illustres qui caractérisent cette époque à jamais mémorable, ne pouvait être oublié lorsque la patrie réunissait ses sommités scienti- fiques. On devait naturellement se rappeler la part qu'il avait prise aux grandes découvertes qui avaient marqué le renou- vellement de la chimie, soit par ses propres travaux, soit par son immense activité. On se souvenait de ses relations avec Brugnatelli et Volta, et de ce qu'il avait fait pour pro- pager et défendre la théorie de la pile. Son heureuse orga- nisation lui avait fait deviner, pour ainsi dire, tout ce qu'il y avait d'avenir dans les nouvelles doctrines dont on venait de jeter les bases. Aussi, lorsque PfafF vint montrer aux savants ses nouvelles expériences sur l'électricité, Volta l'invita à passer par Bruxelles, pour les répéter sous les yeux de notre célèbre compatriote; c'est encore à lui que furent adressés la plupart des résultats obtenus en Hollande par Van Marum, Paets Van Troostwyck et les autres savants dont les travaux donnèrent une juste célébrité au musée Télérien. L'organisation des universités suivit de près celle de l'Aca- démie royale; Van Mons fut un des premiers professeurs désignés pour y occuper une place importante; le gouverne- ment lui confia la chaire de chimie et d'agronomie à l'uni- versité de Louvain (1817) ('). Dans toute autre circonstance. Van Mons aurait sans doute refusé la place qui lui était offerte, car comment se résigner à quitter sa pépinière, résultat de tant d'années de travaux et d'expérience ? Mais il venait d'être frappé successivement de deux coups cruels, dont le souvenir encore récent devait le porter à s'éloigner de Bruxelles. (') Van Mons fut aussi compris, par le gouvernement, au nombre des savants appelés à composer l'Académie royale de médecine de Belgique. — 128 - Van Mons avait épousé, en 1795, M"*^ Diellen, fille d'un médecin respectable de Bruxelles, et il en avait eu succes- sivement quatre fils ('). 11 eut le chagrin de perdre le plus jeune en 1815, et presque immédiatement après, son épouse chérie, par un accident aussi déplorable qu'imprévu. Ce double malheur le plongea dans le désespoir, et changea même totalement ses habitudes. Van Mons pouvait passer pour un des plus beaux hommes de son époque : sa taille élevée et bien prise, sa physionomie spirituelle et franche, ses yeux noirs et pleins de feu, le rendaient véritablement remarquable. Lui-même prenait soin de faire valoir ces avan- tages naturels par une mise toujours recherchée. Mais, après la double perte dont nous venons de parler, il s'isola, se né- gligea entièrement; et, vers la fin de sa vie, il avait même porté cette négligence à un point tel que ses parents et ses amis s'en affligeaient. On conçoit que les nouvelles fonctions qui l'appelaient à Louvain firent une heureuse diversion à ses chagrins; on conçoit encore comment il put se résoudre à quitter sa pépi- nière, objet de ses constantes études. Il y comptait alors plus de 80,000 arbres; la majeure partie en poiriers provenus de ses semis. Le voisinage de Louvain et son activité ex- traordinaire lui permettaient de concilier ses fonctions nou- velles avec les soins qu'il devait à ses arbres chéris, « quand, en 1819, ex abrupto, le terrain que contenait la pépinière de la Fidélité fut jugé indispensable à être distribué en rues et partagé en lots pour être couverts de bâtiments. Van Mons fut sommé de le vider dans le bref délai de deux mois, (') Louis-Ferdinand, général dans l'armée belge , morl ; Charles, médecin d'une grande espérance, qui fui enlevé par le typhus, en 1837 ; Thédore, président de la haute cour militaire, et Auguste, qui mourut en 1815, à l'âge de trois ans. Jean-Ba|)liste Van Mons avait épousé en premières noces mademoiselle Coekel- berg, qu'il perJ27. — 147 — manière de procéder en géométrie, pour résoudre les pro- blèmes ou pour arriver à des théorèmes nouveaux ; on y trouve le cachet de son génie mathématique, en même temps qu'on admire les ressources et la variété de sa belle intelligence. L'auteur montre qu'un grand nombre de figu- res, et spécialement les polygones inscrits et circonscrits^ peuvent être ramenés à des figures régulières dont ils con- servent les propriétés dans leurs déformations. 11 y revient encore sur la théorie des sections coniques et donne une élé- gante solution du problème du plus court crépuscule. Mais de tous les ouvrages de Dandelin, le plus curieux est incontestablement celui Sur l'hyperboloïde de révolution et sur les hexagones de Pascal et de Brianehon ('). Ce petit mémoire est un chef-d'œuvre d'élégance géométrique : c'est l'écrit le plus remarquable qui soit sorti de sa plume. En le reproduisant dans ses Annales, M. Gergonne ajoutait : « Ainsi se trouvent établis, sans calcul et par une sorte d'in- tuition, les deux théorèmes de Pascal et de M. Brianehon, c'est-à-dire les plus importants peut-être de tous ceux qui composent la théorie des sections coniques (^). » Si l'on songe maintenant qu'un géomètre de cette force n'écrivait que pour répondre aux sollicitations de l'amitié, et qu'il fallait en quelque sorte lui arracher ses ouvrages, on concevra ce qu'il aurait pu produire s'il avait été stimulé par l'ambition et par la soif de la gloire (^). Dans presque (') Tome III (les Mémoires de l'Académie, 1826. L'auleur y généralise le ihéoième des foyers, et l'étend aux sections coniques considérées dans l'hyper- boloïde de révolution, au lieu du cône droit. (') Annales de mathématiques pures et appliquées, tome XV, p. 396, an- nées 1824 et 1825. (^) Je saisissais presque toujours les occasions de ses voyages à Bruxelles, pour l'engager à rédiger ses travaux mathématifiues. Mes instances un peu vives lencontraienl souvent de l'opposition; il se vengeait alors par des plaisanteries et allait raconter à nos amis communs que je l'appelais à Bruxelles pour l'enfer- mer et le forcer à écrire. Assez généralement, il se hornait à m'envoyer les - 148 — loiites ses lettres, il proteste de son désir de vivre tranquille et de ne s'occuper des sciences que pour exercer son esprit : on croirait entendre Pascal parlant de la géométrie et de la vanité des succès qu'elle procure ('). Connbien il y a loin de cette abnégation de tout amour-propre à la susceptibilité irriîable de tant d'écrivains médiocres qui se répandent en invectives et en outrages contre ceux qui ont le malheur de ne pas les admirer! Pendant qu'il s'occupait de ses plus beaux ouvrages géo- métriques, Dandelin avait entrepris aussi un travail d'ana- lyse, dans la vue, « moins de trouver des méthodes nou- velles pour la résolution des équations, comme il le disait, que de simplifier et de généraliser celles déjà connues, et d'en rendre l'usage plus commode. » Son mémoire Sur la résolution des équations numériques fut présenté à la séance du 5 mai 1825, et imprimé dans le tome III de nos Mémoires. Cet écrit fixa l'attention du respectable commandeur de Nieuport, qui, dans un âge octogénaire, avait conservé le goût des sciences mathématiques et qui leur devait son entrée à l'Institut de France. Ce vétéran de la science de- manda à son jeune confrère la résolution d'une équation énoncés des théorèmes nouveaux qu'il avait rencontrés dans ses recherches, pour me laisser le plaisir, disait-il, d'en trouver les démonstrations, mais plutôt, je crois, pour s'éviter l'ennui de les rédiger lui-même. Il aimait à s'appliquer les mots (le Figaro : jijaresseuj; avec de'hces/ et cependant son esjtrit était constam- ment en action ; il n'avait réellement de paresse que pour écrire le résultat de ses méditations. Il professait, du reste, peu d'estime et une sorte de mépris pour ceux (|ui ne cultivent les sciences que par des motifs d'amour-propre ou de cupidité. (') « Car, pour vous parler franchement de la géométrie, je la trouve le plus haut exercice de l'esitrit ; mais en même temps je la connais pour si inutile, que je fais peu de différence entre un homme qui n'est que géomètre et un habile artisan. Aussi je l'appelle le plus beau métier du monde; mais enfin, ce n'est qu'un métier; et j'ai dit souvent qu'elle est bonne pour faire l'essai, mais non pas l'emploi de notre force : de sorte que je ne ferais pas deux pas pour la géométrie, et je m'assure que vous êtes fort de mon humeur. « Lettre à Fermât, Pascal, tome IV, page ô92. — 149 — qui l'avait arrêté et à laquelle il avait été conduit par l'examen d'un problème sur le calcul des probabilités. Dandelin leva la difficulté qui lui avait été soumise, et les deux écrits parurent ensemble dans les Mémoires de l'Aca- démie ('). Vers la fin de 1821 (■^), Dandelin avait quitté Namur et (') Tome III des Mémoires. (') La lettre i)ar laquelle il était envoyé à Garni porte la date du 22 novembre, cl celle qui l'envoyait à Venloo est datée du 3 février 1824. Le départ de Namur fut véritablement un événement : Dandelin s'était fait beaucoup d'amis dans cette ville, et il tenait à leur laisser des souvenirs. Il n'était point riche, et sa libéralité était grande. Il se dépouilla à peu près de fout ce qu'il avait, et s'en alla, disail-il en riant, comme s'il partait pour l'autre monde. Il avait des livres de choix, c'est même la seule chose à laquelle il parût tenir; cependant s'il arrivait à un ami d'examiner un de ses ouvrages avec quelque curiosité, il pouvait être certain de le retrouver, en rentrant chez lui. Quand on lui faisait des représentations sur cette prodigalité, Dandelin se bornait à ré- pondre : « Je l'ai lu; « ce qui, chez lui, signifiait, en effet, qu'il en i)0ssédait parfaitement le contenu et que l'ouvrage lui était désormais inutile. Il |)résenlait sous ce rapport une espèce de problème inexplicable; on ne le voyait presque point lire, el ce|)endanl il savait une infinité des choses dont il parlait fort bien. Dandelin ne connaissait point la valeurde l'argent : il lui est arrivé même de le jeter, littéralement, par les fenêtres. Il se trouvait alors à Namur; il venait de toucher son traitement, et, rentré chez lui, il avait placé l'argent sur une table, en priant son hôtesse de vouloir bien le mettre en lieu de sûreté. Comme on tar- dait à obtempérer à ses désirs, Dandelin insista en disant que cet argent le gênait. L'on ne fit ((ue rire de son impatience; et, la fenêtre étant ouverte, Dandelin en un tour de main débarrassa lui-même la table, à la grande satisfaction de plusieurs petits malheureux qui passaient en ce moment et qui prélevèrent une notable partie sur le traitement, dont les personnes de la maison s'empressèrent d'aller recueillir les restes. Son premier séjour à Namur fut marqué par quelques autres excentricités de jeunesse. Les rochers sur lesquels est construite la citadelle, sont, dans un endroit, taillés à pic el laissent entre eux une fente immense sur laquelle on a établi un pont. A l'époque des travaux, on y avait jeté, pour les ouvriers, un simple pont en planches, non muni de i)arapets et dont le passage é'ait fort dangereux. Dan- delin eut la fantaisie de le passer à cheval; et il exécuta son dessein, malgré les représentations des ouvriers, qui lui étaient très-attachés. Lui-même racontait avec beaucoup de gaieté une mésaventure qui lui était arrivée en se rendant à une revue. Il était en grande tenue militaire et passait devant la boutique d'un vannier, quand tout à coup son cheval s'avisa de saisir — 150 " avait été envoyé à Gand, pour être employé à la construction des forteresses entre la Lys et l'Escaut. Il semblait qu'en se rapprochant de sa famille, il dût avoir à se féliciter du chan- gement: mais il n'en fut pas ainsi : les lettres qu'il écrivit à cette époque annoncent toutes le plus grand abattement et un véritable dégoût du service militaire. Ses plaintes devin- rent plus amères encore, lorsqu'au commencement de 1824, il fut relégué dans la petite ville de Venloo; et bientôt elles n'eurent plus de bornes. « Au nom du ciel, écrivait-il, mon ami, aidez-moi à sortir de cet infernal séjour; j'y sens dépé- rir mes moyens et mollir mon caraclère. A chaque instant l'atmosphère qui m'entoure m'enlève une nouvelle partie démon intelligence Une des plus grandes privations que j'éprouve ici, c'est l'absence d'une bibliothèque: je suis absolument sans livres, et comme je suis aussi sans conver- sation, je m'y trouve bien malheureux. » Le grade de lieutenant en premier auquel il fut promu, le 26 août 1824, ne calma point ses chagrins. Je crus que le seul moyen de le tirer de l'état pénible où il se trouvait était de l'aider à changer de carrière. Celle de l'enseigne- ment paraissait la plus favorable: elle mettait à sa portée tous les moyens de travail, et permettait au pays de tirer parti de cette brillante intelligence, qui pouvait dépérir faute d'aliment. Dandelin avait une organisation toute privilégiée; sa con- ception était vive et facile, son expression toujours nette et élégante; sa physionomie heureuse inspirait la confiance et la sympathie. 11 savait, avec une flexibilité admirable, se mettre au niveau de toutes les intelligences, aborder les un panier; Dandelin voulut le lui retirer; mais le cheval eut |»eur et se mil au galop; les passants ne firent que l'effrayer davanta.ue en voulant lui enlever le panier malencontreux. C'est dans cet é(iui|)af,'e que Dandelin parut subitement devant la troupe déjà réunie pour l'inspeclion. - 151 — questions les plus difficiles et parler à chacun le langage qui lui convenait. S'effaçant toujours pour mettre les autres en relief, il leur laissait croire que ses pensées les plus ingé- nieuses venaient d'eux-mêmes. Aussi, recherchait-on le charme de sa conversation, et chacun se sentait une valeur plus grande en le quittant. On n'apercevait véritablement sa supériorité que par le talent qu'il savait mettre à la cacher. Je parlai du projet concerté avec Dandelin à notre vieil ami, le commandeur de Nieuport, qui l'appuya avec une bienveillance toute particulière et qui, par l'obligeante en- tremise de M. Walter, alors inspecteur général des études, obtint pour Dandelin une nominaton de professeur extraor- dinaire à l'Université de Liège (le 13 mai 1825). Malheureu- sement la chaire qui lui fut confiée n'était pas celle des sciences auxquelles il s'était voué : il fut chargé du cours d'exploitation des mines ('). Les espérances de ses amis ne se réalisèrent donc pas com- plètement. Au lieu de pouvoir donner carrière à sa brillante imagination et de produire de nouveaux travaux de géomé- trie, Dandelin se vit d'abord forcé de se mettre au courant des études que nécessitait sa nouvelle position. Non-seule- ment il voulut acquérir la connaissance de tous les détails des sciences métallurgiques et de la pratique des ateliers, mais il descendit encore dans le labyrinthe des affaires, où le gouvernement lui-même l'appela par différentes missions administratives. C'est un grand art que celui de savoir tirer parti des (') Je lis dans les notes édiles de sa main : « Je quitlai le service le 15 mai 1825, sous la condition ex|iresse d'être conservé sur les cadres de l'armée, condition (|ui n'eut pas son effet, puisque je reçus quelque temps après ma démission hono- rable, contre laquelle je m'inscrivis en réclamation. » Sous le rapport pécuniaire, Dandelin trouvait peu d'avantage en passant à Liège, où son nouveau traitement fut fixé à 1,600 florins (ô,ô86 francs). - 152 - hommes et de les placer dans les postes qui leur convien- nent : il exige un discernement qui n'appartient qu'aux esprits supérieurs. Les attributions généralement réparties au hasard expliquent les nombreux mécomptes que la société enregistre chaque jour. On pourrait juger un homme d'État par les personnes qu'il emploie et par les fonctions qu'il leur confie. Notre confrère avait, du reste, trop de ressources en lui-même pour tarder à se mettre au niveau des exigences de son nouvel emploi ; il commença même, au milieu de toutes ses préoccupations, à écrire quelques ouvrages élé- mentaires; il n'en a publié toutefois qu'un seul, les Leçons sur la mécanique et lesmachines ('), encore n'en avons-nous que le premier volume. Quant aux autres, je n'en connais que ce qu'il m'en écrivit lui-même, en me remerciant de l'envoi de quelques ouvrages, dont l'un lui était dédié. « J'ai refait en entier et reconstruit sur le modèle de votre Astî'O- notnie poimlaire, disait-il, un petit ouvrage qui va, dans quelques jours, paraître à Verviers et qui est destiné aux ouvriers et aux militaires. Vous le voyez, toujours votre étoile entraîne la mienne, à la façon des satellites, qui, mal- gré leurs perturbations et leur tendance à s'échapper par la tangente, n'en sont pas moins obligés de se retrouver, après de certaines périodes, aii point dont ils étaient partis. » Sa métaphore était plus vraie qu'il ne pensait, car presque im- médiatement après avoir écrit cette lettre, il subit je ne sais quelle perturbation, et je reçus cette autre missive. « Depuis que je vous ai écrit, j'ai fait une justice : j'ai brûlé tout ce que j'avais écrit jusqu'à ce jour, et j'ai bien fait; plus des trois quarts étaient inachevés, et je me sentais incapable de finir... Tous les jours, je sens davantage combien il m'est (') 1 vol. in-8», 471 pages, avec pi. A Liège, chez Dessain, 1827. - 153 — impossible de bien écrire, et surtout d'être clair et concis ; d'une autre part^ j'éprouve un dégoût invincible pour la publicité... )) Dandelin, comme tous les hommes d'une imagination vive, était d'une grande mobilité de caractère, du moins dans tout ce qu'il considérait comme secondaire. Il se laissait facilement influencer par les personnes qui l'entouraient ; il en prenait même les goûts et les habitudes. Cette trop grande facilité, résultat d'un naturel confiant, a quelque- fois été mal interprétée et a fait naître des préjugés fâcheux chez ceux qui ne le connaissaient qu'imparfaitement {*). Le plaisir de la conversation l'entraînait aussi à soutenir des paradoxes; mais il le faisait avec tant d'esprit, avec tant de finesse^ et surtout avec tant d'abandon de tout amour- propre, qu'on aurait eu mauvaise grâce à se montrer sévère. Les seuls succès auxquels il se soit toujours montré sensible étaient précisément ceux que procure la conversa- tion et, il faut en convenir, ses prétentions n'étaient point déplacées. (•) Quand une personne lui plaisait, il lui trouvait d'aboni cent belles qualités, souvent même des talents supérieurs. Je le voyais quelquefois s'arrêter |)rès d'un simple ouvrier, entrer en conversation avec lui ; et, s'il lui trouvait quelque intel- ligence, il se prenait aussitôt à regretter que la société ne tirât point parti de facultés aussi remarquables. Un jour, je trouvai l'administrateur général de l'instruction fort indisposé contre lui, pour une petite scène qui, si elle avait eu lieu, était de nature, en effet, à compromellre étrangement la gravité académique. Dandelin, disait- on, à la suite d'une excursion géologique, était rentré dans Liège jouant du violon et accompagné de ses élèves qui dansaient autour de lui. Je me hasardai à lui parler de l'accusation; Dandelin en parut indigné. « Voilà, dit-il, comme on dénature les meilleures aclFons. Dans une promenade géologique que je fis avec mes élèves, nous rencontrâmes un pauvre ménétrier aveugle; j'en eus pitié, et lui donnai quelque argent. Je voulus ensuite essayer son violon; et je jouai quelques airs qui mirent mes élèves en gaieté: la liberté de la campagne m'y autorisait en quel(|ue sorte, et doit facilement me faire excuser : voilà le canevas sur lequel on a brodé toute une histoire. » Celte histoire, en effet, avait eu un cer- tain retenlissemenl que la médiocrité envieuse avait exploité à son bénéfice. - 154 - J'ai dit que le gouvernement le chargea de différents travaux administratifs. Ainsi, lorsqu'il s'agit d'organiser, en 1825, les écoles des services publics, il fut appelé à la Haye pour faire partie de la commission qui eut à s'en oc- cuper. Presque immédiatement après, il fut envoyé en Allemagne (1825), pour comparer les établissements scientifiques et les mines de ce pays avec les nôtres. En 1827, il reçut une sem- blable mission pour l'Angleterre. Lorsque le syndicat eut pris, en 1829, la résolution de mettre en exploitation les mines de fer et les autres res- sources des forêts de Herzogcnwald et de Grunhaut, il fut encore désigné pour intervenir dans cette opération, qui fut arrêtée par la révolution de 1830. Son séjour en Saxe donna lieu à quelques lettres spiri- tuelles ('); surtout son excursion à Prague et ses démêlés avec une police tracassière, qui finit par le reconduire au delà des frontières : tout cela était raconté avec une verve et une gaieté qui répandaient sur son récit le charme du roman. 11 aurait été difficile de trouver un compagnon de voyage plus habile à saisir le côté pittoresque des choses et à s'ac- commoder plus facilement de toutes les circonstances. J'ai eu la bonne fortune de faire avec lui le voyage d'An- gleterre, ou du moins une partie de ce voyage. Plus de qua- rante années se sont écoulées depuis cette époque; je venais d'être nommé à la place que j'occupe encore aujourd'hui, et le gouvernement m'avait chargé d'aller en Angleterre pour y commander quelques instruments destinés à notre futur Observatoire. Dandelin arriva la veille de mon départ, disant qu'il venait passer ses vacances avec moi. Que faire? (') Pendant l'imiuession de celle notice, M. Achille Dandelin m'a remis diffé- rcnls papiers, parmi lesquels se tiouvent, sous le litre d'Extrait d'un journal du voyage en Allemagne, des renseignements scientifiques pleins d'intérêt. - 155 - cette difficulté cependant s'arrangea à notre grande satis- faction. 11 fut chargé lui-même d'une mission scientifique, et nous pûmes partir ensemble. C'était le 20 août 1827, le jour même de la mort du digne commandeur de Nieu- port. Nous partîmes sans avoir connaissance de cette perle cruelle, qui ne nous fut communiquée qu'après notre ar- rivée en Angleterre. Jamais Dandelin ne fut aussi gai que pendant ce voyage; je ne crois pas l'avoir vu plus véritablement heureux. Ce- pendant cet excès de bonne humeur fut altéré par un incident qui faillit nous devenir funeste. Nous nous étions embarqués à Ostende, après avoir été retenus dans le port une par- tie de la journée par une tempête affreuse; et, au milieu de la nuit, le bateau à vapeur alla échouer sur un banc de sable, à l'entrée de la Tamise. Notre position était des plus alarmantes; nous nous attendions à périr d'un instant à l'autre; mais, vers la naissance du jour, la marée montante parvint à nous dégager. Après avoir visité Londres, notre dessein était de par- courir ensemble le nord de l'Angleterre et l'Ecosse. Dan- delin prit les devants et devait m'attendre à Sheffîeld. Quand j'arrivai dans cette ville, le nombre des connaissances et des amis qu'il s'était faits déjà, malgré son ignorance à peu près complète de la langue anglaise, était si grand que j'en fus effrayé. Ne pouvant répondre à toutes les invitations qu'il avait reçues pour moi, je dus me séparer de lui. A mon retour en Belgique, je demandai vainement de ses nouvelles. Un mois, deux mois se passèrent sans que je fusse plus heureux ; il en était de même dans sa famille et au mi- nistère de l'intérieur. On commençait à concevoir des in- quiétudes, quand Dandelin arriva subitement. Il envoya de Liège un rapport détaillé sur tout ce qu'il avait eu occasion d'observer ; et le Gouvernement lui en témoigna sa satisfac- — 156 — tion, oubliant le déplaisir que lui avait causé un trop long silence. On se ferait difficilement aujourd'hui une idée exacte de ce qu'était l'Académie des sciences et des belles-lettres de Bruxelles à l'époque où Dandelin y fut appelé. Composée en grande partie de savants qui habitaient les provinces septentrionales du royaume ou qui se trouvaient dissémi- nés dans nos universités, elle ne comptait guère qu'une demi-douzaine de membres qui suivissent assidûment ses séances. On causait bien plus qu'on ne dissertait sur des points scientifiques ; mais, en causant, on était souvent con- duit à s'occuper des mêmes recherches, et l'un dénouait une difficulté devant laquelle l'autre avait échoué. La géométrie pure occupait à peu près exclusivement quelques-uns des membres. La publication de plusieurs mémoires avait mérité l'attention des savants étrangers et avait contribué à étendre les relations de la compagnie, qui était devenue un centre pour ce genre d'études. Les amis de la géométrie ancienne encourageaient cette utile ten- dance ; je citerai particulièrement MM. Ampère, Bobilier, Chasles, Gergonne, Gérono, Hachette, Lévy, Th. Olivier, Plana, Pliicher, Poncelct, Michel Reiss; tous nous commu- niquèrent de leurs travaux, qui furent insérés soit dans les Mémoires de la compagnie, soit dans la Correspondance ma- thématique et physique. Nous n'avions pas encore les Bulle- tins, et l'on sentait le besoin d'un recueil qui pût recevoir les écrits de peu d'étendue, et même les simples commu- nications. Ce mouvement intellectuel se répandit dans nos univer- sités et jusque dans nos athénées et collèges. La plupart des savants nationaux, qui se sont fait connaître depuis, essayaient alors leurs forces et déposaient dans la Correspondance mathématique les résultats de leurs recherches. — 157 — Les événements de 1830 donnèrent un autre cours aux idées : beaucoup de jeunes gens qui se destinaient aux sciences embrassèrent la carrière des armes, et les nou- velles études qu'ils eurent à suivre leur firent négliger celles dont ils s'étaient précédemment occupés. Au moment où éclatèrent les premiers troubles, Dan- delin se trouvait à Liège. Il se hâta d'abandonner sa paisible profession et rentra dans la carrière militaire : c'était la troisième fois qu'il déposait la plume pour prendre l'épée. Son esprit supérieur, ses relations nombreuses, ses connais- sances spéciales lui assignèrent aussitôt un poste distingué : il fut nommé commandant de la légion d'artillerie de la garde urbaine, le 13 septembre 1830, et il reçut d'elle, peu de temps après, un sabre d'honneur. Quelques imprudences faillirent malheureusement le compromettre; et, lui aussi, prouva, par son exemple, que La roche Tarpéienne est près du Capilole. Une accusation de trahison fut lancée contre lui ; et, dans le premier instant, il eut beaucoup de peine à s'y soustraire. L'autorité se hâta de détromper le public en annonçant que l'imputation faite à Dandelin était calomnieuse (*). Le 12 octobre suivant, notre confrère recevait du gou- vernement provisoire le brevet de major du génie et l'or- dre de se rendre à Ypres. Il revint ensuite à Gand, où il fut employé, du 16 février 1831 jusqu'à la fin de juillet de (■) M. le comte de Berlaymont, commandant général de la garde urbaine, fit mettre à l'ordre du jour et afficher aux coins des rues l'annonce suivante : « M. Dandelin, commandant de l'artillerie et du matériel de guerre, a été l'objet d'une imputation révoltante; il est du devoir du commandant général, de tout son état-major et du corps des officiers de la garde urbaine, de reconnaître que l'imputation faite à M. Dandelin est calomnieuse. « Fait à l'hôlel de ville, le 28 septembre 1830. » — 158 — la même année, comme chef de la brigade du génie, à l'ar- mée des deux Flandres. Cependant, il n'avait pas encore renoncé définitivement à l'enseignement, et le gouvernement le pressait de prendre un parti ; sa nomination de lieutenant-colonel du génie, signée par le régent du royaume, le 24 juin, acheva de le déterminer à rester dans son ancienne carrière. Dandelin, sous plusieurs rapports, pouvait être comparé à P.-L. Courrier. 11 en avait la tournure d'esprit vive et pi- quante ; il saisissait rapidement le côté pittoresque ou philo- sophique des choses; et, comme lui, à la veille d'une bataille, il se serait facilement oublié au fond d'une bibliothèque, au risque d'y être surpris et de se faire un mauvais parti, soit avec les siens, soit avec l'ennemi. Soldat de profession, par- tisan même d'une vie aventureuse, il était, sans s'en douter, homme de science avant tout. Pour avoir passé dans une autre province, Dandelin n'avait pas entièrement échappé aux dangers de la tourmente révo- lutionnaire. Avec une tête aussi ardente que la sienne, il ne pouvait se tenir en repos, alors que tout était mouvement autour de lui. 11 se mêla aux clubs les plus exaltés et bien- tôt il en devint l'orateur favori. J'étais dans de vives mquiétudes à ce sujet, quand, un matin, un ami commun, aujourd'hui officier supérieur du génie, vint me donner avis que Dandelin était menacé d'être traduit devant un conseil de guerre. Nous courûmes aussitôt ensemble chez le Ministre, M. Ch. De Brouckere, pour lâcher de conjurer la tempête. Tout put s'arranger en effet, et Dandelin fut envoyé à Namur (le 7 septembre 1831). En rentrant dans son ancienne résidence, il y reprit aussi ses anciennes habitudes, hormis son goût pour les études. Il passa en effet plusieurs années dans cette nouvelle garnison sans presque s'occuper de travaux intellectuels. — 159 - Je crus que notre ancienne amitié me donnait le droit de lui adresser des reproches à ce sujet; et je le fis en lui envoyant un exemplaire de la 2*^ édition de mes Positions de physique, qui lui étaient dédiées. Il me répondit par une lettre affectueuse qu'il terminait par ces mots : « Vous dites, mon vieil ami, que mon nom vous a porté bonheur; mais je retourne le compliment : vous devez porter bonheur à mon nom, et j'ajouterai plus encore, vous seul pouvez me rendre à lacarrièreoii je n'ai jamais fait un pas qui n'eût pour objet de m'occuper d'une de vos occupations ou de caresser une de vos sciences favorites. » (8 novembre 1834). Fort de cette promesse, je le pressai plus vivement de rentrer dans la lice. Il parlait de s'occuper de physique et d'astronomie, et plus particulièrement de la théorie de la lumière; mais les instruments lui manquaient: il en reçut enfin du gouvernement, qui les emprunta aux collections du Musée de Bruxelles (14 avril 1835). Vers la même époque, il fut nommé professeur de phy- sique à l'Athénée de Namur ('), sans cesser de conserver son service actif dans l'armée. C'est alors qu'il nous com- muniqua ses idées sur la composition du spectre solaire et sur la théorie de la lumière en général, dont il s'était tou- jours occupé avec une prédilection particulière. Il reprit aussi la théorie des équations (^), et mit en ordre ses Recherches sur la détermination géométrique des orbites (') Le 9 novembre 1835. (*) « Je viens d'achever un nouveau travail pour l'Académie. Il roule sur les formes des racines imaginaires des é(|ualions, et contient plusieurs choses nou- velles. Peut-être pourrai-je vous l'adresser avant la séance de l'Académie, mais cela est douteux. » Je suis également sur le point de terminer la première partie de mon travail sur la décomposition de la lumière, et vous la recevrez bientôt... Vous voyez qu'enfin je me suis réveillé. » De tout cela on n'a rien retrouvé dans ses papiers. - 160 - cométaires^ mais ce n'est qu'au mois de mars 1840 qu'il nous transmit ce dernier travail. Depuis longtemps, notre confrère témoignait le désir de se fixer à Bruxelles. Cette faveur lui fut accordée par le général Buzen, alors ministre de la guerre, qui l'appela au commandement du génie dans les places de Bruxelles, Lou- vain et Vilvorde (le 22 juin 1841). Dandelin était heureux de ce changement, qui réalisait enfin pour lui des espérances conçues depuis longtemps. Mais à peine achevait-il de mettre en ordre sa nouvelle habi- tation, qu'il fut brusquement désigné pour aller prendre, à Liège, la direction des fortifications de la 3^ division terri- toriale (le 23 octobre 1841). Ce coup lui fut très-sensible. Ses amis intervinrent en sa faveur, mais ils ne purent rien obtenir du général Buzen qui, cependant, portait à Dandelin un véritable attachement, a II faut, répondit-il, que mes amis donnent, les premiers, l'exemple de la soumission : c'est le seul moyen d'établir la discipline. » Dandelin se résigna et partit le jour même. Au mois de décembre suivant, M. Nothomb, alors ministre de l'intérieur, proposa au roi de reconnaître, dans la per- sonne de quelques-uns de ses membres, les services rendus aux sciences et aux lettres par l'Académie royale de Bruxelles, et demanda des distinctions en leur faveur. Dandelin fut, à cette occasion, nommé chevalier de l'ordre de Léopold. Cette récompense était méritée et obtint l'assentiment général. Quoique Dandelin fût incontestablement un des hommes les plus savants de notre royaume, c'était un de ceux qui, après une aussi longue carrière, comptaient le moins de titres honorifiques ('). Si l'on se rappelle que, depuis dix- (') Il avait élé nommé docteur honoraire «le l'Université de Gand, en 1825. 11 était aussi membre de la Société minéralogique d'Iéna et des trois Sociétés éta- blies à Liège |)our l'étude des sciences. — 161 — huit ans, il avait composé ses plus beaux mémoires, ceux qui avaient été le plus admirés des juges compétents. Notre confrère ne fut point insensible à ce témoignage de la bienveillance royale, et il voulut y répondre par de nouveaux travaux scientifiques. Au mois de décembre 1842, il nous présenta un écrit Sur quelques points de métaphy- sique géométrique, écrit qui fut inséré dans le tome XYII de nos Mémoires. L'idée lui en fut suggérée par un travail de Legendre, imprimé en 1833, dans le tome XII de la col- lection de l'Académie royale des sciences de Paris. « J'avais, il y a bientôt vingt-six ans, ditDandelin dans V Introduction, traité moi-même ce sujet dans un mémoire adressé à l'Aca- démie royale de Bruxelles : j'ignore ce que ce mémoire est devenu, mais je croyais et je crois encore aujourd'hui qu'il renfermait l'exposé des vrais points de départ de la géométrie élémentaire. » Il est remarquable de voir l'auteur rattacher pour ainsi dire ensemble les deux extrémités de sa carrière scientifique, et revenir avec une sorte de prédilection sur un sujet qui l'avait occupé dans sa première jeunesse. Lui- même il s'étonne de voir Legendre, « ce savant illustre, poursuivre jusqu'à la fin de sa carrière les recherches des- tinées à éclaircir le point délicat de métaphysique sur lequel repose toute la géométrie. » Mais un pareil retour n'est point une anomalie dans les phases de l'intelligence humaine, c'en est, au contraire, une des lois; comme le prouve l'exemple de d'Alembert, de Lagrange, de Carnot, de Legendre et de Dandelin lui-même. C'est ordinairement après avoir usé des théories mathématiques que les savants se préoccupent le plus de la nécessité d'en consolider les bases. Depuis notre nouvelle organisation politique, il ne s'était point passé d'année que notre confrère ne fût appelé à faire partie de quelque jury d'examen, soit pour les élèves de l'École militaire, soit pour les aspirants des ponts et chaussées. li - 162 — En i845, il avait été désigné par la Chambre des repré- sentants comme membre de la commission chargée de l'exa- men des causes qui avaient pu amener la destruction du tunnel près de Tirlemont. Les études auxquelles il dut se livrer nécessitèrent un nouveau voyage en Angleterre, afin d'établir des comparaisons entre les travaux faits dans ce pays et ceux exécutés dans le nôtre pour l'établissement des chemins de fer. La dernière commission dont il fit partie était celle qui fut instituée par arrêté royal du 9 février 1846. Elle était chargée « d'examiner les documents géodésiques de la trian- gulation du royaume, exécutée antérieurement à 1830, et d'arrêter les bases principales et le mode d'exécution du tra- vail complémentaire de celui auquel ces documents appar- tiennent. )) Tant que sa santé le permit, notre confrère prit part aux travaux de la commission, et l'aida de tous ses moyens dans l'accomplissement de la pénible et délicate mis- sion qui lui avait été confiée. La position de Dandelin s'était sensiblement améliorée. Le 1^'" août 1843, il avait été nommé colonel du génie, et il avait enfin été rappelé à Bruxelles, pour y prendre la direc- tion des fortifications de la 2*^ division territoriale ('). Le siège de la direction était à Anvers, mais il obtint de pouvoir résider dans la capitale. 11 y arriva sous l'impression d'une vive douleur, causée par une perte cruelle qu'il venait de faire. Son père, qu'il avait toujours tendrement aimé, avait succombé, huit jours auparavant, aux suites d'un accident des plus déplorables (^). (') Le 30 septembre 1844. (') M. Dandelin père était dans sa soixante-seizième année; il avait été ren- versé et écrasé par une voiture que sa surdité ne lui avait pas permis d'éviter; il mourut des suites de ses blessures, le 22 août 1844. — Germinal n'avait pas une affection moins vive pour sa vieille mère, qui toujours s'était montrée extrême- ment dévouée à ses nombreux enfants. — 163 — Non-seulemont le moral de Dandelin était douloureusement affecté, mais ses habitudes mêmes étaient changées. Cependant, quand il se retrouvait avec ses anciens amis, sa gaieté se réveillait encore; sa conversation si animée^ si spirituelle, reprenait toute sa chaleur, surtout quand ses sou- venirs se reportaient sur ses premières années. Son cœur était aimant et avait besoin de l'affection des autres : il s'at- tachait aux choses comme aux hommes. « Je viens de Gand, me dit-il un jour, et, pendant une journée entière, je me suis fait promener en voiture par toute la ville; j'ai voulu revoir jusqu'aux moindres rues, jusqu'aux promenades les plus so- litaires que nous fréquentions autrefois. » Avait-il le pres- sentiment qu'il ne les reverrait plus ? Depuis quelques années, il suivait avec assez de régularité les séances acadé- miques; et s'il ne présentait plus de ces mémoires remar- quables qui fixeront son nom dans l'histoire des sciences, cependant il prenait encore une part active aux travaux de l'Académie, par les nombreux et savants rapports dont il en- richissait les Bulletins de ce corps. Quand eut lieu la réorganisation actuelle de l'Académie, et que la classe des sciences eut à nommer, pour la première fois, son directeur annuel, c'est sur lui que tombèrent les suffrages. Cet honneur lui était dû sous tous les rapports : il était un des plus anciens fils d'adoption de l'Académie, où il siégeait depuis vingt-quatre ans; toujours il s'y était conci- lié l'estime de ses confrères, et ses travaux étaient de ceux qui honoraient le plus nos recueils. Dans la dernière séance publique à laquelle il assista, Dandelin prononça des paroles qui, si elles ne rappelaient pas toute la force de son talent, témoignaient encore de la parfaite élégance de sa pensée, de la délicatesse exquise de ses sentiments et de cette urbanité si rare que l'esprit cherche en vain à simuler, mais que le cœur seul peut mettre en relief. — 164 — Cette séance couronna en quelque sorte sa carrière aca- démique. Dès cet instant, il ne sortit plus. Dandelin était d'une constitution robuste et semblait des- tiné à vivre longtemps encore. Cependant la maladie faisait de rapides progrès : aux douleurs physiques qu'il ressentait se joignaient malheureusement des chagrins réels qui pré- cipitèrent sa fin. Ses derniers jours furent marqués par une résignation douce et religieuse, par des sentiments affec- tueux, et lorsque déjà la mort avait engourdi la plus grande partie de son corps, ses yeux, au défaut de ses mains, cher- chaient encore ses frères et trois de ses anciens camarades d'études qui avaient voulu recueillir ses adieux ('). Son agonie fut longue et pénible; mais, vaincu enfin par la douleur et ayant perdu toute connaissance, il rendit le dernier soupir, le 15 février 1847 (^j. (') Dandelin avait eu, pour camarades, au Lycée de Gand, le docteur Lengrand, qui le soigna pendant sa maladie, et M. Dulilleul, général du génie, qui le sui- virent de très-près au tombeau. (') Il mourut à Ixelles, faubourg de Bruxelles, rue de l'Arbre Bénit. Parmi ceux qui se rendirent les interprètes de la douleur publique se trouvait le lieu- tenant-colonel du génie Beuckers, qui lui avait été attaché dans la province de Liège et dans les Flandres, et qui, à la fleur de l'âge, était, lui aussi, destiné à le suivre de près dans la tombe. Au moment de sa mort, Dandelin avait i)0ur aide de camp M. Alexis Brialmont, dont les travaux de stratégie ont obtenu depuis le plus brillant succès. PIERRE-FRANÇOIS VERHULST. P. -F. Verhuist était né à Bruxelles, le 28 octobre 1804 : il appartenait à une famille honorable qui n'avait rien né- gligé pour faciliter ses études. Entré de bonne heure à l'Athénée de sa ville natale, il s'occupa avec succès de l'étude des langues anciennes; et, deux années de suite, il rem- porta des prix de poésie latine. Ses inclinations l'entraînaient cependant de préférence vers les sciences exactes ; il s'y ap- pliqua avec passion, au point même de négliger son cours de rhétorique; et, au mois d'août 1822, il partageait les premiers prix de mathématiques avec M. Plateau et quelques collègues, qu'il était destiné à retrouver, plus tard^ dans la classe des sciences de notre Académie. Déjà du temps de l'empire, l'Athénée, ou plutôt le Lycée de Bruxelles, avait donné à l'Ecole polytechnique une série d'élèves distingués; le goût des sciences s'y était conservé; et, par un concours de circonstances favorables, il se trou- vait^ à l'époque dont nous parlons, dans son plus complet développement. Cet établissement comptait, en effet, parmi ses élèves, un grand nombre d'hommes qui se sont distin- gués, depuis, dans le haut enseignement, la magistrature et — 166 — l'armée ('). Jamais cependant l'enseignement n'y fut réduit à des proportions plus simples; peut-être est-ce à cette sim- plicité même que l'on doit la fécondité des résultats qu'on y obtint : en n'étendant pas outre mesure le terrain à défri- cher, il est possible d'atteindre à plus de profondeur. Verhulst se rendit à l'Université de Gand, au mois de septembre 1822, sans même avoir terminé ses études litté- raires, tant était grand son désir de se pousser dans les sciences exactes. Ce manque de formalité lui causa quelque embarras pour obtenir son inscription comme élève de la fa- culté des sciences. Parmi les savants auxquels il avait été adressé, il distin- gua particulièrement Dandelin, chargé alors du travail des fortifications; il conçut pour lui une véritable admiration; et il était difficile, en effet, qu'il en fût autrement. Voici comment, dans une lettre qu'il m'écrivit à cette époque, il rend compte de ses premières relations avec ce savant, dont le tombeau devait un jour être placé si près du sien : « Je ne vous ferai pas l'éloge de M. Dandelin; vous le connaissez assez pour savoir apprécier parfaitement son caractère obli- geant et ses vastes connaissances dans les sciences. Je puis vous assurer que les entretiens que j'ai eus avec lui, m'en ont donné la plus haute idée. Que je lui expose une diffi- culté quelconque qui m'embarrasse, il me donne sur-le- champ toutes les explications désirables, énoncées avec une facilité et une clarté qui plus d'une fois ont excité mon admiration. 11 traite de bagatelles ses découvertes les plus intéressantes. )> Les études de Verhulst à l'Université de Gand furent, comme à l'Athénée royal de Bruxelles, couronnées d'un plein (') Enlie autres, les professeurs des universités MM. Plateau, Rickx, Verhulsl, Morren , Nypels, De Cuyper, Guiette, Van Essclien, Kindi, Van Ginderachler, Uyllerhoeven, etc. — 167 — succès. Une même année lui vit remporter deux palmes aca- démiques : au mois de février i824, il fut couronné par la faculté des sciences de l'Université de Leyde, pour un mé- moire sur la théorie des maxima et des minima, et, au mois d'octobre de la même année, il reçut la médaille d'or de la faculté des sciences de Gand, pour un travail sur le calcul des variations. Il serait injuste, on le conçoit, d'exiger des jeunes auteurs de pareils travaux autre chose que de la méthode et de l'élégance dans l'exposition; l'invention ma- thématique ne saurait être une condition nécessaire d'un semblable concours. Le prix sur la question des maxima et des minima fut partagé avec M. Verdam, élève de l'Université de Leyde. On peut voir dans la Correspondance mathématique et physique (^), une analyse des ouvrages des deux concurrents, faite par M. le professeur Garnier. L'auteur de celte analyse n'a pas fait pencher la balance en faveur de son élève; il semble laisser comprendre, au contraire, que son jugement lui eût été défavorable, s'il eût été appelé à le prononcer. Quant au second mémoire sur le calcul des variations, M. Garnier se borna à en promettre une analyse (^), qu'il ne publia jamais. Il n'existait pas entre le professeur et l'élève cette sympathie si favorable aux études et si propre à en assurer le succès. Des chagrins, éprouvés dans sa carrière professorale, avaient rendu M. Garnier méfiant dans ses re- lations avec SCS élèves. D'une autre part, le jeune Verhulst n'avait peut-être pas conservé à l'Université de Gand toute la modestie qu'il y avait apportée, et il avait pu froisser, sans le vouloir, un vieillard naturellement ombrageux. Deux prix universitaires remportés successivement et les ovations qui en sont la suitC;, en fallait-il davantage pour (') Tome I, pages 2ô et suiv. (=) Correspondunce mathématique et physique, t. I", p. 284. - 168 - exciter l'amoar-propre d'un jeune homme, dépourvu d'ail- leurs d'expérience et de conseils? Au milieu de ses élans d'amour-propre, Verhulst conservait encore sa simplicité primitive; tout ce qu'il apprenait, il le croyait nouveau pour les autres; il les questionnait, les pressait sur le ter- rain qu'il croyait s'élre conquis exclusivement; et, comme Gil Blas, il entamait avec feu des argumentations dont il était quelquefois très-difficile d'entrevoir la fin. La discus- sion a toujours eu pour lui un puissant attrait. Ce penchant pour les disputes scientifiques se tempéra cependant beau- coup au sortir des bancs de l'école, où il avait pris ses pre- miers développements. La même inconstance qui avait conduit Verhulst à l'Univer- sité de Gand sans avoir terminé ses études littéraires, le porta à prendre ses grades académiques plus tôt que son intérêt ne semblait l'exiger. Il soutint sa dissertation pour le titre de docteur en sciences, le 3 août 1825, après moins de trois années d'études universitaires. Cette dissertation, qui trai- tait de la résolution algébrique et linéaire des équations bi- nômes, était dédiée au commandeur de Nieuport, ce véné- rable vieillard qui a rempli, à lui seul, dans notre histoire des sciences à peu près toute une époque de transition. Quoique nous soyons peu éloignés du temps où s'organi- sèrent nos universités, cependant, chaque jour, le souve- nir s'en efface davantage. Les facultés des sciences, dans leur origine, n'étaient composées chacune que de trois ou quatre professeurs. L'enseignement s'y réduisait à ses formes les plus simples et se donnait pour ainsi dire en famille. Les examens n'avaient guère lieu que pour remplir une forma- lité obligatoire; je ne pense pas même qu'aucun récipien- daire pour le doctorat en sciences ait jamais été refusé. C'est qu'aucun élève, en effet, n'eût osé se présenter à l'examen sans y être bien préparé et sans avoir préalablement obtenu - 169 — l'assentiment de ses professeurs. S'il se distinguait dans une branche, il était sûr d'avance de trouver des juges indulgents dans celles qu'il avait dû négliger. Ce vaste champ ouvert au développement des spécialités a singulièrement contribué à produire les excellents résultats qu'ont donnés les anciennes facultés des sciences ('). La révolution de 1830, en proclamant la liberté de l'en- seignement, a dû nécessairement amener une réforme dans les examens, et, par suite, modifier les relations entre les professeurs et les élèves. Aussi voit-on ces derniers moins occupés de la science que du désir de satisfaire des examina- teurs, dont la plupart leur sont parfois complètement incon- nus. Devant porter également leur attention sur un nombre considérable débranches des connaissances humaines, ils sont, en général, dans l'impossibilité d'en approfondir aucune (^). Comme il n'exisfc pas même de programmes détaillés qui pré- cisent les limites dans lesquelles ils doivent se renfermer, leur admission reste toujours problématique. Serait-ce exagérer de dire que les docteurs en sciences, même les plus distingués, formés dans les anciennes universités, eussent très-probable- (') On peut voir que le nombre des docleiirs en sciences malhémali(|nes qu'ont produit les trois universités de l'Étal, de 1816 à 1850, a été de vingt-cinq seule- ment. Histoire des sciences mathcmaliqnes, page 366 et suivantes. 1 vol. in-S"; Bruxelles, chez M. Hayez; 1864. (") La physique figuie jusqu'à trois fois parmi les sciences formant l'objet «le l'enseignement, sous les noms i\e physique expérimentale, physique mathéma- tique ei physique industrielle. On pourrait y joindre aussi la physique médicale, la physique agricole, la physique du globe, etc. Il y aurait sur ce pied autant de physiques qu'on peut faire de combinaisons enlie la physique et les autres sciences. Ne serait-il pas |)référable de s'en tenir simplement à l'enseignement de la physique proprement dite? Quant aux dénominations de physique mathéma- tique, d'astronomie mathématique, etc., qu'on emploie assez fréquemment, autant vaudrait dire physique anglaise, physique allemande, parce que lesprin- cipes de la physiijue seraient écrits dans ces langues. Les raaihémaliques forment «me langue aussi, et, pour ceux qui la connaissent, il snflîl de l'élude de la i>hy- sique et de l'astronomie. — 170 — ment échoué devant les jurys nouveaux? L'état de choses actuel peut être avantageux pour les services publics, où il s'agit bien moins de créer des hommes distingués dans l'une ou l'autre spécialité, que de former des employés au courant de tout ce qu'exigent leurs fonctions. Mais ici, du moins, on a compris la nécessité de programmes dans lesquels rien ne soit laissé dans le vague ou livré à l'arbitraire des juges. Une trop grande multiplicité d'études finit par engendrer la satiété, et souvent le jeune homme, après avoir conquis laborieusement ses grades, abandonne complètement la science. Yerhulst n'était point arrivé jusqu'à ces fâcheuses limites; il prétendait, au contraire, qu'il ne rentrait à Bruxelles que pour se livrer plus exclusivement à la partie des mathématiques qu'il affectionnait le plus. La théorie des nombres fixait alors toute son attention; il inséra, dans la Correspondance mathématique et physique, quelques résul- tats de ses recherches et promit de devenir un des col- laborateurs les plus assidus de ce recueil périodique, à la rédaction duquel concouraient alors à peu près tous les jeunes mathématiciens belges qui, depuis, se sont fait un nom dans la science. Cependant un arrêté royal, qui parut à cette époque et qui réglait le payement de la dette différée, par la voie du sort et de 2o en 2o ans, fit descendre notre jeune géomètre de la région des abstractions sur le terrain de l'arithmé- tique politique. Un autre arrêté royal, qui créait une loterie nouvelle, le porta à examiner les chances que présentait cette institution et à en apprécier le côté financier en même temps que le côté moral. Depuis ses premières études, Verhulst m'avait toujours conservé le plus sincère attachement; il me consultait sou- vent sur la direction à donner à ses travaux : je crus devoir lui conseiller de rester dans la voie où il venait d'entrer et - 171 — pour laquelle il montrait une aptitude toute particulière. Il pouvait être utile, d'ailleurs, d'avoir quelques hommes qui fussent en état d'examiner et d'approfondir les questions d'intérêt général en rapport avec les sciences mathématiques. Il se mit à étudier la théorie des probabilités et à se rendre familiers les principes de l'économie politique; il se trouvait là sur un terrain nouveau, mais encore peu ferme et mal limité; il pouvait y donner large carrière à son goût pour la discussion ; aussi ce genre d'études devint-il pour lui l'objet d'une passion nouvelle. Verhulst m'avait parlé de publier une édition complète des œuvres d'Euler, cet admirable modèle de l'élégance mathé- matique. Je crus devoir l'engager, avant d'entreprendre une tâche aussi difficile, à consulter les hommes les plus com- pétents dans ces matières ; et je l'adressai à M. Poisson, qui n'eut pas de peine à le détourner de son projet. Il désirait cependant employer utilement ses loisirs et faire diversion à ses autres études. Je lui parlai de la traduction du Traité de la lumière par sir John Herschel, qui avait paru successivement, par parties séparées, dans la vaste col- lection de Y Encyclopédie métropolitaine de Londres. Il v avait de l'utilité à faire connaître sur le continent cet ex- cellent ouvrage, dont l'accès était si difficile aux physiciens. Nous devions faire la traduction en commun ; les parts chan- gèrent ensuite : Verhulst s'occupa seul de ce travail, et je restai chargé de la rédaction du supplément à l'ouvrage de l'illustre astronome anglais. Cependant le gouvernement avait organisé des cours publics au Musée de Bruxelles, où, déjà depuis plusieurs années, j'étais chargé de l'enseignement de la physique expénmentale. Comme les mathématiques n'étaient pas comprises dans cette organisation, j'engageai trois de mes anciens élèves à remplir cette lacune. — 172 — Verhulst S était chargé de donner le cours d'analyse, mais il (lut renoncer bientôt à la nouvelle tâche qu'il s'était im- posée; sa santé s'était considérablement altérée ('). Il lutta pendant longtemps contre le mal qui faisait des progrès rapides; mais cédant à la fin aux conseils de ses amis, il prit la résolution de se transporter sous un ciel plus favorable : il partit pour l'Italie, au commencement de 1830. Il avait pris avec lui les livres nécessaires à ses études; mais à peine arrivé à Turin, il dut renoncer au désir de les porter plus loin, pour éviter des contestations incessantes avec les douanes des petits États qu'il avait à traverser. Il visita successivement Milan, Bologne, Florence, Pise, Li- vourne et Rome, ayant soin partout de se mettre en relation avec les hommes les plus éminents dans les sciences. Je le suivis de près dans ces différentes villes, mais en arrivant à Rome, j'eus le regret d'apprendre que nous nous étions croisés sur la route de Florence. Nous touchions alors à la fin de septembre : la révolution qui venait d'éclater en Belgique avait le plus vif retentissement en Italie; on en exagérait considérablement les effets et les résultats. Je dus précipi- tamment quitter Rome, sans y avoir vu Verhulst, qui n'y rentra que quelques jours après mon départ. A cette époque et sous l'influence des nouvelles qu'il recevait de France et de Belgique, il lui vint à l'esprit un de ces projets qui ne peuvent guère trouver place que chez des jeunes gens dépourvus delà connaissance des hommes et des choses. Il conçut l'idée d'opérer une réforme dans les États pontificaux et de persuader au saint-père de donner une constitution à son peuple. Il ne s'en tint pas au projet : Verhulst marchait toujours droit aux conséquences d'un (') Cet élat maladir semblait parliciilièrement dû à l'excès du travail et à un développement de taille peu ordinaire ; sa liaulciir était de 1"',89 ou de 6 pieds environ. — 173 — principe avec toute la fermeté que donne une pleine con- viction. 11 rédigea le pacte constitutionnel et alla le commu- niquer à des cardinaux dont il avait été bien accueilli. Ce qu'on aura peut-être peine à comprendre, c'est que ce projet fut pris en considération et renvoyé confidentiellement à l'avis de plusieurs ministres étrangers. Mais l'affaire passa des mains de la diplomatie à celles de la police, et notre compatriote reçut brusquement l'ordre de quitter Rome. Des avis officieux lui avaient fait craindre déjà que des émissaires ne vinssent l'attaquer dans sa demeure. Verhulst résolut de se barricader; et, le cas échéant, de soutenir un siège; il avait pourvu à tout, même à la retraite, si ses pre- miers remparts étaient forcés. 11 avait voulu associer à ses plans de défense l'un de nos confrères de l'Académie royale dcBelgique, qui partageaitalorsson appartement, mais nulle- ment son ardeur belliqueuse. Ces détails, je les tiens de la bouche même de Verhulst; et s'ils sont mentionnés ici, c'est parce qu'ils ont eu quelque retentissement dans les journaux et les mémoires de l'époque ('). Après cet épisode, notre jeune compatriote rentra en Belgique; c'est dire assez qu'il ne demeura pas étranger aux événements qui s'y passaient alors. 11 se trouva bientôt au courant du véritable état des choses, et déploya une activité qui semblait annoncer un complet rétablissement de sa santé. Quand, vers le milieu de 1831, l'armée hollandaise fit invasion sur notre territoire, Verhulst, malgré toutes les représentations de ses amis, voulut absolument se rendre à l'armée. Le 9 août, vers 9 heures du matin, je reçus de lui le billet suivant : « Je pars aujourd'hui, à 10 heures, pour le quartier général^ chargé par le ministère de suivre l'armée (') Parliculièrement dans les Mémoires de la reine ffortense, qui avait fait un bon accueil à notre jeune géoraèlre. - 174 - pour tenir le gouvernement an courant des mouvements de nos troupes, n Une fois lancé dans les affaires politiques, Verhulst abandonna à peu près complètement ses études mathéma- tiques, et fit un appel aux électeurs pour devenir membre de la Chambre des représentants. Toutefois cet appel n'ob- tint pas le succès qu'il en attendait, et je crois que ce fut un bien pour lui. Les savants, et les artistes surtout, doivent-ils chercher à se présenter dans l'arène parlementaire? On pourrait en douter, en considérant que peu s'y sont distingués et que beaucoup, au contraire, y ont perdu de leur réputation. On prétendra peut-être que la chose publique y a gagné : la thèse est plus problématique encore; la plupart du temps, l'Etat perd des hommes éminents dans leur spécialité, et il est souvent difficile de les remplacer, hormis dans le poste qu'ils ont cru devoir rechercher. La véritable source de leur talent, l'imagination, au lieu de s'exercer et de se déve- lopper dans les assemblées délibérantes, finit, au contraire, par s'émousser et s'éteindre en présence d'intérêts presque constamment matériels sur lesquels portent les discus- sions. Au milieu de ses préoccupations politiques, Verhulst relisait notre histoire nationale et y cherchait avidement les époques qui pouvaient offrir quelque analogie avec celle où le pays se trouvait alors. Cette étude le porta à écrire le Précis historique des troubles de Bruxelles, en 1718, publié avec des détails inédits sur le procès et l'exécution d'Agneessens, que le peuple bruxellois considère encore comme lun des martyrs de ses libertés ('). Cet opuscule est écrit d'une manière intéressante et prouve que l'auteur (') Une brochure in-18 de 72 pages. Bruxelles, chez Th. Lejeune, 1852. — 475 - ne se serait pas trouvé déplacé sur le terrain de l'histoire, s'il avait jugé à propos de s'y arrêter. Lorsqu'on 1852, je m'occupai de réunir les éléments né- cessaires pour calculer les premières tables générales de mortalité de la Belgique, où se trouve établie la distinction des sexes, Verhulst voulut bien m'aider dans ce pénible tra- vail. C'était encore à ma prière qu'il avait calculé, en 1827, une table de mortalité pour la ville d'Amsterdam, en fai- sant usage des documents recueillis dans les Annuaires de Lobalto (*). Ce genre de recherches porta son attention sur un travail relatif aux pojmlations spécifiques^ publié par le baron de Prony, dans V Annuaire du Bureau des longitudes de France. L'écrit qu'il composa à ce sujet fut inséré dans le même Annuaire pour 1833. L'illustre géomètre français re- connut avec courtoisie la valeur des observations du jeune géomètre belge, et lui adressa à ce sujet une lettre intéres- sante, dans laquelle il revenait sur plusieurs de ses pre- miers calculs pour les corriger (^). En 1834, Verhulst avait été attaché à l'École militaire; il avait commencé par y remplir gratuitement les fonctions de répétiteur d'analyse. Nommé ensuite professeur, il se consacra tout entier à l'accomplissement de ses importantes fonctions. Quel plus digne éloge pourrait-on faire de sa car- rière professorale que celui qu'a prononcé sur sa tombe l'honorable commandant de l'École militaire, qui avait su apprécier avec tant de tact toutes ses éminentes qualités? « Dans ses fonctions de professeur, disait le général Cha- pelle, dans ses relations avec ses collègues et avec ses élèves, (') Voyez page 105 du tome III de la Correspondance mathématique et physique. {') Voyez pages 227 et suivantes du tome VIII de la Correspondaiice mathé- matique et physique. — 176 — Verhulst montra continuellement et le besoin d'être utile (d les sentiments de justice et d'équité dont il était pénétré. Il rédigea le précis des cours dont il était chargé. Chaque année, ce travail était perfectionné. Il s'en occupait avec ardeur, et s'efforçait, tout en tenant ses résumés à la hau- teur de la science, d'aplanir les difficultés qu'offre l'étude des mathématiques. )) Sentant le besoin de concentrer ses affections, Verhulst s'était allié à une famille distinguée dans les beaux-arts et les sciences ('). 11 avait épousé, en 1837, mademoiselle Dc- biefve, et de cette union naquit une fdle, qui, plus lard, contribua à lui donner, dans son intérieur, un bonheur tranquille que l'état de sa santé ne lui permettait plus guère d'espérer. Nos travaux les plus importants se rattachent souvent à de faibles causes. Verhulst avait acheté, dans une vente publique, un bel exemplaire des Œuvres de Legendre. Le plaisir que lui procurait cette acquisition lui inspira le désir d'étudier le Traité des fonctions elliptiques. Insensiblement le cercle de ses recherches s'étendit, et il conçut l'idée de réunir dans un traité élémentaire les principaux résultats analytiques obtenus par Legendre, Abel et Jacobi. Il ne recula pas devant les difficultés d'une pareille entreprise; il se mit à lire, la plume à la main, non-seulement, les diffé- rents mémoires de ces illustres géomètres, mais encore tous les écrits relatifs à ces matières, et finit par publier, en 1841, son principal ouvrage, le Traité élémentaire des fonctions elliptiques, destiné à faire suite aux traités élé- mentaires de calcul intégral (^). (') Il avait pour beaux-frères M. le D^ Uebiefve et M. Ed. Debiefve, l'un de nos principaux peintres. Son frère, du côté maternel, M. Wynants, est ofRcier du génie dans l'armée belge. (') M. Garnier a donné une analyse de cet ouvrage dans les Bulletins de l'Aca- — 177 — La publication de ce livre était un véritable service rendu aux sciences; il fallait plus qu'un mérite vulgaire pour faire rentrer dans le domaine de l'enseignement une série de travaux de haute analyse qui se trouvaient disséminés dans différentes collections et écrits en différentes langues. Peut- être l'auteur a-t-il eu le tort de substituer quelques nota- tions nouvelles aux notations généralement admises; il ne l'a fait, du reste, qu'avec la plus grande réserve et en pro- testant de sa répugnance pour les innovations. La publication du Traité des fonctions elliptiques lui ouvrit les portes de notre Académie; Verhulst fut nommé correspondant de la section des sciences, le 7 mai 1841, et, dans la séance générale du mois de décembre de la même année, il fut nommé membre, en remplacement de M. Gar- nier, son ancien professeur à l'Université de Gand. Ces deux distinctions, données à des termes si rapprochés par le premier corps savant de son pays, ne furent pas les seules récompenses de ses travaux. Le roi lui conféra la croix de chevalier de son ordre, et le gouvernement l'indemnisa des frais de publication de son livre, dont le nombre des lec- teurs devait être d'autant plus restreint que le sujet sup- pose des connaissances mathématiques assez approfondies. Déjà, depuis le mois de septembre de la même année, Verhulst avait été contraint de reprendre le chemin de l'Italie et d'aller respirer sous un ciel plus favorable à sa santé. Son absence se prolongea jusqu'au printemps, et, à son retour, on pouvait croire, comme la première fois, à un complet rétablissement. Cependant ses facultés intellec- tuelles avaient perdu de leur énergie; il renonça presque demie pour 1840, première partie, pages 322 el suiv. — M. Verhulst, avec la loyauté qui le caractérisait, a fait connaître que plusieurs tables renfermées dans son ouvrage ont été calculées par M. Loxhay, son ancien élève et son ami, qui lui donna les soins les plus louchants pendant sa dernière maladie. ■12 — 178 — enlièrement aux études malhématiques, qui exigeaient un travail trop soutenu. Il publia cependant encore, en 1847, un petit opuscule intitulé : Leçon d'arilhmétique, dédiée aux candidats aux écoles spéciales (*). Il a cherché à y pré- senter quelques simplifications dans les procédés ordinaires de calcul pour la multiplication et la division, et dans les moyens de reconnaître le degré d'approximation où l'on est parvenu en faisant l'extraction d'une racine cubique. Son attention s'était plus particulièrement tournée vers les sciences politiques et vers la théorie de la population ; voici à quel sujet. On admet, en général, que la tendance de la population à se multiplier suit une progression géo- métrique : c'est la loi de Malthus. Cependant de nombreux obstacles s'opposent à ce que cette loi mathématique se confirme par l'expérience. Le célèbre économiste anglais, qui s'était occupé avec soin de l'énumération et de l'examen de ces obstacles, avait gardé le silence sur leur mode d'ac- tion. Dans mon Essai de physique socm^e, j'avais cru pou- voir avancer que la résistance ou la somme des obstacles opposés au développement indéfini de la population aug- mente proportionnellement au carré de la vitesse avec laquelle la population tend à croître. Une proposition ana- logue avait été avancée par Fourier, l'illustre auteur de la Théorie de la chaleur, dans son introduction au tome P"" des Recherches statistiques sur Paris (^). Je priai Ver- hulst de soumettre ce principe à un calcul approfondi et d'en faire l'application aux meilleurs documents connus sur la population. Notre confrère voulut bien se prêter à ma demande, et publia les résultats de ses recherches dans le tome X de la Correspondance mathématique et physique. 11 fut conduit à cette conclusion, que les données de l'obser- (') Bruxelles, 1847, 1 vol. inl2. (') Page 277, chez Bachelier. Paris, 1833. — 179 — valion étaient encore trop peu nombreuses pour que le prin- cipe énoncé pùl être vérifié de manière à ne laisser aucun doute sur son exactitude; ou, en d'autres termes, que la théorie avait devancé l'observation et qu'il était prudent de s'arrêter. Cependant il ne s'en tint pas à ces sages conclu- sions; et, l'année suivante (1844), il nous présenta un mé- moire intitulé : Recherches mathématiques sur la loi d'ac- croissement de la population (*); on trouve dans ce travail, remarquable, du reste, sous différents rapports, quelques conclusions qu'on peut considérer tout au moins comme hasardées. Aussi, l'auteur reprit-il son travail avec cette patience et cette bonne foi qui le caractérisaient ; et, en 1 846, il présenta un second mémoire sur le même sujet (^). En recherchant, à son tour, le mode d'action des obsta- cles au développement de la population, notre confrère a cru pouvoir établir en principe quils augmentent propor- tionnellement au rapport de la population surabon- dante à la population totale. Dans cette hypothèse, il a cher- ché les limites entre lesquelles la population belge doit toujours se trouver resserrée, et il a fixé la limite supérieure à 9,400,000 habitants. Dans son mémoire précédent, il avait fixé cette même limite à 6,600,000 habitants, en par- tant, cette fois, du principe que les obstacles croissent exac- tement dans la même proportion que la population surabon- dante. On conçoit que lorsqu'on se place sur le terrain des hypo- thèses, on peut donner une vaste carrière à son imagination , surtout quand les observations manquent pour les mettre à l'épreuve. Si quelque chose peut les justifier, c'est la loi des analogies; mais dans la nature il n'existe, à notre connais- (■) Tome XVIII des Mémoires de VJcadémie royale de Bruxelles. {') Lu dans la séance du 15 mai 1846 el inséré dans le tome XX des Mémoires de V Académie royale^ 1847. - 180 - sance, aucun principe analogue à celui posé par notre savant confrère. Il se montrait généralement peu favorable à l'appli- cation de la théorie des probabilités aux phénomènes mo- raux, et particulièrement aux déductions a pos^en'on que l'on tire de l'observation des faits. 11 était, à cet endroit, d'une réserve et d'une timidité qu'on pouvait regarder comme extrêmes : il ne jugeait le calcul applicable que quand on apercevait un rapport direct entre la cause et l'ef- fet. Sa conviction paraissait cependant ébranlée, lorsqu'on lui parlait des tables de mortalité et des applications di- verses qui en ont été faites, même dans ses propres écrits. Vers la fin de sa vie, il revint encore sur sa thèse favorite, et me confia qu'il méditait, pour une séance publique de notre Académie, un discours dans lequel il entreprenait de combattre mes idées sur la théorie des probabilités appli- quée à la statistique morale. Il craignait que sa santé ne lui permît pas de le lire; j'offris d'en donner communication à sa place, disant que sa réfutation en serait d'autant plus pi- quante. Cette idée lui souriait, mais il n'eut ni le temps ni la force de donner suite à ce projet. Moins exclusif que la plupart des écrivains politiques, il accordait une égale importance à la statistique et à l'écono- mie sociale. Il ne concevait pas, comme on le fait si souvent de nos jours, le besoin de sacrifier l'une de ces deux scien- ces à l'autre. Naguère encore n'avons-nous pas vu la France supprimer son cours d'économie politique du Collège de France et y substituer différents cours de statistique, tandis que, chez nous, comme par représailles, l'économie poli- tique prenait le dessus et que le nom de statistique disparais- sait des programmes de nos universités? La Belgique cependant, par une glorieuse initiative, ré- gularisait ses travaux stalistitjues et donnait l'exemple du - 181 — plus vaste recensement qui ait jamais été exécuté chez aucun peuple (*). C'est quand une science est naissante qu'il im- porte surtout de suivre, en historien fidèle et impartial, les différentes phases que présentent ses premiers développe- ments, et de signaler les causes qui peuvent en accélérer ou retarder les progrès. La nature des études de notre confrère, les excellentes qualités de son cœur et ses inflexibles principes de droiture lui valurent de nombreux témoignages d'estime et de con- fiance. Je citerai, en particulier, les pénibles fonctions de maître des pauvres qu'il exerça aussi longtemps que l'état de sa santé le lui permit. Dans les derniers temps de sa vie, le gouvernement l'avait appelé successivement à faire partie de la commission pour l'amélioration de la condition des pauvres dans les Flandres et de celle pour les assurances générales par l'État. La classe des sciences, de son côté, l'avait nommé son directeur pour 1848, et le roi lui avait conféré, pour la même année, le litre de président de l'Académie. Il s'attachait avec soin à justifier cette distinction par son esprit droit et conciliant, par ses habitudes douces et polies. Il prévenait avec le plus grand soin tout ce qui pouvait devenir un germe de discorde dans le sein de la classe. Jamais de paroles blessantes : il se montrait d'autant plus modeste que sa position devenait plus élevée. Exempt lui-même de toute susceptibilité personnelle, il respectait religieusement les convictions des autres. S'il dis- cutait, c'était par le désir de s'instruire et non par esprit de contradiction ou pour imposer ses opinions. Ce qui le dis- tinguait surtout, c'était une inaltérable égalité de caractère. Il eût été difficile d'être plus rigoureux observateur de (') Le triple recensemeiU de la population, de l'agriculture et de l'industrie. — 182 — ses devoirs. « Pour juger du courage de l'homme dont nous déplorons la perle, il faudrait l'avoir vu, comme nous, di- sait auprès de son tombeau l'honorable général Chapelié, il faudrait l'avoir vu obligé de se reposer à chaque pas pour parvenir au lieu de ses leçons, et arriver essoufflé, haletant, après avoir mis près d'une heure pour parcourir la petite dislance qui séparait son domicile de l'école. » J'ai déjà rappelé que, sur son lit de mort, il ne croyait pas que ses souffrances pussent lui servir d'excuse et lui faire négliger ce qu'il regardait comme ses devoirs de président de l'Académie. C'est au milieu de ses confrères réunis, c'est en séance publique, qu'il eût voulu se faire entendre une der- nière fois, comme on y avait entendu, dans des circonstan- ces semblables, le colonel Dandelin, qui, lui aussi, avait pris à lâche de réserver en quelque sorte son dernier soupir pour remercier publiquement ses collègues de l'avoir nommé directeur de la classe des sciences ('). Il était un autre devoir à l'accomplissement duquel Ver- hulst n'attachait pas une importance moins grande. Nos usages réservent au président l'honneur d'exprimer au roi les félicitations de l'Académie au sujet de chaque renouvel- lement d'année. Verhulst avait préparé l'allocution qu'il comptait faire; il avait, pour ainsi dire, calculé ce qu'il lui fallait de force physique pour monter le grand escalier du palais ; mais, ici encore, la gravité de sa maladie déjoua foutes ses prévisions. Il me mit dans la confidence du cha- grin qu'il en éprouvait. Je crus pouvoir lui promettre que ses désirs ne seraient pas complètement trompés, et que le roi entendrait les paroles qu'il avait eu l'intention de lui adresser. Je m'empressai d'en parler à M. Fétis, son suc- cesseur à la présidence; et notre savant confrère, avec toute (') Par un rapprochement singulier, ions deux sont morls le 15 février, l'un eu 1847, l'aulre en 1849. - 183 - la modestie et la bienveillance qui accompagnent d'ordi- naire un talent supérieur, voulut bien accepter cette mission, peut-être insolite, mais dictée par un sentiment pieux. Depuis cette époque, l'existence de Verhulst ne fut plus qu'une longue agonie qu'il supporta avec une résignation et un courage dont il serait difticile de se faire une idée. Ha- bitué à lutter contre la maladie, lui seul n'en prévoyait pas le terme prochain, bien qu'il l'étudiàt comme un problème et qu'il s'observât mourir, si je puis m'exprimer ainsi. Son extrême douceur ne se démentit pas un instant; la veille de sa mort encore, lorsque sa voix se refusait à rendre sa pen- sée, il me tendait affectueusement la main, voulant témoi- gner toute sa reconnaissance à ses confrères de l'Académie pour les sentiments d'amitié que je venais lui exprimer en leur nom. 11 s'éteignit avec calme, après avoir reçu les se- cours de la religion et au milieu des soins les plus touchants de sa famille, le io février 1849, vers sept heures du soir. Approclic-l-il du biil, quille-l-il ce séjour, Rien ne trouble sa fin; c'est le soir duu beau jour. GASPAED-MICHEL PAGANI. G. -M. Pagani avait reçu le jour, le 12 février i796, à San-Giorgio, division de Mortara, province de Lomellina, dans les États du roi de Sardaigne ('). « Il était né d'une famille ancienne et estimable; ayant perdu son père à l'âge de quinze mois, il fut élevé en Piémont par sa mère, sous la sollicitude d'un grand-oncle, le chanoine Chiesa, homme d'un grand mérite et qui le chérissait. Dès l'âge le plus tendre, il donna des preuves d'une organisation des plus heureuses. Destiné à entrer dans le sacerdoce, à cause des avantages d'un bénéfice de famille, il porta la soutane, comme c'est l'usage en Italie. Il fit ses premières études au Collège de Valence, et y obtint tous les premiers prix. 11 avait qua- torze ans quand son professeur de philosophie, le digne père Gozoni, déclara qu'il ne pouvait plus rien lui apprendre. » A quinze ans, il eut le malheur de perdre sa mère. Se sentant des dispositions pour les mathématiques, il renonça à la carrière qu'on lui avait conseillée, et se décida à suivre les cours de l'Université de Turin. Son frère unique et son (') Les délails que nous donnons dans celle notice sur les premières années de Pagani, sont dus à une personne qui a pu connaître, de plus près et mieux que nous, toutes les circonstances qui ont accompagné sa jeunesse. — 185 — aine de quinze mois, fut nommé de la garde d'honneur de Napoléon I*'''. Connaissant le peu de goût de son frère pour l'état militaire et sachant sa position déjà faite, il s'offrit, par amour fraternel, pour le remplacer, espérant aussi continuer ses études en sciences mathématiques; sa demande fut acceptée. Il servit sous le général Despinoit, qui bientôt le distingua à cause de ses connaissance et de son application. Il fut désigné pour donner des cours à l'École militaire d'Alexandrie (Piémont). » Michel Pagani avait alors environ 17 ans. Il resta peu de temps au service et reprit ses coursa l'Université de Turin, où il donna bientôt des répétitions de mathématiques et eut pour premier élève le comte Laurent de Cardenas. Il passa son premier examen, le 12 août 1816, sur le calcul diffé- rentiel et intégral et reçut les plus brillants éloges de ses professeurs, MM. Plana et Bidone; son deuxième examen, le 9 janvier 1817, sur la mécanique, et le troisième et der- nier, le 23 juin de la même année, sur l'hydraulique. Ses professeurs et les magistrats rendirent hommage à son talent en lui décernant un diplôme des plus flatteurs, à cause, y est-il dit, de ses connaissances étendues et de son expé- rience, spécialement dans l'art de mesurer et de distribuer les eaux courantes, de prévenir et réparer la corruption des eaux, d'empêcher les inondations, d'éviter le débordement des rivières et d'améliorer les terrains. Il obtint avec son diplôme, le titre d'ingénieur civil et d'architecte hydraulique- » L'amour de la science absorba tout son temps. Pendant une de ses vacances, il avait été chargé déjà de tracer le lit d'un canal à Alexandrie (Piémont). Ses études terminées, il fut nommé provisoirement aux fonctions de conseiller-maître de la monnaie à Turin. Jeune encore, avec une imagina- lion ardente, il rêvait, comme tant d'autres, l'indépendance de l'Italie. Beaucoup de ses camarades, ayant été entraînés — 186 — par les idées politiques d'alors, se virent forcés de quitter leur patrie. Les affaires ayant changé de face, bien qu'il ne partageât point en tout l'opinion de ses camarades, il jugea prudent de s'éloigner, sans cependant avoir rien à sa charge, et pour ne pas les abandonner au moment du danger. Il quitta tout : patrie, parents et carrière... » Les lettres qu'il apporta de Genève et les connaissances solides qui les appuyaient lui ouvrirent d'abord la demejire de quelques amis, disposés à consulter bien plus le mérite du savant que l'état politique du pays dans lequel il était né. Pagani ne tarda pas à être mis en relation avec ce que Bruxelles renfermait de jeunes gens les plus distingués : on ne s'enquit pas de ses moyens de fortune, si ce n'est pour lui procurer des élèves qui pussent le mettre à même de faire face aux besoins nouveaux qu'il s'était créés. 11 donna des leçons particulières en attendant qu'il put être admis à en donner dans un établissement de l'État. Il eut parmi ses élèves M. Vandermaelen, à qui il en- seigna la partie élémentaire des mathématiques en rapport avec sa profession. Il donna ainsi plus de consistance à l'Établissement géographique qui venait d'être formé et chercha à lui imprimer une marche scientifique. Pagani était arrivé à Bruxelles vers la fin de 1822 ; ses relations dans le monde n'avaient pas nui à celles qu'il sentait le besoin d'établir dans les sciences. A l'aide d'un ami, il fit la con- naissance de MM. le commandeur de Nieuport, Walter, Dewez, etc.; et il se prépara en même temps les moyens d'entrer à l'Académie : c'était le conseil que lui donnaient les personnes qui l'aidaient de tous leurs efforts à faire valoir ses talents. Le moyen le plus sûr était, en effet, de se faire connaître d'abord de ses supérieurs dans l'enseignement; d'obtenir leurs suffrages par le succès dans plusieurs concours; de — 187 — mériter l'eslime des professeurs après avoir conquis celle des académiciens, et de parvenir ensuite à s'assimiler à eux, en se montrant digne de l'assentiment du gouvernement. Ces dispositions furent arrêtées entre Pagani et l'ami qui désirait se l'associer plus tard, à titre d'égalité, dans l'éta- blissement dont il méditait alors la création. Pagani, jeune et sémillant, ne sut pas attendre, et crut qu'une première difficulté entraînait la ruine de l'édifice projeté. 11 avait d'ailleurs réussi à être couronné deux fois de suite par l'Aca- démie de Bruxelles, la première fois en 1824, pour son mémoire sur les sections annulaires. L'Académie avait posé la question dans les termes suivants : On sait que les lignes spiriques ou sections annulaires sont des courbes formées par Vinterseetion d'un plan avec la surface du solide cîi- gendré par la circonvolution d'un cercle autour d'un axe donné de position; on demande t équation générale de ces courbes et une discussion complète de cette équation . Les courbes que Pagani avait à considérer sont du qua- trième degré : leur équation est assez simple et leurs pro- priétés, encore peu étudiées, sont très-belles. Elles avaient déjà occupé le géomètre ancien Perseus , auquel on en attribue la découverte ; et, chez les modernes, M. Hachette, dans son Cours de géométrie descriptive, les a examinées plus particulièrement sous le rapport de leurs propriétés usuelles (*). Pagani commence par faire remarquer que la question (') Le rapiioil qui suit le mémoire de M Pagani, l. V des Mémoires couronnes de l'Académie de Bruxelles, année 1824, est signé par MM. Van Ultenhove, Garnier et Quetelet; mais il est plus parliculièiemeiit l'ouvrage du premier géo- mètre, qui prit soin de citer les connaissances des anciens au sujet des spiriques. La médaille d'or fut accordée à M. Pagani, et la médaille d'argent à M. Demoor, ingénieur en chef du Waterstaat. Déjà, l'année précédente, une médaille d'ar- gent avait été accordée, sur la même question, à M. Vène, capitaine du génie, en France. - i88 - mise au concours par l'Académie renferme deux demandes distinctes : i" l'équation générale des lignes spiriques; S** une discussion complète de cette équation. C'est avec raison que l'auteur observe que la seconde question est la plus intéressante et mérite le plus d'être étudiée. Il apporte à sa solution un soin tout particulier, mais il s'occupe des questions géométriques bien plus que des questions de pra- tique. On peut s'étonner, du reste, que ces courbes aient été jusqu'à présent assez peu soumises à un examen qui per- mette d'apprécier mieux leur usage. Les sections coniques aussi sont restées, pendant dix-huit siècles, comme de vaines spéculations dont la science avait seule à s'occuper, et ce n'est guère que depuis les recherches de Kepler qu'elles sont descendues dans la pratique. Peut-être Pagani a-t-il mal compris son but en prenant pour épigraphe : Nisi utile est quod facimus stulta est glotia. Personne, que je sache, ne lui a fait d'observation sur ces mots, bien qu'on eût pu lui répondre par l'inscription que, dans une circonstance semblable, Pythagore, le célèbre auteur des coniques, fit graver sur les portes de son école : que nul n entre ici s il 71 est géomètre. En 1825, Pagani put traiter une question qui rentrait plus spécialement dans son genre de recherches : il s'agissait du problème suivant, proposé par l'Académie : Un fil flexible et uniformément pesant, étant suspendu par Vune de ses extrémités à un point fixe, et soulevé par son autre extrémité à une hauteur et à une distance cjuelconques, si Von vient à lâcher cette seconde extrémité, et à abandonner ainsi ce fil à V action libre de la pesanteur, on demande les circonstances de son mouvement dans l'espace supposé vide. Ce problème était évidemment dans les idées de Pagani, qui s'en occupa d'une manière toute spéciale, bien qu'il en fit mystère aux personnes avec lesquelles il se trouvait habi- 189 - luellement. Je le voyais tous les jours : ma maison était la sienne; il s'y trouvait plus fréquemment que chez lui. Nous avions entrepris ensemble la lecture ou plutôt l'étude du grand travail de Laplace, la Mécanique céleste, qui nous plaisait par les questions scientifiques qu'elle faisait naître; cependant il garda le plus sévère secret sur ce qu'il faisait chez lui. La question proposée par l'Académie, disait-il en tête de son mémoire couronné, est un véritable problème de calcul intégral, et, sous un énoncé aussi simple, elle sera encore longtemps l'écueil contre lequel viendront se briser les efforts de l'analyse actuelle. Cette assertion n'aura rien de surpre- nant aux yeux des personnes versées dans l'histoire des ma- thématiques. On a vu de tout temps les plus grands géo- mètres arrêtés par des obstacles qui paraissaient très-simples au premier abord, mais qui n'étaient pas moins invincibles par les forces actuelles de la science. C'est ainsi que Platon et que tous les géomètres du premier ordre de l'antiquité se sont trouvés incapables de résoudre le fameux problème de la duplication du cube; et c'est encore ainsi que, dans les temps modernes, tout le savoir de Galilée a été insuffisant lorsqu'il s'est agi de déterminer la courbe de la chaînette. « Nous ne prétendons pas que cet ouvrage soit remarquable par des aperçus nouveaux, par des théorèmes auxquels on n'avait pas songé encore, mais il présente, sans aucun doute, les différents résultats auxquels les grands géomètres de l'époque étaient parvenus. )> Ce qui a toujours distingué Pagani dans ses travaux de géométrie analytique, c'est moins l'invention de méthodes nouvelles qu'une exposition claire et exacte de la méthode des grands maitres; et c'est par là qu'il se faisait remarquer surtout comme professeur de sciences mathématiques. Le résultat de ce concours n'était pas encore connu, lors- - 190 — que Pagani fut nommé membre de l'Académie. Cette dis- tinction lui fut particulièrement accordée sur la demande de MM. Dandelin, Quetelet et Van Uttenhove, nommés commis- saires pour l'examen de son mémoire sur les Fitesses vir- tuelles, présenté en décembre 1824. Dans ce travail, l'au- teur résume avec succès les recherches sur le même principe, dues particulièrement à son illustre compatriote Lagrange : on conçoit que Pagani ait eu en vue l'ensemble des recher- ches dont il s'occupait alors pour faire concourir vers un même point tous les travaux de la mécanique analytique. Il y fait preuve, comme dans ses mémoires antérieurs, d'une connaissance très-approfondie des meilleures méthodes ma- thématiques et d'une grande élégance dans le choix des for- mules. Vers la même époque, le célèbre Wronski vint à Bruxelles; il avait passé quelque temps à Londres, où, avec sa finesse habituelle, il se flattait d'avoir trompé les plus habiles ma- thématiciens pour les faire servir, disait-il, de complément à ceux de Paris. 11 s'adressait alors à l'Académie de Bruxel- les pour avoir son avis sur une invention nouvelle, et l'Aca- démie avait jugé à propos de me nommer, avec Pagani et Dandelin, pour être ses commissaires. Nous crûmes devoir user de toute la prudence nécessaire, mais sans aller plus loin : j'étais d'avis, comme Dandelin, de m'expliquer fran- chement sur ce point avec le savant géomètre polonais. Il nous comprit et ne fut pas offensé de notre réserve ; il parla même de quelques compléments à l'aventure de Londres, qu'il avait publiée dans une brochure qu'il nous fit voir et qui était devenue très-rare; mais il se montra moins satisfait de Pagani, qui voulut le traiter avec défiance. Wronski avait fait apporter tons ses ouvrages et prenait plaisir à citer comme terminés les travaux difficiles mentionnés par son antagoniste; il indiquait les difficultés vaincues par lui, il — 191 — montrait les solutions auxquelles il était parvenu, et, avec une habileté incroyable, renversait toutes les hypothèses qu'on pouvait imaginer contre sa méthode. Son âge et ses malheurs nous imposaient de la réserve. A quelques jours de là, Wronski fut arrêté pour dettes, et nous ne crûmes pas, Dandelin et moi, devoir lui refuser tout appui, malgré la connaissance que nous avions de ses anté- cédents et malgré l'aventure fâcheuse dans laquelle il se trouvait. Wronski nous en témoigna une reconnaissance infi- nie : Je conserve encore des preuves qui montrent qu'au fond, l'habile géomètre était meilleur qu'on ne le pensait communément, et que c'était peut-être pour avoir été re- poussé avec trop de hauteur par des hommes dont plusieurs ne le valaient pas, qu'il montrait cette humeur intraitable. Vers la fin de 1825, la chaire de mathématiques était va- cante à l'Université de Louvain. Des amis puissants, et entre autres le baron Falck et le marquis de Trazegnies, engagè- rent Pagani à la solliciter et lui promirent leur appui auprès du gouvernement. Pendant ce temps, il fit un voyage en Angleterre, en Ecosse et en Irlande, dans le but de visiter les principaux établissements et d'étendre ses connaissances: c'était l'époque heureuse où ses talents se développaient avec le plus de fécondité. Tout semblait lui sourire; il avait de- vant lui le plus brillant avenir. Par arrêté royal du 17 jan- vier 1826, il fut nommé professeur extraordinaire à l'Uni- versité de Louvain, le jour même où il obtenait la naturali- sation. Le 19 avril suivant, il contracta mariage avec mademoiselle de Waepenaert de Termiddel Erpen d'Alost. Cette jeune dame, d'un esprit très-cultivé, acheva de fixer la position de notre confrère au bonheur duquel tout semblait concourir. Chaque année alors vit paraître un travail de lui sur la mécanique analytique qu'il affectionnait particulièrement, - 192 - et dont, sans doute, il aurait fini par nous donner un traité complet. Le 24 février 1827, l'Académie accueillit son mé- moire Sur f équilibre des systèmes flexibles ('j. Lagrange, dans sa Mécanique analytique, et Poisson, dans un mémoire lu à l'Institut de France, en 1814, avaient traité ce sujet avec beaucoup de savoir : le chevalier Cisa de Gresy, dans les mémoires de l'Académie de Turin pour 1816, avait abordé un cas général, celui de l'équilibre des surfaces flexi- bles, qui semblait avoir échappé aux recherches de ses sa- vants prédécesseurs. Pagani revint avec persévérance sur ce problème: il crut rendre un service à la science en cherchant à répandre quelques lumières nouvelles sur un sujet aussi délicat,et que Lagrange lui-même ne semblait pas avoir com- plètement embrassé. La difficulté, en effet, ne consistait pas dans l'emploi du principe des vitesses virtuelles pour mettre ce problème en équation, mais bien dans l'usage de la mé- thode des variations, pour exprimer algébriquement les con- ditions qui dépendent de la nature du système. Ce mémoire fut suivi d'un autre qui parut dans le tome V des Mémoires de l'Académie royale de Bruxelles, sous ce titre : Sur le développement des fonctions arbitraires en séries dont les termes dérivent de la même fonction conti- nue ('^). Il importait encore ici de savoir comment Lagrange (') Tome IV des Mémoires de V Académie royale de Bruxelles. (') Ce mémoire fui présenté à l'Académie royale, le !<'•' mars 1828. Dans le courant de la même année, Pagani fil, à Paris, la connaissance de M. le baron Fourier, et put causer avec ce savant de leurs recherches communes. Il compo- sait en même temps un traité élémentaire de géométrie; il n'y mettait aucune (•rétention et faisait même si secrètement la chose que ses amis n'en furent point prévenus. Ce désintéressement ne fit pas les affaires de son imprimeur, et Pagani dut acheter assez cher l'oubli de soi-même. Il fut forcé de faire un nou- veau traité avec un autre libraire, mais en suivant si bien sa marche habituelle que je n'ai pas même gardé souvenir de l'ouvrage qui existe très-probablement, d'après la lettre suivante que je lis parmi celles qu'il m'adressait alors : Il Vous regrettez de ne pas voir terminer la publication de mon premier ouvrage — 193 — avait été prévenu par un autre géomètre en introduisant dans sa méthode une notation nouvelle; ainsi, il s'agissait de développer tous les coefficients des termes d'une série qui dérive d'une même fonction, d'après une certaine loi, de manière que la somme de tous ces termes fût égale à la valeur d'une fonction arbitraire donnée^, pour toutes les valeurs de la variable comprises entre les deux limites con- nues. L'auteur décrit les tentatives de Lagrange à cet égard, celles plus explicites de Fourier, et enfin ce qu'il a essayé lui-même pour exposer la théorie de la transformation des fonctions arbitraires d'une manière générale et indépen- dante de toute question de physique. Il ne sera peut-être pas inutile de le laisser parler lui- même, pour expliquer les idées qui l'occupaient alors : on verra que Pagani avait porté loin ses prévisions; et, s'il s'arrêta de bonne heure dans la voie de l'analyse, on en comprendra peut-être les motifs, en songeant aux difficultés dont il s'entourait. L'extrait suivant se trouve dans une lettre qu'il m'adressa vers cette époque (31 janvier 4829); je la communiquai à l'Académie, mais je ne pus en obtenir qu'une sur ]a géomélrie des arts et des métiers. J'ai l'honneur de vous prévenir, mon cher M. Qiietelet, que l'ouvrage en question a été terminé dès l'année dernière, et je crois même vous l'avoir dit, il y a quelque femps, à l'Académie. Je regrette seulement de n'en avoir aucun exemplaire à ma disposition pour vous l'envoyer. L'ouvrage consiste en vingt-six leçons et renferme un cours complet de géométrie, ou, pour mieux dire, le résumé de celui que j'ai professé, l'année dernière, à cette université. D'après la demande de mes auditeurs ; j'avais cédé mon manu- scrit à l'imprimeur F. M...., qui s'était chargé de l'imprimer et de le vendre à ses risques et périls. C'est l'unique raison pour laquelle j'ai cru qu'il serait plus utile de donner un résumé du cours normal de M. Dupin. Ce résumé est très- concis, c'est vrai; mais il est destiné aux personnes fuii suivent mes leçons ou celles de tout autre professeur qui doit avoir soin de les expliquer au long et d'entrei" dans de trop grands détails, pour jamais espérer qu'on puisse donner à bon marché un ouvrage que chacun jiourrait lire et comprendre de lui- même. » Louvain, 19 février 1828. ■> <3 - \u — mention dans les Bulletins. « Je profite de cette occasion pour communiquer à la compagnie quelques idées sur un nouveau système de physique que j'expose depuis le mois de novembre, dans un cours public fréquenté par un nom- breux auditoire. Ce qui m'engage à cette déclaration, c'est l'article suivant que je viens de lire dans le Courrier fran- çais, du i7 janvier de cette année : « M. Parret, médecin à » Grenoble, annonce à l'Académie de Paris un nouveau sys- » tème de physique. 11 croit avoir découvert les lois de la » cohésion moléculaire, la nature de la chaleur, de la lu- » mière et de l'élasticité, elles lois de ces phénomènes. » » Depuis longtemps, les physiciens tâchent de ramener l'explication des phénomènes naturels à des lois très-simples et à un petit nombre de principes. Voici ceux que j'ai adop- tés dans mon cours et au moyen desquels j'explique de la manière la plus facile toutes les lois générales et tous les phénomènes particuliers de la matière inorganique. Je les présente à l'Académie pour éviter le soupçon de plagiat que l'on pourrait m'appliquer plus lard. » i° Je donne le nom à! atome à une étendue extrême- ment petite en tous sens, dont la forme est invariable et dont la figure et la densité ne peuvent être déterminées à priori; )) 2" Tous les atomes sont doués de l'inertie et de l'impé- nétrabilité; ils sont, en outre, animés chacun de deux forces, l'une qui attire et l'autre qui repousse, en raison directe des masses et en raison inverse du carré de la dislance; » 3° En séparant les atomes en deux classes, tous ceux de la première classe, que j'appelle /?owf/eVa6/e5, se repous- sent entre eux et attirent ceux de la seconde classe que je nomme éthérés : les atomes élhérés se repoussent et ils atti- rent les atomes pondérables; )) 4'' Tous les atomes pondérables n'ont pas la même figure — 196 — ni la même densité; les variétés dans la forme et dans la nnasse de ces atomes établissent les divers éléments des corps. 11 est impossible de déterminer d'avance si tous les atomes élhérés sont identiques entre eux; cette détermination, aussi bien que celle des variétés des atomes pondérables, dépend des phénomènes particuliers qui doivent les fixer, comme toutes les constantes arbitraires introduites dans le calcul par les intégrations sont déterminées d'après certains faits connus. » Ces quatre principes posés^ je puis définir d'une ma- nière claire et rigoureuse les mots cori^s, corps simple, corps composé, corps homogène, corps hétérogène , Vétat solide, Vétat liquide et gazeux d'un corps; la cohésion^ la viscosité et V élasticité. » Une molécule corporelle étant un corps dont les dimen- sions sont très-petites, doit être considérée comme un as- semblage de plusieurs atomes pondérables et éthérés. Deux molécules, placées à une distance très-grande comparative- ment aux dimensions des atomes, s'attirent toujours en rai- son directe des masses et en raison inverse du carré de la distance entre les deux centres d'action. Celte force, connue sous le nom de pesanteur universelle^ n'est que l'excès de la force attractive des atomes pondérables d'une molécule relativement aux atomes éthérés de l'autre, et réciproque- ment, sur la force répulsive des atomes pondérables et des atomes élhérés d'une molécule par rapport aux atomes de même nom de l'autre molécule. Cette loi explique, comme on sait, tous les phénomènes à distance, ce qui comprend toute la mécanique céleste. » La théorie des phénomènes capillaires, la théorie des vibrations des corps élastiques, les compositions et les dé- compositions chimiques, etc., s'expliquent par l'analyse des forces attractives et répulsives des atomes, en ayant égard — 196 - à leur figure et à leur dureté; ce qui peut donner des résul- tats tout opposés de ceux que fournirait la simple loi de la gravitation universelle. » Enfin, la lumière consiste dans le nnouvement vibratoire des atomes éthérés; la chaleur dans la condensation de ces atomes; le froid dans leur raréfaction. L'électricité vitrée n'est autre chose que le fluide éthéré rendu libre à la surface des corps; l'électricité résineuse se manifeste lorsqu'une certaine quantité du fluide éthéré est enlevée à la surface d'un corps. L'électromagnétisme et les phénomènes magné- tiques s'expliquent par la considération des mouvements de transport des atomes éthérés et quelquefois des atomes pon- dérables , lequel mouvement est une conséquence nécessaire (le la rupture de l'équilibre entre les atomes pondérables et les atomes éthérés. » Voilà en peu de mots l'exposition des principes sur les- quels je m'appuie pour expliquer, dans mes cours, les phé- nomènes naturels. La facilité avec laquelle on a raison do tous les faits observés jusqu'à ce jour, et la possibilité de les soumettre à un calcul rigoureux dans la plupart des cas, me font croire qu'ils méritent d'être longtemps discutés avant de les rejeter. Au reste, quels qu'ils soient, je les soumets avec confiance à l'Académie, et, si mes occupations me le per- mettent, dans la suite, je pourrai peut-être écrire un' traité complet de physique en le fondant sur eux. ... » Avec un pareil programme, on conçoit toutes les difficul- tés dont l'auteur s'entourait : on avait grande confiance en lui, cependant son explication générale de tous les faits de la physique par l'hypothèse de nouvelles forces, parut exi- ger d'autres moyens que des raisonnements pour l'établir. On crut donc devoir garder le silence; et je fus chargé d'écrire à Pagani dans ce sens. L'auteur ne fut point décou- ragé; il ne se sentit que plus d'ardeur à revenir vers la — 197 théorie, tout en prenant la précaution de ne s'appuyer pour le moment que sur les principes reçus. Pagani était ici véritablement dans son élément; sa mé- thode prenait plus d'extension, son raisonnement plus de justesse; malheureusement la révolution qui suivit changea la constitution des universités et son avenir fut entièrement compromis; la question de sa propre existence le porta vers d'autres pensées. En 1831, le gouvernement provisoire prit une mesure qui obligea Pagani à quitter Louvain. La chaire de mathématiques fut placée à Liège; il passa donc dans cette dernière ville, le il septembre d832, et fut nommé professeur ordinaire des sciences : le 8 février suivant, il devint membre de la commission administrative de l'École industrielle de la ville. Déjà Pagani, dès le 7 avril 1832, s'était proposé de lire à l'Académie un travail très-court : Sur la théorie des pro- jections algébriques et sur son application au mouvement de rotation d'un corps solide. L'auteur, en résumant ses idées dans ce travail, n'avait pas seulement la pensée de don- ner les principaux théorèmes relatifs aux projections, il vou- lait encore présenter une solution nouvelle de l'important problème où il s'agit de déterminer le mouvement de rota- tion d'un corps solide. On reconnaît dès lors l'influence qu'eut sur lui son entrevue avec M. le baron Fourier, par sa tendance à traiter plus spécialement les questions relatives à la constitution de notre univers. Dans le tome VIII des Mémoires parurent, en 1834, ses Recherches sur t intégration d'une classe d'équations aux différentielles partielles linéaires, relatives au mouvement de la chaleur. Ce mémoire, dont différentes parties avaient paru successivement dans la Correspondance mathématique de Bruxelles, montre que l'auteur n'avait pas renoncé tout à fait à sa première pensée de traiter successivement les prin- — 198 - cipales conditions de l'équilibre et du mouvement, pour les reprendre ensuite et en former un ensemble complet. On y reconnaît l'analyste habile, s'accoutumant à lire et à simpli- fier, dans l'occasion, les méthodes des grands maîtres, mais s'habituant plutôt à leurs pensées qu'à suivre les siennes. Cependant, on aurait tort de porter ce reproche à l'excès: on le voyait aller et tourner autour des mêmes difficultés scientifiques plutôt par la satisfaction de les vaincre que par l'idée de se faire un nom. C'est, du reste, ce qu'il annonce lui-même au commencement de sa ISote sur t équilibre d'un système dont une partie est supposée inflexible, et dont Vautre partie est flexible et extensible. « Dans les derniers mois de l'année 1823, dit-il, je rédigeai sur le même sujet un essai qui fut présenté à l'Académie des sciences de Bruxelles, et qui mérita les encouragements de cette savante compagnie. Dans mon travail, je supposai, comme tous les géomètres qui s'étaient occupés de ce point de statique, que la forme du système est invariable, et après avoir établi à priori que la somme des carrés des pressions doit être un minimum, je fis voir que ce principe conduisait à l'hypo- thèse d'Euler. Je me propose maintenant de revenir sur le même objets en ayant égard celte fois à la déformation du système; ce qui fait disparaître l'indétermination qui existe effectivement dans le cas général où la forme du système est supposée invariable (*). » Le Mémoire sur l'équilibre d'un corps solide suspendu à un corps flexible (^) renferme encore un exemple bien frappant du changement qui s'était manifesté dans notre con- frère, à l'égard des théories mathématiques. On y trouve une nouvelle preuve qu'il a quitté les méthodes générales (') Tome VIII des Mémoires de l'Académie royale des belles • lettres de Bruxelles. {') Tome X, ibid. — 199 — pour s'occuper de problèmes qui attiraient l'attention. J'avais décrit, dans la Correspondance mathématique ^ une expé- rience assez curieuse de M. Gregory, professeur de mathé- matiques à Woolwich. Il s'agissait, entre autres, de l'équi- libre d'un corps attaché par un point à l'extrémité inférieure d'un cordon, dont l'autre extrémité est fixée à l'axe vertical d'une roue qui tourne avec une vitesse constante. Pagani avait étudié avec soin les différents mouvements que prend le corps, et en avait fait l'objet de notes qui avaient excité l'attention de M. Salys : ce jeune officier du génie, nou- vellement sorti de l'École polytechnique, présenta ses obser- vations à ce sujet, dans le même recueil. Pagani;, en s'atta- chant à répondre aux objections qui lui avaient été faites, était parvenu à faire un travail assez complet; c'est ce même travail qu'il reprend plus tard avec plus d'ensemble, mais sans trop se soucier de la distance qu'il met entre ses études sur la mécanique en général (*). (') Ce travail est inséré dans le tome X des Mémoires de 1856, sans porter de date spéciale et sans qualilé d'auteur : Pagani avait, en effet, reçu sa nomination le 28 novembre 1835; la question de sa rentrée à Louvain avait déjà été agitée dès la fin de 1854, comme on peut le voir par la note ci-après : « A cette époque (fin de 1854), on forma un personnel de l'Université catholique de Louvain. Des démarches furent faites auprès de M. Pagani, pour l'engager à contribuer par ses talents au bien-être de ce nouvel et utile établissement. Sur le point de partir, pour faire un voyage en Italie avec l'autorisation de S. M. le roi de Sardaigne, il ne prit aucun engagemeni . Tout le temps que M. Pagani passa en Italie, il reçut l'accueil le plus distingué de ses nombreux parents, amis et autres personnes avec lesquelles il fut en relations : à son arrivée à Turin, il eut la visite de plusieurs savants distingués. Après trois mois de séjour en Italie, M. Pagani revint à Liège dans l'intention d'y reprendre ses cours. De nouvelles démarches furent faites auprès de lui pour qu'il se décidât à aller occuper la chaire des mathémaliiiues à l'Université catholique de Louvain. Un de ses col- lègues, homme de talent, accepta une chaire de droit à Louvain. M. Pagani suivit ion exemple, dans le but d'être utile à ce nouvel établissement. Il reçut sa nomi- nation le 28 novembre 1855, signée de tous les évéques de la Belgique. Il fut nommé membre et secrétaire de la commission administrative de l'École modèle de Louvain. Pendant huit années consécutives, il fit partie du jury d'examen de la faculté des sciences, et malgré ses nombreuses occupations, il produisit tous — 200 — Le tome XI des Mémoires de l'Académie renferme une note de Pagani Sur l'équation A'' = C ('). Cette difficulté avait déjà occupé Euler ; on doit donc savoir gré à Pagani de s'y être arrêté, et d'avoir cherché à en donner une interpré- tation plus étendue que celle du célèbre géomètre allemand. Enfin, dans le tome XII du même recueil, on trouve le dernier mémoire de Pagani : il parut en avril 1839. Cet écrit substantiel, mais assez court, du reste ('^), concerne Quelques transformations générales de f équation fonda- mentale de laynécanique. L'auteur s'attache surtout à mon- trer les avantages d'une notation qu'il avait indiquée sans lui donner un nom particulier, dans un travail qu'il avait pu- blié en 1832. « Poisson l'employa depuis, dit-il, à la lin de l'introduction de son Traité de mécanique, publié en 1833, en lui donnant le nom de permutation tournante. » On voit, par tous ces travaux, que Pagani n'était certes pas un mathématicien ordinaire et que sa place était marquée parmi les hommes les plus distingués, s'il avait eu le vouloir ou la santé nécessaire pour s'y maintenir. C'est à l'âge de 43 ans qu'il abandonne en quelque sorte la carrière mathématique pour se livrer à des travaux d'un ordre inférieur, et qu'il renonce à l'emploi de brillantes qua- lités intellectuelles pour ne plus s'occuper que de questions qui attirent accidentellement son attention. Cependant, il promet encore (') de loin en loin des travaux importants les ans «les travaux scienlifitiues dans les annales de l'Académie des sciences. » Communiqué. (') Celte note ne renferme que 9 pages ; elle porte la date du 21 septembre 1857. (') Il ne contient que dix-neuf pages. (^) Voici ce qu'on lit à la page 1G2 du tome I" des Bulletins de l'Académie royale pour 1846 : « M. Pagani annonce à l'Académie qu'il s'occupe de la rédac- tion d'un travail sur les principes fondamentaux de l'analyse algébrique, et qu'il se propose de le soumettre incessamment à rajiprobation de la compagnie. Il se borne, pour le moment, à faire connaître qu'il croit être parvenu à établir une Ibéorie complète des quantités négatives et imaginaires, et à démontrer fjue ces — 201 — dont il avait l'idée, mais qu'il abandonne presque au mo- nfient d'y toucher. Les Bulletins de l'Académie montrent encore mieux que les Mémoires de cette compagnie ce qu'on pouvait attendre de Pagani. A cause de leur forme et de leur mode de pu- blication, l'auteur s'y trouve plus à l'aise et annonce plus librement les ouvrages qu'il a l'intention de produire. Les Bulletins et la Correspondance mathématique méri- tent d'élre consultés sous ce rapport ; ils nous permettent de voir de plus près et sous des conditions plus démonstratives, l'auteur que nous voulons étudier. Après avoir cessé d'écrire dans les Mémoires, on voit qu'il n'a pas encore abandonné le champ des recherches mathématiques ; il promet à chaque instant d'y revenir, mais sa santé trop faible l'empêche d'ac- complir ce qu'il a promis (*). L'ordre de ses idées a changé : il cherche à jouir du repos ((ui lui est devenu nécessaire. Un premier voyage en Italie, de 1834 à 1835, avait fait renaître des espérances qui sem- blaient le quitter alors. « A l'époque des vacances de l'année 1845, il fit un autre voyage en Italie, où il eut l'occasion de se mettre en rapport avec des hommes d'un haut mérite: il avait toujours pour but d'augmenter ses connaissances. A Rome, il obtint pour la seconde fois une audience particu- lière de Sa Sainteté, qui lui rappela différentes circonstances de leur première entrevue, datant depuis près de dix ans.» A son retour en Belgique, Pagani, affaibli par l'élude et les travaux d'esprit, demanda l'autorisation de s'adjoindre M. Andries,un de ses élèves. Cette permission lui fut accor- (lernières qiianlités peuvent servir au même lilre que les quanlilés négatives à la construction géomélrique des problèmes de la géométrie analytiijue. v (') I.e 17 février 1837, il avait reçu le diplôme de memlire correspondant de l'Académie des sciences de Turin; le 20 septembre 1841, il fut créé chevalier de l'ordre de Léopold. — 202 — dée et le soulagea. Mais, hélas ! au bout de peu de temps, les fatigues et le zèle qu'il mettait à ses recherches réchauf- fèrent, et il devint mortellement malade. Depuis cette époque, Pagani semble avoir renoncé à peu près entièrement au vaste champ des sciences; il communi- que encore de loin en loin quelques notices ou plutôt quel- ques remarques à l'Académie, toutefois il abandonne ce travail aussitôt qu'il est commencé. Les notes qui figurent dans les Bulletins montrent qu'il n'a pas perdu de vue ses occupations habituelles, mais il ne se sent plus la force né- cessaire pour les conduire à bonne fin ('). Il assistait encore à nos séances; il se faisait un plaisir de se retrouver au milieu de ses anciens confrères, et prenait part à l'examen des travaux, bien qu'il désirât autant que possible que cet examen fût écrit et rédigé par un autre. Il parlait peu de ses douleurs, mais on apercevait sans peine qu'il souffrait et que le travail le dérangeait. Il vint pour la dernière fois aux séances de l'Académie, le 31 mars 1855. Quoique témoins de ses souffrances, nous étions loin de sup- poser que nous dussions le perdre bientôt. Il mourut à sa campagne de Wonbrechtegem, le 10 mai suivant, avec une pieuse résignation et après quelques jours de souffrance qui laissaient entrevoir sa perte prochaine. (') « Pendant ses vacances de 1850, il fil encore un voyage en Italie, pour y refaire sa santé; il reprit ses cours au mois d'octobre suivant avec le même zèle, quoique ses forces physiques diminuassent. Le 20 novembre 1851, il eut le mal- heur de perdre son frère unique; il accei)ta ce douloureux événement avec rési- gnation, mais sa santé en souffrit beaucoup. En 1853, il se vit forcé de demander un congé d'un an, pour aller passer quelque temps dans son pays natal. Au bout de trois mois, par des circonstances imprévues, M. Pagani revint à Louvain, mais ne reprit plus ses cours. » JEAN-GUILLAUME GARNIER. (')... « Après mon cours d'étude au collège de Reims (Champagne), jusqu'à la philosophie inclusivement, je devais être jeté au séminaire pour remplir les vues de mes parents, qui se préparaient ainsi un asile dans leur vieillesse : mon assentiment était regardé comme un acte non de conviction, mais de soumission ; tel était alors, par rapport aux enfants, le despotisme paternel quant au choix d'un état et d'une épouse. On fut donc surpris de rencontrer chez moi une op- position qui n'offrait prise ni aux caresses, ni aux menaces. Il fallut composer,, c'est-à-dire me laisser l'option entre le droit, la médecine et les sciences. Je fis quelques pas dans les deux premières carrières, puis je me jetai dans la troi- sième. Pendant les deux années de mes études mathémati- ques, qui me conduisirent de la numération à la mécanique de l'abbé Bossut, en passant par les traités élémentaires de (') La première partie de cette notice se trouvait au nombre des manuscrits de M. Garnier : je l'ai insérée dans VJnnuaire de l'Académie royale pour 1841. Jean-Guillaume Garnier était né à Reims, le 13 septembre 1766, et il mourut à Bruxelles, le 20 décembre 1840. - 204 - calculs différentiel et intégral de M"^ Agnesi ('), je rendais d'une main les leçons que je prenais de l'autre, et je dus m'applaudir d'autant plus de cette manœuvre, qu'elle m'était beaucoup plus profitable qu'à mes élèves. Je conseille donc aux jeunes gens d'eu faire usage, et d'opposer ainsi l'amour- propre à la paresse. Ce cours fut clos par un exercice pu- blic très-solennel, à la suite duquel je reçus le grand prix de mathématiques et un prix de dessin d'architecture. Tel fut le terme de mes études à l'Académie de Reims. Je me rendis alors à Paris, chez un oncle qui me tint lieu de père. Après quelques cours de chimie, de botanique, de physique et de mathématiques, sous les professeurs les plus distingués de ce temps, ma carrière fut déterminée par mon appel à l'École militaire de Golmar (Haute-Alsace), en qualité de pro- fesseur de mathématiques et de fortifications; j'y restai un an et trois mois, comme l'atteste un certificat du 30 juin 1789, date de la chute de cet établissement, qui, composé en grande partie d'élèves étrangers à la France (^), dut s'écrouler sous les premières commotions de la révolution française. Là, je me liai avec le géomètre Arbogast ('), qui venait d'être couronné à l'Académie impériale de Saint-Pé- tersbourg, et qui alors jetait les fondements de son calcul des dérivations. Cet homme, l'un de nos premiers géomè- tres, et en même temps chimiste, botaniste, physicien et littérateur dans plusieurs langues, imprima à mes études une bonne direction, me donna l'éveil sur les ouvrages des (') Cet oiiviage est la traduction faite par Anthelmy, sous les yeux de Bossut, des Jnstituzione analitiche île Maria Gaelani Agnesi, morte à Milan, le 9 jan- vier 1799. Voyez le Dictionnaire des sciences mathématiques, i)3r une société d'anciens élèves de l'École |tolytechni(iue. ('} Les élèves qui alimentaient cette école appartenaient aux premières familles de l'Angleterre, du Danemark, de la Suède, de la Russie, de l'Allemagne et de la Suisse. On y comptait quelques Français prolestants : l'école était prolestante. C) Voyez le Nouveau Dictionnaire des sciences mathématiques. — 205 — premiers géomètres de France^ de Turin, d'Italie, d'Alle- magne et d'Angleterre, et, dans nos promenades, en faisait le texte habituel de nos conversations. Je lui voue une re- connaissance qui est, j'ose le dire, d'autant plus méritoire qu'elle est plus rare aujourd'hui, où les services et même les bienfaits sont soigneusement oubliés. Après ce début dans la carrière de l'enseignement, je revins à Paris, cher- chant à renouer le fil de mes études que la première secousse révolutionnaire venait de rompre brusquement. 1) Alors commençait à gronder en France ce torrent révolu- tionnaire qui devait ébranler l'Europe. Les idées de réforme^ jetées antérieurement dans la circulation, fermentaient dans la masse : chez les uns elles étaient implicites, chez le plus grand nombre elles n'étaient encore que nébuleuses ou en- trevues. Mais toujours est-il vrai qu'il y avait tendance gé- nérale vers un autre ordre de choses et, de la part de la mi- norité privilégiée, une résistance qui ne faisait que la rendre plus énergique. Tels étaient alors les avant-coureurs d'une explosion dont on ne pouvait encore assigner ni l'époque, ni la durée, ni le terme. Jeune encore, doué d'une imagination ardente et exaltée par les écrits du temps, je souriais à ce brillant avenir, qui annonçait des voies plus larges ouvertes à toutes les capacités. Mais des perturbations terribles et imprévues apportèrent avec elles leur correctif. Cette pé- riode d'angoisses et de dangers personnels, qu'on ne brave que pendant un certain temps, me faisait désirer la fin d'une crise qui ne s'alimentait que de destructions. Enfin ceux qui avaient semé les vents ne recueillirent que les tempêtes : ils ne laissèrent que le souvenir de leurs noms et de leurs ser- vices à la fois odieux et salutaires. Lorsque la révolution eut accompli ce premier travail, qui est une de ses conditions, et que des projets d'ordre et de réorganisation vinrent occu- per les esprits, je me sentis soulagé et je pus me livrer à des — 206 — éludes régulières et à des travaux qui exigeaient cette tran- quillité dont je n'avais pu jouir antérieurenrient. Dans cet état de calme, troublé de temps à autre par des commotions qui tenaient encore à cette crise de transition, et enfin com- plètement rassuré par un ordre de choses qui faisait renaître l'espoir d'un avenir régulier, prospère et glorieux, j'étais loin de m'attendre qu'à une époque éloignée, j'aurais encore à souffrir d'une révolution qui viendrait remettre en ques- tion des droits que je croyais imprescriptibles et troubler une existence qui me paraissait garantie. Le choc qui, en France, renversa la branche ainée des Bourbons et porta sur le trône la branche cadette ou des d'Orléans, eut son contre- coup en Belgique : la fusion de ce pays avec la Hollande, arrêtée à Vienne, après la chute de Napoléon, fut dissoute pour abriter les limites les plus vulnérables de la France. Mon but n'étant pas de faire l'histoire de ces commotions, mais seulement la mienne, je me bornerai à dire que je dus à cette dernière révolution la perte d'une place que j'avais remplie à la satisfaction de tous. » Je reviens maintenant à mon second séjour à Paris, pour en suivre toutes les phases, jusqu'au moment de mon appel dans le royaume des Pays-Bas. » M. Firmin Didot, célèbre fondeur, graveur de caractères et imprimeur, d'ailleurs littérateur recommandable, auquel je donnais des leçons de mathématiques, me mit en rapport avec M. De Prony, alors ingénieur des ponts et chaussées, qui refaisait l'architecture hydraulique de Bélidor, travail qui, depuis, a été repris avec plus de succès et sur un autre plan, par M. Navier. Ce géomètre m'invita à étudier cet ouvrage et à lui faire part de mes observations, qui furent rédigées en notes et qui seront mentionnées dans la liste qu'on trouvera plus loin. Au 1^'' septembre 1791, M. De Prony, nommé directeur général du cadastre de la France, - 207 — me présenta au ministre des finances Claviére, et me fit agréer comme chef de la division géométrique. Je remplis ces fonctions, autour desquelles on groupa depuis d'autres attributions, jusqu'au l^'" messidor an V de la république (*), c'est-à-dire pendant S ans et 10 mois. Lorsque son orga- nisation fut complétée, le bureau central du cadastre se com- posait de soixante employés, divisés en deux sections, l'une de géomètres et de calculateurs, l'autre de géographes et de dessinateurs : j'étais chef de la première section. Une no- menclature abrégée de ses travaux a été insérée en tète des Tables de logarithmes de Callet, par M. Firmin Didot, d'après une note que je lui ai fournie. Cet exposé se retrouve avec plus de détails dans le chapitre XIV de mon /analyse algébrique; on y lit, n° 119, ce passage : « C'est par ces procédés et d'autres qui leur sont analogues, qu'ont été cal- culées, dans les bureaux de l'ancien cadastre, les grandes tables de sinus et tangentes naturels, avec vingt-deux déci- males exactes, ainsi que les logarithmes des nombres. » Dans le rapport fait à l'Institut, MM. Lagrange, Laplace et De Lambre disent des mêmes tables : « quelles sont le mo- nument de calcul le plus vaste et le plus imposant quon ait jamais exécuté ou même conçu. Un des grands avan- tages des méthodes mises en œuvre, était de pouvoir em- ployer à la fois un nombre indéfini de calculateurs, des- quels on ne pouvait attendre d'autres connaissances que celles de l'addition et de la soustraction. » Enfin j'ai com- posé un mémoire très-étendu et très-impartial des travaux des géomètres, qui offrait, d'ailleurs, l'inventaire exact des (') L'année et la nouvelle ère républicaine commencèrent au 22 septembre 1792, époque de Tinstilution de la iépubliar Robert Lindet, membre du Comité de salut public, à la suite de son discours prononcé à la 4« sans-culotlide an II (20 septembre 1794), on en trouve un qui ordonne un projet d'école normale, pour former de jeunes pro- fesseurs et répandre ainsi l'instruction et les lumières par loule la France. Ce fui en l'an III (1794) que la Convention ordonna la réouverture des spectacles et des réunions savantes el qu'elle établit les écoles primaires, normale, de droit et de médecine. — 211 — lyse à l'École polytechnique, A cette époque, notre liaison devint très-étroite : le 2 germinal an VI, je reçus de lui le billet suivant: «Si le citoyen Garnier veut bien se rendre w dans la soirée àl'École polytechnique, jelui ferai part d'un » objet qui le concerne particulièrement et sur lequel il est » nécessaire que je me concerte avec lui. Salut et fraternité, » Fourier. » Il s'agissait de me présenter comme son rem- plaçant au conseil de l'École polytechnique qui devait en- voyer cette présentation au ministre. Dans une lettre du 29 germinal, veille de son départ pour l'Egypte, il me priait, entre autres choses, de faire ses adieux aux élèves de l'École polytechnique, lors de mon début, qui devait avoir lieu le lendemain (*). En l'an IX, d'après un programme arrêté entre le professeur Lacroix et moi, et le vœu émis par le conseil de perfectionnement, dans sa première session, je publiai, in-4", la première partie de mon cours d'analyse al- gébrique et celles des calculs différentiel et intégral, et en l'an X, je fis paraître le complément de ces trois cours. Tel était alors le texte de l'enseignement donné à chacune des deux divisions de l'école, par chacun des deux professeurs d'analyse qui lui étaient attachés. Ce fut à mon retour d'Auxerre que je fondai, d'après l'invitation de plusieurs familles de cette ville, une école préparatoire à l'École poly- technique, qui lui a fourni plus de 200 élèves et qui, plus lard, remplit le même but par rapporta l'École militaire de Fontainebleau, rappelée à Saint-Cyr, et à celle de cavalerie fixée à Saint-Germain. Pendant la durée de mes fonctions de professeur à l'École polytechnique, mon enseignement dans (') La Théorie de la chaleur, due à M. Fourier, est iin ouvrage qui fait époque : enlevé aux sciences, au milieu de ses travaux, on attendait deiui La Théorie des inéquations, dont il s'occupait depuis longtemps et dont il avait déjà publié quelques fragments. On lui doit le discouis préliminaire du grand ouvrage sur rex|)édition d'Egypte, qui le signale comme littérateur ; il fut, d'ailleurs, l'un des deux secrétaires perpétuels de l'Académie royale des sciences de France. — 212 — ce pensionnat fui successivement confié à MM. Dinet, Pois- son, Binetet Bourdon, tous élèves distingués de l'école. » Un jeune débutant qui devait signaler sa carrière par un grand nombre de travaux du premier ordre, me fut présenté par mon ami, M. Le Brun, directeur des études de l'Ecole polytechnique (*), avec invitation de l'accueillir gratuite- ment dans mon pensionnai, où il devait reconnaître ce bien- fait par des répétitions et d'autres services. J'acceptai la pro- position: le jeune élève reçut chez moi tous les éléments de l'existence et les livres nécessaires tant à son instruction qu'à ses travaux: c'était M. Poisson dont la réputation est deve- nue européenne. 11 fixa bientôt l'attention et l'intérêt du célèbre Lagrange, dont il suivait le cours de perfectionnement dans la salle de la bibliothèque de l'école. Mais plus tard, M. de Laplace, qui faisait imprimer sa Mécanique céleste, lui confia, sur mon refus, la révision des épreuves de cet ou- vrage: telle fut l'origine de ma disgrâce et de la fortune de M. Poisson. M. Fourier ayant été appelé à la préfecture de Grenoble, département de l'Isère, M. de Laplace, devenu pour un moment ministre de l'intérieur, lors de l'érection du consulat, appela M. Poisson à la survivance de Fourier, qui ne put me garantir de cette injustice dont je fus instruit par M. Poisson lui-même, qui était encore mon hôte et mon obligé et qui trouvait très-simple qu'on le récompensât à mes dépens. J'étais, d'ailleurs, en relation avec le célèbre Lagrange f ), qui ne dissimulait pas ses préventions contre son collègue M. de Laplace. (') L'un des sous-inslituteurs de l'ancien duc d'Orléans, aujourd'hui Philippe I", roi des Français. (•) En vertu de cet adage de Tacite, se ipsum deserere, turpissimwn est, ce qui revient à dire qu'il faut vivre dans toute sa plénitude, je citerai ([uelqucs travaux de ce giand homme, dans lesquels il a voulu appeler mon intervention. J'ai revu les calculs et les épreuves, 1° de la Résolution des équations numé- riques; 2° de la Théorie des fonctions analytiques ; ô" des Leçons sur le calcul - 213 » A quelque temps de là, je reçus du premier consul une nomination de professeur de mathématiques transcendantes au Lycée de Rouen : cette promotion, sous la date du 21 fruc- tidor an XI de la république, est signée de Bonaparte, con- tresignée de Huges, B. Maret, secrétaire d'État, de Chaptal, ministre de l'intérieur, et de Fourcroy, chargé de la direc- tion et de la surveillance de l'instruction publique. De cette manière, le consul réparait en partie l'injustice commise à mon égard ; mais, par des réclamations au sujet de ma des- titution, je refusai l'indemnité et, dès lors, je me consacrai sans partage aux soins de mon pensionnat que le premier consul vit avec intérêt et où il fit placer les jeunes Corses qui se destinaient à l'école. Dans cette retraite, n'ayant plus à lutter que contre les tracasseries de l'Université impériale, qui conspirait méthodiquement contre l'instruction publique, au profit de la faction jésuitique, je pus m'occuper sans relâche de sciences et de littérature. Pour offrir à mes élèves toutes les ressources propres à faciliter leur marche à l'école, je des fonctions ; 4" de la Mécanique analytique. C'est ce que prouvent et la cor- lespondance de ce granct homme, que je conserve avec un soin religieux, el la note en tête du second volume du dernier de ces ouvrages. M. Lagrange m'accor- dait quelque amitié et quehiue confiance .-j'avais la liberté d'entrer dans son cabinet à toute heure du jour ; il m'honorait de quelques visites ; il s'était chargé de répéter à mon neveu les matières d'admission à l'École polytechnique; il se faisait lire par lui quelques tragédies de Corneille et d'autres morceaux de litté- rature ; il lui donna d'autres preuves non équivoques d'affection. Sur ses derniers jours, ce grand homme, que Napoléon appelait la haute pyramide des sciences mathématiques, avouait que nos sciences n'étaient que de faibles lueurs dans l'abime ténébreux de l'ignorance où nous sommes plongés. Cela est beau à dire par celui qui avait parcouru presque tout le cercle des connaissances humaines et reculé si loin les bornes de l'analyse mathématique. Il ne faut donc plus s'étonner de la modestie réelle des vrais savants. Les grandes âmes s'élèvent jus- qu'aux confins de l'inlelligence possible, parce qu'elles ont une vue plus vaste que les autres; elles en mesurent le terme; mais les courtes vues n'apercevant pas ces barrières, se croient sans limites dans l'espace et deviennent fières de leur prétendue immensité. Voyez le Précis historique sur la vie et la mort de Joseph-Louis Lagrange, par MM. J.-J. Virey et Potel, docteurs en médecine. — 2U — rédigeai la géométrie descriptive des deux années ('), dont je fis entrer la partie élémentaire dans les cours préparatoires, qui se composaient des matières de l'examen et d'une partie de l'enseignement de l'intérieur : le dessin, l'escrime et bientôt l'exercice de l'infanterie complétèrent la préparation aux trois écoles militaires. Des savants avaient la bonté de venir chaque année faire des examens très-étendus et très- approfondis qui étaient des simulacres des examens d'admis- sion. » Je placerai ici la liste des ouvrages que j'ai publiés à Paris, laquelle sera continuée en son lieu par ceux que j'ai fait im- primer en Belgique et par les ouvrages manuscrits dont je m'occupe depuis mon établissement à Versailles. Comme je n'ai pu conserver les premières éditions de plusieurs de ces ouvrages, je crois devoir consigner ici quelques renseigne- ments qui serviront non-seulement à remonter à très-peu près à l'époque de leur publication, mais encore aux motifs qui m'ont déterminé à les entreprendre et aux sources où j'ai puisé. Antérieurement à la révolution, les sciences ma- thématiques n'étaient cultivées que dans les écoles militaires, de marine et des ponts et chaussées et dans un petit nombre d'autres établissements préparatoires, parmi lesquels on comptait l'Académie de Reims, où j'ai étudié : on y suivait les traités de Bezout et de Bossut. Une fois admis aux écoles spéciales, l'instruction devenait confidentielle et particuliè- rement à celle de Mezières. Les Mémoires de l Académie royale des sciences de Paris ne trouvaient de lecteurs que dans celles de Berlin, de Saint-Pétersbourg, etc. Le champ des applications n'était encore ouvert qu'à l'astronomie et à la géographie mathématique; la chimie et la physique tou- chaient à une ère nouvelle. Tel était l'état des choses lors- {') Alors MoDge n'avait pas encore publié sa Géométrie descriptive ai son Analyse appliquée. - 215 - que les premiers mouvements de la révolution suspendirent pendant quelque temps la culture des sciences, qui fut bien- tôt ranimée par les discussions de l'assemblée constituante qui, en décrétant l'uniformité du système métrique, donna naissance aux plus belles opérations géodésiques faites jus- qu'à celte époque et à des recherches de physique les plus délicates. Ces services et d'autres plaidèrent si éloquemment la cause des sciences que la Convention nationale pensa à réorganiser l'enseignement et proposa d'abord, ainsi que nous l'avons dit plus haut, la formation de VEcole centrale des travaux publics , qui donna, sur toute l'étendue du terri- toire français, un grand élan vers la culture des mathéma- tiques. Nous avons dit ailleurs que l'élite de nos savants avait préparé des chefs et des sous-chefs de brigade pour cette école, ce qui établit un commencement de circulation des sciences. D'un autre côté, parmi les membres des académies appelés aux chaires de l'Lcole normale, les uns se chargèrent de refaire en quelque sorte le réseau des sciences, d'autres en développèrent les points principaux, dont ils assignèrent l'origine et les conséquences; d'autres enfin se chargèrent de l'historique. Ces leçons et les discussions auxquelles elles fournirent matière furent recueillies et consignées dans le Journal de l'Ecole normale, qui donna une impulsion prodi- gieuse aux esprits. Telles furent les sources où quelques géomètres puisèrent une partie des matériaux des ouvrages qu'ils publièrent et qui établirent la transition des anciens traités aux nouveaux ; telle fut encore l'époque à laquelle on doit rapporter les premières éditions des ouvrages que nous allons citer : » i" Eclaircissements sur le tome I de V architecture hy- draulique de Prony^ grand in-4°. La date est celle de la publication de l'ouvrage auquel ils se rapportent. » 2° En l'an II (1794), Usage du compas de proportion. — 216 - suivi d'un traité de la division des champs, ouvrage de 280 pages, avec six planches. j) 3° Notes sur t algèbre et sur les calculs différentiel et intégral de Bezout. Ces dernières forment un volume in-8"; elles ont paru en l'an VIII. » 4" En l'an IX, Première partie du cours d'analyse al- gébrique et celles des calculs différentiel et intégral, et en l'an X, complément de ces trois cours à l'Ecole polytechni- que. Ouvrage in-4''. » 5" En l'an X (1801). Cours d'analyse algébrique, à l'u- sage des élèves de cette école, in-8° de 229 pages. )) 6" Traité ddrithmétique à l'usage des élèves de tout âge, contenant l'arithmétique des Grecs : deuxième édition de 191 pages^ publiée en 1808. Je n'ai pas la date de la publication de la première édition. » 7*^ Trisection de l'angle, parL.-P.-V.-M. Azémar,sm'v?e de recherches analytiques sur le même sujet, par J.-G. Gar- nier, ouvrage de 418 pages, avec trois planches, publié en 1809. )) 8° Réciproques de la géométrie, suivies d'un recueil de théorèmes et de problèmes, deuxième édition de 350 pages, avec 12 planches, publiées en 1810. Je n'ai pas la date de l'impression de la première édition. )) 9° Leçons de statique, en 258 pages, avec 12 planches, première édition, 1811. Antérieurement à la publication de cet ouvrage, nous nous étions occupés, M. Ampère et moi, de la recherche d'une démonstration élémentaire du parallé- logramme des forces qu'on y trouvera consignée. » lOo Leçons de calcul différentiel ^ ouvrage de 474 pages, avec 4 planches : 3*^ édition, 1811. » 11* Leçons de calcul intégral, ouvrage de 643 pages, avec deux planches; 3''' édition, 1812. » 12° Géométrie analytique y ou applicatio7i de l'algèbre à — 217 — la géométrie^ ouvrage de 445 pages, avec 14 planches; 2*^ édition, 18i3. Je n'ai pas la date de la première édition. » 13° Analyse algébrique., faisant suite à la première édi- tion de la première section de l'algèbre, ouvrage de 668 pa- ges, 1814, seconde édition. » Dans cet inventaire ne se trouvent pas portées les pre- mières éditions de deux traités, l'un de géométrie et l'autre de la première section de l'algèbre, qui ont été réimprimées en Belgique et qui seront rappelées en leur lieu. Qu'il me soit permis d'observer que ces ouvrages et ceux du géomètre Lacroix ont fait la transition des anciens traités aux nou- veaux, et que, mettant à part l'application de M. Biot, ce n'est que postérieurement qu'ont paru les notes et autres traités qui circulent aujourd'hui et dans lesquels on a omis de citer les travaux de ceux qui ont ouvert et défriché la car- rière. Il est bien entendu que, parmi les ouvrages qui signa- lent cette rénovation, nous plaçons en première ligne, la Géométrie de M. Legendre^ qui fait époque comme celle d'Euclide. » L'Empereur abusait de sa puissance et de la victoire qui s'était, pour ainsi dire, personnifiée en lui : séparé de la nation qu'il exploitait au gré de son ambition, quoique, sous un grand nombre de rapports, il la gouvernât avec une su- périorité incontestée, il concentrait toutes ses affections et ses intérêts sur l'armée et particulièrement sur sa garde, qui ne prenait plus la peine de dissimuler son dédain pour les citoyens et qui faisait un corps privilégié dans l'État. Au dehors, ses projets furent bientôt pressentis et enfin péné- trés par les rois et les peuples : sa ruine fut jurée et préparée par tous les moyens qui étaient en eux. La campagne de Russie éveilla, chez tous les hommes clairvoyants, de sinis- tres pressentiments, qui s'établirent dans la circulation et qui gagnèrent toutes les classes. Enfin, malgré de brillants — "218 — faits d'armes, mais qui s'achetaient au prix de milliers de braves et des otBciers les plus distingués, les masses enne- mies parvinrent à refouler nos tristes débris sous les murs de la capitale, qui les accueillit comme des sauveurs. Cette catastrophe, remarquable par une imprévoyance impardon- nable, fut signalée, entre autres événements, par la clôture de l'École polytechnique, dont une partie des élèves chan- gea de carrière, el par la retraite de ceux qui étudiaient dans les écoles préparatoires. Alors mon établissement fut réduit aux élèves de la seconde division, dont l'instruction pure- ment littéraire ne devenait spéciale qu'à l'âge de seize ans. Lancé sans fortune dans un mouvement qui compromettait plus ou moins toutes les existences el qui n'offrait de res- sources qu'à ceux qui n'en trouvaient alors que dans l'intri- gue, je passai quelque temps dans des angoisses inexprima- bles, lorsque le gouvernement de la branche ainée des Bourbons annonça la dissolution de l'Ecole impériale mili- taire de Saint-Cyr, sa prochaine réorganisation et son place- ment dans les bâtiments de l'ancienne école, occupés pré- cédemment par une partie de la garde impériale et situés près de chez moi. J'avais des connaissances et même des amis jouissant d'un grand crédit et parmi lesquels je me bornerai à citer le général du génie De Caux, chef de la divi- sion du génie de la guerre, qui comprenait les écoles mili- taires, et le général du génie De Richem, mon premier élève à Paris, qui venait d'être nommé commandant de la nou- velle école. Toutes les voies étaient préparées, en sorte que lorsque je présentai ma demande, la réponse ne me laissa aucun doute sur le succès. Enfin je fus nommé le 3 sep- tembre 4814, et obligé de me transporter à Versailles, parce que l'école fut maintenue à Saint-Cyr ('). Comme les (') C'est au duc de Beiri que fui due celte résolution; son frère aîné, le duc d'Angoulême, fui nommé protecteur de l'école. — 219 — élèves de la première promotion, pris parmi les anciennes familles, étaient en petit nombre et d'ailleurs peu préparés, on ne put appeler que l'un des deux professeurs de mathé- matiques compris dans la première promotion, et je dus à mes protecteurs et à l'examinateur, M. Poisson, d'être mis sur-le-champ en activité, ce qui me valut le traitement inté- gral, quand mes collègues, qui n'avaient encore que l'expec- tative, étaient réduits à la demi-solde. Ma situation était encore difficile; car, d'une part, mon traitement de 3,000 fr. était passible d'une retenue d'un dixième; et de l'autre, j'avais des dettes exigibles et, pour les couvrir, des créances devenues très-éventuelles. Mais les débris de mon établisse- ment, transférés à Versailles, me firent quelques ressources fort opportunes dans la situation actuelle. Arriva bientôt ce règne de cent jours, pendant lesquels je fus remplacé par l'un des professeurs de l'ancienne école et mis à la demi- solde. A cette époque, vraiment anecdotique, un personnage que je me dispenserai de nommer et auquel je parlais de ma position aventureuse, me dit : Tranquillisez-vous ; en- core quelques moments de patience ; il (l'empereur) est vendu, il ne reste plus qu'à le livrer j propos qui me fut répété par d'autres personnes initiées dans les mystères de l'époque. J'avais assez soigneusement observé tout ce qui se passait pour trouver dans ce peu de mots l'expression d'une probabilité favorable. Cependant une lettre du ministre de la guerre, du iOjuin 1815, m'annonçait qu'il venait de pré- venir le général Bellavène, rappelé au commandement de l'école, que je continuerais mes fonctions antérieures, en vertu d'un nouvel ordre de l'empereur, motivé sur le réta- blissement de la division d'artillerie. J'ai dû attribuer cette disposition en ma faveur à l'intervention du grand maréchal du palais, Bertrand, dont le neveu était confié à mes soins et en pension chez moi à Versailles. Alors on faisait des dispo- — 220 — sitions pour la prochaine enlrée en campagne, qui déjà s'an- nonçait sous des auspices défavorables. Bientôt la catastrophe de Waterloo vint clore celte échaulFourée; et, en vertu du décret royal de Saint-Ouen, je fus rappelé à mon poste que je remplis jusqu'en août 1817. Je dois observer que cette école de Saint-Cyr était alors et devait être fort élémentaire, en sorte que le professeur devait se résigner aux premiers éléments, seule pâture qui convint aux élèves. » J'entrerai ici dans quelques détails nécessaires pour lier l'époque qui va s'ouvrir à celle qui vient de s'écouler. En l'an 1 81 0, je com ptais au nombre de mes pension naires M. le baron deGagern, de Nassau, en Allemagne, jeune homme très-re- commandable par son instruction et son caractère. Pendant son séjour chez moi, nous eûmes ensemble des rapports fré- quents qui déterminèrent un attachement réciproque : il re- tourna en Allemagne, près de son père, attachée la maison de Nassau : l'un el l'autre se trouvèrent à Paris aux époques des deux invasions, l'un comme ministre plénipotentiaire, l'autre comme militaire au service de la maison d'Orange, dont le chef fut proclamé roi des Pays-Bas. Les premières ouvertures sur mon appel, comme professeur dans ce royaume, me furent faites à Paris el la négociation fut con- tinuée par lettres de M. Gagern fils des 18 janvier et 2 dé- cembre 1816, 8 janvier, 4 février, 17 idem et 4 avril 1817. Dans cette dernière, il m'annonce que le ministre de l'in- struction publique lui fait savoir que le roi des Pays-Bas a très-bien accueilli la proposition à mon égard, et que M. le baron de Geer, secrétaire au département de l'instruction publique, doit se rendre à Paris dans le courant du mois, pour affaires de service, el qu'il est chargé d'entrer en pour- parler avec moi et de régler les conditions de ma nomina- tion. En effet, M. de Geer eut l'extrême obligeance de se transporter à Versailles et de s'aboucher avec moi, au nom de — 221 — M. le minisire de l'instruction publique, Repelaer van Driel, sur la place en question. Dans cette conférence, où le négo- ciateur aplanit toutes les difficultés et alla même au delà de mes vœux, il fut convenu qu'on m'enverrait ma nomination et un permis de libre transit, que je trouverais poste restante à Lille; que je me rendrais à Gand le 1*"" septembre; qu'à mon arrivée, je toucherais pour frais de voyage une indem- nité de 1,000 florins (2,il6 francs) et que mon traitement de 2,500 florins, équivalent à 5,291 francs, me serait compté à partir du I'''' septembre. Les rétributions des élèves, les droits d'examen, les thèses et les honoraires de recteur, ont porté ce traitement au maximum de dix mille francs, et j'étais l'un des professeurs les moins rétribués. » Je ne citerai que les traits principaux de l'organisation de nos universités, sur laquelle on pourra consulter le rè- glement impriméà la Haye, en 1816, et qui recevait, d'après les insinuations des professeurs, un commencement de cor- rections et d'améliorations introduites avec une sage réserve. Ces établissements se divisaient en quatre facultés : 1° celle de jurisprudence; 2*^ celle de médecine ; 3° celle de mathé- matiques et de physique; 4° celle de philosophie spécula- tive et lettres. Dans chaque faculté, il y avait deux grades : 1'' celui de candidat; 2° celui de docteur. Le premier suffi- sait pour le passage de la faculté des lettres dans celle de droit et de la faculté des sciences dans celle de médecine : tous deux n'étaient exigibles qu'à l'égard de ceux des élèves qui se vouaient à l'enseignement. Cependant plusieurs élèves en droit et en médecine ont cumulé deux diplômes de doc- teur, l'un en sciences et l'autre dans leur faculté : plus tard, on a imposé les études académiques à d'autres carrières, ce qui a fait affluer un plus grand nombre d'élèves dans nos écoles académiques. Les professeurs ordinaires des univer- sités étaient fonctionnaires d'État; à ce titre, ils étaient na- _ -)0 M. Casterman (Louis), de Tournay, médecin et profes- seur de mathématiques et de physique à l'Athénée de cette ville. (') M. Quetelet était professeur de mathématiques à l'Athénée de Gand, depuis 1815, c'est-à-dire un an avant rétablissement de l'Université; il prit en effet ses grades à l'Université en 1819, et fut autorisé, à cause de sa position exception- nelle, à passer sans intervalle de temps les examens de candidat et ceux de doc- leur en sciences. Il enseignait donc à l'Université et y était élève en même temps. 15 — 226 — » M. Leschevain (Adolphe), de Tournay, professeur de mathématiques spéciales à l'Athénée de Tournay. » M. Mareska (Joseph), de Gand, médecin, professeur de mathématiques spéciales à l'Athénée de Gand, et de chimie dans la faculté libre des sciences de l'Université et membre de la commission des examens en sciences. » M. Morren (Charles-François), professeur de logique et de botanique dans la faculté libre de sciences de l'Université de Gand^ membre de la commission des examens en scien- ces ; auteur de plusieurs observations et mémoires adressés à l'Académie royale des sciences et lettres de Bruxelles et favorablement accueillis ; déjà présenté comme membre de cette académie et faisant partie de plusieurs sociétés sa- vantes. » M. Manderlier(Éloy),de Tournay, professeur de mathé- matiques à l'Athénée de Namur, a fait de belles recherches sur la théorie des transversales. » M. Duprez (François), de Gand, professeur à l'Athénée de Gand, de physique dans la faculté libre des sciences de l'Université, sous ma direction, et l'un des professeurs de l'école industrielle de la même ville. » M. Goethaels (Auguste), de Bruges, avocat et professeur de mathématiques et de physique à l'athénée de celte ville. » Il en est beaucoup d'autres que nous ne pouvons citer et qui ont pris parti dans le génie, l'artillerie, dans la carrière du droit, de la médecine et de l'administration et dans les collèges. » Plusieurs des ouvrages que nous avons publiés à Paris et dont la note a été donnée plus haut, entre autres la géo- métrie et l'algèbre, étaient épuisés ou peu appropriés aux besoins de noire enseignement académique; c'est ce qui nous a déterminé à publier les suivants : » i " Eléments de géométrie , contenant les trigonométries - 227 — rectiligne et sphérique^ les préliminaires ou éléments de géométrie descriptive et les réciproques ou inverses de la géométrie, volume de 484 pages, grand in-8" avec 23 plan- ches et précédé d'un discours préliminaire de 52 pages. Ce traité, qui a paru à Gand en 1818, forme la deuxième édi- tion de notre géométrie publiée à Paris et qui n'a pas été mentionnée dans la première liste: les réciproques ou in- verses, consignées dans cette édition, se rapportent aux pro- positions de cet ouvrage, tandis que celles publiées antérieu- rement dans nos réciproques de la géométrie, se rapportaient à la géométrie de Legendre. » 2" Dans la même année, j'ai publié, à Gand , la quatrième édition de l'Arithmétique, ouvrage in-8° de 316 pages. Cet ouvrage, travaillé avec soin, a été suivi avec fruit par les élèves de notre ancienne université. » 3° Algèbre en deux sections, formant ensemble b59 pa- ges, précédé d'un discours préliminaire de 18 pages avec une table raisonnée de l'ouvrage et une planche, quatrième édition, imprimée à Bruxelles en 1820. Voyez l'annonce des ouvrages imprimés à Paris. »4° Elementa arithmeticœ, algebrœ etgeometriœ in usum prœlectionum academicarum, de 389 pages, avec 5 plan- ches et une préface. Je dois m'expliquer sur la nécessité de cet ouvrage. Mon cours était presque le seul qui se fit en français; mais les examens et les thèses se passaient en latin: c'était une difficulté pour le candidat d'improviser dans cette langue les réponses aux questions ; il lui fallait donc un ou- vrage dans lequel il put retrouver le texte des leçons et où il apprît le latin conventionnel. » Je dois ajouter que mes collègues, sauf quelques excep- tions, réprouvaient cordialement la langue française. Cet assentiment aux interrogations en latin était, de ma part, non pas un acte de soumission, mais un moyen d'éviter une — 228 — scène publique dans laquelle on se serait prononcé contre les partisans de ce langage suranné, qui n'était qu'un nuage jeté sur quelques non-sens et sur des doctrines désavouées aujourd'hui. Je devais montrer que je pouvais au besoin re- courir à cette langue réputée savante. » J'avais rédigé, et fait imprimer en grande partie, un traité d'astronomie descriptive que d'autres occupations ne m'ont pas permis de terminer et de publier. » J'ai composé des notes sur la physique de Fischer, qui complètent celles de M. Biot, et j'y ai joint des notions sur les météores, dont l'histoire doit entrer aujourd'hui dans lout traité de physique. Quoique j'aie eu soin de ne pas attacher mon nom à ces additions, cependant le professeur de physi- que de notre université, qui n'aimait ni les idées modernes, ni la façon française, et qui avait deviné ma coopération, changea d'auteur, et le libraire en fut pour ses frais. J'ajou- terai occasionnellement que l'enseignement de la physique dans nos universités n'était, expérimentalement parlant , qu'une suite de tours de gobelets, et que théoriquement, elle était encore dans les langes de la vieille physique. » J'ai été l'un des fondateurs et des coopérateurs aux Annales Belgiques, qui comptent 14 volumes in-S" et qui s'étendent de l'an 1818 à l'an 1824. Dans ce journal, où j'ai traité un grand nombre de questions de sciences dans l'acception la plus utile, j'ai provoqué et déterminé la coo- pération de nos jeunes élèves des collèges, athénées et uni- versités, qui faisaient ainsi leurs premières armes et dont je pouvais ébruiter les premiers essais. En 1825, je fondai avec M. Quetelet, cité plus haut, la Correspondance mathé- matique et physique, dont je publiai avec lui les deux pre- miers volumes, qui comptaient un assez bon nombre de sou- scripteurs. Mais l'un des collaborateurs résidant à Gand et l'autre à Bruxelles, je laissai à M. Quetelet le soin de diriger — 229 — seul l'entreprise : la publication n'éprouva d'ailleurs aucun changement essentiel ni pour la forme ni pour le fond. » Une fois installé à Versailles, pour mon service à l'École de Saint-Cyr, j'arrêtai, après y avoir longtemps songé^ les plans d'une série d'ouvrages dont l'ensemble devait former le traité le plus vaste sur les sciences mathématiques, traité déjà exécuté sur des dimensions moindres et sur un fonds moins exploité qu'il ne l'est aujourd'hui. Peut-être cette composition était- elle au-dessus de mes forces, et plus pro- bablement, l'exécution exigeait plus de temps que mon âge n'en laissaftà ma disposition. Au reste, écartant toutes ces chances et toute idée d'impression et de publicité, je mis la main à l'œuvre et je m'occupai, en premier lieu, de refaire ceux de ces ouvrages que j'avais déjà traités sur un plan plus resserré. J'étais loin de prévoir que le travail que je m'im- posais, et qui exigeait d'immenses recherches, dût être suspendu pour d'autres compositions, dont quelques-unes ont été citées dans la liste des ouvrages publiés à Gand, et par d'autres non imprimés qui se trouvaient en dehors de ce cadre. Nous donnerons la liste détaillée de ces manuscrits : » {° Éléments cV arithmétique, cV algèbre et de géométrie, y compris la trigonométrie rectiligne et quelques notions sur la trigonométrie sphérique. Ici j'ai fait tout ce qui était re- quis pour arriver au mieux : j'ai consulté les ouvrages écrits sur le même plan, j'ai fait passer plusieurs fois cette rédac- tion par le creuset de l'enseignement, c'est-à-dire par l'épreuve d'intelligences encore peu exercées. A la vérité, ces manières de procéder sont moins goûtées que jamais, aujourd'hui où, à l'imitation de l'Angleterre, il ne faut plus offrir que des recettes en science. J'ai dédié cet ouvrage à M. Rousset, avocat à Paris, mon neveu et mon ami. Ainsi, la science m'aura au moins servi à acquitter une dette de cœur. - 230 - » 2° Eléments de pAys/^we. J'attache un très-haut prix à la partie de cette science qu'on appelle physique des corps pondérables, non pas précisément sous le rapport purement expérimental, qui intéresse exclusivement la majorité des auditeurs, mais sous celui des différences qui existent entre les résultats des vérités mathématiques et ceux des expé- riences, différences qui doivent servir à calculer les correc- tions à faire aux premiers pour les rapprocher des seconds. Au reste, n'ayant encore rédigé que cette première partie du cours, sauf révision et correction, je me dispenserai d'en- trer dans les détails. Si le temps et la santé me le permettent, je compléterai ce travail par la physique des corps impon- dérables, qui seule fournirait matière à un traité très-étendu, mais que je ferai en sorte de resserrer sans nuire à l'instruc- tion. » 3° Traité de 7nétéo9^ologie. ^ous nous bornerons ici adon- ner un court extrait des titres des chapitres : Chap. I. Des températures. Chap. II. Sur les variations périodiques du baromètre et du thermomètre. Chap. 111. Des volcans. Chap. IV. Sur la phosphorescence, la composition, la sa- lure des eaux delà mer. Chap. V. Des causes continues de perturbation de l'atmosphère. Chap. VI. De l'électricité atmosphérique. Chap. VII. Du serein. Chap. VIII. Des va- peurs vésiculaires. Chap. IX. De la pluie et des pluies de couleur. Chap. X. Des trombes de terre et de mer. Chap. XI. Chutes de substances météoriques. Chap. XII. Des étoiles filantes. Chap. XIII. Des parhélies, des parasélènes et des halos ou couronnes. Chap. XIV. Des arcs-en-ciel solaires ou lunaires. Chap. XV. Du mirage dans les climats chauds et froids, etc. Chap. XVI. De l'aurore boréale. Chap. XVII. De la lumière zodiacale, des étoiles changeantes, de la voie lactée, des nébuleuses, des étoiles doubles ou multiples. Cet ouvrage fut rédigé en 1831 ; il servit à suspendre mes in- — 231 — quiétudes occasionnées par la suppression inattendue des facultés des sciences et des lettres de l'Université de Gand, par l'incertitude où nous étions alors sur la question de l'in- demnité, du traitement d'attente ou de la pension qu'on nous accorderait, sur sa quotité et enfin sur l'avenir qu'on nous préparait. Je dois pourtant convenir qu'au moins jusqu'ici, mon sort, tout chanceux qu'il est resté, n'a pas été aussi fâcheux queje le craignais. Dans V Annuaire du Bureau des longitudes pour 1834, M. Arago, membre de l'Académie royale des sciences de Paris et du Bureau des longitudes de France, a traité une partie de ces questions avec cette su- périorité qu'on devait attendre de sa position, de ses con- naissances supérieures et variées, et du talent très-rare de répandre la plus vive lumière sur des sujets qui paraissent tous de la portée ordinaire. Cet ouvrage, achevé dans son ensemble, admet fréquemment de nouveaux détails emprun- tés aux journaux scientifiques et même politiques. » 4° Recueilde théorèmes et de problèmes .Zo^i ouvrage est détaché des réciproques , auxquelles il faisait suite dans l'édition de Paris, annoncée plus haut. Les réciproques se retrouvent, comme nous l'avons dit en son lieu, dans les éléments de géométrie publiés à Gand, où elles se rappor- tent aux propositions de cette géométrie, tandis que d'abord elles étaient relatives à celles de la Géométrie de Legendre. Je crois être le premier qui les aie introduites dans l'ensei- gnement. Ce traité renferme 344 figures et une table des matières fort étendue. » 5** Analyse algébrique, ou troisième section de l'algèbre. Cet ouvrage est une nouvelle édition de celui que nous avons annoncé sous le n° 8, dans la liste de ceux qui ont été imprimés à Paris : il devient ici une troisième section de l'algèbre, parce que celle de Bruxelles a été divisée en deux sections; il est précédé d'une table de matières fort - 232 - étendue. C'est celui de mes ouvrages qui a eu le plus d'ac- cueil. w 6° Géométrie analytique, ou application de t algèbre à la géométrie, avec 213 figures. Cet ouvrage est une troisième édition de celui que nous avons mentionné sous le n» 7, dans la liste de ceux imprimés à Paris. Ce manuscrit renferme, par forme d'introduction, des constructions géométriques et quelques problèmes, La première édition de cette applica- tion a suivi la première publication de celle de M. Biot, membre de l'Institut, auquel nous avons adressé dans le temps plusieurs corrections et quelques notes dont il a tiré parti. (Voir sa correspondance.) » 7° Calcul différentiel et aux différences finies. Dans cet ouvrage, j'ai cherché à lutter contre la seconde édition du premier volume du grand traité de Lacroix, dans lequel j'avais remarqué quelques imperfections, et, je dois le dire, des inexactitudes qu'il fallait faire disparaître et des la- cunes qu'il fallait remplir D'ailleurs, mon plan différait de celui de ce géomètre, auquel je dois de la reconnaissance pour l'indication de plusieurs sources à consulter. Je crois qu'on trouvera dans ma nouvelle rédaction plusieurs ap- plications importantes qu'on suivra avec intérêt et qui manquent dans l'ouvrage, d'ailleurs très-estimable, de ce savant, dont les trois volumes remplacent aujourd'hui l'ou- vrage d'Euler sur le même fond. Cependant, je dois décla- rer ici que, dans la première édition du premier volume de l'ouvrage de M. Lacroix, la première partie, qui était de l'analyse pure, avait été empruntée aux leçons de M. Fou- rier, à l'École polytechnique, sans que justice fût rendue à ce dernier géomètre. J'ai été sommé dans le temps de m'ex- pliquer à ce sujet, ce que j'ai fait avec toute la réserve con- venable en pareil cas. )) Le traité de même titre, annoncé sous le n° 5, devait être - 233 — classique, tandis que l'ouvrage manuscrit est académique ; il contient 144 figures; la rédaction en est très-soignée elles calculs ont été revus : il a fait le texe de l'un de mes cours à l'université. » S" Des transversales et des pôles et polaires, avec 2S planches contenant 250 figures. Cet ouvrage est purement géométrique dans quelques parties, et dans d'autres, il est une extension curieuse de l'application : il suppose encore le calcul différentiel. Cette géométrie a été cultivée dans ces derniers temps par des hommes distingués et attaquée par d'autres. Ses premiers germes se reportent à une antiquité très-reculée. » 9° Statique des corps solides, avec une table raisonnée des matières et 11 planches offrant 197 figures. J'y ai consigné l'histoire de la science, empruntée à l'illustre La- grange, l'homme de nos jours le plus érudit sur cette ma- tière. On y trouve les théorèmes les plus importants de M. Poinsot sur les couples, et quelques recherches qui m'ont été communiquées dans le temps par M. l'abbé Bossut. » 10° De la dynamique ou du mouvement des corps solides, avec 98 figures, une table raisonnée des matières et une in- troduction, partie historique, partie expositive, du plan adopté. L'époque actuelle est remarquable par l'association de l'équilibre et du mouvement dec corps solides et liquides avec la physique et la mécanique industrielles, qui leur de- vront des perfectionnements et qui, réciproquement, leur fourniront des sujets importants de recherches. La dynami- que, considérée en elle-même, est une science faite; mais le calcul intégral ne répond pas toujours à ses besoins. Elle offre en général des sujets de méditations et d'études plus composés et plus difficiles que ceux de la statique restreinte à la considération des forces de pression et indépendante de l'élément du temps. On retrouve ici les travaux des Huy- - 234 — gens, Newton, Maclaurin, Descartes, Wallis, Roberval, Bernoulli (Jean, Jacques et Daniel), Maupertuis, Dalembert, Laplace, Lagrange, Carnot, Poisson, Poinsot, etc. w Au milieu de la perturbation générale que cause toute ré- volution, notre régence, dont la sollicitude pour les intérêts de ses administrés ne s'est jamais relâchée, a conçu et réa- lisé le projet de la réorganisation des écoles primaires et du collège, et la création d'une école industrielle sur un patron plus étendu et mieux approprié aux besoins que celui de l'école antérieure. Le H octobre 1833, je reçus de M. le bourgmestre une lettre ainsi conçue : « Le gouvernement ayant adopté la proposition de la régence pour la réorga- nisation de l'École industrielle établie en cette ville (Gand), je vous prie de vouloir bien concourir par vos lumières à la rédaction du plan et du règlement de la nouvelle école. La commission, chargée de ce travail, et dont j'ai pris la liberté de vous nommer membre, se réunira demain, à 4 heures de relevée, à l'hôtel de la régence. » Désigné par cette assemblée pour faire partie de celle des commissions chargée de rédiger le programme des matières de l'ensei- gnement, j'ai dû puiser mes données dans les ouvrages pu- bliés jusqu'ici sur ce texte, et plus particulièrement dans le projet de l'École centrale des arts et manufactures, établie à Paris, sous la direction de M. Lavallée, en modifiant ce plan d'après nos besoins et nos ressources. Cette école est composée de quatre professeurs chargés de la mécanique industrielle, de la physique, de la chimie et du dessin li- néaire, et dont deux professent dans les deux langues. La régence, la commission et le public ont lieu de se féliciter de cette création naissante, dont les résultats dépassent déjà toutes les espérances. « Je supprime ici l'énumération de quelques travaux qui n'ont été faits que pour mon instruction particulière, et qui - 235 tiennent à mon organisation d'après laquelle je ne puis m'approprier les choses que par voie de rédaction.... M Dans cet intervalle, je crus un moment à ma réintégra- tion. Le lieutenant général Desprez, appelé au commande- ment de l'armée belge, à son retour d'Afrique, où il était major général de l'armée, sous le général en chef de Bour- monl, apprenant que j'étais dans le pays et démissionné, désira m'entendre sur cette affaire. Arrivé à Gand avec le roi Léopold, il me fit appeler, dans l'impossibilité où il était de se rendre chez moi. Nous eûmes ensemble une longue entrevue dans laquelle il me rappela qu'il avait été l'un de înes élèves à l'École polytechnique et me promit, après m'avoir entendu, ses bons offices auprès du roi et du minis- tre de l'intérieur Rogier. Cet excellent homme sur lequel je pouvais compter, est mort au milieu de ses démarches^ des suites d'un anévrisme et du chagrin que lui causa la perte de son épouse. Je regrette en lui un ami sur et dévoué qui bientôt aurait pu reprendre et terminer heureusement sa négociation (*)• « Ce qui précède doit avoir été écrit dans le cours de 1 836. Cependant la loi sur le haut enseignement avait été votée à la Chambre des Représentants, le 25 août 1835; elle con- servait les Universités de Gand et de Liège, et elle établis- sait le siège des examens à Bruxelles. Le sénat l'avait adop- tée le 20 septembre et le roi l'avait sanctionnée le 30 du même mois. Le nouveau corps professoral avait été nommé et Garnier n'en faisait pas partie ; cet oubli porta la désola- tion dans l'âme de ce vieux savant ; il savait que, malgré la confiance que le ministre m'avait témoignée dans plusieurs nominations, il m'avait été impossible d'obtenir sa réintégra- (') Elirait des manuscrits que Garnier a légués à l'Acadénnie royale de Belgi- que. — 236 — lion comme professeur. Il ne me cacha point le chagrin pro- fond qu'il en éprouvait. 11 m'écrivait de Gand, le 5 jan- vier 1836: «Je suis abattu, dégoûté, et n'ai plus de confiance qu'en vous. Je ne puis rien m'expliquer de ce qui se passe depuis quelque temps. En relation avec plusieurs membres de la chambre, auriez-vous la bonté de chercher à exciter leur commisération sur mon compte? Si je n'avais à stipu- ler pour ma femme et pour W^*^ Virginie, que je regarde comme ma fille, j'abandonnerais mon sort au hasard. Qu'il me larde que cette question soit décidée. » Ces paroles sont affligeantes dans la bouche d'un homme qui comptait un demi-siècle de services rendus à l'enseignement et qui voyait la fin de sa carrière brusquement coupée par un pré- cipice. Malheureusement les secousses politiques n'offrent que trop souvent des retours semblables; et c'est toujours avec douleur qu'on les rencontre. Je dois me hâter d'ajouter cependant qu'enfin, au mois de mars 1837, la pension de Garnier fut réglée à 2527 francs et l'arriéré complètement soldé. Dans la position où se trouvait notre confrère, cette pension répondait à ses désirs; il ne songea plus désormais qu'à finir tranquillement ses jours au milieu de ses livres et de ses travaux habituels. Vers le milieu de 1836, il était venu s'établir à Bruxelles, où déjà l'avait précédé son com- patriote et son ami, le savant traducteur de Juvénal , de Perse et d'Horace, M. Raoul, qui se trouvait enveloppé, comme lui, dans la disgrâce commune qui frappait à la fois les professeurs des facultés des sciences et des lettres de l'Uni- versité de Gand. Les nombreux rapports que j'ai eus avec M. Garnier me permettent peut-être déjuger mieux que tout autre des ser- vices réels qu'il a rendus à l'enseignement, services qui sont en général trop méconnus. Lorsqu'en 1816, M. Garnier vint occuper la chaire de mathématiques de l'Université de — 237 — Gand, je me trouvais également chargé de l'enseignement des mathématiques dans le collège de cette ville, qui avait été organisé au commencement de 1815 (*). Ma position de- vait me mettre naturellement en relation avec lui : peu à peu sa conversation, toujours instructive et spirituelle, toujours abondante en anecdotes piquantes, se rattachant aux hom- mes les plus éminenis de cette époque, avec qui il avait eu de fréquents rapports, donna une direction plus spé- ciale à mes goûts, qui m'auraient porté de préférence vers les lettres. Je résolus de compléter mes études scientifiques et je suivis les cours de mathématiques supérieures de M. Garnier, Il fut en même temps convenu entre nous que, pour le soulager dans ses travaux, je donnerais quelques- uns des autres cours dont il était surchargé. Je me trouvais ainsi de fait son élève et son collègue. Je le voyais à l'uni- versité pendant une partie de la journée; et, le soir, nous nous retrouvions chez M. Raoul, dont le jardin était devenu le rendez-vous habituel des jeunes gens les plus studieux, de quelques professeurs et d'autres personnes de mérite. Ceux qui ont fait partie de ces petites réunions doivent se rappeler le charme qui y régnait, l'instruction solide qu'on pouvait y puiser, et, ce qui était surtout inappréciable, on était toujours sûr d'y rencontrer des encouragements et une indulgence bienveillante. J'ose dire que ces réunions ont contribué bien plus à former les nombreux professeurs qui sont sortis de l'Université de Gand que les leçons régu- lières des facultés. Ces leçons sans doute sont nécessaires, indispensables même, mais elles ne portent de fruits qu'au- tant qu'elles sont fécondées par la chaleur que le professeur sait communiquer à ses élèves. Dans son enseignement, M. Garnier n'avait rien qui le ( ) Les professeurs furent nommés par arrêté du 22 février 1815, signé par le duc d'Ursel, alors commissaire général de l'intérieur. - 238 - distinguât; ses démonstrations étaient loin d'avoir la netteté et la précision qu'il portait à un si haut point dans la con- versation. Ses cours étaient généralement diffus, et l'habi- tude qu'il avait prise de ne paraître au tableau qu'avec des feuilles écrites qu'il suivait textuellement, était peu propre à réveiller l'attention de ses auditeurs. Il arrivait de là que les élèves,, qui ne jugeaient leur professeur qu'autant qu'ils le voyaient aux leçons, s'étaient formé une idée peu favo- rable de son enseignement; tandis qu'on aurait pu dire que cet enseignement ne commençait réellement que quand il était hors de la chaire et qu'il avait perdu de vue le tableau. En conversant, il revenait alors sur l'objet de la leçon, faisait pour ainsi dire l'historique de chaque théorie, indiquait les transformations successives qu'il y avait vu apporter par les savants nombreux qu'il avait connus, indiquait les bonnes sources où il convenait de puiser, et touchait à chaque instant ces cordes sensibles qui vibrent avec tant de force dans l'âme du jeune homme dont on a su frapper l'ima- gination. La perte de plusieurs places, dans lesquelles il avait été supplanté par des savants plus jeunes que lui, l'avait rendu ombrageux et méfiant. Il avait contracté de là avec ses élèves une certaine réserve qui fut mal interprétée et qui lui causa même des chagrins. Je me trouvais placé à côté de lui dans une position trop délicate pour pouvoir échapper entièrement aux influences dont je viens de parler. C'est à la suite d'un nuage qui s'était élevé entre nous que je lui dédiai, pour sceller notre réconciliation, la dissertation inau- gurale que je fis imprimer en 1819, à l'occasion de ma pro- motion au grade de docteur en sciences. Je demandai en même temps à passer à Bruxelles, où l'on m'offrait une chaire de mathématiques à l'Athénée royal. Nous reprîmes alors nos anciennes relations , et nous commençâmes , peu de - 239 - temps après, la publication de la Correspondance mathéma- tique et physique, journal qui avait pour objet de mettre les six universités du royaume dans des rapports scientifi- ques plus directs et d'exciter l'émulation des jeunes gens, en leur offrant les moyens de faire connaître leurs travaux. Ce- pendant, au bout de deux ans, notre association fut rompue; il devenait trop difficile de nous entendre à dix lieues de distance; je restai seul chargé de la rédaction, et M. Garnier continua à me faire parvenir ses communications. Notre confrère n'était pas seulement un savant instruit, c'était un homme d'une tournure d'esprit très-remarquable et très-originale; il portait dans ses jugements sur la litté- rature qu'il avait cultivée avec soin, beaucoup de tact et des vues judicieuses presque toujours pittoresquement expri- mées. Il employait avec gaieté les termes scientifiques, aux- quels il savait donner une physionomie nouvelle (*) ; il ne manquait pas surtout d'une certaine causticité qui l'a engagé même dans quelques polémiques. On se souvient encore de celle qu'il eut à soutenir contre un médecin : « Monsieur, disait-il, en commençant sa réponse, qui mit tous les rieurs de son côté, vous me traitez bien mal, quoique je ne sois pas de vos malades : » et le reste de son écrit répondait à ce début. Il lui eût été bien difficile de parler des choses, même les plus sérieuses, sans jeter en passant un trait un peu caus- tique, quelque tour original, ou tout au moins quelque expression crûment pittoresque. Dans la pénible position d'esprit où il se trouvait, en attendant que le gouvernement eût prononcé sur son sort, il m'écrivait, en terminant la ( ) Voulait-il parler d'un homme sans consistance, c'était un cône sur la pointe, ou bien un fou à cheval sur une sphère. Mes journées sont exactement superpo- sables, m'écrivait-il, en parlant de sa vie monotone. Une autre fois, en me mon- trant un intrigant qui flattait une personne dont il croyait avoir besoin : « Vous le voyez, disait-il, il l'emploie comme une échelle pourrie qu'il jettera sous la re- mise après s'en être servi. '■■ — 240 — lettre affligeante dont j'ai donné plus haut un extrait : « Je vous demande mille pardons pour les mille inutilités que je vous ai débitées. Mais enfin c'est une question dans laquelle je ne rentrerai pas plus que dans le ventre de ma mère, m La physionomie fortement caractérisée de M. Garnier, ses yeux vifs, enfoncés sous des sourcils très-marqués, son sou- rire un peu satirique, ses réponses promptes et presque toujours spirituelles, devaient le faire remarquer dans la société, où il aurait pu facilement briller au premier rang, s'il avait aspiré à y paraitre. Sa taille petite et courbée et ses formes grêles contrastaient singulièrement avec le tour décidé et incisif qu'il donnait à son langage. Il avait une habitude qui aurait pu paraître choquante chez tout autre, mais qui, chez lui, ne faisait qu'ajouter au pittoresque de sa conversation : c'était d'être assez prodigue de certains mots expressifs qu'on entend peu dans la bonne société, où M. Garnier avait toujours vécu comme le prouvaient suffi- samment ses autres habitudes. Ces mots, rapidement pro- noncés, formaient une espèce de ponctuation parlée; ils arrivaient^ on peut dire si naturellement, qu'on finissait par n'y plus faire attention. Depuis plus d'un an, il assistait très-régulièrement aux séances de l'Académie; il me faisait parvenir ce qu'il désirait qu'on y lût en son nom. Cependant il s'intéressait vivement à nos travaux, surtout à ceux qui appartenaient à la météo- rologie. Il avait publié, à Bruxelles, en 1837, un traité sur cette science. En 1840, il en parut une seconde édition à Paris avec des additions considérables. Son intention avait été d'abord de dédier cet ouvrage au roi. « On verra sans doute, écrivait-il, dans cette démarche qui remonte à la pre- mière année du règne de Léopold, une accession bien pro- noncée à l'ordre actuel des choses. » Puis il ajoutait aussitôt dans la note manuscrite que j'ai trouvée à ce sujet, des mots - Ui de reconnaissance à l'égard du roi Guillaume, de M. Repe- laer van Driel, qui l'avait appelé en Belgique, et surtout de M. Falck, pour qui il professait l'estime la plus entière, estime qui ne peut être bien comprise que par ceux qui ont eu des relations avec ce ministre éclairé. Garnier tenait singulièrement à ne pas mériter le repro- che d'ingratitude. En professant, comme il le disait, une accession entière à l'ordre actuel des choses, il n'obéissait qu'à ses convictions; il n'était mû par aucune vue intéres- sée, car celte espèce de profession de foi sur ses opinions politiques, il ne l'avait communiquée à personne. Il savait qu'on le soupçonnait d'être directement opposé au nouveau gouvernement, que ses intérêts en souffraient; mais il était trop fier, par ce motif même, pour avouer des sentiments dont on aurait pu croire qu'il voulait tirer avantage, comme cela n'arrive que trop fréquemment dans les grandes com- motions politiques. Malheureusement il y a peu d'hommes d'Etat d'un esprit assez élevé pour soupçonner et apprécier de pareils sentiments ! Cependant, depuis 1837, l'existence de Garnier avait re- pris un nouveau calme. 11 avait entièrement renoncé à l'es- poir de reprendre ses anciennes fonctions ; il se louait, du reste, de la manière dont on avait fixé le montant de sa pen- sion. Avec tout l'ordre qu'il apportait habituellement dans ses affaires, il avait réglé ses dépenses d'après ses revenus, et sa manière de vivre était aussi simple que tranquille. On s'apercevait néanmoins que l'état de sa santé s'affaiblissait ; il sortait peu, et, sans maladie grave, il avait de fréquentes indispositions, symptômes d'une constitution délabrée qui devait céder à la première attaque un peu rude. Le coup auquel il succomba fut porté dans le cours de l'automne de 1841 ; il fut d'autant plus douloureux qu'il prenait sa source dans ses affections les plus chères. Garnier s'était marié on 16 - 242 — 1792 ; il avait eu le bonheur de conserver son épouse, et il avait toujours trouvé auprès d'elle les soins les plus empres- sés, l'affection la plus vive. Une demoiselle, qu'il considérait comme sa fille, formait toute sa famille : il n'avait pas eu d'enfants de son mariage, d'ailleurs si heureux. Le calme dont ils jouissaient ensemble fut troublé de la manière la plus fatale: une chute funesleenfutla cause. Vers le milieu du mois d'octobre, M<^ Garnier, en tombant, eut le malheur de se casser la cuisse. Son mari en fut si vivement affecté que dès lors sa santé s'altéra de la manière la plus rapide. Au commencement de décembre 1841, il fut pris, pendant la nuit, d'une hémorragie interne très-intense. Je m'empres- sai d'aller le voir; je le trouvai très-faible; il ignorait le danger de son état. Il parlait avec tranquillité, avec gaieté même de sa position ; mais s'affligeait de celle de son épouse, pour qui l'art n'avait pu rien faire jusqu'alors. C'était un spectacle bien triste, en effet, et bien touchant en même temps, de voir ces deux vieillards retenus au lit par les ma- ladies les plus dangereuses, ignorant la gravité de leurs maux respectifs et chacun ne s'occupant que du sort de l'au- tre. Le calme, la gaieté même de notre confrère ne l'aban- donnèrent pas jusqu'au dernier instant. « Asseyez-vous là, à côté de moi, me disait-il d'une voix fort affaiblie l'avant- veille de sa mort; distillez goutte à goutte ce que vous avez à me dire, si vous voulez que je vous suive, w Le lendemain, quand je revins le voir, on me dit qu'il avait ordonné de me remettre des papiers: c'était notre correspondance depuis vingt-quatre ans que nous nous connaissions. Il avait la conscience de sa fin prochaine, et avait conservé toute sa présence d'esprit; il voulut me parler encore, et commença plusieurs phrases qu'il n'eut pas la force d'achever. Malgré la crainte que j'avais de le fatiguer, je restai assez longtemps auprès de lui, écoutant attentivement, cherchant même à — 243 - deviner ses pensées. Sa physionomie si mobile témoignait visiblement que son esprit suivait encore une série d'idées; ses lèvres étaient en mouvement pour les exprimer, mais j'entendais à peine de loin en loin un mot dont je ne pou- vais saisir le sens. Il était sans souffrance, et s'éteignait in- sensiblement; il expira, presque sans qu'on s'en aperçût, dans la nuit du 19 au 20 décembre, vers quatre heures du matin. On voulut d'abord cacher sa mort à sa veuve; cette annonce pouvait, en efFet, porterie coup mortel à une femme infirme, âgée de quatre-vingt-sept ans. Les funérailles eurent lieu dans la matinée du 23 décem- bre. Les restes de Garnier furent suivis jusqu'au cimetière d'L\elles par une députation de l'Académie, par des mem- bres du corps enseignant et un grand nombre de ses anciens élèves (M. (') M. Garnier a inséré, dans le tome I des Mémoires de l'Académie de Bel- gique, un écrit sur les machines, lu à la séance du 7 mai 1819. Nos Bulletins renferment, en outre, de nombreuses recherches qu'il nous a communiquées sur différentes branches des sciences. JACQUES-GUILLAUME CRAHAY (1). J.-G. Crahay appartenait à l'Académie royale depuis le 8 mai 1835; il en fut toujours l'un des membres les plus actifs et les plus dévoués ; il ne vivait, pour ainsi dire, qu'au milieu de ses travaux académiques et des occupations nom- breuses que lui imposaient ses fonctions de professeur de physique à l'Université de Louvain. Son père, Henri-Guillaume Crahay, l'avait formé à cette vie austère : après avoir exercé le notariat, il avait trans- porté dans la magistrature la sévérité de mœurs qui forme l'un des premiers mérites de celte profession. Son extrême exactitude, sa probité rigide l'avaient conduit, sous le con- sulat, à la place de président du tribunal de première in- stance de l'arrondissement de Maestricht. Il est tout naturel qu'il cherchât à procurer à son fils les avantages dont il jouis- sait lui-même et qui avaient contribué à son bonheur. A l'âge de dix-huit ans, le jeune Crahay entra donc dans l'étude d'un notaire, avec la perspective de passer par les mêmes phases que son père. Malheureusement, avec toute la soumission possible, avec toute la probité de son père, le (') Ni"' à Marslriclil, le ô avril 1789. morl à T.oiivain, le 21 oclolire 18S5. - 245 - fils n'en avait pas exactement tous les goûts. Le jeune homme prêtait plus volontiers l'oreille aux encouragements d'un vieux professeur, du respectable Minkelers, dont les con- seils allaient mieux à ses inclinations. Il continua néanmoins, pendant dix ans, à lutter contre son propre penchant; et ce ne fut qu'après cette lutte prolon- gée qu'il céda aux conseils de M. Minkelers, et qu'il essaya de le remplacer. Il fut nommé professeur de physique et de chimie à l'Athénée de Maestricht, le 19 février 1817. Le roi Guillaume venait de monter sur le trône et un nouvel ordre de choses se préparait pour la Belgique. Crahay avait commencé le notariat à dix-huit ans; il de- vint professeur à vingt-huit. 11 était plein d'ardeur et dési- reux d'enseigner des sciences qui faisaient le bonheur de sa vie. 11 était heureux surtout de succéder à un professeur estimé de tous ses concitoyens et dont il avait toujours été distingué d'une manière spéciale ('). Il conserva jusqu'en 1824 celui qui avait été son maître et son ami, et il put lui prouver du moins que son choix ne s'était pas mal placé en s'arrêtant sur lui. Dès l'année 1822, la Société linnéenne de Paris l'avait ad- mis au nombre de ses correspondants, et dès cette année aussi, la Société des amis des sciences, des lettres et des arts de Maestricht avait commencé la publication de son An- nuaire, qui obtint un succès mérité. On trouve dans cet utile et modeste recueil différents articles d'un grand intérêt, qu'on doit à la plume de notre savant confrère : il convient de citer particulièrement les articles sur les poids et mesures, (') C'est à M. Minkelers que l'on doit, selon toutes les probabilités, les premières expériences qui ont été faites pour préparer l'éclairage par le moyen de la houille. On peut voir, à cet égard, le discours prononcé, le 10 mai 1854, par M. De Ram, l'un de nos confrères, et ayant pour titre : Considérations sur l'histoire de l'Uni- versité de Louvain. — 246 — sur la situation géognostique de la province du Limbourg et les excellents tableaux météorologiques relatifs à la ville de Maestricht. Ce qui prouve surtout l'esprit organisateur et patient de Crahay, ce sont ses travaux sur l'élat météorologique de l'atmosphère dans la contrée qu'il habitait. Aux recherches de M. Minkelers, il en substitua d'autres plus précises et mieux appropriées aux besoins do la science; il eut le courage de les continuer seul, excepté aux jours où d'autres besoins scien- tifiques le forçaient de s'éloigner, et alors il abandonnait l'ouvrage commencé à des mainsqui pouvaient dignement l'ai- der dans ses investigations. Le premier travail que je reçus de lui renfermait les résultats de ses observations météorolo- giques faites à Maestricht depuis 1818 jusqu'en 1826, c'est- à-dire jusqu'à l'époque où était parvenue alors la Corres- pondance mathématique et physique (t. III, p. 31, année 1827). Les observations se faisaient quatre fois par jour; les instruments étaient comparés avec soin par l'auteur, qui avait tous les talents nécessaires pour les tenir en bon état (') : ces observations ne comprenaient d'abord que les pressions atmosphériques et les températures. A partir de 1824, on enregistra aussi les quantités d'eau. En comparant ses ré- sultats à ceux qui avaient été obtenus précédemment en Belgique, par M. Minkelers lui-même, on se persuade sans peine qu'un progrès immense s'était réalisé dans les obser- vations et dans l'art d'en déduire des conclusions. Crahay avait toutes les connaissances nécessaires pour élever l'art de l'observateur aussi haut qu'il pouvait aller, en explorant les particularités qui appartiennent à un même pays. (') Les observalioDS se faisaient à 9 heures du malin, à midi, à ô heures et à 9 heures du soir. Ces heures paraissaient, en effet, les plus convenables ; ce sont aussi celles qui ont été adoptées à TObservatoire de Bruxelles. - 247 En 1825, Crahay ne se borna plus à donner les variations du baromètre, du thermomètre et les quantités d'eau tom- bée, il fit connaître aussi les nombres de jours de pluie, de grêle, de neige, de gelée, de tonnerre, de brouillard, etc., ainsi que le nombre des vents dominants. En 1829, il adopta quelques heures de plus pour ses observations, et fit con- naître l'état de ses instruments météorologiques pour 1831 et 1832, à 8 et 9 heures du matin, ainsi qu'à midi, à 3, 6 et 9 heures du soir. L'on trouve dans la Correspondance mathématique des observations de Crahay relatives à la rotation d'une lentille sur un plan incliné, et des articles sur plusieurs autres ques- tions de physique qui avaient attiré son attention. Ensuite, il publia ses recherches dans les Bulletins de l'Académie, et, en dernier lieu, dans les Mémoires de la même société savante. La montagne de Saint-Pierre, près de Maestricht, occupa également son attention: il fit des études sérieuses sursa con- struction etsur les débris fossiles qu'elle renferme, et plus tard, quand la question revint à l'Académie, il nous prouva que ces éludes n'étaient point encore perdues pour lui. Le goût des recherches le porta plus loin : il voulut visiter par lui-même et à pied les bords de la Meuse, comme il convient de le faire quand on est véritablement poussé par l'amour de la science, et il reconnut les principales localités des provinces de Namur et de Luxembourg. En 1826, il recommença ses visites, et, en 1829, il fit un nouveau voyage dans l'Eifel. Dans toutes ces excursions, son principal but était de s'instruire lui-même. Cependant la révolution belge avait éclaté :elleavaitdissous les liens qui rattachaient nos provinces aux Provinces-Unies. Le territoire de Maestricht se trouvait, en quelque sorte, sur la frontière des deux États qui s'étaient séparés avec • - 248 — violence. La province de Limbourg restait aux Hollandais, mais un grand nombre de ses habitants passèrent dans les rangs belges. Crahay fut de ce nombre; les passions poli- tiques n'entrèrent cependant pour rien dans son expatria- tion; il n'était occupé que des intérêts de la science. Vers la fin de 1834, au moment où l'Université catholique de Lou- vain allait s'organiser sur les débris de l'ancienne université de l'État, Crahay, nommé professeur par les évêques, trans- féra son domicile, d'abord à Malines, et l'année d'après, à Louvain (*). Rien ne parut dérangé dans ses paisibles occu- pations : il reprit ses instruments et les observa, comme auparavant, avec la même constance. C'est à Louvain qu'il s'occupa de discuter les observations qu'il avait recueillies à Maestricht : elles embrassaient une période de seize années, de 1818 à 1833 inclusivement. L'écrit intéressant qui renferme les résultats de cette dis- cussion se trouve dans le tome X des Mémoires de V Aca- démie, et ce n'est certes pas un des documents les moins importants dus aux travaux de cette compagnie. « Depuis l'année 1818, dit l'auteur, les observations météorologiques ont formé un sujet important de mes occupations. Je m'étais pourvu de bons instruments que je vérifiais souvent; j'ai été à même de pouvoir les placer dans des expositions favo- rables au but proposé. Attaché à l'instruction publique depuis la même époque, j'ai pu faire un emploi régulier de mon temps, de sorte que les interruptions dans les observations ont été rares; le plus souvent, durant mes absences, à la fin du mois d'août et au commencement de septembre, j'ai été remplacé par des personnes sur l'exacti- tude desquelles je pouvais compter; à ces cas près, j'observai (') Il fui I)ienlôl suivi à l'Université catholique par le docteur Marlens, son col- lègue à Maestricht pour le cours de chimie, et qui entra presque en même temps que lui à l'Académie. — 249 — moi-même, persuadé que c'était une condition indispen- sable pour obtenir des résultats comparables. » Les résultats présentés par Crahay furent acceptés avec toute confiance, car il possédait à un haut degré les qualités qui font le bon observateur, et il appuyait ses observations de tous les moyens que la science et la connaissance appro- fondie de la mécanique pouvaient mettre à sa disposition. Ce n'est pas sans raison que notre savant collègue, le cha- noine De Ram, a parlé du talent de notre confrère avec tout l'entrainement que méritaient ses succès. Crahay se fût fait un nom dans tous les établissements scientifiques qui l'eussent accueilli; car son premier mobile était la connais- sance du vrai, en dehors de toute opinion politique. La physique qu'il faisait à Louvain, il l'aurait faite de la même manière à Gand, à Liège ou à Bruxelles; il ne connaissait qu'une science et qu'un mode d'explication : aussi souscri- vons-nous sans hésiter aux paroles de son recteur à l'uni- versité et son confrère à l'Académie ('). « Tout son enseignement et ses travaux scientifiques portaient le cachet de son caractère modeste, consciencieux et franc. Chaque leçon était préparée et donnée avec une scrupuleuse exac- titude, et se distinguait par la solidité, par la clarté et par la netteté d'exposition. Pour faciliter la tâche de ses auditeurs, il introduisit plusieurs modifications dans les instruments de physique ordinaires; il en inventa même d'autres, tels que l'appareil destiné à vérifier par expérience la théorie de la composition et la décomposition des forces, l'appareil général pour la théorie du levier, l'appareil destiné à véri- fier les conditions d'équilibre dans le coin. Crahay avait, avant tout, pour principe d'être utile à ses élèves et d'assurer leurs progrès. La renommée personnelle, que le professeur (') M. De Ram. Discours prononcé après le service funèbre de M. J.-G. Crahay, p. 16, 1855. - 250 - acquiert par ses publications, lui paraissait devoir être con- sidérée comme une affaire accessoire et purement secon- daire. Son principe encore était de ne rien publier sans qu'il y eût une utilité réelle pour la science. « Telles étaient, en effet, ses convictions scientifiques, et l'on en trouve la preuve dans les manuscrits qu'il a laissés après lui, manuscrits qu'il avait composés dans le recueil- lement de la solitude et dont il ne parlait jamais. En y jetant un coup d'œil, on reconnaîtra sans peine que le pro- fesseur attentif cherchait à ménager la force de ses élèves : il préparait d'avance la solution des cas difficiles qu'il voulait leur présenter, afin de ne pas les décourager en se plaçant trop loin de la route qu'ils avaient à suivre. Nous avons dit que sa principale occupation, à Maestricht, consistait dans la rédaction de ses leçons et dans le soin qu'il mettait à réunir des observations météorologiques. Pendant le séjour temporaire qu'il fit à Malines en 1835, il ne voulut pas renoncer à ses travaux de météorologie; il les continua, mais il ne les fît pas entrer dans les résultats qu'il discuta plus tard. Il ne commença une série d'observations régulières qu'en 1836, quand il se trouva établi à Louvain, dans l'ancien bâtiment qu'avait occupé autrefois son professeur, M. Min- kelers. Les résultats des deux premières années furent publiés dans les Bulletins de V Académie, et la suite de ses observations météorologiques parut dans les Mémoires de la compagnie jusqu'en 1848. Les tableaux de 1849 ne con- tiennent plus que les indications des températures; et peut- être le consciencieux observateur éprouvait-il quelque re- gret de donner, dans son grand âge, des tableaux infé- rieurs à ceux qui étaient communiqués par d'autres établis- sements du royaume. Il cessa alors la carrière d'observateur météorologiste, mais il ne crut cependant pas sa mission - 251 - terminée : il lui restait encore à présenter le résumé de ses travaux, c'est ce qu'il fit dans le tome XXV des Mé- moires de V Académie, qui renferme la discussion complète des résultats obtenus pendant une période de treize années, de 1836 jusqu'en 1848. Cet examen est présenté avec un grand soin et prouve que l'auteur était parfaitement au courant du sujet dont il s'occupait : aussi les physiciens étrangers ont-ils eu recours à ses observations comme à celles d'un homme qui méritait toute leur confiance, non- seulement sous le rapport du savoir, mais encore pour l'exactitude qu'il mettait dans ses calculs. Nous ne pouvons exprimer qu'un regret, c'est qu'il n'ait point sous-divisé ses observations en suivant l'ordre des temps : peut-être ses résultats étaient-ils assez nombreux pour permettre de les partager au moins en deux parties. Nous ne poussons pas les scrupules aussi loin que le savant secrétaire de l'Institut de France, M. Fourier (*), mais nous croyons qu'on peut se faire ainsi une idée plus exacte de la précision à laquelle on atteint. Deux opuscules de Crahay, insérés dans les tomes dix et seize des Mémoires de V Académie , déterminent les instants où la pression atmosphérique atteint moyenne- ment, dans le cours de l'année, son maximum et son mini- mum, du moins pendant les heures du jour. Dans le premier mémoire, on trouve les résultats des années 1831, 1832 et 1833, obtenus pour Maestricht; ils sont assez indécis. Crahay trouve qu'en été, l'instant du maximum arrive de meilleure heure et celui du minimum plus tard qu'en hiver; qu'ainsi, en été, l'espace compris entre l'instant du maoîzmMm et celui du minimum est plus grand que celui compris entre (') Voyez ce que M. Fourier dit des moyennes des résultats, dans ses préam- bules aux Recherches statistiques sur la ville de Paris, etc., 4' vol. 1821 à 1829. - 252 - les mêmes instants en hiver. Pendant la première saison, la durée de l'oscillation diurne est de 7\6754; pendant la seconde, elle n'est que de 5\7227. Nous ferons observer, en passant, que c'est une assez mauvaise habitude de donner plusieurs chiffres décimaux après celui où commence l'in- décision : il suit de là qu'il n'existe aucune espèce d'indice précis pour s'assurer de l'exactitude d'un résultat. M. Crahay était trop bon observateur pour ne pas sentir lui-même ce qui manquait à ses résultats : aussi le premier objet dont il s'occupa à Louvain fut-il de calculer, de nou- veau, des nombres qu'il n'avait pu déterminer qu'approxi- mativement dans ses premières recherches. Mais les devoirs qu'il avait à remplir ne lui permettaient pas de disposer entièrement de son temps; il se borna donc à observer son baromètre d'heure en heure, depuis 8 heures du matin jusqu'à S heures de l'après-midi; et pendant les deux mois dont les jours sont les plus longs, juin et juillet, depuis 7 heures du matin jusqu'à 6 heures du soir ('). Les obser- (') Voici les résullals de ses observations : MOIS. ÉPOQUES DU MAXIMUM du matin. ÉPOQl'ES DU MIMMCM du soir. INTERVALLE entre les DECX ÉPOQUES. Janvier b. 10,09 10,03 9,80 9,50 8,69 8,27 8,50 8,70 9,57 9.83 10,06 10,10 h. 5,18 5.64 5,81 5,99 4,50 4,82 5,07 4,80 5,94 5,03 2,35 2,75 h. 5,09 5,59 6,01 6,69 7,61 8,55 8,77 8,ni 6,57 5,20 4,49 4,65 Février Mars Avril Mai Juin Juillet Août Septembre Octobre Novembre Décembre Moyenne pour l'année. . 9,59 5,82 6,45 On peut consulter à cet égard les observations qui ont été faites à l'Observatoire royal de Bruxelles, pour déterminer les maxima et les minima du baromètre la nuit comme le jour, entre les années 1840 et 1848. - 253 ~ valions furent continuées pendant six années, de 1836 à 1841. Elles donnèrent des valeurs sensiblement diffé- rentes de celles qui avaient été trouvées d'abord; mais comme elles embrassent un nombre d'années double, elles méritent plus de confiance. L'auteur sentit d'ailleurs la nécessité de négliger les décimales au delà des centièmes d'heure. Il est juste de dire que la distance de Louvain à Maestricht pouvait introduire une différence dans les nombres. Ce ne fut qu'après avoir discuté et examiné toutes les valeurs obtenues par ses observations que Crahay, après trente années de recherches suivies avec attention, consentit à laisser le soin d'observer à d'autres savants plus favorisés par l'âge et par les circonstances. La météorologie avait pris une tout autre marche pendant les recherches de notre confrère. A l'obligation pénible d'observer par soi-même, d'heure en heure, on avait substitué un genre d'observa- tion plus précis qui laissait au crayon le soin d'enregistrer lui-même les données; et le savant n'avait qu'à relever avec attention les observations recueillies par les instruments. Ce genre d'annotation si simple et si facile devait causer, il faut en convenir, un sentiment agréable et pénible en même temps à ceux qui avaient consacré une partie de leur vie aux obser- vations anciennes. Crahay ne se plaignit pas : ses résultats étaient acquis à la science; mais sans doute, il put regretter plus d'une fois de les avoir acquis au prix d'un labeur fati- gant. Plus tard, le travail eût été plus aisé, l'observateur eût suivi plus facilement les manifestations des phénomènes mé- téorologiques sur tout le globe. Indépendamment des observations dont nous avons parlé et qui firent la principale occupation de sa vie, Crahay prit part aussi à des observations qui lui avaient été demandées par d'autres physiciens. Je me rangerai parmi ceux-ci, et je - 254 — suis heureux de pouvoir dire que notre confrère est l'un des savants qui m'ont toujours fourni les renseignements les plus sûrs et les plus complets. Je citerai entre autres les obser- vations météorologiques horaires qui ont été faites d'heure en heure et, pendant la durée de 36 heures, quatre fois par an, aux époques des solstices et des équinoxes ('). Ces observations étendues à soixante-dix points environ de dif- férentes régions de l'Europe et de l'Asie, ont donné des ré- sultats à peu près identiquement les mêmes que ceux ob- tenus presque à la même époque dans le nord de l'Amérique. Elles ont fait voir que les lignes d'égale pression marchent, sur la partie occidentale de l'Europe, à peu près dans le sens perpendiculaire aux parallèles, et qu'elles se trouvent retardées par l'obstacle des montagnes. Par dessus le reste de l'Europe et au-dessus de l'Asie, les lignes d'égale pres- sion deviennent à peu près parallèles à l'équateur. On a pu voir, en même temps, quelle était la vitesse de ces ondes (*). Ce genre d'observations occupait déjà notre confrère dans la dernière partie de l'année 1835; il y prit part jus- qu'en 1841, époque où un autre système d'observations plus étendu vint le remplacer. Crahay se chargeait avec plaisir de travaux même fati- gants, pour répondre aux désirs de ses confrères de l'Acadé- mie. On avait la plus grande confiance dans ses lumières et dans les résultats de son examen; il était souvent appelé à émettre son opinion sur les questions appartenant à la phy- (') Ces observations m'étaienl d'autant plus précieuses que je les devais entiè- rement à l'obligeance de Crahay : c'était un savant très-réglé, chez qui les obser- vations de nuit étaient à la Tois un acte d'extrême politesse etd'une véritable cour- toisie. {') « La vitesse n'est pas la même dans les différentes parties de l'onde : on peut l'estimer de six à dix lieues par heure. La vitesse semble en général être d'autant plus grande, que les pays parcourus présentent moins d'aspérités. » Sur le climat de la Belgique, tome II : des ondes atmosphériques, p. 87, in-4''. Bruxelles, chez Ilayez, 1857. - 255 - sique; ses rapports étaient toujours conçus d'une manière obligeante, sans rien sacrifier des besoins de la science : ils concernaient à la fois les travaux des étrangers et ceux de ses confrères et amis, mais on aurait peine à distinguer les uns des autres, tant ses observations étaient sincères et con- ciliantes ('). On y remarque que les questions relatives aux végétaux et aux animaux fossiles lui étaient très-famillières : c'est un sujet dont il s'était occupé presque avec autant de passion que de la météorologie. Il suffira, du reste, de parcourir la liste de ses travaux pour se faire une idée des sujets nom- breux qu'il avait compris dans ses études. Dans les premiers temps qu'il habitait l'Université de Louvain, son attention s'était portée vers l'astronomie : il avait raison de croire qu'avec la connaissance qu'il avait des phénomènes célestes et des instruments d'optique, il parviendrait à faire des observations utiles : il me parla de ce qu'il avait observé et me communiqua les résultats d'une éclipse que je fis par- venir à M. Schumacher avec les observations faites dans l'établissement qui m'était confié : malheureusement, l'in- strument dont Crahay s'était servi, était trop faible pour permettre une grande précision, peut-être même le manque d'habitude avait-il mis sa bonne volonté en défaut. Le ré- sultat du calcul entrepris à Altona ne fut guère favorable à son attente. J'eus beau l'encourager ensuite à oublier ce premier mécompte, je ne pus jamais obtenir de lui qu'il revint à l'astronomie d'observation. J'eus ainsi le regret de perdre le concours d'un savant qui, sans aucun doute, (') En consullant les Bulletins de l'Académie, on pourrait croire que bien sou- vent on abusait de l'obligeance d'un homme qui, en dehors du temps donné à l'université et à la science, désirait ne pas rester étranger à sa famille et voulait consacrer quelques instants à sa femme et à ses enfants, qui avaient droit à ses premiers soins. - 256 - avait les qualités nécessaires pour obtenir des résultats utiles. Crahay était d'une sévérité à toute épreuve dans les expé- riences relatives à la science; son assentiment était favorable- ment reçu par les meilleurs connaisseurs; non qu'ils eussent la conviction qu'il rencontrât la vérité en toute occasion, le plus habile peut se tromper, mais on avait au moins de fortes raisons pour croire qu'il était effectivement sur la vraie route. Sa droiture, ses connaissances solides, les services rendus à la science lui valurent, en 1842, la croix de che- valier de l'ordre de Léopold : lui seul put s'étonner d'une pareille distinction qu'il méritait déjà depuis longtemps ('). Pendant la douloureuse maladie qui le conduisit à la mort, Crahay montra la résignation la plus grande : il ne se faisait pas illusion sur sa fin prochaine, mais il s'attachait à développer en lui toutes les qualités qui pouvaient adoucir cet instant cruel et faciliter son passage à une autre vie. Ses souffrances durèrent plus d'une demi-année; cepen- dant ses derniers instants furent tranquilles; il cessa de vivre le 21 octobre 1855, dans la soixante-sixième année de son âge. Louvain perdit un de ses professeurs les plus renommés, et l'Académie royale un de ses membres les plus dévoués et les plus instruits. (') Crahay avail élé nommé membre de la Soci«^lé méléorologiqiie de Londres, au moisd'aoùl 1839. PIERRE SIMONS (1). Pierre Simons, de Bruxelles, était fils d'un célèbre car- rossier de cette ville; il se passionna, dès l'enfance, pour l'élude de la mécanique et des constructions. Lors du pas- sage de l'empereur Napoléon I*^'' par Bruxelles, l'illustre Monge alla visiter les ateliers de Simons père, et trouva l'en- fant occupé de différents travaux qui décelaient son goût et son aptitude pour la mécanique. Le bon vieillard, qui était pour ainsi dire le protecteur-né de tous les jeunes gens qui annonçaient quelque talent, prit plaisir à causer avec notre jeune compatriote, et l'encouragea d'une manière toute pa- ternelle; en parlant, il lui laissa, comme souvenir, un exem- plaire de sa Géométiie descriptive. Un pareil présent impo- sait de grandes obligations ; le jeune Simons sut les com- prendre. Il s'attacha à mieux mériter le livre de Monge, en lâchant de le lire avec facilité et de faire des applications des méthodes fécondes qui s'y trouvent indiquées. La chute de l'empire qui, bientôt après, ébranla toute l'Europe, étendit son action jusque dans le paisible domaine (') Né à Bruxelles, le 20 janvier 1797; mort sur mer, le 14 mai 1843. 17 - 258 - des sciences; le jeune Simons dut suppléer, comme il put, à des études régulières ; mais il avait une ténacité et une trempe d'esprit qui lui rendirent cette tâche moins difficile. S'il parcourait moins de terrain dans le domaine de la science, il savait mieux s'assurer la possession de celui qu'il avait exploré. En 1815 s'ouvrit pour lui la carrière des travaux publics, où il devait se faire plus tard tant de titres à l'estime de ses compatriotes. Il entra au service le l*^"" octobre, en qualité (iJ aide temporaire des travaux publics ('), et, l'année sui- vante, il fut envoyé à la Haye sous les ordres de M. le baron de Beekman, chef de la division des routes et des mines. Ses commencements, on le voit, furent bien modestes. Entré d'abord dans les bureaux comme surnuméraire, promu ensuite au grade d'aspirant, il en sortit, en 1817, pour prendre part au travaux d'achèvement de la prison ci- vile et du portique du palais de justice à Bruxelles. En 1820, Simons put donner une plus large carrière à son activité et à ses études : il fut appelé à concourir à la for- mation du projet d'une nouvelle communication par eau de Mons à l'Escaut; et, plus lard, du projet du canal de Bruxelles à Charleroi. Le 30 septembre 1823, il fut promu au grade d'ingénieur (') Par arrêté du minisire du waterslaat, il fui allaché aux bureaux du minis- lère à Bruxelles, sous les ordres de M. E. Relelbuler, chef de la division de navigation. Les étals de services de Simons portent encore les indications suivantes : Nommé, le 5 décembre 1816, au grade d'aspirant au corps du waterstaal, allaché par continuation aux bureaux du ministère, à Bruxelles; Adjoint, le 5 août 1817, à l'ingénieur en chef des bâtiments civils de la circon- scription de Bruxelles, M. Vifquain, et spécialement chargé par lui des travaux d'achèvement de la prison civile et du portique du palais de justice; Adjoint par continuation, le 20 décembre 1820, au même ingénieur en chef, alors en service général, pour la formation des projets d'une nouvelle communi- cation par eau de Mons à l'Escaut, par Anloing et par la Dendre. Item, en 1822, pour le projet de canal de Bruxelles à Charleroi. - 259 — ordinaire de seconde classe, et attaché par continuation à M. l'ingénieur en chef Vifquain, qu'il accompagna dans son voyage en Angleterre. Cette excursion lui fut très-utile, en lui permettant d'étudier tous les grands travaux exécutés par nos voisins. Bientôt après, il se trouva dans une position qui mit son mérite plus en évidence; car, pour lui-même, il était fort peu soucieux de le faire valoir. Pendant les années 1824, 1825 et 1826, il fut chargé de la direction et de la surveillance de tous les travaux pour l'exécution du canal d'Antoing. La manière dont il s'acquitta de cette mission délicate lui valut le titre d'ingénieur ordinaire de première classe (1*^'' septem- bre 1826). Simons n'avait pas encore atteint l'âge de trente ans ; ce- pendant l'excès des fatigues qui résullaient de ses pénibles fonctions et des veilles qu'il s'imposait pour étendre ses con- naissances, avaient visiblement agi sur sa santé. En dehors de ses occupations ordinaires, il était constamment enfermé au milieu de ses papiers et de ses livres. Il se trouvait étran- ger à la jeune génération qui s'était élevée autour de lui ; deux ou trois amis seulement auraient connu son existence, si, par sa position, il n'avait été forcé de sortir de son cabi- net de travail. Pendant les années qui suivirent sa nomination d'ingé- nieur ordinaire, Simons fut chargé de la surveillance d'une partie des travaux du canal de Gharleroi et de la composi- tion de plusieurs projets de grands ponts de suspension sur le Lek et la Meuse. Cependant, en 1828, le gouvernement avait conçu le projet d'unir l'océan Atlantique â la mer Pacifique du Sud, au moyen d'un canal qui devait être creusé à travers le territoire de l'Amérique centrale. Cette grande entreprise semblait de nature non-seulement à honorer le nom beloro, — 260 - mais encore à étendre les relations commerciales du pays dans cette partie de l'Amérique. L'exécution en devait être confiée à des officiers belges du génie militaire et du water- staat ; les premières opérations auraient eu pour objet de lever les plans et de former un détail estimatif des dépenses occasionnées par le creusement du canal et par les travaux de fortifications qui étaient à construire. Le gouvernement jeta les yeux sur Simons « comme réunissant les qualités nécessaires pour le faire coopérer comme adjoint à une mis- sion aussi honorable et aussi importante. » Ce choix prouve que le talent de Simons, malgré sa modestie, avait été convenablement apprécié. La révolution de 1830 fit oublier cette grande entreprise, mais donna bientôt naissance à une autre non moins bril- lante et qui touchait plus directement aux intérêts matériels du pays ('). Pendant qu'à Londres on agitait la question de son existence par des renforts de protocoles , tandis que les ennemis en armes bordaient ses frontières, et que tout le Nord s'accordait à la considérer comme un foyer d'anarchie, la Belgique tendait à rentrer dans ses anciennes habitudes d'ordre et de calme. Et, comme le philosophe ancien qui se mit à marcher pour prouver le mouvement, elle com- mença un vaste plan de travail qui devait l'occuper pendant douze années. Cette attitude ferme et digne était sans doute la meilleure réponse que la Belgique pût donner à ses dé- tracteurs. On jeta encore les yeux sur Simons pour l'exé- cution de cette entreprise: un arrêté ministériel du 24 août 1831 le mit à la disposition de l'inspecteur général pour la formation du chemin de fer d'Anvers à Cologne (^). Il avait (') Simons avail élé chargé, le 19 octobre 1830, par décision de M. l'inspecteur général des ponts et chaussées, du service dans la province du Hainaul. (*) Le 27 octobre 1831, Simons recevait de M. l'inspecteur général des ponts et chaussées la lettre suivante : *< L'ingénieur de première classe, Simons, se - 261 - été chargé précédemment, avec son beau-frère, M. De Rid- der('), d'aller étudier, en Angleterre, tout ce que l'expérience avait appris sur ce genre de construction. Une incroyable activité, une grande facilité de conception et surtout l'habitude de diriger des entreprises, permirent en peu de temps aux jeunes ingénieurs de présenter les plans des grandes voies de communications qui devaient mettre les différentes parties de la Belgique en rapport entre elles et avec les pays voisins. Quand il fut question de sou- mettre aux chambres le projet de loi relatif à ces travaux, ils reçurent une récompense flatteuse de leur zèle, et furent spécialement chargés de le défendre comme commissaires du gouvernement (^). Un arrêté royal ne tarda pas à les charger exclusivement de la direction des travaux du chemin de fer (31 juillet \ 834) . Un second arrêté, qui suivit de près celui-ci, les promut au grade d'ingénieurs en chef de 2*^ classe. Cet arrêté fut publié le 6 mai 1835, jour de l'inauguration du premier chemin de fer, celui de Bruxelles à Malines. Simons donna, dans cette occasion, un exemple bien remarquable de générosité rendra sur-le-champ à Cologne, pour s'y concerter avec MM. les ingénieurs civils sur les moyens à employer pour la prompte formation d'un projet de roule en fer à établir entre Cologne et Anvers. » (') MM. Simons et De Ridder avaient épousé deux sœurs, belles-filles de M. Vif- quain, inspecteur des ponts et chaussées. (') Dans son rapport au roi, en date du 31 juillet 1834, le ministre de l'inté- rieur disait : «En chargeant MM. Simons et De Ridder de la rédaction du projet, mon département les avait choisis parmi les ingénieurs qui s'étaient le plus oc- cupés de ce nouveau mode de transport. Ils ont visité à plusieuis reprises les routes et canaux de l'Angleterre. Seuls, parmi leurs collègues, ils ont eu occasion d'étudier, dans ce pays, les routes en fer perfectionnées depuis l'emploi de la vapeur pour le transport des voyageurs. Ce travail fut l'objet d'une longue et sérieuse méditation. Nommés commissaires, à l'effet de défendre la loi devant les Chambres, ils se sont acquittés avec zèle de cette importante mission. » Dans un ouvrage qu'ils publièrent à cette époque, MM. Simons et De Ridder firent connaître les résultats de leurs recherches sur les chemins de fer, en les appliquant au système qu'ils proposaient pour la Belgique. — 262 — et de véritable modestie. 11 avait eu connaissance que le gou- vernement ne destinait de l'avancement qu'à lui seul; dès lors il crut devoir refuser un avantage que ne partagerait pas le compagnon de ses travaux et de ses succès. Il le fit avec une noble simplicité, mais en même temps avec cette fermeté qui prend sa source dans une profonde convic- tion ('). L'année suivante (mai 1836) amena pour notre jeune in- génieur un nouveau triomphe : l'inauguration du chemin de fer de Malines à Anvers; et, cette fois, le gouvernement lui témoigna sa satisfaction en lui conférant la décoration de chevalier de l'ordre de Lcopold. Bientôt après, cette décora- (') Voici la lettre qu'il adressa à M. le ministre de l'intérieur : Bruxelles, le 6 mai 1835. MONSIEDR LE MINISTRE, Daignez me pardonner, si je viens vous entretenir de moi, mais l'équité envers un collègue, un frère, m'y oblige impérieusement. Des personnes qui se disent bien informées m'assurent qu'il a été question, dans l'une des dernières séances du conseil des ponts et chaussées, de me com- prendre dans les propositions de promotion qui vous seront soumises. Cette faveur, qui n'est motivée, sans doute, que sur une ancienneté relative dans mon grade actuel d'ingénieur de première classe n'étant point partagée avec le collègue dont les efforts sont depuis si longtemps unis aux miens pour la réussite du même grand ouvrage, je me trouve dans l'obligation de vous supplier. Monsieur le Ministre, si, ce dont j'aime à douter encore, telle a été réellement l'intention du conseil, de vouloir bien regarder celte proposition comme non- avenue en ce qui me concerne, et suspendre tout avancement demandé pour moi seul. Dans une semblable circonstance, si l'ingénieur De Ridder était à ma place, je suis persuadé, Monsieur le Ministre, qu'il agirait de même ; car, dévoués tous deux au succès d'une même entreprise commencée de concert et que nous espérons ter- miner avec honneur ensemble, il serait vraiment pénible de voir maintenant l'un de nous l'objet d'une préférence dont le public, qui a les yeux ouverts sur nos travaux, ne saurait s'expliquer les motifs. Je me confie donc en votre bienveillance, et je continuerai, avec un nouveau zèle, à lâcher d'avancer le moment où les ingénieurs du chemin de fer [lourront recevoir ensemble la récompense qu'ensemble ils auront méritée. Veuillez agréer, M. le Ministre, l'hommage de mon profond respect. L'ingénieur SiMONS. - 263 — tion fut changée en celle d'officier, et le gouvernement fran- çais y joignit l'étoile de la Légion d'honneur. Les travaux du chemin de fer marchaient avec la plus grande activité ; on avait successivement inauguré différentes parties des deux voies de l'est et de l'ouest. La classe des sciences de l'Académie royale de Bruxelles voulut témoigner à son tour l'intérêt qu'elle attachait aux constructions remarquables qui s'exécutaient autour d'elle, et dont la renommée n'était plus renfermée dans les limites du pays : elle inscrivit, le 8 mai 1838, Simons au nombre de ses correspondants. Cependant les nouvelles voies qui s'ouvraient de jour en jour semblaient présager des succès toujours croissants, lorsque, vers le milieu de juillet 1838, Simons fut vivement affecté par un arrêté qui le privait désormais du concours de son beau-frère. Le ministre, M. Nothomb, se hâta de le prévenir que, dans cette mesure, rien ne lui était personnel, qu'au contraire, il comptait plus que jamais sur le concours de ses lumières et sur ses conseils, toujours empreints de cet esprit de conciliation et de modération qui le distinguait. «Votre place, disait-il, est dans toutes les commissions, dans toutes les conférences où il s'agira du chemin de fer; vous savez que, chez moi, il y a toujours examen préalable; cet examen ne se fera pas sans vous , je le croirais impar- fait. » Le ministre l'engageait en même temps à aller s'éta- blir à Liège, au centre des travaux qu'il avait à exécuter dans la vallée de la Vesdre et jusqu'à la frontière de la Prusse. Presque en même temps, un nouvel arrêté royal lui conférait le titre d'ingénieur en chef do première classe (*). Le ministère des travaux publics, au mois d'avril 1840, constitua en direction la division des chemins de fer en con- (■) l" septembre 1858. — 264 — structiony de l'administration centrale, et appela Simons à sa tête. A côté de cette direction s'en trouvait une se- conde, celle des chemins de fer en exploitation, qui avait pour chef l'ingénieur Masui. Toutefois les récompenses honorifiques et les promotions de grade n'étaient pas ce qui pouvait séduire Simons ; ce qui lui convenait avant tout, c'était un aliment à son acti- vité, de la latitude pour agir, et surtout une entière con- fiance de la part de l'autorité supérieure. La continuation du chemin de fer jusqu'à la frontière présentait de grandes difficultés qu'on n'avait point rencontrées ailleurs; pour les vaincre, il fallait des précautions et des dépenses considéra- bles. 11 importait donc de bien mûrir les plans. Ceux pré- sentés par Simons rencontrèrent des difficultés de la part de l'administration; il en résultait que les travaux ne mar- chaient qu'avec lenteur. En 1841, un nouveau ministre défit ce qui avait été fait précédemment et renvoya Simons à Liège, en le char- geant de la direction spéciale des chemins de fer de la vallée de la Vesdre. Simons fit des représentations, parce qu'il lui semblait qu'en restreignant ses attributions, on le faisait véritablement descendre du rang qu'il occupait; d'une autre part, le séjour de Liège lui était devenu odieux par la perte qu'il y avait faite d'une épouse chérie. Le gouvernement y répondit par l'arrêté du 21 juin 1841, qui lui enjoignit de retourner à Liège pour consacrer exclusivement ses soins aux travaux de la ligne de l'est. Sur son refus d'y obtem- pérer, Simons fut mis en disponibilité par arrêté royal du 25 juillet 1841. Cette mesure produisit, dans le public, une sensation pénible. Le gouvernement, sans doute, ne pouvait demeurer entravé dans son action; mais on se demandait s'il avait agi avec les ménagements que méritaient de grands services — 265 - rendus avec une intelligence , un zèle et une probité dont on aurait peu d'exemples (*). On opposait l'acte de cette des- titution à la page qui doit rappeler, dans notre histoire, la série des grands travaux par lesquels la jeune Belgique a été, en quelque sorte, révivifiée. On doit souffrir^ en effet, de voir briser, à côté d'une source de prospérité et d'orgueil national, l'instrument principal qui lui a donné naissance. De pareils exemples ne sont pas tristes seulement, ils sont décourageants pour l'avenir. Loin de nous, cependant, l'idée de jeter un blâme sur le gouvernement, nous croyons volontiers qu'un malheureux concours de circonstances l'a porté à prendre un parti au- quel il ne s'est arrêté qu'avec peine. L'année suivante, le ministre des travaux publics remit Simons en activité, et lui confia, en service spécial, les opérations, projets et travaux de construction des routes neuves à entreprendre dans la province de Luxembourg (^); mais notre confrère regardait également cette position comme secondaire (') ; et, d'ailleurs, il avait été frappé trop vivement pour pouvoir rentrer immédiatement dans la carrière. Il s'excusa sur l'état de sa santé, qui ne lui permettait pas d'al- ler se livrer à des travaux pénibles dans une de nos pro- vinces dont le climat est le plus rigoureux. Malgré son état maladif, malgré ses peines, il lui restait cependant des traces de son ancienne activité : le feu sacré n'était pas encore entièrement éteint. On lui parla de pro- jets qui se rattachaient à ceux qui l'avaient occupé dans sa jeunesse. L'Amérique se présenta à ses yeux avec des illu- (') Non-seulement Simons n'ajouta rien à ce qu'il possédait par lui-même, mais il ne laissa, après sa mort, que le peu qu'on put recueillir de la vente de son mobilier et de ses livres. (») Le 11 octobre 1842. ('=) Ce qui peut justifier cette manière de voir, c'est qu'un arrêté du 20 no- vembre 1842 nomma un ingénieur ordinaire, M. Dutrieux, pour le remplacer. — 266 - sions toutes nouvelles. Une colonie à consolider, tout un pays à exploiter, à féconder par des voies do communication; la possibilité de voir l'isthme où, quinze ans auparavant, il avait dû étudier les moyens de mettre deux grandes mers en rapport : tout cela souriait à cette àme active; il accepta donc les offres qui lui furent faites par la Compagnie belge de colonisation, et fut nommé directeur de la Communauté de l'Union, dans les Étals de Guatemala. Dès lors, Simons ne rêva plus que l'Amérique; toutes ses études, toutes ses pensées se tournèrent vers sa nouvelle destination ('). 11 se livra à ce nouveau travail avec la même ardeur qu'il avait mise, douze ans auparavant, à étudier la Belgique pour l'établissement des chemins de fer. Toutefois les conditions n'étaient plus les mêmes : les travaux et les chagrins avaient miné sa constitution; ses cheveux avaient blanchi; il portait tous les signes d'une vieillesse anticipée, mais il conservait encore cette activité qui l'avait toujours animé à l'idée des grandes entreprises. Les journées ne suffisaient plus aux études nouvelles qu'il avait à faire; il fallut empiéter sur les nuits. Les conseils de ses amis, la crainte de laisser orphelins deux enfants encore en bas âge, rien ne put l'arrêter (^). Me reposer, disait-il, n'ai-je pas pour moi les loisirs de la traversée? Il aurait dû dire peut- être avec Arnault : N'ai-je pas devant moi l'éternité? Aussi, quand arriva l'instant du départ, il fallut le porter au vaisseau qui l'enleva pour toujours à sa patrie et à ses amis. Son existence ne fut plus qu'une longue agonie; mais ce courage indomptable qui l'avait animé ne devait s'étein- (') Il se mit à s'occuper sérieusement de l'astronomie et de la météorologie, dans le but de relever les principaux points et d'étudier le climat du pays confié à ses soins. Il se proposait d'emporter différents instruments et fit de nombreuses visites à l'Observatoire pour m'entretenir de ses projets scientifiques. (*) Simons a laissé deux enfants, un fils et une fille. — 267 — dre qu'avec son dernier souffle de vie. Il expira le 14 mai 1843, à bord de la goélette de l'État La Louise-Marie ('), entre son pays qu'il avait honoré par ses travaux et sa nou- velle patrie qu'il allait mériter par de nouveaux bienfaits. L'Océan recueillit son corps, comme l'Éternel recueillit son âme, l'une de ses plus nobles émanations. « Au bruit d'une salve d'artillerie, dit la relation de ce triste événement, le corps fut lancé à la mer et disparut sous les flots. Le temps était magnifique, quoique le soleil fût presque entièrement voilé comme en signe de deuil; quel- ques rayons seulement en descendaient vers la mer et figu- raient la route du ciel (^). » (') Par 20" 15' latitude nord et 35° 3ô' longitude occ. du méridien de Green- wich. Simons était d'une piété sincère, éloignée de toute affectation. Il reçut, avant de mourir, les secours de la religion catholique dans laquelle il avait été élevé. Un arrêté du gouvernement, dont il n'a pu avoir connaissance, l'avait promu, le 50 avril 1843, au grade d'inspecteur des ponts et chaussées. (') Voyez le Moniteur belge du 4 août 1845; on y trouve des renseignements intéressants sur la mort de Simons, et le discours prononcé par M. Tardieu, au moment où le corps allait être jeté à la mer. FRANÇOIS-PHILIPPE CAUCHY. Dès l âge de huit ans, Cauchy avait été envoyé en Belgi- que et confié aux soins de son oncle, M. Bachelier, profes- seur de mathémaliques au Lycée impérial de Bruxelles ('). A la suite de brillantes éludes dans cet établissement, le jeune Cauchy fut admis à l'École polytechnique, le d^"" no- vembre 4812. 11 y resta jusqu'en 1814, époque à laquelle il quitta les bancs pour courir avec ses camarades à la dé- fense de Paris, ou plutôt pour assister à la dernière lutte de l'empire. Après la mémorable catastrophe qui fit perdre à la France les différents pays que la conquête lui avait donnés, Cauchy revint en Belgique, sa patrie adoplive. On s'y occupait avec ardeur de l'organisation du royaume des Pays-Bas, ce beau débris de l'empire, qui, lui-même, devait bientôt après subir un nouveau partage. Le 24 décembre 1816, Cauchy fut en- voyé à Namur comme ingénieur du Walerstaat ; et, certes, on (') Fr.-Ph. Cauchy était né à Abbeville, le 18 janvier 1795; et il mourut à Namur, le 6 juin 1842 ; il avait un autre oncle en Belgique, attaché au Lycée de Gand, en qualité d'aumônier et de professeur de latin; il était aussi parent du célèbre mathématicien français Augustin Cauchy. - 269 - ne pouvait faire un choix meilleur. Exempt d'ambition, scrupuleux observateur de ses devoirs, il consacra dès lors sa vie entière à la province confiée à ses soins; il en devint pour ainsi dire l'âme et le conseil. Qu'on ne cherche plus désormais dans sa carrière cette teinte aventureuse qui en avait marqué le début; on y rencontrera tout ce qu'un homme peut déployer d'énergie, de savoir et de persévé- rance pour se rendre utile dans le poste qui lui est assigné. On verra notre confrère tour à tour ingénieur, professeur, écrivain, administrateur, et toujours on le trouvera si par- faitement propre à la chose dont il s'occupe, qu'on sera dis- posé à croire qu'il en a fait son unique étude. A peine établi à Namur, Cauchy chercha à connaître les besoins de la province ; il sentit bientôt quels étaient les ser- vices que réclamait plus particulièrement un sol qui renfer- mait tant de richesses dans ses entrailles. Le gouvernement comprit, de son côté, tout le parti qu'il pouvait tirer des connaissances de notre jeune ingénieur; et, le 23 septembre 1817, il lui confia la chaire de minéralogie et de métallur- gie qu'il venait de créer à l'Athénée de Namur. Bientôt après (le 7 mai de l'année suivante), en lui conservant sa résidence à Namur, il le détacha pour le service des mines, dans l'ar- rondissement de Charleroi, l'un des plus importants de la Belgique. Cauchy justifia pleinement ces différentes marques de confiance; il fit plus : de 1823 à 1834, d'abord comme ingénieur de première classe, et ensuite comme ingénieur en chef, il organisa complètement le service dans les pro- vinces de Namur et de Luxembourg ('). Il prit en même (') Il avait été nommé successivement ingénieur de 1''* classe des mines au 3™* district des mines à Namur, le 11 juillet 1823; faisant fonctions d'ingénieur en chef de la â™' division des mines à Namur, le 4 septembre 1831 ; ingénieur en chef de la 2™« division des mines, à Namur, comprenant les S'"^ et 4"' districts en résidence à Namur, le 29 mai 1834 ; et enfin ingénieur en chef de 1" classe, le 4 janvier 1839. — 270 — temps une part active aux travaux des commissions appelées à s'occuper des intérêts de l'industrie nationale. Le i9 sep- tembre 1827, il avait été nommé membre de la commission d'Etat pour la révision de la loi sur les mines; en décembre 1829, il avait été appelé aussi à faire partie de la commission centrale d'industrie, de commerce et d'agriculture. Quand le conseil des mines fut établi, en 1832, on sentit que ses lumières pouvaient y être d'une grande utilité, et il fut en- core désigné pour y prendre place en qualité de membre. Deux fois il fit partie des jurys des expositions de l'indus- trie nationale; et chaque fois il a été nommé rapporteur de sa section : la manière dont il s'est acquitté de ces fonctions difficiles prouve l'étendue et la variété de ses connaissances. Je ne m'arrêterai pas à énumércr toutes les commissions auxquelles notre confrère fut attaché; qu'il me suffise de dire que, dès qu'on en créait une nouvelle, et l'on sait assez combien ces nouveautés sont encore à l'ordre du jour, les pensées se portaient naturellement vers lui, comme vers l'un des hommes les plus indispensables à ses travaux ('). Lorsque, en 1833, il fut question de décerner, pour la première fois, des distinctions honorifiques aux sciences, le gouvernement n'oublia pas un nom dont il se souvenait si bien quand il cherchait un homme de talent et de conscience ; aussi Cauchy reçut l'une des trois décorations de l'ordre de Léopold qui furent données dans cette circonstance. (') Dans rimpossibililé de citer tontes ces commissions, nous nommerons au moins les principales : La commission chargée de l'examen de matériaux indigènes, instituée par arrêté des départements des travaux publics et de la guerre, en date des 19 et 27 février 1840; La commission chargée de l'examen des procédés nouveaux, instituée près du département des travaux publics par arrêtés ministériels du 3 avril 1841 et du 2 avril 1842; La commission directrice des annales des travaux publics, créée par arrêté royal du 8 novembre 1841. 271 - Cauchy était loin de tirer vanité de tant de marques de haute confiance; il les acceptait comme on accepte de nou- veaux devoirs à remplir; et les circonstances qui ont amené sa mort nous prouvent assez combien il était religieux ob- servateur de ses devoirs. Modeste et simple dans ses goûts, il évitait avec grand soin de se mettre périodiquement en relief et d'occuper le public des faveurs accordées à ses ta- lents. 11 s'appliquait, au contraire, à cacher soigneusement ce que tant d'autres s'étudient à mettre en évidence. Lors même que sa modestie ne lui eût pas donné ce conseil, sa raison lui disait combien sont dangereuses ces ovations ingénieu- sement usurpées, et combien elles nuisent au caractère et à la dignité de ceux qui les recherchent. Cauchy portait en lui le cachet du vrai talent et de l'homme d'honneur ; il lais- sait à ses ouvrages comme à ses actions le soin de parler pour lui. Ces hommes sont rares, et si l'estime qu'on leur porte n'est pas proclamée par beaucoup de voix, du moins elle est dans le cœur des hommes d'élite, dont il est le plus glorieux d'ambitionner les suffrages. Si nous considérons notre confrère comme écrivain, nous trouverons que sa plume était conduite par les mêmes sen- timents qui réglaient ses actions. Ce n'était pas le désir de se distinguer qui le faisait écrire, mais le besoin de se rendre utde; et, pour atteindre son but, il savait avec facilité traiter les sujets les plus divers et porter dans l'examen des ques- tions les plus difficiles toute la lucidité de son esprit. Le premier ouvrage par lequel il débuta dans la carrière des sciences est son mémoire sur la constitution géologique de la province de Namur, couronné en 1824 et qui se trouve imprimé dans le tome V du nouveau recueil des Mémoires de l'Académie royale de Bruxelles. La question proposée faisait un appel direct à ses connaissances; Cauchy crut devoir y répondre. C'est ainsi qu'en classant soigneuse- - 272 - ment les fruits qu'il avait rapportés de toutes ses excur- sions géologiques, en recueillant ses observations de chaque jour et en les confiant au papier, il dévint auteur presque sans songer à l'être, et fit ce premier pas, si difficile à ha- sarder pour l'homme consciencieux et modeste. Le mémoire couronné décelait un mérite trop réel pour que l'Académie ne désirât pas de compter l'auteur au nom- bre de ses membres ; elle le nomma en effet dès l'année sui- vante (1825, 4 juin), en même temps qu'elle décernait une distinction semblable à MM. Raoux, Pagani et Moreau de Jonnès, qu'elle avait couronnés pendant le même concours : jamais choix ne fut mieux justifié. Non-seulement notre confrère continua dès lors à nous communiquer les résultats de toutes ses recherches, mais il nous rendit les services les plus importants, surtout par ses rapports consciencieux sur les nombreux ouvrages soumis à son examen. Ces rapports sont tels que plusieurs peuvent être considérés comme de savants mémoires, et ont mérité les honneurs de l'impres- sion. Je citerai en particulier ceux sur les concours relatifs à la constitution géologique des provinces de Luxembourg, de Liège et de Brabant (*). Quand l'Académie tint sa première séance publique, le 16 décembre 1855, c'est Cauchy qui fut chargé de présen- ter le Rapport sur l'état actuel en Belgique de la géologie et des sciences qui s y rapportent (^). On se souvient encore avec quelle distinction il s'acquitta de celte charge honorable mais difficile, avec quelle lucidité et avec quel heureux choix d'expressions il sut présenter le tableau rapide et animé d'une série de travaux qui font le plus grand honneur à la (') Voyez tomes VII et VIII des Mémoires couronnés (les commissaires étaient MM. D'Omalius d'Halioy, Sauveur et Cauchy, rapporteur). Voyez aussi les £ul' letins de V Académie. (») Bulletins de l'Académie, tome II, page 461. Belgique, et l'on peut dire à l'Académie royale, sous les au- spices de laquelle ils furent exécutés et livrés à la publicité. Notre confrère avait à peine pris place parmi nous, qu'il appela notre attention sur les pierres à chaux hydraulique de la Belgique ('). On sait que l'on nomme ainsi les chaux qui prennent sous l'eau, c'est-à-dire qui s'y durcissent au point de résister à l'impression du doigt, après un séjour dans le liquide, qui peut varier depuis huit jusqu'à quinze jours. Ce travail est une nouvelle preuve de l'étude conscien- cieuse qu'il faisait de notre sol et des trésors qu'il renferme. Quand le choléra fit invasion dans nos contrées, en répan- dant partout la consternation et des germes de mort, Cau- chy s'attacha à observer attentivement sa marche; il crut voir dans la direction que suivait ce terrible Héau des analogies avec la nature des terrains, et il nous communiqua les ré- sultats de ses observations. Nous les avons consignés dans le premier volume des Bulletins, où notre savant confrère nous a fait connaître aussi la découverte d'une pierre litho- graphique qu'il a trouvée dans les environs deNamur. C'est encore dans le même recueil que l'on trouve sa no- tice sur un trapp granatifère du Luxembourg, et l'indication d'un Tableau syfioptique des minéraux et des roches de la Belgique, qui malheusement n'a pas été publié : on y voit une série de rapports qui témoignent à la fois de l'activité, du savoir et de la flexibilité du talent de notre confrère. En d838, Cauchy publia ses Principes généraux de chi- mie inorganique^, suivis d'un tableau synoptique des corps inorganisés d'origine inorganique (^). Cet ouvrage peut être considéré comme le résumé de ses leçons données à l'Athé- née de Namur, pour servir d'introduction à son cours de minéralogie et de métallurgie. « A mesure que la chimie a (') Tome IV des Nouveaux Mémoires. {') A la Sociél(5 belge de liliraiiie, Bruxelles. 1 vol, gr. in -8". 18 . — 274 — étendu son domaine, dit-il, j'ai donné plus de développement à celle première partie de mes cours, et j'ai été insensible- ment amené à lui accorder une étendue telle, que j'ai dû restreindre celle que j'attribuais d'abord aux autres sciences. J'en suis venu à éliminer de celles-ci tout ce que les jeunes gens studieux apprennent aussi bien seuls qu'avec l'aide des professeurs, c'est-à-dire toute la partie descriptive, et je reconnus alors les avantages du mode d'enseignement auquel j'ai été conduit, pour ainsi dire, forcément et sans aucune préoccupation systématique. » C'est à la prière de ses élèves qu'il se décida à publier ce travail ; car il lui eût été difficile de leur refuser une chose, dès qu'elle pouvait contribuer au succès de leurs études. Aussi recevait-il d'eux les témoignages les plus lou- chants d'affection et de respect, et ces sentiments ne demeu- raient pas concentrés dans l'enceinte de l'Athénée; chaque élève les lui conservait religieusement dans le monde et s'habituait à le considérer comme un ami sûr, comme un véritable père. La mort prématurée de notre confrère a fait éclater d'une manière bien louchante cette pieuse affection. Cauchy s'était trop distingué par les succès qu'il avait ob- tenus dans l'enseignement et par la sagesse de ses vues dans tout ce qui se rattachait aux études, pour qu'on ne jetât pas les yeux sur lui, quand il fut question de réorganiser les différentes branches de l'enseignement. M. Teichmann, son ancien camarade à l'Ecole polytechnique et alors ministre de l'intérieur, le désigna, par un arrêté du oO août i83i , pour faire partie de la commission chargée d'élaborer un projet de loi à cet égard (*). Cette tâche était difficile à remplir : on venait de rompre brusquement avec un état de choses qui avait mis les entraves les plus étroites à la liberté de l'ensei- (') M. Ernsl aine, qui faisait partie de la même commission et (|ui l'ut plus laid ministre A Ostende, mon père prit une grande part à plusieurs institutions de bienfaisance publique qui y furent établies. Ce fut encore lui qui, avec l'aide de quelques-uns des prin- cipaux habitants d'Oslende, organisa une école de musique d'après la méthode du méloplasle. Celle entreprise lui coûta beaucoup de peines et de travail; mais il eut la satisfaction de la mener au but qu'il désirait atteindre. L'Ecole de mu- sique reçut un assez grand nombre d'élèves et répandit les éléments d'une instruction musicale solide parmi la jeu- nesse d'Oslende qui la fréquentait. Diverses circonstances — 285 amenèrent par la suite la chute de cet établissement, qui ne dura que peu d'années, et finit entièrement quelque temps après le départ de mon père pour Anvers. i> En même temps que l'École de musique, il érigea aussi une école latine, par laquelle il aurait voulu suppléer à l'ab- sence d'un collège à Ostende. L'école latine fut peu suivie et n'eut qu'une fort courte durée. « En 1825, l'Académie royale de Bruxelles avait remis au concours, pour l'année suivante, l'examen des changements que la côte d'Anvers à Boulogne avait subis, tant à l'inté- rieur qu'à l'extérieur, depuis la conquête de César jusqu'à nos jours. Belpaire, qui s'était occupé de cette question in- téressante, se mit à l'approfondir d'une manière plus spé- ciale; et, afin de pouvoir entrer avec plus d'assurance dans tous ses détails, il fit plusieurs voyages à pied sur toute l'étendue du littoral qu'il se proposait de décrire. 11 con- signa le résultat de ses observations géologiques et histori- ques dans un savant mémoire auquel l'Académie décerna l'une de ses médailles d'or('). Dans ce travail, Belpaire commence par décrire l'état des côtes sous la domination des Romains ; il entre ensuite dans les détails nécessaires pour établir leur état actuel, fait connaître les causes des changements survenus, rapporte les preuves qui en établis- sent la réalité, énumère les inondations qui ont eu lieu suc- cessivement et expose ensuite les changements qu'elles ont produits. L'Académie avait à peine couronné ce mémoire remar- quable que Belpaire, moins content de son travail que ne l'avaient été ses juges, leur communiqua un plan de recher- ches dans toute l'étendue du bassin maritime qui s'étend depuis les hauteurs de Blanez, au delà de Calais, jusqu'à (') Ce mémoire est inséré dans le (ome VI des Dlémoit^ es couronnes. — 28G — l'extrémité du Jutland, el il ofFrit généreusement ses services pour en assurer l'exécution. L'Académie adopta ce projet et pria le minisire de l'intérieur de le soumettre au roi, afin de faciliter à l'auteur les moyens de le réaliser. Il ne paraît pas, du reste, que le gouvernement ait favorablement ac- cueilli cette demande. Le but de Belpaire n'était pas seule- ment d'étudier la constitution géologique de l'étendue depays qu'il désignait, et de suivre les changements qu'y avait occa- sionnés la mer, mais notre savant avait encore l'intention de tracer les limites des divers idiomes qu'emploient les habi- tants, et de réunir des notions aussi exactes que possible sur l'état météorologique des pays qu'il aurait visités. En 1827, le gouvernement du pays établit des commis- sions de statistique auprès des gouverneurs des provinces, dans le but de faciliter des recherches sur la population, le commerce, l'agriculture et les diverses branches de la statistique nationale dont il se proposait de publier les principaux résultats. Ces commissions, instituées sur un plan uniforme devaient correspondre avec le ministère de l'intérieur, et elles se composaient, en général, des hommes qui, par leurs connaissances ou par leur position, pouvaient jeter le plus de lumières sur le nouveau champ de recherches qu'on voulait exploiter. Belpaire fut naturellement appelé à faire partie de la commission établie dans la Flandre occi- dentale, et désigné pour s'occuper des recherches géologi- ques de la province. Déjà, par arrêté royal du 4 octobre 1826, il avait été dé- signé pour aller remplir, auprès de la Société de commerce des Pays-Bas , les fonctions temporaires de commissaire pour la ville d'Ostende, et il exerça cet emploi jusqu'au mois de juin 1827. . Sa probité bien reconnue lui attirait chaque jour des té- moignages nouveaux de confiance. Pendant les dernières - 587 - années de son séjour à Oslende, il avait été appelé à faire partie de la régence de celte ville, en qualité de conseiller communal. Au commencement de i827, il fut nommé à la place de greffier du tribunal de commerce à Anvers. Peu de temps après (en 1828), un arrêté du ministre de l'intérieur le fit entrer dans la direction de l'Athénée de la même ville, et, au mois de mars d830, il fut nommé membre de la com- mission d'instruction publique et inspecteur des écoles dans la deuxième division de l'arrondissement d'Anvers. Il exerça ces dernières fonctions jusqu'à l'époque de la révolution, qui les fit cesser de fait, en donnant à l'enseignement la liberté la plus grande. Cependant cette révolution, qui changea tant de fortunes et déplaça tant de personnes, laissa Belpaire à peu près dans la même position ; seulement elle lui assura de nouveaux titres à l'estime de ses concitoyens, qui lui en donnèrent des preuves en le nommant, dans les premières élections qui eu- rent lieu, membre du conseil communal de la ville d'Anvers. Depuis cette époque, Belpaire fut encore réélu, et il remplit la même charge à peu près sans interruption jusqu'à sa mort. Il prit une grande part aux nombreux travaux d'ad- ministration qui occupèrent la régence d'Anvers pendant cette période. En 1831 parut l'arrêté royal qui créait une commission spéciale pour la rédaction d'un projet de loi sur l'enseigne- ment, et qui désignait en même temps Belpaire pour en faire partie ('). La liberté que la Constitution garantissait à l'en- seignement ne pouvait laisser aucun doute sur la nature du travail que l'on désirait obtenir de la commission, mais elle {') Celte commission, qui devait se réunir sous la présidence de M. le ministre de l'intérieur, se composait de MM. Lecocq, président en l'absence du ministre D. Arnould, Beli-aire, Cauchy, J.-G.-J. Ernst et Quetelet, faisant les fonctions de secrétaire. Il en a été parlé déjà, dans l'article relatif à Cauchy • Voyez p 27^, — 288 — rendait en même temps très -difficile et très-délicate la tâche qui était imposée à ses membres ('). Sans se faire illusion sur ces difficultés et sur les oppositions qui naîtraient de toutes parts à ses vues, quelles qu'elles pussent être d'ail- leurs, la commission aborda franchement, et l'on peut dire de la manière la plus consciencieuse, le travail qui lui était demandé. Le projet de loi fut présenté au ministère et im- primé l'année suivante (^); il embrassait les différentes bran- ches de l'enseignement. Une seconde commission fut char- gée ensuite d'un travail de révision et d'arrêter les termes dans lesquels le projet serait présenté aux chambres. Cette commission adopta la première rédaction, en y introduisant néanmoins quelques modifications importantes. C'est pendant le cours des conférences de la première commission dont nous avions l'honneur de faire partie, que nous avons surtout pu juger des connaissances solides, du jugement droit et de la probité de notre confrère. Exempt de toute prévention, en dehors de toute espèce d'influence, il ne s'attachait qu'à rechercher la vérité et à faire prévaloir ce qui lui semblait bon et utile. Ses scrupules, sous ce rap- port, allaient même quelquefois à un point tel qu'ils auraient pu prêter à la plaisanterie, si la source n'en avait été aussi sacrée. Quand, après de longues délibérations, on croyait la question éclaircie ou du moins portée assez loin pour que chacun pût arrêter son jugement, quand arrivait l'instant d'aller aux voix, Belpaire hésitait encore, il flottait indécis, et avant d'émettre son vote, il semblait chercher à gagner (') L'arlicle 17 de la Conslilulion est conçu en ces termes : « L'enseignement » est libre; toute mesure préventive est interdite; la répression des délits n'est » réglée que par la loi. T L'instruction publique donnée aux frais de l'État est également réglée par » la loi. n (') Projet de loi de l'enseignement public en Belgique, etc., publié par le ministre de l'intérieur. Bruxelles, chezRemy, 1852, 1 vol. in-S», 204 pages. — 289 du temps par un nouvel examen des deux opinions diver- gentes. Cependant au milieu de ses occupations administratives, Belpaire n'abandonnait pas l'étude des sciences; il employait même ses instants de loisir à en faciliter l'accès aux autres. Ainsi, en 1834, sur la demande de M. Teichmann, son ancien condisciple à l'École polytechnique de France et alors gouverneur de la province d'Anvers, il donna un cours de géométrie descriptive à l'Académie de dessin, et il fut en même temps nommé membre de la direction administrative de cette institution (*). Il revenait cependant toujours avec une prédilection marquée à ses premiers travaux et à l'étude de nos côtes et des modifications qu'elles ont subies. En i833, il avait présenté à notre Académie une notice historique Swr la ville et le port d'Ostende : elle a été in- sérée depuis, avec quelques changements, dans le tome X des Mémoires de ce corps savant. Des travaux dirigés avec tant de persévérance et vers un but si utile avaient depuis longtemps fixé l'attention de la classe d'histoire de notre Académie, qui, dans la séance du 7 mars 1835, l'appela au nombre de ses menibres, et plu- sieurs autres sociétés savantes^ nationales et étrangères, imitèrent cet exemple. Notre confrère assistait assez régu- lièrement à nos séances ; il était toujours prêt à seconder nos travaux, soit en nous communiquant les résultats de ses recherches et de ses observations recueillies dans les Flan- dres et la province d'Anvers, soit en prenant part à l'examen des ouvrages soumis au jugement de l'Académie. H savait apprécier, en homme judicieux tous les avantages que la Belgique, dans son état actuel, peut retirer des associations (') Par arrêté ministériel du 14 décembre 18-35; il fut aussi nommé membre du conseil d'administration de l'École de navigation établie à Anvers. {9 — 290 — scientifiques, surtout pour les recherches locales; il fut l'un des fondateurs de la Société royale des sciences, lettres et arts d'Anvers, qui le nomma président du comité des lettres et des sciences. Il eût été intéressant, pour répondre au but de son institution, que cette société eût pu donner sur la province d'Anvers les recherches qu'elle était à même de recueillir et qui nous manquent encore : ainsi, nous ne connaissons à peu près rien sur la météorologie de cette province, qui semble exercer une action si directe sur la mortalité de ses habitants ('); et l'Académie a vainement proposé au concours, pendant plusieurs années, une ques- tion concernant la description géologique de cette même partie du pays. C'est par des travaux de cette nature que les sociétés provinciales se recommandent surtout à l'estime des savants. Dans les derniers temps de sa vie^ notre confrère s'occu- pait de terminer la traduction d'un traité de droit anglais sur les lettres de change, et, toujours conséquent avec lui- même, il sacrifiait ainsi son amour-propre et ses loisirs à l'espoir de se rendre utile. Il avait aussi été l'un des rédac- teurs d'une revue judiciaire publiée à Bruxelles, sous le titre à' Archives de droit et de législation. Ce grand nombre d'occupations accessoires ne l'empêcha pas de remplir, avec le plus grand soin, les fonctions qu'il exerçait au tribunal de commerce d'Anvers, ni de se livrer à l'étude approfondie des différentes questions de droit que soulevaient les causes portées devant ce tribunal. Bien plus, il trouvait encore le temps de rendre de nombreux services au commerce d'Anvers, en acceptant tous les arbitrages qui {') Les renseignements méléorologiques manquent encore complètement; mais les travaux de fortification, fdits dans ces derniers temps, ont donné lieu aux découvertes |)aléonlologiques les plus importantes : un grand nombre en ont été publiées par l'Académie royale de Bruxelles. — 291 — lui étaient déférés et que son esprit calme et conciliateur réussissait presque toujours à terminer à la satisfaction des parties qui lui soumettaient leurs différends. « Mon père n'a jamais été d'une santé robuste, nous écri- vait son fils ; il se plaignait depuis fort longtemps de maux d'estomac et de douleurs dans les intestins. Cependant son état ne présenta de caractère sérieux que depuis un an en- viron— Il eut toujours un goût ardent pour le travail; sa maladie même ne l'empêcha pas de s'y livrer. Trois semaines avant sa mort, lorsqu'il n'était presque plus en état de quitter sa chambre, il se faisait encore traîner à la commission de navigation de l'Escaut, pour assister aux discussions de cette assemblée. Ce furent ses derniers travaux ('). Mon père conserva, jusqu'à la fin, la plénitude de ses facultés intel- lectuelles. Il passa les deux dernières semaines de sa vie à s'entretenir avec nous sur les questions religieuses les plus relevées; il mourut dans la nuit du 13 au 14 décembre (i839). » (') Un arrêté royal du 30 juin 1839 ravait nommé membre de celle commis- sion, insliluée à Anvers par le ^ G de l'art. 9 du traité de paix du 19 avril précé- cédent. JEAN KICKX (1). Jean Rickx était l'un des plus anciens membres de l'Aca- démie; il avait été nommé, un an après la réorganisation de ce corps, le 26 avril 1817. Fils d'un pharmacien, il di- rigeait lui-même à celte époque une pharmacie à Bruxelles : il avait su, depuis longtemps, mériter la confiance pu- blique par ses connaissances approfondies dans les sciences naturelles et dans l'art pharmaceutique. Depuis 1805, il avait été appelé à faire partie du jury médical du départe- ment de la Dyle, et il en exerçait les fonctions avec assez de zèle pour être réélu par le nouveau gouvernement en 1814. 11 devint même à cette époque secrétaire de ce même jury, qui avait pris le nom de Commission du Bra- bant méridional, par suite des changements de noms qu'on croyait devoir introduire partout pour désigner les mêmes choses. Ce savant botaniste était d'un caractère fort austère et d'une probité parfaite : il assistait régulièrement aux séances de l'Académie; et, quoique le personnel fût peu nombreux, (') Il était né le 9 mars 1775; et il est mort le 27 mars J83I. - 293 — il prenait rarement la parole. Quand il jugeait à propos de le faire, il s'énonçait sans ménagement pour les expressions; ses sorties brusques et mordantes produisaient parfois un effet assez inattendu sur ses collègues, parmi lesquels sié- geaient d'ordinaire deux ou trois ministres. On connaissait le fond de sa pensée, on appréciait sa droiture, et tout en rendant justice à sa sincérité, on ne lui faisait point un crime delà verdeur et quelquefois de l'àpreté de ses obser- vations sur ses collègues présents et souvent même sur les plus haut placés. Il avait publié, dès l'année 1812, une Flore de Bruxelles qui contenait le résultat de toutes ses recherches faites dans le Brabant. Cet ouvrage pouvait alors exciter l'attention au milieu du silence qui régnait généralement dans nos pro- vinces sur tout ce qui concernait les sciences. Kickx cepen- dant avait des relations assez nombreuses avec son collègue Van Mons, qui dirigeait également une pharmacie à Bruxelles et qui jouissait alors de la réputation la plus grande en Europe. Leurs demeures étaient peu éloignées ; ils se voyaient même assez fréquemment et avaient l'un pour l'autre de l'affection, quoiqu'ils eussent les habitudes et les tempéraments les plus différents. Autant Van Mons avait le caractère vif, actif et tout à fait méridional, autant son collègue était froid, réservé et quelquefois violent, quand il dépassait ses limites ordinaires. Le contraste si fort qui existait entre ces deux savants n'a cependant jamais nui à leurs relations affectueuses, bien que ni l'un ni l'autre ne fit mystère des écarts que son ami se permettait parfois. Kickx, avons nous dit, avait été nommé membre de l'Aca- démie royale vers l'époque de la réorganisation, et sa nomi- nation avait été faite à l'unanimité. Dès son entrée dans ses nouvelles fonctions, il eut occasion de prendre la part la plus active aux travaux qu'exigeaient les rapports nombreux qui — 29i — étaient à faire, et, dans la séance du 20 avril 1818, il donna lecture d'un précis 5wr t extraction et la purification du salpêtre, sur t établissement de salpêtrières artificielles et le moyen de perfectionner nos poudres. La rédaction de ce mémoire se faisait d'après la demande du Roi, qui avait ex- primé le désir de recevoir un précis clair et détaillé pour expliquer la manière la plus aisée et la plus avantageuse d'extraire le salpêtre dans le royaume, d'établir avec succès des salpêtrières artilicielles, de purifier le nitre et de donner aux poudres la perfection dont elles sont susceptibles ('). Celait ce grand problème qui occupait alors les savants et que Chaptal a traité d'une manière si heureuse. Un autre mémoire Sur la découverte du gypse sélénitc ou sulfate de chaux C7istallisé et d'une argile plastique inconnue jusqu'ici dans le voisinage de Bruxelles, fut présenté à l'Académie, dans la séance du 7 septembre 1818. Un rapport, lu au commencement de 1819 sur ce travail, concluait à l'impression dans les Mémoires; on invitait en même temps Kickx à suivre les travaux que le propriétaire du terrain, où la découverte avait été faite, se proposait d'y exécuter et à communiquer de nouveau les résultats de ses observations. Mais il ne paraît pas que ces recherches aient été continuées avec succès. Les deux travaux précédents ne furent point publiés, mais on trouve dans le tome II des Mémoires de t Académie, qui parut en 1822, deux écrits de notre auteur, l'un Sur les traps stratiformes et l'autre contenant des Extraits des ob- servations météorologiques faites à Bruxelles pendant le premier semestre de tan 1822 {'). (') Le gouvernement témoigna ses remercîments pour le travail, dans la séance du 7 septembre suivant. (') L'auteur continua à publier le relevé de ses observations météorologiques, dans le tome III des Mémoires de l'Académie royale de Bruxelles. — 295 — Déjà deux ans auparavant (en 1820), Kickx publiait son Tentamen miner alogicum, ouvrage dans lequel il essayait de ramener aux minéraux la méthode que Linné avait appli- quée avec tant de succès au règne végétal. Vers la même époque, l'Académie avait reçu différentes lettres sur les découvertes que l'on venait de faire dans la grotte de Han et sur le passage qu'on avait trouvé à travers la montagne qui borde le village, parcouru par le courant de la Lesse : on sait que cette petite rivière, après avoir tra- versé la montagne, va se jeter ensuite dans la Meuse du côté de Dinant. Les bruits qu'on répandait sur le cours de cette petite rivière et sur la beauté des excavations que présente la montagne, traversée sur une étendue de plus d'un quart de lieue, déterminèrent l'Académie à y envoyer deux de ses membres : Kikx fut chargé de donner la description bota- nique et paléontologique de la partie extérieure de la mon- tagne, et M. Quetelet fut chargé de faire le relevé de la grotte et d'en présenter le plan intérieur, en indiquant les princi- pales conformations géologiques. L'excursion demandée eut lieu pendant le mois d'août 1822; plusieurs personnes in- struites désiraient faire partie de cette petite expédition scientifique, à laquelle assistait aussi le fils de Kickx, qui n'avait alors que dix-neuf ans, mais qui donna, dans cette circonstance, des preuves nombreuses de ses connaissances comme botaniste et de son ardent désir de s'instruire. Il fallut à peu près huit jours pour prendre une connaissance un peu exacte de l'extérieur de la montagne, et surtout pour mesurer les cavités intérieures, qui présentaient parfois les difficultés les plus grandes, soit parleur rétrécissement, soit par leurs dimensions colossales : l'une d'elles, en effet, pou- vait être assimilée par sa grandeur à l'intérieur d'une église élevée : plus de vingt personnes, munies de flambeaux, s'y tenaient facilement sans en éclairer les limites. Aussi, après - 296 - son retour, l'un des deux visiteurs, peu satisfait des rensei- gnements qu'il avait recueillis, et particulièrement sur le cours des eaux dans l'intérieur de la montagne, crut-il devoir y retourner et chercher à déterminer les passages qui pou- vaient avoir échappé à un premier examen. Le tout fut imprimé dans le tome II des Mémoires de V Académie de Bruxelles, avec quatre planches et un plan de la grotte ('). En 1823, le conseil d'administration de l'Ecole de méde- cine deBruxelles confia au professeur Kickx les cours de bo- tanique et de minéralogie, et, trois ans après, la même école se réorganisa et le chargea de l'enseignement des cours de pharmacie, de botanique et de minéralogie. Ce fut en 1827 que le gouvernement prit le parti de former à Bruxelles les différents cours libres du Musée, en les entourant de quelque prestige, plutôt pour les gens du monde que pour l'enseignement ordinaire. M. Van Ewyck, directeur général de l'enseignement de l'État, fit connaître à l'Académie les intentions bienveillantes du roi, et il invita plusieurs des membres de la compagnie à faire partie des professeurs de ces cours, nouveaux pour la capitale. MM. De- wez, Vanderlinden, Kickx ctQuetelet acceptèrent sans peine, et à eux ne tardèrent pas à se joindre MM. Baron ('^), Van- deWeyer, Lesbroussart, Drapiez, Roget et Lauts. L'ouver- ture des cours se fit avec une certaine solennité , et l'on ne tarda pas à s'apercevoir que l'idée de cet enseignement libre avait été favorablement accueillie. Des personnes peu au cou- (•J Une nouvelle édition de la Relation d'un voyage à la grotte de Han parui, l'année suivante, sous fornaal in-S", chez P.-J. Ue Mat, imprimeur à Bruxelles, avec la description des grottes de Freyr, de Remouchanl, de la montagne de Saint-Pierre près de Maeslricht, etc. (») Une erreur de transcription a fait omettre le nom de Baron parmi les professeurs du nouveau Musée (page ô64 de VHistoire des sciences mathéma- tiques et physiques chez les Belges, par A. Ouetelet. I vol. in-S», chez Hayez, 1864). C'est Baron qui fut chargé aussi de prononcer le discours d'introduction. - 297 — rant des événements qui nous louchaient cependant de très-près, s'étonneront peut-être de l'accord qui régnait en- core à cette époque entre le gouvernement et plusieurs des hommes qui ont marqué le plus pendant notre révolution de J830. Dans l'année qui suivit l'ouverture des cours publics du Musée, Kickx fit paraître, pour la facilité de son ensei- gnement, un Résumé de botanique et de minéralogie^ qui fut imprimé à Bruxelles. On peut remarquer que les efforts de notre modeste savant tendaient constamment à étendre les connaissances et les avantages de ses élèves qui lui té- moignaient la plus grande déférence malgré son apparente rigueur ('). Les événements de 1830 lui portèrent un coup fatal. Quoique étranger à toutes les agitations politiques, quoique formé en quelque sorte au milieu des bouleversements de la révolution brabançonne et de la révolution française, Kickx sentit avec chagrin les changements nouveaux qui se fai- saient, non qu'il y prît une part active, car il demeura étran- ger aux mouvements politiques qui s'opéraient; mais il ne survécut point à ces déchirements qui se faisaient autour (') Nous donnons ici un aperçu sur quelques découvertes faites par Rickx; nous les empruntons à une notice insérée par M. Marchai père, page 4 des Notices nécrologiques sur Kickx et Fanderlinden, qu'on trouve dans le tome VII des Mémoires de l'académie de Bruxelles^ in •4", 1832. Elles concernent « une nou- velle espèce de Ferbascum qu'il trouva au bord du Ruppel près d'Heyndonck ; une nouvelle espèce A^Agaric, trouvée par lui dans le bois de Soigne et qu'il appela Agaricus revolutus; la découverte qu'il fit du plâtre sélénite, aux envi- rons de celle ville. Il publia aussi une notice sur VJrabis albida et alpina, imprimée dans les Annales de la Société Linnéenne de Paris. « Plusieurs plantes portent son nom, entre autres le Ferbascum Kickxium, ainsi nommé par M. Dumortier, en lémoignagedela découverte qu'il en avaitfaite. K. Dumortier fit aussi un genre distinct des Atithirrinum SpuriumelElatine de la Flore de Bruxelles, et leur donna le nom de Kickx; une apocinée de Java est appelée Kichxia arborea par le docteur Blume; enfin, un genre Kichxia fut créé |iar M. Reichenbach, botaniste saxon, » 298 - de lui : il mourut pendant l'année même qui suivit notre révolution, en laissant un nom cher à la science ainsi qu'aux gens de bien. Kickx était père de cinq enfants et il eut le malheur d'en perdre successivement quatre. L'ainé, qui lui survécut, por- tait le même prénom que lui et avait hérité de sa probité et de ses connaissances scientifiques ('). La douceur de son caractère et son goût extrême pour le travail lui avaient con- cilié l'amitié et l'estime de tous ceux qui étaient à même de le connaître. 11 avait fait ses premières études à l'Athénée de Bruxelles et obtenu ensuite le litre de docteur. Il avait su mériter, en faisant ses études, pendant quatre années consécutives, les prix que l'Université de Louvain attachait à la solution des questions proposées pour les concours annuels (% Après cette carrière brillante comme étudiant de la faculté des sciences, le jeune Kickx publia, selon les (') Jean Kickx fils était né à Bruxelles, le 17 janvier 1805; il mourut subite- ment dans la même ville, le b'' septembre 18G4. Son fils, Jean-Joseph Kickx, «iocteur en sciences et connu déjà par des ouvrages de mérite, est attaché, comme l'était son i)ère, à l'Université de Gand, où il soutiendra, nous n'en doutons pas, l'estime qu'ont méritée dans les sciences son aïeul el son père. (') Voici quels étaient les énoncés de ces questions ; il suffira de les indiquer : on pourra voir les réponses aux trois premières questions dans les Annales de l'Université de Louvain. La publication du (juatrième mémoire couronné a été suspendue, par suite des événements jioliliques qui amenèrent la révolution de 1850 : ]"■« question : Delur accurata descriptio i)lantarum offîcinalium et venenatarum In agro lovaniensi si)ontè crescentium, addità earum historiâ, etc. 2^ question : Descrihantur plantée etanimalia è quorum partibus vel productis si)iritus ardentes exlrahi soient, etc. 3« question : Comparetur organisalio generalis animalium cum vegelabilium organisalione, etdocealur qusenam classificalio tum animalium, tum vegelabilium e ratione et nalura organisationis instilui posset. 4* question : Enumerentur et systemalicè descrihantur mineralia in malerlà medicâ recepla, etc. — 299 — usages du temps, pour l'oblention du grade de docteur, la dissertation latine Spécimen inaugurale cxhibens synopsin molluscorum Brabaniiœ Australi indigenorum. Cet écrit, comme le fait observer le savant auteur de sa notice nécro- logique, est un des premiers ouvrages de malacologie qui ait paru en Belgique. Après avoir déterminé, dans la pré- face de son mémoire, les limites qu'il a assignées au Bra- bant, l'état de l'atmosphère, la température moyenne, les températures maxima et miniina, la direction générale des vents, l'auteur passe à la description minutieuse des espèces, au nombre de cent dix, que toutes il a observées lui-même dans cette province. Le caractère, la synonymie et l'habitat y sont décrits avec un soin tel, que cet ouvrage offre à la fois un mérite réel pour l'époque à laquelle il a été publié, et constitue encore de nos jours un excellent guide pour ceux qui s'occupent de la détermination des mollusques flu- viatiles de la Belgique. J. Kickx venait d'être promu au grade de docteur en sciences naturelles quand éclata la révolution de 1830. Adelman , son ancien professeur dans les sciences natu- relles, s'était réfugié en Allemagne : son titre fut offert à notre jeune compatriote, qui crut ne pouvoir l'accepter par un motif de délicatesse. Il vint s'établir à Bruxelles, et, en 183i, le collège des bourgmestre et échevins de cette ville se fît un plaisir de le mettre à la place que son père, qui venait d'expirer, avait si honorablement remplie. Les résultats de son enseignement et les avantages qu'il sut acquérir dans la carrière des sciences prouvèrent suffi- samment que la régence de Bruxelles no s'était pas trompée sur la valeur des connaissances de son jeune protégé. J. Kickx continua son enseignement à Bruxelles jusqu'en novembre 1834, époque de la suppression de l'école ; mais il passa en même temps, comme professeur de botanique et de mi- — 300 " néralogie, à TUniversilé de Bruxelles. L'année suivante, la loi du 25 septembre 1835 réorganisa le haut enseignement en Belgique, et J. Kickx fut attaché à l'Université de Gand^ comme professeur extraordinaire pour l'enseignement de la botanique, de la physiologie des plantes et de l'anatomie vé- gétale. Ce fut pendant la même année qu'il publia sa Flo7'e cryp- togamique des environs de Louvain. Cette publication mé- rite d'être remarquée, car il n'existait à cette époque aucun ouvrage spécialement consacré à la flore cryptogamique du pays. Ce genre de recherches l'occupa depuis d'une ma- nière toute spéciale; il sut en répandre le goût dans nos provinces; il forma même, en 1856, une société d'amateurs qui avait principalement pour but l'exploration de la flore cryptogamique des Flandres. C'est pendant l'année 1836 que l'Académie royale des sciences et des lettres de Belgique admit J. Kickx au nombre de ses correspondants, et, l'année suivante, elle lui donna le titre de membre titulaire. Le titre de correspondant n'avait été créé qu'en 1834, pour remplacer, sans les éliminer, les membres hollandais absents que l'état de guerre ne permet- tait pas d'assister aux séances. Cet état exceptionnel aurait dû cesser en 1838, lors de la séparation légale et définitive des deux pays, mais la majorité préféra conserver cette dis- tinction. En 1841, le titre qui avait été accordé à notre jeune naturaliste fut changé en celui de professeur ordi- naire, et, par suite de cette nouvelle nomination, il fut ap- pelé à la direction du Jardin botanique, qui, aujourd'hui, grâce à ses bons soins, peut passer pour l'un des plus beaux et des plus riches du pays. Kickx fut d'un puissant secours pour l'étude de la feuil- laison, de la floraison, de la fructification et de la chute des feuilles qui s'était développée en Belgique : ses nombreux — 301 - travaux ne lui permettaient pas de suivre attentivement et d'annoter les époque périodiques de ces phénomènes; mais il avait eu l'obligeance d'engager plusieurs de ses amis à y prendre une part active par leurs propres travaux, qu'il avait soin de transmettre exactement ; il se faisait ensuite un véritable plaisir de pouvoir mettre ses connaissances à la disposition des personnes qui s'occupaient plus spécialement de ces travaux, et de les aider de ses bons conseils. Notre savant compatriote s'occupait particulièrement des études de la flore cryptogamique des Flandres : il avait même déjà publié, dans les recueils de l'Académie, cinq centuries préliminaires de l'œuvre immense qu'il se propo- sait de mettre au jour et qui devait « comprendre un aperçu organographique de chaque famille et la description étendue de plus de deux mille espèces, sans compter plusieurs cen- taines de celles qui, admises jusqu'à ce jour, ont dû, par suite des découvertes de Tulasne et d'autres cryptogamistes, être ramenées à des types dont elles ont été reconnues n'être que des états préformatifs. » Il avait terminé un ouvrage considérable sur ce sujet curieux et important : « Il venait de mettre le couronnement à tant d'œuvres justement esti- mées, en achevant son grand travail sur la flore cryptoga- mique, quand, par une coïncidence fatale, la mort l'attei- gnit au moment même où il venait de conclure, avec un éditeur, en présence d'un de ses plus anciens amis, les ar- rangements pour la publication de ce monument scientifique. Un tel travail ne sera, sans doute, pas perdu; il ne restera point ignoré; des mains fidèles le mettront pieusement au jour... (•))) (') J. Rickx se trouvait alors à Bruxelles pour assister à des examens univer- sitaires; il parla à un ancien ami des difficultés qu'il avait éprouvées chez un des principaux éditeurs de Bruxelles, pour l'impression de son ouvrage, qui formait en quelque sorte l'œuvre de toute sa vie. Cet ami lui proposa d'aller terminer avec - 302 -- Indépendamment de ses recherches consciencieuses qui l'avaient si fidèlement conduit pendant tout le cours de sa vie^ J. Kickx se plaisait à réunir des notes biographiques sur les hommes les plus distingués de son pays qui s'étaient spécialement occupés de ses études favorites. Il donna dans ses loisirs des notices sur Jean de Laet, Van Sterbeeck, Auger-Gislain de Busbeck, Boece de Boodt, etc. Quand l'Académie royale de Belgique songea, plus tard, à réunir les noms de ses hommes les plus distingués et à en présenter le tableau, de manière à réunir tous ses titres de gloire, J. Kickx fut naturellement appelé à faire partie des quinze membres de l'Académie désignés pour s'occuper du soin de la rédaction. Il s'agissait, avant tout, de savoir s'il fallait composer simplement un dictionnaire hiograj)hiqut' des hommes qui avaient marqué dans l'histoire du pays^, ou s'il fallait, à peu près comme le demandait De Reiffenberg en 1846, « considérer le travail comme un tableau historique, ou un résumé dans l'ordre chronologique, des faits et gestes de tous les hommes qui ont contribué à rehausser la gloire du nom belge, tant sous le rapport artistique, scientifique et littéraire que sous d'autres également dignes d'être signa- lés. » Il proposait donc de rédiger séparément l'histoire lit- téraire, l'histoire scientifique, l'histoire artistique, l'histoire politique et militaire, etc. La question fut résolue en faveur de la biographie par dix voix contre cinq; et Kickx, qui s'était beaucoup occupé de l'histoire scientifique, se rangea dans le parti vaincu (*). Parmi les témoignages d'estime accordés à notre collègue l'édileur celle affaire purement commerciale. Les diffîcullés, en effet, furent aplanies : J. Kickx vit l'éditeur, mais le lendemain il avait cessé d'exister. (') Les cinq membres de la commission académique qui tenaient à présenter le tableau historique de la Belgique au lieu de la biograithie des Belges, étaient MM. Félis père, le haron Kervyn de Lellenhove, J. Kickx, Van Hasselt et Quelelet. - 303 - par différents botanistes, il convient de citer les plantes nombreuses qui ont été chargées , en quelque sorte , de transmettre son nom et ses services à la postérité (*). Onze plantes portent son nom , et différentes sociétés savantes, en appelant à elles le botaniste distingué, lui ont donné des témoignages de leur estime. Peu de personnes jouissent d'une considération aussi complète que celle qu'il avait méritée, et comme homme et comme savant; on peut dire qu'il a véritablement honoré la science par sa modestie et par ses belles qualités qui commandaient l'estime générale. J. Kickx mourut à Bruxelles, dans la nuit du i'^'" sep- tembre 1864 : rien ne pouvait annoncer une mort aussi subite. Son corps fut transporté à Gand, et ses obsèques eurent lieu, au milieu de la douleur générale, le lende- main de l'enterrement de Timmermans, son collègue dans la faculté des sciences, autre perte douloureuse que les sciences firent simultanément. (') Ces plantes sont : Zamia Kickxii, Moq. — Polyporus Kickxianus, Lev. — Hypoxylon Kickxii, Wesl. — Stilbospora Kickxii, West. — Terehratula Kickxii, Galleot. — Pholas Kickxinna, De Ryckh. — Paludina Kickxii, West. — Astarte Kickxii, 'SyH. — DentaUum Kickxii, Nyst. — Trochus Kickxii, Nysl. — Fenus Kickxii, Nyst. On pourra voir avec plus de détails, une notice de M. Poelman sur J. Kickx, dans l'Annuaire de l'Académie pour 1865. DANIEL-JOSEPH-BENOIT MARESKA (1). C'est une douce consolation pour l'honnête homme de s'élever des rangs inférieurs de la société et de parvenir^, par ses talents et son caractère, à prendre une position distin- guée et à jouir de l'estime de tout ce qui l'environne. Ma- reska avait rencontré^ dans le cours de ses premières années, bien des difficultés ; mais il sut les vaincre dès ses éludes universitaires, et son excellente conduite fixa bientôt l'atten- tion des hommes qui pouvaient exercer de l'influence sur son avenir. La nature semblait l'avoir traité d'une manière pri- vilégiée, car il joignait un physique avantageux à des qua- lités morales et spirituelles très-remarquables. Ses premiers débuts à l'Université de Gand furent signalés par différents succès qu'il obtint dans les concours. En 1824, il remporta le prix de l'Université de Liège, par un mé- moire sur la théorie des limites. Ses prédilections, dans sa première jeunesse, le dirigeaient plus spécialement vers les sciences mathématiques , et il semblait en effet avoir des dispositions particulières pour les cultiver avec supériorité. Deux ans après, il remporta une distinction semblable dans (') Né à Gand, le 9 septembre 1805; mort dans la même viHe, le 31 mars 1858. - 305 — l'université de sa ville natale, par un mémoire sur la théorie des caustiques par réflexion et par réfraction ('). Ce sujet occupait alors non-seulement les mathématiciens helges, mais encore beaucoup d'hommes remarquables des pays avoisinants, qui cherchaient à simplifier cette théorie et à la ramener à sa plus simple expression. C'est à cette époque aussi qu'à l'occasion de sa promo- tion au grade de docteur en sciences, il écrivit son mé- moire sur les lois de l'électricité dynamique. Immédiatement après (1827), il fut nommé à la chaire des sciences mathéma- tiques de l'Athénée royal de Gand. 11 fut en même temps appelé comme professeur de chimie à l'école industrielle, qui était annexée à l'université de la même ville. La première de ces places était devenue en quelque sorte une espèce de récompense pour les étudiants les plus distingués de l'uni- versité. Lors de l'organisation de l'Athénée de Gand, en 1814, l'uni- versité n'existait pas encore; elle ne fut créée que deux ans après. M. Quetelet y était chargé de l'enseignement des mathématiques, mais il n'eut pas de peine à faire comprendre son insuffisance pour développer, seul, les sciences mathé- matiques et physiques, dans un athénée royal qui tenait à se placer en première ligne. On nomma successivement MM. Le Maire, Mareska, Lefrançois , Duprez, qui succé- dèrent les uns aux autres et qui éveillèrent une émulation utile parmi les jeunes gens. Mareska sentit cependant que la place de professeur de mathématiques à l'Athénée serait insuffisante pour le mettre à même de poursuivre toutes les études qui l'occupaient : il prit, en 1829, le diplôme de docteur en médecine, comme (') Josephi Mareska Gandavensis responsio ad quaestionem : In invesliga- (iones mère mathematicas de causticis per reflexionem et refractionem, etc., 1 vol. in-4". .'îO i>nj;es et 2 planches. Gand, 1826. 20 — 306 - inaugurant la nouvelle carrière qu'il se disposait à suivre. Son attention s'était, depuis longtemps , portée vers les sciences d'observation et particulièrement vers les sciences médicales. A la suite de la révolution de 1830, la suppres- sion des facultés de philosophie fut décrétée; il se forma des facultés lib7'es pour l'enseignement de ces mêmes sciences, et Mareska fut charsré de l'enseiimement de la chimie. 11 occupa ces fonctions jusqu'à l'époque de la réorganisation de l'enseignement supérieur, et devint alors professeur extraordinaire de ce cours, qu'il continua d'enseigner jusqu'à la fin de sa vie. Il échangea toutefois ce titre contre celui, plus élevé et plus productif, de professeur ordinaire. En 1830, il publia,, avec M. Donny, une lettre à M. Du- mas sur la suspension de l'affinité par le froid, lettre qui a paru dans les Comptes rendus de l'Académie des sciences de Paris (séance du 7 mars 184o). Cet écrit était assez remar- quable pour que Berzélius, dans son rapport sur les progrès de la chimie, appréciât les recherches qui y sont contenues. « Ce sont là, dit-il, des expériences de la plus haute impor- tance pour la chimie théorique. ^> L'appréciation d'un homme aussi célèbre doit exercer quelque influence sur l'esprit des juges en pareille matière. Dans le cours de la même année, l'Académie royale de Belgique fit paraître, dans le tome XII de ses Bulletins , l'extrait d'une lettre que les mêmes savants avaient adressée à son secrétaire perpétuel, sur les modifications que pré- sentent certains corps dans leurs propriétés chimiques, quand ils sont portés à une température excessivement basse. Ce travail avait principalement pour but de montrer que les expériences faites à Gand avaient précédé celles faites sur le même sujet par de Schrôtter à Vienne, et que les auteurs avaient reconnu que l'affinité entre plusieurs corps se trouve diminuée par l'influence du froid. - 307 — Mareska s'était occupé de ces recherches avec M.Donny, qui lui servait d'aide à l'Université de Gand. L'Académie a inséré dans ses recueils plusieurs autres ouvrages dus à la même collaboration. On trouve, dans le tome XVlll de ses Mémoires, un écrit sur un appareil de Thilorier modifié, con- cernant les propriétés de l'acide carbonique liquide et solide, et, dans le tome XXYI, des Recherches sur l'extraction du potassium. Le tome XIV des Bulletins renferme aussi des travaux de Mareska qui ont pour objet les sophistications des fa- rines et du pain : l'attention de notre confrère s'est toujours portée d'une manière particulière vers tout ce qui concerne les aliments et l'état des produits qui servent à la consom- mation. Ainsi, il composa avec notre confrère J. Kickx son rapport sur l'épidémie des pommes de terre , et il fît avec M. Hyman une enquête sur le travail et la condition physique et morale des ouvriers employés dans les manu- factures de coton. Il écrivit, plus tard, avec M. Valerius, actuellement pro- fesseur de physique à l'Université de Gand , le cours de chimie organique et inorganique qui parut pendant l'an- née 1848. Cet ouvrage, traduit de l'allemand, avait pour but de faciliter l'enseignement. Nous devons mentionner encore la part qu'il prit à la composition de la Pharmacopée , ouvrage dont le Gouver- nement désirait vivement la publication et dont l'utilité n'a pas besoin d'être démontrée. Il était ainsi toujours prêt au travail et ne refusait jamais ses soins dès qu'il s'agissait d'une œuvre utile. Mareska avait été décoré de l'ordre de Léopold pour les nombreux services qu'il avait rendus aux sciences par ses travaux et par le concours qu'il avait prêté à toutes les re- cherches demandées par le gouvernement. - 308 - L'année 1830, comme nous l'avons vu, avait changé tota- lement sa position; elle lui avait fourni en même temps une occasion favorable pour augmenter, par une observation active, ce qu'il possédait de connaissances théoriques. Il fut nommé médecin de la maison centrale de détention, l'une des prisons les plus considérables du royaume ; plus tard, il fit partie de la Commission médicale provinciale et fut revêtu d'autres fonctions, qui, jointes à son enseignement, lui cau- sèrent, pour se tenir au niveau des progrès de la science, des fatigues incessantes qui finirent par ruiner graduellement sa robuste santé. Mareska était l'un des fondateurs de la Société de Méde- cine de Gand, qui l'a choisi, quelques années avant sa mort, comme un de ses présidents. Il a pris une part très-active aux travaux de cette association : c'est ce que montrent les nombreuses communications sur les sciences qu'il a insérées dans ses différents Bulletins. L'Académie royale de médecine, à laquelle il fut égale- ment attaché en i848, reçut différents articles de sa compo- sition et d'intéressants rapports sur des travaux qui avaient été soumis à son examen. Le savoir, l'impartialité, ladoiture de caractère qui distin- guaient Mareska, avaient souvent engagé le Gouvernement à recourir à son expérience pour les renseignements qu'il dé- sirait recevoir. Ses appréciations inspiraient, avec raison, la plus grande confiance; et le Ministre de la justice crut devoir publier les rapports qu'il lui avait adressés sur l'état sanitaire des détenus correctionnels à Hémixem. « Pendant ses dernières années, quand il avait à lutter d'une manière incessante contre la maladie qui l'a conduit au tombeau, m'écrivait un de ses collègues, je l'ai entendu maintes fois gémir sur l'impossibilité où il se trouvait de donner régulièrement ses leçons. A peine convalescent, nous - 309 — l'avons vu souvent se faire conduire jusqu'à l'université, et quand il se trouvait dans l'impossibilité d'arriver jusqu'à son amphithéâtre, il demandait à l'un de ses collègues de lui céder une salle au rez-de-chaussée. » « Mareska est mort le 31 mars 1858, à la suite d'une hydropéricarde; et jusqu'au dernier instant, il a conservé toute la sérénité de son caractère. 11 a vécu et il est mort en bon chrétien. 11 a réclamé lui-même les secours delà reli- gion, au moment qu'il a senti ses jours sérieusement me- nacés, w L'enterrement eut lieu le 2 avril 1858. Les représentants des principales institutions auxquelles Mareska avait appar- tenu vinrent successivement rendre un dernier hommage à sa mémoire, à ses rares qualités, et exprimer des regrets partagés par toute la population gantoise. HENRI- GUILLAUME GALEOTTL Peu de jeunes gens préludèrent d'une manière plus heu- reuse à leur carrière scientifique, peu y apportèrent des qualités plus aimables et plus bienveillantes que le savant dont j'essayerai de retracer la courte existence. Plein d'ar- deur pour l'élude, plein du désir de s'y livrer avec énergie, il vint échouer devant un mal qui amortit ce feu créateur, et la fortune lui sourit si peu qu'elle comprima les dons naturels par lesquels il se distinguait le plus. Henri-Guillaume Galeotti était d'origine italienne : son père était de Milan; lui-même était né à Paris, au milieu des événements militaires qui répandirent le deuil autoui- de son berceau (*). 11 suivit, bientôt après cette époque, son père en Belgique, el, dès qu'on put le remarquer, il se plaça, par ses facultés intellectuelles, dans un rang élevé. Galeotti (') Il élail né le 10 septembre 1814 (cette date est extraite des actes de nais- sance du 5™^ arrondissement de Paris). «Il avait été enregistré devant M. Maii- vaye, maire, le 12 sei)lembre 1814, comme fils de dame Esther-Agathe-Christine Kraus, sous le nom de Henri-Guillaume. » Galeotti avait été naturalisé Belge par arrêté royal du 28 février 1845. 11 est mort le 14 mars 1858, pendant le même mois que Mareska, avec qui il avait d'ailleurs tant de rapports. — 3H — n'avait que vingt et un ans lorsqu'il se fit connaître de l'Aca- démie royale de Bruxelles par le prix qu'il y remporta pour son Mémoire sur la constitution géognostique de la pro- vince (le Brabant (*). Cet écrit assez étendu nécessitait des recherches nom- breuses sur la nature des terrains de la province, et exigeait la connaissance des différents ouvrages modernes de miné- ralogie et de paléontologie. L'auteur le rédigea avec une simplicité pleine de modestie, mais en homme qui se sentait la force nécessaire pour se livrer à des éludes sérieuses. On doit s'étonner toutefois que, préparant ce travail dans un âge aussi peu avancé, il put parler déjà des voyages scien- tifiques qu'il avait accomplis. « Depuis plusieurs années, dit-il dans sa préface, l'Académie des sciences de Bruxelles avait proposé au concours la description géologique du Bra- bant; personne n'avait encore traité cette question, lorsque, revenu de longs voyages que je fis en Saxe, en Bohème, au Harz, etc., dans le but d'approfondir les sciences géologi- ques auxquelles je me vouais depuis plusieurs années, je me hasardai de répondre à cet appel. Mes faibles talents et mon jeune âge me faisaient peut-être un devoir de ne point entreprendre une si rude tâche ; mais le désir orgueilleux de marcher sur les traces frayées par tant de succès divers des d'Omalius d'Halloy, des Cauchy, des Dumont, des Sau- veur, des Schmerling et d'autres, qui honorent la Belgique par leurs travaux géologiques, et l'exemple que m'offraient ces savants,' ont fait naitre en moi l'idée présomptueuse que je pourrais soumettre une description géognostique du Bra- bant à leur approbation (^). » (') Tome XII des Mémoires couronnés de l'Académie roijale de Belgique, in-4«; 18.". (') Préface du Mémoire sur la constitution géognostique, page 30, tome XII des Mémoires couronnés de l'Académie. - 312 - C'est surtout par les recherches paléontologiques que cette description se fait remarquer et qu'elle sut mériter des éloges. Non-seulement Galeotti remporta le prix du concours, mais l'Académie voulut donner à l'auteur un témoignage de confiance. Elle avait demandé, dans ses programmes des recherches sur la géologie de nos principales provinces; elle crut que l'instant était venu de procéder à un travail géné- ral et de demander la carte géologique de tout le royaume. Le 2 juillet 1830 (') parut un arrêté royal qui portait qu'une carte géologique de la Belgique serait exécutée aux frais du gouvernement, sous les auspices de l'Académie royale de Bruxelles, et que l'étude des terrains et le tracé de leurs limites seraient remis dans le terme de trois ans. Cet arrêté stipulait de plus que le sieur Dumont, professeur à l'Université de Liège et membre correspondant de l'Acadé- mie royale, serait chargé de l'exécution de la carte compre- nant les provinces de Liège, de Namur, de Hainaut et de Luxembourg, et que le gouvernement se réservait de dési- gner ultérieurement la personne chargée d'exécuter les études relatives aux provinces de Brabant, d'Anvers, des Flandres et de Limbourg. Le savant que concernait cet arrêté, sans cependant le désigner encore, était, conformément au désir exprimé par l'Académie, le jeune Galeotti. Mais, par suite de l'absence prolongée de ce naturaliste, le gouvernement dut confier tout le travail à Dumont, qui s'acquitta, du reste, de la manière la plus digne de cette mission importante. On ne peut que regretter de voir ces deux savants, en qui l'Académie avait mis de si nobles espérances, terminer tous deux leur carrière dans un âge peu avancé et à si peu de temps d'intervalle. (■) Bulletins dé l'Jcadémie, tome III, page 234, 1836. M. GaleoUi élail parti (le Hambourg au mois de septembre de l'année précédente, et s'était rendu à Veia-Cruz. ~ 313 — PendauL son séjour en Annériquo, Galeotti fut loin d'ou- blier l'Académie; il la tint au courant de ses principales excursions et lui communiqua la plupart de ses travaux. Nos bulletins témoignent de ses sentiments d'attachement pour le corps qui avait récompensé sa première œuvre et qui avait voulu l'associer à une de ses entreprises les plus im- portantes. Dans ses différents voyages en Amérique, et par- ticulièrement dans le Mexique, on le voit toujours tourner ses regards vers sa patrie adoptive, prendre plaisir à lui parler de ses études et s'efforcer de lui montrer qu'il n'est pas indigne des sympathies du premier corps scientifique de l'État ('). (') Nous rappellerons ici, avec plus de détails, les renseignements que Galeolli parait avoir communiqués lui-même à M. La Sègue et que celui-ci a publiés à Paris, dans un recueil scienlifique : (( Parti de Hambourg en sej^embre 18-35, il arrive à Vera-Cruz en décembre, à l'époque où la végétation est pour ainsi dire slationnaire; une herborisation de quelques jours lui amène cependant la découverte de quelques esiièces noiuelles. Il visite ensuite la région fertile et tempérée de Xalapa, ville située à vingt-cinq lieues de Vera-Cruz. Un séjour de six mois lui permet de récolter une foule de plantes vivantes (surtout des orchidées) et d'échantillons desséchés. De Xalai>a, M. Ga- leolli poursuit sa route vers las Vigas, régions froides et boisées de la Cordillère, <|ue l'on quitte pour entrer dans la région froide des plaines de Perote. Il observe toute la contrée de plaines depuis Perote et au delà de Puebla jusqu'au i)ied de la chaîne volcanique de l'Iztaccihuatl et la chaîne qui sépare les plaines de Puebla de celles de Mexico. A trois différentes épO(|ues, en 1836, 1837, 1838, il herborise dans la plaine de Mexico, près d'Ayolla, de Chalco, de San Auguslin, de Ti- sayuca, etc., jus. — 31S — 11 était très-jeune encore quand, immédiatement après la suppression de l'ordre des jésuites, il commença le cours de ses humanités au collège des Augustins. Dès lors, il aimait les livres : son père lui avait laissé une bibliothèque peu considérable, qu'il se plaisait à augmenter de ses épar- gnes. Il se fit inscrire à Louvain dans la faculté de juris- prudence, qu'il suivit sous les professeurs Van Gobbeischroy et Lambrechts, avec qui, pendant tout le cours de leur longue existence, il conserva des relations d'amitié et de reconnais- sance. 11 prit, en 1787, ses grades de licencié en droit, non dans l'intention de pratiquer, mais dans la vue d'être promu à des fonctions honoraires dans la magistrature. Malgré sa jeunesse, il fut nommé échevin de sa ville natale. La révolution belge éclata en 1789, et l'on peut conclure par la conduite de Van Hulthem qu'il marcha dans le sens de l'insurreclion; mais en homme éclairé et cherchant tou- jours à se rendre utile à sa patrie. Lors de la seconde inva- sion française, il se vit enlever avec cinquante-neuf autres citoyens et traîné comme otage au fort de la Scarpe à Douai. Cependant les événements du 9 thermidor apportèrent quel- que adoucissement au sort des détenus, et il fut permis à quelques-uns d'entre eux de passer leur temps d'épreuve à Paris. Van Hulthem fut de ce nombre ; il profita de son séjour dans la capitale pour établir des relations avec un grand nombre de savants et de gens de lettres. Quand il put retourner dans sa patrie, tous ses soins se portèrent vers la conservation des objets d'art, des livres et de tout ce qui lient aux lettres et aux sciences. Plusieurs monastères possédaient des plantes très-rares : l'abbaye d'Eename avait des palmiers qui lui avaient été donnés par les archiducs Albert et Isabelle, en 1500. Ces vénérables centenaires du règne végétal trouvèrent un refuge dans le jardin potager de l'abbaye de Baudeloo de Gand, qui, par ce faible com- — 319 mencement, préludait déjà aux belles destinées que la fon- dation de l'Université devait accomplir. Van Hullhen put ajouter encore à ses heureuses prévisions pour sa ville natale, lorsque, en 1797, chaque département de la France eut son école centrale. Son ingénieux esprit de conservation, qui l'inspirait toujours, lui fit indiquer encore, comme local le plus convenable, les bâtiments de l'abbaye de Baudeloo, où déjà, avec quelques amis des lettres, il avait commencé à organiser une bibliothèque publique. Les élections de l'an Vie désignèrent comme un des repré- sentants du département de l'Escautau conseil des cinq cents. Dans ce nouveau poste, il se fit moins remarquer par son éloquence que par sa droiture et par les services nombreux qu'il fut à même de rendre à ses concitoyens. L'estime dont il jouissait l'avait fait nommer directeur de l'Académie de droit de Bruxelles, mais cette place fut supprimée par suite de l'entrée des alliés enl814. VanHulthem n'était pas contraire au nouvel ordre de choses qui venait de s'établir. 11 s'était fait connaître en Hollande par son amour pour les lettres, pour l'histoire, pour les arts et spécialement pour les livres. Déjà, en 1808, époque de la création de l'Institut de Hollande, sous le roi Louis, Van Hulthem avait été nommé membre associé de celte institution, dans la classe d'histoire nationale. Lors de la formation du royaume des Pays-Bas, il fut nommé greffier de la Chambre des députés, poste qui, du temps de l'ancien stadhoudérat, avait été d'une grande importance, mais dont l'influence actuelle était di- minuée de beaucoup. Quelque temps après, l'Académie de Bruxelles fut réorganisée, et Van Hulthem, par l'arrêté de nomination, en date du 3 juillet 1816, fut désigné comme son secrétaire provisoire, place qui fut changée, l'année suivante, en celle de secrétaire perpétuel. On venait aussi de réorganiser l'Université de Louvain, — 320 - on même temps qu'on créait les deux Universités nouvelles de Gand et de Liège. Van Hulthem fut encore nommé cura- teur de la première; mais celte nomination fut loin de le satisfaire : tous ses vœux, toutes ses affections élaient pour sa ville natale, et c'est surtout des intérêts de l'Université de Gand qu'il désirait avoir à s'occuper. Ce désir fut satisfait plus tard, et ses concitoyens eurent lieu de s'en applaudir. Cependant des occupations aussi nombreuses, aussi va- riées, s'accordaient peu avec les goûts de Van Hulthem, qui semblaient presque entièrement concentrés dans les recher- ches bibliographiques. Ses fonctions devaient nécessaire- ment en souffrir, surtout pendant les voyages qu'il avait à faire successivement à la Haye, comme greffier de la seconde chambre. Aussi renonça-t-il , vers la fin de 1817, à ces dernières fonctions pour celles de secrétaire perpétuel de l'Académie, qu'il abandonna également quelques années après. Van Hulthem était un homme d'un profond savoir, d'une obligeance extrême et toujours prêt à aider les per- sonnes qu'il aimait; mais il était à peu près impossible d'ob- tenir de lui un travail achevé ou même un simple rapport sur les objets soumis à son avis. H différait beaucoup, sur ce der- nier point, de son collègue, le commandeur de Nieuport,qui était alors directeur de l'Académie : il s'élevait quelquefois entre ce dernier savant, malgré son grand âge, et le secré- taire perpétuel, les contestations les plus vives. C'est à la suite d'une discussion pareille concernant l'impression trop longtemps suspendue du premier volume des Mémoires de l'Académie, que Van Hulthem, pressé dans ses derniers retranchements, parla du projet de renoncer à ses fonctions de secrétaire. Malgré l'estime portée à l'honorable démis- sionnaire, c'était le désir des membres de marcher désor- mais avec plus de régularité. La démission présentée au gouvernement ne fut, du reste, acceptée qu'au commen- — :m — cernent do 1821, et Dewez fut nommé en sa place. Le prince de Gavre fut en même temps nommé président de l'Académie, en place du baron de Fellz, qui venait de mou- rir dans un âge très-avancé. Van Hulthem avait réuni^ à grand frais, une bibliothèque immense, composée d'ouvrages rares et de manuscrits, mais qu'il ne s'occupa jamais de mettre en ordre. Sa mémoire était un trésor d'érudition et de faits ignorés, dont la critique en général, mais surtout en matière d'événements histori- ques plus ou moins controversés, était saine et raisonnée. 11 paraissait éprouver une grande répugnance à écrire , même sur les sujets qu'il connaissait le mieux; aussi n'a-t-on con- servé de lui que des fragments et des discours prononcés dans des cérémonies publiques, mais qui tous prouvent en faveur de l'étendue de ses connaissances (*). Il était tou- jours prêt à venir en aide aux lettres et aux arts, et surtout pour sa ville natale, qui lui doit en grande partie son beau Jardin botanique, sa Bibliothèque et son Académie de des- sin. Il usait avec générosité des moyens que la fortune avait mis à sa disposition; mais c'est surtout dans les derniers (emps de sa vie qu'il en donna des preuves éclatantes. Par suite de la révolution et des sacrifices que dut faire la ville (le Gand , une forte somme manquait pour faire honneur aux engagements pris par l'Académie de dessin et de pein- (') Il élaii curieux de le voir, au milieu d'une réunion d'hommes, plus spécia- lement occupés des lettres ou des arts. M. Falck, alors minisire de l'intérieur, avait quelquefois des réunions littéraires dont Van Hulthem aimait à faire les principaux frais. Un soir, notre bon compatriote avait déposé, dans un cabinet voisin du salon de réunion, une quantité de livres au moyen desquels il prétendait défendre Alosl pour l'invention de l'imprimerie et montrer sa prééminence sur Harlem. S'il ne porta pas la conviction dans son auditoire, la force de ses argu- ments, et l'on peut dire sa science, porta un grand trouble dans l'assemblée. Ce succès, on le voyait, formait une véritable victoire pour notre bon compatriote, <|ui demeura plus que jamais convaincu de l'énergie et de la vérité de ses argnmcnls. 21 - 322 - lure envers les jeunes artistes qui, confiants dans les pro- messes faites en 1829, avaient répondu aux conditions du programme : Van Hulthem prit sur lui de combler le dé- ficit que présentait la caisse, et contribua ainsi à soutenir une institution à laquelle nous devons plusieurs de nos principaux artistes. 11 était d'un caractère doux et paisible. Sa maison , quoique assez spacieuse pour un célibataire , était couverte délivres, les uns étalés sur des rayons, les autres empilés dans les coins de ses chambres ou même soigneusement renfermés dans des malles qui paraissaient n'avoir jamais été ouvertes ('). On pouvait se demander où (') Il faillit perdre une partie de ses trésors pendant la lévoliilion de I8ô0. Voici le récit des dangers auxquels fut soumise sa l)iI)liothèi|ne pendant celle épo(|ue, comme on peu! lo voir pages xlii et suivantes de la Notice placée en lêle du ]" volume de la Bibiotheca ffuUhemiana, par M. Voisin : Gand, 1850. « Tandis que Van Hulthem songeait ainsi à ses dernières volontés, il était sans doute bien éloigné otice sur Froissart. Mémoire sur la bataille de Roosebeke. Mémoire sur la ressemblance des Germains et des Gaulois avec les Belges des temps postérieurs. Liste des autres ouvrages publiés par Uewez. 1. Histoire générale de la Belgique. Bruxelles, 1805-1807. — 2"^ édition, 1826-1828, 7 vol. in-8°. 2. Géographie ancienne du déparlement de Sambrc-et- Meuse. Namur, 1812, in-8». ô. /fistoire particulière des provinces belgiques. Bruxelles, ô vol. in-8°. 4. Abrégé de l'histoire belgique. Bruxelles, 1" édit. 1817j 2' édil. I8I'J. 5. Rhétorique extraite de Cicéron. Bruxelles, 1818, 1 vol. in-8'^. fi. Dictionnaire géographique du royaume des Pays-Bas. Bruxelles, 1819, 1 vol. in-8'. 7. Géographie du royaume des Pays-Bas. Bruxelles, l"'édit. 1819; 2« édit. - 329 - blication régulière des Mémoires de l'Académie, car il n'était guère d'homme plus exact et plus religieux observateur de ses devoirs. Quand le gouvernement précédent jugea à propos de réu- nir de nouveaux cours publics à ceux de physique et d'as- tronomie qui se donnaient alors à l'Ancienne Cour, et qu'il créa le Musée des sciences et des lettres, le nom de Dewez ne se trouvait point sur la première liste des professeurs, préparée au ministère, non qu'on manquât de confiance dans ses lumières, mais parce qu'on craignait de le surchar- ger en lui imposant un nouveau travail trop fatigant pour son âge. Dewez accepta néanmoins une chaire, cédant au désir d'enseigner sa science de prédilection qui avait fait l'occupation de toute sa vie. Ici encore ses collègues lui don- nèrent une nouvelle marque de leur estime et le nommèrent leur président. Il paya sa délie à cet établissement en pu- bliant, comme plusieurs de ses collègues, le texte de ses leçons, ouvrage qui termine pour ainsi dire la liste de ceux qu'il a composés et qui n'en est certes pas le moins esti- mable. Dewez recueillait partout des distinctions que sa modestie était loin de rechercher. Le gouvernementvoulut reconnaitrc ses services et lui accorda la croix du Lion belgique, qui fut 1820; 3<= édit. 1823; 4« édit., Géographie du royaume de Belgique, 18ô4. 1 vol. in-12. 8. Histoire du Pays de Liège. Bruxelles, 1822, 2 vol. iii-8°. 9. Abrégé de l'histoire de la province de Namur, par demandes cl par réponses. Bruxelles, 1822, in-12. 10. Abrégé de l'histoire du Hainaut et du Tournaisis, par demandes et par réponses. Mons, 1« édit. 1823; 2"^ édit. 1827, in-12. 11. Abrégé de l'histoire du duché de Brabant, du marquisat d'Anvers et de la seigneurie de Malines, par demandes et par réponses, en français el en hollandais. Bruxelles, 1824, in-12. 12. Cours d'histoire belgique, contenant les leçons publiques données an Musée des lettres et des sciences de Bruxelles, par Dewe2, et rédigées par lui- même. Bruxelles, 1833, 2 vol. ia-8°. - 330 - la juste récompense de ses travaux ('). Cette décoration lui était due sous tous les rapports : sans doute, une couleur plus heureuse l'aurait remplacée après la révolution, quand serait venue l'heure de donner des distinctions aux talents qui ho- norent leur pays etqui, pour jeter moins d'éclatqueles talents militaires, ne lui assurent pas une considération moins grande. Mais ces distinctions, Dewez ne les ambitionnait pas : habi- tué à une vie retirée et à des études tranquilles, il fuyait, au contraire, tout ce qui tenait à l'ostentation ; il était surtout jaloux de l'estime de ses concitoyens et désireux qu'on eût pour lui les égards qu'il eut toujours pour les autres. Mal- heureusement, il faut bien le dire, par suite de ces muta- tions qui accompagnent inévitablement toutes les révolutions politiques, il vit successivement remettre en doute la con- servation de chacune des places qu'il avait acquises par ses talents et par de longs services. Ce déni de justice, cette espèce de défiance en ses capacités qui lui annonçait d'une manière dure qu'il était au bout de sa carrière, avait porté de rudes atteintes à son moral. Plus d'une fois, dans son intimité, il s'en est plaint avec douceur, car des paroles aigres n'ont jamais pris part à ses discours. Mais aucune perte ne pouvait lui être plus sensible que celle de ses deux filles qui faisaient le charme de sa vieillesse. Pour uneàme aussi aimante, et dans un âge aussi avancé, ces deux coups devaient être mortels; aussi ce malheureux père n'a-l-il pas survécu longtemps à ses enfants chéris. Il sentait que désor- mais sa place était marquée à côté d'elles et que cette place ne pouvait rester longtemps vacante. (') La nuiicc, i Je me nomme sans scrupule l'auteur de ces discours, éciit Cornelissen, d'autant plus que le digne président, en s'adressant à ses auditeurs, avait pour invariable usage de répétei' avant de prononcer ses allocutions : « Mes amis, je vais vous lire un discours <|ue M. Cornelissen m'a préparé. » Quelquefois même des hommes de mérite n'ont pas dédaigné d'employer sa plume. Ainsi, dans le recueil que je tiens de lui, il a écrit en marge d'un discours prononcé par Hellebaut, à l'occasion d'une distribution de prix : « M. Hellebaut écrivait mieux que moi, et aurait pu écrire des discours bien meilleurs que les miens. Il n'avait (|u'un défaut, c'est qu'il n'écrivait pas. » MiscellaneaD. (2) illiscellanea C, volume de M. de Stassarl. — 339 - (lance; elles étaient composées en français, flamand, latin et mémo en italien. Cornelissen avait été largement mis à contribution ; il avait fait des inscriptions pour tout le monde. Dans quelques-unes perçait, sous une apparente simplicité, cet esprit malin et frondeur qui ne le quittait jamais, pas même dans les circonstances les plus solen- nelles. On lui avait demandé une inscription pour un im- mense transparent destiné à orner le portail de la Petite Bou- cherie ('); il conseilla d'y inscrire tout bonnement, disait-il, ces mots : Les petits bouchers de. Gand à Napoléon le tjrand. Ainsi fut fait, mais le transparent fut aussitôt supprimé par ordre. Des emblèmes et des inscriptions tirées des auteurs latins paraient la façade de l'hôtel de la préfecture. Quelques-unes de ces inscriptions étaient fort ingénieuses; elles ont été recueillies dans une brochure de Van Hulthem, devenue très-rare aujourd'hui par une circonstance particulière qui mérite d'être rappelée. Dans un des emblèmes , on voyait le débarquement de Bonaparte à Fréjus. Un vaisseau arrivait dans le port; un guerrier en descendait et courait embrasser sur le rivage une femme qui lui tendait les bras et dont les attributs dési- gnaient la République française. On lisait, au bas, ces vers du VP livre de l'Enéide : Quas ego te in terras, et quanta per aequora vectum Accipio! quantis ereptum, gnate, periclis! Quant metiii ne quid Libyae tibi régna nocerent! La brochure imprimée, Van Hulthem se disposait à l'offrir (') Par opposilion avec la Grande Boucherie, qui se Irouvc entre le marché aux légumes cl celui aux poissons. — 340 — au consul, mais on lui fit remarquer une incorrection qui pouvait paraître une sanglante épigramme : les mots per œquora vectum se trouvaient remplacés par ceux per œquo7^a victum. Van Hulthem s'avisa de corriger à la plume l'erreur qui n'en devint que plus saillante. On refusa de remettre la brochure; le bon Van Hulthem insista et s'adressa à M"^^ Bo- naparte, chez laquelle il avait toujours trouvé un facile accès, mais il ne fut pas plus heureux, et en désespoir de cause, il jeta au feu tous les exemplaires, à l'exception d'une dou- zaine qu'il avait déjà distribués ('). Le premier consul visita tous les établissements de la ville; il retrouva à l'École centrale Cornelissen et son ami l'avocat Hellebaut, qui tous deux venaient d'y être nommés professeurs (^). Il prit plaisir à causer avec eux, quoiqu'il put s'étonner peut-être de la manière dont ils pratiquaient avec lui les principes de liberté, d'égalité et de fraternité. Dans un moment où la conversation était assez animée, Bonaparte ouvrit sa tabatière, y puisa copieusement et s'apprêtait à la refermer, quand l'avocat Hellebaut y plongea brusquement les doigts à son tour et , en achevant une phrase , huma {') Nous extrayons ces détails d'une note écrite à la main par M. Cornelissen lui-même sur un des rares exemplaires échappés à l'incendie. On y lit que M"'^ Bonaparte refusa de se rendre aux désirs qui lui étaient exprimés, par un « fi fl donc, M. Van Hulthem, ti donc; c'est trop peu coquet: vous vous croyez lou- » jours rue Chantereine. « Il est vrai, du reste, que la notice est horrii)lement imprimée, et ([u'elle ne fait pas plus honneur aux imprimeurs et aux papetiers (ju'aux correcteurs gantois. Bien que très-diflérenls d'humeur et de caractère, Van Hulthem et Cornelissen étaient liés d'amitié; autant l'un était grave, lent et circonspect, autant l'autre était enjoué, mobile et sans réserve dans ses accès de gaieté. Cornelissen, dans ces dernières circonstances, ne ménageait pas même son ami dont il imitait, avec une vérité saisissante, les petits ridicules devenus à peu près classite de leurs travaux, dans des discours aussi spiri- tuels que pleins de faits, et qui, sortant de la lign'; des travaux de ce genre, sont soigneusement recueillis par les amis de notre histoire littéraiie et artistique. Cet homme, c'est Norbert Cornelissen. » — 364 — Cire aimé comme il l'était pour pouvoir compter sur un nombre suffisant de convives. Je l'ai déjà dit, il n'y avait point de fête communale dont il ne fût à la fois l'âme et la tète; j'aurais dû ajouter qu'il n'y avait point de banquet public ou particulier dont il ne fit le principal ornement : sa présence y était en quelque sorte indispensable. Ceux qui ne l'ont point connu se figureraient difficilement combien sa conversation était amusante et pittoresque, com- bien elle était parsemée de saillies et d'anecdotes piquantes. Le jeu de sa physionomie, ses gestes nombreux et tout mé- l'idionaux, les inflexions et jusqu'au son de sa voix impri- maient à ce qu'il disait un cachet particulier; quelquefois même, sans l'entendre, il suffisait de le voir pour saisir toute sa pensée. D'une franchise à toute épreuve, il donnait le cours le plus libre à ses paroles. Parfois on restait tout étourdi de ses boutades; mais, chez lui, l'absence com- plète de toute arrière-pensée malveillante ne pouvait pro- duire de blessure durable. D'un commerce sûr, d'une pro- bité à toute épreuve, il eût été désolé d'avoir été, même involontairement, cause de quelque peine ('). Il avait un talent particulier pour dire à chacun des vérités (juelquefois assez dures. Dans ces dernières circonstances, il s'associait généralement à ceux qu'il gourmandait. u Savez- vous comment on parie de nous, disait-il à un individu dont l'avarice était devenue proverbiale? On dit que nous sommes deux avares, deux arabes, deux — Ah! M. Cornelissen, (■) Il étail Irop en éviilence pour ne pas avoir excilé des sentiments d'envie, on fait naître des attaques contre sa personne. Quoiqu'il eût toutes les qualités néces- saires pour riposter vigoureusement à ses adveisaires, et pour les faire repentir de leurs injustes attaques, toujours il aima mieux garder le silence : il serait impossible de citer un article de polémique sorti de sa plume. 11 en coule parfois pour conserver cette attitude digne, surtout quand l'attaque a été Irailreuse et déloyale. — 365 — reprit vivement l'autre, comment vous, qui êtes si généreux ! — Soit, dit le malin vieillard, mais prenez que dans tout ceci il n'y ait que la moitié de vrai; vous conviendrez que c'est très-fâcheux et qu'il faudrait tâcher de nous amen- der (^j. )) Cornelissen n'avait jamais été sérieusement malade; seu- lement, dans sa vigoureuse vieillesse, des attaques de goutte venaient l'assaillir de loin en loin et porter obstacle, comme il le disait, à son besoin de locomotion. Ses goûts étaient extrêmement simples et modestes, eu égard aux ressources dont il pouvait disposer (^); il n'était donc pas étonnant qu'avec la plus parfaite indépendance et avec la considéra- tion générale dont il jouissait, il se trouvât dans une posi- tion fort heureuse. Cependant, vers la fin de ses jours, l'affaiblissement de la vue et de l'ouïe avaient porté atteinte à sa sérénité habituelle; une lettre qu'il écrivit peu de (') Qu'on me pernietle de ciler encore un Irait de ce genre, et celui-ci je rem- prunte à Cornelissen lui-même, qui l'a consigné dans les Annales Belgiques; seulement il l'allrihue à son ami, M. Heliebaut, dans une note manuscrile jointe ;i l'un des volumes qu'il m'a donnés. « Ne serait-ce pas ici le moment de raconter une anecilolequi regarde un des anciens serviteurs les plus zélés de Najioléon, devenu serviteur non moins zélé de Louis XVIII, qu'il avait suivi à Gand, et certes ce n'es( pas en cela qu'il m'apiiarlieut de le blâmnr : mais, toujours fou- gueux dans ses expressions, il avait pris riiabilude de ne désigner son ancien maître «lue par des épithètes (|ue plusieurs d'entre nous ne pouvaient enlendie sans dégoût dans la bouche du personnage. Nous le laissions ordinairement déclamer à son aise, et nous nous moquions de lui en parlant flamand. Cela n'était ni bien honnéle, ni bien hos|)ilalier ; mais c'était le moyen d'imposer silence à un bavard. Un jour il se fâcha, et quelqu'un d'enlre nous, poussé à bout, lui dit : «Mais gredin, dites-vous loujouis, M. le baron ; eb bien soit,gredin, cela est très- bien dans voire bouche : si Napoléon m'avait, comme à vous, donné une des plus belles préfectures de l'empire, s'il m'avait décoré île ses ordres, s'il m'avait con- féré sa noblesse, si, en un mot, il m'avait comblé • Eh mais... c'est vous? — Certainement. — Et à quel propos? — Je vais me marier. — Vous marier?... et qui donc reverra mes épreuves? » — 371 — les discours qui devaient y èlre prononcés ; ce qui avait au moins l'avantage de ne pas mettre les orateurs en contradic- tion et d'éviter aux auditeurs des redites falidieuses (*). La Société des Catherinistes d'Alost avait ouvert, en d810, un concours de poésie; il s'agissait de célébrer la Belgique et de montrer que le mot patrie n'était pas oublié, mal- gré le retentissement militaire de cette époque qui faisait oublier tant de choses. Cet appel excita le patriotisme de Lesbroussart; il y répondit par son poëme des Belges, le meilleur peut-être de ses ouvrages. Ce succès acheva de faire un nom à notre poète et jeta un éclat mérité sur la Société des Catherinistes. En 1813, Ph. Lesbroussart consentit i\ diriger l'éducation d'un jeune homme appartenant à l'une des premières fa- milles du pays (M. De la Bare) ; il devait voyager avec lui dans le midi de l'Europe. Le désir de visiter des pays pit- toresques, placés sous un heureux climat, était combattu par le regret de se séparer de ses élèves du lycée et surtout de l'épouse à laquelle il venait de s'unir (^). Il crut devoir céder devant les avantages qui lui étaient proposés, en se réservant de se dédommager de l'éloignement par une active cor- respondance. J'ai entre les mains quelques lettres écrites à ses anciens élèves; elles témoignent de sa sollicitude pour eux et de la manière judicieuse dont il mettait à profit ses excursions littéraires. Toutefois, s'il avait les lumières et le cœur d'un Mentor, Lesbroussart n'en avait peut-être pas toujours la prudence : c'est ce que prouve un incident dont je lui dois la connais- sance. Pendant son passage à Lausanne, il assistait à une revue; il s'était insensiblement rapproché d'un canon et avait (') Voyez plus haut ma nolice sur Norbert Cornelissen. (=) Madame veuve Giron, née Dewaele. M. Lesbroussart devint ainsi le beau- l»(''re (le M. Aug. Giron, qui s'est fait également un nom dans les lettres. — 372 — fini par le prendre pour point d'appui, lorsqu'un officier supérieur lui ordonna brusquement de se retirer, en ajou- tant l'insulte à la menace. Le costume négligé de Lesbrous- sart, sans la justifier, expliquait peut-être cette incartade. Notre compatriote se sentit profondément blessé; et, la re- vue terminée, il demanda à l'officier réparation de son in- sulte. On convint du lieu et de l'heure. Les adversaires furent fidèles au rendez-vous, mais il se trouva que les épées étaient inégales; il fallut en aller chercher d'autres à la ville. En les attendant, une conversation littéraire s'en2;aa:ea entre les témoins : il s'abaissait du mérite des idvlles de Gessner. Lesbroussart y avait pris part; une fois sur ce terrain, il eût volontiers vidé cette discussion au détriment de l'autre, mais il était naturellement brave, et le point d'honneur ne lui permettait pas de faire la moindre concession. Le com- bat eut donc lieu à l'épée : toutes les chances lui étaient défavorables, car il se trouvait myope au plus haut de- gré. Cependant, au moment de croiser le fer, notre compa- triote crut retrouver, dans les traits de son adversaire, la même dureté qu'il y avait remarquée en recevant l'insulte. Dès lors, il oublia ses idylles pour ne songer qu'à sa défense. La lame de l'officier suisse rencontra un obstacle contre lequel elle vint se ployer, tandis que celle de Lesbroussart lui traversa le bras. Le combat fini, les adversaires et les témoins reprirent tranquillement le chemin de la ville, ainsi que leur conversation un moment interrompue. Dans la vallée de Chamouni, Lesbroussart ne put se défendre d'un mouvement d'impatience, en feuilletant le livre où les voyageurs consignent leurs impressions de voya • ge. 11 y inscrivit une boutade contre les oisifs et les faiseurs d'enthousiasme à froid, qui sont le fléau de ces montagnes; — 373 — cel impromptu a été accueilli dans le deuxième volume de LErmile de la Guyane ('). Il laissa également des traces de son passage à Genève, où il imprima une réponse à l'écrit de Chateaubriand, intitulé : De Bonaparte et des Bourbons (^). Ph. Lesbroussart ne put visiter l'Italie, comme il en avait le projet. Son élève venait d'être désigné pour faire partie de la Garde d'honneur, qui, sous un nom pompeux, répan- dait la désolation dans les principales familles et leur deman- dait impérieusement l'impôt du sang. Malgré de nombreux sacrifices, la France succomba, et à (') Comme la pièce avail élé imprimée avec quelques inexacliludes, Lesluoiis- sarl l'a re|irO(iiiile dans le volume de ses poésies, page 195 : 0 que la nature esl immense! 0 que les hommes soûl petits ! Dans ces vastes tableaux que de magnificence! Que de sottise en ces écrits ! L'un pense être Delille, alors qu'en ses récits, Tout gonflé de sensiblerie. Sur des cailloux il s'extasie, Pleure sur un brin d'herbe, et transporte en ses vers Tous les glaçons du .Montanvers. Méconnaissant Tauteur de ces œuvres sublimes, Et se croyant un Spinosa, l/aiilie dit gravement « que prouve tout cela? " Taudis qu'un autre encore, en ses |ielites rimes, l'ier créateui' d'un quolibet, A|qioi te sur ces bords ses lourdes épigrammes. Ses madrigaux, rébus de l'Almanacli des dames. L'esprit des boulevards et le sel de Brunet. Dans leurs décisions que de lourdes méprises! Dans leurs quatrains que de longueurs ! Quel débordement de fadeurs! Quelle avalanche de bêtises !.... Kive de l'Arve, adieu ! Quand de tes frais vallons, A regret nous nous éloignons, Du Dieu de l'univers adorant la puissance, Du fond de mon cœur je redis : 0 que la nature esl immense ! 0 que les hommes sont petits ! (') Cel écrit, imprimé en 1813, sous format in-S», est devenu très rare aujour- d'hui j il m'a élé impossible de me le piocurer. — 374 - la suite d'une seconde défaite dans les champs de Waterloo, elle releva temporairement le trône de ses anciens rois. Les peuples saluaient avec transport le retour de la paix. Dans ces circonstances, la Société des beaux-aris de Gand mit au concours la Bataille de Waterloo; le poëme devait être traité sous forme de cantate. Lesbroussart fut de nouveau vainqueur dans la lulte; mais son triomphe eut moins d'éclat. La pièce couronnée, remarquable comme œuvre littéraire, laissait à désirer peut-être sous le rapport lyrique ; les opi- nions d'ailleurs étaient encore fort partagées, même parmi les Belges, sur l'événement politique, objet du concours. L'auteur, en ne comprenant point sa cantate parmi ses œuvres littéraires, s'est montré certainement plus rigoureux que le public. En la composant, il avait cédé à l'entraîne-, ment général et peut-être jugeait-il, plus tard, que cette pièce ne devait être considérée que comme un ouvrage de circonstance. On jugera au même point de vue la fin de son poëme des Belges, un peu trop empreinte de la couleur de son époque. Mais quel est l'homme, et le poëte surtout, qui pourrait se vanter d'être resté invariable dans ses appré- ciations au milieu des bouleversements qui ont marqué le commencement de ce siècle et la fin du siècle dernier. 11 est cependant un point sur lequel Lesbroussart n'a jamais varié (;l s'est toujours montré \ii juMum cl tenaveni jirojmsUî viruiH du poëte latin ; c'est à l'endroit de son pays iju'il aimait passionnément. Dans l'alliance de la Belgique at^ de la Hollande, il voyait un gage d'indépendance et de bon- heur; à ses yeux, les anciennes formes républicaines et les libertés communales, dont nos voisins avaient mieux que nous conservé les traditions, allaient faire revivre notre his- toire nationale et y ajouter quelques pages glorieuses. C'est dans cette conviction que, à l'époque du mariage du prince d'Orange avec la grande-duchesse de Russie, en i8i6, il - 375 - composa, pour célébrer cette union, un opéra comique inti- tulé le Fermier belge ('). 11 avait également pris part à la rédaction du journal ofïi- ciel de l'État; mais, en 1817, il rentra dans la carrière de l'enseignement, devint professeur de poésie à l'Athénée royal de Bruxelles et fut chargé, l'année suivante, du cours de rhétorique, qu'il professa jusqu'au moment de la révolution de 1830. Ph. Lesbroussart réunissait plusieurs des qualités les plus éminenles qui caractérisent le bon professeur. A des antécédents brillants, à des connaissances étendues dans les littératures ancienne et moderne, il joignait une mémoire prodigieuse qui lui permettait de placer, sans elîort, l'exem- ple à côté du précepte; il était, d'ailleurs, d'une bonté par- faite, et plein de sympathie pour les jeunes gens, apprécia- teurs les plus compétents de cette qualité qui, à leurs yeux, l'achète souvent toutes les autres. Ces sentiments récipro- ques étaient d'autant plus précieux que le professeur, par suite de son extrême myopie^ était à peu près dans l'impos- sibilité de voir ce qui se passait dans sa classe, et devait gé- néralement s'en rapporter aux bons sentiments de ses élèves. L'on était alors au moment de l'émigration française. Plu- sieurs littérateurs distingués, qui avaient dû quitter leurs foyers, avaient cherché un asile à Bruxelles. Ph. Lesbrous- sart les accueillait avec cordialité et les mettait en rapport avec les gens de lettres de notre pays. On rencontrait à la fois dans son salon Arnault, Bory de Saint-Vincent, Cau- choix-Lemaire, Tissot, Pocholle, Baron, de Reilfenberg, de Potter, Vauthier, Raoul, etc. A cette époque (1817) commença la publication du Mer- cure belge , dont les trois premiers rédacteurs furent MM. Lesbroussart, de Reilfenberg et Raoul. Un article de (') Cet opéra en im acte, musique de M. Mees, ùit repiésenlé au IhéàUe du Parc. — 376 — ce dernier, contre une tragédie nouvelle de l'auteur de Marins à Minturnes, donna lieu à une polémique assez vive que ses deux collaborateurs prirent soin d'éteindre ('); puis, le Mercure continua paisiblement sa route, et mourut après quelques années d'existence, non sans avoir rendu de vérita- bles services aux lettres. On y relit encore avec plaisir quel- ques analyses de Ph. Lesbroussart écrites avec autant de goût que de tact. La Société de littérature de Bruxelles continuait ses paisi- bles réunions^ en s'enrichissant périodiquement des produc- tions poétiques que Ph. Lesbroussart insérait dans ses Annuaires. Cependant elle ne larda pas à céder la place à sa sœur puînée, la société Concordia, qui semblait avoir pour tendance de substituer la langue flamande, ou plulôt le hollandais, à la langue française. Ph. Lesbroussart en faisait partie, et quand arriva son tour de porter la parole, il trancha la difficulté en prononçant un discours latin sur la lutte des classiques et des romantiques. Au milieu des naissances et des funérailles de tant de so- ciétés, il s'était formé une association plus modeste, mais qui eut plus de retentissement, peut-être par ce motif même qu'elle cherchait à s'entourer d'une certaine obscurité, c'était la société des Douze, qui prenait son nom du nombre de ses membres. Ceux-ci se réunissaient hebdomairemcnt tan- tôt chez l'un, tantôt chez l'autre, d'après l'ordre alphabé- tique des noms (^). Ils n'avaient d'autre but que de passer amicalement quelques heures ensemble, en devisant sur les questions du jour et en se communiquant leurs productions littéraires. Les journaux avaient pris à tâche de s'occuper (') Voyez plus loin la notice biographifiiie sur Raoul. (•) Les voici : Baron, De Doncker, L. De Poller, Drapiez, !.. Gruyer, L. Jol- tiaiid, Lesbroussaii. Odevaere, Quelelel, Ed. Smits, Tielemans , S. Vande Weyer. - 377 - d'elle, surtout les journaux du gouvernement, qui croyaient y voir un foyer de sédition. Malheureusement quelques pour- suites judiciaires donnèrent crédita ces conjectures ('). La première fut intentée contre Lesbroussart lui-même. Notre confrère prenait part à la rédaction d'une feuille po- litique dont un article fut incriminé : on constata qu'il en avait revu les épreuves; on y trouva même quelques correc- tions de sa main; lui-même ne les désavouait pas; dès lors, il fut appréhendé par la gendarmerie et mis en prison. Cette incarcération, qui dura plus d'un mois, affligea profondé- ment sa famille et ses amis (^); elle produisit, d'ailleurs, le plus mauvais effet dans le public. Lesbroussart était un de ces hommes qui, par leur caractère et leurs talents, devien- nent en quelque sorte les fds d'adoption d'un pays; et, quand le pouvoir appesantit sa main sur eux, cet acte est toujours considéré comme une calamité publique. Notre confrère sortit de prison sans passion et sans haine contre ceux qui l'y avaient renfermé. Le gouvernement lui- même ne fut peut-être pas fâché de lui témoigner, à quelque temps de là, qu'il lui avait rendu sa confiance : il le nomma professeur d'histoire générale, dans la nouvelle institution qu'il créa près du Musée de Bruxelles, dans la vue de favo- riser la culture des sciences et des lettres (^). (') Oiiel•■ Je cite avec (|ueli|ue ilélail, parce que le Musée île 1826 a|)parlient à l'histoire des sciences el des lettres en Belgi<|ue, et qu'il importe à ce titre d'en conserver le souvenir. On a publié, à cette éporjue, les Annales du Musée des sciences et des lettres de Bruxelles; elles contiennent les discours d'inauguration, i vol. in-8». Bruxelles, à la Librairie belge, 1827. (') Le Musée comprenait les cours suivants : Littérature générale M. 6ai-on. Histoire des Pays-Bas M. Dcwez. Chimie générale M. Drapiez. Botanique. . . • M. Kickx père. Littérature ualionnic j(. Lauls. Histoire çéiiérale M. Lesbroussart. Histoire (les sciences et physique expérimentale . M. Quelclcl. Constructions j|. Ro_"et. Zoologie 51. Vanderlinden. Histoire de la philosophie M. S. Vande Weyer. — 379 - mer)l après 1830 ; on essaya de les réorganiser ensuite, puis on finit par les supprimer complètement à j'éporpie de l'or- ganisation de l'Université libre. Lesbroussarl faisait partie de presque toutes les institu- tions littéraires et scientifiques de Bruxelles : parmi ces institutions se trouvait le Comité de lecture des théâtres royaux (*). C'est dans cet aréopage que j'eus plus particu- lièrement l'occasion d'apprécier son extrême indulgence en matière littéraire. Il n'y avait pas de si mauvaise pièce, où il ne trouvât des scènes à faire valoir, des vers à citer avec éloge. A l'en croire, tous les ouvrages que l'on présentait étaient excellents ou tout au moins admissibles. Philinte ne montre pas plus d'indulgence dans son appréciation du fa- meux sonnet d'Oronte (^). (•) Ce comité se composait de MM. Ph. Lesl>roiissait, Ch. Morel, directeur de la Compagnie du Luxembourg, le général Jlellinet, Nicaise, qui fut plus tard secrétaire général du ministère de la guerre, l'auteur de cette notice et deux acteurs, MM. Bosselet et Folleville. (') Cette excessive bienveillance éclata surtout à la première représentation d'une tragédie de M. Éd. Smits, intitulée : Elfrida ou la Vengeance. La pièce, du reste, renfermait des beautés réelles; mais le plan était mal conçu; tro|> d'allées et de venues suspendaient à chaque instant l'attention et détruisaient l'intérêt. Nous nous trouvions, avec l'auteur, dans une loge d'avanl-scène, d'où nous pouvions voir l'intérieur de la salle sans être aperçus nous-mêmes. Le pre- mier acte fut écoulé avec inlérét , il y eut des applaudissements : Smits était joyeux et triomphant. Peu à peu des effets mal calculés, des entrées non moti- vées jetèrent du fioid dans la salle; (|ueli|ues nuages se formèrent à l'hoi-izon e( passèrent sur le front du itoëte. Nous cherchions à lui donner une assurance «pic nous n'avions pas nous-mêmes. \u premier enivrement succéda un décourage- ment visible, et bientôt l'auteur s'éclipsa. Dès que le bon Lesbroussart s'aperçut de .son absence, il conçut les inquiétudes les plus vives : tous les dangers que peut faire naître le désespoir sous l'influence des passions les plus vives, il les voyait fondre en même temps sur le malheureux poëte; il était désolé et furieux contre le parterre. J'essayai vainement de le calmer, je finis par le suivre, et nous allâmes ensemble à la recherche du fugitif. Lesbroussart, dans sa préoccupation, se dirigea vers le canal, bien persuadé (jue la tragédie avait dû y trouver son dénoûment; mais tout était calme de ce côté. Il itrit alors le parti i»lus simple de se rendre à la demeure de l'auteur. Ce ne fu( pas sans hésitation qu'il se décida à entr'ouvrir la porte du salon... Smits était assis devant une table — 380 - Mais c'était surtout devant les jurys chargés de conférer les grades académiques que l'indulgence du bon Lesbrous- sart se trouvait mise à de rudes épreuves : en voyant les em- barras et les angoisses des récipiendaires, il oubliait à tout instant son rôle d'examinateur ; et, soufflant officieusement les réponses, il faisait sourire l'auditoire et compromettait parfois la gravité du jury ('j. L'appel aux armes, en 4830, lit vibrer de nouveau la fibre patriotique de Lesbroussart. Notre confrère quitta ses livres et alla se mêler au peuple ; il ne craignit pas de se présenter au plus fort du danger, non pour attiser le feu de l'insur- rection, mais pour servir de médiateur. Un pareil rôle est difficile et il devenait d'autant plus dangereux, que son état de myopie ne lui permettait pas toujours de distinguer à quels combattants il avait affaire. C'est ainsi qu'il faillit être tué, pendant les journées de septembre, à l'entrée de la rue Notre-Dame-aux-Neiges (^). poilaiit une douzaine de couverts; el, quoique seul, il avait entamé résolument lin plat d'huilres. Ce début nous rassura ; nous primes place à côté de lui, el nous achevâmes loires nationales, a relevé avec un amour tout particulier la gloire artistifjue et ceux ijui ont le plus contribué à la reconquérir. — 393 — ne lui a jamais entendu prononcer, je pense, un motqui pût blesser; présents ou absents, tous conservaient les mêmes titres à sa bienveillance; on ne le voyait pas non plus se faire l'écho des petites médisances du jour, aliment ordinaire des conversations, et qui assurent presque toujours un succès au conteur. Ses moyens d'intéresser, il les puisait surtout dans la grande variété de ses connaissances et dans sa pro- digieuse mémoire, qui lui permettait à chaque instant de citer, avec esprit et à propos, des anecdotes piquantes ou des faits curieux en rapport avec la conversation. Son extrême bienveillance ne l'empêchait pas de voir et de sentir les ridicules ; il les décrit même dans quelques pièces de vers qui peuvent être citées comme des exemples de bon goût; mais les ridicules alors ne s'attachent plus à des individus : ils tombent dans le domaine public et personne ne peut en souffrir ni s'en offenser. On trouve dans ses œuvres inédites quelques épigrammes qui présentent ce caractère, et entre autres la suivante, intitulée: La Confes- sion : Daignez, mon père, écouler mes scrupules Ce carnaval, à mal faire excité, Du cher Dom j'ai lu les opuscules; Je me confesse en toule humilité D'avoir trouvé ses vers duriuscules, Et d'en avoir méchamment plaisanté. Point n'en veut fuir la juste pénitence. — Hé bien, reprit le moine avec aigreur, Pour expier si condamnable offense, Ces vers si durs, les apprendrez par cœur. Nous avons un autre et plus brillant exemple de cette même facilité dans le début de son poème L'Art de conter : Maudit soit le bourreau, dont la loquacité, Depuis une heure au moins, m'ench?Jne à son côté! A-t-il assez de fois, brisant ma patience. Aux voisins fatigués commandé le silence, - 39i - Répété que le fait esl digne de ciédil, Distillé goutte à goutte un éternel récit, Brodé chaque détail, commenté chaque phrase, Et prenant bonnement mon ennui pour extase, Quand de son long discours j'entrevoyais le bout. Ramené ce refrain : « Monsieur ce n'est i)as tout? « Ce portrait semble destiné à servir de repoussoir à celui qui va suivre : Heureux qui, dans un conte amusant et léger. Élégant sans manière et simple sans bassesse, Toujours au naturel unissant la finesse, A l'esprit enchanté raconte un joli trait, Réi)èle un mot piquant, ou dessine un portrait, £t sait, par l'enjoûment, la grâce et la saillie, Voler (jnelques instants aux longueurs de la vie! On ne voit pas ses mots se traîner pesamment, Dun cerveau ténébreux jiénible enfantement; On ne voit pas non plus d'une fausse élégance Sa phrase symétrique étalei- rapi)arence : Rien n'y vise à l'effet, rien n'y trahit l'efTorl; Il cesse de parlei-, chacun écoute encor, Et partout le i»laisir empieint sur les visages Des auditeurs charmés proclame les suffrages. Le poêle trace ensuite une esquisse historique de l'art de conter chez les différents peuples. Ce sujet intéressant se rattache intimement à l'histoire de la civilisation et suffirait, à lui seul, pour faire la matière d'un gros volume. « Dis-moi ce que tu manges, je dirai ce tu es, » écrivait Brillât Sa- varin ; il serait encore plus rationnel, je pense, de juger un peuple par sa conversation que par sa table. C'était aussi la pensée de notre confrère : voici comment il caractérise les Grecs et les Romains , vers lesquels on est toujours ramené instinctivement, quoiqu'on semble avoir hâte d'en finir avec eux : Des Grecs ingénieux la facile éloquence, Toujours habile en l'ait d'animer les propos, Exerça ce talent si fertile en bons mots. - 395 - L'Athénien surlout, fiivole aulant qu'aimable, Joignit d'autres plaisirs aux plaisirs de la lahle. Athènes fut la ville où l'on causa le mieux. Dans des discours sensés, et jamais ennuyeux. Ils mêlaient l'enjoûmenl à la philosophie, El l'on contait sans doute aux soupers d'Aspasie. Aux cercles du Portique, assez souvent Platon D'un récit attachant sut parer sa leçon : Les Grâces l'inspiraient, et toujours l'auditoire Pardonnait la morale en faveur de l'histoire. Rome, longtemps grossière, ignora ce talent; Le seul Ménénius le connut un moment : La vertu des Romains fut rarement aimable; Pour manger seulement ils se mettaient à table; Jamais un chant joyeux, jamais un conte en l'air Ne vint d'un sénateur égayer le dessert. Mais tout changea plus lard; et je pense qu'Horace Aux dinars de Mécène occupait bien sa place. Ce qui se passait chez les anciens Romains s'observe assez généralement dans nos petites villes : si la conversation y est à peu près nulle, en revanche, les dîners y sont copieux et interminables ; c'est comme si l'on entreprenait de dédom- mager l'estomac au.x dépens de l'esprit. Madame de Main- tenon faisait tout le contraire : Quand Scarron, jeune encor, mais non pas inconnue. Et n'ayant pour tout bien que sa grâce ini;énue, Rassemblait à la fois dans ses petits banquets L'élite de la cour et du Pinde français, Si parfois du festin la modeste ordonnance Venait aux conviés prescrire l'abstinence. Soudain de sa mémoire em|Huntanl le secours, Du repas, par un conte, elle arrêtait le cours : Sa naïve finesse et sa galté décente Captivaient doucement l'oreille obéissante; Et son art séducteur, i)ar un simple récit Au lieu de l'estomac savait nourrir l'esprit. Aux diners de nos jours c'est assez le contraire. L'histoire de l'art de conter chez les différents peuples est suivie de préceptes e.xprimés avec autant de goût que de - ;39b — délicatesse. Je regrette de ne pouvoir en donner des exem- ples, mais je dois éviter d'étendre outre mesure mes cita- tions. Il est diflieile, d'ailleurs, de choisir dans un ouvrage poétique dont toutes les parties sont exécutées avec une égale perfection. J'ai déjà dit que le talent de Ph. Lesbroussart avait une légère tendance vers la satire; les ridicules politiques sur- tout ont été habilement saisis par notre confrère et dépeints d'une manière heureuse dans plusieurs de ses compositions, telles que le Manuel du vrai royaliste, VEpître à Edouard (*) , le poëme de V Alogistonomie ou \Art de raisonner par écrit, et VEpître à S. M. Àkdola, Z*^"" roi des Puris (^j. Cette dernière pièce fut écrite à l'occasion de l'arrivée à Bruxelles du chef d'une tribu sauvage du Brésil et de sa femme ;, amenés en Europe par le prince Maximilien de Nieuwied. Notre poëte saisit habilement cette circonstance pour endoctriner le chef étranger et le mettre au courant de l'état politique d'alors: c'était vers 1826. Après avoir prodigué ses conseils, l'auteur fait offre de services : Un jour, dans les États j'irai le visiter, Contempler ton ouvrage et te féliciter. S'il le faut iJes journaux, accepte mes services. Je puis charger un brick de rédacteurs novices, Dont je ferai pour loi l'achat à peu de frais, Et que leurs éditeurs livreront au rabais. Tu verras aussitôt ton heureuse patrie Ac(|uérir du savoir, du goùl et du génie. Puisse de ta tribu la rude aspérité Imiter de leurs mœurs l'aimable aménité! (') Le même qui a composé avec Ph. Lesbroussart le vaudeville : L'Intrigue en l'air ou les aérostats. Celte petite i)ièce dont je conserve le manuscrit, est restée inédile. (•) On trouve, à la suite de son recueil de poésies, un compte rendu de VHéra- cléide, poëme épique en vingt-quatre chants-, c'est l'analyse d'un ouvrage qui n'a jamais existé. - 397 - Puissent-ils en vantanl ion règne populaire, Comme la vérité, respecter la grammaire! Cette pièce peut donner une idée de la manière dont le poëte comprenait la satire politique; je voudrais pouvoir montrer aussi combien le langage de la haute poésie lui était familier, et combien son talent excellait à peindre de grandes images et à les animer par de vives couleurs : il suffirait, pour en donner des exemples, de rappeler le Rêve du tyran, Le Spartiate mourant et Les Malheurs de la Grèce. Dans un genre bien différent, où ont excellé plusieurs de nos compatriotes, MM. de Stassart, de Reiffenberg, Vanden Zande, Rouveroy, etc., dans le conte et l'apologue, il oc- cupe encore un rang fort distingué et a fait preuve d'un talent remarquable. Ses fables peu nombreuses sont écrites avec une facilité et une grâce qui rappellent souvent le poëte par excellence dans ce genre, celui qu'on a nommé l'Inimi- table. Je n'en citerai qu'une et je la prends, non parce que je la crois la meilleure, mais parce qu'elle est courte, et qu'elle exprime toute la pensée de l'auteur au sujet des étu- des dont on surcharge la jeunesse. Cette fable est intitulée : L'Enfant et la Lampe : Un enfant arrangeait.... qu'arrangeait-il? ma foi, Je n'en sais rien ; c'était, je croi, Son théâtre ou bien son optique, Ou le petit château |»ar son oncle construit. Ou bien sa lanterne mag'que : Peu m'importe. Or, il était nuit, Et notre artiste près de lui (') Avait mis l'instiument utile à Démoslhène, C'est-à-dire une la^ipe. A l'instant, ayant vu Que le fanal d'aliment (ié|toiirvu, Répandait faiblement sa liimièie incertaine, (') La rime n'est pas irréprochable; mais celle petite négligence qu'on ren- contre en passant, ne saurait nuire au mérite d'ouvrages remarquables à lant de titres. — 398 — Il y verse de l'huile : el la flamme aussilôt De pétiller. » Bon ! voilà ce qu'il faut, )) Dit-il, charmé de l'imaginalive ; Pour rendre la lumière un tant soit peu plus vive, » Versons encore. » Aussilôt fait que dit. Par le fluide épais la mèche est assiégée; Sous les flots onctueux la flamme est submergée; Elle décioît, s'éteint : mon sage est dans la nuit. Parents, instituteurs, maîtres de toute espèce, Voulez-vous croire mon avis? Nourrissez sobrement l'esprit de la jeunesse. N'apprendre rien du tout est mal, je le confesse; Mais en trop apprendre est bien pis. Ph. Lesbroussart ne s'esl point borné à publier des poé- sies : on a de lui plusieurs ouvrages en prose : j'ai déjà cité deux romans et divers écrits politiques; on doit y joindre encore l'ouvrage Everard T Serdaes, chronique braban- çonne, publiée à Liège. Ce qui a surtout absorbé une grande partie de son temps, c'est sa collaboration à différents ou- vrages périodiques et en particulier à la Galerie historique des contemporains , qui parut à Bruxelles en i816 et dans les années suivantes ('). Quoique notre auteur assistât assidûment aux séances de l'Académie, il y a fait peu de communications écrites; cependant il s'acquittait avec empressement de la tâche qui lui était confiée, lorsqu'il était désigné comme commissaire pour l'examen de quelque ouvrage littéraire ; sa santé chan- celante et sa cécité presque complète l'empêchaient de se (') On trouve dans la Bibliographie académique, i)ubliée, en 1854, par l'Aca- démie royale Bruxelles sur les indications des auteurs, une liste des princii)aux ouvrages dePh. Lesbroussart. On y voit que cet écrivain a pris part à la rédac- tion des ouvrages périodiques suivants : Journal général, etc., 1815; Gazette générale des Pays-Bas {Algemene nederlandsche Courant) pour la partie française, de 1815 à 1818; Mercure belge; Annales littéraires; Revue belge, à Bruxelles ; Recueil encyclopédique belge, Revue belge, à Liège ; Revue de Liège. On doit à la jikime de Ph. Lesbroussart des répliques spirituelles à quelques arlicles superficiels dirigés contre la Belgique par des touristes malveillants, qui avaient étudié notre pays lin fond d'une diligence ou d'une chambre d'auberge. — 399 — mêler activement à nos discussions. Quand ii prenait la parole, il était écouté avec le silence religieux que l'on n'ac- corde qu'aux hommes dont on estime le talent et le carac- tère. Le plus bel éloge qu'un puisse faire de lui consiste, je crois, dans cette simple remarque : Quoiqu'il fût un des hommes les plus distingués de son pays, on ne lui a connu ni ennemis ni envieux. Je ne voudrais pas faire trop d'hon- neur à l'humanité, et assurer qu'en effet il n'en eût point; mais ils se seraient bien gardés de se montrer. Leur silence était un nouvel hommage rendu à son mérite. Vers la fin de sa carrière, Ph. Lesbroussart vivait com- plètement dans la retraite : entouré des soins les plus assidus de sa famille, il ne voyait que quelques amis avec lesquels il aimait à parler de ses souvenirs littéraires. Ses pensées, d'ailleurs, avaient pris un cours plus élevé; et, en les épu- rant encore, il semblait se préparer à rentrer dans le sein de son Créateur. Il conserva sa présence d'esprit à peu près jusqu'à son dernier instant : la veille de sa mort, malgré la difficulté qu'il éprouvait à respirer, il prit part à une conversation sur le caractère et le mérite des écrivains anglais, et, par intervalle, sa pensée se manifestait encore vive et lumineuse, comme les derniers jets d'une flamme près de s'éteindre. Son agonie fut de courte durée. Lesbroussart mourut à Bruxelles dans les sentiments d'une piété vive, vers une heure de relevée, le 4 mars 1855. Un juste sentiment de reconnaissance a porté l'Académie à prier le gouvernement de se joindre à elle pour rendre un dernier hommage à la mémoire d'un des hommes qui ont cultivé avec le plus de succès les lettres en Belgique : elle a exprimé le désir de voir placer son buste dans le local des séances. Le ministre de l'intérieur, M. de Decker, s'est em- pressé de souscrire à cette demande, qu'il avait, d'ailleurs, — 400 — l'intention de prévenir lui-même, en sa double qualité d'aca- démicien et de chef du département qui comprend l'encou- ragement des lettres dans ses attributions. Et quels plus nobles encouragements la patrie pourrait-elle, en effet, offrir à ses fils que le tribut de sa reconnaissance pour des travaux qui ont ajouté à sa gloire, et la consécration de ce pieux sentiment par un monument public ! GOSWIN-JOSEPH-AUGUSTIN BARON DE STASSART (1;. Le baron de Slassarf, par sa naissance, appartient à colle c'poq.ie (le deuil qui vit mourir l'illustre Marie-Thérèse- son enfance se rattache à une époque plus douloureuse en- core, celle de la révolution la plus sanglante peut-être que mentionnent les annales des peuples. Le jeune de Stassart put en apprécier les effets jusque dans le sein de sa famille qui, a l'approche des armées républicaines, en 1794 suivit le torrent de l'émigration et alla se lîxer temporairem'ent en V>estphalie. Toutefois, sans se laisser intimider par le dan- ger qui subsistait encore dans Paris, il ne craignit pas d'al- ler s établir sur les bords de ce cratère à peine fermé, et de s y livrer a l'étude des lettres, qui devaient, plus tard lui assurer un nom et faire le charme de sa vieillesse. ' L'empire avait surgi du milieu de tant de débris; noire jeune compatriote en suivit avec dévouement toutes les pha- ses jusqu'à l'instant de sa ruine. Les emplois élevés qu'il fut appelé à remplir, les marques de confiance et de distinction dont il fut honoré, l'enivrement produit par les conquêtes (•) Né à Mnlines le 3 sopiembre 1780, mort à Bruxelles, le 10 oclol, re 1854. 2C — 405 - de cette époque, l'espèce de fascination que répandait le chef de l'État sur ceux qui l'entouraient, tout contribua à exalter sa jeune imagination et à lui imprimer des sentiments dont il ne s'est plus départi. Tel qu'il était alors, tel on l'a toujours retrouvé depuis : son bienfaiteur est resté l'unique objet de ses pensées, et le règne impérial, le sujet constant de son admiration. On a pu s'étonner de cette sorte d'immo- bilité politique, mais le sentiment de la reconnaissance qui la produisait mérite sans nul doute nos respects. D'ailleurs, il n'est point vrai que le baron de Stassart ait peu compris les grands mouvements qui s'opérèrent ensuite autour de lui, et spécialement dans sa patrie. 11 y prit, au contraire, une part active : son nom se rattache aux princi- paux faits qui ont porté la Belgique au degré de splendeur et de prospérité où elle se trouve élevée. Il avait vu se dérou- ler tous les événements qui amenèrent notre émancipation politique, et lui-même il était intervenu dans ce long enfan- tement si douloureux dans son origine et si dangereux quand il fut près de s'accomplir. Si j'avais à considérer notre confrère comme homme d'État, je devrais faire passer sous vos yeux la plupart des grands événements de notre histoire contemporaine. Telle n'est certainement pas la tâche que je me suis imposée. La première éducation du baron de Stassart se fit au sein de sa famille, par les soins d'une mère qui l'aimait avec une tendresse sans égale : c'est elle qui lui apprit à lire et lui donna les premières notions d'histoire et de géographie. Lui-même nous a conservé ces détails dans quelques feuilles retrouvées après sa mort et destinées à faire partie de ses mémoires ('). « Mon enfance, dit-il avec un sentiment de reconnaissance, fut entourée de témoignages d'affection ; (') Voyez, d'ailleurs, la notice inléressaïUe que M. Van Bemmel a écrite sur M. de Stassart et que l'Acidémie a récompensée |)ar sa méilaille d'or. — 403 — aussi lorsque, plus tard, je fus au collège, je cédais volon- tiers aux moyens de douceur, mais je savais me roidir, avec une obstination sans égale contre tout ce qui ressemblait le moins du monde à la violence, w Je cite cette remarque avec intention, parce qu'une roideur obstinée, dans certai- nes circonstances, était en effet un des traits caractéristiques de notre confrère. Ceux qui ne le connaissaient pas intime- ment pourront s'en étonner, car le sentiment qui apparais- sait plus spécialement en lui et qui semblait en quelque sorte absorber tous les autres, était celui de la condescendance. Nous n'avons point oublié le discours qu'il prononça, en qualité de président de l'Académie royale de Belgique, dans la séance solennelle du 19 mai 1847, en présence de LL. AA. RR. le duc de Brabant et le comte de Flandre. Nous savons avec quel sentiment d'indignation il s'éleva contre Jean Breydel et contre les meurtriers du comte d'Artois à la bataille des Éperons. Nous nous rappelons également avec quelle amertume vibra la fibre flamande et avec quelle som- bre murmure fut accueillie cette espèce d'acte d'accusation. Quelques amis justement alarmés des passions qu'avaient soulevées ses paroles et des attaques qui ne tarderaient pas à les suivre, lui conseillèrent inutilement de tempérer des expressions qui allaient à l'encontre de nos traditions les plus populaires. Notre confrère tint bon et ne consentit point à supprimer la moindre parole de son discours. Quand l'o- rage éclata ensuite, il l'affronta bravement, et si ses paroles ne furent point convaincantes, elles furent du moins em- preintes d'une noble franchise. « Je n'ai jamais hésité le moins du monde à mettre au grand jour mes opinions, dit- il, à l'un de ses agresseurs (') : c'est une habitude de toute ma vie. J'ai dit la vérité (ou du moins ce que je croyais être (') Œuvres diverses du baron de Stassart. p. 328. — m — la vérité) aux ministres de l'empereur, à l'empereur lui- même; je l'ai dite aux ministres du roi Guillaume; je l'ai dite à tous les hommes d'État ou prétendus hommes d'Etat qui, chez nous, se sont succédé au pouvoir depuis 1830. Je ne l'ai pas épargnée non plus aux tribuns populaires, et je la dirai partout où j'aurai pour mission de prendre la paro- le. C'est le plus sûr moyen de déplaire aux deux camps ennemis; je l'ai plus d'une fois éprouvé dans ma longue car- rière; mais le temps de la justice arrive tôt ou tard, et, suivant un de ces vieux adages qu'un vieillard aime tant à se rappeler : La raison finit toujours par avoir raison. » Puis continuant le combat sur le même terrain, il justifia ses tendances nationales. « Si le maintien de notre nationa- lité, dit-il, si la prospérité de notre pays, si nos progrès intellectuels me paraissent exiger que nous conservions de bons rapports avec la France, c'est une manière de voir comme une autre. Réfutez-la, je le veux bien, mais qu'on n'aille pas plus loin ! Je déteste toute espèce de fanatisme. Je me suis élevé souvent contre le fanatisme religieux...., faut-il maintenant, faut-il qu'à l'époque actuelle où la liberté en tout et pour tous se proclame avec faste, j'aie à me plaindre du fanatisme historique ! » H est à remarquer que cet homme qu'on regardait comme étant d'un caractère si facile, disons même si souple, a perdu, par une sorte de fatalité, plusieurs positions brillan- tes, a fait même, dans certaines occasions, le sacrifice de sa popularité pour maintenir ce qu'il croyait devoir à ses con- victions. N'est-ce point là une suite naturelle des lois d'é- quilibre qui régissent nos facultés morales? Les sentiments comprimés jusque dans leurs dernières limites finissent par réagir, et avec une violence d'autant plus grande que la compression a été plus forte. Ajoutons que ces sortes de réactions ne se manifestent que chez l'honnête homme qui — 405 — tient à rester dans un juste milieu et qui, poussé au delà des bornes dans lesquelles il voulait se renfermer, se rejette souvent dans un sens contraire pour reconquérir le terrain enlevé par surprise. Les hommes d'une forte trempe résis- tent mieux; et si, en cédant à la compression, ils s'écartent de leur ligne habituelle, ils ont, pour y rentrer, moins de chemin à parcourir. Si je me suis permis de m'étendre sur les conséquences qu'ont eues, dans l'éducation de notre confrère, des moyens de violence succédant à des moyens de douceur et de per- suasion, c'est que je suis persuadé que ces alternatives doi- vent toujours amener des résultats semblables et qu'il importe d'en signaler les exemples chez les hommes même les plus naturellement bienveillants. Le baron de Stassart appartenait à une famille distinguée dans la carrière des armes et de la magistrature : son père était conseiller au grand conseil, c'est-à-dire à la cour suprême de justice dans les Pays-Bas autrichiens (*). Il n'avait eu sous le toit paternel que des exemples de toutes les vertus domestiques. Parmi les qualités que sa mère avait cherché à lui insj)irer, notre confrère cite avec raison l'éloi- (') u La famille de Slassait, qui n'a cessé de se consacrer an service de ses souverains, depuis Philippe le Bon, s'est distinguée dans la carrière des armes et dans la magistrature; elle a fourni, outre plusieurs bons oflîciers, un colonel de cavaleiie tué devant les lignes de Valenciennes, en 1636. Le nom resi|ue en même temps : M. Blondeau est décédé à Ermenonville, près de Paris, le 15 novembre 1854. L'Académie royale de Belgi<|ue avait inscrit dejuiis longtemps son nom parmi ceux de nos associés, comme celui d'un des hommes qui honoraient le plus le nom belge à l'étranger. M. Blondeau, doyen à la Faculté de droit de Paris et académicien libre de la classe des sciences morales et polilioiu à l'esprit donni? nu nouveau ressort, Dit-on : le mien, bêlas! trompé dans .son doux rêve, Semblait un arliri.s>eau qui, d'abord plein de scve. Tout a coup .sent tarir ce précieux trésor. Baisse ses bras mourants qu'il veut roidir encore, Kt doit, frêle, épuisé, frappé dans sa racine, D'un cbêne séculaire élayer la ruine. - ii3 — si la plus grande part lui on revenait; elle se permettait même de lui donner des conseils sur ses écrits et sur sa con- duite. Elle prétendait qu'elle savait choisir ses locataires, et se vantait d'avoir logé successivement le peintre David, le ministre des finances Apélius et d'autres personnages distingués qui, plus d'une fois, s'étaient bien trouvés de ses avis. On voudra bien me pardonner ces petits détails, qui sur- prendront peut-être ceux qui n'ont pas connu de Reiffenberg pendant sa jeunesse, et qui ne tiennent pas compte des chan- gements que des circonstances particulières peuvent pro- duire dans les habitudes et la conduite d'un homme. Jamais je n'ai vu de facilité plus grande pour le travail : prose, vers, philologie, histoire, théâtre, articles de jour- naux, tout cela marchait à peu près de front ; il était toujours prèt^ la nuit et le jour. Si on venait lui demander, à la hâte, un article de remplissage pour le Mercure belge ou pour un des nombreux journaux auxquels il coopérait, il abandon- nait aussitôt son travail commencé, et le messager ne sortait pas sans emporter l'article désiré. 11 s'occupait alors, en même temps, de trois pièces de théâtre : d'un drame historique, le Comte d'Egmonl, d'une comédie. Les Politiques de salon, et d'un grand opéra, le Siège de Corinthe .-j'oubliais la Toison d'or, opéra comique, dont M. de Messemaeckers fit la musique et qui eut les hon- neurs de la représentation ('). (') M. Raoul m'écrivait à ceUe époque : «Où en esl-il avec sa jolie comédie? où en est son mémoire sur Juste Lipse? où en est son histoire des poëtes latins de la Belgique? où en est son Pline? où en est sa tragédie? où en est-il, où en sommes-nous, où en est le Mercure avec Weissenbruch?» De Reiffenberg publiait alors, chez Wahlen, pour l'usage de ses élèves, ses Excerpla e C. Plinii secundi historia naturali. 11 semblait en même temps avoir l'intention de prendre part au concours sur les poètes latins de la Belgique, dont le prix fut décerné, en 1820, à M. Perlecamp. De Reiffenberg a inséré, dans les premiers volumes du Mercure belge, un grand nombre d'articles sur ce sujet. — 444 — Pendant qu'il sacrifiait ainsi aux divinités de la scène et qu'il assiégeait toutes les avenues du théâtre de la Monnaie, il trouvait encore le temps de se livrera des travaux moins brillanls, mais plus solides : il traitait des questions mises au concours par l'Académie royale de Bruxelles. En 1820, il fut couronné pour son travail Su*' l'état de la pojmlatmi, des fabriques et manufactures , et du commerce dans les provinces des Pays-Bas, pendant les XF^ et XFI^ siècles (') . Ce premier succès l'encouragea. En lui accordant sa mé- daille d'or, l'Académie, sans aucun doute, donna la première impulsion à son talent et le plaça sur son véritable terrain, sur celui où il a laissé les traces les plus durables de son passage. L'année 1821 lui vit remporter une seconde palme acadé- mique, pour un travail sur les ouvrages et la vie de Juste Lipse; le mémoire était écrit en latin. Dès lors, les univer- sités joignirent leurs applaudissements à ceux du public et commencèrent à s'occuper du jeune philologue. L'année suivante, de Reiflfenberg se représenta dans la lice ; (') Voici linéiques vers qu'il éciivil (ont d'une traite et sans rature, sous les yeux lie l'ami qui vint lui annoncer sa vicloii'e : l/Ac.-idcmie en crand conseil N'ient de m'assliiner trois cents livres; Colletel, pour un prix pareil Jadis eût vendu tous ses livre.-. Si je suis un peu moins crotté Kl si j"ai meilleure cui?ine, D"nn Colletet j"ai bien la mine; Je suis pourtant Irés-pcu flatté De cette facile victoire ; Paire doctement du grimoire, C'est peu de chose en vérité; Mais ton amitié vive, aimable, Embellit à ce prix mes yeux ; Annoncé par ta bouche, il devient pi'écieux ; Ml je me crois considérable. Il tant me pardonner, je suis bien excusable Si c'est ton amitié qui me rend orgueilleux. - 445 - mais, celle fois, il fut moins heureux et ne recul qu'une mé- daille d'argenl. Il s'agissait d'un travail sur Érasme, sujet qui, trente années plus tard, devait encore être mis au con- cours et par la même Académie. Tant de travaux devaient nuire à sa santé, d'autant plus qu'avec ses moyens de plaire, il ne se refusait pas les agré- ments de la société. Souvent, au sortir d'une réunion ou d'un bal, il se remettait au travail, comme s'il eût commencé sa soirée. Ces excès, pour une santé si frêle, faillirent avoir une déplorable issue; et par suite d'un incident moitié plai- sant, moitié grave, il dut pour quelque temps renoncer à ses travaux de nuit. Quoique le goût des ouvrages sérieux commençât à se manifester chez lui, cependant la poésie se trouvait évidem- ment en première ligne dans ses prédilections. Cette marche n'a rien qui doive surprendre; c'est celle que suivent en général les facultés de l'homme; les exemples sont trop nom- breux dans les sciences et les lettres pour qu'il soit néces- saire de les citer. La poésie est en quelque sorte la langue naturelle de la jeunesse ; elle ouvre un vaste champ où l'ima- gination se développe et où l'art d'écrire acquiert plus de grâce et de souplesse. La Société de lillérature de Bruxelles était alors dans son état le plus florissant, non qu'elle eût à sa disposition de grandes ressources, ses membres se réunissaient modeste- ment, tous les dimanches, dans une salle haute d'un des cafés de Bruxelles, mais elle se recrutait d'une ardente jeu- nesse, pleine d'avenir et jalouse de se produire. Son An- nuaire poétique publiait périodiquement les compositions les meilleures de l'année. Cette société avait pris naissance en 1803; elle comptait depuis longtemps parmi ses mem- bres, MM. Jouy (•), Ph. Lesbroussart, le baron de Stassart, (•) L'auleur de Z.'^rmtïe liahi la il alors Bruxelles. — 446 — Piouveroy , Plasscliart, de Hulsler, Hubin , Van Bemmel , Comhaire, elc. Elle venait de s'adjoindre un assez bon nom- bre de réputations nouvelles, pour alimenter son recueil. Dès que notre confrère en fil partie, il fut un des plus exacts à payer la dette qu'il avait contractée : sa première commu- nication fut un fragment de la tragédie du Comte d'Egmont. Presque en même temps que lui, était entré dans la société un jeune écrivain de mérite, mais d'un esprit mordant, qui paya sa bien-venue d'une autre manière: il composa contre les membres une satire, dans laquelle il consacrait quelques vers à chacun d'eux. Cette attention, peu délicate, fut mé- diocrement goûtée de la plupart des membres, qui parlèrent même de son expulsion. A vrai dire, cette satire était une plaisanterie plutôt qu'une méchanceté : elle ne portait at- teinte au caractère de personne. L'auteur ne s'y était pas ménagé plus que les autres; du reste, il n'avait point fait mystère de sa malice. A peine la pièce fut-elle composée, Froment, car c'était le coupable, vint nous la lire, à de Reif- fenberg et à moi : il était dans l'état de la plus complète jubilation. De Reiffenberg partageait sa gaieté et bondissait de joie ; il s'empara des vers et en inséra la plus grande partie dans le tome X du Mercure belge, en y mettant quelques notes pour atténuer le mal('). Puis, dans l'annuaire de (') Celle précaution faillil nous l)i'ouiller; elle causa le seul inslanl de uiésin- telligence qui ail existé entre nous, pendant les deux à trois années que nous vécûmes ensemble. De Reiffenberg ne m'avait pas parlé de ses notes ; quand je vis, sur l'épreuve de la satire, celle qui me concernait; je la trouvai si excessivement élogieuse, que je la pris pour une véritable insulte. J'entrai brusquement chez luij dans l'étal de la plus vive exaspération. En voyant mon trouble et ma pâleur, de Reiffenberg resta muet d'étonnement. Je lui dis que je m'étais prélé volontiers à la satire , mais que le persiflage, je ne le souffrirais pas..., et, sans attendre sa réponse, je sortis subitement. J'avais à peine fermé la porte, que je rentrai en moi-même; un peu de réflexion me fît craindre d'avoir eu ton. Je courus, chez Froment, pour lui parler de ma vivacité. Celui-ci recevait en même temps, de de Reiffenberg, un billet qui commençai! par ces mots : « Votre satire, qui m'a fait — 447 - 1822, il y répondit, sous le lilre : Fragment d'une épitre à M. A. Il y prend à partie les écrivains français. Quel- ques vers ne sont pas sans mérite, et prouvent que, lui aussi, eût pu se faire un nom dans cet art, proclamé dange- reux par l'écrivain moderne qui s'y est distingué le plus. Peut-être, dans ce combatsimulé, de Reiffenberg avait-il serré son adversaire de trop près; celui-ci revint à la charge, mais d'une manière moins courtoise : aux deux vers qu'il avait consacrés à de Reiffenberg, il en ajouta quelques autres par forme de variante et en recommandant soigneusement le secret aux nombreux confidents de sa nouvelle malice ('). Notre confrère en fut informé; de là une mésintelligence et le commencement d'une guerre de plume qui lui causa par la suite beaucoup d'ennuis et de chagrins. Au mois de décembre 1821 , de Reiffenberg avait été nommé conservateur et bibliothécaire adjoint à la Bibliothèque de rire d'abord, pourrait finir par me coûter des larmes. » Il ne m'en falliil pas liavanlage pour reconnaître ma mé|)rise et me sentir confondu. (') On lisait, dans la satire, ces deux vers qui faisaient allusion à la traduction iles Églogues de Virgile, dont de Reiffenherg s'occupait alors : Ordonne à Reiffenberg de quitter la houlette ; J'aime mieux son sifflet encor que sa mu^elte. Froment substitua à ces vers les suivants : Reiffenberg cultivant un laurier éphémère Qui, comme lui, s'élève à quatre pieds de terre, Dans vingt sentiers perdus trottant à petits pas, Aux neuf Sœurs à la fois tendant ses petits bras, Flaire tous les succès, et d'impasse en impasse Quête, sans le trouver, le chemin du Parnasse. Ces vers n'étaient peut-élre pas plus offensants que les premiers; mais Fro- ment les avait fait circuler, sans les communi([uer à la partie intéressée : c'était au moins un mauvais procédé. Inde irae. M. Raoul, qui avait aussi à se plaindre de Froment, m'écrivait au sujet de la satire de de Reiffenberg : « J'ai lu avec beaucoup de plaisir la réponse de M. Y. à M. X., ou de notre ami de Reiffenberg à M. Froment. Ce M. Froment est un sot avec son esprit, et si je lui pardonne ses impertinences, c'est à cause des excel- lents vers qu'il a inspirés à celui qui n'a pas dédaigné de lui répondre. Plusieurs — 448 — Bruxelles et à celle de Bourgogne; il devait celte faveur à l'amilié de M. Van Hulthem, bibliothécaire en titre, qui 'l'appuyait de tous ses moyens ('). Ce qui charmait surtout son Mécène, c'était sa prodigieuse activité : aussi Van Hul- them, en le présentant aux nombreux visiteurs de la biblio- thèque, ne tarissait-il point sur ses éloges. 11 croyait donner le dernier coup de pinceau à son portrait en le proclamant le Scudéry de la Belgique (^) ; c'était sa formule sacramen- telle qu'il répétait, chaque fois, avec une ponctualité déses- pérante. De Reiffenberg en était médiocrement satisfait; cependant il s'efforçait d'en rire, parce qu'il connaissait, d'ailleurs, les bonnes intentions de son patron (^). sonl i)arrai(s, mais je n'oublierai jamais les porlrails de MM. Mollevaul, SaiiU- Viclor, Fonlanes, Aiiger. — Fontanes, dit-il, Qui, gonflé des honneurs par ses truvaiix acquis, Fut poète autrefois et n'est plus que marquis... Auger, ce grand auteur de petites notices, Martelle pesamment ses écrils longs et lourds, Et derrière un grand liomme il se cache toujours.... Mollevaut de Pihrac nous refait les quatrains Et Sainl-Violor sourit à ses chefs-d'œuvre nains.... Et dans une antre lettre : « On m'annonce une nouvelle satire de ce bon Fro- ment. De ReifFenherg n'y est pas i)lus ménagé que les autres; c'est lui qui me l'écrit. » On a [Ui voir, dans ma notice sur Raoul, les justes motifs de méconlen- lemeni que celui-ci avait contre Froment; ce ipii ne l'empêchait cependant pas, lui aussi, de l'obliger tontes les fois qu'il en trouvait l'occasion. Ainsi, dans une autre circonstance, il m'écrivait : <( J'ai vengé vous, nos amis et moi, des insultes de Froment, en l'accueillant hien et en usant de tout mon crédit pour lui pio- curer un emploi dont il avait besoin. A sa place, je me cioirais un peu insulté, à mon tour. >' (') De Reitrenherg lui a consacré (|uelques pages dans les notes du tome II de son ouvrage Le Dimanche, pages 236 et suivantes. [") Sans doute par allusion à ces vers de Boileau : Bienheureux Scudéry dont la ferlile plume Peut, tous les mois, sans peine enfanter un volume. (2) Voici ce qu'il a écrit lui-même au sujet des singulières présentations de Van Hulthem : ( Ce fut alors ({ne ce digne bibliomane se donna le plaisir malin - 449 - Il renconlrail moins de bienveillance chez le vieux com- mandeur de Nieuporl : la cause en était due peut-être à un article, assez inoffensif, inséré dans le Mercure belge {*]. De Reiffenberg, en rendant compte de l'ouvrage du comman- deur, intitulé : Un peu de tout ou amusements d'un sexa- génaire^ s'était permis quelques remarques sur ses sorties contre le libéralisme et les libéraux. Quelque modérées que fussent ces critiques , le vieux géomètre s'en était tenu offensé, et il saisissait volontiers les occasions de faire éclater son humeur {^). (le tenir sous clef les belles dames auxquelles il moiUrait les miniatures des ma- nnsciits îles ducs de Bourgogne, en avertissant celles qui faisaient mine de vou- loir échapper à ses explications, qu'elles étaient emprisonnées. « Ce fut alors qu'il se complut dans des présentations si singulières et qu'il désignait, par exemple, M. de Potier à M. le comte Hoogendorp, comme quelqu'un qui avait mérité d'être brûlé vif en Italie, et ce signalemenl donnait lieaucoup ;'i pensera l'honorable membre des étais généraux; ce fut alors... Mais l'histoire anecdotique de la l)ibliothè(|ue de Bruxelles à celle époque ne saurait tenir dans le cadre étroit de noire revue. » (Le Bibliophile belge, tome II, p. 355.) En présentant une personne, Van Ilultliem faisait, avec une certaine emi)hase, rénumération de tousses titres, à peu près comme, en foire, on montre un objet curieux. Ce lie était bien connu; quelques personnes avaient réussi à l'imiter en perfection ; M. d'Houdetot s'en donnait parfois le plaisir avec son secrétaire. Un jour qu'il était au travail, son cabinet s'ouvre, une voix déclama- toire et saccadée |)rononce en même temps ces mots : « Voilà M. le comte d'Hou- detot, préfet du département de l'Escaut, ancien auditeur au conseil d'Élat.... » Le préfet crul reconnaître la voix de son secrétaire et, sans se retourner, il con- tinua aussilôl sur le même ton : « Voilà M. Van Hulthem, ancien tribun du peuple, grand maître des cérémonies du département de l'Escaut... » Il ne croyait pas si bien dire; en levant les yeux, il reconnut Van llulihem (|ui demeura tout aussi ébahi que lui. (') Tome III, pages 172 et suivantes; et, même volume, la note au bas de la page 256. (') Le commandeur en voulait surtout aux ouvrages d'érudition de de Reiffen- berg, qu'il nommait son fatras, et il accusait Van Hulthem de la direction qu'il avait donnée aux lra\aux de son protégé. « Depuis qu'il s'est emparé de lui, disait-il en groniir. — 457 — s'apercevoir du torl qu'elles font, s'associent à ces méfaits moraux pour lesquels la société n'a d'autre tribunal que la conscience des honnêtes gens. On conçoit qu'après le coup rigoureux qui l'avait atteint, de Reiffenberg dut désirer de quitter Liège : l'occasion s'en présenta tout naturellement. Le gouvernement venait d'ac- quérir la riche bibliothèque Van Hulthem; il se proposait d'y joindre la bibliothèque de Bourgogne, dont de Reiffenberg avait été l'ancien conservateur, et de lui donner successive- ment des accroissements importants. Il était tout simple qu'on pensât à notre confrère pour organiser et diriger ce riche dépôt. Son activité et ses vastes connaissances le dési- gnaient pour cet emploi. Il y fut nommé le 25 juillet 1837, et revint ainsi à Bruxelles après une absence de quinze années; mais combien les circonstances étaient changées ! Cette position nouvelle , quelque importante qu'elle fût, ne satisfaisait pas entièrement à ses désirs ; il croyait avoir à se plaindre sous le rapport financier (*); il regrettait de ne pas être logé dans le dépôt confié à sa surveillance ; il récla- mait surtout contre l'espèce de tutelle dans laquelle il se croyait placé par la création de la commission administrative de la Bibliothèque. Les membres de cette Commission étaient, pour la plupart, ses confrères à l'Académie, et désiraient sincèrement le seconder; mais le désir de l'obliger ne se conciliait pas toujours avec les devoirs de leur position. De Reiffenberg, qui avait si bien tracé les fonctions d'un con- servateur de bibliothèque dans sa notice sur Van Praet, ne se piquait ni de cette exactitude, ni de ces petits soins qu'il avait tant loués dans son confrère. Le gouvernement dut l'in- viter plus d'une fois à exercer une surveillance plus sévère. Il faut convenir, du reste, que ses absences fréquentes de (') Son irailement était de 7,000 francs. A Liège, il en avait 6,000, plus ses émoluments. - 438 — la Bibliothèque, pendant les premières années, étaient loin de se faire au préjudice de la science : la rédaction du Bi- bliophile belge j qu'il avait créé, celle de son Annuaire de la Bibliothèque , les soins qu'il consacrait à la Commission royale d'histoire, dont il était un des principaux appuis, et une infinité d'autres travaux de détail qui lui faisaient recher- cher la solitude et fuir les ennuis d'une administration peu conforme à ses goûts , avaient leur côté véritablement utile. Il eût mieux valu, sans doute, qu'on eût séparé la partie administi-ative de la partie scientifique de ses fonctions ; mais une séparation pareille, quelque désirable qu'elle eût été dans son propre intérêt, n'eût pas manqué de blesser sa susceptibilité. De ReilTenberg aimait les livres; il les connaissait, et plus d'une fois on a dû à ses recherches intelligentes des décou- vertes précieuses et inattendues : il furetait partout, et dès qu'il soupçonnait la présence de la lettre moulée, il allait la chercher et l'étudier jusque dans les feuilles de garde ou la reliure des livres, jusque dans de vieux meubles. 11 avait une sorte d'instinct pour ce genre de chasse , qui a bien aussi parfois ses mécomptes. On se rappelle l'ingénieuse mystification qui eut lieu, en 1840, et qui fit tant d'illustres victimes : la vente des livres du comte de Fortsas restera dans l'histoire de la bibliophilie comme un des épisodes les plus curieux qu'on puisse y trou- ver. Cette mystification était si adroitement ourdie, qu'on aurait mauvaise grâce de faire des reproches à notre con- frère de s'y être laissé prendre; d'aussi habiles que lui en ont fait autant. La veille du jour où la vente devait avoir lieu, l'auteur de cette plaisanterie rencontra de ReilTenberg, a qui il portait une véritable alfection ; et craignant que les choses n'allassent trop loin, il lui donna le conseil charitable de ne point se transporter à Binche : »f il est inutile de fein- - 459 - dre davantage, disail-il ; la bibliothèque du comte de Fort- sas n'a jamais existé que dans mon imagination; je suis l'au- teur du catalogue. ^> De Reiffenberg crut voir dans cet aveu une ruse de guerre, et ne fut que plus empressé de se mettre en roule. On sait le reste ('). C'était un véritable chagrin pour notre confrère , de ne pas trouver autour de lui toute la considération qui semblait lui être due. Placé dans une position scientifique fort hono- rable, auteur d'un grand nombre d'ouvrages estimés, associé aux corps savants les plus illustres (^), décoré d'un grand nombre d'ordres, porteur d'un nom distingué, rien de ce qui excite en général l'attention ou la convoitise des hommes ne paraissait lui manquer. Il avait trop de tact pour se plaindre ouvertement, mais son chagrin se manifestait malgré lui, surtout dans les compositions poétiques qu'il a publiées pen- dant ses dernières années. (') De Reiffenberg connaissait Irop bien les livres pour que cette historiette pût lui porter atteinte. Lui-même était le premier à en rire; voici ce qu'il écrivait sérieusement à ce sujet, quand il se trouvait encore sous l'influence de la mys- tification : « M. le comte de Fortsas vient de mourir à Binche, province de Hai- naut; et, le 10 août prochain, on y vendra sa bibliothè(|ue. Or, cette bibliothèque est une chose sans seconde dans les annales de la bibliophilie. Elle ne se com- pose que de cinquante-deux volumes, mais tous sont des exemplaires uniques, M. de Fortsas détruisant les livrés aussitôt qu'il reconnaissait (jii'iis existaient ailleurs (|u'enlre ses mains. Ces livres sont tous des joyaux de bibliothèque publique, et on ne peut les trouver que là : le 10 août passé, ils nous échappent à jamais. « — On peut voir, dans VJnnuaire de la Bibliothèque royale pour 1841, page 269, de quelle manière de Reiffenberg parla, plus tard, de cette mystification bibliographique : n Chacun de ces étonnants numéros, dit-il, allait à l'adresse de quelqu'un, il lui allait droit au cœur : Un promptuarium antiquitatum Trevirensium.... auctore JVillelmo comité ab Reiffenber, ji" 158, causait de cruelles insomnies à quelqu'un de vos amis, etc. » {') Si, parmi les sociétés étrangères auxquelles de Reifîenberg appartenait, il en était un assez bon nombre dont les diplômes ne prouvaient rien en faveur de son mérite; il n'en était lias ainsi de l'Institut de France, de la Société royale de Gottingue, des Académies de Berlin, Munich, Turin. Stockholm, etc. La Société des sciences, lettres et arts de sa ville natale l'avait nommé à vie l'un de ses vice-présidents honoraires. — 460 - Au milieu de ses souffrances, il s'élevait aussi avec aigreur contre les bouleversements politiques, qui ont tant de fois changé la face des choses et qui semblaient devoir lui causer toujours quelque perte nouvelle ou lui apporter quelque motif de chagrin. Puis, comme s'il avait craint de devenir importun, il entremêlait à ses plaintes quelque plaisanterie ou quelques-uns de ces mots pittoresques qui lui étaient si familiers ('). Jamais, dans nos séances académiques, nous ne l'avons vu sortir des limites des plus parfaites convenances. Par ses talents et son esprit lucide, il répandait d'abondantes lumiè- res dans nos discussions. Toujours prêt à se rendre utile, il ne reculait devant aucun service réclamé de son obligeance. 11 n'est j)as d'académicien qui se soit montré plus dévoué à la compagnie, et c'est à juste litre que le corps qui a vu se développer toute sa carrière littéraire, ne s'est souvenu que de ses services et a invité le gouvernement à faire figurer son buste parmi ceux des membres qui ornent les salles académiques. Plusieurs de ses biographes se sont occupés de ses ancê- tres et ont longuement déroulé sa généalogie; je ne les sui- vrai pas sur ce terrain de peur de m'égarer, alors surtout (jue je puis faire valoir des litres plus réels et qui lui appar- tiennent exclusivement (^) : je me bornerai toutefois à don- ner ici des indications sommaires sur ses principaux ou- vrages. (') Si on lui (teman(l;iil des nouvelles rie sa san(é, il en faisail le tableau le plus sombre el le lerminail assez souvent pai' ce vieux refrain : C"c'sl ainsi qu'on descend gaienirnl Le fleuve de la vie. (') « Par diplôme, en date du 25 (k'cembre 1842, de Reiffenberg a obtenu reconnaissance de son litre de baron, iransinissihle à ses descendants des deux sexes. « Ad. Mathieu, Notice sur F.-J .-F.-Th. baron de Reiffenberg, page 34. — 461 — Les premiers et les derniers instants de la carrière litté- raire du baron de Reiffenberg ont été consacrés à la poé- sie ; c'est avec raison qu'il disait presque au moment de mourir : Les vers conviennent à tout âge; Je leur dois un peu de courage Quand pour moi s'assomhril le jour; N'onl-ils pas droit à mon hommage? Ils furent mon premier amour (•). Quelques fragments de la tragédie Le Comte d'Egmont, marquèrent ses débuts ; ils parurent presque en même temps dans le Mercure belge et dans V Annuaire de la So- ciété de littérature de Bruxelles (^). 11 est impossible de porter un jugement sur cette œuvre qui n'a jamais été pu- bliée (^); toutefois, ce qui en a paru montre que l'auteur s'était formé à la bonne école : son vers a de l'élévation et de l'élégance; des réminiscences dans les formes poétiques, un peu de roideur décèlent l'écrivain encore novice sur la scène tragique. En choisissant ce sujet, l'auteur annonçait du tact; il avait compris que le moyen le plus sûr d'inté- resser était de toucher Télément national par son côté le plus sensible. Remarquons en passant que le comte d'Egmont, ce glo- rieux martyr de nos libertés qui, depuis bientôt cinquante ans, a été célébré à satiété sur tous les Ions, n'avait point encore de statue en 1854, quoiqu'il eût été souvent question de lui en ériger une. (') Fables nouvelles, prologue, 1 vol. in-18, chez Muquardi, 1849. (') Mercure belge, t. I, p. 487, 1817 ; Recueil annuel de poésies de la Société de littérature de Bruxelles, 1818, p. 14. Voyez aussi les Leçons de littéra- ture, par Noël et De La Place, supplément, édition de Gand, chez De Busscher et fils, 1822. (5) Dans les notes du tome II de l'ouvrage Le Dimanche, p. 257, de Reiffenberg fait connaître qu'il avait remis sa tragédie à Talma, et il rend compte du juge- ment qu'en portait ce grand artiste. - 462 - Les Politiques de salon furent écrits en même temps que Le Comte cVEgmont; c'est ce qui faisait dire en plaisantant à M. Raoul : « Je vois avec une extrême satisfaction que votre voisin va paraître incessamment aux yeux du public, un pied chaussé du brodequin et l'autre du cothurne : j'es- père bien, le jour où il se montrera chaussé de la sorte, aller voir comment il s'y prendra pour saluer le parterre. » De Reiffenberg ne passa point par cette épreuve; la pièce fut néanmoins imprimée en 1821, deux ans après avoir été composée ('). Elle mérite certainement les honneurs de la lecture, bien qu'elle ne satisfasse pas entièrement aux con- ditions qu'exige un succès dramatique. Le sujet n'a rien de neuf, rien de saillant; son mérite réside plutôt dans le style, qui est facile, élégant, qui a de la chaleur, parfois de l'élévation, et qui généralement rend d'une manière pittoresque le côté ridicule des choses. L'auteur introduit dans son second acte un chef de cabale qui vient réclamer auprès d'une comtesse le prix du succès obtenu par son avocat : LA COMTESSE. Eh ! qui donc êtes-vous? LF. CHEF DE LA CABALE. Par étal, A tant l'heure, je vends l'opinion publique. Inslilut, sermon, drame nouveau, Chambre des députés, élections, barreau. Tout est de mon ressort : j'ai nom de La Cabale. Seul je fais le succès, la gloire est ma vassale. Je dis un mot, Racine est vaincu par Pradon ; En illustre, d'un mot, je transforme Fréron. Hier votre avocat, pour une somme honnête, Me demande un succès; j'accepte, je m'apprête : Mes agents dans Paris volent de tous côtés; Au palais on accourt à pas précipités; (' ) Les Politiques de saloti , comédie en trois actes et en vers, reçue cl non représentée, avec un prologue en vers. Bruxelles, chez Hayez, 1821, broch. in-8". - i63 - Votre cause devienl celle de la |Ki(iie; Chacun autour de vous se démène, s'écrie; Devant les juges même en dépit de la loi, Nous vous applaudissons : ce lriom|)he est à moi, J'en réclame le prix. De Reiirenberga dédié son ouvrage à son ami, M. Ph. Lesbroussarl : « Soyez mon public, dit-il, puisque des con- sidérations étrangères à la littérature ont empêché le nouvel essai dramatique de subir l'épreuve difficile du théâtre. » Le dernier fait, sur lequel nous ne nous expliquerons pas, est éminemment à regretter, surtout à cause du prologue, sous forme de dialogue, qui précède la pièce. Le sentiment patriotique s'y exprime sous le langage de la bonne et franche comédie. On y rencontre des tirades faites d'un seul jet, pleines d'entrain, de vigueur et d'élégance. En J819, il avait publié une autre comédie, intitulée Le Malheur imaginaire (*) ; je me bornerai à mentionner cette bluette; elle offre une série d'invraisemblances qui ne sont malheureusement rachetées par aucune situation neuve, par aucun caractère un peu saillant. Je citerai surtout des vers consacrés à la Belgique, qui ré- sument d'une manière brillante et précise l'éloge de ce pays, dont les destinées alors étaient liées à celles de la Hollande. Ces vers, peut-être oubliés aujourd'hui, méritent d'être rap- pelés : Respectez enfin votre belle patrie. Baisez avec transport cette terre chérie; De ses champs fécondés contemplez les sillons, Vaste et riant cercueil de tant de bataillons. L'ennemi, se flaltanl d'une conquête aisée, Cent fois tourna vers nous sa valeur abusée. Ils venaient nous courber sous des fers abhorrés; Ils ont touché le sol, il les a dévorés. (') Comédie en un acte et en prose, Bruxelles, chez Weissenbruch, brochure in-8o. — iU ~ Voyez ces moniimenls confidenls de l'iiisloiie, Chaque pierre éloqiienle allesle noire gloire. Ici, (ie la chimie alUimant les fourneaux, La peinliiie ravit aux riches minéraux Ces brillanles couleurs dont la force native Emprunte aux sucs du lin une teinte plus vive. Du cercle qui le trompe épiant le contour Là, moderne Archimède, un savant, à son tour, Veut finir du passé les futiles querelles, Et lire de l'erreur des vérités nouvelles. Un autre préférant le scalpel au compas, Cherche dans l'homme éteint les secrets du trépas; A la grâce, plus loin, le savoir qui s'allie, Enseigne la sagesse et chante la folie. Des anges détrônés Voiidel peint les fureui's; Il remplit notre esprit de tragiques terreurs; Et du monde ignoré dévoilant le mystère, La poésie unit le ciel avec la terre. Sans doute, l'auleur, en revoyant celte pièce, y eiU cor- rigé, plus tard, des vers faibles ou exagérés, mais l'ensemble résume d'une manière heureuse les principau.x caractères distinctifs de l'ancien royaume d'alors, ainsi que les ser- vices rendus aux arts, aux lettres et aux sciences par les frères Van Eyck, Grégoire de Saint-Vincent, André Vésale, Érasme, Vondel. La Toison d'Or, opéra comique dont le succès fut assez médiocre, peut-être parce qu'on attendait mieux de l'auteur, n'a point eu les honneurs de l'impression. Le Siège de Corinthej au contraire, fut imprimé, mais il ne subit pas l'épreuve de la scène ('). Le sujet de cet opéra est emprunté à un poëme de lord Byron. Ce n'était point par l'invention que se distinguaient les compositions dramatiques du baron de Reiffenberg : on n'y trouve point de combinaisons nouvelles, ni de scènes prépa- rées de manière à produire des effets inattendus. Il n'avait (') Dans le recueil Les ffarpes, 1823. — 465 - point étudié les secrets ressorts qui captivent l'attention du spectateur; les intrigues de ses pièces manquent d'art. Sous un autre point de vue, le talent d'observation n'avait pas encore eu le temps de se développer; l'extrême vivacité de l'auteur ne lui avait pas permis d'acquérir l'expérience nécessaire pour donner à ses personnages un caractère sou- tenu et pour les dessiner d'une manière franche. Servetur ad imum Qualis ab incepto processerit... Il ne travaillait pas encore sur son propre fonds; il suivait les chemins battus et marchait sur les traces des autres. Une trop grande facilité d'écrire est peut-être le principal obstacle à des succès durables. J'ignore s'il a senti lui-même ce qui lui manquait pour réussir au théâtre ou s'il s'est trouvé découragé à la suite de ses premiers essais ; mais il abandonna cette carrière dès le début. En même temps qu'il s'essayait dans la tragédie^ la comé- die et l'opéra, de Reiffenberg sacrifiait à la muse pastorale : il avait entrepris de traduire les Églogues de Virgile et avait publié successivement celles intitulées : Tityre, Alexis, Gallus, Silène, Pollion (*). Son travail n'était certes pas sans mérite ; mais Virgile a été traduit si souvent et par des hommes d'un talent si distingué, que la lutte était difficile. Je ne sache pas que de Reiffenberg ait achevé son entre- prise; peut-être jugea-t-il prudent de s'en tenir à ces essais, cédant à l'avis peu charitable de Froment : Ordonne à Reiffenberg de quitter la houlette; J'aime mieux son sifflet encor que sa musette. De Reiffenberg publia, en i823, un recueil de poésies (') Mercure belge, t. V et suivants, 1818. 30 - 466 - dont quelques-unes avaient paru déjà dans le Mercure belge et dans les Annuaires poétiques. Il donna à ce recueil le titre de Harpes (*) : ce qui faisait dire au même Froment : « Il faudra maintenant que vous publiez vos flûtes, et moi, mes violons. » Les Harpes furent réimprimées avec de nouvelles poésies de l'auteur, à Paris, en 1825 ; puis elles reparurent encore sous le titre : Ruines et Souvenirs (^) ; elles con- tiennent en général des légendes et des ballades. On trouve aussi, dans les deux premières éditions, le Siège de Corin- the, opéra dont il a été parlé précédemment. En supprimant celte pièce dans sa troisième édition, l'au- teur a pu dire : « La plupart des pièces que renferme ce volume se rattachent à des traditions nationales. Recueillir nos souvenirs historiques, rassembler nos titres à l'estime du présent et de la postérité, tel a été le but constant de mes veilles. » [Préface-] Nous ajouterons qu'il a souvent rempli avec talent la tâche qu'il s'était imposée. Sa versifi- cation est facile; et, selon les circonstances, elle ne manque ni de grâce ni d'élévation. Le Chant de victoire de la prê- tresse Felléda, Les Lnprécations du serf du XIP siècle au pied de la croix. Le Barde captif sonl des hymnes où le (') « Quelques personnes ont trouvé le titre de Harpes extraordinaire, bizarre, dit de Reiffenberg, dans l'avertissement de sa 3'= édition ; j'aurais pu leur répondre d'abord que le nom ne fait rien à l'affaire, et m'autoriser ensuite d'illustres exemples. » Puis, comme si cette Justification n'était pas suffîsante, il ajoute, dans une note à la fin du volume : « Moore nous apprend que Byron songeait à publier la Harpe irlandaise, et l'on a imprimé un recueil de poésies prétendu- ment illyriennes, sous le titre de La Guzla, instrument favori des Moriaques. S'il fallait une autorité plus ancienne, je dirais que la Marilix du podle espagnol, Thomas Antonio Gonzaga, est divisée par Lyres... » Ces justifications savantes ne feront jamais, je pense, qu'un lecteur français ne trouve étrange le nom de harpes appliqué à des poésies. Je préfère son premier motif : le nom ne fait rien à l'affaire. (') Poésies diverses, suivies d'épîtres et de discours en vers; Paris, chez Dondey Dupré, 2 vol. in-18, 1825. — 467 poêle a fait preuve de chaleur et de force. Plusieurs petites compositions ont une physionomie gracieuse et spirituelle ^ je citerai en particulier Le Sire de fVarfusée, La Ban- nière, La Peur, Les Cruches de la dame Jacqueline, Le Ris de la folle, etc. Dans quelques passages, on se rappelle^ malgré soi, ce vers de Voltaire, si souvent oublié des poètes : Les vers aisément faits sont rarement aisés. Dans les lettres comme dans les arts, rien ne doit être négligé ni fait avec précipitation. En voulant dire trop de choses en même temps, l'auteur devient parfois embarrassé; je citerai pour exemple les vers mêmes qui commencent le recueil : Que le soc dans nos champs vienne heurter la bière D'un héros dépouillé de sa pompe gneirière, D'un prince à qui les vers rongeurs, Des peuples opprimés inutiles vengeurs, Sans respecter le rang suprême, Ont une fois encore ôté le diadème, La mort se montre à nous dans toute sa laideur. Il faut que le vers soit limpide; si l'on offre à l'esprit plu- sieurs images à la fois, on lui ôte le moyen de les saisir nettement. Parmi les discours et les épîtres, je placerai en première ligne la pièce intitulée : Le Champ Frédéric (') : on y trouve de l'élévation et du sentiment. On remarquera des vers heureux dans le passage suivant, bien que ce tableau mythologique contraste un peu avec le ton du reste de la pièce : Le travail ! c'est le dieu qui gouverne le monde, C'est lui qui, dirigeant les coursiers du soleil, S'élance, le matin, de l'Orient vermeil; (') Colonie consacrée aux indigents. - i68 - Dans son palais humide il éveille Nérée, L'arrache sans pitié de sa couche azurée : Le force, chaque jour, à soulever les mers, Les enchaîne bientôt dans leurs gouffres amers, Irrite leur courroux, le contient et l'apaise. Aux antres de Lemnos, sous les yeux de Vulcain, Pour l'armure de Mars il façonne l'airain, Plonge le fer brûlant dans l'onde frémissante. Marque des lourds marteaux la cadence pesante. Et dans les flancs noircis des soufflets haletants. Pour attiser la flamme, emprisonne les vents ; Il convoque des dieux l'auguste aréoiiage, Du Slyx et du Cocyte aborde le rivage. Sur son trône d'acier fixe le noir Pluton, Ou ranime l'ardeur des serpens d'Alecton. Au milieu des enfers, dans l'abîme des ondes, Sur notre terre, aux cieux qu'un océan de mondes Blanchit durant la nuit de ses flots argentés. D'un semblable besoin sans cesse tourmentés, Les êtres animés, l'impassible matière, Les fluides subtils et l'active lumière. Tout se meut : le travail, par un puissant concours, Ravive l'univers qui rajeunit toujours. Le Partage^ emprunté en partie à la pièce de Schiller Die Theilung der Erde, mérite également d'être cité pour la richesse des peintures et pour le bonheur avec lequel sont rendus certains détails qui semblent ne point appartenir au domaine de la poésie. Cette flexibilité de langage distinguait particulièrement notre confrère ; on en trouve des exem- ples nombreux dans ses écrits. Dans son épitre 4 quelques membres présumés d'une société secrète, il avait à rappeler les moyens employés pour se reconnaître entre eux ; voici comment il s'y prend : Dispersés, mais toujours réunis par un signe. Aperçus, mais cachés, muets, mais entendus, Même en vous découvrant, vous restez défendus. Avec ait indiscrets et prudemment frivoles. Le toucher et la vue ont pour vous des paroles; D'un parent, d'un ami si vous touchez la main, Votre doigt curieux l'interroge soudain, - 469 — La main, en frémissant, répond : « c'est un complice, » On repousse, immobile, un funeste artifice ('). Dans l'épître à son ami Vaulier, il a essayé une tâche plus difficile, celle démettre en vers un système philosophique; s'il n'y a pas complètement réussi, on y trouve de beaux passages et des pensées rendues avec énergie et concision. Les anciens nous ont souvent donné des exemples pareils, surtout Lucrèce, dont le mérite aujourd'hui réside presque tout entier dans la diction. En remontant jusqu'à Hésiode, on voit se plier au rhythme de la poésie les plus simples détails de la vie domestique. Il est vrai qu'à une époque où les livres n'étaient pas connus et où l'on avait à peine quel- ques manuscrits, celte forme sacramentelle était à peu près indispensable pour transmettre des maximes et des préceptes dans leur pureté originelle. Voyons comment notre confrère a présenté l'exposition sommaire de la doctrine de Kant, qui résume peut-être toutes les difficultés du genre descriptif; je suis loin de pré- tendre toutefois qu'il les ait vaincues : Kant enfin apparut : l'homme fut détrompé; L'absolu remonta sur son trône usurpé. De noire entendement la force subjective Aux objets imprima sa forme impérative; Sans attendre les faits, elle osa décider; La nature sentie à ses lois dut céder. Et l'espace et le temps, ces types nécessaires. De la perception législateurs primaires. Dans l'être connaissant restèrent désormais. Surtout ne croyez pas, ne répétez jamais Que l'idée avec l'homme aussitôt a dû naitre; L'enfant n'a point connu, mais est prêt à connaître ; Ses facultés dormaient : il veille, il a senti; L'objet frap|)e les sens; par les sens averti. Dans l'ànie le cerveau fait éclore une idée; Et l'idée, à son tour, en sa route guidée, (') Poésies diverses; Paris, t. II, p. 69. — 470 — Agit sur le cerveau, de qui l'ébranlement A l'organe attentif passe fidèlement (•). Raoul ne partageait pas les idées philosophiques vers les- quelles son jeune ami semblait pencher alors; quand il en était question, il répétait d'un ton goguenard : L'absolu remonta sur son trône usurpé; puis il ajoutait : il me payera son absolu. Le vieux poëte satirique s'en tint cependant à ces menaces. De Reiffenberg me semble plus heureux, quand il em- prunte les formes élégantes du poëte de Tibur, et que, dans une épître dialoguée, il nous fait assister aux luttes inces- santes que se livrent Vâme et le corps. Ce sujet est vérita- blement poétique, et l'auteur a compris le parti qu'on en peut tirer. Ses épitres sont dédiées à des personnes plus ou moins célèbres, à MM. de Barante, Arnault, Viennet, Cousin, No- dier, etc. Quelques autres sont adressées à des amis. Il est tout naturel qu'on y trouve les noms de Raoul et de Vautier ; nous avons déjà rencontré celui de M. Ph. Lesbroussart, placé en tête de la comédie Les politiques de salon; on le retrouve encore en tète du sixième livre de fables, publié en 1848 (^). Le poëte touche rarement la corde clégiaque; il semble se défier de lui toutes les fois que l'esprit doit faire (') J mon ami F...., t. II, p. 63. (') Prologue de la fable intitulée : Le Goût, p. 111. Les vieilles amitiés sont toujours les meilleures, Comme un vin bien mûri réchauffe le vieillard, Elles viennent encor nous charmer sur le tard. Et dorer nos dernières heures. Les amis de de Reiffenberg n'étaient pas ingrats; ils lui adressaient également de leurs vers : ce qui faisait dire aux rieurs qu'ils composaient ensemble la confrérie de VAdoration mutuelle. Voici quelques vers tirés d'une épître qu'un - 471 - place au sentiment; cependant, il a trouvé plus d'une fois des accents sympathiques, surtout dans les retours qu'il fait sur lui-même: j'en ai déjà cité un exemple, en voici un second, emprunté à l'épitre intitulée : A de jeunes infor- tunés : J'ai souffert plus que loi : je n'eus de mes aïeux Que l'éclat de leur nom, très-frivole à mes yeux ; Seul, jeté dans le monde au sortir de l'enfance, J'errais avec effroi dans mon indépendance, Opprimé par la main qui devait me bénir; Le Dieu des orphelins daigna me soutenir, C'est ce Dieu qui m'apprit à souffrir sans murmure, Oui dans mon sein meurtri réchauffa la nature, Des charmes de l'élude embellit mon loisir. Fit briller mes regards de l'éclair du plaisir; Et de mon cœur désert peuplant la solitude, Y sema de l'amour la douce inquiétude. Dans ses Adieux à V Athénée de Bruxelles , on trouve également des vers bien sentis, surtout ceux que le poêle a consacrés à la mémoire de M. Lesbroussart père, son ancien professeur, pour qui il avait conservé la plus tendre véné- ration. ami avait adressée à de Reiffenberg, en 1822, en réponse à des vers qu'il en avait reçus : Je lu vis, et bienlôt je sentis dans mon âme De la tendre amilié naître la douce flamme. Ton cœur comprit \c. mien ; tu comblas tous mes vœux, Sous son paisible abri nous rassemblant tous deux, Le même toit couvrit noire amilié fidèle; Protégea de nos cœurs l'union mutuelle El nous vit, entraînés par les mêmes plaisirs. Ensemble par l'élude égayer nos loisirs. J'étais, il est trop vrai, loin d'une tendre mère-. Mais j'étais près de loi, près d'un ami, d'un frère. Ton savoir, ta douceur, ton facile entretien, Ton esprit plus brillant, ton âge égal au mien. De les soins attentifs l'aimable prévenance. D'un avenir commun la commune espérance, Tout enfin me charmait, etc. {Annuaire poétique de 1822.) — 472 — Je n'ai point parlé des Quatrains que renferme le tomeP'" des poésies diverses; ils ne me semblent point à la hauteur de ce qu'on pouvait attendre d'un écrivain aussi spirituel. A partir de 1825, la muse poétique visitait plus rarement notre confrère; elle semblait avoir compris la nécessité de céder la place à des sœurs plus austères ; de temps en temps, elle l'inspirait encore dans ses instants de tristesse ou de bonheur : elle lui a dicté sourtout quelques vers touchants sur la perte d'un de ses enfants ('). Vers la fin de sa vie, la maladie et le besoin de se distraire ramenèrent de Reiffenberg à ses premiers penchants. « Je n'avais jamais fait de fables, dit-il. Pendant mes vacances (1847), à la campagne, privé de livres, presque de plumes et de papier, le tout par ordonnance du médecin, je revins, avec délices, tel qu'un écolier qui trompe ses maîtres, aux jeux ravissants de ma jeunesse, qu'un instinct mystérieux attirait vers la poésie et que le caprice de la destinée poussa dans une direction contraire. » Malheureusement il ne goûta pas ce plaisir avec modération; il composa une première fable (^), puis une seconde, une troisième, « si bien que le nombre put former un petit volume. Ce fut l'affaire de quinze jours au plus. » C'est lui-même qui nous l'apprend; quinze jours seulement pour composer quatre-vingts fables ! et peu de temps après parut un nouveau volume ('). Il ne faut pas juger avec trop de rigueur ces dernières (') L'Enfant mort-né. Voyez Ruines et Souvenirs, p. 98. (') a Celui de nos écrivains qui a le mieux réussi dans l'apologue, dil-il, venait de faire |iaraitre la septième édition de son recueil. Je pris la liberté de brocher une fable à son intention : » Préface des Apologues, 1 vol. in-18, chez Mu- quardt, 1848. — A côle du nom de M. le baron de Stassart, qu'il loue avec raison, de Reiffenberg cite les noms des princijiaux fabulistes modernes; nous pouvons y joindre celui de M. Van den Zande, déjà connu précédemment par un recueil de contes charmants, mais imprimés pour les amis de l'auteur seulement. (^) Fables nouvelles, 1 vol. in-18, 60 pages, Muquardl, janvier 1849. - 473 - fleurs d'automne qui ont procuré quelques heureux instants à celui qui les a fait naître. Si quelque chose peut étonner, c'est qu'au milieu de tant de précipitation et de souffrances, l'auteur ait pu trouver, chemin faisant, des inspirations nou- velles et des vers dignes de son meilleur temps. Quelquefois la douleur l'emporte et lui arrache des plaintes amères, non contre son mal physique, mais contre ce qui avait pu le bles- ser moralement pendant ces temps désastreux. Son humeur éclate, surtout contre les niveleurs modernes, les charlatans politiques et les adorateurs des titres et des décorations (*). Il était, dans ces noirs accès, moins fabuliste que satirique; au reste, on conçoit qu'il n'en voulait qu'aux abus; il était lui-même un des hommes les plus décorés et les plus titrés de la Belgique; il eût fait preuve de peu de tact en s'élevant contre des distinctions dont les princes et les sociétés savantes n'avaient pas été avares pour lui : ce sont des politesses qu'il serait de mauvais goût de refuser, quand elles viennent spon- tanément et comme témoignages d'estime, mais qui flétris- (•) « La manie des Ulies, des décorations et des généalogies a fait, depuis la lévolulion démocratique de 1830, des progrès incalculables, et l'on peut affirmer qu'en Belgique, elle est arrivée à l'état d'épidémie mentale, de choléra intellec- tuel. Les plus raisonnables même en sont atteints. Ce qu'il y a de grotesque au milieu de ce débordement de prétentions aristocratiques et de vanités bourgeoises, c'est qu'il n'existe, au dire de chacun, qu'une décoration légitime, celle qu'il porte; qu'un titre respectable, celui qu'il a mendié; qu'une généalogie intéres- sante etvéridique, celle qu'il s'est fabriquée lui-même ou qu'il a payée, à beaux deniers comptants, aux industriels par qui ce travers est avantageusement ex- ploité : n Apologues^ p. 17fi. J'ai transcrit cette note en entier, parce qu'elle renferme, en effet, un tableau assez exact, quoique chargé, de ce qu'on observe autour de soi. De Reiffenberg avait déjà traité le même sujet dans les notes de sou ouvrage Le Lundi, pages 312 et suivantes, et il termine en disant : « Celui qui écrit celte note est en possession des documents les plus curieux sur la noblesse ancienne, moderne, ou usurpée de la Belgique. On le sollicite, en ce moment, de faire usage de ses matériaux, et il pourrait bien se laisser aller à traiter un sujet dont l'intérêt est loin d'être perdu, malgré les progrès des idées démocratiques. » Heureusement pour sa tranquillité, il s'en tint à cet avis. De Reiffenberg avait été nommé chevalier de l'ordre de Léopold, en 1839. — 474 - sent au lieu d'honorer, quand elles sont le résultat de sollici- tations ou d'intrigues. Les ouvrages littéraires que le baron de Reiffenberg a écrits en prose ne sont pas moins nombreux que ses ouvra- ges poétiques. Il fil paraître d'abord, dans le Mercure belge, un grand nombre d'articles sur différents sujets, et, entre autres, Y Ermite du parc ; la Galerie littéraire ou les jjoëtes latins de la Belgique ; les Philosophes belges, dialogues; les annotations de M. André, revue littéraire de l'année 1818; le Grenadier, nouvelle extraite des mémoires de ma vie (') ; De la Chevalerie; Episode du Carnaval; Extrait des mémoires d'un fils adoptif de Candide, etc. Ces diffé- rents écrits peuvent être considérés comme les résultats de ses lectures ou comme les délassements de travaux plus sé- rieux. A la suite de la révolution belge, il chercha, dans la litté- rature, de nouvelles distractions et des diversions à ses in- quiétudes sur l'avenir. Il écrivit deux volumes de nouvel- les, intitulés : Le Dimanche, récits de Marsilius Brunck ; j)uis un troisième volume. Le Lundi , nouveaux récils de Marsilius Brunck. Sous ces titres très-élastiques, il s'était ménagé la faculté de mettre le public dans la confidence de tout ce qu'il sentait et de ce qu'il voulait bien lui communi- quer. Il est peu d'auteurs qui ne se laissent aller au plaisir de se mettre en scène dans leurs tableaux, fût-ce même dans un coin obscur, à peu près comme ces personnages qu'on voit dans les peintures anciennes et qui, sans prendre part à l'action principale, se tiennent en prières, tout préoccupés de leur salut. On peut croire que notre confrère s'est caché, du moins en partie, sous le voile de Marsilius Brunck ("). (') Cette nouvelle se rapporte à l'époque de 1815. Mercure, t. VI, p. 362. (') El comme s'il eût craint que le voile ne fut pas assez transparent, il dit dans ses noies : « Voici un passage des Annales de Bamberg, composées par 475 Quoiqu'il en répudie le titre, on voit que de Reiffenberg est resté plus ou moins disciple de l'auteur de Candide. Ses contes, en général, sont écrits avec esprit et facilité. On les lit avec d'autant plus d'intérêt, que, dans quelques-uns, il a cherché à offrir des peintures des mœurs et des usages de nos aïeux ; personne mieux que lui, sans doute, n'était en position de le faire. Sous ce rapport, on remarque les contes Gavre au chapel; Une légende de la Hesbaye; Olivier le Diable; Jonathan le Juif, Séjour de Louis XI aux Pays- Bas, Le Franc-Maçon; Madame des Houlièresà Bruxelles; Bruxelles en 1720; Ahasvérus; etc. Peut-être, dans ce dernier conte, nous montre-t-il madame de Loquesolles dans un déshabillé par trop complet; plus d'un lecteur éprouvera l'embarras et la surprise du jeune page Saintré. Dans ses notes, le conteur cherche à s'en excuser; mais la justifica- tion serait plus difficile en ce qui concerne Pierre Delsaulx et l'abbé Raclot; aussi ne l'a-t-il pas même essayée. On a peine à concevoir ce jeune médecin , si vertueux, si chaste, « dont la rougeur couvre le front à chaque expression mal- sonnante, » et se livrant tout à coup aux excès les plus révol- tants sur le corps d'une jeune fille mourante qu'on a confiée à ses soins. Mêmes excès, même frénésie chez l'abbé Raclot. De Reiffenberg, sans s'en apercevoir, cédait à l'influence de cette mauvaise littérature contre laquelle il s'est lui-même souvent élevé et qui, dans ces derniers temps, a été une dé- plorable source de démoralisation. Le désir exagéré de créer du nouveau a fait explorer tous les recoins du vaste champ Martin Hoffman el i)ul)liées par J.-P. Ludewig, passage qui semble concerner la famille de Marsilius de Frensdorf, dit Brunck. Il se trouve dans la chronique sous l'année 1188 : Cxterum R.... giorum, Frensdorfiorum, IVaschenfeldensium comitum, eadem fuit cum SchlUsselbergiorum familia nisi quod ah Us locis, ubi regiam habuerunt , appellari maluerunt. L'auteur est plus explicite encore dans ses Souvenirs d'un pèlerinage en l'honneur de Schiller , pages 388 el suivantes. — 476 — (le la littérature; et, pour en trouver, on a été chercher des effets depuis longtemps dédaignés par le talent qui se respecte. Le Petit-Neveu de M. Oldbuck est une agréable facétie, où sont spirituellement esquissés quelques-uns des principaux travers du bibliomane. Je n'en dirai pas autant du conte Bonus, hona, bonum, qui semble écrit avec humeur et sous l'influence de noirs chagrins. On trouve à la suite des contes du Dimanche une lettre à M. Fétis sur quelques particularités de l'histoire musicale de la Belgique. Celte lettre, qui avait déjà été publiée pré- cédemment, renferme des documenis curieux que l'auteur livre comme matériaux à l'habile écrivain auquel l'art mu- sical doit tant de précieux ouvrages. Il ne faut pas chercher, du reste, dans ces opuscules, plus que l'auteur lui-même n'a voulu y mettre; il n'a eu d'autre prétention que de se délasser et d'associer, pendant quelques instants^ le lecteur à ses plaisirs. Les Souvenirs d'un pèlerinage en llionneur de Schiller parurent en 1839 et furent suivis, un an après, (\q,s, Nou- veaux Souvenirs d'Allemagne, pèlerinage à Munich. Rien de plus commode que le cadre d'un voyage qui permet de ren- dre compte, sans s'astreindreà aucun ordre, de toutceque l'on pense ou de tout ce que l'on a pensé, de tout ce que l'on voit ou que l'on est censé avoir vu, de tout ce que l'on a dit ou que l'on voudrait avoir dit; on n'a point de dépense d'imagina- tion à faire pour le plan de l'ouvrage, et c'est une économie considérable. Mais le public est plus exigeant sous d'autres rapports: il veut impérieusement qu'on l'amuse, qu'on l'instruise sans fatigue et qu'on lui fasse habilement une part dans les plaisirs du voyage. Or notre confrère réunis- sait à un haut degré toutes les qualités nécessaires pour satisfaire à ces conditions importantes : aussi ses Souvenirs - 177 - peuvent-ils être placés parmi ses meilleures productions litté- raires. Si l'on imprimait encore les lettres des savants, on pour- rait trouver dans celles du baron de Reiffenberg un recueil de renseignements utiles sur les hommes et les choses, en- tremêlés d'anecdotes piquantes et de causeries aussi instruc- tives qu'agréables. Il avait le talent de donner du charme aux moindres objets ; assez souvent ses billets même portaient l'empreinte de la grâce et de la finesse de son esprit. Sous ce rapport, ils sont incontestablement dignes de figurer dans les collections des amateurs d'autographes, bien que l'écri- ture n'en soit pas toujours lisible, comme ses lectures nous l'ont souvent prouvé dans nos séances académiques. Malgré son talent comme littérateur, de Reiffenberg s'est acquis des titres plus sûrs et plus durables dans le domaine de l'histoire. La littérature française, en effet, a été cultivée avec tant de succès, qu'il n'y a point de branche, quelque modeste qu'elle soit, qui ne présente des rivau.x redoutables ; dans l'histoire, au contraire, on peut, sans briller en première ligne, se rendre utile, indispensable même et acquérir des titres à la reconnaissance de ses successeurs. La lumière que l'on répand sur des sujets controversés, les sources nouvelles que l'on met au jour, des faits impor- tants qu'on expose avec plus d'ordre et de clarté, sont des services d'autant plus appréciés, que les lecteurs sont moins en état de vérifier par eux-mêmes, et qu'ils se trouvent, en quelque sorte, dans la dépendance des écrivains qu'ils ont à consulter. Presque au sortir des bancs de l'école, de Reiffenberg aborde résolument les recherches les plus ardues sur l'histoire de notr^ commerce au moyen âge, de l'origine de nos villes, de notre littérature, de nos arts. Bientôt il ose davantage et nous présente le Résumé deVhistoire des Pays- — 478 - Bas; mais cette esquisse ne lui fait que mieux sentir les études qui restent à entreprendre pour compléter le tableau. «J'avais conçu, disait-il en 1839, une histoire des Belges où j'aurais essayé de faire voir que, malgré le provincialisme qui les a détachées les unes des autres, malgré les diffé- rences de langage, de mœurs et d'intérêts , il y a, dans les populations qui habitent la Belgique des traits généraux de caractère qui constituent une nationalité et que le temps et les révolutions n'ont pas eu le pouvoir d'altérer. Je tenterai peut-être prochainement d'exécuter ce projet. Ce sera l'ex- piation d'un précis esquissé sur le patron des résumés de mon cher Félix Bodin , précis conçu dans l'esprit faux, dénigrant et épigrammatique de ces abrégés et aussi mau- vais, j'ai le droit de le déclarer, pour le fond que pour la forme ('). » En même temps qu'il écrivait, pour les gens du monde, ce Résumé qu'il condamne d'une manière si impitoyable, notre confrère entreprenait, avec M. Lecocq, de retracer, sous un format moins modeste, les Fastes belgîques ou ga- lerie lithographiée des principaux actes d'héroïsme civil et militaire et des faits mémorables qui appartiennent à la na- tion belge. Les premières livraisons de cet ouvrage, resté inachevé, parurent en 1823. Une autre publication de même nature, le Recueil héraldique et historique des familles nobles de Belgique, n'eut également qu'un spécimen et une livraison. De Reiffenberg rendit surtout service à l'étude de notre histoire nationale, en montrant la nécessité d'en vérifier les sources. Il développa la plus grande activité pour atteindre son but, et c'est là son plus beau titre littéraire : travaux (') Souvenirs d'un pèlerinage, page 203, et en note : « J'avais fait pour lui un Résumé de l'histoire de Belgique, dans le sens de la philosophie puérile de la jiluparl des résumés de ce genre. » — 479 — assidus de cabinet, recherches dans les bibliothèques et les archives, éditions nouvelles de chroniques et de mémoires, publications de manuscrits inédits, appels à tous les hommes s'occupant sérieusement d'histoire, exhortations à l'Acadé- mie, démarches auprès du gouvernement; il fit mouvoir tous les leviers capables de lui donner la force dont il avait besoin. Tant de constance fut couronnée de succès : il eut à la fin la satisfaction de voir adopter ses vues. Je lui laisserai rendre compte des tentatives infructueuses de ses prédéces- seurs, de ses propres efforts et des résultats qu'il obtint ('). « Juste Lipse, un jour, laissant respirer les Grecs et les Romains, enfanta le projet de réunir les chroniques belges inédites. Les troubles civils et les guerres qui en furent la conséquence l'empêchèrent de l'exécuter. Son disciple Ery- cius Puteanus ne fit en ce genre qu'un essai peu remarqua- ble. Sous Marie-Thérèse, le comte de Cobentzl reprit ce dessein. On essayait de le réaliser lorsque les Français en- trèrent en Belgique. Après trente-trois ans, le gouverne- ment des Bays-Bas, auprès duquel mes sollicitations con- stantes trouvèrent un accueil favorable, et qui a bien mérité des lettres en Belgique, nomma un comité chargé d'exhu- mer nos annales (^). Déjà deux volumes étaient terminés quand une grande catastrophe politique vint encore inter- rompre ce pacifique travail. Enfin, un arrêté royal du 22 juillet 1834 a reconstitué la Commission d'histoire qui, (') Voyez, pour plus de détails, dans le tome VI des Archives historiques des Pays-Bas, pp. 323 et suiv., un article intitulé : Sur les tentatives faites au sein de l'Académie pour la publication des monuments de l'histoire belgique. Cet article renferme des détails très-curieux. {') Un arrêté royal du 23 décembre 1826 nomme membres de cette Commis- sion, MM. de ReifFenherg, Willems, Vande Weyer, Raoul et Bernhardi. Les seules publications qui aient paru, en 1839, sont Vffistoire de l'ordre de la Toison d'Or et P. à Thymo ffistoria Brahantix diplomatica, faites par le baron de ReifTenberg. - 480 - tout l'annonce, terminera sa tâche patriotique sous la pro- tection du roi et avec l'aide du ministère (*). » Notre confrère ne mentionne pas, dans ce passage, la part de travail que l'Académie royale s'était réservée, en dehors de la Commission royale d'histoire, et que lui-même devait exécuter en grande partie. Cette entreprise, qui fut com- mencée et qui malheureusement n'eut point de suite, méri- terait d'être continuée. On pourra juger de son utilité par Y avertissement placé en tète du seul volume qui ait paru (^). L'idée d'explorer la riche Bibliothèque de Bourgogne et de faire connaître en peu de temps, par des analyses et des extraits, les ouvrages manuscrits qui peuvent jeter le plus de lumières sur notre histoire, était sans doute une entre- prise des plus utiles. Il reste aujourd'hui peu d'anciens ma- nuscrits qui méritent d'un bout à l'autre les honneurs de l'impression; s'il est à désirer qu'on mette au jour ces ma- tériaux précieux, on doit craindre, d'une autre part, de gêner la marche des travailleurs par des amas de décombres qu'on ne recueillerait que par égard pour leur vétusté. Si un ouvrage ne renferme pas de faits nouveaux de quelque im- portance, s'il n'aide à corriger des erreurs historiques, s'il ne se distingue ni par la forme du style ni par une peinture exacte des coutumes et des mœurs, pour quels motifs trou- blerait-on son repos séculaire sur les rayons poudreux qu'il occupe? C'est donc avec raison qu'on met la circonspection la plus grande dans le choix des manuscrits dont la publica- tion intéojrale doit avoir lieu. Ce travail a été confié à la Commission royale d'histoire (') La Commission fut réorganisée par arrêté royal du 22 juillet 1834; les nom- veaux membres furent MM. le baron de Gerlache, De Ram, le baron de Reiffen- Iterg, Uewez, Gachard, Warnkonig et Willems. (') Notices et extraits des manuscrits de la Bibliothèque de Bourgogne , re- latifs aux Pays-Bas, i. T"^, 1 vol. in-4". Bruxelles, Hayez, 1829. — 4SI — et il a fini par absorber complètement l'autre publication, commencée par l'Académie. Les Analyses et Extraits, en elFet, devaient plus particulièrement se faire par les soins du baron de Reiffenberg qui, nommé secrétaire de la Com- mission d'histoire, lui donna plus exclusivement ses soins. Il serait difficile de se faire une juste idée de l'activité qu'il déploya dans l'accomplissement de ses fonctions : outre la publication des deux volumes de Philippe Mouskes et de cinq volumes des Monuments pour servir à l'histoire des provinces de ISamur, de Hainaut et de Luxembourg , on lui doit la rédaction de seize volumes des Bulletins, depuis 1837 jusqu'en 1850. Son zèle l'emportait parfois au delà des limites de ses devoirs, et lui faisait considérer les Bul- letins de la Commission comme un journal dont il était le seul rédacteur responsable : mais une pareille sollicitude a des côtés si louables qu'elle doit, en général, être consi- dérée plutôt comme une cause de reconnaissance que de blâme. Vers la fin de sa vie, il a publié une Histoii^e du comté de Hainaut, pour faire partie d'une collection historique destinée aux gens de monde. Je n'insisterai donc pas sur ce recueil, qui avait un but spécial et qui ne devait servir la science qu'en augmentant le nombre de ses prosélytes (*). Si j'avais à m'appesantir sur le nombre des ouvrages dont de Reiffenberg s'est fait éditeur, qu'il a enrichis de notes et de préfaces ou dont il a facilité la contrefaçon, je me trou- verais entraîné bien au delà des limites d'une simple notice. Cependant je ne puis passer sous silence le service qu'il a rendu en publiant, pour la première fois, les mémoires de Jacques Duclercq. Voici comment M. Buchon s'est exprimé au sujet de cet ouvrage : « M. le baron de Reiffenberg publia (') Bibliothèque universelle, par Jamar, 2 vol. in- 12, 1849 à 1850. 31 - 482 — le premier, à Bruxelles, une édition complète des mémoires de Jacques Duclercq, en quatre volumes. Ne connaissant pas alors de manuscrit de Duclercq qui me servit à colla- tionner celle édition, je mécontentai de la reproduire exac- tement dans ma collection des chroniques (^). )> On doit aussi à de Reiffenberg, en dehors des ouvrages qu'il a édités pour la Commission royale d'histoire, la Coî^- respondance de Marguerite d- Autriche avec Philippe IJ ; les Lettres sur la vie intérieure de Charles-Quint ; la C/jro- nique méttique de Chastelain et de Molinet^ une Existence de grand seigneur au XFI^ siècle- les Lettres du prince d'Orange, surnommé le Taciturne, aux étatsgé?iéraux, etc. Il était sans cesse à l'affût pour déterrer les manuscrits an- ciens qui avaient pu échapper à l'attention de ses prédé- cesseurs (^). Parmi les réimpressions, les contrefaçons ou les traduc- tions qu'il a fait paraître en les augmentant de préfaces ou de notes, je citerai principalement V Histoire des troubles des Pays-Bas, par Vandervynckt; V Histoire des ducs de Bourgogne, par M. de Barante, et le Manuel de l'histoire politique de l'Europe, par de Heeren. De Reiffenberg avait un talent particulier pour la compo- sition des notices biographiques; nous en devons plusieurs à sa plume facile. Quelques-unes ont été insérées dans notre Annuaire de l'Observatoire, d'autres ont paru dans le Bul- (') Choix de chroniques, eic] — Jacques Dl'cleiicq. Paris, 1 vol. in-S"; 18ô8. Inlrod., p. 10. {=) En 182G, il écrivait à M. Dewez : « J'ai enfin déterré Hugues de Toul. Les ouvrages de cet auteur sont perdus : de Guise s'en est servi, et c'est sans doute là fjue Vincliant aura lu les mots que vous citez : vi Sic Jlmericos, Hwjones tullenses, ignota nomina, aut thesauros dependitos, passim et suquitur et ex- scribit, dit M. de Nelis, \\. 56 de son Prodromus. On voit Hugues de Toul cité dans la traduction abrégée de de Guise, |)ul)liée à Paris, au commencement du xvi« siècle, et qui se trouve à la Bibliothèque de Bruxelles. » {Correspondance académique.) — 483 — letin bibliograp/nque de Belgique el dans différenls recueils. Elles se font, en général, remarquer par l'élégance du style el par des aperçus vifs et piquants qui en rendent la lec- ture aussi agréable qu'instructive. Parfois aussi, la phrase prend un tour mordant, et le défunt n'échappe pas toujours à l'examen sans avoir reçu quelques égralignures. On n'a pas oublié la notice du bon marquis de Fortia d'Urban, laquelle, lue en séance publique, a fait craindre à plus d'un savant académicien d'avoir son confrère pour panégyriste. J'ai déjrà fait connaître les motifs qui portèrent notre con- frère à publier ses Archives philologiques ^ du moins en me plaçant à son point de vue: il invoquait les besoins de la science ; mais, ce qui me semble plus exact, c'est qu'un pa- reil recueil était devenu indispensable à son immense acti- vité et au désir qu'il éprouvait de mettre le public dans la confidence de toutes ses trouvailles littéraires et scientifi- ques. De Reiffenberg avait un besoin irrésistible de com- muniquer les résultats de ses méditations ou même les ré- flexions rapides que lui suggérait ce qu'il lisait ou ce qu'il voyait autour de lui. Un seul journal en titre ne lui suffisait même pas toujours : c'était un agréable causeur à qui plu- sieurs auditoires étaient nécessaires en même temps. Ainsi, pendant qu'il rédigeait le Mercure belge, il coopérait encore à plusieurs autres recueils, tant de ce pays que de l'étran- ger, et il en fut de même pendant la publication des Archi- ves philologiques . Plus tard, le Bulletin du Bibliophile belge marcha de front avec les Bulletins de V Académie et de la Commission royale dhistoire^ ainsi que V Annuaire de la Bibliothèque royale de Belgique. Cette facilité de tout dire et d'écrire sous l'influence de toutes les impressions, de tous les sentiments qu'on éprouve, a bien aussi ses mauvais côtés. On se repent souvent d'un jugement précipité qu'on a émis la veille, ou bien l'on se crée des inimitiés pour avoir - 484 - parlé d'après des informations mal prises ou dictées par la passion : nescit vox missa rcverti. Cette fièvre de publicité a presque toujours été fatale à ceux qui en étaient malades. Toutefois, les Archives philologiques, en paraissant à des époques plus ou moins éloignées, ne présentaient pas les inconvénients que je viens de signaler. En général, leur al- lure est grave et mesurée, bien que l'érudition s'y présente sous des formes aussi agréables que variées : des poésies, de simples traditions populaires , des anecdotes même y trouvent place. On voit qu'en butinant à droite et à gauche sur les rayons des bibliothèques, l'auteur pense toujours à ses travaux de prédilection, sans oublier toutefois ceux de ses amis dont il place de temps en temps les noms en tète de ses notices. Il avait eu l'intention de donner un lexique wallon-hen- nuyer^ qui aurait été d'un grand intérêt pour l'étude de notre histoire littéraire, mais ensuite il perdit de vue ce projet. V Annuaire de la Bibliothèque royale, dont la publication a commencé en 1840 et dont il a paru onze volumes, est un recueil qui mérite de figurer sur les rayons de tous les amis des livres. L'auteur y a réuni un grand nombre de docu- ments intéressants sur la bibliographie, surtout dans ses rapports avec notre histoire nationale. Quelquefois il repro- duit, il est vrai, des notices qu'on trouve déjà dans les bul- letins de l'Académie ou dans d'autres recueils périodiques ; il semble, sous ce rapport, se méfier un peu trop delà mé- moire de ses lecteurs. Le cadre que de Reifîenberg s'était tracé est assez simple, et il l'a fidèlement conservé d'année en année. Dans son Coup d'œilsur la Bibliothèque, il donne d'abord un aperçu historique des principaux faits qui se sont succédé dans le dépôt confié à ses soins; il énumère les acquisitions non- - 485 - velles, les relations établies avec d'autres dépôts de même nature, et il prend soin d'indiquer les noms des principaux visiteurs étrangers : cette petite chronique est généralement courtoise et toujours spirituelle. Sous le titre de Notices et Extraits des manuscrits de la Bibliothèque royale^, il semble avoir voulu continuer, mais sur une échelle plus restreinte, la publication qu'il avait commencée pour faire suite aux Mémoires de l'Académie royale de Bruxelles. Les deux divisions suivantes, compre- nant des Notices sur des bibliophiles et des bibliographes belges, ainsi que des Mémoires pour l'histoire des lettres, des sciences et des arts en Belgique, forment, avec les Mélanges bibliologiques, qui en sont le complément, un recueil de renseignements et d|anecdotes piquantes aussi varié qu'instructif. 11 eût été difficile à l'auteur de publier un recueil sans y donner place à la poésie : aussi, dès la seconde année, lui voit-on abandonner à sa muse favorite un coin de son An- nuaire : sous le titre : Envois et Civilités littéraires, il y réunit de petites pièces de vers, dont plusieurs sont adres- sées à des amis ('). Le Bulletin du Bibliophile belge est un recueil qui ne s'analyse pas; il ne se compose lui-même que d'un ensem- ble d'analyses. Je me bornerai à signaler les services qu'il a rendus et les succès qu'il a obtenus en Belgique et à l'étran- ger. Peu de travaux se prêtaient mieux au genre d'esprit de (') Raremenl il faisait hommage d'un livre sans y joindre obligeamment (iiiel- (jncs vers. Les suivants, (|iii commencent la série de ceux qu'il donne dans ses Annuaires, ont été inscrits sur un exemplaire des Souvenirs d'un pèlerinage en l'honneur de Schiller, <|u'il voulut bien me faire parvenir en 1839 : A vous dont l'amitié, charme de ma jeunesse, Embellit mon présent, orne mon avenir, A vous, legs précieux prorais à ma vieillesse, A vous mon premier souvenir. - 486 — notre confrère, qui savait concilier à un haut degré l'érudi- tion et le privilège de plaire en instruisant ('). Dans un pays où les arts sont en faveur et cultivés avec succès, il lui eût été difficile de ne pas s'en occuper. Dans une lettre à M. Fétis, nous lui avons déjà vu recueillir des documents pour l'histoire de la musique; nous le voyons encore, dans les Archives philologiques et dans les Bulle- tins de l'Académie et de la Commission royale d'histoire, présenter des matériaux pour l'histoire de la peinture et de la sculpture, en même temps que des recherches sur la fa- mille de P. -P. Rubens (^). En 1848, il publia, d'après un manuscrit de Ph. Baert, bibliothécaire du marquis du Chas- teler, des Mémoires sur les sculpteurs et architectes des Pays-Bas. Ailleurs, il s'est occupé de la gravure et de ceux qui s'y sont distingués : on lui doit aussi un mémoire inté- ressant relatif à la peinture sur verre ('), et un autre sur la plus ancienne gravure connue avec une date (*). Je n'essayerai pas de rappeler ici tout ce qu'il a écrit sur l'histoire intellectuelle de notre pays, et encore moins la part qu'il a prise à la publication d'une quantité de jour- naux, de revues, de biographies, d'encyclopédies, etc. On a peine à comprendre comment la vie d'un seul homme a pu suffire pour mener de front tant de travaux divers et sans cesse renaissants. Ce ne fut point un goût prononcé, et encore moins un instinct irrésistible, qui entraîna de Reifîenberg vers les études philosophiques : il y fut naturellement conduit par sa nomination à l'université de Louvain ; le travail et une ( ) Je ne parle pas du Catalogue des accroissements de la Bibliothèque royale, qui n'est véiitablemenl pas une œuvre litléraire. (•) Tomes VI ei X des Mémoires de l'Académie. {') Tome VII, ibid. (*) Tome XIX, ibid. - 487 — extrême facilité de conception firent le reste. A peine installé dans sa nouvelle chaire, il s'entoura d'ouvrages philosophi- ques ; il se forma au langage qui désormais devait devenir le sien, et aborda résolument son cours par une dissertation latine sur les phases de la philosophie dans l'université de Louvain. Une éloculion facile, le talent d'intéresser un audi- toire, des connaissances d'ailleurs étendues suppléèrent d'abord à ce qui pouvait manquer en profondeur à son enseignement dans la direction nouvelle qu'il lui impri- mait. Il fallut quelque temps au jeune professeur pour bien apprécier sa position et pour se croire en droit de parler avec une certaine autorité. L'étude de la philosophie avait été jusque-là fort négligée en Belgique : le kantisme, qui commençait à être enseigné dans les universités nouvelles, avait des allures trop sévères et des formes trop abstraites pour avoir pu former des prosélytes nombreux. L'enseigne- ment d'ailleurs se faisait par l'intermédiaire du latin, et certes ce n'était pas le moyen de l'entourer de plus de charmes ou de lumières. L'éclectisme, au contraire, généralement répandu, surtout par les brillantes leçons que V. Cousin donnait alors à la Sorbonne, avait eu un grand retentissement en Belgique. Plusieurs ouvrages élégamment écrits en développaient les principes. D'une autre part, l'esprit positif de nos compa- triotes, assez semblable à celui des Anglais, et une certaine communauté de vues au sujet des sciences d'application, portaient l'attention vers l'école écossaise. C'est dans ces circonstances que l'élément philosophique commença à se révéler en Belgique : M. Sylvain Vande Weyer et le baron de Reiffenberg eurent l'honneur de prendre l'initiative et de lui servir d'organes. Le Musée des sciences et des lettres venait d'être créé à Bruxelles (1827) : - 488 - M. Vande Weyer, à qui avait été confié l'enseignement phi- losophique, inaugura son cours par un discours brillant sur l'histoire de la philosophie. L'année suivante, le baron de Reiffenberg inaugura éga- ment le sien, à l'université de Louvain, par un discours sur La direction actuellement nécessaii^e aux études philoso- phiques. Ces deux écrits ont été analysés et favorablement appréciés par un juge compétent, dans le Journal des savants (^). V. Cousin était l'auteur de l'article auquel je fais aliusion; il y traite d'une manière moins favorable l'ou- vrage sur YÉclectisme (^) que de Reiffenberg avait publié, à la même époque, pour servir de texte à ses leçons : « L'ou- vrage que nous annonçons, dit-il, nous paraît recomman- dable par l'esprit général qui l'a dicté et la variété des con- naissances et des lectures qu'il atteste; mais l'estime même que nous en faisons nous permettait à la fois et nous faisait un devoir de ne pas dissimuler les défauts qui le déparent. Les idées et l'érudition n'y sont point assez digérées, et il ne porte point l'empreinte d'une méditation préalable suffi- sante et d'un assez grand travail dans l'exécution. » V. Cousin faisait un autre reproche à notre confrère , reproche malheureusement applicable à la plupart de ses ouvrages sérieux. Les tons les plus divers y sont en effet mêlés ensemble, mais non pas fondus : des anecdotes ou des détails bibliographiques, des plaisanteries même, s'y rencontrent brusquement à côté de réflexions de l'ordre le plus relevé. Ces inégalités, ou plutôt ces fautes de goût, (') Année 1830. Cet article a été reproduit par Victor Cousin, dans ses iHfé/any/es philosophiques ; Paris, 1858, t. 11. On le trouve aussi dans un opuscule in-IS, publié à Bruxelles, en 1840, jiar Baron, avec les deux discours, l'un de M. VaIld^ Weyer et Tautre de de Reiffenberg. Cet opuscule, élégamment imprimé chez Ad. Wahlen, n'a été tiré pour le public qu'à 130 exemplaires numérotés. (') L'£clectisme ou premiers principes de philosophie générale, 1 vol. in-I8; Bruxelles, Tarlier, 1827. - i89 deviennent surtout sensibles dans un ouvrage destiné à l'en- seignement. Le volume intitulé : Principes de logique, qui parut en 1833, est dédié à V Académie royale des sciences et belles - lettres de Br^uxelles. L'auteur, dès le début, annonce la plus complète absence de prétentions. « Voici, dit-il, le plus humble de tous les livres. Ce n'est guère qu'un recueil de notes prises par un écolier aux leçons de son professeur et revues par lui. Tel est le secret de sa rédaction. En vérité, c'est bien peu de chose. » Au reste, si le professeur n'an- nonce aucune prétention à donner du nouveau quant au fond de son ouvrage, peut-être a-t-il réussi à tempérer la forme par trop roide des anciens traités de logique; ce n'est qu'a- vec certaines restrictions qu'il se décide à reproduire les horribles vers techniques de l'ancienne école : Barbara celarent darii ferio Baralipton, etc. Le syllogisme cornu passe à l'aide d'une anecdote sur l'empereur Conrad IIL Ce n'est pas la seule anecdote piquante que renferme l'ouvrage qui, sous ce rapport, jus- tifie peut-être un peu trop la critique que Victor Cousin fai- sait de XElectisme. Comme je l'ai fait remarquer déjà, les travaux philoso- phiques du baron de Reiffenberg étaient plutôt entrepris en acquit de ses devoirs que par un penchant véritable pour la science : aussi, dès qu'il quitta la chaire de philosophie, abandonna-t-il à peu près complètement ce genre d'étude. Les dernières années de la vie du baron de Reiffenberg ont été partagées entre les travaux bibliographiques auxquels il se livrait, autant par goût que par la nature de ses nou- velles fonctions, et les études historiques dont il a toujours apprécié la haute importance et dont il était un des repré- — 490 — sentants les plus actifs dans la Commission royale d'histoire. Au milieu de ces occupations sévères, la poésie, qui avait fait le charme de sa jeunesse, venait encore de temps en temps lui présenter son prisme séducteur et le bercer de ses douces illusions : elle lui est restée fidèle jusque sur le bord de la tombe ; et dans l'une des dernières séances aca- démiques auxquelles il assistait, il nous lisait encore quel- ques-unes de ses fables. Ses facultés intellectuelles n'ont pas baissé un instant; et quoique l'on put apprécier, sur ses traits, les progrès effrayants de la maladie, son esprit conservait toujours la même activité, la même énergie. Dans son dernier rapport lu à l'Académie, sur un mémoire destiné au concours, ses j)aroles avaient quelque chose de triste et de prophétique qui ne s'est réalisé que trop tôt : « Peut-être, disait-il, suis-je disposé à l'indulgence par la souffrance; peut-être aussi aurais-je dû m'abslenir de juger. Quand on est malade, comme je le suis, on est en quelque sorte ce que les Romains •d]}pe\a\enl capile 7}2inutî(s. . . » Peu d'instants avant de mou- rir, il écrivait encore des pièces relatives au service de la Bibliothèque royale. Sa fin a été douce et pieuse; la mort est venue recueillir son dernier soupir entre les bras d'une épouse chérie, dont il avait su apprécier toutes les vertus ('). Ses funérailles ont eu lieu à Laeken, le 20 avril 18S0. L'Académie , la Commission d'histoire , la Bibliothèque royale y étaient représentées par tous leurs membres pré- sents à Bruxelles. Différents discours ont été prononcés sur sa tombe; je mentionnerai particulièrement la pièce devers lue par M. Ad. Mathieu, son parent et son ancien ami. (') Sa mort a été causée i>ar une sorte de phlbisie laiyngée : il avait essayé sans succès lOiis les genres de remèdes, tous les modes curatifs. LOUIS-VINCENT EAOUL (1). Louis-Vincent Raoul avait fait ses humanités chez les Bénédictins; il se rendit ensuite à Paris pour suivre un cours de théologie au séminaire Saint-Sulpice. Les succès qu'il obtint dans ses études furent si rapides qu'à l'époque de la révolution française, il se trouvait professeur au col- lège de sa ville natale. Cette position était d'autant plus honorable qu'il ne la devait qu'à son mérite et aux résultats d'un concours. L'extrait suivant d'une lettre adressée, au commencement de 1806, à Fourcroy, directeur général de l'instruction publique, nous donne un aperçu rapide de l'emploi de ses premières années. « Je me suis volontairement enrôlé, avec les jeunes gens du collège, en âge de porter les armes, dans le moment où toute la France se portait aux frontières pour repousser l'ennemi. Les lois d'alors me conservèrent, pour cette action , mon traitement avec la promesse de rentrer dans mes fonctions à la paix. Je suis resté trois ans sous les drapeaux, et en passant par les grades intermédiaires , je (') Né à Poincy, près de Meaiix, le 2 février 1770, il mourut à Bruxelles, le 23 mars 1848. — 402 - suis devenu quartier-maître-trésorier de la 16^ demi-brigade de ligne.... J'ai donné ma démission, à la paix, poursuivait- il, pour reprendre des occupations plus conformes à mes goûts et à mes études. « Le 30 vendémiaire an Yl de la république (21 octobre 1797), Raoul prononça publiquement l'éloge du général Hoche, à l'occasion des funérailles de cet officier distingué ; il le fit avec tant de talent et de succès, que les membres composant l'administration de la commune de Mcaux lui adressèrent la lettre de félicitation la plus flatteuse et ordon- nèrent l'impression de l'éloge, pour être distribué dans toute l'étendue de la république ('). La lettre adressée à Fourcroy avait pour objet de deman- der un modeste emploi dans un des lycées de Paris; Raoul. offrait de céder en échange une maison d'éducation qu'il avait fondée à Meaux et qui avait mérité du gouvernement le titre d'école secondaire. Cette maison, ajoulait-il, comp- tait alors cent cinquante élèves. Raoul désirait se vouer entièrement à l'étude des auteurs anciens. Ses démarches à Paris demeurèrent sans succès; mais, au commencement de 1807, il fut nommé conserva- teur de la bibliothèque de Meaux, et il ne quitta ces fonc- tions qu'au mois d'avril 1813, pour occuper celles d'inspec- teur de la librairie à Amiens (^). La première restauration , les cent jours et le retour de Louis XVIII changèrent, à trois reprises, la face de la (') M. Eugène Veihaegen, qui a payé un digne tribut d'éloges à la mémoire de Raoul, son ancien professeur, parle d'une (lièce, en plusieurs actes et en vers, inliiulée : La Chute de Robespierre, qui aurait clé représentée sur (luelques ihéàtres, peu de semaines après le 0 thermidor. {') Dans toutes les pièces manuscrites que nous avons eues entre les mains et qui sont antérieures à cette éiioque, nous avons lu Louis-Vincent Raoult, et non Raoul. C'est par erreur sans doute que l'arrêté de nomination d'inspecteur de l'imprimerie [)orle la dernière orthographe, qui a toujours été suivie depuis. — 493 - France, mais sans atteindre la paisible existence de notre poëte. Cependant Raoul désirait rentrer dans la carrière de l'enseignement; il fit plusieurs démarches infructueuses à ce sujet. En 1816, il prit le parti de quitter la France, non sans quelque dépit, comme le témoigne l'épitre intitu- lée : Sw mon séjoui^ en Belgique. 11 fut appelé à la chaire de rhétorique de l'Athénée de Tournai; et, la même année, le roi Guillaume lui accorda des lettres de naturalisation avec la remise des frais ordinaires. On cherchait alors à réunir le peu de Belges qui pou- vaient, avec quelques chances de succès, se présenter dans la carrière des sciences et des lettres. Le gouvernement, qui avait succédé au gouvernement français , s'occupait d'orga- niser les trois Universités de Gand , de Louvain et de Liège, et de rendre la vie à l'ancienne Académie de Bruxelles que la révolution de 89 avait anéantie. Les résultats de cette espèce d'enquête intellectuelle furent, il faut en convenir, très-peu consolants pour notre amour-propre national. A quelques exceptions près, les hommes de mérite firent dé- faut quand il fallut nommer des professeurs aux chaires uni- versitaires. Loin de blâmer le gouvernement de s'être adressé aux pays voisins pour remplir les lacunes^ il faut lui en sa- voir gré; seulement il fil, dans quelques-uns de ses choix, preuve de peu de discernement; plusieurs nominations tom- bèrent sur des hommes médiocres, qui contribuèrent à sou- lever l'opinion publique contre les établissements dont ils faisaient partie. Ces préventions injustes éclatèrent plus tard ; et l'on ne tint compte ni du bien qu'avaient produit les universités, ni des excellents élèves qu'elles avaient formés. En même temps que l'enseignement s'organisait, les proscrits nombreux que le nouveau gouvernement français avait rejetés loin de leur patrie et dont plusieurs étaient des écrivains distingués, contribuèrent, par leur séjour en Bel- — un - gique, à donner le goùl des lettres et à imprimer de l'activité au mouvement intellectuel qui se manifestait dans tout le royaume. Au commencement de 1818, Raoul fut nommé professeur à l'Université de Gand et chargé de l'enseignement de la littérature française. Il choisit une modeste habitation dans un des quartiers les plus reculés de la ville ; cette habitation, entourée de jardins, devint bientôt le rendez-vous d'une société choisie. Les jeunes gens qui se distinguaient par leurs talents étaient sûrs de trouver chez lui un accueil bienveillant et d'excellents conseils pour la direction de leurs études : sa bibliothèque, sa table, sa bourse même étaient mises à leur disposition. En faisant le bien, il lui est souvent arrivé de ne rencon- trer que des ingrats. Quand il croyait avoir à se plaindre ensuite, sa fâcherie était franche, caustique, mais toujours celle d'un excellent homme: elle s'exhalait en plaisanteries et en épigrammes inoffensives. Il était incapable de rendre le mal pour le mal. Un jeune poëte, dans la détresse, lui avait emprunté sa bourse, voire même un de ses vêtements les plus nécessaires. Le malheureux . lorsqu'il en fit la restitu- tion, oublia dans le gousset deux ou trois épigrammes, écrites contre son bienfaiteur. Raoul en fut irrité et promit de s'en venger en lançant contre lui une épigramme tous les matins. Sa vengeance s'exerça en effet pendant un temps assez long : on peut en trouver des traces dans un petit vo- lume publié à Bruxelles en 1840. Presque aussitôt après son arrivée en Belgique, notre poëte eut à soutenir une autre polémique contre Arnault, l'un des réfugiés français. L'auteur de Marins à Minturne ne connaissait pas ou feignait de ne pas avoir reconnu son antagoniste, caché sous les initiales L. V. R. Ces initiales donnèrent lieu à une série de plaisanteries dont Raoul fut le — 495 - premier à s'amuser ('); la réconciliation se fit ensuile, dès que les adversaires purent se rencontrer, et des relations amicales ne tardèrent pas à s'établir entre eux. Au premier abord, rien ne trahissait en lui l'auteur sati- rique; son extérieur annonçait la bonté et la modestie; un peu de malice seulement perçait dans son regard animé et dans le jeu de ses lèvres ; mais il était d'une absence si com- plète de prétention, et parfois d'une timidité si grande, qu'on pouvait se méprendre sur la valeur de sa personne. « Quand on a bien du mérite, a ditFontenelle, c'est le com- ble d'être fait comme les autres. » On s'est demandé s'il convient que l'homme d'étude s'oc- cupe de politique, et celte demande cache presque toujours une pensée perfide. Quel que soit le parti qu'il prenne, on est également injuste à son égard : ou l'on se montre plus exigeant que pour un antre homme, ou, s'il se place à l'om- bre, on ne lui en tient aucun compte; sa modestie même est taxée d'incapacité. El pourquoi l'homme d'étude ne s'occuperait-il pas des intérêts de l'État comme tout autre citoyen? Son intelli- gence est-elle moins développée parce qu'il l'a appliquée à un certain ordre d'idées? Mais l'homme de guerre, le finan- cier, le commerçant, l'agriculteur ont dû s'occuper aussi de travaux spéciaux. L'essentiel est qu'ils ne se prononcent que sur des objets qui leur sont familiers. Il importe même que le professeur d'histoire et de sciences politiques ne reste point étranger aux affaires publiques; son enseignement en prendra plus de solidité et d'étendue, et, d'une autre part, il pourra rectifier sur bien des points les idées fausses des ( ) Le Fieux Radoteur, lisait Arnault — Raoul, d'une autre part, racontait en plaisantant qu'à la suite de ses premières publications, il avait paru un article biographique sur sa personne, qui se réduisait à peu près à ce mauvais calembour : Raoul a traduit Perse qui ne le fera pas percer. — 496 — gens du monde. Les plus grands historiens des temps anciens étaient essentiellement exercés au maniement des affaires : les Xénophon^ les Thucydide, les César, les Tacite et plu- sieurs de nos écrivains modernes en sont des exemples éclatants. Raoul expia d'une manière cruelle la part qu'il prit, même très-indirectement, aux affaires politiques. Il devait beau- coup au roi Guillaume, et sa reconnaissance était extrême; il s'était plu à la manifester par la dédicace de sa traduction de Juvénal et par la composition de plusieurs ouvrages de circonstance (1826, Bruges). Ce sentiment si louable devint l'origine de sa perte : à l'époque de la révolution de 1830, la faculté des lettres à laquelle il appartenait fut supprimée, et il demeura sans place. 11 protesta énergiquement contre ce qu'il regardait comme une spoliation ; ce ne fut que six ans après, au mois de septembre 1836, qu'il parvint à obtenir sa pension; encore était-elle inférieure à la somme qui lui était due. Il ne fut satisfait à ses réclamations qu'à la fin (le 1844, sous le ministère du baron Notomb, l'un de nos confrères dans la classe des lettres. Après la perte de son emploi , Raoul était venu s'établir à Bruxelles; il fut obligé, pour y subsister, de prendre part à la rédaction des journaux et de donner des leçons particulières. On l'a quelquefois à tort accusé de faiblesse; dans les circonstances difficiles qui suivirent 1830, il montra de l'énergie et fit valoir ses droits avec force et avec dignité. 11 avait trouvé un asile dans l'institut Gaggia, qui comp- tait alors plusieurs hommes distingués parmi ses profes- seurs, et entre autres Gioberti que l'Italie aujourd'hui range au nombre de ses plus grands écrivains, de même que Pla- teau, dont l'Europe savante place les travaux de physique expérimentale dans un rang très-distingué. En 1841, l'Uni- versité libre de Bruxelles lui confia le cours de littérature - 497 — latine et celui d'histoire de cette littérature. Il fut égale- ment attaché comme professeur à l'Ecole centrale de com- merce. Raoul, par un sentiment de reconnaissance, dédia le re- cueil d'épîtres , de satires , de contes, de fables et d'épi- grammes, qu'il publia en 1840, à l'homme généreux qui lui avait offert noblement un asile dans sa détresse. Ses dédi- caces, faites sans ostentation, étaient chez lui l'expression delà reconnaissance et de l'amitié. Il cédait à un sentiment sans songer à aller plus loin, quelquefois même sans en par- ler à la partie intéressée ('). Il était d'une obligeance sans bornes. Quand sa bourse était épuisée, il ne craignait pas de prêter sa signature; les abus que quelques personnes ont faits de cette facilité lui causèrent des embarras financiers qui, malheureusement, ont affligé sa vieillesse. Un esprit étroit, souvent aussi un sentiment de basse jalousie, ont exagéré les avantages dont jouit le corps enseignant; et cependant quels sont les pro- fesseurs qui ont laissé en mourant, je ne dirai pas une for- tune telle qu'ils auraient pu l'acquérir dans tout autre état, mais de quoi mettre leur famille à l'abri du besoin? Après sa sortie du service militaire, Raoul s'était marié à Meaux. Il avait perdu son épouse vers l'époque de la ré- volution de 1830 et s'était remarié quelques années après; cette fois ce fut lui qui succomba le premier. Raoul n'a point eu d'enfants, mais il avait toujours auprès de lui quel- que proche parent qui lui en tenait lieu et qu'il traitait avec la tendresse d'un père. Plusieurs membres de sa famille ont été dotes par lui; d'autres ont vu leurs enfants élevés par {') L'auteur de celle nolice en a fait lui-même l'expérience; ce n'est qu'en devenant ac(|uéreur des œuvres de Raoul qu'il apprit, non sans un senlimenl (l'orgueil, que le volume qui renferme les Iraduclions d'Horace et de Perse lui était dédié. (Tome V, Bruges, chez Bogaert-Dumorlicr, 1829.) 32 — 498 — ses soins ; est-il étonnant alors que ce qu'il laissa à sa veuve fut à peine suffisant pour ses funérailles? Deux de ses anciens collègues qui, comme lui, avaient pris part à l'organisation de l'Université de Gand et qui avaient été destitués comme lui, s'étaient également retirés à Bruxelles et l'avaient précédé dans la tombe. MM. Hauff et Garnier, après plus de quarante ans de services, s'étaient vus, eux aussi, réduits à solliciter, pendant plusieurs an- nées, la modique pension qui devait les préserver de la mi- sère. En présence de pareils exemples, est-on fondé à sou- tenir que de toutes les professions, il n'en est point qui pré- sente plus de stabilité que celle de l'enseignement? L'ouvrage principal de Raoul, celui qui fait le plus d'hon- neur à son talent, est, sans contredit, la traduction en vers français des trois satiriques latins. La traduction de Juvénal parut la première, en 1811; elle fui suivie, un an après, de celle de Perse. La traduction des salires d'Horace ne fut pu- bliée qu'en 1816, avec la seconde édition de Perse et de Juvénal (']. Le succès qu'obtinrent ces ouvrages ne ferma pas les yeux de l'auteur sur les défauts qu'ils f)ouvaient avoir; Raoul employa sa vie entière à les revoir et à les corriger, et, sur le bord de la tombe, il s'occupait encore de les perfection- ner. Il avait surtout fait une étude approfondie des satires de Juvénal, qui avaient éveillé son talent poélique et ou- vert la roule qu'il a parcourue d'une manière si brillante. En rapprochant les différentes éditions qu'il en a données, (') La première édilion de Juvénal parul, en 1811, à Meaiix; la seconde, à Amiens, en 1816?; la Iroisième, à Tournai, en 1817; la f|ualiième, à Bruges, en 182G; la cin(|uième (expurgée) en 1838; la sixième, à Bruxelles, en 1842. La première édition de Perse fut publiée en 1812 ; la seconde en 1816; la troi- sième, à Bruges, en 1829; la quatrième, à Bruxelles, en 1842. La première édilion d'Horace |)arul à Amiens, en 1816?; la seconde, à Bruges, en 1829; la troisième, à Bruxelles, en 1842. — 499 - on peut apprécier les peines infinies qu'il prenait pour les rendre plus parfaites. Au mérite d'une scrupuleuse fidélité, il joint presque toujours celui d'une versification facile, élé- gante, quelquefois même élevée, et c'est beaucoup dans la langue de l'Europe la plus ingrate peut-être pour ce genre de travaux. Le désir de rester fidèle à l'original a fait, il est vrai, qu'il a sacrifié parfois sous le rapport de la concision ; mais ici encore, le traducteur peut trouver son excuse dans la difficulté de rendre toute la pensée de poêles tels que Juvénal, Horace et Perse, de Perse surtout qui, dans ses vers, Affecta d'enfermer moins de mois que de sens Dans la comparaison qu'il établit entre Horace et Juvénal, Raoul a fait preuve d'une véritable imf)artialité; et si la ba- lance, dans ses mains, semble pencher en faveur du der- nier, c'est en quelque sorte à son insu. 11 fait observer avec raison que « ces deux grands poètes ne sauraient être assu- jettis à un parallélisme rigoureux. » 11 fait valoir leur mé- rite en écrivain qui les a étudiés d'une manière conscien- cieuse et qui était digne de leur servir d'interprète; cepen- dant il semble ne pas avoir assez apprécié le point de vue élevé où s'est placé Horace, en attaquant les travers de l'homme, dans des vers pleins de sel et de philosophie qui feront, comme ceux de Molière, l'admiration de tous les siè- cles. « Le poète de Vénusie, dit-il, n'attaque guère que des vices communs et journaliers, l'avarice, l'ambition, l'art de surprendre des testaments, la vanité de quelques magistrats subalternes, le côté ridicule des philosophies épicurienne et stoïcienne ; et rien de neuf, rien d'extraordinaire n'éveille l'attention et ne pique la curiosité. » Puis il ajoute, par forme de correctif, « ces observations ne touchent pas même à sa gloire. Qu'importe dans quel genre il s'est exercé, - 500 - pourvu qu'il ait excellé dans ce genre? qu'importe qu'il n'ait attaqué que des vices ordinaires, que des défauts communs à tous les hommes, pourvu qu'il ait su rajeunir ces matières rebattues et prêter à des lieux communs le charme de la nouveauté. » Cette appréciation, je le répète, semble trop étroite quand il s'agit du poète qui a su peindre de couleurs si vives et avec une si haute philosophie, non pas l'homme d'une époque, mais l'homme de tous les temps, de toutes les nations, l'homme tel qu'il est sorti des mains de la nature, tel qu'il traversera les siècles, quels que soient d'ailleurs les ridicules et les vices qu'il pourra leur emprunter. Ce sont ces bril- lantes qualités qui, de l'avis même de Raoul^ font que « la palme tout entière est dévolue au poète de Tivoli. « Nous devons^, sans doute, notre admiration à l'écrivain qui a su flétrir courageusement les turpitudes et les excès de son époque, qui a cité avec éloquence au tribunal de l'opinion publique le crime réfugié sur les degrés du trône. S'élever à cette auteur, c'est prendre rang à côté des plus grands historiens sans abdiquer la couronne du poète. Ce- pendant ces écrits énergiques n'intéressent vivement qu'au- tant qu'on se reporte au siècle d'odieuse mémoire dont ils révèlent les abominables secrets. La chute de Séjan est digne du crayon de Tacite : Séjan, par des bourreaux dans la fange traîné, A la fureur du peuple en speclacle esl donné. C'est un jour de bonheur, de Iriomplie pour Rome. Quel air ! quels yeux ! — crois-moi ; je n'aimais pas cet homme, Cependant, de quel crime a-t-on pu l'accuser? Quels lémoins contre lui sont venus déposer? Dit-on les faits? a-l-on quelque pieuve assurée? — Aucune! seulement du rocher de Caprée, Une lettre diffuse, équivoque... — J'entends. Et le peuple? — Le peuple! il fait comme en tout temps, S'attache à la fortune, et maudit la victime. (Satire X.) - 501 — La forme dialogiiée, les ellipses fréquentes, les transi- lions brusques, les métaphores extraordinaires qu'on ren- contre dans les satiriques latins, et particulièrement dans Perse, rendaient la tâche du traducteur extrêmement diffi- cile. Notre confrère a lutté courageusement contre tous ces obstacles, et souvent il les a vaincus de la manière la plus heureuse. Ces obstacles étaient d'autant plus redoutables, qu'il s'agissait presque toujours d'interpréter de beaux vers que chacun connaissait déjà; et chacun, par suite, devait être moins préoccupé du sens que de la forme adoptée par le traducteur. La plupart de ces vers, d'ailleurs, avaient déjà été naturalisés en France, en passant dans les écrits de Boi- leau. Nous citerons un exemple qui fera connaître comment Raoul se lirait de ce pas difficile. 11 s'agit de l'homme placé entre l'Avarice et la Volupté : Dans les bras du repos vous dormez le matin : — Debout, dit l'Avarice; allons, debout, le dis-je. — Il n'est pas temps encor. — Lève-loi, je l'exige. — Je ne puis, — lève-toi. — Mais pourquoi faire enfin? — Pourquoi? rignores-lu? pour traverser l'Euxin j Pour aller au delà de celte mer lointaine, Chercher l'encens, le poivre et le chanvre et l'ébène. Cours donc, et prévenant le retour des chameaux, Enlève le premier leurs plus riches fardeaux; Trafique, achète, vends, sois fripon, sois corsaire. En se rappelant l'élégante imitation du même passage, dans la 8'^ satire de Boileau, on peut applaudir encore à la traduction de notre confrère, qui avait à vaincre une diffi- culté de plus, celle de rester fidèle à l'auteur latin. Mais poursuivons : J'entends la Volupté, qui d'une voix plus douce, Malheureux ! quelle est donc celle ardeur qui te pousse? Quel est ce feu brûlant, dont à peine, en ton cœur, Une urne de ciauë éteindrait la chaleur? — bOi — Quoi? comme un matelot affrontant les orages. On te verra coucher sur un las de cordages, Souper sur le lillac, et boire d'un vin plat Qui d'une odeur de poix révolte l'odorat! D'où peut naitre en ton sein un projet si funeste? Es-tu las d'exercer une usure modeste? Veux-tu passer la borne, et forcer ton arj^ent, Par d'avides sueurs, à rendre cent pour cent? Ah ! repousse bien loin cette cruelle envie. Ne cherchons, ne cueillons que les fleurs de la vie; Un seul bien est à nous, c'est le moment présent; Sachons, frêles mortels, le saisir en passant; Jouissons aujourd'hui : demain, cendre légère, Nous ne serons (|u'un songe, une ombre imaginaire. La mort vient; le temps fuit; il nous entraîne tous. Le moment où je parle est déjà loin de nous. (Satibe V.) En empruntant ce dernier vers au satirique français, Raoul a fait preuve de goût et de modestie Nous n'avons pas à comparer ici le travail de notre con- frère à ceux des autres traducteurs de Juvénal, d'Horace ou de Perse. Quelle que soit l'estime accordée à M. Méchain et surtout à Daru, les deux seuls dignes rivaux qu'on ait à lui opposer, on peut, croyons-nous, affirmer qu'il n'a point été surpassé par eux; il conserve, de plus, le mérite bien rare de s'être rendu à la fois l'interprète de trois poètes aussi dif- férents par le fond de la pensée que par la forme de l'ex- pression, et qui représentent, pour ainsi dire à eux seuls, la satire chez les anciens. Raoul a aussi consacré son talent à traduire des poêles modernes. On lui doit une interprétation élégante de la fa- meuse satire de lord Ryron, intitulée : English Bards and scotch Revieivers (les poètes anglais et les auteurs de la revue d'Edimbourg). Mais l'ouvrage le plus considérable qu'il ait entrepris dans ce genre forme à lui seul, sous le titre de Leçons de littérature hollandaise, le quatrième volume de ses œuvres. 11 a cherché à réunir dans ce recueil, sinon - 503 - tous les chefs-d'œuvre dont s'honore la littérature hollan- daise, au moins un échantillon de tous les genres où se sont exercés les auteurs. Quand on traduit les modernes, on n'a pas pour eux le même respect que pour les anciens; on se donne plus de latitude; l'expression de l'original n'a point ce caractère sacramentel dont on n'oserait s'écarter sans encourir le blâme. Le traducteur, s'il est vraiment poëte, prend une allure plus franche, et ses vers coulent plus librement. Raoul, d'ailleurs, a souvent employé sa plume en faveur d'écrivains qui étaient loin d'avoir son mérite ; en ayant l'ap- parence de les traduire, il leur montrait le chemin qu'ils avaient à suivre, et plusieurs se sont bien trouvés de refaire leurs compositions poétiques sur la traduction qu'il en avait donnée. Pour le juger comme poëte, il faut recourir aux tomes Il et m de ses OEuvres diverses : il s'était exercé dans tous les genres, mais non pas avec un égal succès. La tra- gédie Guillaume le Conquérant présente une versification facile, mais on sent que l'auteur n'était pas là sur son véri- table terrain : il ne s'y place guère d'une manière plus heu- reuse dans la comédie-vaudeville intitulée : L'Ecrivain public ou les Pétitionnaires. Cette pièce, en un acte et en vers, rappelle malheureusement trop La Comédie sans titre de Boursault; on voit se succéder sous les noms de Tris- solin, Raussignac, Delcour, différents originaux qui vien- nent invoquer le ministère de l'écrivain public pour servir leurs intrigues. Si la pièce est faiblement conçue et dénote peu d'entente de la scène, si les caractères sont peu naturels et chargés, le dialogue, d'une autre part, est facile et pré- sente un assez grand nombre de mots heureux et d'observa- tions justes exprimées avec finesse. Les deux ouvrages dont il vient d'être parlé n'ont point - 504 — subi l'épreuve de la scène, et probablement l'auleur eût, échoué s'il n'eût écoulé sa modestie. Les Ecoliers en va- cances, La Feille des vacances ei Le Jeune Homme à la mode, petites pièces produites plus récemment, ont obtenu un véritable succès dans les dilïerents collèges où elles ont été représentées; la première surtout répond parfaitement au but que l'auteur s'était proposé en la composant Habitué à vivre au milieu des jeunes gens, observateur indulgent de leurs espiègleries, il pouvait peindre avec vérité les scènes qu'il avait été à même d'étudier tant de fois; il ne faut donc pas s'étonner s'il a traité ce genre d'ouvrage dramatique avec plus de succès que les autres. C'est dans le tome 111 de ses œuvres diverses que Raoul a réuni ses poésies légères, qui se composent en grande partie d'épilres et d'épigrammes: ce volume parut en 1827. On y trouve la pièce de vers qui concourut, en i81'l , pour le prix de poésie proposé par l'Académie française au sujet des nouveaux embellissements de Paris. On sait que le prix fut décerné à Soumet, et le premier accessit à Mille- voye. La composition de Raoul ne fut pas même men- tionnée, bien que sous tous les rapports elle fût digne d'un pareil honneur. Les épitres de Raoul, et ses discours mêmes, composés pour des circonstances solennelles, sont généralement em- preints d'une teinte satirique dont il ne pouvait se défendre. Mais, chez lui, la satire est toujours inoffensive; incapable de blesser, il cherchait plutôt à captiver l'attention par des traits saillants. L'épitre adressée à Etienne au sujet de la comédie des Deux Gendres, en fournit la preuve. On sait la rumeur qu'excita la représentation de cette pièce qu'on pré- tendait être le produit d'un plagiat. Raoul prit fait et cause pour l'auteur, bien qu'il ne le connût pas personnellement, contre Bouvet, l'un de ses accusateurs les plus ardents. — 505 — — Mais, (lirez-vous, six vers de la pièce d'Élienne S'y trouvent mot pour mol empruntés de l'ancienne! — Sur deux fois mille vers pleins de grâce et d'esprit, En prendre six mauvais dans un vieux manuscrit! Quelle audace en effet! (|uel crime abominable! Au temps passé peut-être on était plus traitable : Le vol alors passait pour imitation : Virgile vole Homère, Horace Anacréon ; Desiiréaux Juvénal, et Molière Térence; Mais on ne permet plus de pareils vols en France. Puis s'adressant à Etienne : Poursuis, sans l'arrêter, ta brillante carrière; Tu pourras sur ta roule essuyer des dégoûts : Molière en essuîrait, s'il vivait parmi nous. N'en sois pas moins fidèle aux lois d'un si grand maître; Vole le feu sacré, quelque part qu'il puisse être; Un sot n'imprime rien (|ui ne soit bien de lui : Daignerait-il descendre à consulter autrui? Toi, ne néglige pas ces vulgaires ressources : Grecs et Romains, lis tout : puise à toutes les sources : Mais pour notre intérêt, et surtout pour le lien. Quand Bouvet écrira, ne lui prends jamais rien. Le recueil publié en i840 contient quelques satires re- marquables par leur Ion de bonhomie et de finesse piquante; nous citerons surtout les vers adressés au Roi de Dane- mark et la pièce intitulée : Sacrale et Glaucon contre les législateurs imberbes qui prétendent régler le sort des États. Les épigrammes sont au nombre de cent cinquante-cinq ; la plupart ne seraient point déplacées dans les meilleurs re- cueils de ce genre. Comme l'épigramme et la satire n'étaient, chez Raoul, qu'un jeu d'esprit, elles ne tendaient en aucune façon à nuire aux personnes qui en étaient robjet,quelquefois même il s'en prenait à ses meilleurs amis; ces derniers se bornaient à en rire, et je ne sache pas qu'aucun d'eux s'en soit jamais offensé. Cependant plus sévère qu'eux, Raoul, avant sa mort, a — 306 — exprimé le désir de voir supprimer tout ce qui pouvait por- ter le caractère d'une attaque même indirecte. Dans le recueil qui vient d'être menùonné, on retrouve plusieurs pièces déjà publiées dans les cinq volumes de ses œuvres diverses (*) : il les avait revues avec soin et il les considérait comme moins imparfaites que ses autres ouvra- ges ; de ce nombre sont: Le Savant en us ou Discours d'un vieux professeur de rhétorique, La Jeune Fille séduite, La Petite Fleur cueillie, elc. On y trouve aussi la fable Le Rat de ville et le Rat des champs, fragment de sa traduc- tion des Satires d'Horace, el l'un des morceaux les plus irré- prochables qui soient sortis de sa plume. Outre les ouvrages dont je viens de parler, Raoul a pu- blié un grand nombre d'articles de critique littéraire dans différents lecueils, mais plus particulièrement dans les ^n- nales belyiques et dans Le Mercure belge, dont il était l'un des fondateurs (^). Le tome III de ses œuvres diverses con- tient une notice remarquable sur la manière de comprendre cette tâche pénible et délicate de l'homme de lettres. Quand il s'agit d'ouvrages scientifiques, ou même d'ou- vrages littéraires d'une certaine portée, la critique, chez nous, est à peu près nulle. Mais les écrits les plus savants, ceux qui font le plus d'honneur à la Belgique régénérée, sont à peine jugés dignes d'une annonce, même dans nos (') Les cinq volumes des œuvres de Raoul furent publiés à Bruges, chez Bogaert- Diimortier, sons formai in -8», de 1826 à 1829. Le premier volume conlienl les Saliies de Jiivénal ; le deuxième, les pièces de Ihéàtre el la traduction des poêles anglais, par Byron; le troisième, les cpilies, épiyrammes , poésies diveises et les examens de différents ouvrages littéraires ; le (luatrième, les poêles hollan- dais et des traductions de leurs ouvrages ; le cini Du chef de cette accusation, il fut emprisonné au mois de juin 1822, et choisit jtour ses défenseurs Mi>I. De Vleeschouder et Beyens, du barreau de Bruxelles, avec lesquels il était depuis longtemps lié d'amitié. On employa d'abord les moyens de cassation contre l'arrêt rendu i)ar la chambre de mise en accusation, et le prévenu, de concert avec M. l'avocat Beyens et l'avoué Mandos, publia ses moyens de cassation en une brochure de 27 pages in-4''. Ce mémoire, remar- i|ual)le par sa lucidité et sa logique serrée, démontre à l'évidence l'innocence du prévenu. Il est adressé à MM. les président et conseillers de la cour supérieure de justice, à Bruxelles, première chambre, siégeant comme cour de cassation, et ne jiorte pas de nom d'imprimeur. Les moyens de cassation furent cependant rejetés, et l'inculpé parut devant la cour de Bruges, présidée par M. Van de Velde, au - 527 - L'étude du droit absorbait tous les instants de liberté que laissaient à notre jurisconsulte les affaires publiques; et sans doute ses écrits auraient été plus nombreux, si l'accomplis- sement de ses devoirs aux états généraux lui avait laissé plus de loisirs. Il se faisait, avec raison, une haute idée de la position du législateur; et il savait y sacrifier jusqu'à ses goûts et ses penchants les plus chers. Aussi devait-il ap- plaudir aux efforts de l'Académie pour ranimer l'étude du droit et pour honorer la mémoire des hommesquis'en étaient occupés chez nous avec le plus de distinction. « Si l'usage, suivi dans quelques pays voisins de faire Téloge des grands hommes qui ont excellé dans la science des lois et de la ju- risprudence, dit-il dans son premier mémoire couronné, si le devoir de célébrer les talents et les utiles travaux de nos jurisconsultes ne sont pas devenus académiques parmi nous, c'est du moins une conception honorable pour l'Académie de Bruxelles, un véritable service rendu à la patrie, que d'avoir institué un prix pour un genre de travail qui rap- pellera la mémoire de plusieurs célèbres concitoyens qui ont passé leur vie à perfectionner les lois et à faciliter l'ad- ministration de la justice, objets si précieux et d'autant plus dignes d'envie, qu'ils contribuent toujours d'une manière puissante à maintenir la paix sociale et à former le bonheur des citoyens. •» Jusqu'au moment de la révolution, en 1830, M. Pycke avait continué à siéger aux états généraux. Les persécutions de 1822 l'avaient vivement atteint et lui avaient peut-être même ôté une partie de son énergie naturelle; mais elles ne lui avaient laissé aucun fiel contre le gouvernement. Dès qu'il vit éclater la tempête, il se rendit à la Haye, et quand mois de décembre 1822. L'acquittement suivil la défense, et M. Pycke fut mis en liberté le 22 du même mois. >• {Annales de la Société d'émulation de Bruges, tome IV, page 165.) — 528 — la révolution fut consommée, il revint dans ses foyers et renonça à la carrière politique. La législation ancienne de la Belgique et nos vieilles insti- tutions occupaient alors une place très-large dans les tra- vaux de notre Académie. Nous avions proposé pour le con- cours de 1833 une question sur les attributions politiques dont jouissaient les anciens états des provinces, sous le triple rapport de la souveraineté, de la législature et de l'adminis- tration publique et provinciale. Mais cette question, tout intéressante qu'elle était, dut être retirée, et notre confrère prit l'engagement de la traiter lui-même, dans un mémoire spécial ('). A la séance du 15 décembre 1835, il nous ex- posa le plan qu'il comptait suivre en composant cet ouvrage immense, qui se trouvait déjà très-avancé (^); mais l'affai- blissement de sa santé et la perte progressive de ses facultés intellectuelles ne lui ont pas permis de l'achever. Léonard Pycke était né à Meulebeke, petite ville de l'an- cienne chàtellenie deCourtrai; c'est dans ce dernier lieu qu'il mourut. Il avait commencé ses études en droit à Paris (') et il conservait un profond souvenir de ces premiers instants de sa jeunesse. Peu de temps avant sa mort, l'auteurde cette notice le rencontra tristement appuyé contre un mur voisin de la (') M. Van de Pulle, dans sa notice sur notre confrère, dit au sujet de ce même concours : « M. Pycke avait écrit sa réponse sur cette question, lorsque l'Aca- iléniie jugea à propos d'annoncer que la question était retirée du concours. Ce travail peut cependant être considéré comme un des meilleurs sortis de la plume du jurisconsulte courlraisien. « Il faut qu'il y ait ici quelque méprise. M. Pycke ne pouvait concourir, puisqu'il était membre de l'Académie depuis quatre ans; d'ailleurs, il était l'un des jugés, et c'est même sur sa proposition que la question fut retirée. {') Voyez le Bulletin (t. II, p. 417) de cette séance. M. Pycke y a fait connaître le plan qu'il comptait suivre. (^) Il fil ses premières études au collège de Mol, dans la Campine, et acheva à Bruxelles son cours de droit qu'il avait commencé à Paris. C'est en 1808 qu'il s'étahlità Courlrai, comme avocat, et il ne tarda pas à s'y faire une nombreuse clientèle. — 529 - Sorbonne, et les yeux fixés sur les fenêtres les plus élevées d'une maison de la rue Laharpe, c'était là que notre con- frère avait habité pendant ses premières études. Pycke était d'un commerce très-doux, d'une sûreté à toute épreuve; connaissant fort mal le talent de déguiser sa pensée sous des dehors polis, mais possédant au plus haut degré la poli- tesse du cœur. Sa fermeté aux états généraux avait été la source de ses disgrâces et des persécutions dont il fut vic- time; il sut les subir avec calme et dignité; et s'il montra quelque orgueil, ce fut avant son triomphe. Léonard Pycke portait véritablement en lui le type du caractère flamand, type énergique qui s'efface malheureusement de jour en jour, en perdant ses formes saillantes et décidées, sous. le niveau de ce qu'on est convenu de nommer la civilisation. PHILIPPE BERNARD (1). Ph. Bernard avait contracté de bonne heure l'habitude du travail et le goût de l'étude : ces heureux élémenls portèrent leurs fruits dès qu'il se trouva en position de les faire valoir. C'est à l'Université de Louvain que commença sa carrière littéraire. Un travail intéressant sur les archontes de la répu- blique d'Athènes lui valut la médaille d'or au concours uni- versitaire de 1824, et il reçut plus tard, dans la môme uni- versité, le grade de docteur en philosophie et lettres. C'était surtout vers l'enseignement que le portaient ses habitudes laborieuses et sa bienveillance naturelle pour la jeunesse. Après la révolution de 1830, il fut chargé, au collège communal de Louvain, de l'enseignement de plu- sieurs cours d'histoire et de géographie. Des modifications apportées dans cet établissement l'arrachèrent, en 1837, à ses paisibles occupations; il vint s'établir à Bruxelles, et profita de ses loisirs forcés pour publier quelques ouvrages classiques. C'est ainsi qu'il nous a donné successivement, en lesenri- (■) Né à Arlon, le 28 avril 1797, il esl mon à Bruxelles le 7 décomhrc 1853, - 531 — chissanf d'annotations, le discours funèbre de Lysias (1837), les œuvrf's de Sallusle (1838), la traduction d'une chresto- malliie grecque et d'une autre latine d'après Jacobs (1840 et 1841), une traduction très-estiméede l'histoire de l'Église, par Dœllinger, etc. 11 avait fait paraître aussi, en 1839, un essai historique sur les anciens Belges, depuis les temps les plus reculés jusqu'à la conquête de la Gaule par Jules César. Le gouvernement ne tarda pas à distinguer son mérite : il le chargea d'examiner et d'analyser les manuscrits grecs de la Bibliothèque royale de Bourgogne. Bernard s'ac- quilla avec zèle et talent de cette honorable mission, et publia successivement sept rapports d'un haut intérêt, que le gou- vernement a livrés à la publicité. Dès l'année 1842, il avait été associé a-ux travaux de l'Académie en qualité de membre correspondant, et il avait témoigné, par différentes communications d'un grand savoir, combien il attachait de prix à cette distinction. En 1845, la chambre des représentants lui confia les fonctions de conservateur de sa bibliothèque. Quelque temps après, le gouvernement l'appela à un poste de confiance, à celui d'inspecteur de l'enseignement moyen. 11 fut, en outre, désigné comme membre du jury pour l'examen d'élève universitaire et devint, en 1849, secrétaire de ce jury dans le ressort de la Cour d'appel de Liège. Ceux qui l'ont connu ont pu apprécier son profond savoir, la solidité de son caractère et sa modestie si simple et si vraie, qualités précieuses qui cependant n'ont pu désarmer la mau- vaise fortune contre laquelle il a lutté jusqu'à son dernier instant. Une notice écrite de la main même de Bernard et qu'il avait bien voulu nous remettre, suppléera à ce qu'offrent d'incom- plet les paroles qui précèdent : « Je dois le jour, dit-il, à - 532 - (les parents honorables qui, jouissant «l'une fortune aisée, n'épargnèrent rien pour faire donner à leurs enfants une éducation soignée. Etant encore fort jeune, je fus envoyé au petit séminaire de Metz pour y faire mes humanités. Après y avoir achevé ma rhétorique avec quelques succès, je me rendis, dans la vue de renouveler mon cours de rhétorique, au collège de Sedan, où enseignait alors l'abbé Caillou, qui avait dirigé, pendant douze ans, le collège de Wilna, en Pologne. M. Caillon est le premier bon professeur que j'eusse eu jusqu'alors ; c'est lui qui m'inspira le goût des études historiques et philologiques, et je me sens heureux de pouvoir lui payer ici le juste tribut de ma reconnaissance. Mon second cours de rhétorique ayant été couronné par l'obtention de tous les premiers prix, je retournai à Metz pour y faire ma philosophie. A cet effet, au lieu de rentrer au séminaire, je me fis inscrire au lycée de cette ville, et j'y eus pour professeur M. Mongin, qui passait, en France, pour être un profond penseur et qui, en effet, s'est fait con- naître par une logique ou grammaire générale justement estimée des savants. Malheureusement l'arrivée des alliés, en 1814, m'empêcha d'achever mon cours de philosophie, et je fus obligé de retourner chez mes parents. Il y eut donc dans mes études une interruption qui dura jusqu'en 1820. Dans cet intervalle, ma famille éprouva les plus cruels revers, et au bout de quelques années, je me trouvai sans ressource. Une place de maître d'études devint alors vacante au collège de Mons, je me mis sur les rangs des postulants, et je l'emportai. Je l'occupai pendant deux ans, mais pré- voyant que, sans grade académique, ces fonctions ne me mèneraient à rien, je résolus d'aller sonder le terrain à l'Uni- versité de Louvain , pour voir si, dénué de tout comme je l'étais, il ne serait pas possible d'y faire mes études uni- versitaires. Les professeurs de la faculté de philosophie et - 533 - lettres accueillirent ma demande avec le plus vif empres- sement. Non-seulement ils m'exemptèrent du payement des cours, mais ils me firent obtenir une bourse de 200 florins par an. Établi à Louvain, je ne tardai pas à être nommé adjoint du secrétaire-inspecteur de l'Université, aux appoin- tements de 300 florins. Bientôt ma bourse de 200 florins fut portée à 300, de sorte que j'avais une assez belle position pour un étudiant, et j'avoue que je la regrette encore et que je la regretterai toute ma vie. Mais si, sous le rapport maté- riel, je jouissais de quelque aisance, les affaires administra- tives du secrétaire-inspecteur me donnaient tellement de besogne que le jour suffisait à peine pour m'en acquitter et que je devais employer la nuit à étudier les matières qui faisaient l'objet des cours universitaires. Cependant, au mi- lieu de ce double labeur, je ne perdis point courage ; tout surcroît de travail semblait, au contraire, me ranimer et me donner de nouvelles forces. Ainsi la faculté des lettres ayant mis au concours, en 4825, la question suivante : Exhi- beatur commentatio historico-critica de archontibiis reipu- blieae Atlteniensis, ni la diflîculté du sujet, ni les longues et pénibles recherches qu'il exigeait, ni le peu de temps dont je pouvais disposer, rien enfin ne put me détourner de composer un mémoire en réponse à celte question. Ce mé- moire fut couronné en 1824. A la même époque, la chaire de cinquième étant devenue vacante au collège de Louvain, le bureau d'administration de cet établissement vint lui- même m'offrir cette place, et je fis mon entrée dans la car- rière de l'enseignement public. Quelque temps après, je subis l'examen de la candidature en philosophie et lettres. Le temps qui s'écoula de la fin de l'année 1824 au mois d'août 1826 fut consacré, d'un côté, à me préparer à l'exa- men du doctorat et à écrire ce qu'on appelait alors la thèse que je devais défendre à cette occasion ; de l'autre, à étudier — 334 — le flamand et le hollandais, qui avaient clé imposés aux pro- fesseurs des athénées et collèges des provinces flamandes du royaume. Enfin le 3 août 1826, je subis l'examen du doc- torat en philosophie et lettres; mais mes occupations ne me permirent point alors de mettre la dernière main à l'ouvrage que j'avais préparé pour cette épreuve. Je fus obligé de remettre ce travail à une autre époque. » Sur ces entrefaites, Tannée 1830, qui devait bouleverser tant de choses et amener une ère nouvelle sous le rapport politique, amena aussi la réorganisation du collège de Lou- vain. Jusqu'alors cet établissement avait compté six classes d'humanités et une classe préparatoire, de sorte que les élèves devaient rester sept ans au collège pour achever leurs cours d'humanités. On jugea à propos de réduire ce temps, à cinq années, d'établir cinq classes de langues anciennes et modernes et d'y joindre des cours spéciaux d'histoire et de géographie, ainsi que de mathématiques. On me chargea des cours d'histoire et de géographie, en les restreignant, toutefois, aux trois classes supérieures : dans le premier, je donnai un aperçu de la géographie; dans le second, l'his- toire du moyen âge; dans le troisième, l'histoire des temps modernes. Je continuai à enseigner ces branches jusqu'au mois d'août 1837. En même temps, pour récompenser le zèle que j'avais montré à m'acquilter de mes devoirs, la ré- gence de Louvain me confia la direction du pensionnat attaché au collège de cette ville, direction que j'occupai depuis 1830 jusqu'à la translation de l'Université catholique de Malines à Louvain. » Les événements de 1830 m'avaient empêché de songer au grade de docteur pour l'obtention duquel j'avais rempli toutes les formalités. Au mois de juillet 1833, j'obtins ce grade avec la plus grande distinction. Il n'était plus question alors de la défense d'une thèse. Cependant, depuis plusieurs — 535 — années, je m'étais occupé, clans mes heures de loisir, d'un travail sur l'une des oraisons de Lysias, travail qui avait été primitivement destiné à me servir de dissertation inaugu- rale. Voulant utiliser cet ouvrage, j'y mis la dernière main. Mais avant de le publier, je crus devoir le soumettre à l'avis déjuges compétents. Je l'adressai donc à l'Académie royale des sciences et belles-lettres de Bruxelles. Dans la séance du 2 avril suivant, un rapport favorable me valut, de la part de M. le ministre de l'intérieur, un subside pour couvrir les frais d'impression de cet ouvrage, qui fut imprimé à Lou- vain, en 1837^ sous le titre : Lysiae oratio funebris, lec- tionis varietate instructa et commentario in usum schola- runi illustrata: 1 vol. in-8°. )) Le collège de Louvain ayant été supprimé en 1837, je vins me fixer à Bruxelles et j'avisai de suite aux moyens d'y avoir de l'occupation. Sur la recommandation de quelques personnes bienveillantes, je fus employé par la Société na- tionale pour la propagation des bons livres. Mais cette so- ciété, ayant cessé, en 1840, de publier des ouvrages de ce genre, je me vis tout à coup sans occupation. Pour ne pas rester oisif, je résolus d'entreprendre un travail sur les nom- breux manuscrits grecs déposés à la Bibliothèque royale. » M. Nothomb, alors ministre de l'intérieur, voulut bien encourager ce travail, qui donna successivement lieu à plu- sieurs publications. Le 22 juin 1842, il prit un arrêté par lequel il chargea Bernard de visiter, dans les provinces de la Flandre orientale, de la Flandre occidentale et d'Anvers, les établissements d'instruction moyenne recevant des sub- sides de l'Étal, et en même temps ceux qui alors étaient en instance pour en obtenir. Le 8 juillet de l'année suivante, le ministre le chargea de nouveau de visiter les établis- sements de la même catégorie dans les provinces de Lim- bourg et de Namur. - 536 - Le lu mai 1842, l'Académie royale des sciences et belles- lettres de Bruxelles avait nommé Bernard, à une grande majo- rité, correspondant de la classe des lettres. Bientôt après, un arrêté royal du 3 octobre 1845 le nomma professeur agrégé à l'Université de Liège (faculté de philosophie et lettres). Vers la fin de sa vie, Bernard avait été nommé biblio- thécaire de la Chambre des représentants; il était déjà at- taché précédemment au secrétariat de l'Académe, et il con- tinua à remplir ces deux emplois. Le 5 novembre 1846, il fut nommé inspecteur pour les humanités dans les établisse- ments d'enseignement moyen : malgré cette position élevée, Bernard témoigna le désir de continuer, quelque temps en- core, les modestes fonctions qu'il remplissait, depuis plusieurs années, au secrétariat de l'Académie; l'on avait trop à se louer de lui pour se priver de ses services^ alors surtout qu'il trouvait le moyen d'améliorer une position qui avait été compromise par de nombreux malheurs. Uniquement occupé de ses études et des soins de sa famille, Bernard vivait éloigné de toute intrigue et en (juelque sorte étranger à tout ce qui se passait dans le monde politique. Il était certainement mieux informé de ce qui s'était fait à Athènes ou à Rome que de ce qui pouvait bouleverser notre ordre social. Malgré cette indiflérence apparente, il était très-sensible aux témoignages d'affection dont il était l'objet, et il aimait à montrer sa reconnaissance : on peut citer cette qualité, parce qu'elle est moins commune qu'on ne le pense. Ses vertus personnelles et ses talents méritaient à coup sur une meilleure fortune que celle qu'il a éprouvée. Ses derniers jours ont été attristés par des chagrins dont les consolations de sa famille et dont sa philosophie n'ont pu adoucir entièrement l'amertume. MATTHIEU- EDOUARD SMITS (1). Orphelin dès l'âge de sept ans, Smits fut placé par son tuteur dans un pensionnat, et, plus tard, au Lycée de Bruxelles, d'où il sortit âgé de dix-sept ans. L'année sui- vante, il embrassa la carrière des armes et s'enrôla, comme volontaire, dans la légioîi hanovrienne, corps de cavalerie au service de France et que commandait le brave Évers, son compatriote. Smits se mit en marche pour rejoindre le dépôt de son régiment, qui se trouvait au fond de l'Italie. Il avait pour compagnon de voyage Ch. Morel, qui, avant d'être atteint par la conscription, avait préféré, comme lui, de désigner le régiment auquel il désirait appartenir. Cette détermination n'eut d'autre effet que de procurer aux deux jeunes Bruxellois le plaisir de parcourir ensemble, au plus bel âge de la vie, une des contrées les plus pittoresques de l'Europe. Ils n'eurent pas même le (emps de connaître l'as- sujettissement ni les dangers du service militaire, car, im- médiatement après leur arrivée en Italie, un décret impérial prescrivit le renvoi dans leurs foyers de tous les sujets fran- (') Né à Bruxelles, le 19 mars 1789; il moiinil à Ixelles, près de Bruxelles, le 22 janvier 1852. — 538 — çais qui faisaient partie de la légion hanovrienne, où l'on ne devait plus recevoir désormais que des déserteurs étrangers. Smits repassa donc les Alpes, et, dès qu'il fut à Paris, il entra dans une institution particulière comme professeur de latin et de mathématiques : c'était évidemment méconnaître sa vocation; aussi abandonna-t-il bientôt le collège pour la carrière administrative. Après deux ans d'attente, il fut envoyé à Boulogne-sur-Mer, comme inspecteur d'un ser- vice militaire, e(, peu après, à Anvers, pour remplir un em- ploi dans la marine. Notre jeune compatriote n'était pas au bout de ses pérégrinations: en iSil , il suivit, à Amsterdam, en qualité de secrétaire particulier, M. le comte de Celles, qui venait d'être nommé préfet du département du Zuyder- zée. Jusque-là, ses loisirs avaient été consacrés à la poésie; ses nouvelles fonctions le portèrent à s'occuper d'études plus sérieuses : il fut chargé de la rédaction d'une statistique du département et il en composa la première partie, qui n'a jamais vu le jour. L'arrivée des alliés, en 1813, fit de nouveau diversion à ses études : il fut contraint de fuir, et, en cherchant à ren- trer en Hollande, il lomba entre les mains des Prussiens : les témoignages les plus accablants s'élevaient contre lui; il faillit é(re fusillé, mais il échappa à ce nouveau danger, et il en fut quitte pour un mois d'emprisonnement. En janvier 1814, il fut attaché, comme caissier et secré- taire interprèle, au payeur général de l'armée suédoise, et il assista à l'entrée des alliés dans Paris. Il retourna ensuite à Amsterdam, où le rappelait une inclination de cœur. Il épousa M™*^ la veuve Van Staphorst, fille du général pen- sionné Van Baërle, ancien gouverneur militaire des petites Indes (Surinam) ('). A l'époque de l'organisation delà Bel- {') Il eul de celle union plusieurs (ils : l'aîné, William Smils, officier du génie - 539 — gique, dont le prince d'Orange, depuis roi des Pays-Bas, venait d'être nommé gouverneur général, Smils entra au commissariat général de l'intérieur, à Bruxelles. L'esquisse rapide qui vient d'être tracée des premières années de Smits suffira pour montrer que la stabilité n'était pas le côté essentiel de son caractère : il était avant tout homme d'imagination; ses passions étaient très-vives et do- minaient souvent sa raison. Avide de renommée, il a essayé tous les chemins pour y parvenir, et parfois ses tentatives ont été couronnées de succès. Avec i)lus de constance et avec son heureuse organisation intellectuelle, il lui eût été facile d'aller plus loin encore. On l'a vu tour à tour poëte, statis- ticien, improvisateur, peintre ('), publiciste, administrateur. Je ne le suivrai pas dans toutes ces carrières, dont souvent il ne changeait que pour se trouver en compagnie de quelque ami ou pour s'attacher aux pas de ceux qui étaient en pos- session de fixer l'attention publique. Je me bornerai à considérer plus particulièrement les services qu'il a rendus comme statisticien : il serait injuste cependant de passer absolument sous silence ses œuvres poétiques, qu'on peut placer parmi ses principaux titres à l'estime de ses concitoyens. Ses trois tragédies, Marie de Bourgogne, Elfrida ou la F engeance^] el Jeanne de Flan- f/re, méritent surtout d'être mentionnées d'une manière très-honorable. Ces pièces ont une valeur réelle et ont subi l'épreuve de la représentation, sinon avec un très-grand avantage, du moins avec ce qu'on est convenu de nommer un succès d'estime i et c'est beaucoup, si l'on considère la dans l'aimée beli^e, a l)ien voulu nous donner différents renseii;nemenls pour la rédaclion de celle notice. (■) Comme peintre de miniature, il a l'ait (juelques porlrails qui ne sont pas sans méiite. (•) Voyez plus haut, page 379, ce (jui arriva à la première leprésenlalion de celle pièce. — 540 — difficulté de se produire avec un certain aplomb sur la scène tragique. Je sais que cette appréciation n'est pas tout à fait d'accord avec ce qu'on lit dans V avant-propos, extrêmement laudatif, placé en tète des OEuvres poétiques de notre com- patriote ('). On y lit aussi : « M. Smits a fait de la littéra- ture nationale à une époque où l'on ne cultivait, en Belgique, de littérature d'aucune espèce. » Cette manière de louer un écrivain lui fait plus de tort que de bien aux yeux des per- sonnes impartiales. A l'époque où Smits fît son entrée dans la carrière littéraire, il y rencontra l'auteur du poëme le mieux écrit peut-être que l'on ait composé en Belgique, Lesbroussart, devant lequel, lui-même, s'est incliné avec raison dans plusieurs de ses ouvrages; il y rencontra éga- lement de Stassarl, de Beiffenberg, Baoul, Baron, Rou-. vroy, etc., dont les écrits, justement estimés, ont eu certai- nement autant de retentissement que les siens. Non-seulement Smits écrivait avec facilité la langue poé- tique, mais il était encore improvisateur remarquable. Il s'est soutenu avec avantage à côté de Pradel, le plus célèbre rej)résenlant français pour ce genre d'exercice littéraire (-). Nous avons déjà vu que Smits, dès l'année 1812, avait été chargé de rédiger la statistique du département du Zuy- derzée. Au milieu de ses préoccupations poétiques, il perdit de vue ce genre de recherches, qu'il reprit officiellement ( ) Œuvres poétiques de M. Edouard Smits, 2 vol. in-12j Bruxelles 1847, chez M. Verteneiiil. (•) Smits aimait à donner à ses coilèyiies de la Commission de statistique des preuves de son laienl; il improvisait en leur présence, à la suite de diners qui les réunissaient de loin en loin; et il s'esl plu à rappeler celle circonstance dans le tome II de ses Œuvres poétiques. Je l'ai vu aux prises avec le baron de Reif- fenberg, qui possédait également le talent de l'improvisation : c'était un véri- table assaut poétique : De rencre et du papier : vite qu'on nous enferme; El voyons qui de nous, plus aisé dans ses vers. Aura plus lot rempli la page el le revers. — Ui — quatorze ans plus tard. « Une institution éminemment utile manquait à notre pays, dit-il, dans l'introduction à sa Sta- tistique nationale : la création d'une administration ou d'un bureau dont les travaux fussent spécialement consacrés à des recherches statistiques. Sa Majesté, par un arrêté du 3 juil- let 1826, pris sur le rapport de M. le ministre de l'intérieur, a rempli cette lacune, en créant, près de ce département, un bureau de statistique , présidé par le ministre et dont sont membres MM. les administrateurs de l'intérieur, de l'instruction publique et de l'industrie nationale, assistés d'un secrétaire ; Sa Majesté a bien voulu me confier ces fonc- tions ('). » L'organisation officielle de la statistique, sous le gouver- nement précédent, était particulièrement due à M. Van Ewyck, homme éclairé qui, en qualité d'administrateur de l'instruction publique , publiait annuellement un rapport sur l'état de l'instruction dans le royaume, et qui s'acquittait consciencieusement de ce travail ('^). Le gouvernement était également tenu de publier, chaque année, un rapport ana- logue sur les institutions de bienfaisance. De plus, au com- mencement del826, il commença à recueillir des documents pour la statistique des tribunaux, d'après les modèles des tableaux de France, publiés par M. le garde des sceaux. Smits ne cite point ces travaux dans l'aperçu qu'il donne de l'état de la statistique dans le royaume des Pays-Bas ('), aperçu assez inexact qui se réduit à ce peu de mots : « Quel- ques annuaires départementaux; la statistique de Jemmapes et de la Dyle; celle de Liège, par M. Thomassin ; les publi- cations de M. Lecocq, sur l'arrondissement de Tournav; (*) Statistique nationale, inlioduclion, p. 1, I vol. in-S"- Bruxelles chez Tailier. ' (') Voyez, plus has, la notice qui concerne Van Ewyck. (*) Page XIV de Pinlroduction A la Slulistique nationale. — 542 - celles de M. de Cloel; l'ouvrage en trois volumes sur le dis- trict de Saint-Nicolas, ci-devant pays de Waes, par Vanden Bogaerde ; les recherches sur les lois des naissances et de la mortalité dans la ville de Bruxelles, par M. Quelelet, voilà à peu près tout ce que nous avons, je pense, relativement aux provinces méridionales. » Ce qui mérite surtout de fixer notre attention, c'est que le gouvernement avait conçu, dès lors, le même système d'organisation pour la statistique générale que celui adopté par le gouvernement actuel. Comment se fait-il cependant que ce système ait paru produire de moins bons résultats sous un gouvernement que sous l'autre (')? C'est probable- ment parce que les institutions dépendent moins encore de la forme qu'on leur donne que des personnes qui sont appelées à les mettre en activité. Des deux côtés, nous voyons créer, auprès du ministère de l'intérieur, un bureau de statistique générale, ainsi qu'une Commission centrale de statistique ; des deux côtés, le chef du bureau de la statistique générale est en même temps secrétaire de la Commission centrale, et se trouve plus spé- cialement chargé de la publication des travaux officiels. Enfin, des deux côtés encore, des commissions provinciales, destinées à élaborer les travaux de détail et à venir en aide à l'administration, s'organisent sur les différents points du royaume et vont recruter leurs membres parmi les fonc- tionnaires publics et les hommes de science le plus à même de les seconder. Complétons encore ces rapprochements, et disons que les deux commissions centrales sentirent également le besoin de (') roui- élie juste, il convient de dire que la première commission n'était in- stituée que depuis près de quatre ans, (juand éclata la révolution de 18ô0, et qu'elle n'eut guère le temps de produire des travaux. Nous Ignorons ce qu'elle est devenue après la sépai-alion des deirx royaumes. — 543 — prendre, pour base de leurs opérations, un recensement opéré avec tous les soins désirables, et d'en assurer les béné- fices par l'institution de registres de population dans toutes les communes. • • Ces deux grandes expériences sur l'utilité des commis- sions de statistique, faites à des époques très-rapprochées, intéressent la science au plus haut degré.' Je viens d'énumé- rer les points de ressemblance qui existent entre les deux systèmes, organisés sous les deux gouvernemenis, il convient d'en signaler aussi les dissemblances. Remarquons d'abord l'organisation incomplète de la com- mission créée par le gouvernement des Pays-Bas, dont le but était d'ailleurs mal défini, et qui ne comptait pour mem- bres que trois administrateurs, dont les attributions et les connaissances étaient loin d'embrasser toutes les branches de la statistique. Ces administrateurs entraient dans la com- mission, non par suite d'études spéciales, mais simplement en vertu de leurs fonctions. Ils n'étaient d'ailleurs tenus qu'à donner des avis, et n'intervenaient pas dans les travaux comme partie active. Même remarque au sujet du ministre de l'intérieur^ président de droit de la Commission centrale, et qui aurait dû donner l'impulsion, mais dont les nombreux travaux absorbaient nécessairement tous les instants. Aussi les réunions de l'ancienne commission furent-elles rares et peu productives. La nouvelle Commission centrale est établie sur des bases essentiellement différentes : toutes les branches de la statis- tique y sont représentées par des hommes spéciaux, choisis dans les différents ministères; des élections périodiques permettent d'éliminer ceux qui répondraient mal au but de leur nomination; une organisation semi-scientifique et la publication, à côté des documents officiels, d'un recueil de mémoires sur les différentes parties de la statistique, éveil- — 544 - lent une noble émulation et portent chaque membre à faire preuve de talent et de zèle au profit de la chose publique; ici, d'ailleurs, rien de vague dans les attributions, qui sont nettement spécifiées et qui tendent à doter à la fois la science et le pays d'un ensemble de documents utiles et contrôlés avec le plus grand soin. Sans doute, on Ti'exige pas d'un secrétaire des connais- sances scientifiques; son premier mérite est dans l'exacti- tude et dans les soins qu'il met à ne laisser en souffrance aucune branche de ses pénibles fonctions. Malgré le zèle dont il a fait preuve et en l'absence d'hommes spéciaux qui pussent lui servir d'auxiliaires et l'aider de leurs conseils, Smits n'avait peut-être pas la constance nécessaire pour recueillir et élaborer les documents nombreux qui doivent nécessairement entrer dans une statistique générale. Mais il avait une qualité précieuse dans la position qu'il occupait : il connaissait ses forces, et, par un sentiment d'amour- propre bien entendu, il ne cherchait jamais à traiter des questions qui dépassaient leur mesure, ni à se substituer imprudemment aux hommes dont les lumières pouvaient le guider. Il comprenait surtout que des erreurs tolérées chez des individus, le sont moins quand on parle au nom d'un gou- vernement ou d'une commission directrice. C'est, sans nul doute, à celte excessive réserve que l'on doit l'absence d'ex- plications et de développements qu'on remarque dans les deux premiers recueils statistiques publiés avant 1830. Il existait administrativement une solution de continuité déplorable entre l'ancienne Commission centrale et les com- missions provinciales : aucun lien ne les rattachait entre elles. Ces dernières étaient nommées par les gouverneurs des pro- vinces, qui pouvaient aussi les dissoudre, s'ils le trouvaient bon. Dans l'organisation actuelle, les membres des com- missions provinciales sont nommés par le ministre, sur la - 545 - présentation de la Commission oenlrale : c'est le moyen d'établir de l'unité dans l'ensemble et de créer des liens sym- pathiques entre ces différentes institutions. Toutefois les commissions provinciales ne peuvent rendre de services réels, que quand on sait mettre à profil leurs lumières et leur faire produire^ par une correspondance active, les fruits qu'on attend d'elles. Dès que Smits fut revêtu de ses nouvelles fonctions, il chercha à justifier la confiance qu'on avait placée en lui et il publia un premier recueil officiel contenant trente et un tableaux relatifs aux mouvements de la population dans les Pays-Bas, pendant la période décennale de 1815 à 1824. 11 donna ensuite, pour commentaire à ces tableaux, l'ouvrage qu'il a intitulé, on ne sait trop pourquoi : Statistique natio- nale. Cet écrit ne contient en effet que ses observations sur les rapports des naissances, des décès et des mariages à la population dans les différentes provinces du royaume, et comme la population était alors fort mal connue, on conçoit que les déductions de l'auteur étaient au moins contesta- bles (*) : le travail péchait par la base. Un second recueil officiel formant un fort volume in-S" et ne contenant guère que des tableaux statistiques, parut à la Haye en 1829. Ces tableaux concernaient le mouvement du commerce extérieur de 1825 à 1828, le régime sani- taire, l'agriculture, la météorologie, les pêcheries et les houillères. De simples résultats numériques, sans renseigne- ments sur leur valeur scientifique, ni sur la manière dont ils ont été recueillis, ni sur le degré de confiance qu'ils méri- tent, n'atteindront jamais complètement le but qu'on s'est proposé en les publiant. Sous le nom de météorologie , on n'a pas même donné des nombres ; on s'est borné à présen- (') On pfiiil voir l'examen de ce liavail dans le tome III, pages 262 et suivantes de la Correspondance mathémalique et physique des Pays-Bas. 35 — 546 — 1er quelques lignes figuratives indiquant les variations de la température, à Malines seulement, pendant dix années et sans renseignements sur le thermomètre employé, sur la nature de son échelle, sur son placement, ni sur les époques des observations. Cependant la commission avait fort bien compris l'impor- tance qu'elle devait attachera un recensement fait avec soin ; elle chercha à s'entourer des lumières nécessaires avant de procédera cette œuvre difficile ('); et, le 29 septembre 1828, parut un arrêté royal qui décrétait un recensement ayant pour objet de constater l'état de la population au 1'^'' jan- vier 1830. Ce même arrêté portail que le dénombrement serait renouvelé tous les dix ans. Des instructions furent publiées pour assurer la régula- rité et l'exactitude des opérations, et l'on remit à domicile les bulletins que les administrés avaient à remplir. Des instructions furent en même temps transmises aux gouver- neurs des provinces, pour recommander le contrôle des bul- letins et la régularité du dépouillement. Les opérations du recensement se firent sans difliculté dans les différentes provinces, et les résultats étaient déjà recueillis, lorsqu'éclata la révolution de 1830 ; malheureuse- ment tous les documents se trouvaient réunis dans les chefs- lieux des provinces; il arriva de là que, pins tard, il devint impossible de compléter les tableaux du Limbourg et du Luxembourg. Il est à remarquer que ce recensement, de même que celui de 1846, prescrivait, comme partie complémentaire et essentielle, l'organisation de registres de population dans tout le royaume. (') Plusieurs personnes compélenles furent consullées à celte occasion : l'Aca- tlétnie royale de Bruxelles ne crut pas devoir refuser son appui, et elle mit au concours une ([uestion sur le meilleur mode d'opérer un recensement. — 547 — Smits revint en Belgique après la révolution de 1830; et, le 24 février suivant, il fut nommé^ par le gouvernennent provisoire, directeur de la statistique générale au ministère de l'intérieur : il fut, en même temps, chargé des fonctions de secrétaire du cabinet. Je profitai de cette circonstance favorable pour lui demander communication des documents du recensement auquel j'avais pris une part indirecte et de toutes les pièces relatives au mouvement de la population. Smits me les confia avec la plus grande obligeance, et je m'en servis pour calculer les premières tables générales de mor- talité et de population relatives à la Belgique. Peu de temps après, notre collègue me proposa de publier avec lui les principaux résultats des documents qu'il avait entre les mains : j'acceptai son offre avec plaisir , et, sur sa proposition, un arrêté du régent de la Belgique nous char- gea de mettre au jour le premier recueil officiel relatif à la population. Cet ouvrage in-8" parut en 1832, sous le titre : Recherches sur la reproduction et la mortalité, et sur la population de la Belgique. Notre confrère me proposa en même temps une seconde publication, celle relative aux Tribunaux de la Belgique. Il n'était pas sans inquiétude sur sa position comme directeur de la statistique générale, et il était naturellement jaloux de faire preuve de zèle et d'activité. Ce travail parut égale- ment sous nos deux noms , mais il faillit être étouffé à sa naissance. Au moment où paraissaient les premiers exem- plaires, Smits vint m'apprendre avec émoi que le ministre s'opposait absolument à leur publication. L'ouvrage conte- nait quelques renseignements très-curieux sur les causes locales de la criminalité : ces détails avaient, du reste, été transmis par des procureurs du roi, qui ne devaient point ignorer, par les circulaires qu'ils avaient reçues, que leurs communications étaient destinées à paraître dans un recueil - 548 - officiel. Le ministre craignait le mauvais effet que pouvaient produire ces renseignements dans le public ; et après quel- ques discussions, il fallut les supprimer (*). Cependant, ces renseignements ont été reproduits depuis dans différents ouvrages sans donner lieu à aucun des inconvénients qu'on semblait craindre. La statistique doit mettre la plus grande réserve dans renonciation de faits particuliers ; mais quand il s'agit de faits généraux, on n'a plus les mêmes motifs de se montrer méticuleux. Dès qu'un mal moral afflige une pro- vince ou une localité, il faut avoir le courage de le signaler et d'en provoquer le remède. En cachant les effets, on empêche de remonter aux causes et de détruire le mal. Malgré les faibles moyens mis à sa disposition, Smits pu- blia successivement quatre volumes sur la statistique géné- rale du royaume, et certes on doit lui savoir gré de ses efforts persévérants. Les matières y sont classées sous quatre grandes divisions : l'état physique, l'état industriel, l'état politique et l'état moral de la Belgique. 11 est à regretter que, depuis, on ait jugé à propos de s'éloigner de cette forme et de scinder la statistique, en partageant ses lambeaux entre les différents ministères : On conçoit qu'il est de l'intérêt de l'administration et de la science de centraliser, du moins pour les publications, et de revenir, dans des vues d'unité et d'économie, à ce qui existait d'abord (^). En 1841, Smits témoigna le désir d'obtenir sa retraite; elle lui fut accordée d'une manière honorable. Le ministre de l'intérieur, M. Liedts, qui proposait en même temps au roi une réorganisation de la statistique, le fît entrer, comme membre, (') Quelques exemplaires complets se trouvaient déjà en circulation, et il fut impossible de les retirer. L'ouvrage est intitulé : Statistique des tribunaux de la Belgique pendant les années 1826, 27,. 28, 29 et 50. Bruxelles, chez Hayez, 1833, in-4". (') Nous devons signaler une tendance générale à revenii' à code unité. — 549 — danslaCommission centrale, créée pararrélédui6marsl841. Notre collègue profila de sa nouvelle position pour cher- cher quelques délassements dans la poésie qui avait occupé à peu près exclusivement sa jeunesse. Il mit en ordre ses dif- férentes compositions et les publia, en 1847 ('), en les fai- sant suivre d'une quantité de notes relatives à sa carrière littéraire. Smits avait été chargé, en 1834, d'une mission spéciale par le gouvernement ; il devait visiter successivement Alger, Smyrne, quelques îles de la Grèce et Alexandrie en Egypte, pour y faire connaître les produits de l'industrie, de l'agri- culture et des mines de la Belgique; mais le vaisseau Le Robuste, à bord duquel il se trouvait, fît naufrage sur la côte d'Alger, et notre compatriote dut reprendre le chemin de sa patrie. Comme membre de la nouvelle Commission de statistique, Smits prit une médiocre part à ses travaux^ cependant il en suivit assidûment les séances, aussi longtemps que sa santé le lui permit. (') Œuvres poétiques d'Edouard Smits, 2 vol. in-12; Bruxelles, chez Vei- leneuil, 1847. L'ouvrage est |)récé(ié d'un |>orlrait, dessiné de la main de l'auieiir , i|iii ne s'est point flallé. JEAN -BAPTISTE VAN EYCKEN (1). « Jean-BaplisleVan Eycken était né à Bruxelles, le 16 sep- tembre 1809, (le Corneille Van Eycken el d'Élise Corde- mans ; il exerça la profession de ses parents, celle de bou- langer, jusqu'en 1829, époque de la mort de son père. )j Libre alors de toute entrave, il s'abandonna aux disposi- tions qu'il avait montrées depuis longtemps pour les arts, et ses progrès furent rapides. Entré à l'Académie de dessin de Bruxelles en 1830, il en sortit lauréat du grand prix de dessin d'après nature avec la plus grande distinction, en l83o. Quatre années après, il rentra à l'Académie, mais celte fois avec le titre de professeur de dessin et de peinture en remplacement de Paelinck. )) Ses études en peinture datent du mois d'août 1831. M. Navez le reçut dans son atelier, et, pendant quatre ans, Van Eycken fut un de ses élèves les plus zélés; il y exécuta quelques tableaux, wne, Sainte Famille, Fénus et V Amour, Les Saintes Femmes au Sépulcre, et un Saint Sébastien. {') La piemièie partie de ceUe nolice a été écrite (le la main de Van Eycken lui-même; elle contient des détails biographiques qui seront lus avec intérêt et «jue nous n'avons [las cru devoir altérer. - 551 - M 11 partit pour Paris en janvier 1837, encouragé par un subside de 900 francs, que lui accordèrent conjointement le gouvernement et la ville de Bruxelles; mais après en avoir joui pendant une année, il trouva des ressources suffisantes dans son travail, et pria le ministre de l'intérieur de vouloir en disposer en laveur de jeunes artistes moins bien favorisés que lui. » La ville de Liège, envers laquelle il est toujours resté reconnaissant, lui acheta, à l'exposition de 1837^ pour la somme de 3,500 francs, un Christ au Tombeau, pour son Musée, et un Bon Samaritain , qui fut payé 500 francs. Dans le même temps, il exécuta, à Paris, un tableau qui est placé au Musée de Lisieux, et un petit tableau qui fut acheté par M. Berlaer, de Liège. » En février 1838^ il partit pour l'Italie avec ses deux con- disciples, A. Roberti et J. Storms. Durant son séjour à Pa- ris, il avait reçu les conseils de De la Roche et de Schnetz ; à Rome, il eut ceux d'Ingres, si habile à inspirer aux jeunes artistes le sentiment le plus élevé de l'art. » FraBeati Angelico et Raphaël furent ses maîtres de pré- dilection, et il consacra tout son temps, en Italie, à faire des études. En février 1839, il rentra dans sa patrie et com- mença aussitôt un grand tableau représentant La Clémence divine. Ce tableau annonçait une tendance nouvelle dans la manière d'interpréter les sujets religieux. » Ce tableau eut du succès : il valut à l'artiste sa nomination de professeur à l'Académie de Bruxelles, celle de membre correspondant de la Société des Beaux-Arts de France (l^^'juillet 1840) et une médaille d'or, qui lui fut décernée au nom de la province de Brabant. » Il obtint la médaille d'or à l'exposition de Paris, en 1840. » La même année, il exécuta un autre tableau d'histoire, ^"2 — Saint Louis de Gonsague instruisanl les pauvres dans les hôpitaux, qui lui fut commandé par M. Deneuffbourg d'Eg- ger, pour l'église de Monceau-sur-Sambre. » Le 4 du mois de juin 1840, il avait épousé Julie-Anne- Marie Noël, dont le talent, le sentiment élevé, le caractère, lui promettaient de longues années de bonheur. Malheureu- sement une consomption longue vint enlever à l'artiste ses rêves de bonheur : Julie Noël fut rappelée à Dieu le 11 fé- vrier 1843. » Dans l'intervalle, il peignit deux grands tableaux poui- l'église de la Chapelle à Bruxelles : Le Rachat des captifs clirétiens et Saint Boniface, commandés par M. le curé Willaert )) Ce vénérable ecclésiastique, qui a fait preuve d'un goût si éclairé pour les beaux-arts, avait été le témoin du bon- heur de l'artiste. Le coup dont il fut frappé resserra leurs liens d'amitié, et c'est à ce sentiment que sont dus les quatorze tableaux de la Passion de ISolre-Seigneur, qui sont aujourd'hui placés dans l'église de Notre-Dame de la Chapelle. Dans un de ces tableaux, que le peintre a consa- cré à la mémoire de sa femme, se trouvent son portrait et le sien. )> Au mois de septembre 1847, ces tableaux furent expo- sés, pendant huit jours, au Musée de Bruxelles, et ils valu- rent à leur auteur la décoration de l'ordre de Léopold. » A l'exposition de 1848, Van Eycken exposa plusieurs tableaux, entre autres, La Femme du Prisonnier et Le Der- nier Chant de sainte Cécile, deux de ses meilleures produc- tions. Toutefois, celle de ses œuvres qui obtint alors un succès de vogue fut son Abondance. Se promenant un jour dans les champs aux environs de Bruxelles, que couvraient, en 1847, de magnifiques récoltes, il cueillit un épi double, et ce fut cet épi qui lui donna l'idée de représenter une jeune — oôo mûre, ligurant la bonne Terre, contemplant ces deux ju- meaux couchés au milieu des plus beaux produits de la terre. M. Ch. Vandenberghen acheta ce tableau, le jour de l'ouver- ture du salon ; mais ce sujet attira l'attention du roi et de la reine; et, le lendemain de leur visite au salon, la reine ma- nifesta le désir d'en faire l'acquisition. M. Vandenberghen, dont les procédés délicats sont connus, consentit non-seu- lement à satisfaire à ce désir royal, mais il commanda, en même temps, à l'artiste une variante du même sujet. Elle se trouve dans sa belle galerie, et le premier tableau fut of- fert, par la reine des Belges, à la reine d'Angleterre, qui conserve précieusement ce souvenir d'une amie et qui chargea Van Eycken d'exécuter un sujet analogue pour le cabinet du prince Albert. Ce tableau achevé et livré, elle le lui paya un tiers de plus que le prix qu'il en avait demandé. » A la même époque, Van Eycken, qui avait été nommé membre du jury de l'exposition, fut élu membre de l'Aca- démie de Belgique. M Vivement ému par la mort de la reine des Belges, qui, en mainte occasion, lui avait témoigné une extrême bien- veillance. Van Eycken retraça allégoriquement les derniers moments et les vertus de cette princesse avec un tel sen- timent de mélancolie, qu'à l'exposition de 1851, la commis- sion directrice, sur les instances du ministre de l'intérieur, pria l'artiste de ne pas l'exposer aux yeux de la famille royale. M. Vandenberghen, qui avait acheté ce tableau, en fit une exposition particulière au profit des pauvres; l'entrée, à 25 centimes, produisit 10,000 francs. » En 1848, Van Eycken proposa à l'Académie de Belgi- que de mettre au concours une question sur la peinture murale; sa proposition figura au programme, mais les con- currents firent défaut. » Il avait compris que là était l'avenir delà peinture d'his- - 554 — toirecn Belgique, et désireux d'introduire dans son pays la peinture murale, il ne se borna pas à des recherches et à des essais, il partit pour l'Allemagne, afin d'étudier par lui- même les procédés et la manière des grands maîtres qui illustrent ce pays. Il en reçut l'accueil le plus bienveillant; Cornélius lui expliqua ses admirables cartons; Kaulbach lui enseigna le procédé allemand dit IFasserglass. Il fit, en présence de ce dernier, une tète de vieillard d'après ce pro- cédé. A son retour en Belgique, le gouvernement l'engagea à introduire la peinture murale dans le pays et à choisir un emplacement pour son exécution (10 décembre 1850). Notre artiste reconnaissant envers son digne ami, le curé Willaert, choisit une chapelle dans son église pour y faire les pein- tures. Il y aborda de front toutes les difficultés en se servant des procédés différents, la fresque, le wasserglass et l'en- caustique, et il décora le plafond par un procédé qu'il avait inventé lui-même. » Après avoir travaillé pendant dix-huit mois, il finit, le 4 juin 1852, son œuvre, dont l'inauguration eut lieu le 6 du même mois. » Le public vit avec intérêt ces premiers essais de peinture murale; il applaudit aux efforts de l'artiste, comme il avait applaudi à ceux de son ami et de son émule, M, Portaels, à qui l'on doit la décoration de la chapelle de la rue Notre- Dame-aux-Neiges. Les amis de Van Eycken purent apprécier avec quelle active persévérance l'artiste poursuivait le noble but qu'il voulait atteindre. Déjà, depuis longtemps, il était en pos- session du procédé spécial mis en œuvre dans la peinture des huits figures qui décorent la voûte gothique de la cha- pelle confiée à ses soins; dans la séance du 8 août 1850 de la classe des beaux-arts de l'Académie, il déposa un paquet cacheté contenant la description de ce procédé; et, le len- — d55 - demain, il partit pour rAllemagne, afin d'y étudier les diffé- rents genres de peinture murale. Ce n'est que dans la séance du 3 juin, veille de l'inaugu- ration de la chapelle, dont la peinture venait d'être terminée, qu'il invita la classe à faire l'ouverture du paquet déposé dans ses archives, et le Bulletin de cette séance reproduisit tous les détails relatifs à la nouvelle invention ('). Ceux qui vivaient dans l'intimité de Van Eycken savent avec quels soins il avait étudié la grande œuvre qu'il allait entreprendre, et avec quelle distinction, avec quelle sévérité il avait dessiné les cartons des différents tableaux projetés. La gravure devait ensuite reproduire l'ensemble de tous ces travaux, et il prenait plaisir à diriger lui-même le jeune artiste, M. Campotosto, à qui l'exécution en était confiée; malheureusement sa mort prématurée ne lui a pas permis de voir l'achèvement de celte publication. Le mal qui devait l'enlever à son art et à ses nombreux amis avait fait des progrès rapides ; quelques chagrins éprouvés à l'époque de l'exposition de i85i avaient con- tribué peut-être à aggraver sa maladie. Il sentit, plus que jamais, le besoin de s'isoler, de prendre du repos et il se décida à voyager, mais ce fut sans succès : les espérances d'un jour étaient détruites par les souffrances du lendemain. Il revint à Bruxelles, mais déjà la science avait prononcé son arrêt : Fatal oracle d'Épidaure, Tu l'as dit : " les feuilles des bois A ses yeux jauniront encore; Et c'est pour la dernière fois » C'était peut-être avec la préoccupation de celte pensée qu'il ") Bulletins de 1852, tome XIX, 2* partie, pages 286 et suivantes. — 556 — retraça la scène touchante de la Chute des feuilles de Mille- voicj cette autre victime enlevée dans la force de son talent. Toutefois, Van Eycken n'abandonna point son art; repor- tant sa pensée vers l'Église, qui l'avait occupé pendant la principale partie de sa carrière d'artiste, il entreprit le dessin d'un grand carton^ représentant {"Assomption de la f^ierge. Il s'occupait, en même temps, de différents portraits d'amis et de membres de sa famille. L'état de sa santé lui prescri- vait les plus grands ménagements : vers la fin de l'été de 1852, il quitta son habitation de la place de la Chancellerie, qu'il avait pris tant de soin d'embellir et d'orner de ses pein- tures, et il alla s'établir dans le voisinage de la ville. Une maison un peu isolée et entourée d'un vaste jardin lui pré- sentait la solitude et la tranquillité qui lui étaient néces- saires, en même temps que la facilité de contenter son goût pour la culture des plantes. Bientôt les oppressions au.xquelles il était sujet et ses souffrances continuelles ne lui permirent plus de se livrer à la peinture. Pour occuper cependant l'activité de son imagi- nation, qui ne l'a point abandonné jusqu'au dernier instant, il employait ses loisirs à modeler des médaillons, dont les sujets gracieux et touchés avec une grande délicatesse de sentiment prouvent que, dans la sculpture aussi , il eût pu aspirer à une réputation justement méritée. Ses douleurs, loin d'altérer la vivacité de ses sentiments, semblaient, au contraire, leur avoir donné un nouveau deorré de bienveil- lance et de douce affection. Il envoyait à ses amis ses der- niers ouvrages, et les accompagnait de lettres où se peignait la bonté parfaite d'un cœur droit et sensible. Il reprodui- sait les portraits de ceux qui, plus intimes, avaient voulu partager ses nuits de soulTrance et veiller auprès de lui. Rien n'est plus propre à mettre en relief ses qualités mo- rales (jue le sentiment de dévouement dont il était l'objet. - 557 Ses collègues, MM. Roberli, Thomas, Hennc ont rivalisé de soins, avec les membres de sa famille, pour adoucir l'amer- tume de ses derniers instants. Si j'avais à retracer l'élévation des sentiments de Van Eycken et ses procédés pleins de générosité et de noblesse envers ses confrères, les exemples, certes, ne me manque- raient pas : j'aurais à citer le bien qu'il faisait à de jeunes artistes, quelquefois même à leur insu ; la manière délicate dont il acquittait les dettes de quelques-uns, sans avoir l'air de vouloir les obliger ; et les commandes de travaux qu'il leur faisait obtenir, en les substituant à lui-même. Son pinceau, dont il a fait un si noble usage, semblait toujours être au ser- vice de ses amis. L'un d'eux avait perdu sa mère dans un âge avancé; il ne conservait d'elle que des portraits faits depuis longtemps et qui ne pouvaient lui laisser le souvenir de ses dernières années. Van Eycken comprit ses regrets; il se renferma, et, par un heureux effort de mémoire, secondé par tout ce que l'amitié a de plus généreux, il repro- duisit les traits désirés, et se fît d'avance un bonheur de la surprise et de la reconnaissance de celui à qui cette œuvre était destinée. Cette organisation si douce, si sensible, si bienveillante, n'a cependant point échappé aux traits de la méchanceté, disons plutôt de l'envie; car si Van Eycken n'eût été doué d'un talent réel, personne n'eût songé à l'entraver dans sa carrière d'artiste. Il avait, aux yeux des jaloux, deux torts immenses qu'ils ne lui ont point pardonnes ; outre son mérite personnel comme peintre, il avait un caractère droit et honorable qui inspirait la confiance et qui lui a valu de nombreux travaux, et, par suite, un état d'aisance, dont il faisait, du reste, le plus noble usage. Rien ne témoigne mieux l'estime dont il jouissait que le concours des personnes de tous les rangs qui ont voulu — 358 — assister à ses funérailles. Malgré l'un des froids les jîlus rigoureux qu'on ait ressentis à Bruxelles, tous les artistes de la capitale y étaient présents ; l'Académie royale était représentée par les membres du bureau de la classe des beaux-arts et par les membres de la section de peinture domiciliés à Bruxelles, MM. Gallait, Madou, Verboeckho- ven, etc. : M. Navez, l'ancien maître, le collègue et l'ami du défunt, a été l'organe des regrets de l'Académie royale de dessin et de peinture, dont Van Eycken était l'un des pro- fesseurs; les derniers adieux de l'Académie royale de Bel- gique ont été exprimés par son secrétaire perpétuel; un jeune élève de l'Ecole de peinture est venu ensuite se rendre l'in- terprète des sentiments de douleur et de reconnaissance de ses camarades ('). {') Il est à désirer que le gouvernement facilite à la classe des beaux-arts de l'Académie, l'exécution d'un travail tout national qu'elle médite depuis plus deiiix ans, et qu'elle a dû différer jusqu'à présent par différents motifs indépendants de sa volonté. Les causes de ce relard n'existent plus, el la composition actuelle «le la classe permet d'exécuter l'un des ouvrages les plus beaux et les plus patrio- tiques que puisse produire aucun pays. La classe des beaux-arts renferme en effet pour la musique, l'architecture, la peinture et les arts qui en déi)en(lent, les aiixi - Maires les plus précieux dans MM. François et Edouard Fétis, Alvin, Van Hasselt, De Busscher, Sirel. Chacun d'eux a fourni les preuves de l'habileté avec laquelle il pouriait traiter la partie de l'art qui le concerne el en présenter largement les traits principaux, de manière à établir entre eux l'unité que doit présenter le Tableau général de l'art en Belgique. Espérons que, dans ces travaux académiques, les autres sections de la classe des beaux - arts voudronl bien seconder leurs collègues, en leur prêtant leur utile concours et en les aidant à tracer un aperçu des princi- paux ouvrages de leurs illustres aïeux. Il serait honorable pour la classe d'avoir mis sous les yeux de la nation et de l'étranger, la part que la Belgique a payée dans la plus belle partie du monument de l'intelligence humaine. LIVRE IV. SAVANTS ET LITTÉRATEURS ÉTRANGERS. — LEURS RELATIONS AVEC LA BELGIQUE. DOMINIQUE - FRANÇOIS - JEAN ARAGO (1). Je n'ai point la prétention d'offrir ici la notice biographi- que d'un savant dont le nom se rattache à la plupart des belles découvertes de notre époque, ni de faire valoir ses titres nombreux à la reconnaissance de la postérité. Je me bornerai à rappeler quelques-uns des liens qui le rattachaient à la Belgique. On voudra bien me permettre de joindre à ces détails des souvenirs particuliers qui feront mieux ap- précier les qualités personnelles de cet homme éminent. Je n'insisterai pas sur ce qui appartient à la jeunesse d'Arago; lui-même, d'ailleurs, a pris soin de nous conserver ces souvenirs en les entourant du charme poétique que sa brillante imagination prêtait à tous les sujets qu'il traitait (^) ; (') NéàEstagel, le 26 février 1786, morlàParis, le 2 octobre 1853. (') Voyez V Histoire de ma jeunesse, lome V des Œuvres posthumes d'/irago. Paris, chez Gide el Baudry, in-8", 1854. - 560 — je ne puis cependant me refuser au plaisir de citer le pas- sage où il rend compte d'une circonstance particulière qui, en quelque sorte, a décidé de sa vocation; ce passage, d'ail- leurs, concerne l'un de nos anciens confrères : a Je dois le dire, écrit Arago, mon véritable maître, je le trouvai dans une couverture du Trmite d'algèbre de M. Garnier. Cette couverture se composait d'une feuille imprimée sur laquelle était collé extérieurement du papier bleu. La lecture de la page non recouverte me fit naître l'envie de connaître ce que me cachait le papier bleu ; j'enlevai ce papier avec soin, après l'avoir humecté, et je pus lire dessous ce conseil, donné par d'Alembert à un jeune homme qui lui faisait part des difficultés qu'il rencontrait dans ses études : « Allez, Mon- » sieur, allez, et la foi vous viendra. » Ce fut pour moi un trait de lumière : au lieu de m'obstiner à comprendre du premier coup les propositions qui se présentaient à moi, j'admettais provisoirement leur vérité, je passais outre, et j'étais tout surpris, le lendemain, de comprendre parfaite- ment ce qui, la veille, me paraissait entouré d'épais nua- ges. » Arago pressentit de bonne heure les hautes destinées aux- quelles l'appelait sa brillante organisation et il s'y prépara par de fortes études. On ne connaissait pas encore ce que, depuis, l'on est convenu de nommer l'enseignement pro- fessionnel. Ses études littéraires nuisirent si peu aux études en sciences qui devaient le conduire à l'École polytech- nique, qu'à l'âge de dix-sept ans il fut reçu premier de sa promotion ('). (') M. Barrai a dit avec raison, dans son Intéressante notice sur François Arago : « Noii«; croyons fermement (in'un homme n'est grand, même dans les sciences, <|iie (|iiand il a fait des études littéiaires complètes; et nous plaignons notre siècle de se laisser emporter dans une léaclion où la gloire nationale s'obscurcira fata- lement, si l'on ne s'arrête pas .t temps sur le bord de l'abîme. Il n'est pas vrai — 561 — Cette grande institution, qui a donné tant de célébrités à la France , avait encore sa forme première : les élèves n'étaient point casernes; ils jouissaient de la plus grande latitude dans leurs éludes, et suivaient plus spécialement les goûts qui les portaient vers l'une ou l'autre branche des sciences. J'ai souvent entendu discuter les avantas;es et les inconvénients de l'ancienne et de la nouvelle organisation; si la première était plus favorable au développement des facultés intellectuelles, si elle a donné plus d'illustrations à l'Institut, la seconde peut-être a formé plus d'hommes capa- bles pour les services publics. Tout en signalant des abus qui tenaient au personnel de l'école, Arago était grand par- tisan de l'organisation ancienne, et il citait tous les hommes illustres qu'on eût probablement enlevés à la science, si on les avait assujettis impitoyablement à la règle commune, et à subir une torture intellectuelle sur ce nouveau lit de Pro- cruste; il citait surtout son ancien condisciple et ami, M. Pois- son, qui, avec des dispositions admirables pour l'analyse, était à peu près inhabile à produire une épure géométrique. Sur la recommandation de l'illustre Monge, Arago entra, en 1804, à l'Observatoire de Paris, monument auquel son nom s'est rattaché d'une manière si honorable pendant l'es- pace d'un demi-siècle. Une mission qu'il reçut en 1806 le détourna pendant plusieurs années des travaux astrono- miques; il s'agissait de continuer, en Espagne, la mesure du prolongement de la méridienne, commencée par Delambre et Méchain, et de l'étendre jusqu'aux iles Baléares. Bientôt après éclatèrent les préliminaires de la guerre de la Péninsule. Arago, tout occupé de ses opérations géodési- ques, ne quittait pas le sommet des montagnes où il était qu'il faille abaisser renseiar l'absence de i)Oule. Ce moyen, très-rationnel en théorie, ne me réussit cependant pas dans la i>ralique, et je dus em|)lojer une autre méthode de réduc- tion, (iflémoire sur les variations diurne et annuelle de la température. Mé- moires de V Académie royale de Bruxelles, tome X ; 1837.) J'en parlai à Arago, mais J'i^'noi e le parti aucjuel il s'en est tenu lui-même. Il se plaignait de l'ennui des calculs de réduction; je lui proposai de m'en charger, pour lui éviter une perle de temps, mais un sentiment de délicatesse Pempécha d'accepter. Quand Poisson publia, en 1835, sa Théorie mathématique de la chaleur, il demanda à son ami les résultats de ses observations sur les variations de température lus faibles de ces météores. « 573 — /i n'avail produit, selon lui, que quinze méléores par heure Peu de lemps après, je reçus de lui un billet conçu en ces termes : « Je viens de me drcider, à l'inslant, à écrire, pour l'Annuaire, un article relatif aux étoiles filantes. Vos impor- tantes observations ajouteraient, sans aucun doute, beaucoup à l'mtérêt que celte question inspire aujourd'hui au public; cest assez vous dire avec quelle reconnaissance je recevrai tout ce que vous aurez la bonté de me communiquer... (^). Je me hâtai naturellement de répondre à cette invitation amicale. Je réunis tous les résultats auxquels j'étais parvenu, et j'en fis la matière de deux longues lettres qui se trou- veront probablement dans les papiers du savant astronome. C'est à la fin d'une de ces lettres que je lui .signalais la nuit du iO août comme digne de fixer l'attention des physi- ciens. D'après mes observations et tous les documents histo- riques que j'avais recueillis, je me croyais assez sûr de mon fait pour le prier d'en faire l'annonce à l'Académie et d'invi- ter, dès lors, les astronomes à vouloir bien faire bonne garde vers cette époque. Mes prédictions ne lui parurent proba- blement pas suffisamment fondées, ou plutôt il les perdit de vue; toujours est-il qu'il n'en fut point question à l'Institut. (') Voyez Correspondance mathématique et physique de Bruxelles, tome IX page 183; Bruxelles, 18-57. (') Ce billet porte la dale .lu 12 décemlne 18-36; Pen-lête Imprimé montre qu'il a été écrit au Conseil municipal de la ville de Paris, peut-être même au milieu d'une discussion administrative. Un autre billet, du 11 avril 1845, écrit égale- ment dans le conseil municipal, contient une demande analogue': » Mon'^chei- ami, auriez-vous la honlé de m'envoyer le tableau des observations tliermomé- triques, faites à Bruxelles, du I"'^ décembre 1844 au 1" avril 1845? je désirerais l'insérer dans VJnmiaire, en rej-ard des tableaux correspondants de Paris et de /Toulouse. Il serait le principal argument d'un article intitulé : Quel temps fera- t-il?... » Je m'em|)ressai encore de communiquer les observations demandées^ VAnnuaire pour 1846 contient, en effet, un article intitulé : « Est-il possible', dans l'état actuel de nos connaissances, de prédire le temps qu'il fera à une époque et dans un lieu donnés? Peut-on espérer, en tout cas, que ce problème sera ré- solu un jour? y, Mais cet article fort intéressant ne contient aucune observation relative à l'hiver de 1844 à 1845. Mais ma surprise fui agréablement excitée, quand je lus, dans les journaux du mois d'août suivant, que des étoiles filantes avaient été observées en nombre considérable ('). J'éprouvai cependant quelque désappointement en voyant que l'annonce ne mentionnait point ma lettre. J'en fis l'ob- servation à Arago; il se hâta de me répondre d'une manière amicale : « Mon cher confrère, je n'ai pas parlé à l'Acadé- mie de vos prévisions au sujet des étoiles filantes du mois d'août, par la seule raison que je les avais oubliées. Je répa- rerai cette erreur involontaire de grand cœur, lorsque d'ici à peu de jours, j'aurai le plaisir de vous voira Bruxelles... Ce 29 août (1857), au moment de monter en voiture (^). » Et, en effet, huit à dix jours après, j'eus le plaisir de le voir et (le faire quelques excursions avec lui le long de nos che- mins de fer, qu'on s'occupait d'établir alors. Pendant tout le temps que nous passâmes ensemble, il ne fut pas question des météores du mois d'août; seulement au moment du dé- part, Arago me dit en souriant : «Je vous sais gré de deux choses : vous ne m'avez point parlé de vos étoiles filantes, ni de la bataille de Waterloo (^). » (') L'a|)paiilion exlraoïdinaiie des étoiles filantes ilii 10 au II août 1837 était mentionnée de la manière suivante, dans le Compte rendu de la séance du lundi 14 août : «M. Arago annonce (juMI y a eu, dans la nuit du 10 au 11 août dernier, une apparition extraordinaire d'étoiles tilantes. Son fils aîné, qui n'est pas astro- nome, et un de ses amis en ont compté 107 tnlre 1 1 heures '{, et minuit '/a, en se promenant dans le jardin de rOi)servatoire. De minuit 57' jusqu'à 3 heures 26, commencement du crépuscule, MM. les élèves astronomes Bouvaid et Laugierout observé 184 de ces météores. Le plus grand nombre semblait se dirii^ei- vers le Tauieau, ainsi «pie cela devait être, en- dant lui devoir une réponse; il s'en déclara très-peu satisfait. M. South, pour couper court, demanda à voir l'observatoire du savant physicien. Celui-ci, encore sous l'influence fâcheuse de l'accident arrivé à ses lentilles, refusa d'abord nette- ment, puis ne céda qu'avec répugnance aux nouvelles instances qui lui furent faites. Rien n'égalait mon embarras; cependant, en traversant la cour, je me hasardai à le questionner à mon tour, et je lui demandai s'il connaissait la loi de la polarisation de la lumière par un ciel serein. Qu'entendez- vous par là, dit-il? J'entrai dans (juelques détails, et pour joindre l'expérience à mes explications, je lui présentai un prisme que je portais toujours sur moi. — Qu'est-ce cela! — C'est un prisme de cristal de roche que M. Fresnel a eu la bonté de me faire con- struire pour l'analyse de la lumière. — Quelle est la disposition des pièces qui le composent? — Puis, après mes explications, il se mit à vérifier ce que je venais dédire. — C'est très-curieux; qui vous a appris cela? Il regarda encore attenti- vement mon prisme, et il ajouta amicalement, en me le rendant : Nous en cau- serons encore. A quelques jours de là, je revis M. Wollaston chez madame Somer- ville, et je le trouvai tel que j'aurais désiré le voir dès le premier abord. Plus de quinze ans ai)rès, j'eus occasion de me retrouver avec M. Alexandre Wollaston, son neveu, qui avait assisté à la terrible catastrophe des petites len- tilles, et j'ajtpris, de cet habile ingénieur, plusieurs particularités curieuses sur son oncle, qui, nonobstant ses bizarreries, était certainement un des meilleurs hommes «l'Anglelerre, comme il en était aussi un des plus habiles physiciens. — 580 — J'ai parlé d'un refroidissement qui s'était établi entre Arago et Bouvard vers l'époque où je commençai, en 1822, ma carrière astronomique à l'Observatoire de Paris. La manière dont la réconciliation fut amenée honore à la fois ces deux astronomes éminents. Tous deux étaient officiers supérieurs de la garde nationale et l'on se trouvait dans un instant critique : c'était, je crois, pendant le pillage de l'évèché. On battait le rappel; Arago se rendit chez Bou- vard, qui se préparait à sortir, et lui déclara tout d'abord qu'il ne souffrirait pas qu'il s'exposât, que c'était à lui, plus jeune, d'affronter le danger. Il s'établit aussitôt une dispute nouvelle à ce sujet, mais elle était de nature à devoir se terminer à l'amiable : c'est ce qui eut lieu en effet. Bou- vard m'a souvent répété que le généreux procédé de son confrère est une des choses qui l'ont le plus touché dans sa vie. Puisque j'ai parlé de l'affaire de l'évèché, qu'on me per- mette d'y ajouter quelques détails que je tiens d'Arago lui- même. Le peuple ameuté voyait de mauvais œil l'interven- tion de la garde nationale et l'accueillit par des huées : un sous-officier eut l'imprudence de tirer son sabre et d'en frapper un des assistants ; le sang coula et aussitôt le désordre devint extrême. Arago fut saisi à la tète de son bataillon et enlevé par vingt bras à la fois pour être lancé dans la Seine. En cet instant critique, il ne perdit pas la présence d'esprit, et tout en se débattant entre les bras desémeutiers, il s'écria : Hé bien! hé bien! que faites-vous donc? mais je ne sais pas nager!... Ces tnots désarmèrent les forcenés et l'on finit par rire. Ce qui me charmait surtout, dans ces rapides excursions faites avec Arago, c'était sa conversation si vive, si instruc- tive, portant sur tant d'objets divers et animée par une foule d'anecdotes sur les hommes les plus célèbres de notre épo- — 581 - que. Nos entretiens étaient, en outre, entrennèlés d'une série de petits incidents aussi amusants qu'imprévus. Sur le chemin de fer qui conduit à Gand, il renouvela un petit stratagème qui, bien qu'ancien, lui réussit à mer- veille. Un gros homme nous dérangeait ; il occupait évidem- ment dans la voiture, outre sa place, une bonne partie de celle qui nous appartenait. Laissez-moi faire, dit Arago, je vais vous en délivrer ; puis il se mit à peindre, sous les couleurs les plus sombres, les dangers des chemins de fer, les explosions des machines, les déraillements, les rencontres accidentelles, les voilures brisées, les voyageurs blessés ou tués. La figure du voisin incommode se rembrunissait pro- gressivement; notre homme s'agitait et se démenait sur sa place ; enfin il ne put plus y tenir, quand vint le récit lamentable d'une explosion récente qui avait projeté au milieu des champs, en même temps que les débris d'une chaudière, les membres palpitants du malheureux chauf- feur et de je ne sais combien d'autres victimes. Arrivé à cet épisode, notre homme partit aussitôt en grommelant et alla chercher gîte dans le compartiment voisin, tandis qu'Arago riait comme un enfant du tour qu'il venait de lui jouer. Puisque je suis en train de raconter des souvenirs intimes qu'on m'en permette encore un, ce sera le dernier. A la suite d'un déjeuner à l'Observatoire de Paris, avec Arago et sa famille, j'avais fait avec le savant physicien quelques (ours de jardin. En rentrant, nous aperçûmes le jeune Matthieu, enfant de cinq à six ans, qui s'était hissé sur une chaise pour atteindre à un pot de confitures placé devant lui et dans lequel il trempait ses petits doigts, pour les reporter ensuite à sa bouche. L'enfant tournait le dos à la porte et, dans sa préoccupation, il ne nous avait pas entendus. Accroupi sur ses petits genoux, il formait un tableau digne du pinceau - 582 - d'un tirtislL' : nous ne pûmes nous empêcher de sourire. Arago me fit un signe pour m'imposer le silence ; et, prenant sa voix la plus terrible, il lança ces paroles foudroyantes : «Que fais-tu là? tu voles mes confitures!... » L'enfant ef- frayé ne fit qu'un bond et courut aussitôt placer la table entre son oncle et lui. Arago fronça le sourcil et leva un in- dex menaçant : le pauvre petit tremblait de tous ses mem- bres et cherchait avec inquiétude le chemin de la porte dont son oncle lui barrait impitoyablement le passage. Cependant la voix terrible et le sourcil menaçant continuaient leur office, et j'aurais peut-être partagé les angoisses du pauvre enfant, si Arago ne s'était tourné de temps en temps vers moi pour rire de la peur qu'il inspirait. A la fin, trouvant une chance de salut, le coupable gagna rapidement la porte; il s'échappa de toute la vitesse de ses petites jambes, et sa fuite fut accom- pagnée d'un long éclat de rire de son excellent oncle. L'au- teur d'Emile n'eût peut-être pas approuvé le savant astro- nome; mais je le demande à tout homme qui connaît le cœur humain, les deux faits si différents que je viens de mention- ner ne suffiraient-ils pas pour montrer combien, sous cet aspect parfois sévère, il y avait de bienveillance et de véri- table bonhomie? Comme beaucoup d'hommes foncièrement bons et sensi- bles, Arago aimait à se faire terrible. Il savait le prestige qu'exerçaient sa voix mâle, sa constitution athlétique, son regard flamboyant, son épais sourcil semblable à celui de l'Olympien, et cette grande distinction répandue sur toute sa personne ; il ne dédaignait même pas d'en faire usage dans l'occasion; mais le plus souvent, ses sentiments étaient tout différents de ceux qu'il faisait paraître, et, pour des person- nes qui ne le connaissaient pas, l'histoire de son jeune ne- veu a dû se reproduire maintes fois. Quand on réclamait ses bons offices en faveur des sciences. - 583 — Arago se montrait toujours d'une obligeance parfaite. 11 en donna la preuve aux commissaires belges qui furent envoyés à Paris au mois d'août 1839, pour y constater la conformité des étalons prototypes des poids et des mesures de Belgique avec ceux de France. Habitué à ce genre d'opération, qu'il avait eu l'occasion de pratiquer déjà à la demande de plu- sieurs autres États, il voulut bien se charger de diriger lui- même le travail et de faire les principales observations néces- saires pour la comparaison de l'étalon belge avec celui qui est conservé aux archives de Paris ('). Notre gouvernement voulut reconnaître cet acte d'obligeance, et, comme un té- moignage de sa haute estime, il lui conféra la croix d'ofticier de l'ordre de Léopold (^). Chacun sait avec quelle chaleur, dans bien des circon- stances, il a fait valoir des découvertes nouvelles; avec quelle éloquence persuasive il a fait décerner des récompenses à leurs auteurs. Pour n'en citer qu'un exemple, il suffit de rappeler sous quel brillant coloris il a peint, devant l'Insti- tut, lui le premier, l'avenir réservé à l'invention de Niepce et de Daguerre, et par quel discours entraînant il lui a fait décerner une récompense nationale par la Chambre des dé- putés. Cette généreuse activité n'était pas bornée par les fron- tières de France; elle s'est bien souvent utilement interposée en faveur des sciences dans les pays étrangers. La parole d'Arago, dans de pareilles rencontres, avait une puissance (') Voyez le |»iocès-veihal de ces comparaisons dans VAlmanach séculaire de l'Observatoire royal de Bruxelles, page 435; Bruxelles, 1 vol. in-8", chez Hayez, 1854. (') Arago, en pareille circonstance, avait une habitude que chacun peut appré- cier à son poinl de vue : il ne i'é[)ondail pas à l'envoi qui lui était fait. Ce n'élnil point par un sentiment d'orgueil; il craignait peui-étre, par excès as plus soluble que ne le sont toutes celles qui se rapportent à l'origine des choses. Les aéro- lithes peuvent, tout aussi bien que les autres planètes, s'être conglobés sépaié- ment et comme noyaux, après de nombreuses modifications et dans des atmo- sphères mues circulaiiement comme celle qu'occasionne la lumière zodiacale, par exemple. » Pouiquoi cette matière qui, dans l'espace, se conglobe diversement en pla- nètes, comètes et aérolithes, aurait-elle été autrefois précisément dans la lune?...» Voyez Die Sternschnuppen de Benzenherg, et la traduction de cette lettre dans la Correspondance mathématique et physique, tome IX, page 387; Quetelet, Bruxelles. — 604 - sila pas à demander ses conseils pour les observations ma- gnétiques qu'il s'agissait d'organiser sur le globe entier. Notre illustre savant exerçait sur tous les esprits la plus grande influence. Cette alliance entre l'homme supérieur qui sert d'appui et le jeune homme qui a besoin de conseils, étend utilement l'empire de la science et produit toujours les résultats les plus assurés. Les siècles de Périclès, d'Auguste, de Louis XIV, mon • trent les puissants avantages que produisent les hommes éminents qui s'interposent entre les représentants du pou- voir et ceux dont ils ont reconnu les talents. De Humboldt en était un exemple frappant pour la Prusse. Dissolvez ce lien précieux, et le savant se trouve réduit à lui-même; vous rompez tous les rapports qui le rattachaient aux autres hommes. Les jeunes travailleurs, sûrs de ne rencontrer au- cun soutien, se trouvent abandonnés à eux-mêmes. Au lieu du savant qui sache les apprécier et leur tracer la route, ils doivent chercher un appui dans les administrations gouver- nementales : les plus capables reculent devant ces démar- ches. Généralement des avantages dus à la faveur ou aux privilèges étouffent le talent et font germer les passions au lieu du mérite. Voulez-vous avoir une idée de la protection qu'un pays donne aux sciences, aux lettres et aux arts? voyez quelle position on y fait aux hommes supérieurs dans cha- cune de ces parties. De Humboldt était, je pense, un de ces exemples qui échappent aux lois communes : il a toujours joui de la plus profonde estime; bien différent en cela de la plupart des sa- vants distingués, qui se voient parfois payer d'ingratitude ou d'un injuste oubli, surtout quand on peut croire que leur influence vient à cesser. L'humanité a ses faiblesses même chez ceux qui devraient en être le plus exempts. Quand on aborde les grands sujets de la météorologie et - 605 - qu'on cherche à s'en rendre compte, il est presque impossible (le ne pas reconnaître, par l'étude de certains phénomènes, que nos idées sont incomplètes quant à la structure et au mouvement de notre atmosphère, et qu'une modification doit être apportée dans la théorie actuelle. En 4853, à l'invitation du gouvernement des États-Unis, les États maritimes de l'Europe formèrent, à Bruxelles, un congrèsdestinéà répandre les mêmes vues scientifiques parmi tous les marins et à réunir leurs efforts pour arriver à un but commun. M. Maury, l'àme de cette noble entreprise, sentit fort bien qu'un des hommes les plus en état de comprendre l'étendue de ses vues, était le célèbre de Humboldt : aussi jugea-t-il avantageux, après la conférence, de se transporter à Berlin et d'aller en conférer avec ce savant qui avait illustré le sol de l'Amérique et qu'il n'avait malheureusement pas vu à la réunion de Bruxelles. De Humboldt trouvait à la cour de Prusse la distinction qu'inspiraient son savoir et son noble caractère; il vivait alternativement à Berlin et à Postdam, et y jouissait de tous les égards dus à son mérite. Ce qui pourra étonner chez un veillard de son âge, c'étaient, au milieu de toutes ces distractions de la cour, son exactitude à continuer jusqu'à son dernier moment les travaux qu'il avait entrepris, et sa régularité à répondre aux missives qui lui arrivaient de tous les points du globe. De Humboldt vint à Bruxelles en 1844; je fus assez heu- reux pour passer avec lui le peu de temps qu'il put nous donner; ce qui m'étonnait surtout, c'était cette vivacité de conversation et de mouvements qui annonçait plutôt un jeune homme qu'un octogénaire. De Humboldt, quoique étranger au pays, avait été nommé, en 1830, membre ordi- naire de l'Académie royale de Bruxelles, en vertu d'un article spécial du règlement de l'Académie ancienne, qui - 606 - permettait de nommer deux savants étrangers parmi ses membres. L'autre place avait été décernée à Fourier, secré- taire perpétuel de l'Académie des sciences de Paris. Nos pères aimaient ces privilèges accordés à des hommes supé- rieurs, dont les talents appartiennent à tous les pays, et ne marchandaient pas les honneurs qu'ils leur rendaient. Lors delà réorganisation de l'Académie en 1845, la place de membre ordinaire fut abolie et changée en celle d'associé de la Compagnie ('). Au moment de son passage par Bruxelles, de Humboldt se rendait à Paris avec le désir de revoir d'anciens amis et d'y porter son nouvel ouvrage, le Cosmos, qui y était à peine connu de nom, bien que déjà attendu par toute l'Allemagne depuis plusieurs années. Je ne dirai rien du succès de ce brillant écrit qui parle à la fois à toutes les intelligences. Il ne s'adresse pas aux sa- vants, et cependant ils peuvent y recueillir les renseigne- ments les plus utiles ; ils doivent surtout admirer ce regard perçant jeté sur l'ensemble de nos connaissances. Lorsqu'en 1857, fut déterminée la différence des longi- tudes entre les observatoires de Berlin et de Bruxelles, de Humboldt prit le plus vif intérêt à ce travail scientifique; non content de témoigner une douce affection à mon fils, il lui remit un billet amical : « Conservez-le, dit-il, comme souvenir d'un veillard que vous ne reverrez probablement plus.» On voudra bien m'excuser de rapporter cette circon- stance, mais elle peint mieux que je ne pourrais le faire par mes expressions la courtoisie et l'excellent cœur de cet homme d'élite. J'eus occasion, moi-même, de lui faire une dernière visite à mon retour du Congrès statistique de Vienne, dans le (') De Humboldt avait aussi reçu de notre souverain la décoration liu graml cordon de l'ordre deLéopold. — 607 — cours de la même année; je ne faisais que passer par Ber- lin; je suivis les bons conseils de MM. Encke et Dieterici (') et, grâce à leurs soins, j'allai trouver, le lendemain, à Pots- dam, l'illustre vieillard que je ne devais plus revoir. C'était la veille de son 88*^ anniversaire; il venait de terminer son dernier volume du Cosmos. Je lui trouvai toujours la même amabilité, la même animation ; il me parlait de ses travaux, comme il l'avait fait trente ans auparavant (^). C'est à lui surtout qu'on pouvait appliquer ces deux vers de Lafon- taine : Approche- l-il du but, quille-t-il ce séjour, Rien ne trouble sa fin : c'est le soir d'un beau jour. Alexandre de Humboldt mourut le 6 mai 1859, mais ses funérailles n'eurent lieu que le 10; elles furent célébrées avec éclat et réunirent ce que Berlin avait de plus marquant; toute la famille royale voulut prendre part au deuil univer- sel et rendre un dernier hommage à ce grand homme (^). (') M. Dieterici el M. Encke, tous deux associés de notre Académie, ont eux- mêmes succombé depuis, et ont laissé un grand vide dans les sciences qu'ils cul- tivaient avec supériorité. (') Quoique apparlenant à un palais royal, l'appartement était d'une simplicité extrême. Je remarquai sur le mur son poilrait et l'aspect de sa chambre, dans une composition exécutée par Hildebrandt : c'était l'original du dessin qui m'avait été remis, à Bruxelles, par M. le colonel E. de Olberg, nommé plus tard gouverneur de Luxembourg. (^) Depuis, l'empereur des Français lui a fait ériger une statue à Versailles; le prince Demidoff a présenté à l'Instilut de Paris un buste exécuté par Rauch ; et le Mexique, qu'il nous a fait connaître par ses écrits, a voulu également qu'une statue i)erpétuât son souvenir. ALEXIS BOUVARD (1). Depuis longtemps, Bouvard était l'un des astronomes les plus actifs de l'observatoire de Paris; il avait rendu de grands services à la science, soit comme observateur, soit comme calculateur. « Né le 27 juin 1767, dans un chalet du Mont-Joli, qu'on signalait encore, il y a peu d'années, aux étrangers qui passaient près de là, comme remarquable sous ce rapport, il appartenait à une famille estimable de propriétaires dans la paroisse des Contamines, située dans le haut Faucigny, en Savoie, près des bains Saint-Gervais et au pied du Mont- Blanc. Le commerce auquel ses parents le destinaient n'ayant eu aucun attrait pour lui, il se rendit à Paris en 1785, étudia les mathématiques el l'astronomie, et devint bientôt assez instruit pour être admis à l'observatoire en 1793, au moment où le comte Cassini s'en retira. Lors de la création du Bureau des longitudes, en 1795, Bouvard en fit partie en qualité d'astronome adjoint. Il découvrit, la même année, (■) Bouvard était né en Savoie, el il est moil à Paris le 7 juin 1843. Nous extrayons les premiers paragraphes d'une notice que lui a consacrée M. Alf. Gautier, dans la Bibliothèque universelle de Genève. i»our août 1843. - 609 — une nouvelle comète el en calcula les éléments. 11 fut chargé, en 4797, par le célèbre Laplace, de calculer des observa- tions de la lune de Bradiey et de Maskelyne, faites en 1750 el 1795, pour déterminer la valeur numérique de l'équation séculaire de l'apogée et du nœud de l'orbite lunaire, que ce grand géomètre venait de découvrir par la théorie de la gra- vitation universelle, et qui devait diminuer assez notable- ment les erreurs des fables de la lune. Les immenses cal- culs que Bouvard a été appelé à effectuer successivement, pour appliquer aux divers corps de notre système planétaire et réduire en nombres et en tables les formules obtenues par l'illustre auteur de la Mécanique céleste, constituent un de ses principaux titres à la reconnaissance du monde savant. 11 a été infatigable sous ce rapport, et il était toujours prêt à se dévouer aux travaux de ce genre dont Laplace le char- geait. Heureuse alliance du génie avec des facultés de calcul remarquables, qui a fort avancé la détermination précise d'un grand nombre de mouvements et de phénomènes cé- lestes. )) Bouvard partagea avec Bûrg, en 1800, le prix proposé par rinstitut de-France, sur la comparaison des observa- tions avec les tables, pour fixer les longitudes de l'époque, de l'apogée et du nœud de l'orbite de la lune. Il fut élu membre de l'Institut en 1803. 11 publia, en 1808, la pre- mière édition de ses tables de Jupiter et de Saturne; la se- conde, qui a paru en 1821 , a été augmentée de tables d'Uranus, que Bouvard s'est occupé de perfectionner jusque vers la fin de sa vie. » A travers les grands travaux de calcul dont je viens de parler, Bouvard n'en continua pas moins avec beaucoup de zèle ses travaux d'observation. L'observatoire de Paris ayant acquis de nouveaux instruments, il se dévoua, pendant un très-grand nombre d'années, soit aux observations régu- 39 - 610 — lières, faites avec les instruments placés dans le plan du méridien, soit aux observations occasionnelles. 11 découvrit et observa un assez grand nombre de comètes, et en cal- cula les éléments paraboliques d'après la méthode de La- place. Il fut l'un des astronomes qui niirent le plus d'intérêt à la détermination des différences de longitude géographi- que, d'après les observations de la lune et des étoiles voisines de son parallèle, et il calcula d'après ces observations la différence des méridiens entre Paris et Greenwich. » Bouvard s'est occupé aussi de météorologie. C'est lui qui a longtemps dirigé les observations de ce genre, faites par son frère à l'Observatoire de Paris. 11 a communiqué, en 1827, à l'Académie des sciences de Paris, un excellent résumé de ces observations, qui a été publié dans le tome VII des Nouveaux Mémoires de cette académie. 11 a lu aussi, à la réunion de la Société helvétique des sciences naturelles, qui eut lieu, en 1829, à l'hospice du grand Saint-Bernard, un mémoire intéressant sur les variations diurnes du baromè- tre, dont il a paru un extrait dans le tome XLl de la pre- mière série de la Bibliothèque universelle. » Ce n'est pas seulement par ses propres travaux que Bouvard a été utile à la science^, il l'a été aussi par les services qu'il a rendus à ceux qui la cultivaient et par les élèves qu'il a faits. C'est lui surtout qui a découvert et dé- veloppé les facultés distinguées dont Gambart était doué, et dont ce dernier a fait preuve dans sa trop courte carrière astronomique. Gambart donnait à Bouvard le titre de père; et lorsqu'il a senti les progrès de sa maladie devenir graves, c'est chez lui qu'il est venu mourir. M. Quetelet, directeur actuel de l'Observatoire de Bruxelles, a reçu de Bouvard d'utiles directions pendant ses premiers séjours à Paris, et a entretenu dès lors avec lui de très-amicales relations. Bouvard a eu aussi la satisfaction de former à — 6H — l'aslronomie l'un de ses neveux , M. Eugène Bouvard, qu s'est déjà fait connaître avantageusement par divers travaux d'observation et de calcul. » Bouvard joignait à un grand dévouement pour la science, beaucoup de simplicité, de droiture et de bonté de cœur. C'est lui qui a bien voulu, de concert avec M. le baron Maurice, commander à Gambey les deux principaux instruments du nouvel observatoire de Genève. Je lui ai eu personnellement de nombreuses obligations; et en attendant qu'un hommage plus digne de lui soit rendu à sa mémoire, j'ai éprouvé le besoin de lui payer un léger tribut de re- connaissance et de regrets. :» La notice qui précède signale quelques-uns des titres que Bouvard s'est acquis à l'estime des savants, et présente un aperçu des travaux qui ont marqué la carrière de cet astro- nome distingué. Je me permettrai de faire connaître plus intimement un type de ces hommes rares qui se dévouent en- tièrement aux sciences et à ceux qui les cultivent : c'est pour ainsi dire s'attacher à eux par des liens plus saints que ceux de la parenté, que de partager leurs goûts et leurs travaux. J'étais arrivé à Paris, vers la fin de 1823, avec la per- spective de pouvoir construire un observatoire en Belgique, mais en même temps avec la conviction que toute mon in- struction en astronomie pratique restait à faire. Mon premier soin fut de me rendre à l'Observatoire royal ; mais, en en- trant dans ce monument illustré par tant de grands travaux, je sentis mieux encore tout ce qui me manquait. Je n'avais pas même de lettres d'introduction pour sauver les embarras d'une première visite Je montai cependant avec assez d'as- surance le grand escalier; mais quand je me trouvai entre les portes voisines d'Arago et de Bouvard, je restai quelque temps indécis. J'allais frapper à la première, quand Bou- vard, qui sortait de chez lui pour se rendre dans les salles — 612 - (l'observation, me demanda qui je cherchais. Je lui racontai tout d'abord mon histoire, que cet excellent homme parut écouter avec intérêt; puis, il m'emmena avec lui et me mit en présence des instruments astronomiques, spectacle tout nouveau pour moi. Il eut la bonté de m'en expliquer la desti- nation et l'usage, et me permit de venir observer, quand je le voudrais. Dès le soir même, je profitai de cette permission; et, à mon grand étonnement , je pus pénétrer librement et seul au milieu des instruments et des papiers de l'observatoire. Je revins les soirs suivants, et toujours même confiance. Ce que je viens de dire est l'histoire de tous les étrangers qui, à cette époque, ont visité l'observatoire de Paris dans le même but que moi, et ils sont assez nombreux. Ils doivent reconnaître qu'il serait impossible de trouver ailleurs plus d'obligeance et plus de facilités pour s'instruire {'). Pendant que je m'exerçais , le bon Bouvard venait de temps en temps s'informer de mes observations et il les exami- nait. Ses paroles étaient toujours encourageantes; et, quand il remarquait que j'avais trop froid, il m'invitait à passer chez lui. Peu à peu, il me témoigna plus d'affection, et me pro- posa de m'initier aux calculs pratiques de l'astronomie. Dès lors, il voulut bien diriger toutes mes études avec une bien- veillance vraiment paternelle. Il ne s'en tint pas à ces témoignages de bonté ; il me pré- senta à ses amis, et parmi eux se trouvaient Laplace et Pois- son. Je fus admis aussi à ses petits dîners des jeudis (^), (') Je me trouvais à l'Ohseivatoire de Paris en même lemps que M. Gaiilier, (jui venait également «'occuper de la [tratique de rastronomie, en attendant la construction du nouvel 0!)servatoire de Genève, qu'il était appelé à diriger. Je range parmi les acquisitions les plus précieuses de celle épo(|iie l'amitié de ce savant astronome. (') Il y léunissait hai)ituellement une dizaine de personnes, choisies parmi les savants et ses amis intimes. — «13 — et je devins en quelque sorte un mennbre de sa famille. Bouvard n'avait alors auprès de lui que son frère aîné ; il s'était marié, mais des chagrins domestiques l'avaient séparé de sa femme ; et cette excellent homme sentait le besoin de reporter son affection sur des personnes sûres et dévouées. Dans son intimité, il aimait à rappeler les souvenirs de sa jeunesse et les épreuves pénibles par lesquelles il avait dû passer^ surtout au moment de la révolution. Il enseignait les mathématiques à Paris, quand, de par la loi, il fut nommé astronome à l'observatoire que Cassini venait de quitter. Il voulut représenter humblement que ses études n'avaient pas été dirigées vers l'observation , mais il fut renvoyé à son poste, avec menace d'être emprisonné, s'il le quittait : ce fut le commencement de sa carrière astronomique. Ces licences, qui ressemblaient un peu à celles de Sganarelle, eurent ce- pendant les meilleurs résultats. Bouvard, dans son nouveau poste, n'avait les moyens ni de se vêtir ni de se nourrir; il me parla souvent des privations cruelles qu'il dut s'imposer alors. Il se livra cependant franchement et avec ardeur aux éludes astronomiques, et finit bientôt par aimer avec passion la carrière dans laquelle il avait été poussé d'une manière si brusque. Le récit de ses relations avec plusieurs des principaux personnages de cette époque, et surtout avec les savants, jetait beaucoup d'intérêt sur sa conversation intime; mais il fallait le prendre en dehors de ses heures de travail, qu'il n'entendait pas voir déranger. On se ferait difficilement une idée des calculs immenses qui ont été exécutés par Bouvard, soit pour les réductions des observations de tout genre, soit pour la confection de ses tables astronomiques, soit pour les Annuaires et la Connais- sance des temps, soit surtout pour la Mécanique céleste. Les calculs relatifs à ce dernier ouvrage formaient, à eux seuls, - 614 - des piles de cahiers qui semblaient avoir dû occuper plus que la vie d'un homme (*). L'habitude de calculer lui avait donné, il est vrai, une admirable facilité pour ce genre de travail. Il était si sûr de son fait que, quand il entreprenait des calculs nouveaux pour résoudre une difticulté scientifique, il faisait, à peu près comme l'ingénieur, un devis de son tra- vail et estimait d'avance combien il aurait de logarithmes à chercher, d'équations à résoudre , combien de cahiers à remplir et de journées à employer. On conçoit qu'on était mal venu, en cherchant à faire perdre son temps à un homme qui savait si bien en régler l'emploi. Je revins en Belgique en 1824 , et je continuai à recevoir de nouvelles preuves de l'amitié de Bouvard ; il me trans- mettait les nouvelles scientifiques qui se rapportaient à mes travaux et me tenait au courant des découvertes astrono- miques. L'Académie royale de Bruxelles à qui je faisais part de ces communications, inscrivit, le 8 octobre 1825, le nom de Bouvard parmi ceux de ses correspondants pour la classe des sciences. Notre nouveau confrère parut sensible à ce témoignage d'estime. « Cette faveur m'est d'autant plus flat- teuse, m'écrivit-il, que je ne m'y attendais pas. Etre asso- cié aux académies, c'est la seule ambition du savant; quant à moi , je n'en ai pas d'autre: malheureusement plus on obtient de faveurs de ce genre, plus on a de devoirs à rem- plir. » Sa correspondance fil preuve que ce n'était pas là une formule de simple politesse; il ne se borna pas en effet à accepter le titre, il remplit fidèlement les devoirs de cor- respondant de l'Académie. L'année suivante, Bouvard fit le voyage d'Angleterre, où (') Ses manuscrits furent vendus publiquement, après sa mort, pour la modi- que somme de trois à quatre cents francs; ils ont été achetés par son neveu M. £ag. Bouvard. — 615 - il était attendu avec son illustre ami, l'auteur de la Mécani- que céleste. Mais l'âge et la santé de M. De Laplace déran- gèrent les plans arrêtés. Bouvard seul fit le voyage et reçut des savants anglais l'accueil le plus cordial, accueil bien mérité par son noble caractère et par cette longue série de services qu'il n'avait cessé de rendre aux sciences. Il fut surtout vivement louché de sa réception à la Société royale de Londres, dont il fut nommé membre étranger par accla- mation. Cette distinction en effet, qui ne s'accorde qu'à un petit nombre d'élus, devait le flatter surtout par la manière dont elle était accordée dans les lieux même où avaient siégé Newton, W. Herschel et cette série de savants illustres qui feront à jamais la gloire de l'Angleterre. Bouvard revint par la Belgique et me prêta l'appui de son nom auprès du gouvernement, pour m'aider à réaliser mes projets de construire un observatoire à Bruxelles ; déjà une somme de 20,000 florins avait été allouée à cet effet, mais elle était insuffisante. J'eus le plaisir de pouvoir lui annoncer, presque aussitôt après son retour à Paris, que le gouverne- ment entendait faire les choses d'une manière convenable et construire à Uranie un temple qui fût véritablement digne d'elle. Bouvard en fut enchanté, il en parla à tous ses amis, comme d'une faveur qui le touchait personnellement ('). (') « C'est avec un bien grand plaisir que j'ai reçu la lettre que vous m'avez l'ait l'honneur de m'écrire pour m'annoncer l'arrêté de S. M. le roi des Pays-Bas concernant la création d'un observatoire à Bruxelles. Il n'était pas douteux que les fonds promis avant l'arrêté royal, ne fussent insuffisants, pour ériger un observatoire réellement utile à la science. Maintenant, puisque la dépense n'est pas déterminée, faites votre plan de telle sorte qu'il soit le plus convenable et le plus avantageux, afin de pouvoir y placer les instruments principaux qui doivent meubler un observatoire complet, fait pour honorer le souverain qui en a or- donné la construction. Je me suis empressé d'annoncer à tous les savants la création de votre observatoire. Les journaux en ont parlé. Je suis chargé, de la part de mes confrères, de vous féliciter de l'heureux succès de vos constantes sollicitudes en faveur de la science. MM. Poisson et Laplace prennent un véri- table intérêt à voir créer un observatoire en Belgique. » (10 juillet 1826.) — 616 — Dès lors il me fit part du projet qu'il avait formé de reve- nir fréquemment en Belgique; il voulut le réaliser dès le commencement de l'année suivante, et venir assister aux pre- miers travaux du nouvel édifice ; mais cette époque que nous appelions l'un et l'autre de tous nos vœux, devait lui être fatale; elle devait porter la douleur chez tous les amis des sciences. L'illustre auteur de la Mécanique céleste mourut le 5 mars 1827. Bouvard perdait en lui son ami le plus intime^ l'homme à qui il avait consacré tous ses travaux, toute son existence : il resta comme anéanti par cette perle immense (*). J'essayai de lui porter quelques consolations et de le dé- {') Gel événement falal me fui annoncé aussilôl par la leltie suivante de M. Célestin, jeune homme (|ue Bouvard avait pris en affection et qui demeurait auprès lui. Lundi, 5 mars, M 1/4 heures du matin, 1827. « Je viens vous faire part de la perle irréparable que nous avons faite de l'illustre auteur de la Mécanique céleste. H est expiré ce matin, à neuf heures cinq minutes, dans les bras de son ami de trente ans, M. Bouvard, qui ne vivait, en quelque sorte, que pour M. De Laplace. L'excellent et respectable M. Bouvard est plongé dans la plus grande désolation. Celle séparation est pour lui un coup de foudie. Faut-il (|ue j'aie vu couler des yeux de cet homme de bien des ruisseaux de larmes! Joignez-vous à nous poui' le consoler de celle perte. 11 vous aime tendrement el il recevra vos consolations avec reconnaissance. Je vous écris ce peu de lignes à côté même de l'illuslre défunt ; la garde a- rableque les sciences, M. Bouvaid et moi en particulier, nous avons faite par la mort de M. De Laplace. Celait la représentalion de la science en Europe, le chef d'une grande école, le génie planant sur les supéi'iorités qui restent, un géomètre philosophe pro. liguant son savoir, ses conseils et son affection à loutce (|ui pou- vait contribuer aux progrès des lumières, et portant dans tout ce qui pouvait en hâter les progrès un feu sacré, un zèle el une activité dont on verra i)eu d'exem- ples. Je ne pourrais vous dire (juelle a été ici notre douleur el notie confusion dans les premiers moments. Quelle est la main qui pourra tracer l'histoire d'une si vaste el si glorieuse carrière? Notre respectable ami M. Bouvard se remet dif- ficilement de son chagrin. Il est encore à Arcueil auprès de madame De Laplace. - 617 - terminer avenir en Belgique, mais il me répondit par la lettre suivante, où perce à chaque ligne le chagrin dont il était accablé. « Je suis bien sensible à toutes les choses bienveillantes que vous m'avez fait le plaisir de m'écrire dans votre lettre du 7 du courant. La perte que nous venons de faire sera sentie dans toute l'Europe. La mort de ce grand homme m'accable; ami intime depuis trente-deux ans, ayant passé ma vie à travailler avec lui pour les progrès des sciences, con- fident de ses pensées, je me trouve maintenant abandonné sans retour de l'homme avec qui j'étais pour ainsi dire iden- tifié. Je ne suis plus en état, quant à présent, de penser à rien. Mes idées sont tellement confuses que je passe les jours sans trop savoir comment. » Le jour fatal de la mort du Newton français, je suis parti pour Arcueil, avec sa veuve inconsolable, et je ne viens à Paris que pour y passer quelques instants. Je ne puis quitter celte famille si respectable , mon absence serait dans ce moment impossible. En conséquence , mon cher ami, je ne quitterai point Paris avant quelques mois. Recevez , je vous prie, mes remercîments pour votre obligeante invitation d'aller me consoler, chez vous, de mes peines et de mon profond chagrin. Je préfère aller vous voir dans un temps plus heureux, dans un temps où j'aurai l'àme plus calme... » (19 mars 4827.) Gambart, que Bouvard considérait comme son propre fils, avait fait les mêmes tentatives pour l'éloigner de Paris Vous feriez bien de lui écrire; dans son amilié pour vous, il en éprouverait du bien. » On me pardonnera sans doute de citer ces passages de lettres |iarticulières, mais rien de ce qui se rattache à une époque aussi remarquable dans l'histoire des sciences ne doit être omis. — 618 — et l'attirer à Marseille, mais inutilement; il en reçut la même réponse. Gambart m'écrivit alors le billet suivant que je conserve avec les sentiments que je porte à la mémoire de deux astronomes pour qui j'avais la plus profonde estime. Le même billet m'annonçait la découverte qu'il venait de faire d'une comète, pendant la nuit du 21 juin 1827. « Comme ami et bon ami de Bouvard, je vous aime pour la sollicitude que vous prenez pour alléger ses peines. Je vous engage à continuer à l'attirer auprès de vous. C'est le plus grand service que vous puissiez lui rendre dans l'état présent de sa santé. Il vous aime beaucoup et votre société lui ferait un bien infini. C'est au point que je vous l'enver- rais , si je l'avais ; car, avec mon caractère tant soit peu récalcitrant, je ne serais guère capable de consoler son cœur ni de calmer son esprit. » Je n'ai point eu le bonheur de connaître personnellement Gambart, et néanmoins, placés à deux cents lieues de dis- tance, nous nous sommes aimés comme des frères, par l'ami- tié même que Bouvard nous portait. La lettre si touchante et si amicale de Gambart m'autorisait à insister auprès de notre bon père, et j'eus le bonheur de l'emporter en effet. Bouvard revint en Belgique pendant le mois de juillet, et bientôt ma famille devint la sienne. Mon beau-père, né comme lui dans les monlaenes de la Savoie, médecin d'un savoir profond et d'un noble caractère, fut un lien de plus pour le rattacher à la Belgique. Il fut convenu, dès lors, que les voyages seraient plus fréquents et que les deux famil- les n'en formeraient à l'avenir qu'une seule. Mais l'âge et l'état de santé de Bouvard devinrent bientôt des obstacles qui empêchèrent de réaliser ce projet. Il ne cessait cependant de m'encourager et de me prodiguer ses conseils. « Si j'étais jeune, mon ami, je me livrerais sans relâche aux travaux les plus pénibles de la science, me disait-il, afin que ma — 619 - patrie put rivaliser avec les pays étrangers. Vous êtes jeune, et bientôt vous aurez un bel observatoire, muni de bons in- struments; tâchez de prendre rang parmi les savants que j'admire et dont je suis presque jaloux. Mais, hélas! mon temps est presque passé; je ne puis plus rivaliser avec per- sonne. Il ne me reste donc plus rien d'important à faire si- non d'exciter les jeunes savants, à leur donner des conseils, à leur tracer grossièrement la route qu'ils doivent suivre pour acquérir une réputation bien méritée et les éloges de la postérité. (29 octobre 1828.) » Pendant l'année 1829, le projet de nous revoir dut être différé encore, à cause de la mauvaise santé de Gambart. Depuis la mort de De Laplace, le bon Bouvard avait senti plus que jamais le besoin d'être aimé : il éprouvait un vide que rien ne pouvait combler. Appuyé sur une tombe encore humide de ses pleurs, il ne voyait pas sans un sentiment d'effroi une autre tombe prête à s'entr'ouvrir pour engloutir son fils adoptif, l'une des plus belles espérances de la France. « Je compte bien aller en Belgique, ce printemps, écrivait- il, et aller passer une quinzaine de jours en Hollande, mais sans pouvoir espérer d'aller plus loin; car la santé de mon cher ami Gambart se rétablit un peu; il doit aller prendre les eaux en Savoie; je me propose d'aller le rejoindre pour passer quelque temps avec lui. Je ne puis guère lui refuser cette satisfaction, car si je donnais la préférence au nord de l'Allemagne, il serait très-affligé de«ma conduite à son égard. C'est un de mes enfants adoptifs; mais, hélas ! je crains bien que sa misérable santé ne l'empêche de voyager, m Bouvard se rendit, en effet, en Savoie et passa, avec Gam- bart, trois semaines aux bains d'Aix. Il parcourut ensuite les principales villes de la Suisse : Bâle, Zurich, Lucerne, Berne, Lauzanne et Genève, et assista à la réunion de la Société helvétique qui avait lieu, cette année, à l'hospice du - 620 — grand Saint-Bernard. Gambart se trouvait dans un état de santé beaucoup plus satisfaisant. Les deux amis se séparè- rent à Lauzanne, le 23 août, et Gambart reprit le chemin de Marseille. Cependant Bouvard n'avait pas entièrement renoncé à la culture des sciences : du vivant de De Laplace, il s'était occupé de discuter les observations météorologiques qui avaient été faites à l'Observatoire royal, et, après la mort de cet illustre géomètre, il en présenta les résultats à l'Acadé- mie des sciences ('). Ce travail immense est basé sur plus de cent mille observations tant barométriques que thermomé- triques. Avant l'impression, il en publia un résumé dans la Correspondance mathématique et physique de Bruxelles. 11 donna en même temps le résultat de ses remarques sur les différents vents qui peuvent régner simultanément dans l'atmosphère, et sur leur influence dans les indications du baromètre (^). On n'a peut-être pas eu assez égard à ces dernières observations, qui n'ont été vérifiées nulle part, du moins à ma connaissance. L'année suivante, Bouvard me communiqua l'extrait d'un nouveau mémoire Sur les Variations diurnes du baromètre, extrait qui fut également inséré dans la Correspondance ma- thématique. L'auteur s'y proposait de rechercher la loi et les causes des variations diurnes de la pression atmosphé- rique, en tirant parti des observations faites dans divers endroits du globe; et il croyait pouvoir déduire de ses tra- vaux qu'ew partant de Véquateur^ les périodes diminuent à peu près proportionnellement au carré du cosinus de la latitude, et que ces mêmes périodes, sous l'équateur, en s' élevant à de grandes hauteurs, diminuent dans le rap- (■) Mémoire sur les observations météorologiques faites à l'Observatoire royal de Paris, par M. A. Bouvanl, lu le 25 avril 1827, tome VII des Mémoires. {') Corresp. math., lome III, p. 154, année 1827. - 621 — port inverse des températures des lieux où les observations sont faites. Bouvard communiqua ce travail à l'Inslitul au mois de décembre et le retira ensuite pour le revoir. Les membres du Bureau des longitudes l'accueillirent favorablement; il fut même convenu qu'on favoriserait le plus possible ce genre d'observations, pour arriver à la connaissance plus intime des lois qui dominent les grands mouvements pério- diques de notre atmosphère. C'est ce que Bouvard s'empressa de me faire connaître par la lettre suivante, écrite le 24 jan- vier 1829: « Pour confirmer mes hypothèses sur le phénomène de la variation diurne du baromètre, le Bureau des lonQ;iludes m'a autorisé à faire construire des baromètres pour en don- ner aux voyageurs qui seront disposés à faire des séries d'observations dans des lieux où il importe le plus d'en faire : sous l'équaleur, au niveau de la mer et à de très-grandes élévations au-dessus de ce niveau. Il serait également im- portant d'en faire à de très-grandes latitudes; mais, pour obtenir des résultats exacts, il faut que ces observations soient continuées longtemps, afin de détruire les erreurs des causes locales, qui sont d'autant plus prépondérantes que les périodes diurnes sont moins prononcées; et, comme elles vont toujours en diminuant en allant vers l'un ou l'autre pôle, les erreurs des observations, indépendamment des causes locales, sont du même ordre que la plus grande des quatre périodes diurnes. )) Pour bien déterminer les lois de ces variations, il im- porte que les observations soient faites aux époques des maxi- mum et minimum. On peut également faire concourir les observations faites à d'autres instants, parce que la formule peut les employer conjointement avec les autres, et même, — 622 — pour bien déterminer les lois, il faut multiplier les observa- tions autant que possible. » Lorsque j'aurai réuni un grand nombre d'observations équatoriales, que je regarde comme les plus importantes, je ne doute pas que je ne puisse alors confirmer mes idées sur ce singulier phénomène météorologique. J'espère qu'alors les géomètres daigneront s'occuper de la théorie; et, si l'on parvient à démontrer ma formule, la même théorie fera con- naître également la cause des grandes variations du baro- mètre qui, jusqu'à présent, sont inexplicables. La météoro- logie deviendra une science, car jusqu'à présent, elle n'a pas mérité ce nom , puisque nous ne connaissons encore rien sur celte matière. Les temps à venir confirmeront, je l'es- père, mes idées, à moins que je ne me trompe grossièrement sur les lois de ce phénomène. » Cependant les lois que Bouvard croyait avoir établies ne furent pas adoptées sans difficulté. Il s'éleva même des ob- jections assez graves pour qu'il crût devoir soumettre tout son travail à un nouvel examen. 11 le fit avec toute la can- deur et tout le désir de connaître la vérité, qu'il portait habi- tuellement dans ses recherches. Qu'il me soit permis de citer encore un passage de sa correspondance où il rend compte de la perplexité dans laquelle il se trouve : u J'ai présenté mon travail à l'Académie en décembre dernier, mais il est encore entre mes mains pour y faire quelques changements et satisfaire des amis difficiles^ con- cernant la formule empirique que j'ai établie pour réduire les observations des périodes à l'équateur. Pour réduire ces périodes, je suppose qu'elles varient comme le carré du co- sinus de la latitude, el ensuite dans le rapport inverse des températures correspondantes, comme je l'ai dit dans ma notice que vous avez imprimée dans votre journal. Messieurs - 623 - nos géomètres physiciens m'objectent que co rapport n'est point admissible, attendu que le zéro du thermomètre est arbitraire; que si j'employais la division de Fahrenheit, la loi supposée ne serait plus vraie, et qu'en pareil cas, je ne devais employer que les différences des températures, et non les quantités absolues de ces températures. Longtemps avant de présenter mon travail, j'avais bien songé à celte difficulté; j'avais cherché s'il était possible d'introduire dans ma for- mule une fonction arbitraire du rapport des hauteurs du baromètre. Mais je fus obligé de revenir à ma première hy- pothèse, celle des températures. Au reste, comme je ne donne cette loi que comme moyen de satisfaire aux résultats déduits des observations, je ne pense pas que je puisse me compromettre sous le rapport scientifique, de sorte que je suis bien décidé à publier ce travail tel qu'il est, sauf à le modifier plus tard, si de nouvelles recherches m'autorisent à le faire. » Vous verrez, dans le jBw^/e^m de Férussac, un extrait de mon premier mémoire, suivi de l'analyse du second. J'y suis revenu sur des corrections de chiffres, que je regrette d'avoir faites, principalement pour les limites des variations des instants du maximum du malin, par les observations d'été et d'hiver. Les corrections dépendent du 3""^ terme de la formule que j'ai négligé, d'après des conseils que je ne crois pas bons. Aussi reviendrai-je sur cette matière, en conser- vant le terme que j'ai négligé par déférence. Mais que je supprime ou que je conserve ce terme, cela ne produit rien de fâcheux pour mes recherches; les variations du baromè- tre ne sont pas sensiblement changées. Les époques des instants des maxima ci des ?wmîma changeront sans nuire à la partie que je regarde comme la principale de mes recherches sur les lois de ce phénomène, dues à l'action du soleil comme corps échauffant. » (13 mai 1829.) — 624 — C'est ce même mémoire dont Bouvard donna lecture à la réunion de la Société helvétique , à l'hospice du grand Saint-Bernard, et dont un extrait fut inséré dans la Biblio- thèque universelle, tome XLI. L'année suivante, en passant par la France pour me ren- dre en Italie, je vis Bouvard à Paris, et je fus chargé de ses lettres pour sa famille. J'eus le plaisir de me rencon- trer, près de Saint-Gervais, avec MM. Gautier et de Necker- Saussure, dans l'humble hameau qui l'avait vu naître. On touchait aux fameuses journées de juillet; la révolution belge, qui suivit de près celle de France, me donna une nouvelle occasion d'apprécier la bonté vraiment paternelle de Bouvard. Le sort de ma famille et celle de l'observatoire lui causèrent les plus vives inquiétudes; mais j'avais lieu de concevoir des craintes plus réelles sur ce qui le concernait personnel- ment. En 1831 éclatèrent de la manière la plus déplorable les symptômes d'une maladie qui affligea le reste de ses jours et dont il avait déjà senti les premières atteintes dès le com- mencement de 1827 ('). On se méprit d'abord sur la nature du mal , mais l'amitié fut plus clairvoyante que l'art. Gambart se trouvait heureu- sement auprès de son ami, et il eut le bonheur de contribuer à abréger ses souffrances. Qu'on me permette de citer encore, car ce n'est que par leurs propres paroles que je puis expri- mer les rapports d'amitié qui s'étaient établis entre ces deux hommes, si bien faits pour s'entendre : « Partagez notre contentement, s'écriait Gambart. Notre ami est non-seulement sauvé, mais encore il est tranquille; (') Il écrivait, le 21 mai 1827 : « Ma sanlé n'est pas très-bonne. J'ai des in- quiétudes fondée-;. Je crains d'élre atteint d'une maladie de vessie d'une nature assez arrave. » — 625 — il est exempt de douleurs et la vie lui est devenue douce. Cet heureux changement nous le devons à M. Civiale, qui est notre ange protecteur et que des rivalités fort tristes avaient éloigné tout d'abord de chez nous, car il était venu à l'origine, comme je vous l'avais dit. Le jour où je vous écri- vis, M . B. . . , dont la célébrité est européenne, visita Bouvard, et décida, comme le médecin ordinaire, que la maladie était rhumatismale. Le traitement se borna en conséquence à des frictions sur le dos et le ventre. Cependant les douleurs étaient atroces; elles le devinrent encore plus le samedi. Pendant la nuit, il n'était plus possible d'y tenir. J'avais parlé de Civiale dès le soir, avec cette hésitation que l'on met à parler d'un confesseur ou d'un testament. Bref, dimanche, à quatre heures du matin, je fus expédié pour l'amener en cachette. Civiale vient, vide la vessie, et le pauvre Bouvard renaît à la vie. Cette maladie rhumatismale n'est point autre chose qu'une paresse de la vessie, qui ne lui permet pas de rejeter les urines... Il ne nous faut que du temps, mais il nous en faudra d'autant plus que, pendant douze jours , le principe de la maladie a été méconnu. » (29 juin 1831.) C'est un spectacle bien triste, mais bien consolant en même temps, de voir ces deux habiles astronomes, l'un au commen- cement de sa carrière, l'autre vers la fin, tous deux en proie à des souffrances continuelles, et tous deux néanmoins, ani- més toujours de la même ardeur pour la science, se prêter un appui mutuel, et chacun s'alarmant bien plus des dou- leurs que souffre l'autre que de celles qu'il éprouve lui-même. Cette lutte de générosité devait cependant avoir son terme ; et, contre les lois de la nature, ce fut le plus jeune qui suc- comba le premier. Gambart sentant sa fin prochaine, avait quitté Marseille; il voulait mourir auprès de son ami. Sa longue agonie affligea vivement le bon vieillard, qui l'avait adopté pour fils. « Il est resté quatre mois dans son lit, 40 - 626 — m'écrivait-il, placé à côté de ma chambre, et, presque toutes les nuits, j'entendais ses soupirs et ses cris de douleur sans pouvoir le soulager. Il est mort le 23 juillet (1836), vers 10 heures du soir. Sa perte m'a vivement atiecté; mais une consolation me reste puisqu'un savant pour qui je n'ai rien fait me donne également le nom si doux de père. » Dans son âge avancé, et malgré ses infirmités, Bouvard ne craignit pas de recommencer un travail immense, devant lequel le jeune homme le plus actif aurait pu reculer. « Depuis environ deux ans, dit-il dans une de ses let- tres (*), j'ai repris la construction de mes tables de Jupiter et de Saturne, en y faisant entrer toutes les observations qui ont été faites depuis vingt ans, dans l'espérance de les perfec- tionner encore , et surtout dans le but de corriger les masses de ces deux planètes, principalement celle de Jupiter. Par suite de l'immense travail du calcul des observations et de la formation des équations de condition , entre les éléments elliptiques et les masses des planètes troublantes, je suis con- duitàsix inconnues; et j'ai pour Saturne 163 équations à résoudre par la méthode des moindres carrés. Ce travail, commencé le 1'''' décembre, ne sera terminé que le mois pro- chain. Alors mes 163 équations seront réduites à six, nombre égal aux six inconnues; et j'en tirerai, je l'espère, les corrections définitives de mes tables de Saturne. » Ayant renoncé, pour cause de santé, aux observations, j'emploie tout mon temps, depuis mon lever jusqu'au soir, à mes calculs favoris. Mais, hélas ! je n'ai plus cette activité que j'avais il y a 30 ans. A mon âge (70 ans bientôt), les forces physiques sont bien affaiblies, et l'envie d'achever ce que l'on a commencé , fait que l'on ne trouve pas un instant à perdre, dans la crainte de ne pouvoir terminer. » (') 18 janvier 18.'7. — 627 — Des rechutes continuelles l'empêchèrent de conduire les travaux avec toute l'activité qu'il aurait voulu y mettre. D'ailleurs ses facultés étaient affaiblies ; il n'était plus en état d'apporter la même attention ni la même force d'esprit dans ses calculs ; il faisait des fautes, il s'en apercevait et en éprou- vait du chagrin. 11 ne sortait plus guère que pour aller k l'Institut, à Arcueil^ chez Madame De Laplace (*), ou près de Vincennes, chez le baron Louis. 11 eut encore le chagrin de perdre ce dernier ami, pendant l'automne de 1 837 . Peu à peu les personnes auxquelles il avait été le plus attaché l'avaient précédé dans la tombe. Deux ans auparavant (17 dé- cembre 1835), Bouvard avait également perdu son frère, qui lui fut enlevé par une mort subite. Tant de secousses succes- sives avaient porté de rudes atteintes à son moral, en même temps qu'elles avaient aggravé ses souffrances physiques. Je ne devais plus m'atlendre à le revoir en Belgique. 11 y était venu pour la dernière fois, avec son neveu, au mois d'août 1833. Les grands instruments n'étaient pas encore en place; mais il put juger au moins que le monument auquel il s'était si vivement intéressé ne tarderait pas à pouvoir être utilisé pour la science. Vers la fin de 1839, le gouvernement belge lui avait fait parvenir la décoration de chevalier de l'ordre de Léopold, en lui exprimant sa reconnaissance pour la manière obli- geante dont il était intervenu, avec Arago, Daunou et Gambey , dans la comparaison du mètre et du kilogramme destinés à la Belgique avec le mètre étalon et le kilogramme déposés aux archives de France. Bouvard portait aussi la décoration d'officier de la Léa:ion d'honneur. (') Toute ramitié que Bouvard avait pour M. De Laplace , il semblait l'avoir reportée sur sa veuve. Il se rendait encore régulièrement à Arcueil, comme si la mort n'y avait rien changé. S'il ne voyait pins son ami, il avait au moins la con- solation d'en parler dans des lieux iiui étaient encore pleins de son souvenir. - 628 - C'est le 7 juin 4843, vers six heures un quart du soir, que la mort vint mettre un terme à ses souffrances. Jusqu'à son dernier instant, et lorsque déjà la raison ne dirigeait plus le cours de ses idées, il parlait encore de ses études chéries. Ce n'était qu'en cessant de vivre qu'il pouvait cesser de s'occuper d'astronomie (*). (') Qu'on me permelle de citer encore un exemple du dévouement sans hornes avec leciuel il cultivail celte science. Pendant une nuit d'hiver, il s'était placé sur le haut de l'observatoire pour s'occuper de la recherche des comètes. Le froid l'y surprit; et, quand il s'en aperçut, il lui restait à peine la force nécessaire pour se traîner sur la plate-forme; il se laissa choir le long de l'escalier, plutôt qu'il ne le descendit; on le trouva sans connaissance. A la suite de cet accident, il fut |uis d'un crachement de sang; son état était des plus alarmants, et l'on déses- péra lont^temps de sa vie. HENKI - CHRÉTIEN SCHUMACHER (1). Le célèbre astronome auquel cette notice est consacrée, était issu d'une famille distinguée qui lui laissa, à défaut d(î fortune, un nom estimé et d'honorables antécédents. Ses an- cêtres avaient quitté la Westphaiie au seizième siècle, pour venir habiter le Holstein (^). Son père, André Schumacher, conseiller de conférence, avait fait partie de l'ambassade danoise à Saint-Pétersbourg; il fut ensuite attaché au cabi- net du roi de Danemark Christian VII, et envoyé, en der- nier lieu, à Bramstedt, en qualité d'administrateur du bail- liage de Segeberg. C'est dans cette localité que notre confrère vit le jour. Il {') Né à Bramsiedt, dans le Holstein, le 3 septembre 1780, mort à Allona, le 28 décembre 1850. Je dois à l'obligeance de M. Pelersen, l'aide et l'ami de Schumacher, plu- sieurs renseignements contenus dans cette notice; j'en ai ajouté d'autres que j'ai puisés dans mes souvenirs et dans la correspondance de l'illustre défunt avec (jui j'avais des relations suivies depuis plus de vingt ans. (') Parmi les membres de sa famille, on trouve l'infortuné comte de Griffen- feldt, grand chancelier de Norwége, qui, à la suite d'une élévation rapide, se vit dépouiller de ses biens et de ses honneurs, et fut condamné à la peine capitale. Christian V commua sa peine en celle de la détention dans une forteresse, d'où il ne sortit qu'après vingt-trois ans. Le comte jouit peu de sa liberté : il mourut l'année suivante (1699). — 630 — recul sa première éducation dans la maison paternelle; mais il avait à peine dix ans, qu'il fut frappé du malheur le plus grand que l'on puisse éprouver à cet âge : il perdit son père ('). Celui-ci, dès qu'il s'était senti dans l'impossibilité de continuer ses soins à ses deux fils, avait songé à leur avenir et les avait recommandés au prince royal, qui fut cou- ronné, plus tard, sous le nom de Frédéric VI. Cette tendre sollicitude eut les plus heureux résultats; le prince justifia, sous tous les rapports, la confiance placée dans ses bons sentiments. Le pasteur Dôrfer de Preetz, homme instruit et auteur d'une bonne topographie du Schleswig-Holstein, prit soin de l'éducation des deux frères; et l'année suivante, il les amena avec lui à Altona, où venaient de l'appeler ses nou- velles fonctions. Madame Schumacher ne voulut pas se sépa- rer de ses enfants; elle les suivit dans la nouvelle résidence de leur précepteur. Dès lors se développait, chez le jeune Henri, le goût des sciences mathématiques et de l'astronomie ; à la connais- sance de la théorie il voulut joindre celle de la pratique; il essaya de construire des pendules de bois et d'autres instru- ments pour tâcher de se rendre compte des mouvements célestes. Nos premières inclinations dominent presque tou- jours pendant le reste de notre existence; nous en trouvons ici une preuve nouvelle. Ceux qui ont eu le bonheur de con- naître notre confrère savent qu'il avait une véritable passion pour les instruments et surtout pour les chronomètres (^). (') Le 2 janvier 1790. — Sa mère, Sophie Hedewig Weddy, élai( la fille d'un pasteur de la province d'Oldenbourg; elle avait été mariée en premières noces au conseiller Buschiug, l'rère du célèbre géographe; elle est morte à Altona, le ôO octobre 1822. (') En 1852, il m'avait proposé, pour notre Observatoire, l'achat d'un excel- lent cercle de Troughton, construit en 1792, ou plutôt c'était un cadeau qu'il voulait nous faire pour faciliter la détermination exacte de notre latitude. Les — 631 - Cependant la faiblesse de sa santé inspirait quelques craintes; son médecin dut le forcer à suspendre ses études et à aller habiter pendant quelque tenfips la campagne. 11 y apprit que sa mère avait fait l'acquisition des ouvrages mathématiques de Wolff, et dès lors, il n'eut plus de repos que ces livres tant désirés ne fussent entre ses mains. Ses études mathématiques ne nuisirent cependant pas à celles des langues pour lesquelles il montra toujours l'aptitude la plus grande : Schumacher parlait et écrivait à peu près toutes les langues vivantes de l'Europe, et possédait à fond les langues anciennes, circonstance extrêmement avanta- geuse pour le rôle honorable qu'il eut à remplir, plus tard, en servant d'intermédiaire entre tous les astronomes du monde civilisé. Il fit des études en droit aux universités de Kiel et de Gôttingue, mais en restant toujours fidèle aux sciences exactes. En 1806, il écrivit, à l'occasion de son doctorat, une dissertation De Servis publicis populi Romani, qu'il dédia économies qu'imposait nolie récente révolution, m'empêchèrent d'accepter ses propositions obligeantes. Le plus habile ingénieur de l'Angleterre, le célèbre Troughton, avait pour Schumacher une amitié toute particulière. Comme il hési- tait à nous envoyer les grands instruments que lui avait commandés le gouver- nement déchu, Schumacher me proposa de lui écrire. « Pour moi, disait-il, le vieux Troughton fait l'impossible; tout ce que je désire est aussitôt expédié. Il s'obstine même à faire lui-même les dernières rectifications. Comme il paraît que je suis son enfant gâté, il sera peut-être bon que je lui écrive pour vos instruments, et vous pouvez compter que je le ferai à la première occasion. « Schumacher a toujours témoigné le plus vif intérêt au sort de notre Observa- toire. Lorsque le bâtiment fut achevé, et les instruments en place, ce furent les moyens de les utiliser qui me manquèrent. « J'apprends avec élonnement, m'écrivit-il alors assez gaiement, qu'on ne vous a accordé encore aucun aide; c'est comme si l'on donnait à un directeur d'orchestre d'excellents instru- ments sans lui donner de quoi payer les musiciens. Ces messieurs croient qu'un astronome regarde les étoiles tantôt par un, tantôt par un autre instrument et que c'est là ce qu'on appelle faire des observations. Ils n'ont aucune idée que chaque instrument exige son cours suivi d'observations et qu'un seul astronome ne peut y suffire. » 20 décembre 1837. — 632 — à son ami et ancien maître, le pasteur Dôrt'er. Il passa ensuite quelques années en Livonie, reniplissant les fonc- tions de précepteur dans une famille distinguée. A son retour, il fut assez heureux pour faire la connais- sance du comte Reventlow, curateur de l'université de Kiel; et, par son influence, il put se livrer entièrement à l'étude des sciences mathématiques. A cet effet, il alla passer quel- ques années à Gôttingue, auprès de l'illustre Gauss, qui à la gloire d'être le premier géomètre de l'Allemagne joignait celle d'avoir formé à peu près tous les mathématiciens alle- mands qui marchaient avec le plus de distinction sur ses traces. Il ne lui fut pas difficile d'attirer l'attention d'un homme aussi supérieur; et, ce qui vaut mieux encore, de mériter son amitié. Schumacher avait pour le géomètre de Gôttingue une véritable vénération ; il le consultait avec défé- rence sur tous les points épineux que lui présentait sa posi- tion délicate comme rédacteur du Journal astronomique. En 1810, Schumacher fut nommé professeur d'astrono- mie à Copenhague, et, en 1813, il accepta, avec l'assenti- ment du roi de Danemark, les fonctions de directeur de l'Observatoire de Manheim, mais sous la condition de venir remplir le même emploi à Copenhague, en cas de retraite de Bugge, qui se trouvait alors à la tête de l'observatoire de cette dernière ville. En acceptant ce déplacement, il avait surtout cédé aux invitations de son protecteur et ami le duc d'Augustenbourg. Avant son départ pour Manheim, Schumacher s'était ma- rié (*) ; le choix qu'il fit prouve en faveur de son discerne- ment, et le bonheur dont il a joui dans son intérieur témoigne en même temps de la bonté de son cœur et de l'attachement qu'il savait inspirer. (') Avec mademoiselle Chrélienne-Madeleine de Schoon, qui lui a survécu, el dont il a eu sepl enfants, quatre fils et trois filles. - 633 — La mort de l'astronome Bugge, arrivée au mois de mars 1815, rappelait naturellement Schumacher à Copenhague. Notre confrère fît un voyage en Auliiche, pour s'entendre à ce sujet avec son auguste protecteur, le roi Frédéric VI, qui assistait alors au congrès de Vienne, et aussi pour voir son frère, Ch. Schumacher, qui se trouvait à la suite du souverain. Il fut nommé professeur ordinaire d'astronomie et direc- teur de l'Observatoire de Copenhague. Dès son arrivée, il commença à donner un cours d'astronomie en langue latine; et, l'année suivante, il fît ses préparatifs pour mesurer un degré du méridien dans le Schleswig-Holstein. Afin de sur- veiller avec plus d'activité la triangulation de ce pays, il obtint, en 1821, la permission de s'établir à Altona et d'y construire un observatoire. 11 choisit l'emplacement de cet édifîce, dans un site charmant, sur la pente de la rive droite de l'Elbe (*). En 1819, il avait fait avec son ami Jean-Georges Repsold, le plus habile mécanicien de l'Allemagne, un voyage en Angleterre et en France, pour visiter les observatoires de ces pays et faire la connaissance de leurs astronomes. C'est dans le même but qu'il visita, en 1826, à Munich, les ateliers de Reichenbach et d'Ertel, d'Utzschneider et de Fraunhofer; en 1834 et 1835, il se rendit à Berlin pour y voir le nou- vel observatoire d'Encke et assister aux observations de Bes- sel sur les oscillations du pendule; en 1840, il visita son ami Struve dans son magnifique observatoire de Pulkova ; et enfîn^ en 1843, il fit le voyage de Vienne pour prendre part à l'observation de la fameuse éclipse de soleil du 8 juillet, dont il a décrit, dans son journal, les apparences si extraordinaires. (') Voyez la description de ce bel observatoire dans la Correspondance mathé- matique et physique de Bruxelles, lome VI, pages 128 et suiv. — 634 — Tous les ans, il faisait un voyage à Copenhague et une espèce de pèlerinage à Brème auprès du vénérable Olbers, pour qui il professait le plus profond respect. J'ai eu le bon- heur de faire partie d'une de ces excursions, vers la fin de juillet 4829. Olbers était un véritable patriarche; on se sentait ému par la beauté de son caractère et par l'éclat de son talent comme observateur. Tous les astronomes allemands, ainsi que les étrangers, qui ont eu le bonheur de le connaître, sont una- nimes pour rendre hommage à cet homme distingué ('). Bessel très-jeune encore, se trouvait garçon de magasin chez la sœur d'Olbers. Notre astronome le voyait chaque jour {') Voici une des lellres de cet homme excellent qui, par les encouragements les plus obligeants, savait entretenir et exciter l'ardeur des jeunes observateurs. Ses paroles devaient avoir celte influence, provenant d'une source aussi pure et ex- primées avec tant de simplicité : « Le souvenir de votre agréable, mais trop courte visite avec M. Schumacher me sera toujours précieux. Si vous ne voulez jias être trop jaloux d'un jeune homme de soixanle-dix-huit ans, je vous avouerai (|ue je suis, depuis ce temps, ardent adorateur de votre aimable et charmante épouse. Veuillez bien, je vous en i>rie, présenter mes très-sincères et très-respectueux hommages à madame Quetelet. » Je vous félicite de l'achèvement prochain de votre observatoire, et je suis sûr (jue la science en tirera bientôt de précieux fruits. Avec de tels instruments on ne peut attendre d'un observateur si habile, si intelligent et si assidu comme vous «lue de irès-intéiessantes observations. « Vous trouvciez l'observation de la dernière éclipse de soleil, faite à Bremen, dans le n" -312 des Jstronomischen Nachrichlen de M. Schumacher. Quant à moi, je ne suis jjIus en état, ni île monter à ma chambre, qui m'a servi d'obser- vatoire, ni de manier un instrument ; ainsi, je n'ai pu que voir cette grande éclipse, comme tout le monde, par une vitre noircie. » Malgré cette faiblesse de mon grand âge, je prends toujours le plus grand intérêt à tout ce qui appartient à la science, et principalement à l'astronomie : et c'est presque le seul plaisir qui me reste encore de voir et de connaître ses progrès. Vous m'o!)ligerez infiniment, si vous vouliez me donner de temps en temps quelque connaissance de vos observations et des travaux intéressants qui vous occupent. » " A Brème, le 20 juillet 1836. » Olbers était né le 11 octobre 1758 : il avait donc soixante-dix-huit ans au moment où il écrivait cette lettre. Il mourut quatre ans après, le 2 mars 1840. - 635 - et prenait plaisir à causer avec lui. Dans ses conversalions il lui donnait des questions à résoudre, et, charmé de l'in- térêt qu'il y prenait, il augmenta successivement les diflicul- tés qu'il proposait. 11 ne tarda pas à reconnaître où ce jeune homme distingué pouvait aspirer d'atteindre. C'est en passant de cet état secondaire à celui de directeur de l'Observatoire de Kônigsberg que Bessel finit par prendre place parmi les premiers observateurs de son époque ('). En allant à Brème, nous étions de compagnie avec le célèbre Repsold (^) ; le double passage de l'Elbe faillit nous (') Bessel raconte lui-même cet incident, dans une notice que M. A. Erman a insérée, en tête de la correspondance d'Oibers et de Bessel, qu'il a fait paraître en 1852. Briefwechsel zwischen JF. Olbers und F.-TF. Bessel, herausgegeben von Adolph Erman, in-S", 2 vol., Leipzig, 1852. Celte correspondance em- brasse à la fois des discussions scientifiques et parfois de simples nouvelles d'in- lérieui' : ainsi je trouve, à l'époque de mon passage, l'indication des visites que cet excellent homme a reçues et de celles qui lui avaient été promises : Gauss, Lindenau und Benzenberg hattenmir im vorigenJareneinenBesuchverspro- chen : aile drei sind verhindert worden. Nur den Jstronomen Quetelet mit seiner sehr liebenswurdigen Frau aus Briissel, und professer Brandes aus Leipzig mit seiner Familie habe ich gesehen. Ersterer hat mir sehr gefallen, und letzterer ist mein langjàhriger Freund Ces sortes de commerces épis- lolaires sont moins connues en France. En même temps, M. Pelers publiait, à Hambourg, la correspondance de Schumacher et de Gauss. (') On voudra bien me permettre de citer le récit de cette visite, (|ue j'ai donné dans les notes d'un Foyage scientifique fait en Allemagne pendant Vété de 1829, l.VI de ma Correspondance mathématique : « Je me présenlai donc, sous les auspices de ces deux hommes distingués, chez le grand astronome à qui l'on doit la découverte de Pallas et de Vesta, ainsi qu'une foule d'autres travaux qui ont enrichi le domaine de la science. J'aurais peine à exi)rimer le respect que j'éprouvai en approchant de ce beau vieillard, dont la physionomie, pleine de noblesse, respirait en même temps la bonté et la plus touchante bienveillance. Mais mon émotion fut plus vive encore, quand j'entrai dans le modeste observatoire où avaient été faites tant de belles rechei'- ches : c'était une chami)re élevée, de médiocre grandeur, (jui servait en même temps d'observatoire et de bibliothèque. Les murs étaient garnis de livres, et le fond présentait une espèce de vitrine en saillie vers le jardin, d'où l'on découvrait une grande partie du ciel. Je témoignai le désir de voir l'instrument qui avait servi à la découverte des deux planètes qui ont illustré le commencement de ce siècle. Le célèbre vieillard remit entre mes mains un chercheur dont l'objectif était cassé. La pendule qui avait servi à ces grandes découvertes était encore là ; — 636 — devenir fatal. Au premier passage, notre frêle embarcation avec les voitures qu'elle portait, fut subitement accueillie par un coup de vent et sur le point de chavirer. Au retour, le feu éclatait dans Hambourg : Repsold, qui était préposé au ser- vice des incendies, nous quitta brusquement et se rendit, sur une nacelle, le plus directement possible, vers le lieu du si- nistre. On sait que, six mois après, cet excellent homme périt dans unecirconstance pareille, victime de son dévouement('). Le célèbre horloger Kessels, frère de notre statuaire, n'était pas devenu moins nécessaire à Schumacher que son ami Repsold ; tous les moyens furent employés pour le rete- nir à Altona et ils furent couronnés de succès. Kessels obtint du roi de Danemark une pension, la décoration de Danebrog et la construction de chronomètres pour la marine royale. Schumacher jouissait d'une grande faveur auprès du roi ; elle était aussi simitle «iiie l'autre instrument; elle n'était pas même pourvue de compensaieur. Quoique Olbeis eut acquis depuis des instruments plus par- faits, et entre autres plusieurs lunettes de Munich, on voyait sans peine qu'il était demeuré attaché aux premiers, comme à de vieux amis qui ont partagé de grands travaux et (ju'on conserve avec amour. Les recherches d'Olbers ne nécessitaient sans doute point des instruments d'une grande précision, cei)endant, on ne peut s'empêcher d'admiier l'adi'esse avec la(|nelle il a tiré parti de ceux qu'il avait en sa possession. On sait, du reste, que le propre du génie est de produire de grands résultats avec de faibles moyens. n II n'était peut-être pas d'astronome ([ui eût une connaissance plus appro- fondie du ciel fiu'Olbers. En lui montrant seulement la partie du ciel qu'em- brassait le champ de son chercheur, il n'aurait guère eu de peine à reconnaître, dans cet espace circonscrit, les étoiles qui s'y trouvaient. » Il s'exprimait avec autant de candeur que de modestie sur les objets de ses recherches. « Pour Pallas, disait-il, je l'ai vue par hasard; mais j'ai cherché » Vesta ; aussi sa découverte m'a causé une bien douce satisfaction. » Je ne sais si j'admirai dans Olbers ses talents plus (jue ses vertus; mais il me semble qu'il était impossible d'api)iocher de lui sans éprouver le plus i)rofond respect, alors même qu'on aurait ignoré ses belles découvertes. J'ai eu le bonheur de me trouver au milieu de sa famille et de ses amis, et le même sentiment dominait chez tous et se montrait dans tous les regards. C'était un vrai patriarche, objet de l'amour et île la vénération de ceux qui l'entouraient. » (') Le 14 janvier 1830. - 637 - et l'on doit convenir qu'il en usa toujours noblement, soit pour obtenir des distinctions en faveur des savants, soit pour faire accorder des récompenses à des travaux utiles à la science. A la fin de 1839, il perdit son auguste protecteur; mais le roi Christian VIII s'empressa de lui continuer les faveurs dont il jouissait, et même de lui en accorder de nouvelles ('). Rien ne fait plus d'honneur à un prince que de savoir recon- naître le vrai mérite et d'aller au-devant de lui. Cet art caractérise un esprit supérieur, et devient dans l'État un élément d'ordre et d'émulation. Les distinctions et les témoignages d'estime que recevait notre confrère n'étaient point bornés par les limites de son (') Le 2 janvier 1840, il m'écrivait : » Vous avez vu dans les journaux la nou- velle de la mort de notre excellent roi, qui a tant fait pour l'astronomie. Comme Je sais que vous prenez un vif intérêt à tout ce qui me regarde, je vous mande en même temps que le roi actuel, protecteur éclairé des sciences et des arts, comme le défunt, m'a honoré d'une lettre très-gracieuse qui finit par ces mots : SeynSie versicheit, dass ich Jhrenverdienstvollen Arbeiten die grossie Jufmerksam- keit widmen, und eine Freude darin finden werde sie zu fordern, und zu schuetzen. En déclarant qu'il veut avancer et protéger mes travaux, il me donne sans doute une assurance que je ne saurais trop apprécier. « Le 22 juin suivant, il m'annonçait une nouvelle faveur. « Le roi m'a fait Conferentzrath, ce qui, chez nous, est un titre plus haut que cehù de Staatsrath. A vous dire le vrai, le titre m'importe peu, étant généralement connu sous celui de professeur, et ayant une prédilection marquée pour un titre sous lequel j'ai été assez heureux pour gagner votre amitié et celle de tant d'hommes illustres dans les sciences; mais ce qui m'importe, c'est que le roi parla m'ait donné une preuve puhlique qu'il me regarde avec la même bienveillance que son prédécesseur. Je suis donc très-content d'être Conferenzrath. » Schumacher eut le malheur de perdre, «luelques années après (le 19 janvier 1848), cet autre protecteur, qui lui donna cependant, avant sa mort, encore un témoignage de bienveillance. « La dernière grâce dont le roi décédé m'a comblé, est ma nomination de grand-croix de l'ordre de Danehrog, distinction très-rare pour les savants et que j'ai eu l'honneur de partager avec M. Orsted. On m'a dit que nous étions les premiers savants grands- croix; je ne veux pas en répondre. J'ai eu, pendant les huit années de son règne, entre vingt et trente lettres écrites de sa propre main; dans celle qui accom- pagne le cordon blanc, il dit qu'il aimait à montrer qu'il estime le même mérite littéraire au moins l'égal de tout autre mérite. » (Le 28 janvier 1848.) Il est beau de penser ainsi et surtout d'agir en conséquence. - 638 — pays; il avait été décoré des ordres de Prusse, de Russie, de Suède, de France et de Belgique, et il appartenait à toutes lés principales sociétés savantes de l'Europe ('). Sans doute, ces distinctions, les dernières même, ne prouvent pas tou- jours en faveur de ceux qui les obtiennent ; les exemples au besoin ne manqueraient pas à l'appui de cette assertion, bien qu'il existe encore des sociétés savantes qui se respec- tent assez pour ne pas prostituer les honneurs dont elles dis- posent. Ce qui formait le plus beau titre de Schumacher, celui au- quel l'hommede mérite doit toujours attacher le plus de prix, c'était l'assentiment général des gens de bien et des hommes les plus élevés dans la science. Ce bien précieux il le possé- dait au plus haut degré: je ne pense pas que Schumacher eût un seul ennemi dans le monde scientifique; et certes, s'il en eût existé, ils se fussent bien gardés d'oser se produire. Schu- macher, au contraire, était lié avec tous les astronomes de notre époque; par son caractère bon et conciliant, par son savoir étendu, par sa droiture, il était en possession de toute leur confiance, et l'on regardait comme un grand bien d'avoir (') Sa nominalion dans noire Académie datait de 1829; il avait été nommé oITicier de l'ordre de Léopold, au mois de juillet 1846. Il lui vint, au sujet de cette décoration, les plus honorables scrupules. L'arrêté royal portail : ■> Pour la part qu'il a prise à la publication des documents scien- tifiques envoyés au départemenl de la guerre par le gouvernement de S. M. le roi de Danemark. « » Or, je n'ai pas pris part, m'écrivait-il, à la publication de documents scientifiques quelconques qui ont été envoyés à votre gouvernement. L'unique hypothèse que je puisse former, c'est <|ue le major Olsen a envoyé de ses cartes qui reposent effectivement sur mes triangles, mais dont le détail et la publication appartiennent à l'état-major danois.... J'écrirai |)our savoir ce (|ui s'est passé; et, si mes soupçons sont justes, soyez persuadé que je feiai tout de ma part pour que la méprise soit rectifiée. « Je pris des renseignements de mon côté, et je pus lui annoncer qu'on avait voulu, avant tout, honorer en lui le méiite du savant, et ((u'il avait été décoré non pas à cause, mais à l'occasion de l'envoi fait par le major Olsen , qui, du reste, avait été décoré lui-même par le même arrêté royal. Ces scrupules sont rares, et c'eût été, à ma connaissance, la première réclamation de ce genre. — 639 — mérité son estime. L'ami d'OIbers ('), de Gauss, de Bessel semblait en quelque sorte résumer en lui-même toute la considération que l'on portait à ces hommes distingués ('). 11 usa dignement de cette belle position pour se faire le centre de toutes les communications astronomiques, et pour se constituer le lien entre les hommes qui cultivaient avec le plus d'activité sa science de prédilection. Ses Astronomische Nachrichten forment une des collections scientifiques les plus précieuses qui existent et l'un des recueils qui ont servi le plus utilement l'astronomie. L'annuaire, qu'il commença en 1836 et dont il suspendit la publication en 1843, est un petit recueil dont l'existence a malheureusement été trop courte, mais qui était également conçu sur un excellent (') M. Ad. Erman a fait paraître, à Leipzig en 1852, deux volumes (Brief- ivechsel zwischen If. Olbers und F.-W. Bessel) contenant la correspondance (POlbers et de Bessel ; comme M. C.-A.-F. Peters a publié, à Altona, entre les années 1860 et 1865, six volumes in-8" contenant la corres|)ondance deC.-F. Gauss et H.-C. Schumacher (Briefwechsel zwischen C.-F. Gauss und H.-C. Schuma- cher). Ces correspondances, très-intéressantes sous le rapport scientifique, con- tiennent aussi une espèce de journal scientifique sur le mouvement des sciences et quelquefois tout simplement des renseignements sur les voyages de ceux qui les cultivent; ainsi, dans ce dernier recueil, Gauss réi)ond à Schumacher, en date du 15 octobre 1859 : £s ist sehr lange, dass ich von Ihnen, keine Nachrichten erhalten habe ; nur indirect horte ich zuweilenetwas von Ihnen, Z. B. von der giitigen Jufname des jungen Sarlorius erzdhlte mir seine Mutter, und von Ihrer Reise nach Bremen Herr Quetelet... Tome II, page 214, Briefwechsel. — Olbers écrivait de même à Bessel : Gauss, Lindenauund Benzeiiberg hatten mir in vorigen Jaren einen Besuch versprochen : aile Drei sind verhindert worden. Nur den ./4stronomen Quetelet mit seine Frau auss Brilssel, und professor Brandès aus Leipzig mit seiner Familie habe ich gesehen {Briefwechsel, tome II, page 335, in-S", année 1852.) (*) La mort de Bessel lui causa une peine infinie, et telle qu'il négligea toutes ses affaires, même son journal. " La dernière comète découverte par Brorsen, m'écrivait-il, n'est autre que la comète de Biéla. Vous vous en serez aperçu d'abord, mais lorsque la lettre de M. Brorsen arriva, je venais de recevoir les tristes nouvelles de l'état dangeieux de M. Bessel, qui ne me permettaient plus d'espérer. Toutes les comètes du monde m'étaient dans ce moment indifférentes, et je me bornai à communiquer la découverte aux astronomes sans y regarder de près. Nous vivions, M. Bessel et moi, depuis trente-sept ans, dans la plus intime liaison. » Allons, le -dO mars 1846. - 640 - plan. M. Peters, depuis, s'est attaché avec talent à continuer les utiles travaux de son digne prédécesseur. La complaisance de Schumacher était extrême; il suffisait de lui témoigner un désir, pour qu'il appliquât toute son activité et celle de ses amis aux moyens d'y satisfaire. Ceux qui l'ont visité savent qu'il exerçait l'hospitalité de la ma- nière la plus grande et la plus affectueuse. Son commerce était très-agréable; avec une instruction fort étendue, il cau- sait d'une manière attrayante sur les sujets les plus divers : sciences, lettres, arts, les objets même futiles en apparence, rien ne paraissait lui être étranger ('). Sa conversation était gaie, spirituelle, relevée quelquefois par un léger grain de causticité qui jamais ne blessait personne, mais qui tendait à mettre en relief le côté plaisant des choses. J'ai remarqué une pareille tendance chez un grand nombre d'hommes dis- tingués; et ces élans d'une gaieté douce et inoffensive m'ont toujours donné une idée favorable de la bonté de leur cœur. 11 serait impossible, en effet, de tirer une vengeance plus innocente de l'ennui que causent les ridicules, les sottises et souvent les méchancetés. Notre confrère était de petite taille et d'une complexion délicate; il était souvent exposé à de cruelles migraines qui le rendaient incapable de tout travail suivi. Dans l'excursion que nous fimes ensemble à Brème, il fallut nous arrêter toute une matinée à Harbourg, où nous avions passé la nuit, à cause d'un mal de tète qui faillit même lui faire reprendre le chemin d'Altona. Tout, chez lui, se faisait avec l'ordre le plus parfait : il avait des instants pour ses études, pour ses plaisirs : sa cor- (') Il avait «ne prédileclion pour les aris du dessin, et lui-même dessinait fort bien. Pendant le séjour que je fis chez lui, en 1829, il me fit la proposition de des- siner mon portrait pour l'offrir à ma femme. On conçoit que j'acceptai avec leconnaissance une proposition qui tendait à nous procurer un aussi ao^réaWe souvenir de notre visite à Altona. — 641 — respondance était tenue avec une régularité remarquable ; ses lettres écrites avec une netteté qui aurait fait honneur à un professeur de calligraphie; la propreté la plus irrépro- chable régnait dans son observatoire, qui était véritablement un modèle dans son genre. La précision qu'il apportait dans ses observations et ses calculs est connue de tous les astro- nomes (*) : est-il étonnant alors, si l'on considère surtout la circonspection qu'il mettait dans le choix des personnes appelées à le seconder, qu'il ait eu pour aides une série d'hommes distingués? Je citerai M. Gunlagler, professeur en Islande; M. Nissen, à Tondern; M. Hansen, directeur de l'Observatoire de Gotha; M. Clausen, astronome à l'Ob- servatoire de Dorpat; M. le professeur Petersen ; M. le docteur Peters, directeur de l'Observatoire d'Allona (^). Les événements déplorables qui, pendant ces derniers temps, ont porté le théâtre de la guerre dans son pays, avaient jeté la tristesse et l'inquiétude sur la fin de sa car- rière (^). Il reçut dans cette circonstance des témoignages bien (') On se demande comment avec une correspondance aussi étendue, des occu- pations aussi nombreuses, aussi variées, et une aussi faible santé, il trouvait encore le temps de se livrer à des travaux particuliers. Au mois de juillet 1846, il me jtarlait de l'intenlion qu'il avait de donner une traduction de mes Lettres sur la théorie des probabilités. ■< J'aurais envie, écrivait-il, si je trouve le temps nécessaire, de les mettre moi-même à la i)ortée de mes compatriotes. » Quoique l'honneur d'être traduit par un savant d'un aussi haut mérite fût la plus belle l'écompense à laquelle un auteur i>ùt aspirer, c'eût été l'obtenir à un prix trop élevé, que d'exposer une santé aussi précieuse à un pareil surcroit de travail. (») On compte aussi, parmi ses élèves, MM. le professeur Ursin, à Copenhague; Olufsen, astronome dans la même ville; Selander, astronome à Stockholm; Swanberg, astronome à Upsal ; Fuss, à Wilna; Agardh, à Lund; Sievers, à Co- penhague; A. Neumann, en Hongrie; Th. Brorsen, astronome à Senftenberg; le docteur Gould, à Cambridge; et, ■> Ce dtner, si charmant, si honorable pour moi, était une petite fête de l'amilié, concertée entre les amis de Paris el les amis de Plombières; car M. de Bouflfiers, mon ancien confrère à l'Académie française et avec qui j'ai toujours été très-bien, était alors aux eaux de Plombières auprès de Campenon à qui il lut mon épilre cl qui me fit passer, de la part de M. de Boufïlers, des assurances d'estime et d'amitié. Ils burent à notre santé à Plombières, et nous à la leur à Versailles. >' Ce dJner, où je vis tant d'amis et tant d'amitié autour de moi, est un des bonheurs les plus doux ([ue j'aie éprouvés dans ma vie. C'est mon premier dîner lie ma quatre vingt-unième année dans laquelle je suis entré ce jour-là sous de si heureux auspices. » Mes amis m'ont reconduit chez moi. Nous nous sommes tous embrassés, à ma porle, du meilleur cœur du monde, et ils onl été rejoindre leur voiture. » — 689 — 1er les yeux sur le passage suivant d'une des lettres qu'il m'écrivit dans le moment où il venait d'être soumis à la plus cruelle épreuve. « Tout ce que j'ai de philosophie m'eût sans doute abandonné dans le cruel revers que je subis. Si j'ai conservé quelque courage, je le dois à ma femme; je lui dois d'avoir pu remplir un des plus importants devoirs du père de famille, celui de montrer à ses enfants comment on supporte le malheur. Le dernier entretien de ma femme avec moi et avec ses enfants est sans cesse présent à ma pensée ; il fait ma force et ma consolation : elle nous parla de la séparation momentanée qui allait avoir lieu ; elle nous fît ses recommandations avec une parfaite présence d'esprit; elle avait plus que du calme, c'était de la sérénité. Les sen- timents que j'éprouvais, en l'écoutant, étaient surtout l'ad- miration et le respect. Maintenant, pour ne point céder à la faiblesse, il me suffit de songer qu'elle me rendrait indigne de ma femme. L'exemple que j'ai reçu dirige habituelle- ment ma pensée vers la reconnaissance que je dois encore à l'Auteur des choses pour les faveurs qu'il a si longtemps répandues sur moi; il m'adonne quarante-sept ans de l'union la plus heureuse; bien peu d'hommes ont un pareil lot dans la vie. Je remercie Dieu de n'avoir interrompu le cours des faveurs dont il me comblait qu'à une époque où la vieillesse m'assure que mon exil ne peut être fort long. Je remercie Dieu, puisqu'il a voulu rappeler ma femme, de lui avoir donné une fin si paisible et si douce. Je ne puis être ingrat, et le plus léger murmure serait de ma part un acte d'ingra- titude .. Malgré l'exemple que j'ai reçu et les soins qui m'entourent, ne me croyez pas plus fort que je ne le suis réellement. Je ne suis point abattu; je ne souffre point; mais, par intervalle, j'éprouve de l'apathie; il m'est impos- sible de donner mon attention à tout ce qui sort d'un certain cercle d'idées, et, par conséquent, de me livrer à aucun tra- 44 — 690 — vail : la lecture me fatigue et m'ennuie; peut-être un voyage me fera-t-il retrouver des facultés qui semblent me fuir. J'ai un désir extrême de voyager ('). » Ce fut encore dans notre pays qu'il chercha quelque di- version à ses chagrins ; il y vint au commencement du mois de juin suivant; et, pour donner un but utile à son excur- sion, il me proposa d'aller visiter avec lui la colonie des frères Moraves établie près d'Utrecht. « Aujourd'hui l'on parle beaucoup de phalanstères^, disait-il, et d'autres communautés de cette espèce, mais je ne vois pas bien pourquoi ceux qui les vantent le plus, s'abstiennent de citer l'exemple de l'as- sociation des frères Moraves, qui existe cependant avec suc- cès depuis un grand nombre d'années. « Droz fut profondément édifié de l'air d'aisance et de bon- heur de ces paisibles habitations, qui, au milieu des jardins qui les entourent, rappellent les poétiques souvenirs des mis- sions du nouveau monde. 11 visita les écoles, se fit rendre compte, dans fous leurs détails, des principes qui servent de base à la communauté; et quand vint le soir, il voulut assis- ter aux prières qui terminaient la journée. L'aspect de la modeste église entourée de vieux arbres, les derniers rayons du soleil qui coloraient les vitraux, les cantiques pieux chan- tés alternativement par les hommes et les femmes, le recueil- (') Les traces de cet abattement se relioiivent dans une autre lettre que je reçus de lui vers la fin de la même année. « Vous me demandez si J'ai quelque travail en vue. Il me reste assez de liberté d'esprit pour suivre des idées, et j'en profite ' The commiltee remark, that a though thewant of such a Society has been long fell and acknowledgeil, llie successfiil estaldishmenl of il, afler every préviens altempt has failed, has been due allogelher lo the impulse given l)y the last meeting of Ihe Association. The dislingiiished foreigner (M. Quetelet) who con- tribuled so maleiially lo ihe formation of the statislical section, was ailracled lo England princi|)ally with a view of atlending Ihat meeting; and the commiltee bail this as a signal instance of the bénéficiai resulls lo be expected from ihat Personal inlercourse among Ihe enlightened men of ail conlries, which il is a principal objecl of ihe British Association lo encourage and facilitale. » {Report on ihe third meeting of the British Association for the advancement of science, held ad Cambridge in 1833. Londres, chez J. Murray, 1 vol. in-S", pages 483 et 484; an. 1834.) — 699 — cours ('), que se forma, à Bruxelles, la réunion des diverses nations pour la création d'un congrès de statistique géné- rale; et c'est pendant le quatrième congrès (celui de Londres même) que les nations unies entre elles entreprirent l'essai d'une statistique générale {^), pour préluder aux grands travaux qu'on paraissait en droit d'attendre des délégués des différents pays. 11 est à regretter cependant qu'à la réunion de Cambridge, lors de la création de la section de statistique, la multipli- cité des occupations n'ait pas permis aux membres les plus exercés d'entreprendre l'examen d'un des développements de la théorie des probabilités et de faire entendre leur voix sur une question qui les touchait de si près : je veux parler particulièrement des astronomes tels quesir J.Herchel, Airy, Baily, Hamilton. Robinson, etc., qui, retenus par les tra- vaux d'une autre section, auraient pu joindre leur suffrage en faveur d'une science qui appartient autant à l'astronomie qu'à la statistique, et, en général, aux sciences qui compor- tent, dans les observations, une précision plus ou moins grande qu'il s'agit de savoir apprécier. On reconnaîtra sans peine, en effet, que ce sont surtout les astronomes qui, les premiers, ont porté l'attention sur la précision des docu- ments statistiques et la construction des tables de mortalité et de population. (') Le discours prononcé par S. A. R. le prince Albert, comme président de l'Association du quatrième congrès de statistique qui eut lieu à Londres, Somer- sethouse, en juillet 1860. (Voyez plus haut, page 27 et suivantes.) (') L'ari'élé royal qui ciéa la Commission centrale de statistique de Bruxelles date du 16 mars 1841. On peut voir ce qui concerne cette commission et celle qui fut créée avant cette épo,80. C'est une précaution que je compte bien recommander dans mon testament à ceux «jui auront à diriger mon établissement délinitir. Pauvres fossoyeurs! « — 713 — sagacité sur le fond et sur la forme des ouvrages qu'on lisait à nos séances ! Les rapports qu'il a écrits sur les nnémoires soumis à son examen sont des exemples d'une sage critique et portent le cachet d'un savoir profond. Il réunissait vérita- blement les qualités les plus essentielles que l'on puisse désirer dans un académicien. Aussi, jouissait-il à tel point de l'estime de ses confrères, que lorsque, plus lard, il fut nommé ambassadeur à Londres, l'Académie lui vota des re- mercîments unanimes pour tous les services qu'elle en avait reçus, et voulut que ce vole fût consigné dans son procès- verbal {'). Falck parlait et écrivait plusieurs langues avec facilité et même avec élégance ('^). Ceux qu'il honorait de sa corres- pondance et de son amitié ont pu juger avec quel heureux choix d'expressions , avec quel goût il s'énonçait sur les questions les plus graves comme sur les objets en apparence les plus frivoles. Ses lettres particulières, comme nous l'avons fait remarquer déjà, sont des modèles en ce genre; on y trouve un tact et une finesse d'esprit qui annoncent quelle aurait été sa supériorité, s'il avait suivi la carrière littéraire, au lieu de s'occuper des affaires politiques. Les articles sur la philosophie qu'il inséra dans le Maga- (■) Séance du 8 mai 1824. On lil, dans le procès-verbal de la séance du 31 dn même mois : « Son Excellence, dans une entrevue parliculière, a prié le secrétaire de manifester à l'Académie combien elle était touchée de ces sentiments (de recon- naissance), et qu'elle ne perdrait jamais ceux qu'elle a voués à la compagnie en général et à chacun de ses membres en particulier. « (') Dans un bal auquel il assistait à Madrid, Falck s'était approché d'une jeune danseuse et avait pris plaisir à causer avec elle. De son côté, la jeune Espa- gnole avait été frappée de son air distingué, de sa physionomie avantageuse, de ses yeux bleus si expressifs; elle était fort en peine de savoir quel était ce cava- lier qui s'exprimait avec tant d'aisance et de grâce. Quand on lui eut dit qu'il était Hollandais, elle crut qu'on s'amusait à ses dépens, bien persuadée qu'un étranger ne pouvait parler l'espagnol d'une manière aussi parfaite. — Ce fait a été rapporté à l'Académie par M. D'Omalius d'Halloy, à l'appui de ce qui est dit dans la notice. — 714 — si7i critique du professeur Van Hemerl prouvent, qu'il n'était pas seulement écrivain habile et bon observateur, mais qu'il savait descendre encore au fond des choses et étudier les liens mystérieux qui les lient entre elles. La philosophie de Falck n'était pas purement spéculative; elle dominait toutes ses actions, elle traçait sa règle de con- duite : aussi tout, dans sa vie, était parfaitement en harmo- nie; jamais on ne le voyait en désaccord avec lui-même. Dans la république batave comme sous l'empire, sous le roi Louis comme sous le roi Guillaume, on trouve toujours et avant tout l'homme dévoué à sa patrie, prêt à se sacrifier pour ses intérêts, mais incapable tie renoncer à ses convictions personnelles. Le roi des Pays-Bas lui avait conféré le titre de baron; mais Falck, iidèle à ses anciens principes, ne voulut point faire lever les lettres de noblesse; il était jaloux de conser- ver son nom tel qu'il avait réussi à l'anoblir lui-même. Ces exemples sont rares. Ce n'était certes point par dédain : il appréciait autant que personne les avantages d'un beau nom, quand il est noblement porté, que ce nom d'ailleurs eût été illustré, ou dans la carrière des armes, ou par une intelli- gence supérieure, ou par des services rendus à l'Etat; mais il ne croyait pas devoir recourir à une chambre héraldique pour établir la mesure de son estime; il s'en rapportait vo- lontiers pour cela à son propre discernement: peu d'hommes, sous ce rapport, pouvaient lui être comparés. Ce n'est pas ici le lieu de se livrer à l'examen détaillé des actes de son administration. Son passage au ministère a laissé, en Belgique, dans le cœur de ceux qui ont su appré- cier l'homme d'État et faire la part des difficultés qui l'en- vironnaient, des souvenirs que n'ont effacés ni les luttes d'une opposition devenue nécessaire, ni les déchirements d'une révolution qui en furent la suite. On savait gré à Falck - 715 - du bien qui se faisait et de tout le mal qu'il empêchait. Cette popularité dont il jouissait, même dans les provinces méridionales du royaume, l'influence qu'il exerçait sur ses collègues, la noble indépendance de caractère et d'esprit qui le portait à vouloir rester véritablement ministre, et non un instrument passif et docile, blessèrent de hautes susceptibi- lités et amenèrent bientôt un désaccord dans le secret duquel le public ne fut guère initié qu'à demi. Tandis que, parmi les anciens amis politiques de Falck, les uns désiraient qu'il prit, comme ministre, la direction d'un département (celui delà marine), où, comme secrétaire général, il avait, dans sa jeunesse, donné tant de preuves de capacité, les autres l'exhortaient à appliquer son esprit sage, modéré, conciliant, à l'administration de l'intérieur; son éloignement était décidé par une volonté suprême, habituée à tout trancher en dernier ressort. Cependant cette espèce de disgrâce fut déguisée sous la forme d'un brillant exil à Londres. Déjà dès le mois de novembre 1823, il était parti pour l'Angleterre en qualité d'envoyé extraordinaire, afin d'y reprendre, conjointement avec l'ambassadeur Henri Fagel, les négociations au sujet des Indes. Après avoir conclu et signé le traité de mars 1824^ il était revenu à la Haye; mais il en repartit presque aussitôt après pour Londres, comme successeur de Fagel. Là, dans un monde où il est si difficile de faire sensation, où l'homme le plus imbu d'une haute opinion de soi-même devient nécessairement modeste, tant il y rencontre de supé- riorités qui s'effacent et se cachent sous les dehors les plus simples, Falck fut bientôt remarqué par les hommes distin- gués de tous les partis. Les maîtres et les habitués de Hol- land-House ('), ce centre éclairé de tous les esprits d'élite, (') Maison de campagne de lord Holland. — 716 — ont conservé le plus touchant souvenir des grâces et de l'en- jouement de sa conversation, de la sûreté de son commerce, des qualités éminentes de son âme. L'étendue et la variété de ses connaissances, la justesse de ses aperçus politiques, sa manière large et européenne, si l'on peut s'exprimer ainsi, d'envisager les questions, placèrent bientôt ce représentant d'une puissance secondaire au rang des ambassadeurs de premier ordre. Canning ('), qui se connaissait en hommes, devint son ami et disait, en résumant son opinion sur quelques membres du corps diplomatique, ces mots remarquables : « Quand je re- çois quelques-uns des ministres étrangers, je parle ; quand je vois M. Falck, j'écoule! » Ces deux hommes d'État avaient entre eux ce trait de ressemblance que, doués tous deux . d'une appréciation vive du ridicule, ils maniaient avec suc- cès l'arme de l'ironie et de la plaisanterie, arme dangereuse pour un ministre et qui blesse aussi souvent l'agresseur que la victime. La réserve diplomatique de Falck était quelquefois mise à de rudes épreuves, en présence de ces amours-propres robustes, qui, dans l'innocence de leur admiration d'eux- mêmes, étalaient devant lui leur nullité prétentieuse. 11 faut plus que de l'esprit pour faire taire son esprit et lui imposer le régime fortifiant ou adoucissant du silence. Dans toutes les transactions diplomatiques, et elles sont assez nombreuses, qui eurent lieu entre Falck et Canning, ce dernier ministre ne négligea aucune occasion de rendre hommage aux vues libérales et élevées de l'ambassadeur hol- landais. Le trailé conclu entre eux, relativement aux posses- sions territoriale? et au commerce des Indes orientales, ter- mina heureusement des différends qui avaient plus de deux (') Il avait négocié avec Falck le traité de commerce et d'échange conclu, en mars 1824, entre la Grande-Bretagne et les Pays-Bas. 717 — siècles de durée, et qui avaient produit parfois une assez grande irritation entre les deux gouvernements. «Grâce aux arrangements à la veille d'être arrêtés, dit Canning, dans une note remarquable qui précéda la signature du traité, le commerce de deux nations sera florissant; elles préserveront, en Asie non moins qu'en Europe cette amitié inviolable qui a toujours subsisté entre elles depuis d'anciens temps; et elles n'auront plus d'autre rivalité que celle de maintenir plus efficacement les principes d'une politique libérale qu'elles proclament aujourd'hui à la face du monde. )> Les mêmes principes présidèrent aux conventions de commerce et d'amitié conclues, à Londres, par Falck, en 1827 etl829, avec les États-Unis du Mexique et la république de Co- lombie. Pendant le cours de cette dernière année, Falck profita de quelques mois de congé pour faire un voyage en Italie : il visita Nice et le midi de la France, dans le but apparent de fortifier sa santé. Mais déjà il s'était aperçu avec regret que ses conseils n'étaient plus écoutés; il était convaincu qu'il ne jouissait plus assez de la confiance du roi pour être vé- ritablement utile à Londres. Les révolutions qui, en 1830, ébranlèrent l'Europe don- nèrent à Falck une nouvelle occasion de montrer ce qu'il avait de sagesse, de modération, de prévoyance, dans les moments les plus difficiles. Dès le jour même qu'éclatèrent, à Bruxelles, les premiers troubles de septembre, Falck ne se fit point illusion sur la portée de ces événements. Il se connaissait en révolutions; il savait qu'un peuple, un fois lancé hardiment dans cette voie, ne s'arrête qu'après la conquête de son indépendance. La séparation parut à ses yeux un fait accompli du jour où, une suspension d'armes étant imposée aux deux partis, les cinq grandes puissances annoncèrent la résolution de re- — 718 — manier les traités de 48i5 ('). Malgré la protestation offi- cielle qu'il déposa contre cet acte entre les mains de la conférence de Londres, on voit, à chaque ligne de celte pièce remarquable, écrite avec cette mesure et cette dignité qu'il donnait à tout ce qui sortait de sa plume, percer le senti- ment profond de la nécessité du démembrement de ce royaume que sa main avait contribué à élever (^). 11 s'imposa dès lors la tâche périlleuse de réconcilier l'es- prit de son souverain avec ce sacrifice et de l'amener à perdre la Belgique au meilleur marché possible. Ici éclata, dit-on, entre le monarque et son ministre, un nouveau dés- accord, semblable à celui qui lui avait déjà coûté un porte- feuille ; et, maigre l'influence qu'exerçait l'ambassadeur sur les membres de la conférence, malgré la confiance qu'ils avaient en ses lumières et en sa droiture, son rappel de Londres fut décidé, et son départ fit douter un instant de la possibilité de maintenir la paix en Europe. Falck quitta son ambassade sans aigreur, sans éclat, et en cherchant même à atténuer l'effet que sa retraite avait (') Déjà, (lès le 23 novembre 18-30, Falck écrivait à son ami Van Ziiylen : « Mon cœur éprouve presque chaque jour le besoin de s'exprimer sur nos inté- rêts avec un esprit hollandais et une langue hollandaise. Ce peu de roots vous TeroDl connaître déjà ijue je m'en tiens, autant que jtersonne, à la séparation totale. » (ffet Instituut, page 70, n" I ; Mijn hart gevoelt schier dagelijks de bekoefle van zich over onze belanyen in hoUandschen geest en in hollandsche taaluit te storten. Dezeweinigewoorden zuUen u reeds doen kenneti dat ik, zoo zeer als iemund, my houde aan de totale afscheiding.) (=) Pendant que la révolution belj;e était encore dans toute son activité, Falck ne fut pas médiocrement surpris de recevoir la visite de notre ambas- sadeur, mais une visite de pure courtoisie. Immédiatement après son arrivée à Londres, M. Van de Weyer céda, en effet, au besoin d'aller saluer Falck, non comme envoyé diplomatique, on le conçoit facilement, mais comme simple par- ticulier, et de lui exprimer toute sa reconnaissance pour les témoignages multi- pliés de bienveillance qu'il en avait reçus à Bruxelles. Celle visite honore à la fois celui qui la faisait et celui (jui en était l'objet; Falck en fut vivement touché ; je tiens cette circonstance de lui-même ; il en a parlé dans le même sens il M. le baron d'Arnim, minislie pléniiiolenliaire de Prusse. - 719 — produit sur l'opinion; c'est que, dans le maniement des affaires, il conservait une liberté d'esprit que n'ont jamais ceux qui songent trop à eux-mêmes, à leur fortune et à leur avenir. 11 savait que s'oublier est souvent le moyen le plus sur de réussir^ et qu'en tous cas, c'est le plus noble et le seul digne des hommes qui, comme lui, mettent la grandeur morale au-dessus de toutes les Q-randeurs humaines. « Tôt ou tard, disait-il, on m'aura compris, on me rendra les moyens d'être utile à mon pays.» La suite des événements prouva qu'il ne se trompait point ('). Sa nomination de représentant du roi des Pays-Bas à Bruxelles, après la conclusion du traité de paix définitif, fut en quelque sorte la réparation éclatante de la faute qui avait été commise en le rappelant de Londres, en même temps que le gage de la réconciliation des deux peuples. Cette réconciliation ne pouvait être scellée sous de meil- leurs auspices ! Aucun choix en effet ne pouvait être plus agréable aux Belges, ni plus avantageux aux intérêts de la Hollande. L'arrivée de Faick à Bruxelles fut un événement dont chacun se félicita, mais dont notre Académie eut parti- culièrement à s'applaudir. Immédiatement après son retour, Falck vint reprendre sa place parmi nous (^). 11 fut accueilli avec les mêmes lémoi- (') En 1838, on lui recommanda pour sa santé, les hains d'Ischl, près de Sais- bourg; il y alla passer Télé; il fit ensuite un voyage en Autriche et en Hongrie, et ne revint que dans le cours de l'année suivante. (') Qu'il me soit permis de reproduire ici le billet par lequel il annonçait sa rentrée; on y trouvera une nouvelle preuve du tour spirituel qu'il savait donner aux moindres choses : « Tout est jeune dans cette am!)assade, excepté son chef. Ainsi, mon cher Que- telel, il vous faudra excuser mes gens, qui n'ont pas su vous engager à attendre, pendant quatre ou cinq minutes, la fin de mon entretien avec le docteur Seutin ; de mon côté, je vous pardonne de ne pas savoir soumettre au contrôle que vous exercez sur tant d'étoiles, celle qui préside à notie heureuse rencontre. Nous nous rencontrerons cependant après demain, à midi, car je compte me rendre à la séance de l'Acatiémie, à moins (|ue vous ne me fassiez savoir quelque chose — 720 - gnages d'estime et d'affection, bien qu'après quatorze années d'absence, il ne retrouvât plus qu'un petit nombre de ses anciens confrères et amis. Le plaisir de se revoir fut tempéré par de tristes réflexions : nos anciens rangs étaient bien éclaircis, et lui-même portait des traces visibles de douleurs physiques qui n'avaient fait que s'aggraver. Cependant son esprit si supérieur, son moral si ferme n'avaient rien souffert de ces rudes atteintes. 11 semblait, à l'entendre, qu'il n'eût point cessé d'assister à nos séances académiques ; non-seulement il avait conservé celte même activité d'intelligence, mais il était au courant, de tous nos travaux. Après son retour d'Angleterre et du fond de sa retraite près de la Haye, il tournait souvent ses regards vers nos provinces, où il avait laissé tant d'amis et de si beaux souve- nirs. « Quoique retiré à la campagne, m'écrivait-il, et menant une vie d'ermite, je ne me souviens pas moins que j'ai des voisins, et je reste même passablement curieux de savoir ce qui se fait chez eux ('). » Il ne s'informait pas avec moins d'intérêt du sort des uni- qiii me détourne de ce projet. Je l'ai communiqué an duc D'Ursel dans l'esjioir de l'enlralner dans mon orbite, ou, pour parler avec plus de modestie, afin de vous faire ajjparallre une étoile double, i|uoi(|ue d'une seule couleur ou à peu près. » Jeudi soir. ' » Mille amitiés, » Falck. » (') Relire dans l'habitation 't Huis ternoot, petite cami)agne près de la Haye, Falck profita de ses loisirs pour reprendre plus activement ses études litté- raires. Il s'y occiii)a aussi des sciences et surtout de l'astronomie. Il avait invité M. Lobatio à l'aider dans cette dernière élude, qui lui avait toujours présenté un |)uissant attrait. Plus lard, pendant son séjour à Bruxelles, il continuait à se tenir au courant des travaux astronomiques, et faisait de fréquentes visites à l'observatoire; tandis que, d'une autre part, il se délassait avec l'un de nos confrères, M. Bernard, en relisant les anciens auteurs grecs, qui avaient fait le charme de toute sa vie. Le goût des études sérieuses, si rares aujourd'hui chez nos hommes d'État, formait un des traits les plus caractéristiques des grands hommes de l'antiquité. — 721 — versités et de Tctat de notre enseignement en général (*). Il connaissait personnellement les professeurs les plus ha- biles, les savants et les littérateurs les plus distingués, et il aimait à rester dans la confidence de leurs travaux. S'il est vrai qu'on s'attache aux autres par les services qu'on leur a rendus, on concevra facilement la curiosité que manifestait notre confrère, et on s'expliquera comment il se trouvait en général plus instruit de l'état et des besoins de nos univer- sités que les ministres mêmes qui lui succédaient dans le poste qu'il avait occupé avec tant de distinction. Au moment où s'as;itait, dans l'ancien royaume des Pavs- Bas, la grande question de la réforme de l'enseignement, question délicate qui mit aux prises tant d'opinions, tant de passions et tant d'intérêts divers, Falck, qui avait pris la plus grande part au plan primitif d'organisation, et qui en avait suivi les développements avec une sollicitude vraiment pa- ternelle, ne put rester étranger à la lutte qui s'était engagée. Il y avait lutte en effet, dans une question en apparence pure- ment scientifique, mais à laquelle venaient se rattacher plu- sieurs difficultés politiques très-irritantes, surtout celle rela- tive à la liberté de l'enseignement, te gouvernement, avec un empressement louable, quoique peu réfléchi, avait provoqué {') Falck avait posé la première pierre du magnifique édifice de l'Univer- silé de Gand. Dans le banquet qui avait suivi celte cérémonie, il s'était écrié en buvant à la future prospérité du nouvel établissement : Esto perpétua! Ces vœux seront-ils exaucés? Je sais qu'il s'imposa une véritable privation en n'as- sistant pas à la fête jubilaire qui fut célébrée pour la vingt-cin(|uième année d'existence de l'Université. Son esprit de modération et sa position délicate à Bruxelles lui en faisaient un devoir à celte époque. C'est encore pendant la fête de l'inauguration de l'Université, sous le règne de Guillaume I'"'', que Falck, pour relever cette solennité et pour donnera la ville un témoignage de bienveillance, dil avec autant de tact que d'à-propos : « Je vous annonce que le Roi, protecteur des sciences et des arts, veut aussi encourager l'industrie et créer des expositions publiques, et que la première doit avoir lieu à Gand. » Je tiens ces renseignements de M. Cornelissen, que Falck comptait paimi ses amis. 4(3 — 722 — une enquête générale sur les vices de l'organisation existante ; il avait fait un appel à tout le monde, hormis, semble-t-il, à l'homme qu'il aurait dû consulter le premier. Falck se trouvait alors à Londres : il donna, encore dans cette cir- constance, un exemple d'une rare modération. « Quelle besogne! m'écrivait-il en faisant allusion aux travaux de la commission du haut enseignement, veuillez m'en dire quelque chose, et croyez que, quel que soit le- résultat auquel vous aurez concouru, l'ancien ministre de l'instruction publique n'en persévérera pas moins dans les sentiments qu'il vous a depuis longtemps voués (*). Il est difficile que des établissements prospèrent quand on remet constamment en doute la question de leur exis- tence et la stabilité de chacun des rouages dont la machine se compose. Les inquiétudes de ceux qui doivent les faire valoir, les changements brusques, les pertes continuelles de forces vives, amènent à la longue la destruction des choses qui avaient le plus de chances de durée. Ce qui portait tous les cœurs vers Falck, c'était la con- fiance intime qu'on avait en ses sentiments de justice. Com- bien de personnes calomniées ou dont la conduite avait été présentée sous un faux jour, ont eu à s'applaudir d'être ve- nues se justifier auprès de lui ; combien d'autres lui doivent de la reconnaissance pour avoir été tirées de la foule et pour avoir obtenu un rang distingué dans la société. Dès qu'il soupçonnait une injustice, une enquête était ordonnée, et souvent il la faisait lui-même, avec sévérité mais avec bien- veillance; dès qu'il entrevoyait un talent naissant, il cher- chait à lui faciliter les moyens de se produire; il devenait pour ainsi dire son protecteur naturel. La protection de bien des personnages en place est un vé- (') 10 octobre 1828. Je faisais parlie de celle même commission, chargée de revoir les règlemenls sur l'enseignement supérieur. — 723 — rilable fardeau que l'homme d'honneur ne supporte qu'avec dégoût; la sienne était d'autant plus flatteuse qu'elle était réfléchie et servait ordinairement de premier degré à son affection. Je me trouvais du nombre de ceux qui ont été assez heureux pour en faire l'expérience ; et si j'en parle ici, ce n'est point par un sentiment d'orgueil personnel, qui serait d'ailleurs bien légitime, mais parce que j'ai naturellement l'occasion de montrer jusqu'où allait sa persévérance quand il avait arrêté l'établissement d'une chose utile. J'étais bien jeune lorsque j'eus le bonheur de fixer son attention ; et, sans autre titre, sans avoir jamais vu d'observatoire, j'osai lui parler d'en fonder un à Bruxelles. Mon inexpérience ne me permit pas même d'apprécier ce qu'il y avait de témé- raire dans ma demande. Cependant Falck eut la bonté de m'écouter, de se faire expliquer les avantages qui pouvaient résulter d'un pareil établissement pour les sciences en géné- ral et pour le pays en particulier, et il m'engagea à venir lui en parler encore. Peu de temps après, il m'envoya à l'étranger pour me fa- ciliter les moyens de m'initier à la pratique de l'astronomie ; mais j'eus le chagrin d'apprendre à mon retour que j'allais perdre mon seul appui. Je me trompais; je ne connais- sais pas encore jusqu'où allait sa bienveillance. Il me fit connaître lui-même qu'il avait veillé à tout et que son ab- sence n'apporterait aucune entrave aux projets arrêtés ('). Et, en effet, au milieu même de nos crises politiques, ses regards se tournaient encore avec inquiétude vers cet obser- vatoire, objet de tous ses soins, dont les murs à peine éle- vés étaient menacés de tant de dangers. Si l'observatoire (') M. Van Ewyck, adminislraleur de l'inslruclion publique, sous Falck el sous Van Gobbelschroy, son successeur au minislère, conliibua puissamment à la construclion de rol)seivatoire el à faire doter l'établissement des instru- ments les plus précieux. — 724 — a pu, dès sa naissance, produire quelques fruits utiles, c'est à lui qu'il faut en savoir gré. C'est lui qui en a conçu la pensée, et cette pensée l'occupait encore à ses derniers instants. Peu de jours avant sa mort, il me donna son por- trait au bas duquel il avait écrit ces mots : « Témoignage d'une amitié plus ancienne que l'observatoire... Je devrais ajouter, et surtout plus solide que l'observatoire,» dit-il en souriant et en faisant allusion à l'état de délabrement dans lequel la ville avait laissé tomber le bâtiment. Ce fut pour lui une véritable privation, lorsque, dans les derniers temps de sa maladie, ses souffrances ne lui permi- rent plus d'assister à nos séances académiques. Le désir de savoir et d'apprendre ne l'a jamais quitté, pas même dans les instants de sa vie où il semblait le plus chargé de tra- vaux. 11 se tenait au courant de tous les genres de progrès, se faisait rendre compte des découvertes scientifiques et cherchait à en mesurer la portée. 11 était trop observateur pour ne pas sentir les approches de sa fin, et il avait l'esprit trop élevé, trop ferme pour craindre ce dernier instant. Cependant, quel que fût son stoïcisme, la vie n'était pas un bien qu'il dut quitter sans re- grets. Sa séparation d'une épouse qui avait répandu tant de charme sur son existence, et de tant d'amis dévoués, pouvait ébranler cette âme si noble et si bienveillante.Aussi ses nuits, me disait-il, étaient-elles agitées par des pensées tristes; mais il avait devant lui, pour se consoler, le tableau d'une vie pure et sans tache; et, prêt à franchir le seuil de l'éter- nité, il pouvait avec orgueil jeter un dernier regard sur cette série non interrompue de belles actions qui ont marqué son passage sur cette terre. Falck s'éteignit le 16 mars 1843, à l'âge de soixante-six ans. Son corps fut transporté à Utrecht, pour être déposé dans le caveau de sa famille. La translation se fil avec une — 725 - solennité qui montrait assez que la Belgique, en honorant le représentant d'une nation amie, voulait témoigner en même temps sa reconnaissance à l'homme d'Etat qui lui ap- partenait en quelque sorte par tout le bien qu'il lui avait fait. Certes, dans sa patrie, notre illustre confrère n'a pu être l'objet de plus touchants regrets, ni d'une douleur plus universelle. Falck est en quelque sorte la personnification de toute une grande époque de l'histoire de Hollande. Après avoir le plus contribué à l'affranchissement de son pays, il sut faire adop- ter le plan de réunion des deux peuples belge et hollan- dais; dès lors toutes ses actions, toute sa prudence, toute son énergie furent employées à soutenir cet édifice encore frêle et constamment ébranlé par des maladresses, jusqu'au jour où il fut bouleversé de fond en comble, quand la main qui formait son plus ferme appui n'y était plus; et ce qu'il y a de remarquable, c'est que Falck fut appelé à présider aux arrangements qui suivirent cette grande catastrophe. Il ren- dit encore ce dernier service à sa patrie et parut n'attendre, pour descendre au tombeau , que la signature du dernier acte qui signale cette période remarquable ('). Les services que Falck a rendus peuvent être sentis, mais non appréciés dans toute leur étendue : celte tâche est réservée à la postérité. Les contemporains sont trop près des événements; ils en connaissent trop peu les ressorts (') « Quand le irailé du 5 novembre 1842 fui conclu, il exprima vivemenl son désir de le voir accepter par les chambres légisJalives. Il éci'ivil à ses amis en Hollande :« Puissent vos amis et les miens s'en tenir, dans cette circonstance, au n fortiter occupa portum! Moi, du moins, je ne veux plus me rembarquer sur » l'océan, où nous avons été ballottés déjà depuis tant d'années, et si cela arrive » malheureusement : O! navis, réfèrent in mare te novi fluctus, assignez moi M d'avance le rôle de passager. Aussi bien, je suis trop vieux et trop faible pour les voyages à l'aventure. Qu'on se le dise, adieu. » (T.aduit du recueil ffet Insti- tuut, page 70.) 726 secrets pour être des juges tout à fait compétents. L hommes d'Etat sont un peu comme les médailles : ils l. sont estimés et appréciés qu'après avoir passé quelques siè- cles sous terre. es ne D.-J. VAN EWYCK VAN OOSBROEK EN DE BILT (i). Je n!ai poinl à juger ici les événements qui amenèrent la séparation politique de nos provinces d'avec celles de la Hollande ; je n'ai à m'occuper que de nos relations scienti- fiques et littéraires et, sous ce rapport, il ne peut exister de dissentiment ni d'antagonisme. J'ai cherché à rappeler précédemment tout ce que nous devons à la bienveillance de Falck et aux vues éclairés de cet homme d'État : je cher- cherai à rappeler aussi les soins avec lesquels Van Ewyck continua à réaliser ses projets, quand ce ministre éclairé quitta la Belgique pour passer à la cour de Londres. Van Ewyck avait fait de brillantes études à Utrecht, sa ville natale; il y avait acquis successivement, en 4809 et en 1810, le titre de artium liberalium magister et philo- sophiœ doctor, et, de plus, le titre de docteur en droit. Il n'avait que vingt-trois ans, mais cette précocité, qui n'est pas toujours un indice de supériorité, s'alliait chez lui à une grande rectitude de jugement et à une instruction aussi solide que variée. Les différents opuscules publiés avant son (') Né à Utrecht, le lô novembre 1786; il y est mort, le 15 décembre 1858. ~ 7i28 - entrée clans l'adminislralion témoignent en elï'el de 1 attrac- tion qu'exerçaient sur son esprit les belles-lettres et la phi- losophie. Il avait été nonamé, en 1811, commis greffier au tribunal de première instance d'Utrecht; en 1814, il obtint la place de greffier de la Cour de justice, et, en 1815, il devint secrétaire des curateurs de l'Université. Il avait été revêtu, en même temps, des fonctions militaires d'adjudant dans l'arme de la schutterij. Ces changements rapides dans ses fonctions sembleraient annoncer une instabilité de carac- tère que Van Ewyck était cependant bien loin d'avoir. On le trouve en effet, dans la suite, rigoureusement attaché aux emplois qui lui étaient confiés; et il semblait fuir ;, plutôt que rechercher, des honneurs pour lesquels il marquait un éloignement instinctif. Dès la fondation du royaume nouveau, rien n'avait été négligé dans nos provinces pour les mettre, sous le rapport des lumières, au même rang que les provinces du Nord. Trois universités avaient été établies, et l'enseignement su- périeur avait été organisé sur le même pied que dans la partie septentrionale du royaume. Yan Ewyck prit une part notable à cette organisation. Notre Académie, supprimée pendant le règne précédent, avait pu reprendre également ses travaux et s'était relevée dès Tannée 181 G. Elle était, pour le Midi, ce qu'était dans le Nord l'Institut néerlandais. En même temps, un observatoire nouveau, plus riche et mieux doté pour la science que les observatoires du Nord, s'était élevé dans nos provinces. La Belgique put donc se mettre d'emblée au niveau de la Hollande pour tout ce qui louchait aux sciences et aux lettres. Les premiers commencements de notre Académie lais- sèrent toutefois beaucoup à désirer : la plupart des mem- bres habitaient les provinces septentrionales; d'autres étaient disséminés dans nos principales villes; mais, privés des — 729 moyens rapides de Uansporl qui existent aujourd'hui , ils ne pouvaient assister régulièrement aux séances. L'activité éclairée de Falck, celle du respectable commandeur de Nieuport et de plusieurs autres membres, firent cependant qu'on reconnut la marche qu'il convenait de suivre. On com- prit fort bien qu'il s'agissait moins de travaux particuliers que de l'exécution de grandes entreprises, devant lesquelles pouvait reculer la persévérance d'un seul homme. C'est alors qu'on posa les premiers jalons des roules scientifiques qu'il importait de parcourir et de féconder. L'Académie ne tra- vailla pas avec moins d'activité dans le domaine des lettres, particulièrement pour tout ce qui se rattache à l'histoire du pays et à la publication de nos anciennes archives inédites. Elle se livra avec un dévouement sans égal, et qui ne s'est pas encore ralenti, à exhumer et à publier les documents inédits qui méritaient de fixer l'attention, et à vérifier les points historiques qui pouvaient inspirer quelque doute. Le gouvernement avait à intervenir dans tous ces travaux, car il avait à pourvoir aux moyens d'en faciliter l'exécution. Chacun des membres de l'Académie sentait parfaitement les services rendus par Falck, non-seulement comme littérateur éclairé, mais encore comme premier ministre de l'Etat. On appréciait également les soins de son secrétaire général. Van Ewyck, homme versé à la fois dans la connaissance des lettres et des sciences les plus usuelles. On recourait souvent à lui dans l'intérêt de l'Académie et l'on avait tou- jours à se louer de son intelligent appui. Van Ewyck avait été appelé, en 1817, au secrétariat gé- néral du ministère de l'intérieur par Repelaer Van Driel; l'année suivante, il fut attaché à Falck et continua sous cet homme d'État à remplir les mêmes fonctions ; enfin, après le départ du ministre pour l'Anglelerre, en 4824, il fut nommé administrateur de l'instruction publique. — 730 - Ses brillantes études, ses goûts, son activité le désignaient en quelque sorte pour occuper ce nouveau poste ; il le rem- plit avec zèle et s'attacha à aider notre Académie dans toutes ses relations, dans tous ses travaux. Ce corps voulut lui mon- trer, de son côté, le prix qu'il attachait à ses lumières, et, le 4 février 1826, il lui conféra le titre de membre honoraire de la compagnie. Van Ewyck prit le plus grand intérêt aux travaux déjà commencés ; il seconda la publication de ceux qui se pré- sentaient encore et qui, par leur importance, étaient vérita- blement académiques; il facilita l'élaboration de la carte géologique du royaume, en la faisant encourager par le gou- vernement; il créa dans chaque province une commission de statistique, en les subordonnant toutes à une commission générale, établie près du ministère de l'intérieur. L'organi- sation en était à peu près la même que celle qui fut arrêtée onze ans après par M. Liedls, mais elle n'en avait pas la so- lidité ('). Il adopta les plans d'une météorologie et d'une physique du globe pour nos provinces, dont l'exécution ne put avoir lieu qu'après la révolution de 1830. C'est alors aussi qu'on vit se former la commission des manuscrits, qui, plus tard, fut resserrée dans ses limites naturelles et rentra dans le sein de l'Académie. Enfin, comme administrateur de l'enseignement public, il provoqua un travail scientifique de la plus haute impor- tance : le Rapport de la commission chargée de revoir les principaux règlements organiques de V enseignement supé- rieur ('). La commission commença ses travaux en 1828 (') Voyez plus haut, pages 80 et 548. (=) Rapport der commissie , bijeengeroepen door koninglijk besluit van 13 npril 1828 ter raadpleging over sommige punten betreffende het hooger ondervoijs, 1 vol. in-fol. ô92 pages, à la Haye, imprimerie de l'Étal, 18ô0. Les membres étaient : Roell, président, J. Ackersdyck, Ch. de Brouckere, 0. Le Clercq, D'Escury Van Ileinenoord, Van Wickevoort-Crommelin, Donker-Curtius- — 731 — et les termina dans le cours de l'année suivante; ils furent imprimés en 1830, pendant l'année même de la révolution belge, de sorte qu'ils ne furent que d'un faible secours. Le gouvernement, en demandant cet examen, n'avait en vue que le bien ; mais la trop grande publicité qu'il lui donna conduisit les choses plus loin qu'il ne le voulait : chacun crut devoir publier ses idées ; plus de quatre-vingts mémoires furent imprimés aux frais de l'Etat, et distribués aux mem- bres de la commission. L'attention, qui d'abord ne s'était portée que sur le mode d'enseignement, s'étendit bientôt sur toutes les questions administratives ; et les résultats de cette espèce d'enquête furent loin d'être favorables au gou- vernement. La commission, nommée par le Roi, fut profondément divisée dès le commencement de ses opérations et se sépara en deux partis : l'un soutenant le système d'isolement, qui mettait l'enseignement entre les mains de l'État, et l'autre, numériquement plus faible, demandant une liberté plus en harmonie avec nos institutions. En dehors de la commission, le parti catholique, que le gouvernement craignait avec excès pour nos provinces, rendit tout accommodement impossible. D'une autre part, le gouvernement avait eu la maladresse de se séparer du parti libéral; quelques procès avaient été intentés et irritaient le peuple. C'est alors que les deux partis belges qui, jusque-là, avaient été opposés l'un à l'autre, fini- rent par se réunir, sauf à s'expliquer, après avoir renversé un pouvoir qu'ils regardaient comme leur ennemi commun. C'est dans cet état de choses qu'éclata la révolution de 1830 et que plusieurs des libéraux qui, sept ou huit ans plus tôt^ s'étaient ralliés au gouvernement, s'en séparèrent entière- ment pour lui livrer la guerre la plus rude. Van Thienhoven, Dotrenge, J.-L.-W. De Geer, R.-B. De Keverberg, Van Pabst lot Bingerden, A. Quelelet, J.-F.-L. Schroder, A. -G. -A. Van Rappart, secrélaiie. — 73l> — Il est inutile de rappeler ici les événements de cette époque: la révolution en éclatant produisit ses effets politiques, sans pénétrer dans l'intérieur de l'Académie : les plus ardents comme les plus timides de celte assemblée sentirent qu'ils couvraient de leur honneur ceux qu'ils nommaient leurs confrères. On remplaça temporairement par des corres- pondants, qui n'avaient point existé jusque-là, les membres absents que la révolution retenait loin de l'Académie; mais ce ne fut qu'en 184o que la compagnie prit une forme nou- velle et que les membres étrangers reçurent le titre de membres honoraires, en conservant les mêmes droits qu'ils avaient précédemment. Van Ewyck s'était retiré à la suite des événements de 1830; et, après la suppression des administrateurs géné- raux, il avait reçu, en Hollande, le titre de conseiller aviseur. Ce nouveau poste n'équivalait point à celui qu'il venait de quitter; aussi, en i832, fut-il chargé du gouvernement de la province de Drenthe. 11 passa, huit ans après, en la même qualité dans une province plus importante, celle de la Hollande septentrionale. Cette nomination coïncidait avec l'obtention du titre de conseiller d'État. Van Ewyck remplit honorablement ces importantes fonctions jusqu'en 1855; à cette époque, une maladie dont il fut accablé le força de songer au repos. Il demanda sa retraite et l'obtint en même temps que sa nomination de ministre d'État, distinction qu'il avait bien méritée par ses longs et honorables services. Van Ewyck avait su mériter d'autres distinctions non moins honorables : il avait été nommé commandeur du Lion néer- landais, grand officier de la Légion d'honneur de France, et grand-croix de l'ordre de la Couronne de chêne. Il ap- partenait aussi à la plupart des corps savants de la Belgique et de la Hollande. Jusqu'en 18o7, il était resté curateur de l'Université de Leyde; mais, à cette époque, en rentrant dans - 733 - sa ville natale, il fut immédiatement nommé président des curateurs de l'Université d'Utrecht. Cet homme de bien mourut presque subitement le 13 dé- cembre 1858; sa mort fut une perte vivement sentie par tous ceux qui l'avaient connu et avaient pu apprécier ses mérites. LE BARON DE KEVERBEEG DE KESSEL. Le baron Charles-Louis-Guillaume-Joseph de Keverberg élait né en 1763, au château d'Aldengoor, commune de Halen, faisant partie de la principauté de Liège et aujour- d'hui partie intégrante du duché de Limbourg (']. Ses pre- mières années, livrées à des études plus sérieuses que celles qui occupaient alors les jeunes gens de son rang, n'offrent cependant rien de remarquable. Quand il parvint à l'âge où l'on abandonne les livres pour s'informer un peu de ce qui se passe autour de soi, le jeune baron eut la curiosité de parcourir la Belgique, et, pour la visiter avec fruit, il ne crut pouvoir mieux faire que de voyager sous les auspices d'un homme de sens et d'expérience. Il s'adressa donc à notre confrère, le conseiller de Burtin ; mais ils eurent à peine commencé à faire route ensemble, que plusieurs scènes plus ou moins fâcheuses firent faire à notre jeune voyageur de sérieuses réflexions sur les bizarreries du Mentor qu'il s'était choisi ; et ces réflexions eurent pour résultat leur sé- paration immédiate. Les goûts et les études du baron de Keverberg le portaient (') Le I)aroii île Kevcrl)erg mouiiil ;i la Haye, le -30 novembre 1841. — 735 - de préférence vers les affaires publiques. En 4790, au sortir de l'université, il prit part à l'administration de la Gueldre, et, plus tard, il fut successivement nommé membre du conseil général du ci-devant département de la Meuse-Infé- rieure, avec les fonctions par intérim de maire de la com- mune de Halen ; puis sous-préfet de l'arrondissement de Clèves, poste qu'il occupa pendant sept ans; puis enfin, préfet du département anséatique de l'Ems-Supérieur, dont Osnabruck était le chef-lieu (1811 à 1813) ('). Il se trouvait évidemment en bonne voie, et tout semblait lui annoncer un brillant avenir, quand eurent lieu les dés- astres de 1844 et la chute du grand empire qui ensevelit tant de fortunes sons ses débris. Cependant le baron de Keverberg n'eut pas à se plaindre des suites de ce grand revers, qui le laissa au même degré de l'échelle administra- tive. Après l'organisation du royaume des Pays-Bas, il fut en effet nommé, en 1815, gouverneur de la province d'An- vers (^); puis, en 1817, gouverneur de la Flandre orientale. Ces deux nominations successives dans deux de nos pro- vinces, où l'on s'occupe avec le plus d'ardeur de la culture des lettres et des beaux-arts, convenaient parfaitement aux goûts de notre confrère, qui aimait à se délasser par le com- merce des Muses. Déjà, dès l'organisation de l'Académie des sciences et belles-lettres de Bruxelles, il avait été compris, par l'arrêté royal du 3 juillet 1816, au nombre de ses mem- bres honoraires, et il n'était pas des moins assidus à ses séan- ces. Il avait été nommé également,à cette époque, curateur de l'Université de Gand, titre alors très-recherché et qui était (') La plupart des dates citées ici se trouvent dans l'ouvrage Du royaume des Pays-Bas, etc., et sur le revers d'un portrait que le baron de Keverberg a dis- tribué à ses amis en 1840. (') Il s'était fait connaître, en 1815, par des observations sur le projet de loi fondamentale, qui fixèrent dès lors sui' lui l'attention du gouvernement. — 736 - un nouvel hommage rendu à son goût éclairé pour les sciences et les lettres. C'est pendant son gouvernement de la Flandre orientale que le baron de Keverberg publia son Essai sur l'indigence dans cette province, ouvrage devenu rare et qui reçut alors un accueil justement mérité. L'auteur y fait preuve d'un esprit judicieux, et en même temps d'une philanthropie éclairée n'ayant rien de commun avec celle qui est à l'ordre du jour et qui, par un zèle outré, tend le plus souvent à jeter dans la société des perturbations plus grandes que celles auxquelles elle voudrait remédier. «Diminuer le nombre des indigents en les mettant, autant que possible, dans la posi^ tion de pouvoir et de devoir subvenir à leurs propres besoins, » telle était l'idée qu'il s'agissait de réaliser. En trai- tant cette question , l'auteur était véritablement sur son terrain. H fut peut-être moins bien inspiré dans la composition de son roman historique intitulé : Ursula, princesse britan- nique. Cet ouvrage, écrit d'après une ancienne légende, avait surtout pour objet la descri|>tion, ou, comme on est convenu de le dire aujourd'hui, l'illustration de la fameuse châsse de sainte Ursule, chef-d'œuvre de Hemling, que l'on conserve à l'hôpital de Bruges et pour lequel l'artiste l'avait, dit-on, exécutée en témoignage de reconnaissance et à la suite d'une longue maladie. Les travaux administratifs et les recherches d'économie politique rentraient mieux dans les connaissances et les ha- bitudes du baron de Keverberg que les ouvrages purement littéraires. C'est encore pendant son gouvernement de la Flandre orientale, qu'il chercha à réunir les éléments d'une statistique détaillée sur cette province intéressante. Afin de s'entourer du plus de lumières possible, il créa une com- mission locale de statistique qui se subdivisait en plusieurs — 737 — sections. Le plan qu'il avait conçu était trop vaste pour pou- voir être exécuté avantageusement : il exigeait le concours d'un trop grand nombre d'hommes pour qu'ils pussent être également à la hauteur de leur mission. C'est ordinairement là recueil des commissions administratives. 11 semble que le zèle et le désir de bien faire soient en raison inverse du nom- bre des individus qui sont appelés à exécuter un grand tra- vail. Chacun fait porter sur son voisin le peu de responsa- bilité dont il est chargé, et il se trouve, en définitive, que la charge ne porte sur rien. Du reste, il ne paraît pas que la nouvelle commission statistique eût même commencé ses travaux, lorsqu'en 1819, le baron de Keverberg fut appelé au conseil d'Etat, et se vit ainsi dans la nécessité d'abandon- ner la province pour suivre alternativement le gouvernement à Bruxelles et à la Haye. Peut-être est-ce à cette circon- stance qu'il fait allusion, lorsqu'en parlant de sa nomination au conseil d'Etat, il dit, dans son ouvrage Du Royaume des Pays-Bas {') : « Les personnes qui ont été à la tête d'une grande administration savent ce que c'est que de quitter un ressort d'action au moment où, après l'avoir étudié, on est parvenu à le connaître, où des relations de confiance réci- proque viennent seulement de s'établir entre le fonctionnaire et ses administrés, où, après avoir longtemps voulu le bien, on se sent enfin à même de le faire. » La question des colonies pour la répression de la mendi- cité occupait alors les économistes^ et les établissements de cette nature, créés dans le royaume, étaient visités avec toute cette activité, avec toute cette ardeur que l'on a reportées depuis sur les prisons. Us avaient fait naître, surtout à l'étranger, de nombreux écrits, où les erreurs les plus gros- sières n'étaient pas épargnées. Notre confrère crut qu'il (■) Noie de la préface, page v. 47 - 738 - pouvait èlre utile de rectifier les idées sur leur véritable nature et sur l'esprit qui avait présidé à leur formation. 11 préparait donc un ouvrage sur ce sujet, quand il eut con- naissance que le général Van den Bosch, l'un des fondateurs de la Société de bienfaisance et l'auteur du projet de colo- nisation , venait d'achever un mémoire sur la colonie de Frédériks-Oord. Ce mémoire écrit en hollandais était encore en manuscrit, et il fut obligeamment communiqué au baron de Keverberg, qui le traduisit en français et le publia en 1821 ('), en y ajoutant une préface intéressante qui forme à peu près la moitié de l'ouvrage (^). Notre confrèr.e eut, dans le conseil d'État, des occasions nombreuses de porter ses vues philanthropiques sur plu- sieurs questions de l'économie sociale. Ses recherches, qu'il avait toujours soin de baser sur des documents statistiques, le portèrent à rédiger, pour son usage, des écrits qui étaient (') De la Colonie de Frédériks-Oorl, in-S", chez Houdin, à Gand. {') C'est dans les termes suivants qu'il rend compte des efforts faits par les membres de la Société de bienfaisance et des résultats obtenus en 1821 : a Leur but n'est point d'appliquer des palliatifs au mal qu'ils se proposent de com- battre. Ils ne visent à rien moins qu'à l'extirper radicalement du sein de leur pays natal. Les moyens qu'ils ont choisis, à cet effet, consistent dans les richesses que la terre recèle dans ses entrailles et dans les ressources que la main de l'homme sait tirer en quelque sorte du néant. Beaucoup de trésors sontencore enfouis dans nos immenses bruyères, il ne s'agit (lue de les exploiter. La société en a mis une l>ariie à la portée de l'indigence et lui en a assuré la possession. Dans son système, la culture de nos terres vagues et vaines est destinée à occuper et à nourrir les hommes valides et vigoureux qui n'ont pas de moyens de subsistance. Mais les femmes et les enfants, auxquels la nature a départi une moindre portion de forces, ont les mêmes droits à conserver leur existence. Ils doivent à leur tour les faire valoir eux-mêmes en se dévouant à un travail productif. La société leur en fournit les moyens. Elle les appelle à filer et à tisser le lin et la laine. » C'est ainsi que, par ses soins, six cents arpents (de 85 '/= ares) de landes stériles ont été défrichés en moins de deux ans, et que, dans le même espace de temps, deux cents maisons commodes et solidement bâties se sont élevées comme par enchantement dans un désert. Près de quinze cents individus^ jadis faible- ment secourus dans leur profonde misère par la charité publique, y trouvèrent ensuite des asiles, un état laborieux mais productif, une existence honnête et indépendante. " - 739 - des espèces de traités sur la matière. Il tut conduit ainsi à s'occuper successivement de la question des enfants trouvés, des établissements de bienfaisance, des détenus dans les dépôts de mendicité et dans 1<'S prisons, etc. Ce sont ces dif- férents documents manuscrits qu'il a bien voulu me confier pour la rédaction de mes Recherches sur la population, les naissances, les décès, les prisons, etc., dans le royaume des Pays-Bas (*) ; et il enrichit cet écrit des notes qu'il y ajouta : c'est le seul travail que ses occupations administra- tives lui aient permis d'insérer dans les recueils de notre Académie. 11 a résumé lui-même, de la manière suivante, ses idées sur la''protection que le gouvernement doit aux classes souf- frantes de la société : « La charité est une vertu religieuse, humaine, mais sur- tout sociale. « La société est essentiellement intéressée au bien-être de tous les membres dont elle se compose. Sous ce rapport, elle a des obligations particulières à remplir envers les mal- heureux; il serait barbare et impolitique d'y manquer. )) La charité, considérée comme vertu sociale, a cepen- dant ses bornes, que le gouvernement doit bien se garder d'outre-passer. Il ne doit à l'homme qui, par ses propres soins, peut se procurer des moyens de subsistance, que la part qui lui revient de droit à la justice commune et à la protection universelle. Son devoir envers l'humanité souf- frante semble pouvoir être résumé en quatre règles : i° pro- curer du travail à la population ouvrière, lorsque, d'ailleurs, elle est dans l'impossibilité d'en trouver; 2° ouvrir des asi- les à l'enfance, à la vieillesse, aux infirmités, lorsqu'il n'est (') Voyez lome IV des mémoires de V Académie des sciences et belles-lettres de Bruxelles. Ces recherches ont élé publiées avec des acldilions, sous formol in-8», en 1828, chezTarlier, à Bruxelles. - 740 — pas suffisamment pourvu à leurs besoins ; 3*^ protéger et sur- veiller les fondations pieuses consacrées par les communes et les particuliers au soulagement de la misère; enfin 4° di- riger, autant que possible, la bienfaisance publique, de ma- nière à ce qu'elle tourne à l'amélioration morale de ceux qui y participent ('). » En 1828, un arrêté royal créa une commission spéciale chargée de la révision des arrêtés sur l'enseignement su- périeur. Cette commission , réunie sous la présidence de M. Rôell, ministre d'État, se composait en partie de con- seillers d'État, de députés et de professeurs (^j. En même temps un appel fut fait aux divers conseils académiques, aux professeurs individuellement et en général k toutes les personnes éclairées, en les invitant à émettre leur avis sur les questions importantes qui étaient soumises à l'examen de la commission. J'ai dit importantes, puisqu'on remettait en doute l'existence des six universités du royaume, et qu'il s'agissait d'aborder, entre autres questions, celle de la li- berté de l'enseignement, qui était si grave que la Belgique, plus tard, en fit la matière d'un de ses principaux griefs. Le baron de Keverberg porta, dans les discussions de cette assemblée, comme dans ses rapports au conseil d'État, une grande indépendance de caractère et des vues éclairées. II faisait partie du petit nombre de membres qui auraient voulu voir donner plus de liberté à l'enseignement, sans désirer cependant qu'on pût en dire comme Pascal de l'infini, que son centre est partout et sa circonférence nulle part (^). Il (') Du Royaume des Pays-Bas, lotne I, 1'^^ liv., p. 215. {') Voyez itlus haut, page 7ô0. (2) Nous le laisserons parler lui-même : « Le principe de Pémancipalion de l'enseignement avait trouvé peu de défenseurs dans une commission que le roi avait nommée, en 1828, pour la révision du régime de l'instruction supérieure. J'eus l'honneur de faire partie de cette commission. Des treize membres dont elle se composait, neuf se déclarèrent formellement contre ce principe, et la faible - 741 — soutint avec ardeur l'utilité de l'emploi des langues modernes dans l'enseignement supérieur, à l'exclusion do la langue latine, dont on se servait généralement dans les leçons. 11 était aussi partisan déclaré de l'enseignement industriel dans les écoles moyennes, et voulait que les jeunes gens pussent y trouver les facilités nécessaires pour acquérir les notions immédiatement appliquables à leurs besoins. Enfin, il par- tageait l'opinion de plusieurs de ses collègues des provinces méridionales (*), au sujet du nombre des universités qu'il aurait désiré de voir restreindre (^), pour former, du moins dans nos provinces, une seule et grande université qui pût rivaliser de splendeur avec les plus beaux établissements de ce genre que nous présentent nos voisins (^). J'ai insisté sur la part prise par M. le baron de Keverberg aux travaux de la commission d'enseignement supérieur, pour qu'on put se faire une idée plus juste de sa position au moment où éclata la révolution de 1830. Il était sincère- ment attaché au roi, et quand il n'adoptait pas ses vues, ce n'était point par le désir de faire de l'opposition, mais par le besoin de remplir un devoir et de soutenir ce qu'il regar- dait comme juste. L'extrait suivant d'une lettre que je reçus de notre con- frère (2i décembre 183i) va nous apprendre ce que devint minorilé, qui en jugeait différemment, minorité dontje fis partie, n'osa cepen- dant pas en proposer l'adoption sans restriction ni réserve. » (Du Royaume des Pays-Bas, pièces justificatives, p. 271). Je faisais partie avec MM. Cli.de Brouckere et Donker-Curlius, de cette faillie minorité dont parle l'auteur; et je crois encore aujourd'hui que nous nous étions renfermés dans les justes limites de ce qu'il convenait de faire. (') Voyez Examen de quelques questions relatives à l'enseignement supé- rieur, etc., par Cli. de Brouckere, membre de la commission, In-S» j 1829, Liège, chez M.-C. Lelieau-Ouwerx. [') Du Royaume des Pays-Bas, tome P'', l"''' liv., p. 207. (^) La même opinion a été émise par la seconde commission, créée par arrêté du 30 août 1831 et chargée de la rédaction d'un projet de loi pour l'enseignement public en Belgique (in-S", Bruxelles, Remy, 18-32), commission dont j'avais l'honneur d'être rapporteur. — 742 — sa position après la séparation violente des deux parties du royaume des Pays-Bas : « Vous savez peut-être que le roi a pris, l'année passée, un arrêté qui dispense provisoirement de tout service effectif les fonctionnaires nés ailleurs que dans les anciennes Provinces-Unies. Je tombe dans cette ca- tégorie, et quoique j'eusse bien eu quelques titres à former exception (dont, au reste, il n'y a que deux ou trois exemples), je suis soumis à la règle. Cette fois-ci cependant le régime exceptionnel ne m'aurait paru ni injuste, ni vexatoire. Mais ce n'est pas pour ne point en user que j'ai cultivé la philo- sophie depuis que j'ai commencé à penser. Cette divinité tutélaire me récompense avec usure des sacrifices que j'ai portés à ses autels, et quoique la fortune me ravisse, au moins provisoirement, de 5 à 6,000 florins par an, je n'en vis pas moins avec sérénité, jouissant du bien qui me reste et ne regrettant qu'avec mesure et sans me livrer au cha- grin, celui qui m'abandonne. Je m'occupe de différents pro- jets que je caresse tout en les ajournant. Vous voyez que je ne me défends pas de ÏHomo su?n. Je mettrai cependant prochainement la main à l'œuvre : le plan que je me suis tracé est vaste. Je me propose do traiter dans un ensemble complet toutes les grandes doctrines sociales, en cherchant à les puiser dans l'essence même de ce qui en constitue le sujet et Vohjet. Comme je n'écrirai pas pour plaire à qui que ce soit, mon travail aura au moins l'intérêt d'une inflexible franchise. » On peut juger par ce qui précède combien la philosophie de notre confrère était résignée et sincère. Ces paroles écrites à un ami peignent parfaitement le fond de son âme; on n'y trouve pas la moindre trace d'aigreur ni de récrimination contre une mesure qui le frappait cependant d'une manière assez rude, à une époque de la vie où l'on retranche diffici- lement de l'aisance dans laquelle on a vécu. — 743 — Il paraît que, plus tard, il abandonna son travail sur les doctrines sociales, pour s'occuper exclusivement des intérêts politiques qui divisaient encore les deux parties de l'ancien royaume. Il publia, en 1834, son ouvrage intitulé : Du Royavme des Pays-Bas {'), espèce d'apologie du gouverne- ment du roi Guillaume, servant en même temps de réponse à l'ouvrage de M. Nothomb sur la révolution belge (^). Quelles que soient ses opinions politiques, on ne peut dis- convenir, je crois, que cet ouvrage ne porte le caractère d'une entière conviction de l'auteur. M. de Keverberg a, du reste, fort bien apprécié lui-même les difficultés de sa position et les défiances qu'il devait ex- citer; il avoue qu'il ne peut dire avec l'historien romain mihi Galba, Otho, FiteUius, nec bénéficia nec injimâ co- gniti,eli\ invite ses lecteurs à se défier de lui, jusqu'à ce que, par un examen réfléchi de ses écritS;, ils se soient formé une opinion indépendante de la sienne (^). En s'attaquant spé- cialement à l'ouvrage d'un autre de nos confrères, à l'Essai historique de M. Nothomb, sur la révolution belge, il puise ses motifs de préférence dans des considérations que l'on doit regarder comme honorables pour son adversaire. L'A- cadémie ne peut que s'applaudir de ce que deux de ses mem- bres aient présenté les deux plaidoyers les plus remarqua- bles pour et contre la révolution de 1830 et qu'ils ne se soient pas écartés, dans ces graves débals, des principes de modé- ration et de décence dont elle a toujours cherché elle-même à donner l'exemple dans les circonstances les plus diflîciles. Notre confrère revint en Belgique pendant le cours de l'année 1840, pour revoir ses anciens amis, et il leur laissa, (■) Il en a paru un volume en deux parties avec un volume de pièces justifica- tives; in-8». La Haye, cliez Th. Lejeune, 1834. (') Essai historique et critique sur la révolution belge, Bruxelles, 18ô3. Il en a paru plusieurs éditions et des traductions. {') Du Royaume des Pays-Bas, préface, page vu. — 744 — comme souvenir, son portrait exécuté à Bruxelles, d'après le tableau du peintre Kruseman. 11 ne devait plus les revoir: c'étaient ses derniers adieux qu'il leur laissait en partant. 11 est peu d'écrivains, je crois, de qui l'on ait pu dire avec plus de vérité : le style c'est thomme. Ce qui dominait avant tout chez lui, c'était une extrême bienveillance, qualité rare, surtout chez les personnes dont une partie de l'existence a été consacrée à des travaux d'administration. Sa philosophie était très-douce, et quand il se trouvait au milieu de ses amis, il était facile de voir qu'il avait moins de penchant pour le Portique que pour l'école d'Épicure. Les beaux-arts et la poésie occupaient encore ses loisirs pendant les der- niers temps de sa vie : il leur sacrifiait avec autant de fer- veur qu'aux plus beaux jours de sa jeunesse. Il aimait à réunir autour de sa table un petit groupe d'amis et d'hom- mes remarquables par leurs connaissances. Ceux qui ont fréquenté ces réunions ont pu y voir successivement les hommes les plus distingués, soit par leur position élevée, soit par leurs talents. Le gouvernement dont il avait suivi avec constance toutes les phases depuis 1815, avait fini par lui appliquer ces me- sures exceptionnelles qu'il appelait depuis longtemps de tous ses vœux, et il l'avait réintégré dans ses fonctions de con- seiller effectif. Déjà depuis longtemps, le roi Guillaume V^ l'avait nommé commandeur de son ordre du Lion belgique. Pendant son gouvernement de la Flandre orientale, le baron de Keverberg s'était marié à Gand ('), et il n'avait eu qu'un fils de cette union. 11 mourut à la Haye, le 30 novembre 1 841 . (') Il avait épousé, le 30 mars 1818, miss Mary Lodge, jeune dame anglaise. FIN TABLE ALPHÂBÉTiaUE DES NOMS MES SAVANTS CITÉS «ANS l'oUVRAGE rRÉCÉUEUT (')• rages. Abel 176 Ackersdyck 730 Adet 119 Agardh ^ . . 641 Agnesi (Mlle) 204 Airy 64, 696, 699 Albert (Le prince) 26, 27, 698, 699 Alvin 368, 419, bb8 Ampère 156, 216 Andries 201 Andrieui 686, 687, 688 Angstrom 68 Apélius 443 Arago (François). 16, 39, 61, 76, 231 (589-b91), S95, 602, 611, 627, 647 Arago (Etienne) 890 Ariosle 657 Aristoie 8 Arnauld(Ant.) 266 Arnault, poète 375, 420, 439, 470 Arnould, Inspecteur 287, 382 Arrivabene (Le comte) 88, 673 Artevelde (Van). . . 353, 354, 355, 356, 389 Audoor 347 Auper 448, 686, 687 Auguste, empereur 5 Azemar 216 Babbage 694, 696, 697 Kache 68 Hachelier 268 Tîacrt rPh.) 486 Baili/. 85 Balbo 677 Baron 95, 296. 375, 376, 419, 540 Barrai 560, 567, 590 Barthélémy 407 Bassenge 324, 407 Basseville 333 Bayard 434 Bauwcns (Liévin) 337 Bède 54, 55, 56 Belidor 206 Pages. Bellynck 37 Belpaire 34, 39, (282-291), 382 Cenau 369, 387 lienezech 209 Benolston de Cbâteauneuf 693 Bcnzenberg 15, 602, 603, 639 Bergeron 673 Berlier 420, 439 Bernard (530-536), 720 Bernard de Saxe-Weimar 143 Bernardin de Saint-Pierre 75 Bernhardi 479 Bcrnouilli (Jean) 8, 28, 45, 234 Bernouilli (Daniel) 234 Berlhollet . . . 117, 119, 124, 127, 133, 209 Bertrand 55 Berzélius 125, 306, 565 Bessel 633, 634, 635, 639 Bcuckers 164 neyens 526 Bezout 214, 216 Bidone 185 Biéla 639 Binet 2)2 Biot 217, 228, 232, 569 Birlh Il Biver 62 Blommaert 32 BlOiideau 408 Elondiau 62 Bobilier 156 Bodin (Félix) 478 Boileau 448, 501, 686 Bonaparte ou Buonaparte . . . 133, 339, 593 bonnier 115 Bonpiand ■ 894 Boquillon 121 Borchardt 38 Borgnet (Ad.) ^. . . 32, 520,823 Borgnet (Jules) 82* Bormans, proTesscur 32 Bormans, général 62 (<) Lcscbiffres entre parenthèses indiquent le commencement el la lin d'un article biographique. — 746 Pages. Bory de Saint-Vincent. 1.30, .324, 37b, 420, 439 Bosc 113, 134 Bossut 101, 203, 214, 233 Bouchu 209 Bouesnel 34 Boufflers 686 Bouguer 7 Boulllon-Lagrange 119 Bourdon 212 Boursault b03 Bouvard. 39,66, B7b, K76, 578, 880, (608-628), 6.^1 Bouvard (Eugène) . . 872, 574, 576, 611, 614 Bouvy 64 Braemi 348, 350 Brandès 15, 602 Brasseur (J.-B.) bO Brasseur, économiste 88 Bravais 83, 84 Brewster *. . . 76, 696 Brialmont 59, 62, 164 Brianchon 147 Brorsen 639, 6il Brown (Robert) 665 Bruck 61 Brugnaielli 119, 120, 121, d25, 127 liruhns 64 Brunet 209 Bucholz 120, 123 Bucbon 481 Buckie (Thomas) 700 BuITon 564 Bugge 632, 6.33 Burg 609 Burggracve 6U Buysen 343 Buzen, général 276 Byron (Lord) 464, 466, 502 Caloigne 324 Campenon 686, 687, 688 Camus 7 Candcze 37 Cannaert 341 Canning 716, 717 Canova 350 Carnot 139, 142, 16t, 210, 234 Casimir De la Vigne 508 Cassini 608, 613 t.asterman (Louis) 225 Casii, poète 384 Catalan 54 t:attcl 417 Cauchoix le Maire 375, 420 Caucliy, géologue ... 34, (268-281). 287, 382 Caucliy, géomètre 47, 48, 311 Cavalier 66 Cliapelié, général 182 Cliaptal J19, 130, 213 Cliapuis 37 Charles-Quint 2, 389, 405 Charles II 6 Cbarlemagnc 1,5 Chasies. . . 38, 150, 600 Chateaubriand 563 Chencvix 120 Chiesa 184 Cicéron 380 Cisa de Gresy 192 Civiale 625 Clairaut 7 Clausen 641 Clément 671 Cobentil 470 Coddington 665 Coemans 37 Collegno 672 Pages. Collin d'Harleville 688 Comhaire 446 Commines (Ph. de) 2 Condorcet 101, 565, 591, 695 Congréve 284 Coquilhat 63 Cornelissen. 317, (331-366), 346, 369, 370, 389, 407, 419, 506, 708, 721 Coulomb 42 Couret de Villeneuve 369 Courrier 158, 564 Cousin (Victor) 470, 487, 488, 489 Crahay 39, 66, 244-256) Crel 119 Crelle 38, 49, 50 Daguerre 576, 583 Dalembert . . 42. 69, 100, 101, 161, 234, 565 Dandelin. 39, 47, 109, (138-164), 166, 182, 190, 191, 278, 441 Dante 070 DArnim (Baron) 718 Daru (Comte) 409, 502 Daunou 627 David, historien 32 David, peintre 350, 439, 443 David, sculpteur 659 Davreux 34 Davy 125 De Barante 355, 470, 482 De Bast 343, 370 De Beaulleu (Le Hardi) 88 De Boufflers 088 De Brie (Jean de) 115 De Brouckere (Ch.). . 59, 88, 158, 730, 74l De Buch (Léopold) 593 De Busscher 356, 558 De Caux 218 De Cobentzl 479 D'Eckstein ..." 709 De Cuypcr 54, 166 De Decker 32, 87, 399 De Doncker 376 De Férussac 665 Defflers 47, 48 De Fortia d'Urban 483 De Geer 220, 731 De Gerlacbe (Baron). ... 32, 408, 426, 480 De Graevc 343, .370 De Guise 482 De Heeren 482 De Hulster 445 De llemptinne 84 De Humboldl, 16, 39, 118, 574, 586, 587, 589. 590, (592-607), 647, 656 De Keverberg 731, (734-74V) De Koninck 34, 84 De la Condamine 7 Delambre 207, 561, 562, 565 De Laplace, 8, 85, 207, 212, 234, 609, 612, 615, 616, 620, 6-27, 653 De la Rive 121, 562 De la Roquette 598 Delbœur 58 Delille 7 De Ligne (Le prince) 413 Delindenau 631», 650, 651, 653 De Luc 658 Delvaux(F.-M.) 324, .350 Deizenne 576, 583 Dcmanel 61 De Martius 66 De .Molinari 88 De Montferrand 652 De Moor 187 De Naycr 337 — 747 — Pages. De Necker-Saussurc 024 ne Nelis 482 De Neny 324 De Neufchàteau (Fr.) . . . 12b, 126, 209, 387 De Nieuport. 37, 39, (99-l()9), 148, 168, 186, 320, 449, ibO, 711, 729 De Potier 375, 376, 377, 421, 449 De Ram 32, 249, 380, 480 De lleiiTenberg. 302, 317, 324, 375, 397, 419, (436-490), 506, 540 De Ricliem 218 De Ridder 261, 262 De Saint-Génois 32 Descartes 3, 8, 234 D'Escury Van Hoinenoonl 730 De Selys-Longchamps 34, 37 De Sluie 3, 8 De Smet 32 Desmousseaux 355 Desprclz, général 235 DcStassart. 280, 338, 350, 362, 397, (401-433) 445, 456, 472, 540 De Tournay 89 De Vaux 34, 56. 281 De Walque 34, 06 Dewez. 186, 296, (325-330), 355, 360, 407, 480, 482 Deyeux 119 De Zacli (Baron) 593 DHoudelot 449 DiUot (Firmin) 206, 207 Dierickx 343, 370 Dinaux (Arthur) 430 Dieterici 607 Dinet 212 Iiolomieu 118 D'Omalius d'Halloy, 34, 59, 272, 311, 424, 713 Doiiker Curtius 731, 741 Donny 84, 306, 307 Dorfer de Preetz 630, 032 Dotrenge 731 Dove 13 Drapiez 34, 130, 296, 324, 370 Drinkwater 696, 697 Droz (681-693) Du Bus de Ghisegnies 37 Ducis 686, 687, 088 Duclercq, historien 481, 482 Ducpetiaux 89 Ducq 324 Dulong 5b Dumas, chimiste 306 Dumont (André) 34, 311, 312 Du Mortier 32, 34, 297 Dunkin 64 Dupin (Ch.) 193 Duprez 66, 71, 80, 81, 226, 305 DUrsel (Duc) 7-20 Dutillœul, général 104 Dutrieux 265 Ehrenbergh 313, 597, 601 Encke. . • . 64, 597, 600, 607, 633, 647, 650 Engeispacb la Rivière 34 Erasme 445, 404 Erman 597, 635. 639, 656 Ernst, aine 274, 287, 382 Ernst 455 Erlel 633 Espy (James) H Etienne ' 504 Euclide 217 Eulcr 42, 198, 232 Fagel (Henri) 715 Faipoul 370 Falck. ... 39, 191, 241, 321, (702-726), 729 Fallot, major 61 Fallot, médecin. Pages. . . 60 Farr. . - Felti (Baron de) 321 Fénélon 350, 421, 682 Fermât 8 Félis (Fr.) 182, 302, 476, 486, 558 Féiis (Éd.) S58 Figuier 120 Flourens 86* Folie 58 Fontancs 448 Fonlenelle S64 Forster, naturaliste S93 Forbés 68, 696 Fourcroy. . 118, 119, 120, 127, 213, 491, 492 Fourier (J.-B.-J.). 47,48, 85, 178. 192, 193, 197, 210, 211, 212, 232, 250, 565. 566, 606, 653, 693. Fournier. 123 François l»"' 2 Francklin 124, 682 Fraunhofer 633 Frrsncl 563, 569. 579 Fritscb 14, 37, 67 Froissart 2, 353, 354 Froment 446, 447, 465, 406 Froriep 659 Funck 314 Fuss 641 Gacbard 32, 480 Gagern 220 Gaggia 46,48,673 Galeotii 34, 303, (310-316) Galilée 189 Gallait, peintre 558 Gambart 619, 620, 624 Gambey 611, 627 Garnier. 59, 167, 176, 187 (201-243), 361, 498 506,560,711 Gauss . . 16,85,588,600,632,639.(641-055) Gautier 608, 612, 624 Gergonnc 38, 147, 156 Gerlache (Baron de) 32 Germain 66 Gerono 136 Gliisbregl 314 Gilbert 53 Gioberli 39, (669-680) Giron 371 Gloësener 51, 82 Gluge 37, 59, 60, 574, 601 Godefroid de Bouillon - Go'Jin 7 Godwin 695 Goethaels (Aug.) 220 Gœibe (656-668) Gœlbe (Otilie) 064 Goldschmidt 647 Gonzaga (Th.-Ant.) 466 Gorostizza (Man. de) 384 Goujon 209 Gould 641 Orangagnage 520 Grégoire de Saint-Vincent 9b, 464 Grcgory 199 Grélry 324, 335 Griffenfeldt 629 Grunert 38, 50 (7ruyer 82, 376 Guietle 166 Guillaume 63 Guillaume de Nassau 3 Gundiagitr 641 Guvton deMorveau. . . . 118, 119. 133,209 Hachette 113, 145, 156, 187 748 Pages. Haidinger 66 Hallam 694, 69b Hamilton 699 Ilansen 641 Hansteen 66, 69, 656 Harding 14, 650, 651 Hassenfrath 119 Hauff 498 Hausmann 648 Heinsius (Daniel) 363 Heiss, docteur 594 HHIebaut 340, 341, 365 Hemmelinck 2, 736 Henkart 407 Henné 557 Hensmans 111 Henzel 597 Herder 657 Herrick 66 Herry de Cocquiau 88 Herscbel (Sir J.). 9, 66, 8», 171, 576, 615, 696, 699, 700 Ilerzey, capitaine 49 Hésiode 469 Heuschling 89, 92 Hoche, général 492 Hoffman (Martin) 475 Holtei 659 Homère 350 Hooremann 65 nopsomere 346 Horace 498 Horn (J.-E.) 88 Houzeau 58, 59 Hubain 446 Hudde 8 Hugues, de Toul 482 Hummel 6o9 Huj'ghens 3, 8, 233 Hyman 307 Ismaïl, du Caire 558 Jacobi, mathématicien 176, 588 Jacolot 452 Jamar 68 Jamin 55 Jean le Bel 2 Jones 694, 695 Jordaens 390 Jottrand 376, 377 Jouy 368, 419, 445 .lusie (Th.) 381 Juste Lipsc 390 Juvénal 389, 498 Kâmiz 13 Kant 469 Kaulbach (peintre) 654 Keanc 417 Kepler I8S Kervyn de Letlenhovc 32, 302 Kessels 636 Kesleloot 84, 709 Kickx 34(292-298) Kickx fils. . . . 34, 37, 40, 166,(298-304), 307 Kindt 166 Kinker 611 Kircker 69 Kluyskens 341,369 Kramp 46 Krusemann 744 Kuppfer 16, 647 Lacépéde 117, 132, 432 La Condamine 7 Lacroix 211, 232 Lacroix (Pascal) 409 La Fontaine . . . 414,428,431,433,607,686 Pages. Lagrange, 43, 161, 190, 192, 193, 207, 213, 2.34, 565 Lagrange (le colonel) 61 Lalande 562 Lambert 42, S63 Lambrechts . . . 117,318,335,356,359,367 Lamarle bS, 57 Lamont 66, 68 Langberg 68 Lannoi (Ed.) 225 Laplace (le marquis de), 8, 85, 207, 212, 234, 609,612,615,616,627,693 Larivière (Engelspacb) 34 La Ségue 313 Lavallée, de Paris 234 Lavoisier 127 Laugier 672, 674, 590 Laurent 88 Leboulangé 62 Lebrun 212 Leelercq, de Liège 66 Leclercq (président) 730 Lecocq, de Tournai .... 287, 382, 478, 541 Le François 45, 47, 58, 305 Legendri 63,161,176,217,231 Le Glay 419 Le Gros 410 Le Hardi de Beaulieu 88 Lehon 34 Leibnitz 3, 7, 8 Lcjeune-Dirichlet 697- Leraaire (Jean) 44,54,225,303 Lemaveur 387 Le Me'rcier 508 Lemonnier 7 Leopardi (Giacomo) 670 Léopold, de Toscane G Lesbroussart père 365, 367, 471 Lesbroussart, 296, 341, (367-400), 407, 419, 4.38. 445, 463, 470, 506, 520, 5-22 Leschevain (Ad.) 226 Letourneux 209 Leurs 62 Leverrier 13 Lévy 156 L'Hôpital (de) 8 Liagre 59, 62, 88 Liedis 89, 648, 730 Liégard 370 Linden 314 Lindenau(de) 639,650, 661,653 Lindet (Robert) 210 Linné 13 Linsser 14,37,67 Liouvillc 38, 50 Lipsius (Justus) 444,479 Listing 647 Lloyd 696 Lobalto 720 Louis, roi de Hollande 705 Louis XIV 6 Louis, baron 6'27 Loxhay 177 Lubboek 8,694,696,696 Lucrèce 496 Lulofs . . . . « 42 Lysias 625 îlaas 66 Mabire. . . . 413 Machiavel 352,670 Slaclaurin 8,234 Madou 558 Magnus 597 Mahmoud, du Caire 68,588, 689 Mailly 68, 68 749 Pages. Mainlenon (!«""■ dej 39S Malfllàtre SOS Malingrau 30!) Malou 89 Mallhus 178,(693-701) Mandel 130 Manderlier 221! Mann (l'abbé) 69 Marchai père 297 Mareska 84, 226, (30i-309) 310 Marie-Thérèse 4, 391, 401, 403 Martens 84, 248, 315 Marlins 83 Maskelyne 609 Massari (Giuseppe) 669, 679, 680 Masui 264 Mathieu 368, 436, 460, 490, 521 Maupertuis 7, 234 Maurice 611 Maurice de Nassau !>1 Maury, capitaine 22, 24, 21), 603 Maus, président 434 Mauvais 572, 576 Mayer 659 Mécène •'> Mèchain 502, 561 Meiérslein 647 Melsens 81,84 Melloni 584 Memelinck 2 Mendelson 397, 656 Mercator 3, 390 Merlin 439 Mérovée 1 Messemaeekers 443 Mejer 47, 48, 49, 50, 673 Meynders 704 Michelot 691 Mickiewicz 659 Millevoye 504 Minkelers 245, 246, 250 Misson 89 Molière 499, 686 Molinari (de) 88 Mollevaut 448 Monge 209.214,237,561 Montigny 66, 82 Monli 333 Moore (Thomas) 466 Moralin 384 Moreau de Jonnés, 272 Morel (Hyacinthe) 417 Morren (Ed.) 37,315 Morren (Charles) 34, 37, 166, 226 Morveau (Ouyton de) . . . .118,119,133,209 Moser 654 Mussche 349 Musschenbrocck 573 Napoléon 133, 339, 593, 706 Navez, peintre 350. 550, 558 Navez, major fi2 Navier 206 Nerenburger 60 Neumann 641 Neufchâteau (François) 387 Newton 3,7,8,87,234. 869, 613 Newton, américain 66 Nieollet 616 Niepce 583 Nieuport (commandeur de). Voyez de Nieuport. Nissen 641 Nodier 470 Noël (Matthieu) 51 Noël, peintre 380 Nothorab, ambassadeur . . . 160, 263, 53b, 743 Pages. Nypels 166 Nyst 34, 303 Odevaere, peintre 37(i Oorsled 562,565,637 Olbers 14,602,634,635,636.639,650 Olde 641 Olivier (Théodore) 145,156 Oisen 638 Olufscn 64! Orlellus 3 ©■"Sullivan de Grâce 4'8 Otway 384 Owen 419 Paelinck 324, 350 Paels van Troostwyck 127 Pagani 39,47. 53, (184-202)272 Parent, à Waleffe 66 Parmenlier H^- *36 Parret 194 Pascal 3.8,85.144.146,147,148 Pelletier l'^ Pellico(Sylvio) 676 Peliier. .... 19, 66, 69. 70, 71, 73, 570, 571 Perlecamp 443 Perrey ^ Perrot °^ Perse 498 Perseus 1" Pelers 635,639,640,641 Pelersen 629, 641 Petit Sa Pétrarque 410 Peucer "89 Pfatf 127 Philippe le Bon • 403 Piazzi 14, 650 Picard 686,687 Plaisant 381 Plana 156, 18o Planlamour 87i Plischart 446 Plateau, 47, 33, 58, 74, 75. 77, 79, 80, 165. 673 Plateau llls 80 Platon 103,189,670,682 Plucker 1^6 Pichegru 133 Pioch 46, 47, 48 PochoUe 373 Poelman 37, 303 Poggendorff ^9' Poinsot 233, 234 Poisson, 47, 56, 85, 171, 200,212. 219, 234,561, 568,612,615,653,693 Poiteau 129. 137 Polain 32, 411, 520 Poncelet 1^6 Portaels =>a4 Porter (G.-R.) 694 P.-tel 213 Pougens 134 Prieur 118,210 Prony (de) 178.206,208.215 Puteanus (Erycius) 479 Pycke ............ 407,(323-529) Pythagore 188 Quesneville 121 Quetelet. 45, 88, 66, 88, 87, 89, 92, 146, 187. 190, 193, 223, 228, 287, 293, 296, 302, 303, 362, 376, 382, 542, 573, 589, 602, 610, 635, 653, 663, 698, 700, 731. Quetelet (Ernest) 62, 64, 63 Quirling 641 Racine 686 Raisson 209 - 750 - Pages. Raoul, 47, «6, 37S, 38-i, 419, 438. 440, 447,448, 4€2, 470, 479, (49i-S09). 340, 673 R30UX 272, 407 Real (comle) ^53 Redoute 3i* Rcgnard, poète ■'J"* Ilegnault ''^ Reiclienbach 297, G33 Reiss (Michel) la» llenard „^J Repelaer van Driel 221, 241. 3b9 Repsold 633,633,636 Reveilliére . Reynicr . Richard . Ridolphi . Rittcr (Charles) Roberjot H3, Robeni 531, Roberval 8,236, llobinson Rochon Roelandts, poète Roell 730, Roftiaen Rogct Roland (Me) • • RoUin ... 666, Rose (Gustave) 597, Rotier Rouppe Rousseau (3.-J.) Roussel '-,' i a Rouveroy 397, 446, Roux • • Rubens 390 Rudberg Sabine, général 335 Saljs 134 407 315 672 639 675 116 537 237 699 563 369 740 61 296 1.34 667 599 341 334 364 2-29 340 665 486 68 68 __.^ 199 Saiiit-Genois (Baron) 32 Sainl-Hilaire (Barlhélcmy) 681 Saint-Victor •*^ Saint-Vincent (Grégoire de) 95,464 Saussure • • „;? Sauveur 89, 272. 311 Savart 7^ Say(J.-B.) i,-^.^l\ Schaar 31, 52, 53 Schiller 468,475,476.483,637 Schmerling ^*' ^ii Schônfeld '^33 Schrôder 731 Schrôn bp^ Schrôter, de Vienne „•,„„,," Schumacher, 39, 283, 602, (629-642) 643. 644, 645, 633, 635 Schumacher (Richard) 641 Schwann |7 Sedillot '23 Selander 641 Shakespeare 384 Sievers. . ^nàlV, Silvio Pellico 676, 677 Simms :. v; v,t Simon Stévin ^'2l'£J .Simons 38 (257-267) Siret 558 Sluse (de) 3, 8 Smith 58 Smiis(Ed.) 89, 90,376, (537-549) Smits (Will.) 538 Snellaert 3J SnowHarris 696 Socrate 682 Pages. SoraerviUe (M"-;. 579 Sonlag 641 Soumet 50* Soulh -579 Spring 37, 60 ' Hier Se, Staininger ^'35 • Steichen »" Slevin (Simon> 3, 51, Struve Sudhof Suys Swann Swanberg Swcdiaur Tacite 62 34 84 51 577 633 671 324 417 641 125 500 461 267 657 695 289 390 307 39 557 341 631 377 223- 2 420 313 Talma Tardieu Tasse Taylor (Richard) • Tciobmann 274, Teniers Térence Thilorier Thiry Thomas, peintre Thomassin • Throughton 630. Tielemans 376. Timmermans (Alexis) 40,44,52, Tinctor Tissot 375, Trommsdorff 120 Trougtbon ^J Tutot 334 Lrsin 641 L'Izschncider 633 L'vlterhoeven '66 vin Arievelde 353, 354, 355,336 V.nn Assche 330 Van Uemmel père 419, 446 Van Remmel. 402.433,310 Van Beneden 37, 39 60 Van Breda 39 Van Brée 324 Vandael 324 Van den Berghe 2 Van den Bogaerde 542 Van den Bosch 738 Vandenzande 397, 472 Van de Put8| Applied Scf, PLEASE DO NOT REMOVE CARDS OR SLIPS FROM THIS POCKET UNIVERSITY OF TORONTO LIBRARY rwRV^^^^v-'HB""^^